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La diffusion de l’islam à Mayotte


à l’époque médiévale 1

par
Martial Pauly

L’archipel des Comores est un ensemble d’origine volcanique composé de quatre


îles en guirlande (avec d’ouest en est, la Grande Comore, Mohéli, Anjouan et Mayotte)
localisées à l’entrée nord du canal du Mozambique, entre l’Afrique et Madagascar.
Mayotte, la plus orientale, se distingue culturellement des autres îles pour être la seule à
posséder une importante communauté parlant un dialecte malgache (le ki-bushi) lorsque
les autres parlers de l’archipel (le shi-ngazidja, le shi-mwali, le shi-ndzuani et le
shi-maore) sont des langues bantoues 2. Cet archipel compte parmi les régions de
l’océan Indien les plus méridionales atteintes lors de l’expansion de l’islam. L’islam
pratiqué aujourd’hui dans l’archipel est majoritairement sunnite, de rite chaféite, et
s’inscrit dans le même ensemble culturel que le monde swahili. La diffusion de l’islam
dans l’océan Indien occidental est intimement liée aux réseaux commerciaux reliant le
Moyen-Orient à l’Afrique et dont la trame est tissée dès le début du premier millénaire
de notre ère. Si les contacts avec des marins islamisés s’effectuent ainsi dès les premiers
siècles de l’Hégire, l’islamisation de l’Afrique orientale demeure, au Moyen Âge, un
lent processus : cette religion, sans prosélytisme, est avant tout élitiste, et participe à la
distinction de l’aristocratie swahilie. Il en va de même à Madagascar où les Malgaches
islamisés antalaotsy, qui contrôlaient les comptoirs commerciaux du nord-ouest de
Madagascar 3, n’encouragèrent pas la diffusion de l’islam parmi les populations de
l’intérieur. Longtemps, les communautés musulmanes sont donc restées minori-
taires, disséminées dans des ports stratégiques pour la maîtrise du commerce tandis
que la masse de la population, potentiel réservoir d’esclaves 4, conservait ses propres
croyances dont certainement l’animisme.

1
Nous rejoignons le point de vue de Stéphane Pradines sur la nécessité de sortir du cadre “période archaïque”, “période classique”
fixé par Pierre Vérin (Pradines 2011). Le passé de Mayotte s’inscrit totalement dans le cadre du Moyen Âge oriental. La date de
l’irruption des Portugais dans l’océan Indien à partir de 1498 et les bouleversements politiques qui s’ensuivirent doivent être
retenus pour les débuts de l’époque moderne dans l’océan Indien.
2
Le nombre de locuteurs du shi-maore, langue bantoue apparentée au swahili, a considérablement progressé ces dernières décennies.
À l’inverse, les dialectes malgaches de Mayotte (ki-bushi et ki-antalaotsy), qui représentaient jusqu’à 40 % des locuteurs à Mayotte
à la fin des années 1970, sont en net recul.
3
Avant le XVIe siècle, il existe également des comptoirs contrôlés par des islamisés à la côte orientale de Madagascar, Vohemar,
occupé dès le XIIIe/XIVe siècle, étant le plus important.
4
En théorie, un musulman ne peut avoir un coreligionnaire comme esclave. Mais dans la pratique, la règle semble avoir été moins
stricte qu’il n’y paraît et les esclaves pouvaient adhérer à l’islam. Peut-être faut-il voir ici l’explication de la difficulté pour les
archéologues de rencontrer des sépultures d’esclaves alors que les sources historiques assurent que la masse servile représentait
plus de la moitié de la population.

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L’archipel de Lamu (Kenya). Le nord-ouest de Madagascar et les Comores.

l’île. Plus récemment, de nouveaux éléments ont été apportés par la recherche archéo-
logique et permettent de renouveler notre approche de cette question. D’importantes
découvertes archéologiques tant dans les pratiques funéraires que dans l’archi-
tecture religieuse ont été réalisées. Il sera notamment ici question de déterminer
si l’islam est présent dès les origines du peuplement à Mayotte (à savoir le IXe siècle
de notre ère) ou s’il y a eu un processus d’acculturation avec diffusion de cette religion
dans une société pré-islamique dont les croyances seraient alors à déterminer.

Après avoir rappelé le contexte historique de la diffusion de l’islam en Afrique


de l’Est, nous présenterons les données archéologiques actuelles documentant ce
processus à Mayotte.

LA DIFFUSION DE L’ISLAM EN AFRIQUE ORIENTALE

a. Des contacts anciens entre le Moyen-Orient et l’Afrique orientale


mais une islamisation diffuse avant le XIe siècle

Dès les premiers siècles de notre ère, les auteurs gréco-romains ont connaissance
du littoral d’Afrique de l’Est qu’ils nomment Azania pour la partie située entre le
“cap des épices” (Ras Hafun en Somalie) et le “cap Prason” (cap Delgado à la
frontière entre la Tanzanie et le Mozambique). Ces connaissances géographiques
ont été collectées auprès de marchands qui acheminent depuis ces régions éloignées
des produits très prisés comme l’ivoire, les peaux de panthère et l’écaille de tortue.
Le port de Rhapta, que l’on pense situé dans le delta du fleuve Rufiji en
Tanzanie, serait la localité la plus méridionale connectée à ce réseau commercial
L’Afrique orientale et l’océan Indien. de l’Antiquité 5.

La question de l’islamisation de Mayotte n’a longtemps été développée qu’à partir Écrit au Ier siècle de notre ère par un marchand grec d’Alexandrie, le Périple de la
de sources écrites tardives fournies par les traditionalistes. Ces écrits, datant pour la mer Érythrée dresse ainsi une description très complète des marchandises échangées
plupart de la période coloniale et dont le plus ancien est la chronique du cadi Omar dans les comptoirs d’Afrique de l’Est. On y apprend que ces comptoirs sont essentiel-
Aboubacar de 1865, étaient très peu diserts sur l’islamisation de l’île. Par idéologie, lement fréquentés par des Arabes mopharites (Yéménites). Ceux-ci entretiennent
ces écrits faisaient des sultans shirâzi les introducteurs des us et coutumes arabes des liens avec les populations africaines, parlant leur langue et en concluant des
(ustaarabu) même s’ils reconnaissaient l’islamisation des chefs (les fani) qui précé- inter-mariages, engageant ainsi un processus qui conduira plus tard à l’élaboration
dèrent le sultanat. Ainsi, Tsingoni, ancienne capitale de Mayotte du XVIe au
XVIIIe siècle, est couramment présentée comme le point d’arrivée de l’islam dans 5
CHAMI, 1998.

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de la civilisation swahilie 6. Plus tard, entre les IIIe et découvertes à Zanzibar sur le site d’Unguja Ukuu semblent privilégier cette locali-
VIe siècles, le royaume chrétien d’Axoum contrôle les sation 11. Ce site décline au Xe siècle, or selon le témoignage d’Ibn Lakis rapporté par
réseaux commerciaux entre la mer Rouge, l’Inde et Borzog ibn Shahriyar dans Le livre des Merveilles de l’Inde, Qanbalu est attaqué
l’Afrique : en 525, le marchand grec Comas Indico- en 946 par les pirates Waqwaq 12 qui viennent de conquérir des îles du canal du
pleustes atteint Ceylan après une escale à Axoum 7. À la Mozambique après un voyage d’un an depuis les régions voisines de la Chine. Avec la
même époque, l’empire sassanide unifie le golfe Persique stèle de Kancana à Java, datée de 860, et qui indique comme populations soumises le
dont les ports de Siraf et Sohar deviennent les princi- mot “jenggi” (qui viendrait de l’arabe zendj), ces informations de première importance
pales plaques tournantes du commerce avec l’Inde et situent la migration austronésienne dans le canal du Mozambique au cours des
plus tard l’Afrique. IXe-Xe siècles.

