DIMANCHE 26 - LUNDI 27 NOVEMBRE 2023

79E ANNÉE – NO 24540

3,40 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE
WWW.LEMONDE.FR –
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

L’ÉPOQUE – SUPPLÉMENT DANS LES COULISSES DES ÉMISSIONS DE TÉLÉ

À GAZA, PREMIÈRES LIBÉRATIONS D’OTAGES

▶ Après quarante-
neuf jours d’an- 1 ÉDITORIAL
goisse, 24 captifs
(13 Israéliens,
RELÂCHER
10 Thaïlandais et TOUS LES OTAGES
1 Philippin) sur les DE GAZA
240 personnes enle- PAGE 3 5
vées le 7 octobre
par le Hamas ont
pu retrouver leurs TRÊVE
proches, vendredi L’effarement
des Palestiniens
▶ D’autres libéra- de Gaza face à
tions sont atten- « un niveau de des-
dues durant la trêve
militaire, prévue truction absolue »
pour durer quatre PAG E 4

jours. Quatorze ont

été annoncées pour ENTRETIEN
samedi Khaled Mansour,
ex-porte-parole
▶ A Jérusalem-Est,
39 détenus sont
à l’ONU : « A Gaza,
sortis des prisons plus de 100 em-
israéliennes ven- ployés des Nations
dredi, conformé- unies sont morts,
Au poste-frontière de Rafah,
ment à l’accord dans la bande de Gaza, c’est sans
d’échange en direction de l’Egypte, précédent »
le 24 novembre. MOHAMMED ABED/AFP
PAGES 2 ET 4 PAG E 25

Logement LES CONTOURS DU RÉARMEMENT MONDIAL Irlande Procès Bygmalion

Airbnb : L’extrême droite En appel, Sarkozy
le gouvernement les dépenses militaires de la
planète ont atteint, en 2022, un
le plus rapidement – cumulant
des dépenses de 13 % supérieures
augmentation pour la 28e année
d’affilée, la Chine reste toutefois
incriminée conteste « toute
après une responsabilité
veut serrer la vis niveau record de 2 055 milliards
d’euros, soit une hausse de 3,7 %
à celles de 2021 –, tandis que, aux
antipodes, l’achat d’armes est
derrière les Etats-Unis. En France,
la nouvelle loi de programma- émeute à Dublin pénale »
en un an. Pris de court par l’inva- dopé par l’exacerbation des ten- tion promet aux armées 100 mil-
Une proposition de loi sion de l’Ukraine, les Etats euro- sions sino-américaines autour de liards d’euros d’ici à 2030.
transpartisane arrive péens sont ceux qui se réarment l’île de Taïwan. Avec un budget en PAGE S 2 2 À 2 4 PAGE 6 PAGE 1 3
à l’Assemblée nationale,
mardi, pour rendre plus
sévères les règles régissant
les plates-formes Madeleine Riffaud « Je devais Energie
La biomasse,
PAGE 1 7
être fusillée le 5 août 1944 » un « or vert »
Politique sous tension
Le déclassement
PAGE 1 6

des classes Frontière

Le mur entre
moyennes la République
En dix ans, le sentiment
dominicaine
de voir son pouvoir et Haïti s’étend
d’achat se réduire a fait PAGE 7
tache d’huile dans la so-
ciété, selon une étude de Education
la Fondation Jean Jaurès
PAGE 8
Menace sur le
contrat entre l’Etat
Santé et le lycée privé
musulman Averroès
Le débat sur A Paris, le 13 août 2021. BASTIEN MOIGNOUX/MAXPPP
PAGE 1 2

l’accouchement à
domicile ressurgit
Le décès d’une femme et
de son bébé en Bretagne
interroge sur cette pratique
PAGE 1 4
celle qui fut poète, journaliste tance », raconte Madeleine Rif- Sciences
et longtemps militante commu-
niste revient pour Le Monde sur le
faud. Condamnée à mort par les
Allemands, elle aurait dû être exé- L’intelligence
« coup de pied au cul » d’un nazi cutée si la chance n’avait fait d’elle artificielle fouille
qui, un jour de 1940, fait basculer une monnaie d’échange. Aujour-
sa vie, alors qu’elle a tout juste d’hui, à 99 ans, l’éternelle combat- la mémoire
16 ans. « Je n’aime pas être humi-
liée. Alors, ce coup de pied m’a
tante n’a pas lâché prise et se bat
en justice contre une escroquerie.
de Notre-Dame
poussée à m’engager dans la Résis- PAGE 3 1 PAGE 2 6
Algérie 220 DA, Allemagne 4,50 €, Andorre 3,90 €, Autriche 4,20 €, Belgique 3,70 €, Espagne 3,90 €, Grèce 3,90 €, Guadeloupe-Martinique 3,70 €,
Hongrie 1 790 HUF, Italie 3,90 €, Luxembourg 3,80 €, Maroc 28 DH, Pays-Bas 4,30 €, Portugal cont. 3,90 €, La Réunion 3,70 €, Sénégal 2 500 F CFA, Suisse 4,80 CHF, Tunisie 5,50 DT, Afrique CFA autres 2 600 F CFA
2|
INTERNATIONAL
0123
DIMANCHE 26 - LUNDI 27 NOVEMBRE 2023

C O N F L I T I S R A É L O - PA L E S T I N I E N ▶▶▶

Israël entre soulagement et amertume

Treize otages détenus par le Hamas depuis le 7 octobre ont été relâchés de Gaza au premier jour de la trêve

