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Pour citer cet article : Vaillant L, Samimi M. Aphtes et ulcérations buccales. Presse Med. (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.

lpm.2016.01.005

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DOSSIER TH EMATIQUE : PATHOLOGIES BUCCALES
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Dossier thématique

Mise au point
Aphtes et ulcérations buccales

Loïc Vaillant 1, Mahtab Samimi 2

Disponible sur internet le : 1. CHRU de Tours, université François-Rabelais de Tours, hôpital Trousseau,
Inserm U 930, service de dermatologie, 37044 Tours cedex 01, France
2. CHRU de Tours, université François-Rabelais de Tours, hôpital Trousseau, Inra,
service de dermatologie, 37044 Tours cedex 01, France

Correspondance :
Loïc Vaillant, Hôpital Trousseau, service de dermatologie, 37044 Tours cedex 01,
France.
loic.vaillant@univ-tours.fr

Points essentiels
Les aphtes sont des ulcérations muqueuses, douloureuses, généralement observées dans la
bouche, plus rarement dans la région génitale. Trois types cliniques d'aphte sont décrits :
mineure, miliaire et majeure. Les aphtes sont souvent confondus avec les affections s'exprimant
par une bulle (ou des vésicules) ou une ulcération (ou des érosions). Le traitement des aphtes est
symptomatique. Les traitements locaux (anesthésiques, corticoïdes locaux et sucralfate) sont
utilisés en première intention. L'aphtose est défini par des poussées récidivant au moins 4 fois
par an. L'aphtose est souvent idiopathique, parfois associée à des affections gastro-intestinales
(maladie cœliaque, rectocolite hémorragique et maladie de Crohn), des déficiences nutrition-
nelles (fer, folates. . .), des désordres immunitaires (infection par le virus de l'immunodéficience
acquise, neutropénies) et des syndromes rares. La maladie de Behçet est une vasculite inflam-
matoire, chronique, dont l'expression principale est une aphtose bipolaire récidivante. En cas
d'aphtose, un traitement systémique (colchicine) est associé aux traitements locaux. La thali-
domide, de grande efficacité, est réservée à l'aphtose sévère, en raison de ses effets secondaires.
Les ulcérations buccales, qui peuvent être liées à des causes variées, constituent les principaux
diagnostics différentiels d'une aphtose. Les ulcérations buccales sont classées en trois groupes
principaux : ulcérations aiguës (à début brusque et courte durée), ulcérations récurrentes
(principalement dues à l'érythème polymorphe post-herpétique) et ulcérations chroniques
(à début progressif et insidieux). Les ulcérations buccales aiguës sont dues à des traumatismes,
des infections bactériennes (incluant la gingivite ulcérative nécrosante aiguë), à des mycoses
profondes, des maladies inflammatoires chroniques de l'intestin ou des maladies systémiques.
Des ulcérations buccales chroniques peuvent être induites par des médicaments, ou des tumeurs
bénignes ou malignes. Devant une ulcération chronique unique il faut éliminer un carcinome
épidermoïde. Devant une ulcération unique du palais il faut penser à une sialométaplasie
nécrosante.

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http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2016.01.005
© 2016 Publié par Elsevier Masson SAS.

LPM-2990
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L. Vaillant, M. Samimi
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Key points
Aphthous ulcers and oral ulcerations

Aphthous ulcers are painful ulcerations located on the mucous membrane, generally in the mouth,
less often in the genital area. Three clinical forms of aphthous ulcers have been described: minor
aphthous ulcers, herpetiform aphthous ulcers and major aphthous ulcers. Many other conditions
presenting with oral bullous or vesiculous lesions orulcerations and erosions can be mistaken for
aphthous ulcers. Currently, treatment of aphthous ulcers is palliative and symptomatic. Topical
treatments (topical anesthetics, topical steroids and sucralfate) are the first line therapy. Recurrent
aphthous stomatitis (RAS) is defined by the recurrence of oral aphthous ulcers at least 4 times per
year. RAS is often idiopathic but can be associated with gastro-intestinal diseases (i.e. celiac disease,
inflammatory bowel diseases), nutritional deficiencies (iron, folates. . .), immune disorders (HIV
infection, neutropenia) and rare syndromes. Behçet's disease is a chronic, inflammatory, disease
whose main clinical feature is recurrent bipolar aphthosis. Colchicine associated with topical
treatments constitutes a suitable treatment of most RAS. Thalidomide is the most effective
treatment of RAS but its use is limited by frequent adverse effects. Oral ulcers can be related to
a wide range of conditions that constitute the differential diagnoses of aphthous ulcers. Oral ulcers
are classified into three main groups: acute ulcers with abrupt onset and short duration, recurrent
ulcers (mainly due to postherpetic erythema multiforme) and chronic ulcers (with slow onset and
insidious progression). Acute oral ulcers are due to trauma, bacterial infections (including acute
necrotizing ulcerative gingivitis), deep fungal infection, gastro-intestinal (namely inflammatory
bowel disease) or systemic diseases. Chronic oral ulcers may be drug-induced, or due to benign or
malignant tumors. Every oral solitary chronic ulcer should be biopsied to rule out squamous cell
carcinoma. A solitary palatal ulcer can be related with necrotizing sialometaplasia.

