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LE ROLE DES COUTUMES DANS LE DROIT DES PERSONNES * Annie ROUHBTTE Mate de Conferences agrégie @'Histotre du Droit ta Facute de Prot ef des Selences Keonomigues de Modagasear. En un temps oit s'accomplit Pceuvre de codification du Droit, il est utile d’établir et de préciser le réle que les coutumes jouent dans le Droit de Madagascar. Les coutumes, en effet, Participent dans une trés large mesure & la formation de ce Droit traditionnel que le gouvernement de ce pays entend utili- ser pour l’édification de régles juridiques uniformes et précises, applicables @ l'ensemble des citoyens Malgaches. Le rapport de synthése sur ’état des personnes présenté par M. le Ministre de la Justice le 30 janvier 1962 indiquait clairement que le Code civil de Madagascar, loin d’emprunter a des législations étrangéres, puiserait sa substance dans <« les institutions juri- diques authentiquement malgaches » (1), trouvant ainsi, grace sa conformité avec les coutumes en vigueur, la certitude de Padhésion populaire et la garantie de son application (2). (©) Contérence prononcée par Annie Rovnzrrs, au cours du Colloque du Droit Malgache, le 20 octobre 1964 (1) Bxemplaire roncoté, p. 2 ot 27, 28: v. également A. Rawaxoasoavia, ministre dela Justice de Madagascar : «Du Droit couttmier aux codes modernes malgaches ee, Penant, n° 692, 1962, p. $27-847. Plus partieullerement p. 345 (G) A Rawanoasoavinn, ep. ci, p $45, 00 I est précis que Ta codification est congue comme une rénovation, comme une adaptation des Ios et coutumes malgaches faux Imperatifs de la vie moderne. Lo Code civil n’opérera pas une révolution ar il ‘introdulra pas dans We Droit de Madagascar des dispositions empruntees & des Iegis> lations irangéres et inadaptées & ln mentalté juridique des habitants de ce pay’. arml ces codes « d'mportation«, eltons Texemple récent du Code evil ethioplen, v. HL Davin, +s sources du Code civil ethiopien», eo. it. dr. comp., n° 3, 1968, p. 497. 506, et La refonte du Gade civil dans les Etats aieains » Res, Pena, 1962, p. 362-364 Mais ce ne sera pas non plus une simple «consolidation » Sue la » consolidation » ¥, G.K, Atm, Law in the making, 6» 6d, 1858, p, 461 et set G. W. PATON, A text-book of Siuispradence, 3© 60, par D. P, Donuss, 1984, a annie nouwerre, Les coutumes présentent done un intérét primordial en tant quelles fournissent le matériau du Droit nouveau. Elles ont déja contribué & Pédification de plusieurs lois qui trouveront place dans le Livre Premier du Code civil de Madagascar consacré & la famille et aux personnes (3), c’est-a-dire & YEtre Humain envisagé comme sujet de droit et comme membre de la collectivité familiale. Précisons qu’en Droit malgache, les régimes matrimoniaux et les successions se rattachent étroite- ment notre matiére (4), au point de ne pouvoir en étre séparés comme cela se fait dans le systéme juridique francais ot le Droit des personnes est restreint le plus souvent aux régles relatives T'identification de individu (nom, domicile, état- civil) et & ses relations familiales (mariage, filiation). Quelle que soit l’étendue du Droit des personnes, !'Homme en est toujours le centre : c'est pour lui que le Droit a été fait, ainsi que le précisent les juristes romains (6), qui par ailleurs congoivent la « persona » comme P’étre humain capable d’avoir des droits (6). Faut-il rappeler qu’a Porigine le mot « persona > désignait le masque que portaient les acteurs pour amplifier leur voix ? Grace aux Romains, le mot a done perdu sa rigidité premiére pour désigner un étre vivant et, en particulier, un étre vivant en tant qu'il joue un réle sur la scéne juridique (7). Cependant, pour exprimer plus fidélement esprit de la société () V. Recueil des lois eile, t. 1: « Dispositions générales, Drolt de 18 famille», République Malgache, ministare de 1a Justice, Tananative, 1964. (@) Rapp. synthese, exemp. ronéoté, p.28.'A titre exemple: Dans certaines eoutu- mes, lorsque anion ext dioute a la suite d'un divorce prononcé aux torts de 'épouse (Cas dTadultere) ectle-c est privée de sa part des biens communs. V. B. Maoxes, ‘ssa sur les inttitations et la eoutume des Teimihety », p. 96, Bulletin de Madagascar, ‘he 89, octobre 1953; eng. cout. Betsimisaraka et Tsimihety, p. 9 : esi Ia femme ext Surprise en flagrant elit [@'adultare}, elle dott rentrer uniquement avec les biens qu'elle | apportés de'ses parents. Elle n'a pas droit aux lens aequis pat Tunion » Le rejet prive Venfant rejeté de ses droite a In succession du rejetant jexceptionnellement V'en- fant rejeté n'est exclu que de I’béritage des biens personnels du rejetant, il conserve son droit aux biens aneestraus, car, ditn, eejetant ne peut rejeter que pour lui-meme {ct non pour les Anettes, V. coutuime Betsimisaraka, eng. cout, province de Tamatave, . 