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LS HS01 0082
LS HS01 0082
Salikoko Mufwene
Dans Langage et société 2021/HS1 (Hors série), pages 81 à 86
Éditions Éditions de la Maison des sciences de l'homme
ISSN 0181-4095
ISBN 9782735128273
DOI 10.3917/ls.hs01.0082
© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 17/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.109.229.91)
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Salikoko Mufwene
Université de Chicago
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s-mufwene@uchicago.edu
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parlent une variété mésolectale, intermédiaire entre les deux pôles. La
diglossie invoquée pour les créoles français n’exclue pas le continuum,
comme le rend évident le phénomène d’interlecte – comprenant des
structures mixtes basilectales at acrolectales –, auquel on peut aussi rat-
tacher les notions de « kreyòl swa » et « créole de salon » ; ils renvoient
tous au mésolecte. Soulignons cependant que, contrairement à ce qu’af-
firment Hugo Schuchardt (1914) et David DeCamp (1971), le conti-
nuum lui-même n’a rien à voir avec l’hypothèse de « décréolisation », ou
plutôt « débasilectalisation » (impliquant respectivement, la disparition
du créole ou du basilect). Cette hypothèse est incorrecte, compte tenu
du fait que le basilecte n’a jamais été le même pour les créoles apparentés.
Cette hypothèse est basée sur la variation inter- et intra-idiolectale et
non sur des données diachroniques. Celle de Chaudenson selon laquelle
les créoles ont évolué par « basilectalisation », en divergeant progressive-
ment des structures de la langue lexificatrice, paraît plus correcte (voir
aussi Mufwene, 1994).
Chaudenson (1992, 2001) a situé les colonies créolophones –
insulaires et côtières – entre les tropiques, où il était possible de déve-
lopper une économie particulièrement agricole. Cependant, on relève
aussi des « créoles » dans des colonies sans industrie agricole importante,
comme le Cap-Vert et les Antilles néerlandaises. Notons aussi qu’aucun
créole n’a émergé au Brésil, alors que le pays s’était engagé dans la culture
de la canne à sucre plus de 100 ans avant les colonies antillaises et mas-
careignes (Mufwene, 2008).
Cette situation remet en question l’hypothèse de Chaudenson selon
laquelle les créoles se définissent historiquement par une unité de temps,
de lieu, et d’action. L’unité d’action, qui renvoie au recours à une main
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ces pratiques même après le départ des colons à la fin du xviiie siècle et
au xxe siècle dans le cas de Macao. Exceptés les traits sélectionnés de la
langue lexificatrice, ces « créoles » révèlent des différences structurelles
par rapport à leurs contreparties de l’Atlantique et de l’océan Indien,
eux-mêmes présentant des différences entre eux. Cela rend ainsi difficile
une définition des créoles fondée sur leurs traits structurels communs.
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pour désigner des populations non indigènes nées dans ces territoires.
Vers la fin du xviie siècle le terme a été appliqué pour la première fois à
une variété langagière, le portugais parlé par des indigènes au Sénégal,
probablement l’ancêtre du casamançais. L’hypothèse traditionnelle de
l’évolution des créoles à partir des pidgins est acceptable si l’on pos-
tule que les morphosyntaxes évoluent naturellement de la simplicité à la
complexité. Mais elle est erronée, car l’inverse est aussi documenté dans
l’histoire des langues.
La distribution complémentaire géographique entre les territoires
créolophones et pidginophones suggère des évolutions plutôt parallèles
même à Hawaii, où le créole est né en ville et le pidgin sur les plantations
(Mufwene, 2005, 2008). Il est même remarquable qu’il n’y ait pas de
traces de pidgins portugais, alors que le portugais a servi de lingua franca
dans le commerce de l’Afrique de l’Ouest à la Chine et au Japon jusqu’au
xviiie siècle. La raison semble être la présence d’interprètes qui auraient
facilité les interactions entre les parties. Grâce à eux, les pidgins se sont
développés eux aussi par basilectalisation, sans rupture dans la transmis-
sion de la langue de base.
Le fait que les Hollandais pratiquaient la traite négrière en portu-
gais peut expliquer l’absence de pidgins néerlandais. On recense deux
pidgins français : le tai boy en Indochine au xixe siècle et l’abidjanais au
xxe siècle ; le « français tirailleur » est quant à lui une fabrication raciste
de l’armée coloniale française qui n’a jamais évolué. Tous les autres pid-
gins à base de langue européenne sont anglais, surtout dans le Pacifique,
notamment ceux de la Mélanésie et le kriol de Queensland qui ont tous
émergé au milieu du xixe siècle. Les premiers sont des évolutions de
ce dernier, qui lui s’est développé à partir d’un pidgin formé à Sydney
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ces hypothèses n’est entièrement correcte, bien que la thèse superstra-
tiste soit la plus acceptable à condition qu’elle inclue les influences des
langues substratiques sur les structures des parlers ciblés par les locuteurs
alloglottes (voir Enoch Aboh, 2015 pour des détails sur la formation
des grammaires hybrides dans le contexte de l’approche écologique ;
Mufwene, 2005).
Pour conclure, il n’est pas facile de définir les créoles comme
une catégorie de langues. Et il n’est pas clair non plus qu’il soit utile
d’appliquer le terme créole à des variétés langagières qui n’ont pas émergé
dans les conditions historiques mentionnées ci-dessus, car il n’y a pas
de critères de restructuration qui les distinguent des autres langues. Sa
seule justification demeure ancrée dans l’histoire raciste coloniale où les
non-Européens étaient considérés comme biologiquement moins évo-
lués que les Européens et, par extension, leurs langues et leurs cultures
comme moins développées (Michel DeGraff, 2005).
Références bibliographiques
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Mufwene S. S. (2005), Créoles, écologie sociale, évolution linguistique : cours
donnés au Collège de France durant l’automne 2003, Paris, L’Harmattan.
Mufwene S. S. (2008), Language Evolution. Contact, Competition and
Change, Londres, Continuum Press.
Rickford J. R. (1990), « Number delimitation in Gullah : A response to
Mufwene », American Speech 65, p. 148-63.
Schuchardt H. (1914), Die Sprache der Saramakkaneger in Surinam,
Amsterdam, Johannes Müller.
Yakpo K. (2017). « Unity in diversity : The homogeneity of the substrate
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er creoles », dans Cutler C., Vrzić Z. & Angermeyer P. (dir.), Language
Contact in Africa and the African Diaspora in the Americas. In Honor of
John V. Singler, Amsterdam, John Benjamins, p. 226-251.