L' ulcération buccale est une perte de substance muqueuse,


dépassant la membrane basale (touchant épithélium et chorion).
Les aphtes
L'aphte est un aspect sémiologique particulier d'ulcération
L'aphte n'est qu'une forme particulière d'ulcération de la muqueuse, douloureuse, inflammatoire et récidivante. C'est
muqueuse buccale. Le caractère récidivant de plusieurs aphtes la forme la plus fréquente d'ulcération buccale. Le terme
(poussées de 3 à 10 jours, plusieurs fois par an) définit une « aphte cutané » est un abus de langage.
aphtose. Les aphtes sont provoqués par une vasculite leucocytoclasique.
Aphtes et ulcérations buccales constituent un motif fréquent Celle-ci induit une nécrose tissulaire à l'origine d'une ulcération
de consultation. Toute perte de substance de la muqueuse primaire, dont le diamètre et la profondeur varient en fonction
buccale est souvent qualifiée, à tort, d'aphte. De plus, en de la taille du vaisseau atteint.
bouche il est souvent difficile de distinguer une ulcération La prévalence des aphtes dans la population générale est de 5 à
d'une érosion en particulier secondaire à une maladie virale. 60 % [1]. La prévalence des aphtes est plus importante chez les
L'érosion buccale est aussi une perte de substance muqueuse, blancs non hispaniques (21 %), comparés aux noirs (5 %) [1].
mais ne dépassant pas la membrane basale (touchant uni- Les aphtes sont plus fréquents chez les hommes (prévalence de
quement l'épithélium). 10 vs 5 %), les jeunes (moins de 30 ans) [1]. Les aphtes sont
Il faut distinguer les maladies donnant d'emblée des érosions ou situés habituellement sur la muqueuse buccale (lèvres, langue,
ulcérations buccales, des maladies vésiculeuses ou bulleuses plancher buccal, palais mou, luette. . .) et pharyngienne ; ils
donnant secondairement des érosions ou des ulcérations. La peuvent s'observer également dans la région génitale, ou anale.
présence d'une bulle ou d'une vésicule avant l'apparition de
l'ulcération exclut le diagnostic d'aphte. Aspects cliniques
Toute ulcération buccale d'emblée n'est pas un aphte. Pour faire Les aphtes sont des ulcérations inflammatoires, douloureuses,
le diagnostic de la cause des ulcérations il faut rechercher la de tailles variées (le plus souvent de 5 à 10 mm de diamètre),
présence d'érosions ou d'ulcérations sur les muqueuses et de rondes ou ovalaires à bords nets. Précédée d'une sensation de
lésions cutanées. cuisson puis d'une macule érythémateuse, l'ulcération apparaît
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Figure 3
Aphtose miliaire (coll. M. Samimi)

entre 10 et 20 ans et peut être induit par un traumatisme


Figure 1 mineur ou les menstruations. Il est suivi de récurrences espa-
Aphte de la gencive (coll. M. Samimi) cées entre elles par des semaines ou des mois. Les poussées se
situent dans des zones différentes. Les aphtes peuvent égale-
ment apparaître continuellement sans intervalle de temps libre
avec un fond déprimé nécrotique, de couleur grisâtre ou jau- entre eux.
nâtre (« beurre frais »), des bords nets cerclés d'un halo inflam-
Les aphtes miliaires
matoire rouge vif (figure 1). Les aphtes guérissent le plus
Les aphtes miliaires (figure 3) débutent plus tardivement dans la
souvent sans cicatrice.
vie que les deux autres formes et affecte 5 à 10 % des patients
Les aphtes mineurs [2]. Ils sont caractérisés par leur petite taille (1 à 2 mm de
Les aphtes mineurs représentent 80 % des patients souffrant diamètre), leur nombre important à chaque poussée (5 à
d'aphtes [2]. L'aphte mineur fait moins de 10 mm de diamètre 20 pouvant aller jusqu'à 100) et l'intensité de la douleur asso-
(figure 2). Un aphte peut être isolé, mais habituellement les ciée. Localisés de préférence sur le plancher buccal et les faces
aphtes surviennent en nombre limité (moins de 10) et guéris- latérales de la langue, ces aphtes ne présentent pas toujours de
sent en 7 à 10 jours. La douleur est constante, d'intensité liseré érythémateux et peuvent être confondus avec une primo-
variable et exacerbée par le mouvement de la région où siège infection herpétique. La guérison survient en 7 à 14 jours, sans
l'ulcération. La guérison de la poussée est spontanée sans cicatrices.
séquelle. L'épisode inaugural apparaît avant 40 ans, souvent
Les aphtes majeurs
Les aphtes majeurs (« periadenitis mucosa necrotica recur-
rens » de Sutton) apparaissent généralement après la puberté.
Ils représentent 10 à 15 % des patients [2]. L'aphte géant,
unique ou multiple (jusqu'à 10 éléments ; en général 1 à 3),
de 1 à 5 cm de diamètre, est localisé sur toute la surface de la
cavité buccale et peut s'étendre à l'oropharynx. Les aphtes
gênent le patient pour parler, mastiquer, avaler, et diminuent
de façon importante sa qualité de vie. Ils peuvent persister
plusieurs semaines (entre 2 à 12 semaines), développant
une induration de leurs bords et laissant des cicatrices fibreuses,
rétractiles et mutilantes lors de leur guérison. L'évolution est
imprévisible : de longues périodes de rémission et d'activité
intense peuvent alterner à un rythme aléatoire.
Facteurs de risque et facteurs déclenchants
Le mécanisme pathogénique des aphtes est multifactoriel.
Figure 2 Les données connues actuellement évoquent une maladie
Aphte de la lèvre inférieure (coll. M. Samimi) auto-immune. La fréquence plus élevée d'autoanticorps
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antithyroïdiens (29 % vs 18 % chez les sujets contrôles) ren- Diagnostic


