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Les orphelins
de Duplessis
Adje VAN DE SANDE
François BOUDREAU
École de service social
Université Laurentienne
Différentes formes d’abus contre des individus ont eu lieu dans des
établissements publics au Canada. Cela est un fait de l’histoire
canadienne du xxe siècle. Les orphelins de Duplessis font partie de
ces victimes d’abus. Ces enfants, orphelins sous la tutelle de l’État,
ont été placés en milieu psychiatrique par le gouvernement de
Maurice Duplessis, permettant à ce dernier de toucher des
subventions fédérales spécialement prévues pour la psychiatrie. La
présente étude porte sur les perceptions et sur l’expérience insti-
tutionnelle de ces enfants. Elle relate la lutte qu’ils ont menée, dans
ses dimensions légales et politiques, pour faire connaître l’injustice
qui leur a été faite et pour faire reconnaître leur statut d’« abusé ».
Ils ont demandé réparation au gouvernement provincial, à la
profession médicale et à l’Église catholique. Mandaté par la
Commission du droit du Canada, ce texte n’engage que ses auteurs.
INTRODUCTION
HISTORIQUE
M É THODOLOGIE
Nous devions donc explorer les expériences et les opinions des orphelins de
Duplessis. Nous avons procédé par une série d’entretiens à questions
ouvertes, non structurées. Le canevas d’entrevue a été élaboré par l’Institut
de développement humain en collaboration avec la Commission du droit.
Étant donné que la majorité des orphelins sont unilingues francophones,
les fiches d’information, le formulaire de consentement et le questionnaire
de l’étude ont été traduits en français par le chercheur principal. En plus des
données obtenues grâce aux entretiens individuels, le COOID a fourni au
chercheur des documents légaux, de la correspondance, les cassettes vidéo
de la minisérie, ainsi que des articles de journaux. Les livres qui ont été écrits
par les orphelins et sur les orphelins, en plus du rapport du protecteur du
citoyen, ont complété l’ensemble des données.
La phase de la collecte de données pour cette recherche a débuté le
17 août 1998. Au moment de la rédaction, 19 orphelins et 6 professionnels
avaient participé aux entretiens (19 entrevues ont été réalisées dont 2 par
téléphone). Ce qui suit est le résultat de l’analyse des données et quelques-
uns des principaux thèmes qui s’en sont dégagés.
LES R
RÉÉ SULTATS
Dans plusieurs autres cas d’abus de jeunes qui ont eu lieu dans des établis-
sements de santé ou d’éducation (le plus connu étant Mount Cashel à Terre-
1. Depuis ce temps, le gouvernement du Québec et la profession médicale ont présenté des excuses
formelles aux orphelins de Duplessis. L’Église catholique n’a cependant pas encore donné suite à
cette requête.
2. Cette affirmation a été remise en question par le COOID.
L’Enquête policière
La plupart des orphelins qui ont participé à l’étude ont confirmé qu’ils ont
également participé à l’enquête policière qui a eu lieu en 1992 et 1993. Les
enquêteurs du service de la police avaient alors rencontré 241 victimes d’abus.
Quelques-uns ont trouvé cette enquête intimidante, demeurant sous l’impression
que les policiers leur ont manqué de respect et qu’ils utilisaient un langage
difficile à comprendre, utilisé expressément pour créer de la confusion. Par
exemple, on a demandé à un homme qui avait déposé une plainte d’abus
sexuel, s’il avait été sodomisé ; comme cet homme ne savait pas ce que ce mot
voulait dire, il a répondu non. Les policiers ont conclu qu’il n’y avait pas eu
d’abus sexuel.
La plupart des orphelins ont cependant eu l’impression que les policiers
faisaient leur possible pour les aider. Ils croient même que les policiers avaient
les mains liées par le Bureau du procureur de la Couronne. Un informateur
a décrit comment s’était déroulée une entrevue avec la procureure de la
Couronne et un policier. La procureure n’acceptait apparemment pas le
témoignage de l’informateur, même si le policier le défendait devant la
procureure et confirmait le témoignage. Selon l’informateur, le policier se
faisait dire par la procureure de se taire.
