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Catalogage

avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada


Dufort, Frédérique, 1995-, auteure
Miss Parfaite / Frédérique Dufort, auteure.
Pour les jeunes de 12 ans et plus.
ISBN 978-2-89709-307-5
ISBN EPUB 978-2-89709-368-6
I. Titre.
PS8607.U353M57 2018 JC843’.6 C2018-942116-9
PS9607.U353M57 2018

© 2019 Boomerang éditeur jeunesse inc.

Tous droits réservés. Aucune partie de ce livre ne peut être copiée


ou reproduite sous quelque forme que ce soit
sans la permission de Copibec.

Écrit par Frédérique Dufort

Illsutration de la couverture: Solène Debiès


Conception graphique et mise en pages: Karine Côté
Illustrations intérieures: Manuella Côté et Shutterstock.com

Dépôt légal – Bibliothèque et Archives nationales du Québec,


1er trimestre 2019
ISBN 978-2-89709-307-5

Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt


pour l’édition de livres – Gestion SODEC

Boomerang éditeur jeunesse remercie la SODEC pour l’aide


accordée à son programme éditorial.

Imprimé au Canada
Table des matières

Chapitre 1: Convo de groupe


Chapitre 2: Intégration 101
Chapitre 3: Miss Bonbons
Chapitre 4: Que je te voie me voler mes Hershey’s!
Chapitre 5: Le party d’enfer de Jalbert
Chapitre 6: Vérités, mais surtout conséquences

Chapitre 7: Lavage de linge sale en famille


Chapitre 8: Maya 007

Chapitre 9: «Opération Milan» en cours


Chapitre 10: La tête dans les poubelles
Chapitre 11: Biscuiterie et magie de Noël

Chapitre 12: Nouvelle année, nouvelle Maya


Chapitre 13: Petit cœur fragile
Chapitre 14: Avertissement: retirer les épines avant d’offrir une rose…
Chapitre 1
CONVO DE GROUPE
(ding, ding, ding!)

J’en ai marre!!!
Tout le monde pense que ma vie est parfaite.
Pourquoi?
Parce que j’ai toujours été considérée comme celle qui avait:

Ça a commencé à l’école. Déjà, à dix ans, j’étais étiquetée! Tout ça à cause d’un chandail vert que ma mamie m’avait acheté et que j’ai porté
en toute fierté un jour en cinquième année. Parce que sur ce chandail, on pouvait lire deux mots écrits d’une belle écriture dorée.

En apparence, c’est vrai que ma vie semble parfaite, mais si seulement tu savais à quel point ce n’est pas le cas…
J’ai toujours été une fille hyper nostalgique. Par exemple, quand j’étais plus jeune, j’écrivais avec ma sœur tout ce qu’on vivait dans un carnet,
de peur d’oublier les beaux moments passés ensemble… Lourd!!! Mais comme ma sœur est vraiment plus vieille que moi, je crois qu’en fait,
elle voulait surtout que je m’applique à écrire, car elle m’a toujours dit que j’avais un talent! Elle a ce don de me motiver facilement, et je me
dis que si un jour quelqu’un me lisait, je pourrais l’encourager aussi!

Coralie et moi, on a onze ans de différence. Notre mère avait vraiment de la difficulté à devenir enceinte, mais après deux fausses couches, ça a
enfin fonctionné: en plus, les contractions sont survenues le jour de la fête des Pères!

Malheureusement, il y a eu des complications. Peu après sa naissance, ma sœur a eu une forte fièvre, puis elle a fait une crise d’épilepsie. Elle
est tombée malade et a dû être hospitalisée pendant quelques semaines, afin qu’on lui fasse passer une batterie de tests. Les médecins n’ont
jamais pu identifier la cause de la crise, mais ils ont avisé mes parents qu’il pourrait y avoir une récidive.

Les médecins prévoyaient des séquelles mineures: un léger retard de langage et d’apprentissage qu’elle rattraperait si elle était bien encadrée.
Mes parents ont donc payé des spécialistes d’ergothérapie et d’orthophonie avec leurs économies. Ça a tellement bien fonctionné qu’à sept ans,
Coralie commençait déjà à dépasser les enfants de son âge. Je pense que c’est pour ça qu’elle me comprend autant: elle sait ce que c’est de se
sentir différente, ou plutôt, d’être traitée différemment.

Et puis, je suis arrivée.

À la veille d’atteindre la quarantaine, mes parents avaient abandonné l’idée d’avoir d’autres enfants depuis longtemps.
Ça a l’air que lorsqu’on arrête de «trop vouloir» quelque chose, ça se produit. Je suis apparue dans leur vie, comme une cerise sur un sundae.
Un bonheur inespéré, mais qui a aussi réanimé leurs craintes.

Résultat: je suis là, heureuse et en santé, mais mon Dieu, que je les ai souvent sur le dos! Ils me surprotègent X 1000, sont hyper stricts et ne
semblent pas comprendre que je vieillis. Je sais que je suis chanceuse d’avoir des parents qui sont présents et à l’écoute, mais ils me mettent
tellement de pression, des fois!

Pour tout dire, j’ai changé. La Maya enjouée et naïve a fait place à une jeune adolescente qui se pose des questions et qui a régulièrement
l’impression d’être jugée. C’est fascinant de réaliser à quel point je n’ai jamais osé m’assumer à 100%. Je joue souvent un personnage pour
correspondre à ce que les gens attendent de moi. Comment faire autrement? Mes parents n’arrêtent pas de vanter mes résultats scolaires, ma
gentillesse, mon respect, ma générosité…

À leurs yeux, je suis parfaite, et même si je comprends qu’ils disent ça parce qu’ils m’aiment, c’est souvent lourd à porter.

C’est bien le fun, faire semblant de sourire et jouer à la fille positive, mais des fois, j’aurais juste envie d’être normale. De pouvoir avoir mes
hauts et mes bas comme tout le monde. De publier des photos où je ne souris pas, sans qu’on me dise: «T’es belle, mais le sourire te va mieux»
ou des commentaires fatigants dans ce genre-là. Pourquoi est-ce que les autres peuvent prendre des photos super sérieuses où ils font la moue,
alors que moi, je dois avoir l’air d’une ado joyeuse et souriante, sinon j’ai l’air bête?!
Au moins, j’ai ma sœur pour me comprendre. Je ne sais pas si c’est parce qu’elle est plus vieille que moi (ou parce qu’elle est passée par là
avec les parents, elle aussi), mais on peut se parler de tout. C’est comme si on se comprenait à tous les niveaux et qu’on était capables de
montrer nos vraies personnalités, pas celles d’enfants prodiges. On est deux filles qui essaient de trouver leur place, font des erreurs et osent se
dire les vraies choses, sans devoir faire semblant. Ensemble, on est vraiment nous-mêmes.