force cette hypothèse [3]. Le diagnostic d'un aphte est clinique, basé sur l'anamnèse, la
Les individus ayant des antécédents familiaux d'aphtes, non morphologie et l'évolution des lésions. Aucun examen de labo-
fumeurs et avec une diminution de la vitamine B12 sont les plus ratoire (dosages sanguins ou biopsie tissulaire) n'est spécifique.
à risque de survenue d'aphtes [4]. Leur seul intérêt est d'exclure une autre pathologie (notamment
Une prédisposition génétique a été évoquée car certains anti- en l'absence de guérison de l'aphte au-delà de 2 semaines) ou
gènes d'histocompatibilité comme HLA-B12, B51 et Cw7 ont pu de reconnaître une maladie associée. Si tous les signes cliniques
être associés à des groupes de patients souffrant d'aphtes [3]. d'un aphte ne sont pas présents, il faut rechercher une autre
Les études familiales et de jumeaux ont conforté l'existence cause d'ulcération buccale (tableau I). Contrairement à une idée
d'une prédisposition génétique [5]. Une histoire familiale d'aph- reçue, le diagnostic d'aphte est difficile, souvent porté par excès.
tes est le principal facteur de risque d'aphtes [4]. Il faut surtout éliminer les infections virales (en particulier
L'apparition ou l'aggravation de poussées d'aphtes après l'inges- l'herpès récidivant) (figure 4). La récidive des lésions, toujours
tion de certains aliments : fromages acides à pâte dure (gruyère, au même endroit de la muqueuse buccale, doit faire suspecter
cantal, parmesan. . .), fruits secs (noix, noisettes, cacahuètes), une infection herpétique, qui peut être confirmée grâce au
fruits crus non pelés (tomates, raisins. . .) est avérée et semble prélèvement de cellules infectées sur une lésion récente par
être de mécanisme non immunologique [3]. Aucun régime écouvillonnage local. La mise en culture ou une PCR herpes
alimentaire particulier, à part l'éviction du gluten dans la mala- simplex virus permettent de confirmer le diagnostic.
die cœliaque, n'est indiqué. Certains patients, néanmoins, Traitement des aphtes
répondent bien à une stricte élimination des aliments déclen- Il est nécessaire de distinguer le traitement symptomatique de
chant leurs poussées. l'aphte, où l'objectif est de diminuer la douleur et la durée de la
Le traumatisme mécanique favorise l'apparition d'aphte [5]. Une lésion, et le traitement d'une aphtose qui doit être préventif
morsure, une prothèse inadaptée, une dent cassée ou tran- lorsque les poussées retentissent sur la qualité de vie.
chante, une injection locale de liquide anesthésiant, un bros- Dans tous les cas, il faut limiter les causes déclenchantes en
sage dentaire inapproprié peuvent induire la survenue d'un particulier alimentaires (éviter l'ingestion de noix, noisette,
aphte.
L'apparition d'aphtes au moment des règles est rapportée [1]. La
disparition des poussées d'aphtes pendant la grossesse ou sous TABLEAU I
contraception orale [3], et la survenue de poussées au moment Aphtes : diagnostic différentiel
de la phase lutéale du cycle menstruel [1] ont aussi été
observées. Ulcération unique
L'augmentation de la fréquence des aphtes dans la population Traumatisme
estudiantine pendant la période des examens est souvent don-
Carcinome épidermoïde
née comme un exemple de lien positif entre stress et aphtes [3].
Beaucoup d'études ont constaté que stress, « dépression » et Infections (syphilis, tuberculose, mycoses profondes telles
anxiété sont des facteurs observés couramment chez patients l'histoplasmose. . .)
souffrant d'aphtes (parfois de façon significative par rapport à un Sialométaplasie nécrosante
groupe témoin) [6,7]. Une étude récente, contrôlée, a montré
Ulcérations multiples
qu'un événement stressant mental ou physique augmente
significativement les risques de présenter une poussée d'aphtes Érythème polymorphe

dans les 7 jours (OR = 2,7, IC : 2–3,6), mais n'a pas d'influence Herpès (primo-infection et récurrences)
sur la durée de cette poussée [7]. Le stress psychique est
Herpangine
beaucoup plus à risque de déclencher une poussée que le stress
physique [7]. Varicelle, zona

La corrélation négative entre tabac et aphtes est maintenant bien Syndrome pieds-mains-bouche
démontrée [8,9]. L'incidence des aphtes est plus élevée chez les
Cytomégalovirus
non-fumeurs que chez les fumeurs (20 % vs 10 %, OR = 3, IC : 2–
4,6) [8]. L'arrêt du tabagisme peut induire des poussées d'aphtes, Syndrome de Stevens-Johnson

