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Cahier spécial réalisé en partenariat avec

Mars 2015 www.inra.fr Ne peut être vendu


Édition française de Scientific American

L’adaptation
au changement
climatique
L’inra, pour une Science...
...belle, utile,
partagée & responsable
Créé en 1946, l’Institut national de la recherche agronomique (inra)
– organisme de recherche public placé sous la tutelle du ministère de l’Éducation nationale,
de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et du ministère de l’Agriculture,
de l’Agroalimentaire et de la Forêt – a pour missions de :

Produire et diffuser des connaissances scientifiques


Contribuer à l’élaboration de la stratégie nationale de recherche
Éclairer les politiques publiques et les décisions des acteurs privés
Contribuer à concevoir des innovations
Contribuer à la formation à et par la recherche
Participer aux débats sur la Science en société
Promouvoir éthique et déontologie de la recherche

Dans les trois grands domaines que sont l’alimentation, l’agriculture et l’environnement,
les recherches de l’inra ont pour ambition de développer une agriculture à la fois compétitive,
respectueuse de l’environnement, des territoires et des ressources naturelles,
et mieux adaptée aux besoins nutritionnels de l’homme ainsi qu’aux nouvelles utilisations
des produits agricoles. Elles ont pour objectif majeur de contribuer à la sécurité alimentaire
dans un contexte de changement global à l’horizon 2050.

En 2014, l’inra rassemble 8 290 agents titulaires, dont 1 840 chercheurs et 1 756 ingénieurs.
Ses 186 unités de recherche et 48 unités expérimentales sont réparties
sur 13 départements scientifiques et dans 17 centres régionaux.
Sommaire : Leigh Prather / Shutterstock
Couverture : Grégory Véricel / INRA

En termes de publications scientifiques, l’Institut se situe en 3e position mondiale


dans le domaine de l’agriculture et au 4e rang mondial en sciences des plantes et de l’animal.
De plus, l’inra se positionne parmi les premiers organismes mondiaux en microbiologie,
en écologie et en environnement.
2] © Pour la Science - INRA 2015
Sommaire
Avant-propos. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
F. Houllier
L’adaptation au changement climatique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
J.-M. Guehl, J.-F. Soussana
Les défis de l’agriculture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
F. Debaeke, S. Pellerin, J. Le Gouis, A. Bispo, T. Eglin, A. Trévisiol
accompagner l’adaptation de l’élevage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
A. Mottet, D. Renaudeau, J.-F. Soussana
Vers une gestion adaptative des forêts . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
F. Lefèvre, D. Loustau, B. Marçais
Préserver la richesse des milieux aquatiques . . . . . . . . . . . 22
M.-É. Perga, É. Prévost, J.-L. Baglinière
ANTICIPER UNE DIMINUTION DE LA RESSOURCE EN EAU . . . . . . . 26
F. Habets, Ph. Mérot, B.Itier, A. Thomas
VERS UNE ÉCOLOGIE DE LA SANTÉ. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30
O. Plantard, L. Huber, J.-F. Guégan
Comment gérer les flux migratoires ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
F. Gemenne
Les enjeux économiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38
P.-A Jayet, S. de Cara, N. de Noblet-Ducoudré
Des menaces aux solutions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42
J.-F. Soussana, T. Caquet, J. Mousset
Le métaprogramme Adaptation au Changement Climatique
de l’Agriculture et de la Forêt (ACCAF) de l’INRA. . . . . . . . . 46
T. Caquet, J.-M. Guehl, N. Breda

En partenariat avec

© Pour la Science - INRA 2015 [3


Avant-propos

Les recherches sur l’adaptation


au changement climatique :
une priorité !

L
es rapports successifs du groupe d’experts et facteurs mis en jeu font l’objet de recherches depuis
intergouvernemental sur l’évolution du cli- quelques décennies : mécanismes biogéochimiques et
mat, le GIEC, l’ont montré : des changements écologiques ; suivi, quantification et modélisation des
climatiques majeurs sont en cours et leurs effets sont émissions de gaz à effet de serre et du cycle du carbone,
aujourd’hui avérés. Quelles que soient les politiques avec un intérêt particulier pour les sols et la biomasse ain-
de réduction des émissions de gaz à effet de serre qui si que les produits qui en dérivent ; effets des pratiques
seront mises en œuvre, ces effets vont s’amplifier du- agricoles et forestières. Rapidement apparue comme une
rant plusieurs décennies du fait de la double inertie du priorité, la lutte contre les changements climatiques de-
système climatique et des trajectoires de nos sociétés. meure essentielle : des engagements ont ainsi été pris au
Des changements profonds affecteront ainsi non niveau international (Protocole de Kyoto, en 1997, et ses
seulement les systèmes naturels continentaux et océa- suites) et des politiques publiques européennes et natio-
niques et la production primaire, agricole, forestière ou nales ont été engagées afin de réduire les émissions de
halieutique, mais aussi de nombreuses autres activités gaz à effet de serre.
économiques et humaines. Autrefois objet de recherches Dans leur diversité de nature et d’usage, ces sur-
scientifiques concernant un avenir plus ou moins défini, faces continentales sont affectées par les changements
la question du changement climatique est ainsi devenue de la composition atmosphérique et du climat. En
un enjeu majeur pour nos sociétés. Au-delà de l’avancée France, dans les années 2000, le constat de l’avance-
des connaissances sur les différentes facettes du sujet ment des dates de vendange par Isabelle Chuine ou
– ce besoin évident demeure – c’est
un « agenda de solutions » qui est
aujourd’hui attendu  : certes, la L’adaptation au changement climatique
communauté scientifique n’est pas est un complément indispensable aux politiques
la seule concernée par son élabora-
tion, mais elle a une responsabilité d’atténuation. Elle doit combiner des disciplines,
et un rôle à jouer. des technologies et des approches différentes.
Dans ce cadre, les recherches
sur les interactions entre les chan-
gements climatiques et les cultures, les prairies, les le diagnostic de la part du climat dans la stagnation
forêts, les zones humides ou les milieux naturels sont des rendements du blé par Nadine Brisson ont contri-
évidemment essentielles. Plus ou moins anthropisées, bué à la reconnaissance de l’existence et de l’am-
ces surfaces continentales couvrent en effet une fraction pleur du phénomène ; la sécheresse et la canicule de
majeure des terres émergées de notre planète et sont le l’été 2003 ont aussi joué un rôle majeur dans la prise
support de services essentiels pour nos sociétés : la sécu- de conscience du fait que l’accroissement prévu de la
rité alimentaire, les ressources en eau et la santé globale variabilité climatique était au moins aussi important
en dépendent plus ou moins directement. que les tendances moyennes sous-jacentes. Au-delà
Ces surfaces continentales sont profondément im- de ces exemples emblématiques, la caractérisation des
pliquées dans les cycles qui déterminent l’évolution de risques dus aux changements climatiques demeure un
la concentration atmosphérique en gaz à effet de serre, enjeu scientifique important sous plusieurs angles : la
dont nous savons qu’elle est à l’origine des changements fréquence, la magnitude et les cascades d’impacts dus
climatiques observés et prévus. Naturels ou directement aux événements extrêmes ; l’évaluation de leurs consé-
liés aux activités humaines, les nombreux processus quences économiques et sociales.

4] © Pour la Science - INRA 2015


Avant-propos
Le constat de l’existence des changements
climatiques étant maintenant établi et partagé,
la diversité et l’amplitude de leurs impacts étant
progressivement révélées, c’est bien l’adapta-
tion aux changements climatiques qui émerge
depuis quelques années comme un domaine
de recherches prioritaire. En 2006, le rapport de
Nicholas Stern a démontré l’intérêt économique
d’être adapté : il a souligné que l’adaptation de-
vait être anticipée afin d’en réduire les coûts et
d’en anticiper les bénéfices. Lors de la conférence
de Cancun de 2010 sur le climat, l’adaptation
aux changements climatiques est ainsi appa-
rue comme un complément indispensable aux
politiques d’atténuation. Selon la nature des sys-
Christophe Maître

tèmes concernés l’adaptation pose évidemment


des questions scientifiques différentes. Dans tous
les cas, il apparaît cependant qu’elle doit com-
biner des disciplines, des technologies et des
François Houllier,
approches différentes : la diversification, l’agro- Président Directeur Général de l’INRA
nomie et la génétique, pour les cultures ; l’ali-
mentation animale, la génétique, la méthanisa-
tion des effluents et la conception des bâtiments, la diversité est aussi le témoin de l’ampleur du
pour l’élevage ; une gestion adaptative, pour les spectre des questions posées et de la mobilisa-
forêts et de nombreux milieux naturels. La prise tion croissante de la communauté scientifique.
en compte d’une variabilité climatique accrue et Cet ouvrage est le fruit d’une collaboration
l’anticipation des risques sanitaires apparaissent éditoriale avec Pour la Science et d’un travail
aussi comme des défis majeurs. scientifique collectif, le métaprogramme Adap-
Compréhension du rôle des surfaces conti- tation au changement climatique de l’agricul-
nentales agricoles et forestières dans les grands ture et de la forêt, coordonné et stimulé par Jean-
cycles biogéochimiques, dissection et évalua- Marc Guehl, Thierry Caquet et Jean-François
tion des impacts des changements climatiques, Soussana dont je salue ici l’initiative. Au travers
conception et évaluation de stratégies couplées du prisme des recherches et des compétences de
d’atténuation et d’adaptation : ces différents l’Institut national de la recherche agronomique
domaines de recherches sont évidemment liés (INRA) et de ses collaborations, cet ouvrage re-
les uns aux autres. Tous appellent au dialogue flète les évolutions des recherches sur la transi-
entre les disciplines – entre sciences de la nature, tion climatique : il rend compte de l’avancée des
de l’univers et de la vie, d’une part, et sciences connaissances et illustre le mouvement engagé
humaines, économiques et sociales, d’autre vers l’adaptation aux changements climatiques ;
part – comme au dialogue entre observation, je suis heureux qu’il contribue ainsi à apporter
expérimentation et modélisation. Tous appellent une pierre à la construction de l’agenda de solu-
également à dépasser l’étude des mécanismes tions qui est aujourd’hui attendu. C’est d’autant
pris isolément, à appréhender les phénomènes à plus important que, s’agissant de sécurité ali-
différentes échelles, à développer des approches mentaire, de ressources en eau, de biodiversité
systémiques et à renforcer la collaboration entre ou de santé globale, la transition climatique
organismes de recherche et la coopération inter- s’inscrit dans un cortège de transitions et chan-
nationale. On observe ainsi la prolifération d’ini- gements globaux – transition démographique,
tiatives scientifiques nationales, européennes et transition alimentaire et nutritionnelle, chan-
internationales, dont l’alignement et la mise en gements d’usage des terres, transition énergé-
cohérence constituent certes un défi, mais dont tique – dont la conjonction est un véritable défi.

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Face au réchauffement enregistré à la surface du globe depuis quelques
décennies et à la multiplication des événements extrêmes, l’heure n’est plus
seulement à la lutte contre l’effet de serre et à l’estimation de l’amplitude
du changement climatique. Il s’agit aujourd’hui d’évaluer les conséquences
des modifications pour anticiper les adaptations qu’il convient d’envisager.
Dans ce cadre, l’Institut national de la recherche agronomique, INRA,
a créé un métaprogramme nommé Adaptation au changement climatique
de l’agriculture et de la forêt, ACCAF.
La parution du cinquième rapport du GIEC fournit l’occasion d’un tour
d’horizon des principales recherches réalisées sur l’adaptation au changement
climatique. Ce cahier spécial regroupe une série d’articles faisant un bilan
des adaptations des différents types de milieux ou d’activités (forêts, milieux
aquatiques, agriculture, élevage) et des principaux enjeux pour les sociétés
Shutterstock / Artens

(ressources en eau, santé, migrations humaines, économie).

Agriculture, forêts et écosystèmes

L’adaptation au changement climatique


Jean-Marc Guehl Jean-François Soussana
Directeur du métaprogramme ACCAF de l’INRA, Directeur scientifique environnement de l’INRA
Directeur de l’UMR Écologie et écophysiologie forestières
INRA-Université de Lorraine à Nancy

Le premier volume du cinquième rapport d’évaluation du groupe d’experts intergouvernemental


sur l’évolution du climat, le giec, a été publié le 27 septembre 2013. Il porte sur le système climatique
et l’évolution du climat. Ce rapport confirme le réchauffement observé depuis les années 1950 (0,6 °C).
Les projections pour 2100 dépendent des activités humaines et des incertitudes sur les modèles, de sorte
que le réchauffement prévu varie entre 1,1 et 4,8 °C. Un deuxième volume publié le 29 mars 2014 a été
consacré aux impacts du changement climatique, aux adaptations possibles et à la vulnérabilité des systèmes
et des populations humaines exposées. Un troisième volet consacré aux recherches visant à atténuer les impacts
du changement climatique est paru le 11 avril 2014. Enfin, en octobre 2014, une synthèse a été diffusée.
Ses conclusions seront examinées par la Conférence des parties sur le climat, à Paris en décembre 2015.

C
et exercice d’expertise scientifique collective permanentes, milieux aquatiques, zones humides
et de raisonnement prospectif a impliqué et sauvages), ont un statut complexe quand il s’agit
plus de 800 chercheurs de par le monde. de changement climatique. D’abord, les impacts et
Il est fondé sur l’analyse minutieuse des publications les risques potentiels sont considérables, puisqu’ils
scientifiques et des méthodes utilisées. Chaque touchent les ressources végétales et animales, les
conclusion est caractérisée par un indice de confiance milieux, les activités économiques qui y sont liées,
et un indice d’incertitude. Si le premier rapport la sécurité alimentaire, le fonctionnement des
de 1990 n’avait impliqué que des spécialistes des écosystèmes, la biodiversité, les ressources en eau,
sciences du climat, le nouveau met en relief le carac- la santé. Ensuite, ces surfaces sont émettrices de
tère interdisciplinaire des approches. Sciences de la gaz à effet de serre (dioxyde de carbone, méthane,
nature et sciences de la société y ont participé, ce qui protoxyde d’azote), en raison de processus naturels,
dénote le souci d’éclairer au mieux les orientations mais aussi du fait des activités humaines (agriculture,
politiques, économiques et sociales que les impacts élevage, déforestation). Mais nous verrons que,
du changement climatique, variant notablement simultanément, elles peuvent absorber et séques-
selon les régions du monde, imposeront de prendre. trer des quantités importantes de carbone et ainsi
Les surfaces continentales, dans leur diver- atténuer l’importance du changement climatique.
sité de nature ou d’usage, qu’elles soient cultivées Le chimiste suédois Svante Arrhenius a été le
ou proches des milieux naturels (forêts, prairies premier à prévoir, en 1896, que l’accumulation du

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dioxyde de carbone dans l’atmosphère vités humaines, dont 1 340  (± 110) sont terrestres. Toutefois, le bilan fait ap-
liée à l’utilisation de combustibles fos- attribuées à l’utilisation de combus- paraître un léger déséquilibre se tra-
siles entraînerait un réchauffement de tibles fossiles et à la production de ci- duisant par une accumulation nette
la planète. Mais c’est en 1958, à l’occa- ment, et 660 (± 295) à la déforestation et de l’ordre de 9 gigatonnes par an dans
sion de l’année géophysique interna- au changement d’usage des terres ; les océans et à peu près autant dans les
tionale, que les géochimistes Charles 880   gigatonnes « seulement » se sont systèmes terrestres. Ainsi, ces systèmes
Keeling et Roger Revelle, de l’Institu- accumulées dans l’atmosphère. atténuent l’augmentation du dioxyde
tion Scripps d’océanographie, ont ins- Les progrès réalisés dans l’évaluation de carbone atmosphérique.
tallé à l’Observatoire de Mauna Loa, des flux et des bilans de carbone La décomposition des flux par
situé au sommet de l’île volcanique de à l’interface océan-atmosphère et à régions a révélé que les forêts tempé-
l’archipel d’Hawaii, le premier système l’interface continents-atmosphère, par rées et boréales de l’hémisphère Nord
de mesure en continu de la concen- des mesures et la modélisation des représentent un puits de carbone im-
tration du dioxyde de carbone atmos- processus, ont permis d’élucider ce portant. De fait, ces surfaces sont glo-
phérique. Ces mesures représentent la phénomène. Il existe des échanges de balement en expansion, accroissant
série la plus longue dont on dispose dioxyde de carbone intenses entre les le stock de carbone dans la biomasse.
aujourd’hui. océans et les surfaces terrestres, d’une En outre, l’augmentation de la concen-
part, et l’atmosphère, d’autre part. tration du dioxyde de carbone a un effet
Des sources et des puits Ces échanges qui ont lieu dans les deux «  fertilisant  », c’est-à-dire qu’elle stimule
de dioxyde de carbone en évolution sens sont de l’ordre de 290  gigatonnes la photosynthèse et la productivité
Quels en ont été les principaux résul- de dioxyde de carbone par an pour forestière, donc améliore l’efficacité
tats  ? La concentration atmosphérique les océans et de 440 pour les surfaces du «  piège  ». De surcroît, les dépôts
du dioxyde de carbone augmente de
façon spectaculaire depuis 1958. Voi-
sine de 315 ppm (nombre de molé-
cules par million de molécules d’air
hormis la vapeur d’eau) en  1958, elle
a dépassé 400 ppm pour la première
fois en mai 2013. Les valeurs obtenues
à partir de bulles d’air emprisonnées
dans la glace de l’Arctique et de
l’Antarctique avant l’ère industrielle
(à la fin du xviiie  siècle), sont proches
de 280   ppm. La vitesse d’augmenta-
tion de la concentration de dioxyde
de carbone croît aussi : de 0,7   ppm
par an au début des années 1960,
elle est passée à 2,0  ppm par an entre
2000 et 2010. Cette accélération est à
rapprocher de l’emballement des émis- -1,0 -0,6 -0,2 0,2 0,6 1,0

sions de dioxyde de carbone d’origine


fossile (charbon, pétrole, gaz), dû no-
tamment à la production de ciment  : ces
émissions ont atteint 35 gigatonnes (mil-
liards de tonnes) en  2011. La déforesta-
tion, autre source d’émission de dioxyde
de carbone, présente une contribution
par les forêts tropicales de quatre giga-
tonnes de dioxyde de carbone par an.
Mais à côté de ces chiffres inquié-
tants, les recherches révèlent qu’il
existe des «  amortisseurs  » limitant
l’ampleur de ces augmentations. Ain-
si, on ne retrouve dans l’atmosphère
que la moitié environ des quantités de
Météo France

dioxyde de carbone émises. Ce phé-


nomène s’applique aux bilans réalisés 0 1 2 3 4 5 6 8 10
au cours de la dernière décennie, mais
Résultats des modélisations (modèle CNRM-CM5) indiquant en moyenne annuelle
aussi aux chiffres enregistrés depuis le la différence des précipitations (en millimètres par jour, en haut) et des températures
début de l’ère industrielle. On estime (en °C, en bas) entre la période 1970-2000 et la période 2071-2100 dans
que 2 000 (± 312) gigatonnes de dioxyde le scénario RCP8.5 du Ve rapport du GIEC. Il pleuvrait moins sur certaines régions
de carbone ont été émises dans l’atmo­ intertropicales, dont l’Amazonie. La température pourrait augmenter de dix degrés
sphère de 1750 à 2011, du fait des acti- dans les régions les plus septentrionales.

© Pour la Science - INRA 2015 [7


Ainsi, la biomasse et les sols per-
mettent aujourd’hui d’atténuer en
partie les impacts du changement
climatique parce qu’ils séquestrent
du carbone. Toutefois, non seule-
ment les puits de carbone terrestres
actuels risquent de devenir moins
efficaces, mais d’autres sources de
gaz à effet de serre pourraient ap-
paraître au moment où les émis-
sions liées à l’agriculture ne cessent
de croître. Dès lors, s’il faut continuer
à tenter d’atténuer les impacts du
changement climatique, il faut aussi
chercher comment s’y adapter.

Comment s’adapter

Hervé Quénol, cnrs


au changement climatique ?
D’abord en anticipant mieux l’évolu-
tion du climat. Les modèles clima-
tiques ont été notablement améliorés,
Station météo miniature dans le vignoble argentin. Monter en altitude grâce à une meilleure prise en compte
ou changer de latitude peut être un moyen de s’adapter au changement climatique. de l’ensemble des gaz à effet de serre
et de l’ensemble des phénomènes dits
atmosphériques d’éléments minéraux sont mesurées en continu depuis 1976 de forçage radiatif, c’est-à-dire de la
issus de la pollution atmosphérique, pour le premier et depuis 1983 pour différence entre l’énergie reçue et celle
tels que l’azote et le soufre, pourraient le second. émise par le système climatique plané-
renforcer cet effet fertilisant. La contri- taire qui, in fine, détermine le réchauf­
bution des surfaces agricoles est plus D’autres gaz à effet de serre fement planétaire. Les puissances de
variable : en Europe, les prairies repré- Ces gaz s’accumulent rapidement calcul ont été renforcées, les méthodes
senteraient un puits de carbone, mais dans l’atmosphère et contribuent no- de modélisation améliorées et on a
les cultures une source. tablement au réchauffement, malgré assisté à une mobilisation sans précé-
Le puits de carbone terrestre leurs faibles concentrations atmosphé- dent de la communauté des modélisa-
continuera-t-il à être aussi efficace riques, car leur capacité moléculaire de teurs avec une approche dite ensem-
dans le futur  ? Cela n’est pas certain. piégeage du rayonnement infrarouge bliste, permettant de comparer divers
Il pourrait l’être de moins en moins, lointain émis par la Terre est supérieure modèles. Enfin, la résolution spatiale
voire cesser de fonctionner en raison à celle du dioxyde de carbone. Le mé- des modèles a été considérablement
de deux mécanismes   : d’une part, thane est pour la moitié environ (entre améliorée. Par exemple, la maille élé-
la biomasse forestière et les sols des 35 et 50  pour cent) d’origine naturelle  : mentaire du système de simulation
écosystèmes terrestres risquent d’être il est émis par les zones humides. Le Euro-cordex est égale à 12 kilomètres
saturés, ce qui réduirait la capacité de reste est issu de l’agriculture (fermenta- sur 12, de sorte que la représentation
séquestration du carbone. D’autre tion entérique des ruminants, effluents des phénomènes locaux et des événe-
part, le réchauffement climatique fu- d’élevage, rizières), de la fermentation ments extrêmes – telles les vagues de
tur et l’accentuation des sécheresses des déchets et d’émissions liées aux chaleur et les sécheresses – est bien
risquent de faire basculer ces éco- énergies fossiles et à la combustion de plus fine.
systèmes de l’état de puits à celui de la biomasse. De surcroît, le réchauf- Quatre nouveaux types de scénarios
source de dioxyde de carbone, car la fement climatique futur prévu aux climatiques, ou plutôt d’hypothèses
photosynthèse serait réduite et la dé- latitudes élevées de l’hémisphère de scénarios formulées par le giec,
composition de la matière organique Nord aboutirait à la disparition d’une sont fondés sur différentes valeurs de
des sols serait stimulée. La réduction partie des pergélisols, ce qui pourrait forçage radiatif, liées à autant d’hy-
de la productivité et de la séquestra- entraîner la libération de quantités pothèses d’atténuation des émissions
tion de carbone observée à l’échelle de importantes du méthane actuellement anthropiques de gaz à effet de serre.
l’Europe à la suite de la sécheresse et piégé dans ces sols gelés en perma- Les simulations faites à partir de ces
de la canicule de  2003 préfigure une nence. Quant au protoxyde d’azote, modèles ont montré que le réchauf-
telle évolution. il est pour les deux tiers d’origine fement depuis 1950 (+ 0,6  °C), ainsi
Le dioxyde de carbone n’est pas le naturelle, lié à la dénitrification des sols que la fréquence des événements ex-
seul gaz à effet de serre qui participe et des océans, et pour un tiers d’origine trêmes ne peuvent être expliqués que
au réchauffement climatique. C’est anthropique en lien avec l’utilisation par le forçage externe (lié aux activi-
aussi le cas, entre autres, du protoxyde des engrais azotés, de la combustion de tés humaines) du climat. D’après les
d’azote (n2o) et du méthane (ch4), biomasse et d’émissions associées aux simulations, le réchauffement à
dont les concentrations atmo­sphériques dépôts atmosphériques d’azote. moyen terme (2035) resterait assez

8] © Pour la Science - INRA 2015


limité quel que soit le scénario  ; le ré- titude d’une population ou d’une es- oublier les éventuels déplacements
chauffement à long terme (2100) serait pèce à s’acclimater sans variation gé- des cultures pouvant offrir de nouvelles
important et contrasté en fonction des nétique quand le milieu varie, ou des opportunités.
scénarios, mais pourrait dépasser 4 °C adaptations génétiques rapides, pour- L’ampleur limitée des modifica-
en Europe. raient réduire ces impacts. Mais il sera tions climatiques attendues à moyen
L’Europe du Sud devrait subir un nécessaire d’assister ces phénomènes, terme (2035) pourra être palliée en
réchauffement beaucoup plus rapide par exemple en établissant des cor- grande partie par des adaptations re-
que l’Europe du Nord en été, et le ridors pour favoriser les migrations levant de la gestion courante des sys-
réchauffement hivernal serait plus d’espèces, ou en déplaçant artificiel- tèmes et favorisant leur résilience par
rapide sur l’Est et le Nord de l’Europe. lement des espèces par le transfert de rapport aux fluctuations interannuelles
Les précipitations devraient être plus graines, la régénération assistée ou les du climat. Toutefois, l’augmentation
fortes sur le Nord de l’Europe et plus plantations forestières. des événements extrêmes pourrait, dès
faibles sur le Sud (y compris sur la maintenant, perturber les productions
partie méridionale de la France). Des agricoles et avoir des conséquences
périodes sèches plus prononcées et économiques graves. Le changement
nombreuses et des vagues de chaleur climatique plus important prévu pour
plus fréquentes surviendront vrai- la seconde moitié du xxie siècle néces-
semblablement. sitera des options d’adaptation et de
À court et moyen termes, la con- changement plus radicales. Les zones
centration atmosphérique élevée du de production devront être modifiées,
dioxyde de carbone et le réchauffement ce qui imposera d’adapter les filières
pourraient avoir des conséquences économiques et la gestion des terri-
positives sur la production des éco- toires et de développer des innovations
systèmes et de l’agriculture sous les techniques acceptables par la société.
latitudes élevées notamment. En re-
Pavel Barsukov, Russian Academy of Sciences

vanche, à plus long terme, les effets Anticiper les changements


négatifs liés aux températures éle- Il est particulièrement important d’an-
vées et aux sécheresses pourraient ticiper ces changements pour les sys-
l’emporter. Ils menacent déjà les zones tèmes à dynamique lente (forêts, prai-
tropicales sèches et la Méditerranée. ries permanentes, lacs). La maîtrise des
L’adaptation aux changements cli- adaptations est plus aisée pour les sys-
matiques nécessite aussi une bonne tèmes très anthropisés dont les condi-
connaissance des réponses des orga- tions sont plus contrôlables (cultures
nismes, populations et communau- L’impact du changement climatique annuelles, élevage) que pour les sys-
tés vivantes et plus largement des sur les sols gelés de Sibérie est suivi tèmes plus naturels (prairies perma-
écosystèmes, qu’ils soient naturels avec attention. nentes ou forêts non cultivées, lacs et
ou plus ou moins artificiels. Des pro- rivières, zones sauvages) pour lesquels
cessus biologiques et écologiques Les progrès réalisés dans la modélisa- on ne peut envisager que des mesures
essentiels risquent d’être modifiés, à tion du fonctionnement des cultures d’accompagnement ou palliatives.
commencer par la production, ainsi ou de la dynamique des forêts et des Ainsi, les défis posés par le chan-
que le début et la fin de périodes écosystèmes seront utiles à la définition gement climatique à la société et aux
actives, qui, chaque année, déter- des options d’adaptation au change- chercheurs sont considérables. Il est
minent les interactions des espèces ment climatique futur. Ainsi, dans le urgent de définir des modes de gestion
au sein des écosystèmes. Par ailleurs, projet climator, les scientifiques ont appropriés des ressources, des milieux
les aires de répartition des espèces croisé modèles climatiques et modèles et des territoires (agriculture, sylvicul-
risquent d’être modifiées. Aux lati- d’impacts agronomiques et forestiers. ture, milieux naturels) en anticipant
tudes de la France, une augmentation Les impacts agricoles et forestiers futurs les conséquences de ce changement.
de 1°C est associée à un déplacement du changement climatique ont été ana- Il faudra notamment préserver tous les
des zones thermiques de 150   kilo- lysés aussi bien en termes de rendement, systèmes contribuant à l’atténuation
mètres vers le Nord en plaine ou de que de qualité des produits agricoles, de du changement climatique, qui sé-
150  mètres d’altitude en montagne. calendriers des cultures, de besoins en questrent le carbone et limitent les
Cet effet déclenchera une migration eau, ou encore de santé des plantes, sans émissions de gaz à effet de serre.
des organismes les plus mobiles (micro-
organismes, animaux, végétaux à dis-
persion rapide et cycle de reproduction
court), alors que les organismes moins Bibliographie
mobiles, tels les arbres, ou confinés
dans leur milieu, comme les espèces N. Brisson et F. Levrault (éd.), Le livre vert du projet Climator (2007-2010). Changement climatique,
lacustres, subiront des déséquilibres agriculture et forêt en France : Simulations d’impacts sur les principales espèces, , Ademe, 2010.
menaçant leur survie. Dans certains J.-F. Soussana (coord.), S’adapter au changement climatique,
cas, des réponses naturelles, telle l’ap- Agriculture écosystèmes et territoires, Quae, 2013.

