Vous êtes sur la page 1sur 1

On était en Novembre. Les forêts de pins s’étendaient à perte de vue.

La brume
s’épaississait sur les ubacs du Danemark. Le froid nordique s’imposait avec l’hiver. Les
conifères se dressaient telles des statues sombres, pétrifiées. On croyait faire face à une armée
de géants. Le gel avait capturé toutes les odeurs de l’humus et de la végétation. Les branches
des sapins bruissaient comme un combat d’épées. Tout près de là, invisible dans l’obscurité de
la pinède, on entendait craquer le fleuve, prisonnier de son adversaire, la glace. La bataille du
froid s’étirait jusqu’à Holstebro, ville do nord-ouest du Jutland.

Jurgen scrutait les hauteurs du paysage, qui s’offrait à ses yeux saillants. Lorsqu’on
croisait son regard, on se noyait dans leur couleur per et leur aspect limpide. Son visage
marqué par la dureté du climat laissait apparaître un nez rectiligne et une large bouche. Ses
cheveux auburn paraissaient hérissés, figés, glacés sur sa tête. Son faciès, au teint blafard,
semblait impénétrable. Ce danois, originaire d’Holstebro, dévoilait une physionomie fermée
et une robustesse incroyable. Taillé dans la glace, ce jeune homme de vingt ans était colossal
et imposant tel un centaure.

Il travaillait dans la forêt, comme débardeur de bois. Il maniait les engins avec habileté
et s’y employait depuis l’âge de seize ans. Habitué à vivre en plein air, jamais il ne se
plaignait de la rudesse de son travail, du levé du soleil à la tombée de la nuit.
Il ne connaissait guère les plaisirs de la ville et passait tout son temps en forêt. Sa voix grave y
résonnait jusqu’à la cime des sapins et nous faisait découvrir un timbre guttural et rude.
Travailleur de force, il ne craignait personne et les autres bûcherons le respectaient et le
reconnaissaient comme l’un des leurs. Il partageait avec eux le goût de la chasse et buvait
volontiers le verre de l’amitié.

Dans sa famille, on devenait débardeur de bois de père en fils. Son père lui transmit
dès son plus jeune âge, le goût de la forêt. Un ami de Jurgen, Yann, tenta en vain de le
dissuader, voulant l’empêcher de se transformer en « homme des bois ». Mais Jurgen était
résolu à ne pas décevoir les siens. Yann lui conta même la terrible légende d’Holstebro.

On racontait qu’un serpent de grande taille, appelé le Basilic, aurait vécu dans le fleuve
qui traverse la ville. Affamé, il aurait dévoré tous les hommes qui passaient sur le pont,
habituellement emprunté par des bûcherons. Beaucoup d’entre-deux, plein de sang-froid et
d’humilité, défièrent le Basilic. Mais aucun ne revint sain et sauf. Ce serpent maléfique est
resté le cauchemar d’Holstebro où personne n’ose plus franchir le pont…

Vous aimerez peut-être aussi