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Revue en ligne CréAtions n° 201 : « POESIE GIVREE », février 2011

http://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/9244

Ma forêt
Un stage « poésie » à l'école

En math, ils le font bien... L'arbre en poésie

...alors, on s'est dit avec Fabienne Kayser : Fabienne voulait centrer la démarche sur le
pourquoi pas nous ? thème de l'arbre. Il est vrai que l'école, le vil-
Pourquoi est-ce qu'on ne ferait pas nous lage, sont à flanc de montagne, en bordure de
aussi, nous qui y croyons si fort, un stage d'une forêt. Nous avions donc toutes deux sélec-
semaine à l'école centré sur la poésie ? Nous tionné un maximum de poèmes, de textes et
qui croyons si fort qu'avec la poésie on peut d'albums d'histoires autour de la thématique
entrer partout, qu'elle ouvre, oui, toutes les pour nourrir l'imaginaire et autoriser une en-
portes, et que pour autant qu'on s'applique à trée en douceur dans la poésie.
la voir, elle est partout ? Une entrée dans ce que d'aucuns appellent
Alors, pendant le congrès de cet été à Stras- « l'essence de la poésie », mais que je ne
bourg, si branché sur les échanges en méthode saurais nommer ainsi. Qui sait, en effet, ce
naturelle, nous nous sommes donné rendez- qu'est la poésie ? S'il est certes facile de dire ce
vous pour septembre dans sa classe de CE1/ qu'elle n'est pas – pas la rime, pas la sur-
CE2. abondance de procédés poétiques, pas les jeux
Ça tombait bien, j'habite non loin de là. sur les mots, pas le pathos livré à vos mou-
choirs, pas les effets faciles, pas les modes, pas
Ça tombait bien, Fabienne adore la poésie.
l'hermétisme obligatoire, pas la métaphore, ni
C'est même elle qui a animé la soirée « Poé-
même la « parole authentique » (s'il suffisait
sie » pendant le congrès avec sa propre pro-
de cela !), pas que le travail acharné, pas ci pas
duction.
ça, et pourtant un peu de tout cela –, on a bien
Ça tombe bien, j'adore « faire de la poésie » du mal à trouver une définition qui satisfasse
avec les enfants... tout le monde.

Et j'ai débarqué avec tout mon matériel un


lundi matin. Parce que du matériel, il en faut Plongeons dans le bain
pour faire un stage d'une semaine !
Il en faut des poèmes ! Il en faut du culot Le lundi, j'ai commencé par leur demander
pour imaginer qu'on peut faire travailler les s'ils connaissaient des poèmes et s'ils avaient
enfants pendant quatre jours – et même plus – envie d'en dire. Ils en connaissaient et ils
sur et à partir de poèmes d'auteurs, c'est-à- avaient envie d'en dire. Nous les avons donc
dire sur ce qui d'ordinaire occupe, au mieux, écoutés.
une demi-heure dans la semaine de classe...

