Vous êtes sur la page 1sur 56

LA TRANSCRIPTION

Vous pouvez vous reporter, pour ces questions aux ouvrages suivants :

C. BLANCHE-BENVÉNISTE, 1997, Approches de la langue parlée en français, Ophrys, 1997.


C. BLANCHE-BENVÉNISTE, C. JEANJEAN, 1987, Le français parlé. transcription et édition,
Paris, Didier "érudition".
Cahiers de praxématique n° 39, 2002, “Transcrire l’interaction”, Montpellier III.
Françoise GADET, Le français ordinaire, A. Colin, 1996 (2-200-01615-8). Cet ouvrage propose
une description du français de tous les jours, en tenant compte des questions de variations de
locuteurs.

1 Introduction
Lorsqu'il est question de réaliser une analyse, la mémoire qu'un participant (ou un observateur) peut
avoir d'une interaction est insuffisante. En effet, la mémoire agit comme un filtre, qui ne va
conserver et interpréter que ce qui correspond aux centres d'intérêt de la personne. Un
magnétophone ne fait ni sélection ni synthèse quant au verbal, il permet autant de retours en arrière
que nécessaire. En revanche, il n'enregistre pas les éléments non sonores (proxémiques, kinésiques,
visuels, olfactifs).
Cet enregistrement va devoir ensuite être transcrit. Il s'agit d'une étape essentielle. En effet, on va
passer de l'oral à l'écrit, et donc d'une inscription (celle de la parole) dans le temps, à une
inscription (celle de l'écrit) dans l'espace.
Transcrire, c'est établir, fixer le fait langagier : tout ce qui n'a pas été noté, ou mal noté fera
sens. C'est pourquoi il faut apporter grand soin à cette étape. Transcrire c'est établir un texte.
Il faut alors se situer entre deux pôles et rechercher un équilibre entre la fidélité à ce qui a été dit, et
la lisibilité de la transposition par écrit.

2 Une transcription orthographique


Cette question de lisibilité fait que l'on choisira (sauf si l'on travaille en phonétique, ou avec des
locuteurs dont la prononciation est très spécifique, jeunes enfants, étrangers ne maitrisant pas la
langue...) une transcription orthographique.
Celle-ci permet, outre la lisibilité, d'éliminer des ambiguïtés, par exemple entre le singulier et le
pluriel, lorsqu'ils sont homophones (exemple : il danse bien, ils dansent bien), en fonction du
contexte.
Cependant des problèmes se posent :
-Il est difficile de noter par l'écriture les caractéristiques de la matière phonique : qualités et
modulations de la voix, mélodie, intensité, variations du débit, accentuations... Plus on ajoute de
signes, plus la lecture de la transcription se complexifie.
-l'usage conventionnel des signes de ponctuation n'est pas en rapport direct avec les phénomènes de
la langue parlée qu'ils sont sensés représenter (Blanche-Benvéniste, 1997 : 25). Les points et les
virgules notent des limites syntaxiques plus que des pauses réelles. Il en va de même dans une
moindre mesure des points d'exclamation, de suspension et d'interrogation, qui ne suffisent pas à
noter les phénomènes de force illocutoire tels que l'ironie, l'hésitation, l'insinuation, le sous-entendu
etc.
-certains trucages orthographiques, comme l'apostrophe pour noter l'élision ou les
raccourcissements, (par exemple : main'nant pour maintenant, pt'êt pour peut-être etc.) sont des
procédés littéraires classiques, signale C. Blanche-Benvéniste, (op. cit.) pour disqualifier le parler
de certains locuteurs, enfants, provinciaux ou parlers jugés déviants ou populaires :
Ex. "La fermière qui méditait, reprit :
-Cent francs par mois, c'est point suffisant pour nous priver du p'tit, ça travaillera dans quéqu'zans
ct'éfant ; i nous faut cent vingt francs." Maupassant.
Ce n'est pas (seulement ?) par fidélité que Maupassant choisit de transcrire ainsi le parler de la
fermière, il cherche surtout à exhiber (et à stigmatiser) un parler non normé. Le problème du
“trucage orthographique” est donc qu’il fixe ou parfois même projette des stéréotypes
sociolinguistiques sur les données : c’est souvent le cas du transcripteur débutant qui entend des
fautes où il n’est question que de variation de la grammaire de l’oral. On ne peut cependant éviter
que les pratiques de transcription soient “productrices de catégorisation” (Mondada, 2002 : 62).Il
s’agira alors de les prendre en compte au cours des analyses.

-Il n'est pas si facile "d'entendre" la langue parlée, car la perception est modelée par l'interprétation.
Nous choisissons l'interprétation la plus plausible, en fonction du contexte, par ex. entre
"l'impression d'un puits sans fond" ou "d'un puissant fond", "ce qu'il apprit", "ce qu'il a pris" .
Lorsqu'il devient difficile de choisir : par ex. "La patrie c'est le pays où l'on est/ où l'on naît", on a
affaire à un calembour, (ils sont le ressort de nombreuses chansons de B. Lapointe, par ex. !. Un
petit exemple, juste pour le plaisir : "ma mère dit la paix niche / la péniche, dans ce mari niais / Ma
mère dit la péniche dans ce marinier".

C'est toujours en reconstruisant ce que le locuteur a voulu dire, que nous reconstruisons plus ou
moins bien ce qu'il a dit.
-C'est pourquoi il peut arriver de faire des surinterprétations, de corriger, de faire des lapsus
d'écoute, et ce sans que l'on s'en rende compte ! Il faut alors évaluer soigneusement (transcrire
prend beaucoup de temps !) et ne pas hésiter à faire vérifier la transcription en demandant à un tiers
ce qu'il a entendu. Ceci est particulièrement important lorsque le transcripteur travaille en Français
langue étrangère.

3 conventions de transcription
Nous l'avons dit, transcrire, revient à effectuer des choix, puisque l'on ne peut (sous peine de
devenir illisible) tout transcrire. Ces choix se font en fonction des intérêts et hypothèses du
chercheur, selon ce à quoi il choisit de s'intéresser. Une transcription doit donc révéler l'intérêt de
celui qui l'a produite.
C'est pourquoi il faudra, lorsque vous effectuerez des transcriptions, présenter et justifier vos choix.
Nous proposons, à la suite de B. Gardin, d'adopter une transcription orthographique améliorée, qui
note des éléments énonciatifs signifiants tels que les silences, les ratages divers, les hésitations, les
chevauchements dans le dialogue (c.f. l'article "Le dire difficile et le devoir dire", B. Gardin, in
DRLAV, n° 39, 1988, "L'usage des mots". Je scanne et vous envoie cet article). Il parait important
d'ajouter des éléments extra-linguistiques (kinésique et proxémique) lorsqu'ils sont significatifs.

3 1 Présentation des conventions

/ indique une pause


// indique une pause plus longue
/// idem

On peut éventuellement mesurer les silences avec un appareil, et s'il est nécessaire, faire figurer
cette mesure dans la transcription.

N.B. Les signes de ponctuation usuels, point et virgule ne seront pas employés, par conséquent,
dans la transcription.

= indique qu'il n'y a pas de pause entre la fin d'une réplique et le début d'une autre. les deux
répliques s'enchainent immédiatement, sans pause inter-tour.
: indique un allongement de la syllabe
:: indique un allongement plus important

éNORm(e) les majuscules indiquent un accent d'intensité ou d'insistance. Il conviendra donc


d'éviter les majuscules dans d'autres emplois, comme en début de tour. En revanche, on peut les
conserver pour débuter les noms propres. En effet, l'expérience montre que cela améliore largement
la lisibilité, sans poser de problèmes d'ambiguïté importants.

e note le "euh" d'hésitation


' (ou flèche montante) indique une intonation montante.

, (ou flèche descendante) indique une intonation descendante.

(r) indique que le "r" n'est pas prononcé : ex. "lui prend(re) la main".

<rires>indique un comportement non verbal du locuteur, ou un commentaire du transcripteur par


ex. <fou rire général>. On peut aussi mettre entre crochets (ou parenthèses) une autre interprétation
(s'il y a une hésitation entre deux interprétations) ou une transcription phonétique.

Chevauchement :
7) P4 ça vaut CHER' e un tableau d(e) Miss Tic main(te)nant =
M4 AUcontrAI'r(e) ,

8) M5 E non // (il ) y a une: ç- / &[NON non non] / ça dép- / ç- ///


(rires de P)

9) P5 (en riant légèrement) OUi ça c'est r(e)latif vous allez m(e) dire

L'énoncé M4 s'est superposé à une partie de celui de P4, ce qui marque la vivacité de M à démentir
P.

(XXX) indique une séquence non transcriptible. On note autant de X que de syllabes repérables,
afin de donner une idée de la longueur du segment manquant, cela n'a pas besoin d'être très précis.

On peut enfin choisir d'indiquer des phénomènes que l'on juge significatifs, par exemple, une
liaison habituellement non réalisée, un pataquès ou au contraire une liaison habituellement réalisée
qui ne l'est pas. Il faut alors indiquer dans les conventions les signes que l'on adopte pour transcrire
ces évènements (cf. nouvelle orthographe de ce mot).

Il est également pertinent de réfléchir à la façon dont le transcripteur désigne les interlocuteurs.
Plusieurs solutions sont possibles : sigle, initiales, catégorie d’appartenance (professionnelle,
sexuelle, ethnique...), nom, surnom, ou encore mélange de ces possibilités. Ce choix a des
implications sur l’identification des participants, et par suite, sur l’interprétation que font les
lecteurs et analystes de leurs propos ou actions. (cf. L. Mondada, Cahiers de Praxématique n°39,
2002.)

3 2 Quelques conseils
-Lorsque vous effectuez une transcription, il faudra expliquer et justifier vos choix : quels sont les
signes que vous utilisez, pour quelles raisons. Il n’y a pas UN système idéal de transcription, mais
des possibilités à retenir ou non en fonction de vos objectifs.
-N'oubliez pas de numéroter les lignes ou/et les interventions, afin de citer facilement les éléments
de la transcription dans votre commentaire.

-Un grand nombre d’écoutes, au cours desquelles vous entendrez de plus en plus d’éléments est
nécessaire. Inutile de rappeler l’importance primordiale de la qualité de l’enregistrement sonore.

-Écouter et transcrire à plusieurs est une possibilité intéressante de vérifier ses perceptions et
hypothèses.

-Soignez votre travail, car il s'agit d'une étape essentielle, n'oubliez pas : une transcription est déjà
une analyse.

Citons, pour conclure L. Mondada (2002 : 62) :


« La question posée par la transcription n’est donc pas simplement un problème technique visant à
résoudre le problème de comment passer de l’oral à l’écrit ou à optimiser la présentation sérieuse,
convaincante ou adaptée au public des données du chercheur. La question interroge plus
radicalement les modes de disponibilité des phénomènes pour l’analyse, ainsi que la
reconnaissabilité par l’analyste des modes particuliers de descriptibilité (accountability) de ces
phénomènes dans les conduites des participants. »
L'oral : les activités de compréhension / réception

Introduction :
Enseigner à comprendre, c'est-à-dire à avoir accès aux informations contenues dans les textes oraux
(ou écrits) (Courtillon : 54), mais on voit dans les méthodes que les textes sont assez souvent
choisis pour faire acquérir des structures linguistiques. Or la principale motivation de
l'apprenant est d'accéder au sens le plus tôt possible, et non d'apprendre la grammaire. Il ne
faut pas l'oublier.

Dans une langue étrangère, on comprend toujours beaucoup plus de choses que ce que l'on peut
produire (c'est vrai à l'écrit comme à l'oral) ce qui ne signifie pas pour autant que les activités de
réception soient passives, bien au contraire. Construire le sens, surtout à l'oral, demande des
activités complexes : faire des hypothèses, tester ces hypothèses, les confirmer ou les infirmer, et
tout cela de façon extrêmement rapide, car l'interlocuteur vérifie rarement la compréhension, et
naturellement jamais lorsqu'il s'agit d'une émission entendue à la radio ou à la télévision.

1 Points importants pour l'élaboration d'activités de compréhension orale :


1 1 Intérêt du document authentique
Il faut noter que l'authenticité du document est un point très important, il faut que le document fasse
sens pour être motivant, qu'il soit sinon vrai, du moins vraisemblable (une situation vraie où il se
passe quelque chose). Il est important qu'il présente non seulement des modèles linguistiques, mais
également des modèles de communication, porteur de sens culturel (Courtillon, 2003 : 54)
Par exemple, Conversations, pratiques de l'oral (J.J. Mabilat, C. Martin, Didier 2003)
Un certain nombre d'études montrent que la progression est plus importante avec ce type de
documents (Cornaire : 128).
Aujourd'hui les documents sonores sont introduits dès le début de l'apprentissage. La prise de
contact avec la langue cible, parlée par différents locuteurs natifs, est immédiate. Tous les manuels
d'apprentissage sont accompagnés de cassettes ou de CD audio. Ils comportent les documents liés
aux séquences didactiques. Les éditeurs publient ce qu'on appelle du «matériel périphérique», sous
forme de livrets d'activités, également accompagnés de cassettes et CD.

Nous avons déjà souligné avec E. Lhote l'importance et la nécessité de s'habituer aux variations de
l'oral. Voici ce que l'on peut lire dans un article du FDM intitulé : « La radio, un trésor à exploiter
pour la compréhension orale.... » (F. Ploquin, FDM n° 335, sept-oct 2004)
« «Pour habituer l'oreiller à comprendre une langue étrangère, il est nécessaire de la frotter à la
production de multiples gosiers. Habitué à la seule diction du professeur, l'élève risque d'être
déconcerté à l'audition d'un parler différent. La seule façon dans un contexte exolingue, de s'attacher
à déchiffrer différentes façons de parler est de pratiquer l'écoute radiophonique. On y entend toutes
sortes d'accents, on est en contact avec des rythmes et des intonations, des débits différents et
l'exposition à ces variations de l'oral est excellente. »

Si vous n'avez pas accès à ce matériel ou si les activités proposées ne correspondent pas à vos
objectifs, produisez vos propres documents audio en enregistrant :
- des émissions de radio (entretiens, flashs d'informations, bulletins météorologiques, chansons,
débats culturels ou politiques, jeux radiophoniques, annonces publicitaires, etc.);
- des « documents authentiques » de la vie réelle (enregistrements des répondeurs téléphoniques,
conversations dans les cafés, annonces dans les grands magasins, les gares et les aéroports, etc.) ;
- vos propres exercices, en enregistrant si possible différents locuteurs afin de varier les accents
français et francophones. (ce point sera repris dans le cours « Diversité culturelle »)
Dans le choix du document, la thématique seule n'est pas suffisante, il faut aussi choisir en fonction
de l'objectif d'écoute, qui ne sera pas toujours des questions posées sur le texte. (on peut par
exemple faire une écoute « sensible » pour chercher des éléments tels que : « qui est pressé ?»,
« pas vraiment intéressé ? » etc.)

1 2 Evaluer la difficulté en fonction de la nature du document


Il faut évaluer la difficulté du document, par rapport au type d'interaction du document présenté : un
monologue est en principe plus facile à comprendre qu'une conversation entre plusieurs locuteurs.
Le monologue permet aux apprenants de s'habituer aux caractéristiques du locuteur (pauses,
rythme, intonation, voire accent). C'est pour cette raison, qu'avant l'invention et la généralisation de
l'utilisation des magnétophones, l'enseignant ne pouvait faire entendre à ses élèves d'autres voix que
la sienne, si bien que lorsque ce dernier se trouvait en face d'un locuteur natif (dans la rue, à la
radio...) il lui semblait ne plus rien comprendre, ne plus rien reconnaître de ce qu'il avait appris, tant
les intonations, les débits, les façons de parler et les expressions varient d'un individu à l'autre.

Mais d'autres facteurs entrent en jeu : le débit, le registre de langue.

Les éléments visuels apportent une aide à la compréhension en donnant accès aux informations
relatives à l'aspect non-verbal de la communication. La vidéo permet également une plus grande
attention, et des progrès dans le domaine de la culture.
Donc un enregistrement audio est plus difficile à comprendre qu'un enregistrement vidéo.
Attention toutefois au fait que le vidéo peut « distraire » l'écoute. Il faut prendre soin d'orienter
celle-ci en fonction d'objectifs précis : (pour quoi (faire) détermine comment) (Cf. les différents
types d'écoute de Lhote.)

1 3 Degré de difficulté et compétence de l'apprenant


Le degré de difficulté du document à écouter doit être plus élevé que la compétence de l'apprenant
pour qu'il puisse progresser. En effet, enseigner à comprendre signifie donner à l'étudiant les
moyens de repérer des indices dans un texte, établir des liens, mettre en relations et déduire. Si le
texte proposé ne dépasse pas le niveau de production de l'apprenant il n'apprendra rien.
Une erreur classique (Courtillon, 2003 : 55) consiste à croire que l'apprenant ne comprendra un
texte que si on lui a appris ce qu'il contenait, si on lui a présenté les mots et les structures
linguistiques. C'est méconnaitre les opérations cognitives qui sont à l'oeuvre dans l'apprentissage
d'une langue, en particulier le fait que l'on agit comme un détective, qui « perçoit, analyse, déduit,
met en relations »
« Apprendre, c'est exercer les facultés dont on dispose pour franchir une étape »

Le document doit être donné à comprendre, et non expliqué : c'est essentiel pour mettre
l'apprenant en contact avec la langue, directement. Il ne faut donc ni traduire, ni expliquer le
document d'emblée, sinon l'apprenant ne pourra pas mettre en place de stratégies de compréhension
et restera passif.

Il est important de réinvestir ou de transférer les progrès acquis en compréhension dans des tâches
effectuées en situation communicatives : listen and do, plutôt que simplement répondre à des
questions de compréhension : prendre des notes, faire un résumé, faire un jeu de rôles, un débat.
Ceci permet d'élargir progressivement les compétences langagières de l'apprenant.

1 4 Ecoute active et stratégies de compréhension


Il faut entrainer les apprenants à devenir des auditeurs actifs. Nous l'avons évoqué avec E. Lhote, il
est important de faire prendre conscience que l'acte d'écouter, s'il est banal et quotidien en langue
maternelle, peut être grandement facilité en langue cible si on maîtrise certaines techniques d'écoute
active progressive.
Quelles sont les stratégies de compréhension à acquérir ?
1 4 1 Il s'agit du repérage d'indices, dont nous avons parlé avec Lhote, visant à segmenter les
mots, repérer les phonèmes, mais également comprendre les éléments composant une situation de
communication. Nous ne revenons pas sur l'importance du repérage des groupes rythmiques, mais
développons un peu la question de la
1 4 1 1 Situation de communication :
Locuteurs et buts ?
Combien de personnes parlent ?
Ce sont des hommes, des femmes, des enfants ?
Quel âge peuvent-ils avoir?
Peut-on les caractériser (nationalité, statut social, rôle, état d'esprit...) ?
Quelle est l'intention de la personne qui parle (informer, expliquer, décrire, raconter, commenter,
présenter un problème, faire part de son indignation, convaincre, etc.) ?
Lieu
Peut-on situer le lieu (rue, appartement, terrasse de café...) ? Y a-t-il des bruits de fond
significatifs ? Quels sont-ils (rires, musique, discussion en arrière-fond...) ?
Temps
À quel moment se situe la prise de parole ? Avant ou après un événement dont on parle ?
Ce sont là les éléments qui définissent la situation d'interaction, au sens strict. On peut y ajouter
d'autres éléments, dans un second temps :
Type d'interaction
Quel est le « canal » utilisé ? Entretien en face à face, radio, télévision, micro-trottoir, téléphone,
interview, conversation amicale ? Est-ce un monologue ou bien y a-t-il des interactions, des
échanges ?
Thème : Peut-on saisir quelques mots-clés qui mettent sur la voie du thème dominant ? Des sous-
thèmes ?

1 4 1 2 Le repérage des mots, l'observation de l'organisation du discours et de ses marqueurs


peuvent constituer d'autres indices.
Une prise de parole n'est pas toujours structurée, en particulier lorsqu'elle est spontanée. En
revanche, dans un discours préparé, par exemple un exposé sur un thème précis, l'orateur sait où il
veut en venir, et l'expose souvent au début de sa prise de parole. Faire repérer l'annonce d'un plan ou
la structuration du discours permet de faire faire des hypothèses sur ce que l'on va entendre, puis au
fur et à mesure de l'écoute, permet de vérifier la justesse ou l'inexactitude des hypothèses.
L'apprenant est ainsi placé dans une attitude d'écoute active. Cette technique lui sera fort utile en
présence d'un locuteur natif. Un plan est-il annoncé ? S'il l'est, a-t-il été suivi ? Peut-on repérer
l'organisation interne du discours? Peut-on repérer certaines des idées qui ont été annoncées ? Peut-
on repérer ce qui relève des exemples, des illustrations ? Repère-t-on des arguments, des
affirmations ?
Les marqueurs sont des indicateurs de la structuration de la pensée, Lorsque l'auditeur entendra
«d'une part », son activité d'écoute se mettra en éveil car il s'attend à ce que l'orateur annonce
«d'autre part » et il sera prêt à parier que cela sera suivi d'un « enfin ». Cette attitude d'éveil renforce
son désir d'élucidation du sens.

Peut-on repérer des marqueurs, tels que :


• des connecteurs logiques: d'une part, d'autre part, par ailleurs, etc. ?
• des marqueurs d'opposition ; malgré cela, bien que, en dépit de, mais, au contraire, cependant,
etc.?
• des marqueurs de cause ou de conséquence : en effet, étant donné que, de manière que, pour la
raison suivante, etc.?
• des marqueurs chronologiques: tout d'abord, ensuite, puis, enfin, pour conclure, en guise de
conclusion, etc. ?
Peut-on repérer des mots qui mettent sur la voie du sens:
• mots transparents (en se méfiant des faux amis) ?
• reprises, répétitions?
• mots significatifs du thème ou du sous thème ?

Peut-on repérer des indications :


• des chiffres;
• des dates;
• des noms géographiques;
• des lieux;
• des sigles?

On procédera par questions générales adressées au grand groupe, on fera justifier les réponses et on
veillera à obtenir le consensus, l'accord du groupe sur la validité de la réponse.

1 4 2 Il s'agit ensuite de l'inférence, stratégie fondamentale, qui consiste à deviner ce que l'on
ne sait pas à partir de ce qu'on a déjà compris.
Favoriser cette stratégie est essentiel car le fait de chercher à comprendre place l'apprenant dans une
position active pour mémoriser l'élément, contrairement à ce qui se passe quand on lui donne une
explication qu'il n'a pas demandée.

