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Requin 1st Edition Will Self

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Du même auteur
Vice-versa
Éditions de l’Olivier, 1996
o
Points n 551

Mon idée du plaisir


Éditions de l’Olivier, 1997
o
Points n 676

Une histoire pour l’Europe


Mille et une nuits, 1998
(hors commerce)

Les Grands Singes


Éditions de l’Olivier, 1998
o
Points n 778

La Théorie quantitative de la démence


Éditions de l’Olivier, 2000
o
Points n 864

Ainsi vivent les morts


Éditions de l’Olivier, 2001
o
Points n 1025
Dorian
Éditions de l’Olivier, 2004
o
Points n 1341

Dr Mukti
Éditions de l’Olivier, 2006
o
Points n 1954

No Smoking
Éditions de l’Olivier, 2009
o
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Le Livre de Dave
Éditions de l’Olivier, 2010
o
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Le Piéton de Hollywood
Éditions de l’Olivier, 2012

Parapluie
Éditions de l’Olivier, 2015
o
Points n P 4349
Les Éditions de l’Olivier saluent la mémoire de Bernard Hoepffner,
traducteur et ami, et tiennent à remercier
Cyrielle Ayakatsikas pour sa relecture

L’édition originale de cet ouvrage a paru


chez Penguin en 2015,
sous le titre : Shark.

ISBN 978-2-8236-1042-0

© Will Self, 2015.

© Éditions de l’Olivier pour l’édition en langue française, 2017.

Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo.


Pour Nick Mercer
D’ailleurs, c’est toujours les autres qui meurent.
– Marcel Duchamp
TABLE DES MATIÈRES

