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Herméneutique et traduction.

L'autre, l'étranger, l'hôte


Author(s): DOMENICO JERVOLINO
Source: Archives de Philosophie , JANVIER-MARS 2000, Vol. 63, No. 1 (JANVIER-MARS
2000), pp. 79-93
Published by: Centre Sèvres – Facultés jésuites de Paris

Stable URL: https://www.jstor.org/stable/43037798

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Herméneutique et traduction.
L'autre , l'étranger , l'hôte *

DOMENICO JERVOLINO

Université de Naples

RÉSUMÉ : Dans le hiatus entre le langage et la pluralité des langues s'insèr


problème de la traduction. D'un autre côté traduire a aussi une significa
plus ample , qui couvre la communication entre les hommes et aussi la com
nication avec soi-même ( voir Jakobson, Steiner). Le problème de la traduc
est ici abordé du point de vue d'une herméneutique qui dialogue avec
sciences du langage et qui est engagée dans une réflexion sur la condi
humaine , finie et charnelle. Si nous savons renoncer au rêve d'une la
unique et d'une traduction parfaite , en partant d'une relecture en te
positifs du récit de Babel , nous pourrons accueillir l'étranger dans la li
d'une théorie et une pratique de l'hospitalité langagière (Ricoeur). D'au
part, même notre quête personnelle d'identité passe par un travail énorm
jamais définitif de traduction, qui coïncide avec l'histoire de nos vies, avec
réseau infini d'actions et de passions et avec le travail du deuil et
mémoire que cette œuvre exige.

MOTS-CLÉS : Traduction. Interprétation. Paradigme. Herméneutique. Étra


Hospitalité. Identité personnelle et collective.

* Ce texte a été présenté à l'Université Charles de Gaulle - Lille 3, le 4 mars 1999, d


cadre de la Journée d'Etudes « Autour de Paul Ricœur », organisée par M. Jacques Sys
remercie pour son aimable invitation et pour en avoir autorisé la publication. Alors
connaissais pas encore le texte de Ricœur, Le paradigme de la traduction , présenté
philosophe comme leçon inaugurale à la Faculté de Théologie protestante de Paris, en
1998 et repris ensuite, en mai 1999, à Naples lors du Colloque organisé par moi-même
bénédiction de Babel (en reprenant le titre du beau livre du père Marty). Ce texte adm
publié dans la revue Esprit (juin 1999, p. 8-19), confirme à mes yeux l'importance du par
de la traduction (troisième après les paradigmes du symbole et du texte) quant aux dével
ments de l'herméneutique ricœurienne. Je me réserve de revenir sur ce point dans une
ultérieure ; d'ailleurs, le sous-titre de mon essai : « L'autre, l'étranger, l'hôte » a pécisém
valeur d'une orientation de recherche encore à poursuivre (D. J.).

Archives de Philosophie 63, 2000

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80 D. JERVOLINO

ABSTRACT : In the gap between


comes the problem of translation
meaning, which covers both com
tion with oneself (see Jakobson,
examined here from the point o
dialogue with the disciplines of
human condition, which is both f
dream of a single language and
re-reading in positive terms of the
in accordance with a theory and
On the other hand, even our person
enormous and never definitive wo
life history, with its infinite net
work both of grief and of the me

KEY WORDS : Translation. Interpr


Hospitality. Personal and collectiv

Ma communication n'a d'autre


marge de l'œuvre de Paul Rico
question - apparemment techni
centre et le cœur de sa recherche et de son œuvre.
Dans son célèbre article encyclopédique « Hermeneutik », Gerhard Ebe-
ling compte, parmi les trois directions dans lesquelles on doit chercher le
sens du grec hermeneuein , non seulement « affirmer (exprimer) » et « inter-
préter (expliquer) », mais également « traduire (servir d'interprète) » 1. Or,
je ne me propose pas de refaire une histoire du mot ou une sémantique de la
traduction que d'autres ont faites avant et mieux que moi ; mon propos est
plutôt de rapprocher et de comparer deux phénomènes selon la façon dont
ils sont perçus par l'expérience commune et caractérisés par le langage
ordinaire : la pratique du traduire dans toutes ses formes - base empirique
de la science contemporaine de la traduction - et l'interpréter en tant
qu'objet d'une réflexion théorique qui est devenue centrale dans la philoso-
phie contemporaine, ou au moins dans quelques-unes de ses expressions
majeures, avec l'ambition d'être bien plus qu'un art auxiliaire, c'est-à-dire de
se présenter, au contraire, comme une discipline fondamentale et univer-
selle, occupant en quelque sorte la place de l'ancienne philosophie première.