tel-aviv (israël) - envoyée spéciale

E
nfin ! Après quaran-
te-neuf jours d’incer-
titude, de rumeurs,
de poignantes dou-
leurs et de fausses
joies, les familles de
vingt-quatre des 240 otages enle-
vés par le Hamas le 7 octobre ont
pu retrouver leurs proches, ven-
dredi 24 novembre. Avec eux, les
Israéliens ont retenu leur souffle,
en ce jour de shabbat, suivant
heure par heure la progression de
cet événement tant attendu. Jus-
qu’au moment où, en tout début
de soirée, ils ont vu cette vidéo,
prise de très loin dans la nuit
noire : un bus traversant lente-
ment la haute frontière de barbe-
lés qui sépare Israël de l’Egypte,
suivi d’un cortège d’ambulances
de la Croix-Rouge.
A moins de 200 kilomètres de là,
trente-neuf prisonniers palesti-
niens (vingt-quatre femmes et
quinze adolescents) étaient libé-
rés de la prison d’Ofer, près de Ra-
mallah, en vertu de l’accord con-
clu par Israël avec le Hamas :
l’échange de cinquante otages
contre cent cinquante prison-
niers palestiniens, l’apport d’aide
humanitaire et une pause de qua-
tre jours dans les combats.
Sitôt les premières images diffu-
sées, la foule a laissé éclater son
soulagement sur la place du Mu-
sée d’art de Tel-Aviv, rebaptisée
« place des otages » depuis qu’elle
est devenue le centre des mani- Arrivée au centre médical Schneider de Tel-Aviv (Israël) d’un hélicoptère israélien transportant des otages libérés, le 24 novembre. FADEL SENNA/AFP
festations de soutien aux proches
des captifs. Une tempête d’ap-
plaudissements a accompagné la les deux filles, Raz, 4 ans, et Aviv, Tous savent aussi que, pour les auraient aussi fait l’objet d’un ra- En relâchant des otages au
projection, sur le mur du musée 2 ans, font partie du premier con- premiers Israéliens relâchés par le AUCUN AMÉRICAIN pide débrief par le Shin Bet, le ser- compte-gouttes, le Hamas joue la
transformé en écran géant, des
photos des treize Israéliens libé-
tingent de libérés, déclarait aussi-
tôt qu’il ne fêterait pas leur retour
Hamas, le retour sera difficile. Non
seulement ils auront enduré une
NI FRANÇAIS N’A ÉTÉ vice de renseignement intérieur
israélien désireux d’obtenir des
montre. C’est en tout cas ce dont
sont convaincus la majorité des
rés, quatre enfants, leurs mères et tant que tous les otages ne se- longue captivité, mais ce qu’ils LIBÉRÉ, UNE FAÇON détails utiles pour la localisation Israéliens, beaucoup tenant Yahya
six femmes âgées. raient pas rentrés. Comment vont découvrir en rentrant risque des otages restant. Ensuite seule- Sinouar, chef de l’organisation is-
oublier qu’à deux pas du Musée de leur infliger un chagrin supplé- POUR LE HAMAS ment, les vingt-quatre ex-otages lamiste à Gaza, pour leur pire
DES LARMES COULENT ENCORE
Parmi elles, Chana Katzir, 76 ans,
d’art, dans la bibliothèque Beit
Ariela, où les familles peuvent se
mentaire : ces treize personnes
ont été enlevées au kibboutz de
D’INCITER WASHINGTON ont été acheminés par hélicoptère
vers trois hôpitaux des environs
ennemi. « Il s’agit d’une véritable
torture », affirme Noa Itzhak, l’une
dont le groupe armé palestinien réunir depuis plusieurs semaines, Nir Oz, proche de la bande de Gaza, ET PARIS À EXIGER de Tel-Aviv, sous les yeux des jour- des responsables de l’association
Jihad islamique avait annoncé des larmes coulent encore ? Coin- où les hommes du Hamas se sont nalistes du monde entier, massés Bring Them Home Now, créée de-
la mort début novembre, dans cés entre le bonheur des autres et livrés à un véritable carnage. Un LE PROLONGEMENT sur un parking derrière les murs puis le 7 octobre et qui apporte
une vidéo. Les étrangers, dix leur propre souffrance, beaucoup quart des quatre cents habitants de la base. Dans ces établissements son soutien aux familles. Tant
Thaïlandais et un Philippin, ont s’interrogent toujours sur le sort que comptait la petite commu- DE LA TRÊVE de santé, où des espaces ont été qu’il reste encore des captifs en sa
fait l’objet de négociations sépa- de leurs parents, frères, sœurs ou nauté avant le 7 octobre ont été as- spécialement aménagés à son in- possession, le Hamas continue de
rées, à l’écart de celles menées par enfants détenus à Gaza. Pour ceux sassinés, blessés ou kidnappés. a refusé au CICR le droit d’entrer tention, le groupe a retrouvé ses tenir la dragée haute à ses enne-
le gouvernement israélien. Quatre dont le nom ne figure pas sur la Les autorités israéliennes se sont dans l’enclave palestinienne pour proches. Aujourd’hui et dans les mis, dans une enclave dont la par-
des Thaïlandais n’avaient jamais liste des cinquante premiers libé- donc organisées pour les accueillir visiter les otages toujours retenus. prochains jours, si les étapes pré- tie Nord a pourtant été en grande
été officiellement comptabilisés rables, l’inquiétude demeure ; elle et les entourer. Mais d’abord, il a Sortis du territoire égyptien, les vues pour de nouvelles libérations partie détruite par les bombarde-
comme otages. Selon le quotidien a même grandi, tant la crainte est fallu les faire sortir de Gaza, sui- otages libérés ont été pris en se poursuivent comme prévu, ments israéliens.
américain New York Times, le ci- forte de voir les négociations tour- vant un processus long et compli- charge par l’armée israélienne, qui d’autres les rejoindront. Samedi à
toyen philippin qui les accompa- ner court, les combats reprendre qué. Le Hamas les a remis au Co- les a emmenés sur la base de Hat- l’aube, une nouvelle liste était LE HAMAS JOUE LA MONTRE
gnait, pris pour l’un des leurs, et l’opinion publique se désinté- mité international de la Croix- zerim, proche de la ville de prête, pour un transfert prévu En Israël, où la question de l’ac-
aurait été libéré par erreur. Aucun resser de la question. Rouge (CICR) qui leur a fait passer Beersheba, dans le Neguev. Planté dans la journée. cord conclu avec le Hamas ne fait
ressortissant américain ni fran- Venu s’entretenir avec les fa- la frontière à bord d’ambulances, au milieu d’une plaine sableuse, ce Mais à Tel-Aviv, le silence est très pas consensus, même ceux qui
çais ne figurait parmi ces premiers milles en fin d’après-midi, Benny au point de passage de Rafah. Une camp militaire avait été trans- vite retombé, vendredi soir, après ont milité en faveur de cette en-
libérés – une façon pour le Hamas Gantz, ministre sans portefeuille fois en Egypte, l’organisation hu- formé en semblant de nurserie, la liesse des premiers moments. tente le disent : Yahya Sinouar
d’inciter Washington et Paris à et membre du cabinet de guerre, a manitaire a pu procéder à un pre- avec des coussins et des peluches Car ces retours ne constituent pas profitera du répit offert par la
exiger de Benyamin Nétanyahou, tenté de les réconforter : « Je tiens à mier bilan médical, notamment pour les enfants, finalement seulement une victoire : ils sont trêve pour tenter de réorganiser
le premier ministre israélien, un rassurer les familles de tous les ota- ophtalmologique, les victimes moins nombreux qu’espéré. aussi le signe d’une humiliation. son armée. Les responsables poli-
prolongement de la trêve. ges : nous n’arrêterons pas, nous re- ayant probablement fait de longs Tous ont pu s’y doucher, se chan- Le rappel, violent, de la défaite su- tiques du Hamas, en exil au Qatar,
Des sourires, donc, mais derrière prendrons les efforts et l’action mi- séjours dans l’obscurité des tun- ger, appeler leurs familles et subir bie par Israël, le 7 octobre, et du fait affirment de leur côté qu’ils tra-
lesquels passaient bien des om- litaire à Gaza pour récupérer les nels de l’enclave palestinienne. En de nouveaux examens médicaux, que la guerre est sans doute loin vaillent à étendre la pause.
bres. Yoni Asher, dont la femme et otages et rétablir la dissuasion. » parallèle, l’organisation islamiste jugés satisfaisants. Les adultes de se terminer. Dès vendredi matin, des trou-
bles ont éclaté dans la bande de
Gaza, peu de temps après son en-
Bangkok s’est appuyé sur l’Iran pour la libération de dix de ses ressortissants trée en vigueur. Des Palestiniens
qui commençaient à quitter le
Sud, où ils avaient fui les combats,
la remise en liberté de dix otages du nord-est du pays qui se trouve être le a ensuite organisé le déplacement à Téhé- au Caire pour s’assurer de la coopération pour remonter vers le Nord, ont
thaïlandais, vendredi 24 novembre, dans bastion du Pheu Thai (« Parti pour les ran, le 27 octobre, de conseillers de Wan de l’Egypte. Les consultations se sont été refoulés par l’armée israé-
le cadre de la trêve de quatre jours agréée Thaïlandais »), le parti de l’ancien pre- Noor. L’Iran est le principal soutien politi- poursuivies jusqu’à la dernière minute. lienne qui a ouvert le feu, tuant
entre Israël et le Hamas, couronne un mier ministre Thaksin Shinawatra, qui a que et financier du Hamas au Proche- Wan Nor a accueilli, jeudi 23 novembre, à deux personnes. Dans la foulée,
mois d’activité diplomatique frénétique pris la tête de la coalition formée à l’issue Orient. A cette occasion, les émissaires du Bangkok, le ministre adjoint des affaires une conférence de presse a fait
de la part d’un pays qui se veut neutre et des élections du 14 mai. président de l’Assemblée ont reçu de re- étrangères iranien, Ali Bagheri Kani, grincer des dents, du côté israé-
ami de tous mais qui est peu investi au Le gouvernement de M. Thavisin a im- présentants du Hamas l’assurance que pour discuter là encore du dossier des lien : les premiers ministres belge
Proche-Orient. Le gouvernement de Sret- médiatement missionné sur ce dossier le les otages thaïlandais seraient libérés dès otages. Vendredi soir, dès l’arrivée des ex- et espagnols, Alexander De Croo
tha Thavisin n’est entré en fonctions que nouveau président de l’Assemblée, Wan qu’Israël consentirait à une trêve. otages thaïlandais en Israël, où ils reste- et Pedro Sanchez, ont pris la pa-
fin août, et la crise des otages a été son Muhamad Noor Matha, « Wan Noor », un Après cette première percée, le ministre ront quarante-huit heures sous sur- role depuis l’Egypte, appelant à un
baptême du feu. Trente-neuf Thaïlandais politique de confession musulmane des affaires étrangères thaïlandais, Par- veillance médicale, Bangkok a exprimé cessez-le-feu permanent. Exacte-
sont morts sous les balles du Hamas le longtemps représentant des provinces npree Bahiddha-Nukara, également pre- ses remerciements à « tous ceux à qui [la ment ce que de très nombreux Is-
7 octobre. Vingt autres restent à ce jour du Sud, peuplées majoritairement de mier ministre adjoint, s’est rendu au Qa- Thaïlande] a demandé de l’aide, à savoir raéliens redoutent et conjurent
captifs à Gaza. Tous faisaient partie des Thaï-Malais, sunnites comme lui, et un tar le 31 octobre. Il y a rencontré, en sus de les gouvernements du Qatar, d’Israël, leur gouvernement de ne pas
30 000 ouvriers agricoles thaïlandais em- proche allié du Pheu Thai. Wan Noor a ac- son homologue qatari, le ministre des af- d’Égypte, d’Iran, de Malaisie et le Comité faire, craignant de voir leur pays
ployés dans des kibboutz israéliens dans tivé ses réseaux, notamment en Malaisie, faires étrangères iranien, Hossein Amir international de la Croix-Rouge ». p perdre la guerre. En Israël, le récit
le cadre d’un accord entre les deux pays. où le Hamas dispose d’une présence. Abdollahian, qui lui a fourni « le soutien brice pedroletti de la libération des otages ne fait
La grande majorité d’entre eux sont ori- Saiyid Sulaiman Husaini, l’influent lea- total de l’Iran ». Le lendemain, le chef de la (bangkok, correspondant que commencer. p
ginaires de l’Isan, la grande région pauvre der d’une association chiite thaïlandaise, diplomatie thaïlandaise a fait une halte en asie du sud-est) raphaëlle rérolle
4 | international
C O N F L I T I S R A É L O - PA L E S T I N I E N
A Jérusalem-Est,
la liberté sous
surveillance
des Palestiniens
Partis pour certains de la prison
d’Ofer, en Cisjordanie, vingt-
quatre femmes et quinze mineurs
ont été relâchés vendredi
REPORTAGE
jérusalem-est, cisjordanie -
envoyé spécial
M
ême s’il avait été
formellement in-
terdit de participer
aux réjouissances
au-delà du premier cercle familial,
il y a quand même du monde dans
les salons de l’appartement de Beit
Hanina, à Jérusalem-Est : l’oncle
qui virevolte, Thermos en main,
en distribuant du café dans des
petites tasses en carton, à côté des
autres frères – neuf au total –, de
leur sœur, de leurs enfants à tous.
Ils essaient de ne pas parler fort,
s’assoient dans les grands fau-
teuils, se lèvent, crient, sont bous-
culés, éclatent de rire. Il y a aussi
deux jeunes garçons timides qui
surnagent dans toute cette agita-
tion en contemplant intensément
leur mère, qu’ils découvrent dans
des habits élégants et en liberté. Ils
peinent presque à la reconnaître.
Amani Hashim, mère, fille, nièce
et prisonnière depuis sept ans,
vient de rentrer à la maison.
La trentenaire vient de retrou-
ver sa liberté, vendredi 24 novem-
bre, dans le cadre d’un échange de
prisonniers palestiniens, le pre-
mier après le conflit déclenché le
7 octobre par l’attaque du Hamas,
contre des otages israéliens déte-
nus dans la bande de Gaza depuis
lors. Au total, 39 détenus sortis
des prisons israéliennes (vingt-
quatre femmes et quinze mi-
neurs) ont été libérés vendredi.
Un premier groupe, avant
d’autres attendus et espérés dès le
lendemain. Des opérations simi-
L’effarement des habitants de Gaza devant l’étendue des destructions
Profitant de la trêve, les résidents de l’enclave ont circulé dans les rues, jalonnées d’immeubles en ruine et de corps en état de décomposition
V endredi 24 novembre à
l’aube, quand les frappes
israéliennes sur la bande
de Gaza se sont interrompues,
après quarante-neuf jours de
bombardements, et que le bour-
donnement des drones s’est tu,
des dizaines de milliers de dépla-
cés dans le sud de l’enclave ont re-
pris le chemin du centre et du nord
du territoire. Pour regagner leurs
quartiers et s’enquérir de ceux qui
n’ont pas voulu ou pu fuir et de
l’état de leur domicile ou pour ten-
ter de retrouver des affaires parmi
les ruines. Pour d’autres, il s’agis-
sait d’inhumer leurs proches.
« C’est un soulagement. Il règne
un calme absolu dans les rues, il n’y
a plus de bruits de bombarde-
ments », témoigne depuis la ville
de Rafah Ali (il n’a donné que son
prénom), un ambulancier origi-
naire de la ville de Gaza et déplacé
à deux reprises dans le Sud depuis
le début de la guerre, déclenchée le
7 octobre par l’attaque du Hamas
contre l’Etat hébreu. « C’est comme
un retour à la vie, mais nous avons
laires doivent se poursuivre dans
les trois jours suivants, à raison de
trois pour un, trois prisonniers
contre un otage.
Vers 20 heures, vendredi, les
premiers détenus palestiniens – il
avait été entendu qu’aucun d’en-
tre eux n’avait versé de sang israé-
lien – viennent d’être libérés après
avoir été regroupés dans divers
lieux de détention, notamment à
la prison d’Ofer, au bord de la si-
nistre route 443 qui serpente, en-
tourée de barbelés et du mur bé-
tonné de la barrière de protection,
entre Israël et la Cisjordanie. Ofer
est, techniquement, en Cisjorda-
nie, mais administrée par Israël.
Renvoyer les pâtisseries
Le complexe a des airs de forte-
resse mal entretenue. Les déte-
nus libérables doivent filer dans
des bus. Devant le centre de dé-
tention, un espace a été réservé
pour la presse afin qu’elle puisse
observer cet instant, mais pas au
point de laisser des échanges
s’instaurer. Dans le contexte d’un
pays, Israël, sous le choc, après les
massacres du Hamas, il est exclu
que l’échange entre otages et
prisonniers soit transformé en
tribune politique.
Certains vont partir vers Jérusa-
lem-Est, les autres vont se diriger
vers la Cisjordanie, à Bethléem, à
Naplouse, à Ramallah ou encore à
Beitunia, à quelques kilomètres
tout juste à vol d’oiseau d’Ofer,
mais à près d’une heure de longs
détours compliqués par la route,
dans cette localité voisine qui
pourrait aussi bien se situer dans
une autre galaxie, tant elle est
peur que cela recommence dans
quatre jours [la durée pour l’ins-
tant négociée de la trêve]. Et beau-
coup de gens cherchent avant tout
à récupérer les corps de leurs pro-
ches pour les enterrer. »
Ce périple est à nouveau pé-
rilleux. Peu avant l’entrée en
vigueur de la trêve, l’aviation is-
raélienne larguait des tracts rap-
pelant que « la guerre n’est pas fi-
nie ». « Un retour vers le nord est in-
terdit et très dangereux. » Vers
midi, au moins deux personnes
ont été tuées et un certain nom-
bre blessées par des tirs venus des
positions israéliennes dans le
quartier de Tal Al-Hawa. Deux
nouveaux morts qui viennent
s’ajouter aux 14 854 personnes,
dont 6 150 enfants, qui ont péri
sous les bombardements israé-
liens, selon le ministère de la
santé de l’enclave palestinienne.
A Khan Younès, dans le Sud, le
journaliste Ayman Algedi consta-
tait également, avec effarement, le
visage de désolation qu’offrait une
partie de la ville : « C’est un niveau
La Palestinienne Amani Hashim avec sa mère, dans leur appartement à Jérusalem, le 25 novembre. ADRIENNE SURPRENANT/MYOP POUR « LE MONDE »
éloignée par la barrière, ce long
mur en panneaux de béton.
Il y a sept ans, Amani Hashim
percutait avec sa voiture, dont
elle disait que les freins avaient
lâché, un véhicule militaire au
checkpoint de Kalandia, l’un des
sas entre Jérusalem-Est et Ramal-
lah, siège de l’Autorité palesti-
nienne. Les circonstances demeu-
rent un peu floues. La voiture a
été criblée de balles, pas elle. Elle
avait été condamnée, ensuite, à
dix ans de prison. Elle vient de
s’en voir graciée de trois.
Un peu plus tôt, en cet étrange
vendredi, l’atmosphère était ce-
pendant loin d’être à la fête dans
l’appartement familial de Beit
Hanina. Des membres des forces
de sécurité israéliennes, de diver-
ses unités, avaient bloqué les en-
virons. Gyrophares, patrouilles et
dispersion de regroupements. On
joignait l’oncle au téléphone de-
puis le coin de cette rue tranquille
de Beit Hanina, où des voisins
épiaient le spectacle derrière
leurs rideaux, conscients qu’il
n’était pas conseillé d’approcher.
Un peu tendu à ce moment, l’on-
cle chuchotait : « Il y a quatre mes-
sieurs de la police dans la maison. »
On avait ordonné à la famille de
renvoyer les pâtisseries et diverses
de destruction absolue. Nous avons
vécu quatre, cinq guerres, mais
nous n’avons jamais vu autant de
destructions. » Sur les images qu’il
filme, des habitations ratatinées
succèdent à des rues défoncées.
Maigre consolation : un filet d’eau
s’échappe d’un tuyau qui sort d’un
immeuble effondré. « Nous avons
tellement soif… », dit-il.
200 camions chargés d’aide
« Je me suis promené dans la ville
de Gaza peu après le début de la
trêve. La destruction est totale.
Maisons, bâtiments, mosquées,
jardins publics, écoles, conduites
d’eau, poteaux électriques, écrit
l’éditeur Refaat Alareer. J’ai essayé
d’atteindre l’hôpital d’Al-Rantissi,
mais il y avait deux chars. Eton-
namment, il n’y a pas d’envahis-
seurs israéliens à l’hôpital Al-Shifa.
Les chars n’ont pas cessé de tirer sur
les gens près d’Al-Rantissi et à Tal
Al-Hawa. A Tal Al-Hawa, il y a des
snipers près du jardin de Barcelone.
Ils ont tiré sur quelqu’un qui s’ap-
prochait de sa maison », décrit-il.
petites choses à grignoter achetées
pour la circonstance. Comme si le
sucre risquait de monter à la tête
des proches et de provoquer une
émeute. Non loin, flotte encore
par nappes grasses l’odeur fétide
du skunk projeté sur les manifes-
tants qui s’accroche pendant des
jours aux corps et aux vêtements,
un produit hésitant entre putré-
faction et excréments. Devant la
maison de Amani Hashem, un
groupe de jeunes hommes tente
une petite chanson, puis s’égaille,
à la demande de la famille.
Empêcher les expressions de joie
En Cisjordanie, des scènes de liesse
ont été accompagnées de chants à
la gloire du Hamas, qui hérite de
tout le crédit de ces libérations, et
dont on célèbre désormais comme
un héros le nom de Mohammed
Deif, le chef des Brigades Ezzedine
Al-Qassam, qui a mené l’attaque
du 7 octobre. A Jérusalem-Est,
toute manifestation similaire a été
formellement interdite. Jeudi, le
ministre de la sécurité nationale,
Itamar Ben Gvir, avait demandé au
patron de la police, Kobi Shabtai,
d’user d’une « main de fer » pour
empêcher toute expression publi-
que de joie dans le cadre des
libérations de prisonniers.
Sur la route côtière, qui va du
nord vers le sud, empruntée par
ceux qui ont fui les quartiers as-
siégés par l’armée israélienne, on
aperçoit de nombreux corps en
décomposition. « Nous deman-
dons à des ambulances de venir les
récupérer. Nous devons quitter cet
endroit, c’est trop dangereux »,
s’exclame un jeune qui les filme.
Les hôpitaux de Gaza, dont
vingt-quatre sur trente-deux ont
cessé de fonctionner, exhibent les
stigmates des quarante-neuf jours
de frappes : les vitres de l’hôpital
Al-Awda ont volé en éclats ; les troi-
sième et quatrième étages, où sont
morts trois soignants dont deux
membres de Médecins sans fron-
tières mardi, sont réduits à l’état de
gravats. La façade de l’hôpital indo-
nésien est éventrée, des corps gi-
sent à ses abords, sous des couver-
tures, que des badauds soulèvent
pour reconnaître un visage. Scè-
nes identiques à l’hôpital Al-Shifa,
qui fut le plus important de la
bande de Gaza avant son évacua-
tion partielle, le 18 novembre.
DIMANCHE 26 - LUNDI 27 NOVEMBRE 2023
EN CISJORDANIE, DES
SCÈNES DE LIESSE ONT
ÉTÉ ACCOMPAGNÉES DE
CHANTS À LA GLOIRE
DU HAMAS, QUI HÉRITE
DE TOUT LE CRÉDIT
DE CES LIBÉRATIONS
Alors, partout dans Jérusalem-
Est, comme chez Marah Bakir,
l’une des détenues les plus
connues du groupe libéré ven-
dredi, on tente de calmer les
ardeurs des amis et du voisinage.
Un membre de la famille expli-
que que la police a menacé d’une
amende de 70 000 shekels
(17 000 euros) si un attroupement
se formait. Il demande qu’on ne
cite ni son nom ni son âge,
avant de préciser la raison de sa
réserve : « Je suis enseignant dans
une école municipale. »
Dans les rues devant les mai-
sons des familles de prisonniers
libérés, les policiers israéliens ne
sont pas, par obligation profes-
sionnelle, autorisés à parler, mais
ils auraient, de toute évidence, de
L’Organisation mondiale de la
santé (OMS) a affirmé vendredi ne
disposer d’aucune information
sur le sort du directeur de cet
établissement, arrêté mercredi,
ainsi que cinq autres soignants,
alors qu’ils participaient à une
mission de l’ONU pour évacuer
des patients. L’opération a duré
vingt heures, « dont six heures à
un point de contrôle où [ils] ont été
contrôlés par les forces de défense
israéliennes. Et ce, malgré un ac-
cord initial prévoyant de ne con-
trôler les participants qu’au point
de départ, à l’hôpital Al-Shifa »,
ajoute l’OMS, précisant qu’ils ont
été arrêtés à ce moment-là.
Israël avait annoncé jeudi l’ar-
restation de Muhammad Abu Sal-
miya, ainsi que celle d’un chef de
service de l’hôpital. « Nous l’inter-
rogeons [M. Abu Salmiya] sur le
fait qu’il était directeur d’un hôpi-
tal qui se trouvait au-dessus de tout
un réseau terroriste », a affirmé
samedi un porte-parole de l’ar-
mée israélienne, Doron Spielman.
L’Etat hébreu avait accusé l’établis-
0123
nombreuses choses à dire. Il n’est
pas une personne qui, vendredi,
entre Israël et les territoires occu-
pés, puisse ne pas avoir la tête en
feu. Israël revit, inévitablement, le
choc du 7 octobre.
Dans le salon de chez Amani
Hashim, il y a un écran géant et,
un peu plus tôt, une équipe d’Al-
Jazira est entrée pour faire un
direct. Sur l’énorme écran, on dif-
fuse bien entendu la chaîne
d’information qatarie en continu.
A l’image, justement, de vieilles
dames apparaissent, qui descen-
dent d’un véhicule, l’air épuisé,
presque égaré. Il y a près d’elles
des hommes du Hamas, cagoulés
de noir et reconnaissables à leur
bandeau vert. On aperçoit aussi
des dossards du Comité interna-
tional de la Croix-Rouge, qui enca-
dre le processus.
Dans le brouhaha de l’apparte-
ment, les commentaires de la té-
lévision sont inaudibles, mais la
scène est facile à comprendre : il
s’agit d’une phase de la libération
des otages israéliens de Gaza. Nul
ne commente la scène de cette li-
bération à Beit Hanina. Ce soir, il y
a deux réalités, deux douleurs.
Deux soulagements ambigus qui
se frôlent, sans se toucher. p
jean-philippe rémy
sement d’abriter un centre de
commandement du Hamas, ce
que M. Abu Salmiya avait nié.
Selon le médecin et député
indépendant Mustafa Barghouti,
figure de la société civile palesti-
nienne, qui dirige une association
regroupant des dizaines de ses
confrères à Gaza, l’armée israé-
lienne s’est retirée de l’hôpital Al-
Shifa après avoir détruit les géné-
rateurs électriques, les généra-
teurs d’oxygène et les appareils à
rayons X et d’imagerie médicale.
La trêve doit permettre l’entrée
d’un plus grand nombre de
convois d’aide dans le petit terri-
toire surpeuplé où, selon l’ONU,
1,7 million d’habitants, sur une
population de 2,4 millions de Ga-
zaouis, ont été déplacés par la
guerre. Vendredi, 200 camions
chargés d’aide sont entrés à Gaza,
selon le ministère de la défense is-
raélien. Israël s’est engagé, au
terme de cette trêve de quatre
jours, à « poursuivre » les combats
contre le Hamas. p
madjid zerrouky
6 | international
Au Mexique, «les femmes n’ont pas droit à la sécurité»
Malgré les mobilisations de 2020 et des avancées législatives, le pays compte encore 3 000 féminicides par an
mexico - correspondante
S
ur la pelouse de l’univer-
sité de Mexico, les étu-
diants s’installent pour
personnaliser des centai-
nes de silhouettes de femmes en
bois peintes en mauve. Chacun,
avec des feutres, inscrit le nom
d’une femme, une date, colle par-
fois une photo et ajoute des phra-
ses : « Ni pardon ni oubli », « Nous
voulons la justice ». Trois mille sil-
houettes représentant chacune un
féminicide ont été préparées cette
semaine à Mexico pour le 25 no-
vembre, Journée internationale
pour l’élimination de la violence à
l’égard des femmes.
Fabiola Pozadas a écrit son pro-
pre nom sur sa silhouette et, au-
dessous, « survivante d’un fémini-
cide ». Son petit ami a tenté de l’as-
phyxier en 2019 avec, pour tout
mobile, l’intention de récupérer
leur maison. Après quatre ans de
procédure judiciaire, il a finale-
ment été incarcéré pour « tenta-
tive de féminicide » et Fabiola est
devenue militante de cette cause.
« Les 3 000 silhouettes représentent
le nombre approximatif de femmes
assassinées au Mexique [qui
compte 127 millions d’habitants]
chaque année, rappelle cette jeune
femme au teint mat de 29 ans. No-
tre objectif, en les portant pendant
la manifestation, est de montrer
concrètement, visuellement, la gra-
vité du problème aux autorités. »
Les Mexicaines n’en sont pas à
leur première performance sur ce
thème. Entre 2018 et 2020, le pays a
connu une rébellion féministe qui
a mis ces violences sur le devant de
la scène. Dans les capitales des
trente-deux Etats de la république,
des marches gigantesques exi-
geaient que les autorités prennent
le problème au sérieux et que la
société ouvre les yeux.
« Excusez-nous pour le dérange-
ment, mais on nous tue », lisait-on
sur une pancarte de la grande ma-
nifestation du 8 mars 2020. « La
pandémie a mis un coup d’arrêt à
ce mouvement inédit dont le gros
du contingent était constitué de ly-
céennes et d’étudiantes qui sont al-
lées manifester partout, y compris
dans les zones les plus dangereuses,
comme la périphérie de Mexico »,
raconte la journaliste Laura Castel-
lanos, autrice de La Marcha del ter-
remoto feminista (« la marche du
En Irlande, l’extrême droite incriminée après une émeute à Dublin
Jeudi, après une attaque au couteau à la sortie d’une école, de jeunes hommes ont brûlé des voitures en criant des slogans antimigrants
londres - correspondante
L es émeutes qui ont éclaté à
Dublin, jeudi soir 23 novem-
bre, ont choqué les Irlan-
dais. C’est la première fois depuis
des décennies qu’ils assistent à un
tel déchaînement de violence. Des
dizaines de jeunes ont envahi les
rues de la capitale irlandaise, de
Parnell Square, dans le nord du
centre-ville, jusqu’aux alentours
de Trinity College et du populaire
quartier de Temple Bar. Ils ont
brûlé des voitures de police (onze
ont été détruites entièrement ou
partiellement), pillé des magasins,
brûlé quatre bus et un tramway.
Les émeutiers font « honte à l’Ir-
lande », a déclaré, vendredi, Leo
Varadkar, le premier ministre.
Leurs motivations sont peu clai-
res, mais beaucoup criaient des
slogans antimigrants, à en croire
les témoins cités par les médias
irlandais. Drew Harris, le commis-
saire en chef de la Garda, la police
irlandaise, a assuré que les 400 of-
ficiers déployés jeudi soir faisaient
face à une « faction de hooligans
complètement fous mus par une
idéologie d’extrême droite ».
« Les juges
minimisent
la gravité des
féminicides, donc
ces crimes ne
diminuent pas »
GABRIELA AMORES MOYA
avocate
séisme féministe », éditions Gri-
jalbo, non traduit, 2021).
La pandémie de Covid-19 n’a pas
seulement arrêté le mouvement.
Elle a, comme partout dans le
monde, augmenté les violences
contre les femmes. Dans cette cir-
constance particulière, le mouve-
ment social n’a pas provoqué un
recul de ces violences, et il est
aujourd’hui difficile de juger de
son impact. « La violence n’a en ef-
fet pas baissé, ce qui était la princi-
pale revendication. Mais, pour la
première fois, cette question a vrai-
ment été au centre du débat pu-
blic », considère la militante fémi-
niste Martha Tagle.
Code pénal enrichi
Plusieurs lois sont nées de ce sou-
lèvement, grâce à une alliance en-
tre victimes, militantes et parle-
mentaires. « Nous étions 241 fem-
mes sur 500 députés, unies sur
cette question, tous partis politi-
ques confondus. La polarisation
actuelle de la politique mexicaine a
mis fin à ce groupe, mais nous
avons pu avancer », raconte Mar-
tha Tagle, qui était députée entre
2018 et 2021. Le code pénal s’est
enrichi de nouveaux délits liés
aux violences sexuelles : la vio-
lence numérique, la défiguration
à l’acide, la violence coercitive
(exercée sur les enfants pour at-
teindre la mère). Les pères qui ne
payent pas la pension alimentaire
de leurs enfants seront désormais
sanctionnés, et les hommes punis
pour violences ne pourront plus
accéder à la fonction publique.
« La législation a progressé, mais
la grande révolution qui semblait
possible n’a pas eu lieu », ajoute
Martha Tagle. En 2018, la gauche,
qui avait déjà légalisé l’avortement
dans la ville de Mexico en 2007, en-
voyait pour la première fois son re-
présentant à la présidence, avec la
Ces émeutes sont intervenues
après une attaque au couteau
ayant eu lieu en début d’après
midi, jeudi, à la sortie d’une école
primaire proche de Parnell Square.
Une femme et trois enfants ont été
blessés par un homme d’une
quarantaine d’années. L’un des
enfants était dans un état grave.
La rumeur a aussitôt enflé sur les
réseaux sociaux : l’agresseur serait
d’origine étrangère. D’après la
BBC, il serait citoyen irlandais et vi-
vrait dans le pays depuis une ving-
taine d’années. Selon les médias
irlandais, l’une des personnes
s’étant portée au secours des victi-
mes en stoppant l’agresseur pré-
sumé est un livreur Deliveroo
d’origine brésilienne, Ciao Benicio.
Actifs sur les réseaux sociaux
L’Irlande, république de 5 millions
d’habitants dotée d’une des
économies les plus dynamiques
de l’Union européenne, n’est pas
habituée à ces scènes de violence.
La Garda a été vite débordée,
mettant plusieurs heures à réta-
blir le calme dans le centre de
Dublin, d’habitude rempli d’étu-
diants et de touristes. Elle a pro-
Deux militantes posent avec les silhouettes symbolisant des victimes de violences, à Mexico, le 23 novembre. MAHE ELIPE POUR « LE MONDE »
victoire d’Andres Manuel Lopez
Obrador (dit « AMLO »), suscitant
l’espoir d’un accompagnement de
cette révolution féministe.
Pourtant, pour bien des militan-
tes, ce fut une douche froide, et
l’immense majorité d’entre elles
se disent très déçues. AMLO
adopte envers elles le même ton et
les mêmes qualificatifs qu’il em-
ploie pour ses adversaires. En
mars 2020, il les traite « de conser-
vatrices déguisées en féministes,
qui veulent faire tomber [son gou-
vernement] ». Pour lutter contre
les féminicides, affirme le prési-
dent, « il faut fortifier les valeurs
spirituelles, réduire les drogues et la
décomposition familiale, ce que
fait [son] gouvernement ». Aucune
politique contre les féminicides
n’est mise en place.
Sa présidence a tout de même
été motrice pour la participation
des femmes à la vie publique. Le
Sénat, la Chambre des députés et
la Cour suprême sont aujourd’hui
cédé à 34 arrestations. Pour autant,
ces actes étonnent peu tous ceux,
politiques, travailleurs sociaux et
experts, qui, depuis quelques
mois, alertent sur la montée de
groupuscules d’extrême droite
dans un pays qui, jusqu’à présent,
semblait « immunisé » contre la
haine antimigrants.
Evalués à quelques milliers, les
sympathisants des formations
d’extrême droite National Party,
Ireland First ou Irish Freedom
Party sont relativement peu struc-
turés, ne comptent pas de figures
très charismatiques ni d’élus, mais
apparaissent très actifs sur les ré-
seaux sociaux et dans la rue. Ils
sont désormais presque systéma-
tiquement présents en marge des
manifestations en soutien aux
migrants à Dublin, Cork ou Lime-
rick. Ils protestent aussi sous les
fenêtres des hôtels ou centres
d’hébergement d’urgence pour
demandeurs d’asile et certains ont
mis le feu à des tentes de deman-
deurs d’asile sans logis, en mai,
dans le centre de Dublin.
Jeudi soir, le National Party re-
crutait sur le réseau social X, appe-
lant les internautes à le rejoindre
présidés par des femmes. Le gou-
vernement est parfaitement pari-
taire, et elles n’y sont pas reléguées
à des postes secondaires : le secré-
tariat au gouvernement (équiva-
lent d’un premier ministre), l’inté-
rieur, l’économie et les affaires
étrangères sont aux mains de fem-
mes. Fait inédit, l’élection prési-
dentielle de juin 2024 se jouera en-
tre deux candidates, dont la favo-
rite, Claudia Sheinbaum (gauche),
maire de la capitale jusqu’en juin.
Violences largement impunies
« Le Mexique, dont la culture est
plutôt archaïque sur cette question,
a changé. Il est devenu normal que
les femmes dirigent », reconnaît la
sénatrice Olga Sanchez, qui a été la
première secrétaire de gouverne-
ment d’AMLO. Cette ancienne juge
de la Cour suprême et féministe de
la première heure ajoute aussitôt :
« Mais pour la violence, nous
n’avons pas avancé. C’est tout le pa-
radoxe du Mexique : les femmes
Le National Party
appelait jeudi sur
X ceux qui « en
ont assez de voir
des enfants
irlandais se faire
poignarder »
à le rejoindre
s’ils « en ont assez de voir des en-
fants irlandais se faire poignarder.
Levez-vous et battez-vous ! ». L’Irish
Freedom Party condamnait en
revanche les violences. Ces mili-
tants prompts aux raccourcis
haineux exploitent les inquiétu-
des de la population irlandaise
liées à une crise aiguë de l’immobi-
lier et à un afflux inédit de mi-
grants et de demandeurs d’asile.
Qu’ils soient étudiants, parents à
revenus modestes ou même ca-
dres dans le florissant secteur des
hautes technologies, les Irlandais
ont tous du mal à se loger alors
qu’à Dublin, à Cork ou à Galway le
DIMANCHE 26 - LUNDI 27 NOVEMBRE 2023
peuvent étudier, même devenir pré-
sidente, mais leur vie peut s’inter-
rompre brutalement car elles n’ont
pas droit à la sécurité. »
Selon une enquête de l’Institut
national des statistiques (Inegi),
70,1 % des Mexicaines ont subi une
forme de violence dans leur vie.
Dans 39,9 % des cas, cette violence
était le fait de leur conjoint. « Le
Mexique a pourtant l’un des
meilleurs cadres juridiques au
monde sur la question des féminici-
des, issu du drame de Ciudad Jua-
rez, au début des années 2000, où
plus de 700 femmes ont été violées
et assassinées, assure Lucia Lagu-
nes Huerta, directrice de l’agence
de journalisme féministe Cimac.
Mais le parquet ne met que très ra-
rement en place ce protocole, et
beaucoup de juges l’ignorent
complètement. »
Dans près de 95 % des cas, les vio-
lences faites aux femmes restent
impunies, selon une étude en 2022
de l’ONG Red TDT (« tous les droits
parc de logements sociaux est sa-
turé, les programmes neufs sont
rares et hors de prix. La crise finan-
cière de 2008 a mis un coup d’arrêt
à la construction de logements et
l’Etat a été trop lent à réagir.
Dans ce contexte, l’arrivée de
85 000 réfugiés ukrainiens et d’au
moins 21 000 demandeurs d’asile
en dix-huit mois inquiète la po-
pulation. Le nombre d’entrées,
notamment en provenance du
Moyen-Orient et d’Afrique cen-
trale, était tel, début 2023, que le
gouvernement s’est trouvé à
court de logements d’urgence et
beaucoup de demandeurs d’asile
sont restés à la rue. Les groupus-
cules d’extrême droite les accu-
sent d’ajouter à la pression immo-
bilière. Mais les principaux partis
politiques irlandais – les cen-
tristes Fine Gael et Fianna Fail, qui
se partagent le pouvoir, et le Sinn
Fein, en faveur de la réunification
de l’île – se sont jusqu’à présent
gardés d’adopter cette rhétorique
antimigrants, alors que la
mémoire de l’énorme émigration
irlandaise, motivée par la pau-
vreté du pays jusque dans les an-
nées 1970, est encore vive.
0123
pour toutes et tous »). Et, même
quand les coupables sont
condamnés, les familles des victi-
mes doivent se battre pour qu’ils
ne soient pas remis en liberté. « Les
juges minimisent la gravité des fé-
minicides et, en conséquence, ces
crimes ne diminuent pas. Nous de-
vons continuer d’occuper l’espace
public car, pour l’instant, on ne
nous prend pas en compte », ajoute
l’avocate Gabriela Amores Moya,
spécialisée dans les féminicides.
Si le mouvement féministe re-
prend du souffle aujourd’hui, c’est
avant tout pour continuer la lutte
contre les violences faites aux
femmes. Mais, en cette année élec-
torale, elles comptent aussi peser
sur les programmes des deux can-
didates. « Le moment est plutôt fa-
vorable, car on espère qu’une
femme sera plus sensible à ces
questions, dit l’étudiante Karina
Reyes. Mais on ne gagnera qu’en
faisant pression dans la rue. » p
anne vigna
Leo Varadkar, chef du Fine Gael, a
condamné les émeutiers. Il a re-
connu que la migration devait être
« gérée de manière appropriée »
mais il a aussi insisté : l’Irlande est
« un grand pays, un pays qui a été
formé par la migration, dans les
deux sens [émigration et immigra-
tion] ». La polémique montait,
vendredi, sur les risques encourus
par la population. « La police aurait
pu se mobiliser plus rapidement, les
activistes sont connus, ils sont très
présents sur les réseaux sociaux, et
pas mal d’autres manifestations
menaçantes ont déjà eu lieu ces
derniers mois », estime le socio-
logue Barry Cannon, spécialiste
des populismes à l’université
irlandaise Maynooth.
« L’an prochain, décrypte le socio-
logue, le pays va connaître une in-
tense séquence électorale, avec les
municipales, les européennes, et
une élection générale qui doit inter-
venir avant mars 2025. Les populis-
tes de droite tentent de mobiliser
l’électorat populaire avec une rhé-
torique sur la menace que repré-
sentent les étrangers. Ils profitent
d’un vide politique. » p
cécile ducourtieux
0123
DIMANCHE 26 - LUNDI 27 NOVEMBRE 2023
« Ils ont démoli ma maison, je me suis évanouie »
La clôture voulue par la Républicaine dominicaine à sa frontière avec Haïti exproprie des milliers de familles
REPORTAGE
dajabon, pepillo salcedo, villa
los almacigos (république
dominicaine) - envoyé spécial
C
omme elle le fait pres-
que chaque matin, Bien-
venida Acosta a pris
place juste en face de la
maison de son fils, sous le tamari-
nier qui ombrage un bout de ce
trottoir de Pueblo Nuevo, quartier
résidentiel de Pepillo Salcedo.
Agée de 68 ans, cette agente hos-
pitalière à la retraite a passé toute
sa vie dans cette commune de Ré-
publique dominicaine située à
l’embouchure du rio Dajabon (ap-
pelé la « rivière du Massacre » côté
haïtien). Les méandres du petit
fleuve côtier dessinent la fron-
tière avec Haïti dans cette région
de l’extrémité nord-ouest du pays.
Assise sur une chaise en plasti-
que, la sexagénaire couve du re-
gard son petit-fils qui gazouille
dans son lit parapluie. Aucune
maison ne subsiste de ce côté-ci
de l’Ultima Calle (« dernière rue »).
Elles ont toutes laissé la place à
une large bande de gravats bordée
par un mur en béton de 1,50 mè-
tre de hauteur : la base de la « clô-
ture périphérique intelligente »
que le gouvernement dominicain
a commencé à ériger en fé-
vrier 2022 le long de la frontière.
La maison dans laquelle
Mme Acosta a vécu pendant trois
décennies a été rasée en juillet.
« Quand j’ai vu les engins com-
mencer à démolir ma maison, je
me suis évanouie », soupire-t-elle.
Quelques mètres plus loin, la
bâtisse dans laquelle elle est née
et où vivaient ses neveux a connu
le même sort. « Ce sont mes ar-
bres, là, derrière le mur », dit la re-
traitée, en désignant d’un œil
mélancolique un manguier, un
corossolier, un avocatier et
d’autres arbres fruitiers, tous dé-
sormais inaccessibles.
« C’est pour le bien de la nation »
L’Etat lui a octroyé une indem-
nisation de 1,4 million de pesos
(22 700 euros) pour sa villa de
cinq pièces, ainsi qu’une parcelle
de 400 mètres carrés à l’autre
bout de la ville. Cette compen-
sation « n’a pas été juste », s’of-
fusque la sexagénaire, mais « c’est
pour le bien de la nation », ajoute-
t-elle, résignée.
A l’instar de Bienvenida Acosta,
quarante-huit familles ont été ex-
propriées dans cette localité por-
tuaire pour faire place au rempart
frontalier voulu par Luis Abina-
der, le président dominicain. Il
entend ainsi juguler l’immigra-
tion clandestine en provenance
d’Haïti et les trafics qui prospè-
rent sur cette ligne de démarca-
tion longue de 380 kilomètres du
nord au sud de l’île d’Hispaniola.
« Nous voulons une situation
plus sûre, mieux maîtrisée et
mieux contrôlée à la frontière.
C’est irréversible », a martelé
M. Abinader, le 19 octobre, lors de
la cérémonie d’inauguration d’un
tronçon de 3,5 kilomètres de cet
ouvrage, à Comendador, bour-
gade frontalière située au centre
de cette île des Grandes Antilles.
La vague de violence et d’instabi-
lité qui submerge le pays voisin, le
plus pauvre du continent améri-
cain, « ne se propagera en aucun
OCÉAN
ATLANTIQUE
Pepillo Villa
Salcedo Los Almacigos
Dajabon
Ouanaminthe RÉPUBLIQUE
HAÏTI DOMINICAINE
Saint-
Domingue
Mer des Caraïbes
100 km
Le mur séparant la République dominicaine d’Haïti, à Dajabon, en République dominicaine, le 20 mars. En bas : la maison de
Leocadio Guzman, à Dajabon, située sur le tracé du mur, doit être démolie. PHOTOS : ERIKA SANTELICES/AFP
cas du côté dominicain », a réaf-
firmé le chef de l’Etat. A terme, le
mur devrait s’étirer sur près de
170 kilomètres, divisés en plu-
sieurs segments. « La construc-
tion du mur se fera en trois phases,
indique Homero Figueroa, le
porte-parole de la présidence.
Dans la première phase, qui a déjà
commencé, 54 kilomètres de mur
seront construits dans les zones les
plus proches de la capitale domini-
caine, Saint-Domingue, pour un
coût de 1,75 milliard de pesos », soit
28 millions d’euros.
Cette première phase sera ache-
vée « dans le courant du premier
semestre 2024 », poursuit le com-
municant. Dès lors, la phase sui-
vante débutera : 112 kilomètres
supplémentaires « dans les zones
les plus reculées de la frontière ».
Enfin, le gouvernement équipera
la structure « intelligente » de
matériel électronique de sur-
veillance. « Le mur frontalier est un
moyen d’affirmer la souveraineté
nationale de la République domi-
nicaine », souligne M. Figueroa.
A une demi-heure de route de
Pepillo Salcedo, en remontant le
rio Dajabon, le tronçon de mur qui
s’étire sur une vingtaine de kilo-
mètres aux abords de Dajabon,
chef-lieu de la province du même
nom, est bientôt terminé. Sur la
partie inférieure en béton, une
clôture barreaudée, surmontée
d’un fil barbelé, porte à 3 mètres la
hauteur totale du dispositif. Un
mirador haut d’une dizaine de
mètres – l’une des 74 tours d’ob-
servation prévues le long du rem-
part – achève de donner aux ruel-
les les plus excentrées des lieux-
dits La Mara et La Bomba des allu-
res de pénitencier. Dans ces deux
quartiers populaires de Dajabon,
plusieurs dizaines de familles ont
également été délogées.
Gumercindo Geovani Ureña a
eu de la chance : il a pu garder sa
coquette maison entourée de
fleurs et de plantes succulentes.
Mais près des deux tiers de la par-
celle dont ses frères et lui ont hé-
rité de leur père, soit 4,4 hectares
de terres agricoles, ont été confis-
qués par l’Etat, contre une indem-
nisation de 15 pesos du mètre
carré. Le prix plancher imposé
aux familles pauvres, dépourvues
de titre de propriété.
« Nous n’avons pas accepté cette
compensation, mais le mur est
déjà construit sur notre terrain »,
s’afflige ce cultivateur de 61 ans.
Son frère cadet élève des mou-
tons sur cette parcelle frontalière.
Le président
dominicain
entend juguler
l’immigration
clandestine
en provenance
d’Haïti
La clôture militarisée empêche le
bétail de s’abreuver dans le rio
Dajabon, comme il l’a toujours
fait. Il faut désormais emmener
les bestiaux vers un ruisseau éloi-
gné de leur pâturage.
Malgré tous ces désagréments,
M. Ureña voit d’un bon œil ce
chantier pharaonique. « Il y a
beaucoup de vols près de la fron-
tière. Des vols de bétail, de récoltes,
de matériel », déplore l’agriculteur
qui, comme de nombreux habi-
tants des environs, accuse sans
ambages des malfaiteurs venus
d’Haïti de commettre ces délits.
Cet affable sexagénaire a entamé
un processus de médiation avec
l’Etat afin de tenter d’obtenir une
meilleure compensation, et envi-
sage, sans grande conviction, de
saisir la justice en dernier recours.
« Nous espérons qu’on nous fera
une offre digne », dit M. Ureña.
« Il y a quelques mécontents,
mais la majorité des familles délo-
gées acceptent le paiement de
l’Etat », assure Santiago Riveron,
le maire de Dajabon. Cet élu du
Parti révolutionnaire moderne, la
formation centriste du président
Abinader, ne voit que des avan-
tages à ce projet du gouverne-
ment. Le problème de la délin-
quance transfrontalière « est en
train de se résorber » dans la
capitale provinciale, se félicite
l’édile aux airs de cow-boy.
M. Riveron ajuste son chapeau
et prend congé : il a rendez-vous
avec son homologue haïtien,
dans la ville jumelle d’Ouanamin-
the, sur l’autre rive du rio Daja-
bon. Les élus cherchent à trouver
une solution locale à la crise iné-
dite qui, depuis la mi-septembre,
asphyxie les deux communes,
très liées économiquement.
Les élus locaux impuissants
Quatre semaines après sa déci-
sion unilatérale de verrouiller la
frontière, sur fond de guerre de
l’eau entre les deux pays, le gou-
vernement dominicain a ex-
primé, en octobre, sa volonté d’un
retour à la normale. Mais les auto-
rités haïtiennes refusent obstiné-
ment de rouvrir les points de pas-
sage terrestres, dont le pont qui
enjambe le cours d’eau frontalier.
Seules les liaisons aériennes ont
fini par reprendre.
La querelle entre les deux pays
s’est figée. Depuis deux mois, le
marché binational de Dajabon – fi-
nancé par l’Union européenne – et
la zone franche transfrontalière,
grosse pourvoyeuse d’emplois,
international | 7
sont à l’agonie. « Actuellement, je
réalise 2 % de mon chiffre d’affaires
d’avant », se désole Félixmé Ro-
sembert, gérant d’un commerce
de produits alimentaires. Ce gros-
siste n’emploie plus que quatre
salariés, contre trente il y a trois
mois. D’ailleurs, certains d’entre
eux ne peuvent plus se rendre sur
leur lieu de travail, faute de pou-
voir traverser le fleuve.
Le commerçant haïtien installé
à Dajabon est indifférent à la clô-
ture peu amène qui se dresse au
bout de la rue. « Chaque pays choi-
sit de sécuriser son territoire
comme il l’entend. Il suffit d’avoir
un visa en règle pour passer », dit
ce trentenaire dans un hausse-
ment d’épaules. Mais « nous avons
besoin de rouvrir la frontière »,
maugrée M. Rosembert dans son
magasin désert. Au poste-fron-
tière tout proche, les militaires do-
minicains laissent passer au
compte-gouttes quelques com-
merçants, tous haïtiens. Une foule
bigarrée de plusieurs dizaines de
personnes, encombrées de toutes
sortes de marchandises, attend,
avec résignation, une hypothéti-
que ouverture des portails qui
barrent le pont.
Hélas, la rencontre entre les
deux maires s’est soldée par un
échec : les élus locaux sont im-
puissants à agir sur ces questions
de politique nationale. Et malgré
le calme, une tension sourde
prévaut aux abords de ce point de
passage crucial entre les deux
« Il est illusoire de
prétendre fermer
une frontière
constituée de
rivières, de lacs,
de montagnes »
RAchèle MAgloiRe
cinéaste haïtienne
pays. Le lendemain de cette
réunion infructueuse, le 7 novem-
bre, un incident a éclaté à Daja-
bon, du côté haïtien du mur, érigé
sur le territoire dominicain, à
quelques mètres en retrait de la
frontière. Après avoir incendié des
pneus le long de la clôture, des
paysans haïtiens ont brandi leurs
machettes face à des soldats do-
minicains qui les mettaient en
joue. Grâce à l’intervention de gar-
des forestiers haïtiens, l’escalade a
finalement été évitée. Mais la
défiance continue de s’installer.
Initialement prévue pour une
durée de neuf mois, la première
phase de la construction du mur
frontalier accuse un important
retard, dû notamment à de nom-
breuses contraintes d’ordre envi-
ronnemental. Mais le chantier
progresse. Au grand dam d’Os-
valdo Concepcion. « Le mur est le
résultat de l’échec des efforts qui
ont été faits pour que nos deux
pays collaborent », déplore ce vi-
caire dans les locaux, situés dans
le centre-ville de Dajabon, du
Centro Montalvo, l’organisation
caritative jésuite qu’il dirige.
« Anti-haïtianisme »
« Nous sommes un pays ac-
cueillant », fait valoir le jeune
ecclésiastique, qui accuse son
gouvernement de céder à la vieille
tradition d’« anti-haïtianisme »
héritée de deux siècles de rela-
tions tumultueuses entre les
deux pays, et de « copier, en moins
bien, des modèles populistes ».
Comme la barrière frontalière
entre les Etats-Unis et le Mexique.
A cela près que, selon lui, la ver-
sion dominicaine « n’est pas
conçue de manière intelligente ».
L’efficacité réelle du rempart
comme outil de lutte contre
l’immigration clandestine reste
d’ailleurs à démontrer. « Tous les
jours, il y a des centaines de mi-
grants dans la montagne, à pied ou
à moto », témoigne un guide tou-
ristique qui souhaite rester ano-
nyme. La clôture frontalière ne
fait qu’« augmenter le prix du tra-
fic, de la corruption des militaires »,
affirme ce trentenaire qui sillonne
quotidiennement la cordillère du
Cibao, la région septentrionale de
l’île. Ces derniers mois, la dégrada-
tion des relations bilatérales a
tout de même entraîné une dimi-
nution perceptible du nombre de
migrants, selon ce professionnel
installé à Villa Los Almacigos, une
localité rurale proche de Dajabon.
Mais il y voit un effet pervers : « En
ce moment, c’est la récolte du café,
et il y a beaucoup de pertes parce
qu’il n’y a pas assez d’Haïtiens. »
« Ce mur n’a pas de sens. Il est illu-
soire de prétendre fermer une fron-
tière constituée de rivières, de lacs,
de montagnes. On pourra toujours
le contourner », abonde la cinéaste
haïtienne Rachèle Magloire, qui
dénonce un « projet électoraliste
d’extrême droite », un acte « unila-
téral » par lequel le gouvernement
dominicain « porte atteinte à l’in-
tégrité insulaire ». Le constat est
d’autant plus amer pour cette co-
fondatrice du Mouvement Azueï,
un collectif artistique binational
créé en 2015, qui compte une tren-
taine de membres. « Il faut que les
Haïtiens et les Dominicains se
donnent la main, pour affronter le
changement climatique ensem-
ble », plaide la documentariste,
qui milite pour « construire des
ponts, pas des murs ». p
jean-michel hauteville
8|
FRANCE
Classes moyennes : le grand déclassement
L’inflation fragilise une part grandissante de la population, selon une enquête de l’IFOP
D
epuis le début du
deuxième quinquen-
nat d’Emmanuel Ma-
cron, toutes les atten-
tions semblent portées sur ces
fameuses « classes moyennes »,
difficiles à définir de manière
précise, mais dont les membres
seraient trop pauvres pour pou-
voir vivre correctement de leur
salaire, tout en étant trop riches
pour bénéficier des aides de l’Etat.
Une enquête de l’IFOP, comman-
dée par la Fondation Jean Jaurès et
l’agence de conseil en affaires
publiques Bona fidé, donne de
précieuses indications sur la si-
tuation et le ressenti de cette
catégorie, et sur son évolution,
treize ans après une première
étude réalisée en pleine crise fi-
nancière. Confrontée depuis des
mois à la pire inflation depuis les
années 1980, comment s’en sort-
elle aujourd’hui ?
Premier enseignement de cette
enquête que Le Monde dévoile en
exclusivité : près des deux tiers
des répondants, à qui l’IFOP a
demandé de se situer sur l’échelle
sociale (de « défavorisés » à
« aisés »), s’autopositionnent dans
ce « grand bloc central » auquel
Valéry Giscard d’Estaing – qui
avait publié Deux Français sur
trois (Flammarion, 1984) – désirait
déjà s’adresser. Plus précisément,
78 % des CSP +, 76 % des profes-
sions intermédiaires, 68 % des re-
traités, mais aussi 51 % des catégo-
ries populaires se rangent sponta-
nément dans cette catégorie.
« La classe moyenne reste une
définition attractive et valorisante
pour une large majorité de
Français », constatent les auteurs
de cette note intitulée « Classes
moyennes en tension. Entre vie
au rabais et aides publiques
insuffisantes ».
Mais ce vaste corps central est
fragilisé et traversé par un senti-
ment de déclassement, observent
Jérôme Fourquet et Marie
Gariazzo, pour l’IFOP, et Samuel
Jéquier, pour Bona fidé. Par rap-
port à l’enquête de 2010, la pro-
portion de Français composant la
classe moyenne « inférieure » a
progressé de 9 points, quand celle
constituant la classe moyenne
« véritable » – selon la distinction
faite par l’IFOP, en fonction du re-
venu des sondés – régresse
d’autant.
« Par-delà la stabilité de surface
quant au périmètre de la classe
moyenne, une frange significative
de [celle-ci] est donc aspirée vers le
bas, ce qui constitue un phéno-
mène sociologique majeur », écri-
vent les auteurs, alors qu’au total,
70 % des Français déclarent ap-
partenir aux catégories défavori-
sées et modestes ou à la classe
moyenne inférieure – un pour-
centage en croissance de 13 points
par rapport à 2010.
Fragilisés sur le plan économi-
que, ces derniers sont contraints
Le gouvernement s’impatiente sur « Marseille en grand »
Deux ans après le lancement du projet de soutien à la cité phocéenne, le contrôle de l’avancée des différents dossiers va être renforcé
marseille - correspondant
N ous devons aller plus vite,
plus loin, plus fort. » La se-
crétaire d’Etat chargée de
la citoyenneté et de la ville, Sa-
brina Agresti-Roubache acte, ven-
dredi 24 novembre, l’entrée dans
une nouvelle phase du plan « Mar-
seille en grand », dont Emmanuel
Macron lui a confié le pilotage.
Lancé le 2 septembre 2021 par le
chef de l’Etat, ce plan de soutien
vise à rattraper les retards de la
deuxième ville de France dans de
multiples domaines : sécurité,
éducation, transports, rénova-
tion urbaine, mais aussi santé ou
Diriez-vous que le montant de l’impôt
sur le revenu (IR) que vous payez est…
en %, sur l’ensemble des sondés
Excessif
Assez élevé
Ne paye pas l’IR
Défavorisés 82
Catégories
66
modestes
2 80
Classes
moyennes 48 15 26 10
inférieures
1 2
Classes
moyennes 18 23 43
véritables
1 1
Classes
moyennes 26 23
supérieures
4 4
Favorisés
14 22 44
et aisés
5 4
Sondage IFOP, réalisé pour Bona Fidé et la Fondation Jean-Jaurès du 18 au 20 octobre, sur un échantillon de 2 001 personnes,
représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus (représentativité de l’échantillon assurée par la méthode des quotas)
d’adopter des stratégies de
contournement. S’ils ne s’endet-
tent pas davantage, ils épargnent
moins : en 2010, ils étaient 54 % à
déclarer pouvoir épargner ; ils ne
sont plus que 44 % aujourd’hui.
Pour faire face aux difficultés nou-
velles, ils sont, en outre, de plus en
plus nombreux à s’inscrire dans
une « économie de la débrouille ».
« Une vie au rabais »
Dans le même temps, les répon-
dants limitent voire suppriment
certains postes de dépenses
(seuls 15 % des personnes interro-
gées ne sont jamais ou rarement
confrontés à cette situation) : 53 %
déclarent renoncer « très sou-
vent » ou « assez souvent » à ache-
ter certains produits ou marques
en raison de leur prix, quand 32 %
le font de « temps en temps ». Ce
qui engendre, pour 53 % d’entre
eux, un sentiment de déclasse-
ment, « la consommation étant
bien devenue dans l’imaginaire
collectif un critère de positionne-
ment social de premier ordre »,
écrivent les auteurs. Des constats
similaires étaient énoncés sur les
ronds-points pendant la crise des
« gilets jaunes ».
En un peu plus de vingt ans, la
part des sondés n’allant jamais au
restaurant est passée de 8 % à
culture. Au total, les financements
annoncés par l’Etat atteignent
5 milliards d’euros, en subven-
tions directes ou aides à l’em-
prunt. « Jamais un président
n’avait décidé, hors circonstances
exceptionnelles, d’investir autant »,
rappelle Sabrina Agresti-Rouba-
che, originaire de Marseille.
Mais, deux ans et deux mois
après le discours du Pharo, au
cours duquel Emmanuel Macron
avait décliné ses intentions, mais
aussi demandé aux élus locaux de
cesser leurs « chicayas », l’Etat affi-
che un début d’insatisfaction.
« 90 % des projets annoncés ont
été engagés (…), mais cela ne veut
Plutôt acceptable
Très acceptable
2013 2023
89 86 84
1 1
7 16 9 5 13 10 72
9 22 19 48
15 12 51 29 7
36 11 13 38 29 16
15 27 37 19 13
25 %, quand la part de ceux qui
fréquentent souvent ce type
d’établissements chute de 19 % à
8 %, alors même que se sont déve-
loppées les enseignes de restaura-
tion rapide. Certains sondés con-
fient même « ne plus inviter per-
sonne » chez eux, redoutant les
frais engagés, voire « trouvent une
excuse » pour décliner une invita-
tion, de peur de devoir la rendre.
Même tendance pour les vacan-
ces : si, en 2010, 35 % des person-
nes interrogées déclaraient partir
tous les ans l’été, cette proportion
n’est plus que de 24 %
aujourd’hui. La proportion de
ceux partant quasiment chaque
année ou une année sur deux de-
meure stable, quand la part de
ceux partant « moins souvent » ou
« jamais » grimpe de 31 % à 42 %.
« Les défavorisés et les catégories
modestes sont de moins en moins
nombreux à pouvoir communier
dans le grand pèlerinage annuel de
notre société des loisirs », relèvent
les auteurs, selon lesquels une
partie de la population – les clas-
ses défavorisées, mais aussi le bas
des classes moyennes – a le senti-
ment de mener « une vie au ra-
bais, marquée par des arbitrages
permanents, des renoncements
quotidiens et l’adieu aux petits
plaisirs de la vie ».
pas dire des projets achevés ou qui
avancent à un bon rythme », tance
la nouvelle secrétaire d’Etat. Un
discours d’impatience qu’elle est
venue formuler directement aux
élus locaux, vendredi.
« Bilan collectif »
« Je ne suis pas là pour expliquer qui
fait bien ou mal. Mon but, c’est de
faire avancer la ville. Quand, sur les
écoles, l’Etat investit 400 millions
d’euros en financement et 650 mil-
lions [d’euros] en prêt garanti, il en
attend logiquement des résultats.
Même chose dans les transports »,
affirmait Sabrina Agresti-Rouba-
che au Monde, quelques jours
Diriez-vous qu’en France l’Etat et les pouvoirs publics
n’aident pas assez les gens comme vous ?
en %, sur l’ensemble des sondés
2010
2013
2023
Défavorisés
66
Catégories
modestes 72
Classes 47
moyennes 63
inférieures
71
37
Classes
moyennes 44
véritables 62
Classes 21
moyennes 27
supérieures 47
12
Favorisés
20
et aisés
42
Le sentiment
de « payer
beaucoup »
sans bénéficier
d’aides en retour
se développe
Mais, pour faire face à l’inflation,
les Français ont également ten-
dance à tailler dans des dépenses
plus essentielles, comme la santé.
La proportion de personnes décla-
rant renoncer « souvent » ou « de
temps en temps » pour des raisons
financières à des soins médicaux
est ainsi passée de 23 % en 2010 à
30 % en 2023. Cette proportion est
encore un peu plus élevée en ce
qui concerne les achats de lunet-
tes (35 %) ou les soins dentaires :
38 %, en progression de quatre
points par rapport à 2010.
Autre enseignement : le budget
alimentaire devient une variable
d’ajustement pour s’adapter à la
hausse des prix des produits (25 %
en deux ans). Le patron de
Carrefour, Alexandre Bompard, a
évoqué un « véritable tsunami de
déconsommation ». Un constat
qui semble validé par les résultats
de l’enquête, dans laquelle pas
avant son déplacement. La secré-
taire d’Etat, dont le nom circule ré-
gulièrement comme celui d’une
potentielle candidate aux munici-
pales de 2026, se défend de faire
du plan un enjeu politique per-
sonnel. « Le bilan de “Marseille en
grand” sera collectif. Soit tout le
monde gagne, soit tout le monde
perd », assure-t-elle.
A Marseille, la secrétaire d’Etat
va annoncer un renforcement du
contrôle sur l’avancée des diffé-
rents dossiers. Une réunion du
groupement d’intérêt public Aix-
Marseille-Provence Mobilités, qui
gère le milliard d’euros accordé au
dossier mobilités, se tiendra en
DIMANCHE 26 - LUNDI 27 NOVEMBRE 2023
Part des individus…
… qui ressentent un auto-déclassement :
« Mes parents vivaient mieux que moi à mon âge »
… qui anticipent un déclassement
pour leurs enfants : « Mes enfants vivront moins
bien que moi »
en %, sur l’ensemble des sondés
89
85 Défavorisés
80
Catégories
modestes
Classes
moyennes
inférieures
Classes
moyennes
véritables
Classes
moyennes
supérieures
Favorisés
et aisés
moins de 42 % des personnes in-
terrogées affirment avoir réduit
les portions ou la quantité de
leurs repas, 24 % en ayant même
supprimé certains. « Si le cœur de
la classe moyenne et les catégories
supérieures n’ont été affectés que
marginalement, toute une partie
des catégories modestes et des dé-
favorisés et près d’un cinquième de
la classe moyenne inférieure ont
basculé dans une forme de préca-
rité alimentaire, situation inédite
en France depuis des décennies »,
écrivent les sondeurs.
« Une forme de ressentiment »
Les auteurs de la note observent
que ces stratégies d’adaptation
« ne sont pas sans impact sur les
représentations à l’égard de l’ac-
tion publique ». Le sentiment de
« payer beaucoup » pour la collec-
tivité sans pouvoir bénéficier
d’aides de l’Etat en retour se déve-
loppe au sein de la classe
moyenne, qui se sent « la grande
oubliée ». Outre qu’il cimente un
corps hétérogène en matière de
catégories socioprofessionnelles,
de niveau de diplôme ou de re-
venu, « cet effet de ciseau crée une
forme de ressentiment, propice à
la défiance et aux populismes », et
« de nature, à terme, à fragiliser le
consentement à l’impôt et à nour-
janvier 2024 « pour fixer, dit-elle,
un plan pour les dix-huit pro-
chains mois d’actions ». Un comité
de pilotage général de la Société
publique des écoles marseillaises,
que l’Etat copilote pourtant avec
la municipalité, devra, à la même
date, présenter « une perspective
claire sur les travaux engagés et à
réaliser ». Enfin, « une revue com-
plète des projets » de l’Agence na-
tionale pour la rénovation ur-
baine (ANRU) se tiendra à la
rentrée 2024. Les chantiers de
l’ANRU représentent 650 millions
d’euros à Marseille, soit la moitié
des subventions fléchées pour la
Seine-Saint-Denis.
0123
83
56
65
59
56
54
40
54
35
58
31
62
Infographie Le Monde
rir le ressentiment contre “l’assis-
tanat” et “l’excès d’aides sociales”
qui ne profiteraient qu’à ceux si-
tués tout en bas de la pyramide so-
ciale », écrivent ces spécialistes de
l’opinion, y voyant une « bombe
politique à retardement ».
Enfin, 57 % des répondants
(contre 65 % en 2010) anticipent
que leurs enfants vivront moins
bien qu’eux demain. Un pessi-
misme qui, même s’il est en
recul, menace le pacte social et
démocratique, « remis en cause
par les groupes sociaux qui en as-
suraient historiquement la stabi-
lité », concluent les auteurs. Socle
des démocraties, les classes
moyennes sont en effet réputées
former un rempart contre les
extrêmes.
Quand celles-ci se paupérisent,
elles basculent vers un vote con-
testataire : ce sont, en partie, les
classes moyennes blanches, ap-
pauvries par les effets de la désin-
dustrialisation, qui ont permis la
victoire de Donald Trump aux
Etats-Unis, en 2016. Marine
Le Pen, qui a déjà conquis une
partie des classes populaires, vise
désormais à convaincre ces clas-
ses moyennes en voie de déclas-
sement, qui seront l’une des clés
de la présidentielle de 2027. p
solenn de royer
Dans son bagage, Sabrina
Agresti-Roubache est arrivée
avec une annonce surprise. Celle
de l’extension de l’opération
d’intérêt national d’aménage-
ment Euroméditerranée qui,
dans ses deux premières phases,
a métamorphosé les quartiers de
l’arrière-port marseillais. Si le pé-
rimètre de cette extension sera
défini « avec toutes les parties
prenantes », le cabinet de la mi-
nistre ne cache pas qu’il s’agit là
de donner un coup d’accéléra-
teur à la production de loge-
ments, « première priorité du
plan “Marseille en grand”. » p
gilles rof
10 | france
L’intersyndicale bientôt mise en sommeil
Les dirigeants des principaux syndicats doivent se rencontrer, le 1er décembre, pour évoquer l’avenir de l’alliance
S
oudée en un seul bloc con-
tre la réforme des retrai-
tes, l’intersyndicale est en
train de se désagréger. Se-
lon les informations du Monde et
de l’Agence France-Presse, les diri-
geants des huit principales orga-
nisations de salariés doivent se
rencontrer, vendredi 1er décembre,
au siège national de la CFDT, pour
acter la mise en sommeil de leur
alliance, après avoir été à l’origine
d’un mouvement social excep-
tionnel par son ampleur et sa du-
rée au premier semestre. Si la jour-
née de mobilisation du 12 décem-
bre à Bruxelles, à l’appel de la
Confédération européenne des
syndicats (CES), figure à l’ordre du
jour de cette réunion, il sera sur-
tout question du devenir de la coa-
lition constituée en France. Per-
sonne ne parle de divorce. Mais les
liens tissés depuis le début de l’été
2022 sont désormais distendus.
« Je pense que le moment est
venu d’éclaircir les choses entre
nous, confie François Hommeril,
le président de la CFE-CGC. Rien ne
justifie aujourd’hui que l’intersyn-
dicale perdure. » Parmi les organi-
sations souhaitant « rentrer la voi-
ture dans le garage », selon une
expression utilisée en coulisses,
Force ouvrière (FO) est l’une des
plus explicites. Son secrétaire gé-
néral, Frédéric Souillot, explique
que « l’intersyndicale est un outil
puissant, mais quand il n’y a pas
de revendications communes,
l’outil n’a aucune utilité ».
Faut-il parler de rupture ? Non,
aux yeux de Marylise Léon : « Ce
n’est pas forcément la fin de l’aven-
ture, tempère la secrétaire géné-
rale de la CFDT. Quoi qu’il arrive, il
est important de faire un point en-
tre nous pour voir quelle suite on
donne aux choses. » Pour Cyril
Chabanier, le président de la
CFTC, le plus important est « d’être
ensemble lors des moments forts
et des grandes batailles ». « Certai-
nes organisations peuvent être
tentées par l’union permanente »,
ajoute-t-il, mais ce n’est pas la
« politique » de son syndicat.
D’autres membres de la coali-
tion mettent en garde contre les
risques d’une séparation. « Nous
ne pouvons pas nous payer le luxe
d’une division syndicale, face à un
gouvernement et à un patronat
qui se montrent intransigeants à
l’égard du monde du travail », pré-
vient Sophie Binet. La secrétaire
générale de la CGT souligne que
« les salariés sont très attachés à
cette alliance que nos organisa-
tions ont créée depuis plus d’un
an » : « Ils voient qu’elle joue un
rôle décisif dans la défense
comme dans l’amélioration de
leurs droits. »
La ville de Blois visée par une enquête préliminaire
La mairie aurait cédé, pour 80 000 euros, un terrain qui avait coûté plusieurs millions d’argent public à la municipalité
blois - correspondant régional
D errière l’église Saint-Sa-
turnin, non loin d’un
nouvel hôtel cinq étoiles,
s’étend un vaste terrain abreuvé
par trois semaines de pluie. C’est
là que se dressait l’ancien hôpital
psychiatrique. Et que sera bientôt
construit un lotissement de qua-
torze maisons promises entre
316 000 et 404 000 euros l’unité,
des tarifs particulièrement élevés
pour le quartier.
France 3 a révélé, le 19 novem-
bre qu’une enquête préliminaire
a été ouverte en septembre par le
parquet de Blois, à la suite d’un si-
gnalement de l’association
Anticor, pour des soupçons de dé-
tournements de fonds publics
concernant ce terrain. Le site, ac-
quis par la ville en 2008 pour
Les principaux représentants de l’intersyndicale, lors de la manifestation du 1er-Mai, à Paris. ALAIN JOCARD/AFP
Une analyse partagée par Simon
Duteil, codélégué général de
l’Union syndicale Solidaires : « Il
faut avoir en tête que le mouve-
ment syndical a subi une série de
défaites durant ces dernières dé-
cennies, tout en voyant son
audience reculer. Nos organisa-
tions ont donc une responsabilité
collective qui est d’essayer de
maintenir un cadre d’action uni-
taire. Notre poids n’est évidem-
ment pas le même si nous nous
mobilisons à trois ou à huit. »
Benoît Teste, le numéro un de la
FSU, considère que « ce serait une
erreur d’arrêter l’intersyndicale ». Il
croit beaucoup dans ce mode de
fonctionnement, qui « a fait la
preuve de son efficacité » en provo-
quant des manifestations mons-
tres contre le recul à 64 ans de
l’âge légal de départ à la retraite.
« On n’avance sur rien »
Ces propos révèlent des différen-
ces d’appréciations très nettes en
matière de stratégie. Ils témoi-
gnent aussi d’un changement de
pied par rapport aux annonces
faites peu après la quatorzième et
dernière journée de mobilisa-
tion, le 6 juin, contre la réforme
des retraites. A l’époque, après
une lutte – infructueuse – de cinq
mois, les représentants des tra-
330 000 euros, a nécessité près de
4,8 millions d’euros d’argent pu-
blic en démolition, en dépollu-
tion et en fouilles archéologiques
préventives. Il a été vendu
80 000 euros à un promoteur qui
entame ainsi son quatrième pro-
gramme immobilier à Blois.
« Une accusation non fondée »
Le maire socialiste, Marc Gricourt,
élu en 2008, se veut confiant :
« Nous aurons l’occasion de dé-
montrer que tout ce qui s’est fait
dans ce périmètre a respecté la lé-
gislation, les réglementations d’ur-
banisme et les règles qui s’appli-
quent dans ce genre de projet. » Il
déplore « une accusation grave
qui, selon nous, n’est pas fondée ».
La politique patrimoniale du
maire a ses détracteurs. L’histo-
rien de l’art Didier Rykner criti-
vailleurs avaient affiché l’inten-
tion de continuer le combat en-
semble sur d’autres terrains. Des
groupes de réflexion sur diffé-
rentes thématiques devaient être
mis en place : salaires et pensions,
conditions de travail, santé au
travail, démocratie sociale, égali-
tés femmes-hommes, environne-
ment et conditionnalité des aides
publiques aux entreprises… Une
volonté réaffirmée le 13 octobre, à
l’occasion d’une journée d’action
en faveur du pouvoir d’achat im-
pulsée par la CES.
Las, ces initiatives ne se sont pas
vraiment concrétisées, de l’aveu
même de plusieurs responsables.
« La suite ne s’est pas tout à fait
passée comme prévu », reconnaît
Mme Léon, tout en mettant en
exergue la « dynamique forte » qui
persiste. « Après les retraites, cha-
que organisation est repartie de
son côté, mais le dialogue a conti-
nué et doit continuer », déclare-t-
elle. « Hormis la préparation du
12 décembre, on n’avance sur
rien », regrette M. Chabanier, qui
constate qu’au fil du temps les dif-
férences entre organisations
« réapparaissent », débouchant
« rapidement sur des désaccords ».
Mme Binet n’est pas du même
avis. Elle soutient que les syndi-
cats ont cogité de concert, en par-
que l’« absence totale de vision »
de celui qui aurait « sacrifié » les
fondations d’un ancien jeu de
paume pour un projet de centre
commercial en centre-ville. Plu-
sieurs associations lui reprochent
d’avoir bradé à une poignée d’in-
vestisseurs privés toute une série
de biens immobiliers aux empla-
cements stratégiques.
Plusieurs
associations
reprochent
au maire d’avoir
bradé toute
une série de
biens immobiliers
Les élections
professionnelles
de fin d’année
sont venues
perturber
la bonne entente
entre les
organisations
ticulier lors des négociations, cet
automne, sur le régime Agirc-
Arrco de retraites complémentai-
res et sur l’assurance-chômage.
Sur d’autres dossiers, des idées
communes ont émergé, selon
elle, notamment pour réclamer
une réécriture des ordonnances
Macron de septembre 2017, qui
ont compliqué la mission des élus
du personnel dans les entreprises.
Un autre paramètre est venu
perturber la bonne entente dans
l’intersyndicale. Cette fin d’année
est synonyme d’élections profes-
sionnelles dans les entreprises,
avec environ 70 % des instances de
représentation des salariés qui
doivent être renouvelées. Un
scrutin crucial pour les syndicats,
puisque le score qu’ils obtiennent
En 2019 a, par exemple, été ven-
due l’ancienne école Victor-Hugo,
une bâtisse en pierre de 1 000 mè-
tres carrés habitables, presque at-
tenante à la façade des Loges du
château de Blois. Elle a été acquise
pour 320 000 euros, soit six fois
au-dessous de sa valeur réelle de
marché, par un investisseur blé-
sois. « Un prix conforme à l’évalua-
tion des Domaines », assurait la
mairie dans une évaluation qui
n’a valeur que d’avis consultatif.
Quatre années plus tard, ladite
école est vide, de nombreux car-
reaux sont cassés. « Les travaux
commencent, on va faire des ap-
partements », assure le proprié-
taire, Mourad Zaaraoui.
Dans le quartier bourgeois et
paisible des Grouëts, un manoir
devenu une école primaire jus-
qu’en 2013, qualifié par le journal
DIMANCHE 26 - LUNDI 27 NOVEMBRE 2023
détermine s’ils sont représentatifs
ou non – c’est-à-dire s’ils peuvent
s’asseoir à la table des négocia-
tions. « Les élections donnent envie
à chacun de marquer sa singula-
rité », dit M. Chabanier. Elles repré-
sentent un tel enjeu, d’après lui,
que « ça réveille la concurrence ».
Des frottements
Ces rivalités sont « vieilles comme
le syndicalisme », relativise
Mme Léon, en jurant qu’elles ne
créent aucune interférence dans
les rapports avec ses homologues.
« Nous sommes assez grands pour
faire le distinguo entre la compé-
tition électorale, à un échelon local
ou au sein d’un groupe, et les en-
jeux que nous portons sur la scène
nationale », complète Mme Binet.
M. Hommeril, dont l’organisation
– la CFE-CGC – a détrôné la CGT de
sa première place chez EDF, n’est
pas « étonné » par ces frictions,
mais il assure que « chacun sait
faire la part des choses ».
Pourtant, M. Souillot reste per-
suadé que ces élections ont « mis
sous tension » les syndicats dans
les entreprises et que « cela joue
au niveau confédéral ». « La gen-
tillesse qu’on avait tous les uns
pour les autres pendant les retrai-
tes a pu être mise de côté avec ces
scrutins », déplore M. Chabanier.
local, La Nouvelle République, de
« petit joyau », a été acquis
200 000 euros par l’homme d’af-
faires blésois Alain Lemesle, gé-
rant de 41 sociétés. La même
somme a été dépensée par ce der-
nier pour devenir le propriétaire
de l’ancien presbytère Chambour-
din, un bien communal d’une su-
perficie d’environ 1 200 mètres
carrés, à proximité de la Fonda-
tion du doute, un centre d’art.
Dans les deux cas, des apparte-
ments de standing sont annoncés.
La vente de l’ancienne abbaye
Saint-Laumer, devenue hôtel-
Dieu, finalisée en juin pour
3,2 millions d’euros, a suscité
d’importants remous et plusieurs
recours, dont deux ont déjà été
purgés. La filiale du promoteur
Altarea entend convertir les
12 500 mètres carrés de cette pro-
0123
La situation à Airbus, où FO est
majoritaire et croise le fer, notam-
ment, avec la CGT, semble avoir
jeté un froid. « Tout ça recrée les
querelles de scission qui ont eu lieu
il y a soixante-quinze ans », lance
M. Souillot, en faisant référence à
la création de Force ouvrière par
d’ex-figures de la CGT, qui avaient
claqué la porte de ce syndicat.
Les frottements se cristallisent
parfois autour de la personne de
Mme Binet. Aussitôt après son
arrivée à la tête de la CGT, le
31 mars, plusieurs de ses homolo-
gues ont eu le sentiment qu’elle
voulait parfois tout régenter. « So-
phie est énormément dans
l’échange et met du cœur à vouloir
convaincre quand il y a des désac-
cords, explique M. Chabanier. C’est
très appréciable, car c’est souvent
constructif, mais ça peut aussi par-
fois donner l’impression qu’elle
veut prendre le leadership, ce qui ne
plaît pas à tout le monde. » « Que ce
soit Marylise Léon [portée à la tête
de la CFDT, le 21 juin] ou Sophie Bi-
net, chacune a besoin d’imposer
son personnage, c’est normal et
c’est une bonne chose, car les deux
tirent le monde syndical vers le
haut », nuance M. Hommeril.
Mme Binet, elle, rétorque que sa
confédération « n’a pas de volonté
hégémonique ». « Ce n’est pas no-
tre conception de la démocratie
syndicale, poursuit-elle. D’ailleurs,
si l’intersyndicale a bien fonc-
tionné, c’est précisément parce que
personne ne dictait sa loi aux
autres. Tous les membres de cette
alliance ont été – et doivent être –
respectés. »
Alors qu’ils s’apprêtent à écrire
un nouveau chapitre de leur his-
toire commune, les huit alliés in-
sistent sur la nécessité de procé-
der en douceur. « Nous ne sommes
plus dans la phase de mobilisation
intense où l’on se voyait plusieurs
fois par semaine, note Mme Binet.
L’intersyndicale change de forme
et de nature, mais l’objectif est de
garder des relations pour conti-
nuer à faire primer ce qui nous ras-
semble, car c’est le seul moyen de
gagner des avancées, à l’image de
l’accord Agirc-Arrco conclu début
octobre, qui a revalorisé les pen-
sions de 4,9 % et supprimé un sys-
tème de malus. »
La « leçon » à retenir de toute
cette séquence, selon M. Homme-
ril, « c’est qu’on est puissants
lorsqu’on s’unit sur une revendica-
tion partagée et qu’on s’affaiblit si
on se divise de façon frontale sur
des thèmes où l’entente est hors de
portée ». Dès lors, conclut-il, il
vaut mieux dénouer l’alliance
paisiblement. p
bertrand bissuel
et thibaud métais
priété de la ville classée monu-
ment historique en 97 apparte-
ments. « La ville, en l’état actuel de
ses finances publiques et soucieuse
de ne pas augmenter les impôts
des contribuables, ne peut porter
la charge que représenterait quel-
que reconversion que ce soit »,
avait justifié la municipalité.
Elle sait qu’à deux pas la ville a
mis en pause la vente des vestiges
d’une graineterie médiévale – à
52 000 euros, au profit du promo-
teur Alain Lemesle – après la mobi-
lisation de six associations et de la
députée MoDem du Loir-et-Cher
Mathilde Desjonquères. Dans une
lettre adressée à Jack Lang, ancien
maire de Blois et ex-ministre de la
culture, elles ont demandé de met-
tre « un stop à la grande braderie
du patrimoine blésois ». p
jordan pouille
12 | france
Un lycée privé musulman dans le viseur de l’Etat
Une commission académique se réunit, lundi, pour décider si le lycée Averroès de Lille conserve son contrat
I
l est l’un des deux seuls ly-
cées privés musulmans
sous contrat en France. Ins-
tallé à Lille, l’établissement
Averroès, qui présente un taux de
réussite au bac de 98 % en filière
générale, pourrait pourtant bien-
tôt perdre son contrat d’associa-
tion avec l’Etat. Un précieux sé-
same qui permet le paiement des
salaires des professeurs par le mi-
nistère de l’éducation nationale,
et assure le respect du pro-
gramme officiel par le lycée.
Lundi 27 novembre doit se réu-
nir à Lille, à l’initiative du préfet du
Nord, la commission consultative
académique qui devra rendre un
avis sur le maintien ou non du
contrat d’association de l’établis-
sement, qui a longtemps été pré-
senté comme un modèle. Car le
préfet Georges-François Leclerc en
est convaincu : le lycée Averroès ne
remplit plus les conditions pour le
maintien de cet accord avec l’Etat,
dont il demande le retrait.
C’est d’ailleurs à un véritable ré-
quisitoire contre l’établissement,
accusé de contrevenir aux valeurs
de la République, que se livre le
haut fonctionnaire dans le rap-
port de saisine de la commission.
Dans ce texte de 12 pages, daté du
27 octobre et que Le Monde a pu
consulter, Georges-François Le-
clerc dénonce des « dysfonction-
nements administratifs », des « fi-
nancements qui posent question »,
ou encore « une communauté
éducative inquiétante ».
En 2020, un rapport de l’inspec-
tion générale de l’éducation, du
sport et de la recherche, dili-
genté sur demande de la région
Hauts-de-France, n’a, pour sa part,
pas trouvé trace de manquements
aux termes du contrat, tant sur le
plan pédagogique que financier.
Pour le président de l’association
Averroès, Makhlouf Mameche, les
accusations de la préfecture sont
« infondées ». Il envisage d’y répon-
dre point par point dans un texte
de 58 pages rédigé avec l’aide de
son avocat, Joseph Breham. « Nous
apporterons toutes les réponses
qu’il faut pour montrer que nous
respectons les valeurs de la
République », affirme M. Mame-
che, qui se dit étonné d’avoir dé-
couvert le courrier de convocation
à la commission dans la presse,
avant de le « recevoir trois jours
plus tard par courrier ».
Violences conjugales : « Il faut des financements stables et renforcés »
Françoise Brié, la directrice de la Fédération solidarité femmes, appelle à une mobilisation accrue pour protéger les victimes
ENTRETIEN
C omment expliquer que le
nombre de femmes victi-
mes de violences enregis-
tré par les forces de l’ordre aug-
mente ? A l’occasion de la Journée
internationale pour l’élimination
de la violence à l’égard des fem-
mes, Françoise Brié, la directrice
générale de la Fédération natio-
nale solidarité femmes, qui re-
groupe plus de 80 associations,
fait le point sur les avancées et les
manques dans la prise en compte
de ces violences.
Le ministre de l’intérieur re-
cense 244 300 victimes de vio-
lences conjugales en 2022, en
hausse de 15 % sur un an. Com-
ment interpréter ces chiffres ?
Il y a de plus en plus de victimes
qui se manifestent, c’est quelque
chose de positif. Ces dernières
années, les violences conjugales
sont devenues un sujet politique.
Il y a une mobilisation, y compris
sur le plan médiatique. Cela a en-
traîné une attente envers les pou-
voirs publics et la création de nou-
veaux dispositifs. Auparavant, les
femmes que nous recevions dans
Eric Dufour, le proviseur du lycée Averroès, à Lille, le 24 mai. PASCAL BONNIERE/MAXPPP
« Ce lycée est le
meilleur moyen
de lutter contre
les dérives, car ici
les gens peuvent
discuter, et l’Etat
contrôle »
JOSEPH BREHAM
avocat du lycée Averroès
Dans le viseur du préfet, il y a
d’abord les sources de finance-
ments étrangères de l’établisse-
ment. Dans son rapport, le préfet
rappelle, comme écrit dans Qatar
Papers (Michel Lafon), des journa-
listes Christian Chesnot et Geor-
ges Malbrunot, paru en 2019,
qu’Averroès a reçu une subvention
de 925 000 euros de la part du
pays, par l’intermédiaire de l’orga-
nisation non gouvernementale
les associations restaient très
longtemps dans la honte, le si-
lence. Certes la peur et la culpa-
bilisation par l’agresseur existent
toujours, mais les femmes victi-
mes se manifestent davantage et
demandent des réponses.
Celles qu’elles obtiennent
sont-elles satisfaisantes ?
Il y a des progrès, mais c’est
encore insuffisant. S’engager
dans le processus judiciaire en-
traîne bien souvent une victi-
misation secondaire. Les femmes
déposent plainte pour être recon-
nues comme victimes, et pour
être protégées. Mais, malheureu-
sement, on le voit avec le nombre
élevé de classements sans suite,
leurs parcours sont aléatoires.
Il faut absolument mettre des
moyens supplémentaires pour
qu’elles puissent arriver au bout
de ce processus en obtenant des
mesures de protection. Malgré
des améliorations, des com-
portements sexistes de la part
d’agents des forces de l’ordre
nous sont encore rapportés. Les
choses se passent mieux dans les
brigades de police et de gendar-
merie où il y a des référents « vio-
Qatar Charity, . D’après le lycée, il
s’agirait de 850 000 euros, aux-
quels s’ajouteraient 350 000 euros
de la banque de développement de
la ligue arabe.
Pour le préfet, Qatar Charity avait
pour but « d’enraciner un islam po-
litique au sein des communautés
musulmanes d’Europe ». C’est
d’ailleurs sur la base des révéla-
tions de ce livre que la région
Hauts-de-France a décidé, à partir
de 2020, de contester le verse-
ment du forfait d’externat
(275 000 euros) dû tous les ans au
lycée – une décision invalidée par
la justice. « Ce ne sont peut-être pas
des financements illégaux mais ils
posent problème avec le respect des
valeurs de la République », fait va-
loir Xavier Bertrand (divers droite),
le président de la région, pour le-
quel ce genre de dons peut in-
fluencer le contenu pédagogique.
M. Mameche avance, pour sa
part, que les « financements sont
légaux » et qu’ils n’ont été assortis
lences faites aux femmes », très
bien formés, ce qui plaide pour
qu’il y en ait systématiquement.
Les pôles judiciaires spécialisés
[dans les violences intrafami-
liales], qui vont être généralisés à
partir de janvier [2024], vont dans
le bon sens. Il faut faire en sorte
que les agresseurs ne restent pas
dans l’impunité. Toute la chaîne
doit être renforcée, depuis le dé-
pôt de plainte jusqu’à l’accompa-
gnement par les associations.
La Fondation des femmes
a interpellé les pouvoirs
publics sur le manque de
financements qui met en péril
le travail des associations…
Les financements sont large-
ment insuffisants au regard des
besoins. Certes il y a eu des haus-
ses budgétaires, mais on partait
d’un montant tellement dérisoire
que ce n’est pas suffisant. On
parle d’un contentieux de masse,
donc il faudrait augmenter l’enve-
loppe consacrée à la lutte contre
les violences en conséquence.
Les dispositifs mis en place par
les pouvoirs publics fonction-
nent ; je pense aux lieux d’accueil
et d’orientation, aux accueils de
d’aucune « influence ». Il assure par
ailleurs que la région était au cou-
rant, disposant d’un siège au
conseil d’administration du lycée
« même si le représentant a décidé
d’arrêter de siéger dès 2019 ». A la
région, on affirme que le conseiller
régional chargé du dossier « n’a ja-
mais remonté d’informations sur le
Qatar » avant la parution du livre.
Problème pédagogique
Selon un rapport de la chambre
régionale des comptes publié le
13 avril, dont les conclusions ont
été reprises par le préfet, il y aurait
aussi un problème pédagogique
dans l’établissement. Les élèves
de seconde étudieraient en cours
d’éthique les Quarante Hadiths de
l’imam An-Nawawi, dont les com-
mentaires, écrits par des auteurs
syriens, « édictent des règles de na-
ture sociale et politique à suivre
par le croyant », indique le rap-
port. Parmi elles, poursuit le
texte, « l’interdiction pour une
« Toute la chaîne
doit être renforcée,
depuis le dépôt
de plainte jusqu’à
l’accompagnement
par les
associations »
jour spécialisés… Partout dans ces
lieux, on travaille avec les fem-
mes sur le cycle des violences, la
déculpabilisation, le fait de se re-
connaître comme victime et
comme sujet de droit. Il y a aussi
tout un volet de partenariats pour
inscrire les femmes dans un ré-
seau de protection. C’est un
processus d’accompagnement
spécialisé qui prend du temps et
qui nécessite des financements
stables et renforcés.
Le nombre de féminicides reste
stable, avec 118 femmes tuées
en 2022. Pourquoi les chiffres
ne baissent-ils pas ?
Il y a quelques années, avec la
mise en place des ordonnances de
DIMANCHE 26 - LUNDI 27 NOVEMBRE 2023
femme malade de se faire auscul-
ter par un homme lorsqu’une
femme peut réaliser cet acte » ou
encore « qu’en dehors d’un état de
nécessité, les femmes ne doivent
pas se mêler aux hommes sur leur
lieu de travail ». « Cet ouvrage, étu-
dié par des élèves, jeunes mineurs,
en plein apprentissage, est en com-
plète contradiction avec les valeurs
républicaines », écrit le préfet.
Quant au livre, étudié en cours
d’éthique et donc hors du cadre
contractuel avec l’Etat, « c’est
l’équivalent d’une somme théologi-
que, c’est un livre fondamental
dont l’école s’est servi pour les ha-
diths et non les commentaires »,
défend Me Breham. Lui assure que
les élèves ne l’ont jamais eu entre
les mains, et qu’il s’agit là d’un
support exclusivement réservé au
corps enseignant. Il nie aussi la
présence de livres de l’imam Has-
san Iquioussen, expulsé en 2022
pour des « propos incitant à la
haine et à la discrimination », dans
protection, les chiffres ont dimi-
nué. Ils bougent peu depuis. C’est
un échec collectif et en même
temps un échec des politiques pu-
bliques. Je pense tout particu-
lièrement aux femmes qui sont
mortes après avoir signalé des
faits de violences, et qui n’ont pas
obtenu de protection.
Ça pose des questions sur la
réflexion collective à mener sur le
repérage, l’évaluation du danger et
la mise en sécurité. Nous avons
besoin de campagnes de commu-
nication régulières du gouverne-
ment pour lutter contre les stéréo-
types sexistes qu’on retrouve
partout, notamment de manière
incontrôlée sur les réseaux so-
ciaux, et qui amènent parfois à des
violences dans les relations.
Récemment, la ministre des
solidarités, Aurore Bergé,
a annoncé la généralisation
d’une aide versée par la Caisse
d’allocations familiales pour
permettre aux femmes de par-
tir de chez elles afin de se met-
tre à l’abri. Est-ce aux femmes
de quitter le domicile ?
Dans les faits, l’éviction du con-
joint violent et les mesures d’éloi-
0123
le CDI. Mais il reconnaît l’existence
d’un livre de son fils, Othmane, La
Paix soit avec toi, coécrit avec
Christian Defebvre (Bayard, 2017).
Autres accusations : des livres
traitant des personnages de l’his-
toire de France paraissant non uti-
lisés, des filles et des garçons qui
ne se mélangent pas en classe et
une classe de musique n’affichant
aucune référence au solfège et ne
disposant pas d’instruments. Des
faits relevés, selon le préfet, par un
rapport de l’inspection générale
de l’éducation nationale de 2022,
mais que l’avocat nie. Et dont il n’y
a pas trace dans le rapport.
« Boucs émissaires »
Pour cette raison, Averroès envi-
sage de porter plainte, dès lundi,
contre Georges-François Leclerc
pour « faux et usage de faux en
écriture publique ». « J’ai défendu
des terroristes, j’ai vu qu’ils se radi-
calisaient en dehors des institu-
tions. Ce lycée est le meilleur
moyen de lutter contre les dérives
car ici les gens peuvent discuter et
l’Etat contrôle. Et le paradoxe, c’est
qu’on veut les fermer », regrette
l’avocat du lycée. De source poli-
cière, « le préfet, à l’occasion de
cette inspection, a recueilli des en-
seignements précis en ce sens ».
Dans l’établissement, l’incom-
préhension domine, selon les té-
moignages recueillis auprès des
enseignants, qui rapportent la
forte inquiétude des lycéens et de
leurs familles. Tous insistent sur
les excellents résultats du lycée,
qui a emmené 100 % de sa série
STMG et 98 % de sa série générale
au bac 2022, avec 73 % de men-
tions. « Le lycée Averroès a 20 ans,
il est intégré dans le paysage édu-
catif de Lille », se désole une ensei-
gnante d’histoire qui ne souhaite
pas donner son nom. « J’ai
vingt ans de carrière, mes rapports
d’inspection sont excellents. Tout
cela est d’autant plus difficile à en-
caisser que l’on n’a rien à nous re-
procher. » « On a l’impression
d’être des boucs émissaires, et de
servir de faire-valoir politique », se
désole une enseignante de lettres.
Contacté par Le Monde, le cabinet
du ministre de l’éducation n’a pas
souhaité réagir, assurant que le
dossier était géré par le ministère
de l’intérieur. p
sarah belouezzane
et violaine morin
gnement sont souvent difficiles à
mettre en œuvre. Donc, majoritai-
rement, ce sont les victimes qui
quittent le domicile conjugal. Or la
violence précarise, ces femmes
sont moins souvent en emploi,
ont moins de ressources. Dans
nos associations, on voit des fem-
mes qui arrivent et qui n’ont rien.
C’est donc important de leur ap-
porter ce soutien financier. Mais
nous demandons que les critères
d’éligibilité de cette aide d’urgence
soient élargis aux femmes qui ont
une attestation de nos associa-
tions, qu’elle ne soit pas réservée à
celles qui ont un dépôt de plainte,
une ordonnance de protection ou
un signalement au parquet.
Enfin, dans les remontées du
3919 [le numéro national d’écoute
pour les femmes victimes de
violences], on compte 40 % d’en-
fants maltraités directement
dans les situations de violences
conjugales. C’est un problème
majeur. Nous demandons que
l’autorité parentale soit retirée
aux auteurs de violences et que la
résidence alternée soit interdite
dans ces situations. p
propos recueillis par
solène cordier
0123
DIMANCHE 26 - LUNDI 27 NOVEMBRE 2023
Bygmalion : Sarkozy conteste
toute « responsabilité pénale »
L’ancien chef de l’Etat était entendu, vendredi, devant la cour d’appel de
Paris sur le dépassement du plafond de ses dépenses électorales en 2012
A
u mot près, Nicolas
Sarkozy a répété, ven-
dredi 24 novembre,
devant la cour d’appel
de Paris la ligne de défense qui
avait été la sienne en première
instance dans l’affaire du dépas-
sement du plafond des dépenses
électorales de sa campagne de
2012, pour laquelle il a été
condamné à un an d’emprison-
nement ferme : « J’ai une respon-
sabilité politique, j’étais le candi-
dat, j’ai été battu, de peu. Je con-
teste vigoureusement toute res-
ponsabilité pénale. »
Cette « responsabilité politi-
que », a-t-il rappelé, il l’a exercée
en organisant le « Sarkothon »,
qui a permis de réunir un peu
plus de 10 millions d’euros au
profit de son parti, l’UMP, devenu
Les Républicains, soit le montant
de la subvention de l’Etat dont le
remboursement avait été refusé
après l’invalidation de ses
comptes de campagne par le
Conseil constitutionnel en
juillet 2013. « Ces 10 millions me
permettent de dire que ma cam-
pagne de 2012 n’a rien coûté aux
contribuables. »
Pour le reste, à savoir le système
de fausses factures mis en place
pour dissimuler un dépasse-
ment du plafond de 22 millions
d’euros – le double du montant
autorisé par la loi –, Nicolas
Sarkozy ne se sent pas concerné.
« Je n’ai jamais eu connaissance
d’une fraude, je n’ai jamais or-
donné une fraude. »
« Dans le dos de mes équipes »
Ce n’est d’ailleurs pas lui qui le
dit, insiste-t-il, mais un « grand
auteur », le juge d’instruction
Serge Tournaire. L’ancien
président n’est, en effet, jugé que
pour dépassement du plafond
des dépenses, contrairement à
ses coprévenus, renvoyés pour
escroquerie ou complicité, abus
de confiance ou recel, faux,
usage ou recel de faux. Neuf d’en-
tre eux ont fait appel de leur
condamnation.
Encore une fois, donc, Nicolas
Sarkozy martèle qu’il n’a « choisi
aucun fournisseur, signé aucune
facture, rencontré aucun presta-
taire. Je vous certifie que je n’avais
jamais entendu le nom de Bygma-
lion ». Bygmalion, la société orga-
nisatrice de ses meetings de cam-
pagne, avec sa filiale Event & Cie,
ce sont, dit-il, « les amis de Jean-
François Copé », son adversaire
honni qui dirigeait alors le parti.
« Il y a incontestablement une es-
croquerie dans cette affaire. M’a-t-
elle profité ? Je le conteste. Ce sys-
tème n’a pas été mis en place pour
me faire gagner. Il a été mis en
place dans le dos de mes équipes
pour faire gagner de l’argent à cer-
taines personnes », accuse l’an-
cien président de la République.
Le problème de cet argument
de défense, lui rappelle une des
juges, c’est que l’enquête a mon-
tré que les marges, certes confor-
tables, réalisées par ce prestataire
sont semblables à celles de ses
concurrents dans l’événementiel,
et surtout que le montant facturé
par Bygmalion correspond à des
prestations réellement effec-
tuées pour les meetings du candi-
dat Sarkozy. Dans leur jugement,
les juges de première instance en
avaient conclu que les délits re-
prochés aux autres prévenus
avaient été commis « non pas à
l’occasion d’une campagne électo-
rale, mais au bénéfice de la cam-
pagne d’un président de la Répu-
blique en exercice, candidat à son
propre renouvellement ».
Il reste donc à expliquer pour-
quoi ces dépenses de campagne
ont explosé et s’il est possible que
le candidat n’en ait été ni cons-
cient ni alerté. Trois ex-dirigeants
de Bygmalion et Jérôme La-
vrilleux, qui assurait à la fois les
fonctions de directeur de cabinet
de Jean-François Copé à l’UMP et
de directeur adjoint de l’équipe
de campagne du président candi-
dat, ont mis en cause « l’emballe-
ment » d’une course à la présiden-
tielle, dont chaque frémissement
de sondages conduisait Nicolas
Sarkozy à exiger davantage de
meetings, toujours plus grands,
toujours plus techniquement
performants, toujours plus chers.
Et ce, en dépit de deux notes des
experts-comptables, les 7 mars et
18 avril 2012, qui alertaient
l’équipe de campagne et son can-
Jérôme Lavrilleux face aux juges, le 23 novembre. ERWAN FAGES
« Mais quelle
est cette fable
d’une espèce
de fou auquel
on ne pouvait
pas dire non ? »
NICOLAS SARKOZY
ancien président
de la République
didat sur le risque de dépasse-
ment, puis sur le dépassement du
plafond des dépenses autorisées.
« A la fin, il a fallu faire rentrer
3 litres d’eau dans une bouteille de
1 litre et l’on nous a envoyés à la
boucherie », avait résumé, jeudi,
Jérôme Lavrilleux, qui, comme
les dirigeants de Bygmalion,
reconnaît une part de responsa-
bilité dans la mise en place de la
fraude pour masquer l’explosion
des dépenses du candidat der-
rière de fausses conventions at-
tribuées à l’UMP.
« Les temps ont changé »
A la présidente, Pascaline Cham-
boncel-Saligue, qui lui deman-
dait s’il n’aurait pas dû « empê-
cher cette boucherie en sensibili-
sant le candidat sur les coûts »,
l’ex-directeur de campagne avait
répondu : « J’aurais dû, oui.
M’est-il venu à l’esprit que je pou-
vais ? Non. Je ne parle pas d’un
candidat aux cantonales. Je parle
d’un président de la République
candidat à sa réélection. »
« Mais quelle est cette fable
d’une espèce de fou auquel on ne
pouvait pas dire non ?, s’emporte
Nicolas Sarkozy. J’ai fait 42 mee-
tings en 2007, 44 en 2012. Il est où
l’emballement ? La seule diffé-
rence, c’est qu’en 2007 il n’y avait
pas Bygmalion ! » « Cette campa-
gne de 2007, c’est peut-être diffi-
cile de la prendre comme réfé-
rence… Parce qu’elle fait l’objet
d’une procédure, qui va être jugée
en 2025, si j’ai bien compris… », ob-
serve d’une voix affable la prési-
dente, dans une allusion explicite
aux soupçons qui pèsent sur le fi-
nancement dont le candidat élu
aurait pu bénéficier en 2007 de la
part du régime de l’ancien dicta-
teur libyen, Mouammar Kadhafi,
et qui lui valent d’être renvoyé de-
vant le tribunal correctionnel de
Paris pour « recel de détourne-
ment de fonds publics », « corrup-
tion passive », « financement illé-
gal de campagne électorale » et
« association de malfaiteurs ». Au
premier rang du public, son nou-
vel avocat dans ce dossier,
Me Jean-Michel Darrois, ne perd
pas une miette des débats.
Près de cinq heures d’interroga-
toire s’étaient déjà écoulées,
quand l’un des deux représen-
tants de l’accusation a posé une
simple question à Nicolas
Sarkozy : « Est-ce que, pour vous,
le respect du plafond des dépenses
de campagne était une priorité ? »
« Non, Monsieur l’avocat général.
Ma priorité, c’était de rassembler
ma famille et de gagner l’élection
présidentielle », lui a répondu le
prévenu, qui a ajouté : « En quel-
que sorte, j’ai fait jurisprudence, à
mes propres dépens. »
L’échange, d’apparence anodin,
a éclairé l’un des enjeux de cette
affaire. Avant Nicolas Sarkozy,
aucun candidat à la présiden-
tielle n’a eu à répondre de ses dé-
penses de campagne devant une
juridiction pénale. En première
instance, alors qu’il évoquait sa
longue expérience des campa-
gnes présidentielles aux côtés de
Jacques Chirac puis d’Edouard
Balladur, avant d’en conduire
deux en son nom, l’ancien prési-
dent avait observé : « Les temps
ont changé. »
Oui, les temps ont changé, avait
répondu le tribunal, en considé-
rant qu’en 2012 Nicolas Sarkozy
avait « volontairement omis, en sa
qualité de candidat, d’exercer un
quelconque contrôle sur les dé-
penses qu’il avait l’obligation non
seulement de déclarer dans le
compte de campagne, mais de cer-
tifier comme étant exactes ». En
cela, les juges lui signifiaient
aussi que le respect du plafond
des dépenses fixé par la loi doit
bien être considéré comme une
priorité du candidat.
Réquisitoire le 30 novembre. p
pascale robert-diard
Les dirigeants du syndicat
Avenir lycéen jugés pour
« abus de confiance »
La structure, créée fin 2018 pour soutenir
la réforme du bac de Jean-Michel Blanquer,
est accusée d’avoir dilapidé l’argent public
J’ ai un peu l’impression
d’avoir été le dindon de la
farce. » Après quatre heures
d’audience passées à décor-
tiquer les dépenses somptuaires
du syndicat Avenir lycéen entre
janvier et novembre 2020, Nathan
M., l’un des cofondateurs du mou-
vement, se place sur un terrain
plus politique, en répondant aux
questions de son avocat, Me Alain
Jakubowicz, au tribunal correc-
tionnel de Paris, vendredi 24 no-
vembre, où le jeune homme com-
paraît pour « abus de confiance ».
Enzo M., trésorier de l’associa-
tion au début de 2020, est aussi
jugé pour « abus de confiance »,
mais, hospitalisé il y a peu, il ne
peut être présent à l’audience. « La
procédure et la pression médiati-
que ne sont pas étrangères à son
état de santé fragile », avance son
avocate, Me Emilie Ronnel. Alexia
D., la présidente du syndicat au dé-
but de 2020, a été jugée et condam-
née pour les mêmes charges à la
fin d’octobre 2023 par un tribunal
pour enfants, puisqu’elle était mi-
neure au moment des faits.
En novembre 2020, les révéla-
tions de Mediapart sur « le syndi-
cat chouchou de Jean-Michel Blan-
quer [qui] dilapide l’argent du mi-
nistère » font l’effet d’une bombe
dans le monde éducatif comme
politique et plongent ces jeunes
dans la tourmente.
Manque d’accompagnement
Né à la fin de 2018 dans le but de
soutenir la réforme du baccalau-
réat portée par le ministre de l’édu-
cation nationale de l’époque, le
syndicat Avenir lycéen connaît des
débuts fulgurants. L’organisation
signe, en novembre 2019, une con-
vention avec le ministère de l’édu-
cation nationale, qui liste divers
objectifs et lui octroie une subven-
tion de 65 000 euros, dont
43 000 euros pour la tenue d’un
congrès fondateur.
Nathan M., aujourd’hui âgé de
23 ans, évoque à la barre l’euphorie
de côtoyer le pouvoir : « Quand on
a la chance, à 18 ans à peine, de ren-
contrer des personnalités politi-
ques de premier plan et d’avoir un
rôle sur la politique du pays, c’est
extrêmement exaltant », raconte le
jeune homme, qui « a rencontré le
ministre dans son bureau à deux re-
prises », mais n’en dira pas plus.
Pas de budget prévisionnel, pas
de comptabilité… Le syndicat dé-
pense sans compter. Ainsi,
15 000 euros permettent d’acheter
du matériel informatique dernier
cri, dont deux montres connec-
tées. Des responsables en interne
DE CAUSE
À EFFETS.
© Radio France/Ch. Abramowitz
Le magazine de
l’environnement
En partenariat
avec
france | 13
De juin à
octobre 2020,
le syndicat
engloutit 80 %
de sa subvention
de 65 000 euros
alertent, au printemps 2020, sur le
rythme et le volume des dépenses,
la délégation nationale à la vie ly-
céenne envoie un courrier pour
rappeler l’association à ses obliga-
tions, mais rien n’y fait. Nuits d’hô-
tel à l’Intercontinental de Lyon, dé-
jeuner au restaurant gastronomi-
que Christian Têtedoie, factures fa-
ramineuses de VTC, notes de frais
dans des bars la nuit… De juin à oc-
tobre 2020, le syndicat engloutit
80 % de la subvention, et le
congrès fondateur n’a jamais lieu.
L’agence judiciaire de l’Etat, qui
s’est constituée partie civile, de-
mande désormais le rembourse-
ment de 62 000 euros.
Pour « servir une politique », « on
va essorer ces gamins et on va les lâ-
cher », lance Alain Jakubowicz, qui
interroge la responsabilité du mi-
nistère de l’éducation nationale et
de la délégation nationale à la vie
lycéenne, face au manque d’ac-
compagnement et de contrôle de
responsables associatifs, pour la
plupart encore mineurs. Une
question qui dépasse Avenir ly-
céen : un rapport de 2021, réalisé
par l’inspection générale de l’édu-
cation, du sport et de la recherche,
et cité à l’audience, pointe les dys-
fonctionnements des organisa-
tions lycéennes en matière
d’usage de fonds publics.
Mais pour le parquet, ce procès
n’a pas pour objectif de délibérer
sur les conditions d’octroi ou de
contrôle de la subvention allouée
mais bien sur les conditions de
son utilisation. Qui savait quoi au
sein du syndicat ? Qui dépensait
quoi ? Quel était le rôle de chacun ?
Nathan M. n’occupait pas de fonc-
tion officielle au moment des faits,
mais il était considéré par beau-
coup comme le leader officieux du
syndicat, ce qu’il réfute. Les
six heures d’audience n’ont pas pu
apporter de réponses claires.
Le parquet requiert à l’encontre
des deux prévenus douze mois
d’emprisonnement avec sursis,
une interdiction d’entrée dans la
fonction publique et une priva-
tion d’éligibilité pendant trois
ans. Le jugement est mis en déli-
béré au 22 décembre. p
sylvie lecherbonnier
Le mardi
21h – 22h
Aurélie
Luneau
L’esprit
d’ouver-
ture
14 | france
Le débat sur l’accouchement à domicile ressurgit
Le décès, en Ille-et-Vilaine, d’une femme qui avait décidé d’accoucher chez elle, interroge sur cette pratique
C’
est un drame très
rare mais qui a
réveillé, dans les
cercles de soignants
et au-delà, des questionnements
sur l’encadrement des accouche-
ments : le décès, le 17 novembre,
près de Fougères (Ille-et-Vilaine),
d’une femme de 37 ans qui avait
décidé d’accoucher à son domi-
cile, sous la supervision d’une
sage-femme, a amené une large
frange de médecins, gynécolo-
gues obstétriciens et anesthésis-
tes en tête, à rappeler leurs fortes
réserves, voire leur franche oppo-
sition, à cette pratique.
Un millier de naissances
seraient des accouchements à do-
micile, sur plus de 700 000 recen-
sées chaque année. Il n’empêche,
« il nous est impossible de caution-
ner une telle pratique, souligne
Joëlle Belaisch-Allart, présidente
du Collège national des gynécolo-
gues et obstétriciens français. Le
risque de mortalité maternelle et
du bébé est nettement plus élevé
dans un contexte non médicalisé. »
« La dangerosité potentielle de
l’accouchement à domicile doit
être dénoncée, insiste Bertrand de
Rochambeau, à la tête du Syndicat
national des gynécologues-obsté-
triciens de France, et il en est de
même de tout ce qui peut favoriser
ce choix, et de tout ce qui galvaude
les risques encourus. »
« La demande existe »
Sur ces risques, les médecins mon-
tés au front l’assurent : les femmes
« manquent d’informations ». « On
confond grossesse à bas risques –
pour une parturiente jeune, sans
antécédents particuliers… – et ac-
couchement à bas risques, expli-
que ainsi Estelle Morau, prési-
dente du Collège des anesthésis-
tes-réanimateurs en obstétrique.
Or, un accouchement sans risque,
ça n’existe pas : les complications
sont imprévisibles, même après
une grossesse normale. »
Hémorragie, embolie amnioti-
que, césarienne en urgence : dans
ces situations, « chaque minute
compte », ont coutume de dire les
soignants, qui insistent, tous, sur
les « garanties » apportées par les
ressources d’un hôpital. « Le re-
tard de prise en charge est l’un des
critères de morbi-mortalité mater-
nelle qui pèse le plus », poursuit la
docteure Morau, qui exerce au
CHU de Nîmes et siège au Comité
national d’experts sur la morta-
lité maternelle. Une instance qui
« Disparus de Mirepoix » : trente ans de prison pour les deux accusés
Marie-José Montesinos et Jean-Paul Vidal ont été reconnus coupables de l’assassinat de Christophe Orsaz et du meurtre de sa fille, en 2017
foix - envoyé spécial
T M Montesinos,
rente ans de réclusion cri-
minelle assortie de vingt
ans de sûreté pour Marie-
José Montesinos et trente ans de
réclusion criminelle pour
Jean-Paul Vidal : en rendant son
verdict, vendredi 24 novembre, la
cour d’assises de l’Ariège a voulu
différencier la peine des deux ac-
cusés. Après plus de trois heures
de délibéré et à l’issue de six jour-
nées d’audience, les jurés ont re-
connu coupables les ex-amants
de l’assassinat de Christophe
Orsaz et du meurtre de sa fille,
Célia, survenus le 30 novem-
bre 2017 à Bélesta (Ariège) et à
Puivert (Aude).
Debout dans le box à l’énoncé
de ce verdict, les deux accusés
sont restés figés, sans manifester
de réactions. « Un verdict à la hau-
teur de la gravité de ce qu’il s’est
passé », a commenté l’avocat de
treize membres de la famille
Orsaz, Me Arnaud Levy-Soussan.
C’est, à peu de chose près,
« Ce qu’on vit
aujourd’hui, c’est
un retour de
balancier, après
avoir été trop
loin dans l’hyper-
médicalisation »
ISABELLE KOENIG
sage-femme et membre de
l’Association professionnelle
de l’accouchement
accompagné à domicile
expertise environ 80 dossiers de
mortalité maternelle par an, « en
incluant les décès en “pre”, “per” et
“post” partum, pour savoir ce qui
aurait pu être fait différemment »,
explique-t-elle.
Concernant les faits du 17 no-
vembre, un transfert à l’hôpital,
pour une césarienne, n’a pu
sauver ni la mère ni l’enfant. Une
enquête en recherche des causes
de la mort a été ouverte par le
parquet de Rennes. « Aucune mise
en cause [n’est prononcée] à ce
stade », fait savoir le procureur,
Philippe Astruc. L’autopsie de la
mère n’ayant pas permis de dé-
terminer la cause du décès, des
analyses médico-légales ont été
ordonnées. Une autopsie du
nourrisson, décédé in utero, a
également été pratiquée.
Du côté des sages-femmes, le
principe de l’accouchement à
domicile ne suscite pas la même
opposition. « Un accouchement
médicalement accompagné, en
maternité, avec toute une équipe
en soutien, c’est évidemment plus
simple que d’intervenir seule à
domicile, même si les collègues
transportent toujours du matériel
de réanimation et des moyens de
surveillance, souligne Camille
Dumortier, vice-présidente de
l’Organisation syndicale des
sages-femmes, qui exerce au
CHRU de Nancy. Mais la de-
mande existe, des patientes la
font valoir ; l’enjeu doit être de la
sécuriser. »
« L’accouchement à domicile
n’est pas interdit par la loi »,
renchérit Anne-Marie Curat, élue
au Conseil national de l’ordre des
sages-femmes, quand bien même
les sages-femmes impliquées ne
trouvent pas d’assurance pour les
couvrir (ou exceptionnellement).
Elle énumère « quatre points
conforme au réquisitoire. Dans la
matinée, l’avocat général, Pierre
Aurignac, avait requis une diffé-
renciation de la peine. Il avait de-
mandé trente ans de réclusion
pour Jean-Paul Vidal et la réclu-
sion à perpétuité assortie de dix-
huit ans de sûreté pour Marie-
José Montesinos.
A ses yeux, les deux accusés
« n’ont jamais eu d’autres inten-
tions que celle de donner la mort
volontairement à Christophe
Orsaz ». Contrairement à ce qu’a
tenté de faire croire Marie-José
Montesinos, lors de ce guet-apens
tendu le 30 novembre 2017, il
n’était nullement question d’in-
fliger une « simple » raclée à la vic-
time. « Marie-José veut tuer
Christophe Orsaz et elle veut le
faire souffrir », a-t-il affirmé.
Pour l’avocat général, s’il a bien
été manipulé par Marie-José
Montesinos, dont il était folle-
ment amoureux, Jean-Paul Vidal
n’est pas pour autant un « instru-
ment » qui aurait été sous em-
prise : « Jean-Paul Vidal avait son
essentiels » à prendre en compte
face à ce type de demande : le
« droit » de la patiente de choisir
son lieu d’accouchement, son
« éligibilité » au regard des
facteurs de risque, la « confor-
mité » du domicile et sa localisa-
tion à moins de trente minutes
d’un plateau technique hospi-
talier. Et, quatrième point, les
« compétences » de la profession-
nelle impliquée.
Elles sont une centaine de sa-
ges-femmes, regroupées au sein
de l’Association professionnelle
de l’accouchement accompagné
à domicile (Apaad), à encadrer et
défendre la pratique. « Pas assez
libre arbitre. Il a fait un choix. »
Toutefois, c’est indéniable, dans
cette affaire sordide, la volonté du
meurtre relève « des obsessions
homicides de Marie-José ».
Elle est la seule et unique insti-
gatrice de cette entreprise crimi-
nelle. Une accusée qui a répété
que, sans elle, « tout ça ne serait
pas arrivé et que tout est de [sa]
faute », mais n’a cessé de clamer
qu’elle n’était pour rien dans la
tournure macabre des événe-
ments. « Responsable, mais pas
coupable », a ironisé le magistrat.
« Il n’y a pas de pardon »
Tout en relevant « la détermina-
tion, l’entêtement » et l’absence
totale d’humanité dans l’accom-
plissement des faits, celui-ci a
évoqué « le courage » de Jean-
Paul Vidal, qui avait fait part de sa
lâcheté, jeudi 23 novembre, en
s’adressant à la famille Orsaz.
S’agissant du meurtre de Célia
Orsaz, qu’il a « exécutée », selon
les mots de l’avocat général,
« j’aurais pu la sauver cent fois, si
pour satisfaire la demande », rap-
porte Floriane Stauffer, codiri-
geante de l’association, qui
exerce en Lorraine. « On suit entre
1 300 et 1 800 femmes par an, on
accompagne l’accouchement de
900 à 1 300 d’entre elles et on
oriente les autres vers les materni-
tés », précise-t-elle.
« Un enjeu de santé publique »
Cette sage-femme, seize ans de
métier, fait remonter la « bas-
cule » avant le Covid, « avec le
hashtag #Paietonutérus et la dé-
nonciation des violences obstétri-
cales et gynécologiques qui ont
porté la demande ». La crise sani-
La peine de
me
considérée
comme
l’instigatrice, est
assortie de vingt
ans de sûreté
seulement j’y avais pensé un mo-
ment », avait déclaré Jean-Paul
Vidal, sans demander pardon,
« car il n’y a pas de pardon ».
A l’inverse de Marie-José Mon-
tesinos, Jean-Paul Vidal a com-
mencé « un long chemin vers la
rédemption. (…) Il a fait un pre-
mier pas », a relevé le magistrat.
Dès sa garde à vue, l’ex-amant a
reconnu l’intention de meurtre
lors du guet-apens tendu à
Christophe Orsaz. Depuis cinq
ans qu’il est en détention, le car-
rossier-cascadeur a permis à la
justice d’avancer vers la vérité.
DIMANCHE 26 - LUNDI 27 NOVEMBRE 2023
taire et les réseaux sociaux ont
« fait le reste », dit-elle. « Les cou-
ples qui viennent nous voir ne re-
vendiquent plus, comme avant, un
projet particulier ou un enfante-
ment naturel ; ils veulent simple-
ment pouvoir accoucher chez eux,
dans un environnement connu, et
se sentir bien, confortables… »
Isabelle Koenig, elle aussi
membre de l’Apaad, dit accompa-
gner, depuis une décennie, une
cinquantaine d’accouchements à
domicile par an, après trente-trois
ans d’exercice à l’hôpital. « Ce
qu’on vit aujourd’hui, c’est un
retour de balancier, après avoir été
trop loin dans l’hypermédicali-
Au cours des cinq années qui se
sont écoulées depuis qu’elle est en
détention, Marie-José Montesinos,
elle, « n’a pas évolué d’un iota », a
déploré Pierre Aurignac. « Aucun
remords, aucune amorce de criti-
que », l’infirmière campe toujours
sur les mêmes positions. Même
discours, même état d’esprit. Se-
lon les psychiatres, dans son cas,
le risque de récidive n’est pas à
écarter. Confrontée à une même
situation de rupture sentimen-
tale, elle pourrait réagir de ma-
nière imprévisible et dangereuse.
« Oui, derrière cette froideur af-
fective incroyable, Marie-José
Montesinos souffre », a admis
l’avocat général. Mais elle est res-
ponsable de ses actes et aucun
psychiatre n’a diagnostiqué chez
elle de pathologie psychotique, a-
t-il insisté en substance : pas
d’hallucinations, pas de perte du
discernement avec la réalité.
« Le rôle de la défense, c’est de
faire sortir le monstre du prétoire
pour y faire entrer l’être humain »,
a plaidé Me Elsa Correia, qui, avec
0123
sation de la naissance pour toutes
les femmes, y compris celles à bas
risque obstétrical », estime-t-elle.
Parmi les demandes refusées, elle
redoute qu’une « bonne partie »
optent, par défaut, pour l’« accou-
chement non assisté », un « ANA »,
selon l’acronyme en vigueur,
inspiré du « freebirth » des Anglo-
Saxons. « C’est un enjeu de santé
publique qu’il faut aussi prendre
en compte », dit-elle.
L’Apaad met la dernière main à
un « référentiel clinique » pour
l’accouchement à domicile, con-
sacré aux patientes, au matériel
nécessaire, aux relations avec
l’hôpital… Un peu sur le modèle
de ce qui se fait au Royaume-Uni
ou aux Pays-Bas, des pays où les
sociétés savantes sont plus ouver-
tes à cette pratique.
Des « alternatives »
« Sans doute que nous devons
accepter de balayer un peu devant
notre porte, reprend l’anesthé-
siste Estelle Morau, et entendre ce
que nous disent ces patientes sur
leur vécu à l’hôpital, leurs crain-
tes, leurs mauvaises expériences…
Mais, sans juger les choix de
chacune, je ne peux pas, en tant
que médecin, ne pas soulever la
question du risque. » Et de rappe-
ler, comme le font tous les
soignants, qu’il existe des « alter-
natives » : l’accouchement en pla-
teau technique, par exemple
(avec « sa » sage-femme, en libé-
ral, mais dans les locaux d’une
clinique ou d’un hôpital). Ou en-
core en maison de naissance, ces
– rares – structures gérées par des
sages-femmes et contiguës à un
établissement de santé.
Entre médecins et sages-fem-
mes, « il y a depuis toujours deux
façons de penser la naissance,
relève la sociologue de la santé
Béatrice Jacques, les uns plutôt
axés sur le risque “a priori”, les
autres défendant une démarche
plus englobante », explique cette
universitaire, en rappelant, néan-
moins, que les sages-femmes
sont elles-mêmes divisées sur
l’accouchement à domicile.
La controverse, récurrente,
émerge à nouveau à la faveur de
ce drame, mais elle trouve un
écho particulier dans un contexte
de crise du secteur de la périnata-
lité. A un moment où chacun,
parmi les acteurs du soin, inter-
roge aussi ses « frontières profes-
sionnelles ». p
mattea battaglia
Me Laurent de Caunes, défen-
dait Marie-José Montesinos. A
l’instar de l’avocat général, qui a
évoqué « les drames de l’enfance »
qu’ont subis les deux accusés, elle
a rappelé les « blessures d’en-
fance » de sa cliente aux prises,
dès son plus jeune âge, avec un
père incestueux.
Pour Me de Caunes, Marie-José
Montesinos « est une personnalité
fragile et perturbée ». « Oui, a-t-il
précisé, il y a intoxication de Vidal
et préparation d’un guet-apens.
Mais, à part les paroles de Vidal, il
n’y a pas d’éléments matériels éta-
blissant l’intention de Marie-José
Montesinos de tuer. »
Et d’implorer le jury : « On veut
la faire entrer dans le tunnel de la
mort, ce que l’on vous demande, la
perpétuité et dix-huit ans de sû-
reté, c’est de l’éliminer. Ne l’élimi-
nez pas, jugez. » En évitant la ré-
clusion criminelle à perpétuité, il
a été en partie entendu. Les accu-
sés et le parquet général ont dix
jours pour faire appel. p
yves bordenave
Bonnes Adresses
Tarifs 01/01/23
Prix à la ligne : 15 € HT - 18 € TTC
Autres formats : nous consulter
Reproduction interdite marie-cecile.bernard@mpublicite.fr

