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Dimensions du livre : 4,875 po x 7,25 po Épine : 0,325 po

Annie Bacon
Simon et ses copains ont découvert par hasard
un curieux laboratoire aménagé au sous-sol
d’une maison. Est-ce le repaire d’un supervilain

Annie Bacon
qui souhaite conquérir le monde ?
Une machine à remonter le temps attire leur
attention, ainsi qu’un bout de papier sur lequel
on peut lire l’étonnante recette de la galette
d’intelligence. Pour récupérer ces ingrédients,

Simon et la galette d’intelligence


les trois intrépides amis décident de retourner
dans le passé.

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Annie Bacon

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Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec
et Bibliothèque et Archives Canada
Bacon, Annie, 1974-
Simon et la galette d’intelligence
(Œil de lynx)
Pour les jeunes de 9 ans et plus.
ISBN 978-2-89770-077-5
I. Titre. II. Collection : Collection Œil de lynx.
PS8603.A334S55 2017   jC843’.6   C2016-941915-0
PS9603.A334S55 2017
Dépôt légal – Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2017
Bibliothèque et Archives Canada, 2017
Direction éditoriale : Sylvie Roberge
Direction littéraire et artistique : Thomas Campbell
Révision : Sophie Sainte-Marie
Illustration de la couverture : Mathieu Potvin
Conception de la couverture : Marquis Interscript
Mise en pages intérieur : Marquis Interscript
Illustrations intérieures : © Shutterstock
© Bayard Canada Livres inc. 2017
Financé par le gouvernement du Canada

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Nous remercions le Conseil des arts du Canada


de l’aide accordée à notre programme de publication.
Cet ouvrage a été publié avec le soutien de la SODEC. Gouvernement du Québec –
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4475, rue Frontenac, Montréal (Québec) Canada H2H 2S2
edition@bayardcanada.com
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Imprimé au Canada

978-2-89770-078-2
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À ma merveilleuse cousine,
merci pour la recette, mais surtout merci pour
une amitié qui défie le passage du temps.

Annie

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Le bandeau volant
La plupart des journées d’un élève
de troisième année se suivent et se
ressemblent : céréales, école, devoirs, jeux
vidéo, dodo. Avec un peu de chance, un
drôle d’événement vient pimenter la routine
de temps en temps. On en parle alors le soir
au souper pour faire rigoler sa famille. Moi,
Simon Balanski, j’ai vécu une telle bizarrerie
hier en revenant de l’école que je n’ose le
raconter qu’à toi. Toi seul sauras m’écouter
jusqu’au bout. Les autres ne me croiraient
pas, me riraient peut-être même au nez.

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Tout a commencé à cause des yeux
de Lovita. Ils sont bruns, ce qui pourrait
être banal, mais d’un brun si doux qu’ils
semblent avoir été coupés dans la feutrine,
le velours ou un autre tissu digne du trône
d’un roi exotique. Ils sont de la même teinte
que sa peau, un exploit qui me serait difficile
à réaliser, moi qui ai les yeux bleus. Quand
ils me fixent, mon cerveau s’embrouille.
La part de mon esprit qui fait de moi un
excellent ami, un fils acceptable et un élève
moyen disparaît pour laisser la place
à un fou en quête d’attention.

Sous son regard, je me suis déjà dessiné


une moustache au crayon indélébile, j’ai fait
semblant de me noyer dans la fontaine du
village et j’ai mimé une chanson pop debout
sur le bureau du professeur.

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Un fou, je te dis.

Cet après-midi-là, en sortant de l’école,


Lovita m’a regardé. Avant que j’aie pu
y réfléchir à deux fois, mes mains se sont
emparées du bandeau élastique qui retenait
ses millions de petites tresses ornées de
perles de toutes les couleurs. Je dis
« millions », mais je n’ai jamais réussi à
les compter toutes, même si je m’y efforce
à chaque cours d’univers social.

Je rentrais à la maison à pied avec


Lovita et mon meilleur ami, Abid. Pour
m’assurer de l’attention de la belle, j’ai lancé
le bandeau en tirant l’élastique le plus loin
possible et en le laissant filer comme une
fusée. Abid a immédiatement compris le jeu
et me l’a renvoyé par la même technique.

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L’accessoire à cheveux allait et venait
donc entre nous deux sous le regard
mi-amusé, mi-fâché de Lovita. La deuxième
émotion commençait à supplanter la
première quand Abid a raté son attrapé.
Bon, j’avais peut-être lancé le bandeau
un peu hors de sa portée, mais rien qu’un
saut spectaculaire n’aurait pu arranger.
Le problème, c’est qu’Abid n’est pas trop
du genre « saut spectaculaire ». Calme,
imperturbable et deux fois plus large que
moi, Abid est plus qu’un copain : c’est mon
frère d’armes. Le fait que nous ne sommes
jamais allés à la guerre n’y change rien.

Le bandeau a survolé une clôture de fer


forgé pour atterrir sur le parterre de fleurs
d’une des maisons bordant la rue. Abid était
le plus proche, mais il hésitait. Il s’est déjà
fait poursuivre par une vieille femme à balai

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un soir qu’il utilisait un terrain privé comme
raccourci pour venir nous rejoindre. Depuis,
il n’ose plus marcher sur le gazon des
autres et il est toujours en retard au parc.

J’ai salué une foule imaginaire pour


bien montrer que j’étais un héros d’y aller
à sa place, et j’ai enjambé la clôture.

J’ai repéré le bandeau accroché à


un massif de fleurs tout près du mur. Afin
de garder mon équilibre en le ramassant,
j’ai posé la main sur la fenêtre du sous-sol.
Mal fermée, elle a glissé sous la pression,
me donnant un aperçu de l’intérieur.
Le sous-sol était envahi d’étranges
machines, d’outils de toutes sortes et
de tableaux blancs remplis de formules
mathématiques complexes. J’avais devant
moi un laboratoire digne des pires savants

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fous de toutes les séries d’animation
que j’ai vues de ma vie.

J’ai aussitôt fait signe à mes amis de


venir. Ils ont bien hésité, Abid retenu par
sa peur des vieilles femmes à balai, et
Lovita par sa frustration grandissante quant
à mon statut de voleur de bandeau. Mon
enthousiasme a eu raison de leur réticence.
Ils m’ont rejoint et ne l’ont pas regretté.

— Wow ! s’est exclamé Abid.

Lovita s’est tout de suite opposée :

— Tu ne vas tout de même pas entrer !

Je n’avais encore rien fait, pourtant.


Il faut croire qu’elle me connaît bien !
J’ai argumenté :

— Tu as vu toutes ces machines ? C’est


peut-être la maison d’un dangereux criminel

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prêt à conquérir le monde ! Explorer
le sous-sol est notre devoir de citoyens !

J’ai prononcé les trois derniers mots


lentement pour leur donner tout le poids
qu’ils méritaient.

— Toi, Simon Balanski, faire ton devoir


de citoyen ? a répondu Lovita. C’est à peine
si tu fais tes devoirs de français !

Elle n’avait pas tort. Elle m’avait vu


conjuguer mes verbes en cachette sous
mon bureau suffisamment de fois pendant
que le professeur ramassait les feuilles pour
savoir de quoi elle parlait. Elle s’est tournée
vers mon meilleur ami.

— Dis-lui, toi, qu’entrer chez quelqu’un


par effraction est l’idée la plus stupide qu’il
ait jamais eue.

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L’affirmation était grosse ! Après tout,
j’ai déjà mis le doigt dans le ventilateur juste
pour voir ce qui se passerait. J’ai eu deux
points de suture qui prouvent que cette
idée-là était bien plus idiote que d’entrer
chez un inconnu sans y être invité.

Ses espoirs d’obtenir un appui du côté


d’Abid étaient surtout vains. Sans dire un
mot, il a décroché le bandeau du buisson
et l’a lancé dans le sous-sol par l’ouverture
de la fenêtre.

— Oups, a-t-il dit alors qu’il l’avait


visiblement fait exprès.

J’ai souri à Lovita de mon air le plus


innocent, celui que je réserve habituellement
au professeur d’arts plastiques lorsqu’il
découvre que quelqu’un a utilisé la gouache
pour écrire de gros mots sous les bureaux.

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— Tu vois, on n’entre pas pour rien,
je ne voudrais pas que tu perdes ton bandeau !

Et je me suis glissé dans l’ouverture,


aussitôt suivi d’Abid.

Il va sans dire que Lovita est descendue


avec nous. Elle est peut-être plus prudente
et mieux élevée que nous deux, mais elle
n’en est pas moins curieuse.

Une fois dans le sous-sol, nous avons


tendu l’oreille pour nous assurer qu’il n’y
avait personne à l’étage. Pas de télévision,
pas de radio et aucun bruit de pas.

— Ça va, le propriétaire n’y est pas,


ai-je déclaré.

— Qui vit ici, tu penses ? m’a demandé


Abid en examinant les lieux.

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Sérieusement, je n’en avais aucune idée,
mais ça ne m’a pas empêché de répondre :

— Un supervilain qui veut venger la mort


de son poisson rouge ?

Il a pouffé avant de renchérir :

— Un ex-inventeur de la NASA à la
recherche de la pierre philosophale ?

J’allais lui demander ce qu’était cette


pierre quand Lovita nous a interrogés :

— Et ça ne vous fait pas peur ?

Il fallait bien l’avouer : oui, un petit peu.

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Une machine
et un plan
Nous avons bien failli rebrousser chemin.
Nous aurions reculé vers la fenêtre,
tremblants, puis serions ressortis. Fin
de l’anecdote. Mais Abid a tendu le doigt
vers un casque muni de trente antennes
de couleurs différentes en demandant :

— Vous pensez que ça permet de parler


aux extraterrestres ?

Nos peurs oubliées, nous avons joué


à celui qui trouverait la chose la plus bizarre,

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fascinante ou dégueulasse : une collection
de scarabées empaillés, un périscope
portatif, une paire de souliers avec des
pattes robotisées sous la semelle.