1. Voir Die Religion in Geschichte und Gegenwart , Mohr, Tübingen, 1959, vol. III,
col. 242-262. « Die Vokabel hat drei Bedeutungsrichtungen : aussagen (ausdrücken), auslegen
(erklären) und übersetzen (dolmetschen). Welcher Bedeutung die Priorität zukommt, ist
sprachgeschichtlich nicht festzustellen. Es handelt sich um Modifikationen der Grundbedeu-
tung 'zum Verstehen bringen', 'Verstehen vermitteln' in Hinsicht auf verschiedene Weisen des
Verstehenproblems » (col. 243).

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HERMÉNEUTIQUE ET TRADUCTION 81

Quant à savoir jusqu'à quel point ces ambitions sont justifiées, nous l
laissons pour l'instant de côté. Nous voulons, ici, seulement souligner que
traduire est au moins une des pratiques interprétatives dont l'herméneu
que représente l'élaboration théorique. Notre problème consiste à v
jusqu'à quel point le traduire peut éclairer l'interpréter en tant que tel.
d'autres termes, jusqu'à quel point il peut valoir comme un exemple illum
nant et un paradigme pour une philosophie du langage et de l'interprétation.
Je dis : du langage et de l'interprétation, parce que le langage, dans le sens l
plus ample du mot, est le présupposé premier de toute interprétat
possible, car seulement ce qui parvient au langage peut être interprété, mais
non pas dans le sens où les expressions linguistiques seraient le seul objet
l'interpréter et que celui-ci s'enfermerait dans le seul champ du langage, qui
deviendrait donc une sorte de prison, peut-être dorée, mais de laquell
serait difficile de sortir. Ce qui exige la médiation linguistique c'est tout
que le langage dit, donc ce qui est autre que langage, ce dont on pa
lorsqu'on parle, qu'on écoute, qu'on écrit, qu'on lit (ou bien qu'on essaie
de...). Cet autre du langage est l'enjeu de l'interprétation : un enjeu qui
l'ensemble des choses ou des phénomènes qui nous entourent, parmi le
quels nous sommes, qui se manifestent dans notre expérience et dans not
vie, et parmi ces phénomènes, nous-mêmes et les autres dont nous parlons e
avec lesquels nous parlons.
Une ancienne maxime, qui par ailleurs nécessite un commentaire 2, di
in claris non fit interpretatio. Les phénomènes (et nous parmi eux) on
besoin d'être interprétés, justement parce qu'ils ne se manifestent pas d
une clarté absolue, parce que leur sens est au moins en partie indétermin
mais aussi parce qu'ils peuvent être éclairés et qu'ils peuvent se donner d
leur vérité - fût-elle limitée, partielle, perfectible -, une vérité qui est
toute façon autre chose qu'une vaine apparence ou un pur jeu de miroi
(des interprétations qui ne seraient autre que des interprétations d'interpré-
tations, et ainsi à l'infini...). C'est le fait que les choses puissent être no
mées, c'est leur dicibilité de principe qui garde et atteste leur véri
(humaine, seulement humaine, dans un jeu d'ombres et de lumières, pou
reprendre la métaphore de la lumière). La parole est donc Y arche où l
choses sont gardées, l'arche qui donne hospitalité aux étants du monde, q

2. Cf. E. Betti, Teoria generale dell'interpretazione , Giuffré, Milano, 1990, vol. I, p. 3


340. Emilio Betti, le grand théoricien de l'herméneutique méthodique, considère « un ingenu
pregiudizio provocato dalla forma mentis delle c.d. scienze esatte quello di credere che l'espr
sione adeguata e 'chiara', mentre rende possibile una intelligenza esatta e sicura, escluda
possibilità di una intelligenza migliore. Qui, come nell'asserire che 'in claris non fit interpre
tio', si cade in un ysteron proteron , scambiando per punto di partenza quello che, dato
carattere ellittico di ogni linguaggio, potrà essere, se mai, un punto di arrivo e un risultato
processo interpretativo : l'apprezzamento di chiarezza dell'espressione rispetto al contenuto d
esprimere ».

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82 D. JERVOLINO

les préserve, selon l'interpréta


ménologue français Jean-Louis
son nom, l'arche de Noé qui sa
Le nom, à la manière de la Bi
tote, comme entelecheia du
disciple russe de Husserl, Gust
Le langage, donc, comme mé
entre l'homme et le monde, com
dit ou l'être dicible des chos
inauguration d'une vie signifiant
de façon phénoménologiqueme
dans le monde et que, grâce à
visibilité dans le monde.
Pourtant, si la fonction du langage est telle, le langage lui-même n'existe
pas en dehors d'une pluralité de langues, qui se donne tout d'abord comme
une dispersion désarmante et irrémédiable. Un seul langage, beaucoup de
langues. Des milliers de langues. Encore plus nombreuses si on compte,
outre les langues aujourd'hui vivantes et leurs variantes, les langues mortes
et, parmi celles-ci, les langues disparues sans laisser de traces ou laissant
seulement des traces minimes de leur existence passée. L'histoire de la
pensée connaît bien la tentation de résoudre cette antinomie par la spécula-
tion, grâce à une dialectique conceptuelle entre les catégories de l'Un et du
Multiple. Fruit d'un telle dialectique, l'idée d'une langue parfaite ou univer-
selle, qui représenterait l'essence pure de la langue, au-delà des innombra-
bles particularités des langues historiques. Mais ces dernières restent
et leur diversité irréductible conditionne et dissout tout rêve de pureté
idéelle.