que l'utilisation de tablettes de nicotine semble être capable de Lichen érosif


contrôler [10]. La cause de cet effet protecteur du tabac sur la Pemphigus, pemphigoïde cicatricielle et autres maladies bulleuses
survenue d'aphtes est inconnue. La kératinisation de la muqueuse auto-immunes
orale, secondaire au tabagisme, un effet anti-inflammatoire direct
Lupus, vascularites
de la nicotine ont été évoqués [3].
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les 2 parents ont une aphtose, 90 % de leurs enfants ont
une aphtose ; lorsqu'aucun parent n'a une aphtose, 20 % de
leurs enfants souffrent d'aphtose [3].
Le diagnostic d'aphtose, par analogie avec les critères diagnos-
tiques de la maladie de Behçet, est posé en présence d'au moins
4 poussées d'aphtes par an [3].
Une aphtose buccale sans autre pathologie associée est consi-
dérée comme idiopathique. Une aphtose buccale peut être
secondaire à différentes affections qu'elle peut révéler. Aussi,
l'interrogatoire doit préciser les prises médicamenteuses, l'exi-
stence de signes digestifs ou de malnutrition. . . Les aphtes
peuvent apparaître des années avant les autres signes cliniques
de la maladie (Crohn, Behçet).
Figure 4 Le caractère atypique de certains aphtes font évoquer une
Herpès buccal (coll. M. Samimi) aphtose secondaire : absence de signes inflammatoires (agra-
nulocytose, réaction médicamenteuse), ulcérations en carte de
géographie (médicaments), ou superficielles (entérocolopa-
gruyère. . .) ou traumatiques (restauration prothétique, meu- thies, déficit vitaminique). Ils peuvent être associés à d'autres
lage de cuspides. . .). lésions orales (langue rouge vernissée des déficits vitamini-
Les traitements de première intention validés [11,12] sont les ques), ulcérations linéaires (maladie de Crohn) avec aspect
antalgiques locaux (lidocaïne gel), et surtout le sucralfate en pavimenteux des joues et ulcérations buccales hémorragiques
bains de bouche qui diminue les douleurs et raccourcit la durée (rectocolite).
de cicatrisation [12,13]. L'aphtose complexe a été définie comme une aphtose soit
Les corticoïdes topiques sont les plus utilisés (consensus bipolaire (buccal et génital), soit d'évolution continue ou par
d'expert). Ils sont d'autant plus efficaces qu'ils sont commencés poussées subintrantes [11]. Elle ne doit être confondue ni avec
tôt [12]. Il faut utiliser des dermocorticoïdes de très forte activité une aphtose majeure (la sémiologie des aphtes reste celle d'une
(Dermoval®, Diprolène®, 2 à 3 fois par jour) jusqu'à cicatrisation aphtose mineure), ni avec une maladie de Behçet. Il s'agit d'une
de l'aphte. aphtose grave par son extension ou son évolution, avec un
Les traitements de deuxième intention sont les bains de bouche retentissement important sur la qualité de vie.
antiseptiques, les cyclines en bain de bouche ou dans une pâte Médicaments
adhésive [3], la cautérisation de l'aphte par lasers (low-level ou Les ulcérations orales ont été rapportées comme effets secon-
CO2) ou la simple application de bio-adhésif protecteur (carbo- daires de nombreux médicaments.
xyméthyl cellulose ou cyanoacrylate) : ils pourraient aider Dans une étude bibliographique réalisée en 2000 [15], seuls huit
à diminuer la douleur [3]. médicaments (captopril, sels d'or, nicorandil et les inhibiteurs
Lorsque la poussée d'aphtes est étendue, très douloureuse et des canaux potassiques, acide niflumique, phenindione, phé-
sévère (ou avec des aphtes géants), des traitements systémi- nobarbital, piroxicam, hypochloride de sodium) pouvaient être
ques sont proposés. considérés à l'origine d'une aphtose buccale. Dans une étude
Un traitement par prednisone (25 mg/j) a montré, sur 3 mois, cas-témoins les anti-inflammatoires non stéroïdiens et les b
une diminution des douleurs, du temps de cicatrisation et une bloqueurs étaient un facteur de risque pour la survenue d'aphtes
réduction du nombre d'aphtes [14], mais il n'a jamais été (odds ratio de 7 et 6 respectivement) [9]. Plus récemment
montré que les corticoïdes par voie systémique étaient supé- d'autres médicaments à l'origine d'aphtes ont été rapportés
rieurs aux corticoïdes locaux [2]. (sirolimus et les inhibiteurs de m-Tor, tocilizumab et les inhibi-
La thalidomide a montré son efficacité dans le traitement des teurs d'IL-6R, bupropione).
formes sévères d'aphtes du patient VIH+, et est utilisée pour les Il faut en distinguer les ulcérations buccales induites par contact
poussées sévères des patients immunocompétents [3]. direct sur la muqueuse buccale, liée à un mésusage du médi-
Les aphtoses cament (aspirine, desloratadine, bisphosphonates) [3].
L'aphtose peut atteindre jusqu'à 21,7 % de la population géné- Maladie de Behçet
rale et débute typiquement chez les individus âgés de 10 à La maladie de Behçet (MB) est une vascularite systémique
20 ans [3]. Les patients avec aphtose familiale présentent des inflammatoire, pouvant affecter tous les vaisseaux (artères
lésions plus tôt dans la vie et ont des manifestations plus ou veines), quelle que soit leur taille. Elle est diagnostiquée
sévères que ceux qui n'ont pas d'histoire familiale. Lorsque le plus souvent entre 30 et 40 ans, mais le début de la maladie
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est situé entre 20 et 30 ans [16], témoignant du retard au cliniques, a conduit à établir des tables de critères diagnosti-
diagnostic, retard évalué à 4–7 ans en moyenne [17]. ques. Depuis 1990, les études cliniques et épidémiologiques ont
Les aphtes buccaux sont présents chez quasi 100 % des utilisé les critères diagnostiques de l'« International Study Group
patients, et inaugurent la MB dans 80 % des cas [17]. Elles for Behçet's disease » [20] (tableau II). Mais ces critères ne
peuvent précéder, de plusieurs années, les autres atteintes de la permettent pas de séparer MB et polychondrite chronique atro-
maladie. phiante, maladie de Crohn ou rectocolite hémorragique qui ont
Les ulcérations génitales, présentes dans 85 % des cas [17], les mêmes signes cutanés et muqueux [3]. Aussi, de nouveaux
atteignent indifféremment les zones cutanées ou muqueuses. critères diagnostiques ont été proposés (tableau III) avec une
Les manifestations ophtalmologiques (notamment uvéite, iritis, sensibilité de 95 % et une spécificité de 91 % (vs 78–85 et
choriorétinite) sont fréquentes (30 à 70 %) et mènent à la 96–98 % respectivement pour les critères ISG de 1990) [21].
cécité dans près de 25 % des cas malgré le traitement [18].
Affections gastro-intestinales
Les lésions cutanées (48 % à 88 % des cas) sont la pseudo-
La maladie cœliaque, les maladies inflammatoires chroniques
folliculite, les lésions ou nodules acnéiformes, les thrombophlé-
de l'intestin (MICI) sont à l'origine d'aphtose secondaire [3]. Les
bites superficielles, l'érythème noueux. La pathergie est l'hyper-
MICI sont néanmoins plus souvent associées à d'autres types
réactivité de la peau à un traumatisme minime : elle est
d'ulcérations orales qu'à une véritable aphtose [22].
explorée par l'intradermoréaction au sérum physiologique pro-
Chez les malades atteints de maladie cœliaque [23], la préva-
voquant en 48 h une papule ou une pustule au point de piqûre.
lence des aphtes a été évalué à 22,7 % (OR = 4,3, p < 0,0001). À
Histologiquement, une vasculite leucocytoclasique et une
l'inverse une maladie cœliaque est présente chez 1,2 % à 2,8 %
thrombose sont les altérations caractéristiques des lésions cuta-
des patients atteints d'aphtose (OR compris entre 1 et 3). Chez
nées [18].
ces patients la disparition de l'aphtose a été observée, après
Les manifestations vasculaires (7 à 49 % des patients) sont les
1 an de régime dans 89 % des cas. Le dépistage systématique,
thrombophlébites superficielles (souvent migrantes), profondes
en l'absence de signes digestifs, est controversé ; il peut être fait
(incluant la veine cave) et les anévrismes ou thromboses arté-
par le dosage des IgA anti-transglutaminase.
rielles à l'origine de ruptures vasculaires [18,19]. Les manifes-
Dans la maladie de Crohn [22], la prévalence des aphtes est de
tations articulaires sont pauci-articulaires, non déformantes,
4,2 % à 17 %. Dans la rectocolite hémorragique [22], la pré-
d'horaire inflammatoire, et asymétriques. Les manifestations
valence des aphtes est de 1,4 % à 10 %. Dans ces MICI, l'aph-
neuropsychiatriques sont variées : atteinte méningo-parenchy-
tose n'a jamais été corrélée avec l'activité de la maladie. Chez
mateuse (neuro-Behçet) et atteinte des vaisseaux (thromboses
les patients sans signes digestifs, il n'existe pas d'argument pour
et anévrismes). La MB peut concerner tous les organes : tube
rechercher systématiquement une MICI.
digestif, cœur, poumon ou rein.
Aucun examen ne permet de confirmer la MB : la détermination Carences nutritionnelles et vitaminiques
du groupe HLA (notamment B5) n'a pas de valeur diagnostique, (fer, folates, vitamines B1, B2, B6, B12, zinc)
la biologie est non contributive (syndrome inflammatoire non Des patients ayant une carence en fer, zinc ou vitamines du
spécifique). Ceci, associé à l'absence de spécificité des signes groupe B peuvent avoir une aphtose secondaire, dont la

