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Table des matières

1.

La tarte de Thanksgiving .................................................................................................... 3

2.

Préparatifs de Mariage ........................................................................................................ 9

3.

Noël au Journal ................................................................................................................. 15

4.

Space Needle .................................................................................................................... 21

5.

Palmarès ........................................................................................................................... 28

6.

Sous les Tropiques ............................................................................................................ 34

7.

Mariage............................................................................................................................. 43

8.

Nuit de Noces ................................................................................................................... 52

9.

Journée Mémorable .......................................................................................................... 57

10.

Le Bricoleur ...................................................................................................................... 66

11.

Poker-Man ........................................................................................................................ 69

12.
En route pour Sea-Tac ...................................................................................................... 76

13.

Le Diplôme d’Elliot .......................................................................................................... 79

14.

Dan Call............................................................................................................................ 85

15.

Accident Elliot .................................................................................................................. 88

16.

Mettre en route un bébé .................................................................................................... 95

17.

Fashion Week ................................................................................................................... 98

18.

Annonce à Elliot ............................................................................................................. 116

19.

Thanksgiving .................................................................................................................. 123

20.

Le Prénom ...................................................................................................................... 133

21.

Questions existentielles .................................................................................................. 139

22.

Gia, Le retour ................................................................................................................. 143

23.

Shopping entre filles ....................................................................................................... 149

24.
La maison Kavanagh ...................................................................................................... 157

25.

Mouvement de Foule ...................................................................................................... 163

26.

Elliot à l’Hôpital ............................................................................................................. 164

27.

Nuit au Northwest ........................................................................................................... 171

28.

Le Lendemain Matin ...................................................................................................... 177

29.

Ava Kim Grey ................................................................................................................ 186

30.

Retour à la Réalité .......................................................................................................... 192

31.

Le Service Néonatal........................................................................................................ 196

32.

Confidences Inattendues ................................................................................................. 200

33.

Une Mère Parfaite ........................................................................................................... 204

1. La tarte de Thanksgiving
Jeudi 24 Novembre 2011
Aujourd’hui, Elliot et moi sommes invités à déjeuner chez ses parents pour le repas de

Thanksgiving. Il y aura toute la famille au grand complet : Ana et Christian, Mia et mon frère, les

grands-parents Trevelyan, Grace et Carrick, et nous deux. Chacun ayant prévu d’apporter quelque

chose, je me suis proposée pour le dessert. Je me suis levée tôt ce matin pour préparer la
traditionnelle

tarte à la citrouille, je ne voulais pas l’acheter toute faite chez un pâtissier. C’est le premier

Thanksgiving que je passe avec Elliot, mon fiancé et bientôt mari, dans sa famille, j’ai vraiment envie

de faire un effort et de cuisiner pour lui faire plaisir. Il est parti tôt ce matin, une urgence sur un

chantier, un vol de matériaux à ce qu’il m’a dit. Les voleurs ne connaissent pas la trêve de cette

journée nationale et fériée.

Hier, j’ai fait consciencieusement les courses au marché de Pike Market, j’ai imprimé les

ingrédients et la recette sur une feuille. Ce matin, j’ai sorti tout ce qui m’est nécessaire sur le plan de

travail et mis le tablier que Mia m’a offert quand j’ai emménagé avec Elliot. En effet, ma future
belle-

mère, ma meilleure amie et ma future belle-sœur et néanmoins amie, ont eu il y a une ou deux

semaines, l’idée saugrenue d’une mission commando : m’apprendre à cuisiner. Mia est arrivée avec
un

superbe robot mixeur multifonctions dernier cri et un tablier de chef, Grace m’a apporté un gaufrier,

en prétextant que c’est ce qu’Elliot préfère manger au petit déjeuner (je ne l’ai pas contredite, mais je

sais qu’il préfère des œufs avec du bacon) et Ana m’a apporté un livre de recettes niveau débutant. Je

les ai remerciées chaleureusement, mais mes comptes chez les traiteurs de la ville et ma carte gold

restent mes meilleurs alliés pour nourrir mon grand gaillard !

Allez Kate, tu peux le faire !

Première étape, la pâte à tarte : farine, beurre, une pincée de sel et un peu d’eau pour faire une pâte
brisée. Merde, il est précisé que le beurre doit être « pommade ». Qu’est-ce que ça peut bien vouloir

dire ? Je cherche sur Google sur mon téléphone : « beurre ramolli, sorti du frigo une à deux heures

avant à température ambiante ». Zut, ma plaque vient directement du frigo, elle est dure comme de
la

pierre. Bon, ne panique pas, Kate… je pense que vingt secondes au micro-ondes devraient lui
donner

la consistance souhaitée. Je place ma livre de beurre dans un bol et lance le programme. Le résultat

n’est pas vraiment celui escompté, la surface a fondu, mais l’intérieur reste dur… bon, tant pis, je

détaille des petits cubes dans le saladier où j’ai déjà mis la quantité de farine indiquée.

« Mélanger du bout des doigts en effritant le beurre avec la farine »… je plonge les mains dans le

saladier. Eh bien, ça colle drôlement ! Je note mentalement pour la prochaine fois de passer la veille

chez ma manucure et me faire limer les ongles au plus court, s’il y a une prochaine fois !

« Creuser un puits au milieu et verser ½ verre d’eau et une pincée de se l ». Les mains recouvertes

de farine et de beurre mélangés, je cherche un verre dans l’élément haut de la cuisine. Quel verre

prendre ? Celui à whisky, à citronnade, à bière ou un verre à vin ? J’opte pour le verre à whisky, la

contenance me semble un bon compromis. J’ajoute l’eau à ma préparation et me remets à malaxer

énergiquement la pâte. Elle me colle de plus en plus aux doigts quand mon téléphone sonne. Zut, ce

n’est pas le moment. Quand je vois le nom de ma mère s’afficher, je décide de prendre l’appel sinon

Diane est capable de m’appeler toutes les dix minutes jusqu’à ce que je décroche.

— Oui Maman ?

— Ma chérie, je t’appelle juste pour te souhaiter un joyeux Thanksgiving.

Mes parents sont invités à midi chez le frère de Maman, mon oncle Lewis. Tous ses enfants y

seront, les deux fils ainés avec épouse et enfants, Leslie et son mari Stephen. Ma cousine a accouché
il

y a un peu plus d’un mois de son petit garçon, qu’ils ont prénommé George. Je trouve que pour un

bébé, c’est une drôle d’idée car à part George Clooney que je trouve sexy en diable, ce prénom
m’évoque plutôt nos deux anciens présidents, père et fils, qui eux n’ont rien de sexy. La voix de ma

mère me ramène à la réalité.

— Merci Maman. Embrasse tout le monde pour moi, ainsi que Papa.

— Leslie est déçue de ne pas te voir à midi, continue ma mère. Elle aurait aimé te présenter son

fils.

Cette pensée me met mal à l’aise. Bien sûr, j’adore ma cousine, nous avons passé de très bons

moments ensemble, mais je ne me vois pas partager un repas familial avec elle et son mari, en ayant

Elliot à mon bras alors que je sais que mon fiancé et ma cousine ont eu une aventure ensemble. Je

coupe court brusquement, car je connais Diane : j’en ai pour une heure de détails sur la vie de mes

cousins et là, ce n’est vraiment pas le moment. J’ai mon téléphone calé entre l’oreille et l’épaule, des

miettes de pâte tombent au sol de mes mains.

— Maman, je dois te laisser, j’ai quelque chose sur le feu.

— Quoiaaa? Tu cuisines pour Thanksgiving ?

Ma mère vient de me percer définitivement le tympan droit.

— Pourquoi n’as-tu pas acheté un plat chez le traiteur, ou demandé à Edna de le faire pour toi ?

— Ta confiance en moi me touche, Maman ! dis-je offusquée et vexée.

— Désolée ma chérie. Que prépares-tu ?

— Une tarte à la citrouille.

— Ah… (Le silence au bout du combiné est riche de sous-entendus, puis Diane reprend la parole)

Tu sais Kate, l’épicerie fine « le Fin Gourmet » livre jusque 13 heures, partout dans Seattle. Tu peux

encore les appeler de ma part, j’ai un compte chez eux.

— Maman !

Je crie également.

— Je disais cela pour te rendre service, mais tu vas y arriver ma chérie.


Sa voix se veut chaleureuse et confiante, mais je ne m’y trompe pas, Diane a de sérieuses réserves

sur mes capacités.

— N’oublie pas le secret d’Edna pour la pâte, insiste Maman. Si elle est trop sèche, ajoute un peu

de lait pour la détendre.

— D’accord Maman, merci du conseil. Je dois te laisser, j’ai encore beaucoup de travail.

— Je t’embrasse Chérie. Salue Elliot et ses parents de notre part.

— Je n’y manquerai pas.

Je raccroche et retourne à mes fourneaux. Edna est une excellente cuisinière et son astuce m’est

utile, je ne sais pas si c’est dû à ce beurre qui n’était pas « pommade » quand je l’ai incorporé à la

farine ou à la quantité d’eau dans le verre que j’ai choisi, mais ma pâte semble friable. Dans la
recette,

ils préconisent de rajouter une cuillère à café de cannelle. Bonne idée, j’adore cette épice. Je
mélange

donc le tout avec un peu de lait et forme une boule compacte. Je suis très fière de moi. Le temps de

laisser la pâte reposer une demi-heure comme le recommande la recette, j’allume le four pour le

préchauffage et décide de m’attaquer à la citrouille. Celle que j’ai choisie est assez grosse et bien

charnue. Le marchand de légumes m’a conseillé d’utiliser un grand couteau voire un petit hachoir
pour

la découper, la peau étant assez épaisse. Je cale la grosse courge sur la planche à découper et plante

mon couteau dans la chair.

Waouh ! Effectivement, la « bête » est coriace.

Je peine à trancher des quartiers, je dois m’y reprendre à plusieurs fois. Je me demande comment

font les tueurs en série pour planter à multiples reprises leurs victimes. Je suis presque à bout de

souffle après quelques tentatives sur ce légume de malheur.

Une fois les tranches étalées sur le plan de travail, je dois peler chaque bout avant de tout cuire et

de les passer au mixeur. Je fais de mon mieux car le maniement du grand couteau n’est vraiment pas
pratique, la prise en main est risquée, je ne veux pas déraper et me trancher une phalange.
L’utilisation

d’un économe à légumes n’est pas envisageable vu l’épaisseur de la peau. La moitié est presque

terminée, le commerçant m’a dit que je pouvais utiliser le reste pour faire un potage. Je décide de

reporter cette option à demain, j’ai mal aux articulations de mes deux mains et le temps presse. Il est

indiqué dans la recette quinze minutes de préparation, je ne sais pas comment ils ont chronométré ce

temps, mais cela fait plus d’une demi-heure que j’ai commencé, sans compter l’interruption due à ma

mère. Ils doivent avoir l’Usain Bolt1 de la cuisine pour définir leur temps de référence !

Je remarque qu’il reste quelques traces de croute de citrouille, mais je pense qu’une fois cuites et

mixées, je ne verrai plus la différence avec la chair. Je place mes morceaux dans le cuiseur vapeur,
ils

ne précisent pas combien de temps, j’opte pour 15 minutes, je ne veux pas être en retard pour le

déjeuner. Je sors le mixeur flambant neuf que Mia m’a également offert, dépose mes tronçons de

courge cuits dedans et le met branche à la prise. Il y a une touche « pulse », mixage vitesse rapide sur

le côté. Parfait, j’appuie dessus.

Et MERDE !

L’appareil crache la citrouille dans toute la cuisine, j’ai oublié de mettre le couvercle. Je saute sur

ce putain de mixeur pour l’arrêter… Comme je n’y arrive pas, je tire sur le cordon pour le
débrancher

dans un ultime réflexe. Quand la machine infernale cesse de projeter des morceaux et une sorte de

bouillie orange, je regarde autour de moi. Il y a de la citrouille du sol au plafond, sur les éléments

hauts, sur le réfrigérateur américain. Mon tablier est criblé d’impacts orange, je passe ma main dans

les cheveux, mes doigts s’accrochent avec des fibres de courge.

Putain, c’est un carnage.

Je passe rapidement un coup d’éponge sur le plan de travail, je nettoierai le reste plus tard, quand la

tarte sera au four. Heureusement, pour compléter les pertes, il me reste l’autre moitié que je découpe
rapidement. Je n’aurai jamais cru que faire une tarte demandait autant d’efforts.

Une fois le légume récalcitrant tranché, cuit et rapidement mixé avec le couvercle cette fois-ci, je

dois garnir mon plat à tarte avec la pâte brisée qui a suffisamment reposé. Je lis ma recette et reste

perplexe « étaler et abaisser la pâte dans un moule, cuire à blanc pendant 15 minutes ». Qu’est-ce que

c’est encore que ce truc ? Cuire à blanc ? Je cherche sur mon téléphone, mais là, Google n’est plus

1 Athlète jamaïcain né en 1986, spécialiste du sprint, sextuple champion olympique et quintuple


champion du

monde, détenteur de trois records du monde

mon ami, je ne trouve pas. Cela commence sérieusement à m’énerver, je suis prête à appeler le
traiteur

et commander deux tartes à faire livrer chez les Grey seniors. Mais je ne veux pas être la risée de
cette

famille, j’imagine que Grace a préparé une dinde énorme, que Mia a concocté une farce sublime, et

qu’Ana a fait elle-même le traditionnel pain de maïs, elle n’aura pas délégué cette tâche à sa

gouvernante, Mrs Jones. Je dois bien pouvoir faire une tarte, la fierté de Kate Kavanagh est en jeu.

Un site de cuisine me donne enfin l’explication, « cuire à blanc » la pâte est une première cuisson

sans garniture. OK, s’ils le disent, je vais suivre scrupuleusement leurs indications. « Pour que le
fond

ne gonfle pas, recouvrir d’une garniture artificielle ». Putain, faudrait savoir, je mets une garniture
ou

non ! Qu’est-ce qu’ils entendent par artificielle ? « Noyaux, haricots grand-mère, billes en
céramiques

ou petits cailloux. » Oh ?! N’ayant ni noyaux ou billes sous la main – et pas la moindre idée de ce
que

peuvent être des « haricots grand-mère » –, je me rabats sur la dernière proposition, c’est-à-dire les

petits cailloux. L’allée qui mène à la maison en est recouverte. Connaissant Elliot, je suis sûre qu’il

doit les gravillons les plus écologiques et éthiques de la ville. Mais je me demande s’ils passent bien

au four !
Je me dirige dans l’allée avec un bol et ramasse une poignée de gravier noir et gris. Ça devrait faire

l’affaire. Je les lave méticuleusement avant de les poser sur une feuille d’aluminium qui recouvre ma

pâte que j’ai réussi à étaler dans le moule. C’est parti pour 12 minutes au four !

Pendant ce temps, je prépare le reste de la garniture avec les œufs, le sucre et les épices, puis

débarrasse les ustensiles dont je n’aurai plus besoin, je les mets dans le lave-vaisselle. Le timing est

parfait, le dernier bol déposé, il est temps de sortir mon fond de tarte.

Je suis fière de moi, je parle comme une vraie pro de la cuisine !

Les cailloux de l’allée ont résisté à la cuisson, la pâte dorée est tellement belle que je la prends en

photo avec mon téléphone. Elle est digne d’un livre de cuisine ! Je dépose ma citrouille mixée et

assaisonnée. Je remarque sous ma spatule quelques morceaux, mais bon, en recuisant une seconde

fois, j’imagine ça ne se verra pas. De toute façon, je ne peux pas repasser le mélange au mixeur, j’ai

déjà rangé le récipient dans le lave-vaisselle et je n’ai plus le temps !

Au moment où j’enfourne pour la deuxième fois la tarte, cette fois avec sa garniture définitive, la

porte s’ouvre et Elliot apparait dans la cuisine. Il me dévisage, les yeux écarquillés, puis balaie la
pièce

du regard, la bouche ouverte.

— Kate, c’est quoi ce massacre ?

Je déclare toute fière :

— Rien Bébé, j’ai fait une tarte à la citrouille pour le déjeuner de Thanksgiving chez tes parents.

Bon, je regarde autour de moi : il y a encore de la farine au sol, des morceaux de citrouille un peu

partout, mais une bonne odeur envahit déjà la cuisine.

— Mais… tu aurais pu me le dire, je me serai arrêté dans une pâtisserie pour en acheter une sur le

chemin du retour.

Mais pourquoi ni ma mère, ni mon fiancé ne me fait confiance pour préparer un simple dessert ? Ce

n’est qu’une putain de tarte à la citrouille. Je me vexe, commence à taper du pied, mets mes poings
sur

les hanches et lui décoche un regard noir. À ce moment-là, un morceau de courge tombe du plafond,

juste sur la tête d’Elliot. Il fait un bond, surpris, passe la main dans ses cheveux et un morceau orange

se colle à ses doigts.

— Putain, c’est quoi ça ? crie-t-il.

Je lâche désabusée en haussant les épaules :

— Newton, la loi de la gravité, Bébé !

Il éclate de rire. Pfft…

***

Comme je m’y attendais, le repas que Grace a préparé est gargantuesque, parfait, somptueux. La

dinde est cuite et dorée à merveille, bien moelleuse, et la farce de Mia est divine. Ana a apporté son

célèbre pain de maïs et la sauce de Cranberry. Moi, j’ai discrètement déposé ma tarte enveloppée
dans

un torchon blanc dans la cuisine à notre arrivée.

Le repas est détendu. Pour une fois, Christian est assez décontracté, dans la mesure où il peut l’être.

Il surveille chaque bouchée qu’Ana prend. Je me demande lequel des deux compte le plus la moindre

calorie avalée. Ethan est là, mais c’est Mia qu’il mange des yeux, s’extasiant des talents culinaires de

sa petite amie. Carrick et Grace jouent leur rôle d’hôtes parfaits en faisant la conversation à chacun.

Les grands-parents Trevelyan se taquinent, il parait que c’est une habitude chez eux. Mrs Trevelyan

exulte à l’idée d’avoir un premier arrière petit-enfant.

Quand leur nouvelle bonne, une Française je crois, arrive avec ma tarte pour le dessert, je lui trouve

l’air aussi dégoutée que si elle tenait une panse de brebis farcie (spécialité écossaise que j’ai eu le

malheur de goûter une fois lors d’un voyage en Angleterre !) Certes, à la deuxième cuisson, ma pâte
si

belle, si dorée, a bruni et desséché, le dessus de la garniture aussi et une sorte de croute foncée s’est
formée. Christian ne peut retenir un sourire narquois ; Mia et Ana ressemblent à deux poissons rouges

avec la bouche ouverte en O ; Ethan et Elliot refrènent un petit rire nerveux. Je décoche un coup de

coude pas très discret à mon fiancé. Quand Grace se lance dans le découpage de « mon œuvre », je

crois que la lame du couteau est sur le point de casser, mais ma future belle-mère réussit à servir une

part à tous ses convives.

Mr « je ne mange que dans les meilleurs établissements du monde car je suis un être raffiné et

sophistiqué », se lance le premier, il ne peut retenir une moue écœurée à la première bouchée.

Ah, quel dommage ! Si j’avais su avant qu’il suffisait de lui faire manger ma cuisine pour

empoisonner Christian Grey, je me serais fait un plaisir de lui faire une dégustation spéciale à
Portland

pour m’en débarrasser !

Ethan, Ana et Mia mâchouillent leur part dans un silence de mort, je vois bien qu’ils ont du mal à

déglutir, mais ne disent rien. Carrick plante sa fourchette à dessert dans sa part, un morceau de tarte

ripe à travers la pièce ! Grace et ses parents le regarde, horrifiés ; tout le monde plonge le nez dans
son

assiette. Elliot me fixe, mi- amusé, mi- compatissant, il sait les efforts et le temps que j’ai consacrés
à

la cuisine ce matin. Il mastique amoureusement une bouchée, avant de tousser et de recracher de la

manière la plus inélégante qu’il soit, un morceau de courge avec la peau.

— Celui-ci, dit-il en montrant l’objet du crime avec sa fourchette, Newton aurait mieux fait de le

laisser coller au plafond !

Tout le monde éclate de rire. Bande d’ingrats ! Eh bien l’année prochaine, ils auront droit à un pot

de glace pour le dessert.

Note de l’auteur :

Pour tenter le « Pumpkin Pie2 » de Kate, voici la recette :


Recette pour 8 personnes
Temps de préparation : 15 minutes

Temps de cuisson : 45 minutes

Ingrédients :

3 gros œufs

1 pâte brisée (faite maison ou en rouleau)

230 g de sucre

100 g de beurre

500 g de potiron

1 cuillère à café de cannelle

1 cuillère à café de muscade

1 cuillère à café de quatre épices

Sel

Préchauffer le four à 180 ° (th 6)

Placez la pâte brisée dans le moule

Recouvrez d’une feuille de papier sulfurisé et de haricots grand-mère ou billes en

céramique, petits cailloux etc.

Faites cuire la pâte pendant 15 minutes

Faites cuire à la vapeur le potiron et égouttez-le

Mixez le potiron ou réduisez-le en purée

Dans un bol, battez les œufs avec 150 g de sucre

Rajoutez le sel

Rajoutez les épices

Mélangez
Faites fondre le beurre

Ajoutez la moitié du beurre au mélange

Ajoutez le potiron dans le mélange

Mélangez jusqu'à ce que la pâte soit homogène

Versez la préparation dans le moule avec la pâte

Répartissez le reste du sucre sur le dessus

Répartissez le reste du beurre sur le dessus

Faites cuire pendant 45 minutes, sortez une fois le dessus caramélisé

2 Recette américaine typique, idéale pour Halloween

2. Préparatifs de Mariage

Début décembre 2011

Texto à Elliot :

C’est officiel, nos mères sont devenues folles !

Pouvons-nous aller à Vegas aujourd’hui ?


XO Kate
Ping ! La réponse arrive immédiatement.

Sois patiente, bébé. Elles sont tout simplement heureuses pour nous et le montrent à tout
Seattle.

D’ailleurs, tu as dit avoir les choses en main. À propos d’avoir en main, il y a quelque « chose »
qui

t’attend…

À plus Princesse, qui sera bientôt « épouse »


Elliot
Il a raison, mais son attitude nonchalante m’énerve, je lui envoie sans attendre :

Obsédé priapique !

Kate, fiancée proche du burn-out.

***

Debout dans la salle de bain, je finis de me laver les dents et de brosser mes cheveux. Elliot rode

autour de moi, mais je suis trop énervée pour lui prêter la moindre intention.

— Bon, Kavanagh, tu vas enfin me dire ce qui ne va pas ?

Il râle comme un enfant boudeur et délaissé.

— Rien, tout va bien.

Mon ton sec trahit ma véritable humeur.

— Bien, si tu le dis…

Il tourne les talons et va s’étendre sur notre lit. Quand je sors enfin de la salle de bain, je ne peux

m’empêcher d’admirer le spectacle de mon fiancé, en pantalon de pyjama et torse nu, les mains

derrière la tête, couché sur le lit.

Sois forte, Kate, ne te laisse pas distraire par la tentation incarnée !

Je lâche désabusée :

— J’ai vu maman et Grace à midi…

— Mouais, Diane va bien ?

Il m’énerve avec ma mère… mes envies de meurtre refont surface.

— Égale à elle-même… elle t’embrasse, soit dit en passant.

— Et vous avez parlé de quoi ?

— De ce putain de mariage… avec les invités de tes parents plus ceux des miens, nous en

sommes à quatre cents cinquante. Je crois qu’on va devoir louer le palais des congrès ou le Safeco
Field3 pour la cérémonie…

— Si c’est ce que tu veux…

— Putain Elliot, c’est aussi TON mariage ! (Je commence à monter en décibels.) Si tu n’en as

rien à foutre, dis-le-moi tout de suite et on arrête tout.

Un sourire aux lèvres, il hausse les épaules.

— Tout ce qui m’intéresse, c’est la nuit de noces. Et ce que je compte te faire !

Je lui lance un oreiller au visage, qu’il esquive d’un mouvement souple.

— Elliot… tu… Grrrr… pfft…

— Oui Bébé… tu veux dire que toi aussi, la nuit de noces t’inspire ?

— Putain Elliot, tu fais chier ! Je me tape tous les préparatifs toute seule, je me coltine ma mère,

la tienne, ta sœur et Toya Mitchell, et toi, tu ne penses qu’à me baiser lors de la nuit de noces ?

— Ouaip, c’est le deal, Bébé !

Si j’avais un couteau sous la main, je crois que je passerais ma nuit de noces avec ses couilles dans

un bocal de formol posé sur la table de chevet.

— Princesse, tout ce que je veux, c’est toi et moi, devant un curé, ou un révérend, ou un juge, ou

un maire, devant cinq cents personnes ou deux témoins, en robe à cinq mille dollars ou à poil sur une

plage. Tout ce que je veux, c’est toi et moi, devenant mari et femme.

Je demande incrédule :

— Quoi ?! Peux-tu répéter ce que tu viens de dire ?

Il me dévisage comme si j’avais une deuxième tête qui poussait.

— Ce que je veux, c’est que toi et moi, disant « oui ».

— Non… avant… Putain, t’es brillant Grey, un vrai génie !

Elliot me regarde, ses grands yeux bleus écarquillés, puis son sourire légendaire lui barre le visage.

Je me redresse, saisis mon ordinateur portable et tape frénétiquement dessus. Je sais ce que je
cherche
et ce que je dois faire.

— Bon, si je comprends bien, les répétitions de la nuit de noces seront pour plus tard ? demande

Elliot.

— Oui Bébé, je dois vérifier deux ou trois choses, pas le temps de batifoler !

— Ok, je me la colle derrière l’oreille.

Il éclate de rire.

— Dingue, avec un ordinateur et une connexion Wifi, tu diriges le monde.

Il souffle derrière mon épaule, regardant mes recherches sur mon écran.

— Oui, et tu ferais bien de t’y habituer !

3 Stade de baseball à toit rétractable situé dans le quartier de SoDo ( South of Downtown) à Seattle

— Pfft, je m’en fiche, je suis un génie… je ne sais pas pourquoi, mais j’aime cette idée !

***

Je suis au pied de la tour GEH. Un monstre d’acier et de verre sur vingt étages. Dire que j’aurais dû

voir ce bâtiment il y a des mois de cela – une éternité ! – quand j’envisageais de faire cette interview

du PDG milliardaire pour le journal de l’Université. Je me demande ce qu’Ana a ressenti au pied de


ce

building à ce moment-là… Était-elle impressionnée ? A-t-elle ressenti la puissance qui se dégage de

cet édifice ? Elle ne pouvait pas imaginer qu’elle épouserait le maître de ces lieux et deviendrait une

des femmes les plus riches de l’État, voire du pays, elle la petite étudiante en littérature, timide et
mal

fagotée.

Je prends une grande inspiration et entre dans l’Antre du Diable. L’intérieur est comme l’extérieur,

froid, aseptisé et étrangement silencieux. Je me présente au bureau d’accueil, où une standardiste me

dévisage.

— Bonjour, je suis Kate Kavanagh, j’aimerais rencontrer Christian Grey.


— Avez-vous rendez-vous, Miss Kavanagh ?

Je sens son regard suspicieux, mais poli. J’assène avec aplomb :

— Non, mais pouvez-vous m’annoncer ? Je suis sûre qu’il me recevra.

La standardiste se racle la gorge, mais elle décroche son téléphone.

— Miss Parker ? J’ai à l’accueil Miss Kavanagh qui demande à voir Mr Grey, elle n’a pas

rendez-vous, mais elle insiste… Bien, je la fais patienter.

Je la fixe, elle m’indique les canapés dans la zone d’accueil et m’invite à m’y installer. J’ai pris la

décision de venir ici au dernier moment, en sortant du journal. Je sais qu’Elliot ne va pas apprécier

mon initiative lorsqu’il l’apprendra, mais je suis convaincue du bien-fondé de mon initiative.

Allez Kate, tu joues le tout pour le tout. Je mets ma mise sur le tapis, en attendant de voir la main

de mon adversaire, le grand Christian Grey, mon meilleur ennemi, mon futur beau-frère.

Les portes de l’ascenseur s’ouvrent et Taylor en sort. La standardiste me désigne du menton ; il

s’approche de moi.

— Miss Kavanagh. Mr Grey est en rendez-vous, il ne vous attendait pas.

— Je sais, Taylor. Mais c’est important. Son prochain milliard peut attendre dix minutes. Pouvez-

vous me conduire à son bureau ? Je n’en ai pas pour longtemps.

Je suis déjà debout, mon sac à main sur mon bras. Je vois l’Ombre du Maître hésiter, puis il me fait

signe de le suivre vers les ascenseurs. Arrivés au vingtième étage, une blonde dans un tailleur

impeccable, coupe au carré faite au rasoir et talons hauts m’accueille et me demande de patienter
dans

le salon de la réception, devant les baies vitrées qui dominent la ville. Je reste quelques instants face
à

la vue qui s’offre à moi. J’ai l’habitude de ce genre d’endroits, le siège social de Kavanagh Medias
n’a

rien à envier à cette tour d’ivoire, sauf que je me sens chez moi dans les bureaux de mon père. Ici,
j’ai
l’impression d’être dans le même frigo que l’appartement à l’Escala : décors design, mais froids,

couleurs arctiques et blondes congelées partout. Le panorama à mes pieds reste pourtant
spectaculaire.

Je suis fascinée par l’agitation de la rue : de simples mortels qui vaquent à leurs occupations en cette

fin d’après-midi.

— Miss Kavanagh, Mr Grey va vous recevoir. Par ici, m’indique Miss Iceberg.

Je la suis jusqu’au bureau de Christian. Il est comme le reste de l’immeuble, froid et design, à part

le portrait d’Ana qui trône sur un mur. Je me fige sur le pas de la porte et regarde mon amie,
souriante,

les yeux pétillants. Cette photo en noir et blanc a été prise par José, je reconnais son style.

— Katherine, que me vaut l’honneur de ta visite ?

Je sens le sarcasme dans sa voix. Il est énervé que j’ose le déranger sur son lieu de travail. Je me

retourne pour lui faire face, Christian est debout face à son immense bureau, avec un petit rictus aux

coins des lèvres. Allez, let’s play, Boy !

— Christian, désolée pour le dérangement, mais c’est important.

— Je t’écoute.

Je vois bien qu’il serre les dents. Moi aussi. Grey, je préférerais avaler des lames de rasoir plutôt

que te supplier !

— Voilà, cela concerne notre mariage. Si je suis là, ce n’est pas pour moi, mais pour ton frère.

Elliot ne te l’a pas encore demandé, mais il veut que tu sois son témoin. Mais ce que tu ne sais pas,

c’est que les plans ont changé, notamment la date et le lieu de la cérémonie. Il est donc primordial
que

tu acceptes, pour ton frère. Quant à moi, j’aurais également besoin que ma demoiselle d’honneur soit

présente le jour J.

Je sens un tsunami imminent, une tornade force 10 arrive dans le bureau. Avant que Mr Mégalo

puisse laisser cours à sa colère habituelle, je lui explique en quoi va consister le nouveau plan pour
notre mariage. Comme je suis et reste Katherine Kavanagh, je sors ma botte secrète : un épais dossier

de mon sac à main.

— Comme tu pourras le lire dans ce dossier, Ana ne court aucun risque, votre enfant non plus. Je

t’ai mis tous les derniers articles parus sur le sujet, des meilleurs spécialistes du pays. Tu as bien sûr
le

temps de vérifier mes sources et de faire tes propres recherches.

— Katherine, je n’ai jamais apprécié que l’on me force la main en affaires et encore moins

concernant mon mariage ou la santé de ma femme.

Son ton ferait fuir Attila le Hun, mais je ne me démonte pas.

— Je ne te force pas la main, Christian, je te facilite la tâche en t’apportant les informations que

tu aurais fini par trouver. Et je ne te fais pas de chantage affectif en utilisant Elliot, notre mariage aura

lieu de toute façon, avec ou sans vous. Si je me rappelle bien, tu as imposé des délais très courts pour

votre mariage. Respecte juste nos volontés, et tout le monde en sera très heureux.

Christian saisit le dossier que j’ai posé sur son bureau et le parcourt rapidement. Je vois son regard

s’étrécir en tournant les pages. Je m’en fous, je suis sûre de moi et de mes recherches.

— Crois-tu sérieusement que je mettrais la santé d’Ana et de mon neveu en danger pour un

caprice, Grey ? Je croyais que tu me connaissais mieux que cela. Et preuve de ma bonne volonté, je
te

laisserai gérer les aspects « sécurité et gros bras » sur place, à condition que je ne voie pas un seul

costard noir à moins de cent mètres du lieu de la cérémonie.

Cette dernière concession me coûte, mais je sais que c’est ma carte secrète pour qu’il accepte.

Pendant ma tirade, il n’a pas quitté mon dossier des yeux, mais j’entends les rouages de son cerveau

tourner à plein régime.

— D’accord, prenez le jet de GEH. Considère ça comme un cadeau de mariage anticipé.

Putain, Christian vient de me dire oui ?! LE Christian Grey ! Je n’entame pas une danse de la
victoire, ni lui saute au coup pour le remercier (il ne faut quand même pas exagérer), mais je savoure

son acceptation pour ce qu’elle est : un immense effort pour Elliot et une grosse concession me

concernant.

— Merci Christian. Merci pour nous deux. Je te laisse… j’imagine que tu as maintenant besoin

de passer tes nerfs, à cause de moi, sur une pauvre entreprise à démanteler. Je t’enverrai par mail
tous

les détails. Je compte juste sur toi pour être surpris et très ému quand Elliot te demandera d’être son

témoin.

Je tourne les talons et sors du bureau sans me retourner. La porte passée, je libère le souffle que

j’avais retenu. Finalement, la partie s’est bien déroulée, Christian est un être froidement rationnel,

enfin la plupart du temps. Les arguments que je lui ai apportés ont porté leurs fruits.

***

— Ana es-tu sûre que tu seras à l’aise dans « ça » ?

— Oui Kate, je vais bien, et je te promets que je te le dirais si j’ai besoin de faire une pause.

— Je ne peux pas croire que ton mari maniaque du contrôle t’autorise à venir à l’appartement de

Pike Market aujourd’hui pour des essayages.

— Je sais. Je suis surprise qu’il n’ait pas appelé ta mère pour qu’elle apporte tous les modèles à la

maison pour les essayages.

Nous laissons toutes les deux échapper un petit rire.

— Ça fait mal, Kate, ne me fais pas rire. Ça me donne envie de faire pipi.

Mia et Maman nous attendaient lorsque nous sommes arrivées. Elles avaient déjà sélectionné des

robes qu’elles pensaient que nous aimerions. Maman a été un peu déçue par le changement de
dernière

minute, mais elle est déjà excitée à l’idée de mon plan B.

— Ana, allez, essaie celle-ci.


Mia et maman, sûres de leur choix, lui tendent une robe.

— Oui Diane. Vos souhaits sont des ordres.

Je souris. Mon amie a l’habitude d’obéir à des tyrans de toutes sortes !

Ana prend la robe et file se changer. C’est une robe bain de soleil corail, courte en mousseline de

soie avec un décolleté à tomber, surtout sur une femme enceinte à la poitrine gonflée.

— Kate, ferme les yeux. Je sors. OK, ouvre tes yeux.

— Ana, tu es sublime ! C’est ça ! Pas besoin d’essayer autre chose !

Je crie comme une adolescente dans la pièce. Maman a encore fait des miracles.

— Merci Kate, je pense que tu as raison. Et Christian va l’aimer.

Elle se retourne pour admirer le dos dans le miroir. Sans relever l’allusion à son mari, j’ajoute :

— Steele. Tu es incroyable dedans.

— C’est Grey. (Elle me fait un clin d’œil.) Anastasia Grey, n’oublie pas Kavanagh, future Grey !

— Peuh !

— Mia qu’en penses-tu ? demande mon amie.

— C’est parfait ! Maintenant, nous devons trouver ta robe Kate. Ta maman a sélectionné

quelques choix étonnants. Voulez-vous du champagne ?

Mia jubile, elle est dans son élément. Maman et moi répondons de concert :

— Oui, bien sûr Mia.

— Non merci Mia, je suis toujours enceinte, donc je ne peux pas boire !

Nous sourions et Mia tend un verre de jus de Cranberry à Ana.

— Maman, que veux-tu me faire essayer en premier ?

J’ai repéré des milliers de robes de mariée, dans les magazines, lors des défilés à Paris, Milan, New

York, Londres, mais aujourd’hui, c’est différent parce que c’est ma robe. Maman me tend deux

housses où sont ses dernières créations, je sais lui avoir demandé des modifications importantes en
dernière minute, mais Diane a mis un point d’honneur à tenir les délais imposés.

OK, nous faisons des progrès, mais ce n’est toujours pas la bonne robe. Elle ne correspond pas à

l’esprit que je veux donner à la cérémonie. Je ne me sens pas à l’aise dedans. J’en passe une autre.

Je me sens incroyable dans cette robe. J’espère qu’elles l’aimeront également.

— Êtes-vous prêtes les filles ?

Quand je sors de la chambre, Maman, Ana et Mia laissent sortir un soupir audible et toutes les trois

commencent à pailler.

— C’est ça Kate, c’est LA robe.

Ana et Mia commencent à applaudir et je sens les larmes monter.

— Maman, c’est la nouvelle ligne ? Tu pourras faire les retouches dans les temps ?

— Kate, tu sais à qui tu parles. Je suis Diane Kavanagh et c’est ta robe. Cela fait des années que

je rêve de ce moment. Tout sera prêt pour toi, ma chérie !

Nous passons le reste de l’après-midi à choisir nos chaussures et accessoires. Nous avons décidé

d’aller pieds nus sur la plage et nous avons choisi des paires de chaussures plates incroyables chez

Manolo Blahnik pour Mia et Ana, et Jimmy Choo pour moi. Nous avons aussi parlé de ce que les

hommes doivent porter.

— Ana, ça va ? Tu as l’air un peu fatiguée ?

Je m’inquiète parce qu’Ana, de plus en plus enfoncée dans le fauteuil du salon, semble absente.

— Désolée Kate. Mais le choix des chaussures et des accessoires n’a jamais été ma grande

passion. Je sais que je suis la demoiselle d’honneur, mais cela te dérangerait si on reportait à un autre

jour ?

— Bien sûr que non, Ana. Tu devrais rentrer chez toi et te reposer. Je n’aimerais pas que ton mari

t’interdise de venir à mon mariage sous le (faux) prétexte que je t’ai épuisée lors des essayages.

Mia et Maman étouffent un petit rire et Ana lève les yeux au ciel.
— Merci ma belle. Je vous verrai toutes bientôt. Sawyer m’attend à l’extérieur avec la voiture.

— Bye Ana, repose-toi bien.

3. Noël au Journal

24 décembre 2011

Je me gare devant le Fairmont Olympic Hotel, un voiturier prend immédiatement les clés de mon

cabriolet Mercedes. Je me dirige vers le salon réservé par le Seattle Times pour cette grande soirée
de

Noël du journal. Je laisse mon manteau au vestiaire, pénètre dans la grande salle. Beaucoup de mes

confrères sont déjà attroupés autour du buffet, une coupe de champagne à la main. Je recherche du

regard des visages connus quand j’aperçois Dan, avec une jeune femme à ses côtés. Les conjoints
sont

également invités, Elliot me rejoindra plus tard, il a actuellement rendez-vous avec Mr Ben Bert, le

directeur de formation qui supervise son mémoire. Je suis tellement fière d’Elliot, de son

investissement dans cette formation et ses cours. Je l’aide de mon mieux en relisant ses textes et en
les

corrigeant. Mon Dieu blond a promis de venir ce soir, même s’il déteste ce genre de manifestation

publique.

La grande salle du Fairmont a été aménagée spécialement pour recevoir tout le personnel du

journal, une petite estrade a été installée pour les discours. J’aime l’ambiance chaleureuse de

l’établissement, l’architecture typique de la Renaissance italienne donne un charme ancien mais

moderne à l’hôtel. Le personnel de l’établissement est aux petits soins, proposant petits fours sur

plateau et canapés variés aux convives. Le Fairmont Olympic Hotel était un de mes options pour mon

mariage, le professionnalisme de l’organisation me confirme que j’ai bien fait de choisir cette chaîne

hôtelière pour ma cérémonie.

Je m’approche de Dan, je ne peux refréner un sourire : mon collègue et (à présent) ami est

endimanché dans un costume brun sombre en velours, ses cheveux éternellement ébouriffés lui
donnent l’air « tombé du lit », même en cette fin d’après-midi. Je passe au laser spécial Kavanagh la

jeune fille à ses côtés. Oh mon Dieu ! C’est une agression visuelle, un outrage à la mode du 21ème

siècle. Elle est brune, ses cheveux sont tressés en une grosse natte d’où des épis s’échappent, une

vingtaine d’années, petite, et déguisée en péruvienne ! Elle porte une jupe bariolée en gros coton, une

sorte de pull poncho multicolore en laine lui couvre les épaules jusqu’aux hanches. Je ne peux pas
dire

si elle est fine ou pas, tellement ses vêtements la rendent informe. Je ne suis pas sûre que les indiens

péruviens obligent les gens à porter ça pour militer pour la défense de leur civilisation. Ses sourcils

doivent être un hommage à la forêt amazonienne, la déforestation à la pince à épiler n’étant pas
arrivée

jusque-là. Je plaque un sourire spécial « Kate en société » et les rejoins.

Dan me fait signe d’approcher :

— Ah, te voilà enfin ! T’es superbe, Kate !

Oui, je sais que ma robe en cuir orange fait son petit effet : on dirait qu’elle a été cousue sur moi

(par un grand couturier) tellement elle me moule de partout.

Dan continue :

— Je te présente Annabella, mon amie.

Elle me tend une petite main molle quand je la salue.

— Enchantée, dit-elle. Vous pouvez m’appeler Anna ou Bella. Dan me parle souvent de vous.

Étrange, la réciproque n’est pas vraie, Dan étant très discret sur sa vie privée. Et les diminutifs

qu’elle m’a demandé d’utiliser ne lui correspondent pas du tout, Ana étant le surnom de ma meilleure

amie, et Bella… bah, ça ne colle pas !

Dan nous regarde et décrète :

— Je vais aller me chercher à boire. Kate, du champagne j’imagine ?

— Oui, Dan, tu as tout compris !


Je lui fais un clin d’œil, Dan s’éloigne. Annabella me fixe bizarrement. Elle s’approche de moi et

parle à voix basse.

— Écoutez, Katherine, je sais parfaitement comment sont les femmes de votre genre ! Vous ne

me tromperez pas, je vois clair dans votre jeu.

— PARDON ?

Je suis interloquée, choquée par cette attaque frontale.

— Oui, reprend-elle. Vous êtes riche, belle avec des jambes de trois mètres de long, une famille

qui côtoie les milieux aisés et vous travaillez avec Dan. Mon chéri est sous votre charme, mais je
vous

avertis, je vous ai à l’œil !

Sa diatribe me coupe momentanément le souffle, je ne comprends pas d’où lui vient cette animosité

à mon encontre, je n’ai jamais eu aucun geste déplacé vis-à-vis de Dan, lui non plus d’ailleurs. Cette

fille est folle à lier. Je me ressaisis et lui décoche le sourire le plus faux et hypocrite que j’ai dans ma

panoplie.

— Annabella, (et j’insiste bien sur chaque syllabe), je ne sais pas d’où vous vient cette idée, mais

vous vous trompez. Je suis fiancée à l’homme le plus merveilleux de cette planète, je l’aime et il est

fou de moi. Dan est un collègue, nous travaillons 8 heures par jour ensemble. C’est un ami que je

respecte, rien de plus. Si vous avez un problème avec ça, pas moi.

Je la toise du haut de ma superbe, juchée sur douze centimètres de talons. Dan apparaît à nos côtés,

il me tend une flûte de champagne et un verre de sangria à… son lama péruvien.

— Kate, Kristine veut nous voir. Ça semble important.

— OK, on y va.

Je ne jette pas un dernier regard à sa copine et nous nous frayons un passage jusqu’au groupe avec

lequel notre chef discute. Je reconnais notre directeur général, Troy Ashby, le chef de la rédaction et
le
rédacteur en chef du service politique ainsi que le propriétaire du journal, Rupert Turner. Merde, que

ce passe-t-il ?

— Ah, Kavanagh, Carter, venez par ici ! tonne Kristine. Vous connaissez tout le monde ? Mr

Rupert Turner a quelque chose à annoncer ce soir, mais je tenais à ce que vous soyez au courant

avant : cela vous concerne.

Dan et moi devons ressembler à des poissons rouges, je n’arrive pas à croire que le propriétaire du

Seattle Times nous connaisse et parle de nous lors du discours pour les vœux de Noël du journal. Je

suis sans voix.

Mr Turner s’explique d’une voix ferme, pleine d’autorité qui me fait penser immédiatement à mon

père, Keith Kavanagh, magnat de la presse également.

— Le Seattle Times va développer son site internet. Le conseil d’administration et moi-même

considérons que l’information en ligne est primordiale pour la survie de notre journal, les ventes

imprimées sont en déclin, les lecteurs s’informant majoritairement en ligne : smartphones,


ordinateurs,

tablettes numériques… Les annonceurs sont également sur ces supports, les investissements

publicitaires ont doublé en cinq ans sur internet. Nous avons décidés de nommer Kristine Wilson

rédactrice en chef, elle sera à la tête de l’information en ligne. Nous lui avons donné carte blanche

pour constituer son équipe et c’est maintenant chose faite. Kristine, c’est à vous.

— Merci, Mr Turner. Katherine Kavanagh, Daniel Carter, je vous veux avec moi pour renforcer

l’équipe déjà en place. J’ai besoin de personnes que je connais et, pour notre ligne éditoriale, vous

correspondez tous les deux au profil. Kate, vous couvrirez l’actualité, les Local News, un
détachement

au service Politique est prévu en cette année d’élection présidentielle. Vous serez sous ma

responsabilité, mais vous intégrerez le service Politique. Dan, vous serez affecté au Business and
Tech,

vous aurez une mission d’un mois cet été en renfort au service Sport pour les Jeux Olympiques de
Londres. J’attends de vous une animation quotidienne du site, nous voulons enrichir la version
actuelle

par des articles écrits, mais aussi des courts reportages filmés, des interviews sur les sujets
demandés,

des portraits. Ce sera un peu comme faire de la télévision, mais pour le site web du journal. Ce
projet

sera dévoilé ce soir, je voulais savoir si vous acceptez d’en faire partie tous les deux.

J’ai la tête qui manque d’exploser ! Mes rêves professionnels les plus secrets viennent de se

réaliser. Je vais enfin faire du reportage, partir en mission et animer le site internet du ST. Je vois
déjà

mon nom en haut du journal, avec les neufs prix Pulitzer qui ont écrit au Seattle Times, ou au moins

parmi les finalistes. Je me retiens de faire la danse de la victoire – devant tous ces cols blancs de la

direction, ce serait mal vu –, mais le sourire sur mon visage doit en dire long sur mon enthousiasme.
Je

vois du coin de l’œil que Dan est dans le même état que moi.

Il reprend la parole et ses esprits avant moi.

— Bien sûr, j’accepte ! S’exclame-t-il. Merci pour votre confiance.

— Oui, c’est oui pour moi aussi, dis-je.

— Parfait, conclut Mr Turner. Je vais l’annoncer d’ici une demi-heure. Vous finaliserez les

modalités avec Mrs Wilson demain. Je compte sur vous tous pour faire de ce nouveau challenge pour

le Seattle Times, un succès.

Nous nous serrons tous la main, un serveur apporte un plateau avec des flûtes de champagne et

nous trinquons à la nouvelle version site web du journal et son équipe. Les « huiles » nous quittent,

Dan et moi rejoignons sa copine au buffet. Nous sommes tous les deux très excités par la nouvelle,
nos

yeux pétillent, mais ceux d’Annabella s’étrécissent en nous voyant arriver.

Dan exulte :
— Bella, j’ai une super-nouvelle!

Il n’a pas le temps de finir sa phrase que la mâchoire du lama tombe au sol. Je sais pourquoi, j’ai

deviné sa présence avant même de percevoir son parfum, avant de le voir. Elliot…Elliot Grey vient
de

faire sa grande entrée. Je sens sa main sur ma taille et son souffle dans mon dos. Sans me retourner,

j’abhorre un sourire triomphant.

— Bonsoir, Bébé. Tu tombes bien, nous avons une grande nouvelle.

Je me retourne et plante mon regard dans les yeux bleus de mon Dieu blond. Il est magnifique !

Costume cintré noir, chemise noire – sans cravate et déboutonnée au col. Il me sourit et me fait son

clin d’œil breveté. Je crois que ma culotte, et par la même occasion celle d’Annabella, viennent de

percuter le sol. Je reprends :

— Elliot, je te présente Dan Carter, mon collègue et son amie, Annabella. Dan, Annabella, voici

mon fiancé, Elliot Grey.

— Enchanté, dit Dan en lui serrant la main.

Sa copine n’a toujours pas retrouvé ses esprits. Un peu de dignité que diable ! Je crois que le

message est passé, mais maintenant, c’est la Péruvienne en poncho qui bave sur mon fiancé. On dirait

une flaque, c’est vraiment gênant. Nous n’avons pas le temps d’aller plus loin dans les présentations,

le directeur général et Mr Rupert Turner montent avec tout le staff sur l’estrade et s’approchent du

micro. Tout le personnel se rassemble et se tourne vers eux.

Elliot, toujours derrière moi, caresse lentement mes flancs et me murmure à l’oreille.

— Dis, Kate, c’est autorisé, une robe pareille dans le journalisme ?

— Chut, écoute, c’est important !

Je hausse les épaules, mais je connais mon Apollon, il apprécie ma tenue. Le directeur Ashby

déroule son discours, souhaite la bienvenue au personnel et nous adresse ses meilleurs vœux pour les

fêtes de fin d’année. Il continue avec les projets du journal pour 2012, et quand il évoque le
développement du site web et la nomination de Kristine à sa tête, je murmure à l’oreille d’Elliot :

— J’en fais partie, avec Dan. Nous allons collaborer à ce nouveau projet et à son développement.

— Waouh, félicitations, Princesse ! Il faut fêter ça !

Il attrape deux flûtes de champagne sur le plateau d’un serveur et nous trinquons discrètement à la

fin du discours, quand tout le monde applaudit. Quelques personnes viennent me féliciter, ainsi que

Dan, puis Elliot me prend le bras et m’emmène un peu à l’écart, dans le hall de l’hôtel. Je note

immédiatement son regard, il est fier de moi, mais je détecte aussi autre chose. Oh mon Dieu ! Cet
œil

lubrique que je connais bien.

Elliot, vilain garnement !

— Et si nous prenions une chambre ici, pour la nuit. Nous fêterions ta promotion et je

m’occuperais de cette provocation en cuir, qu’en dis-tu ?

Oh oui, bien sûr que oui, j’en ai envie ! L’euphorie de ma nomination, aidée par les quelques

coupes de champagne que j’ai bues, amplifie mon excitation et l’anticipation de la promesse d’une

nuit torride dans ce grand hôtel de la ville.

Le concierge de l’hôtel nous informe qu’il n’y a plus de chambre disponible, il y a plusieurs

séminaires et conventions ce soir, dont celle du Seattle Times, mais il nous propose une suite

« Executive Deluxe » avec un forfait célébration comprenant un très grand lit, un salon, le champagne

et le petit déjeuner. Elliot dégaine plus vite que son ombre sa carte Amex et la réservation est
conclue

dans les dix secondes suivantes.

Dans l’ascenseur, il se jette sur ma bouche les portes à peine fermées. Il râle contre mes lèvres, son

bassin plaqué contre mes hanches, je sens son érection frotter contre mon ventre.

— Oh putain Kate, tu es si sexy, si chaude dans cette robe. J’ai cru mourir d’une crise cardiaque

quand je t’ai vue dans ce salon entourée de ces hommes…


Il m’embrasse avidement, mord mes lèvres, je lui réponds coups pour coups, enfonçant ma langue

dans sa bouche. C’est hors d’haleine que nous atterrissons sur le palier, Elliot insère la carte dans la

porte de notre suite, me saisit les fesses et claque la porte du pied. Je saute autour de son cou, enroule

mes jambes autour de ses hanches et reprends mon assaut sur sa bouche. Je le veux, maintenant, je ne

suis que lave en fusion.

Elliot agrippe mes fesses. Le bas de ma robe remonte, j’ai le cul à l’air, ce n’est pas le mince string

qui peut sauver ma pudeur. Il me porte jusqu’à la table en bois massif du salon et me dépose dessus.

Ses prunelles bleues irradient de désir, ses lèvres sont gonflées de mes morsures, tout son corps est

tendu vers moi. D’un geste brusque, il défait le bouton de son pantalon, baisse le zip de la fermeture

éclair et fait tomber son pantalon ainsi que son boxer dans le même mouvement. Son sexe enfin libéré

pointe vers mon entrée. Sans même ôter mon sous-vêtement, il me pénètre d’une poussée sauvage, me

faisant reculer sur la table. Je râle sous sa poussée :

— ARRGHH ! Elliot !

Il est puissant, primitif, j’aime ça. Il y a à peine un quart d’heure, nous échangions de mondanités

avec ma direction et mes collègues, maintenant il me prend sauvagement sur la table de notre suite

d’une nuit, comme une prostituée, je suis encore vêtue de ma robe en cuir, retroussée sur ma taille. Il

me pilonne, fort, son rythme est rapide, son souffle est court. Mon amant sauvage ouvre les yeux,

verrouille son regard dans le mien, il m’allonge sur le dos d’une main ferme et remonte une de mes

jambes le long de son torse.

— Putain Kate !

— Oui, Bébé, encore… plus fort !

Je le supplie, il se déchaîne et j’explose en me cambrant sous ses coups. Elliot ne me suit pas dans

l’orgasme, il se retire soudainement, je sens son gland sonder mon autre entrée, il commence à me

pénétrer. Je hurle :
— Non Elliot, NON !

Il s’arrête immédiatement, son expression n’est que confusion, désir et excitation. Je me redresse,

hagarde, je ne suis pas prête pour cela. Je balbutie :

— Je… je suis désolée, non, je ne peux pas…

Je me dirige vers la salle de bain, les larmes coulent sur mes joues. Comment en est-on arrivés là ?

Je me regarde dans le miroir, je ne me reconnais pas. Je dézippe ma robe, retire mes sous-vêtement et

fais couler l’eau chaude de la douche. Les larmes sont intarissables, je me lave comme un robot sur

pilotage automatique.

Je sors enveloppée dans un peignoir moelleux, Elliot est dans le salon, devant la cheminée, il s’est

rhabillé et boit un verre de Bourbon. Je m’approche doucement. Il a la tête baissée, il semble perdu.

— Je suis désolée Bébé, dis-je arrivant à ses côtés, je ne voulais pas te…

— Non Kate, c’est moi qui suis désolé. Excuse-moi, je me suis laissé emporter. Je ne veux pas te

forcer, jamais. Oh putain, je suis un crétin…

Je lui caresse le dos, comme je le ferais avec un animal blessé. Il se retourne et embrasse

tendrement mes lèvres. Je le serre contre moi, mes mains dans ses cheveux. Notre baiser est doux, je

sens tous les regrets et l’amour sur ses lèvres.

— Ça va, Elliot, je vais bien. N’en parlons plus.

— Bébé, tu es extraordinaire… Que puis-je faire pour me faire pardonner ?

Je lui souris, lui caresse la joue, juste sur cette petite fossette que j’aime tant.

— Commence par déboucher cette bouteille de champagne et commande-nous quelque chose à

manger au room-service, je meurs de faim !

Il me fixe timidement, comme s’il évaluait mon état physique et mental, puis un sourire se dessine

sur ses lèvres magnifiques.

— À vos ordres, m’dame.


Nous passons le reste de la soirée à manger, à déguster le champagne et à discuter de ma future

carrière au sein du service web du journal. Tout est redevenu normal entre mon Dieu blond et moi,

notre complicité est totale.

4. Space Needle

31 décembre 2011

Je mets la dernière touche à mon maquillage, je force un peu le trait de mon smocky eyes brown,

mes yeux verts ressortent encore plus que d’habitude. J’aime de temps en temps un maquillage

soutenu, et si je ne le fais pas pour le réveillon de Nouvel An, quand alors ?

Pour faire bonne mesure, j’ai attaché sobrement mes cheveux en queue de cheval, ce qui me permet

de dégager le dos de ma robe… enfin, mon dos. Car la robe que j’ai choisie, une Versace, est très,
très

décolletée dans le dos. Le bustier ne tient que par un galon de soie brodé de sequins ton sur ton,

enroulé autour de l’épaule et à la base de ma nuque. Le décolleté plonge jusqu’au creux de mes reins.

La soie bleue électrique fait ressortir mes yeux, elle tombe en cascade sur mes pieds.

J’ai acheté avec Ana cette robe fabuleuse et je suis contente, mon amie a également trouvé une robe

splendide. Simple, noire, mais presqu’aussi décolletée que la mienne dans le dos. Ce ne fut pas une

sinécure de découvrir un modèle qui convienne, Ana entre dans son quatrième mois de grossesse et

trouver une robe de soirée qui tombe bien partout est compliqué. Elle a pris de la poitrine et son
ventre

est déjà bien formé, son état ne fait plus aucun doute.

Je suis heureuse de passer le réveillon de Nouvel An avec mon amie, c’est une façon festive de

terminer cette année riche en évènements pour nous deux. Nous avons passé notre diplôme ensemble,

déménagé de Portland et emménagé à Seattle, trouvé les hommes de notre vie, deux frères, commencé

en même temps nos carrières professionnelles. Certes, Ana a pris de l’avance en se mariant et en

tombant enceinte dans la foulée, mais, je sais que mon mariage est imminent. C’est mon tour, l’enfant
attendra ! Je ne veux pas tomber enceinte tout de suite, j’ai ma carrière qui prend un nouvel élan cette

année, et je veux profiter de ma vie de couple avec mon Dieu blond.

D’ailleurs, où est mon Apollon ? Je suis dans la salle de bain depuis presqu’une heure, et aucun

signe de vie de mon fiancé. C’est grâce à lui que ce soir, nous réveillonnerons à la soirée de gala que

donne son frère au SkyCity, le restaurant de la tour Space Needle. Christian y a réservé le repas de
fin

d’année de GEH. Mes parents sont à Aspen pour les fêtes et je n’ai pas pu avoir suffisamment de
jours

de congé pour les rejoindre. Alors, Elliot et moi sommes restés à Seattle. Ce soir, nous faisons partie

des invités à la soirée. Mia y sera également présente.

Une main dans mon dos me fait sursauter et me tire de mes rêveries.

— Tu veux vraiment ma mort ? Ou tu comptes ne pas arriver sur tes deux jambes à cette soirée ?

— Elliot ! Non, mais… tu… Ne touche pas à cette robe ! Cette merveille doit faire toute la

soirée…

Je crie, l’index levé, mais je ne suis plus choquée par les provocations de mon fiancé. J’aime son

côté mauvais garçon, son jargon de gars du bâtiment. Et surtout, j’aime son petit côté lubrique et

taquin.

Kate, tu n’es pas objective, tu es raide dingue de ce mec. Et depuis le premier jour !

Elliot recule d’un pas et me mate de la tête aux pieds. Il lève un sourcil, essuie le coin de sa bouche

avec son pouce droit et se dirige vers la douche.

Je sors de la salle de bain : cette pièce devient bien trop dangereuse si je veux pouvoir danser à la

soirée de Nouvel An.

***

Le restaurant SkyCity du Space Needle est totalement réaménagé pour la soirée, il n’a pas sa

configuration « normale », celle que je connaissais depuis d’un repas de famille que nous avons fait
avec mes parents. Beaucoup de tables ont été enlevées pour faire place au buffet géant, la piste de

danse et son orchestre. La vue est toujours à couper le souffle. Nous surplombons toute la ville, à 360

degrés. La baie de Seattle est à nos pieds, les montagnes du Mont Rainier se découpent dans le fond.

J’ai l’impression que nous sommes les rois du monde

Les invités, le personnel de GEH ainsi que les partenaires d’affaires de mon « cher » futur beau-

frère sont déjà arrivés, tous sur leur 31. Elliot me fait entrer dans la pièce, la main dans mon dos, son

pouce joue sur ma peau et m’électrise les sens. Mon futur mari sait parfaitement ce qu’il fait, le petit

sourire salace qu’il arbore depuis que nous sommes partis de chez nous me le prouve.

Elliot repère dans la foule des participants, Ros Bailey et sa compagne Gwen, nous nous dirigeons

à leur rencontre.

— Mr Grey, Miss Kavanagh, bienvenus au gala GEH.

Ros est superbe, robe noire drapée autour du cou, mettant en valeur sa fine silhouette. Gwen nous

salue chaleureusement, sa robe rouge sang fait ressortir sa peau diaphane de rousse. Un serveur

s’approche et nous propose des flûtes de champagne déposées sur son plateau. Nous nous servons
tous

et trinquons ensemble.

Gwen me demande avec un petit sourire complice où j’ai acheté ma robe, elle a reconnu la griffe

du couturier ; nous échangeons nos adresses et nos bons plans shopping.

Un homme d’une quarantaine d’années et une petite blonde s’approchent de nous, l’homme salue

Elliot immédiatement. Mon fiancé me présente Mr Lennon Bruce, directeur du chantier naval de GEH

à Seattle et son amie, Olivia. Elliot est en relation professionnelle avec Mr Bruce sur le dossier des

anciens docks qui vont être réhabilités. Ros s’excuse pour aller saluer de nouveaux arrivants, en tant

que numéro deux de GEH, elle tient parfaitement son rôle, Mr Pété de Thunes n’étant pas encore

arrivé.

Je me concentre sur l’échange que tient mon fiancé avec son interlocuteur, ce dernier confiant à
Elliot qu’il est optimiste sur le fait que Grey Construction remporte l’appel d’offres et le marché que
la

ville a passé pour ce gros projet. C’est à ce moment que le PDG Mégalo et mon amie font leur entrée.

Ana est magnifique dans la petite robe noire que je lui ai choisie, ses courbes sont mises en valeur.

Elle l’a accessoirisée à merveille avec des pendentifs et un collier en diamants. Simple et luxueux.

Je la salue :

— Steele, tu en jettes !

— Tu crois ?

Ah, Ana et le manque de confiance en elle ! Elle a toujours peur d’être à côté de la plaque, de ne

pas avoir sa place dans ce monde. Bien sûr, pour quelqu’un qui n’est pas né dans cet univers, qui
n’en

maîtrise pas les codes, le monde des « très riches et puissants » peut être intimidant. Mais mon amie

fait maintenant partie de ce monde depuis son mariage avec l’homme d’affaires milliardaire, elle va

devoir s’y faire et s’y affirmer. De toute façon, j’étais sûre de moi en lui choisissant cette robe, c’est

un bon basique qu’elle pourra remettre à n’importe quelle occasion.

Toujours avoir une petite robe noire dans sa penderie ! Coco Chanel en a fait un adage et Guerlain

un parfum !

Je décide de taquiner Ana pour la détendre. Facile, je connais son talon d’Achille :

— Comment a réagi ton mari en te voyant là-dedans ?

Elle rougit. Bingo ! Les frères Grey sont les mêmes, ils ne résistent pas à une tenue sexy !

Je me reprends et fais les présentations. Bizarre, Ana semble étonnée lorsque je lui présente Olivia.

Se connaissent-elles ? Je n’ai pas le temps d’analyser cette situation que Mia déboule comme un
chien

dans un jeu de quilles, un tourbillon de paillettes et d’énergie nous saute au cou. Elle m’attrape par la

main et me traîne sur la piste de danse. La petite blonde nous suit. Peu après, je me laisse emporter
par
la musique. Mia est en grande forme, Olivia plus réservée.

J’ondule sur la musique, Mia s’approche de moi et me parle à l’oreille :

— Je ne sais pas si tu as remarqué, Kate, mais j’en connais un qui ne passera pas la nouvelle

année. Mon grand frère est au bord de la crise cardiaque !

Elle éclate de rire et me fait un clin d’œil. Je me retourne, je sens la chaleur de deux rayons lasers

bleus qui me brûlent le dos. Elliot est sur le bord de la piste, les yeux braqués sur moi, un sourire

carnassier aux lèvres. Il n’en faut pas plus pour que je le provoque, j’ondule du bassin, roule des

hanches, je le défie du regard, par-dessus mon épaule. J’ai l’impression que nous avons commencé un

duel secret, dont nous seuls avons les codes. Les quelques mètres qui nous séparent ne coupent pas la

communication muette et corporelle.

Elliot se tend à chaque mouvement de hanche, sa langue darde entre ses dents. Quand je lève mon

bras, la tête contre mon coude, ses yeux se plissent. Il s’approche de son pas félin, saisit ma taille et

colle ses hanches aux miennes. Ses yeux n’ont pas quitté les miens.

Il feule dans mon oreille :

— Si tu continues comme ça, je te baise sur cette piste de danse !

Je sens son érection à travers son pantalon de smoking et la fine soie de ma robe. Oh, mon vilain

garçon !

— Un peu de tenue Grey ! Mr Balai-dans-le-derrière n’apprécierait pas notre petit spectacle

devant ses employés !

Il resserre son étreinte, me tient fermement le bas du dos de sa grande main, l’autre me caresse

l’épaule, descend sur mon avant-bras. Ses doigts enflamment ma peau, électrisent mes sens. Nous

nous balançons au rythme des basses, collés l’un à l’autre. Je presse son érection avec mon bassin, il

souffle dans mon cou.

D’un geste brusque, mon Dieu blond empoigne ma main et me sort hors de la piste de danse.
— Viens avec moi, râle-t-il. Suis-moi !

Il me traîne hors du restaurant, j’ai du mal à le suivre avec mes hauts talons, il marche à grandes

enjambées. Nous montons par l’escalier qui court le long du mur intérieur au deuxième étage. Je suis

essoufflée et commence à m’énerver :

— Mais enfin Grey, où diable m’emmènes-tu ? Nous ne pouvons pas quitter la soirée comme

ça !

Il ne prend même pas la peine de me répondre, il me tient la main plus fermement et me guide vers

l’étage supérieur où l’ambiance est plus calme. Les boutiques souvenirs sont fermées, les couloirs

déserts. Seule la musique du restaurant résonne en sourdine à ce niveau. Elliot continue de marcher,

sans un mot, puis s’immobilise devant la porte d’une boutique fermée, la devanture est obstruée par

des bâches. Il sort une clé de la poche intérieure de sa veste, ouvre la porte, me fait entrer d’un geste

décidé, tape un code sur le boîtier de l’alarme sur le mur, à côté de l’entrée.

Mes yeux ont du mal à s’habituer à l’obscurité, une forte odeur de peinture emplit mes narines.

— Où sommes-nous ? Nous n’avons pas le droit d’être ici, Elliot !

Il ne dit rien, avance vers la baie vitrée. Je le rejoins, mes yeux s’habituent peu à peu au manque de

luminosité. La pièce est vide, excepté des échafaudages, des bâches sur le sol et sur deux murs. Des

prises électriques pendent du plafond, mais ce qui m’étonne le plus, c’est la grande baie vitrée qui

donne sur la coursive extérieure. La vue est spectaculaire, l’obscurité de la pièce où nous nous

trouvons accentue les lumières de la ville. J’ai vraiment l’impression d’être dans les étoiles, de

dominer tout Seattle.

Je m’approche doucement de la paroi de verre, mes pieds heurtent parfois un câble sur le sol, je fais

attention de ne pas trébucher. Quand j’arrive au bout de la pièce, je ne peux retenir un petit cri

d’émerveillement :

— Elliot, la vue est à couper le souffle !


Je l’entends derrière moi, la voix grave :

— Tu n’as pas idée à quel point, Princesse.

À ce moment, un couple passe par la coursive extérieure, je recule d’un pas. Comme s’il lisait dans

mes pensées, Elliot précise :

— Ils ne peuvent pas nous voir. Durant les travaux, les vitres sont filmées d’un voile

réfléchissant, empêchant les personnes de l’extérieur de voir ce qu’il se passe à l’intérieur.

Oh, très bien !

— Où sommes-nous ?

— Dans une boutique souvenir de la Tour. Elle est fermée pour travaux d’embellissement, un de

mes sous-traitants travaille ici. Il m’a donné les clés et les codes d’alarme. Nous ne serons pas

dérangés.

Je me penche pour admirer la ville, j’essaie de me repérer en fonction des bâtiments et des rues que

je vois à mes pieds. Je sens un souffle dans mon dos, un souffle chaud. Je me fige, ferme les yeux et

écoute sa respiration. Mes muscles se contractent de désir et d’anticipation, mais mon homme ne me

touche pas. Il est silencieux derrière moi. Je sens ses yeux dans mon dos, descendant le long de ma

colonne vertébrale, sur mes reins, glissant sur mes fesses. Tous mes sens sont aux aguets, la
pénombre

de la pièce combinée à la nuit de la ville, le silence à cet étage, dans cette pièce vide où nos pas

résonnaient lorsque nous sommes entrés, le parfum boisé de l’homme derrière moi. Mon désir pulse

dans mes tempes, bat contre mes côtes, dans ma poitrine qui se soulève difficilement.

La fraîcheur de la pièce en travaux ne me fait pas frissonner, c’est mon envie de lui qui me donne

cette chair de poule sur mes avant-bras, sur mes épaules. Enfin, il me touche. Son index s’approche
de

ma nuque, trace un sillon le long de ma colonne vertébrale. Je suis sûre que son ongle laisse une ligne

rouge sur ma peau, comme un trait de dynamite qui prend feu, jusqu’au baril de poudre…
Je retiens mon souffle, tous mes sens sont concentrés sur cette ligne brûlante.

— Pourquoi ?

Sa voix est sèche, dure. Il répète sa question :

— Pourquoi ? Hein, Kate, pourquoi n’es-tu pas venue dans ma vie avant ? Pourquoi m’as-tu

laissé seul, à chercher dans l’éphémère les plaisirs que toi seule pouvais me donner ?

Je suis perdue, je ne sais pas quoi répondre. Entre son doigt sur ma peau, son souffle derrière moi,

sa voix chaude et troublante, sa question si … poignante de désespoir et d’amour.

Je souffle, je commence à trembler, et ce n’est pas le froid de cette pièce vide, ni le peu de tissu sur

mon corps qui provoquent ce frisson. Je veux me retourner, le voir, boire cette lueur dans ses yeux

bleus, mais il me bloque, m’immobilise. Je cède, reste figée, attendant la suite, il continue de

murmurer dans mon dos.

— Comment ?

Il reprend son questionnement. Mais est-ce pour moi ? Attend-il une réponse de ma part ou parle-t-

il pour lui-même ?

— Comment peux-tu faire des mondanités avec tous ces cols blancs coincés et me mettre en

ébullition d’un haussement d’épaules ? Comment oses-tu m’allumer comme la dernière des garces

d’un simple regard, avec ma famille autour de toi ? Et pourquoi j’aime ça ?

Je murmure :

— Je ne sais pas, Elliot… Parce que je le peux.

Son index s’est immobilisé au creux de mes reins, je suis en feu. La seule question que je suis

capable de me poser est : comment réussit-il à avoir tant d’effet sur moi ?

Autant au quotidien, j’ai l’impression de mener la danse, de rythmer le tempo, Elliot s’adaptant à

ma cadence, autant dans l’intimité, je lui donne les pleins pouvoirs. C’est lui le maître du jeu, il

m’entraîne avec lui, me fait découvrir son univers, son monde empli d’amour, de sexe, de plaisir et
de
partage.

À cet instant, il vient de me dire que ce serait moi qui contrôle, qui le contrôle ? Je ne sais plus, je

ne le crois pas. Je n’arrive pas à réfléchir…

Je sursaute quand je sens mon amant se pencher, saisir les pans de ma robe de chaque côté de mes

mollets et la remonter doucement. La soie bleue frôle ma peau, l’enflamme comme une traînée de

poudre, jusqu’à mon entrejambe qui se contracte. Ses doigts agrippent le tissu jusqu’à mes cuisses,

continuent à monter, dénudant mes fesses au passage. Mon cul et la fine dentelle du tanga noir se

retrouvent exposés, ma pudeur et ma dignité se sont dissoutes sous son audace. Ma respiration est

coupée depuis que ma robe a passé le creux de mes genoux, mon sexe palpite depuis longtemps.

J’essaie de voir son visage derrière mon épaule droite, mais Elliot se tient hors de mon champ de

vision. Sa main gauche quitte ma robe et se pose dans le creux de mon dos. Je me cambre

immédiatement, dans un réflexe pavlovien que lui seul a conditionné. Sa main me force à me pencher

en avant, je ploie sous sa demande silencieuse, tendant les mains en avant et les plaquant à la paroi
de

verre pour ne pas perdre l’équilibre. Le contact froid de la vitre contraste avec le feu de mon corps.

Elliot fait reposer le tissu sur le haut de mes fesses, je sais qu’il imprime chaque seconde de ce

moment dans sa mémoire, que l’image de mon cul offert restera gravée sur ses rétines pendant des

jours.

J’ai compris très vite qu’Elliot Grey faisait partie de la catégorie des hommes attirés par les fesses

des femmes. Même s’il adore ma poitrine, c’est la vue de mon cul qui lui fait perdre les pédales.

Comme je m’y attendais, son souffle m’est plus qu’un sifflement entre ses dents, il est chaud et lourd

dans mon dos. Je suis étonnée de la maîtrise et de la patience dont il fait preuve. Je l’ai connu

fougueux, ardent et impatient, mais cette fois, il prend son temps, il déguste chaque seconde, chaque

centimètre de ma peau qui se dévoile, qui se dénude. Mon tanga se désintègre, la soie noire arrachée

d’un coup bref.


Tu me le payeras plus tard, Grey, tu as intérêt à filer chez La Perla pour remplacer au plus vite

cette merveille !

Je n’ai pas le temps de prononcer l’éloge funèbre de mon sous-vêtement que ses jambes écartent les

miennes d’un mouvement ferme. Je m’exécute, me rendant compte qu’à part ce bref contact et sa

paume gauche dans le bas de mon dos, Elliot ne me touche pas. Il n’en a pas besoin, je suis trempée

d’anticipation, le sang bouillonne dans mes veines, et le contact froid de la vitre ne suffit pas à faire

baisser ma température. Je suis frustrée, je ne le vois pas, je ne l’ai pas touché non plus. Le bruit de
la

fermeture éclair de sa braguette de pantalon me signale que je n’ai plus longtemps à attendre. Il se

positionne derrière moi. J’écarte un peu plus les jambes, me cambre pour lui faciliter le passage.
Enfin,

ses mains empoignent mes hanches, je sens son prépuce entre mes fesses, frottant contre ma peau, mes

plis et enfin, il pousse en moi. J’expulse l’air que je retenais, j’ai l’impression d’être en apnée depuis

une éternité. Elliot souffle également dans mon dos, pendant qu’il continue son chemin en moi,

distendant mes chairs, me remplissant entièrement.

Je crois distinguer un murmure, à moins que ce soit un râle.

— Toi seule, Kate…

Il est tout en moi, son mouvement s’est arrêté en même temps que le début de sa phrase.

— Toi seule as ce pouvoir sur moi.

Et il claque, fort, atteignant mon cœur. Je crie sous la poussée, la sensation est intense, mon corps

réclame plus, encore, plus fort. Je geins sous son assaut. Elliot frappe trois fois en moi, dur. Ma tête

bascule en avant, entre mes deux bras tendus. C’est exactement ce que je veux, ce dont j’ai besoin.

J’aime, j’aime ça et je l’aime, lui. Soudain, la lumière de l’étage s’éteint, seules les lumières des

sorties de secours restent allumées.

Je me redresse légèrement et comprends : le décompte de minuit commence. Elliot l’a compris


également, il s’est immobilisé en moi, puis grogne :

— Serre les jambes. Maintenant !

J’obéis, mes genoux se touchent, je sens son sexe emprisonné encore plus entre mes entrailles. Ses

jambes sont à présent contre l’extérieur de mes cuisses, m’encadrant complètement. Et là, il se

déchaîne. Il me pilonne d’un rythme effréné, il me transperce, pousse de plus en plus loin. Je ne suis

plus que sensations, des décharges électriques traversent mon corps de part en part, mes jambes

commencent à se défausser sous moi. Je ne sais pas si mon corps peut en absorber plus, mes muscles

se contractent autour de lui, je sais que je suis au bord du précipice. Les palpitations d’Elliot en moi

m’indiquent que lui aussi est proche, je sens chaque pouce de sa longueur en moi, sa respiration

saccadée dans ma nuque, ses doigts qui s’enfoncent dans la chair meurtrie de mes fesses.

— Allez, Kate, viens avec moi…

Il se retire pratiquement entièrement, et claque contre mes fesses en feulant :

— Quatre.

Il recommence le même mouvement … « Trois » . Je sais que mon orgasme est là, prêt à déborder,

à m’engloutir entièrement… « Deux »… Elliot pousse une dernière fois – « Un » - et je bascule dans

une jouissance extraordinairement puissante, mes jambes ne me soutiennent plus, seules mes mains

sur la paroi de verre et les bras vigoureux d’Elliot me maintiennent en équilibre, j’explose en même

temps que le feu d’artifice qui illumine le ciel de Seattle depuis la tour où nous sommes.

