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Vous pouvez vous reporter, pour ces questions aux ouvrages suivants :
1 Introduction
Lorsqu'il est question de réaliser une analyse, la mémoire qu'un participant (ou un observateur) peut
avoir d'une interaction est insuffisante. En effet, la mémoire agit comme un filtre, qui ne va
conserver et interpréter que ce qui correspond aux centres d'intérêt de la personne. Un
magnétophone ne fait ni sélection ni synthèse quant au verbal, il permet autant de retours en arrière
que nécessaire. En revanche, il n'enregistre pas les éléments non sonores (proxémiques, kinésiques,
visuels, olfactifs).
Cet enregistrement va devoir ensuite être transcrit. Il s'agit d'une étape essentielle. En effet, on va
passer de l'oral à l'écrit, et donc d'une inscription (celle de la parole) dans le temps, à une
inscription (celle de l'écrit) dans l'espace.
Transcrire, c'est établir, fixer le fait langagier : tout ce qui n'a pas été noté, ou mal noté fera
sens. C'est pourquoi il faut apporter grand soin à cette étape. Transcrire c'est établir un texte.
Il faut alors se situer entre deux pôles et rechercher un équilibre entre la fidélité à ce qui a été dit, et
la lisibilité de la transposition par écrit.
-Il n'est pas si facile "d'entendre" la langue parlée, car la perception est modelée par l'interprétation.
Nous choisissons l'interprétation la plus plausible, en fonction du contexte, par ex. entre
"l'impression d'un puits sans fond" ou "d'un puissant fond", "ce qu'il apprit", "ce qu'il a pris" .
Lorsqu'il devient difficile de choisir : par ex. "La patrie c'est le pays où l'on est/ où l'on naît", on a
affaire à un calembour, (ils sont le ressort de nombreuses chansons de B. Lapointe, par ex. !. Un
petit exemple, juste pour le plaisir : "ma mère dit la paix niche / la péniche, dans ce mari niais / Ma
mère dit la péniche dans ce marinier".
C'est toujours en reconstruisant ce que le locuteur a voulu dire, que nous reconstruisons plus ou
moins bien ce qu'il a dit.
-C'est pourquoi il peut arriver de faire des surinterprétations, de corriger, de faire des lapsus
d'écoute, et ce sans que l'on s'en rende compte ! Il faut alors évaluer soigneusement (transcrire
prend beaucoup de temps !) et ne pas hésiter à faire vérifier la transcription en demandant à un tiers
ce qu'il a entendu. Ceci est particulièrement important lorsque le transcripteur travaille en Français
langue étrangère.
3 conventions de transcription
Nous l'avons dit, transcrire, revient à effectuer des choix, puisque l'on ne peut (sous peine de
devenir illisible) tout transcrire. Ces choix se font en fonction des intérêts et hypothèses du
chercheur, selon ce à quoi il choisit de s'intéresser. Une transcription doit donc révéler l'intérêt de
celui qui l'a produite.
C'est pourquoi il faudra, lorsque vous effectuerez des transcriptions, présenter et justifier vos choix.
Nous proposons, à la suite de B. Gardin, d'adopter une transcription orthographique améliorée, qui
note des éléments énonciatifs signifiants tels que les silences, les ratages divers, les hésitations, les
chevauchements dans le dialogue (c.f. l'article "Le dire difficile et le devoir dire", B. Gardin, in
DRLAV, n° 39, 1988, "L'usage des mots". Je scanne et vous envoie cet article). Il parait important
d'ajouter des éléments extra-linguistiques (kinésique et proxémique) lorsqu'ils sont significatifs.
On peut éventuellement mesurer les silences avec un appareil, et s'il est nécessaire, faire figurer
cette mesure dans la transcription.
N.B. Les signes de ponctuation usuels, point et virgule ne seront pas employés, par conséquent,
dans la transcription.
= indique qu'il n'y a pas de pause entre la fin d'une réplique et le début d'une autre. les deux
répliques s'enchainent immédiatement, sans pause inter-tour.
: indique un allongement de la syllabe
:: indique un allongement plus important
(r) indique que le "r" n'est pas prononcé : ex. "lui prend(re) la main".
Chevauchement :
7) P4 ça vaut CHER' e un tableau d(e) Miss Tic main(te)nant =
M4 AUcontrAI'r(e) ,
9) P5 (en riant légèrement) OUi ça c'est r(e)latif vous allez m(e) dire
L'énoncé M4 s'est superposé à une partie de celui de P4, ce qui marque la vivacité de M à démentir
P.
(XXX) indique une séquence non transcriptible. On note autant de X que de syllabes repérables,
afin de donner une idée de la longueur du segment manquant, cela n'a pas besoin d'être très précis.
On peut enfin choisir d'indiquer des phénomènes que l'on juge significatifs, par exemple, une
liaison habituellement non réalisée, un pataquès ou au contraire une liaison habituellement réalisée
qui ne l'est pas. Il faut alors indiquer dans les conventions les signes que l'on adopte pour transcrire
ces évènements (cf. nouvelle orthographe de ce mot).
Il est également pertinent de réfléchir à la façon dont le transcripteur désigne les interlocuteurs.
Plusieurs solutions sont possibles : sigle, initiales, catégorie d’appartenance (professionnelle,
sexuelle, ethnique...), nom, surnom, ou encore mélange de ces possibilités. Ce choix a des
implications sur l’identification des participants, et par suite, sur l’interprétation que font les
lecteurs et analystes de leurs propos ou actions. (cf. L. Mondada, Cahiers de Praxématique n°39,
2002.)
3 2 Quelques conseils
-Lorsque vous effectuez une transcription, il faudra expliquer et justifier vos choix : quels sont les
signes que vous utilisez, pour quelles raisons. Il n’y a pas UN système idéal de transcription, mais
des possibilités à retenir ou non en fonction de vos objectifs.
-N'oubliez pas de numéroter les lignes ou/et les interventions, afin de citer facilement les éléments
de la transcription dans votre commentaire.
-Un grand nombre d’écoutes, au cours desquelles vous entendrez de plus en plus d’éléments est
nécessaire. Inutile de rappeler l’importance primordiale de la qualité de l’enregistrement sonore.
-Écouter et transcrire à plusieurs est une possibilité intéressante de vérifier ses perceptions et
hypothèses.
-Soignez votre travail, car il s'agit d'une étape essentielle, n'oubliez pas : une transcription est déjà
une analyse.
Introduction :
Enseigner à comprendre, c'est-à-dire à avoir accès aux informations contenues dans les textes oraux
(ou écrits) (Courtillon : 54), mais on voit dans les méthodes que les textes sont assez souvent
choisis pour faire acquérir des structures linguistiques. Or la principale motivation de
l'apprenant est d'accéder au sens le plus tôt possible, et non d'apprendre la grammaire. Il ne
faut pas l'oublier.
Dans une langue étrangère, on comprend toujours beaucoup plus de choses que ce que l'on peut
produire (c'est vrai à l'écrit comme à l'oral) ce qui ne signifie pas pour autant que les activités de
réception soient passives, bien au contraire. Construire le sens, surtout à l'oral, demande des
activités complexes : faire des hypothèses, tester ces hypothèses, les confirmer ou les infirmer, et
tout cela de façon extrêmement rapide, car l'interlocuteur vérifie rarement la compréhension, et
naturellement jamais lorsqu'il s'agit d'une émission entendue à la radio ou à la télévision.
Nous avons déjà souligné avec E. Lhote l'importance et la nécessité de s'habituer aux variations de
l'oral. Voici ce que l'on peut lire dans un article du FDM intitulé : « La radio, un trésor à exploiter
pour la compréhension orale.... » (F. Ploquin, FDM n° 335, sept-oct 2004)
« «Pour habituer l'oreiller à comprendre une langue étrangère, il est nécessaire de la frotter à la
production de multiples gosiers. Habitué à la seule diction du professeur, l'élève risque d'être
déconcerté à l'audition d'un parler différent. La seule façon dans un contexte exolingue, de s'attacher
à déchiffrer différentes façons de parler est de pratiquer l'écoute radiophonique. On y entend toutes
sortes d'accents, on est en contact avec des rythmes et des intonations, des débits différents et
l'exposition à ces variations de l'oral est excellente. »
Si vous n'avez pas accès à ce matériel ou si les activités proposées ne correspondent pas à vos
objectifs, produisez vos propres documents audio en enregistrant :
- des émissions de radio (entretiens, flashs d'informations, bulletins météorologiques, chansons,
débats culturels ou politiques, jeux radiophoniques, annonces publicitaires, etc.);
- des « documents authentiques » de la vie réelle (enregistrements des répondeurs téléphoniques,
conversations dans les cafés, annonces dans les grands magasins, les gares et les aéroports, etc.) ;
- vos propres exercices, en enregistrant si possible différents locuteurs afin de varier les accents
français et francophones. (ce point sera repris dans le cours « Diversité culturelle »)
Dans le choix du document, la thématique seule n'est pas suffisante, il faut aussi choisir en fonction
de l'objectif d'écoute, qui ne sera pas toujours des questions posées sur le texte. (on peut par
exemple faire une écoute « sensible » pour chercher des éléments tels que : « qui est pressé ?»,
« pas vraiment intéressé ? » etc.)
Les éléments visuels apportent une aide à la compréhension en donnant accès aux informations
relatives à l'aspect non-verbal de la communication. La vidéo permet également une plus grande
attention, et des progrès dans le domaine de la culture.
Donc un enregistrement audio est plus difficile à comprendre qu'un enregistrement vidéo.
Attention toutefois au fait que le vidéo peut « distraire » l'écoute. Il faut prendre soin d'orienter
celle-ci en fonction d'objectifs précis : (pour quoi (faire) détermine comment) (Cf. les différents
types d'écoute de Lhote.)
Le document doit être donné à comprendre, et non expliqué : c'est essentiel pour mettre
l'apprenant en contact avec la langue, directement. Il ne faut donc ni traduire, ni expliquer le
document d'emblée, sinon l'apprenant ne pourra pas mettre en place de stratégies de compréhension
et restera passif.
Il est important de réinvestir ou de transférer les progrès acquis en compréhension dans des tâches
effectuées en situation communicatives : listen and do, plutôt que simplement répondre à des
questions de compréhension : prendre des notes, faire un résumé, faire un jeu de rôles, un débat.
Ceci permet d'élargir progressivement les compétences langagières de l'apprenant.
On procédera par questions générales adressées au grand groupe, on fera justifier les réponses et on
veillera à obtenir le consensus, l'accord du groupe sur la validité de la réponse.
1 4 2 Il s'agit ensuite de l'inférence, stratégie fondamentale, qui consiste à deviner ce que l'on
ne sait pas à partir de ce qu'on a déjà compris.
Favoriser cette stratégie est essentiel car le fait de chercher à comprendre place l'apprenant dans une
position active pour mémoriser l'élément, contrairement à ce qui se passe quand on lui donne une
explication qu'il n'a pas demandée.
Voici, pour illustration, la façon dont un étudiant évoque la question dans son mémoire :
« Je voudrais ajouter une motivation d'ordre plus général. En fournissant d'emblée la règle de
grammaire à l'apprenant, on ne lui donne pas l'opportunité de réfléchir, de se poser des questions,
démarche heuristique pourtant indispensable. En se heurtant à une difficulté, en la traduisant par un
questionnement, l'apprenant se met en position de demande d'une réponse, position indispensable à
un accueil intéressé de la réponse. Donner une règle avant d'avoir suscité des questions relatives à
son fonctionnement revient à nourrir quelqu'un qui n'a pas faim. C'est malheureusement une
pratique trop courante dans tous les systèmes d'enseignement. »
Les stratégies de repérage d'indices et d'inférences sont naturelles chez chaque individu, mais plus
ou moins développées. On ne peut les accroitre grâce au travail de groupe, quand on échange avec
un partenaire après une première écoute
Cela rend la compréhension interactive : l'échange entre apprenants va permettre de renforcer
des certitudes, et d'émettre des hypothèses, à confirmer ou non lors de l'écoute suivante. C'est
pourquoi il faut écouter plusieurs fois un document (ou lire un texte). Le taux de compréhension
augmente beaucoup entre la 1ère et la 2ème écoute pour l'ensemble des apprenants, ensuite
graduellement. Au-delà de 4 écoute, la lassitude et le désintérêt s'installent. Il faut aussi varier les
partenaires de travail.
Ce type d'approche permet de montrer que la compréhension s'effectue par pallier, face à un texte
oral, on ne peut pas dire qu'on comprend tout ou rien, mais on doit se demander quelle quantité du
document l'on a perçu après la première, seconde, troisième etc. écoute.
La pratique accélère le processus.
1 5 1 la fréquence et l'entrainement
Des expériences ont montré que la mémoire déclarative, l'attention et la conscience sont nécessaires
en début d'apprentissage, mais qu'elle deviennent moins importantes au fur et à mesure des progrès,
car c'est la fréquence de la mise en oeuvre qui est ensuite importante.
On retrouve l'opposition entre les savoirs privilégiés par les méthodes traditionnelles (apprendre les
règles de grammaire par coeur), et les approches communicatives qui insistent sur la mise en
fonctionnement de la langue dans un objectif communicatif.
1 5 2 la répétition
Un autre stratégie de mémorisation est la répétition, pratiquée de façon naturelle par certains
étudiants. On peut faire des exercices qui l'entrainent. D'abord par les écoutes multiples qui
amorcent la mémorisation. Ensuite par des exercices qui visent à restituer des contenus, comme par
exemple le jeu de rôles.
2 Pratiques de classe
2 1 Le test du bon auditeur :
Adaptez ou utilisez tel quel le test suivant
Savez-vous écouter?
Ce test a pour but de vous aider à prendre conscience de vos attitudes afin d'améliorer votre
compréhension de la langue cible.
1) Lorsque votre interlocuteur émet une idée difficile à comprendre, vous perdez le fil de la
conversation et il vous est difficile de le retrouver.
2) Vous anticipez sur ce que va dire votre interlocuteur.
3) Vous prenez mentalement des notes pour interroger votre interlocuteur sur ce que vous n'avez pas
compris.
4) Lorsque vous écoutez la radio, vous pouvez en même temps penser à autre chose.
5) A la télévision, vous êtes distrait par l'image et vous perdez le fil de ce qui est dit.
6) Dans une conférence, vous aimez qu'on annonce le plan car cela vous aide à comprendre.
7) Vous cherchez à deviner le sens des mots inconnus en faisant des hypothèses.
8) Vous préférez la télévision ou le cinéma à la radio, car les gestes et les mimiques vous aident à
comprendre.
De la discussion qui suivra la mise en commun des réponses à ce test, on fera dégager les qualités
d'un bon auditeur :
• il est actif
• il se concentre sur ce qu'on lui dit
• il est prêt à reformuler pour vérifier qu'il a bien compris
• il cherche à anticiper sur la suite de ce qui va être dit
Ces éléments seront rappelés lors des activités d'écoute.
Biblio
Cornaire, Germain, La compréhension orale, 1999, Clé international, col. Le point sur
Tagliante, La classe de langue, 2006, Clé international, techniques et pratiques de classe.
Courtillon, Elaborer un cours de fle, 2003, Hachette fle.
La cinquième compétence
Les interactions verbales dans le CECR
«Dans les activités interactives, l'utilisateur joue alternativement le rôle du locuteur et de l'auditeur
ou destinataire avec un ou plusieurs interlocuteurs afin de construire conjointement un discours
conversationnel dont ils négocient le sens suivant un principe de coopération». (CECR, 2001: 60).
On notera que la dimension proprement interactive figure dans cette définition sous cette forme
(négociation, principe de coopération), ce qui contribue à mettre en relief le caractère co-construit
de l'échange.
