Vous êtes sur la page 1sur 217

JOSE SARICA

En c o l l a b o r a t i o n a v e c N a s s e r a Z aïd

Zoothérapie
Le pouvoir
thérapeutique
des animaux

A rthaud
JO SÉ SARICA
En c o lla b o r a t io n a v e c N a s s e r a Z a ïd

Zoothérapie
t si les a n im a u x p o u v a ie n t n o u s a id e r à n o u s s o ig n e r?

E N o u s le s a v o n s to u s in tu itiv e m e n t, les a n im a u x n o u s
fo n t d u b ie n : le u r c o n fia n c e , le u r p ré s e n c e a ffe c tu e u se ,
le u r a m o u r d é n u é d e ju g e m e n t s o n t u n e s o u rc e de ré c o n fo rt
au q u o tid ie n . D e p u is p lu s de tr e n te a n s, a u x E ta ts-U n is et
au C a n a d a , d e s s c ie n tifiq u e s u tilis e n t ce lie n b é n é fiq u e
co m m e o u til th é ra p e u tiq u e a u p rè s d ’e n f a n ts e t d ’a d u lte s en
so u ffran ce . La z o o th é ra p ie é ta it n ée.
D é p rim e p ro fo n d e, a n x ié té , a u tism e , d éfic it d e l’a tte n tio n ,
m aladies chroniques, troubles alim entaires, m aladie d’Alzheim er,
ab u s se x u e ls ou v io le n c e s c o n ju g a le s, la z o o th é ra p ie p e rm e t
de c ré e r u n c a d re fa v o rab le au tra ite m e n t d e s m a la d ie s
m en ta le s ou p h y siq u e s et c o n trib u e au m ie u x -ê tre d e s p a tie n ts.
F orm é au Q u é b e c , J o s é S a ric a e x e rc e la z o o th é ra p ie d e p u is
p lu s de s e p t a n s et té m o ig n e d e sa p ra tiq u e a v e c so n c h ie n
C h ico et d e s « p e tits m ira c le s » ré a lis é s a u p rè s d ’a d u lte s et
d ’e n fa n ts e n so u ffra n c e .
U n té m o ig n a g e u n iq u e e t b o u l e v e r s a n t s u r le s b ie n f a its
d ’u n e p ra tiq u e e n c o re m é c o n n u e e n F ran c e.

José Sarica, d octeu r en biologie


m arine et en éco to x ico lo g ie
aqu atiqu e, exerce la zooth éra p ie
au Q u éb ec et en France d epu is
p lu s de sep t ans. Il e st ég alem en t
c h e f d 'exp éd itio n dans les régions
p o la ires et d ans le P a cifiq u e
pour Ponant.

Prix France : 19,90 €


ISBN : 978-2-0813-7/55-4

A rthaud 9 782081 377554


José Sarica
Avec la collaboration de Nassera Zaïd

Zoothérapie
Le pouvoir thérapeutique
des animaux

Arthaud
© Flammarion, Paris, 2017
87, quai Panhard-et-Levassor
75647 Paris Cedex 13
Tous droits réservés
ISBN: 978-2-0813-7755-4
Je dédie ce livre à ma mère, à mon père,
à Jordan, à Dirk et à Chico.
A Catherine, mon ange gardien.
Pourquoi un livre sur la zoothérapie ?

Les motivations qui m ’ont poussé à écrire ce livre


sont multiples. D ’abord, je voulais faire connaître un
peu mieux la zoothérapie en France, car c ’est une thé­
rapie bénéfique et enseignée au Québec depuis plus de
vingt ans. Les résultats positifs sur l’état de santé glo­
bal des gens en souffrance ne sont plus à démontrer.
Certains praticiens parmi lesquels je figure n ’hésitent
pas à parler de « petits miracles ». D ’où mon envie de
partager mes expériences avec le plus grand nombre
de personnes.
Dans la première partie de ce livre, il m ’a semblé
important de définir et d ’expliquer ce qu’est la zoo­
thérapie : com m ent elle est enseignée, comment
elle se pratique, quel animal peut être utilisé comme
médiateur entre le thérapeute et le patient. Il fallait
aussi rappeler quels ont été les projets en zoothérapie
qui ont fait leurs preuves au Québec, en France et en
Belgique ; tout comme l’existence d ’écoles et de for­
mations réputées dans ce domaine en Europe et au
Québec, dont je fournis une liste en fin d ’ouvrage.
Après avoir été formé au Québec, je raconte dans la
deuxième partie du livre ma pratique et les expériences
vécues avec quelques-uns de mes patients. Je veux, à
cette occasion, rendre hommage aux personnes - des
enfants comme des adultes souffrant de différentes
pathologies - que j ’ai pu aider avec l’assistance de mon
chien Chico au Québec, en France, mais aussi en Israël
avec les dauphins. Pour des raisons de respect et de
confidentialité de l’identité de mes patients, de leur
famille et des thérapeutes que j ’ai croisés pendant toutes
ces années, j ’ai changé leur nom dans ce livre. Je tiens
sincèrement à les remercier, car ils m ’ont inspiré et
m ’inspireront toujours. Je veux dire par là que quand on
est zoothérapeute, on l’est à vie, qu’importe notre choix
de carrière. En effet, je travaille aujourd’hui comme
chef d ’expédition sur des navires de croisière aux quatre
coins du monde, en particulier dans les régions polaires,
mais aussi en Alaska, en Asie-Pacifique (Indonésie,
Papouasie-Nouvelle-Guinée, archipel du Vanuatu,
îles Salomon, Nouvelle-Calédonie) et en Océanie
(Australie, Nouvelle-Zélande). C’est dans ce cadre que
j ’exerce autrement la zoothérapie. J’ai découvert qu’elle
peut se pratiquer à une plus grande échelle, et dans mon
cas à l’échelle « grandeur nature ». Une expérience que
j ’ai menée dans les terres australes (Antarctique et îles
subantarctiques) et que j ’ai souhaité partager dans la
dernière partie du livre. Si cet ouvrage peut convaincre
ceux qui ne savent pas vers qui se tourner lorsque leur
enfant est autiste, leur mère atteinte d’Alzheimer, leurs
proches ou eux-mêmes souffrent de dépression, etc.,
alors il aura atteint son objectif principal. Aider à travers
mon expérience à comprendre que la zoothérapie peut
être une solution, voire la solution pour aller mieux.
« Le bonheur est un rêve d’enfant
réalisé dans l’âge adulte» 1

« On a tous un livre en soi. » 2


R. J. Ellory

Les animaux ont donné un sens à ma vie. Depuis


l’enfance, mon intérêt pour eux s’est vite transformé
en une véritable passion et a guidé mes choix existen­
tiels et professionnels. Très tôt déjà, ils m ’ont permis
- bien que le mot « zoothérapeute » ne fît pas encore
partie de mon vocabulaire - d ’accompagner des per­
sonnes que je rencontrais vers un certain « mieux
v iv re» . Sans que je le sache, une vocation était
en train de naître dans mon for intérieur. Enfant,
j ’ai toujours été enclin à aider des voisins, des amis
plus démunis que moi et le chien familial, Ulysse,
m ’apportait un immense réconfort. Je me souviens
quand il venait dormir près de moi certains soirs et

1. Sigmund Freud.
2. Seul le silence, Sonatine, 2008.
com bien je trouvais sa présence réconfortante et
bienveillante.
J ’ai quitté la France pour vivre mon rêve d ’enfant.
Quand je donne des conférences aujourd’hui sur le
métier de zoothérapeute que j ’ai pratiqué pendant
quelques années au Québec et en France, je sens à
quel point mon auditoire est intéressé par mon histoire
et à travers elle, par celle des personnes que j ’ai sui­
vies en thérapie. Nul doute que ces enfants et ces
adultes atteints d ’autisme, d ’un déficit de l’attention,
d ’anxiété ou de dépression trouvent écho dans le
public. Qui n ’a jamais côtoyé de près ou de loin quel­
qu’un souffrant d ’un de ces troubles ? Alors, expliquer
et raconter en quoi un animal peut faciliter le mieux-
être de ces patients, enfants et adultes, souvent comme
un ultime recours, touchent profondément ceux qui
m ’écoutent. Pendant toute l’heure que dure la confé­
rence, les cas que j ’expose, les histoires vécues que
je raconte sont la plupart du temps reçus comme des
messages qui prennent un sens différent pour chacun.
L’émotion est souvent là. Non pas que je cherche
à émouvoir mes auditeurs, mais parce que la réalité
des faits, les combats gagnés quand on n ’y croyait
plus, le sentiment du travail accompli avec mon chien
« assistant », Chico, les regards, les larmes, la moindre
lueur d ’espoir pour que votre enfant vous regarde
ou prononce un seul m ot rem uent forcément les
sens. Ce sont ces témoignages que je souhaite partager
avec authenticité dans ce livre. Au-delà d ’un traité
sur la zoothérapie, qu’il faut bien sûr expliquer pour
comprendre la démarche, je souhaite avant tout à tra­
vers ces pages rendre hommage à tous ceux qui m ’ont
fait confiance.
«Le bonheur est un rêve d ’enfant réalisé... »

Quand vient le temps des présentations

C ’est à mon tour d ’entrer en scène. À bord d ’un


navire de croisière expédition, quelque part en plein
océan Austral, en route vers la péninsule Antarctique,
la plupart de mes collègues naturalistes viennent de
se présenter devant une salle de plus de deux cents
passagers. Le trac soudain me submerge. Ma gorge est
sèche et je sens que mon rythme cardiaque s’accélère
soudainement, me donnant l’impression que tout le
monde l’entend battre. Pour lutter face à l’émotion, je
me souviens qu’enfant je me racontais des histoires
avant de m ’endormir, pour apprivoiser les peurs de
la nuit mais surtout pour les rêver. Alors je saisis le
micro, en prenant une bonne inspiration, et je me lance :
« Bonjour. Je m ’appelle José. Durant votre croisière
expédition en Antarctique, je serai votre spécialiste sur
les mammifères marins que nous croisons dans ces
hautes latitudes : baleines, phoques, otaries et orques.
Permettez-moi de vous dire que je voue un amour
inconditionnel à ses animaux depuis mon enfance. Je
serai très ému de pouvoir entendre leur souffle en votre
compagnie ; vous verrez alors mon degré d ’excitation,
je redeviens, à chaque rencontre, un enfant de 10 ans
émerveillé. D ’autre part, quand je ne suis pas guide
naturaliste sur les navires d ’expédition, je suis zoo­
thérapeute à Montréal. La zoothérapie, c ’est une rela­
tion d’aide facilitée par la présence d’un animal pour
toute personne qui aspire à gérer sa souffrance psy­
chologique ou physique. À titre d ’exemple, je suis
allé travailler en Israël au cours de l’été 2009 avec
les dauphins de la mer Rouge, mon chien, Chico, et
des enfants atteints d’autisme. »
Je sens le public réagir à l’évocation de cette pro­
fession. Je ne suis pas certain que tout le monde ait
bien compris de quoi il s’agit. Zoothérapie : le terme
est non seulement difficile à prononcer, mais surtout,
comment savoir ce qui se cache derrière ? Car si,
outre-Atlantique, la thérapie assistée par l’animal se
pratique depuis plus de vingt ans, particulièrement
au Québec, c ’est loin d ’être le cas en France. Devant
les mines interrogatives, je rassure les participants en
les invitant à la conférence que je donnerai plus tard
à ce sujet pendant le séjour. Pour le moment, je veux
juste expliquer comment un rêve d ’enfant a guidé ma
vie pendant trente-sept ans.

Orca ou comment je suis devenu


zoothérapeute

Tout a commencé un mardi soir de l’année 1987.


Je vais avoir 10 ans. Je suis encore à l’école primaire.
J ’adore les mardis soir, on n ’a pas classe le mercredi
matin et mes parents m ’autorisent à regarder la télé­
vision. En général, toute la famille s’installe confor­
tablement sur le canapé en cuir usé du salon. Le feu
crépite dans la cheminée. Assis aux côtés de mes
quatre sœurs et de mon frère, je peux difficilement
imaginer le choc que je vais recevoir dans quelques
instants. Ce soir, le film Orca est diffusé. Les pre­
mières images montrent deux grands dauphins noir
et blanc, sautant hors de l’eau et nageant à l’unis­
son. Ce sont des orques. Le tout est accompagné
par une musique envoûtante d ’Ennio Morricone. Je
reste sans voix. Ce qui me frappe, c ’est la beauté
et l’élégance de ces mastodontes. Scotché à l’écran,
je suis aussi fasciné par le degré d ’intelligence de ces
cétacés, par les liens sociaux qui les unissent. Je crois
que je vis mon tout premier coup de foudre amou­
reux, et ce sera pour ces mammifères marins. Plus
je les regarde et plus les idées se bousculent dans
ma tête. Je veux me rapprocher des orques. Si ces
animaux peuvent dégager autant d ’amour, pourquoi
ne pas travailler avec eux auprès des enfants qui
souffrent ?
Comment je suis arrivé à un tel raisonnement, je
n ’en sais toujours rien. J ’ai juste le souvenir que trente
ans après cet épisode, mon frère jumeau m ’a rappelé
la place que prenait le poster de l’affiche du film
Le Grand bleu de Luc Besson, sur le mur de notre
chambre. J ’avais, en effet, vu ce long métrage au
cinéma, peu de temps après Orca. C ’est à ce moment,
je pense, que j ’ai vraiment découvert le pouvoir théra­
peutique des dauphins. Le bien-être que j ’ai ressenti
en voyant ces cétacés a fait naître en moi cette envie.
J ’ai eu comme une révélation. Et du haut de mes
10 ans, ce n ’est pas peu fier que je me lève et lance à
mes parents : « Maman, papa, un jour, je travaillerai
avec des orques et des enfants malades. » C ’est dit !
Dès le lendemain, je me procure le maximum de
livres, de photos d ’orques et de toutes sortes de mam­
mifères marins. Je veux tout savoir sur les orques.
Ma chambre va rapidement changer d ’apparence. Les
posters de ces géants des mers tapissent mes murs. Je
suis bien entouré. C ’est comme ça que j ’apprends que
les orques appartiennent à la famille des dauphins et
en sont les plus grands représentants.
À l’école, à la sempiternelle question de mes ensei­
gnants «Q ue voulez-vous faire plus tard comme
métier ? », je répète inlassablement : « Travailler avec
les dauphins et les enfants malades. » J ’ai bien sûr
droit à quelques sourires. Peu importe, je persiste et je
signe. Même au moment de mon orientation au lycée
quand on vous demande de choisir entre un cursus
scientifique, littéraire ou économique et social, et que
j ’essaie en vain d ’expliquer ce que je veux faire, on
me rétorque que ce métier n ’existe pas et qu’il va fal­
loir penser à autre chose. « Pourquoi ça n ’existe pas ?
Si ça n ’existe pas, pourquoi ne pas le créer ? » Obstiné,
je le suis plutôt, alors peut-être pour me calmer ou
me décourager, la conseillère d ’orientation pointe
la difficulté de poursuivre ce genre de recherches.
Et de l’entendre me dire : il faut au moins obtenir un
doctorat dans un domaine d ’études bien spécialisé, et
ensuite peut-être, je pourrai construire mon propre
programme de recherches.

Une rencontre inattendue

Venant des Ardennes, je sais que ce n ’est pas dans


la Meuse que je vais pouvoir travailler sur les mammi­
fères marins. Je dois absolument trouver des informa­
tions sur une filière potentielle. Je dévore tout ce que
je trouve comme livres et magazines sur les cétacés,
et comme par miracle, je découvre qu’au Québec, il
est possible de faire une maîtrise, puis un doctorat sur
les bélugas et les baleines du fleuve Saint-Laurent.
Je n ’ai pas encore passé le brevet des collèges, mais
je sais déjà qu’un jour je serai docteur en biologie
marine et que je partirai pour le Québec. Sûr de moi,
j ’ai 15 ans quand j ’annonce cette grande nouvelle à
mes parents, habitués à mes envolées sur les cétacés.
Il ne fait aucun doute qu’une fois mon doctorat en
poche, je créerai une unité de recherche sur le bien-
être que les dauphins peuvent apporter aux personnes
en souffrance.
A la même époque, une amie du lycée, Sandrine,
m ’invite à dîner avec ses parents et sa sœur, laquelle
est accompagnée de son petit ami, Nicolas. Un grand
gaillard, l’air plutôt baroudeur, qui est de toute évi­
dence un peu plus âgé que nous. Il m ’impressionne
un peu, moi qui n ’ai que 16 ans. Il rentre tout juste de
voyage, raconte-t-il. Un périple entre Vancouver et
l’Alaska où il a fait du kayak aux côtés des orques.
Ai-je bien entendu ? Nicolas Dubreuil a vécu ce que
je vis en rêve depuis ma tendre enfance. Comme
devant Orca, je suis médusé et je ne perds pas une
seule miette de son aventure dans le Grand Nord. Son
histoire me rappelle l’émission de Nicolas Hulot,
«Ushuaia nature», où l’animateur pagayait aussi en
harmonie avec des orques. C ’était incroyable, fasci­
nant et terrifiant à la fois de voir les nageoires dor­
sales de ces dauphins pouvant atteindre jusqu’à deux
mètres de haut émerger à la surface de chaque côté
du kayak. Je ne peux m ’empêcher d ’expliquer à mon
voisin de table, Nicolas Dubreuil, comme je l’avais
fait avec mes professeurs au lycée, qu’un jour je par­
tirai au Québec pour obtenir mon doctorat et que je
travaillerai avec les dauphins et les enfants malades.
M ’a-t-il pris au sérieux? Là n ’était pas la question,
je voulais sim plem ent exprimer, en écoutant son
aventure, mon envie, comme lui venait de le faire,
d ’aller côtoyer ces animaux qui me fascinaient tant.
Cette rencontre va, sans que je le sache, complète­
ment bouleverser le cours de ma vie. Quinze ans plus
tard, Nicolas Dubreuil me recontactera pour me pro­
poser un poste comme expert sur les mammifères
marins à bord d ’un navire d ’expédition. Et, comme la
chance peut nous sourire deux fois, c ’est avec lui que
quelques années plus tard, je naviguerai avec Nicolas
Hulot lors d ’une croisière expédition en Alaska.

Les orques d’Antibes

Mais avant de m ’expatrier au pays des bélugas, je


fais tout pour m ’approcher des cétacés. Le seul moyen
que j ’ai trouvé en France pour voir des orques, c’est au
M arineland d ’Antibes où je propose mes services
comme bénévole pendant l’été. Comme je suis en
licence de biologie marine, je me familiarise facilement
avec les pensionnaires du parc d ’attractions. Une de
mes tâches consiste à nourrir les orques du parc. Un
superbe cadeau pour moi qui voulais approcher ces
mammifères au plus près. Ce moment qui pourrait
sembler une routine rébarbative est le moment fort de
ma journée. Un quotidien qui me remplit de joie et
d ’émotion car même avec ces animaux en captivité,
il est possible de vivre des moments très impression­
nants comme ce matin où je dois nourrir la doyenne
du bassin, une femelle orque prénommée Sherkane. Un
privilège que je ne suis pas prêt d ’oublier.
Le seau rempli de nourriture, j ’avance au bord du
bassin. Pour alimenter cette orque de plus de trois
tonnes, je dois lui jeter dix poissons d ’un seul coup
dans la gueule et uniquem ent du maquereau. Les
orques sont très sélectives dans le choix de leur nour­
riture et Sherkane ne tolère que le maquereau. Elle les
engloutit sans même les mâcher et ouvre à nouveau
son incroyable gueule munie de dents coniques, toutes
identiques et pointues comme des couteaux. Je suis
aux anges devant ce spectacle, mais pas pour long­
temps. Parmi les dix maquereaux que je lui lance pour
sa deuxième bouchée, un hareng que je n ’ai pas vu a
la mauvaise idée de se glisser dans la sélection. Elle
ingurgite sa ration, mais là, quelque chose d ’inhabi­
tuel se passe. Elle me montre son œil qui se gorge de
sang, puis plonge pour réapparaître à moins d ’un
mètre de moi et recracher à mes pieds le hareng intact.
Je suis dérouté devant son attitude. Elle me signifie
clairement qu’elle n ’est pas contente et que je dois
quitter les lieux. C ’est tout penaud que je m ’éclipse du
bassin. Il me faudra plusieurs semaines pour regagner
sa confiance. Comment ? En jouant simplement à
cache-cache avec son petit, Valentin, âgé de quelques
mois. Pour l’amuser, je me poste devant les vitres du
bassin pour qu’il me voie. Puis je me glisse entre deux
vitres pour disparaître de son champ de vision. Trente
secondes plus tard, je me fais asperger d ’eau d ’un seul
coup de nageoire caudale par le jeune bambin de trois
cents kilos qui me signifie par son geste q u ’il m ’a
trouvé ! Trempé de la tête aux pieds, ce jeu de cache-
cache avec le fils me réhabilite auprès de la mère.
Ces rencontres fabuleuses me confirment l’amour
inconditionnel que je porte à ces animaux et renforcent
ma motivation à travailler avec eux. Aujourd’hui, c ’est
dans leur environnement naturel, loin des aquariums,
que je les approche. Il est évident qu’on ne peut pas
domestiquer de telles créatures considérées comme
les plus grands prédateurs de la planète. Actuellement,
les conditions de vie en captivité des mammifères
marins et l’agressivité qu’elles engendrent suscitent de
vifs débats. Force est de constater que les seules
attaques mortelles d ’orques sur les hommes se sont
produites dans des parcs aquatiques.

En route vers le Québec

En août 1998, je m ’envole enfin pour le Québec


pour étudier les bélugas du Saint-Laurent au sein de
l’université Laval de Québec. Ce fleuve abrite plus
d ’une vingtaine d ’espèces de mammifères marins l’été
et c ’est un des rares endroits au monde où il existe
des programmes francophones d ’études universitaires
reconnus à ce sujet. Je suis un étudiant studieux et
travailleur. Je sais que les places sont limitées et je
ne veux pas échouer si près de mon objectif : travailler
avec ces animaux plus que tout au monde. J ’ai 21 ans,
j ’obtiens ma maîtrise et dans la foulée je décide de
poursuivre mes études jusqu’au doctorat que j ’obtien­
drai trois années plus tard sur la pollution au mercure
dans les milieux aquatiques. Si je dis aimer autant ces
animaux marins, il est primordial que je m ’intéresse à
la préservation de leur environnement.
Mes efforts sont vite récompensés. À peine mon
doctorat en poche, je suis engagé comme professeur
permanent de biologie dans un cégep (équivalent des
deux premières années universitaires en France) situé
à une heure en voiture de M ontréal. Je dois bien
admettre que même si j ’adore enseigner, je suis loin
du rêve qui m ’a amené jusqu’ici. Sans cette volonté
farouche d ’approcher les cétacés, je n ’aurais jamais
entrepris de telles études et ne serais sans doute pas
venu m ’exiler au Québec. Alors je ne dois rien lâcher
de mon projet, pour lequel je bataille depuis l’enfance.
Quatre années s ’écoulent et un soir, alors que je
rentre du travail, en traversant le pont Jacques-Cartier
qui relie l’île de Montréal à la rive sud, je vois un
immense panneau publicitaire avec un chien dont les
oreilles sont exagérément écartées l’une de l’autre.
Sous sa photo, le slogan dit : « Je vous écouterai sans
vous juger. » Un autre mot y est associé : zoothérapie !
Quatre syllabes qui raisonnent dans mon cœur et dans
mon âme. C ’est une publicité pour promouvoir une
formation en zoothérapie. Je sais à ce moment précis
que j ’ai trouvé le métier que j ’ai toujours rêvé de faire :
travailler avec les dauphins et les enfants malades.
J ’appelle tout de suite l’école et j ’intègre la formation
en janvier 2008.
Pendant deux ans, je suis des cours en psycholo­
gie humaine, en éthologie, c ’est-à-dire l’étude du
comportement des chiens, des chats, des perroquets,
des chevaux, etc., pour décrocher mon diplôme et le
droit d ’exercer comme zoothérapeute. J ’ai retrouvé
ma voie !
Qu’est-ce que la zoothérapie ?

Les bienfaits des animaux sur l’être humain ne sont


plus à démontrer. Tous les propriétaires d ’animaux
domestiques sont unanimes : leurs compagnons sont
source de réconfort, de tendresse et font partie inté­
grante de la famille. Caresser un chien ou un chat fait
baisser la tension artérielle et diminue significative­
ment le taux de mortalité chez les personnes souffrant
de maladies cardiaques1. Leur apparence, le fait de
toucher la fourrure de son animal de compagnie,
de sentir sa chaleur, de l’entendre ronronner ou
gémir de plaisir, le fait qu’ils viennent se lover contre
vous dans les moments où on a besoin de réconfort,
découvrir leur loyauté et leur amour inconditionnel
ont un impact direct sur le bien-être de leurs maîtres.
En plus d ’être un soutien affectif, l’animal brise l’isole­
ment chez les personnes qui vivent seules ou ont
un réseau social lim ité2. Un animal de compagnie

1. Ericka Friedman, «Les meilleurs amis de l’homme»,


Le Courrier de l'UNESCO, février 1988, p. 11-13.
2. Aaron H. Katcher et al., «Looking, talking and blood
pressure : the physiological conséquences of interaction with the
nécessite qu’on s ’occupe de lui, qu’on le nourrisse,
qu’on le promène et en ce sens, il permet à la personne
de se responsabiliser, de sortir de son isolement et
de s’ouvrir aux autres. Certaines personnes seules ne
parlent qu’à leur animal, stimulant ainsi leurs capacités
cognitives. Il n ’est donc pas surprenant d ’apprendre
que ce lien affectif augmente l’espérance de vie chez
les personnes âgées qui ont un tel compagnon contrai­
rement à celles qui n ’en possèdent pas et qui sont
seules. Des études ont même démontré que la présence
d ’un animal stimule les défenses de notre système
immunitaire et diminue notre taux de cortisol dans le
sang, hormone indubitablement liée au stress1.
Pourquoi les animaux de compagnie possèdent-ils
un aspect aussi thérapeutique aujourd’hui ? Sans aucun
doute parce qu’ils sont à l’écoute de leurs maîtres. Une
confiance absolue que l’on peut expliquer par le fait
que l’animal a une aptitude à la confidentialité. Cette
qualité est à la base de la relation d ’aide en zoothérapie
ou thérapie facilitée par l’animal. Maryse de Palma,
psychoéducatrice, l’explique parfaitement: «Les diffi­
cultés relationnelles des humains résident souvent dans
leur incapacité à établir un contact intime et authen­
tique, par peur d ’être jugés ou rejetés. [...] Notre pas­
sion pour les animaux domestiques répond à ce besoin
d ’amour inconditionnel. Ceux-ci, par leur grande capa­
cité d ’attachement et leur fidélité, nous promettent une
dose infinie d’affection, et ce, sans nous juger et sans

living environnent », New Perspectives on our Lives with Compa-


nion Animais, University of Pennsylvania Press, 1982,p. 351-359.
1. Georges-Henri Arenstein, Jean Lessard, La Zoothérapie,
nouvelles avancées, Option Santé, 2010.
rien attendre en retour. » 1 Tout est dit : l’animal nous
écoute sans nous juger et c ’est définitivement sur ce
précepte que la zoothérapie repose.

Les prémices ou les origines de la thérapie


assistée par l’animal

Bien que je sois convaincu que le jour où l’homme


a domestiqué les animaux sauvages une forme de
zoothérapie a vu le jour, il sem blerait q u ’utiliser
volontairement l’animal pour notre mieux-être psy­
chique ou physique remonte au XIXe siècle, notam­
ment en Belgique, dans la ville de Geel (Gheel). Un
établissement pour «malades mentaux» y était ins­
tallé à cette époque pour recevoir des «fous, des
idiots et des imbéciles, des hystériques et des épilep­
tiques», pouvait-on lire dans le descriptif. Dans ce
lieu situé en pleine campagne, contrairem ent aux
autres institutions pour «alién és» où ces derniers
étaient enfermés et sévèrement traités, ici, les pen­
sionnaires étaient admis et logés dans des familles. Ils
pouvaient participer aux tâches quotidiennes à la
ferme selon leur état de santé. Dans l’article publié
dans la Revue des Deux Mondes, en 1867, « Gheel ou
une colonie d ’aliénés, vivant en famille et en liberté »,
Jules Duval relate cet état de fait : « Dans ce milieu
ouvert en tous sens se développent librement les affi­
nités qui rapprochent l’homme et les animaux, et
c ’est le premier degré de l’échelle des affections, qui

1. Maryse de Palma, Entre l ’humain et l'animal, Québécor,


2006 .
est loin d ’être sans influence sur l’état de certains
malades. Les uns s’intéressent au bétail auprès duquel
ils vivent et qu’ils soignent, d ’autres aux oiseaux dont
ils se font les compagnons. » L’auteur illustre son pro­
pos par l’exemple d ’un « aliéné qui ne pense qu’aux
oiseaux. Personne n ’est plus ingénieux que lui pour
les attraper. Une fois en cage, il ne les quitte plus. Il
les promène de sa cellule à la chambre de la famille,
ou bien, pendant q u ’ils s ’ébattent au soleil, leur
maître vigilant monte la garde pour les préserver de la
dent des chats. Est-il douteux que ces jouissances
simples et naïves n ’écartent bien des tristesses, et ne
puissent même aider à rétablir l’harmonie de l’âme et
du corps ? Privez cet homme de la compagnie de ses
oiseaux, indubitablement son état empirera. » 1
W illiam Tuke, puis par la suite son fils Henry,
accueillera, quant à lui, à partir de 1792 dans le
Yorkshire en Angleterre, des « malades mentaux »
sur un vaste domaine appelé The Retreat. Ici, pas
de mauvais traitements non plus, mais l’application
de principes chers aux quakers dont les Tuke étaient
issus : maîtrise de soi, compassion et respect q u ’ils
mettaient en pratique dans un environnement favo­
rable aux besoins des m alades. W illiam Tuke va
s ’apercevoir que certains patients à qui il a proposé
de s ’occuper d ’animaux vont réussir à se concentrer
et à se responsabiliser2.
Une autre expérience fort concluante sur la média­
tion animale avant que celle-ci n ’existe en tant que

1. Georges-Henri Arenstein et Jean Lessard, La Zoothérapie,


nouvelles avancées, op. cit.
2. Ibid.
telle a lieu à New York après la Première Guerre
mondiale dans le Pawling Army Air Force Convales­
cent Hospital qui reçoit les traumatisés de la guerre.
C ’est aux infirmières que l’on doit le recours aux
animaux pour améliorer la qualité de vie des patients.
Plus précisément, c ’est sous l’influence de Florence
Nightingale, une infirmière d ’origine britannique,
fondatrice des techniques infirmières modernes,
que les animaux ont été utilisés auprès des soldats.
Elle monte en 1854 sa première mission humanitaire
en Corée auprès des troupes anglaises. Son but:
sauver des vies, mais surtout prendre soin des blessés
délaissés. Le taux de mortalité est effrayant et, selon
elle, il serait dû non seulement à la mauvaise alimen­
tation, mais aussi au surmenage des soldats qui se
sentent seuls et isolés de leurs proches. Florence
Nightingale a observé le comportement des animaux
depuis sa plus tendre enfance, et sait qu’ils ont le don
de réconforter les gens et de diminuer l’anxiété. C ’est
avec une tortue q u ’elle a adoptée pour l’hôpital
qu’elle améliore ainsi le moral des troupes.
Autant d ’expériences qui prouvent que l’animal
joue un rôle essentiel dans le mieux-être des per­
sonnes souffrantes. Mais qui n ’auront malheureuse­
ment pas de résonances entre elles. Il faudra attendre
encore quelques décennies pour que ces observations
sur la relation entre l’homme et l’animal et ses bien­
faits soient théorisées et deviennent un vrai sujet de
réflexion.
Même remarque à propos du terme de « malades
m entaux», couram m ent employé et qui ne sera
remplacé par «personnes souffrantes de maladies
mentales » que très récemment. Il reste évident que
ces mots sont encore mal perçus dans notre société
car ils font peur. Une chose est sûre : la zoothérapie
est une relation d ’aide qui s ’adresse à toutes les
personnes aspirant à gérer leur souffrance sur le plan
physique, psychologique et affectif, et n ’est pas uni­
quement dédiée aux problèmes de santé mentale ou
aux personnes souffrant de troubles envahissants
du développement. Son champ d ’action est beaucoup
plus vaste.

La découverte fortuite de Levinson

La zoothérapie, telle qu’on l’utilise aujourd’hui, va


être découverte un peu par hasard par le pédopsy­
chiatre américain Boris Mayer Levinson en 1953. Ce
jour-là, de manière tout à fait exceptionnelle, son
chien Jingles lui tient compagnie dans son cabinet.
Nous sommes dimanche et malgré tout, la sonnerie
du téléphone retentit. Ce sont les parents du jeune
Johnny, diagnostiqué autiste, qui, affolés, souhaitent
son avis sur leur fils qui risque l’internement dans une
institution spécialisée. Le docteur Levinson accepte
de les recevoir en urgence. Au moment où la famille
pénètre dans l’office, l’enfant qui n ’a jamais commu­
niqué avec le monde extérieur se dirige vers le chien.
Jingles va renifler le jeune garçon qui spontanément
le caresse, puis lui parle, au grand étonnement de
ses parents et du pédopsychiatre. Le docteur Levinson
comprend qu’un petit miracle vient de se produire,
que Jingles peut être un médiateur entre lui et son
patient, un déclencheur de communication.
Le pédopsychiatre décide alors de répéter l’expé­
rience au cours de nouvelles séances, et s ’introduit
peu à peu dans la relation privilégiée qui s ’est établie
entre l ’enfant et l ’animal. Il entreprend alors une
véritable thérapie, avec la complicité de son chien
Jingles, qui va devenir assistant thérapeute malgré
lui. Cette collaboration aboutit à une très nette amé­
lioration de l’état de santé de Johnny. À partir de ces
séances concluantes, le docteur Levinson utilisera
de matière systématique l’animal familier, chien ou
chat, selon le tempérament de ses patients, pendant
les consultations.
Pendant dix ans, à partir de cette expérience avec
Johnny et celles qui suivront, Boris Mayer Levinson
va développer une théorie qui paraîtra à New York en
1962 dans un article de la revue Mental Hygiene inti­
tulé « The dog as a co-therapist », puis dix ans plus
tard dans un ouvrage Pets and Human Developmentl.
Le principe de base est le jeu entre l’enfant et l’ani­
mal, ce dernier servant de vecteur de communication.
« Le miroir dans lequel l’enfant se sent désiré et aimé,
non pour ce qu’il devrait être ou pourrait être, mais
pour ce q u ’il e st.» Plus globalem ent, ce sont les
effets bénéfiques que les animaux peuvent avoir sur
l’homme que le praticien défend dans sa théorie. La
p e t therapy ou thérapie par l’animal va ainsi voir le
jour. Cette première appellation sera ensuite rempla­
cée par p et orientated child psychotherapy que l’on
peut traduire par « thérapie assistée par l’animal ».

1. Boris Mayer Levinson, Pets and Human Development,


Charles Thomas, 1972
Ses travaux ouvriront la voie de l’observation et de
la réflexion chez ses confrères thérapeutes qui vont à
leur tour démontrer que la présence d ’animaux lors
des thérapies a un effet bénéfique physique et mental
chez les enfants comme chez les adultes, mais aussi
chez les personnes âgées. Elle permet de réduire non
seulement l’autisme mais aussi l’anxiété, la déprime,
les symptômes de la maladie d ’Alzheimer, et d ’amé­
liorer les conditions de vie de prisonniers dépressifs
et agressifs, par exemple, comme cela a été testé en
milieu carcéral aux États-Unis.
C ’est seulement vingt années plus tard que les tra­
vaux de Boris M ayer Levinson trouveront une
attention particulière en France auprès du vétérinaire
Ange Condoret. En 1976, il entre en contact avec le
pédopsychiatre américain pour mettre au point des
expériences dans lesquelles il souhaite favoriser la
relation entre des enfants en bas âge souffrant de pro­
blèmes de langage et différents animaux. En deux
ans, il développe une nouvelle méthode adaptable à
chaque enfant q u ’il appelle l’intervention animale
modulée précoce (IAMP). En présence d ’animaux,
Ange Condoret a pu démontrer que des enfants de
maternelle présentant des troubles de la communica­
tion verbale et non verbale parvenaient à un dévelop­
pem ent plus rapide du langage, et dans le même
temps, qu’ils s’ouvraient plus facilement aux autres
personnes, brisant ainsi leur isolement. Fort de cette
expérim entation, il va fonder en 1977 l ’A ssocia­
tion française d ’inform ation et de recherche sur
l’animal de compagnie (Afirac). En 1992, l’Afirac
va étendre son champ d ’action au niveau internatio­
nal en créant l’International Association o f Human-
Animal Interactions O rganisations (IAHAIO), et
ouvrira la voie aux recherches actuelles dans ce
dom aine1.

Une formation pour devenir


zoothérapeute ?

Jusqu’à la fin des années 1970, la zoothérapie est


pratiquée uniquement par des psychiatres, des psy­
chologues, voire des vétérinaires sans qu’une forma­
tion au métier de zoothérapeute ne soit véritablement
formalisée. Ces thérapeutes ou médecins utilisent
l’animal comme médiateur dans l’exercice de leur
profession déjà établie constatant son effet catalyseur
sur le mieux-être de leurs patients, sans jamais envi­
sager de théorisation dans le but de transmettre leurs
pratiques. Il faudra attendre près de quarante ans
après les articles de Boris Levinson, soit le milieu
des années 1980, pour qu’une méthode de formation
professionnelle au métier de zoothérapeute soit vrai­
ment délivrée, même si aujourd’hui encore, cette thé­
rapie n ’est toujours pas reconnue et agréée par l’État
que ce soit au Québec, en France, en Belgique ou en
Suisse.
C ’est au Canada et plus précisément au Québec que
va naître l’idée de créer une formation à la zoothéra­
pie. Le docteur Jean-Marc Vaillancourt, vétérinaire,
sera l’un des pionniers dans le domaine. Il va être le
premier à implanter plusieurs projets de zoothérapie

1. Sandrine Willems, L'animal à l'âme. De l'Animal-sujet aux


psychothérapies accompagnées par des animaux, Seuil, 2011.
dans des centres d ’accueil '. En 1983, il sera suivi dans
sa démarche par la psychologue Caroline Bouchard
qui fonde le premier institut de zoothérapie : l’Institut
canadien de zoothérapie de Montréal, dont l’objectif
est de développer et promouvoir les liens naturels
entre les humains et les animaux à des fins de pré­
vention, de thérapie et de réadaptation12. Pour cette
thérapeute, responsable de l’Association internatio­
nale pour la zoothérapie, « la zoothérapie réunit des
praticiens des sciences m édicales et des sciences
humaines dans une action concertée visant à améliorer
le cadre de vie, créer un cadre favorable au traitement
des maladies mentales ou physiques et à contribuer en
général au mieux-être de la communauté » 3. N euf ans
plus tard, soit à la fin des années 1990, l’institution
compte dans tout le Québec à peine dix zoothéra­
peutes formés.
Il faudra attendre l’année 2000 pour observer un
certain engouement pour la zoothérapie telle qu’elle
est théorisée par l’Institut canadien de zoothérapie,
notam m ent dans le dom aine des sciences de la
santé qui adhèrent au concept de cette nouvelle forme
de thérapie. Plusieurs programmes vont s’offrir au
Québec pour former les futurs zoothérapeutes. Arielle
Berghman, une des pionnières, vice-présidente de
l’Association québécoise de zoothérapie, qui travaille

1. Annie Simard, Éléments thérapeutiques de la zoothérapie,


essai présenté pour l’obtention du grade de maître ès arts, faculté
des sciences de l’éducation, université de Laval, 1995.
2. Geneviève Sabourin, La Zoothérapie, les animaux: des
thérapeutes à quatre pattes, Éditions Santé, 1989.
3. Caroline Bouchard et Christine Delbourg, Les Effets béné­
fiques des animaux sur la santé, Albin Michel, 1995.
aujourd’hui en tant que zoothérapeute à l ’institut
Philippe-Pinel en psychiatrie légale à M ontréal,
raconte comment elle est parvenue à créer un concept
d ’enseignement sur la zoothérapie en intégrant plu­
sieurs approches : psychologie humaine, comporte­
ment animal et zoothérapie. « Tout cela a pris forme
dans les années 1990. En fait, j ’ai une formation de
base académique. Je suis régente en langue germa­
nique dans le cycle inférieur. J ’ai ensuite suivi trois
années d ’études en psychothérapie, ici, à Montréal.
J ’ai, entre autres, des bases en éducation canine
et équine. En faisant un mixte de toutes ces connais­
sances, j ’en suis arrivée à mon métier actuel, à savoir,
thérapeute assistée par l’animal. » 1 Sa méthode inté­
grant plusieurs disciplines pour former au métier de
zoothérapeute sera suivie dans la plupart des forma­
tions en zoothérapie dans le monde, avec cependant
quelques variantes, en fonction des écoles et des
instituts, et également des courants de pensée. La
zoothérapie est une thérapie multidisciplinaire en évo­
lution constante.

Où en est la France en matière


de zoothérapie ?

