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Couverture à Venir

2
Ernestine MBAKOU

LES FESSES DE LA
SORCELLERIE

Roman

MEN EDITION

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4
Du MEME AUTEUR :

J’ai vendu mon âme au diable tome 1, MEN Edi-


tion, Cameroun, 2019.
Roman de : 151 pages
Langue : Français
ASIN : B07SHSZJ2V
Vendu à plus de 1 000 exemplaires physiques et
numériques à travers le monde.

Obsession, Proximité, Cameroun, 2018.


Roman de : 190 pages
Langue : Français
ASIN : B07BJMT4YK

L’amour ne traverse pas l’océan, Shanaprod, Ca-


nada, 2020
Roman de : 262 pages
Langue : Français
ISBN-10 : 2925010008
ISBN-13 : 978-2925010005

L'auteur publie constamment des Ebooks sur son site


internet : www.ernestinembakou.cm

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Titre de l’édition originale

Les fesses de la sorcellerie.

Nouvelle édition.
Produite à Bafoussam Cameroun, Mars 2022.

Distribuée dans tout le monde, à travers le site


internet et Facebook par l’Association MEN.

Couverture : MEN CREATIVE.

ISBN :
Copyright © 2022, by Association MEN.
Tous droits réservés.

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Merci à vous ces lecteurs, fans, abonnés qui me témoignez
votre soutien chaque jour.

Merci pour tout ce que vous m’avez


apporté. Vous êtes géniaux.

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CHAPITRE 01

L'enfer n'existe pas. Les méchants sont ici. Ils rôdent et


attrapent l'âme des imprudents. Les prédateurs sont nos plus
proches voisins.

Je m'appelle Claudette. Mais tout le monde m'appelle


Cloclo.
Je vis les derniers moments de ma vie.
J'essaie de tenir pour aller jusqu'au bout.
S'il est vrai que ce qu'on fait nous revient toujours, oui,
je récolte probablement ce que j'ai semé.
L'histoire que je m'en vais vous raconter va choquer, ou-
trer, bousculer les mœurs. Il y aura ceux qui vont nier la réalité.
Ensuite ceux qui joueront comme toujours aux équilibristes, du
genre : ça n'arrive qu'aux autres, pas à moi !
Et enfin, la grande majorité, ceux qui ne la liront même
pas.
Ce n'est pas pour implorer votre pitié. Je n'en ai même
plus besoin.

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Ce n'est pas pour demander l’absolution, je sais où la
trouver.
Pourquoi je le fais ?
Peut-être il me reste un regain d'énergie ? Un semblant
d'espoir ?
Un soupçon de culpabilité ?
Je n'en sais rien.
Mais une chose est sûre et certaine, cette histoire mérite
d'être lue, d'être ventilée partout où besoin sera, d'être connue
par vous, vos enfants, par le monde.
J'espère qu'on pourra arriver à la fin avant que je ne lâche
complètement.
Lisez !

Je suis Cloclo. Mes fesses ont créé plus de remous que


toutes les guerres réunies. Ne soyez pas choqués par l'emploi de
ce nom. J'ai besoin de bousculer les consciences pour délivrer
mon pauvre message.
Je naquis dans une bourgade paisible et reculée au fin
fond de mon pays.

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J'étais l'aînée. Ma mère, Monique, eut deux enfants. Mal-
heureusement, mon père épousa une autre femme et ceci sema
la discorde entre mes parents.
Je les entendais toujours se disputer.
J'en avais marre de ce grabuge.
Ils hurlaient et je me bouchais les oreilles. Je prenais mon
petit frère contre moi. Il était encore tout petit.
Pegui, mon cadet était un enfant né prématurément. Il
était si fragile et sujet à plusieurs maladies.
Je devais m'occuper de lui lorsque ma mère se reposait.
Ce qui était souvent le cas. J'avais cinq ans de plus que lui. Je
devins sa seconde maman.
Ma mère était une femme d'une trentaine d'années désa-
busée par la vie. Elle échoua chez mon père par un malheureux
concours de circonstances. Elle m'avoua un jour qu'elle l'avait
épousé pour ne pas finir vieille fille à vingt-quatre ans seule-
ment.
Mon père était heureux d'arborer à son bras une jeune
fille fraîche et belle. Il avait quinze ans de plus.
Vous comprenez que la relation entre mes parents était
faussée dès le départ.
Rien ne fonctionna comme prévu.

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Lorsque mon père prit la seconde épouse, j'avais dix ans.
Il accusait ma mère ne pas être capable de lui donner as-
sez d'enfants.
Ma mère ne voulait pas d'une coépouse.
Elle nous prit avec elle et gagna la ville où vivait sa sœur
aînée déjà mariée.
Celle-ci nous offrit le gîte et le couvert. Nous avions droit
à un petit local où nous établîmes notre base.
Du jour au lendemain, je quittais tous ceux que j'avais
toujours connus, mon école, mon père et ma famille.
Ma mère ne nous laissait pas le choix... Elle était la
cheffe.

Ma nouvelle vie ne fut pas sans repos. Elle n'était ni


bonne, ni mauvaise.
Je devais m'adapter à un environnement qui m'était jus-
qu'alors inconnu.
J'étais une adolescente extravertie au village. J'aimais
jouer avec mes petits camarades
Mais en ville, tout changea. Je me repliai sur moi-même.

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J'avais mon frère avec qui échanger mais il était trop pe-
tit. Ma mère était toujours sortie pour un travail que je ne con-
naissais pas.
Nous n'étions plus jamais retournés au village. Je ne revis
plus mon père.
Je grandissais. Avec les années, le petit cygne en moi
s'était manifesté.
Le canard boiteux s'était métamorphosé.
J'avais seize ans lorsque je pris conscience de ma beauté
et de mon pouvoir.
Ma mère me disait que c'était une chance pour nous. J'au-
rais ainsi la possibilité d'apporter beaucoup d'argent à la famille.
Je ne compris pas.
Un mètre soixante-quinze, effilée comme une liane, avec
de belles formes africaines, noire comme l'ébène, toutes mes
amies me regardaient avec envie au lycée.
"Cloclo est si belle. L'homme qui l'épousera sera heu-
reux."
Le regard de concupiscence que me jetaient les hommes
me laissait froide. Les propositions indécentes de ces hommes
qui auraient pu être mon père, je ne m'en préoccupais pas.

13
Une seule chose me tenait à cœur : Terminer mes études
et avoir un bon boulot.
Avec le temps, mon frère et moi étions devenus plus
proches. Notre relation était fusionnelle.
Peut-être à cause de sa santé fragile, je ne saurais le dire,
je le couvais beaucoup.
Je compris plus tard que ma mère usait de son charme
pour vivre.
Elle s'en plaignit une nuit.
"Ils m'utilisent et me jettent comme un chiffon alors que
je donne le meilleur de moi-même. Regarde-moi Cloclo. J'étais
une belle femme. Les hommes sont des salauds. Ils vont le re-
gretter."
Sa propension à maudire les hommes devint un culte à la
maison.
Elle en disait tellement de mal que je lui fis remarquer un
jour : " Maman, tu as un fils. Il deviendra un homme. Ne l'oublie
pas. "
Ma mère fit celle qui n'avait rien compris. Elle ne s'oc-
cupait pas de Pegui, arguant qu'elle devait travailler pour nous
nourrir

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Je me demandais pourquoi elle avait quitté mon père si
c'était pour trimer ainsi. Au moins au village, on était bien nourri
et il n’y avait personne pour nous menacer comme le faisait ma
tante. Elle disait toujours que nous devions libérer sa maison.
Que nous étions des parasites. Je la soupçonnais d'être un peu
jalouse de sa cadette à cause de sa beauté. Bon, j'y reviendrais.
J'étais trop jeune pour prendre une décision par moi-
même.

L'année de mes dix-sept ans, ma mère m'annonça un ma-


tin que je n'allais plus retourner au lycée.
—Mais pourquoi maman ?
Demandais-je en pleurant.
Je présentais le baccalauréat cette année-là.
—Je n'ai plus d'argent. On ne les cueille pas sur un arbre
ma fille.
J'étais effondrée. Qu'allais je devenir si je ne retournais
pas à l'école ?
—Maman...
—Si tu veux l'argent, cherche-le...
Ma mère était ferme.
Sa sœur venait de nous jeter à la rue.

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"Sept ans sans payer de loyer, va te débrouiller ailleurs."
Lança-t-elle à ma mère.
Seule, désemparée, je n'eus d'autres choix que de suivre
ma génitrice. Elle nous avait toujours dit que notre père était très
méchant et qu'il était prêt à nous tuer.
Ceci réfréna toute envie et désir de le rechercher.

Pegui tomba malade dans la nouvelle chambre étroite


que ma mère avait louée pour nous.
La chambre était humide, pleine de moustiques et de pe-
tites bestioles. Il nous arrivait de voir un cafard sauter dans le
plat alors qu'on mangeait. Et les souris qui dormaient sur le sol
avec nous. C'était le quartier le plus mal famé et dangereux de la
ville.
" Maman allons ailleurs.
Lui dis-je un jour, lasse de vivre dans ces conditions in-
humaines.
—Avec quoi ? Tu vas payer peut-être ?"
Siffla-t-elle entre ses dents.
C'était si difficile.
Je trouvai un premier job de caissière dans un supermar-
ché. Mais le directeur ne cessait de reluquer mes fesses larges et

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rebondies. Il me fit comprendre implicitement qu'il voulait cou-
cher avec moi.
Outrée, je m'en ouvris à ma mère. Cette dernière eut la
réaction que je n'avais pas prévue.
—Et alors ? Est-ce que ça va te tuer ? Au moins on aura
de quoi tenir pour quelques temps. Toutes les femmes vivent de
leurs fesses depuis la nuit des temps. Tu ne vas pas créer le
monde Cloclo. Nous sommes pauvres. Grâce à toi, nous pouvons
devenir riches.
Effarée j'ouvris les yeux. Qu'avais-je à attendre d'une
femme qui vendait son corps pour de l'argent ?
Pegui allait de plus en plus mal. Ma mère refusait de
l'emmener à l'hôpital.
"Je vais prendre l'argent où ?"
J'avais déjà utilisé toute ma paie du mois, qui était une
misère, pour lui acheter les médicaments dans la rue mais rien
ne changeait. Il lui fallait les soins appropriés dans une structure
hospitalière, sinon il allait mourir.
"Si tu avais accepté la proposition de ton patron nous n'en
serions pas là aujourd'hui"
Jeta ma génitrice.

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Ça me prit du temps pour tourner et retourner ses paroles
dans ma tête.

Pegui allait de plus en plus mal. Il ne parvenait plus à


bien respirer.
J'étais revenue du boulot ce soir-là, je le trouvai au sol,
les yeux révulsés.
—Pegui... Pegui...
Je le secouais. Il ne réagissait pas.
Mon petit frère allait mourir si je ne faisais rien.
D'un cri perçant, j'alertai tout le voisinage. Mon petit
frère devait être conduit à l'hôpital.
Des heures plus tard, je prenais la main de Pegui dans la
mienne en pleurant.
Je voulais qu'il vive. Je ne voulais pas le perdre. Je ne
savais pas ce que je deviendrais sans mon cadet.
—Ne meurs pas Pegui. S'il te plaît, reste avec moi. Je
ferai tout pour que tu restes en vie.
Je levai la tête. Ma mère était là. Elle me fit signe de la
suivre à l'extérieur de la chambre.

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Je regardais ma mère, indécise. Depuis des heures, je
veillais sur mon frère. Elle n'était pas là...
—Maman
—Tu vois n'est-ce pas... Tu vois que tu n'écoutes pas.
Ton frère ne devait pas être dans cet état si tu m'avais écoutée...
—Maman, de quoi parles-tu ?
Elle poussa un soupir.
—Cloclo, il nous faut de l'argent. Une amie m'a donné le
secret pour ferrer les plus gros poissons. Je suis déjà vieille mais
toi non. Tu es belle. Tu deviendras très riche... Et Pegui sera
guéri.
Sidérée, je secouai la tête. Je n'arrivais pas à croire que
ma mère me proposait ça.
—Maman...
—Ton frère va mourir. Ça ne te fait rien ? Je wanda sur
toi.
Je regardais ma génitrice. J'essayais de fuir la réalité.
Ma mère voulait que je sacrifie ce que j'avais de plus pré-
cieux pour avoir de l'argent.
J'aurais pu dire non, mais je ne le fis pas.
J'aurais pu me soustraire à cette proposition qui allait me
conduire sur le chemin de la perdition mais je ne pus protester.

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Le lait, une fois qu'on le goûte, on n'oublie plus son goût.
J'avais à peine dix-huit ans. Je suivis ma mère.
Elle me conduisit dans un cimetière. Il était minuit.
Nous étions venues avec un seau d'eau.
Ma mère me dit :
—Grimpe sur cette tombe et fais ta toilette intime s'il te
plaît. Tu frottes bien dans tes fesses. L'eau recueillie sur la
tombe, tu la gardes pour la donner à boire à ton patron au service
demain. Je suis ta mère, je sais ce que je fais. Je ne peux pas te
tromper.
Cette nuit-là, je signais ainsi un pacte avec le diable sans
le savoir.
Plus tard, j'allais payer au prix fort cette forfaiture.

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CHAPITRE 02

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—————————————————
N'aie pas peur de l'obscurité. Il faut plutôt craindre ce qui
s'y trouve.

Vous savez, il sera très facile pour moi de me dédouaner


et vous emmener à croire que je ne savais pas ce que je faisais.
Je retrace tout simplement le chemin tortueux que fut ma
vie.
Une vie cahoteuse, honteuse et sale.
J'en suis consciente.
Je ne vous raconte pas tout ceci pour susciter en vous une
once de pitié.
Non !
Ma mère m'avait entraînée dans cette aventure. J'aurais
pu lui dire non et tout arrêter.

21
Mais je ne le fis pas. Ou plutôt, je finis par prendre un
plaisir malsain à ce que je faisais.
Plus tard, je me rendis compte que j'aimais l'argent. Qui
n'aime pas l'argent ?
Qui voudrait vivre dans l'inquiétude permanente, se de-
mandant comment on allait continuer ?
Finalement, j'étais comme ma mère.
Ne dit-on pas que le fruit ne tombe jamais très loin de
l'arbre ?
Lisez !

Après cette nuit-là, les choses changèrent brutalement. Je


ne savais pas exactement ce qu'il s'était passé au cimetière.
Ma mère me rassura.
"Cloclo, tu verras que ça va aller maintenant. Tu me diras
merci un jour."
Le lendemain, j'allais au travail avec une bouteille pleine
de cette eau souillée venue de mon intimité.
À la pause, alors que mon patron me réclamait un verre
d'eau comme souvent, je diluai mon eau avec la bonne et je la
lui apportai.
J'eus un sursaut de scrupules en le faisant.

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J'étais sur le point de lui révéler la vérité. Je le vis porter
le verre d'eau à ses lèvres. Je pensai à mon frère. Il avait aussi le
droit de vivre.
Son état ne s'était pas amélioré. Il était encore sous oxy-
gène.
Mon patron trempa les lèvres dans le verre et leva la tête
vers moi.
—Hum... Tu as pris l'eau ci où ? Ne me dis pas que c'est
l'eau du marigot, hein... Ça sent un genre là...
Il éclata d’un rire tonitruant.
J'avais peur. Peut-être allait-il s'en rendre compte et
m'envoyer en prison ? Mais comment ? Il n'était pas au cimetière
avec nous.
Après des minutes interminables, il me tendit le verre
vide.
Je le vis secouer la tête.
Je sortis de la pièce presqu'en courant.
J'essayais de me convaincre que ce que j'avais fait avec
ma mère n'aura pas de conséquences. Ce n'était rien. Qu'est-ce
qu'une eau souillée pouvait bien faire ?
Je passai la journée fébrile, attendant que quelque chose
se passe. Mais rien.

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J'étais à l'hôpital, veillant sur Pegui le soir.
Le médecin me fit comprendre que si on ne payait pas
l'oxygène qu'il avait déjà consommé, le centre allait nous mettre
à la porte le lendemain.
—Mais pour aller où ?
—L'oxygène qu'il utilise est acheté mademoiselle. Ce
n'est pas comme si on ramasse ça dans la rue. Donc, il faut l'ar-
gent.
Annonça-t-il d'un ton implacable.
J'étais effondrée.
Ma mère n'était même pas là. Où allais-je prendre tout
cet argent ?
Je restai prostrée toute la nuit à réfléchir.
Le lendemain, lorsque je retournai au boulot, mon patron
était déjà là. Il m'attendait.
Il me regarda avec les yeux fiévreux.
—Claudette, viens dans mon bureau.
Je le suivis en tremblant. Je croyais qu'il allait me mettre
à la porte. Il avait tout découvert et voulait se débarrasser de moi.
Il ferma la porte derrière nous et me prit brusquement
dans ses bras.

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—Je t'aime Claudette. Même si tu demandes n'importe
combien, je dois te donner. Tu veux quoi ? Je dois même chasser
ma femme pour toi. Tu es si belle.
Il couvrait mon visage de baisers. Interloquée, je le lais-
sai faire en me demandant ce qu'il s'était passé.

Tout bascula en quelques heures. J'avais une liasse de


billets entre mes mains
Je payai les soins de mon frère et bien plus encore.
Mon patron me signa un gros chèque et me dit que je
pouvais obtenir bien plus encore.
—Maman, qu'avons-nous fait ?
Demandai-je à ma mère plus tard
Ma génitrice eut un sourire malicieux. Elle comptait les
billets que j'avais reçus.
—Rien de méchant ma fille. Il nous faut beaucoup d'ar-
gent. Il faut qu'il t'en donne encore plus.
Effarée, je regardais ma mère. J'avais perdu ma virginité
dans un bureau. Je ne comprenais même pas ce qu'il s'était passé.
—Le soir, tu vas encore aller laver ça. Une fois qu'il boit
l'eau là et couche avec toi, il est dans la bouteille. Toi-même,

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regarde comment les hommes se moquent de nous. Ce n'est rien
mamie. Il ne va pas mourir pour ça.
Oui, il ne mourut pas. Ce fut pire.
Yves, mon patron, devint comme un esclave. Je ne sais
pas ce qu'il y avait entre mes jambes mais à chaque fois qu'il y
plongeait, il devenait comme un fou.
Grâce à lui, nous changeâmes de quartier.
Il me loua une grande villa avec plusieurs chambres pour
tout le monde
Du jour au lendemain, je quittais de la précarité extrême
à une vie de rêve.
Le spectre de la pauvreté s'éloignait de nous.
C'était juste incroyable.
La seule condition était d'aller au cimetière tous les soirs
à minuit laver mes fesses.
Ma mère était enfin heureuse. Pegui sortit de l'hôpital.
Yves me dit que je n'avais plus besoin de travailler. Il
allait s'occuper de moi.
Il divorça et voulut m'épouser.
Ma mère me dit qu'il était trop pauvre pour moi. Nous
pouvions avoir plus. Cibler des hommes plus riches.
—Mais maman, je ne veux plus de tout ça et...

