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Le développement humain : génése et perspective d‘un concept Fabrice Hatom * Diana Malpede Mettre le développement au service de l'homme et notamment des plus démunis : telle est Ia préoccupation centrale du Rapport mondial sur le développement humain 1991 publié par le PNUD [15]. Si ’approche n'est pas, vraiment nouvelle, ele marque cependant une évolution intéressante dans le discours des. grandes organisations internationales sur le développement, dominé au cours des années 1980 par des préoccupations plus strictement Gconomiques. stement structurel : Lihistoire des théories et des politiques du développement est en partic rythmée par un balancement entre deux approches. La premigre, assimilant développement et croissance du revenu monétaire, privilégie le tecours aux ‘mécanismes de marché et ouverture aux échanges internationaux. L’autre, ‘accordant plus d'importance aux dimensions non monétaires du développement (Culture, environnement, satisfaction des besoins fondamentaux...) souligne au contraire les risques de gaspillages et les déséquilibres dont serait portcur le ‘modéle libéral Rn toh tte es ommin pd di pln: Diana Meld 109 Un débat de cette nature avait de eu leu, pendant es années 1970, autour deli famee« Revoton et (encase ered sos des formes maint égards comparables, & cession des « poltques eajistement struct Feles» mines en plage mo cous des années 1986. La « Révolution verte » en débat Lanta deat der sande 140 pa i Bangae mondial et FAO, co programme visit une crssance quantitative dein production agricole des ays En développement, fondée sur Famthoration des productvtes, Hnduxtaliaation th sertcur aproalimentare et Tutlsation, de techniques dies « moderns » Inseticdes,engras chimiques, mécanisation, pus inttoducton Gespece et de Semences amelonges alge ss succts quantita, 1a « Revolution verte» ft objet de nombreuses cities ies soa caractretechnocratgue, ct absence de r8forme arate. La ‘ot les institutions existantes ne favorsdent pas une repartiion equitable de ia Fehese, le changement tecinigus aat en eft condita ampler les inggaltés {i} Ges entques,pareliement sdmisss par les organiations en charge Pgarime, ebadient au slic den mince 19704 des tesons das Ta ‘"Révoluton verte» role acery donné aun collects locales, ponte Rut infrastructures de transport et 8 'édscation nurse, et 2) ‘Cete contestation servit également de fondemeat &Telsboration dun modtle Blea développement entre sar le theme dx «Bain de basen) ragisait de garentir aux populations concerns des nivesux minima Sdenton, Hi ny tsar smn, mn nde premawre Participation sociale pratique de la démocratie de base, information sures choix Este aprche a poesia a aia de ane 97 ves onde sleipvemeat doin ation de rues tl humane focales de fgon limiter ls Gépendance vis hvis des pays Geveloppes, importance Acordéeh In dimension cnc ov eveiopoment. ‘Au début de la décennie, l'échec des approches « ditigistes » du développe- ‘ment et le tournant libéral des Economies occidentales ont eu en effet des conséquences importantes sur les politiques d'aide. Les organismes bailleurs de fonds, et notamment la Banque mondiale et le FMI, ont désormais subordonné Voctroi des financements a la miso on place de politiques dites « d'ajustement structurel » : assainissement macroéconomique, réduction des dépenses publi- ques, démantélement des monopoles et des régiementations faisant obstacle au jeu de la concurrence, privatisations, encouragements a Initiative privée et & Vinvestissement étranger, etc. Quant au niveau de Taide publique au développe- ‘ment il s'est gérement tassé, passant de 0,35 % du PIB des pays donateurs en 1980 & 0,32 % en 1989, Dans les pays en voie de développement, los budgets sociaux ont été tout particuligrement touchés par la réduction des dépenses publiques. Le niveau des, dépenses sociales (santé et éducation) par t8te a ainsi décru signfcativement centre 1979 et 1987 dans un trés grand nombre de pays d'Afrique et d’Amérique 104 —_—__ TS 1 latine. En Asie et dans les pays arabes, il a continué & croitre, mais & un rythme désormais inférieur & celui du revenu par téte [15]. En conséquence, les progr’s cenregistrés depuis Vindépendance se sont ralentis ou méme arrétés, comme dans les pays africains od Ie taux de scolarisation a cessé d'augmenter. Peutetre justifiées du strict point de vue macréconomique, les politiques «« 'ajustement » ont done eu un codt humain élevé [6], qui a conduit, au sein ‘méme de la Banque mondiale, 2 une réflexion sur leur possible inflexion (7). I agit en