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Annales de Géographie

Exploration du Bandama (Côte d'Ivoire) (1896-1897)


J. Eysséric

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Eysséric J. Exploration du Bandama (Côte d'Ivoire) (1896-1897). In: Annales de Géographie, t. 7, n°33, 1898. pp. 273-277;

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EXPLORATION DU BANDAMA (COTE D'IVOIRE)

(1896-1897)
(Photographies, pl. E et F).

Le voyage que j'entrepris en novembre 1X96, sur les conseils de M. le


Gouverneur Binder, avait pour objet de reconnaître la partie occidentale de
la Côte d'Ivoire. Mon but principal était de traverser la région,
complètement inconnue, comprise entre le Dandama et le Cavally, puis de revenir
à la côte en suivant ce dernier fleuve qui forme la frontière entre notre
colonie et la république de Libéria.
A Grand-Bassam, je commençai à organiser la mission. J'engageai comme
second un Français du Sénégal, M. F. Coroyé, dont le concours dévoué me
fut très utile. Mais il me fut impossible de recruter une escorte de tirailleurs:
je me décidai donc à m'en passer, гаг je comptais bien faire un voyage
absolument pacifique, malgré les renseignements peu favorables qu'on me
donnait sur les dispositions des indigènes. Quittant Grand-Bassam le 15
décembre, je gagnai successivement Grand-Lahou, puis Tiassalé (en remontant
le Bandama) et enlin Toumodi où j'arrivai le 1er janvier 1897. C'est là que la
caravane fut définitivement organisée ; elle comprenait 32 porteurs Sénoufos
et deux boys-interprètes.
La mission quittait le poste de Toumodi le 10 janvier dans la direction
deKokoumbo et de Kumou-krou.Nous passions le Bandama le 20 et le même
jour nous arrivions en pays Gouro, jusqu'à Zangué. Ce grand village avait
été déjà reconnu par le capitaine Marchand en 1Я90, mais aucun Européen
n'y était retourné depuis. Quoique très bien reçu par le chef, il me fut
impossible d'obtenir des guides pour continuer à marcher vers l'W. Les
recherches que je fis dans l'espérance de trouver une route demeurèrent
sans résultats. Les sentiers suivis se terminaient en impasses où la forêt
dense opposait un obstacle infranchissable.
Après cinq jours de palabres, je dus revenir en arrière pour chercher
un passade plus au N., par Dibokrou et Tombo. Une partie de cette route
était entièrement nouvelle. Près de Zoukrou, j'allai reconnaître en pirogue
le cours du Bandama, encombré d'un véritable chaos d'écueils granitique?.
(La photographie I n'en donne qu'une idée imparfaite.) Le chef de Tombo
me prêta d'abord des pirogues pour aller reconnaître le confluent des deux
branches du ileuve, le Bandama Blanc et le Bandama Rouge. (Photog. II.)
Ensuite il me promit de me guider au delà du fleuve.
Le 8 février, nous passions le Bandama Blanc, et nous pénétrions en pays
complètement inexploré. Après avoir contourné un petit massif de collines,
nous arrivions le 12 à Bouavéré, chez les Gouros. Une marche assez rapide
nous conduisit alors à Gouropan, puis à Favéra ; nous suivions à distance le
cours du Bandama Rouge qui s'incline assez vers le.WV. ; je comptais passer
le fleuve à Favéra et faire route alors vers le SW. Malheureusement, dans la
nuit du ltí au 17 février, une alerte très grave vint entraver ces projets.
Les habitants des villages voisins, soulevés en masse, voulaient me couper
la route et surtout piller mes bagatres. Les Gouros n'osèrent pourtant
ANN. DE GÉOG. — VIIe ANNÉE. 18
27 f NOTES ET- CORRESPONDANCE.