CANAPÉ-LIT Ouverture rapide, matelas 17 cm

HR 30 kg/m3, couchage 140
SOFABED
lattes de bois. L173 x P91.
JUSQU’AU 03 DÉCEMBRE 1690 € Range-oreillers. Fabriqué à la main
en Italie. En stock dans 5 coloris :
JUSQU’AU 03 DÉCEMBRE

-25% -25%
bleu, gris beige, gris clair, beige,
anthracite (tissu 100% polyester).

jusqu’à jusqu’à

Ecopart. incluse. Photos non contractuelles.

sur les plus grandes marques de canapés : sur les grandes marques de tables fixes
Duvivier, Fama, Himolla, Leolux, Neology, ou extensibles : Bonaldo, Bontempi,
Ralph M, Stressless®... (hors promotions en cours) Calligaris... (hors promotions en cours)

Canapés-lits Paris 12 • M° Nation

54 cours de Vincennes • 7j/7 • 01 40 21 87 53
Canapés-lits Paris 15 • M° Boucicaut
63 rue de la Convention • 7j/7 • 01 45 77 80 40

© ©

RUBRIQUE BONNES AFFAIRES

63 rue de la Convention Paris 15, 7j/7, M° Boucicaut, 01 45 77 80 40 POUR VENDRE, VOULEZ-VOUS Le plus grand espace tables et chaises de repas à Paris • 7J/7
147 rue St-Charles Paris 15, 7j/7, M° Charles Michels, 01 45 75 02 81 LE BON PLAN OU LE MEILLEUR ? 145-147 rue St-Charles Paris 15,M° Charles Michels,01 45 75 02 81
54 cours de Vincennes Paris 12, 7j/7, M° Nation, 01 40 21 87 53 ef 63 rue de la Convention Paris 15, M° Boucicaut, 01 45 77 80 40
Canapés, literie, mobilier sur 3000 m : nos adresses sur www.topper.fr
2
marie-cecile.bernard@mpublicite.fr Canapés, literie, mobilier sur 3000 m2 : nos adresses sur www.topper.fr

Le monde des antiquaires Re

e.fr

JUSQU’AU 03 DÉCEMBRE

CLÉMENT ANGER
Votre acheteur d’Affaire Conclue
-30%
jusqu’à

sur les grandes marques de literie :

Dunlopillo, Emma, Simmons, Tempur,
Treca... (hors promotions en cours)

ACHAT & EXPERTISE GRATUITE

Nous nous déplaçons dans vos régions.

ANTIQUAIRE
Toutes époques
Tableaux, sculptures,
bibelots, vaisselle,
mobilier, livres anciens,...

Le plus grand espace literie à Paris • 7J/7

66 rue de la Convention Paris 15, M° Javel, 01 40 59 02 10
56-60 cours de Vincennes Paris 12, M° Nation, 01 43 41 80 93
Contactez-nous Canapés, literie, mobilier sur 3000 m2 : nos adresses sur www.topper.fr

06 98 90 30 10
anger.clement@yahoo.fr ACHAT AU DESSUS DE VOS ESTIMATIONS
ET EXPERTISES
« ART D’ASIE » : CHINE, JAPON ET MOYEN-ORIENT
06 07 55 42 30 - P. MORCOS
EXPERT CNE
✶ Porcelaines et Bronzes ✶ Cristal de Roche
✶ Corail et Ivoires Anc. ✶ Jade blanc et couleurs
✶ Cornes et Laques ✶ Peintures et Tissus anc.
✶ Manuscrits et Estampes

DEPLACEMENT PARIS – PROVINCE

morcospatrick@orange.fr
RUBRIQUE IMMOBILIER
ef

0123 Vos acheteurs et locataires

sont parmi nos lecteurs.
Immobilier Reproduction interdite

marie-cecile.bernard@mpublicite.fr
Pour clientèle internationale et sociétés, nous VENDONS et LOUONS
votre APPT sur Paris et petite couronne. Conseil sur travaux
d’amélioration de votre DPE LOCATION - VENTE - GESTION
GetaHomeinFrance.Co.Uk - Tél : 06.15.18.96.80
16 | planète
La biomasse, un « or vert » sous tension
Très prisées et indispensables à la transition énergétique, les bioénergies pâtissent du réchauffement
C’
est l’un des épineux
défis de la transition
écologique. Les équi-
pes des cabinets
ministériels et du secrétariat à la
planification écologique ont beau
faire tourner leurs modèles et
calculatrices dans tous les sens,
elles répètent depuis des mois : « Il
y a un problème de bouclage sur
la biomasse. » Comprendre : ça
coince. Pour la première source
d’énergie renouvelable, l’offre et la
demande ne coïncident pas.
Alors que la stratégie française
énergie-climat, qui définit les
grandes orientations énergéti-
ques des prochaines années, a été
publiée mercredi 22 novembre,
avec des mois de retard, l’avenir de
la biomasse dans le système éner-
gétique reste incertain, ce docu-
ment en ayant renvoyé les grands
objectifs à plus tard.
La biomasse, c’est-à-dire l’en-
semble du vivant sur terre et dans
les mers, désigne, en matière
d’énergie, toutes les ressources or-
ganiques issues de la forêt, de
l’agriculture et des déchets pou-
vant produire du chauffage, du
gaz ou des carburants. Il peut
s’agir des coproduits du bois injec-
tés dans les réseaux de chaleur ;
des résidus de cultures et effluents
d’élevage alimentant des métha-
niseurs ; des cultures de bettera-
ves, céréales, pailles ou encore
cannes de maïs transformés en
éthanol ou biodiesel. Pas un scé-
nario de neutralité carbone ne
tient sans le recours à ces matières
premières qui font figure d’« or
vert » que tout le monde s’arra-
che… Sans garantie qu’il y en ait
pour chacun. Car l’utilisation de
cette ressource à des fins énergéti-
ques entre en concurrence avec
d’autres enjeux tout aussi essen-
tiels : production alimentaire,
maintien des puits de carbone,
préservation de la biodiversité et
besoins en fertilisation des sols.
Une ressource limitée
L’équation est délicate. Afin de ré-
duire notre dépendance au pé-
trole et au gaz, et donc les émis-
sions de gaz à effet de serre, le re-
cours à la biomasse est incontour-
nable. « Pour se débarrasser des
fossiles, qui représentent plus de
60 % de notre mix énergétique, une
grande partie des usages vont être
électrifiés, résume Jules Nyssen, le
président du Syndicat des éner-
gies renouvelables. Mais pour ceux
qui ne pourront pas l’être [réseaux
de chaleur, certains usages indus-
triels…], on ne peut globalement
miser que sur les bioénergies. »
Dans le même temps, la disponi-
bilité de la biomasse est de plus en
Les pneumopathies infantiles en forte recrudescence en France
Le retour d’une bactérie peu active ces dernières années pourrait être à l’origine de ce regain, un rattrapage post-Covid-19 est aussi évoqué
U ne hausse importante
des cas de pneumo-
pathies chez les enfants
est signalée par Santé publique
France, dans des bilans hebdoma-
daires publiés mercredi 22 no-
vembre. Le bulletin national d’in-
formation Oscour évoque, pour la
semaine du 13 au 19 novembre,
une hausse de 44 % des passages
aux urgences pour ce motif chez
les 0-2 ans par rapport à la se-
maine précédente, et de 23 % chez
les 2-14 ans, pour un total de
2 136 passages. SOS-Médecins
évoque de son côté une hausse de
30 % des actes médicaux chez les
2-14 ans, soit 641 actes. L’activité
médicale pour pneumopathie est
ainsi environ deux fois plus im-
portante que lors des deux sai-
sons précédentes.
Comment l’expliquer ? D’abord,
les épidémies virales, comme la
« Avec le manque
d’eau, je ne vois
pas comment
l’accroissement
biologique
des arbres
va s’améliorer »
SYLVAIN ANGERAND
coordinateur des campagnes
de l’ONG Canopée
plus questionnée, car, si cette res-
source est renouvelable, elle n’est
pas illimitée, d’autant que ses
principaux gisements (forêts et
agriculture) sont fragilisés par le
réchauffement. « Le gouverne-
ment a l’habitude de multiplier les
éoliennes, les réacteurs nucléaires…
Mais ça ne fonctionne pas pour la
biomasse, qui ne se renouvelle que
de manière limitée chaque année »,
rappelle Michel Dubromel, res-
ponsable énergie de France
Nature Environnement.
La plupart des organismes ont
ainsi revu à la baisse leurs projec-
tions de recours aux bioéner-
gies dans leurs scénarios de transi-
tion : c’est le cas du gestionnaire
du Réseau de transport d’électri-
cité RTE, des associations de pros-
pective négaWatt et Solagro, mais
aussi, sur le plan mondial, de
l’Agence internationale de l’éner-
gie. La France doit suivre le mou-
vement : la nouvelle stratégie na-
tionale bas carbone, attendue
dans les prochains mois, devrait
miser sur une hausse de l’usage de
la biomasse d’ici à 2050, mais
moins importante que celle pré-
vue jusqu’ici. Le mot d’ordre gou-
vernemental est de « modérer la
demande de biomasse ».
Les projections de l’exécutif se
fondent notamment sur les
travaux de l’Agence de la transi-
tion écologique (Ademe). « Nous
estimons qu’il y a un potentiel
pour multiplier par deux les res-
sources en biomasse mais seule-
ment sous certaines conditions,
explique Jérôme Mousset, direc-
teur bioéconomie et énergies re-
nouvelables à l’Ademe. Il faut une
transformation assez forte des sys-
tèmes agricoles, une évolution vers
des régimes alimentaires plus vé-
gétalisés et un changement de pra-
tiques sylvicoles, notamment dans
les forêts privées. »
Côté forestier, le gouvernement
tablerait toujours sur une hausse
de la récolte de bois d’ici à 2030, se-
lon des documents internes révé-
lés lundi 20 novembre par le site
bronchiolite et la grippe, sont cor-
rélées chaque année à des hausses
d’infections bactériennes pou-
vant causer des pneumonies. « En
cas d’infection virale, le virus va
fragiliser la muqueuse respira-
toire, ce qui favorise ensuite une
infection bactérienne », rappelle
Romain Basmaci, chef du service
de pédiatrie générale et des ur-
gences pédiatriques de l’hôpital
Louis-Mourier (Assistance publi-
que-Hôpitaux de Paris, AP-HP) et
secrétaire général de la Société
française de pédiatrie.
A ce mécanisme classique, un
autre facteur s’ajoute cet
automne : Mycoplasma pneumo-
niae, une bactérie que les méde-
cins avaient peu rencontrée ces
dernières années. « On constate sa
résurgence dans tout l’hémisphère
Nord », selon Antoine Flahault,
directeur de l’Institut de santé
Une unité de méthanisation, à Ham-en-Artois (Pas-de-Calais), le 15 juin. MATTHIEU BOTTE/PHOTOPQR/VOIX DU NORD/MAXPPP
Contexte. Le sujet est sensible,
alors que la capacité des forêts à
stocker du carbone a été divisée
par deux en dix ans, en raison no-
tamment des sécheresses et des
maladies. L’exécutif s’inquiète déjà
que la baisse du puits de carbone
forestier empêche la France d’at-
teindre ses objectifs de baisse des
émissions nettes en 2030.
L’ONG Canopée mais aussi plu-
sieurs scientifiques estiment qu’il
n’est « plus possible d’en demander
davantage à la forêt ». « Avec le
manque d’eau et le stress hydrique,
je ne vois pas comment l’accroisse-
ment biologique des arbres va
s’améliorer dans les prochaines an-
nées, explique Sylvain Angerand,
coordinateur des campagnes de
Canopée. La priorité doit être de
préserver le puits de carbone et
d’ajuster les prélèvements en fonc-
tion de sa dégradation ou de son ré-
tablissement, et non de miser d’em-
blée sur une hausse de la récolte. »
Selon le ministère de la transi-
tion énergétique, c’est surtout
dans les champs que se situe le
plus gros potentiel d’augmenta-
tion de la biomasse : les résidus de
cultures, les effluents d’élevage et
le bois de taille des haies pour-
raient être mieux valorisés, et les
cultures intermédiaires plus large-
Les mesures
barrières contre
le coronavirus
ont réduit
l’exposition
à d’autres agents
pathogènes
globale à Genève, qui précise que
« les épidémies de Mycoplasma
pneumoniae surviennent tous les
trois à sept ans sans qu’on sache
très bien pourquoi ».
Il est difficile d’évaluer pré-
cisément la part de responsabilité
de cet agent pathogène, selon
M. Basmaci, car le diagnostic n’est
pas toujours facile : il repose sur
un test PCR, « mais ce n’est pas
ment développées. Des évolutions
qui peuvent présenter un intérêt
agroécologique, en incitant les
agriculteurs à replanter des haies
ou à développer les couverts végé-
taux, mais qui provoquent des
frictions dans le milieu agricole,
où le développement de projets à
grande échelle est questionné.
« Sur chaque exploitation agricole,
on a des résidus de biomasse qui ne
sont pas utilisés. On n’a rien contre
l’idée que quelques agriculteurs se
regroupent pour mieux valoriser
leur foin par exemple, mais il est dif-
ficile de généraliser des expériences
qui fonctionnent à l’échelle locale »,
explique Michel Dubromel.
Le défi des biocarburants
La Confédération paysanne ap-
pelle même à un moratoire sur
l’installation de méthaniseurs,
dont le développement, avec celui
de l’agrivoltaïsme, est présenté
par Emmanuel Macron comme
une « réponse à la baisse des ren-
dements agricoles ». « La pro-
duction d’énergie au détriment de
notre alimentation, c’est non »,
objecte Nicolas Fortin, secrétaire
national du syndicat, qui, s’il n’est
pas contre les microprojets pour
de l’autoconsommation, « réfute
l’idée que, si les agriculteurs ne vi-
parce qu’on le détecte dans le nez
qu’il est responsable de l’infec-
tion ». En outre, ce test n’est pas un
examen de routine, et il n’est pas
réalisé en médecine de ville mais
seulement à l’hôpital.
Pour mieux saisir l’ampleur de
l’épidémie, « il faut dépister et aler-
ter les médecins », selon Gilles
Pialoux, chef du service des mala-
dies infectieuses et tropicales à
l’hôpital Tenon (AP-HP), mais
aussi « envoyer les échantillons au
centre national de référence pour
quantifier la poussée de Myco-
plasma pneumoniae et évaluer sa
résistance aux antibiotiques ».
On sait de longue date que cet
agent pathogène résiste à
l’amoxicilline, mais il est sensible
aux médicaments de la classe des
macrolides. Cependant, des sou-
ches bactériennes peuvent au fil
du temps développer des muta-
DIMANCHE 26 - LUNDI 27 NOVEMBRE 2023
vent pas de leur production ali-
mentaire, ils doivent devenir pro-
ducteurs d’énergie ».
Concernant les biocarburants,
que le gouvernement veut déve-
lopper notamment pour le trans-
port lourd, le défi s’annonce tout
aussi complexe, la filière étant
dépendante des importations.
Même les biocarburants de nou-
velle génération, qui n’utilisent
plus de cultures alimentaires di-
rectes mais des résidus ou des
huiles usagées, posent la question
de la compétition des usages de
ces ressources, qui peuvent être
utilisées comme fertilisants ou
dans des procédés industriels.
Pour Aurélie Catallo, responsa-
ble du programme agriculture de
l’Institut du développement
durable et des relations interna-
tionales, en matière de biomasse,
« le diable se cache dans les dé-
tails ». « Selon la nature précise de
la demande, cela peut être parfois
synonyme de transition agro-
écologique, ou parfois être con-
traire à la transition, précise-t-elle.
Cette complexité, le fait que la
réponse soit souvent “ça dépend”,
est le signe qu’on a un vrai sujet et
qu’il faut un pilote. »
Des outils de pilotage existent
déjà, telles que les cellules bio-
tions qui leur permettent de sur-
vivre à ces molécules. Ce phéno-
mène d’antibiorésistance nourrit
d’ailleurs des inquiétudes, parmi
la communauté médicale, quant à
la poussée de pneumopathies
constatée dans le nord de la Chine.
« La vigilance est légitime »
Certains experts attribuent aussi
la résurgence de pneumopathies
à un effet de rattrapage consécutif
à la pandémie de Covid-19 : en
protégeant la population du
nouveau coronavirus, plusieurs
mois de mesures barrières ont
également réduit l’exposition à
d’autres agents pathogènes.
Conséquence, selon Andreas
Werner, le président de la Société
française de pédiatrie ambula-
toire, « le taux d’anticorps dans la
population a baissé », ce qui a favo-
risé les infections. Aux yeux de
0123
masse régionales, mais les ex-
perts s’accordent sur la nécessité
de les renforcer. « Il faudrait met-
tre autour de la table ceux qui
produisent de la biomasse, ceux
qui veulent en utiliser, les asso-
ciations de protection de la nature,
pour réaliser un état des lieux
général partagé et qui fasse con-
sensus, ce qui n’a pas été mis en
œuvre jusqu’ici », estime Jules
Nyssen. La difficulté est d’autant
plus grande que les acteurs con-
cernés sont très nombreux : « Il y a
3,3 millions de propriétaires fores-
tiers, 500 000 agriculteurs… Il n’y a
pas un grand chef, il faut mobiliser
tout le monde sur les bioénergies »,
rappelle Christian Couturier, le
directeur de l’association de pros-
pective agricole Solagro.
A l’avenir, l’enjeu du pilotage
sera bien de prioriser les usages.
Début novembre, l’Agence euro-
péenne pour l’environnement a
appelé dans un rapport à « faire de
la biomasse une source d’énergie
de dernier recours ». L’exécutif a
d’ores et déjà proposé une hiérar-
chisation des usages, qui fait de
l’alimentation, du puits de car-
bone et de la fertilisation des sols
des priorités. p
mathilde gérard
et perrine mouterde
Romain Basmaci, « on est au début
des investigations » et il est un peu
tôt pour imputer la résurgence de
l’agent pathogène à cet « effet re-
tard ». D’autant plus, selon lui, que
la bactérie n’est pas responsable de
toutes les pneumonies recensées
aujourd’hui dont une bonne par-
tie est d’origine virale.
En attendant de préciser les
causes de la recrudescence, « la
vigilance est parfaitement légi-
time même si on a un traitement ef-
ficace », selon Gilles Pialoux. Dans
ce contexte, Andreas Werner rap-
pelle les difficultés d’approvision-
nement qui touchent certains an-
tibiotiques, comme l’amoxicilline.
Les macrolides ne sont pas concer-
nés à ce stade, d’après lui, mais « si
on a beaucoup d’infections à Myco-
plasma pneumoniae, je ne sais pas
ce que ça va donner », dit-il. p
julien lemaignen
 ÉCONOMIE & ENTREPRISE | 17
0123
DIMANCHE 26 - LUNDI 27 NOVEMBRE 2023

Airbnb : le gouvernement prêt à serrer la vis

En pleine crise du logement, une proposition de loi entend freiner la prolifération des meublés touristiques

A
irbnb a effectué une
belle prise. L’entreprise
de San Francisco a an-
noncé, lundi 20 no-
vembre, le recrutement, au poste
de directeur des affaires juridi-
ques, de Ron Klain, fidèle de lon-
gue date et ancien bras droit du
président des Etats-Unis, Joe Bi-
den, à la Maison Blanche. Un ren-
fort de poids dans la période diffi-
cile que traverse le groupe.
Après avoir laissé prospérer les
meublés touristiques, des villes et
des gouvernements, partout dans
le monde, cherchent désormais à
limiter l’activité des plates-formes
comme Airbnb, accusées de con-
tribuer à la pénurie de logements
et de faire flamber les loyers ainsi
que les prix de l’immobilier.
Au début du mois de septembre,
c’est New York qui a interdit aux
propriétaires de louer des meu-
blés pour une période inférieure à
trente jours, sauf à des conditions
très strictes. En octobre, la cité ita-
lienne de Florence a décidé de pro-
hiber toute nouvelle location de
courte durée dans son centre his-
torique, en proposant parallèle-
ment des allègements fiscaux aux
propriétaires qui accepteraient de
repasser en location classique.
Le gouvernement canadien,
quant à lui, a annoncé, mardi
21 novembre, une série de mesu-
res pour lutter contre la crise du
logement. Parmi elles, la limita-
tion des déductions d’impôt sur le
revenu dégagé par la location d’un
meublé touristique sur Airbnb.
« Une grosse injustice fiscale »
En France, un des principaux
marchés du géant américain, une
proposition de loi transpartisane
arrive à l’Assemblée nationale en
cette fin de novembre, pour dur-
cir fortement les règles visant les
plates-formes. Portée par les dé-
putés Annaïg Le Meur (Renais-
sance, Finistère) et Inaki Echaniz
(Parti socialiste, Pyrénées-Atlanti-
ques), elle est le fruit d’un travail
de longue haleine pour rallier
l’appui du gouvernement.
Celui-ci a longuement tergi-
versé avant que la première mi-
nistre, Elisabeth Borne, affirme, le
16 novembre, la nécessité de
« donner aux collectivités de nou-
veaux outils pour réguler les meu-
blés touristiques » et apporte son
soutien au texte, à l’occasion d’un
déplacement à Dunkerque (Nord)
consacré à la crise du logement.
Cette proposition de loi, censée
« remédier aux déséquilibres
du marché locatif en zone ten-
due », sera donc examinée sous
des augures favorables, mardi
28 novembre, par la commission
des affaires économiques de l’As-
semblée nationale. Déposé à l’ori-
Dans le quartier du Panier, zone touristique de Marseille, le 10 novembre. NICOLAS TUCAT/AFP
gine en avril, le texte arrive au Par-
lement « retoiletté » et renforcé,
par le biais d’amendements « con-
sensuels », souligne Inaki Echaniz.
Il s’agit en premier lieu de réor-
ganiser la fiscalité des meublés
avec, en ligne de mire, la niche fis-
cale dont bénéficient les proprié-
taires de logements de type Air-
bnb. Les loueurs de meublés tou-
ristiques classés profitent en effet
d’un abattement forfaitaire de
71 % sur les loyers perçus, contre
50 % pour les meublés classiques,
et seulement 30 % pour les loca-
tions classiques vides. « Le citoyen
a le sentiment d’une grosse injus-
tice fiscale, et il y a une attente »,
observe Annaïg Le Meur.
Pour ne plus favoriser la location
saisonnière au détriment du véri-
table logement, les auteurs de la
proposition de loi prévoient d’ali-
gner la fiscalité locative, en fixant
un même abattement de 40 %.
Le ministre délégué au logement,
Patrice Vergriete, a donné son aval.
Pour les meublés, les deux dé-
putés entendent aussi réduire
drastiquement le montant des
revenus qui pourront bénéficier
de cet abattement. Les chambres
d’hôte, les gîtes ruraux et les sta-
tions de ski devraient toutefois
conserver leur niche fiscale. Une
première estimation aurait
Ce texte
transpartisan
est le fruit d’un
travail de longue
haleine pour
rallier l’appui
de l’exécutif
conclu à une neutralité budgé-
taire globale de cette réforme.
Toutefois, Bercy s’inquiétant de
l’effet de ce rééquilibrage sur les
finances publiques, une mission
parlementaire sur la fiscalité loca-
tive a été mise en place, a annoncé
la première ministre le 16 novem-
bre. Il s’agira de mesurer l’impact
exact sur le budget de l’Etat.
Elle a été confiée aux députées
Annaïg Le Meur et Marina Ferrari
(MoDem, Savoie). Leurs conclu-
sions sont attendues pour le pre-
mier trimestre 2024, afin que la
proposition de loi puisse être dé-
finitivement adoptée dans la fou-
lée, au printemps. Ce texte four-
nira aussi de nouveaux leviers
aux élus locaux, afin qu’ils aient
davantage de marge de
manœuvre pour réglementer
l’implantation des meublés tou-
ristiques. L’objectif est que toutes
les communes qui le souhaitent –
et non plus seulement les villes de
plus de 200 000 habitants – puis-
sent poser leurs conditions.
L’enregistrement d’un meublé
auprès de la municipalité devrait
devenir obligatoire. « Nous vou-
lons également sécuriser les mesu-
res de régulation existantes,
comme la compensation [un loge-
ment transformé en meublé tou-
ristique doit être compensé par la
transformation d’un commerce
ou d’un bureau en habitation], et
rendre possible la mise en place de
quotas, alors que les communes qui
agissent sont aujourd’hui systéma-
tiquement attaquées en justice par
des propriétaires de meublés, pré-
cise M. Echaniz. Cette sécurité per-
mettra aux collectivités d’utiliser
l’outil le plus adapté sans avoir à
engager une armada d’avocats. »
« Contrôles réguliers »
A Saint-Malo (Ille-et-Vilaine), la
municipalité a mis en place des
quotas en vue de limiter le nom-
bre de meublés par secteur géo-
graphique de la ville. Son maire,
Gilles Lurton (LR), expliquait tou-
tefois, en avril, ne pas infliger
d’amendes aux contrevenants, en
raison d’un recours de propriétai-
res de locations saisonnières de-
vant le tribunal. « Il faut que nous
passions cette étape avant de lan-
cer des contrôles réguliers et pous-
sés », avait-il déclaré.
Les députés auteurs de la propo-
sition de loi souhaitent aussi per-
mettre aux collectivités comp-
tant plus de 20 % de résidences se-
condaires d’établir des zones
(dans le plan local d’urbanisme)
dans lesquelles les nouvelles
constructions et les réhabilita-
tions seront uniquement desti-
nées aux résidences principales.
Ils prévoient encore que les co-
propriétés aient à se prononcer
en assemblée générale sur l’auto-
risation de louer un appartement
en meublé touristique, avec un
vote à la majorité des deux tiers.
La proposition de loi envisage
enfin de soumettre les locations
touristiques, au même titre que
les locations traditionnelles, à
l’établissement d’un diagnostic de
performance énergétique (DPE).
En effet, nombre de propriétaires
de logements mal isolés conver-
tissent leurs passoires thermi-
ques en meublés de tourisme.
« C’est un appel d’air pour les pro-
priétaires qui ne veulent pas faire
les travaux, affirme Inaki Echaniz.
Notre texte prévoit donc que le
propriétaire, lorsqu’il déclare le
changement d’usage de son bien
auprès de sa commune, présente
un DPE de bonne qualité. Les mu-
nicipalités pourront y déroger,
mais devront le justifier par des cir-
constances exceptionnelles. »
Il aura fallu une violente crise
du logement pour que le gouver-
nement, toujours soucieux d’en-
courager le tourisme et de ne pas
s’attirer les foudres des proprié-
taires, se résolve à accepter ce tour
de vis. Même si toutes les mesu-
res ne sont pas assurées d’être re-
tenues in fine. Le phénomène Air-
bnb n’est pourtant pas récent.
La France comptait, en 2021,
800 000 logements mis en loca-
tion touristique de courte durée,
contre 300 000 en 2016. Une étude
du cabinet de conseil en stratégie
Strategy&, menée pour le compte
d’Airbnb et publiée en octobre, es-
time aujourd’hui le nombre de
meublés de tourisme à 1 million,
en incluant les résidences princi-
pales louées occasionnellement.
Durant plusieurs années, face à
la déferlante des locations saison-
nières, les élus locaux des territoi-
res attractifs ont eu le sentiment
d’être bien seuls à lutter contre
l’éviction de leurs résidents per-
manents. « Le gouvernement ne
mesure pas l’ampleur du phéno-
mène », juge Marie Nédellec, ad-
jointe au maire de La Rochelle
chargée du dossier des meublés
touristiques. p
véronique chocron

Le lobbying du géant américain auprès des élus locaux

« ma maison n’est pas très grande,
mais elle m’aide à compléter ma petite re-
traite. » Dans sa dernière campagne publici-
taire, Airbnb met en scène Odile, une senior
qui, « comme des milliers d’hôtes, partout en
France, arrondi[t] [ses] fins de mois » grâce
au géant américain du meublé de tourisme.
Il s’agit de montrer une autre facette de la
plate-forme, alors que l’Assemblée natio-
nale s’apprête, à compter du mardi 28 no-
vembre, à légiférer pour réguler plus dure-
ment les locations saisonnières. En France,
comme dans de nombreux pays, celles-ci
sont accusées de contribuer à la pénurie de
logements et à la hausse des loyers.
Afin de creuser ce sillon, Airbnb a com-
mandé une étude à Strategy&, l’entité
conseil en stratégie de PwC, sur l’« impact
de la location courte durée en France ». Ce
rapport, en ligne sur le site du groupe de
San Francisco, constate que les Français
ont de plus en plus de mal à se loger. Il met
en cause une « baisse des nouveaux loge-
ments construits » et une « offre particuliè-
rement grevée par la croissance des loge-
ments vacants et, dans une moindre me-
sure, celle des résidences secondaires ».
Selon l’étude, la France compte 1 million
de meublés de tourisme, mais 48 % d’entre
eux sont des résidences principales louées
occasionnellement par les propriétaires ou
les locataires comme complément de re-
venu. « Avec cette étude, PwC démontre que
le rôle des locations de meublés de tourisme
dans la crise du logement est limité », en
conclut une porte-parole d’Airbnb.
Remontrances
Les élus des grandes villes et des zones
touristiques, sur le littoral ou à la monta-
gne, réfutent cet argument. Les députés en
pointe sur le sujet soulignent, par exemple,
que 30 % des logements du centre-ville
ancien de Saint-Malo (Ille-et-Vilaine) ont
été placés sur le marché de la location tou-
ristique. Selon eux, il y aurait à Paris entre
15 000 et 25 000 logements résidentiels
perdus à cause des locations à court terme.
Airbnb, qui a son stand au Salon des
maires et des collectivités locales, a pris
plusieurs dispositions de nature à redorer
son image auprès des élus locaux. Notam-
ment une donation de 5,6 millions d’euros,
qui a fait du groupe le principal mécène du
programme « Patrimoine et tourisme lo-
cal » de la Fondation du patrimoine. De
plus, après avoir, par le passé, déploré la
mise en place de mesures de régulation, la
plate-forme affirme que sa « priorité est
d’aider les maires qui le souhaitent à se sai-
sir de l’arsenal réglementaire existant ».
Certains élus se sentent pourtant sous
pression. « Au cours d’une réunion publique
qui visait à présenter notre réglementation
des meublés de tourisme, en novem-
bre 2022, j’ai été insultée par des propriétai-
res de meublés touristiques. C’était d’une
violence inouïe », raconte Marie Nédellec,
adjointe au maire de La Rochelle.
Le député Inaki Echaniz (Parti socialiste,
Pyrénées-Atlantiques), coauteur de la pro-
position de loi sur les meublés touristiques
qui arrive à l’Assemblée nationale, déplore
avoir reçu des remontrances d’Airbnb.
Après avoir déclaré à la presse que la plate-
forme faisait « régulièrement des campa-
gnes de dénigrement contre les élus qui sou-
haitent s’attaquer à la question locative »,
l’élu avait reçu un courrier regrettant des
propos « infondés et diffamants ». p
vé. ch.