3. Cf. J.-L. Chrétien, U arche de la parole , PUF, Paris, 1997.


4. Cf. G. Špet, Appaerence and Sense. Phenomenology or the Fundamental Science and
its Problems , Kluwer, Dordrecht-Boston-London, 1991. Gustav Spet (ou Chpet), de Kiev, après
avoir été le disciple de Husserl à Göttingen, avant la Grande Guerre, devint l'âme du groupe
phénoménologique de Moscou dont étaient membres des jeunes tels que Roman Jakobson et
Boris Pasternak. En 1914, il publia en Russie sa monographie, que nous venons de citer dans la
traduction anglaise de la prestigieuse collection « Phaenomenologica », où il proposait une
lecture herméneutique de la phénoménologie quelques années avant les célèbres cours du jeune
Heidegger à Fribourg et Marbourg. Cette prometteuse école russe de phénoménologie, après la
Révolution d'Octobre, jouit de quelques années de liberté mais bientôt devint suspecte aux
yeux du pouvoir et finalement fut détruite par la terreur stalinienne. Špet lui-même fut fusillé en
1937. Parmi les ouvrages de Špet, il y a une histoire de l'herméneutique d'extraordinaire
actualité, dont le manuscrit est daté Moscou 1918, a été publiée il y a quelques années en russe
et en allemand : cf. Die Hermeneutik und ihre Probleme (Moskau 1918), Alber, München,
1993. Voir aussi : E. Holenstein, Linguistik , Semiotik , Hermeneutik , Suhrkamp, Frankfurt a.
M., 1976 ; A. Haardt, Husserl in Rußland. Phänomenologie der Sprache bei Gustav Spet und
Aleksej Losev , Fink, München, 1993 ; M. Dennes, Husserl-Heidegger. Influence de leur œuvre
en Russie , L'Harmattan, Paris-Montréal, 1998.

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HERMÉNEUTIQUE ET TRADUCTION 83

C'est dans ce hiatus entre le langage et les langues (une opposition


qu'on peut exprimer avec une évidence immédiate en italien et en français et
qui, au contraire, dans d'autres langues se condense pour ainsi dire dans un
seul mot, mais qu'on peut de tout façon penser et exprimer différemment),
c'est dans ce hiatus que s'insèrent la pratique et la problématique de la
traduction.
Ici, en tant que philosophes, nous ne voulons que mettre à profit les
analyses érudites et subtiles des spécialistes appartenant aux disciplines les
plus diverses qui ont traité des problèmes de la traduction au cours des
siècles et qui nous donnent désormais une bibliographie dont l'ampleur est
considérable. Mais je crois que dans la littérature contemporaine sur la
traduction on n'hésiterait pas à reconnaître une place d'honneur à l'ouvrage
désormais classique de George Steiner, After Babel 5.
D'autre part, on peut parler de la naissance - dans la seconde moitié de
notre siècle - d'une véritable science de la traduction ou traductologie 6 ou,
comme l'on dit, avec plus de prudence, dans le milieu anglo-américain, du
domaine des Translation Studies : une science ou un champ d'études qui est
propre certes à nos jours et à l'essor contemporain des disciplines qui ont
comme objet le langage, mais qui aurait des ancêtres illustres, à partir de Cicé-
ron jusqu'à Luther et, plus proche de nous, à Goethe, Humboldt, Schleierma-
cher, à l'époque du premier romantisme allemand, et qui aurait, au besoin,
aussi un patron dans les cieux avec saint Jérôme, qui ne fut pas seulement le
traducteur de la Vulgata , mais aussi l'auteur de l'épître ad Pammachium
sur les problèmes de la traduction De optimo genere inter pretandi.
Si l'on accepte l'idée qu'une science de la traduction n'a vu le jour que
dans les années quarante de notre siècle (et je suis tenté de souligner ici
l'insistance du paradigme comtien du passage de la philosophie à la science),
on doit, en effet, tout de suite ajouter que cette science nouvelle a été
précédée par une longue phase de spéculations plus libres qui ne préten-
daient pas donner naissance à une nouvelle discipline, de sorte que les
derniers penseurs « sans dénomination » dans ce domaine auraient été
Benedetto Croce (pour quelques pages de ses écrits d'esthétique et de
critique littéraire), Ortega y Gasset (auteur d'un article sur Miseria y
esplendor de la traducción ), Franz Rosenzweig (selon lequel le traducteur
est le serviteur de deux maîtres) et Walter Benjamin (dont on rappelle l'essai
admirable sur La tâche du traducteur , traversé par le souhait messianique
d'une langue pure dont nous ne réussissons à cueillir que quelques bribes).