Il est important de souligner que dans le CECR, l’interaction est bien considérée comme une
composante spécifique et non l'addition de deux compétences orales, de la production + de la
réception. Ce choix conduit à élargir l'ancien modèle à quatre compétences, et à créer de
nouveaux dispositifs d'enseignement apparentés mais distincts : parler en interaction (ou
interagir) ne se confond pas avec parler devant un auditoire (échange non interactif) et écouter
dans l'interaction ne se réduit pas à écouter sans interaction effective avec le locuteur. L'interaction
est donc désignée comme la 5ème compétence.
Le point de différence essentiel résidant dans le fait que les locuteurs impliqués dans une
interaction verbale en face à face exercent une influence mutuelle : selon la formule de C.
KERBRAT-ORECCHIONI : « parler, c'est échanger, et c'est changer en échangeant ». Ou, pour
le dire selon E. GOFFMAN (1973 trad. Française) : une interaction entre deux ou plusieurs
locuteurs engagés dans l'échange est un événement de communication constitué par ce jeu
d'influence des paroles et des actes sur les paroles et les actes des locuteurs.
Exemple de descripteur :
A1 : « Peut interagir de façon simple, mais la communication dépend totalement de la répétition
avec un débit plus lent, de la reformulation et des corrections... »
De plus, les descripteurs du CECR se fondent sur la perspective actionnelle : nous passons de
«parler » à « interagir oralement », c’est-à-dire, à une conception pragmatique de la rencontre
langagière. Il ne s’agit nullement ici d’un simple changement de terminologie : mais bien d’une
autre conception de cette forme de la communication. (BEACCO, 2007)
Cette nouvelle démarche didactique considère avant tout les usagers et les apprenants d’une
langue comme des acteurs sociaux ayant à accomplir des tâches dans des circonstances et un
environnement donné, à l’intérieur d’un domaine d’action particulier. Si les actes de parole se
réalisent dans des actions langagières, celles-ci s’inscrivent elles-mêmes à l’intérieur d’actions en
contexte social qui seules leur donnent leur pleine signification. (CECR, 2001: 15).
Certains pourraient rétorquer en disant que des situations dites authentiques mettent les
apprenants dans une posture d’échange avec leurs camarades et/ou avec leur professeur au sein
de la classe. Cependant, cette communication « domestique » manque d’efficacité lorsque les
étudiants de la LE sont confrontés à de « vraies » interactions authentiques qui posent des défis
de nature complètement différente de ceux en jeu dans la classe : nécessité de comprendre plus
rapidement pour « survivre », temps de réponse plus court, capacité à utiliser différentes formes
de communication (verbale, paraverbale, prosodie, etc.), mener de front l’expression et la
compréhension, etc.
Les caractéristiques des interactions sont à prendre à compte dans la mise en place d'une
progression des activités d'enseignement.
Par exemple, dans le cadre d’un échange en face à face, pour les niveaux Al et A2, on pourrait
tendre à privilégier :
- les dialogues aux conversations à 3 ou 4, parce que la prise de la parole y est moins complexe ;
- les interactions à script prévisible, qui permettent d'en prévoir le déroulement. Les interactions
de service, par exemple, le sont particulièrement.
-les interactions impliquant des interlocuteurs à statut de parité, ce qui implique moins de
surveillance verbale ;
-les interactions dont les finalités et le script présentent des équivalents connus de l'apprenant
dans sa propre communauté de communication.
Exemples d'activités : les apprenants pourront en petits groupes reconstituer des tours de parole
fournis à l’écrit et dans le désordre. Ensuite, lors de la mise en commun, ils pourront justifier et
expliquer leurs choix avant l’étape de l’écoute. Ils pourront également écouter un tour pris
isolément et deviner le contenu du tour précédent et suivant.
Autre exemple, pour le niveau B2 (utilisateur indépendant), on considère que dans une interaction
orale, l'utilisateur/apprenant pourra :
-adresser la parole à une personne inconnue (dans la rue, un magasin ou sur son lieu de travail)
-prendre la parole dans une discussion, interrompre, entrer dans une discussion
-indiquer la fin de son tour de parole
-marquer son approbation ou son désaccord
-marquer son attention à la parole de l'autre (régulateur, feed back)
-adapter son intervention en fonction du degré de formalité
-faire répéter ou gloser ce qu'il n'a pas compris (en particulier au niveau lexique)
-demander des précisions ou explications
-utiliser et interpréter certains gestes, mimiques
Ces stratégies s'enseignent en tant que telles à partir d'exercices
1) Compétence pragmatique :
-Qui sont les protagonistes de l'action ? Quelle part y prennent-ils ? Que veulent-ils faire ?
-Comment nommer les actions, et quel sont les actes de paroles auxquels elle donne lieu ?
Nous complétons la grille avec les éléments issus de la terminologie de notre cours et l'expérience
de l'analyse d'interactions authentiques.
2) Compétence interactionnelle :
-Cadre participatif : participants (ratifiés ou non), format de réception, statut des locuteurs, type
de relation (égalitaire ou asymétrique), Lieu : public, privé, disposition spatiale, proxémique
-Buts des participants, y-a-t-il plusieurs niveaux de buts (institutionnels, réels, affichés,
dissimulés...)
-Thèmes : traces lexicales du sujet dont on parle (quel est « l'univers de référence », est-il
identique, qui arrive à imposer le sien ?)
-déroulement de la conversation : formules ritualisées, ouverture et clôture, changement de
thèmes...
-Type d'interaction : négociation, conversation, confidence etc. Il est important de sensibiliser les
étudiants aux types les plus courants dans la langue culture française. Il est important que les
documents proposés soient des exemples vraisemblables de la communication telle qu'elle se
pratique en France, qu'ils aient une véritable valeur culturelle.
-Système des places : est-ce qu'il dépend de facteurs externes (statut, âge, hiérarchie), ou/et
internes (les positions haute et basse font l'objet d'une compétition ou d'un ajustement). Comment
évolue-t-il au cours de l'interaction ?
-Tours de parole : est-il formel ou non, observe-t-on des ratés : chevauchements, silences,
interruptions...
-processus de figuration : sauver la face, protéger sa face (les FTA et FFA)
« oui dans cet atelier je pense en avant que c’est très difficile de communiquer avec des natifs des
français ils parlent rapidement ils parlent d’une façon complètement différente de ma langue en ce
qui concerne la langue française je parle la langue française d’une manière complètement
différente des français et de communiquer avec des français ils parlent rapidement ils parlent
d’une manière complètement différent je pense que c’est miracle de faire une conversation avec
des natifs et je pense que je ne peux pas faire que des petites choses mais de communiquer
discuter avec des natifs donner des arguments ça fait beaucoup de choses qui m’intéressent
beaucoup e quelque fois je pense que je parle comme un natif dans quelques mots en plus je peux
j’essaye d’utiliser des gestes comme les natifs quelquefois je parle comme eux quelquefois
j’utilise des expressions comme eux et ça me donne l’impression de que je peux pas un jour parler
comme les français »
CONVENTIONS DE TRANSCRIPTION
Insertion
J presque un an jour pour jour vous étiez là pour *A je me souviens très bien oui*
métaphysique des tubes
L'intervention de A n'est pas une véritable interruption et s'insère dans la transcription
du tour de parole de J
Chevauchement de paroles
A 8 s'agit d'un / bon il est question d'un d'un viol / il est question d'un meurtre
J9 dans un cimetière
Rythme
/ pause courte
// pause plus longue
= absence de pause entre la fin d'une réplique et le début d'une autre
&[...] enchaînement rapide de paroles
Accentuation, Articulation
TRÈS drôle accentuation d'un mot, d'une syllabe
Un peu:: allongement du phonème précédent
D(e) c(e) meurtre phonème non articulé
«1élégèreté» transcription phonético-orthographique
e transcription du «euh » d'hésitation
hein à peine audible
X inaudible (une syllabe)
J 1 amélie nothomb / COSmétique de de l'enn(e)mi / e presque un an jour pour jour vous étiez là e
pour
J 2 métaphysique des tubes *A oui* qui était un un roman TRÈS TRÈS différent de celui-ci
A 2 très différent
A3 très lyrique
J 4 fondé sur l'autobiographie *A oui* e par certains côtés / très lyrique / / et alors là un roman
d'une manière très très différent(e) =
J 5 oui / / sec / / *A oui* dans les dialogues / eX peu de description * A oui* et: c'est presque du
théâtre / d'ailleurs à : : : : deux personnages =
A 5 on m(e) l'a dit mais j(e) ça posera quand même un certain problème de mise en scène hein =
J 7 un hall d'aéroport ?
A 7 ee / / c'est pas ça le problème / * J XXX* il faut trouver une AStuce à la fin / *J oui* et je ne
sais quelle astuce on pourrait trouver pour exprimer cette drôle d'affaire /
J 8 alors / c'est effectivement une TRES/ drôle : / affaire / / une ténébreuse affaire pour
«parparodier » *A oui* balzac / / tout commence et finit dans un aéroport / c'est l'étrange rencontre
de jérôme angust / il a un un nom *A oui* un peu bizarre / / et d'un inconnu / qui lui révèle son nom
au bout de: : après l'avoir un peu : : : : « emem » emmerdé
A8 un importun un vrai importun /
J 9 hein c'est un emmerdeur / *A oui* un emmerdeur / mais on va / on dira pas quel emmerdeur
exact il s'agit *A oui* parce que ça serait/ eee donner le dénouement du livre
*A oui* il s'appelle TEXTOR / TEXEL / / *A TEX* bizarre ce nom
A9 oui i(l) i(l) i(l) fallait que ce soit déjà déjà i(l) fallait
que ce soit un nom IMprononçable / c'était très important / parce que c'est vraiment un individu de
papier il n'existe / bon c'est pas pour rien qu'il s'appelle TEXTOR quoi /il n'existe que par le texte / /
et ee / / et c'est vrai que même moi j'ai du mal à prononcer son nom donc e/
J 10 &[c'est c'est c'est e un peu vous] / vous êtes e / un peu textor texel parce que / il explique un
moment son drôle de nom / celui qui TISSE le texte *A oui* c'est presque un écrivain / /
A 10 c'est presque / oui / disons que je suis un peu textor dans cette affaire / / oui c'est certain / /
J 11 alors / ee / l'importuné au départ il a envie de casser la gueule / / c'est c'est c'est vos propres
termes / / de casser la gueule à l'importun / et p(u)is finalement la conversation s'engage parce que
l'autre est tellement: / arrive TELLEment à s'INSInuer *A oui* dans:dans: dans: la tranquilité de de:
cet homme qui attend son avion *A oui* / / qu'il finit par par s'imposer *A oui* / et alors on se rend
compte que ce textor / il a: / entre guillemets / des DOSSIERS sur le personnage qu'il inteXXX=
J 12 il est TRES TRES TRES bien renseigné *A oui* sur son interlocuteur / /
A 12 oui et ee / au point que ça devient / CONSternant pour l'autre parce que on on / / on découvre
qu'il qu'il / qu'il connait un grand secret dans / dans / dans la vie de l'autre / et e il se demande
vraiment comment il a pu savoir tout ça / d'autant plus qu'il s'agit d'une histoire assez sauMÃtre / il
s'agit d'un / bon il est question d'un d'un viol / il est question d'un meurtre
J 13 dans un cimetière
A 14 ce que je trouve particulièrement terrifiant / c'est qu'il parle de tout ça / avec une une une
véritable «lélégèreté » et même une certaine fraicheur / / le le le textor vient lui parler d(e) c(e) viol
et d(e) c(e) meurtre =
J 15 c'est du cynisme ou de la légèreté ?
A 15 non c'est / j(e) crois que de sa part c'est vraiment de la FRAIcheur / / il a la FRAIcheur du du
MAL eee / le mal dans toute sa pureté / /
Analyse de l'interaction verbale "entretien entre Albert Algoud (J) et Amélie Nothomb (A),
"La partie continue", France Inter, 5 septembre 2001.
Plan :
• La situation : scène et participants
• Le plan des séquences
• Coopération ou compétition ?
La question des places (les positions haute/basse occupées par les interactants), est également
complexe. En effet, dans le type d'interaction "interview", les questions liées à la notoriété et à la
personnalité des interactants sont essentielles. Rien n'est déterminé à l'avance. On peut simplement
dire qu'A. Algoud est responsable d'une émission connue, à une heure de grande écoute, et qu'il
n'est pas spécialiste de littérature. Quant à A. Nothomb, écrivain belge, elle jouit d'une notoriété
importante, ainsi que d'une personnalité "originale". Ses romans se vendent très bien, et avec
régularité. Elle est donc, déjà à cette époque, un phénomène littéraire. On pourrait détailler ces
portraits, mais nous préférerons nous fier aux indices énonciatifs et interactionnels présents dans
l'étude de la transcription pour travailler la question de la place.
3) Coopération ou compétition ?
1 Le schéma de production. Il s‘agit d'un dilogue, les tours de paroles sont en nombre identique
pour chacun des locuteurs, et la quantité de discours (évaluée en lignes) est à peu près équivalente
pour chacun. On peut noter que c'est cependant à A d'apporter l'information, puisque c'est elle
l'interviewée, et qu'elle vient faire la promotion de son roman. Toutefois cette dernière s'immisce
souvent dans le discours de J, soit par des régulateurs (la fonction des « oui » récurrents n'est pas
d'acquiescement), soit par de véritables interruptions. Il convient donc d'étudier de près la façon
dont s'effectue le passage de la parole.
1 1 passage de la parole de J à A
-des enchainements
A trois reprises les tours de parole de J se terminent par une absence de pause notée = qui signifie
que le locuteur n'a pas vraiment l'intention de céder la parole. On peut supposer que A profite d'une
pause intra-tour pour parler. Ce cas se produit aux lignes 6, 9 et 40.
-des chevauchements
Ils sont relativement nombreux, en particulier au début de l'interview : les trois premiers tours de
parole d'A sont en chevauchement. Celui des tours J 9/A 9 est significatif : au sujet du nom de son
personnage, A. Nothomb s'impatiente et cherche à prendre la parole de manière un peu forcée. Il
faut noter que jusqu'alors, c'est surtout J. qui a parlé. (environ l5 lignes sur 24).
Nous nous trouvons dans le cadre de l'interview, C'est donc en principe à J. de donner la parole à A.
Son rôle consiste à la révéler, à la dévoiler aux auditeurs. Il peut, pour ce faire, mettre en oeuvre
divers moyens. Mais il est nécessaire que l'interviewée ait la parole pour qu'elle puisse donner corps
à ce "dévoilement" par la matière verbale. On vient de voir que J manifeste une tendance à
monopoliser la parole. Quelles sont alors les réactions de A ?
1 2 Réactions de A
Nous l'avons dit, A, dès le début de l'interaction, manifeste une tendance à s'immiscer dans le
discours de J, par des chevauchements, ou des régulateurs, parfois à la limite de l'interruption, par
exemple en A 3.
Les tours Al et A2, très brefs montrent que A ne peut pas conserver la parole et que J la reprend sur
le même mode, après une absence de pause (l. 6 et 10). Lorsque A réussit à parler, tours A 7 et A 9
elle ne va pas au bout de son propos. On peut se demander si les courtes pauses à la fin de ces deux
tours sont à vocation transitionnelle. ll semblerait, au vu des propos tenus, que non.
Jusqu'à la l. 42, c'est surtout J. qui parle, A. produit une grande quantité de régulateurs "oui" (15
occurrences), ainsi que des chevauchements/interruptions. Ensuite, il se produit un tournant, l. 43 et
c'est A qui parle quasiment exclusivement. C'est alors J qui intervient en chevauchements. Il
reproduit l'attitude précédente de A, de façon assez artificielle, voire maladroite. Lorsque A énonce,
l. 49 "ce n'est pas autobiographique, je vous rassure", sous forme de boutade, la réponse de J "ah
bon vous me rassurez" peut passer pour un trait d‘humour. Mais la remarque suivante d' A "si je
peux avoir un avis sur mon propre livre" a été prise par J comme une question : "mais allez-y/ je
n'attends que ça".