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—Cloclo, regarde où on vit désormais. Tu veux rentrer
dans le quartier pauvre là n'est-ce pas ? Je vois que tu n'as pas
pitié de ta famille. Tu veux redevenir pauvre ?
—Cette richesse n'est pas normale. Je...
—Cloclo, écoute-moi. Rien n'est normale sur la terre ci.
Pourquoi d'autres ont droit à l'argent et pas nous ? Ne t'inquiète
pas, mais je suis là. Je suis ta mère.
Elle avait raison. Elle était ma mère. Elle savait mieux
que quiconque ce qui était bon pour moi.
Yves me donnait tellement d'argent que je ne savais plus
quoi en faire.
Je voulus retourner à l'école mais ma mère s'y opposa. Je
ne devais pas mener plusieurs batailles à la fois.
Je continuais ma pratique nocturne.
—Tu ne dois pas arrêter ça. Il faut seulement faire...
—Jusqu'à quand maman ?
—Jusqu'au jour où on sera plus riche.
Ma génitrice omettait de préciser qu'on n'est jamais assez
riche. On en veut toujours. Encore et encore.
Plus on a de l'argent, plus on devient son esclave.

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Une seconde rencontre changea le cours de ma vie déjà
bien huilée.
Hermann était un banquier. Ma mère et moi étions à la
banque ce jour-là pour des transactions.
Pour couvrir tout ce que je faisais, elle me demanda d'ou-
vrir une boutique de prêt à porter. Ainsi, tout le monde allait
croire que l'argent que je gagnais provenait de mes activités. Il
me fallait une couverture officielle.
Hermann était le directeur d'une banque. Il laissa son re-
gard s'attarder sur moi.
Ma mère me dit à la sortie.
—Celui-là, il faut bien doser sa dose. Avec sa large
bouche là, il lui en faut plus.
—De quoi parles-tu maman ?
—Comment tu es même comme ça ? Je dois tout faire
pour toi. Tu ne vois pas que ce banquier te veut dans son lit ?
—Maman, je suis avec Yves et...
—Tsst... Tsst. Tssst... Arrête-moi ça vite. Quel Yves ?
Celui qui devient déjà pauvre là ?
Effectivement, Yves avait déjà tout perdu. Il croulait
sous les dettes. En quelques mois seulement, je l'avais tout dé-
pouillé.

28
Il se retrouva pauvre, sans supermarché et sans femme.
Ce fut la déchéance totale.

Ma mère interdit à Yves de venir chez nous.


Elle avait jeté son dévolu sur Hermann.
Je devais le séduire et l'emmener à boire l'eau de mes
fesses.
C'était la même procédure.
Hermann n'y échappa pas. Il était plus âgé que Yves... Il
ne voulut plus me quitter.
Mon frère revint du pensionnat où je l'avais inscrit.
Depuis le début, il ne m'avait jamais rien dit.
J'étais dans ma chambre cette nuit-là lorsqu'il me de-
manda s'il pouvait me parler.
—Pegui, bien sûr. Regarde comment tu deviens plus
grand que moi.
À quinze ans, il grandissait si vite. En deux ans seule-
ment, beaucoup d'eau avait coulé sous le pont.
—Alors, ça va avec l'école ?
J'étais entrain de me maquiller. J'avais au fil des mois ac-
quérir une haute assurance et indépendance. Je prenais soin de
moi. Je portais des vêtements de qualité. J'étais vue dans des

29
milieux huppés. J'étais montrée du doigt partout où j'allais
comme un modèle de réussite. Ils disaient de moi que j'étais une
jeune fille intelligente qui avait su faire fructifier l'argent légué
par son père. Ma mère avait fait traîner la rumeur selon laquelle,
mon père était décédé et j'avais hérité une grosse somme d'ar-
gent.
Ma boutique de vêtements était très fréquentée. À vingt
ans seulement, j'étais enviée par toutes les jeunes filles.
Mon frère me fixait.
Je vis son regard dans le miroir.
Je me retournai vers lui.
—Il y'a un problème Pegui ?
Il secoua la tête avant de déclarer.
—Avant on était pauvre !
—Oui
Répondis-je du bout des lèvres. Je ne savais pas où il
voulait en venir.
Pauvre !
J'avais l'impression que c'était dans une autre vie qui me
paraissait bien lointaine à présent.
—Cloclo, l'argent qu'on a là, vient d'où ?
Surprise par la question, je laissai tomber mon pinceau.

30
—Viens d'où comment ?
—J'ai appris que pour avoir l'argent, il faut le gagner.
Alors, je demande quand on a gagné tout ça.
Sa question me laissa songeuse. Je ne savais pas quoi lui
dire. Je me mis à balbutier.
—Je... Tu...
Ma mère entra dans ma chambre à cet instant-là.
—L'argent vient du ciel... hein... On t'envoie à l'école, toi,
tu viens poser les questions sans sens. Au lieu de dire merci au
seigneur comme tu manges l'argent, tu viens demander d'où il
vient ? Si on te dit, tu vas faire quoi avec ?
Disait ma mère en fixant Pegui.
"L'argent là vient d'où !"
Elle singeait son fils.
—Pardon, va te coucher. Tu n'as rien à dire dans cette
maison tant que ce n'est pas toi qui cherches l'argent.
Penaud, mon frère baissa la tête.
—Oui maman.
Il sortit de la chambre, tout triste.
J'eus envie de le rappeler pour le prendre dans mes bras.
Je voulais le rassurer. Tout à coup je voulus arrêter tout ce jeu.

31
J'avais déjà assez d'argent pour bien vivre. Je n'avais plus
besoin d'aller au cimetière.
Je le dis à ma mère lorsque mon frère sortit.
Elle éclata de rire.
—Donc tu crois que ta pauvre boutique là va nous nour-
rir... Hein ? Ou tu veux seulement prendre dans ma bouche
—Maman, je...
—Pardon, j'ai d'autres problèmes. Ma manucure a sauté.
Mon idiote de sœur regrette aujourd'hui de m'avoir chassée de
chez elle. Elle raconte partout que ma fille a l'argent et ne l'aide
pas. Me bi elang. Yor ah trô...
Elle piaffa en terminant ses mots en notre langue mater-
nelle.
Je me promis de tout arrêter le lendemain.

Lorsque le piège se referme sur toi, il devient plus diffi-


cile de s'échapper.
Mes nouvelles résolutions moururent comme neige au
soleil lorsque Hermann gara une grosse voiture devant ma mai-
son le lendemain.
—Pour ma princesse
—C'est pour moi ?

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—Oui mon amour. Je ferai tout pour toi.
Il me prit dans ses bras. Il sentait l'ail cru. Mais je ne
pouvais pas le repousser.
Il venait de m'offrir une voiture valant des millions de
francs CFA.
Je ne voulais plus reculer
Je commençais à aimer l'argent. Beaucoup plus
J'étais plus heureuse que lorsque j'étais pauvre.
Même s'il me fallait continuer à aller au cimetière, j'allais
le faire.

Hermann chassa sa femme et ses enfants.


Il me dit de venir vivre chez lui.
—Dis-lui qu'il va d'abord t'épouser. Sinon, pas de concu-
binage. Et après, exige d'avoir ta chambre seule. Il ne doit pas
savoir où tu vas chaque nuit.
Me recommanda ma mère.
Hermann était prêt à se plier à mes exigences. Il m'aimait
et ne voulait pas me perdre.
—Bon, même lui là n'entre pas dans ma tête. Un petit
pauvre directeur de banque. Si on ne garde pas l'argent chez lui,

33
il va prendre ça où ? Non, non, celui qu'il te faut c'est la personne
qui fabrique l'argent là lui-même !
Je regardais ma mère.
—Akieuu mama...
—Quoi ? Et si l'argent d'Hermann finit, on devient quoi
dans l'affaire ?
Ma mère avait désormais une voiture et un chauffeur. Et
pourtant, elle ne faisait rien de ses journées.
—Cloclo, c'est moi la tête pensante de cette maison, vrai-
ment ! Ce monsieur, le ministre des finances là, c'est lui qu'il
nous faut.
Il faut que Hermann t'emmène à la soirée qu'il a organi-
sée. Des amies m'ont filé le tuyau.
—Maman, le ministre là est trop gros !
—Si son argent est aussi gros que lui, c'est où ton pro-
blème ? Bon, l'herbe ci, il faut bien frotter dans tes fesses avant
de commencer.
Je savais de quoi elle parlait.
Je regardais d'un air suspicieux le bouquet d'herbes
qu'elle venait de retirer de son sac.
—Maman, c'est quoi ?

34
—C'est rien. Fais seulement. Tu ne vois pas que je suis
celle qui pense à nous ?
Elle me le donna en précisant.
—Tu mets ça bien à l'intérieur.
Et c'était tout.

Le lendemain, Hermann m'annonça que je devais l'ac-


compagner à la soirée du ministre.
C'était une grande coïncidence pour moi.
Je devais choisir ma tenue minutieusement. L'homme
était connu pour son goût excessif pour les jeunes femmes belles
et sophistiquées.
Il était ma prochaine cible.
Il ne fut pas difficile pour moi d'attirer son attention. Dès
mon entrée, il fixa son regard de prédateur sur moi.
Quelques minutes plus tard, quelqu'un me murmura à
l'oreille :
"Son Excellence monsieur le ministre me demande de
vous dire qu'il veut vous parler en privée dans son bureau."
Je hochai la tête. Avant ça, je devais me rendre dans la
salle de bain.

35
Là, j'enfonçai très loin dans mon intimité quelques
feuilles de l'herbe donnée par ma mère. Et je me rendis à mon
rendez-vous.
La fête battait son plein lorsque je poussai la porte du
bureau du ministre.
Il était là, et il m'attendait.
—C'est comment ma petite ?
Il me souriait comme un prédateur ayant découvert une
nouvelle proie. Il ne savait pas alors que c'était lui la proie.
Je lui souris
Il me serra contre un mur et commença à me dire com-
ment il allait changer ma vie. Il avait assez d'argent pour faire de
moi ce que je voulais si je me laissais faire. Il me dit que beau-
coup de femmes rêvaient d'être à ma place. Ce n'était pas donné
d'être désirée par un ministre. Il prononçait des mots obscènes
qui auraient fait sauter au plafond le pape lui-même.
Il me pelotait. Je me laissais faire.
Lorsqu'il souleva ma robe pour me prendre au mur, je ne
dis rien.
Il venait là de signer son arrêt de mort.
Sans le savoir, il était pris au piège.

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—Je dois te donner tout l'argent de la terre, même ce qui
n'est pas encore fabriqué !
Grognait-il dans mon cou.
Est-ce que ça allait être suffisant pour nous ?

37
38
CHAPITRE 03

Les choses ne sont pas exactement ce qu'elles semblent


être, jusqu'à ce qu'on leur donner un nom.
Ma vie !
Cette vie pâle, faite d'incertitudes, de mauvais choix.
Aurais-je pu m'en sortir si j'avais tout compris dès le dé-
part ?
Je ne le sais.
Tout cet argent à accumuler, encore et encore creusait ma
propre tombe. Pour ma mère, ce n'était jamais suffisant. Il fallait
chercher toujours plus riche et plus influent.
Tout doucement, je commençai à perdre mes dernières
illusions sur le monde.
Quand on a l'argent, on se croit infaillible, immortel.
On a cette sensation de posséder le monde. D'être le
maître suprême. On est alors persuadé que rien, ni personne ne
peut nous résister. Et pourtant...
À ce stade de ma vie, je me disais alors que plus jamais,
je ne goûterai à la précarité. C'était compté sans la facture salée
que la vie nous remet toujours.

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On ne sort pas impuni de ses actes. Tôt ou tard, on paye
la facture.

On a beau se persuader qu'on possède tout et qu'on est


heureux. Mais au fond de soi, il y a un manque, un appel au se-
cours. Mais personne n'est là pour nous écouter.
Ma mère était la seule personne constante dans ma vie
Je compris plus tard qu'elle avait éloigné mon frère dans
le but de me garder captive. Pegui était trop intelligent pour elle.
Contrairement à moi, elle ne pouvait pas le garder sous sa coupe.
Il m'aurait tirée de là s'il avait compris ce qu'il se passait.
Je ne sais pas. Je ne sais plus.
Ma mère, ma génitrice était à la fois ma meilleure amie,
ma conseillère et mon agent.
Au fil des années, elle prit une place prépondérante dans
ma vie, ne manquant aucun épisode significatif.
C'est elle qui me donnait les produits à utiliser.
C'est elle qui me disait quelles incantations faire.
C'est encore elle qui choisissait mes cibles.
Comme je l'ai souligné déjà, je n'étais pas la parfaite in-
nocente car j'obéissais au doigt et à l'œil à tous ses ordres.
Comme un pantin, elle fit de moi ce qu'elle voulait.

40
J'étais sa créature.

Après l'épisode du ministre, il y eut encore d'autres


hommes plus forts, plus riches.
Je finis par découvrir que ceux qui avaient vraiment de
l'argent n'en parlaient pas.
Je semais la désolation, la confusion, la tristesse, partout
où je passais.
Mes cibles finissaient toujours par perdre leur famille.
Elles sortaient de la relation dépouillées de tout.
Elles ne pouvaient pas se plaindre, parfois par honte ou
tout simplement parce qu'elles n'agissaient pas de leur propre
chef.
J'étais un grand danger ambulant.
Après avoir partagé la vie de plusieurs hommes, je me
sentis lasse.
Je voulais définitivement tout arrêter.
Toute chose a une fin, me disais-je. Il était temps pour
moi de prendre ma retraite.
Ma mère n'était pas d'accord.
—Non... Non... Cloclo...
Tu ne peux pas lâcher maintenant.

41
—Je suis fatiguée maman. Ça fait plus de cinq ans
comme je mène cette vie. Je n'en peux plus. J'ai besoin de me
reposer. De prendre une pause.
Ma mère poussa un soupir de mécontentement. C'était
une femme intelligente. Elle savait quand faire des concessions
ou battre en retraite.
Alors, elle me dit :
—D'accord, prends tes vacances. Repose-toi. Mais après,
il faut qu'on continue à vivre.
Elle le dit comme un employeur qui accordait des congés
à son employé.
Je ne m'en offusquai pas. La première bataille était ga-
gnée. Je pouvais me reposer
Pegui était resté au pensionnat. Cette année-là, il allait
passer son baccalauréat. Il se faisait de plus en plus rare à la mai-
son.
Ma mère s'était arrangée à ce qu'il ne vienne pas réguliè-
rement nous rendre visite.
Elle me prit un billet pour une destination paisible à
l'intérieur du pays.
—Repose toi et reviens nous en bonne santé Cloclo.
Me dit-elle à la gare routière ce jour-là.

42
Je partis, le cœur plus léger. J'avais hâte d'être loin de
tout.
Peut-être je n'aurais pas dû partir. Je ne sais plus.
Je fis sa rencontre un soir alors que j'étais seule à ma
table.
Ça faisait deux semaines comme j'étais là et je m'en-
nuyais déjà. Pas de ma vie, mais de tout ce que je ne pouvais pas
faire.
Ma mère s'était arrangée pour suivre mes moindres faits
et gestes. Je le sus plus tard.
Lorsqu'il m'aperçut, il me sourit tendrement.
Il s'appelait Vincent. Il avait trente-sept ans et il était ma-
rié. Il avait deux enfants.
Lorsque je le vis, tout changea pour moi. C'était la pre-
mière fois que j'éprouvais sensation si puissante pour un homme.
Jusqu'ici, ils n'avaient été qu'un moyen pour moi de me faire de
l'argent.
Vincent me dit qu'il était en mission dans la ville pour
quelques jours.
Il était gentil. Il me parlait comme à une personne nor-
male.

43
Je finis par tomber éperdument amoureuse de lui. Même
si je savais qu'il était marié, je me disais que je ne faisais de mal
à personne. Et puis, j'avais l'argent. J'avais le droit de posséder
ce que je voulais.
Vincent n'avait jamais eu de gestes déplacés à mon égard.
Pour lui, j'étais une petite sœur qu'il devait protéger.
Il me parla de sa femme, de ses enfants. Je voyais ses
yeux briller alors qu'il le faisait. Je devins jalouse de cette incon-
nue que je ne connaissais même pas.
Il me dit que son épouse était la femme la plus extraordi-
naire de la terre.
—C'est comme si tu me décris une sainte.
Lui fis-je remarquer, lasse de l'entendre vanter une autre
femme.
—Non, elle n'est pas parfaite. Mais c'est la meilleure
pour moi... Elle a ses défauts mais le meilleur en elle me fait tout
oublier.
J'avais envie de pleurer. Pourquoi cette femme était-elle
aimée alors qu'elle n'avait pas d’argent ?
J'avais dit à Vincent que je possédais beaucoup d'argent
mais ça ne l'intéressait pas.
Pour lui, j'étais une amie.

44
Je décidai de faire ce que j'avais appris.

Je fis tout pour lui arracher la promesse de nous revoir.


Heureusement, nous vivions dans la même ville.
Je repartis au cimetière. La tombe était la même. Depuis
des années, c'est elle que j'utilisais.
Vincent allait tomber. Il n'avait pas le choix.
Si j'avais su !
Je ne savais pas alors que la femme de Vincent était une
fervente croyante.
C'était une femme qui priait et croyait profondément en
ce Dieu que je ne connaissais même pas.
Elle avait mis le seigneur au centre de sa vie de couple.

Le soir où je fis boire à Vincent l'eau de mon intimité,


rien ne se passa.
J'étais étonnée.
C'était la première fois que je ratais ma cible. Je ne com-
prenais pas.
Je n'avais pas parlé de Vincent à ma mère. Elle n'aurait
jamais approuvé.