Titre

Du même auteur

Copyright

Dédicace

Requin
gentille alouette – Carr-dzingg ! Alouette, je te plumerai- Carr-
dzinggungggunggg ! Lesley, pense Busner, putain de Lesley qui joue
sur la guitare du Kid, mais faudrait trouver un autre verbe, car jouer
est ce que fait Gould avec un Steinway ou du Pré avec un
violoncell – owowwow-owwww ! l’accord griffé hurle dans l’entrée et
éreinte l’escalier. Ce n’est pas jouer, décide Busner, c’est que des
saloperies – voilà ce qu’il fait : il salope tout avec ses sales pattes…
dont l’une étrangle le manche de la guitare, tord les cordes
métalliques pour qu’elles hu-u-urlent. Ce que subit aussi Busner, tout
comme il subit le cracbzit-paf ! – paf ! – râle du corps plat…
Demoiselles de Willesden… qu’on pose sur le plancher nu de la
chambre en sous-sol à l’arrière que partagent le Kid et Lesley… pas
un arrangement idéal, ça. Heureusement, les doigts tachés-de-
tabàrouler de Lesley… tripotent le bouton moleté du petit ampli
Marshall de sorte que le génie larsen s’enfuit… je ne rêve plus d’elle.
Busner tend l’oreille un instant de plus – s’attendant à entendre les
bruits canins d’Oscar, le Chien de la maison, chez qui le larsen de la
guitare provoque souvent une réaction parasite – mais il n’y a rien.
L’heureux animal, pense Busner, a dû réussir à dormir malgré ce
boucan… et ainsi il reprend son humble tâche… Il se tourne vers la
baignoire à pieds en serres d’aigle, l’émail écaillé de ses parois et les
traînées algueuses dégoulinant sous les robinets qui lui font penser
à… un roulier invaginé – du bout ridé de ses doigts… raplaplas
récemment chalutés de là, il pince le manche guilloché du rasoir de
sûreté et tourne… et tourne… mais ça résiste… jusqu’à ce qu’il ait
droit au soutien de… bombardiers lourds, artillerie massive, un
superbe système logistique, presque un millier d’hélicoptères et
environ dix mille hommes… – Son aptitude à se souvenir, pense
Busner, s’est beaucoup améliorée depuis qu’il a cessé de prendre des
notes pendant les séances d’analyse, préférant leur permettre de se
développer à leur guise, formelibre, sans leur imposer ces catégories
préjudiciables implicites dans le Logos… venant peser sur toutes
ces… petites pensées-fretin frétillantes. Et pourtant… et pourtant,
songe-t-il, se peut-il vraiment qu’on appelle ça un hameçon ? Oui !…
un hameçon, une avancée de quelque trente kilomètres de long et
quinze kilomètres de large au Cambodge… la succession exacte des
mots lui revient et il soupire, satisfait, en séparant les deux moitiés
de la tête du rasoir pour en faire glisser la vieille lame. – On risque
plus de se couper comme ça… pense-t-il en se penchant pour tirer
un bout de papier hygiénique du rouleau bancal… qu’en se rasant. Il
enveloppe ensuite la lame avec précaution avant de la laisser
tomber, sans regarder, dans la corbeille sous le lavabo. Une légère
irrégularité dans un bruit qui aurait de toute façon été… léger
l’arrête, et Busner s’accroupit pour zieuter le cylindre en raphia : il
déborde de sacs en papier brun tout tordus, dont certains sont
souillés de rouge. Ainsi, pense-t-il, elles sont toutes arrivées d’un
coup, une fois encore, et le cycle s’est achevé. – Il se demande
pourquoi, alors que les femmes dorment toutes dans la maison
voisine, elles se ramènent ici pour changer leurs tampons et leurs
serviettes hygiéniques – tout particulièrement dans la mesure où
cela signifie qu’elles seront, à un moment vulnérable, très proches
du Tordu… Puis il soupire et, en se redressant, se lance dans une
autre conjecture : avec un peu de chance, cela voudra dire que la
tension qui dominait la réunion générale de vendredi se sera
dissipée – . Non, tension – prémenstruelle ou autre – n’est pas le
bon mot : c’était… un vortex de mégavolts à la Van de Graaff d’Irene
à Eileen à Maggie à Podge. Samedi on les a toutes vues bouder
chacune dans son coin – mais ensuite dimanche était, bien
entendu… sanglant. Maintenant, au début d’une nouvelle semaine,
Busner se retrouve à chercher vainement toute cette électricité qui
aurait dû être reliée à la terre par la raison pure et dure. S’adressant
à son propre visage inquiet dans le miroir, il dit à voix haute : On se
débrouille parfaitement bien ici ! dans ce qu’il imagine être une
imitation convaincante du général Shoemaker – puis, sentant qu’il
n’a pas vraiment trouvé l’intonation correcte, il répète : On se
débrouille parfffaitement bien ici ! tandis que, histoire d’asseoir cette
majesté, il persévère dans la tâche qui l’occupe : débusquer la petite
boîte de lames de rasoir sur l’étagère bancale, encombrée, tachée de
dentifrice sec sous le miroir de l’armoire-toilette, en sortir une neuve,
la débarrasser de son suaire en papier. Tandis qu’il effectue ces
manœuvres, le pénis de Busner se dégage de la serviette mal nouée
autour de ses hanches et se colle contre le lavabo froid. Il ouvre le
robinet et tortille son blaireau sur un moignon circoncis de savon à
raser… Il connaît le tempérament des femmes, et étale la mousse
sur son visage. Une rame de la Bakerloo Line vient cliqueter sur les
rails encaissés au bout du jardin de derrière et, alors même que
Busner fait son premier geste judicieux, il sent la maison trembler
sur ses fondations, tirant et poussant les propriétés attenantes, et
les cent-cinquante-mètres-de la rangée tout entière de maisons
oscillent et s’effondrent… nulle part… buccinateur, labii inferioris
abaisseur… En anatomisant son propre visage en un être nu, il se
rappelle : Quel nullard j’étais en dissection ! – La longue paillasse en
chêne à la surface émaillée sous de froids cieux nordiques, Lumière
nat-urrrelle, messieurs – et madame… Toujours cette acceptation
réticente de la présence d’Isobel McKechnie à son deuxième
passage… parce que quoi que veuille vous dirrre vos petites
bedondaines barrrbouillées, c’est là une prrrocédure parrrfaitement
nat-urrrelle ! Tous les TD, pense Busner, avaient commencé par cet
avertissement – apprentissage par cœur résultant d’une vie
d’enseignement par cœur. Il était certain que Roberts était toujours
là-bas, qu’il continuait à arpenter le plancher usé entre les paillasses,
toujours à imposer sa présence entre les épaules tremblantes en
blouse blanche des première année, et se penchant pour indiquer un
détail ou un autre des carcasses humaines que leurs scalpels
réduisaient maladroitement à… du hachis treif. Qu’avait donc
demandé Marinetti pour son héroïque dîner fasciste ? De la viande
crue déchiquetée par le son de la trompette… Bordel de Dieu, mais
qu’avait donc trompeté Roberts à chaque putain d’occasion : Busss-
nerrr, Busss-nerrr, vrrraiment, mon gars, jamais vous ne pénétrrrerez
dans cette tête de cette façon – mais regardez ce foutu gâchis
sanglant que vous me faites là ! Oui, le foutu gâchis – l’outrage
accablant après la mort sur le cadavre qu’on avait fait passer par-
dessus les parapets de Craig House, voire apporté en tombereau
motorisé depuis l’hôpital Carstairs, de toute façon : les restes d’un
déficient mental ou criminel, de peu d’importance, un fardeau pour
les contribuables, dont l’unique utilité était d’avoir ses membres
désarticulés et découpés, la tête sciée puis lancée… à mon visage
par ce connard de Burke ! Et la tête, et la tête, alouette, alouette ! Il
sourit, puis fronce les sourcils devant son propre corrugator supercilii
dans le miroir incliné que recouvre la condensation. – Il ose se voir,
un instant, comme Roberts a dû le faire : un prédateur grimaçant et
inefficace à mâchoire prognathe qui nage en rond etenrond dans
une mer de pièces anatomiques. – L’automatisme insouciant du
rasage est terminé, la rame de métro est passée et traîne devant le
quai de Dollis Hill, attend d’aspirer par ses portes aux lèvres de
caoutchouc les quelques passagers qui, plutôt que de se joindre à la
foule de ceux du quai d’en face en route vers le centre, font le trajet
à l’envers vers Wembley, Harrow et autres lieux plus lointains
encore. Le regard de Busner glisse vers la fenêtre étroite – sa main
suit et, alors qu’il saisit les jupes vaporeuses supposées préserver
ma propre modestie, la serviette abandonne enfin ses hanches et
s’affale sur le lino mouillé. Ce sera, pense-t-il, une autre belle
journée de mai, après le week-end ensoleillé au cours duquel ils sont
tous allés pique-niquer à Livingstone Park : Podge… flottante et
éthérée, malgré le lien qui unissait étroitement sa minijupe écossaise
à la couverture écossaise sur laquelle elle était assise, et à la
thermos à motif écossais à côté d’elle. Et puis il y avait le Tordu,
pataugeant dans le bassin de canotage – Oscar lui mordillant les
talons – et tentant de monter dans un pédalo en s’agrippant à ses
flotteurs mammaires, avant que Roger Gourevitch ne parvienne à
saisir sa ceinture en toile pour l’éloigner des visages choqués tachés
de Miko et des cuisses pédalant fiévreusement de son équipage
d’adolescentes. Un dimanche-ensoleillé-sanglant – qui devait être
suivi par un lundi-ensoleillé-sanglant. Pour une personne extérieure,
imagine Zack Busner, il pourrait paraître absurde qu’une
communauté telle que celle-ci, régie par aucune règle et seulement
des conventions des plus bizarres, dont les membres n’ont pas
d’emploi – enfin, à moins que l’on compte comme tel la fabrication
de mobiles avec du fil noir, du fil de fer et les babioles
correspondantes, et que l’on considère comme professions
commerciales les visites aux agences pour l’emploi et aux hôpitaux –
participe néanmoins au cycle économique : détente manifeste le
week-end puis ambiance de plus en plus crispée au fil de la
semaine – une crise succédant à une autre – jusqu’à ce que,
pendant la réunion générale qui avait lieu chaque vendredi matin,
éclate inévitablement… un tohu-bohu terrible et sanglant. Lors d’une
de ses rares visites en ville, Busner avait été choqué par l’aspect
criard d’un slogan publicitaire : MÊME CHOSE, JOUR APRÈS JOUR – MÉTRO –
BOULOT – DÉJEUNER – BOULOT – MÉTRO – FAUTEUIL – TÉLÉ – DODO – MÉTRO –
BOULOT. PEUT-ON EN SUPPORTER DAVANTAGE ? UNE PERSONNE SUR DIX SOMBRE
DANS LA FOLIE, UNE SUR CINQ DÉPRIME…et ce mantra ne l’avait pas quitté –
bien que, après se l’être maintes fois répété, il lui était venu à
l’esprit : cette capacité du capitalisme à identifier avec tant de
précision ses propres symptômes faisait elle-même… partie de la
maladie inventée par les médecins. La maison d’en face renvoie le
regard de Busner à travers son propre… tulle de glaucome, et il
analyse sa forme solidement fantasque : les bow-windows à trois
pans, au rez-de-chaussée et au premier, séparés par des pilastres
trapus… des plinthes, en fait – qui réclament l’honneur de bustes de
conseillers municipaux ou d’hippogriffes – soutenant la moitié de la
section verticale d’une tour qui, à hauteur du toit, est surmontée par
trois quarts de tourelle dont la partie arrière se perd dans les tuiles
du toit. La façade tout entière a récemment été peinte d’une couleur
peu seyante – entre le blanc cassé et le jaune pâle – qui suggère à
Busner la naissance fort probable d’une institution qui… sera un jour
omniprésente. Sous la jumelle de sa propre fenêtre, de lourdes
colonnes ioniques encadrent une porte catégoriquement fermée. –
Busner connaît de vue les habitants de cette villa sosie – et a
également parlé au patriarche. Il avait dû le faire après qu’Eileen –
nue et pinçant ses tétons secs et craquelés dont elle se servait pour
ventriloquer quelques strophes du Sermon sur la montagne – avait
déposé sa poupée Barbie christique dans la crèche de leur jardinière.
Il avait dû expliquer qu’Eileen, qui avait elle-même cousu la
minuscule robe en mousseline et collé des mèches de ses propres
cheveux sur le petit bout de menton rose vif de la poupée…
vraiment malin – était, comme quelques autres des nouveaux
habitants des numéros 117 et 119, plutôt insolite et assez encline à
être un peu, eh bien, affligée de temps en temps, mais qu’au fond
tous étaient inoffensifs et convenables. Ça, avait protesté Errol
Meehan, c’est de la lié-na-tion – et pendant un instant Zack n’était
pas certain s’il voulait parler du comportement d’Eileen ou de sa
propre explication. Quoi qu’il en soit, Meehan, membre estimé du
Club des anciens combattants caribéens de Harlesden, qui lustrait sa
Ford Consul immaculée avec grand soin le dimanche après-midi sans
quitter son blazer bleu tout aussi immaculé, à boutons en laiton
chatoyants, dont la poche de poitrine était ornée des armoiries de la
RAF, paraissait vouloir obstinément rester… un casse-couilles. Je
vous aurai prévenu, mon bonhomme, venez pas me fâcher. Si vos
patients… Busner avait pensé plus prudent de mettre en avant ses
propres qualifications… viennent encore causer des ennuis, même
pas grand-chose, j’m’en vais faire venir les au-to-ri-tés. Mon épouse
est gra-ve-ment souffrante – une in-va-lide – et toute per-tur-ba-tion
pourrait très bien la faire basculer. Suffit que je prenne mon télé-