Qu’est-ce qui fait de la Corée du Sud
l’hôte idéal de l’Expo 2030 ?
Il y a plus de soixante-dix ans, au sortir de
la guerre, qui aurait pu prédire que la
Corée se relèverait de ces décombres
pour se hisser au rang des dix premières
puissances économiques mondiales ? Ce
miracle s’est produit en grande partie
grâce au formidable appui que le pays a
reçu de la communauté internationale,
qui s’est ralliée à sa cause. C’est par son
soutien que la Corée a trouvé la force
dont elle avait besoin pour renaître de ses
cendres et ouvrir la voie à la croissance et
au développement. Mais ce progrès
économique n’aurait jamais pu se maté-
rialiser sans le courage de la population.
Les citoyens se sont unis autour d’un
objectif commun : créer une vie meilleure
pour les générations futures. Le pays a
investi dans l’éducation pour les
jeunesses à venir et a su canaliser ses
talents vers la maîtrise de certaines des
technologies les plus avancées au
monde. Ces efforts ont aussi conduit à la
naissance de grandes entreprises interna-
tionales et ont contribué à faire de la
Corée un leader mondial dans les techno-
logies de l’information et de la
communication. Le pays est la preuve
vivante de ce qui peut être réalisé lorsque
les gens travaillent de concert pour semer
les graines du succès.
Aujourd’hui, l’objectif de la Corée est de
partager, à son tour, avec la communauté
internationale qui lui a apporté son
soutien et facilité son redressement. Le
pays tout entier souhaite mettre en
commun ses expériences de croissance
et de développement grâce à la force des
individus, à travers une plateforme d’édu-
cation, de coopération et d’innovation ain
de construire un avenir meilleur pour
tous. Avec un but : relever les déis
mondiaux auxquels l’humanité est
confrontée, tels que la crise climatique et
les inégalités technologiques et sociales.
Forts de cette solidarité, nous pourrons
accomplir la transformation de notre
monde pour aller vers cet avenir.
D
es innovations high-tech qui
transforment notre monde
Les percées mondiales de la
Corée dans un large éventail de
technologies avancées telles que l’intelli-
gence artiicielle, les semi-conducteurs,
les télécommunications 5G, ainsi que les
véhicules électriques et à hydrogène, ont
été tout simplement remarquables.
L’Exposition universelle 2030 de Busan
offre l’occasion de souligner comment
les technologies innovantes de la Corée
façonnent un avenir meilleur. L’un des
objectifs est de réduire la fracture
numérique grâce à une technologie
inclusive conduisant à la création d’une
société où chacun peut récolter les bénéices
de ces progrès, porté par une technologie
centrée sur l’humain. Tous les participants
de l’Expo 2030 pourront ainsi imaginer
et expérimenter une société future durable,
mue par des technologies de pointe
capables de nous guider pour faire face
aux enjeux sociaux et environnementaux.
Des opportunités de réseautage
d’affaires démultipliées
L’économie coréenne a évolué grâce au
commerce et à un engagement continu
avec les marchés du monde entier. Son
histoire et ses expériences en matière de
développement ont enraciné la conviction
que l’augmentation des échanges et de la
collaboration à l’échelle mondiale sera
un moteur de développement et de prospérité
pour le monde entier. L’Expo 2030 de
Busan servira de plateforme pour de
multiples opportunités de réseautage
d’affaires. Nos entreprises innovantes,
notamment Samsung, SK Corp., LG,
Hyundai et bien d’autres, sont impatientes
d’interagir avec les pays participants. Une
formidable occasion pour les pays de
développer et de présenter leurs idées à
travers des liens directs avec ces entreprises
de premier plan.
L’attrait mondial de la K-culture
L’attractivité de la Corée va au-delà de
ses succès technologiques et économiques.
La Corée est devenue une destination
incontournable pour les personnes de
tous âges et de tous horizons. De la
K-pop au K-ilm, en passant par le
Les atouts de la Corée du Sud
pour accueillir l’Expo 2030 à Busan
K-drama, la K-cuisine, la K-beauty et la
K-fashion, la culture coréenne connecte
les fans de toute la planète. Lors de
l’Expo 2030 de Busan, la K-culture
occupera le devant de la scène pour offrir
une expérience incroyablement dynamique
touchant tous les publics. La K-culture
sera au cœur de l’événement, mais ce
n’est pas tout. Elle aidera également les
pays participants à partager leurs cultures
et à renforcer la valeur de leur marque
nationale à l’échelle mondiale.
Un pays sûr où il fait bon vivre
La Corée offrira un environnement sécurisé
à tous les participants de l’Exposition. Le
pays dispose d’une police eficace et
d’un sens civique aigu, se retranscrivant
notamment par un des taux de criminalité
les plus bas au monde. La Corée est
également reconnue comme l’un des
pays les plus sûrs face aux menaces
terroristes. En 2022, l’Institute for
Economics & Peace a attribué le risque
zéro à la Corée dans son classement
mondial du risque terroriste, ce qui
contraste fortement avec ses concurrents,
l’Arabie Saoudite et l’Italie. Cela
souligne la sécurité exceptionnelle de la
Corée et donne aux visiteurs de l’Exposition
universelle 2030 de Busan l’assurance
qu’ils pourront proiter pleinement de
toutes les attractions de l’événement
dans un cadre sûr et serein.
Une expérience reconnue dans
l’organisation d’événements mondiaux
La Corée a une riche histoire d’accueil
d’événements mondiaux majeurs, qui
remonte à ses débuts sur la scène mondiale
en tant qu’hôte des Jeux olympiques d’été
de Séoul, en 1998. Son palmarès de
succès comprend la Coupe du monde de
la FIFA 2002, les Jeux olympiques
d’hiver de PyeongChang 2018 et trois
Jeux asiatiques. Elle est aussi à l’origine
des deux expositions spécialisées, celle
de Daejeon en 1993 et celle de Yeosu en
2012, qui ont toutes deux été très appréciées
des participants et des visiteurs de tous
pays. Sans oublier diverses réunions
internationales de premier plan, telles
que le sommet de l’APEC en 2005 et le
sommet du G20 en 2010. Ces réalisations
témoignent de la vaste expérience de la
Corée et donnent toute la coniance
nécessaire pour promettre une Exposition
universelle 2030 parfaitement organisée
et réussie à Busan.
Les Coréens, prêts à 100 % pour
l’Exposition universelle
L’impatience d’accueillir l’Exposition
universelle 2030 à Busan se fait sentir
dans tout le pays. Les Coréens sont
PUBLICITÉ
enthousiasmés par cette opportunité, et
cette ardeur collective a transcendé la
sphère politique, où même un changement
de gouvernement n’a pu ébranler leur
plein engagement à soutenir l’événement.
Notamment, l’Assemblée nationale a
afiché un soutien unanime en adoptant
une résolution qui souligne l’importance
d’une candidature réussie de Busan. Les
principaux innovateurs coréens, tels que
Samsung, SK, LG et Hyundai, utilisent
activement leurs réseaux mondiaux pour
promouvoir l’événement. Des stars
culturelles de renom, comme le groupe
de K-pop sensationnel BTS, l’acteur Lee
Jung-jae et la chanteuse Cho Soo-mi, se
sont consacrées à cette cause sans réserve
en tant qu’ambassadeurs. Et derrière tous
ces efforts se cache le soutien indéfectible
de nos citoyens. Leurs encouragements
brillent de mille feux alors que la Corée
s’apprête à accueillir le monde en 2030,
ce qui constitue un véritable témoignage
de l’unité et de l’enthousiasme de notre
nation pour la prochaine Exposition
universelle.
Créer la meilleure Exposition
universelle de tous les temps, ensemble
L’Expo de Busan n’a pas pour but de
mettre en valeur le pays hôte. Elle sera le
résultat d’un effort de collaboration qui
rehaussera l’image de toutes les nations
participantes. L’histoire, les histoires, les
atouts et les attraits uniques de la Corée
sont là pour contribuer à créer une vaste
toile sur laquelle chaque pays participant
pourra peindre ses chefs-d’œuvre les
plus innovants. L’Exposition universelle
2030 de Busan sera un vivier de solutions
aux déis complexes auxquels l’humanité
est confrontée. Elle revêtira le rôle de
plateforme créatrice de valeur, favorisant
un changement durable pour les générations
futures ; un lieu de rencontre où de
nombreuses opportunités d’affaires pourront
émerger. Ce sera une exposition de solidarité,
qui mettra l’accent sur la coopération
plutôt que sur la compétition. À terme,
cette création collective de tous vise à
faire de l’Exposition universelle 2030 la
meilleure de l’histoire. Avec ce vaste
tableau à l’esprit, comment imaginer
l’Exposition universelle de 2030 ailleurs
qu’à Busan ?
Embarquez avec nous pour
partager ce voyage extraordinaire
de transformation et naviguer
vers un avenir meilleur, ici même,
au cœur de Busan.
20 | économie & entreprise
MATIÈRES PREMIÈRES
PAR LAURENCE GIRARD
Chute de tension
pour le lithium
L’or blanc du Rhin… Un filon très
convoité. Sur les deux rives du
fleuve, des entreprises mettent en
musique l’extraction du précieux
lithium. Les constructeurs auto-
mobiles, tels Stellantis et Renault,
sont aux aguets. Ils sont prêts à
applaudir au surgissement d’une
nouvelle source d’approvisionne-
ment de ce métal dit critique.
Quitte à ouvrir leur bourse pour
s’offrir un strapontin et suivre au
plus près ces projets miniers.
Chacun tire des plans sur la co-
mète électrique. Le lithium, déjà
omniprésent dans les appareils
électroniques, est au cœur de la
fabrication des batteries de véhi-
cules électriques. Et ce, quelle
que soit la technologie envisagée.
Résultat, selon l’Agence interna-
tionale de l’énergie, sa consom-
mation annuelle pourrait passer
de 126 200 tonnes à 1,3 million de
tonnes entre 2022 et 2050.
Il n’en fallait pas davantage
pour électriser les marchés. Le
prix du carbonate de lithium,
vendu en Chine, a fait une em-
bardée, propulsé par les perspec-
tives mirifiques de la voiture
électrique, jusqu’à atteindre
les 80 000 dollars (environ
73 000 euros) la tonne en 2022.
Ce cours incandescent a incité
les investisseurs à miser sur de
nouveaux gisements, là où
le métal blanc est aujourd’hui le
plus présent – en Australie, dont
les sous-sols livrent près de la
moitié de la production actuelle,
mais aussi dans le « triangle d’or »
PARCOURSUP ET
LES FORMATIONS
SCIENTIFIQUES
(SCIENCES, IA, DATA)
INSCRIPTION GRATUITE SAGE.GROUPELEMONDE.FR
tracé entre l’Argentine, le Chili et
la Bolivie, et richement doté en
minerai. Sans oublier les rives
du Rhin, donc, et même l’Allier,
où la mine de Beauvoir fait mi-
roiter un potentiel d’extraction
de plusieurs millions de tonnes.
Intensité spéculative réduite
Sans surprise, la Chine, experte
en jeu de go, a placé ses pions sur
l’échiquier minier mondial. Elle
sécurise ainsi son approvision-
nement en lithium et maîtrise
60 % de sa transformation sur
son territoire. Des investisse-
ments stratégiques pour un pays
qui a pris la pole position dans
la course mondiale à la voiture
électrique.
Cependant, cette ruée vers l’or
blanc l’a rendu moins rare. Le
spectre d’une éventuelle pénurie
ou d’une tension sur les approvi-
sionnements, propice à faire fris-
sonner les marchés, s’éloigne.
Les consultants spécialisés
voient dans leur boule de cristal
cette échéance reportée à 2028.
De quoi réduire soudain l’in-
tensité spéculative, et donc
la valorisation. Le cours du métal
blanc a perdu près de 75 % de sa
valeur depuis le début de 2023.
Chute de tension pour le lithium.
L’or blanc n’est pas seul à subir
cette brutale baisse de régime.
Cobalt ou nickel sont dans le
même bateau électrique et plon-
gent tout autant. Pour leur re-
donner de l’énergie, il faudrait ac-
célérer les ventes de batteries… p
présentent
02
DEC.
2023
PARIS
LES JOURNÉES
DE L’ORIENTATION
Airbus dénonce le veto de Berlin
à la vente d’Eurofighter à Riyad
L’industriel européen s’inquiète des conséquences pour son activité
L
e ton monte chez Airbus
Defence and Space, la fi-
liale militaire et spatiale
de l’avionneur européen
basée à Manching, en Bavière,
mais aussi chez IG Metall, le puis-
sant syndicat de la métallurgie al-
lemande. Objet de cette colère : le
refus opposé par Berlin à la vente
de 48 avions de combat Eurofigh-
ter Typhoon à l’Arabie saoudite,
qui doit rapidement renouveler
et renforcer sa flotte. Au sein de la
coalition SPD-Verts-libéraux du
chancelier Olaf Scholz, les Verts
s’opposent à ce contrat en raison
de l’assassinat, en 2018, du jour-
naliste Jamal Khashoggi par les
services spéciaux saoudiens et de
la guerre au Yémen.
Guillaume Faury, président
exécutif d’Airbus, avait jugé ce re-
fus « dommageable pour la répu-
tation de l’Allemagne ». Le direc-
teur général d’Airbus Defence
and Space, Michael Schoellhorn,
revient à la charge, vendredi
24 novembre, dans Les Echos.
Tout en rappelant que cette posi-
tion est « inscrit[e] dans le traité
de coalition » de 2021, il juge que
cela « jette des doutes sur la fiabi-
lité de l’Allemagne comme parte-
naire, pas seulement en Angle-
terre, mais aussi en France, en Es-
pagne et dans d’autres pays ». Il
rappelle qu’il était prévu, lors de
la signature du programme, que
« chacun devait laisser à l’autre la
liberté d’exporter ».
Michael Schoellhorn souligne
qu’« une discussion de fond s’im-
pose donc à Berlin sur les règles qui
découlent de la participation à un
grand programme européen ».
Car ce qui menace l’Eurofighter
Typhoon peut arriver au système
de combat aérien du futur (avion,
drones, cloud de combat…). Déve-
loppé par Dassault Aviation, Air-
bus Defence and Space et l’espa-
gnol Indra, ce dernier doit peu à
peu remplacer le Rafale et le Ty-
phoon après 2040. Pour éviter
tout blocage, la doctrine de l’ex-
portation devra être fixée en
amont par les pays partenaires.
Offre chiffrée pour 54 Rafale
Le gouvernement britannique et
BAE Systems font pression, en fai-
sant miroiter à Riyad que l’assem-
blage des Typhoon saoudiens
pourrait être transféré d’Allema-
gne vers le Royaume-Uni, selon le
Financial Times. En cas de blo-
cage, l’accord sur l’Eurofighter
prévoit bien que la production
puisse se faire ailleurs, rappelle
M. Schoellhorn, qui juge cepen-
dant l’option « peu réaliste ».
Londres redoute d’être doublé
par Paris. Riyad a en effet de-
mandé à Dassault Aviation de lui
remettre, avant le 10 novembre,
une offre chiffrée pour 54 Rafale.
Certains analystes y voient un
leurre des Saoudiens pour forcer
la main au gouvernement alle-
mand. Pour le patron d’Airbus De-
Les pays du Golfe veulent peser
sur l’agenda politique du FMI
La région entend influencer les recommandations de l’institution
en matière de changement climatique et de taxation carbone
marrakech (maroc) -
envoyé spécial
L ors de la dernière assem-
blée annuelle du Fonds mo-
nétaire international (FMI)
et de la Banque mondiale, qui ac-
cueillait, à Marrakech, au mois
d’octobre, les ministres et diri-
geants économiques du monde
entier, les représentants des pays
du Golfe étaient sur le devant de
la scène. A la table ronde consa-
crée au Qatar, le ministre des fi-
nances, Ali Bin Ahmed Al Kuwari,
a rappelé que son pays était atta-
ché à la stabilité financière mon-
diale et qu’il avait d’ailleurs aidé
l’Argentine à respecter ses enga-
gements vis-à-vis du FMI.
Quant au ministre des finances
saoudien, Mohammed Al-Jadaan,
il était invité à donner son avis sur
la crise de la dette des pays pauvres
aux côtés de Kristalina Georgieva
et Ajay Banga, les patrons du FMI
et de la Banque mondiale. Riyad, la
capitale de l’Arabie saoudite, va
d’ailleurs bientôt abriter le pre-
mier bureau du FMI dans la région.
Les pays du Golfe renforcent
également leurs engagements
auprès de l’institution par le tru-
chement de contributions finan-
cières. « La région fait de plus en
plus transiter son aide internatio-
nale par le biais du FMI, en même
temps qu’elle veut être plus visible
et présente sur les grandes théma-
tiques internationales », reconnaît
Jihad Azour, responsable de l’ins-
titution pour l’Asie centrale et le
Moyen-Orient.
Une nouvelle stratégie formu-
lée, en janvier, par Mohammed
Al-Jadaan, lors du Forum écono-
mique de Davos (Suisse) : « Alors
que nous versions des dons et des
DIMANCHE 26 - LUNDI 27 NOVEMBRE 2023
En cas de
blocage, l’accord
sur l’Eurofighter
prévoit que
la production
puisse se faire
ailleurs
fence and Space, cette entrée dans
la compétition est « valide », et
« tout est ouvert ».
L’aéronef français multirôle
s’est déjà vendu à quelque
170 exemplaires à trois pays du
Moyen-Orient et a d’autres com-
mandes en perspective : l’Egypte,
son premier acheteur en 2015, et
les Emirats arabes unis – deux al-
liés de l’Arabie saoudite –, et le Qa-
tar. Le rayon d’action du Rafale,
ses capacités d’emport et ses per-
formances en attaque répondent
aux besoins définis par l’armée
de l’air saoudienne.
Dassault Aviation peut assurer
son client que son usine de Méri-
gnac (Gironde) et sa chaîne de
sous-traitants sont suffisamment
solides pour exécuter la com-
mande, un argument de vente et
une exigence de plus en plus forte
des acheteurs. De plus, une nou-
velle doctrine française d’exporta-
tion se précise. Elle vise à davan-
tage associer les pays acheteurs
prêts sans aucune condition, nous
changeons de politique en tra-
vaillant désormais avec les institu-
tions multilatérales et en disant
aux pays récipiendaires que nous
voulons des réformes. »
Seule région du monde à déga-
ger des excédents budgétaires
grâce aux revenus pétroliers, son
aide financière est cruciale, alors
que la moitié des pays à bas re-
venu sont menacés par la dette.
L’Arabie saoudite a, par exemple,
consacré 1,01 % et 0,74 % de son re-
venu national brut à l’aide au dé-
veloppement en 2021 et 2022,
contre une moyenne de 0,33 % et
0,36 % dans les pays de l’Organisa-
tion de coopération et de déve-
loppement économiques.
Prêts aux pays à bas revenu
« L’aide bilatérale offre beaucoup
de visibilité au pays donateur, mais
elle est plus efficace par l’intermé-
diaire du FMI, car elle s’appuie sur
son expertise et est assortie de re-
commandations sur la politique
économique », souligne Tim Cal-
len, chercheur au think tank amé-
ricain Arab Gulf States Institute in
Washington. Les pays du Golfe ont
apporté des milliards de dollars
pour aider l’Egypte, le Pakistan ou
la Jordanie. « Ils saisissent que fi-
nancer un pays sans programme
de réforme, c’est inefficace », es-
time Clemence Landers, cher-
cheuse au think tank américain
Center for Global Development.
Cet engagement marque aussi
une volonté de peser sur l’agenda
d’une institution à l’influence
considérable. Non seulement cel-
le-ci formule des recommanda-
tions à presque tous les pays de la
planète, mais elle exige certaines
réformes en échange de son assis-
0123
aux évolutions des matériels et
s’applique bien au « club Rafale »
(Egypte, Emirats arabes unis, Qa-
tar, Inde…) et au développement
du dernier standard F5, qui com-
bine avions et drones. Il peut sé-
duire le deuxième importateur
mondial d’avions de chasse (der-
rière l’Inde), qui souhaite dévelop-
per une industrie d’armement.
Les Américains, premiers four-
nisseurs de Riyad, ne sont pas hors
course, selon M. Schoellhorn,
même s’ils ont jusqu’ici refusé de
lui vendre les deux fleurons de
Lockheed Martin : le F-22 Raptor,
qui assure la supériorité stratégi-
que de l’US Air Force et n’est pas
exportable ; et surtout le F-35, ré-
servé aux alliés de l’OTAN, au Ja-
pon, à la Corée du Sud et à l’Austra-
lie. Il reste à savoir si la Maison
Blanche et le Congrès sont dispo-
sés à lever certaines restrictions.
La question des divergences de
doctrine d’exportation se pose
aussi pour la Turquie. Elle veut
acheter 40 Eurofighter Typhoon,
à la place de 40 F-16 américains, le
Congrès ayant bloqué cette opéra-
tion. Ce virage européen d’Ankara
serait historique, son armée de
l’air dépendant des géants de l’in-
dustrie aéronautique américaine.
Londres et Madrid poussent cette
vente. Berlin s’y oppose, en raison
des déclarations violemment an-
ti-israéliennes du président turc,
Recep Tayyip Erdogan. p
jean-michel bezat
tance financière, et forme les
hauts fonctionnaires du monde
entier. C’est en sus au FMI que se
discutent, en partie, les nouvelles
règles de restructuration de la
dette. Or les pays du Golfe font
partie des créanciers qui, aux cô-
tés de la Chine, du Brésil ou de
l’Inde, ont augmenté leurs prêts
aux pays à bas revenu et doivent
aujourd’hui négocier des rééche-
lonnements pour éviter des dé-
fauts de paiement en cascade.
Les pays du Golfe veulent en
outre peser sur la politique en
matière de lutte contre le réchauf-
fement climatique. Le FMI sou-
tient par exemple la taxation du
carbone, alors que Riyad y est op-
posé, observe Tim Callen.
L’Arabie saoudite, l’un des vingt-
quatre pays à siéger au Comité
monétaire et financier interna-
tional (CMFI), qui formule des re-
commandations auprès du
conseil des gouverneurs de l’ins-
titution, a plaidé, en octobre 2022,
pour la promotion des technolo-
gies de capture et de stockage du
dioxyde de carbone, défendues
par les groupes pétroliers et ga-
ziers, mais dont l’efficacité est
loin de faire l’unanimité.
« Toutes les sources d’énergie fia-
bles, abordables et durables seront
nécessaires pour répondre à la de-
mande énergétique actuelle », a de
surcroît rappelé Riyad. La pétro-
monarchie voudrait surtout que
le FMI s’occupe moins de cette
question. « Le mandat de la Ban-
que mondiale, qui inclut le change-
ment climatique dans sa vision et
sa mission, devrait permettre au
FMI de se concentrer sur ses activi-
tés de base », a fait savoir le
royaume au CMFI en octobre. p
julien bouissou
0123
DIMANCHE 26 - LUNDI 27 NOVEMBRE 2023 économie & entreprise | 21

REPORTAGE
berettyoujfalu, debrecen
(hongrie) - envoyé spécial

Q
uelques dizai-
nes d’habitants
se serrent, mer-
credi 15 novem-
bre, dans la pe-
tite salle du
conseil munici-
pal de Berettyoujfalu, une ville de
14 000 habitants perdue dans l’est
de la Hongrie. L’heure est grave, à
en croire le maire, Istvan Mu-
raközi, qui a convoqué en urgence
cette réunion publique pour par-
ler « du problème des 150 tra-
vailleurs indiens apparus par sur-
prise » en octobre sur le territoire
de cette commune typique des
campagnes magyares profondes
où l’on n’a jamais vu d’immigrés,
surtout non européens.
« Cela fait déjà 1 % de notre popu-
lation », s’inquiète ce quinqua-
génaire au look de paisible fonc-
tionnaire, avec sa chemise à car-
reaux et sa chevelure bien rangée.
Elu du Fidesz, le parti nationaliste
et anti-immigrés du premier
ministre, Viktor Orban, il promet :
« Ce n’est pas la mairie qui a fait
venir » ces jeunes hommes. Hé-
bergés dans un ancien internat vé-
tuste et un village vacances planté
près d’un étang, ils sont employés
sur le chantier de la future usine
de voiture électrique BMW, qui Des travailleurs « invités », à l’entrée de l’ancien dortoir du lycée de Berettyoujfalu, dans l’est de la Hongrie, le 15 novembre. ANDRAS ZOLTAI POUR « LE MONDE »
doit ouvrir en 2025 à Debrecen,
deuxième ville de Hongrie, à qua-
rante-cinq minutes de bus de là.

« Je n’ai pas de problème avec le
fait de faire venir des travailleurs
invités », précise d’ailleurs l’édile,
qui veille à ne pas critiquer M. Or-
ban. Après des années de messa-
ges anti-immigration, ce dernier a
fait volte-face. Depuis 2022, le
gouvernement laisse des dizaines
de milliers de travailleurs asiati-
ques venir combler le manque de
main-d’œuvre de son pays, en
plein déclin démographique et où
le chômage est au-dessous de 5 %.
« Mais je ne suis pas d’accord pour
avoir des foyers de travailleurs in-
vités dans nos quartiers résiden-
tiels ou à côté de nos hôpitaux ou
de nos écoles », se plaint-il, en re-
prenant le vocable du gouverne-
ment, qui évite le mot « immigré »
pour privilégier celui d’« invité ».
VIRAGE POLITIQUE MAJEUR
Dans la salle, un quinquagénaire
qui dit vivre chichement des allo-
cations pour personnes handica-
pées bondit : « Orban a promis à la
télé qu’il ne laisserait pas les étran-
gers prendre le travail des Hongrois
et, maintenant, j’ai peur que mes
petits-enfants soient forcés d’ap-
prendre le philippin. » « Le Fidesz
nous dit depuis treize ans qu’il ne
faut pas faire venir des immigrés et,
à présent, ce sont eux qui les font ve-
nir. C’est complètement hypo-
crite ! », renchérit un entrepreneur.
En mars 2023, le dirigeant natio-
naliste a annoncé aux Hongrois
que leur pays allait avoir besoin
de faire venir « 500 000 nouveaux
travailleurs d’ici un an ou deux ».
Ce chiffre, considérable pour un
pays d’à peine 9,7 millions d’habi-
tants, doit permettre de satisfaire
le développement industriel à
tout crin souhaité par le pouvoir,
notamment dans la voiture élec-
trique. Mais si un peu partout en
Hongrie les Magyars se sont habi-
tués à voir apparaître des infir-
mières thaïlandaises dans les
maisons de retraite ou des chauf-
feurs philippins dans les bus de
Budapest, l’ambiance s’est en re-
vanche tendue, ces derniers mois,
PLEIN CADRE
Frictions en Hongrie sur
les travailleurs étrangers
Dans l’est du pays, le vaste chantier d’une usine BMW a entraîné
l’arrivée d’ouvriers asiatiques, des « invités », selon la terminologie
du gouvernement Orban. Certains élus et habitants s’en émeuvent
cette région longtemps déshéri-
tée. En plus de BMW, le chinois
CATL construit au sud de la ville
un gigantesque site de produc-
tion de batteries sur plus de
200 hectares. Supérieur à 7 mil-
liards d’euros, l’investissement
est le plus important de l’histoire
de la Hongrie et devrait employer
à terme jusqu’à 9 000 personnes.
Amenés par avions entiers, les
travailleurs étrangers sont héber-
gés dans des conditions improvi-
sées et parfois spartiates dans
tout ce que la région compte de
foyers. Sur les réseaux sociaux,
certains Hongrois les accusent,
sans preuve, de faire monter la
criminalité. Signe du caractère
très délicat du sujet, BMW a refusé
de répondre aux questions du
Monde, en faisant seulement sa-
voir qu’il n’employait pas directe-
ment de travailleurs étrangers.
Les services de sécurité de son
usine ont par ailleurs violem-
ment écarté le photographe du
POLOGNE
UKRAINE
Monde lorsqu’il a essayé, au petit
matin, de prendre en photo les
grappes de travailleurs étrangers
descendant, encore endormis,
des bus les amenant de toute la ré-
gion jusqu’au site de Debrecen.
A sept mois des élections muni-
cipales de juin 2024, les maires de
la région, presque tous du Fidesz,
s’inquiètent. « Il faut qu’ils soient
hébergés là où ils travaillent », ré-
clame le maire de Berettyoujfalu,
en annonçant qu’il va lancer une
consultation postale de tous ses
concitoyens.
A Debrecen, le maire, Laszlo
Papp, doit, lui, s’essayer à une
pédagogie inédite dans la bouche
d’un élu du Fidesz. « On a besoin
des travailleurs invités pour parti-
ciper à la construction de ces usi-
nes », défend-il auprès du Monde,
en rappelant que sa ville va créer
« entre 15 000 et 16 000 emplois »
dans les prochaines années. « Les
travailleurs invités ne sont pas des
immigrés illégaux, ils doivent re-
partir au bout de deux ans et ils ne
prennent pas le travail des Hon-
grois », précise-t-il.
Pour justifier ce virage politique
majeur, M. Orban insiste sur le
fait que ces « invités » auront l’in-
fée à blanc depuis des années par
sa propagande.
« Pour beaucoup de personnes
sensibles aux messages du pou-
voir, un étranger reste un étran-
ger », raille ainsi Zoltan Varga, dé-
puté local du parti de gauche Coa-
lition démocratique. Sa formation
a d’ailleurs décidé de faire du sujet
l’un de ses principaux axes de
campagne pour les municipales
en vue de déloger le Fidesz de la
mairie. « Tous ces immigrés asiati-
ques sont des esclaves moder-
nes amenés par le gouvernement
pour casser les salaires plutôt que
d’essayer de faire revenir au pays
les centaines de milliers de jeunes
Hongrois qui l’ont quitté pour aller
travailler en Europe de l’Ouest. »
HÉSITATIONS JURIDIQUES
Amener des travailleurs étrangers
« est une chose nécessaire », car
« les entreprises ont de gros pro-
blèmes de recrutement et cela me-
nace les investissements », estime
Balazs Babel, le vice-président du
syndicat de la métallurgie Vasas,
qui a déjà dû intervenir dans plu-
sieurs usines hongroises face à
l’apparition de tensions entre tra-
vailleurs locaux et étrangers.
« Pour beaucoup
de personnes
sensibles
aux messages
du pouvoir,
un étranger reste
un étranger »
ZOLTAN VARGA
député du parti de gauche
Coalition démocratique
car immédiatement expulsables
s’ils perdent leur emploi.
La fébrilité du pouvoir se res-
sent aussi dans ses hésitations ju-
ridiques. En octobre, le gouverne-
ment a annulé l’entrée en vigueur
d’une loi qui devait faciliter l’em-
bauche de « travailleurs invités »,
en promettant de la remplacer
par un texte plus strict. Examiné
depuis le mardi 21 novembre au
Parlement, celui-ci impose aux
entreprises de vérifier qu’il n’y a
aucun Hongrois disponible avant
de faire venir un travailleur étran-
ger, interdit que plus d’un quart
des travailleurs arrivant en Hon-
grois. La mairie de Debrecen s’ap-
prête à autoriser la même chose
devant l’usine de CATL. Laszlo
Papp a vanté cette politique lors
d’une discrète réunion avec les
maires du Fidesz de la région, or-
ganisée le jeudi 16 novembre, pour
les rassurer. « Cela va être mieux
coordonné », se félicite à la sortie
Gyula Czegledi, maire d’une com-
mune touristique voisine qui avait
vu apparaître entre « 200 et
300 travailleurs invités cet été » et a
dû expliquer à sa population que
la criminalité n’avait pas bougé,
chiffres de la police à l’appui.
A Berettyoujfalu, tous les habi-
tants ne se montrent pourtant pas
hostiles à cette petite révolution
dans une Hongrie qui comptait,
jusqu’ici, à peine 2 % de résidents
étrangers. « Ces immigrés sont là
pour travailler et ne dérangent pas
beaucoup », a ainsi expliqué un
trentenaire lors de la réunion pu-
blique, avant d’être corrigé par le
maire : « On dit “travailleurs invi-
tés”. » « Au lieu de faire peur, vous
feriez mieux de calmer la popula-
tion en rappelant qu’on ne les voit
nulle part en ville à part au super-
marché quand ils viennent faire
leurs courses. Ils m’ont même dit
bonjour », a rétorqué un homme
dans la cinquantaine, après trois
heures de débat où les partici-
pants se sont montrés plus préoc-
cupés par les problèmes d’eau.
Au même moment, à 2 kilomè-
tres de là, Rahul, 24 ans, ne se
doute de rien des remous qu’il
suscite, alors qu’il cherche à rega-
gner son lit après une journée de
travail harassante. Venu du Tamil
Nadu, un Etat du sud-est de l’Inde,
il gagne environ 650 euros par
mois en travaillant douze heures
par jour, six jours par semaine,
pour l’entreprise de construction
turque missionnée par BMW
pour construire l’usine.
« On ne parle à personne ici. Et, le

dans la région de Debrecen. terdiction de rester plus de deux « On explique que, jusqu’ici, on grie soient issus du même pays et dimanche, on se repose en appe-
Réputée pour son nationalisme, ans en Hongrie et d’amener leur n’a pas vu de dumping social parce prévoit une disposition taillée sur lant nos familles », s’excuse-t-il,
SLOVAQUIE
la ville de 200 000 habitants avait famille, en dépit du droit fonda- que cela revient toujours plus cher mesure pour répondre aux préoc- tout en assurant « bien aimer la
été, dès 2015, témoin de mani- mental au regroupement fami- d’employer quelqu’un d’étranger cupations des maires de la région Hongrie », notamment « son cli-
AUTRICHE

festations d’extrême droite qui
restent dans les mémoires contre
un centre de réfugiés, lequel avait
finalement dû fermer. Huit ans
plus tard, Indiens, Turcs et Phillip-
pins affluent pourtant par centai-
nes pour travailler sur les chan-
CROATIE
tiers des usines qui poussent
comme des champignons dans
Debrecen lial. Il continue par ailleurs de ré-
Budapest
péter des messages anti-immi-
HONGRIE grés, en affirmant, depuis début
Berettyoujfalu novembre, qu’il ne veut « pas voir
de ghetto et de mini-Gaza se
ROUMANIE
constituer à Budapest ». Cela ex-
SERBIE plique pourquoi la nuance n’est
100 km
pas toujours bien comprise par
une population hongroise chauf-
dans la mesure où il faut lui fournir
un logement et lui payer les frais
de voyage », défend le syndica-
liste, en critiquant toutefois la po-
litique gouvernementale. Celle-ci
pousse les entreprises à passer
par des agences d’intérim agréées
par le pouvoir et dont les « tra-
vailleurs invités » sont à sa merci,
de Debrecen : la possibilité d’hé-
berger les « travailleurs invités »
dans les zones industrielles.
Devant le futur site de BMW, les
sous-traitants du constructeur
allemand ont déjà commencé à
ériger un village de conteneurs où
les travailleurs étrangers peuvent
dormir, loin du regard des Hon-
mat », avant de s’échapper pour
regagner son dortoir sans chauf-
fage où il s’entasse avec ses collè-
gues dans des lits superposés.
Face aux tensions grandissantes,
les Indiens de Berettyoujfalu ont
reçu pour consigne de ne plus
parler aux journalistes. p
jean-baptiste chastand
22 |
GÉOPOLITIQUE
0123
DIMANCHE 26 - LUNDI 27 NOVEMBRE 2023

Différents
types de
munitions,
exposés
lors du salon
mondial
spécialisé
dans la sûreté
et la sécurité
intérieure des
Etats (Milipol)
à Villepinte,
le 14 novembre.

Comment le monde réarmement a en fait commencé dès 2014,

après l’annexion de la péninsule de Crimée et
d’une partie du Donbass par des séparatistes
prorusses. « Le changement d’échelle du con-
flit entre l’Ukraine et la Russie en 2022 n’a fait

se réarme depuis
qu’accélérer un mouvement déjà bien entamé.
La tendance était déjà visible auparavant »,
note Yohann Michel, chercheur à l’Institut in-
ternational d’études stratégiques, basé à Lon-
dres. De nombreux pays, issus de l’ancien
bloc soviétique, ont plus que doublé leurs dé-
penses militaires depuis 2014. « La guerre en

la guerre en Ukraine
Ukraine a agi comme un révélateur politique,
et sensibilisé les pays européens aux nécessités
qu’implique un conflit de haute intensité », ré-
sume Kévin Martin, spécialiste des questions
d’armement à la Fondation pour la recherche
stratégique, un think tank français.
De l’autre côté du globe, le réarmement est
dopé par l’exacerbation des tensions sino-
américaines autour de l’île de Taïwan, dont

L
La hausse a mise en scène n’est pas passée
inaperçue dans les milieux feu-
spectaculaire trés de l’industrie de défense. Lors
de la Defence & Security Equip-
des dépenses ment International, l’une des
plus importantes foires d’équipe-
militaires au niveau ment militaire mondiales, qui se tenait sur
les docks de Londres, du 12 au 15 septembre,
mondial est encore un stand battant pavillon ukrainien et expo-
sant des maquettes de drones avait ostensi-
plus marquée blement été installé face à celui – imposant –
de BAE Systems, le géant de la défense britan-
des armées occidentales se limitait à des
guerres asymétriques ou contre-insurrec-
tionnelles, en Afghanistan, en Irak ou au Sa-
hel, la perspective d’une guerre convention-
nelle interétatique et d’envergure est redeve-
nue plausible.
L’indicateur le plus significatif de cette prise
de conscience est la hausse spectaculaire des
dépenses militaires au niveau mondial.
En 2022, celles-ci ont atteint un « niveau re-
cord » de 2 240 milliards de dollars [2 055 mil-
liards d’euros] en termes réels – soit une
Pékin revendique la souveraineté. Les dépen-
ses militaires de la Chine, dont le budget de la
défense était déjà le plus élevé au monde, der-
rière les Etats-Unis, ont augmenté en 2022,
pour la 28e année de suite, atteignant un
montant inédit estimé à 292 milliards de dol-
lars (+ 4,2 %). Celles du Japon atteignent
LA PERSPECTIVE 46 milliards de dollars en 2022 – 1,1 % du PIB
D’UNE GUERRE national –, soit leur niveau le plus élevé de-
CONVENTIONNELLE
puis 1960. La guerre en Ukraine demeure tou-
tefois le principal moteur du remodelage des
INTERÉTATIQUE
flux mondiaux des ventes d’armes.

en Europe, où elles nique qui occupe traditionnellement l’un des

plus grands espaces de cet événement bisan-
dépassent pour nuel. Une façon pour les Britanniques d’affi-
cher leur collaboration militaire resserrée
la première fois avec Kiev. Le signe, surtout, que des boulever-
sements sont à l’œuvre dans la géopolitique
celles de 1989, à la fin mondiale de l’armement depuis l’invasion de
l’Ukraine par la Russie.
de la guerre froide Alors que le conflit entre Kiev et Moscou,
commencé le 24 février 2022, entame son
troisième hiver, les spécialistes partagent dé-
sormais une certitude : la période des « divi-
dendes de la paix » − expression inventée,
en 1990, par Laurent Fabius, alors président
de l’Assemblée nationale, pour désigner un
monde post-guerre froide, dans lequel les
Etats n’avaient plus la nécessité d’investir
dans le secteur militaire − est bel et bien révo-
lue. L’entrée des troupes russes en Ukraine a
eu l’effet d’un électrochoc. Après plusieurs
décennies, durant lesquelles l’engagement
hausse de 3,7 % en un an, selon le rapport an-
nuel de l’Institut international de recherche
ET D’ENVERGURE
sur la paix de Stockholm (Sipri), publié en
avril. Les Etats européens, qui avaient été pris
EST REDEVENUE
de court par l’invasion de l’Ukraine, sont PLAUSIBLE
ceux qui se réarment le plus vite. Leurs dé-
POUR LES ARMÉES
penses dans le secteur ont atteint 480 mil-
liards de dollars en 2022 – soit 13 % de plus OCCIDENTALES
qu’en 2021. Pour la première fois, elles dépas-
sent celles de 1989, à la fin de la guerre froide.
Les augmentations les plus marquées s’ob-
servent sur le flanc est, là où la crainte d’une
agression russe est la plus vive : 11 % en Polo-
gne, 12 % en Suède, 27 % en Lituanie, 36 % en
Finlande… Dans le même laps de temps, les
importations d’armement en Europe ont
presque doublé (+ 93 %), tirées par les livrai-
sons massives destinées à Kiev, devenu troi-
sième destination mondiale.
Si cette progression est spectaculaire de-
puis l’invasion russe de l’Ukraine, ce vaste
LA SUPÉRIORITÉ DES ÉTATS-UNIS
Sur ce nouvel atlas, les Etats-Unis restent le
premier marchand d’armes, avec 40 % des
exportations mondiales en 2022, en grande
partie sous l’effet des livraisons massives à
Kiev (plus de 44 milliards de dollars depuis le
début de la guerre). Cette supériorité est éga-
lement liée aux acquisitions européennes :
plus de 60 % des achats hors des pays de
l’Union européenne concernent du matériel
américain, selon une étude de l’Institut de re-
lations internationales et stratégiques, pu-
bliée en septembre. Les entreprises américai-
nes continuent de dominer le marché, qua-
rante d’entre elles figurant dans le top 100 des
fabricants d’armes et des fournisseurs de ser-
vices militaires. En 2021, selon le Sipri, elles
ont totalisé 299 milliards de dollars de ventes
à travers le monde.
Le marché mondial de l’armement voit
aussi émerger de nouveaux acteurs. Le plus
0123
DIMANCHE 26 - LUNDI 27 NOVEMBRE 2023
agressif d’entre eux, la Corée du Sud, était en
mesure de se positionner sur des contrats
alors que la guerre en Ukraine venait à peine
d’éclater. En juillet 2022, Séoul signait avec la
Pologne un accord à hauteur de plus de 9 mil-
liards de dollars, comprenant la vente de
quelque 980 chars (de type K2, son modèle
phare), 648 obusiers (de type K9) et 48 avions
de chasse d’entraînement (FA-50). Le volet
terrestre a été mis en production dès le mois
d’octobre 2022, avec de premières livraisons
de chars – une douzaine – à Varsovie, en dé-
cembre de la même année. Le tout avec la
promesse qu’une partie de ces blindés se-
raient fabriqués sur le territoire polonais.
« Cela fait dix ans que les Sud-Coréens ont
réinvesti dans leur industrie de défense et sont
en mode “économie de guerre”, en raison des
tensions avec la Corée du Nord. Cette avance
en ce qui concerne prix, qualité, stock, sou-
plesse dans les clauses de transfert de techno-
logie et vitesse de production par rapport aux
industriels européens, les a rendus très compé-
titifs », reconnaît le général Jean-Marc Du-
quesne, délégué général du Groupement des
industries françaises de défense et de sécu-
rité terrestres et aéroterrestres. Les matériels
coréens sont en outre compatibles avec nom-
bre d’équipements américains utilisés au
sein de l’OTAN. « Le conflit ukrainien a remis le
char de bataille sur le devant de la scène. Beau-
coup de pays ont découvert qu’ils devaient re-
nouveler leur parc, et ils se sont tournés vers la
Corée du Sud, l’un des seuls producteurs exis-
tants capable de livrer vite et en masse »,
abonde Yohann Michel.
Israël, acteur majeur du secteur avant l’in-
vasion de l’Ukraine, en particulier sur le seg-
ment du cyber et des drones, a également
opéré une percée inattendue sur le marché
européen, traditionnelle chasse gardée des
industriels otaniens. En octobre 2022, face
aux inquiétudes des pays d’Europe orientale
concernant leur défense antiaérienne, l’Alle-
magne a lancé un vaste projet de « bouclier
du ciel » (European Sky Shield Initiative, dit
« ESSI »), ralliant dix-sept Etats – dont le
Royaume-Uni et les Etats baltes.
Pour se protéger de menaces allant de l’atta-
que de drones aux missiles balistiques, ce
bouclier doit intégrer divers dispositifs, dont
le système israélien Arrow 3 – parmi les plus
sophistiqués au monde et conçu pour stop-
per les missiles de longue portée. Développé
par l’Etat hébreu, depuis les années 1990 pour
intercepter les roquettes en provenance de
Gaza ou du sud du Liban, il est une des com-
posantes du Dôme de fer, très actif depuis le
7 octobre et la guerre opposant l’armée israé-
lienne au mouvement palestinien du Hamas.
L’Allemagne a voté, en juin, la première tran-
che nécessaire à son acquisition, soit 560 mil-
lions d’euros, sur un montant total de 4 mil-
liards d’euros. Sept mois après avoir intégré
l’OTAN, et face à la menace que représente la
Russie, avec laquelle elle partage 1 340 kilomè-
tres de frontière terrestre, la Finlande a an-
noncé, le 12 novembre, avoir signé avec Israël
un accord de 317 millions d’euros pour acqué-
rir le système antimissile Fronde de David.
EFFETS DES SANCTIONS INTERNATIONALES
Dans ce réarmement brutal généré par la
guerre en Ukraine, d’autres Etats, mis au ban
de la communauté internationale et sous
sanctions, ont réussi à se frayer un chemin, en
réponse aux besoins de la Russie : l’Iran et la
Corée du Nord. Les données les concernant
sont parcellaires, et les chiffres dérisoires à
l’échelle des montants de transferts d’équipe-
ments militaires à travers la planète. Alors
que, entre 1992 et 2022, la République islami-
que d’Iran était classée au 38e rang des expor-
tateurs d’armement (0,007 % des flux mon-
diaux), elle a été propulsée à la 16e place
en 2022 (0,38 % des flux mondiaux), en
grande partie sous l’effet de ses exportations
de drones. Notamment les Shahed, ces dro-
nes kamikazes régulièrement envoyés par
salves sur les villes ukrainiennes, par les for-
ces russes. En octobre, le renseignement amé-
ricain a indiqué que la Corée du Nord avait li-
vré « plus de mille conteneurs » d’armes et de
munitions à Moscou, sachant qu’il existe une
certaine compatibilité entre l’armement
russe et nord-coréen, particulièrement en
matière de pièces d’artillerie de 152 mm.
Alors que la Russie occupait historique-
ment la deuxième place du classement des
pays exportateurs d’équipement militaire
dans le monde, elle est sur le point d’être ré-
trogradée en troisième position. « Depuis la
guerre froide, les Etats-Unis accaparaient en-
tre 35 % et 40 % du marché mondial, la Russie
entre 20 % et 25 %, et la France, qui a toujours
été un important exportateur pour financer
l’entretien de sa dissuasion nucléaire, entre 5 %
et 10 %. Contraint de réorienter une partie de
ses armements pour ses propres besoins, Mos-
cou est tombé, en 2022, à environ 9 % de part
géopolitique | 23
Exposition d’armes équipées
de viseurs point rouge
(ci-contre) et d’un modèle
de casque hybride, lors
du salon mondial Milipol,
les 14 et 15 novembre,
à Villepinte (Seine-Saint-Denis).
SARAH MEYSSONNIER/REUTERS/MIGUEL MEDINA/AFP
de marché, soit presque une division par plus
de deux de ses exportations en un an », résu-
ment Jean Belin, maître de conférences à
l’université de Bordeaux, et Julien Malizard,
cotitulaires de la chaire Economie de défense
à l’Institut des hautes études de défense na-
tionale (IHEDN).
Cette baisse s’était amorcée avant la guerre,
sous l’effet des sanctions internationales mi-
ses en place contre Moscou, dès 2014, mais la
guerre en Ukraine a accéléré le décrochage.
Les exportations russes d’armement vers
l’Inde, très ancien client de Moscou, avec le-
quel New Delhi a bâti l’essentiel de son outil
de défense, ont ainsi chuté de 37 % entre 2018
et 2022. L’Inde cherche à se construire une
autonomie stratégique autour du concept
« Make in India », en fabriquant elle-même
certains de ses équipements militaires. Cette
tendance est aujourd’hui renforcée par la dif-
ficulté de la Russie à honorer l’ensemble de
ses livraisons, alors qu’elle doit regarnir son
propre appareil de défense éreinté par le con-
flit ukrainien. « Malgré la baisse constante du
volume des exportations russes depuis une dé-
cennie, qui devrait s’accélérer dans les prochai-
nes années en raison des sanctions occidenta-
les, des pays non alignés peuvent avoir un inté-
rêt à continuer d’acheter des équipements rus-
ses, les ventes d’armes restant quelque chose
de très politique », nuance Kévin Martin.
L’Afrique subsaharienne, que Moscou a dé-
cidé de « réinvestir » ces dernières années, en-
tre autres pour tenter d’en évincer les Occi-
dentaux, France en tête, est ainsi une région
où les exportations russes n’ont pas été signi-
ficativement modifiées, relève Pieter Weze-
man, chargé, pour le compte du Sipri, de sui-
vre ces flux vers le continent africain. « La
Russie a pu maintenir son niveau d’exporta-
tions, donc d’influence, car les équipements
concernés sont peu sophistiqués et ne nécessi-
tent pas de composants dont la Russie man-
que dans la guerre qu’elle mène en Ukraine,
analyse-t-il. Les flux sont par ailleurs relative-
ment peu importants en volume, tout en
ayant un impact fort sur des armées souvent
sous-équipées. »
PERTE D’INFLUENCE DE LA FRANCE
La France n’a pas réussi à regagner du terrain
sur le continent africain, où elle a perdu son
influence tant diplomatique que militaire
(depuis que ses troupes sont contraintes de
quitter le Sahel), et ce malgré un contexte
tendu pour la Russie, lié à son effort de guerre
sur le front ukrainien. « Il y a dix ans, être en-
trepreneur français en Afrique était un avan-
tage. Il y a cinq ans, c’était neutre. Mais, depuis
deux ans, c’est un problème », résume le pa-
tron d’une société de sécurité de l’Hexagone,
sous le couvert de l’anonymat. Paris peine
aussi à se positionner sur le marché euro-
péen. Si la France a globalement profité du
boom des ventes d’armement dans le monde,
avec une hausse de 44 % de ses exportations
sur la période 2018-2022, par rapport à 2013-
2017, c’est principalement sous l’effet de l’ex-
plosion de ses exportations de Rafale.
Aujourd’hui, son industrie de défense doit ba-
tailler pour se positionner sur les marchés.
Pour remplir leurs carnets de commandes,
les industriels français peuvent s’appuyer
sur la nouvelle loi de programmation mili-
taire, votée en juillet – un an avant la date
L’AUGMENTATION prévue –, qui promet aux armées un mon-
DES DÉPENSES tant « historique » de 100 milliards d’euros
d’ici à 2030. Cet effort vise notamment à mo-
SE TRADUIT derniser l’appareil militaire français et au
remplacement nécessaire du matériel cédé à
DAVANTAGE PAR Kiev, dont le montant est estimé à 1,7 mil-
LA MODERNISATION liard d’euros, selon un rapport parlemen-
taire rendu public le 8 novembre.
DES OUTILS DE Mais dans la conquête des marchés ouverts
dans le sillage de la guerre en Ukraine, ana-
DÉFENSE QUE PAR lyse un cadre du secteur, la France a « pris du
retard ». Beaucoup d’acteurs du secteur consi-
UN ACCROISSEMENT dèrent que ces difficultés sont liées à la parti-
MAJEUR tion diplomatique alambiquée du chef de
l’Etat français à l’égard du Kremlin, aux lour-
DE LA TAILLE deurs administratives des processus d’achat
des armées et à une frilosité générale sur les
DES ARSENAUX transferts de technologie. Alors que le mar-
ché ukrainien apparaît saturé par la concur-
rence, en particulier de Washington et de
Londres, qui ont fortement investi les ré-
seaux de sécurité et de défense du pays de-
puis 2014, Paris tente de défricher des zones
périphériques soumises elles aussi à des ten-
sions : l’Arménie, le Kazakhstan ou encore
l’Ouzbékistan, où Emmanuel Macron s’est
rendu les 1er et 2 novembre.
Si la hausse des ventes d’armes, observée
depuis le début de la guerre en Ukraine, est
spectaculaire en prix constants, elle demeure
toutefois à des niveaux modérés ramenée au
produit intérieur brut (PIB) des pays concer-
nés. En 2023, rares sont ceux dont les dépen-
ses de défense dépasseront les 2 % de leur PIB,
c’est-à-dire le seuil minimal réclamé au sein
de l’OTAN, sous l’insistance de Washington
qui presse depuis des années les Européens
de se réarmer, afin de pouvoir se désengager
des affaires militaires du Vieux Continent.
« Durant la guerre froide, le taux d’effort était
bien supérieur, autour de 5 % à 6 % du PIB, pré-
cise Stéphane Audrand, consultant en ris-
ques internationaux. On assiste aujourd’hui
plutôt à un rattrapage de la puissance mili-
taire de certaines nations. »
Concrètement, l’augmentation des dépen-
ses se traduit davantage par la modernisation
des outils de défense que par un accroisse-
ment majeur de la taille des arsenaux. Avec la
fin de la guerre froide, nombreux sont les pays
qui ont progressivement réduit leurs parcs
militaires ou abaissé le niveau d’entraîne-
ment de leurs troupes, tout en désinvestissant
l’entretien des équipements restants, qu’il
s’agisse de véhicules, de navires ou de toutes
les structures informatiques d’alerte, de com-
mandement et de communication. Les fonds
injectés depuis 2022 sont surtout consacrés à
une remise en condition opérationnelle et à
des investissements dans la recherche et le
développement. Ce constat s’applique à l’Alle-
magne, qui a débloqué la somme colossale de
100 milliards d’euros pour son armée, dès
février 2022, et à la France, où, malgré les mon-
tants promis d’ici à 2030, le nombre de sous-
marins, de bâtiments de surface et d’avions de
chasse devrait rester à peu près identique,
voire baisser dans le cas des blindés de l’armée
de terre, dans les prochaines années.
Le segment des matériels dits « consomma-
bles », c’est-à-dire utilisés et perdus en grande
quantité, devrait en revanche connaître une
forte progression. « Les ventes d’armes en
temps de paix ne ressemblent pas à celles en
temps de guerre. Quand vous êtes en paix, vous
achetez du technologique, assez cher et en pe-
tite quantité. Dans une guerre de haute inten-
sité, il vous faut du volume, robuste, et l’obtenir
rapidement », assure M. Audrand. Les muni-
tions rôdeuses, également appelées « drones-
kamikazes », que Russes comme Ukrainiens
consomment en grande quantité, devraient
ainsi connaître une forte croissance, tant leur
efficacité sur le terrain est démontrée. « Le
modèle économique des munitions rôdeuses et
des drones consommables en temps de paix
n’est pas évident à trouver, ajoute M. Audrand.
Pour intéresser les armées, ces objets doivent
avoir un coût unitaire très faible. En l’absence
de conflit, les achats seront limités. »
La course à l’armement relancée par la
guerre en Ukraine ne peut pas être financée
de manière illimitée, anticipent enfin nom-
bre d’acteurs du secteur de l’industrie de la
défense, même s’ils se gardent d’en faire état
publiquement. « Le mur de la dette est une
réalité », préviennent à l’unisson MM. Belin et
Malizard de l’IHEDN. « Aujourd’hui, les Etats
ont des difficultés à financer leurs efforts de dé-
fense face au coût de la dette, aux impératifs
d’éducation et de santé, et face aux préoccupa-
tions environnementales de leurs opinions pu-
bliques », soulignent les deux chercheurs.
Aux Etats-Unis, l’adoption du budget de la dé-
fense pour l’année 2024 – d’un montant envi-
sagé de plus de 800 milliards de dollars – sus-
cite des débats enflammés, au risque d’hypo-
théquer le soutien militaire américain à
l’Ukraine et à Israël.
En ces temps d’incertitude, Kiev a décidé de
prendre les devants, et mis en place une stra-
tégie visant à faire une force de ses faiblesses
liées à la guerre. Il souhaite devenir une sorte
de plate-forme d’exportation d’équipements
de défense pour les pays occidentaux, axée
sur le matériel militaire low cost. Dans cet ob-
jectif, l’Ukraine fait valoir son importante tra-
dition industrielle, intimement liée à l’indus-
trie de l’armement soviétique, et l’exploita-
tion des vastes stocks d’armes qui lui ont été
livrés depuis le début du conflit. Ses ambi-
tions sont encouragées par les Etats-Unis et le
Royaume-Uni, mais inquiètent des sociétés
de défense européennes qui redoutent cette
nouvelle concurrence. Pour l’heure, Kiev
clame sa volonté de devenir le « nouvel arse-
nal du monde libre ». p
cédric pietralunga
et élise vincent
24 | géopolitique DIMANCHE 26 - LUNDI 27 NOVEMBRE 2023
0123

Le nouvel atlas AU
ST

du marché des armes RA

LI
E

L’invasion russe en Ukraine et l’exacerbation des tensions

sino-américaines autour de Taïwan remodèlent les flux
de vente d’équipements militaires

1 DANS UN CONTEXTE MARQUÉ

PAR LA MULTIPLICATION DES TENSIONS
ET LA GUERRE EN UKRAINE...
56 Etats ayant eu un conflit armé
sur leur territoire, en 2022 CO
DU RÉE
SU
Acte de violence D
ayant fait au moins un mort JA P
ON

Territoire occupé par la Russie

... depuis 2014

CH
IN
... depuis février 2022

E
2 ... LES DÉPENSES MILITAIRES

RU
EXPLOSENT

INDE
SS
Vingt premiers Etats ayant le plus dépensé

IE
en matière d’armement en 2022,
en milliards de dollars constants
C A N A DA
ÉTATS
-U

15 70 300 800

AR
NIS

Q AT
IN
RA

Evolution des dépenses militaires,

UK

L.

ËL
entre 2014 et 2022, en pourcentage PO
RA
IS

E
OU IE
R.- U
. L.

DIT
AL

SA RAB
− 90 0 + 50 + 100 + 200 + 1 200
.

A
.
FR A ITA

E
PI
IO
H
.
ESP ÉT

AN A
VE

D
DA
AN
N

ZU
E

UG

EL
ER
RW

A
O

NIG
I
MAL

E
QU
A
KIN BI
BUR SO
M
FA
ZA
O
M

SÉNÉGAL O
G
TO

BR
ÉS
IL

E
AND E
FINL SI
S
SUÈDE RU
EN EUROPE, LE FLANC EST
DE L’OTAN SE RÉARME
E
AIN
Etat membre de l’OTAN
Pays ayant adhéré à l’OTAN à la suite UKR
de l’invasion de l’Ukraine par la Russie
IE
Adhésion en attente de ratification
O RG
GÉ
Candidat
B O S N I E- H .