5. Cf. G. Steiner, After Babel. Aspects of Language and Translation , Oxford UP,
Oxford-New York, 1975, 19983.
6. Pour un bilan des études « traductologiques », voir la préface à la seconde édition de
l'ouvrage de J.-R. Ladmiral, Traduire : théorèmes pour la traduction , Gallimard, Paris, 1994,
p. v-xxi.

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84 D . JERVOLINO

Plus proche de nous, l'historie


dans un petit livre qui est auss
pénétration historique 7, nous d
tion, en partant des Anciens jus
Folena montre la persistance de
distincts pour la traduction orale
tion a été maintenue dans les
influencées par le latin, et dans
(en italien traduttore vs. interpre
anglais translator vs. intepreter
représentent deux professions d
sémantique et culturel est beauc
tion orale : c'est justement au n
dynamisme du rapport entre trad
traduction écrite est plus impor
les premiers ayant le problème de
restant enfermés dans une auto
problème se posera de nouveau
confrontée au défi de l'ouverture
tion étrangère. Plusieurs grande
leur affirmation, un travail éno
d'ouvrages modernes d'autres pa
(c'est le problème du premier ro
C'est justement dans le contexte
formes verbales spécifiques pour
vertere , avec ses dérivés converte
mer e, redder e, mutare , transfe
translatare, translater , dont o
l'anglais to translate. D'autre par
par extension, la terminologie
interpretado , interpres. Nous n
plexité et subtilité, l'itinéraire
Folena à travers le Moyen Age (l
et l'essor des langues vulgaires.
naissance d'un concept unitaire
sémantique.
Cette histoire rejoint un point de non retour dans le Quattrocento italien,
lorsque l'humaniste Leonardo Bruni, selon Folena, le premier auteur
moderne d'un traité sur la traduction avec son ouvrage De interpretatione
recta (ca. 1420), introduit le terme « traducere » pour indiquer un concept

7. Cf. G. Folena, Volgarizzare e tradurre , Einaudi, Torino, 1991, p. 5-6. Le livre de Folena
est né d'une communication à un colloque sur la traduction (Trieste, 1973).

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HERMÉNEUTIQUE ET TRADUCTION 85

unitaire de traduction. Cette innovation sémantique a eu du succès : elle


conquérir toute l'Europe. Georges Mounin, de son côté, observe que le terme
traducteur en français est un italianisme, utilisé pour la première fois
xvie siècle par l'humaniste Etienne Dolet 8.
Cette histoire sémantique nous conduit au seuil de la Modernité. On
peut pas oublier que c'est à partir de grandes traductions que naissent
bien s'enrichissent les identités linguistiques et nationales des Modernes
Bible de Luther en est un exemple majeur, mais elle n'est pas le seul. O
pourrait rappeler d'autres grandes traductions de la Bible (la version tc
que des Frères Moraves, la Bible de Genève, The Bible of King James
Angleterre), mais aussi les traductions des auteurs classiques et des litté
tures modernes qui s'étaient développées plus vite (par exemple, dans le
de l'Allemagne entre le xvnie et le xixe siècle). De cette histoire on pourr
conclure que le problème de la traduction est un problème moderne qui
confond avec le problème de la Modernité. Mais la conscience moderne n
pas seulement l'affirmation de l'autonomie des Modernes par rapport au
Anciens. Elle ne naît pas seulement de la double appropriation d'une auth
ticité chrétienne et de la leçon des Classiques avec un effet convergen
d'émancipation humaine. La naissance de la Modernité est liée, dans
conscience européenne, de façon plus étroite que nous sommes prêts à
reconnaître, à la rencontre avec l'autre extra-européen. Les grands voyag
les découvertes ou mieux le conquêtes violentes des autres continents n
posent des problèmes de traduction dans un sens plus ample et plus dram
tique. On peut rappeler pour finir que l'année 1492 est à la fois l'année d
découverte de l'Amérique (le début de sa conquête), de la conquête
Grenade (achèvement de la Reconquista) et de l'expulsion des Juifs d'Esp
gne, avec donc le refoulement de l'identité européenne - au moins d'u
certaine identité européenne -, d'un « autre » qui pourtant reste silencieuse-
ment présent dans son absence.
Ce noyau de problèmes est lié à la question philosophique de la traduction
dans toute son ampleur. Vue de nos jours, après cinq siècles d'histo
moderne, la question de la traduction manifeste sa complexité déjà en raison
de la tension immanente au concept même de traduction, où l'on peut distin
guer un sens élargi du mot « traduction » et un sens restreint : on traduit ch
que fois que l'on parle, et de plus il y a pluralité des langues historiques