En 2009, un diplôme universitaire a été créé à


l’université de Clermont-Ferrand sur « la relation
d ’aide par la médiation animale». Sans doute grâce

1. Propos recueillis auprès d ’Arielle Berghman, psychothéra­


peute et zoothérapeute, 29 juin 2003, Pet Therapy, Holistic
Online, www.holisticonline.com.
aux travaux de François Beiger. Ce psychanalyste
en médiation animale, qui est aussi éthologiste canin,
est sans conteste le précurseur et le fondateur des
formations professionnelles en médiation animale
en France. Formé au Québec où il crée en 1995 le
centre Nature et Animaux, François B eiger1 va fon­
der en France en 2003 l’Institut français de zoothé­
rapie (IFZ) en se basant sur une méthode qu’il a mise
au point au Canada sur la médiation animale2. Il y
dispense ses propres programmes de formation et
développe différents projets thérapeutiques novateurs
pour ses patients, des jeunes et des adultes en diffi­
culté, qu’il accueille dans son institut.
A la question «Existe-t-il une formation ou un
diplôme pour devenir zoothérapeute ? », il répond :
« Il existe la formation professionnelle donnée par
l’IFZ que j ’ai fondé en 2003. Formation reconnue
par les organism es professionnels de prises en
charge. II y a bien quelques autres formations qui
apparaissent sur le N et... mais peu fiables! Pour
l’IFZ, surtout pas de diplôme, mais une certification
qui est une spécialisation aux métiers de la santé, du
social et de l’enseignement spécialisé. Un diplôme
serait une erreur, puisque la zoothérapie est avant
tout une médiation pratiquée par des professionnels
de la santé et du social, donc une spécialisation... La
pratique telle que je la définis date en France de

1. François Beiger est également président de l’association


Handicap Rêves Défis Jeunesse et fondateur de la Fondation pour
la trisomie au Canada.
2. François Beiger, L ’Enfant et la médiation animale, une
nouvelle approche par la zoothérapie, Dunod, 2008.
2003, alors que je l’exerçais depuis plus de quinze
ans au Canada. »
On peut alors se demander pourquoi la zoothérapie
n ’a pas connu le même développement en France
qu’au Québec. Ou du moins, pourquoi a-t-il fallu
quinze ans pour que cette thérapie franchisse l’océan
Atlantique ? Sans nul doute parce que la zoothérapie
n ’est considérée ni comme une science - même si
cela a tendance à changer aujourd’hui - ni comme
une forme de « médecine naturelle », en précisant que
le terme de « médecine » est inapproprié pour parler
de zoothérapie, car elle n ’en est pas une. La zoothéra­
pie aide, mais elle ne guérit pas. En France, la zoothé­
rapie va longtemps être l’objet de controverses.
Pour les scientifiques et certains médecins conser­
vateurs : « L’expérience scientifique n ’est valide que
dans la mesure où elle donne lieu à des communica­
tions et à des rapports équivalents et systématique­
ment répétables par deux ou plusieurs personnes dans
des circonstances sem blables1», comme l’explique
clairement Michèle Robert, professeur au département
de psychologie à l’université de Montréal.
Bien qu’elles soient à la mode, « les médecines
douces ou alternatives posent donc un certain nombre
de questions qui doivent être prises en compte, argu­
mente le psychologue Denis Richard. D ’une part, de
nombreuses techniques n ’ont jamais pu faire la preuve
scientifique de leur validité. Elles restent des pratiques
empiriques fondées sur la seule expérience indivi­
duelle du patient et du thérapeute. Par ailleurs, il

1. Michèle Robert, Fondements et étapes de la recherche


scientifique en psychologie, Edisem, 1988.
continue d ’exister une distorsion très frappante entre
la réalité de la demande du public et la très petite place
qu’elles occupent dans la sphère universitaire et scien­
tifique, ce qui met souvent un patient dans une posi­
tion ambiguë entre le médecin allopathe, dont il craint
la réaction incrédule ou agacée, et le praticien d ’une
médecine alternative. » 1
Encore récemment, les approches thérapeutiques
naturelles ou alternatives pour le mieux-être comme
l’acupuncture, le yoga ou la méditation de pleine
conscience sont apparues en France plusieurs années
après avoir fait leurs preuves en Amérique du Nord
ou dans d ’autres pays d ’Asie. Tout ce qui n ’est pas
considéré comme une médecine éprouvée scientifi­
quement est sujet au scepticisme et met du temps à
être reconnu à sa juste valeur dans certaines sociétés
occidentales. Cependant, force est de constater
q u’aujourd’hui l’individu se tourne de plus en plus
vers ces médecines parallèles et naturelles, exemptes
de traitements médicamenteux. La zoothérapie en
fait partie. La m édiation animale appartient à un
nouveau cham p disciplinaire et est au jo u rd ’hui
reconnue pour les bienfaits thérapeutiques q u ’elle
apporte auprès de personnes en souffrance. Malgré
cela, on lui reproche de ne pas avoir de résultats sur
le long terme. Pourtant, l’amélioration positive de la
santé mentale des patients au sein de l’Institut uni­
versitaire Douglas à Montréal contredit cette affir­
mation. C ’est en effet le premier établissement de

1. Denis Richard, Mieux-vivre, mode d ’emploi, sous la direc­


tion de Sylvie Angel, Larousse / Psychologies magazine, 2002,
p. 384-386.
santé au Québec à avoir intégré un service de zoo­
thérapie en 1985. Plus de trente ans plus tard, les
résultats bénéfiques sur l’état de santé mental des
patients de cet institut sont toujours observés1. En
France, comme en B elgique, les tentatives pour
introduire des animaux dans les hôpitaux et d ’autres
centres de santé ont échoué. Le non-respect des
règles d ’hygiène serait la raison invoquée pour
justifier ce refus catégorique. La peur aussi que
l’animal puisse représenter un danger (risque de
m orsures ou d ’allergies) pour les enfants freine
de toute évidence les projets, tout comme le poids
des responsabilités qu’il faut endosser dès que l’on
s’occupe d ’enfants.

N ’est pas zoothérapeute qui veut ?

Le fait de posséder un animal de compagnie avec


lequel on entretient une relation affective, même très
forte, ne peut être considéré comme de la m édia­
tion animale. La seule présence de son chien, de son
chat ou de n ’importe quel autre animal ne suffit pas
pour parler de thérapie. « La zoothérapie n ’est pas de
l’occupationnel. Elle n ’est pas non plus de la simple
animation à l’aide d ’un chien2 », précise François
Beiger. La zoothérapie est une pratique profession­
nelle à part entière qui ne s’improvise pas.

1. www.douglas.qc.ca/info/zootherapie
2. François Beiger, « La zoothérapie ou médiation animale »,
in Georges-Henri Arenstein et Jean Lessard, La Zoothérapie,
nouvelles avancées, op. cit.
Étymologiquement, le terme de zoothérapie pro­
vient du grec zoo signifiant animal, et de therapeia
que l ’on peut traduire par soin ou cure. Selon la
définition la plus courante tirée des travaux de Jules
L o ss1, la zoothérapie est une technique, individuelle
ou de groupe, caractérisée par l’utilisation d ’un ani­
mal soigneusem ent sélectionné et entraîné, avec
lequel un intervenant dûment formé à cette fin tra­
vaille pour maintenir ou améliorer la performance
d ’un patient sur un ou plusieurs plans (cognitif, phy­
sique, psychologique, social ou affectif).
On peut souligner que le terme générique de zoo­
thérapie englobe aujourd’hui deux pratiques : la
thérapie assistée par l’animal (TAA) où l’animal joue le
rôle d ’intermédiaire entre le patient et le thérapeute
et est considéré comme un auxiliaire du thérapeute ;
et les activités assistées par l’animal (AAA) pendant
lesquelles l’animal est cette fois-ci utilisé pour amé­
liorer la qualité de vie des personnes concernées en
les invitant à participer à des activités récréatives ou
éducatives.
Le zoothérapeute est donc un professionnel qui
a été formé pour exercer, tout comme l’animal avec
lequel il travaille. Et dans ce cas précis, l’animal sert
de médiateur entre le patient et le thérapeute. Comme
le rappelle le psychologue Georges-Henri Arenstein,
« l ’animal peut rem plir une fonction projective,
c ’est-à-dire que la personne en difficulté projette,
souvent de façon inconsciente, ses sentiments et ses

1. Jules Loss, «Pet facilitated Therapy in Human Health


Care », in Bruce Fogle, Interrelations between People and Pets,
Éd. Charles C. Thomas, 1981, p. 124-145.
états d ’âme sur l’animal. Ainsi l’animal sert de pro­
longement sym bolique du soi ; il peut aussi par
sa seule présence provoquer une réaction chez le
p a tie n t» 1, telle que le langage chez des enfants
autistes. Le pédopsychiatre Boris Levinson, fondateur
de la zoothérapie, va observer q u ’«u n enfant qui
trouve difficile d ’exprimer au thérapeute comment il
se sent par rapport à ses rêves et à ses relations inter­
personnelles retrouve souvent sa langue lorsqu’il a
à discuter de ses problèmes avec un chien ! ». C ’est
le thérapeute qui va établir cette relation à trois, que
l’on nomme la « relation triangulaire ».

La synergie triangulaire

Pour bien la comprendre, représentez-vous menta­


lement un triangle équilatéral dont chaque sommet est
occupé par l’un de ces trois protagonistes : le patient,
l’animal et le zoothérapeute. Une synergie triangu­
laire va progressivement s’installer, comme un cou­
rant électrique qui passe et circule entre eux trois.
François Beiger et Aurélie Jean expliquent l’impor­
tance du travail en triangulation : « Dans le contexte
d ’une intervention par médiation animale, on parle
nécessairement de l’implication d ’un professionnel
de la santé ou du social formé à la médiation ani­
male [...]. Nous allons donc avoir une triangulation
composée de trois entités vivantes et différentes qui
vont agir les unes sur les autres.

1. Georges-Henri Arenstein, Geneviève Gilbert, La Zoothê-


rapie, une thérapie hors du commun, Editions Ressources, 2008.
Tout d ’abord: 1) le patient avec sa situation de
handicap, avec ses problématiques et ses angoisses
qui en résultent, ses défaillances, ses espérances, ses
envies; 2) l’animal médiateur avec son éducation,
son caractère, son environnement; 3) le profession­
nel formé à la pratique de la thérapie par médiation
animale avec ses connaissances, ses propres façons
d ’être, son vécu, ses usages professionnels et du fait
aussi un discernement bien à lui des situations qu’il
va rencontrer. [...] Le professionnel usera de diffé­
rents mouvements et d ’adaptations afin d ’aider le
patient à atteindre des objectifs établis et ce à l’aide
de son animal médiateur, avec lequel l’intervenant
devra avoir une grande complicité et une excellente
lecture des com portem ents. » 1 D ’où la nécessité
d ’être formé avec son animal et d ’être soi-même, soit
un professionnel de la santé, du social, de l’éduca­
tion, des sciences biologiques, de l’éthologie (étude
du comportement des animaux), soit un intervenant
dans la relation d ’aide, comme l’exigent à juste titre
François B eiger et G eorges-H enri A renstein qui
dirige le centre L’Authentique au Québec2 sur leur
page d ’inscription pour les formations. Une recom­
mandation à la prudence pour toutes les personnes
qui aspireraient à devenir zoothérapeutes et que je
partage volontiers.

1. François Beiger, Aurélie Jean, Autisme et zoothérapie.


Communication et apprentissages par la médiation animale,
Dunod, 2011, p. 15-16.
2. Institut français de zoothérapie (www.institutfrancaisde-
zootherapie.com) et centre L’Authentique au Québec (www.
authenticité, qc.ca).
Les fondements théoriques de la formation
au métier de zoothérapeute : utilisation
de l’approche humaniste-existentielle

L’orientation psychologique préconisée au sein


de la form ation en zoothérapie est hum aniste-
existentielle. Cette école de pensée se caractérise
par la confiance dans la capacité de l’être humain à
développer son potentiel et à orienter son existence.
A ppelée aussi la «troisièm e force», la psycho­
logie humaniste est apparue aux États-Unis à partir
des années 1940, sous l’im pulsion d ’A braham
M aslow 1. Elle s ’oppose aux deux autres grands
courants du début du xxe siècle: la psychanalyse,
fondée par Sigmund Freud et Jacques Lacan, et
le com portem entalism e issu du behaviorism e de
Pavlov, de John Broadus Watson et de Burrhus
Frédéric Skinner.2
L’approche humaniste reproche à ces deux pre­
miers courants une vision réductrice de l’être humain.
Le courant psychanalytique a tendance à étiqueter
les malades par des qualificatifs tels que névrosés
ou psychotiques. Quant au courant comportementa­
liste, les partisans de l’approche humaniste rejettent
l’idée d ’analyser l’homme comme un animal répon­
dant à des stimuli extérieurs.
L’approche humaniste-existentielle est à rapprocher
du mouvement du potentiel humain qui considère

1. Abraham Maslow, Toward a Psychology o f Being, Van


Nostrand, 1968.
2. Carol Tavris et Carole Wade, Introduction à la psychologie.
Les grandes perspectives, De Boeck, 1999, p. 182.
la personne humaine comme un tout dans diverses
dimensions - physique, intellectuelle, affective, spiri­
tuelle, etc. - qui sont elles-mêmes interdépendantes.
Elle vise à rendre la personne apte à vivre sa vie de
façon pleine et créatrice tout en identifiant et en res­
pectant ses besoins, ses aspirations et ses valeurs.
Selon Arenstein, « la recherche de la satisfaction per­
sonnelle dans le respect de soi, des autres, de l’envi­
ronnem ent, occupe une place prépondérante dans
cette démarche humaniste-existentielle » 1.
La mission principale de la zoothérapie va donc
consister à contribuer à l’amélioration de la qualité
de vie des personnes, tant dans leur vie privée que
dans leur milieu professionnel. Son but est de faire
fructifier les énergies humaines pour aider les indi­
vidus et les communautés à dépasser leurs limites
actuelles et à mieux intégrer les multiples facettes
du quotidien à leur existence. Développer nos habi­
letés à com m uniquer efficacem ent, prendre des
décisions éclairées, résoudre les conflits de façon
créatrice, gérer nos émotions sainement, planifier
un changement avec tact : c ’est là notre vision de la
croissance.
Aujourd’hui, les courants psychologiques sur les­
quels s’appuie la zoothérapie dans certaines institu­
tions peuvent être à la fois humaniste-existentielle,
behavioriste, gestaltique (que nous aborderons dans les
prochains paragraphes) ou encore en lien avec la pro­
grammation neurolinguistique (la PNL, cette méthode
mise au point par le mathématicien Richard Bandler
et le linguiste John Grinder dans les années 1970 aux

1. www.authenticite.qc.ca/orientationTheorique
États-Unis permet d ’agir sur les comportements au
moyen du langage)1.
Les formations en zoothérapie vont s’inspirer de
l’une ou plusieurs de ces écoles de pensées pour éla­
borer une méthode d ’enseignement.

L’intelligence émotionnelle

L’investigateur de l’importance de nos émotions


dans l’approche psychologique est le psychologue et
journaliste David G olem an2. Il décrit l’intelligence
émotionnelle comme un ensemble d ’habiletés sociales,
un concept qui inclut la reconnaissance des sentiments
et des états intérieurs propres à soi. Cette approche
thérapeutique repose sur la conviction de l’importance
du monde émotionnel de la personne dans un proces­
sus de transformation volontaire. Comme l’écrit le
médecin psychiatre Christophe André : « Toutes les
émotions nous sont utiles : la colère, la tristesse, la
peur, l’anxiété, la honte ont des fonctions bien pré­
cises. Elles nous rendent service, à condition qu’elles
n ’atteignent pas des intensités trop fortes, qu’elles ne
durent pas trop longtemps et que nous ne perdions pas
de vue leur finalité [...] L’important est simplement
d’éviter leur mauvais usage ou leurs excès. » 3

1. Richard Bandler et John Grinder, The Structure o f Magic,


tome 1, Sciences et behavior Books, 1975.
2. Daniel Goleman, L ’Intelligence émotionnelle, Robert
Laffont, 1999.
3. François Lelord et Christophe André, La Force des émo­
tions, Odile Jacob, 2001.
David Goleman, en 1997, puis François Lelord et
Christophe André, tous deux psychiatres, en 2001,
expliquent qu’il faut trouver un équilibre entre l’intel­
ligence émotionnelle et l’intelligence rationnelle1.
En conscientisant son émotion souffrante, en l’identi­
fiant et en faisant intervenir son intellect pour choisir
de la vivre ou non, de l’exprimer ou non, la per­
sonne peut transformer son état vers un mieux-être
plus satisfaisant.
L’être humain, dès l’aube de sa vie, éprouve des
sentiments, ressent des émotions. Il va développer des
réponses aux émotions désagréables. Ces réponses lui
sont propres car elles sont mises en place de façon
instinctive, non réfléchies. Ce sentiment tout comme
cette émotion souffrante s ’inscriront dans l’incons­
cient de l’individu depuis son enfance, de même que
sa réaction défensive et l’impact sur ses relations aux
autres2. Cette personne, devenue adulte, renouvellera
inconsciemment le même processus dans des situa­
tions similaires, menant toujours à la même insatisfac­
tion et cela, jusqu’à ce qu’elle prenne conscience de
son fonctionnement psychique, ce qui lui permettra
alors de briser un système relationnel non satisfaisant.

Comprendre son fonctionnement psychique

Depuis L ’Interprétation du rêve de Sigmund


Freud3, en découvrant l’inconscient, le psychanalyste

1. Ibid.
2. Daniel Goleman, L 'Intelligence émotionnelle, op. cit.
3. Sigmund Freud. L'Interprétation du rêve, PUF, 2012.
cherche à dégager des lois générales du fonctionne­
ment psychique. En 1923, en révélant ses recherches
sur le principe de plaisir et le principe de réalité,
Freud inscrit l’inconscient dans une perspective
dynamique qui anime la vie mentale et considère que
cet état existe avant le conscient. L’inconscient est
structuré par le refoulement qui est entretenu par les
forces telles que les résistances. L’inconscient héberge
tout refoulé. C ’est dans l’inconscient que se loge le
réservoir pulsionnel (le ça) et les pulsions refoulées.
Le terme de « mécanisme de défense » est alors intro­
duit pour la première fois par Freud. Parmi les méca­
nismes de défense les plus répandus, on peut nommer
le refoulement, le déni ou négation, le mensonge,
le reproche, l’autopunition, la confluence, la critique,
le jugem ent, la supériorité, la colère défensive...
Cette liste est loin d ’être exhaustive.
Tout individu a son propre fonctionnement psy­
chique dans la mesure où tel déclencheur induira
telle émotion souffrante et par la suite, telle réaction
qui pourra avoir des répercussions sur la relation1.
Cependant, le déroulement de ce fonctionnement
psychique est le même pour tous. On distingue sept
étapes : le déclencheur, l’interprétation subjective
négative, le sentiment, l’émotion souffrante, le méca­
nisme de défense, l’impact négatif dans la relation à
l’autre et le processus de responsabilisation. Bien
que les six premières étapes soient des réactions en
chaîne sur lesquelles nous n ’avons pas vraiment de
pouvoir d ’action, le processus de responsabilisation
est l’étape au cours de laquelle on possède le pouvoir
sur soi.
Le patient a la possibilité d ’exprimer et d ’accepter
dans l’instant présent son vécu souffrant. Ce travail de
responsabilisation demandera à l’individu, après avoir
réagi défensivement, de revenir dans la relation pour
exprimer son vécu de façon responsable et rétablir
l’authenticité de la relation1. J ’appelle cela le pouvoir
de parler au j e pour sortir de l’espace de lutte, de
conflit face à l’autre. En parlant de soi, on ne fait pas
porter la culpabilité à l’autre, on assume ce que l’on
vit, ce que l’on est. Aider le patient à comprendre les
déclencheurs de sa réaction défensive, afin qu’il soit
en mesure d ’analyser ce qu’il ressent en faisant le lien
avec son vécu et enfin de l’exprimer à l’autre dans
l’instant présent, voilà en quoi consiste le travail d ’un
zoothérapeute. Pour mieux comprendre, imaginez une
boule de neige qui glisse le long d ’une pente pour
devenir une avalanche. Imaginez cette avalanche en
vous. Pour éviter que celle-ci soit dévastatrice, vous
devez comprendre et intervenir sur l’événement exté­
rieur qui a poussé cette boule de neige à dévaler la
pente. Il faut, en d ’autres mots, devenir acteur de sa
vie et non plus uniquement spectateur.

La gestalt

Cette approche psychothérapeutique (sous-courant


de l’approche humaniste) initiée par le psychiatre

1. Colette Portelance, Relation d'aide et amour de soi, Édi­


tions du Cram, 2008.
Fritz Péris est devenue populaire à partir du début des
années 1970. Gestalt en allemand signifie «im age
qui fond». Cette approche a donné naissance à des
notions psychologiques telles que «Tici et mainte­
nant», la théorie des besoins, la responsabilité, les
projections, les introjections et les polarités. Selon
Serge Ginger, « la gestalt met l’accent sur la prise de
conscience du processus en cours dans F ici et mainte­
nant de chaque situation; elle développe le sens de
la responsabilité et réhabilite le ressenti émotionnel
dans l’ici et maintenant, ce ressenti trop souvent cen­
suré par la culture occidentale. Elle développe une
perspective cohérente de l’être humain en relation
avec son environnement et intégrant ses cinq dimen­
sions principales : sensorielle, affective, intellectuelle,
sociale et spirituelle. La gestalt favorise un contact
authentique avec les autres, un ajustement créateur à
l’environnement ainsi qu’une prise de conscience des
dysfonctionnements anachroniques qui nous poussent
trop souvent à des conduites répétitives et figées. Elle
permet le repérage de nos processus de blocage ou
d ’interruption dans le cycle du contact et dévoile nos
inhibitions, nos comportements d ’évitement, ainsi
que nos illusions persistantes. La gestalt évite d ’expli­
quer les origines de nos difficultés et propose plutôt
d ’expérimenter des pistes de solution dans la libre
construction d ’un sens nouveau: à la recherche du
savoir pourquoi, elle préfère le sentir comment, lequel
est davantage mobilisateur de changem ent.»1 C ’est
tout le travail d ’expertise du zoothérapeute que de
savoir, dans l’ici et maintenant de la relation à son

1. Serge Ginger, La Gestalt : l'art du contact. Marabout, 2013.


patient, ce qui se passe en lui par rapport à son fonc­
tionnement psychique. Selon Arenstein, « le travail
thérapeutique en gestalt se concentre sur les aspects
suivants : assumer ses mécanismes de défense et ses
contradictions ; vivre le continuum de la conscience,
c ’est-à-dire l’alternance du contact et du retrait ; être
pleinement soi (réunifier toutes les composantes frag­
mentaires et isolées de sa personnalité, surtout celles
que nous renions) » 1. Il explique ainsi les grandes
orientations de la gestalt : « Premièrement, c’est dans
l’ici et maintenant que nous devons chercher à vivre.
Les ruminations du passé et les peurs du futur sont
considérées comme des loisirs futiles qui sabotent
notre plaisir; deuxièmement, l’approche gestaltiste
préconise la réunification de nos tendances contradic­
toires. Nous pouvons apprendre à les accepter et à les
faire cohabiter à l’intérieur de nous au lieu d ’essayer de
les écraser ou de les ignorer au risque de ne plus être
nous-même ; troisièmement, la gestalt nous enseigne à
vivre le plus complètement possible. Ceci implique
que nous ayons à prendre certains risques afin de nous
ouvrir sur des aspects plus cachés de notre personna­
lité. Cette attitude nous rendra plus entier. » 2

Quelle est la place de l’animal


dans cet espace thérapeutique ?

L’animal va servir de catalyseur dans ce processus


de conscientisation. C ’est-à-dire qu’il va provoquer,

1. www.authenticite.qc.ca/modeDintervention
2. Ibid.
favoriser, accélérer une réaction chez le patient par
sa seule présence, réaction qui comme nous avons pu
l’observer se produirait à plus petite échelle si l’animal
n ’était pas présent. Pour Arenstein, « introduire un
animal dans une relation thérapeutique, c ’est installer
un deuxième lien là où il n ’y en avait qu’un. Et ce
deuxième lien devrait idéalement être davantage nour­
rissant que le premier, sinon l’animal est réduit à l’état
de parure et, à ce moment, un toutou en peluche ferait
aussi bien l’affaire. Il n ’est pas exagéré de dire que
toute am élioration de la condition psychologique
d ’une personne est due à une relation nourrissante,
que celle-ci ait lieu avec un humain ou un animal. Si la
relation nourrissante avec un humain se double d ’une
relation nourrissante avec un animal, nous avons là un
ensemble de stratégies gagnantes. » 1 Pour sa part,
François Beiger ajoute que « par sa présence, l’animal
favorise le développement d ’une relation thérapeu­
tique. Plusieurs facteurs jouent ici un rôle important :
un animal paisible va rassurer et apaiser le patient
(il aura un effet relaxant) ; de plus, il va favoriser le
contact, permettre de continuer à communiquer et à
aider à recréer des liens sociaux (ou facilitation
sociale). Il devient également un véritable médiateur
entre un patient très retiré, voire hostile, et un théra­
peute parfois désemparé. L’animal permet de redon­
ner une place au sujet et de ne pas croire simplement
le malade. L’animal apporte aussi une aide au théra­
peute, ce qui est moins souvent reconnu. [...] En se

1. Georges-Henri Arenstein, « Réflexions du coq à l’âne sur le


chien et son propriétaire», in Georges-Henri Arenstein et Jean
Lessard, La Zoothérapie, nouvelles avancées, op. cit., p. 249.
tournant vers l’animal, le thérapeute se détend,
patiente, se remet à l’écoute et se “rééquilibre” pour
revenir vers le patient avec un esprit plus ouvert. » 1

L’écoute sensible

La qualité essentielle de tout intervenant en relation


d ’aide est sa capacité à écouter son patient, à écouter
son vécu sans le juger. L’écoute représente 80%
du travail du zoothérapeute. Il doit laisser toute
la place à son patient. Lors de la relation d ’aide, le
thérapeute doit, en plus du verbal, savoir écouter les
silences et tenir compte du langage non verbal
(regards, réactions physiques, gestuelle, etc.) exprimé
par son patient. Le rôle de l’animal dans cette écoute
sensible est essentiel. Contrairement à nous, il ne va
pas essayer de com prendre et d ’analyser ce q u ’il
entend. Ce qu’on qualifie d ’acceptation incondition­
nelle prend alors tout son sens. L’animal écoute sans
juger les personnes telles qu’elles sont. C ’est la phrase
clé en zoothérapie. « Un client en thérapie a besoin
d ’un espace, écrit Arenstein. On parle ici d ’un espace
psychique dans lequel il peut explorer son monde inté­
rieur sans être dérangé. En se taisant, le chien lui offre
tout l’espace. Même le thérapeute le moins bavard ne
peut offrir ce cadeau à son client. [...] Force est de
constater que l’acceptation inconditionnelle, si elle
demeure une qualité thérapeutique enviable, est

1. François Beiger, «La zoothérapie ou médiation animale»,


in Georges-Henri Arenstein et Jean Lessard, La Zoothérapie,
nouvelles avancées, op. cit., p. 148.
beaucoup plus l’apanage des chiens que des humains.
[...] L’animal par son absence de langage verbal nous
laisse tout l’espace psychique dont nous avons besoin.
Son silence, autant que l’absence de jugement de sa
part, en fait un être attachant auprès de qui on peut
aller chercher réconfort et acceptation incondition­
nelle. »* La plus grande partie du travail d ’un zoo­
thérapeute passe par une attitude d ’empathie et de
compassion qui ne peut exister que par l’amour qu’il
va véhiculer à travers un langage verbal et non verbal.

La communication non verbale


que l’animal peut déclencher

François Beiger et Aurélie Jean ont dressé une liste


des différents aspects de la communication non ver­
bale à l’usage des zoothérapeutes. Je me permets de
les extraire de leur livre L ’Autisme et zoothérapie.
Communication et apprentissages par la médiation
animale12. Ils expliquent parfaitement combien il est
essentiel de les prendre en compte lors d ’une séance
en zoothérapie car parfois entre « ce qui est dit » et
« ce qui est fait », il y a une distorsion du message
véhiculé par le patient.

1. Georges-Henri Arenstein, « La zoothérapie : une thérapie


avec un assistant à quatre pattes », in Georges-Henri Arenstein et
Geneviève Gilbert, La Zoothérapie, une thérapie hors du
commun, op. cit., p. 16-17.
2. François Beiger et Aurélie Jean, Autisme et zoothérapie.
Communication et apprentissages par la médiation animale,
Dunod, 2011, p. 20-21.
• « L a mimique: c’est le moyen de communi­
cation le plus archaïque, c ’est une capacité élective
d ’exprimer les affects et les émotions et de traduire
parfois involontairement les affleurements de notre
conscient.
• Le regard : il a un rôle important dans la récipro­
cité de la communication ou dans sa rupture.
• Les mouvements des yeux et de la bouche.
• La gestuelle et les postures indiquent les inten­
tions d ’accueil, de rapprochement ou de rejet et de
menace.
• La communication tactile : il est important de
l’observer vis-à-vis de l’animal, mais aussi par rap­
port à l’intervenant, même si elle peut se limiter à
la poignée de main qui ouvre et ferme les séances.
Elle peut transmettre des informations comme : mains
chaudes, glacées, moites, sèches, énergiques, molles,
refus ou oubli de serrer la main. Cette communication
tactile est très importante chez l’enfant qui agit plus
qu’il ne parle. Il montre ses affects ou son angoisse
dans un corps à corps affectueux ou agressif. C ’est en
verbalisant cela que nous pourrons lui permettre
d ’acquérir une maîtrise de ses affects.
• L’utilisation de l’espace: la distance à l’autre,
l’espace occupé ou non, jouent un rôle et la distance
plus ou moins grande que la personne établit peut être
révélatrice de ses difficultés.
• Les manifestations neurovégétatives : générale­
ment non intentionnelles comme la rougeur, la pâleur,
le râle, le rire bref ou encore des pleurs inconsolables.
Ces expressions traduisent l’intensité des processus
psychiques mis en cause.
• Les actes automatiques souvent inconscients :
tics, suçotements, grattage, toux... sont des témoins
de décharges pulsionnelles non élaborées.
• Le silence : il peut traduire plusieurs sentiments.
Celui de l’agressivité ou de la défense. Il peut égale­
ment représenter un conflit intrapsychique qui ne peut
s’exprimer, un sentiment d ’angoisse ou de culpabilité,
un vécu émotionnel paralysant. »

Les stratégies d’intervention


du zoothérapeute
dans la communication verbale

«La blessure psychologique ayant eu lieu


dans un contexte relationnel, la guérison ne peut
survenir que dans un contexte relationnel. » 1
Georges-Henri Arenstein

Un bon thérapeute sait se taire et peut aussi inter­


venir verbalement dans la relation d ’aide au moyen
de quatre techniques de la communication verbale : le
reflet, la vérification, la reformulation et le partage du
vécu2. Il ne s’agit pas de prendre la place du patient
mais d ’interagir sporadiquement de façon à recentrer
le discours. Ainsi, les deux personnes, aidant et aidé,
existent dans la relation.
Par le reflet, je verbalise l’état émotionnel que je
perçois. Par exemple, je peux dire «Je vois que vous

1. Georges-Henri Arenstein et Jean Lessard, La Zoothérapie,


nouvelles avancées, op. cit., p. 248.
2. Colette Portelance, Relation d'aide et amour de soi, op. cit.
avez les yeux qui brillent » et surtout ne pas dire « Je
sens que vous êtes triste ». Porter un jugement sur
l’état émotionnel du patient ferme presque immédia­
tement la porte à la relation d ’aide. Arenstein précise
à ce propos : « En thérapie, on s’efforce de donner
au client des reflets justes et appropriés face à un
comportement précis et non face à toute sa personne.
Par analogie, on recommande aux parents de ne pas
s’en prendre à l’enfant lui-même mais à son compor­
tement si ce dernier s’avérait inapproprié. La phrase
“Tu manges comme un cochon !” n ’a pas le même
sens ni le même impact que “Je n ’aime pas ta façon
de manger !” » 1
Par la vérification et la reformulation, je vérifie
auprès du patient que j ’ai bien compris en utilisant les
mêmes mots que lui. Cela permet au patient de pour­
suivre son récit en demeurant centré sur un point pré­
cis et me permet d ’éclairer une avenue importante
chez un patient confus dont le discours serait éparpillé.
Par partage du vécu, je peux verbaliser que je suis
ému par ce que j ’entends. Attention, il n ’est pas
question pour moi d ’entrer dans des confidences sur
ma vie avec mon patient, car la relation aidant-aidé
serait bouleversée. Cependant, le patient ressent un
profond soulagement quand il comprend qu’il n ’est
pas le seul à vivre ce qui le fait souffrir. Le but n ’est
en aucun cas de le conseiller: c ’est à lui seul de
comprendre, de conscientiser les origines de son
mal-être.

1. Georges-Henri Arenstein et Geneviève Gilbert, La Zoothé­


rapie, une thérapie hors du commun, op. cit., p. 16.
Dans la pratique, comment ça marche ?
De l’évaluation des besoins à la planification
des séances en zoothérapie

La première rencontre entre la famille, le patient,


qu’il soit seul ou en groupe, et le zoothérapeute avec
son animal, a pour objectif principal de faire une
évaluation des besoins de la personne à aider. Le zoo­
thérapeute doit au cours de cette première rencontre
établir des objectifs afin de baliser et structurer ses
interventions pour atteindre comme but final le main­
tien ou le bien-être du patient. Au cours de cette
séance, le zoothérapeute observe le comportement du
patient avec l’animal et inversement. Est-ce que le
courant passe entre les deux ? Comment se comporte
mon chien Chico, par exemple ? Va-t-il spontanément
chercher une caresse ou au contraire reste-t-il à mes
côtés ? Dans quel état émotionnel est mon patient ? Si
un de mes patients est par exemple agité, qu’il ne tient
pas en place et parle avec un débit trop rapide, j ’es­
sayerai d ’utiliser mon chien comme un miroir pour
permettre au patient d ’exprimer de façon détournée
ses propres émotions. Par exemple, si Chico est à mes
côtés et ne va pas vers la personne, je dirai à mon
patient : « Je vois que tu ne tiens pas en place et je vois
que Chico a peur, car il reste près de moi. » Le patient
peut alors interpréter la peur de mon chien en fonction
de ce qu’il ressent: «Ton chien a peur car personne
ne l’aime et que ça le met en colère. » Par la remarque
suivante, je me permets de reformuler uniquement les
mots de mon patient, de saisir l’état émotionnel dans
lequel il se trouve dans l ’ici et m aintenant et de
recentrer le discours : « Si j ’ai bien compris, Chico a
peur de n ’être pas aimé, il est alors en colère. » Et
j ’ajoute : « Q u’est-ce qui fait qu’il a l’impression de ne
pas être aimé ? » Ainsi l’échange verbal peut avoir lieu
en respectant le rythme de la personne aidée. En tant
que zoothérapeute, on se doit de demeurer rigoureux
dans nos interprétations afin d ’éviter des erreurs de
jugement dues à des interprétations erronées.
À la fin de cette rencontre, le zoothérapeute doit être
en mesure de reconnaître s’il peut ou non aider la per­
sonne et, le cas échéant, être en mesure de l’orienter
vers un professionnel plus adapté à la problématique.
Il m ’est arrivé de refuser d ’aider certaines personnes
que je jugeais trop agressives physiquement pour ma
propre sécurité et celle de mon chien. Parfois la per­
sonne veut juste donner des coups de pied à Chico ou
essayer de lui faire du mal volontairement. Si après ma
première mise en garde (par exemple : « Si vous conti­
nuez à avoir ce comportement agressif envers Chico,
je cesse la séance immédiatement »), le patient conti­
nue d ’être aussi nuisible pour l’animal, j ’interromps la
séance. Je l’invite à contacter d ’autres zoothérapeutes
que je connais et qui œuvrent dans des établissements
dédiés à une patientèle jugée difficile (« borderline »
ou trouble de la personnalité limite, schizophrénie,
délinquance, etc.). A ce stade, il est primordial de res­
pecter ses limites et de savoir dire non si nous ne le
sentons pas : il faut éviter de tomber dans l’écueil du
sauveur.
Si après cette première séance, le zoothérapeute
se sent apte à aider la personne, il doit par la suite
articuler toutes ses prochaines interventions pro­
fessionnelles en zoothérapie autour d ’objectifs bien
définis. Ces derniers doivent tenir compte essentielle­
ment des possibilités actuelles du patient et non de ses
déficiences. Il faut tenir compte de ses activités quoti­
diennes, de sa réalité et de son imaginaire. Ces inter­
ventions ne doivent pas être rigides et répétitives.
Souvent les stratégies que nous voulons mettre en
place pour la séance suivante ne fonctionnent pas
(personne aidée et animal non réceptifs), alors il faut
toujours avoir un plan B et faire preuve de créativité.
A ce sujet, G eorges-H enri A renstein introduit la
notion de zoothérapie passive et zoothérapie active :
« Un animal passif qui se laisse caresser et qui ne fait
rien d ’autre que croquer une friandise de temps en
temps peut apporter un certain réconfort ou une cer­
taine distraction au client. C ’est ce qu’il est convenu
d ’appeler la zoothérapie passive. Mais il existe aussi
une zoothérapie active qui va plus loin et qui requiert
certaines habiletés, entre autres la créativité de la part
de l ’intervenant. Il reste que, dans le prem ier cas
comme dans le second, c ’est la qualité et la force de la
relation humain-animal en plus de la relation humain-
thérapeute qui sont mises à contribution. » 1

Le déroulement des séances :


avant, pendant et après

Avant chaque séance, le zoothérapeute relit les


objectifs qu’il s’est fixés pour l’intervention et s’il y a

1. Georges-Henri Arenstein et Jean Lessard, La Zoothérapie,


nouvelles avancées, op. cit., p. 249.
eu d ’autres séances avec le patient, il relit les précé­
dents rapports d ’intervention. Il s’assure que son sac
d ’intervention inclut bien le matériel dont il aura
besoin pour réaliser les exercices prévus entre l’ani­
mal et le patient. Il vérifie enfin que l’animal est en
bonne condition physique et qu’il est calme. Avant
chaque intervention, je promène Chico trente minutes
pour l’amener à être complètement détendu et à faire
ses besoins.
Au cours de chaque séance, d ’une durée de cin­
quante minutes, un espace thérapeutique se crée entre
le patient, l’animal et le zoothérapeute. Ce dernier met
en application les exercices prévus (stratégies d ’inter­
vention basées la plupart du temps sur des jeux entre
l’animal et le patient) en fonction de ses objectifs
d ’intervention. Dans le même temps, le zoothérapeute
doit exploiter les opportunités non prévues qui se pré­
sentent à lui ; j ’en reviens à ce que je qualifie de créati­
vité ou de capacité d ’adaptation. Il faut savoir « saisir
le moment » ! Il faut sans cesse être vigilant face au
temps qui passe et annoncer la fin de la séance dans
les dix dernières minutes. Il est indispensable de tou­
jours finir sur une note positive et ainsi laisser le
patient dans un état émotionnel satisfaisant. On évo­
que ensuite avec le patient la prochaine intervention,
de manière à atténuer chez lui un éventuel sentiment
d ’abandon.
Après la séance, le zoothérapeute doit rédiger
un rapport d ’intervention. Dans ce dernier, il faut éga­
lement préciser les exercices prévus pour la prochaine
intervention et réajuster les objectifs que nous nous
étions fixés en tenant compte du rythme et de la
réceptivité du patient. Ce rapport est strictem ent
confidentiel (conformément au code de déontologie).

Dans quel lieu peut-on intervenir ?

L’espace physique dans lequel les séances peuvent


se dérouler varie selon les cas et les situations : dans
une chambre, un salon, une institution, etc. Ce qui est
primordial, c ’est de choisir un lieu où le patient se
sente bien. Par exemple, pour chaque enfant autiste
que j ’ai aidé, j ’ai réalisé que le rencontrer chez lui dimi­
nuait son anxiété et qu’il était plus réceptif au cours de
la séance. On peut aussi inclure parfois dans la séance
des promenades courtes en dehors d ’un espace clos si
l’on souhaite sortir la personne de son isolement ou
dans des cas de rééducation physique. C’est du cas par
cas et il ne faut en aucun cas faire preuve de rigidité. Le
bien-être et le confort du patient sont primordiaux.

