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Le pain grillé

Je me rappellerai toujours de cette odeur de pain grillé. Je devais avoir 7 ou 8 ans. Avec mon
frère, nous passions généralement les vacances chez nos grands-parents dans leur vieille ferme aux
murs poussiéreux.

Le matin, nous nous réfugions devant l’âtre de la cheminée. Les flammes qui dansaient sous nos
yeux réchauffaient nos petites mains glacées. On entendait mon grand-père arriver de loin. Sa jambe,
devenue raide depuis qu’il avait fait la guerre, trainait sur le sol. Tel un géant, il baissait la tête à
chaque encadrement de porte. Sa salopette bleu électrique illuminait la pièce rendue terne par la
faible luminosité qui peinait à traverser les carreaux crasseux. Il nous regardait puis lançait tout en se
dirigeant vers le poêle :

« Déjà levés ? Y’a pas moyen d’être tranquille par ici. »

Le sourire qui se dessinait sur le coin de ses lèvres nous laissait penser qu’il aimait qu’on soit
dans ses pattes. Il attrapait alors une grande miche de pain soigneusement recouverte par un
torchon. Il sortait ensuite son vieux couteau élimé et commençait à couper des tranches. J’entends
encore le bruit du pain qui craque, de la mie qui se déchire. Il nous tendait ensuite notre tranche que
l’on plaçait sur une broche pour la griller près des flammes. Comme chaque fois, il nous mettait en
garde :

« La tranche ne doit pas brûler, elle doit être juste grillée ».

Nous nous appliquions à la tâche, quand mon frère, taquin, me poussa de son coude. Trop tard,
la tranche tomba dans les cendres sans que je pusse la sauver. Mon grand-père arriva, fronça un
sourcil puis me dit : « Laisse, je la mangerai. Papi a fait la guerre. Rien ne se perd ! ».

Je ne comprenais pas trop ses paroles. Ce n’est que bien plus tard que je réalisai que la
nourriture était précieuse, qu’il ne fallait pas la gaspiller.

Nous nous installions, ensuite, sur la grande table en bois devant notre bol encore fumant de
chocolat. La tranche de pain tenait à peine dans notre main mais quel délice que de s’y attaquer
devant le regard brillant de notre papi.

Encore aujourd’hui, cette odeur de pain grillé me rappelle combien il a compté.

Mme RIVIERE

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