— Bonne année mon amour, murmure Elliot dans mon dos.

Il m’embrasse la nuque en jouissant en moi.

5. Palmarès
Janvier 2012
J’arrive enfin au bureau, je n’ai plus de pieds, je note mentalement de prévoir des chaussures plus

confortables et plus chaudes pour mon prochain marathon de l’interview ! Kristine m’a envoyée aux

quatre coins de la ville pour faire un complément de portraits pour l’article sur l’aménagement de la

nouvelle zone des anciens docks de Seattle, et franchement, travailler perchée sur des bottes avec huit

centimètres de talons n’est plus possible, surtout en hiver.

Quand j’arrive à mon bureau, je remarque que tous mes collègues plongent le nez soit dans leurs

tiroirs de bureau, soit scrutent fascinés leurs écrans d’ordinateur. Je deviens parano ou bien il se
passe

quelque chose ? Même Dan évite soigneusement de croiser mon regard. Je pose ma sacoche sur mon

plan de travail et me connecte à ma session professionnelle. J’en ai pour dix minutes maximum, mes

textes ayant été déjà envoyés sur le serveur du journal de ma voiture. Je décide de trier mes mails

avant de rentrer chez moi, où un bon bain chaud me semble la meilleure option pour terminer cette

journée à courir les rues.

Après avoir répondu à quelques courriels internes, je parcours rapidement les newsletters des

différents médias auxquels je suis abonnée quand je tombe sur un gros titre du Seattle Nooz.

Ce torchon titre en Une avec la photo d’Elliot en pleine page :

Un autre bachelor indisponible sur le marché des célibataires de Seattle

Je clique sur l’article, mon cœur se soulève, une nausée me monte à la gorge.

Un bachelor de la ville s’est fiancé récemment, le mariage serait imminent selon nos sources.
En

effet, Elliot Grey serait sur le point de mettre la bague au doigt d’une jeune fille de bonne
famille.

Après le mariage surprise l’année dernière de son frère cadet, le milliardaire Christian Grey,
avec

une parfaite inconnue, c’est au tour de l’aîné de cette famille connue dans le monde des
affaires, de

se faire passer la corde au cou.

Mais contrairement à son énigmatique cadet, Elliot Grey est bien connu du grand public, de nos

fidèles lecteurs et de la gent féminine de Seattle : ses exploits et ses nombreuses conquêtes ayant

déjà fait la une de nos parutions.

Souvenez-vous de sa sortie très remarquée au festival Rock & Grunge il y a quelques années, au

bras de l’actrice Dita Boobs !

Pour info, Dita Boobs tourne dans de nombreux films distribués en DVD destinés uniquement
aux

adultes, son public étant 100 % masculin.

La photo d’Elliot et de cette…fille est encartée à côté du texte, elle est toutes dents dehors face à

l’objectif, lui a la tête baissée, mais il lui tient la main.

Gageons que la fiancée et future épouse d’Elliot Grey a signé un contrat de mariage en bonne et

due forme, car son futur mari est un Casanova célèbre, chef d’entreprise également réputé dans
le

milieu du bâtiment.

Le Seattle Nooz est impatient de vous faire découvrir la photo de ce nouveau couple

Meilleurs vœux de bonheur en cette nouvelle année.

OH MON DIEU !

Mes yeux dansent devant cet article immonde, ils n’arrivent pas à se détacher de la photo d’Elliot et

cette actrice de films classés X. Je me lève d’un bond, prends mon manteau et mon sac, et quitte la

pièce. Un silence de mort accompagne ma sortie.

Dans ma voiture, les larmes montent, je sens que le barrage va céder. Bien sûr, je suis au courant

du passé de Don Juan de mon homme… Je sais qu’il a eu une aventure avec Leslie, ma cousine, il y a

aussi cette garce de Gia Matteo, je connais son palmarès… Mais là, il y a quelque chose d’autre,
quelque chose que je n’arrive pas à identifier.

Pourquoi cet article me touche autant ?

Je sais que certains de mes « confrères » journalistes se délectent de ce genre d’information, que les

paparazzis gagnent des fortunes avec leurs « scoops », mais ni Elliot ni moi n’avons donné matière à

ce déferlement d’inepties et d’insinuations nauséabondes.

Sans m’en rendre compte, je me gare devant mon appartement – enfin, mon ancien appartement –

de Pike Market. J’ai toujours la clé, je m’engouffre à l’intérieur. J’ai terriblement besoin d’un verre

pour me calmer, mais il est à peine 17 heures, un peu tôt pour boire. Une larme coule sur ma joue, je

l’essuie nerveusement du dos de la main. Mon mascara dégouline, je dois ressembler à un panda. Je

me dirige vers la salle de bain où il doit rester quelques affaires de toilette, à moins qu’Ethan ait tout

débarrassé. J’ouvre la porte et pousse un cri de surprise.

Un hurlement strident me répond. Mia est emballée dans une grande serviette éponge blanche, elle

me regarde avec les yeux exorbités, la bouche ouverte.

J’arrive à articuler :

— Merde Mia, qu’est-ce que tu fous là ?

Elle me fixe et reprend ses esprits.

— Et toi Kate ? Pourquoi es-tu ici ?

— J’habite là ! ( Euh, non, plus vraiment Kate.) J’ai la clé ! Euh… je te laisse t’habiller… je

retourne dans le salon…

— Oh… OK !

Je sors de la salle de bain comme un robot. C’est bien la dernière chose que je m’attendais à trouver

dans cet appartement. À l’évidence, Mia a également la clé, car je ne trouve pas trace de mon frère.

Bon, on dirait que cela devient sérieux entre Ethan et ma future belle-sœur… sauf si je tue Elliot
Grey

avant. Zut, si Mia épouse mon frère, elle sera quand même ma belle-sœur… ce qui m’embrouille
doublement l’esprit.

Dans la cuisine, je me résous à servir deux verres de vin blanc : j’ai trouvé une bouteille dans le

casier prévu à cet effet. Quand Mia me rejoint, elle a enfilé un jean brut et un tee-shirt parme, une

serviette lui ceint la tête.

Je lui tends son verre sur le comptoir et je m’excuse en murmurant :

— Désolée si je t’ai fait peur, Mia.

— Désolée d’avoir hurlé, répond-elle avec sa moue légendaire.

— Je ne… enfin, je pensais être seule ici. Je ne t’avais pas entendue…

Je continue sans vraiment trouver mes mots, je bois une gorgée de vin pour me donner une

contenance.

— Pas de soucis Kate.

Elle me scrute à travers ses longs cils noirs. Chose étonnante, Mia Grey semble hésiter à parler, elle

réfléchit, cherche ses mots. Mais je sais ce qu’elle va dire, avant même qu’elle n’ouvre la bouche.

— As-tu lu l’article, Kate ? Dans le Seattle Nooz ?

Bingo !

— Oui Mia, je l’ai vu.

Elle pousse un petit soupir et boit une gorgée de vin.

— Ce sont des conneries… c’est… Vous devriez les attaquer pour diffamation, je suis sûre que

Papa…

Je la coupe.

— Non, Mia, je n’en ferai rien. Premièrement, ce serait donner de l’importance à ce torchon,

deuxièmement, je suis journaliste et je suis pour la liberté de la presse, même pour la presse à

scandale, et enfin, troisièmement, tu sais comme moi que… le passé de ton frère… tout cela est
vrai…

Elle repousse un soupir.


— Je ne sais pas si tout est vrai, mais c’est du passé. Elliot est amoureux de toi et il est heureux.

Je ne l’ai jamais vu aussi heureux que le soir où il t’a demandée en mariage, dans ce restaurant à

Aspen.

— Je sais. Mais ça fait mal de voir sa vie privée et le passé de mon fiancé étalés dans la presse à

scandale. Je suis journaliste, Mia, je connais les règles du jeu. Cela ne devrait pas m’atteindre, mais

c’est faux, ça me fait mal.

— Oh Kate !

Mia me prend la main, je sens que les larmes reviennent. Je bois une autre gorgée, mais le vin ne

fait pas son effet. Elle me fixe, guettant mes réactions. D’un coup, elle se lève et me prend dans ses

bras. Son geste me surprend.

— Kate, je t’aime beaucoup. Pas parce que tu vas épouser mon grand frère, non, je sais que tu es

quelqu’un de bien, que tu ne devrais pas subir tout cela.

— Merci Mia.

Ses mots de réconfort me touchent. Je renifle de la manière la plus inélégante qui soit.

— Oh, il faut que je file. J’ai rendez-vous avec ton frère. Ça va aller Kate ou tu veux venir dîner

avec nous ?

— Non, merci. C’est gentil de proposer, mais je vais rester ici. J’ai besoin de réfléchir, seule.

— Je peux te donner un conseil, Kate ?

Je hoche la tête pour l’encourager.

— Ne réfléchis pas trop, concentre-toi sur le présent. Tu vas épouser mon idiot de grand frère,

vous vous aimez, c’est cela qui est important, pas ce qui est écrit dans ce torchon. De toute façon,

demain, ils mettront une autre victime à la Une et tout le monde aura oublié cet article.

Certes, je connais le fonctionnement de cette presse, mais moi, aurai-je oublié demain qu’Elliot a

couché avec une starlette de film X ? Je n’en suis pas sûre.


Mia tourne les talons vers la chambre d’Ethan, et en ressort quelques minutes plus tard avec une

veste aubergine cintrée, son manteau et son sac à main. Elle part en trottinant sur ses talons et me
salue

d’un geste de la main en claquant la porte d’entrée.

Je me ressers un verre de vin, me pose sur le canapé. Je n’arrive toujours pas à comprendre ce qui

me touche tellement dans cet article. Le fait qu’ils évoquent le contrat de mariage ? Non, car je sais

que Papa et son armée d’avocats sont en train d’en préparer un, pour protéger mes intérêts et mes
parts

au sein de l’empire Kavanagh Media. J’imagine que Carrick fait de même de son côté pour Elliot et

Grey Construction. Est-ce parce que le Seattle Nooz insinue qu’Elliot soit un Don Juan, un cavaleur

qui risque de me tromper à la première occasion ? Malgré mes doutes permanents, je lui fais

confiance, je sais qu’Elliot m’aime, il me le dit et surtout, il me le prouve.

Je regarde la bague de fiançailles à mon annulaire gauche. Les diamants brillent et je vois l’éclat

des deux prunelles bleues qui me fixaient quand Elliot me l’a passée au doigt. Mia a raison, il n’était

qu’amour et bonheur à ce moment-là.

Non, il y a autre chose.

Perdue dans mes réflexions, je ne vois pas le temps passer, je sais juste que j’ai terminé la bouteille

de vin, toute seule comme une grande quand on frappe à la porte. Mia aurait-elle oublié quelque

chose ? Je me lève et vais ouvrir. Ma mâchoire tombe quand je vois Elliot sur le palier, une rose
rouge

à la main. Il me fixe, mais avec un petit sourire timide, comme un gamin qui vient de se faire prendre

en flagrant délit dans le vestiaire des filles par la maîtresse d’école.

Il me demande hésitant :

— Je peux entrer ?

Je ne réponds pas, mais je m’écarte de l’embrasure de la porte pour le laisser passer. Je comprends

que Mia a dû appeler son grand frère pour le prévenir que j’étais à l’appartement de Pike Market. Je
me dirige vers le salon, je sens la présence d’Elliot derrière moi. Il n’essaie pas de parler, ni de me

toucher. Je m’affale dans le canapé, il se plante face à moi, la rose toujours à la main. Il me dévisage
et

prend enfin la parole.

— T’es en colère après moi, Bébé ?

— Non. ( C’est la vérité, je crois.) Ce n’est pas toi qui as écrit ce torchon.

Il soupire. Il s’assoit à l’autre bout du canapé, il me surveille comme le lait sur le feu, redoutant un

débordement imminent. Il continue, en murmurant :

— Je suis désolé, Bébé.

— Ça suffit, Elliot !

J’explose, l’Etna entre en irruption au milieu du salon avec toutes les options : coulée de lave en

fusion, nuage de cendres et températures dignes de l’enfer !

Je hurle :

— Ce n’est pas toi qui as appelé ce torchon ! Ce n’est pas toi qui les as prévenus de nos

fiançailles ni de notre mariage imminent ! Et cette photo avec cette… cette « actrice » date d’il y a
des

années !

— Non, ce n’est pas moi. Mais c’est mon passé et ça te fait du mal, Kate. Je ne veux pas que tu

souffres à cause de moi.

Il plaide, penaud. Mais son attitude a sur moi l’effet contraire, je m’énerve encore plus. Quitte à

tout savoir, je le questionne :

— Tu as couché avec elle ? Cette Dita…

— Oui.

À cet instant, je comprends ce qui me met mal à l’aise. Je sais qu’Elliot a eu beaucoup d’aventures

féminines, qu’il a pratiquement baisé avec toutes les femmes de Seattle, de vingt ans à … quoi,
quarante ? C’est pour cela qu’il est un amant expérimenté, un Dieu du sexe. Je sais que je me

débrouille plutôt bien au lit, mais avec mes quatre partenaires précédents, je ne tiens pas la

comparaison. Et aucun d’entre eux n’était un acteur porno ! Elliot est insatiable sexuellement, il a
sans

doute expérimenté plusieurs pratiques que je n’ose imaginer. Même s’il n’est pas aussi tordu que son

sado-maso de frangin, il a sans doute pris goût à certaines choses… que je ne lui donne pas, que je ne

pourrais jamais lui donner. Cette vérité me percute de plein fouet.

Il me regarde, je suis sûre qu’il voit les rouages de mon cerveau se mettre en branle et tourner à

plein régime.

— Kate, arrête ! Arrête de te faire du mal pour rien !

— Et si… (J’ai du mal à parler,) et si on faisait une bêtise, Elliot ? Si nous marier était une

énorme erreur ?

Il hurle en se redressant.

— QUOI ?

— Oui, est-ce qu’il ne vaut pas mieux arrêter là, maintenant, avant de nous marier, plutôt que de

se rendre compte dans deux ou trois ans que c’était une erreur ?

Il fait les cent pas devant moi, la main dans ses cheveux, le visage crispé de colère et de désespoir.

Il reprend son souffle et se plante devant moi, entre la table basse et mes genoux.

— Kate, te rencontrer a été la meilleure chose qui me soit arrivée. (Son ton est ferme, dur,

déterminé.) Te demander en mariage est la meilleure chose qui me soit arrivée. T’épouser, vivre
avec

toi et fonder une famille sera la meilleure chose qui puisse m’arriver. Ne doute jamais de cela.
Jamais.

Ses paroles me coupent le souffle, les larmes me montent aux yeux. Mais je dois aller au bout de

mon raisonnement, si je ne le fais pas maintenant, il me restera des doutes. Il faut que je sache, que je

perce cet abcès. Je prends mon courage à deux mains et pose LA question :
— Et si je ne te suffisais plus… ? Et si tu avais besoin d’autre chose, de plus… que je ne peux pas

te donner ?

— De quoi parles-tu Kate ? Tu me donnes déjà plus que n’importe quelle femme a pu le faire

auparavant.

J’inspire profondément et poursuis :

— Je… je ne suis pas une actrice classée X, je n’ai pas… sa technique ni autant de… pratique. Tu

as dû faire des choses avec elle que je ne fais pas, même si avec toi… je n’ai pas de complexes.

Les larmes coulent maintenant sur mes joues, je suis mal à l’aise. Mes complexes réapparaissent,

ma peur de ne pas être à la hauteur, de décevoir, de ne pas être la perfection attendue, et que

finalement, Elliot aille voir ailleurs parce que je ne peux pas lui donner ce qu’il attend, ce qu’il aime.

Je ne sais pas s’il a compris ce à quoi je fais référence, mais il s’assoit sur la table basse, prend mes

mains dans les siennes et caresse leur dos avec ses pouces. Il plante ses grands yeux bleus dans les

miens, j’ai du mal à soutenir son regard intense.

— Kate, tu me donnes TOUT ce dont j’ai besoin. Le sexe n’est pas qu’une question de technique

ou de position. Sais-tu pourquoi tu me combles ?

— Non.

Je renifle bruyamment. Je ne comprends pas où il veut en venir. Il continue à me caresser d’une

main, de l’autre il essuie une larme sur ma joue.

— Parce qu’avec toi, j’ai découvert quelque chose d’important. Faire l’amour à la personne que

j’aime, avec mon cœur et mes sentiments, est mille fois plus intense que baiser uniquement avec ma

queue. Et ça, tu es la seule à pouvoir me le donner.

— T’es vraiment un romantique, Grey !

Je persifle entre mes dents. Mais ses paroles me touchent, il est sincère. Il sourit avec son sourire à

trois mille mégawatts.


— Ouaip, j’ai quand même apporté une rose en signe de paix!

Je ne peux m’empêcher de lui rendre son sourire, mais lui claque l’avant-bras. Inquiète, je demande

quand même :

— Tu ne te lasseras jamais de moi ?

— Jamais ! Kate, c’est moi qui ai peur en permanence que tu me quittes parce que je suis un

crétin !

— Oui, mais tu es Mon Crétin à moi ! Mon Grand Crétin !

Je me penche pour embrasser ses lèvres doucement. Notre baiser est chaste, tendre. Il reprend la

parole :

— Tu sais Bébé, j’ai toujours peur que tu me quittes. Tu es tellement forte, indépendante et libre.

Je ne suis qu’un simple artisan, qui travaille de ses mains, je n’ai pas d’empire à t’offrir, j’aime
vivre

dans la nature et pas forcément dans des palaces… Je ne suis même pas millionnaire…

Il soupire en haussant un sourcil à sa dernière phrase. Je le regarde en secouant la tête.

— Grand Crétin… je n’ai pas besoin d’un milliardaire qui m’entretienne. J’aime les belles

choses, mais sans toi, mes merveilles ne sont rien. On est une équipe, Elliot, toi et moi sommes

complémentaires.

— Alors, on se marie toujours ?

Elliot a retrouvé son ton rieur, ses deux petites fossettes creusent ses joues. Dieu que j’aime cet

homme ! Je lui réponds sur le même ton :

— Oui, pour le meilleur et pour le pire !

— Jusqu’à ce que la mort nous sépare, Princesse.

6. Sous les Tropiques

Février 2012

Christian a proposé de nous laisser utiliser le jet de GEH pour partir aux Bermudes. Elliot et moi
décollons de Sea-Tac ce vendredi soir, après le travail. Notre vol se fera de nuit pour arriver à
l’aube

sur notre île paradisiaque. Nous partons les premiers, le reste de la famille nous rejoindra dans trois

jours, la veille du mariage. Elliot est comme un gamin le jour de Noël, car il reçoit son premier

cadeau : sa carte de membre du Mile High Club4. Pour valider son adhésion, il m’offre des orgasmes

multiples dans la chambre du jet de son frère. Chose étonnante, je ne souffre pas du mal des
transports

dans ces conditions de vol : luxe et luxure sont des remèdes miracles. Je me demande si mon futur

beau-frère pourrait nous acheter un jet privé en cadeau de mariage… Serait-ce abuser ? Christian
n’est

plus à quelques millions près, non ?

Les suites ont été réservées au Fairmont Southampton, notre hôtel. Elliot et moi avons tenu à faire

le même voyage, une sorte de pèlerinage sur les lieux où notre amour s’est scellé, où nous nous

sommes vraiment découverts. Pour respecter ces souvenirs, nous avons insisté pour reprendre la
même

suite, la Deluxe côté mer, nous ne voulions pas de la suite nuptiale. Notre chambre nous rappelle de

nombreux souvenirs, nos confidences mutuelles sur nos passés respectifs.

Dès notre arrivée, nous sommes accueillis avec du champagne dans notre suite et une coupe de

fruits. Le programme de notre première journée est consacré à tous les rendez-vous avec les

interlocuteurs que j’ai déjà eus – par mail, Skype ou directement par téléphone de Seattle. Je dois

avouer que Mr George, le concierge en chef de l’hôtel, a été d’une aide précieuse. Pour
l’organisation

de notre cérémonie, l’hôtel a mis à notre disposition une équipe complète de professionnels, qui nous
a

aidés à planifier le mariage de nos rêves – de la sélection du lieu idéal que nous désirions à la

décoration florale, en passant par le menu du repas. Je suis sidérée par le travail fourni, par tous les

détails pleins de charme et de précision.


Mr George a fait des miracles dans les délais administratifs que je lui ai donnés : notre mariage

sera d’abord enregistré sur le Registre Général de l’Administration du Gouvernement des Bermudes.

Ensuite, tous les documents officiels seront transmis à notre ambassade pour valider notre union dans

notre pays, les États Unis.

Elliot me fait rire, il m’avait promis un mariage royal, et finalement, c’est un juge, le représentant

officiel de Sa Majesté Élisabeth II, qui va officier à notre cérémonie. Je sais déjà que Maman et
Grace

ne vont pas apprécier que nous n’ayons pas choisi de célébration religieuse, mais Elliot n’y tenait
pas,

et moi, pas particulièrement. Nos pères seront satisfaits de notre choix, nous aurons un soutien de leur

côté.

Pendant les deux jours de préparatifs, je suis en effervescence permanente, je ne veux rien négliger,

ni manquer le moindre petit détail. Je dois également finaliser les plans pour la journée de lundi, car
le

13 février est mon anniversaire, et je sais que mes parents et toute la famille ont prévu quelque chose

pour moi. Quant à Elliot, il reste lui-même, c’est à dire nonchalant, me répétant sans cesse « c’est

comme tu veux, Bébé. » Je me demande parfois s’il écoute le quart du tiers de tout ce que je lui

4 MHC – club de ceux qui ont fait l’amour en altitude dans d’un avion (toilettes ou cabine d’équipage
en

général, plus rarement sur les sièges passagers.)

explique quand je lui demande son avis. Le futur marié a même réussi à se faire porter absent lors de

mon rendez-vous avec le fleuriste, il s’est éclipsé discrètement arguant que le choix des fleurs n’était

pas sa spécialité… un comble !

Je sais que mon perfectionnisme peut être parfois pénible, mais comme dit l’adage, « on ne se

marie qu’une fois », enfin j’espère pour nous que ce sera la seule et unique fois. Et je tiens à que tout

soit parfait lors de notre séjour sur l’île.


Le lundi matin 13 février, le Jet de GEH dépose à l’aéroport international de LF Wade les autres

participants à notre mariage, c’est-à-dire nos deux familles réunies : Keith et Diane, Carrick et
Grace,

Ethan et Mia, et enfin, Christian et Ana. Quatre minivans sont nécessaires pour acheminer tout ce petit

monde et leurs bagages à notre hôtel. Christian a décidé de voyager léger, c’est à dire avec

« seulement » deux agents de sécurité, Taylor et Sawyer ; Muňerez étant déjà sur place avec nous.

Nos familles prennent possession de leurs suites, nous décidons de nous retrouver au restaurant de

la plage, l’Ocean Club, pour déjeuner. L’ambiance est détendue, Mia, surexcitée par la découverte du

cadre, pose des questions en rafale sur la cérémonie. Je ne veux pas tout dévoiler et Grace a
beaucoup

de mal à contenir sa fille. Ethan discute tranquillement avec Elliot et Christian, je note même que nos

deux pères semblent s’entendre, ou tout du moins une trêve a été décidée.

Après le repas, deux groupes se forment. Les hommes vont partir sur le catamaran de luxe que

Christian a loué pour une partie de pêche en mer cet après-midi ; nous avons prévu une séance au Spa

de l’hôtel entre filles. Avant de remonter au Willow Stream Spa, Ana me saisit par le bras.

— Kate, tu semblais un peu de mauvaise humeur au repas. Allons faire un tour rapide sur la plage

pour discuter, s’il te plaît.

— Non, Ana, je suis juste… préoccupée par tous ces préparatifs. Cela doit être le stress pour

demain.

Elle me dévisage, je vois qu’elle ne me croit pas. Elle attrape ma main et nous nous éloignons

tandis que le reste de la famille discute du programme pour la journée. Elle plante ses grands yeux

bleus dans les miens et demande :

— Quel est le problème, Kate ?

— Ce n’est rien, c’est juste Elliot, il semble si lointain. J’ai essayé de l’impliquer dans toutes les

phases des préparatifs, mais rien, aucune réaction de sa part. Il semble à peine concerné depuis que
nous sommes arrivés. Je pense qu’il aurait dû prendre des leçons d’organisation avec son maniaque
du

contrôle et perfectionniste de frère !

Nous rions aux éclats. Je n’ai pas ri comme ça avec Ana depuis longtemps, oh que ça fait du bien !

Ana se reprend et me parle franchement :

— Kate, Elliot t’aime. Je peux le voir quand il te regarde. Je suis sûre que c’est juste le stress, et

tu sembles tellement tout maîtriser ! Il ne veut peut-être pas interférer dans ton organisation.

— Crois-tu vraiment, Ana ? Peut-être qu’il commence à paniquer… il réalise qu’il est au pied du

mur.

— Tu plaisantes ? Ne sais-tu pas que tu es la meilleure chose qui lui soit jamais arrivée ? Son

monde commence et finit avec toi, Kate.

— Oh Ana, merci de me le rappeler.

— J’allais te donner quelque chose plus tard ce soir, pour ton anniversaire, mais puisque nous

sommes seules maintenant, viens avec moi dans notre chambre.

Nous montons dans la suite que Christian et elle occupent. Plus grande que la nôtre, c’est la même

que celle de mes parents et des parents Grey. Ana va directement dans son armoire chercher quelque

chose : une boîte emballée dans du papier cadeau.

— OK, prête ? Kate, tu dois me promettre que ce cadeau sera notre secret. Je ne veux pas que

mon beau-frère se fasse de fausses idées tordues.

— Oui, je le promets.

Nous croisons nos petits doigts et jurons.

Elle me tend le paquet joliment emballé. Je le prends et lis la carte.

La variété est le piment de la vie – A

Je déballe le présent, ouvre le couvercle avec précaution. Mes yeux s’illuminent et ma bouche

tombe au sol. Je ne peux pas croire ce qu’il y a dans la boîte. Je pousse un cri :
— Quoi ? Je ne peux pas le croire. Si ton but est de choquer ta meilleure amie et future belle-

sœur, Ana, mission accomplie !

Je commence à examiner le contenu de la boîte : un plug anal, une petite bouteille de lubrifiant, une

paire de pinces à seins, des menottes en cuir brun et une paire de boules d’argent.

— Ana, tu es une vilaine fille. Tu iras tout droit en enfer ! Elliot pourrait avoir une crise

cardiaque si je lui montre ce contenu. Putain, je ne sais même pas comment utiliser tout cela !

— La recherche ma chère, ce que ma meilleure amie m’a dit une fois : « toujours commencer

avec Wikipedia ! »

Nous tombons toutes les deux sur le lit, à rire si fort que nous pouvons à peine nous arrêter. Je

n’arrive pas à croire que la petite Anastasia Rose Steele, ma meilleure amie vient de m’offrir des
sex-

toys pour mon vingt-quatrième anniversaire. Son mariage avec le roi du BDSM a définitivement

changé la vierge de l’université, mais j’aime ce qu’elle est devenue.

Son portable sonne, interrompant notre crise de fou rire. À ce que je comprends, Christian, Elliot et

Ethan vont faire du jet-ski avant de partir sur le bateau.

— Christian, s’il te plaît, soyez prudents tous les trois. Nous avons besoin de vous tous en un seul

morceau ce soir.

Je lève les yeux au ciel, j’ai du mal à reconnaître les deux Anastasia devant moi : la timorée qui a

peur des sports « extrêmes » et celle qui vient de m’offrir un plug anal pour mon anniversaire. Elle

ronronne au téléphone :

— Rappelle-toi ce que nous avons fait après notre dernière virée en jet-ski !

Je la vois rougir quand elle raccroche. Je ne peux m’empêcher de dire :

— Ana, essuie la bave de ta bouche !

— Je sais Kate, mais je me souviens d’une séance de baise… intense !

— Ana !
Je dois me frotter rapidement les yeux : une persistance rétinienne de mon amie avec son tordu de

mari me trouble la vue.

Nous descendons au Spa, retrouver Maman, Grace et Mia qui nous attendent en peignoir dans le

vestiaire. Ana refuse le massage, prétextant que Christian lui a affirmé (catégoriquement) qu’elle n’y
a

pas droit à cause de son état – d’après différentes informations récoltées lors de ses recherches sur le

web. Ana, qui semble d’accord avec ce diktat, décide d’aller à la douche, l’eau chaude étant

parfaitement sûre pour une femme enceinte. Nous l’accompagnons et profitons des différentes

températures des jets bouillonnant sur nos corps : les senteurs vivifiantes en font une expérience

sensorielle incroyable. Ça commence par un brouillard froid qui me donne un sentiment de rosée du

matin, suivi d’une douche « pluie tropicale » imitant la pluie d’été, puis se termine avec un jet latéral

vigoureux et stimulant. Je me demande si j’aurai le temps de revenir ici avec Elliot avant que nous

partions… je sais qu’il aimerait ça.

Nous allons ensuite toutes faire un soin du visage, une manucure et une pédicure dans une cabine

individuelle. Je me sens comme une princesse choyée et j’espère que mes invitées apprécient

également. Je me dirige vers la salle d’attente privée le temps que tout le monde termine les soins. Je

mets ma tête sur le dossier du transat et ferme les yeux. Je dérive vers demain : je vais dire « oui » à

l’homme de ma vie, à mon grand amour. Ana a raison, Mia également : Elliot m’aime. Je n’ai pas à
en

douter malgré son comportement des derniers jours.

Ana est la première à sortir de sa cabine, elle semble détendue, sereine. Maman, Mia et Grace nous

rejoignent à leur tour. Nous bavardons autour d’un rafraîchissement avant d’aller dans le jacuzzi. Ana

décline la séance, elle prétexte être un peu fatiguée à cause du décalage horaire, mais je soupçonne
son

psychopathe de mari de lui interdire aussi. Grace décrète qu’elle va rester avec Ana pour lui tenir

compagnie, c’est à trois que nous nous dirigeons vers la salle du jacuzzi.
Je m’empourpre en arrivant dans la pièce, la même où Elliot et moi avions baisé lors de notre

premier séjour. Maman et Mia font semblant d’attribuer ma montée de chaleur à la température de

l’eau bouillonnante. En sortant du bain, nous retrouvons Grace et Ana à l’endroit où nous les avions

laissées, Ana dort et Grace lit un magazine.

Quand nous arrivons à sa hauteur, Grace lève le nez de ses lunettes demi-lune et Ana se réveille.

Grace me demande :

— Kate, ce soir, le voilier sera amarré au large de Saint George ?

— Euh oui, Grace, je crois que c’est ce qui est prévu. Mais il faudrait demander à Christian, c’est

lui qui a géré ça.

Ana s’étire. Elle nous regarde et murmure :

— Oui, je crois que c’est le nom de la ville dont Christian a parlé à Taylor. Pourquoi ?

— Je lisais cette brochure sur l’île, et Saint George est décrite comme la ville la plus ancienne,

colonisée en 1609. Et depuis l’an 2000, la ville est inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco. Je
me

disais qu’il serait dommage d’être ici, aux Bermudes et qui plus est, à Saint George ce soir, et de ne

pas visiter ce site. Qu’en pensez-vous ?

— Oh oui ! s’exclame Ana. Et j’imagine que nous verrons des maisons à l’architecture

victorienne anglaise !

— Pourquoi pas ? admet Maman. Puisque nous sommes toutes douchées et prêtes, nous pouvons

partir maintenant. Les hommes sont encore en mer pour leur partie de pêche, nous les retrouverons

directement sur le bateau. Est-ce que cela pose un souci, Chérie ?

Diane se tourne vers moi. Je concède :

— Non, je n’y vois aucune objection.

***

Une fois rhabillées, nous retrouvons devant le hall de l’hôtel. Ana est en train de téléphoner,
j’imagine qu’elle prévient son psychopathe et harceleur de mari, pour qu’il donne l’ordre à son sbire

de nous conduire dès maintenant à Saint George, et non pas ce soir comme c’était prévu initialement.

Mon amie doit savoir se montrer convaincante avec son mari – je n’ose même pas imaginer ce
qu’elle

lui a promis pour obtenir ce résultat – et monte dans le minivan avec un large sourire.

Sur la route, Grace et Ana admirent le paysage, Mia est muette et renfrognée. Peu après, elle me

marmonne à l’oreille :

— J’aurai préféré visiter une distillerie locale de rhum plutôt qu’une église !

Je pouffe de rire. Maman me fait ses gros yeux, mais je crois voir apparaître un début de sourire sur

ses lèvres.

A Saint George, Sawyer se gare devant Old State House qui fut le premier bâtiment en pierre

construit aux Bermudes pour accueillir le parlement. Mia traine un peu des pieds pour la visite qui,

heureusement, est brève, la bâtisse étant petite.

Puis Grace et Ana nous entraînent à Saint Peter’s Church, la plus ancienne église anglicane

d’Amérique. Grace lit son guide, Ana l’écoute religieusement. Je peine à m’extasier devant le
bâtiment

blanc, taillé à la serpe. Le clocher ressemble plus à un phare qu’à Duomo ou un Campanile. Maman

suit Grace et Ana à l’intérieur, Sawyer sur leurs talons. Je reste à l’extérieur avec Mia, à profiter du

soleil sur un petit muret.

Mia fait une mimique et imite un accent british :

— Attention, très chèèère, vous êtes assiiise sur les fortifications de 1612, votre séant riiisque

d’endommager le patrimoine mondiaaal !

J’explose de rire. Mia me fait un clin d’œil et me confie :

— Tu sais Kate, je crois qu’on va vraiment bien s’entendre toutes les deux !

Les trois touristes confirmées ressortent enfin de l’église. Ana regarde sa montre et prend un regard
de biche effarouchée. Je lui demande :

— Quoi ? Tu perds les eaux ?

— KATE ! hurle-t-elle. Non, nous sommes en retard ! Et j’ai promis à Christian que nous

arriverions au voilier en même temps qu’eux !

— Eh bien Ana, je rétorque, ce n’est pas moi qui ai souhaité visiter la ville… et heureusement !

Ton mari aurait rajouté ce méfait sur la longue liste noire qu’il doit tenir à mon encontre !

Elle ne m’écoute même pas.

— Bon, allons-y Sawyer, vite ! dit-elle à son agent. Mr Grey déteste attendre !

Nous montons toutes dans le véhicule et partons rejoindre nos hommes.

Deux petits zodiaques nous conduisent de la crique au large où le bateau est amarré pour la

soirée… ma soirée d’anniversaire.

Et ma dernière nuit de célibataire.

***

Le catamaran est magnifique, un catamaran de deux mâts, 80 pieds au minimum, un vaste salon

terrasse en teck sur l’arrière, avec des banquettes larges et des coussins moelleux dans des teintes

naturelles. Nous sommes accueillies par un steward en costume bleu marine qui nous aide à monter à

bord. Nous retrouvons nos hommes, maris et futurs époux. Ils sont sur la terrasse supérieure, discutant

une bière à la main, en tenue décontractée, pantalons blancs ou beiges en lin, chemisettes ou tee-shirt.

En les voyant tous ensemble, je me dis que nous sommes bien chanceuses. Ils sont superbes, tout en

prestance et charme, avec des styles différents. Je ne suis pas la seule à le penser, nous avons toutes

aux lèvres un sourire de groupie, de femme amoureuse. Mon regard s’étrécit quand j’aperçois Taylor

sur le pont inférieur. Je ne dis rien, je pense que c’est la concession que je dois faire pour passer une

bonne soirée sans étriper mon futur beau-frère, ou le balancer aux requins par-dessus le pont !

Une serveuse en tailleur marin interrompt discrètement nos retrouvailles et nous propose des
rafraîchissements : citronnade et cocktails à base de jus de fruits variés. Je jette un bref coup d’œil à

Mia et nous hurlons ensemble :

— Mojitos !

Ana et Grace nous regardent avec des yeux ronds, Maman en commande un également et demande

en se tournant vers les hommes :

— Alors Messieurs, la pêche fut bonne ?

— Non, pas vraiment, maugrée mon père. Nous sommes restés trop près de la côte, nous n’avions

pas le temps d’aller au large.

— L’endroit est bon pour la plongée, ajoute mon frère. Nous nous sommes régalés avec les fonds

marins !

— Ouais, mais pas une sirène en vue pour mon enterrement de vie de garçon ce soir !

Je lance un regard assassin au futur marié.

— Nous avons quand même pêché du poisson, précise Carrick, mais nous les avons relâchés.

L’hôtesse revient avec un plateau garni de beignets, crevettes, chips de fruits et petits ramequins de

sauces diverses, avocats, piments rouges et verts. Nous partageons cet apéritif dans une ambiance

détendue. Les couples se sont reformés : Ana, assise sur la grande banquette, les jambes repliées
sous

elle, discute avec son mari et Grace ; Mia est sur le ponton, les pieds dans l’eau, Ethan et Carrick à
ses

côtés. Elliot est avec mes parents, picorant dans le buffet et riant à gorge déployée.

J’ai l’impression d’être en dehors de mon corps, d’observer la scène d’un autre angle. Sur ce

bateau, il y a toute ma famille, tous les gens que j’aime et qui comptent pour moi. Nous passons un

moment incroyable, dans notre île au soleil, sur un bateau de luxe. Est-ce que c’est aussi simple, le

bonheur ?

Elliot se matérialise à mes côtés, m’embrasse doucement la joue.


— Ça va Princesse ? Tu as l’air songeur et tu n’as pratiquement rien dit depuis ta montée à bord.

— Oui, Bébé. C’est parfait, tout est parfait.

J’ai une larme qui me monte aux cils, je ne sais pas ce que j’ai à être émotive comme ça. Elliot me

prend par la taille, et m’enlace dans ses grands bras. Je crois que lui également savoure ce moment,

avec nos deux familles réunies, le clan au grand complet.

Le repas est servi sur le ponton. Il fait doux en cette soirée de mi-février. Dire qu’à Seattle, l’hiver

bat son plein, avec neige, verglas et brouillard. Sur le pont supérieur, nous assistons tous au

merveilleux coucher de soleil des Bermudes. Mes parents ayant décidé de fêter mon anniversaire, le

steward apporte du champagne, du Ruinart Blanc de blanc et dix flûtes. Maman tend une flûte à Ana,

Christian étrécit les yeux, mais mon amie qui la saisit avec un petit sourire. Keith se lève et porte un

toast :

— Il y a vingt-quatre ans, Diane mettait au monde une adorable petite fille. Depuis, Kate fait

notre joie, notre bonheur et notre fierté. Demain, elle va épouser l’homme de ses rêves, entourée de

toute sa famille. Joyeux anniversaire, ma Chérie !

Il m’embrasse sur la joue, Maman vient me serrer dans ses bras. Ethan me fait un clin d’œil et nous

trinquons tous. Je reçois beaucoup de cadeaux : des livres, des DVD, un magnifique collier en or de

chez Cartier et un sac à main, le Kelly de Hermès en cuir noir. Elliot s’approche et me tend un petit

écrin.

— Joyeux anniversaire Princesse.

— Oh, merci Bébé !

J’ouvre l’écrin Tiffany où je trouve un adorable collier en platine avec un pendentif en forme de

cœur en or blanc et diamant. Elliot m’observe, ses yeux plantés dans les miens.

— Tu as mon cœur, Bébé, murmure-t-il.

— Oh, Elliot, il est magnifique !


Il passe derrière moi et attache la chaîne à mon cou. Je l’embrasse doucement, j’entends Ethan

ricaner dans mon dos en demandant à ce qu’on prenne une chambre. Ana me fait un clin d’œil discret,

je repense au cadeau qu’elle m’a fait il y a quelques heures…

Elle comprend immédiatement et rougit un peu.

Elliot part s’isoler avec Christian et Mia sur le ponton supérieur. Que mijotent-ils tous les trois ? Je

vois Mia battre des mains comme une otarie et sautiller sur place, puis elle descend nous rejoindre,

laissant seuls ses deux frères. Elliot fait de grands gestes devant un Christian renfrogné. Merde, qu’y

a-t-il encore ? Elliot éclate de rire et donne à son frère une accolade bourrue. Je n’aime pas ça.

Il redescend et vient immédiatement me voir, un sourire victorieux aux lèvres :

— J’ai un deuxième cadeau Princesse ! Nous passerons la nuit ici, sur ce bateau ! Je me suis

arrangé avec Christian, nous l’aurons toute la nuit pour nous tous seuls !

— Dis Grey, c’est pour moi ou bien pour toi que tu veux rester ici ? Tu ne crois quand même pas

que je vais passer ma dernière nuit de célibataire avec le futur marié ? Ça porte malheur !

— Non, tu vas passer la nuit de ton anniversaire ici, et la matinée de la Saint Valentin sur ce

catamaran de luxe ! Heureuse ?

— Pfutt, je sais parfaitement ce que tu as en tête, pervers ! C’est moi ton cadeau dans l’histoire, tu

m’en dois un alors !

Il éclate de rire, je ne peux rien lui refuser lorsqu’il est comme ça… et il le sait !

***

Une fois nos deux familles parties à terre, nous restons seul à bord, enfin avec le steward. Nous

entrons dans la chambre, la cabine est spacieuse, dans les tons beige et bleu. Un grand lit trône au

milieu de la pièce, deux petits hublots ronds donnent au raz de l’eau. Elliot rit derrière moi en

s’approchant de son pas félin.

— Donc, Bébé, tu disais que tu avais besoin de moi ? Que veux-tu ?


Je me retourne vers lui et attire sa bouche sur la mienne.

— Tu me dois un cadeau d’anniversaire, Grey ! (Je murmure contre sa bouche :) Voilà

exactement ce que je voulais !

Ses mains glissent dans mon dos, sur la soie de mon haut, nos langues dansent ensemble, je le

chevauche. Ses mains descendent sur mes reins et trouvent mes fesses. Elles les pétrissent, les

massent ; ses paumes chaudes enflamment ma peau. Elliot ondule du bassin, presse mes hanches

contre son érection. Je sens son souffle chaud et court dans mon cou. Je le taquine :

— Cela fonctionnerait mieux si tu ôtais ce pantalon !

Il soulève immédiatement les hanches, je me redresse sur mes genoux pour lui faciliter la tâche ; il

fait glisser son pantalon en lin et son boxer à ses pieds. Je me rassois sur ses cuisses, admirant mon

magnifique fiancé sous moi. Il a une moue rieuse :

— Tu profites bien du spectacle, Bébé ? Aimes-tu ce que tu vois ?

Je passe la langue sur mes lèvres et fais courir mon doigt sur son torse imberbe, déjà doré par les

rayons du soleil des Bermudes. Elliot est appétissant comme un bonbon, un caramel de Noël. Il glisse

ses doigts sous mon haut, l’enlève doucement, mes cheveux tombent en cascade sur mes omoplates.

Deux lasers bleus me scrutent, ses doigts dégrafent mon soutien-gorge, dont les bretelles tombent le

long de mes bras, exposant mes seins tendus par l’anticipation de son contact. Il grogne quand je

commence à onduler des hanches, frottant mon excitation contre lui.

— Oh putain !

— Tu es si…

Je lui souris, ne trouvant pas mes mots.

— Tu n’en as même pas idée à quel point, Princesse !

Il me rend mon sourire, ses bras encerclent ma taille. Je plaque mes mains sur son beau visage,

presse mes lèvres contre les siennes. Doucement, lentement, nos bouches se superposent, nos langues
se rencontrent. Je l’engloutis dans mes bras pour approfondir notre baiser. Il gémit, un profond râle
lui

échappe. Il me soulève par la taille pour me positionner sur lui, je le saisis fermement pour
descendre

sur lui. Je souffle, je le prends entièrement, ma tête tombe en arrière, je soupire :

— Oh mon Dieu, oui.

Il grogne, me remplit pendant que je le gaine, je l’engloutis. Je murmure contre son cou, le souffle

coupé :

— Je t’aime tellement…

— Tu es ma belle, répond-il. Ma sexy future épouse, Kate… j’ai besoin de toi… toujours…

Je l’entends murmurer dans mes cheveux. Il commence à bouger, me fait glisser de haut en bas sur

son érection. Chaque mouvement n’est que pure extase, il me frappe fort ; son rythme maîtrisé me

rend folle… dedans, dehors…

— Merde, Bébé, tu es tellement prête, humide et serrée…

— Toi seul me rends prête… uniquement toi, Elliot.

Je me frotte contre son torse, mes mamelons dardent contre sa peau, il en saisit un entre ses lèvres,

suce, pince légèrement entre ses dents. Remontant ses genoux, il me pousse en arrière pour que je

m’adosse contre ses cuisses sans cesser de bouger des hanches, me pénétrant plus profondément à

chaque coup de butoir. Mon Dieu du sexe glisse son pouce entre mes jambe, trouve mon clitoris

sensible, applique une pression, tournoie autour, le titille. Je gémis sous sa poussée et son assaut.

— Oh putain Elliot !

— C’est bon, Bébé ?

— Oui… encore.

Je me penche en arrière, le souffle court, je me détends sous le plaisir qui monte, je sens mes

muscles se resserrer autour de son membre. À travers mes yeux à demi clos, je vois son sourire :
Elliot
scrute chaque mouvement de mon visage, adaptant ses gestes à la moindre de mes réactions. Sa

concentration est telle que je suis parcourue d’un frisson – il le remarque immédiatement. Il sait ce

qu’il fait de moi, il est tout à moi.

— Ça, c’est ma fille. Profite bien, Bébé. Joyeux anniversaire !

Il me sourit, chacun de mes muscles est si contracté que cela va vite devenir douloureux. Je me

cambre cherchant ma libération, l’orgasme salvateur. Chaque coup de reins me transperce, chaque

pression de son pouce me déchire, sa main libre masse mon sein, le pétrit, pince mon mamelon entre

son pouce et son index. Sa poussée devient plus forte, plus profonde. Je n’aurais pas cru possible
qu’il

puisse aller encore plus loin en moi.

— C’est bien Bébé… Viens, jouis pour moi !

Je ne peux pas parler, ma gorge n’émet que des râles. J’atteins mes limites, mon corps tout entier se

donne à lui. Les spasmes commencent, je me tends, m’écrase une dernière fois sur lui. Nos regards se

verrouillent et j’explose en criant son nom. Secouée par les vagues de mon incroyable orgasme, je
sens

Elliot me rejoindre dans le plaisir, se contractant à son tour. Je le gaine pour l’emmener encore plus

haut. Il tremble sous moi, sa poitrine se soulève difficilement puis relâche l’air comprimé dans ses

poumons.

Doucement, nous rejoignons le monde réel, ici dans cette chambre, sur le voilier en pleine mer.

Elliot halète contre mes seins, il m’embrasse doucement la peau. Mes bras le bercent. En posant un

baiser sur le haut de sa tête, je murmure dans ses cheveux :

— Tu es à moi, Elliot.

— Oui Kate. Toujours, Bébé, toujours.

7. Mariage

14 février 2012
Le matin, un vent tourbillonne dans la suite de mes parents : l’équipe de coiffure et de maquillage

de l’hôtel vient de terminer, nous sommes prêtes à nous habiller pour le mariage.

En me voyant sortir de la chambre, Mia s’exclame :

— Kate, tu es magnifique ! Tu fais une très belle mariée. Je suis tellement heureuse pour Elliot et

toi !

— Merci, mais ne me fais pas pleurer. Maintenant, va prendre les robes pour les demoiselles

d’honneur et nous serons toutes prêtes.

Mia doit déjà sortir sa robe de la housse, parce que j’entends une certaine agitation de l’autre pièce.

Il m’a fallu une minute pour mettre ma robe, je suis prête à partir. Je me regarde dans le miroir du

salon de la suite, je suis satisfaite du résultat : ma robe de mariée est un fourreau en dentelle
mordorée,

avec un profond décolleté dans le dos – le tissu recouvre à peine ma chute de reins. Le devant est
plus

sage, seul le bombé de mes seins tend la soie. Mes cheveux sont remontés en un chignon souple, une

grosse mèche tombe en anglaise dans mon dos, soulignant la profondeur du décolleté. Des fleurs de

frangipanier sont piquées dans la masse, assorties à mon petit bouquet blanc. Une douce odeur émane

de ma chevelure, le parfum est envoûtant. J’ai fait le choix de ne pas porter le voile avec ma robe. La

cérémonie n’est pas religieuse et je ne respecte pas tout à fait les critères de ce symbole. Par contre,

Maman a tenu à me prêter la bague de sa mère, ma grand-mère maternelle décédée il y a plusieurs

années. C’est un solitaire en saphir, monté sur un simple anneau en or. J’ai mon objet ancien, prêté et

bleu. Je jette un dernier regard au miroir et je réalise : Oh mon Dieu, ça y est ! Je suis sur le point de

me marier !

Je me retourne, vois Ana sortir de la chambre.

— Merde Ana, tes seins semblent énormes ! Tu es rayonnante !

— Oui Kate, je crois que j’ai pris un bonnet de tour de poitrine depuis le premier essayage !
Maman fait la moue et essaie d’ajuster le tissu au mieux pour que le décolleté d’Ana soit décent.

Mia sort enfin, un tourbillon de mousseline pêche virevolte dans la pièce. Elle piaille :

— Je l’adore ! Diane, elle est sublime !

Maman et Grace lèvent les yeux au ciel, mais sourient devant tant d’exubérance. Nos mères ont un

tailleur crème, Maman a accessoirisé le sien avec de grands sautoirs en or, Grace porte une capeline

géante. Je crois que ma belle-mère aime, pour un mariage, avoir sur la tête une soucoupe volante.

Nous partons toutes dans le minivan conduit par Sawyer : direction notre plage. La cérémonie a

lieu sur le ponton, « notre » ponton, celui où nous avons partagé le coucher de soleil et un des dîners
le

plus romantique qu’il existe. Mia ne cesse de papoter dans la voiture, je crois comprendre qu’elle

aimerait rester quelques jours de plus pour découvrir l’île. Grace ne semble pas aussi enthousiaste
que

sa fille à cette idée.

Plus nous nous approchons, plus une boule au ventre enserre mes entrailles. Est-ce normal ? Est-ce

que toutes les futures mariées ressentent ça avant la cérémonie ? Je n’ai aucun doute sur notre amour,

Elliot me l’a encore prouvé ce matin, lorsque nous nous sommes réveillés sur le bateau. Il m’a fait

l’amour tendrement, en guise de cadeau de la Saint Valentin.

Quand Sawyer ouvre la porte du véhicule, j’ai les jambes qui flageolent. Maman me prend le

coude.

— Allez ma Chérie. Prête ?

— Oui Maman, allons-y et finissons-en !

Nous traversons le restaurant, arrivons sur la plage. J’ai du mal à reconnaître cet endroit. Le

fleuriste a fait un travail exceptionnel : chaque piquet du ponton est recouvert de fleurs tropicales,
des

alpinias rouges et roses, des lianes de bougainvilliers blancs courent le long de la rambarde. Les
quatre
poutres qui soutiennent le toit sont également dissimulées sous les guirlandes de fleurs. Une console

étroite est disposée au bout du ponton, une nappe en dentelle anglaise la recouvre, un bouquet de

fleurs du paradis est posé sur le côté droit. Le juge et le greffier que nous avons rencontrés il y a deux

jours attendent debout. Je vois Carrick et Papa, en costume beige, qui discutent avec eux. Christian et

Ethan sont juste à côté. Le photographe de l’hôtel est là également, il mitraille déjà décor et

participants.

Merde… mon cœur s’arrête. Elliot ?

Il n’est pas là. Je ne le vois nulle part.

Putain, c’est quoi ce plan ? Où est Elliot ? Je vais le tuer, le massacrer.

Nous arrivons devant le ponton, toujours aucune trace d’Elliot. Je sens que je vais m’évanouir.

Maman me tient fermement le bras, elle vient de réaliser le problème, mais ce qui m’étonne le plus,

c’est le regard et le sourire des hommes. Ils nous fixent, ne semblant ni inquiets ni étonnés de

l’absence du futur marié.

En tournant la tête, je vois un jeune garçon près de la plage. Diego… le jeune lad du ranch voisin

où j’avais loué deux chevaux pour une balade sur la plage. Je ne comprends pas. Et là, je les vois.

D’abord le cheval, la jument blanche. Puis Elliot assis dessus, trottant tant bien que mal, puis
galopant

à petites foulées. Il a un sourire crispé lorsqu’il me voit.

Oh mon Dieu ! Mon prince sur son cheval blanc !

J’en ai le souffle coupé. Une larme coule sur ma joue.

Elliot est magnifique dans son costume blanc, une fleur de frangipanier à sa boutonnière. Il est

superbe, il est à moi.

Il repasse au trot puis au pas quand il arrive à notre hauteur. Nous sommes encore toutes sur la

plage, les hommes se sont rapprochés. Diego saisit les rênes pendant qu’Elliot descend de sa
monture,
une petite grimace aux lèvres. J’éclate de rire et me précipite dans ses bras. Il a son sourire à trois

mille mégawatt et me dit très fier :

— Tu voulais un prince charmant sur son cheval blanc, Princesse ! Me voilà !

— Tu es complètement dingue, Elliot Grey ! Mais tu es mon dingue à moi !

Je l’embrasse. J’entends quelques applaudissements derrière nous, puis la voix de mon père.

— Humm, les enfants ! Il va falloir y aller, le juge Philip n’attendra pas toute la nuit !

— Oui Papa, nous arrivons.

Diane, Grace, Mia et Ana nous rejoignent sur le ponton leurs conjoints respectifs. Les parents

s’installent sur les chaises devant la table, Mia et Ana sont sur la gauche, Christian et Ethan se
tiennent

à droite.

Elliot me prend le bras, enroule le sien autour et me fait un clin d’œil.

— C’est parti, Bébé ! Oh putain, tu es sublime dans cette robe !

— Oui, merci. T’es mal mal non plus ! Allez, show must go on !

Nous remontons jusqu’à la plate-forme et nous positionnons devant le juge.

Il commence la cérémonie :

— Nous sommes réunis ici aujourd’hui pour partager avec Katherine et Elliot un moment très

important dans leur vie. Leur amour et leur compréhension de l’autre ont grandi et mûri avec le
temps,

et maintenant, ils ont décidé de vivre leur vie ensemble en tant que mari et femme. Qui donne cette

femme en mariage à cet homme?

— Nous le faisons, dit mon père en se levant.

Le juge reprend la parole, il annonce :

— Mrs Anastasia Grey a une lecture à partager. Mrs Grey ?

Ana s’avance d’un pas, sort une feuille de papier de sa pochette, se racle un peu la gorge :
— C’est : Le mariage de Jacques de Bourbon-Busset5, poète français.

« Moment délicieux de deux cœurs qui s’unissent

Amour partagé pour le meilleur et le pire

Radieux espoirs d’un foyer qui se tisse

Interminables échanges de mots doux, de soupirs


Anneaux scellant un bonheur infini
Goutte pure de rosée qui fait fleurir vos âges

Et mûrir votre amour en un superbe fruit

Deux âmes qui frissonnent, c’est cela le mariage

S’aimer l’un l’autre la main dans la main


Et triompher traversant les orages
Se retrouver tout au bout du chemin

La route est longue pour ce très beau voyage


Chantez dansez ensemble soyez joyeux
Que vos cœurs vibrent sur la même harmonie

Remplissez la coupe de l’autre et tout heureux

Savourez ainsi cet amour qui vous unit. »

Je crois que je pleure, je regarde mon amie et lui murmure :

— Merci Ana.

Le juge Philip reprend la parole :

5 Nom de plume d’un diplomate français, membre de l’Académie française : Jacques de Bourbon,
comte de

Busset (1912 / 2001)

— Un mariage est plus qu’une célébration de l’amour qui vit dans notre cœur, dans ceux d’Elliot

et Kate aujourd’hui. Il inscrit dans l’avenir et proclame ses intentions pour demain. Un couple s’unit

non seulement par l’affection mutuelle et la promesse d’aimer qu’ils partagent, mais aussi par leurs

espoirs, les rêves et par leurs promesses de ce qui sera. Les promesses et les vœux qu’ils font en ce

jour doivent les guider dans leur avenir commun.

« Kate et Elliot, je crois que vous avez des vœux à échanger.

Je prends la parole la première, je n’ai pas besoin de regarder la feuille que j’ai préparée. Je sais ce

que je veux dire, je laisse parler mon cœur.

— Elliot, tu es venu dans ma vie quand mon avenir semblait soigneusement planifié, tu as

bouleversé mon monde. Tu savais que j’avais mes réserves concernant l’amour, il a fallu que tu sois

convainquant, pour me monter tout l’amour que tu as dans le cœur. Il y a eu des moments où tu aurais

pu renoncer, je te suis reconnaissante de ne pas l’avoir fait. Tu as un cœur plus grand que le Grand

Canyon, tu donnes tant aux gens que tu aimes. J’ai l’impression que nous avons déjà vécu une vie

entière ensemble, tant de choses en si peu de temps. Des bonnes comme des mauvaises. Mais jamais
tu
n’as abandonné, tu as continué à me prouver que ton amour est réel, constant, total.

« Je te promets de t’aimer, de me tenir à tes côtés, toujours. Je crois en toi, plus que je ne crois en

moi. De tout mon cœur, je te prends, Elliot, pour mon bien-aimé, en reconnaissant et en acceptant tes

faiblesses et tes points forts, comme tu le fais pour les miens.

« Je te promets d’être fidèle et solidaire, de toujours faire de notre amour et notre bonheur ma

priorité. Je vais être ta femme, dans l’abondance et dans la misère, dans la maladie et dans la santé,

dans l’échec et dans le triomphe. Je vais rêver avec toi, marcher à tes côtés, où nos vies peuvent nous

mener.

« Tu es mon ami, mon homme, mon amant, mon amour et ma vie, aujourd’hui et pour toujours.

Les larmes coulent sur mes joues quand je termine mes vœux. Elliot les essuie de son pouce, ses

yeux sont également emplis d’émotion. Il se racle la gorge et commence ses vœux :

— Kate. Je ne peux pas expliquer ce qu’il s’est passé le jour où je t’ai vue. Je savais, sans l’ombre

d’un doute, que mon cœur allait commencer et finir avec toi. Le reste n’était que détails. Tu sais,

j’aurais attendu une éternité que tu viennes à moi. Tu m’as appris la persévérance, la ténacité. Tu
m’as

appris à croire, en moi, en nous. Tu m’as aidé à voir mon propre potentiel, tu ne m’as jamais laissé

abandonner.

« J’aime ta beauté, ton intelligence, ta bienveillance et ta compassion pour les gens que tu aimes.

J’aime ta fidélité, en tes valeurs, en tes amis, en toi même. J’aime ton caractère de feu, même quand
je

suis sous le tir. Toutes les qualités – et les quelques défauts – que j’aime en toi font de toi une

partenaire incroyable, une épouse parfaite pour la vie, pour ma vie.

« Kate, je te promets que je vais prendre soin de notre amour ; je vais aimer, honorer, respecter, toi

et ton cœur.

« Je t’aime depuis le moment où je t’ai vue et jusqu’à mon dernier souffle, je t’aimerai toujours.
Je suis en larmes, je me penche pour l’embrasser doucement, un baiser chaste, mais plein d’amour.

Quand je me retourne, je vois que toute l’assemblée essuie leurs yeux… sauf Christian et Papa.

Je tiens Elliot par la main quand le juge Philip interrompt ce moment d’émotion :

— Puis-je avoir les alliances s’il vous plaît ?

Mia et Christian nous donnent les anneaux de platine que nous avons choisis chez Tiffany. Le juge

continue :

— La bague au doigt de la main gauche, le côté du cœur. Ce symbole a été utilisé pour le mariage

parce que pendant des siècles, les gens croyaient qu’il y avait une veine allant directement à partir de

ce doigt jusqu’au cœur. Ils croyaient aussi que les paroles prononcées lors de l’échange des alliances

symbole de la perfection, l’achèvement et l’éternité – résonneraient encore et encore, à travers le


cœur

et l’âme des deux époux, comme la plus sacrée de toutes les promesses. La promesse d’une vie en
tant

que mari et femme.

« Elliot, placez la bague au doigt de Kate et répétez après moi : Moi, Elliot te prend, Katherine,

pour épouse. Je vais t’aimer et t’honorer, te respecter et te chérir tous les jours de ma vie.

Elliot embrasse l’alliance avant de la glisser à mon doigt.

— Moi, Elliot te prend, Katherine, pour épouse. Je vais t’aimer et t’honorer, te respecter et te

chérir tous les jours de ma vie.

— Katherine, placez la bague au doigt de Elliot et répétez après moi : Moi, Katherine, te prends

Elliot, pour légitime époux. Je vais t’aimer, t’honorer, te respecter et te chérir tous les jours de
ma

vie.

J’embrasse son alliance à mon tour et lui passe à l’annulaire gauche.

— Moi, Katherine, te prends Elliot, pour légitime époux. Je vais t’aimer, t’honorer, te respecter et
te chérir tous les jours de ma vie.

— En les pouvoirs qui me sont conférés par Sa Majesté la Reine Elizabeth II, je vous déclare au

nom de la loi, mari et femme. Vous pouvez embrasser la mariée, Elliot.

Sous les applaudissements de nos familles, Elliot m’embrasse tendrement. Je lui rends son baiser,

tout l’amour que nous partageons est scellé dans ce baiser.

Ensuite, nous signons les registres que le greffier nous présente et serrons la main au juge Philip, le

remerciant chaleureusement pour la cérémonie.

À cet instant, le ciel rougeoie, le soleil entame sa descente vers la mer. Le timing est parfait, nous

avons souhaité ce moment exceptionnel pour notre mariage. La petite assemblée se lève, nous rejoint

devant le spectacle du soleil couchant.

Elliot, derrière moi, me serre par la taille. Il caresse mon dos nu, un frisson me parcourt le long de

la colonne vertébrale, jusqu’à mes reins. Il murmure dans mes cheveux :

— Je t’aime. Je t’aime, Kate. Mrs Katherine Grey.

— Je t’aime plus encore, Elliot. Et c’est Kavanagh-Grey, ne l’oublie pas !

Je le sens sourire dans mon dos, nous avions convenu que je garderai mon nom de jeune fille

accolé au sien.

Lorsque le spectacle de la nature se couchant est terminé, nous recevons les félicitations de nos

familles. Baisers, accolades et larmes.

Reprenant mes esprits, je me retourne vers mon mari – oh, j’adore l’appeler comme ça ! – et lui

fais un petit signe de tête. Il comprend immédiatement mon signal. Nous nous dirigeons vers l’angle

droit du ponton où deux lanternes thaïlandaises sont posées. Nous les allumons avec les allumettes

préparées à cet effet, et nous les lâchons… Nos deux lanternes montent dans le ciel étoilé de la nuit

des Bermudes.

Je prends la main d’Elliot et déclare doucement :


— Pour nos chers disparus, ils ne sont plus là en ce moment de joie, mais ils sont à jamais dans

nos cœurs.

J’envoie une prière silencieuse à Kim, parce que ma meilleure amie me manque aujourd’hui. Elliot

serre ma main, je sais que sa lanterne et sa prière sont pour ses parents biologiques.

Quand les deux lanternes ont complètement disparu dans les étoiles, Maman s’approche et

m’embrasse sur la joue. Elle a pleuré.

— C’était magnifique, Chérie. Kim veille sur toi de là-haut. Je sais qu’elle est heureuse pour toi.

Un serveur interrompt les effusions en posant sur la petite table un assortiment d’amuse-bouche ;

un autre sert les flûtes de champagne. Nous trinquons tous et nous nous approchons du buffet. Le

ponton s’illumine soudain, des guirlandes électriques dissimulées dans les fleurs éclairent la terrasse
et

le toit. Les lumières se reflètent dans l’eau, dansent sur les vagues. L’ambiance est féerique ! Le

photographe nous demande de poser pour faire quelques clichés, des couples, de la famille au grand

complet. Ana, Maman, Ethan et moi discutons quand des notes de musique résonnent.

Je me retourne brusquement et vois Christian derrière un piano, Mia est assise à côté de lui avec un

violoncelle et Elliot est debout, sa guitare semi-électrique à la main. Je reconnais immédiatement les

premiers accords : U2, All I Want is You. Notre chanson…

Elliot chante doucement, me fixant droit dans les yeux. C’est magique, un merveilleux cadeau.

Quand ils ont terminé, je me précipite dans les bras de mon homme, l’embrasse fougueusement en

murmurant des « merci » contre sa bouche. Il me lâche et fait un clin d’œil à son frère et sa sœur.

La musique reprend : Coldplay Paradise. C’est magnifique, mon groupe et ma chanson préférés.

Grace a les yeux humides en regardant ses trois enfants jouer ensemble. Le torrent de ses larmes

inonde le ponton. Tout l’amour et la fierté de la mère de ses trois « bébés » se lisent sur son visage.

Carrick lui tient les épaules, je crois qu’il a une larme à l’œil également.

Quand la dernière note s’arrête, je saute dans les bras de Mia, lui colle un gros baiser sur la joue.
Durant l’étreinte, j’entrevois Christian debout derrière sa sœur. J’articule silencieusement un « merci
»

en lui faisant un clin d’œil. Il hoche la tête avec un petit sourire aux lèvres. Ana s’approche de son

mari, lui dépose un chaste baiser. Je note qu’elle aussi articule un « merci » reconnaissant.

Le restaurant a installé une petite sono, quatre baffles sur l’estrade. Elliot et moi ouvrons le bal, sur

une valse lente. Il me tient serrée contre lui, nos familles nous rejoignent.

— Alors, heureuse Bébé ?

— Oui Elliot, quelle merveilleuse surprise ! C’est cela que tu complotais hier soir sur le bateau,

avec ton frère et ta sœur ?

— Oui, j’avoue ! Je leur avais envoyé les partitions. Je suis content du résultat, nous n’avions pas

eu le temps de répéter ensemble.

— C’était parfait Bébé, parfait.

Elliot plonge sur ma bouche. Je lui attrape la nuque et lui rend son baiser.

La chanson suivante est Sinatra : Fly me to the Moon. Les couples se mélangent, Carrick danse

avec Mia, Ethan avec Maman, Grace avec Christian. Papa m’entraîne sur la piste tandis qu’Elliot fait

tournoyer Ana dans les airs. En le voyant faire, Christian grogne, mais sans aucun effet sur son frère.

Mon amie rit à gorge déployée quand mon grand idiot de mari la dépose au sol. La danse terminée, il

l’embrasse sur le front, elle rougit.

Les serveurs ont discrètement aménagé la plate-forme, le repas peut être servi. Langoustes entières

grillées, purée de patates douces et petits légumes.

Mia se lève et fait tinter son verre, elle frappe sur son verre avec la pointe de son couteau pour

attirer l’attention de tout le monde.

Ding-ding-ding.

Elle semble nerveuse comme si elle n’avait rien préparé comme discours.

— Je suis heureuse que nous soyons toutes et tous réunis aujourd’hui pour célébrer les noces de
Kate et Elliot. D’abord, je voudrais remercier Kate pour sa persévérance et sa ténacité. A partir d’un

simple harcèlement pour une interview, elle a réussi changer le cours de nos vies. Notre famille s’est

agrandie au point que je vais bientôt être Tatie.

Mia regarde Ana et Christian avec un sourire béat. Elle se ressaisit et continue :

— Kate sait ce qu’elle veut et où elle va. Tu peux être fière de toi, pas seulement pour ta récente

promotion mais aussi parce que tu as réussi à dompter l’indomptable Eliott et lui passer la corde au

cou. (Elle baisse un peu la tête et murmure sur le ton de la confidence :) Elle a même réussi à me

convaincre d’annuler ma commande de sculpture sur glace et d’abandonner un magnifique buffet Grey

Gourmet… pour une escapade sur une île paradisiaque. Et je suis contente qu’elle l’ait fait.

Elle reprend de sa voix normale :

— Kate, tu es comme cette mer qu’on voit au loin. Tu sembles calme et douce, mais les vagues

ne sont pas loin. À marée haute, tu nous emmènes, tu nous aides à nous remettre en question, à

avancer, à nous améliorer. Quand on revient sur terre, on a l’impression d’être meilleur – grâce à toi.

Tu ne triches pas, tu ne mens pas. Tu vis, tu agis, tu ne t’excuses pas. Et surtout ne le fait jamais.

« Tu as changé ma famille, tu as changé mon grand frère qui, à tes côtés, a encore grandi. En plus,

tu n’es pas venue seule. Grâce à toi, Christian a rencontré Anna et moi j’ai connu Ethan… (Mia bat

des cils quand elle fixe mon frère.) Ethan que j’adore ! Oh oui, j’en suis folle, dingue, mais comme je

ne veux pas que ce mariage se transforme en bain de sang, je ne peux pas faire de déclaration devant

mon père, mes frères… et Ethan, qui compte beaucoup pour moi.

Alors qu’elle se reprend son souffle avec difficulté, j’intercepte le regard ravi de Maman. Je ne

peux pas dire que Papa, Christian ou Elliot aient une expression aussi bienveillante.

— Kate, continue Mia, tu étais mon amie, aujourd’hui tu deviens officiellement ma belle-sœur,

mais depuis le premier jour de notre rencontre à Bellevue, je te considère comme ma sœur. Pour moi

aussi, tu es omniprésente : tu m’aides, tu me conseilles, tu m’orientes dans ma vie privée comme dans
ma carrière. Tu me soutiens et tu as toujours les mots justes.

« Kate, tu es le tsunami de nos vies. Tu as tout changé et je ne pourrais jamais assez t’en remercier.

« Elliot, je ne pourrais être plus fière et plus heureuse pour toi qu’aujourd’hui. Te voir marié, posé,

installé… pour de bon, c’est merveilleux. Qui d’autre que Kate pouvait te comprendre ? Elle a vu
que

derrière le pitre, le clown, il y avait quelqu’un de bien. Un homme fort, intelligent, courageux,

sensible, une vraie perle. Elle a su te trouver et je suis sûre qu’elle prendra bien soin de toi. En
même

temps, elle a intérêt. Je ne serai jamais loin avec ma batterie de couteaux prête à intervenir en cas de

besoin.

« Je vous aime tous les deux de tout mon cœur et je vous souhaite tout le bonheur du monde.

Santé !

Une éruption d’acclamations surgit de partout. Je me lève et fais à ma belle-sœur une étreinte

« spécial Kavanagh ».

Nous nous asseyons pour le dîner. Le cadre est merveilleux. Tout le monde profite des mets et de

l’ambiance. Jamais je n’aurai pu imaginer une scène plus parfaite !

À ma grande surprise, Christian se lève pour porter un toast.

— Je veux juste dire à mon frère à quel point je suis reconnaissant de l’avoir dans ma vie. Je sais

que je n’étais pas facile, Elliot, mais tu as toujours été là pour moi. Même la nuit où j’ai dû aller
sauver

une demoiselle en détresse dans un bar (pourri) de Portland. Je ne savais pas à l’époque que ta vie

comme la mienne serait pour toujours changée. Ana et moi sommes heureux pour vous. Buvons à la

santé de Kate et d’Elliot.

Nous trinquons tous, nos flûtes tintent dans la nuit.

***

Le repas terminé, nous retournons sur la piste de danse, la sélection d’Elliot est… éclectique. Nous
passons d’un rock endiablé à un tango, du disco à une valse enlevée. Il y en a pour toutes les

générations, tous les styles. Mon Dieu, que j’aime danser avec mon mari !

Le dessert arrive. Je suis plus que surprise de voir sur la table un élégant gâteau de trois étages,

dans les tons pêche et blanc (assortis à ma robe). Mia bat des mains, fière d’elle. Je lui souris

béatement, ce gâteau de mariage est parfait ! Elliot m’attrape par la taille et me tend un immense

couteau pour découper le gâteau. J’empoigne le couteau et taille des parts dans la pièce montée –

hmmm, délicieuse ! Fruits exotiques, mangue, ananas et crème fouettée.

Ana s’approche de moi, elle dépose une bise sur ma joue.

— Kate, Je t’ai aimée comme une sœur depuis notre première rencontre à WSUV, maintenant

nous sommes vraiment sœurs. N’oublie pas que les mariages heureux commencent quand nous

épousons celui que nous aimons. Je te souhaite un mariage aussi heureux que le mien.

J’étreins mon amie.

— Dis Steele, tu aurais pu imaginer tout ça il y a un an ?

— Non Kate, jamais. Même dans mes rêves les plus fous.

Christian s’immisce entre nous. Il pose une main possessive sur mon amie et nous dévisage tour à

tour. Je continue comme s’il n’était pas là.

— Tu sais Ana, je crois que c’est mieux que gagner à la loterie !

— Pfut, l’argent !

Elle pouffe de rire. Je lève les yeux au ciel.

— Tout le monde pensait que je ferai un grand mariage, avec des centaines d’invités fortunés,

dans une débauche de luxe, de fleurs et de cadeaux. Mais tu vois, Ana, ce mariage intime, ici, sur
cette

ile paradisiaque, c’est vraiment moi. C’est nous deux, Elliot et moi. Tous ceux qui comptent sont là !
Il

n’y a que José Rodriguez qui me manque !


Je note que Christian me foudroie du regard. Il ne m’en faut pas plus pour démarrer au quart de

tour :

— C’est quoi ton problème Grey ? Tu ne supportes pas les amis de ta femme ? Tu devras t’y

faire, je suis de ta famille maintenant, pour le meilleur et pour le pire !

— Ne pousse pas le bouchon trop loin, Katherine.

Son ton est létal et je m’en contrefous. Ana me fixe de ses grands yeux, mais elle se tait. Je n’ai pas

le temps de clouer le bec à mon meilleur ennemi parce qu’un tintement de verre nous fait tourner la

tête. Ethan est debout, sa flûte à la main. Elliot revient près de moi et me prend la main.

— Ma chère sœur, commence mon frère, je suis comblé aujourd’hui de te voir si heureuse. Ce

mariage s’est déroulé non sans peine, mais qui d’autre que toi aurait pu nous surprendre et nous

emmener en jet privé sur une île ? Personne, car tu es unique. Tu es belle, intelligente, généreuse,

altruiste, fidèle. Tu es présente pour les gens que tu aimes et féroce quand il s’agit de les protéger.

KAK, tu es quelqu’un d’extraordinaire.

« Je suis fier d’être ton frère. Je suis heureux que tu aies enfin rencontré quelqu’un à ta hauteur.

Elliot est un homme fort qui, je n’en doute pas, saura prendre soin de toi. Tu as trouvé en lui

quelqu’un qui pourra t’épauler, te soutenir et sur qui tu pourras te reposer. N’aie aucune crainte de

l’avenir, il t’aime comme un fou. Il te sera fidèle et restera à tes côtés, pour le meilleur comme le
pire,

dans la richesse comme dans la pauvreté – ce qui risque de vous arriver rapidement après une de tes

virées shopping !

J’entends quelques gloussements dans l’assemblée. Grrr, qui ose ?

Ethan continue son toast :

— … dans la joie et quand tu seras de mauvaise humeur, ou même quand tu seras insupportable.

Elliot a déjà survécu à l’ouragan Kavanagh ! (Mon frère se tourne alors vers mon mari :) Elliot, je

t’apprécie, mec. Tu es pour moi le grand frère que je n’ai jamais eu. Tu es devenu un vrai. En plus, tu
combles ma sœur ? Je n’aurais pu rêver de meilleur beau-frère sur terre.

« Prends bien soin d’elle, j’y veillerai. Félicitation à vous deux, santé !

Je saute au cou de mon frère, Elliot lui fait une bourrade – typique homme des cavernes.

Oh mon dieu, je suis comblée !

Je crois que je deviens sénile – je radote – mais je ne pourrai être plus heureuse que maintenant.

8. Nuit de Noces
Elliot
Ça y est, c’est fait ! Je suis un homme marié… moi, Elliot Grey, Marié !

J’ai dit « oui » à la femme de ma vie, à ma Kate.

Ce mariage a été riche en émotions, des préparatifs à la cérémonie. J’ai eu tout le mal du monde à

manigancer mes surprises : ma fiancée contrôlant tout, mon emploi du temps était plus que serré.
J’ai

dû m’éclipser lors du rendez-vous avec le fleuriste pour aller au ranch. La Miss n’a pas apprécié
mon

départ, je crois qu’elle m’aurait volontiers découpé en morceaux pour nourrir les requins avec
mes

tripes.

Mais j’ai réussi mon coup ! Je suis arrivé sur un cheval blanc pour épater ma Princesse… Et
même

si mon cul a souffert quand ce foutu canasson s’est mis au galop, mon arrivée au mariage sur

« notre » plage a été spectaculaire !

Pour moi, toute la cérémonie s’est déroulée dans une sorte de brouillard. De fortes émotions
m’ont

étreint le cœur, j’ai lutté pour retenir mes larmes. Kate était si belle, si rayonnante dans sa robe
dorée

toute en dentelle ! Je n’ai vu qu’une chose : l’amour dans ses yeux – son amour pour moi !

Ce qui m’a vraiment satisfait, c’est la réussite de ma dernière surprise. Mia et Christian ont joué
le

jeu, Mia avec son enthousiasme habituel, Christian à reculons, mais je n’en attendais pas moins
de

lui ! Qu’il est chiant quand il s’y met ! Je leur avais envoyé les partitions des versions
instrumentales

pour qu’ils puissent découvrir les morceaux, mais nous n’avons pas eu le temps de répéter
ensemble.