Les conquêtes arabes suspendent un temps les Au Xe siècle, le littoral africain n’est alors que sporadiquement islamisé, l’islam
relations commerciales avec l’Afrique qui s’intensifient ne se limitant qu’à quelques familles établies dans les principaux comptoirs commer-
à nouveau à partir du IXe siècle. Les sources écrites ciaux comme à Qanbalu, où selon Masundi : « Les pilotes d’Oman traversent la
mentionnent une présence permanente de musulmans mer de Berbera pour atteindre l’île de Qambalu, qui est dans la mer des Zanj. Sa
dans les comptoirs d’Afrique orientale qui accueillent population est un mélange de Musulmans et de Zanj idolâtres. [...] Une de ces îles qui
dès le VIIIe siècle des groupes musulmans dissidents est à un ou deux jours de navigation de la côte, a une population musulmane et une
comme les Zaïdites yéménites ou les Ibadites d’Oman. famille royale. C’est l’île de Qambalu que nous avons déjà évoquée » 13. Ibn Hawkal,
Les révoltes des esclaves zendjs aux VIIIe et IXe siècles toujours au Xe siècle, précise également que les Zendjs adorent de nombreux dieux et
dans le Bas-Irak attestent de l’importance de la traite idoles.
arabe en Afrique orientale dès le VIIIe siècle.
La plus ancienne évocation d’une conversion d’un roi africain à l’islam est
Diffusion de l’islam et commerce maritime sem- fournie par Borzog ibn Shahriyar dans son ouvrage Le livre des Merveilles de l’Inde,
blent ainsi liés : aux IXe-Xe siècles, les productions du où il rapporte l’histoire d’un navire omanais qui, se rendant à Qanbalu, est déporté
golfe Persique comme les jarres à glaçure bleue ont été par une tempête jusqu’à Sofala. Là, l’équipage qui craignait d’être dévoré par des
retrouvées jusqu’au site de Chibuene 8 au sud de la baie anthropophages est finalement bien reçu par un roi africain qui les autorise à
de Sofala au Mozambique, aux Comores et à Irodo 9, commercer chez lui librement. Après avoir échangé leurs marchandises contre des
au nord-est de Madagascar. La suprématie des mar- esclaves, le temps du départ arrive. Alors que le roi rend en ami une dernière visite
chands du golfe Persique se retrouve dans les écrits aux marins sur le navire, ceux-ci s’emparent de lui et décident de le vendre comme
contemporains : en 916, Masundi, dans son ouvrage Les esclave en Oman. Après de longues péripéties, et devenu musulman, le roi va parvenir
Prairies d’Or, évoque les pilotes d’Oman qui se rendent à regagner son royaume. Le hasard conduit quelques années plus tard l’équipage à
jusqu’au pays des Zendjs (actuels Kenya et Tanzanie) atteindre à nouveau la contrée de ce roi. Celui-ci les reconnaît mais décide de leur
et au pays de Sofala (Mozambique). Ces marins, en accorder son pardon, n’était-il pas devenu musulman grâce à eux ? Ce témoignage
atteignant Madagascar, découvrent des espèces aujour- révèle comment, par contact avec des marins du golfe Persique, l’aristocratie locale
d’hui disparues comme le grand ratite (l’æpyornis) qui africaine adopte l’islam. Ce processus d’islamisation par le “haut” de la société est
alimente les légendes de l’oiseau Rokh présent dans Exemples de céramiques
général au monde swahili.
le récit des voyages de Sindbad le marin (IXe siècle). de la période abbasside
sassano-islamique à glaçure Les plus anciens témoignages archéologiques d’islamisation s’inscrivent dans ce
Le dernier comptoir du pays des Zendjs fréquenté bleue (IXe-Xe siècles). contexte. La plus ancienne mosquée d’Afrique de l’Est a été mise au jour par Mark
par les marchands islamisés se situe alors sur l’île de De haut en bas : Horton sur le site de Shanga, dans l’archipel de Lamu, au Kenya. Celle-ci comporte
- exemplaire provenant
Qanbalu où règne un roi musulman. La localisation de de Dembéni (Mayotte) ; plusieurs phases de construction dont la plus ancienne remonterait au IXe siècle.
Qanbalu est sujette à controverse 10, mais les récentes - jarres complètes exposées au Des structures en torchis, datant du VIIIe siècle, ont été mises au jour, mais il n’y a
musée du Louvre et provenant pas de certitude sur une interprétation comme mosquée primitive (HORTON, 1996).
des fouilles de Suse. Produites À Chibuene, au sud de Sofala (Mozambique), une sépulture musulmane associée à
6
Le terme de “proto-swahilie” est retenu pour qualifier la civilisation de la côte est- à Siraf et Basra (golfe Persique),
africaine avant les premiers contacts avec des islamisés.
elles servaient à l’exportation
des niveaux du IXe siècle a été identifiée par Paul Sinclair 14 : c’est le témoignage le
7
Jean-Claude Hébert a avancé la possibilité d’un peuplement chrétien monophysite
aux Comores (HÉBERT, 2011), mais rien ne permet aujourd’hui de confirmer cette de denrées périssables plus méridional de la présence de l’islam dans le canal du Mozambique 15.
hypothèse improbable. sous le califat abbasside.
8
SINCLAIR, 1987.
9
BATTISTINI, VERIN., 1967.
- fragment de lampe à huile 11
JUMA, 2004.
10
Selon les auteurs, Qanbalu est soit sur l’île de Pemba, soit à Zanzibar ou aux avec anse (céramique à glaçure 12
Le peuple waqwaq est également localisé par les géographes arabes dans l’actuelle Indonésie. Le terme se rapproche du malgache
Comores. Peut-être que Qanbalu, dont la graphie arabe est très proche de “Unguja opaque blanche et alcaline vahoaka qui signifie “peuple”. Ce texte arabe du Xe siècle est une preuve très sérieuse de l’arrivée de proto-malgaches dans le
Ukuu” (comme toujours en changeant les points diacritiques selon l’erreur de bleue) IXe/Xe siècle, Dembéni, canal du Mozambique.
copiste courante), privilégierait plutôt Zanzibar. Toutefois, “Unguja” signifiant 13
FREEMAN-GRENVILLE, 1962.
“l’escale”, ce toponyme a pu probablement désigner plusieurs comptoirs prospection H. D. Liszkowski 14
SAINCLAIR, 1987.
commerciaux contemporains. (© M. Pauly). 15
L’annonce faite en 2010 par le professeur Chami et son équipe, selon lesquels une mosquée du VIIe siècle avait été découverte

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b. L’héritage shirâzi en Afrique orientale sunnite chaféite. C’est au cours du XIIIe siècle que l’islam sunnite chaféite se diffuse
largement en Afrique orientale : Ibn-Al-Mujawir signale ainsi à cette époque
Un mythe est partagé par l’ensemble du monde swahili, revendiqué par des groupes l’existence d’une école chafii à Kilwa. En 1331, le sunnisme chaféite est devenu la
ethniques différents, y compris de Madagascar (Malgaches islamisés antalaotsy). Ce règle lorsque Ibn Battuta séjourne en Afrique de l’Est et visite Mogadiscio, Mombasa
mythe conte la migration de sept princes shirâzi dans sept boutres, chaque escale en et Kilwa.
Afrique orientale aboutissant à la création d’une cité commerçante. Ceux-ci auraient
également donné naissance aux lignages aristocratiques gouvernant les cités swahilies. Cette conversion de l’Afrique de l’Est à l’islam sunnite chaféite résulte d’un
Voici par exemple comment ce mythe est retranscrit dans la chronique de Kilwa datée bouleversement politico-religieux qui trouve son origine en Égypte puis au Yémen : au
du XVIe siècle : « Il arriva un navire dans lequel il y avait des personnes qui expliquè- XIIe siècle, la dynastie des Ayyûbides succède aux Fatimides. Le sunnisme chaféite
rent qu’ils venaient de Shiraz dans le pays des Perses. Il est dit qu’il y avait sept navires : remplace désormais le chiisme ismaélien des Fatimides. En conquérant le Yémen, les
le premier s’arrêta à Mandakha ; le second à Shaugu ; le troisième à une ville nommée Ayyûbides restaurent également le sunnisme parmi ses élites. Le Yémen joue à cette
Yanbu ; le quatrième à Mombasa, le cinquième à l’Île Verte [Pemba] ; le sixième au pays époque un rôle important dans les échanges avec l’Afrique orientale : une céramique
de Kilwa ; et le septième à Hanzuan. Ils dirent que tous les maîtres de ces six premiers produite au Yémen entre 1250 et 1350, la mustard ware aussi appelée “noire et jaune”,
navires étaient frères, et que celui qui alla à la ville d’Hanzuan était leur père. Seul caractérisée par des bols à glaçure jaune décorés de lignes entrelacées noires, a été
Allah connaît toute la vérité ! » (FREEMAN-GRENVILLE, 1962 : 35, traduit de l’anglais). rencontrée par les archéologues dans tout l’océan Indien occidental. Les changements
religieux au Yémen auraient eu des répercussions en Afrique orientale sous l’impulsion
Derrière ce mythe fondateur de la civilisation swahilie, les chercheurs s’accordent de la dynastie des princes yéménites rassûlides et à la faveur de ces courants commer-
aujourd’hui à y reconnaître la mémoire, en Afrique orientale, d’une plus large influence ciaux. Cette suprématie nouvelle des clans yéménites et hadrami en Afrique
culturelle du Golfe persique, aux Xe-XIIe siècles, (HORTON, 1996, 2000) voire la présence de l’Est est à l’origine de révolutions comme celle qui renverse le dernier sultan de la
d’une diaspora chiite parmi les principales cités commerçantes swahilies (PRADINES, dynastie shirâzi de Kilwa au profit de la nouvelle dynastie yéménite des Madhali à
2009). Alors que d’autres communautés musulmanes sont présentes en Afrique de la fin du XIIIe siècle 16. Désormais, l’Afrique orientale adopte majoritairement la
l’Est, comme les Ibadites, ou les Qarmates ismaéliens, c’est la seule référence aux Shirâzi confession sunnite chaféite.
qui a été retenue par les lignages aristocratiques swahilis comme référent idéologique,
peut-être, selon Horton, du fait du plus grand prestige culturel de royaume buyaïde d. Un conservatisme religieux chiite aux Comores ?
dont Shiraz était la capitale.
Aux Comores, il en est autrement, car bien après l’adoption en Afrique de l’Est du
Toutefois, des monnaies frappées en Afrique orientale, comme celles du trésor sunnisme chaféite, l’islam chiite serait encore présent, ce qui laisse envisager un
monétaire de Mtambwe (île de Pemba), confirment l’existence de deux dynasties (dont certain conservatisme religieux chiite aux Comores. En effet, en 1427, l’inscription de
celle du Shirâzi al-Hassan) contrôlant les principaux comptoirs swahilis entre 1000 la mosquée du Vendredi de Moroni présente encore une invocation chiite requérant
et 1200 (Horton, 2000:58). Ces monnaies, inspirées du monde fatimide, comportent des la protection d’Ali et de sa famille 17.
inscriptions révélant une influence chiite. D’autres indices sont conservés dans l’archi-
tecture religieuse, notamment les mihrabs qui, à partir du XIe siècle, présentent une De la même manière, certains noms de chefs de Mayotte (appelés fani), figurant
décoration beaucoup plus élaborée. dans des prières les invoquant, portent le titre de pir qui, comme l’a observé Claude
Allibert, désigne les chefs des confréries soufies dans les sphères chiites 18. Ces
Aux Xe-XIIe siècles, l’Afrique de l’Est connaît ainsi un vaste mouvement d’urbani- éléments fournissent un faisceau d’indices attestant que l’islam chiite était
sation avec développement de l’architecture en pierre de corail : mosquées, habitations encore bien présent aux Comores, plus d’un siècle après la conversion de l’Afrique de
aisées, remparts utilisent des techniques de construction directement inspirées de celles l’Est à l’islam sunnite chaféite. Pourtant, selon le témoignage de Piri Reis, qui
du Moyen-Orient avec utilisation de grandes briques de corail taillé. L’architecture des reprend des sources portugaises datées du premier quart du XVIe siècle, l’islam
mosquées est également très proche de celle décrite sur les sites médiévaux du Yémen sunnite chaféite est désormais lui aussi généralisé aux Comores : « Ils sont chafii,
et de l’Hadramaout, ainsi à Sanjé-ya-Kati, Stéphane Pradines (PRADINES, 2009) a relevé en eux, point d’hypocrisie » 19. C’est donc que la mutation religieuse entraînant
des parallèles architecturaux avec le site de Sharma en Hadramaout, port également la conversion des élites comoriennes au sunnisme chaféite se serait opérée au cours
occupé aux Xe-XIIe siècles par des marchands persans (ROUGEULLE, 2004). du XVe siècle.

c. Bouleversements politico-religieux en Afrique orientale : L’arrivée de clans shirâzi sunnites originaires de l’Afrique swahilie, et l’établisse-
du chiisme au sunnisme chaféite ment des sultanats qui s’ensuivit 20 y seraient certainement pour beaucoup : ils auraient
entraîné chez les élites comoriennes leur conversion au sunnisme chaféite, certes,
Au cours du XIIIe siècle, ces communautés musulmanes du littoral africain vont
connaître un vaste bouleversement religieux, abandonnant le chiisme pour l’islam 16
CHITTICK, 1974.
17
BLANCHY, SAÏD, 1989.
16 à Ntsaweni en Grande Comore, a certes fait un grand bruit médiatique, mais n’a jamais été depuis démontrée ! Au contraire, le 18
ALLIBERT, 1984.
mémoire d’Ibrahim Moustakim présente une datation C14 du XIIe siècle pour les plus anciens niveaux antérieurs à la première 19
ALLIBERT, 1989.
mosquée (MOUSTAKIM, 2012). 20
PAULY, 2010.

