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Introduction : Les mots pour le dire (une mise au point préalable sur les
concepts)
On a longtemps parlé de « révolution industrielle » pour désigner le
processus à l’œuvre en Europe occidentale, et d’abord au Royaume Uni, à
partir des années 1760-1770. Aujourd’hui ce concept fait problème. Pour
quelles raisons ?
Le terme de révolution est transposé du vocabulaire politique. Il exprime
l’idée d’une rupture majeure, décisive, d’un changement brusque et
rapide. À ce titre, l’usage du terme de « révolution » paraît donc impropre
pour désigner les phénomènes qui se déroulent à partir du milieu du XVIIIe
siècle. En effet, ce que l’on appelle traditionnellement la « révolution
industrielle » relève plutôt d’un processus continu dans le temps, un
processus de changement en chaîne, avec des phases d’accélération, puis
de ralentissement.
Dans les années 1970-1980, on préférait donc parler de « croissance
industrielle », pour marquer le caractère durable (et surtout pas soudain
et fugace) du phénomène. En effet, le mouvement industriel, une fois
lancé, n’a pas cessé depuis le milieu du XVIIIe siècle, même s’il n’est, bien
sûr, pas homogène (certains secteurs, certaines branches, progressent
plus vite que d’autres, et des inégalités apparaissent donc).
Aujourd’hui, on préfère utiliser une expression encore plus nuancée et
l’on parle donc de « mutations économiques et sociales ». Qu’est-ce
que cela change ?
1. On souligne ainsi que les évolutions économiques n’ont pas
concerné que la seule industrie (et pour cause, les différents
secteurs interagissant, puisque l’économie peut être conçue comme
un système). Il paraît évident que les innovations technologiques
n’ont pas concerné que le secteur secondaire : la mécanisation
touche également l’agriculture et les campagnes, la hausse de la
production concerne l’extraction de la houille comme la culture du
blé.
2. On insiste sur les liens étroits qui existent entre l’économie et la
société. Dans la mesure où il n’y a, évidemment, pas d’économie
sans agents économiques, c’est-à-dire sans hommes, les évolutions
de l’économie vont avoir des conséquences sur l’organisation même
des sociétés. Par exemple, l’industrialisation générant un besoin
considérable de main-d’œuvre, les populations rurales vont être
amenées à s’installer en ville. Le phénomène d’industrialisation
s’accompagne donc, systématiquement, d’un phénomène
d’urbanisation. Ce mouvement de population a, évidemment, en
terme de destruction des liens sociaux traditionnels (déclin très net
de la puissance des propriétaires fonciers). Il en génère également
de nouveaux. On assiste à l’émergence de groupes sociaux – on
préfère cette expression à celle de « classe sociale » :
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• La proto-industrie
2. La croissance économique
• Rupture qualitative
À la base de cette accélération de la croissance, il y a un changement
radical de la manière de produire dans l’industrie : à l’outil manié par
l’homme avec son savoir-faire et son énergie musculaire se substitue peu
à peu au cours du XIXe siècle, la machine-outil, mécanisme articulé
permettant la transformation de la matière première et dont le
mouvement est amorcé par une force motrice (moulin à eau puis machine
à vapeur) qui utilise une énergie inanimée (énergie hydraulique, charbon).
À la fin du XIXe siècle, l’électricité se répand lentement comme énergie. Ce
passage au machinisme (c’est-à-dire à la production mécanisée) constitue
une révolution technique sans précédent qui définit la spécificité
fondamentale de la révolution industrielle.
L’usine moderne (appelée « fabrique » au début du XIXe siècle ou factory
ou mill en anglais) constitue aussi un nouveau type d’unité de production.
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1. La révolution cotonnière
La rupture a commencé dans le textile (précisément dans le travail du
coton). La révolution cotonnière constitue la première phase de la
Révolution industrielle entre 1770 et 1830.
• Pourquoi le coton ?
