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PAUL CAUUET, JOUER LA CARTE VERMEIL

Par Jean-Manuel Escarnot – 29 juillet 2018


Le dessinateur toulousain, auteur des Vieux Fourneaux, se délecte des aventures dessinées de
ses trois fripouilles, adaptées au cinéma.
« Faire chier le système le plus longtemps possible, vu qu’à nos âges, il n’y a plus guère que
lui que l’on peut encore besogner. » Faute de changer le monde, Pierrot, Émile et Antoine, les
5 héros de la BD Les Vieux Fourneaux, deux cent cinquante piges au compteur à eux trois,
profitent de leur vieillesse pour emboucaner au maximum le grand capital et ses sbires.
Tatoués, fumeurs de Gitanes, perclus1 d’arthrose, le trio se moque de la morale. Soudés par une
commune aversion envers l’autorité, ils dégomment à tout-va les réacs, les bien-pensants, les
bobos, les cons, les nuisibles, les actionnaires et autres patrons de labos pharmaceutique.
10 Vivifiant. On se dit qu’on aimerait bien vieillir comme eux. Signe des temps : vendus à un
million et demi d’exemplaires, les quatre albums de la série se trouvent aussi bien dans les
rayons des supermarchés que sur les étagères du Taslu2, la bibliothèque de la ZAD3 de Notre-
Dame-des-Landes. On rencontre Paul Cauuet, 38 ans, le dessinateur des Vieux Fourneaux, à la
Mine, l’atelier collectif logé sous les toits d’un immeuble toulousain proche de la place du
15 Capitole. Il y marne sept heures par jour, après avoir déposé à vélo sa gamine à l’école. Ce
matin, il a les traits tirés du type qui a « la tête dans le guidon et le guidon sous l’eau ». En ce
moment, « ça carbure à mort », dit-il en souriant. Il reste cool malgré le film adapté de la BD
avec Pierre Richard, Eddy Mitchell et Roland Giraud, qui sort le 22 août, et les planches du
cinquième album à livrer. Au boulot, il a toujours le temps de saluer ses collègues d’atelier et
20 de répondre au téléphone à sa compagne, qui enseigne l’art floral japonais, en quête des clés
du garage. Il sert aussi le café avant d’embrayer sur la genèse des Vieux Fourneaux : « Avec
Wilfrid Lupano, le scénariste, on en avait marre du jeunisme dans la BD, avec des personnages
beaux et forts ayant tout compris de la vie. On aimait les vieux de Groland4, le grand-père
Simpson, tout ce côté “négatif ”et en même temps super marrant de la vieillesse. On a imaginé
25 une histoire se passant aujourd’hui avec des personnages de l’âge de nos grands-parents.
Quand ils sont nés, on labourait encore les champs avec les bœufs. Aujourd’hui, ils s’échangent
des textos. Cette génération a connu un bond technologique incroyable, sans imaginer son
impact sur l’environnement. Ils ont un vécu que n’ont pas des personnages de 25 ans »,
explique Paul Cauuet.
30 Pour lier la sauce, les deux auteurs y mettent une louche d’histoires personnelles. « On a situé
le premier tome chez nous, dans le Sud-Ouest. J’ai dessiné la maison de mes grands-parents
près de Moissac, sur les coteaux dans le Tarn-et-Garonne. Wilfrid a grandi à Pau où ses
parents tenaient un bar. On a fait infuser tout ça. »
Le succès a suivi dans des « proportions de dingues ». « On a tapé juste car c’est une histoire
35 qui fait du bien aux gens. Ils aiment ces personnages. Ils ont envie de les retrouver. C’est une
comédie sociale. L’époque actuelle est plutôt anxiogène et pas très funky. On est loin d’Euro
Disney, poursuit-il. Rien qu’en France, c’est assez terrible avec les milices qui reviennent
contre les migrants dans les Alpes, les CRS partout dans les facs et dans les ZAD. Ce côté un
peu intouchable de la vieillesse permet aux Vieux Fourneaux d’utiliser le temps qu’il leur reste
40 pour retarder la Machine ou du moins pour la gripper. Ils sont subversifs. Ils font chier tout le
monde, sans peur des conséquences. » [...]
Né à Toulouse, ce père d’une fille de 6 ans et d’un garçon de 2 ans se souvient d’une enfance
heureuse. Les vacances et les week-ends à la campagne dans la maison du grand-père maternel,
agriculteur près de Moissac. À l’écoute, ses parents l’ont laissé suivre sa voie. « Tous les enfants
45 dessinent. La plupart finissent par arrêter. À l’école, j’étais celui qui dessinait bien au fond de
la classe. J’ai continué au lycée. À la maison, il y avait un terreau. Mon père avait vécu de sa
peinture à un moment, et ma mère était assez balèze aussi. Après le bac, mon père m’a dit de
continuer là-dedans. Je me suis inscrit en arts appliqués à la faculté du Mirail. J’ai eu mes
vrais premiers cours de dessin à ce moment. J’ai compris comment faire une ébauche, choper
50 une attitude, un mouvement. À 22 ans, j’ai signé mon premier contrat chez Delcourt. Il y a
des gens qui ont une vie de merde. Moi, je n’ai pas l’impression d’avoir galéré. »
L’an dernier, en septembre, il s’est pointé sur le tournage du film tiré des Vieux Fourneaux.
« Il s’agissait d’une scène de manif dans les années 70 à Villemur-sur-Tarn, sur le site des
anciennes usines Molex. Les CRS étaient en tenue d’époque, et il y avait d’anciens ouvriers
55 parmi les figurants. Les décorateurs avaient fait un travail énorme sur les détails. C’était
super », s’extasie-t-il. « En plus d’être un auteur, Paul est quelqu’un de simple. Dès le départ,
nous nous sommes bien entendus. Il m’a accueilli chez lui, à Moissac, comme si j’étais de la
famille », dit de lui Christophe Duthuron, le réalisateur de l’adaptation. « Paul, c’est un
instinctif. Il a beaucoup évolué dans son travail, ajoute Wilfrid Lupano, de retour d’un séjour
60 de trois jours sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Il est assez atypique dans sa façon de
bosser. Si ce n’est pas pour raconter une histoire, il ne dessine pas. »
Les week-ends, Paul Cauuet se régale en se baladant sur les marchés : « Il y a de plus en plus
de vieux. Ils sont faciles à dessiner. C’est comme les vaches, ils ne bougent pas vite. Quand
je vais du côté de Moissac, j’ai l’impression d’être au parc d’attractions. » Malgré la longueur
65 de la file dans les séances de dédicaces, il aime toujours autant le contact avec le public : « Les
gens nous disent : “Ça ne nous fait plus peur de vieillir” ou “J’aimerais bien être comme ça
plus tard !” Beaucoup nous disent aussi : “Lui, on dirait tellement mon père ou mon mari.”
Ils retrouvent un aspect de quelqu’un qu’ils connaissent. Ça fait vraiment plaisir. » Avant de
le laisser travailler, on lui demande comment il se voit vieillir. Il répond : « Vieillir tout
70 simplement. C’est déjà beaucoup ! »
1. perclus (adj.) : impotent, qui éprouve des difficultés à se déplacer.
2. Taslu : bibliothèque spécialisée en politique et en écologie.
3. ZAD : Zone à Défendre.
4. Groland : pays fictif, imaginé en 1992 dans le cadre d’émissions de divertissement

