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SS1 C18

(Considération sur ce que l’on a vu. Configuration de l’usure, et domicile des chevaliers de
l’industrie.)

-14 décembre 1842-

-1- Avant que nous nous approchions de cette autre vallée, Je veux répondre
brièvement à une autre question que vous m'avez adressée, à savoir: Vous voudriez savoir si ce que
vous avez vu est justement l'Enfer.
-2- Je ne peux vous dire à ce sujet, ni oui, ni non, mais bien seulement que ce que
vous avez vu est de nature infernale, mais n'est pas le véritable Enfer, car ce que l'on montre ici est
une vision isolée du vice.
-3- Là où vous avez vu les êtres les plus consumés et les plus détruits, le vice-
même est aussi plus consumé. Par contre, là où vous avez aperçu des figurations encore complètes
et charnellement actives, là la force du vice, provenant des désirs mauvais, avec la faculté active de
pécher, n'entend pas diminuer.
-4- La même chose se manifeste sur la Terre, là où les hommes s'abandonnent à
toutes sortes de péchés, réduisant leur nature physique à un état désastreux et impuissant, et en
raison de l'esclavage de la luxure, pour s'exciter, usent d'excitants artificiels.
-5- Tandis qu'ici, ces êtres qui vivent près du fleuve, malgré tout, de temps en
temps, permettent que monte en eux une pensée qui montre la caducité de tous ces plaisirs.
-6- Par contre, dans le fond de la vallée, vous avez vu ceux en qui la force du
désir est encore plus en accord avec la force active du vice.
-7- De ce qui a été dit à présent, vous pouvez déduire que ce que vous avez vu
n'est qu'une image infernale du péché et du vice, et cette connaissance, pour s'engager ensuite, dans
la vallée contiguë à celle que nous avons déjà montrée.
-8- Comme vous voyez, cette vallée est séparée de celle déjà connue de vous, par
un mamelon montueux assez sale. Il suffit que nous le franchissions, et nous verrons aussitôt
comment se présente l’autre vallée.
-9- Vous voulez, et vous voyez, nous sommes déjà sur la crête du mont. Regardez
là-bas le nouveau village; comment vous plaît-il ?
-10- Vous dites: " De loin, il parait avoir un meilleur aspect que le précédent,
seulement le fait qu'il se trouve plus vers l'occident, ne nous permet pas de nous attendre à quelque
chose de bon. "Certes, vous avez raison, et il en sera aussi ainsi.
-11- Vous me demandez en outre, pourquoi ces édifices sont plus grands, et dans
leur ensemble, ont un aspect plus respectable que ceux du village précédent ? Et je vous dis:
-12- Allons en bas dans le village, et vous trouverez aussitôt la réponse à votre
question. Donc, nous sommes déjà devant la première maison.
-13- Vous voyez, elle a un mur arrondi et en saillie, teinté d'une couleur d'un blanc
sale; mais, ni fenêtre, ni entrée de ce côté avant. Vous demandez: " Et pourquoi donc ?"
-14- Parce que ce côté de la maison est tourné vers l'Orient, et cela constitue une
horreur pour les habitants de ce village. En suite de quoi, nous devons nous déplacer vers l'arrière
de l'édifice, lequel se trouve un peu sur la pente du mont, si nous voulons découvrir ce qui règne là-
dedans.
-15- Voilà, ici, il y a déjà une fenêtre spacieuse; regardez à l'intérieur, et dites-moi
ce que vous voyez. Même ici, vous êtes là à reculer d'effroi.
-16- Stupéfaits, vous dites: "Pour l'Amour de Dieu, c'est inouï, inhumain et
inconcevable !"Dans le fond est assis sur une large stalle, un véritable monstre humain.
-17- Il a une grosseur surhumaine, au point qu'il occupe plus de la moitié de la
pièce, et un ventre pendant de façon repoussante. Le cou est entouré par de sales coussinets de
graisse, comme suspendus l'un sur l'autre.
-18- Devant lui il y a un grand nombre d'hommes, maigres au point de sembler des
squelettes vivants, et ils s'entassent autour de cette horrible panse adipeuse, suscitant le dégoût, afin
que le monstre s'apitoie sur eux, et daigne les dévorer.
-19- Réellement, cet être monstrueux a déjà devant lui des squelettes humains
complètement décharnés. Ensuite plus en arrière, il y en a quelques-uns qui maudissent le monstre,
et dans leur furie, ils voudraient se jeter sur lui, mais ils en sont empêchés par ceux à qui le monstre
a promis de dévorer aussi un peu de leur chair, pour la muter ensuite en graisse du monstre.
-20- Il est naturel que vous demandiez: " Que peut donc signifier cette étrange et
horrible image ?" Mais moi, chers frères et amis, je suis contraint de vous dire, si vous ne saisissez
pas et ne comprenez pas cela au premier regard, que cela veut dire que vous sur la Terre vous n'avez
rien appris du tout, en conséquence de votre complet aveuglement.
