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Diglossie

Marinette Matthey
Dans Langage et société 2021/HS1 (Hors série), pages 111 à 114
Éditions Éditions de la Maison des sciences de l'homme
ISSN 0181-4095
ISBN 9782735128273
DOI 10.3917/ls.hs01.0112
© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 17/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.109.229.91)

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Diglossie

Marinette Matthey
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Université Grenoble Alpes
marinette.matthey@univ-grenoble-alpes.fr

Il n’est guère possible de donner une seule définition du terme diglossie.


Il faut au moins en distinguer deux :
a. le terme diglossie s’applique à un régime sociolinguistique relati-
vement stable dans lequel coexistent plusieurs langues ou variétés d’une
même langue, dont la répartition des usages est relativement codifiée
selon les domaines d’emploi. Il s’agit d’un espace dans lequel sont par-
lés différents dialectes (ou d’un continuum créole) et où s’est diffusée
une variété standardisée, aménagée pour l’écrit. La diffusion de cette
variété aménagée construit une image unifiée de cette langue, symbole
d’un pouvoir politique (étatique et/ou culturel), tout en hiérarchisant les
domaines d’emploi des autres variétés. Celles dites « basses » sont celles
de la socialisation première, de la conversation quotidienne, voire de cer-
taines émissions dans les médias (sport, talk-shows). Quant à la variété
« haute », elle se superpose aux autres, elle est diffusée par l’acculturation
à l’écrit dans la socialisation secondaire, et elle s’impose dans l’éduca-
tion et l’administration. Cette définition de la diglossie est inspirée de
Charles Ferguson (1959) ;
b. le terme de diglossie renvoie à celles de langue dominante vs dominée,
de fonctionnement diglossique et de représentation linguistique. Cette théo-
rie met au centre de sa conception les notions de conflit, de pouvoir et de

© Langage & Société numéro hors série – 2021


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subordination d’une langue à une autre. Dans cette théorie, les situations
diglossiques sont vues comme instables, dynamiques, enjeu d’un conflit
de langues symbole d’un conflit politique. Cette situation de conflit n’est
pas ressentie comme telle par la plupart des locuteurs et locutrices de
l’espace concerné, car elle est oblitérée par le fonctionnement diglossique
qui les conduit à avoir honte de leur propre langue, à construire des
représentations linguistiques qui la dévalorisent (langue pour plaisanter,
pour se moquer d’autrui) ou qui la mythifient (langue du cœur, des
affects). Cette définition de la diglossie est inspirée de Philippe Gardy et
Robert Lafont (1981).
Le terme de diglossie apparait au xxe  siècle, mais le repérage de cet
arrangement sociolinguistique particulier est plus ancien. En effet, la
situation linguistique algérienne apparait comme « spéciale » aux coloni-
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sateurs français qui tendent l’oreille. Dans un petit livre de 1858 intitulé
Y a-t-il ou n’y a-t-il pas un arabe vulgaire en Algérie, l’un d’entre eux, l’abbé
Leguest, garde général des forêts dans l’Algérie colonisée, remarque ce que
Ferguson cent ans plus tard nommera the low variety. L’abbé qui est aussi
un apprenant de l’arabe vernaculaire et littéraire identifie une langue qui
«  n’est jamais utilisée dans les écrits par la raison fort simple qu’elle se
diversifie selon les localités ; mais [qui] n’en est pas moins nécessaire pour
celui qui veut en parlant se faire comprendre ou être compris » (Leguest,
1858, p.  4). L’administrateur colonial remarque aussi qu’elle est parlée
par « tous les indigènes et pas seulement par une fraction de la société
arabe » (1858, p. 2, autrement dit par les gens qui ont longuement fré-
quenté l’école comme par ceux qui n’y sont pas allés). Cette caractéristique
« trans-stratique » sera également relevée par Ferguson et par les auteurs
qui s’inscrivent dans sa perspective. Dans une situation de diglossie, les
parents autochtones transmettent la variété basse à leurs enfants, ils n’ont
en fait pas le choix : la langue de première socialisation est le vernaculaire.
Le terme même, diglossie, est un emprunt savant au grec ancien,
qui a la même signification que bilinguisme. Sa première utilisation est
attribuée à Jean Psichari (1854-1929), professeur à l’École des langues
orientales (futur INALCO), helléniste, militant de la langue du peuple
grec (démotiki ou grec moderne), qui écrit dans cette langue (il est un
des premiers à le faire) et en français. Dans la perspective de Psichari,
le bilinguisme n’est pas un état souhaitable pour un pays. Or, la Grèce
vit une situation de diglossie entre le xviiie et le xxe siècle, où la démo-
tiki, langue vernaculaire comportant de nombreux emprunts aux lan-
gues balkaniques, est en conflit avec la katharévousa, plus proche du grec
ancien, « purifiée » de ces emprunts. Le conflit aboutira à la victoire de la
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démotiki en 1976. Cette année-là, peu après la chute de la dictature mili-