© Pour la Science - INRA 2015 [9


Les défis
de l’agriculture

Orientaly/Shutterstock
Philippe Debaeke Jacques Le Gouis Antonio Bispo, Thomas Eglin
et Sylvain Pellerin Directeur de recherche et Audrey Trévisiol
Directeurs de recherche au Département Biologie Ingénieurs de recherche
au Département Environnement et Amélioration des Plantes au Service Agriculture
et Agronomie de l’INRA de l’INRA et Forêts de l’ADEME

L’agriculture subit le changement climatique et, en même temps, elle y contribue par l’émission
de gaz à effet de serre. Par conséquent, elle doit s’y adapter, mais aussi en atténuer les effets.
Des solutions sont à rechercher du côté de la génétique et de l’agronomie.

S
ous l’impact du changement climatique, vités liées aux changements d’usage des sols, telle la
la production agricole risque d’être nota- déforestation. En France, cette contribution s’élève
blement perturbée. Cela pourrait avoir de à 20 pour cent. La France veut diviser par quatre
lourdes conséquences sur la sécurité alimentaire ses émissions de gaz à effet de serre. Pour le secteur
comme sur l’activité des marchés, à l’échelle tant agricole une division par deux semble plus réaliste,
locale que globale, dans un contexte de croissance même si elle reste ambitieuse.
démographique et de raréfaction des ressources
–   en eau, énergie, sols et phosphates. Des cycles plus précoces
L’agriculture doit impérativement s’adapter Pour quantifier les impacts du changement clima-
aux changements, réduire la vulnérabilité des tique sur la production des espèces cultivées, les
cultures en les rendant moins sensibles et plus chercheurs utilisent plusieurs méthodes, que ce
résilientes face aux évolutions de fond aussi bien soit des observations, des expérimentations ou des
qu’aux événements extrêmes. Cette adaptation modélisations (voir l’encadré page ci-contre). Elles ont
passe par une modification des pratiques agricoles, permis de comprendre quel est l’impact du change-
une amélioration des variétés, mais aussi par le dé- ment climatique sur l’agriculture depuis plusieurs
placement des aires de culture. décennies déjà. La température étant le principal
L’urgence reste toutefois la diminution des émis- moteur du développement végétal, les chercheurs
sions de gaz à effet de serre. À l’échelle mondiale, ont constaté une anticipation des stades clés, par
l’agriculture est responsable de 13,5 pour cent de ces exemple le bourgeonnement, la floraison ou la ré-
émissions –  31 pour cent si l’on tient compte des acti- colte pour l’ensemble des cultures, sous les climats

10] © Pour la Science - INRA 2015


méditerranéens et tempérés. Ainsi, du changement climatique, tandis que de l’être. La vigne et les cultures frui-
pour le blé, la sortie des épis se produit d’autres, plus nombreuses, en pâtiront, tières en pâtiront, car leur valeur éco-
de 8 à 10   jours plus tôt qu’il y a 20 ans. surtout dans les pays du Sud. nomique est souvent associée au ter-
Variable selon les espèces, l’avance- Toute la complexité est là : les consé- roir de production.
ment des cycles n’est pas sans consé- quences du changement climatique
quences sur la production agricole : il sont variables selon les espèces et les Les stratégies d’adaptation
entraîne une diminution du nombre zones géographiques. Pour la France, Pour limiter la vulnérabilité des cultures
de jours pendant lesquels les plantes le projet CLIMATOR conduit par l’INRA au changement climatique, plusieurs
captent le rayonnement du soleil qui et soutenu par l’Agence nationale de voies d’adaptation peuvent être envi-
assure la photosynthèse, ce qui réduit la recherche (ANR) prévoit une hausse sagées. La première, explorée en prio-
les rendements. Depuis 20  ans égale- des rendements du blé compris entre rité et facile à faire accepter, est la voie
ment, les déficits en eau ont augmenté 0,9 et 1  tonne par hectare. Cette hausse génétique. Elle consiste à sélectionner,
pendant la phase de remplissage des résulterait de l’accroissement de la chez les plantes, des stratégies dites
grains de blé. Conjugués à une aug- concentration en dioxyde de carbone d’esquive, d’évitement et de tolérance.
mentation du nombre de jours où la atmosphérique, favorable à sa photo- L’esquive vise à décaler les stades les
température maximale dépasse 25 °C, synthèse. À l’inverse, les rendements plus sensibles d’une culture, afin qu’ils
ils conduisent à des grains mal remplis, du maïs irrigué baisseraient de 1 à n’adviennent pas en même temps que
abaissant, là encore, les rendements. 1,5  tonne par hectare, en raison du rac- des conditions météorologiques défa-
Si le blé a été pénalisé par les évo- courcissement de son cycle et du fait vorables. Ainsi, en cultures d’hiver,
lutions récentes du climat, il n’en a pas que son métabolisme est insensible à les grains de variétés plus précoces
été de même pour d’autres espèces, l’enrichissement de l’atmosphère en seraient mieux remplis, car soumis à
telles que la betterave sucrière. Culti- dioxyde de carbone. des conditions plus tempérées. Ces
vée dans le Nord de l’Europe, elle a Pour les années à venir, les modé- stratégies sont parmi les plus étudiées
profité du réchauffement et de l’avan- lisations font apparaître des déplace- aujourd’hui, parce qu’elles laissent
cement de son cycle, sans être pertur- ments possibles des aires de culture. espérer de bons résultats et que les
bée par une baisse de la disponibilité Dans certains cas, de nouveaux ter- mécanismes génétiques qui contrôlent
en eau. À l’image de la betterave su- ritoires deviendront cultivables. Au les stades du développement sont de
crière, certaines espèces bénéficieront contraire, d’autres terroirs cesseront mieux en mieux connus.

Comment prévoir les effets du changement climatique ?


Pour identifier les meilleures voies d’adaptation au changement climatique, il
faut pouvoir mesurer l’impact de ses différentes composantes. À cette fin, les
chercheurs disposent essentiellement de trois méthodes.
La première consiste à étudier le développement des cultures en fonction
des évolutions antérieures du climat. C’est grâce aux chroniques historiques,
par exemple, que la stagnation des rendements du blé observée en Europe de-
puis une quinzaine d’années, a pu être corrélée à une dégradation des condi-
tions thermiques et hydriques lors des phases sensibles des cultures.
Deuxième méthode, l’expérimentation en conditions contrôlées. On utilise
notamment des phytotrons où les paramètres environnementaux sont modu-
lables – température, humidité, concentration atmosphérique en dioxyde de
carbone, rayonnement. L’évolution des fonctions physiologiques des cultures
en fonction de ces paramètres peut ainsi être tracée. Toutefois, coûteux et
de petite taille, ces dispositifs ne permettent pas de couvrir l’ensemble des
combinaisons associant le climat, les sols, les espèces, les variétés et les pra-
Piti Tan/Shutterstock

tiques agricoles.
La troisième méthode repose sur la modélisation. Il s’agit de simuler le com-
portement des espèces cultivées en réponse aux différents scénarios du chan-
gement climatique. Cette approche est la seule qui permette d’explorer le champ
En jouant sur une gamme de paramètres,
tels que luminosité, température ou humidité, des possibles lié aux conditions futures. Ses résultats n’en demeurent pas moins
on étudie en laboratoire le développement soumis à de grandes incertitudes, en raison de la simplification des modèles et de
de plantes dans de multiples conditions. l’incertitude inhérente aux modèles climatiques et socio-économiques.

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Les stratégies d’évitement visent, L’autre voie d’adaptation passe par rios. Concernant la période 2030-2050,
pour leur part, à limiter la sensibilité l’agronomie. Pour répondre à l’avance- les simulations indiquent que l’avance-
des plantes aux conditions défavo- ment des stades de développement, des ment des cycles permettra de compen-
rables. Il s’agit, par exemple, de favori- adaptations « tactiques » peuvent être ser, du moins en partie, l’élévation des
ser l’accès à une ressource, via un sys- mises en œuvre. Pour les cultures de risques liés aux précipitations.
tème racinaire plus profond capable printemps, par exemple, tels le maïs et le Après 2050, le manque d’eau de-
de capter de plus grandes quantités tournesol, on sème plus tôt des variétés vrait se faire sentir, et l’effet des tem-
d’eau. Les pertes hydriques peuvent tardives. Cette adaptation, déjà adop- pératures élevées serait plus marqué.
également être limitées en diminuant tée par les agriculteurs, a contribué à Par la génétique et l’agronomie, on
la surface des feuilles, ce qui a pour l’augmentation du rendement du maïs cherchera à sélectionner des espèces
conséquence de restreindre l’évapora- depuis une dizaine d’années en France. tolérantes aux températures extrêmes
tion. Enfin, les stratégies de tolérance L’augmentation des températures pré- et à esquiver les périodes où le risque
reposent sur des processus physiolo- coces favorise la photosynthèse pour thermique est le plus élevé (décalage
giques ou biochimiques qui facilitent cette espèce d’origine tropicale. des dates de semis, variétés plus pré-
coces). La demande en eau devrait
augmenter pour compenser l’évapora-
Évolution du début des vendanges à Châteauneuf-du-Pape tion (par les feuilles) et la diminution
6 oct. des précipitations. Mais les ressources
1er oct. en eau sont déjà soumises à de fortes
25 sept. pressions, et il n’est pas évident que
21 sept. le recours à l’irrigation puisse être
16 sept. augmenté, ni même maintenu, étant
11 sept. donné l’augmentation de la demande.
6 sept.
1er sept.
Agir sur les causes du réchauffement
1950 1960 1970 1980 1990 2000
Quoi qu’il en soit, les possibilités
Depuis 1945, la date du début des vendanges à Châteauneuf-du-Pape, dans le Vaucluse, a
d’adaptation au changement clima-
été avancée de près de trois semaines. Le cycle de développement des vignes s’est décalé
en raison de la hausse progressive des températures moyennes ambiantes. tique dépendront avant tout de son am-
pleur, et donc de notre capacité à agir
sur ses causes en réduisant les émis-
le développement de la plante dans Plus généralement, l’accentuation sions de gaz à effet de serre. Respon-
des conditions défavorables : on sé- des aléas climatiques nécessitera de sable d’un cinquième de ces émissions
lectionne, par exemple, des enzymes revoir le calendrier habituel des cycles à l’échelle de la France, l’agriculture
dont le fonctionnement n’est pas altéré culturaux, pour éviter au mieux les joue un rôle important. Le protoxyde
par des températures élevées. événements extrêmes pendant les pé- d’azote, dont le pouvoir de « réchauf-
Toutes ces approches font appel à riodes de croissance. Si le risque de gel fement » est 300   fois supérieur à celui
la variabilité génétique naturelle des diminue encore et si l’amélioration des du dioxyde de carbone, représente 50
espèces cultivées, aux ressources géné- variétés le permet, on pourrait aussi pour cent de ces émissions. Étroite-
tiques conservées dans les collections envisager des semis d’automne (qui ment associé à l’utilisation des engrais,
ainsi qu’aux possibilités offertes par nécessitent moins d’eau) pour des es- il est produit par les sols cultivés lors
les biotechnologies. Elles se heurtent pèces semées jusqu’alors au printemps. des réactions de transformation de
néanmoins à deux difficultés : d’une C’est déjà le cas pour le pois. l’azote (nitrification et dénitrification).
part, pouvoir anticiper précisément Toutefois, l’avancée des cycles Le méthane contribue pour 40 pour
les conditions climatiques à venir pour pourrait avoir d’autres conséquences cent, mais il est surtout associé à l’éle-
sélectionner au mieux des variétés néfastes, telles que des attaques d’orga- vage. Quant au dioxyde de carbone,
adaptées, notamment pour les espèces nismes nuisibles, des maladies émer- il correspond à seulement 10 pour
pérennes plantées pour plusieurs dé- gentes ou les dégâts causés par des cent du total des émissions et provient
cennies ; d’autre part, réussir à com- températures trop basses. Cela com- des énergies fossiles utilisées notam-
biner, au sein d’une même variété, des pliquerait la recherche de solutions ment par les machines agricoles.
mécanismes d’adaptation à plusieurs optimales. C’est pourquoi, malgré En juillet 2013, l’INRA, l’Agence
contraintes, dont l’occurrence et l’in- leurs imperfections, les modélisations de l’environnement et de la maîtrise
tensité varient d’une année à l’autre et aideront à identifier les voies les plus de l’énergie, ADEME, et les ministères
d’un endroit à l’autre prometteuses et à tester divers scéna- en charge de l’agriculture et de l’éco-

12] © Pour la Science - INRA 2015


logie ont présenté les résultats d’une
étude indiquant comment une série
de mesures permettraient de réduire
les émissions de gaz à effet de serre de
près de 32 millions de tonnes d’équiva-
lent dioxyde de carbone par an.
Un tiers des actions préconisées
donne lieu à un gain financier pour les
agriculteurs. Elles correspondent sur-
tout à des ajustements techniques : une
utilisation mieux raisonnée des fertili-
sants azotés notamment, qui réduirait

B. Brown /Shutterstock
d’environ 25 pour cent les émissions de
protoxyde d’azote. De même, des ef-
forts plus soutenus en termes d’écono-
mies d’énergie (par exemple, une meil-
Dans le Nord de l’Europe, les rendements de la betterave sucrière (pour le sucre, l’alcool
leure isolation des serres chauffées et ou des biocarburants) augmentent avec le réchauffement climatique.
des bâtiments d’élevage) conduiraient à
diminuer de 20   pour cent les émissions temps de travail supplémentaire, tel prairies, mais assez faible en viticul-
de dioxyde de carbone, pour un gain que la culture de haies fixatrices de ture, dans les zones méditerranéennes
estimé à 170  euros par tonne « évitée ». carbone. Bien que coûteuses, ces me- et de cultures intensives. L’enjeu est
Une deuxième série d’actions est sures contribueraient à la réduction donc de préserver les sols qui repré-
envisageable et ce pour un coût limité   : des émissions, mais aussi à la qualité sentent un « stock de carbone » impor-
moins de 25 euros par tonne de dioxyde des paysages, la biodiversité et la lutte tant, mais fragile.
de carbone évitée. À titre d’exemples, contre l’érosion. Par ailleurs, les mesures envisa-
citons la réduction de la fréquence Si l’agriculture doit réduire ses geables pour adapter les cultures et
des labours (coûteux en énergie), la émissions, elle doit également gérer les atténuer les effets du changement cli-
production de biogaz à partir des sols qui sont des réservoirs de carbone. matique étant souvent compatibles,
effluents d’élevage (par le processus À l’échelle mondiale, le premier mètre elles pourraient être mises en œuvre
de méthanisation), le développement de sol séquestrerait quelque 2 000 gi- simultanément. Toutefois, ce ne serait
de l’agroforesterie pour favoriser le gatonnes de carbone organique, c’est- pas toujours le cas  : l’accroissement des
stockage du carbone dans les sols et la à-dire plus que la biomasse végétale légumineuses réduirait les émissions
biomasse, ou encore l’accroissement de et l’atmosphère réunies, représentant de protoxyde d’azote, mais ces plantes
la part des légumineuses (espèces qui ainsi le premier réservoir de la bios- sont très sensibles au manque d’eau. De
fixent l’azote) dans les cultures, afin de phère. Les matières organiques, tels même, les pratiques visant à augmenter
diminuer les besoins en engrais. Cer- les débris végétaux ou les organismes les stocks de carbone dans les sols ou
taines de ces mesures nécessitent des qui peuplent le sol, sont les principaux la biomasse, grâce à un couvert végétal
investissements. Elles peuvent aussi acteurs du stockage et du déstockage. plus important, risquent d’être remises
entraîner une baisse modérée des pro- Le stock de carbone correspond au bi- en cause si la demande pour l’eau desti-
ductions, partiellement compensée lan entre les entrées (litière, résidus de née aux cultures principales se renforce.
par une diminution des charges. Les culture, fumiers) et les sorties (respira- La mise en œuvre et le suivi des mesures
subventions associées à la tonne de tion par les organismes du sol). Il est d’adaptation au changement climatique
dioxyde de carbone évitée auront donc très variable selon le type de sol, le cli- et d’atténuation nécessiteront de défi-
une influence décisive pour la mise en mat, l’occupation et la gestion des sols. nir et d’examiner attentivement un en-
œuvre de ces actions. Il est très élevé dans les pelouses d’al- semble de paramètres pour s’assurer de
Enfin, la troisième série de me- titude, dans les zones humides ou les leur compatibilité.
sures nécessiterait des dépenses plus
élevées, supérieures à 25 euros par Bibliographie
tonne de dioxyde de carbone évitée.
S. Pellerin et L. Bamière (coord.), Quelle contribution de l’agriculture française
Elle requiert l’achat de produits agri- à la réduction des émissions de gaz à effet de serre ?, INRA, 2013.
coles spécifiques, tels des inhibiteurs
N. Brisson et F. Levrault (éd.), Le livre vert du projet Climator (2007-2010).
de nitrification, pour réduire les émis- Changement climatique, agriculture et forêt en France : Simulations d’impacts
sions de protoxyde d’azote, ou du sur les principales espèces, , Ademe, 2010.

© Pour la Science - INRA 2015 [13


Accompagner l’adaptation
de l’élevage

Dudarev Mikhail / Shutterstock


Anne Mottet David Renaudeau Jean-François Soussana
Chargée des politiques d’élevage Chercheur dans l’équipe Alimentation Directeur scientifique environnement
à la FAO et Nutrition de l’INRA de l’INRA

L’élevage libère une quantité notable de gaz à effet de serre. Il est acteur
du changement climatique, mais y est, en retour, sensible. Il est urgent
de mettre en œuvre des mesures d’adaptation, dont certaines existent déjà.

D
evrions-nous réduire notre consommation et pâturages, auxquels s’ajoutent un demi-milliard
de produits animaux (viande, lait, œufs) d’hectares pour les cultures liées à l’alimentation
pour lutter contre le réchauffement clima- animale. Plus de 800 millions de personnes vivant
tique ? Cette question fait débat depuis une dizaine sous le seuil de pauvreté dépendent de l’élevage
d’années. En cause : les émissions de gaz à effet de pour leur survie et le secteur contribue à employer
serre causées par l’élevage qui représenteraient plus de 20  pour cent de la population mondiale.
selon la Food and Agriculture Organization, FAO, près L’élevage des ruminants permet de produire des
de 15 pour cent de la contribution totale de l’homme aliments sur des terres non cultivables (en raison
à l’effet de serre. Or ce bilan pourrait encore s’aggra- de la pente, de l’altitude ou du climat) et de valori-
ver, car si la consommation de viande a commencé ser des ressources qui ne sont pas comestibles pour
à diminuer dans certains pays occidentaux, la de- l’homme, telles que l’herbe et les fourrages.
mande en produits animaux va augmenter dans les Grâce au pâturage et à la pérennité des prairies,
pays en développement. D’ici 2050, la consomma- l’élevage extensif, s’il est bien conduit, contribue à
tion mondiale pourrait progresser de 70 pour cent. la biodiversité, à la lutte contre l’enfrichement, et à
Mais que se passera-t-il si le climat change et si des la protection des sols et des eaux de surface. L’éle-
vagues de chaleur et des sécheresses perturbent de vage représente aussi 40 pour cent du secteur éco-
plus en plus les bassins d’élevage ? nomique agricole et connaît une croissance dyna-
La question est d’autant plus complexe que mique (plus de 3 pour cent par an). La viande, le
l’élevage est pratiqué sur près de 30 pour cent des lait et les œufs fournissent 18 pour cent des calories
terres émergées : 3,4 milliards d’hectares de prairies consommées, et près de 40  pour cent des apports en

14] © Pour la Science - INRA 2015


protéines et en micronutriments essen- a des conséquences sur la production atmosphérique devrait aussi limiter
tiels (vitamines, minéraux, acides gras agricole et l’élevage. Ainsi, entre 1980 et l’impact des sécheresses sur la végéta-
insaturés, par exemple). 1999, de graves sécheresses ont entraîné tion, car ce gaz provoque une fermeture
la mort de 20 à 60   pour cent du cheptel partielle des stomates des feuilles. En
Les causes de l’empreinte de plusieurs pays d’Afrique subsaha- se fermant, ces petits orifices réduisent
Du fait de la diversité des producteurs rienne. Durant l’été    2003, une canicule la perte en eau des plantes.
et des situations, quantifier les émis- exceptionnelle en Europe a provoqué Les animaux d’élevage sont, pour
sions de gaz à effet de serre provenant une chute des rendements des cultures la plupart homéothermes : leur survie
des activités agricoles est complexe et de 20 à 30  pour cent et un déficit fourra- dépend de leur capacité à maintenir
sujet à de nombreuses incertitudes. De ger de 60  pour cent en France. constante leur température interne.
plus, les processus microbiologiques Or le nombre d’étés chauds pour- Exposés à la chaleur, ils réduisent leur
à l’origine des émissions de méthane rait augmenter au cours des 40   pro- prise alimentaire, leurs performances
ou de protoxyde d’azote sont très va- chaines années. Les modifications du diminuent, leur mortalité augmente
riables et on ignore comment évolue cycle de l’eau liées au réchauffement parfois. Ce type de situations, dont les
le stock global de carbone dans la ma- climatique devraient conduire à une conséquences sont graves, est notam-
tière organique contenue dans les sols. répartition plus inégale des précipita- ment observé lors des vagues de cha-
Malgré ces incertitudes, la FAO tions, plus intenses dans certaines ré- leur estivales, telle celle qui a touché
a estimé les émissions de l’élevage,
depuis l’usage des terres jusqu’à la
transformation et au transport des Répartition des gaz à effet de serre produits par l’élevage
produits animaux, soit sur plusieurs 7,7 %
0,4 % N2O Fertilisation par les effluents d’élevage
16,4 %
secteurs économiques. L’ensemble de 13 % N2O Fertilisants et résidus de cultures
cette chaîne de production repré- 2,9 % N2O N2O CH4 Rizières pour l’alimentation
CO2 Aliments (énergie utilisée
senterait 7,1 gigatonnes d’équiva- 1,5 % CO2 pour la production ou le transport)
0,3 %
lent dioxyde de carbone par an soit 5,2 % N2O
3,2 %
CO2 Expansion de la culture du soja
14,5  pour cent des émissions anthro- CH4
CO2
6%
CO2 Expansion des pâturages
CH4 Fermentation entérique
piques mondiales de gaz à effet de 4,3 %
CH4 Effluents
serre. De son côté, le Groupe d’ex- CH4 N2O Effluents
perts intergouvernemental sur l’évo- CO2 Énergie indirecte
(équipements et bâtiments)
lution du climat, GIEC, a montré dans CO2 Énergie utilisée directement à la ferme
son quatrième rapport que l’ensemble CO2 Transport, transformation
du secteur agricole contribue directe- 39,1 %
et distribution des productions
ment à plus de 14  pour cent des émis-
sions, tandis que les changements N2O : protoxyde d’azote ; CH4 : méthane ; CO2 : dioxyde de carbone
d’utilisation des terres, qui incluent la
déforestation tropicale, y contribuent
pour 17   pour cent. gions, plus rares dans d’autres, entraî- l’Amérique du Nord en 2006 et a pro-
Les principales sources d’émis- nant des sécheresses prolongées, avec voqué la mort de 700 000 volailles et de
sions identifiées par la FAO concernent des risques accrus d’érosion des sols et plus de 25 000 vaches laitières – et ce
tout d’abord la production et la trans- de réduction de leur capacité à stocker uniquement pour la Californie.
formation des aliments du bétail : cela l’eau et à fournir des nutriments. Un autre risque lié au changement
correspond à 45   pour cent du total, En France, le projet VALIDATE, climatique concerne les maladies des
dont 9 sont liés à l’expansion des pâtu- coordonné par l’INRA, a montré expé- animaux d’élevage qui sont suscep-
rages et des cultures au détriment des rimentalement que le changement cli- tibles d’émerger ou de ré-émerger, avec
forêts. Vient ensuite le méthane issu matique peut réduire de 20 à 30  pour d’importantes conséquences sanitaires,
de la digestion des ruminants (39 pour cent la productivité des prairies des écologiques, socio-économiques et poli-
cent), puis les émissions des effluents zones tempérées. Toutefois, son impact tiques. Ainsi, le virus de la fièvre catar-
d’élevage, fumiers et lisiers, à hauteur serait plus limité dans des prairies rhale, qui touche les ovins, se déplace
de 10   pour cent. Le reste provient de semées de variétés méditerranéennes déjà vers les zones tempérées d’Europe.
la transformation et du transport des résistantes, mais aussi dans les alpages, Dans ce contexte, réduire les émis-
produits animaux. où les variations de température et de sions constitue une priorité pour le
Le changement climatique résultant pluviométrie sont déjà importantes. secteur de l’élevage. En témoignent
de l’accumulation de gaz à effet de serre L’augmentation du dioxyde de carbone diverses initiatives internationales,