1
Puis nous avons distribué des poèmes mot « poésie » et c'est la rime qui accourt
parlant des arbres, plusieurs par enfant, avec d'abord : les premiers regroupements se font
la consigne d'en lire à voix basse et d'en en fonction des sonorités finales (cham-
repérer – peut-être – un qui plaise, de le relire pignons, marrons, bourgeon, oisillon, déco-
plusieurs fois dans sa tête afin de le déchiffrer ration...). Certains enfants cependant en pro-
et de pouvoir le lire avec intonation ensuite à posent d'autres : par classes grammaticales
la classe. (verbes, adjectifs...), par thèmes (animaux,
Et, catastrophe ! Moi qui n'avais connu ces fruits...), voire par propriétés (tout ce qui se
dernières années que des élèves de cycle 3, je mange, tout ce qui est dans le ciel, dans le
me rends compte que l'exercice est périlleux et paysage, tout ce qui se transforme).
bien trop difficile pour des CE1. Nous nous
contenterons donc d'extraits de poèmes que Premiers jets
les enfants choisissent, lisent à haute voix et
recopient pour l'album : une phrase, un vers,
Il est temps de passer à la création. Les
une idée.
enfants sont invités à écrire « comme les poè-
On obtient ça : tes » sur l'arbre, la forêt, en utilisant (ou pas)
un (ou plusieurs) des sous-corpus ainsi créés.
Que chaque nœud du bois renferme da-
Peu habituée à travailler avec des enfants
vantage de cris d'oiseaux (Cadou)
de cet âge (vingt-six élèves en tout, huit en CE2
Lave de lait, la chevelure des bouleaux
et dix-huit en CE1 ; dix-sept garçons, neuf filles,
(Lebesgue)
ce qui n'aide pas, dans ce type d'exercices !), je
Dans la forêt étrange c'est la nuit, comme
suis un peu étonnée d'en voir sucer leur
un noir silence qui bruit (Nouveau)
crayon longuement, attendant la venue d'une
C'est à cause de la pluie qu'un petit arbre
hypothétique et très improbable muse, tout en
pleurait (Schwartz-Heinrich)
feuilletant un illustré. Je m'assois donc près de
Automne malade et adoré (Apollinaire)
Hugo.
Il était une branche au bout de la feuille
(Desnos).
« Tu as une idée de ce que tu as envie
Nous choisissons quand même trois poè- d'écrire ?
mes que nous apprendrons par cœur en – Non.
classe. – Non quoi ?
– Non, j'ai pas envie d'écrire.
Plusieurs histoires sur les arbres leur seront
– Mais tu vas écrire quand même. Choisis
lues aussi et Fabienne leur dira des poèmes de
un mot dans la liste du tableau.
sa composition.
– Le bourdon ?
Nous créons également un corpus de mots : – D'accord. Que fait ton bourdon ?
« J'entends le mot arbre, je pense... – ils pen- – Il tombe dans le nid.
sent – ... papier trembler quetsches chouette – D'accord. Tu l'écris. (Il écrit : « Le bourdon
chenille vert bourgeon sève marron bouger tombe dans le nid. ») Qu'y a-t-il dans le nid ?
mourir s'enflammer vers-de-terre se trans- – (après avoir jeté un regard au tableau) Un
former fruit décoration etc. » oisillon ?
J'invite alors les enfants à procéder à des – D'accord. Et que fait l'oisillon quand il voit
regroupements de ces mots, comme ils le sen- le bourdon ?
tent. Aucune consigne précise n'est donnée. – ???
Mais comme nous travaillons dans un stage – Regarde. (Je fais le geste rapide d'attraper
« poésie », nécessairement leurs regroupe- avec la main.)
ments en seront influencés. Nécessairement, – Il le chope ?
ils sollicitent leurs propres représentations du – Oui. Tu l'écris ?

2
– D'accord. » Regarde toutes ses feuilles
Il écrit : « L’oisillon le chope... », et il Regarde son tronc
complète seul : « ...et l'avale ! » Regarde les nuages
Ce qui donne : Et envole-toi.
Et sans rien remarquer
Le bourdon tombe L'arbre s'enflamme
dans le nid. Louis
L’oisillon le chope
et l'avale. L'arbre dort debout
Il craque
Je le complimente sur son poème et il est On en fait des maisons
très fier ; il le lira avec emphase et sans heurt Thomas
lors de la présentation collective.
Je pense alors à Freinet qui – souvenons- La mygale grimpe souvent aux arbres
nous : il aimait parler en pourcentage – n'avait Pour faire sa toilette d'araignée
pas de scrupule à « produire » jusqu'à 80 % du Et pour attraper des mouches
texte de l'enfant qu'il aidait. Peu importe, Nicolas
ajoute-t-il dans la brochure Le texte libre
(C.E.L., coll. Brochures d'Éducation Nouvelle S'éloigner pour mieux dire
Populaire n° 25, Cannes, 1947), pourvu que
l'on parvienne à convaincre l'enfant que ce
Alors, pour tenter de se distancier un peu
texte final est bien le sien, même s'il a béné-
de la réalité, pour l'appréhender davantage à
ficié des compétences de l'adulte.
travers le prisme de la subjectivité, je propose
Mais, globalement, le premier résultat est d'introduire, en première marche vers la
assez convenu. Les enfants ont beaucoup de métaphore, un exercice de type : « Une bran-
mal à décoller d'une description « réaliste », che, c'est comme... », « La sève, c'est com-
comme il apparaît dans les textes suivants : me... », en choisissant le premier terme de la
comparaison parmi le corpus initial, si on
L'arbre a de l'écorce manque d'idée.
Les branches de l'arbre ont des feuilles
Pour aider, nous cherchons ensemble dans
Les feuilles des arbres font des gouttes
un premier temps :
Louan
« Une feuille, c'est comme... – ils diront – :
La nature est remplie de couleurs une étoile, un toboggan, du papier, une main,
Jaune, rouge orange un œuf, une épine, un soleil... »
Et plein d'autres couleurs différentes. On continue ensemble : « Une feuille, c'est
La nature est belle comme un œuf qui... se balade, qui roule, qui
Elle sent bon s'évanouit dans le champ, qui vole dans le ciel,
J'adore la Nature qui se casse et éclabousse... »
Diane Ils essaient seuls sur le modèle « ... c'est
comme... qui... »
Quelques percées cependant vers ce que
On obtient : « Un tronc, c'est comme une
nous identifions comme « traces de poésie »,
cabane qui brûle, La résine, c'est comme une
nous, adultes marquées aussi par nos cadres
fenêtre qui se casse, Des racines, c'est comme
personnels, nos conventions conscientes ou
des pieds qui jouent au football... »
non, notre subjectivité...
On n'est pas encore dans la poésie.
Regarde bien l'arbre Mais on apprend par cœur : « Des racines,
Regarde sa branche c'est comme des tentacules de pieuvre qui