fait de trouver les voies d'un « ajustement a visage humain » [8], en conciliant la recherche de la croissance, Vassainissement macroéconomique, et la protection des populations vulnérables. L'émergence du concept de développement humain apparait donc comme une tentative pragmatique de récorciier, au sein d'une stratégie « globale » de développement, det approches, auto's considerées comme antagonists, et dont chacune, ‘appliquées isolénent, a montré ses limites : satisfaction ‘des besoins humains fondamentaux, d'une part ; recherche de la croissance et de Vefficacité économique, d'autre part. a Génése et définition d’un concept Sila dimension humaine du développement a’est pas un théme nouveau dans le discours des grandes organisations internationales [9], attention avait ‘cependant été jusqu’ici focalise sur la notion quelque peu réductrice de ‘ We dbvcoplomcnt de Teapot de la main eure, Tianovation sientiigus ct technique, a qual dela Mi, Ttégration des femmes. = PNUD, 1985 [13]: le développement umsin est «la maximisation du potential Bimain’ as atl soa” estonia pal Te. progiés Economique ct socal», notamment sous trois alperts educato/formaton, émploUparidpation, planation ds resources humains. Selon le PNUD, le développement humain est « un processus qui doit ‘conduire a élargissement de la gamme des possibilités qui s‘offrent & chacun », et a «une amélioration de la qualité de vie individuelle et sociale de a personne ». Cette défintion porte en elle trois conséquences. 1 faut tour d'abord élargir la notion de développement, au dela de la croissance du revenu par tte, la satisfaction des besoins humains fondamen- taux: santé, emploi, éducation, qualité de vie. Selon cette approche, la croissance économique et le développement humain, loin d'etre opposes, sont onsidérés comme complémentaires : l'une permet de dégager les ressources financiéres indispensables & la mise en ceuvre des politiques sociales, l'autre d'améliorer la qualité du facteur humain nécessaire a V'expansion économique. 1 faut ensuite donner au développement un contenu participatif et démocrati- ‘que, L’extensicn des lbertés et apprafondissement du sens de Ia responsabilité collective sont considérés comme des conditions essentielles du développement ‘humain : libérstion de initiative privée, mais aussi renforcement des Systemes de protection sociale permettent de soutenir les individus dans l'incapacité de subvenir a leurs propres besoins. I sagit enfin de prendre en compte, non seulement la satisfaction des besoins individuels immédiats, mais aussi le respect de lintérét eollectif, y compris cel des générations futures, qui ne doit pas étre compromis par une surexploitation des ressources naturelles. 106 [Bj Quel est I'état du développement humain dans le monde ? Le fossé est large, cependant, entre ces objectifs et Ia réalité actuelle. Le panorama trés complet présenté par le PNUD, a partir de plusieurs dizaines Gindicateurs sociaux et économiques, met en effet clairement en évidence Tampleur des besoins non satsfaits. Plus d'un milliard d'tres humains vivent dans une situation de total déauement ; un milliard et demi n'ont pas acces aux services de santé primaire ; un milliard ne savent ni lire ni écrire ; prés de deux africains sur trois n'ont pas acces & Yeau salubre... Quant aux dégradations ‘environnementales, elles atteignent un niveau impressionnant dans certains pays ‘comme le Costa-Rica, qui détruit chaque année prés de 7 % de sa forét. Parmi les causes de cet Stat de fait, le rapport souligne V'ampleur des ‘gaspllages ligs 8 la corruption, & la fuite des capitaux, et surtout aux dépenses militares, qui atteignent en moyenne 5,5 % du PNB des pays en développe- ment. Les Emirats Arabes Unis dépensent par exemple 2,8 fois plus pour Varmée que pour lenseignement ; Ia Syrie, 4,5 fois plus ; la Jordanie, 1,5 fois plus. Les données du PNUD permettent également de prendre une nouvelle fois la mesure de I'ampleur des inégalités entre Nord et Sud. Ainsi, les populations du Sud achétent chaque année 25 fois moins de livres, 5 fois moins de viande et de produits latiers, dépensent doaze fois moins pour leur santé que celles des pays développés. La densité médicale y est dix fois moins forte. Les pays du Sud, cependant, ne sont pas les seuls a connaitre des problémes de développement humain. Méme dans les pays du Nord (y compris, il est vrai, les ex-pays socialistes), 200 millions dindividus vivent en dessous du seuil de pauvreté. Les problémes de cohésion sociale y sont particulitrement aigus : la toxicomanie, le chOmage, la délinquance, la solitude touchent un trés grand nombre dindividus, avec une ampleur d'ailleurs trés variable selon les pays. Pour ne citer qu'un exemple, le taux d'incareération, rapporté a la population totale, ateint 0.4% aux Elate-Unis, eit dix foi plus que dams les pays nordiques ou au Japon. [gy Vers un indicateur synth du développement hum: La definition d'un instrument de mesure du développement humain a déja fait objet de plusieurs tentatives (encadré).. 