Ça ne m’empêche pas d’avoir des amis de mon âge, mais disons que c’est toujours le fun de retrouver Coralie quand je sens que les autres
manquent de maturité.
Fiou, j’aurai pas besoin de m’obstiner avec mes parents pour que ce soit chez moi! C’est déjà ça de gagné!

Ma mère et son humour…


On mange de la salade!
Classique de ma mère: elle peut me dire ce qu’elle veut, mais si j’utilise ses blagues contre elle, ça ne passe pas au conseil!
Tout ça pour dire que notre gang s’est formée au camp d’intégration, mais j’expliquerai cette histoire-là plus tard, parce que sinon ma mère va
m’envoyer un texto en majuscules pour me dire que je ne l’écoute pas!
Je te l’avais dit!!!

On dirait que dès que je parle d’eux, mes parents m’entendent! Je suis espionnée. C’est louche…

Alors, sur ces points de suspension, je te laisse, je vais souper, et je reviens te raconter tout ça!
Chapitre 2
INTÉGRATION 101

Finalement, la salade était toujours aussi froide quand je suis arrivée à la table. Évidemment, j’ai encore eu droit au même discours: la
technologie prend trop de place dans ma vie, je devrais prioriser les moments de qualité, la présence des gens que j’aime plutôt que les
interactions virtuelles. Mes parents m’ont rappelé qu’avec ma sœur, ils n’avaient pas eu ce problème parce que le wifi n’était pas chose
courante à l’époque, et que je risque de devenir paresseuse comme les autres jeunes de ma génération si je continue de consacrer autant de
temps et d’énergie aux réseaux sociaux.

Je comprends qu’ils veulent bien faire et «m’encadrer», mais on s’entend que leur discours a l’effet contraire et me donne envie de m’enfermer
dans ma chambre pour visionner les nouvelles vidéos de mes youtubeurs préférés ou pour liker toutes les photos Instagram de mes idoles.

Oui, mes études doivent être ma priorité, et j’avoue être moi-même déçue quand mes notes ne sont pas excellentes, mais j’aimerais que mes
parents arrêtent de nous comparer, ma sœur et moi. Coralie a réussi tous ses cours haut la main avec une moyenne générale de 95%… Pas de
pression du tout pour la petite sœur!!!

Me voilà donc en première secondaire à l’école Sainte-Rosalie, une école privée assez classique, puisqu’elle a longtemps été dirigée par une
communauté de sœurs. Ce n’est que depuis une dizaine d’années que la direction a changé, mais il y a encore deux ou trois religieuses qui
vivent dans «l’annexe interdite d’accès». C’est assez intrigant de les voir passer les portes de cette section du bâtiment sans savoir ce qui se
trouve de l’autre côté. Je ne sais pas trop pourquoi, mais j’aime imaginer qu’elles sont sur le party et se font des tournois de cartes ou des
compétitions de pâtisserie pendant que nous stressons à propos de nos examens.

Au cours des années, les sœurs ont organisé des activités uniques à notre école: la fête de l’Érable (célébrer le sucre et manger des sucreries,
ouiiiii, je le veux!!!), la chorale, la compétition de soccer, le spectacle de Noël, la journée Carpe diem, le défi sportif, mais surtout…

LE CAMP D’INTÉGRATION DES ÉLÈVES DE PREMIÈRE SECONDAIRE!

En résumé, il s’agit d’une sortie scolaire de deux jours au début de l’année pour aider les élèves à mieux s’intégrer et à se faire des «ti-
namis», comme dirait ma mère! Tu te mets en équipe avec une personne que tu connais déjà pour ne pas être trop terrorisé.

Traduction: tu regardes autour de toi jusqu’à ce que tu trouves une autre personne désespérée et seule!

Ensuite, les grosses équipes sont formées au hasard. Les autres membres deviennent alors tes coéquipiers pour la fin de semaine. On fait
des compétitions et des activités en tout genre afin d’apprendre à se connaître et afin de s’intégrer. C’est un peu ça, le but, vu le nom du
camp! C’est certain que ça sonne quétaine et bien honnêtement, on se disait tous qu’on allait s’ennuyer à mort, MAIS…

… c’est fou à quel point c’était amusant, et leur truc plate d’adulte «pour développer l’entraide et la communication»,

ça fonctionne pour vrai!

On nous a demandé de choisir notre partenaire dès la rentrée; je suis allée vers Flavie, une fille avec qui j’avais déjà joué au soccer plus jeune.
C’était le seul visage qui m’était familier dans mon groupe titulaire, et j’avais zéro envie de me retrouver jumelée à n’importe qui à défaut
d’avoir des amis. On s’entend qu’on s’accroche tous à la première personne qu’on voit pour ne pas se retrouver seul ou seule. Mais c’est le
genre «d’amitié» qui a une date de péremption: elle s’arrête quand l’une des deux personnes se trouve une vraie gang.

Je te laisse deviner qui s’est fait «flusher»…

Comme la sortie avait lieu à la mi-septembre, deux semaines s’étaient écoulées, soit l’équivalent d’une éternité dans la vie d’une adolescente.
Flavie était rendue populaire et cool, ce que je n’étais pas, apparemment! Je l’ai su assez vite quand elle m’a demandé si j’allais me débrouiller
toute seule, parce que Madame n’avait pas besoin de se trouver des amies. Dès qu’on est montées dans l’autobus pour se rendre au camp
d’intégration, elle est allée s’asseoir avec sa nouvelle gang en m’ignorant royalement.

Résultat: le camp ne pouvait pas mieux porter son nom, parce que j’ai eu à m’intégrer assez rapidement! Tout le monde semblait s’être trouvé
une place, et c’était évident que j’étais la #ForeverAlone de l’autobus.

Pour ajouter à ma chance incroyable, le seul siège libre qui restait était à côté d’une enseignante.

