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Le politique doit-il se mêler d’éducation ?

Do politics have to meddle in education?

Olivier Rey et Hélène Buisson-Fenet (dir.)

DOI : 10.4000/books.enseditions.6749
Éditeur : ENS Éditions
Lieu d'édition : Lyon
Année d'édition : 2016
Date de mise en ligne : 20 juin 2016
Collection : Entretiens Ferdinand Buisson
ISBN électronique : 9782847887976

http://books.openedition.org

Édition imprimée
Date de publication : 28 juin 2016
ISBN : 9782847887952
Nombre de pages : 80

Référence électronique
REY, Olivier (dir.) ; BUISSON-FENET, Hélène (dir.). Le politique doit-il se mêler d’éducation ? Nouvelle
édition [en ligne]. Lyon : ENS Éditions, 2016 (généré le 05 mai 2019). Disponible sur Internet : <http://
books.openedition.org/enseditions/6749>. ISBN : 9782847887976. DOI : 10.4000/
books.enseditions.6749.

© ENS Éditions, 2016


Conditions d’utilisation :
http://www.openedition.org/6540
Collection dirigée par Hélène Buisson-Fenet et Olivier Rey

Les Entretiens Ferdinand Buisson,


au confluent des recherches et des pratiques éducatives

Les Entretiens Ferdinand Buisson ofrent un espace de confrontation original


entre chercheurs et praticiens sur des thèmes stratégiques pour l’éducation.
Chaque session des Entretiens, qui se tient à l’Institut français de l’Édu-
cation (ENS de Lyon), permet en premier lieu à des chercheurs de s’exprimer
dans un registre qui difère des productions scientifiques habituelles. Il s’agit
alors pour eux de s’adresser à un public plus large que celui de leurs pairs,
et de privilégier une approche subjective, mais éclairée par leurs travaux et
leur connaissance scientifique du sujet. Elle propose en second lieu à des
praticiens de réagir en livrant leur propre lecture du thème abordé, informée
par leurs savoirs d’expérience et leurs pratiques d’acteurs de terrain. Chaque
ouvrage de la collection tente ainsi de relever le défi d’une ressource éduca-
tive qui s’adresse au plus grand nombre tout en se nourrissant de démarches
scientifiques.
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Avec les contributions de


Philippe Bongrand
Clémence Cardon-Quint
Olivier Coutarel
François Jacquet-Francillon
Jean-Yves Langanay

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Éléments de catalogage

Le politique doit-il se mêler d’éducation ? / Philippe Bongrand, Clémence Cardon-Quint,


Olivier Coutarel,… [et al.]. – Lyon : ENS Éditions, impr. 2016. – 1 vol. (80 p.) ; 18,5 cm. –
(Entretiens Ferdinand Buisson, ISSN en cours).
Bibliogr. : p. 69-74
ISBN 978-2-84788-795-2 (br.) : 10 euros

Cet ouvrage est difusé sur la plateforme OpenEdition books en HTML, ePub et PDF :
http://books.openedition.org/enseditions/

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© ENS ÉDITIONS 2016


École normale supérieure de Lyon
15, parvis René Descartes
BP 7000
69342 Lyon cedex 07

ISBN 978-2-84788-795-2
LE POLITIQUE DOIT-IL SE MÊLER D’ÉDUCATION ?

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LE POLITIQUE DOIT-IL SE MÊLER D’ÉDUCATION ?

Le politique doit-il se mêler d’éducation ?


Et l’éducation se soucier du politique ?

Hélène Buisson-Fenet
CNRS, ENS de Lyon

Olivier Rey
Institut français de l’Éducation, ENS de Lyon

À la diférence de bien d’autres secteurs de l’action publique, en édu-


cation, la prise de décision se fait souvent au nom de grandes valeurs
universalistes (l’égalité, la liberté, la laïcité, la mixité, la cohésion
sociale, etc.) et s’accompagne d’intenses débats intellectuels recon-
duits d’une réforme à l’autre. Ce fort degré de politisation est quasi-
ment ininterrompu depuis les débuts de la Troisième République : on
connaît par exemple la place de la thématique scolaire dans les débats
parlementaires au sortir du xixᵉ siècle, nourrie par l’ambition républi-
caine de promouvoir une éthique collective laïque. Tout au long du
xxᵉ siècle et jusqu’à aujourd’hui, les passions politiques se renou-
vellent à l’égard de la chose scolaire : du conflit public/privé au foulard
islamique, du foulard à l’apprentissage de la lecture, de l’apprentis-
sage de la lecture à l’éducation morale et civique. Actuellement en-
core, les sentiments se déchaînent dès lors qu’un ministre s’attache à
réformer tout ou partie du système éducatif. Récemment, la concomi-
tance d’une modeste réforme de certains dispositifs du collège et des
projets de nouveaux programmes a provoqué des débats d’ampleur
dans les médias, et on a même vu un ancien Président de la République
prendre position aux côtés d’universitaires ou d’intellectuels, pour-
tant peu connus pour leurs travaux concernant l’éducation.
À l’aune de ces considérations, on pourrait conclure que l’éduca-
tion est en France une priorité politique que les responsables des
afaires publiques ont à cœur, une véritable « passion » pour reprendre
le titre éponyme de la série d’ouvrages de Théodore Zeldin sur les
soubresauts idéologiques qui agitent l’histoire nationale : en particu-
lier, les questions scolaires occupent une place essentielle dans les
programmes des partis politiques – que l’on songe à la campagne
présidentielle de 2007 et à la place qu’y ont pris les débats sur la carte

9
INTRODUCTION

scolaire. De nombreuses études soulignent pourtant la dichotomie


entre le politique et le pédagogique.
D’une part les évolutions efectives constatées dans les systèmes
éducatifs ne sont pas forcément le produit des agendas politiques.
L’histoire de l’éducation illustre à l’envi comment des évolutions
centrales de l’école ont été initiées sans véritable politique publique
pensée et mise en forme comme telle. Par exemple, les travaux
d’Antoine Prost montrent que c’est à l’école primaire supérieure et à
la scolarisation des enfants d’agriculteurs sous Vichy que l’on doit la
première massification scolaire, bien avant le collège unique.
D’autre part, certaines réformes présentées comme stratégiques
ne modifient pas réellement le cours de l’action éducative. Les socio-
logues de l’action publique montrent ainsi régulièrement que les
acteurs de première ligne (en particulier les enseignants) peuvent
vider au moins partiellement de leur contenu des réformes qui se
voulaient pourtant substantielles : Hugues Draelants analyse ainsi la
grande dificulté à supprimer efectivement en Belgique le redouble-
ment au cours du premier cycle de l’enseignement secondaire fran-
cophone. On peut songer chez nous aux avatars du collège dit unique
qui n’en finit pas, depuis sa naissance tardive en  1975 et jusqu’à
l’impossible socle commun de 2005, de réimporter de la diférencia-
tion sous forme d’options, voire au niveau des classes elles-mêmes,
puisqu’il n’y a pas de filières explicites.
D’autres travaux insistent sur le « double discours » de réformes
qui s’attachent à modifier le cadre institutionnel ou la répartition des
compétences des acteurs sans vraiment toucher le cœur de l’ensei-
gnement au nom duquel ces réformes sont initiées : c’est le cas du
projet d’établissement censé accroître l’autonomie des établisse-
ments publics locaux d’enseignement (EPLE) et dont les enseignants
ignorent régulièrement l’existence locale – quand il existe – ou ne
l’articulent pas à leurs objectifs pédagogiques ; on pourrait aussi pen-
ser dans une focale plus large à la décentralisation éducative à la
française, qui peine encore aujourd’hui à ne pas cantonner les
régions « au gîte et au couvert ».
En outre, la forte politisation du secteur pèse sur les stratégies des
acteurs politiques, tenus en permanence de proposer des réformes qui
se démarquent de celles de leurs concurrents, tout en sachant que

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LE POLITIQUE DOIT-IL SE MÊLER D’ÉDUCATION ?

c’est là un domaine à haut risque. L’idée même qu’un responsable poli-


tique s’occupe de pédagogie est souvent mal vue par le sens commun.
Parfois, on suspecte l’acteur concerné de se mêler d’un domaine qui
relèverait d’une expertise technique réservée aux professionnels de
l’éducation, et on l’accuse d’une intervention ainsi vouée au popu-
lisme : ce fut le cas lors de la crise Allègre, qui a ofert à une longévité
sans égale l’expression « dégraisser le mammouth ». D’autres fois, on
accuse la pédagogie de masquer une idéologie partisane ou d’édifier
une clôture corporatiste. On a aussi pu associer « les pédagogues » et
la pédagogie diférenciée souvent réduite à deux noms – Dubet et
Meirieu – à l’idéologie scolaire socialiste promue dans la période où
Jack Lang était ministre de l’Éducation nationale, ou plus récemment
encore percevoir l’enseignement de gestion comme assujetti au
monde de l’entreprise, voire au MEDEF.
Et l’on sait que parmi les acteurs éducatifs, le regard sur le poli-
tique est fréquemment distancié, voire méprisant, les politiques
étant souvent jugés peu compétents pour les afaires éducatives. En
particulier le syndicalisme enseignant, qui s’est caractérisé depuis
ses origines par sa capacité à établir un lien entre les intérêts des
professions qu’il représente et des principes d’action, propose
aujourd’hui des représentations politiques beaucoup plus hétéro-
gènes et semble rester prudemment à l’écart des réflexions de ce
type. Des couloirs des administrations ministérielles aux salles des
professeurs, on soupire de façon ironique « Les ministres passent… »,
en dessinant en creux l’image d’un système géré et non plus pensé
dans ses grandes orientations par ses professionnels.
Dans ces conditions quelle capacité ont les politiques à peser sur
les évolutions pédagogiques ? Les pédagogues ont-ils intérêt à dis-
poser de débouchés ou de relais politiques ? Les communautés édu-
catives peuvent-elles s’autoréguler à la manière des professions libé-
rales ? Dans quelle mesure ne rêvent-elles pas d’une relation directe
avec la société civile à instruire, alors même que la mission de service
public fait des enseignants des serviteurs de l’État ? Ces entretiens
visent à confirmer, infirmer ou nuancer ces premières impressions,
et à complexifier ces interrogations en croisant des regards pluri-
disciplinaires sur ces rapports entre le politique et le pédagogique tout
en faisant se confronter praticiens et universitaires sur ce sujet.

11
INTRODUCTION

François Jacquet-Francillon ouvre le ban en examinant les efets


de l’intervention des inspecteurs de l’enseignement primaire dans
les pratiques de classe, dans la décennie 1880-1900. Il montre com-
ment les instituteurs modifient progressivement leurs « gestes d’en-
seignement », mais avec un tout autre impact que celui de la pres-
cription oficielle. Clémence Cardon-Quint lui emboîte le pas en
développant sa thèse – celle de la politisation du pédagogique – à
partir de l’exemple de la réforme de l’enseignement du français dans
les années 1970. Philippe Bongrand renverse la proposition en par-
tant du constat de la faible politisation d’un certain nombre d’ensei-
gnants en formation initiale, et souligne combien l’institution aurait
intérêt à défendre l’expression d’un esprit critique réflexif pour per-
mettre aux jeunes enseignants d’apprendre à transformer les ques-
tions morales et politiques, que leurs élèves ne manquent pas de
poser, en contenus d’apprentissage.
Proviseur de lycée, Olivier Coutarel témoigne « d’une proximité
apparente plus grande des représentants politiques avec les acteurs
éducatifs, mais un déficit plus grand d’explications ». Rendue possible
par les développements de la décentralisation des politiques sco-
laires, la multiplication des occasions de rencontres et d’échanges
avec des élus ou des administratifs territoriaux s’accompagne d’une
fragmentation des représentations : « On perçoit plus des ruptures et
des discontinuités sans comprendre le sens global », par exemple
dans la mise en œuvre localement erratique de la carte scolaire. Quant
à Jean-Yves Langanay, qui présida l’association « Éducation et deve-
nir » et dont il inscrivit l’action dans les mouvements pédagogiques et
les associations d’éducation populaire, il constate à la fois l’intérêt
profus des élus politiques pour la thématique scolaire, et la faiblesse
de leurs connaissances sur les professions de l’éducation et sur les
outils et dispositifs de gouvernance qui quadrillent ce champ.

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LE POLITIQUE DOIT-IL SE MÊLER D’ÉDUCATION ?

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LE POLITIQUE DOIT-IL SE MÊLER D’ÉDUCATION ?

Pratiques de classe, changement éducatif


et intervention de l’État :
quelques enseignements historiques

François Jacquet-Francillon
Université Charles-de-Gaulle-Lille 3

Pour répondre à la question des rapports entre le politique et l’édu-


cation, je propose d’examiner la situation originale créée par l’inter-
vention des instances étatiques sur le système d’enseignement pri-
maire public, sous la Troisième République, avant la guerre de 1914.
C’était là une intervention très insistante, qui visait les pratiques des
maîtres dans leurs écoles. Elle a été efectuée durant plusieurs décen-
nies, dans le but de faire évoluer et même de changer les pratiques
dans cet ordre d’enseignement. Je parle de « pratiques d’enseigne-
ment », et volontairement, je n’utilise pas le mot « pédagogie », qui
pourrait induire une confusion avec ce qui est de l’ordre non des pra-
tiques mais des discours, des doctrines et des conceptions théo-
riques de l’enseignement et de ses méthodes. Je veux donc me cen-
trer sur les manières de faire la classe –  étant entendu que les
« manières » de cette époque ne sont pas si bien connues et si faciles
à connaître qu’on l’imagine.
Sur ce plan des pratiques de classe, la période des années 1880-
1900 est intéressante parce qu’elle a constitué un événement et est
devenue à ce titre un point de repère historique auquel on se réfère
souvent, et qui d’ailleurs est interprété en divers sens. Elle est révéla-
trice des rapports complexes et incertains qui peuvent s’établir entre
le politique (l’étatique) et les systèmes éducatifs. À cette époque,
l’espoir d’infléchir ou de transformer les pratiques au moyen d’incita-
tions oficielles de l’État, des administrations et des fonctionnaires ad
hoc (notamment les inspecteurs primaires) a été à la fois très fort,
considéré comme évident, mais il a rencontré beaucoup d’obstacles,
a été souvent remis en question, a été déçu ou en tout cas dificile à
évaluer quant à ses résultats (sur le court terme).

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LE POINT DE VUE DES CHERCHEURS

Une politique scolaire n’est jamais simplement « appliquée »

Quand on évoque les pratiques d’enseignement dans la classe, l’ac-


tion du politique est, d’un côté, attendue, estimée nécessaire, mais
aussi, d’un autre côté, souvent perçue comme dificile, décalée, mise
en échec, ou en tout cas déviée. On peut donc se demander s’il en va
autrement sur d’autres plans, si les rapports de l’État et du ou des
systèmes scolaires sont plus directs, et l’emprise de l’État plus forte
dans d’autres domaines. On serait tenté de penser que c’est en efet
le cas lorsqu’il s’agit d’ouvrir des établissements, de recruter, former
et salarier des maîtres, bref de créer une ofre de place pour des popu-
lations données, et en l’occurrence une ofre publique – qui se vou-
drait complémentaire ou bien rivale de l’ofre religieuse, ou encore de
l’ofre privée. De cela traitent une sociologie et une histoire de l’ofre
scolaire. Je pense à Antoine Prost, récemment, dans l’ouvrage Du
changement dans l’école : les réformes de l’éducation de 1936 à nos
jours1 ; et je pense surtout à Jean-Michel Chapoulie, notamment son
dernier (et grand) ouvrage, L’école d’État conquiert la France2. Dans ces
études apparaissent bien des processus gouvernementaux très volon-
taristes et dont les efets semblent à la hauteur des espérances : on est
donc dans l’univers politique des « réformes ». Mais les auteurs nous
invitent aussi à nuancer notre vision de ces processus, et à ne pas trop
vite imaginer une relation du politique et des systèmes éducatifs tou-
jours directe, qui s’établirait sans perturbations, qui serait toujours
eficace, et dont les résultats seraient assez conformes aux intentions
initiales des gouvernements.
Pour préciser les choses, reportons-nous à l’ouvrage cité de Jean-
Michel Chapoulie3 : il s’attache à résoudre un problème très intéres-
sant, nouveau, le problème de savoir comment on est passé d’une
scolarisation longue réservée à une petite élite (les collèges d’Ancien

1 Antoine Prost, Du changement dans l’école : les réformes de l’éducation de 1936


à nos jours, Paris, Seuil, 2013.
2 Jean-Michel Chapoulie, L’école d’État conquiert la France. Deux siècles de politique
scolaire, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010.
3 On pourrait également citer un ouvrage de moindre ampleur mais utile : Christian
Nique, Comment l’école devint une afaire d’État, Paris, Nathan, 1990 ; ouvrage sur
les débuts de la prise en charge étatique de l’école primaire, du moins d’une prise en
charge globale et systématique, avec l’action de Guizot en 1830 comme point d’orgue.