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non sans heurt, puisque certaines traditions, comme celle de Tsingoni (Chronique Si l’intégration de Dembéni aux réseaux du commerce maritime de l’océan
de Tsingoni de Cheik Adinani, 1965), rapportent de graves discordes survenues entre Indien est acquise (il est à souligner la quantité surprenante d’importations sur ce site
les nouveaux sultans shirâzi et certaines élites refusant de se convertir, prônant l’adage qui placent Dembéni parmi les principaux ports médiévaux d’Afrique orientale),
« Quand quelqu’un a appris le Coran, il fait la prière jusqu’à la mort » 21. Cette rien n’y apporte à ce jour la preuve de l’acceptation de l’islam. Si en 2000, des
anecdote montre que, si Tsingoni est un lieu important pour l’introduction de l’islam soubassements de blocs de corail non maçonnés ont été repérés lors d’un décapage
à Mayotte, c’est uniquement dans le contexte du passage de l’islam chiite à l’islam superficiel (BEL-HAMISSI Abdou, 2000), l’interprétation de cette structure comme
sunnite chaféite sous l’impulsion du nouveau sultanat shirâzi. Cet établissement des éventuelle mosquée (compte-rendu Inrap, 2000) est certainement prématurée. La
sultanats shirâzi à la fin du XVe siècle marque ainsi la fin du conservatisme reli- connaissance des pratiques funéraires à Dembéni fait encore défaut si bien que
gieux aux Comores et l’adoption du sunnisme chaféite qui est encore pratiqué paradoxalement, et malgré son importance, Dembéni demeure un site dont nous
majoritairement aux Comores aujourd’hui. n’avons qu’une connaissance partielle et lacunaire 25.

b. Bagamoyo 26 (Petite-Terre), nécropole musulmane dès le IXe siècle ?


II
Le cordon littoral, à l’ouest de Petite-Terre, du boulevard des Crabes aux Bada-
L’ISLAMISATION DE MAYOTTE : LES DONNÉES ARCHÉOLOGIQUES miers, était jadis occupé par une dune de sable. Les travaux de construction de la
digue du boulevard des Crabes vers 1850, reliant Dzaoudzi à l’île de Pamandzi,
a. Dembéni, site islamique ? modifièrent l’hydrographie de la vasière de Fongoujou. Pour éviter les risques
d’inondation comme en 1927, trois chenaux furent percés dans cette ancienne dune
Le premier peuplement de Mayotte, tel qu’il est attesté à ce jour 22, s’inscrit au au cours du XXe siècle 27 afin de faciliter l’évacuation de l’eau à marée basse.
cours du IXe siècle, durant la phase culturelle dite de Dembéni (IXe-XIIe siècle). Ce L’urbanisation de Petite-Terre se réalisa au détriment de cette dune dont le sable fut
grand site archéologique éponyme, occupé jusqu’au XIIe siècle, est situé sur les totalement prélevé. Cette dune était encore partiellement visible lorsqu’Allibert
hauteurs de Tsararano et surplombe l’une des plaines côtières les plus fertiles de l’île. et les époux Argant y entreprirent des prospections puis une campagne de fouille
Si tous les chercheurs qui ont étudié ce site depuis sa découverte en 1977 23 s’accor- archéologique à partir de 1979. Outre la mise en évidence de zones à sépultures,
dent sur son importance, il n’est encore documenté que par de rares opérations cela fut l’occasion de fouiller un ancien four à chaux dont le couvercle (le vase de
archéologiques et son interprétation est toujours sujette à controverse 24. Bagamoyo) est une pièce maîtresse des collections archéologiques de Mayotte 28. Les
prospections permirent de recueillir un matériel important : tessons de céramique
21 GOURLET, 2001. sassano-islamique, sgraffiatos persans, fragments de marmites en chloritoschiste,
22 En 1989, les chercheurs Fontes et Coudray, mais aussi Allibert, ont réalisé des prélèvements sur la plus ancienne strate apparaissant
sur la falaise sapée par la mer du site de Koungou à Mayotte. Deux datations RC14 de la fin du VIIIe/début IXe siècle ont été attestant d’une occupation comprise entre les Xe et XIIIe siècles. Une sépulture
obtenues. Calibrées aujourd’hui en prenant en compte les spécificités de l’hémisphère sud, ces échantillons se rattachent davantage
au IXe siècle et sont donc à attribuer à la période Dembéni. En ce qui concerne l’annonce faite en 2010 par Félix Chami de la
située entre le boulevard des Crabes et Mirandole fournit des ossements datés du
découverte dans la grotte de Malé, en Grande Comore, d’un site archéologique datant du deuxième millénaire avant J.-C., malgré XIIe siècle par analyse RC14.
l’enthousiasme suscité, celle-ci n’a jamais été confirmée depuis. Au contraire, nos recherches à Acoua ont montré que l’outillage
lithique, loin de se rencontrer uniquement durant la préhistoire, était encore couramment utilisé aux XIIIe-XIVe siècles.
22
Nonobstant, un peuplement ancien reste toujours plausible puisqu’en 2010, Gommery et son équipe ont identifié dans les grottes Ce site majeur fit l’objet d’une publication en 1983 mais les renseignements sur
d’Anjohibé au nord de Majunga des ossements d’hippopotame nain datés par analyse RC14 de 2000 avant notre ère et portant
des traces d’entailles (GOMMERY et al., 2011). Plus récemment, de l’industrie lithique associée à des niveaux datés de 2500 avant les sépultures sont très succincts (ALLIBERT, ARGANT, 1993). Dans une publication de
J.-C. a été mise au jour dans l’abri de Lakaton’i Anja près d’Antsiranana (DEWAR, 2013). Ces découvertes attestent d’une
navigation ancienne dans le canal du Mozambique.
23 WRIGHT et al., 1984, ALLIBERT et al., 1989, 1993, DESACHY et al., 1999, 2000, PRADINES et al., 2011. 24
- Madagascar, introduction d’espèces malgaches comme l’escargot achatina, le lémurien et la tortue terrestre. Cependant, s’il y
24 Plusieurs hypothèses contradictoires s’opposent quant à la détermination de l’appartenance de ce site à une aire culturelle : a bien eu production métallurgique à Dembéni, on ne peut être aussi catégorique pour affirmer qu’il s’agisse ici de fours de
24
- L’abondance remarquable des productions du golfe Persique, acheminées en Afrique de l’Est par des marins persans, fait technologie austronésienne. Néanmoins, le four à chaux étudié à Bagamoyo, avec son célèbre couvercle portant des décors
envisager à Stéphane Pradines que le site de Dembéni pourrait correspondre au comptoir de Qanbalu cité par les écrits arabo- typiques de la tradition Dembéni possédait une ventilation forcée caractéristique de technologie austronésienne avec soufflets
persans du Xe siècle (PRADINES, 2011). Cependant, les récentes découvertes à Zanzibar ont montré que le site de Unguja Ukuu verticaux à pistons. Selon cette argumentation, Dembéni serait à interpréter comme étant une localité dominée par des
(JUMA, 2004) est un meilleur candidat pour déterminer l’emplacement de cette localité que des auteurs comme Chittick et Austronésiens qui s’assurèrent ainsi la maîtrise du commerce entre Madagascar et le « couloir swahili ». Dans ce cas également,
Horton envisagent sur l’île de Pemba. On s’étonnera alors, si Mayotte a reçu cette importante implantation arabo-persane, que l’aristocratie malgache présente à Dembéni pourrait ne pas être encore islamisée. Cette hypothèse éclaire les arguments des
le site de Dembéni, tout comme l’archipel des Comores, ne soit pas clairement signalé avant les écrits d’Al Idrisi au XIIe siècle. précédentes : d’une part, ces Malgaches, minoritaires, auraient fait venir d’Afrique des populations bantoues comme esclaves
24
- À défaut d’être une localité fondée par des marins arabo-persans, Dembéni serait une fondation de marins bantous ou swahilis – en 946, Ibn Lakis rapporte que l’attaque de Qanbalou par les Waqwaq est motivée en partie par la recherche d’esclaves.
faisant office d’intermédiaires entre le monde malgache et les marchands persans. Cette thèse d’un peuplement bantou est D’autre part, l’exportation de produits malgaches comme le quartz hyalin très prisé par les ateliers égyptiens fatimides du Xe
avancée par Daniel Liszkowski (LISKOWSKI, 2008). La présence à Dembéni et sur d’autres sites médiévaux de Mayotte (Majicavo, siècle, l’écaille de tortue marine, et les lingots de fer produits à Dembéni, échangés auprès de commerçants persans qui
Koungou et Longoni) de tessons de céramique TIW (Triangular Incised Ware) également appelée Tana Ware, et dont la filiation s’aventuraient occasionnellement au-delà de Qanbalou, expliqueraient l’importance stratégique de Mayotte comme comptoir
avec le monde bantou ne fait aucun doute, en est le principal argument. Cependant, bien que séduisante, cette hypothèse ne entre Madagascar et la côte swahilie.
prend pas en compte le fait que ces tessons (en réalité, moins d’une dizaine collectée à ce jour) seraient également des importations. 25
Cette année 2013, les fouilles ont repris à Dembéni sous la direction de Stéphane Pradines. Si les structures de l’enclos ont pu
À l’inverse, si le motif en chevron, très courant à Mayotte, est retenu comme un motif bantou inspiré de la TIW, une majeure être dégagées, rien n’a encore permis d’attester de la pratique de l’islam.
partie des productions céramiques comoriennes appartiendraient dans ce cas à l’aire culturelle bantoue. Notons que la céramique 26
Le toponyme Bagamoyo n’apparaît sur aucune carte ancienne. Jusqu’en 1927 et la création du village de Labattoir, les habitants
de l’archipel des Comores présente très tôt un faciès régional qui la distingue tant des productions malgaches que bantoues de vivaient au pied de la colline de Mirandole qui portait alors le nom de Pamandzi Keli. Claude Allibert qui a mené la première
Tanzanie et du Kenya puisque le décor emblématique des Comores entre les IXe et XIIIe siècles est composé d’impressions du étude de ce site en 1977 l’a ainsi spontanément appelé Pamandzi Keli. Après un entretien auprès du vieillard Bakar Mlatamu
coquillage anadara erythraeonensis également appelé par Wright arca shell. Ce décor se rencontre occasionnellement sur les en 1979, celui-ci lui expliqua que l’espace compris entre Dzaoudzi et Polé portait jadis le nom de Bagamoyo. C’est ce nom qui
sites médiévaux de Madagascar (Mahilaka : RADIMILAHY, 1998) et du Kenya (Manda : CHITTICK, 1984) qui étaient les régions fut finalement retenu dans les publications. Ce toponyme est également celui d’un port de traite tanzanien d’où les esclaves
entretenant des liens commerciaux privilégiés avec l’archipel. À noter que les seules populations à décorer leur céramique étaient embarqués pour Zanzibar.
d’impressions de coquillage durant le premier millénaire de notre ère sont les populations du littoral nord mozambicain (tradition 27
Le raz de marée qui causa l’évacuation du vieux Pamandzi en 1927 (colline de Mirandole) est certainement dû à un cyclone qui
Monapo : SINCLAIR, 1993), nous aurions ici une filiation très sérieuse pour déterminer l’origine de ce faciès culturel comorien. provoqua une montée des eaux et l’inondation de ce secteur, si bien que l’on jugea utile de percer ces chenaux pour prévenir une
24 - Enfin, la dernière hypothèse privilégie l’interprétation proto-malgache pour Dembéni qui serait une colonie austronésienne autre inondation. Près des déversoirs ou tombolos, le grès marin conserve les traces d’un engin à chenille utilisé durant ces
dans le canal du Mozambique. Celle-ci est défendue par Claude Allibert qui s’appuie sur l’importance des importations en travaux.
provenance de Madagascar : marmites en pierre ollaire et quartz hyalin dont les gisements se rencontrent à la côte orientale de 28
Plus récemment, Claude Allibert a pu faire dater par analyse RC14 une vertèbre de poisson associée au sédiment de colmatage