TABLEAU II
Critères diagnostiques de l'International Study Group for Behçet's disease (1990) [20]

Ulcérations orales récidivantes Aphtose mineure, majeure ou herpétiforme observée par un médecin ou rapportée par le malade de façon
crédible avec une fréquence d'au moins trois épisodes en une période de 12 mois

Ulcérations génitales récurrentes Aphte ou cicatrice observée par le médecin ou le patient

Lésions ophtalmiques Uvéite antérieure, uvéite postérieure ou cellules dans le vitré à l'examen à la lampe à fente
Vascularite rétinienne observée par un ophtalmologue

Lésions cutanées Érythème noueux observé par le médecin ou le patient


Pseudo-folliculite ou lésions papulo-pustuleuses ou nodules acnéiformes observés par le médecin chez un
patient sorti de l'adolescence et qui ne prend pas de corticostéroïdes

Test d'hypersensibilité Test d'hypersensibilité au point de piqûre positif observé par un médecin 48 heures après sa réalisation.
Papule érythémateuse de diamètre supérieur à 2 mm, présente à l'endroit de la piqûre, 48 heures après sa
réalisation avec une aiguille, 20–22, ayant pénétré obliquement dans la peau non vascularisée à une
profondeur de 5 mm

Le diagnostic est retenu quand le patient présente des ulcérations orales récidivantes associées à au moins deux des autres critères après exclusion des autres pathologies.
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Aphtes et ulcérations buccales


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TABLEAU III
Critères diagnostiques. International criteria for Behçet's disease (2014) [21]

Aphtes buccaux récidivants Aphtose observée par un médecin ou rapportée par le malade de façon crédible avec une fréquence d'au
2 points moins trois épisodes en 12 mois

Ulcérations génitales récurrentes Aphte ou cicatrice observée par le médecin ou le patient


2 points
Lésions oculaires Uvéite antérieure, uvéite postérieure ou cellules dans le vitré à l'examen par la lampe à fente
2 points Vascularite rétinienne observée par un ophtalmologue