On peut paraphraser cette remarque d 'A. de deux façons : "si vous, A. Algoud me laissez enfin
parler", ou, "un auteur est peut-être trop proche de son livre pour avoir la distance nécessaire au
commentaire". Quelle que soit la signification de cette remarque, elle n'appe1ait pas de réponse. On
voit alors que J a fait une erreur d'interprétation, et que sa réponse/autorisation/encouragement
montre qu'il aimerait rester maitre du jeu.
On peut parler de coopération, puisqu'il y a dialogue, et que les objectifs sont globalement atteints.
Toutefois l'aspect compétitif nous parait dominant dans ce morceau d'interaction, puisque la parole
n'est que rarement donnée par J, ce qui incite A à s'en emparer. Il faut noter que c'est A qui se
retrouve en position dominante à la fin de l‘interaction, au grand dam de J qui manifeste une
véritable propension à faire entendre son propre discours.
Conclusion
Sans qu'il soit échangé de mots désagréables, sans qu'il y ait d'affrontement direct, une situation
conflictuelle s'installe. C'est que la compétition se place, nous l'avons vu, sur deux plans. La gestion
des tours de parole et le choix des mots. Ces lieux d'opposition n'apparaissent pas nettement à
première vue, mais 1'analyse de l'interaction montre clairement et sans ambiguïté une situation
agonale, de laquelle A sort nettement vainqueur. On peut, pour finir s'interroger sur les raisons de ce
conflit. Il semblerait que J n'entende pas laisser A s'exprimer autant que celle-ci le souhaite, et l'on a
vu que cette dernière arrivait à renverser la situation, dans la seconde partie de l'interaction. On peut
supposer qu' A, en tant qu'auteure reconnue s'attendait à une certaine déférence, sinon à un espace
d'expression plus ouvert. L'autre point de frottement a la même origine. A estime sans doute qu'elle
est la mieux placée pour parler de son livre (c'est ce que montre son discours, malgré la précaution
oratoire de la l. 50). Elle n'apprécie sans doute pas que J qui n'est pas spécialiste de littérature se
mette sur le même plan qu'elle en s’accordant le droit de commenter ses ouvrages. C'est pourquoi
elle cherche dès le début, d'abord à rectifier ses jugements, puis à les contrer carrément, sans
ménager sa face, dans la mesure où elle estime être lésée elle-même.
Qu'est-ce qui pousse A. Algoud à se mettre en avant dans l'interview ? Il a sans doute envie de
monter son enthousiasme, mais il se complait assez maladroitement à "étaler ses connaissances"
(par ex. en J 5 "c'est presque du théâtre " , en J 8 "pour «parparodier » Balzac" ou J 10 "celui qui
tisse le texte (...) c'est presque un écrivain"). En situation d'insécurité, face à un auteur reconnu, il a
peut-être le désir de montrer qu'il possède lui aussi une compétence dans le domaine littéraire. Il
s'agit d'une manifestation de ce que P. Charaudeau (1984 : 114 qualifie de "preuve du savoir",
laquelle est directement liée à la notoriété de l'interviewée. Cependant, ce qui aurait pu être regardé
avec une certaine indulgence par un autre auteur n'est pas pardonné par A. Nothomb qui fait montre
ici d'une forte personnalité. Et d'une excellente capacité à défendre son image.
PARTIE 5 L'ALTERNANCE DES TOURS DE PAROLE
1 La règle d'alternance
Toute interaction verbale se présente comme une succession de "tours de parole". Pour qu'il y ait
dialogue, il faut que la parole soit prise à tour de rôle soit par les deux interlocuteurs dans le cas du
dilogue, soit par l'ensemble des participants dans le cas des interactions à plusieurs. L'alternance des
tours de parole est constitutive du dialogue, c'est une des grandes règles qui régissent les
interactions verbales.
La conséquence immédiate de cette grande règle, est que la position de locuteur doit être occupée
successivement par différents acteurs. Ce qui ne signifie pas toutefois que ces acteurs doivent tenir
la position de locuteur à égalité, mais que les participants sont soumis à un ensemble de droits et de
devoirs :
-pour le locuteur en place : il a le droit de garder la parole un certain temps, mais aussi le devoir de
la céder à un moment donné
-pour le "successeur" potentiel, il a le devoir de laisser parler et d'écouter le locuteur en place
pendant qu'il parle. Il a aussi le droit de réclamer la parole au bout d'un certain temps, et le devoir
de la prendre lorsqu'on la lui cède.
Une remarque relative à la longueur des tours : la pratique du monologue est en principe
exceptionnelle dans la conversation entre Français, (Anglais ou Américains) pour qui la balle doit
changer de camp assez rapidement. Mais c'est différent dans les sociétés à forte tradition orale (les
Zoulous, par exemple)
2 1 Les régulateurs
-par le comportement non-verbal : l'interlocuteur doit montrer par sa posture, son regard, ses
mimiques (sourires, hochements de tête...) qu'il est bien présent, impliqué dans l'interaction et
intéressé par ce que dit l'autre, qu'il joue, en fait, son rôle de coénonciateur. Il avance le buste, pour
diminuer fictivement la distance entre les propos tenus et son oreille. (Au contraire, lorsque l'intérêt
s'émousse, on recule instinctivement le buste, comme pour prendre de la distance par rapport à ce
qui est dit, se désinvestir. )
Remarque : le régulateur non verbal principal est le hochement de tête vertical de bas en haut (le
"nod"), mais dans certaines régions de l'Inde, par exemple, ce peut être un mouvement latéral de
gauche à droite et de droite à gauche.
Ces régulateurs sont par exemple (signale E. T. Hall) très visuels pour les Anglais : "L'Anglais a
appris à accorder toute son attention à son interlocuteur et à l'écouter avec soin : la politesse l'exige
et n'admet aucune barrière protectrice. Ce n'est ni en hochant la tête, ni en émettant des
grognements qu'il indiquera qu'il a saisi votre discours, mais en clignant des yeux. L'éducation des
Américains en revanche, leur a appris à ne jamais regarder fixement. Au cours d'une conversation,
le regard d'un Américain vagabonde d'un oeil à l'autre de son interlocuteur dont il peut même
abandonner le visage pour un bon moment. En pareil cas, au contraire, pour l'Anglais bien élevé, la
marque de l'attention consistera à immobiliser l'oeil à la distance sociale, de telle sorte que quel que
soit l'oeil fixé par l'interlocuteur, celui-ci aura toujours l'impression d'être regardé en face." (il faut
alors qu'il se trouve à 1,20 m de son interlocuteur). Ceci explique certains malentendus.
-par l'émission de régulateurs, qui sont des signaux sonores d'écoute tels que « hum hum, ah, oh »
(régulateurs vocaux) ou encore : « oui, ah bon, tiens tiens » (régulateurs verbaux, identifiables
comme des unités du langage). On peut aussi trouver des reprises des mots du discours de l'autre.
Ces régulateurs verbaux , "oui", d'accord", peuvent être de simple continueurs (je t'écoute, je te
suis) ou peuvent exprimer plus fortement l'accord sur le contenu. Cette polysémie peut, elle aussi,
générer des malentendus.
Les régulateurs peuvent être positifs, et viser à encourager l'autre à continuer, lui monter qu'il est
compris, ou au contraire manifester de l'incompréhension, voire du désintérêt. Ils peuvent avoir
d'autres significations, par exemple, signaler l'intention qu'a le coénonciateur de prendre la parole
ou de se désengager de l'interaction.
Un exemple cité par R. Carroll (1987 : 46), qui décrit deux Français en train de converser : "j'ai à
ma disposition plusieurs moyens d'intervenir ou de montrer que je veux la parole : expressions du
visage, lèvres qui s'entrouvrent comme pour parler mais qui restent silencieuses, léger mouvement
du corps, gestes. Si cela n'obtient pas le résultat voulu, je peux avoir recours à d'autres signes :
aspiration d'air à peine audible et qui indique que l'on va parler, soupir discret, mot coupé (...)"
Les régulateurs sont nécessaires au déroulement de l'interaction. En leur absence, le locuteur peut
avoir l'impression de ne pas être écouté, et en faire reproche : "je te parle !" "tu m'écoute ?"
Remarque : On régule plus ou moins d'un pays à l'autre. Certains produisent peu de signaux
d'écoute, par exemple, les Apaches, qui interprètent les "uh uhm" de leurs interlocuteurs comme des
demandes de répétition. Les occidentaux régulent plus que les Apaches, mais bien moins que les
Japonais. Ces derniers sont particulièrement prodigues de régulateurs (en moyenne trois fois plus
que les Américains, selon plusieurs études). C'est pour une question de politesse envers autrui, pour
marquer son désir de coopération ou d'empathie, que l'on régule si frénétiquement en japonais. Mais
pour les Occidentaux, cela peut produire l'effet contraire, un effet paralysant, alors même que les
interlocuteurs Japonais seront gênés par l'insuffisance de régulateurs occidentaux.
2 2 Le chevauchement
Il arrive qu'il y ait des chevauchements de parole (overlap), c'est relativement fréquent dans les
conversations spontanées, mais ceux-ci doivent s'arrêter assez vite, pour que le dialogue puisse
continuer. Intervient alors une négociation, dont le but est de laisser la place à l'un des locuteurs
seulement. Cette négociation peut être courtoise ou agressive, implicite ou explicite. C'est le cas
lorsqu'on recourt à un énoncé métacommunicatif : "j'ai pas fini" "laissez-moi terminer ce que j'ai à
dire", "excuse-moi" "je vous en prie, allez-y" etc. Sur le mode implicite, c'est un peu la "loi du plus
fort", c'est celui qui continue le plus longtemps, répète ou parle le plus fort qui gardera le tour de
parole. On peut noter que les jeunes enfants, qui n'ont pas encore acquis les règles parlent en même
temps sans s'écouter.
C. Kerbrat-Orecchioni signale, dans le tome III des Interactions verbales que les Français sont
connus pour se couper sans cesse la parole, et parler tous en même temps. C'est vrai de l'ensemble
des peuples méditerranéens. C'est au contraire l'évitement de chevauchement qui est la règle dans
les sociétés anglo-saxonne, germanique ou scandinave. Ces différences sont à l'origine de conflits
interculturels entre latins et anglo-saxons. Pour les Français, les interruptions permettent d'accélérer
le tempo des conversations, ce qui donne un effet de chaleur et de vivacité à la conversation (c'est le
signe d'une conversation, alerte, animée, où l'on ne s'ennuie pas). Pour les locuteurs allemands ou
américains, c'est vécu très différemment : se couper la parole est une marque d'agressivité, et la
conversation devient confuse, anarchique. On sait que dans la comparaison interculturelle, c'est
d'une part le comportement, mais surtout son interprétation et la valeur qui lui est attachée qui varie.
Un autre exemple rapporté par R. Carroll (1987 : 44) "Des Américains se sont souvent étonnés en
ma présence de ce que les Français, "qui se disent si respectueux des règles de politesse" soient eux-
mêmes si grossiers (rude) : "ils vous interrompent tout le temps dans une conversation", "ils
terminent vos phrases pour vous", "ils vous posent des questions et n'écoutent jamais la réponse",
etc. Les Français en revanche, se plaignent souvent de ce que les conversations américaines soient
"ennuyeuses", que les "Américains répondent à la moindre question par une conférence", qu'ils
"remontent à Adam et Eve", et qu'ils "ignorent tout de l'art de la conversation." R. Carroll explique
ensuite que bien que les deux peuples pratiquent la conversation (et que le terme soit d'ailleurs le
même), elle signifie des choses différentes pour chacun. Tandis que les Français y voient
essentiellement un moyen d'exprimer la relation, de "tisser un lien social", les Américains s'en
servent plutôt pour mieux connaitre l'autre. "Mais seulement dans le présent, dans les limites
définies par le contexte, et sans que cela nous engage à maintenir la relation, puisque la
conversation n'est pas un commentaire sur notre relation, mais plutôt une exploration. La
conversation américaine ressemble plus à une randonnée à deux ou plusieurs en terrain inconnu qu'à
un jeu en terrain familier." (p. 59)
1) Une conception extensive du tour consiste à y assimiler toute production verbale continue d'un
seul et même participant ; verbale et même vocale, puisqu'un tour peut, pour Goodwin, prendre la
forme d'une amorce de mot, d'un petit rire ou d'une simple aspiration. (sans parler des problèmes
des tours réalisés uniquement à l'aide de moyens mimo-gestuels).
2) Une conception plus restrictive, partagée par de nombreux spécialistes des conversations (dont
Goffman) consiste à considérer que les émissions régulatrices ne constituent pas de véritables tours
de parole, mais des "faux tours" . Ce sont :
-les "hm" (et variantes) qui indiquent un pur "enregistrement" (qui signifient : j'ai entendu)
-certains morphèmes à valeur de confirmation, ou de demande de confirmation, ("oui", "oui ?",
"sans blague", "ça alors" etc.)
-certaines expressions à valeur plus nettement évaluatives "c'est ça", "c'est bien vrai", "tu as raison",
"c'est mon avis", ou commentatives "quelle horreur", "incroyable"...
Ainsi que d'autres éléments (voir p. 187)
La question qui se pose de nouveau est celle de la définition du tour de parole. Le problème étant
qu'aucun des critères proposés (du chevauchement, phonétique (les régulateurs seraient émis avec
une intensité vocale plus faible, de la longueur de la contribution) pour distinguer vrai et faux tour
ne parait satisfaisant.
On voit alors que les régulateurs restent foncièrement flous, et que c'est sur un mixage des critères
évoqués précédemment que l'on peut poser en contexte une différence entre régulateur et tour de
parole bref. Sachant :
-que le problème n'a pas de réponse définitive
-que l'analyste intervient forcément en termes de choix descriptifs et d'analyse
-qu'on peut considérer que le passage du régulateur au tour de parole se fait en termes de
continuum, avec des contributions à statut intermédiaire.
3 1 Les phatiques
La personne qui parle doit elle aussi manifester son engagement dans l'interaction de manière non-
verbale et verbale, par ce que C. Kerbrat appelle les phatiques, qui désignent "l'ensemble des
procédés dont use le parleur pour s'assurer l'écoute de son destinataire" : « hein, tu vois, n'est-ce pas
? tu comprends » etc. Les phatiques sont le pendant des régulateurs pour le coénonciateur. (le sens
du mot "phatique", dans la fonction phatique du schéma de la communication de Jakobson, est un
peu différent). Ils sont aussi importants, car sans eux, l'interlocuteur peut avoir l'impression d'une
communication impersonnelle, que ce n'est pas à lui que l'on s'adresse.
3 2 Les gaps
Il s'agit des intervalles séparant les tours de parole. Ces silences doivent, dans la langue-culture
française, être courts. On observe à ce sujet d'importantes variations culturelles.
En effet, les intervalles entre les tours sont variables selon les cultures. C. Kerbrat signale que la
durée minimale de la pause entre les tours de parole, d’un interlocuteur à l’autre donc, est fort
courte en France, 3/10èmes de seconde, alors par exemple qu’elle est de 5/10ème aux États Unis.
D’où l’impression de l’Américain, quand il parle avec un Français, d’être sans cesse interrompu...
Ou encore le fait que dans une discussion l’Américain se fasse facilement "doubler" par un
Français.
Dans d’autres sociétés, le silence peut s’étendre sur plusieurs minutes, sans que cela soit
problématique (exemple, pour les Lapons du nord de la Suède, mais aussi les Japonais ou les
Amérindiens).