Le thérapeute et l’animal, un duo complice

Comme je l’ai mentionné auparavant, la créativité


est une qualité essentielle chez un zoothérapeute. Pen­
dant l’éducation de mon chien, je lui ai appris à aboyer
en utilisant un langage des signes. Par exemple, en
mettant la main à plat et en bougeant de façon répétée
le pouce de bas en haut, Chico va alors aboyer. Ce
petit geste tout simple m ’a aidé à de nom breuses
reprises à communiquer avec des personnes qui au
départ refusaient de me parler. Ce fut le cas avec une
enfant qui avait subitement arrêté de parler depuis
plusieurs mois. En présence de mon chien, je lui ai
dit qu’elle pouvait, si elle le souhaitait, parler à Chico.
À la façon dont elle a haussé les épaules, j ’ai bien
compris qu’elle n ’en croyait pas un mot. Alors qu’elle
le regardait, l’air dubitatif, je lui ai fait ce signe de
la main pour qu’il aboie. «Tu vois, il comprend et il
répond. » L’effet fut instantané. Quelques minutes
ont suffi pour que la fillette se mette à rire et entame
une conversation avec Chico. Au fil des séances, elle
finirait par lui confier que son parrain venait la déran­
ger en pleine nuit et qu’elle n ’aimait pas ce qu’il lui
faisait.
Mon chien me permet aussi de me recentrer. Dans
des moments de tension ou de difficulté, en me tour­
nant vers Chico, je me détends, je me remets à l’écoute
sensible et reviens vers le patient avec un esprit plus
clair, plus bienveillant. Nous formons une équipe. Et
j ’ai la responsabilité de son bien-être au cours des
séances. Je dois mesurer son état de fatigue si je l’ai
fait courir et q u ’il est ensuite peu réceptif à mes
demandes. Avec le même chien, il est entendu qu’il ne
faut pas dépasser six à huit interventions par semaine
pour ne pas l’épuiser. Chaque intervention ne doit
pas dépasser une heure (excepté lors de l’évaluation
des besoins soit lors de la première séance, car à ce
moment, le chien est peu sollicité). Je reste donc vigi­
lant aux signaux émis par l’animal (apaisement ou
détresse). Mon approche est donc semi-directive en ce
sens que je serai directif face à l’animal, mais non
directif face à mon patient. Le rôle de l’animal est fort
simple : il sert à créer un lien d ’attachement avec le
patient afin d ’aboutir à un véritable lien de confiance.
Sans confiance, je ne peux pas aider.
Zoothérapie vs. zooanimation :
deux mots à ne pas confondre

Enfin, j ’insiste sur ce point, il ne faut pas confondre


zooanimation et zoothérapie. On peut parler de zoo­
animation lorsqu’un intervenant effectue une visite
dans un foyer pour personnes âgées par exemple, dans
le but de les divertir. Ces séances, bien qu’apportant
un bien-être chez les participants, sont informelles ;
les intervenants n ’ont pas d ’objectifs thérapeutiques
précis à atteindre. La zoothérapie consiste en une
intervention professionnelle dans laquelle l’animal
permet à l’intervenant d ’atteindre des objectifs théra­
peutiques. Le zoothérapeute rédige un rapport à la fin
de chaque séance. Il planifie la prochaine rencontre
selon des stratégies zoothérapeutiques claires visant
au mieux-être du patient.

Quel animal choisir ? Pour quel patient ?

« I l y a un mystère de la caresse : l ’enfant et l ’animal


se retrouvent dans cette expérience. » 1
A lexandre Lacroix

Au cours de ma formation, j ’ai eu la chance de


rencontrer des zoothérapeutes compétents et reconnus
qui utilisaient des animaux différents comme média­
teurs. Leur passion et les connaissances q u ’ils ont

1. «Pourquoi aimons-nous les animaux?», Philosophie


magazine, mars 2014, p. 46.
acquises sur leurs « protégés » font figure de référence
encore aujourd’hui. Que ce soit Coralie Robin, fonda­
trice d ’un centre d’équitation thérapeutique au Québec
depuis 2001, ou Johanne Vaillancourt, intervenante en
comportement des perroquets depuis 1984, j ’ai été
fortement inspiré par leurs enseignements. Il m ’a
semblé pertinent de ne mentionner dans ce chapitre
que les animaux avec lesquels j ’ai été familiarisé au
cours de mes formations (au Québec et en Israël), à
savoir le chien, le chat, le cheval, le perroquet et le
dauphin. Et ainsi, justifier pourquoi j ’ai finalement
privilégié mon chien comme animal médiateur. Il m ’a
aussi semblé intéressant d ’expliquer, pour chacun de
ces animaux, comment ils sont rentrés dans la vie de
l’Homme, de parler de leur comportement en milieu
naturel afin de mieux comprendre pourquoi certains
d ’entre eux sont à privilégier en fonction de la person­
nalité et de la psychologie du patient.
Tout animal apprivoisé, soigneusement sélectionné
et entraîné dans le cadre d ’une formation en zoothéra­
pie, peut être utilisé comme animal médiateur. Aujour­
d ’hui, le chien, le chat, le cheval sont les animaux les
plus utilisés par les zoothérapeutes. Cela a du sens
puisque ces trois espèces ont été les premières à être
domestiquées par l’homme, le chien en tête. Mais
d ’autres espèces animales peuvent aussi être utilisées
comme médiatrices, parmi elles : les lapins, le furet, le
hamster, l’âne, le lama, le mouton, la chèvre et même
certains reptiles. Tout est une question d ’affinités
entre l’animal et le zoothérapeute. C ’est avant tout un
travail d ’équipe.
Le chien, le premier ami de l’homme

Bien que notre lien avec cet animal de nature


affective remonte à l’époque de Cro-Magnon, il sem­
blerait qu’il soit aussi de nature hormonale ! En effet,
il a été récemment démontré qu’un simple échange
de regards entre un chien et un être humain met en
jeu des phénomènes hormonaux impliquant l’ocyto­
cine, une hormone-clé de l’attachement. Cette hor­
mone, parfois surnommée hormone de l’amour, du
plaisir ou de l’attachement serait aussi essentielle à
la formation des liens entre la mère et l’enfant. Ces
mêmes chercheurs ont également démontré que les
personnes qui embrassent fréquemment leur chien
présentent des niveaux plus élevés d ’ocytocine1. De
plus, l’interaction avec les chiens peut faire augmen­
ter la sécrétion de sérotonine, une hormone qui
contribue à lutter contre la dépression2.
Des dizaines de milliers d’années de cohabitation
ont raffermi la relation entre l’homme et le chien. En
effet, il y a trente mille ans, on sait que l’homme de
Cro-Magnon recueille et élève des louveteaux (Canis
lupus, loup gris) pour le plaisir de les câliner plutôt
que pour les services qu’il pourrait en tirer. L’utilité
de ces animaux sociables et obéissants est apparue
peu à peu. Dans la grotte de Goyet en Belgique, les

1. Miho Nagasowa et al., « Oxytocin-gaze loop and the coe-


volution of human-dog bonds», Science, 348 (6222), 2015,
p. 333-336.
2. Judith Siegel et al., «Stressful life events and use of
physician services among the Elderly : The moderating rôle of
Pet ownership », Journal o f Personality and Social Psychology,
58(6), 1990, p. 1081-1086.
plus anciens restes de chien (Canis familiaris) connus
à ce jour ont été mis au jour. Ils datent de trente-deux
mille ans. Dans la grotte Chauvet en Ardèche, ce sont
les émouvantes empreintes d ’un enfant et d’un canidé
qui attestent la proximité entre les deux espèces. Le
« meilleur ami de l’homme » est également le premier
animal à avoir été domestiqué1.
Au contact d ’êtres humains, les chiens adoptent des
comportements, des attentes et même des habitudes
particulières selon les cultures, les environnements et
la place qu’on leur accorde auprès de leurs maîtres.
Par exemple, au Groenland, chez les peuples inuits,
les chiens sont élevés pour tirer les traîneaux, autre­
ment dit, ce sont des chiens utiles à la survie de
l’homme. Ils répondent au commandement de leur
musher (conducteur de la meute) qui met littéralement
sa vie entre leurs pattes. En effet, les chiens de tête
sont capables de détecter le sel grâce à leur odorat
particulièrement développé. Par conséquent, ils vont
être capables de détecter les endroits où les concentra­
tions de sel sont les plus élevées, c ’est-à-dire le lieu
même où l’épaisseur de la banquise est la plus faible.
Passer à cet endroit, c ’est la mort assurée pour tout le
groupe. En évitant ces zones de glace trop mince, les
chiens de traîneau assurent la survie de leur musher.
Dans les pays occidentaux et en A m érique,
le chien a perdu cette fonction utilitaire au sens strict
du terme. Il occupe une place importante au sein
des fam illes ju s q u ’à être considéré com m e un
membre à part entière. Certains ont même tiré profit

1. Hervé Ponchelet, « L’animal et nous. Humbles serviteurs


depuis des millénaires », Sciences et Avenir, 2012, p. 21-25.
de cet attachement en créant des hôtels pour chien,
des salons de m assage et des transports aériens
100 % canin. À Central Park, à New York, vous pou­
vez même louer des chiens à l’heure. Il a en effet
été démontré que les propriétaires de chien qui se
baladent avec leur compagnon attirent plus facile­
ment des personnes célibataires1. Le chien, dans ce
cas comme en zoothérapie, diminue les résistances
chez les personnes. On accorde en effet plus aisé­
ment notre confiance aux personnes se promenant
avec un chien qu’aux personnes seules.
Son évolution auprès de l ’homme depuis des
dizaines de milliers d ’années en a fait un être bien
particulier. Tout comme l’humain, le chien est plas­
tique, surtout dans les premiers mois de sa vie.
Enfin, les chiens sont capables d ’empathie non
seulement envers les hommes mais également envers
d ’autres animaux. Une amie qui vit en Alaska me
raconte l’histoire suivante. Elle recueille chez elle
tous les animaux qui risquent l’abattoir, dont un
poulet qui a les pattes déformées. Alors qu’elle nourrit
ses poules, son chien, un gros saint-bernard, jette
littéralement son dévolu sur cet oiseau lourdement
handicapé. Dès q u ’il aperçoit ce poulet atrophié,
ce chien, avec une délicatesse inouïe, le prend entre
ses deux grosses pattes, le colle contre son poitrail
et le lèche avec tendresse. Les chiens ont cette capa­
cité de ressentir les besoins spécifiques d ’un animal
blessé ou d ’une personne en difficulté face à eux - une
faculté que les éthologues appellent l’empathie

1. Marie-Joëlle Parent, « New York, capitale des célibataires


et... des chiens », Le Journal de Montréal, 3 novembre 2010.
et qu’ils ont découverte également chez les grands
singes.

Quelle race de chien privilégier ?

On me demande souvent s’il y a une race de chien


plus favorable qu’une autre pour la zoothérapie. Il
existe aujourd’hui près de quatre cents races de chiens.
Les chiens ont une grande adaptabilité et sont mal­
léables au cours de leur prem ière année de vie.
Je pense que toutes les races peuvent être utilisées
comme chien médiateur. Il n ’y a pas de mauvais
chien, seulement de mauvais maîtres. Cependant, tous
les chiens ne peuvent pas assister le thérapeute. Le
chien doit répondre à de nombreux critères comporte­
mentaux avant d ’être un bon candidat. Il existe des
grilles d ’évaluations avec des critères de sélection
très stricts. En voici quelques-uns :
• Être propre.
• Être obéissant.
• Se laisser manipuler, brosser sans agressivité.
• Posséder une grande tolérance au stress, à l’anxiété
dans quelque situation où il peut se retrouver.
• Être capable d ’affection envers le patient (qu’im­
porte son état physique et son apparence : handicapé,
en fauteuil roulant...).
Il est conseillé au zoothérapeute d ’avoir plusieurs
chiens, si possible de tailles différentes avec des
tempéraments divers. Cela permet ainsi au même
animal de ne pas toujours être sollicité et de se
reposer. Certains zoothérapeutes vont en plus de
leur chien avoir un lapin, un chat, un perroquet. En
ayant ainsi une telle «banque» d ’animaux, le zoo­
thérapeute peut sélectionner un individu en fonction
des besoins spécifiques du patient. Par exemple, s ’il
avait fallu que je travaille auprès de personnes
handicapées qui cherchent à améliorer leur coordi­
nation psychomotrice, leur force, leur équilibre, un
chien de grande taille aurait été nécessaire. Cepen­
dant, avoir plusieurs chiens ou animaux demande
une plus grande logistique pour le transport, l’entre­
tien, l’aménagement de leur environnement. Ce qui
n ’est pas toujours possible, surtout si vous vivez en
ville.
Dans mon cas, j ’ai exclusivement travaillé avec
mon chien, Chico, petit bichon maltais de moins de
2,5 kilos. Je l’ai éduqué dès son plus jeune âge en
tant que chien de zoothérapie au cours de ma forma­
tion, auprès d ’éducateurs canins, principalement au
clicker. Cette méthode d ’éducation douce, reconnue
scientifiquement, est basée sur le conditionnement
classique et le conditionnement opérant. Par cette
technique, on renforce positivement (avec des frian­
dises, des caresses, des encouragem ents) le bon
comportement du chien en émettant un « clic » (son)
au moyen du clicker. Le message qu’induit le clic est
« o u i» (toujours suivi d ’une friandise); son absence
signifie «essaie encore». Avec cette méthode
d ’entraînement, on peut enseigner une multitude de
tours à son chien *. Ainsi, j ’ai appris à Chico à aboyer1

1. Jean Lessard, «Zoothérapie, cynopédagogie et TAG


Teach savoir-faire et savoir-être», in Georges-Henri Arenstein
et Jean Lessard, La Zoothérapie, nouvelles avancées, op. cit.,
p. 218.
sur demande (en disant «parle» ou avec un geste
bien précis), à « faire le mort », à rouler, à se coucher,
à s’asseoir, etc. Tous ces comportements, je les par­
tage, je les transmets ensuite à mes patients au cours
des séances. Quand ces derniers, enfants comme
adultes, effectuent ces activités d ’apprentissage, cela
stimule leurs sentiments d ’accomplissement et de
responsabilité. Leur confiance, l’estime qu’ils ont
d ’eux-mêmes augmente. Combien d ’enfants à la fin
de chaque séance éprouvent une immense fierté et
montrent à leurs parents ce qu’ils viennent d ’accom­
plir avec le chien ? À vrai dire tous, sans exception !
Leur motivation à revenir pour une autre séance est
nettement accrue.
J ’ai éduqué Chico dès l’âge de trois mois, dans les
hôpitaux, des centres pour personnes âgées atteintes
ou non d ’Alzheimer, auprès d ’enfants hyperactifs, de
personnes autistes, de patients souffrant de dépres­
sion, entre autres. Il a été fortement désensibilisé aux
bruits, aux odeurs, aux comportements intempestifs.
Plus tôt l’éducation d ’un chiot se fait, plus vite sera
intégré l’apprentissage.
J ’ai choisi cette race sans aucun doute parce
qu’enfant j ’ai grandi auprès de deux bichons maltais.
Dans la deuxième partie de ce livre, j ’approfondis
les raisons pour lesquelles j ’ai choisi Chico comme
mon assistant de prédilection. J ’ai privilégié sa petite
taille pour des raisons de commodité, de transports
(terrestres et aériens) mais surtout parce que les
enfants sont moins impressionnés devant des petits
chiens que des gros. J ’ai constaté que cela est valable
aussi chez certains adultes. Aujourd’hui âgé de 10 ans,
Chico a toujours l’air d ’un chiot. Les personnes sont
davantage sensibles à l’apparence, elles veulent en
prendre immédiatement soin. À cet égard, il remplit
une fonction projective. Cette projection me permet
d ’avoir accès à de l’information riche plus rapidement.
Le chien agit clairem ent comme un catalyseur. Il
provoque, favorise ou accélère chez le patient des
réactions émotionnelles qui se produiraient plus lente­
ment si le chien n ’était pas présent.
De plus, Chico ne perd pas ses poils et cela est
extrêmement important si vous travaillez au contact
de gens souffrant d ’allergies. D ’ailleurs, certaines
écoles, de nombreux centres pour personnes âgées ou
hôpitaux refusent les animaux qui perdent leurs poils
pour des raisons d ’hygiène et d ’allergies.
Travailler avec des chiens que je ne connais pas ou
que je n ’ai pas éduqués ne me convient pas. Le fait de
bien connaître mon chien et son comportement me
met à l’aise. Une confiance mutuelle s’installe entre
nous. Je peux compter sur lui, il peut compter sur moi.
J ’admets complètement le fait que mon chien m ’a
aussi enseigné de nombreuses stratégies pour aider
des patients. Il a du « fla ir» . Un jour, j ’interviens
auprès d ’une personne souffrant de trouble de la per­
sonnalité. Après quelques minutes, cette personne
devient très violente verbalement puis physiquement.
Elle s’agite de plus en plus et se lève soudainement
pour venir à quelques centimètres de mon visage. Je
ressens alors un profond malaise, j ’ai même peur pour
ma propre sécurité. Contre toute attente, Chico se lève
et va se poser sur les genoux de la personne. Il la
regarde et se met en boule, comme si tout était normal.
Le patient se calme immédiatement ce qui me permet
de revenir dans la relation d ’aide. L’apprentissage est
un chemin à deux voies et je me demande parfois :
« Qui supervise qui ? »

Le chat

Le chat est entré dans la vie de l’homme il y a


moins de dix mille ans. C ’est grâce à son aptitude à
chasser les souris dans les grottes qu’il gagne définiti­
vement le droit de rester au coin du feu avec les
hommes du néolithique. Grâce aux squelettes de sou­
ris retrouvés dans les fouilles des premiers lieux de
sédentarisation de l’homme, les archéozoologues ont
déduit que le chat sauvage (Félis silvestris lybica)
avait été attiré par ces villages et qu’ils s’étaient peu
à peu transformés en chat domestique {Félis silvestris
catus). La plus ancienne preuve de domestication est
attestée par la découverte, à Shillourokambos, dans
l’île de Chypre, d ’une tombe vieille de neuf mille cinq
cents ans. Dans cette sépulture, un chat repose à côté
d ’un être humain. La croyance voulait que l’animal
guide son maître dans l’au-delà. Plus tard (il y a cinq
mille ans), les Égyptiens voueraient un véritable culte
au félin qui les débarrassait des souris et des serpents.
Au point d ’en faire une déesse : Bastet. Après sa mort,
le chat était momifié et son maître se rasait les sourcils
en signe de deuil1.

1. Hervé Ponchelet, « L’animal et nous. Humbles serviteurs


depuis des millénaires », Sciences et Avenir, 2012, p. 21-25.
Pour faire un lien avec cette idée de mort, j ’ai eu
l’occasion d ’observer un chat dans un hôpital à
Montréal surnommé le chat de la mort. Ce félin sentait
la « faucheuse » venir auprès des personnes en fin de
vie. Il venait toujours visiter ces dernières avant
qu’elles ne rendent l’âme. Le docteur David Dosa,
directeur de l’hôpital Steere House, à Rhode Island,
dans le service réservé aux malades d ’Alzheimer,
raconte : « Oscar est un chat de 8 ans qui semble doté
d ’un véritable sixième sens. Il détecte les morts immi­
nentes. Lorsqu’un patient arrive en fin de vie, Oscar
entre dans sa chambre, le renifle, tourne autour de lui.
S’il sent la mort imminente, il se blottit contre le
patient pour attendre le moment fatidique. Sinon, il
repart, attendant parfois même derrière la porte. Il agit
ainsi depuis qu’il est chaton et ju sq u ’ici il ne s’est
jamais trompé. » 1
En 1983, Alan Becket, professeur émérite en éco­
logie de l’animal et Aaron Katcher, psychiatre améri­
cain, dém ontrent que caresser un chat diminue
l’anxiété, la tension artérielle, donc le risque d ’infarc­
tus. En étant quotidiennement au contact de chats, on
s’expose à des molécules connues pour leur efficacité
protectrice du système immunitaire2.
Il existe une polarité chez les humains : ceux qui
sont plus « chats » et ceux qui sont plus « chiens ».
J’appartiens clairement à la deuxième catégorie. Les

1. Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos, « L’animal est


un homme comme les autres», Le Point, n° 2115, 2013, p. 53.
2. Alan Becket et Aaron Katcher, Between pets andpeople:
the importance o f animal companionship, West Lafayette, IN.
University Press, 1983.
chats apprécient la compagnie de l’homme sans en
être dépendants. Ce sont des animaux plutôt sélectifs
qui vont préférer la présence de personnes calmes et
fuir les personnes agitées. Ils sont territoriaux et ils
s’adaptent difficilement aux changements. Ils aiment
leur routine. D ’après ces attitudes comportementales,
on peut comprendre pourquoi les chats sont moins
utilisés que les chiens, lesquels coopèrent beaucoup
plus facilement en raison de leur nature soumise et
relationnelle. Cependant, l’aptitude féline que j ’uti­
lise avec les chats lors de mes interventions est le
ronronnement. Un jour, en posant le chat sur les
genoux d ’une patiente, les vibrations du ronronne­
ment l’avaient considérablement apaisée.
Aujourd’hui, on parle même de la «ronron théra­
pie » ! Jean-Yves Gauchet, vétérinaire toulousain,
est l’inventeur de cette nouvelle discipline. Il déclare
à ce sujet : « La révélation de ce phénomène m ’est
venue presque par hasard.» Cette «thérapie», il l’a
découverte sans l’avoir cherchée. «Tout a commencé
en avril 2002, se souvient-il. J ’étais en quête d ’infor­
mations pour Effervesciences, la petite revue scienti­
fique que je dirige sur le Net. Je suis tombé sur une
étude d ’Animal Voice, une association de recherche
qui étudie la communication animale. Elle a repéré,
statistiques à l ’appui, qu’après des lésions ou des
fractures, les chats ont cinq fois moins de séquelles
que les chiens, et retrouvent la forme trois fois
plus vite. D ’où l’hypothèse d ’une authentique action
réparatrice du ronronnement : en émettant ce son, les
chats résistent mieux aux situations dangereuses. Car
s’ils “vibrent” de bonheur en s’endormant, ils le font
aussi quand ils souffrent et sont plongés dans des
situations de stress intenses. » 1
Bien qu’il semble que le chat «vibre» avant tout
pour accroître son propre confort, ces sons émis cor­
respondent aux basses fréquences utilisées par les
kinésithérapeutes, les orthopédistes, et en médecine
du sport pour réparer les os brisés, les muscles lésés et
accélérer la cicatrisation. Ce ronronnement entraîne
également chez l’homme une production de séroto­
nine, appelée également hormone de l’humeur. Les
personnes atteintes de dépression sont toutes caren­
cées en sérotonine. Plusieurs études récentes montrent
que les gens qui vivent avec un chat jouissent d ’une
meilleure santé psychologique que ceux qui n ’en ont
pas2. Aucun doute que le chat présente un réel intérêt
thérapeutique tant sur le plan psychologique que
physique.

Le cheval

La domestication du cheval remonte à cinq mille


cinq cents ans, à la fin du néolithique. On retrace ses
origines au K azakhstan, au sein de la culture de
Botaï. Les archéozoologues ont ainsi démontré que
ces hommes non seulement utilisaient les chevaux
comme monture mais aussi qu’ils consommaient le
lait de jument. Des analyses chimiques et isotopiques

1. Véronique Aïache, La Ronron Thérapie: ces chats qui


nous guérissent, Le Courrier du livre, 2009.
2. Joël Dehasse, Tout sur la psychologie du chat, Odile Jacob,
2008.
de résidus de graisse sur la paroi de certaines poteries
botaï ont permis de le découvrir1.
Utilisé à des fins utilitaires, alimentaires, récréatives,
le cheval apparaît aujourd’hui comme animal média­
teur dans de nombreux centres équestres du monde
entier. L’équithérapie connaît une grande popularité en
Suisse, au Québec, en France, en Belgique, en Suède et
en Norvège. Les précurseurs de la thérapie équestre
furent les Norvégiens et les Suédois, en 1960, puis ont
suivi les Français et les Anglais. Mais ce sont les
Suisses qui vont les premiers créer l’Association suisse
de thérapie équestre (ATES)2. Elle englobe trois
domaines : l’hippothérapie, une technique où les mou­
vements du cheval servent dans le cadre d ’une réédu­
cation physique; l ’équitation adaptée associant
plusieurs activités équestres (attelage, dressage, saut,
voltige) pouvant aider des handicapés physiques et
mentaux et la thérapie équestre utilisée par le zoothéra­
peute qui fera appel au cheval pour travailler sur l’inté­
gration psychique, la relation à soi-même et à l’autre.
Contrairement au chien et au chat qui sont des
prédateurs en milieu naturel, le cheval, lui, est une
proie. Il a donc dû développer des stratégies de fuite
et de défense face aux dangers de son environnement
naturel. En ce sens, la psychologie du cheval me
semble très intéressante en zoothérapie. En effet, la
peur fait partie des paramètres que le cheval doit
gérer tout au long de sa vie. Elle doit être dosée et ne
pas prendre toute la place, sinon il ne survivrait pas.

1. Jean-Denis Vigne, Les Débuts de l'élevage, Le Pommier,


2004.
2. Maryse de Ÿ&\mà, Entre l ’humain et l'animal, op. cit.,p. 113.
Cette réciproque est également vraie pour l’humain.
La peur nous permet de nous écarter du danger, c ’est
un signal d ’alarme. Cependant, si la peur prend trop
de place dans notre quotidien, elle devient invali­
dante. On parle alors de troubles anxieux, de phobies
sociales. Aujourd’hui, 12% des Canadiens, 7% des
Américains et 5 % des Français souffrent d ’anxiété.
Les enfants atteints d ’autisme ou d ’un déficit de
l’attention sont extrêmement anxieux. En étant en
contact avec un cheval, de nombreuses personnes
sont craintives. Cet équidé suscite la peur. Face à
elle, on fuit, on évite, on refuse ou on est dans le
déni. Cependant, en surmontant nos craintes et en
essayant d ’apprivoiser cet animal, nous travaillons
sur nos propres peurs. Réussir à créer un lien avec
un cheval, c ’est accepter sa vulnérabilité et en faire
une force.
On comprend facilement que faire de la zoothéra­
pie avec un cheval demande des infrastructures bien
spécifiques, de vastes espaces, une grande logistique
dans les soins à apporter à l’animal. Ces contraintes
limitent par conséquent le choix de cet animal chez
la plupart des zoothérapeutes citadins.
Au cours des premières séances, sous la supervi­
sion d ’un zoothérapeute, le patient se familiarise avec
le cheval par l ’apprentissage du pansage (toilettage de
l’équidé). Au moyen de brosses manuelles diverses,
il entre en contact avec l’animal. Il apprend à être
attentif aux comportements du cheval et à lui-même.
Chaque brosse demande une préhension différente,
des mouvements différents. Si le patient effectue des
manœuvres trop brusques, le cheval le lui fera aussitôt
remarquer. Avec le temps, la personne devient plus à
l’aise avec l’animal. Elle pourra alors passer à l’étape
de curetage des sabots, puis au nettoyage de la tête du
cheval. Viendra alors l’étape de la longe au cours de
laquelle le patient guide le cheval au moyen d ’une
corde, d ’une courroie. Monter sur le dos du cheval ne
se fera qu’au bout de plusieurs séances. J’ai observé
que les enfants autistes réagissaient très bien à la
compagnie du cheval. Tous deux n ’aiment pas main­
tenir un contact visuel et du coup, ils se sentent moins
menacés. Sur le cheval, la chaleur et la cadence
endorment les enfants anxieux. Cet animal a le pou­
voir de calmer leurs angoisses1.
Il ne semble pas y avoir de limites dans l’aide que
les chevaux peuvent apporter à la souffrance humaine.
Ainsi, les bienfaits de l’équithérapie sont observés
auprès de patients souffrants de troubles divers : handi­
cap physique grave, paralysie cérébrale, épilepsie, tri­
somie, autisme, trouble du déficit d ’attention avec ou
sans hyperactivité, cécité, dépression, anxiété, phobies
sociales, dépendances, pour ne nommer que ceux-ci.

Le perroquet

La domestication du perroquet ne fait que com­


mencer. Au Québec, on n ’en parle que depuis une
vingtaine d ’années. À un point tel que cet oiseau est
considéré comme un animal sauvage apprivoisé et non

1. Jean-Pierre Hallé avec la collaboration de Carole Nantel,


« La Thérapie facilitée par le cheval, un souffle du vivant », in
Georges-Henri Arenstein et Jean Lessard, La Zoothérapie, nou­
velles avancées, op. cit., p. 37-64.
comme un animal domestiqué. Pour un zoothérapeute,
avoir un perroquet nécessite énormément de temps,
de patience pour son éducation, et un aménagement
très spécifique pour répondre à ses besoins. L’animal
doit se sentir en groupe, il vocalise, il crie beaucoup.
C ’est un volatil bruyant et aussi connu pour détruire
facilement le matériel qui est à la portée de son bec.
En tant que zoothérapeute, il faut être extrêmement
vigilant, et ne pas prendre de risques envers son
patient. S’il se sent menacé, le perroquet peut le bles­
ser. Il n ’y a pas de hiérarchie avec l’homme, nous
faisons partie de son clan. Sa grande longévité (90 ans
pour certaines espèces) implique un engagement à vie
pour son propriétaire1.
L’aptitude qui sans conteste fait de lui un animal
médiateur hors pair est sa capacité à parler et à com­
prendre le langage d ’une autre espèce y compris
l’Homme. En effet, il peut communiquer avec un
chien ou un chat en aboyant, en grognant ou en miau­
lant. Certaines races de perroquet ont développé l’apti­
tude à imiter la parole humaine. Ainsi, les amazones à
nuque jaune, les gris d ’Afrique, les cacatoès et même
les perruches sont prosodiques. Ils vont utiliser toutes
les composantes de la phonétique (intonation, accen­
tuation, ton, rythme, pause) afin de se rapprocher le
plus possible du langage qu’ils entendent2. Un jour,
lors d ’une séance, le patient éternue et le perroquet
répond « à vos souhaits ». Cela renforce, sans aucun

1. Johanne Vaillancourt, «Le perroquet, auxiliaire polyva­


lent», in Georges-Henri Arenstein et Geneviève Gilbert, La
Zoothérapie, une thérapie hors du commun, op. cit., p. 21 -47.
2. Ibid.
doute, le lien de confiance entre l’oiseau et le patient
car celui-ci se sent compris.
Le perroquet semble aussi être empathique. A ce
sujet, l’histoire d ’«A lex, le perroquet empathique»
mérite d ’être racontée. Voilà un perroquet gris du
Gabon qui ne se contentait pas de faire le perroquet.
L’éthologue Irene Pepperberg a utilisé sur lui une
technique d ’apprentissage dite « d u modèle et du
rival». À force d ’entraînement, Alex est parvenu à
nommer des aliments et des objets, ainsi que leur
couleur, leur matière, leur taille, leur forme, etc. Il sait
aussi compter jusqu’à six et construire des phrases
dignes d ’un enfant de 2 ou 3 ans pour communiquer.
Par ailleurs, il est capable de délicates intentions. La
veille de sa mort, en 2007, il dit à sa gardienne : « Sois
sage, à demain, je t’aime. » 1
Pour Seweryn Olkowicz, chercheur à l’université
Charles de Prague (République tchèque) et ses col­
lègues, certains oiseaux font preuve d ’une capacité
cognitive étonnante, malgré une petite cervelle. Dans
leur étude toute récente, ils ont systématiquement
mesuré le nombre de neurones dans le cerveau d ’une
vingtaine d ’espèces d ’oiseaux, dont la taille variait
du minuscule diamant mandarin à l’émeu. «N ous
avons découvert, explique le chercheur, que les
oiseaux, particulièrement les oiseaux chanteurs et les
perroquets, avaient un grand nombre de neurones
dans le pallium, la partie du cerveau correspondant

1. Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos, «Les ani­


maux : intelligence, émotions : les incroyables découvertes.
L’animal est un homme comme les autres», Le Point, n° 2115,
2013, p. 53.
au cortex cérébral qui est important pour des fonc­
tions cognitives supérieures, comme planifier l’ave­
n ir... Ce qui explique pourquoi ils m ontrent des
niveaux d ’intelligence au moins aussi complexes que
chez les primates. » 1
Le perroquet possède la même psychologie que
le cheval. En effet, les deux sont des proies dans la
nature. Il faut gagner leur confiance et quand on y
parvient, cela augmente considérablement l’estime
et la confiance de nous-mêmes. Avec ses couleurs sou­
vent flamboyantes, le perroquet suscite la curiosité et
favorise les contacts sociaux. Sa présence est particu­
lièrement bénéfique auprès de groupes de thérapie, car
c ’est un facilitateur social. Il est très approprié pour les
interactions verbales et relationnelles plutôt que phy­
siques, car il n ’apprécie pas trop d ’être caressé2.

Le dauphin

Dans la m ythologie et les légendes du monde


entier, les dauphins enchantent et fascinent l’Homme
depuis des temps immémoriaux. Leur beauté, leur
intelligence, leur vie sociale suscitent l ’intérêt et
l ’ém erveillem ent. Dans les centres de delphino-

1. Seweryn Olkowicz et a l, «Birds hâve primate like num-


bers of neurons in the forebrain », Proceedings o f the National
Academy o f Sciences o f the United States o f America, 2016,
p. 12574-12579.
2. Johanne Vaillancourt, «Le perroquet, auxiliaire polyva­
lent», in Georges-Henri Arenstein et Geneviève Gilbert, La
Zoothérapie, une thérapie hors du commun, op. cit., p. 21-47.
thérapie, ces cétacés soulagent des cas de dépression
chronique, favorisent le rétablissement de personnes
atteintes de maladies comme le cancer, élèvent le
potentiel d ’apprentissage d ’enfants handicapés, aident
les thérapeutes à pénétrer dans le monde de l’autisme.
Les dauphins ont une profonde influence psycholo­
gique chez l’être humain.
Ces cétacés possèdent une structure cérébrale sup­
plémentaire par rapport à nous. On l’appelle le système
paralimbique. Ce centre d ’informations est le siège
d ’intégration de toutes les données acoustiques qu’ils
reçoivent de leur environnement. Mais pas seulement.
Certains pensent que cette structure cérébrale très
complexe serait également le centre des émotions et de
l’empathie1. Combien de personnes, en nageant avec
les dauphins, en ressortent bouleversées ? Ces ani­
maux, quand vous êtes dans l’eau, vous scannent au
moyen de leur sonar. La résolution de l’image acous­
tique tridim ensionnelle qu’ils obtiennent de votre
squelette est supérieure à celle de nos échographies.
Ces ultrasons déclenchent en nous de vives émotions.
Après une telle rencontre, certaines personnes disent
qu’elles ont changé en mieux.
J ’ai eu l’opportunité de travailler avec des dauphins
en captivité au centre Dolphin R eef Eilat en Israël
au cours d ’un été auprès d ’enfants autistes ou ayant
été abusés sexuellement. Des expériences dont je
parle plus tard dans ce livre. Bien que les dauphins
dans les centres de delphinothérapie soient bien traités

1. Amanda Cochrane et Karena Callen, La Médecine des


dauphins : leur merveilleux pouvoir de guérison, Editions de
l’Homme, 1995.
et qu’ils semblent apporter du mieux-être aux per­
sonnes en souffrance, l’émotion qui prédomine chez
moi aujourd’hui quand je les vois dans des bassins est
la tristesse. En effet, voir un tel animal évoluer dans
un espace clos me bouleverse. Je les observe désor­
mais souvent en plein océan : aucun doute, leur place
est là.
Avec le recul, je pense qu’il est préférable d ’utiliser
comme médiateur en zoothérapie un animal domes­
tique, qui connaît le quotidien de l’homme, qui partage
son environnement, uniquement et ce depuis très long­
temps. En d ’autres mots, un animal qui s’est familiarisé
avec l’humain. Mais attention, apprivoiser n ’est pas
domestiqué ! Selon Hervé Ponchelet, journaliste scien­
tifique, «apprivoiser, c’est s’attacher à un animal sau­
vage - ou domestique - en le rendant moins farouche.
Domestiquer, c ’est obtenir, à partir d ’individus pré­
levés sur des espèces sauvages, des animaux qui se
reproduisent en captivité et qui, à l’issue d ’une sélec­
tion opérée par l’Homme, se distingueront des espèces
souches par leur comportement, leur aspect (phéno­
type) et leur patrimoine génétique (génotype). » 1

Portrait contemporain de la zoothérapie

A ujourd’hui, la pratique de la zoothérapie se


diversifie dans plusieurs pays et on observe une
nette tendance à faire de cette discipline une «nou­
velle science». Des expériences sont menées dans

1. Hervé Ponchelet, «L ’animal et nous. Humbles serviteurs


depuis des millénaires », Sciences et Avenir, 2012, p. 21-25.
plusieurs centres de santé au Québec, en Belgique, en
France afin de pouvoir obtenir des résultats répétitifs
dans des circonstances semblables sur du plus ou
moins long terme.
Cependant, le psychologue Georges-Henri
Arenstein et Jean Lessard, éducateur canin comporte­
mentaliste, insistent bien sur le fait que la zoothérapie
n ’a pas encore gagné ses lettres de noblesse, qu’elle ne
fait pas toujours l’unanimité, qu’elle est encore quel­
quefois controversée et décriée ! Pour eux, la zoothé­
rapie demeure une technique appelée « alternative » :
« Le terme de zoothérapeute n ’est pas un titre réservé
et n ’est pas une activité qui est régie par un code ou
une loi. De sorte que toute personne se disant zoo­
thérapeute peut librement pratiquer cette activité sans
se préoccuper de la qualité des services fournis, ni de
l’impact qu’elle a auprès d ’une clientèle souvent vul­
nérable. » l D ’où l’incitation à la prudence pour toute
personne qui souhaiterait se faire aider avec l’assis­
tance des animaux. Elle doit s’assurer que l’interve­
nant en médiation animale ou zoothérapeute a été
certifié auprès d ’une institution qui a fait ses preuves
et au sein de laquelle les zoothérapeutes étaient au
départ des professionnels de la santé, des travailleurs
sociaux, des enseignants pour ne citer qu’eux2.
Selon Mélanie Pelletier, détentrice d ’une maîtrise
en éthique à l ’université du Québec à Rimouski :
« La professionnalisation de la zoothérapie semble la

1. Georges-Henri Arenstein et Jean Lessard, La Zoothérapie,


nouvelles avancées, op. cit., p. 251-252.
2. Voir la liste des écoles ou instituts en zoothérapie ou
médiation animale en fin d’ouvrage.
voie la plus intéressante pour parvenir à accroître
la légitimation de cette thérapie. C ’est d ’ailleurs dans
la perspective d ’offrir des services de qualité profes­
sionnelle que l’Association québécoise de zoothérapie
(AQZ) ou d ’autres mouvements similaires ont été
formés au Québec [...]. Le champ éthique et déontolo­
gique de la zoothérapie mérite q u ’on lui consacre
encore de nombreuses recherches. » 1

Au Québec

On note que de nombreux programmes de zoothéra­


pie s’inscrivent dans la recherche clinique. Nous avons
mentionné les bienfaits de la zoothérapie au sein de
l’Institut Douglas en santé mentale à Montréal, le pion­
nier en la matière, depuis 1985. Depuis, d ’autres
projets ont vu le jour. Parmi eux, La Magie d’un rêve,
depuis plus de dix ans, au centre mère-enfant du centre
hospitalier universitaire de Québec (CHUQ) offre une
thérapie remplie d ’espoir et de joie pour les enfants
atteints de cancer. Les hospitalisations font partie de la
réalité des enfants atteints de cancer. De nombreuses
recherches ont démontré que les animaux peuvent
aider les patients hospitalisés, qu’ils soient adultes ou
enfants, à se rétablir. Selon Pierre Verret, infirmier cli­
nicien en oncologie pédiatrique au centre mère-enfant
du CHUQ et coresponsable du programme de zoo­

1. Mélanie Pelletier, « La zoothérapie : enjeux éthiques », in


Georges-Henri Arenstein et Geneviève Gilbert, La Zoothérapie,
une thérapie hors du commun, op. cit., p. 159-161.
thérapie La Magie d ’un rêve, il s’agit d ’un programme
de zoothérapie unique en Amérique. Afin de faciliter
l’implantation du programme de zoothérapie en onco­
logie pédiatrique, un protocole de recherche a été éla­
boré en collaboration avec des chercheurs de la faculté
des sciences infirmières et de la faculté de psychologie
de l’université Laval à Québec1. Le tout a été présenté
et approuvé par le comité d ’éthique de la recherche
clinique du CHUQ. « Le but est de mettre en avant une
formule audacieuse par laquelle l’enfant et l’animal
partagent une journée complète d ’affection et d ’atten­
tion dans un environnement créé tout spécialement
pour favoriser cette rencontre intime, la chambre de
rêve. »
Toujours selon Pierre Verret, « grâce à cette étude
il a été possible de mettre en évidence certaines
dimensions pour lesquelles une amélioration a été
observée. Ainsi, il a été démontré que la zoothérapie
joue un rôle bénéfique dans les dimensions physiques
(repos, alimentation, exercice), sociales (socialisation,
rapprochement à autrui, participation à des activités
ludiques), affectives (diminution de l’anxiété, verbali­
sation des craintes et des inquiétudes), ainsi que dans
les capacités d ’adaptation (acceptation de l’hospitali­
sation, capacité de surmonter certaines difficultés,
réceptivité au traitem ent, autonom ie, m otivation)
et l ’estime de soi (sentim ent de fierté, d ’accom ­

