Vous êtes sur la page 1sur 3

21Les travaux sur la période tardive de l’Empire, à partir

de 212 ap. J.-C., ne paraissent pas avoir procédé au


renouvellement souhaitable des questionnaires relatifs aux
identités romaines et provinciales43. La notion de
« romanité » à laquelle il est fréquemment recouru est trop
ambiguë et imprécise pour que l’on sache ce qu’il faut
entendre par « Romanitas ». Plus qu’une revendication
identitaire de caractère national et territorial, il semble que le
mot ait surtout une connotation culturelle, signe
d’attachement idéalisé à la Ville qui n’est pas obligatoirement
perçue autrement que comme une cité, la cité des bords du
Tibre. Au mieux certains historiens modernes déplorent que
les événements qui sapèrent peu à peu la pars
occidentalis n’aient pas été contrariés par un « sentiment
national » qui eût nourri un esprit de résistance dont
l’absence aurait, en revanche, favorisé les adversaires de
l’Empire. Quelle que soit l’explication retenue, l’édit de
Caracalla ne fit pas de la citoyenneté romaine un instrument
unificateur et identitaire au sens d’une appartenance à un état
romain unifié et centralisé. C’est la logique cicéronienne qui
perdurait dans la cité de Rome identifiée à la patria
communis et supérieure en qualité de res publica à la petite
patrie d’origine. C’est, paradoxalement, avec la perte
d’identité de Rome comme capitale et cité maîtresse du
monde que la référence romaine prit quelque consistance, au
moins chez les élites.
22Rome, en réalité, se trouvait tout entière là où était aussi
l’empereur. La personne impériale n’était pas la source d’une
identité partagée et solidaire à l’échelle de l’Empire.
L’empereur garantissait seulement la continuité des
communautés locales et était censé détenir les moyens de
préserver la puissance de Rome qui n’avait jamais cherché à
unifier ni à romaniser. Le lien des populations avec les
empereurs était de nature très diverse et n’a pas engendré un
loyalisme indéfectible assimilable à du patriotisme. C’est
probablement aussi parce que l’empereur tenait entre ses
mains la multiplicité des fils ténus qui reliaient les divers
territoires du monde romain à l’Empire que son
affaiblissement ou son éloignement a compromis la stabilité
et la cohésion de l’ensemble, qui ne fut jamais tributaire
profondément d’une identité impériale et romaine. Le plus
frappant est peut-être que l’Empire, construction historique
par excellence, n’ait pas engendré une construction
identitaire définie et stable englobant les ethnies et les cités.
Il est légitime de s’interroger sur les processus
d’identification dans l’Empire romain. Il est plus difficile d’y
trouver des réponses assurées et éclairantes. Les apports
d’époques postérieures qui ont conduit à la fabrication de
modèles identitaires aux contenus précis ne sont pas très
parlants et ne confèrent pas à l’Empire romain et aux
provinces une dimension identitaire allant dans un sens
équivalent. Si tout est identitaire et marqueur d’identité,
l’intérêt de la recherche perd de son sens.
23Il n’est guère satisfaisant, quoi qu’il en soit, de vouloir
retrouver dans les nations qui ont émergé ensuite une origine
romaine sous-tendue par le cadre provincial de l’époque
impériale. Les noms géographiques et politiques sont
trompeurs et contiennent sous un même vocable des
significations variées et parfois ambiguës. C’est a
posteriori que la Lusitanie a été revendiquée comme un
premier moment du Portugal et c’est par une extension
abusive que l’Espagne a accaparé le nom d’ Hispania pour
elle-même. La difficulté est sans doute plus immédiatement
perceptible quand on superpose la France et la Gaule et
quand on tente de faire coïncider l’espace gaulois créé par
César avec des définitions territoriales récentes. C’est par ce
type de procédure que des provinces, désignées comme
« germaniques » ou comme « alpines », ont été incluses sans
autre discussion dans les espaces gaulois historiques,
notamment dans les programmes universitaires. La France
elle-même a dû dans sa nomenclature tourner le dos à ses
antécédents romains faute du maintien territorial des
catégories provinciales romaines. Un nom reflète un
changement formel, il ne décrypte ni les sentiments ni les
consciences ni les identifications. En ce sens, il est bien
délicat de proposer globalement des phénomènes identifiants
jouant en faveur de Rome ou ignorant Rome. Les collectivités
comme les individus ne se réduisent pas à une appartenance
ou à une adhésion aussi durable soit-elle et toute pratique
collective n’est pas source d’identité.
24Un fait qui intrigue offre matière à de nouvelles réflexions
sur les provinces et les structures provinciales. Comme le
remarquent diverses contributions du présent volume, les
conventus, attestés partout dans la péninsule Ibérique selon
Pline l’Ancien, n’ont pas le même écho en Bétique et Lusitanie
et en Espagne citérieure. Les différences de documentation
peuvent en rendre partiellement compte dans la mesure où

Vous aimerez peut-être aussi