Je suis très content du résultat, je savais que cela ne poserait à mon frère aucun problème
technique,

je m’inquiétais seulement pour Mia, ne sachant pas si elle continuait à pratiquer le violoncelle.

Bien sûr, le premier morceau était When All I Want Is You, de U2. Notre chanson. Celle où nous

nous sommes dit « je t’aime » pour la première fois. Et puis Coldplay, le groupe préféré de ma
Belle.

Paradise était la chanson de la situation : un lieu paradisiaque pour un événement féerique.

Putain, je suis un sacré veinard d’épouser une femme telle que Kate ! Je sais que je ne me trompe

pas, elle sera ma femme, jusqu’à mon dernier souffle.

Toutes les femmes ont reçu une rose rouge en cadeau, car le jour de mon mariage coïncide avec la

Saint Valentin. Mia a fait des plaisanteries sans fin à ce sujet, prétextant que je n’oublierai pas à

l’avenir la date de mon anniversaire de mariage. Qu’est-ce qu’elle peut être pénible parfois !

***

Une fois la soirée terminée, nous sommes rentrés à l’hôtel. Arrivé devant la porte de notre suite,

j’ai pris mon épouse dans mes bras et l’ai embrassée, puis je lui ai fait passer le seuil dans mes
bras.

Kate a ri.

— Porte-moi jusqu’au lit, mon doux prince !

Bien sûr, j’ai obéi immédiatement : ce que Princesse veut, Princesse obtient !

Dans la chambre, je suis resté pantois : bougies et pétales de roses traçaient un chemin jusqu’au

lit. J’ai déposé doucement Kate avant d’ouvrir la bouteille de champagne et d’en servir deux
verres.

Je lui ai tendu le sien, et me suis assis à ses pieds. Nous avons entrelacé nos bras et bu dans le
verre

de l’autre.

— Je t’aime, Mrs Kavanagh Grey.

— Je t’aime plus, Mr Grey.


Je pose les verres vides au sol et la prends dans mes bras. Je défais ma cravate mordorée, assortie

à la robe de ma femme ; elle commence à déboutonner ma chemise. Je fais courir ma main le long
de

son visage et en continuant vers le bas entre ses seins. J’atteins son dos nu, glisse mes doigts sous
la

soie. Un frisson électrique la parcourt, elle frémit à mon toucher. Je laisse tomber une bretelle de
sa

robe, fais descendre doucement le fourreau jusqu’à sa taille. Elle se lève, je continue ma descente
et

sa robe tombe sur le plancher. Elle se tient devant moi, vêtue seulement un minuscule string blanc.

— Dieu, Bébé, tu es si belle.

Je la guide sur le lit, ôte rapidement mes chaussures et mon pantalon. Elle m’attend, respire

rapidement, se lèche les lèvres avec envie. Je l’enjambe, embrasse sa bouche, son cou et ses seins.

Elle roule ses hanches vers moi, je sais que nous sommes tous les deux prêts. Je désintègre sa
lingerie,

et la pénètre très vite. Nous trouvons notre rythme. Je veux chérir et apprécier chaque instant.
Faire

l’amour à cette femme qui est pour la première fois mon épouse. La tension monte et nous sentons

l’autre frémir, l’orgasme mutuel est proche. Elle crie mon nom, se cambre et nous jouissons
ensemble.

Je m’effondre sur elle, la fais rouler pour qu’elle soit au-dessus de moi.

— C’était très romantique Mr Grey.

— Oui, ça l’était, Mrs Grey.

— Eh bien, si tu en as terminé avec les cœurs et les fleurs, je voudrais essayer quelque chose

d’un peu plus … « aventureux ».

Je ne sais absolument pas où elle veut en venir, mais je suis prêt à tout lui accorder ce soir.

— Tout ce que tu veux, Mrs Grey.

— Tout ? Et arrête avec tes Mrs Grey, on dirait que tu parles à ta mère ou à Ana. J’ai
l’impression d’entendre ton frère !

— OK, Kate, n’importe quoi !

— Attends-moi ici. Je reviens tout de suite.

Elle sort du lit et file dans la salle de bains. Je nous ressers une flûte de champagne en
l’attendant.

— Es-tu prêt, mon amour ? demande-t-elle depuis la salle de bain, en minaudant.

— Toujours, Bébé.

Elle ouvre la porte et prend la pose dans un ensemble bustier-tanga en dentelle noire. Elle

s’approche du lit d’une démarche aussi sexy que possible. Elle me tend une boîte et me dit de
l’ouvrir.

Je lui donne son verre de champagne, qu’elle empoigne et boit comme si elle y cherchait un peu de

courage. Je suis sûr qu’elle manigance quelque chose. J’ouvre la boîte et… mes yeux sortent de
leurs

orbites.

— Putain de bordel de merde !

J’ai le cerveau qui disjoncte, les neurones qui grillent et à la vue de tous ces sex-toys, ma bite me

fait déjà mal. Putain, un plug anal, des menottes et des pinces à seins, et des… boules de geisha ?
Tout

mon corps part en vrille, mais… est-ce que Kate sait ce qui l’attend si je commence à utiliser ces

jouets ? Je n’arrive pas à croire qu’elle me propose ça ce soir, le soir de notre nuit de noces !

Je la regarde, elle sourit. Je lui demande pour m’assurer que c’est bien ce qu’elle veut :

— Vraiment Kate?

— Oui, vraiment.

— Bébé, juste avec de la lingerie, tu m’as.

— Oui, mais je le veux.

Je tends la main vers elle et râle férocement :


— Maintenant, ramène ici ce beau cul ! Je veux te baiser jusqu’à la semaine prochaine !

Sur le corps de ma femme, mon parcours commence à son cou jusqu’à la pente douce de ses

épaules. Son odeur est incroyable ! Je mordille et lèche sa clavicule, ses seins parfaits ; les petites

bosses dures de ses mamelons frottant contre ma joue. J’essaie de ne pas rompre le contact, ma

langue trace un chemin vers le centre de chaque pointe à téter. Les gémissements et soupirs de
Kate

sont de la musique douce à mes oreilles, ils m’encouragent à prendre mon temps avec elle, à
retenir

ma passion et l’amour que j’ai pour elle.

— Elliot, s’il te plaît.

Je murmure entre ses seins :

— Quoi, Bébé, de quoi as-tu envie ?

Je veux qu’elle me le dise, qu’elle me supplie. J’ai désespérément besoin de l’entendre.

La peau en feu, elle appuie son humidité contre ma cuisse. Ma main se déplace vers son sexe, je

trouve ses plis humides. Mes doigts glissent facilement à l’intérieur pour trouver ce point sensible
qui

provoque chez elle un autre râle.

J’insiste pour qu’elle me parle :

— Dis-le, ma chérie. Dis-moi.

— Je dois… Je dois…

Déjà à bout, Kate appuie son bassin de façon à engloutir mes doigts. Je les sors et taquine son
petit

clito dur. L’odeur de son excitation, épaisse et âcre, me rend fou et m’amuse à la fois. Je ne peux

résister à l’envie de mettre mes doigts dans ma bouche et les sucer. Elle écarquille les yeux, puis
elle

se redresse pour m’embrasser d’un mouvement brusque de la langue. Ma lionne est excitée,
j’adore
son côté sauvage.

— Je te veux en moi. Maintenant. J’ai besoin de sentir tout de toi.

Oh bordel ! Elle n’a pas à me le dire deux fois ! J’attrape le plug anal. Je sais que Kate refuse la

sodomie – pour le moment –, mais elle a déjà accepté mes doigts. Je réalise que ce jouet, acheté
pour

notre nuit de noces, est un immense cadeau. Parce qu’elle me fait confiance, elle se donne à moi,

entièrement.

J’insère le plug dans sa fente humide. Elle se crispe de surprise, puis de plaisir.

En l’embrassant sur la joue, je murmure :

— Oui, Bébé, c’est bien.

Elle est tellement trempée que je n’aurai pas besoin du lubrifiant. Je fais tourner le plug en elle,

puis le ressors doucement. Elle grogne, elle est prête, elle en veut plus. Je le sais. J’insère
doucement

le sex-toy dans son autre entrée. Kate se cambre. Je sens ses ongles dans mon dos, mais elle
accepte

la pénétration.

Je lui demande à mi-voix :

— Tu me veux, Bébé ?

— Oui… toi !

Elle halète, pas loin de l’orgasme. Mais je tiens à aller doucement. Je ne veux pas que cette

expérience soit douloureuse pour elle, surtout pas ce soir. J’ai déjà joué avec des plugs, j’ai déjà
eu

des partenaires qui appréciaient l’usage des sex-toys, mais Kate n’a jamais été jusque-là – avec

personne. Et je ne veux pas penser à ses ex ce soir. Elle est ma femme, elle est à moi.

— Bébé, si c’est trop, dis-le-moi. Promis ?

— Oui. Elliot, viens !


Dans un mouvement rapide, je suis sur elle, mes hanches forçant ses jambes à s’écarter. Je me

penche pour que mon prépuce taquine son clitoris. Puis je pousse dur, elle crie. Me tenant

parfaitement immobile, je la fixe jusqu’à ce qu’elle ouvre les yeux. Je les verrouille, bleu sur vert,
et

quand je sais que Kate ne va pas détourner le regard, je commence à pousser en mouvements lents
qui

plongent profondément dans ses espaces sacrés. Ma femme se contracte autour de mon sexe, me

tenant les fesses jusqu’à ce que je sois au fond, au plus profond de son corps.

Mon Bébé ! Elle est trempée, chaude, serrée autour de mon membre, mais à cause du plug, elle du

mal à s’adapter à toute ma longueur en elle. Je le sens aussi, bordel, que c’est bon ! Chaque va-et-

vient la rend haletante, laissant échapper des gémissements dans ma bouche. Ses mains sont

fermement sur mes hanches, me tirant, puis se déplaçant, elles vont vers mon visage, mes cheveux.

Kate me regarde avec des yeux brumeux de plaisir.

Putain, elle aime ça ! Elle aime cette sensation. Quand je frappe contre ses parois, le plug la
masse

de l’intérieur… et moi aussi. Je ne vais pas tenir longtemps à ce rythme.

Nous nous embrassons avec une vigueur renouvelée, nous ne sommes pas loin tous les deux

d’atteindre notre apogée.

Je murmure :

— Bébé, viens pour moi.

Sur commande, ses muscles se crispent, son pouls bat autour de moi et son orgasme vient, vite et

fort ; je continue mes mouvements effrénés en elle, la remplissant complètement. Nous jouissons
dans

la nuit, la peau collée, l’un contre l’autre. Son orgasme continue, encore et encore, je continue à

onduler doucement, jusqu’à ce qu’elle commence à se détendre en gémissant.

— Mmm.
Je m’étire dans un grognement. Le souffle chaud de Kate reprend un rythme normal. J’ôte

doucement le plug. Elle grimace. Je m’inquiète tout de suite :

— Ça va, Bébé ?

— Oh putain… c’était…

— Merci Princesse… tu es extraordinaire !

— Je t’aime, Elliot.

— Je t’aime Kate.

Elle s’endort dans mes bras. J’ai le nez dans ses cheveux qui sentent la fleur de frangipanier.

Je suis au paradis.

9. Journée Mémorable

Fin février 2012

Je me réveille. Je suis à Seattle, dans notre grand lit sous les étoiles. J’ai rêvé que j’étais encore sur

la plage des Bermudes, sur notre ponton, en train de danser… J’ai chaud. Ce n’est pas dû à la chaleur

du soleil des Caraïbes, mais à mon mari, Elliot. Bel et bien réveillé, il est collé sur ma peau ; ses
lèvres

appuient doucement contre ma chair et il dépose des baisers sur les monticules supérieurs de mes

seins. Je marmonne à demi endormie :

— Que fais-tu ?

— J’embrasse tes seins, murmure-t-il.

— Je vois ça.

Je passe mes doigts dans ses cheveux, sa bouche presse légèrement contre ma peau. Le poids léger

de son corps gisant contre le mien est sensuel et accueillant.

Mon Dieu blond trace doucement le bord de ma chemise de nuit de ses lèvres, puis les plonge en

dessous de la soie beige pour exposer un mamelon.

— Regarde ce que j’ai trouvé ! halète-t-il.


— Tu n’as rien trouvé du tout. Tu savais que c’était là !

— Oui, mais c’était caché et je l’ai trouvé. Et sans les mains !

Sans hésiter, il aspire mon mamelon dans sa bouche, glisse ses bras autour de ma taille et appuie

sur ma poitrine avec son visage, il tète.

— Hmm. Sexe… Mmm… du matin.

Je gémis, empoigne sa tête d’une main et lui caresse les cheveux de l’autre.

— Qui a dit que nous allions avoir des relations sexuelles? marmonne Elliot, mon sein encore

dans sa bouche.

— Ce petit soldat, au garde-à-vous contre ma cuisse, semble vouloir quelque chose. Viens ici, toi.

J’enveloppe mes bras autour de lui et le tire vers moi.

— Je suis en route !

Il sourit, se déplace vers le haut et s’appuie sur ses avant-bras, colle sa bouche sur la mienne. Ses

lèvres glissent doucement. Nos langues se trouvent, tournent dans nos bouches. Ses boucles tombent

entre mes doigts quand je caresse ses cheveux et masse son cuir chevelu. Ma jambe s’enroule autour

de ses cuisses.

Mon Dieu blond murmure en me caressant le visage :

— Que tu es belle quand tu es à moitié endormie !

— Tu es très mignon quand je suis à moitié endormie aussi !

— Tu vas payer pour cette remarque plus tard, Kavanagh.

— Je l’espère bien, Grey.

Je lui donne un demi-sourire et plaque sa bouche sur la mienne :

— Maintenant, viens ici et finis ce que tu as commencé.

— Putain, je suis content de t’avoir épousée ! grogne-t-il.

Il prend ma bouche avec la sienne. Je veux fondre sous la chaleur de sa main. Il survole mes
courbes, ma poitrine, autour de ma taille, en bas de mon abdomen, autour de ma hanche jusqu’à mes

fesses et l’arrière de ma cuisse. Ses doigts remontent ma chemise de nuit en soie par l’ourlet ; ses

mains sous le tissu retracent le parcours, cette fois contre ma chair. Il s’arrête et masse mes fesses,

soulève ma nuisette jusqu’ à ma taille.

— Bordel, tu es si chaude… murmure-t-il contre mon oreille.

Sans réfléchir, mes hanches commencent à onduler et à se frotter contre lui.

— Et douce…

Son érection est si dure qu’elle semble douloureuse, il la presse contre moi. Je sursaute quand ses

doigts s’insèrent à travers les plis entre mes cuisses.

— Et mouillée.

Je passe sous lui, haletante, et entoure sa taille de mes cuisses, tandis qu’il continue de faire aller et

venir ses doigts en moi, à frapper tous les bons endroits. Il roule ses hanches à nouveau, son érection

glisse entre mes jambes. Un autre mouvement de hanches, et je remonte mes genoux lui permettant de

se positionner à mon seuil.

Elliot relève la tête en douceur, ricane un peu :

— Oups ! J’ai trouvé autre chose.

Je regarde son beau visage, ses yeux bleus fixés vers moi, nous échangeons un sourire

d’anticipation.

Elliot penche la tête vers moi, ses lèvres trouvent les miennes une fois de plus, ses hanches roulent.

Derechef, il pousse à l’intérieur et, se balançant doucement dedans-dehors, il a enfin sa pleine

longueur en moi. Je peux sentir mes parois se serrer doucement contre lui, autour de lui, l’attirant

encore plus profondément en moi. Il soupire en posant son front contre le mien.

— Putain, je suis tellement bien en toi…

— Donc, ne t’arrête pas…dis-je dans un souffle.


Mes cuisses encerclent sa taille, il commence à sortir, puis entrer de nouveau. La sensation de son

corps dans le mien est incroyable. Le sentiment qu’il me remplit aussi bien physiquement

qu’émotionnellement est indescriptible.

Je murmure, ma main posée sur son beau visage :

— Je t’aime, bébé.

— Je t’aime aussi.

Il enfouit sa tête dans mon cou et recommence à pousser et tirer. Mes bras l’engloutissent, mes

doigts se plantent dans son dos tandis qu’il s’enfonce rythmiquement et régulièrement. Ma respiration

est en lambeaux, mon ventre tremble sous ses coups de butoir, encore et encore. Des contractions

aléatoires palpitent autour de son membre, il continue sa route dans et hors de mon corps. Chaque

muscle entre mes cuisses est tendu, mes hanches ondulent dans un rythme vieux comme le monde. Il

nous pousse tous les deux vers cette apothéose, ses coups deviennent plus rapides et plus forts. Mon

oreille est remplie avec le son de sa respiration saccadée, comme si lui-même était en train de se

perdre dans le plaisir de l’instant. Il gémit à chaque poussée vers l’avant, l’air se précipite hors de sa

poitrine.

À chaque coup, mes entrailles frémissent, secouent mon corps avec plaisir et excitation.

— Viens bébé.

Il murmure contre mon cou, puis se lève pour se soutenir sur ses avant-bras et me regarde dans les

yeux :

— Viens. Donne-toi à moi, Bébé.

Je hoche la tête, je tente de reprendre mon souffle, mais je sens mon corps endolori céder. Je veux

me fondre en lui, j’ai besoin de me perdre en lui. Chaque poussée me pousse de plus près du bord,
me

conduit vers ma libération. Finalement, mon corps ne peut pas en prendre plus, il est allé aussi loin

qu’il peut aller. Je suis sur le bord, ne demandant qu’à tomber avec lui. Avec un peu plus de roulis de
ses hanches, il me donne l’assaut final.

— Oh merde, bébé.

J’ai le souffle coupé, mon esprit devient vide, je le serre dans mes bras et enterre ma tête contre son

cou. Chaque muscle en moi explose, les spasmes commencent contre lui, je tremble dans ses bras.

— C’est ma fille, murmure-t-il contre ma joue. C’est mon bébé. Je t’aime.

Pendant que je gémis sous les derniers soubresauts de mon orgasme, il commence à rouler ses

hanches à nouveau, claque doucement puis retrouve rapidement de la vitesse et de la détermination.


Je

suis encore palpitante, mais à chaque poussée, j’enfonce mes doigts dans ses fesses en essayant de le

tirer aussi loin que je peux. Ses grognements et gémissements sont si sauvages et érotiques, il monte

vers son propre orgasme, jusqu’à ce que finalement j’entende un gémissement fort.

— Ahhh, merde !

Elliot presse contre moi. Mon corps absorbe ses frémissements, il tremble sous les secousses, perdu

dans le plaisir. Tenant sa tête dans une main, je le tire vers moi avec l’autre et murmure :

— Tu es à moi, Elliot. Je t’aime tant.

En quelques secondes, son corps se détend contre le mien, nos bras serrés autour de l’autre, il est

toujours en moi.

— Ohhh, putain oui, Princesse.

Il me tient, me berce dans ses bras. En un instant, il me regarde et frotte son nez contre le mien :

— Oui. Je suis à toi Kate. Tout à toi. Chaque pouce en dehors et à l’intérieur de toi. Je suis à toi.

Je glousse un peu :

— J’aimerais que tu puisses rester à l’intérieur toute la journée. (Caressant doucement ses

cheveux, j’embrasse son nez.) J’aime t’avoir ici.

— Eh bien, puisque je ne peux pas aller au bureau avec toi accrochée ma queue, je suppose que

j’ai besoin de bouger.


— Nooon. Ne pars pas, s’il te plaît.

Je le taquine. Il se radoucit et se détend contre moi. Je peux sentir qu’il commence à se ratatiner et

à se retirer. Je prends doucement ses couilles dans ma main et les masse.

Il me fixe, surpris :

— Que fais-tu?

— Je veux plus.

— Tu veux toujours plus, tu n’en as jamais assez. Tu es insatiable.

— C’est pour ça que tu m’aimes et que tu m’as épousée !

— Ce n’est pas la seule raison, mais, oui, j’aime ça chez toi !

— Juste une fois de plus ? S’il te plaît ?

Je bats des cils, fais une petite moue et continue à le caresser, sachant qu’il n’est pas en mesure de

résister. Je peux le sentir croître à nouveau.

— Oh putain, femme… Si tu continues, nous ne sortirons jamais de ce lit. (Il gémit). Mais s’il te

plaît, ne t’arrête pas.

— C’était mon plan.

Je lui décoche un sourire carnassier. Il ricane :

— Je commence à vous connaître, toi et tes plans !

Il halète, ses paupières se ferment et sa tête se détend. Il roule des hanches au-dessus de moi, je le

piège dans mes bras et l’attire vers moi.

Je crois qu’on va tous les deux être très en retard au travail pour ce premier jour de reprise, mais à

cet instant, c’est le cadet de mes soucis !

***

Quand j’arrive au bureau, je suis vraiment en retard. Je rentre le plus discrètement possible dans la

cabine de l’ascenseur, mon iPhone vibre. Un message d’Elliot :


Courage pour ta première journée, Mrs Grey.

J’ai adoré notre réveil, hâte de finir ce soir ce que j’ai commencé ! E.

Mon dieu ! Mon mari est aussi insatiable que moi ! Après nos deux câlins dans le lit au réveil, nous

avons pris ensemble une douche très… coquine. Je suis une épouse comblée, mais une employée très

en retard. Je n’ai pas le temps de lui répondre, le « ping » de l’ascenseur m’indique mon arrivée à
mon

étage.

Kristine Wilson, la rédactrice en chef du Seattle Times Web, déboule dans la grande salle

commune et fait claquer son fouet. Parfois, je me demande si ma chef ne fait pas partie du même club

que mon beau-frère « adoré », celui des dirigeants adeptes du BDSM. J’écarte cette image d’un

mouvement de tête et me dirige vers la salle de réunion. Dan et trois autres de mes collègues sont
déjà

installés autour de la table, un pichet de café fumant devant eux. Je me demande si j’ai le temps de me

servir une tasse que Kristine prend la parole immédiatement.

— Maintenant que Kavanagh a eu l’obligeance de nous honorer de sa présence, nous pouvons

commencer.

Je m’assois, rouge de honte, sans piper un mot ; tous mes collègues me dévisagent, l’œil

réprobateur ou amusé. Kristine continue son briefing du matin.

— Vous le savez tous, les primaires pour les élections présidentielles ont commencé. Le 6 mars,

l’État de Washington organisera son caucus6, lors du Super Mardi7. Les électeurs voteront pour

désigner le candidat républicain à l’investiture. Kavanagh, vous allez intégrer le service politique
dès

cette semaine, pour vous familiariser avec l’équipe et leur façon de travailler. Vous suivrez avec eux

tous les meetings de la côte Ouest et les différentes étapes de la campagne jusqu’au 6 novembre, jour

de l’élection présidentielle.

Je fixe ma responsable ; je sens l’excitation de ce nouveau challenge me picoter l’échine. Je sais ce


que cette affectation au service politique implique : des déplacements, de plusieurs jours, des
journées

marathon à chaque étape, un rythme de folie dans chaque ville.

Mon mari ne dira rien, je le sais déjà, mais il ne va pas apprécier que je parte en tournée de

campagne électorale dans les prochains mois. Je pressens que ce soir, les retrouvailles avec mon
Dieu

blond seront « tendues », mais pas dans le sens qu’il imagine. Mais je sais également qu’Elliot

respecte ma carrière, il comprend que c’est important pour moi, jamais il ne m’interdirait de partir

travailler et faire ce que j’aime.

J’écoute d’une oreille discrète ma chef donner la ligne éditoriale pour le site internet du Seattle

Times, répartissant les sujets entre mes collègues. Dan me surveille du coin de l’œil, il a bien
remarqué

que j’avais depuis longtemps décroché. Je me compose un visage impassible et griffonne quelques

notes pour me donner bonne conscience ; je me sers aussi une tasse de café.

La conférence de rédaction terminée, Kristine me demande de rester en me faisant juste un signe de

la tête. Houlà, je vais prendre un sérieux savon pour mon retard de ce matin ! Je me tortille sur ma

chaise en attendant que le couperet tombe.

— Kate, je veux vous voir en particulier pour que nous puissions parler de votre mission au sein

du service politique.

Je relâche l’air comprimé dans mes poumons… Ouf, je ne serai pas guillotinée aujourd’hui !

J’opine de la tête et laisse parler ma rédactrice en chef.

— Vous serez en charge des interviews, plus précisément des portraits. Pas ceux des candidats, ni

des hauts représentants politiques. Les journalistes politiques sont plus aguerris avec ces
personnalités,

ils s’en chargeront tout au long de la campagne. Ce que j’attends de vous, ce sont les portraits des
gens

de l’ombre, ceux que nous ne voyons pas lors d’une campagne électorale : les Spin Doctors8, les
nombreux conseillers qui entourent les candidats, les militants, les électeurs… Je veux des portraits

originaux, non conventionnels. Je veux un angle d’attaque mordant, loin du politiquement correct. Je

sais que vous êtes la personne parfaite pour ce type d’article.

Je continue de hocher la tête ; j’ai l’impression de ressembler aux petits chiens que l’on voit parfois

sur la plage arrière de certaines voitures.

Ma chef continue :

— N’hésitez pas à bousculer tout ce petit monde ; je ne veux pas la soupe habituelle servie aux

journalistes à tous les meetings. N’ayez pas peur d’aller loin, d’être impertinente, et si cela pose un

6 Événement électoral pendant lequel les habitants d’un État américain élisent leur candidat à la
présidence.

7 Super Tuesday désigne aux États-Unis, le premier mardi de mars d’une année d’élection
présidentielle, le

jour où de nombreux États votent et désignent les candidats qui se présenteront début novembre.

8 Conseiller en communication et marketing politique agissant pour le compte d’une personnalité


politique, le

plus souvent lors de campagnes électorales.

problème, je prends l’entière responsabilité de vos papiers. Lâchez-vous, Kate, demandez-leur si


leurs

épouses votent comme eux, fouillez leurs vies pour trouver des choses intéressantes, demandez s’ils

prennent de la drogue ou s’ils sont gay, je m’en fous !

Je manque recracher la gorgée de café que je venais de prendre ! Oh mon dieu ! « Êtes-vous gay »

était LA question choc de mon premier portrait ! Il concernait celui qui est maintenant mon beau-frère

« adoré », l’époux ma meilleure amie : Christian Grey ! Je me demande si Kristine l’a fait exprès, je

sais qu’elle a lu mes références avant de me proposer ce stage au Seattle Times, il y a neuf mois de

cela. Je crois que je suis pivoine écarlate. Comme Ana

Ma rédactrice en chef me scrute avec un petit sourire aux lèvres et reprend la parole :
— Allez au service politique, ils vous attendent.

Je ramasse mon calepin et mes affaires, me lève prête à partir. Kristine m’interrompt dans mon

mouvement.

— Et félicitations, Kate, pour votre mariage. Au nom de l’équipe, je vous adresse tous nos vœux

de bonheur.

— Merci Kristine.

Je file de son bureau pour regagner le mien, où Dan m’attend. Dès que je m’approche de lui, il me

dévisage, comme pour vérifier que j’ai toujours ma tête accrochée à mon cou.

— Ça va ? Elle n’a pas été trop dure avec toi ?

— Non, pas un mot sur mon retard. Merci de t’inquiéter.

Il n’ose pas me regarder dans les yeux. Je ne sais pas pourquoi il semble gêné, mais il marmonne :

— Alors, cette petite escapade nuptiale ? Ça s’est bien passé ?

— Oh oui, Dan, c’était paradisiaque ! Mais tu sais, je ne vais pas avoir le temps de rêvasser sur

mon nouveau statut de femme mariée, j’ai du pain sur la planche !

— Oui, j’ai cru comprendre ! Au fait, j’ai vu la photo dans le Seattle Post. Tu étais

resplendissante !

— Merci, je dois te laisser, je suis attendue au service politique. Désolée, nous discuterons plus

tard.

Je file vers les ascenseurs en lui faisant un petit salut de la main. Je repense à la photo de notre

mariage qui a été publiée dans le journal d’information de Kavanagh Medias. Elliot et moi, sur la

plage avec nos deux familles réunies. Papa a insisté pour un communiqué dans une de ses parutions,

d’abord parce qu’il était fier d’annoncer le mariage de sa fille, mais surtout pour dissuader les

paparazzis de nous traquer. En prenant les devants et en publiant un cliché officiel, nous coupions

l’herbe sous le pied de la presse à scandale qui n’aurait pas manqué de nous traquer pour avoir une
photo du mariage. Même Christian a convenu que c’était la bonne tactique à adopter, il déteste la

presse et les paparazzis. Au moins, ce cliché et les quelques lignes qui l’accompagnaient, étaient

contrôlés.

Je profite de me retrouver seule dans l’ascenseur pour envoyer un texto à mon mari – j’adore

toujours autant appeler mon homme comme cela !

J’ai une bonne nouvelle à t’annoncer, je prends le dîner pour fêter ça !


XX K.
La réponse arrive immédiatement et me fait pouffer de rire :

T’es enceinte ?

Oh grands dieux, non ! S’il y a une chose que je ne souhaite pas à cette heure-ci, c’est bien de

tomber enceinte ! Ma vie est parfaite en ce moment, j’ai épousé mon grand amour, ma carrière prend

un tournant important, de nouveaux défis m’attendent. Il est hors de question d’avoir un enfant. Du

moins pas maintenant, si je suis vraiment honnête avec moi-même. Je n’ai jamais songé à ce sujet

sérieusement, mais je sais que ce n’est pas le bon moment. Même si Elliot semble prêt à devenir
père.

Je n’ai pas le temps de repenser à tout cela, le reste de ma journée est un tourbillon de nouvelles

rencontres, d’informations en tout genre sur le service politique, des mémos à lire et des tonnes de

fiches à travailler sur la campagne présidentielle, les candidats et les programmes des différents
partis.

***

De retour à la maison, j’ai le cerveau comme une pastèque, mes neurones manquent disjoncter sous

le trop plein d’activité. J’ai juste eu le temps de passer chez le traiteur pour acheter des lasagnes, un

des plats préférés d’Elliot, et une bouteille de Chianti rouge italien.

Mon homme n’est pas encore rentré, j’ai le temps de faire préchauffer le four avant de me changer.

Je passe un grand pull-robe en laine et un leggings confortable, remonte mes cheveux en un chignon

lâche et prépare une salade verte pour accompagner le diner. Elliot fait son entrée juste quand

j’enfourne les lasagnes. Il me rejoint dans la cuisine, passe derrière moi, m’enlace la taille et dépose
un

baiser dans ma nuque.

— Bonsoir Mrs Grey. Comment s’est passée la première journée de reprise de ma chère épouse ?

— Bien, intense et épuisante !


— J’espère que tu n’es pas épuisée, Kate, j’ai également un programme intense pour toi ce soir.

Je lève les yeux au ciel.

— Tu n’es qu’un obsédé priapique !

Il sourit et m’envoie son clin d’œil légendaire. Il se dirige vers le meuble haut, sort deux verres et

nous sert ce délicieux Chianti italien que mon traiteur m’a recommandé avec ses lasagnes.

— Alors, reprend-il, quoi de neuf dans le monde merveilleux de l’information en continu ?

— Eh bien, mon affectation au service politique a pris effet aujourd’hui !

— Félicitations Princesse !

— Oh, ne t’emballe pas trop vite, dis-je en buvant une gorgée de vin. J’ai pris connaissance du

programme de campagne, et…

— Et ? demande Elliot en levant un sourcil.

— Et bien, je vais être souvent en déplacement les prochains mois, pour suivre dans un premier

temps les primaires républicaines, puis dans un second temps la campagne et les élections
proprement

dites.

Elliot repose son verre sur le plan de travail, s’assied sur un tabouret et me dévisage.

— Absente, souvent ?

— Oui.

Il semble réfléchir.

— Nous venons à peine de nous marier et toi, tu comptes déjà partir ?

— Je ne m’enfuie pas Elliot, ce sont des déplacements professionnels. (Je commence à hausser le

ton.) Je serai partie deux ou trois jours au maximum les premiers temps. San Francisco, Los Angeles,

la côte ouest du pays pour suivre les candidats.

Elliot soupire, le regard dans le vague. Il marmonne :

— Quand commences-tu ?
— Le premier vote aura lieu le 6 mars, ici à Seattle. J’ai déjà intégré le service politique. Comme

tu le sais, les élections auront lieu en novembre, donc je serai en déplacement les neufs prochains

mois, quelques jours en fonction des meetings.

Il pousse un autre soupir, je vois sa déception et son abattement. J’insiste :

— Mais je te promets que je rentrerai dès que je pourrai.

— Kate… seras-tu là pour mon anniversaire, pour ma remise de diplôme, pour la naissance de

notre neveu ? Est-ce que tu seras là pour notre voyage de noce où dois-je le faire seul parce que mon

épouse préfère privilégier sa carrière à son mariage ?

Je me mets à hurler :

— Tu n’as pas le droit de dire cela ! Bien sûr que je serai là, pour tout ! Et tu ne peux pas me

reprocher d’avoir envie de saisir cette opportunité. Tu savais quand tu m’as rencontrée que je voulais

faire ce métier ! J’ai toujours voulu être journaliste.

— Je sais, Bébé, je suis désolé. Mais comprends aussi que c’est difficile pour moi ! Tu seras

partie, avec une équipe de journalistes, 24 heures sur 24, dans le même hôtel, partageant tes repas,
les

conférences de presse, les vols à travers le pays. Et moi, je reste ici, comme un con, à attendre que tu

rentres.

Je soupire, passe derrière lui et entoure ses larges épaules.

— Bébé, ce ne sont que quelques jours par mois. Le reste du temps, je travaillerai au journal, ici,

à Seattle. Je ne t’abandonne pas, je reviendrai chaque fois, en courant car toi aussi, tu vas me
manquer.

Je l’embrasse dans le cou pour marquer mes propos et le rassurer.

— Et je suis sûre que ce ne sera pas aussi terrible que ce que tu penses. Il y a le téléphone, et

Skype de nos jours. Tu ne remarqueras même pas mon absence car je reviendrai plus vite que tu

l’imagines ! Et ne t’inquiète pas, mes collègues du service politique ne sont pas aussi sexy que toi !
Ils
ont tous la cinquantaine bien sonnée, chauves et bedonnants ! Rien de comparable avec mon

magnifique mari…

J’embrasse ses cheveux.

— Mon délicieux époux…

Je mordille son lobe d’oreille.

— Mon fringant amant…

Je lèche sa nuque…

— Mon homme si sexy…

J’embrasse sa joue. Elliot s’est raidi, à l’affût de mes caresses.

La sonnerie du four me rappelle que les lasagnes sont cuites. Merde, ce n’est pas le moment. Elliot

se redresse d’un bond, il va éteindre le four d’un geste brusque et s’approche de moi de son pas félin,

comme un fauve prêt à se jeter sur sa proie. Il me regarde avec un sourire carnassier et rugit :

— Le diner attendra, je vais d’abord déguster ma femme avant qu’elle parte à l’autre bout du

pays !

10.

Le Bricoleur

— Mrs Grey, pouvez-vous venir ici et me donner un coup de main, s’il vous plaît ?

Je m’y attendais. Il est là depuis plus d’une heure, je suis assise sur le canapé avec un magazine,

attendant la convocation inévitable. J’entre dans la salle de bain pour le trouver perché sur un

escabeau, des outils éparpillés partout sur le carrelage et la main tendue afin de maintenir le boîtier
de

la VMC contre le plafond.

Je me penche à travers la porte et le regarde les bras croisés sur ma poitrine.

— Combien d’ingénieurs en construction faut-il pour changer une ventilation ?

Il retire le tournevis de sa bouche et me fixe.


— Je ne réponds pas à une femme qui n’y connait rien. Maintenant, bouge tes jolies fesses et

retrouve-moi cette putain de vis que j’ai laissée tomber. J’ai finalement réussi à connecter ce putain
de

truc et si je ne le fixe pas, je vais être coincé ici pendant encore une heure !

— Mmm… désolée, je crois que je vous ai mal compris, Mr Le Bricoleur. Qu’avez-vous dit

concernant mon joli cul ?

La main sur le cadre de la porte, j’ondule des hanches, langoureusement.

— Aussi tentant qu’il puisse être, Mrs Grey, VOUS êtes celle qui s’est plainte au sujet de cette

putain de VMC toute la semaine donc je VOUS suggère de VOUS bouger le cul et de venir ici.

Maintenant !

Il a l’air un peu énervé. Son bras commence à fatiguer. Peut-être que ce n’est pas le bon moment

pour taquiner l’Homme, mais quand vous vivez avec Elliot Grey depuis assez longtemps, vous vous

devez de profiter de chaque occasion. Il est totalement absorbé par le boîtier qui bouge, donc il ne

remarque même pas que je me déshabille, enlevant mon jean et mon chemisier.

— L’avez-vous fait tomber à l’intérieur ou à l’extérieur de la douche, monsieur ?

Je m’approche de l’échelle, mais il n’a toujours pas regardé vers le bas. Merde, qu’est-ce qu’une

fille doit faire pour se faire remarquer ici ?

— À l’intérieur, elle est dans le coin là-bas. Essaye de ne pas faire la tomber dans le goulot

d’évacuation.

Pfft, il me prend pour une idiote ou quoi ? Je me dirige vers l’échelle, le temps de localiser

rapidement la vis perdue et lui tends en essayant de lui donner une vue complète de mon décolleté

rebondi grâce à mon soutien-gorge Victoria’s Secret.

— Merci, madame.

En quelques secondes, il fixe la ventilation et vérifie que tout est en bon état de marche. Il n’a pas

pris la peine de jeter un regard vers moi, pas une fois. Merde.
— Avez-vous besoin que je tienne l’échelle ?

Avant qu’il ne puisse dire quelque chose de sarcastique, j’enroule une main autour de sa taille et de

l’autre, remonte vers son entrejambe en passant par le bas de son short.

— On dirait que vous êtes peut-être sur le point de perdre l’équilibre, Mr l’Artisan.

Il ne s’arrête pas, il ne me regarde pas.

— Mrs Grey, je sais ce que vous faites.

Il continue à serrer les vis restantes, m’ignorant complètement. Je masse et commence remonter

vers son caleçon le long de ses jambes.

— Eh bien, ce n’est pas souvent que j’accueille dans ma maison un artisan au regard si sexy. J’ai

pensé que, comme mon mari n’est pas là, peut-être il y a d’autres choses dans la maison que vous

pourriez, euh… « réparer ».

Il ne montre aucune réaction à mes paroles en dehors de la bosse que je peux sentir sous mes

doigts. Soit, le jeu de rôle commence.

— Je vois. Madame, je suis un homme marié. Je ne plaisante pas.

Son sexe maintenant très droit est à la hauteur mon visage et je ne peux pas résister à l’envie de lui

donner un coup de langue, mais je m’interroge sur la logistique pour lui faire une fellation sans risque

alors qu’il est perché sur un escabeau.

— Eh bien, j’ai quelque chose dans ma main qui dit le contraire. Mais la sécurité d’abord, Mr le

Bricoleur…

J’enlève ma main de son short, je prends le tournevis et le jette en dehors de la douche. Au moment

où je prends du recul, il a descendu les marches. Il me prend dans ses bras, se pressant contre moi.

— Donc, votre mari sera bientôt de retour à la maison ?

— Je ne devrais pas le dire, mais aux dernières nouvelles, il était hors de la ville, occupé par un

gros, très gros chantier… un énorme chantier…


Il rit.

— Maintenant, je pense que vous devriez me laisser jeter un œil à cet énormissime gonflement

que vous avez là.

Je minaude en battant des cils. Ma main serpente autour de son membre dur et lentement, je le

caresse sur toute sa longueur. Ses yeux se ferment, il laisse échapper un long sifflement.

— Mmm… Ça doit être une vie difficile, être une femme au foyer qui s’ennuie.

— Femme au foyer, hein ?

Alors qu’il est concentré par le mouvement de ma main, j’attrape le tuyau de douche et le tire

doucement. Dans un mouvement rapide, j’ouvre l’eau froide et l’arrose.

— Putain, Kate, qu’est-ce tu fous ?

Il m’arrache le tuyau de douche de la main et bientôt nous sommes tous les deux trempés, son tee-

shirt collé contre le contour de son torse musclé.

— Donc tu voulais me mouiller, hein bébé ?

Sa main plonge entre mes jambes et se déplace dans ma culotte pour enfoncer un doigt en moi.

— Mmm, maintenant c’est très humide, Mrs Grey. Je pense que tu pourrais avoir une fuite. J’ai

peut-être besoin d’y jeter un coup d’œil.

Il tombe à genoux, faisant glisser ma culotte et enfonce ses doigts à l’intérieur, tandis que sa langue

trouve mon clitoris. J’attrape ses cheveux des deux mains, mon bassin ondule tout seul contre son nez.

— Oh mon Dieu, vous ne m’avez pas dit que vous faites la plomberie également. Est-ce que ça va

me coûter plus cher ?

J’ai le souffle coupé que mon corps commence à être secoué par des spasmes. Sa langue trace son

chemin jusqu’à ce que ma peau brûlante se consume dans une traînée de sensation.

— Pour vous Mrs Grey, c’est un package de maintenance tout compris. Maintenant, y a-t-il autre

chose de plus que je puisse faire pour vous aujourd’hui ?


Il a encore sa main en moi et sa bouche est maintenant sur mon cou, il effleure mon lobe d’oreille.

Je prends à nouveau son sexe dans ma main.

— Ouais, je pense qu’il y a des tuyaux qui doivent obtenir une compensation.

Je murmure, la tête renversée en arrière :

— Prends-moi. S’il te plaît Elliot.

Et je ne peux pas expliquer l’utilité incroyable d’avoir un escabeau dans notre salle de bain pendant

que mon mari me baise de toutes les manières possibles. J’adore l’entretien de la maison, j’adore
mon

artisan bricoleur.

11.

Poker-Man

Je boucle le dernier portrait de la journée, je vais l’envoyer au site du journal. Je hausse les épaules,

je sais que je n’aurai pas le prix Pulitzer avec celui-ci. Barbara Queen… la conseillère en image du

député républicain de Sacramento. Une blonde refaite de partout, elle a dû avoir sa première

rhinoplastie à seize ans, offerte avec son permis de conduire et son cabriolet rose ; sa première

augmentation mammaire à vingt et un ans, et sa première injection de Botox à vingt-cinq… En plus de

« conseiller » le député sur la couleur de ses cravates et de ses chemises, j’imagine le genre de

consultations privées qu’elle doit lui prodiguer quand l’épouse légitime n’est pas là pour suivre son

mari dans tous les meetings de campagne. Et, parce que je suis blonde et jeune, cette pétasse m’a cru

sa complice. Elle a essayé de « copiner » avec moi, elle m’a tendu sa main pleine de doigts aux faux

ongles rose bonbon en se présentant : Barbara Queen, mais tout le monde m’appelle Barbie. Non,
sans

déconner…

Il y a des jours où je me dis que je ne suis pas assez payée pour subir ça.

Le meeting est terminé, le reste de l’équipe du journal s’apprête à partir pour San Francisco où aura
lieu la prochaine étape de la campagne républicaine. Ken Douglas, le responsable du service
politique

du Seattle Times m’a accordé de rentrer plus tôt cet après-midi à Seattle, ma présence n’est pas

nécessaire pour l’instant à San Francisco. Il y a en effet un battement entre les deux meetings, j’ai

réussi à le convaincre de me laisser passer deux jours chez moi. J’ai besoin de retrouver mon mari et

mon lit. Ces trois derniers jours, je n’ai dormi que quelques heures et l’hôtel où nous sommes

descendus est assez miteux. J’ai réussi à somnoler sur une chaise dans la salle de presse qui, pour
une

fois, n’était pas surchauffée. J’ai hâte de prendre un bon bain et de dormir dans notre grand lit sous
les

étoiles avec mon mari. Je pense avoir bien mérité de faire le tour du cadran dans mes draps doux et

sous ma couette moelleuse.

J’ai réussi à réserver le dernier vol pour Seattle, j’arriverai vers 23 heures à la maison.

***

Je rassemble mes quelques affaires personnelles dans ma petite valise à roulettes, j’ai appris à

voyager léger et confortable lors de ces déplacements ; je me précipite vers l’aéroport en taxi. Je n’ai

pas prévenu Elliot de mon retour, il ne m’attend pas, je veux lui faire la surprise.

Le vol se déroule sans encombre, je me suis même assoupie une demi-heure. Après l’atterrissage à

Sea-Tac, je trouve aisément un taxi, il n’y a pas foule à cette heure, un jeudi soir.

En arrivant devant chez moi, je remarque plusieurs voitures garées dans notre allée, ainsi que le

petit camion de Grey Construction. Mince, du monde chez nous à cette heure tardive ? Je paie la

course au taxi, prends mon trolley et tourne la poignée de la porte d’entrée. Une odeur âcre me saute

immédiatement à la gorge dans le couloir. De la fumée… de cigare. Des cris et des rires me

parviennent du salon. Je m’approche doucement et je reste tétanisée devant le spectacle devant moi :

cinq hommes sont affalés autour de la table de la salle à manger, un tapis de poker étalé devant eux.

Des jetons sont éparpillés dessus, des verres plus ou moins vides et des bouteilles à côté d’eux.
Je scrute les participants : Ethan, mon traître de frère, a les yeux vitreux, accoudé sur la table, des

cartes à la main. À sa droite, Dan, mon collègue. Bon sang, que fait-il chez moi, à jouer au poker ?
Ses

cheveux sont encore plus en bataille que d’habitude, il semble également avoir bu. À côté de lui,

Matthew, l’ami de mon frère et son complice dans tous les mauvais coups. Il a un cigare aux lèvres,
un

énorme barreau de chaise et tire des longues bouffées dessus, recrachant des ronds de fumée au-
dessus

de sa tête. De trois quarts dos se tient PJ, le bras droit d’Elliot à Grey Construction. Je reconnais sa

stature massive, son cou épais et ses larges épaules. Il tient un verre rempli d’un liquide ambré, sans

doute du whisky, et s’agite avec ses cartes. De dos, Elliot… je vois la fumée de cigare qui monte au-

dessus de sa tête, il passe la main dans ses cheveux blonds ébouriffés et crie avec un son de gorge

rauque et éraillé :

— Allez, PJ, soit tu fais tapis, soit tu te couches ! De toute façon, t’es fait, mec !

Et tous se mettent à rire, comme des hommes des cavernes. PJ relève la tête et me voit. Il lâche de

sa grosse voix :

— Merde, la patronne est là !

Je le foudroie du regard.

Remarquant enfin ma présence, ils me dévisagent tous. Elliot se retourne, hilare. Oh mon Dieu, il

est ivre ! Ses yeux bleus sont brumeux, un cigare est coincé entre ses dents blanches. Il me sourit,

totalement inconscient qu’il est en train de vivre ses dernières minutes.

— Oh Bébé, t’es rentrée ?

— Oui, et manifestement, tu ne m’attendais pas !

Mon frère et Dan piquent du nez vers leurs chaussures, Matthew fait une petite mimique en

haussant les épaules, PJ réfrène un fou rire.

Sacré brochette de winners autour de ma table de salon !


— Allez Bébé, pose ta veste et joins-toi à nous ! hurle Elliot, toujours hilare. Il y a aussi notre ami

Jack qui nous tient compagnie !

Je ne comprends pas de qui il parle. Je m’attends à voir débouler un autre participant de cette partie

de poker, ou une serveuse strip-teaseuse avec un micro tablier et un plateau d’alcool à la main.
Devant

mon incompréhension, Elliot soulève la bouteille devant lui : du Jack Daniels… OK, je sais

maintenant ce qui les a tous mis dans cet état.

— Tu te fous de moi, Grey ? Tu transformes notre salon en un tripot de bas quartier de Vegas et

tu veux que je participe à votre…

— Cool, Princesse ! Ce n’est qu’une petite partie entre amis !

Il me décoche son clin d’œil. Cette fois-ci, il ne fait pas craquer. Je fulmine, les poings sur les

hanches ; je commence à taper du pied.

— Elliot, je n’ai pas dormi depuis trois jours, je viens de prendre le dernier vol pour rentrer chez

moi et retrouver mon mari… et je découvre quoi en rentrant ? Mon mari, mon frère et mon collègue

ivres, fumant des cigares et jouant au poker dans mon salon ?!

Mon ton est létal.

— KAK, commence mon frère, laisse-moi t’expliquer.

— Non Ethan, tout est clair, j’ai bien saisi la situation. Et Matt…

Je tends mon index et persifle :

— Pas la peine d’en rajouter, n’aggrave pas ton cas !

J’ai encore en travers de la gorge la fin de soirée au Trinity Night-Club, lors des enterrements de

vies de garçon et jeune fille de Christian et Ana. Matt m’avait déposé à l’appartement de Pike
Market,

Elliot et Ethan, ivres morts.

— Houlà, souffle PJ, je vais rentrer chez moi. Elliot, je sais que tu me signes mon chèque à la fin
du mois, mais la patronne semble drôlement contrariée et je ne veux pas faire partie des victimes
d’un

dommage collatéral ! Désolé, à demain !

Et il s’enfuit plus vite qu’un lapin devant le fusil d’un chasseur, son blouson sur le dos. Dan fait

mine de se lever, mais chancelle un peu. Je le fixe, il est penaud et très mal à l’aise.

— Je vais aussi y aller. Kate, on se voit au journal ?

— Tu ferais mieux d’appeler un taxi, Dan, tu n’es pas en état de conduire.

Je rajoute en scrutant mon frère et son acolyte alcoolique :

— Aucun d’entre vous !

— OK les gars, je vous appelle un taxi ! La partie est terminée, décrète Elliot en écrasant son

cigare dans un cendrier.

— Je vais monter et faire ce que j’avais prévu tout à l’heure avant de découvrir ce tripot, c’est-à-

dire me couler un bon bain chaud. Grey, t’as intérêt à tout ranger et à aérer la maison, ça empeste le

cigare et l’alcool ici.

Je tourne les talons et me dirige à l’étage, dans la salle de bain. Je n’arrive toujours pas à croire la

scène à laquelle je viens d’assister. Depuis quand mon frère et mon collègue jouent-ils au poker avec

mon mari ? De la part de Matthew et PJ, cela ne m’étonne qu’à moitié, mais ma propre famille me

trahit. Et Dan, comment a-t-il atterri dans ce traquenard ?

Je me déshabille, me coule dans la baignoire et son eau chaude, parfumée d’huile essentielle à

l’ylang-ylang. Je ferme les yeux et me détends enfin.

Je crois que je me suis endormie dans mon bain quand je sens une présence à côté de moi. J’ouvre

les yeux, Elliot est assis sur le rebord de la baignoire. Il me regarde, penaud, les yeux encore troubles

sous l’effet de l’alcool.

— Désolé, Princesse. J’ai déconné. Encore une fois…

Je soupire.
— Non Elliot. Tu ne pouvais pas savoir que je rentrerai ce soir. Je voulais te faire la surprise,

mais j’ai été prise à mon propre jeu.

— Je suis ravi que tu sois rentrée plut tôt, je ne t’attendais pas avant deux ou trois jours…

Je me redresse un peu dans la baignoire pour l’observer. Il est courbé, les yeux mi-clos, je ne sais

pas si c’est dû à l’effet de l’alcool ou à sa contrition. Je reprends également mes esprits et demande :

— Depuis quand jouez-vous au poker ?

— C’est la deuxième ou troisième partie, avoue mon mari. Ça m’arrivait parfois de jouer avec PJ,

avant de te connaître. Jamais d’argent, juste pour le plaisir. J’en ai parlé à Ethan, il y a quelques

semaines, il a invité son vieil ami, Matt. Je l’aime bien ce type, il est cool.

Ah ça, pour être cool, Matthew l’est – et même un peu trop. Il a toujours été là, avec mon frère, à

l’entraîner dans des soirées sans fin, ou tout du moins, il ne l’a jamais dissuadé. Je me souviens

qu’étudiants, ils écumaient les bars ensemble, draguant tout ce qui bougeait et qui portait une jupe.

— Et Dan ? Comment a-t-il atterri dans notre salon ?

Elliot hausse les épaules. Il semble réfléchir, cherchant dans son esprit embrouillé une explication.

Il lève un sourcil, j’entends presque le « Euréka, j’ai trouvé ! » dans son cerveau.

— Je l’ai rencontré à la mairie, lors de l’attribution des marchés pour la réhabilitation des docks.

Il était là pour faire un article pour votre journal, moi, j’attendais la confirmation que Grey

Construction avait bien décroché le marché. Je t’en ai parlé, de cette présentation. Eh bien, on a

discuté et, une chose en amenant une autre, je l’ai invité à cette partie de poker. Et il m’a étonné en

acceptant. Voilà, tu sais tout, Bébé.

Je soupire. Je vois bien qu’il est sincèrement désolé et, pour tout avouer, je ne lui en veux plus. Je

joue un peu avec la mousse de mon bain et lui souris.

— C’est bon, Bébé. Laisse-moi finir de mariner dans mon bain. Après, je vais me coucher. Je suis

exténuée. Je n’ai qu’une hâte, m’endormir dans tes bras et oublier tout ça.
Elliot se penche vers moi, embrasse mes lèvres et quitte la salle de bain. C’est la même chose

chaque fois que l’on se dispute ? Je n’arrive pas à comprendre comment cet homme parvient à se
faire

pardonner ses enfantillages avec un simple baiser. Avec moi, il risque en permanence sa vie et il s’en

sort indemne. Ouaip, tu te ramollis Kate.

Ou alors, je suis sacrément amoureuse. Oui, c’est ça, je suis follement amoureuse de cet homme,

mon mari.

***

Je me réveille dans mon grand lit. J’ai les jambes engourdies, je m’étire et constate que,

premièrement, je suis seule, et deuxièmement, il fait jour. Le soleil inonde la chambre par le toit

verrière de notre chambre. Zut, quelle heure est-il ? Et où est Elliot ? Je tourne la tête vers le réveil
sur

la table de chevet, il m’informe qu’il est 14 h 27. Merde ! J’ai bien fait le tour du cadran, voire un
tour

complet de la planète !

Je sors du lit et me dirige vers la salle de bain. Mon reflet dans le miroir m’effraie un peu : j’ai

encore les traits tirés par la fatigue accumulée ces derniers jours et une grande marque du pli de

l’oreiller me barre la joue. Je suis toute fripée, comme une vieille pomme, je décide de lancer

l’opération « ravalement complet de ma façade » ! Mais après avoir mangé, car mon estomac
rappelle

bruyamment son état vide à l’ordre. Je n’ai grignoté qu’un petit sandwich hier à l’aéroport de

Sacramento avant le décollage, je n’ai rien mangé en arrivant à la maison, la découverte du tripot de

jeu clandestin que mon cher mari avait organisé m’ayant coupé l’appétit.

J’enfile mon peignoir et descends vers la cuisine, à la recherche de quoi manger.

En traversant le salon et la pièce principale, je constate que tout est rangé, il n’y a aucune trace de

la partie de poker d’hier soir, ni de la beuverie au whisky des cinq hommes des cavernes. Elliot a
bien
aéré les pièces, je ne sens plus l’odeur de ces infects cigares qu’ils fumaient hier soir. Je soupire et
me

dirige vers la cuisine.

Dans le frigo, je trouve une assiette avec des toasts et du beurre, une tranche de jambon, une salade

de fruits frais dans une coupelle et une autre avec du fromage blanc et du müesli. Un petit mot

griffonné sur du papier complète l’ensemble :

Bon petit déjeuner Bébé.

Je n’ai pas voulu réveiller la marmotte ce matin, je rentrerai tôt ce soir.

Je t’aime, E.

Oh, mon cher mari si prévenant ! Je sais qu’il a préparé ce plateau pour me faire plaisir, pas pour se

faire pardonner son comportement d’hier. Elliot est foncièrement bon, généreux et aimant. Je suis la

personne la plus importante pour lui, il me le prouve encore une fois. Je fais couler une tasse de café
et

décide d’envoyer un message à mon homme.

Coucou, la marmotte est réveillée !

Merci pour le petit déjeuner,

Hâte que mon mari rentre à la maison.

Je t’aime plus, K.

Je l’assiette préparée par Elliot quand un message arrive sur mon téléphone :

Diner en ville ce soir ? C’est moi qui invite pour me faire pardonner.

@+ Bébé, E.

Je souris. Oh Elliot, que vais-je bien pouvoir faire de toi ? Je lui réponds immédiatement :

Où et quelle heure ? Dress-code ?

Je liste mentalement ce que j’ai à faire cet après-midi, je suis à jour dans mon travail, je dois juste

faire une lessive avant de repartir à San Francisco dimanche, pour rejoindre mes collègues pour les
élections. Cela fait un moment que je pense à engager quelqu’un pour les tâches domestiques à la

maison, il faut que je m’en occupe, rapidement. Avec mon nouveau rythme professionnel et mes

déplacements nombreux, l’entretien de cette grande maison devient contraignant. Et puis Elliot et moi

avons les moyens de payer les services d’une employée de maison. Il faut que j’appelle Diane, je
suis

sûre qu’elle doit avoir une bonne agence professionnelle dans son carnet d’adresses très fourni.

Le message d’Elliot me sort de mes réflexions domestiques :

19h, décontracté, passe te chercher à la maison.

OK, j’ai le temps de me faire une tête humaine grâce à mes produits de beauté et de trouver une

femme de ménage avant d’aller dîner avec mon époux. Je finis mon café, range la cuisine quand mon

téléphone sonne. Je décroche et perds l’audition de mon oreille droite :

— KAAAAATTTTEEEEE !

— Oui Mia ?

Je soupire.

— Je ne te dérange pas ? Tu n’es pas en interview ?

— Non Mia, je suis à la maison. Je t’écoute.

— Ah, tu es rentrée à Seattle ? Bien, Elliot doit être content de te retrouver !

Je lève les yeux au ciel. Parfois l’enthousiasme débordant de ma belle-sœur est pénible, je demande

comment fait Ethan pour la supporter. Il m’a bien supportée étant jeune, il doit avoir une carapace

spéciale ou des supers pouvoirs… Je reprends mes esprits et continue :

— Pour tout te dire, je ne l’ai pas beaucoup vu. Es-tu au courant des parties de poker qu’Elliot

organise ici, avec mon frère entre autres ?

— Oui, c’est super non ? Je veux dire que c’est sympa que nos frères s’entendent si bien !

Je ne partage pas son enthousiasme. Évidemment, je suis contente que mon mari et mon frère ne

s’étripent pas à chaque fois qu’ils se voient, mais de là à boire du whisky, fumer des cigares
ensemble

et transformer ma maison en casino… Et pourquoi Mia est au courant et pas moi ?

— Oui Mia, c’est sympa… Que puis-je pour toi ?

— Ah oui, je t’appelais pour savoir si tu serais à Seattle dimanche ? Maman veut faire un grand

déjeuner de famille, depuis votre mariage nous n’avons pas eu l’occasion d’être tous réunis. Seras-tu

encore ici ou seras-tu déjà repartie ?

— C’est bon, je serai là ; je repartirai pour San Francisco que dimanche soir. Grace a-t-elle

besoin qu’on apporte quelque chose ?

— Non, je ne crois pas. Je la préviens tout de suite que vous viendrez tous les deux. À dimanche,

Et elle raccroche. Je regarde l’écran de mon téléphone, circonspecte. Je ne sais pas si j’ai envie

d’un grand diner familial chez les Grey dimanche midi. J’aurai préféré un brunch au lit avec Elliot…

Et qui dit « repas familial » dit « Christian Grey »… Je n’ai aucune envie de voir mon beau-frère ;

quand il est là, je ne peux pas discuter avec Ana. Il est collé en permanence à elle, faisant barrage

physiquement à quiconque s’approchant de trop près de sa femme. Qu’il est chiant !

Je décide de régler un problème à la fois : j’appelle ma mère qui me donne rapidement les

coordonnées de l’agence de placement pour du personnel de maison. Je les contacterai lundi, si mon

travail me laisse le temps de le faire. Je vais dans la salle de bain et me prépare une petite séance de

soins avec mes masques, crèmes et produits de beauté.

Satisfaite du résultat, je file dans mon dressing pour choisir ma tenue.

Elliot a déménagé son studio de musique au sous-sol, à côté de la salle de sport et la piscine, et j’ai

investi cette pièce avec toutes mes affaires. Enfin, presque toutes, il en reste un peu chez mes parents,

les choses les plus anciennes que je ne mets plus. C’est incroyable comme je me sens bien dans cette

maison, c’est chez moi, chez nous. Elliot m’a laissé carte blanche pour les petits aménagements, j’ai

acheté un peu de décoration, pour féminiser notre chambre, les pièces à vivre. La maison d’Elliot,
son
refuge dans la nature est notre havre de paix, l’endroit où nous aimons nous retrouver tous les deux,

notre nid d’amour.

Je termine de m’habiller, une robe en laine et cashmere bleue ciel à manches trois-quarts quand

Elliot rentre à la maison. Il me retrouve dans le dressing en train de choisir les chaussures que je
veux

assortir à ma tenue.

— Bonsoir Princesse !

— Bonsoir Bébé !

Mon magnifique mari m’embrasse, d’abord tendrement, puis son baiser devient insistant, ouvrant

mes lèvres, sa langue cherchant la mienne. Je gémis à son contact, un léger frisson parcourt ma

colonne vertébrale. Je plaque mes mains dans ses cheveux, colle mon corps au sien. Ses grands bras

m’enlacent, je fonds entièrement contre son torse musclé. Elliot recule légèrement, abandonne ma

bouche et me fixe. Deux lasers bleus me dévisagent, je lui souris timidement.

— Tu m’as manquée, Princesse.

— Toi aussi, Elliot.

Je murmure :

— Mais tu ne fais que des bêtises quand je ne suis pas là ! Je ne sais pas si je peux encore te

laisser seul. Que vais-je trouver la prochaine fois que je rentre à la maison ?

Il éclate de rire, ce rire que j’aime tant.

— Je ne sais pas ! Un tigre dans le salon, ça serait sympa d’avoir un animal de compagnie, non ?

Je lui frappe l’avant-bras, il continue à se marrer. Il me lâche et se dirige vers la salle de bain.

— Je vais prendre une douche, je me dépêche, Bébé. Je t’emmène diner chez Shiro’s !

— Waouh Elliot ! Mon restaurant de sushi préféré ! Mais comment as-tu fait pour avoir une

table ? Le restaurant affiche complet les soirs de week-end, tous les mois !

— Pour ma Princesse, rien n’est trop beau ni impossible !


Il me fait son clin d’œil et file sous la douche. Mon mari fait vraiment des efforts pour me faire

plaisir, je sais qu’il apprécie que moyennement la restauration japonaise, pas assez roborative à son

goût pour un « gars du bâtiment ». Je crois que nous apprenons l’un et l’autre l’art du compromis dans

le mariage.

Nous partons dans la BMW d’Elliot vers le centre-ville, trouvons facilement une place sur la

deuxième avenue dans le quartier branché de Belltown, à proximité du restaurant. Une petite table

nous attend, près du comptoir où les clients assistent au spectacle du chef nippon préparant les

commandes.

Elliot est superbe, il porte son pull en cashmere bleu ciel, assorti à ma robe, mettant en valeur ses

yeux. Il me tend la carte avec un petit sourire, embrasse le dos de ma main. Je le dévore des yeux, je

crois que je ne me lasserai jamais de cette image.

— Alors, Princesse, sushi de thon ou crevette en entrée ? me demande-t-il taquin.

— Et pourquoi pas une demi-douzaine d’huîtres ou le Kani-su (crabe) pour commencer? Ensuite

je me laisserai bien tenter par le Soft Shell Crab ou le poulet Kara-Age !

— Tout ce que tu veux Bébé ! Fais-toi plaisir !

Il me sourit timidement, passe la commande au serveur puis murmure :

— Je suis désolé, Kate, pour hier soir.

— Elliot, nous n’allons pas revenir encore une fois sur ce qu’il s’est passé. C’est bon, j’ai

compris. Tu as le droit de passer des bons moments avec tes amis, je ne peux pas t’interdire de vivre

pendant mes déplacements. Tu as le droit de t’amuser… et pour tout t’avouer, cela me fait plaisir que

tu t’entendes bien avec mon frère et Dan, mon collègue. C’est important pour moi. En revanche, je

t’interdis d’amener des filles chez nous ! Pas de strip-teaseuse ni de serveuse lors de vos soirées
poker

ou match de basket, football ou que sais-je d’autre à la maison. Sinon, je ressors mes couteaux de

cuisine et tu finiras en sushi, comme ce thon !


Elliot éclate de rire, lève les deux mains au ciel et s’esclaffe :

— Ok, ok ! Pas de fille ! Merci, Bébé, mais tu sais, ma femme me manque terriblement, et je sais

que j’ai encore plusieurs mois à tenir sans toi.

Je soupire, le regarde droit dans les yeux pendant que le serveur nous dépose nos plats sur la table.

— Moi aussi, Elliot, tu me manques. Finissons vite ce diner et rentrons à la maison, pour que je

puisse démontrer à mon mari à quel point je l’aime !

— Oh putain Princesse, il ne faut pas le dire deux fois !

12.

En route pour Sea-Tac


Avril 2012
Un dimanche, en voiture…

— Elliot… (Je baisse les yeux,) je ne sais pas comment te dire ça…

— Fais comme d’habitude, Princesse ! Tu es franche et directe, dis-moi ce qui te tracasse.

Je tortille mon alliance et ma bague de fiançailles autour de mon annulaire gauche. C’est stupide,

mon pressentiment est infondé, je me fais des idées. Parce que j’étais contre cette invitation à
déjeuner

en famille, parce que le milliardaire de mes deux m’a encore cassé les bonbons, parce que je sais
que

je vais partir pour trois jours, voire quatre si le meeting se termine tard à San Francisco, parce

qu’Elliot va me manquer, terriblement. Nous roulons vers Sea-Tac, Elliot vient juste de prendre la

bretelle d’accès pour l’autoroute. Je pousse un petit soupir et me rends compte que je suis perdue
dans

mes pensées quand la voix de mon mari me ramène à la réalité :

— Allo la Lune, ici la terre ! Kate, qu’y a-t-il qui te perturbe autant ?

— Voilà, je crois que ta mère ne m’aime pas.

Et Elliot éclate de rire !

— C’est ridicule ! C’est la chose la plus absurde que j’ai entendue ! C’est évident qu’elle t’aime,

qu’elle t’adore !

— Non Elliot… je pense qu’elle ne m’aime pas. Je ne suis pas … la bru qu’elle aurait voulue

pour toi.

— Mais arrête Kate ! Bien sûr que ma mère t’adore ! Grace aime tout le monde, elle t’a acceptée

dans la famille dès le premier jour, comme Ana.

— Je sais qu’elle préfère Ana. Grace est toujours avec Ana….

Elliot me jette un coup d’œil tout en conduisant. Il a un petit sourire aux lèvres :
— Es-tu jalouse de ton amie ?

— Non ! (je hurle.) Ce n’est qu’un constat : ta mère préfère la femme de ton frère !

— Et pourquoi, selon toi ? Parce qu’ils se sont mariés avant nous ? Parce qu’ils attendent un

enfant avant nous ? C’est à cause de cela, Kate ? C’est une compétition entre vous deux ? Entre nos

deux couples ?

— Non, cela n’a rien à voir… Je crois que c’est juste… moi. Je ne sais pas comment t’expliquer,

mais je sens bien que je ne suis pas aussi proche de ta mère qu’Ana.

— Tu devrais passer plus de temps avec Grace. Allez déjeuner ensemble, quand tu seras de retour

à Seattle.

— Tu sais Bébé, je crois que mes déplacements professionnels lui déplaisent. J’ai bien senti son

regard désapprobateur à table, quand nous avons parlé de la campagne électorale avec ton père.

En y réfléchissant bien, je trouve la réaction de ma belle-mère injuste et hypocrite. Grace est

médecin, elle travaille à l’hôpital. Elle a fait le choix de ne pas ouvrir son propre cabinet de
pédiatrie

en ville, ce qui lui aurait assuré une clientèle aisée, des horaires fixes et un confort de travail qu’elle

n’a pas en étant de garde dans un grand service au Northwest Hospital. Elle aurait pu choisir
d’exercer

son métier de 9 heures à 17 heures dans le privé, se contentant de faire des vaccins aux bébés joufflus

et notant la courbe de croissance parfaite des héritiers des beaux quartiers. Mais ma belle-mère a
choisi

de rester à l’hôpital, dans un grand service de pédiatrie, avec des horaires impossibles et des gardes
qui

n’en finissent pas, avec des cas de petits patients très difficiles, autant médicalement que

psychologiquement parlant. Elle a pourtant élevé trois enfants et jamais on ne l’a accusée de préférer

sa carrière à son mariage et sa famille. Et Grace est gonflée de me reprocher de garder mon nom de

jeune fille pour travailler ! Elle a fait exactement la même chose ! Je ne partage pas cette dernière
réflexion avec Elliot, il ne comprendrait pas. Je reprends la parole :

— Et tu noteras le plus étonnant, Bébé, quand nous nous sommes rencontrés, mes relations avec

Carrick étaient tendues à cause de Keith, et maintenant, c’est avec ton père que je discute le mieux.

Nos échanges sont vraiment intéressants, les débats enrichissants.

— Tu m’en vois ravi. Donc, tu te fais des idées, ma famille t’adore !

Je persifle :

— Mouais, ton milliardaire de frère est mon fan numéro un ! Il a toute une collection de tee-shirt

avec marqué dessus : « team Kate » !

— Oh Bébé, je croyais que vous aviez trouvé un statu quo avec Christian, une sorte de trêve

depuis notre mariage ?

— Une sorte de pacte de non-agression tu veux dire ?

— Oui, quelque chose dans le genre.

Il hausse les épaules. Nous quittons l’autoroute pour arriver à l’aéroport, nous sommes en avance,

mon vol n’est que dans une heure et demi. Je clos notre discussion d’un ton sec et froid.

— Bon, n’en parlons plus.

— Veux-tu que je parle à Grace ? De ton impression qu’elle ne t’aime pas ?

— Surtout pas ! Elle va imaginer que je pleurniche sur l’épaule de mon mari contre ma belle-

mère. Cela ne ferait qu’envenimer la situation.

— Kate, ma mère est la personne la plus compréhensive et la plus ouverte qu’il existe au monde.

Tu t’inquiètes pour rien.

Ça, j’en doute fort. Certes, Grace est généreuse, mais « compréhensive ? J’en doute un petit peu.

Ses reproches silencieux sur mes départs, sur le fait que je privilégie ma carrière au détriment de ma

vie conjugale avec son fils aîné étaient clairs et explicites tout à l’heure. J’échangeais autour d’un

apéritif avec Carrick, il me posait beaucoup de questions sur les coulisses de campagne, Ethan s’était
joint à la conversation et nous plaisantions sur le fait que Keith avait posé exactement les mêmes

questions et que notre père ferait un excellent politicien. J’appréciais que Carrick soit aussi détendu
et

sincèrement intéressé par mon travail quand Grace nous a interrompu, arguant qu’il ne fallait pas

parler ni de politique, ni de religion à table.

J’ai bien remarqué qu’Ana et Mia s’ennuyaient à cent sous de l’heure, l’une souriant timidement à

son assiette, l’autre piaillant que ce n’était pas drôle et se levant toutes les cinq minutes pour filer en

cuisine. Le mégalo en chef, sourire narquois aux lèvres, ne put s’empêcher entre deux bouchées de
rôti

de bœuf d’ironiser qu’Elliot avait un « mariage idéal », c’est-à-dire avec tous les avantages de la vie
de

célibataire. Je lui aurai bien planté la fourchette à viande entre les deux yeux, mais Elliot l’a envoyé
se

faire foutre avant moi. Et Grace a comme toujours essayé de canaliser la joute verbale entre ses deux

fils, reculant au premier froncement de sourcil du psychopathe psychorigide.

Je regarde par la fenêtre de la voiture en soupirant doucement. Je suis lasse de ces repas où tout le

monde est au garde-à-vous devant cet enfoiré de milliardaire, où personne n’ose le contrarier ni le

contredire, où tout le monde tolère ses sautes d’humeurs et son impolitesse quand il oblige son
épouse

– mon amie – à quitter la table avant la fin du repas car il a décrété « qu’il était temps pour lui de

partir ». Si j’ose (à peine) le faire remarquer ou hausser le ton contre lui, je passe encore pour la
furie

de service. Grace me foudroie régulièrement du regard, alors qu’elle parle à Ana comme à un chaton

prématuré ou une extra-terrestre qui vient négocier un pacte de non-envahissement de la planète. Je

concède aisément qu’il n’a pas dû être facile pour cette mère de caser son cadet. Ana représente en

effet une Alien, vu que c’est la première fille que l’enfant prodigue a ramenée chez ses parents et
qu’il

l’a épousée et engrossée le temps d’un battement de cil… ou d’un claquement de fouet. Les Grey
senior devaient désespérer de voir leur fils marié et futur père de famille.

La portière s’ouvre brutalement et me fait sursauter. Elliot se tient devant moi et me tend la main.

Je réalise que nous sommes garés devant le hall des départs. Je prends sa main, mais avant que je
sorte

complètement de sa voiture, il me tire dans ses bras. Il m’enlace fermement, son nez contre mon cou,

respirant doucement contre ma peau. Je me blottis contre son torse, pose ma tête sur son épaule. Je

hume son parfum, absorbe sa force tranquille. Oh Elliot, je n’ai aucune envie de partir, de quitter
tes

bras ! Mais pour une fois, je n’arrive pas à parler, je n’ai pas de mots, juste le souffle court contre
son

torse. Mon mari embrasse mes cheveux, il murmure quelque chose que je ne comprends pas

immédiatement. Une litanie dans un son de gorge rauque :

— Reviens, reviens-moi vite.

Je relève la tête, lui caresse les cheveux doucement :

— Oui, Bébé, je rentre à la maison mercredi. Je t’appelle dès que je suis arrivée à San Francisco.

— T’as intérêt à revenir le plus vite possible de San Francisco, Kate ! J’ai hâte de te baiser

jusqu’à ce que tu ne puisses plus marcher ! Tu ne quitteras plus la maison, en tout cas, pas debout sur

tes deux jambes !

Je lui frappe l’avant-bras avec force, les yeux plissés et la lèvre frémissante :

— Il n’y a pas dire, Grey, tu as l’art de foutre en l’air un moment romantique avec tes réflexions

de Cro-Magnon !

— C’est pour ça que tu m’aimes tant, Kate

13.

Le DipLôme D’eLLiot
Avril 2012
Nous sommes tous réunis dans un amphithéâtre de l’Université de Seattle. Grace et Carrick,

Maman, Ethan et Mia, Christian et Ana. PJ vient de me rejoindre, seul Papa manque à l’appel – il a
été

retenu à Los Angeles par une réunion importante. Taylor, Sawyer et Muňerez sont eux bien de la

partie, fidèles à leurs postes. Les menaces sur la famille Grey sont faibles maintenant, mais Christian

ne semble pas prêt à prendre le moindre risque, surtout lors d’événements publics. Désormais, je

l’accepte, je n’ai pas le choix, je suis mariée à un Grey.

Les diplômés en toges commencent à entrer dans l’auditorium pour prendre place sur les sièges

devant nous, juste en face de la scène. Les étudiants proviennent de toutes les sections

professionnelles, pas uniquement celle de la formation d’Elliot. Une fois tout le monde assis, le corps

professoral et les intervenants issus du monde de l’entreprise font leur entrée sur l’estrade. Je fais un

clin d’œil à Ana, il me semble revivre notre remise de diplômes, il y a tout juste un an à WSUV. Mon

amie est énorme, elle entre dans son dernier mois de grossesse.

Je repère Elliot de dos, j’imagine toute la tension qu’il doit accumuler. Ce matin, il était intenable,

le stress et l’excitation de cette journée le faisaient ne pas tenir en place. C’est le premier diplôme
qu’il

reçoit, je suis tellement fière de lui.

Le discours d’ouverture est donné par le gouverneur d’État. Il est présenté comme un leader

politique qui se bat, au côté du maire de Seattle, pour inscrire les énergies nouvelles et renouvelables

au programme de l’État de Washington. Le gouverneur insiste sur l’importance de la formation des

professionnels à ces nouvelles techniques environnementales. Selon lui, la bataille sera gagnée quand

chaque programme – neuf ou réhabilitation – intégrera automatiquement l’écologie comme critère, au

même titre que les critères financiers, techniques et sociaux. Il termine son discours en comparant les

ingénieurs, ces futurs diplômés, à des croisés, qui partent convaincre le monde de l’importance de
leur

mission. À eux de convertir les « ignorants » à la cause écologique et de porter la bonne parole dans

toutes les sphères de la construction et du bâtiment.

Un tonnerre d’applaudissements clôture son intervention. Le professeur Ben Bert se lève alors. Je

remarque qu’Elliot commence à se dandiner sur sa chaise. Je soupire. Il n’a jamais pu rester en place

bien longtemps, mon homme est toujours en mouvement.