Lovita pensait bien gagner lorsqu’elle


a trouvé une chaise étiquetée Machine à
voyager dans le temps, mais je n’avais plus
la tête à tenter de la surpasser. Je m’étais
concentré sur un simple bout de papier.
Sous l’en-tête Galette d’intelligence,
les ingrédients suivants étaient listés :

• 3 c. à soupe d’eau de l’iceberg


ayant heurté le Titanic

• 1 œuf de Christophe Colomb


• 2½ c. à soupe de sucre de la brioche
de Marie-Antoinette

• ½ tasse de farine du moulin


de Don Quichotte

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Chaque ingrédient était accompagné
de dates et de deux séries de chiffres
interminables.

J’ai lu et relu.

Si j’avais été un personnage de bande


dessinée, une ampoule serait apparue
au-dessus de ma tête. Un plan génial
venait de germer dans mon esprit !

Je me suis approché de la machine


à voyager dans le temps :

— Abid, tu crois qu’on pourrait faire


marcher ce truc ?

J’ai appuyé sur un bouton, puis sur


un autre, sans obtenir aucune réaction.
Abid s’est penché et s’est relevé,
triomphant, avec un fil électrique dans
les mains.

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— Ça marcherait peut-être mieux si
c’était branché !

Pendant qu’il cherchait la prise de courant


la plus proche, Lovita s’est avancée :

— Qu’est-ce que vous faites ?

Je lui ai montré la feuille que j’avais


trouvée en expliquant :

— Une galette d’intelligence ! Grâce


à cette recette, nous allons devenir de
véritables génies ! Je vais remonter dans
le temps pour chercher les ingrédients
nécessaires.

— Tu m’en gardes une part ? a demandé


Abid, derrière un bureau.

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— Bien sûr ! Ce sera pour nous trois !

Il a planté la fiche dans une prise


en criant :

— Adieu les mauvaises notes ! C’est prêt !

Il est revenu en sautillant tant il était


excité. On venait non seulement de faire
la découverte la plus extraordinaire de notre
jeune existence, mais, en plus, quelqu’un
d’autre que lui s’était porté volontaire pour
prendre tous les risques. Je connais bien
mon ami, il est toujours partant pour
l’aventure, à condition qu’un autre ait déjà
testé le tout.

Lovita était plus incrédule :

— Tu vas voyager dans le temps pour


devenir un génie ?

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Dit comme ça, ça sonnait vraiment bien !
Je me suis mis à rapper pendant qu’Abid
m’accompagnait en faisant des bruits
de beatbox :
— Partir dans le temps,
prendre les ingrédients,
faire les gourmands
et devenir intelligent.

Lovita n’était toujours pas convaincue :

— Et si tu tombes sur un vieux microbe


contre lequel nous n’avons plus d’anticorps ?
Tu pourrais contaminer tout le monde
et causer une apocalypse de zombies !

J’aime l’imagination de cette fille !


J’aurais pu la rassurer, mais elle me
regardait avec ses grands yeux bruns,
et comme je l’ai déjà dit : ses yeux +
mon cerveau = mauvaise combinaison !

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J’ai plutôt répondu :

— Je te promets que, si je reviens


en mort-vivant, ton cerveau sera le premier
que je mangerai !

Elle a levé les yeux au ciel :

— Il faudrait d’abord que la machine


fonctionne. Tu as plus de risques de
t’électrocuter que de…

J’ai appuyé sur le bouton étiqueté Mise


en marche, et des centaines de petites
lumières se sont allumées tout autour
de la chaise, clouant le bec à Lovita.
Des chiffres sont apparus sur l’écran noir
encastré dans le dossier, et les roulettes
dans l’appuie-bras se sont mises à clignoter.
Seul un gros bouton noir marqué de
l’inscription Retour en lettres blanches

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restait inerte, comme s’il n’avait pas
eu le mémo de la mise en marche.

Pendant que je m’asseyais, Abid m’a pris


la recette des mains pour entrer la première
date : 15 avril 1912. Il a aussi entré les autres
chiffres, probablement les coordonnées
géographiques. J’ai tout vérifié trois fois
pour être certain qu’il les avait inscrits
correctement. Je suis courageux, mais pas
fou ! Je n’avais pas l’intention de me
matérialiser en plein milieu d’un volcan juste
parce que mon ami aurait confondu un 9 avec
un 6 !

Comme dans une tour de contrôle,


il m’a demandé, en anglais :

— Ready?

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— Complètement ready ! ai-je répondu
d’un air décidé.

Il a empoigné un gros levier sur le côté


de la chaise et l’a abaissé d’un coup sec.

Ma dernière vision a été celle de Lovita


portant sa main à sa bouche, ses doux yeux
bruns écarquillés comme je ne les avais
jamais vus.

Puis tout est devenu noir.

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La machine à voyager
dans le temps
La première mention d’une machine
à voyager dans le temps provient d’un
roman intitulé La machine à explorer
le temps écrit par H. G. Wells en 1895.
Il s’agit d’un récit de science-fiction,
mais plusieurs autres de ses inventions
sont devenues réalité depuis.
Alors… pourquoi pas celle-là ?

Quelques inventions de H. G. Wells


décrites bien avant leur temps :
• Téléphone cellulaire
• Rayons laser
• Bombe atomique
• Mutations génétiques

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3

Partons,
la mer est belle
Il serait difficile de décrire exactement
comment je me suis senti dans les secondes
qui ont suivi. C’était comme si j’avais de
la température, mais ce n’était pas juste
un petit malaise qui te rend content
de rester à la maison. Plutôt une fièvre
qui te fait sentir si mal que tu ne peux même
pas profiter de ta journée pour jouer aux
jeux vidéo. Ma tête tournait et mes
extrémités semblaient grossir et rapetisser
au rythme des battements de mon cœur.

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Le seul point positif, c’est que ça n’a pas
duré longtemps.

Les yeux fermés, j’ai attendu que les


symptômes disparaissent un à un. Il ne
restait bientôt plus qu’une impression de
mouvement perpétuel de gauche à droite.
En ouvrant les yeux, j’en ai compris la raison :
je me trouvais sur un bateau. Et pas n’importe
lequel ! J’étais sur le célèbre Titanic,
considéré comme le plus fantastique bateau
de croisière de son époque.

— Trop cool ! ai-je dit à personne


en particulier.

J’ai ensuite eu un moment de panique


en réalisant que la machine à remonter
le temps n’avait pas effectué le voyage
avec moi. Comment est-ce que j’allais bien
pouvoir retourner dans mon présent ?

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Est-ce que j’allais devoir me laisser
congeler par l’iceberg du Titanic en
espérant qu’Abid et Lovita me retrouveraient
au XXIe siècle et me feraient fondre au
micro-ondes ? Heureusement, une méthode
plus facile se trouvait sur mes genoux.
Un morceau de la machine m’avait toutefois
suivi : le bouton noir aperçu auparavant était
en fait une télécommande incrustée dans
la machine. Son inscription Retour brillait
désormais d’une lueur interne et ne laissait
aucun doute sur son utilité. Une fois ma
mission terminée, je n’aurais qu’à appuyer
dessus pour revenir à mon point de départ.
Je ne resterais donc pas pris sur ce bateau
voué à couler au fond de l’océan.

En attendant l’arrivée de l’iceberg, j’ai


décidé d’explorer les environs. Il faut dire
que j’avais froid ! J’étais vêtu d’une veste

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à capuchon enfilée sur un chandail de coton,
mais il faisait nuit noire et je commençais
à grelotter.

J’ai placé la télécommande bien au chaud


dans la poche ventrale de ma veste, puis j’ai
traversé le pont pour me réfugier à l’intérieur.
D’après mon expérience des bateaux
de croisière, le premier étage est réservé
au divertissement. J’étais donc très excité
de voir ce que le bateau légendaire avait
à m’offrir ! Pourtant, je ne peux pas dire
que j’ai été impressionné. Pas de mur
d’escalade, pas de glissade survolant
les vagues, pas de terrain de mini-putt.
Comme vacances de rêve, j’ai déjà vu mieux.

Par contre, il se rattrapait bien côté


nourriture ! Dans la salle du buffet, j’ai
repéré un chariot rempli de desserts à faire

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saliver ! Des choux à la crème, des soufflés,
des macarons, tous si parfaits qu’ils
semblaient sortir d’une photo de livre
de recettes. J’ai attrapé un bol de truffes
au chocolat et je me suis fait un devoir de
le vider. Après tout, cette aventure avait
commencé au retour de l’école, c’était donc
l’heure officielle de la collation !

J’étais si absorbé par ma trouvaille


qu’il m’a fallu de longues minutes avant
de remarquer les regards que les autres
voyageurs posaient sur moi. L’un d’entre
eux, un homme en tuxedo, a interpellé un
homme en uniforme pour obtenir son attention :

— Captain ? I believe…

Puis il a fait des gestes vers moi, comme


s’il désirait chasser un maringouin. Je n’ai
pas eu le temps de faire trois pas que le

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commandant du navire descendait une main
de fer sur mon épaule :

— Stop here, young man.

J’ai déjà été pris en flagrant délit de


bêtise par mes parents, des professeurs
et même des policiers, mais jamais je n’ai
eu autant envie de confesser mes crimes
que sous le regard d’acier de cet homme.
Si les yeux de Lovita me rendent fou, les
siens auraient rendu tranquille un hyperactif
surchocolaté. Il faut dire que son uniforme
impeccable et les galons à son collet
n’arrangeaient rien à l’affaire.

J’ai balbutié quelques mots d’anglais


choisis au hasard. Il a dû reconnaître
mon accent, car il a continué dans
un français au fort accent.

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— Cette section est réservée aux
passagers de première classe. Je vous prie
de retourner dans vos propres quartiers.