Moi qui espérais me débarrasser de mon étiquette de chouchou des profs du primaire, je me suis retrouvée assise avec une enseignante en
sachant très bien que tout le monde avait été témoin de la scène. Belle façon de s’intégrer… J’étais certaine que la route allait être longue,
même interminable; je n’aurais pas pu être plus dans le champ (il faut dire qu’on roulait sur une route de campagne littéralement dans un
champ…).

Je pense que ma voisine de siège a rapidement compris la situation. Plutôt que de laisser planer le malaise, elle a brisé la glace:

— Pauvre toi, assise à côté d’une vieille prof de français! J’ai vécu la même chose pendant une sortie au secondaire, mais moi, j’ai été coincée
avec celui que tout le monde considérait comme le loser de l’école.

— Oh! Ça aussi, c’est lourd! me suis-je exclamée en grimaçant.

En la voyant s’esclaffer, j’ai réalisé que je venais clairement d’insulter ma prof de français. J’ai donc cherché à me reprendre, plutôt
maladroitement:

— Pas que vous êtes lourde! Par lourde, je veux dire plate, mais… Vous n’êtes pas plate, là! Ni lourde!

— Ne t’inquiète pas, je comprends tout à fait, m’a-t-elle dit en riant de mes tentatives d’excuses ratées.

— Désolée…

— Aucun problème. Rassure-toi, des fois, on est «coincés» avec les bonnes personnes au bon moment, m’a-t-elle chuchoté en me faisant un
clin d’œil.

— Est-ce que je peux vous demander pourquoi ça devrait me rassurer?

— Le gars que tout le monde traitait de rejet est devenu un médaillé olympique qui gagne aujourd’hui sa vie en entraînant des athlètes assez
populaires que tu dois sûrement suivre sur Instagram.

— C’est bien pour lui, mais vous, dans tout ça?

— Ça va faire trente-cinq ans que je suis mariée à ce beau loser-là! m’a-t-elle dit avec un sourire étincelant.

— Hein!? C’est donc bien cuuuute!! ai-je lancé, peu subtilement.


— Alors, ne t’en fais pas: ce n’est pas un voyage en autobus à côté d’une vieille prof qui va déterminer toute la suite de ton secondaire.

On dira ce qu’on voudra sur les enseignants, moi, je suis fière de dire que Mme Pichette est devenue ma première amie à l’école Sainte-
Rosalie. Et de son côté, je sais que c’est à ce moment-là que je suis devenue son élève préférée. On a discuté de tout et de rien: de la vie, de nos
découvertes de lecture, de ses enfants et petits-enfants, de ma sœur qui a été dans sa classe, elle aussi. Le trajet était tellement plaisant que nous
n’avons pas vu le temps passer.

Lorsque le chauffeur a annoncé qu’on arrivait à destination, j’étais contente de voir que c’était un énorme centre d’interprétation de la nature
avec de superbes chalets et un lac. C’est en repérant les installations pour les épreuves en équipe que j’ai réalisé que je repartais à zéro: seule,
sans amis.

À la simple idée de devoir parler aux autres pour m’intégrer, j’étais épuisée. Ça ne paraît pas quand on me rencontre, mais je suis une fille
hyper gênée. Pas juste un peu. Vraiment, vraiment beaucoup. Tu sais, le petit stress qui fait battre ton cœur plus vite, la boule dans l’estomac
qui t’écrase et la petite voix qui te dit de partir pendant que tu le peux? Il y en a qui carburent à ça, mais pas moi.

J’essaie de le cacher en ayant l’air extravertie et en sortant de ma zone de confort pour mettre les autres à l’aise, mais en dedans de moi, mon
anxiété crie:

Si c’était juste de moi, j’aurais écouté ma timidité et je me serais isolée dans un coin avec mes livres. Pourquoi me mettre autant de pression
pour me trouver des amis? Tant qu’à être rejetée par un groupe, je préfère m’«autorejeter» et lire des histoires mettant en vedette des
personnages qui ne peuvent pas me juger.
C’est la voix de la directrice du premier cycle qui m’a empêchée de suivre mon instinct et d’aller m’isoler; c’était l’heure de la formation des
équipes.

Flavie est venue me rejoindre (clairement) à contre-cœur. Je pense que si elle avait voulu m’ignorer plus que ça, elle n’aurait pas été capable!
Belle façon de commencer la fin de semaine.

Mon équipe était composée de:

CAMILLE, MAUDE, DELPHINE, ÈVE, SOPHIE-ROSE, FLAVIE ET MOI.


On était en nombre impair parce que Sophie-Rose était absente lors de la formation des duos en début d’année, alors la direction l’avait ajoutée
à l’un d’eux au hasard. D’ailleurs, ça n’avait pas l’air de plaire aux deux filles concernées, Ève et Delphine, mais un camp d’intégration n’est
pas l’endroit idéal pour se plaindre de ses coéquipiers.

On n’a pas eu le temps de discuter, puisqu’on devait immédiatement noter sur une feuille nos forces et nos faiblesses. Je ne sais pas si tu as
déjà essayé de remplir une fiche comme celle-là, mais mon Dieu, que c’est embarrassant! On se base sur quoi au juste? Allô, je m’appelle
Maya, j’ai un talent incroyable pour faire des jeux de mots plates et je gagne toujours à la cachette parce que j’ai la taille d’une enfant de sept
ans?!

Les animateurs du centre ont vite compris que ça ne servirait à rien d’insister et ils ont abandonné le projet des fiches techniques pour diriger
chaque groupe vers son premier défi. Le nôtre: un jeu d’évasion. Divisées en deux équipes, nous avions trente minutes pour répondre à des
énigmes et trouver la combinaison pour ouvrir la porte nous séparant, puis combiner nos réponses afin d’accéder à la clé qui nous permettrait
de nous échapper à temps! J’étais beaucoup trop heureuse parce que ma famille et moi, on capote sur les jeux d’évasion et les soirées Meurtre
et mystère.

Dans la première pièce, il y avait Sophie-Rose, Maude, Flavie et Ève. Elles avaient l’avantage d’une joueuse, alors c’était à Delphine, Camille
et moi de prouver qu’on pouvait réussir aussi!

J’ai vite réalisé que je n’étais pas la seule fan des jeux d’énigmes: notre trio était en feu!!! On a résolu toutes les énigmes en un temps record,
on a déverrouillé la première serrure et on a attendu…
Résultat: nous n’avons jamais pu combiner nos réponses afin de trouver la clé pour nous échapper. Mon équipe avait peut-être brillé, mais on
ne pouvait pas en dire autant des filles de l’autre côté de la porte!