8. Cf. G. Mounin, Teoria e storia della traduzione , Einaudi, Torino, 1965, p. 18. Ce livr
été écrit par Mounin pour la maison d'édition italienne. Voir aussi la thèse de G. Mounin,
problèmes théoriques de la traduction , Gallimard, Paris, 1963, 1994.
9. « Any model of communication is at the same time a model of trans-lation, of a vert
or horizontal transfer of significance. No two historical epochs, no two social classes, no tw
localities use words and syntax to signify exactely the same things, to send identical signals
valuation and inference. Neither do two human beings. [...] We speak to communicate. But
to conceal, to leave unspoken. The ability of human beings to misinform modulates thro

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86 D . JERVOLINO

On est tenté de dire qu'il y a p


sommes originairement pluriels
La conscience aiguë de la diffi
problématique de sa tâche trave
Steiner. La traduction dans son
confirme et renforce les difficu
immanents dans chaque échang
langues et leur diversité représent
humain qui est, d'autre part,
psychosomatique.
Nous avons affaire à une vérit
aucun principe définissable et c
d'économie. Et la dispersion géo
ou une motivation plausible : des l
village. La pulvérisation linguis
qu'elle rendrait plausible le recou
du mythe biblique de Babel, qu
analogues d'autres cultures.
Babel, comme condamnation à
péché d'orgueil, nouvelle exclus
communication sans obstacles. B
pouvoir formateur de la langue,
réussissons à cueillir que des jet
qu'il y a compréhension, transfo
posée par Steiner, dans une « plu
La traduction devient en qu
condition déchue de l'humanité
il y a un sens à récupérer. Une con
n'y a rien à comprendre. Mais, e
phénoménologie de la traduction a
En effet, à la confiance suit l'agre
teur est un acte d'incursion et d
tant qu'acte qui entraîne une sor
Heidegger, mais aussi saint Jér
capturé et conduit chez soi par l
l'incorporation de l'autre dans n

every wavelenght from outright lying to


discourse : our outward speech has 'behin
[...] In the majority of conventional, so
currents is only partially congruent. The
act of translation, in the full sense of the
human being » (G. Steiner, op. cit., p. 47

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HERMÉNEUTIQUE ET TRADUCTION 87

traduire devient encore plus dangereux et violent : à ce point nous sommes


déséquilibrés, nous avons soustrait quelque chose à l'autre, et nous l'incor-
porons dans ce qui nous est propre. Il faut compenser ce déséquilibre 10. La
tâche de la traduction est de retrouver un équilibre avec l'originel, en
établissant avec ce dernier une relation de réciprocité 11 . Cette tâche a enfin
de l'impossible : on peut la manquer par excès ou par défaut. L'examen fait
par Steiner des différentes traductions anglaises de l'épisode de Y Iliade,
dans lequel Priam demande à Achille les dépouilles d'Hector, est un vérita-
ble morceau de bravoure qui montre toute la finesse du grand critique et
historien de la littérature. De toute façon, sa conclusion est que la traduction
parfaite n'existe pas, mais qu'il y a des exemples de traduction qui s'appro-
chent de la perfection.
Cette conclusion presque sceptique au niveau de la traductibilité de la
grande poésie peut être nuancée en revenant à un concept élargi de traduc-
tion : le langage, la culture, la communication, sont en effet des procès de
traduction, qui entraînent ou la transformation des messages dans le
contexte du même système de signes verbaux (que Jakobson appelle rewor-
ding) ou le passage d'un système de signes verbaux à un système de signes
non verbaux (que Jakobson appelle transmutation ). L'herméneutique étu-
die la traduction, sa possibilité et ses limites. Cependant, il n'y a pas une
théorie, au sens étroit, de la traduction selon Steiner, c'est-à-dire selon
l'auteur de ce qu'on pourrait estimer comme le plus grand ouvrage sur la
traduction de notre siècle. La traduction est - il emprunte cette expression
intentionnellement paradoxale à Wittgenstein - un « art exact ». Chaque
langue est un monde possible ; dans la langue se réalise une sorte de
transfiguration du destin biologique, mortel de l'individu. Steiner critique
très fortement tout essai de rejoindre l'uniformité - du formalisme extrême
d'une certaine linguistique générative jusqu'à ce qu'il appelle l'espéranto
anglo-américain envahissant le monde du capitalisme tardif. Nous retenons
en fin de lecture l'image de la pluie d'étoiles sur l'humanité. Une image de
beauté, que l'on pourrait mettre à côté de la « nostalgie du tout autre », de
l'utopie d'une langue pure, parfaite, pré-babélique, dans un monde post-
babélique.
Mais la lecture du mythe de Babel, envisageant dans la pluralité des
langues une condamnation et une malédiction est-elle la seule possible ? Ou
pourrait-on considérer de façon plus positive cette pluralité, en partant

10. « The hermeneutic act must compensate. If it is to be authentic, it must mediate into
exchange and restored parity. The enactement of reciprocity in order to restore balance is the
crux of the métier and morals of translation » (ibid., p. 316).
11. « The translation restores the equilibrium between itself and the original, between
source-language and receptor-language which had been disrupted by the translator's interpre-
tative attack and appropriation. The paradigm of translation stays incomplete until reciprocity
has been achieved, until the original has regained as much as it had lost » ( ibid ., p. 415).

