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Université Cheikh Anta Diop de Dakar Année universitaire 2020-2021 Faculté des Lettres et Sciences Humaines LICENCE 3 Département de philosophie PHILO 352B - TD ETUDE DE TEXTES TEXTE N° 1 Dans le cours des siécles, la science a infligé 4 l’égoisme naif de humanité deux graves démentis. La premiére fois ce fut lorsqu’ elle a montré que la Terre, loin d’étre le centre de univers, ne forme qu’une parcelle insignifiante du systéme cosmique dont nous pouvons a peine nous représenter la grandeur. Cette premiére démonstration se rattache pour nous au nom de Copemic, bien que la science alexandrine ait déja annoncé quelque chose de semblable. Le second démenti fut infligé I"humanité par la recherche biologique, lorsqu’elle réduisit a rien les prétentions de l'homme & une place privilégiée dans l’ordre de la création, en établissant sa descendance du régne animal et en montrant l’indestructibilité de sa nature animale. Cette demiére révolution s’est accomplie de nos jours, A la suite des travaux de Ch. Darwin, de Wallace et de leurs prédécesseurs, travaux qui ont provoqué la résistance la plus acharnée des contemporains. Un troisigme démenti sera infligé & la mégalomanie humaine par la recherche psychologique de nos jours qui se propose de montrer au moi qu’il n’est seulement pas maitre dans sa propre maison, qu’il en est réduit A se contenter des renseignements rares et fragmentaires sur ce qui se passe, en dehors de sa conscience, dans sa vie psychique. Les psychanalystes ne sont ni les premiers ni les seuls qui aient lancé cet appel a la modestie et au recueillement, mais c’est eux que semble échoir la mission d’étendre cette maniére de voir avec le plus d’ardeur et de produiré & son appui des matériaux empruntés & Vexpérience et accessibles a tous. D’ot la levée générale de boucliers contre notre science, Poubli de toutes les régles de politesse académique, le déchainement d’une opposition qui secoue toutes les entraves dune logique impartiale. Freud, Introduction @ la psychanalyse Université Cheikh Anta Diop de Dakar Année universitaire 2019-2020 Faculté des Lettres et Sciences Humaines LICENCE 3 Département de philosophie PHILO 352B — TD ETUDE DE TEXTES TEXTE N°2 En étudiant ainsi le développement total de l'intelligence humaine dans ses diverses sphéres activité, depuis son premier essor le plus simple jusqu'a nos jours, je crois avoir découvert une grande loi fondamentale, & laquelle il est assujetti par une nécessité invariable, et qui me semble pouvoir étre solidement établie, soit sur les preuves rationnelles fournies par la connaissance de notre organisation, soit sur les vérifications historiques résultant d'un examen attentif du passé. Cette loi consiste en ce que chacune de nos conceptions principeles, chaque branche de nos connaissances, passe successivement par trois états théoriques différents : l'état théologique, ou fictif ; l'état méta- physique, ou abstrait; '6tat scientifique, ou positif, En d'autres termes, l'esprit humain, par sa nature, emploie successivement dans chacune de ses recherches trois méthodes de philosopher dont le caractére est essentiellement différent et méme radicalement oppos¢ - dabord la méthode théologique, ensuite la méthode métaphysique et enfin la méthode positive. De la, trois sortes de philosophies, ou de systémes généraux de conceptions sur l'ensemble des phénoménes, qui s'excluent mutuellement : la premiére est le point de départ nécessaire, de I'intelligence humaine; la troisiéme, son état fixe et définitif; la seconde est uniquement destinée a servir de transition. Dans I'état théologique, 'esprit humain, dirigeant essentiellement ses recherches vers la nature intime des étres, les causes premiéres et finales de tous les effets qui le frappent, en un mot vers les connaissances absolues, se représente les phénoménes comme produits par l'ction directe et continue agents sumaturels plus ou moins nombreux, dont Intervention arbitraire explique toutes les anomalies apparentes de I'univers. Dans l'état métaphysique, qui n'est au fond quiune simple modification générale du premier, les agents sumaturels sont remplacés par des forces abstraites, véritables entités (abstractions personnifiées) inhérentes aux divers étres du monde, et congues comme capables d'engendrer par elles-mémes tous les phénoménes observés, dont 'explication consiste alors & assigner pour chacun Tentité correspondante. Enfin, dans l'état positif, lesprit humain reconnaissant Vimpossibilité d'obtenir des notions absolues, renonce a chercher V'origine et la destination de I'univers, et a connaitre les causes intimes des phénoménes, pour