Deuxième activité: le souque à la corde! Je peux te dire que j’en avais besoin, parce qu’après avoir passé du temps enfermée avec des filles qui
n’y comprenaient rien, je bouillais de rage. Ce n’est pas que je suis mauvaise perdante, simplement que j’aime mieux me débrouiller seule
qu’avec des gens qui me ralentissent. C’est la même chose dans mes travaux scolaires: tant qu’à devoir refaire tout le travail des autres, aussi
bien le faire moi-même dès le départ.

Nous devions affronter une autre équipe de filles, mais elles étaient restées coincées à la première épreuve.

On a nettement vu le malaise dans les yeux du moniteur lorsqu’il nous a annoncé que pour ne pas ralentir les groupes, nos adversaires seraient
plutôt une équipe de six gars! Lorsqu’il nous a demandé si on voulait que les équipes soient mélangées pour être plus «justes», Delphine et
moi l’avons fusillé du regard en disant que c’était eux qui auraient besoin d’aide. Les gars se sont esclaffés, et un grand blond a crié:

— Tu peux toujours rêver, la petite! Tu vas te casser un ongle, de toute façon.

Dans ma tête, c’était clair: on allait les démolir! Je me suis tournée vers les filles de mon équipe et j’ai pris les devants en leur demandant quel
sport elles pratiquaient. Elles ne semblaient pas comprendre le but de ma question, mais ce n’était pas le temps de donner des explications!
C’est fou à quel point la fiche technique aurait été utile à ce moment-là…
Selon leur réponse, j’ai essayé de nous positionner logiquement. Sophie-Rose était à l’arrière, parce qu’elle disait faire souvent de l’escalade et
du vélo; sa force musculaire allait être un atout. Camille était juste devant elle, parce qu’elle faisait du karaté. Ça serait utile à Sophie-Rose
d’avoir une partenaire solide sur ses jambes.

J’ai dit à Flavie de se mettre entre Ève et Maude parce que je savais qu’elle serait un pilier au centre (aussi parce que je ne connaissais pas du
tout les aptitudes physiques des deux autres… alors, je ne voulais pas prendre de risque) et que j’avais confiance en elle pour les encourager et
tirer de toutes ses forces.

Finalement, Delphine et moi nous sommes placées à l’avant parce que notre adrénaline était dans le tapis et qu’on était déterminées à prouver
qu’il ne fallait pas nous sous-estimer! J’ai fait aux filles un discours de capitaine comme si on se connaissait depuis des années, je leur ai dit
que je comptais sur elles pour faire valoir notre force en tant que filles, mais surtout, que je leur faisais confiance pour donner leur 100%.

Lorsque l’arbitre a sifflé le début de la compétition, je te jure, tu n’as jamais vu un groupe de filles se déchaîner comme ça! Je peux aussi te
garantir que les gars n’ont pas eu le temps de comprendre ce qui se passait: ils se sont écrasés au sol comme des pa-ta-tes en moins d’une
minute!

Tu aurais dû voir leur air de piteux pitous quand ils ont réalisé que toutes les autres équipes avaient été témoins de la scène: épique!!!

En bonnes gagnantes, on est allées leur serrer la main. Celui qui se moquait de nous au départ riait pas mal moins! C’est d’ailleurs à ce
moment-là que j’ai constaté que le plus grand du groupe était Anthony, mon voisin de bureau en science et en maths.

Petit détail plus ou moins important… pour moi, en tout cas!

Anthony, c’est le gars sur qui toutes les filles ont un kick. C’est un beau brun au teint basané, et son sourire est à tomber par terre, selon…
toutes les filles que je connais (pas besoin de compétition de souque à la corde pour qu’elles se jettent par terre, crois-moi)! C’est vrai qu’il est
beau, mais perso, je ne pourrais pas triper sur un gars qui pourrait être la vedette d’une comédie romantique pour adolescents.

Tu sais, les films quétaines où le beau gars cool finit par laisser la fille la plus populaire (et désagréable) de l’école et tombe amoureux de
l’actrice principale, la fille un peu nerd que personne ne remarque. On ne se mentira pas, on regarde ces films même si on sait à quel point ils
sont clichés, juste parce que ça fait du bien et qu’au fond, une petite partie de nous espère que ça nous arrive.

Tout ça pour dire que, même si Anthony est tout sauf désagréable à regarder, j’aime mieux apprendre à connaître des gens avec une belle
personnalité plutôt que de courir après le gars que toutes les filles veulent avoir. Dans le fond, ma réponse est aussi quétaine que les films; je
suis celle qui ne veut rien savoir du gars cool. Maya, tu es si prévisible, hein?

J’aurais aimé affirmer qu’il est superficiel et égocentrique, comme c’est le cas dans bien des histoires romantiques d’ados, mais non. Le fait
d’être assise à côté de lui dans certains cours m’a permis de lui parler, et c’est bien ça, le problème: sa personnalité est encore plus parfaite que
son visage!!!

Il est gentil, il est intelligent, il est studieux, et c’est le seul élève qui termine ses examens en même temps que moi!

En plus, il est hyper respectueux avec les enseignants, il s’implique à l’école, et c’est un gentleman. Je te jure, il m’a tiré ma chaise une fois;
pas pour me voir tomber, pour que je m’assoie!!! Qui fait ça?!
Mais bon… peut-être que c’est pour m’amadouer ou quelque chose du genre. Les gars trop parfaits, ça cache toujours quelque chose!

Enfin, maintenant que tu connais sa bio, tu comprendras qu’en levant la tête pour lui serrer la main après la compétition, j’étais comme
n’importe quelle fille normale devant un gars cute: j’étais gênée et je n’osais pas le regarder. Par contre, même si je savais qu’il était à l’opposé
du macho des films, je ne me serais jamais attendue à ce qu’il s’approche discrètement de moi pendant notre poignée de main et se penche
pour me chuchoter à l’oreille:

— En plus d’être jolie et intelligente, ma partenaire de labo est bonne dans les sports! Je suis chanceux!

L’histoire aurait très bien pu s’arrêter là, en même temps que mon cœur qui avait cessé de battre, mais j’ai vite compris que mon cerveau avait
été sérieusement affecté lui aussi quand j’ai entendu ma réponse:

— Oh, tu ne sais pas à quel point tu es chanceux!