1. Johanne Gagnon et a l, « Implantation d ’un programme de


zoothérapie en milieu hospitalier pour enfants atteints de cancer :
une étude descriptive », Canadian Oncology Nursing Journal, 14
(4), 2004, p. 210-216.
plissement, d ’utilité et de confiance en soi). De plus,
ajoute-t-il, « le niveau de satisfaction ainsi que les
bénéfices et avantages rapportés par les parents et
les infirmières correspondent étroitement à ceux qui
sont trouvés dans la littérature et démontrent la perti­
nence d ’un programme de zoothérapie en oncologie
pédiatrique. »
Pour Josée St-Louis, technicienne en loisirs à l’hôpi­
tal Rivière-des-Prairies au Québec et responsable du
module de thérapie assistée par l’animal depuis 1993
au sein de cet établissement : « Le développement ou
l’intégration systématique de l’animal, et plus particu­
lièrement du chien, dans un contexte thérapeutique, a
été lent à s’introduire dans les hôpitaux et les centres
hospitaliers. La première résistance à de tels projets est
venue de la Société protectrice des animaux (SPA) qui
craignait que des enfants puissent infliger de mauvais
traitements aux animaux. La deuxième, l’impact des
animaux sur l’hygiène au sein des hôpitaux. » 1 En
1992, le module de thérapie assistée par l’animal
(TAPA) a ouvert ses portes à l’hôpital Rivière-des-
Prairies, un centre hospitalier de soins psychiatriques, à
Montréal. Ce module offre des services aux enfants et
adolescents présentant des pathologies psychiatriques
ou de sévères problèmes adaptatifs associés à une défi­
cience intellectuelle, à un trouble envahissant du déve­
loppement ou à un trouble neurodéveloppemental
complexe. Les patients peuvent être hospitalisés (unités

1. Josée St-Louis, « Le TAPA à l’hôpital Rivière-des-Prairies :


un projet novateur, une approche marginale », in Georges-Henri
Arenstein et Jean Lessard, La Zoothérapie, nouvelles avancées,
op. cit., p. 65-83.
d ’hospitalisation) ou suivis en externe (cliniques sur­
spécialisées, hôpitaux de jour et résidences spécialisés).
Les animaux de compagnie sont gardés en toute sécu­
rité et selon des normes d ’hygiène strictes afin de pou­
voir les utiliser à des fins thérapeutiques sous la
responsabilité d ’une technicienne en loisirs, également
intervenante en zoothérapie. Les animaux peuvent être
aussi employés à des fins récréatives, c’est-à-dire pour
que les patients puissent côtoyer différentes espèces
animales et réaliser des apprentissages, cette fois-ci
sous la responsabilité d ’une technicienne en santé
animale.
En milieu scolaire, le projet de cynopédagogie,
G randir avec M aggie de Jean Lessard, éducateur
canin comportementaliste, a révélé q u ’animer des
rencontres hebdomadaires entre son chien Maggie et
des enfants (vingt-neuf élèves âgés de 8 à 13 ans)
atteints d ’une déficience intellectuelle légère ou
m oyenne ou encore d ’un trouble de com porte­
ment pouvant m ener à la délinquance présentait
d ’immenses bénéfices thérapeutiques. Il en conclut
que « force est de constater que cette expérience
avec un chien peut être considérée comme “totale”
puisqu’elle stimule de façon originale non seulement
les habiletés cognitives et psychom otrices, mais
encore et avec autant d ’intensité, sinon plus, les
habiletés affectives. Le fait de travailler avec un être
qu’on aime ou dont on a peut-être eu un peu peur au
départ ou qui démontre spontanément ses émotions
amène le jeune à faire preuve de patience, de compré­
hension, et parfois de compassion. Ses facultés adap­
tatives sont mises à contribution ; celles de faire des
choix le sont également. » 1 Après son succès avec
son projet G randir avec M aggie, Jean Lessard va
essaimer sa cynopédagogie, la méthode TAG Teach,
en milieu scolaire. «Le TAG Teach2 est basé sur les
lois de l’apprentissage qui s ’appliquent à renforcer
positivement chaque étape nécessaire à l’acquisition
d ’une habileté. TAG veut dire “Technique d ’apprentis­
sage avec guide acoustique”. On utilise un marqueur
sonore pour indiquer une performance réussie [...]
Un TAG veut dire “oui”. L’absence de TAG veut dire
“essaie encore” . Puisque le critère du succès est
l’achèvement du point TAG seulement et non pas
l ’habileté com plète et parfaite, l’élève accom plit
plusieurs petits succès, réduisant ainsi la frustration
et augmentant la confiance en soi, la satisfaction et
le plaisir, tant pour lui que pour l’enseignant [...]
Le TAG Teach est issu de l’approche comportemen­
taliste, mais s ’adjoint l’une des préoccupations de
prem ier plan du courant hum aniste-existentiel : le
développem ent des qualités essentielles de l ’être
humain visant son épanouissement. » 3
Claude Carrier, professeur en orientation à l’univer­
sité de Moncton au Nouveau-Brunswick (Canada) et

1. Jean Lessard, « Quand zooanimation devient zoothérapie »,


in Georges-Henri Arenstein et Geneviève Gilbert, La Zoothéra­
pie, une thérapie hors du commun, op. cit., p. 79-89.
2. Ce descriptif, comme Jean Lessard le mentionne, « provient
en partie des textes du site Web de TAG Teach International (http:/
tagteach.com/), traduits par Patrice Robert et Francine Legault, les
instigateurs du TAG Teach en français au Québec en 2010 ».
3. Jean Lessard, « Zoothérapie, cynopédagogie et TAG Teach
savoir-faire et savoir-être », in Georges-Henri Arenstein et Jean
Lessard, La Zoothérapie, nouvelles avancées, op. cit., p. 214-221.
qui a également intégré son chien Kara en salle de
classe pour tenter une expérience pédagogique, arrive
aux mêmes constats : « Je crois que la présence d ’un
chien ou d ’un autre animal de compagnie (comme le
chat ou l’oiseau, par exemple) dans une salle de classe
peut enrichir l’enseignement et augmenter l’intérêt
des élèves pour l’apprentissage scolaire, l’éducation
personnelle et sociale. » 1 Une autre recherche va lui
permettre de démontrer que la présence d ’un chien en
salle de classe peut avoir des effets positifs sur des
problématiques telles que les problèmes de comporte­
ment en particulier violents, problèmes d ’hyperactivité
et d ’attention, problèmes de motivation à l’apprentis­
sage ou le manque d ’estime de soi.
Au fil des années et des expérim entations, de
nombreux domaines tels les soins palliatifs ont été
traités par la zoothérapie au Québec. Karen Luker,
orthophoniste, membre du groupe Ottawa Therapy
Dogs, assure en compagnie de son chien Gogo, un
teckel femelle, des visites hebdomadaires à l’unité des
soins palliatifs du centre de soins continus Bruyère.
Les effets sont bénéfiques non seulement pour les
patients en fin de vie mais aussi pour l’entourage
proche2. Par ailleurs, la zoothérapie auprès des per­
sonnes âgées vivant en institution ainsi qu'auprès des
personnes atteintes de la maladie d ’Alzheimer existe

1. Claude Carrier, «Susciter l’apprentissage en intégrant le


chien en salle de classe: une expérience pédagogique», in
Georges-Henri Arenstein et Geneviève Gilbert, La Zoothérapie,
une thérapie hors du commun, op. cit., p. 91 -115.
2. Karen Luker, « Un chien dans ma chambre ? La zoothérapie
en soins palliatifs », in Georges-Henri Arenstein et Jean Lessard,
La Zoothérapie, nouvelles avancées, op. cit., p. 85-110.
et les études nous confirment que l’animal, par sa cha­
leur corporelle, la douceur de son poil et sa présence
non jugeante, réussit à reconnecter la personne
à son monde ém otionnel, tout en réactivant sa
mémoire1. Le centre d ’équithérapie de Coralie Robin
est situé dans les Laurentides, au Québec. Ce centre
s ’adresse aux personnes avec des handicaps phy­
siques, moteurs, cognitifs, comportementaux et men­
taux ; par exemple des enfants et adultes atteints
de paralysie cérébrale, d ’autisme et d ’hyperactivité.
Certains ont souffert d ’un accident vasculaire céré­
bral (AVC) ou d ’une rupture d ’anévrisme. L’âge des
patients varie entre 15 mois et 60 ans.
Coralie Robin explique à travers son expérience
de terrain comment dans le cas de paralysie céré­
brale, par exemple, « on travaille la motricité fine,
les redressem ents posturaux et la tonification des
muscles. On vise à diminuer les contractions muscu­
laires. Certaines personnes éprouvent beaucoup de
difficultés à décontracter leurs muscles en faisant des
exercices de physiothérapie, mais curieusem ent,
lorsqu’elles enfourchent un cheval, le mouvement se
fait naturellement, sans douleur. Avec les aveugles
ou semi-voyants, poursuit-elle, l’apprentissage se
fait sur le plan de la gestion des mouvements dans
l’espace, sans sentir le déséquilibre. On peut même
aider des gens qui ont été agressés sexuellement. On
vise, par le contact avec le cheval, une libération des
émotions qui sont souvent empreintes de colère et de
méfiance. » Afin de partager sa passion des chevaux,

1. Maryse de Palma, Entre l ’humain et l'animal, op. cit.,


p. 58-69.
Coralie Robin est devenue l’un des cinq membres
fondateurs de la Fédération québécoise d ’équita­
tion thérapeutique du Québec, qui est reconnue par
l’Association canadienne d ’équitation thérapeutique1.
Enfin, il existe dans le monde entier une diversité de
program m es de zoothérapie en milieu carcéral,
comme au Canada, aux États-Unis, en Angleterre, en
Écosse, en Belgique, en Australie et en Afrique du
Sud. Mentionnons le projet de zoothérapie au centre
de détention de Québec qui existe depuis plus de
quinze ans. Sa durée tient au fait qu’il apporte des
résultats positifs à un bon nombre de détenus, dont
certains voient leurs besoins comblés par la présence
d ’animaux. Le service correctionnel du Canada,
notamment à l’établissement de Joliette au Québec, a
mis en place, en 2003, un programme canin qui offre
à des femmes détenues la possibilité de dresser un
chien pour ensuite le remettre à la communauté2.

En France

Il apparaît que comparativement au Québec, les


program m es de zoothérapie dans les institutions
publiques françaises (hôpitaux, écoles, centres pour
personnes âgées, etc.) ont beaucoup de peine à émer­
ger. L’IFZ continue de promouvoir et d ’enrichir la
formation à la médiation par l’animal. « L’IFZ forme
non seulem ent des psychologues, des ergothéra­
peutes, des psychom otriciens, des infirmiers, des

1. Ibid., p. 124-129.
2. Ibid., p. 83-92.
aides-soignants, des aides médico-psychologiques...
aux pratiques professionnelles de la médiation ani­
male mais l’IFZ est égalem ent un lieu d ’accueil,
sous le nom d ’institut de médiation animale (IMA),
où de jeunes autistes viennent régulièrement toutes
les semaines, certains depuis plus de trois ans, pour
des séances de thérapie par m édiation anim ale
par notre psychologue A urélie Jean, clinicienne-
zoothérapeute, spécialiste des troubles envahissants
du développement. Des progrès incontestables pour
chaque enfant ont été m esurés par des échelles
d ’évaluation, explique François Beiger, son fonda­
teur. Un IM A, c ’est aussi une m aison ou pièce
d ’éveil où chaque enfant aura un programme person­
nalisé qui lui permettra d ’apprendre petit à petit les
notions théoriques et pratiques du langage par
l’orthophonie, de l’espace, du temps, de l’équilibre
par la psychomotricité médiatique par l’animal. »
En créant cet institut, François Beiger poursuit plu­
sieurs objectifs, notamment celui de faire connaître,
de convaincre et d ’inciter à recourir à la zoothérapie
auprès des malades. Il vise à « développer des forma­
tions professionnelles sur la médiation animale, déve­
lopper un réseau d ’intervenants professionnels en
Europe et leur apporter un soutien, des informations,
de la formation continue, aborder la dimension des
nouvelles médiations animales pour les personnes
dans le besoin, organiser des initiatives d ’informa­
tions sur la médiation animale et des rencontres entre
les acteurs du social et de la santé par des colloques
et des conférences, mener une réflexion sur la média­
tion animale auprès des professionnels de la santé, du
social et de l’enseignement spécialisé».
Mais qu’existe-t-il vraiment en termes de pratiques
de la zoothérapie en Europe, et notamment en France ?
Il existe plusieurs centres d ’équithérapie qui tra­
vaillent avec des enfants et des adultes présentant
des difficultés diverses. Parmi celles-ci, on trouve des
handicaps physiques (moteur, congénital, accidentel,
déficits sensoriels), des troubles psychiques et rela­
tionnels (troubles du com portem ent, dépression,
névrose, psychose). Selon Karine Martin, fondatrice
de la société française d ’équithérapie en 2006', «de
plus en plus de particuliers et d ’organismes proposent
aujourd’hui des formations d ’accompagnement en
médiation équine, souvent courtes (de quelques heures
à deux cents heures), certaines basées sur des fonde­
ments spirituels, souvent à des tarifs horaires exorbi­
tants et toujours non encadrées par des thérapeutes
spécifiquement formés en équithérapie ou thérapie
avec le cheval ». Peut-être à cause des formations
exigeantes. « Se spécialiser en équithérapie, poursuit-
elle, c ’est devenir thérapeute et cela suppose un che­
minement et des connaissances théoriques et pratiques
qui ne peuvent s ’acquérir que sur un minimum
d ’heures de formation. » Tout comme ses confrères,
elle met en garde sur la qualité de la formation du
thérapeute et de son animal. Cela ne s ’improvise
pas. « Si vous êtes à la recherche d ’un équithérapeute,
il est absolument nécessaire de se renseigner sur les
qualités et la formation de l’équithérapeute en ques­
tion. Il se doit d ’être un professionnel du secteur
médico-social, d ’avoir suivi une formation de qualité
en équithérapie et d ’être signataire d ’une charte 1

1. sfequitherapie.free.fr
d ’éthique et de déontologie professionnelle. De même
si vous êtes intéressé par une formation en équithéra-
pie, ne vous laissez pas abuser par certains sites »,
prévient-elle sur sa page Internet.
Mais afin de comprendre pourquoi en France le
recours à la zoothérapie pour le mieux-être prend
autant de temps à s’installer dans des centres de santé
publics ou privés, il me semble intéressant de compa­
rer la situation de la zoothérapie en France avec celle
en Belgique. Pour cela, je m ’appuie sur les propos du
spécialiste Joël Dehasse, vétérinaire comportementa­
liste, thérapeute systémique, coach en comportement
animal, en relations humain-animal et en dévelop­
pement. Son point de vue m ’interpelle et m ’incite à
penser que dans l’un et l’autre de ces deux pays occi­
dentaux, la susceptibilité médicale n ’y est peut-être
pas pour rien. Joël Dehasse résume parfaitement la
place des activités assistées par l’animal en Belgique1.
Les réticences pourraient, selon lui, s’expliquer par
la terminologie : « En Belgique, on parle d ’activités
assistées par l’animal (AAA), le corps médical étant
susceptible sur le mot “thérapie”, utilisé dans “zoo­
thérapie”. Les AAA n ’y sont pas légiférées et il n ’y a
aucune association nationale rassemblant les diverses
initiatives individuelles. [...] En Belgique, la situa­
tion est un état de contemplation, de circonspection :
on est conscient du phénomène, mais l’action reste
minime et l’initiative individuelle ; la peur du risque
(hygiène, accident) et le besoin de se protéger de1

1. Joël Dehasse, «Activités assistées par l’animal en


Belgique», in Georges-Henri Arenstein et Jean Lessard, La
Zoothérapie, nouvelles avancées, op. cit., p. 111-128.
toute adversité et responsabilité paralysent ou
empêchent encore la concrétisation de la majorité
des initiatives. » Ce qui semble être également le cas
en France.
L’auteur tient cependant à citer des projets exem­
plaires en AAA dignes d ’être connus en Belgique.
A insi, certaines m aisons de retraite acceptent les
animaux comme celle de Saint-Franciscus, à Brakel ;
on trouve des animaux dans certaines écoles mater­
nelles ou dans les premières années de l’école pri­
maire : lapins, hamsters, cobayes. Le chien peut aussi
servir de médiateur pour la police et la justice dans
l’écoute de l ’enfant victime d ’abus. À ce sujet, le
docteur Joël Dehasse précise que « l’enfant trauma­
tisé, victime d ’abus ou témoin d ’abus ou de violence,
parfois culpabilisé ou angoissé de parler, est un
témoin valable pour autant qu’il ait pu s ’exprimer.
Une certaine liberté dans l’organisation d ’un envi­
ronnement idéal d ’entretien a permis à Nelly Creten,
inspecteur de police judiciaire à Hasselt, d ’utiliser
son labrador comme m édiateur de bien-être et de
sécurité en présence d ’étrangers (inspecteur, psy­
chologue, etc.). Lorsqu’un contact positif s ’établit
entre l’enfant et le chien, l’enfant a tendance à perce­
voir l’environnement associé avec un biais favorable,
ce qui facilite l’empathie, la détente et l’expression
de soi. »
Un autre exemple étonnant, la prison pour femmes
de Berkendael, près de Bruxelles, qui entretient des
chats collectivement. Le félin peut parfois devenir
l’animal attitré d ’une détenue, car il a été constaté que
sa présence semble estomper la violence. La France
est probablement moins sensibilisée aux bénéfices
liés à la présence d ’animaux. Lorsque l’ex-détenue
Nathalie Ménignon, au cours de ses longues années
d ’incarcération pour avoir été impliquée dans des
actions terroristes revendiquées par le groupe Action
directe en 1989, «adopta» le petit chat qui s’était
introduit dans sa cellule, il lui fut enlevé1.
L’exemple qui suit démontre combien le « facteur
hum ain» dans l’aboutissement d ’un projet en zoo­
thérapie peut être décourageant voire un véritable
mur infranchissable à cette pratique dans les hôpi­
taux. Je cite toujours à ce sujet les propos du vété­
rinaire com portem entaliste Joël D ehasse : « Il y a
quelques initiatives de présence du chien à l’hôpital,
que ce soit en service de pédiatrie ou en unité de
soins palliatifs. [...] Les organisateurs du projet
de l’hôpital de la Citadelle, à Liège, se sont joints
à une association de bénévoles, Un chien pour un
sourire (association sans but lucratif), eux-mêmes
en partie membres du personnel soignant motivé,
afin d ’organiser des visites à la clinique. Deux fois
par semaine, les bénévoles rendent visite aux enfants
hospitalisés (seuls ou en famille) avec des chiens
dans des pièces am énagées [...] Les m édecins
(pédiatres) prescrivent ou autorisent les séances. [...]
Pour que le projet puisse se maintenir et grandir, il
faut l’accord et la participation de tout le personnel,
y compris le personnel soignant, l’infirmier hygié­
niste, le responsable de la sécurité, les médecins,
bien entendu, et les adm inistrateurs de l ’insti-

1. Sandrine Willems, L'Animal à l ’âme. De l ’animal-sujet


aux psychothérapies accompagnées par des animaux, op. cit.,
p. 172.
tution. Il a aussi fallu permettre aux personnes soi­
gnantes qui ne désiraient pas participer au projet
d ’être déplacées dans un autre secteur de soin où le
chien n ’a pas accès. [...] Les bénéficiaires sont les
enfants hospitalisés du centre hospitalier régional
de la Citadelle, soit environ sept mille cinq cents
enfants par an, et souffrant de pathologies diverses :
hém atologiques, endocriniennes, neurologiques,
cancérologiques ou autres pathologies nécessitant
une chirurgie. » 1
On ne peut que s’offusquer, voire s ’indigner des
efforts incroyables et énergivores que ce projet basé
sur du bénévolat a demandé (l’accord unanime de
tout le personnel soignant et non soignant) pour aider
sept mille cinq cents enfants en souffrance. Toujours
selon Joël Dehasse, « si la Belgique montre quelques
exemples de tentatives individuelles réussies d ’expé­
riences d ’activités assistées par l’animal, elle brille
surtout par un presque grand vide. » Difficile alors de
ne pas faire une analogie avec la France et d ’aboutir
au même constat.

1. Joël Dehasse, «Activités assistées par l’animal en


Belgique», in Georges-Henri Arenstein et Jean Lessard, La
Zoothérapie, nouvelles avancées, op. cit., p. 111-128.
Histoires vécues :
mes patients, mon chien et moi

Comprendre la pratique de la « zoothérapie » ou la


«thérapie facilitée par l’anim al» est beaucoup plus
simple lorsque l’on peut en mesurer les résultats. Par­
tager quelques-unes des expériences que j ’ai vécues
avec mon chien Chico pendant les cinq années de
pratique intensive comme zoothérapeute à Montréal et
en France est révélateur de l’intérêt qu’il y a à faire
appel à un animal pour maintenir ou améliorer l’état
d ’un patient, le sortir de son isolement. Cette thérapie
est souvent choisie comme un ultime recours pour
aider des personnes en difficulté sur les plans cognitif,
physique, psychologique, social ou affectif. Mes
patients ont été aussi bien des enfants que des adultes,
que j ’ai suivis individuellement ou en groupe, durant
une séance ou plusieurs selon les situations, d ’une
journée à une année complète. Ils souffraient de
troubles divers : déprime profonde, anxiété, diffé­
rentes formes d ’autisme, troubles de déficit de l’atten­
tion avec ou sans hyperactivité, phobie des chiens,
maladies chroniques, troubles alimentaires, voire abus
sexuels ou violences conjugales... Tous m ’ont fait
confiance, ainsi que leurs parents lorsqu’il s’agissait
d ’enfants.
Chaque cas, chaque pathologie est unique et
demande une attention particulière. Et rien n ’est, bien
sûr, joué et gagné d ’avance mais tout vaut la peine
d ’être tenté. C ’est ce que l’on se dit, sans doute,
lorsque l’on décide de faire appel à un « zoothéra-
peute». Pourquoi ne pas essayer? On se demande si
l’animal peut vraiment aider dans la réussite de ce
combat vers le mieux-être. Il est donc primordial pour
le thérapeute de trouver celui qui deviendra le média­
teur entre lui et son patient : l’animal. C ’est ce que j ’ai
fait durant les semaines qui ont précédé le début de
ma formation pour devenir zoothérapeute.

Chico : un sacré quiproquo

En janvier 2008, me voici prêt à me lancer dans


cette nouvelle aventure qu’est la zoothérapie à l’uni­
versité de Montréal. Avant de rejoindre les bancs de la
classe, je dois avoir choisi l’animal qui m ’accompa­
gnera tout au long de cette formation et plus tard, dans
l’exercice de cette profession. Mon futur «binôm e»
qui, tout comme moi, va devoir se former pour endos­
ser son prochain rôle d ’«assistant zoothérapeute».
Pendant les deux années que dure la formation, l’ani­
mal devra m ’accompagner quotidiennement et obéir à
mes instructions jusqu’à ce que nous formions une
équipe soudée pour répondre aux besoins de nos
patients. Une démarche qui est loin d ’être anodine.
Le choix d ’une espèce animale par le zoothérapeute
varie selon la relation et l’affinité qu’il entretient avec
l’animal qui l’accompagnera dans l’exercice de sa
fonction. Au cours de ma formation, la zoothérapie se
pratique avec des chiens, des chats, des chevaux, des
dauphins, voire des perroquets. Comme nous l’avons
vu dans le chapitre précédent, le choix de l’animal
dépend de chacun, mais aussi de notre capacité à le
dresser, à mettre en œuvre avec lui des séances de
zoothérapie, à gérer sa logistique et ses soins. Une
personne qui travaille, par exemple, avec un perro­
quet, doit s ’équiper d ’une cage spéciale pour ses
déplacements chez les patients. Il lui faut prévoir de
quoi couvrir le sol pour les déjections de l’oiseau, lui
couper les griffes, etc. Pour les chevaux, il faut une
écurie ; pour les dauphins, le travail s’organise au bord
d ’un bassin... tous ces paramètres sont à prendre en
compte lorsque l’on recrute son assistant.
En ce qui me concerne, j ’ai opté sans hésitation
pour un chien. Depuis l’enfance, j ’ai vécu avec des
chiens. Des bichons maltais. Ils sont affectueux et
joyeux, les poils soyeux, blancs comme neige et des
yeux noirs remplis d ’une grande tendresse: j ’affec­
tionne particulièrement cette race de canidé. Le choix
m ’est donc apparu comme une évidence. Je me sentais
beaucoup plus à l’aise pour dresser un chien plutôt
q u ’un perroquet. Vivant dans un appartem ent à
Montréal, la logistique était aussi plus facile avec un
petit chien. C ’est aussi une recommandation des spé­
cialistes : les zoothérapeutes doivent considérer le
poids et la taille de l’animal. Un chien de petit gabarit
peut facilement être posé sur les genoux du patient,
sur son lit, sur une table comme j ’aurais souvent
l’occasion de le faire plus tard pendant mes séances. Je
dois aussi admettre qu’un autre élément décisif m ’a
orienté vers le bichon maltais nain. Mon frère jumeau,
Jordan (nous sommes monozygotes), en avait acheté
un, l’année précédente, une petite femelle, Lili Rose,
qui se plaisait bien en appartem ent et faisait ses
besoins proprement sur une couche. Dès que Jordan
se promenait avec elle, les gens s ’arrêtaient systé­
m atiquem ent pour le com plim enter sur sa petite
protégée. Son allure d ’étemel chiot faisait l’unanimité.
En l’observant, j ’ai tout de suite pensé : ce chien réunit
tous les critères pour me servir d ’alter ego.
Il me restait quelques semaines avant la rentrée
pour trouver ce bichon maltais nain, une chienne de
préférence pour des raisons évidentes de propreté. Les
chiens mâles ont le réflexe de lever la patte, il faut
parfois les stériliser. Il me semblait plus facile de dres­
ser une femelle plutôt qu’un mâle, qui aurait eu ten­
dance à marquer son territoire, ce qui peut être plus
contraignant au quotidien.
L’éleveur de chiens que je contacte, en dehors de
Montréal, me rend fou de joie lorsqu’il m ’annonce
qu’une de ses chiennes, un bichon maltais nain, va
avoir une portée. Et q u ’il me réservera une des
femelles. Un mois plus tard, le coup de fil tant attendu
arrive enfin ! Cinq chiots ont vu le jour et parmi eux,
une seule chienne. Et si je la veux, elle est disponible
d ’ici deux mois, le temps du sevrage maternel, me
confirme le vendeur. Le moment venu, je me précipite
chez l’éleveur. C ’est l’hiver à Montréal, il y a beau­
coup de neige. Je me souviendrai toujours de ce senti­
ment de méfiance qui m ’a envahi quand le vendeur est
remonté de la cave avec au creux de ses mains une
petite boule de poils et un « Tenez, la voilà ! ». Pour ne
pas qu’elle prenne froid, je l’enroule, sans doute trop
rapidement, dans mon écharpe. L’endroit semblait
plutôt malsain. Je n ’ai même pas eu le droit de voir la
mère et ses petits frères. A peine est-elle logée contre
moi que je ressens pour la première fois la responsabi­
lité que je viens d ’endosser. L’émotion est très forte
et surtout nouvelle, je sens déjà de l’attachement pour
cette petite chienne. De retour à la maison, le certificat
de santé de ma petite protégée en poche, je découvre,
à ma plus grande surprise, que celle que je viens de
prénommer Lila et qui se frotte le dos s ’avère être
plutôt un « Lilo ». Un petit mâle ! Comment est-ce
possible ? À cet âge, le pénis d ’un chiot ressemble à
un poil, les testicules ne sont pas encore visibles.
C ’est en toute confiance que j ’avais emporté ce
nouveau-né, sans même vérifier son sexe. Un comble
pour un biologiste ! Amusé de la situation, je rappelle
l’éleveur pour procéder à l’échange et récupérer la
chienne promise. Au téléphone, mon interlocuteur est
bien sûr confus de l’erreur commise, mais surtout,
désabusé parce qu’il vient de vendre « m a petite
Lila». Après les explications de l’éleveur, la femme
qui a acheté ma chienne ne veut pas la rendre, « sa
fille s ’est déjà attachée à elle», argumente-t-elle.
Je voulais une chienne, me voici avec son frère !
Quelle étrange bévue ! Un peu décontenancé, je
regarde ce chiot qui vient d ’entrer dans ma vie d ’une
bien drôle de façon. Si un tel concours de circons­
tances l’a conduit jusqu’ici, ce n ’est peut-être pas pour
rien. En tout cas, c ’est ce que j ’ai envie de croire.
C ’est comme ça que Lila est devenue Chico !
Chico est un prénom qui me vient de l’enfance.
Quand j ’étais gamin, les biberons de lait sucré
m ’avaient abîmé les dents de lait. Autant dire que cela
me faisait un sourire qui ne passait pas inaperçu.
D ’ailleurs, les photos de cette époque me font éclater
de rire quand je me revois avec ces «chicots» ! La
situation loufoque dans laquelle je me trouve, moi le
biologiste, avec ce nouveau compagnon, est à mes
yeux tout aussi invraisemblable que ces quenottes
amochées. Alors, spontanément, je l’appelle Chico.
Curieux hasard qui a bien fait les choses ! J ’aime
penser cela et me le répéter. Car sans Chico, je ne
serais peut-être pas devenu le zoothérapeute que je
suis. Sans ce compagnon fidèle, je n ’aurais pas vécu
toutes ces expériences uniques, comme celle du del­
phinarium à Eilat, en Israël, où j ’ai croisé la route de
Léa et Avi, des sœurs jumelles en réelle souffrance.
Elles suivaient une delphinothérapie et, comme je le
raconte un peu plus loin, leur rencontre avec Chico
allait complètement bouleverser leur parcours et le
mien. Sans ce travail commun avec lui, je réalise que
je n ’aurais probablem ent pas accédé à mon rêve
d ’enfant qui se prolonge aujourd’hui sur d ’autres ter­
rains. Avec Chico, j ’ai trouvé le binôme que je cher­
chais. Avec lui, j ’ai pu aider des personnes en
souffrance comme j ’espérais le faire depuis ce jour où
j ’avais vu Orca.

Le temps du dressage ou comment


s’apprivoiser l’un l’autre

Cela m ’a pris deux années pour dresser Chico.


Comme je l’ai eu à la naissance, c ’était sans doute
beaucoup plus facile. Les chiots sont plus malléables.
Ce sont de vraies éponges, tout comme peuvent l’être
les enfants. Ils s’imprègnent avec beaucoup de facilité
de tout ce qu’on leur inculque. Si vous adoptez un
chien plus âgé, il va forcém ent avoir déjà subi
quelques traumatismes et c ’est ensuite plus difficile
de le désensibiliser. Si le chien a une peur bleue
des aspirateurs ou q u ’il tremble pendant des feux
d ’artifice, il sera effrayé à vie. Alors comment peut-il
réagir lorsqu’un enfant crie pendant une séance de
zoothérapie? Va-t-il aboyer? Être sur la défensive?
Avoir des réactions incontrôlables ? L’animal formé
en zoothérapie doit s’adapter et gérer toutes sortes de
situations, même les plus inattendues. Il doit rester
calme et concentré. Il doit répondre aux instructions
de base comme «assis, couché, au p ie d » et être
propre. Le thérapeute ne peut pas prendre le risque de
travailler avec un animal aux comportements impré­
visibles. « Le chien de zoothérapie est un chien parti­
culier: il doit être enjoué, parfois calme, toujours
doux et affectueux, sociable et tolérant à l’extrême » ',
précisent les spécialistes Georges-Henri Arenstein et
Jean Lessard. En tant que zoothérapeute je dois déter­
miner clairement la relation que je dois avoir avec
mon chien. C ’est moi qui dois lui apprendre à se
sociabiliser au monde extérieur, à accepter de tra­
vailler dans des environnements différents ou d ’être
mis dans des situations parfois difficiles. Mais pour y
arriver, il est primordial de bien connaître les limites
de son chien et de les respecter.
Avec Chico, l’avantage de son âge, trois mois, était
de pouvoir l’emmener avec moi dans tous les cours,1

1. Georges-Henri Arenstein et Jean Lessard, La Zoothérapie,


nouvelles avancées, op. cit.
et pas uniquement ceux dédiés à l’éducation canine.
Un enseignement obligatoire pendant la formation,
car on ne peut pas s’improviser «dresseur de chien»
sans quelques cours très instructifs. Il n ’était pas le
seul chien, ce qui l’a habitué à cohabiter avec ses
« collègues » et surtout à ne plus craindre le bruit.
Sorti des cours, j ’affinais le dressage chez moi. Une
séquence de quinze à vingt minutes par jour. Chico
devait comprendre comme dans une meute de loups
que c ’était moi le dominant. Quand je mangeais, il
ne mangeait jamais en même temps que moi. Quand
on allait se promener et qu’il aboyait à la rencontre
d ’un autre chien, on faisait demi-tour et on rentrait.
Il était alors privé de sortie. Il fallait vraiment qu’il
comprenne que ce n ’était pas lui qui menait la danse.
Même chose quand je quittais l’appartement en le lais­
sant seul. S’il aboyait, je devais rentrer pour lui dire :
«N on, tu n ’aboies p a s» ; puis recommencer jusqu’à
ce qu’il comprenne. Et surtout l’ignorer en rentrant.
Ne pas céder à un « Oh ! mon petit chien... », même si
cela est difficile. Chico devait assimiler que si j ’étais
parti, c ’est que je jugeais qu’il était en sécurité. Je
devais lui montrer que tout allait bien, qu’il vivait une
situation normale comme si je ne l’avais pas quitté.
C ’est moi qui devais prendre soin de lui et non
l’inverse. Il devait m ’obéir et suivre mes instructions
pour le bon déroulement des séances de thérapie avec
n ’importe quel patient. La première année, j ’étais face
à un chien adolescent et au fil des mois, Chico a gagné
en maturité et s’est parfaitement formé. Il était prêt à
travailler avec moi.
Au Québec, apprentissage dans les parcs
de Montréal

Les jardins publics de la ville de Montréal sont


un parfait terrain pour m ener ses premières expé­
riences de zoothérapeute. C ’est ce que j ’ai fait dès
que j ’en ai eu l’occasion avec Chico dans le parc
Lafontaine, situé près de chez moi. Je voulais absolu­
ment tenter des choses par moi-même et impliquer
mon chien dans ce processus de formation. On devait
s’exercer ensemble avant d ’être confrontés à des situa­
tions réelles. Chico allait devenir mon assistant. Ces
séances improvisées me servaient aussi à peaufiner
son dressage.
Mes promenades journalières avec lui m ’ont forcé­
ment conduit dans ce parc en plein centre-ville. J ’ai
remarqué que les personnes âgées étaient souvent
assises seules sur des bancs. Elles furent mes pre­
mières rencontres pour mettre en application certains
enseignements.
Avec Chico, j ’étais quasiment assuré d ’attirer leur
attention. Je m ’asseyais donc à côté de l’une d’elles,
mon chien sur mes genoux. Quelques secondes suffi­
saient pour que la femme ou l’homme s’adresse spon­
tanément à lui. Pendant une conversation entre une
dame âgée et Chico, j ’observais la scène, silencieux.
J’attendais de sentir un lien plus établi entre eux, pour
lui proposer de prendre Chico sur les genoux. Elle
accepta bien volontiers, comme tous en général. Et dès
l’instant où elle caressa le poil de mon chien, j ’entrais
en scène comme « le propriétaire, voire le papa de
Chico » et j ’eus droit à mon tour à ses attentions et à
quelques confessions. D ’abord le souvenir ému des
chiens qu’elle avait eus, du bonheur éprouvé auprès de
ses fidèles compagnons. Attentif, j ’apprenais ainsi à
écouter, à créer un lien d ’attachement avec ces per­
sonnes, à percevoir le poids de la solitude sur leurs
épaules. N ’étant pas certain de les revoir les semaines
suivantes, je ne rédigeais pas de rapports suite à ces
interventions. Cependant, chaque rencontre a apporté
du mieux-être à ces vieilles personnes, et à moi, un peu
plus d ’expérience. J ’ai compris à quel point l’animal
peut captiver l’attention d ’une personne même si elle
n ’a jamais eu de contact auparavant. La communica­
tion s’établit spontanément avec l’animal, c ’est à lui
que l’on parle en priorité. Chico venait rompre leur
solitude en offrant cette parenthèse où l’on se sent suf­
fisamment en confiance pour parler de soi. Un chien
offre une écoute attentive et l’autre est certain qu’il
gardera ses confidences pour lui. D ’ailleurs, nom­
breuses sont ces personnes qui ont voulu repartir avec
Chico, leur nouveau confident.

De la théorie à la réalité

A l’université, notre pratique est encadrée par nos


professeurs qui exercent par ailleurs dans des établis­
sements spécialisés. C ’est dans certains d ’entre eux
que je vais vivre, avec mes collègues, mes premières
expériences professionnelles. L’exercice consiste à
traiter pendant une heure des cas individuels ou collec­
tifs dans des cadres divers et avec des problématiques
souvent contrastées. Le but étant de mettre en pratique
et d ’appliquer avec notre animal les enseignements
sous la responsabilité de thérapeutes certifiés. C ’est
donc dans la clinique de neurodéveloppement Espace-
Temps, ensuite dans un foyer recueillant des femmes
battues, Chez Doris, puis dans un centre pour per­
sonnes atteintes d ’Alzheimer que je vais découvrir la
réalité de mon métier.