45
Vincent n'était pas riche. Donc inutile. Pour moi, il était
le monde.
Rien ne fonctionna avec lui.
Ma mère me fit savoir que je devais reprendre le service
Elle avait une nouvelle cible en vue.
Je voulais Vincent et personne d'autre.
Pour calmer ma mère, j'acceptai quelques rendez-vous
mais ce n'était plus la même chose.
Ma vie m'échappait.
Dans ce palace qui était mien, Je n'étais pas heureuse.
Un jour, Vincent me dit qu'il voulait me présenter sa
femme. Il lui avait parlé de moi et elle avait hâte de me rencon-
trer.
Ma mère disait toujours qu'il est bon de garder ses enne-
mis plus proches. Alors, j'acceptai son invitation à dîner.
Je fis la connaissance d’une femme grassouillette, au vi-
sage rond et souriant qui n'avait rien d'une beauté.
Elle sourit à ma vue.
—Mon mari me parle en bien de vous. Soyez la bienve-
nue chez nous.
Anna, c'était son nom souriait toujours... À table, elle
priait.

46
J'étais gênée.
Elle me dit plus tard dans la soirée.
—J'espère que vous croyez en Dieu. Avec lui, vous ne
serez jamais déçue. Laissez-le entrer dans votre vie. Laissez-le
vous aider.
Je la fixais.
—De quoi parlez-vous ?
Elle me toucha le bras. Je tressaillis.
—Il y'a un seul maître au monde :
C'est Dieu. Toute possession terrestre est éphémère et
nous conduit à la perdition.
Je quittai cette maison en courant.
Je fuyais. Ce n'était pas mon monde.
Anna croyait être la plus forte.
Ce Dieu n'existait même pas. C'était moi la plus riche.
C'était moi qui possédais une grande maison et plusieurs voi-
tures.
Elle n'était rien.
Elle avait Vincent mais ce n'était plus pour longtemps.

Je croyais que ne pas être avec Vincent était la pire chose


qu'il pourrait m'arriver.

47
Mais non, ce qui allait bouleverser ma vie arriva un soir
alors que j'étais à la maison.
J'avais passé une journée difficile, à repousser les assi-
duités d'un ancien soupirant riche que j'avais dépossédé de tous
ses biens. Il disait vouloir mourir pour moi. Je ne le voulais plus.
Il pleura toute la journée devant ma boutique et créa un grand
scandale.
Ma mère était partie pour un long voyage avec ses amies.
Je rentrai à la maison épuisée, décidée à trouver un
moyen pour attraper Vincent dans mes filets.
Lorsque je sortis de la salle de bain, je le vis.
C'était un squelette humain assis sur mon lit !
Je crus que j'étais victime d'une hallucination. Je frottai
mes yeux. Lorsque je les rouvris, il était encore là.
—Mais... Mais... Mais...
Commençai-je en serrant le peignoir contre moi.
Le squelette vivant se leva. Fit un pas vers moi.
Tétanisée, je le regardais.
"J'ai lavé tes fesses durant de nombreuses années. Je
viens enfin chercher ma femme. Je suis sorti du cimetière pour
toi chérie. "
Entendis-je.

48
Non... Non...non...j'étais folle.
Je poussai un grand hurlement.
Le propriétaire de la tombe où je lavais mon intimité était
là pour moi. Il venait récupérer ce qu'il lui appartenait.

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50
CHAPITRE 04

Qui cherche trouve, c'est bien connu.


Parfois, on ne trouve pas seulement ce qu'on a cherché,
on va au-delà.
Croire que c'est terminé alors que le pire reste à venir. Se
dire que nous ne pourrons pas supporter plus que la situation
présente alors que rien n'est encore dessiné.
Vous savez, il est très difficile de sauver quelqu'un contre
lui-même.
Je compris tellement de choses en quelques jours. Après
avoir vécu une vie dorée, en semant la désolation et le malheur,
je compris enfin.
Personne ne pouvait m'aider. Car je n'étais pas prête. Ce
n'était pas d'une main tendue dont j'avais besoin mais d'un réveil
personnel et de la repentance.
Aider quelqu'un qui n'est pas prêt est comme apporter de
la nourriture à celui qui a soif.
Vous n'y parviendrez pas. Même avec toute la bonne vo-
lonté du monde.

51
Je le certifie aujourd'hui parce que je sais intrinsèque-
ment que ça ne changera pratiquement rien.
Il y a ceux qui vont comprendre et auront un sursaut de
lucidité.
Ils puiseront probablement en eux-mêmes pour tenir la
main tendue et rebondir.
Il y a aussi, ceux-là, déjà noyés comme moi qui vont re-
fuser de se réveiller.
Oui, je vous ai révélé dès le départ que mon histoire était
particulière et extraordinaire.
J'ai dû puiser au fond de moi pour essayer de m'en sortir
mais il se faisait déjà tard.
Tard, car la vie ne nous offre parfois qu'une seule chance
qu'il faut saisir.
Les choses arrivent comme nous les avons prévues dans
la plupart de temps. Rien n'arrive par hasard. Nous sommes les
responsables de nos malheurs à quatre-vingt-dix pour cent de
cas.
J'étais pourtant promise à une belle vie. Si seulement,
j'avais pu m'arrêter à temps.
Ce soir-là, je faisais face à une situation particulière.

52
J'aurais tant voulu ne pas me le rappeler aujourd'hui.
Mais il le faut si je dois tout vous révéler. Je ne cacherai rien.
Je me sens si lasse. Le vent frais de cet après-midi m'ef-
fleure la peau. J'ai laissé la fenêtre ouverte. Je sais que je ne ver-
rai plus la lumière du jour. Ceci ne m'inquiète plus. J'ai envie de
me lever et d'aller contempler pour la dernière fois la beauté de
la nature. J'ai envie d'écouter les oiseaux chanter. Je veux leur
parler.
Mais déjà mes forces m'abandonnent, je dois vite faire
avant de tout lâcher complètement.
Je reprends ma plume.
Lisez !

Pétrifiée, je continuais à regarder ce squelette vivant.


Non !
Ce n'était pas possible.
Il s'approcha de moi.
Comme dans un film d'horreur, il posa sa main osseuse
sur mon épaule qu'il prit la peine de dénuder. Je sentis un froid
glacial m'envahir. C'était comme si j'étais à l'intérieur d'un réfri-
gérateur.
Je ne pouvais pas bouger mais je sentais mon cœur battre.

53
—Ma petite Cloclo, j'espère que nous pourrons enfin
fonder une grande famille. Je suis Oscar. Tu es si belle. J'ai mis
du temps à venir te voir. Je voulais que tu sois prête à m'accueil-
lir. Ne t'en fais pas. J'ai tout prévu pour toi. Les billets, il yen
aura suffisamment pour toi. Je savais qu'un jour, une belle jeune
fille allait enfin me libérer. J'ai été heureux de te donner tout cet
argent. Aujourd'hui, tu les auras en direct...
Oscar ? Ce squelette avait un prénom ! Ce n'était pas un
rêve.
Mes pieds se mirent à trembler au sol. Je crus que j'allais
m'écrouler. Mais une force surhumaine me maintenait debout.
—Je t'aime Cloclo. J'ai tout l'argent du monde pour toi.
Ma petite chérie. Nous allons fonder enfin notre famille tous les
deux.
Continuait-il.
J'écoutais comme une simple spectatrice. Il me fallait ré-
agir. Peu importait comment, je devais me réveiller.
Du fond de moi, jaillit mon instinct de survie.
Je bondis comme un léopard pour me retrouver à la porte
de la chambre que j'avais laissée ouverte.
Je sortis comme une fusée de la chambre sans laisser le
temps au squelette Oscar de comprendre ce qu'il se passait.

54
J'avais dévalé les dizaines de marche de mon escalier en
une seconde.
Avant même de m'en rendre compte, j'étais arrivée à la
grande rue, déserte à cette heure de la nuit.
Seuls les bruits nocturnes me permettaient de savoir que
j'étais encore en vie.
Mon peignoir baillant, les yeux hagards, la bouche ou-
verte, j'avançais comme un zombie.
Où allais-je ?
Aucune idée. Sur le moment, je voulais m'éloigner. Je
désirais quitter la terre.
Un squelette humain se trouvait dans ma chambre et il
parlait.
Un squelette humain était prêt à former une famille avec
moi.
Je me mis à rire tout doucement. Je riais sans m'arrêter.
Et puis, ce fut le silence.
Hébétée, je regardais autour de moi sans rien voir. Je ne
savais plus quoi faire. J'étais perdue. J'étais seule.
Je me mis à haleter.
Durant plusieurs minutes, j'avais parcouru une grande
distance, sans chaussures, les pieds en contact direct avec le

55
goudron, inconsciente des graviers qui me perforaient la plante
des pieds, des dangers de la nuit.
À cet instant précis, j'aurais pu traverser l'océan à pieds
sans aucune inquiétude.
Je marchais, encore et encore. Jusqu'à ce qu’une lueur
blanche très loin à l'horizon m'obligea à m'arrêter. C'était les
phares d'un véhicule qui s'approchait.
Je courus devant elle en disant, la voix brisée :
"Aidez-moi... Aidez-moi... !!!"
Le temps pour le chauffeur de ralentir à ma vue, il se fai-
sait tard. J'échouai sous son capot.

J'eus miraculeusement la vie sauve.


À mon réveil, j'étais allongée sur un lit d'hôpital.
—Où suis-je... ? Demandai-je péniblement dans un mur-
mure.
—Enfin, tu te réveilles Cloclo. Qu'est-ce qu'il t'a prise
d'aller te jeter sous une voiture ? Tu ne sais pas comment traver-
ser la route ?
C'était ma mère. Que faisait-elle là ?
—Maman ?
Je n'arrivais pas à tourner la tête pour la regarder.

56
J'avais si mal, partout, physiquement, psychologique-
ment.
—A cause de toi, j'ai dû écourter mon séjour au bord de
la mer. Pour une fois que je devais m'amuser avec des amies.
Pourquoi es-tu ainsi Cloclo ?
Je ne savais même pas pourquoi elle se plaignait.
Tout ce que je me rappelais était qu'il y avait un squelette
vivant dans ma chambre.
—Cloclo, tu ne peux pas faire attention à toi ? Regarde
dans quel état tu te trouves maintenant ? Comment vas-tu tra-
vailler maintenant ? Quel homme voudra de toi ainsi ?
Ma mère parlait. Elle alignait plusieurs phrases à la se-
conde. Elle s'inquiétait pour l'argent que je devais ramener. Et
pourtant, mon compte en banque était plein à craquer. Pourquoi
n'était-elle jamais satisfaite ?
Je dis tout doucement :
—Il y'a un squelette vivant dans ma chambre maman. Il
est venu me chercher. Il s'appelle Oscar.
Je crus que ma mère ne m'avait pas entendue. Son silence
se prolongeait. Enfin, sa voix retentit.
—Ne dis pas de bêtises Cloclo. Tu as rêvé.
Ce fut tout.

57
Je me mis à pleurer. Les larmes coulaient toutes seules.
Elles inondaient mes joues. Elles échouaient dans ma bouche. Je
me mis à y boire goulûment.
Qu'allais-je faire ?
Je n'avais pas rêvé.

Durant plusieurs heures, je ne sus pas ce qu'il se passa


autour de moi. Je nageais entre un état de réveil et d'incons-
cience. Je me mis à délirer.
Ma mère dit aux médecins que j'étais fatiguée. Que
j'avais besoin de repos.
Non, criais-je à moi-même, je voulais que ce squelette
disparaisse de ma tête. Car il était là-dedans. Il avait pris toute la
place. Je ne pensais à rien d'autre.
Je ne sais pas combien de jours je passai à l'hôpital.
Les médecins s'accordèrent à dire que je devais retourner
chez moi.
Je voulus protester mais je n'avais plus assez de force.
Ma mère, qui était là promit de prendre soin de moi à la
maison.
—Elle va prendre ses médicaments. C'est un sale mo-
ment à passer. Ça va lui aller.

58
Dit-elle au médecin d'un ton rassurant.
J'avais un pied dans le plâtre. J'avais échappé de justesse
à un traumatisme crânien. Mes jours n'étaient pas en danger, du
moins pour eux.
Je ne voulais pas retourner chez moi.
Ma mère ne m'écouta pas. Elle me ramena à la maison.
Là où le squelette était apparu.
Elle me remit dans ma chambre.
—Je ne dors pas ici maman. Je change de chambre.
—Ne fais pas l'enfant Cloclo. À cause de ta stupidité,
nous avons raté ce grand cheikh qui vient de Dubaï. Mais ce n'est
que partie remise. Tu vas vite guérir et nous allons recommen-
cer.
Je ne l'écoutais plus. Je ne savais même plus de quoi elle
parlait.
Pendant tout ce temps, je pensais à Vincent. Seule son
image me permettait de tenir.
Je suis sûre que j'aurais tout abandonné s'il n'avait pas été
présent dans mon esprit.
Je ne l'avais plus revu.
Il ne savait pas sûrement que je souffrais.
Il serait venu me consoler. J'en étais sûre...

59
Je me promis de l'appeler lorsque j'allais me remettre. Je
refusais qu'il me voit dans cet état délabré.

La première nuit dans ma chambre, je la passai les yeux


ouverts. Je regardais autour de moi. Je ne dormis pas. Je me di-
sais que le squelette allait revenir.
Rien ne se passa.
Le lendemain, très tôt, ma mère me présenta une femme
qu'elle avait recrutée pour veiller sur moi.
—Je vais continuer mon séjour au bord de la mer.
Dit-elle pour se justifier.
J'avais envie de ma mère à mes côtés. J'avais besoin de
celle qui m'avait donné la vie. Jusqu'à cet instant, j'espérais
qu'elle serait pour une fois dans sa vie une mère.
Elle s'en alla et me laissa seule face au monstre.

La nuit allait tomber, j'étais encore seule. La femme en-


gagée par ma mère avait eu un problème familial.
"Désolée mademoiselle, je dois y aller. Je ne serai ab-
sente qu'une petite nuit. Je vous reviens."
J'eus envie de la supplier. De lui dire que j'avais peur de
rester dans cette maison qui était devenue un cimetière.

60
Je ne pouvais même pas me déplacer toute seule. Clouée
au lit, je ne pouvais compter que sur moi-même.
Je regardais autour de moi, les yeux brillants, lorsqu'en-
fin, je le vis entrer.
Je m'y attendais.
Je levai la tête.
Il marchait tout droit. Et chaque pas était silencieux.
Son crâne était fixé vers moi.
Je me mis à bouger sur le lit. Je voulais fuir.
Je me reculais tout doucement.
Il s'arrêta au bord de mon lit
Mon cœur battait la chamade. Il galopait.
Il allait sûrement s'arrêter. À cet instant précis, mon
pauvre cœur ne pompait plus seulement le sang mais toute ma
peur.
—Bonsoir ma chérie, tu m'as manqué. Fais-moi bisou !
La voix était bien compréhensible et pourtant, j'étais sûre
que la bouche ou plutôt ce qu'il en restait ne bougeait pas.
La sueur trempa le lit.
J'ouvris la bouche pour parler mais aucun son ne franchit
mes lèvres.

61
Avant même que j'aie pu comprendre ce qu'il allait se
passer, le squelette vivant avait attrapé mes jambes qu'il tira
brusquement vers lui.
Je me mis à hurler.
Il me tint si fort que j'eus mal. Il ne tenait pas compte de
mon pied droit plâtré.
Il m'écarta les jambes. Dans un état second, je le vis reti-
rer ma petite culotte et jeter au loin.
Alors, il enfonça toute sa main droite dans mon intimité.
Le souffle coupé, les yeux prêts à sortir de leur orbite, je
regardais le squelette commencer son mouvement de va et viens.
Certaines douleurs sont indescriptibles.
Je compris enfin ce qu'il se passait.
J'étais entrain de me faire violer par un squelette humain.
Je perdis connaissance.
J'avais besoin d'un miracle pour me sortir de là.
Vers qui allais-je me tourner ?

62
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CHAPITRE 05

J'ai voulu une vie facile.


J'ai voulu de l'argent.
Je l'ai eu au-delà de mes attentes
Mais je ne savais pas alors que j'allais un jour payer le
prix fort.
Si je l'avais su, l'aurais-je fait ?

Lorsque le jour se lève, il vous donne l'illusion que tout


va bien. Et pourtant...
Nous traversons souvent la nuit noire dans un état indes-
criptible. Ce n'est pas toujours facile de se dire que demain tout
ira bien. Mais quel espoir avons-nous si ce n'est celui de s'accro-
cher au futur ?
Je me disais bien que je payais là le prix de tous mes
crimes.
Je reste convaincue au fond de moi que rien n'arrive au
hasard. Nous sommes les creuseurs de nos propres tombes.
Un squelette humain était entrain de me violer, de pren-
dre mon intimité.

65
J'avais vendu mon âme sous l'autel d'un bien éphémère.
Je voulais beaucoup d'argent. Je l'ai eu mais à quel prix ?
Je me retrouvais toute seule à me battre, à rechercher une
voie de secours, la lumière.
Lorsque je revins à moi plus tard, j'étais seule dans ma
chambre. C'était comme si Oscar, le squelette humain n'avait ja-
mais existé.
Non, je n'étais pas folle.
Mon intimité brûlait comme si on y avait allumé un grand
feu.
Je me mis à gémir en me pliant en deux. La douleur de
ma jambe plâtrée avait depuis longtemps disparu.
Tout mon drap était inondé de sang : Le mien
Moi qui auparavant tournais l'œil à la vue d'une seule
goutte de sang, je me mis à contempler ce lac rouge sans réagir.
Vous savez, au plus profond de la douleur, du désespoir,
le seul sentiment qu'il nous reste, c'est : Rien !
Oui, vous avez bien lu.
Il ne nous reste plus rien au fond de nous lorsqu'on nous
a déjà tout pris. Nous ne sommes plus qu'un déchet ambulant
sans aucune substance.
Allais-je accepter de mourir ainsi ?

66
Je me mis subitement à gémir, mue par une volonté de
me relever. Personne ne me croyait. C'était de la pure science-
fiction. Ma mère n'était même pas là.
Le jour s'était levé et je me retrouvais encore toute seule.
Je me mis à traîner mon corps jusqu'à la salle de bain.
Sous la douche, je pleurais enfin. Je laissais mes larmes
couler, seul signe de la jeune fille innocente que j'avais été. Il se
faisait tard désormais.
Ce fut la jeune femme engagée par ma mère qui me tira
de la salle de bain des heures plus tard. Je m'étais assoupie sous
l'eau.
—Oh madame, que faites-vous là sous l'eau ? Vous aurez
pu mourir !
Et ce liquide rouge sur le lit. Vous avez bu hier soir ?
Elle me soupçonnait d'avoir bu. Elle n'était pas capable
de faire une différence entre le sang et le vin. Je secouai la tête.
D'une voix basse, je lui dis :
—C'est le sang.
Elle ouvrit les yeux, effarée.
—Le sang ? Que qui a mis ça là-bas ?
La réponse n'allait pas lui plaire.
—Oscar.