Dès la 1e moitié du 18e siècle, le secteur cotonnier se présente comme
un secteur dynamique à croissance rapide, entrainé par une demande
pressante et multiforme due à la fois aux qualités spécifiques de la fibre
de coton (faible coût de la matière première, robustesse, légèreté) et à un
phénomène de mode incontestable : c’est la « folie des indiennes » :
une vogue pour les étoffes de coton imprimées aux coloris éclatants,
d’abord importées des Indes par les grandes compagnies coloniales puis
produites en Angleterre. Cet appel du marché est un facteur de la
croissance rapide de la jeune industrie.
Rapidement des goulots d’étranglement (notamment en matière de
main d’œuvre) apparaissent : seule l’augmentation de la productivité
permet de répondre à la demande. En 1733, une première innovation
importante se produit : un artisan bricoleur, John Kay, invente la
« navette volante » (fly shuttle) qui améliore sensiblement le rendement
du métier à tisser traditionnel : pièces plus larges, vitesse d’exécution plus
rapide). Le tissage des cotonnades va prendre une croissance rapide après
1740.
• La réaction en chaîne
La percée technologique évoquée s’est produite d’abord à un stade du
processus de transformation mais vu l’interdépendance des diverses
opérations, la rupture survenue au niveau de la filature va exercer
rapidement des effets d’entrainement en amont et en aval de la
transformation du coton. Ainsi, dès la fin du 18e siècle, la mécanisation est
généralisée. Après le filage, c’est le tissage qui est l’objet d’innovation : en
1785, Edmund Cartwright, un pasteur inventif, met au point un métier à
tisser mécanique mû par la vapeur : le « power-loom ». La productivité du
tissage est également multipliée par 5.
Ainsi dans les années 1820, même si le travail manuel n’a pas
complètement disparu, l’industrie cotonnière anglaise est devenue une
industrie mécanisée d’un bout à l’autre du processus de production.
Celle-ci se concentre dans des fabriques : la grande industrie capitaliste
est née. L’industrie cotonnière se développe alors à des rythmes sans
précédents : multipliée par 30 entre 1781 et 1831. Le taux de croissance
se situe à 5% par an dans cette période avec un maximum de 6,5%. Avec
de tels taux de croissance, l’industrie cotonnière britannique monte en
puissance dans l’économie du pays : le secteur passe de 0,5 % du revenu
national en 1770 à 8% en 1812. Malgré l’importance des gains de
productivité, les effectifs employés par cette industrie sont multiplié par 4
en 50 ans (les ouvriers travaillant dans les fabriques étant de plus en plus
nombreux alors que l’emploi à domicile s’effondre).
Orientée dès le départ vers les marchés extérieurs, l’industrie cotonnière
est marquée par une forte croissance des exportations X 10 entre 1780
et 1800 (encore plus rapide que celle de la production multipliée par 3). Le
taux d’exportation (rapport exportation sur production totale) dépasse les
50 % au début du siècle et atteint les 80 % à la fin. L’industrie cotonnière
devient un secteur décisif du commerce extérieur britannique en
fournissant en 1830 la moitié des exportations du pays (1/3 vers 1870 à
cause du développement des autres secteurs industriels). La Révolution
cotonnière lance donc l’économie britannique vers la croissance
accélérée.
d’entre eux, parfois très jeunes sont utilisés au fond : en 1867, 15 % des
effectifs des mines du Nord-Pas-de-Calais sont des enfants. En effet, ils
peuvent se faufiler plus facilement dans les veines de charbon peu larges.
La situation est identique en Belgique. La présence des femmes et des
enfants dans le travail industriel est une des images classiques de la
« légende noire » du 19e siècle. Elle résulte du besoin pressant de main
d’œuvre des entreprises, de la volonté des employeurs de peser sur les
salaires (par la concurrence faite aux hommes), de la volonté de dissuader
les grèves (femmes et enfants sont moins organisés syndicalement) et
enfin du besoin d’amortir les fluctuations conjoncturelles en disposant
d’une main d’œuvre facile à licencier.