C. Kerbrat propose l'exemple suivant : des Lapons autour d’une table : offre - silence - acceptation
de l’offre - grand silence - question - silence - réponse - grand- silence etc.) Soit en tout 5 ou 6
échanges minimaux pour une rencontre d’une heure environ. Donc, on constate des différences, et
l’on voit que le “remplissage par un flot continu de parole” n’est pas universel, mais plutôt une
question de culture.
La formule de Sacks et al., citée par C. Kerbrat : « minimization of gap and overlap » (minimisation
des pauses entre les tours et des chevauchements de parole) situe ces phénomènes comme relevant
de la coopération conversationnelle.
4 Le réglage de l'alternance
La question est à présent celle du passage d'un interlocuteur à l'autre. Quels sont les mécanismes qui
permettent au locuteur de céder la parole au locuteur suivant, le successeur potentiel (ou next
speaker) sans difficulté ? (i.e. sans chevauchement ni grand silence) Le locuteur doit donc, à un
moment (variable) s'arrêter pour laisser la parole et permettre aux autres de parler. Ceci peut
s'effectuer de diverses manières.
La cas le plus simple est celui d'un réglage externe. En effet, le temps de parole peut être, dans
certaines situations réglé de l'extérieur. C'est le cas des débats politiques télévisés, dans lesquels
l'animateur tient le compte des temps de parole et le rappelle aux intervenants, "il ne vous reste plus
que X minutes de parole", "il faut maintenant passer la parole à M. Z". Dans une soutenance de
thèse, l'impétrant dispose d'un temps limité pour présenter son travail, et les membres du jury ont la
même contrainte pour effectuer leurs commentaires. Il arrive fréquemment qu'ils débordent du
temps imparti, ou qu'ils prennent le prétexte de ce temps pour limiter leurs commentaires. La
réaction du président de jury est alors variable : il peut faire comme si de rien n'était, rappeler à
l'ordre relativement strictement, être compréhensif, ou dominé par la personnalité (et/ou la
notoriété) de l'un des membres du jury. Le statut des personnes est un élément essentiel pour la
compréhension de ces variations, nous l'avons évoqué en traitant de la question du rapport de
places. Il s'agit là de cas particuliers, la plupart du temps, les changements de tours sont négociés
par les participants eux-mêmes. C'est le cas dans les conversations quotidiennes.
4 1 Le changement de tour
Il s'agit de savoir quand se produit le changement de tour, et comment.
Le locuteur peut, c'est fréquent, disposer dans son énoncé des signes que l'on appelle places
transitionnelles que l'interlocuteur peut utiliser pour se mettre à parler. Il s'agit souvent de brefs
silences intra-tours, sans qu'il se produise réellement d'interruption. Si l'interlocuteur ne profite pas
de cette place transitionnelle, le premier locuteur continue à parler.
Le locuteur peut aussi indiquer nettement qu'il a fini, il produit alors un énoncé syntaxiquement
complet, et sélectionne un locuteur suivant, par le regard, ou directement en l'interpellant. Il y a
trois types de signaux de fin de tour.
• Des signaux de nature verbale marquant la clôture, comme "voilà", "bon", ou encore des
expressions phatiques comme "non ?", "hein?" qui ont une valeur interrogative (Cf. C.
Kerbrat tome 1, 1990 : 165)
• Il y a également des indices non verbaux qui marquent l'intention de clore le tour de parole :
le ralentissement du débit, le regard porté de manière marquée sur le destinataire, une
modification de la posture (par ex. appui sur le dossier de la chaise).
4 2 La nature du successeur
Dans les dilogues, le problème du choix du successeur ne se pose pas, par contre, on peut rappeler à
un locuteur qu'il abuse du temps de parole "alors, ça vient ? accouche !", lui dit-on vulgairement, ou
au contraire le prier de continuer, "vas-y, continue, c'est intéressant". Le locuteur peut se justifier
d'être prolixe : "je vais être un peu long, mais il faut que je m'explique sur les circonstances...", ou
négocier la continuation du tour du parole : "un mot encore et j'en aurais fini..." Il s'agit là de la
question de la durée du tour de parole.
Lorsque l'interaction comprend plus de deux locuteurs, on distingue deux façons de sélectionner le
successeur.
4 2 1 Hétéro-sélection
L1 sélectionne L2, à l'aide des signaux que nous venons d'étudier en 4 1, nomination explicite,
signaux non-verbaux. Le bénéficiaire d'une hétéro-sélection peut souligner le fait "puisqu'on me
demande mon avis...", "je remercie X de m'avoir donné la parole." L'hétéro-sélection peut
s'effectuer par L1 (auto-stop), mais il arrive que l'un des participants intervienne en faveur de L2 :
"laisse parler ton frère".
Lorsque ce procédé n'a pas lieu, il se produit une auto-sélection.
4 2 2 auto-sélection
C'est le premier locuteur qui va enchainer sur les propos de L1 qui va prendre le tour de parole. Il
peut profiter pour cela d'une place transitionnelle. S'il se produit un auto-stop et qu'aucun candidat
ne se présente, il s'ensuit un silence plus ou moins prolongé. Au contraire, si plusieurs candidats
prennent la parole en même temps, on a un chevauchement.
L'auto-sélection peut être explicitement légitimée :
-par auto-valorisation de l'interrupteur, qui va évoquer son statut, l'intérêt qu'il porte au thème, la
connaissance qu'il en a.
-par dévalorisation de L1 et de ses propos : "on en peut pas laisser dire cela, vous vous trompez
lourdement" etc.
-par référence aux règles de la conversation : c'est à moi de parler, je voudrais intervenir. Ces
dernières légitimation interviennent plus fréquemment dans le cas d'interruptions ou d'intrusions
(voir infra).
Lorsque l'auto-sélection n'est pas légitimée explicitement, ce peut être :
-parce que le statut de L2 est suffisamment élevé et connu pour n'avoir pas à être rappelé. Ce
comportement, même s'il ne suscite pas de réprobation explicite n'est pas socialement valorisé.
-si L2 n'a pas de statut reconnu, il est explicitement taxé d'impolitesse, de manque de savoir-vivre
etc.
On le voit l'alternance ne s'effectue pas toujours harmonieusement.
• le locuteur L1 abandonne la parole après avoir signalé (par divers indices) la fin de son tour
de parole.
Lorsque cela se passe autrement, des ratés se produisent. Ils sont fréquents, et peuvent être de deux
types :
-les raté involontaires, qui proviennent d'une méprise d'interprétation des règles de l'alternance.
-les violations des règles, résultant d'un désaccord entre les participants à l'interaction (par ex. une
personne désire intervenir alors que c'est une autre qui aura été sélectionnée par L1).
Ces ratés ont pour conséquence les phénomènes suivants :
5 2 L'interruption
Lorsque L2 prend la parole avant que L1 ait fini son tour, il y a interruption. Lorsque l'on coupe la
parole à quelqu'un, on lèse son territoire, on menace sa face.
1 les actes menaçants pour la face négative (le "territoire") de celui qui les accomplit : C'est le cas
de l'offre, de la promesse par lesquelles on s'engage à effectuer dans un proche avenir un acte
susceptible de léser son territoire, son "moi".
2 Les actes menaçants pour la face positive de celui qui les accomplit : par lesquels on
"s'autodégrade" : aveu, autocritique, excuse "j'ai eu tort", "c'est moi qui ai fini les bonbons" etc.
3 Les actes menaçants pour la face positive de celui qui les subit : C'est-à-dire ceux qui mettent en
péril le narcissisme d'autrui, comme la critique, le reproche, l'injure, l'insulte, le sarcasme ou la
moquerie.
4 Les actes menaçants pour la face négative de l'interlocuteur (celui qui les subit) : par exemple les
violations territoriales de nature non verbale qui sont très nombreuses : agressions proxémiques
(quand on se trouve trop près de quelqu'un ; contacts corporel indus, par exemple dans le métro
etc..)
Les agressions visuelles, sonores, olfactives, sur les biens d'autrui en font partie. Mais aussi
verbales, il y a des actes de parole qui dérangent, les questions intimes, "indiscrètes", ou encore les
actes de parole directifs : "ordre", "interdiction" "requête" ou "conseil".
Ces deux dernières catégories, qui concernent celui qui subit sont particulièrement importantes :
comment faire passer une demande, une question délicate, un conseil, voire une critique ? C'est là
qu'interviennent les manifestations linguistiques de la politesse.
Il n'y a pas que les FTA : sinon, on aurait une conception un peu "paranoïde" des relations humaines
: on passerait son temps à monter la garde autour de son territoire et de sa face (encore que cela
puisse être le cas de certaines personnes, sans doute plus encore dans les situations d'insécurité). On
pose alors l'existence d'anti-FTA : les FFA, (Actes valorisants pour la face) qui sont par exemple le
compliment, le remerciement, et qui sont essentiellement positifs, alors que les FTA sont
essentiellement négatifs. (par ex. l'ordre ou la critique).
De même, il existe des interruptions positives, qui fonctionnent comme des FFA, par exemple
comme marque d'implication intense dans la conversation.
5 2 2 interruption et interculturel
L'interruption s'effectue selon des manières variables en fonction des sociétés. Les Anglais ont une
"méthode douce", ils débutent par un morphème introductif : "Well", suivi d'un énoncé confirmatif.
Les italiens ont un comportement d'apparence plus brutale, puisqu'il coupent par un "ma" à valeur
adversative. Les Français débutent souvent leurs interruptions par un "mais" comparable, ou par
"oui, mais..."
Nous avons déjà évoqué la tolérance des Français pour le phénomène de l'interruption. R. Carroll la
commente de façon intéressante, toujours dans une optique interculturelle : (1987 : 62-63)
" Plus encore que les questions qui n'exigent pas de réponse véritable, ce sont les «interruptions
continues » de la conversation française qui déroutent les Américains. Mais, comme on devrait s'y
attendre maintenant, ce que l'Américain prend pour une interruption n'en est pas vraiment une, joue
un tout autre rôle dans la conversation française. Vus de l'extérieur, des Français en conversation
semblent, en effet, passer leur temps à s'interrompre l'un l'autre. La conversation parait cependant
agréable, et les participants ne donnent aucun signe d'être vexés, frustrés ou impatients (pour
l'observateur français s'entend). Au contraire, l'interruption semble être un principe moteur de la
conversation. Il est donc permis, à certains moments et non à d'autres d'interrompre sans être
grossier. Pour savoir quels sont ces moments, il suffit de considérer cette « interruption » comme un
signe de ponctuation. Il ne s'agit surtout pas de couper la parole à quelqu'un, au milieu d'un mot ou
d'une phrase, mais de saisir la pause, si brève soit-elle, pour réagir. Je ne fais pas cela pour attirer
l'attention sur moi, ou prendre la parole, mais pour manifester l'intérêt qu'à provoqué en moi la
réplique de l'autre. Réplique qui mérite, qui appelle un commentaire, un mot d'appréciation, des
dénégations, des protestations, du rire, bref une réaction sans laquelle elle « tomberait à plat ». La
balle est lancée pour être justement rattrapée et relancée. Quand il n'y a aucune « interruption », que
chacun parle posément à son tour (comme dans la conversation américaine selon les Français), la
conversation ne « décolle » pas, elle reste polie, mondaine, froide, et autres qualificatifs de ce genre,
tous négatifs.
Au contraire, les interruptions-ponctuation sont une preuve de spontanéité, d'enthousiasme et de
chaleur, une source d'imprévu, d'intérêt et de stimulation, un appel à la participation et au plaisir.
(...) Pour un Américain non averti, la rapidité de l'échange peut être interprétée comme une série
d'interruptions (et donc une expression d'agressivité) et le ton de la voix comme une expression de
colère (quand ma fille était toute petite, elle m'a demandé un jour pourquoi je me disputais toujours
avec mes amis français qui venaient à la maison, et jamais avec mes amis américains ; c'est
probablement ce jour-là que j'ai commencé mes analyses culturelles ...)"
5 3 L'intrusion
L'intrusion ne concerne plus le moment de la succession, mais la nature du successeur. Elle se
produit lorsqu'un locuteur illégitime s'empare de la parole et vient parasiter le circuit interlocutif. Ce
peut être un locuteur non sélectionné par L1, une personne qui n'a pas à participer à la conversation
(un domestique dans une pièce de Molière), ou une personne extérieure au groupe.
L'intrusion peut être légitimée (C.F. en 4 2 l'autosélection). Et elle donne souvent lieu à des
réparations :
-juste un mot, je serai bref, qui équivalent à des minorations de l'intervention.
-je vous prie de m'excuser, mais... qui répare par l'excuse.
R. Carroll compare le comportement des gens lorsqu'ils font la queue dans un supermarché. Elle
explique que contrairement à ce qui se passe en France (où les gens râlent, se replient sur eux-
mêmes, ou s'isolent dans la lecture d'un journal) les Américains n'hésitent pas, lorsqu'ils attendent à
la caisse, à converser de façon conviviale pour passer le temps, à échanger, dans la mesure où la
conversation n'engage pas à l'autre, ils acceptent facilement d'entrer en contact.
Citons enfin, dans la liste des dysfonctionnements, le chevauchement que nous avons évoqué en 22.
6 Conclusion
L'alternance des tours de parole est un phénomène social par excellence, puisque les participants
fabriquent eux-mêmes l'ordre de l'interaction.
Il n'est pas encore acquis par les jeunes enfants qui s'empêchent mutuellement de parler.
Il est endogène dans le cas d'adultes en situation de dialogue : ils créent eux-mêmes un ordre avec
ses règles ponctuelles, variables en fonction des groupes.
Il peut enfin être exogène, lors d'interactions formelles : séance au parlement, soutenance de thèse,
les participants doivent se soumettre à des règles, qui sont parfois vécues comme contraignantes.
La règle de l'alternance des tours de parole s'applique quel que soit le statut des participants, elle est
fondamentalement égalitaire, et fondée sur la réciprocité (comme sont égalitaires la réciprocité de
"je" et "tu"). Mais la réalisation de cette règle, n'est pas seulement fonction de l'interaction. Les
règles sociales des structures vont ou non permettre l'existence du face à face. Il y a des gens qui ne
peuvent pas se rencontrer parce qu'ils appartiennent à des groupes sociaux éloignés. Il existe aussi
des règles sociales qui ne permettent pas à certaines personnes de communiquer : les belligérants
communiqueront par le biais d'intermédiaires, le Président de la République en France ne peut pas,
par la Constitution s'adresser directement aux députés : il devra leur faire lire ses messages par un
ministre. Enfin, les statuts des uns et des autres ont, nous l'avons vu, une importance déterminante
dans la durée des tours... Il reste que des négociations sont souvent possibles, d'autant que les
violations des règles interactionnelles sont fréquentes, et la plupart du temps bien tolérées,
lorsqu'elles ne sont pas trop fréquentes et/ou importantes.
PARTIE 3 TYPOLOGIE DES INTERACTIONS
Nous présentons la liste des critères permettant de caractériser les séquences d'interaction, proposée
par R. Vion.
1 1 Symétrie / complémentarité
Cette distinction a été établie par l'école de Palo Alto. Toutes les interactions dans une dyade (couple
en interaction) peuvent se définir par un échange soit symétrique, soit complémentaire, selon qu’ils sont
basés sur la similitude ou la différence. Il est en effet impossible pour le locuteur de ne pas définir sa
relation à autrui et de ne pas se positionner, tout comme il est inévitable d'être positionné par son
allocutaire.
La relation symétrique se définit par deux positions au même niveau. Dans une interaction en symétrie,
les partenaires adoptent un comportement en miroir. Par exemple à une question répondra une autre
question :
A Tu vas à la fac demain ?
B Pourquoi tu me demandes ça ?
Autre ex. à une insulte répondra une autre insulte :
A Imbécile !
B Couillon !