Dépenses militaires Principaux exportateurs et importateurs d’armes

par pays, en milliards de dollars conventionnelles majeures, en milliards de TIV*
(avions, navires, véhicules blindés, artillerie, systèmes
Etats-Unis Chine Inde Arabie saoudite Russie
de défense aérienne, missiles, radars, satellites, drones…)
Royaume-Uni Allemagne France Ukraine
2 240
Exportateurs, en 2014 en 2022
2 000 9,6 Etats-Unis 14,5 Etats-Unis
1991 : chute de l’URSS,
absence de données. 5,5 Russie 3,0 France
Fin de la guerre froide 2022 : 1,8 Allemagne 2,8 Russie
1 500 invasion de l’Ukraine 1,8 France 2,0 Chine
Reste 1,7 Royaume-Uni 1,8 Italie
du monde
1 000
Importateurs, en 2014 en 2022
3,3 Inde 3,3 Qatar
2,7 Arabie saoudite 2,8 Inde
500
1,5 Turquie 2,6 Ukraine
2014 : annexion de la Crimée 1,2 Vietnam 2,3 Arabie saoudite
et guerre du Donbass
0 1,2 Indonésie 2,2 Koweït
1990 1995 2000 2005 2010 2015 2020

*Trend Indicator Value (TIV) : unité de mesure développée par le centre de recherche Sipri pour évaluer la valeur des échanges d’armes à partir de la valeur nominale des contrats, des coûts de production et du type de matériel échangé.
Sources : Sipri Arms Transfers Database ; Sipri Military Expenditure Database ; Acled Infographie Le Monde : Francesca Fattori, Xemartin Laborde et Delphine Papin
0123
DIMANCHE 26 - LUNDI 27 NOVEMBRE 2023
Khaled Mansour
« Plus de cent employés des Nations
unies tués à Gaza, c’est sans précédent »
ENTRETIEN
amman - envoyée spéciale
K
haled Mansour a été porte-pa-
role pour des agences onusien-
nes dans des pays en guerre :
Afghanistan (2000-2002), Irak
(2003), Liban (2006), Soudan
(2008-2010). Entre 2013 et 2015,
il a été directeur exécutif de l’Initiative égyp-
tienne pour les droits personnels, plus grande
ONG de défense des droits humains en Egypte
− son pays natal. Il vit aujourd’hui en Jordanie,
où il travaille notamment comme consultant
sur l’aide humanitaire et les droits humains.
Que vous évoquent les images d’exode
des Palestiniens fuyant à pied, du nord
vers le sud de la bande de Gaza ?
Elles me rappellent celles de foules dépla-
cées, au Rwanda ou en Bosnie, dans les années
1990. L’époque était au « plus jamais ça ! »,
pourtant nous y revoilà. Revoir de telles scè-
nes nourrit le cynisme et la colère. La commu-
nauté internationale a échoué à éviter cette
répétition. Israël a été attaqué le 7 octobre par
le Hamas, qui a commis d’horribles massa-
cres. Les dirigeants israéliens disent vouloir se
débarrasser de la menace [du Hamas], mais
selon moi, leurs représailles massives contre
la bande de Gaza sont en train de semer les
graines de la violence de demain.
Plus de 100 employés de l’UNRWA,
l’agence onusienne chargée des réfugiés
palestiniens, ont été tués dans la bande
de Gaza depuis le 7 octobre. Comment
expliquer un bilan aussi meurtrier ?
De telles pertes sont sans précédent dans
l’histoire des Nations unies. Dans leur écra-
sante majorité, les 13 000 employés de l’UN-
RWA à Gaza sont des Palestiniens. Ils vivent
dans les mêmes conditions que le reste de la
population. Ils ont dû fuir et chercher refuge
dans des écoles de l’UNRWA – dont plus de
50 ont été touchées par les frappes aérien-
nes israéliennes [selon l’UNRWA, les écoles
constituent la majorité de ses 69 structures
endommagées, dont 23 ont fait l’objet de tirs
directs]. Plus de la moitié des personnels
tués l’ont été au sud du wadi Gaza, c’est-à-
dire dans le périmètre vers lequel les civils
avaient reçu l’ordre [le 9 octobre] de l’armée
israélienne de se déplacer.
En 2003, en Irak, j’ai échappé de peu à l’atten-
tat qui avait visé [le 19 août] le quartier général
des Nations unies à Bagdad [lors duquel
22 membres du personnel de l’agence sont
morts]. A l’époque, nous avions blâmé l’or-
gane chargé de la sécurité de l’agence pour ses
lacunes. Mais à Gaza, avec des bombarde-
ments d’une telle intensité et dans une zone
très densément peuplée, je ne vois pas quelles
mesures les Nations unies auraient pu mettre
en place pour protéger leurs équipes.
Pour l’ancien porte-parole d’agences
onusiennes, la fuite des Palestiniens
vers le sud de Gaza rappelle
des scènes d’exode, au Rwanda
ou en Bosnie, que la communauté
internationale a échoué à éviter
Les Nations unies sont l’objet de critiques
de la part des deux protagonistes…
Les deux parties voudraient que les agences
humanitaires exécutent leurs ordres. Israël
aimerait qu’elles se taisent et cessent de par-
ler des hôpitaux et des écoles bombardées,
du déplacement forcé de population et de la
situation humanitaire désastreuse à Gaza. Le
Hamas voudrait, lui, que les convois forcent
le passage, comme le ferait une armée, pour
apporter nourriture et médicaments aux ha-
bitants. Mon expérience en zones de conflit
m’a appris que les agences des Nations unies
sont toujours à la merci des belligérants. A
Gaza, elles doivent d’abord composer avec le
bon vouloir du gouvernement israélien [qui a
imposé un siège à l’enclave palestinienne].
Quelles répercussions ce conflit peut-il
avoir en Europe et au Proche-Orient ?
Je redoute que nous soyons, de part et
d’autre de la Méditerranée, frappés par un
même fléau : voir s’effondrer nos valeurs com-
munes fondées sur le droit humanitaire inter-
national et la charte universelle des droits hu-
mains qui posent le principe de l’égalité entre
les peuples. Des politiciens et des universitai-
res expliquent que toute guerre est brutale,
établissent la comparaison entre Gaza et
Dresde [détruite par les bombardements alliés
en 1945], affirmant qu’il a fallu sa destruction
pour vaincre le nazisme… A quoi plus de
soixante-dix ans de construction d’un monde
commun à travers les Nations unies ont-ils
servi, si c’est pour en arriver à de tels discours ?
Comment réduire la fracture qui s’accen-
tue entre l’Occident et les pays arabes ?
Il faudrait proclamer un cessez-le-feu, le plus
rapidement possible. Lors de la guerre du Li-
ban [qui opposa l’armée israélienne aux com-
battants du Hezbollah, à la suite de l’enlève-
ment et de l’assassinat de soldats israéliens par
le mouvement armé libanais près de la fron-
tière], à l’été 2006, il avait fallu attendre trente-
trois jours pour que les Etats-Unis cessent de
faire obstruction au sein du Conseil de sécu-
rité, et que ce dernier émette une résolution
géopolitique | 25
[la résolution 1701, qui mit fin aux hostilités]. Le
blocage américain visait à laisser le temps à
son allié israélien de « finir le boulot ».
Les paramètres sont similaires, aujourd’hui,
à Gaza. Le Conseil de sécurité, une fois de plus,
ne remplit pas son rôle. Après quasiment
deux mois de représailles israéliennes, les
Etats-Unis et les Européens – à quelques ex-
ceptions près, comme l’Irlande et l’Espagne –
ne soutiennent pas un cessez-le-feu. Le secré-
taire d’Etat américain, Antony Blinken, se con-
tente d’évoquer des « pauses » humanitaires
[une trêve de quatre jours est entrée en vigueur
le 24 novembre]. Combien de morts faut-il
pour que les Etats-Unis et la France deman-
dent un cessez-le-feu ?
Avez-vous été surpris par les interdic-
tions ou restrictions de manifestations
en soutien aux Palestiniens, notamment
en France et en Allemagne ?
Au Proche-Orient, nous vivons dans des ré-
gimes répressifs. En Egypte, en Jordanie, des
gens ont été emprisonnés pour avoir posté
un commentaire sur Facebook. Je ne m’at-
Khaled Mansour, tendais pas à ce que l’Occident prenne mo-
en janvier 2020. dèle sur nos régimes, en entravant la liberté
MOEMEN K MALKAWI d’expression ! Est-il acceptable que des pro-
fesseurs d’université, en Europe, aient peur
d’exprimer leur opinion, de dire : « Arrêtez la
guerre ! » ? Bienvenue dans notre monde…
Des pays arabes accusent l’Etat hébreu
de violer le droit international à Gaza avec
l’assentiment de ses soutiens occiden-
taux, alors qu’eux-mêmes s’estiment épin-
glés sur la question des droits humains. Ce
« deux poids, deux mesures » occidental
n’ouvre-t-il pas la voie à plus de répression
de la part de régimes autoritaires ?
Ceux qui vont directement pâtir de ces dou-
bles standards sont les militants des droits
humains et ceux qui luttent pour la démocra-
tie. Leur voix va devenir inaudible au Proche-
Orient, et ils redoutent d’être lâchés par les
Occidentaux. C’est déjà le cas : la Suisse a gelé
ses financements à six ONG de défense des
droits humains israéliennes et à cinq autres
palestiniennes [le 25 octobre, affirmant vou-
loir vérifier que ses fonds ne servaient pas la
propagande ou les combats. Berne a annoncé,
le 22 novembre, que le financement prendrait
fin pour trois des ONG palestiniennes et re-
prendrait pour les huit autres organisations]. A
l’inverse, les radicaux de chaque camp – tous
ceux qui croient que la violence est la seule
solution – vont sortir renforcés de ce climat.
L’Egypte et la Jordanie, qui dénoncent une
« punition collective » infligée aux Palesti-
niens de Gaza, pourraient-elles revoir
leurs alliances avec les pays occidentaux ?
Non. Des représentants européens et amé-
ricains se sont rendus dans les capitales ara-
bes depuis le 7 octobre, promettant soutien
« The Armored Dove »
(« la colombe en armure »), œuvre
attribuée à Banksy. Photo prise le
28 décembre 2022, près du mur de
séparation israélien en Cisjordanie,
à Bethléem, en Palestine.
BEATA ZAWRZEL/NURPHOTO VIA AFP
Banksy est un street-artiste dont
l’identité attise la curiosité du
monde entier et fait l’objet de
spéculations. Actif depuis les années
1990, il utilise la peinture au pochoir
pour faire passer des messages
libertaires, antimilitaristes et
anticapitalistes parfois controversés.
Il s’est rendu dans les territoires
palestiniens à plusieurs reprises
dans les années 2000. Cette
colombe en gilet pare-balles est
l’une des fresques murales qu’il a
laissées dans la cité de Bethléem.
financier et coopération sécuritaire – davan-
tage d’argent et d’armes… De chaque côté de
la relation, chacun va essayer de tirer profit de
la situation. L’Egypte, la Jordanie, mais aussi
un pays comme Bahreïn, s’inquiètent de ce
qu’une guerre longue favorise, chez eux, des
manifestations, et que des rassemblements
en soutien aux Palestiniens se transforment
en protestations contre les conditions écono-
miques et politiques locales : l’inflation ex-
trême, la répression, la corruption…
Cela s’est déjà produit [après l’appel du pou-
voir égyptien à manifester en solidarité avec
Gaza, le 20 octobre, des protestataires ont
ainsi scandé des slogans proliberté, sur la place
Tahrir, lieu emblématique de la révolution de
2011]. Ces régimes redoutent une déstabilisa-
tion. Les déclarations de responsables israé-
liens sur le transfert des Palestiniens de Gaza
en Egypte les ont rendus extrêmement in-
quiets et furieux. Un déplacement forcé de
population mettrait en péril leur stabilité.
Les pays arabes peuvent-ils jouer
un rôle dans l’édification du « jour
d’après », vers un règlement du conflit ?
Je pense que la balle est dans le camp d’Israël,
la partie la plus puissante de ce conflit, et dans
celui de l’Occident. La Jordanie et l’Egypte en-
tretiennent avec Israël une « paix froide ». Cel-
le-ci s’est traduite par la fin des violences, sans
déboucher pour autant sur une amitié ou sur
une normalisation. L’Initiative de paix présen-
tée par les pays de la Ligue arabe, à Beyrouth,
lors du sommet de 2002 [qui prévoyait la paix
en échange de la création d’un Etat palestinien
dans les territoires occupés, sur les frontières du
4 juin 1967, avec Jérusalem-Est comme capitale]
n’a pas reçu le succès escompté.
Le désengagement de l’Europe et des
Etats-Unis du dossier israélo-palestinien
– voire celui de Washington de l’ensemble
de la région, avant le 7 octobre – a été
souligné. Partagez-vous cette analyse ?
A Gaza, l’Union européenne (UE) privilégie
actuellement l’aide humanitaire : celle-ci est
vitale pour la population, mais ne résout rien
politiquement. C’est une démarche que l’UE
poursuit depuis des années [particulièrement
depuis la fin de la décennie 2000], en investis-
sant massivement dans des projets concer-
nant les territoires palestiniens, tout en étant
dans le déni de la réalité. La solution à deux
Etats, que les Européens soutiennent dans
leurs discours, est morte sur le terrain, en rai-
son de la colonisation israélienne en Cisjorda-
nie [500 000 colons, auxquels s’ajoutent envi-
ron 200 000 colons à Jérusalem-Est]. Les Euro-
péens ont perdu leur capacité d’initiative et se
sont dédouanés de leurs responsabilités his-
toriques ; ils se comportent comme une ban-
que, et suivent la politique de Washington.
Quant aux Etats-Unis, ils font en effet face à
d’autres défis ailleurs dans le monde. Toute-
fois, avant le 7 octobre [date après laquelle ils
ont renforcé leur présence], ils maintenaient
plus de 40 000 soldats déployés au Moyen-
Orient, et plusieurs bases militaires. Ils ver-
sent une aide militaire annuelle considérable
à Israël, donnent des enveloppes financières à
l’Egypte et à la Jordanie, et conservent des re-
lations fortes avec plusieurs pays de la région.
Si cela s’appelle se désengager, je veux bien
qu’on m’explique ce que signifie rester. Ont-
ils fourni une solution politique au conflit is-
raélo-palestinien ? Non. p
propos recueillis par laure stephan
26 |
CULTURE
0123
DIMANCHE 26 - LUNDI 27 NOVEMBRE 2023

PAT R I M O I N E

REPORTAGE

R
egistre de l’église de Paris,
commencé par moi, Guillaume
Picard, licencié en droit, scribe
et tabellion de ladite église.
L’an du seigneur 1409, jeudi
15 juillet. » Il y a quelque chose
d’émouvant à regarder, précautionneuse-
ment ouvert sur une table des Archives na-
tionales, les empattements gothiques sur
l’épais manuscrit tenu il y a six siècles par ce
chanoine de Notre-Dame. Cela ressemble,
en latin, à une compilation de comptes ren-
dus de séances telles qu’on les tiendrait
aujourd’hui. Avec le détail des décisions pri-
ses et la liste des chanoines émargeant pour
ces « conseils d’administration du chapitre »,
selon les termes amusés de l’historien
Darwin Smith.
Au total, 170 volumes d’actes ont ainsi été
récupérés après la Révolution, en 1790, par
les Archives nationales. Une mine pour la re-
cherche. Seulement, déchiffrer pattes de
mouche, abréviations, papier ou parchemin
taché relevait jusqu’ici d’un travail chrono-
phage pour paléographe. En remettant
Notre-Dame de Paris sous la lumière des
projecteurs, l’incendie d’avril 2019 a changé
la donne et offert aux historiens un saut spa-
tio-temporel : un programme d’intelligence
artificielle est aujourd’hui capable de déchif-
frer ces actes avec un taux d’exactitude
variant de 88 % à 94 % selon les registres,
affirment les concepteurs. De gauche à droite : Isabelle Bretthauer, conservatrice des Archives nationales, Darwin Smith, historien, Julie Claustre, professeure à Paris-Cité,
Coordonné au Laboratoire de médiévisti- et Sergio Torres Aguilar, historien qui a mis en place l’algorithme, aux Archives nationales, à Paris, le 10 novembre. CECIL MATHIEU POUR « LE MONDE »
que occidentale de Paris (LaMOP) de la Sor-

L’intelligence artificielle fouille

bonne par Julie Claustre (aujourd’hui profes-
seure des universités à Paris-Cité) et Darwin
Smith, directeur de recherche émérite, le pro-
jet appelé « e-NDP » s’est pour l’instant con-
centré sur les vingt-six premiers volumes,
dont les 14 600 pages courent de 1326 à 1504,
soit la période médiévale au sens classique du

la mémoire de Notre-Dame
terme. Première étape de ce programme ex-
périmental, restaurer. Taches, humidité,
usure du temps… Huit volumes ont été repris.
Deuxième étape, numériser. Enfin, il a fallu
« entraîner » la machine, selon des techni-
ques désormais classiques de HTR (handwrit-
ten text recognition, « décryptage de texte ma-
nuscrit »), mais adaptées à ces textes propre- Un programme expérimental, mis au point à la Sorbonne, permet de parcourir les
ment dits. Parce que l’écriture change au fil
du temps, selon les chanoines et les époques. délibérations des chanoines du monument parisien tout au long du Moyen Age
OBTENIR UN ALGORITHME FIABLE
Au début, on sent que les notes sont prises
pendant les réunions. Ensuite les comptes tions. On peut aussi aller chercher de façon Après, il faut la faire passer dans les rues jus- le Moyen Age dans son quotidien ordinaire.
rendus sont clairement recopiés au propre, précise sur un mot ou un thème. » LE PROJET E-NDP qu’à la cathédrale… », raconte Julie Claustre. Tel cet homme en bisbille avec les chanoines
plus réguliers, sans ratures. Isoler physique-
ment les différentes parties de chaque page,
Fête des saints Pierre et Paul, 29 juin 1326,
c’est là que tout commence. Auparavant,
S’EST POUR L’INSTANT On change de registre, celui-ci est en par-
chemin, c’est-à-dire fait à partir de matière
parce qu’il a vendu sa pêche sans demander
l’autorisation, et qui explique, pour se dis-
faire le tri visuel entre les listes de chanoines, nous n’avons pas de trace écrite des délibéra- CONCENTRÉ SUR animale. Si ces textes notariés sont une telle culper, qu’ayant « spasmé » (assommé) ses
les textes juxtaposés et les annotations dans tions du chapitre. « Il faut comprendre qu’au mine d’informations, c’est que ces chanoi- poissons, il devait les vendre sans tarder. On
la marge. Il a fallu s’y reprendre à huit fois, Moyen Age la culture écrite se substitue très LES 26 PREMIERS nes sont souvent de grands officiers du est à ce degré de précision documentaire, ad-
avec une quinzaine d’historiens pour vérifier
les résultats obtenus sur différents extraits,
progressivement à une culture orale », expli-
que Darwin Smith, pendant qu’Isabelle Bret-
VOLUMES, DONT royaume, conseillers du roi, universitaires
de premier plan. « Notre-Dame est un pôle
mire Rebecca Lelièvre, étudiante en master à
Paris-I, qui travaille sur les droits de l’eau au
afin de corriger le tir (on dit fine tuner en lan- thauer, conservatrice des Archives nationa- LES 14 600 PAGES magnétique qui réunit les têtes pensantes de Moyen Age. Un sujet essentiel dans la vie du
gage d’expert) et obtenir un algorithme suf- les, tourne précautionneusement les pages la théologie, du droit et de la science, expli- chapitre. D’abord parce qu’un tiers de la
fisamment fiable. Résultat : « Cinq millions de de papier – « Rare pour l’époque », précise-t- COURENT DE 1326 que Darwin Smith. Ce qu’on y découvre, c’est nourriture des prêtres est constitué de pois-
mots dans lesquels on peut faire de la fouille elle, admirative. « En 1396, on voit comment l’emprise du monde séculier, une interpéné- son ; ensuite, parce qu’elle est une source de
structurée. C’est prodigieux !, s’enthousiasme les chanoines organisent la refonte d’une À 1504, SOIT LA tration des modes laïques et ecclésiastiques. profit, remarque l’étudiante en souriant : « Le
Julie Claustre. Désormais, on sait que ça fonc- grosse cloche, qui est tombée sans faire de vic- PÉRIODE MÉDIÉVALE En 1452-1453, on voit que, tous les dimanches, terme Pecunia revient souvent… »
tionne, on peut suivre des personnes, des fonc- times, mais en occasionnant de gros dégâts. les artisans boulangers se réunissent autour « Il faut jouer avec la machine, témoigne-t-
des deux cuves baptismales disposées l’une à elle, parce qu’elle peut confondre facilement
droite et l’autre à gauche de la cathédrale. les “T” et les “C” dans ce latin en écriture gothi-
2024, une année riche en événements C’est leur lieu. On peut imaginer qu’elles leur
servent, comme on a pu l’observer ailleurs,
que. Je double souvent mes requêtes sur pis-
cari [« poisson »] par une autre, en écrivant
de cuve pour mesurer le grain. Mais ce n’est pistari. De même, dans les abréviations, un
le compte à rebours a commencé. Dans un an, le par les corps de métier pour y être exposées) aux pièces pas précisé. Toujours est-il qu’un jour le cha- nominatif peut passer pour un accusatif. »
8 décembre 2024, pour tenir le calendrier fixé par Em- contemporaines imaginées pour remeubler l’intérieur. pitre décide que cela suffit… » Alors, dans la recherche par lemme (partie
manuel Macron, la cathédrale Notre-Dame devrait rou- Au Musée de Cluny, du 18 novembre 2024 au fixe du mot, sans déclinaison), après avoir
vrir officiellement ses portes par une grande messe, 16 mars 2025 : « Redécouvrir les sculptures de RÔLE DES HISTORIENS tapé aqu.*” (pour « eau »), juris.*” (pour
même si chacun sait que les travaux (extérieurs no- Notre-Dame de Paris : nouveau regard sur la collection Bien sûr, nos historiens ne sont pas les pre- « droit »), ou stagn.*” (pour « marais »), l’étu-
tamment) seront loin d’être terminés. Mais 2024 s’an- du Musée national du Moyen Age ». Notamment ses miers à travailler sur cet épais corpus. diante relève les occurrences, les dates de
nonce d’ores et déjà comme l’année Notre-Dame. Cha- décors sculptés au moment de la construction de la D’autres s’y sont frottés, y compris les cha- celles-ci, et les registres correspondants, puis
cun, en effet, a trouvé quelque trésor lié à la cathédrale cathédrale, du XIIe au XIVe siècle. noines des siècles suivants, dont on voit ici se rend dans la bibliothèque virtuelle du site
et à son histoire, matière à événement. Au point que A la Saline royale d’Arc-et-Senans (Doubs), du 22 dé- ou là une annotation, qui montre qu’ils sont des Archives nationales où toutes les pages
l’équipe de l’établissement public chargé de sa restau- cembre 2023 au 15 avril 2024 : « Notre-Dame de Paris. allés y chercher la trace d’une jurisprudence, numérisées sont consultables…
ration a décidé d’en faire un label : « Notre-Dame de L’exposition augmentée ». Déjà présentée à Paris, à d’un partage, d’une décision établie. Le plus Passé par Madrid et la data science, l’histo-
Paris : vers la réouverture ». On ira donc voir… Washington et à Berlin, cette exposition itinérante pas- notable travail jamais effectué jusqu’ici sur rien péruvien Sergio Torres Aguilar était post-
sera dans l’année par Mexico, Montréal, Londres, ces registres, le Cartulaire de Notre-Dame de doctorant au LaMOP. C’est naturellement lui
Au Louvre, jusqu’au 29 janvier : « Le Trésor de Notre- Madrid, Séoul, Melbourne, Tokyo, Sao Paulo… Paris, en quatre volumes, remonte à l’un des qui a été chargé de mettre en place l’algo-
Dame de Paris, des origines à Viollet-le-Duc ». Dans la A l’Espace Notre-Dame, sur le parvis de la cathédrale : premiers directeurs de l’Ecole nationale des rithme. Il affiche sa satisfaction : « Le modèle
galerie Richelieu, l’occasion de voir la couronne « Notre-Dame de Paris : au cœur du chantier » (entrée chartes, Benjamin Guérard, en 1850. Faut-il y que nous avons mis au point peut désormais
d’épines et d’autres reliques sauvées au moment de gratuite) et « Eternelle Notre-Dame », expédition voir un signe : l’époque est au gothique, Vic- servir pour d’autres centres archivistiques », af-
l’incendie d’avril 2019. immersive à travers le temps et l’espace. tor Hugo pleure une cathédrale en décrépi- firme celui qui a été appelé au Luxembourg
A la Cité de l’architecture et du patrimoine, jusqu’en Sur les palissades du chantier, deux expositions tude, Viollet-le-Duc est appelé à son chevet. pour un travail similaire sur les documents
juin 2024 : « Notre-Dame de Paris. Des bâtisseurs photo : « Le chantier de Notre-Dame de Paris et ses mé- Serait-ce quand les édifices s’écroulent qu’on anciens du Grand-Duché. « Le projet est en
aux restaurateurs ». A noter : un colloque « Etudier No- tiers » et « Notre-Dame : la renaissance d’une icône ». se souvient du rôle des historiens ? open source. Il y a eu discussion entre nous
tre-Dame de Paris et son chantier » s’y tiendra du 22 Le Centre des monuments nationaux propose, enfin, « Mais le corpus est tellement énorme ! », bien sûr, mais, hormis l’obligation de citation,
au 24 avril. la visite croisée des chantiers de restauration de la constate Julie Claustre en roulant des yeux. nous avons décidé de ne mettre aucun verrou.
Au Mobilier national, du 24 avril au 28 juillet 2024 : Sainte-Chapelle et de Notre-Dame de Paris au XIXe siè- C’est là que l’intelligence artificielle s’avère De toute façon, quand il y a des verrous, ils fi-
« Grands décors de Notre-Dame ». Des chefs-d’œuvre cle, avec une visite commentée de la Maison du chan- un outil précieux en transformant les regis- nissent toujours par sauter », foi de scribe du
sauvegardés après l’incendie (notamment les treize tier et des métiers. Sur réservation. p tres en une base de données ouverte, consul- troisième millénaire, tabellion 2.0. p
« Mays », ces peintures autrefois offertes aux chanoines la. c. table, indexable, triturable à l’envi, éclairant laurent carpentier
0123
DIMANCHE 26 - LUNDI 27 NOVEMBRE 2023
« La Esmeralda »
de Louise Bertin, un
féminicide froid et cruel
La metteuse en scène Jeanne Desoubeaux a
transformé l’opéra hugolien en un manifeste
contre les violences faites aux femmes
OPÉRA
D es fumées et des écha-
faudages autour d’un
pilier gothique. En fond,
une rosace, quelques cloches.
Au sol, une petite scène posée sur
des tréteaux. Il n’en faut pas plus
à Jeanne Desoubeaux pour cam-
per une Notre-Dame de Paris en
chantier sur le plateau des Bouf-
fes du Nord. La scène parisienne,
désormais répertoriée dans le do-
maine du théâtre musical, pro-
pose jusqu’au 3 décembre une
adaptation de La Esmeralda, de
Louise Bertin (1805-1877), opéra
créé en 1836 à l’Académie royale
de musique sous la direction
d’Hector Berlioz à partir du célè-
bre roman de Victor Hugo, libret-
tiste pour cette unique occasion.
Nous sommes à la Fête des fous,
sorte de cour des miracles avec
sa galerie de marginaux en costu-
mes d’inspiration queer (un méli-
mélo de défroques moyenâgeu-
ses, romantisme revisité et my-
thologies contemporaines), entre
masques de gargouilles et provo-
cations sexuelles. Le tout sur
les battements d’une musique
techno conçue par Gabriel Lege-
leux – sulfureux relents médié-
vaux, infrabasses et harmoniques
saturées. Le glissement vers la par-
tition lyrique, présentée dans une
réduction chambriste arrangée
par le pianiste Benjamin d’Anfray,
se fera dans une subtile transition.
Tentation prosélyte
A rebours du mouvement de réha-
bilitation lancé ces dernières an-
nées vis-à-vis des compositrices
oubliées (La Esmeralda a connu
en 2008 un premier enregistre-
ment publié chez Accord sous la
direction de Lawrence Foster à
l’Opéra de Montpellier), Jeanne
Desoubeaux assume et revendi-
que à coups d’ajouts, de coupes et
de digressions une vision « forcé-
ment partielle » de l’opéra. Plus
exactement « partiale », car ancrée
dans la dénonciation de la vio-
lence faite aux femmes. Au bûcher
du désir allumé par Esmeralda la
sorcière trop libre, trop belle, trop
« étrangère », le contre-feu glaçant
d’un triple féminicide perpétré
par trois hommes : Frollo, l’archi-
diacre diabolique, le lâche et ser-
vile Quasimodo, et Phoebus, ma-
chiste et narcissique. En longue
chemise blanche, cheveux quasi
tondus, la jeune femme mourra
en martyre, telle la Jeanne d’Arc
du film de Carl Theodor Dreyer.
Le point fort du spectacle réside
avant tout dans un revigorant
contrepoint entre théâtre et musi-
que, deux disciplines dont la
metteuse en scène, qui a passé
deux ans au sein de l’Académie de
l’Opéra de Paris, possède assuré-
ment les codes. Mais ce travail scé-
LE POINT FORT
DU SPECTACLE
RÉSIDE AVANT TOUT
DANS UN REVIGORANT
CONTREPOINT
ENTRE THÉÂTRE
ET MUSIQUE
ESMERALDA, FINE
ET LUMINEUSE,
IDÉALEMENT
VICTIMAIRE, ÉMEUT
ET SÉDUIT DANS
UN RÔLE DONT ELLE
EXALTE LA PASSION
nique mené « allegro » se verra par
deux fois comme entravé par la
tentation prosélyte : après les in-
sultes lancées à la face d’un Quasi-
modo « agresseur sexuel » au Ca-
baret de la Pomme d’Eve (second
lieu de beuverie et dépravation),
la scène du viol d’Esmeralda, avec
sa molle chorégraphie de corps
en sous-vêtements chair et la sil-
houette d’un Frollo voyeur éjacu-
lant dans ses mains, accusera une
curieuse déperdition dramaturgi-
que, alors qu’elle devrait au
contraire en constituer l’apogée.
Côté instrumental, force est de
saluer la performance de l’Ensem-
ble Lélio, avec ses quatre excellen-
tes musiciennes (la violoniste
Marta Ramirez, la violoncelliste
Lucie Arnal, la clarinettiste Ro-
berta Cristini et la bassoniste
Aline Riffault), sous la direction au
clavier de Benjamin d’Anfray. Il
faut malheureusement déchanter
face à un casting vocal qui man-
que d’homogénéité, à commen-
cer par le Frollo de Renaud De-
laigue, dont le timbre élimé et l’in-
tonation incertaine sont parfois
pénibles à supporter. Si Christo-
phe Crapez incarne un Quasi-
modo assez lisse, incapable de
susciter la moindre compassion,
le Phoebus un peu débraillé de
Martial Pauliat intéresse davan-
tage. Le ténor réussit à tenir sa par-
tie non sans panache, de la balade
sadomaso tenu comme un chien
en laisse à une séance de péto-
mane cul à l’air, avant de finir sus-
pendu à une barre la tête en bas.
Seule la Esmeralda fine et lumi-
neuse, idéalement victimaire, de
Jeanne Mendoche émeut et sé-
duit dans un rôle dont elle exalte
la passion, les lignes pures et la
souple musicalité. C’est avec une
remarquable aisance que le co-
médien Arthur Daniel, en Clopin
Trouillefou (autoproclamé roi de
Thune), passera naturellement
du récitant meneur de jeu un rien
bouffon au chanteur de rue. p
marie-aude roux
La Esmeralda, de Louise Bertin.
Avec Jeanne Mendoche, Martial
Pauliat, Christophe Crapez, Arthur
Daniel, Renaud Delaigue, Jeanne
Desoubeaux (mise en scène et
adaptation), Cécile Trémolières
(scénographie), Alex Costantino
(costumes), Thomas Coux
(lumières), François Lanièce
(son et plateau), Paul Amiel (régie
générale et plateau), Gabriel
Legeleux (musique additionnelle),
Ensemble Lélio, Benjamin d’Anfray
(direction, arrangements et piano
romantique). Théâtre des Bouffes
du Nord, Paris 10e. Jusqu’au
3 décembre. Tél. : 01-46-07-34-50.
De 11 à 34 €. Bouffesdunord.com.
Reprise le 9 décembre
à l’Opéra Grand Avignon.
Tél. : 04-90-14-26-40. De 5 à 30 €.
culture | 27
Sophie Perez, l’inclassable
metteuse en scène libertaire
La fondatrice de la compagnie du Zerep présente une adaptation
de « Titus Andronicus », de Shakespeare, à la MC93 de Bobigny
THÉÂTRE Sophie Perez,
L e bien et le mal ? A 56 ans,
Sophie Perez ne sait
toujours pas ce que c’est.
D’où la tournure transgressive
des spectacles qu’elle crée, depuis
à la MC93 de Bobigny
(Seine-Saint-Denis),
le 23 novembre.
PHILIPPE LEBRUMAN
1998, au sein de sa compagnie, le
Zerep (anagramme de son nom).
D’où l’échec avéré de son éduca-
tion dans l’institution catholique
où l’avaient inscrite des parents
qui n’étaient pas à une contradic-
tion près : « A l’opposé de la rigi-
dité de ma scolarité, la maison
était un barnum absolu. Le matin,
j’assistais à la messe. Le soir, j’allais
avec ma grand-mère voir des opé-
rettes et, avec ma mère, applaudir
Zouc en scène », confie l’artiste,
assise sur un canapé hors d’âge
dans son atelier de travail.
Le lieu est un capharnaüm cha-
leureux : masques de carnaval
sur les étagères, photos et affiches
punaisées aux murs, figurines et
nains de jardin chinés dans les
brocantes, maquettes de décor, té-
lévision vintage. Sur sa carte de vi-
site, un diplôme délivré en 1990
par l’Ecole supérieure d’art drama-
tique, en scénographie et costu-
mes, et un séjour à la Villa Médicis,
dont elle devient pensionnaire à
l’âge précoce de 23 ans. L’artiste a
à son actif une trentaine de repré-
sentations, de performances et
d’expositions réalisées dans des
théâtres, musées ou galeries.
Rien d’étonnant à ce que Le
Théâtre et ses doubles, monogra- ainsi la cheffe de troupe, qui re- bitude avec le Zerep, il ne restera n’aiment pas le théâtre. » Inclassa-
phie consacrée au Zerep (à paraî- vendique son « côté Daumier » de l’auteur que des miettes (« On ble et indomptable, elle fuit le
tre chez Manuella Editions au (du nom du célèbre caricaturiste). prévoit tout de même de jouer tel dogmatisme et refuse de devenir
printemps 2024), soit cosignée par L’hypothèse de limites posées au quel un bout de l’acte V. »). Comme une « femme respectable ». A ceux
des historiens et des critiques mauvais goût et à l’irrévérence, d’habitude, le texte sera un pré- qui lui disent qu’il faut se réinven-
d’art. Les spectacles de la compa- pour cette fumeuse de clopes texte pour bâtir un ovni spectacu- ter, elle rétorque : « On ne fait que
gnie lorgnent du côté de Musset compulsive, n’est pas un sujet. Les laire où s’exposeront le pire et le ça. » Elle n’exagère pas. p
(Laisse les gondoles à Venise, 2005), parodies pornographiques et les meilleur des acteurs, des héros, de joëlle gayot
de Gombrowicz (Gombrowiczs- fesses à l’air des acteurs sont un nous-mêmes, tel un miroir grand-
how, 2008) ou de Feydeau (Purge, gimmick de ses plateaux. Les guignolesque des pulsions. La vengeance est un plat.
Baby, purge, 2018) mais aussi vers hommes s’habillent en robe et les Sophie Perez l’avoue : « On est La lamentable histoire
les dadaïstes, les surréalistes ou femmes s’affublent de mousta- une sorte de patate chaude. On fait de Titus et André Nicus. MC93 de
les plasticiens contemporains, ches. « On manipule le genre de- du théâtre pour les gens qui Bobigny. Du 25 au 30 novembre.
Louise Bourgeois (1911-2010) en puis toujours », rappelle Sophie
tête. Pas question de contraindre Perez, que l’on imagine mal céder
dans une discipline exclusive un un pouce de ses tendances liber-
geste créatif qui déborde de par- taires devant des interdits mo-
tout, même s’il respecte une dra- raux. « Il y a plus de vingt ans, des
maturgie réglée à la virgule près. spectateurs se levaient en criant :
“C’est une honte !” » Le temps
Chaos organisé passe, la houle se calme.
Sophie Perez, qui aimerait ne plus Le public a, depuis, appris à par-
lire « foutraque » ou « déglingué »
sous la plume de ses commenta-
ler le Zerep : une langue complexe
qui emprunte sa grammaire à la
Samuel Beckett
De
teurs, organise le chaos sur le pla-
teau, ce qui est un moyen de le
structure des rêves. Associations
libres, lapsus, condensation ou di-
Alain Françon
Mise en
scène
faire exister en le contenant. Elle latation des durées, exploration
Avec
Dominique Valadié
Premier
dit donner « une forme à des cho- des inconscients. Invité de mar-
ses impensables », cite les influen- que dans des décors ornementés
ces du peintre James Ensor (1860- entre le kitsch et l’antique, le re-
amour
1949) ou du cinéaste Federico foulé surgit grâce à des comé-
Fellini (1920-1993) et précise : « Ce diens (Stéphane Roger, Sophie Le-
que nous faisons entrecroise le ca- noir, Françoise Klein, Gilles Gas-
baret, le sport, la peinture, le récit. » ton-Dreyfus et Marlène Saldana)
Les uppercuts visuels, parlés, mu- qui assument leurs excès sans se
Production Théâtre des nuages de neige — Coproduction Théâtre Montansier de Versailles
sicaux, chorégraphiés et oniriques cacher. Rompus aux improvisa-
qu’elle conçoit portent des intitu- tions tous azimuts, ils proposent
lés aux tonalités narquoises : La et leur metteuse en scène dispose.
vengeance est un plat. La lamenta- Ils n’accouchent pas de momies
ble histoire de Titus et André Nicus, mais de vivants en chair et en os. « Magnifique »
actuellement présenté à la MC93 « On est sur l’humain, et l’humain Les Echos
de Bobigny, devance l’arrivée (en est une affaire compliquée », af- —
« Brillante
juin 2024, au Rond-Point, à Paris) firme Sophie Perez, consciente Dominique
de La Meringue du souterrain. que ses fictions sont impuissan- Valadié »
Bien avant ces deux créations, il tes à rivaliser avec les catastro- L’Humanité
y eut Détail sur la marche arrière phes fourbies par le quotidien. —
(2001), Bartabas tabasse (2009) Pour rester « à la hauteur du « Dynamique
ou encore Deux masques et la bordel ambiant », elle convoque et jouissif »
plume (2010). Des titres qui con- donc Shakespeare, « le cador », et Le Monde
voquent le rire, un ingrédient la première de ses tragédies, Titus
sans lequel la sauce ne prendrait Andronicus (1594), qu’elle qualifie
pas. Il est arrivé plus d’une fois d’une formule lapidaire : « Des co-
à sa compagnie de brocarder la chons du pouvoir. » Comme d’ha-
communauté artistique dans des
séquences hilarantes et mordan-
tes. En 2011, à Avignon, Jean Vilar
était épinglé dans Oncle Gourdin. « On manipule
Et Vincent Macaigne ferait bien
le genre
de se méfier : « On doit pouvoir
dire quelque chose de lui dans no- depuis portestmartin.com
Magasins Fnac, fnac.com
tre spectacle puisqu’il a travaillé
Shakespeare dans la salle où nous
toujours »
allons jouer à Bobigny », prévient SOPhIE PEREZ
28 | culture
La profusion jazz et rock de Zappa
« Over-Nite Sensation » est réédité, avec des inédits et deux concerts
MUSIQUE
orti début septembre 1973,
l’album Over-Nite Sensa-
tion est probablement
l’un des plus connus de
Frank Zappa (1940-1993), l’un de
ses plus accessibles dans une ap-
proche rock, funk et jazz fusion,
régulièrement placé dans le haut
des classements des enregistre-
ments du guitariste, chanteur,
auteur-compositeur américain.
Avec plus de 500 000 exemplaires
vendus, c’est l’un de ses rares suc-
cès commerciaux. La célébration
du cinquantième anniversaire de
la parution du disque donne lieu à
la publication d’un coffret de 4 CD
et 1 Blu-ray, avec plusieurs inédits
en studio, deux concerts et, pour
la partie Blu-ray, le mixage origi-
nal de l’album en quadriphonie
réalisé à l’époque et un nouveau
mixage surround en 5.1.
Dans Over-Nite Sensation,
Zappa, qui a souvent abordé le
thème de la sexualité, y va fran-
chement : Dirty Love, avec un père
de famille pervers et une mère qui
utilise son caniche comme objet
sexuel ; Dinah-Moe Humm, où
une jeune femme prend plaisir à
regarder sa sœur et un homme
faire l’amour, occasion pour
Zappa de se lancer dans une partie
parlée, comme un rap avant
l’heure. Il s’attaque, dans I’m the
Slime, au déferlement de stupidi-
tés diffusé par la télévision (« gros-
sière et pervertie », « outil du gou-
vernement »), conte aussi quel-
ques absurdités dans Camarillo
Brillo, où une sorcière de pacotille
VOUS ÊTES
DANSE ?
PLUTÔT
ABONNEZ-VOUS
Florentina Holzinger
Anne Teresa
De Keersmaeker
Angelin Preljocaj
Lucinda Childs /
Robert Wilson
Trajal Harrell
Rachid Ouramdane /
Ballet du Grand Théâtre
de Genève
Benjamin Millepied /
Nico Muhly
…
lavillette.com
Frank Zappa et son groupe, lors de la tournée nord-américaine de 1973. JEFFREY MAYER
règne sur un monde de crapauds
et de tritons, Zomby Woof et son
personnage de film d’horreur,
Montana avec son cow-boy qui
veut planter du fil dentaire pour le
récolter et en faire commerce (!)…
Une équipe de musiciens de
haut vol accompagne Zappa. Le
!
A L B U M S
S É L E C T I O N
violoniste de jazz Jean-Luc Ponty, quez, le tromboniste Bruce
le claviériste George Duke, apte à Fowler, le bassiste Tom Fowler et
se glisser dans de nombreux gen- le batteur Ralph Humphrey. Et de
res, le claviériste, saxophoniste, nombreuses parties de chœur as-
clarinettiste et flûtiste Ian Unde- surées par le trio vocal The Ikettes,
rwood et, aux percussions mélo- avec Tina Turner, affirmation de
diques et rythmiques, Ruth Unde- l’approche soul et funk de Zappa
rwood, le trompettiste Sal Mar- pour cet album. Le tyrannique et
violent Ike Turner ayant détesté le
résultat, il refusa qu’elles soient
mentionnées sur la pochette de
l’album.
Improvisation instrumentale
Aux sept chansons de l’album, de-
venues, pour la majorité d’entre
elles, des classiques du répertoire
de Zappa, jouées régulièrement
lors des concerts dans les années
suivantes, sont ajoutées une ving-
taine d’archives sonores. Certai-
nes avec une mise en avant de par-
ties instrumentales (Fifty-Fifty),
compositions hors album déjà
très abouties, qui seront dévelop-
pées lors de concerts ou réenregis-
trées plus tard (Inca Roads, RDNZL,
X-Forts (Echidna’s Arf (of You))…).
Les producteurs Ahmet Zappa
et Joe Travers ont choisi deux
concerts de la tournée nord-amé-
ricaine de fin février à mi-mai
1973. Celui à l’Hollywood Palla-
dium, à Los Angeles (Californie)
comme celui au Cobo Hall, à De-
troit (Michigan), ne présentent
que quelques extraits d’Over-Nite
Sensation, sur lequel Zappa et ses
musiciens travaillent encore.
Au Palladium, l’improvisation
instrumentale est plutôt dévelop-
pée, notamment lors de Dupree’s
Paradise, Big Swifty, Don’t You
G A L E R I E
Ever Wash That Thing ?… Au Cobo
Hall, Zappa et sa troupe n’étant pas
la seule formation à l’affiche, si
l’on découvre une longue version
d’Inca Roads très jazz (Marquez et
Ponty), ce sont plutôt des citations
d’anciens thèmes qui sont au pro-
gramme, dont Dog Breath, Uncle
Meat, King Kong, Chunga’s Re-
venge et Son of Mr. Green Genes.
Et l’une des premières interpréta-
tions en concert d’une « extrava-
ganza », comme le dit Zappa, la
suite Don’t Eat the Yellow Snow.
Enfin, pour les différents mixa-
Trajal Harrell, The Romeo © Christophe Raynaud de Lage
ges, tant celui en quadriphonie
que celui en 5.1, un effet envelop-
pant souligne ici et là des subtili-
tés musicales, valorise légère-
ment un son d’instrument, une
partie vocale. Sans ajouter de dé-
bordements tournoyants, la pro-
fusion musicale de l’album se suf-
fisant à elle-même. p
sylvain siclier
Over-Nite Sensation
50th Anniversary Super Deluxe
Edition, de Frank Zappa,
Zappa Records/Universal Music.
0123
DIMANCHE 26 - LUNDI 27 NOVEMBRE 2023
QUAT U OR AR OD
Debussy – Ravel – Attahir
Œuvres de Claude Debussy, Benjamin
Attahir et Maurice Ravel par
le Quatuor Arod.
Apparu très tôt sur la scène contempo-
raine, Benjamin Attahir (34 ans) a dé-
passé depuis longtemps le stade des
promesses, comme en témoigne Al Asr, qui apparente
d’abord le quatuor à cordes à un métier à tisser, dont la pro-
duction, nullement mécanique, aboutit à des textures de
toute beauté. Changement de piqué, ensuite, avec une acti-
vité qui évoque celle d’un essaim d’abeilles. Tour à tour
soyeux et incisif, le tapis vaguement oriental d’Attahir se dou-
ble d’une dimension spirituelle très prenante. Les Arod affi-
chent un semblable engagement, tantôt fougueux, tantôt
subtil, au service de Maurice Ravel, dont le Quatuor à cordes
bénéficie ici d’une nouvelle édition critique. Interprété au dé-
but, celui de Claude Debussy fait, en revanche, figure d’intrus,
par son interprétation policée, dans un programme à domi-
nante plastique. Le Quatuor Arod : ménage à quatre, film du
documentariste Bruno Monsaingeon proposé en DVD bonus,
permet d’appréhender les enjeux d’une telle formation.
« Le quatuor est un animal qui se transforme tous les jours », y
déclare Jérémy Garbarg, le dernier venu. L’« animal », qui fête
son dixième anniversaire en 2023, a effectivement beaucoup
changé depuis sa naissance, puisque ni Garbarg, le violoncel-
liste, ni l’altiste actuel, Tanguy Parisot, n’étaient de la partie
en 2017, lors de la création d’Al Asr ; ce qui ne semble pas avoir
nui au premier enregistrement mondial du magnifique opus
d’Attahir. p pierre gervasoni
Erato/Warner Classics.
I R ON AN D WI N E
Who Can See Forever Soundtrack
Géniteur voilà vingt ans d’un premier
album indie folk épuré au charme
inoxydable, The Creek Drank the Cradle
(2002), l’auteur-compositeur-interprète
américain Sam Beam s’est par la suite
audacieusement détourné de son
étiquette d’ascète à la guitare sèche. En élargissant son corpus
original par des collaborations régulières avec Calexico, mais
aussi avec l’orchestre afrobeat Antibalas, le Chicago Under-
ground Duo (jazz d’avant-garde), Califone (country-rock expé-
rimental) ou encore Tin Hat Trio (musique de chambre blue-
grass). Ce premier album live, qui accompagne le
documentaire du même nom (réalisé par Josh Sliffe, sortie
sur les plates-formes en 2024), reflète la volonté de Beam
de réinventer constamment son répertoire. Soit 19 titres
capturés lors de deux soirées au Haw River Ballroom de Saxa-
pahaw (Caroline du Nord), le barbu à la voix de velours et sa
six-cordes étant accompagnés d’un quintette parfait (clavier,
violoncelle, trio d’harmonies vocales, batterie/percussions).
Et la joie certaine de retrouver de vieilles connaissances dans
des apparats gracieux (On Your Wings, Passing Afternoon,
Naked as We Came). p franck colombani
Sub Pop/Modulor.
I Z EM
In Ze Early Morning
iZem, globe-trotteur dans l’âme, beat-
maker, producteur et DJ français basé
à Montpellier après huit années passées
à Lisbonne, où il a enregistré en 2016
Hafa, son premier album, a bourlingué
en bien des endroits. Sa musique reflète
son insatiable appétence pour le nomadisme. Kaléidoscope
d’influences, elle résonne de ses rencontres, amicales et musi-
cales, rayonne de soul tropicale, de chansons latines, de reg-
gae, de funk et de hip-hop assouplis de douceur ensoleillée.
Elle respire et diffuse à l’envi de bonnes vibrations. Flavia
Coelho y slame en brésilien et français (Sua pele), le Bahianais
Lucas Santtana (installé lui aussi dans le sud de la France)
chante sur une pulsation reggae des paroles dénonçant les in-
justices sociales (Maria Antonieta), le Capverdien lisboète Dino
D’Santiago et la Colombienne Jimena Angel envoûtent avec le
timbre mélancolique de leur voix. Compositeur habile, iZem
a l’art, aussi, de savoir bien s’entourer. p patrick labesse
Elis Records-Alter K/Bigwax Distribution.
K Lire aussi sur Lemonde.fr « Nocturnes & Barcarolles »,
de Gabriel Fauré, par le pianiste Marc-André Hamelin.
PHI LEMON A WI LLI AMS ON
Galerie Semiose
C’est la première fois que
l’Afro-Américaine Philemona
Williamson, née en 1951 à
New York, expose en Europe.
Ce qui est révélateur des
difficultés auxquelles les
artistes de cette origine se
AURELIEN MOLE/SEMIOSE sont si longtemps heurtés.
La peinture de Williamson
est pourtant subtile, séduisante par ses harmonies colorées
au premier regard, énigmatique et mélancolique pour peu
qu’on s’y attarde. Ce sont des scènes étranges, à demi inquié-
tantes, à demi sensuelles : une adolescente blonde allongée
sur le dos d’un garçon noir qu’elle paraît écraser ; un garçon
avec une bouée trop grande autour du cou ; une jeune femme
qui s’apprête à tordre le cou à une oie aux yeux bleus ;
une brune à l’air mauvais dont on ne sait si elle veut noyer
une adolescente noire ou seulement lui laver les cheveux.
Pastèques et fleurs font allusion au Deep South (le Sud pro-
fond), où les esclaves travaillaient aux champs. D’autres
allusions sont moins cruelles : poses alanguies, déshabillés
transparents. D’autres encore viennent de l’enfance de l’ar-
tiste. Telle est la singularité de sa peinture : elle réunit auto-
biographie, onirisme peu soucieux de vraisemblance et
symbolisme personnel. Le mot « révélation » n’est pas exces-
sif à son propos. p philippe dagen
« The Borders of Innocence », à la galerie Semiose, 44, rue Quincampoix
(Paris 4e). Du mardi au samedi, de 11 heures à 19 heures.
Jusqu’au 30 décembre. Semiose.com
0123
DIMANCHE 26 - LUNDI 27 NOVEMBRE 2023
Traque dans les eaux troubles des réseaux sociaux
La série, entre feuilleton policier et drame de bureau, se distingue par sa figure centrale, une stagiaire surqualifiée
13ÈME RUE
DIMANCHE 26 - 21 HEURES
SÉRIE
L
éna (Marie Colomb) ap-
partient à la cohorte
des stagiaires surqualifiés.
Dans un bureau dépri-
mant de la Préfecture de police pa-
risienne, elle cohabite avec deux
CDI, « community managers » en
titre de cette institution, qui en sa-
vent cent fois moins qu’elle en ma-
tière de réseaux sociaux, univers
aussi familier à la jeune femme
que les récifs coralliens à Jacques-
Yves Cousteau. Comme ces der-
niers, la communauté que Léna
est censée aider à manager cache
des prédateurs, en l’occurrence un
tueur en série qui fascine aussitôt
la jeune femme, d’autant que
le criminel se prend d’amitié pour
elle sur un réseau social.
Il est toujours amusant de voir
comment les auteurs de fiction
contournent le tabou que les
géants du Net ont imposé quant à
l’utilisation de leurs réseaux et
moteurs de recherche : les auteurs
ont choisi la simplicité plutôt que
le pastiche et, selon une méthode
devenue classique, les échanges
en ligne s’affichent sur l’écran en
même temps que l’action avance.
A l’aune de la mécanique poli-
cière, Follow ne se distingue guère
du tout-venant de la production
française. Les fausses pistes s’ac-
La France, mauvais élève du recyclage du plastique et de la consigne du verre
Le journaliste Hugo Clément suit, entre autres, le parcours d’un pot de yaourt, de la poubelle où il est jeté jusqu’à l’usine de recyclage… en Espagne
FRANCE 5
LUNDI 27 - 21 H 05
MAGAZINE
U n caméraman filme un
caméraman qui filme
Hugo Clément. Se mettre
en scène est devenu la marque de
fabrique du coproducteur et pré-
sentateur de « Sur le front », le ma-
gazine qui dénonce les aberra-
tions environnementales de notre
société de consommation. Autant
s’en accommoder, d’autant qu’il
s’attaque aujourd’hui au sujet es-
sentiel du recyclage du plastique
GRILLE N° 23 - 274
PAR PHILIPPE DUPUIS
Retrouvez l’ensemble de nos grilles sur
1 2 3 4 5 6
I
II
III
IV
V de continents. Traîne autour de
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 23 - 273
HORIZONTALEMENT I. Provocateurs. II. Horizon. Unie. III. Ou. Ontarien.
IV. Sciences. Eus. V. Portée. Tissu. VI. Huée. Rois. Ea. VII. Ol. TB. Ou.
VIII. Râtelier. Spi. IX. Edo. Anions. X. Réincarcérée.
VERTICALEMENT 1. Phosphorer. 2. Roucoulade. 3. Or. Ire. Toi. 4. VI. Etêté.
5. Ozone. Lac. 6. Concertina. 7. Ante. Obéir. 8. Asti. Roc. 9. Eur (rue). Iso.
Ne. 10. Unies. USSR (URSS). 11. Rieuse. 12. Sensualité.
Léna (Marie Colomb). 13ÈME RUE
cumulent, sans toujours écarter le
soupçon de n’exister que pour
ajouter encore un épisode. Face à
un criminel qui joint à la sophisti-
cation sadique d’Hannibal Lecter
(ses victimes mettent longtemps
à mourir, chaque meurtre est mis
en scène sur Internet) le savoir-
faire numérique de Mr. Robot, les
scénaristes peinent à maintenir
les enquêteurs dans la course,
multipliant les incohérences, lais-
et du verre, deux filières dans les-
quelles la France ne brille pas, avec
23 % de ses plastiques recyclés,
contre 56,3 % en Slovaquie, 51,4 %
en Espagne et 37,6 % dans l’Union
européenne. La démarche est
louable, puisqu’elle est censée
convaincre les téléspectateurs
de la nécessité d’accélérer le re-
tour de la consigne. Elle n’est tou-
tefois pas sans risque.
Passons sur quelques approxi-
mations, comme « la consigne en
France, cela marchait très bien jus-
qu’en l’an 2000 », énoncé en com-
mentaire – ladite consigne est
jeux.lemonde.fr
7 8 9 10 11 12
sant la trame se défaire dans les
derniers épisodes… Et pourtant
ces six épisodes laissent une im-
pression profonde, singulière.
De la vulnérabilité à l’arrogance
Elle tient d’abord à cette figure de
femme seule, isolée du monde
par une espèce de bruit blanc fait
de « posts », de « likes » et de « fol-
lows ». Marie Colomb, que l’on a
vue, entre autres, dans le rôle-titre
tombée en désuétude à partir de
la fin des années 1960. Signalons
plutôt le reportage sur le système
efficace de consigne propre à l’Al-
sace et celui réalisé chez Uzaje (ex-
SolZero), une start-up fondée
en 2019 et présidée par Emma-
nuel Auberger. Cet ancien direc-
teur marketing, puis directeur gé-
néral vins chez Saint-Gobain
Containers, s’est converti dans le
lavage industriel des bouteilles
en verre pour réemploi. La filière
est promise à un bel avenir.
Le gouvernement vient ainsi
d’abandonner l’idée de consignes
HORIZONTALEMENT
I. Nouvelle distribution des rôles et
des postes. II. Taillera en pièces. Au-
trefois, à l’embouchure de l’Euphrate.
III. Retrait en bout de ligne. Elimine-
ra. IV. Un Jules lui a donné son nom
de plume. Fragile et bien défendue
au jardin. L’étain. V. Conviennent.
Des chatons sur les branches. VI. Ru-
minant disparu. Le gros ne s’occupe
pas des initions. VII. Sur la portée.
Jérémiade. Termine son cours dans
la Méditerranée. VIII. Regroupement
la Bastille. IX. A bien servi. Arrive
sur place. X. Reprendras ton travail et
tes crayons.
VERTICALEMENT
1. Recouvre la première couverture.
2. Une grande chez les scouts.
3. Trouvée aux puces. Unité
de mesure de rayonnement absorbé.
4. Couverte de genêts et de bruyères.
Caution. 5. Espace de culture. Evitez
de les chercher. 6. Fabrications de
chapeaux, tapis et autres espadrilles.
7. Personnel. Toutes en fuite.
8. Ronge lentement. En vain. 9. Essaie
de ne rien perdre au passage. Rejette
en bloc. 10. Facilite le soulèvement.
11. Sensibilise les plus jeunes à l’an-
glais. Pavlova ou Karina. 12. Copiés et
adaptés.
de Laëtitia (2020), passe en un ins-
tant de l’extrême vulnérabilité à
l’arrogance, au gré des exigences
du moment. L’acuité du regard
posé sur la précarité née d’une in-
terminable attente aux portes de
la vraie vie prend le pas sur la
mise en scène des crimes et des
efforts pour châtier ceux-ci.
Autour de Léna, le scénario a dis-
posé une série de personnages
qui vont de la caricature du vieux
pour recyclage, pour valoriser la
consigne pour réemploi, fixant
un objectif – mais sur la base du
volontariat – de 10 % d’emballages
réemployés d’ici à 2027. En atten-
dant, seuls soixante-dix super-
marchés pratiquent la consigne
en France… sur les 30 000 grandes
surfaces alimentaires recensées
par l’Insee en 2020.
Ce qui nous ramène au recy-
clage. Afin de démontrer son inef-
ficacité pour les plastiques
en France, Hugo Clément et Kako
Naït Ali, docteure en chimie, pas-
sent une large partie de l’émis-
SUDOKU
N°23-274
4 3
6 7 2 9
7 1 9 Chaque chiffre ne doit
9 5
5 6 4 2 7 3 par
Réalisé par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)
Avec Ara
gon, Bernar
d Lavillie
rs, Cather
télévision | 29
rond-de-cuir avec qui la stagiaire
partage son bureau à la figure tu-
télaire de la commissaire Ruffin,
qu’incarne Marilyne Canto – haut
fonctionnaire un peu rigide, qui
tente, avec l’énergie du désespoir,
de préserver sa protégée (et néan-
moins suspecte) des attentions
du tueur, tout en essayant de la
faire entrer dans la vraie vie.
Cet arrangement étrange entre
le feuilleton policier et le drame de
bureau ne pourrait convaincre
sans la mise en scène de Louis
Farge. On se prend, par moments,
à admirer son art de contourner
les limites imposées par un bud-
get dont le résultat laisse à penser
qu’il fut chiche. Mais le plus sou-
vent, on se laisse aller au plaisir de
suivre Léna dans ses errances,
qu’elles soient intérieures, dans
ce paysage mental qui se reflète
sur une multitude d’écrans, ou
dans un Paris fragmenté, à la géo-
graphie impossible et pourtant
immédiatement reconnaissable,
peuplé de spectres qui marchent
les yeux rivés sur leur téléphone. p
thomas sotinel
Follow, série écrite par Sophie
Dab, Florian Spitzer, Blanche
Bigot et Delphine Chouraqui,
réalisée par Louis Farge
(Fr., 2023, 6 × 45 min). Avec
Marie Colomb, Marilyne Canto,
Vincent Heneine.
A la demande sur Universal+.
sion à suivre un pot de yaourt,
d’une poubelle jaune jusqu’à
sa destination finale… à Valence,
en Espagne.
Le pot de yaourt n’a pas été
choisi par hasard. Il est composé
majoritairement de polystyrène
(plastique pour lequel il n’existe
pas de filière de recyclage en
France) et d’un opercule qui con-
tient de l’aluminium. Seulement
3 % des 60 000 tonnes de pots
de yaourt collectés dans le pays
redeviennent des pots de yaourt,
le reste servant de combustible,
entre autres pour des cimenteries.
1 3 6 9 7 5
4 5 8 2 3 1
2 7 9 8 6 4
4 2 5 9 1 4 7 8 3 2
5 6 7 4 1 2
6 8 8 2 3 5 9 6
6 8 5 1 2 9
7 9 1 3 4 8
4 2 6 5 7 1
8 5 Expert
Complétez toute la
8 grille avec des chiffres
allant de 1 à 9.
être utilisé qu’une
6 2 seule fois par ligne,
colonne et par
carré de neuf cases.
UNE ŒUV
RE
UNE VIE,
ION
ÉDIT 3
202
LÉO FERRÉ
L’INDIGNÉ
Léo
Un hors-série du « Monde »
ré
Fedirgn
L’in é 124 pages - 10,50 €
Chez votre marchand de journaux
ine Ribeiro
, Marie-Chr
istine Fer
ré…
et sur lemonde.fr/boutique
NOTRE
SÉLECTION
D IM AN CHE 26 N OV EM BR E
France 2
Les Tontons flingueurs
21.10 Contrairement à la gnôle fatale
qu’ingère la bande des tontons
au gosier pentu dans une scène
d’anthologie, le film de Georges
Lautner (1963) continue de garder
son immarcescible et gouleyante
fraîcheur au fil du temps.
France 5
Poujade,
à l’assaut de la République
22.50 Cédric Gruat revient sur Pierre
Poujade, qui fonda le poujadisme,
un syndicat et un mouvement
politique des années 1950, dont
le nom est devenu le synonyme
d’une attitude réactionnaire.
LU N D I 27 N OV EM BR E
RMC Découverte
Concorde : la techno d’un avion
hors norme
21.10 Vingt ans après son dernier
vol, le 26 novembre 2003, et vingt-
trois ans après l’accident fatal
d’un Concorde d’Air France, l’avion
supersonique continue de fasciner.
Mezzo
Martha Argerich et Lahav Shani
à deux pianos
21.20 Martha Argerich a joué à deux
pianos avec beaucoup de ses
collègues, dont, surtout, son grand
ami Nelson Freire. Elle interprète
ici Prokofiev, Rachmaninov et Ravel
avec l’Israélien Lahav Shani.
Quant au recyclage du verre,
« comptez sur Mélisande [Seyzé-
riat, une militante de l’associa-
tion Zero Waste] pour vous mon-
trer que ce n’est pas si vertueux »,
dit la voix off… Peut mieux faire
donc, y compris en matière de tri.
Or, « si les gens ne sont pas persua-
dés qu’il y a un intérêt au tri, ils ne
vont pas trier », rappelle Kako Naït
Ali. Là est l’écueil à éviter. p
catherine pacary
Verre, plastique : qui bloque
le retour à la consigne ?, de
Paul Cabanis (Fr., 2023, 52 min).
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 67-69, avenue Pierre-Mendès-France,
75013 Paris. Tél. : 01-57-28-20-00
4 2 8
9 7 6 Abonnements par téléphone au 03 28 25 71 71
5 3 1 (prix d’un appel local) de 9 heures à 18 heures.
6 5 Depuis l’étranger au : 00 33 3 28 25 71 71.
8 9 3 Par courrier électronique :
abojournalpapier@lemonde.fr.
7 1 4
Tarif 1 an : France métropolitaine : 399 ¤
3 4 7
6 5 2 Courrier des lecteurs
8 9 Par courrier électronique :
courrier-des-lecteurs@lemonde.fr
Internet : site d’information : www.lemonde.fr ;
Emploi : www.talents.fr/
Collection : Le Monde sur CD-ROM :
CEDROM-SNI 01-44-82-66-40
Le Monde sur microfilms : 03-88-04-28-60
La reproduction de tout article est interdite
sans l’accord de l’administration. Commission
paritaire des publications et agences de presse
n° 0722 C 81975 ISSN 0395-2037
PRINTED IN FRANCE
67-69, avenue
Pierre-Mendès-France
Directrice générale
75013 PARIS
Elisabeth Cialdella Tél : 01-57-28-39-00
Fax : 01-57-28-39-26
L’Imprimerie, 79, rue de Roissy,
93290 Tremblay-en-France
Midi-Print, Gallargues le Montueux
Origine du papier : France, Belgique.
Taux de fibres recyclées : 87 %. Ce journal est imprimé sur un
papier issu de forêts gérées durablement et de sources controlées.
Eutrophisation : PTot = 0.008 kg/tonne de papier
30 | carnet 0123
DIMANCHE 26 - LUNDI 27 NOVEMBRE 2023