107 Quelques indicateurs synthétiques de développement humain 5,14 B. Daly a catculé [17] un « index de développement humain soutenable » (SEW), tenant ‘compte non ‘seulement de la consommation ‘par téte, mais également de la reparition des ressources et de la degradation de Tenviconne= ‘meat. L’application de ost indicatcur aux Etats-Unis fait apparaite sur, 197988 ane progression netement pls lente de VISEW (+12 % a fra) gue ja sevenu pat tte = Te Science Policy Retearch Unit (SPRU) de Puniverits de Sucox a caleulé tun indicateur de « développement humain durable > [16], & partir dun ensemble Sorplee ines ae Fon peat rerouperatour de quate themes (amt, sure, autonomic, ident Le PNUD a tenté pour sa part, depuis I'an dernier, de calculer pour chaque pays un « indicateur du développement humain » (tableaux 1 et 2). Celub-ci Intégre trois critéres: le niveau du revenu, le niveau d'éducation (mesuré par le taux d'alphabétisation) et Vespérance de vie. Son analyse, complétée par celle de trois autres indicateurs (disparités de revenus, entre sexes et & Tintéricur de ensemble de la population, indicateur de liberté humaine), fait apparaitre plusieurs conclusions intéressantes, On dot tou dabord se réjouir de Vexistence d'un progrés humain significatit depuis 1970, y compris dans des pays, comme en Afrique noe, ot le PNB par t2ie a stagné ou décru. Pour de nombreux indiateurs, cart nord-sud sest réduit: espérance de vie ala naissance des populations du Sud a par exemple aticint 84 % de celle du Nord en 1990, contre seulement 67 % en 1960. ‘Lndiateur de liberté humaine (ILI) caleulé par le PNUD a également 6volué favorablement au cours dela décennic 1980 : 14 pays sur 38 stués en bas de Yéchetls de liberté humaine dans les années 1980 ont en effet fait des progres sur Ja voie dela démocratie (tableau 3). Les deux mouvements semblent ailleurs aller de pai, puisque le rapport montre existence d'une boane corslation entre les ivesux de liberté et de développement humain : les pays des plus développés sont aussi ceux od les ibertés sont les plus nombreuses Bien que le niveau du développement humain soit en général bien corrélé avec celui du revenu par téte, le rapport montre cependant I'existence d'assez fortes divergences entre ces deux indicateurs dans une vingtaine de pays (pays producteurs de pétrole, Etats-Unis). Les Etats-Unis, par exemple, qui occupent le promier rang des pays développés en matidre de revenu par t&te, rétrogradent {la 7° place selon Findicateur de développement humain, Ce déclassement se ‘comprend mieux si l'on rappelle, entre autre, que le taux de meurtres (rapporté 4 la population totale) est 7 fois plus élevé outre-Atlantique qu’en France, le 108 —— S| TABLEAU 1 Classement des pays en développement selon lindicateur de développement humain (IDH) Pairs x gle 8 fi % ie So | Bm, mm oo | 0 —_ |e ae] w fe 3 slocl | 88 eet | aise |B |e ec, | 3 a (Salam | aa e i 3 [Sie leeime | B/E lorie | 3 ® wa Ba 3 tye | | tat ae = 3 AES ener | 3 Bia tiem | & [dot ee aon | § 5 | 8 |i resp arads | 0 | 05 tte mens | 3 2/8 le Que ® 33 | 053 | Sagat te | a | asa ane 3) ee Sa 3 4 | om | Maan fe |e 233k free | 3 it eer St ee lake Sat |S “040 | Rip. cette ene 13 3 She ES 3 aise conte a 0.8 | Nega Se : 1 [ie fw |S i) eee | 2 ae $Svonm | eae a is] ie |e 1 |S aan foun | Ee ir see | 8 |e 5b | tnt 3 3 (eB ee 2 ie ame | 5 1a Te i a a _ [sta B | as [ome | a [os | Serta Suc: PUD, rappo mona er lope Mama 1. if iu wet Beeeee BueEe BeesE, taux de blessés graves dans des accidents de Ia route, 4 fois plus élevé, ot Vespérance de vie a la naissance, inférieure de trois ans'2 celle du Japon. (On notera enfin que, si la discrimination par sexe est particulitrement forte B Tamcecromg —|* E Yeatoie 1. eet de he ep es pe wom spr ode 1D, Sete PUD, pr manda ecopenen a 198 Que faire pour améliorer les choses? Le PNUD préconise une action orientée autour de trois principes fondamentaux. 