pas nous attaquer et le 19; accompagné par une dizaine de fusils de Favera,
je gagnai le gros village d'Elengué.
A Elencué1, maigre' des indices inquiétants, la première journée fut. assez
calme. Mais le lendemain, au moment où. nous allions partir, la situation;
devint très grave. Des guerriers armés de lances et de fusils à pierre nous:
cernèrent étroitement, sans se décider à noxis attaquer. Ils étaient pourtant:
250 environ et nousne pouvions leur opposer, que nos deux carabines
Winchester, car. les porteurs n'étaient pas armés et nous ne pouvions compter
sur eux pour une défense quelconque. Cependant, retranchés dans une case
circulaire,- nous tenions les Gouros en respect (Photog. III). Des alertes
fréquentes se succédaient avec, des périodes de calme pendant lesquelles les
gens :du -village venaient; nous. vendre des vivres et de l'eau; bourbeuse.
Mais les nuits surtout étaient^ pénibles;, nous nous trouvions: entourés, à
quelques mètres de distance, par un .cercle de feux de bivouac, et gardés à
vue.. Mon compagnon, malade depuis quinze jours, ne se soutenait que par
un effort d'énergie et me secondait pour faire le quart. La longue insomnie
devenait intolérable; Cette situation: durait depuis quatre jours, et paraissait
désespérée, quand le chef d'Elengué nous proposa de « faire fétiche. и avec
lui. J'acceptai aussitôt cette proposition de paix, les guerriers étrangers au
villace sp retirèrent; mais pour occuper les environs d surveiller notre
sortie. Ainsi l'investissement de la mission se prolongeait, tout en devenant plus
supportable. Cependant un grand chef résidant à Goron(?) conseillait'
toujours de nous massacrer, dans un but de pillage. Puis la situation s'améliora
lentement; je continuai la série d'observations astronomiques commencées
le jour, même de notre arrivée à Elengué. Après trois semaines d'attente et
de palabres, le chef se décida enfin à- nous donner une petite escorte: pour
revenir, en arrière (7 mars). .
Il ne fallaitplus songer à poursuivre le voyage, la route nous étant
absolument fermée. Au delà~de. Favéra, les Gouros refusèrent de nous
accompagner ? davantage 'et nous dûmes battre en retraite, sans guides, jusqu'à
Bouavéré.. A Gouropan et à Bouavéré, je demandai encore la route de:
l'Ouest; ces tentatives n'eurent aucun: résultat.:. Je résolus alors de revenir
vers TE. par uneiroute nouvelle ;:après- bien- des péripéties,- je réussis à
gagner Kami.le lî;.mars..Ce gros, village est le.- centre d'une région
montagneuse et: aurifère, très intéressante. (Photog; IV).
Continuant vers le N.',. puis vers ГЕ., la mission passait à gué le Bandama
Blanc le 18 mars, en amont : d'un; barrage rocheux., Ensuite, à travers un.
-

pays très peuplé, nullement hostile, elle arrivait au poste de Kouadiokoli le


23 mars. Nous revenions ensuite à Toumodi:par.:Ia route ordinaire, puis à
Tiassalé et de la à Grand-Lahou, par le Bandama;.

1. Elen<rué est situé a environ deux on trois jours de marche •'??■ dans- le >. de
Séguéla, où fut tué le capitaine Ménard en 18!>2.
Le lieutenant Blondiaux, venant du Sénégal, est passé à Séjruéla en avril 1897,.
à la tète d'une mission importante, escortée par 22 tirailleurs. Près de là, il apprit
que les <• Lus » m'avaient refusé le passage un mois avant, et avaient été s>ur le
point <le m'attaquer. La mission Blondiaux se trouva elle-même très menacée par
ces peuplades et revint en arrière à cause de l'insuffisance de son. escorte: elle
avait d'ailleurs pour instruction (Гар-ir pacifiquement et rapportait déjà tle beaux
résultats péi >pra phiques.
Ar.r.. .'s p:. e.

к y:^s

I. LE BAÎÎDAMA PRES DE ZOL'KROU


.

Epoque ďctiaire. — Ecv.eiis graniti \ueí a «iccouvert.

Ear.-!.irv.

п. conflue:;t des deux bandama


EN' AVAL DE TOMBO

Vue pri=e d'un i!> : :iu ::Л1;са du îîciive, en re^ar un: vers l'.irr.-nt

MlřřlON J. EVřřř-kíC
270 NOTES. ET CORRESPONDANCE.

RESULTATS

Le but principal que se proposait la mission n'a pu être atteint, par suite;
des circonstances relatées plus haut. Cependant nous avons parcouru à pied
environ 800 km. sur lesquels 300 km. en pays complètement inexploré, et.
nous sommes parvenus à- mi-route environ du haut Cavally (ou du moins,
de son cours supposé).
Au début du voyage, l'excursion pacifique à Zangué n'a pas été inutile.
Depuis notre séjour, les Gouros sont venus à ïoumodi et à Tiassalé, pour'
travailler et pratiquer des échanges. Ces relations doivent contribuer à
accroître le commerce de la colonie et à faciliter le recrutement d'interprètes

:
Gouros-Baoulés, ce qui aiderait singulièrement les explorations ultérieures.
Un résultat plus- important est d'avoir reconnu l'existence d'une mute-
transversale allant du Bandama vers le haut Sassandra et probablement,
vers le haut Cavally. Cette route suit en partie le cours du Bandama Houge,
qui s'incline assez fortement à l'W., et favorise le passage vers les bassins
du Sassandra et du Cavally. Un sentier principal va certainement d'Elengué
dans cette direction et il existe très probablement d'autres passages partant,
de Gouropan et de Bouavéré.
D'ailleurs, des sentiers nombreux s'entre-croisent dans cette régiun que
l'on croyait entièrement couverte de forêts impénétrables et peu habitée,
tandis qu'elle est, au contraire, en yrande partie découverte et très peuplée
dam certaines zones. Une expédition d'une centaine d'hommes, par exemple,
trouverait largement à s'y ravitailler. Le pays ressemble beaucoup au
Baoulé et en forme comme un prolongement, au delà du Bandama Blanc.
En outre, la mission a reconnu la région aurifère de Kami, qui paraît
très fertile et dont les populations accepteraient avec plaisir la tutelle des
blancs; notre administration, très simplifiée dans l'intérieur, assure en effet
aux indigènes plus de sécurité et de justice. Il y a là pour notre colonie une
région d'expansion pacifique tout indiquée.
Enfin, ainsi que le montre la carte, l'itinéraire de la mission coupe
plusieurs fois le Bandama, soit en aval de Tombo, soit en amont (branche du
Bandama Blanc). Tous ces passages correspondent à la période d'étiage.
pendant laquelle les petites pirogues même ne peuvent naviguer que grâce
à des portages fréquents. Or, presque partout, le lit du fleuve est encombré
par d'énormes blocs de roches granitiques qui offriraient à la navigation
— en la supposant possible aux hautes eaux — des dangers et des obstacles
très sérieux. Cette constatation apporte quelques éléments à la discussion
de la navigabilité. du haut fleuve, question très controversée.