Voici, pour illustration, la façon dont un étudiant évoque la question dans son mémoire :
« Je voudrais ajouter une motivation d'ordre plus général. En fournissant d'emblée la règle de
grammaire à l'apprenant, on ne lui donne pas l'opportunité de réfléchir, de se poser des questions,
démarche heuristique pourtant indispensable. En se heurtant à une difficulté, en la traduisant par un
questionnement, l'apprenant se met en position de demande d'une réponse, position indispensable à
un accueil intéressé de la réponse. Donner une règle avant d'avoir suscité des questions relatives à
son fonctionnement revient à nourrir quelqu'un qui n'a pas faim. C'est malheureusement une
pratique trop courante dans tous les systèmes d'enseignement. »

Les stratégies de repérage d'indices et d'inférences sont naturelles chez chaque individu, mais plus
ou moins développées. On ne peut les accroitre grâce au travail de groupe, quand on échange avec
un partenaire après une première écoute
Cela rend la compréhension interactive : l'échange entre apprenants va permettre de renforcer
des certitudes, et d'émettre des hypothèses, à confirmer ou non lors de l'écoute suivante. C'est
pourquoi il faut écouter plusieurs fois un document (ou lire un texte). Le taux de compréhension
augmente beaucoup entre la 1ère et la 2ème écoute pour l'ensemble des apprenants, ensuite
graduellement. Au-delà de 4 écoute, la lassitude et le désintérêt s'installent. Il faut aussi varier les
partenaires de travail.
Ce type d'approche permet de montrer que la compréhension s'effectue par pallier, face à un texte
oral, on ne peut pas dire qu'on comprend tout ou rien, mais on doit se demander quelle quantité du
document l'on a perçu après la première, seconde, troisième etc. écoute.
La pratique accélère le processus.

1 5 Favoriser la mémorisation (Courtillon : 60)


Il ne suffit pas de comprendre pour pratiquer la langue, il faut aussi mémoriser des séquences de
manière à parler ou écrire.
La mémoire déclarative, qui permet de déclarer ce que l'on sait, ou d'exprimer une connaissance (ou
un souvenir) est trop largement utilisée par rapport à l'autre mémoire, celle des « habiletés », qui
sert à faire, à mettre en oeuvre sans que l'on ne puisse parfois expliquer comment l'on fait.

1 5 1 la fréquence et l'entrainement
Des expériences ont montré que la mémoire déclarative, l'attention et la conscience sont nécessaires
en début d'apprentissage, mais qu'elle deviennent moins importantes au fur et à mesure des progrès,
car c'est la fréquence de la mise en oeuvre qui est ensuite importante.
On retrouve l'opposition entre les savoirs privilégiés par les méthodes traditionnelles (apprendre les
règles de grammaire par coeur), et les approches communicatives qui insistent sur la mise en
fonctionnement de la langue dans un objectif communicatif.

1 5 2 la répétition
Un autre stratégie de mémorisation est la répétition, pratiquée de façon naturelle par certains
étudiants. On peut faire des exercices qui l'entrainent. D'abord par les écoutes multiples qui
amorcent la mémorisation. Ensuite par des exercices qui visent à restituer des contenus, comme par
exemple le jeu de rôles.

2 Pratiques de classe
2 1 Le test du bon auditeur :
Adaptez ou utilisez tel quel le test suivant
Savez-vous écouter?
Ce test a pour but de vous aider à prendre conscience de vos attitudes afin d'améliorer votre
compréhension de la langue cible.

1) Lorsque votre interlocuteur émet une idée difficile à comprendre, vous perdez le fil de la
conversation et il vous est difficile de le retrouver.
2) Vous anticipez sur ce que va dire votre interlocuteur.
3) Vous prenez mentalement des notes pour interroger votre interlocuteur sur ce que vous n'avez pas
compris.
4) Lorsque vous écoutez la radio, vous pouvez en même temps penser à autre chose.
5) A la télévision, vous êtes distrait par l'image et vous perdez le fil de ce qui est dit.
6) Dans une conférence, vous aimez qu'on annonce le plan car cela vous aide à comprendre.
7) Vous cherchez à deviner le sens des mots inconnus en faisant des hypothèses.
8) Vous préférez la télévision ou le cinéma à la radio, car les gestes et les mimiques vous aident à
comprendre.
De la discussion qui suivra la mise en commun des réponses à ce test, on fera dégager les qualités
d'un bon auditeur :
• il est actif
• il se concentre sur ce qu'on lui dit
• il est prêt à reformuler pour vérifier qu'il a bien compris
• il cherche à anticiper sur la suite de ce qui va être dit
Ces éléments seront rappelés lors des activités d'écoute.

2 2 Gestion de la parole dans la classe


En classe, l'étape qui suit la découverte du sens, après plusieurs écoutes, est une mise en commun,
pratiquée à l'aide de questions ouvertes, du type « qui sont les personnages ? ». Bien sûr,
l'enseignant doit solliciter les étudiants les plus timides, qui ne prennent pas la parole par eux-
mêmes. Il ne doit pas interrompre l'étudiant qui parle, même si la réponse n'est pas exacte. Il peut
rectifier ensuite en demandant d'abord si tout le monde est d'accord, et non en corrigeant lui-même
dans un premier temps. Si la réponse ne vient pas, on peut réécouter l'endroit précis du texte. Pour
les mots non connus, il ne faut pas les donner tout de suite, mais essayer de les faire expliquer par
ceux qui les connaissent.
Globalement, il faut faire en sorte de donner le moins possible la réponse soi-même, de manière à
favoriser l'action des apprenants. Il ne faut jamais oublier que le temps de parole n'est pas extensible
: plus l'enseignant parle, moins les apprenants peuvent le faire.
2 3 Progression
Quand le groupe est trop grand, on peut faire travailler par paires pour faire retrouver le dialogue,
ou le canevas du document. La classe entière est sollicitée pour compléter lors de la correction.
Ce sont les techniques de base, qui allient la compréhension et la production. Après un certain
temps de ce travail (environ 50h) sur des documents authentiques oraux, on peut passer à d'autres
exercices, tels l'écoute sélective et la prise de notes.
L'écoute sélective consiste à n'écouter qu'un « aspect » du texte, certaines formes dans le texte,
relativement aux questions, par ex. Mais il ne faut pas oublier que tout se tient dans un texte, et que
par conséquent on utilise aussi le contexte pour répondre à une question.
Reproduire à l'écrit un texte oral est une activité assez ludique, on complète le texte, par ex. une
chanson à la manière d'un puzzle.
Il est important de varier les activités, de ne pas s'attarder trop longtemps sur un même exercice, de
manière à maintenir l'attention des apprenants en éveil.

Biblio
Cornaire, Germain, La compréhension orale, 1999, Clé international, col. Le point sur
Tagliante, La classe de langue, 2006, Clé international, techniques et pratiques de classe.
Courtillon, Elaborer un cours de fle, 2003, Hachette fle.
La cinquième compétence
Les interactions verbales dans le CECR

«Dans les activités interactives, l'utilisateur joue alternativement le rôle du locuteur et de l'auditeur
ou destinataire avec un ou plusieurs interlocuteurs afin de construire conjointement un discours
conversationnel dont ils négocient le sens suivant un principe de coopération». (CECR, 2001: 60).
On notera que la dimension proprement interactive figure dans cette définition sous cette forme
(négociation, principe de coopération), ce qui contribue à mettre en relief le caractère co-construit
de l'échange.
Il est important de souligner que dans le CECR, l’interaction est bien considérée comme une
composante spécifique et non l'addition de deux compétences orales, de la production + de la
réception. Ce choix conduit à élargir l'ancien modèle à quatre compétences, et à créer de
nouveaux dispositifs d'enseignement apparentés mais distincts : parler en interaction (ou
interagir) ne se confond pas avec parler devant un auditoire (échange non interactif) et écouter
dans l'interaction ne se réduit pas à écouter sans interaction effective avec le locuteur. L'interaction
est donc désignée comme la 5ème compétence.

Le point de différence essentiel résidant dans le fait que les locuteurs impliqués dans une
interaction verbale en face à face exercent une influence mutuelle : selon la formule de C.
KERBRAT-ORECCHIONI : « parler, c'est échanger, et c'est changer en échangeant ». Ou, pour
le dire selon E. GOFFMAN (1973 trad. Française) : une interaction entre deux ou plusieurs
locuteurs engagés dans l'échange est un événement de communication constitué par ce jeu
d'influence des paroles et des actes sur les paroles et les actes des locuteurs.
Exemple de descripteur :
A1 : « Peut interagir de façon simple, mais la communication dépend totalement de la répétition
avec un débit plus lent, de la reformulation et des corrections... »

De plus, les descripteurs du CECR se fondent sur la perspective actionnelle : nous passons de
«parler » à « interagir oralement », c’est-à-dire, à une conception pragmatique de la rencontre
langagière. Il ne s’agit nullement ici d’un simple changement de terminologie : mais bien d’une
autre conception de cette forme de la communication. (BEACCO, 2007)
Cette nouvelle démarche didactique considère avant tout les usagers et les apprenants d’une
langue comme des acteurs sociaux ayant à accomplir des tâches dans des circonstances et un
environnement donné, à l’intérieur d’un domaine d’action particulier. Si les actes de parole se
réalisent dans des actions langagières, celles-ci s’inscrivent elles-mêmes à l’intérieur d’actions en
contexte social qui seules leur donnent leur pleine signification. (CECR, 2001: 15).

Certains pourraient rétorquer en disant que des situations dites authentiques mettent les
apprenants dans une posture d’échange avec leurs camarades et/ou avec leur professeur au sein
de la classe. Cependant, cette communication « domestique » manque d’efficacité lorsque les
étudiants de la LE sont confrontés à de « vraies » interactions authentiques qui posent des défis
de nature complètement différente de ceux en jeu dans la classe : nécessité de comprendre plus
rapidement pour « survivre », temps de réponse plus court, capacité à utiliser différentes formes
de communication (verbale, paraverbale, prosodie, etc.), mener de front l’expression et la
compréhension, etc.

Ces perspectives interactionnelle et actionnelle vont de pair.


Construire une progression dans l'acquisition d'une compétence
d'interaction

Les caractéristiques des interactions sont à prendre à compte dans la mise en place d'une
progression des activités d'enseignement.

Par exemple, dans le cadre d’un échange en face à face, pour les niveaux Al et A2, on pourrait
tendre à privilégier :
- les dialogues aux conversations à 3 ou 4, parce que la prise de la parole y est moins complexe ;
- les interactions à script prévisible, qui permettent d'en prévoir le déroulement. Les interactions
de service, par exemple, le sont particulièrement.
-les interactions impliquant des interlocuteurs à statut de parité, ce qui implique moins de
surveillance verbale ;
-les interactions dont les finalités et le script présentent des équivalents connus de l'apprenant
dans sa propre communauté de communication.
Exemples d'activités : les apprenants pourront en petits groupes reconstituer des tours de parole
fournis à l’écrit et dans le désordre. Ensuite, lors de la mise en commun, ils pourront justifier et
expliquer leurs choix avant l’étape de l’écoute. Ils pourront également écouter un tour pris
isolément et deviner le contenu du tour précédent et suivant.

Autre exemple, pour le niveau B2 (utilisateur indépendant), on considère que dans une interaction
orale, l'utilisateur/apprenant pourra :
-adresser la parole à une personne inconnue (dans la rue, un magasin ou sur son lieu de travail)
-prendre la parole dans une discussion, interrompre, entrer dans une discussion
-indiquer la fin de son tour de parole
-marquer son approbation ou son désaccord
-marquer son attention à la parole de l'autre (régulateur, feed back)
-adapter son intervention en fonction du degré de formalité
-faire répéter ou gloser ce qu'il n'a pas compris (en particulier au niveau lexique)
-demander des précisions ou explications
-utiliser et interpréter certains gestes, mimiques
Ces stratégies s'enseignent en tant que telles à partir d'exercices

Plus globalement on passera progressivement d'échanges planifiés à d'autres plus improvisés :


- d'interactions à finalité fonctionnelle précise et claire à des interactions à visée de
socialisation : depuis demander son chemin à un passant jusqu'à converser à hâtons rompus
entre amis ;
- d'interactions prévisibles à script marqué et à ramifications peu nombreuses à des interactions
plus ouvertes, donnant potentiellement naissance à des grappes de conversations nombreuses, par
exemple de « acheter un timbre poste » à « acheter un vêtement » ;
- d'un rôle d'interactant se limitant à des réactions à celui d'interactant participant pleinement à la
gestion du développement de l'interaction et prenant donc l'initiative de la conduire ;
- d'interactions courtes (6 à 8 tours de parole) à forte contraintes d'enchaînement à des
interactions longues et complexes avec enchâssements... ;
- d'interactions coopératives à des interactions non consensuelles ou conflictuelles ;
- de tours de parole axés sur un acte de langage à des tours de parole en réalisant plusieurs,
coordonnés puis subordonnés ;
- de tours de parole réalisant un acte de langage par une/des formulation/s verbale/s
conventionnelle/s à des tours de parole réalisant un acte de langage par une/des formulation/s
verbale/s créée/s ad hoc par l'interactant, au-delà des formulations stéréotypés, figées ou
prévisibles.
On passera de genres discursifs utilisés dans la culture communicative de l'apprenant, connus de
lui (l’interview peut être un genre plus ou moins universel), à des genres discursifs (en langue
cible) peu ou non connus de lui (par exemple, le débat politique du moins tel qu’il se déroule dans
les médias en France);
d'actes de langage utilisés dans la culture communicative de l'apprenant ou avec lesquels il a
pu se familiariser au cours de l'apprentissage de la langue maternelle ou de référence (défendre
un point de vue personnel par exemple) à des réalisations verbales (en langue cible) moins
connues de lui ( défendre l’action politique d’un gouvernement dans un pays démocratique);

Cette démarche de complexification progressive se propose de faire passer de la maîtrise


d'interactions prévisibles dans leur structure et leurs réalisations linguistiques à d'autres pour
lesquelles l'apprenant doit solliciter non seulement des formules mémorisées mais tous les
moyens verbaux dont il dispose, de manière à s'adapter à la situation et à être lui-même dans
l'échange, autant que faire se peut et en fonction de ses ressources. Il s'agit bien de mener
l'apprenant d'interactions planifiées à des interactions improvisées, l'improvisation constituant
un des traits essentiels de cette forme de communication langagière.

Dans cette perspective, le recours à des échantillons d’interaction (enregistrements de débats


par exemple) pourraient servir de support à l'enseignement. Ceux-ci doivent être dans la
mesure du possible authentiques pour permettre une actualisation et une objectivation des
phénomènes verbaux et paraverbaux constitutifs des interactions verbales au sein de la langue
culture cible.

Dialogues de méthodes et interactions authentiques


Chantal Parpette, dans un articule intitulé : Le discours oral : des représentations à la réalité (nov
1997) cherche à confronter les caractéristiques de la représentation de l'oral que donnent les
dialogues de méthodes avec les transcriptions d'interactions authentiques.
Elle note que les dialogues analysés dans son corpus (extrait de Libre échange, Courtillon, de
Salins, 1991)
-ne présentent pas de glissements thématiques si fréquents dans une conversation à bâtons
rompus, qui font passer la conversation d'un sujet à l'autre et maintiennent la communication.
-leur aspect très linéaire exclut les reprises d'informations, reformulations etc. (elle est d'autant
plus grande que les unités présentées dans les manuels sont très courtes, contrairement aux
conversations authentiques)
-ne contiennent pas de sous-entendus, pourtant essentiels dans la conversation de locuteurs ayant
vécu en commun, il y a au contraire une explicitation maximale.
On pourrait ajouter qu'il n'y a pas de marques relatives aux ratés des tours de paroles
(chevauchements ou dire difficile)
Le problème vient de ce que les dialogues de méthodes sont la plupart du temps ainsi, et ne
préparent pas les apprenants à la diversité des interactions authentiques.
Ils ont globalement les caractéristiques de l'écrit et ne prennent en compte que de façon limitée les
caractéristiques de l'oralité, le registre de langue et la syntaxe de l'écrit (et non orale) le montrent.
De plus, les document sonores de méthodes sont souvent lus, sur le modèle des chroniques
radiophoniques. Ils sont donc plus monologiques que dialogiques, forme plus proche de l'écrit, et
plus facile à travailler. Et pourtant ces méthodes se réclament de l'approche communicative.
En conclusion, il faut essayer de confronter les apprenants à une gamme étendue d'interactions,
tout en gardant en conscience les éléments liés à la progression que nous avons évoqués
précédemment. On peut travailler explicitement sur des éléments tels que les glissements
thématiques, l'implicite.
Comment exploiter les dialogues de méthodes ?
Dans l'article du Français dans le Monde n° 360 « Pour une compétence dialogale » (F. Cicurel)
rappelle que le dialogue de méthode « est la représentation d'une interaction orale entre deux ou
plusieurs personnages. Il s'agit d'une fiction créée par les auteurs, mais où le souci d'imitation du
réel est manifeste. »
Mais il faut se demander quelle est la visée de ce type de dialogues : proposer un contenu
langagier (grammatical, lexical, phonétique) mis en dialogue ou bien, de façon plus authentique
créer des situations d'interlocution, qui, bien que fictives donnent une image de la communication
en langue cible ?
Le problème, souligne F. Cicurel, c'est que ces dialogues sont riches par leur inspiration et la
diversité des contextes qu'ils proposent, mais les consignes d'utilisation qui les accompagnent sont
souvent orientées vers le contenu linguistique et non vers la compétence dialogale ou
interactionnelle. Elle propose alors de distinguer et de travailler spécifiquement les compétences
pragmatique et interactionnelle.

1) Compétence pragmatique :
-Qui sont les protagonistes de l'action ? Quelle part y prennent-ils ? Que veulent-ils faire ?
-Comment nommer les actions, et quel sont les actes de paroles auxquels elle donne lieu ?

Nous complétons la grille avec les éléments issus de la terminologie de notre cours et l'expérience
de l'analyse d'interactions authentiques.

2) Compétence interactionnelle :
-Cadre participatif : participants (ratifiés ou non), format de réception, statut des locuteurs, type
de relation (égalitaire ou asymétrique), Lieu : public, privé, disposition spatiale, proxémique
-Buts des participants, y-a-t-il plusieurs niveaux de buts (institutionnels, réels, affichés,
dissimulés...)
-Thèmes : traces lexicales du sujet dont on parle (quel est « l'univers de référence », est-il
identique, qui arrive à imposer le sien ?)
-déroulement de la conversation : formules ritualisées, ouverture et clôture, changement de
thèmes...
-Type d'interaction : négociation, conversation, confidence etc. Il est important de sensibiliser les
étudiants aux types les plus courants dans la langue culture française. Il est important que les
documents proposés soient des exemples vraisemblables de la communication telle qu'elle se
pratique en France, qu'ils aient une véritable valeur culturelle.
-Système des places : est-ce qu'il dépend de facteurs externes (statut, âge, hiérarchie), ou/et
internes (les positions haute et basse font l'objet d'une compétition ou d'un ajustement). Comment
évolue-t-il au cours de l'interaction ?
-Tours de parole : est-il formel ou non, observe-t-on des ratés : chevauchements, silences,
interruptions...
-processus de figuration : sauver la face, protéger sa face (les FTA et FFA)

Une expérience de dialogue en situation authentique


Il s'agit d'une expérience visant à organiser au sein d'une formation en France, destinée à des
professeurs égyptiens, des débats avec des natifs, permettant d'authentiques interactions.
Il s'agit dans ce cas d'interactions exolingues, qui comportent donc des caractéristiques
spécifiques, en particulier le fait que le natif va mettre en place des systèmes d'aide à la
formulation pour le non natif (aide à la recherche de termes, reformulations, échos...) et que la
connaissance du code pourra être plus ou moins fortement différenciée.
Certains éléments devront être pris en compte :
-la présence de la gestuelle, du paraverbal) et sa gestion conjointement au verbal (plus intégrées
en LM)
-l'interprétation en « temps réel »
-la mise en place de stratégies de compensation (gestes, demande d'aide pour l'expression ou la
compréhension de mots etc)
C'est une activité extrêmement complexe, car soumise à un ensemble de paramètres importants.
Voici un extrait de ce qu'écrit l'enseignant/organisateur de l'activité :
« Afin de préparer nos stagiaires à interagir avec des natifs, nous proposons des tâches centrées
moins sur le contenu de la communication que sur les processus interactifs qui en assurent le
fonctionnement. Il ne s'agit donc pas d'exercices individuels à l'usage des apprenants, mais de pratiques
pédagogiques à mener en coopération. Leur progression suit différents niveaux d'interaction, basés
sur l'interprétation et l'expression de sens. Ces pratiques mettent en jeu des stratégies que les
alloglottes emploient déjà dans leur langue maternelle, mais qu'ils sont appelés à activer dans la
langue étrangère : stratégies d'interprétation, qui aident l'individu à saisir le sens des discours
parlés et écrits qui l'entourent ; stratégies d'expression, par lesquelles l'individu crée et exprime son
propre sens ; stratégies de négociation, par lesquelles deux ou plusieurs individus travaillent à
établir l'échange et la compréhension mutuelle. Compréhension et production (verbale et non-
verbale) sont dans cette perspective les deux faces inséparables du processus de négociation pour
l'interprétation et l'échange de sens.

Et voici l'appréciation enthousiaste de l'un des stagiaires :

« oui dans cet atelier je pense en avant que c’est très difficile de communiquer avec des natifs des
français ils parlent rapidement ils parlent d’une façon complètement différente de ma langue en ce
qui concerne la langue française je parle la langue française d’une manière complètement
différente des français et de communiquer avec des français ils parlent rapidement ils parlent
d’une manière complètement différent je pense que c’est miracle de faire une conversation avec
des natifs et je pense que je ne peux pas faire que des petites choses mais de communiquer
discuter avec des natifs donner des arguments ça fait beaucoup de choses qui m’intéressent
beaucoup e quelque fois je pense que je parle comme un natif dans quelques mots en plus je peux
j’essaye d’utiliser des gestes comme les natifs quelquefois je parle comme eux quelquefois
j’utilise des expressions comme eux et ça me donne l’impression de que je peux pas un jour parler
comme les français »
CONVENTIONS DE TRANSCRIPTION

Insertion
J presque un an jour pour jour vous étiez là pour *A je me souviens très bien oui*
métaphysique des tubes
L'intervention de A n'est pas une véritable interruption et s'insère dans la transcription
du tour de parole de J

Chevauchement de paroles
A 8 s'agit d'un / bon il est question d'un d'un viol / il est question d'un meurtre

J9 dans un cimetière

Rythme
/ pause courte
// pause plus longue
= absence de pause entre la fin d'une réplique et le début d'une autre
&[...] enchaînement rapide de paroles

Accentuation, Articulation
TRÈS drôle accentuation d'un mot, d'une syllabe
Un peu:: allongement du phonème précédent
D(e) c(e) meurtre phonème non articulé
«1élégèreté» transcription phonético-orthographique
e transcription du «euh » d'hésitation
hein à peine audible
X inaudible (une syllabe)

J 1 amélie nothomb / COSmétique de de l'enn(e)mi / e presque un an jour pour jour vous étiez là e
pour

A 1 j(e) me souviens très bien oui

J 2 métaphysique des tubes *A oui* qui était un un roman TRÈS TRÈS différent de celui-ci

A 2 très différent

J 3 comment dire / plutôt élégiaque: *A oui* lié: : à [se]

A3 très lyrique

J 4 fondé sur l'autobiographie *A oui* e par certains côtés / très lyrique / / et alors là un roman
d'une manière très très différent(e) =

A 4 un roman assez SEC =

J 5 oui / / sec / / *A oui* dans les dialogues / eX peu de description * A oui* et: c'est presque du
théâtre / d'ailleurs à : : : : deux personnages =

A 5 on m(e) l'a dit mais j(e) ça posera quand même un certain problème de mise en scène hein =

J 6 j'imagine / / *A oui* parce qu'il faudrait trouver / un un


A6 une astuce

J 7 un hall d'aéroport ?