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88 D. JERVOLINO

d'une lecture autre du récit b


linguistique, plutôt qu'une co
du renoncement au songe tot
et d'une traduction globale, pou
et fini des langues particuliè
insurmontable, mais la condit
les humains. Dans cette directio
qui, tout en annonçant dans son
est surtout une méditation ph
façon plus problématique, eu
réflexion profonde du grand
littéraire Paul Zumthor 13.
Marty ouvre son essai avec la citation en exergue de la page initiale de la
Doctrine transcendentale de la méthode de la Critique de la raison pure , où
Kant fait allusion au récit de Babel, lorsqu'il invite les humains à renoncer à
la prétention de se bâtir une tour, en se contentant d'une habitation plus
modeste, mais suffisant à leurs besoins. Jaspers, dans son ouvrage Die
grossen Philosophen , reprend cette allusion à la fin de la longue section
consacrée à Kant, en disant que le philosophe de Königsberg a bâti une
maison en marge de la route pour se reposer, mais que ni lui ni nous ne
pouvons nous arrêter dans cette maison, pour nous y reposer toujours ; nous
devons reprendre notre chemin 14.
Nous revenons donc de la transgression orgueilleuse de nos limites, dont
le symbole est la tour, à la modestie de l'habiter et du persévérer dans la vie
comme route, aux deux images de la maison et de la route, qui font allusion
à la finitude spatiale et temporelle de la condition humaine. On retrouve ces
deux dimensions dans le langage, dans les deux axes syntagmatique et
paradigmatique. Bipolarité structurelle du langage qui devient pluralité
empirique des langues, voire de chaque individu parlant en tant que monade
qui néanmoins communique avec les autres.
Ici, on pourrait mentionner un essai du Ricœur de 1971 sur « Discours et
communication » où il soutient que, si la communication intersubjective ou,
si l'on préfère, intermonadique, pour la linguistique, ainsi que pour toute
science du langage, est une donnée, le fait premier, à partir duquel il y a
quelque chose comme une science, cette donnée devient une énigme pour la
philosophie. En effet, selon Ricœur, la philosophie, en partant d'une mise en
question radicale (où revit, à mon avis, le geste de Yepoché phénoménologi-
que) doit reconstruire patiemment ce que l'on communique - c'est-à-dire la
signification, avec ses strates diverses - sens et référence, actes linguistiques,

12. Cf. F. Marty, La bénédiction de Babel , Beauchesne, Paris, 1990.


13. Cf. P. Zumthor, Babel ou l'inachèvement , Seuil, Paris, 1997.
14. Cf. K.Jaspers, Die grossen Philosophen , Piper und Co., München, 1957, p. 616.

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HERMÉNEUTIQUE ET TRADUCTION 89

visées noétiques, bref, ce que, avec Benveniste, on peut appeler Vintenié du


discours, la partie intentionnelle de la vie - sur le fond de ce qui ne pourrait
pas être communiqué, parce qu'il est ce qui dans la vie est singularité
irremplaçable, que Ricoeur appelle le psychique 15.
Finitude de l'humain, bipolarité du langage, unité en tension entre
singularité et intentionnalité du vivre : mais peut-être les facettes toutes
différentes d'une même réalité, dans lesquelles nous rencontrons toujours
de nouveau la dialectique du même et de l'autre, de l'autre dans le cœur
même du même.
Bipolarité du langage, bipolarité de l'humain : avec Maine de Biran on
pourrait répéter Homo simplex in vitalitate , duplex in humanitate. On se
souvient que ces mots de Maine de Biran fournissent le titre de quelques-
unes des pages décisives de L'homme faillible, où Ricoeur aborde le thème
de la fragilité affective comme fil conducteur d'une phénoménologie du
sentiment et moment synthétique d'une anthropologie philosophique.
Cette bipolarité est propre à une dialectique finie, qui retrouve toujours
seulement des médiations imparfaites et ne s'enferme jamais dans des
synthèses prétendument définitives - ici encore je rejoins Ricoeur, cette fois
l'auteur de Temps et récit III , avec son « renoncer à Hegel », à la philosophie
hégélienne de l'histoire.
A la recherche de cette tension bipolaire nous allons nous efforcer
de parcourir - trop rapidement, hélas ! - les positions des grands théoriciens
du langage de notre siècle : souvenons-nous des grandes antithèses de de
Saussure, langue et parole , signifiant et signifié , diachronie et synchronie,
syntagme et paradigme, reformulées de façons diverses par Hiemslev,
expression et contenu, forme et substance, par Jakobson, axe du syntagme et
axe du paradigme, par Benveniste, linguistique de la langue et linguistique
du discours, sémiotique et sémantique. François Marty, suivant Edmond
Ortigues, l'auteur de l'ouvrage intitulé Le discours et le symbole , reconduit
les antithèses du langage à la tension entre un pôle de la détermination et un
pôle symbolique, c'est-à-dire à la relation entre signifiant et signifié, d'une
part, et à la relation entre les signifiants eux-mêmes, d'autre part ; en
dernière analyse - en nous souvenant de Kant - à la tension entre le sensible
et l'intelligible, donc au fait primordial que le langage fait sens avec ce qui en
soi n'a pas de sens 16. Marty retrouve cette dualité tensionnelle du langage au
cœur de la réflexion de la philosophie analytique, dans la tension immanente