© Pour la Science - INRA 2015 [15


telles que AnimalChange, un projet Des recherches pour s’adapter renforcer l’utilisation de ressources
financé par l’Union européenne as- Peut-on rendre le secteur de l’élevage qui n’entrent pas en concurrence
sociant plus d’une centaine de cher- moins vulnérable aux effets du ré- avec l’alimentation humaine (copro-
cheurs, de 21  pays européens, pour chauffement climatique ? De grandes duits industriels type tourteaux, par
une recherche coordonnée en matière stratégies apparaissent. La première exemple). En même temps, il est né-
d’élevage, de changement climatique s’appuie sur l’alimentation du bétail. cessaire d’améliorer l’efficacité avec
et de sécurité alimentaire. En France, Elle vise à limiter les fluctuations de laquelle les animaux utilisent leur ra-
une étude conduite par l’INRA a mis productivité, d’une part, en sélec- tion pour la transformer en viande, en
en évidence un potentiel d’atténua- tionnant des espèces fourragères plus lait ou en œufs. Parmi les différentes
tion important des émissions du sec- résistantes pour les prairies tempo- voies possibles, citons par exemple
teur agricole français  : d’ici 2030, les raires et, d’autre part, en améliorant l’amélioration de la qualité des rations
émissions pourraient être réduites de la gestion du pâturage des prairies ou la sélection d’animaux transfor-
32 millions de tonnes d’équivalent permanentes. Il s’agit aussi, notam- mant plus efficacement leur ration en
dioxyde de carbone par an. L’élevage ment pour les volailles et porcs, de production (lait, viande).
est concerné par plusieurs mesures :
gestion des prairies et des effluents,
modifications des rations alimen- La méthanisation prend de l’importance dans le monde
taires et méthanisation (voir l’encadré
ci-contre).
Une étude conduite par la FAO a
constaté que les quantités de gaz à ef-
fet de serre varient considérablement
entre exploitations d’élevage voisines.
Constatation encourageante, car, en
appliquant les techniques d’élevage
des exploitations les plus «  propres  »,
A.Mottet, FAO

on pourrait diminuer l’empreinte


carbone d’environ 30  pour cent. En
théorie, les émissions peuvent reculer
Ces unités de méthanisation (en Allemagne, à gauche, et au Ghana, à droite), de tailles très
dans tous les systèmes – de la produc- différentes, produisent une énergie renouvelable (biogaz) à partir des effluents d’élevage.
tion industrielle de volailles en Asie
aux élevages transhumants d’ovins et Sous l’action de micro-organismes et en l’absence d’oxygène, la méthanisation dé-
de caprins des zones arides africaines. grade la matière organique issue des effluents d’élevage. Elle conduit à deux sous-pro-
Cet objectif pourrait être atteint duits. Le premier est nommé digestat : riche en matière organique, il est généralement
grâce à des techniques déjà existantes, utilisé comme engrais. Le second est un mélange gazeux (biogaz) composé surtout de
mais encore peu répandues. Par méthane et de dioxyde de carbone. Une partie du méthane présent dans les fumiers et
exemple, les systèmes extensifs ovins les lisiers se trouve transformée en dioxyde de carbone, dont le pouvoir de « réchauffe-
et caprins en Afrique de l’Ouest pour- ment » est 25  fois inférieur à celui du méthane.
raient produire plus tout en émettant Capté dans les unités de méthanisation, le biogaz peut être valorisé de plusieurs
moins de gaz à effet de serre grâce à façons : en combustion pour le chauffage ou la cuisson, en cogénération pour produire de
l’électricité et de la chaleur, ou directement dans le réseau de gaz naturel. La méthanisa-
l’utilisation renforcée des résidus de
tion permet ainsi de produire une énergie renouvelable, tout en diversifiant les revenus
cultures, à l’amélioration de l’état de
des exploitants et en réduisant leur empreinte carbone.
santé des animaux, au moyen de vac-
En France, ce procédé se développe rapidement avec le soutien des pouvoirs publics.
cins ou de vermifuges, et à la gestion du
Près de 160 unités de méthanisation utilisent actuellement les effluents d’élevage : indi-
pâturage. Cette étude souligne aussi le viduelles ou collectives, elles produisent une énergie primaire estimée à 650 mégawatt-
potentiel de stockage de carbone dans heures. En 2030, selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, ADEME,
les sols des prairies, par l’intermédiaire l’énergie primaire issue de la méthanisation devrait être multipliée par plus de 100 000,
des racines et du couvert végétal. Cela et atteindre 69 térawatt-heures – soit 3 pour cent de la production énergétique. On es-
passe par une intensification modé- time que 78 pour cent de cette énergie proviendrait du monde agricole. En 2050, toujours
rée dans certaines régions et une res- selon l’ADEME, elle pourrait s’élever à 104 térawatt-heures : la méthanisation deviendrait
tauration des prairies dégradées dans alors la troisième source d’énergie renouvelable du pays.
d’autres, ainsi que le développement Marc Bardinal et Julien Thual, ADEME
des systèmes agropastoraux.

16] © Pour la Science - INRA 2015


Une deuxième stratégie consiste augmenter leur sensibilité aux fac-
à développer des programmes de teurs externes (par exemple la cha-
sélection pour rendre les animaux leur). Les solutions pour combiner
moins sensibles aux conditions adaptation et atténuation ne sont
d’élevage difficiles (chaleur, restric- donc pas toujours faciles à trouver
tion hydrique ou alimentaire). Du et elles devront être adaptées en
fait de leur grande capacité d’adap- fonction des systèmes d’élevage et
tation, les races locales rustiques des contextes climatiques.
sont au cœur de ces programmes
de sélection. Sur ce sujet, des pro- Réagir vite
grammes de recherches ambitieux Conscient de l’urgence, le secteur
sont actuellement conduits à l’INRA, réagit. De nombreuses initiatives
notamment sur le porc et la volaille. associant acteurs privés et publics
Une troisième voie d’adap- ont vu le jour au cours des dix der-
Matthew Dixon /Shutterstock

tation repose sur la maîtrise des nières années. Les filières se mobi-
risques sanitaires qui tendent à lisent à l’instar du secteur laitier
augmenter avec le réchauffement. français. Ainsi, lancé fin  2013, le
Il faut anticiper les changements plan d’action Carbon Dairy vise à
de répartition géographique des Comme tous les ruminants, les moutons rejettent du réduire de 20 pour cent en dix  ans
agents pathogènes et limiter leurs méthane au cours de la digestion. les émissions de gaz à effet de serre
conséquences sur les élevages. dans 3  900 fermes.
Cet objectif est poursuivi par des De nombreuses innovations seront Au-delà des cadres politiques
méthodes de diagnostic et de vacci- donc nécessaires : utilisation accrue de internationaux et des négociations,
nation, et en favorisant de nouvelles la diversité biologique, écotechnolo- telles que le Protocole de Kyoto ou la
conduites d’élevage via l’association gies pour mieux collecter et économi- Convention-cadre des Nations Unies
d’espèces animales notamment. Pour ser l’eau, prévisions météorologiques sur les changements climatiques, il
lutter contre les vers intestinaux des saisonnières… Cependant, le succès de est essentiel de soutenir les actions
ruminants, on peut, par exemple, ces technologies dépendra de leur effi- concertées regroupant l’ensemble des
associer, sur une parcelle infectée, de cacité technique et de la proportion de acteurs : les producteurs, les transfor-
petits et de gros ruminants  ; ces der- ceux qui les adopteront, deux facteurs mateurs, les gouvernements, les ONG,
niers sont moins sensibles aux para- limités, dans de nombreuses régions la société civile et la recherche.
sites, ce qui réduit la contamination en développement, par la pauvreté, la Aujourd’hui, les chercheurs doivent
de la prairie et la mortalité des petits faim, le manque de ressources finan- évaluer le potentiel des différentes
ruminants. cières, la dégradation environnemen- approches susceptibles de réduire les
En agriculture, l’adaptation passe tale et les conflits. émissions de gaz à effet de serre et les
aussi par une meilleure gestion du Il est possible de combiner à la voies d’adaptation de l’élevage, afin de
risque climatique, ce qui nécessite fois réduction des émissions et adap- définir des priorités. Il leur appartient
souvent la diversification des cultures tation au changement climatique : par aussi de chiffrer les actions envisagées,
et des systèmes d’élevage. Les petits exemple, en évitant le surpâturage, on de continuer à développer des innova-
éleveurs, en particulier ceux situés peut restaurer les stocks de carbone tions capables de réduire l’empreinte
dans des environnements difficiles, d’un sol tout en favorisant une meil- carbone, et d’élaborer des outils permet-
ont développé des stratégies qui les leure résistance à la sécheresse. Ainsi, tant de prédire précisément les consé-
rendent moins vulnérables aux chocs il existe des synergies, mais les antago- quences du changement climatique sur
climatiques et les aident à en gérer nismes ne sont pas absents  : la sélec- l’élevage pour les 50   prochaines années
les impacts. Le partage des risques au tion des animaux pour améliorer leur tout en définissant les mesures à mettre
sein des familles et des communau- potentiel de production a tendance à en place... rapidement.
tés rurales, les mesures d’anticipation
(stockage de fourrages), ainsi que les
mécanismes d’assurance font partie de Bibliographie
ces stratégies autonomes, qui ne sont
P. Gerber et al., tackling climate change through livestock. A Global assessment of
toutefois pas suffisantes pour faire emissions and mitigation opportunities, FAO, 2013.
face à des changements climatiques de M. Mathieu et al., intensive grazing system for small ruminants in the tropics : the French
grande ampleur. West indies experience and perspectives, Small Ruminant Research, vol. 77, n° 2, pp.
195-207, 2008.

© Pour la Science - INRA 2015 [17


Vers une gestion adaptative
des forêts

Christopher Meder /Shutterstock


François Lefèvre Denis Loustau Benoît Marçais
Directeur de recherche dans l’Unité Directeur de recherche dans l’UMR Directeur de recherche dans l’Unité
Écologie des forêts méditerranéennes Interaction sol-plante-atmosphère, Interactions arbres-micro-organismes
de l’INRA INRA - Bordeaux Sciences Agro INRA, Université de Lorraine

Les forêts sont sensibles au changement climatique. Réseaux d’observation,


nouvelles données génétiques et simulations numériques permettront de définir
les scénarios de leur évolution et de proposer les conditions d’une gestion appropriée.

L
a forêt n’est pas épargnée par le change- d’un siècle. En raison des aléas climatiques à venir,
ment climatique. Certains effets se révèlent il faut se préparer à avoir à gérer de nombreuses in-
parfois bénéfiques, mais le changement cli- certitudes. On doit donc repenser en profondeur les
matique, dans son ensemble, risque de causer des modèles sur lesquels repose la gestion forestière.
dommages importants. Depuis les premiers pro-
grammes de recherche lancés dans les années  1990, La dynamique des forêts
l’ampleur du changement en cours et de ses Les forêts sont des écosystèmes complexes et
impacts a toujours été révisée à la hausse. Mais divers selon les zones climatiques. Leur fonction-
c’est la multiplication d’événements climatiques nement et leur dynamique sont régis par de mul-
extrêmes, les tempêtes et sécheresses successives tiples organismes qui interagissent, mais ont des
au début des années 2000 notamment, qui a fait cycles de vie très différents – des champignons
prendre conscience qu’il faut agir vite. aux arbres, en passant par les insectes et les grands
On a aussi réalisé que les stratégies d’adaptation herbivores. Les forêts agissent sur leur milieu, mo-
des forêts au changement climatique doivent être difiant la température, les précipitations, les sols,
évolutives. Il faut les envisager comme des proces- les vents, ou encore la pression de vapeur d’eau
sus dynamiques, et non comme la recherche d’un atmosphérique.
équilibre, d’une adaptation stable aux conditions Soulignons d’emblée que les forêts actuelles ne
locales qui règnent à un instant donné. En effet, les sont que des états « instantanés » inscrits dans des
arbres présents aujourd’hui devront affronter des dynamiques plus ou moins rapides. Certaines évo-
conditions climatiques qui évoluent et continue- luent vite, par exemple les forêts soumises au ré-
ront à évoluer dans plusieurs décennies, voire plus gime des feux, ou les forêts de montagne issues des

18] © Pour la Science - INRA 2015


grands reboisements du XIXe  siècle, Plus encore que l’évolution pro-
ou encore celles des abords des cours gressive des températures, c’est la
d’eau où les cycles de colonisation, de récurrence des événements extrêmes,
maturation et d’extinction sont condi- tels que les sécheresses et les tempêtes,
tionnés par le régime des crues. Les qui jouera un rôle déterminant pour
forêts qui nous paraissent stables sont l’avenir des forêts. L’impact d’un épi-
elles aussi marquées par une dyna- sode de sécheresse se prolonge durant
mique plus lente qui leur est propre. plusieurs années, et c’est souvent la
Or le changement climatique peut succession d’années sèches dont les
avoir des effets en cascade qui modi- effets s’accumulent qui a des consé-
fient les dynamiques forestières. Des quences graves. Dans les Alpes du Sud,
hivers plus doux et des étés plus secs par exemple, les sécheresses survenues
ont par exemple favorisé l’explosion en 2003 et au cours des années sui-
épidémique du dendroctone du pin vantes ont entraîné le dépérissement
ponderosa, un petit coléoptère qui a massif de sapins. Sur le Mont Ventoux,
colonisé d’Ouest en Est le Nord du les sapins qui sont morts sont ceux qui
continent américain en s’adaptant avaient bénéficié de bonnes conditions
progressivement à différentes espèces quand ils étaient jeunes, c’est-à-dire
de pins. Les pins ont dépéri, ce qui a qu’ils étaient implantés dans des sols
facilité la propagation des incendies alors plutôt riches en eau.
et, ce faisant, la destruction de pans Un tel constat laisse supposer que,
entiers de forêts. Plus généralement, malgré leur vigueur, ces sapins étaient
Ph. Riou Nivert, DSF

l’évolution du climat et des modes moins bien acclimatés à la sécheresse


de propagation des organismes pa- que leurs voisins qui ont survécu. Mais
thogènes a modifié le nombre et la cette relation entre vigueur juvénile et
Pins infestés par le champignon Diplodia
nature des ennemis naturels auxquels mortalité n’a pas été retrouvée dans
pinea, favorisé par les sécheresses
les arbres des forêts sont aujourd’hui et qui est devenu une menace importante d’autres massifs, où des mécanismes
confrontés. L’aire de répartition de dans le Sud-Ouest de l’Europe. différents seraient donc à l’œuvre. À
certains ravageurs s’est notable-
ment agrandie, soit parce que les
contraintes qui menaçaient leur sur- La biomasse forestière, une source d’énergie renouvelable
vie hivernale ont été levées, soit parce On désigne par le terme de « biomasse » l’ensemble des matières organiques d’origine
qu’ils se reproduisent plus facilement végétale ou animale issues du monde du vivant. En France, la biomasse est la première
pendant la saison chaude. source d’énergie renouvelable, loin devant la géothermie, les éoliennes ou le photo-
Le cas le mieux documenté est ce- voltaïque. Elle est aujourd’hui consommée essentiellement par des particuliers qui se
lui de la chenille processionnaire des chauffent au bois. Dans le cadre d’une politique française de développement des éner-
pins, un lépidoptère, mais on recense gies renouvelables d’ici 2020, une des principales ressources en biomasse pourrait être
d’autres exemples, tels que l’encre du issue de la forêt  ; elle serait beaucoup plus utilisée dans les prochaines années pour des
chêne et la maladie des bandes rouges chaufferies collectives et industrielles à bois. En effet, aujourd’hui, seule la moitié de la
du pin laricio, qui sont toutes deux production annuelle est utilisée dans les filières matériaux ou énergie.
liées à des champignons pathogènes. Toutefois, une utilisation plus importante de la biomasse forestière soulève deux dif-
Si les parasites sont généralement ficultés. La première est celle de la collecte, car les forêts françaises (16,3 millions d’hec-
favorisés par la hausse des tempéra- tares, soit 30  pour cent du territoire) sont détenues par de multiples propriétaires privés
tures, ce n’est pas toujours le cas. La possédant des surfaces souvent trop petites pour donner lieu à une activité rentable, le
croissance de la chalarose du frêne, bois énergie ne constituant qu’un débouché parmi d’autres. L’un des enjeux est donc de
mieux valoriser le massif forestier français. L’autre difficulté est d’ordre environnemental.
un autre champignon, est freinée par
Il est essentiel d’intégrer l’ensemble des enjeux environnementaux dans l’exploitation de
les étés trop chauds dans certaines ré-
la biomasse, afin de préserver l’équilibre des écosystèmes. Il s’agit notamment de mettre
gions d’Europe, par exemple en Slové-
en place des stratégies forestières combinant les objectifs d’adaptation au changement
nie ou dans la plaine du Pô, en Italie.
climatique et d’atténuation de ses effets. La recherche devra fournir les outils d’aide à la
On peut donc espérer que cette épidé- décision qui permettront, à terme, aux responsables locaux d’optimiser la gestion sylvi-
mie qui touche aujourd’hui les frênes cole tout en tenant compte des multiples enjeux environnementaux.
des forêts tempérées s’estompera dans Caroline Rantien, ADEME
les zones les plus chaudes.

© Pour la Science - INRA 2015 [19


l’image de cet exemple, il est souvent présentent une faible variété d’espèces les variétés ont été améliorées. Un autre
très difficile d’identifier les causes du par rapport à d’autres zones tempé- exemple concerne les populations
dépérissement d’arbres, processus mul- rées. Certains parasites favorisés par d’épicéa transplantées d’Allemagne en
tifactoriel où interviennent des facteurs le changement climatique limitent le Norvège au début du xxe siècle. Les
physico-chimiques (plus généralement choix des forestiers. Causée par deux populations d’origine étaient mal adap-
abiotiques) et parasitaires (biotiques). champignons, la maladie des bandes tées au froid nordique  : leurs bourgeons
La question de la vitesse du chan- rouges a ainsi conduit à suspendre les se refermaient trois semaines après les
gement a d’autant plus d’importance plantations de pins laricio en Grande- espèces locales, de sorte qu’ils étaient
que les différentes composantes des Bretagne, et elle a limité leur utilisation davantage exposés au gel. Certains
écosystèmes forestiers (arbres, cham- dans l’Ouest de la France. Dans certains arbres ont néanmoins survécu, et les
pignons, insectes) ne réagissent pas à cas, cela peut justifier l’utilisation rai- cycles de leurs descendants étaient syn-
la même vitesse. Ainsi, Diplodia pinea, sonnée d’essences forestières exotiques. chronisés avec ceux des arbres locaux.
champignon parasite des pins favorisé Une autre voie d’adaptation plani- Plusieurs processus ont concouru
par la sécheresse et les températures fiée vise à favoriser des évolutions gé- à cette évolution rapide  : sélection des
estivales élevées, et qui était autrefois nétiques au sein d’une espèce forestière. arbres les plus résistants, effets de
une maladie mineure, est devenu, en Depuis longtemps, les sylviculteurs ont l’environnement sur l’expression des
moins de 20  ans, l’un des principaux eu recours aux transplantations, qui ont gènes, transferts de gènes avec les
problèmes sanitaires de la pinède. fourni quelques précieuses indications arbres locaux. On en déduit qu’il faut
sur la vitesse des évolutions génétiques éviter l’éradication hâtive et systéma-
Les adaptations et leurs limites possibles. Ils ont constaté que le pin ra- tique des arbres qui survivent à des
À l’échelle du siècle, le devenir des diata est capable de survivre, de pous- dépérissements massifs. Ces derniers
forêts dépendra avant tout de leurs ser et de se reproduire dans des milieux résultent de très fortes pressions de sé-
capacités d’adaptation au changement très différents de son aire d’origine (la lection, qui, lorsqu’elles ne conduisent
climatique : résistance physiologique, côte californienne), en faisant preuve pas à la disparition complète des peu-
évolution et diversité génétique des d’un grand potentiel d’adaptation après plements, favorisent l’évolution des
peuplements, migration vers des envi- quelques générations durant lesquelles ressources génétiques. Mais il y a bien
ronnements plus favorables, en sûr des limites au potentiel adap-
altitude comme en latitude, pra- tatif. Dans beaucoup de régions,
tiques sylvicoles. La plasticité et la les capacités adaptatives ne per-
biodiversité des forêts constituent mettront pas de maintenir la forêt
leurs meilleurs atouts, mais dans dans son état actuel, mais il est im-
l’état actuel des connaissances, portant de valoriser les évolutions
nous ne savons pas comment ni partout où elles se produisent.
dans quelle mesure ces deux para-
mètres permettront aux arbres de Un défi pour la sylviculture
s’adapter à des changements si Tous ces exemples confirment qu’il
rapides. En effet, les aires clima- faudra adopter un mode adap-
tiques des espèces se déplaceront tatif de gestion des forêts, fondé
à une vitesse bien supérieure à sur l’ajustement en continu des
celle de leurs migrations sponta- pratiques testées. Cette gestion
nées. Dès lors, les capacités de mi- adaptative pourra s’appuyer sur
gration naturelles ne suffiront pro- les progrès de la recherche, des
bablement pas à préserver tous les techniques de mesures environ-
écosystèmes et leur biodiversité. nementales, par exemple. Ainsi,
C’est là qu’intervient la sylvi- on sait aujourd’hui détecter de
culture – ensemble de pratiques très fines évolutions des variables
et de méthodes visant à gérer au climatiques (température, humi-
A Bosc, INRA

mieux la croissance, l’entretien dité ou rayonnement lumineux),


et l’exploitation des forêts. Une ainsi que des concentrations en
première voie d’adaptation pro- Les capteurs situés au sommet de cette tour haute dioxyde de carbone et en polluants
grammée consiste à développer la de 55 mètres dépassent la canopée de la forêt guyanaise. atmosphériques (ozone et dépôts
Ils permettent de mesurer les flux de dioxyde de carbone
biodiversité tout particulièrement et de suivre si l’écosystème gagne ou perd du carbone azotés). Organisées en réseaux
dans les forêts européennes, qui au fil du temps. standardisés et intégrés, couvrant

20] © Pour la Science - INRA 2015


interactions des différents acteurs et
même les interventions sylvicoles.
Des scénarios plus vraisemblables, sur
des échelles locales et globales, seront
bientôt à disposition des sylviculteurs
et des décideurs politiques.

Modèles dynamiques
Ils bénéficieront aussi d’autres pro-
grès méthodologiques importants,
notamment les nouveaux outils de la
génomique qui donnent accès à des
informations détaillées sur la diversité
génétique des espèces. Cela nous ren-
P. Frey, INRA

seigne sur les dynamiques des espèces


étudiées, ainsi que leurs évolutions
La biomasse forestière est une source d’énergie, mais le morcellement de la forêt française passées. L’avènement des techniques
de métropole, pour les trois quarts constituée de propriétés privées, rend difficile son utilisation.
de séquençage à haut débit (NGS, pour
Next Generation Sequencing) ouvre éga-
la plus grande partie des continents, changements d’utilisation des terres lement de nouvelles perspectives. En
les stations de mesure permettent de libèrent du carbone. À l’inverse, le théorie, elles permettent d’accéder à la
suivre en continu le fonctionnement renouvellement du couvert végétal totalité de l’information génomique de
biogéochimique des forêts, avec une d’une partie des surfaces déforestées, n’importe quel organisme, et non plus
résolution de 30    minutes. Les capteurs et les plantations d’arbres le piègent seulement d’un nombre restreint d’es-
embarqués sur des avions et des satel- temporairement dans la biomasse. Les pèces modèles. Le génome de cham-
lites complètent ces réseaux d’observa- forêts tropicales non perturbées, ainsi pignons et autres micro-organismes
tion, et offrent une couverture globale. que les forêts boréales et tempérées, mal connus pourront ainsi être carac-
Les données collectées sont utili- qui sont en expansion, accumulent du térisés. Ce sera par exemple le cas du
sées pour modéliser les impacts du carbone. Le bilan net de ces phéno- génome des agents responsables de
changement climatique et organiser mènes correspond aujourd’hui à une maladies émergentes notamment, telle
un suivi plus précis du fonctionne- fixation d’environ 4,4   gigatonnes  de la chalarose du frêne.
ment des écosystèmes terrestres. Les dioxyde de carbone par an, soit Mais l’innovation n’est pas à re-
installations de type ICOS (Integrated 15  pour cent environ des émissions de chercher uniquement dans les nou-
Carbon Observation System) et ANAEE dioxyde de carbone d’origine fossile. velles technologies, les méthodes
(Analysis and Experimentation on Eco- Par conséquent, la réduction des émis- d’analyse ou les simulations numé-
systems) en Europe, et NEON (National sions nettes de dioxyde de carbone riques. L’adaptation des forêts au
Ecological Observatory Network) aux dépendra, en grande partie, de notre changement climatique passera néces-
États-Unis, ont été conçues à cet effet. capacité à restreindre la déforestation. sairement par de nouvelles pratiques
Servies par une gigantesque puissance Quant aux sols qui stockent aussi le d’anticipation et d’accompagnement.
de calcul, elles ont pour vocation de carbone, on ignore si le changement La sylviculture adaptative devra faire
révéler l’ampleur des perturbations climatique modifiera leur composition évoluer les forêts en tenant compte
écologiques en cours, et d’anticiper les en matières organiques, et donc leur des contraintes écologiques et socio-
situations les plus à risque. capacité de stockage. économiques. Tout l’enjeu de cette
Des modèles mathématiques per- Les chercheurs développent au- évolution consistera à se fonder sur
mettent de simuler le rôle actuel et jourd’hui des modèles capables d’inté- des scénarios du futur plutôt que sur
futur des forêts dans le cycle du car- grer les processus d’adaptation, les les savoir-faire du passé.
bone. Au niveau mondial, les forêts
contiennent près de 50 pour cent du
carbone emmagasiné dans les écosys- Bibliographie
tèmes terrestres. Toute variation de ce
stock modifie la concentration atmos- A. Cheaib et al., Climate change impacts on tree ranges : model intercomparison facilitates
understanding and quantification of uncertainty, Ecology Letters, vol. 15, pp. 533-544, 2012.
phérique en dioxyde de carbone. La J. Stenlid et al., Emerging diseases in european forest ecosystems and responses in society,
déforestation en zone tropicale et les Forests, vol. 2, pp. 486–504, 2011.