J’ai jeté un coup d’œil à mes vêtements


pour comprendre ce qui pouvait bien lui
laisser croire que je n’étais pas à ma place
dans cette salle à manger luxueuse.
Je portais mon plus beau jeans, celui
qui était juste assez ajusté et m’arrivait
plus bas que la cheville, et mes souliers
de course avaient coûté une fortune, au dire
de ma mère !

À bien y penser, il est vrai que


cet accoutrement devait paraître bizarre
aux gens du début du siècle dernier.
J’ai battu en retraite avant qu'on décide
de me jeter par-dessus bord.

— Désolé, Monsieur.

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J’ai reculé vers la porte, le capitaine a
indiqué le contenant des truffes, maintenant
vide, mais toujours dans mes mains.
Il semblerait que la vaisselle était, elle aussi,
réservée aux passagers de première classe.

Le problème, c’est que j’en avais besoin.


J’ai appris à la dure que de transporter de
la glace à mains nues n’était pas une bonne
idée. Un après-midi d’hiver, j’avais cueilli
tous les glaçons du balcon de ma maison
sans mes mitaines pour les classer en ordre
de grandeur. Je ne te décris pas les engelures
qui en ont résulté !

J’aurais bien expliqué tout ça au capitaine


du Titanic, mais une terrible secousse m’en
a empêché.

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4

Champion sur glace


Toute la salle du banquet a été secouée.
Les dames se sont cramponnées à leurs
maris, les maris aux tables, et les tables
ont foutu le camp par terre. Moi, je savais
ce qui venait d’arriver : l’iceberg historique
avait percuté la coque. Un matelot
a accouru pour porter un message
à son supérieur, et je suis soudainement
tombé bien bas sur sa liste de priorités.
Qu’est-ce qu’un jeune voleur de vaisselle
en comparaison d’un trou béant dans
le flanc de son navire ?

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Le capitaine s’est dirigé très dignement
vers la cabine de pilotage. Il n’a même pas
couru, telle était l’ampleur de son sang-froid !
Moi, par contre, j’ai repris mon bol et je me
suis rué vers le pont. J’avais rendez-vous
avec l’iceberg qui me permettrait de récupérer
le premier ingrédient de la galette qui me
transformerait en génie.

À l’extérieur, je m’attendais à devoir jouer


des coudes à travers une foule de passagers
paniqués. Quelle n’a pas été ma surprise
d’y trouver plutôt une partie de soccer
improvisée ! De joyeux voyageurs se
passaient des blocs de glace avec les pieds
sous l’iceberg qui surplombait le navire
comme un intimidateur au-dessus d’un petit
de première année.

Des blocs de glace ?

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Des morceaux de l’iceberg s’étaient
probablement décrochés sous l’impact.
Moi qui croyais que j’allais devoir plonger
dans l’eau glaciale et affronter les vagues
qui se ruent sur la coque, je pourrais cueillir
mon premier ingrédient sans me mouiller !
La chance !

J’ai voulu me joindre à la partie de soccer,


mais les autres joueurs ne m’ont pas envoyé
le bloc de glace qui servait de ballon.
Les égoïstes ! Aucun joueur adverse ne
me couvrait, et en plus je suis un compteur
hors pair ! Dans la cour d’école, on m’aurait
passé la balle en une seconde. Était-ce
mon habillement qui jouait encore en ma
défaveur ? Lors de mon prochain voyage
dans le temps, je mettrai un nœud papillon,
c’est promis !

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Si je voulais récupérer la glace, j’allais
devoir improviser. Je me suis rué dans la
cohue pour plonger vers le ballon glacé et
l’immobiliser entre mes doigts. Je me suis
fait huer. Après tout, je venais d’utiliser mes
mains alors que je n’étais manifestement
pas le gardien de but, mais j’étais prêt à tout
pour la galette d’intelligence. J’ai mis le bloc
dans mon bol pendant que les joueurs se
tournaient vers un nouveau morceau, sans
même demander de tir de pénalité.

À force de se faire frapper par tout le


monde, le morceau était devenu tout petit.
J’ai placé la télécommande de retour sur
le bol en guise de couvercle et j’ai décidé
de tripler cette quantité avant de retourner
à mon époque. Ma collecte était malheu­
reusement loin de plaire aux autres joueurs.
Après que j’ai eu ramassé un deuxième

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ballon, plus personne ne jouait au soccer-
glace, ils jouaient plutôt à attrape-Simon.

Ils m’ont pourchassé trois fois autour du


pont, sans se rendre compte que le bateau
penchait de plus en plus sur le côté ! Depuis
le début de la partie, l’eau s’engouffrait
dans le navire, et ce dernier avait commencé
à tanguer. J’ai perdu pied et je me suis
étalé de tout mon long. J’ai bien cru que
ma dernière heure avait sonné et que les
joueurs de soccer allaient se ruer vers moi
pour me donner une leçon, mais ils s’étaient
trouvé un nouveau jeu. Dans ma chute,
ma télécommande était tombée sur le pont
et les passagers s’en sont emparés comme
ballon de remplacement.

J’ai couru à gauche et à droite pour tenter


de le récupérer, mais leurs passes se sont
faites de plus en plus précises. Je n’arrivais

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jamais à mettre la main dessus. Si je ne
récupérais pas le bouton, je resterais coincé
pour toujours à cette époque.

J’ai paniqué encore plus quand j’ai réalisé


que la rambarde du pont était percée
de multiples ouvertures à la hauteur du sol.
Mon seul moyen de transport risquait de
disparaître à tout moment ! Je me suis
demandé un instant si Lovita n’avait pas
eu raison de penser que le voyage dans
le temps était risqué.

Je ne pouvais tout de même pas laisser


faire ça ! Lorsque ma douce découvrirait
qu’elle avait eu raison, elle m’en rebattrait
les oreilles pour le restant de l’éternité.

Je devais m’en sortir à tout prix.

J’ai serré le bol contenant les deux glaçons,


puis j’ai couru vers la télécommande.

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J’ai glissé sur les planches du pont juste
au moment où le bouton atteignait un
de ces trous fatidiques. Il a basculé,
lentement, comme au ralenti. Alors que
ma seule chance de retour fonçait vers
les flots glacés, j’ai sauté par-dessus bord.

Mon saut dans le vide n’était pas un acte


de courage, mais plutôt un geste de désespoir.

Ma main droite toujours sur le bol rempli


de glace, j’ai attrapé le rectangle de plastique
en plein vol de l’autre. N’ayant pas de
troisième main pour appuyer sur le bouton,
je me suis frappé le front avec l’engin,
comme si je voulais m’assommer avec.

Alors que l’eau n’était plus qu’à deux


centimètres de mes pieds, le bouton a fait
un clic.

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Le naufrage du Titanic
Le Titanic était un bateau de croisière
si énorme pour l’époque que les gens
le considéraient comme impossible
à couler. Malheureusement, une rencontre
catastrophique avec un iceberg en 1912
a eu raison de sa coque, et le navire a
sombré, faisant de nombreuses victimes.
Depuis cet accident, des régle­mentations
obligent les bateaux à posséder
suffisamment de canots de sauvetage
pour contenir TOUS les passagers et
membres de l’équipage à bord, ce qui
n’était pas le cas sur le  Titanic.

40

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5

Sitôt de retour,
sitôt reparti
Je me suis retrouvé assis sur la chaise
à voyager dans le temps, sain et sauf
dans l’étrange laboratoire du sous-sol.

Abid et Lovita étaient là à me regar­der,


la bouche grande ouverte, les yeux
écarquillés. Dans un geste triomphal,
je leur ai tendu le bol, dans lequel il restait
bien trois cuillères à soupe de glace fondue.

Lovita s’est avancée vers moi, le poing levé :

— Comment as-tu pu partir tout seul ?


J’étais morte d’inquiétude !

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Ce n’était pas tout à fait l'accueil
chaleureux espéré ! Heureusement, Abid
m’a pris le bol des mains avant qu’il se
renverse pendant que je me recroquevillais
le plus possible sur ma chaise à voyager
dans le temps.

Ma douce s’était suffisamment inquiétée


pour moi pour se fâcher ! Cette marque
d’affection m’est allée droit au cœur. J’étais
si content que j’ai décidé d’aggraver les choses.
J’ai fait semblant de tousser quelques coups,
puis je me suis pris la gorge à deux mains.
Lovita a reculé, par peur d’être contaminée.

J’en ai profité pour quitter la chaise et


m’avancer vers elle en traînant la jambe,
les deux bras levés mollement devant moi.
Dans une imitation parfaite de mort-vivant,
j’ai marmonné :

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— Cerveau… je veux ton délicieux
cerveau…

Après tout, ne le lui avais-je pas promis


avant de partir ?

Abid s’est interposé avant que Lovita


se fâche encore plus de ma blague que de
mon départ précipité :

— Alors ça a marché ?

Il a touché la chaise du bout de l’index,


comme un cuisinier qui vérifie la température
d’une poignée de chaudron, puis y a posé
sa main entière, satisfait de l’absence
de danger.

Je me suis lancé dans un grand récit


de mon aventure sur le Titanic, en
embellissant ma rencontre avec le capitaine

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du navire pour me donner le beau rôle.
Lovita s’est exclamée :

— Mais… c’est impossible… tu n’es parti


que cinq minutes !

Abid et moi avons levé les yeux au ciel.


Évidemment que le temps du voyage n’avait
pas d’effet sur l’heure du retour. Quelle
partie de « machine à voyager dans
le temps » n’avait-elle pas comprise ?
L’appareil pouvait bien nous ramener
à l’heure qu’il voulait. D’ailleurs, maintenant
que j’y réfléchissais, le délai avait du sens.
Abid était bien d’accord avec moi :

— Juste assez près de l’heure de départ,


mais pas trop ! S’il revient avant l’heure de
son départ, le voyageur pourrait tomber face
à face avec lui-même.