phone… Meehan avait, en fait, fait mine de soulever cet instrument
vers son oreille crucifère… pour parler di-rec-te-ment au brigadier
Sealy, chargé des relations communautaires. Que Dieu m’en soit
témoin… Meehan fit chevroter son superbe baryton avec
enthousiasme sur toute la gamme, puis raccrocha violemment la
Bakélite inexistante avant de la saisir à nouveau… Je peux aussi
contacter Mister Freeson, lui demander d’aller far-fouiller un peu
dans vos papiers, certifications, permis et ainsi de suite. – À
l’époque, bien que n’ayant aucun doute quant au sérieux de la
menace que présentait Meehan, Zack s’était retrouvé incapable
d’apaiser cet homme, cloué sur place par ce mouvement magique :
l’activité corporelle de ce doigt d’ivoire composant des numéros dans
l’air frigide qui les séparait, et la dissipation de l’haleine vaporeuse
de Meehan tandis qu’il communiquait avec son monde d’esprits
occupé par des députés et des policiers. Il avait reculé jusqu’au côté
ensoleillé de la rue, la poupée Jésus dans sa main, tandis que son
voisin continuait à l’admonester : Ce qu’on récolte, eh bien, selon
mon ex-pé-rience, c’est forcément ce qu’on sème. – Alors, comme à
présent, le voilage de la fenêtre supérieure des Meehan s’était
entrouvert pour révéler Missus Meehan qui, loin de sembler sur le
point de basculer, sous cet angle paraissait aussi robuste que le
fondement du christianisme : le gros pavé grisâtre de son visage
encadré par ces voiles, son buste informe projeté en avant et
porteur du symbole de la Croisade. Alors, comme à présent, Missus
Meehan semblait prête à se lancer dans un sermon apocalyptique, à
faire descendre l’étoile nommée Absinthe sur l’horrible prostituée qui
avait traîné la patte vers Jérusalem… Des mois plus tard, toujours
écœuré par l’absence très chrétienne de charité de son mari, Busner
dévisage Missus Meehan en face et reconnaît à voix haute : Ils n’ont
pas tout à fait tort – parce que l’équation fondatrice de Concept
House – comme Roger Gourevitch et lui avaient nommé la
communauté – est insoluble, car il n’y a pas de règle qui opère sur
les affligés… en termes souvent hystériques. Il soupire et laisse
retomber son propre voilage, les plis pendants duquel viennent
déplacer un noyau d’avocat que trois cure-dents plantés sur ses
flancs visqueux maintiennent en équilibre sur un pot de confiture. Le
noyau plonge dans l’eau verdâtre, enchevêtré dans des radicelles
malingres. Saloperie ! dit-il en guise de protestation tout en le
déversant dans l’évier, puis il remplit le pot et tente de réinsérer les
cure-dents afin d’obtenir une fois encore… le bel équilibre –
suggérant, pense-t-il, une cosmologie hindoue… le monde est un
noyau d’avocat maintenu en équilibre sur un pot de confiture
cosmique par trois cure-dents… Bien que, s’il en est ainsi, il existe
plusieurs mondes : car au 117, et à côté au 119, il a vu plusieurs
avocats en train de germer. – L’œuvre de Miriam, bien entendu, une
autre de ses tentatives pour faire une sorte de foyer de Concept
House. Elle et leurs deux fils partagent une chambre au 119 les trois
nuits par semaine où ils viennent de l’appartement de Highgate, et,
bien que Busner préfère penser que cela est conforme avec la façon
dont les membres de la communauté – comme tout groupe tribal –
se sont divisés en fonction de leur sexe, les prépubères étant
considérés comme… en fait, de sexe féminin, il ne peut pas
échapper à la vérité suivante : je ne peux pas blairer ce Tordu… car
c’est ainsi qu’elle et les autres femmes parlent de Claude derrière
son dos, et qu’il a fini par être ainsi nommé : le Tordu. En tout cas,
c’est ce que Busner voudrait croire : l’attribution fait partie du jeu de
langage auquel nous jouons tous, plutôt qu’une indication de
l’essentialisme que révèlent les femmes quand elles disent des
choses telles que : Il me file les jetons, ce tordu, il me les file, grave,
ou, Je déteste ça, quand il se glisse à pas de loup comme un tordu
furtif… C’est bien entendu le Tordu qui a poussé toutes les femmes à
se blottir au 119 pour se protéger pendant leur sommeil, et, à des
moments de réflexion plus sombre, Zack se retrouve à cultiver un
nominalisme complet : le Tordu, s’inquiète-t-il, peut être nommé le
Tordu non pas parce qu’il a une nature sinistre ou parce que son
comportement est sinistre mais parce que, dans un monde d’objets
et de personnes complètement uniques, c’est lui, et lui seul, qui est
l’unique 100 % véritable TORDU en or massif !… Bernie – the bolt,
1
please ! La jeune volontaire en uniforme rayé, ’tite blonde bien en
chair – elle sait qu’elle l’a fait, et elle l’a bien fait. Elle se dézippe, et
elle fait bomber ses rotoplots, et elle tripote son soutien-gorge de
sorte que tous les putain de patients masculins dans la salle
commune qui sont pas défoncés voient tout ce qu’elle a, et elle dit :
Oh là là, oh là là, si c’est pas là le plus compliqué le plus serré le
plus enquiquinant des machins… si c’est pas là le plus compliqué le
plus serré le plus enquiquinant des machins… pas vrai… – Le métro
est passé et le trafic matinal sur la High Road est un bruissement
lointain – c’est ainsi, ses mains encore étalées sur le rebord de la
fenêtre, la graine grasse et tropicale suspendue entre elles, que
Busner prend conscience de cette incantation qui s’élève vers lui…
me file les jetons, ce… le plus compliqué le plus serré le plus
enquiquinant des machins… pas vrai, pas vrai, pas vrai HEIN ! ? – Le
Tordu, à l’instar d’un grand nombre des personnes gravement
perturbées que Busner a observées, possède cet art occulte de se
manifester psychologiquement quelque temps – parfois des heures –
avant d’apparaître physiquement : un incident mineur tel que la
chute d’une boîte d’allumettes, un mot surgissant d’un texte dense
ou des branchages frappant une vitre peut provoquer la sensation
troublante qu’il est à proximité. Les gambettes de la femme sont de
nylon shhk-shk, ses plateformes blanches font clic-clac à tout-va, son
cul est tellement sacrément frétilicieux qu’on voudrait tout
bonnement mordre dedans – pas vrai hein ! – C’est en conformité
avec cela que les monologues du Tordu – qui sont continus,
ininterrompus par le sommeil, quoique entravés quand il mange et
boit, et à peine un peu plus calmes quand il est sous sédation
massive – font écho aux réflexions de Zack. Il est vrai, le Tordu vit
vraiment à Concept House – ses cartons pleins de vieux manuels
d’électrotechnique, et des livres à la mode rédigés par des
intellectuels organiques… Marcuse, Norman O. Brown, Colin Wilson
et aussi… Ronnie lui-même… sont éparpillés dans la chambre du
fond à l’étage. – Ainsi sa dernière manifestation pourrait être écartée
comme n’étant qu’une simple coïncidence, si ce n’est qu’après
l’incident d’hier dans le bassin de canotage il est sorti fou furieux du
parc en courant, et n’est revenu qu’à l’instant… pour nous avaler
tout crus ! Busner réfléchit brièvement à la nature orale acquise de
la schizophrénie… puis, apercevant un vieux cube de sels de bain en
train de fondre sur le lino sous la baignoire à pieds en serres d’aigle,
il s’accroupit, le ramasse et le lance loin de lui à titre d’expérience :
Fort, dit-il, puis en élevant la voix, Da ! – Non, pense-t-il, le Tordu
n’est pas rentré hier après-midi, ni pendant la longue soirée que les
communards ont passée comme d’habitude barricadés derrière le
poste de télévision. Pourquoi… Busner s’y attaque une fois de plus…
quelqu’un voudrait-il s’emparer du nom de scène Leif Erickson ? – Et
le Tordu n’était toujours pas rentré quand, ayant regardé les trois
derniers quarts d’heure de Fenêtre sur cour en tenant la main douce
et tremblante du Kid, Busner a fermé la porte d’entrée à double tour
et s’est finalement mis au lit. Il savait que de toute façon le Tordu ne
pouvait pas entrer dans la maison : avant de foncer vers le pédalo, il
avait enlevé le curieux collier de ruban tressé et de chaîne porte-clés
qu’il portait autour du cou – auquel étaient attachés une coquille de
pétoncle, un ouvre-boîte avec tire-bouchon, une minuscule radio
japonaise à transistor, la clé de sa porte, une griffe d’ours et une
amulette tibétaine – et l’avait lové dans le giron de Podge. – C’est le
genre de truc qu’il faisait, le Tordu : attribuer toute son attention à
une femme ou une autre, en faisant d’elle – pour ainsi dire – sa
favorite pendant un jour ou une semaine, et Zack devait le
reconnaître, car, même si le bruit de fond de la sexualité de cet
homme était dérangeant – violeur impuissant était le diagnostic de
Busner, quelqu’un qui pourrait tuer le sujet auquel il ne peut pas
faire l’amour –, il parvenait cependant, presque toujours, à se
montrer avec elles d’une courtoisie exagérée : faire des courbettes,
leur ouvrir les portes, apporter une chaise et aller chercher ce qui
leur manquait tandis que la mélopée de l’un ou l’autre de ses ego
vétilleux – Pourquoi ktu lui fais ça à lui ? Tu lui fais ça à lui et chte
mets dans le trou à charbon avec le bébé de goudron – continuait
sans interruption. C’était ce ballet courtois, chorégraphié par le
charisme indubitable du Tordu, qui faisait que la personne choisie –
peu importe qu’elle l’ait trouvé sinistre – se sentait enserrée alors
même qu’elle reculait. La même courtoisie l’aurait empêché de
frapper à la porte de la maison pendant la nuit – la même courtoisie,
ainsi qu’une autre qualité que possédait le Tordu et que Busner ne
pouvait caractériser que comme… un sens aigu de
l’autopréservation. Excepté un occasionnel emportement violent –
lequel, si son hypothèse était correcte, pouvait fort bien n’être que
pour la forme – le Tordu paraissait toujours savoir précisément
jusqu’où il pouvait aller, et avoir, toujours présente dans sa
conscience bouillonnante… une zone démilitarisée survolée par des
chasseurs hurlants dans laquelle il ne s’aventurait jamais. Aux
heures les plus noires, froides et humides de la nuit banlieusarde,
quand les rails au bout du jardin avaient cessé leur électro-
bourdonnement, c’était cette ruse qui, selon Busner, était révélatrice
de la vérité la plus profonde et la plus terrible au sujet du Tordu, à
savoir que, loin d’être le plus gravement dérangé des résidents de
Concept House, il se pouvait qu’il ne soit pas du tout dérangé ! Le
bras nu de Busner, balayant de son rayon radar le dessous de la
baignoire, a localisé le cube de sels de bain, Da ! – mais c’est
ensuite à nouveau Fort ! son exclamation absorbée par les serviettes
raides et dégarnies pendues à des crochets à l’arrière de la porte et
épongée par la corolle humide et poilue du tapis de bain en crochet.
Il le répète : Fort – Da ! puis, toujours agenouillé, brode dessus :
Da-daa-da-da-d’da-daa ! tout en priant avec ferveur pour que, une
fois ces Da disparus, le Tordu ait lui aussi disparu, plutôt loin de là
dans quelque chaparral en hauteur à des milliers de kilomètres de
Willesden, botté et à cheval, une Winchester enfoncée dans le
fourreau en cuir tout contre sa selle, son Stetson en silhouette
devant le palais du Potala d’une mesa. Ç’aurait été trop beau… Jette
2
le Noiraud dans le trou à charbon, jettes-y aussi l’maît’ … – en
entendant l’étrange art ménestrel du Tordu se répandre sous la
porte de la salle de bains, Zack imagine très nettement son
adversaire : il est probablement assis de côté sur le paillasson contre
la porte d’entrée, à l’intérieur, arc-bouté avec ses grosses et vieilles
chaussures militaires et ses épaules tremblantes entre les murs
blanc éraflé tapissés d’un motif de flocons de neige doublement
géométriques, son front cabossé, avec son aurore de cheveux,
frappant contre la terne certitude du sapin de la table du téléphone,
sur laquelle est posé ledit téléphone lisse blancassé… attendant de
carillonner un jugement : Vie-à-Mort… A-D, EeeH ! Le facteur n’est
pas encore passé, et ainsi le capitaine Claude Evenrude, US Army Air
Corps (à la retraite), l’attend, feutre épais noir à la main, prêt à
accomplir son devoir – selon lui – en censurant le courrier des
hommes et des femmes recrutés. Le plus souvent, l’un ou l’autre de
ces subordonnés atteint la porte avant que les enveloppes ne soient
poussées dans la fente de la boîte aux lettres et, l’ouvrant, les
arrache des mains du facteur. S’ils n’y parviennent pas, il en résulte
des cartes postales sur lesquelles le texte a été – apparemment au
hasard – oblitéré : ici une ligne entière, là un mot isolé – ou peut-
être une seule lettre – étant tombés victimes des rayures et des
taches noires du Tordu. Ce n’est pas uniquement le message, mais
aussi l’image au recto, qui en souffre : le cottage d’Anne Hathaway,
Château de Leeds – peut-être une ou deux serres de Kew – sera
dégradé avec un bruit aigu, bien que le Tordu réserve la plus
créative de ses censures aux… visages : les coupes au bol des
Beatles tombent sur la tiare de la reine et une moustache à la Hitler
est noircie au-dessus de sa lèvre supérieure mutine. Si on lui donne
