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Mémoires d’un tatoué

Jean-Alain Le Borgne
jalb@pobox.com

Je ne me rendais pas compte, quand j'ai eu l'idée de me faire tatouer mes mémoires sur tout le corps,
que ma vie allait si radicalement changer. L'idée était venue pendant une de ces soirées dont on ne se
souvient pas le lendemain, d'habitude, à cause de l'absorption massive d'alcool et de drogue, mais là,
cette fois, je ne me souvenais que d'une chose, c'était ça.

Au début, j'y allais doucement, je réféchissais mûrement à quoi écrire, où l'écrire, ça me prenait un
temps fou. Ce n'est pas comme si j'étais un palimpseste, hein, plutôt comme si j'étais un bloc de
marbre, il fallait faire dans le défnitif, l'inaltérable, l'universel.

Chaque mot, chaque phrase faisait l'objet d'une mise en page, mise en peau en réalité, très minutieuse.
Même à ce rythme laborieux, les années passent et à la fn, ça en fait, du texte.

Ca s'est ébruité. Mes amis, mes ex, puis un tas de gens que je ne connaissait pas et qui trouvaient ma
démarche « trop fun » ont voulu contribuer. J'ai parfois accepté. J'ai dû prendre du poids, par manque
de place. J'ai engagé un entraineur de Sumo.

Malheureusement, les encres ont fni par avoir ma peau. Je suis tombé malade, et le monde de l'art
contemporain s'est emparé de mon cas. Ma cote a monté, de millions en milliards de dollars, de
richissimes collectionneurs enchérissaient comme des malades pour acheter mon corps après mon décès.

Je ne saurai jamais comment ça se terminera.

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