Et puis là, comble de la folie, je lui ai fait un petit sourire et un clin d’œil avant d’aller rejoindre les filles.

Moi, Maya, la fille gênée et zéro assumée, j’ai osé faire ça!

Je suis donc allée rejoindre mes «nouvelles amies», alors que la petite voix dans ma tête me criait:
Et moi de lui répondre:

C’était désormais l’heure de l’épreuve finale: le jeu de la confiance.

«Jeu» est un grand mot, puisqu’en fait, on se retrouvait toutes attachées à la queue leu leu, les yeux bandés dans un parcours à obstacles…
Tout ce qu’il faut pour nous donner confiance!

Par un drôle de hasard, les filles ont décidé qu’on se placerait en ordre de grandeur pour faire le parcours. Je te laisse deviner qui a testé chaque
obstacle en premier: foncer dans un mur, glisser dans l’eau, se cogner le petit orteil sur une bûche de bois, longer un buisson rempli de
maringouins et, pour couronner le tout, trébucher et tomber la tête la première dans un trou de boue, entraînant ses partenaires dans cette chute
spectaculaire de fin de parcours.

On a enlevé nos bandeaux, assises toutes les sept dans un tas de… j’ignore c’était quoi exactement, mais à l’odeur, on soupçonnait que des
animaux y avaient établi leurs toilettes. Et on a éclaté de rire. Parce que, sincèrement, c’était tellement ridicule et répugnant que c’en était
hilarant. On pourra un jour dire à nos enfants: vos mamans se sont liées d’amitié alors qu’elles étaient recouvertes de bouse de… je ne veux
même pas le savoir!

On allait se lever et sortir de là lorsque Camille a pris une énorme boule de boue et l’a lancée en direction de Sophie-Rose. Mais celle-ci l’a
esquivée si rapidement que c’est Flavie qui l’a reçue en plein visage. Pour se venger, elle a sauté à pieds joints dans une énorme flaque brune,
éclaboussant tous ceux qui étaient près du parcours.

Résultat: la guerre de bouette était déclarée au camp d’intégration! Tous les élèves se sont joints à nous et, l’espace d’un moment, on est
retombés en enfance.

Il fallait remonter dans les autobus pour nous rendre aux chalets. Les professeurs étaient découragés de nous voir tous couverts de boue, alors,
ils nous ont forcés à sauter dans le lac pour nous nettoyer grossièrement. Pas si mal comme conséquence! On a embarqué dans les véhicules en
sachant que, finalement, ce seraient deux jours vraiment tripants.

Ce soir-là, il y a eu un party pyjama dans la cafétéria, et Camille nous a présenté sa gang de l’école. Parmi ses amis, il y avait Milan et Alex,
deux gars qui se tenaient toujours ensemble dans ma rangée de cases. Ils avaient l’air gentils, mais c’était évident que Milan était le plus gêné
des deux. Je me suis donné comme objectif de le faire danser d’ici la fin de la soirée, et j’ai gagné mon pari! Notre prof de maths n’était pas le
meilleur DJ du monde, mais ça a fait l’affaire, parce que tout le monde s’est retrouvé sur le plancher de danse.

Il faut dire qu’on avait mangé beaucoup de bonbons et qu’on avait un mini rush de sucre. J’ai remarqué que Delphine regardait souvent Milan
et cherchait à lui parler durant la soirée. De son côté, Camille avait explicitement fait comprendre à Alex qu’il était à son goût: déjà, ce soir-là,
on savait qu’ils sortiraient assurément ensemble un jour ou l’autre.

J’ai croisé Anthony quelques fois pendant le party, mais il était toujours suivi d’un groupe de filles qui voulaient attirer son attention. C’est
moins invitant, mettons!

Le couvre-feu est trop vite arrivé, et on est retournés à regret dans nos chalets respectifs.

La deuxième (et dernière) journée était consacrée à des activités libres au camp de base: baignade dans le lac, tyrolienne dans les bois, jeu
d’échecs géant, pédalo et volleyball.

J’avouerai d’emblée que je ne suis pas une fille qui aime se promener en maillot devant les gens. Ce n’est pas que je n’aime pas mon corps ou
que je n’ai pas confiance en moi; je trouve juste ça gênant que des personnes que je ne connais pas me voient presque en sous-vêtements. Je
sais qu’à mon âge, beaucoup le font avec fierté et prennent des photos d’eux qu’ils publient sur Instagram, mais je suis plus du genre «short et
grand chandail par-dessus le maillot» (jusqu’à ce que je doive absolument enlever le t-shirt parce qu’il devient trop lourd dans l’eau). Ça ne
change rien au fait que j’adore me faire bronzer, mais chez moi, dans ma cour, avec un livre plutôt que devant deux cents paires d’yeux.

Il semblerait que je ne sois pas la seule, puisque Delphine est venue me rejoindre et m’a proposé de jouer une partie d’échecs.
Ça ne me dérangeait pas d’être un peu à part des autres. Mais j’ai trouvé en elle une partenaire d’école, une incroyable adversaire aux échecs,
et une amie qui me ressemble et qui a des goûts aussi peu populaires que les miens. On s’entend que lorsque tu dis que ta matière préférée est
le français, que tu trimballes un cahier de mots cachés avec toi et que tu fais des soirées de jeux de société en famille, tu sonnes plus ou moins
cool parmi les jeunes de ton âge.

Selon moi, ce qui est cool, c’est de se foutre de l’opinion des autres et d’assumer ce qu’on est et ce qui nous fait triper. Mais… j’avoue que les
gens ont tendance à me regarder croche quand je dis que j’aime recopier les mots du dictionnaire pour apprendre leur définition…

Quoi? Il n’y a que moi qui suis intense comme ça?? Eh bien non! Delphine, c’est l’histoire de l’Égypte antique et la mythologie grecque
qu’elle connaît par cœur. Elle a lu des tonnes de livres sur ces sujets et peut te parler des dieux de l’Antiquité et des pharaons pratiquement
comme si elle avait vécu à cette époque! Avec elle, je ne me sens pas jugée et j’ai l’impression qu’on se comprend vraiment.

On disputait une partie très serrée lorsque j’ai senti qu’elle avait quelque chose à dire, mais qu’elle hésitait.

— Qu’est-ce qu’il y a? lui ai-je demandé.