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1992, Claude Allibert présente une étude Une seule sépulture faisait exception (SP51), avec un sujet inhumé sur le dos,
anthropologique réalisée par le professeur tête au sud et pieds au nord. Cette dernière sépulture selon la première hypothèse
Méry à partir d’ossements récoltés en vrac avancée par Patrice Courtaud se rattacherait à une période pré-islamique mais après
parmi les fosses perturbées situées au analyse RC14, celle-ci s’avéra dater de l’époque moderne 31. Il s’agirait alors, selon le
nord de la colline de Mirandole (ALLIBERT contexte historique et culturel, d’une sépulture d’esclave 32. Cette sépulture se situe au nord
et al., 1992). de la colline de Mirandole, là où Claude Allibert a recueilli des crânes dont certains
avaient les incisives limées, particularité de l’ethnie mozambicaine makwa 33.
Il fallut les campagnes de fouille de
l’anthropologue Patrice Courtaud en 1995, La nécropole de Bagamoyo semble confirmer une présence musulmane à
1999 et 2000 pour que l’étude de ce site Mayotte dès l’époque Dembéni : l’existence d’un matériel céramique comparable à
soit reprise. Entre-temps, le sable de la dune celui découvert à Dembéni atteste d’une contemporanéité entre ces deux sites. De
avait totalement été prélevé à l’exception même, bien que Patrice Courtaud dans le rapport final de 2000 remette en cause ses
d’un reliquat au niveau du champ de tir 29. datations RC14 qui d’une part ne prennent pas en compte, dans leur calibrage, la
Plus d’une centaine de sépultures furent spécificité de l’hémisphère sud, et d’autre part les écarts importants du taux de C14
répertoriées. En surface, l’architecture funé- pour des sujets se nourrissant de poissons 34, la présence sur ce site de quelques tessons
raire, lorsqu’elle est conservée, se caractérise de céramique à glaçure bleue de la période abbasside, dite sassano-islamique 35 et
par des enclos rectangulaires composés de dont la production cesse avant 1050, tend à confirmer l’ancienneté de ces sépultures.
deux rangées de dalles de grès marin Pour les datations rattachées au XIVe siècle, nous pouvons les confirmer puisque
dressées sur leur chant. Quelques fois, à des tessons à décors modelés, aujourd’hui bien calés en tant que fossile directeur
l’intérieur de cet enclos des accumulations des XIIIe-XIVe siècles, ont été repérés à Bagamoyo. Ces données tendraient alors à
de corail sont notées, mais globalement, ces confirmer que le peuplement de Mayotte a été initié par des populations islamisées
sépultures sont très perturbées par l’action puisque contre toute attente, les seules sépultures non-musulmanes, d’époque moderne,
de la mer qui les recouvre par grandes étaient probablement celles d’esclaves. Et alors qu’il paraissait au premier abord plus
marées. Des brûle-parfum ont été repérés simple de découvrir des sépultures pré-islamiques à Mayotte, il s’avère que toutes
en surface de certaines tombes. Les sépul- les sépultures, y compris pour les périodes les plus anciennes, répondent déjà au
tures ouvertes lors de ces campagnes rituel musulman. Nos recherches à Acoua, sur la nécropole d’Antsiraka Boira, ont
répondaient au rite musulman : les défunts permis de nuancer ce postulat.
étaient inhumés, sauf à une rare excep-
tion, sans mobilier funéraire, en décubitus c. La nécropole d’Antsiraka Boira 36 à Acoua
latéral droit (sur leur côté droit), la tête
placée à l’est, face dirigée vers le nord et la Localisé au nord-ouest de la Grande-Terre, le site archéologique d’Antsiraka
nuque calée par une pierre. Plusieurs osse- Boira occupe sur la pointe Kahirimtrou 37, un petit replat dominant la baie d’Acoua.
ments représentatifs de chaque secteur Depuis 2005, les opérations archéologiques sur la commune d’Acoua ont d’abord
étudié ont été prélevés pour datation RC14. ciblé le site d’Agnala M’kiri 38, Antsiraka Boira n’ayant fait l’objet que de prospec-
Ceux-ci ont fourni des datations comprises tions 39. Ces deux sites sont occupés simultanément avant le XIIIe siècle : la
entre les IXe et XVe siècles, le secteur le plus céramique de production locale découverte dans les premiers niveaux d’occupation
ancien étant situé entre le morne de d’Agnala M’kiri (XIe-XIIe siècles 40) est similaire à celle retrouvée en contexte funéraire
Mirandole et le boulevard des Crabes. Un
sujet, inhumé selon le rituel musulman, a 31 Lyon-7423, âge C14 195 ±45, âge calibré selon la courbe SH Cal13, 1655-1819 après J.-C.
32 Plus qu’un rituel funéraire inédit, on reconnaît ici une orientation du défunt volontairement inversée, en opposition au rituel
été daté par analyse RC14 du IXe/XIe siè- musulman.
cle 30. L’orientation des sépultures permet Un des secteurs étudiés durant les campagnes 33 Malheureusement, le squelette de la sépulture 51 étudiée par Patrice Courtaud était partiellement conservé avec le crâne manquant.
de fouille (Courtaud P., 2000). La sépulture 78 À l’inverse, Claude Allibert a publié en 1992 l’étude de crânes retrouvés dans ce même secteur !
d’observer toutefois des variations mais 34 Le taux de carbone14 dans l’atmosphère et dans l’océan diffère, si bien qu’un écart de 400 ans existe entre la mesure du taux
(S.78) a livré un squelette inhumé selon le rite
l’orientation nord-est/sud-ouest semble ici musulman et daté par analyse RC14 du
de C14 des organismes terrestres et marins (qui paraîtront plus anciens). Enfin l’hémisphère sud présente une courbe spécifique
pour calibrer l’âge RC14, mais celle-ci n’a pas toujours été prise en compte dans les résultats publiés.
la norme suivie. IXe/XIe siècle. Il s’agit actuellement du plus ancien 35 ALLIBERT et al., 1983.
36 Antsiraka signifie le cap, le promontoire en ki-bushi (dialecte malgache). Boira étant le nom de la famille propriétaire des terrains
témoignage de la présence de l’islam à Mayotte. il y a quelques générations. Contrairement à Bagamoyo dont les terrains sont classés par le Conservatoire du littoral, Antsiraka
Boira, site encore exceptionnellement préservé, est menacé sous un court terme par l’urbanisation. Des mesures de sauvegarde
seraient à envisager.
28 de ce vase. La datation obtenue fournit la fourchette chronologique 969-1111. Compte tenu des décors de ce vase similaire aux 37 Kahiri mutru, “appeler personne”, seul toponyme shi-maore du domaine d’Acoua, village de dialecte malgache ki-bushi. Ce
productions de Dembéni, une datation autour de l’An Mil est envisageable. toponyme fait référence à un fady (interdit) propre à ce lieu réputé hanté par les djinns. Au centre du site archéologique, un vaste
29 En 2013, lors des prospections archéologiques en Petite-Terre dans le cadre de la carte archéologique, la dune située à proximité rocher naturel recevait des dépôts d’offrandes en tant que pierre sacrée malgache (vatomasina). Parmi ces offrandes, de nombreux
de l’aéroport, côté lagon, a livré des tessons de tradition Dembéni qui suggèrent la présence d’une occupation tout aussi ancienne tessons portent des décors typiques des traditions médiévales de Mayotte (tradition Hanyoundrou).
dans ce secteur. En 1994, Liszkowski signale la présence d’un squelette mais aucun tesson n’y était associé. 38 PAULY, 2008, 2010, 2012, 2013b.
30 Lyon-7424, âge C14 1085 ±55, âge calibré selon la courbe SH Cal13, 888-1069 après J.-C. L’écart entre ces deux dates est 39 PAULY, 2005.
évidemment très important pour un os humain. Les Xe/XIe siècles restent néanmoins la fourchette chronologique la plus probable. 40 Trois analyses RC 14, sur ces premiers niveaux d’occupation d’Agnala M’kiri, fournissent les XIe et XIIe siècles comme datations :

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Antsiraka Boira, relevé simplifié des sépultures.