Les participants se placent sur un pied d'égalité, ce qui ne signifie pas pour autant que la relation
soit harmonieuse.
Dans une interaction complémentaire, le comportement de l'un des partenaires complète celui de
l'autre, il y a alors une maximalisation de la différence. Les comportements sont dissemblables mais
adaptés l'un à l'autre, ils s'appellent réciproquement. Par exemple, lors d'une consultation médicale,
le médecin questionne et le patient répond. On peut aussi citer les couples mère-enfant, professeur-
étudiant. Une relation complémentaire peut être harmonieuse si chacun accepte sa position et confirme
la position de l’autre.
Dans une interaction complémentaire, deux positions sont possibles, l'une supérieure, ou "haute"
(celui qui questionne), l'autre inférieure, ou "basse" (celui qui répond). Ces positions peuvent être
fixées par le contexte social et culturel, ou négociées par les interactants.
Lorsque ce rapport de places (au sens que lui donne C. Kerbrat-Orecchioni «de place sur l'axe
vertical invisible qui structure la relation interpersonnelle » (1992 : 71) est déterminé de l'extérieur
(fixé par le contexte), ce sont les statuts et rôles des interactants qui comptent (par exemple
médecin/patient, fournisseur/client) ou leur identité (parent/enfant), (homme/femme).
Mais signalent Marc et Picard (Vion 1992 : 107), "le rapport de places est aussi déterminé de
l'intérieur même de la relation, par la place subjective que chacun prend par rapport à l'autre
(dominant/dominé, demandeur/conseiller, séducteur/séduit)."
En fait, précisent ces auteurs, toute interaction se caractérise par un double positionnement
(déterminé de l'extérieur et de l'intérieur). Ce qui varie, c'est l'importance quantitative de chacun, en
fonction du degré de formalité de l'interaction. On retiendra donc qu'il est plus juste de décrire le
rapport de places comme "un double positionnement réciproque", plutôt que en termes de
dichotomie (interne OU externe).
Citons Vion (1992 : 107) pour conclure :
"dans les situations institutionnelles où le rapport de places "externe" domine, il ne saurait
empêcher l'émergence d'un rapport plus "interne". Réciproquement dans les situations informelles,
où le rapport de places n'est pas fixé a priori, les sujets ne peuvent pas ne pas "contaminer" leur
positionnement réciproque "interne" avec des éléments de leur identité sociale exprimables en
termes de statuts et de rôles."
On peut ajouter qu'il n’y a pas stratégiquement de position meilleure qu’une autre, tout dépend de la
nature de la relation ainsi que des buts (ou finalités) des participants (voir supra). De manière erronée,
on pense que le pouvoir réside systématiquement dans la position haute, or, le choix volontaire de la
position basse offre bien souvent des possibilités intéressantes. Jay Haley, membre de l’Ecole de Palo
Alto, rapporte un exemple frappant : un individu qui souhaite se faire porter dans la rue et ne réussissant
pas à convaincre qui que ce soi par un ordre, choisit de faire semblant de s’évanouir sur le trottoir et
arrive ainsi à ses fins. Se placer en position basse à certains moments permet d’exercer davantage
d’influence que de maintenir la position haute, nous en reparlerons dans le cas de l'interview.
1 2 coopération / compétition
L'idée que la plupart des interactions se déroulent dans une situation de caractère contractuel, est
communément admise, depuis que Grice (1975) a posé le fameux principe de coopération.
L'ensemble des participants coopèrent, même dans le cas d'une dispute, puisqu'ils continuent à user
du langage. Toutefois, certaines interactions sont plus marquées par la coopération, comme la
conversation, exemple-type, tandis que d'autres sont orientées vers la compétition, voire le conflit,
comme le débat ou la dispute. Vion signale toutefois que cette distinction ne fonctionne pas comme
une dichotomie, et que même dans les cas de coopération les plus marqués, on trouve des enjeux de
face, de séduction, et donc de compétitivité. Tandis qu'inversement, tant qu'il y a échange langagier,
même conflictuel, il y a de la coopération (on construit avec le partenaire une relation, un objet
discursif.)
2 1 1 La consultation
Ce terme regroupe des interactions médicales diverses, des consultations juridiques, toute situation
où un demandeur vient consulter un expert, détenteur d'un savoir ou d'un pouvoir spécialisé,
socialement reconnu. Le consultant prend l'initiative de l'échange, et attend un résultat tangible de la
consultation, guérison, levée d'un obstacle etc. Le spécialiste occupe la position haute, et conduit
l'interaction. À condition toutefois que le consultant accepte de se laisser conduire.
2 1 2 L'enquête
La finalité de l'enquête n'est plus l'action, comme c'était le cas pour la consultation, mais la
connaissance. C'est cette fois le spécialiste qui initie l'interaction, afin de rechercher des
informations auprès de l'enquêté. Ce dernier se trouve donc occuper une position plus élevée que
précédemment, puisqu'il détient des informations précieuses pour l'enquêteur. Toutefois il n'est que
partiellement conscient et/ou informé de l'utilisation qui sera faite de son témoignage. Il arrive
également que le sujet se sente minoré, par exemple dans le cas des enquêtes linguistiques.
2 1 3 L'entretien
Le terme d’entretien est peu précis “la notion est trompeuse, elle suggère qu’on a affaire à un objet
homogène, alors qu’en réalité son domaine comprend des pratiques très diverses” (Kerbrat-
Orecchioni, 1990 : 119)
On pourra distinguer plusieurs sous-types.
-L'entretien ou relation d'aide, qui est à rapprocher de la consultation, par la relation verticale
(positions haute et basse) et le fait que la finalité appartienne au domaine de l'action, laquelle passe
toutefois par le recueil d'informations. L'entretien doit favoriser une parole authentique. Les
techniques d’entretien doivent donc permettre au spécialiste de conduire sans influencer, d’être
maître du jeu sans être à l’initiative. Il convient alors qu'il adopte une attitude neutre d’empathie,
évite les investissements discursifs et utilise au maximum la parole de l’autre. Là encore, il ne faut
pas croire qu’il y ait monogestion de l’interaction, au contraire une coopération est nécessaire.
-L’entretien/ interview, conduit par un journaliste. Dans ce type d'entretiens la position haute est
ambigüe et complexe. Le journaliste est bien en position haute, puisqu’il oriente le débat, prend la
plupart des initiatives, mais il doit laisser parler l’autre, qui est censé fournir l’essentiel de la
matière conversationnelle. Il est donc à la fois dominant et dominé, d’autant que si l'interviewé est
célèbre, ce dernier peut prendre énormément de libertés par rapport au guidage du journaliste.
Lequel peut même se voir confiné dans la situation subalterne du faire-valoir et se retrouver en
position basse. Citons C. Kerbrat-Orecchioni (in Vion 1992 : 133) "Pilote effacé du dialogue,
initiateur vite condamné à un silence relatif, l'interviewer est à la fois dominant, et dominé (ces
deux composantes se dosant diversement selon les interviews)".
2 1 4 La transaction
Ce type regroupe les relations de vente et les relations aux services d'accueil, commençant/client,
chauffeur de taxi/client, administration/administré, garçon de café/client etc. Il est spécifique par la
présence d'un objet extérieur au langage qui doit être échangé, produit. Chacun des protagonistes y
participe à travers un rôle spécialisé, c'est pourquoi, note Charaudeau (1983) le "contrat de parole" y
est limité : on ne pourra parler que d’un nombre restreint de choses. Ceci n'empêche pas cependant
que la transaction puisse alterner avec d'autres séquences (appelées "modules"), comme par
exemple une "conversation". Une transaction, par exemple achat de médicaments dans une
pharmacie, peut être suivie d'une conversation ayant pour thème l'épidémie de grippe du moment.
C'est dans la transaction, remarque R. Vion, que “la complémentarité des places peut le moins
s'exprimer en termes de rapports haut/bas”. Le vendeur s'il délivre la produit, est soumis à
l'initiative et à la décision du client. On observe toutefois que dans certaines administrations, les
relations de domination sont très présentes (administration judiciaire par exemple). Il faut aussi
noter l'importance du contexte commercial : la position du client ne sera pas la même en situation
de pénurie ou de surabondance de biens.
2 2 1 La conversation
Dans son acception restreinte et ordinaire, aucune des composantes de la conversation n’est fixée à
l’avance : le nombre de participants et les thèmes sont très variables, l’alternance des tours de
parole, la durée des échanges sont libres (ou du moins structurés a minima, car les systèmes
d’interactions sont régis par des règles de structuration). Le caractère de la conversation est gratuit
et non finalisé; elle comporte en elle-même sa propre finalité (parler pour parler, par plaisir, jeu,
politesse). Plus précisément sa finalité serait le maintien de rapports sociaux, la reproduction des
liens : "réaffirmation du tissu social et des identités" selon les termes de R. Vion. Elle est
“égalitaire” : même s’ils n’ont pas le même statut, les participants se comportent comme des égaux
dans la conversation. Elle est nettement plus coopérative que compétitive.
Un sous-type : le dialogue : Rappelons que le préfixe n’est pas di/deux, mais dia/ "qui traverse,
circule et s'échange", comme dans “dialyse”.
Le différence de sens avec conversation n’est pas facile à cerner, car elle fonctionne surtout par
connotations et emplois réservés :
-dialogue serait artificiel, signifierait propos fabriqué (cinéma, roman)
-dialogue serait constructif, viserait à une compréhension, voire un accord mutuel : "homme de
dialogue" (et non de conversation).
Nous citerons, à titre d'exemple, le sens qu'attribuent selon R. Carroll, les français à l'activité de
conversation. Dans Évidences invisibles, américains et français au quotidien (Seuil 1987) cette
ethnologue analyse de façon très intéressante les malentendus interculturels. "Ce qui importe, c'est
d'établir des liens, de créer un réseau si ténu soit-il, entre les conversants (en France). La parole que
l'on échange au "fil" de la conversation, sert à tisser ces liens entre les conversants.(...) Ainsi, par
exemple, si je fais mes courses dans le quartier, je vais faire "un petit bout de conversation" avec les
commerçants chez qui j'ai l'habitude d'aller. Si je vais chercher mes enfants à l'école, je ferai de
même avec quelques parents dont les enfants sont en classe avec les miens, avec le maitre ou la
maitresse si je les vois." (...)" Elle explique que les Américains sont étonnés devant le temps que
nous passons à bavarder avec l'un et avec l'autre, et trouvent que les Français parlent souvent pour
ne "rien dire". Il apparait donc que les Américains et les Français ne donnent pas le même sens à
l'échange verbal, tout en le supposant identique.
R. Carroll, dans une analyse fine du fonctionnement français de la conversation, remarque que les
liens qu'elle crée "ne sont pas par définition agréables, (...) mais sont essentiels à mon existence
sociale, à mon inscription dans le social."
2 2 2 La discussion
À la différence de la conversation, la discussion comprend des enjeux. Elle peut se produire dans un
cadre interactif complémentaire ou bien symétrique. Elle peut être consensuelle et plutôt
coopérative, ou au contraire conflictuelle et s'orienter vers la compétitivité. Bellenger (1984 : 30) la
caractérise ainsi : "la discussion ne produit rien... si ce n'est l'essentiel : l'expression de la
divergence. (...) Dans la discussion on cherche moins à s'entendre qu'à justifier le bien-fondé de sa
thèse par rapport à l'autre."
2 2 3 Le débat
Il se caractérise par la confrontation, et aura comme dans les compétitions sportives (la boxe, par
exemple) un vainqueur et un vaincu. Du point de vue formel, l'échange est plus organisé, avec un
cadre préfixé. (longueur du débat, durée, ordre des interventions, nombre des participants...) Il se
déroule en principe en public, avec un modérateur (un arbitre) et présente un aspect spectaculaire.
Ce public est en fait le véritable enjeu de la compétition, car c'est lui qu'il faudra convaincre.
2 2 4 La dispute
Cette interaction est nettement conflictuelle. Il s'agit de la forme ultime de la discussion avant
qu'elle ne dégénère en violence. Cependant les sujets, pour des questions de faces essaient d'éviter
d'atteindre ce stade, en rompant l'interaction, ou en revenant à la discussion.
2 3 Conclusion
Nous l'avons évoqué à propos de la transaction, il arrive fréquemment que les interactions soient
hétérogènes. Ainsi divers modules peuvent se succéder, une conversation peut être suivie d'un
module de discussion, voire de consultation, et de nouveau d'un module de conversation. Dans cet
exemple, c'est la conversation qui reste le cadre interactif, du point de vue du rapport de places.
Lorsque le cadre interactif se modifie, par exemple avec l'arrivée d'une nouvelle personne, c'est une
nouvelle interaction qui se met en place.
Il ne faut pas confondre cette succession de modules avec les divers moments constitutifs d'une
même interaction. Par exemple dans la consultation, il y aura la présentation du motif de la visite,
l'examen, le diagnostic, la prescription, mais ce sont les différentes phases constitutives d'une même
interaction.
PARTIE 2 LES INTERACTIONS VERBALES INTRODUCTION
1 Sens général
Le terme "interaction" désigne toute action conjointe, conflictuelle et/ou coopérative, mettant en
présence deux ou plusieurs acteurs. C’est vaste, puisque la plupart des actions humaines sont des
actions conjointes, ce sont des interactions donc. On peut même dire, selon le premier axiome de
l’école de Palo Alto que l' "on ne peut pas ne pas communiquer"1 , puisque même le refus de
communiquer produit du sens (par exemple : deux personnes en présence, qui ne se disent rien et ne
se regardent pas, mais partagent le même espace, et communiquent par des comportements, elles
sont donc en interaction.)
Plus précisément : Il convient alors de distinguer si l'interaction est verbale (si elle contient de la
parole, ou est essentiellement langagière) ou non. Cette opposition entre verbal et non verbal
devient délicate à effectuer si l'on se réfère à la fonction symbolique du langage. En effet, même
lorsqu'on ne parle pas, les opérations cognitives mises en oeuvre, et l'enchainement des actions
laissent supposer l'existence d'un discours intériorisé que Bakhtine substitue à la notion
traditionnelle de conscience. Il y a donc du langage intériorisé. C'est aussi ce qui explique la
fonctionnement du monologue. Quand on parle seul, on se crée en fait un interlocuteur (une partie
de soi), avec qui l'on dialogue.
R. Vion signale toutefois que "les sciences humaines semblent désormais travailler avec un sujet
social et n'opèrent donc plus à partir du sujet "psychologique" individuel". L'interaction constitue
dès lors une dimension permanente de l'humain, de sorte qu'un individu, une institution, une
communauté, une culture, s'élaborent à travers une interactivité incessante qui, sans s'y limiter,
implique l'ordre du langage (1992 : 19).
2 Sens spécifique
2 1 Face a face
On ne peut pleinement parler d'interaction, verbale ou non, qu'en face à face, en co-présence,
lorsque les participants partagent le même contexte spatial et temporel. Dans une telle situation, les
participants se perçoivent par tous les sens (c'est la multicanalité). L'émetteur est en même temps
récepteur, et l'émission est contemporaine de la réception. C'est la rétroaction, qui demande une
proximité.
Les deux extrêmes sont constitués par le face à face d'une part, et la communication différée d'autre
part. On parle de communication différée lorsque l'émission et la réception ne se produisent pas
dans le même temps, par exemple pour l'écriture, qui est un mode de communication différée
-hormis dans le cas des “chats”-. Signalons que lorsque l'émission et la réception sont différées, on
ne peut plus vraiment parler d'interaction, puisque qu'il n'y a pas de face à face. Des expressions
telles que "viens me le dire en face", "j'ai préféré lui écrire plutôt que lui dire en face" montrent bien
la spécificité du face-à-face, que l'on oppose à la communication différée (comme l'écrit).
Nous joignons une partie de la définition du Petit Robert ("face") pour illustrer notre propos.