Le professeur règle le micro et commence son discours :

— Les grands esprits sont de toutes formes, mais nous sommes parfois limités par nos propres

capacités, par des contraintes matérielles ou financières, par la société elle-même. Tous les ans, nous

recevons des dizaines de dossiers d’inscription pour cette formation professionnelle ; les profils sont

variés, il y en a autant qu’il y a de candidats. Ma mission, ce pour quoi je suis mandaté, est de
détecter

les meilleurs candidats possibles, ceux qui ont une réelle motivation, un projet professionnel solide
et

une détermination à travailler dans l’état d’esprit que cette formation inculque à tous ses diplômés.

Cette année, l’un d’entre eux a particulièrement retenu mon attention. C’est avec son accord que je

veux partager son expérience, vous comprendrez pourquoi ce candidat représente ce pour quoi
chaque

professeur se bat, pourquoi notre métier est si gratifiant.

« Il y a quelques années, lors de son apprentissage scolaire, un jeune homme a découvert qu’il était

dyslexique.

Oh mon Dieu ! Le professeur Bert parle d’Elliot ! Je retiens mon souffle en fixant le dos de mon

mari. L’enseignant poursuit :

— À l’époque, la vie et les circonstances l’ont obligé à renoncer à son rêve, c’est à dire de

s’asseoir là où vous êtes maintenant. Même si l’éducation a évolué, même si les troubles

d’apprentissage – comme la dyslexie – ne sont plus considérées comme des facteurs limitant les
accès

aux écoles et aux universités, ce jeune homme fit le choix, à ce moment de sa vie, de renoncer au

milieu universitaire pour passer par une voie d’apprentissage professionnel en entreprise. Mais son

parcours ne s’arrête pas là.

« Il avait une passion, un besoin de faire les choses différemment. Il a arpenté le monde à la

recherche des dernières innovations dans le domaine de l’écologie. Il a développé sa propre façon

d’apprendre et il applique tous les jours, ses nouvelles connaissances à ses projets. Il a aussi mis en

œuvre ses croyances très fortes pour ses recherches. Son travail a attiré l’attention des autres

professionnels dans son domaine, des praticiens respectés et des chercheurs qui étaient à l’avant-
garde

de la technologie et de la recherche universitaire.

« Aucun de ses travaux n’ayant été entravé par la dyslexie, ce jeune homme a pu intégrer son

milieu professionnel, partager ses connaissances et ses innovations. L’entreprise qu’il a fondée est

présente sur les marchés locaux, mais également investie dans les opérations nationales et

internationales d’aide humanitaire pour les défavorisés. Sa philanthropie et sa générosité dans le

partage de ses connaissances techniques et sa vision unique ont permis à de nombreuses communautés

en difficulté à la suite d’une grande tragédie ou de catastrophes naturelles, de se reconstruire à la fois

dans une vision réfléchie, écologique et économiquement durables.

« Lorsque ce candidat s’est présenté en septembre dernier pour suivre notre formation d’ingénierie

développement durable, nous avons examiné son dossier avec attention. La seule question que le

comité d’admission s’est posée est la suivante : « que pouvons-nous lui apprendre ? » Son expertise

dans le domaine dépassait celle de la plupart des professeurs et intervenants ! Puis la réponse est

apparue lors de son entretien individuel : nous devions lui apporter la confiance en ses
connaissances,

en son savoir. Il n’avait même pas conscience du niveau de ses compétences. Nous lui apporterions
aussi une meilleure méthode de travail, pour ordonnancer, classifier ses acquis et surtout, les

transmettre dans un mémoire qui serait consultable par tous.

« Le chemin n’a pas été aisé. Il a fallu à ce candidat de l’énergie, du courage et de la persévérance

pour rédiger son mémoire. Je sais, sans trahir de secret, que le soutien qu’il a reçu dans sa vie privée
a

été primordial ; notre seul suivi professoral ne lui aurait pas permis à d’arriver au bout de ce
parcours

difficile. Les moments de découragement, lors d’une impasse sur un thème, un chapitre de son

mémoire ont été nombreux. Vous tous ici, élèves, avez connu ces moments de doute.

« C’est donc avec une certaine humilité et une grande fierté qu’aujourd’hui, au nom de l’École

d’Architecture et de Génie Civil de l’Université de l’État de Washington, que nous décernons un

doctorat honorifique pour sa vaste contribution à la conception et à la pratique de constructions

écologiques et durable à Mr Elliot Grey.

La salle explose sous les applaudissements lorsqu’Elliot se lève et traverse la scène pour rejoindre

le professeur Bert. Il lui serre la main et enfin, se retourne et nous cherche du regard. Je ne le vois à

peine à travers mes larmes. Je suis tellement fière, tellement heureuse qu’il ait cette reconnaissance

devant tout le monde : ses pairs dans le monde professionnel et sa famille. Mon cœur est empli

d’amour pour mon homme, qui sourit enfin sur l’estrade.

La fin de la cérémonie se déroule pour moi dans une sorte de brouillard. Je ne porte aucune

attention aux étudiants qui défilent sur l’estrade pour recevoir leur bout de papier. Enfin,, je me lève
et

faufile hors des gradins. Je cherche l’entrée des coulisses, je veux retrouver Elliot, le féliciter,

l’embrasser, lui dire tout l’amour et la fierté que je lui porte. La foule est compacte et dense, les

étudiants rient fort, les familles font des photos ou des accolades bruyantes, j’ai du mal à me frayer un

chemin. J’aperçois enfin Elliot, il discute avec le professeur Bert et…

Merde… je connais cette silhouette blonde, moulée dans un tailleur de créateur : Gia Matteo. Que
fait cette garce ici, à la remise de diplôme d’Elliot ? Mon mari a-t-il invité son ex-maîtresse en ce
jour

de gloire ?

Je n’arrive pas à y croire, il n’aurait pas osé !

Quand Elliot me voit m’approcher, un énorme sourire lui barre le visage et il me fait signe avec sa

main :

— Kate ! Viens que je te présente.

Je fixe ma rivale, relève le menton et fige un sourire faux sur mon visage.

— Ce n’est pas nécessaire, Chéri, je me souviens parfaitement de Miss Matteo.

— Bien sûr, dit Elliot gêné. Je voulais parler du professeur Bert. Professeur, mon épouse,

Katherine Grey.

Le professeur me serre la main chaleureusement

— Enchanté Mrs Grey. Vous devez être fière de votre mari et de son remarquable mémoire de fin

d’année.

— Oui Professeur, je suis extrêmement fière de mon mari et de son travail. Et j’ai été très émue

par votre discours.

Je me retourne vers la garce blonde et lui lance un regard noir.

— Alors Miss Matteo, que faites-vous ici ? Vous recrutez votre prochain ingénieur à la sortie des

amphithéâtres ?

— Pas exactement, Katherine. Un des collaborateurs de l’agence passe son Master en Ingénierie

du Bâtiment et je viens de découvrir qu’Elliot faisait partie de cette promotion d’étudiants. Je suis

venue féliciter ce petit cachotier et échanger avec lui sur les perspectives professionnelles qu’ouvrait

son nouveau statut d’ingénieur diplômé d’Etat. Mais je ne veux pas vous ennuyer avec tous ces
détails

professionnels, j’imagine que vous préférez aller chercher un verre de mousseux pour trinquer avec
votre époux.

Je suis prête à lui sauter à la gorge, à lui rectifier la cloison nasale à coups de poing, à lui faire un

brushing à ma façon, bref, à lui exploser sa sale face de garce mais je sens la main d’Elliot qui serre

mon bras, qui me retient. Le son de sa voix est tranchant, je l’ai rarement entendu aussi froid.

— Gia, pour ta gouverne, Kate est celle qui a trouvé cette formation, qui me l’a présentée, et ma

femme a été là à chaque étape de mon diplôme. Elle m’a soutenu, mais elle aussi mériterait d’avoir
ce

bout de papier, car Kate a lu, relu, corrigé et annoté chacun des paragraphes de ce mémoire. Grâce à

son esprit d’analyse et d’observation, elle m’a obligé à creuser certains aspects qui me semblaient

évidents, elle a toujours posé les bonnes questions qui m’ont obligé à dépasser mes acquis. Sache
Gia,

que lors de ses déplacements professionnels, même quand elle était crevée de ses journées de
quatorze

heures, mon épouse prenait le temps de lire les paragraphes que je lui envoyais, de sa chambre
d’hôtel

ou dans la salle de presse, elle travaillait sur mon mémoire avec moi. Donc, si tu as des questions sur

des points que tu n’aurais pas compris, tu peux demander à ma femme. Moi, je vais aller boire une

bière, ces émotions m’ont donné soif.

Je regarde Elliot éberluée. Jamais je ne l’ai entendu parler de la sorte. Gia Matteo non plus à

l’évidence, elle a la mâchoire qui tombe et les yeux qui lui sortent des orbites. Le professeur Bert me

fait un clin d’œil et, quand je suis Elliot du regard qui s’éloigne, je vois Grace, Carrick et Christian

juste à côté, avec le même regard sidéré que Gia. Cette dernière leur fait un petit hochement de tête

avant de tourner les talons et s’éclipser.

Carrick s’approche et me scrute. Je n’ai pas bougé d’un cil, tout se télescope dans ma tête. Mon

beau-père se racle la gorge.

— Kate, euh… Nous sommes venus pour vous dire que nous avons une réservation chez Canlis et
qu’il faudrait partir maintenant si nous ne voulons pas la perdre.

— Oui, oui, bien sûr Carrick. Je retrouve Elliot et nous vous rejoignons là-bas.

Je tourne la tête à la recherche de mon mari, que j’ai perdu dans la foule. Les Grey quittent la pièce

avec les agents de sécurité. Je me retrouve plantée là, seule à me demander encore ce qu’il vient de
se

passer. Elliot est enfin diplômé, ( mon mari est ingénieur ! ) le professeur Bert lui a décerné ses

félicitations, Gia est de retour, ( moi qui étais persuadée d’être débarrassée de cette garce ! ), les

parents d’Elliot ont une tête digne des mauvais jours, comme si Grace et Carrick venaient de prendre

un uppercut dans les dents et j’ai perdu le reste de la famille. Super…

Elliot se matérialise à mes côtés, enlace ma taille et embrasse ma joue.

— Alors Bébé, tu veux boire quelque chose ?

— Non, Elliot, tes parents nous attendent chez Canlis.

il murmure contre mon oreille :

— Princesse, je voulais te remercier, pour tout, pour être toi et de m’aimer comme ça.

Je l’embrasse furtivement sur les lèvres.

— Tu viens de le faire, Elliot ! En rembarrant comme tu l’as fait cette… salope d’architecte !

Merci à toi pour tout ce que tu as dit.

Il sourit, de ce petit sourire timide et me rend mon baiser.

— Allez, viens. Allons chez Canlis. J’imagine que je vais devoir m’expliquer avec mes parents !

***

Arrivés chez Canlis, un serveur nous dirige vers un salon privé, dont les baies vitrées surplombent

la baie. Toute la famille est déjà là, ainsi que Parker Junior, un verre de vin ou une coupe de

champagne à la main. J’attrape au vol une flute et la vide d’un seul coup. Que les Dieux des raisins

macérés me donnent la force de finir ce repas, sans ulcère ni meurtre !

Elliot reçoit les félicitations de ses parents. Grace est encore en mode fontaine de larmes vivante.
Maman fait à mon Dieu blond une accolade chaleureuse, Ethan le chambre sur le manque flagrant de

parité dans son métier. Christian, bah, il reste lui-même, impassible. Je ne saurais dire s’il est fier de

son frère, indifférent ou s’il rêve d’être partout ailleurs sauf ici. Ana et son gros ventre s’approchent
de

moi.

— Eh bien Kate, sacrée journée !

— Oui Ana. Riche en émotions ! Ça me rappelle notre propre diplôme, il y a juste un an. Et

maintenant, regarde où nous en sommes !

Elle sourit en rougissant, caressant son gros ventre. Carrick s’approche de nous et me saisit par le

coude. Je me raidis d’un coup.

— Excuse-nous, Ana, je dois parler à Kate.

— Bien sûr, je… je vous laisse, bafouille mon amie.

Merde, les rats quittent le navire pile au moment où un bouclier humain, enceinte jusqu’aux dents

qui plus est, m’aurait été bien utile.

— Kate, reprend mon beau-père, j’ai bien écouté le discours du Pr Bert et j’ai entendu ce

qu’Elliot disait à Miss Matteo. Je voulais juste te remercier.

J’écarquille les yeux. Je n’ai jamais vu Carrick aussi timide, limite gêné. Pour une fois, je ne sais

quoi répondre.

Il se ressaisit et continue :

— Tu as su voir en Elliot ce qu’aucun d’entre nous n’avait soupçonné. Quand je pense à toutes

ces années où je n’ai pas vu mon fils pour ce qu’il est réellement, où j’ai bataillé avec lui pour qu’il

travaille au collège, puis au lycée… mais grâce à toi, il s’est révélé, il a démontré tout son potentiel.

Grâce. Merci, pour tout, pour lui.

Il me dépose un baiser sur la joue et retourne auprès de son épouse qui discute avec Diane, un verre

de vin blanc à la main. Et je reste plantée là, comme une cruche, la bouche ouverte.
— Ferme la bouche Princesse, sinon je serai tenté de la remplir !

Mon Dieu blond s’est matérialisé à mes côtés et murmure à mon oreille.

— Tu n’es qu’un pervers exhibitionniste, Grey ! Allons manger, je vais m’occuper moi-même de

remplir ma bouche !

Elliot éclate de rire. Il est heureux, magnifique et il est à moi. Il me prend par la taille jusqu’à la

table où tous les convives s’assoient. Elliot reste debout et fait tinter son verre avec son couteau :

— S’il vous plaît, j’aimerais dire quelques mots.

L’assemblée se tait et le fixe. Je sais qu’il déteste parler en public, sauf pour faire l’andouille, je le

dévisage, étonnée.

— Je voudrais commencer en vous remerciant tous d’être là. Pour moi. Je sais que je ne vous ai

pas parlé tout de suite de cette histoire de formation, de diplôme… mais moi-même je n’étais pas très

sûr où cela allait me mener. C’est une personne très… tenace, perspicace et sexy, qui m’a présenté

cette opportunité, qui m’a encouragé et coaché d’une main de fer dans un gant de velours ! Ma très

chère épouse, Kate !

Elliot lève son verre en ma direction, je suis pivoine. Il reprend la parole.

— L’autre chose que je voulais vous annoncer, c’est la création d’une nouvelle société, Grey

Energy. Maintenant que j’ai le diplôme d’ingénieur en construction et en énergies nouvelles et

renouvelables, j’ai décidé d’ouvrir un bureau d’ingénierie, une activité qui sera parallèle à celle de

Grey Construction. Des nouveaux marchés s’ouvrent à nous et la demande est forte, ici à Seattle, mais

aussi dans l’État de Washington. Vous savez déjà, pour certains d’entre vous, que Grey Construction
a

remporté le marché de la réhabilitation des anciens docks des chantiers navals de la ville, Grey
Energy

pourra apporter son expertise à ce projet.

Tout le monde applaudit. Je suis bouche bée. Je n’étais pas au courant de ses projets, de la création
d’une nouvelle société. Elliot se rassoit, et me fixe. Je l’interroge :

— Quand… ? Quand as-tu fait cela, Elliot ?

— Bah, tu sais, j’ai eu de nombreuses soirées libres ces derniers mois, donc plutôt que traîner ma

solitude et mon célibat dans les peep-show de la ville, j’ai travaillé sur mon mémoire et ce projet.

J’aperçois du coin de l’œil Christian qui ricane et Carrick qui sourit. Je les ignore et continue :

— Tu aurais pu m’en parler, Bébé.

— Kate, je ne savais pas moi-même si j’y arriverais. Cela faisait beaucoup à mener de front, mais

j’y suis arrivé. Seul PJ a suivi toutes les étapes, car maintenant, c’est lui qui va gérer principalement

Grey Construction, pendant que je développerai la nouvelle société. Société qui, soit dit en passant,

t’appartient pour la moitié.

— QUOI ?

Je suis éberluée.

— Oui, continue mon mari. Grey construction est à moi, comme le stipule notre contrat de

mariage, mais comme Grey Energy est créé après, j’ai inclus dans les statuts qu’elle nous appartient à

tous les deux. Tu as autant participé à sa création que moi, sans le savoir.

Il me fait son clin d’œil légendaire. Je lui rends :

— Alors pourquoi elle ne s’appelle pas : Kavanagh Grey Energy ?

Il éclate de rire et m’embrasse la joue.

— Parce que c’est moi le patron, Bébé !

14.

Dan Call

— Salut Kate, je ne te réveille pas ?

— Non Dan, je suis encore debout. Et toi, qu’est-ce qu’il t’arrive ? Tu es sur le plateau de Qui

veut gagner des millions et je suis ton appel à un ami ?


Il soupire.

— Non. Si seulement, au moins je m’amuserais. Je suis encore au journal…

Je regarde ma montre, il est 2 heures du matin, ici à Los Angeles comme à Seattle. Le meeting est

terminé depuis longtemps, mais les nouveaux sondages ont mis toute l’équipe de campagne en

ébullition, la horde de journalistes également. Je me pensais partie pour une nuit blanche dans la salle

de presse, mais l’effervescence est retombée, j’ai pu regagner ma chambre d’hôtel.

— Comment ça se passe, au service sport ?

— Je suis au bout de ma vie, de ma courte carrière de journaliste.

— Comme toujours, tu exagères Carter.

Je lève les yeux au ciel : mon collègue a toujours eu l’art de dramatiser. Son détachement au

service sport a débuté il y a cinq jours, un peu avant que les Jeux olympiques de Londres
commencent.

— Non Kate. Je suis en jet-lag permanent et vivre à l’heure européenne n’est pas si facile. Il est

10 heures à Londres, les British commencent seulement leur journée… J’ai l’impression d’être un

vampire. Je crois que j’ai les canines qui poussent en pointe et ma peau devient translucide.

J’éclate de rire.

— Tu n’as jamais été très bronzé, Dan.

— Certes, mais ce n’est pas moi qui passe du bon temps sous le soleil de Californie.

— T’es gonflé. Je te signale que je n’ai pas vu la lumière du jour pendant 48 heures, je suis

enfermée dans les salles d’un palais des congrès, et la lumière des néons est désastreuse pour le teint.

Pour mon effet bonne mine, tu repasseras.

Il glousse, j’entends du bruit derrière lui. Dan soupire et reprend :

— Mais tu n’es pas enfermée avec des hommes de Neandertal qui se tapent dans les mains, sur le

torse ou qui font des cris de gorille en rut quand un mec arrive le premier sur la ligne d’arrivée.

— Non, mais je me coltine des mecs qui deviennent hystériques quand leur poulain gagne un
demi-point dans les sondages.

— Ok, on est à égalité. Mais tu sais que je risque ma vie ici ?

— Quoi ? Comment peux-tu risquer ta vie dans un bureau à regarder la diffusion d’épreuves

sportives sur des écrans ?

— Je me suis trompé d’un dixième de seconde dans le récapitulatif des résultats d’une course de

natation et le journal a reçu des centaines de messages – au mieux d’insultes, au pire de mort. Pfft tout

ça parce que le nageur est une star locale de pataugeoire. Je ne le connaissais même pas avant hier.

Je ris de nouveau mais me ressaisis, mon collègue semble réellement affecté.

— Ça arrive Dan, je fais des boulettes, moi aussi.

— Ah bon, la grande Katherine Kavanagh fait des « boulettes ». Où sont passés ta rigueur et ton

professionnalisme ?

— Dissous avec mon manque de sommeil.

— Et je ne te parle même pas des kilos que je prends avec le régime des journalistes sportifs.

T’imagines même pas le nombre de bières que ces mecs sont capables de descendre en une nuit.

— Mais je croyais que l’alcool était interdit dans l’enceinte du journal ?

— Oui, normalement, mais la direction ferme les yeux. Et la nuit, les chefs ne sont pas là… le

régime pizza-bière est terrible, on va bientôt me rouler dans les escaliers.

— Dan, si ce régime faisait maigrir, ça se saurait. J’en aurais fait un livre et je serais milliardaire.

Arrête de te plaindre, c’est temporaire, les jeux ne durent que deux semaines, tu pourras reprendre
ton

régime à base de graines de quinoa bio qu’Annabella te prépare avec amour.

Il rit à son tour.

— Tu sais que je ne lui ai pas dit, que je mangeais des pizzas, des tacos et des tonnes de burgers

toutes les nuits. Elle serait capable de venir faire un scandale ici.

J’imagine parfaitement le lama péruvien débarquer à la rédaction et menacer de faire un piquet de


grève devant le bureau de Kristine.

— Mais tu sais, Dan, ta copine va s’en rendre compte en voyant ton tour de taille doubler de

volume. Les filles remarquent toujours ce genre de détail.

— Merde, je suis un homme mort ! Tu vois, Kate, je t’avais dit que ce détachement aurait ma

peau.

— Pfft, pauvre petite chose ! Ce n’est pas toi qu’on envoie en Alaska.

Il éclate de rire.

— Oui, j’ai appris ça, il y a quelques jours. Sympa ta tournée des États américains !

— Ouais, moque-toi. Crois-tu que notre tyran en chef m’aurait envoyée suivre la convention

nationale républicaine à Tampa9 Bay fin août ? Non, elle m’envoie en A-LAS-KA ! J’aurais pourtant

bien mérité d’aller trois jours en Floride pour couvrir la désignation officielle du candidat
républicain

qui va affronter le président Obama, non ?

— Oui Kate, tu as été un bon petit soldat.

Il glousse – pfft, aucun soutien de son côté !

— Je suis officiellement en dépression, Dan. Ce n’est pas drôle !

— J’espère que tu sais où sont rangées tes combinaisons de ski. Et tu as raison, ton bronzage

californien méritait d’être peaufiné en Floride. Il faut que je passe au service météo pour voir ce qui

t’attend là-bas, à Juneau10.

Je hausse le ton :

9 Siège du comté de Hillsborough sur la côte occidentale de la Floride, au sud-est des États-Unis

10 Capitale de l’État d’Alaska, aux États-Unis

— Si tu continues, je raccroche, Daniel Carter. Et j’envoie un message à ta copine pour lui dire

que tu fais un suicide artériel à la junk food.

— OK, OK. Je dois te laisser, il y a l’épreuve de tir à la carabine qui commence. C’est aussi
passionnant que le curling11 l’hiver …

— Ah, Dan, tu parles déjà comme un vrai pro sportif. Méfie-toi, ils vont te garder au service

sport. Bye !

Je raccroche. Ce petit intermède avec mon collègue m’a fait du bien, son humour et sa tête de chiot

battu me manquent. Je regarde autour de moi, ma petite chambre d’hôtel, ma valise ouverte au pied du

lit, et la nuit noire par la fenêtre. C’est en ces moments où je me sens le plus seule, quand la journée

s’est terminée en pleine nuit, l’excitation et les litres de caféine m’empêchent de dormir. Depuis que
je

suis en déplacement, j’ai pris l’habitude d’allumer la télévision, souvent sur de vieux films trouvés
sur

le câble, des classiques en noir et blanc. Grace Kelly et Hitchcock, Fred Aster et Ginger Roger,
Clark

Gable et Vivien Leigh me tiennent compagnie jusqu’à ce que je m’endorme.

Elliot me manque terriblement, surtout depuis notre retour de notre voyage de noces. Je sais que

notre amour partagé est chose rare, un sentiment précieux. Parfois, je doute de mes choix de carrière :

je pourrais travailler pour mon père, dans un de ses journaux, ou à Kavanagh TV. Je rentrerais tous
les

soirs chez moi, je retrouverais mon mari, je pourrais voir mes ami(e)s, ma famille. Mais je sais aussi

que si je ne fais pas mes armes sur le terrain – et si je ne le fais pas maintenant –, je ne le ferais
jamais.

J’aime apprendre sur le tas, c’est une formation accélérée, qu’aucun diplôme ni cours à l’université

n’enseigne.

Je regarde ma montre, il est trop tard pour que j’appelle Elliot. Il doit déjà dormir à poings fermés,

dans notre grand lit sous les étoiles. Je sais qu’il va se réveiller dans une paire d’heures, il
commence

toujours tôt ses chantiers l’été. Grey construction tourne à plein régime en cette saison.

Je me couche, rêvant d’être dans les bras de mon mari. Et même Cary Grant murmurant des mots
d’amour à l’oreille d’Audrey Hepburn12 n’arrive pas à me sortir de ma mélancolie.

11 Sport de précision pratiqué sur glace avec des pierres en granit, taillées et polies selon un gabarit

international. Le but est de les placer le plus près possible d’une cible circulaire dessinée sur la
glace, appelée la

maison.

12 Charade, film américain réalisé par Stanley Donen, sorti en 1963

15.

Accident Elliot
Novembre 2012
Qui diable s’acharne mon téléphone ? Je ne réponds pas, c’est un numéro inconnu. Ils vont laisser

un message s’ils veulent vraiment me parler. J’ai beaucoup de choses à faire, car j’ai une réunion
avec

la rédaction pour les sujets du week-end. Aujourd’hui, c’est le jour où nous répartissons les sujets du

supplément du week-end et tous les journalistes se battent pour placer leur papier. Je ne veux pas
rater

mon tour, aussi j’assiste à la réunion, concentrée. Mon téléphone sonne à nouveau, mais il est
toujours

sur vibreur et pas de message.

Je suis de retour à mon poste de travail trente minutes après.

Kristine arrive devant mon écran et me fixe bizarrement.

— Kate, j’ai votre beau-frère, Christian Grey, au téléphone pour vous.

— OK, merci Kristine.

Elle reste là, je la regarde perplexe.

— Il m’a demandé de rester avec vous. Ligne 5.

Je décroche la ligne 5 qui clignote sur mon téléphone en me demandant ce que peut bien me

vouloir Mr Maniaque.

— Christian, que me vaut cet honneur ?

— Kate, Elliot a eu un accident. Parker a essayé de te contacter sur ton téléphone portable depuis

une demi-heure. Il m’a appelé, car il ne pouvait pas te joindre.

Les larmes jaillissent de mes yeux, je retiens mon souffle.

— Est-ce qu’il va bien ?

C’est tout ce que je peux dire.

— Kate, je n’ai pas plus de détails pour le moment. Il a été transporté à l’hôpital Northwest. Je
suis sur la route maintenant. Grace attend l’ambulance là-bas.

— OK, je pars maintenant. Merci Christian.

Je raccroche et prends mon sac à main.

Je suis en autopilote. Sur la route vers l’hôpital, je ne sais pas comment je fais pour conduire sans

créer d’accident. J’ai ces terribles pensées qui me traversent l’esprit : Elliot est blessé, gravement.
Je

sors mon téléphone et j’appelle mon frère. Je suis soulagée de découvrir qu’il est déjà au courant et

Mia également, comme le reste de la famille.

Je me gare devant les urgences et me précipite au bureau d’information pour essayer de localiser

mon homme. Je crache à la femme derrière le comptoir :

— Elliot Grey ? Il a été conduit en ambulance. Je suis sa femme. Où est-il ?

Presque immédiatement, Christian est à mes côtés.

— Kate, il demande après toi. Viens, je vais te conduire à lui. Ce n’est pas trop grave, mais il va

avoir besoin de chirurgie. Maman est avec lui, elle va tout t’expliquer.

— Qu’est-ce qui s’est passé ?

Ma voix est faible. J’implore Christian du regard. Pour une fois, notre petite guerre a cessé, il est

aussi inquiet que moi pour son frère.

— Il est tombé d’un toit. Il a une jambe cassée et une commotion cérébrale, mais il devrait se

rétablir complètement.

Nous arrivons devant une chambre et entrons. En voyant Grace au chevet d’Elliot, je me précipite

vers eux.

— Hey, bébé, bredouille Elliot. Comment va ?

Quoi ? Il est à demi inconscient. Je me tourne vers Grace qui me prend la main.

— Kate, c’est normal. Nous lui avons donné de la morphine, pour la douleur. Nous allons le

transférer en chirurgie, tout va bien se passer. Nous allons vous laisser deux minutes avant de
l’emmener, et puis, je vais tout t’expliquer une fois que tout le monde sera là, d’accord ?

Grace est si calme et posée. Elle s’adresse à son fils cadet :

— Christian, peux-tu aller dans la salle d’attente et rassembler tout le monde. Nous irons

ensemble jusqu’au troisième étage ?.

J’agite la tête pour dire oui avant de me détourner vers mon géant à terre. Je lui caresse le visage et

lui embrasse le front. Je reste avec lui jusqu’à ce qu’ils l’emmènent en chirurgie. Ensuite, je rejoins
le

reste de la famille dans la salle d’attente. Il y a là Carrick, Mia et Ethan, Grace, assise sur un côté

tenant la main d’Ana. Christian est debout près de la porte. Je remarque dans le couloir la silhouette
de

PJ, je lui fais signe d’approcher. Je sais qu’ils vont bientôt parler d’Elliot, des circonstances de

l’accident, mais ma tête est dans le brouillard, je n’arrive pas vraiment à comprendre ce qui se dit

autour de moi.

Soudain, tout est noir…

— Kate, m’entends-tu ?

Je m’agite pour répondre, les choses commencent à revenir lentement. Je suis couchée, la tête sur

les genoux d’Ana, les jambes sur la chaise d’à côté.

— Kate, tu t’es évanouie. Peux-tu me dire où es-tu ?

C’est la voix de Grace.

— À l’hôpital.

J’essaie de m’asseoir, mais Grace me maintient couchée et me conseille d’y aller doucement.

Christian me tend une bouteille d’eau que j’accepte avec gratitude. Je me redresse lentement. Grace

prend le siège à côté de moi. La salle est remplie avec la famille, tous me regardent avec de grands

yeux. Grace explique que l’opération prendra environ quatre heures et qu’ils mettront dans le tibia

d’Elliot une tige métallique, maintenue en place par des vis. Il a une double fracture tibia-péroné ; il
devra rester à l’hôpital pendant quelques jours, pour voir s’il n’y a pas de rejet de la barre ou

d’infection.

Les heures semblent aller si lentement. Carrick et Christian arpentent la pièce. Grace s’éclipse

souvent. Quand elle revient, elle essaye de nous donner les dernières informations. Mia est
enveloppée

dans les bras d’Ethan ; Ana n’a pas quitté sa place à côté de moi. Taylor nous a gentiment apporté des

sandwichs et des boissons, mais je ne pense pas qu’aucun d’entre nous ait très faim.

Enfin, le chirurgien arrive et nous annonce qu’Elliot va bien et qu’il est en salle de réveil. Je

pourrai le voir dans environ vingt minutes ; après il sera transféré dans sa chambre.

L’infirmière m’escorte à la zone de réveil. Elliot est couché, la jambe droite suspendue à des

poulies. Je tiens sa main libre, la caressant doucement. Mon grand homme fort semble si petit, si

fragile, ainsi couché dans ce lit d’hôpital avec une intraveineuse dans son bras et plusieurs moniteurs

connectés à lui. Il a les yeux clos. Je commence à lui parler de toutes les choses que nous avons

partagées depuis que nous sommes ensemble. Je ne peux pas m’empêcher de sourire en évoquant
notre

mariage…

Tout à coup je me sens un resserrement de ma main. Je relève la tête, ses beaux yeux me regardent.

Dieu merci, il est de retour !

— Salut, Bébé.

— Salut.

— Comment te sens-tu ?

— Comme si j’étais tombé d’un toit… ou quelque chose dans le genre.

Nous sourions tous les deux, puis, ensemble, nous commençons à rire.

— C’est une bonne chose que tu ne sois pas mort parce que je vais te tuer pour m’avoir fait peur

comme ça !
— Merde, bébé, quelle heure est-il ? Tu n’avais pas une réunion importante ?

— Grey, en ce moment, la seule chose dont nous avons à nous inquiéter, c’est que tu ailles bien.

— Oui… Kate, si je dois mourir, est-ce que ça peut être d’un orgasme ?

Et il se rendort, un sourire béat aux lèvres. Cet homme me rendra folle, mais qu’est-ce que je

l’aime !

***

Huit semaines… les médecins de ce foutu hôpital ont donné huit semaines d’arrêt à Elliot pour sa

jambe. Les premiers jours de son retour à la maison, j’étais aux petits soins : je lui apportais ses
repas

au lit ( j’ai découvert ce que c’était de faire le petit déjeuner ET le dîner chaque jour de chaque

semaine depuis que mon mari est alité, sa jambe droite plâtrée suspendue par une poulie tenue par

des filins), je l’aidais pour sa toilette ( bordel, ce n’est vraiment pas pratique de prendre une
douche

avec un plâtre à la jambe ! ), je rentrais tôt du journal pour lui tenir compagnie, j’ai aménagé au
mieux

mes déplacements pour rester avec lui, à Seattle.

Grace et Mia passent à la maison dès qu’elles peuvent et remplissent notre réfrigérateur de

barquettes de plats faits maison.

Je vais tuer Mia Grey… Je vais la tuer, et son frère aussi.

Ma « gentille » belle-sœur n’a rien trouvé de mieux que d’acheter à mon mari une clochette, pour

qu’il me sonne au moindre désir, comme une domestique. Au début, il hurlait depuis la chambre, puis

il m’a envoyé des SMS, et maintenant, il me sonne… pour un oui ou pour un non. Il lui faut son

journal du matin, son oreiller n’est pas bien positionné dans son dos, sa soupe est froide… Elliot a

failli prendre le dernier plateau de son dîner dans les dents… Je suis à bout de nerfs. Rajoutez à cela

six semaines d’abstinence sexuelle, vous devinez aisément dans quel état je me trouve. Nous n’avons

jamais connu une aussi longue période d’abstinence ! Je suis obligée de m’auto-satisfaire rapidement
dans la douche, le soir avant d’aller me coucher.

Ce matin, c’est la fin de la sixième semaine d’immobilisation de mon géant blond. Les médecins

ont ôté les broches de son tibia la semaine dernière, il a un nouveau plâtre et marche un peu avec des

béquilles. Elliot est d’une humeur de chien, il ne supporte plus l’inactivité, mais comme Grace lui a

ordonné de rester en convalescence à la maison, le bon garçon écoute sa maman. Que je sois à deux

doigts de demander le divorce, il s’en fiche, il ne m’écoute pas, moi. Un grand gosse de sept ans
d’âge

mental alité… voilà ce que j’ai comme mari. En partant ce matin au journal, je préviens Muňerez de

l’état d’esprit du « grand malade » qu’il doit baby-sitter. J’ai même autorisé le garde du corps à faire

usage de son arme de service s’il craque. J’ai affirmé à Muňerez je plaiderai les circonstances

atténuantes auprès de son employeur, ( le grand tyran en chef,) au cas où il y aurait des plaintes. Je

crois qu’il a étouffé un fou rire avec un toussotement.

Au journal, je peux enfin me détendre, oublier mon stress domestique et me concentrer sur la folie

du monde qui nous entoure. Vers 14 heures, j’appelle mon mari juste par acquit de conscience. Il ne

décroche pas sur le poste fixe, (j’ai pourtant mis un des combinés sur sa table de chevet à côté du lit),

ni sur son téléphone portable. Merde, qu’est-ce qu’il se passe ? Je commence à m’inquiéter, sinon à

paniquer. Pourquoi Elliot ne décroche pas son putain de téléphone ? Que se passe-t-il à la maison ?
Je

décide d’appeler Muňerez pour avoir le fin mot de l’histoire.

— Muňerez? Ici Katherine Grey.

— Oui, Mrs Grey.

Ça me fait toujours étrange qu’il m’appelle ainsi, j’ai l’impression qu’il parle à Grace, ou à Ana…

— Où est mon mari ? Je n’arrive pas à le joindre.

Muňerez marque un temps d’arrêt, suffisant pour me mettre en alerte maximum.

— Mr Grey est… à son bureau, à Grey Construction, Madame.


— QUOOOIIII ?

Muňerez vient de perdre l’audition de son oreille droite.

Elliot est à son bureau à Grey Construction ? Il est sorti de son lit, contre l’avis des médecins et de

SA MÈRE ??? Il se fout de moi ? Ce matin, il était encore soi-disant mourant, ah, je vous jure, les

hommes malades ou blessés sont toujours à l’agonie, et là, Monsieur Grey se balade à son bureau en

plein après-midi ?

— Écoutez, Muňerez, écoutez-moi bien. (Mon ton est létal) Vous ramenez Mr Grey à la maison

pour 16 h 30 au plus tard et vous le couchez dans son lit. Pas de discussion, exécution !

— Oui Mrs Grey.

J’entends à la voix de ce pauvre Muňerez qu’il vient de passer une nouvelle étape dans les

attributions de son poste et dans son degré d’intimité avec nous. Je fulmine.

Je vais vraiment tuer Elliot Grey aujourd’hui.

Mais la vengeance est un plat qui se mange froid, je vais lui servir un « spécial Kavanagh », un

plat tout droit sorti du congélateur. Il faut que je règle quelques petits détails avant de mettre à

exécution ma vengeance.

A 17 heures tapantes, je rentre enfin à la maison. Muňerez doit être quelque part, à creuser un trou

pour y enterrer son « client » et lui avec par la même occasion. Je monte à l’étage de notre chambre,
je

trouve mon mari sur le lit, en tee-shirt et bas de survêtement en molleton gris chiné ; il a les pieds
nus.

Parfait. Que le show commence !

— Bonsoir Bébé, désolée pour le retard, j’avais quelques courses à faire.

— Mmm, ‘soir Bébé. Au moins, tu peux sortir, voir des gens et faire des courses…Moi, je

connais par cœur les infos de CNN et de Wall Street TV. Tu savais qu’ils rediffusaient les Mystères
de

l’Ouest sur le câble ?


— Non Elliot, (je soupire) je ne le savais pas. Je me demande comment j’ai pu rater cette

information essentielle.

Je me dirige vers mon dressing, trouve la boîte qu’Ana m’a offerte à mon anniversaire aux

Bermudes. Parfait, j’ai l’accessoire qu’il me faut. Je me dirige vers le lit et m’assois à ses côtés.

— Mon pauvre Bébé, je te plains vraiment. Je vais bien m’occuper de toi ce soir.

Je lui dépose un baiser furtif sur les lèvres et lui saisis un poignet. Avant qu’il réalise, je lui attache

le bracelet en cuir des menottes d’Ana. Surpris, il me regarde avec des yeux exorbités, le temps

suffisant pour attraper son autre main, passer la chaîne entre un barreau de la tête de lit et lui attacher

l’autre poignet. Voilà, il est totalement ligoté, les bras au-dessus de sa tête. Je cale un oreiller sous sa

nuque, pour être bien sûre qu’il puisse assister au spectacle que je lui réserve.

— Bon Dieu Kate, qu’est-ce que tu fous ?

Je me relève, lui fait un grand sourire, et je pose mon téléphone sur la base de la chaîne hi-fi.

Beyonce envahi la chambre, Who run the world. Je ramasse le sachet que j’ai laissé au pied du lit et

me dirige vers la salle de bain.

Allez Kate, un peu de courage, n’oublie pas que ton mari doit prendre une leçon !

— Kate, arrête, ce n’est pas drôle ! beugle Elliot sur le lit.

Enfin prête, je sors de la salle de bain et me plante devant lui. La musique change, mon timing est

parfait. Les Pussy Cat Doll prennent le relais. Il relève la tête, je crois qu’il vient de perdre l’usage
de

la parole. Je me dresse fièrement en tenue d’infirmière, une petite toque blanche avec une croix sur la

tête, une mini combinaison blanche et rouge, moulant ma poitrine, le bustier blanc relevant

outrageusement mes seins vers le haut, la mini culotte fendue blanche que j’ai acheté dans un magasin

de lingerie coquine, des bas auto-agrippant blancs également et mes Louboutin rouges, de 15 cm de

hauteur. Je joue négligemment avec stéthoscope livré avec la tenue.

— Oh, j’ai vraiment eu une longue journée.


Je minaude, en battant des cils. Elliot ne me quitte pas des yeux, je crois qu’il va faire une crise

cardiaque.

— J’ai encore du travail, je dois m’occuper de mon dernier patient. Dommage que celui-ci soit

dans le coma, il est tellement sexy.

Je me lèche la lèvre supérieure.

— Je dois d’abord le déshabiller avant de lui faire les soins.

Je monte sur le lit, au niveau de ses pieds. Doucement, je saisis les coutures de son bas de

survêtement au niveau de la taille, ainsi que l’élastique de son boxer. Elliot lève le bassin

immédiatement pour me faciliter la tâche, il pousse un soupir quand son sexe est enfin libéré, pointant

vers la verrière. Délicatement, je libère sa jambe plâtrée, puis l’autre. Je sais que je suis déjà
trempée

de mon propre petit jeu, je ne sais pas si j’arriverai à mener mon plan diabolique à terme. Une fois

débarrassé de ses bas, je remonte lentement sur lui, sur mes genoux, ses jambes entre les miennes.

— Oh putain Kate…

Son souffle est difficile, Elliot tire un peu sur les liens qui l’entravent, je sais qu’il est déjà à bout.

Pas encore mon coco, j’ai un message à te faire passer.

— Tss tss… le patient dans le coma ne parle pas. Il ne voit pas non plus. Dois-je te bander les

yeux également ?

J’ai le ton d’une institutrice qui gronde son élève, il secoue la tête vigoureusement en se mordant

les lèvres. Je reprends :

— Bien. Dommage que ce pauvre homme soit dans le coma, il est si sexy, si chaud. Il me rend

folle… Comment puis-je faire ? Je dois vérifier ses constantes… (je joue avec le stéthoscope,) mais
il

me trouble, je ne peux pas faire mon travail correctement.

Je lèche ma lèvre inférieure, et lentement, j’introduis mon index droit dans ma bouche que j’ai
peinte avec mon rouge à lèvres le plus vif que je possède. Je crois que les yeux d’Elliot viennent de

sortir de leurs orbites.

— Et il fait si chaud… oh et puis zut, il n’y a personne d’autre dans cette chambre et ce pauvre

homme n’a jamais de visite.

Centimètre par centimètre, je dé-zippe la fermeture sur le devant de mon costume, dévoilant mon

bustier en dentelle. Ma main quitte ma bouche, fait tomber la robe d’un côté, puis de l’autre ; une fois

sortie du costume, je l’envoie lascivement au pied du lit. Je ne l’ai toujours pas touché, mais son sexe

palpite déjà devant moi, j’ai du mal à résister à le prendre dans ma bouche. Allez Kate, concentre-toi
!

Mes mains passent sur ma poitrine, je le fixe, et commence à caresser mes seins.

— Oh oui… je crois que je sais ce qui pourrait me soulager…

Je sors mon sein droit de sa cage de dentelle, fait rouler mon mamelon entre mes doigts, il est déjà

tendu sous mon attaque. Je le pince entre mon pouce et mon index, putain, c’est bon ! Elliot souffle, sa

langue darde entre ses dents. Ma main gauche afflige le même traitement à mon autre sein, je me

caresse la poitrine pendant quelques instants, je sais que je suis déjà trempée.

— Mmm, c’est si bon…. Je souffle… dommage que ce pauvre homme ne puisse rien pour moi…

Je continue ma caresse, puis descends vers ma culotte, enfin, ce qui ressemble à une culotte… Mes

doigts passent sur le tissu et trouvent la petite fente entre mes jambes, mon autre main reste sur mon

sein, malaxant, tirant sur mon mamelon. Je plonge sans hésiter entre mes plis, trouvant mon humidité

stimulée par mes propres mains. Elliot siffle entre ses dents, tirant de plus en plus sur ses liens.

— Kate, ça suffit, libère moi, Bébé !

— Chut. Si tu parles encore, j’arrête tout.

— Je… Ok… putain, tu me rends dingue !

Toi aussi Grey, ça fait des semaines que tu me rends dingue !

Je reprends où j’en étais, c’est-à-dire mon index sur mon clitoris qui réclame plus d’attention. Je le
titille, le fait rouler et plonge un doigt en moi. Dieu que c’est bon ! Je sais que je suis proche, je

continue mon assaut, sur mon sein, sur mon bourgeon incandescent et entre mes plis. Je jouis

rapidement, jetant ma tête en arrière, rassemblant mes forces pour ne pas m’écrouler sur lui. Elliot est

aussi au bord de l’apoplexie, le souffle court, les yeux fixés sur moi, le sexe tendu. Je reprends mes

esprits, retire lentement mes doigts de mon entre-jambes, je le regarde triomphante. Britney et son

Slave viennent à ma rescousse et les basses lascives me donnent le rythme.

— Quel dommage que ce patient ne puisse ni bouger, ni rien sentir. A-t-il encore le sens du

goût ? Peut-il me goûter dans son état ?

Je tends ma main vers sa bouche, il ouvre immédiatement ses lèvres et suce mes doigts dès que je

les plonge dans sa bouche. Sa langue tourbillonne autour de mon index et mon majeur, léchant, suçant

mon plaisir. Ses yeux ne me quittent pas, seules ses mains gigotent dans leurs liens de cuir. Son sexe

est parcouru de soubresauts, je prends pitié de lui, je me positionne juste à la verticale. Je vois qu’il
me

supplie du regard, très bien, c’est exactement ce que je voulais. Je lui lance un regard provocant,
retire

brusquement mes doigts de sa bouche et m’empale sur lui. Il expire bruyamment quand je le gaine,

jusqu’à la garde. Mes mains plaquent son torse musclé sur son tee-shirt, et je commence ma lente

remontée sur son membre. En haut… en bas… une fois, deux, puis trois fois…

— Kate, libère-moi ! libère-moi Bébé…

Je secoue la tête négativement, et accélère mon rythme. Je le possède totalement, je donne le

rythme ; du bassin, Elliot marque une contre poussée à chacun de mes assauts, je sens une décharge

électrique au creux de mon dos. C’est tellement fort, je me sens tellement puissante, il est à ma merci,

je le contrôle entièrement. Ma main retrouve le chemin de mon clitoris, et dans un dernier


mouvement,

j’explose sur lui. Je m’écroule sur son torse, à bout de souffle. Elliot donne deux derniers coups de

rein et me rejoint dans l’orgasme. Après quelques instants, je tends les bras et le libère de ses
entraves

de cuir. Immédiatement, il plaque ses mains dans mon dos, me caresse la nuque, les omoplates, la

colonne vertébrale jusqu’au fesses.

— Putain Kate, c’était… incroyable… dément. Comment as-tu pu faire ça ?

— Hmm…c’était pour dire que ce n’est pas grave si mon mari est toujours immobilisé à cause de

sa vilaine blessure… Je peux me débrouiller toute seule !

— Ça, je n’en ai jamais douté, Princesse ! Putain, tu étais tellement sexy, chaude… quelle baise

d’enfer !

— Oui Bébé, je sais… et si tu peux me baiser et aller au bureau, Grey, tu n’as plus besoin de moi

comme infirmière ! Je peux ranger ce costume !

Il éclate de rire, je ressens les secousses, il est toujours en moi.

— OK, j’ai compris… Désolé si j’ai été odieux ces dernières semaines… Mais le costume, tu

peux le garder, j’adore mon infirmière sexy.

J’acquiesce, mission accomplie : le message a été reçu.

16.

Mettre en route un bébé

En 2013…

— Donne-moi tes clés, Bébé.

— Elliot, c’est Ma voiture, je conduis.

— Allez Kate, dépêche-toi de me donner ces clés, nous allons être en retard ! J’ai une réservation

chez Matt in the Market pour 19 heures…

— Nous serons effectivement en retard si tu ne poses pas tes fesses sur ce siège ! Aurais-tu peur

de ma conduite ?

— Terrifié…
— Sois un gentil garçon, et boucle ta ceinture, Grey !

— Je sais que je vais le regretter.

Elliot marmonne en ouvrant la portière côté passager et s’affale sur son siège. Je roule

normalement, mais il est crispé, tendu comme un ressort dans une boîte.

— Kate, putain, ralentis ! Tu vas nous tuer tous les deux.

— Oh, ça va !

— J’aimerais que nos enfants aient encore leurs deux parents entiers !

— Nous n’avons pas d’enfant, Elliot.

— Ouais, j’espère bientôt en avoir un, voire plusieurs, sauf si tu nous tues.

— QUOI ?

— Oui Kate, je veux faire un enfant avec toi, mais garde tes yeux sur la route, s’il te plaît !

Je n’ai pas le temps de répondre que mon téléphone sonne. J’actionne le système main libre, et

aboie :

— Oui, ici Kavanagh. J’écoute !

Je vois du coin de l’œil Elliot lever les yeux au ciel. Je sais qu’il n’apprécie guère que je garde mon

nom de jeune fille pour le travail, mais dans le monde du journalisme et des médias je suis connue et

reconnue en tant que Kate Kavanagh. J’expédie vite fait ma conversation et fais crisser les pneus de

ma voiture sur le parking devant Pike Market, près de l’appartement d’Ethan et Mia. Elliot lâche
enfin

l’air comprimé dans ses poumons. À croire qu’il était en apnée depuis notre départ de mon bureau.

Une fois installés à notre table, la commande passée et la serveuse partie, je plante mon regard dans

ses yeux bleus :

— Bon, c’est quoi le problème, Grey ?

— Aucun problème, Bébé, à part ta conduite.

Il me fait son clin d’œil légendaire, mais il ne s’en sortira pas si facilement.
— Ne te fiche pas de moi, Elliot, tu as lâché une bombe dans ma voiture, va jusqu’au bout de ton

raisonnement.

— Ok, ok. J’ai envie de fonder une famille, j’en ai toujours eu envie. Cela fait bientôt un an et

demi que nous sommes mariés, ta carrière est sur des rails, j’ai passé le cap des trente ans, c’est le

moment parfait pour avoir un enfant, notre enfant.

Je le regarde fixement, j’entends ses arguments. Je savais que nous allions avoir cette discussion…

un jour ou l’autre. Je ne m’attendais pas à que ce soit maintenant. J’essaie de réfléchir vite à la

meilleure réponse à lui donner, je ne veux pas le blesser.

— Laisse-moi le temps d’y penser, Elliot. Je ne sais pas si c’est le bon moment… Je veux dire

que j’ai beaucoup de travail et…

Il me coupe sèchement.

— Kate ! Ce ne sera jamais le bon moment avec ton boulot ! Il y aura toujours une nouvelle

actualité brûlante, un nouveau scoop à couvrir, une nouvelle catastrophe à écrire.

Je soupire, il a raison. Ma vie professionnelle est un tourbillon permanent, et j’aime ça. Je suis

comme ça, j’ai besoin de l’excitation de mon métier, de l’adrénaline qu’il me procure. Je sais que
mon

rythme peut être parfois difficile à suivre pour Eliott, j’ai souvent annulé des rendez-vous avec lui
pour

couvrir une information de dernière minute, je lui ai imposé des déplacements de plusieurs jours… il

suit mon rythme à trois mille kilomètre-heure, sans broncher, sans jamais se plaindre. Mon mari est
un

modèle de patience et de compréhension, un saint.

Suis-je prête à devenir mère ? L’est-on un jour ? Je ne sais pas, je ne me suis jamais vraiment posée

la question. Bien sûr, en épousant Elliot, je savais qu’il voulait fonder une famille. En le voyant jouer

avec Teddy, le fils d’Ana, j’ai compris qu’il serait un père formidable. Il est fou de ce petit garçon, il

adore jouer à l’ « oncle-copain », ce qui énerve prodigieusement son frère.


— Allo la Lune, ici la Terre ! J’aimerais que mon épouse atterrisse pour poursuivre cette

conversation !

— Désolée Bébé, je… je réfléchissais.

Je me rends compte que mon assiette est vide, je serais bien incapable de dire ce qu’il y avait

dedans. Elliot me dévisage, la tête penchée. Je sais qu’il attend ma réponse, mais je ne sais pas quoi

dire.

— Alors, Kate, qu’en penses-tu ?

— Est-ce que je peux utiliser mon joker et te répondre dans quelques jours ?

Il soupire, pose sa serviette à côté de son assiette et boit une gorgée de vin rouge. Il me fixe, je ne

peux dire s’il est déçu, en colère ou fâché.

— Kate, nous allons partir cet été deux semaines à Hawaï… Je me disais que ce serait le moment

parfait pour mettre en route un bébé ? Non ?

— Je t’ai demandé du temps pour y réfléchir, je ne te dis pas non mais…

Elliot plisse les yeux et monte d’un ton :

— Si tu réfléchis trop, nous ne le ferons jamais ! Regarde comme ton amie est heureuse avec

Teddy ! Regarde comme mon frère a changé ! Jamais je n’aurai cru le voir aussi épanoui avec un

enfant.

— Tu n’as pas le droit d’invoquer Teddy ! Bien sûr je suis heureuse pour eux, bien sûr ce petit

garçon est adorable, mais c’est leur famille !

— Faisons la nôtre alors, Kate !

Je bois derechef mon verre de vin et cherche comment sortir de cette conversation sans faire

d’esclandre au milieu du restaurant. Je n’ai pas envie de me donner en spectacle ce soir, mais la

tournure que prend cette discussion n’inaugure rien de bon. Au pire, je me dis que j’ai ma voiture et

mes clés, je peux partir à tout moment. Elliot me dévisage, scrutant la moindre de mes réactions,
j’essaie de garder une expression impassible. Il murmure :

— Je ne veux pas te mettre la pression Kate, mais c’est important, pour moi. Je t’aime, et j’ai

toujours su, à la minute où je t’ai rencontrée que tu serais la mère de mes enfants. Je n’ai jamais

ressenti ça avec une autre femme. Bien au contraire, je fuyais dès que l’une d’entre elles voulait plus

ou demandait que je m’engage.

— Je sais Bébé.

Je me rappelle très bien de nos vœux, à notre mariage. Je cite par cœur un passage des vœux que

j’ai échangé avec lui, sur notre ponton aux Bermudes, là où nous nous sommes dit « oui pour la vie »
:

— Je vais rêver avec toi, marcher à tes côtés, là où nos vies peuvent nous mener.

— Tu connais mon rêve, Bébé. Tu sais, j’ai une chanson en tête, un truc idiot que Mia chantait

tout le temps, une chanson en français qu’elle avait trouvée sur internet. En gros, ça disait à peu près

ça :

Avoir un seul enfant de toi

Ça f’sait longtemps que j’attendais

Le voir grandir auprès de toi

C’est le cadeau dont je rêvais

Qu’il ait ton sourire, ton regard

Quand tu te lèves le matin

Avec l’amour et tout l’espoir

Que j’ai quand tu me tiens la main

— Je sais, c’est un peu naïf, mais ces paroles correspondent bien à ce que je ressens maintenant.

— Non Elliot, il n’y a rien de naïf dans ces paroles. Mais tu sais, rien ne dit que nous ferons un

enfant cet été. Je prends la pilule depuis des années, et même si je l’arrête avant les vacances, rien ne

garantit que je tombe enceinte immédiatement.


— Je sais, Princesse… et il va falloir s’entraîner pour que cela marche.

Je lève les yeux au ciel et fait une moue.

— Pourquoi ne suis-je pas étonnée que mon pervers de mari ne pense qu’aux aspects lubriques de

la conception13 ?

Elliot éclate de rire, je suis vaincue.

13 Le Voyage de Noces du couple à Hawaï (et la conception du bébé) seront dans le tome 4

17.

Fashion Week
Septembre 2013
Je boucle ma petite valise et m’apprête à sortir de cette chambre d’hôtel. C’est un peu ma deuxième

maison, je demande toujours la chambre numéro 18 lors de mes passages à Washington DC depuis

deux ans. Putain, deux ans que je suis en déplacement pour suivre les politiciens, élus, députés ou

autres sénateurs ! Je jette un dernier coup d’œil pour vérifier que je n’ai rien oublié quand mon

téléphone sonne. Kristine hurle dans le combiné :

— Kavanagh ! J’espère que vous êtes encore sur la côte Est ?!

— Euh… oui. Bonsoir, que me vaut l’honneur d’un appel aussi tardif ?

Il est 21 heures ici à la Capitale.

— Je suis dans la merde Kavanagh !

J’ai toujours aimé la franchise et le ton direct de ma chef, même si je sais que si elle est dans la

merde, moi aussi maintenant. J’attends la suite.

— Perez Radisson, notre chroniqueur mode à New York vient de tomber malade, champagne

éventé ou petits fours avariés à ce que j’ai compris. Il ne peut couvrir la Fashion Week qui
commence

demain. Je n’ai que vous sous la main – et sur la côte Est. Je vais faire changer les accréditations et
les

mettre à votre nom. Trouvez-vous un hôtel pour la semaine – allez-y mollo sur les notes de frais,

hein ! – et couvrez-moi ces putains de défilés !

Je prends une grande inspiration avant de me lancer.

— Kristine, ce n’est pas mon domaine, et cela fait une semaine que je ne suis pas rentrée chez

moi. Je ne peux pas prolonger une semaine de plus.

Le blanc au bout du fil est assourdissant. Je vois parfaitement ma rédactrice en chef choisir quelle

arme blanche elle va utiliser pour me découper.

— Kavanagh, vous avez toujours votre abonnement à Cosmopolitain ? Vous faites la différence
entre Karl Lagerfeld et Anna Wintour ? Oui ?! Donc, vous filez à New York couvrir la Fashion Week
!

Demain, je vous mailerai le programme de cette petite nature de Perez, et ce que j’attends de vous !

Partez à l’aéroport illico et montez dans le premier avion !

Je n’ai pas le temps de répliquer, Kristine a déjà raccroché. Merde de merde !

Elliot ne va pas apprécier… Je lui avais promis de rentrer aujourd’hui, après le vote du congrès.

D’un simple coup de fil, ma chef vient de mettre mon mariage en danger. Bon, j’avoue, suivre la

Fashion Week de l’intérieur m’excite énormément : j’adore la mode, les créateurs, les stars sur les

podiums et dans la salle. Merde, si je suis honnête avec moi-même, je suis impatiente de partir à
New

York. Je suis enthousiaste à l’idée de côtoyer les grands couturiers, les mannequins, voir les
fabuleuses

créations…

Bon, inutile de tergiverser, je dois appeler mon mari.

— Salut, Princesse !

Le ton enjoué et chaleureux de mon Dieu blond me réchauffe les veines mais me plonge dans les

affres de la culpabilité.

— Coucou Bébé. Je ne te dérange pas ?

— Non, jamais. Es-tu à l’aéroport Kate ?

— Oui Elliot.

Je marque une pause. Je dois lui dire.

— … mais pas pour Seattle. J’embarque pour New York.

— Quoi ? Tu n’avais pas de vol direct ?

— Non Bébé, je pars pour New York, je ne rentre pas à la maison. Kristine vient de me demander

de suivre la Fashion Week pour le Seattle Times, notre journaliste free-lance est malade et ils n’ont
que
moi à proximité.

J’entends mon mari soupirer, je l’imagine faisant les cent pas en se passant la main dans les

cheveux. Je sais que je lui avais promis de passer la semaine suivante avec lui et que, lors de nos

vacances à Hawaï, il y a trois semaines, je lui avais promis de lever le pied et de faire le maximum

pour rester à Seattle, mais… là, ce n’est pas de ma faute, non ?

Franchement Kavanagh, tu n’es pas très convaincante : tu perds la main, ma fille, admets-le. Tu

adores cette vie, ce rythme effréné ; ça t’excite de courir après les scoops, de dormir dans les
halls

d’hôtel et manger des sandwiches à trois heure du matin en salle de presse. Je suis perdue dans
mes

pensées quand je me rends compte que j’ai toujours mon téléphone à la main. Elliot aurait-il

raccroché ? Non, il est toujours en ligne, mais il reste silencieux.

— Elliot ? Bébé ?

— Oui Kate, je suis là.

— Je suis désolée, mais je n’ai pas le choix. Je dois faire mon travail.

— Pfft Kate… franchement ? Tu n’as pas dû résister longtemps avant de dire oui à ta chef.

— Elliot ! (Je monte en compte-tours !) Tu n’as pas le droit de dire ça !

Même si c’est vrai. Il a raison mais je ne l’avouerai jamais, même la tête sur le billot.

Une idée me vient à l’esprit :

— Dis Bébé, pourquoi ne me rejoindrais-tu pas ? Viens ici, à New York ! J’imagine qu’il y aura

de quoi t’occuper la journée, quand je serai aux défilés et la nuit, je serai tout à toi.

— Princesse, aussi tentante que puisse être cette idée, je ne peux pas. Je dois préparer mon

voyage en Haïti, planifier avec PJ la logistique et l’approvisionnement sur place avant de partir dans

deux semaines.

— Ha, tu vois, je ne peux pas être avec mon mari car il a un travail très prenant et des
déplacements à l’étranger !

Elliot manque de s’étouffer avant d’éclater de rire.

— Ta mauvaise foi et ton culot battent des records en ce moment, Kavanagh !

— Bah quoi ? Je dois te laisser, mon vol est annoncé à la salle d’embarquement. À plus, Bébé !

— A plus, Princesse, je t’aime.

***

À peine arrivée à New York, la cohue et la frénésie de la Grande Pomme me happent dans un

tourbillon, une tornade où la folie se résume à trouver une chambre d’hôtel en cette période où le

monde entier a les yeux braqué sur la ville ( merci Papa et Kavanagh Média et leurs suites à
l’année

au Hilton), trouver des taxis pour se rendre aux lieux de défilés ( mais pourquoi les créateurs,
surtout

les étoiles montantes veulent absolument défiler dans des endroits « originaux », voire
improbables de

la ville ? ils ne peuvent pas faire ça sur la Cinquième avenue comme tout le monde ? ), trouver les

accréditations que les services de presse perdent régulièrement, interviewer des mannequins dont la

seule consigne de vie qu’elles suivent est : « mange un pépin de pomme et tire la tronche ! », se

faufiler entre les bloggeuses modes, les jet-setteuses, les stars de TV réalité, du Net, de YouTube, de

MesDeux pour accéder au saint Graal, c’est-à-dire les couturiers.

Je suis dans la file d’attente pour le pôle presse de Mickael Khor quand mon portable sonne. Ana ?

Que me veut mon amie à cette heure-ci ? Zut, j’ai oublié le décalage horaire, il ne doit être que 17

heures à Seattle, elle doit finir sa journée de travail. La mienne ne fait que commencer alors qu’il fait

nuit à New York. Je soupire en décrochant, je crie dans le combiné car la musique ambiante est à
fond,

les journalistes hurlent en voyant les mannequins et les hit-girls.

— Steeeeele ?
— Oui Kate ? Oh, je t’entends mal ! Je ne te dérange pas ?

— Non, vas-y, c’est juste Miley Cyrus qui vient d’arriver !

— Qui ça ? Mais où es-tu ?

— Laisse tomber, Steele ! Je suis à New York, pour la Fashion Week.

— Oh, je pensais que tu étais rentrée à Seattle et je voulais t’inviter à déjeuner demain !

— Ça aurait été avec plaisir, Steele, mais à moins que tu ramènes ton petit derrière ici, c’est partie

remise ! Désolée, je dois y aller, il y a Lady Gaga qui débarque, tu devineras jamais ce qu’elle a sur
la

tête !

Et je raccroche. Ana ne devinera jamais, c’est évident, je suis certaine qu’elle ignore qui est Lady

Gaga… ou plutôt Lady « couronne de fleur sur la tête » ! Je suis morte de rire en voyant le show que

la star offre aux photographes et au monde.

***

Cela fait à peine trois jours que je suis ici, j’ai dû dormir dix heures en tout, je pense que mes yeux

se ferment tous seuls, sauf quand une robe attire mon attention. Le régime sandwiches, hot-dog debout

dans la rue et champagne à gogo lors des soirées des marques, des journaux ( putain, il n’y a pas à

dire, Vogue et la Wintour savent y faire, leur soirée était démente) ont eu raison de mon estomac.
Je

comprends mieux Perez – il m’a dit qu’il fallait toujours avoir du bicarbonate sur moi, en toutes

circonstances.

Je le remercie silencieusement, je brulerai un cierge sur l’autel de la mode pour lui. Je prends deux

trois clichés de la couronne de printemps lorsque mon téléphone résonne. Un SMS d’Ana arrive :

J’ai envie de venir à New York pour faire la Fashion Week avec toi

Et un appel entrant également, en même temps. Mia. Mais c’est pas vrai, mes belles-sœurs se sont

données le mot ?
— Oui Mia ?

— Kaaaateeeeuuu ! Elliot vient de me dire que tu es à New York, et que tu suis la Fashion Week !

Mia est incroyable ! Malgré le bruit assourdissant autour de moi, je n’entends qu’elle dans le

combiné de mon iPhone.

— Ouais Mia, dément ! (je persifle :) Viens me rejoindre, demain soir je suis invitée à la soirée

Carolina Herrera !

— Je te déteste ! Je ne peux pas, j’ai une grosse soirée traiteur vendredi soir et un repas chez des

particuliers samedi. Et nous sommes invités chez les parents dimanche. Tu ne seras pas rentrée ?

— Non. ( Et je m’en félicite.) La semaine finit dimanche soir avec une énorme soirée au

Rockefeller Center. Il y aura tout le gratin, je ne peux pas manquer ça !

— Je te hais, Sister ! hurle Mia avant d’éclater de rire. Kate, ramène-moi des pièces de créateurs,

tu connais mes goûts et ma taille ! Si tu fais cela, je promets de garnir ton frigo pendant six mois !

Je ris aussi.

— Ok Mia, je vais voir ce que je peux faire, mais pour l’instant, c’est ton frère qui profite du

frigo-garni, pas moi ! Bye !

Je souris en imaginant ma belle-sœur et désormais amie avec la dernier tendance des podiums : la

« face-print », c’est-à-dire les impressions de visage sur toutes les pièces, top, pantalons, manteaux,

accessoires. Il faudrait que je lui trouve un truc rose et « face-printé » pour qu’elle m’aime à vie !

À certains moments, je me sens plus proche de Mia que d’Ana. Mia vit avec son temps, pas dans

une cage aux barreaux en or massif. Mia a beau être parfois pénible – ok, souvent fatigante –, elle est

honnête, franche et sincère. Le tourbillon permanent qu’elle dégage masque un manque de confiance

en elle, une peur d’être oubliée ou de ne pas être aimée. En ce sens, elle ressemble beaucoup à Elliot.

Et comme lui, elle me fait rire, énormément. Nos séances shopping à Seattle sont anthologiques, nos

virées dans les bars dantesques et nos fous rires innombrables.


Ça me fait penser que je n’ai pas ri depuis longtemps avec Ana. Je ne sais pas ce qu’il se passe avec

mon amie, mais elle agit bizarrement. Elle ne me donne pas signe de vie pendant un mois entier et

ensuite, elle se réveille, comme si elle sortait d’hibernation… ou d’une sieste, et elle demande à me

voir. Je ne comprends pas, tous ces défilés, cette agitation, les photographes, les mannequins et leur

horde de fans, les couturiers… c’est exactement ce que déteste Anastasia Rose Steele-Grey. Pourquoi

veut-elle venir ici ? Et que vais-je bien pourvoir faire d’elle ? Je n’ai pas d’accréditation pour elle,

mais je pense qu’avec son nom ( et la black AmEx de son mari), Ana pourrait obtenir une ou deux

place dans les tribunes d’un défilé. Comme le milliardaire mégalo a un appartement par ici, je
n’aurai

pas à partager mon lit et ma chambre d’hôtel avec Ana.

Je n’ai pas le temps de m’appesantir sur la dernière lubie de mon amie, mes obligations

professionnelles me rappellent à la dure réalité de la mode et aux futilités des créateurs…

***

Le lendemain, je me réveille avec une légère gueule de bois (la revanche des raisins macérés est

sans pitié) et une grosse fatigue. Il est peut-être temps de passer au cocktail sans alcool et

multivitaminés. J’ai le cœur retourné et l’estomac au bord des lèvres. Je ne comprends pas,
d’habitude,

boire des hectolitres de champagne ne me fait pas cet effet. Le manque de sommeil sans doute.

Je me traîne à la salle de bain, j’espère qu’une douche me remettra sur pied.

Avant de sortir affronter le monde, je check mes mails, le programme de la journée et de la soirée.

Un mail d’Ana attire mon attention :

***

De : Anastasia Grey

Objet : New York avec toi

Date : 1 septembre 2013, 9 :45


À : Katherine Kavanagh-Grey

Désolée Kate, je ne peux pas te rejoindre à New York, Christian ne veut pas. Ce n’est que partie

remise, on se voit à ton retour pour déjeuner.


Anastasia Grey
Directrice des acquisitions, SIP

***

Je reste coite devant mon écran. Non pas que je m’attendais à voir arriver Ana ici, à New York,

mais je ne sais que penser de sa réflexion : « Christian ne veut pas ». Le refus d’un maniaque du

contrôle mâtiné de dominant ne m’étonne pas. Non, je suis atterrée par le fait qu’Ana ait demandé

l’autorisation à son mari. Il n’y a pas à redire, le psychopathe a bien dressé sa femme, sa soumise. A-
t-

il usé du fouet pour parvenir à ce résultat ? Et pourquoi cette gourde lui a-t-elle parlé de son projet
de

venir me rejoindre ? OK, si je suis honnête, c’est normal qu’elle prévienne son mari, aussi tordu soit-
il

– je fais de même avec Elliot, mais jamais je ne lui demande l’autorisation avant de faire quoi que ce

soit.

Quel est le problème avec mon amie ? Je suis obligée de constater qu’elle n’a pas beaucoup

d’expérience de couple – aucune expérience, Kate ! – et que la communication avec elle est parfois

difficile ; Ana se referme comme une huître dès qu’elle est contrariée, alors que moi, j’explose pour

tapisser les murs avec le sang de mes adversaires. Ana ne m’a jamais rien dit tout au début de sa

relation avec le milliardaire à deux balles, à Portland. J’ai été obligée d’assembler le puzzle toute

seule, comme une grande, avant de découvrir le mail dans sa chambre, celui où elle répondait aux

limites « majeures et mineures » du roi du BDSM. Mais maintenant, ils sont mariés, depuis plus de

deux ans, ils ont un adorable bébé, et ( je dois l’admettre,) Mr Psychorigide s’est un peu détendu du

gland. Zut, le phrasé fleuri de mon cher gars du bâtiment déteint sur moi !

Je réfléchis et cherche à mettre le doigt sur ce qui me dérange vraiment. C’est bel et bien Ana et ses

réactions. Je sais que la vie de couple est un parcours du combattant de chaque instant, qu’il est facile
de tomber dans les ornières de la routine, qu’il est important de communiquer. Avec Elliot, nous

passons des heures au téléphone ou sur Skype, dès que nous sommes éloignés l’un de l’autre, nous

parlons de tout et de rien, sans retenue ni compromis. Je ne sais pas si nous avons trouvé la bonne

méthode – la Communication Conjugale pour les Nuls –, mais cela fonctionne pour nous. Kate, sois

honnête, Elliot est de bonne composition, pas comme son frère ! Ana fait face à un adversaire

d’envergure.

Ça me fait chier pour mon amie, mais je n’ai pas le temps de m’appesantir sur ses déboires

conjugaux, la mode m’attend ainsi que Calvin Klein ! Tiens, il faut que je pense à faire le plein de

boxers pour mon mari, il est tellement sexy dedans !

Je saute dans mes ballerines Louboutin, mes pieds ne survivraient pas perchés sur douze

centimètres dix heures d’affilée, et j’attrape mon manteau sur le lit. Une douleur atroce au ventre me

tord les entrailles et un vertige me saisit. Je me rattrape de justesse au lit et m’assois pour reprendre

mes esprits. Merde, sacrée gueule de bois !

Avant de partir, je m’arrête au buffet du petit déjeuner de l’hôtel pour prendre ma dose de caféine

et grignoter quelque chose. Contrairement aux mannequins anorexiques, j’ai besoin de plus qu’un

trognon de pomme pour tenir la journée. Mais avant que je me serve une tasse de café, l’odeur me

retourne l’estomac. Merde ! Et là, un flash ! J’ai eu la même nausée au Montana, à Canyon Ferry

Lake ! Quand je me croyais enceinte ! Sauf que là, ça fait plus d’un mois que j’ai arrêté la pilule,

quand j’ai cédé aux supplications d’Elliot pour qu’on tente de faire un enfant. Avec mon Dieu blond,

les tentatives ont été nombreuses, nous n’avons pu nous empêcher de nous sauter dessus lors de nos

vacances à Hawaï… de vrais lapins en rut ! Il faut dire que nous rattrapons le temps où nous sommes

séparés. Elliot a toujours été très « démonstratif » et je ne suis pas en reste quand mon mari se balade

toute la journée en maillot de bain, un surf sous le bras – enfin, sous ses pieds.

Mon reflet dans le miroir du hall d’entrée du Hilton me dit que j’ai une tête à effrayer un vampire,
les cernes noires descendent jusqu’à ma bouche. J’ai attaché mes cheveux sur le côté, en une natte
épis

de blé, mais mon teint blafard, malgré le bronzage des vacances, me trahit. Putain Kate, il faut que
tu

trouves une pharmacie, et vite !

Je sors de l’hôtel, donne l’adresse du défilé Calvin Klein au chauffeur pakistanais qui se perd trois

fois ( bordel, les GPS n’ont pas été inventé pour les dromadaires dans le désert ! ), et trouve
finalement

une pharmacie. Comme la première fois, j’y achète trois boîtes de test de grossesse.

J’arrive essoufflée et échevelée au pole presse quand mon téléphone sonne. Putain, je ne peux pas

être tranquille cinq minutes ? Je beugle dans le maudit appareil :

— QUOOOOIII ?

— Bonjour Katherine. Charmant ton accueil, je croyais t’avoir élevée mieux que cela !

Merde, Keith !

— Bonjour Papa, désolée, je suis un peu… ( fatiguée, à la bourre, enceinte ? non, non, je ne peux

pas répondre ça à mon père, il va faire une attaque ! ) … occupée. Je suis au défilé Calvin Klein, et

c’est juste la folie, il n’est même pas 10 heures du matin ici !

— Je sais, Kate, qu’il est 10 heures. Je suis également à New York. Je t’appelle pour te demander

de libérer ton emploi du temps et de venir diner avec moi ce soir.

Mais bien sûr Papa ! Ce n’est pas comme si j’avais quatre défilés à couvrir aujourd’hui, autant

d’articles à rédiger, et trois tests de grossesse sur lesquels pisser ! Pas de problème, Keith
Kavanagh

passe avant tout cela !

— Je vais voir ce que je peux faire, mais cela risque d’être tard. Le dernier défilé est à 19 h 30.

Donc, 21 heures, ça te va ? Tu es descendu au Hilton ?

— Oui, comme toi. Mon assistante m’a prévenu que tu avais pris une des suites de Kavanagh
Media. On se retrouve à 21 heures au restaurant de l’hôtel.

— D’accord Papa, à ce soir.

Il ne manquait plus que ça… Comment vais-je gérer, sachant que mon père lit en moi comme un

livre ouvert ? Maman dit que c’est facile pour lui : c’est comme s’il se regardait dans un miroir. Non

mais sérieusement, où Diane a-t-elle été chercher cette métaphore absurde ?

***

Le défilé se termine et je sors avec un sourire victorieux plaqué au visage : j’ai décroché la saint

Graal, le Pass en or que toute fashionista meurt d’envie d’avoir dans sa pochette de luxe : le Pass

permanent pour les ventes privées réservées à la presse ! L’attachée de presse de la maison de
couture

me l’a donné, elle a adoré le portrait que j’ai fait d’une de ses petites mains. À moi les créations à

70 % de rabais ! Je danserai presque sur le trottoir de la cinquième avenue. Mia va être verte de

jalousie, mais je sais que je ferai profiter mon amie de mes bons plans.

Avant de partir couvrir le défilé Dolce & Gabbana, où j’espère décrocher un entretien avec leur

mannequin homme vedette, le sublissime David Gandy, je me pose dans une petite pizzeria de Soho.

J’aime ce quartier, ces magasins pointus, sa population éclectique et ses restaurants du monde entier.

Ma pizza-soda avalée, je me précipite dans les toilettes du restaurant. Je sais que ces tests sont plus

efficaces le matin, au lever, mais bon, à la guerre comme à la guerre, je n’attendrai pas demain
matin

pour savoir.

Je trouve un box libre pour faire ma petite affaire et je n’ai qu’à patienter trois minutes. Mon

iPhone décide de se manifester à ce moment ! Putain, même aux toilettes, on me casse les bonbons !

— QUOOOIII ?

— Charmant, Princesse, très distingué !

Mais c’est pas vrai ? Ils ont tous un radar pour tomber aux pires moments !
— Désolée, Bébé, tu tombes mal !

— Oh, je te pensais en pause-déjeuner, je ne voulais pas te déranger.

Oh non Elliot, je suis juste en train de vérifier si ta descendance est en cours de conception !

— Non Bébé, c’est moi qui suis désolée. Je suis exténuée, je ne dors pas beaucoup ! Et

finalement, faire les boutiques est plus reposant que suivre les défilés en coulisses ! Tout va bien de

ton côté ?

— Non, c’est aussi le merdier ! Haïti est toujours une sinécure à organiser, les autorités sur place

ne nous facilitent pas la tâche. J’ai surtout l’impression que ses chantiers là-bas ressemblent au

tonneau des Danaïdes ! Une fois une construction achevée, c’est une autre qui s’écroule ou qui
bloque.