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Mon ami et moi avions lu les mêmes
livres sur le sujet. Nous nous sommes
regardés d’un air entendu pendant que
j’analysais :

— Éviter de se rencontrer soi-même…


La règle numéro un du voyage dans le passé.

Lovita a demandé :

— Quelle est la règle numéro deux ?

Abid et moi avons répondu en duo :

— Ne rien rapporter pour ne pas changer


le futur.

Nos yeux se sont tous dirigés vers le bol


d’eau, mais j’ai haussé les épaules :

— Bah ! ce n’est pas vivant, ça ne


compte pas !

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Satisfait de ma réponse, Abid s’est assis
sur la chaise, la recette de galette d’intelli­
gence à la main. Il s’est mis à entrer sur
la machine la date du 4 mars 1497.

J’ai sauté à ses côtés, puis j'ai remué


les fesses pour me faire de la place en
annonçant :

— En route pour l’œuf de Colomb !

Nous étions collés comme des sardines,


mais puisque la machine avait été conçue
pour un derrière d’adulte, les deux nôtres
réussissaient à entrer. Je n’allais pas le
laisser partir sans moi, et puis Lovita serait
contente : je ne partais pas seul cette fois-ci !

Cette dernière nous a regardés en se


mordillant la lèvre inférieure, puis elle a pris
une décision :

— Je viens avec vous !

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Abid a réagi :

— Non, c’est trop dangereux pour toi !

Il a ensuite rougi comme une pivoine,


gêné de s’être montré protecteur envers
une fille tout à fait capable de s’en sortir
en cas de situation difficile. J’ai déjà vu
Lovita affronter du regard un professeur
d’éducation physique qui voulait lui coller
une retenue non méritée ; ce n’est pas
un simple explorateur qui allait lui faire peur.

Moi, j’avais une autre raison de vouloir


qu’elle reste derrière :

— Il faut que quelqu’un fasse le guet ici.


Si jamais le propriétaire du laboratoire
descend au sous-sol, on sera mal pris !

Elle allait protester, sans nul doute avec


un argument brillant. Abid et moi savions que

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nous ne gagnerions pas dans une joute
verbale contre elle ! Nous avons donc
enclenché le levier de la chaise sans plus
attendre.

Lovita nous maudira sans doute jusqu’à


la quatrième génération, mais puisque mes
enfants seront aussi les siens, je considère
que ce ne seront que des paroles en l’air.

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6

Derrière les rideaux


Abid et moi, nous nous sommes retrouvés
derrière de longs pans de tissu mauve,
au-delà desquels nous parvenaient des
bruits de conversation en espagnol.

— On est à la bonne place, tu crois ?


m’a chuchoté mon ami.

Je lui ai fait signe d’attendre, le temps


de faire un peu de reconnaissance. Pendant
qu’il enfouissait la télécommande de retour
dans sa poche, j’ai poussé la toile de la
main. Il s’agissait en fait d’un long rideau
accroché à une tringle au-dessus de nous.

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En passant discrètement la tête sur le côté,
j’ai pu admirer une table encombrée de
la plus grande quantité de nourriture que
j'aie jamais vue, sauf peut-être dans
le buffet libre-service du restaurant asiatique
où ma grand-mère nous emmène parfois.

Autour du festin se tenait une dizaine


d’hommes à collerettes blanches. J’ai essayé
de me rappeler le visage de Christophe
Colomb, mais malheureusement, dans
mon manuel d’histoire, je lui avais dessiné
une moustache si grosse que je n’arrivais
plus à le reconnaître.

Je me suis penché vers Abid pour


demander :

— Est-ce qu’il figure sur un billet


de banque ? Ça nous aiderait !

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Mon ami n’en avait aucune idée. Il avait,
par contre, une tout autre inquiétude :

— On ne devrait pas être sur un bateau ?

Je me suis retourné pour observer


la fenêtre dans notre dos et j’y ai trouvé
un paysage de campagne, avec une grange
et tout le tralala !

— Non, terre ferme !

Tant mieux. Pour tout te dire, le Titanic


m’avait suffi côté navigation. Que pouvait-il
nous arriver dans un décor aussi paisible ?

Dans la salle à manger, la conversation


continuait. L’un des hommes a montré
un œuf, tenu entre son pouce et son index.
Il a ensuite sans doute lancé un défi aux autres,
puisqu’ils se sont mis à tenter de faire tenir
l’œuf debout en équilibre, sans succès.

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Abid a ouvert grand la bouche :

— C’est une énigme truquée ! Mon père


m’a déjà fait le coup !

Il s’est accoté au mur, attentif. Il ne lui


manquait que le pop-corn.

Au rôle de spectateur, j’ai toujours plutôt


préféré celui d’acteur. J’ai donc demandé :

— Donne-moi le truc ! J’irai voler la


vedette… et l’œuf par la même occasion.

Il s’est penché vers moi d’un air


de conspirateur :

— Il est cuit dur ! Pour le faire tenir debout,


il suffit de le tapoter sur la table pour briser
la coquille un peu. Une fois l’extrémité aplatie,
il tiendra sans problème.

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J'ai levé le pouce pour communiquer
que j’avais compris. Je m’apprêtais à faire
une entrée remarquable en quête de notre
deuxième ingrédient quand mon ami m’a
retenu par la manche :

— Attends !

— Il y a un problème ?

Les sourcils froncés, il m’a fait signe


de patienter pendant que les rouages de
son cerveau tournaient à plein régime. Si
je suis un penseur de sprint, toujours prêt
à proposer des idées, Abid est un analyste
de fond. Son esprit est une véritable base
de données dans laquelle il puise pour
mettre les divers éléments en relation.

La concentration s’est transformée


en satisfaction. Il venait de trouver le hic.

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En me regardant le plus sérieusement
du monde, il m’a demandé :

— As-tu déjà fait un gâteau ?

Le voyage dans le temps lui avait-il


brouillé l’esprit ? J’ai posé la main sur son
front pour vérifier s’il avait de la température.
Il a soupiré comme si c’était moi, l’abruti.

— L’œuf de Colomb, m’a-t-il expliqué,


il est cuit.

— Ben, c’est ce que tu m’as dit il y a


cinq minutes.

— Quand je suis chez ma grand-mère,


on fait souvent des gâteaux. Ça se cuisine
avec des œufs normaux… crus. Sinon ça
ne se mélangerait pas bien.

— Et pour les galettes ?

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Il a haussé les épaules.

— Ce sont des gâteaux qui n’ont pas levé.


Pour le reste, c’est pareil.

— Alors si je comprends bien, ce que


notre ami Christophe tient dans sa main ne
pourrait pas être utilisé pour notre recette ?

— Exact !

— Alors pourquoi les coordonnées nous


ont envoyés ici s’il n’y a pas d’ingrédient
utilisable ?

Croyez-le ou non, c’est une chèvre qui


nous a donné la réponse. Elle a bêlé dans
la cour. Nous nous sommes tous les deux
rappelé la ferme aperçue par la fenêtre.
Nous y avons collé le nez. Elle était petite,
mais contenait tout de même une bonne

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variété d’animaux : vaches, moutons,
cochons et, bien sûr, poules !

Eurêka ! Ou, devrais-je dire, œuf-rêka !

Le temps d’un clin d’œil complice, nous


avons ouvert discrètement la fenêtre pour
filer. J’ai bien été tenté d’aller répondre
à l’énigme de Christophe Colomb avant de
sortir, juste pour le plaisir de réussir là où
les aristocrates espagnols avaient échoué,
mais le devoir m’appelait.

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L’œuf de Colomb
Christophe Colomb aurait défié des
convives de faire tenir un œuf dur
en équilibre afin de prouver que,
quelquefois, une solution, pourtant
facile, n’est pas à la portée de tous.

Les historiens ne s’entendent pas


tous sur la réalité de l’anecdote, ce qui
ne change rien au fait que, depuis,
l’expression « l’œuf de Colomb »
représente une idée simple, mais
ingénieuse, du type qui nous fait nous
exclamer : « Il suffisait d’y penser ! »

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7

La chasse aux œufs


Le poulailler était facile à trouver. Je ne sais
pas si nous avons été chanceux ou si tout
le personnel était occupé avec la réception
à l’intérieur, mais nous n’avons rencontré
que des animaux. Contrairement aux humains,
ils ne peuvent pas sonner l’alarme ni tirer
sur les voyageurs du temps parce qu’ils
se trouvent sur leur propriété d’aristocrates.

Les cochons et les moutons nous ont


regardés passer sans rien dire, et la vache
nous a simplement salués d’un geste de
la tête. Le mouvement était peut-être non

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intentionnel, mais nous avons agité
poliment la main dans sa direction.

Quand nous sommes arrivés devant


la porte du poulailler, j’ai fait signe à mon
ami de m’attendre. J’ai été élevé en ville,
et les seuls œufs que j’ai vus de ma vie
étaient soit emballés en paquets de douze,
soit en chocolat. Je n’allais pourtant pas
laisser ces simples détails freiner mes plans
de jouer les héros !

— Éloignez-vous, Simon est maître de


la situation.

Je suis entré confiant, pour ressortir


embarrassé :

— Les poules sont assises sur les œufs.


Je fais quoi ?

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Abid, pas plus campagnard que moi,
m’a répondu de son air le plus savant :

— Tu passes la main en dessous de


la pondeuse. J’ai déjà vu ça dans un film.

J’ai pris une note mentale de ne jamais


laisser Abid choisir quoi aller voir au cinéma,
pour ensuite retourner à ma mission.

J’ai choisi la plus petite volaille, une


poule toute blanche à moitié endormie.
Mais dès que j’ai approché ma main,
elle a avancé son bec pour me picorer.

Je suis ressorti aussitôt, un index


autoritaire tendu vers mon ami. Il faut dire
que j’avais un argument massue pour
l’obliger à y aller à ma place :

— Je suis allé chercher le bandeau


de Lovita à ta place. C’est ton tour.

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Je l’ai invité à entrer dans le poulailler
ou, devrais-je dire, l’antre de la terreur.