67
Dis-je enfin
J'avais du mal à croire que je venais de prononcer le nom
de ce démon sorti de l'enfer.
La dame, Clarisse m'aida à m'habiller.
Elle me dit également.
—Mademoiselle, et ce sac d'argent, à qui appartient-il ?
Surprise, je levai un regard vide vers elle.
—Un sac ? Où ? Comment ?
—Je l'ai trouvé devant la porte de votre chambre en arri-
vant. Il est plein d'argent. Je l'ai déposé là.
Elle m'indiqua du doigt un grand sac noir plein à craquer
que je n'avais pas vu.
Effectivement, de ma position, je pouvais voir les liasses
de billets déborder.
Qui l'avait déposé et pourquoi ?
Il y avait déjà tant d'énigmes à résoudre.
Celui-ci venait s'ajouter à ma longue liste d'incompré-
hensions.
Je ferai les yeux. Peut-être allai-je me réveiller dans le
corps d'une autre.

68
Vincent déposa sa cuillère et considéra sa femme du re-
gard. Comme toujours le repas avait été succulent.
Sa femme était une bonne cuisinière. Si on lui avait de-
mandé pourquoi il l'avait épousée, il aurait répondu sans hésita-
tion : Parce qu'elle est unique !
Au prime abord, Anna n'était pas d'une beauté renver-
sante. Il fallait la connaître pour admettre qu'elle réunissait
toutes les beautés du monde.
Elle avait su créer un foyer chaleureux et harmonieux au
milieu duquel le seigneur régnait.
En dix années de mariage, il n'y avait rien eu qu'il aurait
pu lui reprocher.
Anna se racla la gorge. Vincent leva les yeux. Elle avait
quelque chose à dire. Ils se comprenaient parfois sans parler.
—Oui Anna...
—Ton amie... Celle qui est venue chez nous...
Vincent sursauta. Il n'avait pas besoin de lui demander
l'identité de l'amie.
—Cloclo...
—Oui, elle m'a semblé bizarre...
Vincent lui avait déjà raconté les circonstances de leur
rencontre. Il ne savait pas pourquoi il avait été attiré vers elle.

69
Ce n'était pas une attirance sexuelle. Il voulait être proche d'elle
comme un frère l'aurait fait.
Il la soupçonnait d'éprouver des sentiments autres que
fraternels pour lui. Il ne pouvait pas le prouver. Ce n'était pas
son but en se rapprochant d'elle.
Depuis plusieurs jours, il avait pris ses distances.
Entendre sa femme parler d'elle le laissait perplexe.
—Oui Anna, un souci ?
—Ton amie m'a l'air tourmentée Vincent. C'est comme
si elle était habitée littéralement par le diable en personne. Je l'ai
regardée. Son regard n'est pas bien.
Vincent sursauta. Sa femme était très perspicace et lu-
cide. À chaque fois qu'elle émettait son avis sur une situation, il
s'avérait fondé plus tard.
—Tu me fais peur Anna...
Elle lui sourit. Et tendit la main pour toucher son bras.
— Non chéri. Tu sais, le seigneur nous a donné la possi-
bilité de venir en aide à ceux qui en ont besoin. À chaque fois
qu'il m'en donne l'occasion, je l'écoute. Ton amie a besoin de la
lumière. Je peux toujours me tromper mais je crois que nous de-
vons lui parler.
Vincent secoua la tête.

70
—Ça fait plusieurs jours comme je n'ai pas pris de ses
nouvelles. Tu sais, c'est une jeune fille très occupée. Elle a beau-
coup d'argent. Elle m'a dit posséder une grande structure qui l'a
rendue riche. Je ne veux pas déranger.
Anna hocha la tête.
—Je sais chéri. J'ai un mauvais pressentiment. Le soir où
elle est venue ici, elle traînait avec elle trop d'ondes négatives.
Je ne sais pas. Je voudrais me rassurer que tout va bien pour elle.
Tu peux faire ça pour moi ? L'appeler et lui demander si elle va
bien !
Vincent comprit que sa femme ne laissera pas tomber le
sujet tant qu'il ne prendra pas les nouvelles de Cloclo.
—D'accord. Je ferai mieux : Demain, je me rendrais à sa
boutique. Je lui parlerai en personne.
Anna sourit
—Merci mon amour. Je serai plus tranquille.
Vincent lui rendit son sourire. Qu'est-ce qui pouvait bien
manquer à une jeune fille belle et riche ? Rien. Mais il allait faire
ce que sa femme voulait de lui.

71
Je regardais la glace devant moi. Cette femme que je
voyais n'était pas moi. Elle avait un regard vide, comme si la vie
l'avait quittée. Elle semblait plus vieille, avec les traits tirés.
Je me touchai le front, les joues. Qu'est-ce qui se passait
? Ce n'était pas moi. Une chose se passait mais quoi ?
Je sursautai en entendant Clarisse siffloter dans la
chambre en changeant les draps.
Sans plus poser de questions, elle s'était mise à la tâche.
Le sac d'argent était enfermé dans l'armoire.
Je dis à Clarisse que c'était ma mère qui l'avait oublié là,
même si je n'y croyais pas moi-même.
Je l'informai que j'allais changer de chambre. La mienne
ne me convenait plus. Cette maison abritait plusieurs pièces. Je
pouvais bien choisir celle que je voulais.
Sans un mot, sans poser de questions, Clarisse fit ce que
j'avais demandé.
J'élus domicile dans une chambre plus petite, bien éloi-
gnée de la précédente. Ce n'était pas ça qui allait arrêter cet Os-
car. J'aurais bien voulu être loin de la maison. Mais je ne savais
pas comment faire.
Livrée à moi-même, j'étais perdue.

72
J'appelai ma mère plusieurs fois. Elle ne décrocha pas.
Elle devait être entrain de s'amuser. Je ne voulais pas la déran-
ger. Cependant, je lui laissai un message
"J'ai besoin de ton aide maman. Je meurs !"
Je ne voulais pas utiliser des mots trop crus mais je n'y
pouvais rien.
Je me mis à réfléchir sur la suite des évènements.
Et si Oscar revenait ?
La nuit tombée, je demandai à Clarisse de barricader la
porte de ma chambre à double tour.
—Tu fermes bien s'il te plaît. Même les fenêtres, il faut
bloquer. Personne ne doit entrer dans cette chambre. Tu reviens
seulement ouvrir le matin.
Elle ouvrit les yeux.
—Mais madame...
—Il faut bien fermer. Est-ce que tu as compris ?
La pauvre femme ne put qu'acquiescer. Elle n'avait pas
voix au chapitre.
Je devais fermer toutes les ouvertures.
Oscar n'allait pas entrer. C'était une tentative de protec-
tion vaine mais je devais faire quelque chose

73
Je ne pouvais pas assister, impuissante à ma descente aux
enfers.

Il se faisait tard lorsque Clarisse me dit enfin :


—Bonne nuit madame. Appelez-moi si vous avez besoin
d'aide
Dans sa voix, se distinguait un brin d'inquiétude. Elle de-
vait se demander si je n'étais pas folle avec toutes mes exigences
de la journée.
Je l'étais probablement pour être prête à passer une autre
nuit dans cette maison.
Clarisse ferma ma porte comme je l'avais demandé.
Tout était bloqué.
Personne ne pouvait entrer. Sa chambre à elle était située
au rez de chaussée. Pour lui parler, je devais me servir de mon
téléphone.
Lorsqu'elle sortit, je laissai la pièce éclairée.
Ainsi, j'allais voir tout ce qui pouvait arriver.
La peur revenait peu à peu mais je pris mon courage à
deux mains pour m'allonger au fond de mon lit. La douleur, lan-
cinante, infligée par Oscar la veille, n'avait pas baissé. Elle était
de plus en plus puissante.

74
J'étais là, couchée sur le dos fixant mon plafond lorsque
j'entendis des bruits bizarres.
Je sursautai sur le lit pour tendre les oreilles.
À cet instant précis, ma fréquence cardiaque devait être
à plus de trois cents battements par minute.
Les bruits venaient du haut, au plafond, au-dessus de
moi.
C'était des grands pas lourds de personnes.
Je me mis à trembler.
Ensuite, un roulement de tambour se fit entendre.
Au même moment, je vis des gouttes de sang couler du
plafond.
Je ne me contrôlais plus.
"Non... Non... Non..."
Disais-je en me reculant au fond du lit.
Les bruits devenaient plus forts, puissants.
Et avec eux, ma peur qui allait crescendo, je crus que j'al-
lais encore m'évanouir lorsque je vis tomber du plafond une cas-
cade d'os. Ce n'était pas un seul, ni deux, ni trois... Qu'en sais-je
encore.
Ils descendaient d'un trou mystérieux.

75
Les yeux ouverts, j'assistais impuissante à une autre série
d'horreur. Cette fois ci, mon cœur allait lâcher.
Je vis un rang de squelettes humains devant moi. Ils
étaient si nombreux que ma tête tournait.
—Non... Non... Non...
Un squelette se détacha de la foule et s'avança vers moi
en secouant ce qui avait été ses reins.
—Cloclo, je suis venu avec ma famille pour la dot. J'ai
déposé le sac d'argent devant ta porte ce matin. Je sais que tu
aimes l'argent. Voici d'autres sacs.
Je vis plusieurs sacs atterrir au pied de mon lit.
—Ma famille tenait à te connaître.
Les crânes se balançaient. Ça devait être un rêve. C'était
la seule explication plausible.
Je dus me pincer pour être sûre que je ne rêvais pas.
Déjà, Oscar s'était penché sur moi.
—Ma mère dit que tu ne ressembles pas à un être humain.
Je rêvais ! Un squelette me disait que je n'étais pas hu-
maine.
—... Elle ne sait pas si tu seras une bonne femme pour la
famille. Elle dit que tu n'es même pas belle.
Je me mis à crier.

76
Quelle force me poussa à me lever pour me diriger vers
ma salle de bain malgré mon handicap ? Je ne le sais pas.
Je fermai la porte de la salle de bain derrière moi en
sueur. Les squelettes m'avaient regardée traverser sans m'arrêter.
Je tremblais en m'adossant sur la porte.
"Non... Non... Non..."
Qu'allais je faire de la famille de squelettes qui m'atten-
dait dans la chambre ?
Je reculai vers le miroir en tremblant. Il me fallait une
arme. N'importe quoi pour me défendre.
Mon regard traversa le miroir. Je fis un nouveau pas pour
revenir en arrière
Je croyais avoir vu quelque chose.
Je me fixais. Je regardais de plus en plus.
Je comprenais enfin.
Dans le miroir, devant moi, cette femme, ce n'était plus
moi.
J'étais devenue une grand-mère de quatre-vingt-dix ans,
c'était mon nouveau visage.
Je me mis à hurler sans fin.

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78
CHAPITRE 06

On dit qu'un malheur n'arrive jamais seul. Ce qu'on ou-


blie de préciser est que parfois, ce n'est pas le malheur en lui-
même qui est le problème, c'est ce qu'il entraîne avec lui.
———————————————
Je me sens si lasse. Je dépose mon stylo. Je me frotte les
yeux. J'entends mes os craquer. La fatigue, la douleur, devenues
partie intégrante de moi depuis plusieurs semaines refont sur-
face.
Mes yeux sont fatigués. Mon acuité visuelle a baissé.
Ce n'est que normal, bien que la situation à laquelle je
fais face soit extraordinaire.
Je me souviens encore de cette nuit funeste.
Quitter de belle jeune fille de vingt-trois ans à une vieille
femme de quatre-vingt-dix ans, c'était tout simplement impos-
sible jusqu'à ce que ça ne m'arrive.
Je peine à reprendre le stylo. Mes doigts tremblent. Mais
je sais que je dois continuer. Malgré les blessures, les stigmates,
les peines lourdes du passé, je me dois de ne pas lâcher.

79
Il me faut prendre sur moi-même pour aller jusqu'au
bout.

J'étais dans la salle de bain, essayant de comprendre ce


qu'il m'arrivait.
J'espérais m'être trompée. Un autre coup d'œil à la glace
me fit revenir à la réalité : Quelqu'un venait de s'approprier mon
visage.
Il était arrivé une chose horrible.
Cette vieille femme, ce n'était pas moi
J'étais jeune, belle, fraîche. Ce visage ridé, sombre, et
sans aucun trait m'était inconnu.
Je me mis à reculer. Mon dos buta sur le mur derrière
moi. Je secouai la tête.
Je devais me réveiller.
Derrière la porte de la salle de bain, une voix retentit.
"Cloclo, tu mets trop long dans la salle de bain. Ma fa-
mille est impatiente. Maman va se fâcher "
C'était la voix d'Oscar. Je l'avais complètement oublié.
La situation à laquelle je faisais face actuellement était pire. Dire
que je croyais qu’avoir un os pour fiancé était déjà étrange, je
n'étais pas arrivée au bout de ma peine.

80
Je m'étais lourdement trompée.
Je me laissai glisser sur le carrelage froid de la salle de
bain et je pris ma tête entre les mains. Alors, je laissai libre cours
à ma peine, à ma douleur, à mon désespoir.
Je n'entendais plus les chuchotements de l'autre côté.
J'étais lasse et j'appelais la mort de toutes mes forces.
"Maman, regarde dans quoi tu m'as mise. Regarde ce que
je suis devenue pour de l'argent."
Je pleurais toute seule.

Les coups à la porte me firent sursauter. J'ouvris les


yeux... Hagarde, j'essayai de comprendre où j'étais, de me re-
trouver.
Ça me prit une fraction de seconde pour me rappeler.
—Mademoiselle, mademoiselle...Ça va ? Je suis venue
prendre soin de vous, mais vous avez bloqué la porte de la salle
de bain. Mademoiselle ?
C'était la voix inquiète de Clarisse.
Je me tassai un peu plus sur moi, les jambes repliées jus-
qu'à mon torse. Même celle handicapée ne me faisait plus mal.
J'avais fini par m'écrouler, épuisée.
—Mademoiselle ?

81
Elle n'allait pas arrêter.
—... J'appelle quelqu'un de venir m'aider à casser la porte
si vous ne dites rien !
Elle attendit quelques secondes.
—J'appelle votre mère !
J'eus un sourire amer.
Ma mère !
Et péniblement, j'émis un son qui était à la fois un mé-
lange de mots et de pleurs.
—Je suis là. Je vais bien. J'arrive.
Encore quelques secondes.
Les pas s’éloignèrent.
Le jour s'était levé. Oscar et sa famille n'étaient plus là.
Qu'est-ce qu'il me restait à présent ?
J'eus peur d'aller vérifier mon visage dans la glace. Et si
rien n'avait changé ? Et si la vieille femme au visage fripé était
toujours là ?
Je me remis à gémir tout doucement en me balançant
d'avant en arrière.
J'étais à bout.

82
Vincent regarda la jeune femme d'une trentaine d'années
devant lui.
C'était vers elle qu'on l'avait dirigé lorsqu'il était arrivé
au magasin vendant les vêtements exclusivement féminins. La
jeune femme devait être l’assistante de Cloclo. Il n'y connaissait
rien en vêtements féminins. Les rares fois où son épouse l'avait
traîné faire les courses, il dormait dans les magasins.
Il lui avait fallu une trentaine de minutes pour se retrou-
ver. Très tôt ce matin-là, Anna lui avait dit :
"N'oublie pas d'aller rendre visite à ton amie. Tu dois lui
parler et invite-la à revenir à la maison s'il te plaît."
Vincent ne comprenait pas pourquoi sa femme avait cette
obsession pour Cloclo.
Il doutait fort que cette dernière ait le temps pour eux.
Il ne voulait pas avouer à son épouse que la jeune femme
qu'elle cherchait tant à sauver voulait son mari.
Il se tut.
—N'oublie pas Vincent. Tiens-moi au courant. Je serai à
l'école des enfants cet après-midi.
Il secoua la tête.
—J'ai une journée chargée et...

83
Le coup d'œil que lui lança son épouse l'obligea à s'arrê-
ter.
—... D'accord. Je le fais cette matinée.
—Merci mon chéri. Tu es gentil !
Gentil ? Il l'était. Vincent savait que c'était grâce à sa
femme s'il était devenu un homme meilleur. Avant elle, il ne sa-
vait même pas ce qu'il voulait dans la vie. Sans être mauvais, il
n'avait jamais eu une vie posée ou rangée. Il n'était qu'un être
perdu sans réelle substance.
Anna le fit découvrir un être supérieur qui changea com-
plètement sa vie. Il crut en lui et alors, le monde s'illumina pour
lui.
Pour elle, il était prêt à tout.
Même à affronter dans une grande boutique de femmes,
sous le regard médusé de certaines clientes, une capitaine en ju-
pon.
—Pourrais-je voir Claudette ? Insista-t-il.
Il était plus tard que prévu.
Il s'était retrouvé coincé dans les embouteillages. Et
aussi, il devait commencer par son bureau. Il avait essayé de
joindre Cloclo par le numéro qu'elle lui avait donné mais il ne
passait pas.

84
La jeune femme lui lança à peine un regard. Au coin droit
de sa blouse de travail, un nom était lisible.
—Lydie, c'est ça ? Je dois parler urgemment à votre pa-
tronne. C'est une affaire de famille.
Elle lui répondit enfin
—Mademoiselle n'est pas là. Monsieur, j'ai les clientes
devant moi à servir et...
—Elle a voyagé ?
Lydie roula les yeux.
—Je ne sais pas.
Et ce fut tout. Vincent poussa un soupir d'exaspération.
Celle-ci commençait à lui sortir par les narines. Elle se compor-
tait comme s'il lui demandait la formule d'une arme nucléaire.
Il était sur le point de poser une autre question lorsqu'il
s'arrêta. Il se savait bel homme. Et un compliment bien placé
savait délier les langues.
—Vous avez une belle peau. Vous utilisez quel lait de
toilette ? C'est pour ma mère.
Ajouta-t-il en lui faisant un clin d'œil appuyé. Il essayait
ainsi de l'amadouer.
Il serra sa main gauche dans sa veste.

85
Lydie minauda et se lança dans une description inconnue
du pauvre homme. Subitement, elle n'avait plus de clientes.
Trente minutes plus tard, Vincent ressortait avec son in-
formation. Cloclo n'était pas malade. Elle avait eu un accident et
se reposait.
Vincent secoua la tête. Au moins, Lydie lui avait donné
son adresse.
Il se mit en route. Elle vivait à une heure de sa position.
Il espérait la trouver chez elle. Le jeune homme ne voulait pas
parcourir tous ces kilomètres pour rien. Pour rassurer sa femme,
il était obligé de le faire.