15. Cf. P. Ricœur, « Discours et communication », in La communication , Actes du


XVe Congrès de l'Association des Sociétés de Philosophie de langue française, Montréal, 1971,
Montréal, Montmorency, 1973, p. 23-48 ; une traduction italienne de ce texte est incluse dans
l'anthologie : P. Ricœur, Filosofia e linguaggio, présenté et introd. par D. Jervolino, Guerini,
Milano, 1994, p. 111-142.
16. Cf. F. Marty, op. cit., p. 34 sq. et E. Ortigues, Le discours et le symbole , Aubier, Paris,
1962.

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90 D . JERVOLINO

à l'œuvre de Wittgenstein lue da


regard unique : on rencontre ch
logiquement structurée et la multi
l'on retrouve encore cette duali
constatatif et du performatif de
Cette méditation sur la dualité
nous conduit à l'affirmation de l
seulement comme pluralité des l
saire des acteurs linguistiques.
La bénédiction de Babel est don
qui méconnaît les différences e
résidus qui, si elle était réalisable
Face à la pluralité et à la diver
obstacle réel à la compréhension, i
unique, traduction parfaite - m
résultats toujours partiels de la
dans le sens large du mot. Ainsi
justement à son grand essai sur
romantique le titre L'épreuve de l'é
Ainsi Paul Zumthor, grand méd
et d'histoire littéraire aux multipl
peut-il faire l'éloge de l'inachèv
humaine, évoquée par la lecture
Enfin, Paul Ricoeur, dans sa
traduction 18, rapproche le travail
selon Rosenzweig, médiateur ent
Schleiermacher - du travail de la m
freudien du mot « travail ». Ce qui
aussi de la peine) c'est le désir
s'approprier l'autre, l'étranger, e
notre langue. Le traducteur - di
côtés sa langue à se lester d'étrang
sa langue maternelle.
Cette épreuve de l'étranger est
seulement si l'on accepte que,
quelque chose soit perdu, que que
d'un consentement à la perte (on

17. Cf. A. Berman, L'épreuve de V étr


romantique , Gallimard, Paris, 1984.
18. Prix de la Traduction pour la prom
Historique Allemand, Paris, 15 avril 199
Naples en mai 1997 sous la forme d'une

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HERMÉNEUTIQUE ET TRADUCTION 91

dans la thérapie psychanalytique). Il faut consentir à la perte des prétentions


à l'autosuffisance de la langue maternelle, contre toute sorte d'autoexalta-
tion emphatique de sa propre langue, d'impérialisme et de chauvinisme
linguistique, mais il faut aussi savoir renoncer au rêve d'omnipotence d'une
traduction entièrement adéquate, d'une reduplication de l'original.
Or, les résistances contre lesquelles il faut lutter ne relèvent pas seule-
ment du phantasmatique mais aussi de toutes les difficultés réelles de la
traduction effective, que le bon traducteur connaît bien dans son travail : non
seulement les champs sémantiques ne se superposent pas, mais aussi les
syntaxes des deux langues ne sont pas équivalentes, les tournures des
phrases ne véhiculent pas les mêmes héritages culturels, les nuances des
connotations à demi-muettes surchargent les dénotations les mieux cernées
du vocabulaire d'origine, etc. ...
Cependant, le seul remède à une traduction défectueuse est une nouvelle
traduction, par un lecteur compétent qui refait pour son compte le travail de
traduction, sur la base d'une maîtrise suffisante des deux langues, ce que
Ricoeur appelle un « bilinguisme minimum ». L'idée d'une traduction par-
faite, comme toute idée, peut avoir un usage régulateur et stimuler une série
progressive d'approximations : d'un point de vue historique, ce que Philippe
Lacoue-Labarthe et Jean-Luc Nancy ont appelé Y Absolu littéraire 19 a eu
une fonction importante dans la croissance et dans le perfectionnement de
telle ou de telle autre langue et littérature. De son côté, Folena, en soulignant
que plusieurs littératures sont nées d'un travail de traduction, propose
l'axiome in principio fuit interpres plutôt que in principio fuit poeta 20.
L'idéal d'une traduction parfaite a, pourtant, revêtu d'autres formes.
Ricœur en cite deux, en particulier : le rêve cosmopolitique d'une bibliothè-
que totale, sortant du réseau infiniment ramifié des traductions de toutes les
œuvres, dans toutes les langues, jusqu'à constituer le « Livre de tous les
livres », où toute intraductibilité serait effacée, rêve d'une rationalité univer-
selle, dégagée de toute contrainte culturelle, dans l'esprit des Lumières plei-
nement réalisé. Ce rêve rejoint l'autre, messianique, prôné par Walter Benja-
min, d'un langage pur, dont toute traduction porte en elle-même un écho.
Dans toutes ces figures de la traduction parfaite, il s'agit toujours du
rêve, quoique magnifique, d'un gain sans perte. De ce gain, nous dit Ricœur,
il faut faire le deuil jusqu'à l'acceptation indépassable du propre et de
l'étranger. L'universalité gagnée à tel prix supprimerait la mémoire de
l'étranger et peut-être aussi l'amour de la langue propre, accusée de provin-
cialisme. Enfin, ce serait l'histoire, notre historicité et celle de l'étranger, qui
seraient à refouler : nous serions tous des apatrides du langage, des nomades
errants qui ne trouvent nulle part l'accueil d'une langue.