© Pour la Science - INRA 2015 [21


Préserver la richesse
des milieux aquatiques

SF photo/Shutterstock
Marie-Élodie Perga Étienne Prévost Jean-Luc Baglinière
Chercheur à l’umr 042 carrtel Chercheur à l’umr 1224 ecobiop inra, Chercheur à l’umr 0985 ese inra
inra, Université de Savoie Université de Pau et des pays de l’Adour Agrocampus Ouest

L’eau est une ressource vitale. Mais soumise aux conséquences du changement climatique,
à la pollution, à une surexploitation, elle est fragile. Des modèles permettent d’étudier
les conséquences des mesures prises pour la préserver.

L
es rivières, lacs et zones humides, encore nature et d’intensité des précipitations, la quantité
nommés hydrosystèmes d’eau douce ne re- et la disponibilité de l’eau parvenant aux hydro-
présentent que 0,6 pour cent de l’eau mon- systèmes changeront. Les organismes aquatiques
diale, mais contiennent 6 pour cent de la totalité seront alors confrontés à diverses modifications
des espèces animales et végétales. Ils représentent des conditions physico-chimiques de leur environ-
donc une réserve importante de biodiversité et nement, par exemple la baisse de la concentration
jouent un rôle clé dans divers cycles biologiques, de l’oxygène dissous dans l’eau.
mais ils sont tout aussi sensibles au changement Pour limiter les conséquences du changement
climatique que les environnements terrestres aux- climatique sur les hydrosystèmes, il faut les étu-
quels ils sont connectés. Ils sont vulnérables, parce dier. Toutefois, le nombre et la complexité de ces
que le changement climatique agit à l’échelle glo- impacts limitent notre capacité à les recenser et
bale et qu’ils sont sensibles à l’impact des activités à les prévoir. Faisons le point sur les recherches
humaines à l’échelle locale. concernant l’adaptation de ces milieux au change-
L’augmentation des températures de l’air ment climatique, même si elles sont moins avan-
contribue au réchauffement des eaux et perturbe cées que pour les écosystèmes terrestres.
les transferts hydriques, par exemple la date de la
fonte des neiges. Or ces transferts contrôlent à la L’impact sur la quantité d’eau
fois la quantité de l’eau en transit, mais aussi les Le changement climatique a une conséquence im-
éléments organiques et minéraux qu’elle véhicule. médiate  : la réduction de la disponibilité de l’eau
Cela modifie la composition des sols et de la végéta- douce. Dans de nombreuses régions, les ressources
tion des bassins versants des cours d’eau (les envi- d’eau sont déjà insuffisantes, voire utilisées de fa-
ronnements terrestres auxquels l’hydrosystème est çon trop intense pour que les réserves aient le temps
connecté). Suite aux modifications de volume, de de se reconstituer. À l’avenir, l’agriculture aura be-

22] © Pour la Science - INRA 2015


soin de plus d’eau pour satisfaire une fement des eaux a des répercussions Ainsi, pour les ombles, le déclenche-
population humaine en augmentation sur la composition des populations. ment de la reproduction, le développe-
(19  pour cent d’ici 2050). On peut pré- Le maintien des populations de pois- ment des œufs et la survie des alevins
voir un renforcement de la compéti- sons face à ces changements envi- nécessitent des températures comprises
tion pour l’accès aux ressources en eau ronnementaux dépend de la capacité entre 3 et 7 °C. Des eaux plus chaudes
destinée à l’agriculture, l’industrie, d’adaptation des espèces, qui peut en hiver compromettraient la reproduc-
la consommation domestique et la s’exprimer par leur plasticité phénoty- tion et le maintien de ces populations
conservation des écosystèmes. pique (avec, par exemple, une modifi- dans les grands lacs alpins français,
L’augmentation des températures cation de la forme ou de la taille, sans zone la plus méridionale de leur habi-
stimule à la fois l’évaporation et l’éva- que les caractéristiques génétiques ne tat en Europe. En revanche, quand, en
potranspiration (la perte d’eau par les changent), ou bien être influencée par décembre, dans ces mêmes lacs, la re-
feuilles), ce qui, combiné à la diminu- des mécanismes de sélection, avec, production du corégone est retardée de
tion des précipitations, menace d’assè- éventuellement, des modifications du deux semaines environ, la durée de son
chement certains hydrosystèmes dans génome (à condition qu’il existe une développement embryonnaire est rac-
les zones tempérées européennes, par certaine richesse génétique et que la courcie, avec des conséquences plutôt
exemple les marais de l’Ouest de la population soit de taille suffisante). favorables pour ces populations.
France. On estime que la baisse des dé-
bits des cours d’eau sera de l’ordre de
20 à 25  pour cent d’ici la fin du siècle, Le suivi des populations de saumon
ce qui devrait s’accompagner d’un al-
Le suivi depuis une quarantaine d’années de la population des saumons d’un petit fleuve
longement des périodes d’étiage.
breton a révélé une forte croissance. Elle a d’abord été attribuée à l’élévation de la tempé-
Les événements de pluviométrie ex-
rature de l’eau suite au changement climatique, mais on a finalement montré qu’elle résul-
trêmes devraient multiplier les crues ou tait de l’augmentation de la productivité du fleuve liée aux apports de nitrates. D’autres
les périodes de hautes eaux. En rédui- observations faites depuis 20  ans indiquent que le premier facteur agissant sur la crois-
sant les quantités d’eau circulant dans sance des salmonidés en Bretagne n’est effectivement pas le réchauffement des eaux.
les hydrosystèmes, le changement cli- Comment explorer de façon fiable les effets du changement climatique sur les popu-
matique conduirait aussi à diminuer la lations de poissons  ? L’expérimentation virtuelle par simulation informatique apporte des
connexion hydrologique entre les diffé- informations intéressantes. L’INRA développe un simulateur des populations de saumon
rentes parties d’un fleuve (amont, aval, atlantique, espèce menacée dans les cours d’eau français. Le simulateur intègre les di-
estuaire et affluents). L’habitat aqua- verses modalités d’action du changement climatique, les facteurs environnementaux et
tique en serait d’autant plus fragmenté. les phases du cycle biologique de cette espèce. Il permet de modéliser l’adaptation des po-
pulations sans modification du génome, et les conséquences d’une évolution du génome.
Les adaptations écologiques Les premières simulations montrent que, dans un premier temps, l’augmentation de la
Par ailleurs, l’augmentation des tem- température de l’eau en rivière favorisera la survie des individus, mais aussi qu’elle abou-
pératures moyennes de l’air provoque tira à une maturation sexuelle plus précoce, tendant à diminuer la survie. L’expérimenta-
un réchauffement des eaux, dont tion virtuelle permet aussi de hiérarchiser les composantes du changement climatique en
l’amplitude varie selon l’altitude du fonction de leurs effets. Ainsi, pour les 30 prochaines années, la modification du régime
bassin versant et son type d’alimenta- hydraulique (notamment le débit) des rivières serait plus préoccupante pour la pérennité
tion. Entre 1977 et 2006, la température des populations de saumon que l’élévation de la température.
moyenne annuelle de l’eau du Rhône a
augmenté de 1,5 °C, et les températures
estivales du cours moyen de la Loire de
1,5 à 2 °C. Dans le lac Léman, comme
dans une dizaine de lacs suisses, les
eaux profondes se sont réchauffées de
1 °C en 40 ans  ; la température hivernale
de la masse d’eau totale du lac est pas-
sée de 4,5 °C en 1963 à 5,15 °C en 2006.
Les hydrosystèmes hébergent de
Sekar B/Shutterstock

nombreuses espèces animales à sang


froid, notamment les poissons, dont
la physiologie dépend directement
de la température. Ainsi, le réchauf-

© Pour la Science - INRA 2015 [23


Chez le saumon, on observe une tôt qu’il y a 30  ans, de sorte que la du- tières solubles issues des sols et trans-
diminution de la taille, qui semble liée rée de stratification a été allongée. portées par les fleuves. La sensibilité
aux modifications des milieux marins Dès lors, la succession des espèces des sols à l’érosion augmentera d’ici la
(élévation de la température et acidifi- planctoniques en fonction des sai- fin de XXIe siècle, se traduisant par une
cation) et d’eau douce (élévation de la sons a été modifiée. Il y a 30 ans, les augmentation des sédiments charriés
température et modification du débit). espèces d’algues ou de cyanobactéries par les eaux sur les bassins versants.
Dans les grands hydrosystèmes, les adaptées à une croissance en profon- Combinée à la diminution des débits,
espèces s’adaptent en modifiant leur deur et qui luttaient contre la sédi- l’augmentation du flux des particules
répartition spatiale. Sur le Rhône, à mentation proliféraient surtout en au- solubles est susceptible de diminuer
hauteur du Bugey, les espèces thermo- tomne. Aujourd’hui, elles apparaissent la transparence et la qualité de l’eau,
philes, telles que le barbeau et la van- dès la fin de l’été et persistent plus ainsi que la diversité des habitats pour
doise, remplacent progressivement les longtemps. Mais il s’agit d’espèces fila- les poissons et les invertébrés. De sur-
espèces d’eau plus froide, tel le che- menteuses, voire toxiques, qui tendent croît, la solubilité des gaz, notamment
vesne, situées en amont. Nous avons à s’accumuler au fond des lacs et per- du dioxyde de carbone et de l’oxygène,
donné quelques exemples des impacts turbent l’approvisionnement en eau décroît quand la température aug-
du changement climatique, mais, au- potable. Par ailleurs, la modification mente, ce qui renforce le risque que les
delà de ces quelques effets, la prévision du régime des vents et la diminution eaux soient insuffisamment oxygénées
de ses conséquences sur les populations des débits des affluents sont autant de et que du dioxyde de carbone supplé-
de poissons vivant en eau douce reste processus limitant le brassage efficace mentaire soit émis dans l’atmosphère.
un champ de recherche très ouvert. de la masse d’eau en hiver, et l’oxygé- Enfin, l’élévation du niveau des
océans a pour conséquence que les
zones côtières risquent d’être plus ou
moins recouvertes par de l’eau salée.
Si les estuaires et les aquifères côtiers
sont envahis par l’eau de mer, ils ces-
seront de jouer leur rôle essentiel de
nurseries des poissons marins, car une
partie des espèces végétales et ani-
males qu’ils hébergent disparaîtra.
Le changement climatique perturbe
Miks Mihails Ignats /Shutterstock

déjà les hydrosystèmes, mais les réar-


rangements observés n’aboutissent pas
toujours à une perte de la biodiversité
ou de la qualité du milieu. Au cours des
15 à 25 dernières années, la richesse des
Les estuaires et les golfes, tel celui de Riga, sur la mer Baltique, risquent de disparaître. communautés de poissons des grands
Ils ne joueront plus le rôle qui est le leur aujourd’hui, celui de nurserie des poissons marins. fleuves a augmenté, car on y trouve
davantage de poissons méridionaux.
Les modifications des hydrosystèmes nation des eaux profondes. Ainsi, les Certaines de ces espèces sont invasives,
En raison des effets de la température couches d’eau appauvries en oxygène c’est-à-dire qu’elles se multiplient au
sur la densité de l’eau (elle passe par sont de plus en plus importantes dans détriment des populations locales. Cela
un maximum à 4 °C, puis diminue les grands lacs alpins depuis 20 ans, modifie la biodiversité, mais ces nou-
quand la température augmente), le menaçant la vie profonde. velles espèces pourraient constituer un
changement climatique influe aussi Les modifications de la pluviomé- atout dans le futur, car elles seraient
sur la dynamique des lacs. Habituel- trie sur les bassins versants altèrent la mieux adaptées aux milieux changeants.
lement, des périodes de stratification, quantité et la nature des matières orga- À l’accélération climatique enregis-
au cours desquelles une couche d’eau niques ou des nutriments transportés. trée depuis plus de 50 ans, s’ajoutent
chaude flotte sur une couche d’eau En Europe du Nord et en Grande-Bre- les pressions humaines locales. Il est
froide, et des périodes de brassage du tagne, les eaux des ruisseaux sont deve- donc nécessaire d’évaluer la part res-
lac alternent, mais cette alternance est nues de plus en plus brunes en 20  ans, pective du changement climatique
aujourd’hui modifiée. Le printemps en raison des étés plus chauds et plus et des pressions humaines dans les
plus précoce conduit à une mise en secs, et des orages violents qui contri- changements des écosystèmes, afin de
place de la stratification un mois plus buent à augmenter la quantité de ma- choisir les actions les plus efficaces.

24] © Pour la Science - INRA 2015


des actions techniques (réduction des migration (aménagements de passes à
fuites, recyclage), financières (tarifi- poissons, suppressions d’obstacles, par
cation progressive encourageant les exemple). On peut conforter les méca-
économies d’eau), un changement nismes naturels d’adaptation par des
des pratiques (agricoles, industrielles interventions directes, par exemple
ou domestiques) et une répartition aider à la migration des espèces les
plus équitable et responsable des res- plus vulnérables. Soulignons que la
sources. Par ailleurs, l’aménagement stratégie d’adaptation la plus efficace
du territoire doit être repensé pour consiste toujours à préserver les mi-
éviter de concentrer les prélèvements lieux de bonne qualité et à restaurer
dans les mêmes zones ou pour favori- ceux qui ont été dégradés.
ser la rétention naturelle de l’eau.
Pour préserver la continuité du Une ressource vitale
cycle de l’eau et répondre aux besoins L’adaptation des hydrosystèmes d’eau
de l’agriculture, il est nécessaire de douce au changement climatique est
veiller au maintien du bilan hydrique un enjeu crucial dont la réussite né-
des sols, c’est-à-dire au bilan entre les cessite l’engagement tant des usagers
entrées (précipitations, ruissellement, que des gestionnaires. En raison des
remontée capillaire à partir des nappes nombreuses voies par lesquelles le cli-
phréatiques) et les pertes (ruisselle- mat perturbe les hydrosystèmes, il est
ment, évaporation au niveau du sol et nécessaire de combiner diverses mé-
par évapotranspiration, drainage). On thodes dans le temps et dans l’espace
erapictures /Shutterstock

pourrait ralentir la vitesse des écou- (restriction saisonnière de l’utilisation


lements et favoriser l’infiltration par de l’eau, gestion des épisodes plu-
la création d’ouvrages spécifiques, la vieux au quotidien, gestion raisonnée
limitation des zones imperméabilisées, des fertilisants et des produits phy-
ainsi que le maintien des dépressions tosanitaires), tant au niveau local (la
Les orages violents charrient des sédiments,
renforçant l’érosion des sols. La qualité du sol et du tracé naturel des cours parcelle cultivée) que plus global (le
de l’eau pourrait en pâtir. d’eau, des plaines inondables et des bassin versant).
zones humides. Face à des intérêts parfois contra-
Des stratégies pour l’adaptation En ce qui concerne la biodiver- dictoires, il est nécessaire de continuer
Les hydrosystèmes d’eau douce et les sité, il convient de favoriser les méca- à développer des modèles permettant
espèces qui les peuplent ont des capa- nismes naturels d’adaptation. Dans de simuler le comportement des hy-
cités naturelles d’adaptation aux évo- un premier temps, il apparaît essentiel drosystèmes et celui des populations
lutions climatiques, notamment leur de maintenir une taille et une diver- des espèces qu’ils hébergent, mais
adaptabilité et la migration des popu- sité génétique suffisantes, maintien qui aussi l’effet des mesures de gestion
lations. Néanmoins, de trop fortes peut être assuré de différentes façons  : prises pour favoriser leur adaptation.
pressions humaines locales (agricoles, limiter l’exploitation des composantes Ces modèles permettent également de
industrielles et urbaines) sur le mi- les plus vulnérables, contrôler les fac- comparer l’impact des mesures préco-
lieu réduisent ce potentiel adaptatif, teurs de stress (pollution, destruction nisées, qu’il s’agisse de protéger ou de
les milieux se dégradant trop vite des habitats, introduction d’espèces restaurer les milieux, ou encore d’amé-
pour laisser le temps aux espèces de invasives) et renforcer les échanges des liorer la connectivité et les interactions
s’adapter, et rendant les hydrosys- populations et des individus via l’entre- de tous les acteurs pour qui l’eau est
tèmes vulnérables. tien ou le rétablissement des voies de simplement... vitale.
Les stratégies d’adaptation ont
pour enjeu de restaurer la résistance
des hydrosystèmes face aux contraintes Bibliographie
climatiques, en privilégiant une ges-
tion de la disponibilité en eau et de la C. Piou et E. Prévost, Contrasting effects of climate change in continental vs. oceanic
environments on population persistence and microevolution of Atlantic salmon, Global Change
biodiversité qui soit économiquement Biology, vol. 19, pp. 711-723, 2013.
viable et fondée sur le partage des res- J.-P. Amigues et B. Chevassus-au-Louis, Évaluer les services écologiques des milieux aquatiques  :
sources et l’optimisation des usages. enjeux scientifiques, politiques et opérationnels, coll. Comprendre pour agir, ONEMA, 2011.
Il s’agit de réaliser des économies via Téléchargeable sur : http://www.onema.fr/Evaluer-les-services-ecologiques

© Pour la Science - INRA 2015 [25


Anticiper une diminution
de la ressource
en eau
vvoe/ Shutterstock

Florence Habets est directrice Philippe Mérot Bernard Itier Alban Thomas
de recherche cnrs dans l’Unité milieux est directeur de recherche est directeur honoraire est directeur de recherche
environnementaux, transferts et interactions dans l’Unité sol agro de l’Unité environnement au Laboratoire d’économie
dans les hydrosystèmes et les sols et hydrosystèmes et grandes cultures des ressources naturelles
de l’Université Pierre et Marie Curie. spatialisation de l’inra. de l’inra. de l’inra.

La ressource en eau subira de plein fouet le changement climatique.


Il sera indispensable de réduire les consommations et de mettre en place
une gestion raisonnée de cette ressource fragile et limitée.

L
es ressources en eau seront inévitablement pluies. Dans les zones tempérées et humides, cela
modifiées par le réchauffement climatique. se traduira par une fréquence accrue des précipita-
Ce sera donc le cas des quatre principaux tions fortes (plus de dix millimètres par jour) – une
usages : domestiques, agricoles, industriels et envi- tendance que l’on observe déjà sur l’ensemble des
ronnementaux. Quel sera l’impact sur les quantités continents. Dans les régions sèches, en revanche,
d’eau disponibles ? Quelles seront les nouvelles la hausse des températures entraînera une dimi-
règles de partage et quels moyens pourra-t-on nution de la fréquence des pluies, car le seuil de
mettre en œuvre pour s’y préparer ? déclenchement des précipitations devrait être plus
L’élévation des températures aura de multiples élevé qu’aujourd’hui.
conséquences, souvent liées, sur cette ressource
limitée. Elle modifiera, tout d’abord, la répartition Eau verte et eau bleue
géographique des pluies, car la hausse des tempé- Le surplus d’eau contenu dans un air plus chaud
ratures sera moins forte à l’équateur qu’au niveau résulte d’une augmentation des échanges hy-
des pôles. Or, à l’échelle de la planète, le gradient driques avec la surface, l’eau s’évaporant davan-
des températures est associé à la circulation des tage. Cette « demande évaporative » accrue est faci-
grandes masses d’air et, par conséquent, au trans- lement satisfaite au-dessus des océans. Elle est plus
port de chaleur et aux vents circulant aux latitudes contraignante au niveau des continents, où l’évapo-
moyennes. En Europe, dès 2050, les précipitations ration provient surtout de la végétation qui puise
devraient avoir diminué dans les zones méridio- l’eau dans les sols. On parle alors d’« eau verte »,
nales et augmenté dans les régions septentrionales. car cette eau contribue à la production de bio-
De surcroît, avec l’augmentation des tempéra- masse via le processus de photosynthèse. L’autre
tures, l’atmosphère contiendra davantage de va- forme d’eau présente sur les continents est appelée
peur d’eau, ce qui perturbera encore le régime des « eau bleue ». On la trouve dans les lacs, les ri-

26] © Pour la Science - INRA 2015


vières, les nappes souterraines Cette forme d’adaptation n’en
et les zones humides. C’est celle demeure pas moins limitée. L’ir-
qu’on utilise pour les besoins en rigation ne résoudra pas toutes
eau potable, pour l’industrie et les difficultés auxquelles sera
pour l’agriculture. confrontée l’agriculture. Des

D’après le Projet Explore 2070


Or, qu’il s’agisse de l’eau prélèvements excessifs dans les
bleue ou de l’eau verte, elles nappes, les lacs ou les rivières
sont issues des pluies, et sont peuvent conduire à leur dispa-
donc interdépendantes   : une rition temporaire, à l’instar de
déperdition d’eau verte entraîne la mer d’Aral, en Asie centrale,
une diminution d’eau bleue. Évolution attendue du débit moyen annuel des cours d’eau qui a perdu 90 pour cent de son
En France, on estime ainsi que français. On a comparé les moyennes des années 1961 à 1990 volume entre les années 1960
le réchauffement climatique et des moyennes prévues entre 2046 et 2065. On voit que les et le milieu des années 2000.
provoquera une baisse de 20 à régions Sud-Ouest et Nord subiront des baisses aux alentours L’assèchement des systèmes hy-
de 50 pour cent. La taille des triangles indique le degré de
30  pour cent des débits annuels driques s’accompagne souvent
convergence des 14 simulations moyennées.
d’eau bleue dès   2050 (voir la d’un dépérissement des écosys-
carte ci-contre). Cette diminution de- Établissements publics territoriaux de tèmes terrestres et aquatiques, ainsi
vrait s’accompagner de sécheresses à bassin ainsi qu’aux compagnies d’amé- que de mouvements de terrain.
la fois plus fréquentes et plus longues, nagement. L’aspect financier n’est pas Outre les risques d’assèchement,
sans pour autant diminuer le risque de la seule difficulté à laquelle ces institu- ce type d’adaptation nous rend plus
crues. Au contraire, ce risque pourrait tions sont confrontées. Au-delà des ac- dépendants de la ressource et moins
augmenter dans certaines régions, tel tivités de production et de consomma- résilients aux extrêmes climatiques.
le Sud-Est de la France. tion, l’évaluation de l’intérêt collectif de Ainsi, les pouvoirs publics ont progres-
ces nouvelles infrastructures doit inté- sivement réalisé que la mobilisation de
Les adaptations envisageables grer des considérations écologiques et nouvelles ressources devait être asso-
Comment s’adapter à ces change- environnementales. À ce titre, l’opposi- ciée à des mesures de régulation. Elles
ments prévisibles ? Une première voie tion suscitée depuis près de 30 ans à la consistent, notamment, à limiter notre
d’adaptation consiste à mettre en place construction d’un barrage à Charlas, en dépendance à l’égard de la ressource.
une politique de l’offre –   c’est-à-dire Midi-Pyrénées, illustre bien comment Un des éléments clés est la compéti-
à compenser les futures pénuries par de tels projets sont susceptibles d’exa- tion entre l’eau verte et l’eau bleue,
de nouvelles ressources. Pour ce faire, cerber les conflits locaux. puisqu’une consommation accrue de
on peut développer les dispositifs de Les projets d’aménagement sont la première entraîne une diminution
prélèvement, tels que le pompage des en général soumis à des analyses qui de la seconde – celle qui est distribuée
nappes et la déviation de rivières. On mettent en balance les coûts de construc- dans les réseaux d’alimentation.
peut aussi construire de nouvelles tion avec les bénéfices escomptés. La
usines de dessalement, des barrages construction du barrage de la Renais- Réduire les consommations
hydrauliques et des réserves artifi- sance sur le Nil Bleu, en Éthiopie, qui Les systèmes de production agricole
cielles servant à stocker l’eau de pluie. a commencé au printemps 2013, a fait ont déjà commencé à évoluer pour que
De telles infrastructures pourraient l’objet d’une telle analyse coûts-béné- notre consommation d’eau diminue.
se révéler nécessaires pour maintenir fices. Elle détaillait les aspects financiers Une première approche vise à modifier
l’irrigation dans les secteurs agrono- (liés aux investissements ou au dépla- les périodes de semis ou de récolte, afin
miques clés, ainsi que de bonnes condi- cement des populations), les risques d’adapter les cultures à l’évolution des
tions de navigation fluviale (sur le Rhin sismiques ainsi que les bénéfices atten- températures saisonnières. Une autre
ou le Danube), mais aussi pour préser- dus en termes de production hydroélec- méthode vise, par exemple, à intro-
ver la sécurité des centrales nucléaires, trique et d’extension des surfaces irri- duire des espèces moins gourmandes
qui exigent de grandes quantités d’eau guées. Ce type d’analyse constitue un en eau, telles que le soja et le sorgho.
Cette stratégie visant à développer outil d’aide à la décision, qui s’ajoute Plus généralement, l’agroécologie
l’exploitation des eaux bleues et celles aux enquêtes d’utilité publique, aux et son succédané le plus récent, l’agri-
issues des stations de traitement des rapports parlementaires et aux études culture écologiquement intensive, ap-
eaux « grises » – les eaux usées  – (via le de faisabilité. L’ensemble permet d’ar- paraissent comme des solutions pro-
recyclage) implique des financements rêter un arbitrage sur les différents scé- metteuses pour adapter l’agriculture
massifs. En France, sa mise en œuvre narios envisagés  : statu quo, lancement aux changements globaux et répondre
incombe aux Agences de l’eau, aux du projet ou aménagements alternatifs. à une demande croissante en produits

© Pour la Science - INRA 2015 [27


de qualité. Ces approches systémiques bourés présentant un couvert végétal Ces nouvelles pratiques peuvent
s’appliquent à augmenter les produc- permanent. Grâce à un système raci- néanmoins conduire à une compéti-
tions tout en respectant la santé hu- naire profond et puissant, ce couvert tion accrue pour la ressource en eau
maine et l’équilibre des écosystèmes. végétal fait remonter des nutriments –  
comme dans l’agroforesterie, par
Elles s’appuient sur des fonctionna- vers la surface où ils sont utilisés par exemple, où des plantations d’arbres
lités écologiques naturelles, telle la les cultures principales. Le ruisselle- sont associées à l’exploitation des terres
biodiversité au sein des cultures afin ment des eaux de pluie se trouve par agricoles. Pour les optimiser, il faut
de limiter la prolifération des rava- ailleurs diminué. Une biomasse im- intégrer une série d’approches : agro-
geurs. Un autre exemple d’agriculture portante peut ainsi être produite avec nomique, économique, hydrologique,
écologiquement intensive consiste à de moindres quantités d’eau, pendant sanitaire et environnementale. L’inté-
effectuer des semis sur des sols non la- les saisons sèches notamment. gration est réalisée à l’aide de simu-
lations numériques, qui permettent
d’élaborer des scénarios d’évolution
proposant une palette d’adaptations
biotechniques. En plus de cette ap-
proche virtuelle, l’adaptation passe
par l’implication des acteurs de terrain
dans des dispositifs expérimentaux
imaginés avec des agriculteurs, pour
faire en sorte qu’ils s’approprient au
Chubykin Arkady / Shutterstock

mieux les évolutions en cours.