Je sortis enfin de la salle de bain des heures plus tard. Un


calme régnait dans la grande maison. Je ne savais pas où était
passé Clarisse.
En claudiquant, je me rendis dans ma chambre. Il n'y
avait personne.
C'était comme si j'avais imaginé la scène de la veille.
Seuls les sacs remplis de billets de banques neufs alignés
au pied de mon lit témoignaient que tout était bien réel.
Je sortis de la chambre. La douleur à la jambe avait long-
temps disparu pour laisser place à celle de mon âme.

86
—Clarisse... Clarisse...
Personne ne me répondit.
Elle avait laissé un plat à la cuisine avec un mot.
"Je suis allée chercher le linge mademoiselle. Je reviens."
Dans cette cuisine immense qui avait toujours fait la
fierté de ma mère, je me sentis minable. Si minable que je crus
que j'allais m'écrouler. Je tirai la première chaise à ma portée
pour m'asseoir.
Les rayons du soleil qui traversaient la fenêtre grande ou-
verte indiquaient que la journée était déjà bien entamée.
J'étais restée enfermée longtemps dans ma salle de bain.
Il n'y avait pas mille solutions à mon problème.
Je devais quitter cette maison et m'en aller très loin.
J'avais cette journée pour le faire. Je refusais de passer
une autre nuit avec les squelettes.
J'avais assez supporté. Il me fallait partir.
Je pris ma tête entre mes mains. À quoi ressemblais-je
maintenant ?
Je ne voulus pas le savoir.
Je poussai un autre lourd soupir.
Tout cet argent !
Une sonnerie interrompit le cours de mes pensées.

87
Sûrement Clarisse qui revenait de la ville. Elle avait dû
oublier les clés.
Je me levai péniblement pour rejoindre la porte.

Je puisai au fond de moi mes dernières forces pour tirer


la lourde porte en bois qui s'ouvrit enfin, laissant apparaître un
visage familier que j'aurais reconnu entre mille.
Il me fixait.
Je voulus reculer. Mais déjà, il disait :
—Bonjour, excusez-moi, je veux parler à Cloclo, vous
devez être sa grand-mère ?
Vincent me fixait et je compris.
Mon visage n'était pas revenu.
Au moment où je voulus répliquer, une voiture gara à
quelques mètres de nous.
La conductrice sortit rapidement et se dirigea vers nous.
C'était ma mère.
Elle était en colère.
Vincent et moi la vînmes marquer de grands pas pour
nous rejoindre.
Elle regarda Vincent et son regard revint à moi.

88
—C'est qui la grand-mère ci chez moi ? Grand-mère, as-
tu perdu ta route ?
Vincent me regarda, avant de revenir à ma mère.
—Maman, c'est moi, Cloclo... Dis-je enfin d'une toute
petite voix audible.
Ma mère poussa un hurlement, Vincent sursauta.
Je me remis à pleurer. Tout me revint.
—Maman, c'est moi. Sauve-moi. J'ai besoin d'aide...
Disais-je en tendant les mains vers elle.
Il fallut une seconde à ma mère pour prendre ses jambes
à son cou.
Elle s'éloignait en criant
—Ce n'est pas ma fille. Ma fille n'est pas une grand-
mère...
Je la vis arracher sa perruque, la jeter dans le jardin à sa
droite avant de continuer à courir comme une fusée.
Je pleurais alors qu'elle s'enfuyait.
—Maman... Maman... C'est moi... Cloclo... Aide-moi...
J'allais m'écrouler. Vincent fut plus rapide. Il me tint par
les épaules.
—C'est moi Vincent. Je suis Cloclo.
Dis-je en levant les yeux larmoyants vers lui.

89
Je voulais tant qu'on me croit. Je voulais qu'on m'aide.
Il allait fuir, comme ma mère.
À la place, il me dit :
—Je sais Cloclo. Je suis là maintenant. Anna avait raison.
Je suis là pour t'aider.
Il me prit dans ses bras.
Éperdue de reconnaissance, je tressautais dans ses bras.
—C'est moi... C'est moi...
Il me caressait la tête.
—Je suis là Cloclo. J'ai la lumière avec moi. Notre Dieu
est plus puissant. Nous allons nous en sortir.
Allais-je trouver le bout du tunnel ? Je me remis à pleurer

90
CHAPITRE 07

Lorsque toutes les portes semblent fermées, il existe tou-


jours une dernière qui cédera, si on y exerce une légère pression.
Un seul être peut nous permettre d'y arriver. Cherchez-le !
Je savais que tout était terminé pour moi avant même de
le comprendre.
Après avoir passé de nombreuses années à jouir d'une ri-
chesse inouïe que je ne méritais pas, j'en payais le lourd tribut
aujourd'hui. Oui, je me retrouvais entrain de me battre pour ne
pas sombrer complètement.
Tout avait commencé comme un jeu. Aujourd'hui, l'étau
se resserrait autour de moi.
Vincent me fit asseoir. Il me tenait les mains. Je tremblais
comme une feuille morte. Il ne dit mot. Le silence était révéla-
teur. Après un long moment, je le brisai enfin.
—Vincent, c'est moi...Cloclo
J'essayais de m'en convaincre moi-même. Je me rendis
compte que je peinais à ouvrir les yeux.
Vincent se mit à parler tout seul. Je compris qu'il priait.

91
—Père, ta servante a besoin de toi. Père éternel, roi des
rois, écoute-nous. Nous nous tournons vers toi ce jour pour t'im-
plorer et implorer ta miséricorde. Toi qui es grand et fort. Nous
te demandons pardon pour nos péchés...
Il continuait à parler tandis que j'écoutais, perdue.
—Nous sommes là car nous avons besoin de ta lumière
oh seigneur. Écoute-nous. Écoute nos plaintes. Nous avons be-
soin de ton aide pour éclairer notre chemin.
Je ne comprenais plus rien. Il continuer à parler, j'es-
sayais de me remémorer les derniers événements. Comment en
étais-je arrivée là ?
Curieusement, plus il parlait, plus je me sentais plus lé-
gère. Ce n'était que des mots, mais ils semblaient m'apaiser.
Je l'entendis enfin pousser un soupir.
—Que s'est-il passé Cloclo ?
Demanda-t-il enfin après s'être arrêté.
J'essayais d'ouvrir les paupières. Ça me prit plusieurs se-
condes pour me rappeler que c'était à moi qu'il parlait.
—Je...
Que lui dire ? Que révéler alors que j'essayais encore de
me retrouver ?

92
Il n'avait pas fui en me voyant. Allait-il seulement rester
en m'écoutant ?
Le plus urgent maintenant était de quitter cette maison.
Et je le lui fis savoir.
—Vincent, s'il te plaît. Je veux quitter cette maison.
Aide-moi à partir. S'il te plaît. Ils sont là. Ils vont me tuer.
Mon ton implorant le fit frémir.
Je devenais de plus en plus mystérieuse et moi-même, je
n'aimais pas ça.
Pour toute réponse, Vincent me dit :
—Notre seigneur est assez grand et merveilleux pour
pardonner à ses enfants. Il l'a déjà fait et le fera toujours. Il faut
venir à lui et le laisser nous guider. Si tu veux quitter cette mai-
son, soit. Je t'aiderai à partir. Mais retiens qu'on ne quitte pas ce
qui nous colle à la peau.
C'était les mots que j'attendais pour déclencher un torrent
de larmes.
Oui, mon mal me tenait à la peau.

Il fallut encore des heures à Vincent pour me calmer. Je


le vis sortir un téléphone pour appeler quelqu'un.

93
C'était sa femme à la façon dont il parlait à son interlo-
cuteur.
J'eus un pincement au cœur. Et soudain, je pensai à ma
situation actuelle. Vincent serait-il prêt à m'aimer maintenant ?
Est-ce que je pourrais vivre avec lui ?
C'était incroyable d'avoir des pensées pareilles alors que
je me mourais.
Et puis, je me dis que l'esprit humain n'était de toute évi-
dence pas censé avoir des pensées logiques. Alors que je vivais
probablement mes dernières heures, je pensais au mari d'une
autre femme.
La fuite de ma mère aurait dû m'inquiéter.
J'entendis quelqu'un entrer. C'était Clarisse qui revenait
de ses courses.
Elle sursauta à notre vue.
—Tu es là Clarisse... Lui dis-je enfin.
La main sur la bouche, la jeune femme poussa un cri stri-
dent. Laissant tomber le baluchon qu'elle avait en main.
—Mon Dieu, des voleurs !
Vincent me tenait toujours fermement contre lui comme
s'il avait peur que je ne m'envole.
—Des voleurs... Des voleurs...

94
Disait Clarisse en reculant.
Vincent lui dit.
—Bonjour madame... Nous...
—... C'est moi Clarisse... Dis-je enfin. C'est Cloclo. S'il
te plaît, tu peux retourner chez toi. Je veux rester seule.
Elle ouvrit les yeux. La voix lui était familière, pas le vi-
sage.
—Qui ?
—Clarisse ! Je vois que tu as appelé ma mère. Rentre
chez toi s'il te plaît.
Cette fois-ci, elle n'attendit pas deux fois avant de pren-
dre ses jambes à son cou.
Je la vis disparaître
Comme ma mère, elle était partie.
Vincent sentit mon désarroi
—Prends tes effets, je t'emmène chez nous. Anna saura
quoi faire.
Je secouai la tête.
—Elle ne peut plus rien pour moi. Je...
—Cloclo, je ne sais pas ce qu'il se passe. Je ne sais même
pas comment tu as pu changer ainsi. Mais je sais une chose, il
y'a un être capable de changer l'impossible en possible. Lui seul

95
trouve une porte là où il n’y a pas de chemin. S'il te plaît, viens
avec moi. Anna trouvera une solution. Tu lui diras la vérité si tu
veux. Mais retiens que la porte du seigneur n'est pas fermée. À
l'obscurité, la lumière apporte la solution. Viens.
Sa voix se faisait si douce et j'étais si fatiguée.
Je devais quitter cette grande maison.
Je levai mon regard perdu vers lui.
—Je ne veux pas vous créer des problèmes. Je ne...
—Aider son prochain est une mission noble pour nous.
Le père nous demande de tendre la main à ceux qui en ont besoin
lorsque c'est nécessaire.
Le regard embué, je ne cessais de regarder cet homme.
J'aurais dû chercher l'amour. J'avais poursuivi l'argent. Pour quel
résultat ?

Vincent me prit avec lui. Je n'avais rien emporté.


Je quittai ma grande maison sans rien.
Je n'avais que cette longue robe informe que j'arborais
depuis des jours.
Vincent ne me posa aucune question. Il resta silencieux
tout au long du trajet qui menait chez lui.

96
Au début, je ne sus comment me comporter. Allais je es-
sayer de me justifier ? Lui expliquer ce qu'il se passait réellement
dans ma vie ? Transgresser la vérité ? C'était impossible à déter-
miner, même pour moi.
Mon corps me faisait si mal comme si j'étais passée sous
un train.
Je m'essoufflais à chaque pas. Moi, auparavant, légère et
gracieuse, je peinais à marquer un pas après l'autre.
Je me sentais si lourde.
Vincent conduisait tout doucement.
Par la vitre, je regardais tous ces gens dans la rue. Je re-
gardais ces jeunes femmes aller avec insouciance, cette jeune
maman tirer son enfant par le bras, même cette autre femme avec
un plateau de bananes douces sur la tête.
Jamais auparavant je ne m'étais intéressée à ce qu'il se
passait autour de moi. Depuis que j'étais devenue riche, c'était
comme si le monde externe n'existait plus. Je ne pensais qu'à
moi, qu'à me faire plaisir. Et surtout, je devais me tenir prête
pour la prochaine victime
Aujourd'hui, les choses étaient différentes. Le monde
avait continué, même sans moi.
—As-tu mal ?

97
La voix de Vincent me tira de ma rêverie. Je sursautai,
essayant de comprendre de quoi il était question.
Il pointait du doigt ma jambe dans le plâtre.
Je l'avais complètement oubliée. Elle était devenue le ca-
det de mes soucis.
—Ça va. Je suis tombée.
Lui dis-je.
Il hocha la tête
—As-tu besoin d'un médecin et...
—Non... Non... Je vais refaire une radiographie bientôt.
Nouveau hochement de tête.
Vincent me parlait comme à une personne normale Il
avait quitté une jeune fille quelques jours plus tôt, et aujourd'hui,
il faisait face à une vieille femme.
C'était comme s'il lisait au-delà de mon apparence phy-
sique.
—Nous sommes arrivés. Anna est à l'école des enfants.
Je vais te montrer ta chambre. J'irai ensuite au bureau boucler un
dossier et je reviens. Si tu veux à manger, je peux te préparer
quelque chose avant de sortir.
J'étais sur le point de fondre en larmes. Pourquoi était-il
si gentil avec moi ?

98
Je n'avais jamais eu des pensées saines à son égard.
—Vincent, ça va aller. Merci pour tout
Lui dis-je, la voix cassée.
—Je t'en prie. Nous allons t'aider si seulement si, toi-
même tu veux être aidée. On n'aide pas quelqu'un contre lui-
même
Conclut-il en stoppant sa voiture devant une petite mai-
son qui faisait pâle figure à côté de la mienne.
J'espérais que tout ira mieux pour moi désormais.

Dans la petite chambre, je me mis à réfléchir. Vincent


était reparti, me laissant toute seule.
Il avait déposé un repas sur la table même si je lui avais
dit que tout allait bien pour moi.
—Désolé, Anna ne sera pas contente que je te laisse
mourir de faim.
J'eus un petit rire gêné. Des couples comme le sien, j'en
avais brisés, tellement.
Je ne pouvais pas compter ces familles que j'avais réduit
en miettes. Ces familles disloquées et malheureuses à cause de
moi.

99
Des enfants déchirés entre deux parents, des divorces
sans fin. Je m'étais immiscée dans la vie des couples pour les
séparer.
On finit toujours par payer tous ses actes.
Oscar en était la preuve palpable.
Allait-il me rechercher ?
Ou allait-il découvrir ma cachette ?
Je me mis à trembler toute seule. Soudain, j'eus très peur
d'avoir mis en danger cette famille.
Ce n'était pas mon souhait. Même si je voulais sauver ma
peau, je ne désirais pas que la famille de Vincent soit en danger.
Pour la première fois, j'avais aimé un homme. Un homme inac-
cessible et qui était prêt à m'aider.
Pour le remercier, allais-je disloquer sa famille ?
Je m'endormis enfin, épuisée.

Il était là, dans mes rêves. Je courais. Il me poursuivait.


—Ne me touche pas Oscar, je ne te connais pas.
—Viens ici chérie. Je ne te veux aucun mal.
Je ne l'écoutais pas. Je continuais à courir.
Soudain, je me retrouvai à un carrefour. Je regardais de
gauche à droite, 'j'étais seule. Il n'y avait plus personne

100
Je reprenais mon souffle. Enfin, j'étais libérée.
Au moment où je voulus traverser la route, une main se
posa sur mon épaule, je me retournai, le cœur battant la chamade
"Cloclo, c'est moi, pourquoi m'as-tu fait boire l'eau de tes
fesses ? Ça ne va plus. Je suis devenu fou."
Effarée, j'ouvris les yeux. C'était Yves, mon patron du
supermarché. Que faisait-il dans mon rêve ?
—Non...
Dis-je en voulant échapper à son contact.
" Cloclo, regarde ce que tu as fait d moi. À cause de toi,
je mendie désormais dans la rue."
La voix provenait de ma gauche. Je me retournai. C'était
Hermann, le banquier.
Il avait revêtu des vêtements en lambeaux et me tendait
un panier.
—Non... Non... Non...
Criais-je...
" Cloclo, je n'ai plus de boulot. On m'a renvoyé dans mon
village. "
C'était le ministre qui pleurait au sol.
Je n'en pouvais plus. Je me mis à courir.
Ils me suivaient. Ils étaient si nombreux.

101
Je courais.
—Cloclo... Regarde ce que tu as fait de nous !!!
Entendais-je dans mon dos.
Soudain, quelqu'un me tendit la main.
"Viens Cloclo, je vais prendre soin de toi. Tu seras ma
femme. Meurs pour me retrouver. Tu deviendras rapidement
comme moi !"
C'était Oscar qui venait de surgir devant moi. Le bras en
os m'invitait à le rejoindre.
—Noooooo... Va-t’en... Va-t’en... Laisse-moi... Laisse-
moi...
—Cloclo... Réveille-toi... Réveille-toi...
Deux mains me tenaient fermement.
Je me débattais... Les mains réussirent à me saisir.
C'était des mains de femme.
—Cloclo... Je suis là. C'est Anna. Je vais t'aider.
Elle me prit dans ses bras.
Je m'écroulais sur sa poitrine en pleurant.
—Il veut me tuer. Il veut me tuer.
Disais-je sans arrêter.

102
—Ça ira. Seule la lumière gagne... toujours... Le seigneur
nous viendra en aide. Dieu est vivant. Tu es en sécurité ici. Le
mal n'entre pas là où Dieu vit.
—Qui est Dieu ? Lui demandai-je tout doucement.
Anna me caressait le dos. Je pleurais.

Très loin, Oscar se leva en regardant autour de lui. Les


dernières nouvelles n'étaient pas bonnes.
—Elle est entrée dans une maison de lumière. Il y a cet
être qu'ils adorent là-bas. Nous ne pouvons pas entrer. Il faut la
faire sortir.
La femme qui écoutait hocha la tête.
Elle savait comment débuter Cloclo. Elle la connaissait
bien.
—Oui maître.
Oscar hocha la tête. La pleine lune allait bientôt arriver.
Il avait besoin de Cloclo pour régner sur le monde des ténèbres.

103
104
CHAPITRE 08

La nuit noire nous place face à nos actes.


Lorsque tout est terminé, il devient difficile de trouver
une faille et pourtant, à bien y regarder, nous sommes les solu-
tions à tous nos problèmes.
Anna me calma. La nuit venait de tomber.
Pendant de longues minutes, elle m'écouta gémir sans
rien demander.
C'était une inconnue. Je ne la connaissais même pas
Je voulais pourtant lui arracher son mari. Aujourd'hui,
c'était elle qui me venait en aide
Elle ne fut pas rebutée par mon apparence physique.
Elle ne me posa aucune question embarrassante.
Elle me dit lorsque je pris une pause.
—Cloclo, je suis là pour t'aider. Crois-tu en Dieu ?
—Dieu ? Qui est-il ?
Demandais-je surprise. J'avais entendu parler de cet être
suprême capable de venir à bout de tout, mais pour moi, il n'était
rien.