• La révolution agricole
Longtemps la révolution agricole a été considérée comme essentielle
voire nécessaire à la Révolution industrielle. L’exemple anglais a servi
l’interprétation de K Marx. Il a vu dans le mouvement des enclosures le
point de départ d’un exode rural massif. Ce mouvement touche des
paysans, plus ou moins pauvres, propriétaires ou non de leurs terres qui
émigrent vers les villes et qui constituent « l’armée de réserve » dont a
besoin l’industrie naissante. De plus l’augmentation de la productivité
agricole et de la production, libère les capitaux nécessaires à
l’investissement industriel. La production assure aussi évidemment, les
besoins en nourriture des nouvelles populations urbaines. W. Rostow, dans
Les étapes de la croissance économique, 1970, soutient aussi l’idée selon
laquelle la révolution agricole a été la condition sine qua non de la
croissance industrielle. Pour lui, l’agriculture non seulement rend possible
et même favorise la révolution démographique mais aussi elle engendre
les nouvelles industries textiles et métallurgiques en leur fournissant une
grande partie de leur capital et des entrepreneurs qui vont se lancer dans
les nouveaux secteurs clés de l’économie moderne.
Cette thèse est aujourd’hui largement contestée, ainsi que la notion
même de révolution agricole. D’abord, les mutations agricoles ne
surviennent que tardivement : 1830 en Grande-Bretagne et 1840-1850 en
France (donc après le « décollage industriel »). En outre, les enclosures ne
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• La révolution démographique
La révolution démographique est également apparue à certains comme un
élément déterminant pour expliquer la Révolution industrielle. C’est un fait
qu’il y ait une forte croissance démographique à la fin du 18 e siècle et au
début du 19e siècle : début de la transition démographique. Ainsi,
producteurs et consommateurs, plus nombreux, auraient stimulé la
mutation économique : la population double en Grande-Bretagne entre
1750 et 1800, ce qui correspond à la période de forte croissance
économique. La même coïncidence se retrouve en Allemagne et aux EU
dans les années 1840-1850, en Russie dans la période 1850-1900 pendant
laquelle la population double… Les analystes marxistes voient dans l’essor
démographique, un élément de surpopulation des campagnes qui va
fournir une main d’œuvre abondante et donc bon marché à l’industrie
naissante.
Mais le lien direct entre révolution démographique et Révolution
industrielle n’est pas si évident que les statistiques semblent le dire. Ainsi,
la Grande-Bretagne n’a pas été le pays le plus dynamique
démographiquement alors que son processus d’industrialisation a été le
plus rapide et important d’Europe. En plus les chronologies ne sont pas
toujours concordantes et on peut estimer que les deux phénomènes ont
interagi l’un sur l’autre.
• Innovations et profits
Les entrepreneurs, marchands-fabricants, ont réagi en augmentant la
production dans le cadre des structures traditionnelles (par le domestic
system). Mais rapidement, cela n’a pas suffi assez : le goulot
d’étranglement de la fin du 18e siècle va susciter une vague
d’innovations technologiques destinée à la fois à économiser la main
d’œuvre, à réduire les coûts et à satisfaire la demande par l’augmentation
de la production.
L’aiguillon du profit (qui atteint parfois des niveaux remarquables), la
pression de la demande font que les entrepreneurs ont accepté le risque
de l’innovation, de l’aventure technologique d’où sortira l’industrie
cotonnière modernisée et mécanisée. L’expérimentation et les
innovations sont désormais appliquées à une grande échelle et
provoquent à leur tour des percées technologiques en chaine, généralisant
la mécanisation.