Cela fait plus de trois ans qu’Elliot travaille pour reconstruire le pays et j’ai parfois l’impression

qu’il en est au même point. J’ai déjà proposé de l’accompagner, mais il refuse, prétextant que la zone

est dangereuse et que je n’y serai pas en sécurité. Quand il me parle de la sorte, j’ai l’impression

d’entendre le maniaque du contrôle. Je soupire.

— Ok Princesse, je te laisse à tes froufrous, strass et paillettes, je te rappelle ce soir et on se fera

une petite séance de Skype-sex ?

J’éclate de rire, en repensant à nos discussions coquines par Internet.

— Ok, mais tard, je dois diner avec Keith, il est à New York aujourd’hui !

— D’accord, à plus Bébé.

— Je t’aime Elliot.

Je raccroche et regarde mes trois tests posés sur le lavabo des toilettes. Les trois clignotent la même

réponse : positif !

JE SUIS ENCEINTE !

Bordel de putain de merde ! ENCEINTE !

Je m’accroche au plan en marbre. Mon reflet me scrute. Je suis enceinte… un bébé est là, dans mon
ventre. J’ai un petit habitant sous le nombril… et j’ai bu tous les jours depuis que je suis à New York
!

Quatre ou cinq coupes hier soir, à peu près la même chose avant-hier ! Merde, arrête tes conneries

Kavanagh ! Tu es responsable d’un bébé. Un bébé ? Non, un fœtus, je ne sais pas trop à quoi « ça »

peut ressembler à ce stade. Je dois être à quoi… ? Trois ou quatre semaines maintenant. Cet enfant a-
t-

il été conçu à Hawaï ? Ou après ?

Je commence à m’embrouiller les neurones en essayant de calculer la date de conception… et la

date présumée d’accouchement. Mars ? Non, plutôt avril, de l’an prochain. Bébé sera un taureau…

punaise, pas le signe le plus facile ! Non mais tu débloques Kavanagh !? Tu viens de découvrir que
tu

es enceinte et la seule chose qui t’inquiète, c’est le portrait astrologique de ton enfant ?

Il faut que j’en parle à Elliot, mais pas maintenant, pas dans les toilettes d’un restaurant, pas à trois

mille kilomètre de lui. Je lui dirai à mon retour, après un bon diner, ou après avoir fait l’amour avec

lui. Non, je vais le tuer, il va faire une attaque. Merde…

Mon cerveau reprend le dessus et me rappelle que je dois partir au défilé de Dolce & Gabbana où

David m’attend, enfin dans mes rêves. Allez, show must go on !

***

— Bonsoir, Chérie. Oh, tu as une sale tête !

— Merci Papa, toujours aussi diplomate. Je ne comprends pas pourquoi l’ONU ne t’a pas envoyé

au Proche Orient résoudre le conflit israélo-palestinien.

— Tes sarcasmes et ton insolence ne mèneront à rien, Kate. Bon, j’ai commandé pour nous deux,

j’ai eu une longue journée et demain sera pire.

Je lève les yeux au ciel, mon père m’exaspère parfois, voire souvent. Son autoritarisme naturel me

surprend encore. Heureusement, il connaît mes goûts et m’a commandé le saumon grillé avec ses

petits légumes, asperges et pommes de terre rissolées. Je commande une eau gazeuse. Immédiatement,
le radar de Keith Kavanagh se met en marche :

— Pas de vin blanc avec ton poisson ? Deviendrais-tu sobre ?

— Oui, Papa, j’ai un peu abusé dernièrement. C’est incroyable la quantité de champagne qui est

bue lors de cette semaine.

Je m’en sors par cette pirouette « elliotesque », mon mari serait fier de moi. Keith m’explique qu’il

est en ville pour négocier un contrat avec des investisseurs pour une nouvelle émission pour
Kavanagh

TV. Ce sera un programme culinaire, le matin, pour expliquer à la femme au foyer comment nourrir

sainement sa famille. Le ton sera nouveau, rien de plan-plan avec les éternels zooms sur les
casseroles

et plans fixes sur les rôtis dans un four. Il veut un duo, un couple de présentateurs. Le chef est déjà

recruté, un jeune restaurateur de New York qui fait de la food-fusion, une cuisine qui vise à mélanger

les cuisines de différents pays pour obtenir des saveurs différentes. On peut soit mélanger des plats

entre eux, soit réaliser des recettes étrangères avec des ingrédients locaux.

Cette forme de cuisine est née ici, à New York, en raison d'une grande diversité culinaire (il existe

plus de dix-huit mille restaurants dans cette ville). Le concept de la cuisine fusion a ensuite gagné le

reste des États-Unis. De nombreux restaurants servent des plats issus du mariage de différentes

cuisines ethniques. Ils cherchent encore la présentatrice.

— Et pourquoi pas Mia Grey ?

Je suggère mon amie à mon père. Mia répond à tous les critères demandés : jeune, extrêmement

dynamique, superbe. Je suis sûre qu’elle sera très photogénique à l’écran. Et elle est chef aussi, elle

sera à l’aise pour présenter des recettes originales à la ménagère de moins de cinquante ans.

En entendant ma proposition, Keith reste silencieux, sa fourchette en suspension dans les airs, à mi-

chemin entre sa bouche et son assiette. Je vois les rouages de son cerveau tourner.

— Pourquoi pas… je lui en parlerai. Le chef Bird est prêt à venir à Seattle cinq jours par mois
pour enregistrer toutes les émissions que nous diffuseront tous les week-ends.

— Voilà, je suis sûre que Mia va adorer l’idée !

— Bien affaire réglée. Et toi, Kate, tout va bien dans ta carrière ?

Houlà, terrain miné. L’inquisition par le grand Keith est en marche.

— Oui Papa, fantastique ! Je n’aurai pas pu rêver mieux que le métier et le poste que j’occupe

actuellement au Seattle Times.

— Donc tu ne veux toujours pas venir rejoindre mes équipes ? Kavanagh Medias est assez bien

pour Mia Grey, mais pas pour toi ?

— Papa ! (Je hausse le ton de trois octaves et cent décibels.) Arrête de remettre ce sujet sur le

tapis, encore et encore. J’aime ce que je fais, j’ai trouvé ma place au sein de la rédaction, je travaille

avec une équipe formidable !

OK, avec un geek tombé du lit en la personne de Dan Carter, et une dragonne autoritaire maniant le

fouet comme personne réincarnée dans le corps de Kristine Wilson.

— Bon, si tu as terminé, je vais aller me coucher. Je suis exténuée et demain est encore une

journée chargée. Bonne nuit Papa.

Je me lève, sors dignement du restaurant et rejoins ma chambre. Je m’écroule sur mon lit, en

pensant que le matelas va m’absorber entièrement. Est-ce donc ça la fatigue des premiers mois de

grossesse ? Ou est-ce seulement dû aux journées de folie et au rythme d’enfer que je m’impose ? Oh

mon Dieu, dès qu’Elliot apprendra que je suis enceinte, il va vouloir m’obliger à ralentir mon
activité

professionnelle. Je vais devoir relire le chapitre sur l’art du compromis dans ma bible – la

Communication Conjugale pour les Nuls….

Mon maudit téléphone me tire de mes pensées. C’est Ana …

— Allo, Steele ? Qu’est-ce que tu veux à une heure pareille ? Tu as encore changé d’avis et tu

viens d’atterrir ? Sinon, tu ne m’intéresses pas.


— Kate ! Arrête ! Non, je suis à Seattle. Tu savais que Beckett et Castle sont enfin ensemble !

— Hein ? Tu retardes, ma vieille ! Ce n’est pas vraiment un scoop. C’était le cliffhanger de la

saison passée.

Je ne sais pas si Ana vient définitivement de perdre la raison, mais je la trouve mûre pour une

cellule en psychiatrie. Elle m’appelle au milieu de la nuit – je suis sûre qu’elle n’a même pas songé
au

décalage horaire entre New York et Seattle – pour me parler d’une série TV dont elle a deux saisons

de retard ? Il faudrait que je me renseigne auprès d’Ethan sur les modalités d’internement forcé d’une

personne majeure, enfin « majeure » pour l’état civil seulement.

— Oh, tu regardes encore ?

— Ça m’arrive, mais je n’ai pas vraiment le temps. Pourquoi me parles-tu de Castle ce soir ?

Je lève les yeux au ciel, c’est la seule partie de mon corps avec ma bouche que j’arrive à bouger.

— Euh… je viens de lire un article dans le programme TV. Et puis, j’en parlais ce matin avec

Boyce Fox, un de mes nouveaux auteurs…

OK, elle est dingue !

— Ana, ça va ? Tu as une drôle de voix… Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce ce connard t’a

encore fait ? Je sais qu’il t’a forcée à annuler ce voyage, non pas que j’aie cru que tu viendrais
mais…

— Non, ce n’est pas lui. Enfin si, mais pas vraiment… c’est compliqué.

Note pour plus tard : lui donner des cours de communication, en commençant par la nécessité de

former des phrases simples, sujet + verbe + complément. Comment a-t-elle réussi à décrocher un

diplôme en littérature ? Mystère complet…

— Mais non, Steele, tu vas y arriver. Tu avais un cerveau dans le temps, je suis sûre que tu vas

réussir à connecter les deux neurones qui te restent. Explique-moi tout depuis le début.

— Il n’y a rien à raconter, je t’assure. J’ai parlé à Christian de la Fashion Week, il a dit que je
détestais la mode et qu’une protection rapprochée était difficile à assurer dans une foule, bref, il a

refusé que j’y aille.

— Alors, pourquoi m’as-tu envoyé ce SMS lundi ?

— Parce qu’en arrivant au bureau, j’ai pris un billet sur un coup de tête.

J’éclate de rire. Et on dit que c’est moi l’impulsive ?

— Ah, ah, ah, Ana, tu n’y va pas de main morte quand tu t’y mets hein ? Et alors ? Il a fait une

crise cardiaque, le mégalo ?

— Non… mais il n’était pas très content.

Je ressors ma palme de l’euphémisme et lui attribue silencieusement.

— Ana ! Il n’a pas levé la main sur toi, j’espère. Si c’est le cas, je vais lui arracher les couilles et

les lui faire bouffer.

Il y a longtemps que j’attends un prétexte, fallacieux ou non, pour castrer ce dominant des bacs à

sable.

— Tu es vraiment sanguinaire, mais non, il ne m’a rien fait. Il était ulcéré de mon initiative parce

que lui aussi avait prévu de m’emmener à New York.

— Et tu lui as balancé son invitation dans les gencives ? Bien joué, Steele.

— Ce n’est pas exactement la façon dont j’aurais décrit la scène, mais le résultat est le même.

— Vous vous êtes engueulés ?

Les disputes conjugales sont une forme de communication, non ? En tout cas, ça marche du

tonnerre avec mon Dieu blond, et les réconciliations sont… mais là, je m’égare !

— Oui. Il avait pris des rendez-vous qu’il n’a pu annuler. Alors, il est parti tout seul à New York

et moi, j’ai décidé de me taper ce week-end les cinq saisons de Castle devant la TV.

Quoi ? Grey est ici, à New York ? Je tiens peut être là une occasion unique de lui servir une salade

de roubignolles à ma sauce…
— N’oublie pas la glace au chocolat et la bouteille de rhum, ma vieille. Autant faire une vraie

orgie.

— Berk !

Qu’est-ce qui m’a pris de lui sortir une connerie pareille ? Mon estomac se tort à cette idée. Je dois

entamer une cure de désintoxication sévère, à l’alcool mais pas aux glaces. Est-ce que le parfum
rhum-

raisin serait une entorse à mes bonnes résolutions ? Il faut que je fasse des recherches approfondies
sur

ce sujet.

— Si j’étais à Seattle, je passerai te tenir compagnie, Ana. Je t’apporterai même mon vieux

pyjama en pilou.

Elle glousse comme une gamine. Oh, voilà ma vraie Ana !

— Non, merci !

— On fait la bêcheuse ? Tu ne mets plus que de la soie de Victoria Secret ?

— Non, tu me connais quand même !

— Parfois, je n’en suis plus aussi sûre, Ana. Tu as tellement changé. Tu sais, c’est la première

fois que tu ne montes pas sur tes grands chevaux quand je critique ton mégalo du contrôle. Remarque,

il s’est tiré lui-même une balle dans le pied sur ce coup-là, j’espère qu’il a eu bien mal !

— Tu exagères…

— Non, je ne crois pas. Vous avez un gros problème de couple à résoudre tous les deux. Il se

comporte en ado attardé psychorigide ! Arrête de jouer les gourdes immatures et rentre-lui dans le
lard,

merde !

Je raccroche en ayant un drôle de goût dans la bouche. Ce n’est pas le saumon qui remonte, c’est

plutôt un goût amer de nos années passées ensemble qui me vrille l’estomac. Ana Rose Steele, qui es-

tu ? Je pense qu’un petit coup de pouce serait le bienvenu pour aider mon amie. Je me redresse et
prends mon ordinateur portable. Je trouve immédiatement ce que je cherche, parfait. Amazon ayant

son siège social à Seattle, j’ai un compte premium chez eux, je passe ma commande et indique le lieu

de livraison.

Phase 1, done !

Kate, tu es machiavélique, avec une amie comme toi, Ana n’a pas besoin d’ennemie !

Mon portable vibre, un message d’Elliot arrive :

J’imagine que tu dors, ou que tu es dans LA soirée Fashion,

t’appellerai demain.

Beaux rêves Princesse.


XX E.
OK, je gèrerai le dossier Elliot, « père de mon enfant, mais qui ne le sait pas encore » demain.

Parfois, la procrastination a du bon !

***

La journée du samedi est plus calme que les autres, les grands couturiers ont déjà présenté leur

collection, c’est au tour des nouveaux créateurs – ceux qui veulent intégrer le cercle très fermé de la

Haute Couture – de présenter leurs créations. Il y a les écoles de stylismes, dont certains de leurs

étudiants sont très prometteurs. Dieu que Mac Queen et cet andouille de Galiano manquent à la sphère

de la haute couture ! J’ai toujours en tête les chaussures hallucinante qu’Alexander Mac Queen avait

créé et que Lady Gaga, encore elle, avait portait dans son clip Bad Romance.

Pour une fois, je rentre à l’hôtel tôt, je dîne dans ma chambre en faisant monter par le room-service

un repas léger : salade de pâte, assiette de fromage et (gros craquage) de la glace au chocolat.
Demain,

c’est l’avant dernière journée, j’ai hâte de rentrer chez moi. Mardi matin, normalement, je serai à

Seattle.

Je décide qu’il est temps d’appeler mon cher époux, il doit être à la maison à cette heure-ci :

— Coucou, Bébé !

— Oh, qui êtes-vous Miss ? Vous savez, je suis marié, même si ma délicieuse épouse court le

monde et qu’elle est portée disparue dans mon lit !

— T’es gonflé, Elliot !

Il se marre.

— Bonsoir Bébé ! Tu rentres bien mardi ? Dois-je renvoyer les call-girls lundi soir ?

— Grey, si tu tiens à la vie, cesse tout de suite tes allusions scabreuses ou je te garantis que tu

seras eunuque avant de dire ouf !


— Tout doux avec mes bijoux de famille ! Je te signale que j’en ai encore besoin pour une

mission de la plus haute importance !

Je soupire. Oh Elliot, ta mission est réussie…

— Dis Princesse, t’as des nouvelles d’Ana ?

Je remercie silencieusement mon homme de changer de sujet aussi abruptement, je ne sais pas

comment il est passé aussi vite du coq à l’âne.

— Oui, je l’ai eue hier soir au téléphone, assez longuement. Pourquoi ?

— Bien, j’ai eu une conversation étrange avec Christian, le week-end dernier. Il m’a dit qu’Ana

voulait te rejoindre à New York. Tu ne m’en as pas parlé !

— Non, je n’ai pas jugé utile de le faire. Elle n’est pas venue, c’était une idée en l’air.

— Pas tant que ça, à ce que j’ai compris. Elle avait réservé un vol pour la Grande Pomme. Quelle

idée alors qu’elle a un jet tout confort à sa disposition, Air Grey One !

— Pfft… Je ne vois pas pourquoi nous en parlons. Elle a annulé et, d’après ce qu’elle m’a dit,

c’est Christian qui est ici. Tu vois, ton frère n’est pas plus doué pour être synchronisé avec sa femme

que nous ! Géographiquement parlant, hein !

Il se marre.

— Eh bien, cette petite lubie a bien perturbé le frangin ! Ce con pense encore qu’on peut

contrôler une épouse ! Ça se saurait, non !

C’est à mon tour de rire :

— Oui Bébé, ça se saurait ! Je le mettrai à la Une du Seattle Times le jour où ça arriverait ! Que

lui as-tu dit ?

— Bien je ne vais pas te dévoiler tous mes secrets ! Trucs et astuces pour contrôler des épouses

ingérables, mais je pense que Christian a apprécié mes bons conseils ! Tu sais, je suis encore sur le
cul

qu’il demande mon avis.


Je ne sais pas ce qu’Elliot a conseillé à son frère – ni surtout ce que ce dernier a compris –, mais vu

ce qu’Ana m’a dit hier soir, je peux en conclure que la chaîne de communication a été rompue. Il y a

eu rupture de signal. Je ne veux pas contrarier Elliot et briser ses illusions, mais ce con de Mégalo
n’a

pas bien pigé. Il est temps de changer le messager, en espérant que ce dernier ne se fasse pas
descendre

par une balle « perdue » du service d’ordre du milliardaire parano.

Elliot continue de me raconter les exploits de Teddy (il est complètement dingue de ce gamin),

mais je l’écoute d’une oreille. J’ai besoin d’une information importante, je sais où la trouver – ou

plutôt qui va me la donner : Mia !

J’écourte la conversation et, dix minutes plus tard, j’ai ce que je veux. Mia n’a pas résisté à la

carotte « vente privée presse » ! Pfft parfois, c’en est trop facile et pas drôle. Je mettrai mon plan à

exécution, si je survis à la soirée de gala dimanche soir au Rockefeller Center.

***

La dernière journée de la Fashion Week s’est bien passée, j’ai survécu malgré mes nausées

matinales et mes têtes à têtes avec la cuvette de toilette. Je pourrai écrire un guide sur les meilleurs

endroits de la ville pour nausées matinale. J’ai l’impression d’être passée en mode zombie, mais je
ne

peux pas rester couchée à attendre que cela passe, d’après mes recherches, il est courant que ces

malaises durent tout le premier trimestre. C’est bien ma veine !

Heureusement, je n’ai pas perdu l’appétit, j’ai même constaté une envie accrue de plats salés ! Mes

fringales de hot-dog en plein milieu de l’après-midi me rendent hystérique si je ne les assouvis pas

dans les cinq minutes.

C’est la fin de la journée, tous les hommes d’affaires quittent Wall Street et les centres d’affaires,

les rues sont encombrées et mon taxi se faufile difficilement dans la circulation entre les blocs des

tours de bétons. Je ne sais pas encore exactement comment aborder cette confrontation, je sais que
cela

risque de finir en pugilat, mon adversaire peut m’envoyer balader d’entrée de jeu en me demandant
de

m’occuper de mes affaires. Je ne suis pas au mieux de ma forme, mais je sais que je peux en
découdre,

même un genou à terre, j’ai la peau dure. J’ai appris à boxer avec le meilleur : Keith Kavanagh.

Quand mon taxi se gare enfin devant l’immeuble dont je lui donné l’adresse griffonnée sur le bloc

note de mon hôtel, je reconnais immédiatement la silhouette sur le trottoir : grand, se tenant très droit

dans son costard sur mesure, les cheveux cuivrés en bataille. Il sort de l’immeuble, je décide de le

suivre à distance. Il rentre dans un bar, à deux rues de là. Merde, le grand Christian Grey fait la

tournée des grands ducs, seul ? Je pensais que c’était plutôt l’apanage de mon cher mari.

Je rentre, prends une profonde inspiration et me plante devant sa table.

— Bonsoir, Grey.

Il lève les yeux et contre toute attente, il m’invite à m’assoir et m’offre un verre. Merde, le gars

n’est pas dans son état normal, la partie sera peut-être plus facile que ce à quoi je m’attendais.

— Oui, pourquoi pas ? Je prendrai un Perrier citron.

Il soupire en passant la commande, il s’attendait sans doute à ce que je commande le champagne le

plus cher. Et alors ? Mr Pêté de Thunes en a les moyens !

— Comment as-tu su où me trouver, Kate ?

— Je savais que tu étais à New York. J’ai voulu passer chez toi, je payais mon taxi quand je t’ai

vu sortir. Je t’ai suivi. J’avoue que je ne m’attendais pas à te voir entrer dans un endroit pareil.

Je passe volontairement sous silence le coup de pouce de Mia.

— Pourquoi ? Ce n’est pas un rade quand même !

— D’après ton frère, tu n’es pas du genre à traîner dans les bars.

— La journée a été dure.


Oh putain, il est vraiment au fond du gouffre pour lâcher cet aveu. Même sa bravade habituelle de

milliardaire suffisant ne suffit pas à masquer son désarroi. Je décide qu’il est temps de mettre les
pieds

dans le plat – en clair, de lui donner la raison de ma venue ce soir.

Je le fixe droit dans les yeux pour scruter ses réactions :

— Je m’inquiète pour Ana, Christian.

Bingo, dans le mille ! Il vacille légèrement. Un autre – moins observateur que moi – n’aurait rien

remarqué, mais j’ai vu cet éclair dans ces yeux. Il ne peut rester impassible quand cela concerne Ana.

— Ana ? Qu’est-ce qu’elle a ?

Je vois qu’il cherche à quoi je fais référence, mais je ne le laisse pas s’échapper, il faut frapper fort,

il n’y a que cela qu’il comprend :

— Mais enfin, tu es con ou quoi ? Tu as bien remarqué qu’elle ne tournait pas rond ces derniers

temps !

Il ne cille pas, mais il encaisse. Je compte jusque cinq : si je n’ai pas pris une balle, c’est que j’ai

gagné la partie, ou tout du moins, j’ai toute son attention… trois, deux… un …

— D’accord, je ne reconnais plus Ana… Ce caprice pour te rejoindre à New York a pris des

proportions aberrantes.

— Je n’ai rien fait, je te signale ! Je n’ai pas cherché à détourner Ana du droit chemin. Au

contraire, je n’ai cessé de lui seriner que c’était la pire période pour découvrir la ville.

— Je sais. Je ne t’accuse de rien.

Oh la vache ! Christian Grey vient-il vraiment de reconnaître que je ne suis pas la source de tout ce

merdier ? Je suis à deux doigts de commander un magnum de Dom Pérignon, mais non. Je résiste à

cette tentation, mais pas à mon envie d’en remettre une couche. Autant profiter de ma victoire.

— Bon, c’est déjà ça. Écoute, toi et moi, nous ne verrons jamais les choses de la même

façon…même quand nous aurons atteint l’âge des déambulateurs, nous continuerons à nous en mettre
plein le dentier !

— Charmante perspective !

J’éclate de rire. Il se renfrogne et déclare :

— Revenons-en à Ana. Que t’a-t-elle dit, Kate ?

Je lui explique rapidement la conversation que j’ai eue avec mon amie, ce con part au quart de tour

quand j’invoque les problèmes de sécurité. Il est furieux.

— Je tiens plus que tout à la sécurité qu’Ana ! Cette foule serait…

J’ignore ce qu’il raconte, ses explications sont toujours les mêmes. Elles ne m’intéressent pas.

— Bref, elle a dit que tu lui avais refusé le voyage. Tu sais, Grey, j’ai reçu lundi un SMS qui

m’annonçait qu’elle venait quand même…

— Je sais.

— Tu veux mon avis au sujet de ce billet d’avion qu’elle a pris en douce ?

Même s’il ne veut pas, je lui donne quand même :

— C’était du flan. Ana a juste voulu agiter la muleta devant le taureau.

La métaphore est peut-être de trop, il me fusille du regard. Mais il admet que j’ai raison et que la

tactique de sa femme a marché. J’en profite pour faire passer un autre message :

— Si tu avais levé la main sur mon amie, Grey, nous ne serions pas tranquillement assis là à avoir

cette conversation.

— Merde, Kate ! Tu ne pourrais pas changer de disque ? Je n’ai pas levé la main… d’ailleurs, je

n’ai pas à me justifier : ce qui se passe entre Ana et moi ne te regarde pas, bon Dieu ! Je… je…

Je le regarde fixement, le temps qu’il reprenne son calme. Il est acculé et pour une fois, il est

sincère.

— Je ne veux que la voir heureuse, chuchote-t-il. Son bonheur est tout ce qui compte pour moi.

— Tu vas rire, mais je te crois. C’est pour ça que je suis là alors que je suis crevée et que je ne
rêve que d’un bon bain et de mon oreiller. Vous avez un gros problème de couple à résoudre –
comme

je ne me suis pas gênée pour l’indiquer à Ana. Toi, tu te comportes en ado attardé et psychorigide et

elle…

— Merde !

Ok, j’ai atteint ses limites ! Ses yeux lancent des éclairs, je crois qu’il a envie de m’en coller une.

Je marque ma victoire en souriant, mais lève la main en signe de paix, pour lui montrer que j’ai

compris :

— Attends, du calme, Grey, je suis venue pour t’aider.

Il me regarde, complètement largué. Je n’ai pas le temps de prendre sa tronche en photo,

dommage ! Je développe ma théorie :

— Tu sais, je n’ai pas été tendre non plus envers Ana. Elle joue les gourdes immatures depuis

bien trop longtemps.

Il s’étrangle, outragé. Ce mec est incroyable ! Je viens de le traiter de tous les noms, lui, le « grand

Christian Grey » et il monte sur son cheval, comme le preux chevalier quand je m’en prends à sa

femme ? S’il n’était pas aussi chiant, il en serait presque touchant. Je souris intérieurement, car Elliot

est pareil : il supporte les piques de son frère (ou de quiconque) contre lui, mais dès que quelqu’un

touche à un de mes sublimes cheveux blonds, il mord !

— Mais oui, mais, oui, j’ai ma carte de son fan-club. Ça y est ? Tu as fini de me casser les

couilles avec ton petit numéro de mari outragé ? On peut revenir au problème en cours ? Atterris dans

la planète réalité, Grey ! Je vais t’avouer un secret : Ana n’est pas une sainte !

Il marque le coup. Tiens, ne serai-je pas la première à lui dire ? Qui d’autre ? Pas ma chère belle-

mère : pour elle Ana marche sur l’eau et divise les petits pains. Si seulement elle pouvait multiplier
les

bouteilles de vin ! Non Kate, arrête de délirer, concentre-toi sur ton meilleur ennemi.
— Je ne la vois pas comme une sainte, Kate, juste comme ma femme – la femme que j’aime.

— Ah, enfin une parole sensée !

— Tu as raison, nous ne communiquons pas… très bien. Ana et moi.

La palme de l’euphémisme d’or est remise à… Mr Milliardaire de mes deux ! Comment ce mec a

réussi à faire des milliards avec un quotient émotionnel proche du zéro ? Ils s’accordent bien

finalement avec mon amie.

— C’est autant de ta faute que de celle d’Ana. J’ai vécu avec elle, je sais qu’il faut tout lui

arracher. Des fois, quand elle s’enfermait dans un silence boudeur, je ne savais pas si c’était parce

qu’elle avait peur d’une mauvaise note, des crampes menstruelles ou… parce qu’il pleuvait sur

Portland.

— J’ai vu les GPA et SAT d’Ana, je doute fort qu’elle ait eu beaucoup de mauvaises notes !

Une buse ! Ce mec est une véritable buse affective ! Il part de loin, fait une course avec handicap,

lesté de sac de sable !

— Irrécupérable ! Ne prends pas tout au pied de la lettre, Grey, bon sang, n’as-tu rien appris des

femmes dans le BDSM ?

Il ricane, je ne veux même pas imaginer les images qui défilent dans son crâne de tordu.

— Je les étudiais sur le plan physique, ma belle, pas spirituel.

Je grimace.

— Je vois. En tout cas, oublie un peu tes anciennes techniques, ça ne marchera jamais avec Ana.

Qu’est-ce que tu as fait en apprenant l’achat de son billet d’avion – du moins, après t’être remis de ta

crise cardiaque ?

Il panique, j’ai encore fait mouche. J’enchaîne sans le laisser retrouver ses esprits. Battre le fer…

Oooh ! Sur un roi du BDSM, cela pourrait prendre une tournure… si j’avais les idées mal placées…

Enchaînons, enchaînons… (Là encore, les chaînes…) Kate !


— Tu ne comprends pas qu’Ana a seulement besoin d’un peu de liberté ! C’est tout ce qu’elle

demande. Ne raisonne toujours pas en mode BDSM, Grey, ne cherche pas à tout résoudre avec les

seuls boutons « obéissance » et « punition ». Et apprends ça vite fait avant de foutre en l’air ta
relation

avec ton fils !

Je pense à Teddy, mais je me rends compte que je parle pour moi et pour le petit habitant dans mon

ventre. Je ne veux pas être comme Christian, ni comme mon père : « obéis-moi, ou tu seras puni ! »

Non, jamais…

— D’après mon psy, Ana a été très secouée par tous les changements qu’elle a connus ces deux

dernières années.

Quoi ? Cette andouille fait référence à son psy pour comprendre sa femme et expliquer ses

réactions ? La théorie, c’est bien, mais est-ce que son psy connait Ana comme je la connais ? Non !

Les seules choses que le doc peut savoir, c’est Christian qui lui a dit, et comme le psychopathe a une

grille de lecture faussée… bonjour les conclusions de merde à 500 $ la demi-heure !

— Peuh ! Les psys ne connaissent rien à la vraie vie, Ethan raconte n’importe quoi quand il tente

de me psychanalyser. Ana a changé, c’est sûr, mais en bien. Elle commençait à sentir le renfermé. Tu

l’as… dépoussiérée.

Elle sentait les vieux livres à force de traîner à la bibliothèque, elle n’avait ni ordinateur, ni

Smartphone, elle s’habillait au supermarché. Bref, les toiles d’araignées et la poussière n’étaient pas

loin !

Je continue très vite sans lui laisser le temps de répondre :

— Sinon, je suis d’accord avec ce bon vieux Flynn. C’est clair qu’Ana a encaissé pas mal

d’électrochocs : rencontrer un mec BDSM, l’épouser, se faire harceler par ton ex, puis Jack, le coma,

le bébé… Y a de quoi avoir les hormones en ébullition.

Je joins le geste à la parole pour appuyer ma démonstration.


— Et tu as une solution ?

— Oui, plusieurs. Primo, il te faut résoudre votre problème de communication. Ana ne sait pas ce

tu penses et toi, tu interprètes certainement tous ses signaux de travers, donc vous agissez tous les

deux de la seule façon que vous connaissez : indépendamment. À mon avis… il faudrait trouver un

moment pour jouer au jeu « action ou vérité ».

Devant ses yeux ronds comme des soucoupes, je me rends compte qu’il ne comprend pas ce que je

dis. Pour un mec brillant, il lui manque quand même un sacré paquet de cases à l’allumage !

— Tu sais, le jeu qu’on jouait ado, avec une bouteille. Celui qui est désigné choisi son défi :

répondre honnêtement à une question ou faire une action, souvent boire de l’alcool ou un truc sexuel.

Sauf que pour vous, ce serait vérité ou vérité, je pense que vous n’avez pas besoin de prétexte pour

vous grimper dessus.

— Ne pousse pas le bouchon trop loin, Kate.

— Ok. Tu vois le concept : ménager vous une soirée tous les deux, juste pour discuter, vraiment.

Pas de vos boulot, ni de Teddy. De vous. De vos rêves, de vos attentes. Tu sais, avec Elliot, nous le

faisons souvent, par téléphone, quand nous sommes séparés. C’est plus facile quand l’autre n’est pas
à

côté, que tes phéromones ne te distraient pas.

— Juste parler ?

— Oui, et ne pas hésiter à reprendre l’autre si tu as un doute sur un mot, une phrase. Tu n’as pas

idée du nombre de sens différents que peut avoir le même mot pour des personnes différentes. Fais un

sondage dans ta boîte par exemple ! Envoie le mot « bilan » à tous tes salariés et demande-leur à quoi

ils associent ce mot, spontanément ! Tu serais surpris !

— Mais Ana me connaît ! C’est ma femme, elle me connaît mieux que personne !

— Mais bien sûr ! Regarde où vous en êtes maintenant parce qu’elle a juste dit : New York ! Il

n’y a pas à dire, vous êtes sur la même longueur d’onde ! Tu me fatigues Grey. Je ne vais pas perdre
mon temps à vouloir faire boire un âne qui n’a pas soif.

Il bouillonne sous la comparaison, mais j’en ai ma claque. Je veux rentrer me coucher, peut-être

prendre un bain chaud avant, et regarder un vieux film en noir et blanc, il y a une rétrospective Ava

Gardner sur le câble. Mon beau-frère se radoucit, il plisse les yeux comme s’il cherchait une
solution,

ou mettait en balance la moins pire pour lui.

— Parler ?

— Oui, Christian. Là, tu radotes ! Je sais que tu n’as pas l’habitude de te justifier, mais vis-à-vis

d’Ana, c’est important. Implique-la, explique-lui pourquoi tu choisis telle ou telle décision. Elle

acceptera mieux tes ordres si elle en comprend les tenants et aboutissants, les vraies motivations.

Comme toi les siennes. Ça marche avec ton frère, pourquoi tu n’y arriverais pas ?

Je sais que je viens de piquer son orgueil en le comparant à Elliot. Mon mari pourrait lui revendre à

prix d’or de l’empathie et de la compréhension. Nous serions multimilliardaires !

Je me lève et lâche la dernière sentence :

— Réfléchis bien, Grey, sinon, tu la perdras. Ana a résisté à tes fouets et tes goûts tordus, elle ne

supportera pas ton manque de communication, quel que soit l’amour réciproque que vous vous vouez.

Et je tourne les talons. J’ai mon estomac qui fait des siennes. Je ne vais quand même pas vomir sur

son costume à 10 000 dollars

18.

Annonce à Elliot
Septembre 2013
Je suis rentrée à Seattle depuis deux heures et je n’ai qu’une envie : aller me coucher et hiberner

dans notre maison dans les arbres. À peine l’avion qui me ramenait de New York avait posé ses
roues

sur le tarmac de Sea-Tac un peu avant midi, mon portable a explosé. Les sonneries des appels

manqués, des messages et des alertes mails ont entonné l’hymne à la joie dans mon sac à main. Je n’ai

pas eu le temps de répondre à tous, j’ai trouvé un taxi, et foncé directement au journal.

Dan m’attendait, ainsi que Kristine… Mais pas pour les mêmes raisons. Dan voulait qu’on déjeune

ensemble à la cafétéria, Kristine attendait mes photos des quinze derniers jours, mes notes de frais et

mes articles pour le supplément mode du week-end prochain.

— Kavanagh, je ne vous envoie pas à New York pour que vous fassiez du shopping ! hurle ma

chef dans l’ open space en voyant mes sacs griffés de marques haute couture.

OK, j’ai profité d’être sur place, lors des défilés de la Fashion Week pour faire un petit réassort de

penderie, plus les cadeaux pour mon mari et celui de ma belle-sœur Mia. Mais j’appelle ça de

l’optimisation de temps, de déplacement et de frais. De toute façon, je ne suis pas d’humeur à subir
les

piques de ma rédactrice en chef, je pose mes paquets, mon ordinateur et mon sac à main, et je

m’écroule sur mon siège.

— Ça ne va pas, Kavanagh ? Vous avez une sale tête.

— Je suis épuisée, Kristine. Entre les débats des sénateurs qui durent toute la nuit et les défilés

ou soirées people qui finissent au petit matin, je n’ai pas beaucoup dormi ces quinze derniers jours.
Et

je vous signale que je suis à l’heure new-yorkaise, donc je fais acte de présence une heure et je rentre

chez moi. Même s’il y a des martiens qui viennent récupérer la soucoupe du Space Needle, je ne suis

pas là. Trouvez une autre équipe pour le scoop.


Kristine me dévisage avec des grands yeux, je sais d’expérience qu’elle n’a pas l’habitude qu’on lui

parle de la sorte, mais là, je m’en fous, je m’en contrefous.

— OK, faites-moi un mail avec vos papiers, n’oubliez pas de pointer vos notes de frais. Je vous

rappelle que le service comptable refusera tout ça… (Elle désigne mes paquets du doigt,) même en

frais de représentation.

— Je n’en attendais pas moins d’eux, Chef, dis-je, lourdement ironique.

— Allez manger Kavanagh, et rentrez chez vous. On se voit demain pour un briefing, à 9 heures

tapantes.

— Merci Kristine, à demain.

Dès que ma chef a tourné les talons, je compose le numéro du Dr Greene. Depuis que mon

gynécologue a pris sa retraite, le bon docteur Tenenbaum ayant atteint la date limite d’exercice, après

avoir accouché au moins trois générations de Seattleites, j’ai pris la même gynécologue que mon
amie,

Ana. Le Dr Greene est compétente, reconnue dans toute la ville et, à ce que j’ai compris lors de la

naissance de Teddy, elle n’est pas vraiment « fan » de mon beau-frère. Et c’est à mes yeux sa qualité

première !

— Dr Greene, ici Katherine Grey.

— Mrs Grey, je ne peux pas vous donner d’autres nouvelles de votre belle-sœur, elle sort cet

après-midi de l’hôpital.

— QUUOIII ? Qui ? Mia Grey ou Ana Grey ?

— Oh, vous n’êtes pas au courant ?

Le Dr Greene marque un temps d’arrêt, elle semble réfléchir. Mon cerveau fait un tour complet, je

l’appelais juste pour prendre rendez-vous et confirmer ma grossesse, et là, elle m’annonce que soit

Mia, soit Ana est hospitalisée dans ses services. Merde de merde !

— Mrs Grey, Mrs Anastasia Grey, a été admise hier. Elle a été opérée et tout va bien maintenant.
Son mari est à ses côtés, Mrs Grey doit sortir tout à l’heure. Manifestement, vous n’étiez pas au

courant et vous ne m’appelez pas pour ça.

— Effectivement, je n’étais pas au courant, Dr Greene. Est-ce que mon amie va bien ?

— Oui, et sans trahir de secret professionnel, l’opération s’est bien passée, le polype était bénin.

Mrs Grey ira bien après quelques jours de repos. Que puis-je faire pour vous, Mrs Grey ?

— Euh, oui… voilà, je pense que je suis enceinte.

— D’accord, qu’est-ce qu’il vous fait croire cela ? D’après votre dossier et notre dernier rendez-

vous, vous avez arrêté votre contraception en juillet, il est peut-être un peu tôt pour envisager une

grossesse.

— Et je fais quoi des trois tests qui indiquent « positif » ?

Je persifle entre mes dents : ce n’est pas le moment de jouer aux devinettes.

— Eh bien, dans ce cas, Mrs Grey, je vous fais de suite une ordonnance pour une prise de sang.

Nous serons fixées dès que j’aurai les résultats. Pouvez-vous passer à mon secrétariat dans la journée
?

— Je serai à l’accueil de votre cabinet dans une heure.

Je raccroche. Merde, Ana a été opérée… il y a à peine trois jours, je lui parlais, on échangeait sur

les turpitudes de la vie conjugale, et maintenant elle est à l’hôpital.

Après un déjeuner rapide avec Dan à la cafétéria du journal, je pars pour le Northwest Hospital où

je récupère mon ordonnance pour une prise de sang. La secrétaire du Dr Greene m’indique le service

où les infirmières se chargeront de me prélever deux flacons de mon sang.

Dieu que je déteste les piqûres ! Allez Kate, un peu de courage, ce n’est pas une petite aiguille qui

va te tuer.

Après cette désagréable formalité, l’infirmière me demande si je veux attendre les résultats ou si je

préfère qu’ils me soient envoyés demain par courrier. J’attends dans leur petite salle d’accueil, je
n’ai
jamais aimé le suspense et la patience n’est pas mon fort. Le bout de papier me confirme ce que les

tests avaient déjà révélé : positif. D’après le taux d’HCG, je serais à la quatrième semaine de

grossesse. OK, la science conforte mon intuition : ce bébé a bien été conçu à Hawaï.

Putain, même pas un mois après l’arrêt de ma pilule…

Il est bientôt 17 heures, plus que temps de rentrer chez moi.

***

Quand j’arrive à la maison, une bonne odeur me parvient aux narines. Elliot est déjà là, dans la

cuisine. Dès qu’il lève les yeux et me voit, un sourire naît sur ses lèvres, mais tout à coup, il se fige.

Quoi, quel est le problème ?

Je m’approche de l’îlot central :

— Bonsoir, Bébé.

— Salut, Princesse. Ça va ?

— Oui, Elliot, pourquoi tout le monde me demande si je vais bien ?

Je laisse mes sacs sur le comptoir de la cuisine, ôte mes chaussures d’un coup de pied et grimpe sur

un tabouret haut. Elliot me fixe, sans un mot. Je montre du menton les barquettes de plats qui jonchent

le plan de travail :

— C’est quoi tout ça ? Tu fais des stocks pour l’hiver ?

Il rit. Mais son sourire ne monte pas jusqu’à ses yeux qui restent durs, posés sur moi.

— C’est Mia… Je crois qu’elle a un truc à demander, ou à se faire pardonner.

— Oui, je sais. (Je hausse les épaules) Son cadeau est là. Je lui ai ramené un truc de la Fashion

Week. Dis donc ! Elle ne fait jamais dans la demi-mesure.

— Mouais… toi non plus.

Il désigne les paquets sur le comptoir. Et reprend :

— Que veux-tu pour dîner ? Il y a de l’agneau à la menthe, du curry de poulet, des tagliatelles
aux noix de Saint Jacques et je crois que ma sœur a même mis une blanquette de veau à la française.

Il sort deux verres à vin et une bouteille de Merlot. Merde, si je refuse, il va se douter de quelque

chose. J’essaie de faire diversion.

— Blanquette, s’il te plaît. Il y a aussi quelque chose pour toi dans ces paquets. Tu ne crois

quand même pas que j’allais oublier mon petit mari ?

— Merci Kate.

Son ton est froid.

— Merde Elliot, c’est quoi ton problème ? J’aurai pensé que nos retrouvailles auraient été plus…

chaleureuses.

J’ai haussé le ton, je n’ai vraiment pas la tête à supporter les sautes d’humeur de mon mari.

Normalement, c’est à moi que revient le droit de faire un caprice, surtout dans mon état.

Elliot s’approche de moi et me prend enfin dans ses bras. Il dépose un baiser dans mes cheveux.

— Désolé, Princesse. Je suis préoccupé. Mon voyage à Haïti se présente mal. Tu m’as manqué,

énormément, je ne veux pas partir la semaine prochaine.

Il soupire, passe la main dans ses cheveux. Il reprend, presque dans un murmure :

— Et je suis désolé de te le redire, je m’inquiète pour toi. Tu as une mine affreuse, tu travailles

trop. Ménage-toi, car à ce rythme, tu ne vas pas tenir longtemps. Et j’ai besoin de mon épouse, en

pleine forme.

Mon Dieu blond me fait son clin d’œil légendaire et pose un verre de vin devant moi. Je le prends,

mais trempe juste le bout de mes lèvres dedans. Je dois faire attention maintenant, même si j’ai bu

(énormément…) depuis les quatre dernières semaines. Cet enfant a sans doute été conçu dans le
punch

hawaïen. Merde, je suis la future mère la plus lamentable qui puisse exister…

Les larmes me montent aux yeux. Fichues hormones…

Elliot resserre son étreinte, m’enveloppe dans ses grands bras.


— Ne pleure pas, Princesse, je suis désolé. Je ne voulais pas être si dur avec toi. Je veux juste

que tu fasses attention. Tu t’épuises avec tous ces déplacements. Kate, tu m’as dit au téléphone que tu

n’avais pas beaucoup dormi ces quinze derniers jours. Promets-moi de ralentir cette semaine. Que
vas-

tu faire pendant que je serai parti ? Je déteste ne pas pouvoir veiller sur toi.

Oh Elliot, si tu savais… Je décide qu’il est temps de lui dire. Je me ressaisis, tends la main vers les

paquets, et lui donne le premier.

— Tiens Bébé, c’est pour toi.

— Merci, Bébé. Oh, t’es passée chez Calvin Klein ?

— Oui, j’ai couvert leur défilé et je suis maintenant une cliente VIP. Si tu veux mettre un boxer

neuf tous les jours de l’année, pas de soucis… grâce aux tarifs que j’ai chez eux.

— Parfait pour faire des économies de lessive. Et ça ?

Il est redevenu rieur, le Elliot que j’aime.

— Ouvre-le.

Je plonge les yeux dans mon verre, sans boire une goutte de vin. Dieu sait pourtant que j’en aurais

bien besoin. Elliot ouvre le sac, sort une petite boîte rose. Il m’interroge du regard, je hausse les

épaules. Dans la boîte, il trouve une petite paire de chaussettes roses, avec brodé sur l’une : « 50 %

Papa » ; et sur l’autre : « 50 % Maman ». Mon mari me fixe, ses yeux ressemblent à des soucoupes.
Il

plonge sa grande main dans le sac et retire un autre petit paquet. Un petit bonnet bleu avec

l’inscription : « Moi et Maman aimons Papa ».

Elliot fixe les deux petits vêtements, longuement, puis me regarde, toujours sans dire un mot.

Le temps me semble interminable, je ne peux rien dire non plus. J’ai la gorge nouée, je guette la

moindre de ses réactions, mais je n’arrive pas à le lire… Je vois juste ses yeux fixes, deux lasers
bleus

braqués sur les petits articles en tissu, les rouages de son cerveau tournent à plein régime, ses lèvres
d’habitude si sensuelles sont une ligne figée.

Merde Elliot, dis-moi quelque chose.

Nous restons ainsi, au milieu de la cuisine, la blanquette de veau réchauffant dans le four, de

longues minutes qui me semblent des heures. Je retiens mon souffle, je suis tétanisée. Je ne sais pas
ce

que pense Elliot, il me fait presque peur. Puis, une larme, une larme roule sur sa joue droite,

doucement, jusqu’au petit creux de sa fossette. Une autre larme coule sur son autre joue.

Elliot se tourne vers moi, fait un pas, me tient les épaules et enfouit sa tête dans mon cou, dans mes

cheveux. Il pleure dans mon cou, en silence. Je sens ses larmes sur ma peau.

Je lui caresse le dos, la nuque. Je ne dis rien. Je sens le barrage rompre et je pleure avec lui, en

silence. Nous restons enlacés une éternité, seules nos mains bougent, je lui caresse les cheveux, mes

doigts jouent avec ses mèches blondes. Les siennes sont dans mon dos, bien à plat, diffusant une
douce

chaleur le long de ma colonne vertébrale. J’ai le sang qui bouillonne et frappe mes tempes. J’aime cet

homme, trop, à la folie que cela en devient douloureux. Il est mon air, mon oxygène, mon roc, mon

tout.

Elliot bouge un peu, relève la tête dans mes cheveux, et murmure :

— Tu vas avoir un bébé…

Ce n’est pas une question, juste un souffle. Je lui réponds sur le même ton, je peux à peine parler

sous l’émotion.

— Non Elliot, nous allons avoir un bébé, notre enfant.

Il m’embrasse, juste un frôlement de lèvres sur les miennes. Je me penche pour lui rendre son

baiser, pour lui donner tout l’amour qui déborde de mon cœur et que je ne peux garder pour moi. Mes

mains s’agrippent à sa nuque, le forçant à se rapprocher, à ouvrir ses lèvres. Ma langue trouve enfin
la

sienne, douce et chaude. Je m’enroule autour d’elle, trouve notre rythme lent et sensuel. Je ne sais pas
qui gémit, lui ou moi, quand notre baiser est langoureux, sans urgence pour une fois. Exactement ce

dont j’ai envie, ce dont j’ai besoin.

— Aime-moi Elliot. Aime-moi, s’il te plaît.

Je vois le doute, l’interrogation dans ses grands yeux bleus, mais aussi l’amour, tellement d’amour.

Après quelques secondes de réflexion, il se redresse, me saisit par la taille et me soulève du

tabouret de la cuisine. Il me porte dans ses bras forts, je suis blottie contre son torse musclé, et il me

dépose sur le canapé du salon. Oh, nous n’atteindrons même pas notre chambre ?

Elliot Grey est et restera un vilain garçon.

Mon vilain garçon.

***

Je me réveille dans notre grand lit. J’ai chaud, j’ai envie de faire pipi, j’ai… merde, une nausée.

Elliot est enroulé autour de moi, sa cuisse immobilise mes jambes, son bras est autour de ma taille.

J’essaie de me glisser hors du lit, puis brusquement je le repousse, l’estomac au bord des lèvres. Il

grogne, mais je suis déjà dans la salle de bain, à vider mes tripes.

— Merde Kate. Bébé, qu’est-ce que tu as ?

Elliot est dans l’entrebâillement de la porte, en bas de pyjama. Il fait un pas vers moi. Je me

redresse, me rince la bouche dans le lavabo et me lave les mains.

— Ce n’est rien, Elliot, juste une nausée.

— Il te faut des médicaments ? J’appelle un médecin ? Tu veux que j’appelle ma mère ? Grace

doit savoir quoi faire, non ?

— Du calme, Grey. Je n’ai besoin de rien. J’ai faim maintenant.

Il me regarde éberlué. Je sens l’inquiétude et la colère dans ses yeux. Il est

face à moi. Il me tient par les épaules et m’examine de la tête aux pieds.

— Elliot, je vais bien. J’ai géré ces nausées à New York, je survivrai ici.
— Quoi ? Ça fait combien de temps que cela dure ?

— Bah, une petite semaine. C’est à cause de ces nausées que j’ai su que j’étais enceinte.

Il me caresse la joue, l’air inquiet et compatissant.

— Bébé, j’appelle Grace. Maman nous dira quoi faire.

— Non Elliot. (Je hurle.) Laisse ta mère en dehors de tout cela.

Je me dégage, sors de la salle de bain et revêts mon peignoir avant de me diriger vers les escaliers.

Elliot me suit dans la cuisine, il a enfilé un tee-shirt.

Je sors du fromage blanc, du bacon et les œufs du réfrigérateur, Elliot prend le lait et le jus

d’orange. Il met la cafetière en marche, l’odeur me vrille l’estomac, mais je ne dis rien : je sais que

cela ne ferait qu’envenimer la situation et je n’ai vraiment pas envie de me disputer avec lui, pas
après

la soirée et la nuit d’amour que nous avons passées.

Elliot prépare les œufs brouillés pendant que je me jette sur mon fromage que j’ai agrémenté de

müesli aux fruits.

— Comment peux-tu manger après avoir eu une grosse nausée il y a à peine dix minutes?

Il me dévisage, les sourcils levés en accent circonflexe.

Je marmonne la bouche pleine :

— Je ne sais pas, j’ai faim.

— Kate, sérieux, il faut que tu voies un médecin.

— J’ai fait une prise de sang hier, à l’hôpital, et j’ai rendez-vous avec le Dr Greene la semaine

prochaine.

— Ah… très bien. J’annule mon voyage à Haïti, je reste avec toi.

— Non Elliot, tu ne peux pas. Tu ne vas pas tout annuler parce que je suis enceinte. On ne va pas

arrêter de vivre et de travailler. Ça va durer neuf mois, tu sais. Et tu as tellement travaillé sur ce

voyage et ton chantier là-bas. C’est important que tu y ailles, pour ces familles qui attendent enfin un
logement.

— Tu es plus importante, Bébé.

Je pose ma cuillère, et le fixe, mi- furieuse, mi- attendrie. Je sais que je suis la personne la plus

importante pour lui, que son monde tourne autour de moi, mais là, c’en est trop.

— Bébé, j’ai rendez-vous mardi prochain avec le Dr Greene. Tu pars pour Haïti jeudi, exact ?

— Oui.

— Donc tu viens avec moi au rendez-vous et tu pars ensuite suivre ton chantier là-bas. Affaire

réglée.

— Mais…

Je le coupe, l’index levé.

— Non, pas de mais, Grey. D’ailleurs, il faut que je me dépêche, je dois voir Kristine à neuf

heures au Seattle Times, et toi, tu es déjà en retard.

— Kate. Tu es… impossible.

— Oui Elliot, et c’est pour ça que tu m’aimes.

Je me lève en battant des cils. Il soupire, vaincu.

— Promets-moi d’y aller doucement, de ralentir le rythme. Tu n’es plus seule maintenant.

— Promis Bébé. Et quand tu seras parti, j’irai sans doute quelques jours chez mes parents. Keith

sera également en déplacement, Maman sera ravie de m’avoir à la maison.

Je contourne le plan de travail et dépose un baiser sur ses lèvres. Beurk, il sent le café. Je caresse sa

joue, sa barbe naissante est râpeuse sous mes doigts, je m’arrête sur sa petite fossette que j’aime tant

quand il sourit.

Je bloque mon regard dans le sien, vert sur bleu.

— Elliot, tout va bien se passer, je te le promets. Je vais te faire un bébé parfait, livré dans un peu

moins de huit mois. Fais-moi confiance, Grey.


19.

Thanksgiving
Novembre 2013
Je suis blottie dans le grand canapé du salon, un chocolat chaud posé sur la table basse, un plaid

moelleux sur mes genoux et un livre dans les mains. Je me détends, essayant de faire abstraction du

bruit qui vient de l’étage inférieur.

Elliot joue au bûcheron, il rentre du bois avec PJ dans l’appentis à côté du garage. Mon mari n’a

pas pu faire cette corvée avant, nous sommes mi-novembre, l’automne est déjà froid et humide, le

climat de Seattle ne nous épargne pas. Je soupire. Dire qu’il y a deux jours, nous étions tous les deux

en Californie, à Los Angeles. Je souris à ce souvenir, le soleil, la plage, les soirées en terrasse avec

mon mari. Pour une fois, nous avions réussi à faire coïncider nos emplois du temps, le journal

m’envoyant couvrir un discours de Jerry Brown, le gouverneur de l’État, et Elliot avait des rendez-

vous importants pour Grey Energy.

En effet, depuis que mon mari et ses deux sociétés ont remporté le marché de la rénovation et la

construction des docks de Seattle, ses sociétés sont référencées à la Mairie et surtout, au sein de l’US

Mayor Climate Protection Agreement. Le maire, Greg Nickels, fervent défenseur de l’environnement,

milite activement auprès de tous les maires des grandes villes de la côte Ouest et du pays. Il aide au

maximum les entreprises et sociétés de Seattle à promouvoir leur savoir-faire et leur expertise auprès

de ses confrères. Grey Construction et Grey Energy sont maintenant référencées en Californie, Elliot

prospecte ce marché exigeant et difficile. Je suis tellement fière de lui et de sa réussite.

Lors de notre séjour, nous avons profité au maximum de nos temps libres pour se retrouver,

apprécier de la douce chaleur californienne pour manger une glace le long de Malibu Beach, boire un

verre en terrasse, dîner dans les lieux mythiques de la ville – j’ai adoré notre soirée romantique au

Château Marmont. Bref, même si nous étions tous les deux à Los Angeles pour travailler, j’ai

l’impression d’avoir passé quatre jours de vacances avec mon magnifique mari.

Elliot s’est détendu en constatant que je vais bien, les nausées matinales ont disparu à la fin du
deuxième mois, comme l’avait prédit le Dr Greene lors de notre premier rendez-vous.

Oh mon dieu, ce rendez-vous… Je me demandais si c’était bien de moi et de ma grossesse dont il

s’agissait… Elliot a été infernal depuis mon retour de New York. Il a commencé dès le lendemain, en

me surveillant comme le lait sur le feu. Dès que j’allais aux toilettes, il me suivait, attendant derrière
la

porte, guettant le moindre signe de nausées. Il fut aux petits soins tout le week-end, j’avais

l’impression d’être en porcelaine. Ce qui pouvait être adorable au début m’est vite devenu

insupportable. Je n’aime pas perdre ma liberté de mouvement, et une « petite mise au point » fut

nécessaire. Dans le cabinet du Dr Greene, rebelote ! Mon gentil géant blond s’est mué en mère poule,

assommant la pauvre toubib de questions, allant du régime à suivre, aux médicaments pour me

soulager des nausées, en passant par mon activité physique et professionnelle. Le Dr Greene fut ferme

et rassurante, je lui aurais baisé les pieds quand elle a dit à Elliot que la grossesse était un état
naturel,

que les femmes depuis des millénaires savaient quoi faire d’instinct et qu’il fallait me laisser le
temps

pour assimiler mon état, et que moi seule savais ce dont j’avais envie et besoin.

Mais ce qui a définitivement cloué le bec à mon époux, c’est l’échographie et le doppler fœtal.

Entendre le cœur de notre bébé fut la plus merveilleuse expérience que nous ayons partagée. Les

larmes nous sont montées aux yeux, le petit son rythmé confirmait bien que là, dans mon ventre

encore plat, un petit cœur battait. Nous sommes repartis avec les photos de l’échographie, cinq
clichés

en noir et blanc, où honnêtement, je ne distinguais pas grand-chose : une poche avec une petite forme,

une petite tache noire. Elliot a immédiatement vu le fœtus, pas moi.

En sortant de la consultation, il tenait, retournait dans tous les sens les clichés, puis s’est

immobilisé sur le trottoir, devant notre voiture et a laissé tomber la sentence :

— Une cacahuète… notre enfant ressemble à une putain de cacahuète !


J’ai crié, lui frappant le bras… mais c’était trop tard, j’avais cette image gravée dans ma tête.

Depuis, nous parlons de notre enfant en le nommant « Cacahuète ». Je passe la main sur mon ventre, à

travers mon pull en cachemire. Je sais que mon corps a changé, mon ventre est un peu gonflé, mes

jeans me serrent à la taille, mes seins sont lourds, pour le plus grand plaisir de mon amant lubrique.

Lui, qui m’a toujours dit que les fesses étaient son stimulus, se découvre une grande passion pour mes

seins. Il les honore dès qu’il peut, ses mains, sa bouche, son sexe sont en permanence collés à ma

poitrine.

Je souris à ces images… lui qui avait peur de me faire l’amour, de crainte de faire mal au bébé, bah

ça n’a pas duré longtemps ! Je dois avouer que les hormones ont décuplé mon envie ce dernier mois,

j’ai l’impression d’être une chienne en chaleur. Je n’ai jamais assez d’amour avec mon Dieu du sexe,

presqu’autant que mes fringales, c’est dire.

Le téléphone me sort de mes rêveries.

— Salut Steele, quoi de neuf ?

— Coucou, Kate, je viens prendre de tes nouvelles. Comment se passe ton début de deuxième

trimestre ?

— Nickel ! Depuis que je n’ai plus de nausées matinales, je pète le feu ! Dis, ça t’a fait le même

effet pour Teddy ?

— Non, Kate… (Elle soupire) J’ai eu aussi des nausées terribles et j’étais très vite fatiguée…

Souviens-toi des préparatifs de ton mariage, je n’étais pas d’une grande aide.

Ana a une petite voix au téléphone, je me demande si ses souvenirs lui sont douloureux à ce point.

Mon instinct me dit qu’il y a autre chose. J’enchaîne pour dissiper le malaise :

— J’imagine que chaque grossesse est différente… comme chaque femme ! Au fait, je préfère te

prévenir tout de suite avant qu’Elliot en parle à Christian…

— Quoi ?
— Mon mari a une idée en tête. Et cette fois-ci, je ne suis pas parvenue à l’en dissuader !

— Qu’est-ce qu’Elliot a encore inventé ?

— Oh, rien de terrible, il veut emmener Teddy à Los Angeles et lui faire découvrir les Studio

Pixar. Il a eu cette idée cette semaine, quand nous étions là-bas. Il veut emmener son neveu-filleul

rencontrer Buzz l’Éclair et compagnie.

— Oh… c’est adorable, mais Christi…

Je la coupe :

— Ouais, ouais, Christian ne veut pas, ce n’est pas dans le protocole de sécurité, blablabla…

— Kate !

Je persifle :

— Je sais Ana, ton mari est chiant, et ton fils a déjà les DVD ! Désolée, mais tu sais, Elliot adore

ton petit garçon et c’est tout à fait normal qu’il ait envie de le gâter. Et les oncles ou parrains sont là

pour faire des choses différentes de celles que proposent les parents. Elliot ne pense pas à mal, il
veut

juste faire plaisir à Teddy.

— Je sais Kate… (Elle soupire), mais comprends-moi, il faut aller doucement… Christian,

apprend peu à peu à se détendre. Ne lui en demandez pas trop.

— OK, je dirai à mon mari de construire Disney Land dans votre jardin si ce pauvre gosse peut

avoir une chance de connaître la joie des parcs d’attractions.

J’entends un petit reniflement au bout du fil. Merde, elle pleure ? Une fois de plus, je n’ai pas

ménagé la sensibilité de mon amie, je suis un rouleau compresseur sans vergogne.

— Oh Ana, je suis désolée. Excuse-moi, je ne voulais pas…

— Ce n’est pas grave, Kate. Je connais le côté… excessif de mon mari. Et tu as raison, Teddy ne

doit pas être coupé du monde à cause des craintes de son père. Mais je ne t’appelais pas pour ça. Je

voulais savoir ce que vous faites pour Thanksgiving ?


— Euh, je ne sais pas. Tu sais, avec tous nos déplacements, nous sommes un peu déconnectés

des obligations du calendrier. Je passerai sans doute les fêtes chez mes parents cette année. Pourquoi
?

— Eh bien, je ne sais pas, mais comme Grace a organisé les deux derniers chez elle…

— Tu pensais faire le repas chez toi ? Tes parents seront là ?

— Non justement… Papa, Maman et Bob ne sont pas disponibles.

— Ah merde ! C’est ça qui te met dans cet état ?

— Oui, un peu. Parce que cette année, Teddy est en âge de comprendre et d’en profiter. L’année

dernière, il était trop petit.

— Oui, c’est sûr. Et Mia ? Tiens, ça me fait penser que je n’ai aucune nouvelle de mon frère. Il

faudrait peut-être que je me rappelle à son bon souvenir.

— Kate, je ne pense pas qu’Ethan t’ait oubliée. Il doit avoir beaucoup de travail avec son

nouveau cabinet en ville.

— Évidemment qu’il ne m’a pas oubliée ! Mais une petite piqûre de rappel ne fait jamais de mal,

Steele ! Ça fait une éternité que je ne lui ai pas cassé les pieds. Mais j’imagine que Mia s’en charge

pour moi.

— Kate !

Son ton offusqué me fait rire. Ana n’a jamais connu les chamailleries entre frère et sœur, elle

défend toujours le pauvre Ethan quand je me mets en tête de l’asticoter.

— Tu sais, reprend-elle, ça me rend triste de ne pas faire les fêtes avec mes parents cette année.

— Nous sommes là. Si tu veux, j’organise Thanksgiving à la maison. Vous viendrez tous ici.

— Oh, Kate, je ne veux pas te forcer à tout organiser. Tu dois te reposer.

— Peuh… arrête Steele, je croirai entendre mon mari. Je t’ai dit que je suis en pleine forme. Par

contre, je ne ferai pas le repas, je n’ai pas envie de décimer la famille… enfin, pas tous les Grey !

— Kate !
— Bon, c’est oui ou non ? Mon offre est valable uniquement maintenant, avant que je ne change

d’avis.

— D’accord, c’est d’accord Kate. Merci beaucoup !

— Bien, je te laisse Steele, j’ai des coups de fil à passer et un repas pour onze personnes à

organiser. Bye !

***

Je suis fière de moi. En quelques coups de téléphone et un peu d’organisation, j’ai réussi à caler

tous les détails pour le déjeuner de Thanksgiving. J’ai mis Mia aux fourneaux, Grey Gourmet assure
la

totalité du repas, je n’ai même pas de tarte aux citrouilles à cuisiner ! J’ai acheté la décoration avec

Maman : des citrouilles sculptées, des branches de houx et de pins prises dans les bois derrière la

maison, quelques bougies parfumées à la cannelle disposées un peu partout dans le salon. Tout me

semble parfait, les invités arriveront d’ici deux bonnes heures.

Elliot remonte du garage, les bras chargés de bois pour la cheminée.

— Alors, Bébé, je l’allume maintenant ou j’attends tout le monde ?

— Maintenant, je veux qu’il fasse bien chaud, et j’aime l’ambiance que donne une bonne

flambée dans la pièce.

J’ai juste la table et il n’y aura plus rien d’autre à préparer. Je pose la nappe que Grace m’a offerte à

Noël dernier, si je ne la sors pas maintenant, cette… chose ne verra jamais la lumière du jour. Je
dresse

la table, il ne manque plus que les plats. Je m’approche d’Elliot, qui est accroupi devant la cheminée,

rassemblant le petit bois pour allumer le feu. Il est en jean brut et chemise bleu et brun de bûcheron

canadien. Je suis chanceuse : mon mari est superbe, sexy en diable. J’ai les hormones qui tournent à

plein régime à sa vue. Je lui caresse les cheveux, je sens son sourire.

— Alors, mon vigoureux bûcheron, aurons-nous bien chaud à midi ?


— Je crois, Princesse, que tu n’as pas besoin de la cheminée en ce moment. Je sens un incendie

imminent, une auto-combustion spontanée.

— Hum-hm… il me faudrait une caserne complète de pompiers pour éteindre mon … incendie…

là…

Je pose ma main sur mon aine. Il tourne la tête, son sourire est carnassier. Sans se relever, il pivote

sur ses talons, sa tête est pile au bon niveau. Il pose la bûche qu’il avait en main et saisit mes fesses.
Il

les presse, les malaxe par-dessus mon pantalon fluide de yoga.

— Je crois qu’il y a urgence… Quel époux suis-je si je laisse ma délicieuse petite femme dans

cet état… ?

Son nez est dans mon entrejambe, ses mains me forcent à me rapprocher. Oh oui Bébé, c’est

exactement ce que je veux. Ses mains sur mes fesses trouvent le bord de mon pantalon, le baissent

ainsi que mon shorty en coton. Je lève un pied puis l’autre pour sortir de mes vêtements, qui sont à

présent en boule devant la cheminée. Elliot recommence à frotter son nez contre mon pubis, j’écarte

un peu les jambes et bascule mon bassin. À mon signal, il plonge la langue dans mes plis, trouve ma

fente. Il lèche sans précipitation les bords de mes lèvres intimes, puis les écarte doucement pour se

concentrer sur mon clitoris. Je ne sais pas si mes jambes vont me porter longtemps, je sens déjà les

vagues du plaisir monter. J’empoigne ses cheveux, m’équilibrant avec sa tête. Dieu que c’est bon ! Et

qu’il est doué ! Chaque mouvement de langue m’amène vers l’orgasme.

Elliot descend une main de mes fesses et la passe dans mon entrejambe. Lorsqu’il introduit deux

doigts en moi, j’explose. Il ne m’en fallait pas plus. Je chancelle, me raccrochant à ses épaules

musclées.

Mon Dieu blond se redresse, m’attrape par la taille, ses yeux se bloquent dans les miens.

— Alors, Princesse, ça va mieux ?

— Oui, merci.
— À ton service. Maintenant que l’incendie est éteint, puis-je m’occuper de cette putain de

cheminée ou as-tu également besoin de la grande lance ?

— Prétentieux. Mais pas maintenant, je n’aimerais pas que tes parents ou les miens nous

trouvent en train de baiser sur la table basse.

Je remonte mon shorty et mon pantalon, tourne les talons avant d’ajouter :

— Je vais prendre une douche et me changer, je reviens.

il hurle dans mon dos :

— OK, nous restons ici, moi et l’énorme bûche dans mon pantalon. Mais tu m’en dois un, Kate !

***

Quand je redescends, le feu crépite dans la cheminée, un crooner chante dans la chaîne hi-fi et

j’entends des voix dans l’entrée. Les premiers convives arrivent, enfin, mon traiteur et son assistant

sont là : Mia et Ethan. Ils ont les bras chargés de grands plats en aluminium, Elliot les aide.

— KAAATTTEEEE !

— Bonjour Mia, salut Frangin. Besoin d’aide ?

— Non KAK, nous avons tout, répond Ethan.

— Nous allons tout déposer dans ta cuisine, ajoute Mia. Il n’y a plus qu’à réchauffer.

— Super, Mia, tu me sauves la vie !

— De rien, Kate, tu sais que j’adore cuisiner pour ma famille. Et Grey Gourmet a fait une dizaine

commandes de ce genre aujourd’hui.

— Génial, fillette, je suis content que ton affaire tourne aussi bien.

Je sens toute la fierté d’Elliot dans cette phrase. Tous ensemble, ils déposent les plats sur l’îlot

central, Mia met le four à préchauffer, mon mari aide sa sœur à trouver les ustensiles dans le plan de

travail. Je suis occupée à débouchonner les vins pour qu’ils s’aèrent quand mes parents et mes beaux-

parents arrivent en même temps.


La maison devient un tourbillon d’agitation, Maman embrasse tout le monde tout en déposant le

gâteau aux potirons d’Edna sur l’îlot central. Grace aide Mia à mettre la dinde au four, les hommes se

sont déjà servi un verre de vin. Je suis toujours étonnée de voir mon père, mon mari, mon frère et

Carrick discuter de tout et de rien dans mon salon.

Ana et sa famille ne sont toujours pas arrivées : comme d’habitude, ce sont les derniers. Je me

demande si nous aurons droit au service minimum du milliardaire sociopathe, mais je décide de m’en

foutre. Ce con ne me minera pas, il ne gâchera pas la joie de recevoir ma famille chez moi.

Je vois Elliot faire des grands gestes, je crois comprendre qu’il parle de nos projets de travaux à

l’étage. En effet, je veux optimiser l’espace, pour faire la chambre du bébé à côté de la nôtre, le
bureau

doit changer de place, et il faut créer une deuxième salle de bain. Nous ne sommes pas tout à fait

d’accord sur l’agencement. Bravo Kate, c’est un bel euphémisme !

Les hommes partent à l’étage, je reste avec Maman, Mia et Grace à la cuisine. Mia me demande

pourquoi je n’ai pas déjà préparé le sapin, je lui fais juste remarquer que c’est un peu tôt. En vérité,
je

n’ai jamais aimé les fêtes de Noël. Ma grand-mère maternelle est morte la veille de Noël, quand on

était petits. Depuis ce deuil, les parents nous emmenaient, Ethan et moi, en vacances au soleil pour
les

fêtes de fin d’année.

Le bébé se manifeste à ce moment : c’est l’heure de sa séance de looping. Je passe la main sur mon

ventre, Maman me regarde avec un sourire béat. Je sais ce qui peut calmer Cacahuète : un grand verre

de soda. Diane a servi le vin blanc à Grace, Mia m’accompagne et vide d’une traite son Coca Zéro.

La chaleur du four nous donne le feu aux joues. ( Ça te change du feu aux fesses, Kate ! ) Je ris toute

seule en repensant à notre petite séance devant la cheminée quand la porte s’ouvre.

J’entends Teddy hurler : « Lelliot » dans l’entrée.

Ah enfin ! Ana et Mr Mégalo arrivent, suivi de deux agents. Sérieux Grey, t’es vraiment un grand
malade. Grace se charge d’accueillir son fils et mon amie comme si elle était la maîtresse de maison,

j’étrécis les yeux, prends une inspiration et compte jusque dix… non cinq, ça sera déjà pas mal.

Quand ma belle-mère et mon amie nous rejoignent à la cuisine, Ana semble encore perdue dans un

univers parallèle. Je suis obligée de la faire atterrir. Je sais d’expérience qu’elle peut partir des
heures

entières dans ses divagations, j’ai déjà testé ça à Portland, c’est impressionnant.

De nouveau, des embrassades, Maman et Mia saluent Ana. Ana m’attrape pour me féliciter sur le

choix des décorations, je ne suis pas peu fière du résultat. Mais mon amie me surprend en m’affirmant

que mon enfant est une fille. Même moi, je ne le sais pas. À la dernière échographie, celle du
troisième

mois, le bébé montrait ses fesses, comme son père, cet enfant est insolent et désobéissant. Le Dr

Greene a tenté quelques pressions sur mon ventre pour le faire se retourner, mais rien n’y a fait.

Elliot trouve le bébé aussi têtu que moi. Pfut, mon mari est vraiment de mauvaise foi. Mia s’en

mêle, prédisant également une fille :

— Et toi, Kate, tu attends une fille. Je vais enfin trouver ma revanche sur mon frère aîné : je vais

le voir devenir gaga.

Je souris, je sais que quel que soit le sexe de cet enfant, Elliot sera gaga. Je n’ai pas le temps de

taquiner Mia que Grace la reprend durement :

— Mais enfin, chérie, quelle revanche peux-tu vouloir contre Elliot ? Il s’est toujours montré très

protecteur envers toi, depuis le premier jour de ton arrivée à la maison. Christian aussi d’ailleurs.

Mia se défend avec volubilité :

— Maman, tu es aveugle. Mes deux frères m’ont tellement couvée qu’ils ont failli m’étouffer. Il

fallait que je les supplie pour sortir avec eux – que ce soit en bateau, au cinéma, ou au théâtre. Et ils

terrorisaient tous les garçons qui voulaient sortir avec moi. J’ai dû m’enfuir à l’étranger pour trouver

un peu de liberté, mais Christian s’est arrangé pour me surveiller, même là-bas.
Pourquoi ne suis-je pas étonnée que le psychopathe fasse suivre sa sœur à l’autre bout de la

planète ? Et le comportement d’Elliot ne m’étonne qu’à moitié : lors de notre premier séjour aux

Bermudes, il s’était confié sur la relation complice qu’il entretient avec sa petite sœur, les concerts

qu’ils ont faits ensemble.

Mia tape du pied, mais je devine un sourire : elle aime être au centre de l’attention de ses grands

frères. Je décide qu’il est temps de mettre un peu de légèreté dans cette cuisine et de couper court aux

spéculations sur le sexe de mon enfant.

Je tape dans mes mains.

— Mesdames, j’ai une déclaration à vous faire : j’ai vu ma gynéco cette semaine, personne ne

saura le sexe avant le jour de l’accouchement. Et Elliot a accepté ma décision.

— Oh ma chère petite ! s’exclame Grace, les larmes aux yeux.

Maman passe derrière moi, me prend par la taille, et m’embrasse sur la tempe. Je sais qu’elle est

émue, je l’ai appelée pour lui raconter mon rendez-vous dans le détail, elle me soutient à chaque
étape,

sans me presser ou être envahissante. Diane connaît très bien mon besoin d’être libre, elle respecte
ma

bulle. Je sais qu’elle est également convaincue que j’attends une petite fille.

— Ah, mon frangin accepterait n’importe quoi en ce moment, ricane Mia.

Je lui souris, et quand elle fait le clown, je ne peux m’empêcher de sourire. Ah, Mia me fera

toujours rire.

— Pourquoi Elliot ne m’a-t-il pas prévenu que tu avais un rendez-vous médical ? me demande

Grace d’un ton choqué.

Je jette un coup d’œil froid à ma belle-mère puis je lui accorde un sourire crispé. Je reste polie, mes

années de contrôle lors des mondanités me servent.

— Nous comptions annoncer à tout le monde, aujourd’hui même, au cours du repas, que la
naissance est confirmée à la mi-avril. En attendant, motus et bouche cousue.

Il faut que je fasse diversion, Ana est l’alibi parfait :

— Steele, tu es priée de ne pas cafarder, c’est compris ?

— Bien sûr, répond mon amie, un peu choquée.

Oh Steele, je sais que tu dois tout dire à ton mégalo de mari… mais Elliot n’aimerait pas que je lui

coupe ses effets : il est tellement heureux en ce moment. Je ne veux pas que son taré de frère ou sa

mère « modèle » me gâche ma joie. Merde, c’est égoïste de ma part, je ne sais pas pourquoi, j’ai

besoin de me retrancher dans ma bulle, et ma bulle paisible et aimante en ce moment, c’est mon mari.

Mia me fait signe que les plats sont prêts, nous n’allons pas tarder à passer à table. Parfait.

Nous nous dirigeons vers le salon quand Teddy déboule, Elliot accroché à sa main avec un grand

sourire.

— Lelliot, hurle le mini-Grey.

Dingue comme ce môme ressemble à son père, les gènes ne mentent pas. Ana tente de reprendre

son fils, mais le petit garçon ne s’en laisse pas compter. Il ne lâche pas mon mari et répète : « Lelliot.
»

— Ted ne cesse de reprendre ceux qui m’appellent Elliot et pas Lelliot, remarque mon Dieu

blond. Christian ne m’a pas raté sur ce coup-là. C’est du beau travail.

Et il éclate de rire en passant la main sur les cheveux en pétard de son filleul. Oh mon Dieu, ils sont

trop mignons tous les deux !

Je me ressaisis, et rappelle à mon homme ses devoirs d’hôte de maison :

— Bien, Lelliot, tu es chargé d’aller récupérer ta bande de bras cassés. Nous n’allons pas tarder à

passer à table. La dinde est prête à être consommée.

Je me tourne vers Ana et chuchote :

— Ne t’inquiète pas, Ana, je ne parlais pas de toi.

Elle lève les yeux au ciel, je souris.


Une fois tout le monde réuni et installé autour de ma table qui croule littéralement sous les plats,

mon Géant blond reste debout, fait tinter son verre.