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J'étais riche. Je vivais comme une reine. C'était le plus
important.
—Laisse-moi te le présenter s'il te plaît. Tu vas t'en sortir.
Mais avant, il est important que tu sois prête à changer. Je n'ai
rien. Je ne possède que ma foi qui m'a toujours guidée et sauvée.
Dès que je t'ai vue la première fois, j'ai compris que tu auras
besoin de moi. Cette nuit-là, j'avais fait un rêve où notre seigneur
me demandait de ramener à lui une brebis égarée, veux-tu me
suivre Cloclo ?
J'observais cette femme attentivement.
Dire que je l'avais trouvée moche, laide. Elle était loin de
tout ça
Anna était si belle. Aujourd'hui, c'était moi la moche.
Elle me parla. Elle chanta des cantiques religieux. Elle
m'invita à la suivre. Vincent fit son entrée et nous accompagna.
Je me mis à parler.
Anna m'avait dit qu'il était important de confesser ses pé-
chés, de nous montrer tel que nous étions pour accepter la pré-
sence du père dans notre vie.
Je n'étais plus en position de négocier.
J'étais prête à tout pour m'en sortir.
Alors, je révélai tout.

106
Je commençai par le début. De ma vie loin là-bas au vil-
lage. De notre arrivée en ville et de tout ce que ma mère m'avait
emmenée à faire.
Je pleurais en le faisant.
Toute cette nuit, personne ne s'endormit.
Ils m'écoutèrent me livrer sans dégoût, sans me juger.
J'étais enfin libre alors que le dernier mot franchissait
mes lèvres.
—Oscar, il veut me tuer pour que je devienne un sque-
lette comme lui. Il me veut auprès de lui. C'est ma pénitence. Je
le mérite.
Conclus-je alors que les premières lueurs de l'aube fai-
saient leur apparition.
—Nous allons combattre Oscar. Il ne gagnera pas. En-
semble, nous nous tiendrons debout, face à lui.
Me dit Anna en me serrant le bras.
J'eus un pâle sourire.
Cette nuit, alors que je contais mon histoire, mon appa-
rence physique s'était encore métamorphosée.
Je vieillissais à chaque seconde alors que je respirais en-
core.

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Anna et Vincent comprirent que les choses étaient plus
sérieuses qu'ils ne le pensaient. Ils ne mirent pas en doute ma
confession.
Ils prirent tout en main.
Anna me dit qu'elle allait laisser ses enfants chez sa sœur
le temps pour nous de trouver une solution définitive.
Nous devions être tous les trois prêts pour nous battre.
—Pourquoi faites-vous ça ?
Demandai-je enfin. Pour moi, rien n'était gratuit. Il y
avait sûrement une chose qu'ils attendaient de moi.
Anna secoua la tête.
—Parce qu'il est important d'apporter son aide à celui qui
en a besoin.
—Mais vous ne me connaissez même pas.
Criais-je
—... Je ne suis rien pour vous. Ni personne...
Je ne mérite pas d'être aidée. Pas après tout ce que j'ai fait
—Tout le monde mérite d'être aidé. Tout le monde.
C'était tout. Vincent fit appeler leur pasteur qui me donna
mon premier baptême.
—Es-tu prête à accepter le seigneur dans ta vie Cloclo ?
Es-tu prête à l'accepter comme seigneur et sauveur ?

108
—Oui... Chuchotai-je péniblement.
Je le voulais.
Oscar n'était plus réapparu. Ni physiquement, ni en rêve.
—Ils vont revenir lorsqu'ils vont comprendre que tu es
sur le point de les échapper. Le diable revient en force en voyant
sa proie lui échapper. Ils vont utiliser tous les subterfuges pour
te faire tomber. Sois forte et crois. Quelque soit la douleur à la-
quelle tu feras face, ne tremble pas Cloclo.

Me recommandait Anna.
Je hochai la tête. J'étais prête.
Quelques jours plus tard, tout semblait allait mieux.
L’accalmie était revenue dans ma vie.
Même ma peau s'était légèrement modifiée...
Revigorée, j'avais l'impression de revivre.
Je vivais de prières désormais. Je chantais et je priais
avec Anna et Vincent. Ils me faisaient découvrir les paroles du
seigneur.
Mon apparence physique ne s'était pas encore complète-
ment améliorée mais je me sentais mieux.
Je pouvais même avaler quelques bouchées de repas.

109
Je me disais alors que j'étais à l'abri de la douleur et qu'il
y avait de l'espoir pour moi.
Ma mère n'avait pas réapparu.
Je n'eus plus aucune nouvelle d'elle, même de Pegui.
Depuis le début, je n'avais pas voulu inquiéter mon petit
frère. Pour moi, il était trop jeune pour vivre tout ce calcaire
Je me promis de le rechercher une fois que je serai guérie.
J'allais lui dire toute la vérité.
J'avais déjà pris la résolution de vendre tout ce que je
possédais pour offrir l'argent aux orphelins et ceux qui en avaient
grand besoin.
Je me promis de recommencer ma vie.
Même si j'avais encore un visage de vieille femme, j'étais
confiante que tout allait se résoudre très bientôt.
J'allais retrouver ma place. J'allais guérir.
Anna me dit que le diable était très malin. Il pouvait re-
vêtir plusieurs visages pour me faire tomber.
—Merci Anna mais je serai vigilante. Notre seigneur
dans sa bonté a voulu me donner une seconde chance. Je ne vais
pas la gâcher.

Anna me sourit.

110
—Je suis heureuse que tu sois si positive Cloclo. Tu es
différente de la femme que j'ai accueillie il y'a quelques jours.
Ce n'est qu'un début mais comprends que quelles que soient nos
erreurs, nos fautes, nous pouvons toujours nous relever et re-
commencer. Tu n'as pas pris les bonnes décisions dans ta vie.
Mais aujourd'hui, tu es une autre personne. Le seigneur t'a par-
donnée.
Anna me tendit la main le bras. Je la pris, reconnaissante.
Reconnaissante envers la vie et envers mes bienfaiteurs.
J'étais si heureuse. Enfin.
Après la pluie, les nuages semblaient enfin se dissiper.
Ce matin-là, Anna et Vincent partirent tous les deux, en
me demandant de ne pas sortir de la maison.
Depuis mon arrivée, je n'avais pas quitté leur demeure.

Ils m'avaient dit qu’Oscar et les autres ne pouvaient pas


entrer dans leur maison car elle était protégée par le sang du sei-
gneur

"Le diable n'entre pas dans les maisons où vivent les en-
fants du seigneur. Il a peur. Ils n’entreront pas ici car la lumière
qui y règne est très forte pour eux.

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Ne t'en fais pas. Tu es à l'abri ici."
Je promis de rester là. Je n'étais pas encore assez forte
pour m'en sortir toute seule. Mon visage avait changé. Je deve-
nais de plus en plus jeune tous les jours. Tout se modifiait.
La guérison était proche.
J'étais dans la cuisine, entrain d'apprêter notre repas lors-
que la sonnette retentit. Je courus ouvrir.
Je ne savais pas qui venait nous rendre visite. Les fidèles
de la paroisse venaient régulièrement prier avec nous.
Toute tremblante, j'ouvris la porte.
Avant d'ouvrir les yeux, surprise
—Pegui !!!
Mon petit frère. Que faisait-il là ? Et comment m'avais-
t-il retrouvée ?
Je tombai dans ses bras, ivre de bonheur.
—Pegui...
—Je suis là Cloclo. Je suis venu pour toi.
Je pleurais de bonheur. Mon frère était là.

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113
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CHAPITRE 09

Nos rêves sont parfois brisés par notre désir intrinsèque


de vouloir à tout prix obtenir au-delà de ce qu'il nous est utile.
J'avais le cœur plein d'allégresse de revoir mon petit
frère. Ça faisait si longtemps.
Avec les derniers événements dans ma vie, j'avais
presque oublié qu'il était en partie la raison pour laquelle j'avais
écouté ma mère pour la première fois.
Je ne l'en rendais pas responsable, loin de là. Ce n'était
pas la faute de Pegui si j'avais accepté de laver mes parties sur
une tombe inconnue à minuit. Il n'y était pour rien si j'avais par
la suite enchaîné plusieurs hommes pour avoir de l'argent.
Et surtout, ce n'était qu'un enfant. Je l'avais toujours pro-
tégé. Son état de santé précaire et l'indifférence de notre mère
m'avaient poussée à être plus proche de lui. J'étais fière de
l'homme qu'il était entrain de devenir.
Il était intelligent et n'allait pas suivre ma voie.
J'espérais qu'il aura un boulot normal et pourra former sa
famille à lui. Je m'étais dit qu'après ma guérison, j'allais lui dire
la vérité sur la provenance de tout notre argent. Ça n'allait pas
être facile. Il allait peut-être me détester, mais je devais le faire
115
Pegui était une partie de moi. Lui mentir longtemps
n'était pas conseillé.
J'étais sur le point de commencer une nouvelle vie.
J'avais désormais le seigneur avec moi, à mes côtés.
Je me refusais de mentir, de cacher la vérité, d'omettre
qui j'avais été. Je n'avais pas d'excuses mais je devais dire la vé-
rité.
Le voir sur le pas de la porte me fit énormément plaisir.
Mon cœur débordait de joie.
—Je suis si heureuse de te voir Pegui... Entre, Anna et
Vincent ne sont pas là. Ils vont bientôt revenir. Je leur ai parlé
de toi. Regarde comment tu as encore grandi...Je...
Alors que je m'effaçais pour l'inviter à entrer, il secoua
négativement la tête.
—Je ne peux pas entrer Cloclo. Maman m'attend dans la
voiture. Elle m'a dit de venir te chercher. Tu sais. Elle regrette
tout ce qu'elle a fait
—Maman ?
Demandai-je, effarée.
Que venait faire ma mère ici ? Où était-elle cachée depuis
plusieurs semaines ? N'avait-elle pas fui à la vue de mon

116
nouveau visage ? N'est-ce pas elle qui m'avait jeté en pâture à la
perdition ? Quelle mère était capable d'une ignominie pareille ?
—Elle dit qu'elle n'aurait pas dû. Elle est prête à changer,
Cloclo. Écoute-la.
Mon petit frère m'implorait d'écouter notre mère. Je ne
savais pas comment il était arrivé jusqu'à moi. Mais si ma mère
était là, ça signifiait qu'elle savait depuis longtemps où je vivais.
Je ne lui devais plus rien. Je ne voulais plus la voir. Anna
avait dit qu'un enfant de Dieu ne possédait pas le cœur plein de
rancœurs. Si le seigneur avait pu me pardonner pour tous mes
péchés, de quel droit refuserais-je de faire de même pour ma
mère ?
Comme moi, elle avait péché. J'allais oublier un jour. En
attendant, il me fallait terminer mon processus de guérison.
Je ne voulais pas la voir. Pas maintenant.
Comme s'il avait senti mon hésitation, Pegui insista :
—S'il te plaît Cloclo, parle à maman. Viens lui parler.
Anna m'avait recommandée de ne pas sortir de la maison
avant la fin de mon processus de guérison.
—Juste quelques minutes Cloclo
Entendis-je.
Je le regardai.

117
—Elle est dans la voiture, là, au coin de la rue. Elle a dit
qu'elle ne voulait pas te troubler et préfère un terrain neutre. Je
suis venu te chercher.
Redit mon frère.
À cet instant précis, je compris que je ne devais pas bou-
ger de la maison et...
—... Je t'aime Cloclo. Merci pour tout ce que tu as fait
pour moi. T'emmener a faire la paix avec maman me permettra
de savoir que je t'ai aidée un jour...
J'eus un pâle sourire. Pegui. Il était toujours aussi sen-
sible.
Il me tendit la main. Je la pris sans hésitation.
C'était mon frère.
—D'accord, allons-y.
Il sourit.
Je marchais à côté de mon frère, mon cœur débordant de
joie. Mon plâtre avait été enfin enlevé. Vincent avait fait venir
un ami médecin à la maison afin de m'aider.
Je pouvais enfin marquer allégrement les pas.
Il me tardait de demander à Pegui ce qu'il avait fait durant
tous les mois écoulés.

118
Je me rendis compte que Pegui allait quitter son pension-
nat coûteux pour un autre à la portée de ma bourse. Je n'aurais
même plus rien à la fin de tout ceci.
Qu'allait devenir mon frère ? Ma culpabilité fut vite ba-
layée lorsque je repensais aux paroles d’Anna
"N'aie pas honte de ce que tu es, de ce que tu fais tant que
tu marches sur la voie de Dieu. Ne baisse jamais la tête. Le sei-
gneur sait toujours comment récompenser ses enfants. Suis la
lumière et ne te laisse pas distraire."
À ces mots, je marquai un pas d'arrêt.
Une voiture grise aux vitres teintées était garée à deux
pas devant nous.
—Cloclo...
Me dit Pegui en se retournant vers moi...
Il avait senti que je m'étais arrêtée.
Et soudain, la lumière se fit dans mon esprit.
J'aurais dû y penser. Comment avais-je pu perdre tout
bon sens et être si aveugle ?
Je m'étais fourvoyé.
J'aurais dû écouter les recommandations d’Anna.
J'étais une idiote.
—Cloclo ?

119
Disait Pegui.
Je le regardais. Je me refusais à admettre enfin ce qu'il se
passait. Je me refusais à avouer au fond de moi-même que je
venais de commettre une grande bêtise.
Je voulus courir et m'échapper.
Mais il se faisait tard.
Deux hommes jaillissaient déjà de la voiture pour m'at-
traper.
Je me débattais. Ils étaient plus forts que moi. Ils me
poussèrent dans le véhicule stationné.
Enfin, je compris ce qu'il clochait depuis l'arrivée de Pe-
gui.
J'aurais dû me demander comment mon frère m'avait re-
connue alors que mon visage n'était pas celui qu'il connaissait.
Pegui n'aurait pas pu me reconnaître. À moins que ce ne
fut pas le vrai Pegui.
Ce n'était pas mon frère.
Comment avais-je pu être si imprudente ? Ne cessais-je
de me répéter inlassablement.
Je me battais en murmurant intérieurement.
"Seigneur, sauve-moi du filet de l'oiseleur. Ne m'aban-
donne pas entre les mains des méchants. Je t'en supplie. Sois à

120
mes côtés. Tu es un Dieu immense et toi seul nous guide sur le
droit chemin, même dans le noir."
Ils étaient nombreux dans la voiture. Des squelettes.
La première personne à ma gauche me donna un grand
coup à la nuque alors que j'essayais de me débattre pour sortir.
J'eus juste le temps d’apercevoir un visage familier se re-
tourner vers moi avant de sombrer dans l'inconscience.
Jamais je n'aurais cru que je pouvais la trouver ici.
C'était impossible.
"Aide moi oh seigneur." furent mes derniers mots avant
de perdre connaissance.

121
122
CHAPITRE 10

Nos péchés sont comme l'air qu'on respire. Ils nous col-
lent à la peau, même si on ne les voit pas.
J'essayais d'immerger de mon état d'inconscience. Je res-
sortais tout doucement du rêve dans lequel j'avais été plongée
contre mon gré.
J'avais mal partout.
J'ouvris les yeux.
Tout était noir autour de moi. Un mince filet de clair de
lune me permit quand même de situer où j'étais.
Ce n'était pas totalement le noir complet autour de moi.
Ça me prit plusieurs minutes pour laisser à mes yeux le temps
de s'accoutumer à mon nouvel environnement.
J'étais assise sur ce qu'il ressemblait à une tombe fraîche,
les mains jointes au dos sur un piquet en bois.
J'essayais de tirer mes mains, sans succès. Elles étaient
bien attachées. Je battais les pieds.
Les bruissements des feuilles, et le vent frais me secouè-
rent.

123
Je regardais encore autour de moi, en écarquillant les
yeux.
Enfin, je compris. Cet endroit, je le reconnaissais. J'y
étais déjà venue plusieurs fois. Il avait été mon lieu de prédilec-
tion durant plusieurs années.
Je compris également que je n'étais pas là par hasard. Je
sentis des présences autour de moi.
C'était les habitants du lieu.
Ils commencèrent à sortir un à un.
Ils étaient nombreux. Ils venaient vers moi en chantant.
Je voulus me lever avant de me rendre compte que c'était
impossible.
Je secouai la tête. Surtout pas de panique.
Notre premier ennemi était la peur et je refusais d'y cé-
der.
Quelle que soit l'attitude que j'allais adopter, le plus im-
portant était de mettre le seigneur au milieu de mes actes.
Je me mis à chuchoter :
"Seigneur, délivre-moi et permet moi de sortir du piège
tendu par l'ennemi. Oh père, sois à mes côtés. Protège moi roi
des rois.
Un rire tonitruant se fit entendre."

124
—Tu as été têtue Cloclo et tu seras punie.
Oscar se tenait devant moi. Il avait rattrapé sa proie :
Moi.
Il était heureux.
J'avais fui mais il m'avait retrouvée.
—Tout est prêt pour la cérémonie maître.
Entendis-je derrière moi
Je n'avais pas besoin de me retourner pour savoir qui
avait parlé.
—Clarisse !
C'est elle que ma mère avait recrutée pour prendre soin
de moi. Elle était de connivence avec Oscar. Mais pourquoi ?
Qu'est-ce qu'elle gagnait ?
Aussitôt que je me posai la question, la réponse me parut
évidente. L'argent bien sûr !
Le seul fil conducteur entre la perdition et le salut.
—Nous sommes contents que tu sois revenue à la raison
Cloclo. Tu es dans ta famille. Tu es revenue chez toi. C'est ici
que tout a commencé et c'est également ici que nous allons scel-
ler notre union. Ce soir, aura lieu la grande cérémonie.