Il a soupiré comme si je venais de lui


demander de grimper le mont Everest…
tout seul… nu-pieds… portant une roche
sur le dos. J’ai levé les yeux au ciel et je l’ai
accompagné à l’intérieur. Il était tout aussi
paralysé que moi devant les couveuses.

Je lui ai lancé un regard de « je te l’avais


dit ». Il s’en est offensé. Personne ne relève
un défi comme Abid l’orgueilleux. C’est
comme s’il avait soudainement bu une
potion magique de même-pas-peur. Il a
empoigné une poule de ses deux mains
et l’a lancée hors du nid, sur le côté. L’oiseau
s’est énervé et a battu inutilement des ailes
en caquetant avant d’atterrir mollement
sur le sol.

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Abid et moi avons trouvé la poule si drôle
que nous avons recommencé avec une
deuxième, puis une troisième, et ainsi de
suite en tentant de les lancer toujours plus
haut. La volaille caquetait, les plumes
revolaient, c’était un tableau glorieux !

Nous avions un plaisir fou jusqu’à ce


qu’Il arrive.

« Il » avec une majuscule, par marque


de respect.

C’était un coq énorme. Il était énorme


et surtout fâché. Nous venions de semer
la pagaille sur son territoire personnel.
Il n’allait pas laisser passer un tel affront.

Quand on pense à un coq, on imagine


habituellement un amusant poulet à crête

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rouge perché sur une botte de foin, annonçant
le lever du soleil d’un cocorico enjoué.

Oublie ça !

Le coq est une créature de cauchemar !


Les ailes ouvertes, celui de la ferme
de Christophe Colomb faisait le double de
la largeur d’Abid, et au moins le quadruple
de la mienne ! Son cri tenait plus du
hurlement de dragon que du poétique réveil
matinal. Ses yeux étaient rouges, ses
éperons acérés.

Abid m’a lancé la télécommande de


retour pour faire face à la bête. Le coq
et lui s’observaient sans bouger, prêts
à bondir l’un sur l’autre au premier geste
suspect. On aurait dit un duel de western,
l’harmonica en moins.

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La bouche de travers, il m’a murmuré :

— Ramasse les œufs.

Je ne sais pas quel instinct héroïque


la présence de la bête venait de réveiller
chez mon ami, mais je n’allais certainement
pas laisser l’occasion passer. Surtout que
les nids étaient désormais libres. J’ai pris
les trois premiers œufs que j’ai vus et je les
ai placés dans le creux de mon bras gauche
sans me soucier de la poule qui picorait
mon lacet de soulier de course comme
s’il s’agissait du plus savoureux des vers
de terre.

Pendant ce temps, Abid et le coq avaient


commencé leur combat dans un tourbillon
de poings et de plumes. La bataille était
épique ! Mon ami tenait le monstre par le
cou et tentait d’immobiliser ses immenses

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ailes au sol pendant que l’animal attaquait
ses jambes avec ses éperons.

Il fallait que je ramène mon compagnon


dans le présent pour le sauver, mais je
n’osais pas appuyer sur le bouton Retour.
Tant qu’Abid tenait la bête dans ses mains,
celle-ci risquait de revenir avec nous !
Ce serait la catastrophe ! Le coq pourrait
non seulement saccager le laboratoire et
faire mal à Abid, Lovita et moi, mais nous
devions à tout prix éviter de ramener
un être vivant du passé à notre époque.
Le livre que j’ai lu à ce sujet est clair :
si quelqu’un rapporte un papillon de l’ère
préhistorique, des dinosaures se mettent
à se promener librement dans la ville de
New York. J’aime les gros reptiles, mais
pas au point d’ajouter « attaque de T-Rex »

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à la liste des dangers me guettant sur
le chemin de l’école. Les voleurs de boîte
à lunch, les chiens enragés et les voitures
qui font sploutch dans les flaques d’eau
me suffisent !

J’ai donc attendu le moment propice


et j’ai compté à rebours, bien fort :

— Trois… deux…

Abid a compris mon intention. À « un et


demi », il a lancé le coq le plus loin possible
et, à « un », a plongé la main vers mon poignet
pour s’y agripper à la manière des trapézistes.

— Zéro !

J’ai appuyé sur le bouton et nous nous


sommes retrouvés dans le laboratoire. Après
un « tope là » victorieux, un caquète­m ent
a attiré notre attention vers le bas.

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Toujours accrochée à mon lacet de
soulier, une poule tournait la tête dans tous
les sens, surprise que le plancher soit
subitement devenu si lisse et si blanc.

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8

Retour à la normale ?
Je me suis immédiatement rué vers la fenêtre
du sous-sol. Comme elle était un peu haute,
j’ai dû empiler des boîtes pour que mon nez
dépasse vers le jardin. La rue était tranquille,
aucun tricératops à l’horizon.

Abid m’a rejoint sur mon perchoir.

— Qu’est-ce que tu cherches ? m’a-t-il


demandé.

— Des dinosaures.

En repensant à la scène, je réalise qu’il


aurait pu considérer ma réponse comme

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farfelue. Mais Abid et moi partageons
les mêmes jeux, les mêmes lectures et
les mêmes passions depuis si longtemps
que nous en venons parfois à une conclusion
identique sans nous concerter. Il m’a
simple­ment demandé :

— À cause de la poule ?

J’ai acquiescé de la tête avant d’ajouter :

— Vérifie les nouvelles sur Internet !


Est-ce qu’il y a quelque chose d’étrange ?

Il a sorti son portable de sa poche arrière


et s’est mis à faire glisser son pouce sur
l'écran. Après quelques secondes de
lecture, il a haussé les épaules :

— Rien de plus étrange que d’habitude !


La théorie s’est peut-être trompée.

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Il m’a montré l’écran comme preuve,
et nous avons perdu de précieuses minutes
à regarder des photos d’animaux déguisés
en superhéros.

C’est seulement à ce moment que j’ai


pensé à Lovita.

Nous lui avions fait un coup vache


en la laissant derrière. Elle ne s’était pas
vengée en nous recevant avec un seau
d’eau, de la crème fouettée ou toute autre
substance salissante. Notre poule
voyageuse-du-temps aurait-elle fait se
volatiliser ma douce aux beaux yeux ?
Je me suis retourné si vite que j’ai presque
dégringolé des boîtes empilées.

Lovita était bien là, confortablement


installée dans la chaise de la machine à
voyager dans le temps, la recette à la main.

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Elle entrait les dernières coordonnées
du 4 mai 1789 et tendait le bras pour
agripper le levier.

Voilà sa vengeance : elle était en train


de profiter de notre inattention pour partir
à la recherche du troisième ingrédient
sans nous.

J’ai à peine eu le temps d’ouvrir la bouche.

Elle m’a adressé un petit au revoir du


bout des doigts, puis a actionné la machine,
disparaissant dans le passé.

Ainsi ont commencé les cinq plus longues


minutes de ma vie.

En observant la trotteuse de ma montre


faire le tour du cadran avec une lenteur
incomparable, je m’imaginais le pire.
L’époque de Marie-Antoinette est celle

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où des centaines de nobles ont perdu
la tête. Et pas dans le sens poétique de
« faire des folies », mais bien dans celui plus
terrifiant de se faire trancher le cou à l’aide
d’une guillotine.

Rien pour me rassurer.

Lovita avait-elle été capturée ? Avait-elle


peur ? Pire encore, était-elle en train
de tomber amoureuse d’un aristocrate en
collants qui lui récitait de la poésie à deux
sous ? Les eaux glaciales englou­tissant le
Titanic et les éperons du coq de Christophe
Colomb me semblaient bien banals en
comparaison avec l’impuissance ressentie
à attendre Lovita. J’aurais donné n’importe
quoi pour affronter les gardes de la reine
à la place. Malheureusement, maintenant
qu’elle était en cours d’utilisation, la machine

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s’était mise en dormance, et je n’osais
appuyer sur aucun bouton de peur de faire
dérailler le retour de Lovita.

Durant l’attente, la difficulté du rôle


de guet m’est apparue dans toute son
horreur, ainsi que toute mon angoisse.
Il était facile d’oublier l’existence du
propriétaire des lieux lorsque je me baladais
à d’autres époques, mais l’inaction réveillait
ma peur de son retour. Que pourrions-nous
faire s’il arrivait soudain ? Lui demander
d’attendre quelques instants que notre amie
revienne avant de nous regarder
passivement nous échapper par la fenêtre ?

Moi qui avais été si fier de mon


argument de « faire le guet » pour obliger
Lovita à rester dans le présent, je
découvrais que la réalité était tout autre.

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J’avais voulu la garder en sécurité et je me
rendais compte que je l’avais laissée dans
une situation bien plus désagréable encore.

J’ai même pensé m’excuser à son retour,


preuve de mon grand désarroi.

La trotteuse a continué sa course autour


du cadran.

Je n’avais jamais vécu de minutes


aussi longues ! Pas même les dernières
minutes avant la cloche qui annonce
les vacances d’été.

Un coup d’œil du côté d’Abid m’a confirmé


qu’il ne gérait pas mieux l’attente. Ses yeux
étaient rivés sur un minuteur installé à la hâte
sur son téléphone et dont il suivait les
chiffres comme si sa vie en dépendait.

Le compteur est arrivé à zéro.

La chaise est restée vide.

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La reine Marie-Antoinette
Marie-Antoinette était reine de France
jusqu’à la Révolution française, où
plusieurs nobles sont passés à la
guillotine. Dépensière et frivole, elle
aurait lancé la réplique « qu’ils mangent
de la brioche », disent certains, alors
qu’elle apprenait que son peuple n’avait
plus de pain. Véritable ou non, cette
réplique illustre à quel point la noblesse,
dont elle faisait partie, se souciait peu
du sort des pauvres. Si ces derniers
n’avaient pas de pain, ils avaient
certainement encore moins de brioche,
qui coûtait bien le double !