Lésions cutanées Érythème noueux


1 point Pseudo folliculite ou lésions papulo-pustuleuses ou nodules acnéiformes chez un patient sorti de l'adolescence
et qui ne prend pas de corticoïdes

Test d'hypersensibilité Test d'hypersensibilité au point de piqûre positif papule érythémateuse de diamètre > 2 mm, 48 heures après
1 point sa réalisation

Lésions vasculaires Thromboses veineuses


1 point Thromboses artérielles ou anévrysmes

Atteinte du système nerveux central Lésion du parenchyme cérébral


1 point Thrombose cérébrale

Le diagnostic est retenu quand le patient a un score  4 points après exclusion des autres pathologies.

disparition après supplémentation a été rapportée dans un mutations portant sur 5 gènes différents ont été identifiées ;
certain nombre de cas [1,11]. elles sont responsables d'une réponse aberrante de l'immunité
Des déficiences vitaminiques en fer, folates et vitamine B12 ont innée à des agressions, conduisant à une production rapide,
été rapportés dans 56,2 % des patients souffrant d'aphtose importante et inappropriée d'interleukine 1b.
récidivante (vs 7 % des témoins) [11]. Dans cette étude [11], La neutropénie cyclique idiopathique
l'efficacité de la supplémentation était totale dans tous les cas La neutropénie cyclique idiopathique [1] est caractérisée par la
sans histoire familiale d'aphtose, alors qu'elle n'était que par- survenue très stéréotypée toutes les 3 semaines de fièvre et
tielle en cas d'antécédents familiaux. d'aphtes, associés à une neutropénie. Des infections cutanées
Une étude randomisée a montré l'efficacité d'un traitement par et des douleurs abdominales peuvent survenir au maximum de la
vitamine B12 (1 mg/j en sublingual) dans l'aphtose indépen- neutropénie. L'ensemble des symptômes disparaissent en quel-
damment du taux sérique de vitamine B12 : disparition ques jours et récidivent tous les 16 à 28 jours pendant des dizai-
complète des aphtes dans 74 % des cas vs 32 % des témoins nes d'années.
[24]. En revanche une supplémentation multivitaminique (A,
Le syndrome PFAPA (ou syndrome de Marshall)
B1, B2, B3, B5, B6, B9, B12, C, D et E) aux doses journalières
Le syndrome PFAPA (ou syndrome de Marshall) associe fièvre
recommandées n'a montré aucune efficacité [25].
toutes les 3 à 10 semaines, aphtes, douleur pharyngée et
Il n'y a pas de consensus sur l'intérêt de rechercher systéma-
amygdalite, douleurs cervicales et adénopathies cervicales. Elle
tiquement une carence vitaminique.
commence habituellement dans l'enfance, mais s'observe aussi
Infections à l'âge adulte.
Une méta-analyse de 7 études et 339 cas a montré un lien positif Le déficit en mévalonate kinase
entre Helicobacter pylori et aphtose (odds ratio : 1,85, IC95 : 1,24– Le déficit en mévalonate kinase est responsable de deux tableaux
2,74) [26]. L'hypothèse d'une interaction entre infection à H. pylori cliniques : le syndrome hyper-IgD en cas de déficit partiel, et
et absorption de vitamine B12 a été soulevée. l'acidurie mévalonique en cas de déficit complet. Il commence
La prévalence des ulcérations orales récidivantes chez les patients souvent avant l'âge d'un an, par une fièvre qui dure 1 semaine et
infectés par le VIH est de 1 à 5 % [27]. Sa gravité est corrélée au se répète toutes les 3 à 4 semaines, associée à des aphtes et un
nombre de lymphocytes TCD4+. L'utilisation des traitements effi- exanthème maculo-papuleux dans 80 % des cas.
caces sur l'infection à VIH a réduit cette fréquence.
La maladie périodique ou fièvre familiale
Fièvres récurrentes auto-inflammatoires [3] méditerranéenne
Les fièvres récurrentes sont des maladies auto-inflammatoires La maladie périodique ou fièvre familiale méditerranéenne est
liées à des altérations de l'immunité innée (tableau IV). Des une affection héréditaire, touchant essentiellement les sujets
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Pour citer cet article : Vaillant L, Samimi M. Aphtes et ulcérations buccales. Presse Med. (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.
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L. Vaillant, M. Samimi
Mise au point

TABLEAU IV
Fièvres récurrentes auto-inflammatoires

Fièvres récurrentes avec aphtes

Monogéniques autosomiques récessives

Maladie périodique (ou fièvre méditerranéenne familiale) : gène MEFV

Syndrome hyper-IgD : gène MVK (déficit en mévalonate kinase)

Acidurie mévalonique : gène MVK (déficit en mévalonate kinase)

Transmission non encore déterminée

PFAPA (periodic fever aphthous stomatitis pharyngitis, cervical adenitis, ou syndrome de Marshall) : gène MEFV ?, SPAG7 ?