Pour favoriser une adaptation
limitant notre dépendance à la res-
source, diverses actions pourront être
déployées, et certaines le sont déjà en
Europe. Elles concernent le secteur ré-
Construit sur la rivière Naryn, affluent du Syr-Daria, près de la frontière ouzbek,
le barrage de Taktogul est le plus grand du Kirghistan. sidentiel et les régions semi-arides en
particulier. Ces actions comprennent
Une source de coopération plus que de conflits des tarifications adaptées à la raréfac-
La géopolitique de l’eau est souvent présentée comme une compétition entre pays pour tion de la ressource, des restrictions ré-
une ressource considérée comme stratégique et source de conflits. Cette concurrence glementaires, ainsi que des politiques
concerne des pays situés le long d’un cours d’eau ou partageant des ressources souter- de sensibilisation et d’aide aux inves-
raines. Mais, au cours des 50 dernières années, grâce aux relations interétatiques, des tissements dans des équipements plus
solutions de coopération ont été trouvées dans la majorité des cas. économes en eau.
Ainsi, Ariel Dinar, de l’Université de Californie à Riverside, et Pradeep Kurukulasuriya, Des études ont montré que la sensi-
un des experts du Programme des Nations unies pour le développement, ont montré que bilité des usagers à l’égard du prix de la
la rareté structurelle de la ressource joue un rôle positif sur la coopération entre États. ressource est souvent assez faible, mais
D’autres facteurs, tels que la bonne gouvernance et les échanges internationaux, pèsent que cette sensibilité augmente rapide-
souvent davantage que les caractéristiques géographiques. Par ailleurs, on constate que ment avec les coûts d’accès – et ce d’au-
les accords de coopération incluent souvent d’autres aspects, notamment la production tant plus que leur niveau est couplé à
d’hydroélectricité, la protection contre les crues et le contrôle de la pollution. des mesures de restriction. La clarté des
L’accord sur le fleuve Sir-Daria concerne par exemple trois pays d’Asie centrale : en
informations fournies dans les factures
amont, le Kirghizistan ; et en aval, l’Ouzbékistan et le Kazakhstan. Dans le cadre d’un
d’eau se révèle par ailleurs particuliè-
accord hérité du modèle soviétique, le pays en amont s’engage à fournir de l’électricité et
rement importante pour transmettre
de l’eau d’irrigation en échange du pétrole fourni par les pays en aval.
un message fort sur la rareté de la res-
Il existe plus de 200 cours d’eau transfrontaliers dans le monde, dont certains font
l’objet d’accords internationaux dans des contextes de raréfaction de la ressource. Leur source. On constate aussi que l’antici-
stabilité pourrait être remise en cause par le changement climatique. Ainsi, en 2008, des pation des coûts d’accès croissants à
économistes ont constaté que les accords de partage étaient d’autant plus solides que l’égard d’une ressource qui se raréfie
les débits moyens des cours d’eau étaient importants, et, inversement, que des débits incite souvent les usagers à se munir
fluctuant tendaient à exacerber les tensions. Il est donc essentiel de déterminer des règles d’équipements sanitaires et électromé-
de partage considérées comme équitables par les différents pays concernés, ainsi que nagers plus économes en eau.
des mécanismes de compensations adaptés aux évolutions économiques et climatiques. De même, les agriculteurs qui pra-
tiquent l’irrigation devraient pouvoir

28] © Pour la Science - INRA 2015


anticiper les scénarios climatiques,
afin d’opter pour les systèmes de
production les mieux adaptés. Et ce
d’autant que, depuis 2006, les aides
compensatoires européennes ont été
uniformisées   : elles ne favorisent
plus les cultures irriguées à forts ren-
dements, tel le maïs. Des cultures de
substitution pourront donc plus faci- Daniel Prudek / Shutterstock

lement être développées. Toutefois,


elles devront s’appuyer sur des filières Bateau échoué près de Moynaq, un ancien
port situé au Sud de la mer d’Aral, en Asie
territoriales ou d’exportation viables. centrale. Ce lac d’eau salée s’est en partie
Le maïs pourrait ainsi être remplacé asséché, car les fleuves qui l’alimentaient
par le sorgho pour l’alimentation ani- ont été utilisés pour l’irrigation.
male, mais la filière française demeure
encore mal structurée dans ce secteur. et à inciter les agriculteurs à renoncer d’une vision territoriale des ressources
à certaines parcelles pour favoriser les et des besoins en eau. Cette approche a
Événements extrêmes plus résilientes. Il faudra prévoir des l’agrément de l’ensemble des acteurs et
Quelle que soit la stratégie d’adapta- types adaptés d’assurances dédiées vaut pour les différents problèmes  : ap-
tion choisie, il nous faudra aussi nous aux agriculteurs, qui remplaceront provisionnement en eau potable, agri-
adapter aux événements climatiques progressivement les fonds de compen- culture, industrie, contraintes énergé-
extrêmes, dont la fréquence et l’in- sation. Des dispositifs publics de réas- tiques et préservation des écosystèmes.
tensité augmenteront. Il existe deux surance seront nécessaires étant donné Le bassin-versant –  une région où
grandes stratégies   : éviter ou accepter. les montants en jeu. toutes les eaux convergent vers un
Pour faire face aux risques de crue, par Précisons que l’adaptation aux sé- même exutoire  – est l’unité territoriale
exemple, les stratégies d’évitement cheresses passe souvent par des restric- la mieux adaptée à cette réflexion col-
consistent à fabriquer des bassins de tions d’usage. Ces dernières doivent lective. Dans ce cadre, il s’agit de pri-
rétention en amont des cours d’eau ; être appliquées de façon uniforme sur vilégier l’usage des sols qui présentent
dans les zones urbaines, on pourrait une même zone géographique ou ad- les meilleures capacités d’adaptation et
utiliser des matériaux poreux (gra- ministrative, mais différenciées selon de résilience. Cette approche conduira
viers ou bitumes drainant) pour les les usages – les usages résidentiels au développement d’outils de gestion
trottoirs et les chaussées, valoriser la demeurant la priorité. Enfin, évoquons capables d’intégrer les considérations
récupération des eaux de pluie, créer un dernier mécanisme d’adaptation  : agronomiques et hydrologiques à dif-
des zones d’expansion de crue (ce qui la gestion concertée de l’eau au niveau férentes échelles.
permet d’éviter les crues en aval, mais local, le plus souvent par des collectifs La ressource en eau étant source de
nécessite la submersion de terres agri- d’agriculteurs. Fondés sur des règles conflits (voir l’encadré page ci-contre), ces
coles en amont). de partage de la ressource décidées adaptations devront intégrer la notion
L’adaptation aux sécheresses passe collectivement, ces systèmes sont sou- d’équité entre les acteurs concernés.
par la réduction de la dépendance, vent mieux acceptés que les mesures La gestion par bassin-versant devra
mais aussi par la création de res- tarifaires, mais ne résisteraient pas si s’attacher à une gestion solidaire entre
sources de sécurité (barrages), ou des l’eau venait à manquer. bassins voisins, sans oublier que les
méthodes de recharge artificielle des Ces efforts de concertation ne se aménagements ont des impacts non
nappes, l’eau ainsi stockée pouvant réduisent pas aux situations extrêmes. seulement locaux, mais aussi à grande
être utilisée en période critique (une Une adaptation durable ne pourra échelle sur les écosystèmes fluviaux,
telle possibilité est à l’étude pour le se construire, en effet, qu’à la faveur côtiers et marins.
bassin de la Seine).
Quant aux stratégies d’accepta- Bibliographie
tion, elles visent à adapter le milieu
urbain aux inondations de certains M. Chauveau et al., Quels impacts des changements climatiques sur les eaux de surface
quartiers, ce qui se traduirait par des en France à l’horizon 2070 ?, La Houille Blanche, n°4, pp. 5-15, 2013.
constructions sur pilotis (par exemple S. Ambec et al., Water Sharing Agreements Sustainable to Reduced Flows,
Journal of Environmental Economics and Management, vol. 66, pp. 639-655, 2013.
au Bangladesh) ou des habitations Site internet sur le projet Explore 2070 :
« flottantes » (comme aux Pays-Bas), http://www.developpement-durable.gouv.fr/Evaluation-des-strategies-d.html

© Pour la Science - INRA 2015 [29


Vers une écologie de
la santé

dream designs / Shutterstock


Olivier Plantard est directeur Laurent Huber est directeur Jean-François Guégan est directeur de
de recherche dans l’Unité mixte de recherche dans l’Unité mixte recherche dans l’UMR IRD-CNRS, Université
de recherche inra - Oniris Biologie, de recherche INRA - AgroParisTech de Montpellier I et II, Maladies infectieuses
épidémiologie et analyse de risque Environnement et grandes cultures, et vecteurs : écologie, génétique, évolution
en santé animale, à Nantes. à Grignon. et contrôle, et Laboratoire d’Excellence CEBA.

La santé est soumise à divers aléas, notamment climatiques. Pour gérer la santé de demain,
il est urgent de concevoir des modèles intégrant les variables du climat, les caractéristiques
des écosystèmes où se développent les maladies... sans oublier l’être humain !

C
limat et santé sont liés. La santé humaine, d’autres pourraient se révéler positifs en faisant
mais aussi la santé végétale ou la santé ani- disparaître, par endroits, des virus, des bactéries
male sont soumises à la saisonnalité. Si le ou des champignons parasites. Là encore, l’impact
climat change, la saisonnalité des maladies devrait général, peu étudié, demeure incertain.
également évoluer. Dès lors, se pose la question
des conséquences sanitaires du changement cli- Déclenchement des épidémies
matique. Sont-elles toujours négatives, comme Depuis une vingtaine d’années, les recherches
certains articles ou reportages alarmistes le laissent concernant les conséquences sanitaires du change-
penser  ? La situation est complexe, donc forcément ment climatique ont porté principalement sur les
plus nuancée. Certes, des événements météorolo- maladies infectieuses, du fait de la multiplicité des
giques extrêmes, tels que les canicules, les inon- facteurs intervenant dans le déclenchement d’une
dations ou les tempêtes violentes, se feront plus épidémie et de l’intérêt que les écologues, entomo-
intenses et plus fréquents dans les années à venir, logistes et zoologistes manifestent pour ce sujet.
et pourraient entraîner une hausse de la mortalité Comme nous l’avons souligné, les systèmes sont
et une baisse de l’efficacité des systèmes sanitaires. complexes, car ils présentent de nombreuses interac-
Néanmoins, cet impact reste difficile à estimer, tions. Commençons par des systèmes biologiques
car on ne sait pas prévoir la fréquence de ces évé- simples, où deux espèces en interaction, l’hôte et
nements qui resteront rares. Une autre conséquence l’agent pathogène, évoluent dans un écosystème
attendue du changement climatique sur la santé naturel. Simplifions encore en considérant les hôtes
concerne la modification des risques environnemen- dont la température corporelle n’est pas régulée –  à
taux, via une exposition accrue aux rayonnements l’instar des plantes, insectes, reptiles ou poissons  –,
ultraviolets ou à des polluants atmosphériques, tels et qui sont, par conséquent, très sensibles aux condi-
que l’ozone. Certains effets seront néfastes, mais tions météorologiques ambiantes et à leur évolution.

30] © Pour la Science - INRA 2015


Dans le cas de l’encre du chêne, des cultures, ainsi que l’avancée prévi- parasite responsable d’une maladie
maladie infectieuse due à un champi- sible des dates de semis, ce qui n’a pas infectieuse, la perkinsose  : depuis la fin
gnon parasite, le réchauffement clima- encore été réalisé. Même si ces travaux des années 1940, l’aire de répartition
tique semble bien responsable de la préliminaires sont encourageants, ils de cette maladie a progressé de plus de
progression de cette maladie chez cer- demandent à être confortés et élargis 500 kilomètres vers le Nord.
taines espèces d’arbres, par exemple à d’autres maladies fongiques dont
le chêne rouge d’Amérique et le chêne souffrent les cultures. Le rôle de la température
pédonculé. Au moyen de simulations Citons maintenant un exemple En termes d’impact du changement
numériques, permettant de modéliser chez l’animal, l’huître de Virginie, climatique, les experts s’accordent à
la survie hivernale de l’agent patho- implantée sur les côtes atlantiques dire que les variations de température
gène en fonction de la température d’Amérique du Nord. Son évolution joueront un rôle important sur le déve-
de son microhabitat (le phloème des confirme le lien simple et direct entre le loppement des maladies infectieuses.
arbres infectés, c’est-à-dire le tissu qui changement climatique et le dévelop- En influant sur le métabolisme des
conduit un type de sève), des cher- pement d’une épidémie. Ainsi, l’éléva- parasites et des organismes hôtes, ces
cheurs de l’INRA et de Météo-France tion de la température des eaux de sur- variations conditionnent les vitesses
ont établi que ce champignon devrait face a favorisé la survie hivernale d’un de développement et, par conséquent,
se déplacer progressivement vers l’Est
de la France, entraînant un accroisse-
ment du potentiel d’expansion de cette
maladie sur la majorité du territoire
d’ici la fin du XXIe siècle.
Au contraire, d’autres travaux ont
mis au jour une influence favorable du
changement climatique sur la santé des
plantes. C’est le cas d’une étude réali-
sée dans le cadre du projet CLIMATOR
(2007-2010) sur trois maladies affectant
des cultures annuelles  : la septoriose du
Ocskay Bence / Shutterstock

blé, la rouille brune du blé et le botrytis


de la vigne – causées par des champi-
gnons pathogènes également. Des mo-
dèles numériques prenant en compte
l’évolution de la température et du taux
Les campagnes de vaccination contre la grippe, qui touche plusieurs millions de Français
d’humidité de l’air ont permis d’estimer chaque hiver, ont permis de diminuer notablement le nombre de décès de personnes fragiles.
la durée au cours de laquelle de l’eau
est présente à la surface des feuilles de Le paradoxe de la mortalité hivernale
blé, notamment. En effet, l’infection par En France, la canicule de 2003 a entraîné la mort d’environ 15 000 personnes, sans
le micro-organisme responsable de la compter ses conséquences sur les écosystèmes et les infrastructures. Malgré cet épi-
maladie de la rouille brune requiert la sode, le taux de mortalité dans les régions tempérées de l’hémisphère Nord est beaucoup
présence d’eau liquide sur les feuilles plus élevé en hiver que durant toute autre saison.
pendant une durée minimale qui dé- Selon une revue réalisée en 2012 par Patrick Kinney et ses collègues de l’Université
pend de la température. Columbia, à New York, on meurt généralement plus en hiver dans les pays tempérés, telle
Pour les régions de Dijon et de Col- la France. Dans un contexte de hausse globale des températures, cette mortalité hiver-
mar, les simulations indiquent que la nale pourrait même augmenter au sein des populations qui vivent dans les pays chauds.
durée des périodes où l’infection sévit Pour expliquer ces effets encore mal compris, on évoque, tour à tour, des complications
devrait diminuer d’environ 30 pour cardio-vasculaires, mais aussi inflammatoires après des infections respiratoires, comme
c’est le cas avec la grippe.
cent d’ici la fin du siècle, ce qui condui-
Avant toute généralisation, précisons qu’il existe d’importantes disparités géogra-
rait à une baisse des risques d’infection
phiques globales et locales dans les manifestations de cette mortalité hivernale. Par
du blé par les spores de la rouille brune.
ailleurs, les chercheurs ne disposent que d’un petit nombre de données écologiques et
Toutefois, pour connaître précisément
épidémiologiques fiables, qui seraient pourtant indispensables pour prévoir les consé-
la durée des infections, il faudrait quences sanitaires du changement climatique, identifier les populations les plus vulné-
considérer aussi l’influence du chan- rables et définir les mesures de prévention et d’adaptation les mieux adaptées.
gement climatique sur la dynamique

© Pour la Science - INRA 2015 [31


interviennent sur l’expansion ou la Les maladies et leurs vecteurs Le changement climatique influe
diminution des aires de répartition. Examinons à présent le cas des maladies aussi sur la répartition des espèces
La température est plus facile à uti- à transmission vectorielle, telles que le «  réservoirs  » qui hébergent l’agent pa-
liser que d’autres variables physiques paludisme, la dengue ou la fièvre jaune. thogène. Ainsi, en Amérique du Nord,
pour tester des scénarios de change- Ces systèmes infectieux plus complexes l’aire de répartition de la souris à pattes
ment climatique. Cette variable d’état se propagent d’un individu hôte à un blanches, principal réservoir de la bac-
ne dépend pas de l’étendue du système autre par l’intermédiaire de vecteurs, de térie Borrelia burgdorferi responsable
considéré, et connaît des fluctuations petits arthropodes qui se nourrissent de de la maladie de Lyme, a progressé de
beaucoup moins rapides que celles de sang   : moustiques, moucherons, poux, 10   kilomètres par an vers le Nord.
la pluie, variable de flux cumulative. punaises, tiques, etc. Chez l’homme, Depuis les années 2000, la prédic-
Par ailleurs, la température influe sur les maladies vectorielles sont respon- tion des changements d’aires de ré-
la vitesse de tout processus biologique, sables de près d’un quart des épidémies partition des vecteurs est devenue un
alors que la pluie agit plus spécifique- émergentes recensées dans le monde. champ de recherche particulièrement
ment, par exemple, sur l’infection fon- Puisque les vecteurs ne régulent pas actif, grâce à l’essor de la modélisation
des niches écologiques, décrites par un
ensemble de paramètres biologiques
et physico-chimiques. Cependant,
bien que la présence d’un vecteur soit
indispensable à la diffusion de ce type
de maladies, elle ne constitue pas une
condition suffisante pour qu’une épi-
démie se développe. Même si le rôle
direct du changement climatique est en
Damian Herde / Shutterstock

cause dans les modifications des aires


de répartition de certains vecteurs, il
est difficile de mettre en évidence son
rôle dans l’augmentation de la préva-
lence de ces maladies dans des régions
où elles étaient déjà présentes.
Causée par un champignon pathogène, la maladie de la rouille brune du blé se manifeste
à la surface des feuilles par de petites pustules orangées contenant des spores.
Le rôle de l’homme
La situation se complique encore
gique des plantes et la dispersion des leur température interne, les conditions quand on tient compte des activités
spores et bactéries. météorologiques conditionnent leur dé- humaines. La fièvre catarrhale ovine,
Même s’il est admis que la fré- veloppement, leur survie, leur fécondi- ou maladie de la langue bleue, illustre
quence des événements extrêmes va té et leur dispersion. Elles déterminent les liens complexes et parfois trom-
augmenter, par exemple la fréquence aussi la croissance du parasite et, dans peurs entre le changement climatique
des épisodes pluvieux de longue du- une moindre mesure, les interactions et la propagation d’une épidémie. La
rée, le caractère intermittent de la pluie du vecteur et de son agent pathogène, fièvre catarrhale touche les ruminants,
et les incertitudes sur les données à ainsi que du vecteur et de l’hôte. mais pas l’homme. Cette maladie vec-
l’échelle de la journée rendent diffi- Dans le contexte actuel du chan- torielle est causée par un virus, qui est
cile l’obtention d’une répartition de la gement climatique, les maladies vec- lui-même transmis par des petits mou-
pluie par heure. C’est un enjeu pour la torielles sont observées avec atten- cherons piqueurs du genre Culicoides.
recherche météorologique, car il nous tion par les épidémiologistes. Dans Des épidémies de fièvre catarrhale
faut parfois ces données à une échelle l’hémisphère Nord, la répartition de étaient recensées en Afrique du Nord,
temporelle très inférieure à la journée. certains vecteurs, telle la tique Ixodes où le virus était véhiculé par une va-
Les sécheresses estivales plus lon- ricinus, est d’ores et déjà modifiée. Vec- riété de moucherons (Culicoides imico-
gues constituent d’autres événements trice de nombreuses maladies, la ma- la), dont la présence n’avait jamais été
extrêmes, qui pourraient limiter, voire ladie de Lyme et l’encéphalite à tique enregistrée sur le continent européen.
arrêter, la progression de mycoses fon- notamment, cette tique a progressé Or, dans les années 1980 et 1990,
giques transmises par l’air ou dans le vers le Nord de la Suède. En 16 ans, cette espèce a été détectée de plus en
sol, notamment chez les plantes-hôtes l’aire de la zone où elle est présente a plus au Nord de son aire de répar-
qui résisteront à la sécheresse. doublé (voir l’illustration page ci-contre). tition connue   : en Italie, Sardaigne,

32] © Pour la Science - INRA 2015


Corse, puis dans le Sud de la France. liée aux activités humaines telles que raît comme le dernier facteur, du moins
En Europe, on redoutait ainsi qu’une l’importation (illégale ou acciden- en   2005, date où ce travail a été publié !
épizootie (épidémie animale) n’arrive telle) d’animaux ou de vecteurs. Cet L’évolution génétique naturelle des
par le Sud. Mais c’est aux Pays-Bas exemple montre à quel point il est par- micro-organismes y occupe la cinquième
qu’elle s’est finalement manifestée, en fois difficile de séparer la part du chan- place. À titre d’exemple, rappelons que
août 2006. En quelques années, l’épi- gement climatique et celle d’autres la mutation du virus du Chikungunya,
zootie s’est propagée à une vitesse de évolutions où les activités humaines qui s’est produite en septembre 2005 à
cinq kilomètres par jour dans toutes les occupent un rôle central : transferts de La Réunion, a déclenché une épidémie
directions, causant des dommages éco- populations ou de marchandises d’ori- de grande envergure qui a frappé plus
nomiques importants dans les élevages gines animale et végétale, changement de 300 000   habitants des îles de l’océan
ovins et bovins d’Europe de l’Ouest  : d’usage des sols, auxiliaires de culture Indien. Les changements démogra-
avortements, baisse de la production qui détruisent les ravageurs, baisse de phiques, sociétaux et comportementaux
de lait et de viande, campagnes mas- la biodiversité touchant les espèces (les pratiques à risque, notamment)
sives de vaccination, restriction des réservoirs et les prédateurs, etc. figurent à la deuxième place.
échanges commerciaux, etc.
En raison de la localisation du
B. Chaubet - INRA

foyer d’origine, des directions qu’elle a


suivies et du virus qui l’a causée (BTV8,
une forme virale différente de celle pré- Lindgren et al., Environmental Health Perspectives, 2000

sente en Afrique du Nord), cette épi-


zootie présente une dynamique qui ne
peut être directement reliée au change-
ment climatique. Par la suite, on s’est
d’ailleurs aperçu que les moucherons
impliqués dans la transmission du
BTV8 correspondaient non pas à Culi-
coides imicola, mais à d’autres espèces,
qui auparavant n’étaient pas considé-
rées comme des vecteurs efficaces. Des La tique Ixodes ricinus (à gauche), principale espèce vectrice de maladies vectorielles chez
l’homme en Europe, devrait continuer à s’étendre au cours du XXIe siècle. En Suède, son aire
études génétiques ont également établi
de répartition (points blancs) a doublé entre les années 1980 (au centre) et 1990 (à droite).
que les moucherons détectés dans le
Sud de l’Europe s’y trouvaient depuis
longtemps. Ainsi, l’apparente progres- Les principales causes d’émergence En se fondant sur des modèles de
sion des Culicoides vers le Nord de l’Eu- Parmi la multitude de publications niches écologiques, une étude récente
rope est surtout imputable à une aug- scientifiques et institutionnelles qui sur la transmission de la dengue a ainsi
mentation des efforts de surveillance se sont efforcées de mettre en lumière montré que son expansion était princi-
et de recherche pour les trouver, c’est- l’impact du changement climatique sur palement due aux densités élevées de
à-dire à une meilleure connaissance de la santé humaine, les travaux de Mark population, aux conditions d’insalu-
leur répartition géographique. Woolhouse et de Sonya Gowtage-Seque- brité ainsi qu’aux réseaux de transport
Le changement climatique n’est ria, du Centre des maladies infectieuses humains. Enfin, au premier rang, se
pas totalement hors de cause pour de l’Université d’Édimbourg, en Écosse, situent les changements d’usage des
autant. Une analyse croisée de l’évolu- sont particulièrement intéressants. En sols ainsi que les pratiques agricoles et
tion des conditions climatiques depuis réunissant une base de données très agronomiques. Par ses activités, par ses
les années 1960 et d’un modèle décri- complète, ils ont classé les principales comportements et par ses modes d’or-
vant la dynamique des vecteurs et des causes d’émergence et de dispersion ganisation socio-économique, l’homme
organismes hôtes de cette maladie a de 177 agents infectieux apparus de- est le principal responsable de l’appa-
montré que l’été   2006 correspondait à puis les années  1960. Leurs conclusions rition et de l’expansion des nouveaux
une période de risque maximal pour le battent en brèche une idée reçue   : le agents pathogènes.
déclenchement d’une épidémie dans changement climatique ne joue pas un Pour illustrer le rôle des change-
le Nord-Ouest de l’Europe. Et, au- rôle déterminant dans l’émergence de ments des conditions socio-économiques
delà des facteurs climatiques qui ont nouvelles maladies infectieuses, bien sur la prévalence de certaines patholo-
favorisé la transmission du virus, tout au contraire. Dans le classement que gies, revenons sur le cas des maladies
porte à croire que son introduction est ces épidémiologistes ont établi, il appa- vectorielles transmises par les tiques.