une scène de groupe – disons des baigneurs à Brighton ou la
cavalerie de la Garde royale à la parade du drapeau – c’est en expert
qu’il noircira tous les bras et toutes les jambes, de sorte qu’il ne
reste plus que des bouts de torses. Tout cela est très agaçant – mais
ce qui est intolérable est que le Tordu ouvre les enveloppes et
censure le contenu privé – également les factures, auxquelles il
applique des soustractions à l’aide de son feutre pour ensuite les
annoter au stylo à bille, ajoutant des équations complexes aux
quelques chiffres solitaires auxquels il a permis de survivre, créant
de la sorte… des intégrales divines et des différentielles de Satan,
démontrant la balistique des orbes célestes et des tridents
sataniques qui se produiront – qui VONT SE PRODUIRE si on me laisse
tranquille… À moins que nous ne prenions maintenant le temps de
suivre une pers- pers- pers-… ordinaire… Oh zut, chaipas, vous
voyez, là, qu’y a 7, 6, 5, 3, 6-virgule-1, AM859R45HJ88 tourné
sensdsudsous… Ce qui est le genre de chose qu’il dit quand il doit
affronter Miriam ou Radio Gourevitch – les seuls résidents, avec
Busner, qui ont jamais été suffisamment robustes pour tenir tête au
Tordu. – Son bras balayant toujours en quête du cube-Fort, tandis
qu’il ahane sous l’effort, Busner se rend compte que ce souvenir
exaspérant de monologue est lui-même souligné par des rimes
chantonnées qui se glissent vers le haut de l’escalier : Oh fêtard-
flambard p’tit homard, Là en bas dans la mer vaseuse, T’es pas si
différent sur ton lit de coquillages, De ceusses qui sont comme
moué… Mais fêtard-flambard, t’es quand même plus proche du
calamar, Que je le serai jamais… Par esprit de contradiction, malgré
tout, Busner croit bien qu’il pourrait écouter le Tordu toute la
journée et pendant beaucoup d’autres journées subséquentes. Il
demanderait coulosse aux autres de partir, s’installerait sur une des
chaises droites de la cuisine, poserait Claude sur celle d’en face –
alors il pourrait se concentrer pleinement sur ce que cet homme a à
me dire sans avoir recours aux pathologies préjudiciables –
psychotique, schizophrène, maniaque, schizophréniforme – qu’il a
peu à peu abandonnées. Il est vrai que, sans le compas de la
psychiatrie orthodoxe ou de la théorie psychanalytique, il est plus ou
moins impossible pour Busner de se faire une idée claire tandis qu’il
barbote à la surface de la mer-verbe agitée de Claude, laquelle est
traversée par des courants narratifs virevoltant en tourbillons de
chanson qui s’affaissent en marasmes vitreux superficiels de ce que
l’on pourrait prendre pour de l’anecdotique, mais sous lesquels,
Busner en est convaincu, circulent froidement des flux et des reflux
de refoulement dangereux. Ceci, l’antipsychiatre veut bien le
concéder : les soliloques du Tordu – et c’est ce qu’ils sont
certainement, le dialogique n’opérant que par le biais de figures
mythiques ou de personnages imaginés – n’affichent ni les
stéréotypies ni l’inimagination dominatrice de ceux… qui sont forcés
à jouer le jeu schizophrène. Au contraire, le Tordu, dans tout ce qu’il
dit et fait, est déconcertant d’invention, n’est jamais prolixe et ne se
répète qu’à des fins rhétoriques. Il est, pense Busner et pas pour la
première fois – l’image est tellement plaisante – une sorte d’île
déserte sur les rives sableuses de laquelle les autres – y compris
Radio Gourevitch – ne peuvent laisser que l’empreinte de leurs
pieds, à peine des fossettes qui ne tardent pas à être effacées par la
vague neurale suivante – . – La chat-plainte de la porte d’entrée
rompt sa rêverie – le facteur est là en bas, son sac en toile arrimé
sur sa veste de complet grise par un morceau de sisal et, lorsque
Busner se relève, pris de vertige, ouvre brutalement la porte de la
salle de bains et se retrouve nu en haut de l’escalier raide et sans
tapis, toutes ces visions inoffensives le désertent. Claude ! crie-t-il,
et Claude ! hurle-t-il plus fort – mais en vain parce que ce connard
n’entend absolument aucune voix ! tandis que le clapet a été
soulevé, le courrier a pénétré et a été saisi avant que Busner n’ait
descendu cinq marches. Avec l’efficacité d’un rapace, le Tordu, à
l’aide de l’ongle corné et non taillé de son pouce, ouvre une
enveloppe, n’indiquant la futilité de l’intervention qu’en augmentant
son propre volume sonore : Ho, Noirauds, zauriez pas vu l’maît’, ’vec
la MOUS-CHATTE SUR LA SIENNE GUEULE ! – il se lance alors dans la censure
avec entrain. Acceptant cela comme un fait accompli, Busner
s’assied pesamment, puis se lève brusquement casse-bonbons ! –
Un fait important au sujet de l’inter-expérience – dans la mesure où
l’on pourrait dire que cela apparaît un tant soit peu chez le Tordu –
qu’il a résolument gardé pour lui, bien qu’il ait incité les autres
résidents à être complètement ouverts car il n’y a rien à craindre, est
que lors de l’unique occasion où Busner avait tenté d’arracher le
courrier à son censeur autoproclamé il m’a filé un bon coup. Un
uppercut brutal – appris où ? Dans les bars, les casernes ou dans la
jungle des écoles de l’époque de la Dépression – Busner n’en savait
rien. D’ailleurs, pense-t-il : Si je le savais, je saurais tout – et, tout
en caressant la peau adoucie de ses joues, il touche aussi le
souvenir de cet épilogue violent. – Sous cet angle le Tordu est plutôt
pitoyable : ses guiboles dégarnies révélées par son pantalon de
surplus militaire aux jambes retroussées, ses poignets osseux
surgissant des manches effilochées de son col roulé rouge en
acrylique – le maigre U de son corps cinglant alors qu’il censure et
chante : Ho, Noirauds, zauriez pas vu l’maît’, sa trique à la main… Et
c’était cette main qui avait frappé Busner… tout en tenant le feutre.
Car quand il était parvenu à regagner l’étage, il avait vu de profil,
reflétés dans le triptyque de miroirs sur la table de toilette à jupe
mauve, des ruisseaux sanglants coulant des commissures de sa
bouche et, de face, sa lèvre supérieure gonflée et lourdement
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censurée. Reniflant vieille ferraille et acétone, il s’était Bloodnoqué :
Vite, vite, infirmière ! Les écrans ! malgré sa peur et les battements
de son cœur, Claude l’ayant frappé suffisamment fort pour me
mettre K-O, l’impact avait enlevé un gros morceau du champ de
vision de Busner, de sorte qu’une marée aubergine l’assaillait depuis
ses bords crénelés, dévorant d’abord le motif be-bop criard du lino –
puis le visage au regard torve de son attaquant, dont les lèvres
continuaient à balbutier des mots… Puis, pendant quelques instants,
tout ce qui flotta encore dans cette marée rougeoyante était les
dents pourries de Claude, qui tombaient une à une jusqu’à ce qu’il
n’y ait plus qu’un unique point blanc de plus en plus petit vers lequel
court Jeanie, tandis que le Tire-toi de là ! de Mumsie l’érafle, et elle
frrrôle le mur dinosaure où elle et Hughie ont trouvé l’os de T-Rex
mais le voit pas passqu’elle voit que pouic passque la salope l’a
cognée sacrément fort comme le kid de cé-ih-enne, cé-ih-enne-
enne-ah-té-ih a fait dans le film, tournoyant sur son tabouret sur
lequel on l’a fait mettre debout nue, sa peau tout étincelante là où
Jeanie l’avait peinte avec la lotion Mela-kèkchose, et son visage
couvert de losanges passque le soleil brillait directement dans la
f’nêt’ de son cottage… La salope ! a frappé Jeanie si fort que
l’éraflure la gêne pas – si je vis, pense-t-elle, ça deviendra tout
croûteux-grumeleux et ce sera un truc à tripoter. Si elle vit – et que
chuis pas éborgnée, parce que Jeanie ne voit rien : la peau plissée
vert argent du canal, les peupliers frissonnant sur la rive opposée,
les maisons dans l’allée – tout ça trempé par la vague noir rougeâtre
qui l’a engloutie quand sa mère m’a fracassé le bec-bec-bec, et-le-
cou, et-la-tête, et-le-dos, et-la-queue, aaaah ! C’est ce qui se passe,
pense Jeanie, quand Ollie arrête de cogner sur le carafon de Stan et
qu’ils sont tous les deux dévorés par la gueule noire : That’s all,
folks ! – Uniquement à tâtons elle traverse lentement la route – le
goudron est chaud et Jeanie est le type-yogi-l’ours dans le magazine
Look an’ Learn, se pavanant sur son parterre fleuri de charbons
ardents – puis elle exécute un saut de muraille dingue sur cinq
barres et se retrouve tout indécise, tourne en rond, jusqu’à ce que
ses pieds trouvent un sillon et elle fonce là-dessus, les jambes
écorchées et son visage caressé tout collant par le blé en épis. –
Pourtant, elle ne voit toujours rien : ni la superstructure massiverte
du taillis Queen-Lizzy-beth qu’elle sait voguer devant elle dans les
lames zébrées par le vent doré, ni les câbles haute tension qu’elle
sait s’enfoncer dans le ciel au-dessus d’elle, passque je les entends
chanter – . Elle trébuche et s’affale en avant. – S’étant relevée avec
difficulté en brossant les boulettes de terre de son T-shirt et de son
short, ça a marché, parce qu’elle voit la tête du mort de chert et de
craie révélée par la charrue, puis, ayant levé la tête, la nouvelle
girouette sur le toit des Butterworth, qui, selon Missus Butterworth
est un coq de combat, cé-oh-cul – bien que quand Jeanie a dit ça à
Mumsie, Mumsie a ri de son rire grivois et a dit : Coq de baise,
plutôt ! Et Jeanie aurait bien ri le rire grivois maintenant si Mumsie
n’avait pas noué un bavoir sanglant autour de son cou. – Elle avance
dans le tunnel temporel, agitant les bras au-dessus de sa tête
comme ce qu’ils font à la télé, et n’arrête pas avant de se trouver au
plus profond de Londres, c’est-à-dire ce que Debbie avait nommé le
taillis le jour où elles l’avaient découvert, c’est-à-dire la première fois
que Mumsie était allée à Londres et n’en était pas revenue de toute
la nuit – c’est-à-dire peut-être, pense Jeanie, deux étés plus tôt. En
tout cas, Hughie était petiot à l’époque et elles avaient dû plus ou
moins le porter jusqu’à l’autre côté du champ, il traînait des pieds…
Avant ça ils avaient eu les dîners à deux boîtes : Debbie les avait
chauffées au bain-marie… les avait ouvertes… les avait versées…
deux frichtis en forme de boîte – saucisses et œufs tout collés
ensemble avec les haricots-tomates et luisant dans la vapeur… Et
puis elle avait pelleté tout ça et les deux petiots s’étaient chamaillés
sur les calculs : Jeanie avait dit : Trois pour quat’ saucisses ça va
pas – et Debbie avait scandé : Am-stram-gram mon opper-assion,
Pic-et-pic et colégra-ssion… jusqu’à ce qu’ils en aient chacun une –
mais alors Hughie s’était emparé de la dernière saucisse et s’l’est
enfilée dans le bec, mais Debbie a juste ri du rire Hughie spécial de
Mumsie – passque Mumsie aime Hughie plus qu’elle n’aime les filles.
Elle crie après les filles : Putain de p’tites salopes et pire – sa haine
tellement perçante que leurs oreilles sifflent quand elles vont se
cacher. Mais même quand elle est furieuse comme ça Hughie
s’approche d’elle, nu comme un ver – passque si Debbie l’habille pas
Mumsie s’en fiche –, et Mumsie met sa main en coupe sur son
derrière et presse sa joue contre son bidon biafrais tout gonflé…
Tout de suite elle se calme – et elle reste comme ça, la fumée de
son Embassy montant et enveloppant le visage de chérubin de
Hughie. Puis elle prend son zizi entre ses doigts une autre clope et
l’astique-tique-tique. Voyez ça, les filles, qu’elle dit, c’est les putain
de bijoux de famille, ça, les putain de bijoux de famille – sûr que
c’est pas un Popaul de Coupe du monde, pour ça faudrait qu’il ait
une putain de crinière ! Puis sa voix se fait toute chic et elle agite les
glaçons fondus dans son verre, et elle dit : Je crois que Mumsie
aimerait un autre p’tit verre-à-soi, alors quelle est la p’tite chérie qui
va en chercher un pour sa mumsie ? – Ça c’est les jours normaux,
les jours où elle est enfermée dans le trou à rat avec Miss
Pimbêche – c’est comme ça qu’elle appelle Debbie – et Dumbo, c’est
comme ça qu’elle m’appelle, passque mon am-stram-gram-opper-
assion-des-adder-noïdes s’est mal passée. Miss Pimbêche, là-haut
dans la chambre des filles, couchée sur le ventre sur le tapis ovale
couleur morve, l’oreille pressée contre le tissu chaud palpitant du
tourne-disque : It took me soo-wo-ooo long to find out ! Et j’ai
découvert… que quand on fixait assez longtemps un Parlophone qui
tourne en rond etenrond… si on soulevait le bout de carton percé
dans le meuble, on voyait les valves-mamelles chaudes luisantes –
chacune avec son téton sombre… Puis : pelotonnée dans le gros
fauteuil rembourré, dessinant des motifs dans sa fourrure fauve…
lisse-lumineux et rêche-sombre. Puis : faisant danser Sindy sur les
motifs, passque c’est que quand Sindy chante que cesse le tintement
de mes addernoïdes. – Mais les vendredis, quand elle revient après
avoir enseigné aux dèbes et aux gogols à Hemel, Mumsie arrive à la
porte du cottage en se déshabillant déjà : ses chaussures voltigent
