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Pétition

remise par les pêcheurs de Berck


A S. M. L’IMPERATRICE
contre l’exagération des tarifs de transport
pour la marée fraîche
sur la ligne du Nord

6 mai 1864
Abbeville 1864

Le vendredi, 6 mai, on apprît dans le cours de la matinée , qu’un train spécial était annoncé
aux différentes gares de la ligne du Nord, échelonnées de Paris à Montreuil . – Comme déjà,
huit jours auparavant, le passage de l’Impératrice avait été attendu, on n’eut pas de peine à
conclure que l’Auguste Princesse, qui a revendiqué, pour elle, le portefeuille de la
bienfaisance, et qui dirige son ministère avec une sollicitude si touchante et si étendus, allait
descendre à Berck ; que, là, Sa Majesté voulait inspecter, de ses propres yeux, l’établissement
hospitalier qui y a été fondé, près de la plage, en faveur des enfants scrofuleux, sur lesquels
l’influence de l’air salin et celle des bains de mer opèrent de si merveilleux résultats.
Aussitôt les matelots, dont le pays est peuplé, improvisèrent des préparatifs de réception,
accueillirent la Noble visiteuse avec enthousiasme, et, convaincus qu’ils n’auraient jamais une
occasion plus favorable d’exposer leurs doléances, ils lui présentèrent une demande tendant à
obtenir, pour la marée fraîche, des conditions de transport moins onéreuses que celles qui ont
pesé, jusqu’alors, sur les produits de leurs pêches.

Sa Majesté l’Impératrice, avec la bonté et la grâce qui lui sont familières, reçut le placet de
ces braves marins, et, par l’organe de M. le baron de Pierre, son premier écuyer, Elle voulut
bien leur promettre que l’Empereur serait directement saisi d’une demande, qui intéressait si
vivement le sort de la population côtière, et qu’il ne tiendrait pas à Elle que satisfaction
complète fut donnée à leurs désirs.
Voici, à peu près littéralement, le texte de la pétition sur laquelle les pêcheurs de Berck
fondent leur plus grande espérance, tant pour eux que pour les autres pêcheurs du littoral,
compris entre Dunkerque et le Tréport :

Madame et bien-aimée Impératrice,

L’Empereur, votre Auguste époux, s’est donné la mission d’assurer à tous les Français la vie
à bon marché.
Résoudre ce problème, c’est garantir la paix au sein de l’Empire, c’est placer la Dynastie
impériale, au milieu des remparts le plus inexpugnables, les remparts de la reconnaissance et
de l’affection générales.
Un élément sérieux d’alimentation publique, le poisson se pêche plus abondamment que
jamais, grâce aux mesures émancipatrices qui ont commencé l’affranchissement de la pêche et
celui des pêcheurs.
Pourquoi faut-il que, avec plus de poissons dans nos filets, nous ayons plus de gêne encore
dans notre existence ? Pourquoi ?
- Les Tarifs de chemins de fer pèsent sur nous du poids le plus intolérable….Que Votre
Majesté daigne en juger :
Le transport de la marée fraîche coûte, en moyenne, par tonne et par kilomètre :
Sur les lignes anglaises 0 f. 19 C.
Sur la ligne de l’Ouest 0 f. 25
Sur la ligne du Nord 0 f. 39
Ces chiffres nous dispensent de tout commentaire.

Nous nous sommes adressés aux diverses administrations, aux divers corps délibérants pour
arriver jusqu’au pied du Tronc….Le vœu du Conseil Général de la Somme, le concours de la
Chambre de Commerce d’Abbeville (dont la dernière demande est ci-jointe), n’ont déterminé
jusqu’à ce jour aucun résultat !

Que de fois nous avons dit, en voyant la Compagnie du Nord se retrancher obstinément
derrière son cahier des charges, afin de maintenir des taxes oppressives, ruineuses même, pour
les pauvres marins ; que de foi nous avons dit : Oh ! si l’Empereur savait ! ….
Moyennant l’intermédiaire providentielle qui, dans l’intérêt de la Bienfaisance, - dont elle a
voulu être en France la douce et vénérée patronne, - fait une descente sur notre plage ; oui, par
Votre Majesté, Madame et bien-aimée Impératrice, l’Empereur saura… et, dès lors, nous
sommes sauvés.

La compagnie n’osera plus, sans doute, invoquer l’inflexibilité de ses tarifs, vis-à-vis d’un
article alimentaire, lorsque l’Empereur pourra lui opposer que, naguère, elle les a bien
descendus, de 13 c. ½ à 8 c., pour un article purement industriel (la laine brute et la laine
lavée).
En signant avec l’Angleterre et avec la Belgique des Traités de commerce, le Souverain qui
nous gouverne et qui veille principalement sur le bonheur des plus humbles sujets de
l’Empire, a augmenté notablement les produits de la ligne du Nord. (N’est-ce pas le réseau du
Nord qui attire et absorbe tout le transport de l’Angleterre, de la Belgique, de la Hollande, et
d’une portion de l’Allemagne ? N’est-ce pas lui qui voiture exclusivement le poisson d’outre-
Manche ? N’est-ce pas à lui surtout que profite l’abondance actuelle de la pêche française,
due à la modification déjà sérieuse, récemment introduite dans les vieux règlements sur la
matière ? – Or, une Compagnie qui a tant reçu de l’Empereur, ne fut-ce que par le fait des
Traités de commerce, a-t-elle moralement le droit de lui refuser une réduction de tarif sur la
marée fraîche ; réduction sans laquelle les populations si laborieuses et si dévouées de notre
littoral n’ont que la misère à prétendre, en échange de leurs fatigues, et avec la misère, issue
de leur industrie, le découragement de la mer…ce découragement qui conduirait si
directement à la diminution de notre personnel de matelots et, par conséquent, à
l’abaissement de notre puissance navale ?) ; cette ligne, par laquelle débouche notamment,
sur nos marchés, la concurrence du poisson anglais…Nul doute que, dans les hautes et vastes
conceptions de sa paternelle sollicitude, Votre Impérial époux ne découvre et n’applique le
moyen indispensable, urgent, de modifier un tarif devenu impossible ; un tarif qui, du même
coup, nuit énormément, et aux habitants de la côte, d’où part le poisson ; et aux habitants de
l’intérieur, auxquels il parviendrait, sans le veto des prix actuels de voiturage ; età la
Compagnie du Nord, elle-même, qui verrait multiplier la matière transportable, en raison
directe de l’abaissement du taux des transports.
Si nous sommes bien informés, Madame et bien-aimée Impératrice, la Commission du Corps
législatif aurait, à l’heure qu’il est, admis un amendement pour la réduction, à 25 centimes,
du tarif de la ligne du Nord ; - mais, si nous sommes bien informés, aussi, le bon vouloir si
éclairé et si tutélaire de la Commission, se trouverait en lutte avec la tenacité de la
Compagnie……et même, - ce qui nous étonnerait du reste, et nous affligerait, - avec la
résistance des Commissaires du Gouvernement.
Dans cette extrémité, il ne nous reste plus que le recours à l’Empereur, et, ce recours
manquera pas à notre confiance, puisque Votre Majesté daignera se faire notre Avocate, et
que le jeune Prince, héritier de la couronne, voudra bien l’appuyer, dans l’intérêt de nos
enfants, dont la bénédiction lui portera bonheur.
Nous avons l’honneur d’être, avec le plus profond respect,

Madame et bien-aimée Impératrice,


De Votre Majesté,
Les serviteurs très humbles et très dévoués.
(suivent les signatures).

Berck le 6 mai 1864.

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