Conclusion : se constitue ainsi une dynamique de la croissance basée sur
trois piliers : l’économie de marché, l’innovation technique et la recherche
du profit. La société entière est attirée par l’enrichissement. Plus que les
capitaux ou les prix, c’est le marché, intérieur et extérieur, avec ses
profits, ses appels, ses pressions qui devient l’élément moteur. Jean Paul
Rioux : « Pour coordonner, pour accroitre la productivité et la rentabilité
de la main d’œuvre et des capitaux, pour maitriser les mécanismes
économiques nouveaux, un pari est nécessaire, un saut dans l’inconnu.
L’accumulation des forces productives nouvelles est telle que des goulots
d’étranglement se forment. Seules les révolutions des techniques et des
transports permettront l’envol vers le profit accru du capitalisme
industriel ».
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• Un démarrage précoce
La Belgique connait un processus d’industrialisation très voisin du modèle
anglais. Il commence vers 1800-1810. La proto-industrie était déjà
présente : textile en Flandres, extraction de charbon et métal en Wallonie.
L’industrialisation est rapide puisque l’essentiel de la transformation de la
structure se réalise entre 1800 et 1850. D’après les indices pondérés (par
sa population), la Belgique apparait dès le milieu du 19e siècle à un niveau
de développement proche de celui du RU.
Elle connait une industrialisation en deux temps : une première phase
entre 1800 et 1830 voit le développement de l’industrie cotonnière en
Flandres autour de Gand (la mécanisation de la filature commence sous
l’Empire en 1805-1810) à l’initiative de pionnier comme Liévin Bauwens.
La mécanisation du tissage commence vers 1825 au prix de graves
conséquences sociales. La généralisation de la machine à vapeur date de
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• Les nuances
De simples nuances : resserrement de la chronologie, télescopage plus
prononcé des deux phases d’industrialisation, rôle moteur plus important
de l’industrie lourde par rapport au textile.
De véritables différences : l’Etat joue un rôle important dans la période
1800-1830 par sa politique protectionniste mais aussi par ses
interventions plus directes (subventions, investissements). Surtout, un rôle
essentiel revient à partir de 1825-1830, à des institutions capitalistes d’un
nouveau genre : les banques à forme de société anonymes (Société
Générale en 1822, Banque de Belgique en 1835). Elles interviennent
directement et puissamment dans l’industrialisation en investissant, en
lançant et en finançant un grand nombre d’entreprises minières,
métallurgiques, ferroviaires. Cette intervention directe du capital dans
l’industrialisation (exceptionnelle dans cette première moitié du 19e siècle)
est en fait une innovation.
• Le décollage français
Au premier abord, la France présente bien, dans les deux premiers tiers du
19e siècle, tous les signes d’une Révolution industrielle. On assiste à une
large diffusion des techniques nouvelles : apparition dès la fin du 18e
siècle de la « spinning-jenny », la 1e machine à vapeur de J Watt est
installée en 1779 à Chaillot, le 1er haut fourneau au coke au Creusot en
1785… Il n’y a jamais eu de véritable fossé technologique entre la France
et le RU et ce d’autant plus que nombreuses innovations sont d’origine
française (métier à tisser Jacquard, chaudière tubulaire de Séguin, gaz
d’éclairage de Lebon… La production est rapidement mécanisée et
concentrée (factory system comme en Angleterre).