© Pour la Science - INRA 2015 [33


La prévalence de l’encéphalite à tique socio-économique que les pays baltes telles que la température, l’humidité
a augmenté dans les pays baltes à par- ont connue au début des années  1990 de l’air, le vent et les précipitations,
tir du début des années  1990. Contrai- en sortant du communisme. dont l’évolution doit être estimée par
rement à la maladie de Lyme, qui n’a À cette époque, de nombreux habi- l’analyse de leurs valeurs moyennes,
jamais fait l’objet d’un recensement sys- tants de ces pays ont augmenté leur mais aussi de leurs valeurs extrêmes,
tématique, l’encéphalite à tique a été très risque d’exposition au vecteur de la et plus généralement de leur variabilité
bien répertoriée depuis une quarantaine maladie en fréquentant davantage les durant telle ou telle période.
d’années, offrant ainsi des données de forêts : les populations les plus pauvres, Tous ces paramètres sont souvent
qualité. Or, dans chacun des pays baltes en s’efforçant de trouver des revenus ou interdépendants, et les relations qu’ils
étudiés (Lituanie, Lettonie, Estonie), on des ressources complémentaires via la entretiennent avec la prévalence des
a observé une grande hétérogénéité des cueillette de champignons et de baies ; maladies infectieuses ne sont pas tou-
variations de la prévalence d’une année mais aussi les plus riches, en raison d’un jours linéaires (les paramètres et la pré-
à l’autre entre cantons. Cela suggère que accès accru aux activités de loisir, dans valence ne varient pas dans les mêmes
le changement climatique –  qui se pro- les campagnes notamment. L’abandon proportions). Les échelles spatiales
duit de façon relativement homogène des fermes collectives a aussi entraîné et temporelles permettant d’analy-
sur de vastes zones  – n’est pas le seul en des modifications dans l’utilisation des ser ces maladies sont par ailleurs très
cause. sols (des mises en jachère, par exemple), variables   : de quelques centimètres
Sarah Randolph et Dana Sumilo, qui auraient favorisé la propagation de carrés pour la dispersion des spores
de l’Université d’Oxford, ont montré ces maladies où les faunes sauvages et par la pluie, à une échelle planétaire
que le changement climatique –  avec domestiques interagissent étroitement. quand il s’agit de l’évolution du cli-
une augmentation de la moyenne À travers tous ces exemples, on mat global. Cela pose d’épineux pro-
annuelle des températures maximales mesure combien l’impact du change- blèmes de changement d’échelles, car
(passant de 10 à 11 °C) entre 1988 et ment climatique sur les maladies infec- certaines propriétés dites émergentes
1990  – constitue un des facteurs en tieuses est complexe, variable et diffi- ne sont observables qu’à des niveaux
cause, mais ne peut pas expliquer cile à étudier. D’une part, il est lié à de d’intégration supérieurs. Ces proprié-
l’hétérogénéité observée dans l’espace multiples acteurs  : agents pathogènes, tés n’apparaissent que si l’on se place
et dans le temps. Elles avancent l’hy- organismes hôtes, vecteurs de trans- à l’échelle des populations ou à celle
pothèse suivante : la recrudescence de mission, espèces réservoirs et inter- des écosystèmes, par exemple, mais ne
l’encéphalite à tique observée durant ventions humaines. D’autre part, il est sont pas perceptibles quand on étudie
cette période résulterait de la transition soumis à plusieurs variables physiques les individus séparément. Enfin, les
systèmes responsables de maladies ne
sont ni fixes ni constants au cours du
Principales causes d’apparition des nouveaux agents infectieux temps, car chacun des acteurs évolue
Rang Facteurs d’émergence Exemples en raison des modifications de la com-
position génétique des populations
Changements d’usage des sols,
1 pratiques agricoles et agronomiques Virus Nipah en Asie du Sud-Est, ESB sous l’effet des différentes pressions de
Changements démographiques, sélection exercées par les interactions
2 sociétaux et comportementaux Coqueluche, VIH, syphilis des hôtes avec les agents pathogènes,
3 Précarité des conditions sanitaires Choléra, tuberculose ou par l’environnement, dont une des
Liés à l’hôpital (nosocomiaux) Staphylococcus aureus, facettes est le climat.
4 ou à des erreurs de soins et de pratiques Pseudomonas aeruginosa
Évolution des agents pathogènes L’écologie de la santé
5 (Chikungunya, antibiotiques,mutations...)
A/H1N1, H5N1
C’est pourquoi un cadre plus large,
6 Contamination par les aliments ou l’eau E. coli, ESB, Salmonella associant écologie et biologie évolutive,
7 Voyages et échanges intercontinentaux Dengue, grippe saisonnière, H5N1 a été proposé pour étudier ces ques-
Désorganisation des systèmes Maladie du sommeil en Afrique centrale, tions complexes. À côté de l’approche
8 de santé et de surveillance maladies à tiques et tuberculose, ex-URSS One Health/One World, prenant peu en
9 Transports de biens et d’animaux Virus Monkeypox, H5N1, Salmonella... compte l’environnement, citons l’ap-
Paludisme en Afrique de l’Est, dengue en proche EcoHealth qui met en avant « le
10 Changement climatique Asie du Sud-Est, leishmaniose viscérale partage des responsabilités et la coordi-
dans le Sud de l’Europe (forte suspicion) nation des actions globales pour gérer
Ce classement a été réalisé à partir de 177 agents pathogènes responsables de maladies les risques sanitaires aux interfaces
infectieuses émergentes touchant les populations humaines depuis les années 1960 animal-homme-écosystèmes » et l’im-

34] © Pour la Science - INRA 2015


portance du « renforcement des collabo- teinte, voire détruite, par une épidémie surveillance sanitaire ne permet pas
rations entre santé humaine, santé ani- importante émet davantage de dioxyde –   ou très difficilement  – de répondre
male et gestion de l’environnement ». Il de carbone dans l’atmosphère, à cause aux interrogations sur l’influence du
s’agit d’élargir le champ d’analyse, tra- du dépérissement des plantes et d’une changement climatique en particulier,
ditionnellement centré sur la santé des minéralisation plus forte des matières car cela nécessite de comparer des si-
individus, en considérant les modifica- organiques contenues dans les sols. tuations où la maladie est présente et
tions des écosystèmes, l’influence des Étant donné la complexité des phé- d’autres où elle est absente.
changements planétaires (climatiques nomènes considérés, la modélisation Les dispositifs de suivis de longue
notamment) et la perte de diversité bio- représente un outil incontournable. durée, du type Long Term Ecological
logique, avec toutes leurs interactions
directes et indirectes.
L’écologie de la santé traduit une
prise de conscience du partage des res-
ponsabilités et de la nécessité de renfor-
cer les actions communes concernant
la santé humaine, la santé animale et
végétale, et la gestion de l’environne-
mrfizah / Sutterstock

ment. Cette approche intégrative per-


met d’éviter l’erreur qui consiste à isoler
artificiellement l’effet du changement
climatique d’autres modifications dues Les moustiques du genre Aedes propagent le virus du chikungunya d’un individu à un autre
à l’homme, et impliquées elles aussi en les piquant. Cette maladie tropicale est également nommée « maladie de l’homme courbé  »,
dans le développement d’épidémies car elle provoque de très fortes douleurs articulaires associées à une raideur musculaire.
(changement d’utilisation des sols, in-
troduction d’espèces invasives liée aux Elle permet de se projeter dans le futur Research Network (réseau de recherche
déplacements humains ou au transport et d’établir des scénarios susceptibles écologique sur le long terme) sont par-
de marchandises, par exemple). de gérer et d’anticiper au mieux les ticulièrement précieux. Ils devraient
Dans le domaine animal et le do- évolutions attendues. Mais, pour être bientôt intégrer des recherches épi-
maine végétal, les conséquences sani- pertinents, précis et informatifs, les démiologiques relatives aux effets du
taires du changement climatique restent modèles doivent pouvoir se fonder changement climatique sur les mala-
largement inexplorées, ce qui explique sur des données de qualité et de lon- dies humaines, animales et végétales,
le lancement, début 2014, de nouveaux gues séries temporelles et spatiales, ce qui permettra d’améliorer la préci-
programmes de recherche par l’Agence ce qui fait actuellement défaut dans la sion des modèles numériques.
nationale de la recherche et la Com- recherche française, qu’elle ait lieu en Enfin, insistons sur le fait que
mission européenne. Dans ce cadre, France ou dans les pays tropicaux. l’identification et la quantification des
l’augmentation de la résilience des éco- Pour les maladies infectieuses hu- effets des changements globaux sur la
systèmes, le rôle de la biodiversité et le maines, telles que le tétanos, l’anthrax santé représentent un défi qui ne pour-
développement d’une approche trans- et la légionellose, où l’agent pathogène ra être relevé que si climatologues, épi-
disciplinaire et participative (associant peut persister dans l’environnement démiologistes, modélisateurs, écolo-
chercheurs, entreprises, agriculteurs, en l’absence de son hôte, il est impos- gues, entomologistes, microbiologistes,
gestionnaires, etc.) figurent parmi les sible de conclure de façon certaine à parasitologues, immunologistes, socio-
thématiques mises en avant dans plu- l’absence totale de l’agent infectieux économistes, entre autres, travaillent
sieurs grands programmes de recherche. dans un endroit donné. Dès lors, la ensemble sur un projet intégré.

Anticiper les évolutions


Dans le domaine végétal en particu- Bibliographie
lier, les objectifs majeurs ont trait à la
C. Leport et J.-F. Guégan, Les maladies infectieuses émergentes. État de la situation et perspectives,
réduction de l’usage des pesticides et La Documentation française, 2011.
à la préservation des cultures face au N. Brisson et F. Levrault (éd.), Le Livre Vert du projet Climator, Ademe, 2010.
réchauffement climatique. Une autre K. Smith et J.-F. Guégan, Changing Geographic Distributions of Human Pathogens, The Annual Review
of Ecology, Evolution and Systematics, vol. 41, pp. 231-250, 2010.
problématique importante a émergé  :
M. Delavière et J.-F. Guégan, Les effets qualitatifs du changement climatique sur la santé en France
les rétroactions de la santé des plantes – Rapport de Groupe interministériel, La Documentation française, 2009.
sur le climat. Une culture fortement at- K. Lafferty, The Ecology of Climate Change and Infectious Diseases, Ecology, vol. 90, pp. 888-900, 2009.

© Pour la Science - INRA 2015 [35


Comment
gérer
les flux
migratoires ?
Vladimir Melnikov/Shutterstock

François Gemenne est chercheur en science


politique, CEARC – UVSQ / CEDEM - ULg,
expert associé et enseignant au CERI - Sciences Po.

Des zones littorales inondées ; des épisodes de sécheresse intenses. Il faudra aider les régions
d’accueil à gérer la pression démographique due aux populations poussées à l’exode.

L
es catastrophes naturelles imposant déplace- émergence a été concomitante de celle du change-
ments, exodes et évacuations ont été innom- ment climatique dans les cénacles internationaux.
brables au cours des siècles. Le tremblement S’il est difficile de prévoir l’ampleur des flux migra-
de terre qui détruisit Lisbonne en 1755, ou le grand toires engendrés par le changement climatique, il
incendie qui ravagea Londres en  1666, ont entraî- est néanmoins possible d’identifier ses principaux
né d’importants flux de réfugiés. Aux États-Unis, impacts sur les établissements humains. Le change-
en  1927, l’inondation du delta du Mississippi dépla- ment climatique, en effet, n’est pas un changement
ça 700 000   habitants, avant que la sécheresse du Dust uniforme et aura des conséquences diverses.
Bowl et les tempêtes de poussière qui ont caracté-
risé cet épisode catastrophique des années   1930 ne Les populations vulnérables : les plus touchées
poussent plus d’un million d’habitants des Grandes On distingue généralement trois types d’impacts
Plaines à migrer vers la Californie. Pendant long- du changement climatique sur les flux migratoires :
temps pourtant, académiques comme décideurs ont l’intensité accrue des catastrophes naturelles, la
considéré que les facteurs susceptibles d’entraîner hausse du niveau des mers et la raréfaction des
des migrations – volontaires ou forcées – étaient ressources d’eau potable – aussi appelée stress hy-
avant tout d’ordre politique ou économique. drique. Ces trois types de changements ne produi-
Aujourd’hui, le lien de causalité entre les dégra- ront pas des migrations similaires, et n’appellent
dations de l’environnement et la décision migra- pas des stratégies d’adaptation identiques.
toire est transformé par le changement climatique : En premier lieu, le changement climatique se
à la fois parce que les mouvements de populations traduira par une augmentation de la fréquence et de
liés aux transformations de l’environnement sont l’intensité des catastrophes naturelles : les inonda-
appelés à prendre une ampleur sans précédent, tions seront plus nombreuses, et les ouragans plus
mais également – et peut-être surtout – parce que violents. Au cours des dernières années, le nombre
le changement climatique pose la question de la de catastrophes naturelles a déjà augmenté de fa-
responsabilité de ces déplacements. Alors qu’on çon significative, en premier lieu à cause de la plus
invoquait auparavant la fatalité des catastrophes grande vulnérabilité des populations exposées : une
naturelles, la responsabilité des États industrialisés catastrophe n’est jamais purement naturelle, mais
est désormais directement en cause. résulte de la rencontre d’un risque naturel et d’une
On sait encore peu de chose, pourtant, quant à population vulnérable. Les catastrophes naturelles
la façon dont les populations réagissent à la dégra- touchent particulièrement les pays du Sud, et l’Asie
dation de leurs habitats. Si le phénomène des « mi- est de loin le continent le plus concerné. On a long-
grations environnementales » n’est pas nouveau, ce temps imaginé que les catastrophes naturelles ne
n’est que récemment que le concept a émergé dans provoquaient pas de flux migratoires, mais plu-
les milieux académiques et a fortiori politiques. Cette tôt des déplacements temporaires de population.

36] © Pour la Science - INRA 2015


Depuis l’ouragan Katrina, on sait que longue durée pousseraient à l’exil les pourront faire face à une pression dé-
cette affirmation est fausse : un peu populations touchées. mographique accrue.
moins de la moitié de la population de Les termes de réfugiés environne- Enfin, la migration elle-même, loin
La Nouvelle-Orléans n’est jamais reve- mentaux, ou de réfugiés climatiques, de représenter un échec de l’adaptation,
nue dans la ville. Les déplacements sont trompeurs, car les populations peut aussi, dans certains cas, être déve-
provoqués par les catastrophes natu- contraintes à se déplacer à cause des loppée comme une stratégie d’adapta-
relles n’offrent pas toujours la possibili- changements de l’environnement ne tion à part entière. Dans ce cas, le choix
té d’un retour dans la région d’origine. sont pas considérées comme des réfu- migratoire sera délibéré, et permettra
giés, au sens de la Convention de Ge- aux migrants de réduire leur vulné-
Des conséquences peu prévisibles nève de 1951. Si celles qui se déplacent rabilité aux impacts du changement
Un autre impact du changement cli- à l’intérieur de leur pays sont norma-
matique sera la hausse du niveau des lement couvertes par les principes
mers, provoquée à la fois par l’expan- directeurs relatifs aux déplacements
sion thermique des océans et la fonte internes, adoptés par les Nations unies
des calottes glaciaires. On estime ainsi en 1998, celles qui se déplacent à l’ex-
que le niveau des océans montera d’en- térieur de leur pays ne sont couvertes
viron un mètre d’ici 2100, même si des par aucun statut juridique.
variations régionales se produisent. Si la protection juridique de ces
Or les régions côtières et des deltas migrants reste, pour une large part,
comptent parmi les plus densément encore à construire, les différentes

1000 Words / Shutterstock


peuplées : de nombreuses métropoles politiques d’adaptation s’imposent
y sont installées, et seront directement aujourd’hui comme la variable déter-
menacées d’inondation si des mesures minante des flux migratoires à venir.
d’adaptation ne sont pas prises (digues, Même si elles restent imparfaitement
restauration des littoraux, etc.). Les définies, ces politiques d’adaptation Évacuer les victimes des inondations sera un
petits États insulaires sont également peuvent prendre des formes diverses, enjeu essentiel pour les responsables locaux
particulièrement vulnérables à toute telles que renforcement des digues, (Bangkok, en Thaïlande, 4 novembre 2011).
hausse, même faible, du niveau des transformation de l’habitat, diversifi-
mers. Potentiellement, si des mesures cation de l’économie, réorganisation climatique, tout en relâchant la pres-
d’adaptation importantes ne sont pas des pratiques agricoles, etc. sion démographique dans leur région
prises rapidement, les populations des Le développement de stratégies d’origine. Ces stratégies peuvent être
régions de faible élévation pourraient d’adaptation dans les régions d’ori- efficaces dans les cas de dégradations
être contraintes, à terme, de se déplacer. gine sera le seul moyen de limiter progressives de l’environnement, et
Enfin, le changement climatique se l’ampleur des flux migratoires. Dans notamment dans des situations de dé-
traduira aussi par une raréfaction des bien des cas, la migration sera l’option sertification. L’enjeu politique sera alors
ressources en eau potable : il s’agit sans ultime, qui ne sera envisagée que dans de faciliter la migration, plutôt que d’es-
nul doute d’un de ses impacts les moins l’hypothèse où les différentes straté- sayer de l’empêcher.
directement visibles, mais parmi les plus gies d’adaptation auront échoué. En conclusion, on peut affirmer que
dévastateurs. Cette raréfaction des res- Toutefois, l’adaptation ne saurait l’environnement, aujourd’hui, repré-
sources en eau résultera de trois facteurs être réservée à la région d’origine : les sente un facteur croissant de migra-
concomitants : les nappes phréatiques migrations, surtout quand elles sont tions, et surtout de migrations forcées.
seront contaminées par l’eau de mer ; soudaines et massives, entraînent une Mais in fine, ce sont bien les politiques
la désertification s’intensifiera dans de pression démographique accrue sur qui seront mises en œuvre, et en parti-
nombreuses régions ; enfin, en raison de les ressources de la région de desti- culier les politiques d’adaptation, qui
la fonte des glaciers, les ressources en nation. Ces ressources ne concernent détermineront l’ampleur et la nature
eau douce diminueront. pas uniquement l’accès à la nourriture des mouvements migratoires à venir.
Les effets du stress hydrique sur les ou à l’eau potable, mais aussi l’emploi
mouvements migratoires sont difficiles ou le logement. Les régions de desti- Bibliographie
à prévoir : plusieurs études ont ainsi nation sont généralement pauvres et F. Gemenne, Why the numbers don’t add up: a
montré que les migrations ont tendance souvent incapables de faire face à des review of predictions and forecasts for environ-
mentally-induced migration, Global Env. Change,
à diminuer pendant les périodes de afflux de migrants. Ce n’est qu’en dé- vol.  21 (S1), pp. 41-49, 2011.
sécheresse. On peut néanmoins émettre veloppant des mesures d’adaptation F. Gemenne, Géopolitique du Changement
l’hypothèse que des manques d’eau de que les régions d’accueil des migrants Climatique, Armand Colin, 2009.

© Pour la Science - INRA 2015 [37


Les enjeux
économiques

Gunnar Pippel / Shutterstock


Pierre-Alain Jayet est directeur Stéphane De Cara est directeur Nathalie de Noblet-Ducoudré est
de recherche INRA, UMR Économie de recherche INRA, UMR Économie directeur de recherche CEA, Unité mixte
publique, INRA-AgroParisTech, Grignon. publique, INRA-AgroParisTech, Grignon. CEA-CNRS-UVSQ, Gif-sur-Yvette.

Modifier l’usage des sols pour concilier production agricole et maîtrise


des émissions de gaz à effet de serre : les économistes cherchent
à intégrer ces différents objectifs dans une approche globale.

A
vec près de 6 gigatonnes d’équivalent leurs modes de production et leurs comportements
dioxyde de carbone libérées chaque an- alimentaires ? Pour quel résultat environnemental ?
née dans le monde (sur un peu moins de Ces questions ne sont pas seulement d’ordre agrono-
50   gigatonnes de dioxyde de carbone émises glo- mique, écologique ou climatique. Elles impliquent
balement en 2010), les sources agricoles de gaz à également de prendre correctement en compte les
effet de serre pèsent plus que les transports. À ces conséquences du changement climatique sur les sys-
émissions agricoles, il convient d’ajouter celles dues tèmes économiques, du niveau microéconomique
aux changements d’usage des sols, en particulier la (l’exploitation agricole par exemple) au niveau
déforestation. Ensemble, les secteurs liés à la terre macroéconomique (implications pour les usages des
(notamment l’agriculture et la forêt) comptent par- sols au sens large, répartition de l’effort d’atténua-
mi les plus importants contributeurs à l’effet de serre tion entre les secteurs, conséquences sur les marchés
au plan mondial. Par conséquent, l’agriculture et la mondiaux). Ces différentes échelles d’analyse font
forêt ont un rôle essentiel à jouer tant vis-à-vis de appel à plusieurs types de modèles économiques,
l’atténuation des émissions que de l’adaptation au lesquels fournissent une approche quantitative des
changement climatique. marges de manœuvre des politiques publiques en
La nécessité de réduire les émissions de gaz à ef- matière d’atténuation et d’adaptation.
fet de serre tout en s’adaptant au changement clima- Comment atteindre un objectif d’atténuation donné
tique et en répondant aux besoins alimentaires et non au coût le plus faible pour la société ? Cette question
alimentaires d’une population mondiale croissante de l’efficacité en coût est à la base de l’économie de
soulève diverses questions : comment optimiser la l’environnement. L’efficacité en coût implique de
production agricole et, plus largement, les usages mobiliser en priorité les potentiels d’atténuation là
des sols dans ce contexte ? Comment inciter pro- où ils sont les moins coûteux. Parce que les condi-
ducteurs et consommateurs à modifier efficacement tions de production, et donc les coûts de réduction

38] © Pour la Science - INRA 2015


des émissions sont hétérogènes, il n’y montré que, même avec des hypothèses par l’Union européenne en 2009, vise
a aucune raison pour que la répartition relativement conservatrices quant au à augmenter la part des énergies re-
de l’effort d’atténuation soit uniforme potentiel d’atténuation, l’agriculture nouvelables, réduire les émissions de
d’un individu, d’une région ou d’un française serait à même de réduire ses dioxyde de carbone et accroître l’effica-
secteur à l’autre. La difficulté est alors émissions de 10  pour cent par rapport cité énergétique. Il contient des objec-
de s’assurer que les décisions prises à 2005 à un coût de l’ordre de 35  euros tifs ambitieux de réduction des émis-
par l’ensemble des agents permettent par tonne d’équivalent dioxyde de car- sions à l’horizon  2020 pour les secteurs
d’atteindre un objectif au coût total le bone. Ce coût, comparable à celui qui non couverts par le marché européen
plus faible. L’économie de l’environ- prévaut dans les autres secteurs de du carbone (agriculture, secteur rési-
nement a montré que les instruments l’économie, indique que l’agriculture a dentiel, transports). Ces objectifs ont
économiques sont efficaces pour orien- un rôle important à jouer pour que la fait l’objet d’un accord de « partage de
ter les décisions microéconomiques France atteigne ses objectifs d’atténua- l’effort » entre les pays européens.
dans ce sens. Le principe est simple  : en tion au moindre coût. Nos résultats montrent que le coût
transmettant un signal (sous la forme Le même modèle a été appliqué au de l’atténuation pour le même objec-
d’une taxe ou du prix d’un marché de niveau européen pour évaluer les gains tif environnemental (10 pour cent de
quota d’émissions) reflétant la valeur en efficacité permis par la mise en place réduction au niveau européen en 2020
de l’effet causé par les émissions, on d’un marché des droits à émettre des par rapport aux niveaux de 2005) pour-
incite chaque agent à intégrer cette gaz à effet de serre au sein de l’agricul- rait être divisé par deux par rapport
valeur dans ses choix de production ture dans le cadre des objectifs du pa- à ce qu’impliquerait le respect par
ou de consommation, ce qui améliore quet énergie-climat. Ce dernier, adopté chaque pays de ses objectifs fixés par
l’efficacité globale.