s'attacher uniquement & découvrir, par usage bien combiné du raisonnement et de lobservation, leurs lois effectives, c'est-a-dire leurs relations invariables de succession et de similitude, L’explication des faits, réduite alors & ses termes réels, n'est plus désormais que la liaison Etablie entre les divers phénoménes particuliers et quelques faits généraux dont les progrés de la science tendent de plus en plus a diminuer le nombre. Le systtme théologique est parvenu a la plus haute perfection dont il soit susceptible quand il a substitué Faction providentielle d'un étre unique au jeu varié des nombreuses divinités indépendantes qui avaient été imaginées primitivement. De méme, le demier terme du systéme métaphysique consis- te A concevoir, au lieu de différentes entités particulires, une seule grande entité générale, la nature, envisagée comme la source unique de tous les phénoménes. Pareillement, la perfection du systéme positif, vers laquelle il tend sans cesse, quoiqu'il soit trés probable quill ne doive jamais 'atteindre, serait de pouvoir se représenter tous les divers phénoménes observables comme des cas particuliers dun seul fait général, tel que celui de Ia gravitation, par exemple. Auguste Comte, Cours de philosophie positive, Premiére legon, Ul (1826) Université Cheikh Anta Diop de Dakar Année universitaire 2020-2021 Faculté des Lettres et Sciences Humaines LICENCE 3 Département de philosophic PHILO 352B - TD ETUDE DE TEXTES TEXTE N°3 ‘Aucun homme "a zegu de la nature le droit de commander aux autres. La liberté est un présent duu ciel, et chaque individu de la méme espace a le droit d’en jouir aussit6t qu'il jouit de la raison. Si la nature a établi quelque autorité, c’est la puissance paternelle : mais la puissance patemelle a ses bomes, et dans [’état de nature elle finirait aussitét que les enfants seraient en état de se conduire. Toute autre auforité vient d’une autre origine que de Ia nature. Qu’on examine bien, et on la fera toujours remonter & une de ces deux sources : ou la force et la violence de celui qui s’en est emparé, ou le consentement de ceux qui s’y sont soumiis par un contrat fait ou supposé entre eux et celui & qui ils ont déferé l’autorité La puissance qui s*acquiert par la violence n’est qu’une usurpation, et ne dure qu’autant que la force de celui qui commande l’emporte sur celle de ceux qui obéissent ; en sorte que si ces derniers deviennent & leur tour les plus forts et qu’ils secouent le joug, ils le font avec autant de droit et de justice que Pautre qui le leur avait imposé. La méme loi qui a fait 'autorité, la défait alors : c'est la loi du plus fort. Quelquefois ‘autorité qui s’établit par la violence change de nature, e’est lorsqu’elle continue et se maintient du consentement exprés de ceux qu’on a soumis ; mais elle rentre par la dans la seconde espace dont je vais parler ; et celui qui se l’était arrogée, devenant alors prince, cesse d’étre tyran. La puissance qui vient du consentement des peuples suppose nécessairement des conditions qui en rendent Pusage légitime, utile a la société, avantageux a la république, et qui la fixent et la restreignent entre des limites : car I’homme ne doit ni ne peut se donner enti¢rement et sans réserve Aun autre homme, parce qu’il a un maitre supérieur au-dessus de tout, a qui seul il appartient tout entier. C’est Dieu, dont le pouvoir est toujours immédiat sur la créature, maitre aussi jaloux qu’absolu, qui ne perd jamais de ses droits, et ne les communique point. Il permet pour le bien commun et pour Je maintien de la société, que les hommes établissent entre eux un ordre de subordination, qu’ils obéissent & l'un d’eux : mais il veut que ce soit par raison et avec mesure, et non pas aveuglément et sans réserve, afin que la créature ne s’arroge pas les droits du Créateur. Toute autre soumission est le -véritable crime d’idolétrie. Fléchir le genou devant un homme ou devant une image n’est qu’une cérémonie extérieure, dont le vrai Dieu qui demande le ceur et l'esprit ne se soucie guére, et qu’il abandonne a linstitution des hommes pour en faire, comme il leur conviendra, des marques d’un culte civil et politique, ou d’un culte de religion. [... Le prince tient de ses sujets mémes lautorité qu’il a sur eux ; et cette autorité est bornée par les lois de la nature et de PEtat. Les lois de la nature et de I’Etat sont les conditions sous lesquelles ils se sont soumis, ou sont censés s’étre soumis a son gouvernement. L’une de ces conditions est que n’ayant de pouvoir et d°autorité sur eux que par leur choix et de leur consentement, il ne peut jamais employer cette autorité pour casaer l’acte ou le contrat par lequel elle luta été déférée : il agirait ds 4 lors contre lui-méme, puisque som @utorité ne peut subsister que parle titre qui I’a établie. Qui annule Pun détruit Pautre. Le prince ms peut done pas disposer de son pouvoir et de ses sujets sans le consentement de la nation, et indfpendamment du choix marqué dans le contrat de soumission. Si en usait autrement, tout serait nul, at les lois le relaveraient des promesses et des serments qu'il aurait pu faire, comme tn mineur qui @arait agi sans connaissance de cause, puisqu’il aurait prétend “ disposer de ce qu'il n’avait qu’an dépét et avec clause de substitution, de ta méme maniére que s°il avait eu en toute propriété et sane aucune condition. Denis Diderot, « Autoxité politique », Article de l’Eneyclopédie (1751-1765) Université Cheikh Anta Diop de Dakar Année universitaire 2020-2021 Faculté des Lettres et Sciences Humaines LICENCE 3 DEPARTEMENT DE PHILOSOPHIE PHILO 352B - TD ETUDE DE TEXTES TEXTE N°4 Je vois néanmoins quill était aisé a Dieu de faire en sorte que je ne me trompasse jamais, quoique je demeurasse libre, et d'une connaissance bomée, & savoir, en donnant ‘A mon entendement une claire et distincte intelligence de toutes les choses dont je devais jamais délibérer, ou bien seulement s'il efit si profondément gravé dans ma mémoire la résolution de ne juger jamais d'aucune chose sans la concevoir clairement et distinctement, que je ne la pusse jamais oublier. Bt je remarque bien qu'en tant que je me considere tout seul, comme s'il n'y avait que moi au monde, j'aurais été beaucoup plus parfait que je ne suis, si Dieu mlavait oréé tel que je ne faillisse jamais. Mais je ne puis pas pour cela nier, que ce ne soit en quelque fagon une plus grande perfection dans tout 'Univers, de ce que quelques-unes de ses parties ne sont pas exemptes de défauts, que si elles étaient toutes semblables. Et je n'ai aucun droit de me plaindre, si Dieu, miayant mis au monde, n'a pas youlu me mettre au rang des choses les plus nobles et les plus parfaites ; méme j'ai sujet de me contenter de ce que, s'il ne m’a pas donné la vertu de ne point faillir, par le premier moyen que j'ai ci-dessus déclaré, qui dépend d'une claire et évidente connaissance de toutes les choses dont je puis délibérer, il a au moins laissé en ma puissance l'autre moyen, qui est de retenir fermement la résolution dene jamais donner mon jugement sur les choses dont la vérité ne mest pas clairement connue. Car quoique je remarque cette faiblesse en ma nature, que je ne puis attacher continuellement mon esprit a une méme pensée, je puis toutefois, par une méditation attentive et souvent réitérée, me l'imprimer si fortement en la mémoire, que je ne manque jamais de m'en ressouvenir, toutes les fois que j'en aurai besoin, et acquérir de cette fagon I'habitude de ne point faillir. Et, d'autant que c'est en cela que consiste la plus grande et principale perfection de l'homme, j'estime n’avoir pas peu gagné par cette Méditation, que d'avoir découvert la cause des faussetés et des erreurs. Descartes, Méditation Quatridme, Guvres et Lettres, Pléiade, pp. 308-309 Université Cheikh Anta Diop de Dakar Année universitaire 2017-2018 Faculté des Lettres et Sciences Humaines LICENCE 3 DEPARTEMENT DE PHILOSOPHIE PHILO 352B — TD ETUDE DE TEXTES TEXTE N° 5 SOCRATE / ADIMANTE — Vois done, mon cher camarade, de quelle maniére se produit le régime tyrannique. Il est Evident, en effet, qu'il résulte en gros d'une transformation de la démocratie. — C'est évident. — Est- ce que le mode de transformation de la démocratie A la tyrannie n'est pas le méme que de loligarchie la démocratie ?— Comment ?— Le bien qu'on mettait de 'avant, dis-je, et qui constituait Je but en ‘vue duquel loligarchie a été instaurée, c'est la quéte de toujours plus de richesse, n'est-ce pas ?— Si. — Or, clest l'appétit insatiable de richesse et, découlant de cette quéte de la richesse, Vindifférence & Pégard de tout le reste, qui ont conduit a la ruine de cette constitution. — Crest vrai, dit-il. — Eh bien, n'est-ce pas justement l'appétit insatiable de ce que la démocratie considére comme son bien qui va conduire a sa perte ? — Quiest-ce qu'elle considére & ton avis comme son bien ? — La liberté, répondis-je. Ce bien-Ia, tu entendras dire dans une cité gouvernée démocratiquement que c'est le bien Je plus beau et que pour cette raison, la cité démocratique est la seule o2 un homme libre par sa naissance jugera digne de s‘établir. — Cette affirmation, dit-il, on l'entend souvent, en effet. — Eh bien, repris-je, et clest 1A ce que je m'apprétais & dire, nfest-ce pas le désir insatiable de cette sorte de bien et Pindifférence a I’égard de tout le reste qui transforment ce régime et le mettent en situation de recourir nécessairement & la tyrannie ?