Les trois mots de Métissa

Une jolie tête blonde surgit comme une tornade en


criant dans la pièce où doit se dérouler ma première
séance comme zoothérapeute. Je suis en formation
depuis près d ’un an. À l’école, notre pratique se limi­
tait jusque-là à des jeux de rôles ou des interventions
fictives. Aujourd’hui, je vais être confronté à un cas
réel dans la clinique où exerce un de nos professeurs
certifiés. La séance est filmée et projetée sur un écran
dans la pièce d ’à côté où ma formatrice, accompa­
gnée du père de la patiente, pourra observer en direct
le déroulement de mon travail.
M élissa a 4 ans. Avant q u ’elle ne vienne à ma
rencontre, je me prépare à la recevoir avec Chico.
Pour lui aussi, c ’est une première. Dans le dossier
médical que l’on m ’a remis, les médecins ont diagnos­
tiqué un TSA ou «trouble du spectre de l’autisme».
Le TSA concerne au Québec un enfant sur soixante-
huit. Ce trouble se déclare généralement dans les
premières années de la vie. Il affecte sérieusement la
communication, occasionnant des difficultés de lan­
gage, de décodage, de l’écholalie (le fait de répéter
de manière systématique les derniers mots entendus).
Il porte aussi atteinte aux fonctionnements neuro­
sensoriels, provoquant des comportements étranges et
stéréotypés qui empêchent une socialisation normale,
variables selon le degré du trouble.
Je prends note dans le dossier que M élissa n ’a
jamais parlé. Elle ne peut fixer le regard d ’autrui. Ses
comportem ents sont considérés comme asociaux.
Elle s ’isole, par exemple, des autres enfants pour
qui elle ne montre aucun intérêt. La thérapeute qui la
suit dans la coopérative de solidarité, la clinique de
neurodéveloppement Espace-Temps, à Montréal (une
coopérative de soins thérapeutiques, éducationnels et
de loisirs pour les personnes en situation de handi­
cap), pense que la présence d ’un chien pourrait modi­
fier son comportement. La fillette en a déjà rencontré
plusieurs lors des précédentes séances. Dans les
comptes rendus, elle précise que Mélissa aime flatter
l’animal mais peut aussi lui tirer les poils. Elle court
beaucoup et montre des signes d ’hyperactivité. Elle
indique aussi qu’elle n ’aime pas le rose. Toutes ces
indications me permettent de cerner certains aspects
de la personnalité de ma future patiente. Je décide
donc, au vu du dossier médical, d ’axer mon interven­
tion sur son absence de langage. Je prépare mon
matériel en conséquence. En plus de Chico, j ’ai tou­
jours avec moi mon sac d ’intervention. Il contient
toute une série d ’objets : des brosses, des foulards,
des cônes en plastique, une trousse de toilette, des
balles, des jouets que Chico aime particulièrement
et des outils thérapeutiques projectifs comme Ani-
mage. Pour mon intervention auprès de M élissa,
je décide de sortir une balle pour la lancer à Chico et
attirer l’attention de la fillette. Je sais que je n ’aurai
qu’une seule rencontre avec Mélissa. Après cette
séance, je ne la reverrai pas. C ’est un des principes de
la formation : nous mettre en situation réelle sous le
regard d ’un professionnel pour voir comment on agit
avec un « vrai » patient.
Dès que la porte s’ouvre, je remarque les cheveux
très blonds, presque blancs de Mélissa qu’elle porte
aux épaules et ses yeux très bleus. Debout dans l’enca­
drement de la porte, Mélissa se tient devant moi. Son
regard se perd dans l’espace. La porte qui la sépare de
son père et de sa thérapeute vient de se refermer. Nous
voilà seuls avec Chico. J ’essaie de capter son atten­
tion, sans aucun succès. Elle ne peut pas fixer mon
regard, ce qui est un des critères pour reconnaître
l’autisme chez les jeunes enfants. Le but du zoothéra­
peute va d ’ailleurs consister à tenter de ramener son
patient dans l’ici et maintenant, de le reconnecter en
quelque sorte dans la réalité du moment. L’animal
peut dans certains cas faciliter ce retour dans l’instant
présent.
Si M élissa ne m ’a pas vu, en revanche, Chico a
attiré son regard. Il capte toute son attention. Déter­
minée, elle fonce droit sur lui en poussant des cris.
Chico, qui est assis près de moi, marque un mouve­
ment de recul. Il se demande, tout comme moi, ce
qui se passe. Je suis surpris de voir une si petite fille
dégager autant d ’énergie. Mon premier réflexe est
de protéger Chico de sa fougue ; ne contrôlant pas
encore ses réactions, je dois freiner son enthou­
siasme vis-à-vis du chien. Il ne faut pas que Chico ait
peur, qu’il ait une réaction défensive. Même dressé
et désensibilisé face à ce genre de comportement,
il faut rester prudent pour le bon déroulem ent de
la séance. M élissa cherche absolument à entrer en
contact avec lui. Malgré l’agitation de la fillette, je
fais les présentations. Je ne peux pas mettre de bar­
rière entre elle et Chico. Puis je saisis spontanément
la balle du chien que j ’envoie à l’opposé de la pièce
afin de détourner l’attention de Mélissa et canaliser
sa vivacité. « Chico va chercher ! » Bien dressé,
Chico se précipite sur le jouet. M élissa le suit en
courant. «C hico donne ! » : j ’observe Mélissa, tou­
jours aussi indifférente à ma présence. Cependant,
elle a bien vu que Chico me ram enait la balle. Et
à nouveau, elle court derrière lui. Chico joue le jeu
en suivant mes ordres : « Va chercher la balle, donne
la balle... » À chaque lancement, Mélissa cavale der­
rière lui. Elle est surexcitée. Sa figure est rouge écar­
late. Et fait nouveau, les rires ont remplacé les cris.
Mélissa rit aux éclats. Ce n ’est pas la balle qui l’inté­
resse, mais bien le chien. Il n ’y a que Chico qui la
captive. C ’est essentiel de le comprendre pour pour­
suivre le travail avec Mélissa. Hyperactive depuis le
début de la séance, un de mes objectifs est de la
fatiguer pour libérer son trop-plein d ’énergie, retrou­
ver un peu de calme et saisir le moment propice pour
retenir son attention. C ’est une étape cruciale lorsque
l’on travaille avec des enfants hyperactifs, il faut
essayer de les calm er dès le début de la séance.
Ils doivent se dépenser dans le prem ier quart
d ’heure, sinon il sera impossible de tenter le moindre
échange.
Un autre de mes objectifs est de pouvoir lui
apprendre, à force de me l ’entendre répéter, un
commandement simple : « va chercher » ou « Chico
donne » ; que M élissa com prenne que le geste ou
l’objet peuvent être associés à un ou trois mots. Et
ainsi tenter de la ram ener dans le présent par
l ’interm édiaire de Chico. Il me faudra quarante
minutes pour voir les premiers signes de fatigue sur
le visage de l’enfant. Pendant tout ce temps, je pour­
suis le jeu avec mon binôme : « Chico, va chercher !
Donne ! Bon chien. » Je ne ménage pas mes efforts,
je suis trempé de sueur. Mélissa montre une sacrée
endurance. Selon ma stratégie, je profite de la
m oindre accalm ie pour tenter de lui parler, mais
aucune de mes paroles ne semble l’atteindre. Elle ne
me voit pas, elle ne m ’entend pas. Elle est complète­
m ent centrée sur Chico. Lui aussi est épuisé et
s ’interrom pt pour venir se blottir contre moi. Du
coup, M élissa s ’arrête et vient à son tour s ’asseoir
à mes côtés comme vient de le faire Chico. Elle a
toujours Chico dans son champ de vision, c ’est pri­
m ordial. Et lorsque Chico s ’allonge, elle l’imite.
Pour me mettre à sa portée, je m ’allonge à mon tour.
Et là, on se regarde droit dans les yeux. C ’est mon
tout premier contact visuel avec la fillette. Chico se
ressource à côté de nous. Les respirations haletantes
retrouvent un rythme normal. J ’ai l’impression que
le temps s’est arrêté. Son regard m ’émeut : elle est
enfin avec moi dans l’ici et maintenant. La synergie
triangulaire entre Chico, Mélissa et moi que je vou­
lais atteindre s ’est produite dans le dernier quart
d ’heure de la séance. À mes côtés, Chico est rassuré
et, par mimétisme sans doute, Mélissa semble à son
tour apaisée. Le moment est idéal pour risquer à nou­
veau de lui parler. Mais en une fraction de seconde,
M élissa contre toute attente saisit la balle qui est
à sa portée, la lance et dit : « Chico, va chercher ! » Je
n ’ai pas le temps de réaliser ce qui se passe, à peine
relevé, son père, subm ergé par l ’ém otion, entre
spontaném ent dans la pièce en pleurant. Il vient
d ’entendre parler sa fille pour la première fois depuis
sa naissance.

Chez Doris, un foyer de femmes battues

Ma deuxième expérience de zoothérapeute en for­


mation a eu lieu dans un centre d ’hébergement pour
femmes battues. Ce n ’est a priori pas évident pour un
homme d ’intervenir dans ce genre de structure. Ces
femmes sont complètement brisées, les coups ont été
donnés la plupart du temps par leur compagnon.
Alors à leurs yeux, la gent masculine est considérée
comme « l ’ennemi numéro un». D ’ailleurs, la colère
s’exprime dans leur regard.
Nous sommes huit étudiants de ma formation à
devoir organiser une séance avec un groupe de trois
femmes. Nous ne savons rien du passé de ces
patientes, à part qu’elles ont échappé à leur bourreau
en se réfugiant dans ce foyer. L’intérêt de cette séance
est de nous mettre en situation de recevoir des per­
sonnes qui aspirent à gérer une souffrance, quelle
qu’elle soit. On doit être à l’écoute de ces femmes aux
parcours chaotiques et leur apporter du mieux-être
avec notre animal.
Sac d ’intervention en bandoulière, je m ’installe
avec Chico autour de la table qui m ’a été attribuée.
Les sept autres zoothérapeutes en formation comme
moi sont dispatchés dans le centre avec d ’autres
femmes. Trois d ’entre elles s’installent côte à côte sur
un banc en face de moi. Je décide de mettre Chico sur
la table sur une couverture qu’il connaît bien. J ’ai vu
dans les yeux de deux d ’entre elles que le chien les
attirait. « Oh, il est beau ton chien », me disent-elles
affectueusement tout en le caressant. J ’acquiesce et je
sors une brosse et le Thermopad, un instrument que
l’on utilise avec les chiens et que Chico adore. Il
s’agit d ’un petit étui en plastique rempli de liquide
qui tient dans la main. À l’intérieur se trouve une
petite pièce de métal qu’il faut plier en deux. Après
ce geste, le liquide à l’intérieur du sachet se solidifie
tout en gardant la forme de la main. Au cours de ce
processus de durcissement, de la chaleur se dégage.
Ainsi, en caressant l’animal avec ce «coussin chauf­
fant », le patient et le chien se calment et se détendent.
C ’est un tranquillisant naturel qui a aussi pour effet
d ’être rassurant.
Deux des trois femmes trouvent ce moment récréa­
tif. A ma proposition de brosser le poil de Chico,
elles acceptent bien volontiers et s’appliquent comme
on le ferait avec un enfant. La troisième femme est en
retrait et se désintéresse complètement de ce qui se
passe à côté d ’elle. Chico est le dernier de ses soucis.
Elle met une barrière infranchissable pour l’extérieur
et je respecte son choix. Il me faudrait plus d ’une
heure et plus d ’informations sur sa situation pour ten­
ter quelque chose de plus approfondi. Le but de la
séance - très courte - est de rester à l’écoute, d ’appor­
ter à ces femmes fracassées par la vie un peu d ’empa­
thie, de tendresse. Dans cette situation, l’animal peut
les aider à se sentir mieux.
Quand on utilise le Therm opad avec Chico, il
s’écrase comme une guimauve, puis se met sur le dos
pour qu’on lui caresse le ventre. La reconnaissance
qu’il exprime à la personne qui lui fait du bien a
généralement un effet boomerang. Je vois bien, sur le
visage de ces femmes jusque-là tendu, se dessiner un
sourire. Chico les aide pendant ce moment à centrer
leur attention sur lui. Et leur fait sentir ainsi qu’elles
peuvent lui faire du bien. Ce que l’on comprend de
ces femmes aux parcours plus que chaotiques, c ’est
qu’elles sont dans la plupart des cas victimes d ’un
homme qu’elles continuent d ’aimer malgré les coups
et les maltraitances qu’elles endurent. Abîmées phy­
siquement et psychologiquement, elles n ’ont plus
d ’estime d ’elles-mêmes et croient aussi selon les
cas qu’elles sont responsables de ce qui leur arrive,
qu’elles l’ont sans doute cherché ou bien m érité...
Rongées par la culpabilité, elles ne savent plus si
elles sont de bonnes personnes, si elles peuvent
rendre heureux leur entourage. Qui sont-elles vrai­
m ent? Alors le chien qu’elles caressent et qui a du
plaisir leur démontre qu’elles peuvent faire du bien à
quelqu’un et qu’elles ne sont pas si mauvaises. Leur
visage traduit ce sentiment. Pendant cette séance, il
n ’y aura pas d ’échanges verbaux, ni de confidences.
La souffrance de ces femmes ne peut pas s’exprimer
en groupe et en si peu de temps, mais leur regard plus
détendu et leurs sourires pendant cette séance sont
déjà une petite victoire.

Au chevet des malades d’Alzheimer

« Cela ne peut pas faire de mal », c ’est ce que l’on


entend parfois lorsque l’on intervient comme zoo­
thérapeute dans certains centres spécialisés. Celui
dans lequel je me rends bénévolement avec Chico
deux fois par sem aine accueille des personnes
atteintes de la maladie d ’Alzheimer. Même si cela
semble être pour certains soignants un moment stric­
tement récréatif, je vais une fois de plus m ’aperce­
voir que le contact avec un animal peut se révéler
surprenant.
D écouverte en 1906 par A loïs A lzheim er, la
maladie d ’Alzheimer est une affection du cerveau
dite « n eu ro d ég én érativ e» , qui entraîne une dis­
parition progressive des neurones. Le premier stade
de la maladie est la perte de mémoire. Mais, au fil du
temps, d ’autres zones du cerveau sont touchées, pro­
voquant chez les malades la disparition progressive
des capacités d ’orientation dans le temps et dans
l’espace, de reconnaissance des objets et des per­
sonnes, d ’utilisation du langage, de raisonnement,
de réflexion.
Les personnes qui en sont atteintes passent par des
stades douloureux car, contrairement à ce que l’on
pourrait supposer, elles ont conscience de la perte de
leurs facultés. La colère et l’agressivité sont bien sou­
vent les seules réponses qu’elles expriment avec leur
entourage. Et lorsque leur état se dégrade chaque jour
un peu plus, ces personnes s’isolent, se coupent du
monde et ne reconnaissent même plus leurs proches
impuissants face à cette maladie incurable. Lorsque
nous venons comme zoothérapeute dans ces centres,
nous savons que notre zooanimation sert à sortir pen­
dant un court temps ces personnes de leur carcan.
Nous savons que la semaine suivante, ne subsistera
dans leur mémoire aucune trace de notre passage ou
de l’animal q u ’elles auront caressé et qui les aura
pourtant touchées.
Zoothérapie

Les larmes de Mme Suzanne

À mon arrivée au centre où je dois rencontrer ma


patiente, Betty, je croise une femme installée dans un
fauteuil. Elle attire immédiatement mon attention. Je
ne vois pas son visage, mais je sens son immobilisme.
Elle est comme statufiée, figée dans son siège, le
regard dans le vide fixant la fenêtre devant laquelle
on l’a installée. Je m ’approche d ’elle. Je suis frappé
par ses grands yeux bleus. Elle a la mâchoire crispée,
les mains cramponnées aux accoudoirs de son fau­
teuil, l’air complètement absent. Où est-elle partie?
Dans un autre monde inatteignable pour son entou­
rage. La maladie est a priori à un stade très avancé,
mais j ’ai toutefois envie de lui parler. Chico est dans
mes bras. J ’explique à cette femme que je suis avec
mon chien. Il s’appelle Chico... Il est important avec
les malades d ’Alzheimer de verbaliser tous nos faits
et gestes. Selon le stade de la maladie, on ne sait pas
vraiment ce qu’elles comprennent ou enregistrent
de ce que l’on peut leur dire. «N e vous inquiétez pas,
je vais prendre votre main. Je la soulève et je vais la
poser sur le poil de mon chien blanc qui s’appelle
Chico... » Sa main fébrile a spontanément caressé la
toison de Chico et les larmes se sont mises à couler
sur ses joues. Des larmes ininterrompues, des larmes
silencieuses qui trahissaient une souffrance contenue.
C ’était bouleversant. Possédait-elle un animal avant
d ’être hospitalisée dans ce centre? Que pouvait-elle
ressentir à cet instant précis où sa main a été en
contact avec mon chien? Impossible de répondre à
cette dernière question ; je ne pouvais que constater
que Chico avait permis de la ramener à une émotion,
à un moment de sa vie sensible. L’aide-soignante
qui m ’accom pagnait et qui a assisté à la scène
m ’a dit que c ’était la première fois q u ’elle voyait
Mme Suzanne pleurer.

Betty face à la mort

Betty est dans sa chambre. Cette femme âgée de


80 ans a été diagnostiquée en stade modéré de la mala­
die d ’Alzheimer. Cela sous-entend que sa mémoire
et ses facultés cognitives continuent de se détériorer,
bien qu’elle conserve une certaine conscience de son
état. Ce matin, Betty est alitée. La chambre est divisée
en deux espaces qu’elle partage avec une autre pen­
sionnaire, souffrant de la même maladie, mais à un
stade beaucoup plus avancé. Les deux lits sont placés
à l’opposé l’un de l’autre pour leur laisser un peu
d ’intimité. Aux mouvements du drap, on comprend
que l’autre locataire dort paisiblem ent. Elle nous
tourne le dos et fait face à un mur blanc dénué de la
moindre photo ou d ’un quelconque objet personnel.
Je ne peux m ’empêcher d ’éprouver de la tristesse, car
son environnement témoigne d ’une profonde solitude.
Elle semble ne recevoir aucune visite, comme me le
confirmera son aide-soignante.
Du côté de Betty, c ’est le contraire, son mur est
tapissé de photos de sa famille. Je m ’assois sur la
chaise attenante à son lit. Je prends le temps de me
présenter ainsi que mon assistant, Chico. Puis, comme
avec Mme Suzanne, je lui dis que je vais prendre sa
main et la poser sur Chico. Tout en caressant mon
chien, je lui demande de me parler de ces photos. Je
suis là pour un moment récréatif. Selon le stade de la
maladie, on arrive avec notre animal à ramener ces
personnes dans le présent. On rompt la solitude et
la monotonie de la journée. On ravive des souvenirs
qui stim ulent la mémoire immédiate ou éloignée.
Betty se tourne vers les photos et dit en regardant
l’une d ’elles : « Cette femme, c ’est ma sœur. Elle
aussi, elle avait un petit chien. » En même temps
q u ’elle parle à Chico, des larmes coulent sur ses
joues. Comme avec Mme Suzanne, Chico semble
avoir ravivé quelques souvenirs chez Betty, une émo­
tion, une souffrance... ? Betty est perdue dans ses
pensées, interrompant de fait notre échange.
Chico, très calme jusque-là, se met subitement à
aboyer au point d ’effrayer Betty qui sursaute. Apeu­
rée, elle se referme sur elle comme une huître. Impos­
sible de calm er le chien. J ’observe toutefois que
ses aboiements sont dirigés vers l’autre lit, celui de la
voisine qui dort. Je suis mal à l’aise, Chico a une
attitude surprenante. Je sonne l’infirmière du service.
« Mon chien sent quelque chose d ’anormal dans cette
chambre. Pouvez-vous vérifier l’état de santé de votre
patiente ? » Elle prend son pouls. La voisine de Betty
est décédée pendant notre séance. J ’ai pris la main de
Betty pour qu’elle caresse Chico. Un silence pesant a
envahi la pièce, nous plongeant dans une forme de
recueillement.
Cette histoire m ’a toujours un peu troublé. Je ne
suis pas une personne ésotérique, je suis de formation
scientifique. Ce que je peux dire, c ’est que Chico a
senti la mort de cette personne. Sans doute sécrétons-
nous des micromolécules quand nos cellules ne sont
plus oxygénées. La mort a probablement une odeur ?
Peut-être que certains animaux, dont les chiens, sont
en mesure de la renifler? Je n ’ai pas la réponse. Mais
force est de constater que Chico a changé son compor­
tement et m ’a averti que la voisine de chambre de
Betty était en train de mourir dans la solitude et l’indif­
férence générales, la sienne exceptée.

Mes premiers pas avec de vrais patients

Au cours de ma deuxième année de formation, j ’ai


appris à travailler avec d ’autres animaux tels que les
chats, les perroquets et les chevaux, toujours sous le
contrôle de professionnels. Les stages intensifs que
nous faisions dans des centres spécialisés pour enfants
atteints d ’autisme m ’ont confirmé que c ’était avec
Chico que j ’étais le plus à l’aise et le plus aidant. Une
fois diplômé en zoothérapie, je me suis inscrit à la
Corporation des zoothérapeutes du Québec (CZQ).
Pour me faire connaître dans le milieu comme prati­
cien, j ’imprime des cartes professionnelles avec le
portait de Chico que j ’affiche dans tout le quartier
pour proposer mes services. Je réponds à quelques
interviews pour des magazines et je participe à un
salon international des animaux de com pagnie à
Montréal. Je continue à organiser bénévolement des
séances dans différents centres de soins, notamment
auprès de personnes atteintes du VIH. Mon objectif
étant de développer mon propre réseau de patientèle.
Je me sens une vraie vocation. Mon téléphone va
commencer à sonner.
Jérémy ou comment échapper
au traitement du Ritalin®

Le Ritalin® (nom commercial du produit) l’obstine.


Catherine, la mère de Jérémy, refuse catégoriquement
que l’on prescrive à son fils souffrant de troubles du
déficit de l’attention (TDA) un psychostimulant: le
méthylphénidate. Ce médicament agissant sur le sys­
tème nerveux central est censé améliorer son attention
en classe et calmer son agitation. Depuis le diagnostic
des médecins, Jérémy a été placé dans une école spé­
cialisée. Son état ne s’améliore pourtant pas. Jérémy
a 11 ans, il ne parvient pas à se concentrer, il est
complètement absent et arrive difficilement à suivre
les cours. Les lacunes s’accumulent et génèrent une
grande tension chez le préadolescent qui n ’échappe
pas aux punitions ou aux convocations chez le princi­
pal d ’éducation. Pour lui, aller à l’école est devenu
synonyme de stress intense. Les enfants souffrant de
TDA ont une très faible estime d ’eux-mêmes. Sou­
vent exclus par les autres enfants et incompris par
leurs professeurs, ils souffrent en perm anence de
rejet. Jérémy est parfois si anxieux qu’il développe le
syndrome de Gilles de la Tourette. Ne pouvant contrô­
ler son angoisse, il se met à pousser des cris aigus
sans s’en rendre compte. On sait aujourd’hui que ce
TDA est un dysfonctionnement cérébral provoquant
un trouble biochimique quantitatif sur deux puissants
neurotransmetteurs : un manque de sérotonine et un
excès de dopamine. En classe, les cris de Jérémy per­
turbent les cours, si bien que l’encadrement scolaire
fait pression sur sa mère pour q u ’il prenne du
Ritalin®. J ’ai été enseignant et je connais les effets de
ce psychostimulant pour l’avoir vu chez certains de
mes anciens élèves : leur comportement en classe
avait considérablement changé à partir du moment
où ils ont commencé leur traitem ent. Certes, ils
étaient moins agités, mais certains semblaient absents
bien que physiquem ent présents. Pour cette mère
désœuvrée, ce médicament est trop violent et les
impacts sont encore méconnus. En devient-on dépen­
dant? Pendant combien de temps Jérémy devra-t-il
le prendre, peut-être toute sa vie ? Toutes ces inter­
rogations motivent ce « non » catégorique. Pour elle,
aucune médication chimique n ’est envisageable pour
Jérémy. C ’est ce que je comprends lorsqu’elle me
contacte sur les conseils d’une amie.
Pour l’anecdote, j ’avais croisé cette amie chez mon
garagiste. En attendant son tour, elle travaillait sur son
ordinateur. Des livres de biologie étaient posés à côté
d ’elle et comme c ’est une matière que j ’enseignais à
l’université, j ’ai engagé la conversation. «M oi aussi
je suis prof et aussi zoothérapeute. » Intéressée, elle
me demande en quoi consiste cette thérapie qu’elle ne
connaît pas vraiment. À la fin de notre échange, je lui
laisse ma carte, car elle me dit que l’enfant d ’une de
ses amies a un problème et que ça pourrait l’intéres­
ser. Le lendemain, mon téléphone sonnait.
Au téléphone, j ’entends à l’accent de Catherine
qu’elle est française. Sans doute s ’est-elle dit la même
chose en m ’entendant parler? Malgré l’angoisse pal­
pable dans sa voix, elle me raconte assez facilement
ce qu’elle vit avec Jérémy. Le Ritalin®, les pressions
scolaires, le stress grandissant de son fils... Ils ont
déjà rencontré plusieurs psychologues sans qu’il y ait
eu de grands résultats. Avec le dernier, m ’explique-
t-elle, la thérapie a duré trois mois, puis Jérémy s’est
lassé. Alors lorsque son amie lui a donné ma carte,
elle n ’a pas hésité une seconde à me contacter, car
elle avait entendu parler de la zoothérapie. Elle ne sait
pas si ça peut marcher ou pas, mais au moins c ’est
naturel. Jérémy adore les animaux, alors si cette thé­
rapie peut aider les personnes souffrant de troubles...
(comme indiqué sur ma carte professionnelle) avec
un spécialiste et un chien, cela ne pourra pas être pire
que ce qu’elle traverse. Je l’écoute tout en prenant des
notes. Je lui propose de la rencontrer avec Jérémy
pour évaluer les besoins de l’enfant et voir si je suis
en mesure de pouvoir l’aider. Il me faut deux heures
de temps pour faire cette première évaluation. «L a
zoothérapie est mon dernier espoir avant de céder au
Ritalin®, me répète Catherine, avant de raccrocher.
Le rendez-vous est pris chez eux quelques jours
plus tard. Il neige. Chico a enfilé la doudoune rouge
vif que je viens de lui acheter pour affronter les tempé­
ratures hivernales de Montréal. Il ressemble à un hot
dog sur pattes. Quand la porte s ’ouvre, nous voilà
au bas d ’un escalier pentu comme on en trouve dans
les maisons québécoises. Chico grimpe rapidement les
marches. Au sommet, Jérémy nous attend. J’entends
son rire. Le manteau de Chico a fait son effet, on
dirait ! À mon tour de gravir l’escalier. Jérémy est tou­
jours sur le perron, mais cette fois-ci, il regarde par
terre et ne cherche pas à croiser mon regard, bien au
contraire. Il semble mal à l’aise, aucun son ne sort de
sa bouche. Grand et frêle, les cheveux raides, un léger
duvet en guise de moustache et les premiers boutons
d ’acné sur le visage, Jérémy, âgé de 11 ans, est visible­
ment en pleine prépuberté. Il sait qu’on est là pour
l’aider, mais ne sait pas trop comment. Il vit ce rendez-
vous comme une contrainte, sauf que ses précédents
thérapeutes n ’avaient pas de chien. Je lui présente
immédiatement Chico. « Chico, donne la patte », et
Chico s’exécute comme il se doit. Jérémy amusé tend
à son tour sa main pour serrer délicatement sa patte.
Ce premier contact avec Chico est prometteur.
Avant de voir Jérémy seul avec Chico, je rencontre
sa mère et son beau-père dans la cuisine pendant une
dizaine de minutes. Le courant passe bien avec
Catherine, nos origines françaises y sont peut-être
pour quelque chose. On reprend le fil de notre
conversation téléphonique, et elle revient sur la raison
pour laquelle elle m ’a contacté : sa peur bleue du
Ritalin®, elle trouve inacceptable que l’école ne lui
propose que cette solution. « Je suis contente que
vous soyez venus, me lance-t-elle, pleine d ’espoir.
J ’espère que cela va marcher. » Je sens le poids de ses
attentes. Mais je dois être très clair avec cette mère
angoissée. Je me permets de lui rappeler que je vais
faire l’évaluation aujourd’hui, et si toutefois je consi­
dère que je ne peux pas m ’occuper de Jérémy, je la
recommanderai à un autre thérapeute. Il ne faut pas
qu’elle nourrisse de faux espoirs, cela la mettrait elle
aussi en situation d ’échec.

Le monde de Jérémy

Jérémy nous attend avec Chico dans sa chambre.


C ’est là que j ’ai choisi de le rencontrer, dans son
univers de préadolescent qui devrait m ’aider à mieux
le cerner. Apparemment, sa chambre est l’endroit où
il se sent bien. Elle ressemble à une chambre d ’ado :
un lit en hauteur aménagé sur une m ezzanine et
en dessous un espace bureau. Quand on franchit le
seuil, il est assis par terre et se lève un peu embar­
rassé. Il semble toutefois plus détendu q u ’à notre
arrivée. Je lui demande de s ’asseoir sur une des
chaises de son bureau et je m ’installe sur celle d ’en
face avec Chico. Les murs sont couverts de posters de
joueurs de hockey, de maillots... De toute évidence,
le hockey sur glace doit être son sport favori. Avant
de me lancer sur ce terrain, je demande à Jérémy
comment il se sent. « Je me sens bien, ça v a» ,
répond-il timidement. « Tu veux caresser Chico ? » Il
marmonne un oui dans sa barbe en posant sa main sur
le poil tout doux du chien. Un geste qui est loin d ’être
anodin : il met en confiance, il rassure... et me permet
aussi d ’entamer mon premier échange avec lui. J ’ai
tout de suite compris que le hockey serait la bonne
porte d ’entrée pour le mettre à l’aise. D ’où ma pre­
mière question : « Je vois que tu es passionné par le
hockey, tu sais Chico et moi, on vient de France et on
ne connaît pas bien les règles du jeu. Peux-tu nous les
expliquer dans les grandes lignes ? » Jérémy est un
enfant qui n ’a pas du tout confiance en lui et en par­
lant de son sport favori, je veux l’amener sur un sujet
où il peut prendre de l’assurance. D ’emblée, le regard
de Jérémy change. Il propose naturellement de faire
un dessin pour expliquer le fonctionnement du jeu.
D ’un geste assuré, il trace Yarena, la divise en deux
parties, place les joueurs, l’équipe des Canadiens de
Montréal en premier, son team préféré, puis les adver­
saires. Sur chaque joueur, il note un numéro et le nom
associé. Je le félicite pour ses talents de dessinateur et
de vulgarisateur. Il n ’ose toujours pas me regarder,
il rougit tout en souriant. Je suis très surpris par la
précision de ses explications. Avec force détails, il
commente le déroulement d ’un match : « Au départ,
tu mets la rondelle au milieu, le but est de la mettre,
un peu comme au football, dans la cage du gardien
de l’équipe adverse... » Jérémy est méconnaissable. Il
est captivé par son récit et avec Chico on l’écoute
sans l’interrompre. « Il faut tirer des buts avec la ron­
delle pour marquer des points », conclut-il heureux de
sa démonstration.
C ’est à ce moment que je lui propose un jeu. Je
prends dans mon sac d ’intervention deux petits cônes
en plastique, que je place à un mètre l’un de l’autre
comme deux poteaux de but, et une balle. J ’avais
remarqué dans un coin de la chambre une mini cross
de hockey. « On va mettre Chico au milieu. Je te pré­
viens, c’est un redoutable gardien de but, il ne laisse
rien passer ! » Dubitatif, Jérémy saisit la balle et la
lance sans grande conviction. Sauf que Chico bondit
dessus et bloque son tir. Jérémy n ’en revient pas
qu’un chien puisse réagir de la sorte. Ils continuent un
moment à se défier devant ce but improvisé, provo­
quant les rires de Jérémy chaque fois que Chico
s’élance pour protéger sa cage. Spontanément, le gar­
çon a pris Chico dans ses bras pour le caresser. Je lui
tends alors un Thermopad. L’effet escompté se pro­
duit, l’enfant et le chien se calment et se détendent.
Pendant que Jérémy caresse Chico, je lui redemande
comment il se sent. «Je me sens bien. C ’est vraiment
un sport que j ’adore. » Je n ’ose pas lui demander s ’il
le pratique, sa mère ne m ’en a pas parlé. Je ne veux
pas le déstabiliser, d ’autant que je veux à présent
aborder son mal-être à l’école. Je voudrais l’entendre
en parler, me dire, s’il y arrive, ce qui est difficile. Les
réponses sont claires : « J ’ai du mal avec l’écriture,
je n ’aime pas le français... - As-tu des devoirs?
- Oui, la prof me donne cinq ou dix mots à apprendre
pour la semaine et je dois savoir bien les écrire. »
Jérémy me parle. Il est heureux de sa rencontre avec
Chico. Je sais à ce moment que je vais poursuivre
les séances avec lui. Je me sens capable de l’aider. Au
cours de cette première séance, j ’ai pu vérifier que
Jérémy a beaucoup de mal à se concentrer et qu’il
souffre, en effet, de ne pas pouvoir écrire correcte­
ment comme les camarades de son âge. Mon objectif
en tant que zoothérapeute va consister à l’aider à
avoir une plus haute estime de lui-même. Pour cela,
je vais l’inciter à devenir attentif grâce à Chico, à se
concentrer sur les besoins de mon chien et par consé­
quent sur ses besoins à lui. Je dois être particulière­
ment vigilant sur l’importance de le féliciter pour
chaque bon comportement qu’il aura envers Chico.
Quant aux mots qu’il doit apprendre pour l’école,
je lui propose un autre jeu avec Chico. « Avant que
l’on vienne te voir chaque semaine, tu pourrais mettre
les mots que tu dois apprendre dans une histoire que
tu liras à Chico et que l’on pourra réécrire ensemble.
Chico sera à côté de toi. » Son visage s’éclaire. Jérémy
a compris qu’il allait revoir Chico et encore lui tirer
des buts. Il nous reste dix minutes à passer ensemble.
Je tiens à finir la séance sur une note positive. C ’est
un des enseignements de ma formation : un patient
ne doit jamais terminer la séance sur un échec. Pour
ça, je fais un tour avec Chico que je veux apprendre
à Jérémy. Chico est sur ses pattes arrière et quand je
lui commande de tourner, il tourne. Quand il finit
son tour de danse, je lui donne une récompense.
Jérémy est très attentif. Je sens q u ’il a envie de
réussir l’exercice. « Chico tourne ! » lance Jérémy. Et
comme Chico s’exécute, Jérémy lui donne sa frian­
dise. « C ’est bien Jérémy, je suis fier de toi, tu as
bien compris ce que je t’avais demandé et tu as bien
réussi. » Il est si fier qu’il appelle sa mère pour le lui
montrer. Elle le félicite tout comme moi. Et pendant
les minutes qui ont suivi, Jérémy arrive avec son lapin
dont il ne m ’avait pas du tout parlé pendant la séance :
« J ’aimerais bien présenter Galipette à C hico.» Les
animaux se sont salués en se reniflant le museau. Un
grand pas venait d ’être franchi par Jérémy.
Nous décidons de nous revoir de façon hebdoma­
daire, à raison d ’une heure par séance. Chacune d ’elles
commence par un tour de dressage différent que
j ’apprends à Jérémy. Puis s’ensuit une pause massage
au moyen du Thermopad avec Chico sur ses genoux
où l’on peut échanger calmement. Chaque semaine,
Jérémy prépare les nouveaux mots imposés par l’école
pour écrire l’histoire à raconter à Chico. Au fil des
semaines, Jérémy est toujours content de retrouver
Chico et il est de plus en plus à l’aise avec moi. Il
s’exprime avec plus d ’assurance et de confiance.
Après seulement un mois, la mère de Jérémy me
montre, non sans émotion, un mot qu’elle a reçu de
la maîtresse de son fils : Jérémy a fait de nets progrès
en écriture et il est plus concentré à l’école. Les résul­
tats que nous avons obtenus en moins d ’un mois
dépassent largement nos attentes. Et bien plus ! Avant
mon départ pour la France où je vais passer les fêtes
de Noël pendant deux semaines, Jérémy a préparé
une surprise pour Chico : il lui a écrit une chanson.
Et c’est avec aplomb et détermination qu’il entonne
les paroles. Je suis médusé devant cet adolescent qui,
un mois plus tôt, osait à peine me regarder. Les félici­
tations et les remerciements qu’il reçoit le touchent.

La blessure cachée de Jérémy

À mon retour au Québec, je retrouve Jérémy.


L’atmosphère est tendue. Quelque chose ne va pas.
Pourtant, il n ’est pas allé à l ’école, les vacances
viennent tout juste de se terminer. Sa mère me confie
qu’il a passé une partie des vacances chez son père et
qu’à chaque fois qu’il revient de chez lui, Jérémy est
agressif, voire même violent verbalement envers elle.
Pour essayer de comprendre ce changement d ’atti­
tude qu’il vit après chaque week-end avec son père,
j ’utilise lors d ’une séance un outil thérapeutique
p ro jectif : A nim age, une collection de cinquante
images représentant différents animaux. Le but de
cet exercice est de court-circuiter le rationnel du
patient et de l’amener dans son espace émotionnel,
psychique. Il doit choisir une ou deux images en
référence à un thème. Dans le cas de Jérémy, je lui
dem ande une carte qui lui rappellerait son père.
Après les avoir regardées attentivement, son choix se
porte sur un énorm e gorille m âle allongé dans
l’herbe, le ventre à l’air. Jérémy doit dans un premier
temps me décrire l’image. Il a Chico sur ses genoux
qui a pour consigne de rester très calme. Je l’écoute
avec attention et je note tout ce qu’il me décrit en
observant le grand singe: « C ’est un animal fort,
im pressionnant, le poil noir et le dos argenté... »
Ensuite, la carte est retournée, et je lui répète ce q u ’il
a exprimé le plus souvent. Puis il regarde à nouveau
l’image et cette fois-ci, je l’oriente vers son ressenti,
sur ce q u ’il n ’aurait pas perçu à la prem ière des­
cription. Et quand le m om ent est opportun dans
l’échange, quand je le sens plus en confiance, je lui
demande de me dire en quoi le gorille lui fait penser
à son père. Jérémy se crispe et sert Chico très fort
contre lui. Il marque un temps d ’arrêt, puis se tourne
vers Chico : « Il me rappelle mon père car quand je
vais le voir les week-ends, il est allongé sur le divan
et il boit de la bière. Il ne s ’occupe pas de moi. Tu as
de la chance toi, Chico, d ’avoir un papa qui t’aime et
qui te donne de la liberté. J ’aimerais tellement aller
jouer au hockey et que mon père m ’y accompagne. »
Nous finissons la séance sur un tour qu’il a appris à
Chico. Jérémy est bouleversé. Je préviens sa mère
q u ’elle devra être plus vigilante au cours des pro­
chains jours, car Jérémy risque d ’avoir des réactions
inhabituelles. Sans doute des cauchemars pas faciles
à vivre. Mais au final, l’exercice aura été salutaire
puisque la décision a été prise de rencontrer le père
biologique de Jérémy pour lui faire part du malaise
et surtout des besoins de son fils. Trois semaines plus
tard, Jérémy intégrera une équipe de hockey. Je n ’ai
jamais eu l’occasion de voir le père de Jérémy et ce
dernier n ’a plus souhaité en parler lors de nos séances
de thérapie. Il voulait surtout se concentrer sur ses
problèm es d ’écriture, car c ’était en effet l ’un des
objectifs que nous nous étions fixés dès le début de
notre rencontre.
Son estime de lui et sa confiance en ses capacités
n ’ont cessé d ’augmenter au cours des séances qui ont
suivi. Une véritable métamorphose, on pourrait même
dire un petit miracle. Catherine a les larmes aux yeux
quand Jérémy se tient à ses côtés et me tend le diplôme
qu’il a reçu de son école : le directeur de l’établisse­
ment scolaire atteste par ce diplôme que Jérémy s’est
particulièrement distingué par son travail assidu. Le
garçon me regarde droit dans les yeux et je ressens à
quel point il est fier de lui. Comment ne pas l’être ?
Fort de ce succès, Catherine me demande si je peux
poursuivre la thérapie en orientant cette fois-ci sur les
relations de son fils avec son père. Une question déli­
cate qui m ’a semblé inadaptée à ce moment précis où
Jérémy avait démontré qu’il était capable d ’obtenir de
très bons résultats. Il avait atteint ses objectifs, il fallait
le laisser savourer cette victoire.

Devant la caméra

Un an plus tard, un producteur de télévision me


contacte pour réaliser une émission pilote sur la zoo-
thérapie. Pour son montage, il me demande si je peux
faire participer certains de mes patients. Je pense tout
de suite à Jérémy. J ’appelle Catherine et lui explique
le projet pilote. Elle en parle immédiatement à Jérémy
et sans hésiter, il accepte. Au moment du tournage,
quand je vois cette énorme caméra placée à moins
d ’un mètre de mon visage, je me dis que c ’est trop
intimidant pour Jérémy. Quand je sonne à la porte,
avec la caméra dans le dos, c ’est Jérémy qui nous
accueille. Il voit Chico, l’appelle, le prend dans ses
bras. Sans doute étaient-ce mes propres peurs que je
projetais car le jeune homme parle devant la caméra
sans aucune appréhension et répond à mes questions
avec une surprenante assurance. Je suis vraim ent
impressionné, ému et extrêmement fier de tout le che­
min parcouru en un an. J ’ai en face de moi un adoles­
cent sûr de lui, très loin de ce garçon si timide que
j ’avais rencontré en haut des marches la première fois.
Je reçois quelques jours plus tard une photo de Jérémy,
avec ces quelques mots de sa mère : « José, jamais je
ne te remercierai assez, ainsi que Chico, de me per­
mettre de voir aujourd’hui, grâce à cette récente photo,
un regard rempli de confiance chez mon fils. » Le
Ritalin® n ’a plus jamais fait partie de son vocabulaire.

La vie en gris de Patrick

La dépression est en augmentation constante dans


nos sociétés modernes. Une personne sur cinq en
souffrirait, au point que les spécialistes se demandent
si cette pathologie ne serait pas devenue le « nouveau
mal du siècle». « L a psychiatrie considère depuis
1970, explique le sociologue Alain Ehrenberg, direc­
teur au CNRS du groupe de recherche Psychotropes,
politique et sociétés, que non seulem ent elle [la
dépression] est le trouble le plus répandu dans le
monde, mais que les choses vont égalem ent en
s’aggravant. » Un manque affectif, un deuil, un choc
psychique, un stress ou une maladie peuvent provo­
quer au cours d ’une vie ce sentiment de déprime pro­
fonde. La dépression entraîne une grande détresse
émotionnelle et un sentiment aigu de solitude qui
influencent les états d ’âme des personnes souffrantes
et les incite à s ’isoler, et de fait, à rompre la communi­
cation avec l’extérieur. Peuvent s ’ajouter à cet état
psychique fragile des troubles du caractère et de
l’humeur, de l’anxiété... qui rendent les relations avec
l’entourage presque impossibles.
Tout ce jargon, Patrick ne le connaît que trop bien.
Il vient tout juste de reprendre son emploi à la banque
après un arrêt de travail de deux mois. Le regard de ses
collègues le met mal à l’aise. Personne ne sait trop
comment engager la conversation avec lui. Certains
esquissent un sourire, mais sans plus. Sans doute par
pudeur, respect ou incompréhension, on le laisse tran­
quille. Il reprend donc sa routine, assis à 8 heures der­
rière son écran d ’ordinateur, ne se relevant q u ’au
moment de déjeuner. Un plat réchauffé de sa mère qui
tourne dans le micro-ondes du local des employés.
Puis à 18 heures, il quitte son bureau et arrive chez lui
à 18 h 30.
Patrick est gris, de la tête aux pieds : costume gris,
cravate grise, lunettes grises et cheveux gris. C ’est
ainsi qu’il se voit et voit la vie, en monochrome. Les
couleurs ne font plus partie de sa palette. Et pourtant,
dans un passé pas si lointain, les couleurs qu’il utilisait
pour peindre ses toiles étaient vives et pleines d ’éclat.
C ’est avec ces pensées qu’il entre dans son apparte­
ment et s’assoit sur son canapé gris. L’automne se
termine et il y fait un peu froid. Son regard s’attarde
sur un magazine québécois posé sur la table en verre
du salon. Sur la couverture, il voit un jeune homme
souriant tenant dans ses bras un petit chien tout blanc.
Il est écrit en dessous : « Soigner par le biais des
animaux ».
Sa curiosité le pousse à lire l’article, dans lequel
je donne une interview sur la zoothérapie. Ayant
presque tout essayé, Patrick se dit : « Pourquoi pas ? »
En bas de la page, il y a mon numéro de téléphone. Il
décroche son combiné et me contacte pour solliciter
un rendez-vous.