Loc. adv. (1534) EN FACE : par-devant. Regarder quelqu'un en face, le fixer des yeux, soutenir
hardiment son regard. — Il le lui a dit en face, directement. — Fig. Regarder le péril, la mort en
face, sans crainte. Il faut voir les choses en face, sans biaiser, sans chercher à se leurrer.
Loc. adv. (XVIIe) FACE À FACE : les faces tournées l'une vers l'autre, en vis-à-vis. « Les mains
dans les mains restons face à face » (Apollinaire). Il se trouva face à face avec un ancien camarade
(cf. Nez à nez).
Un face-à-face nom masculin, invariable :
• 1965; de face à face
Débat, portant souvent sur un sujet politique, entre deux personnalités qui représentent des
opinions, des milieux, des intérêts différents ou divergents. Un face-à-face télévisé entre deux
candidats aux élections. Organiser un face-à-face et une table ronde.
Nous définirons plus loin le sens que prend le mot "face" seul, dans des expressions comme "face
work" ou "protéger sa face".
2 2 Multicanalité
Une conséquence directe du face à face, c'est le fait de se percevoir mutuellement par tous les sens.
On parle de communication "multicanale". Il y a, dans une communication face à face des messages
kinésiques, proxémiques, visuels, olfactifs, des messages produits par le contexte, et des messages
linguistiques. Entre les deux extrêmes que sont le face à face et la communication différée, il existe
tout un ensemble de situations où une partie seulement des sens est sollicitée, ces situations peuvent
encore être qualifiées d'interactions. On dit alors que la multicanalité est réduite, puisque certains
sens ne peuvent être utilisés.
Dans le cas de la communication téléphonique, par exemple, on perçoit bien sûr le verbal et
le paraverbal, mais non la gestuelle, les postures et les regards (du moins tant que les écrans sur les
portables ne sont pas monnaie courante...)
Dans d'autres situations, les deux participants peuvent ne pas disposer de certains canaux (ce
qui sollicite davantage les autres), lorsqu'ils sont sourds ou aveugles, par exemple.
On peut aussi évoquer des situations dans lesquelles les interactants ne disposent pas à
égalité des canaux de communication : l'un est caché et voit l'autre qui ne le voit pas, l'un n'entend
ou ne voit pas bien, ou a des difficultés à s'exprimer.
Nous envisagerons dans le chapitre suivant ce qui relève du non verbal dans la communication, et
qui exclut donc les messages linguistiques.
2 3 Rétroaction
Une autre spécificité du face à face est la simultanéité de l'émission et de la réception (lesquelles
sont différées dans la communication du même nom). Lorsque l'émetteur parle, (qu'il émet, donc), il
reçoit en même temps les réactions de son message sur le ou les récepteurs. Nous sommes donc, à
tout moment, émetteur et récepteur, ce que ne montrait pas, rappelons-le le schéma de la
communication de Jakobson. Ceci influe naturellement sur la production en continu du message : je
le module en fonction des réactions de l'allocutaire, et de ce que j'interprète de ses réactions. Ainsi,
par exemple, si j'observe une attitude de réprobation, je peux essayer de justifier ou d'atténuer mes
dires. S'il s'agit d'incompréhension, je peux expliquer, reprendre, illustrer... ou ne pas tenir compte
de ce que je constate.
C'est la raison pour laquelle, même si j'ai parfaitement préparé ce que je voulais dire, ma production
orale sera différente, forcément modulée par l'allocutaire. C'est aussi ce qui fait que l'on ne parle pas
comme l'on écrit : il y a une syntaxe, une organisation propres à l'oral. Et donc une linguistique de
la parole. Un autre exemple est celui du conte. La nature profondément orale du conte (compris
comme "récit en prose d'événements fictifs transmis oralement") fait que chaque "récitation" (ou
"contage") diffère, en fonction du public, du cadre, du moment. Il n'est pas indifférent de conter
pour un public d'enfants ou d'adultes, féminin ou masculin, rural ou citadin. Ces paramètres (et
d'autres encore) modèlent la façon de dire, laquelle est tributaire de la façon de recevoir le conte.
La rétroaction (et la part non verbale de l'interaction) font que l'enregistrement vidéo devient la
seule solution si l'on veut étudier l'interaction dans sa totalité. Mais il pose aussi des problèmes, en
effet l'enregistrement d'une situation n'équivaut pas, loin s'en faut, à la situation enregistrée.
Imaginations que deux interactants soient placée en face à face. Pour que l'on puisse voir les
personnes de face, il faudra que deux caméra filment et retransmettent simultanément les images.
Une troisième image simultanée pourrait, de biais, donner des informations sur la gestuelle et les
postures. Le dispositif devient assez complexe, si l'on veut essayer de donner des images qui se
rapprochent au maximum des faits de l'interaction. Dans un second temps, il faut envisager les
difficultés que posent les transcriptions de corpus vidéo.
C'est pourquoi nous nous limiterons, dans le cadre de ce cours aux aspects verbaux de l'interaction,
avec toutefois une exigence importante quant à la transcription.
2 4 contenu et relation
Bateson pose que toute énonciation présente deux aspects. D'une part le contenu, qui est
l'information transmise, d'autre part la relation qui est le cadre des rapports entre les interactants. La
relation est une "métacommunication", elle englobe le premier aspect, le contenu, en indiquant la
manière dont l'énoncé doit être reçu, à un niveau supérieur, donc. Cela souligne cet aspect de la
relation.
Par exemple "Ouvrez la fenêtre !" en donnant cet ordre, j'exprime mon désir de voir la fenêtre
ouverte, c'est le contenu. Mais en même temps, je signifie à l'autre (celui à qui je donne l'ordre) que
je suis en position de lui donner des ordres, donc hiérarchiquement supérieure. Le destinataire de
l'ordre, peut répondre au contenu en effectuant l'action ordonnée, ouvrir la fenêtre, ou réfuter ce
contenu en expliquant pourquoi il ne peut le faire. Il peut aussi s'intéresser à la relation, et la
contester : "pour qui me prends-tu ?" "je n'ai pas d'ordre à recevoir de toi !", ou la souligner
ironiquement "à vos ordres, chef !". Les combinaisons entre l'action induite par le contenu (ouvrir la
fenêtre) et la réaction provoquée par la relation (contester, souligner etc.) peuvent s'effectuer
diversement. Par exemple : ouvrir la fenêtre en disant "vous pourriez le demander plus poliment !".
Antre exemple (G.D. De Salins, 1992 : 101) deux refus (ayant un même contenu informatif)
peuvent présenter un aspect relation très différents :
- « Quel dommage, j'aurais adoré être avec vous, mais malheureusement... » (regret sincère)
- « Quoi ? Aller diner chez vous, mais vous n'y pensez pas ! J'ai vraiment mieux à faire... » (insulte
voulue).
Contenu et relation peuvent entrer en contradiction, ils se distinguent alors de manière encore plus
nette. Par exemple, si je dis "Sois indépendant", ou "Aime-moi", je place l'allocutaire dans une
situation contradictoire : s'il accède à ma demande, au niveau du contenu, il réalise par là-même une
relation qui vient contredire ce contenu. L'amour ne peut se commander, de même que le fait de
devenir indépendant se réalise en s'affranchissant de l'emprise (des ordres) d'autrui. C'est ce que l'on
appelle le "double-bind", ou "double contrainte".
Pour conclure, on peut rappeler ce que dit P. Watzlawick (Une logique de la communication,
traduction 1972, Seuil) : Plus une relation est saine, plus l'aspect communication passe au second
plan. Inversement, les relations malades se caractérisent par un débat incessant sur la nature de la
relation, et le contenu de la communication finit par perdre toute importance.
a) On considère que l'énoncé est une fonction de la langue. On va alors l'extraire de son contexte
pour l'étudier formellement, le but recherché est la description de la langue.
b) On considère que l'énoncé est fonction de son émetteur. On valorise alors la fonction expressive
(centrée sur l'émetteur), l'énoncé est un indice de la personnalité de son émetteur. Si l'énoncé est
littéraire, il sera considéré comme reflétant son auteur. L'analyse énonciative adopte la plupart du
temps ce point de vue.
c) On considère que l'énoncé est fonction de l'interlocuteur. C'est alors la fonction conative (centrée
sur le récepteur) qui est activée. L'énoncé est produit en fonction de son interlocuteur, il s'adapte à
lui. Plus précisément, c'est le rapport social locuteur-allocutaire qui détermine l'énoncé. Ce point de
vue est déjà celui de l'interaction.
d) On considère que l'énoncé est co-produit par A et B. C'est la relation entre A et B qui permet la
production de l'énoncé, ce point de vue est pleinement celui de l'interaction.
1 La scène
Elle est donc composée de deux éléments : le site qui est le cadre spatio-temporel de l’interaction, et
son but.
1 1 Le site
Je peux recourir à de très nombreux critères lorsque je cherche à définir le cadre spatio-temporel
d'une interaction. Par exemple, je dirai qu'il s'agit de la D 202, salle de cours du second étage du
bâtiment D de la Faculté des Lettres, située à Mont-Saint-Aignan, dans la proche banlieue de
Rouen, ville moyenne de l'Ouest de la France, préfecture de la région Haute-Normandie, etc. Idem,
du point de vue temporel : le jour de la naissance de ma fille, le 21 novembre 1985, la veille de la
mort de Nougaro... Ce qui est difficile, c'est de déterminer les caractères pertinents de ce site pour le
décrire, car l'importance des critères est toujours relative.
1 1 1 Définir le site
1)Je peux recourir à la définition officielle de certains lieux, lorsque ces derniers en ont une : une
salle de classe, une église, un tribunal, une mairie... sont des lieux dont la fonction et la structure
existe officiellement. Leur organisation matérielle répond à des règles et à des besoins explicités. Ce
n'est pas le cas de nombreux autres lieux.
2) C'est alors au chercheur qu'il appartient d'estimer la pertinence des critères qu'il retient. Il part,
pour ce faire, de son savoir, de sa théorie sociale, et doit les rendre apparents. Ainsi, selon l'exemple
de B. Gardin, une salle de classe peut être décrite comme un lieu dont la fonction est "l"inculcation
idéologique". Le chercheur, suivant la position de L. Althusser, verra l'école comme un "appareil
idéologique d'état", chargé de la reproduction de l'idéologie dominante et des rapports sociaux. Il
aura une position engagée refusera les descriptions des non-spécialistes ainsi que celles,
institutionnelles, évoquées en 1), qu'il jugera comme trompeuses. Il considérera, pour poursuivre
l'exemple cité, que le dogme égalitaire de l'école, qui donne une chance égale à tous les enfants, est
une mystification, et qu'elle est au contraire essentiellement reproductrice des rapports sociaux,
donc inégalitaire.
Il est à noter que ce type de discours d'opposition traverse aussi le corps social, et trouve même des
échos dans les grands médias, réduisant les deux possibilités précédentes à deux positions
contradictoires. Ceci rend la troisième position d'autant plus intéressante.
3) Dans ce troisième cas, ce sont les participants qui définissent et construisent la situation. Ils le
font de différentes façons : explicite : ils décrivent des paramètres ; implicite : ils font des allusions ;
enfin par leurs comportements, ils expriment leur vécu de cette situation. Cette attitude est
constructiviste. Ils peuvent recourir à la définition "externe" (1), mais c'est une possibilité parmi
d'autres. Les définitions que les participants donnent d'une situation qu'ils vivent sont valides : en
effet, selon l'expression de Garfinkel, "les gens ne sont pas des "idiots culturels". C'est le choix que
fait l'ethnométhodologie.
1 1 2 L' ethnométhodologie
Le fondateur de cette discipline est Garfinkel, qui publie en 1967 : Studies in ethnomethodology.
Pour l'ethnométhodologie, le travail du sociologue consiste à décrire les méthodes utilisées par les
individus pour réaliser les actions sociales, et donner du sens aux situations qu'ils vivent. Mais il ne
doit pas imposer aux faits une analyse savante, extérieure. Il lui faut décrire ce que font les gens, qui
ne sont pas des "idiots culturels", comment ils le font et les méthodes qu'ils emploient. Il s'agit là du
point essentiel : les faits sociaux ne préexistent pas aux membres de la société (comme dans la
sociologie de Durkheim), ils sont construits par eux. Cette construction met en oeuvre des énoncés.
L'ethnométhodologie cherche donc d'une part à identifier les catégories que les individus établissent
eux-mêmes dans leur vie sociale. Un second objectif est la mise à jour des implicites sociaux qui
structurent la vie quotidienne. Ceci peut s'effectuer par la provocation expérimentale ou
l'observation (Cf. l'ouvrage cité ci-dessus de R. Carroll)
1 1 3 Les scripts
Les trois modes de description de la scène sont différents, mais pas forcément antagonistes. On peut
dire que certaines situations sont mieux décrites par l'un ou l'autre mode. Dans le cas de sites
fortement codés dont la structure impose des comportements verbaux et non verbaux (lesquels sont
alors connus et acceptés des participants), il est légitime de recourir à une description officielle,
évoquée en 1), une analyse de type déterministe. Celle-ci peut-être complétée par un point de vue
constructif, évoqué en 3) car il est essentiel de voir comment les participants actualisent ces règles.
D'autres lieux ont des "scripts" moins stricts. La notion de "script" est originaire du domaine de
l'intelligence artificielle.
Un script : est un cadre de connaissances (ensemble ordonné d'informations avec des cases vides
qui servent à l'adapter aux différentes situations) utilisé pour comprendre (et par la suite anticiper)
des successions d'événements, sous formes de scènes et d'épisodes. Ces schémas sont complexes car
constitués non seulement d'actions, mais de concepts ou schémas plus généraux. Par exemple, le
script "visite chez le médecin" renvoie à un schéma général de "consultation", qui comprend la prise
de rendez-vous, le déplacement, la rencontre et le règlement. Chacun de ces éléments peut être
décomposé en sous-programmes. La « consultation », par exemple se décompose en : exposé du
problème par le patient, questions/recherches d'informations par le médecin, examen, diagnostic,
puis prescription. La connaissance de tels schémas stéréotypés permet de comprendre, puis de
prévoir les situations, d'en comprendre les éléments implicites, afin d'adapter son action aux
différents types d'environnements, et de s'adapter à leurs variations.
(d'après le Dictionnaire d'analyse du discours, P. Charaudeau, D. Maingueneau, 2002.)
L'interaction utilise la notion de « script » pour structurer le savoir encyclopédique : il est en effet
nécessaire de connaitre des suites d'actions stéréotypées verbales ou non verbales pour pouvoir
interpréter la plupart des énoncés. Autre exemple, le script « prendre l'avion », pour un voyageur va
être : acheter un billet dans une agence, se rendre à l'aéroport, faire enregistrer ses bagages,
présenter son passeport, se rendre dans le terminal etc. Pour comprendre un énoncé tel que « je n'ai
pas pu prendre l'avion, mon visa était périmé », il faut connaitre ce script, savoir qu'avant de monter
à bord de l'avion on doit faire connaitre son identité à l'aide d'un passeport, dans lequel se trouve un
visa, d'une durée limitée, autorisant le voyageur à se rendre dans le pays concerné.
La question qui se pose est alors celle de la quantité d'informations comprises par le script.
Encore un exemple, le script du restaurant : j'entre et la garçon me demande combien de personnes
sont prévues, il ne demande plus si l'on est fumeur depuis la loi d'interdiction de fumer dans les
lieux publics, il propose une table, prend éventuellement les manteaux etc. Je peux transgresser le
script, en refusant la table, ou en la choisissant moi-même d'emblée, sans qu'il s'ensuive de sanction
forte et légitimée. Mais l'interaction peut en être modifiée, devenir conflictuelle, tendue etc.