n’importe comment, sa robe plissée bleu marine tombe en flaque sur
le sol. Elle arrache Jeanie du fauteuil en la tirant par l’oreille et
appelle Debbie en hurlant vers l’étage, et ensemble les deux filles
traînent la baignoire sabot pour la sortir de l’appentis. Une fois que
la bouilloire a bouilli trois fois – passque le thermoplongeur est
toujours à la ramasse – et que l’eau bouillante a été mélangée avec
un peu d’eau froide dans le grand seau galvanisé, elle est prête pour
ses servantes manouches. Il faut les deux filles pour ce boulot, le
bain de Mumsie – une debout sur le tabouret pour être assez haut et
verser, l’autre pour hisser le seau une fois qu’il a été rerempli et pour
prendre du recul afin d’apprécier le spectacle : serpents aqueux
s’enroulant autour de ses doudounes flasques, se dénouant sur ses
hanches et ses fesses, le long de son ventre enflé et s’enfonçant
dans les poils de sa chatte… Mumsie, toute rose et marbrée, ses
doigts savonneux frottant les sillons plus roses laissés par sa gaine –
Mumsie, s’ébrouant comme un hippo… Oh ! c’est bon, c’est
sacrément bon ! et se frottant les doudounes… et sa chatte toute
mousseuse – Mumsie, criant de sa voix chic : Dépêchez-vous, les
filles ! et, le contenu suivant du seau dégringole sur ses épaules
fumantes pour une deuxième représentation encore etencore jusqu’à
ce que toute la crasse-de-dèbe et toute la merde-de-gogol aient été
nettoyées, et elle éclabousse les blocs de bois du sol jusqu’au
canapé défoncé et elle se jette entre ses bras en cuir, jambes en
grand écart, les jupes du canapé se soulevant en pétant des crottes
de souris et des tourbillons de poussière… Ensuite Mumsie demande
des Verres-à-soi ! – Dans la minuscule arrière-cuisine humide, où le
plâtre tombe et les bouteilles vertes s’effacent lentement dans les
voiles de toiles d’araignée, Jeanie les compte, au moins vingt-sept,
et s’émerveille de l’importance de la consigne qu’elles récupéreront…
Quand y en aura 69. Elle soulève la vingt-huitième bouteille de
VAT 69, la débouche avec un plop ! et remplit précautionneusement le
verre-à-soi – mais avant de remettre le bouchon glapissant, elle le
renifle et, enhardie, avale une lampée qui crache une langue
enflammée dans sa gorge. – Dans son ventre un feu se déchaîne
comme à Durrant’s, où travaille le père de Gwen… Il disait que les
produits chimiques brûlants étaient plus chauds que le soleil, et y
restait plus rien de l’endroit quand les pompiers sont arrivés sauf le
mur de devant… Les doigts de Jeanie sur le mur de l’arrière-cuisine
tripatouillent le plâtre, regardent les flocons de chaux tomber en
confettis sur les voiles… ça fait tellement comme dans un rêve… Elle
aurait bien avalé une autre lampée si Mumsie n’avait pas frappé sur
les coussins en criant : Verres-à-soi ! Verres-à-soi ! – Sentant l’odeur
de l’haleine de Jeanie, Mumsie l’attrape par sa robe et la tire vers
son propre mur de devant brûlé. Tu t’serais pas pris un p’tit verre-à-
toi, ma chérie ? Elle glousse de son gloussement grivois. Pas vrai ?
Et je parie kta aimé, pas vrai ? – Debout au plus profond du cœur de
Londres, près de la cabane où Mister Jarvis le garde-chasse met ses
affaires, Jeanie pense : C’était aussi un jour gogol – et j’étais dèbe
comme aujourd’hui. – Mumsie, avec ses vieilles marques de ruban
adhésif sur son ventre mou et les grains de beauté sur ses épaules,
était quand même plus grande que ce Londres – plus grande que le
vrai, plus grande probable que le monde. Agrafant son soutif à
l’avant, grosses lèvres de son ventre muselées – elle l’a soulevé,
bâillonnant ses gros tétons bruns… Elle a lutté pour entrer dans sa
gaine spéciale super-duper-neuve Silhouette « X », en haletant et en
riant : Vous en faites pas, les filles, c’est que ma bataille du bidon !
Devant elles, assises côte à côte sur son lit, la regardant s’habiller,
elle leur a dit : M’a coûté quarante et un shillings et six putain de
pence chez Peckerwoods à Berko… C’est ainsi qu’elle appelait
Peterwood’s Ladies’ Outfitters… Putain d’escrocs – mais je peux vous
le dire une fois comme je peux vous le dire mille fois, vous n’irez
jamais très loin avec le sexe plus sombre si vous ne partez pas avec
un vêtement foutrement solide – passez-moi ma robe. – Elle l’a
tenue contre sa poitrine, les perles de jais cliquetant contre ses
bagues, qu’elle portait toujours pour tenir les emmerdeurs à distance
et, ayant saisi l’épaule pailletée, elle a valsé jusqu’à l’armoire, arqué
le cou et avancé le menton. Mumsie, à l’intérieur de sa propre ombre
noire avec ses cheveux en chignon torsadé – Mumsie, avec ses
jambes élégamment mystérieuses à présent qu’elles étaient gainées
en « Undergrads » Aristoc sans couture maille 15 deniers. – Une
vraie putain d’arnaque, disait-elle, et Jeanie s’en souvient parce que
c’était ça : Mumsie qui les regardait tous les trois debout devant la
porte du cottage – elle a ri de son rire grivois, celui qu’elle
accompagnait d’une légère tape ou d’un doux pincement, et elle a
dit : Eh bien, eh bien, eh bien – si c’est pas Bill, Ben et ce putain de
Little-Weed, ensuite elle a écrasé son Embassy avec la pointe de son
escarpin verni et est montée dans la Gazelle. Le moteur a toussé
pour se mettre en marche, le pot a soufflé une fumée sale et la
voiture l’a emportée au vu et au su de tous – a traversé le canal,
puis pris l’allée jusqu’à la rue principale. Jeanie et Hughie ont couru
derrière elle – mais tout ce qu’ils ont vu depuis le pont en dos-d’âne
était un unique clin d’œil des feux arrière, puis elle avait disparu. Ils
ne pouvaient pas croire que la Gazelle l’avait fait – emporter leur
mère au vu et au su de tout le monde. C’était leur voiture en
peluche, Mumsie disait que le tissu des sièges était comme l’intérieur
d’une poche de kangou, quand elle les a fait monter dedans pour les
conduire en cahotant sur les chemins forestiers jusqu’à Little
Gaddesden. Mumsie disait que les bois étaient pleins de vrais
kangous vivants quand les Rothschild avaient la propriété pour eux
tout seuls. La miette d’écorce tourbillonnante prise dans un fil
invisible… Les ombres qui s’allongent et les rayons plus doux du
soleil… Le goût amer de sève sur leurs langues et le poisseux sur
leurs mains… Toute cette soirée, ils avaient joué dans le taillis,
suivant ses sentiers secrets partout où ils faisaient un crochet dans
les fougères, les ronces et les orties. Debbie a dit : Ça pourrait être
notre Londres – ce buisson est Selfridges, celui-là Lyons’ Corner
House sur Trafalgar Square, et celui-là, avec sa sinistre arche
d’aubépine, c’est Euston Station. – Il y avait une cabane au centre
exact de Londres entourée de vieilles poubelles rouillées avec un
cadenas encore plus rouillé sur la porte. Ça, a dit Debbie, c’est le
club de Mumsie, c’est là qu’elle rencontre ses amis spéciaux. Jeanie
lui a demandé à quoi ressemblaient ces amis spéciaux, est-ce qu’ils
étaient comme le Diacre et Silly Sybil et Jeffers et Kins, qui venaient
au cottage pour des verres-à-soi ? Mais Debbie a dit non, ceux-là
étaient des amis bien plus spéciaux – des stars de la pop et des
stars de cinéma et des lords et des ladies. À l’intérieur du club, a dit
Debbie, il y avait une grande boule en miroirs qui tournait de plus en
plus vite et qui faisait tout briller et étinceler – mais Jeanie ne
pouvait pas la voir à travers la petite fenêtre sale. Ça ne faisait rien,
à l’époque elle était suffisamment dèbe pour se consoler en se
persuadant qu’ils étaient tous vraiment à Londres, avec Mumsie. –
Cette nuit-là, quand elle n’était pas revenue après le God Save the
Queen en fin de séance, et qu’elle n’était toujours pas revenue
longtemps après ça et qu’une grosse chouette u-u-ululait, d’abord
Hughie s’est mis à pleurer, puis Jeanie. Ils ont tous fini ensemble
dans le lit de Mumsie – où elle les a trouvés le lendemain matin
quand elle est rentrée en claquant la porte, a bruyamment gravi les
marches et est arrivée en titubant, ses collants filés à mort et un
mouchoir ensanglanté noué sur une main. En voyant les trois têtes
ébouriffées sur ses oreillers, elle a crié : Merde, vous êtes qui ? puis
a grommelé : Oh, vous êtes mes enfants, pas vrai, ma chair et mon
satané sang. Elle a arraché les couvertures et ils se sont envolés
dans tous les sens – mais Mumsie ne s’en est pas prise à eux, elle
s’est contentée de gémir en faisant passer sa robe par-dessus sa
tête – de gémir, une marionnette à doigt… pieds nus dans son
collant, elle chancelait et continuait à gémir… et puis s’est affalée. –
Ils l’ont laissée là. Debbie a préparé des tartines de confiture et
Jeanie a rempli d’eau une bouteille de VAT 69. Ils sont retournés à
Londres pour la journée, où les filles ont été « The Shrimp » à tour
de rôle tandis que Danny surgissait des buissons muni d’un appareil
canette-de-bière en faisant semblant de prendre des photos d’elles.
Quand ils sont rentrés, la robe noire de Mumsie, son soutif et sa
gaine Silhouette « X » étaient accrochés sur la corde à linge. – La
femme dans le cottage était une représentation agitée en cire de
Mumsie qui n’a pas crié, qui s’est contentée de demander à Debbie
d’aller lui chercher des clopes au magasin du coin. Quand Debbie est
revenue, la petite vieille femme a tiré sur la fine languette, remonté
à moitié la Cellophane et y a brûlé un trou avec le bout de sa clope.
Elle y a soufflé de la fumée, a appuyé sur la Cellophane et de
minuscules ronds de fumée sont sortis du trou – maigrelets, et elle a
dit : Regardez ça les Choco-minis, c’est l’arbre chantant sonnant
fumant – faites vos vœux, je ne vous refuserai rien. – Jeanie voulait
demander que revienne la vraie Mumsie, mais elle n’osait pas, et la
représentation en cire a continué à presser pour faire sortir des
ronds de fumée de la Cellophane. Ensuite elle a dit : Vous avez là
votre pauvre satanée Mumsie, voilà tout – elle est rien que de la
fumée et des trous faits par des bouts brûlés. – C’était deux étés
plus tôt, et Jeanie serait bien retournée au cottage sur-le-champ si
elle avait pu penser que la Mumsie en cire serait là et pas la très
réelle Mumsie qui l’avait tirée de son propre lit où elle flottait dans
une combinaison d’astronaute sur un astéroïde. – Miss Pimbêche
était chez les Guides. Debout ! avait hurlé Mumsie, Tire-toi-de-là ! –
Boum-boum-boum, Dumbo est traînée dans l’escalier, sa tête
remplie de sa cervelle-de-merde bonne à rien… pour trouver Hughie
déjà là, debout, qui tremblait sur les dalles de la cuisine, nu comme
d’habitude, mais sa peau était argentée-Cyberman et son visage
trempé de larmes. Mumsie était tellement folle furieuse qu’elle
tournoyait en saisissant les assiettes pour les balancer dans l’évier,
elle a ramassé la théière et a jeté les feuilles – elle a tournoyé et elle
fumait… elle était tellement pleine de colère que… que ça devait
sortir d’une manière ou d’une autre… Pour finir, elle a dit d’une voix
de robot : Enlève cette chemise de nuit, Dumbo – et quand Jeanie
s’est retrouvée nue à côté de Hughie, Mumsie lui a écarté les jambes
d’un coup de pied, en lui disant de s’étirer aussi-haut-qu’un-arbre.
Elle a écarté le gras-de-bébé avec des ongles au vernis rouge
écaillé – sous les bras, derrière les genoux, entre les fesses – sifflant
de la fumée de clope en travaillant. Jeanie retenait son souffle et son
cœur battait contre ses côtes encoretencoretencore. – Pour finir, elle
a vidé ses poumons. – Crrroûtes de gale, doux Jésus, ces putain de
crrroûtes, j’ai rien vu d’aussi dégueu depuis que les p’tits Youpins
sont arrivés du secteur russe en 46… Écoute, ma puce… Mumsie a
poursuivi avec sa voix spécialement gentille, celle qu’elle avait prise
la dernière fois quand elles étaient allées ensemble à la mercerie et
qu’elle avait choisi ce joli tissu avec le motif de capucines… pourquoi
t’as rien dit, ma puce, qu’est-ce que t’as bien pu croire que c’était ?
Avec douceur elle a fait pivoter le genou de Jeanie pour qu’elles
puissent voir toutes les deux le triangle livide et grumeleux de peau
abîmée à l’arrière de son mollet. Jeanie a bégayé : Je – chaipas, M-
Mumsie, j’ai cru que c’était une rougeur ou kèkchose que j’ai attrapé
dans le grand champ… La vérité était qu’elle savait parfaitement que
c’était bien pire que ça – mais elle ne voulait pas inquiéter sa mère,
qui était toujours tray-tray fatty-gay, ma chérie, Mumsie est tray-tray
fatty-gay – alors apporte-moi un verre-moute, ma loute… Il valait
mieux fouiller dans le panier à linge quand on n’avait pas de
chaussettes propres et les laver dans le lavabo de la salle de bains et
en faire un gâteau roulé dans une serviette puis les suspendre à la
fenêtre de sa chambre pendant la nuit pour être certaine d’avoir
quelque chose à remonter jusqu’aux genoux afin de cacher cette
preuve – comme si elle était nécessaire – qu’on était une… fille sale,
stupide, détestable. – La gale, Mumsie a sifflé une fois de plus,
puis : C’est que j’ai vu ce truc rose sur le petiot alors je fonce à