La mutation commence dans le textile. Sous l’Empire (1800-1810),
s’amorce la mécanisation de la filature de coton : à Paris (52 filatures,
5000 ouvriers), à Rouen et en Haute-Normandie, dans la région lilloise et
en Alsace. Cette poussée d’industrialisation « à l’anglaise » gagne ensuite
l’industrie de base productrice de biens d’équipement à partir des
années 1820-1830, puis s’accélère dans la période 1845-1865 en liaison
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• Le décollage
Les conditions nécessaires au décollage économique ont été réunies dès
les années 1820-1840 mais elles n’interviennent vraiment que vers 1840-
1850 exacerbant les antagonismes entre le Nord et le Sud,
antagonismes économiques dont résultera pour partie la Guerre de
Sécession. Les travaux de R North (Economic growth of the USA) montrent
que bien avant la machine à vapeur et le chemin de fer, une économie
dynamique s’instaure aux EU. Elle est fondée sur les échanges intensifs
entre les trois grands ensembles économiques du pays : le Sud, royaume
du coton (King cotton) utilisant la main d’œuvre servile et qui alimente en
matière première la révolution cotonnière anglaise via Liverpool. Le riz de
Caroline du Sud et le tabac de Virginie, la canne à sucre de Louisiane
fournissent d’autres denrées destinées à l’exportation. L’Ouest fournit au
Sud, les ressources alimentaires dont il a besoin : blé, viande, maïs. Ces
produits transitent d’une région à l’autre grâce aux multiples bateaux à
fond plat à vapeur qui empruntent les rivières et les fleuves jusqu’au Nord-
est. Denise Artaud et André Kaspi ont montré dans leur Histoire des États-
Unis la dépendance de ces régions par rapport au Nord-Est qui connait
déjà une forte croissance économique. Les financiers de Wall Street
fournissent les crédits, procurent les assurances nécessaires pour le
transport des exportations vers l’Europe.
Cette économie d’échanges qui s’instaure entre les 3 zones, dans le cadre
d’une spécialisation régionale, va permettre au Nord-Est d’assurer son
décollage économique. Il est d’abord confronté à une forte demande de
produits manufacturés. Il bénéficie aussi de l’afflux de capitaux résultant
de son rôle d’intermédiaire. L’afflux de moyens monétaires et de
débouchés pour les produits industriels va assurer le décollage
économique du Nord-Est entre 1840 et 1850. D’autant plus que la région
jouit d’une énergie hydraulique abondante aux pieds des Appalaches. La
Nouvelle-Angleterre, la région de New-York, la Pennsylvanie connaissent
une série de bouleversements techniques qui vont améliorer la machine à
vapeur : Evans crée une machine à vapeur à haute pression, Howe la
machine à coudre (perfectionnée par Singer), Mac Cormick la
moissonneuse, Fulton le bateau à vapeur… Avant la Guerre de Sécession,
le Nord-est connait donc déjà une Révolution industrielle dont le moteur
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• Des limites
Pourtant l’essor de l’économie industrielle est freiné par la domination
politique conservatrice des planteurs du Sud, fief de l’esclavagisme. La
création en 1824 du Parti Républicain monter la volonté de la bourgeoisie
industrielle du Nord-Est de modifier les règles du jeu en s’emparant du
pouvoir politique. La Guerre de Sécession a freiné un temps
l’industrialisation mais va créer à moyen terme les conditions de la
croissance. Le National banking act de 1863 donne aux entrepreneurs une
monnaie adéquate et sûre, encourage les épargnants à déposer leur
argent dans les banques. L’érection de barrières douanières protège
l’industrie américaine de la concurrence internationale (contraires aux
principes libre-échangistes).
Les Républicains encouragent l’immigration pour disposer d’une main
d’œuvre abondante. Enfin, la volonté de peupler les nouveaux territoires à
l’Ouest (Homestead act de 1864) lance la conquête de l’Ouest qui se fait
en partie par le chemin de fer => climat stimulant pour la jeune industrie
des EU. L’extraordinaire croissance de « l’âge doré » dans le dernier tiers
du 19e siècle se déroule en parallèle à un développement industriel très
important.
2. La croissance économique
Les pays les plus anciennement industrialisés profitent moins que les
autres de la seconde industrialisation. A la fin du 19e siècle, le RU perd sa
prééminence industrielle : les entreprises hésitent à investir dans leur
modernisation. La richesse du pays va reposer désormais plus sur les
services financiers et commerciaux que sur son industrie. La France est
rapidement distancée par l’Allemagne (sauf pour l’automobile et
l’aviation).