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jouent au bowling » (Miguel) et on cherche à le Parlons-en
dire de diverses manières.
Ils proposent : Le troisième poème choisi et appris par
– sur un ton terrorisé ; cœur en classe est le suivant (sans titre) :
– avec un voix très aiguë de souris ;
– avec une grosse voix fâchée ; Au dehors l'arbre est là et c'est bon qu'il soit
– en riant ; là
– avec l'accent alsacien. Signe constant des choses qui plongent
dans l'argile
Nous vivons à ce moment-là, les enfants, Il est vert, il est grand, il a des bras puis-
Fabienne et moi, un moment de pure sants
délectation, un moment rare où nous rions Ses feuilles comme des mains d'enfants s'é-
tous à gorge déployée, un moment dont la meuvent et clignent
jubilation doit moins à la magie poétique qu'à Eugène Guillevic
la capacité qu'ont souvent les enfants d'entrer
dans des rôles, d'investir des personnages. Ici, Les enfants écoutent ce poème en fermant
celui de la petite souris timide et apeurée, de les yeux puis sont invités à s'exprimer, à dire ce
la brute terrorisante ou de la matrone qu'ils voient, ce qu'ils sentent.
alsacienne seront interprétés par eux de
magistrale manière, sans que nous sachions Tristan : Je vois un adulte très grand, très
exactement pourquoi, à ce stade du travail fort, qui porte des mains d'enfant.
avec eux, ils ont osé se lâcher avec un tel Claire : Un arbre qui sort d'une maison.
naturel. Maîtresse : Pourquoi ?
Claire : Parce qu'il est comme un homme.
Maîtresse : Qu'est-ce qui ressemble à un
Passons au dessin homme ?
Claire : Les bras, les mains.
Nous leur distribuons une feuille blanche de Anaëlle : Moi je vois un arbre qui a des
format A4 qu'ils plient en quatre. mains d'enfant qui portent de l'argile.
Maîtresse : Tu sais ce que c'est que l'argile ?
Sur le premier rectangle, ils dessinent un
Anaëlle : Non.
arbre, comme ils l'entendent, au feutre noir, et
Louis : L'argile, c'est comme du sable.
le découpent. Nous collons les résultats sur
Gaïane : L'argile, c'est de la terre.
une page d'album en prenant soin de les re-
Maîtresse : Oui. Alors l'enfant porte-t-il de
grouper, comme une forêt. Ce sera « la forêt
la terre ?
du premier jet ».
Anaëlle : Non, c'est les racines, quand l'ar-
Dans le second rectangle, ils dessinent sans bre est tombé. Les racines portent encore de la
regarder. Dans l'album, ce sera la page « la terre.
forêt des yeux fermés », puis « la forêt d'un Benjamin : Moi, je vois un arbre solide, avec
seul trait » (sans décoller le crayon), et enfin des branches solides et des mains d'enfant,
« la forêt des copains » réalisée en s'inspirant avec des bonshommes qui regardent.
des dessins des autres enfants. Ce travail dé- Maîtresse : Des mains d'enfant ?
bouchera sur le titre de l'album : « La forêt de Louis : Parce que les enfants grimpent dans
toutes les forêts »1. les arbres ; on voit que leurs mains.
Claire : Les mains des adultes sont trop
1
Le titre « La forêt de toutes les forêts » est emprunté au grandes pour les feuilles.
poète-chanteur Bernard Haillant, qui avait nommé ainsi Hugo : C'est comme un arbre qui plongerait
l'un de ses spectacles. dans un grand bassin d'argile.

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Lucas : Les branches sont comme les bras et terreur qui l'accompagne, frétiller, trembler au
au bout des bras, il y a des feuilles comme les vent, se déraciner péniblement, se courber,
mains. danser en s'harmonisant avec les autres
Maîtresse : (Je relis le poème.) Quels sont « arbres ».
les mots qu'on ne comprend pas ?