taire, elle remplace la katharévousa comme langue officielle de la Grèce.
Psichari peut être considéré comme le premier sociolinguiste du conflit.
William Marçais (1872-1956) reprendra le néologisme diglossie dans
un article intitulé « La diglossie arabe » (1930). La notion de conflit est
moins présente dans la vision du titulaire de la chaire d’arabe maghrébin
à l’École des langues orientales. Il semble plutôt voir dans la diglossie
arabe une aberration de la nature. Il parle de la langue arabe comme « une
sorte d’animal à deux têtes que les programmes scolaires ne savent trop
comment traiter, car ils ne sont pas faits pour héberger les monstres ».
On quitte la tradition française avec l’article de Ferguson (1959  ;
1991/2020), qui calque diglossie, lu chez Marçais, par diglossia, terme
qui se diffuse dans la littérature en anglais. Arabisant, Ferguson présente
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les pays de langue arabe comme un des quatre cas prototypiques de
diglossie (les autres étant la Grèce, la Suisse alémanique et Haïti).
La diglossie de Ferguson est élargie (ou dissoute, selon les points de
vue) par un autre sociolinguiste américain, Joshua Fishman. Ce dernier
étend la notion de diglossie à toute situation de contacts de langues entre
un standard et des variétés moins codifiées, qu’elles soient génétique-
ment apparentées ou non. Il s’efforce de distinguer quatre cas types au
sein d’une matrice articulant bi/plurilinguisme individuel (+/– bilin-
guisme ) et régime linguistique d’un espace donné (+/– diglossie).
Dans cette vision fishmanienne, les communautés de migrants qui
conservent et transmettent leur langue d’origine vivent une situation de
diglossie au même titre que les locuteurs occitans de l’Ariège ou les com-
munautés kabyles en Algérie. Il suffit que les répertoires linguistiques
comportent deux (variétés de) langues utilisées dans des domaines diffé-
rents (répartition fonctionnelle), pour que l’on puisse parler de diglossie.
La notion de diglossie est aujourd’hui considérée comme obsolète
par un certain nombre de sociolinguistes, car elle serait trop dépendante
d’une vision structuraliste et statique des contacts de langues, ainsi que
d’une conception des langues aveuglée par l’idéologie monolingue des
États-nations. Ces deux biais engendreraient une mauvaise compré-
hension des situations linguistiques actuelles, qui sont beaucoup plus
complexes et hétérogènes que ne le laissent penser les travaux des conti-
nuateurs de Ferguson et Fishman (voir, par exemple, la notion actuelle
de translanguaging, ou celle plus ancienne de continuum dans les études
créoles, Carayol & Chaudenson, 1979).
D’autres chercheurs cependant continuent d’utiliser cette notion
pour souligner l’inégalité entre les langues, par exemple dans le cas de
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la littérature scientifique où l’anglais apparait de plus en plus comme la


seule langue adaptée à la science du xxie siècle. S’instaurerait ainsi une
nouvelle dynamique diglossique entre la variété américaine de l’anglais,
langue haute, médiatrice de la science, de l’éducation et de l’économie
mondialisée et les autres langues du globe, qui toutes convergeraient vers
le statut de variétés basses (May, 2014).

Références bibliographiques

Carayol M. & Chaudenson R. (1979), « Essai d’analyse implicationnelle


d’un continuum linguistique : français-créole », dans Plurilinguisme :
normes, situations, stratégies. Études sociolinguistiques, Nice, Institut
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d’études et de recherches interethniques et interculturelles, p.  129-
172. En ligne  : <www.persee.fr/doc/oeide_0762-2287_1979_
ant_1_1_891>.
Ferguson Ch. A. (1991/2020), «  Epilogue  : la diglossie revisitée  », dans
Matthey M. & Elmiger D. (dir.) « Diglossie, une notion toujours en
débat », Langage & société 171, p. 33-54. (Traduction de « Epilogue :
diglossia revisited  », Southwest Journal of Linguistics  10  (1), 1991,
p. 214-234.)
Gardy Ph. & Lafont R. (1981), « La diglossie comme conflit : l’exemple
occitan », Langages 61, p. 75-91. En ligne : <https://doi.org/10.3406/
lgge.1981.1869>.
Jaspers J. (2020), « Sujet toxique ou d’actualité ? La diglossie aujourd’hui »,
dans Matthey M. & Elmiger D. (dir.), Langage & société 171, p. 123-
135. En ligne  : <www.cairn.info/revue-langage-et-societe-2020-3-
page-123.htm>.
Leguest Ch. (1858), Y a-t-il ou n’y a-t-il pas un arabe vulgaire en Algérie ?,
Paris, Librairie de Benjamin Duprat. En ligne : <www.gallica.bnf.fr/
ark:/12148/bpt6k6478984c>.
May S. (2014), « Contesting public monolingualism and diglossia : rethink-
ing political theory and language policy for a multilingual world  »,
Language Policy 13, p. 371-393. En ligne : <https://doi.org/10.1007/
s10993-014-9327-x>.

Renvois  : Alternance de langues  ; Créole  ; Dialecte  ; Langue  ;


Plurilinguisme ; Répertoire.

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