A 7 ee / / c'est pas ça le problème / * J XXX* il faut trouver une AStuce à la fin / *J oui* et je ne
sais quelle astuce on pourrait trouver pour exprimer cette drôle d'affaire /

J 8 alors / c'est effectivement une TRES/ drôle : / affaire / / une ténébreuse affaire pour
«parparodier » *A oui* balzac / / tout commence et finit dans un aéroport / c'est l'étrange rencontre
de jérôme angust / il a un un nom *A oui* un peu bizarre / / et d'un inconnu / qui lui révèle son nom
au bout de: : après l'avoir un peu : : : : « emem » emmerdé
A8 un importun un vrai importun /

J 9 hein c'est un emmerdeur / *A oui* un emmerdeur / mais on va / on dira pas quel emmerdeur
exact il s'agit *A oui* parce que ça serait/ eee donner le dénouement du livre
*A oui* il s'appelle TEXTOR / TEXEL / / *A TEX* bizarre ce nom

A9 oui i(l) i(l) i(l) fallait que ce soit déjà déjà i(l) fallait
que ce soit un nom IMprononçable / c'était très important / parce que c'est vraiment un individu de
papier il n'existe / bon c'est pas pour rien qu'il s'appelle TEXTOR quoi /il n'existe que par le texte / /
et ee / / et c'est vrai que même moi j'ai du mal à prononcer son nom donc e/

J 10 &[c'est c'est c'est e un peu vous] / vous êtes e / un peu textor texel parce que / il explique un
moment son drôle de nom / celui qui TISSE le texte *A oui* c'est presque un écrivain / /

A 10 c'est presque / oui / disons que je suis un peu textor dans cette affaire / / oui c'est certain / /

J 11 alors / ee / l'importuné au départ il a envie de casser la gueule / / c'est c'est c'est vos propres
termes / / de casser la gueule à l'importun / et p(u)is finalement la conversation s'engage parce que
l'autre est tellement: / arrive TELLEment à s'INSInuer *A oui* dans:dans: dans: la tranquilité de de:
cet homme qui attend son avion *A oui* / / qu'il finit par par s'imposer *A oui* / et alors on se rend
compte que ce textor / il a: / entre guillemets / des DOSSIERS sur le personnage qu'il inteXXX=

A 11 il est très bien renseigné =

J 12 il est TRES TRES TRES bien renseigné *A oui* sur son interlocuteur / /

A 12 oui et ee / au point que ça devient / CONSternant pour l'autre parce que on on / / on découvre
qu'il qu'il / qu'il connait un grand secret dans / dans / dans la vie de l'autre / et e il se demande
vraiment comment il a pu savoir tout ça / d'autant plus qu'il s'agit d'une histoire assez sauMÃtre / il
s'agit d'un / bon il est question d'un d'un viol / il est question d'un meurtre

J 13 dans un cimetière

A 13 dans un cimetière / ce n'est pas autobiographique / je vous rassure *J ah bon vous me


rassurez* eee oui et: / / en même temps «sese » ee: si je peux avoir un avis sur mon propre livre / ee

J 14 mais allez-y /je


n'attends que ça

A 14 ce que je trouve particulièrement terrifiant / c'est qu'il parle de tout ça / avec une une une
véritable «lélégèreté » et même une certaine fraicheur / / le le le textor vient lui parler d(e) c(e) viol
et d(e) c(e) meurtre =
J 15 c'est du cynisme ou de la légèreté ?

A 15 non c'est / j(e) crois que de sa part c'est vraiment de la FRAIcheur / / il a la FRAIcheur du du
MAL eee / le mal dans toute sa pureté / /
Analyse de l'interaction verbale "entretien entre Albert Algoud (J) et Amélie Nothomb (A),
"La partie continue", France Inter, 5 septembre 2001.

Plan :
• La situation : scène et participants
• Le plan des séquences
• Coopération ou compétition ?

1) La situation : scène et participants


L‘interaction qui nous est présentée se déroule dans les studios d'une radio publique, France inter,
dans le cadre d'une émission d'interviews "la partie continue", à une heure de grande écoute : entre
18. 20 h et 19 heures, heure du "journal". On ignore s'il s'agit d'une émission en direct.
Le but de l'interaction diffère en fonction des participants. Pour le journaliste, il s'agit de faire une
bonne audience, en captant l'attention des auditeurs pour les garder à 1'écoute. Il s’agit peut-être
aussi d’obtenir les félicitations du responsable de 1'antenne, ou de faire mieux que ses concurrents
(les autres journalistes, qu'ils soient ou non sur la même antenne.) On peut aussi imaginer une
gratification personnelle, de l'ordre de la face positive :"j'ai interviewé A. Nothomb". On voit que la
finalité est externe, bien qu'elle soit plus certainement de l'ordre symbolique plutôt que matériel.
Concernant Amélie Nothomb, la finalité s'o1iente plus nettement vers cet ordre matériel, puisqu'il
s'agit de faire la promotion de son dernier livre. Cependant les choses sont présentées moins
directement, et l'on va parler de "présentation" de son livre. Il s'agit certes de le faire connaître, mais
surtout d'inciter à l'acheter. Un autre enjeu de l‘interview, commun à l'ensemble des apparitions
médiatiques consiste à défendre son image, sa réputation. Reste que celle-ci est fluctuante, et
difficile à cerner en quelques mots.
Du point de vue de la production, il s'agit d'un dilogue, qui se réalise en face à face, dans lequel les
participants se voient mutuellement (avec présence de la multicanalité et de rétroaction) et parlent
en alternance. Mais la dimension essentielle du cadre participatif est la présence d"‘une couche de
récepteurs additionnels, témoins de la mise en scène de l‘interview, mais interdits de parole" que
sont les auditeurs. On voit alors que le schéma de réception est plus complexe, puisqu'il réalise ce
que C. Kerbrat qualifie de trope communicationnel. La parole est en effet bi-adressée, à deux
niveaux de destinataires : l'un "direct" en apparence :
- les débatteurs qui font comme s'i1s ne parlaient qu'entre eux.
- celui des auditeurs, en apparence "indirect", qui est en fait le principal.

La question des places (les positions haute/basse occupées par les interactants), est également
complexe. En effet, dans le type d'interaction "interview", les questions liées à la notoriété et à la
personnalité des interactants sont essentielles. Rien n'est déterminé à l'avance. On peut simplement
dire qu'A. Algoud est responsable d'une émission connue, à une heure de grande écoute, et qu'il
n'est pas spécialiste de littérature. Quant à A. Nothomb, écrivain belge, elle jouit d'une notoriété
importante, ainsi que d'une personnalité "originale". Ses romans se vendent très bien, et avec
régularité. Elle est donc, déjà à cette époque, un phénomène littéraire. On pourrait détailler ces
portraits, mais nous préférerons nous fier aux indices énonciatifs et interactionnels présents dans
l'étude de la transcription pour travailler la question de la place.

2) Le plan des séquences

-lignes 1 à 9 (J 1 à J 5) : séquence d'ouverture


J ouvre l'interaction en présentant son invitée (nom et titre du livre présenté). Il rappelle qu'il a déjà
invité A et lance une comparaison entre son nouveau roman et le précédent. Il parait sûr de lui, et
donne un avis sur les ouvrages "très très différent(s)", avec un accent d’insistance sur "TRÈS". A.
Nothomb, qui jusque là s'était contentée de confirmer (« je me souviens très bien oui » « très
différent ») profite d'une hésitation de J., l. 4 pour qualifier elle-même son roman : "très lyrique". Il
faut noter que pour la première fois dès l'ouverture, J reprend le terme proposé par A : "e par
certains côtés très lyrique". Il s'agit là de la première occurrence de ce combat pour le choix des
mots qui est à notre avis la caractéristique principale de cette interaction. Nous en reparlerons dans
la partie suivante.

-lignes 10-15 (A 5-A 7) : une éventuelle adaptation théâtrale


J. cherche à montrer qu'il connait le livre et qu'il est capable de faire des comparaisons littéraires :
"c'est presque du théâtre d'ailleurs à : : : : deux personnages". Mais A. dément l'originalité de sa
proposition : "on me l'a dit", ce qui constitue une atteinte à la face de J. Au tour suivant, J. essaie de
reprendre la main en poursuivant la proposition d' A. "ça posera un problème de mise en scène".
Pour J. il s'agit d'un problème lié au décor "un hall d'aéroport". Mais il se trouve frontalement
contredit par A : "c'est pas ça le problème" (l. 12)., qui s'empare visiblement de la position haute. A
déplace donc le problème sur le plan de la narration, de l'organisation du récit en parlant "d'une
astuce à la fin". Il faut noter que ce disant, rien n'est dit de l'histoire elle-même, suivant la règle
(rappelée 1. 19) de la nécessité de dévoiler le moins possible l'histoire du roman.

-l. 16-34 (J 8-A 10) : le nom et la désignation du personnage.


La reprise de la parole par J. se fait en répétant un syntagme de A "drôle [d']affaire". Mais la
modalisation "TRES drôle affaire" produit un effet décalé : on ne peut pas ajouter d'adverbe dans le
sens où A entendait ce syntagme (bizarre), ce qui expliquerait la suppression du partitif "d" et les
pauses après chaque mot : "TRES / drôle : / affaire". On peut donc supposer que cette modalisation
doublée d'un accent d'insistance n'est pas motivée par le sens mais par la volonté de reprendre la
parole. P. Charaudeau explique que pour l‘enchainement des tours de parole dans l'interview : "c'est
en surface qu'est assuré le suivi".
On doit d'ailleurs noter que ce tour de parole est très long (7 lignes), le plus long de l'extrait. Le
combat pour le choix des termes se poursuit, entre "importun" et "emmerdeur", nous l'analyserons
en détails dans la partie suivante.
La fin de cette séquence axée sur la question du nom et de la désignation du personnage principal
du roman d'A. Nothomb se révèle plus calme, en particulier parce que le parallèle posé par J. entre
son personnage et la romancière est repris par cette dernière : "disons que je suis un peu Textor dans
cette affaire / / oui c'est certain" (l. 34).

-l. 35-42 ( J 11-J 12) : récit du début du roman par J.


Le tour de parole J 7 est donc relativement homogène, et A. se contente de produire, à son habitude,
quelques régulateurs. Le tour A7 marque une tentative de A. pour prendre la parole, mais J. selon un
procédé de reprise classique "il est TRES TRES TRES bien renseigné" refuse de la lui céder. Il
préfère la lui donner, en faisant une pause, qui est une place transitionnelle, à la fin de ce même
tour.

-1.43 - 58 (fin) (A 12-A 15) 2 commentaires sur l'intrigue du roman par A.


A. prend donc la parole et la garde, quasiment exclusivement jusqu'à la fin de l'interaction. Les
quelques remarques de J. (J 13, J 14) sont en chevauchement. Tandis que sa dernière question (J l5)
essuie un refus "non, c'est/".

3) Coopération ou compétition ?

1 Le schéma de production. Il s‘agit d'un dilogue, les tours de paroles sont en nombre identique
pour chacun des locuteurs, et la quantité de discours (évaluée en lignes) est à peu près équivalente
pour chacun. On peut noter que c'est cependant à A d'apporter l'information, puisque c'est elle
l'interviewée, et qu'elle vient faire la promotion de son roman. Toutefois cette dernière s'immisce
souvent dans le discours de J, soit par des régulateurs (la fonction des « oui » récurrents n'est pas
d'acquiescement), soit par de véritables interruptions. Il convient donc d'étudier de près la façon
dont s'effectue le passage de la parole.

1 1 passage de la parole de J à A

Le passage de la parole de J vers A se fait de différentes façons :

-par des questions :


Le journaliste ne pose que deux questions directes à A. Nothomb, en J 7 ("il faudrait trouver un hall
d'aéroport ?" et J l5 "c'est du cynisme ou de la légèreté ?". C'est relativement peu. Il faut noter qu'à
ces deux questions A. répond négativement "c'est pas ça le problème" et "non", ce qui constitue une
menace pour la face positive de l'interviewer.

-des questions indirectes :


Le passage de la parole de J., qui mène l'interview, vers son invitée se fait de manière indirecte en
proposant un sujet à deux reprises, tour J 10 "c'est presque un écrivain / /" et J 12 "il est TRÈS
TRÈS TRÈS bien renseigné sur son interlocuteur", et en ménageant une place transitionnelle pour
permettre à A. d'enchainer. On sait que dans l'interview, ce type de remarque de la part de
l'interviewer a le statut de question. On peut d'ailleurs noter que l'échange des tours J 10 et A 10 est
le seul au cours duquel A. reprend les termes proposés par J. "disons que je suis un peu textor dans
cette affaire / / oui c'est certain".
Quant à J 12, A. prend la parole en acquiesçant "oui et ee" (1.43).

-des enchainements
A trois reprises les tours de parole de J se terminent par une absence de pause notée = qui signifie
que le locuteur n'a pas vraiment l'intention de céder la parole. On peut supposer que A profite d'une
pause intra-tour pour parler. Ce cas se produit aux lignes 6, 9 et 40.

-des chevauchements
Ils sont relativement nombreux, en particulier au début de l'interview : les trois premiers tours de
parole d'A sont en chevauchement. Celui des tours J 9/A 9 est significatif : au sujet du nom de son
personnage, A. Nothomb s'impatiente et cherche à prendre la parole de manière un peu forcée. Il
faut noter que jusqu'alors, c'est surtout J. qui a parlé. (environ l5 lignes sur 24).

Nous nous trouvons dans le cadre de l'interview, C'est donc en principe à J. de donner la parole à A.
Son rôle consiste à la révéler, à la dévoiler aux auditeurs. Il peut, pour ce faire, mettre en oeuvre
divers moyens. Mais il est nécessaire que l'interviewée ait la parole pour qu'elle puisse donner corps
à ce "dévoilement" par la matière verbale. On vient de voir que J manifeste une tendance à
monopoliser la parole. Quelles sont alors les réactions de A ?

1 2 Réactions de A
Nous l'avons dit, A, dès le début de l'interaction, manifeste une tendance à s'immiscer dans le
discours de J, par des chevauchements, ou des régulateurs, parfois à la limite de l'interruption, par
exemple en A 3.
Les tours Al et A2, très brefs montrent que A ne peut pas conserver la parole et que J la reprend sur
le même mode, après une absence de pause (l. 6 et 10). Lorsque A réussit à parler, tours A 7 et A 9
elle ne va pas au bout de son propos. On peut se demander si les courtes pauses à la fin de ces deux
tours sont à vocation transitionnelle. ll semblerait, au vu des propos tenus, que non.
Jusqu'à la l. 42, c'est surtout J. qui parle, A. produit une grande quantité de régulateurs "oui" (15
occurrences), ainsi que des chevauchements/interruptions. Ensuite, il se produit un tournant, l. 43 et
c'est A qui parle quasiment exclusivement. C'est alors J qui intervient en chevauchements. Il
reproduit l'attitude précédente de A, de façon assez artificielle, voire maladroite. Lorsque A énonce,
l. 49 "ce n'est pas autobiographique, je vous rassure", sous forme de boutade, la réponse de J "ah
bon vous me rassurez" peut passer pour un trait d‘humour. Mais la remarque suivante d' A "si je
peux avoir un avis sur mon propre livre" a été prise par J comme une question : "mais allez-y/ je
n'attends que ça".
On peut paraphraser cette remarque d 'A. de deux façons : "si vous, A. Algoud me laissez enfin
parler", ou, "un auteur est peut-être trop proche de son livre pour avoir la distance nécessaire au
commentaire". Quelle que soit la signification de cette remarque, elle n'appe1ait pas de réponse. On
voit alors que J a fait une erreur d'interprétation, et que sa réponse/autorisation/encouragement
montre qu'il aimerait rester maitre du jeu.

On peut parler de coopération, puisqu'il y a dialogue, et que les objectifs sont globalement atteints.
Toutefois l'aspect compétitif nous parait dominant dans ce morceau d'interaction, puisque la parole
n'est que rarement donnée par J, ce qui incite A à s'en emparer. Il faut noter que c'est A qui se
retrouve en position dominante à la fin de l‘interaction, au grand dam de J qui manifeste une
véritable propension à faire entendre son propre discours.

2 Les conflits de terminologie


Dès le premier tour de parole, les interactants s'opposent sur le choix des mots adaptés pour décrire
ce réel qu'est le roman qui vient de paraitre. On a vu que "élégiaque" proposé par J était remplacé
par "lyrique" (l. 4) énoncé par A. Il faut bien voir que le fait que J reprenne l‘adjectif de A (1. 5)
montre qu'il se range finalement (et même après une modalisation "par certains côtés") à son avis, et
en quelque sorte qu'il se place (sans le vouloir, ni même peut-être en être conscient) en position
basse. Ceci sera confirmé par le fait que J reprenne quasiment la totalité des termes plus ou moins
conflictuels, choisis par A : "sec" (1. 7 et 8), "drôle d'affaire" (1. 15 et 16), "bien renseigné" (1. 41 et
42), "légèreté" (1. 54 et 56). Mais le cas le plus significatif est celui de la désignation du personnage
principal, qui donne lieu à un véritable affrontement verbal. J. tient absolument à énoncer le mot
"emmerdeur". A. prévient ce choix qui s'annonce visiblement (au bout de : : après 1'avoir un
peu : : : : ), par un terme qu'elle juge plus approprié "importun" qui est plus élégant, d'un registre de
langue plus recherché (comme "astuce" ou "saumâtre"). Ici la négociation se fait en chevauchement
(l. 19-21) et le bras de fer entre "emmerdeur" et "importun" est gagné par J. qui insiste en répétant
trois fois le mot dans le début du tour J 9 , lorsqu'il réussit enfin à l'énoncer (après une hésitation (: :
: : ) et un raté ("emem"). Il essaie alors de se justifier (hein), mais sans succès puisque jamais A ne
reprend le terme. Cependant cette victoire "à l'arrachée" est fugace et surtout en trompe l'oeil,
puisque J ne reprendra pas son propre terme, mais au contraire celui d‘A qu'il va répéter à deux
reprise 1. 35 et 36 : "l'importuné au départ il a envie de casser la gueule à l’importun".
Autre indice de soumission de J à la description d'A, l. 35-36 "casser la gueule, c'est c'est c'est vos
propres termes". On peut supposer que J a bien vu que le mot vulgaire "emmerdeur" était rejeté par
A. Il prend des pincettes pour énoncer l'expression familière "casser la gueule", non tant pour
s'assurer de sa correction que, finalement (et, encore une fois sans doute involontairement) pour
attester de son alignement sur les mots de A.
Une dernière tentative de J pour tenter de reprendre la main se solde de nouveau par un échec. La
question du tour J l5 "c'est du cynisme ou de la légèreté ?" tente d'enfermer A dans un choix binaire
qui relève -pour la moitié du moins- de J. En effet, le terme "légèreté" provient du discours de A (1.
54 avec un bégaiement) tandis que "cynisme " est énoncé par J . Mais le refus net de A "non c'est /
j(e) crois que de sa part c'est vraiment de la FRAIcheur" montre qu'elle refuse, quasiment par
principe de répondre en reprenant l'alternative proposée par J. Elle se démarque alors très fortement
de J, et ce faisant, exprime sans doute son agacement, voire son mécontentement.
Nous l'avons vu, A met un point d'honneur à choisir elle-même les termes adéquats pour parler de
son roman et à refuser ceux de J. Les rares mots qu'elle reprend dans le discours de J sont soit
neutres : par exemple "différent", 1.3, soit imposés par la situation "dans un cimetière" 1.49 (début
du tour A 13 ). En revanche, elle répète volontiers les termes qu'elle sélectionne elle-même, et l'on
voit que ce choix n'a rien de fortuit. C'est le cas de "astuce" (3 occurrences), "importun" (2
occurrences) "fraicheur" (3 occurrences).
On voit alors que c'est A qui détient la position haute, laquelle consiste à réussir à imposer ses
propres mots et donc sa vision du monde.