Berko, j’achète la lotion, je reviens et je le badigeonne comme il
faut. Et puis je me demande – sa prise sur le genou de Jeanie se
resserre – laquelle dans ma satanée progéniture dégueulasse va
dans cette putain de ferme et joue au docteur avec ce sale gamin
romano. C’est pas juste ! a hurlé Jeanie en elle – elle voulait crier à
tue-tête : T’as fait plein de trucs avec ceux-là ! T’as caché des
choses pour eux dans notre appentis – tu leur as acheté ces pilules
triangulaires. T’as obtenu des médicaments de ces deux vieilles
sorcières qui vivent dans leur poulailler – une bouillasse noire dans
un pot de confiture. T’as tout avalé en disant : Y a rien de mieux que
les trucs du temps jadis, et puis t’as tout vomi après quand on était
tous dans la voiture ! – Jeanie voulait crier tout ça, mais elle voulait
aussi que sa jambe survive – qu’elle guérisse, pas qu’elle finisse
ratatinée dans un appareil… Tu sais ce que c’est, la gale, ma fille ?
Mumsie continue à siffler, grattant les bosses et les grumeaux de la
jambe infectée de Jeanie. La gale, ce sont des bestioles riquiqui qui
creusent sous ta peau. Et tu sais ce qu’elles fabriquent à l’intérieur ?
Hein ? Je vais te dire – elles arrêtent pas de baiser. C’est ça – elles
arrêtent pas de baiser et, quand ça leur chante, elles pondent leurs
putain d’œufs en toi. Eh bien, je m’en vais te dire, ma sale petite
copine des romanos, j’ai pas envie de devenir un couvoir à gale,
alors… Elle laisse tomber la jambe de Jeanie, déboutonne son
peignoir et s’empare de la bouteille brune… – Va chercher le
tabouret et mets-le dans le bow-window où il y a plein de lumière.
Je vais te badigeonner à la perfection le moment venu, fillette, mais
d’abord tu vas me faire moi. – Grains de beauté-roses tout
mouchetés… récite le Diacre quand il est bourré – il veut dire ça ?
cette jambe marbrée et grumeleuse avec les ombres des feuilles se
miroitant dessus ? Jeanie tripote une écharde pour l’arracher au mur
de la cabane qu’est le club de Mumsie. Un train express explose
dans la clairière en haut du champ et, bien qu’au plus profond de
Londres, elle voit ceci : l’onde de choc se gonflant devant la
locomotive, fracassant la brume assoupie au-dessus des rails
brûlants. – Un cercle de dents et de langues railleuses l’entourait à
l’école : Cette idiote de Jeanie l’a pas de cerveau, C’est qu’elle a du
mou de veau ! – Elle mourait d’envie de leur crier en retour : Juste
passque chuis un peu sourde, ça veut pas dire que chuis une
gogole ! Elle mourait d’envie de leur dire que parfois elle pouvait voir
les sons : les basses brunes et les violets de trompette, les roses
stridents et les sons aigus de flûte que produisait le soleil juste avant
que le poing de Mumsie n’explose dans sa tête. Jeanie installe un
des seaux à nourriture à l’envers sur le sol – un poulet déplumé gît
là, son cadavre barbouillé de jaune d’œuf. À travers la vitre sombre
4
Grand-Chef Je-Vois voit une vieille table à abattants, une chaise
longue pourrie en toile, une petite bibliothèque remplie de pots et de
boîtes à tabac – mais aucun signe de Herman… ni de ses ermites.
Jeanie perd l’équilibre sur le seau, son épaule heurte le châssis de la
fenêtre qui s’ouvre avec un crac !… a du mou de veau, a du mou de
veau, les corbeaux criaillent au-dessus de Londres. Elle s’écorche sur
les planches rugueuses, le loquet rrracle son ventre – mais elle est
dedans, s’affale tête la première sur une malle-cabine qui, une fois
ouverte, souffle une vieille pâte moisie… dans son nez. Elle est
pleine de magazines : Club et Playboy et Mayfair (intégrant King). La
fille sur la couverture de Mayfair est agenouillée sur une plage de
sable et ne porte que le bas d’un bikini vichy, ses cheveux blonds
hirsutes fouettent la peau de miel de ses épaules – son visage se
détourne de ce que font ses mains : ses ongles vernis vert métallisé
agrippent ses lolos. Les ongles de Jeanie, chacun avec son croissant
sombre de sang séché, cheminent avec précaution sur son mollet
croûteux, puis se mettent à arracher, Aaaah… – Entre les magazines
il y a un livre de poche épais – Jeanie l’extrait avec sa main libre :
Plus de 42 Pouces est imprimé sur la couverture. Elle feuillette les
pages – les lolos ballonnent et se dégonflent, ballonnent et se
dégonflent de nouveau. L’expression des modèles glamour est
masques biscornus lippus mascarés… le feuilletage cesse et elle
examine des salérections… malgré la mauvaise impression : chatte-
humide, bite-dure, cul-ferme… Sur la page d’en face, Mumsie
l’observe avec une furie évidente – elle est plus nue que toutes les
autres, ses doudounes des ballons dégonflés abandonnés après la
soirée. Jeanie étudie la peau de Mumsie centimètre par centimètre –
elle la connaît aussi bien qu’elle connaît les environs immédiats du
cottage : le jardin envahi par les herbes avec ses haies denses et
boisées, le hameau de Dudswell, le canal et son chemin de halage,
les champs clairsemés entre le canal et la route principale – les
mieux entretenus s’étendant sur la colline puis sur le terrain boisé
qui va jusqu’à Little Gaddesden. Elle pense aux combes mangées par
la fougère là-bas sur le terrain communal – et elle regarde les
jambes écartées de Mumsie, et elle dit à voix haute : Je m’en suis
bien sortie, quand même… – Il fallait bien qu’elle commence enfin :
elle a pris une soucoupe et y a versé la lotion lactargentée – elle a
pris le pinceau dont Mumsie s’était servie pour Hughie. Le modèle de
Jeanie se tenait sur le tabouret dans le bow-window et Jeanie a
commencé à le peindre et à lui donner vie avec de larges traits de
pinceau sur son bidon mollasson. Là, a dit Mumsie, et Jeanie a fait
tourner le pinceau dans ses aisselles. Continue, ma fille, a-t-elle
ordonné, étale-moi ça ! Ce que Jeanie a fait, peignant des jambières
sur les mollets de sa mère comme celles que les ouvriers
d’Addressograph portaient quand ils s’étaient déguisés en chevaliers
pour le carnaval de Hemel. Tu as l’œil, Jeanie Gruber, c’est ce que dit
Miss Philbeach à l’école – mais ça a été… ma ruine. Parce que son
œil fidèle a incité sa main sûre à dessiner des courroies et des
boucles à partir de la lotion Melathion. Les vapeurs de camphre-et-
créosote ont arraché des larmes à cet œil tandis que Mumsie,
temporairement calmée, chantonnait : Ah, si j’étais une vache riche,
z-zz-za’, zzuzza-zzuzza-zzer… ainsi, Jeanie calmante, qui utilisait la
large toile de peau du dos de Mumsie pour dessiner les longues
plumes courbes d’une paire d’ailes angéliques, les intégrant aux
grains de beauté-roses tout mouchetés… dispersés entre les
omoplates de Mumsie… Toute la journée je meuh-meuh-meuglerais,
si j’étais une vache fortunée – . Elle s’est arrêtée, et son visage
diabolique est passé par-dessus son épaule : C’est QUOI CE BORDEL ! –
Elle a balancé un coup de pied à Jeanie et au tabouret, s’est
avancée vers le miroir près de la porte d’entrée, lui a tourné le dos,
s’est tordu le cou. – Quand elle fait la vaisselle, Mumsie dévisse
toutes les bagues des doigts de sa main droite. Mes coudepoings
américains, raille-t-elle – et c’étaient eux qui avaient aplati le nez de
Jeanie, déchiré sa joue et poussé sa tête si fort en arrière qu’en
heurtant le mur un putain de nuage champignon m’a explosé dans le
carafon… – Jeanie referme le livre de poche et le remet dans la
malle. Il y a une bouteille d’huile de lin sur la table à abattants
bancale et une boîte à tabac d’où débordent les mégots asticots des
roulées de Mister Jarvis – les ronds laissés par les tasses de thé
hula-hoopent sur le placage desséché, des pelles et des pioches
conspirent dans les recoins encombrés de la cabane. Crac ! une
branche craque juste dehors – j’vais mourir comme Lesley Ann ! Elle
sait tout là-dessus – les tombes et les enregistrements et la blonde
avec la permanente… passque les grands éméchés crient quand ils
chuchotent. – Jeanie se voit pliée dans la malle-cabine avec les
nanas aux gros lolos – Mister Jarvis la pousse sur un chariot le long
du quai à la gare de Tring, les beaux messieurs de la City ne font
pas attention à lui, leurs journaux ouverts devant leurs visages
fermés. Mister Jarvis a toujours été amical – il emmène Jeanie
quand il va remplir les mangeoires, resserrer les clôtures avec une
clé de blocage et poser des pièges pour les renards. Mister Jarvis
porte un complet en tweed vert bouteille par tous les temps et un
chapeau en feutre vert plus foncé – il graisse ses guêtres en cuir
avec de la cire pour selles et, si Jeanie le voit en tout début de
matinée, ses chaussures sont toujours fraîchement lustrées. Si un
homme travaille avec la terre, explique-t-il, ça veut pas dire qu’il doit
avoir cette terre sur lui. Quand il voit Mumsie, il ôte son chapeau et
dit : Bonjour, Missus Gruber, comme s’il le pensait vraiment – pas
comme Eddie le laitier, qui arrive dans le cottage avec les bouteilles
à capsules dorées et rouges, le jus d’orange concentré et les repas
en boîtes, et puis qui s’assied pour fumer, se servant de sa casquette
comme cendrier tandis qu’il boit son thé et que ses yeux pelotent
Mumsie avant de tripoter Debbie, qu’est cinglée passqu’elle a pas
encore ses menstrues et que ses tétons sont comme deux piqûres
de moucheron sur une planche à repasser. Un matin, quand la
voiture du laitier et la camionnette de la poste ont coïncidé sur le
pont, Jeanie a entendu cette conversation entre Eddie et Mister
Fitch, le facteur – avec son air de pas y toucher… avec sa coiffure du
Milky Bar Kid et ses lunettes à la Harry Worth : T’as tenté ta chance
avec elle, la roulure Gruber ? a dit Mister Fitch. Tu devrais, elle en
veut – l’a pompé son vieux au point qu’y s’est retrouvé à l’asile de
Broadmoor… À Broadmoor. – Jeanie passe la tête la première par la
fenêtre de la cabane, écorchant ses écorchures – tout bientôt ses
gémissements tourmentés iront d’une bobine à l’autre sur le
Grundig, et Miss Philbeach, pressant le bouton pour la faire taire,
dira : Eh bien, les enfants, voilà ce qui arrive aux méchantes filles
comme Jeanie Gruber qui s’est enfuie à Londres… Dont elle foule les
rues ensanglantées pendant sa course… les ronces en arche au-
dessus d’Oxford Street lui arrachent les cheveux… les fougères dans
Tottenham Court Road giflent ses cuisses nues avec leurs frondes
perverses… Elle passe en force dans le buisson de rhododendrons de
l’autre côté de Trafalgar Square et explose dans le champ de blé. –
Ssssh ! pour avertir Hughie, qui fabrique des briques en boue dans
le jardin de derrière avec un pot à fleurs en guise de moule. Ssssh !
dit-elle de nouveau – mais les yeux vert pomme de Hugie
s’écarquillent juste un peu tandis que, nu dans son complet de lotion
lactargentée contre la gale, il fait goutter l’eau du pommeau de
l’arrosoir. Jeanie tapinoise sous les fenêtres, se relevant une fois
pour fliquer Mumsie, également nue, assise dans le fauteuil
rembourré, une bouteille de Crabbie’s à portée de main et devant
elle, sur la plus grande des tables gigognes, une pile de journaux
ainsi que l’exemplaire de cette semaine du New Society : Se mettre
à jour sur les infos de la semaine… c’est comme ça qu’elle appelle
ses occupations du samedi matin, et… Voir ce qu’il en est dans mon
domaine, passque je serais perdue dans ce putain de désert culturel
sans mon New Society… Jeanie imagine Mumsie se promenant dans
son désert en laissant des empreintes de lotion antigale sur le doux
papier journal grisâtre. Entre ses doigts son Embassy s’est mutée en
un crayon géant à pointe de braise avec lequel elle roussit des
phrases choisies ou marque des annonces avec des ronds de feu.
Jeanie ne comprend pas comment un domaine peut aussi être un
désert. Je suis coupée du monde, gémit souvent Mumsie, et
pourtant tout ce dont elle parle avec le Diacre, Jeffers, Silly Sybil et
particulièrement Kins, c’est du monde au-delà du canal : Em-ih-ess-
ess-ih-ess-ess-ih-pé-pé-ih – Ils font monter Jeanie sur une chaise
pour qu’elle épelle cé-ah pendant qu’ils se tordent de rire – et puis
ils deviennent sérieux, blablatent sur les bombes qui tombent sur
Hanoï, et que c’est écœurant, que Mister Wilson devrait faire autre
chose à ce sujet que de jacasser, mais Jeanie ne comprend pas
comment il peut… ce vieil homme stupide avec ses cheveux blancs.
Elle l’imagine assis sur le dos d’un buffle d’eau dans une rizière en
train d’essayer d’envoyer balader les bombes qui tombent avec sa
pipe géante tandis que des gamins aux yeux bridés en pyj-pyj satiné
et chapeau en panier à fruits s’inclinent encore et encore… On est si-
a-mois de père en fils. Un peu plus tard, les adultes mettent un
autre vieux disque langoureux et tout le monde agite les pieds en
chaussettes et bas… Fly me to the moon ! – ce qui ramène la
conversation aux Yankees – les terribles Yankees ceci, les vraiment
horribles Yankees cela. Les Yankees lâchent leurs bombes sur Hanoï,
et les Yankees tirent sur les bamboulas à Detroit. – Les Yankies,