— J’aurais un secret à te dire, mais tu dois me promettre de ne pas le répéter! m’a-t-elle dit, toute gênée.

— Tu sais que la meilleure façon pour qu’un secret reste secret, c’est de ne le dire à personne?

— Je ne sais pas pourquoi, mais je veux te le dire à toi. Un peu comme un pacte pour sceller notre nouvelle amitié. C’est quétaine, je sais, mais
j’y crois, m’a-t-elle répondu, hyper sérieusement.

— Tu dois avoir remarqué que je ne donne pas ma place côté quétainerie, ha, ha! Mais oui, promis!

— Je pense que j’ai un kick sur deux gars à l’école, m’a-t-elle avoué.

— OK. C’est le fun pour toi?!

— J’imagine? Je sais pas, je les trouve juste trop beaux! Sauf que là, si je te dis leur nom, il faut aussi que tu me promettes de ne pas avoir un
kick sur eux.

Je les shotgunne, ils sont à moi! a-t-elle dit en riant… plus ou moins.

— Comment je peux te promettre ça? lui ai-je demandé. Je ne sais même pas qui c’est! Et pourquoi tu shotgunnes des gars? C’est bizarre, non?

Sa réponse a été assez directe:

— Parce que je veux être certaine que mes amies ne me joueront pas dans le dos, tsé! C’est le girl code!

Je pensais au prochain coup que je jouerais quand elle a déclaré:

— Depuis que j’ai rencontré Milan hier, j’avoue qu’il me fait quelque chose, mais mon gros kick depuis le début de l’année, c’est Anthony.

Encore une autre qui tripait sur Anthony avant même de lui avoir parlé! Sous le coup de l’émotion, j’ai déplacé mon fou sans réfléchir (la pièce
de l’échiquier, pas ma folie… je la contrôle, celle-là!).
Mais en y repensant bien, cette promesse était peut-être une bonne chose: ça m’éviterait de perdre du temps à chercher l’attention d’un gars qui
en avait déjà plein les bras. Et surtout, je ne revivrais pas le même malaise s’il me complimentait de nouveau. Ça serait amical, point final!
Bon, une chose de réglée en ce début d’année! Efficace, la Maya!

Delphine m’a aussitôt sortie de ma bulle en m’annonçant que j’avais mal joué. Je n’avais même pas eu le temps de réaliser que je m’étais mise
en position d’échec et mat qu’elle me renvoyait la question:

— Puis toi? Un gars en vue?

Je lui ai répondu que non. De toute façon, je n’avais pas eu le temps d’apprendre à connaître les gars (vrai), je les considérais plus comme des
amis que comme des copains potentiels (très vrai) et je voulais surtout me concentrer sur mes études en ce début d’année (un peu trop vrai,
considérant que c’était la règle de mes parents).

Elle allait renchérir lorsqu’Alex, Camille et Milan sont arrivés. Ce dernier a demandé s’il pouvait jouer contre la gagnante. En bonne amie, je
lui ai immédiatement cédé ma place, question de permettre à Delphine d’avoir du temps avec son nouveau kick des vingt-quatre dernières
heures.

Je suis partie à la course comme une gamine avant que l’un ou l’autre réagisse. Si j’avais pu me faire un high five à moi-même, je l’aurais fait
à ce moment-là! De retour au lac, j’ai remarqué que tous les autres jeunes se baignaient ou jouaient en groupe et qu’encore une fois, je me
retrouvais seule.

Fidèle à mes habitudes, je me dirigeais vers le chalet pour aller chercher un livre quand j’ai entendu:

— MAYA!! Il nous manque un joueur au volleyball!

Sans même me tourner, j’avais reconnu sa voix. Anthony criait mon nom en gesticulant pour que je les rejoigne, ses amis et lui.

J’ai pris mon courage à deux mains et j’ai décidé d’y aller, même si c’était une gang de gars que je ne connaissais pas. Je n’avais pas envie de
me retrouver seule tout l’après-midi. En arrivant sur le terrain, j’ai reconnu Jonathan, le grand blond du souque à la corde, qui m’a dit:

— On va voir si tu peux te débrouiller, la p’tite!

Il me défiait au volley, mais je pense surtout qu’il n’avait pas encore digéré sa défaite de la veille. Je n’avais pas eu le temps d’ouvrir la bouche
qu’Anthony répliquait à ma place:

—À ta place, j’éviterais de la sous-estimer une deuxième fois, Jo. Tu risques de perdre… encore! a-t-il dit en bousculant gentiment son ami.

OK, j’aurais pu trouver ça cute qu’il prenne ma défense comme ça, mais je te l’ai dit, je suis hyper compétitive quand il s’agit de sport. J’ai
donc répliqué à mon tour:

— Les gars, on est ici pour gagner ou pour organiser un groupe de discussion? Vous retardez tout le monde!

La partie était vraiment serrée! J’étais totalement nulle lorsque j’étais positionnée devant le filet, mais j’avais une bonne excuse: j’ai la
grandeur d’un Minion. Essaie d’envoyer le ballon de l’autre côté quand tu peux littéralement passer en dessous du filet! Par contre, je me suis
rattrapée en faisant des points avec mes services et je n’ai pas hésité à me jeter dans le sable pour sauver un jeu. Cet après-midi-là, je suis
redevenue la petite Maya tomboy, et ça m’a fait un bien fou. On n’a peut-être pas gagné, mais j’ai obtenu le respect de mon équipe (y compris
celui du fameux Jo)!

Pour terminer le camp en beauté, les enseignants et les animateurs ont organisé un barbecue pour tous les élèves, suivi d’un énorme feu autour
duquel on a parlé en mangeant des hot-dogs.

Si j’avais pu, j’aurais arrêté le temps. Tout le monde souriait, riait et profitait du moment présent. La vie était simple.

C’est là que je me suis dit que j’allais peut-être trouver ça le fun, le secondaire!
Chapitre 3
MISS BONBONS

Rebienvenue en temps réel. Plusieurs semaines ont passé depuis le camp, on est en octobre, et je fais partie d’une petite gang!

Elle est composée de:

DELPHINE, ÈVE, CAMILLE, SOPHIE-ROSE, MILAN, ALEX ET MOI.

Aussitôt après le camp, on a commencé à se tenir ensemble. Il faut dire qu’Alex et Camille étaient devenus inséparables. Leur relation n’était
pas officielle sur Facebook, mais on se doutait tous que ça n’allait pas tarder.