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9

Perruque et Popsicle
En regardant la chaise vide, j'ai vu un
futur sans Lovita défiler en rafale devant
mes yeux. Qui allais-je taquiner pendant
les récréations ? Quelles tresses pourrais-je
compter lorsque les cours ne m’intéressaient
pas ? Qu’allais-je dire à ses parents ?

Mes interrogations n’ont pas duré, car elle


est finalement réapparue avec dix secondes
de retard.

Toutes mes bonnes intentions de m’excuser


se sont volatilisées aussitôt que j’ai vu
ce qu’elle avait sur la tête ! Elle portait

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une perruque aussi immense que ridicule :
bleue, poudrée, torsadée et garnie de
deux faux oiseaux dans un nid.

Si je pensais m’être amusé avec le simple


bandeau à cheveux, imaginez ce que j’aurais
pu faire avec un tel accessoire ! M’y bercer
dans le coin-lecture et m’en servir comme
costume de combat de sumo font partie
des idées les moins étranges qui me sont
passées par la tête à ce moment-là.

Lovita a brandi une assiette de porcelaine


décorée de roses, sur laquelle s’étalait
le sucre recherché.

J’ai tenté de lui soutirer son histoire,


comme j’avais moi-même raconté la mienne
lorsque j’ai ramassé les glaçons. Elle m’a
répondu par un récit complètement
rocambolesque ! Elle se serait déguisée

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en monstre de feuilles pour entraîner
Marie-Antoinette et son entourage dans
une folle poursuite au cœur d’un labyrinthe
fait de haies de cèdres. Une fois tous les
nobles enfoncés dans la verdure, elle aurait
attaché sa cape feuillue sur le dos d’un
caniche pour qu’il continue le jeu à sa place
pendant qu’elle sortait récupérer un peu
du sucre de leur pique-nique. Et la perruque ?
C’était selon elle un accessoire pour passer
inaperçue. Elle a posé l’assiette sur le comptoir
près de l’eau du Titanic et de l’œuf de
Christophe Colomb avant de demander :

— Et maintenant ?

Pour la dernière mission, les statistiques


ne jouaient pas en ma faveur. Après tout,
j’avais déjà participé à deux expéditions,
alors que Lovita et Abid n’en avaient vécu

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qu’une seule. J’ai donc pris les devants
en proposant :

— On devrait faire la dernière ensemble !

— Et pour le guet ? a demandé Lovita.

Elle savait très bien que je n’oserais


jamais plus utiliser cet argument pour la
laisser derrière maintenant que j’avais goûté
à ma propre médecine. Je me suis peut-être
même excusé, mais, sans enregistrement,
rien ne pourra être prouvé.

Abid a repris la recette et lu les ­coordon­nées


à haute voix pour que Lovita les entre dans
l’appareil. Elle lui a fait répéter trois fois la
destination, avec insistance :

— Tu es sûr que ça dit bien « moulin


de Don Quichotte » ?

— Je sais lire, tout de même ! Pourquoi ?

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Elle nous a annoncé :

— Parce qu’il n’a jamais existé ! C’est


un personnage de roman.

Don Quichotte ? Un personnage fictif ?


Abid et moi avons immédiatement nié
le tout :

— Mais non ! C’était un chevalier un peu


fou qui portait une casserole sur la tête !

— Un Espagnol, a précisé mon compagnon.

Mais Lovita était si certaine de son coup


qu’elle était prête à parier son dessert de
cafétéria du lendemain midi.

Abid a sorti son téléphone pour vérifier.

Comme de fait, Don Quichotte était le


héros d’un roman d’un certain Cervantès.
Lovita avait raison.

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— Comment on peut voyager jusqu’à
un monde imaginaire ? a-t-elle demandé.

J’ai haussé les épaules. Nous avions


le nombre 2070149587, qui ne ressemblait
à aucune date, mais qu’il était possible
d’entrer dans la machine. Ne pas comprendre
un processus n’empêche pas d’obtenir
des résultats. Par exemple, je n’ai jamais
compris comment le congélateur faisait pour
créer du froid, et ça ne m’a jamais empêché
de manger des Popsicle !

J’ai expliqué le tout à mes deux amis.


Je ne suis pas certain qu’ils ont compris
ma délicieuse métaphore, mais ils ont tout
de même accepté le principe. Abid a entré
le dernier chiffre et s’est assis le premier.

Je m’imaginais pouvoir prendre Lovita


romantiquement sur mes genoux, mais elle

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m’a battu de vitesse et s’est assise en
deuxième, me forçant à m’installer sur
mon meilleur ami. Je te jure que, si jamais
j’invente une machine à voyager dans
le temps, je ferai un modèle à quatre
places, avec sièges chauffants et
porte-gobelets intégrés.

Une fois tout le monde prêt, Abid a baissé


le levier et nous sommes partis en espérant
qu’il y aurait bien une destination, imaginaire
ou pas !

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10

À l’intérieur du roman
Nous sommes apparus dans un décor de
collines verdoyantes sous un soleil radieux.
Le chemin avait beau être solide sous nos
pieds, nous ne pouvions nous débarrasser
d’une forte impression d’être dans un rêve.
Les couleurs étaient aussi vives que celles
d’un dessin animé, mais avec des contours
un peu flous, comme s’ils avaient été tracés
à la hâte. En se retournant rapidement, on
pouvait apercevoir une sorte de brouillard
qui disparaissait progressivement pour faire
apparaître le paysage. J’ai quitté le chemin

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pour m’avancer sur le gazon et, quand
je me suis retourné vers mes amis, le dos
des arbres bordant la route était couvert
de brume grise. Un peu comme au théâtre,
certains morceaux du décor, jugés inutiles,
n’avaient pas été achevés.

Nous avons suivi le chemin jusqu’en


haut de la première colline. Lovita et moi
discutions de ce que nous allions faire une
fois que nous serions transformés en génies,
pendant qu’Abid gardait les yeux rivés sur
son téléphone. Il avait trouvé un site wiki de
littérature, sur lequel il lisait les aventures du
héros que nous nous apprêtions à rencontrer.

— C’est génial ! Don Quichotte n’est pas


un vrai chevalier, mais il aime tellement les
histoires qu’il décide d’en devenir un, même
si ce métier a disparu depuis longtemps.

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— Ce qui est vraiment génial, ai-je
répondu, c’est que ta connexion Internet
marche jusqu’ici !

— Moi, je trouve ça plutôt troublant,


nous a avoué Lovita. Vous pensez qu’il
y a des règles à ne pas enfreindre quand
on voyage dans l’imaginaire ? Comme dans
le passé ?

— Je ne sais pas, ai-je répondu. Ne pas


changer l’histoire, peut-être.

Nous sommes finalement arrivés


au sommet de la colline pour apercevoir
deux silhouettes au loin. La première, mince
comme un fil de fer, était montée sur un cheval
et tenait une immense lance dans ses mains.
La deuxième était aussi ronde et petite que
sa monture. Cette dernière était d’ailleurs
trop basse pour être un cheval.

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— Le plus grand, c’est Don Quichotte,
a expliqué Abid. Et l’autre ne peut qu’être
Sancho Panza, son fidèle écuyer. De ce
que j’ai compris, il est moins fou que le faux
chevalier, mais, comme ce n’est pas lui
le patron, il doit suivre.

Nous avons continué notre marche et


sommes arrivés en vue d’une plaine remplie
de moulins à vent. Leurs grands bras tournaient
lentement comme des éoliennes antiques.

Quand nous sommes arrivés à la hauteur


de Don Quichotte, ce dernier nous a barré
le chemin :

— Halte-là, manants ! Laissez-moi occire


ces géants avant de continuer votre route !

Il parlait comme les acteurs d’une pièce


de théâtre, en prononçant chaque mot à
la perfection, et il était vêtu d’une armure

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ayant connu de meilleurs jours. Je n’étais
pas certain de la définition d’« occire »,
mais, pour les géants, j’étais partant !
Je les imaginais déjà plus grands que
l’église du village, des pieds si énormes
qu’ils pourraient écraser des camions !
Je dois avouer que j’en étais tout excité !

— Où sont-ils, vos géants ? lui a


demandé Lovita.

— Vos yeux vous causeraient-ils des


ennuis ? Ils sont là ! Là, là et là, a répondu
le chevalier en indiquant trois endroits
précis dans la plaine.

J’ai eu beau me frotter les yeux pour


mieux voir, il n’y avait pas de doute
possible. Il disait « géants » en montrant
les moulins.

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Je ne suis pas vraiment fier de ce que
j’ai fait, mais c’était plus fort que moi. J’ai ri.
Un simple petit hoquet, au début. Mais Abid
m’a vu et a gloussé, ce qui a redoublé
mon rire jusqu’à ce que nous soyons tous
les deux pliés en deux. Lovita a été meilleure
que nous. Elle a réussi à se retenir assez
longtemps pour nous sermonner :

— Voyons, les gars…

Pour finalement se joindre à nous dans


une crise de fou rire monumentale.

Le chevalier ne partageait évidemment


pas notre hilarité !

— Vous osez vous moquer du grand


Don Quichotte de la Manche !

Le nom complet à lui seul aurait suffi


à réanimer notre rigolade pour de longues

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secondes, mais il a tiré son épée de son
fourreau. Les choses nous ont soudain paru
plus sérieuses.

Ce n’était pas une épée bien menaçante.


Elle était émoussée au possible. Je doute
qu’il eût réussi à trancher une tomate trop
mûre, mais une seule éraflure aurait pu
nous refiler le tétanos, et comme j’ignore
si mes vaccins sont à jour, j’ai préféré ne
pas prendre de risque.

J’ai utilisé mon ton le plus poli, celui que


j’utilise avec le directeur de l’école lorsque
j’ai été pris en flagrant délit de bêtise :

— Pardonnez-nous notre réaction,


Monsieur le chevalier. Nous avons ri en fait
du sort qui attend les géants !