On trouvera et expliquera ensemble : Revenons à l'écriture


« constant » (Louis : « C'est toujours là ! ») ;
« s'émeuvent » (Nicolas : « C'est l'émotion. Nous tentons encore une autre démarche
Quand quelqu'un nous sauve la vie, on est destinée à se détacher du réel tout en y res-
ému. ») tant impliqué. Engagement et distanciation :
On cherche des émotions : la tristesse, le une assez bonne approche de la poésie...
contentement, la joie, la surprise, la pitié, la « Si j'étais un arbre... ». L'accroche séduit.
peur, l'émerveillement. D'emblée, ils se lancent dans un premier jet
Avant de revenir sur l'exploitation par le que nous suivons individuellement, Fabienne
corps de ce moment d'échange, précisons et moi, et recopient le texte final sur des feuil-
qu'un autre poème a donné lieu à un entretien les de papier sur lesquelles ils ont décalqué au
improvisé, non noté malheureusement, qui préalable le contour d'une vraie feuille d'arbre.
avait tout l'air d'un petit débat philosophique Nous notons un progrès sensible dans le
sur l'amour – ce que l'on aime en général – et soin apporté à la réalisation de ce travail, au-
l'esthétique des choses ; deux avis contraires tant dans la forme – le décalquage, la découpe,
se sont exprimés, argumentés comme suit : le graphisme – que sur le fond, les idées, l'im-
1. En général, on aime plutôt ce qui est plication personnelle.
beau. 2. Pourtant, il arrive qu’on aime des Certes, on retrouve de façon assez récur-
personnes, les grands-mères par exemple, rente la peur de souffrir, d'être le jouet des
même si elles ne sont pas « belles ». 3. Oui, animaux ou des éléments, la peur de la mort
mais quand on aime quelqu'un, on le trouve que la silhouette squelettique de l'arbre en hi-
« beau » ! ver rappelle régulièrement à notre conscien-
ce :
Passage par le corps
... Je n'aimerais pas que l'on me coupe
À partir du travail sur les émotions, Ni que les oiseaux secouent mes branches.
Fabienne propose une séance d'expression Amélie
corporelle sur musique avec la consigne :
... Je n'aimerais pas être petit
« Vous êtes un arbre, vous bougez comme un
Je n'aimerais pas qu'un pivert me pique.
arbre et vous exprimez les émotions qu'on
Louis
vient d'évoquer. » Ils vont travailler seuls dans
un premier temps puis par équipe et chaque Parfois d'ailleurs avec une pointe d'hu-
équipe montrera aux autres ce qu'elle a mour :
trouvé. Le résultat est très intéressant et à
mon sens parfaitement en accord avec le Si j'étais un arbre
projet, car la poésie possède bien un ancrage Je n'aimerais pas être tronçonné.
sensuel, une dimension corporelle qu'aucun Miguel
poète, aucun amoureux de la poésie ne saurait
nier. Si j'étais un arbre
C'est ainsi que nous les verrons s'élancer Je n'aimerais pas que l'on arrache mes
vers le ciel en grandissant lentement, tomber feuilles
de plusieurs manières, mimer la fracture et la que l'on me coupe le tronc

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et que je devienne une souche. Si j'étais un arbre
Hugo j'aimerais que les enfants grimpent dans
mes branches
Mais au-delà de ces peurs ancestrales, c'est qu'ils y fassent des cabanes
la vie et son explosion qui domine : que la nuit, les chouettes crient près de moi
que les renards se fassent un terrier au pied
Si j'étais un arbre, de mon tronc
j'aimerais donner mes pommes aux gens et qu'ils fassent des renardeaux qui recreu-
pauvres sent des terriers.
j'aimerais avoir des copains- et des copines- Clémentine
arbres.
Claire Une semaine centrée sur la poésie, entre-
coupée, il est vrai, d'un peu de math, d'EPS, de
Si j'étais un arbre natation, d'allemand, une semaine pour fabri-
j'aimerais entendre le vent jouer dans les quer un album que la classe reliera, relira,
feuilles enverra aux correspondants, retrouvera, relira
et voir la ville et les enfants qui se promè- encore...
nent Une semaine riche, passionnante, dont
Luka Fabienne mesure les retombées à long terme,
quelques semaines plus tard. Ainsi Alix, qui
Si j'étais un arbre arrive difficilement à se mettre au travail, reco-
j'aimerais que les enfants m'escaladent pie des poèmes chaque fois qu'il le peut de-
j'aimerais que la nuit, les chouettes vien- puis ce stage. Et Noa, qui a horreur d'écrire, a
nent dans mon feuillage composé un poème en rimes de trois pages. Il
je n'aimerais pas être plus petit que les n'est d'ailleurs pas le seul, plusieurs enfants
autres. ont investi des semaines durant ce genre-là.
Gaïane Une semaine donc à reconduire.
Martine Boncourt

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