Autosomique dominant

Neutropénie cyclique idiopathique : gène élastase

Fièvres récurrentes sans aphte

Monogénique autosomique dominante

Fièvre hibernienne familiale (ou TRAPS) : gène du récepteur du TNFa

Syndrome familial auto-inflammatoire au froid : gène NLRP3 (CAPS)

Syndrome de Muckle et Wells : gène NLRP3 (CAPS)

Syndrome NAPS : gène NLRP12

Transmission non encore déterminée

Syndrome CINCA (chronic infantile neurological cutaneous and articular syndrome) : gène NLRP3 (caps)

jeunes, associant fièvre élevée, douleurs abdominales et parfois Traitements des aphtoses
aphtes ou pseudo-érysipèle, évoluant par poussées paroxysti- Le traitement curatif de l'aphtose est le traitement de la cause.
ques durant 1 à 2 jours. En l'absence de signes cliniques d'orientation un bilan systé-
matique est proposé (tableau V) [2,3]. En l'absence de cause
Déficits immunitaires [3] identifiée, le problème est la prévention de récidives
Il est observé des aphtes dans 60 % des cas de déficit (tableau VI). La décision de débuter un traitement préventif,
immunitaire commun variable, et dans plus de 60 % des cas dépend du retentissement de l'aphtose sur la qualité de vie
de déficit en IgA. Des aphtes sont fréquents dans les syndromes du patient. Une poussée mensuelle impose un traitement
myélodysplasiques. préventif, mais des poussées plus espacées, invalidantes
Quel qu'en soit la cause une neutropénie peut induire des aphtes. ou gênant la vie quotidienne, peuvent également nécessiter
Des aphtes majeurs peuvent se voir en cas d'effondrement des un traitement préventif après évaluation du rapport bénéfice/
lymphocytes T (CD4 < 100/mm3). risque.

TABLEAU V
Bilan biologique conseillé devant une aphtose buccale en l'absence d'orientation étiologique

Bilan biologique conseillé devant une aphtose buccale récidivante idiopathique

Numération formule sanguine

Dosages ferritine, folates, vitamine B12

Vitesse de sédimentation, CRP

Tests hépatiques

Si plaintes digestives : dosage pondéral des IgA et IgA anti-transglutaminase (et anti-endomysium chez l'enfant)
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Aphtes et ulcérations buccales


DOSSIER TH EMATIQUE : PATHOLOGIES BUCCALES

Mise au point
TABLEAU VI
Traitement préventif de l'aphtose récurrente (Études de la littérature de plus de 20 malades) [3]

Traitement Amélioration importante, % Effets secondaires, % Étude contrôlée vs placebo Auteurs Nombre de patients

Thalidomide 100 98 O Revuz 1990 73

Colchicine 63 18 N Fontes 2002 54

Etanercept 45 10 O Melikoglu 2005 40

Azathioprine 75 23 O Yazici 1990 34

Ciclosporine 70 94 O Masuda 1989 34

Vitamine B12 74 0 O Volkov 2009 31

Sucralfate 85 0 O Alpsoy 1999 26

Pentoxyfylline 54 8 N Chandrasekkar 1999 24

Interferon a–2a 65 100 O Alpsoy 2002 23

O : oui ; N : non.

La thalidomide a une efficacité spectaculaire, démontrée par Ulcérations aiguës (en dehors des aphtes) [31]
plusieurs études randomisées [28]. La limitation de l'utilisation L'ulcération traumatique
de la thalidomide est liée à la fréquence et à l'importance de ses L'ulcération traumatique (figure 5), fréquente en bouche, est le
effets secondaires, souvent mineurs (somnolence. . .), parfois plus souvent unique, plane, blanchâtre et non inflammatoire.
plus graves (tératogénicité, thromboses veineuses et neuropa- Elle doit guérir en 7 à 10 jours, une fois la cause traitée. Sa
thie périphérique de type axonale à prédominance sensitive). persistance après 2 semaines, impose une biopsie pour éliminer
Ces effets secondaires graves et souvent irréversibles condui- un carcinome épidermoïde. La cause principale est dentaire
sent à considérer, avant toute prescription, le ratio bénéfice/ (morsure, délabrement dentaire, matériaux d'obturation ou
risque de ce traitement. prothèses amovibles), mais les causes sont variées (aliments,
Outre son efficacité dans le traitement des poussées d'aphtes, le corps étrangers, rapport sexuel, pathomimie ou automutilation).
sucralfate a montré son efficacité (vs placebo) dans leur pré- Les ulcérations buccales au cours des pathomimies et des auto-
vention [13,29]. Il permet une diminution de leur fréquence mutilations nécessitent une prise en charge psychiatrique.
(87,5 % vs 37,5 %, p < 0,003) [29]. Sa tolérance est excellente.
L'ulcère éosinophilique
La colchicine (1 à 2 mg/j) réduit la fréquence et les douleurs L'ulcère éosinophilique est une ulcération douloureuse, inflam-
dans l'aphtose [3]. Les effets secondaires, fréquents (diarrhée, matoire, de surface irrégulière et aux bords surélevés. Il
nausées, douleurs abdominales) sont rarement la cause de
l'arrêt du traitement [30].
Une étude contre placebo a montré l'efficacité de la vitamine
B12 orale à la posologie de 1 mg/j pendant 6 mois (rémission
complète 3 fois plus fréquente, p < 0,02) ; aucun effet secon-
daire n'a été observé [24].
Le montelukast, antagoniste du récepteur des leucotriènes, a
montré dans une étude son efficacité pour réduire le nombre
d'aphtes [14].
De nombreux autres traitements, notamment pentoxyfilline,
dapsone, doxycycline, interféron a, immuno-suppresseurs
(azathioprine, etanercept, cyclophosphamide, adalimumab)
ont été utilisés dans des études ayant de nombreux biais
[3,29].