pense Jeanie, doivent être les adultes des adultes, passque quand ils
bavent sur eux on dirait des gamins qui font des bêtises dans le dos
de leurs mumsies. – Jeanie presse une oreille contre la peinture vert
chaud de la porte de derrière et saisit le bouton de porte à huit
facettes. Elle connaît tous les grincements que fait le loquet et ses
carreaux rayons X font qu’elle peut aussi le voir… ça monte et ça
descend. Dans l’arrière-cuisine, elle touche une bouteille de VAT 69
sur trois, ce qui fait neuf… Ce qui veut dire qu’elle devrait faire neuf
pas glissés pour parvenir à la table du téléphone, où le gros porte-
monnaie en cuir noir de Mumsie fainéante dans la bouche de son
sac à main grand ouvert. Il y aura des pièces de deux shillings et des
demi-couronnes et peut-être un billet de dix shillings dedans, mais
Jeanie ne prendra que neuf pence – passque comme ça Mumsie n’en
saura rien… un point à temps en vaut cent, neuf pence à temps…
fait gagner du temps – ASSEZ ! Les heures et les heures… de grattage
de crrroûtes et de chatouilles poussiéreuses sont révolues – n’ont
jamais eu lieu : Jeanie est de nouveau dehors sur mes guiboles et
elle se hisse par-dessus le mur du jardin. Elle se laisse tomber dans
le tunnel moisi-cendreux qui passe sous le massif d’arbustes des
voisins – ensuite elle est sur le chemin de halage, ses yeux la
piquent sous le flash cube du soleil de midi – il n’y a pas âme qui
vive, et le village sommeille tandis qu’un gros nuage sédatif est
étendu au-dessus de lui. Tête haute, les filles ! Jeanie avance sur le
pont en dos-d’âne et dans l’allée, passe devant le terrain de jeu, où
les garçons de Batteram jouent au cricket français, jusqu’à la
boutique du coin. Bardage sur les murs et papier goudronné sur le
toit – vieilles fenêtres madrées couvertes à l’intérieur de boîtes en
carton pleines de souricières et de papier tue-mouches, de tampons
à récurer et d’éponges. Les étagères gauchies de la boutique du coin
sont remplies à craquer de boîtes de Vim et de Daz, de pain de mie
Nimble et Sunblest – rien de tout cela n’intéresse Jeanie : c’est
derrière le comptoir que vivent les vraies affaires, pas sur les
étagères normales de la boutique mais dans les deux vieux buffets
qui sont cloués l’un à l’autre. Celui de droite contient les clopes : les
Guards, les Number 6 et les Number 10, les Consulate aussi fraîches
qu’une cascade et les Embassy à rayures rouges de Mumsie – toutes
empilées n’importe comment, avec le tabac en brique enveloppée
d’alu. Le Diacre fume de l’Old Holborn – et quand il a un nouveau
paquet de quinze grammes, il en ouvre les rabats triangulaires
lentement et avec soin, en fredonnant… crache sur les bouts lippus
de sa barbe de rat d’eau. Faisant passer la petite brique de tabac à
l’odeur sucrée dans sa boîte, il abandonne le papier d’alu avec son
image d’un bâtiment à colombages… comme le pub à Waddesdon.
Jeanie sait que le surnom du Diacre est une mise en boîte, mais,
quand même, il y a en lui un air de sainteté – il psalmodie-sirote son
VAT 69 et entonne les indiscrétions locales avec un souffle léger de
vicaire : nuits d’ébats, bébés mortués, les cœurs violets des
romanos, et les bêtises qu’« Oncle George » – qui répond au
courrier dans la Berko Gazette – commet dans son « Children’s
Corner ». Jeanie conserve les vieux emballages Old Holborn dans sa
cachette secrète, sous les lattes du plancher dans la chambre que
partagent les filles – ils reposent là, une autre version… du Londres
lointain. – L’autre buffet de la boutique du coin est chargé de grands
bocaux en verre de bonbons au citron, de Blackjack à la réglisse, de
caramels et de pâtes de fruits, qui sont les préférés de Jeanie. Sur
les étagères au-dessus se trouvent les boîtes de chewing-gums
Bazooka Joe et Wrigley’s, des tablettes de chocolat Cadbury et des
loukoums Fry’s, des Mars et les cônes en forme d’étron de Walnut
Whips. Sur la plus haute étagère, il y a une longue cartouchière de
Sherbet Fountains de chez Barratt, chaque cartouche d’effervescence
emballée de papier jaune est reliée à un détonateur en réglisse. Des
lacets de réglisse rouge et noir pendouillent aux crochets du buffet,
mêlés à des colliers élastiques de perles en sucre. – Les buffets
chuchotent à Jeanie qu’un autre monde viendra, un monde de
gâteries sans entrave : une sacoche pleine de billets de banque, une
Jag E-Type décapotée et remplie à ras bord de boules de gomme… –
Elle pose sa pièce de trois pence et sa pièce de six pence sur une
pile de Tring and District News, et Missus Pile pose son propre
exemplaire – SOUS LES PROJECTEURS, LE CONCERT DE CORNEMUSES DE LA RAF
CLÔT LE CARNAVAL DE HEMEL – à côté d’elle, lève les yeux et s’écrie : Oh,
mon Dieu ! Dans quel état tu es, Jeanie, tu as saigné sur ton
chemisier et ton visage est tout enflé… Ça te va bien de dire ça ! –
Le visage de Missus Pile est tout enflé : des joues comme des
pommes et un nez Super Balle crayeux de poudre parfumée à la
lavande. Un quart de livre de soucoupes volantes, Missus Pile, dit
Jeanie et autant de Blackjack et de pâtes de fruits. Ce qui lui laissera
un penny – elle va prendre deux lacets de réglisse, les mâchonner
l’empêchera d’avaler le reste trop vite. Chuis tombée, ajoute-t-elle
sans conviction, et Missus Pile fait tss-tss. – Viens à l’arrière, Jeanie,
je vais te nettoyer et mettre du mercuro sur cette coupure, ça va
s’infecter, tu sais. Ce que Missus Pile sait, c’est ce qu’il en est. Missus
Pile ouvre très tôt certains matins pour Jeanie et Hughie, et elle sait
très bien qu’ils se sont fait faucher leurs pièces – Missus Pile voit les
marques roses là où Jeanie a été pincée et les observe passer du
rouge à l’orange puis au jaune comme des feux de circulation. Elles
sont collées ensemble à la gomme, la petite fille maltraitée et la
vieille veuve. Non, çavamerchi, Missus Pile, dit Jeanie tandis que le
bocal est incliné et que les soucoupes volantes se déversent dans le
plateau. Maman s’en occupera quand je rentrerai. Ta mumsie, Missus
Pile commence avec emphase, puis s’arrête avec la même emphase
car, en fin de compte, faut bien s’entendre avec les gens. – Si elle
pouvait retrouver son sang-froid, Jeanie repartirait en boitillant vers
Londres avant de déployer doucement ses trois sacs en papier tout
tortillés – mais elle ne peut pas. Elle regarde des deux côtés de la
grand-rue, dans son dos vers l’allée, puis court se cacher derrière
l’abribus. Tant qu’elle parvient à y aller sans être vue, Jeanie se sent
plus en sécurité là que n’importe où ailleurs. Si les gens arrivent
pour attendre le bus et s’asseyent sur les bancs avec leur dos à
quelques centimètres du sien, cela ne fait que la pousser plus loin
dans la jungle de buissons, où elle se retrouve assise sur un vieux
rondin pourri avec tous les tessons d’anciennes bouteilles de soda au
gingembre enfoncés dans la boue séchée entre ses tennis. Cette
idiote de Jeanie l’a pas de cerveau, C’est qu’elle a du mou de
veau !… Elle laisse tomber une balle en caoutchouc noir invisible et
pendant le temps qu’il lui faut pour rebondir, elle saisit une, deux,
trois, quatre soucoupes volantes dans le sac et se les enfile. Les
capsules en papier de riz se frottent les unes contre les autres, les
bords acérés attaquent l’intérieur de ses joues – l’une d’elles s’envole
jusqu’à son palais où elle… colleggzactment – mais oh ! le stress que
représente le fait de ne pas mordre quand l’explosion sucrée pourrait
tuer la douleur de sa joue attaquée, la brûlure de ses écorchures et
les satanées croûtes de la gale… qui la démangent… jusque dans
mon cerveau. Quand Mumsie l’a frappée aussi dur que ça elle
devient en général toute gentille. – Pendant les mois les plus
sombres, boitillant dans l’allée, Jeanie peut voir de loin la lampe à
huile que Mumsie a placée à la fenêtre de devant, de sorte que sa
lueur beurrée projette des losanges sur les briques en épi du
chemin. La lampe à huile, Mumsie s’en sert pour dire : Tout va bien,
je t’envelopperai dans la couverture en laine et je te caresserai sous
le menton. La lampe veut dire la boisson aussi chaude que du vison
devant le feu, tandis que Mumsie sirote du poiré comme une dame
et peut-être même parle avec nostalgie des vacances qu’ils avaient
passées à Skeggy quand Gregor était toujours avec eux, il se
trouvait que Debbie avait chouré jusqu’au dernier tous les couteaux
et fourchettes qu’elle avait pu trouver, caché les couverts aux
couleurs vives dans son bout de doudou cradingue – le mètre de
flanelle que Debbie frottait en suçant son pouce. En tout cas : Au
début c’était un mètre ! s’esclaffait Mumsie. Mais à mesure qu’il
devenait de plus en plus cradingue – avec toute sa bave et sa
morve – j’ai dû en couper un bout ici et un bout là, jusqu’à ce qu’il
ne reste plus qu’un putain de mouchoir de poupée ! – Jeannie
supposait que l’incident de Skeggy – quand elle était petite et qu’ils
vivaient tous au sommet d’une colline dans le Yorkshire – avait eu
lieu quand le doudou n’était pas aussi cradingue. De toute façon,
Debbie n’a plus de doudou ou quoi que ce soit de la sorte sur sa
personne maintenant – et elle ne chaparde rien à Mumsie comme le
fait Jeannie. Elle repasse et balaie et passe l’éponge et frotte – elle
est toujours habillée toute proprette dans son nouvel uniforme
d’Ashlyns, ou son uniforme des Guides, et quand elle ne s’occupe
pas de Hughie et de Jeanie, elle fait du baby-sitting pour les Cook ou
les Scott, et elle tond les bordures des Butterworth. Elle travaille
tellement dur que Mumsie dit : T’es une foutue petite cappytilliste. –
Boum ! Les vaisseaux spatiaux s’écrasent sur les odieux rochers de
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LIV.
True science finds its own by kindlier quest,
Nor lowers itself to torture’s loathsome test;
Multiplies not the sentient being’s pain,
But makes a keener lens of man’s own brain;
Seeks not by outrage dire a soul to grasp,
Or dimly trace its agonising gasp;
But surer learns what fire that soul may move,
Not wrung with deathly pang, but thrilled by breath of love.
LV.
To touch of love alone will Nature pour
The choicest treasures of her occult store;
Into the ear of love alone repeat
The secret of the song our pulses beat;
To eye of love alone, with joyance bright,
Shows she her form suffused in living light;
To heart that loves her, Nature gives to know
How from Love’s might alone all thoughts of Wisdom grow.
LVI.
So opes a vaster knowledge to the view,
Love points the way and woman holds the clue;
Nature on her the trustful office laid,
And arbiter of human fortune made;
With woman honoured, rises man to height,
With her degraded, sinks again in night;
Yet still the wayward race has sluggish been
To learn the fealty due to Earth’s advancing queen.
LVII.
For long, in jealousy for corporal power,
Had man contemned his sister’s worthier dower;
What time his ruder feelings held the sway,
With little hope or hint of truer way;
Till on a wistful world has dawned benign
The prescience of a potency divine
Sleeping, unrecked of, deep in woman’s heart,
Waiting some kiss superne, into full life to start.
LVIII.
Woman’s own soul must seek and find that fay,
And wake it into light of quickening day;
Man’s counsel helpful in that track shall be
For all his learning rich return and fee;
His philosophic and chirurgic lore,
To her imparted, swell her innate store;
Till, clothed with majesty of mind she stand,
Regent of Nature’s will, in heart, and head, and hand.
LIX.
Each sequent life shall feel her finer care,
Each heir of life a wealthier bounty share;
Those lives allied in equal union chaste
A sweeter purpose, purer rapture, taste;
Both parents vindicate the duteous name,
The troth and kinship of their linked claim;
The only rivalry that moves their mind,
How for their lineage fair still larger fate to find.
LX.
Their task ineffable yields wondrous gain,
Their energies celestial force attain;
Their intermingled souls, with passion dight,
In aspiration soar past earthly height;
Nor fades their prospect into void again,—
Woman has gift the vision to retain,
And mould their dreams of love, with conscious skill,
To human living types supreme of form and will.
LXI.
The psychic and the physical at one
In fervid vigour through their frame shall run;
Their science leaps the bounds of straiter space,
Whose crude dimensions curbed their growing grace;
Whose inefficiencies allowed not verge
For rich research their lofty souls would urge;
To them the keys of life and love are given,—
The love that lifts the life from rank of earth to heaven.
LXII.
And “winged words on which the soul would pierce
Into the height of love’s rare Universe”
Shall native flow from them as mother tongue
In softest strain to listening infant sung;
Till, the sad memories of unmeant wrong
Solving in music of conciliant song,
Man’s destiny with woman’s blended be
In one sublime progression,—full, and strong, and free.
LXIII.
L’Envoi.