Un premier rendez-vous
pas comme les autres

Quelques jours plus tard, je me rends chez Patrick


avec Chico afin d ’évaluer ses besoins. Un jour pas
ordinaire. Chico me boude. Après une absence de
deux semaines durant laquelle je l’ai laissé à un ami,
il m ’en veut d ’être parti sans lui. Je remarque son
changement d ’attitude sans penser une seconde qu’il
va clairement exprimer son mécontentement dès notre
arrivée chez Patrick. J ’ai à peine le temps de nous
présenter qu’il se dirige avec détermination vers le
tapis blanc de l’entrée et, sans aucune gêne, y fait ses
besoins. Impuissant, je le regarde agir, tout en compre­
nant que son geste s’adresse à moi. Et c ’est extrême­
ment confus que je salue Patrick à qui j ’esquisse un
sourire embarrassé. Je tente un trait d ’humour : « C ’est
sa façon de vous saluer ! Vous savez, on dit aussi que
cela porte bonheur ! » Contre toute attente, ma blague
improvisée a détendu l’atmosphère. Après un rapide
nettoyage, je prends place avec Chico sur le canapé,
Patrick s’assoit en face de nous.
Âgé de 50 ans, Patrick m ’explique qu’il a du mal à
rem onter la pente, « q u ’il traîne la p atte» pour
reprendre ses mots. Son travail à la banque l’ennuie
profondément. Depuis sa dépression, il n ’arrive plus
à peindre, alors que la peinture, c ’est sa passion. Il a
perdu toute motivation pour son art. Pendant deux
heures, il s’exprime sur ses crises d ’angoisses, sur
l’anxiété qui le submergent et lui gâchent la vie. Le
moindre petit souci prend des proportions hors normes
et il ne peut gérer l’intensité de son activité émotion­
nelle qu’à coup d ’anxiolytiques et d’antidépresseurs.
Il s’isole de plus en plus de ses amis et ne parle à
personne à la banque. Tout lui semble contraignant
et difficile : même aller prendre un verre avec son
ex-petit ami. C ’est au-dessus de ses forces. La seule
personne avec qui il entretient une relation est sa
mère. Je comprends rapidement qu’il passe presque
tout son temps libre avec elle. Surtout depuis le décès
récent de son père qui s’ajoute au décès de son grand
frère dix ans auparavant. Je vois que Patrick déglutit
avec difficulté à l’évocation de ces deux drames et
qu’il est sur le point de pleurer. Je lui propose de poser
Chico sur ses genoux et qu’il le caresse. Une façon de
lui apporter du réconfort tout en continuant de l’écou­
ter. Et ça marche ! Patrick se met à pleurer et serre
Chico contre lui. Cela prend quelques minutes, je lui
tends des mouchoirs et lui exprime combien je suis
touché par son histoire. Patrick se détend. Il semble
apprécier la compagnie de Chico, même s ’il ne se
montre pas très à l’aise. Son appartement est très soi­
gné, son mobilier haut de gamme, sa décoration de
bon goût, noir et blanc. La peur que Chico puisse salir
avec ses poils ou en déféquant comme il l’a fait en
arrivant sur son tapis blanc génère sans aucun doute
une appréhension chez cet homme visiblement très
attaché à l’ordre et à la propreté. Au bout de deux
heures d ’entretien, j ’ai de quoi évaluer les besoins de
Patrick. Dans un premier temps, il faut que Patrick
retrouve ses besoins de base, à savoir bien dormir,
bien s ’alim enter et puis com bler à nouveau ces
besoins sociaux. Il doit sortir de son isolement. La
séance se termine et je demande à Patrick comment
il se sent. Il me dit : « Un peu mieux, cette séance m ’a
fait du bien. » On se donne rendez-vous la semaine
suivante. Pour atteindre mes objectifs, il me faudra
près d ’une année à raison d ’une séance hebdomadaire
d ’une heure.

En prenant soin de Chico,


je prends soin de moi

Comme lors du premier rendez-vous, Patrick n ’est


pas vraiment à l’aise avec Chico. Il me dit «ne pas
trop savoir comment s’en occuper». Je sens pourtant
une réelle attirance de sa part pour cette petite boule
de poils blancs. Avant chaque rencontre avec mes
patients, je toilette Chico pour qu’il soit le plus propre
possible. Et pour Patrick, j ’ai très vite compris que la
propreté était essentielle pour qu’il décide de s’occu­
per de mon chien. «L e blanc c ’est la pureté ! » me
lance-t-il. Je lui propose alors de brosser Chico avant
chaque début de séance sur ses genoux où une petite
couverture est posée. Le but de cet exercice est de faire
prendre conscience à Patrick que si Chico est si beau,
si blanc, si pur, c ’est parce qu’il faut en prendre soin.
J ’espère ainsi un «effet m iroir» chez Patrick: pour
redevenir éclatant, il doit déjà prendre soin de lui.
Puis, après avoir initié ce premier contact, j ’enseigne
à Patrick plusieurs petits tours de dressage pour qu’il se
rapproche sans crainte de Chico. Il doit lui apprendre à
s’asseoir, à se coucher, à rester tranquille. À chaque fois
que Chico répondra à ses commandements, Patrick
pourra le récompenser avec des friandises, mais aussi
avec des caresses et de la tendresse. Le but de ce mini
cours de dressage est de lui montrer qu’il est capable de
s’occuper de Chico et ainsi de remonter l’estime qu’il a
de lui-même, de reprendre confiance en lui. Il arrive
parfois que Chico ne réponde pas aux demandes de
Patrick et décide de faire « le fou », en jappant et sau­
tant : c’est encore un jeune chien et il ne demande par­
fois qu’à jouer. J ’apprends alors à Patrick à dire : «Non
Chico. » Sans vraiment le réaliser à ce moment-ci, il va
s’avérer que savoir dire non à Chico aidera plus tard
Patrick à s’affirmer dans sa relation avec autrui.
Chaque semaine, le lien entre Patrick et Chico se
resserre. Et c ’est plein d ’attention et de joie qu’il nous
reçoit à présent dans son appartement. Surtout Chico,
que Patrick appelle du haut de l ’escalier. A peine
entré dans l’appartement, Chico se roule sur un tapis
que Patrick lui a attribué exclusivement. Patrick lui
gratte le ventre et lui dit : « Bonjour Chico, comment
vas-tu aujourd’h u i? » Et s’il trouve que Chico a l’air
bien, il lui offre une petite friandise. Chico est gour­
mand, un vrai ventre sur quatre pattes, alors autant
d ’égards pour ses papilles, ça ne se refuse pas. Patrick
a besoin par ces gestes affectifs que Chico lui prouve
qu’il l’aime. Et Chico ne s’en prive pas. Il va naturel­
lement vers lui, en remuant la queue puis, si Patrick
l’y invite, il va sur ses genoux où il reçoit ses caresses
affectueuses.
Toutefois partagé entre la confiance que lui inspire
l’amour de Chico et le sentiment d ’être rejeté dû à son
état dépressif, Patrick va au bout de quelques séances
remettre en question l’affection de Chico. Pour lui,
il est juste intéressé par les friandises. « Ton chien ne
m ’aime pas pour ce que je suis, si je n ’avais pas de
friandises, il ne viendrait pas me voir. » Je sens de la
détresse dans ses mots. Le doute affectif s’est de nou­
veau installé et fait son travail de sape. Sauf que
Chico, habitué à ce que Patrick s’occupe de lui, vient
le chercher, le pousse du museau et émet des petits
jappements comme pour lui dire : «Je suis là. » C ’est
cette relation avec l’animal qui sert de lien pour pou­
voir parler au patient. Je peux reformuler les propos
et apporter des réponses par rapport à son ressenti
vis-à-vis du chien sur qui Patrick projette son état
émotionnel du moment.
« Il a l’air triste ton chien», me lance un jo u r
Patrick juste après que Chico se soit gratté le dos sur
le tapis. Je réponds par une question dans laquelle je
reformule ses mots : « Q u’est-ce qui fait que tu penses
que Chico a l’air triste ? » Il répond : « Je ne sais pas.
Il a les yeux humides. Je sens qu’il ne va pas très bien.
Il ne bouge pas beaucoup, il a l’air léthargique. » Je
poursuis mon questionnement. Je suis là pour l’aider
à s’exprimer et Chico lui sert d ’exutoire. « A h ! bon,
qu’est-ce qui fait qu’il a l’air léthargique ? - Je ne sais
pas, me dit-il d ’un ton las, peut-être q u ’il a mal
dormi ? » J ’oriente ma prochaine question, car je veux
que Patrick exprime dans l’instant présent ses propres
émotions : « Est-ce que tu veux me parler de ta nuit ?
Est-ce que toi, tu as mal dormi ? »
Il me répond par l’affirmative. Je l’invite à s’asseoir
avec Chico à ses côtés et à m ’expliquer les raisons
pour lesquelles il a passé une mauvaise nuit. Il me dit
qu’il fait des rêves bizarres, qui n ’ont ni queue ni tête.
La plupart du temps, il ne s’en souvient pas au réveil
mais il se lève triste, avec difficulté. Il se sent lourd,
comme si une chape de plomb lui tombait dessus.
On convient ensemble que lors des prochaines nuits
mouvementées, il écrira sur l’instant, même s’il est
semi-conscient, les rêves qui l’habitent. Je l’invite à
se munir d ’un petit carnet et d ’un stylo posés sur la
table de nuit. Il se montrera très consciencieux au fil
du temps et nous avons travaillé longtemps sur ses
rêves. Patrick fera d ’ailleurs très vite le lien avec ce
qui se passe dans ses rêves et les événements récents
qu’il a vécus. Cela l’aide à dédramatiser les choses.
Pour l’heure, Patrick se sent exclu. Il parle beau­
coup de sa mère, la seule personne à ses yeux qui ne
le laisse pas de côté. À la mort de son frère, il y a une
dizaine d ’années, il a souhaité s ’occuper de son
neveu pour compenser l’absence de son frère. Mais
l’adolescent ne l’accepte pas vraiment comme père de
substitution. Patrick vit ce refus comme un échec per­
sonnel. Le décès récent de son père, le départ de son
compagnon, l’indifférence de ses collègues qui sup­
portent peu son état déprimé... Patrick a tout reporté
sur sa mère à qui il ne refuse rien. Toute son énergie
est apparemment dédiée à cette femme dominante, au
détriment de sa vie personnelle. Son flot de paroles
et les pleurs qui les accompagnent trahissent une
douleur enfouie difficile à traduire. Patrick revient
toujours à la relation particulière qu’il vit avec sa
mère. Je comprends que c ’est sur ce lien fusionnel
qu’il faut travailler pour dépasser les troubles émo­
tionnels qui perturbent de plus en plus sa vie.

Se réapproprier le non

Je lui propose alors de travailler avec Animage,


le jeu de cartes qui, comme pour Jérémy, va lui per­
mettre d ’exprimer de façon plus irrationnelle le lien
qui l’unit à sa mère. Patrick tourne consciencieuse­
ment les cartes une à une. Il doit au final sélectionner
l’image qui lui rappelle le plus sa mère. Je vois qu’il
hésite entre une abeille et une araignée. La première
pique, vit et travaille dans une ruche sous les ordres
d ’une reine, la seconde est une im pressionnante
mygale et ses pattes tentaculaires. Ce sera son choix.
Il décrit l’araignée en regardant l’image: sa couleur
marron, ses pattes velues... Une fois la carte retour­
née, je lui demande s’il voit autre chose dans cette
mygale. «Elle me rappelle ma mère. J ’ai l’impression
qu’elle est autour de moi, qu’elle tisse sa toile... »
Patrick se rend compte que sa mère a pris les com­
mandes de sa vie. Depuis le décès de son père, sa
place n ’est plus vraiment celle d ’un fils, mais davan­
tage celle d ’un mari. Il ne peut pas non plus remplacer
son frère. Sa prise de conscience qu’il verbalise, avec
Chico sur ses genoux, le surprend et même le dépasse.
Des confidences qu’il n ’avait jamais osé faire, sans
doute par pudeur envers sa mère. Les mots sont forts
et pendant qu’il les prononce, sa main caresse Chico
inlassablement. Il a vraiment besoin de le sentir sous
ses doigts. Lorsqu’il pleure, ce qui arrive souvent au
cours des séances, il le serre dans ses bras.
De toute évidence, sa mère a peur de le perdre au
point de devenir ultraprotectrice et possessive, elle n ’a
plus que lui. Patrick est aussi frustré de ne pas avoir pu
exprimer l’amour qu’il portait à son père, il reconnaît
avoir été jaloux de son frère, d ’où ce sentiment de
culpabilité et l’envie de la compenser en s’occupant
de son neveu. Il sent bien que sa mère est étouffante,
mais qu’il ne peut pas lui dire non. Il sait aussi qu’il
devrait le faire mais n ’y arrive pas, d ’où son envie,
sans doute, de dire non à Chico lorsqu’il attend sa
récompense.
La séquence d’Animage a libéré quelque chose en
Patrick. Il sent un réel soulagement, car il a pu pour la
première fois aborder le vrai sujet de ses angoisses :
trouver les limites avec sa mère. Et c’est Chico qui va
l’aider à le faire. Il a appris à de nombreuses reprises
à dire non à Chico quand celui-ci ne respectait pas
les consignes. J’invite alors Patrick à se réapproprier
son droit de dire non. Sa mère souhaite passer tout
le prochain week-end avec lui. On verra si la séance a
porté ses fruits.
La semaine suivante, à peine sommes-nous rentrés
dans l’appartement que Patrick ne peut s’empêcher
d ’exprimer sa joie. Il est parvenu à dire non à sa mère
pour un souper le samedi soir chez elle, car il avait
décidé d ’aller souper avec son ex-petit ami. À sa plus
grande surprise, cette dernière ne s’en est même pas
offusquée mais au contraire semblait ravie pour lui. Il
s’est du coup senti moins coupable. Il me dit aussi
avoir compris que sa mère se faisait sans doute beau­
coup de soucis pour lui. Et qu’en le voyant s’ouvrir à
nouveau vers les autres, cela la rassurait. Bien loin de
l’abandonner, il réinstaurait une relation saine entre
elle et lui. Elle dans son rôle de mère aimante et lui
dans son rôle de fils et non du père. De plus, il a passé
un excellent moment avec son ami. Ce dernier lui a
même dit qu’il le trouvait changé. Patrick me confie
qu’il n ’a cependant pas osé lui parler de Chico et de
moi, que pour le moment, cela lui appartenait.
Patrick déborde d ’affection pour Chico. Et Chico
le lui rend bien. Et ce n ’est pas une question de
friandises offertes ou pas ! C ’est sur ses genoux
q u ’il passe la plupart des séances. D ’un coup de
museau, Chico l’incite à jouer et le sollicite réguliè­
rem ent en lui poussant le bras. Patrick n ’a pas
d ’autre choix que de revenir dans l’instant présent.
Une réelle confiance mutuelle les lie à présent. Elle
me permet d ’aider Patrick à conscientiser son mal­
être pour mieux le dépasser. Chico est devenu la
pierre angulaire de la thérapie. Patrick parle de lui
désormais à son entourage et le surnomme affec­
tueusement «son petit Xanax®». Pour lui, c ’est son
anxiolytique naturel.
Je constate au fur et à mesure du temps que Patrick
s ’alimente mieux, qu’il a acheté de nouveaux vête­
ments, plus colorés. Il est content de me dire qu’au
travail, l’atmosphère est moins pesante, que son som­
meil s’améliore... Son mieux-être est de plus en plus
apparent. Il s ’affirme davantage dans son quotidien. Il
parvient peu à peu à mettre des limites dans la relation
avec sa mère et à garder du temps pour lui. Et même
si parfois, il se décourage devant les efforts à accom­
plir, il reconnaît que depuis qu’il a recours à la zoothé­
rapie, il se sent beaucoup mieux et que ses angoisses
s’atténuent.
Le retour dans la couleur

Le printemps est revenu sur Montréal. Après ces


quelques mois de thérapie en vase clos, et comme
Patrick se sent mieux, l’idée de sortir marcher avec
Chico me semble adaptée pour la suite de la thérapie.
Entre quinze et vingt minutes de promenade pour
reprendre contact avec l’extérieur. Pendant toute sa
dépression, Patrick s ’est coupé du monde et il est
essentiel de mesurer à ce stade sa capacité à affronter
l’autre.
Malgré son affection pour Chico, Patrick refuse
catégoriquement de le tenir en laisse. Il me dit avoir
peur des préjugés et du regard des gens. S’afficher
avec un petit chien blanc, ce n ’est pas très masculin.
Patrick est gay et pour lui, marcher en tenant Chico
fait partie des clichés qu’il n ’arrive pas à assumer.
Au cours des balades, comme toujours, Chico attire
l’attention. Les personnes que l ’on croise m ’arrêtent
pour me parler de lui : « Il est mignon votre chien,
com m ent s ’ap p elle-t-il? Q uel âge a -t-il? » En
quelques secondes, des échanges sont possibles
grâce à Chico. Patrick le remarque bien, mais surtout
il réalise que ces promeneurs n ’ont pas les a priori
q u ’il s ’était imaginés sur l’apparence du chien et
donc, de son propriétaire.
À partir de ce moment, les rôles s’inversent. Patrick
souhaite promener Chico. Il se sent flatté lorsqu’on le
complimente sur son chien. Chico lui permet d ’entrer
en contact avec des inconnus et de dialoguer avec
eux, même brièvement. Finalem ent, c ’est plutôt
sympa d ’avoir un petit chien, reconnaît-il. Un retour à
la vraie vie. Au fil des séances, Patrick retrouve
confiance en lui et se métamorphose. Je le comprends
le jour où il me dit vouloir organiser des ateliers
de peinture avec des enfants autistes - je lui ai parlé
d ’un de mes stages dans un centre spécialisé pour
enfants autistes - et s ’acheter un chien, un bichon
maltais nain comme Chico, qu’il baptisera d ’ailleurs
Chico avec mon consentement. La thérapie est ter­
minée et quelques mois plus tard, je recevrai une
invitation pour le vernissage de sa nouvelle exposition
de peintures. Je m ’y rendrai... Les couleurs vives et
éclatantes seront à nouveau sur sa palette.

Les rondeurs de Lili

Une fois par semaine, je me rends au centre


Vermeil, une résidence pour personnes âgées. J’y pro­
pose mes services comme zoothérapeute pour exercer
ma pratique, mais aussi offrir aux pensionnaires un
moment récréatif comme j ’ai pu le faire au début de
ma carrière dans les parcs de Montréal ou d ’autres
centres de soins. C ’est d’ailleurs davantage de la zooa­
nimation que de la zoothérapie à proprement parler.
Les interventions se passent en petits groupes où
chaque personne peut, si elle le souhaite, prendre plai­
sir à caresser Chico et à lui parler. Une façon de
rompre leur isolement et de les amuser.
Pendant les repas, une jeune femme aux longs
cheveux blond platine assure le service de table afin
que personne ne manque de rien. Elle est discrète
et gentille avec les pensionnaires. Elle s’appelle Lili
et travaille dans ce centre comme bénévole.
Après mon heure d ’intervention avec Chico auprès
d ’un groupe de trois personnes, je suis convoqué dans
le bureau de la directrice de l’établissement. Nous y
faisons souvent le point après quelques séances afin
d ’évaluer le bien-être que Chico procure aux résidents
qui participent à ces rencontres. Généralement, les
personnes qui possédaient un animal de compagnie ne
manqueraient pour rien au monde la séance de zooani­
mation. Contraints d ’abandonner leur compagnon de
vie, les ruptures sont très douloureuses et plongent
parfois ces personnes dans une profonde dépression.
Passer du temps avec un chien leur fait du bien.
Je commence à peine le compte rendu de mes
activités que la directrice m ’interrompt pour dire :
« Je sais José que chaque séance divertit les occupants
de mon établissement mais si je vous ai convoqué ici,
aujourd’hui, c ’est pour une autre raison. » Elle pour­
suit pour me parler d ’une des bénévoles du centre.
« Je sais que vous êtes en mesure d ’aider les gens qui
ne vont pas bien et de faire un vrai travail thérapeu­
tique. J ’aimerais vous demander si vous accepteriez
d ’aider une jeune femme qui travaille dans ce centre.
Je sens qu’elle a vraiment besoin d ’aide et je ne suis
pas en mesure, ni habilitée à le faire. » Les bénévoles
du centre sont généralement proposés par des orga­
nismes de réhabilitation afin qu’ils puissent reprendre
leur vie en mains. La personne dont me parle la direc­
trice fait très bien son travail, mais on sent chez elle
une grande détresse. «Je sens que cela lui ferait du
bien de se livrer à vous. Pour être franche, je l’ai
convoquée avant vous pour lui dem ander si elle
acceptait de vous rencontrer. Elle a haussé les épaules
en disant : “Pourquoi ?” Je lui ai dit que de toute façon
ça ne pouvait pas lui faire de mal. Q u ’en dites-
vous ? » Je suis un peu décontenancé. Bien que je sois
convaincu qu’elle a voulu bien faire, la directrice ne
peut en aucun cas demander à une personne, même
mal dans sa peau, d ’entamer une thérapie contre son
gré. « J ’accepte de la rencontrer à condition de vérifier
que cette jeune femme exprime clairement q u ’elle
souhaite bénéficier de mes services en tant que zoo­
thérapeute, sinon, je n ’irai pas plus loin. » Le premier
rendez-vous est fixé au mercredi suivant vers
11 heures dans une salle de l’établissement.

Accepter de se faire aider

Une belle femme, d ’une trentaine d’années, légère­


ment corpulente, le teint pâle, exagérément maquillée,
les cheveux raides très blonds, habillée de vêtements
amples et sombres, se présente à moi. Je la reconnais
tout de suite pour l’avoir vue à la cantine avec les
pensionnaires. « C ’est ma patronne qui veut que je
te rencontre », me lance-t-elle à peine entrée dans la
pièce. Lili n ’a pas forcément envie de se faire aider,
c ’est en tout cas ce qu’elle exprime clairement dès
qu’elle me voit. Cependant, quitte à être là, je décide
de faire une rapide évaluation de ses besoins. Je lui
propose, puisqu’elle est venue, de discuter un peu ; je
souhaite lui présenter Chico qui est assis sur mes
genoux. « Je suis allergique aux poils de chien », me
rétorque-t-elle comme pour couper court à la conver­
sation. Elle freine des quatre fers et cela se comprend
puisqu’elle est là malgré elle. Je pourrais interrompre
notre échange, mais je sens un malaise chez cette
femme assez sûre d ’elle en apparence. Je décide
d ’aller plus loin pour évaluer si comme le dit la direc­
trice du centre elle a besoin d ’être aidée.
« Le poil de Chico est hypoallergène, il n ’y a donc
aucun risque pour votre allergie. Vous pouvez même
le prendre sur vos genoux sans crainte. Essayez au
moins. Vous verrez, en le brossant avec ce peigne, il
va vraiment apprécier. » Il y a comme une forme de
résignation chez cette jeune femme et je sens que par
politesse elle accepte de jouer le jeu. Peut-être aussi
pour respecter la demande de sa chef. Comme à
chaque fois, ce geste anodin détend et rassure Chico et
pas seulement lui. Je sens que l’atmosphère est apai­
sée, et surtout que Lili ne rechigne pas à poursuivre
cette séance inopinée. Elle s ’applique et quand elle
sent un petit nœud dans le poil de Chico, elle s’arrête
pour lui parler comme à un enfant : « Dis-moi si je
ne te fais pas mal. » Lorsqu’elle prononce le mot
« mal », je ne peux m ’empêcher de le répéter suivi
d ’un silence. « Oui mal, comme moi, ajoute-t-elle. Je
suis en dépression depuis quelque temps. » Le diag­
nostic vient de tomber. Il n ’y a aucune émotion dans
sa voix. Comme s ’il y avait quelque chose d ’autre qui
se cachait derrière cette phrase. Du moins, c ’est mon
ressenti. Je lui propose alors de jouer à la balle avec
Chico pour lui apprendre quelques commandements
simples. Chico doit aller chercher la balle qu’elle a
lancée: « v a chercher», et une fois qu’il l’a dans la
gueule, Lili doit la lui réclamer en disant « donne ».
A peine le jeu commencé, Chico est tout de suite réti­
cent à ses ordres. Il hésite à lui ramener sa balle. Une
attitude inhabituelle de sa part, que je n ’arrive pas à
analyser sur le moment. J ’explique à Lili que Chico
doit sans doute être fatigué car il a beaucoup joué
aujourd’hui. A la fin de cette première rencontre,
à mes questions d ’usage : « Souhaitez-vous que l’on
se revoie? Cet échange vous a-t-il fait du bien ?
Comment vous sentez-vous ? » Lili, sans hésitation,
répond : « Pourquoi pas. Cela ne m ’a pas fait de mal.
Ça m ’a un peu libérée même. » Pour moi, Lili, tout
comme Patrick, souffre de dépression et je vais tenter
de l’aider à sortir de son isolement et à rompre la
spirale dans laquelle elle s ’est enfermée depuis
quelques mois. Il est prévu qu’on se voie chaque mer­
credi matin dans ce même local fermé du centre à
11 heures, juste avant qu’elle ne prenne son poste de
bénévole à midi.

Qu’est-ce que tu ne me dis pas ?

Chico est toujours aussi récalcitrant à ce que peut


lui demander Lili. Que ce soit d ’aller chercher la balle
ou tout simplement de se coucher quand elle le lui
demande. Au contraire, il la regarde, se poste devant
elle et se met à japper. Je l’ai rarement vu comme ça.
J ’en profite pour dire à Lili qu’elle et lui doivent
apprendre à s ’apprivoiser mutuellement, à se faire
confiance. Les séances se passent malgré tout sereine­
ment. Lili a vraiment du plaisir à s’occuper de Chico
avec qui elle tisse un lien affectif dans les moments
de détente. C ’est dans cette activité calme que Lili se
confie sur sa vie intime. Enfant, elle a été abandonnée
par se,c parents. C ’est sa grand-mère qui l’a recueillie
et l’a élevée mais aujourd’hui, atteinte par la mala­
die d ’Alzheimer, elle a été placée dans un centre
spécialisé. Une absence difficile à vivre pour cette
jeune femme qui a le sentiment de revivre l’abandon.
Lili se livre petit à petit, mais je sens que quelque
chose est resté noué à l’intérieur. De plus, le compor­
tement de Chico m ’interpelle. Veut-il exprimer un
ressenti en refusant d ’obéir? N ’ayant pas encore
perçu l’élément qui va me mettre sur la voie, je pour­
suis le travail thérapeutique avec Lili par une
séquence d ’Animage. Un chaton derrière une cage
avec sa gamelle de nourriture, voici le choix de Lili.
« Il n ’a pas l’air bien », exprime-t-elle comme impres­
sion une fois l’image retournée. « Il est seul et il n ’a
pas touché à son repas... » Une fragilité q u ’elle a
déjà projetée sur Chico, trop petit, donc trop fragile
pour elle. Elle préfère les dobermans, plus grands et
plus virils.
Au cours de la séance suivante, la cinquième depuis
notre rencontre, je juge intéressant d ’expérimenter
le jeu des foulards avec Chico pour découvrir ce
qui se cache derrière ce sentiment de fragilité. Le but
du jeu est de choisir deux foulards, un que l’on aime et
l’autre pas, parmi les dix proposés avec différents
motifs et teintes. Une fois le choix fait, Lili doit les
nouer autour du cou de Chico et exprimer ce qu’elle
ressent en le voyant habillé de la sorte. L’exercice est
plutôt amusant et elle s’y prête volontiers. Un foulard
rose et un noir sortent du lot. Lorsqu’elle habille le
cou de Chico avec le foulard rose, celui qu’elle aime
le moins, elle sourit car, dit-elle : « Les gens vont se
moquer de lui. Ça donne l’image de quelqu’un qui est
trop fragile. » Avec le noir, le discours est tout autre :
«L à, il fait plus mâle, plus agressif. C ’est plus un
chien que l’on doit respecter. » Les vêtements que
porte Lili sont toujours noirs, tout comme son vernis à
ongles.
Quel est son rapport à la fragilité ? Est-ce que cela
l’indispose si on la perçoit fragile ? Quelle importance
accorde-t-elle au regard des gens sur elle ? Lili reste
silencieuse. Elle réfléchit aux questions que je viens
de lui poser. Chico est couché sur ses genoux et ne
doit pas bouger. C ’est la règle. Et là, contre toute
attente, il bondit pour venir se blottir contre moi. Je
comprends que Chico sent une émotion que moi,
je ne perçois pas. Je saisis cette occasion pour expli­
quer à Lili le comportement peu ordinaire que vient
d ’avoir mon chien : « Je crois que Chico a peur, il y a
quelque chose qu’il ressent et que je ne comprends
pas. » Peut-être que Chico avait juste envie de se
dégourdir les pattes, mais il m ’a permis par son atti­
tude de faire sauter un verrou pour comprendre l’his­
toire de Lili et le mal qui la ronge depuis des années.
N ’en pouvant plus de garder son « secret», elle laisse
exploser sa peur, puis sa colère et tout le mal-être tapi
au fond d ’elle.

Je ne reconnais pas mon corps

Lili est mère d ’un garçon de 10 ans dont la garde


a été confiée à son père biologique. Elle ne l’a pas
revu depuis deux ans et un sentiment de culpabilité
la mine. Danseuse dans un bar, elle a été jugée inapte
à s’en occuper. De plus, après son accouchement, son
corps a changé d ’aspect et il est difficile pour elle de
se regarder dans le miroir sans se trouver difforme.
Elle développe depuis des troubles du comportement
alimentaire. Pendant les périodes de stress, Lili souffre
de boulimie, ces épisodes incontrôlés de compulsion
alimentaire (hyperphagie), suivis immédiatement de
séquences de purge telles que les vomissements pro­
voqués, les jeûnes, l’absorption de laxatifs, ou toutes
sortes d ’autres méthodes ayant toujours le même but :
élim iner les calories absorbées lors des pertes de
contrôle alimentaire. La culpabilité qu’elle ressent
vis-à-vis de son fils a amplifié ses troubles. Le regard
des femmes de son âge n ’arrange rien. Elle se voit
faible et grosse et se sent jugée en permanence. Les
sanglots saccadent ses mots enfin libérés de leur car­
can. Chico l’observe et va spontanément se blottir
contre elle. Je suis surpris par sa capacité à ressentir
les émotions (ont-elles une odeur ?) de Lili et à ajuster
son comportement en fonction des événements sans
que je ne lui demande quoi que ce soit. Émue à son
tour par cette attention, elle prend Chico dans ses bras
et l’embrasse affectueusement. Chico lui fait du bien.
Il l’a aidée à «expulser» son mal-être. Pour le remer­
cier, elle lui tend des friandises, mais pas trop, lance-
t-elle, il ne faut pas qu’il soit trop gros. Je lui dis que
Chico aime aussi être récompensé par des caresses,
de l’amour, de la tendresse et pas seulement par de la
nourriture. Elle sourit.
Un bout de chemin a été parcouru et parfois, il faut
savoir reconnaître ses limites et ne pas aller au-delà.
Les troubles alimentaires ne sont pas ma spécialité,
je touche à mon impuissance dans ce domaine pour
aider Lili. Cependant, je connais une collègue
zoothérapeute, spécialisée sur cette pathologie. J ’en
parlerai à Lili et nous la rencontrerons. Elle prendra
finalement le relais. Avec elle, Lili conscientisera non
seulement qu’elle n ’est pas la seule à souffrir de bouli­
mie mais surtout qu’on peut s’en sortir. Lili ne voulait
pas se faire aider et sans Chico rien n ’aurait été pos­
sible aussi rapidement. Sans lui, Lili n ’aurait pas su
dénouer le fil de son histoire. Elle n ’aurait pas eu le
courage de reprendre contact avec le père de son fils et
d ’obtenir sa garde un week-end sur deux.

Marc-Antoine et Arthur

Ma rencontre avec ces enfants s’est faite à trois ans


d ’intervalle. La première au Québec avec M arc-
Antoine, un adolescent de 15 ans, la seconde avec
Arthur dans le sud de la France l’année de ses 7 ans.
Tous les deux avaient été diagnostiqués autistes
Asperger ayant la phobie des chiens.
Cette forme d ’autisme - la plus connue étant celle
de Kanner - est désignée depuis 1981 par le terme de
« syndrome d ’Asperger», du nom du psychiatre vien­
nois Hans Asperger. Dans l’ouvrage qu’il publie en
1944, intitulé Les Psychopathies autistiques pendant
l ’enfance, il rend compte de l’étude qu’il fait en obser­
vant des jeunes garçons dont l’intelligence et le lan­
gage se développent normalement mais qui présentent
des symptômes de l’autisme comme le manque
d ’empathie et de communication, la tendance à l’iso­
lement, le manque de contact visuel, etc., tout en étant
capables de parler dans les moindres détails de sujets
circonscrits à un ou plusieurs centres d ’intérêt. Leur
langage est recherché et riche en vocabulaire et leur
mémoire im pressionnante. A sperger appelle ces
enfants, rappellent François Beiger et Aurélie Jean
dans Autisme et zoothérapie, «petits professeurs» à
cause de leur érudition particulière sur leurs thèmes
de prédilection. Cela n ’exclut pas pour autant les
autres troubles du comportement régis par des rituels
et des routines sur lesquels tout changem ent ou
imprévu provoque des comportem ents inadaptés,
voire des angoisses incontrôlables. Ces enfants
autistes peuvent aussi développer des phobies,
comme je vais le découvrir en suivant ces deux jeunes
patients.

Place à la panique

Ce sont des parents com plètem ent désemparés


que j ’ai en face de moi. «Pouvez-vous aider notre
fils de 15 ans qui souffre de la phobie des chiens ? »
Marc-Antoine devient incontrôlable lorsqu’il voit un
chien, même en dessin ou en photo dans un livre.
Diagnostiqué autiste, le trouble de son comportement
dans ces situations phobogènes est difficilement ima­
ginable. On sait que ces phobies peuvent mettre en
danger l’adolescent. S’il croise par exemple un chien
dans la rue, même sur le trottoir opposé, il est capable
de se jeter sous une voiture car pour lui, le danger,
c’est le chien, et non la voiture. Les parents de Marc-
Antoine m ’expliquent que leur fils est relativement
autonome cependant, mais à cause de cette peur irra­
tionnelle et des réactions q u ’elle provoque, il est
impossible pour eux de le laisser sortir seul de la mai­
son. Marc-Antoine demande une attention à temps
plein. Tout a été essayé sans succès. Devant leur
détresse, j ’accepte de venir rencontrer Marc-Antoine à
Au cours de mon stag e au M arineland
d ’A n tibes, j ’ai pu approcher de très
près les cétacés qui me fascin en t
depuis l’enfance. Ici, la jeun e fem elle
F reya de quatre m ètres de long
pour près de deux tonnes.

O utre des dauphins, des orques, des m anchots royaux,


des p élican s et des éléphants de mer,
j ai eu 1 occasion de nourrir des phoques veau-m arin.
Au cou rs de mon stag e au M arineland
d’A n tibes, j ’ai pu approcher de très
près les cétacés qui me fascinent
depuis l’enfance. Ici, la jeun e fem elle
F rey a de quatre m ètres de long
pour près de deux tonnes.

il H lll

O utre des dauphins, des orques, des m anchots royaux,


des p élican s et des éléphants de mer,
j ai eu 1 occasion de nourrir des phoques veau-m arin.
Au cours de ma form ation, j ’ai eu la p o ssib ilité d exercer
avec des p erroqu ets dont cet ara au plum age très colore.

A vant d etre diplôm é, je pratique avec certain s


entants dont mon neveu Luca âgé d’à peine un an.
Pendant que je lui lis une h istoire, C hico s ’assoit
devant nous. La sy n erg ie tria n g u laire s ’in sta lle.
16 octobre 20 16 , mon fidèle a ssista n t C hico a neuf ans.
Pourtant, on lui donnerait à p eine un an.
Arthur

A rth u r rencontre
Chico et moi pour
la prem ière fois.
Ja m a is de sa vie,
il n’a été dans
la même pièce
qu’un chien.

A rthur tend
une friand ise
du bout des doigts
à C hico sous
le regard ému
de sa mè
Stéphanie Audebert

D 'un côté, je tien s A rth u r par


la m ain ; de l'autre je m aintiens
C hico en la isse . J e su is la seule
b arrière ph ysique entre eux deux.
C ’est au tour d’A rth u r
de ten ir C hico en la isse .
Il la tient ferm em ent entre
ses deu x m ains et ne tient
plus la m ienne. Un grand
p as vien t d’être franchi.
Stéphanie Audebert
En m oins de deu x h eures, un petit
m iracle se produit sous nos yeu x.
A rth u r accepte pour la prem ière
fois de sa v ie un contact physique
avec un chien.
Léa et Avi

A près une séance


« ratée » auprès des
dauphins, ce sont
les prem ières
care sse s de Léa et
A vi pour Chico.
Mon bichon m altais
sem ble avoir gagné
leur confiance.

À la fin de chaque
rencontre, les
ju m elles prom ènent
C hico su r la p lage
du cen tre de
delphinothérapie
d ’Eilat.

îz __ - ..- é .__ A .’Z & m È I


Lors de leur prom enade
quotidienne, il n’était pas rare
que les ju m elles préfèrent
tenir C hico dans leu r bras
plutôt que de le la isse r à terre sur
le sable chaud de la plage.
P rem iers contacts avec les dauphins
sous la su rv e illa n c e de la d irectrice Sylvie.

A p rès chaque rencontre avec les dauphins, une séance


d aquathérapie est proposée au x patients du centre
de delphinothérapie. Ici, l’une des ju m elles participe
à l’activité avec une thérapeute.
A vant de nous quitter, A vi me dessin e C hico. E lle écrit
« a v e c tout mon am ou r» en a n g la is et sign e en hébreu
A ce moment, personne, en p articu lier les p éd o p sych iatres
ég yp tien s, ne soupçonnait qu’elle en était capable^
7 y

C est au tour de Léa de nous su rpren d re en écrivan t


« j ’aim e beaucoup C hico et Jo s é » en a n g lais et de sign er
en hébreu. Les o rigin au x de ces deux d essin s ont été
rem is à leur m ère adoptive pour lui « s e rv ir de p reu ves »
auprès des p éd op sych iatres ég y p tie n s « sceptiqu es ».
Je pose C hico su r les
genoux de Léna pour
la prem ière fois.
Le re ga rd de cet
enfant autiste est
in a ccessib le et se
perd dan s le vid e.
E lle sem ble sur
une autre planète.

A tin de con vain cre


Léna de porter
un m asque lors
de se s séan ces
d’aquathérapie,
je l’en file su r
la tête de Chico.
L éna im ite C hico et a c c e p te de m e ttre le m asq u e.
Elle p e u t a in si s 'a d o n n e r aux s é a n c e s d 'a q u a th é ra p ie
d o n t elle raffole et é v ite r les c o n jo n ctiv ites.

A p rès q u elq u es jo u rs, L éna m e re g a rd e en fin .


Elle e st d a n s Pici e t m a in te n a n t. Son so u rire
m 'ém eu t et m e re m p lit de g ra titu d e .
Chef d’expédition
« zoothérapeute »
en régions polaires

tant que ch ef d ’expédition, je pars en


rep érage pour o ffrir des b alad es en Zodiac
au m ilieu des gla cie rs en toute sécurité.
La zoothérapie « gran d eu r nature » lors d’un
débarquem ent en G éorgie du Sud. M anchots royaux,
otaries à fourrure et h u m ain s: qui regard e q u i?

A près la période de reproduction, les m âles d’otarie à fourrure arrivent


en péninsule A ntarctiqu e. Ici, un m âle de deux m ètres avo isin an t
les deux cents kilos s ’approche de moi. J e dois me m ontrer prudent
car leur m orsure peut entraîn er de g ra v e s in fectio n s.
Les je u n e s o taries sont très cu rieu ses
et vien n en t p arfois très près de nous.
Il ne faut alors p as bouger et la m agie opère.

Une rencontre inoubliable avec un petit rorqual antarctique


(« b alein e » m esu ran t huit m ètres de long pour un poids
de cinq tonnes). C et in d ivid u jo u ait avec le bateau en sortant
sa tête hors de l’eau toujours du côté où on ne l’attendait pas.
Les je u n e s o taries sont très cu rieu ses
et viennent p arfois très près de nous.
Il ne faut alors pas bouger et la m agie opère.

HH

! ---- .

Une rencontre inoubliable avec un petit rorqual antarctique


(«b alein e » m e su ra n th u it m ètres de long pour un poids
de cincq tonnes). Cet in d ividu jo u ait avec le bateau en sortant
sa tête hors de l’eau toujours du côté où on ne l’attendait pas.
son domicile en sachant que l’animal avec lequel je
travaille est un chien.
À peine ai-je posé le pied devant leur domicile que
les cris perçants de l’adolescent se font entendre. Chico
vient de sauter hors de la voiture, c ’est sa vue qui pro­
voque la réaction incontrôlée de Marc-Antoine posté
derrière la fenêtre. Je n ’ai jamais travaillé avec des
patients atteints de phobie canine, alors venir avec
Chico pour évaluer un enfant atteint de ce syndrome,
c ’est une première. Les parents m ’invitent à entrer.
Chico est tenu en laisse. Le père m ’explique que leur
fils n ’a jamais approché de chien à moins de trois cents
mètres. Les cris sont si forts que les parents s’éclipsent
du salon pour le calmer. Autant dire que rien n ’y fait.
J’entends l’écholalie du garçon envahi par l’anxiété. Il
répète systématiquement une partie des phrases pro­
noncées par ses parents en guise de réponse verbale.
J’attends dans le salon sans savoir ce qui va se passer
pour la suite. Mes yeux courent sur la bibliothèque où
je remarque des collections de bandes dessinées dont
celles des aventures de Tintin et d ’Astérix. Ces deux
héros ont bien pour compagnon un chien blanc de petite
taille, Milou et Idéfix, qui ressemblent bien à Chico.
Peut-être que je viens de trouver la façon d ’entrer en
communication avec le jeune homme. Encore faut-il
vérifier que les bandes dessinées lui appartiennent.