Pour vrai, ça fait du bien d’appartenir à un groupe! On a des inside jokes, on a une conversation de groupe intitulée «gang de fous», mais
surtout, dorénavant, je sais où aller m’asseoir chaque midi, parce qu’on a notre table à la cafétéria. Un stress de moins dans une journée
d’élève!

Ce ne sera pas une surprise pour toi d’apprendre que Flavie et moi, on ne s’est jamais vraiment reparlé par la suite. Ses nouveaux amis «ne me
correspondaient pas vraiment», selon elle. J’étais pas assez cool et branchée. Il y a eu Maude, aussi, l’amie de Camille, mais elles se sont
chicanées dans l’autobus durant le trajet du retour, et ça s’est terminé là. Elle se tient avec Flavie maintenant, drôle de hasard.

Parlant de ne pas correspondre à un groupe, il y a un petit malaise dans le nôtre: la présence de Sophie-Rose. Elle est très gentille, mais elle est
collante, et c’est évident qu’elle s’est accrochée à nous simplement parce qu’on était en équipe au camp. Dès qu’elle dit quelque chose,
quelqu’un la regarde de travers ou lui signifie qu’elle n’a pas rapport.

C’est vrai que son timing est souvent mauvais, et elle ne semble pas réaliser qu’en voulant trop être avec nous, elle nous donne encore moins
envie d’être avec elle. On a essayé subtilement de lui passer le message, mais justement, elle ne comprend pas vite. Il faut toujours qu’on
répète ou qu’on lui explique une blague ou une inside… Ça tombe sur les nerfs à la longue. Y a pas moyen de faire un travail d’équipe sans se
sentir mal de ne pas la prendre avec nous parce que même dans notre classe titulaire, elle fait rire d’elle. Je ne veux pas la juger parce que ça
m’est aussi arrivé de me sentir exclue, mais il me semble qu’elle devrait comprendre que trop, c’est comme pas assez.

Fidèles à notre habitude, les filles et moi étions à peine revenues de l’école qu’on s’envoyait déjà des textos. Il y avait ça aussi de fantastique
avec ma gang: on se parlait presque tout le temps par texto, le soir, pour organiser des trucs ou dire plein de niaiseries.
Si seulement elle savait…
Pauvre chouette.

Foutues conversations de groupe qui ne finissent jamais!

Je sors en coup de vent en criant à mes parents que je vais marcher avec J-P, puis je sprinte jusqu’au parc en gougounes; la mauvaise idée, toi!
Je manque de me planter dans le carré de sable, mais, par chance, J-P me rattrape.

— Wooo, ça va faire, les cascades!! Tu es en retard, mais inutile de te jeter par terre pour moi, sœurette, tu es pardonnée! dit-il en m’aidant à
retrouver mon équilibre et en riant de moi, comme seul J-P a le droit de le faire.

— Excuse-moi, j’ai reçu deux millions de textos!


— Dis-moi que c’était important, au moins?

— Pas tant, les filles voulaient qu’on parle de nos déguisements pour vendredi. Sérieux, il faut vraiment qu’on se costume?

— Mais où est passée la Maya qui A-DO-RAIT l’Halloween et qui me suppliait d’aller sonner aux portes avec elle pour avoir des bonbons?

— Elle a disparu après avoir porté le costume de miss Bonbons, tu te rappelles? dis-je en le fusillant du regard.

— Ça ne me dit rien, répond-il en éclatant de rire.

Quand j’étais en cinquième année, ma mère a décidé de reproduire un déguisement qu’elle avait vu sur Internet. Connaissant ses talents
créatifs, j’aurais dû me méfier dès le départ. Il s’agissait d’un vêtement une pièce fluorescent sur lequel on devait attacher des ballons
multicolores. Ensuite, elle avait collé plein de bonbons un peu partout sur les ballons et… tadaaam! j’avais l’air directement sortie du film
Charlie et la chocolaterie. J’étais fière de mon costume et j’ai même gagné le concours du déguisement le plus original de mon école. Il était
beau, mais loin d’être pratique quand venait le temps de s’asseoir: imagine passer ta journée à avoir peur qu’un ballon explose!

Cette année-là, j’avais convaincu ma grande sœur Coralie de m’accompagner dans ma tournée parce que J-P, qui était maintenant en première
secondaire, se trouvait beaucoup trop vieux pour récolter des bonbons «comme un bébé». Sa gang de gars et lui avaient plutôt décidé de
faire une activité plus comique, selon eux: faire peur aux jeunes qui passaient l’Halloween. Pas très brillant, je sais, surtout compte tenu du fait
qu’une de leurs cibles était… moi. On finissait notre tournée des maisons du quartier quand on a entendu une bande de gars crier: «À
l’attaque!!!» Avant même que je réalise ce qui se passait, mes ballons éclataient, et les bonbons revolaient. Je ne sais pas pour toi, mais moi,
un seul ballon qui éclate me fait faire une crise cardiaque, alors imagine quand ce sont plus de trente ballons qui éclatent sur moi!

Je suis rentrée chez moi en pleurant et en jurant de ne plus jamais passer l’Halloween de ma vie. Malgré les excuses et les appels de J-P, je n’ai
pas recommencé à lui parler avant l’été suivant.
C’est lorsqu’on a recommencé à se voir que j’ai su que les gars avaient eu la frousse, eux aussi, ce soir-là. Tu vois, l’avantage d’avoir une sœur
vraiment plus vieille que toi, c’est qu’elle a un statut d’adulte, alors des petits gars de treize ans, ça ne l’intimide pas, surtout qu’elle a gardé la
majorité des enfants du quartier. Même si Coralie est petite et a l’air toute délicate, tu ne veux pas voir son véritable caractère. C’est une
bombe!!! Mais il y a juste elle qui peut raconter parfaitement ce qui s’est passé, avec son attitude de feu! Moi, je ne me souviens jamais des
mots exacts qu’elle a employés, et mes talents d’imitation sont nuls!

— Tu as envie que je t’ignore encore pendant presque un an? dis-je à J-P en le défiant.

— Reviens-en! Tu sais très bien qu’ils m’avaient mis au défi et que ma réputation était en jeu.

— OH MY GOD, pas ta réputation?! Ah ben là, par exemple, ça change tout. C’est tellement cool, un bad boy qui pète ma balloune…
littéralement.