Enfin, certains lieux sont presque totalement dépourvus de scripts, par exemple, si je rencontre ma
voisine à la plage. C'est alors aux participants d'inventer leurs comportements. Je pourrai lui parler
(alors que les rapports sont habituellement restreints), lui dire simplement "bonjour", voire
l'ignorer... En fait, ce sont surtout les rapports que les participants entretiennent avec les lieux plutôt
que les lieux eux-mêmes, qui sont à prendre en compte. Quelqu'un qui n'est jamais allé au restaurant
ne saura pas s'y comporter de manière attendue.
Il est important de préciser également que les sites avec leurs caractéristiques n'ont de valeur qu'à
l'intérieur d'une culture, ou d'un groupe, au sens large. Par exemple, les normes de comportement à
table sont variables d'une famille à l'autre. Les enfants pourront se servir eux-mêmes ou non, auront
la permission de se lever ou non, pourront participer à la conversation des adultes ou non. La
télévision sera allumée pendant le repas ou non etc. Autre exemple : on ne se comportera pas de la
même façon au restaurant en Chine ou en France. L'organisation des plats sera différente, les
couverts également, la façon de se servir, l'appréciation des mets, le fait de rester à table ou non une
fois le repas fini, tout ceci sera sujet à variation.
1 2 Le but
Nous l'avons évoqué dans la typologie : certaines actions sont finalisées, les participants y ont un
même but, connu de tous (réaliser une tâche, un travail, gagner un match...) ou des buts
complémentaires (vendre/acheter, demander conseil/conseiller ...) Ce but peut être dit externe,
lorsqu'il y a production ou transfert d'un objet non langagier, du réel.
D'autres actions ont un but interne, sans incidence directe dans le réel, comme la conversation, par
exemple, dont nous avons dit qu'elle avait pour finalité la reproduction du lien social.
2 Le cadre participatif
-Au contraire, les participants non-ratifiés ou témoins ne font qu'assister à l'échange, dont ils sont en
principe exclus. Parmi ces témoins, on trouve les "vrais témoins" : l'émetteur est conscient de leur
présence (les autres passagers proches dans le cas d'un dilogue dans un transport en commun par
exemple). Et les intrus, qui surprennent son message à l'insu de l'émetteur (une conversation qu'un
intrus écoute à la porte).
Rappelons que ce schéma n'est pas figé, que les participants à l'interaction peuvent changer de rôle.
2 2 L'adresse indirecte
Lorsque la véritable cible du discours est indirecte, on a affaire à ce que C. Kerbrat-Orecchioni
qualifie de trope communicationnel (C. Kerbrat-Orecchioni, 1990 : 92), lorsque s'opère, sous la
pression du contexte, un renversement de la hiérarchie normale des destinataires. C'est à dire que
celui qui, en vertu des indices d'allocution fait figure de destinataire direct ne constitue en fait qu'un
destinataire secondaire, tandis que le véritable allocutaire est celui qui a en apparence le statut de
destinataire indirect. C'est fréquent au théâtre, lorsque les énoncés sont trop osés ou menaçants.
Mais plus largement, on peut dire que le discours de la pièce de théâtre fonctionne dans sa globalité
sur le mode du trope communicationnel, tout comme celui des interviews et débats médiatique de
télévision ou radiophoniques.
La parole y est en effet bi-adressée, à deux niveaux de destinataires :
1) l'un "direct" en apparence : les débatteurs qui font comme s'ils ne parlaient qu'entre eux.
2) celui des auditeurs, en apparence "indirect", qui est en fait le principal.
On peut donc dire, en conclusion, que les schémas d'interlocution sont par essence flous.
Il conviendra toutefois, lors que l'analyse, de distinguer :
-Le format de production, et d'étudier le rôle que jouent les participants en tant qu'émetteurs de
messages : celui de président dans une discussion, de modérateur dans une dispute...
-Le format de réception, où l'on observera les rôles joués par les participants en tant que récepteurs.
Il faudra distinguer entre les récepteurs ratifiés et les témoins, ainsi que préciser le fonctionnement
de la parole bi-adressée, lorsqu'elle se produit.
2) Les rencontres sportives, elles modalisent le cadre primaire de la bagarre, du combat, mais dans
un cadre sportif.
3) Les réitérations techniques : ce sont les répétitions de tous ordres, entrainement, examen blanc...
4) Les cérémonies
5) Les détournements : par exemple lorsqu'une dame riche se transforme en vendeuse pour une
vente de charité.
La fabrication : Dans la modalisation, l'ensemble des participants partage le même point de vue.
Au contraire, la fabrication est fondée sur une différence de points de vue, écrit Goffman. Celui qui
est à l'origine de la fabrication va désorienter les autres en faussant leurs convictions, en les
trompant. On va distinguer :
• Les fabrications abusives : escroqueries, il y a alors une vraie victime qui subit un
dommage.
Il est cependant difficile de classer de manière stricte à l'intérieur de ces cadres, dans la mesure où
les situations "réelles" sont souvent complexes, et peuvent relever de plusieurs genres : la répétition
d'une pièce de théâtre, un combat sportif truqué... Une émission comme "Loft story" est
intéressante à cet égard : c'est un spectacle, annoncé comme tel, il y a des caméras dans toutes les
pièces. Mais les "acteurs" n'en sont pas, ce sont des personnes ordinaires (cependant sélectionnées
strictement sur des critères précis). Elles ne sont censées jouer aucun rôle, sinon celui de la vie
courante dans un appartement. Peut-on toutefois se comporter tout à fait normalement sous l'oeil de
la caméra ? D'autre part, on a su qu'il y avait quand même un scénario (lequel s'est retrouvé à
l'identique dans des émissions du même type aux Pays Bas, par exemple). On le voit, les choses se
présentent d'une façon tout à fait complexe.
Nous l'avons dit, ces cadres sont des constructions, et en tant que tels, ils sont vulnérables, car nous
avons parfois du mal à cadrer certaines situations. On hésite à savoir si tel propos est une
plaisanterie ou non, s'il s'agit d'une allusion qui nous est destinée etc. Ces expériences sont parfois
désagréables. Les cadres peuvent également s'enchainer de manière impromptue : un jeu dégénère
en bagarre, une bagarre en scène amoureuse etc.
Je cite, pour illustrer ces notions, deux fragments extraits de L'empire des médias (Manière de voir
n° 63, mai-juin 2002, Le Monde diplomatique.)
1) "Big Brother", I. Ramonet, p. 33 : "Ce qui passionne le public sans qu'il en ait forcément
conscience, c'est la métamorphose qui s'opère sous ses yeux et qui transforme par la magie du direct
et du continu des personnes somme toute ordinaires, prélevées dans la vie réelle, en personnages, en
acteurs d'une histoire, d'un récit, d'un scénario qui ressemble à un feuilleton, à une fiction. Aziz,
Loana, Julie et les autres sont à la fois eux-mêmes et plus tout à fait eux-mêmes puisque, en se
donnant en spectacle ils finissent par devenir les protagonistes, les stars d'une fiction filmée".
L'auteur de l'article explique ensuite que la célébrité ainsi rapidement et facilement acquise n'est
qu'un leurre, car elle est finalement "jetable", comme tout ce que fabrique le système médiatique en
pleine "guerre concurrentielle."
NB (Avec le recul, il me semble que ces propos se sont vérifiés...)
2) "Le stade de l'écran", par Marc Augé, p. 53 : "Loft Story" condense tous les traits marquants de
l'idéologie dans laquelle nous vivons, l'idéologie du présent dont le jeu est l'instrument qui se traduit
par la confusion entre personnes, acteurs et personnages. Comme toute idéologie, elle est commune
aux manipulateurs et aux manipulés, aux exploiteurs et aux exploités. La nouveauté n'est pas là.
Elle serait plutôt du côté de la distinction que faisait Freud entre l'enfant et l'adolescent. L'enfant
disait-il ne confond pas le monde de ses jeux avec la réalité, à la différence de l'adolescent qui croit
à ses fantasmes. On pourrait conclure que si l'humanité, aujourd'hui ne retombe pas en enfance, elle
peine à sortir de l'adolescence."
Elisabeth LHOTE, Enseigner l'oral en interaction, percevoir, écouter, comprendre
Hachette FLE, 1995.
L’interaction, selon Lhote dans Enseigner l’oral en interaction, est une communication orale en
activité qui prend en compte plusieurs paramètres. En production, la parole est liée au geste pour
former le message du locuteur. L’interlocuteur reçoit le message par les canaux de la vue et de
l’ouïe. Cependant, il n’y a là rien de simple, ni de mécanique, surtout pour des allocutaires pour qui
le français est une langue étrangère. L’interaction orale fourmille en effet d’indices, qu’ils soient
dans l’intonation ou dans la mimique, que l’interlocuteur doit savoir capter, analyser, interpréter, ce
qui est d’autant plus difficile que de nombreux éléments de l’interaction sont en fait implicites et les
indices à décoder relèvent à la fois de l’individu, de la langue, du code langagier et de la situation
de communication.
Pour aider l’apprenant étranger à travailler l’interaction orale en français, il faut non
seulement tenir compte de la complexité de ces facteurs mais aussi du caractère sonore étranger de
la langue pour eux. Lhote explique à ce propos le concept de « paysage sonore » qui met en exergue
le fait que notre langue maternelle, avec l’ensemble des représentations mentales qu’elle véhicule, à
travers son rythme particulier, ses intonations spécifiques, conditionne notre écoute : « l’enfant
développe naturellement dans son paysage des mécanismes de stratégie d’orientation et des
mécanismes de repérage » dont il faut tenir compte pour aider l’apprenant à se familiariser avec un
paysage sonore étranger, avec de nouvelles stratégies d’écoute, la construction d’un nouvel horizon
d’attente, c’est-à-dire d’une nouvelle dynamique dans le comportement d’écoute. Par exemple, dans
le cas d’un public arabophone, habitué à focaliser son attention sur les syllabes accentuées des mots,
il lui faudra ouvrir son oreille à une mélodie française à accent de groupe tandis qu’un francophone,
pour qui une accentuation de mot ponctuant la phrase peut être perçue comme agressive, devra
éviter de se fier au paysage sonore français pour juger l’intention implicite de la parole en arabe, en
s’aidant aussi de ses yeux et d’un certain bon sens, même si, pour ce qui est des indices visuels
aussi, le quiproquo est possible car la gestualité varie, les mimiques également.
Lhote prend en compte ces différents éléments pour établir les modalités d’une approche
paysagiste réussie permettant à l’élève, à partir de ses représentations préalables, d’aller vers une
meilleure production, perception et compréhension orale en langue étrangère. Pour cela, elle
s’appuie sur deux objectifs fondamentaux ; celui de développer de nouvelles stratégies de repérage
et d’orientation en éveillant les différentes facultés perceptuelles et celui de développer et renforcer
les mécanismes de mémorisation en s’appuyant sur la capacité qu’à l’apprenant à faire appel, pour
rattacher l’inconnu au connu, au sensoriel, à l’affectivité et à l’expressivité, en « nourrissant
fortement les représentations mentales de chacun ».
L’apprentissage de l’interaction selon Lhote offre un point de vue global sur les mécanismes
en jeu et permet de développer des stratégies pour offrir aux apprenants des outils afin de mieux
écouter, de mieux parler, de mieux comprendre. L’évaluation de la progression de l’apprenant, en
interaction peut alors se faire en terme de réussite ou non de l’interaction orale : y a-t-il continuité
ou rupture dans la communication? L’échange a-t-il été un succès ou un échec? La prise et le tour
de parole étaient-ils adaptés? La réussite de l’interaction dépend du résultat de la communication,
de l’adéquation de son impact avec les intentions qu’elle cherchait à transmettre.
Résumé de l'ouvrage par chapitres.
Chapitre 1
La communication orale en activité
L'association entre le verbal et le gestuel constitue un des premiers éléments de complexité de la
communication orale.
Comprendre un dialogue, ce n'est pas seulement comprendre des mots, mais savoir décoder le lien
qui est fait par celui qui parle entre des intonations et des mimiques. (Ex.10-13)
Même un dialogue très simple :
-Tu viens lundi travailler avec moi ?
-lundi... je n'sais pas encore.
S'interprète selon des habitudes communicatives qui sont complexes. (comment esquiver une
invitation et une demande de service sans blesser l'autre).
Il ne suffit pas de savoir parler français pour communiquer en français, ni comprendre les mots pour
comprendre leur charge implicite et pragmatique.
A mémoriser :
-Dans un dialogue en coprésence, l'auditeur pour comprendre associe des indices sonores et visuels
qui fonctionnent en complémentarité. L'intonation contribue fortement à donner le sens général de
interprétation. Le contexte situationnel (tout ce qui s'est passé avant le moment de l'énonciation, qui
comprend le lieu, le moment, les interlocuteurs et leur histoire conversationnelle) est également
essentiel.
Les formes intonatives seront mieux mémorisées dans un contexte situationnel bien défini. Plutôt
que de multiplier les différents dialogues ou jeux de rôles, il vaut mieux multiplier les contextes
situationnels sur le même dialogue. (pour focaliser l'attention sur des indices fins que l'on oublie
d'habitude d'écouter ou de voir.) exemples p. 19.
Chapitre 2
La notion de paysage sonore
Cette démarche de pédagogie de l'oral, centrée sur l'auditeur, se fonde sur deux points importants :
-attirer l'attention de façon explicite sur l'écoute libère chez l'adulte des mécanismes (attention,
sélection et mémorisation) qu'autrement il contrôle trop.
-comprendre aide à parler (corrélation émission / réception).
La notion de « paysage sonore », introduite par un compositeur canadien, Schafer (1979 The New
Soundscape) tente de sensibiliser au problème de « pollution acoustique mondial » et aux
changements sonores du monde.
Cette notion de paysage sonore associe la vue et l'ouïe. (l'homme possède cette faculté de cumuler
des perceptions, par ex. l'odorat et le goût pour les aliments, cf. la madeleine de Proust).
Le paysage sonore va intégrer des séquences sonores variées dans une seule représentation mentale.
Par ex. le calme d'une forêt en hiver = un ensemble de petits bruits, silences et des sons variés. On
peut l'associer à une image visuelle.
Chaque langue possède son propre paysage sonore, et la langue maternelle représente un élément
important du paysage sonore dans lequel baigne l'enfant même avant sa naissance.
Conséquence importante : chaque auditeur a un « comportement d'écoute » lié aux paysages
sonores de sa langue, de son dialecte, de sa région, et qui possède aussi des variantes
individuelles selon les habitudes de la personne.
Il est nécessaire d'écouter des personnes variées, à la voix différente et dans des situations nouvelles
pour construire un paysage sonore. Celui-ci étant non la langue elle-même, mais une
représentation mentale de la langue.
Il s'ensuit une conséquence importante sur le plan pédagogique : écouter toujours le même
enseignant n'est pas bon, de même pour les exercices où ce sont toujours les mêmes personnes qui
sont enregistrées. Il faut de la variation.
Dans la langue maternelle, la construction du paysage sonore se fait progressivement sans prise de
conscience des phénomènes. L'enfant « explore sa langue et sa culture comme sa maison » (p. 25),
il développe des stratégies d'orientation et de repérage et apprend à parler un peu comme on
apprend à marcher. Il apprend en particulier à découper le flux sonore en unités qui font du sens tout
à fait naturellement.
Les facteurs qui contribuent le plus fortement à structurer le paysage de la langue maternelle (LM)
sont le rythme et l'intonation. On peut imiter une langue étrangère (LE) sans mots en reproduisant
des mélopées intonatives et rythmiques. On arrive aussi à savoir si une langue qu'on entend de loin,
sans comprendre est ou non sa LM.
La grande différence, quand il s'agit d'une LE c'est que la structuration des mécanismes cognitifs
rend l'explicitation indispensable. Il faut alors apprendre à segmenter différemment.