Noter la distribution des sépultures d’enfants
organisées en groupes autour des sépultures d’adultes.

Antsiraka Boira, offrandes et dépôts funéraires.


Ci-dessus, de gauche à droite :
- tridacna rempli de gravillon corallien et laissé en
offrande à proximité de la sépulture 01.
- céramique complète avec décor composé d’impres-
sions de coquillage arca sous la lèvre, remplie
de gravillon corallien et laissée en offrande
dans le remplissage supérieur de la sépulture 09.
Ci-contre à droite, de haut en bas :
- sépulture 05 avec aperçu du remplissage
de la fosse sépulcrale avec couche de gravillon
corallien, et pierre plate et galet retrouvés
au niveau des pieds du défunt.
- dépôts funéraires : coupelles à bord dentelé
Antsiraka Boira, relevé des architectures funéraires (campagnes de fouille 2012-2013). © M. Pauly (sépulture 12)

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à Antsiraka Boira et elle est associée sur ce site à des sgraffiato persans (type green deco- offrande sur la sépulture ou dans le remplissage. À deux occasions, un triton-
rated défini par Horton à Shanga et datés entre 1100 et 1250). Nous n’excluons donc conque percé et servant d’instrument a été retrouvé à proximité de sépultures.
pas l’hypothèse qu’Antsiraka Boira soit la nécropole médiévale du village d’Agnala Une sépulture d’adulte (SP12) fouillée en octobre a livré au niveau du remplissage
M’kiri autour des années 1100-1200. De superficie n’excédant pas 1,5 hectare, une deux brûle-parfum similaires à ceux rencontrés à Bagamoyo parmi les sépultures les
concentration de sépultures a été découverte à l’extrémité ouest du plateau d’Antsiraka plus anciennes. Ils se présentent sous la forme de petites coupelles dont le bord est
Boira et le long du littoral de la plage de Vato Madiniki 41. Les premières sépultures dentelé, volontairement brisées ; leurs tessons se rencontrent dans l’ensemble du
ont été ouvertes à la fouille en 2012 42 et la campagne de fouille s’est poursuivie remplissage de la sépulture.
en 2013.
Le sédiment de colmatage des fosses sépulcrales présente une organisation en
Contrairement à Bagamoyo, où les sépultures sont attaquées par l’érosion marine, strates où des couches de terre s’intercalent avec des couches de gravillon corallien voire
les sépultures d’Antsiraka Boira présentent une architecture funéraire parfaitement de sable. Dans ce remplissage, toujours au niveau des pieds du défunt, on rencontre
conservée. Cette conservation exceptionnelle des structures archéologiques s’explique quelques fois une pierre plate associée à un galet. Il s’agit d’objets rudimentaires du
par l’apport d’une couche de sédiments naturels par colluvionnement ainsi que par quotidien employés comme mortier et pilon pour broyer du piment et laissés
des dépôts anthropiques accompagnant la réoccupation du site après l’abandon de volontairement ici comme dépôt funéraire.
la nécropole. Ces niveaux superficiels, dont l’épaisseur varie de 10 à 35 centimètres,
recouvrent en majeure partie les sépultures qui, avant la fouille, ne laissent apparaître Les défunts étaient inhumés, selon l’âge, à une profondeur variant entre 45 et
que quelques sommets de dalles dressées. Les seules altérations ont été causées sur 90 centimètres. Contrairement à Bagamoyo où les squelettes présentent un excellent
certaines sépultures affleurant par le piétinement des zébus qui ont renversé quelques état de conservation, à Antsiraka Boira, les ossements sont partiellement conservés
dalles initialement plantées à la verticale sur leur chant. Cette couche superficielle de et friables. Certaines sépultures d’enfant n’ont livré que des dents et des fragments
sédiments contient de rares structures archéologiques : alignements de pierres, d’ossements. D’autres squelettes, mieux conservés, ont permis de lire la position du
traces de métallurgie, quelques perles en pâte de verre d’un diamètre plus important défunt. Nous n’avons alors rencontré que des sépultures où les défunts sont placés
que celles retrouvées dans les sépultures, tessons de céramique qui témoignent tête au nord ou nord-est.
d’activités domestiques et artisanales sur cette nécropole peu après son abandon. Les
tessons recueillis datant des XIIIe-XIVe siècles, cette occupation tardive a, semble-t-il, Des variations de la disposition sont observées : les défunts étant soit en décubitus
suivi de peu les dernières inhumations sur ce site, si bien que l’on peut se demander dorsal, soit en décubitus latéral droit (figure page suivante). Leur crâne présente une
pourquoi ce lieu, où la présence de sépultures était encore évidente, fut choisi pour face tournée vers leur droite. Le déplacement récurrent de la mâchoire signale une décom-
accueillir ces activités 43. position du crâne sur un espace non colmaté et suggère la présence de coussins en
matériaux périssables calant la nuque du défunt au moment de l’inhumation.
À l’issue des campagnes de fouilles de 2012, de mai et d’octobre 2013, une tren- Contrairement à Bagamoyo, aucune pierre sous la nuque n’a encore été observée.
taine de sépultures ont été identifiées sur une zone de fouille d’une superficie d’environ Les bras sont généralement étendus le long du corps, à l’exception d’un sujet dont le
80 mètres carrés. L’architecture funéraire est exceptionnellement bien conservée bras droit, fléchi, remontait le long du visage. La jambe gauche, tendue, était rejointe
et lisible à Antsiraka Boira. Celle-ci emploie des matériaux variés systématiquement au niveau des chevilles par la jambe droite fléchie. Les défunts étaient placés sur un
prélevés sur le proche littoral que le site surplombe : dalles de beach-rock (grès léger lit de sable. Une coquille d’escargot (achatina), encore remplie de sable, a été
marin), dalles de basalte, blocs de corail, gravillons coralliens et sable. découverte dans le sédiment de colmatage de la fosse de la sépulture 03.

Une structure funéraire intacte présente la même architecture que celles observées Deux squelettes d’adultes ont pu être étudiés en 2013. Celui de la sépulture 08
à Bagamoyo : deux rangées de dalles en basalte ou en sable enduré (grès marin ou (SP 08) est disposé en décubitus dorsal. Il présente de très nombreux désordres tapho-
beach-rock) sont disposées sur chant pour former un enclos rectangulaire positionné nomiques : le crâne a été retrouvé déconnecté du corps, à 18 centimètres des premières
à l’emplacement de la fosse sépulcrale. Plusieurs sépultures se présentent sous la vertèbres cervicales, face inversée par rapport à l’axe du corps, tournée vers le nord. Les
forme de terrasses rectangulaires surélevées délimitées par des blocs de corail. Du vertèbres cervicales supérieures et la mâchoire sont présentes sur le thorax ; les côtes
gravillon corallien est disposé en surface à l’intérieur de ces enclos ou quelques fois largement éparpillées ; les vertèbres thoraciques dissociées des lombaires dont l’une était
également à l’extérieur de cette limite. Un récipient, souvent un coquillage tridacna tombée. Le bassin présentait un affaissement des coxaux. Les métacarpes, carpes et
mais plus rarement une céramique, contenant du gravillon corallien, est laissé en phalanges ont été retrouvés dispersés des coudes au sommet des fémurs. Toutefois, sous
les phalanges de la main droite, une fusaïole a été découverte. Les fémurs étaient
41 Ly-5796, âge C14 1110±30, calibré 956-1024 après J.-C. ; Ly10257, âge C14 970±30, calibré 1030-1180 après J.-C. ; Ly-10256, dissociés des tibias, eux-mêmes disposés à l’extérieur. Les rotules avaient glissé sous les
âge C14 880±30, calibré 1158-1267 après J.-C. fémurs. Les os des pieds (tarses, métacarpes) ont été retrouvés dispersés sans connexion
41 Plage des “petites pierres” en ki-bushi.
42 PAULY, 2013a. anatomique.
43 Antsiraka Boira et Dembéni, sont les seuls sites archéologiques médiévaux de Mayotte où la métallurgie a été à ce jour attestée.
Pike en 1704 rapporte un témoignage intéressant sur l’habitude de faire travailler les esclaves à proximité des cimetières, les maîtres
disant aux esclaves qu’ils étaient sous la surveillance des morts : « Ils jouent eux-mêmes le rôle de croque-mitaines après la mort. Ces observations n’autorisent aucun doute sur la décomposition de ce sujet dans
Ils prennent beaucoup de soin à répandre ces croyances, car ils disent aux esclaves qui travaillent dans ces plantations que s’ils
perdent leur temps ou négligent leur travail, un tel ou un tel de la liste va pleurer et peut-être que l’encouragement donné à ces
un espace non colmaté rendant possible le déplacement des os. L’interprétation de
chimères est la raison qui fait qu’ils sont si peureux ». (SAUVAGET, 2000 : 200). l’inhumation, primaire ou secondaire, fait débat. Selon l’anthropologue Patrice Courtaud,

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cet individu aurait eu la tête posée sur un coussin de telle sorte qu’étant dans un espace taphonomiques observés seraient consécutifs au déplacement d’un corps déjà en
non colmaté (sous un fond de pirogue renversée par exemple, à la manière des sépul- grande partie décharné au moment de l’inhumation. La décomposition étant déjà très
tures sakalaves), les ossements auraient pu se déplacer : le crâne roulant vers le nord avancée au moment de l’inhumation, le transport du corps dans une natte expliquerait
et la mâchoire tombant en avant sur le thorax. L’éparpillement des os des mains peut les désordres observés au niveau de la colonne vertébrale, le basculement en avant du
être consécutif au passage de racines ou de petits animaux. Les désordres pourraient crâne, des vertèbres cervicales et de la mâchoire, ainsi que la position en V des clavi-
également s’expliquer par l’inhumation de ce défunt couché sur une civière, également cules. Puis, après un ultime geste funéraire plaçant le crâne face au nord, il y aurait
dans un espace non colmaté. ensuite eu colmatage complet de la fosse sépulcrale.