Conclusion

Sans qu'il soit échangé de mots désagréables, sans qu'il y ait d'affrontement direct, une situation
conflictuelle s'installe. C'est que la compétition se place, nous l'avons vu, sur deux plans. La gestion
des tours de parole et le choix des mots. Ces lieux d'opposition n'apparaissent pas nettement à
première vue, mais 1'analyse de l'interaction montre clairement et sans ambiguïté une situation
agonale, de laquelle A sort nettement vainqueur. On peut, pour finir s'interroger sur les raisons de ce
conflit. Il semblerait que J n'entende pas laisser A s'exprimer autant que celle-ci le souhaite, et l'on a
vu que cette dernière arrivait à renverser la situation, dans la seconde partie de l'interaction. On peut
supposer qu' A, en tant qu'auteure reconnue s'attendait à une certaine déférence, sinon à un espace
d'expression plus ouvert. L'autre point de frottement a la même origine. A estime sans doute qu'elle
est la mieux placée pour parler de son livre (c'est ce que montre son discours, malgré la précaution
oratoire de la l. 50). Elle n'apprécie sans doute pas que J qui n'est pas spécialiste de littérature se
mette sur le même plan qu'elle en s’accordant le droit de commenter ses ouvrages. C'est pourquoi
elle cherche dès le début, d'abord à rectifier ses jugements, puis à les contrer carrément, sans
ménager sa face, dans la mesure où elle estime être lésée elle-même.
Qu'est-ce qui pousse A. Algoud à se mettre en avant dans l'interview ? Il a sans doute envie de
monter son enthousiasme, mais il se complait assez maladroitement à "étaler ses connaissances"
(par ex. en J 5 "c'est presque du théâtre " , en J 8 "pour «parparodier » Balzac" ou J 10 "celui qui
tisse le texte (...) c'est presque un écrivain"). En situation d'insécurité, face à un auteur reconnu, il a
peut-être le désir de montrer qu'il possède lui aussi une compétence dans le domaine littéraire. Il
s'agit d'une manifestation de ce que P. Charaudeau (1984 : 114 qualifie de "preuve du savoir",
laquelle est directement liée à la notoriété de l'interviewée. Cependant, ce qui aurait pu être regardé
avec une certaine indulgence par un autre auteur n'est pas pardonné par A. Nothomb qui fait montre
ici d'une forte personnalité. Et d'une excellente capacité à défendre son image.
PARTIE 5 L'ALTERNANCE DES TOURS DE PAROLE

1 La règle d'alternance
Toute interaction verbale se présente comme une succession de "tours de parole". Pour qu'il y ait
dialogue, il faut que la parole soit prise à tour de rôle soit par les deux interlocuteurs dans le cas du
dilogue, soit par l'ensemble des participants dans le cas des interactions à plusieurs. L'alternance des
tours de parole est constitutive du dialogue, c'est une des grandes règles qui régissent les
interactions verbales.
La conséquence immédiate de cette grande règle, est que la position de locuteur doit être occupée
successivement par différents acteurs. Ce qui ne signifie pas toutefois que ces acteurs doivent tenir
la position de locuteur à égalité, mais que les participants sont soumis à un ensemble de droits et de
devoirs :
-pour le locuteur en place : il a le droit de garder la parole un certain temps, mais aussi le devoir de
la céder à un moment donné
-pour le "successeur" potentiel, il a le devoir de laisser parler et d'écouter le locuteur en place
pendant qu'il parle. Il a aussi le droit de réclamer la parole au bout d'un certain temps, et le devoir
de la prendre lorsqu'on la lui cède.
Une remarque relative à la longueur des tours : la pratique du monologue est en principe
exceptionnelle dans la conversation entre Français, (Anglais ou Américains) pour qui la balle doit
changer de camp assez rapidement. Mais c'est différent dans les sociétés à forte tradition orale (les
Zoulous, par exemple)

2 Une seule personne parle à la fois


Cette règle est la conséquence de la règle d'alternance. Il faut savoir se taire et écouter pour qu'il y
ait dialogue, et donc reconnaitre à l'autre son droit à être locuteur. Cette reconnaissance se manifeste
en principe de manière positive :

2 1 Les régulateurs
-par le comportement non-verbal : l'interlocuteur doit montrer par sa posture, son regard, ses
mimiques (sourires, hochements de tête...) qu'il est bien présent, impliqué dans l'interaction et
intéressé par ce que dit l'autre, qu'il joue, en fait, son rôle de coénonciateur. Il avance le buste, pour
diminuer fictivement la distance entre les propos tenus et son oreille. (Au contraire, lorsque l'intérêt
s'émousse, on recule instinctivement le buste, comme pour prendre de la distance par rapport à ce
qui est dit, se désinvestir. )
Remarque : le régulateur non verbal principal est le hochement de tête vertical de bas en haut (le
"nod"), mais dans certaines régions de l'Inde, par exemple, ce peut être un mouvement latéral de
gauche à droite et de droite à gauche.
Ces régulateurs sont par exemple (signale E. T. Hall) très visuels pour les Anglais : "L'Anglais a
appris à accorder toute son attention à son interlocuteur et à l'écouter avec soin : la politesse l'exige
et n'admet aucune barrière protectrice. Ce n'est ni en hochant la tête, ni en émettant des
grognements qu'il indiquera qu'il a saisi votre discours, mais en clignant des yeux. L'éducation des
Américains en revanche, leur a appris à ne jamais regarder fixement. Au cours d'une conversation,
le regard d'un Américain vagabonde d'un oeil à l'autre de son interlocuteur dont il peut même
abandonner le visage pour un bon moment. En pareil cas, au contraire, pour l'Anglais bien élevé, la
marque de l'attention consistera à immobiliser l'oeil à la distance sociale, de telle sorte que quel que
soit l'oeil fixé par l'interlocuteur, celui-ci aura toujours l'impression d'être regardé en face." (il faut
alors qu'il se trouve à 1,20 m de son interlocuteur). Ceci explique certains malentendus.
-par l'émission de régulateurs, qui sont des signaux sonores d'écoute tels que « hum hum, ah, oh »
(régulateurs vocaux) ou encore : « oui, ah bon, tiens tiens » (régulateurs verbaux, identifiables
comme des unités du langage). On peut aussi trouver des reprises des mots du discours de l'autre.
Ces régulateurs verbaux , "oui", d'accord", peuvent être de simple continueurs (je t'écoute, je te
suis) ou peuvent exprimer plus fortement l'accord sur le contenu. Cette polysémie peut, elle aussi,
générer des malentendus.
Les régulateurs peuvent être positifs, et viser à encourager l'autre à continuer, lui monter qu'il est
compris, ou au contraire manifester de l'incompréhension, voire du désintérêt. Ils peuvent avoir
d'autres significations, par exemple, signaler l'intention qu'a le coénonciateur de prendre la parole
ou de se désengager de l'interaction.

Un exemple cité par R. Carroll (1987 : 46), qui décrit deux Français en train de converser : "j'ai à
ma disposition plusieurs moyens d'intervenir ou de montrer que je veux la parole : expressions du
visage, lèvres qui s'entrouvrent comme pour parler mais qui restent silencieuses, léger mouvement
du corps, gestes. Si cela n'obtient pas le résultat voulu, je peux avoir recours à d'autres signes :
aspiration d'air à peine audible et qui indique que l'on va parler, soupir discret, mot coupé (...)"
Les régulateurs sont nécessaires au déroulement de l'interaction. En leur absence, le locuteur peut
avoir l'impression de ne pas être écouté, et en faire reproche : "je te parle !" "tu m'écoute ?"

Remarque : On régule plus ou moins d'un pays à l'autre. Certains produisent peu de signaux
d'écoute, par exemple, les Apaches, qui interprètent les "uh uhm" de leurs interlocuteurs comme des
demandes de répétition. Les occidentaux régulent plus que les Apaches, mais bien moins que les
Japonais. Ces derniers sont particulièrement prodigues de régulateurs (en moyenne trois fois plus
que les Américains, selon plusieurs études). C'est pour une question de politesse envers autrui, pour
marquer son désir de coopération ou d'empathie, que l'on régule si frénétiquement en japonais. Mais
pour les Occidentaux, cela peut produire l'effet contraire, un effet paralysant, alors même que les
interlocuteurs Japonais seront gênés par l'insuffisance de régulateurs occidentaux.

2 2 Le chevauchement
Il arrive qu'il y ait des chevauchements de parole (overlap), c'est relativement fréquent dans les
conversations spontanées, mais ceux-ci doivent s'arrêter assez vite, pour que le dialogue puisse
continuer. Intervient alors une négociation, dont le but est de laisser la place à l'un des locuteurs
seulement. Cette négociation peut être courtoise ou agressive, implicite ou explicite. C'est le cas
lorsqu'on recourt à un énoncé métacommunicatif : "j'ai pas fini" "laissez-moi terminer ce que j'ai à
dire", "excuse-moi" "je vous en prie, allez-y" etc. Sur le mode implicite, c'est un peu la "loi du plus
fort", c'est celui qui continue le plus longtemps, répète ou parle le plus fort qui gardera le tour de
parole. On peut noter que les jeunes enfants, qui n'ont pas encore acquis les règles parlent en même
temps sans s'écouter.
C. Kerbrat-Orecchioni signale, dans le tome III des Interactions verbales que les Français sont
connus pour se couper sans cesse la parole, et parler tous en même temps. C'est vrai de l'ensemble
des peuples méditerranéens. C'est au contraire l'évitement de chevauchement qui est la règle dans
les sociétés anglo-saxonne, germanique ou scandinave. Ces différences sont à l'origine de conflits
interculturels entre latins et anglo-saxons. Pour les Français, les interruptions permettent d'accélérer
le tempo des conversations, ce qui donne un effet de chaleur et de vivacité à la conversation (c'est le
signe d'une conversation, alerte, animée, où l'on ne s'ennuie pas). Pour les locuteurs allemands ou
américains, c'est vécu très différemment : se couper la parole est une marque d'agressivité, et la
conversation devient confuse, anarchique. On sait que dans la comparaison interculturelle, c'est
d'une part le comportement, mais surtout son interprétation et la valeur qui lui est attachée qui varie.

Un autre exemple rapporté par R. Carroll (1987 : 44) "Des Américains se sont souvent étonnés en
ma présence de ce que les Français, "qui se disent si respectueux des règles de politesse" soient eux-
mêmes si grossiers (rude) : "ils vous interrompent tout le temps dans une conversation", "ils
terminent vos phrases pour vous", "ils vous posent des questions et n'écoutent jamais la réponse",
etc. Les Français en revanche, se plaignent souvent de ce que les conversations américaines soient
"ennuyeuses", que les "Américains répondent à la moindre question par une conférence", qu'ils
"remontent à Adam et Eve", et qu'ils "ignorent tout de l'art de la conversation." R. Carroll explique
ensuite que bien que les deux peuples pratiquent la conversation (et que le terme soit d'ailleurs le
même), elle signifie des choses différentes pour chacun. Tandis que les Français y voient
essentiellement un moyen d'exprimer la relation, de "tisser un lien social", les Américains s'en
servent plutôt pour mieux connaitre l'autre. "Mais seulement dans le présent, dans les limites
définies par le contexte, et sans que cela nous engage à maintenir la relation, puisque la
conversation n'est pas un commentaire sur notre relation, mais plutôt une exploration. La
conversation américaine ressemble plus à une randonnée à deux ou plusieurs en terrain inconnu qu'à
un jeu en terrain familier." (p. 59)

2 3 Tour de parole ou régulateur ?


Rappel
Définition de "tour de parole" : Un tour de parole correspond à une réplique au théâtre, c'est la
contribution d'un locuteur donné à un moment donné de la conversation. Les règles de base en ont
été définies en 1978 par H. Sacks, E. Schegloff et J. Jefferson dans un article fondateur
"organisation of the turn-talking in conversation".
Définition de "régulateur" : il s'agit de l'activité de l'auditeur. Le terme de régulateur désigne
l'activité verbale, vocale et mimogestuelle par laquelle des auditeurs soutiennent la production du
tour de parole d'un locuteur. (traduction de l'anglais back-channel de V. Yngve, 1970). Selon M. de
Gaulmyn (Décrire la conversation, J. Cosnier, C. Kerbrat-Orecchioni, PU Lyon, 1987, pp. 203-223
"les régulateurs verbaux : le contrôle des récepteurs"), la fonction des régulateurs verbaux est
triple :
-enregistrer le fait que le locuteur parle, le régulateur peut préparer une transition ou l'inciter à
poursuivre
-approuver l'énoncé ou l'énonciation qui le soutient, ou marque l'achèvement d'un thème ou la fin
prochaine de l'intervention
-désapprouver et mettre en doute l'énoncé du locuteur (qui peut aboutir à une interruption ou une
continuation de l'énoncé du locuteur).

La pratique de la transcription amène fréquemment à se poser la question du découpage de certaines


interventions des interlocuteurs. En particulier celle-ci : doit-on considérer les régulateurs comme
des tours de parole, ou non ?
Nous répondrons en suivant C. Kerbrat-Orecchioni (1990 : 186), qui signale que l'on rencontre deux
attitudes différentes devant ce problème.

1) Une conception extensive du tour consiste à y assimiler toute production verbale continue d'un
seul et même participant ; verbale et même vocale, puisqu'un tour peut, pour Goodwin, prendre la
forme d'une amorce de mot, d'un petit rire ou d'une simple aspiration. (sans parler des problèmes
des tours réalisés uniquement à l'aide de moyens mimo-gestuels).

2) Une conception plus restrictive, partagée par de nombreux spécialistes des conversations (dont
Goffman) consiste à considérer que les émissions régulatrices ne constituent pas de véritables tours
de parole, mais des "faux tours" . Ce sont :
-les "hm" (et variantes) qui indiquent un pur "enregistrement" (qui signifient : j'ai entendu)
-certains morphèmes à valeur de confirmation, ou de demande de confirmation, ("oui", "oui ?",
"sans blague", "ça alors" etc.)
-certaines expressions à valeur plus nettement évaluatives "c'est ça", "c'est bien vrai", "tu as raison",
"c'est mon avis", ou commentatives "quelle horreur", "incroyable"...
Ainsi que d'autres éléments (voir p. 187)
La question qui se pose de nouveau est celle de la définition du tour de parole. Le problème étant
qu'aucun des critères proposés (du chevauchement, phonétique (les régulateurs seraient émis avec
une intensité vocale plus faible, de la longueur de la contribution) pour distinguer vrai et faux tour
ne parait satisfaisant.
On voit alors que les régulateurs restent foncièrement flous, et que c'est sur un mixage des critères
évoqués précédemment que l'on peut poser en contexte une différence entre régulateur et tour de
parole bref. Sachant :
-que le problème n'a pas de réponse définitive
-que l'analyste intervient forcément en termes de choix descriptifs et d'analyse
-qu'on peut considérer que le passage du régulateur au tour de parole se fait en termes de
continuum, avec des contributions à statut intermédiaire.

3 Il y a toujours une personne qui parle


C'est encore une conséquence de la règle de départ (L'alternance des tours de parole est constitutive
du dialogue). Le droit à la parole est aussi un devoir, ne pas parler, ou parler trop peu fait encourir
des reproches du type : "mais parle ! dis quelque chose !", "j'ai l'impression de parler dans le vide !"

3 1 Les phatiques
La personne qui parle doit elle aussi manifester son engagement dans l'interaction de manière non-
verbale et verbale, par ce que C. Kerbrat appelle les phatiques, qui désignent "l'ensemble des
procédés dont use le parleur pour s'assurer l'écoute de son destinataire" : « hein, tu vois, n'est-ce pas
? tu comprends » etc. Les phatiques sont le pendant des régulateurs pour le coénonciateur. (le sens
du mot "phatique", dans la fonction phatique du schéma de la communication de Jakobson, est un
peu différent). Ils sont aussi importants, car sans eux, l'interlocuteur peut avoir l'impression d'une
communication impersonnelle, que ce n'est pas à lui que l'on s'adresse.

3 2 Les gaps
Il s'agit des intervalles séparant les tours de parole. Ces silences doivent, dans la langue-culture
française, être courts. On observe à ce sujet d'importantes variations culturelles.
En effet, les intervalles entre les tours sont variables selon les cultures. C. Kerbrat signale que la
durée minimale de la pause entre les tours de parole, d’un interlocuteur à l’autre donc, est fort
courte en France, 3/10èmes de seconde, alors par exemple qu’elle est de 5/10ème aux États Unis.
D’où l’impression de l’Américain, quand il parle avec un Français, d’être sans cesse interrompu...
Ou encore le fait que dans une discussion l’Américain se fasse facilement "doubler" par un
Français.
Dans d’autres sociétés, le silence peut s’étendre sur plusieurs minutes, sans que cela soit
problématique (exemple, pour les Lapons du nord de la Suède, mais aussi les Japonais ou les
Amérindiens).
C. Kerbrat propose l'exemple suivant : des Lapons autour d’une table : offre - silence - acceptation
de l’offre - grand silence - question - silence - réponse - grand- silence etc.) Soit en tout 5 ou 6
échanges minimaux pour une rencontre d’une heure environ. Donc, on constate des différences, et
l’on voit que le “remplissage par un flot continu de parole” n’est pas universel, mais plutôt une
question de culture.
La formule de Sacks et al., citée par C. Kerbrat : « minimization of gap and overlap » (minimisation
des pauses entre les tours et des chevauchements de parole) situe ces phénomènes comme relevant
de la coopération conversationnelle.

4 Le réglage de l'alternance
La question est à présent celle du passage d'un interlocuteur à l'autre. Quels sont les mécanismes qui
permettent au locuteur de céder la parole au locuteur suivant, le successeur potentiel (ou next
speaker) sans difficulté ? (i.e. sans chevauchement ni grand silence) Le locuteur doit donc, à un
moment (variable) s'arrêter pour laisser la parole et permettre aux autres de parler. Ceci peut
s'effectuer de diverses manières.
La cas le plus simple est celui d'un réglage externe. En effet, le temps de parole peut être, dans
certaines situations réglé de l'extérieur. C'est le cas des débats politiques télévisés, dans lesquels
l'animateur tient le compte des temps de parole et le rappelle aux intervenants, "il ne vous reste plus
que X minutes de parole", "il faut maintenant passer la parole à M. Z". Dans une soutenance de
thèse, l'impétrant dispose d'un temps limité pour présenter son travail, et les membres du jury ont la
même contrainte pour effectuer leurs commentaires. Il arrive fréquemment qu'ils débordent du
temps imparti, ou qu'ils prennent le prétexte de ce temps pour limiter leurs commentaires. La
réaction du président de jury est alors variable : il peut faire comme si de rien n'était, rappeler à
l'ordre relativement strictement, être compréhensif, ou dominé par la personnalité (et/ou la
notoriété) de l'un des membres du jury. Le statut des personnes est un élément essentiel pour la
compréhension de ces variations, nous l'avons évoqué en traitant de la question du rapport de
places. Il s'agit là de cas particuliers, la plupart du temps, les changements de tours sont négociés
par les participants eux-mêmes. C'est le cas dans les conversations quotidiennes.

4 1 Le changement de tour
Il s'agit de savoir quand se produit le changement de tour, et comment.

Le locuteur peut, c'est fréquent, disposer dans son énoncé des signes que l'on appelle places
transitionnelles que l'interlocuteur peut utiliser pour se mettre à parler. Il s'agit souvent de brefs
silences intra-tours, sans qu'il se produise réellement d'interruption. Si l'interlocuteur ne profite pas
de cette place transitionnelle, le premier locuteur continue à parler.

Le locuteur peut aussi indiquer nettement qu'il a fini, il produit alors un énoncé syntaxiquement
complet, et sélectionne un locuteur suivant, par le regard, ou directement en l'interpellant. Il y a
trois types de signaux de fin de tour.

• Des signaux de nature verbale marquant la clôture, comme "voilà", "bon", ou encore des
expressions phatiques comme "non ?", "hein?" qui ont une valeur interrogative (Cf. C.
Kerbrat tome 1, 1990 : 165)

• Il y a également des indices non verbaux qui marquent l'intention de clore le tour de parole :
le ralentissement du débit, le regard porté de manière marquée sur le destinataire, une
modification de la posture (par ex. appui sur le dossier de la chaise).

• Les signaux de nature prosodique : courbe intonative montante ou descendante en fonction


du type d'énoncé, pause de la voix, qui doit, pour être interprétée comme signal de fin de
tour, d'un ralentissement du débit, et d'une chute de l'intensité articulatoire.

4 2 La nature du successeur
Dans les dilogues, le problème du choix du successeur ne se pose pas, par contre, on peut rappeler à
un locuteur qu'il abuse du temps de parole "alors, ça vient ? accouche !", lui dit-on vulgairement, ou
au contraire le prier de continuer, "vas-y, continue, c'est intéressant". Le locuteur peut se justifier
d'être prolixe : "je vais être un peu long, mais il faut que je m'explique sur les circonstances...", ou
négocier la continuation du tour du parole : "un mot encore et j'en aurais fini..." Il s'agit là de la
question de la durée du tour de parole.
Lorsque l'interaction comprend plus de deux locuteurs, on distingue deux façons de sélectionner le
successeur.

4 2 1 Hétéro-sélection
L1 sélectionne L2, à l'aide des signaux que nous venons d'étudier en 4 1, nomination explicite,
signaux non-verbaux. Le bénéficiaire d'une hétéro-sélection peut souligner le fait "puisqu'on me
demande mon avis...", "je remercie X de m'avoir donné la parole." L'hétéro-sélection peut
s'effectuer par L1 (auto-stop), mais il arrive que l'un des participants intervienne en faveur de L2 :
"laisse parler ton frère".
Lorsque ce procédé n'a pas lieu, il se produit une auto-sélection.

4 2 2 auto-sélection
C'est le premier locuteur qui va enchainer sur les propos de L1 qui va prendre le tour de parole. Il
peut profiter pour cela d'une place transitionnelle. S'il se produit un auto-stop et qu'aucun candidat
ne se présente, il s'ensuit un silence plus ou moins prolongé. Au contraire, si plusieurs candidats
prennent la parole en même temps, on a un chevauchement.
L'auto-sélection peut être explicitement légitimée :
-par auto-valorisation de l'interrupteur, qui va évoquer son statut, l'intérêt qu'il porte au thème, la
connaissance qu'il en a.
-par dévalorisation de L1 et de ses propos : "on en peut pas laisser dire cela, vous vous trompez
lourdement" etc.
-par référence aux règles de la conversation : c'est à moi de parler, je voudrais intervenir. Ces
dernières légitimation interviennent plus fréquemment dans le cas d'interruptions ou d'intrusions
(voir infra).
Lorsque l'auto-sélection n'est pas légitimée explicitement, ce peut être :
-parce que le statut de L2 est suffisamment élevé et connu pour n'avoir pas à être rappelé. Ce
comportement, même s'il ne suscite pas de réprobation explicite n'est pas socialement valorisé.
-si L2 n'a pas de statut reconnu, il est explicitement taxé d'impolitesse, de manque de savoir-vivre
etc.
On le voit l'alternance ne s'effectue pas toujours harmonieusement.

5 Les "ratés" du système des tours


Avant de parler des dysfonctionnements, rappelons la norme :

• le locuteur L1 abandonne la parole après avoir signalé (par divers indices) la fin de son tour
de parole.

• le locuteur suivant prend la parole et la prend seul


-soit parce qu'il a été sélectionné par L1
-soit parce qu'il s'est auto-sélectionné.

Lorsque cela se passe autrement, des ratés se produisent. Ils sont fréquents, et peuvent être de deux
types :
-les raté involontaires, qui proviennent d'une méprise d'interprétation des règles de l'alternance.
-les violations des règles, résultant d'un désaccord entre les participants à l'interaction (par ex. une
personne désire intervenir alors que c'est une autre qui aura été sélectionnée par L1).
Ces ratés ont pour conséquence les phénomènes suivants :

5 1 Silence prolongé entre deux tours


Le silence dans la culture française est majoritairement dévalorisé. La durée maximale d’une pause,
au-delà de laquelle le silence est perçu comme embarrassant, est (seulement) de quelques secondes.
La conversation a peur du vide. Par exemple, à table, lorsque le silence se fait, que la conversation
se tarit, il est en général rompu par la phrase routinière "un ange passe", qui relance aussitôt les
conversations en donnant une valeur positive au silence. Le fait de ne pas parler est en général perçu
négativement.
Il existe cependant des silences dans une conversation qui sont significatifs, et fonctionnent comme
l'équivalent d'un tour de parole (ce n'est pas ce dont il est question ici).

5 2 L'interruption
Lorsque L2 prend la parole avant que L1 ait fini son tour, il y a interruption. Lorsque l'on coupe la
parole à quelqu'un, on lèse son territoire, on menace sa face.

5 2 1 Rappel la notions de face


La notion de face a été introduite par Goffman (1974), puis reformulée par Brown et Levinson
(1978). À leur suite, on a coutume de distinguer deux faces, indissociables chez tout individu :
-la face négative, qui correspond aux territoires du "moi", territoire corporel (la "bulle"), spatial
(bureau, chambre), biens personnels (voiture, objets), savoirs secrets... Mais aussi sa propre parole,
qu'autrui ne doit pas interrompre.
-la face positive, qui correspond au narcissisme, à l'ensemble des images valorisantes que les
interlocuteurs se fabriquent et tentent d'imposer d'eux-mêmes dans l'interaction.
Donc lorsqu'on a une conversation à deux participants, ce sont quatre faces qui se trouvent en
présence. Et tout au long de l'échange, une bonne partie des actes et des paroles (voire la totalité ?)
constituent des menaces potentielles pour l'une ou l'autre de ces quatre faces : ces menaces, on les
appelle des "Face Threatening Acts" (Brown et Levinson) "actes menaçants pour les faces" "FTA".
Dans cette perspective, les actes de parole se répartissent en 4 catégories.