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Tandis que Oscar parlait et que les autres squelettes ap-
plaudissaient, je réfléchissais au moyen le plus sûr et rapide de
m'en sortir.
Il était inutile de demander qui était ce faux Pegui que
j'avais vu. De toutes les façons, c'était une illusion d'optique.
Je devais sortir de ce cimetière. Seule, ça allait être diffi-
cile mais pas impossible.
Je me mis à prier.
"Père, me voici toute nue. Me voici sans rien qui me
tourne vers toi. Me voici sans aucune arme et aucune aide, toi
seul reste mon espoir et ma porte de salut."
Oscar dansait devant moi en scandant :
—Maman dit que tu ne feras pas une bonne femme Clo-
clo mais je l'ai persuadée du contraire. Elle est prête à t'accorder
une chance... Elle viendra avec nous.
J'eus envie de lui jeter à ce qu'il lui restait de visage qu'il
pouvait aller pourrir en enfer. Mais j'y étais déjà, avec eux de
toutes les façons. Et les seules forces que je possédais, je devais
les utiliser pour quitter ce lieu lugubre.
Je continuais à prier et à implorer le seigneur. Alors
qu'une cérémonie obscure et sans nom se préparait autour de
moi, je n'avais rien lâché. Anna et Vincent allaient s'inquiéter

126
pour moi. Ils allaient se demander où j'étais passée. En quelques
semaines, ils étaient devenus un membre important de ma vie.
Sans me juger, sans me rejeter, ils m'avaient littéralement
sauvé la vie.
Entrée dans cette famille par effraction, je m'étais retrou-
vée au centre sans le vouloir.
Le jour où je puis enfin puiser au fond de moi pour
avouer à Anna que j'étais amoureuse de son mari, je crus qu'elle
allait me chasser de sa maison.
Je lui avais dit que j'aimais Vincent. Je le voulais déjà
pour moi-même lorsque je l'avais vu. Je lui avouai même que
j'avais essayé de lui faire boire l'eau de mes parties intimes mais
qu'il n'était pas tombé dans le piège comme d'autres avant lui.
Anna eut un petit sourire.
—C'est normal. Quelle femme n'aimerait pas mon petit
Vincent ?
Et elle éclata de rire.
—Anna ?
—Je te comprends Cloclo. Pourquoi dois-je t'en vouloir
d'avoir jeté ton dévolu sur un homme magnifique ? Tu ne pou-
vais pas savoir. Tu n'étais poussée que par l'avidité et l'envie. Tu
n’avais pas encore expérimenté la présence du seigneur dans ta

127
vie. Aujourd'hui, je suis sûre que tu ne le feras plus. N'est-ce pas
Cloclo ?
Ses yeux plongés dans les miens, elle semblait lire dans
mon âme. Elle n'attendait pas spécialement une réponse.
—Non Anna. Je mentirai en disant non. Mais je suis sûre
que je n'aurais plus rien tenté de mal. Et que j'aurais laissé tom-
ber si je savais qu'il était marié. Que j'aurais compris que parfois,
on n'a pas toujours ce qu'on désire. Seul le seigneur sait ce qu'il
est réellement bon pour nous.
Anna me pressa le bras en souriant de plus belle.
—Tu deviens celle que le seigneur a toujours voulu. Ne
l'oublie jamais Cloclo.
Anna m'avait fait confiance. Elle était à la fois la sœur et
la mère que je n'avais jamais eues.
Allait-elle s'en vouloir de m'avoir laissée seule ?
Elle ne devrait pas. Ce n'était pas de sa faute !

Anna se prit la tête entre les mains. Elle fixait son mari.
—On n'aurait pas dû la laisser seule. Elle n'était pas
prête.
Vincent comprenait sa femme.

128
—Seigneur, protège-la ou qu'elle soit. Prends soin d'elle
oh roi. Je t'en supplie, ne la laisse pas tomber. Même si elle a
péché, elle a reconnu sa faute et tu l'as toi-même dit dans ta pa-
role, quiconque se tourne vers toi ne sera point rejeté. Vers qui
d'autre irons-nous, oh père éternel ?
Anna n'avait pas cessé d'implorer le ciel. Elle avait même
sollicité l'aide des fidèles de sa communauté. Son pasteur lui
avait demandé de garder la foi comme elle l'avait toujours fait.
Le cas de Cloclo lui tenait tellement à cœur. Cette jeune
fille avait pris une place importante dans sa vie. Sans la con-
naître, elle l'avait adoptée.
Apprendre qu'elle avait été la cause de tant de malheurs
dans les familles ne l'avait pas rebutée. Au contraire, à quoi ça
servirait d'aimer seulement ceux qui étaient parfaits ?
Était-on parfait ?
Le seigneur aimait tous ses enfants, bons ou mauvais.
Une fois que l'on acceptait de changer, de réorienter sa
vie, on avait le droit non pas d'être jugé sur son passé mais sur
les actes qu'on posait à l'instant présent. Cloclo était entrain de
changer.

129
Elle savait au fond d'elle que la jeune fille cupide avait
laissé la place à une autre personne plus consciente.
Ils étaient tous passés par un combat contre les agents de
la nuit. Ils se battaient contre l'obscurité.
Anna savait qu'ils allaient gagner. Tout allait bien jusqu'à
ce qu'ils la laissent seule pour quelques heures.
—Ne te culpabilise pas Anna, nous allons trouver la so-
lution.
Redis Vincent en réfléchissant par lui-même.
Par où commencer ? Que faire ?
Il était d'accord avec sa femme. Il n'aurait pas dû la lais-
ser seule. Mais le mal était fait. Il fallait maintenant trouver une
solution et urgemment. La nuit allait tomber. Et elle apportait
avec elle tous les démons capables de renverser la courbe à ja-
mais.
—Peut-être il y a une piste... Dit enfin Anna enfin en le-
vant les yeux vers son mari
Vincent tendit les oreilles.
—Oui...
Anna se mit à lui expliquer ce qu'elle voulait faire.

130
CHAPITRE 11

Ça prend le temps que ça va prendre, nos actes nous re-


viennent toujours au visage comme un boomerang.
Je repose mon stylo et je regarde par la fenêtre. La nuit
va bientôt tomber. J'ai laissé parler mes dernières forces. Il est
temps que je me laisse aller. Que j'abandonne. Je sens des pico-
tements dans tout mon corps.
Je pousse un soupir et je me pose la question essentielle.
Aurais-je pensé ou agi autrement si les choses avaient été
différentes ? Aurais-je pu réellement m'en sortir après tout le mal
que j'avais semé ?
Le seigneur m'avait pardonnée. Il m'avait ouvert sa porte.
J'en étais réellement consciente. Mais les hommes eux n'avaient
pas oublié.
L'homme ne pardonne pas comme le seigneur le fait.
Je repris mon stylo. C'est bientôt terminé. Je dois conti-
nuer. Mais contre moi-même.
Je savais que nous étions dans un cimetière et que je ne
devais compter que sur moi-même. Seule contre les squelettes
vivants, je ne savais pas ce que j'allais faire.

131
Même si mon heure était arrivée, je n'allais pas m'aban-
donner ainsi sans combattre.
Seule la lumière chasse l'obscurité.
Dieu était la Lumiere. Oscar et les autres n'allaient pas
gagner.

—Tu as été têtue Cloclo. Tu es partie sans rien dire. Nous


allons célébrer notre mariage et nous irons vivre tous les deux
pour l'éternité.
Expliquait Oscar.
Je compris enfin que toute cette cérémonie mise en place
était en fait mon mariage avec Oscar.
Ils étaient entrain de préparer mes noces. Clarisse était
de connivence avec eux. Et pourtant elle était humaine comme
moi. Quelque chose clochait, mais quoi ?
J'avais essayé de lui parler, de lui poser quelques ques-
tions mais elle s'y était dérobée.
Cette jeune femme calme était en fait l'une des servantes
d'Oscar.
Je l'entendis dire à ce dernier
—Je vais la chercher maître
—D'accord. Tu sais quoi faire.

132
—Elle me suivra maître. Elle n'aura aucune raison de se
méfier. Je sais où elle est. Elle m'a appelée. Elle ne va pas se
méfier.
—C'est bien. Tu seras récompensée par la vie éternelle.
Elle doit assister à la cérémonie pour donner sa bénédiction.
—Oui maître...
J'avais écouté cet échange, soudain intéressée. Qui Cla-
risse allait-elle chercher ?
Et pour la vie éternelle, savaient-il que seul le seigneur,
le très haut pouvait la donner ?
Monique tournait sur elle-même dans son étroite
chambre. Elle avait chaud. Il lui fallait trouver rapidement une
porte de sortie.
Elle ne comprenait plus rien. Tout allait en vrille dans sa
vie. Quelques semaines plus tôt encore, tout allait bien pour elle.
Grâce à sa fille, elle avait tout l'argent qu'elle voulait. Elle vivait
comme une princesse. Toute sa vie, elle avait fait ce qu'on lui
demandait sans rechigner, sans se plaindre... Elle avait épousé
un homme plus vieux afin de fuir la pauvreté et la misère des
siens.
Son mari, au lieu de lui en être reconnaissante avait
trouvé le moyen d'épouser une autre femme. Ça, elle ne pouvait

133
pas le supporter. Elle rêvait de richesse et de gloire... Mais aucun
des hommes qu'elle avait croisés sur son chemin n'avait été ca-
pable de les lui apporter.
Elle devait se plier en quatre pour élever deux enfants
dont un était fragile.
Elle fanait à vue d'œil. Ce n'était pas la vie qu'elle avait
prévue pour elle. Bientôt, elle sera oubliée de tous.
Elle allait certainement mourir dans des conditions mi-
nables sans jamais avoir eu l'argent.
Monique crut que tout était terminé pour elle jusqu'à ce
jour là où elle entendit une femme confier un secret à une autre
dans un salon de coiffure. Elles en parlaient comme si c'était une
blague. Monique avait tendu l'oreille.
Dès que l'inconnue était sortie, elle l'avait suivie pour lui
poser quelques questions.
La femme l'avait regardée avant de déclarer :
"Tu es vieille. Ça ne fonctionne qu'avec les jeunes filles."

Monique fit tout pour lui tirer les vers du nez. De toutes
les façons, personne n'avait jamais essayé pour savoir. Ça ne
marchait probablement pas.

134
Monique était revenue chez elle, songeuse. Et si Cloclo
le faisait ? Elles seraient riches et vivraient alors sans soucis jus-
qu'à la fin de leur vie. Il n'y avait rien de mauvais à ça. Elles
n'allaient faire de mal à personne. Ce n'était qu'une simple bois-
son. Personne ne savait ce qu'on mettait dans les bouteilles de
bière.
Convaincue d'avoir trouvé le meilleur moyen de devenir
riche, elle traîna sa fille dans l'aventure. À sa grande surprise,
tout fonctionna au-delà de ses attentes.
Monique était enfin heureuse. Elle pouvait se vanter
d'être une femme importante. Même sa sœur aînée qui l'avait je-
tée à la rue avait peur d'elle. Elle était revenue implorer son aide.
Ce fut avec un malin plaisir que Monique l'envoya balader.
Tout le monde s'accordait à dire qu'elle avait réussi sa
vie.
Il ne restait plus qu'elle achète toute cette ville. Grâce à
sa fille, elle avait ses entrées partout.
Cloclo faisait exactement ce qu'elle voulait. Monique fi-
nit par oublier sa vie de pauvre. L'argent comblait tout... Il per-
mettait d'oublier tout.
Curieusement, plus elle en possédait, plus elle en avait
besoin. C'était un engrenage sans fin.

135
Elle devait toujours chercher des hommes plus riches
pour sa fille. Cet argent n'allait jamais finir.
Même lorsque Cloclo manifesta son désir de se rebeller,
elle sut comment lui faire changer d'avis... Sa fille n'allait pas la
laisser tomber maintenant alors qu'elle avait encore plus besoin
d'argent.
Elle finit par reprendre le contrôle de la situation.
Cloclo devenait de plus en plus bizarre, racontant des his-
toires qui ne tenaient pas.
La mère finit par se dire que sa fille avait besoin d'un
repos. Mais ce fut une mauvaise idée. Sa fille revint changée.
C'était comme si elle avait fait une rencontre qui allait changer
sa vie.

Après, elle eut cet accident stupide qui ne tenait pas tou-
jours
Jusqu'à ce matin où elle découvrit une personne âgée sur
le pas de sa porte.
Monique secoua la tête. Ça ne pouvait pas être Cloclo.
Qu'est-ce qu'il s'était bien passé ?
Elle ne croyait pas en ces choses inexpliquées. C'était une
blague de la part de sa fille.

136
Réfugiée dans un hôtel durant plusieurs jours, elle était
finalement retournée chez elle pour découvrir que la maison était
vide.
Cloclo n'était plus là. Elle n'avait pas laissé de message.
Malgré elle, Monique était inquiète. Si Cloclo n'était plus
là, qu'allait-il advenir d'elle ? Qui allait payer ses factures ?
L'argent venait et partait. Elle en dépensait tellement.
Il lui en fallait plus.
Monique tituba. Depuis deux jours, elle n'avait pas quitté
sa chambre d'hôtel. Des personnes invisibles marchaient partout
dans la chambre.
Elle croyait rêver mais ce n'était pas ça. Elle n'était pas
seule. Prise de peur, elle changea de chambre mais la même
scène se reproduisit.
Elle commença à avoir peur. Et plus, elle avait de petits
boutons sur tout le corps qui l'obligeaient à se gratter tout le
corps.
Elle avait peur maintenant car lorsqu'elle se grattait, les
petits boutons devenaient des plaies qui laissaient couler du pus.
Elle avait sûrement attrapé une infection, mais où.
Un coup à la porte la fit sursauter.

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Depuis le matin, elle n'avait cessé de se gratter tout le
corps. Elle redoutait même de se regarder dans une glace. Elle
devait avoir une peau déjà toute blessée.
—Qui est là ?
Demanda-t-elle d'une petite voix en sautant sur ses
jambes.
Les coups reprirent de plus belle. Monique se figea. Les
battements de son cœur s’accélèrent.
Qui était à la porte et pourquoi ?
Elle alla ouvrir rapidement.
La personne qui était là était la dernière qu'elle se serait
attendue à voir.
—Pegui ? Que fais-tu là ?
—Maman, c'est Cloclo, s'il te plaît viens. Elle a trouvé
beaucoup d'argent. Viens !

138
CHAPITRE 12

C'est nous qui choisissons notre propre destinée. Nos


choix déterminent où nous allons.
Cette nuit allait probablement signer la fin de ma vie.
Mais au fond de moi, je savais que ce n'était pas ça. Rien n'est
jamais terminé à moins qu'on le veuille.
Il nous suffit parfois de fournir un dernier effort afin que
tout recommence.
Les bruits autour de moi ne m'empêchaient pas de parler
à mon Dieu, mon sauveur. Je venais de le connaître mais déjà je
me sentais plus porche de lui
Je lui parlais car je savais qu'il m'écoutait. Toutes ces an-
nées où je m'étais égarée, je lui demandais pardon.
Pour avoir agi de façon égoïste, pour avoir placé l'argent
avant toute considération humaine, je lui demandais pardon... Je
n'avais alors aucune excuse. Je m'étais égarée toute seule.
Je vis Clarisse revenir. Je ne savais pas quel était son rôle
dans tout ce spectacle.
—Laisse toi aller Cloclo. Ne combat pas l'inévitable.

139
C'était terminé la douce femme de ménage recrutée pour
prendre soin de moi.
Celle qui me parlait avait un ton plus posé et sûre d'elle.
—Qui es-tu ?
Demandai-je finalement à Clarisse.
—Ce n'est pas important. Fais ce qu'on te demande de
faire sans lutter. Tu voulais l'argent. Tu l'auras plus que tu ne
peux dépenser. Tout ce que tu as à faire est d'obéir. C'est tout.
J'eus un petit sourire.
—Clarisse, je n'ai plus besoin de savoir qui tu es vrai-
ment. Mais retiens que vous ne gagnerez jamais. La Lumiere
gagne toujours. Toujours. Tout s'arrêtera. Tu verras. Vous ne
pourrez pas le faire bien longtemps car le seigneur prendra le
contrôle.
Clarisse s'approcha de moi. Je pouvais sentir son souffle
chaud sur mon visage. L'éclairage ne me permettait pas de dé-
chiffrer ses traits.
—Tu vas épouser Oscar et tout sera enfin terminé.
Et elle s'éloigna. Je la vis s'approcher d'Oscar et lui parler
Qui était cette humaine qui parlait aux squelettes ?
Ça n'avait aucun sens. Rien n'avait de sens.
Je ne devais pas lâcher la prière. Je me remis à prier.

140
Anna pressait le pas. Il fallait faire vite.
Elle s'était toujours fiée à son instinct, aujourd'hui plus
que jamais, il lui avait permise plusieurs fois d'agir à temps. De
solliciter son Dieu et de sortir de situations calamiteuses.
Si elle avait demandé à son époux d'aller voir Cloclo, ce
n'était pas un hasard.
Plusieurs nuits avant son arrivée dans leur vie, elle l'avait
vue en songe, le sang coulant de ses yeux. Elle implorait de
l'aide.
Elle voulut la tirer à elle.
Mais des mains invisibles la tiraient en arrière.
Anna s'était levée en sueur. Comme toujours, elle savait
quand agir. Elle avait prié pour demander au seigneur si elle pou-
vait intervenir.
Et elle avait reçu le feu vert.
Elle devait voler au secours de Cloclo.
La jeune femme ne la connaissait même pas. Ce n'était
pas le plus important. Pour aider, nul besoin de connaître l'autre
en face.
Une fois qu'une âme perdue a besoin de vous, votre rôle
est d'être là, pour la rediriger vers la lumière.

141
C'était ce qu'elle avait fait avec le concours de son époux,
jusqu'à ce que le malin ne trouve une faille.
Anna était sûre que quelque chose avait dû se passer pour
obliger Cloclo à sortir de la maison.
Elle ne serait pas allée outre l'injonction qu'on lui avait
donnée. Cette femme vieillie prématurément lui avait fait pitié.
Elle avait pris sur elle pour ne pas se laisser submerger par l'émo-
tion.
Ce n'était pas de pitié dont avait besoin Cloclo mais d'une
aide divine.
"Montre-moi sa maison. Il doit y avoir un indice quelque
part. Faisons vite, le temps nous est compté"
Avait jeté l'épouse de Vincent en regardant son mari.
Après plusieurs heures à fouiller la maison de Cloclo,
elle comprit qu'elle ne s'était pas trompée
L'ennemi n'était jamais loin. Il était plus proche qu'on ne
le croyait.
—J'ai une piste. J'ai trouvé des choses dans l'une des
chambres. Des bougies rouges, des livres d'incantations, et
même un slip enfermé dans un cadenas. L'ennemi était dans la
maison. Bougeons Vincent. Recherchons-la. Si on la trouve, on
aura Cloclo. Les deux sont liées.