Cependant, la présence des vertèbres cervicales supérieures au côté de la mâchoire Cette dernière hypothèse n’est pas sans rappeler les rituels funéraires malgaches
inversée au niveau du thorax indique que ces vertèbres ont été emportées en avant par sakalaves bien documentés où le corps des adultes avant inhumation est longuement
le poids du crâne. Or celui-ci a été retrouvé à l’opposé. Nous proposons alors une deuxième exposé, couché sur une claie jusqu’à ce que le squelette, sec et décharné, soit purifié de
hypothèse reposant sur une interprétation comme inhumation secondaire : les désordres ses parties moles, les sanies n’étant pas recueillies. C’est seulement dans un deuxième
temps que le squelette est inhumé, accompagné d’objets personnels. Ce rituel
sakalave évoqué par des auteurs portugais du XVIIe siècle est également décrit en
détail par Hébert pour les Sandrangoatsy, population sakalave des rives du lac
Kinkony 44. Nous aurions alors ici, la première sépulture de rituel malgache découverte
à Mayotte 45.

À l’inverse, la deuxième sépulture d’adulte étudiée en octobre 2013 présente un


sujet inhumé selon le rituel musulman : le squelette est disposé en décubitus latéral
droit selon un axe nord-est/sud-ouest, la face tournée vers le nord-ouest, aucun
désordre taphonomique autre que ceux causés par le passage de racines n’a été constaté.

Sur dix sépultures d’enfants et deux d’adultes étudiées, huit ont fourni un mobi-
lier funéraire important composé de plusieurs milliers de perles appartenant soit à des
parures (colliers de cou, de cheville, bracelet) soit à des pagnes sur lesquels elles sont
cousues, lorsqu’elles se concentrent au niveau du bassin des squelettes. Les perles
retrouvées sont soit en coquillage (nacre), soit en pâte de verre.

Les perles en coquillage se présentent sous la forme de petits cylindres de 4 à


6 millimètres de longueur et autant de largeur. La tombe d’adulte que nous avons étu-
diée (SP 08) a également fourni des perles en coquillage présentant des disques
percés de 4,5 à 6 millimètres de diamètre, des cylindres de 3,5 millimètres de diamè-
tre et des anneaux très fins de 5 millimètres de diamètre 46. Ces perles pourraient être de
fabrication locale mais il n’existe pas à Mayotte de sites contemporains présentant
des preuves de cette production. Par contre, les sites africains de l’archipel de Lamu
au Kenya (Manda et Shanga) présentent des polissoirs à perles et des ébauches témoi-
gnant de toutes les étapes de la fabrication 47. Ces perles sont donc probablement de
provenance africaine.

Les perles en pâte de verre, bien représentées sur les sites archéologiques
médiévaux de l’océan Indien, sont bien décrites dans la littérature où elles sont présen-
tées sous le nom de perles indo-pacifiques, ou “grains de mousson” (trade wind
beads). Les lieux de production sont connus : ils se situent au sud-est de l’Inde, au
Sri Lanka, en Thaïlande et en Indonésie. Ces perles qui sont soit étirées, soit enroulées,
présentent des couleurs très variées à Antsiraka Boira : on rencontre ainsi des perles

44
HÉBERT, 1956.
45
Du sédiment de fond de fosse sépulcrale doit permettre par analyse de confirmer ou non s’il y a eu décomposition du squelette
dans cette fosse.
46
Ce type de perles en coquillage a également été mis au jour en 2013 à Dembéni par l’équipe de fouille de Stéphane Pradines.
Antsiraka Boira, relevé des squelettes (SP 01, 02, 03, 05, 08 et 12). 47
HITTICK, 1984, HORTON, 1996.

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translucides (soit gris-beige, soit de couleur bleu turquoise, ou quelques fois verte) antalaotsy, littéralement “gens de la mer”, qui sont le pendant au nord-ouest de
mais surtout opaques (de couleurs jaunes, noires ou rouge brique). La sépulture Madagascar des Swahilis en Afrique orientale.
d’adulte 08 a fourni un long collier de cou alternant des perles en verre transparentes
et des perles vertes très friables (en pâte de verre de mauvaise qualité) et jaunes Il convient de remarquer que l’orientation des sépultures de Bagamoyo, tout
(peut-être taillées dans du copal). Ces perles, par ailleurs décrites sur d’autres sites comme d’Antsiraka Boira, est incorrecte lorsque celle-ci n’est pas est/ouest. Toutefois,
archéologiques stratifiés d’Afrique de l’Est 48, permettent de proposer une datation si l’on considère que l’islam a été véhiculé par des marins et marchands du golfe
relative qui, rapportée à Mayotte, situerait ces sépultures entre 1100 et 1250. La Persique et d’Oman comme le suggèrent les sources historiques, il n’est pas étonnant
céramique associée, de tradition Hanyoundrou (XIe-XIIIe siècles), ne contredit pas que ceux-ci aient transposé à Mayotte l’orientation des sépultures de leur pays d’origine,
cette datation. où celles-ci sont soit nord/sud dans le golfe Persique, soit nord-est/sud-ouest en
Oman. À Sharma, en Hadramaout, comptoir commercial fondé par des Persans
La nécropole d’Antsiraka Boira a donc eu une période d’activité au XIIe siècle au XIe siècle et occupé jusqu’au XIIe siècle, les sépultures de la nécropole, similaires
contemporaine de celle de Bagamoyo. Les similitudes observées pour l’architecture à celle d’Antsiraka Boira et de Bagamoyo, forment des petites terrasses délimitées
funéraire et l’orientation des sépultures le confirment. Bagamoyo est toutefois occupé par des pierres orientées nord/sud 51. À ce titre, il apparaît que l’islamisation de
dès le Xe siècle et les inhumations à Antsiraka Boira cessent au début du XIIIe siècle Mayotte est le fruit de contacts avec des marins et marchands qui tenaient davantage
au plus tard, quand elles se poursuivent jusqu’aux XIVe/XVe siècles à Bagamoyo. d’aventuriers que de théologiens de l’islam.
Toutefois, ces deux sites présentent des rituels funéraires distincts : malgré le nombre
important de sépultures étudiées à Bagamoyo, une seule a fourni du mobilier funé- La culture matérielle identifiée à Dembéni comme à Antsiraka Boira met en
raire 49, avec seulement 29 perles en verre dans la sépulture 13 datée du XIVe siècle évidence des similitudes qui permettent de placer Antsiraka Boira dans la continuité
par analyse RC14. À l’inverse, à Antsiraka Boira, sur douze sépultures fouillées, huit chronologique de la période Dembéni : tout d’abord, ces deux sites présentent une
ont fourni un mobilier funéraire. La présence de parures et d’objets du quotidien céramique portant des décors similaires puisque que l’on y retrouve des tessons à
(comme la fusaïole placée sous les phalanges droites du sujet de la sépulture 08) est lèvre encochée 52, ou avec une incision en gouttière sur la lèvre pour le support d’un
en contradiction avec le rituel musulman, mais cette pratique est particulièrement couvercle. Comme à Dembéni, la métallurgie est également attestée à Antsiraka Boira
courante dans la nécropole islamique de Vohémar (XIIIe-XVIIe siècles), au nord-est de par la présence de nombreuses scories. L’une d’elles conserve des inclusions de
Madagascar 50. Avec le rituel d’inhumation secondaire que nous envisageons pour la calcaire corallien utilisé alors comme fondant. Les nodules ferreux de la latérite
sépulture d’adulte 08, ces éléments semblent aujourd’hui privilégier l’interpréta- étaient employés comme minerai. Des fragments de paroi en argile calcinée avec
tion d’une population malgache résidant à Acoua au XIIe siècle, ce qu’une analyse négatif d’un clayonnage en bois sont interprétés comme des restes de fours métallur-
génétique confirmera ou non. Il faut ajouter que la sépulture 08 a fourni, dans son giques mais aucune structure en place n’a pu être encore étudiée.
remplissage, deux fragments de marmite en chloritoschiste dont les gisements se
situent à la côte nord-est de Madagascar. Il ne fait donc aucun doute que l’occupation du site d’Antsiraka Boira est dans
la continuité chronologique de celle de Dembéni. Ces éléments permettent aujour-
À défaut de bénéficier de la certitude que nous sommes en présence ici d’un rituel d’hui d’argumenter l’hypothèse que, si Mayotte fut très tôt en contact avec des marins
malgache, plusieurs faits se dégagent : les sépultures d’Antsiraka Boira, si elles repren- islamisés du golfe Persique, son peuplement résulte en grande partie durant la
nent certains traits du rituel musulman (architecture funéraire, disposition des corps, phase Dembéni de populations non islamisées puisque l’islamisation ne s’est opéré
présence d’un coussin sous la nuque), la présence d’objets du quotidien et de parures, qu’au cours du XIIe siècle. Bagamoyo en Petite Terre, dont la situation est typique des
ainsi qu’une décomposition des adultes dans un espace non colmaté, témoignent d’un comptoirs swahilis, sur une lagune à proximité d’un mouillage protégé, semble être la
syncrétisme entre un rituel pré-islamique, peut-être malgache, et le rituel funéraire zone de contact privilégiée par où l’islam est arrivé à Mayotte dès le Xe siècle. Puis
musulman. cette religion se serait diffusée parmi les élites de Grande-Terre qui auraient un temps
conservé par syncrétisme leurs anciens rites funéraires. L’étude de sépultures sur le
Cet ancien rite funéraire est progressivement documenté par nos fouilles : hypo- site de Dembéni devrait permettre de faire progresser grandement notre connaissance
thèse d’une inhumation secondaire avec exposition des corps de certains adultes de la diffusion de l’islam à Mayotte 53. Antsiraka Boira apporte cependant la
(probablement issus de l’aristocratie), inhumation primaire pour les enfants, importance preuve que l’aristocratie à Mayotte est en voie d’islamisation au cours du XIIe siècle, ce
du corail dans le rituel funéraire (et plus généralement de la mer, d’autant plus que qui rejoint les écrits du géographe arabe Al-Idrisi qui, en parlant des Comores, rapporte :
les céramiques de cette époque sont décorées d’impressions du coquillage anadara « Parmi les îles Javâga est l’île d’Al-Anguna [Anjouan]. La population de cette île,
erythraeonensis ou arca shell, motif présent dès le IXe siècle et que la longévité sur bien que mélangée, est actuellement principalement musulmane » 54.
plusieurs siècles ne peut s’expliquer que par une charge culturelle très forte. Nous
serions alors très tenté de reconnaître ici l’origine culturelle des Malgaches islamisés 51 ROUGEULLE, 2004.
52 ALLIBERT et al., 1993.
53 Jusqu’à présent, aucune sépulture n’a été reconnue à Dembéni. En considérant que Dembéni pourrait avoir la même organisation
48
Le site de Shanga, étudié par Mark Horton, fournit une datation relative des perles associées à des importations asiatiques spatiale qu’Antsiraka Boira, nous avons, cette année 2013, avec Dominique Tardy du BRGM, avec laquelle nous réalisons la
(Moyen-Orient et Chine) que nous avons utilisée pour dater les perles d’Antsiraka Boira. Cette chronologie assez large est à carte archéologique de Mayotte, ciblé le secteur compris entre le littoral et le plateau de Dembéni où s’étend ce site. Nous avons
préciser, mais il semble que le XIIe siècle soit à privilégier. découvert des structures qui pourraient s’apparenter à des sépultures. Des petits ossements sont apparus superficiellement dans
49
COURTAUD, 2000. une zone remaniée par des engins de chantier. Des sondages devraient confirmer la présence dans ce secteur de la nécropole.
50
VERNIER, MILLOT, 1971. 54 FREEMAN-GRENVILLE, 1962.