1 les actes menaçants pour la face négative (le "territoire") de celui qui les accomplit : C'est le cas
de l'offre, de la promesse par lesquelles on s'engage à effectuer dans un proche avenir un acte
susceptible de léser son territoire, son "moi".

2 Les actes menaçants pour la face positive de celui qui les accomplit : par lesquels on
"s'autodégrade" : aveu, autocritique, excuse "j'ai eu tort", "c'est moi qui ai fini les bonbons" etc.

3 Les actes menaçants pour la face positive de celui qui les subit : C'est-à-dire ceux qui mettent en
péril le narcissisme d'autrui, comme la critique, le reproche, l'injure, l'insulte, le sarcasme ou la
moquerie.

4 Les actes menaçants pour la face négative de l'interlocuteur (celui qui les subit) : par exemple les
violations territoriales de nature non verbale qui sont très nombreuses : agressions proxémiques
(quand on se trouve trop près de quelqu'un ; contacts corporel indus, par exemple dans le métro
etc..)

Les agressions visuelles, sonores, olfactives, sur les biens d'autrui en font partie. Mais aussi
verbales, il y a des actes de parole qui dérangent, les questions intimes, "indiscrètes", ou encore les
actes de parole directifs : "ordre", "interdiction" "requête" ou "conseil".

Ces deux dernières catégories, qui concernent celui qui subit sont particulièrement importantes :
comment faire passer une demande, une question délicate, un conseil, voire une critique ? C'est là
qu'interviennent les manifestations linguistiques de la politesse.

Il n'y a pas que les FTA : sinon, on aurait une conception un peu "paranoïde" des relations humaines
: on passerait son temps à monter la garde autour de son territoire et de sa face (encore que cela
puisse être le cas de certaines personnes, sans doute plus encore dans les situations d'insécurité). On
pose alors l'existence d'anti-FTA : les FFA, (Actes valorisants pour la face) qui sont par exemple le
compliment, le remerciement, et qui sont essentiellement positifs, alors que les FTA sont
essentiellement négatifs. (par ex. l'ordre ou la critique).
De même, il existe des interruptions positives, qui fonctionnent comme des FFA, par exemple
comme marque d'implication intense dans la conversation.

5 2 2 interruption et interculturel
L'interruption s'effectue selon des manières variables en fonction des sociétés. Les Anglais ont une
"méthode douce", ils débutent par un morphème introductif : "Well", suivi d'un énoncé confirmatif.
Les italiens ont un comportement d'apparence plus brutale, puisqu'il coupent par un "ma" à valeur
adversative. Les Français débutent souvent leurs interruptions par un "mais" comparable, ou par
"oui, mais..."

Nous avons déjà évoqué la tolérance des Français pour le phénomène de l'interruption. R. Carroll la
commente de façon intéressante, toujours dans une optique interculturelle : (1987 : 62-63)

" Plus encore que les questions qui n'exigent pas de réponse véritable, ce sont les «interruptions
continues » de la conversation française qui déroutent les Américains. Mais, comme on devrait s'y
attendre maintenant, ce que l'Américain prend pour une interruption n'en est pas vraiment une, joue
un tout autre rôle dans la conversation française. Vus de l'extérieur, des Français en conversation
semblent, en effet, passer leur temps à s'interrompre l'un l'autre. La conversation parait cependant
agréable, et les participants ne donnent aucun signe d'être vexés, frustrés ou impatients (pour
l'observateur français s'entend). Au contraire, l'interruption semble être un principe moteur de la
conversation. Il est donc permis, à certains moments et non à d'autres d'interrompre sans être
grossier. Pour savoir quels sont ces moments, il suffit de considérer cette « interruption » comme un
signe de ponctuation. Il ne s'agit surtout pas de couper la parole à quelqu'un, au milieu d'un mot ou
d'une phrase, mais de saisir la pause, si brève soit-elle, pour réagir. Je ne fais pas cela pour attirer
l'attention sur moi, ou prendre la parole, mais pour manifester l'intérêt qu'à provoqué en moi la
réplique de l'autre. Réplique qui mérite, qui appelle un commentaire, un mot d'appréciation, des
dénégations, des protestations, du rire, bref une réaction sans laquelle elle « tomberait à plat ». La
balle est lancée pour être justement rattrapée et relancée. Quand il n'y a aucune « interruption », que
chacun parle posément à son tour (comme dans la conversation américaine selon les Français), la
conversation ne « décolle » pas, elle reste polie, mondaine, froide, et autres qualificatifs de ce genre,
tous négatifs.
Au contraire, les interruptions-ponctuation sont une preuve de spontanéité, d'enthousiasme et de
chaleur, une source d'imprévu, d'intérêt et de stimulation, un appel à la participation et au plaisir.
(...) Pour un Américain non averti, la rapidité de l'échange peut être interprétée comme une série
d'interruptions (et donc une expression d'agressivité) et le ton de la voix comme une expression de
colère (quand ma fille était toute petite, elle m'a demandé un jour pourquoi je me disputais toujours
avec mes amis français qui venaient à la maison, et jamais avec mes amis américains ; c'est
probablement ce jour-là que j'ai commencé mes analyses culturelles ...)"

5 3 L'intrusion
L'intrusion ne concerne plus le moment de la succession, mais la nature du successeur. Elle se
produit lorsqu'un locuteur illégitime s'empare de la parole et vient parasiter le circuit interlocutif. Ce
peut être un locuteur non sélectionné par L1, une personne qui n'a pas à participer à la conversation
(un domestique dans une pièce de Molière), ou une personne extérieure au groupe.
L'intrusion peut être légitimée (C.F. en 4 2 l'autosélection). Et elle donne souvent lieu à des
réparations :
-juste un mot, je serai bref, qui équivalent à des minorations de l'intervention.
-je vous prie de m'excuser, mais... qui répare par l'excuse.
R. Carroll compare le comportement des gens lorsqu'ils font la queue dans un supermarché. Elle
explique que contrairement à ce qui se passe en France (où les gens râlent, se replient sur eux-
mêmes, ou s'isolent dans la lecture d'un journal) les Américains n'hésitent pas, lorsqu'ils attendent à
la caisse, à converser de façon conviviale pour passer le temps, à échanger, dans la mesure où la
conversation n'engage pas à l'autre, ils acceptent facilement d'entrer en contact.
Citons enfin, dans la liste des dysfonctionnements, le chevauchement que nous avons évoqué en 22.

6 Conclusion
L'alternance des tours de parole est un phénomène social par excellence, puisque les participants
fabriquent eux-mêmes l'ordre de l'interaction.
Il n'est pas encore acquis par les jeunes enfants qui s'empêchent mutuellement de parler.
Il est endogène dans le cas d'adultes en situation de dialogue : ils créent eux-mêmes un ordre avec
ses règles ponctuelles, variables en fonction des groupes.
Il peut enfin être exogène, lors d'interactions formelles : séance au parlement, soutenance de thèse,
les participants doivent se soumettre à des règles, qui sont parfois vécues comme contraignantes.
La règle de l'alternance des tours de parole s'applique quel que soit le statut des participants, elle est
fondamentalement égalitaire, et fondée sur la réciprocité (comme sont égalitaires la réciprocité de
"je" et "tu"). Mais la réalisation de cette règle, n'est pas seulement fonction de l'interaction. Les
règles sociales des structures vont ou non permettre l'existence du face à face. Il y a des gens qui ne
peuvent pas se rencontrer parce qu'ils appartiennent à des groupes sociaux éloignés. Il existe aussi
des règles sociales qui ne permettent pas à certaines personnes de communiquer : les belligérants
communiqueront par le biais d'intermédiaires, le Président de la République en France ne peut pas,
par la Constitution s'adresser directement aux députés : il devra leur faire lire ses messages par un
ministre. Enfin, les statuts des uns et des autres ont, nous l'avons vu, une importance déterminante
dans la durée des tours... Il reste que des négociations sont souvent possibles, d'autant que les
violations des règles interactionnelles sont fréquentes, et la plupart du temps bien tolérées,
lorsqu'elles ne sont pas trop fréquentes et/ou importantes.
PARTIE 3 TYPOLOGIE DES INTERACTIONS
Nous présentons la liste des critères permettant de caractériser les séquences d'interaction, proposée
par R. Vion.

1 caractères généraux des interactions

1 1 Symétrie / complémentarité
Cette distinction a été établie par l'école de Palo Alto. Toutes les interactions dans une dyade (couple
en interaction) peuvent se définir par un échange soit symétrique, soit complémentaire, selon qu’ils sont
basés sur la similitude ou la différence. Il est en effet impossible pour le locuteur de ne pas définir sa
relation à autrui et de ne pas se positionner, tout comme il est inévitable d'être positionné par son
allocutaire.
La relation symétrique se définit par deux positions au même niveau. Dans une interaction en symétrie,
les partenaires adoptent un comportement en miroir. Par exemple à une question répondra une autre
question :
A Tu vas à la fac demain ?
B Pourquoi tu me demandes ça ?
Autre ex. à une insulte répondra une autre insulte :
A Imbécile !
B Couillon !
Les participants se placent sur un pied d'égalité, ce qui ne signifie pas pour autant que la relation
soit harmonieuse.

Dans une interaction complémentaire, le comportement de l'un des partenaires complète celui de
l'autre, il y a alors une maximalisation de la différence. Les comportements sont dissemblables mais
adaptés l'un à l'autre, ils s'appellent réciproquement. Par exemple, lors d'une consultation médicale,
le médecin questionne et le patient répond. On peut aussi citer les couples mère-enfant, professeur-
étudiant. Une relation complémentaire peut être harmonieuse si chacun accepte sa position et confirme
la position de l’autre.
Dans une interaction complémentaire, deux positions sont possibles, l'une supérieure, ou "haute"
(celui qui questionne), l'autre inférieure, ou "basse" (celui qui répond). Ces positions peuvent être
fixées par le contexte social et culturel, ou négociées par les interactants.
Lorsque ce rapport de places (au sens que lui donne C. Kerbrat-Orecchioni «de place sur l'axe
vertical invisible qui structure la relation interpersonnelle » (1992 : 71) est déterminé de l'extérieur
(fixé par le contexte), ce sont les statuts et rôles des interactants qui comptent (par exemple
médecin/patient, fournisseur/client) ou leur identité (parent/enfant), (homme/femme).

Mais signalent Marc et Picard (Vion 1992 : 107), "le rapport de places est aussi déterminé de
l'intérieur même de la relation, par la place subjective que chacun prend par rapport à l'autre
(dominant/dominé, demandeur/conseiller, séducteur/séduit)."
En fait, précisent ces auteurs, toute interaction se caractérise par un double positionnement
(déterminé de l'extérieur et de l'intérieur). Ce qui varie, c'est l'importance quantitative de chacun, en
fonction du degré de formalité de l'interaction. On retiendra donc qu'il est plus juste de décrire le
rapport de places comme "un double positionnement réciproque", plutôt que en termes de
dichotomie (interne OU externe).
Citons Vion (1992 : 107) pour conclure :
"dans les situations institutionnelles où le rapport de places "externe" domine, il ne saurait
empêcher l'émergence d'un rapport plus "interne". Réciproquement dans les situations informelles,
où le rapport de places n'est pas fixé a priori, les sujets ne peuvent pas ne pas "contaminer" leur
positionnement réciproque "interne" avec des éléments de leur identité sociale exprimables en
termes de statuts et de rôles."
On peut ajouter qu'il n’y a pas stratégiquement de position meilleure qu’une autre, tout dépend de la
nature de la relation ainsi que des buts (ou finalités) des participants (voir supra). De manière erronée,
on pense que le pouvoir réside systématiquement dans la position haute, or, le choix volontaire de la
position basse offre bien souvent des possibilités intéressantes. Jay Haley, membre de l’Ecole de Palo
Alto, rapporte un exemple frappant : un individu qui souhaite se faire porter dans la rue et ne réussissant
pas à convaincre qui que ce soi par un ordre, choisit de faire semblant de s’évanouir sur le trottoir et
arrive ainsi à ses fins. Se placer en position basse à certains moments permet d’exercer davantage
d’influence que de maintenir la position haute, nous en reparlerons dans le cas de l'interview.

1 2 coopération / compétition
L'idée que la plupart des interactions se déroulent dans une situation de caractère contractuel, est
communément admise, depuis que Grice (1975) a posé le fameux principe de coopération.
L'ensemble des participants coopèrent, même dans le cas d'une dispute, puisqu'ils continuent à user
du langage. Toutefois, certaines interactions sont plus marquées par la coopération, comme la
conversation, exemple-type, tandis que d'autres sont orientées vers la compétition, voire le conflit,
comme le débat ou la dispute. Vion signale toutefois que cette distinction ne fonctionne pas comme
une dichotomie, et que même dans les cas de coopération les plus marqués, on trouve des enjeux de
face, de séduction, et donc de compétitivité. Tandis qu'inversement, tant qu'il y a échange langagier,
même conflictuel, il y a de la coopération (on construit avec le partenaire une relation, un objet
discursif.)

1 3 Nature des finalités


Il n'est pas vraiment juste de dire que la conversation quotidienne n'a pas de finalité. Vion (1992 :
127) souligne "qu'elle repose sur des finalités internes décisives pour la protection du tissu social".
Elle sert à affirmer et à confirmer l'existence de liens sociaux privilégiés entre les individus. Par
contre, d'autres interactions ont une finalité externe, elles "font l'objet d'un véritable enjeu pouvant
s'exprimer et termes de gains et de pertes." Ceux-ci peuvent être de nature matérielle : transaction
entre vendeur et client, ou entre médecin et patient (ce dernier attend une amélioration de sa santé),
ou symbolique, comme dans le cas d'un débat entre personnalités politiques à la veille d'une
élection, par exemple. On pourra distinguer un troisième type de finalité externe, tournée vers la
recherche de connaissance, c'est le cas de l'enquête, de l'interview ou de certaines discussions.Il
arrive souvent que les finalités réelles des interactants ne soient pas celles explicitement annoncées ;
il est important de préciser et de hiérarchiser les finalités (ou buts) de chacun des interactants.

1 4 Caractère formel / informel


Le caractère plus ou moins formalisé des échanges va dépendre de la conjugaison d'un ensemble de
critères tels que le nombre de participants, la nature du cadre de l'interaction, les règles de
circulation de la parole etc. On va alors opposer des interactions informelles, comme la
conversation quotidienne (rencontre entre étudiants dans un couloir), et d'autres obéissant à des
règles plus ou moins strictes. La transaction entre un agent de la poste et un client au guichet, par
exemple, sera contrainte par un cadre institutionnalisé avec un contrat de parole fermé (il sera
question des opérations effectuées par le client : affranchir du courrier, retirer de l'argent, retirer un
colis, envoyer un mandat etc.). Les rituels d'ouverture et de clôture seront liés à ce cadre, et
relativement stéréotypés. Autre exemple, dans un débat formel, le temps et les tours de parole sont
gérés par un "modérateur", lequel doit également veiller à ce que les participants ne s'éloignent pas
excessivement du sujet à débattre.
Précisons enfin que le caractère formel/informel s'analyse plutôt sur le mode analogique, comme un
continuum, plutôt que comme une dichotomie (c'est à dire une division entre deux éléments qu'on
sépare nettement et qu'on oppose.)
2 Types d'interactions

2 1 Les interactions complémentaires


Le rapport de places complémentaires, nous l'avons vu, est souvent abordé en termes de position
"haute", corrélée à une "position basse". Cependant le fait d'occuper la position basse ne doit pas,
nous l'avons dit, être vécu comme un échec (par exemple dans l'interaction vendeur/client,
médecin/patient, ou professeur/étudiant), car ce rapport de places est dû à un caractère
institutionnel, et à la nature spécialisée de l'interaction. D'autre part, nous avons vu que la
composante interne pouvait toujours intervenir dans un rapport de place, même fortement formel.

2 1 1 La consultation
Ce terme regroupe des interactions médicales diverses, des consultations juridiques, toute situation
où un demandeur vient consulter un expert, détenteur d'un savoir ou d'un pouvoir spécialisé,
socialement reconnu. Le consultant prend l'initiative de l'échange, et attend un résultat tangible de la
consultation, guérison, levée d'un obstacle etc. Le spécialiste occupe la position haute, et conduit
l'interaction. À condition toutefois que le consultant accepte de se laisser conduire.

2 1 2 L'enquête
La finalité de l'enquête n'est plus l'action, comme c'était le cas pour la consultation, mais la
connaissance. C'est cette fois le spécialiste qui initie l'interaction, afin de rechercher des
informations auprès de l'enquêté. Ce dernier se trouve donc occuper une position plus élevée que
précédemment, puisqu'il détient des informations précieuses pour l'enquêteur. Toutefois il n'est que
partiellement conscient et/ou informé de l'utilisation qui sera faite de son témoignage. Il arrive
également que le sujet se sente minoré, par exemple dans le cas des enquêtes linguistiques.

2 1 3 L'entretien
Le terme d’entretien est peu précis “la notion est trompeuse, elle suggère qu’on a affaire à un objet
homogène, alors qu’en réalité son domaine comprend des pratiques très diverses” (Kerbrat-
Orecchioni, 1990 : 119)
On pourra distinguer plusieurs sous-types.

-L'entretien ou relation d'aide, qui est à rapprocher de la consultation, par la relation verticale
(positions haute et basse) et le fait que la finalité appartienne au domaine de l'action, laquelle passe
toutefois par le recueil d'informations. L'entretien doit favoriser une parole authentique. Les
techniques d’entretien doivent donc permettre au spécialiste de conduire sans influencer, d’être
maître du jeu sans être à l’initiative. Il convient alors qu'il adopte une attitude neutre d’empathie,
évite les investissements discursifs et utilise au maximum la parole de l’autre. Là encore, il ne faut
pas croire qu’il y ait monogestion de l’interaction, au contraire une coopération est nécessaire.

-L’entretien/ interview, conduit par un journaliste. Dans ce type d'entretiens la position haute est
ambigüe et complexe. Le journaliste est bien en position haute, puisqu’il oriente le débat, prend la
plupart des initiatives, mais il doit laisser parler l’autre, qui est censé fournir l’essentiel de la
matière conversationnelle. Il est donc à la fois dominant et dominé, d’autant que si l'interviewé est
célèbre, ce dernier peut prendre énormément de libertés par rapport au guidage du journaliste.
Lequel peut même se voir confiné dans la situation subalterne du faire-valoir et se retrouver en
position basse. Citons C. Kerbrat-Orecchioni (in Vion 1992 : 133) "Pilote effacé du dialogue,
initiateur vite condamné à un silence relatif, l'interviewer est à la fois dominant, et dominé (ces
deux composantes se dosant diversement selon les interviews)".

2 1 4 La transaction
Ce type regroupe les relations de vente et les relations aux services d'accueil, commençant/client,
chauffeur de taxi/client, administration/administré, garçon de café/client etc. Il est spécifique par la
présence d'un objet extérieur au langage qui doit être échangé, produit. Chacun des protagonistes y
participe à travers un rôle spécialisé, c'est pourquoi, note Charaudeau (1983) le "contrat de parole" y
est limité : on ne pourra parler que d’un nombre restreint de choses. Ceci n'empêche pas cependant
que la transaction puisse alterner avec d'autres séquences (appelées "modules"), comme par
exemple une "conversation". Une transaction, par exemple achat de médicaments dans une
pharmacie, peut être suivie d'une conversation ayant pour thème l'épidémie de grippe du moment.
C'est dans la transaction, remarque R. Vion, que “la complémentarité des places peut le moins
s'exprimer en termes de rapports haut/bas”. Le vendeur s'il délivre la produit, est soumis à
l'initiative et à la décision du client. On observe toutefois que dans certaines administrations, les
relations de domination sont très présentes (administration judiciaire par exemple). Il faut aussi
noter l'importance du contexte commercial : la position du client ne sera pas la même en situation
de pénurie ou de surabondance de biens.

2 2 Les interactions symétriques


Dans ce type d'interactions, il y a certainement des rapports de places, mais ceux-ci, nous en avons
parlé précédemment (partie symétrie/complémentarité) ne sont pas fixés "de l'extérieur", de manière
institutionnelle ou professionnelle. Entrent alors en jeu les représentations que se font les individus
d'eux-mêmes, et de leurs partenaires d'interactions (rappelons que les individus ne réagissent pas en
fonction de la situation objective à laquelle ils sont confrontés, mais à partir des représentations
qu'ils se font de cette situation, Cf. Vion 1992 : 86)

2 2 1 La conversation
Dans son acception restreinte et ordinaire, aucune des composantes de la conversation n’est fixée à
l’avance : le nombre de participants et les thèmes sont très variables, l’alternance des tours de
parole, la durée des échanges sont libres (ou du moins structurés a minima, car les systèmes
d’interactions sont régis par des règles de structuration). Le caractère de la conversation est gratuit
et non finalisé; elle comporte en elle-même sa propre finalité (parler pour parler, par plaisir, jeu,
politesse). Plus précisément sa finalité serait le maintien de rapports sociaux, la reproduction des
liens : "réaffirmation du tissu social et des identités" selon les termes de R. Vion. Elle est
“égalitaire” : même s’ils n’ont pas le même statut, les participants se comportent comme des égaux
dans la conversation. Elle est nettement plus coopérative que compétitive.
Un sous-type : le dialogue : Rappelons que le préfixe n’est pas di/deux, mais dia/ "qui traverse,
circule et s'échange", comme dans “dialyse”.
Le différence de sens avec conversation n’est pas facile à cerner, car elle fonctionne surtout par
connotations et emplois réservés :
-dialogue serait artificiel, signifierait propos fabriqué (cinéma, roman)
-dialogue serait constructif, viserait à une compréhension, voire un accord mutuel : "homme de
dialogue" (et non de conversation).
Nous citerons, à titre d'exemple, le sens qu'attribuent selon R. Carroll, les français à l'activité de
conversation. Dans Évidences invisibles, américains et français au quotidien (Seuil 1987) cette
ethnologue analyse de façon très intéressante les malentendus interculturels. "Ce qui importe, c'est
d'établir des liens, de créer un réseau si ténu soit-il, entre les conversants (en France). La parole que
l'on échange au "fil" de la conversation, sert à tisser ces liens entre les conversants.(...) Ainsi, par
exemple, si je fais mes courses dans le quartier, je vais faire "un petit bout de conversation" avec les
commerçants chez qui j'ai l'habitude d'aller. Si je vais chercher mes enfants à l'école, je ferai de
même avec quelques parents dont les enfants sont en classe avec les miens, avec le maitre ou la
maitresse si je les vois." (...)" Elle explique que les Américains sont étonnés devant le temps que
nous passons à bavarder avec l'un et avec l'autre, et trouvent que les Français parlent souvent pour
ne "rien dire". Il apparait donc que les Américains et les Français ne donnent pas le même sens à
l'échange verbal, tout en le supposant identique.
R. Carroll, dans une analyse fine du fonctionnement français de la conversation, remarque que les
liens qu'elle crée "ne sont pas par définition agréables, (...) mais sont essentiels à mon existence
sociale, à mon inscription dans le social."