Mme Denis Couvreur, Madeleine Le Roy Ladurie, Michel Kopciowski, Sainte-Marie-de-Ré.

née Marie-Christine Maréchal, son épouse, son mari,
sa maman, François et Elisabeth Toute sa famille
Le Roy Ladurie, Marie Kopciowski, Eric Philippon,
Damien et Alix Couvreur de Mello, Franck Philippon, Abdel Soui,
en vente Le Carnet son frère et sa belle-sœur, Anne et Thomas Chattaway, a la douleur et le chagrin de faire part
ses enfants, ses enfants, du décès de
actuellement Elliott et Noé, Benoît, Lucien, Claire, Irène, Laurent, Manea, Garance, Rozenn, Basile,
ses neveux, Martin, Etienne,
Vous pouvez nous faire parvenir Mathilde, Khelil, Louis, Mme Rolande RODRIGUEZ,
ses petits-enfants
née 26 juin 1929,
K En kiosque vos textes soit par e-mail : ont la profonde douleur d’annoncer
la disparition brutale, de
et leurs conjoints,
Cléophée et Renée,
ses petits-enfants,
carnet@mpublicite.fr ses arrière-petites-illes, survenu le 19 novembre 2023, à La
(en précisant impérativement ont l’immense douleur de faire part Rochelle, à l’âge de quatre-vingt-
Blandine, du décès du quatorze ans.
HORS-SÉRIE
votre numéro de téléphone et ont la tristesse de faire part du décès
votre éventuel numéro d’abonné de
survenue le 1er novembre 2023. La cérémonie religieuse aura lieu
ou de membre de la SDL) docteur Maeva
Emmanuel LE ROY LADURIE, MAURISSET KOPCIOWSKI. le lundi 27 novembre, en l’église
Ainsi elle a rejoint dans les étoiles historien, Saint-André de Chelles, suivie de
soit sur le site : son père, membre de l’Institut, l’inhumation dans la sépulture
https://carnet.lemonde.fr ancien professeur Née à Papeete, le 21 mars 1941, elle familiale, du cimetière de la même
LES Denis au Collège de France, est décédée paisiblement au soleil commune.
SECRETS L’équipe du Carnet reviendra vers grand oicier
DE LA couchant à l’hôpital Taaone de Papeete,
MYTHOLOGIE vous dans les meilleurs délais et son frère, de la Légion d’honneur. Ni leurs ni couronnes. Des dons
le samedi 11 novembre 2023.
pour vous confirmer la parution.
LES DIEUX NORDIQUES
peuvent être faits au proit de la lutte
En partenariat avec

La cérémonie religieuse sera contre le sida et le cancer.

Clément. célébrée le mardi 28 novembre 2023, Après une scolarité à Saint-Junien,
Hors-série à 10 h 30, en l’église Notre-Dame-de-
carnet@mpublicite.fr Qu’ils reposent ensemble en paix l’Arche-d’Alliance, 81, rue d’Alleray, elle a poursuivi ses études de médecine Qu’elle repose en paix.
https://carnet.lemonde.fr pour l’Eternité. Paris 15e. à Bordeaux, et s’est spécialisée en
rééducation fonctionnelle. Elle a été « Tu n’es plus là où tu étais,
Les obsèques auront lieu le mardi L’inhumation aura lieu dans Mais tu es partout là où je suis. »
successivement responsable de la Victor Hugo.
28 novembre, à 10 h 30, en l’église l’intimité familiale.
rééducation au centre Hélio Marin
HORS-SÉRIE

AU CARNET DU «MONDE» Saint-Louis-en-l’Île, Paris 4e.

(Le Monde du 25 novembre.) de Saint-Trojan-les-Bains et au centre
d’appareillage d’Île-de-France pour
Souvenir
Décès Fleurs pastels uniquement.
Jean-Claude Trichet, les anciens combattants. Revenue à Le 25 novembre 2022,

40 Mme Françoise Berès, 32, quai de Béthune, président, Tahiti, elle s’est consacrée au handicap
sa femme, 75004 Paris. Bernard Stirn, au sein du centre Te Tiare et avec les Ariane REYRE,
CARTES Tanguy, Gilles (†), Julie, Fleur, secrétaire perpétuel née CHAUVELOT,
POUR COMPRENDRE
Et les membres de l’Académie des équipes de la Fraternité Chrétienne.
UN MONDE FRACTURÉ Mathieu, Manu, Charlotte, Catherine Larousse, sciences morales et politiques,
ses enfants, nous a quittés.
Pinok, Une messe et des veillées ont eu
Sacha, Marius, Nathan, Mathias, ont la tristesse de faire part de la
Hors-série Violette, Salomé, Gaspard, Simon, lieu à Papara et Papeete. Elle manque terriblement à Denis,
ont la tristesse d’annoncer le décès disparition de leur confrère,
Suzanne, Abel, Gael et Louise et elle restera toujours
de dans leurs cœurs.
ses petits-enfants, L’inhumation s’est déroulée dans
Aldine (†), Anisabelle, Pervenche, Emmanuel LE ROY LADURIE, l’intimité familiale, au cimetière
Mathilde DUMONT, membre de l’Institut, Si vous l’avez un jour croisée,
Anémone, Angélique, Platane, Achille, L’Uranie de Papeete, le samedi
dite « Matho », connue, aimée ayez une douce pensée
HORS-SÉRIE

ses frères et sœurs, 18 novembre.

comédienne, pour elle en ce jour anniversaire.
Marie-Pierre,
le 22 novembre 2023.
sa belle-sœur,
survenu le 19 novembre 2023, Michel Kops,
UN LONG CHEMIN
VERS L'INFINI
Ses neveux et nièces,
à Tremblay-en-France. Les obsèques seront célébrées Lecture
Milojka, BP 120777,
le mardi 28 novembre, à 10 h 30,
Ses nombreux amis et camarades en l’église Notre-Dame-de-l’Arche- 98 712 Papara, (Tahiti). Les Soliloques de Rachi,
de lutte, Les obsèques auront lieu le Irène Jacob
d’Alliance, 81 rue d’Alleray, Paris 15e. michelkops17@gmail.com
mercredi 29 novembre, à 14 heures, lit Irène Némirovsky,
ont la douleur de faire part du décès au cimetière intercommunal de ce lundi 27 novembre 2023,
Tremblay-en-France (Seine-Saint- L’administrateur, Vincent et Barbara Michelot, à 20 heures.
du L’assemblée des professeurs
Denis). Cécile Michelot et Jim Rose, Centre d’art et de culture,
Hors-série Et toute la communauté Espace Rachi,
docteur du Collège de France, ses enfants et leurs conjoints,
Jacques BERÈS, Catherine Larousse et Pinok, Martin, Marianne, Ariane, Angus, 39, rue Broca, Paris 5e.
cofondateur et ancien président 49, rue du Berry, apprennent avec une profonde tristesse www.culture-juive.fr
ses petits-enfants,
de Médecins sans frontières, 93290 Tremblay-en-France. le décès de
Musée d'Histoire de Nantes

cofondateur Communication diverse

Exposition : 14.10.23 - 05.05.24

ont la tristesse de faire part du décès

HORS-SÉRIE

de Médecins du monde, Josette,

Comment ancien président son épouse, Emmanuel LE ROY LADURIE, de
les Mongols professeur honoraire
ont changé d’Aide médicale internationale, Alexandre, Julien, Antoine,
le monde
ancien président du Collège de France, Josette MICHELOT,
ses enfants titulaire de la chaire
des Enfants du Canal,
GENGIS chevalier de la Légion d’honneur,
et leurs familles, Histoire de la civilisation moderne
de 1973 à 1999.
née SIMONET,
docteur en médecine,
KHAN survenu le 13 novembre 2023.
ont la tristesse de faire part du décès
de survenu le 18 novembre 2023, Envie d’être utile ? Rejoignez-nous !
En partenariat
avec
Ils rendent hommage à une igure
Une cérémonie civile en sa mémoire majeure de l’historiographie française à Clermont-Ferrand,
Jean-Luc FOURNEAU, Les bénévoles de SOS Amitié
a eu lieu au crématorium du du 20e siècle dont les travaux sur les à l’âge de quatre-vingt-six ans.
Hors-série sociétés paysannes européennes, du écoutent
cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e, survenu le 19 novembre 2023, à Balma, Moyen Âge à l’époque moderne, ont par téléphone et/ou par internet
le vendredi 24 novembre, à 13 h 30. à l’âge de quatre-vingt-un ans. Elle reposera auprès de son époux,
puissamment contribué aux succès de ceux qui soufrent de solitude,
l’anthropologie historique. de mal-être et peuvent avoir
HORS-SÉRIE Véronique Carayon, Anne Carayon- La crémation a eu lieu le jeudi Philippe MICHELOT des pensées suicidaires.
Magnier et Geneviève Mifsud, 23 novembre, à 10 heures, au (1935-1999).
ses illes, Alger. Rennes. Aix-en-Provence.
crématorium de Toulouse Sud. Nous recherchons des écoutants
L’ATLAS
DES
6 000 ANS 150 CARTES
Léonore et Saskia Tideman,
Maélys et Eliott Magnier, Lou Pratali La famille remercie celles et ceux
Toulouse.

Mme Françoise Mehdi,

Les obsèques ont eu lieu ce samedi
bénévoles
sur toute la France.
25 novembre, à 15 heures, au cimetière
D’HISTOIRE & INFOGRAPHIES
ainsi qu’Alexandre et Victor Mifsud, qui par leur présence ou leurs marques son épouse, L’écoute peut sauver des vies
ses petits-enfants, de sympathie s’associent à sa peine. Rostane et Catherine, de Saint-Seine-sur-Vingeanne (Côte- et enrichir la vôtre !
César Lemaire, Nazim et Audrey, d’Or). Choix des heures d’écoute,
son arrière-petit-ils Vous pouvez faire un don en sa ses ils et belles-illes, formation assurée.
et leurs familles, mémoire, à la Fondation de France Marie-Morjane, Pierre-Idris, Kenza,
Merouane et Badis, Famille Michelot,
ou la Ligue contre le cancer. En IdF RDV sur
ont la tristesse de faire part du décès ses petits-enfants, 17 bis, avenue du Général-de-Gaulle,
www.sosamitieidf.asso.fr
Hors-série de 63670 La Roche-Blanche.
Pascale, Denis, Frank et Arnaud, ont la tristesse de faire part du décès En région RDV sur
vincentmichelot5@gmail.com www.sos-amitie.com
ses enfants du
Mme Anne BILLOIR, cecilemferguson@gmail.com
PFAT en Extrême-Orient et leurs conjoints,
professeur
et ancienne combattante, Ses petits-enfants, Mohamed MEHDI,
chef du service Société éditrice du « Monde » SA
UNE VIE, UNE ŒUVRE

ÉDITION
2023 survenu à Toulouse, ont la douleur de faire part du décès de chirurgie orthopédique Président du directoire, directeur de la publication Louis Dreyfus
Directeur du « Monde », directeur délégué de la publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
le 18 novembre 2023, de et traumatologique, HCA, Directrice de la rédaction Caroline Monnot
à l’âge de quatre-vingt-dix-sept ans. président d’honneur Direction adjointe de la rédaction Grégoire Allix, Maryline Baumard, Philippe Broussard, Nicolas Chapuis,
de la Société algérienne de chirurgie Emmanuelle Chevallereau, Alexis Delcambre, Marie-Pierre Lannelongue, Franck Nouchi, Harold Thibault
M. Alain GLIKSMAN, orthopédique et traumatologique, Directrice éditoriale Sylvie Kauffmann
Léo
Une messe est célébrée ce samedi
25 novembre, à 15 h 30, en l’église membre de la SOFCOT Directrice déléguée au développement des services abonnés Françoise Tovo
Ferré et de la SICOT, Directeur délégué aux relations avec les lecteurs Gilles van Kote
survenu le 18 novembre 2023, au Havre,
L’indigné
de Goudourville (Tarn-et-Garonne), Rédaction en chef Laurent Borredon, Emmanuel Davidenkoff (Evénements), Jérôme Gautheret, Michel Guerrin,
suivie de l’inhumation dans le à l’âge de quatre-vingt-onze ans. Nicolas Jimenez (photographie), Sabine Ledoux (cheffe d’édition),Alain Salles (Débats et Idées)
Avec Aragon, Bernard Lavilliers, Catherine Ribeiro, Marie-Christine Ferré…
survenu à Rennes, le 19 novembre 2023,
cimetière attenant. Direction artistique Emmanuel Laparra
dans sa quatre-vingt-dixième année. Infographie Delphine Papin
Hors-série L’inhumation aura lieu le lundi
Directrice des ressources humaines du groupe Emilie Conte
Nous remercions les personnes 27 novembre, à 15 heures, au cimetière L’inhumation a eu lieu à Draria Secrétaire général de la rédaction Sébastien Carganico
qui s’associeront à notre peine. de Gressey (Yvelines). (Algérie), le 23 novembre. Conseil de surveillance Aline Sylla-Walbaum, présidente, Gilles Paris, vice-président

HORS-SÉRIE

LES
SECRETS
DE LA
MYTHOLOGIE
LES DIEUX DE BABYLONE

En partenariat avec

Hors-série

Nos services
Lecteurs
K Abonnements
Sur abo.lemonde.fr

Lelondt
Par tél. au 03 28 25 71 71
de 9 h à 18 h (prix d'un appel local)

K Le Carnet du Monde Le Canet

carnet@mpublicite.fr
Pour touteinformation : carnet@mpuhlicite.r ~ Prix à la ligne: 33C TTC.
0123
DIMANCHE 26 - LUNDI 27 NOVEMBRE 2023
Madeleine Riffaud
« Témoigner m’a offert une deuxième vie »
ENTRETIEN
T rois jours plus tôt, un début d’incendie
a ravagé son salon. Madeleine Riffaud,
99 ans, était seule dans l’appartement.
Les pompiers sont arrivés à temps et, une fois
de plus, l’ancienne résistante a survécu. Alitée
et aveugle, la poétesse garde une mémoire très
vive de son incroyable vie et tient à témoigner.
En s’offrant, au milieu de l’entretien, un de ces
petits cigares qu’elle apprécie tant…
Je ne serais pas arrivée là si…
… Si je n’avais pas reçu un formidable coup
de pied au cul, à la gare d’Amiens, en novem-
bre 1940. C’est un officier allemand qui me l’a
administré parce que je refusais les avances
de ses soldats. Je suis tombée à terre. Je n’aime
pas être humiliée. Surtout à un moment où
la France entière était humiliée. Alors, ce coup
de pied d’un nazi m’a poussée à m’engager
dans la Résistance. Encore fallait-il trouver
comment y entrer. Je n’avais que 16 ans. Qui
aurait voulu d’une pareille gamine dans son
réseau ? Ce n’était pas commode de trouver la
bonne porte.
Pourquoi vouliez-vous tant vous engager ?
Cela venait peut-être de l’exemple de mon
grand-père, un ouvrier agricole, un type très
bien, qui ne voulait pas fuir devant l’ennemi.
Et de mon père, aussi. Lors de la guerre de 1914-
1918, il s’était engagé à 18 ans, s’était mutiné et
avait été gravement blessé. En 1936, au mo-
ment de la guerre d’Espagne, il a souhaité de
nouveau s’engager. On n’a pas voulu de lui,
à cause de sa jambe gauche en capilotade. Ma
propre prise de conscience politique remonte
également à la guerre d’Espagne. Dans un ma-
gazine qui traînait sur le bureau de mon père,
j’avais été très frappée par les photos montrant
des enfants pris dans la guerre, tués par les
franquistes. J’aurais été grande, je serais partie
là-bas. Mais j’avais quoi ? 12 ans. Alors, l’engage-
ment a attendu…
Comment avez-vous rejoint la Résistance ?
Je suis tombée malade, bien opportunément,
et, en 1941, j’ai été envoyée six mois dans un sa-
natorium pour étudiants, à Saint-Hilaire-du-
Touvet, en Isère, de l’autre côté de la ligne de
démarcation. Son directeur, Daniel Douady,
cachait des résistants, des juifs munis de faux
certificats médicaux. En bas, il y avait aussi une
imprimerie clandestine, dont il gardait la clé
dans sa poche. C’est au sanatorium que j’ai ren-
contré Roger et Marcel Gagliardi, deux frères
dont le père était ami du mien. La tuberculose
a rapidement emporté Roger. Je me suis liée
avec Marcel, un étudiant en médecine devenu
résistant dès 1940. Il était persuadé qu’il allait
mourir lui aussi de la tuberculose et me disait :
« Je ne veux pas mourir dans mon lit, mais
en combattant. » Je lui ai demandé de me faire
entrer dans la Résistance. Il ne voulait pas. J’ai
insisté : « Tu es comme mon père, vous voulez
que tout le monde soit résistant, sauf votre
fille ou votre petite copine. Vous êtes des égoïs-
tes ! » Après notre départ du sanatorium, il a
fini par me confier une mission. Je devais por-
ter un paquet à un cheminot, à l’autre bout de
Paris. Il contenait une clé de tire-fond pour dé-
boulonner des rails et faire dérailler les trains,
mais ça, je ne l’ai su qu’après.
D’autres missions ont suivi,
dont une qui consistait à abattre
un Allemand, le 23 juillet 1944…
Vous connaissez Le Chant des partisans :
« Ami, si tu tombes, un ami sort de l’ombre à ta
place. » Beaucoup sont tombés, alors j’ai monté
assez vite les échelons de la Résistance et je suis
entrée dans l’organisation des Francs-tireurs
et partisans. Le débarquement de Normandie
avait eu lieu et il fallait intensifier les actions
afin que Paris se soulève. Nous devions envoyer
un signal, effectuer un geste marquant, en abat-
tant un Allemand devant tout le monde, un of-
ficier si possible, pour montrer que c’était la so-
lution. J’ai cherché qui pouvait s’en charger.
Mais j’avais déjà perdu beaucoup d’hommes.
Trois jours plus tôt, on avait encore tiré dans
le dos d’un de mes meilleurs camarades, Char-
les Martini, alors qu’il avait la clé du local où
étaient cachées nos armes. Il a été transporté,
mourant, à l’hôpital Saint-Antoine, et j’ai dû
me rendre à son chevet pour récupérer la clé. Je
pensais aller à la mort, car deux sentinelles alle-
mandes gardaient sa porte. Je ne saurai jamais
comment, une infirmière a réussi à écarter un
instant ces deux hommes. J’ai donc pris la clé,
puis trouvé les armes. Martini est mort juste
après. Raison de plus pour tuer un nazi. Mais
ceux qui devaient s’en occuper sont morts, ou
JE NE SERAIS PAS ARRIVÉE LÀ SI…
L’ancienne résistante, qui fut
poète, journaliste et longtemps
militante communiste, revient
sur le « coup de pied au cul »
d’un nazi qui a fait basculer sa vie
n’ont pas pu, ou pas osé. Or, c’était une mission,
il fallait l’effectuer. Pas le choix : j’ai dû y aller
moi-même. Je n’avais pas le moral bien haut.
J’ai pris mon vélo et roulé au hasard. C’était
un très beau dimanche d’août. Les Parisiens se
baladaient au soleil. J’ai suivi la Seine, et, en pas-
sant devant le pont de Solférino, j’ai vu un sous-
officier allemand, seul. Je ne voulais pas lui tirer
dans le dos, moi. J’ai attendu qu’il se retourne.
Deux balles dans la tête. Il est mort sur le coup.
Mission accomplie…
Oui, tout semblait aller bien. Sauf que l’on
m’avait vue. Alors que j’étais remontée sur
mon vélo, une voiture à essence – donc une voi-
ture de la mort, car seuls les Allemands ou les
collabos en avaient – m’a foncé dessus et ren-
versée. C’était la voiture du chef de la milice de
Versailles. Dans les rues, des affiches promet-
taient 10 000 francs à ceux qui livraient des
« terroristes ». Comme il voulait son chèque, il
m’a amenée directement à la Gestapo, rue des
Saussaies. Là, c’était la chambre des tortures.
Vous avez été torturée longtemps ?
Trois semaines seulement.
C’est déjà énorme !
J’ai pensé que je ne tiendrais pas. J’ai été pas-
sée à tabac, j’ai eu le nez cassé, mais ils n’ont
rien pu obtenir de moi. L’homme qui m’avait
arrêtée me disait qu’abattre quelqu’un comme
je l’avais fait ne respectait pas les lois de la
guerre. Je lui ai répondu en parlant d’Oradour-
sur-Glane : « Et ça, ce sont les lois de la
guerre ? » Après les Allemands, ce sont les poli-
ciers français de la brigade spéciale, celle char-
gée de traquer les résistants, qui ont tenté de
me faire parler. Ils ont torturé devant moi une
femme enceinte de 8 mois. Ils lui criaient : « Tu
as un enfant juif dans le ventre ! », parce que
son mari était juif. Ils l’ont fait accoucher à
coups de bottes. Avec d’autres agents qui
étaient là, très différents de leurs chefs, on a
tenté d’aider cette femme, on lui a bourré le va-
gin avec des torchons pour stopper l’hémorra-
rencontre | 31
A Paris, le 16 août 2021.
CHRISTOPHE ARCHAMBAULT/AFP
gie. Elle est morte, malgré tout. Le lendemain,
le chef m’a dit : « Tu as fait un scandale hier, tu
ne parles pas, tu m’engueules, j’en ai marre.
Pour les femmes comme toi, ce qu’il faut, c’est
douze balles dans la peau ! » Je lui ai répondu :
« Toi avant moi. » Il m’a renvoyé aux Alle-
mands, qui ont confirmé la sentence.
Vous voici donc condamnée à mort…
Evidemment ! Mais je voulais bien être fu-
sillée, moi. J’ai même dit : « Merci, monsieur »
à l’Allemand qui me l’a annoncé. Je souffrais
trop, je voulais que ça se finisse. Et je ne voulais
pas être déportée, je voulais mourir à Paris,
comme Missak Manouchian et les membres
de son groupe.
Pourtant, vous êtes toujours vivante…
Je devais être fusillée le 5 août 1944. Ce jour-là,
j’étais tranquille dans ma cellule, contente,
en train d’écrire un poème en guise de lettre
d’adieu, quand un officier allemand est arrivé
et m’a dit : « Confrontation. » Je lui ai répliqué :
« Non, moi kaputt ! » Mais ils m’ont emmenée
de nouveau rue des Saussaies pour me
confronter à un traître, le propriétaire du pis-
tolet que j’avais utilisé. Cela m’a évité d’être
¶ fusillée. Ensuite, j’ai été internée et torturée
Madeleine, dix jours à Fresnes, jusqu’à ce que, le 15 août,
résistante, on me fiche avec d’autres prisonniers dans un
de Dominique Bertail train pour Ravensbrück. Certaines femmes
(dessin), rêvaient : « On va aller travailler dans les
Madeleine Riffaud et champs et vite revenir. » Toutes sont mortes.
Jean-David Morvan Et moi qui pensais mourir, j’en ai réchappé.
(scénario). Dupuis. Tout cela parce qu’une femme de l’Intelligence
Deux tomes déjà parus, Service, une certaine Anne-Marie, a profité d’un
cinq ou six à suivre moment de chahut pour me faire sauter du
train avec elle. Deux SS qui buvaient dans un
bar nous ont vues et arrêtées. « Vous voyez, ce
n’était pas la peine », ai-je dit à Anne-Marie. « Tu
apprendras qu’un jour est un jour », m’a-t-elle
répondu. Chaque jour de gagné est bon à pren-
dre, donc. Nous avons finalement bénéficié
d’un échange de prisonniers, parce que le con-
sul de Suède, Raoul Nordling, voulait sauver
Anne-Marie. Nous avons été libérées le 19 août,
et nous avons entendu les premiers coups de
feu de l’insurrection, la libération de Paris.
Vous y avez participé ?
Oui. J’ai pris le commandement d’un déta-
chement et, au dernier moment, on m’a de-
mandé d’intercepter un train allemand qui
arrivait aux Buttes-Chaumont. Nous n’étions
que quatre. « Démerdez-vous ! », m’a intimé
mon chef. Comme nous avions reçu trois pa-
quets de dynamite, nous les avons balancés,
depuis une passerelle, dans le tunnel où le train
était bloqué. Nous avons ainsi capturé 80 sol-
dats de la Wehrmacht, récupéré leurs armes…
et aussi le champagne et le foie gras qu’ils vou-
laient expédier en Allemagne. Autant dire
qu’on a bien mangé, ce jour-là. Soudain, j’ai réa-
lisé qu’on était le 23 août, le jour de mes 20 ans.
En 1945, vous avez reçu la croix
de guerre avec une citation à l’ordre
de l’armée signée du général de Gaulle.
Etait-ce pour ces faits d’armes ?
Pour ceux-là, et pour une dernière mission
qui m’a été confiée après l’histoire du train, et
que j’ai accomplie, fin août 1944, en banlieue.
Mais il ne faut pas en dire plus.
Pourquoi, si longtemps après ?
C’est toujours secret-défense.
Après la Libération, vous devenez
journaliste pour la presse communiste,
correspondante de guerre. Vous n’aviez
pas envie de passer à autre chose ?
Après ce que nous avions traversé, on ne pou-
vait plus vivre comme les autres, faire un mé-
tier normal. Pendant la guerre, des Allemands
ont torturé devant moi des gens que je ne
connaissais pas, en disant qu’ils arrêteraient
si je parlais. Ils me lançaient : « Regarde ! Re-
garde ! » J’ai décidé d’en faire mon métier : aller
sur le terrain, regarder la vérité et la dire. Té-
moigner, en particulier pour agir contre le co-
lonialisme : je ne voulais pas que la France
fasse ailleurs ce que les nazis voulaient faire ici.
Brigitte Friang, une autre résistante, est deve-
nue reporter de guerre de la même façon. Nous
nous sommes d’ailleurs retrouvées à Saïgon.
Et ce nouveau métier vous a valu
d’être encore en danger…
Oui, parce que l’OAS, qui défendait l’Algérie
française par tous les moyens, a condamné à
mort les journalistes qui s’opposaient à cette
nouvelle guerre. En juin 1962, alors que je rou-
lais vers Oran avec le reporter de RTL Jean-
Pierre Farkas, notre voiture a été prise pour ci-
ble par l’OAS. Un attentat terrible, dont je souf-
fre encore. J’y ai perdu un œil, et mes fractures
ne se sont jamais tout à fait résorbées. Mais,
après, je n’ai plus jamais été blessée. Et, un an
et demi plus tard, j’étais de nouveau sur le ter-
rain, dans les souterrains du Vietcong.
Longtemps, vous n’avez rien dit
de votre guerre. Qu’est-ce qui
vous a décidée à en parler ?
Une discussion en 1994 avec Raymond
Aubrac, un de mes anciens grands chefs dans
la Résistance. Au moment du cinquantenaire
de la Libération, il m’a secouée : « Dis donc, tu
vas enfin l’ouvrir, ta gueule ? » Pour éviter que
nos copains morts ne soient oubliés, il tenait
à ce que j’aille parler aux historiens, dans les
écoles, partout. Au début, je n’étais pas très
chaude. Je n’avais aucune envie de retrouver
la rue des Saussaies. En réalité, témoigner
m’a offert une deuxième vie. Maintenant, je
peux mourir tranquille.
Vous êtes même devenue autrice
et héroïne de bande dessinée !
Quand cet animal de Jean-David Morvan m’a
contactée, je ne savais pas ce que c’était qu’une
bande dessinée. J’ai découvert que c’était un
très bon moyen de transmettre la vérité.
Vous avez saisi l’occasion pour révéler
que le milicien chargé de vous faire passer
la ligne de démarcation vous avait violée.
Pourquoi avoir tant attendu ?
Je me disais : « Pour quoi faire ? » Mais j’ai eu
tort de ne pas parler plus tôt.
Aujourd’hui, vous menez un nouveau
combat en justice…
Oui, contre la directrice de l’agence de main-
tien à domicile qui s’est occupée de moi et m’a
escroquée de plus de 140 000 euros en profi-
tant du fait que je suis aveugle. Elle a été mise
en examen. Le procès aura lieu le 19 décembre,
mais je n’ai plus un sou pour me payer un avo-
cat. J’ai aussi écrit au président de la Républi-
que. Il n’y a plus de place dans les hôpitaux, c’est
le drame dans les Ehpad, alors on incite les gens
à rester chez eux. Encore faut-il que le ménage
soit fait dans le secteur du maintien à domicile.
Je peux être une voix qui porte sur ce sujet.
Vous avez participé à trois guerres.
Que vous inspirent celles d’aujourd’hui ?
Beaucoup de peine. Le monde est en sang. On
a essayé de l’améliorer, on a sans doute échoué.
Je le laisse dans un état qui n’est vraiment pas
celui que j’aurais voulu. Vous voyez, il faut dire
la vérité, même quand elle est sombre. p
propos recueillis par denis cosnard
32 |
IDÉES
Alain Trannoy et Etienne Wasmer
Le retour de la question foncière
Les deux économistes observent que la science
économique a longtemps négligé l’analyse
des biens fonciers, qui revient aujourd’hui avec
le thème de la finitude des ressources naturelles
Le contexte
Qu’y a-t-il de commun entre
l’indispensable transition
agricole, la protection
de l’environnement et de
la biodiversité, les politiques
de logement et de mobilité,
la réindustrialisation,
les inégalités sociales et les
mutations du capitalisme ?
Réponse : le foncier.
Au XVIIIe siècle, les aléas
de la production agricole
sont au cœur de la richesse
mais aussi des crises :
le foncier est alors au centre
de la science économique
naissante. L’industrialisation,
l’urbanisation et la
mondialisation financière
ont ensuite occulté son rôle
fondamental. La crise
environnementale nous
contraint aujourd’hui
à « atterrir », selon le mot
du philosophe Bruno Latour.
Antoine Guironnet
et Ludovic Halbert
Les habits neufs
du capitalisme financier
Les deux chercheurs décrivent l’irrésistible ascension
du secteur de la gestion d’actifs immobiliers,
qui pèse 11 000 milliards d’euros à l’échelle mondiale
LA CROISSANCE DE
CET EMPIRE VARIE
EN FONCTION
DES TERRITOIRES
ET DES DOMAINES
D’ACTIVITÉ
LE FONCIER, UNE TERRE RARE
Le sol est à la fois une ressource naturelle, une rente et
le support de tous les usages. Un enjeu économique, écologique
et politique longtemps négligé par les économistes
L
es collectivités territoriales n’ont
plus qu’une préoccupation : com-
ment gérer le casse-tête de la der-
nière réforme en date, la pénurie
programmée des sols qu’engendre
le zéro artificialisation nette ? Qu’il
s’agisse de la régénération des sols agricoles
appauvris, de la nécessité de trouver des ter-
rains pour la réindustrialisation, de l’objec-
tif de densification des villes pour ne plus
empiéter sur les espaces naturels et agrico-
les, des difficultés pour les primo-accédants
d’être propriétaires de leur logement, de la
montée des inégalités de patrimoine, il y a
matière à réflexion pour la discipline éco-
nomique contemporaine. Or celle-ci a
perdu de vue de la question foncière, pour-
tant défrichée par d’illustres économistes.
Depuis les débuts de la discipline écono-
mique, avec les physiocrates, les écono-
mistes ont bien compris une caractéristi-
que essentielle du foncier qui le distingue
en particulier du capital. Le sol n’est pas
« produit », il se contente d’être l’héritage
du lointain passé géologique, contraire-
ment au capital dit « productif », qui, lui,
est le fruit d’un effort. Certes, on peut vou-
loir gagner sur la mer – on l’a fait ici ou là
aux Pays-Bas ou à Dubaï –, mais, ven-
geresse, la mer grignotera à terme ces
modestes avancées, ici ou là.
Le sol doit bien sûr être travaillé pour
coller aux usages – agricole, récréatif, ter-
rain d’assise de l’immobilier, d’habitation
ou professionnel : viabilisation, renatura-
tion, ajout de matière organique et d’en-
grais, couvert végétal de plantes régénéra-
trices. Mais la donnée de base est que la
Q
ue l’urbanisation soit un rouage
de l’accumulation du capital ne
surprend guère, au vu des prix éle-
vés du logement. L’exercice d’un
droit de propriété exclusive sur le sol per-
met à tout propriétaire d’extraire de la va-
leur en encaissant des loyers ou des plus-
values à la revente. La défiscalisation de
type Pinel et les plates-formes comme
Airbnb comptent parmi les avatars con-
temporains les plus connus de cette mé-
canique de la rente foncière.
Ce qui l’est moins, c’est que l’immobilier
et les infrastructures aient été financiari-
sés à mesure de la place croissante qu’y oc-
quantité de foncier dans un pays est pres-
que fixe, sauf à entrer dans un conflit pour
accaparer les terres des pays voisins – ce
qui est d’ailleurs, hélas, la constante de
l’histoire de l’humanité, et qui démontre
sa valeur économique et symbolique.
Les marchés à offre fixe ont deux pro-
priétés spécifiques. D’abord, dans un
modèle concurrentiel, c’est la demande qui
fixe le prix. C’est en fait un marché d’en-
chères : une parcelle appartient à celui qui
en offre le plus. Ensuite, si on taxe le pro-
priétaire foncier d’une manière uniforme
quel que soit l’usage, il devra supporter en-
tièrement le poids de la taxe. Celui-ci ne
peut être diminué par un défaut d’entre-
tien qui lui ferait perdre sa fonction – le
foncier « brut » n’a pas besoin d’être entre-
tenu pour exister – ou par une « délocalisa-
tion » de ce patrimoine à l’étranger : le fon-
cier est, par essence, l’exemple du bien to-
talement immobile.
Cette dernière remarque peut paraître tri-
viale, mais la comparaison avec la taxation
d’autres dimensions du patrimoine est
éclairante. Par exemple, une taxe sur le bâti
UNE TAXE SUR
LES MACHINES
OU LE CAPITAL
PEUT ÊTRE ÉVITÉE
EN LES DÉMÉNAGEANT
À L’ÉTRANGER.
LE PROPRIÉTAIRE DU SOL,
LUI, NE PEUT RIEN
FAIRE POUR L’ÉVITER
cupe la finance de marché. L’affaire n’est
pas entièrement nouvelle, à l’image du Pa-
ris d’Haussmann. Elle prend cependant
aujourd’hui une ampleur et une portée
spatiale inédites en raison du déploiement
d’un « capitalisme de gestion d’actifs ».
Ce terme renvoie à l’ascension, ces vingt
dernières années, de gérants de fonds et de
sociétés foncières qui canalisent l’épargne
vers le cadre bâti des villes, à l’instar de
Blackstone, d’Axa et d’Unibail. Concrète-
ment, ils lèvent des capitaux auprès des
ménages et des investisseurs institution-
nels (compagnies d’assurances, fonds de
pension, fonds souverains), qu’ils placent
en acquérant des lieux de travail, de con-
sommation et d’habitat mis en location.
En transformant les immeubles en actifs
financiers, les gérants maximisent les re-
venus de la rente foncière au profit de ces
clients-investisseurs, tout en leur permet-
tant de diversifier leurs placements habi-
tuels, comme la dette souveraine.
Critères sélectifs
Méconnus du grand public, les fonds et so-
ciétés sont propriétaires de nombreuses
adresses : centres commerciaux, tours et
complexes de bureaux, résidences étu-
diantes ou seniors, ou encore plates-for-
mes logistiques. Au total, les analystes esti-
ment ces avoirs à 11 000 milliards d’euros
en 2021 à l’échelle mondiale. En France, la
valeur de ce patrimoine a gonflé de 80 %
en une décennie, pour s’établir à 365 mil-
liards d’euros. De 2012 à 2022, ces acteurs
ont investi pour 25 milliards d’euros en
moyenne, soit l’équivalent de soixante-dix
Stade de France par an.
peut décourager l’entretien, d’où, à terme,
une diminution de l’offre en qualité ou en
volume. Une taxe sur les machines ou le
capital peut être évitée en les déménageant
à l’étranger. Le sol présente cette particula-
rité précieuse, et quelque part unique, que
son propriétaire ne peut rien faire pour
éviter de payer la taxe. Les physiocrates, les
économistes classiques – Smith, Ricardo,
Malthus, Mill – avaient tous perçu cette ca-
ractéristique unique, qui leur faisait re-
commander la taxe foncière parmi toutes
les taxes disponibles de leur temps, car pré-
sentant peu de dommages collatéraux en
termes de rétraction des ressources dispo-
nibles pour l’économie.
Densité exceptionnelle
Henry George (1839-1897), journaliste,
homme d’affaires puis homme politique
américain de la seconde moitié du
XIXe siècle, va même en faire un pro-
gramme, avec l’ouvrage Progress and
Poverty (1879), qui sera le deuxième livre le
plus vendu aux Etats-Unis après la Bible à
cette époque. L’originalité de George est de
mettre l’accent sur la terre urbaine, alors
que ses prédécesseurs pensaient au fon-
cier agricole. Lui, le premier, a compris que
la valeur du sol urbain tenait à sa locali-
sation, et que la valeur de celle-ci tenait à
des aménités naturelles, par exemple la
proximité de la mer, mais aussi aux effets
d’agglomération.
La différence de valeur du même type
d’appartement dans les quartiers centraux
des agglomérations et leur périphérie pro-
vient de la valeur de la centralité. Ces effets
d’agglomérations tiennent aussi aux
investissements publics de toute nature
effectués dans le centre des villes depuis
des siècles, qui se traduisent par une den-
sité exceptionnelle d’offre culturelle et de
services. Toutes ces aménités publiques et
privées sont capitalisées dans le prix du sol
et enrichissent le propriétaire foncier…
sans qu’il y soit pour quelque chose.
Certes spectaculaire, la croissance de cet
empire varie en fonction des territoires et
des domaines d’activité. A Paris, leur part
dans la propriété des immeubles de bu-
reaux s’élève du simple (50 %) à l’échelle de
la commune au double (près de 100 %)
dans le quartier central des affaires. Par
contraste, leur présence dans le logement
demeure très marginale à l’échelle natio-
nale, malgré leur récent regain d’intérêt
pour ce type de placement.
Si le secteur n’a pas fait main basse sur
tout l’immobilier en France, c’est que ses
critères d’investissement sont très sélec-
tifs. Il privilégie tendanciellement les mé-
tropoles (surtout la région parisienne, qui
capte 70 % des investissements), l’immobi-
lier d’entreprise (bureaux, commerces, lo-
gistique), les bâtiments massifs regroupés
au sein de pôles d’affaires et loués à quel-
ques grandes entreprises.
La financiarisation des villes contribue
ainsi au creusement des inégalités territo-
riales. Elle alimente aussi la standardisation
architecturale. Avec des effets en cascade
sur la vie quotidienne : difficultés des PME à
accéder à cette offre immobilière, quartiers
désertés après l’heure de fermeture des bu-
reaux, cherté du logement étudiant.
Ces effets sont aussi économiques. Si les
gérants d’actifs immobiliers prétendent gé-
rer l’épargne de M. Toulemonde, ils partici-
pent à reproduire les inégalités patrimonia-
les. L’assurance-vie dont provient une par-
tie des capitaux qu’ils administrent est par
exemple détenue pour moitié par les 10 %
les plus riches, selon l’Insee. Ce même
décile est surreprésenté au capital des fonds
dits « grand public », comme les SCPI.
0123
DIMANCHE 26 - LUNDI 27 NOVEMBRE 2023
Le message de George a eu du mal à pas-
ser auprès des économistes américains de
son temps, parce qu’il présentait des fai-
blesses. Taxer à 100 % les revenus fonciers,
car telle était bien sa proposition, pouvait à
bon droit être vu comme un moyen
détourné de nationaliser le sol, une pro-
position qui peut s’entendre, mais qui
heurtait de plein fouet l’intérêt d’une mul-
titude de propriétaires fonciers.
Et, de toute façon, l’augmentation des
dépenses publiques rendait irréaliste
qu’elles puissent toutes être financées par
un unique impôt, car telle était bien son
ambition. La taxation sur le revenu des
personnes physiques et des entreprises
semblait, dans tous les pays, un moyen
plus aisé de réunir les recettes fiscales que
demandait en particulier le réarmement à
l’approche du premier conflit mondial.
Beaucoup d’économistes contemporains
ont oublié ces enseignements ou les igno-
rent, car ils ne collent pas avec leur vision
du monde. Pourtant, la question de la fini-
tude des ressources naturelles, qui était
centrale chez les économistes classiques,
nous revient comme un boomerang après
la folle croissance économique en cours
depuis cent cinquante ans. Parmi ces res-
sources naturelles figure le sol et ses
conflits d’usage, qui redeviennent aigus. Il
faudra adapter nos prélèvements pour faire
de cette rareté programmée une source de
redistribution harmonieuse. p
Alain Trannoy est directeur d’études
à l’EHESS et à l’Ecole d’économie
d’Aix-Marseille ; Etienne Wasmer est
professeur associé à Sciences Po et
à la New York University à Abou Dhabi.
Ils ont notamment écrit « Le Grand
Retour de la terre dans les patrimoines »
(Odile Jacob, 2022)
Les conséquences sont enfin politiques.
Parce qu’ils contrôlent d’importants capi-
taux, les gérants d’actifs sont courtisés par
des collectivités territoriales. Celles-ci for-
ment des coalitions avec des promoteurs
et consultants à l’écart de la délibération
démocratique. Les attentes des gérants
d’actifs percolent ainsi dans les politiques,
ici pour garantir le financement de l’im-
mobilier de bureaux, là pour garantir celui
du logement « intermédiaire », à destina-
tion des classes moyennes.
La remontée des taux d’intérêt déstabilise
aujourd’hui ce secteur. De quoi gripper
l’idée, en vogue parmi les décideurs politi-
ques, de faire appel à la gestion d’actifs pour
transformer les bureaux vides en loge-
ments, ou pour la rénovation énergétique
du parc immobilier. A moins, bien sûr, que
l’Etat ne lui renouvelle son soutien en ap-
portant des garanties juridiques et budgé-
taires supplémentaires – avec pour effet de
relancer un cycle de financiarisation du
foncier et de l’immobilier des métropoles. p
Antoine Guironnet est chercheur
associé au Centre d’études européennes,
Sciences Po ; Ludovic Halbert
est chargé de recherche CNRS
au laboratoire Techniques, territoires, so-
ciétés (université Gustave-Eiffel). Ils ont
notamment écrit « L’Empire urbain de la
finance. Pouvoirs et inégalités
à l’ère du capitalisme de gestion
d’actifs » (Amsterdam, 320 p., 22 €)
0123
DIMANCHE 26 - LUNDI 27 NOVEMBRE 2023 idées | 33

LA CHRONIQUE
DE DOMINIQUE MÉDA
Florence Goffette- glaises a montré qu’en 2008 le
prix des logements aurait baissé
de 35 % en l’absence des contrain-
tes imposées à leur construction
Cette indispensable régulation
de l’usage des sols va donc à
l’encontre de la production de
logements abordables, en tout
Les jeunes et le travail,
Nagot Au cœur par les règles d’urbanisme. De
plus, l’augmentation des prix
fonciers oriente le profil social
des nouveaux résidents. Enfin, le
cas telle qu’elle est conçue
aujourd’hui, c’est-à-dire à travers
l’extension urbaine. Un allége-
ment de la charge foncière est ce- histoire d’un stéréotype
des politiques PLU, en autorisant l’artificialisa-
tion d’une parcelle ou l’implanta-
pendant rendu possible pour les
ménages modestes depuis la

L’
tion d’une zone d’activité, a un création du bail réel solidaire, idée semble largement partagée :
impact de long terme, étant qui, à l’instar de ce qui existe chez les jeunes n’accorderaient plus

urbaines donné les coûts de démolition ou

de renaturation.
Le foncier peut aussi être un
outil d’une politique publique
nationale. Ainsi, les politiques
L’économiste montre comment les du logement ciblées sur des
quartiers sont susceptibles d’af-
caractéristiques du foncier en font un facteur fecter le marché foncier, en ren-
majeur des disparités territoriales dant une zone plus attractive
quand elle bénéficie d’une aide.
et sociales, et par conséquent un vecteur Une analyse de l’effet des dispo-
de l’intervention des politiques publiques sitifs Borloo et Robien pour l’in-
vestissement locatif a montré
l’accélération de l’augmentation
des prix des logements dans les
nos voisins britanniques, permet
de dissocier la propriété du sol de
la propriété du bâti au moyen de
l’intervention d’un organisme de
foncier solidaire. Comme le
montre une étude de l’associa-
tion Notaires de France, la multi-
plication par deux des prix des
logements entre 2000 et 2018 est
attribuable, bien plus qu’à l’aug-
mentation des prix de la cons-
truction, à l’augmentation des
prix fonciers. Ceux-ci ont en effet
été multipliés par trois sur la
même période, surtout dans les
d’importance au travail, ne vou-
draient plus travailler, en un mot,
seraient des flemmards – témoignant
ainsi du déclin de la « valeur travail » dans
notre société. Les générations Y et Z se-
Dominique Méda
est professeure
de sociologie,
directrice de l’Insti-
tut de recherche
raient dotées de caractéristiques spécifi- interdisciplinaire
ques, porteuses d’aspirations radicale- en sciences sociales
ment différentes de celles des généra- (université Paris
tions précédentes. Dauphine-PSL)
La réalité est nettement plus complexe
et nuancée, comme l’ont montré les tra-
vaux présentés lors des rencontres organisées par l’Institut
national de la jeunesse et de l’éducation populaire (Injep), le
21 novembre. Ceux-ci ont d’abord permis de rappeler que les cri-
tiques envers la jeunesse ne sont pas nouvelles : en 1972, une

L
e foncier est un bien de
consommation et un fac-
teur de production très par-
ticulier. En chaque lieu,
c’est une ressource disponible en
quantité limitée et non reproduc-
tible. Il n’a de valeur que par sa lo-
calisation et l’accès qu’il donne à
d’autres localisations, et aux usa-
ges qui sont faits du foncier en
ces différents lieux. Ces usages
sont aussi, localement, sources
de nuisances : pollutions, conges-
tion, bruit… Enfin, la durabilité du
bâti et des infrastructures fait que
ces usages ont des effets de très
longue durée. C’est donc naturel-
lement que le législateur inter-
vient pour réguler l’usage et par-
fois l’appropriation du foncier, et
aussi l’utilise pour atteindre des
objectifs de politique publique.
Le foncier est depuis long-
temps un objet des politiques ur-
baines, car la régulation de son
usage permet d’orienter la locali-
sation de diverses activités sur
un territoire et de contrôler leur
coexistence en un lieu. Ainsi, les
plans locaux d’urbanisme (PLU)
visent à intégrer des enjeux
d’habitat, d’activités économi-
ques et d’environnement : régu-
lation des densités, attraction
d’entreprises, localisation d’acti-
vités polluantes, maintien de
l’agriculture urbaine, caractéris-
tiques architecturales et paysa-
gères des constructions.
En contraignant le foncier cons-
tructible, le PLU peut accroître sa
rareté et par conséquent ses prix.
Une analyse sur des données an-
LES DISPOSITIFS
BORLOO ET
ROBIEN POUR
L’INVESTISSEMENT
LOCATIF ONT
ACCÉLÉRÉ
L’AUGMENTATION
DES PRIX
DANS LES ZONES
BÉNÉFICIAIRES
zones bénéficiaires.
Régulation des usages
On n’a admis que récemment
que le sol est non seulement un
support d’activités, mais qu’il
exerce aussi des fonctions pri-
mordiales pour l’environnement
lorsqu’il n’est pas artificialisé :
production de biomasse, stoc-
kage de carbone, réserve d’eau,
habitat d’une biodiversité essen-
tielle. Le foncier est alors reconnu
comme une ressource naturelle
limitée, qu’il convient de proté-
ger. C’est l’objet du principe du
« zéro artificialisation nette »
(ZAN). Là encore, et plus que par
le passé, les contraintes régle-
mentaires sur l’utilisation du sol
vont renchérir le prix du foncier.
Surtout, les multiples fonctions
du sol génèrent des injonctions
contradictoires : nombre de com-
munes périurbaines vont devoir
contenir le rythme de la construc-
tion au titre du ZAN défini par la
loi Climat et résilience (2021), et
en même temps augmenter leur
parc de logements sociaux pour
respecter l’article 55 de la loi rela-
tive à la solidarité et au renouvel-
lement urbains (SRU, 2000).
zones périurbaines.
A l’autre extrémité du spectre
social, cette augmentation con-
tribue fortement à l’accroisse-
ment des patrimoines, et ainsi
aux inégalités de patrimoine.
Comme l’ont montré Alain Tran-
noy et Etienne Wasmer, ce sont
les ménages parmi les 60 % les
plus riches, notamment les clas-
ses moyennes et supérieures, qui
en ont le plus bénéficié.
Le foncier est donc au cœur des
politiques urbaines et de ques-
tions d’équité intra- et intergéné-
rationnelle : il est essentiel pour
l’accès de nos contemporains au
logement et à la ville ; il est es-
sentiel pour la préservation de la
biodiversité et l’atténuation des
émissions de carbone, et donc
pour les conditions de vie des
générations futures. p
Florence Goffette-Nagot
est économiste, chercheuse
au Groupe d’analyse
et de théorie économique,
université de Lyon/CNRS
enquête menée par des chercheurs du Centre d’études de l’em-
ploi et du travail rapportait déjà que les employeurs se plai-
gnaient de ne plus trouver chez cette main-d’œuvre « les qualités
d’amour du travail, d’ambition et de sérieux qui, à les en croire,
caractérisaient les générations précédentes ».
En 2008, une vaste recherche européenne avait permis de cons-
tater l’existence de stéréotypes et de préjugés identiques à l’en-
droit des jeunes de la part des employeurs et des générations plus
anciennes. A presque quarante ans d’intervalle, les deux enquêtes
avaient pourtant mis en évidence que les jeunes accordaient plus
d’importance au travail que les plus âgés, que leurs attentes
étaient similaires – tout comme ces derniers, ils souhaitaient un
travail intéressant, une bonne ambiance de travail et bien gagner
leur vie –, mais que ces attentes étaient encore plus fortes.
Groupes hétérogènes
C’est toujours le cas aujourd’hui, contrairement à ce qu’affir-
ment les discours soutenant que le Covid-19 aurait provoqué
une rupture. En octobre, une enquête Harris Interactive a posé
aux moins de 30 ans la question classique des sondeurs lorsqu’il
s’agit de rendre compte de l’importance accordée au travail :
« Que feriez-vous si vous n’aviez pas besoin d’argent pour vivre ? »
77 % continueraient à travailler. Parmi ceux-ci néanmoins, 28 %
changeraient de métier.
Cette réponse invite à s’intéresser aux conditions concrètes
d’emploi et d’insertion des jeunes sur le marché du travail, ce que
permet de faire la très riche enquête « Génération 2017 » du Centre
d’études et de recherches sur les qualifications. Ses résultats, pré-
sentés par Dominique Epiphane et Julie Couronné lors des ren-
contres de l’Injep, ont permis de mettre en évidence un autre élé-
ment essentiel : loin d’être une catégorie uniforme, la jeunesse est
constituée, au contraire, de groupes très hétérogènes, dont le rap-
port au travail dépend étroitement des conditions d’emploi.
Certes, une majorité de jeunes attachent de l’importance à
l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Il s’agit en réalité
d’une revendication commune à tou-
EN 1972 DÉJÀ, tes les générations, que l’on voit mon-