Les orphelins sont unanimes dans leur condamnation de la procureure
de la Couronne responsable du dossier. Leur point de vue variait entre « elle
a fait le minimum » et « elle voulait simplement protéger ceux qui étaient au
pouvoir ». Les plaignants ont senti qu’aux yeux de la procureure, c’étaient
eux les coupables. Un plaignant, qui rencontrait la procureure dans un petit
bureau, s’est fait dire : « Vous n’obtiendrez jamais justice dans ce cas. Si vous
voulez la justice, il faut aller voir les politiciens. »
Sur la question de l’abus, le porte-parole des congrégations religieuses
a indiqué sans équivoque que les religieuses n’avaient jamais abusé des
enfants. Elles disposaient alors de moyens limités pour contrôler le compor-
tement des enfants, elles avaient certes utilisé des moyens qui ne seraient
pas acceptés aujourd’hui, mais qu’à son avis les histoires de mauvais
traitements de la part des religieuses étaient exagérées.
Niveau de satisfaction
La plupart des orphelins se sont dits très insatisfaits des différentes options
légales qui s’offraient à eux. Plusieurs ont éprouvé une forte déception à la
suite de la faillite du recours collectif. Ceux qui avaient auparavant été
Les seuls aspects légaux de la cause dans lesquels les orphelins de Duplessis
ont été impliqués sont l’enquête policière et le recours collectif. Les infor-
mateurs sont d’avis qu’ils ont été intimidés, par le service de la police dans
certains cas et par la procureure de la Couronne dans d’autres. Mais chacun
d’eux a participé directement ou indirectement dans ces deux démarches.
Certains ont exprimé leur frustration relativement au maigre résultat concret
obtenu et ont indiqué que la poursuite de leur lutte était une perte de temps.
Les informateurs ont déclaré qu’on ne leur avait pas vraiment donné
de choix quant aux options légales qui s’offraient à eux. Au moment de
l’étude, ils n’étaient pas encore à l’étape de la discussion sur les formes de
compensations possibles ou souhaitables ; ils se méfiaient de tout ce qui venait
du gouvernement. Ce qui devait changer, selon eux, c’était l’attitude du
gouvernement, de l’Église catholique et de la profession médicale. Chacune
de ces instances semblait plus soucieuse de se protéger que de trouver une
solution au problème soulevé. L’opinion exprimée a été unanime. Ici encore,
les informateurs croyaient qu’ils méritaient au moins des excuses publiques
et une forme de compensation financière. Cela leur permettrait de clore ce
chapitre de leur passé et leur assurerait peut-être, ainsi qu’à leurs familles,
de ne pas finir leurs jours dans un état de pauvreté extrême.
CONCLUSION
Les enfants orphelins internés sous le régime Duplessis pour des raisons
pécuniaires ont perdu beaucoup. Presque tous ont perdu la chance de vivre
une vie familiale normale, une carrière et une santé morale non perturbée
par des souvenirs d’abus. Leur qualité de vie actuelle est généralement bien
pauvre. Une étude conjointe de l’Université McGill et de l’Hôpital général
juif de Montréal (Signal, Rossignol et Perry, 1999) a comparé l’état de santé
mentale des membres du COOID, tel qu’il apparaissait en 1997, avec celui
d’un groupe de citoyens à faible revenu lors d’une étude réalisée en 1987.
On a trouvé des différences considérables entre les deux groupes. L’étude a
démontré que tous les indices de santé des membres du COOID (par exemple,
l’indice de stress, celui des maladies chroniques, du suicide ou des problèmes
généraux et personnels) pointaient vers un pire état que ceux du groupe de
comparaison.
Les orphelins de Duplessis, victimes du système de l’époque, comptent
actuellement parmi les gens les plus vulnérables dans la société. Leurs faibles
ressources financières, l’absence d’éducation pertinente et leur fragile estime
de soi font que ces gens n’ont pas les ressources nécessaires pour poursuivre
une lutte prolongée. Ils sont aussi de plus en plus âgés ; ils ont besoin de mettre
un terme à cette histoire, de tourner la page. Ils demandent des excuses
publiques pour l’injustice qu’ils ont vécue et ils ont besoin d’une forme de
compensation pour que le reste de leurs jours soit un peu moins difficile et
pour que, symboliquement, ils sentent que la société reconnaît sa faute.
Bibliographie
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