-21- Ceci n'est qu'un excellent portrait d'un usurier ou d'un magnat et grand
chevalier de l'industrie, qui s'est fixé comme but de sa vie d'accaparer tout ce qui, d'une façon ou
d'une autre, lui rapporte des intérêts.
-22- Êtes-vous capables d'établir la limite où un tel usurier ou un magnat de
l'industrie se déclare finalement rassasié ? Son avidité de gain ne va-t-elle pas à l'infini ?
-23- Serait-il peut-être tenaillé même seulement un peu par le remords s'il lui était
possible d'arracher à lui les trésors et les richesses du monde entier ?
-24- Répandrait-il une larme s'il pouvait dévorer, en l'attirant à lui, la vie de toutes
les veuves et de tous les orphelins de la Terre ?
-25- Moi Je vous dis: Hélas, les pauvres courent encore en troupes à lui et lui
sacrifient toute leur vie et leurs forces; pour un vil salaire, ils sont contraints par lui à se faire
écorcher et dévorer presque complètement.
-26- Il y en a d'autres qui lui apportent leurs quelques trésors; et ils s'estiment
heureux dès lors qu'il les accepte, seulement contre un taux d'intérêt mesquin.
-27- Et même, beaucoup de trompés vont si loin qu'ils considèrent littéralement
comme une nécessité qu'en l'état des choses, ils aient dû être trompés par lui, sans sa faute.
-28- D'autres, tout aussi avides que lui, cependant des *pauvres diables*,
humainement moins rusés, voyant sa scélératesse, le menacent de destruction et de mort.
-29- Cependant, ceux qui sont liés d'intérêts avec le magnat, empêchent que la
mort ne vienne le détruire, afin de ne pas y perdre leurs gains.
-30- Donc, que dites-vous à présent, au sujet de cette image ? Ne montre-t-elle pas
cet horrible péché, en le plaçant à découvert, tel qu'il est effectivement ?
-31- Mais ce n'est qu'un débonnaire commencement; rendons-nous maintenant à la
maison la plus voisine, qui est quelque peu plus grande, et observons-en le contenu, et vous verrez
que, comme je l'ai dit, les choses changeront d'aspect !
-32- Nous y voici, nous sommes déjà à la bonne fenêtre; seulement, il faut que
vous aiguisiez votre vue, puisque, la maison étant plus grande, et ayant sur l'arrière seulement deux
fenêtres plus petites et sales, l'intérieur se présente quelque peu sombre.
-33- Donc, avez-vous déjà aperçu ce qui s'y trouve ? Voilà que pour réponse, vous
tremblez au contraire; c'est déjà un indice certain que vous avez aperçu ce qui est suffisant.
-34- Mais vous vous trouvez empêchés de parler et je vous crois volontiers, car de
semblables spectacles font tressaillir même nous, esprits forts, et celui-là en particulier pour le motif
que de tels faits, justement maintenant, se multiplient et deviennent même plus grandioses.
-35- Mais je vois que, dans ce cas, il sera nécessaire d'exposer ce que vous avez
vu, étant donné que vous, pour une telle image, vous ne trouveriez pas si facilement les mots
appropriés.
-36- Vous avez ici aussi, vers le fond, un être horriblement engraissé; il a un ventre
épouvantablement saillant. Dans sa face s'ouvre une gueule grande comme celle d'une hyène; ses
bras ont la forme de très forts serpents géants; et ses pieds sont semblables à ceux d'un ours.
-37- Sur son énorme panse est dressé une sorte d'autel, et dans le milieu de celui-ci
est enfilée une broche à deux tranchants, avec la pointe tournée vers le haut. Sur cette broche sont
enfilés des êtres très maigres.
-38- L'un des bras en forme de serpent est continuellement occupé à enlever de la
broche les enfilés, et à les porter à la bouche du goulu.
-39- L'autre bras par contre tourne de tous les côtés, à la chasse de l'un ou de
l'autre des malheureux, confinés malheureusement en cet épouvantable local; et le premier qu'il
attrape, il le saisit, l'écrase, et le flanque sur la broche qui est sur l'autel.
-40- Les hautes lamentations des malheureux rendent encore plus actif son bras.
Voilà, ceci est l'image que vous avez vue. Que vous en semble? Vous dites: " L'impression est tout
simplement épouvantable et horrible !" Et vous ajoutez:
-41- " Mais c'est une exagération. Il est vrai que sur la Terre, les choses vont très
mal, mais en ce qui concerne cette image, il semble toutefois qu'il y ait une forte exaltation !
-42- Mais je vous dis: Ici, il n'y a rien de trop, ni trop peu; Mais bien plutôt en tout
temps, seulement que la vérité nue. Arrêtez un peu votre attention sur certains héros du commerce et
de l'industrie de la Terre, prenez une règle et mesurez la gueule de la cupidité.
-43- Puis examinez leurs bras, la forme qu'ils ont, et vous constaterez s'ils ne sont
pas parfaitement identiques à cette image.
-44- L'un est occupé à accumuler et à mettre tout de côté; l'autre à piller par tous
les chemins, avec méchanceté, ruse et violence.