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Lovita, merveilleuse fille, a tout de suite
compris mon manège. Elle s’est penchée
en une révérence parfaite, puis a continué
la flatterie :

— Un chevalier tel que vous… ils n’ont


aucune chance !

Il ne restait plus qu’Abid à n’avoir pas


tout à fait repris le contrôle de son fou rire.
Il avait au moins la bonne idée de faire
semblant de tousser pour camoufler le tout.
L’important était de ne pas le regarder.
Un simple croisement d’yeux aurait pu
relancer notre fou rire à tous. Je me suis
donc plutôt concentré sur un plan d’action.
Nous n’avions pas besoin de vaincre
Don Quichotte. Il nous suffisait de le
convaincre de nous laisser passer jusqu’au
moulin pour y ramasser un sac de farine.

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Une fois l’ingrédient en main, nous n’aurions
qu’à utiliser la télécommande de retour que
Lovita avait ramassée à notre arrivée dans
ce drôle de décor.

Comment le convaincre de nous laisser


aller vers un danger, aussi imaginaire
soit-il ? La réponse se trouvait dans la
nature même des codes de la chevalerie.
Je les connais bien, j’ai lu au moins deux
versions des histoires de la Table ronde.
Bon, d’accord, une des deux était plutôt
un film, mais ça ne change rien.

— Vous n’allez tout de même pas


attaquer ces géants sans leur donner
une chance de se rendre ?

— Ce serait une grave injustice ! a ajouté


Lovita, toujours bonne alliée.

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Don Quichotte a réfléchi. On pouvait
presque voir, au-dessus de sa tête, tous
les récits de chevaliers qu’il se repassait
en mémoire pour valider ma proposition.

— Le ciel vous envoie pour m’aider


à rester sur le chemin de la vertu, a-t-il
finalement annoncé.

J’étais déjà presque parti quand il s’est


retourné vers son écuyer.

— Sancho, allez dire aux géants qu’ils


ont jusqu’au coucher du soleil pour quitter
ce royaume s’ils veulent avoir la vie sauve.

Je me suis frappé le front de la paume.


Ce n’était pas du tout la réaction que j’espérais.

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Don Quichotte
Don Quichotte est le héros d’un roman
espagnol écrit par Cervantès et publié
en deux parties en 1605 et 1615. Le
personnage est un gentilhomme ayant
lu tant de récits de chevaliers qu’il en
a perdu la tête ! Il imagine que son vieux
canasson est un fringant destrier, que
les auberges sont des châteaux et que
les moulins sont des géants à combattre.
Ses aventures, loin d’être glorieuses, se
retournent toujours contre lui et contre
son écuyer Sancho Panza.

Le numéro d’identification de la
traduction française le plus répandu
est le 2070149587…

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11

Simon contre le moulin


Don Quichotte venait de déjouer mon brillant
plan en envoyant Sancho négocier avec
les moulins. Abid, ayant retrouvé son sérieux,
a tout récupéré d’une simple question :

— Est-ce que Sancho parle géant ?

Brillant ! J’aurais pu l’embrasser. J’ai


plutôt sauté sur l’occasion pour démontrer
ma propre maîtrise de ce langage :

— Moi, si ! Blapouti, pulba nouvatôt…


glakti clac clac !

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Mon professeur d’anglais te le dira :
je suis un champion pour aligner des
syllabes qui n’ont aucun sens !

Un grand chevalier tel que Don Quichotte


n’allait certainement pas avouer ne pas
parler géant lui-même. Il nous a donc fait
signe de suivre son écuyer pour lui servir
d’interprètes.

Nous avons dévalé la pente en direction


du moulin le plus proche.

Nous avons rapidement rattrapé Sancho


Panza, dont la mule avait trouvé un délicieux
chardon à grignoter. Il avait beau la frapper
des deux talons, la bête refusait d’avancer.
En passant à côté, Lovita lui a conseillé :

— Attendez une heure et dites à votre


maître qu’il peut attaquer !

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Obéissant, l’écuyer s’est aussitôt allongé
dans l’herbe, laissant sa monture brouter
en paix.

— Pour que l’histoire continue


normalement, nous a expliqué Lovita.

Abid a approuvé, alors qu’il arrivait


justement à ce passage de l’histoire sur
le wiki.

Au fur et à mesure que nous avancions,


un seul des moulins du paysage semblait
se rapprocher, comme si les autres avaient
été peints sur une toile de fond en arrière-
plan. Nous nous sommes dirigés vers
celui-là, convaincus qu’il s’agissait du bon
bâtiment. Il était fait de pierres, et ses ailes
impressionnantes tournaient paresseusement.

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Aucun sac de farine n’était visible devant
le moulin. Lovita et Abid ont décidé d’en
faire le tour et de se rejoindre à l’arrière,
afin d’être certains de ne rien avoir manqué.
Moi, je me suis plutôt approché de la porte.

Cette dernière était en bois, sans poignée


ni serrure. J’ai essayé de la pousser avec
ma main, sans succès. Je m’y suis appuyé
de tout mon poids afin de la faire céder.
Ma première poussée n’y a rien fait, mais,
à la deuxième, le panneau de bois a pivoté
sur ses gonds et je suis tombé à l’intérieur
du bâtiment.

Seulement, plutôt que de me retrouver


dans une pièce, j’ai été engouffré par la
même brume blanche que nous avions vue
derrière les buissons sur le chemin. La porte

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s’est fermée derrière moi et a disparu,
me laissant dans un brouillard complet.

Je ne te mentirai pas, j’ai paniqué ! J’ai


fait trois pas dans une direction, convaincu
que le moulin ne pouvait être aussi grand.
J’avais beau avancer, je ne rencontrais
que du vide. Pas le moindre signe de mur
ou d’autre forme de limite. J’ai couru jusqu’à
ce que mes poumons me fassent mal, sans
plus de résultat.

On croit parfois que les monstres


et les araignées sont les choses les plus
terrifiantes que l’on puisse rencontrer.
Je t’assure que ce rien à perte de vue
hantera mes cauchemars pendant
longtemps. Je risquais d’y passer
des heures, voire des jours, jusqu’à
ce que je meure de faim… ou d’ennui.

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La suite m’a été racontée par Lovita,
puisque je n’y étais pas moi-même. Elle
et Abid se sont retrouvés de l’autre côté
du moulin. N’ayant pas vu de sac de farine,
ils sont retournés à la porte pour voir
si j’avais eu plus de chance qu’eux.
Ne me voyant nulle part, ils ont pleuré
toutes les larmes de leur corps.

Bon, c’est faux. Mais je suis certain qu’ils


se sont inquiétés tout de même un petit
peu. Ils ont surtout ouvert la porte avec plus
de délicatesse que moi, ce qui leur a permis
d’observer le brouillard de l’extérieur plutôt
que de plonger dedans.

— Il n’y a rien dans ce moulin ! a constaté


Lovita avant de crier mon nom trois fois
sans recevoir de réponse.

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Abid a analysé la situation, comme lui seul
peut le faire pour conclure :

— L’intérieur du bâtiment ne doit pas être


décrit dans le livre. C’est un trou littéraire.
Et Simon a dû tomber dedans.

Lovita a pris une roche et l’a lancée


à l’intérieur pour voir si le brouillard avait
une fin. Moi, de l’intérieur, je n’ai rien vu
ni entendu.

— Qu’est-ce qu’on fait ? a demandé


mon ami, un peu dépassé par les événements.

C’est Lovita qui a eu l’idée de génie.

— Passe-moi ton téléphone, a-t-elle dit.

Abid lui a prêté l’appareil et elle s’est


mise à écrire avec ses deux pouces.
Soudainement, de mon côté, le brouillard

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s’est levé pour faire apparaître des murs
et un plancher. Même en te le décrivant
pendant des pages et des pages, je ne
pourrais t’expliquer l’ampleur de mon
soulagement ! La porte a jailli de la brume,
et je me suis précipité dehors.

Mes amis étaient fous de joie de m’avoir


récupéré, et moi de m’être sauvé de cette
étrange prison. Nous avons échangé nos
histoires. Lovita avait ajouté une description
de l’intérieur du moulin au wiki trouvé
sur Internet. Puisque nous étions dans
un monde créé par les mots, elle a pensé
que d’autres mots pourraient nous en sortir.

J’ai pris le téléphone à mon tour pour


ajouter un sac de farine à la scène, et
le tour a été joué. Nous avions enfin tous

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les ingrédients nécessaires à la confection
de la galette d’intelligence.

Rien ne pouvait plus nous arrêter.

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12

Le grand retour
Nous sommes revenus à notre époque
dans le laboratoire où nous avions trouvé
la machine à voyager dans le temps.

Le sous-sol n’était pas vide. La proprié­


taire des lieux nous attendait.

Vêtue d’une blouse blanche, les mains


croisées, deux crayons retenant ses
cheveux frisés en chignon, elle nous fixait
d’un air inquisiteur. Elle ne tenait ni hache
ni scie à chaîne dans ses mains, ce qui
ne nous a pas empêchés d’être terrifiés !

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Surtout Abid, qui a sursauté si fort
qu’il en a laissé échapper le sac de farine,
nous englobant tous dans un nuage de
poussière blanche.

La scientifique s’est mise à tousser en


agitant ses mains devant ses yeux. C’était
notre seule chance de nous évader. J’ai
poussé Lovita vers la fenêtre en lui criant
de fuir pendant que je m’élançais moi-même
dans la direction inverse.

Je n’allais tout de même pas abandonner


si près du but ! L’eau, les œufs et le sucre
étaient toujours sur le comptoir, juste derrière
l’ennemie. Il me suffisait d’être plus rapide
qu’elle !

J’ai plongé sous le nuage de poussière


en ramassant le sac de farine, me pinçant
le nez pour ne pas éternuer à mon tour.