Les années 1880 voient apparaitre de nouvelles puissances. Les États-
Unis qui continuent à accueillir des millions d’émigrés et qui disposent
d’importants gisements de pétrole sur leur territoire dominent la plupart
des secteurs innovants : automobile, aviation, chimie, matériel électrique,
cinéma. Ils deviennent la première puissance industrielle mondiale au
tournant du siècle. L’Allemagne avec son unification économique puis
politique concurrence de plus en plus le RU dans la sidérurgie, la chimie,
les constructions mécaniques ou les chantiers navals. Le Japon et la Russie
connaissent une industrialisation rapide mais sont encore des puissances
secondaires en 1914.
mauvaises récoltes étaient à l’origine des crises (flambée des prix, baisse
du revenu disponible dans l’agriculture…). Ces crises avaient des
conséquences pour l’industrie. Désormais ce sont les crises industrielles
qui rythment les difficultés de l’économie : surproduction, baisse des prix
et des profits, perte d’emplois, baisse des revenus disponibles, difficultés
dans l’agriculture… L’apparition de la crise industrielle, de type nouveau,
peut être considérée comme un symptôme de l’entrée dans l’âge
industriel.
• L’essor urbain
Très brutale en Grande-Bretagne et en Allemagne, l’urbanisation est
moins rapide en France. La ville est issue du développement de la grande
industrie ou confortée par celle-ci. Elle apparait comme le centre privilégié
du capitalisme industriel. En ville, se concentrent la production, les
hommes, les nœuds de communication, les capitaux, les services publics
et privés, les emplois tertiaires…Il en résulte une véritable explosion
urbaine qui fait éclater les limites juridiques et matérielles (remparts et
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mineurs ou de métallos.
Par la suite, vont se développer des éléments d’une protection sociale :
caisses de secours (maladie, accident) et de retraite qui offrent à leurs
adhérents une certaine sécurité du lendemain. La stabilité de l’emploi et
du salaire se double d’institutions destinées à permettre aux travailleurs
de réaliser des économies sur leurs rémunérations ou des les faire
fructifier : magasins vendant des denrées alimentaires à bas prix, cantines
à prix réduits… Les économies réalisées peuvent être placées à la caisse
d’épargne de l’entreprise qui sert un intérêt supérieur à celui pratiqué par
les banques. Cette politique est complétée par des gratifications en nature
et en argent : chauffage gratuit pour les ouvriers des houillères, secours
aux ouvriers en difficultés, primes d’ancienneté, allocations pour familles
nombreuses… La scolarisation apporte une assistance morale : l’éducation
des enfants jusqu’à 12 ans est prise ne charge par le patron (école
professionnelle). L’école remplit alors le rôle de réservoir où s’alimente et
se prépare le personnel de l’usine. Enfin, au Creusot, Schneider, veut
fournir à ses ouvriers de jolies maisons avec un jardin pour que ceux-ci
s’attachent à leur résidence. Le jardin ouvrier occupe les loisirs du
travailleur pour éviter qu’il ne fréquente le cabaret, lieu de débauche et de
propagande politique.
1. L’entreprise
Le capitalisme est une « économie d’entreprises » (François Perroux) et
c’est précisément dans la période 1780-1880 que l’entreprise capitaliste
s’impose dans les secteurs clés de la production industrielle. L’entreprise
capitaliste est privée : le capital est la propriété d’une ou de quelques
personnes distinctes des travailleurs.