-45- Généralement, quand il s'est emparé d'une proie, celle-ci est enfilée sur la
broche, comme une offrande de la cupidité sur l'autel.
-46- Mais vous demandez: " Et pourquoi cet autel se trouve-t-il justement sur la
panse de ce monstre ?"- Voyez-vous, le ventre signifie le collecteur de la plus sale espèce d'avidité
ou de cupidité; égoïsme et amour de soi-même.
-47- Le ventre volumineux indique combien ce genre d'amour est démesuré; et
l'autel sur celui-ci indique ensuite l'honorabilité mondaine et la supériorité, et, en conséquence,
quelle race de présomptueux et d'orgueilleux sont ces sublimes honorables chevaliers de l'industrie
et du commerce !
-48- La broche à deux tranchants dressée sur l'autel, ceci, vous pouvez le déduire
de vous-mêmes, au premier regard. N'avez-vous encore jamais entendu parler du droit commercial
ou de change ? Voilà, c'est ce qui se trouve sur l'autel !
-49- C'est pourquoi, il suffit qu'un pauvre diable se laisse prendre dans la trappe, et
il est aussitôt saisi et broyé sans rémission; enfilé dans le droit, et avec ce droit, transpercé à mort.
-50- Vous demandez encore: " Et qui sont alors ces malheureux qui, si
diligemment, sont attrapés ? Et pourquoi la broche à deux tranchants ?" Les malheureux sont toutes
sortes d'hommes; à savoir, pour une partie, ceux qui étant les plus proches de ce qu'on appelle
l'engrenage, sont aussi les plus exposés, ce sont les petits commerçants.
-51- Une autre partie est composée de ceux qui, poussés par le besoin, doivent
céder leurs produits aux grands spéculateurs. Une troisième partie est formée de pauvres gens
étrangers qui, d'une façon ou d'une autre, sont en relation avec cette entreprise. Une quatrième
partie est composée d'hommes désireux de faire quelques acquisitions. Une cinquième partie, ce
sont les associés d'affaires qui demeurent ailleurs.
-52- Une sixième partie, ce sont ceux qui dépendent de l'entreprise de classe
supérieure; et la septième espèce, ce sont ceux de la classe inférieure et la plus tourmentée.
-53- Pour toutes classes, la broche à deux tranchants est toujours prête. Cependant,
nous aurions oublié quelle est la signification du double tranchant.
-54- Même cela on devrait le saisir du premier coup: L'un des tranchants signifie la
politique commerciale. L'autre tranchant: le droit de cette politique, avec lequel il est accordé
d'embrasser toute branche de son activité, de façon à pouvoir en retirer le plus flatteur intérêt
usuraire. Comprenez-vous cela ?
-55- Si vous ne comprenez pas à fond, consultez les dispositions en vigueur, et
dites-moi où cela se trouve prescrit légalement; et quel est le gain qui revient à la classe
commerciale.
-56- Voici pourquoi la broche taille des deux côtés:d'un côté, par la politique
commerciale bien connue, et de l'autre par la cupidité illimitée; et ces deux côtés tranchants sont
étroitement liées avec le droit commercial, comme les deux tranchants sur une épée.
-57- Voyez-vous à présent si cette image correspond bien aux faits ? Elle montre, comme j'eus à
vous le dire, ni plus ni moins que la vérité nue.
-58- Maintenant vous dites: "L'image est juste, cependant cela ne nous laisse pas
de doutes que des choses semblables appartiennent à l'Enfer!" Dans le fond, vous n'avez pas tous les
torts; toutefois, tout reste fermement sur ce qui a été dit.
-59- En effet, cette image illustre seulement le péché en lui-même, sans tenir
compte des personnes qui réellement le commettent.
-60- C'est pourquoi cette représentation est certes de nature infernale, cependant ce
n'est pas l'Enfer dans sa réalité. En effet, s'il vous était donné d'apercevoir cela dans le véritable
Enfer, déjà au premier regard, l'impression que vous en retireriez serait bien différente de celle par
vous éprouvée dans la pleine et totale proximité d'une telle image du péché.
-61- Vous voyez, il y a encore un grand nombre de ces choses, en ce ravin
crasseux. Mais étant donné qu'en lui le péché de la cupidité y est représenté toujours plus
intérieurement, et donc de manière inexprimablement toujours plus horrifiante, vous ne pourriez
plus supporter un autre spectacle de ce genre.
-62- C'est pourquoi, limitons -nous aux deux maisons déjà vues; parce que, quand
ce péché passe dans la sphère de la brûlante jalousie, éveillée par la cupidité, alors aussitôt cela
devient aussi complètement et purement infernal, non adapté à vos faibles yeux et à votre esprit
encore plus faible.
-63- Aussi la meilleure chose est que la prochaine fois nous nous rendions dans
une troisième vallée. Là, il nous sera donné de voir des choses tout à fait nouvelles, et donc, pour
aujourd'hui contentons-nous de ce qui a été appris.

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