1. Lisez l’article.
a. Qui est Paul Cauuet ? Pourquoi cet article lui est-il consacré ?
b. Relevez les moments importants de sa vie, de sa naissance à aujourd’hui.
2. Relisez l’article.
a. Identifiez ce qui a poussé les auteurs à écrire cette bande dessinée. Dites ce qui les a
inspirés (personnages, endroits, situations, etc.).
b. Selon les auteurs, quel est l’atout de l’âge avancé des personnages ?
c. Expliquez ce qui justifie la volonté de faire « une comédie sociale », d’après l’auteur.
Donnez des exemples.
d. Comment Paul Cauuet explique-t-il les causes de son succès ?
3. Lisez à nouveau l’article.
a. Quel est le style employé par le journaliste pour écrire cet article ? Selon vous, le registre
correspond-il à la catégorie d’âge évoquée dans la bande dessinée ? Échangez.
b. Partagez l’article entre les groupes (l. 1 à 29, l. 30 à 51, l. 52 à 70). Relevez le lexique
familier. Pour chacun des mots ou expressions relevés, trouvez deux synonymes dans le
même registre, puis ajoutez un intrus.
Exemple : une fripouille : une canaille – un escroc – un simplet.
Intrus : un simplet.
Échangez vos activités et identifiez les intrus.
c. Mettez vos réponses en commun avec la classe. Donnez le synonyme des mots ou
expressions trouvés en français courant.

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