— Comment cela, dit-il ? — Quand, je pense, un Etat régi démocratiquement, étant assoififé de liberté, tombe par hasard sous la coupe de mauvais serviteurs et s‘enivre du vin pur de la liberté, dépassant les limites de la mesure, alors ceux qui sont au pouvoir, s'ils ne sont pas entiérement complaisants et ne lui accordent ppas une pleine liberté, il les chatie, les accusant détre des criminels et des oligarques. — Voila ce que V’Btat fait, dit-il. — Quant a ceux, repris-je, qui respectent l'autorité des gouvemants, on les couvre d’opprobre en les traitant d’hommes serviles et de vauriens, mais les gouvernants qui passent pour des gouverés, et les gouvernés qui passent pour des gouvernants, ce sont eux dont on fait Iéloge en privé comme en public, ce sont eux qu’on honore. N'est-il pas inévitable que dans une telle cité esprit de liberté s'étende & tout ? — Si, nécessairement. — Et qu'il se propage, cher ami, continuai- je, jusqu’a Vintérieur des maisons privées, de telle sorte qu'au bout du compte 'anarchie s'implante méme chez les bétes, qui refusent de se laisser commander ? — En quel sens entends-tu cela, demanda-t-il ? — Vois, par exemple, quand le pére prend I'habitude de se comporter comme sil était semblable son enfant et se met & craindre ses fils, et réciproquement quand le fils se fait 'égal de son péte et ne manifeste plus aucun respect ni soumission a l'endroit de ses parents, et cela pour étre libre. Et pareillement pour le météque qui se fait l'égal du citoyen, et le citoyen I'égal du météque et de méme pour I’étranger proprement dit. — Voila bien comment les choses se passent, dit-il. — Oui, voila les faits, continuai-je, et il y en a d'autres de méme nature, mais de inoindre importance. Dans ce régime, le maitre a peur de I’élave et il est complaisant son égard et de méme I’éléve a du mépris pour le maitre, et pareillement pour le pédagogue. D’une fagon générale les jeunes donnent l’air d’étre les vieux et leur tiennent téte en paroles comme en actes, tandis que de leur c6té, les viewx, pleins de condescendance pour les farces de la jeunesse, se répandent en gentillesses et en amabilités auprés des jeunes, allant jusqu’a les imiter par crainte de paraitre antipathiques et autoritaires. — Oui, exaotement, dit-il, — Et, mon ami, repris-je, ce qui porte 4 son comble Ja somme de liberté dans une cité de ce genre, c’est quand les hommes et les femmes vendus en esclavage ne sont pas moins libres que ceux qui les achétent, Et nous allions presque oublier de mentionner I'égelité de droits et la liberté gui ont cours dans les rapports entre les femmes et les hommes, et entre les hommes et les femmes. — Eh bien, iln’y arien de plus vrai ! — Certes, dis-j, et c'est justement ce que je m'apprétais @ dire. Dans cette cité, en effet, les animaux qui sont au service des hommes sont plus libres que dans une autre et on ne le croira pas tant qu'on ne l'aura pas observé. C'est 1a que les chiennes, pour reprendre Ie proverbe, deviennent absolument sembiables & leurs maftresses, et les chevaux comme les Anes, habitués & se déplacer figrement en toute liberté, bousculent 4 tout coup le passant quils trouvent sur leur chemin, si par mégarde il ne se range pas. Et c°est ainsi qu’en toutes choses, régne la plénitude de liberté! — Tu exprimes, s'exclame-t-il, ce a quoi je songeais. [...] — Or, repris-je, et c’est 1A ce qui couronne I’amas compact de tous ces désordres, réfiéchis-tu & quel point I’ame des citoyens en est rendue impressionnable, si bien que toute servitude que I’un @eux voudrait s*imposer & lui-méme, V'irite et Ini est insupportable ? Au bout du compte, d'une certaine manitre, ils ne menifestent plus aucun respect ni pour les lois écrites, ni pour les lois non orites, tant ils sont désireux que personne ne soit, de quelque fagon, leur maitre. — Je le sais trop bien, ditil. — Voila donc, mon ami, repris-je, le point de départ, tellement beau et fier, de la naissance d’une tyrannie. — fier assurément !, dit-il, mais que se passe-t-il ensuite ? — La méme maladie, répondis-je, qui s'est manifestée dans loligarchie et qui I'a conduite a sa perte, se développe ici en raison de la permissivité qui se répand avec une ampleur et une force plus considérables, au point d'asservir la démocratie, Car, de fait, une action démesurée dans un sens a tendance 4 provoquer une transformation en sens contraire, que ce soit dans les saisons, dans la végétation ou dans les orgenismes, et cela ne vaut pas moins pour les régimes politiques. — Vraisemblablement, dit-i Une liberté excessive ne peut done apparemment se muer qu’en une servitude