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Premier des opéras? C'est bien ainsi que L'Orfeo de Monteverdi est généralement présenté. Car les esprits ordonnés veulent & tout un début, sinon une fin. La date de représentation, 1607, tend & conforter lesprit: début dun siécle, début dun genre, naissance d'une nouvelle &re musicale qui, malgré les difficultés de la création lyrique en cette fin du XXéme siécle, ne semble pas défunte. En énoncant cela, on sent pourtant poindre un malaise devant les piéges d'un trop bel ordonnancement: la génération spontanée existe-t-elle plus en musique qu'en biologie? Et qu’est-ce-que lopéra? Quy-c-t-il de commun entre L'Orfeo, Don Juan, Le Ring et Wozzeck? Le chant? La forme? Le drame? Rien de tout cela séparément; mais ensemble, oui. Et c'est bien en trouvant pour la premiare fois (la seule & ce point d'cbsolu?) un mode de convergence entre récit dramatique, expression méledique continue et architecture formelle, que Monteverdi, oui, le premier, a écrit un véritable opéra, Par Sophie Roughol Monteverdi, le “faiseur de neuf” Ainsi Artusi, compositeur dont rien ne passa & la postérité sinon ses fulminantes cobcles contre Monteverdi, baptisa-t-il le musicien. Que se passait-il donc qui suscite & ce point lire du chanoine? Tout simplement avénement dune nouvelle expression musicale. Passe encore que quelques intellectuels et artistes spéculent dars les cénacles florentins, en cette fin de XVIame siécle, sur les mérites respectifs de la tragédie et de la musique de la Gréce antique. Passe encore que l'un d'eux, Jacopo Peri, exact tournant du siécle, et aprés Daphné, produise une Euridice étonnante quoique parfois monotone pour les noces dHenri IV et de Marie de Nédicis, premiére tentative de dramma per musica, sinon premier opérc. Premier récit entigrement en musique, ou lieu de la succession de madrigaux indépendants jusqu'clors représentée a foccasion de ces soirées princigres. Monteverdi, quil riose méme pas désigner nommément dans ses diatribes, suit le mouvement, et Artusi s'étrangle. Contre qui? Contre un génie dexception qui seul sait unir a tradition et la modernité, se détacher des usages comme des dogmes nouveaux, et fonder ainsi une nouvelle ére. La période qui nous occupe, celle des derniéres années du XVLtme sicle et des premires années du suivant, correspond, avant les orages de la Guerre de Trente Ans, a une stabilité politique relative. Villes et cours italennes sont riches, elles ont tout loisir de se liver, hormis Rome garante de la tradition, d 'ébullition des esprits et des sens. Venise est opulente, Mantoue ne lui cede en rien, tout en surveillant jalousement Florence. La musique profane est le théaitre principal de ces joutes esthétiques. Aux cétés de la villanelle et de la canzonette, le madrigal polyphonique se dégage du carcan contrapuntique par des audaces de modulations, dlexpressions, visionncires chez Gesueldo (1560-1613), pastorales chez arenzio (1553-1599), Le chromatisme pulvérise la modalité et crée de nouveaux rapports harmoniques, le centre de gravité de la polyphonie se déplace du téror (la teneur médiévale) vers la voix supérieure, aussit3t rééquilibrée par une basse bientét "continue". Le texte poétique, fleuron de rhumanisme néo-antique, détermine désormais par sa prosodie la structure méme de la mélodie, et impose par sa présence, la nécessité de lintelligibilité du discours musical, souvent tenté par 'homophorie, Certes, le contrepoint traditionnel regne encore en maitre dans la musique religieuse. Mais regardons les dates: & Rome, Lassus et Palestrina meurent en 1594, a Verise, Willaer* a disparu depuis longtemps (1562) et Zorlino, en 1590. Or, a Mantoue, Monteverdi a publié en 1592 son Troisitme Livre de Madrigaux. Et dans les tribunes de Saint-Marc, Gobrieli enivre les auditeurs des fastes d'une facture instrumentcle en plein essor. Laliberté de Monteverdi face & ces remous esthétiques est fascinante, Musicien & la cour de Mantoue, il sutt son mattre dans ses campegnes européennes. Nourri cu lait du vieux contrepoint franco-flamand, attentif aux spéculations théoriques des florentins sur le recitar cantando, marqué par le souci de simplicité de son maitre Ingegnieri, contemporain de la naissance @ Rome du drame musical sacré, oratorio (avec La ragpresentazione di anima e di corpo de Cavalieri en 1600), Monteverdi prend aussi connaissance des travaux de Académie de Beit et de la musique mesurée & antique. Dans le Quatriéme, et surtout le Cinguiéme Livre de madrigaux, Monteverdi multiple les audaces chromatiques et harmoniques, et soriente ouvertement vers la basse continue. Il assure en méme temps la nécessaire caution théorique @ ces hardiesses, dans la préface du Cinguiéme Livre, puis dans celle des Scherzi Musicali de 1607, sous la plume de son frére, 1607, tannée de HOrfeo, Le génie de Morteverdi est de reprendre & son compte tous les moyens expressifs de la tradition et de lanouveauté, de les organiser dars une cohérence au seul service de la logique dramatique, leur confrontation permanente créant un irrésistible sentiment de justesse et d'audace. Chaque élément asa place, cu moment nécessaire pour lexpression la plus naturelle possible des turbulences de l'ame, uisqu Orfeo consacre la reconnaissence de la primauté de lindividu face ou mande entier, fut-il celui des dieux...ou des chanoines. Le choix d'Orphée Orphée est bien utile aux révolutions dramatico-musicales : Peri, Monteverdi, Glick ..Offenbach? Audela de la boutade, comment s'étonner de cette pérennité, puisque Orphée cristallise Fessence méme de lopéra: le podme et le chant, le divin et thumain, la force et le doute, le bonheur et le désespoir cbsolu parcourent le mmythe du demi-dieu (puisque fils d’Apollon) affrontant les Enfers afin de retrouver son épcuse perdue. Orphée est lopéra, Centre des réflexions néo-plateniciennes des humanistes du XVéme et du XVIéme sigcles, Orphée cristollise leur volonté de concilier la pensée grecque et la théolagie chrétienne: de Académie de Florence et de Morsile Ficin, chanteur orphique, & son éléve Ange Politien (auteur de la premiére traduction thédtrale du mythe, La Favola di Orfeo, représentée & Mantoue en 1480 avec des parties musicales), le lien avec L'Orfeo de Monteverdi, oeuvre elle-méme créée devant les membres de Academia degli Invaghiti & Mantoue, est direct, Le 6 octobre 1600, aprés avoir assisté en compagnie de son maftre de chapelle, cu palais Pitti, cux noces Henri IV et de Catherine de Médicis, et & la représentation de tEuridice de Jacopo Peri, sur un livret de Rinuccini, le duc de Mantoue ne peut que relever le défi des Florentins. II confie latiche & Monteve présent @ la Cour des Sonzague depuis dix ans déja, et bien entendu sur le méme sujet. L' Eurydice a pali de la comparaison avec son glorieux successeur. Mais il faut rendre & Peri la paternité de la premiére +ronsposition du parlar cantando dans un drame entiérement chanté, soit par des solistes, soit par des cheeurs, la musique épousant le rythme de la parole, Mais on a pu dire que Peri tllustre le drame, alors que Monteverdi le recrée". Le texte conserve la prééminence sur une musique qui ne perticipe pos directement cu

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