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LE POLITIQUE DOIT-IL SE MÊLER D’ÉDUCATION ?

Régime puis les lycées et les facultés du xixᵉ siècle) à une scolarisa-


tion longue mais de masse – ce qui nous est connu comme « démo-
cratisation » (quantitative), en tant qu’il ne s’agit pas seulement
d’accès généralisé aux enseignements secondaires, mais aussi,
simultanément, de l’allongement général de la durée des études.
Pour ce faire, Jean-Michel  Chapoulie analyse la progression des
niveaux intermédiaires du système éducatif moderne, et il souligne
le rôle des filières de second rang, les écoles primaires supérieures,
l’enseignement spécial au xixᵉ siècle, l’enseignement technique à la
suite, avec notamment les écoles pratiques du commerce et de l’in-
dustrie (EPCI), puis le secondaire féminin, etc.
Mais, pour comprendre comment et pourquoi des politiques sco-
laires sont parvenues à accueillir à l’école certaines populations
enfantines, à les retenir pendant un temps déterminé, et surtout,
point capital, à les retenir pour un temps de plus en plus long, Jean-
Michel Chapoulie n’examine pas seulement les processus et les acti-
vités concrètes développés par les pouvoirs centraux de l’État, car il
accorde aussi son attention aux pouvoirs et aux diverses instances de
la périphérie, c’est-à-dire aux établissements, aux enseignants, à des
administrateurs locaux, à des acteurs extérieurs comme les acteurs
politiques locaux, à certaines fractions du patronat engagées dans ces
processus, etc. On touche là un point de vue de méthode important,
adopté par d’autres historiens ces dernières années. Cette démarche
se règle en efet sur deux grands principes.
En premier lieu, c’est une histoire centrée sur l’ofre scolaire, l’ofre
de scolarité. Comme telle, l’histoire s’est donc détournée d’une analyse
centrée (ou trop centrée) sur la demande, dont le meilleur exemple aura
été le livre de François  Furet et Jacques  Ozouf, Lire et écrire,
L’alphabétisation des Français de Luther à Jules Ferry (1976). Livre indé-
passable, certes, mais qui explique les progrès de l’alphabétisation,
dans la longue durée, principalement par la force d’un mouvement
social et culturel ayant traversé et emporté les populations et les
familles, en fonction d’un certain nombre de conditions apparues dans
les contextes de référence (religieux, économiques, et ainsi de suite).
En second lieu, c’est une histoire « par en bas », c’est-à-dire qui
s’intéresse à toutes sortes d’acteurs et de groupes d’acteurs, individus
ou associations, sociétés, etc., agissant à diférents niveaux de la vie

17
LE POINT DE VUE DES CHERCHEURS

sociale et non pas uniquement au sommet ou au centre de l’État. Ce


principe a été adopté par de nombreux historiens à l’heure actuelle4.
Que constate-t-on au final ? Essentiellement que la constitution
même de l’école publique, le développement des réseaux de scolari-
sation publique – donc un phénomène qui relève par nature de l’inter-
vention étatique – ne sont cependant pas pris dans une causalité
unique, descendante du sommet de l’État vers la « base » de tous les
acteurs mobilisés à cette fin. Ceci interdit de penser que des gouver-
nements, des fonctionnaires et une administration volontaristes
imposent leurs stratégies et mettent en œuvre leurs moyens dans un
désert social. En réalité, l’ofre de scolarité est multiple, difractée, et
ses efets sont plus ou moins sensibles selon les périodes et les
contextes sociaux. En d’autres termes, s’il y a développement de la
scolarisation, accroissement du nombre de places scolaires, augmen-
tation des efectifs scolarisés, et extension de la durée de scolarisa-
tion, tout cela se joue dans une interaction de facteurs ramifiés. Par
exemple, du côté des populations visées, on observe des réactions
variées, diférents « rapports à la scolarisation » (refus, ou adhésion,
ou résistance collective, etc.). Autre exemple, du côté de l’État central :
on fournit un efort pour s’adapter à des nécessités sociales comme
le besoin de formation de la main-d’œuvre, mais il est toujours dificile
de mettre en harmonie les formations et les emplois, ou de juguler
l’impact de la hiérarchie des emplois sur les stratégies des familles
concernées. Il y a donc des avancées, des reculs, et… des expérimen-
tations : par exemple avant 1930 l’« amalgame » entre certaines classes
des écoles primaires supérieures et les classes secondaires des lycées ;
la création des « classes d’orientation » en 1937-1938, des « classes
nouvelles » en 1945, etc. ; toutes choses qui ne vont pas sans conflits,
sans hésitations et sans compromis, ne serait-ce que dans la définition
des filières et des rapports entre elles.

4 On peut citer Renaud d’Enfert, son travail sur l’histoire de l’enseignement des
mathématiques et du dessin, et aussi un récent séminaire sur les ofres locales
d’enseignements scientifiques, ce qui a donné lieu à une série d’études monographiques
sur des villes françaises des xixᵉ et xxᵉ siècles. Je pourrais assurément citer bien d’autres
recherches – c’est certainement un aspect du travail d’André Chervel sur l’histoire de
la langue française à l’école, comme du travail plus récent de Clémence Cardon-Quint
sur l’enseignement du français et les professeurs de français au xxᵉ siècle.

18
LE POLITIQUE DOIT-IL SE MÊLER D’ÉDUCATION ?

Sur la base de ces rappels (certainement trop partiels et rapides),


quel sens peut-on donner à la notion de politique scolaire ? Pas le
sens de l’application d’une doctrine, pas celui d’un mouvement de
rationalisation d’une réalité désordonnée. C’est plutôt un traitement
de situations problématiques et un traitement lui-même pluriel, qui
peut tenir compte ou ignorer certaines contraintes, qui peut mobili-
ser ou ignorer des principes formels, des visions politiques ou idéo-
logiques, plus ou moins cohérentes. Un ensemble d’arrangements,
plutôt qu’un système cohérent. Une politique scolaire c’est aussi, par
conséquent, une manière de susciter, d’intégrer (plus ou moins bien)
les comportements et les réactions des acteurs participant de près
ou de loin à la production, à la reproduction et à l’entretien des ins-
titutions éducatives : personnel politique local, administrateurs, per-
sonnels de direction, syndicats, associations, experts, entrepreneurs,
et aussi, longtemps, l’Église, qui pouvait exercer sa tutelle sur un
secteur privé plus ou moins étendu. En fait, plus on avance dans le
temps, plus les acteurs sont nombreux.
Il ne faudrait néanmoins pas croire pour autant qu’on a afaire à un
pilotage à vue, sans direction réelle. Il y a quand même dans notre
histoire scolaire depuis la Libération, pour prendre ce repère, une
ligne de fond qui se dessine assez nettement quand on a compris
l’allongement de la moyenne de la durée de scolarisation et tout ce
qui concourt à un tel allongement (la scolarité dure en moyenne
jusqu’à 19 ans aujourd’hui, ce qui indique une durée supérieure de
trois années à l’obligation légale). Cette ligne est celle de la conver-
gence (pas totale, pas parfaite, mais toujours recherchée) des forma-
tions et des emplois disponibles, donc des finalités éducatives et des
nécessités économiques. C’est un autre lieu de dificulté, bien sûr, qui
entraîne une série d’efets, lesquels suscitent de nombreux conflits et
polémiques – plus ou moins intelligentes.

D’où viennent les pratiques de classe qui s’installent


tout au long du xıxe siècle ?

Les longs préalables ci-dessus indiquent peut-être l’esprit dans lequel


je voudrais aborder la question du changement dans les pratiques de
classe et du rôle de l’État dans ce changement. Il est patent en efet

19
LE POINT DE VUE DES CHERCHEURS

que, depuis la première moitié du xixᵉ siècle, l’État central est devenu


un acteur de premier plan dans l’évolution des pratiques du primaire
public. Pour y parvenir, il a pris un ensemble de mesures et développé
un ensemble d’incitations très fortes, ce qui l’a amené aussi à se relier
à des acteurs locaux, des associations, des municipalités ou autres.
Les écoles normales de garçons sont par exemple devenues obliga-
toires dans chaque département par la loi Guizot de 1833, et elles ont
fait figurer dans leur programme de formation des entraînements pra-
tiques à la conduite des écoles, ce qui supposait l’aide des villes. À la
suite, en 1835, a été créé le corps des inspecteurs départementaux,
puis on a instauré des conférences pédagogiques oficielles… mais ces
instances ont dû elles-mêmes se confronter à des comités de notables,
les autorités locales, les curés, les maires.
L’intervention gouvernementale et administrative s’est efectuée
sur deux plans, qui correspondent aux deux premiers problèmes que
rencontre l’activité d’enseignement dans ces périodes primitives de
scolarisation de masse (encore balbutiante).
Il s’est agi d’abord de l’organisation de l’école et de la structuration
de la classe (souvent l’école est équivalente à la classe) comme milieu
de « travail », comportant des sociabilités spéciales, contrôlées par
l’autorité du maître. Il s’est agi en même temps des activités d’ensei-
gnement proprement dites, c’est-à-dire les activités d’un maître qui
commande à ses élèves des tâches précises, tâches qui s’appuient
elles-mêmes sur des conditions culturelles externes (lire et écrire
d’une certaine manière, en vue d’une certaine fin, etc.), mais aussi
matérielles (avec des supports et des instruments spéciaux, grâce
auxquels sont produits des objets reconnaissables). Que se passe-t-il
au cours du xixᵉ siècle sur ces deux registres fondamentaux des pra-
tiques d’enseignement ?
1) Sur le premier versant, on observe tout au long du xixᵉ siècle la
progression et finalement la victoire du modèle pratique de la classe
moderne, le groupe homogène, contre l’ancien usage de l’enseigne-
ment dit « individuel » dans lequel chaque élève vient successive-
ment auprès du maître, sans qu’il y ait de mouvement collectif. Le
modèle de la classe a son origine dans les collèges des xvᵉ et
xviᵉ siècles. En plus des collèges, il a ensuite été adopté dans les
écoles de charité aux xviiᵉ et xviiiᵉ siècles ; et il s’est généralisé dans

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LE POLITIQUE DOIT-IL SE MÊLER D’ÉDUCATION ?

les écoles primaires du xixᵉ siècle, soutenu par les grands réforma-


teurs, de Guizot à Gréard (ce dernier juste avant les années 1870). Au
xixᵉ siècle, cette norme se formule comme « enseignement simul-
tané », en référence à la manière des frères des écoles chrétiennes :
tous les élèves, qui ont à peu près le même âge et surtout le même
niveau d’acquisition, sont regroupés face au maître qui sur son
estrade, adossé à son tableau noir, dirige les exercices que tous efec-
tuent désormais en même temps5.
Concernant les progrès et la difusion de la norme de la classe dans
l’enseignement élémentaire, il faut aussi savoir que cette évolution a
connu un moment crucial au début du xixᵉ siècle, entre 1815 et 1850,
lorsque deux modèles se firent concurrence (et c’est ce qui a fait l’objet
des entraînements dans les écoles normales), le modèle des frères
d’un côté, et le modèle dit « mutuel » de l’autre côté, des petits groupes
dirigés par des « moniteurs », qui sont des élèves plus avancés.
Il a fallu au total un bon siècle pour que la classe se généralise
(et même davantage si on remonte à ses origines), et, tout au long
du xixᵉ siècle, jusqu’à Jules Ferry inclus, l’État n’a pas ménagé ses
eforts pour y parvenir, notamment en recrutant et en formant des
maîtres et des inspecteurs. Le rôle du politique est donc ici essentiel.
Il fallait également que certaines conditions extérieures soient réali-
sées, notamment une amélioration de la fréquentation des classes
par les enfants – en années de scolarité et en mois de scolarité dans
une année. Ceci supposait, entre autres, que les enfants ne soient
pas précocement absorbés par le salariat (condition sociale), ou que
la maîtrise de l’écrit devienne une habitude normale dans la société
et les échanges qui s’y déploient (condition culturelle non moins
essentielle).
2) Sur le second versant, celui des activités d’enseignement pos-
sibles dans ce milieu nouveau de la classe homogène, les choses
sont un peu moins connues et assez mal étudiées, parce qu’on a
réfléchi de manière simpliste, en se fiant à une dualité commode
mais fausse, la dualité de la tradition et de la modernité. On a admis

5 Renaud d’Enfert et François Jacquet-Francillon, « La classe et l’organisation


pédagogique », Une histoire de l’école. Anthologie de l’éducation et de l’enseignement
en France, xvıııᵉ-xxᵉ siècles, Paris, Retz, 2010, p. 227–234.