excessive, et cela aussi bien pour individu que pour la cité, — C'est en effet probable. —Il est dés lors vraisemblable, repris- je, que la tyrannie ne puisse prendre forme & partir d'aucun autre régime politique que la démocratie, la servitude la plus étendue et la plus brutale se développant, & mon avis, & partir de la liberté portée a son point le plus extréme. — Cela est cohérent, en effet, dit-il Platon, La République, Livre VIIL, 562a - 564a (traduction modifiée) Université Cheikh Anta Diop de Dakar Année universitaire 2020-2021 Faculté des Lettres et Sciences Humaines LICENCE 3 DEPARTEMENT DE PHILOSOPHIE PHILO 352B - TD ETUDE DE TEXTES TEXTE N°6 Puisque cette science est lobjet de nos recherches, il nous faut examiner de quelles causes et de quels pptincipes la Philosophie est Ja science. Si nous considérons les jugements que nous portons sur le philosophe, la réponse a cette question en deviendia sans doute beaucoup plus claire. Nous concevons dabord le philosophe comme possédant la totalité du savoir, dans la mesure du possible, mais sans avoir la science de chaque objet en particulier. Ensuite, celui qui arrive & connaftre les choses ardues et présentant de grandes difficultés pour la connaissance humaine, celui-la aussi est un philosophe, carla connaissance sensible est commune & tous, aussi estelle facile et n'a-telle rien de philosophique. En outre, celui qui connait les causes avec plus d’exactitude et qui est plus capable de les enseigner est, ans toute espéce de science, plus philosophe ; et, parmi les sciences, celle que I’on choisit pour elle- miéme, eta seule fin de savoir, est plus philosophique que celle qui est choisie en vue des résultats ; une soience plus élevée est aussi plus philosophique qu'une science subordonnée : il ne faut pas, en effet, que le philosophe regoive des lois, il faut quill en donne ; il ne faut pas quil obéisse a autrui, c'est & celui qui est moins philosophe de lui obéir. Tels sont donc les divers jugements que nous portons sur la Philosophie et les philosophes. Il en résulte que la connaissance de toutes choses appartient nécessairement a celui qui posséde la science de Huniversel, car il connait, d'une certaine maniére, tous les cas particuliers qui tombent sous Iuniversel. Mais aussi, il est extrémement difficile pour les hommes darriver & ces connaissances les plus universelles, car elles sont le plus en dehors de la portée des sens. Les sciences les plus exactes sont celles qui sont le plus sciences des principes et celles qui partent de principes plus simples sont plus exactes que celles qui partent de principes plus complexes, comme l'Arithmétique est plus exacte que la Géoménie. ‘Mais une science est d'autant plus propre enseigner quelle approfondit davantage les causes car ceux-la enseignent qui disent les causes de chaque chose. Connaitre et savoir pour connaitre et savoit : tel est le caractére principal de la science du supréme connaissable, car celui qui veut connaftre pour connaltre choisira de préftérence [a science parfaite, clestadire la science du connaissable par excellence. Or, le comaissable par excellence, ce sont es principes et les causes : lest par eux et partir eux que les autres choses sont connues, et ce ne sont pas les principes et les causes qui sont conus par les autres choses qui leur sont subordonnées. La science la plus élevée et qui est supérieure & toute science subordonnés, est celle qui conneft en vue de quelle fin il faut faire chaque chose. Bt cette fin est lebien de chaque étre, et, d'une manigre générale, clest le souverain Bien dans lensemble de la nature. Axistote, Métaphysique, A, 2, 982. a5 — 982 b5 (Traduction J. Tricot, Vria, tome 1, pp. 6-8) Université Cheikh Anta Diop de Dakat Année universitaire 2020-2021 Faculté des Lettres et Sciences Humaines LICENCE 3 Département de philosophie PHILO 352B - METHODOLOGIE : ETUDE DE TEXTES TEXTE N°7 Lorsqu'on jette un regard tant soit peu attentif sur ¢volution contemporaine, deux tendances se dégagent nettement qui, sans étre les seules, nous semblent cependant suffisamment déterminantes pour nécessiter une attention particuliére. On assiste d'une part, dans le cadre du systéme-Monde et le faveur de la formidable explosion de nos moyens d'information et de communication, a I'élimination progressive de toutes les berriéres qui limitaient voire empéchaient la libre circulation des personnes, des biens et des services, des idées et des valeurs. Ce qui en découle, c'est une «mondialisation» qui, sur le plan culturel notamment, nous pose concrétement, et dans des termes rendus plus dramatiques par la tendance & notre marginalisation ctoissante au sein du systéme-Monde, la question