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Texte #2 

: Une rencontre

AU CAFÉ DE LA ONZIÈME AVENUE

Le ciel pleurniche quelques larmes depuis l’aube. Au café, il n’y a que les habitués de la place :
Jacques sirotant un café trop froid, monsieur Pelletier qui – comme à l’habitude – enterre la radio
déjà trop forte pour mes oreilles encore endormies, ainsi que la dame rousse dont j’ignore le nom,
mais qui, chaque matin, me lance un regard torve à la minute où j’ouvre la porte vitrée du
commerce. Je suis assis, comme toujours, à l’une des nombreuses tables circulaires, toutes
plantées comme des carottes dans un potager. Je choisis toujours celle du coin près de la fenêtre,
la plus fertile de toutes en imagination. Je dépose mon cappuccino, branche mon ordinateur
portable et ouvre le fichier contenant la centaine de pages déjà composées.

Je dépose mes doigts sur le clavier, mais rien ne bouge. Ils ne frétillent pas comme à l’habitude. Il
y a quelque chose d’anormal au café. J’appuie mon dos sur la chaise et me dis que de prendre une
pause si hâtive n’encouragerait que la lâcheté. Malgré tout, je prends la tasse à l’aide de mes deux
mains qui captent la chaleur du liquide amer. Je concentre mon regard vers les quelques gouttes
de pluie stagnant dans la vitrine. C’est à cet instant que je remarque une ombre inhabituelle. Il y a
quelqu’un devant moi, une jeune femme, assise à l’autre extrémité de la pièce. Elle boit un latte
macchiato que je reconnais facilement dû au fait que j’aie toujours détesté ces cafés renversés.

J’examine, dans les moindres détails, la forme de son visage, sa chevelure et ses yeux qui
soudainement semblent croiser les miens. Mal à l’aise, je plonge dans ma tasse de café avant
d’entendre un timide bonjour. Je lève mon regard, surpris de l’apercevoir aussi près de moi. Sans
même avoir le temps de l’inviter à ma table, elle tire le siège et s’assoit. Je tremble et j’ai chaud.
«C’est le café?» me lance-t-elle. J’acquiesce d’un mouvement de tête, sachant très bien que
jamais un cappuccino ne m’a procuré un tel effet.

Elle reste là, silencieuse. Elle boit une gorgée, dépose sa tasse en verre sur la table et me regarde
avant de répéter cet enchaînement jusqu’à l’épuisement de son nectar. Moi, je veux disparaître.
Elle m’intimide. Je ne la connais pas, tout comme elle ne me connaît. Du moins, je crois. Rien
n’empêche qu’elle insiste à m’accompagner dans ce moment de vide créatif. Son regard est si
réconfortant que je ne peux la repousser.
Texte #2 : Une rencontre

Sa tasse vide à la main, elle se lève et se dirige au comptoir où le serveur lui lance un sourire
charmeur. Elle lui tend le verre, fait demi-tour et se dirige vers la sortie. La main sur la poignée,
elle me regarde, et regarde encore. Quelques secondes. Et elle sort.

Ce jour-là, j’ai terminé mon roman.

Guillaume Simard

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