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l’astuce de Herglotz
Parmi les formules qui contiennent des fonctions élémentaires, quelle est
la plus intéressante ? Dans un bel article [2], dont nous suivons de près
l’exposé, Jürgen Elstrodt met à la première place le développement en série
de la fonction cotangente :
∞
1 !" 1 1 #
π cot πx = + + (x ∈ R\Z)
x n=1 x + n x − n
Cette élégante formule a été démontrée par Euler au §178 de son Introduc-
tio in Analysin Infinitorum. Elle compte à coup sûr parmi ses plus beaux
résultats. On peut aussi l’écrire encore plus élégamment de la manière sui-
vante :
N
! 1
π cot πx = lim (1)
N →∞ x+n
n=−N
$ 1
mais il faut remarquer que l’évaluation de la somme n∈Z x+n est un peu
dangereuse puisque la série n’est pas absolument convergente, et sa valeur Gustav Herglotz
est donc subordonnée à un choix judicieux de l’ordre de sommation.
Nous déduirons l’identité (1) d’un argument d’une étonnante simplicité
connu sous le nom d’“astuce de Herglotz”. Pour commencer, posons :
N
! 1
f (x) := π cot πx g(x) := lim f (x)
N →∞ x+n
n=−N
Ainsi, pour établir (A) nous devons montrer que pour chaque x ∈
/ Z la
148 Raisonnements divins
série :
∞
! 1
n2 − x2
n=1
et cette borne est non seulement valable pour la valeur x elle-même, mais
aussi pour des valeurs qui se trouvent dans un voisinages de x. Enfin, le
$ 1 π2
fait que (n−1)2 converge (vers 6 , voir page 41) assure la convergence
uniforme requise.
alors :
N
! N
! +1
1 1
gN (x + 1) = =
x+1+n x+n
n=−N n=−N +1
1 1
= gN −1 (x) + +
x+N x+N +1
Ainsi, g(x + 1) = lim gN (x + 1) = lim gN −1 (x) = g(x).
N →∞ N →∞
(C) Les fonctions f et g sont toutes les deux impaires, c’est-à-dire que
Formules d’addition : f (−x) = −f (x) et g(−x) = −g(x) pour tout x ∈ R\Z.
sin(x + y) = sin x cos y + cos x sin y
cos(x + y) = cos x cos y − sin x sin y La fonction f vérifie évidemment cette propriété, quant à g il suffit d’ob-
=⇒ sin(x + π2 ) = cos x server que : gN (−x) = −gN (x).
cos(x + π2 ) = − sin x
Les deux derniers résultats constituent l’astuce de Herglotz : d’abord, on
sin x = 2 sin x2 cos x2 montre que f et g vérifient la même équation fonctionnelle, ensuite que
cos x = cos2 x2 − sin2 x2 . h := f − g peut être prolongée continûment à tout R.
Pour f cela résulte des formules d’addition des fonctions sinus et cosinus :
% &
cos πx sin πx
f ( x2 ) + f ( x+1 ) = π 2
− 2
2 sin πx
2 cos πx
2
cos( πx πx
2 + 2 )
= 2π πx πx = 2 f (x)
sin( 2 + 2 )
Examinons maintenant :
'1 ∞
! 2x (
h(x) = f (x) − g(x) = π cot πx − − (3)
x n=1
n2 − x2
Nous savons que h est une fonction continue sur R\Z qui vérifie les pro-
priétés (B), (C), (D). Que se passe-t-il pour les valeurs entières ? En utilisant
x2 x4 x6
les développements en série du sinus et du cosinus, ou en appliquant deux cos x = 1 − 2!
+ 4!
− 6!
± ...
fois la règle de l’Hospital, on voit que : x3 x5 x7
sin x = x − 3!
+ 5!
− 7!
± ...
' 1( x cos x − sin x
lim cot x − = lim = 0
x→0 x x→0 x sin x
et donc : '1(
π cot πx −
lim = 0
x→0 x
$∞
Puisque la dernière somme n=1 n22x −x2 de (3) converge vers 0 lorsque
x −→ 0, on a en fait lim h(x) = 0, et donc en utilisant la périodicité
x→0
h( x20 ) + h( x02+1 ) = 2m
* N.d.T. : en français dans le texte original.
150 Raisonnements divins
Pour terminer notre histoire, voyons comment Euler quelques années plus
tard, en 1755, a traité la série (4). Considérons d’abord la formule (2). En
multipliant (2) par x et en posant y = πx nous trouvons, si |y| < π :
∞
! y2
y cot y = 1−2
n=1
π 2 n2 − y 2
!∞
y2 1
= 1−2 2 n2 " y #2
n=1
π 1 − πn
Le dernier facteur est la somme d’une série géométrique, donc :
∞ '
y (2k
!∞ !
y cot y = 1−2
n=1
πn
k=1
∞ '
1 ! 1 ( 2k
! ∞
= 1−2 y
π 2k n=1 n2k
k=1
!∞
1 (−1)k−1 22k−1 B2k 2k
2k
= π (k ∈ N∗ ) (9)
n=1
n (2k)!
En examinant
$ 1 la table des nombres de Bernoulli, on retrouve la valeur de la
π2
somme n2 = 6 établie au chapitre 6. En outre :
!∞ !∞ !∞
1 π4 1 π6 1 π8
4
= , 6
= , 8
= ,
n=1
n 90 n=1
n 945 n=1
n 9450
!∞
1 π 10 !∞
1 691 π 12 Page 131 de l’“Introductio in Analysin
10
= , 12
= , ... Infinitorum” publiée par Euler en 1748
n=1
n 93555 n=1
n 638512875
152 Raisonnements divins
5
Le nombre de Bernoulli B10 = 66 qui conduit à ζ(10) semble assez inof-
691
fensif mais la valeur suivante, B12 = − 2730 , utile pour le calcul de ζ(12),
contient le grand facteur premier 691 au numérateur. Euler avait d’abord
calculé quelques valeurs ζ(2k) sans avoir remarqué le lien avec les nombres
de Bernoulli. Seule l’apparition de l’étrange nombre premier 691 l’a mis sur
la bonne piste.
Incidemment, puisque ζ(2k) converge vers 1 lorsque k −→ ∞, l’équation
(9) nous indique que les nombres |B2k | croissent très vite, ce qui n’est pas
clair à partir des premières valeurs.
En revanche, on connaît très peu de choses sur les valeurs de la fonction
Zêta de Riemann aux valeurs entières impaires k ≥ 3 (voir page 49).
Bibliographie
[1] S. B OCHNER : Book review of “Gesammelte Schriften” by Gustav Herglotz,
Bulletin Amer. Math. Soc. 1 (1979), 1020-1022.
[2] J. E LSTRODT : Partialbruchzerlegung des Kotangens, Herglotz-Trick und die
Weierstraßsche stetige, nirgends differenzierbare Funktion, Math. Semesterbe-
richte 45 (1998), 207-220.
[3] L. E ULER : Introductio in Analysin Infinitorum, Tomus Primus, Lausanne
1748 ; Opera Omnia, Ser. 1, Vol. 8. In English : Introduction to Analysis of the
Infinite, Book I (translated by J. D. Blanton), Springer-Verlag, New York 1988.
[4] L. E ULER : Institutiones calculi differentialis cum ejus usu in analysi finitorum
ac doctrina serierum, Petersburg 1755 ; Opera Omnia, Ser. 1, Vol. 10.