du destin de notre identité culturelle, Nallons-nous pas disparaitre avec corps et biens culturels, engloutis dans le déluge d'informations fusant de partout, porteuses des idées et des valeurs les plus étrangéres aux nétres, violant grace aux satellites jusqu’’ intimité de nos demeures et bouleversant fondamentalement les rapports au sein de nos sociétés et surtout Jes comportements de nos enfants ? Mais une autre tendance, qui se dégage tout aussi nettement que la premiéxe et que I'on pourrait Gailleurs interpréter comme sa conséquence naturelle et comme une réaction contre elle, est exacerbation de la revendication identitaire telle qu'elle s'exprime & travers la recrudescence et le dynamisme des mouvements ethniques, régionalistes, nationalistes ou religiewx presque partout & travers le monde. [..] Notre continent seraiteil alors condamné A Valtemative, qui n'en est pas réellement une, entre refuser une «mondialité» qu'il vivrait comme une menace mais qui ne s'en impose pas moins @ lui comme une donnée objective et désormais iméversible, et sombrer dans une nouvelle barbarie sous prétexte de déterrer et de restaurer une identité enfouie dans les décombres d'une histoire révolue & jamais? Cesta la lumiere de cette fausse alternative (fausse en ce qu'aucun de ses termes ne laisse entrevoir une issue réellement salutaire) qu'une problématique culturelle comme celle de Senghor nous parait, intéressante parce que d'une indéniable actualité [...] : apprendre & vivre notre rapport a T'Autre non pas comme une menace & conjurer mais plut6t comme une chance & saisit, accepter par conséquent la mondialité non pas comme une fatalité qui nous précipiterait dans un néant irtémédiable mais plutot comme Fopportunité & nous offerte de possibilités nouvelles et infinies de nous enrichir et de nous réaliser grice aux contacts rendus plus faciles avec l'Autre, C'est finalement la grande idée senghorienne de 'Enracinement et de l’ Ouverture. ‘Sémou Pathé Guéye, Senghor ou la pensée métisse, in « Senghor Colloque de Dakar», ‘Université Cheikh Anta Diop, Dakar, Presses Universitaires de Dakar, 1998, pp. 353-358) Université Cheikh Anta Diop de Dakar Année universitaire 2020-2021 Faculté des Lettres et Sciences Humaines LICENCE 3 Département de philosophic PHILO 352B —- TD ETUDE DE TEXTES TEXTE N°8 Regarder au-delA de universe] abstrait pour reconnafire Je droit & la difitrence afin que celui-ci donne tout son sens au principe d°égalité semble étre une exigence a laquelle la philosophie politique ne peut se soustraire de nos jours, surtout s'il est question de droit et de citoyenneté Anjourd’hui, le combat des femmes pour P’égalité, pour une représentation plus équitable, voire pour la parité, monte, &n’en pas douter, que l’effectivité de la démocratie est aussi tributaire de la prise en compte du genre. Cependant, I’exclusion de la ferme de la sphére de la citoyenneté semble atre un élément permanent de la philosophie politique qui se rattache & une métaphysique qui depuis Platon, Aristote puis Descartes et bien au-dela, opére par hiérarchisation A partir dune dualité : corps-esprit, corps-Ame, matidredforme, sensible-intelligible, aotivité-passivité, ... Cette exclusion a participé a la constitution de la nption modeme de citoyenneté, méme si I’un des apports majeurs de la philosophie politique moderpe reste Paffiemation sans équivoque du principe de I’égalité naturelle entre les hommes. Ce qu'il nous faut retenir ici, c’est que la Modemité a construit la citoyenneté sur la base de l’excltision de la femme et done sur une cristallisation de cette frontiére tenace qui délimite le privé et 1g public, l'espace domestique et l’espace public, le gouvernement domestique ou de 1a famille et fe gouvernement de la cité. En d’autres termes, la Modemité ne constitue pas véritablement un zhoment de rupture radicale : unité de PEtat et la préservation de Vordre public y sont tributaires de la subordination politique de la femme. Le statut politique conféré & Ja subordination de la femme 4 Phomme ne signifie pourtant pas gue celle-ci reste a l’écart du politique. On a évoqué une citoyenneté différenciée de l'homme et de la femme car, tout en étant rivée au gouvernement de la famille, la femme se voit confier un role éminemment politique. Dans la dédicace du Second Discours Rousseau confie a P autre moitié de la République le gardiennage des meeurs et des doux liens de la paix. Il s’agit 14 dune nécessité, dun impératif politique. L’unité de ’Btat exige l'amour de In patrie et des lois, elle oblige & préserver Pintérét général face aux assauts répétés et dévastateurs des intéréts privés et des passions qui les animent. Il y a comme