21
LE POINT DE VUE DES CHERCHEURS

que la tradition, qui vient de très loin, est celle du modèle « magis-
tral », « frontal », dans lequel un maître expose des connaissances,
des notions, etc., à des élèves passifs, qui écoutent, ou qui efectuent
avec docilité des tâches commandées (si tout se passe bien). On a
ensuite admis que, progressivement, depuis le xviiiᵉ siècle, est apparu
un modèle concurrent, moins autoritaire, avec des maîtres plus sou-
cieux des enfants, et des enfants moins passifs, moins soumis, plus
« actifs ». C’est ce modèle, dit-on, qui trouve sa formulation doctrinale
achevée dans l’Éducation nouvelle entre la fin du xixᵉ et le début du
xxᵉ siècle. Voilà comment a été comprise l’évolution des pratiques
d’enseignement sur le terrain de ce qu’on appelle les « méthodes ».
Il ne manque pas de spécialistes pour exposer et rafiner cette vision
– très militante – de l’histoire « pédagogique ». De là sont nées toutes
sortes de discussions et de polémiques, y compris, aujourd’hui, pour
prôner un retour à la tradition, qui se serait fixée dans sa forme triom-
phante sous la Troisième République. Mais je propose une autre façon
de lire ces évolutions des pratiques, et ce pour plusieurs raisons.
La première raison relève du fait que la tradition ancienne n’est
pas celle d’un maître qui expose, qui parle, mais celle d’un maître qui
lit, qui fait lire, qui fait répéter et qui fait réciter, qui fait copier aussi
– activité très fréquente dans les collèges et jusqu’aux lycées du début
du xxᵉ siècle. C’est aussi un maître qui fait silence s’il se contente de
commander des tâches comme les frères des écoles chrétiennes qui
font claquer leur « signal » pour obtenir les comportements prévus.
C’est cela, donc, le magister de la longue tradition qui remonte au
Moyen Âge et qui s’est maintenue et transformée dans les collèges. Le
maître de la tradition tient un livre à la main ou a devant lui un livre
ouvert, et d’une manière ou d’une autre, il lit et vise à faire mémori-
ser ce qu’il lit : un passage de livre à mémoriser après lecture, après
répétition en chœur ou individuellement, ou grâce à des dictées, telle
est l’acception primitive du mot « leçon ».
En conséquence, deuxième raison de changer notre vision de ces
changements, il faut observer la révolution (lente) qui s’accomplit
quand on a un maître qui cesse de lire et de faire répéter, ou qui cesse
de dicter continûment, donc un maître qui a une parole plus libre, et,
de ce fait, qui se sert autrement des livres (et d’un autre type de livre),
ou qui renonce au livre (souvenons-nous de Rousseau dans l’Émile :

22
LE POLITIQUE DOIT-IL SE MÊLER D’ÉDUCATION ?

« Je hais les livres »). Que fait-il, ce maître ? S’il parle, c’est qu’il expose,
explique, raisonne. Ceci s’appelle, en un nouveau sens, « faire une
leçon ». Justement, pour marquer la diférence avec l’ancienne accep-
tion de ce mot, on a utilisé tout au long du xixᵉ siècle l’expression (qui
nous semblerait un pléonasme) de « leçon orale ». On est du côté du
maître qui enseigne et non plus du côté de l’élève qui apprend, c’est-
à-dire retient, mémorise. Là réside l’essence de la modernité. La leçon
en ce nouveau sens, ce n’est donc pas le passé mort d’une tradition
condamnée, c’est au contraire le nec plus ultra de la modernité. Ceci
permet de comprendre la fameuse doctrine de la « leçon de choses »,
emblème des pédagogues de la Troisième République, qui repose
entièrement sur le rejet des livres et du privilège de la lecture, au profit
de l’observation d’un donné empirique, dirigée par l’explication du
maître, explication orale, encore une fois. Dans l’expression « leçon de
choses », il faut donc être d’abord attentif au mot « leçon »6.
De ce qui précède je déduis facilement que la lente mais profonde
révolution des pratiques a été efectuée avant et indépendamment
des courants d’Éducation nouvelle ; cette révolution ne revient pas à
ces courants, contrairement à ce qu’ont essayé de faire croire ceux qui
en faisaient la promotion. L’Éducation nouvelle est peut-être juste un
moment, une phase, un aspect de cette révolution qui s’observe dans
les institutions scolaires, et qui afecte en profondeur les pratiques
scolaires.
D’où vient cette révolution ? Question cruciale. Mon hypothèse
est qu’il faut toujours chercher la réponse à ce genre de question
du côté des évolutions culturelles et de leurs efets sur la définition
de la culture scolaire. En adoptant ce principe, on trouvera qu’est
fondamentalement en cause, depuis le xviiiᵉ siècle, l’émergence des
sciences expérimentales et des modes de leur difusion, parce que
ces disciplines vont à l’encontre des pratiques de production et de
difusion de la culture religieuse et littéraire classique.
Ce qu’on va constater dans l’aire d’influence de l’administration
scolaire sous la Troisième République, c’est un efort constant, sans
relâche, pour valoriser la nouvelle manière, la « leçon orale », et

6 Voir sur ces questions le cours mis en ligne sur le blog


www.societe-cultureeducation.eklablog.com.

23
LE POINT DE VUE DES CHERCHEURS

dénoncer l’ancienne comme un mauvais usage des livres. La dénon-


ciation de la tradition est une obsession du discours pédagogique
oficiel. On accuse d’un côté les traditions, la routine de la leçon-
lecture-répétition-mémorisation, et de la copie7 ; et d’un autre côté,
par opposition, on vante la nouveauté et l’eficacité de la « leçon
orale » (qui se connecte avec cette autre nouveauté qu’est l’ensei-
gnement simultané et la classe de niveau). Ce discours se forme dès
la monarchie de Juillet, dans les années 1830, et il est amplement
développé et rationalisé sous la Troisième République.

Comment penser les rapports entre le politique


et les acteurs du « terrain » ?

Dans ces conditions, comment représenter le processus des rapports


entre le politique et les acteurs de terrain ? Je propose les hypothèses
suivantes.
1) Le politique, le « sommet » de l’État, n’est pas, n’est jamais du
reste, l’auteur d’une doctrine a priori qui serait destinée à s’appliquer
ensuite à la base, même si, dans ces sphères étatiques, des visions glo-
bales du travail pédagogique, des systèmes cohérents de représenta-
tions peuvent être mis en texte (voir par exemple le fameux Dictionnaire
de pédagogie et d’instruction primaire de Ferdinant Buisson, qui a eu
précisément cette fonction). La puissance agissante et eficace est
autre, c’est d’une part le champ des pratiques, où des pratiques et
des normes nouvelles entrent en conflit avec les anciennes ; et c’est
d’autre part le réseau des acteurs qui travaillent dans ce champ, et qui
y amènent des motifs et des enjeux précis, en fonction des contextes
institutionnels, sociaux et culturels dans lesquels ils s’inscrivent. Il
faut à nouveau voir les choses « par en bas », comme sur les autres
terrains d’action.
Pour comprendre la nature et l’évolution des pratiques d’ensei-
gnement, il faut par conséquent se dire qu’on est en présence d’un
phénomène de mœurs, donc un phénomène qui, comme tel, échappe

7 Par exemple, dans la Revue pédagogique de janvier 1885, un inspecteur raconte


une visite dans une mauvaise école, où il a trouvé « d’interminables copies, d’une,
de deux, jusqu’à deux pages et demi, prises à tort et à travers dans des livres
d’arithmétique et de géographie ».

24
LE POLITIQUE DOIT-IL SE MÊLER D’ÉDUCATION ?

en grande partie à la résolution étatique et à la décision des réformes


et des lois. Cela dit, l’État suscite et met en œuvre des modes de régu-
lation, ce qui n’est pas négligeable, loin de là. Tenant compte de cela,
la reconstitution historique doit alors faire place aux dificultés et aux
échecs de la régulation. Les constats en ce sens ne manquent pas
sous la Troisième République : sur la trop grande lenteur des évolu-
tions, sur le faible nombre des maîtres qui s’y engagent, sur ceux qui
essayent mais n’y parviennent pas et retournent au livre qu’ils font
lire et réciter. Parler de mœurs, c’est donc dire que les pratiques pro-
fessionnelles sont fondées dans les habitudes culturelles d’une
époque et de certains groupes sociaux à cette époque. Ceci renvoie,
comme déjà mentionné, à l’influence des nouvelles cultures de la
science expérimentale et de leur modes de difusion, à l’usage des
livres et de la lecture qui se répandent aux même époques, comme
à l’usage de la parole individuelle en société, à la disposition des sup-
ports techniques (voir l’exemple des plumes métalliques), à la struc-
turation du temps, etc. Pour comprendre certaines évolutions sen-
sibles des pratiques d’enseignement, il faudrait d’ailleurs faire
intervenir non plus seulement la culture des sciences expérimen-
tales, mais la ou les cultures des sciences sociales, et peut-être aussi,
en rapport avec les sciences sociales, la pression de la culture de
masse et des modes de production-difusion-consommation enga-
gés par l’industrie culturelle et le marché des loisirs populaires8.
2) Le politique est (dans ce cas) une instance d’énonciation et de
difusion d’une norme ou d’un ensemble de normes qu’il n’a pas créées
et dont il n’a pas inventé les incarnations pratiques. C’est pourquoi on
voit des professeurs et des savants, souvent dans les hautes institu-
tions d’enseignement (jadis, l’École normale supérieure s’intéressait
de près à l’enseignement primaire), rédiger des traités, des guides pour
les maîtres, comme sur la leçon de choses ou sur la leçon d’histoire,
puis des comités se constituer, des publications se difuser (la Revue
pédagogique a été très importante dès la fin des années 1870, avec la

8 Ce que je suggère précédemment m’amène aussi à contester le type d’explication


qu’impose l’histoire des idées – attacher les évolutions (les progrès ?) pédagogiques
à l’œuvre des grands auteurs ou à l’action de leurs disciples. Ce schéma naïf, rejeté
par les historiens depuis longtemps, est toutefois encore dominant dans les sciences
de l’éducation.

25
LE POINT DE VUE DES CHERCHEURS

presse corporatiste ou syndicale), puis des inspecteurs primaires écrire


des règlements, des codes, convoquer des réunions (où ils font travail-
ler les instituteurs modernistes devant le gros des troupes jugées retar-
dataires), etc. Cela se solde par ce discours qui n’est pas fini : telle est
la « pédagogie » cette fois, avec ses formules idéales, ses justifications
des normes, toujours énoncées sur le mode de l’évidence (« C’est
ainsi »), et sur le mode performatif : « Il faut que », « On doit », etc.
3) Si le politique est une instance de régulation, il fonctionne d’abord
comme instance de contrôle, certes (d’où l’importance du discours
normatif), mais aussi d’encouragement, au sens où on parle de « sociétés
d’encouragement » de l’agriculture ou autre : il désigne des individus
méritants, il décerne des récompenses, il crée des concours, etc. Pour
les enseignants en poste, ces incitations peuvent être ressenties de
diverses manières, agréable ou désagréable si elles sont autoritaires.
Énoncer des normes et favoriser l’intégration des normes nouvelles,
c’est, à cause des obstacles qu’opposent les normes anciennes et la tra-
dition persistante (la « routine »), une activité très importante et produc-
trice de bien des efets, même si ces efets ne sont pas ceux attendus et
même si les attentes sont déçues. Le problème que nous devons nous
poser est alors celui de savoir pour quelles raisons la « masse » des ins-
tituteurs et institutrices a finalement évolué (plus ou moins) dans le sens
prescrit. Quoi qu’il en soit, on peut efectivement douter de l’idée d’un
État et d’une administration qui gouverneraient eficacement les uni-
vers professionnels et les choix pratiques qui s’y efectuent.
Ceci me permet aussi de congédier une rumeur critique très insis-
tante qui décrie les changements (ce qu’on croit en savoir) et les attri-
bue à l’action malfaisante volontaire de certains acteurs postés dans
la haute administration. Ceci peut se solder par une vision « com-
plotiste ». Il y a des spécialistes de cette rumeur, qui ont d’ailleurs
pignon sur rue dans les médias. Qui est ce « on » si détestable ? On se
le demande. En afirmant cela, je ne veux montrer aucun attachement
au camp ainsi dénoncé, pas plus qu’au camp des dénonciateurs. Je ne
me réjouis certes pas des résultats actuels de notre système éducatif.
Je veux juste signaler les limites de l’argument et la fausseté, pour ne
pas dire l’indigence, du point de vue ainsi adopté.

26
LE POLITIQUE DOIT-IL SE MÊLER D’ÉDUCATION ?

Des effets de la politisation


sur le débat pédagogique
Un exemple : la réforme de l’enseignement
du français au tournant des années 1970

Clémence Cardon-Quint
ESPE d’Aquitaine, Université de Bordeaux

Le sens commun opère souvent une distinction entre l’univers pro-


fessionnel des acteurs de l’éducation et l’univers idéologique des
responsables politiques. Pour traiter la question posée, on partira ici
de la distinction, théorisée par la science politique, entre technocra-
tie et politique9. Il s’agira alors de s’interroger sur la façon dont s’arti-
culent, dans la genèse et la mise en œuvre des politiques publiques,
la technocratie (l’expertise ?) et le politique (la démocratie ?), ces
termes renvoyant ici à des types d’acteurs, à des formes de rationalité
et à des processus de décision distincts. Adopter cette approche n’est
pas postuler l’existence de deux univers juxtaposés et hermétiques,
ou la nature intrinsèquement technocratique ou politique de tel ou
tel dossier. C’est au contraire s’intéresser aux processus de construc-
tion et de requalification des catégories, des instruments et des ob-
jets de l’action publique, à la croisée de ces deux sphères10, autant de
questionnements classiques pour certains secteurs de l’action pu-
blique, mais plus neufs dans le champ des politiques éducatives11.
Appréhender, sous cet angle, la question posée par les organisa-
teurs de ces Entretiens Ferdinand Buisson revient à s’interroger sur
les acteurs, les enjeux et les efets d’une requalification politique des
problèmes pédagogiques. On propose ici, pour nourrir cette réflexion,

9 Jean Meynaud, Technocratie et politique, Lausanne, Études de science politique, 1960.


10 Un exemple, parmi bien d’autres, emprunté au secteur de la défense : Hélène
Dufournet, « Quand techniciser c’est faire de la politique “sans le dire” », Gouvernement
et action publique, nᵒ 1, 2014, p. 29–49.
11 Congrès 2009 de l’Association française de science politique (AFSP), section
thématique nᵒ 29 : « Pour une analyse des politiques publiques d’éducation »,
argumentaire et contributions consultables en ligne : http://www.congresafsp2009.fr/
sectionsthematiques/st29/st29.html.

27
LE POINT DE VUE DES CHERCHEURS

une étude de cas historique sur la réforme de l’enseignement du fran-


çais à l’aube des années 197012.
L’aspiration à une rénovation globale de l’enseignement du fran-
çais, de la maternelle à l’université, émerge, à la fin des années 1960,
dans un contexte marqué par la massification du premier cycle du
second degré. Elle prend corps simultanément dans une école élé-
mentaire bousculée par l’allongement de la scolarité obligatoire, et
dans un second cycle où la nouvelle critique apparaît à certains
comme la réponse attendue à la crise de l’enseignement littéraire.
Ces courants novateurs, distincts dans leur genèse, ont convergé au
sein de l’Association française des professeurs de français13 (AFPF),
créée en  1967. Avec le Manifeste de Charbonnières, publié en
février 1970, celle-ci s’impose, auprès de l’opinion et des pouvoirs
publics, comme le fer de lance d’une rénovation globale de l’ensei-
gnement du français, de la maternelle à l’université.
La politique s’impose dans le débat quelques mois plus tard. En
avril  1971, Pierre Emmanuel, poète académicien chargé, par le
ministre de l’Éducation nationale, de présider une commission de
réforme de l’enseignement du français, peut ainsi constater non sans
ironie : « Dans la mythologie réactionnaire-révolutionnaire française,
arsenal, ou magasin aux accessoires de notre petite et grande guerre
civile, la commission aura donc sa modeste place, et ses membres
endureront patiemment d’être traités d’agents subversifs de la langue
en vue d’une subversion plus générale des institutions ou de l’esprit
français ; ou, ce qui revient au même, d’être vus comme de hardis
révolutionnaires combattant l’obscurantisme avec ces armes invin-
cibles, la linguistique et la technique de groupe».14 On tentera ici de
décrire le processus conduisant à une requalification de ce débat
pédagogique en débat politique, et d’en apprécier les efets.

12 Pour resituer cette réflexion dans son cadre initial, celui d’une recherche d’histoire
sociale sur l’enseignement du français, voir Clémence Cardon-Quint, Des lettres
au français : une discipline à l’heure de la démocratisation (1945-1981), Rennes, Presses
universitaires de Rennes, 2015. On y trouvera aussi des éléments relatifs à la
méthodologie et au corpus d’analyse qui ne sont pas explicités dans ce texte.
13 L’Association française des professeurs de français (AFPF) est devenue, en 1973,
l’Association française des enseignants de français (AFEF).
14 Pierre Emmanuel, « Discipline et liberté à l’école », Le Figaro, 29 avril 1971.