En français, c'est très important, l'écoute conduit à porter son attente maximale vers la fin du groupe
rythmique. (la voyelle de la de la dernière syllabe du groupe est d'une durée double) Puisque le
français est une langue à accent de groupe, et non une langue à accent de mot. C'est ainsi qu'en
français, on écoute que très peu les débuts de mots ou de phrases. (sauf accent d'insistance).
C'est différent en anglais ou en allemand, langues à accent de mot, dans lesquelles il faut focaliser
l'attention sur la syllabe accentuée.
Ecouter dans une langue développe donc certaines habitudes perceptives dont on ne découvre
l'importance que lorsque l'on change de langue, puisqu'on doit apprendre à écouter autrement.
On peut alors dire que « apprendre à parler une langue nouvelle, c'est aussi apprendre à écouter et
comprendre dans une autre langue ». (p. 26)
Reconnaître des formes dans une langue, malgré les variation énonciatives qui peuvent être
considérables (intonation expressive, par ex) est l'obstacle le plus long à franchir. Il faut apprendre à
modifier son horizon d'attente (propriété dynamique du comportement d'écoute), en pratiquant des
activités basées sur le rythme. (cf rappel en cours sur les principales caractéristiques du français).
Chapitre 3
Apprendre à écouter
Dans la LM, l'enfant apprend à écouter en apprenant à parler. En LE, la production est marquée par
les habitudes motrices acquises en LM. Mais il est moins connu que la LM laisse aussi une
empreinte sur la façon d'écouter. Par exemple, les marques orales du pluriel fonctionnent
différemment dans les langues, et l'on est habitué à reconnaître cette information selon la langue que
l'on parle et écoute. Changer de langue, signifie changer de repérage, de marques sonores.
Le rôle du rythme dans l'écoute :
Le rythme (définition, rappel) : Regroupement de formes sonores auxquelles on donne une unité et
un relief. L'unité est marquée par la mélodie de l'intonation, et le relief par des augmentations
d'intensité ou de hauteur.
L'intonation : elle varie avec la syntaxe, le rapport du locuteur à son énoncé (les
modalités)l'intention de celui qui parle envers son allocutaire (la tension).
Le rythme est prioritaire par rapport aux suites de mots et même de phrases. On peut dire que le
rythme de la LM conditionne le comportement d'écoute et de compréhension d'un natif. Ecouter
dans une langue, c'est écouter selon un certain rythme, et il est difficile de modifier ses réflexes
d'écoute.
Ce qui est particulier en français, c'est le fait que :
-les mots sont associés au sein des groupes rythmiques (et non séparés comme dans les langues à
accent de mot)
-c'est la durée qui marque la fin du GR (moins perceptible que la hauteur ou l'intensité).
-les groupes sont de taille très variable. (rappel de ce qu'est le rythme en cours)
Lorsque l'on apprend une nouvelle langue, on se trouve placé dans la situation du touriste qui arrive
dans une ville dont il ne connait pas le plan : il faut faire un effort de repérage, explorer et organiser
l'espace pour trouver des repères par rapport à des éléments rapidement identifiables.
Mais tous les auditeurs ne se comportent pas de la même façon. Un auditeur se trouve dans un état
spécifique dû à son éducation, sa culture, ses connaissances, son état psychique etc. Cela n'a bien
entendu rien à voir avec les capacités auditives. C'est essentiellement la LM qui structure
initialement son attente perceptive, sa façon « d'écouter », c'est à dire son aptitude à anticiper, le
fait de projeter vers l'avant son écoute. L'anticipation est rendue possible par des indices lexicaux et
syntaxiques, mais surtout rythmiques et mélodiques. En LM, cette faculté est très utile dans le cas
d'une communication pertubée (bruit).
Mais il est inefficace de calquer le comportement d'écoute de la LM sur la LE, car il faut changer
d'écoute. C'est aussi inapproprié que d'essayer de se repérer dans une ville étrangère avec les repères
d'une ville que l'on connait bien !
Lorsque l'auditeur a l'habitude de se repérer à l'accent dans le processus d'écoute, il est très gêné en
français, car les mots se fondent dans des groupes au sien des groupes rythmiques. Beaucoup de
problèmes peuvent venir de là.
« il travaille avec ardeur » « il travaille avec quart d'heure » (chinois)
« j'ai vu un avion » « j'ai vu un beau navion » (enfantin) d'autant que la cohésion est renforcée par
des phénomènes « syntactiques comme enchainement ou liaison, la chute du « e » muet)
Il faut donc mettre en oeuvre de nouvelles stratégies perceptives, adaptées à la situation et au type
de discours (actes de parole, type de discours).
Ecoute récapitulative : On fait récapituler un document assez long. On le fait réécouter pour voir s'il
manque une idée. C'est aussi ce qu'on fait quand on fait travailler des questions, et que l'on pratique
deux écoutes. Cela conduit l'auditeur à faire des synthèses partielles dans un document long, en
cours de l'écoute, pour décharger la mémoire à court terme, et pouvoir écouter un document long en
le comprenant.
Chapitre 4
Les formes de l'écoute
L'écoute est un processus aussi diversifié que la lecture, mais que l'on travaille peu. On considère en
général qu'il suffit de « tendre l'oreille ». Or il est nécessaire d'apprendre à diversifier son écoute.
L'écoute varie selon de nombreux paramètres : la situation de communication : lieu et moment, les
relations entre les interactants, les éléments para- et non verbaux.
On doit s'entrainer à l'observation des autres et de soi en situation d'écoute.
Quelles sont les spécificités de l'écoute interactive : elle « consiste à corréler les différentes tâches
affectées à l'activité d'audition dans le processus du langage » (p. 69)
Il y a des des tâches qui relèvent de l'activité physique de l'ouïe, et d'autres psychiques qui
transforment les éléments physiques en éléments de connaissance, pensée ou décision. Les relations
entre les niveaux et les tâches sont interactives.
Les objectifs de l'écoute (p. 71, voir photocopie de la page de l'ouvrage de E. Lhote donnée en
cours)
1) L'apprenant doit donc trouver de nouveaux repères, surtout s'il se trouve en immersion (en milieu
francophone) pour comprendre en français et se faire comprendre d'un locuteur francophone. Ces
repères vont d'abord être rythmiques et intonatifs.
Exemples
C. Kerbrat signale, dans le tome III des Interactions verbales que les Français sont connus pour se couper sans
cesse la parole, et parler tous en même temps. C'est vrai de l'ensemble des peuples méditerranéens. C'est au
contraire l'évitement de chevauchement qui est la règle dans les sociétés anglo-saxonne, germanique ou
scandinave. Ces différences sont à l'origine de conflits interculturels entre latins et anglo-saxons. Pour les
Français, le fait des interruptions permettent d'accélérer le tempo des conversations, ce qui donne une effet de
chaleur et de vivacité à la conversation (c'est le signe d'une conversation, alerte, animée, où l'on ne s'ennuie pas).
Pour les locuteurs Allemands ou Américains, c'est vécu très différemment : se couper la parole est une marque
d'agressivité, et la conversation devient confuse, anarchique. On sait que dans la comparaison interculturelle, c'est
d'une part le comportement, mais surtout son interprétation et la valeur qui lui est attachée qui varie.
Un autre exemple rapporté par R. Carroll (1987 : 44) "Des Américains se sont souvent étonnés en ma présence de
ce que les Français, "qui se disent si respectueux des règles de politesse" soient eux-mêmes si grossiers (rude) :
"ils vous interrompent tout le temps dans une conversation", "ils terminent vos phrases pour vous", "ils vous
posent des questions et n'écoutent jamais la réponse", etc. Les Français en revanche, se plaignent souvent de ce
que les conversations américaines soient "ennuyeuses", que les "Américains répondent à la moindre question par
une conférence", qu'ils "remontent à Adam et Eve", et qu'ils "ignorent tout de l'art de la conversation." R. Carroll
explique ensuite que bien que les deux peuples pratiquent la conversation (et que le terme soit d'ailleurs le même),
elle signifie des choses différentes pour chacun. Tandis que les Français y voient essentiellement un moyen
d'exprimer la relation, de "tisser un lien social", les Américains s'en servent plutôt pour mieux connaitre l'autre.
"Mais seulement dans le présent, dans les limites définies par le contexte, et sans que cela nous engage à
maintenir la relation, puisque la conversation n'est pas un commentaire sur notre relation, mais plutôt une
exploration. La conversation américaine ressemble plus à une randonnée à deux ou plusieurs en terrain inconnu
qu'à un jeu en terrain familier." (p. 59)
Nous avons déjà évoqué la tolérance des Français pour le phénomène de l'interruption. R. Carroll la commente de
façon intéressante, toujours dans une optique interculturelle : (1987 : 62-63)
" Plus encore que les questions qui n'exigent pas de réponse véritable, ce sont les «interruptions continues » de la
conversation française qui déroutent les Américains. Mais, comme on devrait s'y attendre maintenant, ce que
l'Américain prend pour une interruption n'en est pas vraiment une, joue un tout autre rôle dans la conversation
française. Vus de l'extérieur, des Français en conversation semblent, en effet, passer leur temps à s'interrompre l'un
l'autre. La conversation parait cependant agréable, et les participants ne donnent aucun signe d'être vexés, frustrés
ou impatients (pour l'observateur français s'entend). Au contraire, l'interruption semble être un principe moteur de
la conversation. Il est donc permis, à certains moments et non à d'autres d'interrompre sans être grossier. Pour
savoir quels sont ces moments, il suffit de considérer cette « interruption » comme un signe de ponctuation. Il ne
s'agit surtout pas de couper la parole à quelqu'un, au milieu d'un mot ou d'une phrase, mais de saisir la pause, si
brève soit-elle, pour réagir. Je ne fais pas cela pour attirer l'attention sur moi, ou prendre la parole, mais pour
manifester l'intérêt qu'à provoqué en moi la réplique de l'autre. Réplique qui mérite, qui appelle un commentaire,
un mot d'appréciation, des dénégations, des protestations, du rire, bref une réaction sans laquelle elle « tomberait à
plat ». La balle est lancée pour être justement rattrapée et relancée. Quand il n'y a aucune « interruption », que
chacun parle posément à son tour (comme dans la conversation américaine selon les Français), la conversation ne
« décolle » pas, elle reste polie, mondaine, froide, et autres qualificatifs de ce genre, tous négatifs.
Au contraire, les interruptions-ponctuation sont une preuve de spontanéité, d'enthousiasme et de chaleur, une
source d'imprévu, d'intérêt et de stimulation, un appel à la participation et au plaisir. (...) Pour un Américain non
averti, la rapidité de l'échange peut être interprétée comme une série d'interruptions (et donc une expression
d'agressivité) et le ton de la voix comme une expression de colère (quand ma fille était toute petite, elle m'a
demandé un jour pourquoi je me disputais toujours avec mes amis français qui venaient à la maison, et jamais
avec mes amis américains ; c'est probablement ce jour-là que j'ai commencé mes analyses culturelles ...)"
Chapitre 5
Apprendre à percevoir dans une langue étrangère
1) Ecoute et perception
Il ne suffit pas d'écouter pour percevoir, nos sens travaillent le plus souvent de manière incontrôlée.
Un bon sens d'observation, le fait de capter et d'identifier des indices sonores et visuels fait la
qualité de la communication. Les bons communicateurs sont capable de cela, « détecter de fins
indices sonores et gestuels chez autrui », et peuvent réajuster leur propre comportement en fonction
de cela.
En LE, ces éléments sont très importants pour comprendre une situation, parfois plus que le contenu
linguistique lui-même (p. 82). C'est moins vrai pour la prise de parole.
« Percevoir les gestes, les regards, les intonations expressives et quelques mots captés au passage
est parfois suffisant pour comprendre à la fois l'objet de la discussion, la nature des relations entre
les diverses personnes. »
« Etre un bon auditeur en LE, c'est d'abord observer les comportements, les attitudes, c'est
essayer de capter les éléments mis en relief qui sont inévitablement liés au thème ou à la façon
dont un interlocuteur se situe par rapport à lui. »
Ensuite, l'acuité va se porter sur des éléments plus fins, linguistiques. En français pour développer
l'acuité perceptive, l'attention devra se porter sur le groupe rythmique et l'intonation. Un moyen
efficace consiste à améliorer sa perception et sa mémorisation en associant l'auditif et le visuel,
l'auditif et le « paysage affectif ».
Mise en évidence des capacités d'auditeur des élèves (photocopie p. 7 donnée en cours).
Ce qui suit n'a pas été abordé en cours. Lisez le et préparez des questions si nécessaire.
-bas niveau (transformation de l'onde acoustique par l'oreille, « niveau phonétique ») Il s'agit
d'abord de mettre en relation des indices acoustiques avec des représentations phonétiques
mémorisées. Celles-ci sont ensuite corrélées à entités phonologiques qui correspondent à la langue
que parle le sujet. Les variations phonétiques sont à ce niveau filtrées. Ce filtrage se rapproche de
l'opération de tri (Troubetzkoy, 1964, « crible phonologique », sauf que cela ne fonctionne pas en
système binaire rejet/acceptation.) Lhote considère plutôt que l'acceptation de la variation dans une
même langue, c'est le fait d'un auditeur averti, et permet de mieux percevoir en LE.
Dans ce niveau très important, on rencontre :
-d'une part des suites de sons, considérées comme des structures (syllabiques et rythmiques)
-des groupes rythmiques et des séquences qui vont varier avec l'énonciation.
Décoder ce bas niveau signifie établir un lien entre des structures de la chaine parlée.
-haut niveau : opérations mentales effectuées par le système nerveux central. Il s'agit, de façon très
simplifiée de l'opération de compréhension.
On comprend aisément que les opérations ne se déroulent pas de la même façon en LM et en LE. Le
temps de traitement est plus long, et les chances de réussite à toutes les étapes du processus moins
importantes.
Ce qui est spécifique du français, c'est le regroupement en une seule unité du nom et de son article,
qui donnent le son « z » dans la liaison, indice majeur du pluriel. L'auditeur habitué à une autre
langue ne va pas spontanément porter son attention sur cet élément.
2 Développer la compréhension :
1) Activer les comportements perceptifs : comme en LM l'apprenant peut comprendre l'état d'esprit
de celui qui parle (même imparfaitement ou plus lentement).
2) Intégrer les compétences antérieures à l'apprentissage
pour les adultes, il est valorisant et rassurant de référer à ce qu'il connait déjà. On peut donc :
-le mettre dans une situation qu'il connait
-le mettre en situation d'actant, lui donner l'initiative
3) Utiliser des représentations symboliques (images) pour faciliter la compréhension
4) Entrainer à la synthèse partielle par la reformulation, pour les niveaux avancés. C'est un bon
moyen de développer la compréhension des textes long : on fait à haute voix ce que l'on fait
inconsciemment quand on écoute quelque chose dont on a envie de se souvenir : on regroupe des
passages sous la forme d'une idée, avec ses propres mots. Cela permet d'écouter plus efficacement
la suite.
5) Activer les procédures d'induction
Quand on lit ou écoute, on ne récolte pas des données pour les ajouter à un stock antérieur. On
associe des éléments nouveaux à des ensembles de connaissances et contextes disponibles qui sont
« activés » durant un certain temps.
Cela s'appelle induction, et consiste à réactiver par le raisonnement ou l'intuition d'autres
connaissances ou éléments d'expérience.
Ce processus est retardé en LE, mais on peut aider les apprenants à le faire, en analysant le
contexte, et familiarisant l'auditeur avec le locuteur et le sujet traité.
Chapitre 7
Les fondements psycholinguistiques de l'approche perceptuelle
(ce chapitre, plus technique, nous intéresse moins directement. Je ne le résume pas dans le présent
document.