Chico, Milou et Idéfix :


des chiens médiateurs !

Marc-Antoine est passionné par les bandes dessi­


nées. Il les connaît toutes par cœur. Mon instinct
disait vrai : intervenir avec l’adolescent et Chico, avec
comme porte d ’entrée son monde de la bande dessi­
née, est la meilleure direction à prendre. Mais je n ’ai
toujours pas pu approcher le garçon, alors rien n ’est
encore acquis.
J ’ai l’autorisation de me rendre dans sa chambre
avec Chico en laisse. A peine entrés, Marc-Antoine
se remet à hurler. Il est retranché derrière son lit. Je
parviens toutefois à lui dire que Chico est comme
Idéfîx ou Milou, les deux chiens des bandes dessi­
nées q u ’il adore. Et cela fait tilt. Ces deux noms
évoquent tout de suite autre chose que des chiens. Ces
animaux qui lui font très peur même en images. Je
veux aller plus loin et lui faire comprendre que Chico
est aussi bienveillant et intelligent que les chiens de
Tintin et d ’Astérix. Je dois piquer sa curiosité. « Tu ne
trouves pas que Chico leur ressemble ? - Oui, ils sont
blancs tous les trois», me répond-il. Je sens Marc-
Antoine plus attentif. Nous sommes dans la même
pièce avec Chico, cela n ’a pris que vingt minutes, ce
qui est déjà un vrai miracle puisque c ’est la première
fois depuis sa naissance qu’il est aussi proche physi­
quement d ’un chien. Je continue à faire le lien avec
Milou et Idéfîx. L’atmosphère est plus apaisée.
Munis de cônes en plastique, je propose à Marc-
Antoine de délimiter un périmètre de sécurité entre
lui et Chico. Une limite que Chico devra respecter.
Marc-Antoine me fait confiance, mais il décide de
m ’encercler avec Chico. Il nous signifie clairement en
faisant cela que l’on ne doit pas sortir de cet espace
délimité. A présent, il faut lui montrer que Chico va
respecter la frontière qu’il a fixée entre eux. J ’enlève
la laisse de mon chien qui reste immobile, comme
je lui ai appris. Chacun dans son périmètre, j ’entame
un échange sur sa passion des bandes dessinées. Il
s’approche des cônes avec méfiance. Nous sommes
alors à moins d ’un mètre. Mon chien a pour consigne
de ne pas aboyer pour ne pas effrayer l’adolescent.
Et là, Marc-Antoine fait une analyse surprenante de
la situation : « Tu es comme Obélix. Tu es mon ami et
Chico veille sur nous deux. En fait, Obélix c ’est le
zoothérapeute d ’Astérix ! » Il venait de faire une ana­
logie avec les héros de sa bande dessinée. Je n ’ai pas
su quoi répondre, j ’ai souri et on s’est regardé pour la
première fois dans les yeux. Marc-Antoine était avec
nous dans l’instant présent. Ses parents ont aussi pu
voir pour la première fois leur enfant dans la même
pièce qu’un chien.
Après être resté plus d ’une heure dans sa chambre,
Marc-Antoine accepte de rejoindre sa famille dans le
salon. Il est grandement félicité par ses parents, émus
de la situation qui aurait été impossible une heure
avant. Marc-Antoine s’assoit à la gauche de son père.
Quant à moi, je m ’installe à sa droite avec Chico sur
les genoux. Le père de Marc-Antoine nous sépare phy­
siquement les uns des autres. Aussi surprenant que
cela puisse paraître, le père demande à son fils s’il
peut prendre Chico sur ses propres genoux. Après
quelques cris, Marc-Antoine accepte que Chico soit
sur les genoux de son père. L’adolescent a une réaction
inimaginable, il pose délibérément sa tête sur celle de
Chico puis ferme les yeux. C ’est le premier contact
de sa vie avec un chien. Pas une mouche ne vole dans
la pièce. Seules les larmes de sa mère émue coulent
sur ses joues. Moi-même je ne pensais pas parvenir à
un tel résultat en moins de deux heures. Nous décidons
de nous en tenir là et nous convenons d ’un rendez-
vous la semaine suivante.
L’espoir sera de courte durée. Marc-Antoine passe
une nuit très agitée et ses parents me signifient par
téléphone le lendemain matin qu’ils ne souhaitent pas
poursuivre cette thérapie. Mes arguments (j’explique
que cela était normal, qu’en quinze ans, Marc-Antoine
a eu son premier contact avec l’objet de sa plus grande
peur, que son subconscient était donc en ébullition et a
pris toute la place au cours de la nuit) ne changeront
rien à leur décision. C ’est pour moi un échec que je vis
comme une frustration. J’ai le sentiment d ’avoir été
freiné dans ce travail au goût d ’inachevé.

Arthur : ne jamais perdre espoir

« On ne peut pas bâtir sa vie sur des frustrations »,


écrivait l’explorateur Jean-Louis Etienne. Pourtant je
me rends compte que l’échec de Marc-Antoine est
resté dans un coin de ma tête. Il faudra ma rencontre
improbable avec A rthur1, trois années plus tard, pour
la dépasser. Cet enfant de 7 ans a lui aussi été diagnos­
tiqué autiste Asperger souffrant de cynophobie (pho­
bie des chiens).
Entre-temps, je suis parti en Israël pour travailler
avec les dauphins dans un centre de delphinothérapie

1. Pour des raisons de confidentialité, j ’ai modifié les pré­


noms de mes patients. J’ai prévenu la maman d ’Arthur que je
l’avais rebaptisé Jules, mais il ne l’a pas souhaité et a préféré
garder son vrai prénom. Selon ses propres dires, « Jules n’était pas
cohérent avec son image. »
à Eilat. J ’y ferai, comme je le raconte plus loin, de
belles rencontres avec Chico. J ’expérimente égale­
m ent une expédition en A ntarctique où je donne
des conférences sur les mammifères marins et une
sur la zoothérapie à la demande des passagers. Deux
journalistes ont embarqué et assistent à mon exposé.
De retour en France, je pose mes valises pour passer
quelques jours chez ma mère à Manosque, où j ’ai
laissé Chico en pension pendant mon voyage en
bateau. Une inconnue est au bout du fil, me dit ma
mère, en me tendant le combiné. « J ’ai entendu parler
de vous par un de mes amis journalistes qui a assisté à
une de vos conférences sur la zoothérapie. J ’habite au
Havre », poursuit-elle (à plus de huit cents kilomètres
de Manosque). Elle a deux enfants, une fille de 4 ans
et un garçon de 7 ans qui se prénomme Arthur. Il est
atteint du syndrome d'A sperger, le diagnostic est
tombé depuis peu de temps. Elle est complètement
perdue, car Arthur a aussi la phobie des chiens et cela
devient un vrai cauchem ar au quotidien. Elle me
raconte, en larmes, qu’«hier, à la sortie de l’école,
Arthur a croisé un chien et il est allé sur la route ; une
voiture a pilé et seulement quelques centimètres ont
évité le pire. » La moindre sortie devient cauchemar­
desque. Elle a besoin d ’aide et voudrait que je le
rencontre.
Cette histoire sonne comme un retour en arrière et
ravive mon expérience malheureuse auprès de Marc-
A ntoine quelques années auparavant. Je ressens
encore cette frustration de ne pas avoir convaincu
ses parents de poursuivre la thérapie. Cette femme
qui est parvenue à me joindre en France alors que
je vis habituellement à Montréal semble tout aussi
désespérée que les parents de Marc-Antoine. Je dois
pourtant lui annoncer que je repars dans trois jours
pour l’Arctique. Je suis juste de passage dans la région
et je ne peux pas la recevoir avec son fils. Je lui
explique aussi mon inquiétude de ne pas pouvoir
faire un suivi régulier avec Arthur. Je ne sais pas
comment il va réagir après notre rencontre et je ne
veux pas lui faire plus de mal que de bien. Malgré
mes explications, elle persiste. « Vous êtes mon der­
nier recours, supplie-t-elle. Si une intervention peut
suffire à l’aider, je suis prête à prendre le risque de
descendre à Manosque pour deux jours, je louerai une
chambre d ’hôtel. » Je suis tellement ému face à la
détresse de cette femme que je mets de côté mon vécu
avec Marc-Antoine et finis par accepter.

Dans la cour de l’hôtel

Des chats viennent de temps en temps dans la cour,


me prévient la propriétaire de l’établissement. Chico
ne doit surtout pas aboyer. Je sais que de tels sons
peuvent interrompre la séance de façon irrévocable,
car l ’enfant sera trop effrayé. Avec mes nombreux
déplacements, je ne sais pas si mon chien va être aussi
patient qu’avant étant donné son manque de pratique.
A rthur est dans une pièce attenante à l’entrée et à
l’opposé de l’endroit où je me trouve avec Chico. Il
porte des lunettes à verres fumés. Il est concentré
sur le téléphone de sa mère, qui m ’explique qu’Arthur
est passionné par les codes. Son plaisir, c’est de décou­
vrir son nouveau mot de passe. « Il y arrive à chaque
coup », s’amuse-t-elle.
Il est temps de rentrer dans la même pièce que lui
avec Chico tenu en laisse. Arthur lâche son écran et
m ’ordonne de ne pas le libérer. Je lui confirme que
sans son accord, Chico sera toujours maintenu en
laisse. Des quilles en plastique colorées jonchent le
sol de la pièce où nous sommes réunis. Je propose
à Arthur de les placer autour de lui comme nous
l ’avions fait avec les cônes chez M arc-Antoine.
Chico ne devra en aucun cas les franchir. Arthur
accepte et s ’en entoure. Je lui demande si je peux
libérer Chico et lui montrer ainsi que ce dernier n ’ira
pas au-delà de l’espace qu’il a délimité. Après une
hésitation, il accepte le contrat. Devant la docilité de
Chico, je propose à Arthur d ’aller dans la cour arrière
avec quelques quilles. Je veux changer d ’environ­
nement pour montrer à A rthur quelques tours de
dressage et comment remercier Chico par une petite
friandise ou par une caresse. Je lui remets le sac de
friandises une fois qu’il a bien intégré le commande­
ment suivant : « Chico, au pied. » Sa mère assiste à la
scène et s’étonne de voir Arthur à quelques mètres
d ’un chien. D ’autant qu’il se prête au jeu avec Chico.
Il l’appelle et le chien accourt aux pieds de l’enfant
pour recevoir une récompense. « C ’est bien Arthur»,
ne peut s’empêcher de lancer sa mère, et moi d ’ajou­
ter : « Même Chico est content. » Difficile de savoir
ce qui se passe dans sa tête, mais à ces quelques
mots, Arthur récompense Chico d ’une caresse. C ’est
le tout premier contact de sa vie avec un chien. La
magie qui avait opéré avec Marc-Antoine vient de se
renouveler à l’instant sous nos yeux émus une fois de
plus. «M ême la photo d ’un chien dans un livre met­
tait Arthur dans tous ses états », murmure-t-elle dans
un sanglot. Après une heure d ’exercices, Arthur,
fatigué, s’assoit à côté de moi sur les marches du
jardin. Il a enlevé ses lunettes et je parviens à croiser
son regard. Il accepte même que Chico vienne sur ses
genoux. Une joie immense m ’envahit. Pour finir la
séance sur une note positive, je propose à Arthur de
promener Chico dans l’allée du jardin. Je lui enseigne
aussi comment lui dire non d ’un geste de la main. Il
intègre tout ce que je lui apprends.
Il reste une journée avant mon départ. Je veux
observer le comportement d ’Arthur à la vue d ’autres
chiens. Nous nous rejoignons en plein centre-ville.
Chico est tenu en laisse lorsque l’on s ’installe à la
terrasse d ’un café où un gros chien est couché à
l’entrée. C ’est celui du propriétaire. C ’est Arthur qui
doit passer la commande auprès de la serveuse qui se
trouve derrière le bar. Pas d ’autre choix que de passer
à proximité de l’animal, objet de ses phobies. La main
devant lui et un « Non, reste » sorti de sa bouche lui
ouvrent le passage jusqu’au bar. Les commandements
appris la veille lui ont permis de prendre de l’assu­
rance et de dépasser sa peur. Quelle fierté de le voir
passer ainsi l’obstacle !
Quelques mois plus tard, voici les lettres que j ’ai
reçues et que je partage avec vous dans ce livre, avec
son accord :
« Voici quelques photos qui démontrent bien tous
les progrès d ’Arthur grâce à toi et à Chico. J’espère
que l’on se verra au mois de juillet. Nous te faisons
la promesse de te donner de nos nouvelles régulière­
ment. Nous n ’avons pas encore croisé de chien dans
la rue mais Arthur m ’afïirme qu’il n ’a plus peur et
qu’il est prêt à garder Chico si tu as besoin, c’est déjà
inespéré ! » 1
« J ’espère que tu vas bien. Arthur et moi pensons
souvent à toi. J ’ai fait agrandir et encadrer une
photo de Chico avec Arthur et toi, elle est dans sa
chambre. Depuis notre rencontre Arthur arrive réel­
lem ent à surm onter sa peur des chiens. L’autre
jour, il a dit NON avec sa main, tout comme tu lui
as appris, à un chien qui venait vers lui. Il me
réclame un petit chien comme C hico... Arthur vit
m ieux, je ne te rem ercierai jam ais assez José.
Désormais, tu fais partie de notre histoire et surtout
de nos victoires. » 2
«Tu vas partir très loin bientôt mais tu es dans
nos pensées car Arthur surmonte sa peur des chiens
au quotidien, c ’est ma plus belle victoire de l’année.
Il avait le droit à un petit cadeau la semaine dernière
car il a été très sage et devine... il a choisi un petit
chien mécanique qu’il a appelé Popi, le copain de
Chico. Il dort avec et a toujours la jolie photo de vous
trois dans sa chambre, c ’est attendrissant.
Je ne te remercierai jamais assez, José...
Nous espérons avoir de tes nouvelles prochai­
nement.
A très bientôt, j ’espère. » 3
Depuis notre rencontre à M anosque, la mère
d ’A rthur a créé une association pour les enfants
atteints du syndrome d'A sperger au Havre. Ces
regroupements sont souvent le fruit de collaboration

1. Lettre reçue en avril 2012.


2. Lettre reçue en mai 2012.
3. Lettre reçue en juillet 2012
entre parents dépassés par la différence de leur enfant
et qui ont besoin d ’aide et de soutien. Elle m ’a
demandé en novembre 2012 de venir donner une
conférence sur la zoothérapie pour l’ouverture de son
association ! Nous y sommes allés, Chico et moi.
Arthur nous a reçus avec un grand sourire. Ce qui m ’a
le plus ému, c ’est de le voir montrer fièrement à sa
petite sœur l’assurance qu’il avait à présent avec les
chiens. « Tu vois, tu n ’as pas à avoir peur des chiens »,
la rassurait-il !

Eilat : les dauphins de la mer Rouge

Les dauphins se sont éloignés de mon champ de


vision. C ’est pourtant pour eux que j ’ai traversé
l’océan et que j ’ai voulu me former à la zoothérapie.
Cela fait maintenant plus de deux ans que j ’exerce à
M ontréal avec mon chien Chico. Mon expérience
s ’est étoffée au fil de mes rencontres et du travail
accompli avec les patients que je suis. Pourtant, je
sens q u ’il est temps que je poursuive mon rêve
d ’enfant : travailler avec les dauphins et les enfants
malades. Le Dolphin Reef Eilat en Israël est réputé
pour ses compétences en delphinothérapie. C ’est là
que j ’envoie une demande de stage pour l’été 2009.
Je veux voir comment mes collègues thérapeutes tra­
vaillent sur le terrain avec ces mammifères marins.
La réponse du centre est positive et je peux même
venir avec Chico, si je peux justifier q u ’il est bien
un chien de service. L’idée de partir à la rencontre de
ces animaux et surtout de travailler avec eux me rend
fou de joie. Et partager cette expérience avec mon
fidèle assistant est inespéré.

La tache blanche de Luna

A peine le temps de défaire mes valises à Eilat


qu’un message du centre de delphinothérapie vient
rompre mon enthousiasme. La personne en charge de
mon stage et qui m ’a recruté vient de démissionner.
Dans le courriel, elle suggère, puisqu’elle n ’est plus
là, de convaincre la directrice du centre de me garder
au sein du département. Apparemment, je comprends
au ton du message que ce n ’est pas gagné d ’avance et
que je dois me préparer à un refus. Comment est-ce
possible ? Si proche de vivre mon rêve, je sens tout
à coup le sol israélien se dérober sous mes pieds. Pas
question de baisser les bras. Et dès le lendemain, je
prends la direction du delphinarium pour rencontrer la
directrice.
Pas de chance ! Ce matin-là, un enfant s’est coupé le
pied. Sylvie, la directrice, n ’est pas vraiment dispo­
nible. Elle doit emmener le gamin pour des soins à
l’hôpital. Je comprends la situation délicate du moment,
j ’attendrai qu’elle revienne. Pourtant, lorsqu’elle me
voit avec Chico dans les bras, elle a deviné qui je suis
et me lance sans égard : « C ’est non pour les chiens. Je
suis pressée. Je reviens dans une heure. Installez-vous
en haut de cette tour d’observation, c’est mon bureau.
Je vous y rejoins. » La seule chose positive de cet
échange est qu’elle parle français. Autant dire que je
suis abasourdi par l’annonce et le ton autoritaire sur
lequel elle m ’invective. J ’essaie de mettre ça sur le
compte de l’accident avec l’enfant, mais c’est contrarié
que je me dirige vers son observatoire. Mille questions
se bousculent dans ma tête, dont la principale et pas des
moindres : que vais-je pouvoir faire si je ne peux rester
avec Chico ? Ce n ’est en effet pas gagné.
En longeant la plateforme, je sens tout à coup mon
cœur s’emballer. Les dauphins sont juste là, en face de
moi, dans le bassin. Celui-ci s’ouvre sur la mer Rouge
sans que les cétacés ne puissent y accéder. Un air
d ’une chanson de Bjôrk me revient alors en mémoire,
«A il is fu ll o f love». J’adore le fredonner et c’est ce
que je fais en scrutant l’eau comme pour conjurer le
sort qui m ’attend au sommet de la tour. Discrètement,
un dauphin s ’approche à quelques mètres du bord
et me fixe. Pour moi, le temps s ’est comme arrêté.
Je suis submergé par l’émotion, d ’autant que je ne suis
pas certain de faire ce stage tant attendu. Je remarque
sur sa nageoire dorsale un signe distinctif, une tache
blanche en forme de demi-lune. Un ange passe. Puis il
repart comme il est venu. Une heure plus tard, Sylvie
arrive enfin. Elle n ’a que cinq minutes à m ’accorder.
Elle doit recevoir deux enfants qu’elle voit pour la
première fois pour une séance de delphinothérapie.
Rapidement, j ’essaie de lui « v en d re» ma passion
pour les dauphins, mon rêve d ’enfant, Montréal et
la zoothérapie, ce stage tant espéré avec C hico... Mais
je n ’ai pas son écoute. L’échange dure cinq minutes,
pas une de plus ! Et elle de conclure : « Tu regardes
comment je travaille depuis ce bureau, et pour ton
chien, c ’est non, ils ne sont pas autorisés ici. » Je
ne peux rien ajouter à ce verdict catégorique qui vient
de tomber.
Les jumelles identiques :
une relation qui me parle

Me voici coincé en haut du perchoir, avec une paire


de jumelles en cas de besoin, où je profite dans un
prem ier temps de la vue imprenable sur le golfe
d ’Aqaba, puis des bassins où ont lieu les activités de
delphinothérapie. Chico a passé sa tête à travers la
rambarde. Lui aussi veut voir ce qui se passe dans
l’eau. Deux petites filles blondes comme les blés
arrivent avec Sylvie. Difficile de les manquer, l’une
et l’autre sont habillées en rose et vert fluo. Elles sont
jumelles, leur ressemblance est étonnante. Je suis par­
ticulièrement ému en les voyant, car je pense à mon
frère jumeau qui me ressemble lui aussi comme deux
gouttes d ’eau.
Sylvie m ’a demandé d ’observer la séance de travail,
une première pour moi avec des dauphins, alors c ’est
avec intérêt que je note ses faits et gestes. Que ces
patientes soient des jumelles identiques m ’intrigue
aussi, car je connais les comportements d ’enfants
sortis du même « œ u f» . Comprendre comment les
dauphins sont formés pour aider ces gamines en souf­
france m ’intéresse plus que tout.
Elles avancent toutes les trois vers la plateforme
en bois arrondie bordant le bassin. Les fillettes sont
en retrait quand Sylvie porte le sifflet à sa bouche
pour appeler ses pensionnaires. Elles ne la regardent
pas et semblent plutôt apeurées. Je m ’aperçois, en
analysant leur attitude, que l’une des jumelles mène
la danse. Sa sœur suit instinctivement ses moindres
faits et gestes. Dans les fratries gémellaires monozy­
gotes, les enfants entretiennent toujours une relation
de dominant/dominé. Il y a un leader dans le binôme.
Il est évident que les patientes de Sylvie n ’échappent
pas à cette règle. La dominante regarde systéma­
tiquement sa sœur pour lui signifier ce qu’elle doit
faire ou pas, en l’occurrence, ne pas s’approcher du
dauphin lorsqu’il présente son ventre pour être
caressé. Aucun échange n ’a lieu, non plus, avec la
thérapeute. Elles ont visiblement peur de cet animal
plutôt impressionnant pour des fillettes de 7 ans. La
séance se termine au bout d ’une heure sans qu’aucun
contact n ’ait pu être provoqué tant avec les dauphins
qu’avec Sylvie. Elle n ’insiste pas et les laisse partir
à la seconde partie du programme thérapeutique :
l’aquathérapie, censée les familiariser avec l’eau, leur
donner une meilleure confiance en elle, éveiller leur
motricité... Un moment récréatif qu’elles semblent
apprécier davantage.
Sylvie, qui a peiné pendant cette première ren­
contre, a envie de recueillir mon point de vue sur son
déroulement. En professionnel, je l’oriente sur la pro­
blématique de la gémellité et sur le fait q u ’elle doit
capter l ’attention de la dom inante pour pouvoir
atteindre sa sœur. Cette fois-ci, son écoute est beau­
coup plus attentive. Sa crainte, confie-t-elle, est le
manque d ’intérêt qu’elles éprouvent envers les dau­
phins. Le langage qu’elles utilisent pour communi­
quer leur est propre, il est donc impossible de les
comprendre. Et c ’est là, à ma grande surprise, qu’elle
me demande si je veux bien intervenir avec Chico. Le
stagiaire se serait-il mué à ses yeux en zoothérapeute ?
J ’accepte, à condition de connaître leur histoire qui est
une des clés pour pouvoir les aider.
Léa et Avi ont été adoptées par une femme égyp­
tienne à l’âge de 4 ans dans un orphelinat en Europe
de l’Est. Des fillettes en parfaite santé, avait indiqué
l ’institution, sauf que lorsque leur mère adoptive
arrive pour les récupérer, elle se retrouve face à deux
petites sauvageonnes très frêles, vivant dans la crasse,
marchant à quatre pattes, ne parlant pas si ce n ’est via
cette langue gémellaire qu’elles seules connaissent
pour communiquer entre elles. Comble d ’horreur, elle
apprend qu’elles ont été abusées sexuellement. Un
lourd passif qui n ’a pourtant pas rebuté cette femme
qui les a prises sous son aile et qui, depuis trois ans,
remue ciel et terre pour les aider à rattraper leur retard
mental et physique. Un parcours du combattant qui
l’a conduite au centre de delphinothérapie d ’Eilat.
C ’est son dernier espoir, dit-elle, pour aider Léa et Avi
à dépasser leurs souffrances, sinon elles risquent un
placement dans une institution pour déficients men­
taux, et en Égypte, cela veut dire l’asile. Une décision
qu’elle refuse catégoriquement.

Chico au secours des dauphins

C ’est sur la plage que je les rejoins avec Chico. Je


suis un homme et vu ce qu’elles ont subi, je sais que
les jumelles ne vont pas me faire confiance. D ’ailleurs,
dès qu’elles me voient elles se cachent derrière leur
mère. Chico est tenu en laisse dans mes bras. La boule
de poils blancs attire leur attention. Je mets Chico à
leur portée et les fillettes le caressent, tentent de le
prendre à leur tour dans les bras. Elles acceptent de
le brosser et même de le promener sur la plage. Le lien
affectif entre elles et le chien se noue dès la première
séance. Leur mère filme leur moindre geste. A la fin
de la rencontre, je ne sais pas trop sous quelle forme
de langage, elles demandent à leur mère si elles vont
revoir Chico : « Mes filles, dit-elle devant la directrice
du centre qui nous a rejoints, veulent continuer à voir
les dauphins, seulement si elles voient Chico pendant
l’heure suivante. » Je n ’en reviens pas, grâce à Chico,
je peux rester au centre. Sylvie reconnaît que les
enfants se sentent plus à l’aise avec mon chien. Elle
n ’a pas d ’autre choix que de me demander de revenir
avec lui le lendemain. Une bonne nouvelle pour la
suite de mon stage : je vais enfin pouvoir travailler
avec les dauphins.
Quel changement radical d’attitude par rapport à
la veille. Je peux assister, avec Chico assis à mes
côtés, à la deuxième séance de delphinothérapie avec
les jumelles depuis le bord du bassin. Je n ’interviens
évidemment pas, et je me poste à une dizaine de
mètres d ’elles pour ne pas interférer dans le travail
de Sylvie.
Le sifflet retentit. Les dauphins vont se manifester
très rapidement. C ’est étonnant à voir. Comme la
veille, Léa et Avi restent en retrait. Sylvie agite l’eau
avec sa main et un des dauphins se dirige vers elle,
puis change de cap soudainement pour s’approcher du
ponton et se poster juste devant Chico et moi. Je suis
tellement stupéfait de reconnaître la tache blanche sur
l’aileron du cétacé venu me saluer la veille que je n ’ai
pas réalisé que mon chien était si près du bord. Trop
tard, le dauphin, qui se prénomme Luna, est déjà à sa
portée et vient poser son bec sur le museau de Chico,
puis repart au fond de l’eau. Une scène incroyable qui
laisse tout le monde sans voix. Le chien n ’a pas
bougé, ni même aboyé. Les jumelles qui l’observent
du coin de l’œil depuis le début de la séance l’ont
parfaitement remarqué. Par mimétisme sans doute,
voyant que Chico n ’a pas eu peur du dauphin, elles
vont accepter de caresser pour la première fois le
ventre de l’animal. Sans le sang-froid de Chico, je suis
convaincu que leur changement de comportement
ne se serait pas produit ou aurait pris davantage de
temps. Et Sylvie doit penser la même chose. De toute
évidence, la présence de Chico stimule les jumelles.
Depuis cet événem ent inattendu, elles participent
davantage aux exercices proposés pendant la delphi-
nothérapie. Peut-être parce q u ’elles ont compris
qu’elles passeront un moment ensuite sur la plage
avec Chico.
Leur mère poursuit son reportage, elle veut tout
enregistrer. L’arrivée de Chico provoque une réelle
joie de vivre chez les fillettes. Elles le prennent dans
leurs bras, le prom ènent sur la plage. Leurs rires
résonnent comme un moment de réconfort inespéré.
Les voir si joyeuses est une belle récompense pour
cette mère qui se bat pour le bien-être de ses filles
depuis des années. La couverture est posée sur le
sable ; je propose un jeu avec les foulards mais
la communication est difficile. Leur mère traduit en
hébreu, mais je ne sais pas vraiment si elles com­
prennent. Pour pallier le manque de langage commun,
j ’opte pour un apprentissage de quelques commande­
ments à l’aide de signes. Quand je pose ma main à
plat, Chico se couche par exemple, ou lorsque je lui
demande « de faire le mort » en pointant mon index
sur lui. Il suffit de m ’im iter pour y arriver. Elles
adorent ce jeu. Leur affection pour Chico est immense
et cela se voit dans leur changement de comportement.
Une brèche vers le monde extérieur s’est ouverte. Je
sens à présent plus de confiance à mon égard et
elles n ’ont plus peur de s’approcher de moi. Cela fait
quatre jours que nous travaillons ensemble. Demain,
elles retourneront en Égypte ju sq u ’à leur prochain
séjour à Eilat le mois suivant. Pour cette dernière
séance, j ’ai apporté des feuilles et des crayons de
couleur. « Chico et moi, nous serions très contents
d ’avoir un dessin de votre part », traduit leur mère à
ma demande. Je ne sais pas vraiment ce qu’elles vont
comprendre et faire. Je les observe tout comme leur
mère, curieuse elle aussi de savoir ce que ses filles
vont réaliser. Chacune de leur côté, elles gribouillent
sur une feuille. Au bout d ’un moment, elles nous
tendent leur création : Léa a dessiné un dauphin, Avi a
pris pour modèle Chico et sous les animaux, elles ont
écrit en anglais et en hébreu : « We love very much
Chico and J o sé .» 1 Émus, nous découvrons qu’elles
s’expriment dans les deux langues.
Quelques mois plus tard, j ’ai revu Léa et Avi en
visioconférence. Bien entendu, elles ne voulaient
parler qu’à Chico, et surtout lui présenter leur petit
bichon maltais - aussi blanc que lui - que leur mère
venait de leur acheter. Inutile de préciser comment
elles l’ont baptisé !

1. « Nous aimons beaucoup Chico et José. »


Histoires vécues : mes patients, mon chien et moi

L’absence de Léna

Grâce aux jumelles et à Chico, j ’ai gagné ma place


comme zoothérapeute au centre de delphinothérapie
et la reconnaissance de sa directrice. Je me familiarise
avec les dauphins, mais à part nager avec eux, et sur­
tout avec mon nouvel ami à tache blanche qui me
reconnaît chaque fois que je m ’approche du bassin,
je comprends en voyant travailler l’équipe de théra­
peutes qu’il faut des années pour dresser ces animaux
et communiquer avec eux. C ’est d ’ailleurs le temps
qu’il m ’a fallu pour former Chico. Je reste donc pour
observer la façon dont les séances de thérapie se
déroulent dans les bassins. Quotidiennement, je suis
attentif aux comportements, à l’intelligence de ces
mammifères marins et à leur capacité à aider les
patients de Sylvie.
Paradoxalement depuis l’épisode avec les jumelles,
Sylvie n ’hésite plus à me solliciter avec Chico dès
qu’elle éprouve d~s difficultés à travailler avec cer­
tains enfants. C ’est le cas de Léna. Diagnostiquée
autiste depuis quatre ans, la fillette âgée de 7 ans ne
parle pas. Son regard est complètement perdu. Rien
n ’existe autour d ’elle excepté le monde qu’elle s’est
inventé et qui échappe complètement à son entourage.
Elle vient tous les ans dans le centre d ’Eilat pour voir
les dauphins, m ’explique Sylvie, au début avec sa
mère, aujourd’hui décédée, et depuis ce drame, avec
sa grand-mère. C’est en se rendant au centre de delphi­
nothérapie que Léna et sa mère ont eu un grave
accident de la route dans lequel elle a perdu la vie. Sa
grand-mère qui s’occupe d ’elle à présent tient à pour­
suivre ces rencontres avec les dauphins. Ces quelques
éléments de son histoire me perm ettent de mieux
comprendre l’attitude de Léna, que j ’observe pendant
sa séance avec les cétacés.
L’enfant passe à côté de moi mais ne me voit pas,
pas un regard non plus pour Chico que je tiens dans
mes bras. Elle se dirige vers la plateforme où Sylvie
l’attend pour prendre contact avec les dauphins. Léna
se laisse guider la main par sa thérapeute pour toucher
le ventre d ’un dauphin. Son regard est vide. Elle ne
montre aucun intérêt particulier envers les animaux.
L’autisme est un monde inaccessible, Léna y restera
m urée durant toute la séance. Comme pour les
jumelles, la fillette poursuit le programme dans le bas­
sin d ’aquathérapie où les jeux d ’eau et la natation
semblent davantage l’enchanter. Le port d ’un masque
est obligatoire pour protéger ses yeux sensibles de
l’eau salée. Léna souffre de douloureuses conjoncti­
vites au contact de l’eau de mer. Et aujourd’hui, elle
ne veut pas porter de masque et l’arrache de son
visage. La thérapeute tente en vain de la convaincre
de le remettre. C ’est la condition pour qu’elle puisse
se baigner. Impossible de prendre de risques pour sa
santé. Devant son refus catégorique, la séance est
interrompue.
Léna est en sanglots et se console dans les bras de
sa grand-mère. Entre-temps, Sylvie est venue me
rejoindre à mon point d ’observation. Elle voudrait
que j ’intervienne avec Chico auprès de la fillette. Je
ne parle pas hébreu, alors sa grand-mère veut bien
me servir de traductrice. J ’explique à Léna que je ne
parle pas la même langue q u ’elle, mais q u ’en
revanche Chico la comprend très bien. Elle écoute sa
grand-mère et ses mots ont tout de suite un impact
sur elle. Léna se tourne vers Chico assis à côté d ’elle.
D ’un geste qu’il connaît bien, j ’indique à mon chien
d ’aboyer. Surprise ! Chico a su attirer son attention.
Je lui propose, comme à chaque début de zoothéra­
pie, de le caresser avec une des brosses pour l’aider à
calmer ses pleurs. Notre première rencontre se passe
plutôt bien, le lien avec Chico opère.

Le jeu du masque

Le lendemain, Léna ne veut toujours pas s’équi­


per de son m asque. Je la vois une fois de plus
s ’époum oner en pleurs dém onstratifs sur le bord
du bassin. Comment l’aider à accepter ces lunettes
qui l’empêchent depuis deux jours de s ’adonner à
ses jeux aquatiques préférés ? Léna est tiraillée entre
son envie de barboter et son rejet du masque pour­
tant indispensable à son bien-être. Sa grand-mère est
aussi désemparée, le sourire de sa petite-fille s ’est
métamorphosé en sanglots intarissables laissant pla­
ner une profonde douleur au-dessus du bassin.
C ’est en les observant que je prépare mon prochain
rendez-vous qui doit avoir lieu sur la plage. Je dois
faire preuve de créativité pour ramener Léna dans
l’ici et maintenant. Sur une couverture, j ’ai disposé
une dizaine d ’objets : quelques jouets de Chico, des
cônes en plastique, des foulards et un masque avec
son tuba. J ’explique à Léna, toujours par l’intermé­
diaire de sa grand-mère, que Chico adore aller dans
l’eau. Malheureusement, ses yeux ne supportent pas le
sel, alors il est privé de baignade. Voit-elle parmi les
objets étalés sur le tapis quelque chose qui permettrait
à Chico de ne pas se brûler les yeux ? Sans hésiter, la
fillette désigne le masque et le tuba. Peux-tu les mettre
sur la tête de C hico? Léna semble s ’amuser de ce
nouveau jeu avec Chico. Elle saisit le masque et le
place sur la tête de mon chien. Jamais je n ’oublierai la
tête de Chico derrière ce hublot. Cela nous fait telle­
ment rire que j ’immortalise l’instant par une photo.
D ’ailleurs, il suffit que je la montre en conférence
pour que tout l’auditoire éclate de rire. Chico se laisse
faire, il reste complètement impassible. Mon collabo­
rateur ne cesse de me surprendre. Chez Léna, l’effet
est immédiat, les rires ont cédé aux larmes. À côté
de Chico, j ’ai aussi placé un récipient avec de l’eau de
mer. Léna doit en verser quelques gouttes sur la tête
de Chico équipé de son masque de plongée. Sa tête est
si petite qu’elle ne remplit qu’un tiers des lunettes.
Pendant que Léna s ’applique à l’arroser, je dois le
tenir tout le temps de l’exercice. «Grâce à toi, Chico
peut désormais aller à l’eau, lui traduit sa grand-mère.
Tu as choisi l’objet idéal pour cette activité aquatique.
Je t’en remercie, toda1 ! » J ’en profite aussitôt pour lui
demander de mettre le masque à son tour : « Chico
serait bien content lui aussi de te voir le porter. » Elle
s’exécute dans la seconde qui suit. La directrice du
centre qui assiste à la séance est vraiment surprise, et
là encore, nous prenons une photo pour immortaliser
ce moment. Je propose alors à Léna d ’aller à l’eau
avec son masque pour rejoindre sa thérapeute. Je ne
serai pas loin d ’elle avec Chico qui porte aussi un
masque pour se protéger les yeux. Cela fonctionne.
Léna file dans l’eau com plètem ent équipée pour

1. Merci (en hébreu).


suivre la séance d ’aquathérapie. De temps en temps,
elle vérifie que je suis toujours dans l’eau avec Chico.
Lui qui pourtant n ’aime pas cet élément joue le jeu
jusqu’au bout sans broncher. Surprenant !
Les séances qui suivront, Léna va apprendre
quelques petits tours avec Chico : le faire asseoir, le
faire «parler», le promener en laisse. Elle y prend
tellem ent de plaisir que son rire attire les autres
enfants de la plage. Elle ne parle pas mais commu­
nique avec Chico par les gestes que je lui enseigne.
Elle qui vivait isolée avec sa grand-mère, se retrouve
très vite au milieu d ’une dizaine d ’enfants à qui elle
montre ce qu’elle peut faire avec Chico. Son regard
n ’est plus fuyant, elle regarde même l’objectif de ma
caméra avec Chico qu’elle serre très fort dans ses bras,
un sourire éclatant sur son visage.
Aujourd’hui, en repensant à ce séjour à Eilat, je
réalise que sans la présence de Chico, rien n ’aurait été
pareil. Cela m ’a confirmé à quel point mon chien est
l’animal avec lequel il m ’est le plus facile de travailler
en tant que zoothérapeute. Et qu’il peut aider les dau­
phins dans leur tâche. D ’ailleurs, après notre départ,
la directrice du centre de delphinothérapie a intégré
un chien à son programme de soins. J ’ai aussi compris
que je ne serai pas delphinothérapeute, du moins pas
pour le moment. La proposition de Nicolas Dubreuil
de partir comme guide naturaliste en Antarctique
pour parler des mammifères marins va finalement me
séduire. Des expériences comme celles-ci ne se pré­
sentent pas tous les jours, d ’autant que sans le savoir,
je vais découvrir dans ces terres du bout du monde,
une autre forme de zoothérapie.
Antarctique : la zoothérapie
grandeur nature

Jamais sans mon chien ! On dirait presque le titre


modifié d ’un célèbre livre !
Ce sont de façon plus nuancée les mots que j ’écris
à la personne responsable de mon recrutement pour
partir en expédition en péninsule Antarctique. Je m ’y
rends en tant que naturaliste et conférencier sur un
bateau de croisière, pour quatre semaines. À un mois
de mon départ pour le « continent blanc », j ’essaie, en
vain, de négocier la venue de mon chien à bord. Cela
fait trois ans que je vis et travaille avec Chico. Notre
lien est bien plus qu’une simple relation de travail :
Chico est mon fidèle compagnon et sa présence au
quotidien fait partie de mon bien-être. Me séparer de
lui pendant un mois est difficilement envisageable.
Cependant, malgré mon obstination, je comprends
parfaitement les raisons pour lesquelles mon futur
employeur refuse la présence d ’animaux de compa­
gnie sur le navire. Ils sont tout simplement interdits
en Antarctique pour des raisons sanitaires. Les ani­
maux peuvent être vecteurs de virus, de bactéries, de
maladies, certes inoffensifs pour les humains, mais
dévastateurs pour la faune locale et endémique dont
les fameux manchots. Je réalise aussi que d ’un point
de vue pratique et hygiénique, la présence d ’un chien
sur un bateau de croisière ne doit pas être simple.
A-t-il seulem ent le mal de m er? La traversée du
fameux passage de Drake qui sépare la pointe de
l’Amérique du Sud à la péninsule Antarctique a la
réputation d ’être particulièrement difficile et mouve­
mentée. Trop enthousiaste à l’idée de découvrir cette
partie du globe, j ’accepte finalement la mission en
plaçant Chico chez mon ami Bryan, lequel a égale­
ment un petit bichon maltais. Je fais la promesse à
Chico de revenir et tout en le disant, je ne mesure pas
l’importance des mots que je prononce avec les évé­
nements qui vont suivre. Le quitter me brise le cœur,
mais je sais qu’il est bien là où il est. Me voici en
route pour l’autre continent ; nous sommes début
décembre.
Nicolas Dubreuil m ’accueille à Santiago, la dernière
étape avant de rejoindre le port d ’Ushuaia pour embar­
quer sur le navire. C ’est lui le chef d ’expédition de
cette croisière. Son appel cinq mois auparavant alors
que j ’étais en Israël m ’avait à la fois surpris et mis en
joie. Il n ’avait pas oublié notre discussion, quinze
années en arrière chez notre amie commune, sur mon
amour pour les cétacés et mon souhait de travailler
avec eux. Entre-temps, j ’avais réalisé ce rêve en étant
devenu docteur en biologie, alors c ’est comme spécia­
liste des mammifères marins que j ’embarque avec
lui. À bord, Nicolas assume de nombreuses responsa­
bilités. Il s’occupe de l’itinéraire, de la sécurité des
passagers lors des débarquements à terre et d ’une
équipe de dix naturalistes, dont je fais à présent partie.
Dès les premières minutes, je sens combien il est pro­
fessionnel et charismatique. Immédiatement, le cou­
rant passe entre nous. Je suis alors convaincu qu’une
belle amitié est en train de naître.
Une fois tous les passagers embarqués, le navire
d ’expédition s ’éloigne du quai d ’U shuaia et entre
dans le canal du Beagle qui sépare l’Argentine du
Chili. Une nouvelle aventure, mais surtout une expé­
rience complètement inédite, m ’attend !