DOCUMENTS

Les documents rapportés comprennent principalement :-


1° Un levé détaillé de l'itinéraire nouveau, dressé à l'échelle de 1 : N0 000
(et formant une carte de 2ra,2o sur lm,o0). Ce levé se base aussi sur de
nombreuses observations astronomiques;
2° Un journal de route rédigé chaque soir à l'étape. Ce journal s'appuie
p:. F

III. ELENGUE. A LA FIN D'UNE ALERTE

Des guerriers installé* sut les ba.caiíei cernent la ta-e


ou v.r-.t les explorateurs.

IV. REGION AURIFERE DE KAMI

Atelirr siti.v ргсч il'un ruisseau permanent. Л piudie, raleb:i«-es p"i;r


le !ava"e i!e la terre awriitrc.

MI — 1')\- J. EVř>ÉKI<;
EXPLORATION DU BAND AM A. -277
sur les notes des carnets tenues au fur et à mesure du cheminement. Il est
complété par un registre île comptes et de renseignements relatifs aux cadeaux
échangés, aux payements, aux prix des vivres, aux marchandises ayant cours
dans la contrée, etc. ;
3° Un CARXETDE 102 OBSERVATIONS ASTRONOMIQUES portant SUr. 30 Stations '.
D'une manière générale, les observations ont été souvent gênées par l'état
nébuleux du ciel. Quelques latitudes ont été déterminées par des observations
croisées avec une approximation qui doit être d'environ Va" ou 30". Les autres
doivent être approchées à environ l' près. Ces données apportent des
rectifications assez sérieuses aux rartes en usage, même pour des localités bien
connues. Pour les longitudes, je comptais beaucoup sur les occultations
d'étoiles par la lune, ce qui aurait donné aux résultats obtenus ainsi une
approximation voisine de 4 secondes, en temps2. Malheureusement, ces
observations, assez rares du reste, ont été presque sans cesse empêchées parla
nébulosité du ciel; je n'ai pu observer que deux occultations, et encore, dans
un tel état de fatigue et dans des conditions si mauvaises, que je conserve
des doutes sur leur exactitude. Les observations d'angles horaires que j'ai
faites au cours du voyage reposent sur la marche d'une seule montre, de
sorte qu'elles sont douteuses;
4° Une série de cinq cartes résumant mes observations sur les sujets
suivants : (a) Géologie, (6) Forêt dense, (c) Langues, (d) Habitation, (e)

Ravitaillement;
a0 Environ
6° Un album300
de photographies
230 croquis oude
aquarelles
8/9. Un certain
et 2a esquisses
nombre peintes
de ces ; clichés,
développés à Paris dès mon retour, ont donné de bons résultats;
7° Quelques renseignements très restreints sur I'histoire naturelle
comprenant: diverses mesures anthropométriques, des données géologiques et
minéralogiques, une petite collection de mollusques terrestres et d'eau
douce 3 ;
8° Une e'tl'de sur le cours du Bandama comprenant d'abord un levé au
loch de rivière (plus de 200 mesures), entre Grand-Lahou et Tiassalé, levé
compris entre deux séries d'observations de latitudes. Ce travail apporte des
rectifications assez importantes aux levés précédents. Ensuite, diverses
observations sur le défaut de navigabilité du fleuve supérieur peuvent contribuer
à éclairer la question du Transnùjérien.
J. Eysse'ric,
Chargé <îo missions scientifiques
par les Ministères <lo l'Instruction publique
et 'les Colonies.

1. Les instruments dont je disposais étaient les suivants : 1° un théodolite d'Hur-


liman. n° 71, cercle de 10 cm. de diamètre permettant de lire les 13"; 2° une lunette
de 3 pouce?, construite par Mailhat ; 3' une montre-torpilleur de Leroy, n." 2640.
Enfin, deux baromètres métalliques et divers thermomètres.
2. Mon théodolite permettait ďnbtenir l'heure locale à 4 s. près, en observant
la hauteur d'un astre choisi dans la position la plus favorable.
3. Achatina, Rulimus, Ampullaria, Lanistes, Néritina, .Etheria. (îalathea.

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