2 2 2 La discussion
À la différence de la conversation, la discussion comprend des enjeux. Elle peut se produire dans un
cadre interactif complémentaire ou bien symétrique. Elle peut être consensuelle et plutôt
coopérative, ou au contraire conflictuelle et s'orienter vers la compétitivité. Bellenger (1984 : 30) la
caractérise ainsi : "la discussion ne produit rien... si ce n'est l'essentiel : l'expression de la
divergence. (...) Dans la discussion on cherche moins à s'entendre qu'à justifier le bien-fondé de sa
thèse par rapport à l'autre."

2 2 3 Le débat
Il se caractérise par la confrontation, et aura comme dans les compétitions sportives (la boxe, par
exemple) un vainqueur et un vaincu. Du point de vue formel, l'échange est plus organisé, avec un
cadre préfixé. (longueur du débat, durée, ordre des interventions, nombre des participants...) Il se
déroule en principe en public, avec un modérateur (un arbitre) et présente un aspect spectaculaire.
Ce public est en fait le véritable enjeu de la compétition, car c'est lui qu'il faudra convaincre.

2 2 4 La dispute
Cette interaction est nettement conflictuelle. Il s'agit de la forme ultime de la discussion avant
qu'elle ne dégénère en violence. Cependant les sujets, pour des questions de faces essaient d'éviter
d'atteindre ce stade, en rompant l'interaction, ou en revenant à la discussion.

2 3 Conclusion
Nous l'avons évoqué à propos de la transaction, il arrive fréquemment que les interactions soient
hétérogènes. Ainsi divers modules peuvent se succéder, une conversation peut être suivie d'un
module de discussion, voire de consultation, et de nouveau d'un module de conversation. Dans cet
exemple, c'est la conversation qui reste le cadre interactif, du point de vue du rapport de places.
Lorsque le cadre interactif se modifie, par exemple avec l'arrivée d'une nouvelle personne, c'est une
nouvelle interaction qui se met en place.
Il ne faut pas confondre cette succession de modules avec les divers moments constitutifs d'une
même interaction. Par exemple dans la consultation, il y aura la présentation du motif de la visite,
l'examen, le diagnostic, la prescription, mais ce sont les différentes phases constitutives d'une même
interaction.
PARTIE 2 LES INTERACTIONS VERBALES INTRODUCTION

1 Sens général
Le terme "interaction" désigne toute action conjointe, conflictuelle et/ou coopérative, mettant en
présence deux ou plusieurs acteurs. C’est vaste, puisque la plupart des actions humaines sont des
actions conjointes, ce sont des interactions donc. On peut même dire, selon le premier axiome de
l’école de Palo Alto que l' "on ne peut pas ne pas communiquer"1 , puisque même le refus de
communiquer produit du sens (par exemple : deux personnes en présence, qui ne se disent rien et ne
se regardent pas, mais partagent le même espace, et communiquent par des comportements, elles
sont donc en interaction.)
Plus précisément : Il convient alors de distinguer si l'interaction est verbale (si elle contient de la
parole, ou est essentiellement langagière) ou non. Cette opposition entre verbal et non verbal
devient délicate à effectuer si l'on se réfère à la fonction symbolique du langage. En effet, même
lorsqu'on ne parle pas, les opérations cognitives mises en oeuvre, et l'enchainement des actions
laissent supposer l'existence d'un discours intériorisé que Bakhtine substitue à la notion
traditionnelle de conscience. Il y a donc du langage intériorisé. C'est aussi ce qui explique la
fonctionnement du monologue. Quand on parle seul, on se crée en fait un interlocuteur (une partie
de soi), avec qui l'on dialogue.
R. Vion signale toutefois que "les sciences humaines semblent désormais travailler avec un sujet
social et n'opèrent donc plus à partir du sujet "psychologique" individuel". L'interaction constitue
dès lors une dimension permanente de l'humain, de sorte qu'un individu, une institution, une
communauté, une culture, s'élaborent à travers une interactivité incessante qui, sans s'y limiter,
implique l'ordre du langage (1992 : 19).

2 Sens spécifique

2 1 Face a face
On ne peut pleinement parler d'interaction, verbale ou non, qu'en face à face, en co-présence,
lorsque les participants partagent le même contexte spatial et temporel. Dans une telle situation, les
participants se perçoivent par tous les sens (c'est la multicanalité). L'émetteur est en même temps
récepteur, et l'émission est contemporaine de la réception. C'est la rétroaction, qui demande une
proximité.
Les deux extrêmes sont constitués par le face à face d'une part, et la communication différée d'autre
part. On parle de communication différée lorsque l'émission et la réception ne se produisent pas
dans le même temps, par exemple pour l'écriture, qui est un mode de communication différée
-hormis dans le cas des “chats”-. Signalons que lorsque l'émission et la réception sont différées, on
ne peut plus vraiment parler d'interaction, puisque qu'il n'y a pas de face à face. Des expressions
telles que "viens me le dire en face", "j'ai préféré lui écrire plutôt que lui dire en face" montrent bien
la spécificité du face-à-face, que l'on oppose à la communication différée (comme l'écrit).
Nous joignons une partie de la définition du Petit Robert ("face") pour illustrer notre propos.

Loc. adv. (1534) EN FACE : par-devant. Regarder quelqu'un en face, le fixer des yeux, soutenir
hardiment son regard. — Il le lui a dit en face, directement. — Fig. Regarder le péril, la mort en
face, sans crainte. Il faut voir les choses en face, sans biaiser, sans chercher à se leurrer.

Loc. adv. (XVIIe) FACE À FACE : les faces tournées l'une vers l'autre, en vis-à-vis. « Les mains
dans les mains restons face à face » (Apollinaire). Il se trouva face à face avec un ancien camarade
(cf. Nez à nez).
Un face-à-face nom masculin, invariable :
• 1965; de face à face
Débat, portant souvent sur un sujet politique, entre deux personnalités qui représentent des
opinions, des milieux, des intérêts différents ou divergents. Un face-à-face télévisé entre deux
candidats aux élections. Organiser un face-à-face et une table ronde.
Nous définirons plus loin le sens que prend le mot "face" seul, dans des expressions comme "face
work" ou "protéger sa face".

2 2 Multicanalité
Une conséquence directe du face à face, c'est le fait de se percevoir mutuellement par tous les sens.
On parle de communication "multicanale". Il y a, dans une communication face à face des messages
kinésiques, proxémiques, visuels, olfactifs, des messages produits par le contexte, et des messages
linguistiques. Entre les deux extrêmes que sont le face à face et la communication différée, il existe
tout un ensemble de situations où une partie seulement des sens est sollicitée, ces situations peuvent
encore être qualifiées d'interactions. On dit alors que la multicanalité est réduite, puisque certains
sens ne peuvent être utilisés.
Dans le cas de la communication téléphonique, par exemple, on perçoit bien sûr le verbal et
le paraverbal, mais non la gestuelle, les postures et les regards (du moins tant que les écrans sur les
portables ne sont pas monnaie courante...)
Dans d'autres situations, les deux participants peuvent ne pas disposer de certains canaux (ce
qui sollicite davantage les autres), lorsqu'ils sont sourds ou aveugles, par exemple.
On peut aussi évoquer des situations dans lesquelles les interactants ne disposent pas à
égalité des canaux de communication : l'un est caché et voit l'autre qui ne le voit pas, l'un n'entend
ou ne voit pas bien, ou a des difficultés à s'exprimer.
Nous envisagerons dans le chapitre suivant ce qui relève du non verbal dans la communication, et
qui exclut donc les messages linguistiques.

2 3 Rétroaction
Une autre spécificité du face à face est la simultanéité de l'émission et de la réception (lesquelles
sont différées dans la communication du même nom). Lorsque l'émetteur parle, (qu'il émet, donc), il
reçoit en même temps les réactions de son message sur le ou les récepteurs. Nous sommes donc, à
tout moment, émetteur et récepteur, ce que ne montrait pas, rappelons-le le schéma de la
communication de Jakobson. Ceci influe naturellement sur la production en continu du message : je
le module en fonction des réactions de l'allocutaire, et de ce que j'interprète de ses réactions. Ainsi,
par exemple, si j'observe une attitude de réprobation, je peux essayer de justifier ou d'atténuer mes
dires. S'il s'agit d'incompréhension, je peux expliquer, reprendre, illustrer... ou ne pas tenir compte
de ce que je constate.
C'est la raison pour laquelle, même si j'ai parfaitement préparé ce que je voulais dire, ma production
orale sera différente, forcément modulée par l'allocutaire. C'est aussi ce qui fait que l'on ne parle pas
comme l'on écrit : il y a une syntaxe, une organisation propres à l'oral. Et donc une linguistique de
la parole. Un autre exemple est celui du conte. La nature profondément orale du conte (compris
comme "récit en prose d'événements fictifs transmis oralement") fait que chaque "récitation" (ou
"contage") diffère, en fonction du public, du cadre, du moment. Il n'est pas indifférent de conter
pour un public d'enfants ou d'adultes, féminin ou masculin, rural ou citadin. Ces paramètres (et
d'autres encore) modèlent la façon de dire, laquelle est tributaire de la façon de recevoir le conte.
La rétroaction (et la part non verbale de l'interaction) font que l'enregistrement vidéo devient la
seule solution si l'on veut étudier l'interaction dans sa totalité. Mais il pose aussi des problèmes, en
effet l'enregistrement d'une situation n'équivaut pas, loin s'en faut, à la situation enregistrée.
Imaginations que deux interactants soient placée en face à face. Pour que l'on puisse voir les
personnes de face, il faudra que deux caméra filment et retransmettent simultanément les images.
Une troisième image simultanée pourrait, de biais, donner des informations sur la gestuelle et les
postures. Le dispositif devient assez complexe, si l'on veut essayer de donner des images qui se
rapprochent au maximum des faits de l'interaction. Dans un second temps, il faut envisager les
difficultés que posent les transcriptions de corpus vidéo.
C'est pourquoi nous nous limiterons, dans le cadre de ce cours aux aspects verbaux de l'interaction,
avec toutefois une exigence importante quant à la transcription.

2 4 contenu et relation
Bateson pose que toute énonciation présente deux aspects. D'une part le contenu, qui est
l'information transmise, d'autre part la relation qui est le cadre des rapports entre les interactants. La
relation est une "métacommunication", elle englobe le premier aspect, le contenu, en indiquant la
manière dont l'énoncé doit être reçu, à un niveau supérieur, donc. Cela souligne cet aspect de la
relation.
Par exemple "Ouvrez la fenêtre !" en donnant cet ordre, j'exprime mon désir de voir la fenêtre
ouverte, c'est le contenu. Mais en même temps, je signifie à l'autre (celui à qui je donne l'ordre) que
je suis en position de lui donner des ordres, donc hiérarchiquement supérieure. Le destinataire de
l'ordre, peut répondre au contenu en effectuant l'action ordonnée, ouvrir la fenêtre, ou réfuter ce
contenu en expliquant pourquoi il ne peut le faire. Il peut aussi s'intéresser à la relation, et la
contester : "pour qui me prends-tu ?" "je n'ai pas d'ordre à recevoir de toi !", ou la souligner
ironiquement "à vos ordres, chef !". Les combinaisons entre l'action induite par le contenu (ouvrir la
fenêtre) et la réaction provoquée par la relation (contester, souligner etc.) peuvent s'effectuer
diversement. Par exemple : ouvrir la fenêtre en disant "vous pourriez le demander plus poliment !".
Antre exemple (G.D. De Salins, 1992 : 101) deux refus (ayant un même contenu informatif)
peuvent présenter un aspect relation très différents :
- « Quel dommage, j'aurais adoré être avec vous, mais malheureusement... » (regret sincère)
- « Quoi ? Aller diner chez vous, mais vous n'y pensez pas ! J'ai vraiment mieux à faire... » (insulte
voulue).
Contenu et relation peuvent entrer en contradiction, ils se distinguent alors de manière encore plus
nette. Par exemple, si je dis "Sois indépendant", ou "Aime-moi", je place l'allocutaire dans une
situation contradictoire : s'il accède à ma demande, au niveau du contenu, il réalise par là-même une
relation qui vient contredire ce contenu. L'amour ne peut se commander, de même que le fait de
devenir indépendant se réalise en s'affranchissant de l'emprise (des ordres) d'autrui. C'est ce que l'on
appelle le "double-bind", ou "double contrainte".
Pour conclure, on peut rappeler ce que dit P. Watzlawick (Une logique de la communication,
traduction 1972, Seuil) : Plus une relation est saine, plus l'aspect communication passe au second
plan. Inversement, les relations malades se caractérisent par un débat incessant sur la nature de la
relation, et le contenu de la communication finit par perdre toute importance.

3 L'interaction comme objet d'analyse scientifique

3 1 Les interactions verbales suivent des règles préférentielles


La discipline intitulée "analyse des interactions verbales" postule que les diverses interactions
verbales ne sont pas dues au hasard ou à la fantaisie des participants, elles suivent des règles qu'il
appartient donc à la discipline de découvrir. Toutefois, ces règles conversationnelles ne sont pas du
même type que les règles phonologiques ou syntaxiques, elles ont un caractère moins contraignant.
On parle de règles préférentielles, car elles peuvent être outrepassées sans produire
d'incompréhension. Par exemple, si je ne remercie pas après que l'on m'ait tenu la porte ouverte, ou
si je ne réponds pas à une question, je ne respecte pas les règles préférentielles (remercier après que
l'on ait obtenu un service, répondre à une question), mais la situation fait sens. Il n'en va pas de
même si j'intervertis des phonèmes, et que je produis "peur" au lieu de "beurre", dans : je voudrais
un peu de "peur", je ne me fais plus comprendre.
3 2 Place de l'énonce dans l'analyse des interactions
Une situation comprenant deux locuteurs A et B, un énoncé émis par A dans une langue L, peut être
analysée selon divers points de vue.

a) On considère que l'énoncé est une fonction de la langue. On va alors l'extraire de son contexte
pour l'étudier formellement, le but recherché est la description de la langue.

b) On considère que l'énoncé est fonction de son émetteur. On valorise alors la fonction expressive
(centrée sur l'émetteur), l'énoncé est un indice de la personnalité de son émetteur. Si l'énoncé est
littéraire, il sera considéré comme reflétant son auteur. L'analyse énonciative adopte la plupart du
temps ce point de vue.

c) On considère que l'énoncé est fonction de l'interlocuteur. C'est alors la fonction conative (centrée
sur le récepteur) qui est activée. L'énoncé est produit en fonction de son interlocuteur, il s'adapte à
lui. Plus précisément, c'est le rapport social locuteur-allocutaire qui détermine l'énoncé. Ce point de
vue est déjà celui de l'interaction.

d) On considère que l'énoncé est co-produit par A et B. C'est la relation entre A et B qui permet la
production de l'énoncé, ce point de vue est pleinement celui de l'interaction.

Conclusion : la parole est une activite sociale qui s'effectue a plusieurs


Précisons chacun de ces termes :
-la parole : et non la langue. L'interaction, contrairement au structuralisme, est une linguistique de la
parole.
-une activité : on s'intéresse plus à l'action qu'à l'énoncé produit. L'action qui est une co-production.
Parler ensemble, c'est réaliser une action qui s'appelle un dialogue, une conversation (parler c'est
agir, il s'agit de la dimension pragmatique de la parole).
-sociale : il s'agit de la dimension collective de la production des énoncés. On ne peut considérer
qu'un énoncé est la propriété de son énonciateur. Il en est le support, mais cet énoncé s'insère dans
un ensemble produit en coopération par les participants de l'interaction. C'est pourquoi l'on ne peut,
en théorie considérer celui qui a émis un énoncé comme le seul responsable de ses paroles.
-plusieurs : le terme est vague. On peut cependant distinguer :
-le dilogue : deux personnes seules, qui parlent. Le terme de dialogue n'est pas approprié, puisque le
suffixe "dia-" est un élément du grec signifiant "à travers, qui circule", comme dans "dialyse", ou
"diachronie".
-le trilogue-le terme est proposé car C. Kerbrat-Orecchioni-, qui réunit trois personnes, et que cette
auteure considère comme "une structure interactionnelle aussi originale que fondamentale" (Le
trilogue, p. 1).
-plus de trois personnes. Dans ce cas, "les conversations à quatre et plus se réduisent à des
structures dyadiques (2) et triadiques (3)" (A. Larochebouvy 1985 : 47)
-des personnes qui parlent entre elles face à un public muet
-des personnes qui parlent dans un cadre où d'autres personnes peuvent les entendre (et ce sans que
l'on parle d'indiscrétion ou d'espionnage).
Le cas du monologue doit être évoqué. Il peut être considéré comme une intériorisation des
fonctionnements du dialogue, un dialogue fictif. Lorsque l'on parle tout seul, on se crée un
interlocuteur fictif, un "autre soi". Ce dédoublement parait assez commun, bien que la pratique de
parler seul soit socialement sanctionnée, surtout en public. Lorsque ce dédoublement est constant,
qu'il est réel pour la personne concernée, on peut parler de pathologie.
PARTIE 4 LE CADRE COMMUNICATIF
La description d'une interaction commence par la description de la situation dans laquelle elle se
déroule : les participants, le temps, le lieu, le but. En effet, ces éléments situationnels sont
constitutifs de l'interaction, et pertinents pour son analyse. Hymes a proposé un modèle célèbre,
"SPEAKING", acronyme des éléments qu'il juge constituants du contexte (Setting, Participants,
Ends, Acts, Keys, Instrumentalities, Norms et Genre). Nous présenterons à la suite de C. Kerbrat-
Orecchioni, le modèle de Brown et Fraser (1979), plus homogène. La situation se divise en deux
grands types d'éléments, la scène et les participants (le cadre participatif). La scène comprend
également deux éléments, le site (setting) et le but de l'interaction (purpose).

1 La scène
Elle est donc composée de deux éléments : le site qui est le cadre spatio-temporel de l’interaction, et
son but.

1 1 Le site
Je peux recourir à de très nombreux critères lorsque je cherche à définir le cadre spatio-temporel
d'une interaction. Par exemple, je dirai qu'il s'agit de la D 202, salle de cours du second étage du
bâtiment D de la Faculté des Lettres, située à Mont-Saint-Aignan, dans la proche banlieue de
Rouen, ville moyenne de l'Ouest de la France, préfecture de la région Haute-Normandie, etc. Idem,
du point de vue temporel : le jour de la naissance de ma fille, le 21 novembre 1985, la veille de la
mort de Nougaro... Ce qui est difficile, c'est de déterminer les caractères pertinents de ce site pour le
décrire, car l'importance des critères est toujours relative.

1 1 1 Définir le site
1)Je peux recourir à la définition officielle de certains lieux, lorsque ces derniers en ont une : une
salle de classe, une église, un tribunal, une mairie... sont des lieux dont la fonction et la structure
existe officiellement. Leur organisation matérielle répond à des règles et à des besoins explicités. Ce
n'est pas le cas de nombreux autres lieux.

2) C'est alors au chercheur qu'il appartient d'estimer la pertinence des critères qu'il retient. Il part,
pour ce faire, de son savoir, de sa théorie sociale, et doit les rendre apparents. Ainsi, selon l'exemple
de B. Gardin, une salle de classe peut être décrite comme un lieu dont la fonction est "l"inculcation
idéologique". Le chercheur, suivant la position de L. Althusser, verra l'école comme un "appareil
idéologique d'état", chargé de la reproduction de l'idéologie dominante et des rapports sociaux. Il
aura une position engagée refusera les descriptions des non-spécialistes ainsi que celles,
institutionnelles, évoquées en 1), qu'il jugera comme trompeuses. Il considérera, pour poursuivre
l'exemple cité, que le dogme égalitaire de l'école, qui donne une chance égale à tous les enfants, est
une mystification, et qu'elle est au contraire essentiellement reproductrice des rapports sociaux,
donc inégalitaire.
Il est à noter que ce type de discours d'opposition traverse aussi le corps social, et trouve même des
échos dans les grands médias, réduisant les deux possibilités précédentes à deux positions
contradictoires. Ceci rend la troisième position d'autant plus intéressante.

3) Dans ce troisième cas, ce sont les participants qui définissent et construisent la situation. Ils le
font de différentes façons : explicite : ils décrivent des paramètres ; implicite : ils font des allusions ;
enfin par leurs comportements, ils expriment leur vécu de cette situation. Cette attitude est
constructiviste. Ils peuvent recourir à la définition "externe" (1), mais c'est une possibilité parmi
d'autres. Les définitions que les participants donnent d'une situation qu'ils vivent sont valides : en
effet, selon l'expression de Garfinkel, "les gens ne sont pas des "idiots culturels". C'est le choix que
fait l'ethnométhodologie.