Vous êtes quoi ? Zoothérapeute ?

A chaque début de voyage, toute l’équipe se pré­


sente aux passagers. Me voici sur scène dans l’amphi­
théâtre du bateau avec les autres guides. Deux cents
personnes sont devant moi, je n ’ai pas d ’autre choix
que de me jeter dans l’arène. Je raconte ma passion
pour les mammifères marins et mon parcours profes­
sionnel, dont la zoothérapie. À cette phrase, « Je vis à
Montréal où j ’exerce le métier de zoothérapeute», je
sens l’auditoire très intéressé, voire intrigué et
m ’écoutant d ’une oreille attentive. Quelques mur­
mures bruissent et si je n ’entends pas vraiment ce qui
se dit, je perçois les mines interrogatives de certains :
« Il est quoi ? » Le terme n ’est pas vraiment connu en
France, même encore aujourd’hui. Je n ’ai pas le temps
de développer lors de cette présentation. A la sortie de
l’auditorium, plusieurs personnes m ’interpellent pour
me demander si je prévois de donner une conférence
sur le sujet. J ’en parle à Nicolas qui accepte bien
volontiers. Ce n ’était pas prévu au programme, mais
je suis content d ’avoir l’opportunité de partager les
bienfaits de cette thérapie assistée par l’animal et de
parler de mon travail avec Chico.

Rencontres insolites du bout du monde

Le voyage prévu aux cours des deux prochaines


semaines se divise en trois grandes régions. Notre pre­
mière escale se fera aux îles Malouines, puis ce sera la
Géorgie du Sud et enfin la péninsule Antarctique.
C ’est aux îles Malouines que je vais rencontrer mes
premiers manchots, de l’espèce papou, sur une plage
de sable blanc. Ces derniers sont de petite taille, le
dos noir, le ventre blanc avec une tache blanche trian­
gulaire caractéristique sur le dessus de leur tête. Mais
ce ne sont pas les seuls occupants : juste derrière eux,
je remarque des moutons ! Moi qui les voyais unique­
ment dans ma campagne ardennaise, je ne m ’attendais
pas à les retrouver sur ces terres australes. Pourtant,
l’élevage d ’ovins est la principale ressource des habi­
tants de l’île. Aujourd’hui, des familles locales les
élèvent pour la laine et la viande qu’elles exportent
pour la plus grande partie à Londres. Nous sommes
justement sur la propriété d ’une famille de Français
qui s’y sont établis il y a plus de quinze ans. L’autre
stupéfaction, pour le néophyte que je suis, c ’est le
comportement des manchots. Peu habitués à la pré­
sence humaine, ils ne la craignent absolument pas.
Protégés depuis le traité de l’Antarctique, signé en
1959, il est interdit de les chasser. Je réalise en les
observant que ce sont les premiers animaux sauvages
que je rencontre cLns leur environnement et que je
peux approcher sans q u ’ils s’enfuient. Je ne suis
d ’ailleurs pas le seul à ressentir une immense gratitude
envers la nature et à prendre la mesure de cette chance
qui m ’est donnée d’être là.
Le contact avec ces animaux du bout du monde
émeut plus d ’un passager. Et il ne m ’échappe pas que
si certains s ’extasient, d ’autres ne peuvent retenir
leurs larmes. Déformation professionnelle oblige sans
doute, mon attention se déporte sur ces personnes
et sur ce q u ’elles exprim ent devant ces colonies
d ’oiseaux impressionnantes. Je ne peux m ’empêcher
d ’utiliser mes techniques de zoothérapie pour leur
dem ander comment elles se sentent dans l’ici et
maintenant. Je les laisse s’exprimer sur leur ressenti
au moyen de la communication affective. Elles se
confient à moi sans hésiter. Je suis dans mon élément :
entre le milieu animal et le vécu de ces personnes. Un
contact privilégié se crée avec les passagers. Je sens
qu’un espace thérapeutique s ’ouvre aussi sur ce ter­
rain. Cette île subantarctique, c ’est de la zoothérapie
grandeur nature ? Que va-t-il en être pour le grand
continent blanc ? J ’ai du mal à croire que je puisse
être davantage ébahi. J ’ai déjà l’impression d ’être
sur une autre planète. Même si on ne peut pas toucher
les animaux, le spectacle offert est puissant. Une
colonie de plusieurs milliers de manchots, c ’est hallu­
cinant à regarder, à entendre et à sentir ! Force est de
constater que la communication est immédiate entre
les passagers, qui voyagent certes ensemble, sur
le même bateau, mais qui ne se connaissaient pas
avant d ’embarquer. Ce sont les manchots, qui nous
acceptent en toute confiance et qui déclenchent
quelque chose d ’inhabituel, qui créent un lien entre
les personnes. Les yeux brillent d ’émotion. Cette
première évaluation de terrain, complètement impro­
visée, va me démontrer dans un avenir très proche que
la zoothérapie peut se pratiquer autrement et à une
autre échelle.

La renaissance de Georgette

Quand j ’écris ces lignes, im possible de ne pas


évoquer ma rencontre avec Georgette trois années
plus tard, au même endroit, sur ces îles Malouines.
Une femme âgée de plus de 80 ans, les cheveux
permanentés roux presque rouges, marche devant moi
en s’aidant d ’une canne. Voilà l’image que je retiens
de ce personnage haut en couleur. Les passagers
viennent de débarquer à terre pour leur première
découverte de colonies de manchots. C ’est toujours
impressionnant de les voir se serrer les uns contre les
autres, se déplacer avec leur démarche chaloupée,
plonger en groupe dans l’eau glacée... Il faut aussi
s’habituer, puisqu’ils sont des milliers à nicher sur ce
lopin de terre, au bruit qu’ils font et à l’odeur des
fientes qui jonchent le sol. A cette période de l’année,
les poussins sont nés. On les voit soit avec leur mère,
soit en groupe comme dans une crèche sous la sur­
veillance d ’adultes. Les manchotières font partie des
espaces que l’on surveille particulièrement lorsque les
visiteurs se baladent dans les allées que nous balisons
au moyen de drapeaux rouges. Le continent antarc­
tique et les îles subantarctiques sont strictement régle­
mentés et il est formellement interdit de toucher et de
déranger la faune sauvage. Les guides naturalistes
sont postés tout au long du parcours pour veiller au
respect des règles de préservation et de protection de
l’environnement. Parfois, notre vigilance n ’est pas
suffisante pour pallier l’envie de certains de s’appro­
cher d ’un peu trop près des animaux.
« Une femme fonce droit sur les manchots ! »
m ’alerte Nicolas Dubreuil par radio. En effet, et elle
n ’est pas toute jeune. Ces cheveux rouges, je les
reconnais tout de suite. S’appuyant sur sa canne, elle
se dirige vers un groupe de bébés manchots. Tout en
me précipitant dans sa direction, j ’ai beau m ’égosiller
pour qu’elle s’arrête elle n ’entend pas. Aucune réac­
tion de sa part, comme si rien ne pouvait la stopper
dans son élan. Essoufflé, j ’arrive à la rejoindre mais
elle fait toujours la sourde oreille. Je lui tapote l’épaule
et je découvre un visage inondé de larmes. Surpris,
elle me prend spontanément dans ses bras en répétant :
« Mon p ’tit chou, c ’est merveilleux. C ’est grâce à eux
que je suis ici. » Je ne sais pas encore ce qui Ta pous­
sée à agir ainsi, mais nous sommes à dix mètres
des manchots, alors le pire a été évité. Georgette
n ’entend pas, elle a ôté son Sonotone à cause de
l’humidité. Alors je pouvais toujours crier ! Je la laisse
regarder les oiseaux pendant qu’elle me raconte son
histoire. J ’ai envie de comprendre une telle émotion.
À nouveau, à cet instant précis, je me sens plus zoo­
thérapeute que guide naturaliste. Il y a quelques
mois, Georgette était clouée sur son lit d ’hôpital. Une
opération au genou assez lourde qui, avaient assuré
les médecins, la rendrait inapte à la marche. La nou­
velle est un peu rude surtout pour cette ancienne insti­
tutrice curieuse et extrêmement dynamique. Un film
documentaire sur les manchots papous, projeté sur la
télé de sa chambre d ’hôpital, va allumer une petite
bougie en elle et lui redonner de l’espoir. « Si je
remarche un jour, dit-elle à son fils qui est à son
chevet, on ira ensemble voir ces manchots papous. »
Ici, debout sur ses deux jambes, en face d ’eux, ses
larmes de joie sont une façon de les remercier de
l’avoir aidée à se dépasser et à se porter mieux. Ne
manquant aucun débarquement de tout le séjour, cette
femme a été une véritable source d ’inspiration et de
courage. Nous l’avons surnommée affectueusement
notre Georgette du Sud et elle est vite devenue la
coqueluche du navire.

Le Serengeti de l’océan Austral

Après avoir quitté les M alouines, il faut deux


jours de mer pour rejoindre les côtes de la Géorgie
du Sud. Cette petite île britannique mesure pas
moins de cent soixante-dix kilomètres de long en
forme de croissant de lune et se trouve au beau
milieu de l’océan Austral. C ’est le prolongement de
l’arc de Scotia. Des sommets enneigés culminent
parfois à plus de deux mille mètres et à leurs pieds
plus d ’un m illion de m anchots royaux, plus de
quatre millions d ’otaries à fourrure, plus de quatre
cent mille éléphants de mer, sans compter toutes les
autres espèces d ’oiseaux, dont les fameux albatros,
vivent là pendant l’été austral. Débarquer sur ces
plages est un véritable choc sensoriel et émotionnel !
À tel point que je m ’arrête pour reprendre mon
souffle. C ’est vertigineux !
Mes « patients » en Géorgie du Sud

À part les otaries à fourrure mâles qui peuvent


charger pour protéger leur harem, tous ces animaux
m ’ignorent. Ils vaquent à leurs occupations sans se
soucier du reste. Certains jeunes éléphants de mer,
de plus de cent kilogrammes, essaient même de venir
me téter les bottes. Et une fois encore, je ne peux
m ’em pêcher d ’aller vers les passagers et de leur
demander comment ils se sentent quand je les vois
émus, notam m ent devant les bébés otaries. Cela
confirme ce que je pensais en débarquant aux îles
Malouines, je parviens à créer un espace thérapeu­
tique avec ceux qui acceptent d ’exprimer ce qu’ils
ressentent dans l ’instant présent. Et pas besoin de
toucher l’animal pour que cela se passe. Il suffit sim­
plement de voir ces manchots royaux se déplacer
comme des humains debout sur leurs deux pattes, de
plonger son regard dans les grands yeux noirs lar­
moyants des bébés otaries, d ’entendre les bruits
improbables émis par les éléphants de mer couchés
sur le sable. Les gens passent du rire aux larmes.
Cette faune agit comme un véritable miroir reflétant
leurs états d ’âme. Ces personnes parlent même de
ces animaux par analogie avec les comportements
humains. De l’anthropomorphisme certes, mais ici,
ça ne me dérange pas. D ’ailleurs, on peut s’interroger
sur le fait que la zoothérapie est en fait de l’anthro­
pom orphism e puisqu’on parle de projection que
l’humain fait sur l’animal. C ’est même le concept
principal. Il faut décoder l’interprétation que la per­
sonne va faire en fonction de l’état de l’animal avec
lequel elle agit en ma présence.
Il n ’y a plus de distinction entre l’homme et l’ani­
m al; ici, bizarrement, nous sommes tous logés à la
même enseigne. Tout comme nous, ils doivent se
demander qui nous sommes.
Juste quelques mots échangés entre les voyageurs et
moi, et les barrières tombent. En voyant un manchot
à l’agonie, une femme ne peut retenir ses larmes et me
confie qu’elle est atteinte d ’une forme de cancer incu­
rable. Ce voyage est le voyage de sa vie. Un couple
exprime avec joie leur relation avec leur arrière-petit-
fils en observant les bébés otaries en crèche qui se
regroupent en attendant le retour de leur mère partie
se nourrir en mer. Ils me racontent que ce sont eux qui
le récupèrent plusieurs jours par semaine, car leur fille
se sent débordée et déprimée depuis sa rupture difficile
avec son mari. Personne n ’est indifférent à cet envi­
ronnement où seuls les animaux vivent. Personnelle­
ment, je ne l’ai expérimenté nulle part ailleurs. Je sens
combien c ’est le zoothérapeute en moi qui prend le
dessus sur l’expert des mammifères marins.

Perdus dans la brume

Après avoir passé trois jours en Géorgie du Sud,


notre prochaine étape est l’archipel des Orcades du
Sud. Cette escale n ’était pas initialement prévue. En
effet, ces îles sont soumises à des conditions météoro­
logiques capricieuses. Le temps change très rapide­
ment. En l’espace d ’une heure, on peut traverser les
quatre saisons. Souvent encombrées par les glaces,
le navire ne s ’y arrête généralement pas. Pourtant,
comme pour cette journée les conditions sont jugées
favorables, une sortie en Zodiac est proposée aux pas­
sagers. Nicolas, le chef d ’expédition, a repéré une baie
bien abritée de la houle où l’on peut observer une
autre espèce de manchots, à jugulaire cette fois-ci, et
s’approcher d ’icebergs de toute beauté. Les manchots
à jugulaire sont également de petite taille, ont le dos
noir et le ventre blanc mais possèdent une ligne noire
dessinée sur le cou donnant l’impression qu’ils portent
un casque à jugulaire. D ’où leur nom ! Les passagers
de la croisière embarquent à huit sur les bateaux pneu­
matiques, accompagnés d ’un guide naturaliste et d ’un
pilote aguerri. Avec l’expérience et après l’obtention
d ’un permis bateau, il est possible que le naturaliste
pilote l’embarcation pneumatique. Ce qui n ’est pas
mon cas sur ce premier voyage.
C’est ma toute première balade en tant qu’accompa­
gnateur. Je suis très excité. Mon rôle consiste à expli­
quer aux passagers tout ce que l’on voit : les glaces et
la faune principalement. Tout se déroule parfaitement
bien. Nous avons même la chance de voir un phoque
léopard. Un animal surprenant qui vient jouer avec les
boudins de l’embarcation qu’il mordille avec une sur­
prenante délicatesse. Il ressemble à un reptile de plus
de quatre mètres de long avec une tête de murène.
À l’intérieur du Zodiac, tout le monde est émerveillé
de voir de si près cette bête a priori peu engageante.
La balade se poursuit entre sculptures de glace et faune
sauvage dans une certaine bonhomie. Je remarque que
la nature rend les gens enthousiastes. Le temps est
superbe et je savoure tout comme eux ce qui m ’est
offert de voir, tout en partageant mes connaissances
sur ce qui nous entoure.
Soudain, une légère brume s ’abat sur le décor.
Nicolas Dubreuil demande alors par radio aux pilotes
de rester groupés et de se déplacer en binôme. Cela
signifie avoir au moins un autre Zodiac en contact
visuel avec le sien. Le pilote de mon embarcation
répond à Nicolas qu’il fait la boucle dans l’autre sens
et qu’on les retrouve d ’ici à quelques minutes.
Les minutes s’allongent. Cela fait déjà plus de dix
minutes que nous essayons de rejoindre les autres
Zodiac. N icolas Dubreuil, qui a la responsabilité
des passagers, communique en permanence avec moi
par radio (VHF) sans interférer avec celle du pilote
en relation avec la passerelle du bateau. Cela ne
m ’empêche pas de décrire aux patients les colonies
de manchots que nous croisons au passage. Nous
sommes loin de penser que quelque chose d ’inhabi­
tuel se trame. Sauf lorsque la houle fait légèrement
tanguer le bateau et que la voix du chef d ’expédition
se perd sur les ondes de ma radio pour n ’émettre
qu’un inaudible crachotement peu réconfortant. Je
remarque que nous passons entre des parois rocheuses
à bâbord et à tribord du Zodiac, ce qui expliquerait
peut-être ces interférences radio. Le pilote poursuit sa
route, il est le seul maître à bord et je dois respecter
son commandement. C ’est ce que l’on m ’a appris le
jour où j ’ai embarqué.
Le brouillard s’est épaissi. Impossible de voir au-
delà de quelques mètres. Le pilote semble toujours
confiant. Cependant, il souhaite s ’écarter de la côte.
Mon instinct m ’alerte qu’il ne faut surtout pas le faire.
S’éloigner de la côte dans une telle brume nous ferait
perdre tout repère. Je lui demande poliment de ne pas
s’écarter de l’île. Il accepte sans rechigner. Toujours pas
de contact visuel avec mes collègues. Pour une pre­
mière sortie avec des passagers, j ’avoue que je ne
mesure pas vraiment ce qui se passe. Toutefois, lorsque
j ’entends, cette fois-ci, la voix du commandant de bord
du navire dans la radio du pilote, je réalise qu’il y a un
problème. Nicolas Dubreuil n ’est plus accessible
depuis au moins une demi-heure, mais entourés comme
nous le sommes à cet instant d ’icebergs, cela ne me
surprend pas plus que cela. D ’où sans doute l’appel de
la passerelle dont la portée d ’émission et de réception
est plus grande. Le pilote est de plus en plus mal à
l’aise. Il se permet même de lancer aux passagers : « De
toute façon, au pire, ils vont nous envoyer un hélico­
ptère. » Je fais une moue dubitative. « Un hélicoptère ?
Mais où ? » Nous sommes à plus de mille kilomètres de
la Géorgie du Sud et je n’en ai vu aucun sur le navire.
J ’ai à peine le temps de finir le cheminement de ma
pensée que le pilote éteint sa radio pour ne plus
répondre au commandant. C ’est précisément à ce
moment-là que j ’ai pensé à Chico. Je me suis souvenu
de la promesse que je lui avais faite avant mon départ :
« Je vais revenir. » Je dois reprendre les choses en
mains. Dans le cadre de mon travail en zoothérapie, j ’ai
dû faire face à quelques situations de crise. Mais celle
que je suis en train de vivre relève de l’exceptionnel.

Zoothérapeute avant tout

« Commandant, commandant ? pour José », lancé-je


dans ma radio. Le commandant ne me connaît que
depuis une semaine et je ne suis pas du tout un marin.
Il va falloir faire avec, car je suis le seul à bord à bien
vouloir lui parler. Je soupçonne le pilote d ’être en
plein déni et je ne dois surtout pas me le mettre à dos.
« Commandant, à partir de maintenant, vous pouvez
compter sur moi. » Je sais qu’il n ’a pas d ’autre choix.
Depuis son poste de commandement, il me demande
de prendre la corne de brume qui est située à l’avant du
Zodiac. Je l’assemble. On se met d ’accord pour que je
souffle dedans dans cinq secondes. Je prends une pro­
fonde inspiration, mon gilet de sauvetage se serre
contre ma poitrine. Les huit passagers me fixent du
regard comme pour m ’encourager dans ma tâche. Je
souffle de toutes mes forces mais à défaut d ’entendre
un son tonitruant, je n ’obtiens que l’écho d ’un canard
à l’agonie. Je ne me peux m ’empêcher de rire, tout
comme les passagers. Je recommence encore et
encore, mais le commandant ne l’entend pas. La sienne
est tout aussi inaudible. Les passagers ont compris que
nous sommes perdus. L’inquiétude et l’impatience se
lisent à présent sur les visages. Le pilote reste muet.
Cependant, je garde une attitude positive et compatis­
sante à son égard et il écoute mes instructions quand
je lui répète de ne quitter la côte en aucun cas. Mon
inexpérience maritime ne me laisse pas d’autre choix
que de puiser dans mes savoir-faire de zoothérapeute.
Je dois rassurer les passagers comme j ’ai pu le faire
de nombreuses fois avec des patients, mais cette fois-
ci, sans l’aide précieuse de Chico.

Sur un air de corne de brume

L’épisode de la corne de brume me donne une idée,


celle de mobiliser le groupe autour d ’un jeu pour ne
pas leur laisser le temps de cogiter, de s ’inquiéter,
voire de paniquer. Il faut que je les ramène dans l’ins­
tant présent tout en les rassurant sur les échanges que
j ’ai avec le commandant grâce à ma radio.
Je leur propose alors de jouer à tour de rôle un air de
musique avec la corne de brume en fonction de leur
ressenti. Un monsieur aux sourcils épais assis à côté de
sa femme me réclame l’instrument. Il esquisse un clin
d ’œil à son épouse, porte la corne de brume à ses
lèvres et entonne le requiem pour les morts de Mozart.
Tous les passagers éclatent de rire. Au tour maintenant
de la plus jeune des huit passagers. Elle est en voyage
de noces. Elle se concentre et joue une berceuse :
« C ’est pour notre enfant qui nous attend chez nous
en France. » Je lui demande son prénom et son
âge. Lorsqu’elle parle de sa petite fille, ses voisins
éprouvent à leur tour le besoin de se confier sur leurs
enfants et leurs petits-enfants. Chacun prend la parole
et je ne sens pas le moindre stress dans leur voix. Ils
aiment parler de ce qu’ils ont de plus cher, leur progé­
niture ; ils en oublient presque la brume qui ne cesse
pourtant de s’épaissir. Dans le même temps, je reçois
de nombreux appels du commandant et avec lui aussi
j ’utilise les mêmes méthodes d ’intervention q u ’en
zoothérapie : je vérifie, je reformule tout ce qu’il me
demande. Le langage marin ne m ’est pas encore fami­
lier. En agissant ainsi, je recentre le discours, je
m ’assure de tout bien comprendre. J ’ai une oreille
pour les passagers à bord de l’embarcation et une
oreille attentive collée à ma VHF pour le commandant.
Comme je dispose d ’une boussole, le commandant
me demande quel est mon cap. Je suis incapable de
lui répondre. Comment indiquer un cap avec une
boussole ? Je n ’en ai pas la moindre idée. Je me tourne
vers le pilote de mon Zodiac avec un regard suppliant
pour qu’il me vienne en aide. Il est retranché dans un
mutisme déconcertant. Je comprends à ce moment
que je ne peux définitivement plus compter sur lui.
Toutefois, il suit mes consignes. Devant son attitude,
l’homme qui s ’était porté volontaire pour jouer le pre­
mier de la corne de brume va prendre la boussole et
essayer de m ’aider pour trouver le cap. Plutôt que de
paniquer, le groupe est compatissant et disponible
pour moi. Le commandant est d ’une grande écoute,
d ’une grande patience. Il ne me juge pas quand je lui
donne un cap invraisemblable. Il s’adapte à mon igno­
rance sur les techniques de navigation et change sim­
plement de sujet, car il doit comprendre au plus vite
où nous sommes. Comment est la houle ? Quelle est
sa hauteur ? Sa direction par rapport au Zodiac, celle
des vents, soufflent-ils dans mon dos ou dans mon
visage ? Là encore, je fais participer les passagers : je
leur demande leur avis sur la hauteur de la houle, sur
la direction du vent. Le fait d ’ouvrir le débat me per­
met une fois de plus de ne pas laisser leurs pensées
négatives prendre le dessus. Entre-temps, nous conti­
nuons de voir des manchots sauter hors de l’eau et à
chaque observation, je les leur montre, je leur parle :
je les veux avec moi dans l’instant présent. Je leur
dis que quitte à être là, on va en profiter au maxi­
mum. Mon enthousiasme les contamine. J’ai une foi
inébranlable, une confiance totale en Nicolas et le
commandant. Je veux croire qu’ils vont finir par nous
retrouver. Aucun passager ne se plaint de froid, de
faim ou de vouloir uriner. Je continue de les écouter
et de les divertir. Je parle du dernier livre que j ’ai lu,
ils me conseillent les lectures qu’ils ont le plus aimées.
Je m ’intéresse à chacun d ’entre eux dont un homme
d ’un âge bien avancé qui ne parle que quand on le lui
demande. J’apprendrai plus tard que c ’est le doyen de
mon équipe, âgé de 84 ans ! Je le revois toujours rele­
vant la tête quand je m ’adressais à lui, la goutte au nez
mais toujours avec le sourire. Chacun prend la parole
pour me parler de sa passion, de ce qu’il fait dans la
vie. L’ambiance à bord du Zodiac est bonne malgré
les circonstances.

Garder espoir

C ’était trop beau pour que cela dure. Le pilote va


faire un geste qui ne va pas m ’aider. Sans prévenir
le commandant, il percute un feu à main. Cet objet
incandescent brûle et produit une lumière rouge avec
beaucoup de fumée, ce qui permet de voir d ’assez loin
un bateau en détresse. Mais avec une telle brume et
sachant que le navire n’est pas tout près, c ’est bien sûr
inutile. Gaspiller ce matériel si important dans des
situations comme la nôtre me déconcerte. Je veille à
surtout ne pas faire part de l’incident au commandant
car pas question, là encore, de risquer de me mettre
le pilote à dos. Les passagers ont toutefois le visage
hébété. Tout le travail que j ’ai effectué en amont de
cet événem ent est détruit. Je dois reconstruire la
confiance, le lien, et les rassurer à nouveau. Il y a
d ’autres feux de réserve dans le compartiment avant
du Zodiac. En réalité, il n ’en reste plus que deux mais
je préfère minimiser leur crainte par un petit men­
songe que je décide d ’assumer.
Le commandant qui de son côté parvient à capter
N icolas, lequel me cherche sans relâche avec les
autres naturalistes à bord de Zodiac depuis plusieurs
heures, me prévient que ce dernier a débarqué sur une
île. Il compte en effet atteindre son sommet pour tenter
de voir un autre feu à main qu’il me demande de per­
cuter après son signalement. J ’espère que les petits
rochers que je devine parfois au loin dans la brume
sont ceux où N icolas est posté. Je suis prêt. Le
commandant me donne plusieurs recommandations
avant d ’actionner l’engin que j ’utilise pour la première
fois. J ’imprime tout ce qu’il me dit et je m ’exécute à
son signal
Je me revois encore sur l’avant du Zodiac tenant le
feu comme un flambeau, un peu comme la statue de
la liberté. Serait-ce le flambeau de l’espoir? Après
qu’il s ’est complètement consumé, je reprends ma
radio : « Commandant, pour José. On vient de brûler
le feu à main. Nicolas nous a-t-il vus ? » La réponse
est négative. Le moral des troupes est au plus bas.
Cela fait tout de même cinq heures que nous voguons
dans l’inconnu sur ce Zodiac. Un désert de glace
magnifique dont je vais me servir pour gommer cette
inquiétude latente. De superbes icebergs se dévoilent,
dont un avec une pointe remarquable. Un nouveau jeu
s’improvise dans ma tête à l’intention des passagers.
Ils doivent me décrire ce q u ’ils voient quand ils
regardent ces sculptures de glace. Parmi les passagers,
j ’ai vite remarqué cette femme d ’une quarantaine
d ’années, l’air enjoué sous de longs cheveux noirs
frisés, toujours de bonne hum eur depuis le début
de l’expédition. C ’est à elle que je demande de se
lancer. «C ette pointe me rappelle celle du fuseau
de la Belle au bois dormant. » Et aux autres de pour­
suivre : « Pour moi, ces icebergs sont comme les
nuages. Ils sont tous de formes différentes et avec
un peu d ’imagination, on parvient souvent à devi­
ner quelque chose ou quelqu’un. » Pour son voisin,
« c e t iceberg avec une arche rappelle l’Arc de
triomphe » ou « ce petit morceau de glace, on dirait la
queue d ’une baleine». C ’est reparti, chacun se prête
au jeu et les visages se détendent à nouveau.
L’île que nous longeons n ’offre aucun endroit pour
débarquer. Les glaciers sont partout. Le commandant
me demande comment est le moral des passagers.
Je lui réponds : « Tout le monde va bien, on regarde
des manchots marsouiner, les icebergs sont magni­
fiques, c ’est vraiment superbe, on garde le moral. »
Je découvrirai après coup qu’à cette remarque le
commandant, bien que tendu, n ’a pu que sourire.
« Qui est ce José ? On va lui décerner une médaille. »
Dans ces situations délicates, tout ce qui se passe en
passerelle et l ’ensemble des échanges radio sont
filmés et enregistrés. Bien sûr, ce qu’il ignore et qu’il
ne peut deviner est que la zoothérapie est venue à ma
rescousse sur ce Zodiac.

Garder la cohésion du groupe

Cela fait plus de cinq heures que nous longeons à


l’aveugle la côte à tribord. Cette île me paraît intermi­
nable. On ne peut pas prendre le risque de la contour­
ner. Nous sommes en effet en train de consommer
notre dernière nourrice d ’essence. Je me dis qu’il faut
trouver un endroit unique, distinctif dans ce paysage
de glace où tout se ressemble a priori, et ne plus bou­
ger. Imaginons que nous soyons perdus dans une forêt
de résineux, j ’essaierais de trouver une espèce d ’arbre
différente des sapins, un arbre qui ne ressemble à
aucun autre. En le décrivant aux personnes qui me
cherchent, s’ils le distinguent parmi les autres, ils sau­
ront que je ne suis pas loin. Mais nous ne sommes pas
dans une forêt plantée d ’arbres immobiles. Les ice­
bergs dérivent et dans une heure, ils seront déjà loin
de nous. Dès que je le peux, je scrute le paysage pour
y trouver un élément distinctif. C ’est là qu’apparaît un
glacier unique en forme de demi-lune. Il est immense,
alors impossible de le rater. Cet amphithéâtre me
semble être l’endroit idéal pour attendre les secours.
Cependant, il ne faut pas s’approcher à moins de deux
cents mètres car quand les glaciers vêlent, des icebergs
se détachent violemment et peuvent projeter des éclats
de glace mortels. On se tiendra donc à plus de cinq
cents mètres. Le commandant écoute attentivement
ma description du lieu. J ’en profite, encore et toujours
pour les mêmes raisons, pour expliquer la formation
d ’un glacier, mais les voyageurs sont à bout après six
heures passées dans le stress sur l’océan Austral. Sou­
dain, j ’entends la voix de Nicolas dans ma radio. Il est
donc proche de nous. C ’est lui cette fois-ci qui allume
une torche électrique. Il me décrit des icebergs bien
caractéristiques que j ’ai vus il y a une heure. Dont
celui avec la pointe ! Je sais qu’il vient vers nous. Je
scrute en plissant de plus en plus les yeux, la brume
ne se lève pas. Je sens mon cœur battre plus fort dans
ma poitrine.
Quand je hurle dans la radio un « v u » libérateur.
« Vu, vu, vu. Nicolas, regarde sur ta droite, sur ta
droite. Ouiiiiii ! » Je ne peux décrire l’émotion qui
nous envahit tous à ce moment précis. Certains passa­
gers à bord de mon Zodiac m ’étreignent, les autres
soulagés ne peuvent qu’esquisser un sourire. La passa­
gère qui depuis le début vit cette aventure avec bonne
humeur me lance avec une pointe d ’ironie: « C ’est
fini, quel dommage ! » Quand je vois Nicolas, nous
nous serrons dans les bras. À sa question : « Comment
vont les p assagers?», ce sont eux qui répondent
en chœur: « Ç a va super bien.» Nicolas, qui a une
sacrée expérience, n ’en revient pas de voir leurs mines
réjouies. Il s ’empresse de rassurer la passerelle:
« Commandant, tout le monde va bien. - Un immense
merci à eux pour leur patience et également à José qui
a été remarquable : José, un grand monsieur. » Je sens
dans ces mots que tout le monde a eu peur, même le
commandant. Il faudra quarante-cinq minutes pour
rejoindre le navire. Nous sommes attendus à la marina
par le commandant et son équipe. Quand il demande
aux passagers de mon Zodiac comment ils vont, une
femme répond instantanément: « C ’était une super
balade ! » Lui non plus n ’en revient pas. Le médecin de
bord prend en charge mon groupe. Les passagers restés
à bord du navire montrent leur inquiétude et serrent
dans leurs bras les rescapés. Cette histoire est devenue
épique et a été baptisée « Zodiac dans la brume ».
Avec le recul, je me dis que ce qui m ’a aidé dans
cette aventure, c ’est sans l ’ombre d ’un doute ma
confiance absolue envers Nicolas et le commandant.
Sans leur professionnalisme, l’histoire se serait peut-
être terminée autrement. A l ’époque, mes faibles
connaissances des dangers d ’un milieu aussi inhospi­
talier qu’est l’Antarctique m ’ont permis de garder une
certaine naïveté et de ne pas laisser la peur prendre
le dessus. Sans mes compétences de zoothérapeute,
je n ’aurais probablement pas géré une telle situation
de crise. Dans l’espace si réduit d ’un Zodiac, il ne
faut pas grand-chose pour que la situation devienne
explosive après six heures de navigation dans le
brouillard. Enfin, je ne mens pas en disant que sans
la prom esse faite à Chico, je n ’aurais sans doute
pas été aussi motivé. Le pilote a certes commis une
erreur en affirmant qu’il savait où il allait alors que ce
n ’était pas le cas. Cependant, l’erreur est humaine.
Je ne le juge pas. Aujourd’hui, la technologie aidant,
les m esures de sécurité sont optimales. Tous les
pilotes de Zodiac sont munis de GPS avec des batte­
ries supplémentaires, d ’une balise de repérage AIS et
d ’un déflecteur radar. Il est impossible de se perdre.
Je pense que cette histoire m ’a permis de gagner en
crédibilité en tant que guide d ’expédition. C ’est peut-
être en partie grâce à cela que je suis aujourd’hui chef
d ’expédition.
Cela fait plus de cinq ans désormais que je voyage
en Antarctique. Chaque expédition est différente,
mais l’effet que cet environnement provoque sur les
humains est à chaque fois identique. Il leur fait du
bien, les reconnecte à eux-mêmes. On pourrait dire
que c ’est comme un plongeon à l’intérieur de soi.
Nous avons perdu ce contact avec la nature sauvage
et avec nous-même. Ici, nous le retrouvons pleine­
ment. D epuis que j ’ai com pris ça, j ’enchaîne les
contrats comme chef d ’expédition en continuant à
pratiquer la zoothérapie. Au début entre chaque sai­
son touristique, puis j ’ai mis ma carrière à Montréal
entre parenthèses. Cela n ’a pas été un choix facile.
Surtout envers Chico ! À chaque déplacem ent, je
m ’assure de lui trouver un très bon foyer, soit chez
mon ami Bryan à Montréal, soit chez ma mère en
Provence. Son bien-être est au centre de mes priori­
tés. Quand je le retrouve, il est toujours le même
avec moi. Sa fidélité reste sans faille, sa loyauté me
touche toujours en plein cœur. Je me ressource
auprès de lui quand je suis à terre. À l’inverse, quand
je suis sur les navires, en Arctique, en Antarctique,
en Alaska, en Asie-Pacifique ou en Océanie, il suffit
que je voie une famille d ’orques pour que j ’éprouve
une entière satisfaction. Une incroyable plénitude et
une immense sérénité m ’envahissent. La musique du
film Orca me vient immédiatement en tête. L’enfant
que j ’étais alors me tient la main. Il ne fait aucun
doute : je suis au bon endroit, au bon moment.
Formations et associations

Formations universitaires en France

• Diplôme universitaire (DU) « Anthropozoologie :


éthologie et perspectives thérapeutiques des relations
hommes-animaux» à l’université Paris-13.
• Diplôme universitaire « Relations homme-
animal» à l’université Paris-5-René-Descartes. Ce
DU a été conçu par l’équipe d ’éthologues du LABS AH
pour proposer une formation pluridisciplinaire adaptée
aux pratiques professionnelles qui mettent en œuvre
une relation entre l’homme et l’animal (à des fins
pédagogiques, socio-éducatives, thérapeutiques ou
d ’assistance), et/ou qui interviennent dans l’évaluation
de la qualité de cette relation. Ce DU s’adresse aux
personnes travaillant avec l’animal ou désirant l’inté­
grer dans leur pratique professionnelle, et souhaitant
approfondir leur connaissance de la relation homme-
animal.
• Diplôme universitaire «Relation d ’aide par la
médiation animale» au CHU Clermont-Ferrand. Ce
DU a été mis en place par le docteur Didier Vemay
et son équipe. Son but est de permettre aux étudiants
de se former à la pratique de la médiation animale
et de pouvoir conduire un programme d ’activités
assistées par l’animal (AAA). L’enseignement
comporte une partie théorique commune et des
stages pratiques qui définissent le champ de compé­
tence de l’intervenant: AAA avec le chien, AAA
avec les équidés, AAA en milieu de ferme pédago­
gique ou thérapeutique.

Quelques organismes privés de formation


en France

• Institut français de zoothérapie (IFZ), créé par


François Beiger.
• Association Présence animale (centre de média­
tion animale des Pays de Savoie). Cette formation
permet d ’acquérir des connaissances de base en média­
tion animale et d ’en comprendre les bienfaits, notam­
ment auprès de personnes fragilisées.
• Centre d ’étude en éthopsychologie humaine et
animale de l’Orvoire (CEEPHAO).
• Organisme professionnel d’enseignement et
recherche sur les relations homme-animal (OPERRHA) :
formation de canimédiateur, activité de médiation avec le
chien.
• Institut Agatéa, institut professionnel de zoothé­
rapie et de formation en zoothérapie s’adressant à
toute personne ou établissement désirant créer une
activité de zoothérapie (formations et management
de projets).
Quelques organismes de formation au Québec

• Centre L’Authentique, créé par Georges-Henri


Arenstein.
• Institut de technologie agroalimentaire au Québec :
« Stratégies d ’intervention en zoothérapie». Cette for­
mation créditée de niveau collégial unique au Québec
est reconnue par le ministère de l’Éducation, du Loisir
et du Sport du Québec.
• La corporation des zoothérapeutes du Québec pro­
pose des activités occasionnelles dans le but d ’unir ses
membres et les autres zoothérapeutes du Québec.
• Institut de zoothérapie du Québec : activités et
thérapie assistées par l’animal.
• Zoothérapie Québec a pour mission de promou­
voir, de développer et d ’offrir des programmes d ’inter­
vention et de prévention où l’animal de compagnie est
utilisé comme agent de stimulation, de motivation et de
renforcement auprès de gens de tous âges et de toutes
conditions.

Quelques organismes de formation en Belgique

• Activ’dog
• Canilibre, formation zoothérapeute

Quelques organismes de formation en Suisse

• L’Association suisse de zoothérapie (ASZ) orga­


nise des formations et des conférences en zoothérapie.
Remerciements

Ce livre est le résultat de rencontres humaines.


Peut-être existe-t-il quelque part des ouvrages
accom plis seu l? Certainem ent pas celui-ci. Tout
d ’abord, merci aux éditions Arthaud et plus particu­
lièrement aux éditrices Valérie Dumeige et Karine
Do Vale pour avoir cru en ce projet. M erci à
Nassera Zaïd : sans sa conviction profonde que mon
itinéraire de zoothérapeute méritait d ’être publié,
ce livre serait toujours en moi. Egalement, merci à
Ponant pour m ’avoir permis de naviguer presque
partout sur la planète et d ’avoir expérimenté la zoo­
thérapie grandeur nature en Antarctique et sur les
îles subantarctiques. Comme toujours, mes remer­
ciements infinis à ma famille : à ma mère, à mon
père, à mes sœurs (Marina, Mathilde, Catherine et
N athalie), à mon frère Jordan, à m on beau-père
André, à mes nièces (Charline, Camille, Justine,
A lba et Zoé) et à mes neveux (B aptiste, Jules,
Anatole, Louis, Félix, Luca et Roman). Merci à mes
amis Francis Boudreau, N icolas D ubreuil, Bryan
Turgeon et Laurence Paroche pour leur soutien
constant.
À Dirk Van Impe.
À Chico qui n ’a jamais cessé d ’être à mes côtés
pendant la rédaction de ce livre, de la première à la
dernière lettre.
Table

Pourquoi un livre sur la zoothérapie ? ................ 9


« Le bonheur est un rêve d ’enfant réalisé
dans l’âge adulte»................................................. 11
Qu’est-ce que la zoothérapie ? ............................. 23
Histoires vécues : mes patients, mon chien
et m o i ..................................................................... 97
Antarctique : la zoothérapie grandeur nature . . . 177
Formations et associations................................... 201

Remerciements 205

Vous aimerez peut-être aussi