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L'integration Juridique Comme Facteur D'integration Regionale
L'integration Juridique Comme Facteur D'integration Regionale
Etienne CEREXHE
Professeur émérite à l'Université catholique de Louvain et aux Facultés
universitaires de Namur
Juge à la Cour d'Arbitrage
I. MONDIALISATION ET REGIONALISATION
Considérations générales
Le système d'intégration se caractérise par le fait que les Etats y abandonnent une
partie de l'exercice de leurs compétences au profit d'institutions qualifiées parfois de
« supranationales » qui expriment une volonté autonome, par des décisions prises
dans certains cas à la majorité.
Premier caractère
Deuxième caractère
Toute intégration est fondée sur le principe de l'égalité des ressortissants de l'entité
nouvelle. Dans les traités bilatéraux, à la fin du 19e et au début du 20e siècle, figurait
la clause de la nation la plus favorisée qui visait à mettre tous les ressortissants
étrangers sur pied d'égalité par rapport à- un Etat déterminé.
Dans les phénomènes d'intégration, on vise par contre à établir une égalité entre les
étrangers et les nationaux, égalité qui va se traduire concrètement par l'affirmation et
l'interdiction de toute discrimination.
Troisième caractère
Dans tout phénomène d'intégration, il existe une certaine solidarité entre les diverses
composantes de l'espace intégré, solidarité qui implique d'une part, que toutes les
régions de l'espace intégré bénéficient de la croissance économique, d'autre part,
qu'un effort particulier soit fait en faveur des régions les plus défavorisées.
D'abord, par une politique régionale qui vise à mettre en valeur les régions les plus
défavorisées.
Quatrième caractère
Tout phénomène d'intégration implique nécessairement l'existence d'une structure
institutionnelle, puisque toute intégration implique un transfert de certaines
compétences à une entité nouvelle. Or, pour que ces compétences puissent être
exercées, il faut des institutions qui disposent de moyens, d'instruments et de
structures pour les mettre en oeuvre.
Ces institutions sont d'autant plus nécessaires que, dans tout phénomène
d'intégration, il y a un conflit permanent entre des facteurs d'intégration et des
facteurs de désintégration, ces derniers constituant essentiellement des réflexes
nationaux. Les institutions seront dès lors nécessaires pour canaliser les facteurs de
désintégration et pour mobiliser les facteurs d'intégration.
Reconnaître le rôle de l'institutionnel signifie que l'on doit rechercher les conditions
structurelles et décisionnelles qui permettent à la dynamique de l'intégration de
s'affiner et de transcender les points de vue nationaux.
Cinquième caractère
Sixième caractère
Septième caractère
Si tels sont les sept caractères que l'on trouve dans presque tous les processus
d'intégration, il ne faudrait pas réduire toutes les tentatives d'intégration à un schéma
unique et uniforme. Les sept constantes décelées doivent s'adapter au contexte
politique, économique et social des pays qui s'intègrent. Tout processus d'intégration
doit dès lors être approprié au cadre géopolitique dans lequel il est né et refléter les
réalités et les tendances régionales qui sont les siennes et ce, sous peine d'un échec
total.
II. LA FONCTION DU DROIT DANS UN PHENOMENE D'INTEGRATION
En Europe, dans le traité CEE, signé en 1958, on trouve, à l'article 3, que pour
réaliser les objectifs de l'intégration économique, il faut notamment « assurer le
rapprochement des législations nationales dans la mesure nécessaire au
fonctionnement du marché commun ».
Par la suite, cette exigence du rapprochement des droits a été renforcée par des
procédures et des mécanismes nouveaux dans l'Acte Unique Européen et dans le
Traité de Maastricht.
En Afrique, le Traité de l'UEMOA figure dans le préambule que les Etats membres
affirment « la nécessité de favoriser le développement économique et social grâce à
l'harmonisation de leur législation ».
L'harmonisation du droit est non seulement une condition pour la réussite d'un
phénomène d'intégration mais elle peut aussi être un élément moteur d'une
intégration et ce, à un double titre.
Mais le droit peut être, à un deuxième titre, un facteur d'intégration. Il peut dans
certains cas faciliter l'intégration, la devancer, voire la féconder. Il est certain que si,
dans le domaine des entreprises, on a réalisé une harmonisation des législations en
matière de droit des sociétés, on a créé ainsi les conditions indispensables pour
développer des relations commerciales et économiques et ouvrir la voie à un
rapprochement des économies.
Une harnonisation des règles de conflit de lois ne saurait être considérée comme
suffisante. Il ne suffit pas en effet de déterminer si telle ou telle législation est
applicable, il faut, si l'on veut que les relations économiques entre les Etats intégrés
se développent dans des conditions économiques plus ou moins égales, que les
droits nationaux applicables soient quant à leur contenu plus ou moins identiques. Il
faut s'assigner comme objectif un régime relativement uniforme permettant de faire
normalement l'économie de la méthode des règles de conflit de lois, sans pour
autant qu'une harmonisation des règles de conflit de lois soit nécessairement à
rejeter.