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Une roulade de ninja m’a amené sous
le comptoir où se trouvait le reste des
ingrédients. J’ai tout pris. Abid avait gardé
la recette sur lui. Nous pourrions concocter
la galette et devenir des supergénies dans
le confort de nos propres maisons.

Le problème, c’est que porter un bol,


trois œufs, une assiette et un sac en courant
dans un sous-sol enfariné nécessite
des capacités de jongleur professionnel.
Dès le troisième pas, les œufs que j’avais
installés dans le pli de mon coude se sont
mis à rouler hors de leur cachette. Abid
les a vus. Seul un plongeon spectaculaire
aurait pu lui permettre de sauver les
ingrédients d’une chute fatale.

Malheureusement, comme je te l’ai déjà


dit, mon ami n’est pas ce genre d’athlète.

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Les œufs sont tombés vers le sol.
La main de la scientifique en a rattrapé
un de justesse, et les deux autres se
sont écrasés.

— Ça suffit ! a crié notre supervilaine en


se relevant.

Nous avons réagi comme n’importe quels


enfants pris en faute. Nous nous sommes
figés sur place. Lovita s’apprêtait à passer
dans le jardin, aidée par Abid, à moitié juché
sur les caisses. J’avais eu moins de chance
que les œufs. Je m’étais étalé de tout mon long
sur le plancher, sans que personne m’attrape
en plein vol.

Tout est devenu silencieux dans le sous-


sol. Abid, Lovita et moi n’osions même plus
respirer. Notre sort était entre les mains de

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cette inconnue, que nous soupçonnions de
vouloir conquérir le monde avec ses drôles
de machines et ses équations complexes.

À notre grand étonnement, elle a


simplement demandé :

— Vous avez tout ?

J’ai vérifié autour de moi. La dame


au chignon tenait un des œufs de
Christophe Colomb, il restait toujours
un peu d’eau de l’iceberg du Titanic dans
le bol, une portion du sucre à brioche de
Marie-Antoinette semblait récupérable sur
le plancher, et le sac de farine était encore
à moitié plein.

J’ai acquiescé d’un geste de la tête. Elle


a souri, mais pas d’une manière diabolique.
Un véritable sourire franc, accueillant, amical

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qui accompagnait la dernière question
à laquelle nous nous serions attendus :

— Qui veut de la galette ?

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La galette
d’intelligence
Nous n’étions pas encore tout à fait
rassurés, mais comme les possibilités
de fuite seraient meilleures à l’étage,
nous avons suivi la propriétaire.

Le rez-de-chaussée était aussi normal


que le sous-sol était étrange. Les sofas
du salon étaient recouverts de jetés fleuris,
et le bahut de l’entrée était encombré
de lunettes de soleil, de lettres à poster
et de différents porte-clés, comme chez tout
le monde. Le long du corridor étaient

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accrochées des photos d’elle en train
de recevoir divers prix.

— C’est vous sur les photos, Madame ?


a osé demander Lovita.

La propriétaire a souri :

— Vous pouvez m’appeler Fanny, a-t-elle


annoncé avant de continuer en montrant
deux photos l’une à la suite de l’autre. Dans
celle-ci, je reçois une mention d’honneur
au concours des inventeurs amateurs. Et ici,
la deuxième place à la grande compétition
de moyens de transport inusités. J’espère
bien gagner le premier prix avec ma machine
à voyager dans le temps.

Une vieille horloge grand-père a annoncé


la demi-heure d’un tintement qui nous a fait
frôler la crise cardiaque. Malgré la gentillesse

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dont faisait preuve l’inventrice, nous restions
un peu nerveux d’avoir été pris en flagrant
délit d’avoir pénétré dans son sous-sol sans
en avoir demandé la permission.

Pour nous mettre à l’aise, Fanny nous


a raconté ses propres voyages temporels
pendant qu’elle s’affairait dans la cuisine :

— Le plus loin que j’ai pu aller est


la Rome antique. J’ai regardé le Vésuve
ensevelir Pompéi, c’était grandiose !

Elle a sorti un bol, une cuillère et un


fouet, mais pas du tout le genre utilisé
pour faire obéir des lions. Elle a continué :

— Pour mon premier voyage, j’avais


choisi l’époque médiévale. Je n’avais pas
pensé à me changer avant de partir… J’ai
bien failli finir brûlée comme une sorcière !

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Comme je lui ai avoué avoir eu
un semblable problème d’habillement sur
le Titanic, elle nous a demandé de lui
raconter nos propres aventures. Au début,
nous avons hésité. C’était un peu comme
expliquer sa plus grosse bêtise à une
gentille tante, sans savoir si elle n’irait
pas tout rapporter à nos parents. Au fur
et à mesure de la conversation, nous
nous sommes relaxés. Les bons arômes
de cuisson rendaient l’inquiétude impossible
et, de toute manière, qui a déjà entendu
parler d’une supervilaine s’appelant Fanny ?
Ça ne serait pas crédible !

Elle a finalement séparé la galette dans


quatre assiettes et en a déposé une devant
chacun de nous. Avant de prendre la première
bouchée, je n’ai pas pu m’empêcher de
la questionner :

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— Comment ça va se passer ?

Elle a froncé les sourcils, incertaine


de ce que je voulais dire. Lovita a demandé
à son tour :

— Est-ce que ça sera rapide ou est-ce


que ça prend plusieurs jours ?

Abid a ajouté :

— Est-ce que ça va faire mal, devenir


un génie ?

Elle nous a fait signe d’arrêter pendant


qu’elle réfléchissait non pas à la réponse,
mais bien au sens des questions. Ses yeux
se sont tournés vers la recette et, surtout,
sur le titre de celle-ci.

Elle a ri de bon cœur, à s’en tenir


les côtes. Pour être honnêtes, on ne voyait
pas trop ce qu’il y avait de drôle. Lorsqu’elle

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a enfin repris son souffle, elle a essuyé
une larme en expliquant :

— Cette recette n’augmente pas


l’intelligence, elle la prouve !

À notre tour d’être ébahis ! Aurions-nous


fait tous ces voyages pour rien ?

Lovita a repris ses esprits la première :

— Qu’est-ce que vous voulez dire ?

— La liste des ingrédients est un défi !


N’avez-vous pas fait preuve d’ingéniosité
sur le Titanic ? De réflexion chez Christophe
Colomb ? D’imagination auprès de Marie-
Antoinette et de ruse avec Don Quichotte ?
Vous n’avez pas besoin de recette spéciale
pour augmenter votre intelligence. Vous
êtes déjà, à votre manière, des génies !

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Elle a mordu ensuite à belles dents dans
sa portion de galette. Nous avons attaqué
la pâtisserie à notre tour. Elle était simplement
délicieuse, malgré son absence de pouvoirs
magiques ou extrasensoriels. En la dégustant,
j’ai dû me rendre à l’évidence : la présence
de mes amis et une délicieuse collation
étaient peut-être une récompense suffisante
pour tant d’aventures.

Tu comprends maintenant pourquoi je


ne voulais raconter tout ça qu’à toi ? Mes
amis d’école auraient arrêté de m’écouter
bien avant la fin et m’auraient accusé d’être
un grand menteur. Tout ce que je t’ai raconté
est pourtant vrai ; je te fais confiance pour
me croire.

Au moment de nous saluer, à notre


départ, Fanny nous a permis de revenir,

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nous promettant que nous pourrions choisir
notre destination sans nous inquiéter d’en
rapporter des ingrédients précis. Lovita
aimerait rencontrer Cléopâtre, et Abid visiter
l’univers des Mille et Une Nuits. Moi,
j’hésite. J’adorerais voir les frères Wright
faire voler le premier avion, mais j’ai un
exposé oral à faire sur les Iroquoiens,
et un petit voyage dans le temps pourrait
remplacer une longue recherche.

Il semble bien que les journées ordinaires


soient une chose du passé ! Avec toute
la terre et toutes les époques à ma portée,
l’aventure m’attend !

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La recette de galette
de Fanny

Ingrédients

1 œuf

37,5 ml (2½ c. à soupe) de sucre

45 ml (3 c. à soupe) d’eau

125 ml (½ tasse) de farine

Préparation

Préchauffer le four à 205 oC (400 oF)

Séparer le blanc et le jaune d’œuf.

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Battre le blanc en neige.

Dans un autre bol, battre le jaune


avec 30 ml (2 c. à soupe) de sucre.
Ajouter l’eau et continuer de battre
jusqu’à ce que ça mousse.

Ajouter le blanc en neige dans le jaune


mousseux. Mélanger avec une spatule ou
une cuillère de bois en faisant de grands 8
pendant 10 secondes. Le mélange ne doit
pas être homogène.

Ajouter la farine et mélanger en


soulevant la pâte par le dessous en le
moins de coups possible ; il doit rester
des grumeaux, mais pas de farine libre.

Mettre la pâte au centre d’une plaque


de cuisson, sur un papier-parchemin.
Étendre à peine et saupoudrer les
7,5 ml (½ c. à soupe) de sucre restants.

Cuire environ 15 minutes.

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Astuces

Pour plus de goût, ajouter de


0,5 à 1,25 ml ( 1/8 à ¼ c. à thé) de
vanille au moment de combiner le blanc
avec le jaune.

Pour varier, ajouter 60 ml (¼ tasse)


de raisins, canneberges, noix, chocolat…
(au goût) en même temps que la farine.

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Dimensions du livre : 4,875 po x 7,25 po Épine : 0,325 po

Annie Bacon
Simon et ses copains ont découvert par hasard
un curieux laboratoire aménagé au sous-sol
d’une maison. Est-ce le repaire d’un supervilain

Annie Bacon
qui souhaite conquérir le monde ?
Une machine à remonter le temps attire leur
attention, ainsi qu’un bout de papier sur lequel
on peut lire l’étonnante recette de la galette
d’intelligence. Pour récupérer ces ingrédients,

Simon et la galette d’intelligence


les trois intrépides amis décident de retourner
dans le passé.

9 782897 700775

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