— S’il vous plaît. Je voulais tous vous remercier d’être venus chez nous pour fêter Thanksgiving.

D’abord merci à mon adorable épouse, qui en un temps record a organisé ce repas d’une main de

maître. Et à mon adorable petite sœur qui nous sauve la vie et nous permet de manger un festin, sinon

nous aurions déjeuné des sandwiches au beurre de cacahuète ce midi !

Il me fait un clin d’œil, je le foudroie du regard, pour la pique sur mes talents culinaires et

l’allusion discrète au nom de notre bébé.

Elliot continue son discours, très fier de lui :

— Je sais que vous attendez tous de connaître le sexe de notre bébé, la dernière échographie n’a

pas pu donner le verdict à cet insupportable suspens. Nous avons donc décidé de ne pas savoir, les

paris sont ouverts.

Grace foudroie à son tour son fils du regard. Mon pauvre Elliot ! Il ne survivra pas longtemps à ce

repas. Ethan ricane, Maman soupire.

— La seule chose dont nous sommes sûrs, continue Elliot, c’est la date d’accouchement. Bloquez

tous vos agendas pour la mi-avril, s’il vous plaît.

Keith, Carrick et Christian semblent vraiment surpris, les femmes jouent le jeu. Maman me

regarde, je sais qu’elle est émue. J’ai les larmes qui me montent aux yeux quand soudain, un courant

d’air froid me glace le dos. C’est Christian. Il me fixe, je sens dans ses yeux de glace gris toute sa

colère et son animosité. Mais quel con ! Je lui retourne le même regard, c’est MA grossesse, MON

enfant et je suis chez moi, MERDE alors !

Teddy hurle pile à ce moment en frappant son assiette :

— Manger !

Ce gamin a des manières déplorables et son oncle « Lelliot » l’encourage…


— La vérité sort de la bouche des enfants, dit mon mari avec un regard approbateur. Tu as raison,

bonhomme, il est temps de manger. Pas question de laisser ce festin refroidir.

Elliot découpe la dinde avec mon grand couteau et la fourchette à rôti, Teddy ne le quitte pas des

yeux. Grace marmonne quelques bénédictions, je l’écoute d’une oreille distraite, quand Mia décide
de

mettre les pieds dans le plat :

— Avez-vous déjà choisi un prénom – que ce soit une fille ou un garçon ?

Oh, qu’elle est chiante quand elle a une idée en tête ! Je ne peux vraiment pas annoncer aux futurs

grands-parents, oncles et tantes que notre futur enfant s’appelle « Cacahuète Grey » ! Et c’est de la

faute de à son père indigne, que je crucifie des yeux.

Je rabroue sèchement Mia :

— C’est toujours en cours de discussion.

Elle boude, mais pas longtemps. Elle se met vite à discuter avec Ethan et Keith. Et là, je note le

regard amusé que mon père porte sur Mia Grey. C’est quoi ce bordel ? Je sais que Mia a passé une

audition pour l’émission culinaire de Kavanagh TV, suite à la discussion que j’ai eue avec mon père
à

New York. Où en sont les négociations ? Aucune idée. Il faudrait que je mette les instigations en

route, je perds la main…

***

Le repas est délicieux, Mia a vraiment assuré. La dinde a été dévorée, ainsi que les petits légumes

qui l’accompagnaient. Elliot est ravi de me voir manger avec un aussi bel appétit, mais je me
demande

comment je vais faire pour ne pas finir obèse à la fin de ma grossesse. Diane m’a affirmé que j’ai de

bons gènes : les siens. Elle a gardé sa silhouette de jeune fille et une énergie débordante.

Ma mère fut la première personne, après mon mari bien sûr, à qui j’ai annoncé ma grossesse.

C’était lors de la soirée que j’ai passée avec elle, quand Elliot était en Haïti. Lorsqu’elle m’a servi
du

vin blanc pour l’apéritif, j’ai bien évidemment refusé, je n’ai pu me défausser. Diane maîtrise à la

perfection « l’inquisition Kavanagh ». Elle est comme mon père, tenace et perspicace.

Les larmes ont coulé, encore, nous nous sommes prises dans les bras et elle m’a interdit de

l’appeler « grand-mère ». Elle veut que son premier petit-enfant l’appelle Birdie, ce que j’ai

catégoriquement refusé. Je lui ai fait promettre de ne rien dire à Keith, je voulais le lui annoncer moi-

même, ce que nous avons fait lors d’un grand repas de famille, il y a deux mois. Je soupire à ce

souvenir, les participants étaient les mêmes qu’aujourd’hui : ce repas fut une effusion de cris, de

larmes, d’embrassades.

Maman s’est empressée de me confectionner des vêtements de grossesse, surtout des robes bien

coupées en fonction des mois à venir. La majorité de ma grossesse sera l’hiver, je peux sans
problème

dissimuler mes formes sous de grands pulls et des châles enveloppants. Je ne me suis pas contentée
de

ses cadeaux, j’ai fait mes emplettes dans les boutiques de Seattle et Los Angeles.

Agréable surprise : les marques ont enfin réalisé qu’on pouvait être enceinte et sexy. Je ne suis pas

obligée de ressembler à une montgolfière ou à un cachalot échoué sur une plage.

Mia tient à voir mon shopping, j’improvise une petite séance d’essayages, pendant que les hommes

regardent un match dans la salle de télévision. Je n’ai aucune idée de ce que font Grace et Diane.

J’espère qu’elles ne se crêpent pas le chignon sur leurs visions opposées du rôle de grands-parents.

Nous rejoignons les hommes devant leur match, je me blottis dans les bras d’Elliot sur le grand

canapé.

— Ça va, Bébé ? me chuchote-t-il à l’oreille. Tu n’es pas trop fatiguée ?

— Tout va bien.

Je lui réponds en passant sous silence les tiraillements dans mon bas ventre en fin de journée. Elliot
s’inquiète déjà trop pour moi, il serait capable de me forcer à rester au lit toute la journée, sans
même

pas pour me faire l’amour… pfft…

Elliot ricane dans mes cheveux :

— Parfait, quand tout le monde sera parti, je compte bien réclamer mon dû.

— Grrrr… Elliot.

Maman, Grace et Ana proposent de finir les gâteaux pour le goûter. Excellente idée ! Cacahuète

réclame sa ration de calories sucrées.

Grace me sert une part généreuse de tarte aux noix de pécans, recouverte de crème chantilly

maison, faite par Mia…. Hmm, une tuerie ! Cacahouète montre son approbation en attaquant le double

lutz14 piqué, triple vrille arrière. Je lèche ma cuillère, quand l’œil lubrique de mon Dieu du sexe me

mate. Ok Grey, tu veux jouer ? Je sors la pointe de ma langue, lape la crème, me lèche

langoureusement la lèvre supérieure. Elliot frémit, je sais qu’il a compris le message.

***

Nos invités sont partis, Maman et Grace ont eu la gentillesse de nettoyer, ranger la cuisine et le

salon. Je monte dans notre chambre me reposer, Elliot est quelque part dans la maison, sans doute
dans

son bureau à travailler sur un projet. Je sors de mon jean et enfile un bas souple, plus confortable et

m’allonge sur notre grand lit.

J’ai dû m’assoupir, une couverture est posée sur moi et la nuit est tombée. Je sens sa présence dans

la pièce.

— Elliot ?

— Oui Princesse ?

Il s’approche de moi et s’allonge à mes côtés. Il m’embrasse les cheveux.

— Quelle heure est-il ? Ai-je dormi longtemps ?


— Deux petites heures, Bébé. Pourquoi ne m’as-tu pas dit que tu étais fatiguée à ce point ?

J’aurais mis tout le monde dehors plus tôt.

— Je ne me suis pas rendu compte que je m’endormais…

— Kate, (il gronde dans mon dos) tu ne fais absolument pas attention à toi ! Tu dois ralentir le

rythme, tu n’as pas arrêté de t’agiter toute la journée, à t’occuper de tout le monde.

Il est collé à moi, sa main caresse mon avant-bras, son nez dans mes cheveux. Je soupire, il a

raison, mais sur le moment, je me sentais bien. Toute cette effervescence dans la maison… les
pitreries

de Teddy… même Mr Pété de Thunes n’a pas entaché ma bonne humeur. Elliot a raison, je suis une

future mère lamentable, Cacahuète n’a pas cessé de faire du trampoline depuis que nos invités sont

partis. Les larmes me montent aux yeux. Merde, fichues hormones !

— Bébé, ne pleure pas… Je ne supporte pas quand tu pleures, souffle mon mari dans mon cou.

Il m’embrasse la nuque, sa main caresse doucement mon ventre. Ses gestes tendres ont l’effet

inverse, je pleure encore plus. Son étreinte se resserre sur ma taille, il effleure mon épaule de ses

lèvres. Les sanglots se calment, une autre sensation envahi mon corps. Je frotte mes fesses contre son

aine, commence à rouler des hanches.

— Bon Dieu Kate ! Tu pourras un jour me donner le mode d’emploi des humeurs de la femme

enceinte ?

— Plains-toi Grey, je paye mes dettes !

14 Saut de patinage artistique, en hommage au patineur autrichien Alois Lutz

20.

Le Prénom
Fin 2013
— Oh merde Elliot, je fais pipi, sors de là.

Je suis sur les toilettes et Elliot entre dans la salle de bain sans prévenir. Il fait demi-tour en

marmonnant.

— D’accord. As-tu fait autre chose que manger et uriner aujourd’hui?

Pas récemment, non.

— Si seulement je pouvais avoir une cuisine dans la salle de bain, je serais une femme heureuse.

Tu ne pourrais pas me construire ça, Bébé ?

Elliot est calé contre la tête de lit. Il a ouvert son ordinateur portable et regarde attentivement je ne

sais quoi sur l’écran, il ne me répond pas. Je soupire, je me dirige vers le lit. Je rampe à ses côtés et
me

blotti contre lui. Je lâche, provocatrice :

— Tout est de ta faute de toute façon.

— Ma faute? Comment diable est-ce de ma faute?

Il a l’air incrédule, mais regarde encore fixement l’écran.

— Tu étais déterminé à avoir un bébé. C’est l’acte ultime d’exercer ton pouvoir absolu sur moi.

— Je te demande pardon? Je ne t’ai pas engrossée contre ta volonté, Kate.

— Oh si, tu l’as fait. (Je fais la moue.) Tu as juste lâché ton superbe sperme. Rapide jusqu’à

l’ovule innocent. Même pas un mois après que j’ai arrêté la pilule… Je pensais que ça prendrai plus
de

temps avant que je sois enceinte…

— Eh bien, je suppose que je suis assez puissant, maintenant que tu le dis. Il sourit. Oh, ce

sourire.

— Tu vas devoir assumer toutes les conséquences, Grey.

— Moi? Pourquoi ? (Il a l’air surpris.) Tu bats des records de mauvaise foi et de susceptibilité en
ce moment.

— Je dois porter le bébé, le livrer entier et complet, et puis perdre les trente kilos que je ne vais

pas manquer de prendre à ce rythme. Toi, tu dois finir ces putains de plans pour l’agrandissement de
la

maison et faire les travaux. C’est le moins que tu puisses faire.

— Nous en reparlerons.

Il regarde l’écran de son ordinateur portable, visiblement préoccupé. Je lève les yeux vers lui.

— Quoi ? Tu ne veux plus faire les travaux ?

— Si, bien sûr, Princesse.

— Alors, quel est le problème?

— Le problème ? C’est que tu as passé les deux premiers mois à vomir dans les toilettes et là, ça

fait trois semaines que tu passes ta vie sur ces mêmes toilettes. Et en plus, tu manges dans la salle de

bain ! Je le sais, j’ai retrouvé des restes de sandwich.

Il se crispe.

— Pourrais-tu m’installer un frigo ou un minibar dans la salle de bain ?

Je murmure avec précaution :

— Puis-je te poser une question?

— Oui.

Il ne me regarde toujours pas, son écran le fascine.

— Tu ne serais pas en train de me faire un caprice d’enfant boudeur qui se sent délaissé ? Tu

n’oserais pas, Grey ?

— Non…non, c’est ridicule Kate.

Il ne me regarde toujours pas.

— J’aime mieux ça. Parce que ce n’est pas toi qui as eu les nausées matinales, ce n’est pas toi qui

as un pied dans ton estomac, une grosse tête sur ta vessie. Toi, tu vois toujours tes pieds, et tu n’as
pas

les jambes gonflées à la fin de la journée.

— Je sais, Bébé.

— Alors, quel est le problème, Elliot ?

Je le fixe.

— J’ai un gros souci sur le chantier de Californie, des retards en tout genre, et je ne peux pas

envoyer PJ là-bas, il a trop à faire ici, à Seattle.

— Et… ?

Il m’avoue enfin :

— Et je ne peux pas y aller moi-même, je ne peux pas te laisser seule ici.

— Elliot, nous n’allons pas revenir sur cette conversation. (Je commence à monter en pression.)

Tu m’as déjà fait le coup il y a trois mois pour Haïti. La situation est la même. Je vais bien, juste

quelques problèmes urinaires, et je suis une grande fille. Je peux me débrouiller toute seule.

Il murmure :

— Oui, mais je n’aime pas être parti loin de toi, surtout en ce moment.

— Combien de temps penses-tu être là-bas, en Californie ?

— Quatre ou cinq jours maximum…

— Bon, c’est réglé. Tu pars et moi je continue ma routine, boulot-frigo-toilettes-frigo-dodo-

toilettes. J’irai peut-être passer une nuit ou deux chez mes parents, ça fera plaisir à Maman de me
voir.

— Et surtout, elle te nourrira correctement.

Il éclate de rire, je lui claque le bras.

— Bon, ce point étant réglé, nous avons une autre mission à accomplir tous les deux.

Il lève un sourcil, je vois une lueur lubrique s’allumer dans ses iris bleus.

— Non, pas ça, Grey. Pfft…. Nous devons parler du prénom pour le bébé.
— Quoi ? Déjà ?

— Elliot, j’entre dans le cinquième mois, et oui, j’aimerais que nous parlions du prénom. Tu ne

peux pas continuer à l’appeler « Cacahuète » toute sa vie. Surtout si c’est un garçon.

— Eh Kavanagh, rappelle-moi le petit nom dont tu l’as gentiment affublé dernièrement ?

— Alien… parce qu’il dévore mes entrailles de l’intérieur… Tu ne peux pas comprendre, homme

des cavernes.

Il éclate de rire et m’embrasse.

— Alien Grey… ça sonne bien non ?

— Sérieusement, Elliot, il faut qu’on se décide. Il ou elle sera rapidement là, et on aura l’air malin

à la maternité quand le Dr Greene nous demandera le nom.

— D’accord, je fais une liste, et toi aussi. Si nous avons des prénoms en commun, nous

choisirons ceux-ci. Contente ?

J’acquiesce et vais chercher un bloc note dans ma table de chevet. Je lui tends une feuille et un

stylo.

Deux minutes me suffisent, j’ai fini ma copie. Elliot griffonne toujours sur son papier, je le regarde.

Mon Dieu qu’il est sexy quand il se concentre ! Quand il a terminé, nous échangeons nos feuilles.

Je n’en crois pas mes yeux : il se fout de moi.

— Grey, t’es sérieux là ?

— Oui, pourquoi ?

— Paul, Kurt, Jimmy, Eric pour un garçon ; Pearl, Janis, Aretha pour une fille ?

— Oui. Où est le problème ?

— Paul, comme Paul Hewson, le nom de Bono, Kurt comme Kurt Cobain, Jimmy Hendrix et

Eric Clapton ? Pearl, c’est Pearl Jam, je ne me trompe pas, non ? Janis Joplin et Aretha Franklin ?
Non

mais tu te fous de moi, Elliot ?


Il gronde :

— Ah parce que toi, Kristen, Kaylee et Kimberly pour une fille, et Kethan, Karlson et Kurtis pour

un garçon, tu crois que je ne te vois pas arriver de loin ?

Je crie :

— Quoi, quel est le problème ?

Il hurle :

— Le K des Kavanagh !

Je soupire. Je suis démasquée. Je crois que mon idée pour passer un bon moment complice à

choisir le prénom de notre enfant est un fiasco.

Elliot persifle entre ses dents :

— Vu que ce bébé a été conçu à Hawaï, pourquoi pas Aloha ou Oahu tant que tu es dans les

symboles ?

Je lui décoche un coup sur la cuisse. Il se lève soudainement et se dirige vers la salle de bain pour

prendre une douche. Je regarde les muscles de son derrière quand il s’éloigne. Il grogne et regarde
par-

dessus son épaule.

— Regarde fixement, bébé. Tu ne le reverras plus de sitôt ce soir.

Ok, il veut jouer et me défie. Je me lève et le suis dans la salle de bain. Je me colle à lui, prends

fermement ses fesses à pleines mains, et le pince, durement. Il pousse un grognement étouffé, je sais

que ce n’est pas la douleur. Il se retourne, prend l’ourlet de ma chemise et la tire au-dessus de ma
tête.

Il traîne son doigt sur le haut de mon soutien-gorge, puis tourne autour de moi, il le décroche et glisse

les bretelles le long de mes épaules et mes bras, libérant mes seins lourds – maintenant. Il penche la

tête, sa langue s’arrête pour embrasser chacun doucement. Tombant à genoux, il saisit la ceinture de

mon pantalon et l’élastique de ma culotte et les fait glisser simultanément le long de mes jambes. Il
m’aide à sortir mes pieds, et jette les vêtements sur le sol. Ses mains jouent autour de mes hanches, il

pétrit mes fesses, son nez sur ma peau puis m’embrasse doucement en remontant et gémit.

— Mmm. J’adore ça, murmure-t-il.

Il se lève et me prend dans ses bras, me regarde, il m’embrasse longuement, lentement et

profondément. J’enroule mes bras autour de son cou et gémis contre sa bouche. Elliot me prend par la

main et me conduit contre la baignoire.

— Assieds-toi sur le bord, Bébé.

Je fais ce qu’il demande, et il se déplace en face de moi, il plaque ma tête dans sa main et reprend

ma bouche. Il glisse son autre main le long de mes cuisses. Sa bouche quitte la mienne et dépose des

sentiers baisers le long de mon cou. Il s’arrête pour renifler chaque sein, puis il continue à traîner des

baisers sur mon ventre énorme et je sens son souffle chaud qui s’attarde sur ma peau. Enfin, je râle au

premier contact avec mon entrejambe. Sa bouche glisse sur mon attente, trouve la peau sensible, il

s’arrête pour faire le tour mon ouverture. Sa bouche se déplace vers le haut jusqu’à ce qu’il trouve
son

but, me taquine avec la promesse d’un orgasme. Penchée en arrière, j’agrippe le rebord derrière moi,

m’inclinant en avant pour lui donner un meilleur accès et je le sens enterrer sa tête en moi tandis qu’il

continue à me torturer langoureusement. Ses mains sont accrochées à mes fesses et il me tire vers lui

ne me permettant pas de me déplacer. Je suis coincée contre lui, retenue prisonnière et contrainte

d’accepter le plaisir qu’il me donne. Je peux sentir le mélange d’Elliot et mon excitation. Dieu,
j’aime

la façon dont il connaît mon corps, de savoir comment lui donner le plaisir et se faire plaisir !

— Bébé, est-ce tout ce que je peux gérer ?

Je sens la tension monter en moi. Je chuchote :

— Je suis si proche….

Je commence à trembler, à m’accrocher au rebord, j’ai désespérément besoin de jouir, mon


orgasme est si proche. Une dernière pression et mon corps se contracte puis libère comme des flots
de

mon point culminant qui commencent à palpiter à travers moi. Je pleure. Elliot me tient et continue

d’amadouer chaque spasme en moi et je suis réduite à un tas frissonnant dans ses bras.

Il se relève et prend ma bouche avec la sienne, je peux me goûter sur ses lèvres. Je parviens à

murmurer contre sa bouche :

— Elliot, je t’aime.

Elliot me prend par la taille et me redresse, malgré mes jambes qui sont toujours flageolantes. Je

peux sentir sa longueur contre moi et je suis désespérée, je le veux en moi.

— J’ai besoin de toi Elliot. Quelle que soit la façon dont tu me prends, prends-moi. Maintenant.

— Touche-moi Kate. J’ai besoin de sentir ta main sur moi.

Je le prends dans ma main, le presse, l’effleure. Il halète et je peux presque sentir son augmentation

de circonférence dans ma paume. Dès que je commence à le caresser, il devient mien. Il est à moi, je

peux faire ce que je veux de lui.

— Bordel, je dois te baiser. Maintenant.

Il grogne contre mon cou.

— J’ai besoin d’être à l’intérieur de toi. Je ne peux plus attendre. S’il te plaît.

Je me lève et il effleure ma poitrine avec son nez, je sens son souffle le long de ma peau sensible.

Calant ma tête dans son épaule, j’enroule mes bras autour de son cou et attaque son épaule avec mes

dents. Mon besoin de lui est si écrasant que je pourrais le mordre et le dévorer.

— Putain, Kate.

Il grogne. Il me retourne, se saisit d’une main et palpe mes fesses avec l’autre, me guide ensuite à

sa rencontre. Je me baisse lentement, il me pénètre d’un coup de rein, je peux tout sentir de lui.

Je murmure :

— Arrête, bébé. Donne-moi une minute.


— Ok. Cacahouète, dis bonjour à Papa.

— Non, je ne peux pas croire que tu viens de dire ça.

Un petit rire monte mais les soubresauts me contractent les entrailles et me font cesser

immédiatement. Je ne peux même pas rire dans mon état et dans cette position, c’est impossible.
Elliot

me ramène dans le présent, dans cette salle de bain où il est derrière moi, en moi. Après un moment,
je

le sens pousser doucement vers l’avant, plus loin. Ma tête retombe, je laisse mon corps l’accepter.
J’ai

le souffle coupé.

— Oh, putain, Elliot !

— Qu’est-ce qu’il y a Bébé ? (Il murmure contre ma nuque :) Que veux-tu ? Que veux-tu que je

fasse?

— Juste me baiser. Peux-tu juste me baiser ? J’ai besoin de toi.

Je supplie presque en pleurant. Je peux sentir mon Dieu blond alors qu’il se retire lentement, puis

frappe une fois de plus.

— Oh, putain.

Je crie. Il me redresse un peu, tire vers l’arrière puis replonge en moi. Encerclant ses bras autour de

ma taille, il commence à rouler ses hanches en forçant contre ma croupe. Il appuie sa tête sur mon dos

et commence à me prendre violemment. Il me tient serrée ne me permettant pas d’échapper à son

intrusion sensuelle. Le souffle d’Elliot commence à devenir saccadé et irrégulier, comme il court
vers

son paroxysme.

— Oh, mon Dieu, bébé.

— Baise-moi. Baise-moi, Elliot.

Je plaide, tandis qu’il continue à me pilonner. Je sens mes muscles qui commencent à se crisper et
je me rends compte que je suis à quelques pas du plaisir qui va me déchirer, me transpercer.

— Bébé, je vais venir. Tu vas me faire jouir.

J’essaie de chuchoter. Il me tient par les épaules quand je tombe dans un orgasme violent, les

vagues commencent à déferler sans relâche à travers mon corps. Les spasmes continuent pendant ce

qui semble une éternité avant que je ne sois finalement réduite à des tremblements et je me détends,

ma tête tombe en avant. Sa cadence augmente, plus vite et plus fort. Je me contracte, le gaine de mon

mieux, il commence à trembler.

— Merde! Bon Dieu.

Il siffle quand il trouve enfin sa libération. Je sens les secousses et la moindre de ses palpitations.

Les sensations sont intenses, démultipliées, je ne sais pas si c’est à cause de ma grossesse, des

hormones qui se déchaînent ou de la pression de « Cacahuète » sur mon bas ventre, mais c’est

extraordinaire. Enfin, il se détend, retrouve son souffle et m’embrasse presque avec révérence.

— Mon Dieu, combien je t’aime !

Il murmure contre mes lèvres. Je passe mes doigts dans ses cheveux, nous sommes si proches, si

complets ensemble.

21.

Questions existentielles
Janvier 2014
Il y a des moments dans une vie où l’on se retrouve face à soi-même, face à ses doutes. Ces

moments, on les reconnaît quand une question, un besoin quelconque deviennent une obsession, qu’ils

envahissent votre cerveau, votre espace, votre univers. Plus rien d’autre n’a d’importance, vous ne

pouvez pas vous concentrer sur autre chose que cette obsession. Vous aimeriez faire comme si cela

n’était pas là, continuer votre vie, faire autre chose, passer votre chemin. Mais vous ne pouvez pas,

vous êtes paralysés par cette question, cette idée fixe. Parfois, c’est insidieux, vous ne vous en rendez

pas compte de suite. Mais quelque chose vous taraude, il manque un élément dans votre vie, vous
avez

ce vide au creux du ventre, ou une boule. Elle envahit votre corps, puis votre esprit.

J’ai ressenti cette boule au ventre quand j’ai rencontré Elliot Grey. Avant lui, ma vie était bien

rôdée, tout était à sa place ; mes études, ma famille, mes ami(e)s, mon travail au journal, ma vie

sociale. Et il est arrivé, il a trouvé une place que je ne connaissais pas, que je ne pensais pas

disponible. Il a trouvé une place dans mon cœur, il a envahi mon corps et mon âme, comme un virus

qui gangrène un ordinateur, ou une maladie qui détruit l’organisme qui l’» héberge ». Bien sûr, Elliot
a

été le meilleur « virus » qui puisse m’arriver, car il m’a apporté une chose importante, l’amour. Bien

sûr, j’avais déjà l’amour parental, fraternel (Ethan a toujours été un grand frère extraordinaire, le

meilleur, enfin, mon grand frère !) et amical, avec Anastasia, qui m’a aimée tout de suite telle que je

suis, sans me juger ou me jalouser. Non, Elliot m’a apporté l’amour, avec un grand A, et beaucoup de

sexe également, avec un grand S. il m’a apaisée, il m’a rassurée, il me permet de m’épanouir, comme

la plus belle fleur du bouquet.

Mais en ce moment, ce n’est pas tout cet amour qui me torture. Non, à ce niveau, je ne doute plus,

je suis confiante, sereine. Non, je suis en pleine phase de questions existentielles, et pour une fois, je

ne trouve pas la réponse. Je passe la main sur mon ventre, il se voit maintenant. Je ne peux plus
cacher

mon état, ma garde-robe est totalement nouvelle, pour une addict de la mode, ça aurait pu être un
rêve,

mais j’ai du mal à me faire aux pantalons à la taille réglable (je pensais que passer mes cinq ans, je

n’aurais jamais remis de tailles élastiquées de ma vie !) Je porte une chemise d’Elliot, les miennes ne

me vont plus, je crois que j’ai pris un bon bonnet de poitrine et un peu de bras. Le coton rose de sa

chemise me fait sourire. J’ai trouvé cette chemise dans sa penderie, sur l’étagère supérieure, dans une

pile de chemises, toutes dans un camaïeu de rose, encore dans leur emballage d’origine. J’ai tout de

suite compris que c’était des cadeaux de Mia, qu’Elliot n’a jamais portés. J’en ai pris deux ou trois,

que je mets par-dessus des leggings noirs (ça amincit toujours le noir, non ?). Voilà ma tenue

quotidienne à la maison.

Cacahuète se manifeste, se rappelle à mon bon souvenir, en faisant des étirements, un pied dans

mon estomac, un bras dans mes reins, la tête sur ma vessie. Alien… un petit Alien exigeant et pas

encore né… Par moments, je me surprends à me demander pourquoi je n’ai pas opté pour l’option

« mère porteuse »… pas de nausée, pas de vergeture, pas de kilos supplémentaires, pas de pieds

gonflés et surtout pas de compression d’organe. Non, j’aime passer ma main sur mon ventre, le sentir

bouger, découvrir de nouveaux mouvements, de nouvelles sensations.

Mais tout cela ne m’aide pas à répondre à mon problème, le problème qui envahit mon quotidien,

qui m’obsède dès le lever jusqu’au coucher :

QU’EST-CE QUE JE VAIS BIEN POUVOIR MANGER !

J’ai faim, en permanence.

Je suis encore devant le frigo ouvert, les deux portes de l’énorme frigo américain de notre cuisine

ouvertes devant moi, et rien, pas d’inspiration, rien ne me tente. Les yaourts me semblent fades, il n’y

a plus de jambon ni de restes des pilons de poulet d’hier depuis 10 heures ce matin, je les ai
engloutis
avec de la mayonnaise et du ketchup. Je n’ai pas envie de faire cuire des pâtes ni des pommes de
terre.

Merde ! Il y a bien quelques fruits dans le bac à légumes, mais la grappe de raisin blanc me semble

maigrichonne, toute seule, peut-être qu’avec une pomme et une banane, je pourrais me faire une
salade

de fruits ? Cacahuète marque sa désapprobation d’un coup de pied, je conclue que cet enfant ne veut

pas manger ses congénères… et puis étrangement, j’ai envie de salé, des frites en passant par le

saucisson… Je prends le bocal de cornichons, je croque dedans à pleines dents, l’odeur du vinaigre

emplit mes narines, l’acidité de la cucurbitacée descend dans mon estomac.

Et là, je le vois ! Le fromage de brebis que Mia nous a gentiment apporté lors de sa dernière visite.

Il lui restait énormément de nourriture après un buffet assuré par Grey Gourmet, et comme à son

habitude, ma belle-sœur nous a apporté des barquettes diverses, d’entrées, de plats et de fromage que

j’engloutis consciencieusement, en la félicitant à chaque fois pour ses talents culinaires. Je sais que
ce

fromage est exactement ça que je veux, ce que mon corps réclame ! Je sors le bac en plastique où il

attend gentiment, je prends la grappe de raisin et la pomme qui attendent sur leur assiette et regarde

dans la corbeille à pain. Pain de mie, pain complet, baguette française… merde… lequel prendre ?

Encore des questions existentielles ! J’opte pour le complet et le français, pour ne pas faire de jaloux,

et regrette à cet instant de ne pas pouvoir accompagner ce bout de fromage d’un bon verre de vin.

Quoique… Le docteur Greene m’a dit que je pouvais de temps en temps me permettre un tout petit

verre. Je n’abuse vraiment pas depuis le début de ma grossesse, je ne bois pas de toute la semaine, à

peine un verre avec mon mari le week-end. Est-ce un cas d’urgence ? Puis-je m’autoriser cette petite

entorse ? Cacahuète se retourne, enfin je crois que c’est le mouvement qu’il effectue, je m’abstiens

dans un soupire. Qui a dit que la grossesse et avoir un enfant devait être un sacrifice permanent ? Ce

n’était pas marqué dans mon contrat de mariage !

Je m’installe sur la table basse, dépose mon butin dessus et découpe un morceau de fromage et de
baguette. Humm, un délice. Je rajoute un raisin blanc et croque goulûment dans ma tartine. Que c’est

bon ! Je replie mes jambes sous moi, me cale dans le dossier du canapé, et pose l’assiette sur mes

genoux. Voilà qui est plus pratique. Je note pour moi-même que je dois remercier Mia pour ce délice,

et que je lui demande où elle a trouvé ce fromage, il faut que j’achète la meule entière, AB-SO-LU-

MENT !

Au moment où je termine le dernier morceau de pain qui heureusement, termine le dernier morceau

de fromage et de pomme, mon cher époux entre dans la maison. Il porte un sac en papier brun dans les

bras et se fige dans le salon. Je sens son regard réprobateur sur moi :

— Bon sang, Kate, encore en train de manger ? Il est à peine 15 heures !

— Oh, ça va, ce n’est que du fromage ! Et des fruits ! Le docteur Greene a dit que c’est important

que je mange des laitages -pour le calcium. C’est pour les os du bébé ! Et les fruits sont pour les

vitamines ! Prescription du docteur, Grey !

— Kate…

Il soupire, s’approche de la table basse et s’assoit dessus, face à moi. Je fourre le dernier morceau

dans ma bouche, de peur qu’il veuille m’ôter ma pitance. Elliot plonge la main dans son sachet et en

tire un paquet, cylindrique. Je bats des mains :

— Un cadeau ? J’aime quand tu me fais des cadeaux, Bébé !

— Pas exactement, Princesse, mais oui, c’est pour toi.

J’ouvre le paquet et reste perplexe : des galettes de riz soufflé bio ? C’est quoi que ce truc ? Ça

ressemble à du polystyrène dont on se sert pour combler les objets fragiles dans les colis. Pas

appétissant pour un sou, son truc. L’autre paquet est une brique de lait de soja bio. Je regarde mon

mari avec des gros yeux. Qu’est-ce que ça veut dire ? C’est quoi son message subliminal ? Comme si

Elliot comprenait mes questions silencieuses, il m’explique :

— La vendeuse m’a assuré que les galettes étaient très roboratives, qu’elles calleraient tes
fringales pendant une demi-journée. Et que le lait de soja est très sain, moins allergène que le lait de

vache. Il y a moins d’antibiotiques et de pesticides dedans, car il est bio !

Je sens la colère monter, comme la moutarde que j’ai mangée en tartine avec du salami ce matin au

petit déjeuner !

— Tu dis que je mange mal ? Ou des mauvaises choses dangereuses pour notre enfant ? C’est

bien ce que tu sous-entends en me ramenant ces produits ?

— Non Kate, non, je n’ai pas dit ça.

— Tu crois que j’empoisonne notre enfant in utéro ?

— Putain, tu exagères toujours tout, Kate !

— Ah parce que toi, toi qui veux que je mange ces trucs qui ressemblent à du carton plâtre, tu

n’exagères pas ?

Ça y est, je crie. Elliot me prend pour la pire future mère qu’il existe sur terre, je sens les larmes me

monter aux yeux.

— Tu m’as acheté ça, car tu trouves que je ne prends pas assez soin de moi ?

— Non !

Son refus est sincère, je suis perdue, je ne comprends pas sa démarche. Je souffle, les larmes

coulent sur ma joue :

— Tu me trouves trop grosse ?

— N’importe quoi, Kate ! Ne pleure pas Bébé, je m’excuse, je vais jeter tout ça à la poubelle.

— Non, Elliot, c’est du gaspillage ; donne-les à quelqu’un. Mais tu es sûr, tu ne me trouves pas

grosse ?

Il se lève, s’assoit à côté de moi et me tient par les épaules.

— Bébé, tu es magnifique !

Je pleure à chaudes larmes, je ne sais plus si c’est parce que mon mari m’a acheté des produits bio,
qu’il est allé pour moi dans une boutique et qu’il a cherché ce qu’il pensait être le meilleur pour moi,

ou est-ce que je pleure parce qu’il dit que je suis belle, qu’il me trouve magnifique enceinte. Elliot
me

cajole doucement, me caresse les cheveux et m’embrasse la tempe.

— Bébé, il murmure, je suis désolé. J’ai peut-être été maladroit, mais ne le prends pas mal. Je

suis inquiet.

Je renifle bruyamment dans son épaule.

— Pourquoi es-tu inquiet ? Je vais bien !

— Le frigo se vide plus vite que si nous avions un bataillon de soldats à nourrir tous les jours, tu

me dis que tu as mal au ventre le soir… et…

— Et quoi ?

Je sens que la colère remonte à la surface, mes larmes se sont taries.

— Je ne sais plus quoi faire, ou dire sans déclencher une guerre nucléaire, une éruption

volcanique.

Je ricane :

— Ce n’est pas nouveau, Bébé.

— Oui, mais là, ça prend des proportions…

— Comme mon ventre, Elliot !

Il rit, tout en me caressant le ventre.

— Ok, Bébé. Je vais te laisser faire tes orgies. Je te fais confiance. Je crois que je n’ai pas le

choix.

— Bien, merci.

— Dis Princesse, qu’as-tu englouti cette fois-ci ?

Il me demande, rieur et léger. Je hausse les épaules.

— Le fromage. Celui de Mia… et tout le pain français…


— Quoi ? Et je n’ai pas eu le temps d’y goûter ? Tu pousses, Kavanagh !

Je ris et attrape mon téléphone.

— Ne te plains pas Grey, je comptais appeler ta sœur pour la remercier et savoir où elle l’a

acheté, il est délicieux. Veux-tu que je commande une meule entière, cela devrait suffire jusqu’à mon

accouchement !

Parfois, je me dis que les questions existentielles ne sont pas compliquées à résoudre, il suffit de

connaître les bonnes personnes et d’avoir un téléphone !

22.

Gia, Le retour

Fin février 2014

Je hurle dans la chambre :

— Tu es un abruti complet, Elliot !

— N’as-tu jamais pensé que c’est que c’est juste toi, Kate, qui dramatise toujours tout ?

— Tu l’as baisée, Elliot, BAISÉE ! Et probablement dans notre lit, et maintenant tu veux

travailler avec elle pour les prochains mois sur notre maison de famille ? Comment peux-tu être si

obtus? Mes sentiments ne comptent pas du tout pour toi ?

— Tu es déraisonnable, Kate. Gia est vraiment douée dans ce qu’elle fait et nous travaillons bien

ensemble. Et elle connaît la maison mieux que quiconque, elle l’a construite avec moi !

Il plaide, faisant les cent pas devant moi, la main dans ses cheveux.

— Je suis sûre que cette salope aimerait vraiment travailler de nouveau avec toi. Vous allez

bosser sur la table, le lit, la douche, le sol. Vous travaillerez, encore et encore. Va te faire foutre

Elliot ! Voilà ton oreiller, tu peux dormir sur le canapé ce soir !

Sur ce, je claque la porte de la chambre et remonte dans notre chambre. Devant notre lit, mon
corps commence trembler, les imaginant, ici, ensemble. Je ne peux pas faire ça ! Je dois sortir d’ici.

Mes parents ne sont pas là, Keith est en voyage d’affaires à New York, et maman l’a accompagné
pour

faire flamber sa black AmEx. Ethan est à un séminaire à San Francisco, je prends mon téléphone et

appelle Ana.

— Ana, je suis désolée, il est tard, mais nous nous sommes disputés avec Elliot et j’ai vraiment

besoin de parler. Ça te dérange si je viens

— Kate, ne sois pas désolée. Je suis là pour toi. Peux-tu conduire ? Je peux envoyer quelqu’un si

tu as besoin.

— Non, je vais bien. Conduire pourrait me faire du bien.

— OK, je prépare la glace Ben & Jerry.

Je prends ma veste et mon sac, sors de la chambre. Elliot n’est pas dans le salon, il doit être en bas,

dans la salle de sport. Je claque la porte et monte dans ma voiture.

Le trajet jusqu’à la maison d’Ana et Christian sur Sound Puget ne me change pas les idées. Quel

enfoiré ! Mon mari est un enfoiré insensible ! J’arrive devant le portail en fer forgé, il s’ouvre

immédiatement. Je me gare devant l’entrée, les larmes me montent aux yeux et commencent à couler

sur mes joues. Je coupe le moteur et essaye de m’extirper de mon siège. Merde, c’est de plus en plus

difficile avec mon gros ventre, le volant me gêne, le siège est trop bas. Je me débats avec la portière
de

ma Mercedes quand la porte d’entrée s’ouvre. Christian se tient sur le perron, il s’approche.

— Un problème, Kate ?

— Ouais… Je n’arrive pas à sortir de mon siège… Ne te marre pas, Grey, ou Grace perdra ses

deux fils ce soir !

Un léger rictus lui retrousse les lèvres, mais il me tend une main compatissante. Je crois que c’est

une des rares fois où je lui suis reconnaissante. À peine à l’intérieur, il s’éclipse plus vite qu’un
lapin
détalerait devant le fusil d’un chasseur. Ana m’appelle de la cuisine.

— Kate, qu’est-ce qui se passe ? Je ne t’ai pas vue dans cet état depuis des années : c’était à

Portland, quand l’étudiant en droit t’avait quittée et que tu as porté ton pyjama rose pendant une

semaine entière.

Ana sort du congélateur deux coupes de glace Ben & Jerry et s’empare de deux cuillères dans le

tiroir du plan de travail.

— Petit pois bis aime le chocolat au Brownie, dit-elle avec un sourire.

Je lui rends son sourire.

— Cacahuète également !

— Alors, que se passe-t-il ?

Elle me fait signe de m’asseoir sur un tabouret haut devant l’îlot central.

— Elliot veut engager Gia Matteo pour concevoir l’extension de la maison, et il ne comprend pas

pourquoi je ne veux pas les faire travailler ensemble.

Je plonge dans ma glace avec des larmes coulant sur mon visage.

— Kate, je sais que tu ne vas pas aimer cela, mais je pense que tu « surréagis » un peu. Les

hormones, non ?

— Va te faire foutre, Steele ! Comment réagirais-tu si Christian était en affaires avec une de ses

ex, et que tu n’avais pas ton mot à dire ?

Je vois une ombre noire dans ses yeux si bleus. Merde, ça lui est déjà arrivé… Avec le Serpent ? Je

crois que mon intuition reste bonne, malgré mon trouble actuel.

— Je ne dis pas que je suis d’accord avec Elliot, reprend Ana. Et tu as raison, je serais livide si

Christian faisait encore des affaires avec une ex, mais as-tu parlé à ton mari ? Lui as-tu demandé

pourquoi il voulait travailler avec Gia ? Je pense que tu devrais faire quelques concessions.

— D’après Elliot, elle fait vraiment du bon travail et elle comprend ce qu’il cherche. Elle connaît
aussi tous les sous-traitants avec lesquels il travaille et concernant l’utilisation des ressources

écologiques et durables, elle est l’un des meilleurs architectes de l’État. Il dit aussi qu’ils ont
travaillé

ensemble à la création et la construction de la maison, et que les travaux seront faits beaucoup plus

rapidement. Et bla-bla-bla…

Je dis tout cela d’un trait, ça me fait mal de répéter les paroles d’Elliot quand il cherche à défendre

cette garce.

— À mon avis, ce sont des raisons très valables, de bons arguments pour vouloir travailler avec

elle de nouveau. Elliot t’aime Kate. Je suis sûre qu’il ne ferait jamais rien de mal. As-tu confiance en

lui ?

— Bien sûr, je lui fais confiance. C’est en elle que je n’ai pas confiance. Elle va exhiber son cul

et ses nibards devant son visage tout le temps. Elle jettera sur lui comme une pute à vingt dollars la

passe.

J’imagine la scène très clairement, j’en ai un haut-le-cœur.

— Kate, elle l’a déjà fait et, pour une raison quelconque, ça n’a pas marché entre eux. Elle sait

que ce projet est important pour sa carrière, je ne pense pas qu’elle va tout faire pour risquer de la

mettre en péril. Tu es une journaliste reconnue maintenant, ton père est PDG de Kavanagh Media, si

Gia faisait un pas de travers, j’imagine que sa vie professionnelle serait terminée.

— Ana, je n’en ai rien à foutre de sa carrière ! Si cette pétasse se trouve à portée de main de mon

homme, je la tue. Et après, je vais probablement tuer Elliot.

Et mon enfant naîtra en prison, orphelin de père. Beau début dans la vie…

— Peut-être qu’elle peut mandater l’un de ses associés comme principal contact pour suivre le

dossier. De cette façon, elle et Elliot auront un contact minimal et cette tierce personne serait
présente

quand ils auront à se rencontrer. Son cabinet obtiendra le dossier et un nouveau partenaire serait
formé
pour un prochain travail, si Elliot a besoin d’eux.

— Petit Pois bis, ta maman est géniale !

Je me penche et frotte son ventre en pleine expansion. Nous nous sourions quand la voix de

Christian tonne depuis le salon : « Putain Elliot, j’avais des plans avec MON épouse ce soir, et

maintenant elle mange de la glace Ben & Jerry dans MA cuisine avec TA femme ! Et il y a
tellement

d’hormones dans la pièce que Fukushima comparé à ça, c’est juste un pet de lapin ! »

Ana lève les yeux au ciel, je fais une moue faussement contrite.

— Désolée si j’ai contrecarré votre soirée. Christian est encore furieux après moi !

— Oh, ne t’en fais pas pour lui, il rajoutera ça à sa longue liste noire « Katherine Kavanagh » !

Nous éclatons de rire.

— Alors, ces travaux, c’est pour Cacahuète ? reprend Ana entre deux cuillerées de glace.

— Oui, nous voulons une extension pour l’étage. Deux chambres et une nouvelle salle de bain.

— Oh, Kate, tu attends des jumeaux ?

Effrayée, je pousse un cri.

— Non ! Non, la deuxième sera une chambre d’ami, si Maman vient garder le bébé, par exemple.

Tu sais que nous avons déjà réaménagé l’étage : le bureau d’Elliot et la salle de musique sont

maintenant en bas, à côté de la salle de sport et la piscine, mais j’ai déjà investi une pièce pour mon

dressing. Et il faut vraiment une deuxième salle de bain, je ne veux pas modifier la nôtre.

Ana se lève et nous sert une deuxième tournée de glace.

— Tu sais ce qu’il manque, Steele ?

— Non, un coulis de chocolat chaud ?

Ana répond avec ses grands yeux écarquillés.

— Oui, ça aussi. Je rêve d’un verre de vin rouge…

— Kate, l’alcool n’a jamais rien solutionné ! dit-elle en riant.


— Arrête, je croirai entendre ma mère !

Je fais la moue, celle de Mia.

— Kate, si tu veux dormir ici, il n’y a pas de problème. La chambre d’ami est disponible si tu en

as besoin.

— Merci, Ana. Mais je crois que je vais rentrer chez moi et mettre les choses au point avec mon

homme des cavernes. Et je ne crois pas que ton mari me supporterait une nuit entière !

Nous pouffons d’un rire complice. Ana a toujours été là pour me consoler et me remettre les idées

en place après une dispute amoureuse.

***

Je regarde mon amie étonnée.

— Ana, entends-tu ? À l’extérieur ?

— Oui, on dirait de la musique.

Christian nous répond sur le pas de la porte d’entrée de la cuisine.

— Je pense que c’est pour Kate.

Nous nous levons toutes les deux, Ana et moi, et sortons de la cuisine. Quand Christian ouvre la

porte d’entrée, nous découvrons Elliot, un genou à terre, avec un bouquet de fleurs dans une main, des

pivoines pourpres, mes préférées. Il tient un calepin en cuir dans l’autre.

En arrière-fond, le son assourdissant de son autoradio : Sorry, d’Elton John. Elliot chante les

paroles en me fixant. C’est la chanson qu’il m’avait envoyée, il y a des années maintenant, quand
nous

nous étions disputés avant de partir à Aspen. Juste avant qu’il me demande en mariage.

Oh, Elliot Grey, espèce d’idiot !

Mon cœur se gonfle. Je sors de la maison et cours dans les bras de mon mari, aussi vite que je peux,

malgré mon état.

— Je suis désolé, Bébé, je suis un connard insensible. Je n’ai pas tenu compte de tes sentiments.
Tu peux choisir n’importe quel architecte que tu veux. Tiens, voici mon calepin, il y a là tout mon

répertoire. Ton bonheur est la chose la plus importante au monde pour moi.

Je l’embrasse sur tout le visage.

Ana et Christian se tiennent sur le perron et nous regardent. Christian aboie, comme à son habitude,

mais le son de sa voix trahit son amusement :

— Elliot, espèce d’idiot, embarque ton épouse et rentrez chez vous !

Ana pousse un petit cri suraigu.

— Christian ! Non ! Kate a laissé ses affaires à l’intérieur. Rentrez vite, vous allez attraper froid

dehors.

Mr Zéro-Patience foudroie mon amie du regard, mais s’efface de l’entrebâillement de la porte pour

nous laisser passer. Elliot me tient par la taille jusqu’à la cuisine où je retrouve mon manteau et mon

sac à main. La coupe de glace à moitié vide me fait de l’œil, je plonge la cuillère dedans pour une

dernière bouchée. Christian se racle la gorge et jette à son frère un sourire entendu. Je le crucifie du

regard :

— Va te faire foutre, Grey !

Et je précise au cas où :

— Les deux Grey !

Le Maniaque-du-contrôle est à deux doigts d’exploser, ou d’imploser, je ne sais pas encore quelle

option il va choisir. Elliot éclate de son rire tonitruant et fait un clin d’œil à Ana.

— J’espère, ma petite dame, que tu es comme ma douce à moi ! Il n’y a aucune raison que je sois

le seul Grey à subir les foudres de son épouse enceinte !

— Elliot, Kate, grogne Christian, ne poussez pas le bouchon trop loin. J’ai le sens de

l’hospitalité, mais je peux encore vous foutre dehors de chez moi !

— Christian ! souffle Ana pour la deuxième fois.


— Je suis désolé, Ana, s’excuse Elliot. Visiblement, j’ai tout faux ce soir !

— Ne t’excuse pas, reprend mon amie en rougissant. C’est juste qu’il est tard et que… hum,

vous avez à discuter tous les deux de votre… euh, situation.

Je persifle entre mes dents :

— Si ta métaphore pour cette salope de Gia Matteo est « situation » Steele, oui, nous avons à

parler !

— Je ne me soucie pas d’elle, Bébé, proteste Elliot. Je ne ferais jamais rien pour nous faire du

mal. Puis-je, s’il te plaît, te ramener chez nous pour que je puisse te montrer combien je t’aime ?

— Si tu veux, Grey.

Christian approche immédiatement avec mon sac à main et me demande mes clés de voiture.

— Rentre chez toi avec ce crétin, Kate, ta voiture sera déposée chez vous à la première heure

demain matin.

— Merci, Christian, c’est bon, je vous laisse tranquille !

Je fais un signe de la main à Ana et lui envoie un baiser en guise d’au revoir.

— Merci, frangin, bonne nuit, Ana.

***

Nous repartons tous les deux dans la voiture d’Elliot, il ne retire pas sa main de ma cuisse durant

tout le trajet. Je regarde par la vitre, la nuit est tombée depuis longtemps, le givre sur les montants de

la fenêtre annonce du verglas pour demain matin. Je me retourne vers mon mari :

— Tu étais sérieux, concernant ce calepin et l’architecte ?

— Oui. Je n’ai jamais été aussi sérieux, Princesse. Je ne veux pas risquer de te perdre ni de

perdre notre enfant à cause de l’architecte qui fera les travaux chez nous.

— Je ne serais pas partie, tu sais.

Elliot quitte la route des yeux pour me dévisager. Il est sincèrement étonné de ma dernière phrase.
Bon sang, il ne pensait quand même pas que j’allais le quitter, enceinte de bientôt six mois, à cause
de

cette pute d’architecte ? Tu n’es pas sérieux, Grey ?

Je continue :

— Tu l’as déjà appelée ?

— Qui ?

— Cette garce – ton ex ! – à propos de la maison ?

— Non. Pourquoi ?

— Voilà. Ana m’a suggéré une bonne idée. Les plans pour l’extension sont faits, nous les avons

détaillés la semaine dernière. Tu m’as dit que tu avais les artisans compétents pour le chantier, il ne
te

manque plus que la signature, je ne me trompe pas ?

— Non, Princesse, tu as parfaitement synthétisé la situation. Alors, quel architecte veux-tu ?

Nous arrivons chez nous, Elliot actionne l’ouverture du portail avec sa télécommande et gare sa

BMW devant l’entrée. Je sors de la voiture et me dirige vers l’entrée. Elliot me suit, jusque dans la

cuisine. Je me plante devant le frigo. Il soupire.

Je persifle entre mes dents :

— Quoi, ça pose un problème ?

— Aucun, Princesse. Bon, quelle est la solution qu’Ana t’a proposée ?

Je prends une bouteille d’eau et m’affale dans le canapé. Elliot s’assoit à côté de moi.

— Ana suggère de mandater un collaborateur, un associé que sais-je… du cabinet d’architecte de

cette pute pour suivre le chantier de l’extension de la maison.

Elliot semble réfléchir à cette alternative. Je continue mon exposé :

— Comme ça, tu ne travaillerais pas avec une paire de seins sous les yeux, et ce nouvel

interlocuteur pourrait travailler sur les autres projets professionnels de Grey Construction et de Grey
Energy.

— Oui, je pense que c’est envisageable…

— Elliot, c’est ça ou ce canapé pour toi pendant une semaine !

Il éclate de rire, cette andouille. Il se penche, saisit mes pieds et enlève mes chaussures.

Je pousse un cri :

— Qu’est-ce que tu fais ?

— Un massage, de tes pieds. Il paraît que ma délicieuse et si douce épouse a mal aux pieds à la

fin de sa longue journée. Et je n’ai trouvé que ça pour me faire pardonner et pour ne pas dormir ici.

Ensuite, nous verrons comment faire pour une réconciliation digne de ce nom sur l’oreiller ! Je suis

convaincu que je ne suis pas le seul à attendre ça avec impatience !

Oh Elliot Grey, tu es impossible… mais ne t’arrête pas, j’aime quand tu prends soin de moi !

23.

Shopping entre filles

J’arrive dans le hall du Pacific Place, le Mall Center le plus luxueux du centre-ville où maman m’a

donné rendez-vous pour déjeuner. Je sais parfaitement qu’elle a une idée derrière la tête, mais je me

prête de bon gré à ses lubies, je sais qu’elle le fait uniquement pour me faire plaisir. Je retrouve
Diane

au premier étage du centre commercial, chez Il Fornaio, notre restaurant italien préféré. Elle est déjà

attablée, se lève quand le serveur m’amène devant sa table.

— Kate, ma chérie, tu es radieuse.

Ah, l’objectivité maternelle. Je lève les yeux au ciel, j’entre dans mon septième mois de grossesse,

je sais que je suis énorme. Je n’écoute ni mon mari – « tu es magnifique Princesse » – ni mes
parents,

ni encore moins ma belle-mère – « c’est normal Kate que tu prennes du poids, vous êtes grands
tous

les deux, cet enfant sera grand et fort. » Pfft, je sais surtout ce que j’engloutis, mais le Dr Greene
m’a

assuré que j’avais un bon métabolisme, car au vu des calories journalières que j’ingurgite, je devrais

faire le double de volume à l’heure actuelle.

— Maman, je suis contente de te voir.

Je me débarrasse de mon manteau en peau retournée, de mon écharpe en cashmere et pose mon sac

à main sur une chaise à côté de moi.

Diane a déjà le menu dans la main et commande deux eaux gazeuses italiennes au serveur.

— Tu sais, si tu veux prendre un verre de vin, ne te gêne pas pour moi. Il se pourrait même que je

t’accompagne, dis-je en la provocant.

— Katherine Agnès Kavanagh-Grey. Je ne trouve absolument pas drôle de plaisanter sur l’alcool

en étant enceinte.

— D’accord, d’accord, va pour une San Pellegrino… Pouvons-nous commander ? Je meurs de

faim.

J’hésite à prendre le carpaccio de bœuf, mais si Elliot apprenait que je mange de la viande crue, il

ferait une attaque – déjà qu’il a eu du mal à accepter le fromage de brebis non pasteurisé. Une soupe

minestrone et une salade cesarina ne me semblent pas assez copieuses. J’opte donc pour des
calamars

frits en entrée (que nous nous partagerons toutes les deux) et des gnocchis faits maison aux quatre

fromages. Cacahuète fait des bonds de satisfaction, cet enfant aime le fromage. Maman opte pour les

cannellonis au poulet, mais elle semble guetter quelque chose ou quelqu’un devant la porte d’entrée,

derrière mon épaule.

— Attends-tu un autre convive, Maman ?

À peine ai-je fini de poser ma question qu’une voix stridente résonne dans le restaurant et une

tornade brune déboule à notre table :

— Coucou Kaatteeeuuu ! Bonjour, Diane !


Et Mia Grey nous claque deux bises sur les joues, s’assoit tout en posant son sac, son manteau et

attrape une carte de menu au vol. Je me demande si ma belle-sœur n’est pas un mutant avec quatre

bras, trois yeux et vingt bouches. Mon Dieu, comment fait Ethan pour vivre cela au quotidien ?

— Tu ne m’en veux pas, Kate, si j’ai proposé à Mia de se joindre à nous pour cette petite séance

de shopping ?

— Non, pas de soucis. Plus on est de folles…

Le repas se passe dans une joyeuse ambiance. J’explique à Maman et Mia que je dois trouver des

vêtements pour le bébé et moi pour le trousseau de maternité. J’accouche dans deux mois, mais je

tiens à préparer ma valise pour la naissance. Mia propose de faire une baby shower et, comme je
n’ai

pas eu le temps de l’organiser avant, je conviens avec elle d’une date : le mois prochain, fin mars,
nos

emplois du temps étant assez chargés. Ma belle-sœur, entre deux bouchées de linguine au poulet rôti,

me fait un parcours détaillé de toutes les boutiques du centre commercial où nous devons passer.

J’aimerais trouver un cadeau pour mon mari. Vendredi prochain, c’est la Saint Valentin, c’est

également notre deuxième anniversaire de mariage. Nos noces de cuir. J’aimerais rester dans la

symbolique et lui trouver une jolie ceinture. Maman me tire de mes réflexions et sort un catalogue de

son sac à main :

— Regarde, Chérie, cette marque fait des produits extraordinaires pour les bébés. Une amie m’en

a parlé, et j’ai demandé leur brochure pour que tu voies le design de leurs berceaux et de leur
mobilier.

Je prends la brochure et commence à la feuilleter. Mia, qui tend le cou pour regarder avec moi,

pousse des petits cris de surprise et d’approbation. Berceaux en formes d’œuf blanc ou doré ;

commodes et tables à langer avec des lignes courbes ; matières luxueuses, limite clinquantes. Mia

glousse un « oh » lorsque j’arrive à la page « accessoires » – je crois que ma belle-sœur vient de


perdre
un œil en voyant la tétine dorée à diamants. Je hausse le ton :

— Non, Mia, oublie.

— Oh, Kate, j’adore. C’est trop mignon. Je suis sûre que la fille de Beyonce a la même.

— Mia, que tous les enfants de stars aient une tétine en or, grand bien leur fasse. Mais pas pour

mon bébé.

— Elle a raison, Mia, ajoute ma mère. Et ce n’est pas très hygiénique, tu sais.

— Pfft, puisque c’est comme ça, je l’offrirai en cadeau de naissance au bébé d’Ana. Je suis sûre

que Christian appréciera.

Je lève les yeux au ciel : ma belle-sœur est impossible. J’imagine la tête d’Ana recevant la tétine la

plus bling-bling du monde à la naissance de leur fille.

Diane continue sans tenir compte de la moue boudeuse de Mia :

— Kate, ton père et moi vous offrons la chambre du bébé en cadeau de naissance.

Je prends une grande inspiration, il faut que je fasse preuve de diplomatie.

— Maman, j’ai déjà choisi la chambre avec Elliot. C’était à Noël, à Aspen… Tu te souviens de

cet artisan menuisier ébéniste sur la route des pistes ?

Diane semble réfléchir au Noël dernier passé dans le chalet de mes parents. Tous les Grey ont

résidé chez Christian, sauf Elliot qui a insisté pour rester avec moi. Bien que la « résidence » de Mr

Mégalo soit luxueuse, grâce aux rénovations de mon mari, je préfère le confort douillet et le calme

chez mes parents : j’ai tant de souvenirs dans notre chalet de famille :

— Je vois, reprend ma mère.

— Et pourquoi ne pas choisir la chambre chez Ikea ? piaille Mia. J’adore Ikea. Ils font des

chambres modulables et évolutives. Il faudrait quand même qu’on sache si c’est un garçon ou une

fille, cela me faciliterait amplement le shopping.

Non. Nous ne prendrons pas la chambre chez le fabricant suédois.


— Non, nous avons déjà commandé tout le mobilier sur mesure à Aspen. Et non Mia, tu ne sauras

pas le sexe de cet enfant, même son père ne le connaît pas.

Mia me dévisage, sa bouche forme un O et ses yeux se plissent :

— Mais toi, Kate, TU SAIS ! Allez, dis-le-moi.

Ma mère intervient :

— Mia, je crois que Kate veut garder le secret. Si nous y allions, les filles, j’aimerais passer chez

Six Avenue chercher ma commande de vin pour notre soirée de Saint Valentin.

— Et moi, je dois aller chez Victoria Secret pour acheter un petit coordonné pour notre soirée

coquine.

La spontanéité de Mia m’étonnera toujours. Heureusement que Maman ne s’en formalise pas. Mia

ne semble pas se rendre compte de la familiarité de son comportement face à ma mère – qui est aussi

la mère de son fiancé ! Ah non… rien n’est encore officiel, parce que mon grand-frère ne s’est

toujours pas déclaré.

Je ne sais pas ce qu’il attend.

À peine sorties du restaurant, nous nous lançons bras dessus, bras dessous dans un marathon de

shopping. Maman trouve sa bouteille de vin, Mia sa lingerie coquine et moi, la ceinture pour Elliot.

Quant au bébé, il sera habillé pour les trois premiers mois de sa vie. Nous avons choisi des

ensembles chez Burberry Baby. Blanc ou beige, des teintes neutres ; j’ai tenu bon devant Mia (et sa

moue), qui me présentait une adorable petite tenue rose, avec une culotte bouffante et un petit chapeau

assorti. La vendeuse nous a dit que cet ensemble fait partie de la nouvelle collection de printemps, je

sais que toutes les trois voulions lui réserver pour la fin du mois d’avril, quand j’aurai accouché.

***

L’après-midi shopping se passe dans la bonne humeur, je suis surprise de découvrir la complicité

qui existe entre ma mère et Mia. Quand ces deux-là ont-elles développé leur relation ? Certainement
pas pendant les grands repas Kavanagh-Grey, ni lors des enregistrements des émissions que Mia

présente sur Kavanagh TV. Je vois que Maman apprécie Mia : elle rit à ses plaisanteries, lui
conseille

des vêtements, des couleurs ou des coupes particulières.

Je commence à peiner, je crois que je les ai ralenties chez Trophy Cupcakes (ce n’est pas évident

de courir les boutiques la bouche pleine et les mains prises !), puis définitivement perdues chez

Something Silver où maman a voulu m’offrir un bijou pour mon anniversaire la semaine prochaine.

— Un petit cadeau en plus, m’a-t-elle dit avec un clin d’œil, en insistant pour que Mia reste avec

nous pour choisir.

Je me suis assise dans un fauteuil, les regardant inspecter les vitrines et présentoirs. Mon ventre me

fait mal, j’ai l’impression qu’il est en béton. Le bébé ne bouge plus depuis la sortie de Destination

Maternity.

Merde, qu’est-ce qui m’arrive ? J’ai la tête qui tourne un peu, je m’agrippe aux accoudoirs du siège

où je suis installée. Une vendeuse s’approche de moi, le visage fermé :

— Madame, allez-vous bien ? Désirez-vous un verre d’eau ?

Je balbutie :

— Non… oui…

Diane est immédiatement à mes côtés, me tient la main :

— Kate, chérie ? Que se passe-t-il ? As-tu mal quelque part ?

Son ton m’inquiète : il est rare que ma mère panique.

— Je suis juste fatiguée, Maman.

— Non, Chérie, tu n’as pas l’air bien. Veux-tu que je te ramène chez toi ?

J’acquiesce d’un hochement de tête et tente de me lever, mais juste à cet instant, une douleur

violente me courbe en deux. Une sorte de décharge électrique qui me coupe les jambes et étreint mon

ventre dans un étau. Je pousse un cri de douleur, Maman me soutient par la taille et Mia, qui s’est
matérialisée à côté de moi, me tient par le bras.

— Kate, j’appelle une ambulance !

Je murmure en reprenant mon souffle :

— Non, Mia, ne sois pas ridicule…

Maman m’aide à me rasseoir, les regards paniqués de ma belle-sœur et de la vendeuse ne me

rassurent pas. Une autre vendeuse, une petite brune m’apporte un verre d’eau que je bois

reconnaissante. Une autre douleur se déclenche à ce moment. Diane pousse un cri étouffé :

— Ça, c’est une contraction ! Bon, Kate, je t’emmène à l’hôpital de suite. Mia, peux-tu

téléphoner à sa gynécologue ? C’est le Dr Greene au Northwest, préviens-la que nous arrivons

immédiatement. Dis-lui que Kate a des contractions toutes les dix minutes environ.

Mia s’exécute pendant que Maman m’aide à me lever avec le soutien de la petite brune.

Je n’arrive pas à réfléchir, entre la douleur qui me scie le bas ventre, l’agitation autour de moi, et la

peur… Je ne comprends pas ce qu’il se passe. Nous étions en train de discuter de la couleur des

barboteuses et là, j’ai des contractions terribles…

Maman me porte presque jusqu’à sa voiture, m’installe sur la banquette arrière en cuir beige et part

en trombe du parking du centre commercial. Une autre contraction me fait geindre, j’essaie de morde

ma joue pour étouffer la douleur, mais Maman remarque ma grimace dans son rétroviseur. Du coup,

elle hurle contre l’automobiliste devant nous :

— Mais bon Dieu ! Il va avancer sa poubelle !

Son juron me fait sourire : Diane Kavanagh, la mondaine qui court de galas de bienfaisance en

soirées de charité, la créatrice de mode reconnue de toute la haute société de Seattle, jure comme un

charretier au volant de son SUV BMW. Elle conduit aussi comme un pilote de rallye et slalome entre

la circulation de fin d’après-midi.

Arrivée en un seul morceau devant l’entrée de l’hôpital Northwest, Maman interpelle


vigoureusement deux infirmières, exigeant un fauteuil roulant afin de me conduire aux services

gynécologie-obstétrique du Dr Greene.

L’assistante du bon docteur, une femme d’une cinquantaine d’années, m’installe sur une table. Elle

remonte mon pull et branche une sorte de ceinture avec des capteurs reliée par des fils à un écran.

— C’est un monitoring fœtal, m’explique-t-elle. Cet appareil de surveillance permet de contrôler

en permanence le bébé, de vérifier s’il est en souffrance ou détresse. Le monitoring enregistre son

rythme cardiaque ainsi que les contractions utérines. Nous serons vite fixées, Mrs Grey, sur votre état

de santé ainsi que celui de votre bébé.

À cet instant, le Dr Greene entre dans la pièce, me salue ainsi que Diane, qui ne m’a pas quittée un

instant. Elle regarde son assistante qui comprend immédiatement d’un hochement de tête ce que lui

demande sa patronne.

— Mrs Grey, dit le docteur Greene en me regardant, je vais vous faire quelques examens, vérifier

votre col, ainsi que votre tension, votre température et les battements du cœur de votre bébé.

Souhaitez-vous que votre mère reste avec vous pendant que je vous ausculte ?

Je murmure :

— Oui, Maman reste avec moi.

Je m’entends supplier ma mère d’une petite voix. Je ne suis vraiment pas rassurée : je commence à

avoir très peur.

— Bien sûr, Chérie. Je suis là.

Diane me tient la main et s’assoit à côté de moi. Le Dr Greene commence ses manipulations,

m’examine, pose un tensiomètre sur mon bras. Elle griffonne des notes sur une feuille, fixe le

monitoring quand une nouvelle contraction me plie en deux. Je serre la main de Maman, je vois toute

l’inquiétude dans ses yeux bleus. Le médecin se relève et pose son diagnostic :

— Bien, Mrs Grey. Rien de grave. Vous avez des contractions de fatigue, pas des contractions de
travail. Votre col est fermé, le bébé ne naîtra pas aujourd’hui.

— Dieu merci ! souffle Maman.

Je rajoute :

— Oui, c’est trop tôt.

— Mrs Grey, vous avez une tension un peu trop élevée, c’est pourquoi le bébé est en détresse,

son rythme cardiaque est élevé également. Il faut que vous vous reposiez les prochains jours. Repos

complet, alitée au minimum les prochaines quarante-huit heures. Une infirmière passera chez vous

faire des relevés de tension la semaine prochaine et, si tout revient à la normale, vous pourrez

reprendre vos activités, mais doucement.

— Bien docteur, je veillerai personnellement que ma fille suive vos recommandations.

Oh mon dieu ! Diane Kavanagh est passée en mode mère poule : je ne pourrais pas échapper à sa

surveillance.

— Reposez-vous ici, Mrs Grey. Le temps que votre tension et le rythme cardiaque du bébé

diminuent un peu. Ensuite, vous pourrez rentrer chez vous. Je vais vous prescrire un léger calmant, à

prendre maintenant et ce soir, avant le coucher.

Maman remercie le médecin et revient à mes côtés. Elle me lisse une mèche de cheveux et me

fixe :

— Kate, chérie… je suis désolée.

— De quoi, Maman ? Tu n’y es pour rien !

— Si, je n’aurais pas dû d’entraîner dans les magasins tout l’après-midi. Je ne me suis pas rendu

compte que tu étais fatiguée.

Je soupire. Moi non plus, je ne me suis aperçue de rien. Elliot a raison : je ne suis pas assez à

l’écoute de mon corps, de l’état de santé de mon bébé. Je crois que je peux continuer à mon rythme

habituel, comme si mon corps n’avait pas changé, malgré les kilos et mon volume actuel. J’ai ralenti
la
cadence au travail, Kristine ayant allégé mon emploi du temps ; cela fait déjà deux mois que j’ai
arrêté

les déplacements à travers le pays. Mon mari n’aurait pas supporté de me savoir enceinte de sept
mois

dans un avion parcourant le pays, seule.

— Kate, il faut que je prévienne Keith pour lui dire où nous sommes.

— Maman, pas besoin d’alerter la presse !

Je souris, cette blague est récurrente entre nous, mais mon père doit savoir.

Je rajoute :

— Pas besoin d’alerter la cavalerie non plus. Je mettrai Elliot au courant quand je serai à la

maison. Il est sur un chantier en dehors de la ville, cela ne sert à rien de l’inquiéter inutilement.

À l’instant où je termine ma phrase, un bruit de claquements de talons aiguille résonne dans le

couloir, la porte s’ouvre et ma belle-sœur fait son entrée. Mia est échevelée et essoufflée, mais n’a
pas

perdu sa voix de stentor :

— Ah, vous êtes là ! Je me suis perdue dans les couloirs et je ne savais pas dans quelle salle vous

étiez !

Elle s’écroule sur le bord de mon lit et me dévisage sous toutes les coutures :

— Ça va, Kate ? Tu m’as fait une de ces peurs ! Qu’a dit le médecin ? Le Dr Greene t’a bien

auscultée ? Et le bébé ? Comment va le bébé ? Ils vont te garder en observation ? Tu vas rester

longtemps ? As-tu besoin de quelque chose ? Dis-moi ce que je peux faire ? Oh, et je t’ai dit que tu

m’as fichu une sacrée frousse ?

— Du calme, Mia ! coupe Diane. C’est une fausse alerte. Kate doit se reposer. Viens, laissons-la

tranquille, je dois appeler mon mari.

— Oh… d’accord. Kate, ne m’en veux pas, j’ai prévenu Elliot quand vous êtes parties du centre

commercial.
Merde, la cavalerie va débarquer ! Je ne sais pas si je suis en mesure de supporter les reproches que

mon mari ne va pas manquer de me faire. Je soupire, les larmes me montent aux yeux. Mia et Maman

sortent de ma chambre, je me détends un peu, le bip du monitoring emplit la pièce d’un son froid mais

rassurant. Le cœur de mon bébé bat, il me semble calme et régulier.

Je m’assoupis un instant (enfin, il me semble) quand je sens sa présence à mes côtés. Incroyable

comment mon corps le reconnaît, c’est comme s’il y avait une connexion spéciale qui nous relie. Je

n’ai pas ouvert les yeux, je sens son parfum, et sa grande main tient la mienne, son pouce caresse ma

paume. Je sais que je vais devoir faire profil bas devant mon mari ; Elliot est inquiet et cette fausse

alerte a dû le terrifier.

— Coucou …

— Salut, Princesse. Comment vas-tu ?

— Mieux maintenant que tu es là.

— Oh Kate… (Elliot soupire.) Que vais-je faire de toi ?

— Tu trouveras bien, Bébé.

Il me fixe, un petit sourire au coin des lèvres. Il reprend la parole :

— J’ai vu Diane et le Dr Greene. Elles m’ont mis au courant.

— Donc, tu sais que tout est rentré dans l’ordre et que nous allons bien.

— Kate, ne me prends pas pour un con !

Sa voix claque dans la pièce, son ton me fait le même effet que s’il m’avait giflée. Les larmes

montent au ras de mes cils. Elliot n’est jamais en colère, en tout cas, pas contre moi, jusqu’à

maintenant. Je sais que c’est la peur qui parle, pas lui, mais ses mots me font mal.

— Je vais te ramener à la maison et tu vas être enfin une gentille fille ! Tu ne m’écoutes pas, soit,

mais tu vas obéir aux recommandations de ton médecin. Tu vas rester dans ce putain de lit jusqu’à ton

accouchement, même si je dois te ligoter pour que tu ne bouges pas ! Compris, Kavanagh ?
J’éclate en sanglots, jamais je ne l’aurais cru capable de me parler ainsi. Elliot Grey s’est mué en

tyran, sa voix est celle d’un dominateur implacable, à l’instar de son taré de frère.

— Non.

— Quoi ? Comment ça « non », Kate ?

— J’ai dit « non ». Je vais bien évidement suivre les prescriptions du Dr Greene, mais je t’interdis

de me parler sur ce ton. Et je t’interdis de me dicter ma conduite. C’est ma vie, mon corps. Je sais ce

que je dois faire !

— Et on voit le résultat !

Les larmes coulent à grands flots sur mes joues à présent, je sens le stress monter. Ce n’est pas bon

pour ma tension, le monitoring ne va pas tarder à accélérer la cadence.

Je serre les dents et parle d’un ton létal :

— Sors ! Sors de cette pièce. Maman me ramènera. J’irai chez mes parents si tu n’es pas capable

de me parler autrement.

Il me fixe, la mâchoire serrée ; je vois la colère dans ses iris bleus.

— J’ai renvoyé ta mère et Mia tout à l’heure, pendant que tu dormais. Et ta voiture est encore au

centre commercial où vous…

Il ne termine pas sa phrase, mais j’ai saisi l’idée générale. Elliot m’en veut, mais il tient ma mère et

sa sœur responsables de ce qui m’est arrivé. Oh mon pauvre Elliot… il essaie de me protéger, contre

moi-même et contre des adversaires redoutables. Il ne fait pas le poids, il ne le sait pas encore. Je

renifle bruyamment, je cherche quelque chose qui ressemblerait à un mouchoir près de mon lit. Elliot

sort un carré de tissu de sa poche, un mouchoir brodé « Grey » en lettres gris argent.

— Paix ? dit-il en le secouant devant mon nez.

Je secoue la tête en signe d’approbation. Je marmonne :

— Elliot, je suis désolée si tu t’es inquiété. Mais j’ai eu peur, très peur…
— Je sais, il souffle. Diane m’a raconté ce qui s’est passé. Kate, promets-moi de faire attention,

de te reposer.

— Oui, je te le promets.

Il embrasse ma tempe et essuie une larme sur ma joue avec son pouce.

— Tu sais Bébé, nous formons une équipe, et un nouveau joueur va entrer sur le terrain. Ce serait

bien que la team Grey soit au complet, dans deux mois !

— Très belle métaphore, Elliot, mais c’est l’équipe Kavanagh-Grey ! OK, j’ai compris, arrête

d’insister sinon tu vas faire grimper ma tension ! Et ça, ce n’est pas bon !

Il rit en cape, ses yeux n’ont plus aucune colère : elle a été remplacée par de l’amour.

— C’est donc là ton nouvel argument contre moi ? Ta nouvelle arme secrète pour avoir le dernier

mot ?

J’acquiesce avec un sourire diabolique.

— Kate, il y a un autre problème : les travaux d’extension doivent commencer la semaine

prochaine à la maison, je ne peux pas les décaler, les entreprises ont déjà bloqué pour moi leur

planning et leurs équipes, je ne veux pas prendre le risque d’un retard sur le chantier.

J’avais complètement oublié ces fichus travaux ! Je réfléchis rapidement à la situation.

— J’irai chez mes parents. Maman pourra jouer à la mère poule et il y a Edna, qui sera ravie de

me chouchouter. Je ne serai pas toute seule la journée quand tu seras au travail. Oh zut, il faut que je

prévienne le journal ! Kristine ne va pas apprécier !

— On s’en fout, le plus important est ta santé et celle de notre enfant. Je te ramène à la maison, le

temps de préparer tes affaires pour aller chez tes parents. Cela me semble la meilleure solution.

— Oh, ma voiture ? Ma Mercedes est toujours dans le parking du centre commercial et il va

bientôt fermer !

— Kate, on s’en fout également. Je la récupérerai demain ! Arrête de t’inquiéter pour toutes ces
conneries et de stresser pour des contingences matérielles. Ta seule mission est de te reposer, de
faire

baisser ta tension et de te calmer pour que Cacahuète aille bien, OK ?

— OK, Chef ! Fais-moi sortir de là, je déteste les hôpitaux, et je suis là depuis trop longtemps !

24.

La maison Kavanagh

Février 2014

Deux coups secs. Je reconnais cette façon de frapper aux portes, je pose le livre que je suis en train

de dévorer et réponds :

— Entre, Edna !

La gouvernante de la maison de mes parents passe la tête par la porte de ma chambre, elle tient un

plateau argenté dans les mains.

— Miss Katherine, je pensais que vous dormiez.