19. Cf. Ph. Lacoue-Labarthe et J.-L. Nancy, L'absolu littéraire , Seuil, Paris, 1998.
20. G. Folena, op. cit., p. 4.

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92 D. JERVOLINO

Au contraire, en assumant l'irr


traducteur trouve sa récompen
statut indépassable de la « dialo
bon droit acte d'interprétation
vu, saint Jérôme, utilisent des m
du traducteur, la rencontre ave
la forme de Y hostis mais aussi d
gique, comme le montre Benveni
éthique - de Yhospes.
En dépit de l'antagonisme qui dr
celui-ci peut trouver son bonheu
langagière. Son régime est bien
Fragile condition, qui n'admet po
que j'évoquais tout à l'heure, com
bilinguisme minimum du travail
raconter, on peut raconter autrem
peut traduire autrement, sans e
adéquation totale. Hospitalité lang
l'autre est compensé par le plaisi
d'accueil, la parole de l'étranger 22

En partant d'une relecture du


du langage comme témoignage
de l'homme et de la traductio
médiation entre des mondes cu
nécessité de l'élaboration d'un
langagière. Dans cette perspect
rait pas être un syncrétisme sup
un approfondissement de nos
d'écoute et de dialogue avec l'au
l'ami, l'hôte, celui qui garde un
intègre le fragment que nous p
Mais je ne voudrais pas manq
Ricœur - que ce petit essai sur
finale de mon exposé, contient
globale de l'œuvre de notre maît
sa philosophie de la volonté, à l
vité à l'œuvre dans le langage dan
récit, en passant par les études

21. Cf. É. Benveniste, Le vocabulair


Minuit, Paris, 1969, vol. I, p. 87-101, 36
22. P. Ricœur, Défi et bonheur de la t

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HERMÉNEUTIQUE ET TRADUCTION 93

que la traduction comme paradigme de l'herméneutique nous introduit de


façon privilégiée dans la phénoménologie herméneutique du Soi, avec sa
complexe dialectique de l'identique et de l'autre, et des formes plurielles
d'altérité dans le cœur même du Soi, qui est le thème de Soi-même comme un
autre.

Si cela nous ouvre une tâche nouvelle, que j'aimerais caractériser


une expression empruntée à Bernard Waldenfels comme la tâche de repen
« die Phänomenologie als Xenologie » 23, je maintiens que la pen
Ricoeur représente un précieux point d'équilibre dans le déploiement
philosophie de l'altérité qui n'oublie jamais combien elle compo
complexité et de secret, qu'elle ouvre à l'itinéraire dramatique et le
souvent pénible à travers lequel le Soi, le Soi que chacun d'entre nous
qu'il est appelé à être - dans la praxis de toute sa vie -, se conquier
réalise dans la réciprocité des sujets.
Si parler, c'est toujours traduire, même quand nous parlons à no
mêmes, et découvrons les traces incontournables des autres en nous-m
l'affirmation originaire - que Ricoeur lit aussi bien dans l'effort ou l
d'être d'Aristote ou le conatus de Spinoza 24 -, bref, le noyau essent
notre vie et de notre quête d'identité passe par un travail énorme et
définitif de traduction et de traductions, de toutes sortes de traductions
travail coïncide avec l'histoire de nos vies, avec son réseau infini d'action
de passions, avec le travail du deuil et de la mémoire que cette œuvre
avec ses défis toujours renouvelés et le bonheur qu'elle a le pouvoir d
accorder dans les pauses de notre chemin.

23. Cf. B. Waldenfels, Topographie des Fremden , Suhrkamp, Frankfurt a. M.,


p. 85-109.
24. Cf. P. Ricœur, Soi-même comme un autre , Seuil, Paris, 1990, p. 365-367.

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