142
—De quoi parles-tu Anna ?
—De la personne qui vivait ici avec elle !
—Mais, elle m'a dit vivre avec sa mère uniquement. Son
frère est dans un pensionnat loin d'ici.
Anna secoua la tête.
—Non, il y a une troisième personne.
Vincent était sur le point de reprendre sa femme lorsqu'il
se souvint.
Il y avait une jeune femme le jour où il était venu cher-
cher Cloclo.
Cette dernière lui avait fait savoir que c'était la femme
engagée par sa mère pour prendre soin d'elle.
Vincent dit à son épouse.
—Il y avait une jeune femme mais je ne connais pas son
nom.
—Ça ne fait rien. On va la retrouver.
La voix d’Anna était si douce.
Vincent ne comprenait pas.
—Mais comment ?
S’inquiéta-t-il.
Anna brandit un document qu'elle venait de tirer d'un ti-
roir.

143
—Regarde, le crime n'est jamais parfait. Elle a oublié sa
carte d'identité ici. Si ce n'est pas sa carte de visite qu'elle a lais-
sée, je ne sais plus quoi dire. Dans tous les cas, le seigneur ouvre
toujours une porte là où il n’y a pas de chemin.
Vincent acquiesça. Il y avait toujours une solution.
Mes mots resonnaient intérieurement. Curieusement, je
me sentis apaisée.
Je retrouvais une espèce de sérénité dont je n'aurais ja-
mais cru possible.
Autour de moi, les squelettes s'agitaient. Je ne savais pas
ce qu'ils attendaient de moi.
Un os gringalet était venu se tenir devant moi avant de
tourner le dos.
—C'est ma mère. Me dit Oscar en s'approchant. Elle dit
que tu n'es pas belle.
Je ne savais pas ce que cette femme avait avec la beauté
et je ne désirais pas lui poser la question.
Je parvenais à distinguer Oscar de ses semblables par sa
façon de se déplacer.
Alors que je terminais une autre série de prières, je vis
Clarisse arriver en poussant une femme devant elle.
Elle hurlait.

144
—Non...non...non...je fais quoi ici ?
C'était ma mère.
Elle était là. Après plusieurs semaines, je la retrouvais au
cimetière. Là où tout avait commencé.
Elle se débattait. Mais Clarisse était la plus forte. Grâce
à l'aide de plusieurs squelettes, elle la tint pour la ligoter à
quelques pas de moi.
La pleine lune arrivait à grand pas. Le cimetière était plus
éclairé.
Il devint plus aisé de distinguer ce qu'il était autour de
soi.
Ma mère fut la première à s'exclamer à ma vue.
Elle écarquilla les yeux. Ça lui prit quelques secondes
pour se rappeler où elle m'avait déjà vue.
—Cloclo !!!!
Sa voix était brisée. Cette femme était ma mère. Mais elle
était différente.
Elle ouvrit les yeux.
—Que fais-tu ici Cloclo ? Regarde les squelettes. C'est
un jeu n'est-ce pas ? Tu as mis un masque ? J'aurais dû me douter
que c'était un jeu l'autre jour à la maison. On fait quoi au

145
cimetière à cette heure-ci Cloclo ? C'est une autre façon d'avoir
l'argent ?
J'eus un sourire. Jusqu'à la dernière minute, elle pensait
toujours à l'argent.
Déjà, Clarisse l'avait ligotée comme un saucisson.
Je vis sa peau se détacher en lambeaux et tomber à ses
pieds.
—Oh seigneur, c'est quoi ça. Cloclo, regarde... Ma
peau... Ma peau...
Elle hurlait plus qu'elle ne parlait.
—Il sera minuit dans trente minutes. Alors, la cérémonie
pourra commencer.
Annonça Oscar, d'une voix forte.
Ma mère qui n'avait pas cessé de pleurer s'arrêta pour me
demander.
—De quoi parle cette chose déguisée en os. C'est qui ?
—C'est mon fiancé maman. Grâce à toi, je vais épouser
un squelette à minuit. Voici où ta gourmandise et ma naïveté
m'ont conduite. À un point de non retour. C'est terminé maman.
Nous allons désormais vivre avec les squelettes.
Dis-je d'un ton posé qui me surprit moi-même.
Ma mère se remit à gémir.

146
—Ce n'est pas vrai. Je rêve. Ceci ne peut pas être vrai.
C'est un mauvais rêve.
— J'aurais bien aimé maman. Je te l'ai dit mais tu ne m'as
pas crue.
—Non... Non... Mes voitures... Mes habits... Mon argent.
Je fais comment...
Elle se remit à pleurer en citant toutes ses possessions.
Pauvre âme égarée. Elle ne savait même pas que sa peau
était entrain de l'abandonner.
Je fixais tout droit devant moi.
—Fais quelque chose Cloclo. Fais quelque chose. Je t'en
prie. Sors-nous d'ici...
Disait ma génitrice d'un ton geignard.
Nous étions là parce qu'elle l'avait cherché.
—J'ai déjà la solution maman. J'ai déjà trouvé la porte de
sortie.
—C'est où... Oh seigneur Cloclo, ils font quoi de cette
grande table... Je ne comprends pas
En effet, les squelettes venaient de poser ce qui ressem-
blait à une table à plusieurs pas de nous.
Soudain, je vis les sacs d'argent, les lingots d'or et plu-
sieurs autres biens rejoindre la table.

147
C'était incroyable.
Même ma mère à mes côtés cria :
—Tout ça, c'est l'argent ?
C'était une richesse immense. À quoi leur servait tout
ceci dans un cimetière ?
Je dis à ma mère.
—La solution, c'est Dieu maman...
—Quoi !!!!
—Prions. Et bienvenue en enfer.
Il allait bientôt être minuit. Alors, les dés seront jetés.

148
CHAPITRE 13

Enfin, tout était terminé. Tout avait été dit. Lorsque son-
nent les dernières cloches, nous n'avons plus rien à faire.
La coupe était pleine. Le vin était tiré. Il fallait le boire
jusqu'à la lie.
J'imaginai que minuit allait bientôt sonner car tout à
coup, un grand silence se fit au cimetière.
Les squelettes formèrent un grand cercle.
Ma mère et moi étions au milieu.
Ils se tenaient par les mains.
Je ne voyais plus Clarisse.
Oscar se tint devant nous. Je le regardais avancer. Les
cris de ma mère ne s'entendaient plus. Elle n'était plus qu'un
amas de muscles qui suintaient. Elle ne parvenait même plus à
parler.
Oscar était à quelques pas de moi lorsqu'il jeta.
—Dans quelques minutes, toi et moi allons rejoindre
notre domicile. C'était écrit que je viendrais chercher une femme
faite de chair et de sang pour l'emmener avec moi afin que les
œuvres de notre seigneur ne perdurent. Nous allons prendre tous

149
ensemble le chemin de notre père. Ne résiste pas ma reine.
Viens, on s'en va ensemble.
Il me tendait le bras.
Je ne savais pas de quel chemin il parlait mais je n'allais
pas le suivre.
—Va-t’en. Je ne te suivrai pas. J'ai mon Dieu, mon roi.
Il me sauvera. Il ne permettra pas que je te suive. Même si je
dois mourir, ça sera parce que notre seigneur l'aurait voulu. Pas
parce que tu l’as exigé. Va t'en.
Oscar éclata d'un rire tonitruant.
—Dieu n'existe pas Cloclo. Viens avec moi. Il y'a beau-
coup d'argent et de bijoux
—Il existe et il va me sauver. Reste avec ton argent. Je
ne te connais pas. Qu'il me pardonne de t'avoir réveillé. Qu'il me
pardonne d'avoir fait revenir un monstre sur la terre.
Va-t’en...
Pendant que je criais, Oscar riait.
—Tout est perdu. Tu ne gagneras pas. Il n’y a plus rien à
faire. Il sera minuit dans quelques minutes, la terre s'ouvrira pour
nous refermer à jamais.
C'était dit avec tant d'évidence.

150
Jusqu'à la dernière minute, je n'allais pas cesser de croire,
d'espérer.
Je fermai les yeux.
Une voix se fit entendre au loin
—Le seigneur a dit de ne jamais abandonner. Même s'il
nous reste un grain de souffle, il faut continuer à espérer car lui
seul donne la vie et la reprend. L'obscurité ne gagnera jamais.
C'était Anna.
Anna !
Elle s'avançait, tout de blanc vêtue, accompagnée par
Vincent et de plusieurs autres hommes de la congrégation.
Ils chantaient. Ils entonnaient un cantique religieux qui
parlait de la délivrance, de la repentance, du pardon, de la vic-
toire de la lumière sur l'obscurité. Ils chantaient en s’avançant en
un seul bloc vers les squelettes qui s'étaient figés pour voir les
hommes en blancs avancer.
Je me mis à sourire.
Le seigneur ne trompe jamais.
Ce qui suivit fut au-delà de mon imagination.
Les forces de la lumière s'opposait aux agents de l'obs-
curité.

151
Les squelettes se tenaient debout et cherchaient à s'avan-
cer vers Anna et sa troupe qui chantaient en agitant la croix vers
les êtres maléfiques.
J'assistais, émerveillée à cette manifestation de pourvoir
et puissance de l'éternel.
—Retournez dans les ténèbres et emportez avec vous vos
possessions diaboliques
Disait Anna.
—Vous ne réussirez pas.
Lui opposait la voix d’Oscar.
Il ne pouvait pas avancer.
—Voici les bijoux, l'argent, l'or. Ils sont à vous si vous
nous laissez Cloclo. Prenez et allez-vous en...
Reprit Oscar en montrant l'amas de bijou étalés devant
nous.
Anna ne l'écoutait pas... Elle ordonna à ses gens de ne
pas arrêter.
Ils continuaient le combat... Je me mis à murmurer avec
eux.
Anna était venue. Elle ne m'avait pas abandonnée.
Ma mère semblait s'être réveillée
—Ce sont les qui... ? Que se passe-t-il encore ?

152
La pauvre faisait pitié à voir. Elle n'avait plus aucune
peau... Elle n'en était même pas consciente.
Elle suivait avec moi la bataille qui se menait sous nos
yeux.
—Arrière... Arrière... Fils de diable. 'retournez en enfer...
Je vis les squelettes commencer à tomber un à un.
—Non... Non... Laissez-nous. Laissez-nous.
Suppliait Oscar.
Rien ne fit. Sourd à sa demande, le combat continuait.
La terre s'ouvrit devant nous. C'était un miracle.
À quelques pas de nous, tout était ouvert. Les squelettes
commencèrent à y tomber, les uns après les autres.
—Ma mère, cria Oscar en regardant l'un d'eux qui venait
de disparaître.
Anna dit à Vincent.
—Je détache Cloclo. Tu ne lâches rien.
Armée d'un long couteau, elle s'avança vers nous... Elle
coupa mes liens.
—Tu es venue Anna. Je n'ai pas cessé de croire tu sais.
Tu m'as dit de ne jamais arrêter. Même à la dernière minute, le
miracle peut arriver. Je n'ai pas cessé de croire Anna.

153
—Je suis là Cloclo. Je suis là. Je te fais confiance. Ta foi
nous a guidés.
J'étais si heureuse. Je montrai ma génitrice du doigt.
—C'est ma mère. Il faut la sauver.
Anna coupait les liens de ma mère.
Cette dernière murmura.
—Que se passe-t-il encore ? Et l'argent là ?
Je secouai la tête.
—C'est Clarisse qui m'a trahie. Elle était engagée par ma
mère et...
—Je sais. Elle est là
Je levai la tête pour suivre le regard d'Anna.
Effectivement, Clarisse était devant nous. Elle reculait en
pleurant
—C'est une âme perdue qui n'aurait pas dû être là. Elle
est morte depuis deux mois en cherchant l'argent facile. Elle a
été enterrée ici. Tu es attachée sur sa tombe. Elle va retourner
dans les ténèbres.
Oh seigneur, comme ça, ma mère avait engagé un fan-
tôme pour prendre soin de moi. Il n'y avait qu'elle pour faire une
chose pareille.
La victoire était là, à quelques pas.

154
Tout se mêlait. Le cri de la victoire. La lumière retrouvait
sa place tandis que les agents de l'ombre continuaient à tomber
dans le trou qui venait d'être creusé pour eux.
J'avais eu raison d'espérer. Le seigneur ne m'avait pas
abandonnée. Il m'avait soutenue au moment où j'avais le plus
besoin de lui. Il n'abandonnait jamais son enfant et j'étais son
enfant.
Je dis à ma mère.
—Maman, viens... Mettons nous à l'abri. Je...
Je ne terminai pas ma phrase. L'autel où était entreposé
toute la fortune présentée par Oscar s'écroulait déjà dans le grand
trou.
Je vis ma mère courir pour le rattraper.
—L'argent. L’argent... voilà l'argent qui part.
—Maman... Maman... Nooooooo
Disais-je, voulant me lancer à sa poursuite.
Anna me tira et me serra très fort contre elle
—Il se fait tard Cloclo. Elle avait plus besoin de cet ar-
gent que de salut.
Je vis ma mère disparaître dans le trou devant moi à la
poursuite de l'argent.
Oscar tempêtait.

155
—Vous n'allez pas nous chasser. Laissez-nous.
Comme dans un ralenti, je le vis plonger vers nous et la
première personne qu'il toucha fut Anna. Oscar avait Anna. Il
allait lui faire mal. Je ne pouvais pas le laisser faire
D'un grand coup, je poussai Anna qui tomba de l'autre
côté et je me retrouvai face à Oscar.
—Cloclo...
Criait Anna
C'était désormais entre lui et moi.
Il se mit à rire... J'étais prête.
—J'ai appris tellement de choses en quelques semaines
Oscar. Tu me veux ? Viens me chercher.
Il plongea sur moi avec un grand cri. Je pus l'esquiver.
Ma force s'était décuplée.
Anna essayait de revenir vers nous. Mais heureusement,
Vincent était arrivé jusqu'à elle pour la retenir.
—Suis moi Cloclo, tu seras reine de mon royaume.
—Jamais... Je préfère mille fois être servante dans la
maison du seigneur. Je n'irai pas dans les ténèbres avec toi.
—Tu l'aurais voulu...
Il me donna un coup et griffa tout mon bras.

156
La douleur était vive mais je ne pouvais pas pleurer. Ce
n'était pas le moment.
Il replongea. J'envoyai le pied gauche en poussant un
hurlement.
—Que les feux des ténèbres te reçoivent à jamais.
Va-t’en... Suppôt du diable.
Je poussai très fort.
Oscar fut surpris par ma force. Il amorça la descente en
criant.
Il n'y croyait pas.
Mais la fin était imminente
Il était minuit. La pleine lune était enfin là
Oscar plongea dans le trou en criant mon nom.
Je reculais pour ne pas le suivre.
Il avait accompli sa prophétie. J'avais accompli le mien.
Vincent et Anna étaient déjà à mes côtés.
Ils me seraient dans leur bras
—C'est fini Cloclo. C'est fini...
Disait Vincent en pleurant.
Oui, c'était fini.
La lumière avait gagné.
Seule la lumière gagne.

157
158
CHAPITRE 14

À la fin, les gagnants seront ceux qui se seront placés du


côté de l'éternel. Loué soit son nom.
Je vous l'ai dit au début. Mon histoire est extraordinaire.
Seuls les plus sceptiques croiront que c'est une invention.
Le plus important n'est pas de vous convaincre mais de
vous emmener à comprendre jusqu'où un acte irréfléchi peut
nous conduire.
Ne croyez pas aux paillettes de ce monde, ne vous y at-
tardez pas car ce n'est qu'une illusion.
Perdre son âme à la recherche d'un bien terrestre futile,
tel est le destin funeste de certains d'entre nous.
Ma chance porta le nom d'Anna et de Vincent.
Sans eux, je ne serai probablement pas ici pour vous ra-
conter mon histoire.
Cette nuit-là, se joua le plus grand rôle de ma vie.
Ils avaient tous disparu, tous.
Anna et Vincent me ramenèrent à la maison. Avec eux,
je découvris une autre vie. Je découvris la lumière. Ils ne cessè-
rent de m'encourager à continuer et à ne pas lâcher.

159
Je savais même avant que je verdict ne tombe. Je n'allais
pas pouvoir vivre bien longtemps.
La plaie infligée par Oscar était mortelle. Il n'y avait plus
rien à faire.
Mais avant, j'avais des choses à régler.
Je fis revenir Pegui. Il pleura à ma vue.
—Cloclo...
—Viens dans mes bras.
Je lui racontai tout sans rien cacher. Je lui parlai de la fin
tragique de notre mère. Il pleura tellement.
—Pourquoi... Pourquoi Cloclo...
Il m'en voulait. J'aurais dû lui dire la vérité. Mais il se
faisait tard.
Mon frère tint à rester à mes côtés.
Il voulait se faire pardonner de n'avoir pas pu me sauver.
Mais ce n'était pas de sa faute. C'était moi.
J'étais responsable de tout ce qu'il m'était arrivée.
C'était la fin pour moi.
Pour moi, il se fait tard, pas pour vous.

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Je n'implore pas votre pitié. Je ne demande pas que vous
pleuriez pour moi. Retenez ce que je vous ai raconté et sensibi-
lisez autour de vous.
Au fait, j'ai revu mon père. Pegui et moi l'avons retrouvé.
Il ne savait pas pour nous. Il avait cherché à nous retrou-
ver mais notre mère fit tout pour le tenir éloigné.
J'ai pu faire la paix avec lui.
Comme tous les autres, il s'en veut de n'avoir pas été là
pour nous.
J'ai tout organisé dans les moindres détails. J'ai laissé
mes dernières volontés. Je sais qu'Anna et Vincent prendront
soin de Vincent comme ils l'ont fait avec moi.
Je ne m'inquiète plus.
Je sais que le seigneur m'a donné plus que je ne le méri-
tais. Il m'a donné la grâce de me faire pardonner.
Il s'est tenu à mes côtés.
Je n'ai pas peur.
Je ne regrette pas de l'avoir connu.
J'ai servi un Dieu de miracle, un Dieu bon et juste.
Ma fin n'est que le début d'une nouvelle vie pour vous.

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Elle doit vous pousser à revoir vos priorités, à com-
prendre ce monde et à ne pas tomber tête basse dans les pièges
tendus par le malin
Ce que le diable donne d'une main, il le récupère de
l'autre.
N'ayez pas honte d'être qui vous êtes. Battez-vous pour
améliorer votre situation mais dans la parole du seigneur.
Je repose mon stylo et je pousse un dernier soupir.
Je voudrais qu'on lise mes derniers mots.
J'espère qu'ils vous guideront.
Que la paix du seigneur soit avec vous !

——FIN——

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