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14À ma connaissance, jamais on ne se réclame de l’Espagne

citérieure ou de la Bétique comme identifiant principal 24, ce


qui, en l’absence de surnoms individuels tels
que Citerior ou Ulterior, doit détourner de la tentation
d’établir, d’emblée et a priori, l’existence d’identités
provinciales affirmées et développées avec l’Empire25. La
vision romaine des territoires impériaux séparait l’Italie et les
provinces, celles-ci commençant là où s’arrêtait celle-là. Le
provincial se distinguait du Romain comme l’attestent encore
Martial26, Pline le Jeune27 ou Suétone28. Provincialis prend
alors une connotation culturelle soulignant la supériorité du
centre romain. Martial va encore plus loin et assimile son
ouvrage à un livre qui arrive à Rome « en
étranger » (peregrine29). Le poète bilbilitan invite en outre à
réfléchir plus globalement aux identités et identifications des
habitants originaires d’Hispania Citerior. Il fait écho à Apulée
qui se présente, un peu plus tard, bien que citoyen romain de
la colonie de Madaure, en Numidie, comme mi-numide et mi-
gétule30. On pourrait soutenir que Martial, en homme de
culture, se considérait déjà comme mi-celte et mi-ibère 31. La
mixité ou la dualité résonne comme un défi aux
classifications territoriales et politiques chez des intellectuels
qui refusent d’être appréciés et identifiés autrement que
comme les porteurs d’une culture gréco-romaine
universalisable, l’humanitas, supérieure à toute forme de
citoyenneté. Un examen attentif des contextes, montre
que Bilbilis est la patrie revendiquée de Martial et que
l’appartenance ou l’ancrage celtibérique ne vient qu’au
second plan32. Les Celtibères, auteurs d’une guerre de vingt
ans contre Rome33, ont été vaincus et surtout ont mis à profit
leur défaite pour modifier leurs comportements et regarder
vers les modèles romains. Martial les évoque comme la source
d’une identité personnelle aussi vraie et digne de foi (et donc
aussi fragile) qu’une autre et comme un symbole d’un passé
guerrier et révolu qui rend compte de la substitution de cités
telles que Bilbilis à la région des Celtibères, celle-ci sans
définition politique ni territoriale avérée quelle que fût
l’époque34.
 35 En écho à Martial et à Apulée, signe d’identités multiples et
préservées sous l’Empire, on se repor (...)

15La question est là. Chacun est libre de jouer avec les
identités35, de changer son nom, de travestir ses origines
culturelles et sociales, de s’habiller en dehors des codes de la
communication sociale reconnue par le groupe ou la
communauté. Un pouvoir établi peut s’inventer des origines
pour mieux tenter d’occulter telle ou telle part jugée gênante
ou limitative de son histoire, en fonction des événements et
des circonstances, et à l’inverse magnifier telle ou telle
opposition pour mieux marquer son triomphe et sa
domination positive. Les Grecs, à la façon de Plutarque et
d’Aelius Aristide, n’avaient aucun embarras à expliquer que
Rome n’avait fait qu’accomplir l’idéal de l’hellénisme. Les
signes, fluides et incertains, imposent leur pouvoir et leur
langage chaque fois que le droit est absent ou impuissant à
dire et à modeler la réalité. L’empire des élites n’était pas non
plus l’empire des anonymes: l’exercice du pouvoir ou la
participation à la marche des affaires appelait des règles
particulières fondées sur des principes stables. Sans doute les
procédures administratives n’étaient-elles pas exemptes de
déformations, d’erreurs et d’impostures ou de revendications
exagérées ou sans justification.
 36 Voir, dans ce même volume, A. CABALLOS RUFINO, « La Bética
como referente identificador en la docum (...)
 37 Il n’est pas étonnant ni déterminant que des institutions
provinciales impliquant l’ensemble des co (...)

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