Évaluer les coûts


et les potentiels d’atténuation
Pour analyser la répartition efficace de
l’effort d’atténuation au sein du secteur
agricole, il est nécessaire de mesurer
les coûts et les potentiels d’atténuation,
ainsi que leur distribution dans l’espace Quel rôle pour le consommateur ?
et selon les types d’exploitations. De En France, l’alimentation, qui représente environ 30 pour cent des impacts « gaz à effet de
telles évaluations peuvent être fournies serre », a aussi des effets – positifs ou négatifs – sur la ressource en eau, la biodiversité,
par des modèles microéconomiques de l’emprise territoriale. La phase de production agricole représente la proportion la plus impor-
l’offre agricole. Ces derniers décrivent tante de la plupart de ces impacts, selon une approche « cycle de vie » de la chaîne alimen-
le comportement économique d’un taire prenant en compte la production agricole, le stockage et la transformation des denrées
grand nombre d’exploitations repré- alimentaires, leur transport, leur distribution, leur consommation et la gestion des déchets.
sentatives de la diversité des condi- Les inventaires de cycle de vie des produits agricoles mettent en évidence des im-
tions de production agricole en fonc- pacts très différents par kilogramme de produit, selon le type de denrée (produits végé-
tion des prix, des dispositifs d’aides taux ou animaux, type de viande), mais aussi selon le mode de production (plein champ
et des contraintes agronomiques et ou sous serre chauffée, élevage extensif ou classique). Toutefois, chaque aliment, qui
zootechniques qui s’appliquent aux répond à des besoins nutritionnels différents et à des attentes économiques et sociales
différentes productions dans divers variées, peut avoir sa place dans une alimentation équilibrée.
contextes. Ils permettent de simuler les Quel rôle peut jouer le consommateur ? Tout d’abord, il peut prendre conscience du
conséquences de l’introduction de telle lien entre son alimentation et l’environnement. Une première action simple et économique
ou telle politique publique sur les choix consiste à limiter le gaspillage alimentaire, qui représente environ 30 kilogrammes par
de production, les émissions et les re- personne et par an d’aliments jetés : autant d’aliments qu’il a fallu produire, transformer,
venus des exploitants. stocker. Par ailleurs, il peut faire évoluer son régime alimentaire : la surconsommation
Ce type de modèle a été appliqué alimentaire, l’alimentation de type occidental très riche en produits animaux, sucres et
graisses, la consommation d’alcool ou de boissons sucrées, augmentent l’empreinte envi-
Aprilphoto / Shutterstock

au secteur agricole français qui, malgré


ronnementale de la consommation alimentaire, mais constituent également des facteurs
une contribution importante aux émis-
de risque pour la santé. Enfin, le consommateur peut favoriser certains modes et lieux de
sions (environ 20   pour cent des émis-
production, en sélectionnant des produits portant des labels reconnus, et en évitant les
sions françaises), est largement absent
fruits et légumes hors saison.
des dispositifs français de lutte contre Sarah Martin et Vincent Colomb, ADEME
l’effet de serre. En 2011, nous avons

© Pour la Science - INRA 2015 [39


le partage de l’effort. Cette réduction Sans de telles incitations, le coût total de dans l’utilisation des intrants (éner-
des émissions agricoles serait obtenue l’effort peut apparaître trop important, gie, engrais, produits phytosanitaires,
à un prix compris, à l’équilibre, entre favoriser l’inaction, alors même que semences, irrigation), dans le cadre
30 et 40 euros par tonne d’équivalent des potentiels d’atténuation existent. d’une agriculture raisonnée. Dans les
dioxyde de carbone. L’agriculture et la forêt sont in- modèles conçus pour être plus favo-
En outre, l’efficacité ne doit pas être fluencées par le climat. Les projections rables à l’environnement, on travaille
évaluée à l’aune des conséquences sur faites à différents horizons sont condi- sur les systèmes où les intrants sont
le seul secteur agricole. L’atténuation tionnées par les techniques que l’on limités. En revanche, les modélisations
obtenue dans le secteur agricole pour- connaît aujourd’hui, mais que l’on fait sont plus compliquées quand il s’agit
rait se substituer en partie aux actions évoluer pour en améliorer l’efficacité. de prévoir l’apport des progrès de
les plus coûteuses dans les autres sec- Ainsi, au prix d’un effort de recherche la génétique, du développement des
teurs de l’économie, permettant de soutenu, la consommation d’énergie OGM, de la mise au point de nouvelles
réduire les coûts totaux d’atténuation. par unité de service rendu décroîtra. variétés. Ce champ de l’adaptation
Ainsi, l’extension du marché du car- En agriculture, par exemple, on relève pour une part des politiques de
bone européen aux émissions agricoles anticipe une plus grande efficacité recherche et de développement. Or,
permettrait de réduire de 30   pour cent
le coût d’atténuation consenti par les
autres secteurs de l’économie (soit une Les biocarburants en question
économie annuelle de plus de deux
La contribution des biocarburants de première génération à l’atténuation des change-
milliards d’euros) pour le même objec-
ments climatiques suscite, depuis plus de cinq ans, de vifs débats dans la communauté
tif global de réduction des émissions à
scientifique et dans les milieux politiques. Ce potentiel a été évalué par des analyses
l’horizon   2020.
dites en cycle de vie qui comptabilisent les émissions de gaz à effet de serre de la phase
La participation de l’agriculture à de production jusqu’à la phase de consommation. Toutefois, il a été estimé de façon in-
l’atténuation peut également passer complète, car il ne considère pas les effets indirects du développement de ces filières.
par la fourniture de biomasse, source En effet, comme la demande de matières premières agricoles utilisées pour produire des
d’énergie. À la faveur de prix élevés de biocarburants augmente, cela entraîne une tension sur les marchés, une hausse des prix,
l’énergie, les biocarburants sont appa- une incitation à produire, et donc potentiellement la conversion en terres agricoles de
rus au cours des années 2000 comme parcelles initialement non destinées à de tels usages. Ce changement d’usage libère le
un moyen de diversifier l’offre énergé- carbone stocké dans les sols et dans la biomasse qui s’y était développée.
tique tout en assurant des débouchés Le calcul de ces quantités de carbone libéré, combiné au bilan des biocarburants, est com-
aux agriculteurs et en réduisant les plexe et confronté à des incertitudes. Il fait appel à divers modèles, notamment écono-
émissions de gaz à effet de serre dans miques. Les différentes estimations de ces émissions réalisées à travers le monde sont
le secteur des transports. Toutefois, variables, et le bilan en termes de gaz à effet de serre libéré par ces filières peut être nota-
les effets indirects du développement blement dégradé, comme le confirme l’évaluation réalisée en 2012 par l’INRA à la demande
des biocarburants sur les changements de l’ADEME. D’après la moitié des évaluations publiées, en tenant compte des émissions
d’usage des sols ont remis en cause le liées aux changements d’usage des sols, on constate que les émissions liées à l’usage
bilan net en termes d’émissions (voir des biocarburants de première génération seraient supérieures à celles des carburants
l’encadré ci-contre). Au-delà de cette fossiles. Les recherches sont à poursuivre pour préciser ces bilans et identifier des voies
controverse, il apparaît que les liens d’amélioration. Au-delà des biocarburants, il conviendra d’intégrer les émissions de gaz
complexes entre atténuation de gaz à à effet de serre liées aux effets indirects des différentes politiques d’usage des sols, par
effet de serre et usages des sols peuvent exemple les autres cultures énergétiques, le développement de l’élevage ou encore l’urba-
nisation des terres agricoles.
avoir des effets opposés en termes
Antonio Bispo, ademe
d’émissions de gaz à effet de serre.
Cela nécessite de prendre en compte
simultanément l’ensemble des usages
des sols (notamment l’agriculture et la
SassyWitch-Studio / Shutterstock

forêt) dans les modèles économiques.


Les résultats confirment l’impor-
tance des instruments économiques
pour inciter les exploitants à modifier
leurs modes de production et, ce fai-
sant, à réduire leurs émissions au meil-
leur coût pour l’ensemble de la société. La canne à sucre peut être utilisée pour produire des biocarburants.

40] © Pour la Science - INRA 2015


Cultures annuelles : +4,65 Mha Prairies : –8,49 Mha Forêts : +0,27 Mha Urbain : +1,91 Mha

100

50
D’après J.-S. Ay et al., 2014

-50

-100

Variations d’usage des sols prévues d’après l’un des scénarios utilisés pour modéliser les conséquences du changement climatique. Ces variations
représentent l’évolution prévue entre 2003 et 2053 des surfaces dédiées à quatre usages (de gauche à droite  : les cultures annuelles, les prairies,
les forêts et les zones urbanisées). Sur ces cartes, les surfaces sont exprimées en dizaines d’hectares par maille de 12 kilomètres sur 12.

sous l’effet du changement climatique, duction sont susceptibles de modifier agricoles européens, la hausse des ren-
les exploitants agricoles (tout comme les revenus issus des différents usages dements pourrait se traduire par une
les autres agents économiques), adap- des sols, qu’ils soient agricoles, fores- hausse des émissions d’oxyde d’azote,
teront leur pratique agronomique tiers, mais aussi urbains. Au-delà des N2O, liées à l’augmentation de l’utili-
aux nouvelles conditions, comme ils impacts sur les systèmes agricoles et sation d’amendements azotés. Cela in-
s’adapteraient à tout changement de forestiers, les modifications du climat fluera sur les stratégies d’atténuation,
politique publique. Ce changement se auront des conséquences sur les mar- qui sont elles-mêmes susceptibles d’en-
fera de façon autonome, et sera diffi- chés fonciers et sur l’usage des sols. gendrer une dynamique d’adaptation.
cile à intégrer dans les modèles écono- C’est ce qu’ont étudié Jean-Sauveur Cette dynamique dépend en grande
miques globaux. Ay et ses collègues de l’INRA. À partir partie de celle des émissions et de leur
de données historiques sur les usages effet retardé sur le climat. Les gaz à ef-
L’économie de l’adaptation des sols français, ils ont évalué les fet de serre, avec des temps de présence
En 2013, David Leclère et ses collègues, liens entre les revenus espérés de cinq dans l’atmosphère et des influences
de l’INRA et du Laboratoire des sciences usages (cultures annuelles, prairies, fo- différents, contribuent à rendre cette
du climat et de l’environnement, ont rêt, cultures pérennes et usage urbain) dynamique complexe à analyser. Du
mis en évidence les effets d’une adap- et les conditions climatiques. Leurs point de vue économique, il faut aussi
tation autonome des exploitations agri- résultats indiquent que le changement comparer les efforts et les bénéfices réa-
coles à l’échelle de l’Union européenne climatique à l’horizon   2050 modifierait lisés aujourd’hui à ceux qu’il faudrait
dans deux scénarios climatiques. Les notablement les usages en France (voir consentir demain si l’on attend.
productions des terres agricoles et leur la figure  ci-dessus). Ils font apparaître Mais la complexité ne doit pas
localisation changeraient, ainsi que les une diminution des prairies (perdant servir de prétexte à l’inaction. Si l’on
émissions agricoles de gaz à effet de environ 8,5 millions d’hectares) au pro- connaît les difficultés à mettre en œuvre
serre, avec une évolution marquée des fit de cultures annuelles (gagnant près la régulation d’une pollution, même
besoins en eau. Il n’est pas exclu qu’aux de 5   millions d’hectares). Les prairies quand elle est aussi simple à caractéri-
conditions actuelles de prix, les agricul- stockant d’importantes quantités de ser que celle des eaux naturelles par les
teurs européens bénéficient de ces évo- carbone, de telles évolutions auraient nitrates, et quelle que soit la confiance
lutions. C’est même le scénario associé des conséquences notables sur les que l’on puisse avoir dans le progrès
à la hausse la plus marquée des tem- émissions dues aux usages des sols. technique, un principe élémentaire de
pératures qui semble le plus favorable. Ainsi, en s’adaptant, les systèmes précaution devrait nous obliger à agir
Au Sud comme au Nord, la disponibi- vont modifier de façon sans doute rapidement pour limiter les consé-
lité de la ressource en eau pourrait de- notable, à la baisse ou à la hausse, les quences localement incertaines, et glo-
venir l’enjeu principal. Inévitablement, émissions de gaz à effet de serre. On es- balement importantes, du changement
se posera le problème de l’accès à la time que, chez beaucoup d’exploitants climatique.
ressource en eau au bon endroit et au
bon moment. Par ailleurs, avec l’aug-
mentation de la demande alimentaire, Bibliographie
les prix agricoles pourraient augmen-
ter, comme on l’observe déjà depuis J.-S. Ay et al., Integrated models and scenarios of climate, land use and common birds
dynamics, Proceedings of the Global Land Project, 2nd Open Science Meeting, Berlin, 2014.
quelques années. Favorable dans un D. Leclère et al., Farm-level autonomous adaptation of European agricultural supply
premier temps aux producteurs, cette to climate change, Ecological Economics, vol. 87, pp. 1-14, 2013.
évolution sera freinée par une augmen- S. De Cara & P.-A. Jayet, Marginal abatement costs of greenhouse gas emissions from
tation des prix des intrants. European agriculture, cost-effectiveness, and the EU non-ETS Burden Sharing Agreement,
Ecological Economics, vol. 70(9), pp. 1680-1690, 2011.
Les impacts du changement cli- WRI (2014) : http://cait2.wri.org/profile/World
matiques sur les conditions de pro- http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/Fr_RMS_2013__.pdf

© Pour la Science - INRA 2015 [41


Des menaces
aux solutions

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Jean-François Soussana Thierry Caquet dirige Jérôme Mousset
est directeur scientifique le Métaprogramme Adaptation est chef du Service Agriculture
Environnement - INRA. au changement climatique - INRA. et forêts - ADEME.

Face au changement climatique, les recherches visent à conjuguer une baisse


des émissions de gaz à effet de serre et des adaptations qui seront,
quoi qu’il advienne, nécessaires dans un futur proche.

L
e second volume du cinquième rapport les années   2030, entre 1 et 2,5 °C par rapport aux
d’évaluation du groupe d’experts inter- années  1900. Ce réchauffement est pratiquement iné-
gouvernemental sur le climat, le GIEC, a vitable, en raison de l’inertie du système climatique.
été publié le 30 mars 2014. Il est consacré aux im-
pacts du changement climatique, aux adaptations Maîtriser les options climatiques
possibles et à la vulnérabilité des systèmes et des À partir de 2050, s’ouvre la période des options cli-
populations humaines exposées. Au terme de ce matiques au cours de laquelle la température mon-
dossier, revenons sur les principales conclusions diale dépendra d’émissions de gaz à effet de serre
pour l’agriculture, la forêt, les écosystèmes et les qui n’ont pas encore eu lieu. S’il est encore temps
populations rurales qui en dépendent. de limiter à 2 °C le réchauffement moyen à cette
Le premier volume, publié en 2013, a confirmé période, seule une réduction drastique des émis-
que le changement climatique est déjà en cours et sions mondiales de gaz à effet de serre permettra
que ses effets commencent à se manifester dans d’y parvenir. Le secteur de l’agriculture peut contri-
de nombreux systèmes naturels : réchauffement buer à cet effort. En adoptant dans chaque région
des surfaces terrestres et de la basse atmosphère ; les meilleures pratiques disponibles, une baisse de
réchauffement jusqu’à 2 000 mètres de profondeur l’ordre de 20 pour cent des émissions de méthane
dans l’océan  ; augmentation des températures et de protoxyde d’azote serait possible sans réduc-
maximales et réduction des températures mini- tion de la production. Le potentiel d’atténuation de
males  ; précipitations plus intenses ; montée du l’agriculture mondiale d’ici 2030 est estimé à près
niveau de la mer ; acidification des océans  ; réduc- de six milliards de tonnes d’équivalent dioxyde de
tion du manteau neigeux et des calottes glaciaires. carbone par an et près de la moitié de ce potentiel
Le réchauffement planétaire devrait s’accélérer au serait accessible moyennant un financement de
cours des prochaines décennies pour atteindre, dans 50  dollars par tonne de dioxyde de carbone évitée.

42] © Pour la Science - INRA 2015


Le stockage de carbone dans la formances malgré les perturbations. sification des cultures et des systèmes
matière organique des sols cultivés et Les agriculteurs s’adaptent déjà au d’élevage. Enfin, il sera nécessaire de
des prairies, ainsi que la restauration réchauffement climatique en faisant concevoir des systèmes d’irrigation
des sols dégradés présentent proba- évoluer leurs pratiques agricoles. Ces plus économes en eau, de passer dans
blement le potentiel le plus important adaptations aux aléas seront progres- certains cas du maïs irrigué au sorgho
pour la lutte contre l’effet de serre en sivement facilitées par la veille agro- (plus économe en eau) et de dévelop-
agriculture. Viennent ensuite la réduc- climatique, qui consiste à pronosti- per de petits aménagements hydrau-
tion des émissions de méthane de l’éle- quer en cours de saison l’impact du liques tout en minimisant leur impact
vage et des rizières, et la maîtrise du climat sur la production, et par des sur les milieux aquatiques.
cycle de l’azote. En outre, les émissions prévisions climatiques améliorées aux Une autre piste concerne la géné-
de gaz à effet de serre peuvent être ré- échelles du mois ou de la saison. Amé- tique végétale et animale. S’il est pos-
duites en remplaçant les combustibles liorer la gestion du risque climatique sible d’améliorer la tolérance à des
fossiles par des sous-produits agri- en agriculture nécessite aussi la diver- températures élevées des variétés
coles, par exemple, du biogaz issu de
la fermentation anaérobie de résidus
de récolte et d’effluents d’élevage.
L’expansion des biocarburants aux
dépens des cultures alimentaires par-
ticipe à la déforestation et, de manière
indirecte, aux émissions de dioxyde
de carbone de l’agriculture. En limi-
tant sous les tropiques l’extension des
cultures et des prairies semées, il serait
Andrey_Kuzmin / Shutterstock

possible de ralentir les émissions de


dioxyde de carbone causées par la défo-
restation tropicale, et la mise en culture
des savanes et des prairies natives. De
plus, les activités de boisement per-
mettent de piéger le carbone, de réduire Inventer les scénarios du futur
l’érosion des sols, et de créer des habi- Face au changement climatique, la construction de scénarios prospectifs permet d’ana-
tats favorables à la biodiversité. lyser différentes alternatives et de proposer des orientations. L’ADEME et d’autres orga-
nismes réalisent ce type de projections dont on peut dégager plusieurs enseignements
S’adapter à la variabilité climatique généraux pour l’agriculture et la forêt. En conservant la capacité de l’agriculture à nour-
D’ici 2030, la concentration atmosphé- rir une population française croissante et à exporter, il ressort que le potentiel maximal
rique élevée du dioxyde de carbone et de réduction des gaz à effet de serre pour l’agriculture se situera entre 30 et 50  pour
le réchauffement pourraient avoir des cent en  2050 selon l’ampleur des modifications envisagées, alors qu’il pourra atteindre
conséquences positives sur la croissance 90  pour cent pour d’autres secteurs. Les principales hypothèses des scénarios agricoles
de la végétation (forêts, cultures) aux la- portent sur la gestion de l’azote, la simplification du travail du sol, la méthanisation,
titudes élevées notamment. Dans l’hy- l’agroforesterie, l’alimentation animale, l’évolution vers une consommation alimentaire
pothèse d’un réchauffement progressif, plus proche des recommandations nutritionnelles.
sans augmentation de la variabilité du Les scénarios mettent en lumière l’enjeu de la gestion des stocks de carbone, car toute
climat, ces effets positifs seraient domi- variation de stock, même faible, a un impact considérable sur les bilans de gaz à effet de
nants à l’échelle de l’Europe. serre. Aussi, la préservation du capital carbone dans les sols (maintien des prairies et des
Toutefois, la variabilité du climat teneurs en matière organique) constitue un élément important dans les hypothèses rete-
risque de se renforcer, avec selon les nues. Cela passe également par un arrêt d’ici 2030 de l’artificialisation des sols (étalement
régions et les saisons une augmenta- urbain, voirie, etc.), pour préserver l’espace agricole et forestier.
Par ailleurs, la plupart les projections montrent un rôle croissant et stratégique de la
tion de la fréquence et de l’intensité
biomasse dans l’énergie. Dans le scénario ADEME, la biomasse pourrait fournir en 2050
des canicules et des sécheresses ou, au
30  pour cent de l’énergie consommée en France. Pour atteindre cet objectif, il faudrait
contraire, des précipitations intenses
d’abord réduire la consommation d’énergie de 50  pour cent, mieux valoriser la forêt et fa-
et des inondations. Face à ces risques
voriser le développement de la méthanisation agricole. Enfin, les simulations mettent en
climatiques, les systèmes de produc- exergue la question essentielle de la gestion de l’eau, avec un recours accru à l’irrigation,
tion doivent devenir plus résilients, alors même que la ressource devrait être de plus en plus limitée.
c’est-à-dire capables de bonnes per-

© Pour la Science - INRA 2015 [43


végétales et des races animales –  et multiplieront. Mais des opportunités risques du changement climatique dans
de produire des plantes résistantes à pourraient se développer pour l’agri- un tel scénario seront amplifiés par les
la sécheresse ou à un excès d’eau  –, il culture aux latitudes élevées. Ainsi, les rétroactions entre les ressources en eau
sera beaucoup plus difficile de le faire pays nordiques pourraient cultiver du et en sols, la végétation et le climat à
sans réduire le potentiel de produc- maïs, même si les rendements seront l’échelle régionale. Des sécheresses et
tion durant les années favorables. Un vraisemblablement irréguliers du fait des canicules fréquentes réduisent la
effort considérable de recherche doit des risques de gelées. La vigne devrait productivité des écosystèmes et des
donc être engagé, notamment pour pouvoir s’étendre au Royaume-Uni, cultures, ce qui limite l’apport de ma-
sélectionner les meilleurs phénotypes au Danemark et remonter en Europe tière organique au sol et le taux de cou-
dans des environnements modifiés centrale. Toutefois, le potentiel des verture par la végétation. Il en résulte
pour correspondre aux conditions cli- sols et la disponibilité en eau limite- une dégradation des sols, qui réduit
matiques du futur. Plusieurs cycles ront dans certains cas la remontée en leur capacité à retenir l’eau, renforçant
de sélection seront nécessaires, cha- latitude des zones de cultures. ainsi les risques de sécheresses.
cun nécessitant une dizaine d’années De plus, la sécheresse et la canicule
environ, ce qui souligne l’urgence des Et si la température entraînent d’importantes pertes de
efforts à entreprendre. augmentait de 4 °C  ? carbone des écosystèmes : on estime à
La question de la santé végétale, Dans l’hypothèse d’un réchauffe- quelque 0,5 milliard de tonnes la perte
animale et humaine se posera éga- ment global atteignant 4 °C à la fin du de carbone durant l’été 2003 en Europe.
lement puisque les risques liés à des XXIe siècle, les extrêmes climatiques se Une récurrence accrue de ces extrêmes
maladies vectorielles tendront à aug- renforceraient notablement. En Europe, pourrait transformer en savane des
menter. Comme l’usage des pesticides les canicules et les sécheresses estivales forêts aussi importantes que l’Ama-
et des antibiotiques en agriculture doit toucheraient surtout la moitié Sud du zonie. Le pourtour méditerranéen, qui
être réduit, la maîtrise de la santé ani- continent, tandis que les épisodes de sera particulièrement touché par les
male et végétale deviendra plus exi- précipitations intenses se généralise- canicules et les sécheresses, serait éga-
geante. Les stratégies de surveillance raient principalement à l’automne et lement menacé par une dégradation
épidémiologique et de gestion des en hiver (voir la figure page ci-contre). Les marquée des sols et de la végétation.
risques sanitaires devront être renfor-
cées en conséquence.
Les pistes d’adaptation seront plus Recherches pour l’adaptation au changement climatique
restreintes pour les forêts, qui sont par- Sur la décennie 2010-2020, l’Inra développe un programme prioritaire sur l’adaptation
ticulièrement sensibles aux aléas clima- au changement climatique de l’agriculture et de la forêt. Ce programme a trois objec-
tiques (sécheresses, tempêtes et incen- tifs  : gérer les risques et les opportunités à moyen terme associés à la variabilité et aux
dies). Cette vulnérabilité menace non extrêmes du climat ; prévoir et modéliser les impacts régionaux du changement clima-
seulement la production de bois, de tique  ; développer des options d’adaptation pour le long terme. Ces options concernent
fibres et de bioénergie, mais elle risque aussi bien la biodiversité sauvage et cultivée (ressources génétiques), la santé des éco-
également d’affaiblir le puits de car- systèmes, des plantes et des animaux d’élevage, la génétique végétale et animale, la ca-
bone que représente la forêt au niveau pacité d’adaptation des systèmes de production, des territoires et des filières. Les tech-
mondial. Il sera nécessaire d’accroître nologies développées devront être compatibles avec la réduction des émissions de gaz à
la biodiversité des forêts, de guider effet de serre et la conservation des stocks de carbone des sols et des forêts. Les coûts
l’évolution génétique au sein des es- et les bénéfices des mesures d’adaptation seront analysés en termes de compétitivité
pèces forestières, de favoriser le renou- économique, de biodiversité, de ressources en eau et en sols, de satisfaction des besoins
vellement des arbres par des rotations alimentaires, et de qualité et sécurité sanitaire des produits. Le programme aborde aussi
accélérées et de limiter l’ampleur des les besoins de formation, les modes d’organisation collective et les politiques publiques.
incendies par des aménagements.
Certains territoires seront particu-
lièrement touchés : en zone littorale,
en raison de la salinisation et de l’inon-
dation d’une partie des sols et de l’éro-
sion accélérée des côtes ; en zone de
Yu Lan / Shutterstock

montagne, du fait d’un dépérissement


accru des forêts ; dans les plaines inon-
dables, où les dommages aux parcelles,
aux bâtiments et aux infrastructures se

44] © Pour la Science - INRA 2015


Canicules Sécheresses Fortes pluies hivernales
D’après D. Jacob et al., Reg. Environ. Change, 2013

Événements climatiques extrêmes en Europe à la fin du siècle (années 2071-2100 comparées aux années 1971-2000) pour un scénario de fortes
émissions de gaz à effet de serre (les zones de forte augmentation sont en rouge pour les canicules et les sécheresses, en bleu pour les pluies).

Dans un scénario à +4 °C, on verrait réduit les émissions de gaz à effet de développement. Dans les pays indus-
apparaître des risques systémiques serre (atténuation) et améliore la sécu- trialisés, ce sont principalement les gas-
du changement climatique à la fin du rité alimentaire et le développement. pillages d’aliments dans la distribution
XXIe siècle  : réduction des ressources Des systèmes plus résilients peuvent et la consommation qu’il faudra limiter.
en eau souterraines et superficielles avoir des effets secondaires bénéfiques À l’échelle d’un pays comme la
exacerbant les concurrences entre comme la séquestration du carbone et France, des scénarios illustrent le
l’agriculture et les autres secteurs, des réductions de gaz à effet de serre potentiel d’une transition écologique
forte réduction du potentiel de pro- par unité de produit. Une intensifica- qui permettrait de réduire d’ici 2050
duction des forêts européennes et de tion agricole durable permettrait de de 30 à 50   pour cent les émissions de
la valeur du foncier, baisse des rende- combler les déficits de rendement et gaz à effet de serre en agriculture (voir
ments agricoles et réduction de l’en- d’augmenter l’efficacité d’utilisation l’encadré page 83). L’augmentation de
semble des services des écosystèmes des ressources naturelles par l’agri- la résilience des systèmes agricoles n’a
en Europe du Sud. Les conséquences culture, en particulier dans les pays en pas encore été suffisamment explorée
économiques d’un réchauffement de développement. Cette stratégie pour- dans ces scénarios, même si plusieurs
cette ampleur ont été estimées à une rait améliorer la sécurité alimentaire et options ont été proposées.
perte annuelle moyenne du produit contribuer à atténuer les changements Les efforts de recherche en cours
intérieur brut de un pour cent par an climatiques en mettant un terme à la devraient contribuer à combler cette
pour l’ensemble de l’Europe, alors que déforestation et à l’expansion de l’agri- lacune et à dégager les bases d’une
la croissance moyenne historique du culture sur des écosystèmes sensibles. transition écologique de l’agricul-
produit intérieur brut européen a été Les changements alimentaires et les ture, de la forêt et de la gestion de la
de deux pour cent par an. politiques bioénergétiques peuvent éga- biodiversité (voir l’encadré page 43). À
À l’échelle mondiale, la hausse de lement contribuer. Par exemple, passer brève échéance, ces recherches pour-
la demande alimentaire liée à la crois- d’une consommation de viande d’ani- raient aussi contribuer à évaluer les
sance démographique et à l’accroisse- maux (bovins, ovins) nourris au grain potentiels des politiques à mener dans
ment des richesses pourrait dépasser à celle d’animaux nourris à l’herbe et la perspective d’un nouvel accord de
dans ce scénario l’offre alimentaire ne pas utiliser les cultures alimentaires l’ensemble des pays, en développe-
étant donné les impacts négatifs du comme source de biocarburants pour- ment, émergents et industrialisés. Cet
changement climatique. Il en résulte- rait améliorer la disponibilité mondiale accord sera discuté lors de la négocia-
rait une baisse de la sécurité alimen- de calories et réduire les impacts envi- tion internationale qui aura lieu à Paris
taire mondiale et une augmentation de ronnementaux de l’agriculture. Il s’agit fin 2015 dans le cadre de la XXIe confé-
la mortalité infantile. aussi de réduire les pertes après récolte, rence des parties à la Convention
par l’amélioration du stockage et du cadre des Nations unies sur le change-
Vers la transition écologique transport des aliments dans les pays en ment climatique.
Pour éviter ce scénario du pire, il faut
trouver des solutions rendant compa-
tibles la production agricole, la réduc- Bibliographie
tion des gaz à effet de serre et l’adap- J.-F. Soussana (coord.), S’adapter au changement climatique, Agriculture,
tation au changement climatique. écosystèmes et territoires, Quae, 2013.
L’agriculture intelligente face au climat S. Pellerin et al., Quelle contribution de l’agriculture française à la réduction des émissions
de gaz à effet de serre ?, INRA, 2013.
a été définie comme une agriculture D. Jacob D. et al., EURO-CORDEX : New high-resolution climate change projections for European
qui augmente durablement la pro- impact, Regional Environmental Change, 2013.
ductivité et la résilience (adaptation), J. Ciscar et al., Physical and economic consequences of climate change in Europe, PNAS, 2010.