• Les structures
La dimension de l’entreprise : les structures industrielles restent très
diversifiées : il y a une large résistance de l’atelier artisanal, ce qui signifie
le maintien d’un tissu de dizaine de milliers de micro-entreprises
employant 1 à 5 personnes, entreprises non capitalistes, même si elles
sont sous la domination d’un capitaliste extérieur (marchand-fabricant par
exemple). C’est un phénomène massif en France et dans une grande
partie de l’Europe (système dualiste). De l’autre côté, on voit surgir très
tôt des géants industriels développant bâtiments et installations pour
concentrer en un même lieu la main d’œuvre. On les trouve surtout dans
les industries de base, les mines (9000 travailleurs chez Wendel en 1870 à
Hayange, 12 000 chez Schneider au Creusot, 8000 chez Krupp à Essen en
Allemagne…) Mais le textile, à une échelle plus réduite possède aussi de
grands ensembles industriels (4200 travailleurs chez Dollfuss-Mieg à
Mulhouse en 1834). En France, les 6 grandes compagnies ferroviaires à
partir de 1855-1860 comptent des milliers d’employés, des centaines de
millions de francs de capital. Mais la norme de l’entreprise capitaliste
typique de cette époque est une entreprise employant quelques dizaines
ou quelques centaines d’ouvriers au mieux : l’exemple de l’industrie
cotonnière le montre : en 1833, sur un total de 1500 entreprises,
seulement 7 dépassent le millier d’ouvriers ; la moyenne nationale par
entreprises s’élève à 136 ouvriers (184 ouvriers en moyenne en 1870). En
France, les ordres de grandeur sont comparables : la moyenne des
effectifs par entreprise dans la filature sont de 230 ouvriers en Alsace, 100
dans le Nord, 80 en Normandie. Même dans la sidérurgie qui exige des
investissements plus importants, des moyens de production plus massifs,
la taille des entreprises demeure modérée jusque dans les années 1870 :
moyenne de 218 travailleurs par entreprise en Angleterre, 50 à 250
ouvriers en France.
Certes, la concentration technique et économique s’affirme dès le
début de la Révolution industrielle (passage du « domestic system » au
« factory system ») mais cette concentration reste limitée. Le mouvement
de concentration se poursuit par croissance interne : les entreprises les
plus dynamiques réinvestissent leur profit développent leurs moyens de
production en élargissant leur effectif. La concentration s’effectue aussi
horizontalement, c'est-à-dire au sein d’une branche ou d’un même stade
de production) à la suite de mouvements d’absorption-fusion de firmes.
Ainsi, dans les charbonnages se forme en 1864, la Compagnie des mines
de la Loire réunissant la majorité des mines de la région de Saint-Etienne
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2. Le marché
3. L’Etat
• La bourgeoisie d’entreprise
Charles Morazé a consacré une étude au bourgeois conquérant,
l’entrepreneur du 19e siècle. Il existe une certaine continuité entre la
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• Le prolétariat
La notion même de prolétariat est discutable car la classe ouvrière est
marquée par une grande diversité sociale. Le prolétariat est divisé en
diverses factions correspondant aux différentes branches de l’économie et
aux différents niveaux de qualification. Les niveaux de qualification et de
salaires s’ajoutent à cette division en catégories du monde ouvrier :
aristocratie ouvrière pour les artisans et les industries mécaniques,
manouvres dans l’industrie textile. La mentalité et le comportement des
ouvriers diffèrent en fonction des secteurs de travail. Composée de
groupes humains venus d’origines géographiques et sociales différentes,
la classe ouvrière est disparate. Se déplaçant facilement, souvent n’ayant
aucun lien naturel avec la région où elle travaille, l’ouvrier est « un oiseau
de passage ». Cette mobilité gêne le patronat confronté au manque de
main d’œuvre fiable. Cette mobilité résulte de la répulsion affichée par les
travailleurs pour certains métiers pénibles (exemple : la mine).
Cette extrême diversité est contrecarrée par des facteurs d’unité du
prolétariat : le travail manuel salarié, la sensibilité aux idées républicaines
et socialistes qui propage l’espoir d’un monde nouveau et meilleur. Les
mouvements sociaux (résistance aux ordres du patron, grèves…) leur
donnent conscience d’appartenir à un même monde qui s’oppose à la
classe dirigeante.