L'uniformité juridique dans le cadre d'Etats intégrés ne peut se réaliser que par une
harmonisation des droits nationaux ou par l'élaboration d'un droit communautaire.
Il est extrêmement difficile de préciser a priori dans quels cas il faut recourir à l'une
ou l'autre de ces techniques. L'intégration juridique n'étant qu'un moyen, le choix des
techniques, qui d'ailleurs ne s'exclut pas, est directement fonction des objectifs
recherchés.
C'est la conclusion à laquelle ont abouti certains auteurs. L'étude logique des trois
tenues employés par le traité permettrait de constater qu'il y a entre eux une
hiérarchie : « la coordination viserait à un équilibre que l'on institue entre des normes
ou systèmes juridiques qui peuvent rester complètement différents. L'harmonisation
impliquerait certains changements de ces normes et systèmes, pour créer entre eux
les similitudes nécessaires au résultat que l'on s'est fixé ; quant à l'unification elle
comporterait une identité de normes devenues communes aux divers systèmes
juridiques envisagés ».1
Pour réaliser le rapprochement des législations aussi bien dans le traité CE que dans
le traité UEMOA, la directive constitue le type d'acte privilégié. Elle impose aux Etats
une obligation de résultat dont ceux-ci déterminent, en principe librement, les
modalités d'exécution. C'est donc un instrument qui réalise un équilibre entre les
compétences des institutions supranationales et le respect de la souveraineté
nationale.
Comme certains l'ont écrit2 elle constitue une règle de « cohabitation appelée à
protéger la Communauté contre un exercice anarchique des souverainetés
nationales ».
Mais si le rapprochement des droits trouve généralement son origine dans une
directive, c'est-à-dire dans un acte de l'autorité communautaire, dont la Cour de
Justice aussi bien dans le cadre de la CE que dans le cadre de l'UEMOA est en droit
1
R. VANDER ELST, Les notions de coordination, d'harmonisation, de rapprochement et d'une fixation du droit dans le cadre de
la Communauté économique européenne, Institut d'Etudes Européennes de l'Université de Bruxelles.
2
J. VERHOEVEN, Droit de la Communauté Européenne, p. 244.
de contrôler la légalité, les dispositions législatives réglementaires ou administratives
des Etats Membres issus d'une directive restent du droit interne.
Sans doute les Etats Membres n'ont-ils plus à l'égard du droit interne résultant de
l’exécution d'une directive la même liberté qu'à l'égard des autres dispositions de leur
droit national. En effet, toute abrogation ou modification d'un texte issu d'une
directive pourrait constituer de la part d'un Etat une méconnaissance de ses
obligations communautaires susceptibles d'engager sa responsabilité.
L'intégration juridique peut être réalisée par la création d'un corps de droit
directement applicable aux Etats Membres et à leurs ressortissants.
A cet effet les traités, celui de la CE et celui de l'UEMOA, ont donné aux Institutions,
pour l'élaboration de ces règles communes, des instruments indispensables : le plus
adéquat est, dans le cadre des deux traités, le « règlement » qui est défini comme
étant une norme de portée générale obligatoire dans tous ses éléments et
directement applicable dans tout Etat Membre. C'est la source d'un droit commun.
Bénéficiant de l'immédiateté d'application, le règlement est par excellence
l'expression de l'immédiateté fédérale. En effet, l'intervention des autorités
communautaires n'exige en rien une coopération des autorités des Etats Membres
pour être intégrée dans leur ordre juridique respectif Il n'y a, dès lors, à l'égard d'un
règlement, aucune mesure portant réception dans le droit national. Il entraîne une
limitation définitive des droits souverains des Etats Membres contre laquelle ne
saurait prévaloir un acte unilatéral incompatible avec la notion de communauté.3
L'ordre juridique communautaire doit être un, unique, uniforme ou il n'est pas.
Il n'est pas exclu que dans le cadre d'un phénomène d'intégration, l'intégration
juridique puisse se réaliser sur la base d'accords entre les Etats, même si ces
accords apparaissent comme l'instrument particulièrement indiqué d'une coopération
entre Etats.
3
CJCE, 15-7.1964, Costa/ENEL, aff. 4-64, Rec. 1964, p. 1141.
leur conclusion, elles présentent des analogies avec des actes relevant du droit
communautaire. En effet, dans certains cas, des protocoles spéciaux ont soumis aux
pouvoirs préjudiciels d'interprétation de la Cour de Justice certaines dispositions de
ces conventions.
CONCLUSION
C'est donc par une espèce de dialectique permanente entre droit et économie que
les groupes régionaux peuvent assurer leur cohérence et leur homogénéité.