1 1 2 L' ethnométhodologie
Le fondateur de cette discipline est Garfinkel, qui publie en 1967 : Studies in ethnomethodology.
Pour l'ethnométhodologie, le travail du sociologue consiste à décrire les méthodes utilisées par les
individus pour réaliser les actions sociales, et donner du sens aux situations qu'ils vivent. Mais il ne
doit pas imposer aux faits une analyse savante, extérieure. Il lui faut décrire ce que font les gens, qui
ne sont pas des "idiots culturels", comment ils le font et les méthodes qu'ils emploient. Il s'agit là du
point essentiel : les faits sociaux ne préexistent pas aux membres de la société (comme dans la
sociologie de Durkheim), ils sont construits par eux. Cette construction met en oeuvre des énoncés.
L'ethnométhodologie cherche donc d'une part à identifier les catégories que les individus établissent
eux-mêmes dans leur vie sociale. Un second objectif est la mise à jour des implicites sociaux qui
structurent la vie quotidienne. Ceci peut s'effectuer par la provocation expérimentale ou
l'observation (Cf. l'ouvrage cité ci-dessus de R. Carroll)

1 1 3 Les scripts
Les trois modes de description de la scène sont différents, mais pas forcément antagonistes. On peut
dire que certaines situations sont mieux décrites par l'un ou l'autre mode. Dans le cas de sites
fortement codés dont la structure impose des comportements verbaux et non verbaux (lesquels sont
alors connus et acceptés des participants), il est légitime de recourir à une description officielle,
évoquée en 1), une analyse de type déterministe. Celle-ci peut-être complétée par un point de vue
constructif, évoqué en 3) car il est essentiel de voir comment les participants actualisent ces règles.
D'autres lieux ont des "scripts" moins stricts. La notion de "script" est originaire du domaine de
l'intelligence artificielle.
Un script : est un cadre de connaissances (ensemble ordonné d'informations avec des cases vides
qui servent à l'adapter aux différentes situations) utilisé pour comprendre (et par la suite anticiper)
des successions d'événements, sous formes de scènes et d'épisodes. Ces schémas sont complexes car
constitués non seulement d'actions, mais de concepts ou schémas plus généraux. Par exemple, le
script "visite chez le médecin" renvoie à un schéma général de "consultation", qui comprend la prise
de rendez-vous, le déplacement, la rencontre et le règlement. Chacun de ces éléments peut être
décomposé en sous-programmes. La « consultation », par exemple se décompose en : exposé du
problème par le patient, questions/recherches d'informations par le médecin, examen, diagnostic,
puis prescription. La connaissance de tels schémas stéréotypés permet de comprendre, puis de
prévoir les situations, d'en comprendre les éléments implicites, afin d'adapter son action aux
différents types d'environnements, et de s'adapter à leurs variations.
(d'après le Dictionnaire d'analyse du discours, P. Charaudeau, D. Maingueneau, 2002.)
L'interaction utilise la notion de « script » pour structurer le savoir encyclopédique : il est en effet
nécessaire de connaitre des suites d'actions stéréotypées verbales ou non verbales pour pouvoir
interpréter la plupart des énoncés. Autre exemple, le script « prendre l'avion », pour un voyageur va
être : acheter un billet dans une agence, se rendre à l'aéroport, faire enregistrer ses bagages,
présenter son passeport, se rendre dans le terminal etc. Pour comprendre un énoncé tel que « je n'ai
pas pu prendre l'avion, mon visa était périmé », il faut connaitre ce script, savoir qu'avant de monter
à bord de l'avion on doit faire connaitre son identité à l'aide d'un passeport, dans lequel se trouve un
visa, d'une durée limitée, autorisant le voyageur à se rendre dans le pays concerné.
La question qui se pose est alors celle de la quantité d'informations comprises par le script.
Encore un exemple, le script du restaurant : j'entre et la garçon me demande combien de personnes
sont prévues, il ne demande plus si l'on est fumeur depuis la loi d'interdiction de fumer dans les
lieux publics, il propose une table, prend éventuellement les manteaux etc. Je peux transgresser le
script, en refusant la table, ou en la choisissant moi-même d'emblée, sans qu'il s'ensuive de sanction
forte et légitimée. Mais l'interaction peut en être modifiée, devenir conflictuelle, tendue etc.
Enfin, certains lieux sont presque totalement dépourvus de scripts, par exemple, si je rencontre ma
voisine à la plage. C'est alors aux participants d'inventer leurs comportements. Je pourrai lui parler
(alors que les rapports sont habituellement restreints), lui dire simplement "bonjour", voire
l'ignorer... En fait, ce sont surtout les rapports que les participants entretiennent avec les lieux plutôt
que les lieux eux-mêmes, qui sont à prendre en compte. Quelqu'un qui n'est jamais allé au restaurant
ne saura pas s'y comporter de manière attendue.
Il est important de préciser également que les sites avec leurs caractéristiques n'ont de valeur qu'à
l'intérieur d'une culture, ou d'un groupe, au sens large. Par exemple, les normes de comportement à
table sont variables d'une famille à l'autre. Les enfants pourront se servir eux-mêmes ou non, auront
la permission de se lever ou non, pourront participer à la conversation des adultes ou non. La
télévision sera allumée pendant le repas ou non etc. Autre exemple : on ne se comportera pas de la
même façon au restaurant en Chine ou en France. L'organisation des plats sera différente, les
couverts également, la façon de se servir, l'appréciation des mets, le fait de rester à table ou non une
fois le repas fini, tout ceci sera sujet à variation.

1 2 Le but
Nous l'avons évoqué dans la typologie : certaines actions sont finalisées, les participants y ont un
même but, connu de tous (réaliser une tâche, un travail, gagner un match...) ou des buts
complémentaires (vendre/acheter, demander conseil/conseiller ...) Ce but peut être dit externe,
lorsqu'il y a production ou transfert d'un objet non langagier, du réel.
D'autres actions ont un but interne, sans incidence directe dans le réel, comme la conversation, par
exemple, dont nous avons dit qu'elle avait pour finalité la reproduction du lien social.

2 Le cadre participatif

2 1 Goffman et le format de réception


Le cadre participatif est le second paramètre permettant de caractériser une situation de
communication. Il recouvre le nombre des participants, leurs qualités et les relations qui les unissent
lors d'un échange communicatif.
Selon Goffman (1981, Façons de parler, trad. française 1987), la notion de cadre participatif est
d'acception plus restreinte : elle concerne le nombre des participants et leur rôle interlocutif.
Il faut signaler que cette notion de participant est problématique car il y a une continuité entre
l'engagement manifeste et le désengagement total.
Selon Goffman, le cadre participatif se décompose en :
a) format de production
b) format de réception
Dans les conversations en face à face, le schéma de production est facilement identifiable en la
personne du locuteur (celui qui visiblement parle).
Par contre, le format de la réception, beaucoup plus complexe, pose des problèmes.
Goffman compte 4 catégories générales de récepteurs potentiels d'un énoncé, regroupés en 2 sous-
classes :
-les participants ratifiés font partie du groupe conversationnel, comme en témoigne leur
comportement verbal et non verbal, (proxémique et kinésique) le message les concerne à des degrés
divers. Ils doivent écouter et produire des signes d'intérêt.
Le destinataire direct (ou allocutaire) est celui que le locuteur admet comme partenaire principal de
l'interaction. Tandis que les destinataires indirects jouent un rôle secondaire.

-Au contraire, les participants non-ratifiés ou témoins ne font qu'assister à l'échange, dont ils sont en
principe exclus. Parmi ces témoins, on trouve les "vrais témoins" : l'émetteur est conscient de leur
présence (les autres passagers proches dans le cas d'un dilogue dans un transport en commun par
exemple). Et les intrus, qui surprennent son message à l'insu de l'émetteur (une conversation qu'un
intrus écoute à la porte).
Rappelons que ce schéma n'est pas figé, que les participants à l'interaction peuvent changer de rôle.

2 2 L'adresse indirecte
Lorsque la véritable cible du discours est indirecte, on a affaire à ce que C. Kerbrat-Orecchioni
qualifie de trope communicationnel (C. Kerbrat-Orecchioni, 1990 : 92), lorsque s'opère, sous la
pression du contexte, un renversement de la hiérarchie normale des destinataires. C'est à dire que
celui qui, en vertu des indices d'allocution fait figure de destinataire direct ne constitue en fait qu'un
destinataire secondaire, tandis que le véritable allocutaire est celui qui a en apparence le statut de
destinataire indirect. C'est fréquent au théâtre, lorsque les énoncés sont trop osés ou menaçants.
Mais plus largement, on peut dire que le discours de la pièce de théâtre fonctionne dans sa globalité
sur le mode du trope communicationnel, tout comme celui des interviews et débats médiatique de
télévision ou radiophoniques.
La parole y est en effet bi-adressée, à deux niveaux de destinataires :
1) l'un "direct" en apparence : les débatteurs qui font comme s'ils ne parlaient qu'entre eux.
2) celui des auditeurs, en apparence "indirect", qui est en fait le principal.

La hiérarchie effective des destinataires pouvant d'ailleurs varier en cours d'émission.


"Les animateurs doivent faire "comme si" ils ignoraient tout de leurs interviewés, alors que c'est
justement parce qu'ils sont parfaitement au courant de leurs "exploits" qu'ils peuvent poser des
questions pertinentes ! Ce "faire semblant" est une caractéristique du genre radiophonique ou
télévisuel" (de Salins, 1988).

On peut donc dire, en conclusion, que les schémas d'interlocution sont par essence flous.
Il conviendra toutefois, lors que l'analyse, de distinguer :
-Le format de production, et d'étudier le rôle que jouent les participants en tant qu'émetteurs de
messages : celui de président dans une discussion, de modérateur dans une dispute...
-Le format de réception, où l'on observera les rôles joués par les participants en tant que récepteurs.
Il faudra distinguer entre les récepteurs ratifiés et les témoins, ainsi que préciser le fonctionnement
de la parole bi-adressée, lorsqu'elle se produit.

3 Les cadres de l'expérience


Goffman présente une description de la situation à l'aide d'un concept un peu différent, que nous
pouvons utiliser en complément du précédent. Les cadres de l'expérience (titre d'un ouvrage publié
en 1991, Éditions de Minuit) permettent à la fois de comprendre les événements, (ils ont une
dimension cognitive), "mais aussi d'analyser les vulnérabilités particulières de ces cadres de
référence". Ils ont une dimension cognitive mais aussi opératoire, orientée vers l'action (quel
engagement dois-je avoir ? Que dois-je attendre des autres). Ce qui est important n'est pas de classer
les activités, mais les rapports que les personnes entretiennent avec ces activités.

3 1 Les actions naturelles (non pilotées)


Il y a des actions qui sont structurées par des lois naturelles : tremblements de terre, inondations,
tempêtes, etc. Derrière ces phénomènes, nous ne suspectons aucune intention. (Nous n'entrons pas
dans le débat qui consiste à évaluer la part de l'action humaine dans la catastrophe dite "naturelle",
par exemple le déboisement pour les problèmes d'inondations.)
Par exemple, si je bouscule quelqu'un en tombant, je peux dire que c'est à cause du trottoir glissant
ou d'un malaise. Ce faisant, j'assigne l'action à un cadre naturel. Celui-ci peut cependant être
contesté par la victime, qui peut penser que je l'ai fait exprès, et que c'est donc un fait social, au sens
défini plus loin. Ce qui est important, c'est que ce sont les individus qui assignent aux événement
leurs cadres, naturels ou non. Par exemple, se mettre en tenue légère peut être justifié par un cadre
naturel : la chaleur, ou bien par un cadre social : la désir de séduction. C'est le jeu entre les deux qui
est à analyser.

3 2 Les actions sociales (pilotées)


Elles se divisent en deux sous-ensembles : les cadres primaires et les cadres transformés.
Les cadres primaires : ils structurent les activités littérales, "sérieuses", comme une transaction, une
bagarre, ou une séance au tribunal.
Mais ces cadres primaires peuvent être transformés de deux manières : par modalisation et par
fabrication.
La modalisation : il s'agit de transformer le cadre primaire en une autre activité, différente, mais
qui prend la première pour modèle. Cette nouvelle activité sera alors pourvue d'une strate profonde,
son sens primaire, et d'une strate externe, son statut dans la réalité, issu de la transformation. On
peut modaliser de cinq façons différentes :
1) Le "faire semblant", il s'agit de toutes les imitations, qu'elles soient formelles, comme une pièce
de théâtre réaliste, ou moins formelles, comme les jeux d'enfants.

2) Les rencontres sportives, elles modalisent le cadre primaire de la bagarre, du combat, mais dans
un cadre sportif.

3) Les réitérations techniques : ce sont les répétitions de tous ordres, entrainement, examen blanc...

4) Les cérémonies

5) Les détournements : par exemple lorsqu'une dame riche se transforme en vendeuse pour une
vente de charité.

La fabrication : Dans la modalisation, l'ensemble des participants partage le même point de vue.
Au contraire, la fabrication est fondée sur une différence de points de vue, écrit Goffman. Celui qui
est à l'origine de la fabrication va désorienter les autres en faussant leurs convictions, en les
trompant. On va distinguer :

• Les fabrications bénignes : farces, tours, machinations sans mauvaises intentions.

• Les fabrications abusives : escroqueries, il y a alors une vraie victime qui subit un
dommage.

• Les illusions : les tours de magie, par exemple.

Il est cependant difficile de classer de manière stricte à l'intérieur de ces cadres, dans la mesure où
les situations "réelles" sont souvent complexes, et peuvent relever de plusieurs genres : la répétition
d'une pièce de théâtre, un combat sportif truqué... Une émission comme "Loft story" est
intéressante à cet égard : c'est un spectacle, annoncé comme tel, il y a des caméras dans toutes les
pièces. Mais les "acteurs" n'en sont pas, ce sont des personnes ordinaires (cependant sélectionnées
strictement sur des critères précis). Elles ne sont censées jouer aucun rôle, sinon celui de la vie
courante dans un appartement. Peut-on toutefois se comporter tout à fait normalement sous l'oeil de
la caméra ? D'autre part, on a su qu'il y avait quand même un scénario (lequel s'est retrouvé à
l'identique dans des émissions du même type aux Pays Bas, par exemple). On le voit, les choses se
présentent d'une façon tout à fait complexe.

Nous l'avons dit, ces cadres sont des constructions, et en tant que tels, ils sont vulnérables, car nous
avons parfois du mal à cadrer certaines situations. On hésite à savoir si tel propos est une
plaisanterie ou non, s'il s'agit d'une allusion qui nous est destinée etc. Ces expériences sont parfois
désagréables. Les cadres peuvent également s'enchainer de manière impromptue : un jeu dégénère
en bagarre, une bagarre en scène amoureuse etc.

Je cite, pour illustrer ces notions, deux fragments extraits de L'empire des médias (Manière de voir
n° 63, mai-juin 2002, Le Monde diplomatique.)
1) "Big Brother", I. Ramonet, p. 33 : "Ce qui passionne le public sans qu'il en ait forcément
conscience, c'est la métamorphose qui s'opère sous ses yeux et qui transforme par la magie du direct
et du continu des personnes somme toute ordinaires, prélevées dans la vie réelle, en personnages, en
acteurs d'une histoire, d'un récit, d'un scénario qui ressemble à un feuilleton, à une fiction. Aziz,
Loana, Julie et les autres sont à la fois eux-mêmes et plus tout à fait eux-mêmes puisque, en se
donnant en spectacle ils finissent par devenir les protagonistes, les stars d'une fiction filmée".
L'auteur de l'article explique ensuite que la célébrité ainsi rapidement et facilement acquise n'est
qu'un leurre, car elle est finalement "jetable", comme tout ce que fabrique le système médiatique en
pleine "guerre concurrentielle."
NB (Avec le recul, il me semble que ces propos se sont vérifiés...)

2) "Le stade de l'écran", par Marc Augé, p. 53 : "Loft Story" condense tous les traits marquants de
l'idéologie dans laquelle nous vivons, l'idéologie du présent dont le jeu est l'instrument qui se traduit
par la confusion entre personnes, acteurs et personnages. Comme toute idéologie, elle est commune
aux manipulateurs et aux manipulés, aux exploiteurs et aux exploités. La nouveauté n'est pas là.
Elle serait plutôt du côté de la distinction que faisait Freud entre l'enfant et l'adolescent. L'enfant
disait-il ne confond pas le monde de ses jeux avec la réalité, à la différence de l'adolescent qui croit
à ses fantasmes. On pourrait conclure que si l'humanité, aujourd'hui ne retombe pas en enfance, elle
peine à sortir de l'adolescence."
Elisabeth LHOTE, Enseigner l'oral en interaction, percevoir, écouter, comprendre
Hachette FLE, 1995.

Introduction à l'ouvrage d'E. Lhote, selon J., étudiante de M2 Diffusion du Français.

L’interaction, selon Lhote dans Enseigner l’oral en interaction, est une communication orale en
activité qui prend en compte plusieurs paramètres. En production, la parole est liée au geste pour
former le message du locuteur. L’interlocuteur reçoit le message par les canaux de la vue et de
l’ouïe. Cependant, il n’y a là rien de simple, ni de mécanique, surtout pour des allocutaires pour qui
le français est une langue étrangère. L’interaction orale fourmille en effet d’indices, qu’ils soient
dans l’intonation ou dans la mimique, que l’interlocuteur doit savoir capter, analyser, interpréter, ce
qui est d’autant plus difficile que de nombreux éléments de l’interaction sont en fait implicites et les
indices à décoder relèvent à la fois de l’individu, de la langue, du code langagier et de la situation
de communication.
Pour aider l’apprenant étranger à travailler l’interaction orale en français, il faut non
seulement tenir compte de la complexité de ces facteurs mais aussi du caractère sonore étranger de
la langue pour eux. Lhote explique à ce propos le concept de « paysage sonore » qui met en exergue
le fait que notre langue maternelle, avec l’ensemble des représentations mentales qu’elle véhicule, à
travers son rythme particulier, ses intonations spécifiques, conditionne notre écoute : « l’enfant
développe naturellement dans son paysage des mécanismes de stratégie d’orientation et des
mécanismes de repérage » dont il faut tenir compte pour aider l’apprenant à se familiariser avec un
paysage sonore étranger, avec de nouvelles stratégies d’écoute, la construction d’un nouvel horizon
d’attente, c’est-à-dire d’une nouvelle dynamique dans le comportement d’écoute. Par exemple, dans
le cas d’un public arabophone, habitué à focaliser son attention sur les syllabes accentuées des mots,
il lui faudra ouvrir son oreille à une mélodie française à accent de groupe tandis qu’un francophone,
pour qui une accentuation de mot ponctuant la phrase peut être perçue comme agressive, devra
éviter de se fier au paysage sonore français pour juger l’intention implicite de la parole en arabe, en
s’aidant aussi de ses yeux et d’un certain bon sens, même si, pour ce qui est des indices visuels
aussi, le quiproquo est possible car la gestualité varie, les mimiques également.
Lhote prend en compte ces différents éléments pour établir les modalités d’une approche
paysagiste réussie permettant à l’élève, à partir de ses représentations préalables, d’aller vers une
meilleure production, perception et compréhension orale en langue étrangère. Pour cela, elle
s’appuie sur deux objectifs fondamentaux ; celui de développer de nouvelles stratégies de repérage
et d’orientation en éveillant les différentes facultés perceptuelles et celui de développer et renforcer
les mécanismes de mémorisation en s’appuyant sur la capacité qu’à l’apprenant à faire appel, pour
rattacher l’inconnu au connu, au sensoriel, à l’affectivité et à l’expressivité, en « nourrissant
fortement les représentations mentales de chacun ».
L’apprentissage de l’interaction selon Lhote offre un point de vue global sur les mécanismes
en jeu et permet de développer des stratégies pour offrir aux apprenants des outils afin de mieux
écouter, de mieux parler, de mieux comprendre. L’évaluation de la progression de l’apprenant, en
interaction peut alors se faire en terme de réussite ou non de l’interaction orale : y a-t-il continuité
ou rupture dans la communication? L’échange a-t-il été un succès ou un échec? La prise et le tour
de parole étaient-ils adaptés? La réussite de l’interaction dépend du résultat de la communication,
de l’adéquation de son impact avec les intentions qu’elle cherchait à transmettre.
Résumé de l'ouvrage par chapitres.

Chapitre 1
La communication orale en activité
L'association entre le verbal et le gestuel constitue un des premiers éléments de complexité de la
communication orale.
Comprendre un dialogue, ce n'est pas seulement comprendre des mots, mais savoir décoder le lien
qui est fait par celui qui parle entre des intonations et des mimiques. (Ex.10-13)
Même un dialogue très simple :
-Tu viens lundi travailler avec moi ?
-lundi... je n'sais pas encore.

S'interprète selon des habitudes communicatives qui sont complexes. (comment esquiver une
invitation et une demande de service sans blesser l'autre).
Il ne suffit pas de savoir parler français pour communiquer en français, ni comprendre les mots pour
comprendre leur charge implicite et pragmatique.

A mémoriser :
-Dans un dialogue en coprésence, l'auditeur pour comprendre associe des indices sonores et visuels
qui fonctionnent en complémentarité. L'intonation contribue fortement à donner le sens général de
interprétation. Le contexte situationnel (tout ce qui s'est passé avant le moment de l'énonciation, qui
comprend le lieu, le moment, les interlocuteurs et leur histoire conversationnelle) est également
essentiel.
Les formes intonatives seront mieux mémorisées dans un contexte situationnel bien défini. Plutôt
que de multiplier les différents dialogues ou jeux de rôles, il vaut mieux multiplier les contextes
situationnels sur le même dialogue. (pour focaliser l'attention sur des indices fins que l'on oublie
d'habitude d'écouter ou de voir.) exemples p. 19.

Chapitre 2
La notion de paysage sonore
Cette démarche de pédagogie de l'oral, centrée sur l'auditeur, se fonde sur deux points importants :
-attirer l'attention de façon explicite sur l'écoute libère chez l'adulte des mécanismes (attention,
sélection et mémorisation) qu'autrement il contrôle trop.
-comprendre aide à parler (corrélation émission / réception).

La notion de « paysage sonore », introduite par un compositeur canadien, Schafer (1979 The New
Soundscape) tente de sensibiliser au problème de « pollution acoustique mondial » et aux
changements sonores du monde.
Cette notion de paysage sonore associe la vue et l'ouïe. (l'homme possède cette faculté de cumuler
des perceptions, par ex. l'odorat et le goût pour les aliments, cf. la madeleine de Proust).
Le paysage sonore va intégrer des séquences sonores variées dans une seule représentation mentale.
Par ex. le calme d'une forêt en hiver = un ensemble de petits bruits, silences et des sons variés. On
peut l'associer à une image visuelle.

Chaque langue possède son propre paysage sonore, et la langue maternelle représente un élément
important du paysage sonore dans lequel baigne l'enfant même avant sa naissance.
Conséquence importante : chaque auditeur a un « comportement d'écoute » lié aux paysages
sonores de sa langue, de son dialecte, de sa région, et qui possède aussi des variantes
individuelles selon les habitudes de la personne.
Il est nécessaire d'écouter des personnes variées, à la voix différente et dans des situations nouvelles
pour construire un paysage sonore. Celui-ci étant non la langue elle-même, mais une
représentation mentale de la langue.
Il s'ensuit une conséquence importante sur le plan pédagogique : écouter toujours le même
enseignant n'est pas bon, de même pour les exercices où ce sont toujours les mêmes personnes qui
sont enregistrées. Il faut de la variation.
Dans la langue maternelle, la construction du paysage sonore se fait progressivement sans prise de
conscience des phénomènes. L'enfant « explore sa langue et sa culture comme sa maison » (p. 25),
il développe des stratégies d'orientation et de repérage et apprend à parler un peu comme on
apprend à marcher. Il apprend en particulier à découper le flux sonore en unités qui font du sens tout
à fait naturellement.
Les facteurs qui contribuent le plus fortement à structurer le paysage de la langue maternelle (LM)
sont le rythme et l'intonation. On peut imiter une langue étrangère (LE) sans mots en reproduisant
des mélopées intonatives et rythmiques. On arrive aussi à savoir si une langue qu'on entend de loin,
sans comprendre est ou non sa LM.
La grande différence, quand il s'agit d'une LE c'est que la structuration des mécanismes cognitifs
rend l'explicitation indispensable. Il faut alors apprendre à segmenter différemment.
En français, c'est très important, l'écoute conduit à porter son attente maximale vers la fin du groupe
rythmique. (la voyelle de la de la dernière syllabe du groupe est d'une durée double) Puisque le
français est une langue à accent de groupe, et non une langue à accent de mot. C'est ainsi qu'en
français, on écoute que très peu les débuts de mots ou de phrases. (sauf accent d'insistance).
C'est différent en anglais ou en allemand, langues à accent de mot, dans lesquelles il faut focaliser
l'attention sur la syllabe accentuée.
Ecouter dans une langue développe donc certaines habitudes perceptives dont on ne découvre
l'importance que lorsque l'on change de langue, puisqu'on doit apprendre à écouter autrement.
On peut alors dire que « apprendre à parler une langue nouvelle, c'est aussi apprendre à écouter et
comprendre dans une autre langue ». (p. 26)
Reconnaître des formes dans une langue, malgré les variation énonciatives qui peuvent être
considérables (intonation expressive, par ex) est l'obstacle le plus long à franchir. Il faut apprendre à
modifier son horizon d'attente (propriété dynamique du comportement d'écoute), en pratiquant des
activités basées sur le rythme. (cf rappel en cours sur les principales caractéristiques du français).