Je la regarde éberluée. Edna est au service de mes parents depuis des années, bien avant ma

naissance, et bien qu’elle ait largement atteint l’âge de la retraite, elle travaille toujours dans la
maison

familiale. Je la crucifie du regard :

— Et depuis quand suis-je « Miss Katherine », Edna ?

— Mr Kavanagh n’aime pas mes familiarités. Je dois donc t’appeler ainsi, surtout quand il y a des

invités à la maison, répond-elle avec un soupir.

— Edna, mon père est un vieux snob trop coincé. Et l’invité est mon mari, qui n’en a rien à faire

des conventions. Appelle-moi Kate ou Katie, comme tu le faisais quand j’étais enfant.

Edna pose le plateau, je vois une assiette de cookies au chocolat et un verre de lait. J’ai le cœur qui

se remplit de souvenirs, c’est le goûter qu’elle m’apportait quand j’étais enfant, mon préféré. Je fixe

les petits gâteaux avec envie.


— Merci Edna. Tu n’as pas oublié que j’adore tes cookies.

— Comment le pourrais-je ? J’ai dû en faire des tonnes pour toi et tes amies quand vous rentriez

de l’école. Il faudra que je te donne ma recette, pour que tu puisses en faire pour ton bébé.

— Edna, ce serait plus simple et meilleur si tu viens me les apporter directement ! Déjà que mon

mari m’accuse d’empoisonner cet enfant in utéro, je ne voudrais pas lui donner raison si je dois

cuisiner.

Edna sourit, le sourire de la grand-mère bienveillante. Elle a toujours été pour Ethan et moi une

présence discrète, mais solide, sur laquelle nous pouvions compter. C’est Edna qui m’a expliqué les

syndromes menstruels quand j’ai atteint l’adolescence, elle qui a pansé nos bobos lorsqu’on tombait
de

vélo, elle qui me passait ses mouchoirs en me laissant pleurer sur son épaule à la mort de Kim, quand

j’étais recluse dans ma chambre. Elle a toujours été là pour moi. Je lui fais signe d’approcher.

— Tu ne devrais pas dormir, Kate ? Le docteur a…

— Je sais ce que le Dr Greene a dit ! Tu ne vas pas t’y mettre également ? J’ai mon mari, ma

mère, mon père sur le dos, et je viens de recevoir par téléphone un sermon d’un quart d’heure de ma

gentille belle-mère sur les vertus du repos forcé. Je n’en peux plus !

Edna fait un hochement de tête réprobateur, mais ne dit rien. Elle me tend le verre de lait et s’assoit

sur la bergère à côté de mon lit.

— Que lis-tu, Chérie ?

— Oh, ça ? Le deuxième opus d’une trilogie qui parle d’un professeur de littérature italienne

amoureux de son étudiante. Ça me donne terriblement envie de partir sur le champ à Florence avec

mon mari !

— Je ne pense pas que les compagnies aériennes t’acceptent dans ton état, glousse la

gouvernante.

Je soupire.
— Je sais… Je me sens actuellement plus proche de Raiponce enfermée dans sa tour que de

l’aventurière qui sillonne le monde à la recherche du scoop qui lui donnera le prix Pulitzer…

Je croque dans un biscuit, il est encore tout chaud, les pépites de chocolat fondent dans ma bouche.

Je crois que je pourrais me nourrir uniquement de ces cookies jusqu’à la fin de mes jours. Je fais un

petit sourire à Edna, qui ressemble à un soldat qui vient d’accomplir sa mission. Elle reprend la
parole

— Que désires-tu pour le diner, Katie ?

— Tes enchiladas ! Oh, j’en ai l’eau à la bouche !

— Je ne pense pas que Mrs Diane soit d’accord avec ton choix, mais je verrai ce que je peux

faire. Descendras-tu à la salle à manger pour diner avec ta famille ?

— Oui, Edna. J’en ai marre d’être alitée, l’infirmière a dit ce matin que ma tension était

redescendue à un niveau correct. C’est mon anniversaire. Je ne vais pas le passer couchée en pyjama

alors que mon mari et mes parents dinent en bas. Est-ce que tu pourrais faire un fraisier pour mon

gâteau ou j’abuse un peu ?

Je bats des cils et lui décoche mon sourire de petite fille. Edna glousse un peu, je sais que j’ai gagné

d’avance, elle ne peut rien me refuser ! Ce soir, j’ai envie de passer un bon moment, oublier un peu
les

soucis de santé, l’inquiétude qui a gagné toute ma famille, les clans Kavanagh et Grey réunis.

Edna se lève, redresse les oreillers derrière mon dos.

— Est-ce que regarder un vieux film te plairait, Katie ?

— Oh oui, Edna. Sais-tu que j’ai repris cette vieille habitude au milieu de la nuit, quand j’étais en

déplacement pour le journal, loin de chez moi ?

— Non, je n’en savais rien. Ils repassent la Comtesse aux pieds nus sur le câble, ça te tente de

regarder Ava Gardner avec moi ?


— Bien sûr, viens à mes côtés !

Je tapote sur le matelas à côté de moi et saisis la télécommande de la télé.

Nous regardons Ava Gardner, tout en papotant. Edna me raconte ses souvenirs, des anecdotes que

j’avais oubliées, nous rions des bêtises que j’ai pu faire enfant, et adolescente, bien que celles-ci

faisaient moins rire Edna – et mes parents à l’époque. Mes yeux se remplissent de larmes quand ma

gouvernante me caresse les cheveux en murmurant :

— Oh, Katie, je n’arrive pas à croire que tu vas avoir un bébé, un beau petit bébé.

Le film est presque fini quand la porte de ma chambre s’ouvre brusquement. Keith fait sa grande

entrée, le front plissé et le regard froid :

— Ah, Edna, vous êtes là ! Nous vous cherchions partout. Mon épouse désirerait un thé, donc si

ce n’est pas trop demander…

J’interviens :

— Papa, le film n’est pas terminé ! Maman devrait réussir à faire bouillir de l’eau toute seule ! Et

tant que tu y es, peux-tu nous monter deux tasses de thé ? S’il te plaît !

— Katherine ! tonne mon père. Tu as de la chance que je veuille que l’héritier Kavanagh naisse

en bonne santé, car sinon je t’aurais collé une bonne trempe pour ton insolence.

Edna lève les yeux au ciel, ce qui irrite profondément mon père. Elle connaît nos disputes et les

échanges « musclés » que j’ai avec lui. Keith tourne des talons, droit comme un I dans son costume

bleu marine, mais s’arrête sur le pas de ma porte.

— Tu auras une infusion Kate, la théine n’est pas recommandée pour ta tension. Edna, peut-on

espérer avoir à diner ce soir ou mon épouse doit-elle commander chez le traiteur ?

J’ai un sourire victorieux, Edna est complice.

Le film terminé, Edna débarrasse le plateau, le verre et l’assiette sont vides ; elle me laisse dans ma

chambre. Je me sens somnolente, pourtant je n’ai eu aucune activité fatigante de la journée. Je


m’endors doucement, lovée dans ma couette.

***

Une main repousse une mèche de cheveux sur mon visage. SA main. Puis un baiser sur le front, ma

tempe, l’arrête de mon nez. Il me chatouille, je sais qu’un sourire barre son beau visage.

— Elliot, que fais-tu ?

— Je te réveille ! Tu vois, ça a marché, Belle au Bois Dormant !

Je m’étire et ouvre les paupières. Il est juste là, face à moi, à quelques centimètres de mon visage.

Je me penche et embrasse ses lèvres. Il ne répond pas à mon baiser, je presse un peu plus fort mes

lèvres sur les siennes, l’obligeant à ouvrir la bouche. Je gémis en empoignant sa nuque. Ma langue

lèche ses lèvres, et trouve enfin la sienne. Elles commencent à danser, prennent leur rythme habituel.

Elliot râle contre ma bouche, sa main est maintenant dans mes cheveux et me maintient fermement.

Mais il recule, interrompant notre connexion.

— Non, pas maintenant, Bébé…

— QUOI ? Tu te fous de moi, Grey ! Sais-tu que les endorphines du plaisir sont le meilleur

décontractant qui existe au monde ?

Il sourit, son sourire timide que j’aime tant. C’est quoi son problème ? Je vais bien, je n’ai pas eu

de contraction depuis trois jours, ma tension est retombée et je dors quinze heures par jour. Maman

surveille en permanence mes repas et mon activité. Je me suis donc retrouvée privée de téléphone

portable et d’ordinateur les deux premiers jours de mon installation chez mes parents, comme si

j’avais encore quinze ans et que j’avais fait une grosse bêtise. « Trop anxiogène » a décrété Diane

Kavanagh. Je croyais que Keith était le tyran de la famille, mais ma mère n’a rien à lui envier. Ethan

est passé un soir me rendre visite, je crois qu’il avait besoin d’être rassuré. Je n’ose imaginer le récit

que Mia n’a pas manqué de lui faire après ma visite à l’hôpital… Mon grand-frère était inquiet, je
l’ai

taquiné comme d’habitude, ce qui l’a rassuré sur mon état de santé.
Mais ce soir, le refus d’Elliot me frustre. J’aimerais un câlin de mon mari que je n’ai pas vu de la

journée. Elliot travaille beaucoup, il passe ses fins d’après-midi à la maison pour suivre l’avancée
des

travaux d’extension. Il m’a annoncé que le gros œuvre serait bientôt achevé, les décorateurs
prendront

le relais la semaine prochaine. J‘aimerais passer chez moi, pour vérifier que les artisans suivent bien

les instructions, que les couleurs que j’ai choisies pour la chambre du bébé soient bien celles du

nuancier indiqué dans le dossier. Elliot me garantit que tout sera respecté, mes désirs et mes ordres,

mais puis-je leur faire confiance pour différencier un ton taupe – beige ou noisette ?

Je n’ai pas le choix et cela me rend folle. Je déteste de ne pouvoir contrôler les choses, surtout ce

qui concerne mon enfant et mon environnement immédiat. J’ai menacé de mort les artisans et le chef

de chantier, c’est-à-dire Elliot, si les travaux ne sont pas terminés dans les temps impartis et surtout

s’ils ne sont pas conformes à mes instructions !

Mais mon problème immédiat est le refus de mon Dieu blond. Il s’éloigne de moi et s’assoit sur la

bergère à côté de mon lit. Il a un petit sourire en coin, celui d’un gamin qui a un secret, ou qui vient
de

mettre les doigts dans le pot de confiture. Je n’aime pas ça, pas du tout.

— Habille-toi pour le dîner, Princesse. Je t’attends en bas avec ta famille.

Et il me plante là, la bouche en cœur et les bras ballants. Merde, je n’ai même pas droit à un baiser

avant qu’il quitte ma chambre ! Où est l’Elliot Grey que je connais, le vilain garçon qui ne se

formaliserait pas d’être dans ma chambre de jeune fille, avec mes parents juste à côté ? L’homme que

j’aime et que j’ai épousé n’aurait pas refusé mes avances. Flûte, zut, merde quoi !

Je sors de mon lit en râlant, ôte mon pyjama et enfile une robe noire en laine jusqu’aux genoux.

L’encolure ronde met en valeur la naissance de mes seins – mes obus si je dois être objective.
J’attache

le collier en platine et le médaillon en forme de cœur qu’Elliot m’a offerts pour mon premier
anniversaire que nous avons fêté ensemble, aux Bermudes, la veille de notre mariage. Je caresse le

bijou du bout des doigts ! Mon Dieu que ce temps me semble lointain !

Au salon, je retrouve mes parents, mon mari ainsi que mon grand frère, partageant un verre de vin.

Maman me tend un verre de jus de fruit.

Je m’exclame en voyant mon frère :

— Ethan, quelle bonne surprise !

— Il paraît que tu as un an de plus, KAK, je n’aurais raté ça pour rien au monde !

— Tu n’es là que pour faire l’inventaire de mes rides ?

Il rit, me prend dans ses bras et m’embrasse sur la joue.

— Je suis heureux de constater que tu vas bien. Et mon petit neveu ? Comment va-t-il ?

— Comme Papa, tu es convaincu que j’attends un garçon ? L’héritier de l’empire ?

Keith me foudroie du regard, Diane soupire, Elliot et Ethan retiennent un fou rire. Mon Dieu blond

passe la main dans mon dos.

— Viens, Kate, nous avons une surprise pour toi, pour ton anniversaire.

— Oh, très bien, j’adore les surprises !

Je suis excitée comme une petite fille le matin de Noël. À ma grande surprise, Elliot me guide

devant la porte d’entrée et non dans la salle à manger où doit avoir lieu le dîner. Mes parents et mon

frère nous suivent, avec un sourire complice sur les lèvres. Que se passe-t-il dans cette maison ? Une

porte spatio-temporelle se serait-elle ouverte pendant que je dormais à l’étage ? Elliot ouvre la porte
et

je vois une voiture blanche, un énorme SUV garé devant l’entrée. Un nœud rouge, le plus gigantesque

qu’il m’ait été donné de voir, est accroché sur le capot. Je ne comprends pas. Elliot me fixe, guettant

mes réactions. Il tend le bras, comme un magicien. J’entends presque le « ta-dam ! » quand il me

montre le véhicule de la main.

— Ton nouveau carrosse, Princesse !


Je les regarde tous, un à un, éberluée. Quoi, ils m’offrent une voiture pour mon anniversaire ? Je

m’approche et distingue enfin les détails, la marque de la voiture, les sièges en nubuck beige. Comme

s’il lisait dans mes pensées, Elliot précise à voix basse :

— Un Porsche Cayenne Hybrid, Princesse. Beaucoup plus pratique pour mettre un siège-auto de

bébé dedans !

Je suis sans voix, pour une fois. Cette voiture est… énorme ! Magnifique, mais énorme. Je me

retourne vers Elliot, il a un sourire timide figé sur son beau visage.

— C’est… trop ! Elliot, cette voiture est magnifique, mais c’est trop !

Mon père se racle la gorge. Tiens, j’avais oublié leur présence.

— C’est de la part de tes parents et de moi, Kate, ajoute Elliot. Ta voiture était trop petite, pas

vraiment fonctionnelle pour un enfant. Tu pourras mettre la poussette ainsi que tous les paquets de

couches dans le coffre !

Il sourit franchement, détendu par ma réaction. Oh Elliot, grand fou ! Je l’embrasse doucement sur

les lèvres et vais remercier mes parents chaleureusement. Je me retourne vers mon mari et
l’interpelle :

— Dis, Bébé, as-tu les clés pour que je puisse l’essayer ?

Mon père lance des éclairs du regard, ma mère lève les yeux au ciel, et Ethan, bah ! Ethan est égal à

lui-même : il ricane. Elliot secoue la tête et me prend la main :

— Non, nous allons dîner. Tu ne devrais pas sortir de ton lit, il est hors de question que tu partes

conduire ce soir.

— QUOI ?

Je hausse le ton :

— À quoi ça sert d’avoir une nouvelle voiture si je ne peux pas la conduire ?

— Kate, s’il te plaît, sois raisonnable, plaide mon mari. La semaine prochaine, ou dans une

quinzaine de jours peut-être, mais pas ce soir.


Avant que je puisse répliquer de manière sanglante, maman intervient :

— Rentrons, Edna a dû servir le dîner.

Ce prétexte fallacieux m’étonnerait fort, car Edna attend toujours que les maîtres de maison soient

attablés avant de servir le premier plat. Je cède, je sais que je n’aurai pas gain de cause avec mon
père

et mon mari. Nous rentrons tous à l’intérieur, Elliot enroule son bras autour de ma taille. Je
l’embrasse

furtivement sur la joue en lui murmurant un « merci ». Il sourit, me guidant tendrement. Nous prenons

place autour de la table du salon, Edna apparaît avec le premier plat, l’entrée : avocats aux crevettes
et

quartiers de pamplemousse sur un lit de cœurs de laitue. Maman tient son rôle de maîtresse de
maison

en demandant à mon mari des nouvelles du chantier, de l’avancement des travaux de notre maison.

J’écoute avec attention les réponses d’Elliot, il semble confiant et sûr de lui. Ethan a excusé
l’absence

de Mia à table, prétextant que ma belle-sœur avait une obligation professionnelle.

Et honnêtement, le petit comité de ce soir me convient parfaitement. Je n’aurais pas supporté une

grande réunion de famille, avec les Grey assis autour de la table. Le Dr Greene a bien précisé que je

devais éviter toute source de stress !

Edna débarrasse les assiettes et apporte ensuite un rôti de bœuf et ses petits légumes. Bon sang,

quand a-t-elle eu le temps de préparer tout cela, puisque nous avons passé l’après-midi à regarder un

film dans ma chambre ? Mystère ! La gouvernante dépose devant moi une assiette où fument deux

enchiladas. Keith fait des yeux ronds, Diane laisse échapper un sourire, mon mari et mon frère sont
au

bord du fou rire.

— Katherine, ce menu n’est pas recommandé pour toi. Edna, retirez ce plat, il est trop épicé pour

une femme enceinte ! tonne mon père.


— Oui, renchérit ma mère, le chili et les épices peuvent causer de l’arythmie cardiaque et exciter

le bébé.

Ethan explose de rire, sous le regard courroucé de nos parents.

— Vu le patrimoine génétique de cet enfant, ce n’est pas un peu de chili qui changera la donne !

s’éclaffe mon frère.

— Ethan !

Keith, Diane et moi avons poussé le même cri de concert. Elliot s’étouffe dans sa serviette,

tellement rouge qu’il en pleure. Edna n’a pas bougé d’un centimètre et contemple, consternée, notre

spectacle familial. Avant que mon père réagisse, je plante ma fourchette dans la galette de tortilla et,

provocatrice l’enfourne goulûment dans ma bouche. Après avoir mastiqué et dégluti – mon Dieu,
Edna

sait les préparer comme je les aime ! –, je fixe les convives :

— Délicieux ! Peut-on continuer mon dîner d’anniversaire ou suis-je la seule à manger ? Ce qui

ne me dérange pas, j’ai une faim de loup !

Le dîner reprend, l’atmosphère se détend et s’apaise, le fraisier finit par mettre tout le monde

d’accord : nous avons tous un sourire repu et satisfait. Ethan profite de ce moment pour me tendre une

petite boîte, je reconnais l’emballage de Something Silver, la boutique du centre commercial où j’ai
eu

mes premières contractions.

— De la part de Mia et moi, précise mon frère.

Je découvre dans l’écrin une adorable paire de pendants d’oreilles en argent, avec deux petits

cristaux de Swarovski au bout.

— Oh merci, Ethan ! Je les adore ! Embrasse Mia pour moi, je sais que c’est elle qui a choisi !

À la fin du dîner, nous remontons dans ma chambre après avoir salué mes parents et mon frère, qui

a décidé de rester dormir cette nuit à la maison familiale. Elliot s’assoit sur le lit et retire ses
chaussures. Je grimpe sur lui à califourchon, calant mon gros ventre contre ses abdominaux, et saisis

sa tête entre mes deux mains, plaque ma bouche contre la sienne.

Il se débat :

— Que fais-tu Kate ? Tes parents sont juste à côté !

— Grey, nous avons une tradition : tu dois me faire l’amour pour mon anniversaire. Et demain,

tu me feras l’amour pour la Saint Valentin. Et le soir, tu me referas l’amour pour fêter notre deuxième

anniversaire de mariage !

Il me dévisage avec des gros yeux, puis un sourire lubrique naît sur ses lèvres.

— Si c’est la tradition, alors je ne peux pas me dérober à mon devoir !

25.

Mouvement de Foule

Je suis avec Dan et j’arpente le bitume des rues de Seattle. J’aime mon métier de journaliste, mais

des fois, surtout à cet instant, je donnerai tout, les micros, l’excitation du moment pour un bon bain

chaud. Kristine nous a envoyés couvrir la manifestation des salariés de Boeing contre le plan de

licenciements suite à la perte d’un gros marché contre le groupe Européen Airbus. Bref, me voici

enceinte de presque 8 mois, battant la chaussée avec Dan à mes côtés, tentant d’interviewer les

responsables syndicaux pour le journal, dans les rues de Seattle.

Elliot m’a fait tout un scandale ce matin, il est inquiet depuis deux semaines, quand j’ai eu des

contractions. Le Dr Greene nous a rassurés, en nous expliquant que les contractions de fatigue sont

courantes et normales à ce stade de la grossesse, je dois juste faire attention et calmer un peu le
rythme

mon activité professionnelle et les efforts physiques. Ma gynécologue-obstétricienne a prévu de

m'arrêter pour mon congé maternité d’ici une petite quinzaine de jours, ce qui a apaisé
temporairement

Elliot.
Mon mari ne voulait pas que je retourne travailler, je me suis mise en colère, nous avons encore eue

une dispute d’anthologie ; enfin, moi, j’ai hurlé que je ne partais pas en Afghanistan pour faire un

grand reportage sur les Talibans, il a capitulé.

Je lui ai quand même promis de ne pas me stresser inutilement, mais je me sens bien, chose que

mon mari ne comprend pas. Je suis juste fatiguée le soir, un peu essoufflée en montant les escaliers

vers notre chambre dans les étoiles, mais c’est normal, le petit Alien dans mon ventre pèse son poids
!

Bref, je suis dans la rue, à couvrir cette manifestation. Dan me fait signe qu’il a repéré le leadeur

syndicaliste dans la foule des centaines de manifestants, nous nous frayons un chemin difficilement

entre les banderoles, les ouvriers et le cordon de sécurité. Je tends mon micro, Dan essaie tant bien
que

mal d’écarter les curieux et de me protéger. Il est un véritable ami, je lui fais entièrement confiance,

même si parfois, il se montre plus protecteur et prudent que mon mari concernant ma grossesse. Son

empathie me fait sourire, je sais qu’il agit comme ça pour mon bien.

Soudain, un mouvement de foule fond sur nous, je n’ai pas le temps de réagir. Des policiers à

cheval encadrent les manifestants, empêchant toute fuite sur les côtés, des gens crient, insultent les

forces armées qui nous font face. Je vois la panique et l’inquiétude dans les yeux de Dan, je ne

comprends pas immédiatement pourquoi, je cherche une échappatoire à ce chaos.

Dan tente de me saisir la main, pour m’extirper, me tirer vers les trottoirs qui sont à quelques

mètres. Je n’ai pas le temps de réaliser ce qui se passe par la suite, tout ce dont je me souvienne,
c’est

la brûlure dans ma gorge, le feu dans mes poumons : des gaz lacrymogènes, les policiers nous

aspergent de gaz lacrymogènes ! Je me sens tomber, je lâche mon micro pour amortir ma chute dans

un ultime réflexe d’une main, l’autre est posée sur mon ventre rond.

Mon Bébé… ma petite fille….

26.
eLLiot à L’HôpitaL

Je suis assis à la table de réunion dans mes locaux de Grey Construction, où PJ et Richet étudient

le dossier d’un nouveau projet, ils ne sont pas d’accord sur les solutions à apporter pour ce
bâtiment.

Perdu dans mes pensées, je les écoute à peine.

Kate… ma femme me rend dingue… Ce matin encore, elle est montée sur ses grands chevaux, le

compte-tour a explosé, juste parce que je lui avais suggéré de rester à la maison et de ne pas aller

travailler car elle avait eu des contractions hier soir ! Je ne sais pas si ce sont les hormones, ou
tout

simplement sa nature profonde, mais ma femme devient de plus en plus irascible et incontrôlable !

Tu ne l’as jamais contrôlée, Grey !

La voix de Richet me tire de mes divagations… merde, c’est quoi la question ? Ah oui, isolant de

12 ou de 18 ? Je m’en fous, les gars, je veux juste que ma femme m’obéisse et se repose !

— Elliot ?

Lynn vient de passer la tête par l’embrasure de la porte et me fixe, le combiné du téléphone à la

main. Putain, je n’aurai pas la paix au bureau non plus…

— J’ai un Mr Kerter en ligne, il veut vous parler, mais je ne comprends pas bien pourquoi, il y a

beaucoup de bruit autour de lui.

Kerter, ça ne me dit rien comme nom, mais c’est peut-être un artisan qui travaille pour nous.

— Passe-le-moi, dis-je à mon assistante en tendant la main vers le téléphone. Grey, j’écoute.

— Elliot, c’est Dan Carter…

Dan ? Le collègue de Kate ? Merde ! Effectivement, la communication est mauvaise, je l’entends à

peine à cause du brouhaha derrière lui.

— Kate… Kate a eu un accident, on est en route pour l’hôpital ….

Mon sang se fige, net. Quoi ? Kate va à l’hôpital ? J’entends Dan parler à quelqu’un.
— On nous emmène au Northwest Hospital.

Dan tousse, sa voix est de plus en plus éraillée, j’entends un bruit de sirène puis la ligne est

coupée.

— Dan ? CARTER !

Je hurle dans le téléphone qui reste muet.

PJ me fixe, les yeux plissés, il a compris que quelque chose de grave venait d’arriver. Au bout de

quelques secondes, je me lève comme un diable qui sort de sa boîte, quitte la pièce ; je ne fais pas

attention à Muňerez dans le hall d’accueil, passe devant lui et me précipite vers ma voiture sur le

parking. Je démarre en trombe, je ne me rends pas compte que j’ai les mains crispées sur mon
volant,

mes jointures sont blanches sous la pression.

***

Arrivé à l’hôpital Northwest, je me gare sur le premier emplacement libre, rien à foutre qu’il soit

attribué à un toubib, et me rue à l’accueil. Je hurle !

— Katherine Grey ! Où est ma femme ?

La standardiste de l’accueil me fixe, les yeux étrécis.

— Calmez-vous, monsieur, je vais regarder. Grey, vous m’avez dit ?

Après un temps qui me semble interminable, je remarque un badge sur sa blouse avec écrit dessus
:

Virginia di Angelo. Angelo, comme un ange… ? Elle est brune, le visage rond et le nez mutin.

Arrête de divaguer Grey, tu dois trouver ton épouse !

Virginia me répond qu’elle n’a personne de ce nom qui a été admis ici. Merde, Dan se serait

trompé d’hôpital ? On les aurait emmenés ailleurs ? Puis je réalise que ce n’est pas le bon nom :
ma

chère épouse utilise son nom de jeune fille pour son métier, pour signer ses articles.

— Kavanagh, Katherine Kavanagh-Grey !


— Oui, j’ai une admission aux urgences. Deuxième couloir à gauche.

Elle n’a pas le temps de finir sa phrase que je cours déjà vers les portes sur ma gauche. Devant
les

Urgences, l’agitation du service m’inquiète encore plus. Je sais que c’est toujours l’effervescence
ici,

Maman n’aime pas y être de garde pédiatrique, je l’ai souvent entendue s’en plaindre, je
comprends

pourquoi maintenant. Je trouve une infirmière et réitère ma question :

— Où est ma femme ?

— Elle est montée au bloc, en chirurgie, troisième étage.

— QUOI ?

Je crie, ma tête manque d’exploser.

— Pourquoi ? Qu’est-ce qu’elle a ?

— Je ne sais pas, monsieur, ce n’est pas moi qui étais avec elle. Montez au troisième, ils vous

diront exactement, répond l’infirmière avant de tourner les talons et s’engouffrer dans une salle.

Je trouve enfin les ascenseurs et monte au service chirurgie, où l’ambiance est déjà plus calme.

Devant le bureau d’accueil, je pose pour la troisième fois la même question. L’interne de service

m’indique la salle d’attente. Je ne veux pas attendre, je veux voir ma femme, savoir ce qu’il se
passe,

pourquoi est-elle admise ici, en chirurgie !

L’interne en blouse verte me toise.

— Monsieur, votre épouse était en détresse respiratoire à son arrivée, elle a été transférée ici car

il y a un très gros risque d’embolie pulmonaire et nous devons l’opérer. Elle est avec le meilleur

spécialiste pulmonaire, le Dr Douglas en ce moment.

— Et le bébé ? Comment va le bébé ?

Ma voix chute, je suis perdu, je ne comprends pas ce qui arrive, ce qui se passe dans le bloc
opératoire en face de ce couloir.

— Je n’ai pas d’information concernant le fœtus. Dès qu’il y aura du nouveau, une infirmière

viendra vous voir. Restez ici.

Il m’indique une des banquettes à côté de l’accueil.

Je me résigne, passe la main dans mes cheveux, je deviens fou. Ils opèrent ma Kate… une embolie

pulmonaire ? Je ne sais pas exactement ce que c’est, mais je sens que c’est grave. Quel est le
risque

pour notre bébé ? Je sais que Kate connaît le sexe de l’enfant, même si nous avions dit au Dr
Greene

que nous ne voulions pas savoir. J’ai trouvé des sacs au fond de son dressing avec des
grenouillères

roses et des petites robes minuscules.

Ma fille …

Après de longues minutes qui me semblent des heures, il y a un mouvement d’agitation dans le

couloir. Un médecin, un grand Black au crâne rasé, suivi de deux internes et d’une blonde… de
dos, je

crois reconnaître le Dr Greene. Ils entrent en courant au bloc, une infirmière leur ouvre la porte
en

criant :

— Dépêchez-vous, la patiente est en arrêt cardiaque, nous sommes en train de la choquer !

Mes jambes se dérobent sous moi, le sol se rapproche quand une main ferme m’empoigne le bras,

puis une autre, de l’autre côté. Des gens me dirigent vers les canapés. Je tourne la tête et vois mon

frère, Christian. Il est là. Lui et son chef de la sécurité, Taylor, me soutiennent par un bras.

— Viens Elliot. Viens t’asseoir ! dit mon frère.

Le ton est ferme mais pas brusque ni froid. Je souffle :

— Christian ? Que fais-tu là ?

Devant l’entrée du service, je vois enfin Muňerez. OK, il a dû prévenir Taylor de mon départ
précipité du bureau, et ce dernier a averti mon frère.

— Christian, Kate… Kate est là-dedans… elle est en arrêt cardiaque ! Pourquoi je ne suis pas

avec elle ? Elle a besoin de moi ! Pourquoi ils ne me laissent pas être avec ma femme ?

— Elliot, laisse les médecins faire leur travail, tu ne peux pas être au bloc avec eux.

Pour une fois, mon frère n’aboie pas ; sa voix est même étrangement calme.

— Oh le bébé ! Merde, qu’est-ce qu’il se passe avec le bébé ? Et si elle perdait l’enfant !

Nooon…

Ma phrase meurt dans un long gémissement, les sanglots montent du fond de ma poitrine.

— Si Kate et le bébé ne s’en sortaient pas, Christian ?

Je suis assis sur la banquette, les coudes sur les genoux, la tête dans mes paumes. Une main se

pose sur mon épaule, celle de mon frère. Ce geste me surprend, c’est la première fois qu’il a un
geste

« tendre » à mon égard.

— Elliot, fais confiance à ta femme, elle est forte. Katherine est même la femme la plus tenace

que je connaisse. C’est une femme de caractère

Je sens un peu de sarcasme dans sa voix, mais il a raison. Ma Kate est tenace, une vraie force de
la

nature.

— Fais-lui confiance, reprend Christian. Elle va s’en sortir et se lever juste pour venir te botter

le cul pour avoir gémi comme une mauviette, pour avoir douté d’elle !

J’arrive à sourire à l’image de Kate m’engueulant pour avoir douté d’elle.

— Ouais, t’as raison, Frangin. Ça, c’est ma femme. Et le bébé, ils vont sauver le bébé ?

— Si cet enfant est bien celui de sa mère, aucun souci ! C’est un battant, et si tu veux mon avis,

t’es mal barré avec les deux à la maison, Lelliot !

À cet instant, la porte s’ouvre et Dan entre dans le service. Il a les yeux rouges et une bouteille
d’eau à la main. Muňerez le laisse passe, Dan se dirige vers nous.

— Elliot, comment va-t-elle ? me demande-t-il immédiatement.

Je lui réponds en me levant.

— Je ne sais pas, ils ne veulent rien nous dire. Dan, voici mon frère.

Et j’explique à Christian :

— Dan est le collègue de Kate, c’est lui qui m’a prévenu.

Puis, à Dan :

— Et toi, comment ça va ?

— Pas trop mal, j’ai été gazé aux lacrymogènes, mais ça va.

— Qu’est-ce qu’il s’est passé ? interroge Christian.

— On était en train d’interviewer le leader syndicaliste de Boeing quand il y a eu un mouvement

de foule depuis la queue de la manifestation. Les gardes à cheval ont chargé et les policiers ont

envoyé les gaz pour disperser la foule. Pris dans le flot des manifestants, nous n’avons pas pu
nous

écarter à temps. Kate est tombée, j’ai réussi à la tirer sur le trottoir pour la mettre à l’abri d’une

devanture de magasin.

Je marmonne :

— Putain, je savais qu’elle n’aurait jamais dû aller travailler.

— Je sais, reprend Dan. Mais ce n’était pas prévu qu’on aille couvrir cette manifestation : nous

n’avions plus d’autre équipe sur le terrain. Normalement, nous devions faire deux ou trois
interviews,

quelques photos et rentrer. Je crois que des casseurs se sont mélangés aux manifestants, ça a

dégénéré. J’ai crié à l’aide, les policiers ont vu ma carte de presse, ils ont appelé une ambulance

immédiatement. C’est là où je vous ai contacté.

— Merci Dan, merci. (Je lui serre la main en signe de reconnaissance.) Si tu as besoin, je peux
demander à ce qu’on te raccompagne chez toi.

— Non, je veux rester et savoir comment va Kate, si ça ne vous dérange pas.

— OK, assieds-toi.

Je commence à faire les cent pas dans le couloir, qui est étrangement calme. Puis les portes

s’ouvrent, le médecin que j’ai vu entrer ressort avec un chariot où est posée une couveuse. Des

infirmières et les deux internes l’entourent. Je n’ai pas le temps de les approcher, de voir le bébé
dans

la couveuse qu’ils s’engouffrent déjà dans l’ascenseur. Une blouse bleue vient à notre rencontre.

— Mr Grey ?

Christian et moi levons la tête ; je fais un pas en avant.

— Je suis l’interne Pauline Genès. Le Dr Greene a pratiqué une césarienne d’urgence et le Dr

Pratt a emmené le bébé en néonatalogie, aux soins intensifs. Le Dr Douglas va procéder à une

opération pour évacuer le caillot qui a provoqué une thrombose puis l’embolie pulmonaire. Je
dois y

retourner, mais dès qu’elle le pourra, votre mère viendra tout vous expliquer.

— Quoi ? Maman est là-bas ? Elle est au bloc avec Kate ?

Je suis abasourdi, Christian également ; l’interne acquiesce et retourne en salle d’opération. Je

n’avais aucune idée que Grace était au bloc avec Kate. Cela ne devrait pas me surprendre : ma
mère

travaille dans cet hôpital. Qu’elle soit aux côtés de ma femme me rassure : Kate n’est pas seule,

Grace veille sur elle.

Et là, au milieu de ce hall d’hôpital, une chanson me vient en tête, Just Breathe , une connerie que

Mia écoutait en boucle en regardant sa série préférée : Grey's Anatomy.

Oh, Bébé, respire !

Merde, Christian a raison, je suis une vraie mauviette…

À cet instant, comme si le fait de penser à sa chanson l’avait matérialisée, Mia fait son entrée
dans

le service, suivie de son agent de sécurité. Ça devient ridicule, il y a trop de Marines ici. Comme
s’il

lisait lui aussi dans mes pensées, Christian fait un signe à ses hommes qui s’éclipsent
discrètement.

Ma sœur se précipite dans mes bras

— Lelliot, oh Lelliot ! geint-elle.

— Ça va, Mia, tout va bien.

Je mens, je ne sais plus, je dois me raccrocher à un mince espoir, ma femme est en arrêt
cardiaque,

mon bébé aux soins intensifs dans une boîte… mon monde s’écroule, morceau par morceau, je ne
sais

pas comment je fais pour résister, pour tenir debout.

— Ethan arrive, ses parents également, chuchote Mia. Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

— Viens, je vais t’expliquer, dit Christian en tirant notre sœur de mes bras.

Je lui suis silencieusement reconnaissant : je n’ai pas la force de répéter à Mia la situation.
Taylor

apparaît près du comptoir de l’accueil ; il discute avec une infirmière qui semble terrorisée,
comme si

l’armoire à glace pointait son arme de service sur elle. Il s’approche de son patron et lui parle à

l’oreille, je vois les yeux de mon frère s’étrécir. Quoi encore ? Que se passe-t-il ?

Christian vient me parler doucement, comme si j’étais un enfant, ou un animal blessé.

— Elliot, ils n’ont pas de salon privé à cet étage, nous sommes obligés d’attendre ici ou de

descendre dans un autre service. Que souhaites-tu faire ?

— Je reste ici, près de Kate. Je ne bougerai pas tant qu’elle ne sera pas sortie du bloc. Allez-y si

vous voulez, moi, je reste ici.

— Elliot, on reste avec toi, me répond Mia en me prenant la main.


Ce simple geste de ma petite sœur me tire les larmes des yeux. Bon Dieu, pourquoi est-ce aussi

long ? Pourquoi personne ne nous dit rien ? En regardant la Rolex à mon poignet, la montre que
Kate

m’a offerte lors de notre mariage, avec gravé dessus « mon homme, mon amant, mon mari, mon

amour », je me rends compte qu’il est déjà 19 heures. Cela fait plus de quatre heures que Kate est
au

bloc opératoire, entre la vie et la mort. Je deviens vraiment fou…

Diane, Keith et Ethan Kavanagh entrent à leur tour dans le service chirurgie ; au même moment

(ou pratiquement), Grace sort du bloc. Elle nous dévisage tous, elle semble fatiguée, mais ses yeux

sont déterminés. Elle porte une blouse verte, avec du sang dessus… le sang de ma femme, de mon

enfant ? Je sens que ma vue se trouble et, une fois encore, Christian me soutient par le bras
lorsque je

vacille.

Maman fait deux enjambées vers moi et me prend dans ses bras.

— Elliot, ça va, mon grand. Tout va bien se passer maintenant.

Elle m’embrasse sur la joue, son contact m’apaise, comme toujours. Elle relève la tête et s’écarte

un peu de moi.

— Bien, vous êtes tous là.

Effectivement, la famille est là au grand complet, il ne manque que Papa et Ana, mais je suppose

que Christian a prévenu son épouse et que Papa est au tribunal, injoignable comme toujours
quand il

plaide à la Cour. La famille est unie, se serre les coudes dans le malheur et les coups durs.

— Grace? demande Diane dans un sanglot. Comment va notre fille ?

— Kate est arrivée ici en détresse respiratoire due aux gaz lacrymogènes, commence ma mère.

Mr Carter, vous avez très bien réagi à la situation et surtout extrêmement vite. Kate a été prise en

charge dans l’ambulance où ils l’ont placée sous respirateur à oxygène tout le long du trajet
jusqu’ici.
Malheureusement, aux Urgences, mes confrères ont détecté sur la radio qu’ils lui ont faite des

poumons une thrombose, c’est à dire un caillot de sang qui avait migré dans sa poitrine. C’est
assez

rare, mais le risque était amplifié par sa grossesse. Le bébé était en souffrance fœtale, c’est
pourquoi

ils ont décidé qu’une opération était la meilleure option pour la mère et pour l’enfant. Le risque
de les

perdre tous les deux était… important.

Un frisson d’effroi nous parcourt tous. Keith soutient sa femme, je vois que Mia glisse sa petite

main dans celle d’Ethan. Je fixe ma mère, absorbant les informations qu’elle nous donne.

— J’ai été appelée par mon confrère, quand il a vu le nom de la patiente sur la fiche. Ross

Douglas est un pneumologue réputé et, devant l’urgence de la situation, il m’a demandé
l’autorisation

d’opérer. Tu n’étais pas encore arrivé, mon grand, ajoute-t-elle en me regardant. J’ai fait appeler
le

Dr Pratt, mon chef au service pédiatrique, responsable du service néonatalogie et soins intensifs

pédiatriques, au cas où… Le Dr Greene a été également bipée. Heureusement, car Kate a fait un
arrêt

cardiaque, ce qui mettait sa vie et celle du bébé en danger. Le Dr Greene a dû pratiquer une

césarienne d’urgence, après que le Dr Douglas ait choqué et ranimé Kate. Le bébé est né il y a
trois

heures. Elliot, tu es papa d’une petite fille.

Tout le monde pousse un soupir et je sens une main dans mon dos. Je me retourne – c’est Diane,

des larmes coulent sur ses joues. Elle a un sourire timide sur ses lèvres. Mon cœur se serre dans
ma

poitrine. Ce n’est pas comme ça que je pensais annoncer la naissance de ma fille à ma famille : je
me

voyais sautant de joie, un cigare aux lèvres et une bouteille de champagne à la main… mais
maintenant… je ne sais plus…

— La petite est prématurée, pas une grande prématurée, mais elle a eu du mal à déclencher le

processus de respiration, le Dr Pratt l’a intubée. C’est une pratique courante. Il l’a
immédiatement

transférée dans son service, en soins intensifs. Quand le Dr Greene a terminé la césarienne, le Dr

Douglas a pratiqué une ponction pour le caillot, afin de résorber l’embolie pulmonaire.
L’opération

s’est bien déroulée. Je suis restée tout ce temps aux côtés de Kate, même si elle était sous
anesthésie

générale. Je sais que c’est important : les patients sentent une présence familière avec eux.

— Merci Maman, dis-je dans un souffle.

— C’est normal, Elliot, Kate est de la famille et c’est de ma première petite fille dont il s’agit.

Kate est actuellement en soins intensifs, nous la maintenons dans un coma artificiel pour au
minimum

24 heures. Son organisme a été mis à rude épreuve, il a besoin de récupérer. Demain, nous
baisserons

les doses de sédatifs pour lui permettre de se réveiller tranquillement.

Je demande à voix basse :

— Je peux la voir maintenant ?

— Non, chéri, pas pour l’instant. Je suis désolée. Elle est dans une pièce stérile, les risques

d’infection sont trop importants après cette double opération. Demain matin, je pense que ce sera

possible.

Maman me caresse la main du bout des doigts. Personne ne parle, j’entends quelques
reniflements,

ce doit être Mia ou Diane.

— Et la petite ? Nous pouvons voir le bébé ?

C’est la voix ferme de mon beau père, Keith.


— Non plus, Keith, répond ma mère. Je suis désolée. Le bébé est également en soins intensifs

stériles. Je vais monter au service pédiatrique pour avoir les premiers résultats des examens qui
lui

ont fait passés. Vous devriez attendre au service pneumologie, c’est là que Kate sera transférée. Il
ya

une grande salle d’attente. Vous y serez mieux qu’ici. Je vous promets de descendre vous donner
des

nouvelles aussi vite que possible.

— D’accord Maman, dit Christian dans mon dos. Nous descendons en pneumologie. Viens,

Elliot.

Il me prend doucement mais fermement le bras. Merde, ça devient une habitude chez lui ? Nous

nous suivons dans l’ascenseur. La nuit va être longue pour tout le monde, surtout pour ma femme
et

ma fille qui luttent pour rester en vie.

27.

Nuit au Northwest

La nuit dans cette salle d’attente est la plus longue de ma vie. Les hommes de sécurité de
Christian

ont apporté des plateaux de café et des sandwichs, mais personne ne mange. Des petits groupes se

forment, discutent entre eux, viennent me voir, me parlent doucement, comme si nous étions dans
une

église, ou à un enterrement. Je chasse cette idée de ma tête, il faut que je bouge, ou que je tape
dans

quelque chose. Papa est arrivé tard, Christian et Keith le mettent rapidement au courant de la

situation. Je n’aurais jamais cru revoir mon père et mon beau-père discuter ensemble, sans cri,
sans

tension, comme lors de notre mariage. Nous sommes tous dans l’inquiétude, pour Kate et le bébé.

Je me rends compte à cet instant que ma fille n’a pas de prénom. Nous ne sommes pas tombés
d’accord avec Kate, nous n’avons rien décidé, pensant que nous avions le temps de trouver un

compromis, enfin, le temps que Kate ait le dernier mot. Je ne sais pas quoi faire, quoi décider. Et
si

Kate n’approuvait pas mon choix, et si ma femme ne se réveillait jamais… ? J’étouffe un sanglot
dans

mes mains, Diane vient à mes côtés, me prend dans ses bras en silence.

Je n’ai jamais prié, je ne crois pas en un Dieu unique et tout puissant, mais si cela pouvait aider

ma femme et ma fille, j’allumerais tous les cierges de toutes les églises de la ville pour les sauver.
Oh,

pourquoi est-ce aussi long, pourquoi personne ne vient nous dire ce qui se passe ?

Dan tousse et se racle la gorge bruyamment, je m’approche de lui.

— Dan, tu devrais rentrer chez toi te reposer. La journée a été longue et difficile pour toi. Dès

que j’ai du nouveau, je t’appelle, OK ?

— D’accord, Elliot, appelle-moi, sans faute.

Je vois qu’il est exténué. Cette journée a été rude pour lui également : il a été intoxiqué aux gaz

lacrymogènes et il est presque minuit. C’est vraiment un bon collègue et un ami fiable de ma
femme.

Je lui propose que Muňerez le raccompagne chez lui, il accepte. Il nous salue tous avant de quitter
la

salle d’attente. Je m’aperçois que Mia dort, roulée en boule sur le canapé, la tête sur l’accoudoir.
Je

fais un signe de tête à Ethan qui me comprend immédiatement.

— Oui, mec, je vais la ramener à l’appartement. Je reviens tout à l’heure, avant d’aller à mon

cabinet.

Il me tape sur l’épaule et va réveiller doucement ma petite sœur. Diane, Keith, Carrick suivent le

mouvement. Je fixe Christian, droit comme un I.

— Rentre chez toi, Frangin. Va retrouver ta femme et ton fils.


— Non.

Sec. Abrupt. Tout Christian Grey en un seul mot. Je le regarde, je n’ai aucune envie de jouer au

bras de fer avec mon frère à cette heure-ci.

— J’ai prévenu Ana de ce qui se passe. Même si Kate est sa meilleure amie, je n’ai aucune envie

de voir ma femme enceinte ici, dans cet hôpital. Elle t’embrasse et me demande de te dire qu’elle

passera demain matin.

Il secoue la tête, résigné.

Eh ouaip, Christian, tu ne contrôles pas plus ta femme que moi la mienne. Les frères Grey sont mal

barrés…

— Je reste avec toi, Lelliot, je sais ce que c’est. J’ai déjà vécu ça, j’ai compris que c’est

important dans ces moments-là d’être entouré de sa famille.

Je ne dis rien, j’incline juste la tête et m’affale sur le canapé libéré par Mia. Nous restons ainsi,

tous les trois, Taylor étant assis sur le fauteuil dans un coin de la pièce. Maman ouvre la porte et
vient

directement vers moi. Elle est fatiguée, deux ombres noires entourent ses yeux, ses traits sont
tirés.

— Elliot, mon grand.

— Maman… alors… ?

Les mots s’étranglent au fond de ma gorge.

— Tout va bien, Chéri. Kate est maintenant en réanimation, elle a quitté les soins intensifs. Tu

pourras bientôt aller la voir.

Je souffle :

— Dieu merci ! Et la petite ? Comment va le bébé ?

— Je ne te mentirai pas, son état est encore critique. Nous en saurons plus demain, elle doit

passer un scanner et des radios. Mais elle est forte, c’est une battante.
J’intercepte le regard de Christian : « je te l’avais bien dit ! » Grace nous observe tous les deux, je

vois un petit sourire sur ses lèvres. Une infirmière entre et nous interrompt :

— Mr Grey, vous pouvez voir votre épouse. Réanimation, Salle 2.

Je la suis. Ce que je vois en entrant dans la chambre me provoque un choc. Kate est sur un lit

immaculé, elle est intubée, reliée à un respirateur, des fils partent de sa poitrine vers une autre

machine, un moniteur cardiaque sans doute, des lignes vertes dansent sous mes yeux sur un écran,
des

« bips » sourds rythment le silence de la pièce. Je m’approche, ma femme est pâle, ses cheveux
blonds

forment un halo autour de son visage, ses yeux sont recouverts de gaze, elle a une perfusion dans
le

bras droit.

Je retiens une larme en prenant sa petite main dans la mienne.

Respire, Bébé, respire…

L’infirmière règle le goutte-à-goutte, note quelque chose sur une tablette, me regarde et me dit :

— Mrs Grey est plongée dans un coma artificiel. Son organisme en a besoin pour récupérer

après deux opérations. D’ici 48 heures, au minimum, nous diminuerons progressivement les doses

d’anesthésiants pour lui permettre de se réveiller. Elle est également sous antidouleurs, elle ne
souffre

pas, Mr Grey.

— Est-ce qu’elle m’entend ?

Ma voix n’est qu’une plainte, j’ai honte de me montrer aussi faible face à cette infirmière, mais je

suis ravagé, anéanti de voir ma Kate, d’habitude si forte, si pleine de vie, réduite à ce corps inerte

couché dans ce lit d’hôpital.

— On ne sait pas, Mr Grey. Certains patients qui sortent d’un coma artificiel disent qu’ils

entendaient les conversations autour d’eux, d’autres parlent d’un trou noir et n’ont aucun
souvenir. Si
vous en avez besoin, vous pouvez lui parler. Je vous laisse une demi-heure. Après, les visites ne
seront

plus autorisées. Vous pourrez voir votre épouse demain après-midi ; si les examens de demain
matin

le permettent nous la transférerons au service pneumologie.

Elle sort de la pièce et me laisse seul avec Kate. Je lui caresse la main, je ne sais pas quoi dire.

Des larmes coulent sur mes joues, d’abord un filet puis un torrent. Je pleure au chevet de ma
femme,

de mon amour, toute la tension de la journée s’évacue dans mes larmes. Je murmure :

— Désolé, Bébé… tu dois détester me voir dans cet état. Christian a raison : tu vas te réveiller

pour me botter le cul ! Kate, tu te souviens de ce que tu m’as dit l’année dernière quand j’étais
tombé

du toit ? Tu m’as dit : « C’est une bonne chose que tu ne sois pas mort parce que je vais te tuer pour

m’avoir fait peur comme ça ! » Eh bien aujourd’hui, Kate, c’est moi qui vais te tuer pour cette
frousse

que tu m’as faite. J’ai cru mourir mille fois aujourd’hui, dans cette salle d’attente. Pour toi, pour

notre fille.

« Oh, Bébé, il faut que tu te réveilles vite, pour me dire comment s’appelle notre fille… je n’ai pas

encore pu la voir, mais… dès que possible, j’irai, et je te dirai combien elle est belle et forte,
comme

sa maman.

Je me tais. Je n’ai pas l’habitude de parler. Encore moins seul. Normalement, Kate me répond,
elle

me hurle dessus, elle m’assassine d’un regard, avec ses grands yeux verts furieux… Je parle seul,
les

bruits des machines me répondent. Je continue :

— Bébé, allez, j’ai besoin de toi. Je ne suis rien sans toi. Comment je peux vivre sans toi ? Tu

m’as dit que nous sommes une équipe, je ne peux pas jouer seul, il faut que tu sois là, avec moi.
Je regarde mon alliance de platine, celle qui nous unit depuis plus deux ans.

— Je sais que tu connais par cœur ce que tu as fait graver à l’intérieur : mon homme, mon ami,

mon amant, mon mari, mon amour… Oh Kate, je t’aime tant !

L’infirmière entre dans la pièce et me fait un petit signe de la tête.

Je reprends :

— Bébé, je dois partir, te laisser dormir. Ne te sauve pas, je reviens vite.

Je l’embrasse doucement sur le front, sa peau est douce et chaude. Je repousse une mèche blonde

sur le côté et sors, les épaules voûtées de cette chambre où gît ma femme.

***

Visite spéciale
Kate
— Kate ! Katie ! KATHERINE AGNES KAVANAGH ! Debout feignante !

Je connais cette voix, mais je suis tellement fatiguée… je n’arrive pas à ouvrir les yeux, encore

moins à lever la tête pour voir mon amie.

— Allez Katie, ce n’est plus drôle et on va être en retard ! Bouge-toi !

Kim, c’est Kim qui me hurle dessus. Ce n’est pas possible. Je ne peux pas l’entendre. Ça ne peut

être elle, parce que… parce qu’elle est…

— Tu as oublié, reprend mon amie de sa voix capricieuse d’enfant gâtée, nous devons aller à une

soirée et nous sommes terriblement en retard ! En plus, tu n’es même pas habillée ! C’est quoi ce

pyjama affreux ? Allez Katie, tu sais bien que je déteste manquer le début de la fête ; c’est là où on

repère les garçons disponibles les plus mignons !

Je lui réponds, sans réussir à bouger, je suis immobile dans ce lit froid.

— Kimie, je suis fatiguée, vas-y sans moi !

— Non, non, non ! As-tu oublié que je n’aime pas arriver seule, je déteste qu’on me dévisage,

même si je sais que je suis la plus jolie fille de la fête !

J’ouvre les paupières, et je vois mon amie au bout de mon lit en train de faire les cent pas. Elle

porte une robe bleu roi qui moule ses formes, met en valeur ses cheveux noirs et son teint halé.
Mais

ce qui me choque, c’est que Kim a dix-sept ans… ce n’est pas possible !

Elle me fixe, puis balaie du regard le tour de mon lit. Elle pousse un petit cri et son soupir

caractéristique en levant les yeux au ciel.

— Kate, c’est quoi ça ?

Comme je n’ai aucune idée de ce dont elle parle, je me tais.

— C’est un bébé ? hurle-telle horrifiée en pointant le doigt à côté de mon lit. Ne me dis pas que
tu as un bébé ? ! Qu’est-ce qu’on avait dit concernant la contraception, hein ? Ça craint de
tomber

enceinte à notre âge, c’est pas hype du tout !

J’essaie de tourner la tête pour voir le bébé, mais je n’y arrive pas. Oh mon Dieu, je suis si

fatiguée.

— Katherine, tu sais qu’un bébé ne fait pas partie de nos plans ! Te souviens-tu des règles ? Pas

de mec, pas de gosse, pas de parents !

Je hoche la tête, je sais quelles sont les règles pour notre grande aventure.

— Si nous devons partir en Europe après notre diplôme, après le lycée, tu ne peux pas emporter

de bébé ! Les grandes capitales nous attendent, ainsi que St Tropez, Ibiza, Barcelone !

— Oui, Kim, je sais, mais…

— Pas de mais, Kate ! Et notre appartement à New York ? Hein ? Tu dois intégrer le Times ou

News Week , et moi, je dois être l’attachée de presse d’une star, de cinéma, de la télévision ou un

chanteur pop ! Tu ne peux pas tout foutre en l’air à cause d’un mioche, nous avons le monde à

conquérir et des fêtes d’enfer qui nous attentent !

Je murmure :

— Non, Kim, je n’irai nulle part sans mon enfant…

— Bon, continue mon amie, la tête penchée sur le côté, il est… mignon, pour un bébé. C’est qui

le père ? Ne me dis pas que ton gros ballot de footballeur t’a fait un enfant ? Comment s’appelle-
t-il

déjà ? Ronnie el Stupido !

Et elle éclate de rire. Dieu que ce rire m’a manqué !

— Non Kim, ce n’est pas Ron le père !

— Oh, c’est Jamie la brindille alors, je sais qu’il avait un faible pour toi ! Non, ce n’est pas lui ?

Je hoche la tête négativement. Je ne comprends pas comment je me retrouve à parler du père de


mon enfant avec Kim. Où suis-je ? Je me sens complètement vaporeuse, comme si j’avais bu deux

litres de vodka-orange, mais sans l’euphorie de l’alcool.

— Oh, je sais, j’ai trouvé ! C’est le copain de ton frère, comment c’est son nom ? Matthew,

Matthew Staton !

— Non Kim, lui, je le collais pour faire enrager Ethan, je n’ai jamais été amoureuse de lui !

Je sais bien qu’il est très mignon, mais c’était juste pour embêter Ethan ! Et ça a bien marché :

mon frère était furieux après moi dès que je minaudais contre son ami.

— Le père de mon bébé, c’est mon grand amour, Elliot.

Elle me fait ses yeux ronds comme des soucoupes.

— Qui c’est celui-là ? C’est nouveau, non ? Tu aurais pu m’en parler ! Je suis ta meilleure amie

tout de même ! Pfft !

Et elle tente sa mine boudeuse, celle où elle pince ses lèvres maquillées de gloss rouge cerise.
Avec

cette moue, Kim a fait céder plus d’un garçon, mais aussi les professeurs qui la menaçaient de

l’envoyer en retenue et même ses parents. Je retiens un petit sourire, je connais ses ficelles par
cœur,

je sais que cela ne dure pas.

— Bon, lève-toi Katie, il est temps que Katie et Kimie – K&K, le duo de choc – fassent leur

grande entrée à cette soirée ! Tu comptes mettre quoi ? Ta robe noire ultra courte ou la mini-jupe
en

cuir avec ta blouse blanche transparente ? Oh oui, ça, avec tes stilletto Manolo noirs, tu seras à
faire

damner les saints !

Je murmure :

— Non Kimie, je n’irai pas avec toi…

— Oh, Kate… t’es vraiment pas drôle comme amie ! T’entends cette musique ? Britney Spears -
Till The World Ends . Je l’adore ! Dansons ensemble jusqu’à la fin du monde !

— Ah Kim, j’adorerai te suivre, danser toute la nuit avec toi…

— Eh bah alors, viens ! VIENS et SUIS-MOI Kate ! crie ma meilleure amie.

— Non Kimie, je dois rester là. Elliot a besoin de moi.

Je crie également.

— T’énerve pas comme ça ! (Elle croise les bras sur sa poitrine et me fixe.) Tu l’aimes, c’est ça ?

T’es accro à ce mec ?

— Oui Kim, je l’aime, comme je n’ai jamais aimé personne d’autre. Tu ne peux pas savoir à quel

point je tiens à lui. C’est le seul homme pour lequel je serais capable de traverser l’enfer – même
à

genoux sur du verre pilé pour le rejoindre. Il est tellement…

— Tu couches avec, hein ? Sinon tu n’aurais pas… ça !

Elle me provoque du haut de ses dix-sept ans, un sourcil levé en désignant le berceau à côté de

moi. Je souris.

— Oui. Et faire l’amour avec lui, c’est extraordinaire, incroyable, merveilleux ! Mais ce n’est

pas que ça, ce n’est pas qu’une histoire de sexe. Elliot est l’homme le plus généreux, le plus
altruiste

et le plus tendre que je n’ai jamais rencontré. Et il me fait rire, aux éclats, toujours, même quand
il

m’énerve. Mais il ne faut pas lui dire, il en abuserait.

— Ok, OK… il est mignon j’espère ?

Elle est maintenant assise sur le bord du lit, comme elle le faisait toujours quand on discutait dans

ma chambre, ou la sienne, pendant des heures.

— Oh oui, tu verrais son sourire, et ses yeux… si bleus… je me perds dedans et surtout, je vois

qui je suis vraiment quand il me regarde : je suis le centre de son monde. Je dois rester avec lui, je
ne
peux pas vivre sans lui, et lui sans moi.

— Bah dis donc, Katie… j’en suis jalouse. Pourquoi je n’ai personne qui m’aime ainsi ?

Elle a le regard vague, les épaules avachies…

— Kim, moi, je t’aime !

J’ai envie de la prendre dans mes bras, mais je ne peux pas bouger. J’ai mal, je ne peux plus

respirer, un sanglot comprime ma gorge.

— Je sais, mais ce n’est pas pareil. J’aimerais avoir quelqu’un qui m’aime comme lui t’aime…

(Elle se redresse d’un bond), bien, assez d’apitoiements, tu viens avec moi faire la fête ? Qu’on
leur

montre de quoi on est capable ensemble ?

— Non Kimie, je reste ici. Tu… tu me manques tu sais, tellement !

— Arrête, tu vas faire couler mon mascara ! Ok, je pars devant, je t’attends, rejoins-moi vite,

Katie ! À plus, Bizzz !

Elle s’évapore au-dessus de mon lit… et je sombre dans un trou noir. J’ai mal, je me sens seule, si

seule d’un coup sans elle…

Et vide…

28.

Le Lendemain Matin
Elliot
Je me réveille en sursaut. Je mets quelques instants avant de réaliser où je me trouve : sur ce
foutu

canapé de la salle d’attente de ce putain d’hôpital. J’ai des courbatures dans le dos, mes jambes
sont

engourdies. Christian est à côté, sur le fauteuil, il dort. Taylor n’est nulle part dans la salle
d’attente,

mais je suis sûr qu’il doit y avoir un agent dehors, devant la porte. Je me lève sans bruit, je
regarde

ma montre. 5 h 21…

Christian se redresse, il a dû sentir mes mouvements. Je lui demande :

— Salut, Frangin. Bien dormi ?

— Comment veux-tu dormir sur ces putains de siège ?

Mon frère râle dès le réveil ? Il est vraiment de nature aimable. Je me demande comment fait Ana

pour le supporter. Une sainte… Je sors de la pièce et effectivement, un gars en costard je ne le

connais pas) est posté devant la porte. Je me dirige vers le bureau des infirmières. Vide. Merde !

Taylor choisit cet instant pour réapparaître, avec quatre gobelets de café fumant dans une

barquette en carton. Putain, il ne dort jamais ? Un robot, ce mec ! Je me sers en le remerciant, il

distribue deux autres à mon frère et à l’agent en poste devant la chambre de Kate et se garde le

dernier. Christian boit son café, marmonne quelque chose à son chef de la sécurité, dégaine son

téléphone et tape frénétiquement dessus. Je me demande comment il n’est pas encore mort de
stress.

Ou d’un ulcère.

Une infirmière arrive à l’accueil et nous dévisage. J’imagine le tableau : quatre hommes pas
rasés,

trois (mon frère et ses hommes) en costard noir, moi en jean brut et tee-shirt manches longues.
Nos
têtes sont fripées par une nuit blanche et l’angoisse. L’infirmière a une cinquantaine d’années,
peut-

être cinquante-cinq ans, pas très grande, brune. Elle s’approche de nous et m’interpelle :

— Mr Grey ?

Elle a un fort accent canadien et la voix ferme. Je fais un pas en avant :

— Oui, je suis le mari de Katherine Grey.

— Bien. Je suis Chantal Du Tunnel, l’infirmière de garde au service pneumologie, je suis en

charge du suivi de Mrs Grey. Votre épouse a passé une bonne nuit, ses constantes sont stables.
Elle

est toujours en coma artificiel, le Dr Douglas a jugé nécessaire de prolonger la période de

récupération. L’organisme de votre femme a été mis à rude épreuve, Mr Grey. C’est la procédure

habituelle. Je vais vous conduire à son chevet, mais avant, vous devez respecter la procédure

d’hygiène.

— Bien sûr, tout ce que vous voudrez.

Je la suis. Je vais enfin pouvoir voir Kate. L’infirmière Du Tunnel me passe une blouse stérile et

me montre comment me laver les mains avant d’entrer dans une chambre, où se trouve Kate. J’ai
le

même choc qu’hier soir… ou était-ce ce matin tôt ? Kate est allongée sur le lit, raccordée à des

machines, elle a toujours un tube dans la gorge, le respirateur qui la maintient en vie. Des fils
partent

de sa poitrine, sous sa blouse, de son bras droit où une intraveineuse est reliée à une poche de
liquide

transparent. Mon Dieu qu’elle est pâle ! Ses lèvres d’habitudes si roses, si douces sont livides,

exsangues. Ses mains sont posées sur le drap, elles me paraissent aussi blanches que le tissu. Sa

poitrine se soulève lentement, régulièrement. Respire, Bébé, respire ! Deux gazes lui bandent les
yeux,

ses yeux que j’aime tant regarder, où je vois son âme. Je sais qu’elle ne peut pas se réveiller, que
les
antalgiques la maintiennent dans un sommeil forcé, mais j’aimerais tant voir ses yeux, ses deux

prunelles vertes qui me fusillent régulièrement, qui irradient quand elle jouit sur moi, qui me

caressent quand elle se blottit contre moi.

J’ai les larmes qui me remontent au bord des cils. L’infirmière griffonne des notes sur la tablette

accrochée sur le montant du lit et quitte la pièce. Je pousse la chaise près du lit et m’assois à côté
de

ma femme gisante. Je prends sa petite main dans la mienne ; elle reste inerte, une poupée de
chiffon.

Je ne sais pas quoi faire, ou quoi dire. Hier, l’autre infirmière m’a assuré que certains patients

entendaient ce qui les entoure, malgré le coma. Je me lance :

— Salut Bébé. Tu sais que tu m’as flanqué une sacrée frousse… il paraît que tu as passé une

bonne nuit sur ce lit. Tu vois, ce n’est pas si compliqué de rester sur un lit. J’aurais dû t’attacher

dessus, depuis le début de ta grossesse. Kate, t’es impossible… Non, je suis désolé, Princesse. Tu
as

encore fait ce que tu voulais, tu n’en as fait qu’à ta tête, et je me retrouve là, comme un con. Tu
sais

que je n’aime pas parler, seul. Alors réveille-toi vite, gueule-moi dessus, dis-moi que tu vas bien et

que je m’inquiète encore pour rien.

Je me tais, je ne sais plus quoi dire, quoi faire. Et là, une idée me vient.

— Dis Bébé, tu ne trouves pas que ça manque de musique ? Je vais te dire tout ce que je pense,

mais en musique.

Je sors mon téléphone de ma poche, cherche dans ma playlist les morceaux que je veux lui faire

écouter. Je lance le premier, c’est une chanson sur laquelle j’ai surpris Kate en train de danser
dans

le salon, avec son gros ventre. Je souris à l’évocation de cette image, c’est la chose la plus drôle
qu’il

m’ait été donné de voir ces derniers mois. Je lance la chanson et Come back to me résonne dans la
pièce. Allez, Bébé, lève-toi et danse avec moi !

J’enchaîne avec son groupe préféré, Cold Play et The Scientist , puis Kiss.

À mi- chanson, la porte s’ouvre brusquement, l’infirmière Du Tunnel me foudroie du regard ! Oh,

elle n’a rien à envier à ma Kate, elle a le même regard furax !

— Mr Grey, je sais bien qu’on vous a dit que stimuler les patients dans le coma peut être

bénéfique, mais là, tabouère15, vous allez réveiller les morts de la morgue ! Par respect pour les

autres patients, je vous demande d’arrêter, ou de baisser le son !

— Oui, excusez-moi.

Je marmonne, refrénant un gloussement – elle me rappelle mon institutrice de primaire, Mrs

Herrbach, une Allemande à la poigne de fer qu’adorait mon père qui trouvait qu’elle « tenait »
bien

sa classe. Pfft, je secoue la tête en repensant à cette période. Mrs Du Tunnel sort de la pièce,

Christian apparaît dans l’embrasure de la porte. Merde, j’avais complètement oublié que mon
frère

était encore là. Il me fait signe d’approcher.

— Elliot, j’ai une urgence à GEH, je dois y aller.

— Bien sûr, Christian, c’est normal. Et merci. Merci d’être resté avec moi.

15 Putain, en français québécois

Il marmonne en baissant la tête :

— De rien.

Je prends ça pour de la pudeur. Exprimer en live nos sentiments ? Nous n’avons jamais été très

doués l’un comme l’autre dans cet exercice. Je me retrouve seul avec ma femme. Il est à peine 7 h
30,

le jour est levé. Les minutes s’égrainent, elles me paraissent des heures. Je ne peux détacher mon

regard de Kate, je caresse doucement sa main de mon pouce, je scrute les moniteurs qui rythment
le
silence de leurs bips froids.

On frappe à la porte, deux petits coups secs. Je me lève pour ouvrir. Ouille, ma grande carcasse

est courbaturée. Le frangin a raison : fauteuils de merde ! Keith et Diane sont derrière la porte
quand

je l’ouvre. Tous les deux ont le visage marqué. Ma belle-mère a dû beaucoup pleurer : ses yeux
bleus

sont délavés par les larmes. Elle me serre dans ses bras, Keith pose sa main sur mon épaule.

— L’infirmière nous a dit que Kate avait passé une bonne nuit…

Mon beau-père a la voix éraillée. C’est la première fois que je vois Keith Kavanagh dans cet état.

Lui, le magnat de la presse, l’homme d’affaires tout puissant et le patriarche de la famille n’est
plus

qu’un homme inquiet, miné par la peur de perdre sa fille. Diane m’a dit un jour que seule Kate

arrivait à mettre le patriarche dans tous ses états : joie, colère, bonheur ou fierté. Je comprends

maintenant ce qu’elle voulait dire.

Diane me tend un sachet de papier.

— Tiens Elliot, j’ai pensé que tu n’avais rien mangé ce matin, Edna t’a préparé des sandwichs.

— Merci, Diane. Je vais aller me chercher un café, je vous laisse avec Kate.

Je sors de la chambre et arpente l’hôpital à la recherche de la cafétéria. Leur café est immonde,

mais heureusement, la salle est déserte à cette heure. Je m’affale sur un canapé, je suis exténué.
Les

images s’entrechoquent dans ma tête, je crois qu’une migraine pointe dans mes tempes.

Ma fille… merde, je n’ai aucune nouvelle du bébé, je ne sais pas comment s’est passée sa nuit, les

premières heures de sa vie. Je ne l’ai même pas vue… Je sens que je vais devenir dingue. Il faut
que je

voie ma fille. Je finis le jus de chaussette qu’ils appellent café et remonte au deuxième étage.

À l’accueil, une standardiste que je n’ai jamais vue est au téléphone. J’attends la fin de sa

conversation et m’approche du comptoir.


— Bonjour, Miss. Je suis Elliot Grey, mon épouse Katherine est dans votre service, chambre 104.

J’aimerais avoir des nouvelles de ma fille qui est au service néo-natal. Est-ce que vous pouvez me

donner des informations ? S’il vous plaît ?

Elle me dévisage et commence à battre des cils.

Oh non poupée, passe ton tour ! Il y a quelques années, je ne dis pas que j’aurais refusé tes avances,

mais là, l’amour de ma vie est couché au bout du couloir et mon enfant est quelque part dans ce foutu

hôpital.

Ne joue pas avec mes nerfs cocotte, tu ne vas pas aimer le résultat.

Elle passe deux appels pour me dire qu’elle n’a pas plus d’information à me donner concernant
ma

fille. Il faut que je monte directement au service, on m’en dira plus. Merde, je ne veux pas quitter

Kate, mais je dois savoir pour ma fille. Je décide de retourner dans la chambre de ma femme, je
refais

le protocole d’hygiène pour ne pas risquer de lui transmettre microbes ou bactéries, son système

immunitaire ne les combattrait pas. Mes beaux-parents sont toujours là. Keith est assis dans le

fauteuil que j’occupais tout à l’heure, Diane est perchée sur le bord du lit, elle tient la main de sa
fille

dans la sienne. Tous les deux semblent avoir vieilli de dix ans en une nuit.

Ma belle-mère lève la tête et me voit. Elle semble réfléchir puis se redresse :

— Je vais me chercher un café. Tu veux que je te rapporte quelque chose de la cafétéria ?

Keith ?

Son mari ne répond pas, il se contente de secouer la tête négativement. Diane passe devant moi,
me

frotte le bras d’un geste doux et sort de la chambre. Je n’ose pas bouger, j’ai l’impression
d’assister à

une discussion silencieuse entre le père et la fille. Je suis mal à l’aise.

Keith soupire et me regarde enfin.


— Je ne sais pas ce que Kate a pu te raconter, concernant son enfance. Mais ne me juge pas…

Sa déclaration me surprend, je ne sais quoi répondre. Je prends la chaise libre et m’approche du

lit où gît ma femme. Keith a le regard perdu dans le vide, ses yeux bleus d’habitude si froids ou

remplis de colère semblent lessivés par le chagrin.

Il continue d’une voix morne :

— J’ai été élevé dans le culte de la performance. Je ne sais pas si Kate te l’a dit, mais au collège,

je faisais partie de l’équipe de football américain. J’étais bon, très bon même. Un agent d’une
équipe

nationale m’avait repéré, je devais signer avec lui. Mais lors d’un des derniers matchs de la
saison, je

me suis blessé, au genou, lourdement. Après plusieurs opérations, le diagnostic est tombé : je ne

pourrais plus jamais jouer, ni en ligue pro, ni même le dimanche en amateur. J’ai dû trouver un
autre

rêve, celui-ci était mort et enterré.

Keith fait une pause. C’est la première fois où il parle autant, enfin, autant de lui et de manière

aussi personnelle. Je le laisse continuer.

— J’ai monté ma première affaire, après avoir obtenu mon diplôme d’économie. J’ai poursuivi

ce nouveau parcours, avec l’aide de mon épouse. Le monde des médias est cruel, la moindre
erreur

peut causer votre perte. Oui, j’ai été exigeant, avec moi-même, mon épouse, mes collaborateurs et

enfin, avec mes enfants. Je n’attends pas seulement d’eux qu’ils fassent de leur mieux, j’attends le

meilleur. Cela peut paraître dur, mais dans ce monde, c’est la seule manière de survivre… et de

gagner. Kate est faite de cette étoffe. C’est pourquoi j’ai été encore plus exigeant avec elle. Ethan
est

comme sa mère, plus doux…

— Ethan est brillant, dis-je pour prendre la défense de mon beau-frère.

— Bien sûr, mais il n’a pas un caractère à diriger. C’est un idéaliste, un humaniste incapable
d’écraser son prochain pour parvenir à ses fins… Qualités que j’apprécie, sois-en sûr, mais pas
dans

le monde des affaires. Mais Kate… Kate est comme ça…

— Non ! Non, vous vous trompez, Keith. Kate n’est pas comme ça, elle n’écraserait pas son

prochain pour son intérêt personnel. Elle est… généreuse. Elle protège ceux qu’elle aime…

Ma voix tombe. Je fixe le visage de ma femme, j’aimerais tant qu’elle se réveille pour clouer elle-

même le bec de son père.

Keith se racle la gorge et soupire.

— Certes… et tu sais, Elliot, cette discipline que je lui ai enseignée, elle va servir en ce moment.

Katherine va se battre et sortir de ce lit d’hôpital. Et votre fille également, elle est comme sa
mère,

une battante.

Si je n’étais pas aussi inquiet, pour ma femme et ma fille, je trouverais marrant que mon frère et

mon beau-père utilisent la même sémantique pour parler de mes deux femmes. Est-ce là le
syndrome

et le vocabulaire des hommes d’affaires impitoyables ? Merde, moi aussi je dirige deux sociétés,
mais

je ne suis pas comme eux, je ne veux pas leur ressembler. Mes entreprises servent mon idéal, je ne
fais

pas ça pour l’argent ni le pouvoir.

Diane rentre à cet instant dans la chambre et se positionne derrière son mari.

— Nous devons partir, Chéri, tu as un rendez-vous dans une demi-heure. Elliot, nous

repasserons ce soir. Appelle-nous s’il y a du nouveau, veux-tu ?

— Bien sûr, Diane. Je ne bouge pas d’ici.

— Au fait, Elliot, je vais faire un communiqué de presse, pour annoncer la naissance de ma

petite fille. Tu n’y vois pas d’inconvénient ?

— Non, aucun.
— Quel est son prénom, Elliot ? demande Diane.

Mon cœur rate un battement. Merde, je prends conscience que notre fille n’a pas de nom. Je
secoue

la tête, ma belle-mère me prend le bras et murmure :

— Tu as le temps, Elliot. Quand Kate sera réveillée, vous nous annoncerez le prénom de votre

fille.

***

Une fois mes beaux-parents partis, je me rapproche de Kate, prends sa petite main dans la mienne

et attends. J’attends qu’elle se réveille, qu’elle ouvre enfin les yeux. Ne sachant pas quoi faire
d’autre

et n’étant pas habitué à rester assis et inactif, je mets un écouteur de mon iPod dans l’oreille de
Kate

et l’autre dans la mienne. Je fais défiler des chansons de ma sélection, allant des titres les plus
rock

aux niaiseries des années 90 et 2000. Je sais que Kate adore les boys bands, genre New Kids on
the

Block, mais je lui fais passer des messages, si elle entend : Hello , de Lionel Richi ; Time of my
life, la

BO de Dirty Dancing , un de ses films préférés ; Stronger de Kelly Clarkson.

Je reprends la parole – qu’est-ce que je déteste parler seul !

— Dis, Bébé, j’ai vu ta playlist sur ton iPod. Ça ne va pas du tout ! Tu ne comptes pas faire

écouter ces horreurs à notre fille ? Britney Spears et Justin Timberlake… franchement !

Je marque un temps d’arrêt, je revois ma femme se trémousser sur Britney et Will I am, un sourire

naît sur mes lèvres. Puis je repense aux paroles de Diane et mon cœur chute de nouveau :

— Oh, Kate, elle n’a pas de nom ! Je ne sais pas quoi dire quand on me posera la question. Si je

dis « Jacqueline » comme grand-mère Trevelyan, tu vas me tuer ! Allez, Bébé, réveille-toi, dis-moi

comment s’appelle notre fille !


Le bip des machines me répond, je sens les larmes revenir au bord de mes paupières. Je cherche

machinalement les écouteurs de mon iPod et remets une oreillette sur l’oreille de Kate. Une
chanson

douce sort du petit appareil : Can't Help Falling in Love de U2. Le morceau suivant est notre
chanson,

toujours U2, All I want is you.