une division du travail et des domaines de compétence. L’ancrage de la femme a l’espace domestique et sa subordination & ’homme ne signifient point qu’elle n’a pas de role politique ou que la tiche qui lui est confiée n’a aucune signification politique. Si ’homme nait libre, il lui faut cependant apprendre a [’étre, cest-A-dire & devenir citoyen. L”enfant que la femme éduque n’est pas simplement son'enfant, il est aussi un futur citoyen. [...] La femme serait ainsi un ‘lément essentiel de la préservation de I’intégrité morale dun peupie. [...] Wa On peut sur le plan épistémologique parler de moment de rupture dans la fagon de concevoir le droit qui devient un droit rattaché & l'individu, done un droit subjectif. La découverte métaphysique de homme avec le fameux cogito cartésien, la désacralisation du politique, ont permis de faire du citoyen la source méme de la légitimité du politique et ce, par le biais d’un contrat social Cependant, cet apport fondamental de la Modemité ne s’est pas traduit en ume intégration de la femme dans le Politique ot dans Ja citoyenneté mais en une continuité dans fa non reconnaissance Pune capacité citoyenne a la femme, La primau{é de Pordre public qui ne pouvait s*ccommoder que d'une source unique du pouvoir & travers fa figure de I’homme est & l’origine de la perpétuation Pune subordination naturelle de la femme a ’homme. Aujourd’bui la quéte de pouvoir et de droit pour Ja femme s’investit dans la remise en cause de cette frontigre entre le public et'le privé en démontrant que le privé est politique et en opérant une disjonction entre la figure de la mére et celle ‘de 1a femme, Aminata DIAW, "La femme entre ordre et désordre publics. Les ambiguités de Ia modernité ", Revue Diogéne 2009/4 (n° 228), p. 50-59, Presses Universitaires de France. Université Cheikh Anta Diop de Dakar Année universitaire 2020-2021 Faculté des Lettres et Sciences Humaines LICENCE 3 Département de philosophie PHILO 352B - TD ETUDE DE TEXTES TEXTE N°9 Ce quil est convenu présentement d'eppeler "philosophic afticaine" n'est rien d'autre que Ia tentative de domer un fondement conceptuel a la vision de la réalité propre aux peuples d'Afrique. Mais pour éviter toute confusion dans le jugement que l'on porte sur la culture afticaine, il importe de distinguer entre Ja philosophie au sens technique du mot et la pensée. La philosophie posstde sa méthode propre. Elle est une discipline stricte parce qu'elle constitue 'engagement théorique de mener a bonne fin investigation des causes ultimes, au moyen de la démonstration ou de la preuve. Elle est la critique de sa propre méthode, de méme que les données objectives qui en sont le fondement constituent la garantie de sa pureté et de sa rigueur scientifiques. Que signifie penser ? On prendra ce mot aussi bien dans le sens courant d'action et dlefiet de penser que dans Je sens idéal de ce qui a été pensé, mais la pensée, dans cette acceptation, n'est pas seulement représentation logique et rationnelle, mais aussi le fruit de Vimagination et de Tintuition poétique. La pensée ainsi entendue n’exige pas nécessairement la démonstration des idées proposées ou une base de données réelles pour conserver le caractére qui lui est propre. La philosophie, comme la pensée, suppose toujours une grande capacité abstractive. L'élévation de esprit d'un peuple a la compréhension conceptuelle de la réalité, méme s'il manque la démonsiration ou la preuve de la vérité de cette compréhension, n'est pas possible sans une certaine capacité abstractive qui puisse transformer le monde €n contenu conceptuel. C'est ce que la pensée réalise, mais d'une autre maniére que Ia philosophie. Lorsque nous parlons de la pensée africaine, nous entendons, d'une part marquer Pappartenance de cette penséo a J'ensemble de l'Afrique, mais en méme temps situer et défendre cette appartenance en raison de la spécificité de Yapport négro-afticain a la culture du continent en général. Il est appara quill était possible de dégager un certain nombre de présupposés communs & la plupart des sociétés africaines, qui commandent la genése de leur conception du monde, une conception qui, dans son otigine, ne doit rien au savoir de lOccident. L'Afrique traditionnelle a su conserver et transmettre d/age en ge un lot de certitudes issues peut-étre d'un méme enseignement, d'une méme tradition. Il se trouve que cet apport, spécifiquement négro-africain, est celui qui nous permet de parler, sur quelques points précis, d'une continuité de la conscience "philosophique" entre l'Afrique traditionnelle et Afrique modeme_[...] La pensée afticaine n'est pas une philosophie au sens occidental, mais une manidre de penser, une