21. Les effets du rejet sont Urs étendus et attelgnent Tee dercendante du releté is font cependant atténues dans quelques coutumes * Les Betsimisaraka autorisent les enfants nés avant le reet de leur pére ou de leur mére a représenter le velete la se- on du reletant (eng. cout. District de Maroantsetra,p. 4); les Bara admettent tous Tes descendants du rejté, nés avant ou aprés Ie rejet de lea pere ou mére, ala suecession du rejetant, soit de leur propre chef, soit par représentation da rejeté (eng. cout. Poste administratif @Amborompotsy, p. 9) (©) ¢Totum ius hominum cause constitutum ests, D. 1.5.2. En effet, «Sol... ratione ttentes jae ac lege vivunt », Cte, De nat. deor, 1162-184 (6) Lreselave est une persona Galus, IL187 et T1L189; rap. Sex. Bp. 47.95; v. F. Sena, Classical Homan Law (Oxfort, 1954) nv 121, p. 71; B. BioNDY, Dirilo romano (Bologna, 1957), ne 85, p. 259; M. Kasten, Das Rom. Privatrectt, 1 (MOnchen, 1958) § 84-1, p. 294 (2) Sur Is Rotlon de « persona + en droit romain, nous nous bornons & renvayer & Dont, Ve Persona, in. Realenzyklopddie de Pavty et Wissows, XIX 1. col. 140-1042 eta Benozn, Enep. Dist, V° Persona, p. 628, 1 nOLE DRS COUTUMRS DANS LE DNOTT DES PERSONNES 33 malgache, il conviendrait peut-ére de retenir aux sources de Ja notion de personne juridique, un autre sens du mot « per- sonne >. On a avancé l'hypothése (8) que le sens originaire du latin « persona » serait celui de reproduction, ou d’image, du visage du mort, sens dérivé de ’étrusque « phersu ». On pense alors au masque des ancétres que l'on produisait solennelle- ment & Rome au cours des enterrements, pour attester 1a no- blesse de leurs descendants défunts (9). Quoi qu’il faille penser, du point de vue linguistique, de cette etymologie et de cette signification du terme romain (10), il nous parait qu’en attri- buant ce sens au mot ¢ personne > pour exprimer non pas une notion générique valable en tous les temps et sous tous les cieux, mais, spécifiquement, une réalité juridique malgache, on rend parfaitement compte d’un aspect fondamental de la civilisation de la grande Ile. Le terme « personne », en droit malgache, marquerait alors le passage de la mort a la vie, & Tinverse du cours normal de Pexistence humaine, comme si Pesprit des ancétres demeurait toujours vivant dans la personne de leurs descendants, inspirant aux générations successives le respect des traditions et des coutumes ancestrales. Le respect des ancétres commande aux individus de se conformer aux ré- gles traditionnellement formées pour assurer le maintien de la collectivité, la cohésion du groupe. C'est une constatation qui permet d’établir loriginalité de la coutume malgache qui, par ailleurs, correspond & la définition la plus générale de la cou- tume. Sans entrer dans les détails de lélaboration historique de 1a notion de coutume, limitons-nous & la définition de la doctrine moderne francaise (11), établie & partir des résultats d'une lon- (8) F. Manor p. 8B ets (8) V. E-Counsaup, Ve Imago, « Droit romain», In Dictionnaire des antiquilés de Dansuatna et Sacito, THI, 1, p. 402-415, sp. p. 412-413 ;E. Cvg, Ve Funas, «Rome», {dy IT, 2, p. 1386.01, la p. 1390. (ay Ennovr et Metter, Diet. efym. dela langue latine, Ve Persona, ne reconnaissent dime pas ce sens & Fétrusque phersu {rapp. v. BLuwentuat, Ve Persona, in Realenzy- Hopadt, tc. ity col, 1098-1040, Du pofnt de vue juridique, F. bg Mannino, Ve Persona, * Diritto romano » in Nuovo Digesto Waliano, TX, p. 929, note 1, rapporte simplement Propinion de Manor sans se prononcer (it) V. tes plus récents mantels de Droit civil, Marry et Ravxaup, I, n° 114, p. 180-191; Cannonsiem, I, n* 5, p-12 et n° 5, p. 20-21. Sur la notion de coutume, notamment, parm les ouveages le plus facilement accessibles [Dun point de vue soctologique, A. Coviniten, «Manuel de soctologie p. 381-286. ‘I, Du potnt de vue de ia sociologie juridique, H. Levy-Bunt, + Les sourees du dolt + in Aspects sociotogiques du droit (Paris, M. Rividee, 1955) p. 47-85 (Feprodult de Année Snclologique, 1959) ld Sociologie du droit (Paris, P.U-F., 1061), p. 40-55 ; J, CARBON Nien, Theorle setologique dee sourees du droit (cours de’ doctorat, Pars, 1890-1961); Tn «La gentse de Vobligatoire dans apparition de a coutume sin Annales de ’Univer~ Elementi religisi nel dritto romano anticor, Archivio giaridico, 1983. 497,

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