The bard of yore, the stately Florentine,—


The seer of the dream men named Divine,—
Through whose grave tones one strenuous passion rolled,
While to slow ears the voice fell stern or cold,—
In his last verse proclaimed his crowning faith,
By words whose echoes pass the bar of death;—
As breathed his soul with Beatrice afar—
“The love that moves the sun and every circling star.”
WOMAN FREE.

NOTES, &c.

I.

2.—“Science calm moves ...”

“Science is properly more scrupulous than dogma. Dogma gives a


charter to mistake, but the very breath of science is a contest with
mistake, and must keep the conscience alive.”—George Eliot
(“Middlemarch,” Chap. LXXIII.)

3.—“Research and reason ...”

As indicated by Professor Oliver T. Lodge, “It is but a platitude to


say that our clear and conscious aim should always be truth, and that
no lower or meaner standard should ever be allowed to obtrude itself
before us. Our ancestors fought hard and suffered much for the
privilege of free and open inquiry, for the right of conducting
investigation untrammelled by prejudice and foregone conclusions,
and they were ready to examine into any phenomenon which
presented itself.... Fear of avowing interest or of examining into
unorthodox facts is, I venture to say, not in accordance with the
highest traditions of the scientific attitude.”—(Address as President
of the Mathematical and Physical Section of the British Association,
1891.)
See also the words of Richard Jefferies:—“Research proceeds upon
the same old lines and runs in the ancient grooves.... But there
should be no limit placed on the mind.... Most injurious of all is the
continuous circling on the same path, and it is from this that I wish
to free my mind.”—(“The Story of My Heart,” Chap. X.)

5.—“... part revealed.”

“We are still the early settlers in a beautiful world, whose


capabilities, imperfectly known as yet, wait until higher
developments of man can understand them fully, and apply the
result to the general good.”—Professor T. Rupert Jones (Address as
President of the Geological Section of the British Association, 1891).
II.

3.—“... keener conscience ...”

“C’est l’incarnation de l’idée qui se dresse tout à coup en face des


vieilles traditions obstinées et insuffisantes et elle vient ... poser sa
revendication personelle et nécessaire contre les lois jadis
excellentes, mais qui, les mœurs s’étant modifiées, apparaissent
subitement comme des injustices et des barbaries.”—A. Dumas fils
(“Les Femmes qui Tuent et les Femmes qui Votent,” p. 25).
IV.

7.—“... monitor’s still voice.”—Conf. Wordsworth;


“Taught both by what she” (Nature) “shows, and what conceals,
Never to blend our pleasure or our pride
With sorrow of the meanest thing that feels.”
(“Hart-Leap Well.”)
VI.

1.—“... prehistoric hour.”

“The preface of general history must be compiled from the


materials presented by barbarism. Happily, if we may say so, these
materials are abundant. So unequally has the species been
developed, that almost every conceivable phase of progress may be
studied, as somewhere observed and recorded. And thus the
philosopher, fenced from mistake as to the order of development, by
the inter-connection of the stages and their shadings into one
another by gentle gradations, may draw a clear and decided outline
of the course of human progress in times long antecedent to those to
which even philology can make reference.”—M’Lennan (“Primitive
Marriage,” p. 9)....
Id.... “I will confine myself to these examples, gleaned from all
parts, and which it would be easy to multiply. They amply suffice to
establish that, in primitive societies, woman, being held in very low
esteem, is absolutely reduced to the level of chattels and of domestic
animals; that she represents a booty like any other; that her master
can use and abuse her without fear. But in these bestial practices
there is nothing which approaches even distantly to marriage, and
we are not in the least warranted to call these brutal rapes
marriages.”—Letourneau (“Evolution of Marriage,” Chap. VI.).

2.—“... woman thrall ...”

“Woman was the first human being that tasted bondage. Woman
was a slave before the slave existed.”—August Bebel (“Woman,”
Chap. I.).
Id.... “From the very earliest twilight of human society, every
woman (owing to the value attached to her by man, combined with
her inferiority in muscular strength) was found in a state of bondage
to some man.”—J. S. Mill (“The Subjection of Woman,” Chap. I.).
Id.... “In every country, and in every time, woman, organically
weaker than man, has been more or less enslaved by him.”—
Letourneau (“The Evolution of Marriage,” Chap. XI.).
Id....
“It raised up the humble and fallen, gave spirit and strength to the poor,
And is freeing from slavery Woman, the slave of all ages gone by.”
—C. G. Leland (“The Return of the Gods”).

3.—“... heinous skill.”

“It is pitiful to reflect that man’s vaunted superiority over the


brute, the greater activity of his brain, and the subtler cunning of his
hand, have for so long lent themselves to the oppression that has
resulted in such pernicious consequences, and in the still existent
slavery, social and physical, of the female of his own species.”—Ben
Elmy (“Studies in Materialism,” Chap. III.).

8.—“... soulless gloom.”

Compare the following picture of the somewhat parallel condition


of a lower race at the present time:—
“Natives may well call the monkey sire Maharaja, for he is the very type and
incarnation of savage and sensual despotism. They are right, too, in making their
Hanuman red, for the old male’s face is of the dusky red you see in some elderly,
overfed human faces. Like human Maharajas, they have their tragedies and
mayhap their romances. One morning there came a monkey chieftain, weak and
limping, having evidently been worsted in a severe fight with another of his own
kind. One hand hung powerless, his face and eyes bore terrible traces of battle, and
he hirpled slowly along with a pathetic air of suffering, supporting himself on the
shoulder of a female, a wife, the only member of his clan who had remained
faithful to him after his defeat. We threw them bread and raisins, and the wounded
warrior carefully stowed the greater part away in his cheek pouch. The faithful
wife, seeing her opportunity, sprang on him, holding fast his one sound hand, and,
opening his mouth, she deftly scooped out the store of raisins. Then she sat and ate
them very calmly at a safe distance, while he mowed and chattered in impotent
rage. He knew that without her help he could not reach home, and was fain to wait
with what patience he might till the raisins were finished. It was a sad sight, but,
like more sad sights, touched with the light of comedy. This was probably her first
chance of disobedience or of self-assertion in her whole life, and I am afraid she
thoroughly enjoyed it. Then she led him away.”—J. Lockwood Kipling (“Beast and
Man in India”).
VII.

1.—“... Evolution ...”

“We now know that Nature, as an anthropomorphic being, does


not exist; that the great forces called natural are unconscious; that
their blind action results, however, in the world of life, in a choice, a
selection, a progressive evolution, or, to sum up, in the survival of the
individuals best adapted to the conditions of their existence.”—
Letourneau (“The Evolution of Marriage,” Chap. I., Part II.).
Id.... “Robert Chambers’s common-sense view of evolution as a
process of continued growing.”—Professor Patrick Geddes and J.
Arthur Thomson (“The Evolution of Sex,” p. 302).

3.—“By Art ...”

“Other implements of Palæolithic age are formed of bone and


horn. Among these are harpoon-heads, barbed on one or both sides,
awls, pins, and needles with well-formed eyes. But by far the most
noteworthy objects of this class are the fragments of bone, horn,
ivory, and stone, which exhibit outlined and even shaded sketches of
various animals. These engravings have been made with a sharp-
pointed implement, and are often wonderfully characteristic
representations of the creatures they pourtray. The figures are
sometimes single, in other cases they are drawn in groups. We find
representations of a fish, a seal, an ibex, the red-deer, the great Irish
elk or deer, the bison, the horse, the cave-bear, the reindeer, and the
mammoth or woolly elephant. Besides engravings, we meet also with
sculptures.... It is impossible to say to what use all these objects were
put. Some of them may have been handles for knives, while others
are mere fragments, and only vague guesses can be made as to the
nature of the original implements. It is highly probable, however,
that many of these works of art may have been designed simply as
such, for the pleasure and amusement of the draughtsman and his
fellows.”—James Geikie (“Prehistoric Europe,” Chap. II.).
Id.... The culture or appreciation of Art is of itself evidence of a
higher nature in man; “a soul, a psyche, a something which aspires,”
as Richard Jefferies calls it. For though the professional pursuit of
Art may be occasionally not unmingled with mercenary motives, or
with the pourtrayal of incentives to lower desire, yet the ultimate
appeal of every truly beautiful picture or object of Art is, at any rate,
not to man’s mercenary or meaner nature. As Jefferies again says,
“The ascetics are the only persons who are impure. The soul is the
higher even by gazing on beauty.”—(“The Story of My Heart,” Chap.
VII.)

7.—“... the soul ...”

“The mind of man is infinite. Beyond this, man has a soul. I do not
use this word in the common-sense which circumstances have given
to it. I use it as the only term to express that inner consciousness
which aspires.”—Richard Jefferies (“The Story of My Heart,” Chap.
IX.).

8.—“... from lower flush of lust.”

“The fact to be insisted upon is this, that the vague sexual


attraction of the lowest organisms has been evolved into a definite
reproductive impulse, into a desire often predominating over even
that of self-preservation; that this, again, enhanced by more and
more subtle additions, passes by a gentle gradient into the love of the
highest animals, and of the average human individual.”—Geddes and
Thomson (“Evolution of Sex,” p. 267).
VIII.

5, 6.—“The voice erst roused by hunger or by rage,


Now tells the nobler passions of the age.”

“The impassioned orator, bard, or musician, when, with his varied


tones and cadences, he excites the strongest emotions in his hearers,
little suspects that he uses the same means by which, at an extremely
remote period, his half-human ancestors aroused each other’s ardent
passions during their mutual courtship and rivalry.”—Darwin (“The
Descent of Man,” Chap. XIX.).

7.—“... with love’s language is uplifted love.”

Language is thought, we are told; so also is love. And thus the


reciprocal and cumulative action of love, thought, and language
stands a corollary to Max Müller’s words:—“Language and thought
are inseparable. Words without thought are dead sounds; thoughts
without words are nothing. To think is to speak low; to speak is to
think aloud. The word is the thought incarnate.”—(“Science of
Language,” Lect. IX.)
Id.... “Even the rude Australian girl (aborigine) sings in a strain of
romantic affliction:
‘I shall never see my darling again.’”

—Westermarck (“History of Human Marriage,” p. 503).


Id.... “And again, another benefit accrues to the race from
marriages of affection. Do not your ancient epics which sing of love
sing also of noble deeds and acts of heroism on the part both of men
and women, actuated by a pure affection for each other? Alike in
your dramas and in those of Shakespeare, and of all great writers,
love is the great motive power which impels to deeds of prowess, the
spring of noble actions, of unselfish devotion, of words and thoughts
which have enriched all later generations, the one sentiment which

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