vision complete de I'individu au sein de la société et dans le monde. Cette pensée s'exprime dans la vie sociale, dans Ja vie religicuse, dans les différentes techniques par une série de symboles polyvalents dont le déchiffrement est du plus haut intérét pour la connaissance de homme afticain et de homme tout court. Le fait que le pensée afticaine ne sépare pas le rationnel de L'rrationnel ou du pré-rationnel n'autorise pas ‘une cerlaine ethnologie & Ja considérer comme représentant l'enfance de lesprit. La pensée afticaine n'est Pas une premiére ébauche de science au sens oli lentendent les Occidentaux, mais une connaissance et une authentique prise sur le réel obtenue par des voies différentes, Elle n'est pas "itraison'', mais science du concret. Alassane NDAW, La Pensée afticaine. Recherches sur les fondements de ia pensée négro-africaine. Les Nouvelles éditions Africaines, Dakar 1983, pp. 60-69, Université Cheikh Anta Diop de Dakar Année universitaire 2020-2021 Faculté des Lettres et Sciences Humaines LICENCE 3 Département de philosophic PHILO 352B — TD ETUDE DE TEXTES TEXTE N° 10 Done, premigrement, la philosophie est une histoire, non un systéme. Je n'entends pas ici le mot « systéme » au sens faible de savoir méthodique. Si nous le prenions en ce-sens, il est évident que la philosophie serait en effet un systéme, ce qui voudrait dire tout simplement qu'on ne philosophe:pas sans méthode ct sans connaissances préalables, et que la philosophie ne se laisse pratiquer qu’a travers une conceptualité un peu spéciale ; autrement dit, qu'il y a une terminologie, un vocabulaire et tout un appareil coneeptuel légués par la tradition philosophique, que nous ne pouvons absolument pas contoumer, mais, dont nous devons faire notte profit si nous youlons étre d'authentiques philosophes. Il va de soi que la xéflexion philosophique comporte en ce sens un aspect systématique inévitable : systématique, c'est-a-dire ala fois méthodique et se situant constamment par rapport & une tradition taéorique existante, soit pour la confirmer, soit pour 'ébranler ; et {qu'aucun philosophe ne peut se soustraire @ cette rigueur propre a sa discipline, si du moins il veut vraiinent philosopber, et non simplement comme disait Platon, « raconter des histoires ». ne doivent avoir honte de philosopher vraiment : «le penser méthodiquement et rigoureusement, dans et & travers la conceptualité léguée parila tradition sous l'étiquette de philosophic. Le physicien afticain n'a généralement pas honte d'utiliser Iés concepts propres & sa discipline. Comme lui, le philosophe africain ne devrait pas reculer devant la technicité propre au langage philosophique. Ce n'est pas en contournant la tradition philosophique existante que nous élaborerons une philosophic africaine authentique, une philosophie qui soit vraiment une philosophie, et qui soit, aussi, vraiment afticaine [...]. Ce n'est pas en contournaat et encore moins en ighorant Phéritage philosophique international que nous philosopherons ‘vraiment, c'est au contraire en I'assimilant pour mieux le dépasser. En ce sens, il me parait sce les philosophes afticains, pas plus que ceux des autres continents, ‘Mais en un autre sens, au sens fort du mot « systéme », la philosophie n'est pas systéme, si on entend par la un ensemble de propositions considérées comme définitives, un ensemble de vérités demniéres, indépassables, qui représenteraient a la fois un aboutissement et un arrét de la pensée, La philosophie en ce sens-lA n'est pas un systme, car elle ne s‘arréte jamais, mais n'existe au contraire comme philosophie que dans I'élément de la discussion, sous la forme d'un débat sans cesse rebondissant. Hors de ce débat, il n'y a pas de philosophic, La philosophic n'est pas un systéme clos, mais une histoire, un débat qui se transmet de génération en génération, et dans lequel chaque auteur, chaque penseur, intervient en toute responsabilité : je sais que je suis responsable de ce que je dis, des théses que j'avance. Ten suis «responsable » au sens le plus littéral du mot : je dois pouvoir en « répondre ». Je dois pouvoir justifier & tout moment mes affirmations. Je dois pouvoir en fournir a tout moment les titres de validité. Et cest en tant quindividn que je prends part ce débat, prenant part, du méme coup, au dévoilement progressif dune vérité qui ne sera pas ma chose, mais la chose de tout le monde, le résultat d'une recherche collective faite de la confrontation de toutes les pensées individuelles et appelée a se poursuivre indéfiniment. Paulin J. HOUNTONDI,, Sur la "' philosophie africaine ", Paris, Frangois Maspero, 1980, pp. 80-83

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