28
LE POLITIQUE DOIT-IL SE MÊLER D’ÉDUCATION ?

La temporalité et les espaces de la politisation

L’irruption du politique dans le débat pédagogique n’est pas chose


neuve15 : sous la Troisième République, la politique scolaire des répu-
blicains (l’école laïque, gratuite, obligatoire), puis la mise en place de
l’école unique, avaient revêtu une portée politique ouvertement assu-
mée, tout comme, dans les années 1950 et 1960, le sort de l’enseigne-
ment privé. La nouveauté, après Mai 68, ne réside donc pas dans l’ir-
ruption du politique dans le champ de l’éducation, mais dans la
nature des objets brutalement investis d’une portée politique : la
rénovation des contenus et des méthodes pédagogiques. Les désac-
cords –  encore discrets  – qui pouvaient exister en ce domaine
n’avaient, dans les années 1960, pas encore remis en cause un consen-
sus qui dépassait le clivage politique entre droite et gauche16.
On tentera ici de décrire brièvement les espaces et la temporalité
de cette politisation, analysée comme efet de discours, afaire de
rhétorique qui se donne à lire dans les publications (articles, revues,
journaux) et dans les archives. On considère, dans le traitement du
corpus, que la requalification politique des objets pédagogiques
s’opère lorsque, dans les discours, les dispositifs, méthodes ou conte-
nus pédagogiques se voient investis d’une portée politique explicite.
Ce travail de requalification politique peut cibler des aspects divers
de la rénovation : valorisation de la langue orale et de l’expression
libre, abandon de la dissertation littéraire en trois points, renouvel-
lement du corpus littéraire, utilisation dans les classes des nouvelles
méthodes critiques, etc.
Cette politisation du débat pédagogique peut d’abord être ratta-
chée à la vigueur du gauchisme, qui connaît son apogée au début de
la décennie 1970. Les diférents mouvements gauchistes – maoïstes,
trotskystes, chrétiens révolutionnaires, anarchistes – ont pour point
commun l’hyper-politisation du quotidien : la religion, l’école, l’uni-
versité, la famille, toutes les institutions se voient investies d’une

15 Antoine Prost, « 1968 ou la politisation du débat pédagogique », Les enseignants dans


la société française au xxᵉ siècle. Itinéraires, enjeux, engagements, Jacques Girault éd.,
Paris, Publications de la Sorbonne, 2004, p. 147–164.
16 Yann Forestier, « Le malentendu réformateur des années 1960 », Histoire de l’éducation,
nᵒ 139, 2013, p. 73–92.

29
LE POINT DE VUE DES CHERCHEURS

portée politique nouvelle, révolutionnaire17. Les gauchistes sont,


certes, minoritaires en France, mais ils trouvent une audience privi-
légiée chez les étudiants et les jeunes enseignants. La socialisation
politique d’étudiants ou de jeunes professeurs de lettres au sein de
ces mouvements gauchistes éclaire donc, pour partie, la politisation
du débat sur l’enseignement du français, répercussion, dans le
champ pédagogique, d’une tentative plus globale de politisation du
quotidien. Dans les Cahiers de littérature édités en  1967 par les
groupes de lettres classiques et modernes de la Sorbonne, on trouve
ainsi les premières traces d’une dénonciation, ouvertement poli-
tique, de l’enseignement littéraire traditionnel. Mai  68 ofre une
caisse de résonance à cette rhétorique dont on retrouve la trace dans
des documents de travail de diverses commissions.
La politisation du débat pédagogique va beaucoup moins de soi
dans la sphère communiste que pour les gauchistes. En efet, jusqu’à
la fin des années 1960, le Parti communiste reste oficiellement atta-
ché à l’idée que l’échec des élèves de milieu populaire est imputable
à des obstacles matériels : le seul objectif recevable, sur un plan poli-
tique, reste l’accès des enfants du peuple à une excellence incarnée
par un enseignement traditionnel qui n’est pas fondamentalement
remis en cause. Autrement dit, le paradigme dominant dans cette
famille politique s’accommode mal d’un argumentaire qui ferait
d’une réforme des contenus et méthodes un préalable à la promotion
scolaire des classes populaires.
Certains thuriféraires de la réforme se rattachent pourtant bien à
la sphère communiste, bien implantée, depuis l’expérience de la
Résistance, dans le monde enseignant et universitaire18. Cet engage-
ment communiste est tout particulièrement marqué chez les lin-
guistes, qui sont à l’avant-garde de la réforme. Si le phénomène est
souvent relevé par les témoins, son origine et son étendue n’ont
jamais fait l’objet d’une étude systématique. Peut-être faut-il y voir
l’influence du groupe de linguistique marxiste – animé par un pilier
du Parti communiste, Marcel Cohen, qui a largement contribué au

17 Denis Pelletier, « Les jeunes et la politique : l’héritage de 1968 », Projet, nᵒ 305,


2008, p. 41–47.
18 Laurent Frajerman, « L’engagement des enseignants (1918-1968) », Histoire
de l’éducation, nᵒ 117, 2008, p. 57–96.

30
LE POLITIQUE DOIT-IL SE MÊLER D’ÉDUCATION ?

renouveau de la linguistique française19. On trouve aussi des militants


communistes parmi les spécialistes des études littéraires. La radica-
lité politique de la nouvelle théorie littéraire est brièvement illustrée,
entre 1967 et 1971, par le compagnonnage entre Tel Quel, incarnation
de l’avant-garde critique et littéraire, et la Nouvelle critique20, revue
intellectuelle d’obédience communiste. Sans que l’impulsion ne
vienne des instances nationales du Parti, certains militants s’en-
gagent ainsi en faveur de la réforme, et confèrent à leur engagement
une portée politique.
Le fait d’établir un lien, à titre individuel ou collectif, entre un
engagement politique et les positions adoptées dans le débat sur
l’enseignement du français ne conduit pas nécessairement les indi-
vidus concernés à faire publiquement état de ce lien. La politisation
ouverte du débat peut être vue comme plus ou moins opportune en
fonction des circonstances. Prenons l’exemple de Pierre Barbéris,
maître de conférences en littérature, militant communiste et, à comp-
ter de 1968, président de l’Association française des professeurs de
français. Il garde au départ une réserve prudente dans ses prises de
position écrites en qualité de président de l’association. En revanche,
dans le huis clos de la commission de réforme de l’enseignement du
français dont il est membre, il ouvre le débat au printemps 1970 en
lisant une déclaration qui pose sans ambages la portée politique de
la réforme qu’il appelle de ses vœux. Pour autant, dans ses déclara-
tions publiques comme président de l’AFPF, son discours reste
modéré, et dépourvu de marqueurs politiques. C’est l’enlisement de
la dynamique réformiste au ministère de l’Éducation nationale qui
conduit, au congrès de 1973, le bureau de l’AFPF, sur son initiative, à
délaisser sa réserve initiale pour « prendre parti21 ».
La requalification politique du débat, de manière ouverte, dans
l’espace public n’est pas d’abord l’œuvre de l’AFPF, mais celle de
l’Union nationale interuniversitaire (UNI), représentée dans la

19 Jean-Claude Chevalier et Pierre Encrevé, Combats pour la linguistique, de Martinet


à Kristeva : essai de dramaturgie épistémologique, Lyon, ENS Éditions, 2006.
20 Frédérique Matonti, Intellectuels communistes : essai sur l’obéissance politique, Paris,
La Découverte, 2005, p. 167–201.
21 « Prendre parti ? Sur l’un des problèmes qui se posent à l’AFEF », Le français
aujourd’hui, nᵒ 24, 1974, p. 63–76.

31
LE POINT DE VUE DES CHERCHEURS

commission de réforme à compter de la rentrée de 1970. En octobre


1970, un communiqué de l’UNI dénonce les propositions d’une com-
mission jugée « très orientée » et qui, aux yeux de l’UNI, « s’inscrivent
dans un plan d’ensemble de destruction du patrimoine culturel ».22
Cette ofensive marque une étape décisive dans le processus de poli-
tisation du débat. Avec ces déclarations publiques, la requalification
politique du débat n’est plus seulement l’afaire de groupuscules
gauchistes, à l’audience limitée : elle devient un objet de débat dans
une presse d’audience nationale.

La requaliication politique du débat pédagogique :


un processus inabouti ?

Ce processus de requalification politique du débat sur l’enseignement


du français reste, à divers égards, inabouti. Si l’on analyse les revues
et communiqués de diverses organisations professionnelles, le
tableau est contrasté. Au sein des organisations traditionnellement
rattachées à la gauche, le Syndicat national des instituteurs (SNI), le
Syndicat national des enseignements du second degré (SNES), favo-
rables à la réforme, la rhétorique d’extrême gauche, liant de manière
explicite pédagogie du français et rapports de domination entre les
classes sociales, reste le fait d’individus, de tendances, ou de sections
isolées. Les positions prises par les instances nationales s’inscrivent
dans une tradition rhétorique républicaine beaucoup plus modérée.
La rénovation de l’enseignement du français y est présentée comme
une clef de la démocratisation du système scolaire : l’enjeu est de per-
mettre la réussite de tous sans que soient mis exergue des afronte-
ments entre groupes sociaux.
Les positions gauchistes sont relayées par des revues ou des bulle-
tins dont la difusion reste confidentielle. Elles sont en revanche assu-
mées, jusque dans les classes, par certains professeurs. Leur posture
est délicate : mis en dificulté par l’inspection, ils se défendent de tout
prosélytisme explicite, sans nier pour autant la portée politique des
pratiques qu’ils adoptent avec leurs élèves, comme ce professeur en
lycée technique, militant de la gauche prolétarienne, qui étudie le

22 Communiqué de l’UNI, Action universitaire, nouvelle série, nᵒ 1, 1970, p. 4.

32
LE POLITIQUE DOIT-IL SE MÊLER D’ÉDUCATION ?

« rire de classe » que génère Gaston Lagafe à l’encontre des employés


de bureau23. Cette politisation des objets pédagogiques – le français
n’étant pas la seule discipline en cause – est à l’origine d’incidents
nombreux qui émaillent les inspections au début des années 1970.
Les articles publiés dans la presse pédagogique et profession-
nelle reflètent aussi l’existence d’une fraction – dont l’importance
reste à définir – qui récuse cette lecture politique de la réforme.
Hommes de gauche hostiles à certains aspects de la rénovation
(comme Guéhenno), groupements de droite (l’Université moderne)
favorables, au contraire, aux propositions de la commission, s’in-
surgent contre une politisation qui vient selon eux brouiller un débat
jugé nécessaire.
C’est cette vision du débat comme avant tout technique qui
semble en tout cas avoir prévalu dans la sphère politique. L’examen
des interventions à l’Assemblée nationale et au Sénat montre qu’il
n’y a pas de positionnement systématique des parlementaires sur ce
sujet : rares sont ceux qui interviennent, et ceux qui prennent la
parole ne se font pas nécessairement l’écho des lectures politiques
de la réforme, voire s’en démarquent explicitement. Il n’y a pas, pour
autant, de vaste coalition de parlementaires, unissant leurs eforts,
par-delà les clivages politiques pour soutenir ou pour s’opposer à
cette réforme, contrairement à ce que l’on peut observer, à la même
époque, pour le latin. C’est, au total, un sujet délaissé par les élus.
L’étude de la presse d’opinion confirme cette première analyse.
Dans les revues ou hebdomadaires de gauche, il est peu question de
la réforme de l’enseignement du français. Une seule exception, le
Parti communiste, qui s’engage, via l’Humanité, en faveur de la réno-
vation de l’enseignement du français à l’école élémentaire, mais ce
soutien n’est pas étendu aussi explicitement aux autres aspects de
la réforme24.
En revanche, la dénonciation de la réforme pour des raisons
politiques (comme atteinte à l’ordre, subversion communiste et
menace pour la civilisation et la culture) apparaît bel et bien comme

23 Non à l’inspection ! Dossier des profs sanctionnés, Paris, Cerf, 1973, p. 64 et suiv.
24 Viviane Isambert-Jamati, La presse française et le « Plan Rouchette » : 1970-1973.
Analyse sociologique, Paris, CNRS, ERA, 1974, p. 96.

33
LE POINT DE VUE DES CHERCHEURS

le marqueur d’une droite traditionnelle. Si les publications centristes


ou de droite (Le Figaro, par exemple) se font l’écho de positions diver-
gentes, les argumentaires de l’Union nationale interuniversitaire
sont repris à l’identique aussi bien dans la traditionnelle Revue des
deux mondes, que dans le nouvel hebdomadaire Valeurs actuelles,
ou dans trois revues qui voient le jour au début des années 1970
– Contrepoint, Le Monde moderne, Matulu – illustrant la résurgence
d’une droite intellectuelle jusque-là marginalisée par l’omniprésence
du marxisme.

Les effets de la politisation du débat sur la déinition


et la mise en œuvre d’une politique éducative

Peut-on apprécier les efets de cette requalification politique du


débat, fût-elle inaboutie, sur l’évolution de l’enseignement du fran-
çais ? Premier efet notable, cette polarisation politique du débat
ofre à la presse grand public un instrument commode pour mettre
en scène les controverses en cours sur l’enseignement du français.
Le conservatisme pédagogique se voit associé au conservatisme
politique, la rénovation au progressisme. Cette double simplification
fait fi de la diversité des positions défendues dans le champ pédago-
gique et des significations politiques qu’ont pu ou non leur donner
les protagonistes du débat : mais elles ont le mérite de la lisibilité. Au
début des années 1980, divers périodiques relaient ainsi la contro-
verse sur les programmes de français dans le second cycle en cam-
pant, face à face, une Association française des enseignants de fran-
çais, novatrice pédagogiquement et de gauche –  ce qu’elle est
ouvertement – et une Association des professeurs de lettres conser-
vatrice pédagogiquement et politiquement, ce que celle-ci récuse, à
bon droit, au regard de l’engagement politique de plusieurs de ses
responsables.
De façon plus ponctuelle, la dimension politique assignée à cer-
taines options pédagogiques –  et, partant, la dramatisation des
enjeux – ouvre la voie, sur le terrain, à de véritables croisades contre
des « adversaires » désignés, pourfendus pour des raisons indissocia-
blement politiques et pédagogiques. C’est ce qu’illustre l’afaire de
Douvres-la-Délivrande qui défraie la chronique en 1971. Le comité de

34
LE POLITIQUE DOIT-IL SE MÊLER D’ÉDUCATION ?

défense de la République du Calvados s’empare d’un « texte libre »


rédigé par un élève de collège après un cours de biologie – scène
d’éventration amoureuse d’inspiration surréaliste – pour monter une
cabale contre le directeur de l’établissement, connu pour son attache-
ment à la pédagogie Freinet. La production de l’élève est citée, puis
publiée intégralement, assortie d’accusations fantaisistes : les élèves
auraient eu à s’exprimer sur le thème « viol au cours d’une manifesta-
tion raciste », le texte aurait été donné en modèle aux élèves, etc. On
peut postuler un lien entre la politisation du débat sur l’enseignement
du français et le succès de ces rumeurs, largement relayées à l’échelle
nationale. Le discours, véhiculé depuis l’automne 1970 par l’UNI, selon
lequel les pratiques pédagogiques novatrices – en la matière, le texte
libre – s’inscriraient dans un plan concerté de subversion de la civili-
sation, avait préparé les esprits à accorder du crédit aux rumeurs les
moins fondées, à partir du moment où elles venaient confirmer ce
schème général.
Sur le plan des pratiques pédagogiques enfin, la requalification
politique du débat semble plutôt avoir fait obstacle au travail d’éla-
boration de la réforme. Dans le contexte de l’après Mai 68, il revient
en efet à des ministres de droite de mettre en œuvre un projet de
rénovation pédagogique dont les porte-parole les plus virulents
revendiquent la portée politique, en l’associant à des valeurs reven-
diquées par la gauche. Cette situation pèse, tout au long des années
1970, sur le travail de redéfinition des programmes et des méthodes
de l’enseignement du français. En efet, les organisations profession-
nelles proches de la gauche sont placées dans une situation délicate.
Peuvent-elles reconnaître des avancées circonscrites sur le terrain de
l’enseignement du français, appréhendées sous un angle technique,
quitte à les dissocier d’un projet politique d’ensemble qu’elles
rejettent ? Le succès, dans la presse militante, des formules visant à
disqualifier une réforme pseudo-moderniste, technocratique ou uti-
litariste, distincte d’une réforme qui serait à la hauteur de ses enjeux
politiques, révèle la force des obstacles que la politisation du débat
oppose à la formation d’un consensus.