Olivier Lluansi La « réindustrialisation » UNE ENQUÊTE

RAPPORTAIT QUE
ter depuis plusieurs décennies à me-
sure que le taux d’emploi des femmes
se rapproche de celui des hommes,
que les difficultés de conciliation sont

entravée par la rareté du foncier LES EMPLOYEURS

Comment concilier Face à cette pénurie d’offre foncière, la de-
mande de locaux industriels reste très dyna-
l’affirmation de la mique, avec de nombreux projets soutenus
« souveraineté industrielle » par France Relance, puis France 2030. La part
de l’industrie dans le total des volumes inves-
et l’objectif de « zéro tis dans l’immobilier d’entreprise est ainsi pas-
artificialisation nette » ?, sée de 3 % en 2018 à 8 % en 2022. Conséquence
de ce déséquilibre, le foncier industriel con-
s’interroge le professeur naît en France une des plus fortes augmenta-
à l’Ecole des mines tions : environ + 75 % sur la période 2018-2022,
une fois et demie plus qu’en Allemagne, trois
fois plus qu’en Italie. Dans un monde de rare-
tés, nous prenons conscience, trop tardive-
ment, que cet avantage est en sursis, fragilisé
SE PLAIGNAIENT DE
LA MAIN-D’ŒUVRE
sation pourrait continuer à représenter de
35 % à 40 % de notre futur foncier industriel.
Mais il faudrait alors constituer un véritable
stock de foncier « compensatoire », que l’on
peut estimer autour de 25 000 hectares.
Enfin, la densification, c’est-à-dire la con-
centration de plus d’activités productives sur
une même surface existante, pourrait repré-
senter l’équivalent de 3 500 à 4 000 hectares.
A titre illustratif, les différentes études assi-
gnent des objectifs de 5 à 10 employés pour
1 000 mètres carrés couverts. Si, par de tels
dispositifs, nous parvenions à stabiliser le
prix du foncier industriel « nu » au niveau ac-
de plus en plus fortement ressenties
et que le travail s’intensifie.
Mais la sécurité de l’emploi est bien
plus mise en avant par les jeunes
actifs que par les étudiants : en effet,
bien que le niveau de formation des
jeunes n’ait jamais été aussi élevé, leurs conditions d’insertion
sur le marché du travail restent, pour une partie d’entre eux, dif-
ficiles, voire très difficiles. Pour rappel, le taux de chômage des
jeunes de 18 à 24 ans est deux fois plus élevé que celui de la popu-
lation active (17,6 %, contre 7,4 %) ; plus de la moitié des jeunes
salariés de 15 à 24 ans sont en CDD, intérim, contrat aidé ou
apprentissage ; le taux de pauvreté des jeunes est plus élevé que
celui de toutes les autres classes d’âge, et la durée nécessaire
pour trouver un emploi stable est de plus en plus longue.
C’est pour les non-diplômés que la situation est le plus grave. Ils
composent une part importante de ceux que l’on appelle les NEET
(« Not in Education, Employment or Training »), soit 12,8 % des
18-24 ans. Pour eux, la durée d’obtention d’un emploi stable est en-

L
a disponibilité du foncier industriel
reste un frein à la réindustrialisation de
la France. Pourtant, par notre géogra-
phie et notre faible densité, il fut long-
temps abondant et constituait d’ailleurs l’un
des atouts pour le développement de notre
outil productif. Cette plus grande disponibi-
lité foncière se reflétait par exemple dans des
prix plus bas que chez nos voisins. Entre 2014
et 2018, le mètre carré industriel se négociait
en moyenne entre 35 et 350 euros en France
autour des principales aires urbaines, contre
50 à 500 euros en Allemagne.
Mais, depuis, plusieurs lois, notamment la
loi « biodiversité » de 2016, puis la loi Climat
et résilience de 2021, ont fixé des objectifs
ambitieux en matière de zéro artificialisation
nette. Comme l’a révélé une note du Sénat
(« Les politiques de réduction de l’artificiali-
sation », septembre 2023), la France se distin-
gue par une approche significativement plus
prescriptive que celle de nos voisins euro-
péens, et la rareté du foncier concerne désor-
mais toutes les régions. Ainsi, 67 % de nos in-
tercommunalités déclarent avoir refusé des
projets d’implantation économique ou subi
des déménagements d’entreprises par man-
que de foncier économique.
par notre manque d’anticipation.
Stabiliser le prix du foncier
Les besoins de foncier sur la prochaine décen-
nie sont désormais quantifiés de manière
consensuelle : entre 20 000 et 30 000 hecta-
res, selon les différents scénarios. Ces besoins
sont relativement faibles : historiquement,
seulement 4 % de l’artificialisation est liée à
l’industrie. Cependant, et précisément à cause
de leur moindre volume, cette demande de
foncier industriel risque d’être prise dans
l’étau d’enjeux économiques qui la dépasse,
entre logements et commerces. Aussi, le pre-
mier élément de réponse à la situation ac-
tuelle serait de sanctuariser notre futur fon-
cier industriel, à la hauteur des besoins réels.
Les « friches industrielles » constituent la
principale ressource. Selon le rapport du pré-
fet Rollon Mouchel-Blaisot (« Stratégie natio-
nale de mobilisation pour le foncier indus-
triel », juillet 2023), elles pourraient couvrir
près de 45 % du besoin, soit au minimum
10 000 hectares. La loi « industrie verte » pré-
voit de réserver 2 000 hectares. Quid du
solde ? En contrepartie de « compensations »,
c’est-à-dire de restitution aux espaces natu-
rels de trois fois la surface utilisée, l’artificiali-
tuel, l’investissement supplémentaire néces-
saire pour concilier les objectifs de biodiver-
sité et de réindustrialisation ne serait pas né-
gligeable. Selon nos calculs, il peut être
estimé entre 5 et 7 milliards d’euros, répartis
entre le coût de réhabilitation des friches et
celui du foncier compensatoire.
Avant même de répartir ce surcoût, ne bra-
dons pas notre atout naturel foncier. Face aux
intérêts économiques, notamment ceux du
logement, laisser le marché guider seul l’allo-
cation du foncier serait condamner la réin-
dustrialisation. Le zéro artificialisation nette
et la réindustrialisation sont conciliables, à
condition de disposer d’une vision à long
terme et de sanctuariser des ressources fon-
cières à la hauteur des besoins. p
Olivier Lluansi est enseignant à l’Ecole
des mines, à Paris. Il a écrit « Les Néo-Indus-
triels : l’avènement de notre renaissance
industrielle » (Les Déviations, 148 p., 21 €).
Cette tribune s’inspire d’une note
du Lab des Forces françaises de l’industrie
core beaucoup plus incertaine. Au point que, dans une recherche
récente, l’économiste Bernard Gazier et ses collègues ont invité la
France à prendre des mesures radicales et à revoir en profondeur
son système d’éducation, en s’inspirant des pays qui font mieux
qu’elle en Europe et parviennent à rendre plus faciles les transi-
tions entre l’école et l’emploi, comme l’Allemagne ou la Suisse.
La diversité des trajectoires scolaires et d’accès à l’emploi inter-
dit en réalité de parler d’une jeunesse homogène qui aurait les
mêmes attentes vis-à-vis du travail et le même rapport à celui-ci.
Les aspirations sont en effet conditionnées (et trop souvent limi-
tées) par la position scolaire et les moyens financiers des
familles. Yaëlle Amsellem-Mainguy a ainsi montré dans Les Filles
du coin (Presses de Sciences Po, 2021) combien les aspirations des
jeunes femmes de milieu rural étaient contrariées, y compris par
l’éloignement des centres universitaires. Elles sont aussi condi-
tionnées par l’existence (ou l’inexistence) des types d’emploi
espérés. L’enquête Harris Interactive citée plus haut révélait ainsi
que sept jeunes sur dix pourraient renoncer à postuler dans une
entreprise qui ne prendrait pas suffisamment en compte les
enjeux environnementaux. De fait, la grande masse renonce à ce
critère, faute de postes appropriés en nombre suffisant.
Cessons de répéter que les jeunes ne veulent plus travailler. Alors
que leur niveau d’éducation n’a jamais été aussi élevé, les attentes
légitimes qu’ils placent dans le monde du travail ne sont pas satis-
faites. N’ajoutons pas aux angoisses que suscite le changement cli-
matique des reproches infondés. Tentons plutôt de créer les
emplois qui permettront à tous les jeunes de participer à ce gigan-
tesque chantier qu’est la réparation de notre monde. p
34 | idées
Antony Beevor La théorie du « grand homme »
ne saurait être totalement discréditée
Alors que vient de sortir « Napoléon », réalisé par
Ridley Scott, l’historien britannique revient sur cette
idée selon laquelle l’histoire est façonnée par des
individus hors normes. Il estime qu’elle n’a jamais cessé
d’influencer les politiques, et plus particulièrement
les autocrates populistes contemporains
L
a biographie épique de Napoléon
par l’infatigable réalisateur
Ridley Scott est sorti le 22 no-
vembre sur nos écrans. Incarna-
tion du pouvoir et de l’ambition
– les qualités premières d’un
« grand homme » historique –, Napoléon
a fasciné nombre de cinéastes, au pre-
mier rang desquels Abel Gance, dont le
film muet de 1927 est souvent cité
comme étant la plus grande œuvre ciné-
matographique de tous les temps. Mais,
de nos jours, alors que la majorité des
chercheurs se détournent du concept de
« grand homme », on peine à trouver des
historiens prêts à soutenir une vision
aussi héroïque de l’histoire.
Du fait de la trajectoire météorique qui
fit de lui le maître d’une grande partie de
l’Europe, Napoléon est devenu l’arché-
type de la théorie du grand homme his-
torique – une école de pensée très en
vogue au XIXe siècle, qui voyait l’histoire
comme façonnée majoritairement par
des individus hors norme. Le Britanni-
que Thomas Carlyle [1795-1881] alla jus-
qu’à affirmer que « l’histoire du monde
n’est rien d’autre que la biographie des
grands hommes ».
A la mort de Napoléon, en 1821, nom-
breux furent ceux qui le saluèrent
comme un héros. Il fut souvent présenté
comme un libéral et un modernisateur à
une époque où la Sainte-Alliance entre la
Russie, la Prusse et l’Autriche incarnait le
conservatisme le plus rétrograde. Il ac-
quit le statut de saint laïque dans l’esprit
de nombreux Français. Pour d’autres, il
restera un tyran mégalomaniaque qui
mit l’Europe à feu et à sang. Léon Tolstoï,
qui fut plus tard son critique le plus fé-
roce, s’emporta, lors d’une visite à la
tombe de Napoléon aux Invalides, quand
il vit que Borodino [bataille opposant
la Grande Armée de Napoléon à l’armée
impériale russe, en 1812] figurait sur le sar-
cophage comme une victoire française,
alors que cette bataille avait porté un
coup fatal à la Grande Armée.
C’est sûrement cet incident qui amena
en 1869 Tolstoï, dans Guerre et Paix, à éla-
borer son concept célèbre de « coïnciden-
ces à causes multiples », autrement dit
l’idée qu’une masse énorme de facteurs
s’était combinée pour amener Napoléon
à envahir la Russie. Même un roi, avança
Tolstoï, est « l’esclave de l’histoire ». Au dé-
but du XXe siècle, Freud porta un coup
supplémentaire à l’idée de Carlyle en
cherchant à étudier le besoin commun à
tous les êtres humains de trouver un
homme providentiel. Pour lui, l’idée
même de grand homme recouvrait la
quête collective d’une figure du père.
Au cours des siècles, ce débat n’a pas
manqué de ressembler à la parabole de la
poule et de l’œuf : sont-ce les grands
dirigeants qui déclenchent les grands
DE NOS JOURS, LE POUVOIR
DU PRÉTENDU « GRAND
HOMME » CONCERNE
DAVANTAGE SA CAPACITÉ
À RENDRE LA POLITIQUE
TOXIQUE EN EXPLOITANT
LA PEUR ET LA HAINE
événements, où les événements créent-
ils les conditions permettant à un chef de
s’imposer ? Indéniablement, la confu-
sion, l’incertitude et même l’inertie
générales dans un contexte de grand dé-
sordre offrent au chef résolu un avantage
considérable, qu’il s’agisse de Napoléon
après la Révolution française ou de Lé-
nine après la révolution russe de fé-
vrier 1917. L’un et l’autre prirent le pou-
voir lors d’un interrègne, cette période
que le Russe Alexander Herzen [1812-
1870] appelle « la veuve enceinte » – quand
l’ancien régime a été renversé et que le
nouveau n’est pas encore né.
Bien des catastrophes historiques sont
attribuables à des décisions individuel-
les. L’Américain Ambrose Bierce [1842-
1914], ce merveilleux satiriste yankee qui
disparut mystérieusement alors qu’il
couvrait la révolution mexicaine, émit
l’opinion que « la guerre est la façon qu’a
choisie Dieu d’enseigner la géographie
aux Américains ». Il aurait pu dire tout
aussi bien que la guerre est la façon dont
Dieu nous raconte ce désastre qu’est
l’histoire du genre humain. Et ce, pour la
bonne raison que de prétendus grands
hommes ont plus souvent qu’à leur tour
entraîné leur pays dans des conflits catas-
trophiques pour des raisons liées à leur
ego hypertrophié – Adolf Hitler en étant
l’exemple le plus frappant.
DE CYRUS LE GRAND À GENGIS KHAN
Le Britannique Edward Gibbon [1737-1794]
a défini un jour l’histoire comme « le re-
gistre des crimes, des folies et des mal-
heurs de l’humanité ». Aujourd’hui, nous
préférons tourner le dos à la théorie du
grand homme parce qu’elle fait passer
quantité d’autres facteurs au second
plan. Et qu’elle laisse entendre, à tort et
non sans mépris, que les femmes ne font
pas de grands chefs, et cela bien qu’elles
soient moins sujettes aux fantasmes hé-
roïco-narcissiques qui caractérisent les
rois et les dictateurs de sexe masculin.
Mais cela ne veut pas dire que cette idée
est totalement sans fondement ou
qu’elle serait aujourd’hui dépassée.
La question, au fond, se pose en termes
relativement simples : une personne
peut-elle changer le cours de l’histoire, et
affecter de ce fait la vie de millions de
gens ? Pour l’historien britannique Diar-
maid MacCulloch, cela ne fait pas de
doute : « Le fait qu’un individu peut à lui
seul inverser la marée des affaires humai-
nes relève de l’évidence. Supprimez Gen-
gis Khan, et un nombre conséquent de
gens en Asie centrale gagnent d’un seul
coup des années d’espérance de vie. »
Les exemples sont légion. Le roi des rois
achéménides perses Cyrus le Grand, Da-
rius le Grand, Xerxès le Grand, puis
Alexandre le Grand, Hannibal, Charlema-
gne et Gengis Khan lui-même provoquè-
rent tous des changements historiques de
grande ampleur par leurs conquêtes terri-
toriales. Des catastrophes naturelles telles
que sécheresses, inondations, tremble-
ments de terre et épidémies accouchèrent
elles aussi de changements majeurs, bien
sûr, mais le fait est que l’essor et la chute
des empires de l’Antiquité dépendirent
souvent des ambitions et du génie – ou, à
l’inverse, de l’incompétence – militaires
d’une seule personne.
Nous autres, Britanniques, avons eu
tendance à nous désintéresser, de façon
typiquement insulaire, des premiers pas
de l’Europe moderne. En moins d’un siè-
cle, l’empire de Suède fut créé par Gus-
tave II Adolphe à la faveur de la guerre de
Trente Ans, puis perdu par Charles XII
quand il envahit la Russie dans le cadre de
la grande guerre du Nord et qu’il fut
vaincu à Poltava, en 1709. Cette dernière
bataille est considérée comme l’une des
plus décisives de l’histoire mondiale, ne
serait-ce que parce qu’elle a donné nais-
sance à l’empire russe, à la suite de la vic-
toire du tsar Pierre Ier le Grand [1672-1725].
Cela étant, la meilleure façon de tester la
théorie du grand homme est de se livrer à
un exercice d’uchronie. A quoi aurait
donc ressemblé l’Europe sans Napoléon ?
Allez savoir. Les conséquences, même
involontaires, sont infinies. Voyez com-
ment l’humiliation infligée à la Prusse par
Napoléon a accéléré son essor et ouvert la
voie à l’unification allemande.
DOUTEUSES COMPARAISONS
Prenons un autre exemple : celui d’Hit-
ler et du déclenchement de la seconde
guerre mondiale. Le redécoupage des
frontières à Versailles après la première
guerre mondiale, qui divisait les com-
munautés ethniques, ne pouvait pas ne
pas provoquer des conflits d’un genre
ou d’un autre en Europe centrale. Mais
un homme fut seul responsable de
l’énorme extension de la seconde guerre
mondiale et de son caractère génoci-
daire. Quand on a un chef à tendance
messianique qui commande l’armée la
plus efficace du continent et qui n’a de
cesse qu’éclate une guerre, comment
l’éviter ? A l’automne 1938, Hitler se
montra même exaspéré par la démarche
inattendue de Neville Chamberlain
[alors premier ministre britannique] à
son retour de Munich, car elle le privait
momentanément de l’occasion d’enva-
hir la Tchécoslovaquie avec sa Wehr-
macht équipée et armée de neuf.
Il est évident que l’histoire n’a pas été
façonnée que par des individus. L’appro-
visionnement alimentaire ou en énergie,
pour peu qu’il soit menacé, a pu jouer un
rôle dans le déclenchement des révolu-
tions et des guerres. Au même titre que
les religions, et leur avatar du XXe siècle,
les idéologies politiques. Au cours du
dernier demi-siècle, nous avons vu le
champ traditionnel de l’histoire, vertical
et orienté de bas en haut, se subdiviser
en une quantité de sous-disciplines : his-
toire économique, culturelle, scientifi-
que, juridique… La liste est sans fin.
De surcroît, la théorie du grand homme
est probablement plus pertinente s’agis-
sant des siècles passés que de l’époque
contemporaine. C’est en partie parce que
la mondialisation a réduit la souverai-
neté des nations sur les plans aussi bien
économique que politique. Le point de
bascule est apparu peu avant la fin du
XXe siècle, avec plusieurs changements
concomitants. La fin de la guerre froide
et l’effondrement de l’Union soviétique
ont inauguré une ère de folle croissance
pour le secteur bancaire et la fin des con-
trôles de change. En même temps, des in-
novations rapides dans le secteur des té-
lécommunications avec l’invention d’In-
ternet déclenchèrent une guerre des prix
à l’échelle mondiale. Le résultat fut que
l’acquisition de main-d’œuvre au prix le
plus bas et le recrutement de dirigeants
d’entreprise à des rémunérations stra-
tosphériques devinrent la norme. J’ima-
gine qu’il faudra pas mal de temps aux
historiens de demain pour déterminer
dans quelle mesure ces changements
survenus en si peu de temps relevaient
du hasard ou étaient liés.
La fréquence avec laquelle les com-
mentateurs politiques se demandent où
sont passés les grands hommes d’Etat en
dit long sur notre époque, mais, en
même temps, cela ne manque pas de sel :
qui sont les Roosevelt, les Churchill, les
de Gaulle, les Adenauer d’aujourd’hui ?
Nul besoin de chercher la réponse
ailleurs que dans l’influence croissante
des médias eux-mêmes. Les hommes
politiques se sentent surveillés en per-
manence, ce qui les oblige à passer d’une
crise médiatique à une autre dans l’im-
provisation la plus totale.
0123
DIMANCHE 26 - LUNDI 27 NOVEMBRE 2023
La théorie du grand homme exerce
aussi une influence dangereuse sur les di-
rigeants politiques contemporains.
Hommes d’Etat comme mass media ne
peuvent résister à la tentation de drama-
tiser telle ou telle crise, en la comparant à
la seconde guerre mondiale ou en se réfé-
rant aux dirigeants de l’époque. Ce fut
une guerre à nulle autre pareille, ce qui ne
l’empêche pas de façonner l’idée même
que nous nous faisons de la guerre. Dans
les moments de grande instabilité, les
gens cherchent à comprendre et se tour-
nent naturellement vers le passé à la re-
cherche de points communs avec leur
époque, mais l’histoire échappe à tout
mécanisme prédictif. Méfions-nous des
politiciens et des médias qui se laissent
aller à des comparaisons historiques dou-
teuses en croyant voir un nouvel Hitler
dans tel ou tel dictateur étranger.
C’est exactement l’erreur que commit [le
premier ministre britannique] Anthony
Eden lors de la crise de Suez en 1956. Il
compara Nasser à Hitler et assimila toute
tentative de négocier à de l’apaisement.
Tout de suite après le 11 septembre 2001, [le
président américain] George W. Bush com-
para l’attaque sur les tours jumelles à celle
de Pearl Harbor. [Le Britannique] Tony
Blair et les néoconservateurs de Washing-
ton ne se privèrent pas, plus tard, de voir
en Saddam Hussein un nouvel Hitler.
« THÉORIE DU PARFAIT SALAUD »
Ridley Scott lui-même, faisant la promo-
tion de son film, ne put résister à l’envie de
comparer Napoléon à Hitler et à Staline. La
tentation pour un dirigeant politique de
prendre des accents churchilliens ou roo-
seveltiens peut être irrésistible au milieu
d’une crise internationale. Mais les com-
paraisons historiques peuvent aussi s’avé-
rer lourdes de malentendus stratégiques.
Evoquer Pearl Harbor lors de l’attaque ter-
roriste contre le World Trade Center à
New York a accrédité l’idée qu’il s’agissait
d’une guerre symétrique entre Etats, et
non d’une catastrophe sécuritaire.
Reste que, dans ce nouvel environne-
ment mondialisé, la théorie du grand
homme ne saurait être totalement dis-
créditée. Il suffit d’observer les autocrates
d’aujourd’hui, en particulier la volonté
obsessionnelle chez Poutine de recons-
truire l’empire russe, et celle de Xi Jinping
de restaurer la fierté chinoise après les
humiliations infligées par les Occiden-
taux. De nos jours, le pouvoir du pré-
tendu grand homme ne se limite pas aux
conquêtes territoriales. Il peut revêtir
d’autres aspects, comme sa capacité, par
la seule force de sa personnalité, à rendre
la politique toxique en encourageant et
en exploitant la peur et la haine.
Je veux parler des Trump, des Orban,
des Milosevic – « De tels individus, fit ob-
server un jour Diarmaid MacCulloch, mé-
riteraient qu’on rebaptise la théorie du
grand homme la “théorie historique du
parfait salaud” ». Les autocrates populis-
tes ont ceci de commun qu’ils exacerbent
la haine, exercice devenu incroyablement
facile avec les réseaux sociaux, qui font
de l’honnêteté intellectuelle la première
victime de l’indignation. Une fois trans-
formée en arme, la haine prend la forme
d’une guerre par d’autres moyens. Hélas
pour le genre humain, il suffit de contem-
pler les dernières décennies de notre his-
toire pour constater que le « grand
homme » se porte bien. p
Traduit de l’anglais par Ronald Blunden
Antony Beevor est historien. Reconnu
comme l’un des grands spécialistes de
la seconde guerre mondiale et de ses
batailles, cet ancien officier de l’armée
britannique a notamment écrit
« Stalingrad » (Fallois, 1999),
« La Guerre d’Espagne » (Calmann-
Lévy, 2006) ou encore « Russie.
Révolution et guerre civile, 1917-1921 »
(Calmann-Lévy, 2022)
0123
DIMANCHE 26 - LUNDI 27 NOVEMBRE 2023
PLANÈTE |
par sté p hane fo ucart
Pacte vert : l’UE
en marche arrière
L
e patient détricotage,
puis le rejet surprise par
le Parlement de Stras-
bourg du règlement
européen sur les pesticides (SUR)
marquent probablement la fin
d’une époque, la conclusion de ce
qui a constitué, au cours des trois
dernières décennies, une sorte
d’évidence. Tout au long de cette
période qui prend fin, l’Union
européenne a généralement été
garante d’une amélioration à peu
près constante de la préservation
de l’environnement et de la santé,
à travers la construction de
normes communautaires et l’in-
troduction dans les droits natio-
naux de nombreux instruments
de protection de la nature et de la
santé publique.
Les esprits chagrins peuvent
estimer que certains dossiers
restent encalminés, que ce mou-
vement a été lent, pusillanime et
parfois chaotique, qu’il a été con-
tradictoire avec d’autres politi-
ques mises en œuvre par l’Union
(que l’on songe à la politique agri-
cole commune ou aux accords de
libre-échange) : il n’en reste pas
moins que le cap a jusqu’ici été
globalement fixé par l’état de la
connaissance scientifique et la re-
cherche de l’intérêt général. Il est
aussi remarquable de constater
qu’en dépit des luttes internes à la
technocratie bruxelloise, de la vo-
lonté souvent vacillante des Etats
et de la couleur politique chan-
geante du Parlement, l’objectif de
protection de l’environnement a
toujours plus ou moins prévalu.
Ce temps est révolu. Le tor-
pillage du projet sur la restaura-
tion de la nature, le report sine die
de la réforme de la réglemen-
tation sur les produits chimiques,
la réautorisation pour une décen-
nie du glyphosate, le vote d’un
règlement sur les emballages
perclus d’exemptions et, enfin, le
rejet du règlement SUR sont
d’autant plus signifiants qu’ils
surviennent au terme d’une légis-
lature dont le Green Deal (le Pacte
vert) devait être le pilier, comme
l’avait promis en 2019 la prési-
dente de la Commission, Ursula
von der Leyen.
Les planètes se sont alignées
suivant un autre axe : au sein de la
Commission, les directions géné-
rales les plus hostiles à l’environ-
nement ont pris la main, la
majorité des Etats-membres ont
freiné des quatre fers et le Parle-
ment s’est laissé dominer par les
droites extrêmes. Pour la pre-
mière fois, toute l’Union euro-
péenne – institutions et Etats
membres – a enclenché la marche
arrière sur l’environnement.
Le destin du projet de règle-
ment SUR le montre de manière
éclatante. Le texte, qui visait no-
tamment à réduire de moitié
l’usage des pesticides d’ici à 2030,
a d’emblée été rendu caduc par
un choix technique de la Com-
mission. Le principal indicateur
d’évolution du recours aux pesti-
cides choisi par Bruxelles n’était
autre qu’un trucage grossier – au
point que l’Agence fédérale alle-
mande de l’environnement (UBA)
a jugé nécessaire d’alerter, par
voie de communiqué, de ce que le
mode de calcul en question était
« trompeur », susceptible d’indi-
quer « une baisse qui ne se produi-
rait pas dans les champs ».
BRUXELLES
A LONGTEMPS ÉTÉ
GARANTE D’UNE
AMÉLIORATION À PEU
PRÈS CONSTANTE
DE LA PRÉSERVATION
DE L’ENVIRONNEMENT
0123 | 35
CHRONIQUE LIBÉRER
TOUS LES OTAGES
DE GAZA Israéliens, ne devrait dépendre du sort de doute que la riposte israélienne mas-
des armes ou de tractations laborieuses
pour recouvrer la liberté qui lui est due.
Faut-il le rappeler, dans les conflits armés,
sive a porté un coup déjà sévère à la milice
islamiste comme à ses infrastructures
souvent fondues dans le tissu urbain, ce
la prise d’otages est interdite, et relève du
crime de guerre. Rien ne pourra jamais la
justifier, et cette stratégie du pire achève
qui constitue une autre violation des lois
de la guerre. Pour autant, sa disparition
complète n’est toujours pas en vue, et il
de disqualifier le mouvement prétendant n’est pas acquis qu’elle sera obtenue en
incarner une cause nationale palesti- soumettant le sud de Gaza au châtiment
LA MAJORITÉ nienne qu’il a désormais noyée dans l’hor- déjà infligé au nord.
DES ÉTATS MEMBRES reur et le sang.
Les libérations du 24 novembre ont été
Affaibli, le Hamas n’en continue pas
moins de revendiquer des succès. Il en-
FREINENT DES QUATRE rendues possibles par le respect d’une tend ainsi profiter au maximum de la con-
trêve à Gaza, après des semaines d’une trepartie obtenue en échange des libéra-
FERS ET LE PARLEMENT guerre qui y a semé comme jamais la mort tions d’otages : celle de trente-neuf fem-
S’EST LAISSÉ DOMINER
PAR LES DROITES
EXTRÊMES
U ne lueur d’espoir a commencé à
dissiper les ténèbres de Gaza, le
24 novembre. Les premières libé-
rations d’otages capturés au cours de l’at-
taque massive du Hamas le 7 octobre ont
et la destruction. Cette trêve doit être pré-
servée pour obtenir les autres libérations
prévues jusqu’à présent, et jusqu’à ce que
le dernier des otages puisse enfin quitter
cette étroite bande de terre. Le silence des
mes et adolescents palestiniens retenus
dans les prisons israéliennes, alors que
l’Etat hébreu continue de recourir aux dé-
tentions dites « administratives », sans in-
culpation ni procès, qui privent les déte-
permis à vingt-quatre personnes, dont armes doit aussi permettre aux centaines nus de leurs droits.
treize Israéliens, d’échapper à l’enfer. Des de milliers de civils palestiniens pris au En saluant les premières libérations
La bataille d’amendements me- femmes âgées et des enfants ont été enfin piège des combats, chassés de quartiers d’otages, le président des Etats-Unis, Joe
née par la droite et l’extrême rendus à leurs familles, ainsi que onze réduits à des gravats, et privés de tout, Biden, a eu raison de rappeler combien il
droite s’est ensuite chargée d’ôter ouvriers agricoles asiatiques. L’opération d’accéder enfin à une aide humanitaire était nécessaire de retrouver le chemin de
au projet tout ce qu’il pouvait terroriste d’octobre a donné lieu aux pires qui fait encore cruellement défaut. la négociation, et combien il était indis-
avoir de contraignant, avant que, massacres de civils israéliens de toute Il faut espérer que cette trêve puisse éga- pensable de raviver la solution des deux
par dépit et hostilité, une majo- l’histoire de l’Etat hébreu. lement être mise à profit par les autorités Etats, la création d’une Palestine aux cô-
rité d’eurodéputés ne le rejettent. D’autres libérations devraient suivre, si israéliennes pour dresser le bilan de des- tés d’Israël. Parce que la milice islamiste
Environ 6 000 scientifiques (bio- l’accord conclu par l’intermédiaire du tructions dantesques justifiées par la vo- bâtit son hégémonie sur les Palestiniens
logistes, écologues, toxicologues, Qatar est respecté. Elles sont impérati- lonté d’éradication du Hamas, un objectif sur la désespérance, son désarmement
agronomes, etc.) s’étaient enga- ves. Aucune des personnes actuellement incompatible dans l’immédiat avec la le plus efficace reste en effet politique et
gés cet été, dans un texte fort, en prisonnières du Hamas, dont huit Franco- poursuite des libérations. Il ne fait guère non militaire. p
faveur du règlement SUR et du
projet de loi sur la restauration de
la nature : ils n’ont pesé pour rien.
Même constat sur le glypho-
sate : remis en selle pour cinq ans
seulement en 2017, l’herbicide
controversé a été réautorisé pour
une décennie le 16 novembre,
malgré une accumulation de
données scientifiques nouvelles
et la mobilisation de nombreux
chercheurs des communautés
compétentes. Là encore, la Com-
mission a pris le parti de l’agro-in-
dustrie, avec une réautorisation
longue et très peu de restrictions
d’usage. Les Etats membres ont
fait le reste.
Droitisation des opinions
Comble de l’ironie : la semaine
précédente, Bayer était coup sur
coup condamné par des juridic-
tions américaines à verser respec-
tivement 175 millions et 332 mil-
lions de dollars (158 millions et
303 millions d’euros) à deux utili-
sateurs de glyphosate touchés par
un lymphome. Et la semaine sui-
vant la réautorisation, l’agrochi-
miste allemand était à nouveau
condamné à verser un total de
1,56 milliard de dollars à trois
autres Américains, pour de sem-
blables raisons.
Est-ce vraiment la fin d’un cycle ?
Les plus optimistes assurent que
ce n’est que partie remise et que
les textes-clés du Green Deal se-
ront sans doute adoptés au cours
de la prochaine législature. C’est
en réalité bien peu probable. Le
revirement de l’Union euro-
péenne sur les questions de santé
et d’environnement n’est autre
que l’un des stigmates de la droiti-
sation des opinions sur le Vieux
Continent, aiguillonnées par des
droites populistes qui ont fait de la
lutte contre les politiques environ-
nementales l’un des pivots de
leurs discours.
Bien plus qu’une simple évolu-
tion des choix politiques, il y a
sans doute là quelque chose qui
relève d’une révolution anthro-
pologique, la victoire d’un indi-
vidualisme radical qui va de pair
avec une lente altération de ce
que George Orwell appelait notre
« décence commune » (common
decency).
Il y a un peu plus de cinquante
ans, le 22 avril 1970, 20 millions
d’Américains manifestaient pour
le premier Jour de la Terre. Il n’y
avait alors aucun signe tangible
du réchauffement, ni même
aucun discours public sur son
existence, mais les nations occi-
dentales s’inquiétaient de l’anth-
ropisation galopante du monde,
de la pollution des sols et de l’air,
de la contamination de l’eau, de la
disparition des oiseaux. Tout cela
a fini par se produire et continue
de se produire, fortement aggravé
par la crise climatique. Rien,
pourtant, qui puisse remettre de-
main dans la rue 20 millions
d’Américains – ou d’Européens. p
 E N QUÊ TE

Sur le plateau
des émissions
de télé,
le public
est un acteur
essentiel.
Rires et
acclamations
sur commande
font partie
du show.
Une affaire
de pros
Sur le tournage de l’émission « Questions pour un champion », en 2003. JOHANN ROUSSELOT/SIGNATURES

CO MMEN T
2

JE ME S UI S DI S PUTÉE
6

I MMER S I O N

L’apnée, yoga
Souriez !
UN APÉRO AVEC …

Sara
9

Rupture aquatique Giraudeau

en Russie
L’amitié entre Cécile et Jessica,
chercheuses installées à Moscou,
ne résiste pas à leur différend
à propos de l’avenir du pays
Loin des exploits des héros
du « Grand bleu », au fond de
la piscine, les nouveaux adeptes
de la plongée libre privilégient
méditation et relaxation
A l’affiche de la série
« Tout va bien », l’actrice dit faire
ce métier par inaptitude totale
pour autre chose et aimer
les personnages ambivalents

DIMAN C H E 26 - LU N DI 27 N OV E MBRE 2023 C AHI ER DU « M O N DE » N O 24 5 4 0 - N E PEUT ÊT RE V EN DU SÉPARÉM ENT

2 0123
DIM A N C HE 26 - L UN DI 27 N OVEM BR E 2023
L A FR AN CE B UI S S O N N I ÈR E
1 euro la pharmacie,
qui dit mieux ?
Frédéric Potet
Sylvie espérait vendre son officine d’un village
d’Indre-et-Loire au moment de prendre sa retraite.
Devant l’absence d’offre, même à prix bradé, elle s’est
mise en quête d’un repreneur attaché à la vie rurale
Q
u’acheter avec 1 euro dans une pharmacie ?
Deux cachets d’aspirine, trois cuillerées de
sirop, tout au mieux… Aux Hermites (Indre-
et-Loire), il est possible, pour le même prix,
de repartir avec le fonds de commerce tout entier.
Seules contraintes : être soi-même pharmacien et
aimer la vie à la campagne. Telles sont les condi-
tions exigées par la propriétaire des lieux, Sylvie
Drouet, 66 ans, dont quarante-trois passés à la tête
de cette officine de village. « Madame la pharma-
cienne » tient à ce que les 550 habitants de sa com-
mune puissent continuer à se procurer des médi-
caments à proximité, et ne souhaite pas voir son
remplaçant faire demi-tour au bout de six mois
pour incompatibilité avec la ruralité.
Sylvie Drouet aurait évidemment préféré
vendre son affaire au prix du marché. Ce sera fina-
lement contre 1 euro symbolique, faute d’acheteur.
Tout commence il y a environ quatre ans. Voyant
la retraite arriver à grands pas, elle décide de placer
sa pharmacie dans plusieurs agences immobiliè-
res spécialisées. L’usage voulant que le prix de
vente d’une officine corresponde à 65 % ou 70 % de
son chiffre d’affaires, le montant de 450 000 euros
est fixé, dans un premier temps. Las, très peu de
candidats repreneurs – deux – viendront visiter sa
petite boutique de 80 mètres carrés surmontée
d’une croix verte, et
aucun ne donnera suite.
Sylvie Drouet bais-
sera son prix d’un tiers,
sans succès. Ecouler du
paracétamol sur les bords
de la Dêmée (qui se jette
dans la Dême, qui se jette
dans le Loir, qui se jette
dans la Loire) ne fait plus
autant rêver qu’au tour-
nant des années 1980,
quand la diplômée de la
faculté de Châtenay-Mala-
ALE GIORGINI bry (Hauts-de-Seine) était
venue s’installer en Tou-
raine avec son mari, Alain,
« Qu’une préparateur en pharma-
cie. Le couple cherchait
pharmacie puisse un cadre de vie compati-
ble avec ses loisirs, l’équi-
se maintenir au tation pour elle, le cy-
clisme pour lui. Succé-
village après nous, dant à une pharmacie
« qui ne marchait pas
c’est important, bien », leur officine démé-
nagera après quelques
à l’heure où tant années dans une grange
où Sylvie entreposait le
de commerces foin de ses chevaux.
« Notre souhait, est
ferment » de faire en sorte qu’une
pharmacie puisse se main-
tenir au village après nous.
C’est important à l’heure où tant de commerces fer-
ment en milieu rural, et où trouver un médecin est
devenu si difficile, explique-t-elle devant un lapin
chasseur dégusté dans le restaurant voisin. C’est
aussi pour cela que nous ne voulons pas refourguer
notre officine à n’importe qui. Il faut que notre suc-
cesseur ait beaucoup d’empathie et qu’il ne regarde
pas de haut les agriculteurs qui ouvrent la porte
avec leurs bottes pleines de boue. » D’autant que le
métier n’est pas le même qu’en ville, insiste l’apo-
thicaire, en pointant la désertification médicale
qui l’amène, de plus en plus souvent, à panser des
plaies et des coupures, voire une blessure infligée
par une tronçonneuse récalcitrante.
Relayé dans la presse locale il y a deux mois
(La Nouvelle République, France Bleu), son souhait
de céder sa pharmacie pour une bouchée de pain
lui a valu de recevoir une petite dizaine de candida-
tures, dont un tiers de farfelues. Pas question pour
elle de revenir sur le prix emblématique annoncé.
« Je m’assois tout de même sur 300 000 euros, ce
n’est pas rien, mais je ne vais pas me plaindre. Nous
possédons une belle maison au village, nous en
avons une autre dans le golfe du Morbihan, je fais
du cheval tous les jours, et mon mari du vélo, ça
va ! », relativise-t-elle. « On ne peut pas vraiment
parler de sacrifice, vu que nous n’aurions jamais
vendu notre affaire », abonde son époux, devenu
maire, en 2020, de cette commune sans médecin
mais dotée de cinq professionnels de santé (infir-
mières, ostéopathe, orthophoniste…), logés gra-
cieusement dans un bâtiment municipal.
Venu travailler quinze jours aux Hermites,
un diplômé en pharmacie de 29 ans a tapé dans
l’œil du couple. Il devrait signer le compromis de
vente au printemps, à son retour de Mayotte, où il
est parti effectuer un remplacement. Sylvie
pourra alors s’adonner à son autre dada : l’élevage
de chiens de sauvetage. Alain, lui, ira courir Liège-
Bastogne-Liège, en amateur.
COMMENT JE ME SUIS DISPUTÉE
« On échange sur notre vision
de la Russie, le ton monte »
Une querelle d’amour ou d’amitié, un déchirement familial
ou une engueulade professionnelle ont marqué leur vie… Ils le racontent à Clara Georges.
Cette semaine, Cécile, 37 ans, chercheuse dans la région de Moscou
Jessica et moi nous sommes rencontrées en 2017, lors
d’une conférence, quelque part en Europe. Nous étions tou-
tes les deux passionnées par la Russie. Pour moi, cela
remontait à l’enfance. C’est difficile à expliquer : je n’ai pas
de famille russe, pas d’attaches là-bas, mais j’ai toujours
voulu apprendre la langue, m’immerger dans la culture. J’ai
une fascination pour l’âme russe, une image romantique
de ce peuple dont j’aime la littérature. J’y ai consacré mes
études, et Jessica aussi. Jessica, elle, aime la Russie pour
d’autres raisons. Elle est américaine, très engagée à gauche,
et très critique de la politique de son pays. Elle a grandi dans
un milieu assez modeste et je crois que l’histoire du com-
munisme l’a attirée. Rapidement, nous nouons des liens
autour de ce pays. Nous avons en commun le désir de vivre
en Russie, sans aucune idéalisation du régime, que nous ne
soutenons ni l’une ni l’autre. Après cette conférence, nous
restons en contact et nous nous croisons lors de séjours
là-bas. Elle obtient un poste dans une université presti-
gieuse de Moscou et s’y installe ; je lui rends visite lorsque je
suis de passage dans le pays.
En 2020, ma vie connaît un grand tournant. En
Russie, je tombe amoureuse de celui qui deviendra mon
mari. Je décide de tout quitter pour l’y rejoindre, tout en
poursuivant ma carrière académique. Nous emména-
geons dans une petite ville de la région de Moscou. Peu de
temps après, Jessica me demande si elle peut nous rendre
visite. Sa démarche me touche. Elle prend le train pour le
week-end, et nous passons un très bon moment. Le contact
passe bien avec mon mari, elle est drôle et originale. Elle
nous raconte son histoire familiale. On sent qu’elle se plaît
avec nous, et ce sentiment est réciproque.
Début février 2022, mon compagnon et moi nous
marions. Ma famille n’est pas présente, à cause du Covid-19,
et c’est une fête en petit comité. J’ai convié un ami améri-
cain, ainsi que Jessica. Mon invitation lui fait très plaisir.
Nous continuons d’échanger pendant les semaines qui sui-
vent, sur fond d’une tension croissante en Russie. Alors que
les nouvelles d’Ukraine se font de plus en plus inquiétan-
tes, nous partageons notre analyse de la situation par télé-
phone. Nous tombons d’accord sur notre conviction que
Poutine bluffe et que la voie des négociations que suit
Macron est la meilleure issue à cette crise. Nous cherchons
à nous rassurer. Mon mari, lui, est convaincu que nous
allons droit à la guerre. Il suit un canal Telegram sur lequel
circulent des informations alarmantes.
Je pars en France rendre visite à ma famille le 23 fé-
vrier. Le 24, la guerre éclate. Séparée de mon mari, j’ignore
comment rentrer en Russie, alors que les espaces aériens se
ferment au-dessus de l’Europe. On parle de mobilisation gé-
nérale, de fermeture des frontières, de loi martiale… J’ai peur
que mon mari soit mobilisé. Nous sommes plongés dans
une effroyable incertitude. En proie à des angoisses, Jessica
m’appelle régulièrement et je la rassure du mieux que je
peux. Elle craint de ne plus pouvoir avoir une vie académi-
que normale, puisque les universités occidentales interrom-
pent leurs échanges avec la Russie. Elle songe un instant à
quitter le pays, puis se ravise. Toute sa vie est à Moscou.
Pour moi, c’est pareil. Il n’est pas question de quitter
la Russie. Mon mari a un enfant d’un premier mariage là-
bas. Certains de mes amis ukrainiens n’acceptent pas mon
choix – même si mes amitiés les plus fortes demeurent, car
je suis très attachée à l’Ukraine, dont j’ai aussi appris la lan-
gue. Jessica me raconte également avoir rompu avec une
amie qui ne comprend pas qu’elle ait choisi de rester.
Elle me demande :
« Pourquoi est-ce
que tu vis ici ? »
Je lui réponds :
« Parce que j’aime
la Russie telle
qu’elle est, pas telle
que je voudrais
qu’elle soit »
XAVIER LISSILLOUR
Pour rentrer chez moi, je parviens à trouver un vol
par la Turquie. Jessica et moi continuons à nous parler ré-
gulièrement. Elle a besoin de soutien, et je suis quelqu’un
qui en donne aisément. Je remarque que nos échanges
sont souvent à sens unique, mais je ne lui en tiens pas rigu-
eur, d’autant qu’elle m’offre aussi un soutien émotionnel
lorsque j’en ai besoin. Je fais une demande de permis de sé-
jour, un parcours très éprouvant qui dure six mois, et Jes-
sica est très présente pendant ce processus. Elle m’héberge
chez elle, à Moscou, pour mon troisième entretien. A ce
moment-là, elle est enceinte et nourrit de nombreuses
peurs liées à sa grossesse.
Cet été-là, je pars en Europe avec mon mari. Je le
présente à ma famille. C’est un moment important pour
moi. A mon retour, Jessica ne me pose aucune question. Je
ressens un peu d’irritation à son égard, mais je me rai-
sonne en me disant qu’il n’y a pas d’amitié parfaite.
En octobre, je dois passer des examens médicaux à
Moscou. Jessica est disponible et contente qu’on se voie.
Nous prenons rendez-vous dans un café, nous avons une
heure devant nous. Nous nous retrouvons et la conversa-
tion prend un tour politique. Elle affirme que les Etats-
Unis sont responsables de la situation parce qu’ils obligent
les Ukrainiens à ne pas négocier avec les Russes. Ce sont
des choses que l’on entend dans la propagande russe. J’ap-
porte des arguments dans l’autre sens. Pour moi, c’est un
échange d’idées, ni elle ni moi ne disposons d’infos « top
secret » ! Mais Jessica est sur la défensive, et se montre en
même temps très agressive.
Nous parlons du futur de la Russie. Elle avance
l’idée répandue que, si Poutine quittait le pouvoir, la Rus-
sie deviendrait miraculeusement démocratique du jour
au lendemain. Je ne suis pas du tout d’accord. Je pense que,
si l’on respectait la volonté du peuple russe, il ne choisirait
pas une démocratie libérale, que c’est une position mino-
ritaire dans le pays. A ce moment-là, elle me demande :
« Mais alors, pourquoi est-ce que tu vis ici ? » Je lui réponds :
« Parce que j’aime la Russie telle qu’elle est, et pas telle que je
voudrais qu’elle soit. » Je lui dis qu’il est important de ne
pas regarder la réalité à travers des lunettes roses. J’ajoute
que je pense que sa vision est biaisée par le fait qu’elle vit à
Moscou, au contact de l’intelligentsia libérale, un micro-
cosme très différent du reste du pays. Cette remarque la
vexe. La conversation devient houleuse. Je lui dis que je
suis immergée dans la « vraie Russie », en province, entou-
rée de gens lambda. Mes beaux-parents, par exemple, re-
gardent la télé et croient tout ce qu’affirme la propagande
russe. J’ai beaucoup de respect pour eux, mais ils sont in-
cultes sur le plan politique. Elle me rétorque qu’elle con-
naît aussi de « vrais Russes ». Après ce débat animé, elle me
raccompagne au métro. Nous nous quittons en bons ter-
mes. Nous avons prévu de nous revoir le mois suivant, lors
d’une conférence aux Etats-Unis.
Le soir, je lui envoie tout de même un message assez
long pour lui préciser ma pensée. Pour la première fois, j’en-
tre dans un registre très personnel avec elle, je lui parle de
ma passion pour ce pays. Elle ne me répond pas.
Un mois plus tard, je suis au cocktail de cette confé-
rence américaine. J’aperçois soudain Jessica, en pleine con-
versation. Je me fraie un chemin jusqu’à elle et lui tape sur
l’épaule. Elle se tourne vers moi, me répond « salut », puis se
détourne sans interrompre sa conversation. Je reste quel-
ques instants interdite, sous le choc, ne sachant trop si je
dois attendre un mot de sa part ou disparaître. C’est très hu-
miliant. Je suis terriblement attristée. Jessica est quelqu’un
de très franc, et cette façon de m’ignorer est d’autant plus
violente. Si au moins elle m’avait crié dessus après notre
dernière rencontre… Je n’ai pas cherché à obtenir une expli-
cation, je ne voyais pas l’intérêt de lui courir après et je ne
pense pas lui devoir d’excuses. Je comprends que mes paro-
les aient pu la heurter, mais j’aurais apprécié qu’elle me le
dise en face. Cette rupture m’a aussi soulagée. J’avais l’im-
pression d’une amitié un peu bancale, déséquilibrée.
J’en garde également une certaine amertume. Ce
jour-là, je n’ai pas pu lui dire que j’étais moi aussi enceinte.
Nous aurions pu vivre cette première grossesse ensemble,
partager l’expérience de la maternité. Quand son enfant
est né, je lui ai tout de même envoyé un message pour la
féliciter, mais j’ai vu qu’elle ne l’avait jamais lu.
4 0123
DIM A N C HE 26 - L UN DI 27 N OVEM BR E 2023
Par Hélène Bekmezian
L
es mains de l’agente de sécu-
rité remontent le long de notre
jambe, la palpation est ferme
et rigoureuse. « Qu’est-ce que
c’est dans votre poche ? Un
crayon ? Vous n’en avez pas
besoin, retournez déposer ça au ves-
tiaire. » On obéit, de peur de se faire re-
marquer. Tandis qu’on se fraye un che-
min en sens inverse dans la queue, un
autre vigile harangue la foule : « On
s’aperçoit qu’une personne essaie de ren-
trer avec son téléphone… Je vous rappelle
que tout ce qui est portable, appareil
photo, clés ou objet métallique doit rester
au vestiaire. Je reviens sur les tenues ves-
timentaires : manteaux, écharpes, cas-
quettes, ça ne rentre pas ! Les médica-
ments, c’est oui, le Labello, c’est non. »
Trois femmes s’échangent un
regard complice en riant : « Celle-là, on
ne nous l’avait jamais faite ! » Natalina
Silva, Célia De Oliveira et Maria Jaffrezic
connaissent la chanson : avec plus d’une
cinquantaine de tournages à leur actif,
les trois amies du Val-de-Marne ont l’ha-
bitude d’entendre ces consignes. Ce sont
toujours les mêmes qui sont adressées
aux anonymes qui viennent peupler
l’arrière-plan des émissions de télévi-
sion enregistrées en public. Jeux, talk-
shows, télé-crochets, concerts carita-
tifs… Chaque jour, la télévision a besoin
de centaines de volontaires comme
elles pour donner un peu de chaleur à
ces programmes, faire entendre des ap-
plaudissements, des rires, des « Oooh ! »,
des « Aaah ! ». C’est une véritable indus-
trie derrière l’industrie, avec ses habi-
tués, ses chauffeurs de salle et ses nom-
breuses agences d’événementiel qui or-
ganisent et accueillent le public.
Cet après-midi d’octobre, sur un
des nombreux plateaux logés dans
d’immenses hangars aux frontières de
Paris, c’est « Vendredi tout est permis »
qui est mis en boîte, une émission où
Arthur impose des épreuves cocasses à
une demi-douzaine de semi-vedettes,
en impliquant parfois des spectateurs.
« VTEP », comme l’appellent les initiés,
est diffusé au compte-gouttes toute
l’année sur TF1 mais enregistrée en
condensé, à raison d’une quinzaine
d’épisodes en dix jours. Lorsque l’on met
enfin le pied sur le plateau, après un pas-
sage dans des couloirs mal éclairés en
évitant de se prendre les pieds dans les
câbles qui serpentent à même le sol,
c’est tout à coup l’effervescence. Des
néons bleus, roses, jaunes, des spots qui
balancent une lumière éclatante, des
techniciens qui vont et viennent, slalo-
mant entre le chauffeur de salle qui en-
traîne le public à applaudir et les placeu-
ses qui organisent les gradins, plus ou
moins aimablement – « Serrez-vous un
peu sur votre droite. La droite, j’ai dit ! »
Une femme surgit des coulisses,
casque-micro sur la tête. Elle est un peu
essoufflée et, d’une voix légèrement
agacée, interpelle l’audience : « On cher-
che encore une personne âgée non ta-
touée qui ne sait pas danser. Toujours
pas ? » Derrière moi, un monsieur go-
guenard désigne son épouse, qui se re-
croqueville immédiatement – « Oh non,
dis, déconne pas, Didier ! »
Contrairement à ce que l’on
pourrait penser, la plupart des gens qui
viennent assister à ces émissions ne
cherchent pas à passer à l’écran. Dans le
cas de « VTEP », ceux qui descendent sur
le plateau sont volontaires, mais, par-
fois, l’autorisation de diffusion qu’il faut
obligatoirement signer peut vous em-
mener sans prévenir jusque sous les
projecteurs. Natalina Silva, l’une des
trois amies, garde un souvenir amer de
s’être fait « piéger en beauté » lors d’une
émission du même genre, où elle s’est
retrouvée au milieu de la scène sans
trop comprendre ce qui lui arrivait, face
à un public hilare. « Elle était rouge
comme une tomate et toute paralysée »,
se souvient Maria Jaffrezic, qui l’accom-
pagnait ce jour-là.
Les deux retraitées pimpantes de
61 ans se connaissent depuis l’enfance et
« Sous vos
applaudissements ! »
Des « Oooh ! »,
des « Aaah ! », des rires,
des acclamations sur
commande. Derrière
les candidats ou les
invités des émissions
de télé est massé
un public recruté
et encadré par des
sociétés spécialisées.
Les spectateurs
assidus, souvent âgés,
y voient une occasion
de tisser des liens
sociaux, en côtoyant
des vedettes
avec la sœur cadette de la première,
Célia De Oliveira (qui travaille encore,
mais à mi-temps), elles assistent à deux
ou trois émissions par mois depuis plu-
sieurs années. Ce qu’elles aiment, elles,
c’est « voir du beau monde ». « On est très
variétés », détaille Maria. « Surtout ce qui
est concerts », enchaîne Natalina, suivie
de Célia, qui précise : « On a vu, par exem-
ple, Florent Pagny et Michel Polnareff,
c’était super ! Il y a eu aussi la fois au châ-
teau de Chantilly avec Stéphane Bern et
les danseurs de Kamel Ouali, vous vous
souvenez, les filles ? » Pour elles, c’est un
divertissement gratuit qui s’intègre
dans un bouquet de loisirs plus large.
Epouses de « maris casaniers », mères de
famille, employées de bureau embau-
ENQUÊTE
chées à 18 ans… « On n’a jamais eu trop de
temps pour nous », résume Natalina.
Alors, les inséparables se rattrapent en
partageant des petits voyages, des ex-
pos, des séances de ciné et… les bancs
d’émissions de télé. C’est Natalina qui,
poussée par la curiosité de découvrir
l’envers du décor, a entraîné les deux
autres. « Ensuite, ça s’enchaîne vite. Vous
discutez avec d’autres gens du public, on
vous conseille de vous inscrire auprès de
telle ou telle agence et, après, on est tout
le temps sollicité », explique-t-elle. Elles
découvrent que certaines participations
donnent droit à des places pour « des pe-
tites pièces de boulevard ou des humoris-
tes pas très connus », qu’il y a des émis-
sions « coupe-file » auxquelles il faut as-
sister pour pouvoir accéder à d’autres,
très demandées. Après quelques expé-
riences décevantes, elles sont devenues
sélectives et ne vont plus n’importe où.
Elles ne feront plus les jeux en
prime time sur France télévisions (« trop
long »), éviteront aussi « Les Grosses
Têtes » de RTL (« trop intello ») et préfére-
ront retourner à « Quelle époque ! », le
talk-show du samedi de Léa Salamé sur
France 2 – « il y a de tout, comme invités,
et l’ambiance est détendue ». Célia avoue
« une petite préférence pour Faustine »
(Bollaert) et se désole que son émission,
« très cocooning », ne soit plus ouverte au
public depuis le Covid-19. En revanche, là
où elle ne veut plus remettre les pieds,
peu importe le nombre de relances qu’elle
recevra de l’agence qui s’en occupe, c’est
« Touche pas à mon poste ! ».
La quotidienne de Cyril Hanouna
sur C8 n’a pas vraiment la cote dans le
milieu des publics de télé. Dès la file
d’attente devant les studios de Canal+, à
Boulogne, le ton est donné. Un vigile
repère les primo-visiteurs pour les ser-
monner : « On ne regarde pas la caméra,
on ne fait pas de signe, on n’interpelle
pas Cyril ni les chroniqueurs. » Denis, un
habitué, nous souffle qu’« ici, ça ne ri-
gole pas ; si vous faites un truc de travers,
on vous met dehors tout de suite ».
L’émission étant enregistrée en direct,
aucun imprévu ne peut être toléré et
l’armada d’agents de sécurité est
d’autant plus sur les dents que, il y a
quelques semaines, « un petit plaisan-
tin » s’est immiscé dans le public. En
plein direct, il a demandé la parole pour
finalement piéger l’animateur et tour-
ner en dérision son émission.
Il faut également supporter de
rester passif pendant quatre heures,
assis sur une banquette molle, sans
pouvoir sortir, aller aux toilettes, boire
ou manger. Avant le début, deux fem-
mes sont passées dans les rangs avec un
rouleau d’adhésif gris et un gobelet en
papier, tendus sans un mot (ni un sou-
rire) à ceux qui avaient la mauvaise idée
de porter un vêtement siglé ou de mâ-
cher un chewing-gum. Au bout de deux
heures, on a bien eu droit à un peu
d’eau – un chariot avec des gobelets en
carton à moitié remplis fait le tour du
plateau –, mais on s’en est privé, de peur
de se retrouver dans une situation bien
trop inconfortable.
A chaque coupure pub, un
chauffeur de salle débarque pour nous
empêcher de nous assoupir. Ici, c’est
Lionel Tim, ancien membre des Linkup,
un boys band des années 2000 qui a
fait connaître M. Pokora. Avec quelques
cheveux gris de plus mais toujours la
même énergie, il sautille en rythme sur
une musique de boîte de nuit qui hurle
dans les enceintes, et tourne sur lui-
même, micro en main : « Allez, les petits
chéris, on se réveille ! C’est une émission
faite par vous, pour vous et avec vous,
mettez-y toute votre énergie et votre
amour ! C’est “Touche pas à mon… ” ? »
« POOOOSTE !! », beuglent les habitués
assis au fond.
Cynthia, qui s’époumone au der-
nier rang, a mis exprès un haut jaune vif
à froufrous pour respecter la consigne
envoyée par mail (« Tenue correcte et co-
lorée exigée. Pas de survêtement ni de vê-
tement fluo. Evitez les marques visibles et
les rayures »). C’est au moins la dixième
fois que cette aide-soignante d’une tren-
taine d’années participe, et elle nous
confie que « c’était mieux avant » : « On
rigolait plus quand il y avait Matthieu
Delormeau et tout. Maintenant, c’est plus
politique, plus lisse… » Sa voisine passe
une tête : « En plus, il y avait des sand-
wichs, des madeleines, des chocolats… »
De fait, les audiences de l’émis-
sion déclinent, et cela se ressent jusque
sur les bancs du public, qui paraissent
difficiles à garnir. Ce soir, il y a beaucoup
de jeunes, mais ils semblent s’ennuyer,
réagissent peu et se tassent progressive-
ment sur eux-mêmes, le coude sur le
genou et le menton dans la main. Ce
sont des étudiants qui reçoivent réguliè-
rement des invitations par leurs établis-
sements et qui, à force de relances, ont
fini par venir, « pour voir »… et on ne les y
reprendra sans doute pas.
Dans la foule massée pour récu-
pérer ses affaires au vestiaire, on re-
trouve Denis, l’habitué croisé à l’entrée.
Il confirme les difficultés pour remplir
la salle. La preuve, l’agence l’a appelé en
urgence à 16 heures pour un direct qui
commence à 18 heures. Il venait de ter-
miner sa journée de travail comme
chauffeur-livreur et s’est dépêché d’arri-
ver de la Seine-et-Marne, de l’autre côté
de Paris. Ce n’est même pas un fan
d’Hanouna – « Avant de venir, je le détes-
tais ». Alors, pour quelle raison s’inflige-
t-il cela ? « Pour l’ambiance, pour discu-
ter, rencontrer des gens… » Une femme
plus âgée le saisit par l’épaule et inter-