4 gz Considét le développement humain comme une priorité inanciére Le rapport préconise adoption de « stratéyies nationales exhaustives », précises et chiffrées, concernant des domaines tes que les soins et lenscigne” ‘ment primaire, Passainissement, etc... Pour atteindre des objectifsréalistes en la ‘matidre, le PNUD cstime néccasaire d'y consaere: au moins 5% du PNB. Les financements nécessaires pourraient étre obtenus par deux voies. Il est d'une part proposé de limiter les dépenses improductives et les saspillages : lutte contre la fuite des capitaux et Ia corruption, réforme des entreprises publiques, réduction du poids des dettes externes et internes, mais surtout limitation des dépenses militares. Il suffiit ainsi, selon le rapport, de rEduire de 3% les dépenses militares dans les pays développés et de’ les stabiliser & Jeur niveau actuel dans les pays en développement, pour dégager les ressources nécessaires au financement d'un programme « réaliste » de dévelop- pement humain On pourrait également réaffecter les dépenses publiques en faveur du développement humain, soit par augmentation du niveau global des budgets publics si ceux-ci sont trop faibles, soit par contraction d'autres dépenses civiles. Le rapport mentionne en particulier le cas de 'Sducation, od les restrictions Dbudgétaires des années 1980 auraient surtout touché Tenseignement primaire, conduisant, dans des pays tels que I'Inde, le Pakistan, les pays arabes, ‘Afrique, 2 des distributions hautement discriminatoires de Féducation au détriment de la formation de base, [fj Mieux utiliser les moyens existants Le PNUD mentionne quatre pistes d'action en la matidre. TL s'agit tout d'abord de rechercher une combinaison optimale des dépenses publiques et privées consacrée au développement humain, les dépenses publi- ques venant en particulier remédier aux défallances du marché et encourager TTinitiative privée, Les ONG pourraient, de leur cdté, participer activement & la fourniture de services sociaux, comme au Bargla-Desh ot le comité de «développement des zones rurales assure un enseignement primaire pour un cot de 15 dollars par éleve et par an. Tl faudrait également développer les approches décentralisées et participa- tives, permettant de réduire le coat de certaines prestations. Au Malawi, par 412 SS exemple, il existe un programme d'auto-sssstance pour l'approvisionnement en cau, avec participation de la communauté a tous les stades du projet, en collaboration avec les représentants du gouvernement. ‘Trositme instrument d'action : Vaméioration de Ia gestion et la meilleure utilisation des. moyens existants. Le PNUD évogue par exemple la possiblté «utiliser plus intensivement les locaux scolares, par la pratique des doubles ou ‘uiples journées, ou encore Putilisation powible de technologies moins codteuses, ‘comme des installations de pompage « rustiques ». Enfin, le PNUD préconise une orientation priorisire des politiques vers les populations les plus démunies : priorité 3 l'approvisionnement en médicaments 4e base, principe de gratuité des services de base pour les pauvrestandis qu'une ‘contribution pourrait etre demandée aux plus riches. , Renforcer la coopération internationale Liefort de resuuctuation et defficcité doit également concerner aide internationale. Le PNUD ‘met en éviden, en ce domaine, le faible taux de Taide au deveioppement human «de base”, qui ne repeseteraiten 1980 que moins de 0,03 % du PNB de Teasemble des pays donateurs,pourcentage al convendrat Caugmente. Dans cate perspective e rapport plaid pour «une entente mondiale pour le développement hms. st pour It pax, artcuée” autour des lements Stivnnt, slabortion concerts objects humaine séalictes poor Usa 2000, Futon cordannds depenes ate (pa) cai céaton un Environnement cconomigue interationl plus favorable a" developpezent (probitmes dela dete et du protectionnsme notamment). | Trois avancées a consolider Le rapport du PNUD tient sur plusieurs points importants un discours novateur pour une organisation gouvernementale. I cherche tout d’abord 2 intégrer des dimensions sociales et politiques qui ne sont pas habituellement traitées dans ce type de littérature. Ainsi, les passages sur la corruption ou sur le poids excessif des dépenses militires sont intéressants 113 dans la mesure od ils émanent d'un organisme officiel. Plus signficatit encore est la volonté d’associer liberté et développement humain. Quel organisme interna- tional aurait os6, il y a encore quelques années, classer des Etats souverains, membres de TONU, selon le degré de liberté quils garantissent a leurs ressortissants ? Leffort systématique de recueil et d’analyse des indicateurs sociaux est également a noter. Mais c'est bien entendu la tentative de construire un «

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