L'intérêt d'une approche paysagiste :


Elle permet d'intégrer la langue de celui qui parle et celle de l'auditeur, le fait sonore dans la relation
entre émetteur et récepteur. Il y a en effet un lien très fort entre production, perception et
compréhension.
Cela implique que l'on se situe dans l'oral interactif et non simplement au niveau de la
prononciation de suites de phrases.
On va donc observer la qualité et la réussite de la communication et non la simple performance
phonétique. On envisagera les déformations de la prononciation en termes d'obstacles ou non à la
compréhension.
Il est plus important d'insister sur les situations de communications pour faire acquérir des
intonations que de faire répéter des modèles. C'est cela, l'oral en interaction.

Chapitre 3
Apprendre à écouter
Dans la LM, l'enfant apprend à écouter en apprenant à parler. En LE, la production est marquée par
les habitudes motrices acquises en LM. Mais il est moins connu que la LM laisse aussi une
empreinte sur la façon d'écouter. Par exemple, les marques orales du pluriel fonctionnent
différemment dans les langues, et l'on est habitué à reconnaître cette information selon la langue que
l'on parle et écoute. Changer de langue, signifie changer de repérage, de marques sonores.
Le rôle du rythme dans l'écoute :
Le rythme (définition, rappel) : Regroupement de formes sonores auxquelles on donne une unité et
un relief. L'unité est marquée par la mélodie de l'intonation, et le relief par des augmentations
d'intensité ou de hauteur.
L'intonation : elle varie avec la syntaxe, le rapport du locuteur à son énoncé (les
modalités)l'intention de celui qui parle envers son allocutaire (la tension).
Le rythme est prioritaire par rapport aux suites de mots et même de phrases. On peut dire que le
rythme de la LM conditionne le comportement d'écoute et de compréhension d'un natif. Ecouter
dans une langue, c'est écouter selon un certain rythme, et il est difficile de modifier ses réflexes
d'écoute.
Ce qui est particulier en français, c'est le fait que :
-les mots sont associés au sein des groupes rythmiques (et non séparés comme dans les langues à
accent de mot)
-c'est la durée qui marque la fin du GR (moins perceptible que la hauteur ou l'intensité).
-les groupes sont de taille très variable. (rappel de ce qu'est le rythme en cours)

Lorsque l'on apprend une nouvelle langue, on se trouve placé dans la situation du touriste qui arrive
dans une ville dont il ne connait pas le plan : il faut faire un effort de repérage, explorer et organiser
l'espace pour trouver des repères par rapport à des éléments rapidement identifiables.

Mais tous les auditeurs ne se comportent pas de la même façon. Un auditeur se trouve dans un état
spécifique dû à son éducation, sa culture, ses connaissances, son état psychique etc. Cela n'a bien
entendu rien à voir avec les capacités auditives. C'est essentiellement la LM qui structure
initialement son attente perceptive, sa façon « d'écouter », c'est à dire son aptitude à anticiper, le
fait de projeter vers l'avant son écoute. L'anticipation est rendue possible par des indices lexicaux et
syntaxiques, mais surtout rythmiques et mélodiques. En LM, cette faculté est très utile dans le cas
d'une communication pertubée (bruit).
Mais il est inefficace de calquer le comportement d'écoute de la LM sur la LE, car il faut changer
d'écoute. C'est aussi inapproprié que d'essayer de se repérer dans une ville étrangère avec les repères
d'une ville que l'on connait bien !

Lorsque l'auditeur a l'habitude de se repérer à l'accent dans le processus d'écoute, il est très gêné en
français, car les mots se fondent dans des groupes au sien des groupes rythmiques. Beaucoup de
problèmes peuvent venir de là.
« il travaille avec ardeur » « il travaille avec quart d'heure » (chinois)
« j'ai vu un avion » « j'ai vu un beau navion » (enfantin) d'autant que la cohésion est renforcée par
des phénomènes « syntactiques comme enchainement ou liaison, la chute du « e » muet)
Il faut donc mettre en oeuvre de nouvelles stratégies perceptives, adaptées à la situation et au type
de discours (actes de parole, type de discours).

Il faut alors pratiquer l'écoute active


C'est une écoute consciente, vigilante, qui écoute selon deux modes : global et analytique.
Le cerveau droit est affecté à l'approche globale, synthétique (il va du tout vers les parties) et traite
l'intonation, les émotions.
Le cerveau gauche (où se situe l'aire du langage), traite les éléments linguistiques, phonétiques,
cognitifs. Les deux types de traitements sont nécessaires dans l'écoute active et se compensent entre
eux. Cela présente une difficulté, et ralentit la compréhension de l'apprenant auditeur.

L'écoute paysagiste propose un modèle à 3 fonctions :


1) La fonction d'ancrage : il s'agit de choisir un point déterminé pour observer le reste. Ce peut être
un mot au groupe de mots, une intonation particulièrement expressive.
2) La fonction de repérage : l'auditeur fait faire des va-et-vient au message sonore entendu pour
sélectionner une hypothèse de sens cohérente, par rapport à ses attentes et à la situation. Ces deux
fonctions sont nécessaires et doivent s'équilibrer.
3) Le déclenchement est la résultante des deux fonctions précédentes, c'est le moment de la
compréhension, qui s'accompagne d'un sentiment de satisfaction. (Que la compréhension soit juste
ou non, d'ailleurs !)

Exercices destinés à favoriser l'écoute active :


A) Développer une écoute globale
Exercice proposé : faire écouter un enregistrement assez court (environ 2 mn), puis à vitesse plus
rapide. Et encore une fois à vitesse normale. (p. 58) Augmenter la vitesse permet de favoriser le
repérage des mots et syllabes mis en relief, en estompant ce qui est considéré par le lecteur comme
moins important. Cela permet aussi de montrer que l'on peut comprendre sans tout saisir.
Changer les consignes d'écoute favorise également l'évolution des comportement figés.
Exemple de tâche d'identification : caractériser les locuteurs (âge, profession, registre de langue...)
Exemple de tâche d'association : donner un titre au document, le résumer en une phrase, en trois
mots etc.

B) Développer une écoute analytique


Avec un document de type descriptif, faire le schéma au tableau de ce qui est décrit, et accompagner
de gestes.
Tâche 1 : analyse linguistique : faire rechercher les mots clés et les connecteurs qui contribuent au
sens global et à l'articulation du texte.
Tâche 2 : explication : On efface la représentation visuelle, et on la fait retrouver collectivement
lors d'une nouvelle écoute. Par ex. thème : la structure du système éducatif.
Tout passe par l'oral et le visuel, il n'y a pas d'appui écrit pour les élèves.

C) Développer une écoute perceptive


Il ne faut pas viser uniquement le sens, mais aussi les changements de voix, de registres, et
également les manifestations vocales : hésitations, reprises, silences etc.
Faire reconnaître les intentions du locuteur dans les différences intonatives est très important.
« lundi, vous venez lundi » : ordre, doute, contrariété, exaspération, souhait, surprise,
condescendance etc. (on peut alors faire travailler les articulations phonétiques délicates, plus
facilement grâce à l'expressivité.)

Ecoute analytique et perceptive s'enrichissent mutuellement.

D Ecoute anticipatrice et récapitulative


Ecoute anticipatrice : On raconte une aventure et on s'interrompt en laissant l'intonation et la phrase
non terminées. On demande de reconstituer la fin. On fait travailler la faculté d'anticipation.
Cf aussi l'exercice de Cormanski « Madame, vous avez laissé tomber » : « votre portefeuille dans
l'escalier » / « une peau de banane dans l'escalier », soit appel aimable, dans le but de rendre
service, ou au contraire pour faire un reproche.

Ecoute récapitulative : On fait récapituler un document assez long. On le fait réécouter pour voir s'il
manque une idée. C'est aussi ce qu'on fait quand on fait travailler des questions, et que l'on pratique
deux écoutes. Cela conduit l'auditeur à faire des synthèses partielles dans un document long, en
cours de l'écoute, pour décharger la mémoire à court terme, et pouvoir écouter un document long en
le comprenant.

Chapitre 4
Les formes de l'écoute
L'écoute est un processus aussi diversifié que la lecture, mais que l'on travaille peu. On considère en
général qu'il suffit de « tendre l'oreille ». Or il est nécessaire d'apprendre à diversifier son écoute.
L'écoute varie selon de nombreux paramètres : la situation de communication : lieu et moment, les
relations entre les interactants, les éléments para- et non verbaux.
On doit s'entrainer à l'observation des autres et de soi en situation d'écoute.
Quelles sont les spécificités de l'écoute interactive : elle « consiste à corréler les différentes tâches
affectées à l'activité d'audition dans le processus du langage » (p. 69)
Il y a des des tâches qui relèvent de l'activité physique de l'ouïe, et d'autres psychiques qui
transforment les éléments physiques en éléments de connaissance, pensée ou décision. Les relations
entre les niveaux et les tâches sont interactives.
Les objectifs de l'écoute (p. 71, voir photocopie de la page de l'ouvrage de E. Lhote donnée en
cours)

L'écoute est un processus interactif :


« Dans l'activité d'écoute, l'auditeur est conduit à :
• capter en temps réel (c'est une difficulté à cause de la rapidité et de l'absence de traces) les
informations et les indices
• les mettre en corrélation entre eux avec ce qui est stocké en mémoire
• en vue de réaliser un objectif d'écoute : choisir, reconnaître, comprendre, juger, agir...
Le fait que tout se passe en même temps et rapidement rend l'opération complexe.

Particularités de l'écoute dans la communication exolingue


(exolingue : lorsque les partenaires de l'échange verbal ne maitrisent pas de la même façon le code
linguistique et langagier utilisé dans l'échange, Porquier, 1984).
Lorsque les partenaires ont des langues différentes (et que l'échange se fait dans l'une des deux LM
des interlocuteurs), cela entraine une relation d'inégalité dans les compétences linguistiques.
Mais, en même temps, les interlocuteurs en tiennent comptent et construisent leurs échanges en
fonction.
Par ex. le natif va parler plus lentement, raccourcir et simplifier ses phrases, éviter les difficultés
(abréviations, langage familier) et adapter son écoute aux prononciations déformées.

En situation exolingue, les difficultés d'écoute viennent de :


1)-du changement de paysage sonore
2)-de la méconnaissance des habitudes communicatives du groupe de la LE où l'on s'insère
3)-de l'incapacité à utiliser en même temps les différentes formes d'écoute que l'on pratiquait
inconsciemment jusqu'alors
4)-de la nécessité de comprendre rapidement pour « survivre ». (ces points ont été longuement
détaillés pendant le cours)

1) L'apprenant doit donc trouver de nouveaux repères, surtout s'il se trouve en immersion (en milieu
francophone) pour comprendre en français et se faire comprendre d'un locuteur francophone. Ces
repères vont d'abord être rythmiques et intonatifs.

2) Les habitudes communicatives du groupe sont très importantes également, et sujettes à de


nombreuses variations. Chaque groupe a sa façon de se présenter, saluer, prendre congé, discuter u
prix, répondre à des questions, des avances, des critiques etc.
On peut trouver des exemples et analyses chez KO, tome 3, chez R. Caroll (note personnelle)

Exemples
C. Kerbrat signale, dans le tome III des Interactions verbales que les Français sont connus pour se couper sans
cesse la parole, et parler tous en même temps. C'est vrai de l'ensemble des peuples méditerranéens. C'est au
contraire l'évitement de chevauchement qui est la règle dans les sociétés anglo-saxonne, germanique ou
scandinave. Ces différences sont à l'origine de conflits interculturels entre latins et anglo-saxons. Pour les
Français, le fait des interruptions permettent d'accélérer le tempo des conversations, ce qui donne une effet de
chaleur et de vivacité à la conversation (c'est le signe d'une conversation, alerte, animée, où l'on ne s'ennuie pas).
Pour les locuteurs Allemands ou Américains, c'est vécu très différemment : se couper la parole est une marque
d'agressivité, et la conversation devient confuse, anarchique. On sait que dans la comparaison interculturelle, c'est
d'une part le comportement, mais surtout son interprétation et la valeur qui lui est attachée qui varie.

Un autre exemple rapporté par R. Carroll (1987 : 44) "Des Américains se sont souvent étonnés en ma présence de
ce que les Français, "qui se disent si respectueux des règles de politesse" soient eux-mêmes si grossiers (rude) :
"ils vous interrompent tout le temps dans une conversation", "ils terminent vos phrases pour vous", "ils vous
posent des questions et n'écoutent jamais la réponse", etc. Les Français en revanche, se plaignent souvent de ce
que les conversations américaines soient "ennuyeuses", que les "Américains répondent à la moindre question par
une conférence", qu'ils "remontent à Adam et Eve", et qu'ils "ignorent tout de l'art de la conversation." R. Carroll
explique ensuite que bien que les deux peuples pratiquent la conversation (et que le terme soit d'ailleurs le même),
elle signifie des choses différentes pour chacun. Tandis que les Français y voient essentiellement un moyen
d'exprimer la relation, de "tisser un lien social", les Américains s'en servent plutôt pour mieux connaitre l'autre.
"Mais seulement dans le présent, dans les limites définies par le contexte, et sans que cela nous engage à
maintenir la relation, puisque la conversation n'est pas un commentaire sur notre relation, mais plutôt une
exploration. La conversation américaine ressemble plus à une randonnée à deux ou plusieurs en terrain inconnu
qu'à un jeu en terrain familier." (p. 59)

Nous avons déjà évoqué la tolérance des Français pour le phénomène de l'interruption. R. Carroll la commente de
façon intéressante, toujours dans une optique interculturelle : (1987 : 62-63)
" Plus encore que les questions qui n'exigent pas de réponse véritable, ce sont les «interruptions continues » de la
conversation française qui déroutent les Américains. Mais, comme on devrait s'y attendre maintenant, ce que
l'Américain prend pour une interruption n'en est pas vraiment une, joue un tout autre rôle dans la conversation
française. Vus de l'extérieur, des Français en conversation semblent, en effet, passer leur temps à s'interrompre l'un
l'autre. La conversation parait cependant agréable, et les participants ne donnent aucun signe d'être vexés, frustrés
ou impatients (pour l'observateur français s'entend). Au contraire, l'interruption semble être un principe moteur de
la conversation. Il est donc permis, à certains moments et non à d'autres d'interrompre sans être grossier. Pour
savoir quels sont ces moments, il suffit de considérer cette « interruption » comme un signe de ponctuation. Il ne
s'agit surtout pas de couper la parole à quelqu'un, au milieu d'un mot ou d'une phrase, mais de saisir la pause, si
brève soit-elle, pour réagir. Je ne fais pas cela pour attirer l'attention sur moi, ou prendre la parole, mais pour
manifester l'intérêt qu'à provoqué en moi la réplique de l'autre. Réplique qui mérite, qui appelle un commentaire,
un mot d'appréciation, des dénégations, des protestations, du rire, bref une réaction sans laquelle elle « tomberait à
plat ». La balle est lancée pour être justement rattrapée et relancée. Quand il n'y a aucune « interruption », que
chacun parle posément à son tour (comme dans la conversation américaine selon les Français), la conversation ne
« décolle » pas, elle reste polie, mondaine, froide, et autres qualificatifs de ce genre, tous négatifs.
Au contraire, les interruptions-ponctuation sont une preuve de spontanéité, d'enthousiasme et de chaleur, une
source d'imprévu, d'intérêt et de stimulation, un appel à la participation et au plaisir. (...) Pour un Américain non
averti, la rapidité de l'échange peut être interprétée comme une série d'interruptions (et donc une expression
d'agressivité) et le ton de la voix comme une expression de colère (quand ma fille était toute petite, elle m'a
demandé un jour pourquoi je me disputais toujours avec mes amis français qui venaient à la maison, et jamais
avec mes amis américains ; c'est probablement ce jour-là que j'ai commencé mes analyses culturelles ...)"

On trouvera d'autres exemples très intéressants chez Li-Hua Zheng.

Les principes d'amélioration de l'écoute :


-avant l'exercice il est important de différencier les objectifs d'écoute, de les décomposer, puis
d'aller vers des tâches de plus en plus complexes, cad une « écoute interactive », qui met en relation
plusieurs activités et formes d'écoute.
Il convient aussi de tirer le maximum d'informations de l'environnement, du contexte de la
communication.

Chapitre 5
Apprendre à percevoir dans une langue étrangère

1) Ecoute et perception
Il ne suffit pas d'écouter pour percevoir, nos sens travaillent le plus souvent de manière incontrôlée.
Un bon sens d'observation, le fait de capter et d'identifier des indices sonores et visuels fait la
qualité de la communication. Les bons communicateurs sont capable de cela, « détecter de fins
indices sonores et gestuels chez autrui », et peuvent réajuster leur propre comportement en fonction
de cela.
En LE, ces éléments sont très importants pour comprendre une situation, parfois plus que le contenu
linguistique lui-même (p. 82). C'est moins vrai pour la prise de parole.
« Percevoir les gestes, les regards, les intonations expressives et quelques mots captés au passage
est parfois suffisant pour comprendre à la fois l'objet de la discussion, la nature des relations entre
les diverses personnes. »

« Etre un bon auditeur en LE, c'est d'abord observer les comportements, les attitudes, c'est
essayer de capter les éléments mis en relief qui sont inévitablement liés au thème ou à la façon
dont un interlocuteur se situe par rapport à lui. »

Ensuite, l'acuité va se porter sur des éléments plus fins, linguistiques. En français pour développer
l'acuité perceptive, l'attention devra se porter sur le groupe rythmique et l'intonation. Un moyen
efficace consiste à améliorer sa perception et sa mémorisation en associant l'auditif et le visuel,
l'auditif et le « paysage affectif ».
Mise en évidence des capacités d'auditeur des élèves (photocopie p. 7 donnée en cours).

Ce qui suit n'a pas été abordé en cours. Lisez le et préparez des questions si nécessaire.

2) Perception et mise en relation des différents niveaux


On facilite la représentation du traitement des connaissances en distinguant des niveaux (qui ne
correspondent pas à une réalité physique) (de la psychologie cognitive).

-bas niveau (transformation de l'onde acoustique par l'oreille, « niveau phonétique ») Il s'agit
d'abord de mettre en relation des indices acoustiques avec des représentations phonétiques
mémorisées. Celles-ci sont ensuite corrélées à entités phonologiques qui correspondent à la langue
que parle le sujet. Les variations phonétiques sont à ce niveau filtrées. Ce filtrage se rapproche de
l'opération de tri (Troubetzkoy, 1964, « crible phonologique », sauf que cela ne fonctionne pas en
système binaire rejet/acceptation.) Lhote considère plutôt que l'acceptation de la variation dans une
même langue, c'est le fait d'un auditeur averti, et permet de mieux percevoir en LE.
Dans ce niveau très important, on rencontre :
-d'une part des suites de sons, considérées comme des structures (syllabiques et rythmiques)
-des groupes rythmiques et des séquences qui vont varier avec l'énonciation.
Décoder ce bas niveau signifie établir un lien entre des structures de la chaine parlée.

-haut niveau : opérations mentales effectuées par le système nerveux central. Il s'agit, de façon très
simplifiée de l'opération de compréhension.
On comprend aisément que les opérations ne se déroulent pas de la même façon en LM et en LE. Le
temps de traitement est plus long, et les chances de réussite à toutes les étapes du processus moins
importantes.

Percevoir, en résumé, c'est :


-entendre la suite articulatoire qui va de t à a et donc la suite ta
-faire un pont entre ta et la suite phonémique /ta/
-dégager des principes d'organisation dans des séquences sonores /ilettartyrantr/ est constitué de
deux groupes de 3 syllabes : il est tard, tu rentres
-établir un lien entre deux mouvements mélodiques qui marquent la conséquence

La principale difficulté de la perception en langue étrangère vient de l'incapacité de


l'apprenant à traiter la variabilité dans la réception, cad à reconnaître comme véhiculant les
mêmes informations des suites acoustiques très différentes selon la personne qui parle, son
origine sociale ou géographique, ou encore l'intention communicative. Il devient donc très
difficile à un apprenant de passer d'un mode de représentation à un autre si les indices qu'il capte ne
sont pas apparentés au même mouvement articulatoire. D'où l'impérative nécessité d'habituer son
écoute à la variation.
(nous reprendrons ce point dans Diversité culturelle)
Chapitre 6
1 Le rôle de la perception dans la compréhension d'une LE
Comprendre, rappelons-le ne signifie pas simplement décoder linguistiquement. Il n'est pas
nécessaire de comprendre tous les mots, mais il est important de comprendre le sens pragmatique et
les implicites.
Chaque langue possède sa façon d'associer le sens à des éléments linguistiques, à l'écrit comme à
l'oral. Selon la langue qu'il parle, un auditeur ne construit pas la même information à partir des
mêmes relations.
Par ex. les marques du pluriel à l'oral :
les enfants jouent 2 marques « les » + liaison « z »
die Kinder spielen 3 marques « das » « Kind » « spielt »
the children play 2 marques, le nom et le verbe

Ce qui est spécifique du français, c'est le regroupement en une seule unité du nom et de son article,
qui donnent le son « z » dans la liaison, indice majeur du pluriel. L'auditeur habitué à une autre
langue ne va pas spontanément porter son attention sur cet élément.

2 Développer la compréhension :
1) Activer les comportements perceptifs : comme en LM l'apprenant peut comprendre l'état d'esprit
de celui qui parle (même imparfaitement ou plus lentement).
2) Intégrer les compétences antérieures à l'apprentissage
pour les adultes, il est valorisant et rassurant de référer à ce qu'il connait déjà. On peut donc :
-le mettre dans une situation qu'il connait
-le mettre en situation d'actant, lui donner l'initiative
3) Utiliser des représentations symboliques (images) pour faciliter la compréhension
4) Entrainer à la synthèse partielle par la reformulation, pour les niveaux avancés. C'est un bon
moyen de développer la compréhension des textes long : on fait à haute voix ce que l'on fait
inconsciemment quand on écoute quelque chose dont on a envie de se souvenir : on regroupe des
passages sous la forme d'une idée, avec ses propres mots. Cela permet d'écouter plus efficacement
la suite.
5) Activer les procédures d'induction
Quand on lit ou écoute, on ne récolte pas des données pour les ajouter à un stock antérieur. On
associe des éléments nouveaux à des ensembles de connaissances et contextes disponibles qui sont
« activés » durant un certain temps.
Cela s'appelle induction, et consiste à réactiver par le raisonnement ou l'intuition d'autres
connaissances ou éléments d'expérience.
Ce processus est retardé en LE, mais on peut aider les apprenants à le faire, en analysant le
contexte, et familiarisant l'auditeur avec le locuteur et le sujet traité.

Chapitre 7
Les fondements psycholinguistiques de l'approche perceptuelle
(ce chapitre, plus technique, nous intéresse moins directement. Je ne le résume pas dans le présent
document.

Vous aimerez peut-être aussi