35
LE POINT DE VUE DES CHERCHEURS

Justiications savantes et rhétorique politique

J’examinerai, en conclusion, la façon dont s’articulent, dans les


controverses pédagogiques d’hier et d’aujourd’hui l’expertise et le
politique. Du côté des partisans de la réforme, le processus de requa-
lification politique des débats relatifs à l’enseignement du français
s’appuie pour partie sur des éléments techniques, sur une expertise,
revendiquée comme telle. Sont ainsi invoqués les travaux de
Bourdieu ou de ses disciples, travaux qui dénoncent le rôle de la
pédagogie traditionnelle, tout particulièrement en lettres, dans la
fonction de reproduction sociale assumée par l’école25. De la même
façon, la scientificité de la linguistique ou de la nouvelle critique est
mise en avant pour défendre et promouvoir la rénovation de cet
enseignement. Du côté des adversaires de la réforme, à l’inverse, on
ne s’embarrasse pas d’un argumentaire scientifique. L’appel à l’expé-
rience ou au bon sens prévaut, opposé sans complexe aux arguments
de « sciences humaines » dont on récuse le sérieux, la pertinence et
la neutralité idéologique.
Cette configuration perdure, pour une part, jusqu’à aujourd’hui.
À l’inverse d’autres secteurs – comme l’économie – ou des éléments
d’expertise et de contre-expertise peuvent être mobilisés à l’appui de
projets de société portés par des familles politiques concurrentes, la
controverse pédagogique (celle qui porte sur les contenus et les
méthodes, sur la culture scolaire) reste asymétrique, en ceci que
l’expertise tirée de la recherche en éducation n’est produite et mobi-
lisée, ou tout simplement, prise en considération, que par une partie
des protagonistes.
Comment interpréter la persistance de cette configuration ? Au
moment où la polémique est la plus forte, au début des années
1970, il n’existe pas de travaux sur les efets sociaux des diférentes

25 Pierre Bourdieu, Jean-Claude Passeron et Monique de Saint-Martin, Rapport


pédagogique et communication, Paris, La Haye, Mouton, 1965 ; Guy Vincent,
« Enseignement du français et système scolaire », Revue française de sociologie,
vol. 9, nᵒ 3, 1968, p. 355–374.

36
LE POLITIQUE DOIT-IL SE MÊLER D’ÉDUCATION ?

pédagogies du français26. Autrement dit, le lien établi par les parti-


sans de la réforme entre leurs propositions, et les efets politiques
et sociaux qu’ils en attendent, peut sembler teinté de « scientificité »
mais relève, dans les faits, du domaine de l’opinion, ce qui autorise
les adversaires de ces propositions à en récuser le bien-fondé, sans
chercher d’expertise concurrente. Depuis les années 1970, les travaux
relatifs aux diférents dispositifs pédagogiques se sont sensiblement
développés : on mesure les efets, sur les inégalités socio-scolaires,
du taux d’encadrement, de l’hétérogénéité des élèves, des aménage-
ments de carte scolaire, etc. Pour autant, bien des finalités assignées
à l’éducation scolaire se dérobent à l’observation, et plus encore à
l’analyse quantifiée, laissant donc le champ libre, aujourd’hui comme
hier, à l’afrontement des croyances, des valeurs, des opinions, en
particulier sur l’évolution de la culture scolaire.
D’autre part, l’apparent consensus que reflète le succès de certaines
formules – l’égalité des chances, par exemple – dissimule mal l’ambi-
guïté du projet de société qu’elles prétendent décrire. À travers l’égalité
des chances, promeut-on réellement une redistribution des positions
à chaque génération ? Ou bien une promotion des plus « méritants », y
compris lorsque le mérite retraduit, dans la majorité des cas, un capital
culturel ? Qu’implique l’égalité des chances dans une société de crois-
sance molle ou nulle où la pyramide des positions sociales n’évolue
presque plus ? L’objectif visé par les politiques éducatives est sans
doute moins évident et univoque que l’unanimité du discours sur l’éga-
lité des chances, partagé par la gauche et la droite, ne le laisse
entendre : il y a là des choix de société qui échappent à la rationalité
technocratique et relèvent d’un arbitrage politique.
Cependant, en dépit de ces facteurs qui pourraient réinscrire les
questions éducatives au cœur du débat politique, on ne peut en toute
rigueur identifier, en France, de projets éducatifs distincts pour la
gauche et droite, alternatifs, clairement lisibles, et revendiqués
comme tels. Dans les politiques publiques, de nombreux éléments
circulent d’un gouvernement à l’autre, et les clivages sont parfois

26 La première recherche de ce type est, semble-t-il, celle de Viviane Isambert-Jamati


et Marie-France Grospiron, « Types de pédagogie du français et diférenciation sociale
des résultats », Études de linguistique appliquée, nᵒ 54, 1984, p. 69–97.

37
LE POINT DE VUE DES CHERCHEURS

plus forts à l’intérieur d’une même famille politique qu’entre familles


politiques structurellement adverses. De ce fait, les questions d’édu-
cation comme les positions pédagogiques ne contribuent qu’à la
marge à la structuration du champ politique.
C’est finalement aujourd’hui, comme hier, l’extrême droite qui par-
vient le mieux à instrumentaliser les questions éducatives pour gagner
en visibilité dans le champ politique. En écho à l’afaire de Douvres-
la-Délivrande, on peut ainsi mentionner l’ofensive récente de l’ex-
trême droite sur le terrain éducatif à propos de l’ABCD de l’égalité.
Dans les deux cas, l’école s’est vue instrumentalisée comme lieu de
peurs et de fantasmes propre à mobiliser l’opinion publique, au ser-
vice d’enjeux politiques ouvertement assumés. Les rumeurs propa-
gées autour du texte libre, ou de l’ABCD de l’égalité, ont déporté le
débat des méthodes pédagogiques vers les enjeux politiques en
re-politisant une question à première vue consensuelle, celle de la
libre parole de l’enfant ou de l’adolescent, dans les années 1970, celle
de la promotion de l’égalité entre hommes et femmes dans l’école
en 2014. Dans les deux cas, le recours à la rumeur apparaît comme un
stratagème pour donner à voir des conséquences aussi néfastes
qu’imaginaires imputées à certaines pratiques pédagogiques, en rai-
son des valeurs qui les inspirent et que rejette ouvertement l’extrême
droite. Le recours à ces rumeurs permet – provisoirement du moins –
de re-légitimer la dénonciation de ces valeurs perçues comme consen-
suelles, et de rallier leurs adversaires derrière la bannière d’un camp
politique clairement identifié.

38
LE POLITIQUE DOIT-IL SE MÊLER D’ÉDUCATION ?

Pour une formation des enseignants au politique

Philippe Bongrand
Université de Cergy-Pontoise

« Les enseignants doivent-ils se mêler de politique ? » : point de vue


d’un formateur d’enseignant, ce texte engage le débat en défendant
une réponse positive. Constatant dans un premier temps que nombre
de futurs professeurs semblent peu ou pas intéressés par la politique,
il s’interroge ensuite sur la façon dont ce constat de dépolitisation
pourrait éclairer certains des problèmes actuels du système éducatif,
puis esquisse enfin quelques pistes pour intégrer le politique dans
les objectifs de formation initiale des enseignants27.

Une moindre politisation des futurs enseignants ?

Lorsqu’ils entament leur première année de master MEEF (Métiers de


l’enseignement, de l’éducation et de la formation), certains étudiants
apparaissent très peu familiers des institutions politiques (par
exemple, ce que sont une constitution, une loi ou l’Assemblée natio-
nale) ou des valeurs de la République (à commencer par la laïcité),
tous éléments dont la connaissance apparaît alors entièrement à
construire. De plus, ils ne manifestent pas seulement une méconnais-
sance, mais aussi un désintérêt envers l’identité et les afrontements
des professionnels de la politique, autrement dit un désintérêt pour
la politique au sens courant du terme.

DES ÉTUDIANTS PEU POLITISÉS


Une première série de données permet d’illustrer ce constat. En sep-
tembre 2014, sur un site de l’ESPE (École supérieure du professorat
et de l’éducation) de l’académie de Versailles, deux promotions
d’étudiants en première année de master aspirant à devenir soit
professeur des écoles, soit professeur des lycées dans les voies

27 Merci à Hélène Buisson-Fenet, Clémence Cardon-Quint, Géraldine Farges et Olivier


Rey, ainsi qu’aux collègues du site d’Antony de l’ESPE de l’académie de Versailles,
pour les discussions au sujet de ce texte, qui ne saurait les engager.

39
LE POINT DE VUE DES CHERCHEURS

technologiques et professionnelles, ont répondu à la question sui-


vante : « La politique vous intéresse-t-elle (précisez en quel sens) ? ».
Voici leurs réponses :

Étudiants en master
Étudiants en master de professeur des lycées
La politique vous
de professeur dans les voies
intéresse-t-elle ?
des écoles professionnelle
et technologique

Non 6 2
Pas vraiment 23 15
Oui 18 15
Je ne sais pas 3 2
Non-réponse 0 3
Total 50 37

Plus de la moitié des étudiants de chacune des deux promotions


déclarent ainsi un intérêt faible ou nul pour la politique. Leurs com-
mentaires donnent à ce désintérêt cinq principales formes (qui ne
sont pas exclusives les unes des autres) :
– l’indiférence : « Je ne me sens pas directement concernée », « Cela
est trop éloigné de moi » ;
– l’incompréhension : « Cela me dépasse », « Trop compliqué », « Je
n’y comprends pas grand-chose » ;
– la déception : « Je la trouve décevante le plus souvent », « Je suis
de plus en plus déçue » ;
– la méfiance : « Bien souvent ce ne sont que des promesses », « La
plupart des idées ne sont pas suivies d’efet », « Peu tiennent leurs
engagements », « C’est trop contradictoire, les partis politiques ne
suivent jamais ce qu’ils annoncent » ;
– la défiance : « J’ai l’impression que c’est surtout de la manipula-
tion », « Ils sont tenus par le système économique, et leurs intérêts

40
LE POLITIQUE DOIT-IL SE MÊLER D’ÉDUCATION ?

ne sont pas les nôtres », « Les politiques nous mentent quoi qu’il
en soit », « Pour moi ils sont tous pareils », « Système et personnes
inchangés depuis trop longtemps »28.
Ces données ponctuelles ne sont pas représentatives et l’anony-
mat de l’enquête ne permet pas de savoir si ces étudiants ont réussi
au concours de recrutement. Cependant, pour ce qui concerne au
moins les professeurs des écoles, compte tenu de la faible sélectivité
du concours de l’académie ici concernée, on peut raisonnablement
faire l’hypothèse qu’une très grande partie des 29 étudiants se décla-
rant pas ou pas vraiment intéressés par la politique en début de pre-
mière année de master sont aujourd’hui fonctionnaires-professeurs.

UNE TENDANCE GÉNÉRATIONNELLE


Ces données peuvent être rapprochées de celles concernant le rapport
à la politique de la génération dont ces étudiants sont majoritairement
issus. La plupart d’entre eux ont été socialisés au cours d’une époque
de défiance vis-à-vis des personnels politiques, ce qui les prédispose
à une moindre afiliation partisane29. Ils ont grandi dans un environ-
nement où les adultes vivaient et donnaient à partager une forme de
désenchantement, dont l’héritage les prédispose à reconnaître moins
intensément la légitimité du vote comme premier outil d’expression
démocratique30.
Les travaux de sociologie politique qui portent plus précisément
sur les enseignants permettent également d’éclairer ce constat. À la
question « Pouvez-vous nous dire où vous vous situez : très à gauche,

28 Si l’objet de ce texte est d’attirer l’attention sur cette catégorie d’opinions « dépolitisées »,
on peut cependant rappeler que d’autres opinions expriment un intérêt positif pour la
politique, comme « C’est essentiel pour comprendre le monde », « Elle permet de mieux
comprendre la société dans laquelle nous vivons et de mieux défendre nos intérêts »,
« Elle régit le monde qui nous entoure et est la base de nos années futures », « C’est
l’avenir qui se décide », « Elle détermine certaines parties de nos vies », « Elle est large
et indispensable pour la vie du pays », « En tant que citoyens, nous sommes tous
concernés », « Elle joue un rôle important dans le futur de chacun », « Le choix que feront
les politiciens nous concernent directement », etc. Ces formulations commentent
exceptionnellement (une occurrence) un intérêt pour la politique par des enjeux
explicitement professionnels : « L’éducation est très importante pour le ministère ».
29 Vincent Tiberj, « Les temps changent, renouvellement générationnel et évolutions
politiques en France », Revue française de sociologie, vol. 54, nᵒ 4, 2013, p. 741–776.
30 Anne Muxel, Avoir 20 ans en politique. Les enfants du désenchantement, Paris, Seuil,
2010, p. 134.

41
LE POINT DE VUE DES CHERCHEURS

à gauche, au centre, à droite, très à droite ? », le taux de non-réponse


d’un échantillon représentatif d’enseignants décline significative-
ment avec l’âge, depuis 9 % pour les professeurs des écoles de moins
de trente ans jusqu’au plancher de 4,7 % pour les enseignants de plus
de soixante ans. La tendance est également identifiable, quoique
moins nette, dans le second degré, ce qui conduit à conclure à un
« désinvestissement [des enseignants] à l’égard de l’institution sco-
laire et à l’égard des identifications partisanes »31. Une autre enquête
récente présente sur ce point des caractéristiques moins nettes,
même si, dans le premier degré, le taux de non-réponse (ou d’autre
réponse) s’élève à 4,0 % pour les 34 ans et moins (et 4,6 % pour les
35-45 ans), contre 2,8 % chez les plus de 45 ans32.
Si ces travaux rappellent que la moindre politisation ne concerne
qu’une partie seulement des enseignants, et s’ils incitent à bien dis-
tinguer le cas des étudiants qui ne sont pas encore devenus ensei-
gnants de celui des professeurs en poste, ils permettent cependant
de faire l’hypothèse d’une tendance à une moindre politisation. Un
faible intérêt pour la politique ne va pourtant pas de soi lorsqu’il
s’agit d’étudiants qui se destinent à exercer une profession dont la
première compétence consiste à « faire partager les valeurs de la
République »33.

La moindre politisation des enseignants


pose-t-elle problème ?

La moindre afiliation des enseignants aux partis politiques ou leur


moindre reconnaissance de la légitimité des professionnels de la
politique ne sont pas nécessairement regrettables. Cette tendance
pourrait par exemple être perçue comme une garantie de neutralité
de l’école, en ce qu’elle prémunirait l’enseignant de la tentation

31 Alexis Spire, « Les efets politiques des transformations du corps enseignant »,


Revue française de pédagogie, n° 170, 2010, p. 61–72.
32 Géraldine Farges, Les identités enseignantes à l’épreuve du temps. Les transformations
intergénérationnelles d’un groupe social (1970-2010), Thèse de sociologie, Institut
d’études politiques de Paris, 2010, p. 124.
33 Première des dix-neuf compétences professionnelles des métiers du professorat
et de l’éducation (arrêté du 1er juillet 2013).

42
LE POLITIQUE DOIT-IL SE MÊLER D’ÉDUCATION ?

d’agir comme un « agent électoral »34. On pourrait également arguer


que le rapport au politique d’un individu n’a pas nécessairement à
voir avec ses pratiques professionnelles d’enseignant. Il s’agira ce-
pendant d’argumenter ici la thèse, inverse, d’après laquelle le désin-
térêt, la défiance ou l’incompréhension de la politique desservent
l’institution scolaire et pourraient éclairer certaines de ses dificultés
actuelles à parvenir à ses fins.