— Tu entends, Bébé, notre chanson. Notre premier « je t’aime ». Tu sais qu’U2 va sortir un

nouvel album ? On ira les voir en concert ici, à Seattle ? Et s’ils ne viennent pas chez nous, nous
irons

à Los Angeles, ou New York, comme ce concert extraordinaire que tu m’as offert ! On peut aller en

Europe, si tu veux, à Londres, ou Paris. Dis-moi ce que tu veux, tout ce que tu veux, je t’y
emmènerai,

Princesse… mais réveille-toi !

Un petit bruit sur la porte me fait lever la tête. Je bougonne un : « entrez », et je vois Ana passer
la

tête par l’embrasure.

— Coucou, Elliot, je ne te dérange pas ?

— Non, Ana, viens. Je vais te laisser avec elle, et si tu arrives à faire entendre raison à cette tête

de mule, je te serais reconnaissant !

Ma belle-sœur me fait un petit sourire timide. Quand je sors de la chambre, Christian est derrière

la porte, évidemment.

— Salut, Christian. Merci d’être venu avec Ana. C’est important pour Kate.

— Ma femme voulait voir son amie… Du nouveau Elliot ?

— Non, état stationnaire… (Je soupire,) dis, tu restes ici avec Ana ?

Christian lève un sourcil, je crois qu’il me pense fou.

— Oui, pourquoi ?

— Je dois aller au service pédiatrie, pour savoir comment va ma fille.


— Oui, bien sûr. Nous restons là, Ana est en pause-déjeuner et Sawyer est parti nous chercher à

manger.

Je ricane, sachant très bien la maniaquerie de mon frère concernant la nourriture. Parlant de

maniaquerie, je montre de la tête l’agent qui est posté devant la porte de la chambre de Kate, le
même

qui était là au petit matin.

— T’en fais pas un peu trop, là ? Il faudra quand même qu’un jour, Flynn s’occupe sérieusement

de ton cas, Frangin.

Je laisse mon frère avec ses gardes du corps et me dirige vers le service pédiatrique. Une

infirmière à l’accueil me dévisage lorsque je me présente à son comptoir. Je dois avoir vraiment
une

tête de déterré ! Je demande à voir ma fille – Baby Grey comme ils l’appellent dans le service, en

attendant qu’on lui donne enfin un prénom –, mais c’est impossible. Ma petite fille passe en ce

moment une radio des poumons. L’infirmière me rassure : la nuit s’est bien passée, les constantes
sont

bonnes et le bébé réagit bien aux stimuli que l’équipe de soins lui a prodigués. La période critique
est

passée, maintenant la petite doit prendre du poids. Un petit rictus se dessine sur mes lèvres : oui,

Cacahuète doit grossir.

L’infirmière me demande de revenir dans la soirée ou demain matin. Lorsque je retourne au

service de pneumologie, j’ai l’impression d’être un mort vivant qui hante l’hôpital. Une voix
stridente

me ramène sur terre, une voix que j’ai entendue mille fois : Mia Grey… qui hurle dans son

téléphone…

— Crétin, quand je dis « mozzarella », c’est évident que je parle de mozzarella di buffala, pas un

truc industriel au lait de vache ! Va fanculo !

Et elle raccroche avec rage.


Je m’approche de ma sœur en furie, toussote pour attirer son attention.

— Oh, Elliot ! T’es là ?

— Oui Mia, peux-tu baisser d’un ton, s’il te plaît ?

— Oh, désolée… mon fournisseur italien s’est trompé dans sa commande… et il faut que je

cuisine… ou que je mange… ou que je fasse du shopping…

Elle se jette dans mes bras sans finir sa phrase. Je lui caresse le dos, pour l’apaiser, comme quand

elle était petite et que sa poupée avait perdu un bras, ou qu’il n’y avait plus de robe rose dans la

boutique…

— Que fais-tu seule dans ce couloir, fillette ?

Elle renifle et me fixe :

— Ethan est dans la chambre, avec Kate. Je les ai laissés tous les deux. On a croisé Christian et

Ana qui partaient quand nous sommes arrivés. Ils te saluent. Christian a dit qu’il repassera te voir
ce

soir, en quittant GEH.

Elle se blottit de nouveau dans mes bras, je sais qu’elle a besoin de ça pour se rassurer. Je lui

accorde son câlin, et pour tout dire, il me fait du bien à moi également. La standardiste de
l’accueil

s’approche de moi et attend. Je lâche Mia et l’interroge du regard.

— Mr Grey, je suis désolée de vous déranger, le standard de l’hôpital me fait savoir que de

nombreuses fleurs arrivent pour votre épouse et votre fille.

Merde, Keith a dû faire paraître son communiqué de presse dans les antennes de Kavanagh
Media.

— Mr Grey, reprend la jeune femme, les fleurs sont interdites dans ce service, de même en Réa-

Néo-Nat. Il y a trop de risques allergènes.

— OK, faites ce que vous voulez, mais gardez les cartes. Kate voudra sans doute les lire et faire

les remerciements elle-même… dès qu’elle se réveillera…


— Elliot, tu ne vas pas jeter tous les bouquets, ce serait dommage ! murmure Mia. Tu devrais les

donner, dans un autre service par exemple.

J’en ai rien à foutre des fleurs ! Je veux que ma femme sorte du coma, je veux voir ma fille, j’en ai

marre d’être ici, dans ce putain d’hôpital.

— Miss, reprend Mia, pouvez-vous distribuer les bouquets, après avoir récupéré les cartes, au

service « longs séjours » ou en gériatrie ? Je suis certaine qu’il doit avoir énormément de patients
qui

n’ont ni visite ni fleurs.

La bonté et la générosité de ma petite sœur me coupent le souffle. Elle a raison, il faut donner ces

fleurs aux patients les plus démunis. J’acquiesce à sa proposition ; la standardiste tourne les
talons et

nous laisse dans ce couloir. Mia me prend la main et m’attire sur le canapé.

— Qu’est-ce que je peux faire pour toi, Lelliot ?

— Rien, Mia. Continue ce que tu fais en ce moment…

Elle soupire. Puis, comme si une idée germait dans sa tête, elle sourit :

— Tu veux que je t’apporte tes repas. Ces cafétérias d’hôpital sont indignes, même pour de la

restauration rapide de collectivités. Tu préfères des sandwichs, je sais que tu aimes ceux au
pastrami

et à la roquette. Ou je peux te faire des barquettes de plats à réchauffer au micro-ondes !

— Comme tu veux, fillette. Ce sera parfait. Merci, dis-je en lui embrassant le front.

Ethan sort à ce moment de la chambre, j’ai du mal à reconnaître mon beau-frère : il a les épaules

voutées, le visage grave. Il me salue en me faisant une accolade. Nous discutons quelques instants
de

l’état de Kate et du bébé, puis ils repartent travailler tous les deux, ma sœur et mon beau-frère.

Je profite de cet instant seul pour appeler PJ et faire le point des dossiers de mes deux sociétés,

puis je contacte Dan Carter comme promis. Il ne travaille pas aujourd’hui, le journal lui a donné
sa
journée suite à son intoxication d’hier aux gaz lacrymogènes.

Je retourne dans la chambre de Kate, sur le fauteuil à côté de son lit. Les machines sont le seul

bruit dans cette pièce, je ne supporte plus ce son. Mon téléphone vibre, PJ me transfère les mails
et les

messages des affaires courantes, mais j’ai du mal à me concentrer, je suis fatigué, et inquiet.

La porte s’ouvre, l’infirmière Du Tunnel et un homme d’une quarantaine d’années, les cheveux

poivre et sel, entrent dans la chambre. L’homme en blouse blanche se présente :

— Mr Grey, je suis le Dr Douglas, le pneumologue de votre épouse.

— Enchanté. C’est vous qui avez opéré Kate ?

— Oui. Votre femme est très résistante, elle a très bien réagi aux deux opérations, et je suis

satisfait des résultats de ses examens. Ses constantes sont bonnes, les gaz du sang également.
Nous

allons la désintuber maintenant, elle gardera un masque à oxygène, mais c’est un bon signe. Nous

allons diminuer la dose de sédatifs qui la maintenait dans ce coma artificiel pour qu’elle puisse se

réveiller doucement.

Je demande impatient :

— Combien de temps ça va prendre ?

— Cela dépend de beaucoup de facteurs : son organisme va réagir lentement, la chance que nous

ayons, c’est que votre épouse n’a pas fait d’infection. Le réveil peut prendre quelques heures,
mais

elle peut rester encore endormie vingt-quatre heures, elle en a besoin. C’est assez courant que les

patients ayant subi une anesthésie générale, deux opérations lourdes et un coma artificiel mettent
une

journée à se réveiller.

Je soupire à cette idée : encore 24 heures à attendre le réveil de Kate. Le Dr Douglas me demande

de sortir pendant les soins.


Quand ils ont terminé, je retrouve le chevet de ma femme, je lui parle, lui remets un peu de

musique, toute ma playlist de chansons sur mon iPod y passe.

***

En fin d’après-midi, Christian revient avec Taylor. Je le mets rapidement au courant des dernières

nouvelles, il trouve tout cela encourageant, même si j’ai du mal à le croire. Kate est toujours

endormie, rien n’a changé à part le masque sur son visage.

Au moment où je m’apprête à dire à mon frère de rentrer chez lui, l’infirmière Du Tunnel entre

pour me faire savoir que le service Néo-Nat me demande pour signer des papiers pour le bébé. Je
vais

peut-être enfin voir ma fille !

— Vas-y, Elliot, me suggère Christian. Je reste là le temps que tu règles ces formalités

administratives,

— Tu es sûr ? Cela ne te dérange pas de rester avec Kate ?

Il secoue la tête négativement.

— Soyez sages tous les deux ; ne vous étripez pas, dis-je, faussement sévère.

J’esquisse un sourire fatigué et morne avant de tourner les talons. Pour une fois, mon frère et ma

femme vont passer du temps ensemble sans se sauter à la gorge, je n’aurai pas à les séparer, et je
le

regrette. Je préférerais cent fois que Kate soit réveillée, en pleine forme pour une joute verbale
avec

Christian ! Ce serait pour moi la preuve qu’elle va bien.

Sur cette dernière pensée, je quitte le service pneumologie.

29.

Ava Kim Grey

J’ai mal, j’ai mal à chaque respiration que mon corps tente de prendre. Ma gorge est un tuyau

tapissé de verre pilé, ma poitrine ne veut pas prendre l’air que j’essaie de lui envoyer. Pourquoi
inspirer et expirer est si difficile ? La respiration est un automatisme, enfin je le croyais jusqu’à cet

instant. Mes poumons sont dans un étau, mes côtes sont leur cage en métal. J’ai mal au crâne, ma tête

va exploser…

Où suis-je ? Je n’arrive pas à ouvrir les yeux, ils me brûlent, je ne sais pas si ce sont des larmes que

je sens au bord de mes cils. Mes paupières sont scellées. Suis-je aveugle ?

Une vive douleur me transperce le ventre, comme si quelqu’un me découpait l’abdomen au

couteau. Oh non, mon bébé… pas mon bébé ! Mon Dieu, faites que mon Bébé aille bien, sauvez ma

fille ! Je veux toucher mon ventre, mais ma main refuse de m’obéir. Merde, je suis paralysée, je ne

peux pas bouger.

Je suis fatiguée, je veux dormir, j’ai mal partout, je n’arrive pas à bouger ni à ouvrir les yeux. J’ai

envie de pleurer, je suis impuissante. Une voix me parvient à travers le brouillard dans lequel je me

trouve. Quelqu’un crie, hurle à côté de moi.

— Rien à foutre. Je vais virer ces incapables ! Je veux la réponse dans une heure !

Christian ? C’est la voix de Christian Grey ? Qu’est-ce qu’il fiche ici ? Oh non, je suis morte, je

suis en enfer, coincée avec ce connard de PDG. J’essaie d’ouvrir les yeux, mes paupières sont
lourdes,

je fais un effort surhumain pour les soulever. Je ne distingue que les formes, une silhouette. Oui, c’est

bien lui, Christian est à l’autre bout cette pièce, je reconnais sa posture rigide, ses brusques

mouvements de mains dans ses cheveux cuivrés. Je veux parler, mais ma gorge m’en empêche, la

douleur est trop forte. Je sens quelque chose sur mon visage, sur mon nez et ma bouche. Un masque ?

Oui, un masque à oxygène. Merde… Un « bip bip » numérique résonne dans ma tête. Est-ce un

appareil qui sonne ou ai-je des hallucinations auditives ?

Je veux Elliot, mon homme. Où est mon mari, l’amour de ma vie ? Je panique en émettant un

grognement ; le son du la machine à côté de moi monte en volume, le rythme des « bip » s’accélère.

La silhouette se retourne, mais Christian continue à beugler :


— Merde, Kavanagh !

Moi aussi je t’emmerde Grey ! Ferme-la et ramène-moi mon Elliot ! Mais je n’arrive toujours pas à

parler ni à bouger. Seules des larmes coulent maintenant sur mes joues. Non, Kate, ne pleure pas, ne

pleure pas devant ce con ! Un peu de dignité, Kavanagh ! Je vis un enfer, je suis en enfer…

Christian se précipite à la porte et continue d’aboyer des ordres à je ne sais qui.

— Allez chercher mon frère en Réa-Néo-Nat ! Tout de suite ! Sa femme se réveille ! Et appelez-

moi un médecin. Immédiatement !

Hein, QUOI ? Réa-Néo-Nat ? Pourquoi ? Pourquoi Elliot est-il en service de réanimation de

néonatalogie ? Oooh noon, ma fille… mon bébé ! Il faut que je voie mon bébé, elle a besoin de moi.

J’essaie de bouger, je veux me lever mais mon corps ne m’obéit pas, ce traître.

Je sens la présence de Christian à mes côtés, il me prend la main.

Lâche-moi Grey, je veux mon mari !

— Katherine… tu es à l’hôpital, tu as été opérée… euh, Elliot va arriver…

Je ne comprends pas ce qu’il me dit… je suis si fatiguée, j’ai si mal partout. Un mouvement dans la

chambre détourne mon attention : une forme blanche s’approche de moi. Un fantôme ? Je suis bien

morte, en enfer ou au purgatoire. Oui, je sais que j’ai vu Kim… je ne sais plus quand, mais j’ai revu

mon amie.

— Mr Grey, s’il vous plaît, laissez-moi l’ausculter.

C’est une voix d’homme.

— Oui, bien sûr docteur. Je serai devant la porte.

Et Christian sort de ma chambre.

Une main ferme prend mon poignet gauche, elle est chaude.

— Mrs Grey, je suis le Dr Ross Douglas. Vous êtes au Northwest Hospital, au service

pneumologie de l’hôpital. Vous ne pouvez pas parler, vous avez un masque à oxygène sur le nez et la
bouche. Faites-moi un petit signe de la tête ou serrez-moi la main pour me dire que vous me

comprenez…

J’essaie de resserrer mes doigts, j’obtiens juste une faible pression, ce qui semble satisfaire le

médecin.

— Bien. Je vais vous expliquer rapidement la situation : vous avez été admise en urgence et nous

opérée peu après. Vous étiez en détresse respiratoire, mais vous avez été traitée à temps. Vous alliez

faire une embolie pulmonaire, c’est pour cette raison que nous sommes intervenus immédiatement,

pour retirer le caillot de sang dans vos poumons.

Je ne comprends pas ce dont il me parle. J’ai mal dans la poitrine, je suffoque. Quelle embolie

pulmonaire ? Je croyais que mes poumons me brûlaient à cause des gaz lacrymogènes.

Mes yeux doivent refléter ma panique, le médecin continue son explication.

— Nous avons découvert l’embolie à la radio, quand nous vous avons fait un bilan. Vous auriez

pu avoir de graves complications, mais nous vous avons opérée à temps. La douleur dans votre gorge

et vos poumons est due aux gaz. C’est aussi pour ça que vos yeux doivent vous piquer et que vous

pleurez. Le système lacrymal se défend contre le gaz, cela passera d’ici quelques heures. Une

infirmière passera vous voir bientôt et vous donnera une ampoule de sérum physiologique qui vous

aidera à voir sans vous irriter la cornée.

J’essaie de lui parler, mais la douleur est trop forte, aucun mot ne sort de ma bouche. Je suis

résignée, je n’arrive pas à lutter contre mon propre corps.

Comme s’il lisait dans mes pensées, le Dr Douglas enchaîne :

— Avant de vous opérer, nous avons dû procéder à une césarienne d’urgence, votre bébé était en

souffrance fœtale, suite à votre chute et à votre détresse respiratoire. Votre petite fille est en service
de

réanimation néonatale de l’hôpital, mon confrère passera vous voir pour vous expliquer son état d’ici

quelques heures. Selon les premières informations dont je dispose, je tiens à vous rassurer, elle va
bien

compte tenu des circonstances de sa naissance.

Les larmes coulent sur mes joues, je ne sais pas si c’est un simple réflexe physiologique ou si je

pleure vraiment. Ma fille est née, elle est ici, je veux la voir. Oh mon Dieu, je veux mon enfant, mon

bébé.

— Maintenant, vous devez vous reposer. Dormez Mrs Grey. Je vous reverrai demain matin.

Je suis tellement fatiguée, mes paupières se referment. La dernière chose dont je me souvienne,

c’est le médecin quittant ma chambre. Je m’endors mais la douleur me tient compagnie.

***

Je suis engourdie, j’ai soif. Les lames de rasoir dans ma gorge ont un peu diminué d’intensité, ma

tête me fait moins mal. J’essaie de bouger les mains, la droite semble être dans un étau. Mon poignet

est douloureux. Je bouge la main gauche, mes doigts chauds serrent quelque chose. Une main, une

grande main tient la mienne. J’essaie d’ouvrir les yeux, mes paupières sont toujours lourdes.

— Kate ! Oh Kate !

La voix d’Elliot ! Oui, mon homme est là. Ma main a reconnu la sienne avant que mes yeux ne le

voient. Je le supplie silencieusement :

Elliot, s’il te plaît, dis-moi comment va mon bébé, notre bébé.

— Kate, mon amour, j’ai eu si peur… tout va bien, je suis là…

Pourquoi sa voix est aussi cassée ? Je ne le crois pas quand il me dit que tout va bien. Que me

caches-tu, Elliot Grey ? Je l’entends appeler l’infirmière, je veux ouvrir les yeux. La lumière du

plafonnier me transperce la rétine, je cligne plusieurs fois des paupières. Il fait presque nuit dehors,
je

vois la faible lumière du crépuscule par la fenêtre, mais mes paupières se referment.

Elliot semble remarquer mes yeux, il demande immédiatement :

— Bébé, veux-tu que j’éteigne ce plafonnier ?


Je hoche la tête. Il me lâche la main. Non Elliot, ne t’éloigne pas ! Reste avec moi ! Il éteint le

plafonnier et allume une lampe de chevet posée sur la table à côté de moi, sur ma droite. Je sens sa

main de retour sur la mienne. De l’autre, il me caresse le haut de la tête, à la base de mes cheveux.

Mes yeux pleurent toujours, ma gorge et le masque sur mon visage m’empêchent de parler. Mes

poumons acceptent mieux l’air qui entre et ma poitrine est moins douloureuse. La caresse d’Elliot est

douce, son contact et sa présence m’apaisent.

— Oh, Kate, j’ai eu si peur de te perdre, de vous perdre toutes les deux…

Sa voix n’est qu’un long sanglot. J’entends son désespoir, son inquiétude. Il m’embrasse le front,

son baiser est tendre et chaud contre ma peau.

— Notre fille est là. Oui, Kate, notre bébé est là… Elle est forte, elle se bat, comme sa maman.

Vous êtes si fortes toutes les deux.

Je ne sais pas s’il me dit ça pour me rassurer ou s’il se parle pour lui-même. Mes paupières ne

veulent pas s’ouvrir, je sens que je sombre de nouveau dans le sommeil.

Je ne veux pas dormir, je veux serrer ma fille et mon mari dans mes bras !

***

— Oui, allez-y. Je reste avec Kate. Ses réveils ne durent pas longtemps, une minute ou deux,

maximum. Elle est toujours sous l’effet des antalgiques ;

— Elliot…

La voix de Diane est éraillée, elle semble également fatiguée.

Maman ! Maman je vous entends, je suis réveillée !

— Diane, allez voir le bébé, votre petite-fille. Ma mère est aussi dans le service. Elle vous

expliquera tout. Mais pour l’instant, vous ne pourrez que la voir à travers la vitre. Ils ne m’ont pas

laissé entrer non plus.

— D’accord, Elliot, nous allons en néonatalogie. Nous repasserons après.


La porte se ferme. Je sens la présence d’Elliot à mes côtés. J’ai besoin de lui, de le toucher. Il est

mon lien avec le monde réel. Je me bats pour sortir de cette léthargie permanente, je déteste être

impuissante. Je commande à mes yeux de s’ouvrir et, petit miracle, ils fonctionnent.

— Bébé… oui, je suis là…

Sa main presse doucement la mienne, son pouce caresse les jointures de mes doigts. Mes yeux font

enfin la mise au point, je tourne légèrement la tête et je vois enfin mon mari. Il a les yeux rougis, les

traits tirés, il n’est pas rasé ; il essaie de me sourire, mais je vois ses yeux… ses yeux bleus. Oh mon

Dieu, est-ce si horrible ? Je vois le monde à travers ses yeux que j’aime tant : douleur, détresse,

fatigue, amour. Oui, beaucoup d’amour.

— Salut, Princesse.

Nos regards se reconnectent enfin. Je sais que j’ai retrouvé mon repère, mon point d’ancrage.

— N’essaie pas de parler, Bébé, les médecins ont dit que tu dois garder ce masque à oxygène. Tes

poumons en ont besoin. Hoche juste la tête ou serre-moi la main. OK ? C’est OK pour toi ?

Je resserre mes doigts sur les siens.

— Tes parents sont ici. Ils sont partis voir notre fille.

Oui, j’ai entendu Maman… mais pas Papa. Où est-il ?

— Et Dan… Dan est toujours ici, il n’a pas voulu rentrer chez lui hier soir.

Quoi ? Hier soir ? Je ne comprends pas. Et pourquoi Dan est à l’hôpital ?

Elliot semble comprendre mon interrogation, il reprend :

— C’est Dan qui a appelé une ambulance quand tu es tombée. Ce n’était pas facile car lui aussi a

inhalé des gaz lacrymogènes. Putain, je savais que tu ne devais pas aller bosser l’autre jour ! Tu

n’aurais jamais dû te trouver à cette manifestation !

Elliot est en colère, je sens sa main frémir dans la mienne.

— Désolé, princesse, je ne veux pas m’emporter ni me mettre en colère contre toi. Ne pleure pas !
Je ne m’étais pas rendu compte que mes yeux coulaient à nouveau.

Je ne pleure pas Elliot, c’est juste mon système lacrymal qui déconne à plein tube ! Continue,

explique-moi ce qu’il s’est passé, s’il te plaît !

Il me fixe, guette mes réactions. Je hoche la tête et caresse sa paume de mon pouce. Il embrasse ma

main et pousse un soupir. Oh mon Dieu, il semble tellement perdu, désemparé… Je veux le rassurer,
le

prendre dans mes bras, mais je n’arrive pas à bouger.

— Kate… ça va aller maintenant. Les médecins disent que demain, les effets du gaz seront

entièrement dissipés, mais il te faudra encore quelques jours pour récupérer des opérations.

Quelqu’un frappe à la porte et entre dans la pièce. Une infirmière avec un plateau s’approche de

mon lit.

— Bonsoir, Mr Grey. Mrs Grey, je suis Chantal Du Tunnel, votre infirmière.

Elle a une cinquantaine d’années et un fort accent canadien. Ses cheveux bruns sont attachés, elle

me sourit gentiment.

— Je dois vous faire un examen rapide, reprend-elle. Pouvez-vous nous laisser, Mr Grey ?

— Oui, bien sûr. Je… je vais aller me chercher un café. Je reviens, Bébé.

Il m’embrasse les cheveux et sort. L’infirmière prend ma tension, change une poche sur un portant.

Tiens je n’avais pas senti l’aiguille dans mon bras droit ! Elle soulève mes draps et retire une poche

entre mes jambes. Merde, j’ai également une sonde urinaire. Génial… Ensuite, elle touche

délicatement mes paupières et me nettoie les yeux avec deux pipettes de sérum physiologique. Oh,

cela fait du bien, ma vue devient moins trouble.

L’infirmière Du Tunnel griffonne maintenant quelques notes sur la feuille accrochée sur mon lit. Je

la fixe en émettant un petit grognement à travers le masque qui me barre le visage. J’ai la gorge en
feu,

j’ai vraiment soif.


Elle semble comprendre ce que je veux lui dire.

— Votre gorge est sèche, n’est-ce pas ?

Je hoche la tête. Elle s’approche du haut du lit et pose son stylo et la tablette sur la table de chevet.

— Je vais vous aider à vous redresser… voilà, comme ça, doucement.

Elle cale l’oreiller dans mon dos, mon torse et mon ventre sont douloureux. Ma main gauche bouge

enfin, elle se pose sur mon ventre… vide… il n’y a plus rien. Mon bébé n’est plus là. Les larmes

coulent, je me sens vide, si vide. L’infirmière me positionne, elle me sourit.

— Voilà, ça va aller. Je sais, c’est difficile, mais vous irez mieux demain.

Elle tend un gobelet avec une paille devant mon visage, enlève doucement le masque à oxygène.

— Buvez des petites gorgées, doucement. L’eau va vous faire du bien, mais prenez des petites

quantités, d’accord ?

J’acquiesce et essaie de lui sourire. J’aspire un petit coup sur la paille, l’eau froide descend dans ma

gorge. Dieu que cela est bon ! Le liquide apaise le feu, fait disparaître le verre pilé qui me torture

depuis des heures. Je bois tout le gobelet, l’infirmière le repose sur son plateau.

— Merci.

Oh, je peux parler ! Elle me sourit quand la porte s’ouvre. Elliot entre et se précipite à mes côtés.

— Je vous laisse, dit l’infirmière. Ne vous fatiguez pas Mrs Grey, n’essayez pas de parler.

Remettez le masque dès que vous vous sentez essoufflée.

— Oui.

Elle sort et Elliot s’assoit sur le lit, au niveau de mes jambes. Il prend ma main, la porte à sa joue.

Sa barbe est rugueuse sous mes doigts, mais j’aime le contact de sa peau.

Je murmure :

— Je t’aime,

— Oh, Kate, moi aussi. je t’aime tellement. J’ai cru que j’allais mourir hier soir, quand Dan m’a
appelé.

Il se penche, ses lèvres effleurent les miennes. Il dépose un baiser chaste et tend ses grands bras

pour entourer mes épaules. J’ai l’impression d’être en porcelaine de Chine, tellement ses
mouvements

sont hésitants et doux. Je laisse tomber ma tête sur son épaule. Oui, c’est là où je veux être, dans ses

bras. C’est ma place, mon refuge.

Soudain, le barrage cède, j’éclate en sanglots, un torrent de larmes inonde le tee-shirt noir d’Elliot.

Il me tient dans ses bras, une main contre mon dos, me maintenant contre son torse musclé.

Il murmure dans mes cheveux :

— Là, Bébé, ça va aller… c’est fini, Princesse, tu es entre de bonnes mains. Le Dr Douglas est le

meilleur pneumologue de Seattle, selon Grace.

Sa douceur, son odeur, ses paroles sont comme un pansement sur mes plaies, sur ma poitrine qui

me fait mal à cause des soubresauts de mes sanglots, sur mon cœur déchiré de ne pas avoir ma fille

avec moi, de ne pas pouvoir la tenir dans mes bras.

Je pleure durant ce qui me semble une éternité, Elliot me tient toujours fermement contre lui.

Quand les larmes cessent enfin, je reste la tête posée contre son torse, je commence à m’endormir
dans

ses bras. Je suis tellement fatiguée et les analgésiques m’assomment.

Elliot repositionne mon oreiller et m’aide à m’allonger. Je lui tiens la main, nos regards sont

verrouillés l’un dans l’autre.

— Dors Bébé… dors… Je vais aller voir notre fille pendant ton sommeil. Je reviens très vite.

Je murmure à moitié endormie.

— Elliot ?

— Oui, Princesse ?

— Ava. Notre fille s’appelle Ava Kim Grey…


Je sombre dans un sommeil profond, la dernière chose que je sens, c’est le masque à oxygène sur

mon visage et les lèvres de mon mari sur mon front.

30.

Retour à la Réalité

L’aube se lève, ma gorge est sèche comme le désert d’Arizona, mais surtout, j’ai faim et soif, très

soif. J’ouvre les yeux, je tolère beaucoup mieux la lumière ce matin. Je vois enfin la chambre où je

suis installée depuis… quoi ? Deux jours, je crois. Elle est assez grande pour une chambre d’hôpital,

les murs crème pâle sont nus, à part celui face à mon lit où un tableau, une reproduction bon marché,

représente une aquarelle, des fleurs, des coquelicots a priori. Je tourne la tête, Elliot dort sur le
fauteuil

à côté de mon lit. Il est toujours vêtu de son tee-shirt noir, ses cheveux sont en bataille ; il ne s’est

toujours pas rasé. Même pendant son sommeil, il a les traits tirés, il est exténué. J’ai l’impression de

voir mon Elliot il y a des années, quand il était revenu d’Haïti, lors de nos premières vacances

ensemble, aux Bermudes.

Sur la table de chevet, je trouve un verre posé. Je tends la main pour l’atteindre, mais la perfusion

plantée dans mon bras m’en empêche. Je tente de me déplacer et miracle, mon corps m’obéit. Mais

mes gestes sont maladroits, ma main tape contre le gobelet qui tombe au sol dans un bruit sourd de

plastique. Merde…

Elliot fait un bond dans son fauteuil, il semble être perdu, ne plus savoir où il se trouve. Je baisse le

masque à oxygène et murmure :

— Désolée, Bébé.

— Non, Kate, ce n’est rien. Tout va bien, Princesse ?

— Oui, j’ai juste soif.

Il ramasse le gobelet au sol, le remplit avec la bouteille d’eau posée sur la table de chevet et me le

tend. L’eau est à température ambiante, elle me fait du bien, mais immédiatement mon estomac se
réveille et se manifeste d’un gargouillement tonitruant. Elliot sourit et se lève.

— Je vais voir si tu peux avoir quelque chose à manger. De toute évidence, la perfusion ne suffit

pas !

Avant même qu’il sorte, la porte s’ouvre et quatre blouses blanches entrent dans la pièce. Je

reconnais l’infirmière Du Tunnel, le Dr Douglas, et le Dr Greene, ma gynécologue obstétricienne,

mais j’ignore qui est le dernier homme, un Afro-américain, grand, athlétique au crâne entièrement

rasé. Les trois médecins se plantent au bout de mon lit, Elliot s’est assis à côté de moi, il me tient la

main. L’infirmière est en retrait, dans l’angle près de la fenêtre. Tous nous saluent d’un mouvement
de

tête, le Dr Greene me sourit discrètement.

— Mr et Mrs Grey, nous sommes venus tous les trois pour faire le point avec vous. Je vous

présente le Dr Pratt, le chef du service néonatalogie.

Le physique du Dr Pratt contraste avec le calme qui émane de lui. Le Dr Douglas continue :

— Comme je vous l’ai déjà expliqué, Mrs Grey, vous avez fait une embolie pulmonaire. La

situation dans laquelle vous avez été admise était critique.

Je sens la main d’Elliot se crisper dans la mienne. Le Dr Greene prend la parole :

— Mrs Grey, rien dans votre suivi de grossesse ne laissait envisager une thrombose, c’est-à-dire

un caillot de sang qui se formait dans une veine. Il aurait pu se résorber de lui-même, mais il a bougé

et rejoint le cœur pour aller dans vos poumons. Il faut savoir que, pour améliorer la tolérance du

placenta, le corps modifie naturellement la coagulation, avec risque d’embolie pulmonaire pour la

future maman. Mais vous n’aviez eu aucun des symptômes courants, toux, essoufflements, migraines

ou phlébite. Enfin, votre essoufflement et les contractions de fatigues que vous aviez eus il y a trois

semaines étaient normaux à votre stade de grossesse. Vous ne fumez pas, vous ne vous droguez pas,

vous n’aviez plus d’hypertension ni de diabète gestationnel. Et il est encore trop tôt pour incriminer

votre contraception. Donc, vous n’étiez pas une patiente « à risque » concernant l’embolie
pulmonaire.

Je la laisse, assommée, m’énoncer la liste des symptômes. Mon mari ne bouge pas, il caresse mes

doigts avec son pouce. Le Dr Greene poursuit :

— Le souci, en plus de votre détresse respiratoire suite à l’inhalation de gaz lacrymogènes, c’est

que votre bébé était également en danger, en souffrance fœtale. Le monitoring a révélé une fréquence

cardiaque trop faible, et nous ne pouvions prendre le risque de vous perdre toutes les deux. Votre
mari

n’étant pas encore arrivé, c’est votre belle-mère qui a donné l’autorisation d’opérer.

Je lève les yeux vers Elliot. Je ne savais pas que Grace était là à mon arrivée ni qu’elle avait assisté

à l’opération. Mon mari me sourit tendrement.

— J’ai pratiqué la césarienne d’urgence sous anesthésie générale. Vous étiez dans votre trente-

deuxième semaine d’aménorrhée, votre fille est prématurée, mais c’est un beau bébé. L’opération
s’est

bien déroulée, vous n’aurez aucune séquelle suite à la césarienne. Tout ira bien, Mrs Grey. La

cicatrisation prendra juste un peu plus de temps que la normale, ceci est dû aux anticoagulants qui

vous sont administrés pour traiter les suites de l’embolie pulmonaire. Nous nous reverrons dans

quelques semaines pour décider ensemble d’un autre moyen de contraception adapté à votre retour de

couches.

J’accepte d’un hochement de tête. Le Dr Pratt nous observe, Elliot et moi, puis ses confrères, il

prend enfin la parole. Sa voix est chaude, étonnamment douce.

— Votre fille à la naissance a eu une absence de démarrage respiratoire et une fréquence

cardiaque basse. Pour l’aider, nous avons commencé l’assistance respiratoire par ballonnement, mais

nous avons dû procéder à la ventilation assistée, c’est-à-dire l’intubation trachéale. C’est courant
chez

les bébés prématurés. Elle réagit bien à la ventilation et l’oxygénation, ce n’est pas un grand

prématuré. Bien que ses poumons ne soient pas entièrement formés, nous avons bon espoir qu’elle ne
garde aucune séquelle.

— Combien de temps notre fille va rester en couveuse ?

La voix d’Elliot est faible, j’entends toute l’inquiétude et la peur dans ces quelques mots.

— Une semaine, sans doute deux, répond honnêtement le Dr Pratt. Comme je vous l’ai dit, elle

réagit bien, ses gaz du sang sont bons. L’intubation précoce a aidé à installer la ventilation après que

les phases initiales de la réanimation ont été accomplies. On a plus de mal à maintenir leur

température, d’où la couveuse. Les prématurés ont peu de graisse corporelle et une augmentation

relative du rapport surface corporelle/poids. Leur cerveau est immature, mais comme l’a dit ma

consœur, vous étiez dans votre trente-deuxième semaine, Mrs Grey, je peux donc vous rassurer.
Votre

fille a de très fortes chances de n’avoir aucune séquelle, même si elle est prématurée. Maintenant, il

faut qu’elle prenne du poids ; un kilo 800 pour 43 cm à la naissance, c’est très bien pour son âge

gestationnel. Nous la sortirons de la couveuse quand elle aura atteint le seuil des deux kilos. Et c’est

que votre rôle est important, Mrs Grey.

Je murmure :

— Quand est-ce que je pourrais la voir ?

— Aujourd’hui, me répond le Dr Douglas. Nous devons vous faire passer quelques examens ce

matin, vous pourrez aller voir votre fille dans l’après-midi. Mais attention, Mrs Grey : vous êtes
fragile

en ce moment, notamment concernant les virus, et les infections. Votre organisme n’est pas assez fort

pour se défendre. Je vous recommande de limiter les visites dans votre chambre pour le moment, au

moins les cinq premiers jours. Votre mari peut rester, mais il faut que vous respectiez bien le
protocole

d’hygiène du service, Mr Grey.

— Bien sûr, docteur, confirme immédiatement Elliot. Je serai vigilant.


— Bon, reprend le Dr Douglas. Je vous précise également que les fleurs sont proscrites dans ce

service, il y a trop de risque allergène. Bon, sinon dernier point pour moi, les traitements
anticoagulant

et antidouleur que nous vous administrons sont compatibles avec l’allaitement. Si vous désirez
allaiter,

discutez-en avec mes confrères, pour ma part, je n’y vois aucune objection.

Je n’ai pas encore réfléchi à cette question. Bien sûr, j’aimerais allaiter ma fille, mais je n’avais

jamais imaginé lui donner naissance dans ces conditions.

— Avez-vous des questions ? demande gentiment le Dr Greene.

Je murmure :

— Euh, non, vous avez tous été très clairs. Merci…

Il y a tellement d’informations qui se télescopent dans ma tête, je n’arrive pas à les analyser, à faire

le tri. Mon cerveau marche au ralenti, je ne sais pas si ce sont les effets secondaires des
analgésiques,

mais je déteste ça, ne pas être en pleine capacité de mes moyens physiques et intellectuels.

— Mon épouse a faim, intervient Elliot. Peut-elle avoir quelque chose à manger ?

Le Dr Douglas sourit.

— Oui. D’abord, l’infirmière Du Tunnel va la préparer pour les examens, à son retour dans la

chambre, vous aurez un plateau-repas. Mais que du liquide, de la soupe. Il est encore trop tôt pour les

aliments solides.

— Parfait, dis-je (même si je rêve d’un cheeseburger géant avec double portion de frites-

mayonnaise.) Merci.

Les médecins et Elliot sortent de la chambre. L’infirmière Du Tunnel griffonne les notes

habituelles, me fait une toilette de chat. Je peux enfin me laver les dents et me débarrasser du goût

affreux qui me reste en bouche, les gaz lacrymogènes sans doute. Enfin, elle me conduit dans un

fauteuil roulant en salle d’IRM pour un examen pulmonaire.


À mon retour dans la chambre, Elliot est assis sur le lit, un journal à la main. Je le regarde ; malgré

le manque de sommeil, malgré les cernes sous ses beaux yeux fatigués, malgré ses vêtements qui ont

au moins trois jours, mon mari est sexy en diable, beau comme un Dieu, chaud comme l’enfer. Il me

fait toujours cet effet, après toutes ces années ensemble, mon corps réagit à sa présence, à sa vue, à
son

toucher… même dans cette chambre d’hôpital.

Un plateau-repas est posé sur la table de chevet. L’infirmière m’aide à monter sur le lit, dispose

l’oreiller pour que je puisse m’asseoir et nous laisse tous les deux.

— Ça va, Bébé ? me demande mon homme.

Une partie de moi voulait effacer ce regard inquiet sur son beau visage et envelopper mes bras

autour de lui, lui assurer que tout va bien. Mais je ne sais pas si c’est la vérité, je ne contrôle plus
rien,

ni mon corps ni le traitement que les médecins m’administrent. Et je suis totalement impuissante

concernant mon enfant. Je suis séparée d’elle, je ne l’ai jamais vue. Mon estomac vide, comme mon

corps qui il y a encore 72 heures portait un bébé, se manifeste bruyamment.

— Oui, j’ai vraiment faim.

Je regarde le plateau, un bol de bouillon non identifié et un verre d’eau composent le menu de mon

déjeuner. Je fais une grimace, Elliot me regarde avec un petit sourire. La soupe est insipide, mais elle

me remplit un peu l’estomac. Quand je repose la cuillère sur le plateau, mon mari me fixe
bizarrement.

— Un problème, Bébé ?

— Non, ça fait du bien de te voir manger.

— J’ai encore faim !

— OK Princesse, je vais voir ce que je peux faire. Mais avant cela, il faut que je te présente

quelqu’un.

Je lève un sourcil, étonnée. Il lâche du bout des lèvres :


— Ava. Elle t’attend.

Oh mon Dieu ! Ma fille, je vais voir mon bébé !

— Ava ? Comment connais-tu le nom que je voulais donner à notre fille ?

— Tu me l’as dit hier soir, quand tu étais à moitié endormie. Ava Kim Grey… J’aime beaucoup,

Kate. Ça sonne bien.

— Oh, Elliot, oui.

Les larmes me montent aux yeux.

— Ne pleure pas, Bébé. Tu as entendu ce qu’ont dit les médecins ? Vous allez bien toutes les

deux, le plus dur est passé. Maintenant, il faut que vous vous rétablissiez au plus vite pour que je

puisse vous ramener à la maison.

Je le serre dans mes bras. J’aime cet homme, infiniment, il me bouleverse par son amour si fort, si

total. Je ne peux m’empêcher d’éclater en sanglots. Je veux aussi être chez nous, avec Ava dans mes

bras ; je veux profiter de ces moments merveilleux avec notre bébé, notre famille, tous les trois. Mais

ce n’est pas possible, pas encore. Je sais que sans Elliot, sans mon mari et sa force tranquille, je

m’effondrerais, je ne pourrais surmonter cette épreuve.

Je pose ma tête sur son torse, je sens ses grandes mains puissantes et rassurantes dans mon dos.

J’inspire aussi profondément que mes poumons me le permettent pour m’enivrer de son odeur.

Il murmure dans mes cheveux :

— Allez, Princesse, on y va.

31.

Le Service Néonatal

Allez, Princesse, on y va.

Elliot sort de la chambre pour appeler une infirmière. Une jeune femme entre en blouse rose avec

un fauteuil roulant. Elle est blonde, environ la vingtaine, son badge indique qu’elle se prénomme
Jenny. Elle m’aide à m’asseoir, prend la poche reliée à mon bras droit par l’intraveineuse et pousse

mon fauteuil à travers les couloirs et deux ascenseurs.

Le trajet me semble durer des kilomètres.

— Je dois te prévenir, Kate…

Elliot me parle doucement, comme à une enfant.

— Ava est encore intubée et, comme toi, elle a des perfusions. Cela est impressionnant la

première fois qu’on la voit, mais le personnel m’a assuré qu’elle ne souffre pas, cela ne lui fait pas

mal.

— Oh… d’accord.

Je ne sais pas à quoi m’attendre, à vrai dire, je n’arrive pas à me la représenter. Tout au long de ma

grossesse, j’imaginais une petite fille dodue et blonde comme les blés, avec les yeux bleus de son
père.

Comme tous les futurs parents, j’ai imaginé un enfant parfait, né à terme, en bonne santé. Le Dr

Greene l’aurait posé sur ma poitrine après qu’Elliot ait coupé le cordon ; ma fille, rose et potelée,

dormirait contre moi ; je l’aurais habillée avec les adorables petits ensembles que j’ai achetés pour
elle

dans les plus belles boutiques de la ville.

Maintenant, je n’ai aucune image de ma fille, les rêves ont disparu, effacés dans une salle d’hôpital,

tranchés par un coup de bistouri, dissous dans les analgésiques. Cette pensée me serre le cœur.
Quelle

mère suis-je si je ne peux pas visualiser mon enfant ?

Nous passons enfin les doubles portes du service pédiatrie, puis une autre porte où une plaque

indique « néonatalogie ». Nous arrivons enfin au secteur de la réanimation néonatale.

Une infirmière sort de la salle et vient à notre rencontre.

— Bonjour, je suis Bettina Fantutto. Vous êtes… ?

— Mr et Mrs Grey, les parents d’Ava Grey, répond Elliot.


Ces mots me font tomber dans une brutale réalité. Oui, nous sommes les parents d’Ava, Elliot et

moi. Mais cela me surprend toujours qu’on m’appelle Mrs Grey, même après ces deux années de

mariage avec mon Dieu blond. J’ai toujours l’impression qu’on parle de ma belle-mère, Grace Grey.

Ou d’Ana, que Christian appelle « Mrs Grey » à longueur de phrase. Moi, je ne m’y suis pas encore

faite, je reste Kate Kavanagh. Au journal, tout le monde m’appelle par mon nom de jeune fille.

— Oui, bien sûr, reprend la petite blonde. Votre fille a passé une bonne nuit. Elle est toujours

intubée, mais sa respiration est bonne, les constantes sont stables. Je pense qu’on lui enlèvera le

respirateur demain dans la journée, mais le Dr Pratt vous le confirmera en fin de journée.

La main d’Elliot se resserre sur la mienne. Nous soupirons au même moment.

— Elle est toujours nourrie en intraveineuse, mais dès que vous aurez votre montée de lait, Mrs

Grey, nous verrons alors pour la nourrir par sonde avec votre lait. Il n’y a rien de mieux pour ces
petits

que le lait maternel. Je vous verrai à ce moment pour vous expliquer la procédure.

Je murmure :

— Oui, bien sûr…

— Bien, vous pouvez entrer et la voir, mais je dois vous préparer d’abord.

Jenny nous laisse avec sa collègue, qui nous passe deux blouses, deux charlottes à cheveux et deux

masques en tissus. Nous nous lavons les mains dans une première salle puis entrons dans le service.
La

lumière est tamisée, il y a sept couveuses fermées dans la pièce. La première chose qui me frappe, ce

sont toutes ces machines autour des couveuses. Des « bip » plus ou moins aigus rythment le silence.

Bettina nous conduit vers notre fille, tout au fond ; Elliot pousse mon fauteuil, je suis au même

niveau que les machines, mon visage est face à la couveuse devant laquelle l’infirmière s’arrête.

Oh mon Dieu…

Elle est si petite ! Allongée sur le ventre, elle ne porte qu’une simple couche. Les larmes
commencent à couler sur mes joues. Je regarde sans comprendre, les machines autour de mon bébé ;
je

lève les yeux vers Elliot, il fixe également la couveuse. Je vois que ses larmes ne sont pas loin.

L’infirmière rompt le silence, d’une voix posée et douce :

— Je vais vous expliquer, Mr et Mrs Grey. Je sais que tout ceci est nouveau et très

impressionnant, mais c’est pour le bien de votre fille. Le but de la couveuse est d’aider le bébé à

maintenir sa température et ainsi éviter qu’il se déshydrate. Cela le protège également de certaines

infections. La température de l’incubateur s’adapte à celle du nourrisson. Dès que l’état d’Ava le

permettra, vous pourrez la prendre contre vous. Ce contact peau à peau est aussi très efficace pour

aider le bébé prématuré à maintenir sa température.

Elle désigne une machine sur l’avant de la couveuse.

— Celle-ci aide Ava à mieux respirer. On utilise un respirateur qui envoie un mélange d’air et

d’oxygène aux poumons grâce à une sonde d’intubation. Le capteur sur sa main permet de mesurer la

saturation en oxygène du sang et donc de vérifier l’efficacité de cette prise en charge.

Je vois le petit dos d’Ava se soulever et descendre en un rythme lent. Elliot se penche au-dessus de

l’incubateur en plastique, lui aussi fasciné par ce petit mouvement. C’est un miracle ! Notre fille est
un

miracle. Bettina poursuit :

— Cette sonde sert à la nourrir, c’est une perfusion intraveineuse, votre bébé n’est pas prêt à

digérer le lait, mais elle en sera capable très bientôt. Celle-ci… (Elle désigne une autre perfusion)

permet le passage des médicaments, antibiotiques, antalgiques… Enfin, nous contrôlons son rythme

cardiaque grâce à ces électrodes, collées sur la poitrine de votre bébé, elles sont reliées à un

cardioscope, qui sonne en cas d’anomalie. Ainsi, le personnel soignant est alerté et peut très

rapidement prendre en charge votre enfant.

Je suis abasourdie par toutes ces sondes, ce matériel. Ava semble dormir paisiblement, sans aucune
conscience de tout ce qui l’entoure.

— Mrs Grey, vous pouvez la toucher par cette ouverture. Vous pouvez lui parler, elle vous

entend. C’est important de la stimuler, elle connaît déjà vos voix. Je vais vous laisser avec elle, si
vous

avez des questions, n’hésitez pas : mes collègues et moi-même sommes juste à côté.

— Merci, merci beaucoup, Bettina, dit Elliot à côté de moi.

Je tends la main à travers l’ouverture et touche enfin ma fille. Je caresse son petit bras, sa peau est

fine, douce et chaude. Les larmes coulent sur mon visage.

— Mon Dieu, Elliot, elle est si petite…

— Oui Kate, mais elle est déjà forte comme sa maman. Elle est courageuse, comme toi. Depuis

deux jours, elle se bat.

Il souffle dans mes cheveux.

Il a raison, je ne peux pas baisser les bras, je dois être forte, pour Ava, elle a besoin de moi.

J’effleure son petit dos des doigts, j’essaie de ne pas toucher les électrodes ni les fils, son contact me

rassure. Elle est bien là, vivante… j’aimerais tellement la tenir dans mes bras !

Ava a les yeux fermés, elle dort recroquevillée en position fœtale. Sa peau est rose et un peu fripée,

mais souple.

— Tu veux la toucher ? dis-je en me retournant vers Elliot.

— Euh, non… je ne veux pas lui faire mal.

— Oh, Elliot, tu ne lui feras pas mal. Elle a besoin de toi également.

Ma voix est étranglée, j’ai une boule dans la gorge. Mon homme, si grand, si fort, est impressionné

par notre petit bout de fille. Je retire ma main de la couveuse et prends la sienne.

— Tu sais, ces grandes mains fortes sont les plus douces au monde quand tu me touches. N’aie

pas peur, tu ne vas pas la casser. Et Ava a besoin de son papa.

Je lui souris. Elliot s’approche de la couveuse et passe sa main à l’intérieur ; il hésite, touche le
petit bras de sa fille. Son visage est figé, je n’arrive pas à lire ce qu’il ressent. Sans doute la même

chose que moi : amour, confusion à ce premier contact, peur et soulagement mêlés…

Nous restons une bonne demi-heure ainsi, avant que l’infirmière revienne.

— Mr et Mrs Grey ? Je suis désolée de vous interrompre, mais nous devons effectuer les soins

d’Ava et des examens. Vous pouvez revenir en fin d’après-midi. C’est important pour ces petits bouts

de chou d’avoir leurs parents avec eux. Mais il ne faut pas que Mrs Grey se fatigue, la maman doit
vite

récupérer pour aider son enfant au mieux.

— Oui, bien sûr, dis-je. Appelez-moi Kate s’il vous plaît.

— D’accord, Kate. Revenez en fin d’après-midi, le Dr Pratt aura terminé ses visites, nous aurons

plus d’informations concernant l’évolution d’Ava.

Nous enlevons notre équipement et sortons. Elliot pousse doucement mon fauteuil roulant quand

Grace apparaît dans le couloir de pédiatrie.

— Elliot, Kate !

Elle nous rejoint. Comme d’habitude, elle est superbe, impeccable ; elle nous sourit avec chaleur,

prend Elliot dans ses bras et dépose un baiser sur ma joue.

— Êtes-vous allés voir Ava ?

Elliot acquiesce d’un petit mouvement de tête.

— Ma petite fille est magnifique, reprend Grace. Et tellement forte !

Ses paroles me percutent de plein fouet. Je ne sais pas si mon bébé, ma fille, est magnifique. Je sais

qu’elle respire grâce à des machines, que son corps est maintenu à bonne température grâce à une

boîte en plastique hermétique, qu’elle est nourrie par des intraveineuses, mais je ne sais pas, je ne
peux

pas dire si elle est belle. Les larmes me montent aux yeux, ma respiration devient difficile.

— Kate… ça ne va pas ?
La voix d’Elliot, paniquée. Il me tend le masque à oxygène accroché à mon fauteuil. Ses yeux ne

me quittent pas quand je le passe sur ma bouche, Grace reste silencieuse.

— Maman, je vais ramener Kate à sa chambre. Je te vois plus tard.

— Bien sûr, chéri. Kate, ça va aller. Je passerai vous voir dans la soirée, à la fin de ma garde.

Quand nous rejoignons ma chambre, les idées s’emmêlent dans ma tête, je suis si fatiguée. Elliot

m’aide avec mille précautions à me recoucher. Il positionne l’oreiller derrière ma nuque, remonte le

drap sur la chemise de nuit de l’hôpital, s’assoit sur le fauteuil à côté de moi.

Je lui prends la main et baisse le masque.

— Elliot, tu peux me rendre un service ?

— Oui, Princesse, tout ce que tu veux.

Il m’embrasse le dos de la main.

— Peux-tu retourner à la maison et me rapporter un pyjama, s’il te plaît ?

— Non, Kate, je reste avec toi. Je vais demander à Maman ou Mia d’aller t’en chercher un.

— S’il te plaît. J’ai besoin d’un pyjama décent ou une chemise de nuit, je ne compte pas

retraverser tout l’hôpital avec « ça » sur le dos. Et profites-en pour prendre une douche et te raser.

Je le fixe et vois la détermination dans ses beaux yeux bleus. Je ne cède pas, je lui lance mon regard

assassin « spécial Kavanagh ».

— Je ne te laisse pas seule, Kate. C’est non.

— Grey, je ne bouge pas d’ici, je ne vais nulle part, je te promets.

Je me radoucis un peu, je sais qu’il est encore inquiet pour moi, mais j’ai besoin d’être seule. Je le

supplie, je mendie :

— Je veux juste dormir un peu. Et rapporte-moi également un maxi cheeseburger avec une

double portion de frites-mayonnaise, je ne veux plus de leur soupe immonde. S’il te plaît !

Ne m’oblige pas à me mettre à genoux, Grey, je ne peux pas !


— OK. Mais je sais ce que tu fais, tu te débarrasses de moi. Je reviens vite, Kavanagh, et nous

aurons cette conversation, crois-moi.

— OK, Grey. Mais prends une douche d’abord, change-toi et va dormir un peu. Je ne veux pas

que tu sois hospitalisé toi aussi pour surmenage. De quoi aurait l’air notre famille, hein ?

Je lui fais un petit clin d’œil, il m’embrasse les cheveux et quitte ma chambre. La porte à peine

refermée derrière lui, le barrage cède et un torrent de larmes inondent mes joues, l’oreiller. Je ne sais

pas combien de temps je pleure, je me vide complètement et m’endors doucement dans un sommeil

sans rêves.

32.

Confidences Inattendues

Je sens une présence à mes côtés, mais avant même d’ouvrir les yeux, je sais que ce n’est pas mon

mari, mon corps ne le reconnaît pas. Dès que mes paupières m’obéissent et se lèvent, je trouve Grace

assise dans le fauteuil, lisant un dossier médical. Est-ce le mien ou celui d’Ava ? Je balaie la pièce
du

regard, il n’y a personne d’autre que nous deux.

— Grace ? Où est Elliot ?

— Chut… tout va bien, ma Chérie. Elliot n’est pas encore revenu.

— Je lui ai demandé de rentrer à la maison… pour me rapporter un pyjama… et pour qu’il se

repose.

— Oh, tu as bien fait. Le pauvre est exténué ! Ça fait deux nuits qu’il passe ici, il n’a pas

beaucoup dormi.

Je murmure :

— Grace, je voulais vous remercier.

— Mais de quoi ?

Ma belle-mère semble étonnée, mais elle me regarde avec des yeux tellement doux, tellement
compatissants. Elle ne m’a jamais regardée comme ça. Je sais que par le passé, nous avons eu des

différends, qu’elle n’a pas apprécié notre mariage-surprise aux Bermudes, que je ne suis pas à ses
yeux

une « épouse conventionnelle » pour son fils aîné. Je n’ai jamais eu l’occasion d’être vraiment seule

avec elle jusqu’à… aujourd’hui.

Je me redresse dans mon lit pour mieux la regarder et pour parler.

— Je vous remercie d’avoir veillé sur ma fille, d’avoir été avec Ava lors de la césarienne et

d’avoir autorisé les soins en Réa-Néo-Nat.

— Oh, Kate, c’est normal, c’est mon métier et ma famille ! (Grace me fixe, intensément.) J’étais

dans mon service quand mes collègues m’ont bipée. Elliot n’était pas encore arrivé, et c’est de ma

petite fille dont il s’agissait. Dans l’urgence de la situation, nous avons tous pris, le Dr Douglas, le
Dr

Greene, le Dr Pratt et moi-même les décisions qui nous paraissaient meilleures pour vous deux. Il
était

hors de question de faire un choix…

— C’était si mauvais que ça ?

Je n’arrive pas à me souvenir de ce qui s’est passé entre ma chute dans la rue, le cri de Dan, les gaz

lacrymogènes et le mouvement de foule des manifestants… et mon réveil, dans ce lit d’hôpital avec

mon beau-frère qui hurlait au téléphone. J’ai un grand blanc dans ma vie, je n’ai aucun souvenir de la

naissance de ma fille.

— Oui, reprend Grace. La situation était critique, mais pas désespérée. Les trois équipes vous ont

bien prises en charge, j’ai juste donné l’autorisation pour la césarienne d’urgence. Kate, je sais que

tout ceci est très traumatisant pour toi et pour mon fils, mais c’était la seule chose à faire. De toute

façon, Elliot n’aurait pas été en état de prendre une décision à ce moment-là. Il était totalement

bouleversé, perdu. Il ne comprenait pas ce qu’il se passait.

Oh, mon Dieu ! Mon Elliot a vécu l’enfer, je n’ose imaginer à quel point il a dû se sentir seul…
Alors, s’il avait dû prendre en plus des décisions pour moi et pour Ava… Mon cœur se serre, les

larmes me montent aux yeux.

— Chérie, votre bébé va bien. Et ce n’est pas la grand-mère qui te le dit, c’est le médecin. J’ai

suivi heure par heure l’évolution de ses analyses, Ava est une petite fille très forte. Nous avons tous

bon espoir qu’il n’y ait aucune séquelle plus tard.

— Comment ça, aucune séquelle ?

Je lève un sourcil inquiet en direction de ma belle-mère. Elle tient le dossier médical sur ses

genoux, je comprends qu’il s’agit de celui d’Ava.

— Pour les bébés prématurés, il y a des risques de malformations… malformations pulmonaires

dans le cas d’Ava. Mais elle n’est pas une grande prématurée, donc le développement cérébral est
bon,

même si elle n’est pas née à maturité. Il faudra surveiller régulièrement ses capacités respiratoires et

motrices, mais votre fille est en bonne santé, compte tenu des circonstances.

Les larmes me montent aux yeux. Oh non… Ma fille peut avoir des problèmes de santé et c’est de

ma faute. Si je ne m’étais pas entêtée à faire ce reportage, si j’avais écouté Elliot, tout ceci ne serait

pas arrivé, je n’aurais pas mis en danger la vie de ma fille.

Comme si elle lisait dans mes pensées, Grace me prend la main. Sa douceur et sa chaleur me

surprennent.

— Ce n’est pas de ta faute, Kate. Vous risquiez plus de la perdre si l’embolie pulmonaire n’avait

pas été opérée à temps. Cet incident nous a permis de découvrir ce qui était jusque-là inconnu. La

situation aurait été bien pire si le caillot de sang de tes poumons avait obstrué tes artères. Nous
aurions

perdu une de vous deux, voire toutes les deux.

Grace me tend un mouchoir en papier, j’essuie mes larmes et me mouche de la façon la plus

inélégante qui soit.


Elle continue :

— Tu sais, les futures mères rêvent toutes de l’enfant idéal à naître. Il est très rare ou difficile

d’imaginer un enfant malade, ou soufrant de malformations. Je vois tous les jours des mamans qui ne

reconnaissent pas l’enfant qu’elles viennent de mettre au monde.

— Je sais, Grace, mais c’est tellement difficile, c’est tellement… injuste.

— Oui, la vie est injuste.

Au bout d’un moment, elle ajoute à mi-voix :

— Je vais te dire quelque chose que personne ne sait, à part mon mari, bien sûr. Mes enfants ne

sont pas au courant… Quand j’avais 24 ans, nous étions déjà mariés, Carrick et moi, je suis tombée

enceinte. Nous voulions cet enfant, ce n’était pas un accident.

Elle soupire, perdue dans ses pensées.

— J’ai fait une grossesse extra-utérine, et à trois mois ½, une fausse couche. Nous étions

dévastés. Notre couple était solide, nous nous aimions à la folie. Nous avons surmonté cette épreuve,

ensemble. Un an plus tard, je suis de nouveau tombée enceinte. Carrick était fou de joie, mais moi, je

savais que quelque chose n’allait pas. Je le sentais dans mon corps, dans mes entrailles. J’ai fait une

nouvelle fausse couche un mois après. Et mon gynécologue de l’époque nous a annoncé que je ne

pourrais jamais avoir d’enfant, que mon corps ne mènerait jamais une grossesse à terme.

— Oh, Grace, je suis désolée…

Je comprends ce qu’elle veut me dire, je comprends sa douleur.

— Après deux fausses couches, notre mariage a bien failli ne pas résister à l’annonce de ma

stérilité. Mais Carrick a toujours été là, il m’a soutenue. Nous avons pris ensemble la décision que

nous voulions des enfants, que nous allions les adopter, puisque la nature ne pouvait nous en donner

un né de notre propre chair. Et Elliot est arrivé dans nos vies. Il a été un rayon de soleil. Puis
Christian,

et enfin Mia. Tous les trois étaient, et sont encore, si différents. Je ne sais pas s’ils sont les enfants
dont nous avions rêvé, mais ils sont les nôtres, avec leurs qualités, leurs personnalités, leurs

différences et leurs défauts. Nous les aimons autant, voire plus, que s’ils étaient de notre chair. Ils
sont

nos trois miracles.

« Et maintenant, votre miracle est là, Kate. Ava est bien là. Même si elle n’est peut-être pas le bébé

dont vous aviez rêvé, tous les deux, elle est là. Elle a besoin de votre amour, elle a besoin de vous. Il

faut que vous soyez forts pour elle, en tant que parents, en tant que couple.

Elle me regarde, et je comprends à cet instant l’amour, la quasi-dévotion, que porte Elliot à sa

mère.

— C’est juste si difficile, de la voir dans cette boîte en plastique, si petite, avec toutes ces

machines autour…

— Je sais, c’est impressionnant. Mais c’est pour l’aider, c’est pour son bien. Dans quelques jours,

deux ou trois au maximum m’a assuré le Dr Pratt, elle sortira de couveuse. Vous allez pouvoir la tenir

contre vous, la nourrir si tu le souhaites. Mais il faut d’abord que tu te rétablisses. Toi aussi, tu dois

reprendre des forces, tu as subi deux lourdes opérations. Tu dois te ménager, ne pas forcer ou vouloir

trop en faire. Je sais, Kate, que ce n’est pas facile pour toi, que ce n’est pas ta nature. Mais tu
n’aideras

pas Ava si tu te fatigues, si tu ne te rétablis pas complètement.

J’avoue d’une petite voix :

— Je sais, Grace, vous avez raison.

— Bien, je vais voir si l’infirmière peut t’apporter ton dîner. Ensuite, essaie de dormir un peu. Je

vais passer chez vous et essayer de convaincre mon grand garçon de faire de même. Il a aussi besoin

de sommeil.

— Oui, Elliot est exténué, il ne voulait pas partir.

— Oh, mon fils t’aime, comme un fou. Je l’ai vu tout de suite, dès qu’il t’a rencontrée, il y avait
quelque chose de différent. Il a énormément changé, grâce à toi. Il a arrêté de vivre au jour le jour, il

a… grandi, tout simplement.

Elle s’arrête, lisse la feuille du dossier qui est sur ses genoux, le regard dans le vague. Je n’ai

aucune idée de ce qui se passe dans sa tête, elle semble perdue dans ses souvenirs. Elle reprend à
voix

basse :

— Maintenant, je l’ai compris. Elliot a toujours été si fort, si autonome et indépendant… comme

s’il n’avait pas besoin de moi pour se débrouiller… À son arrivée chez nous, il jouait seul, il était

toujours d’humeur égale et joyeuse, comme si rien ne l’atteignait. Il avait déjà ce charme, tu sais,
celui

qui séduit tout le monde, aussi il menait son bonhomme de chemin et suivait ses idées… Et moi,

j’étais tellement occupée par Christian et Mia… Elliot ne posait aucun souci, son père et moi le

regardions pousser, nous n’étions que les tuteurs de ce lierre sauvage… Maintenant, mon fils a
changé.

Je ne l’ai pas vu de suite…

Elle secoue la tête, comme si elle chassait une idée désagréable.

— Et surtout ne t’inquiète pas, il trouvera sa place de père. C’est parfois plus compliqué pour un

père, surtout celui d’un prématuré, de créer le lien avec son enfant. Mais cette petite fille lui montrera

la voie. Si j’ai bien compris, elle a été conçue à Hawaï… ?

Je confirme d’un mouvement de tête. Grace enchaîne :

— Je vois. Elle connaît donc déjà la vie trépidante de ses parents, elle s’est accrochée, elle veut

vraiment de vous comme famille !

Devant mon regard surpris, ma belle-mère sourit avec bienveillance et rajoute.

— Je suis au courant pour vos balades à cheval et à moto, et vos vacances de Noël à Aspen…

J’ai un petit rire au bout des lèvres. Oui, je n’ai pas ménagé Ava, mais à ma décharge, pour la

balade à cheval à Hawaï et les virées en moto avec Elliot, je ne savais pas que j’étais enceinte.
Évidemment, à Aspen, j’avais promis à Elliot de faire très attention et mon niveau de ski me

permettait de dévaler les pentes en toute sécurité. Nous avons bien ri devant les regards horrifiés et

désapprobateurs de Christian et Ana. Mon amie étant novice et… maladroite, son mari lui a

formellement interdit toute activité qu’il juge dangereuse. Elliot a bien tenté de m’imposer les mêmes

consignes que son malade de frère, mais en vain.

Grace se lève et part réclamer à une infirmière mon plateau-repas du soir. Après m’avoir

embrassée, elle me laisse seule devant mon bol de soupe et un yaourt, pour aller vérifier si Elliot va

bien à la maison.

Le repas « gastronomique et gargantuesque » de l’hôpital avalé, je m’endors rapidement, les

analgésiques m’assomment toujours.

33.

Une Mère Parfaite

Je sens sa présence et ses yeux sur moi, je hume son parfum boisé. Je me réveille… mon beau, mon

sublime et tellement sexy mari est assis à côté de mon lit. Il est douché, rasé, et ses traits sont
reposés.

Il porte son jean brut qui lui va si bien et un tee-shirt blanc à manches longues. Il lit le journal, j’en

profite pour le regarder.

Depuis bientôt trois ans, je ne me lasse pas de le regarder, mon Dieu blond. Je l’aime de tout mon

cœur, il est ma vie. Nous avons eu des tempêtes, des disputes d’anthologie, mais nous avons eu
surtout

des moments fabuleux, de complicité, de fous rires, d’amour et de baise, de baise intense. Elliot Grey

est mon amour, mon amant, mon âme sœur, mon mari et maintenant, le père de ma fille.

— Salut, Bébé.

Je lui souris.

— Hello, Princesse.
— Tu es là depuis longtemps ?

— Non, je suis arrivé il y a à peine une demi-heure. Je suis désolé, Princesse, je me suis endormi

à la maison, sans m’en rendre compte. C’est Mia qui m’a réveillé ce matin…

— Ce n’est pas grave, Bébé. Tu avais besoin de sommeil et, de toute manière, j’ai dormi

également. Quelle heure est-il ?

— Huit heures. Je n’ai pas encore vu les infirmières du matin. Comment vas-tu, Princesse ?

— Ça ira mieux quand j’aurai eu mon traitement miracle…

Il lève un sourcil interrogateur.

— Le baiser de mon mari… j’ai besoin de ça pour me sentir mieux.

Elliot se redresse comme un ressort du lit, il s’approche de mon visage et dépose un doux baiser sur

mes lèvres. Quand il s’écarte, je grogne un « non », mes mains empoignent sa tête, mes doigts dans
ses

cheveux, je plaque ma bouche contre la sienne. Je crois que je gémis quand ma langue force le
passage

entre ses lèvres. Enfin, il me répond… il me rend mon baiser. Nos langues s’enroulent l’une sur

l’autre. C’est exactement ce que mon corps réclamait : son contact, notre connexion intime. Après

plusieurs minutes, je le relâche, à bout de souffle. Il me regarde, ses prunelles bleues irradient

d’amour. Doucement, il place le masque à oxygène sur ma bouche, me caresse la joue du bout des

doigts.

— Kate, j’aime me sentir utile, je veux que tu aies besoin de moi, j’ai besoin que tu aies besoin de

moi.

Je lui souris et ôte le masque pour parler :

— Oui, Elliot, j’ai besoin de toi, plus que de cet oxygène dans cette machine, plus que cet air qui

me remplit les poumons. Mais là, si tu veux tout savoir, j’ai aussi besoin d’aller faire pipi et de

manger.
Il éclate de rire, le plus beau, fort et retentissant rire que j’ai entendu depuis longtemps.

— OK, Princesse, je t’aide à aller dans la salle de bain, et je vais voir ce que je peux faire pour

ton petit déjeuner.

À mon retour dans ma chambre, l’infirmière Chantal a posé un plateau avec une tasse de thé, une

compote et un verre d’eau sur la tablette roulante ; elle m’attend pour prendre mes constantes.

Dès qu’elle a terminé et sort de la pièce, Elliot se précipite sur un gros sac de sport noir dont il sort

une boîte hermétique en plastique. Il l’ouvre avec un sourire victorieux, me présente des muffins aux

myrtilles et des cupcakes chocolat-café.

— Mia est passée ce matin, elle les a préparés pour toi. Je sais que tu m’avais demandé un gros

cheeseburger, mais cela me semble plus approprié pour le petit déjeuner !

— Oh, tu la remercieras de ma part… (J’en ai les larmes aux yeux). C’est parfait.

Je déguste les gâteaux de Mia avec délectation, ce sont les meilleurs muffins que j’ai mangés

depuis longtemps. Même le thé insipide du plateau qu’ils appellent petit déjeuner ne gâche pas mon

plaisir. J’ai survécu à une embolie pulmonaire et une césarienne, je ne suis pas sûre de résister

longtemps à leur nourriture d’hôpital. Elliot continue de fouiller dans son grand sac, il sort deux de

mes pyjamas, ma trousse de toilette, un sachet au logo de ma parfumerie préférée ainsi qu’un autre

sachet. Je le regarde éberluée, la bouche encore pleine de muffin.

— Je ne savais pas quel pyjama tu voulais, alors j’ai pris ces deux-là.

Il hausse les épaules, penaud. je le rassure :

— C’est parfait, Bébé.

— J’ai pris ton nécessaire de toilette et Mia t’a acheté des kits de produits de voyage de grandes

marques à la parfumerie. Elle m’a dit que c’était tes préférées, je la crois sur parole.

— Elliot, il faut que je l’appelle pour la remercier ! C’est tellement adorable de sa part. Quand a-

t-elle acheté tout ça ?


— Hier, je crois. Je l’ai appelée hier, quand je suis rentré à la maison, pour lui donner des

nouvelles, ainsi qu’à ton frère. Ils t’embrassent tous les deux. Et ça, c’est pour Ava de leur part.

Il me tend le dernier paquet, je trouve des petits vêtements d’enfant dedans : des bodies, deux petits

bonnets roses, des minuscules chaussettes, une petite couverture en laine avec un lapin brodé et une

petite peluche. Les larmes me montent aux yeux.

— Mia, reprend Elliot, m’a dit que tu n’avais pas de vêtements pour prématurés, pour Ava. Elle a

pensé que cela pourrait nous être utile.

Autant ma belle-sœur peut être parfois – OK, souvent – pénible avec sa spontanéité et son

enthousiasme débordants, autant sa sollicitude et sa prévenance me touchent. Mia est devenue une

amie, en plus d’une belle-sœur à double titre, je l’adore et son geste me bouleverse.

— Ana t’embrasse également, je lui ai dit que les visites, à part moi bien sûr, étaient encore

déconseillées et que tu te fatiguais vite. Je crois que Christian ne tient pas non plus à ce que sa femme

traîne trop par ici dans son état !

Il sourit, puis débarrasse le plateau de mon lit pour le poser sur la table de chevet. Étrangement, je

suis contente de ne pas avoir de visite. Je ne suis pas encore assez forte pour subir le regard des
autres,

je ne veux pas lire de pitié ou d’anxiété dans les yeux de mes proches. Je n’ai pas besoin de cela en
ce

moment. Je veux juste être avec mon mari et ma fille. De plus, je ne sais pas comment je réagirais en

voyant mon amie enceinte. Ana attend également une petite fille, nous avions un trimestre de

différence dans nos grossesses. Ava aurait dû naître fin avril, maintenant elle a quatre mois d’avance

sur sa cousine.

— Bébé, dis-je à Elliot, tu vas trouver ça ridicule, mais j’ai eu des sensations bizarres depuis mon

réveil… J’ai Elvis et Britney Spears qui chantent dans ma tête et j’ai cru voir Christian ici, je ne sais

plus quand c’était, mais je me souviens l’avoir entendu crier dans ma chambre.
— Oui, Kate. Quand ils t’ont enfin remontée du bloc opératoire, Christian était avec moi, ici. Il

est arrivé tout de suite, dès qu’il a su ce qui t’était arrivé. C’est dingue, je n’aurais jamais cru que

j’avais besoin de la présence de mon petit frère, mais il est venu. Tu étais encore endormie à cause
de

l’anesthésie générale et j’ai dû aller au service de Néonatalogie pour remplir des papiers pour Ava.
Je

ne voulais pas te laisser seule, alors Christian a proposé de rester avec toi. Comme tu dormais, je

savais que vous ne risquiez pas de vous étriper dans cette chambre.

Il a un petit sourire sur les lèvres. Il reprend :

— Tu sais, il était sincèrement inquiet pour toi, pas seulement pour moi, mais pour toi et le bébé.

Et je plaide coupable pour Elvis, je t’ai fait écouter de la musique pour te stimuler, mais du Brit-Brit,

non ! Jamais !

Je suis étonnée, mais c’est bien qu’Elliot ait reçu le soutien de son frère et de toute la famille. Je

n’ose imaginer ce que mon mari a traversé pendant ces longues heures où j’étais au bloc. S’il avait
été

seul…

— Tu sais, chuchote-t-il, je viens de mourir mille fois les dernières nuits. Je pensais t’avoir

perdue. Nous avons fait un pacte, Kate, nous devons rester ensemble, parce que je ne peux pas vivre

sans toi.

— Oui, Elliot, je te l’ai promis lors de notre mariage. Nous sommes une équipe, tous les deux.

Maintenant, nous sommes une famille, avec Ava.

— Je sais ce qu’il se passe dans ta tête, Kate. Je sais ce que tu penses.

Je lève un sourcil et persifle :

— Ah bon, tu as fait des études de télépathie, tu es allé à l’école des médiums, Grey ?

— Ne fais pas la maline, Kate. Je sais que tu penses que c’est de ta faute si Ava est née dans ces

conditions. Que tu devais la protéger, que tu devais être parfaite – une mère parfaite… Tu penses
avoir

failli à ta mission.

Son analyse me coupe le souffle. Il a raison, c’est exactement ce que je pense, il a trouvé les mots

justes pour formuler mes noires pensées. Les larmes me montent aux yeux.

Elliot grimpe sur le lit, me prend dans ses bras et me berce doucement.

— Kate, tu ne pouvais rien faire, les médecins eux-mêmes ne pouvaient rien faire, ils n’ont pas

détecté que tu faisais une thrombose.

Il essuie une larme sur ma joue. Je marmonne :

— Non, c’était ma faute. Mon corps a mis en danger la vie de notre bébé et il n’y avait rien qui

pourrait changer ce qui s’est passé. C’était seulement une question de temps, mais j’aurai pu la tuer.
Et

ça fait tellement mal. Si je pense à elle, je ne peux pas respirer. J’ai toujours pensé que je devais
avoir

cette vie parfaite, vraiment trop parfaite. Il s’avère que mon corps n’est pas parfait, je ne le contrôle

pas, il m’a trahie au pire moment. J’aurai dû sentir que quelque chose n’allait pas, qu’il se passait

quelque chose de grave. J’aurai pu tuer notre fille Elliot, et maintenant, elle se bat pour vivre, dans

cette boîte en plastique… à cause de moi.

Je pleure à torrent contre son torse, il me caresse le dos.

— Non, Kate, arrête de te culpabiliser. Tu n’as pas besoin de faire ça et ce n’est pas comme ça

que tu aideras Ava. Elle a besoin de sa maman, de sa si belle maman, de sa si forte maman. Et tout va

bien aller maintenant. Vous allez toutes les deux sortir d’ici, et je vous ramènerai à la maison.

— Oh, Elliot, tout est tellement simple avec toi !

— Oui, Bébé, parce qu’il n’y a rien que nous aurions pu faire différemment, rien n’aurait pu

changer tout cela. Sois indulgente avec toi-même, lâche du lest et la pression permanente que tu

t’imposes. Tu as besoin de faire une pause, de te reposer pour récupérer au mieux. Et te torturer
n’aidera pas.

— C’est ce que les médecins t’ont dit ?

— Oui, Kate. Ils te l’ont également dit. Pour une fois, écoute-moi. Ce n’est pas ta faute et tu es

une mère parfaite. Et si tu ne me crois pas, il y a une petite fille là-haut qui te le prouvera.

Je relève la tête, je vois tout l’amour dans les yeux de mon mari, de mon homme. Je sais qu’il a

raison, il suffit juste de m’en convaincre.

Fin du livre 3…

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