80 81
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Taãrifa N°4 La diffusion de l’islam à Mayotte à l’époque médiévale

d. Les mosquées médiévales de Mayotte

Comme évoqué plus haut, l’islam est


attesté à Mayotte dès le Xe siècle à Baga-
moyo et se généraliserait en Grande-Terre 2

au cours du XIIe siècle parmi les commu- 1


3
6 7 8

nautés villageoises ouvertes au commerce


4 5
9

maritime, comme celle d’Acoua. Cependant, 28 26


27

l’existence de mosquées se raccrochant avec 25 12


11
10
24
certitude à cette période médiévale a long- 13

temps fait défaut à Mayotte. Le site de


Dembéni n’a pas encore fourni de vestiges 23 14

pouvant être interprétés comme mosquée. 21 22


15

Pour ce qui est de Bagamoyo, on peut espé- 20

rer que sous les accumulations du Pamandzi


Keli, au niveau de la colline de Mirandole, 19 16

des niveaux archéologiques plus anciens


aient conservé les traces de l’occupation du 18
17

Xe siècle (une couche archéologique com-


portant des tessons de la phase Dembéni
apparaît sous les vestiges d’un four à chaux
du XIXe siècle et laisse espérer une bonne Carte des anciennes mosquées 60 de Mayotte:
préservation de structures archéologiques 1/Acoua (sondage 2013), 2/Mtsamboro,
plus anciennes). 3/Dzoumogné, 4/Maouéni, 5/Mazamoni,
6 et 7/Mitseni, 8/Kangani, 9/Koungou,
10/Dzaoudzi (relevée en 1844), 11/Mirandole
Paradoxalement, Mayotte ne manque ou Pamandzi Keli, 12/Polé (fouille 1994),
pas de ruines de mosquées anciennes. Il 13/Pamandzi, 14/Dembéni Halé,
en existe plus d’une vingtaine mais la data- 15/Hajangoua, 16/Bandrélé, 17/Chirongui,
18/Bwanatsa, 19/Hanyoundrou, 20/Djimawe,
tion de celles-ci, en l’absence de fouille 21/Domweli, 22/Ouangani, 23/Ourini,
archéologique, n’est pas acquise. Néan- 24/Tsingoni, 25/Mtsanga Guini ou Chérini (sondage
moins, les rares mosquées qui ont bénéficié 2011), 26/Soulou, 27 et 28/Mtsangamouji Hadsalé.
d’une étude archéologique, Polé 55 et Mtsan-
ga Guini 56, ne remontent pas au-delà du XVIIIe siècle 57. Seule la mosquée de Tsingoni,
mentionnée en 1521 dans la description de Piri Reis 58 et portant une inscription
de 944 de l’Hégire (1538), est datée avec certitude 59.

En décembre 2012 et janvier 2013, nous avons entrepris à Acoua, sur le site
d’Agnala M’kiri, un sondage archéologique sur un édifice en pierre repéré en 2006.

55
LISZKOWSKI, 1994.
56
LISZKOWSKI, PAULY et al., 2011.
57
L’interprétation chronologique qui a été faite de la mosquée de Polé est aujourd’hui très controversée. Le puits a été vidé en
1994 par Liszkowski qui, dans son rapport, ne mentionne aucun vestige antérieur aux XVIIe-XVIIIe siècles (LISKOWSKI, 1994).
Par la suite, des datations du XIVe, voire du XIIIe siècle, ont été avancées par cet auteur avec comme argument principal la
présence d’une importation chinoise de type céladon bare circle. Néanmoins, depuis, la céramique mahoraise du XIVe siècle a
clairement été définie grâce à nos travaux sur le site d’Agnala M’kiri. Celle-ci est datée par des importations moyen-orientales
(noire et jaune yéménite), chinoise (céladon) et une perle indienne en pâte de verre rouge. Deux datations RC14 confirment
également une occupation au XIVe siècle. De plus, la céramique locale du XIVe siècle porte des décors modelés qui sont également
présents à Kilwa à cette époque (Hussuni Modelled Ware). Cette céramique est totalement absente à Polé, mais présente à
Bagamoyo (COURTAUD, 2000). Nous réaffirmons donc ici que Polé ne peut aucunement être considérée comme une mosquée
médiévale et se rattache à la fin de la période moderne. Son abandon coïncide d’ailleurs avec les attaques malgaches des années
1790, et elle est signalée à l’état de ruine en 1838 par J. S. Leigh (ALLIBERT, 1998).
58
ALLIBERT, 1989.
59
PAULY, 2010.
60
Par ancienne mosquée, il faut entendre d’époque pré-coloniale, avant le rattachement de Mayotte à la France en 1841. Cette
appellation très large englobe donc des édifices d’époques différentes. L’urbanisation de la zone de Mamoudzou ne permet plus
de savoir si des sites archéologiques signalés en 1975 (Kawéni, Mtsapéré, Tsoundzou) comportaient une mosquée. La mosquée Sondage archéologique sur la mosquée supposée, décembre 2012-janvier 2013 (relevé et DAO: M. Pauly).

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Taãrifa N°4 La diffusion de l’islam à Mayotte à l’époque médiévale