DÉPOLITISATION DES ENSEIGNANTS ET DIFFICULTÉS À FAIRE PARTAGER


LES VALEURS DE LA RÉPUBLIQUE
Une première manière de regretter cette dépolitisation consiste à
la rapprocher des dificultés actuelles des enseignants à former les
élèves au politique, au sens de les éduquer à la citoyenneté et de
leur faire partager les valeurs de la République. Le contexte de 2015
l’impose. Les attentats et leurs suites ont en efet donné à voir et
discuter l’action d’anciens élèves de l’école de la République deve-
nus terroristes, les attitudes d’élèves (notamment lors de minutes de
silence ou de débats) ne condamnant pas l’atteinte aux valeurs de
la République, les discours d’enseignants s’estimant démunis face à
ces événements et attitudes, la mise en cause d’une école appelée à
se « mobiliser pour les valeurs de la République », l’écho des médias
relayant et nourrissant ces interrogations – dont il n’est pas ques-
tion ici de discuter les termes. Pour aborder les dificultés de l’école
face à ces questions, Laurence Loefel convoque la dépolitisation des
enseignants, entendue ici dans le sens d’une moindre adhésion aux
valeurs de la République :

Je dirai qu’aujourd’hui la première dificulté, concernant la transmission


des valeurs à l’école et plus spécialement l’objectif de faire partager les
valeurs, ce qui n’est pas tout à fait la même chose, eh bien la première
dificulté, ce sont les enseignants eux-mêmes, leur capacité à faire vivre
ces valeurs, à les transmettre, je dirai même leur capacité à les prendre
au sérieux. On a assisté en efet, en une trentaine d’années, à une

34 D’après la notice « Politique » rédigée par Ferdinand Buisson, Nouveau Dictionnaire


de pédagogie et d’instruction primaire, 1911. En ligne : http://www.inrp.fr/
editionelectronique/lodel/dictionnaire-ferdinand-buisson/document.php?id=3406.

43
LE POINT DE VUE DES CHERCHEURS

désafection, voire à une désafiliation des enseignants à l’égard des


valeurs de la République, que l’école, pourtant, a toujours eu pour
objectif de faire partager. Pour toute une frange d’enseignants,
l’adhésion aux valeurs de la République ne va plus de soi. Ces valeurs
ne font plus partie de l’ADN des enseignants.35

Liant explicitement les opinions des enseignants à la dificulté,


actuellement à l’état vif, de transmission des valeurs, cet extrait sou-
tient l’hypothèse que la socialisation politique des enseignants
aurait à voir avec l’éducation des élèves. Aux côtés des hypothèses
pédagogiques36, on pourrait rechercher l’explication des dificultés à
éduquer à la citoyenneté dans la fragilité de certaines convictions (au
moins telles qu’elles sont déclarées) de certains enseignants
relativement à la légitimité des formes actuellement instituées de
démocratie représentative. D’une part, le désintérêt ou la défiance
d’un enseignant pourraient en efet transparaître en classe et, dès
lors, potentiellement se « transmettre » aux élèves. Imaginons par
exemple les efets éducatifs du comportement d’un enseignant ne
prenant pas au sérieux le rôle de délégué de classe ou les objectifs
éducatifs d’une coopérative scolaire… D’autre part, le désintérêt, la
faible aisance ou l’incompréhension de la politique pourraient dis-
suader l’enseignant de l’aborder de front. Imaginons ici tel professeur
excipant d’une incompétence « disciplinaire » pour renvoyer des
élèves aux prises avec des questions politiques vers les professeurs
de lettres-histoire ou d’histoire-géographie. Enfin, le peu d’appétence
pour la politique, au sens de faible disposition à afronter les conflits
ou à organiser des débats sur les questions socialement vives, peut
susciter des maladresses face aux propos ou comportements cho-
quants, disqualifiés en tant que « politiques ». On imagine ici un
enseignant censurant systématiquement tout propos formulé en
termes partisans, sans peser ce que sa discussion et réélaboration
collectives pourraient avoir d’éducatif. Contraints par les attentats

35 Sénat, Commission d’enquête « Service public de l’éducation, repères républicains


et dificultés des enseignants », 9 avril 2015. En ligne : http://videos.senat.fr/video/
videos/2015/video28129.html.
36 Laurence Loefel, Enseigner la démocratie. Nouveaux enjeux, nouveaux déis, Paris,
Armand Colin, 2009.

44
LE POLITIQUE DOIT-IL SE MÊLER D’ÉDUCATION ?

de 2015 de s’aventurer hors de leurs frontières disciplinaires habi-


tuelles, des enseignants ont pourtant témoigné de l’intérêt à afron-
ter des questions politiques avec les élèves37.

DÉPOLITISATION DES ENSEIGNANTS ET DIFFICULTÉS À METTRE


EN ŒUVRE LES POLITIQUES PUBLIQUES
Un deuxième problème que l’on pourrait rapprocher de la moindre
politisation des enseignants réside dans la dificulté à mettre en œuvre
les réformes. Cette dificulté est notoire : l’interdiction des devoirs
écrits à la maison à l’école élémentaire, la limitation du recours au re-
doublement ou la mise en œuvre des cycles, par exemple, connaissent
ou ont connu une efectivité durablement insatisfaisante. Les pistes ne
manquent pas pour expliquer ces dificultés, et l’inconséquence des
politiques ou administrations à leur consacrer des moyens (discursifs,
réglementaires, humains, financiers, etc.) n’est pas la moins convain-
cante. Cependant, ne pourrait-on se demander, ici, si la dépolitisation
de certains enseignants ne pourrait contribuer à leur insufisante
mobilisation à mettre en œuvre des réformes ?
Serait alors en cause le manque d’intérêt (donc d’information sur
les tenants et aboutissants des réformes) ou de compréhension (donc
de capacité à soutenir de manière convaincante la mise en œuvre
d’une réforme auprès d’élèves, d’usagers ou même de soi) pour des
réformes portées par des responsables ou partis politiques. Le désin-
térêt d’un enseignant pour la politique peut inclure celui pour sa ou
son propre ministre (ce personnage qui, s’il a tous les traits de
l’« homme politique », est pourtant chef de l’administration au sein de
laquelle se situe l’enseignant) et, alors, pour des objectifs, mesures et
valeurs partisanes distinctives qui font parfois l’« esprit » de réformes
politiques à appliquer. Par ailleurs, l’explication des problèmes de mise
en œuvre par la faible politisation peut prendre la forme non plus de
l’ignorance des réformes, mais de leur discrédit : un enseignant peut
se juger plus compétent qu’un ministre pour apprécier, par exemple,
l’eficacité du redoublement. Considérant que le politique n’a pas à se

37 Philippe Bongrand et Jean-François Nordmann, « Valeurs de la République, valeurs


de la classe. Les événements de janvier 2015 vus par des professeurs-stagiaires »,
Diversité, nᵒ 182, 2015, p. 123–128.

45
LE POINT DE VUE DES CHERCHEURS

mêler d’éducation, il peut rejeter certaines directives politiques en les


requalifiant comme pédagogiques, donc coupables d’intervention-
nisme excessif sur son territoire professionnel.
D’autres pistes pourraient être évoquées, mais il est moins ques-
tion ici de viser un inventaire que d’engager un débat. Sous cette
réserve, et en admettant désormais l’hypothèse suivant laquelle la
dépolitisation des enseignants pourrait contribuer à une moindre
qualité du fonctionnement du système éducatif, on peut poursuivre
la réflexion en s’interrogeant sur les manières d’y remédier. Comme
souvent – et souvent avec illusion ? –, la formation se profile alors
comme un levier d’amélioration.

Politiser la formation des enseignants ?

Si l’on admet que l’enseignement scolaire gagnerait à être mis en


œuvre par des enseignants nourrissant un certain rapport (informé,
réflexif et constructif ?) aux institutions et à la vie politiques, et que
la formation initiale pourrait chercher à développer un tel rapport,
sous quelles modalités travailler à cela ?
Bien sûr, « politiser la formation » n’appelle pas à privilégier des
approches partisanes, politiquement orientées ou biaisées –  peu
appropriées à une formation préparant les enseignants à l’exercice de
la neutralité –, ni à « caporaliser » de futurs fonctionnaires dont on se
soucierait avant tout du sens de l’obéissance hiérarchique. Il s’agit de
mobiliser plus de thématiques, problématiques ou travaux de
sciences sociales du politique – comme on aurait pu, dans d’autres
contextes, proposer de « sociologiser » ou « internationaliser » la for-
mation. Certains enseignements des maquettes actuelles des masters
de préparation aux métiers de l’enseignement et de la formation dis-
pensent déjà des connaissances sur l’histoire, les valeurs et l’organi-
sation du système éducatif (« grandes » lois, dispositifs pédagogiques
emblématiques de tel gouvernement, principes de discrimination
positive, laïcité, etc.). On peut cependant faire l’hypothèse que ces
enseignements, incontournables pour la validation des masters et la
réussite aux concours, connaissent les mêmes limites que ceux d’ins-
truction civique dans l’enseignement scolaire, s’avérant inaptes (ne
serait-ce que parce que tel n’est pas leur objet) à prévenir la situation

46
LE POLITIQUE DOIT-IL SE MÊLER D’ÉDUCATION ?

de dépolitisation évoquée plus haut. Dans le contexte certes très


contraint de la formation des enseignants, on imagine donc ici
d’autres voies pour intéresser au politique.

L’ANALYSE DE CONTROVERSES DE POLITIQUE SCOLAIRE POUR FAIRE


PRENDRE CONSCIENCE DE LA DIMENSION POLITIQUE DE L’INSTITUTION
De facto, les débats médiatiques, politiques et professionnels four-
millent de questions dont les tenants et aboutissants sont controver-
sés : est-il du rôle de l’école d’enseigner aux élèves la théorie du genre ?
Renoncer à noter, n’est-ce pas cacher aux élèves leur niveau réel ? Les
élèves doivent-ils passer des portiques de sécurité à l’entrée des éta-
blissements ? La réforme des rythmes scolaires n’est-elle pas scanda-
leuse au regard des besoins des jeunes enfants ou des inégalités de
moyens des municipalités ? Les ministres ne devraient-ils pas cesser
de toujours réformer ? Les enseignants qui font grève ne devraient-ils
pas être systématiquement remplacés ? Faut-il cesser de subvention-
ner l’enseignement privé ? Ne vaudrait-il pas mieux augmenter la ré-
munération des professeurs plutôt que de recruter des enseignants
en plus grand nombre ? La carte scolaire n’emprisonne-t-elle pas cer-
tains enfants dans leur quartier ségrégué ? Une section européenne
au sein d’un collège ne permet-elle pas de tirer les élèves vers le haut ?
L’école française a-t-elle perdu sa place de meilleure école du monde
depuis qu’elle est passée aux mains des « pédagogistes » ? Ne trouve-
t-on pas des excuses sociologiques à des élèves à qui l’on consacre
trop de temps alors que d’autres, qui ne demandent qu’à travailler,
s’ennuient et prennent du retard ?
Toutes erronées, simplistes ou dangereuses qu’elles puissent
paraître, ces formulations peuvent pourtant dominer la perception
des problèmes de l’école : tout enseignant ne peut-il pas se les voir
opposer au détour d’un repas de famille, d’une discussion avec des
proches ou d’échanges entre collègues ? Or ces formulations sont
aussi (et sans doute indissociablement) des alternatives brandies par
les professionnels de politique, abordées ou tranchées dans des pro-
grammes électoraux ou des débats médiatisés. De fait, la politique
(ici au sens de ces « hommes politiques » qui n’intéressent pas une
partie des étudiants de master MEEF) se mêle d’éducation ; de fait
encore, elle s’en mêle, entre autres, en participant à des débats aussi

47
LE POINT DE VUE DES CHERCHEURS

problématiquement construits que ceux évoqués plus haut ; de fait,


enfin, les enseignants sont pris comme objets et enjeux de ces
débats. Dès lors, la formation ne pourrait-elle placer les enseignants
face à cette situation et leur proposer de construire une distance pro-
fessionnelle (donc à travailler leur rapport au politique) relativement
à ces controverses de politique scolaire ?
Ces controverses pourraient être abordées sous la forme de
débats argumentés, à la manière des débats (mais en en évitant cer-
tains de leurs problèmes) que les enseignants sont, depuis une quin-
zaine d’années, incités à organiser avec les élèves dans le cadre de
l’éducation à la citoyenneté – qu’ils pourraient ainsi expérimenter38.
L’enjeu de connaissance de tels débats serait en partie identique à de
nombreux cours de « connaissance de l’institution » (notamment
l’appropriation de la réglementation ou de résultats de recherche),
mais en les complétant (notamment par la connaissance des prises
de position et argumentations endossées par certains acteurs poli-
tiques identifiés) et, surtout, en y développant en priorité certaines
compétences démocratiques (les capacités empathique, analytique
et logique à comprendre les bonnes raisons des diférentes parties,
à démêler la complexité de ces débats pour s’y orienter, à distinguer
des jugements de fait et jugements de valeur, à délibérer)39. Engagés
dans ces débats de prime abord politiques, les enseignants ne pour-
raient que constater qu’ils concernent directement leur métier, leur
exercice professionnel, leur personne – donc éprouver qu’ils y sont
intéressés ?

L’ANALYSE DE SITUATIONS PROFESSIONNELLES POUR FAIRE PRENDRE


CONSCIENCE DE LA DIMENSION POLITIQUE DE L’EXERCICE DU MÉTIER
Étudier des controverses de politique scolaire risque cependant de ne
pas retenir l’intérêt de certains étudiants entièrement préoccupés par
la pratique de classe. À leur intention, une modalité de formation

38 Voir Diana E. Hess, Controversy in the Classroom : The Democratic Power of Discussion,
New York, Routledge, 2009 et Diana E. Hess et Paula MacAvoy, The Political Classroom :
Evidence and Ethics in Democratic Education, New York, Routledge, 2015.
39 Où l’on retrouve des enjeux de formation à la pluralité et à la confrontation. Voir Pierre
Kahn, « “L’enseignement moral et civique” : vain projet ou ambition légitime ? Éléments
pour un débat », Carrefours de l’éducation, nᵒ 39, 2015, p. 185–202.

48
LE POLITIQUE DOIT-IL SE MÊLER D’ÉDUCATION ?

consiste à analyser des situations, fictives ou vécues par les stagiaires


en alternance, où un enseignant est confronté à des propos ou évé-
nements manifestement « politiques » (ou analysables comme tels),
par exemple lorsque, en classe, surgit une accusation de racisme, de
sexisme ou de discrimination, ou lorsque l’enseignant se voit opposer
la remise en cause de la légitimité politique de certains savoirs ou
même de la scolarisation, ou encore, de manière moins conflictuelle,
lorsqu’un choix entre plusieurs objectifs éducatifs légitimes impose
de définir ou expliciter un choix et ses critères. Voici une situation,
rapportée par une professeure des écoles stagiaire, qui illustre un tel
surgissement :

[…] Lors d’un cours de musique, un élève a réagi de façon virulente face
à l’écoute d’un morceau de rock. Ses mots étaient les suivants : « Arrêtez
cette musique, c’est la musique du diable ! » Face à cette remarque, il lui
a été demandé pourquoi il disait cela. Il explique qu’il suit des cours à
l’école coranique, dans laquelle on lui a expliqué qu’il est interdit
d’écouter ce genre musical. Face à cette situation, le reste du groupe a
réagi en expliquant que cette musique peut être écoutée. Un court débat
entre cet élève et un élève qui aime le rock a commencé. Trois autres
élèves vont également à l’école coranique. Ils n’ont pas donné leur avis.40

Faire de ce récit un objet d’analyse collective, en formation ini-


tiale, permet d’aborder des questions politiques (qui n’ont bien sûr
pas vocation à occulter d’autres aspects, notamment pédagogiques)
qui ont à voir avec certaines des controverses évoquées plus haut.
Le fait de reconnaître et aborder la dimension politique de cette
situation pourrait permettre de lui donner une forme d’acceptabilité
(alors que l’expérience suggère que des enseignants peuvent censu-
rer sans discussion de tels propos) et, en « armant » les enseignants,
pourrait contribuer à leur donner l’aisance les dissuadant de bannir
systématiquement le politique. Une telle formation viserait à faire
prendre conscience aux futurs enseignants des « bonnes » raisons

40 Situation rédigée dans le cadre d’une formation « Gérer professionnellement les


situations » (GPS), à l’ESPE de l’académie de Versailles, où les stagiaires étaient invités
à rédiger une situation qui leur avait posé problème et qu’ils souhaitaient proposer
à la réflexion commune.

