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Accent

Maria Candea
Dans Langage et société 2021/HS1 (Hors série), pages 19 à 22
Éditions Éditions de la Maison des sciences de l'homme
ISSN 0181-4095
ISBN 9782735128273
DOI 10.3917/ls.hs01.0020
© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 17/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.109.229.91)

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Accent

Maria Candea
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Université Sorbonne Nouvelle
maria.candea@sorbonne-nouvelle.fr

On peut définir l’accent en sociolinguistique comme un ensemble de


traits de prononciation qui affectent les voyelles, les consonnes ou la
prosodie, et qui permettent d’identifier le profil de la personne qui les
emploie. Il peut s’agir d’identifier ainsi, sur la base de leur prononcia-
tion, des personnes ayant acquis une langue dans une région par rapport
à une autre région  ; ou bien des personnes ayant appris tardivement
une langue par rapport à des personnes socialisées dans cette langue dès
leur enfance ; ou encore des personnes affiliées à un groupe social par
rapport à un autre groupe social. Selon le cas, l’ensemble de traits de pro-
nonciation qui suffisent pour permettre ce repérage sera désigné comme
constituant un accent régional, un accent étranger ou un accent social,
et les personnes concernées s’entendront dire qu’elles « ont un accent ».
La définition pose d’emblée plusieurs types de problèmes du fait
notamment qu’elle repose essentiellement sur la perception par autrui
de certains traits de prononciation. Par définition, un accent n’existe pas
en soi et n’a donc pas d’autonomie ontologique : il est toujours relatif à
une prononciation qui sert de repère, de comparaison ou de référence,
et cette référence peut être plus ou moins partagée.
Dans la tradition anglophone, toute prononciation correspond à
un accent. Celui-ci représente, selon le Cambridge Dictionary, « the way
in which people in a particular area, country, or social group pronounce

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words » (la façon dont les gens d’une région, pays ou groupe social par-
ticulier prononcent les mots). La définition anglaise ne postule pas une
hiérarchie des accents, mais ne l’interdit pas non plus : parmi la variété
disponible, un accent peut être considéré comme préférable, comme
« bon », mais le choix se négociera selon les contextes.
Dans la tradition francophone, en revanche, il existerait une pronon-
ciation considérée comme sans accent censée servir de référence unique,
tous contextes confondus. Selon le Trésor de la langue française, l’accent
correspond à l’« ensemble des traits de prononciation qui s’écartent de
la prononciation considérée comme normale et révèlent l’appartenance
d’une personne à un pays, une province, un milieu déterminés ». Ainsi,
la définition française postule la hiérarchie des accents et associe tout
accent à un pôle axiologiquement négatif  ; l’accent est un qualificatif
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déclassant, qu’il convient d’éviter pour avoir accès aux lieux d’exercice
du pouvoir symbolique. Le parler réputé sans accent indique l’appar-
tenance sociale au groupe dominant ; la variabilité des prononciations
de ce groupe dominant échappe par postulat à la catégorie accent et,
partant de là, tout écart par rapport à la norme au sein de ce groupe
sera catégorisé comme relevant non d’un accent mais d’un style (pôle
axiologiquement positif ). Cela explique par exemple des dynamiques
observées dans l’évolution des accents régionaux en France hexagonale :
pour éviter la discrimination à l’embauche ou la dévalorisation de ses
compétences et espérer une promotion sociale (Gasquet-Cyrus, 2012),
les locuteurs et locutrices des régions réputées « à accent » mettent en
place des stratégies de non transmission familiale des pratiques de pro-
nonciation qui aboutissent à un vaste mouvement d’homogénéisation
des prononciations observé à l’échelle des trois dernières générations
(Durand, Laks & Lyche, 2009).
La relativité de la notion entraine par ailleurs une instabilité inhé-
rente dans toute description des accents. Plus exactement, les traits qui
constituent un accent se laissent difficilement répertorier de manière
robuste ; Lippi-Green (1997, p. 142) parle de « faisceau lâche » (« loose
bundles of prosodic and segmental features  »). Par exemple, un trait de
prononciation peut être saillant et perçu comme relevant d’un accent
par certains auditeurs mais pas par d’autres ; le même enregistrement
peut être attribué à une région par un groupe d’auditeurs et à une autre
région par un autre groupe (Armstrong & Boughton, 2000) ; ou encore,
un trait peut être saillant perceptivement à un moment, et perdre sa
saillance une génération plus tard (ou vice versa, acquérir une saillance).
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Si l’accent manque de bases empiriques solides en phonétique, il