Autres ulcérations Figure 5


Ce sont autant de diagnostics différentiels des aphtes. Ulcération traumatique de la langue (coll. M. Samimi)
9

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L. Vaillant, M. Samimi
Mise au point

correspond probablement à l'évolution chronique d'une ulcéra- La rectocolite hémorragique peut se manifester par des ulcé-
tion traumatique. C'est la biopsie qui permet le diagnostic rations buccales hémorragiques ou chroniques ressemblant au
(infiltrat à éosinophiles du chorion). pyoderma gangrenosum cutané.
La gingivite ulcéronécrotique La pyostomatite végétante
La gingivite ulcéronécrotique, d'origine polymicrobienne, est La pyostomatite végétante [22], exceptionnelle, souvent asso-
une ulcération nécrotique de la papille interdentaire et de la ciée à une pathologie gastro-intestinale, réalise des nappes de
gencive marginale, associée à mauvaise haleine, fièvre et adé- muqueuse papillomateuse et fissurée succédant à une miliaire
nopathies. Son risque est l'extension latérale et apicale condui- pustuleuse fugace et des micro-abcès intra-épithéliaux à éosi-
sant à la parodontite ulcéronécrotique. nophiles. L'évolution des lésions buccales est habituellement
D'autres bactéries celle des lésions intestinales.
D'autres bactéries sont des causes rares d'ulcérations buccales : Ulcérations récidivantes (en dehors des aphtoses)
gonocoque (amygdale et luette), syphilis, tuberculose, lèpre, L'érythème polymorphe récidivant est souvent d'origine herpé-
noma. . . tique. Il est responsable d'ulcérations buccales, survenant 7 à
Les mycoses systémiques 14 jours après un herpès récurrent. Le diagnostic est facile en cas
Les mycoses systémiques à histoplasmes, cryptocoques, asper- d'atteinte cutanée associée, mais l'atteinte muqueuse isolée est
gillus et la mucormycose sont responsables d'ulcération buccale possible. Il faut rechercher à l'interrogatoire un herpès labial
irrégulière, végétante, souvent unique. Elles surviennent sur un dans les jours précédents. Ce n'est qu'en cas d'érythème poly-
terrain prédisposé (immunodéficit, hémopathies, diabète. . .). morphe post-herpétique que le (val)aciclovir est efficace.
Le prélèvement mycologique et l'examen histologique permet- Ulcérations chroniques [2,31]
tent le diagnostic. Une ulcération buccale à début progressif et insidieux est consi-
Les infections virales dérée comme chronique si elle persiste plus de 15 jours.
Les infections virales sont le plus souvent responsables d'éro- Ulcérations médicamenteuses
sions superficielles en bouche. Les médicaments qui peuvent induire des aphtes, sont
Des leucémies plus souvent responsables d'ulcérations buccales ne ressem-
Des ulcérations buccales peuvent révéler des leucémies et sont blant pas à des aphtes (72 % vs 28 % des cas) [9] (figure 6).
associées à des pétéchies, ecchymoses ou hémorragies Les ulcérations disparaissent généralement à l'arrêt du
gingivales. traitement.

Vasculites nécrosantes Carcinome épidermoïde


Dans les vasculites nécrosantes on peut observer des ulcéra- Premier diagnostic à évoquer devant une ulcération buccale
tions. Dans le lupus il s'agit d'ulcérations superficielles à bords unique et chronique, il se présente comme une ulcération
érythémateux mal limités. Dans la granulomatose avec poly- superficielle indolore ou parfois fissuraire (figure 7). L'ulcération
angéite (maladie de Wegener), qui associe une atteinte res-
piratoire et rénale, il s'agit de lésions irrégulières entourées
d'une zone inflammatoire. Dans la maladie de Horton,
les ulcérations nécrotiques sont souvent linguales avec cépha-
lées et claudication massétérine. La polychondrite chronique
atrophiante associe des ulcérations à une inflammation des
cartilages.
La maladie de Crohn, la rectocolite hémorragique, la
maladie cœliaque
La maladie de Crohn, la rectocolite hémorragique, la maladie
cœliaque sont des causes d'aphtes, mais également d'ulcéra-
tions buccales non aphtoïdes [22,23]. Dans la maladie de Crohn,
on observe des ulcérations linéaires à bords hyperplasiques des
vestibules, des fissures avec oedème et hypertrophie de la face
interne des joues, réalisant parfois un aspect « caillouteux »
[22]. L'examen histologique des ulcérations non aphtoïdes
peut trouver un granulome giganto-épithéloïde évocateur du Figure 6
diagnostic. Une macrochéilite parfois fissurée doit faire évo- Ulcérations buccales médicamenteuses (méthotrexate)
quer le diagnostic. (coll. M. Samimi)
10

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Aphtes et ulcérations buccales


DOSSIER TH EMATIQUE : PATHOLOGIES BUCCALES

Mise au point
s'étend progressivement, devient plus profonde et douloureuse.
Son dépistage se fait par la palpation systématique de toute
ulcération buccale à la recherche d'une infiltration ou d'une
fixation au tissu sous-jacent. Toute ulcération persistante doit
être biopsiée largement et profondément [2].
Sialométaplasie nécrosante
Elle est responsable d'une ulcération large et profonde du palais,
souvent indolore. Elle est due à une nécrose des glandes sali-
vaires accessoires du palais. Le diagnostic est fait par l'examen
histologique. Elle guérit spontanément en 2 à 3 mois. [31].
Lymphome T angiocentrique
Le lymphome T angiocentrique (granulome malin centrofacial)
donne des lésions ulcéro-nécrotiques du palais, de la cavité
nasale et de la partie médiane du visage.
Cylindrome
Une ulcération buccale chronique peut révéler un cylindrome, un
sarcome, une histiocytose, un carcinome muco-épidermoïde,
Figure 7 voire un mélanome.
Carcinome épidermoïde ulcéré (coll. M. Samimi)
Déclaration de liens d'intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de
liens d'intérêts.

Références
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