49
LE POINT DE VUE DES CHERCHEURS

pour lesquelles les élèves les placent face à de telles questions. En


afrontant la pluralité des opinions, intérêts et valeurs, leur posture
ne consisterait pas seulement à donner des réponses, mais à chemi-
ner avec les élèves, en prenant acte de la diversité des connaissances
et valeurs. Ce cheminement pourrait alors « remonter » aux choix
démocratiques qui sont à l’origine des cadres et missions actuels
de l’institution scolaire ; il permettrait alors aux enseignants de
reconnaître et d’assumer les valeurs qui, primant d’autres et assu-
mant des raisons politiques, guident leur fonction. Pour former les
enseignants à faire partager ces valeurs, une formation au politique
partirait ainsi du principe qu’il faut aussi former les enseignants à
y adhérer.

50
LE POLITIQUE DOIT-IL SE MÊLER D’ÉDUCATION ?

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51
LE POLITIQUE DOIT-IL SE MÊLER D’ÉDUCATION ?

Des responsables politiques modérément


intéressés par les questions éducatives

Jean-Yves Langanay
Animation du CAPE (Collectif des associations
partenaires de l’école publique), académie de Lyon

Un point de vue du « terrain »

Il importe dans ce type d’échanges de dire de quel point de vue on se


place. Le mien est celui d’un ex-professionnel de l’éducation (ensei-
gnant, chef d’établissement, inspecteur, directeur de CRDP) encore
investi dans le mouvement associatif, dans l’association « Éducation
& devenir » et au sein d’un collectif, le CAPE (Collectif des associations
partenaires de l’école publique). Dans ce collectif, un objectif central
est d’ouvrir l’école sur son environnement économique, social et poli-
tique en s’appuyant sur les mouvements pédagogiques et les asso-
ciations d’éducation populaire.

Une première illustration : « Éducation & devenir »


et les journées du Sénat

Pendant de nombreuses années « Éducation & devenir » a organisé


une journée annuelle d’études au Sénat dont l’objectif était d’établir
un dialogue entre professionnels de l’éducation et responsables poli-
tiques. Ces journées ont donné lieu à des publications. Nous avons
fini par y renoncer. Principalement à cause de la déception éprouvée
quant au niveau de réflexion sur l’école de beaucoup de responsables
politiques invités. J’ai en mémoire le dialogue complice (d’un petit
niveau « café du commerce ») entre Julien Dray et Éric Raoult. Il y eut
d’heureuses exceptions : l’intérêt de Michel Rocard pour les questions
éducatives ou la modération inhabituelle d’un Claude Goasguen, il est
vrai ancien recteur.
Au cours de ces journées, nous avions plus d’intérêt à entendre
des universitaires ayant travaillé le thème de la journée que des poli-
tiques ayant confié la préparation de leur intervention à des attachés
parlementaires dont la polyvalence ne peut être infinie. Ce qui pose,

53
LE POINT DE VUE DES PRATICIENS

une fois de plus, la question de la place de la recherche universitaire


dans le débat politique sur l’éducation.

Soixante millions de ministres de l’Éducation nationale !

Pour continuer dans le régime de l’amertume (mais j’aborderai plus


loin des perspectives plus optimistes), explorons la formule « 60 mil-
lions de Français, autant de potentiels ministres de l’Éducation ! » Son
contenu est paradoxal : elle manifeste un intérêt social large et vif
pour les questions éducatives mais à partir d’aspirations très indivi-
duelles et souvent inspirées par la nostalgie d’un âge d’or éducatif
qui n’a jamais existé. Conséquence : le métier de ministre de l’Éduca-
tion nationale est souvent qualifié de métier impossible, et n’est cer-
tainement pas le plus attractif. J’en veux pour preuve le petit livre de
Pascal Bouchard publié en 2006 : École cherche ministre41.
Et il en va de même pour les médias dominants. La France ne
compte qu’un nombre très faible de journalistes spécialisés en édu-
cation (réunis au sein de l’association des journalistes éducation). Et
ceux-là sont excellents ! Mais la disparition d’un périodique comme
Le Monde de l’éducation fut un symptôme inquiétant.
Certes, une poignée de responsables politiques se distinguent par
leur profondeur de vue sur la question. Par exemple les deux rappor-
teurs de la loi de refondation, Françoise Cartron au Sénat et Yves
Durand à l’Assemblée nationale. Encore que les attaques de ce der-
nier, en janvier 2016, contre le Conseil supérieur des programmes ou
le CNESCO (Conseil national de l’évaluation du système scolaire)
laissent plus que perplexes. En revanche, son analyse de la faiblesse
de pilotage de la mise en œuvre de la loi de refondation rejoint les
analyses des mouvements pédagogiques.
Détaillons trois exemples récents :
– la crispation sociale et médiatique sur l’organisation de la semaine
à l’école primaire (ce qui n’est pas la même chose que la nécessaire
évolution des rythmes de l’enfant), crispation qui a occulté la prise
en charge sociale et politique de la loi de refondation. Un arbre

41 Pascal Bouchard, École cherche ministre : lettre au futur ministre de l’Éducation


nationale, Issy-les-Moulineaux, ESF Éditeur, 2016.

54
LE POLITIQUE DOIT-IL SE MÊLER D’ÉDUCATION ?

inopportun a caché la forêt ! Je prends comme exemple la forte


intervention d’Antoine Prost en août 2012 sur la question globale
des rythmes et sa mise en perspective historique (le calendrier sco-
laire ajusté au calendrier des moissons). Il parlait de « Munich sco-
laire ». Mais cette question transversale s’est vite réduite à la seule
organisation de la semaine scolaire dans le premier degré. Dans
ces circonstances le ministre a sans doute eu tort de commencer
par une mesure qu’il croyait emblématique (tirer le fil qui entraî-
nerait l’ensemble de la pelote…), mais qui ne prenait son sens que
dans l’ensemble plus vaste de la loi. On retrouve l’antienne sur la
discordance entre le temps court des politiques et le temps long
de l’école ;
– la réduction de la réflexion sur l’évaluation des élèves à la seule
question de la notation de 0 à 20. Les médias ont ici pleinement
joué leur rôle de haut-parleur a minima d’une opinion publique
dont ils s’arrogent l’expression ;
– le débat sur la réforme du collège se rétrécissant à deux outils de
ségrégation sociale et scolaire : les langues anciennes et les classes
européennes.

Les lois d’orientation et de refondation : 1989, 2005 et 2013

Le temps long de l’école est rythmé à intervalles à peu près réguliers


par de grandes lois d’orientation et parfois de programmation. La loi
de 1989 a été réduite à la formule simpliste d’« élève au centre du
système », d’où l’accusation de puéro-centrisme. Mais elle consacrait
pourtant une évolution amorcée depuis le début des années 1980
par :
– la nécessité de prendre en compte dans le fonctionnement de l’ins-
titution le décrochage entre massification et démocratisation ;
– l’évolution des pratiques par l’introduction de la pédagogie difé-
renciée et le traitement de l’hétérogénéité ;
– la prise en compte de la dimension locale par l’obligation légale
du projet d’établissement.
La loi de 2005 reprenait en l’améliorant l’objectif de Giscard
d’Estaing de « SMIC culturel » par la création du socle commun de
connaissances et de compétences. Mais le projet s’est embourbé

55
LE POINT DE VUE DES PRATICIENS

dans les méandres d’une prise en charge technocratique dont le chef-


d’œuvre fut le malheureux livret personnel de compétences.
La loi de 2013 a fait siennes les conclusions unanimes du rapport
du CESER (Conseil économique, social et environnemental régional)
en mettant au centre la question de l’aggravation des inégalités
sociales à et par l’école.
Dans ces trois exemples, le Parlement a légitimement pris ses res-
ponsabilités. Et il l’a fait chaque fois dans un large consensus. Mais on
peut s’interroger sur l’appropriation du contenu et des objectifs de
ces lois par la société et les professionnels de l’éducation. De même,
le Parlement avait prévu de les soumettre à un suivi et une évaluation
régulière. A-t-il fait son devoir en la matière ?

Programmes, Parlement et organisation verticale

Les lois d’orientation ont mis l’accent sur l’organisation du système


éducatif. Mais elles pâtissent d’un obstacle majeur : le poids histo-
rique d’une organisation hiérarchique, verticale et centralisée au-
jourd’hui nommée top down, et où les acteurs locaux – quoiqu’ils en
disent – se sentent d’autant plus libres d’agir que les niveaux de déci-
sion sont éloignés. Reste alors posée la question de la légitimité des
politiques sur le choix des contenus d’enseignement, au moins aussi
importants que leur organisation (les méthodes restant cantonnées
au champ de la liberté pédagogique). L’avis du Parlement sur les pro-
grammes reste une question ouverte. Le législateur a prévu la pré-
sence de parlementaires au sein du Conseil supérieur des pro-
grammes. La démission de deux de ses membres fin 2015 pour des
raisons apparemment plus politiques que pédagogiques n’est pas un
signe très encourageant.

L’enseignant : fonctionnaire ou exerçant


une profession libérale ?

Les lois fondatrices de la Troisième République ont posé le principe


de neutralité des enseignants, sans résoudre pour autant la question
actuelle de la posture de ces derniers : fonctionnaires ou exerçant une
profession libérale ? Quand des organisations syndicales appellent

56
LE POLITIQUE DOIT-IL SE MÊLER D’ÉDUCATION ?

au boycott ou au sabotage d’une disposition essentielle de la loi votée


par la représentation nationale, on peut s’interroger.
Quand se manifeste quotidiennement une grave confusion entre
liberté pédagogique (qui veut dire choix des méthodes et moyens) et
liberté de s’afranchir des orientations décidées démocratiquement,
l’appropriation par ces fonctionnaires de l’article 15 de la déclaration
des droits de l’homme et du citoyen (« La société a le droit de deman-
der compte à tout agent public de son administration ») ne paraît pas
évidente. Cette référence historique reste actuelle quant au principe
de responsabilité professionnelle. Rappelons que ces droits et
devoirs des fonctionnaires ont été confirmés dans le référentiel de
compétences des métiers du professorat et de l’éducation de 2013,
manifestement trop méconnu et insufisamment approprié. De
manière plus profonde, la qualité des relations entre milieu ensei-
gnant et responsables politiques est particulièrement problématique
en France.

Les frustrations des politiques de proximité

Les lois de décentralisation de 1983 ont marqué un tournant majeur


dans la relation des politiques à l’école. Sur le plan matériel le bilan
est incontestable. Mais le choix de consacrer une exception éducative
en faveur d’une certaine forme de centralisme (par exemple la rela-
tion entre recteur et préfet) a posé de nouveaux problèmes. Sur les
plans éducatif et pédagogique, le débat demeure entier.
Au-delà de la simple dimension logistique se pose la question des
politiques éducatives de territoire :
– la notion de réseau d’éducation prioritaire n’a que modérément
atteint la dimension politique locale et s’est souvent limitée à
l’entre-soi de l’Éducation nationale. Son articulation à la politique
de la ville est restée faible ;
– la question dite « des rythmes scolaires » a réactualisé l’intérêt des
PEDT (Projets éducatifs territoriaux). Mais l’articulation entre temps
scolaire et temps péri-éducatif ainsi que la coordination entre les
acteurs de ces deux domaines restent largement perfectibles ;
– l’autonomie des établissements répond au besoin de trouver des
réponses locales plus fines à l’hétérogénéité des publics scolaires.

57
LE POINT DE VUE DES PRATICIENS

Elle est encore loin de faire l’unanimité. Quant à la présence active


des élus dans les conseils d’administration des EPLE (Établissements
publics locaux d’enseignement), je pourrais témoigner… ;
– la création de l’établissement public du premier degré et du statut
des directeurs d’école, autorisée par la loi, se heurte à de puissants
obstacles chez les enseignants et les maires. Ils n’ont à ce jour
connu de début de concrétisation que très exceptionnellement.

En très brève conclusion, à la question « Le politique doit-il s’occuper


d’éducation ? », ma réponse est :
– oui, car c’est un enjeu démocratique ;
– légitimement, car l’école ne peut être un champ fermé, réservé à
ses seuls professionnels et que les enjeux éducatifs appartiennent
à la société et à ses représentants élus ;
– plus et mieux car jusqu’à ce jour les politiques n’ont que trop rare-
ment investi le champ de l’éducation et avec une insufisante
constance.

58
LE POLITIQUE DOIT-IL SE MÊLER D’ÉDUCATION ?

Entre global et local, la nécessité


d’une cohérence du politique

Olivier Coutarel
Proviseur du lycée Jean-Perrin, académie de Lyon

La question des relations entre le politique et l’éducation sera ici


considérée à partir de deux observations liminaires :
– la première est liée à ma position institutionnelle de proviseur d’un
établissement d’enseignement secondaire, corrélative d’une obli-
gation de réserve qui est une façon d’introduire ces relations. Le
protocole statutaire des personnels de direction, qui date de 2002,
évoque en efet la loyauté sans faille de ces personnels à l’égard de
la tutelle ministérielle et les relations de confiance (sic) avec les
ministres. Il afirme que le chef d’établissement est le « garant » et
le « relais » de la cohérence d’une politique pédagogique qu’il im-
pulse et conduit. Ce cadre institutionnel imprègne inévitablement
mes propos tant il est représentatif d’une conception de l’action
publique dans notre pays ;
– la deuxième considération est d’ordre plus pragmatique : il n’est
pas possible en renversant par l’absurde la question d’imaginer
que les responsables politiques puissent ne pas s’occuper d’édu-
cation, ne serait-ce parce que la dépense éducative représente
dans le budget de la nation une part énorme, près de 7 % du pro-
duit intérieur brut, constitué à plus de 80 % d’argent public.
Hors de toute considération philosophique, l’éducation perçue à
l’échelle d’un pays ou d’une région ne peut donc pas échapper à une
interaction intime et permanente avec le politique, et les interroga-
tions relèvent plus de l’organisation de ses rapports que de leur
existence ou d’une délimitation arbitraire et intenable des champs
d’intervention.

L’éducation : un champ de grande complexité


où coexistent des représentations

Du point de vue des acteurs, il semble qu’il y ait des dysfonctionne-


ments. On peut faire l’hypothèse qu’ils procèdent en partie du fait

59
LE POINT DE VUE DES PRATICIENS

que nous vivons une période d’importantes mutations, dans laquelle


coexiste une grande diversité de conceptions antagonistes au sein
même de chaque acteur. On sait qu’en didactique, les conceptions
simultanées et parfois dépassées perdurent et ressurgissent en dépit
des apprentissages ultérieurs selon les contextes. C’est par analogie
aussi le cas dans la conduite de l’action éducative. Ainsi, le terme
d’égalité, si prégnant dans nos représentations scolaires, est lourd
de nombreuses ambiguïtés. Pour faire simple, il y a l’idée d’égalité
de droits, qui est très présente dans les classes, mais il y a aussi l’ex-
pression « égalité des chances » qui est apparue depuis quelques an-
nées et qui n’a pas les mêmes implications. Ces incertitudes ont des
conséquences opérationnelles directes lorsqu’il s’agit de convoquer
la notion d’égalité. Au niveau de l’établissement, quand il s’agit par
exemple de faire varier des pratiques d’évaluation pour tenir compte
de l’hétérogénéité ou simplement de la diversité des élèves, il n’est
pas rare de voir apparaître des résistances liées à une conception
traditionnelle de l’égalité, qu’on peu estimer légitime, mais qui se
révèle peu compatible avec l’objectif de diférenciation pédagogique.