rompt notre échange : « Hé, mais tu
n’étais pas là, hier ! Je t’ai cherché partout,
je ne t’ai pas vu, ça m’a fait de la peine.
Tu viens demain ? » « Non, mais après-
demain, oui », lui répond chaleureuse-
ment Denis. La dame affiche un sourire
soulagé puis se tourne pour tendre son
ticket au guichet du vestiaire. Après
tout, à chacun son espace de socialisa-
tion, et celui-là en est un comme un
autre. On insiste tout de même auprès
de Denis : « Mais l’ambiance n’est pas très
sympa, et puis c’est long, de rester assis
quatre heures sans bouger. » Il rigole :
« C’est parce que c’est la première fois que
tu viens ! Reviens après-demain, tu ver-
ras. Allez, c’est moi qui t’inscris, O.K. ? » Ce
n’est pas qu’on ne veuille pas, mais on a
déjà autre chose de prévu.
« Vous n’êtes plus dans votre ca-
napé, vous êtes là, vous êtes les acteurs
de cette émission ! Alors, si c’est drôle,
riez, et si ce n’est pas drôle… riez quand
même ! » Sur le plateau de « Quotidien »,
le public n’est pas tout à fait le même,
mais les injonctions du chauffeur de
salle ne changent guère. La proportion
d’habitués non plus. On a appris à les
repérer, pendant la longue attente en
coulisses avant d’entrer sur les pla-
teaux : ils se saluent, appellent les vigi-
les par leur prénom, se racontent leurs
dernières expériences (« J’ai fait “Vive-
ment dimanche”, on est bien assis et
Michel est adorable », « Moi j’étais à “The
Voice”, on a vu 82 candidats en quatre
jours »). Ils se distinguent rien que dans
leur façon de se mouvoir, ils n’ont pas
l’attitude empruntée des nouveaux qui
ne savent pas ce qui les attend ni par
quelle porte il faudra passer. Ils ne
s’étonnent pas non plus que Yann Bar-
thès – comme Cyril Hanouna – intera-
gisse très peu avec le public, se conten-
tant du minimum syndical, « Bonjour…
merci… au revoir… » Quand Vincent, le
chauffeur de l’émission de TMC, de-
mande combien de personnes sont déjà
venues, un bon tiers lèvent la main. « Oh
oui, vous, là-bas, ce n’est pas la peine de
vous demander », rétorque-t-il d’un air
entendu à une poignée de sexagénaires
joviaux au dernier rang. Comme par-
tout, les habitués sont rarement placés
0123
DIM A N C HE 26 - L UN D I 27 N OVEM BR E 2023 5
Enregistrement de l’émission « On n’est pas couché », de Laurent Ruquier, en octobre 2015. RENAUD BOUCHEZ/SOCIETY/SIGNATURES
SO I XA N T E A N S DE PU B LI C EN PLA T EA U
De « 36 chandelles » au Covid-19
A
lors que la toute première émission française est tournent le dos (à la différence des « late shows » améri- tractée et tout le personnel est aussi pa-
télédiffusée en 1935, le nouveau média s’inspire cains où le public est face à la scène). Dans les années tient que dans une maison de retraite
vite du music-hall et de ses codes pour proposer 1980, le public est désormais bien intégré dans le petit qui aurait des moyens.
des programmes de divertissement. En 1948, la première écran, mais il n’est pas encore un acteur à part entière ; il Pendant le tournage, Marie a le
émission de variété, « Le Cabaret de la plume d’autru- ne fait pas l’objet de plans spécifiques, les applaudisse- sourire et ça n’est pas du chiqué. Elle
che », est retransmise en direct du Théâtre de la Gaîté- ments sont brefs, les rires restent timides. Or, comme le aime cette ambiance showbiz, passer
Montparnasse, à Paris. fait remarquer le journaliste Jacques Siclier dès 1964 par les coulisses, croiser des techniciens
Mais c’est surtout à partir de 1952 que l’on com- dans un article du Monde, il n’y a « rien de plus morne affairés qui parlent dans leur casque-
mence à entendre les applaudissements (et les rires) du qu’une émission de variétés enregistrée en public lorsque le micro… « C’est cool, la télé, tout le monde
public, dans deux grandes émissions de variétés, public ne réagit pas ». se tutoie, ils ne se prennent pas la tête »,
« 36 chandelles » et « La Joie de vivre ». Là encore, les enre- Et à partir des années 1990, le procédé s’industria- soupire-t-elle. Cette « mamie active » qui
gistrements ont lieu sur de vraies scènes et le public est lise, avec l’apparition des chauffeurs de salle qui viennent n’est « pas du genre à rester tricoter sur
dans la salle pour assister au spectacle. Il faut attendre ambiancer le « vrai » public désormais menacé par la son canapé » emmène toutes les semai-
1960 pour que celui-ci arrive sur les plateaux en studio, concurrence des rires préenregistrés. Des agences d’évé- nes, parfois même tous les jours, deux
en l’occurrence pour applaudir les aspirants chanteurs et nementiel spécialisées se créent, comme Clap Produc- ou trois amis dans sa voiture, direction
musiciens du « Petit Conservatoire de la chanson », créé tions (aujourd’hui WeClap), fondée en 1996 par Kenty les studios de La Plaine-Saint-Denis, à
par Mireille. Du côté des jeux télévisés, le public fait son Blanc, l’un des pionniers du secteur. Son objectif : trente minutes de chez eux. « On rigole
apparition dès 1957 dans « Gros lot », mais les messieurs qu’aucun fauteuil ne reste vide, partant du constat que « le bien, ça nous détend, et on peut même
en costume cravate que l’on voit applaudir sont, en fait, monde attire le monde ». Aujourd’hui, au moins six agen- apprendre des choses. » Mais pas que : ça
des concurrents qui viendront ensuite eux-mêmes ré- ces se partagent le marché de la « gestion de public sur les peut aussi rapporter gros.
pondre à des questions. plateaux » et l’une des principales, Cassandra, se targue Les modalités diffèrent, mais,
Le public anonyme, tassé sur des bancs derrière sur son site Internet d’avoir permis « à plus de 1 million de dans la plupart des jeux, les spectateurs
les candidats, n’arrive qu’en 1970 dans « L’Avis à deux », personnes d’assister à plus de 550 émissions » depuis 2003. sont remerciés avec des chèques ca-
présenté par Guy Lux, sorte d’ancêtre des « Z’amours ». Le Covid-19, en 2020, sera le grain de sable dans la deaux de 10 euros par journée ou demi-
C’est aussi à cette époque que les émissions de débat machine : les spectateurs sont priés de rester chez eux, journée. « Je m’en suis acheté des choses,
commencent à se décloisonner avec, notamment, « Apos- parfois « confinés » sur des écrans où on les voit réagir en grâce à la télé ! », assure avec gourman-
trophes », qui, dès son lancement, en 1975, casse les codes visio depuis leur salon. Par la suite, certaines émissions dise Marie, qui cumule jusqu’à 200 euros
dans son décor de fausse bibliothèque peuplée de sil- ont fait le choix de ne pas revenir en arrière, comme les bons mois. De quoi s’offrir un home
houettes anonymes. Enfin, pas si anonymes que ça, car la « Questions pour un champion », qui se contente désor- cinéma, des places à Eurodisney ou faire
plupart de ces spectateurs sont, en réalité, des proches mais d’applaudissements « en boîte ». Que des avantages des cadeaux à ses petites-filles : « Je leur
(famille, attachés de presse, éditeurs…). pour la production : moins de lourdeur logistique, raconte parfois : mamie, elle a fait cin-
Une spécificité française s’installe avec le posi- moins de pression pour les joueurs et un effet quasi nul quante heures de télé pour ça ! »
tionnement de l’audience derrière les invités, qui lui sur les audiences. D’ailleurs, elle dit qu’elle « travaille »
avec plusieurs agences et qu’elle a « un
planning très rempli ».
Le jeu « Les Douze Coups de
devant : il ne faudrait pas que les télés- traitée de son poste d’employée munici- vrai qu’il échange souvent avec le public, midi », présenté chaque jour sur TF1 par
pectateurs voient toujours les mêmes pale. Comme les autres, elle a ses têtes que la caméra tourne ou non. Jean-Luc Reichmann et enregistré au
têtes. Ça ne les dérange pas plus que ça, (« Laurence Boccolini, plus jamais ! ») et Dès que Jarry arrive sous les lu- hangar d’à côté, n’est pas son préféré,
du moment qu’ils ne sont pas trop mal ses chouchous (« Olivier Minne, je mières, c’est l’excitation chez les têtes mais il est le plus rémunérateur. Alors,
assis, surtout pour les plus âgés. l’adore »). Aujourd’hui, elle est ravie, car grises : les hommes rigolent déjà, et les Marie en fait « le plus possible ». Sans ça,
Ceux-là constituent une propor- elle va passer la journée avec Jarry. dames, tirées à quatre épingles, s’en- elle n’aurait, par exemple, pas pu refaire
tion écrasante du public dans un genre L’humoriste de 46 ans, nouvel anima- quièrent de sa santé (l’animateur s’est sa chambre à coucher. Devant notre air
bien particulier : les jeux. A tel point teur de « Tout le monde veut prendre sa blessé récemment au genou). Thierry, impressionné, elle ajoute, en rigolant :
que, pour apporter un peu de diversité, place » sur France 2 depuis la rentrée, le chauffeur de salle, n’a pas tout à fait « Eh oui, je dors dans la chambre de Jean-
ces programmes font par ailleurs appel s’est vite installé comme l’un des favoris. fini son laïus (« … et des grands sourires Luc ! » Elle a hâte que ses tournages re-
à des figurants rémunérés, qu’ils ras- Déjà, « il est précis et réglo », apprécie en tranche de pastèque… »), mais on ne prennent, d’autant que le prochain sera
semblent juste derrière les candidats. Marie. Quand on reste du matin au soir l’écoute déjà plus. De toute façon, ils un « spécial pyjama » où il faudra venir
« Nous, les vieux, on est toujours placés sur un plateau pour assister à six enre- l’ont déjà entendu cent fois. Un brou- habillé de son plus beau pilou-pilou. Elle
au fond, on est perchés dans le grenier », gistrements consécutifs, on est recon- haha enjoué s’échappe des rangs, les s’en amuse déjà. Pour elle, comme pour
s’amuse Marie Moussaoui. A 71 ans, naissant quand l’animateur ne perd pas femmes rangent leur trousse de ma- les autres habitués que nous avons ren-
cette habitante de Pierrefitte-sur-Seine un temps fou à se changer dans sa loge quillage à leurs pieds pendant que les contrés, pas question d’arrêter d’aller
(Seine-Saint-Denis) « fait » les émissions entre chaque émission. En plus, « il est placeuses installent tranquillement les faire la claque pour le petit écran. « Tant
depuis vingt ans, avant même d’être re- marrant, il met en confiance », et il est retardataires ; ici, l’ambiance est décon- que j’ai la santé, j’y vais ! »
6 0123
DIM A N C HE 26 - L UN DI 27 N OVEM BR E 2023
Au fond
de la piscine
L’apnée se pratique
désormais comme
un yoga aquatique.
Fini la quête
de la performance,
vive la relaxation !
Catherine Rollot
GRAND BLEU
I
l flotte en ce jour automnal comme
un air de Polynésie en Haute-Savoie.
La température de l’eau affiche un
33 °C tropical, mais les palmiers et
la plage de sable fin ne sont que des
éléments peints du décor mural.
Temps idéal pour la demi-douzaine
d’apnéistes venus trouver leur bulle de
bien-être, non pas dans les eaux tur-
quoise du Pacifique mais dans la fosse
de plongée indoor du centre aquatique
Nemo 33 Genève, installé dans la petite
commune rurale de Chêne-en-Semine.
Le capitaine du jour s’appelle Simon
Chenu, qui a ouvert en 2022 son école,
Planète Apnée, sur la rive droite du lac
d’Annecy, pour démocratiser cette disci-
pline aquatique. Au printemps et en été,
il dispense baptêmes et cours en milieu
naturel ; à partir de mi-octobre, en bas-
sin de grande profondeur.
« Pendant des années, on a pensé
l’apnée élitiste, réservée à des champions
en quête de performance. Un sport un peu
extrême, popularisé par Le Grand Bleu, de
Luc Besson, explique le moniteur de
32 ans. Aujourd’hui, les gens s’y mettent
pour gérer leur stress et décrocher du
quotidien. Car, dès que tu t’immerges, il se
passe quelque chose. Il n’y a plus de diffé-
rences d’âge ni de statut social. Sous l’eau,
on a tous 10, 12 ans », assure celui qui a
initié à cette discipline des stagiaires
âgés de « 8 à 77 ans ».
Longiligne dans sa fine combi-
naison de natation, l’ancien musicien
professionnel, aujourd’hui titulaire d’un
brevet de moniteur d’apnée, a pris ses
quartiers d’hiver dans le centre aquati-
que ouvert il y a trois ans, à une demi-
heure de route d’Annecy et de Genève.
Les installations sont nées dans la tête
d’un Belge, passionné de plongée, John
Beernaerts. L’entrepreneur, dont le but
était d’offrir « les conditions de Bora-
Bora à Bruxelles », a ouvert un premier
Nemo 33 dans la capitale belge en 2004,
avant de reproduire l’idée à quelques
kilomètres de la frontière suisse, des
années plus tard.
Posé en pleine campagne, dans
une zone d’activité commerciale, le vaste
cube gris décoré d’un banc de poissons
n’évoque pas spontanément Tahiti. Mais,
sitôt le seuil franchi, la vision, à travers
deux grands hublots, de la fosse pro-
fonde de 20 mètres vous plonge dans
l’ambiance. A l’étage, à quelques volées
d’escaliers, le petit groupe d’apnéistes du
jour – deux femmes, quatre hommes – se
prépare. Une tenue de piscine (maillot de
bain, lunettes et palmes) leur suffira
pour tâter les profondeurs. Tous sont
débutants ou quasiment et viennent ici
retrouver les sensations de lâcher-prise
et de relaxation vécues lors de leur précé-
dente immersion.
En maillot noir, Renaud Guignard,
44 ans, a commencé cet été en extérieur
et a vraiment accroché. « C’est assez
drôle, je n’ai jamais été attiré par le yoga,
mais c’est pourtant l’aspect méditatif, le
côté pleine conscience, qui me plaît le
plus. Au cours d’une séance, vous devez
être concentré, extrêmement relâché. Le
plus dur, quand vous sortez d’un cours,
c’est finalement de devoir revenir au
monde et de rallumer son téléphone. » Ce
spécialiste en médecine nucléaire n’a pas
trouvé de place dans un club pour s’entraî-
ner régulièrement au sein d’un même
groupe. En attendant, il réserve régulière-
ment des créneaux en « autonome », à
Nemo 33 (25 euros pour une heure et de-
mie d’apnée). Seule contrainte : l’obliga-
tion de trouver un binôme, pour des rai-
sons de sécurité, car l’apnée ne doit ja-
mais se pratiquer seul.
Depuis deux ans, l’intérêt pour la
discipline s’est accentué et les demandes
explosent, notamment en ville, où les
entraînements se font majoritairement
en piscines municipales ou privées, ou
dans des fosses de grande profondeur,
moins nombreuses. On y apprend les
différentes formes de l’apnée : la « stati-
que », dont le but est de retenir son souf-
fle le plus longtemps possible, tête im-
mergée ; la « dynamique », qui consiste à
parcourir horizontalement la plus lon-
gue distance possible, avec ou sans pal-
mes, sous l’eau. En fosse ou en eau libre,
on peut aussi s’essayer à l’apnée « en pro-
fondeur », une plongée en descente ver-
ticale le long d’un filin.
« En moins de dix ans, les prati-
quants sont passés de 1 000 à 24 000 li-
cenciés, sans compter tous ceux qui pra-
tiquent plus ponctuellement en mode
loisir, souligne Olivia Fricker, présidente
adjointe de la commission nationale
apnée au sein de la Fédération française
d’études et de sports sous-marins.
Faute de créneaux suffisants et d’enca-
drants, il y a aujourd’hui des listes d’at-
tente partout, que ce soit dans les clubs
associatifs ou les structures privées.
Dans mon club à Mulhouse [Haut-Rhin],
même en multipliant par trois le nombre
de stages d’initiation, on n’a pas pu satis-
« J’AI LA
SATISFACTION
DE SENTIR
QUE J’ARRIVE
À CONTRÔLER
MES PEURS ET
MON CORPS »
Albéric Fouquier, 51 ans
Descente en apnée
dans la fosse de
20 mètres, avec le
moniteur Simon Chenu,
au centre Nemo 33,
à Chêne-en-Semine
(Haute-Savoie),
le 20 octobre.
Ci-contre : mise
en condition
avant la descente.
DAVID WAGNIÈRES
POUR « LE MONDE »
faire tout le monde. Et c’est encore plus
difficile pour ceux qui veulent venir régu-
lièrement : pour une place qui se libère,
on a dix candidats. »
A Paris, Pierre Creugny, président
de 7e apnée, l’un des plus grands clubs
associatifs de la capitale, avec une cen-
taine d’adhérents, est en première ligne
pour observer cette popularité grandis-
sante. « Le profil et les motivations ont
changé. Le public, de plus en plus féminin,
apprécie une pratique qui allie détente,
recentrage sur soi et sport, explique le
jeune président bénévole, commercial
dans le secteur du luxe. C’est aussi une
activité qui ne nécessite pas de transpor-
ter beaucoup de matériel, à l’inverse de la
plongée, et qui peut se pratiquer lors de
sorties en milieu naturel, dans le respect
de l’environnement. »
Une image de pratique « cool »,
devenue accessible à tout le monde, loin
des abysses et de la rivalité entre Jacques
et Enzo, les deux héros du Grand Bleu, ou
des performances des Français Stéphane
Mifsud (11 minutes et 35 secondes en
statique) et Arnaud Jerald (122 mètres de
profondeur en bi-palmes en 3 minutes et
34 secondes), tous deux champions du
monde dans leur catégorie.
Dans un quotidien souvent op-
pressant, l’entraînement subaquatique
sans assistance permet de se mettre
dans une bulle. Paradoxalement, en ar-
rêtant de respirer, on souffle. Avant de
plonger, une longue mise en condition
participe à la détente. « Visualisez toutes
les parties de votre corps en contact avec
le sol. » Guidés par les instructions de
leur moniteur, les apnéistes du jour, al-
longés en rang d’oignons sur les bords
carrelés de la piscine, s’entraînent à des
exercices d’oxygénation. Les cages tho-
raciques montent et descendent au fil
des inspirations et expirations, les ten-
sions s’envolent.
Après une vingtaine de minutes
d’exercices de relaxation et de cohé-
rence cardiaque, l’heure est à l’immer-
sion dans une eau chauffée à 33 °C, la
température d’équilibre thermique du
corps humain qui permet de dépenser le
moins d’énergie pour se refroidir ou se
réchauffer. Reposant sur des frites en
mousse de couleur, la petite bande res-
pire profondément et se prépare à plon-
ger avec une lenteur fascinante. Quel-
ques-uns ferment les yeux, d’autres pré-
fèrent les garder ouverts.
Valentin Duvieu, 25 ans, maître-
nageur, est le premier à s’élancer. Sans
grande difficulté, il atteint les 20 mètres
de fond. « Nageur de surface », il est venu
découvrir des sensations inconnues,
« de plénitude, de silence », et un état
d’esprit « sans la pression de l’effort phy-
sique et de la performance », même s’il
confie avoir tout de même un œil sur
« sa capacité à aller toujours plus bas ».
Réflexe de sportif.
Pour sa « première fois en fosse »,
Estelle Gay, psychiatre, vient d’atteindre
7 mètres. De retour dans la région, après
une expatriation à Tahiti, la nageuse
trentenaire, mère de deux enfants, a dé-
couvert la plongée « dans les fonds ma-
rins sublimes de Polynésie ». Difficile de
trouver un équivalent en métropole. Elle
a préféré tester autre chose, mais tou-
jours sous l’eau, pour déconnecter.
« Après une séance d’apnée, on se sent lé-
ger dans tous les sens du terme, c’est magi-
que », explique la nageuse en maillot vert
et noir, encore un brin en apesanteur.
Simon Chenu accompagne cha-
cun de ses élèves. Par mesure de sécu-
rité. L’un des rares risques de l’apnée de
loisir reste la syncope. Accroché à quel-
ques mètres sous l’eau sur une paroi de
la fosse, il surveille sans respirer des-
cente et remontée, avant de distiller ses
conseils, une fois à la surface. « Albéric,
tu étais à 8,50 mètres. Regarde unique-
ment le câble, tu tiens ta tête trop en
arrière. » A 51 ans, Albéric Fouquier ne
connaissait « absolument rien à l’apnée »
avant de rencontrer par hasard, au club
nautique du lac d’Annecy, Simon Chenu
et sa compagne, Adeline Fissier, hypno-
thérapeute, ancienne phobique de
l’eau, aujourd’hui apnéiste amatrice. Le
courant est passé et il a eu envie d’es-
sayer, pour retrouver « l’état d’insou-
ciance de [son] enfance » et « calmer
[ses] pensées et [son] corps », lui qui,
après une carrière de cadre sup dans
l’informatique, s’est reconverti avec suc-
cès dans l’ébénisterie.
Créateur et gérant de La Fabri-
que du lac, un atelier de réalisation de
mobiliers et d’agencements en bois, le
passionné apprend à gérer le stress du
chef d’entreprise, stress qu’il fait redes-
cendre en tentant de toucher le fond de
la piscine. « Lors de la première séance,
j’avais beaucoup d’appréhension, je ne
pensais qu’à vider mes poumons avec
parcimonie, raconte le quinquagénaire
souriant derrière sa barbe poivre et sel.
Je me suis mis à visualiser le filin comme
un collier de perles, une ligne de vie, et j’ai
réussi à atteindre 3 mètres. Depuis, je
progresse et, surtout, j’ai la satisfaction
de sentir que j’arrive à contrôler mes
peurs et mon corps. »
Masque vert et orange relevé,
Cyril Lacrevaz, 36 ans, technicien dans le
domaine de l’énergie, en sait quelque
chose. Son principal défi est d’arriver à
dompter les variations de pression, dans
ses oreilles, problème qu’il n’avait pas en
apnée statique. Un inconfort qui ne l’em-
pêche pas de philosopher. « En cherchant
de la profondeur dans la fosse, on trouve
de la profondeur dans la vie », confie celui
qui, plus prosaïquement, avoue qu’après
une séance il mange bien et plonge dans
les abysses du sommeil.

A deux pas de la gare du Nord
Bloom House, on dirait le Sud
Les gares de l’Est et du Nord sont tout près, et
pourtant c’est un voyage dans le Sud (méditerra-
néen) que propose le Bloom House, un grand bâti-
ment à la façade en marbre de six étages aux larges
fenêtres et aux 91 chambres (dont quatre avec ter-
rasse, au 6e, et quatorze avec balcon, au 5e) de la rue
du Château-Landon, qui a ouvert ses portes au
début du mois de septembre. Le contraste est sai-
sissant dès que la double porte est franchie, sorte
de sas de décompression qui fonctionne à mer-
veille. Oubliée, l’effervescence de la rue. L’œil est
immédiatement attiré à l’arrière-plan par le patio
au milieu duquel s’étend un bassin en zelliges,
carreaux de céramique d’un bleu chatoyant. Avant
de céder à l’envie de s’installer à l’une des tables
qui l’entourent, il faut profiter de la décoration et
des couleurs ensoleillées du bar – version XXL –
qui trône à l’entrée, puis du restaurant, de La Serre
– une alcôve pour ceux qui préfèrent l’intimité –,
de L’Atelier Green, qui peut accueillir vingt per-
sonnes pour travailler, ou du spa, avec sa piscine
de 18 mètres sur 4. Les chambres sont, elles aussi,
d’accueillants cocons lumineux, parfois avec
un truc en plus : le Sacré-Cœur ou la tour Eiffel
à l’horizon. Et une vue imprenable sur le patio.
Bloom House, 23, rue du Château-Landon, 10e.
Chambre simple à partir de 161 euros,
chambre double à partir de 169 euros,
et 195 euros avec balcon.
Près de l’Arc de Triomphe
Château des Fleurs,
un soir au boudoir
Quitter l’effervescence de la plus belle avenue
du monde, pousser une porte de la rue Vernet et
plonger dans l’ambiance feutrée d’un boudoir pari-
sien. Au Château des Fleurs, boutique-hôtel de
37 chambres ouvert en septembre, le temps sem-
ble s’être figé au début du XXe siècle, à une épo-
que où le Tout-Paris se retrouvait dans des salons
littéraires. Fauteuils et canapés en velours rosé et
frangé, tomettes recouvertes de tapis orientaux,
luminaires en verre de Murano, mais aussi courbes
et rondeurs en hommage à l’Art nouveau, le dépay-
sement est immédiat dans ce grand bar-restaurant
où, derrière le comptoir en marbre veiné, les ser-
veurs cintrés dans leurs costumes beiges dégagent,
eux aussi, un charme désuet. Dans les étages, les
chambres sont tout aussi cosy, dans des tons beige
et bois ; on aime les lampes de chevet à franges
(encore), la salle de bains Art déco, les interrup-
teurs travaillés et, cerise sur le gâteau, la poignée
de porte en forme de main, qui rappelle l’univers
de Dali. Pour qui ne peut se permettre une nuit
dans un cinq-étoiles, une soirée cocktail – spritz
des fleurs ou pastis parisien ? – ou un dîner au res-
taurant Oma, tenu par la cheffe d’origine coréenne
Ji-Hye Park, peut aussi faire l’effet d’un voyage.
Château des Fleurs, 19, rue Vernet, 8e.
Chambre double à partir de 450 euros.
0123
DIM A N C HE 26 - L UN D I 27 N OVEM BR E 2023 7
Au cœurdu 9e arrondissement
La Fantaisie, bain de verdure
Un clos verdoyant où poussaient melons, haricots, cour-
gettes, grâce à l’expertise des jardiniers Jean et Jacques
Cadet. Voilà à quoi ressemblait ce coin du 9e arrondisse-
ment au XVIe siècle. Cinq siècles plus tard, La Fantaisie,
hôtel cinq étoiles de l’animée rue Cadet conçu comme un
lieu de vie et de passage pour les habitants du quartier,
avec son joli café et sa terrasse sur la rue, a aussi été pensé
comme une enclave luxuriante. Le jardin, presque caché,
avec ses canapés jaunes qui donnent envie de se lover
entre les arbres, en est le point d’orgue. Au septième ciel,
le bar sur le toit, avec ses figuier, olivier, pommier et
cognassier qui poussent en pleine terre, est une splendide
terrasse tout aussi verdoyante. Avec le décor imaginé par
Martin Brudnizki, entre papiers peints feuillus, tableaux
végétaux ou canapés fleuris du Golden Poppy, le restau-
rant où la cheffe Dominique Crenn met à l’honneur légu-
mes et poissons, avec une influence californienne, la
nature est donc partout. Y compris dans les 63 chambres
et 10 suites, aux couleurs douces et dont certaines
offrent une vue plongeante sur le… jardin.
VOYAGE
La Fantaisie, 24, rue Cadet, Paris 9e.
Chambre double à partir de 417 euros.
Cinq nouveaux
hôtels à Paris, pour
toutes les envies
Entre oasis haute en couleur et havre de paix, des adresses
pour quelques jours de vacances, un week-end ou le temps
d’un cocktail sur un toit fleuri ou dans un bar Art nouveau
Isabelle Mériel et Yoanna Sultan-R’bibo
Un nouveau quartier au nord de la capitale
Aux Champs-Elysées
Hôtel de La Boétie, Okko Hotels Paris Rosa Parks,
on annonce la couleur mission écocompatible
« Au soleil, sous la pluie, à midi ou à minuit, il y a tout Des lignes de tram, de RER, le périph tout près…
ce que vous voulez aux Champs-Elysées… » Et Avouons-le, le récent écoquartier Rosa Parks, dans
maintenant, il y a, en plus, l’Hôtel de La Boétie, rue le 19e arrondissement parisien, a encore du mal
La Boétie, mais à seulement trois minutes à pied à charmer, surtout un jour de pluie. Mais, en péné-
– presque pile au milieu – de la très célèbre trant dans Le Club du nouvel Okko Hotels, on se
et très fréquentée avenue voisine. Pour le trouver, dit qu’il a de l’avenir. Le Club, c’est le nom donné
il faut se fier au numéro. Ouvert en septembre, à cet espace de vie de 300 mètres carrés qui mêle
l’établissement se cache encore (avant rénovation) salle de petit déjeuner, lobby, restaurant, salon. Un
derrière la façade de l’ancien Hôtel d’Angleterre. lieu vitré, lumineux, au mobilier clair et chaleureux,
A l’intérieur, en revanche, les 40 chambres répar- où trône, au centre, un grand bar bardé de bois.
ties sur six étages, de 14 mètres carrés pour la sim- On s’y sent tout de suite bien, lové dans les grands
ple à 20 pour la double supérieure, ont fait, elles, canapés en tissu ou les fauteuils ocre. Ici, thé, café
totalement peau neuve. Deux fleurs géantes vert, et petits gâteaux sont disponibles vingt-quatre
ADRIEN OZOUF ; JÉRÔME GALLAND ; MR. TRIPPER ; SIMON BROWN ; GAËLLE LE BOULICAUT
jaune et orange au mur de l’entrée annoncent la heures sur vingt-quatre ; clients et Parisiens vien-
couleur, ou plutôt les couleurs. Du sol au plafond, nent déjeuner ou dîner italien, au restaurant
sans oublier les murs, l’établissement est un Noccio. Dans les six étages, les chambres spacieu-
concentré vitaminé : canapés orange, literie rose ses et sobres, entre bois clair et linge de lit blanc,
avec tête de lit tressée, moquette verte, murs bleu ont quelque chose d’apaisant. On apprécie la literie
lune, caramel ou basalte, ascenseur rouge… de qualité, l’absence de peignoir et de chaussons
Un petit havre revigorant avant d’aller se balader sous plastique, de minibar énergivore et de fioles
« sur l’avenue, le cœur ouvert à l’inconnu ». de produits d’hygiène, et la présence d’une fontaine
Hôtel de La Boétie, 91, rue La Boétie, 8e. à eau à chaque étage : Okko, première marque
Chambre simple à partir de 180 euros, hôtelière « entreprise à mission », compte limiter
son impact environnemental. Tout en offrant
chambre double à partir de 280 euros.
un quatre-étoiles haut de gamme.
Okko Hotels Paris Rosa Parks,
202, rue d’Aubervilliers, 19e.
Chambre double à partir de 110 euros.
8 0123
DIM A N C HE 26 - L UN DI 27 N OVEM BR E 2023

VIN
Duché-d’uzès, entre
truffe et garrigue
Il y a dix ans, entre Languedoc ou vallée du Rhône,
la nouvelle appellation choisissait
le rattachement à la seconde. Elle réunit des vins
gourmands et élégants, en rouge comme en blanc ÉRIC FLOGNY POUR « LE MONDE »
Ophélie Neiman

LE PLA T F ÉT I CHE

Le lap de ris
de veau de Félix
et Nidta Robert
Elvire von Bardeleben

se construire, en identifiant des parcelles qui Ouvert à Croix équilibre de l’assaisonne-

dessineraient la carte finale de l’aire d’appella- (Nord) en 2022, décoré ment entre le jus de citron,
tion. A terme, elle pourrait englober 3 000 hec- d’une étoile Michelin dès l’échalote crue, la menthe
tares, « mais nous nous calerons sur la commer- 2023, Arborescence est un ciselée, les sauces soja et
cialisation pour évoluer, pas question de grandir restaurant singulier, porté poisson. L’harmonie dans la
trop vite », modère Michel Souchon, président par le mélange des cultu- cuisine thaïlandaise, c’est
de l’appellation et de la cave de Durfort. Car la res d’un couple de trente- fondamental, comme pour
stratégie, plutôt que de s’étendre (la production naires : Félix Robert éla- le vin en France.
est stable depuis dix ans), est de rejoindre le bore les plats sous l’égide F. R. : C’est une des
cercle des crus prestigieux. de sa femme, Nidta, origi- choses qui me faisaient
Les vins, toutefois, sont encore dis- naire de Thaïlande. Il a reçu peur au début : j’aime les
crets : s’ils sont de qualité, la jeunesse de l’ap- en novembre le titre de déséquilibres dans les plats,
pellation ne leur a pas encore permis de se « Grand de demain » du que les éléments soient dis-
faire connaître auprès du grand public. guide Gault & Millau. tincts et s’affrontent en bou-
D’autant qu’avec trente-huit caves particuliè- Nidta Robert : Le lap che. La cuisine thaïlandaise
res, six caves coopératives (qui assurent la est une salade commune est merveilleuse, mais c’est
moitié de la production totale) et cinq mai- au Laos et au nord de la difficile d’y toucher, car tous
sons de négoce, donnant naissance en tout à Thaïlande. Il en existe les ingrédients se mélan-
1,2 million de bouteilles, il n’y a pas de quoi beaucoup de versions dif- gent avec cohésion et gour-
inonder le marché international. Avec un férentes, mais la base, c’est mandise. Dès qu’on en re-
commerce en grande partie local, sans star de la viande hachée avec tire un, ça ne marche plus.
montante pour faire exploser les prix, les vins des herbes aromatiques et Dans notre lap de ris de
restent donc particulièrement abordables. Ils des épices, liés par une veau, l’harmonie se fait sur
se vendent autour de 10 euros la bouteille, les poudre de riz torréfié qui un déséquilibre entre l’aci-
cuvées qui dépassent 15 euros restent rares. donne un goût de noisette, dité de la sauce et le gras
Les duché-d’uzès ont pourtant des et une sauce poisson-soja- de la viande.
atouts majeurs, qui pourraient les rendre po- citron vert. Ça a beau être N. R. : Les Thaïlandais
pulaires. Le climat est sain et 70 % des exploi- une recette très ancienne, qui mangent ici sont surpris
tants conduisent leurs vignes en bio. L’in- elle n’a pas beaucoup évo- par notre lap. Les saveurs
fluence des Cévennes permet des nuits relati- lué au fil du temps : même à leur sont familières, mais ça
vement fraîches, une qualité importante pour Sukhothai, l’ancienne capi- ne ressemble pas à ce qu’ils
l’avenir, même si la sécheresse et les 40 °C du tale – jusqu’au XIIIe siècle –, connaissent.
mois d’août dernier ont inquiété. Les contre- dans le nord du pays, le lap F. R. : On essaie de
DAVID ADRIEN forts cévenols sont en outre favorables aux n’a pas été adapté pour le s’approprier les plats, de les
vins blancs, et les vignerons ont en cela anti- palais des touristes… parce sortir de leur univers. On ne
cipé la demande française croissante : cette qu’il y en a peu ! veut pas parler de cuisine

I
l y a cette anecdote qui ne figure dans le challenger rhodanien a réalisé une présen- couleur a doublé depuis 2013 pour atteindre Félix Robert : J’ai dé- fusion, mais plutôt de cui-
aucun dossier de presse, mais qui tation aux petits oignons et multiplié les 30 % de la production, les vins sont tendus et couvert ce plat dans la fa- sine fusionnelle. Avec Nidta,
m’amuse toujours, tant elle illustre à marques d’égards. Est-ce aussi parce que son élégants, en un mot charmants. mille de Nidta, où sa mère on s’est rencontrés, quand
quoi tient une frontière. Quand les vins siège social se situe tout près, à Avignon, et Et puis il y a le lieu. Non seulement le cuisine dans une version j’avais 16 ans, au lycée hô-
du duché d’Uzès ont obtenu leur AOC que la région viticole compte dans son escar- Uzès, son château ducal, ses deux mille ans assez rustique, avec des telier du Touquet (Pas-de-
(appellation d’origine contrôlée), il y a celle bon nombre de crus prestigieux, aux d’histoire, le pont du Gard à côté, mais aussi abats de porc : oreilles Calais), et on s’est suivis
dix ans de cela, les vignerons ont dû choisir identités bien définies et préservées ? Les la garrigue tout autour, qui parfume les vins émincées, foie poché et chez Alexandre Gauthier
à quel vignoble se rattacher. Languedoc ou vignerons d’Uzès ont voté, à l’unanimité, rouges, les Cévennes et leurs milliers de coupé en lamelle. C’était [au restaurant La Gre-
vallée du Rhône ? pour que leurs vins soient finalement héber- touristes de France et d’ailleurs. Surtout, il y a gras, juteux, il y a le crous- nouillère, à La Madelaine-
Les vignes, autour de la ville d’Uzès, gés sous la bannière de la vallée du Rhône. La le sol, d’où surgit le diamant noir. Car le tillant du cartilage… Mais sous-Montreuil], chez les
se situent dans le Gard, en région Occitanie, géographie est décidément une affaire de pays d’Uzès est une terre de truffes. La Tuber j’ai surtout été frappé par Troisgros [dans la Loire]. Ce
plus près de Nîmes que d’Avignon. Il était relations humaines. melanosporum attire (le marché de la truffe la fraîcheur du plat. La fraî- restaurant s’appelle Arbo-
donc logique que l’appella- L’appellation duché- d’Uzès est l’un des plus fréquentés de cheur, c’est vraiment le fil rescence pour symboliser le
tion rejoigne le Conseil inter- S UGGESTI O N S d’uzès, entérinée en 2013, fête France), et qui plus est une clientèle de gas- conducteur de ma cuisine. cheminement commun de
professionnel des vins du donc ses dix ans cette année. tronomes, qui ne craint pas de mettre la Une fois rentré à Croix, j’ai nos idées, de nos parcours,
Languedoc (CIVL). Les pro- DURFO RT LA CAVE , « LE Mais la procédure a été longue, main au porte-monnaie pour faire plaisir à voulu reproduire le lap sur de nos cultures.
ducteurs viticoles y étaient DU CHÉ », B LAN C , 202 1 le vignoble ayant commencé son palais. Du pain bénit pour le vin. Il est un abat gras pour retrouver Le lap de ris de veau fait
d’ailleurs tout disposés. Assemblage de viognier, dès 1989 les démarches pour donc logique que, chaque année, le Week-end le contraste entre la ron- partie des menus dégustation
L’aire d’appellation, cela dit, grenache blanc, roussanne sa reconnaissance officielle. de la truffe (le prochain aura lieu du 19 au deur de la viande et le côté (entre 55 et 110 euros).
jouxte celle des côtes-du- et marsanne, il est franc, Collectivement, il a été conve- 21 janvier 2024) s’ouvre par une « soirée vi- strident du citron associé à Arborescence,
rhône-villages (les crus lirac avec des arômes floraux, nu de réserver l’AOC aux ter- gneronne ». Et que la balade gastronomique la menthe. J’ai testé avec le 76, rue de la Gare, à Croix (59).
et tavel ne sont pas loin) et dégage en bouche roirs les plus qualitatifs, le « Le Vin côté cours », au mois de mai, mette à ris de veau et ça matchait. R-arborescence.com
ainsi que celle des costières- une sensation de pureté reste étant destiné à l’IGP l’honneur, en plus de la production viticole, Un truc de fou ! On l’a validé
de-nîmes, ralliée au Rhône. Il et de tension. Bio. 7,50 €. (indication géographique pro- la truffe blanche d’été. tout de suite.
était donc tout aussi logique tégée) cévennes. Aujourd’hui, Il y aurait certainement là une aubaine N. R. : On crée cha-
de rencontrer l’organisme LE S VI G N E S DE L’ARQ UE , seulement 350 hectares pro- marketing à jouer, que dis-je, à tonitruer. On que assiette à deux. Félix
Inter Rhône. Des fois que. « CHA N T DES B AU MES », duisent des vins de duché- connaît des appellations qui nous serinent imagine le plat, puis je fais
Après une visite relax B LAN C , 202 2 , d’uzès, sur les 2 200 hectares des accords dans l’assiette et des parfums truf- des propositions pour équi-
du CIVL, qui partait gagnant, E T RO UG E , 201 9 identifiés. L’AOC continue de fés dans le verre pour bien moins que ça. La librer les goûts. Autant le
On le conseille dans les deux distinction et la rareté de la truffe suffisent à choix du ris de veau pour le
couleurs. En rouge comme en porter le vin qui l’accompagne au pinacle. Et si lap était évident, autant ça
blanc, c’est maîtrisé, net, avec l’on peut dire qu’il sent la truffe, imprégné par a pris quelques semaines
un bel équilibre entre concen- son terroir, c’est jackpot. Mais, pour les vins avant de trouver le juste
tration et longueur. Bio. 11,80 € d’Uzès, pas question de le monter en mayon-
le blanc, 12,50 € le rouge. naise. « Les accords entre nos vins et la truffe
fonctionnent, mais je n’en ferais pas un argu-
DOMAINE LE PETIT MALO, ment aromatique, récuse Michel Souchon. L A DÉGUSTATI O N
« CASABLANCA », D’ailleurs, les arômes truffés ne me plaisent
ROUGE, 2022 pas dans le vin. Nos vins rouges sentent la ré- Le ris de veau arrive en embuscade, couvert de sauce verte,
Un vin qui séduit par ses arô- glisse, le poivre et la garrigue, alors je ne vais hérissé de feuilles de menthe. Il n’y a pas que son allure
mes épicés au nez, auxquels pas mentir juste pour faire chic. » Souhaitons- qui décontenance : le contraste entre le moelleux de la viande,
s’ajoutent des notes réglisse leur que l’honnêteté paie. En attendant, pour presque fondante, et la vivacité du duo citron-menthe, frais
en bouche. Sur la langue, les amateurs de vins gourmands et sans lour- comme un cocktail estival, surprend… puis ravit. Ce n’est pas
il est souple et s’achève sur deur à la recherche d’une bonne affaire, les tous les jours que les cuisines thaïe et française se rencontrent
de la fraîcheur. Bio. 12,80 €. duché-d’uzès se passent de discours. avec autant de subtilité.

Chaque semaine, « L’Epoque » paie son coup. A l’affiche de la série « Tout va bien », l’actrice mène sa carrière sous le signe
du dédoublement. Elle qui veille sur son cocon familial aime les personnages qui vivent « les plus grandes peurs »
Au Café du Rendez-vous,
Paris 14e, le 14 novembre.
TIPHAINE CARO POUR « LE MONDE »
« Les enfants d’artistes veulent
rarement ne pas l’être »
V
aguement planquée sous un épais bonnet, Sara
Giraudeau glisse sa longue silhouette sur la ban-
quette du Café du Rendez-vous, place Denfert-
Rochereau, dans le 14e arrondissement de Paris,
non loin du domicile familial. Calé, décalé puis
recalé, l’apéro s’est transformé en petit déjeuner
gueule de bois. La faute à l’avant-première de Tout va
bien, qui a eu lieu la veille et s’est terminée par une
soirée bien arrosée. Laquelle n’entame pas la fraîcheur
de son teint pâle. Malgré la fatigue, l’actrice se confie
avec plaisir et tutoiement immédiat, entre un chocolat
chaud et deux tartines beurrées.
On est à quelques jours de la mise en ligne sur
Disney+ de la série de Camille de Castelnau inspirée de la
bataille de sa nièce contre une leucémie. Sara Giraudeau y
joue Marion, la mère de l’enfant malade, et le sujet résonne
particulièrement fort pour cette maman de trois filles, dont
la dernière a encore l’âge des couches. « Quand tu es mère au
quotidien et que ça donne du sens à ta vie, ça donne un sens
PLAYLIST au rôle, confirme-t-elle. Pour moi, le maternel est relié à un
émotionnel très fort – on peut être maternelle sans avoir d’en-
> DERNIER LIVRE LU fants, d’ailleurs. En tant que comédien, on a besoin d’aller vers
« Romanesque », des choses qui nous touchent, c’est une chance de jouer des
de Tonino Benacquista personnages qui vont vivre les plus grandes peurs ! »
(Gallimard, 2016) Elle témoigne une grande admiration pour les
gens confrontés à des tragédies et qui en tirent une force
> DERNIER ALBUM particulière. Elle avait d’ailleurs tourné un documentaire
ÉCOUTÉ sur Le Rire médecin, l’association qui envoie des clowns
« Cry Me a River », dérider le quotidien des enfants hospitalisés (Mes héros,
de Julie London (1955) 2018). C’est par le biais de cette association qu’elle a, pour
la première fois, croisé la nièce de Camille de Castelnau ;
> DERNIER FILM VU elle connaissait déjà cette dernière pour avoir travaillé
« Le Règne animal », de sur la série Le Bureau des légendes avec elle. Tout va bien a
Thomas Cailley (2023) doublement le goût des retrouvailles pour Sara Girau-
deau, puisqu’elle l’a aussi fait renouer avec Eric Rochant,
> DERNIER SPECTACLE qui la produit et qui a réalisé les deux premiers épisodes.
VU Des épisodes importants, souligne-t-elle, car ils « instal-
« Daddy », de Marion lent » les personnages.
Siéfert, au Théâtre Dans la série, Marion cultive une forme de déni par
de l’Odéon rapport à la leucémie de sa fille. Malgré l’insistance de l’hô-
pital, elle « oublie » de racheter un téléphone quand le sien
> DERNIÈRE APPLI tombe en panne, elle réserve des billets pour la Guade-
OUVERTE loupe… Et surtout elle noue une relation clandestine avec
Shazam, « mais un des clowns de l’hôpital, à qui elle cache la réalité de son
il y a longtemps déjà… » quotidien de parent d’un enfant dont la vie ne tient qu’à un
fil. « Marion est dans le moment présent, elle ne veut surtout
pas anticiper. Anticiper, c’est la mort ! Se dédoubler, c’est une
façon de se protéger à ce moment-là. »
On lui fait remarquer que ce motif du dédouble-
ment a tendance à revenir dans ses choix de carrière, au-
delà du rôle d’espionne de Marina Loiseau. Dans Le Sixième
DIM A N C HE 26 - L UN D I 27 N OVEM BR E 2023
UN APÉRO AVEC…
SARA GIRAUDEAU
Audrey Fournier
Enfant (Léopold Legrand, 2022), elle est une avocate bien
sous tous rapports mais rongée par le désir de maternité et
qui va basculer dans l’illégalité. Dans Médecin de nuit (Elie
Wajeman, 2020), elle est l’amante sans état d’âme du cousin
de son fiancé. « Les personnages ambivalents concordent
sans doute avec ce que je suis, reconnaît-elle, petite voix mais
grosse résistance. Il y a des personnalités qui abritent des
contradictions qui ne sont pas visibles au premier regard. »
La petite voix a pendant un moment été un bar-
rage à l’entrée. Ce ne fut jamais un problème au théâtre, où
elle a débuté – « la scène demande tellement d’endurance
que mon côté fragile disparaissait en deux secondes, ça n’a
jamais été un sujet ». Inscrite à l’école de Jean Périmony,
elle rêve d’entrer au Conservatoire mais il l’en dissuade. « Il
m’a dit que ce n’était pas pour moi, et il avait raison. Dès ma
deuxième année, j’ai commencé à jouer dans Les Monolo-
gues du vagin. Ça m’a aidée à construire un rapport avec le
public car vous leur parlez directement, et de votre vagin en
plus. » Repérée de pièce en pièce, elle se forme de façon
« très saine », avec des rôles de plus en plus forts. Et celle qui
se disait réfractaire au théâtre classique (« je rêvais plutôt
de grandes histoires d’amour, de Braveheart ! ») finit par
jouer Shakespeare dans La Nuit des rois.
Pourtant, à l’écran, ça ne prend pas. Son visage de
porcelaine déroute. « Je ressortais des castings en me de-
mandant ce que je dégageais, ce que les gens voyaient… Un
jour, un metteur en scène m’a dit que je faisais “trop 1940”.
Mais qu’est-ce que ça veut dire ? J’ai entendu des trucs af-
freux, d’une méchanceté horriblement gratuite. » Elle cite
des noms connus, dit en riant qu’elle donnerait cher pour
recroiser tel cinéaste qui l’a autrefois malmenée. Son re-
gard bleu glacier fait sentir qu’elle n’en pense pas moins.
C’est, comme souvent, au moment où elle s’apprête
à passer à autre chose que la roue tourne. « A un moment,
j’en ai eu ras le bol, je me suis dit que j’allais passer ma vie au
« JOUER DANS LA PIÈCE
“LES MONOLOGUES
DU VAGIN” M’A AIDÉE
À CONSTRUIRE
UN RAPPORT AVEC
LE PUBLIC, CAR
VOUS LUI PARLEZ
DIRECTEMENT, ET DE
VOTRE VAGIN EN PLUS »
0123
9
théâtre. Je suis allée au casting du Bureau [des légendes] les
mains dans les poches. » Elle se redresse sur la banquette.
« Quoi ? espionne ? Eric Rochant ? Canal+ ? Ah, ah ! Non mais,
oublie ! » C’est un « ah, ah ! » sonore et, tout à coup, c’est la
Sara-théâtre qui apparaît. La fille de son père aussi, à qui elle
ressemble tout à coup follement.
La cadette (elle a un frère, Gaël) d’Anny Duperey et
de Bernard Giraudeau (disparu en 2010) explique volon-
tiers faire ce métier par inadaptation totale pour autre
chose. « Je l’ai remarqué à l’école. Quand tu viens d’une
famille d’artistes, tu vis à côté de la normalité, la vie et le
travail sont très mêlés. Enfant, on est observateur d’une
manière de vivre, de travailler, de penser qui est particulière.
Les enfants d’artistes veulent rarement ne pas l’être. »
L’inadaptation se traduit par des carnets de notes
peu reluisants, mais ni son père, qu’elle décrit comme
plutôt autoritaire, ni sa mère ne voient la souffrance de
leur fille à l’école. Les cours de théâtre viennent adoucir
cette adolescence pas très épanouie en lui donnant un
espace de liberté, « avec en plus un côté ludique. Les artis-
tes sont des gens qui sont restés des enfants ! Ton corps
devient ton instrument, tu joues avec l’autre… A l’école, tu
es seul, tu es en compétition, les bons vont avec les bons ».
Elle n’a pas de mots assez durs contre l’institution, mal-
gré les bonnes notes de sa fille aînée.
« Le jeu est apparu très clairement comme le vecteur
le plus naturel pour moi, mais, au début, on est bourré de
complexes, qui plus est quand on a deux monstres sacrés à la
maison. » La confiance lui revient paradoxalement lors-
qu’elle décroche son bac avec mention. « C’est peut-être
futile, mais pour moi c’était énorme ! Surtout quand vous
avez passé des années à vous demander quand cette “pre-
mière vie” allait enfin s’arrêter. Les premières victoires per-
sonnelles sont importantes, ce sont elles qui nous permettent
d’avoir la niaque ensuite. »
Pas tout à fait remise de cette enfance intranquille,
Sara Giraudeau semble avoir volontairement gardé un pied
dedans. Elle aimerait se remettre à l’écriture, peut-être pour
reprendre ce projet de bouquin pour enfants qu’elle avait
commencé. Ou écrire un film, dont elle commence à entre-
voir les contours. « Mère et actrice, c’est extrêmement pre-
nant, j’ai besoin d’être à l’initiative de quelque chose. » Quand
elle ne s’occupe pas de ses marmots, son cœur ne s’en éloi-
gne jamais beaucoup. Elle aurait pu dire qu’elle adore la
déco, mais elle le formule comme un besoin quasi névroti-
que de prendre soin de son chez-elle. « J’ai une passion pour
rendre les lieux de vie agréables, les appartements, les mai-
sons de campagne… Je crois que ça vient de ma mère. Ayant
perdu ses parents très tôt, il lui a fallu ça pour se rassurer, et ça
s’est transmis. J’ai besoin de mettre mes enfants au chaud
pour supporter le gris du monde. » Jusqu’ici, tout va bien.
 25.11.2023
03.12.2023
InterContinental Lyon - Hotel Dieu
20, quai Jules Courmont
Lyon IIe

Exposition, ateliers, cours, conférences et tables rondes sur inscription.

demainsenmains.vancleefarpels.com