XIIe siècle. Cependant, partiellement étudié, cet édifice pourrait tout à fait être un
édifice civil réaménagé ultérieurement en mosquée, il convient donc d’être prudent
sur son interprétation. Les couches d’accumulations sédimentaires à l’extérieur de cet
édifice ont livré des tessons à décors modelés du XIVe siècle ainsi que deux fragments de
récipients malgaches en pierre ollaire (chloritoschiste). La stratigraphie tout comme
l’analyse du parement des murs montre une importante reprise de ses maçonneries autour
de 1400 avec reconstruction du mur oriental et ajout à l’intérieur d’un nouveau mur de
refend qui évoque la création d’un couloir latéral séparé de la salle de prière. On retrouve
ici un plan très classique parmi les mosquées anciennes de Mayotte ou d’Afrique de l’Est
plus généralement, où la salle de prière est encadrée par deux couloirs latéraux dont la
Acoua-Agnala M’kiri: largeur est d’environ le tiers de celle de la salle de prière.
parement du mur
extérieur nord
d’une probable mosquée Durant cette phase de construction les maçonneries emploient des moellons
présentant un appareil irréguliers qui tranchent avec les belles assises de la première phase de construction.
régulier composé de Certains moellons, rubéfiés, indiquent que l’édifice a subi un incendie dont les traces
grandes briques de corail. semblent correspondre à celles observées lors de notre sondage de 2006 et datées
du XIVe siècle.
Étant donné l’orientation nord/sud, nos hésitations sur une interprétation comme mos-
quée ont été levées lorsque des tranchées de la Sogea 61, en 2011, ont fait apparaître des Lors de l’ultime phase d’occupation, une sépulture à enclos maçonné a été
squelettes à proximité. En 2006, deux sondages d’un mètre carré chacun avaient construite au nord de l’édifice. Il s’agit d’un enclos maçonné rectangulaire recouvert
permis d’approcher partiellement la stratigraphie à l’extérieur et à l’intérieur de l’édifice. d’enduit et d’orientation est-ouest. Ce type de sépulture, déjà observé à proximité dans
Une couche d’incendie avait été identifiée et les charbons prélevés ont été datés du le “quartier des notables”, semble confirmer que l’orientation est-ouest des sépul-
XIVe siècle 62 par analyse RC14. Nous avons donc décidé en 2012, à la suite de la tures — et qui répond davantage au rite funéraire musulman tel qu’il est prescrit —
première campagne de fouille à Antsiraka Boira, d’entreprendre un sondage d’environ se généralise au cours du XIVe siècle. Peut-être faut-il y voir l’une des conséquences
8 mètres carrés sur la seule mosquée médiévale connue actuellement à Mayotte. Nous de l’influence du sunnisme chaféite yéménite qui entraîna la modification à Mayotte
reprenons ici les conclusions de notre rapport archéologique présentant cette opéra- de l’orientation des sépultures d’abord initiée par des islamisés chiites du golfe
tion 63. Le sondage a fait apparaître les arases de l’angle nord-est de cette mosquée. Persique. C’est en effet à cette époque que l’islam sunnite chaféite se généralise en
Celle-ci étant hélas partiellement conservée, recouverte par une construction moderne Afrique de l’Est comme nous l’avons développé lors de la présentation du contexte
(celle qui était en construction en 2006 au moment de nos premières observations) historique.
et tronquée lors de la construction de la route Acoua-Mtsangadoua à la fin des
années 1980. À Acoua, cette mosquée, tout comme le quartier des notables qui la jouxte, est
abandonnée au cours du XVe siècle, sans doute à la suite d’une guerre locale avec
Le relevé des maçonneries a fait apparaître plusieurs phases de construction pour la chefferie voisine de Mtsamboro comme l’évoque la tradition orale villageoise 65.
cet édifice. La plus ancienne présente des maçonneries employant une technique de
construction dont l’observation est encore inédite à Mayotte mais parfaitement
décrite sur les édifices swahilis des Xe-XIIIe siècles, à savoir l’usage de grandes briques CONCLUSION
de corail (30 centimètres par 30 centimètres) disposées en assises régulières 64. Lors de
cette première phase de construction, le niveau de circulation intérieur était beaucoup En l’état actuel des connaissances, il ne fait plus aucun doute que les débuts de
plus haut que le niveau de sol extérieur, surélevé par un hérisson de pierre recouvert l’islamisation de Mayotte s’inscrivent durant la période médiévale, au cours des
d’une couche de sable et de gravillons qui composait l’aménagement du sol intérieur. Xe-XIIe siècles. Celle-ci s’est déroulée dans un contexte d’expansion du commerce
Nous avons eu la surprise de découvrir dans ce remplissage, consécutif au premier maritime en Afrique orientale, impulsée par des marchands islamisés du golfe
aménagement intérieur, des tessons de céramique locale, comportant des motifs Persique. Le site de Bagamoyo en Petite-Terre fournit une sépulture musulmane du
typiques des productions de tradition Hanyoundrou (XIe-XIIIe siècles). Il n’y a donc IXe/XIe siècle qui est la plus ancienne connue actuellement dans l’île. Cette chrono-
aucun doute sur l’ancienneté de cet édifice que l’on peut dater au moins du logie s’inscrit dans le contexte plus large de l’islamisation de l’Afrique orientale. Au
XIIIe siècle mais qui selon les découvertes d’Antsiraka Boira pourrait remonter au XIIe siècle, l’aristocratie en Grande-Terre présente des signes d’islamisation. La
nécropole d’Antsiraka Boira à Acoua témoigne d’un syncrétisme entre d’anciens
60
de Ouangani, la seule véritablement à l’intérieur des terres, date de la première moitié du XIXe siècle lorsque des Antalaotsy de rites funéraires et le nouveau rituel musulman. La grande inconnue reste toutefois la
Poroani s’établirent de manière pérenne dans cette zone agricole. présence ou non d’une communauté musulmane à Dembéni dès le IXe siècle. Si l’on
61
Compagnie des eaux.
62
Lyon-4473. retient l’hypothèse d’une filiation directe entre Antsiraka Boira et Dembéni du fait
63
PAULY, 2013b.
64
Cette technique est également observée aux Comores pour les premiers niveaux de construction, datés du XIIe siècle, des mosquées
shirâzi de Sima et Domoni à Anjouan (WRIGHT, 1992). 65
PAULY, 2012a.

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Taãrifa N°4 La diffusion de l’islam à Mayotte à l’époque médiévale

de la continuité de la culture matérielle observée, ce dernier site serait un site peuplé BIBLIOGRAPHIE
par une population non-islamisée. C’est déjà l’hypothèse avancée tant par Claude
Allibert que par Henry Theodor Wright. Ce dernier à Mbashile en Grande Comore a ALLIBERT C., Mayotte, plaque tournante et microcosme de l’océan Indien occidental, Paris,
découvert dans une couche archéologique de la phase Dembéni une dent de porc Anthropos, 1984, 352 p.
qui suggère l’absence d’islamisation à cette époque 66. Les populations musulmanes, « Une description turque de l’océan Indien occidental dans le Kitab-i Bahrije de Piri
autour de l’an mil, ne se rencontraient donc que rarement, comme à Bagamoyo, Re’ïs, 1521 », Études océan Indien n° 10, Paris, Inalco, 1989, p. 9-52.
« Le journal de J. S Leigh (1836-1840) à bord du Kite », Études océan Indien n° 27-28,
alors principal comptoir et point d’ancrage de l’islam à Mayotte.
Paris, Ceroi-Inalco, 1998, p. 61-170.
ALLIBERT C., ARGANT A. & J., « Le site de Bagamoyo, Mayotte », Études océan Indien n° 2,
À l’inverse, si les recherches futures attestent de la pratique de l’islam à Dembéni Paris, Inalco, 1983, p. 5-40.
dès le IXe siècle, cela remettrait en cause notre hypothèse d’une diffusion de l’islam « Le site de Dembéni, Mayotte, Archipel des Comores », Études océan Indien n° 11, Paris, Inalco,
en Grande-Terre depuis la Petite-Terre. Dans ce cas, Mayotte n’aurait connu qu’un 1989, p. 63-172.
peuplement impulsé par des islamisés dans le cadre de la mise en place de réseaux ALLIBERT C., LISZKOWSKI H. D., PICHARD J.-C., ISSOUF, Le site de Dembéni III : une batterie de
commerciaux reliant l’Afrique à Madagascar. Antsiraka Boira, en dépit d’une culture fours métallurgiques (Mayotte, archipel des Comores), Fondation pour l’étude de l’archéo-
matérielle qui témoigne d’une filiation avec Dembéni, témoignerait alors de l’instal- logie de Mayotte, dossier n° 2, Paris, Ceroi-Inalco/Sham, 1993, 63 p.
lation de populations nouvelles, non islamisées et certainement malgaches dont ALLIBERT C., MERY A. (coll.), Mayotte : archéologie du VIIIe au XIIIe siècle. Fondation pour
l’islamisation n’aurait débuté qu’au cours du XIIe siècle. l’étude de l’archéologie de Mayotte, dossier n° 1, Paris, Ceroi-Inalco, 1992, 44 p.
BATTISTINI R., VERIN P., « Irodo et la tradition Vohémarienne », Taloha (revue d’histoire et de
civilisation malgache), n° 2, 1967, p. 22-52.
Enfin, si les mosquées anciennes sont nombreuses à Mayotte, souvent réduites à BEL-HAMISSI A., Rapport de fouille. Dembéni 2000, Collectivité territoriale de Mayotte/DAC
l’état de pierrier, la recherche archéologique est encore insuffisante à ce jour pour /Mapat, 2000, 29 p.
permettre de dater ces édifices. Toutefois, les rares mosquées étudiées relèvent pour la BLANCHY S., SAID M., « Inscriptions religieuses et magico-religieuses sur les monuments historiques
plupart de l’époque moderne. Aussi, seule la mosquée d’Acoua peut, à l’heure actuelle, à Ngazidja (Grande Comore) - le sceau de Salomon - », Études océan Indien n° 11, Ceroi-Inalco,
être considérée avec certitude comme médiévale. Son architecture correspond en 1989, p. 7-62.
tout point aux mosquées swahilies des Xe-XIIIe siècles et présente une technique de CHAMI F., « The 1996 Archaeological Reconnaissance North of the Rufiji Delta », Nyame
construction introduite en Afrique de l’Est par des marins islamisés originaires du Akuma n° 49, Houston (Texas), Society of Africanist Archaeologists, 1998, p. 62-78.
golfe Persique. Nous ne doutons toutefois pas que la recherche archéologique mettra « Archaeological research in Comores between 2007 to 2009 », dans Civilisations des mondes
en évidence dans les années à venir d’autres édifices tout aussi anciens. insulaires, volume d’hommage au professeur Claude Allibert, Paris, Inalco, Karthala Éd.,
2010, p. 811-823.
CHITTICK N., Kilwa : an Islamic Trading City on the East African Coast, Nairobi, BIEA, 1974,
2 vol.
…/… Manda, excavations at an Island Port on the Kenya Coast, Nairobi, BIEA, 1984, 258 p.
COURTAUD P., « Le peuplement de Mayotte : l’étude des sites sépulcraux de Bagamoyo
Ce travail de recherche archéologique mené à Mayotte et tout particulièrement à (Petite-Terre) », Bulletins et mémoires de la société d’anthropologie de Paris, T.11., 1999,
Acoua n’aurait pu avoir lieu sans le soutien de la Direction des Affaires Culturelles de la p. 487.
Préfecture (ministère de la Culture et de la Communication) et de la Direction départe- COURTAUD P., CONVERTINI F., Rapport de fouille sur le site de Bagamoyo (Mayotte, Petite-Terre,
mentale des Affaires culturelles du Conseil Général. J’adresse également mes remerciements commune de Labattoir – Plage des Badamiers), document final de synthèse d’évaluation
à la Société d’histoire et d’archéologie de Mayotte (Sham). Je tiens à remercier enfin les archéologique, MCC/SDA, École nationale du patrimoine, DRAC de La Réunion, Collectivité
propriétaires des terrains sur lesquels les opérations à Acoua se sont déroulées, et très territoriale de Mayotte/DAC, CNRS/UMR 5809 - Université de Bordeaux 1/laboratoire
d’anthropologie, AFAN, 2000, 2 vol., 120 p.
chaleureusement toutes les personnes qui ont participé à ces chantiers : collègues archéo-
COURTAUD P., ELYAQTINE M., Le site de Bagamoyo. Mayotte, Petite-Terre (Commune de Dzaoudzi-
logues, enseignants, proches, étudiants et jeunes lycéens d’Acoua sans qui ce travail de Labattoir – Plage des Badamiers), document final de synthèse d’évaluation archéologique,
terrain n’aurait pu être mené à bien. MCC/SDA, DRAC de La Réunion, Collectivité territoriale de Mayotte/DAC, CNRS/UMR 5809
- Université de Bordeaux 1/laboratoire d’anthropologie, AFAN, 1998, 2 vol., 104 p.
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Taãrifa N°4 La diffusion de l’islam à Mayotte à l’époque médiévale

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