Une obligation d’agir

Un chef d’établissement ne peut méconnaître l’obligation d’agir qui


pèse sur le politique. Tout comme lui (ce qui est caractéristique des
situations de responsabilité), le proviseur ne peut « se dessaisir » ou
choisir ses sujets. Il doit relayer et impulser une action publique en
même temps qu’il doit régler les problèmes contingents. En une for-
mule volontairement caricaturale, il n’y a qu’une réponse possible à
une interpellation : « Je m’en occupe ».
Est alors posée la question éminemment contemporaine du pilo-
tage de systèmes complexes. Elle se décline en deux thèmes  :
– l’articulation du global au local (dit autrement le discernement
dans la mise en œuvre pour intégrer des réalités) ;
– la directivité ou la participation par rapport à la norme et
l’autonomie.
Impulse-t-on ou accompagne-t-on ? Comment doit s’organiser le
processus descendant de la décision de politique publique ? À quel
niveau et avec quelle légitimité ? Tout cela ne fait pas forcément

60
LE POLITIQUE DOIT-IL SE MÊLER D’ÉDUCATION ?

consensus au sein de la sphère éducative. Parfois, les acteurs décrient


le politique mais c’est aussitôt pour l’appeler.
Ainsi, en va-t-il, par exemple, de la question dite « du voile » à
l’école. Entre les événements de Creil en 1989 qui marquent l’émer-
gence de la question dans l’espace public et la loi nᵒ 2004-228 du
15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port
de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse
dans les écoles, collèges et lycées publics, on peut retracer les difi-
cultés des responsables politiques à mettre en place un cadre et une
doctrine que les acteurs puissent s’appropier de manière eficace.
De manière moins passionnelle et pour illustrer la variété des
sujets, on peut s’interroger sur le niveau de précision retenu pour
légiférer sur certaines questions, telles que celle de l’interdiction des
distributeurs automatiques dans les lycées qui procède de l’article 30
de la loi nᵒ 2004-806.

La demande d’explicitation des politiques :


les raisons, les processus, les choix par rapport
au macroscopique et à la durée

Il y a une dificulté à discerner dans le discours public ce qui relève


de la déclinaison de processus évolutifs dans la durée (par exemple,
l’élévation continue du temps passé à apprendre dans une vie) de
choix proprement politiques. Il me semble que c’était moins vrai 30
ou 40 ans en arrière. Les cadres intermédiaires du système éducatif
sont amenés à devoir mettre en mot, non sans peine, des processus
longs ou macroscopiques qui débordent le cadre de l’établissement,
pour fabriquer du sens. La stratégie de Lisbonne (et maintenant la
stratégie Europe 2020) est ainsi étonnamment mal connue.
Du point de vue des acteurs, on perçoit plus des ruptures et des
discontinuités sans pouvoir se repérer par rapport au sens global. La
politique en matière de carte scolaire, par exemple, apparaît comme
une suite de changements contradictoires (suppression, assouplis-
sement, réorganisation, etc.). Pourtant, au delà des brusques chan-
gements de cap, cette politique est paradoxalement aussi la traduc-
tion des tentatives d’ajustements à une problématique relativement
stable : celle de l’équilibre entre des choix contraints et la liberté des

61
LE POINT DE VUE DES PRATICIENS

familles, bref, celle du rôle de l’école dans l’édifice républicain ! Le


temps court privilégie une sensation de ruptures alors que le temps
moyen et long restitue la trajectoire dans une logique politique d’en-
semble insufisamment explicitée.

62
LE POLITIQUE DOIT-IL SE MÊLER D’ÉDUCATION ?

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63
LE POLITIQUE DOIT-IL SE MÊLER D’ÉDUCATION ?

Synthèse des débats

Il y a eu un moment dans le débat politique où les candidats à l’élec-


tion présidentielle se prêtaient facilement à l’exercice de présenta-
tion de leurs projets éducatifs. Ainsi, en  1973, les diférents pro-
grammes des candidats avaient été publiés dans le magazine Le
Monde de l’éducation, qui a cessé de paraître il y a quelques années.
Aujourd’hui, il semble que les responsables politiques sont beaucoup
plus réticents à développer en public une pensée globale dans le
champ de l’éducation et qu’ils craignent avant tout un « blâme » des
politiques publiques, selon l’expression d’Hélène Buisson-Fenet. La
recherche du consensus en matière éducative est davantage valori-
sée que les grandes lignes de fracture idéologiques. Ce faisant on
court le risque d’altérer les valeurs éducatives, la peur des clivages
amenant à les afadir ou les incarner sur un mode discret.
On peut alors se demander si la politisation des questions ne
passe pas aujourd’hui plutôt par les controverses autour des dossiers
« chauds », qui font irruption dans l’actualité éducative. Il apparaît,
de l’avis général, que si les politiques produisent toujours des normes
en matière d’éducation, ils éprouvent des dificultés à les expliciter
ou à les traduire en questions politiques qui puissent structurer le
débat. Le politique fait-il de la politique ? L’expression « égalité des
chances » a ainsi souvent été citée, car elle est employée de façon
récurrente mais approximative, sans que l’on sache vraiment s’il
s’agit de requalifier l’objectif de démocratisation scolaire ou s’il s’agit
de s’en éloigner. Dans le premier cas, il s’agit d’assurer à tous les
élèves un droit égal à bénéficier de la réussite scolaire en surmontant
les obstacles sociaux et culturels, alors que dans le deuxième il s’agit
seulement d’assurer une égalité formelle en attribuant aux individus
la responsabilité personnelle de leur échec ou de leur réussite.
Cette incertitude politique a des conséquences dans la recherche
en éducation, domaine dans lequel on a du mal à qualifier les théo-
ries, les dispositifs ou les objectifs pédagogiques en termes de
« droite » ou de « gauche », qu’il s’agisse de la pédagogie de projet, de
l’enseignement explicite, des compétences ou du socle commun par
exemple. Il n’est pas rare de constater la confusion entre les objectifs

65
RÉAGIR ENSEMBLE

et programmes des politiques publiques dans le domaine de l’édu-


cation, qui restent flous ou obscurs, et la communication sur le ou la
titulaire du portefeuille du ministère, qui tient lieu de politique.
Patrick Picard, responsable du Centre Alain-Savary de l’Institut
français de l’Éducation, a pour sa part avancé l’hypothèse d’une dif-
férence de prise en charge par le politique de deux réformes récentes.
La réforme des rythmes scolaires a été menée de façon hâtive, avec
une hypertrophie de la communication politique mais sans prise en
compte des enjeux réels en termes éducatifs. On a négligé d’associer
les personnels et les acteurs de terrain, ce qui a largement hypothé-
qué la réussite de la réforme. À contrario, la réforme de l’éducation
prioritaire a été menée de façon plus discrète mais sans doute plus
pertinente.
Concernant la loi de refondation de 2013, Jean-Yves Langanay sou-
lignait le décalage entre les nombreuses discussions qui ont abouti
au rapport du Conseil économique et social sur les inégalités sco-
laires, voté à la quasi-unanimité, et le peu d’écho public de ces dis-
cussions. De même, une association comme l’Association nationale
des directeurs d’éducation des villes (qui sont réputés pour être des
techniciens au service du politique) produit une expertise perma-
nente et précieuse qui n’est pas exploitée comme il serait possible et
nécessaire de le faire.
Certaines questions sont aussi insufisamment intégrées dans le
périmètre des sujets qui devraient être traités politiquement. Ainsi,
François Jacquet-Francillon remarquait que le développement des
cours privés et des dispositifs parallèles de soutien scolaire est pré-
occupant quant à ce qu’il témoigne des représentations sociales sur
le système éducatif actuel, ses fonctions et son rôle dans la distribu-
tion des places sociales. Le politique devrait être interpellé par le
comportement des familles, qui cherchent dans ces aides concur-
rentes au service public une réassurance face aux dificultés qu’elles
rencontrent.
Si la prise en charge des questions éducatives par les responsables
politiques polarise naturellement une grande part des réflexions, une
autre façon d’aborder la question consiste à partir du terrain pour se
demander dans quelle mesure les acteurs éducatifs relient leur pra-
tiques pédagogiques à des positionnements politiques. Olivier Rey se

66
LE POLITIQUE DOIT-IL SE MÊLER D’ÉDUCATION ?

demandait ainsi s’il était possible d’identifier une projection dans la


sphère politique des préférences pédagogiques des enseignants. En
fait, remarquait Clémence Cardon-Quint, il apparaît que l’articulation
entre préoccupations pédagogiques et positions politiques est assez
lâche aujourd’hui, dans un contexte de moindre « politisation », que
par exemple à la fin des années 1960. La légitimation politique de
telle ou telle préférence éducative n’est pas ressentie comme néces-
saire, et il n’est pas rare, comme sur la question du redoublement, de
constater des dissonances entre l’opinion d’un enseignant sur un
sujet pédagogique et les options politiques plus générales qu’il ral-
lie par ailleurs.
La mise en place de l’enseignement moral et civique suscite de
nombreuses interrogations sur ce plan. Quand passe-t-on de la pos-
ture morale à la posture politique ? Peut-on demander à un enseigner
d’aller au-delà de la compréhension rationnelle pour s’aventurer
dans l’aide à la décision ?
En matière d’application de normes dans les questions d’éduca-
tion, Philippe Bongrand relevait finalement le paradoxe de considé-
rer à la fois les enseignants comme des fonctionnaires inscrits dans
une ligne hiérarchique et comme une profession au sens fort du
terme, c’est-à-dire qui dispose d’une autonomie et d’une latitude
pouvant aller jusqu’à une certaine posture critique au regard des
prescriptions ministérielles.

Olivier Rey
Hélène Buisson-Fenet

67
LE POLITIQUE DOIT-IL SE MÊLER D’ÉDUCATION ?

05
BIBL
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P

H I E
05 G RA P
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74
Les auteurs

François Jacquet-Francillon
Agrégé de philosophie, docteur en histoire, François Jacquet-Francillon est
professeur émérite de sciences de l’éducation à l’université Charles-de-Gaulle-
Lille 3 et membre du laboratoire Théodile-CIREL. Il a été également co-rédacteur
en chef de la Revue française de pédagogie, dont il est toujours membre du comité
de rédaction (en charge des notes critiques). Il est notamment co-auteur, avec
Laurence Loefel et Renaud d’Enfert de l’ouvrage Une histoire de l’école : anthologie
de l’éducation et de l’enseignement en France x v iii e - xxe siècle (Retz, 2010).

Philippe Bongrand
Docteur en science politique, Philippe Bongrand est maître de conférence en
sciences de l’éducation à l’université de Cergy-Pontoise et à l’ESPE de l’académie
de Versailles, membre du laboratoire EMA (Écoles, mutation, apprentissages). En
décembre 2015, il publiera notamment dans la revue Diversité un article coécrit
avec Jean-François Nordmann « Valeurs de la République, valeurs de la classe.
Les événements de janvier 2015 vus par des professeurs-stagiaires ».

Clémence Cardon-Quint
Ancienne élève de l’École normale supérieure, agrégée de lettres modernes et
diplômée de l’Institut de sciences politiques, Clémence Cardon-Quint est maître
de conférences en histoire à l’ESPE d’Aquitaine (université de Bordeaux) et
membre du CEMMC (Centre d’études des mondes moderne et contemporain).
Elle vient de publier Des lettres au français : une discipline à l’heure de la
démocratisation (1945-1981) (Presses universitaires de Rennes, 2015).

Olivier Coutarel
Actuel proviseur du lycée Jean-Perrin à Lyon, Olivier Coutarel a notamment
été proviseur du lycée polyvalent Aiguerande à Belleville, principal du collègue
du Tonkin à Villeurbanne et directeur de cabinet du recteur de Lyon. Agrégé de
mathématiques et titulaire d’un DEA de didactique des mathématiques, il est
intervenu régulièrement comme formateur dans le cadre de masters de formation
des futurs enseignants ou de formations des futurs chefs d’établissement.

75
Jean-Yves Langanay
Jean-Yves Langanay a été enseignant, chef d’établissement, IA-PR « Établissements
et vie scolaire » puis directeur du Centre régional de documentation pédagogique
de l’académie de Créteil. Ancien président d’« Éducation & devenir », il participe
aujourd’hui dans l’académie de Lyon à l’animation du CAPE (Collectif des
associations partenaires de l’école publique). Il a publié en 2002 avec Claude
Rebaud L’établissement scolaire : un jeu collectif ! et en 2016 : Le chef d’établissement
pédagogue.
01 Des effets de la politisation
INTRODUCTION sur le débat pédagogique
Un exemple : la réforme de
Le politique doit-il se mêler l’enseignement du français
d’éducation ? Et l’éducation au tournant des années 1970
se soucier du politique ? CLÉMENCE CARDON-QUINT
HÉLÈNE BUISSON-FENET 27
OLIVIER REY
9 La temporalité et les espaces
de la politisation
02 29
LE POINT DE VUE La requaliication politique
DES CHERCHEURS du débat pédagogique :
un processus inabouti ?
Pratiques de classe, 32
changement éducatif Les effets de la politisation
et intervention de l’État : du débat sur la déinition
quelques enseignements et la mise en œuvre
historiques d’une politique éducative
FRANÇOIS JACQUET-FRANCILLON 34
15 Justiications savantes
et rhétorique politique
Une politique scolaire 36
n’est jamais simplement
« appliquée » Pour une formation des
16 enseignants au politique
D’où viennent les pratiques PHILIPPE BONGRAND
de classe qui s’installent tout 39
au long du xıxe siècle ?
19 Une moindre politisation
Comment penser les rapports des futurs enseignants ?
entre le politique et les 39
acteurs du « terrain » ? La moindre politisation
24 des enseignants
pose-t-elle problème ?
42
Politiser la formation Entre global et local,
des enseignants ? la nécessité d’une
46 cohérence du politique
OLIVIER COUTAREL
03 59
LE POINT DE VUE
DES PRATICIENS L’éducation : un champ
de grande complexité où
Des responsables politiques coexistent des représentations
modérément intéressés par 59
les questions éducatives Une obligation d’agir
JEAN-YVES LANGANAY 60
53 La demande d’explicitation
des politiques : les raisons,
Un point de vue du « terrain » les processus, les choix par
53 rapport au macroscopique
Une première illustration : et à la durée
« Éducation & devenir » 61
et les journées du Sénat
53 04
Soixante millions de ministres RÉAGIR ENSEMBLE
de l’Éducation nationale !
54 Synthèse des débats
Les lois d’orientation  65
et de refondation :
1989, 2005 et 2013 05
55 BIBLIOGRAPHIE
Programmes, Parlement 69
et organisation verticale
56 Les auteurs
L’enseignant : fonctionnaire 75
ou exerçant une profession
libérale ?
56
Les frustrations des politiques
de proximité
57
Le nom de cette collection s’est inspiré de la figure de Ferdinand Buisson (1841-1932),
philosophe et auteur du Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire (paru en deux
éditions en 1887 et 1911), qui est souvent considéré comme la première grande publication
de référence concernant l’école républicaine. Philosophe de formation, Ferdinand Buisson
a notamment été professeur de pédagogie à la Sorbonne, directeur de l’enseignement
primaire sous Jules Ferry ou encore président de la commission parlementaire qui rédige le
texte de la loi de séparation des Églises et de l’État. À la fois homme d’action et penseur, il
a présidé la Ligue française des droits de l’homme et a reçu le prix Nobel de la paix en 1927
pour ses actions en faveur de la réconciliation franco-allemande.

Cet ouvrage est composé avec les caractères


Source Sans Pro dessiné par Paul D. Hunt
et Programme dessiné par David Keshavjee et Julien Tavelli.
Il est imprimé sur papier Munken Lynx cream.

Il a été achevé d’imprimer par l’imprimerie


Jouve en juin 2016.
Conception graphique : www.caroleperret.com
Numéro d’impression xxxxxxxxxxxx
Dépôt légal juin 2016

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