repose sur des convergences fortes dans les représentations et attitudes
suscitées par un ensemble de traits de prononciation dans un contexte
culturel donné (Candea, Planchenault & Trimaille, 2019). Cela explique
les marges de distorsion particulièrement larges, potentiellement infi-
nies, entre la description acoustique d’une prononciation et sa percep-
tion en situation. D’un côté, de nombreuses études corroborent les
résultats d’Armstrong & Boughton (2000) pour la France et montrent
que, lorsqu’il s’agit d’identifier précisément la région d’origine d’une
personne en écoutant sa prononciation, les gens font preuve de piètres
capacités (à peine peuvent-ils distinguer grossièrement un domaine sep-
tentrional, un domaine méridional et un domaine intermédiaire à l’est
(selon la thèse de Cécile Woehrling en 2009, Accents régionaux en fran-
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çais : perception, analyse et modélisation à partir de grands corpus). D’un
autre côté, la capacité à identifier l’appartenance à une classe sociale est
bien meilleure : or, les discours ordinaires font souvent mention d’ac-
cents régionaux mais très rarement, pour des raisons idéologiques, de
« variétés sociales » (Gadet & Paternostro, 2013). Les variétés sociales
sont rarement nommées, et celle qui est le plus souvent désignée expli-
citement c’est « l’accent de banlieue », nommé par euphémisme à l’aide
d’une catégorie territoriale – vague et stéréotypée – et non une catégorie
sociale ou stylistique. En outre, des études sur la perception des accents
ont montré que celle-ci était très sensible aux représentations – notam-
ment racistes – et qu’il était possible de mesurer expérimentalement un
véritable accent de faciès  : tel est le cas de l’étude de Donald Rubin
(1992) qui montre que pour susciter la perception d’un accent et la caté-
gorisation d’une prononciation comme plus difficilement intelligible, il
suffisait de l’associer à la photo d’une personne d’apparence asiatique.
Après une période où la plupart des recherches sur les accents visaient
à établir des cartes (voir pour la France, par exemple, l’enquête d’An-
dré Martinet parue en 1945, La prononciation du français contemporain,
témoignages recueillis en 1941 dans un camp d’officiers prisonniers), les
recherches en sociolinguistique et sociophonétique se sont davantage inté-
ressées aux dynamiques de changement des prononciations d’une personne
(Lippi-Green, 1997  ; Gasquet-Cyrus, 2012) ou d’un groupe plus ou
moins homogène (par exemple Durand, Laks & Lyche, 2009). Les fac-
teurs de variation pris en compte sont en général les situations, l’âge, les
identités, les affiliations régionales. Une grande attention est accordée aux
discours sur les prononciations produites (discours auto-centrés ou hété-
ro-centrés, voir Candea, Planchenault & Trimaille, 2019) et également
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aux capacités à les distinguer perceptivement, mesurées de manière expé-


rimentale (par exemple Rubin, 1992 ; Armstrong & Boughton, 2000).

Références bibliographiques

Armstrong N. & Boughton Z. (2000), « Absence de repères régionaux et


relâchement de la prononciation », LINX 42, p. 59-71.
Candea M., Planchenault G. & Trimaille C. (dir.) (2019), «  Accents du
français  : approches critiques  », Glottopol  31. En ligne  : <glottopol.
univ-rouen.fr/numero_31.html>.
Durand J., Laks B. & Lyche Ch. (dir.) (2009), Phonologie, variation et accents
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du français, Paris, Lavoisier.

Gadet F. & Paternostro R. (2013), « Un accent multiculturel en région pari-


sienne ? », Repères-Dorif 3. En ligne : <www.dorif.it/ezine/ezine_prin-
tarticle.php?art_id=94>.
Gasquet-Cyrus M. (2012), « La discrimination à l’accent en France : idéo-
logies, discours et pratiques », Carnets d’atelier de sociolinguistique 6,
p. 227-245.
Lippi-Green R. (1997), English with an Accent. Language, Ideology and Dis-
crimination in the United States, Londres/New York, Routledge.
Rubin D. L. (1992), « Nonlanguage factors affecting undergraduates’ judg-
ments of nonnative English-speaking teaching assistants », Research in
Higher Education 33 (4), p. 511-531.

Renvois  : Glottophobie  ; Norme  ; Parler jeune  ; Racialisation  ;


Standardisation ; Variation ; Variété ; Voix.

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