© Pour la Science - INRA 2015 [45


Le métaprogramme
Adaptation au Changement Climatique
de l’Agriculture et de la Forêt (ACCAF)
de l’inra

Thierry CAQUET, Directeur Jean-Marc GUEHL, Nathalie BREDA, membre de la cellule


du métaprogramme ACCAF et Chef Directeur de l’UMR Écologie de coordination du métaprogramme ACCAF,
du département Ecologie des Forêts, et Écophysiologie Forestières chercheur à l’UMR Écologie et Écophysiologie
Prairies et Milieux Aquatiques de l’INRA. INRA-Université de Lorraine à Nancy. Forestières INRA-Université de Lorraine à Nancy.

L
e deuxième volume du 5e rapport du Groupe est aussi attendue. Enfin, même si le déploiement
d’experts intergouvernemental sur l’évolu- des stratégies d’adaptation actuellement envisa-
tion du climat (GIEC), publié en mars 2014, gées permettra de pallier en partie les effets ad-
fait une synthèse des connaissances sur les impacts verses du changement climatique, leur efficacité
du changement climatique, les possibilités d’adap- variera fortement selon les cultures et selon les ré-
tation et la vulnérabilité de différents secteurs dont gions du globe. Dans ce contexte, il est essentiel de
la production et la sécurité alimentaires. Il ressort mobiliser les capacités de recherche, d’innovation
de ces travaux que des effets négatifs, mais aussi et de transfert dans de nombreuses disciplines.
parfois positifs, du changement climatique sur les Face aux besoins de recherche liés non seu-
cultures (notamment les céréales) et la production lement au changement climatique mais aussi à
alimentaire sont clairement mis en évidence dans d’autres grands enjeux, l’Institut national de la
plusieurs régions du monde. Le changement cli- recherche agronomique (INRA) s’est engagé dans
matique est en partie responsable de la stagnation le déploiement de programmes transdisciplinaires,
des rendements de grandes cultures comme le blé les métaprogrammes (voir l’encadré page 49). Ces
en France, l’ampleur de cet impact variant selon programmes transversaux, d’une durée minimale
l’espèce, la région, les scénarios de climat futur. de cinq ans, ont été mis en place progressivement
Les projections des rendements attendus pour les à partir de 2010. Ils sont destinés à structurer et
prochaines décennies sont de plus en plus pessi- à coordonner les activités et projets de recherche
mistes à mesure que l’on se rapproche de la fin du pour relever quelques défis majeurs scientifiques
xxie siècle, le sud de l’Asie et de l’Afrique étant les ou de la société. En particulier, un programme
régions les plus vulnérables. Une plus forte varia- prioritaire sur l’Adaptation au changement clima-
bilité entre années et entre régions des rendements tique de l’agriculture et de la forêt, ACCAF, a été

46] © Pour la Science - INRA 2015


lancé en 2011. Le premier objectif de ce les disciplines, il constitue un cadre recherches en cours. Le recours à des
Jean Weber/INRA

programme est de coordonner, inciter cohérent pour les différents projets à démarches basées sur un ensemble de
et intégrer les efforts de la recherche moyen terme liés à la thématique de modèles (ou démarche ensembliste)
agronomique pour contribuer à lever l’adaptation au changement clima- permettant d’estimer le niveau de
les verrous de connaissances et socié- tique de l’agriculture et de la forêt. confiance d’une projection est une pra-
taux qui pourraient freiner l’adap- tique courante en climatologie, comme
tation. Cette stratégie intégrative, Pluridisciplinarité et intégration par exemple dans le cas des travaux
associant des partenaires nationaux au cœur de la démarche du GIEC. Elle est en revanche beau-
et étrangers, académiques ou socio- Dans le cas du métaprogramme coup plus récente en agronomie. Des
professionnels, devrait produire des ACCAF, des compétences en sciences programmes internationaux comme
résultats et des avancées rapides, par humaines et sociales, agronomie, éco- AgMIP (Agricultural Model Intercompa-
exemple dans l’évaluation multicritère logie, génétique, écophysiologie, zoo- rison and Improvement Project) et MAC-
des options d’adaptation. Le second technie, économie, modélisation sont SUR (Modelling European Agriculture
objectif est de renforcer l‘action de la mobilisées pour couvrir une large part with Climate Change for Food Security)
recherche agronomique française dans du spectre des problématiques posées concernant la modélisation de la pro-
le paysage national, européen et inter- par l’adaptation au changement clima- ductivité des grandes cultures ou des
national. tique. La stratégie adoptée fait de plus prairies sont actuellement en cours.
la part belle aux approches intégrées La communauté scientifique soutenue
Le prolongement par filière ou par territoire. par le métaprogramme ACCAF par-
d’une réflexion prospective Ainsi par exemple, construire et ticipe ainsi aux évaluations de rende-
Alors que les travaux de la commu- accompagner les processus d’adapta- ment par les modèles français pour les
nauté française et internationale sur tion des filières agro-alimentaires au prairies, le maïs ou le blé. La mise en
les impacts du changement clima- changement climatique représente un commun de modèles permet de simu-
tique et sur la vulnérabilité des agro- enjeu majeur. Par essence pluridisci- ler l’impact des scénarios climatiques
et écosystèmes montaient en puis- plinaire, la démarche adoptée favorise futurs avec une fiabilité nouvelle. Ces
sance, l’INRA a piloté un atelier de les interactions entre les scientifiques, actions permettent aussi de comparer
réflexion prospective, baptisé ADAGE les acteurs du développement et ceux et d’améliorer les modèles, de renfor-
(Adaptation de l’agriculture et des de la filière concernée. La construction cer les liens au niveau international
écosystèmes anthropisés au change- d’une vision commune des futurs pos- entre les modélisateurs et de participer
ment climatique), lancé en 2009 par sibles et des questions principales pour à de nouveaux projets. Par exemple, la
l’Agence nationale de la recherche. Le la filière est une étape initiale indispen- communauté internationale discute
métaprogramme ACCAF a largement sable pour l’élaboration de scénarios des performances et robustesses com-
bénéficié des conclusions de cette ré- prospectifs d’adaptation. Ce type de parées entre des modèles de différents
flexion scientifique qui a identifié les démarche est fortement encouragé, par types (semi-empiriques, corrélatifs ou
recherches nécessaires à l’adaptation exemple dans le cas de la filière vigne basés sur les processus). Les premiers
au changement climatique des milieux et vin : Quels sont les leviers biotech- travaux montrent que le classement
et des systèmes de production gérés niques pour maintenir la production de des modèles quant à leur capacité à
par l’homme. Parmi les nombreuses raisin, en quantité et qualité, sous climat évaluer les rendements change selon
questions, celles de l’adaptation de futur ? Quels risques et parades face à qu’ils sont utilisés en utilisant des
l’élevage aux évolutions du climat, des l’augmentation des aléas climatiques ? données de climat passé et présent ou
marges de manœuvre dans les itiné- Les méthodes de vinification peuvent- avec des données issues de scénarios
raires culturaux et sylvicoles pour faire elles s’adapter pour faire face à une de climat futur.
face aux aléas climatiques extrêmes ou augmentation des teneurs en sucres
encore de la compréhension de la sta- des baies ? Les goûts et préférences des Des dimensions de travail
gnation du rendement du blé ont été consommateurs sont-ils susceptibles multiples
abordées. ACCAF constitue ainsi une de changer ? Comment accompagner Depuis 2011, le métaprogramme ACCAF
mise en œuvre des priorités scienti- ces évolutions ? Toutes ces questions en a permis de soutenir plus de 25 projets
fiques identifiées dans les domaines cascade depuis le producteur jusqu’au de recherche nationaux et des réseaux
pris en charge par l’INRA et ses parte- consommateur s’accompagnent d’éva- internationaux permettant d’élargir les
naires du groupe thématique « Climat : luations multicritères, d’innovation et gammes climatiques ou la diversité des
évolution, adaptation, atténuation de réflexions prospectives. ressources animales ou végétales. Ils
et impacts  » de l’Alliance nationale La modélisation des impacts du concernent les cultures annuelles et pé-
de recherche pour l’environnement, changement climatique sur l’agricul- rennes, l’élevage, la forêt, la biodiversité
AllEnvi. En stimulant le dialogue entre ture constitue aussi un enjeu fort des ainsi que les ressources en eau et en sol.

© Pour la Science - INRA 2015 [47


Il a aussi contribué au soutien à la forma- changement climatique sur l’agricul- serre et d’augmenter la séquestration
tion de jeunes chercheurs grâce au finan- ture et les écosystèmes peu anthropi- du carbone. Les travaux soutenus par
cement de bourses de thèse et permis sés (prairies permanentes, forêts) ; ACCAF dans le domaine agronomique
l’accueil de chercheurs post-doctorants. ●  la compréhension et la maîtrise des contribuent à cette démarche.
Les actions du métaprogramme principaux effets du changement cli-
peuvent être classées selon un ordre matique sur la biodiversité, son évo- Une gouvernance adaptée
qui correspond globalement à des lution ainsi que celle de la santé des La gouvernance du métaprogramme
temps de réponse croissants des sys- écosystèmes, des agro-systèmes et des est assurée par une cellule de coor-
tèmes, du court au long terme, et à animaux d’élevage ; dination et un comité scientifique
une gradation de l’intensité et du ca- ●  l’amélioration génétique des es- international. Ils définissent ensemble
ractère ‘actif’ de l’adaptation : depuis pèces cultivées ou domestiquées et l’orientation stratégique du pro-
les mesures tactiques, palliatives ou des animaux d’élevage vis-à-vis des gramme et s’assurent que les objectifs
d’accompagnement exploitant les modifications du climat et de ses sont atteints. Un comité de porteurs
marges de manœuvre et les progrès conséquences, et le renforcement de d’enjeux permet d’impliquer les com-
techniques, jusqu’à des ruptures la capacité d’adaptation des systèmes munautés de praticiens, les ONG et
techniques, des transformations de de culture, des systèmes de produc- les décideurs publics intéressés par les
filière et d’organisation collective né- tion et des filières ; activités du métaprogramme.
cessitant une forte innovation socio- ●  le développement de technologies La cellule de coordination est
technique et des évaluations de fai- innovantes de l’adaptation compa- composée de chercheurs et ingé-
sabilité socio-économiques. Du point tibles avec les enjeux d’atténuation par nieurs de l’Inra, choisis pour leurs
de vue de la démarche de recherche, réduction des émissions de gaz à effet compétences scientifiques ou leur
les actions s’organisent aussi selon de serre ; connaissance des enjeux et outils in-
un gradient d’intégration qui asso- ●  l’identification des coûts et des bé- ternationaux. Elle élabore et gère les
cie des observations historiques et néfices de mesures d’adaptation au appels à projets de recherche, évalue
actuelles sur les agrosystèmes, les regard de différents enjeux (compéti- et sélectionne les actions internatio-
écosystèmes et les socio-systèmes, tivité économique, biodiversité, res- nales, arbitre les bourses de thèses et
des expérimentations manipulant sources en eau et en sols, satisfaction sélectionne les thématiques confiées
l’une ou l’autre des composantes des des besoins alimentaires, qualité et à des post-doctorants. Elle met en
systèmes, de la modélisation per- sécurité sanitaire des produits) ; œuvre les recommandations du co-
mettant à la fois de l’intégration de ●  enfin, la définition de modes d’orga- mité scientifique international et tra-
connaissances et de la scénarisation nisation collective (gouvernance des vaille en interaction directe avec les
sous climat ou pratiques modifiés. territoires, assurances, formation, in- porteurs de projets. Enfin, elle assure
Des travaux d’accompagnement du novation, valorisation) susceptibles de la communication et l’animation de la
transfert et d’analyse des stratégies renforcer la capacité d’adaptation de communauté mobilisée sur les enjeux
des acteurs déjà mobilisées, associés l’agriculture et de la forêt au change- de l’adaptation à travers des inter-
à des évaluations multicritères sont ment climatique. ventions auprès des départements de
mobilisés pour proposer des inno- Lors de la conférence tenue en recherche de l’INRA, dans diverses
vations pour s’adapter de manière 2010 à La Haye sur l’agriculture, la manifestations à destination de la
efficace, économiquement réaliste et sécurité alimentaire et le change- communauté scientifique, des parte-
socialement acceptable. ment climatique, la FAO a présenté naires socio-économiques et des por-
le concept d’une « agriculture intelli- teurs d’enjeux concernés par l’adap-
Priorités définies gente face au climat ». Cette vision de tation au changement climatique de
Les objectifs prioritaires identifiés l’agriculture repose sur trois piliers : l’agriculture et de la forêt.
pour le métaprogramme sont : augmenter de façon durable la pro- Le comité scientifique interna-
● l’évaluation et la gestion des risques ductivité agricole et les revenus des tional rassemble des personnalités
et des opportunités à moyen terme as- agriculteurs afin d’atteindre les objec- scientifiques françaises et étrangères
sociés à la variabilité et aux extrêmes tifs nationaux de sécurité alimentaire qui n’appartiennent pas à l’INRA.
du climat et la définition de stratégies et de développement ; renforcer la Son rôle est d’aider à élaborer et faire
visant à anticiper et pallier les crises résilience et la capacité d’adaptation évoluer la vision stratégique à mettre
climatiques ; des systèmes agricoles et alimen- en œuvre pour répondre aux enjeux
●  la projection et la scénarisation (avec taires au changement climatique  ; scientifiques et aux innovations né-
une quantification des incertitudes rechercher des possibilités d’atté- cessaires pour adapter l’agriculture
associées) des impacts régionaux du nuer les émissions de gaz à effet de et la forêt au changement climatique.

48] © Pour la Science - INRA 2015


Le regard extérieur à l’Institut et la
notoriété NOTRE scientifique
GOUVERNANCE internationale
de ses membres permettent d’éva- LES HUIT MÉTAPROGRAMMES DE L’INRA
luer les projets à la fois sur leur qua-
lité scientifique et sur leur originalité u ACCAF : Adaptation au changement climatique de l’agriculture et de la forêt
(Coordinateur : Thierry Caquet) www.accaf.inra.fr
dans le contexte international. Ce co-
mité aide aussi la cellule de coordi- u DIDIT : Déterminants et impact de la diète, interactions et transitions
© Pascal Courtois / Inra

© Anne Jambois / Inra (Coordinateur : Jean Dallongeville) www.didit.inra.fr


nation dans l’identification des fronts
de sciences non couverts, pertinents u EcoServ : Services écosystémiques
(Coordinateur : Guy Richard)
s de la et stratégiques.
ACCAF est dirigé par le Chef du Département Ecologie
on des des Forêts,LePrairies
comité des Aquatiques
et milieux porteurs d’enjeux
(EFPA). Il u GISA : Gestion intégrée de la santé des animaux

on des a étéauconstitué
en réfère afin deEnvironnement
Directeur Scientifique servir de et point (Coordinateur : Thierry Pineau) www.gisa.inra.fr
tions estd’interaction
assisté par une cellule privilégié
de coordination, avec unles repré-
comité u GloFoods : Transitions pour la sécurité alimentaire mondiale
ion et scientifique international et un comité de porteurs
sentants des différentes communau- (Coordinateur : Alban Thomas)
d’enjeux.
isant u Latés concernées
cellule de coordination (ministères
: composée d’une etéquipe
agences u MEM : Méta-omiques des écosystèmes microbiens
MÉTAPR
es, et de de l’état,
chercheurs institutsInra,
et d’ingénieurs techniques
elle accompagneagri- (Coordinateur : Emmanuelle Maguin) www.mem.inra.fr
aires. les coles,
chercheurs gestionnaires forestiers
vers l’interdisciplinarité et des
par un travail u SelGen : Sélection génomique
es de de co-construction
milieux aquatiques, et anime la communauté
représentants naissante des (Coordinateur : Denis Milan) www.selgen.inra.fr
ns des autour de l’adaptation.
filières agricoles, pôles de compétiti- u SMaCH : Gestion durable de la santé des cultures
Adaptatio
ssions u Le comité scientifique international : composé de
vité, ONG,…).
chercheurs Son rôle
externes de renommée est deinter-
scientifique fournir (Coordinateur : Christian Lannou) www.smach.inra.fr Climatiq
ion. un avis
nationale et dusur l’adéquation
Directeur entre les acti-
Scientifique Environnement
ments de vités
l’Inra, ilen cours
a pour et les
mission de besoins,
conseiller leainsi
méta- que
ctions programme sur sa feuille de route, de suggérer des
sur l’impact des activités du métapro-
. priorités de recherche, d’identifier des partenariats CHIFFRES CLÉS ACCAF
ce au gramme
stratégiques pour
et enfin les porteurs
d’évaluer la valeur ajoutéed’enjeux.
du
ment Il a
programme. plus spécifiquement pour mis- Un budget d’environ 5 million d’euros par an, incluant les frais
u Lesion
comitéde contribuer
de porteurs au déploiement
d’enjeux : composé de repré- opérationnels et les salaires (2014).
nter- des deactivités
sentants du métaprogramme
différentes filières, des partenaires de l’Inra et
ue. et des porteurs d’enjeux institutionnels, il permet de
à l’évolution de celui-ci par la co-
rs des renforcer le lien avec ces acteurs de l’adaptation, de 25 projets soutenus, impliquant 95 unités et plus de 300 chercheurs
iques les construction
informer sur les activités de du propositions
métaprogrammeet et de

Rédaction : Cellule ACCAF / Coordination : Barbara Lacor / Création : UCPC - studio de création - février 2015
Inra (2014).
priorités
prendre en compte pour la mise
leurs attentes enbesoins.
et leurs place d’ac-
tions, l’élaboration de l’agenda straté- 12 départements scientifiques Inra impliqués: Biologie et amélioration
gique
OMITÉ SCIENTIFIQUE du métaprogramme, et la four-
INTERNATIONAL des Plantes, Caractérisation et élaboration des produits issus de l’agriculture,
niture d’avis sur la mise en œuvre de Écologie des forêts, prairies et milieux aquatiques, Environnement et
e • Philip Thornton, University of Edinburgh, agronomie, Génétique animale, Mathématiques et informatique appliquées,
cet agenda, notamment Grande-Bretagneen matière de Microbiologie et chaîne alimentaire, Physiologie animale et systèmes d’élevage,
e
nce
formation
• Emilio R. Cerezo, et deJoint transfert.
Research Center Sevilla, Santé animale, Santé des plantes et environnement, Sciences pour l’action et
Espagne
le développement, Sciences sociales, agriculture et alimentation, espace et
• Nathalie de Noblet, Laboratoire des Sciences
Un enjeu : contribuer du Climat et de l’Environnement, environnement.
au développement France d’outils
• Elias Fereres, Universidad de Córdoba,
herche, pour accompagner Espagne l’adaptation
Le Jeger,
• Michael changementImperial climatique
College London, a suscité CONTACTS
herche
l’apparition
• Peter Langridge,
d’un ensemble
Grande-Bretagne
University of Adelaide,
de nou- de services à l’échelle nationale à dif- les flux et rendements, mais il pourra
e veaux services, Australie
appelés services pour férents horizons temporels
Thierry Caquet : Directeur selon les :aussi
Anne Jambois proposer
Ingénieur d’appui des indicateurs des sys-
l’adaptation, au cœur desquels le filières, www.accaf.inra.fr
reposant sur des outils, des tèmes permettant à terme d’évaluer
nemark • Frits Mohren, Wageningen UR, Pays-Ba s
giques accaf@inra.fr
• Jean-François Soussana, Inra, France
métaprogramme ACCAF veut être ac- cartes ou des graphiques issus de l’efficacité des mesures d’adaptation.
© Grégory Véricel / Inra

(2014)
teur. Il existe d’ores et déjà un marché chaînes de modélisation agro-hydro- À partir d’une chaîne de modélisa-
ue de l’Agricultureéconomique
et de la Forêt et des acteurs spécialisés climatique. Le projet de portefeuille tion, le portefeuille balaiera différents
(bureaux d’étude, fondations, compa- de services ACCAF entend donner éléments, du climat à la ressource en
gnies d’assurances), qui proposent de forme à un portail générique permet- eau, en intégrant les activités agri-
nombreux services émergents, notam- tant à des utilisateurs publics et scien- coles ou sylvicoles et leurs liens avec
ment de scénarisation et d’évalua- tifiques de tester des options d’adap- le climat, l’irrigation et le niveau des
tion des impacts. Le métaprogramme tation. Ce portail a pour objectif à la nappes. Il s’agit de développer des
ACCAF souhaite enrichir cette offre fois de quantifier les impacts des évo- outils d’aide à la gestion intégrée et
grâce à la création d’un portefeuille lutions du climat et des pratiques sur partagée de l’eau et à l’adaptation au

© Pour la Science - INRA 2015 [49


efforts de recherche entre états-membres,
la dimension européenne constitue aussi
souvent la bonne échelle d’analyse pour
comprendre les phénomènes et couvrir
une diversité de climat et de sols. En ef-
fet, certains processus comme les flux de
gènes, la migration des espèces ou la pro-
gression des bioagresseurs nécessitent
de disposer de données à grande échelle
spatiale. Les partenariats internationaux
fournissent aussi une vision prédictive
intéressante. On sait par exemple que
le climat méditerranéen aura tendance
à s’étendre vers le Nord et l’Ouest. Les
études sur ce climat peuvent donc nous
permettre d’anticiper les futures condi-
tions de cultures et les capacités d’adap-
tation dans certaines régions françaises.
Il est aussi indispensable d’intensifier les
partenariats afin notamment de valoriser

Christian Dubraz/INRA
tous les réseaux d’observatoires environ-
L’agroforesterie, comme ici cette parcelle blé-noyers, est l’une des pistes nementaux sur le long terme présents
pour l’adaptation de l’agriculture au changement climatique, actuellement en Europe et dans le monde.
 Dans ce
explorée sous toutes les latitudes. contexte, le métaprogramme soutient
diverses initiatives au niveau européen,
changement climatique de l’agricul- pour l’Innovation et la connaissance sous la forme d’une contribution finan-
ture et de la forêt dans les territoires, sur le climat. cière à certains programmes multilaté-
les bassins versants ou le territoire raux de type ERA-NETs. Les projets sou-
métropolitain (gestion adaptative et Une dimension internationale tenus ont aussi parfois une dimension
adaptation stratégique). indispensable internationale (coopération avec l’Inde
Cette chaîne de modélisation et Le métaprogramme ACCAF s’insère ou les pays du sud de la Méditerranée
le portefeuille de services devra ré- également pleinement dans l’initiative par exemple) ou mondiale (approches de
pondre aux attentes diversifiées des européenne de programmation conjointe modélisation ensembliste appliquée aux
porteurs d’enjeux qui doivent raison- « 
Agriculture, sécurité alimentaire et cultures). Compte tenu de l’ampleur des
ner, planifier et anticiper des évolu- changement climatique », initiée par la enjeux, la coopération internationale est,
tions des systèmes de cultures, de la France et le Royaume-Uni, qui vise à coor- avec la pluridisciplinarité, l’un des en-
composition, de la productivité et de donner les programmes nationaux de re- jeux majeurs de la recherche scientifique
la santé des cultures et forêts, de leurs cherche. Au-delà de la rationalisation des dans ce domaine.
modes de gestion, des usages des sols
et des eaux, et donc arbitrer entre dif- Bibliographie
férentes orientations.
Ce projet s’inscrit dans les feuilles N. Brisson, F. Levrault (ed.), Le Livre Vert du projet CLIMATOR (2007-2010).
de route des initiatives européennes Changement climatique, agriculture et forêt en France : simulations d’impacts
de programmation conjointe sur l’eau sur les principales espèces. Ademe, 2010.
FAO, Climate-Smart Agriculture Sourcebook. FAO, 2013.
et sur le climat et répond aux ambi- J.-F. Soussana (coord.), S’adapter au changement climatique, Agriculture,
tions de la Communauté européenne écosystèmes et territoires, Quae, 2013.

Directrice des rédactions Publicité France


Cécile Lestienne Directeur de la Publicité : Jean-François Guillotin
(jf.guillotin@pourlascience.fr) Tél. : 01 55 42 84 28
Fabrication
Réalisation
Marianne Sigogne
Françoise Pétry (édition), Pauline Bilbault (maquette)
et Olivier Lacam
www.pourlascience.fr Ont également contribué à ce cahier spécial
Directrice de la publication et Gérante Thierry Caquet, Jean-Marc Guehl,
8 rue Férou - 75278 Paris Cedex 06 Sylvie Marcé Barbara Lacor et Anne Jambois

Imprimé en France–Dépôt légal : Mars 2015 – Commission paritaire n°0917K82079


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