On éclate de rire et on change de sujet. Il faut que je trouve un déguisement qui a de l’allure pour ma première Halloween au secondaire.
Quelque chose de bien, pas trop laid, mais pas sexy non plus! Ça serait vraiment embarrassant avec mes parents!

— Les gars et moi, on va être des joueurs de soccer pros. Tu pourrais demander à Coco, c’était elle la pro des costumes quand ceux que nous
faisaient nos mères étaient trop laids. Ha, ha!

Coco… À part ma famille, J-P est le seul qui a le droit d’utiliser ce surnom-là. On a toujours été très proches, tous les trois, parce que ma sœur
finissait tout le temps par nous garder quand nos parents décidaient de se faire des sorties de couples.
Après une bonne jasette et une marche de plus de cinq kilomètres, on retourne chacun chez soi, et j’appelle ma sœur sur vidéo chat pour lui
demander son aide.

Coralie répond, et je la vois apparaître à l’écran. Enfin, en partie…

— Deux secondes, sœurette, je termine mon lavage.

— Tu sais que tout ce que je vois en ce moment, c’est ton dessous de double menton, hein, Co?

Elle se redresse rapidement et me fait une grimace en écrasant encore plus son menton contre son cou.

— Qu’est-ce que t’as contre mon double menton? C’est ça qui fait tout mon charme!

— Grouille, finis ta brassée, j’ai besoin de toi!!!

— On se calme, la jeune! À moins que tu aies envie que ta grande sœur sente les vieux vêtements humides et vienne te faire un grooooos câlin!

— Arkkkk! Tu te souviens quand maman nous avait demandé de faire le lavage et qu’on avait oublié la brassée dans la machine? Elle nous a
fait porter nos vêtements qui puaient pendant toute la semaine pour nous punir!

— Justement, c’est une erreur que je ne referai plus! Maya, attends-moi deux secondes. Est-ce que ça va dans la sécheuse, ça? C’est quoi,
l’idée de créer des vêtements qui doivent tous être séchés à plat, veux-tu bien me dire?! À quoi ça sert, une sécheuse, si on doit tout accrocher?
Cochonnerie!

On a ça en commun, Coralie et moi: on s’obstine souvent toutes seules et on part sur un monologue sans s’en rendre compte. Ma sœur est
réapparue à l’écran, survivante d’une guerre qui semblait très serrée entre sa patience et le tri des vêtements.

— Bon, c’est beau, j’ai fini! Allô, comment ça va? Comment puis-je t’aider, miss Pressée?
— C’est l’Halloween à l’école, et je n’ai aucunement envie de me déguiser, mais je n’ai pas le choix. Je suis à la dernière minute, comme
d’habitude!

— Tu ne retiens certainement pas de moi, ha, ha, ha! J’ai un travail d’analyse comportementale qui compte pour 40% de ma note finale à
remettre la semaine prochaine, et je l’ai à peine commencé. Les parents ne peuvent pas t’aider? Maman pourrait te refaire un costume de
bonbons!

— Wow! J-P et moi, on vient d’en reparler!! Rappelle-moi ce que tu leur avais dit, c’était fou!!

— Maya, ça fait deux cents fois sinon plus que je te le répète, même toi, tu connais les répliques par cœur!

— Pleaaaase!!! lui dis-je avec mes petits yeux de chat.

— Toi, là… Pourquoi t’es cute comme ça?! répond-elle, faussement exaspérée.

Elle toussote pour éclaircir sa voix, prend un air «d’adulte» sévère et rejoue la scène pour me faire plaisir:

— «Je sais que c’est l’Halloween, mais ce serait bien plaisant que vous enleviez vos costumes de bébés le reste de l’année. À moins que vous
n’ayez pas grandi depuis l’époque où je changeais vos couches? C’est peut-être ça qui pue ainsi: votre immaturité. Je vais vous donner deux
possibilités simples, comme quand je vous offrais une collation: 1. Vous vous excusez sincèrement et vous perdez votre temps autrement qu’en
faisant peur aux enfants. 2. Ou je peux, moi, vous traiter en bébés et appeler vos parents pour leur dire que leurs grands garçons auraient encore
besoin d’être surveillés.»

— Je ne me tannerai jamais, tu es parfaite!!! dis-je en éclatant de rire, comme chaque fois.

— Oh, tu sais, être parfaite comme moi, c’est le travail d’une vie. Je dois ça à mon double menton, lance-t-elle à la blague en refaisant sa
moue. Pour le déguisement, pourquoi tu ne fouilles pas dans le débarras? On en avait plein!

— Coco, tu es partie avec le gros sac de déguisements, tu t’en souviens? Pour ton initiation à l’université.

— Ah! mes costumes de l’époque de Sainte-Rosalie. Je suis rendue siiii vieille! Ne bouge pas, je t’apporte tout ça!

— Tu viens de dire que tu étais en retard pour ton travail d’école…

— Ah, j’ai déjà besoin d’une pause, s’exclame-t-elle en me faisant un clin d’œil. Et tout peut attendre pour mon bébé sœur!

Ça fait à peine trente minutes qu’on a raccroché que ma sœur arrive avec un sac de vidanges rempli de costumes tous plus étonnants les uns
que les autres. Bien vite, on perd notre objectif de vue et on se met à parler de la vie et de ce qu’il y a de nouveau. Je lui raconte le camp
d’intégration en détail, je parle de mes nouveaux amis, des gens dans mon groupe. Je fais exprès de ne pas donner trop d’importance à
Anthony, mais je sais qu’elle me connaît par cœur. Elle me lance un petit regard, l’air de dire «pas besoin de m’en dire plus, mais tu peux
toujours venir me parler». Elle m’avoue avoir fréquenté quelques garçons depuis le début de la session, mais sans plus. Elle veut vraiment se
concentrer sur ses études, c’est pourquoi elle est plus occupée et vient moins souvent souper à la maison. Je pige dans le tas de vêtements et je
suis son conseil en choisissant ceux qui sortent le plus du lot, selon moi. Le costume m’importe peu, honnêtement; je m’ennuyais terriblement
de ma grande sœur.

Ça fait un peu plus de deux ans que Coralie a déménagé en appartement, mais je ne m’y habitue toujours pas. On ne se voit pas assez souvent à
mon goût, mais je ne veux pas le lui dire et avoir l’air de la petite sœur dépendante. Je lui fais donc un gros câlin avant qu’elle parte, souhaitant
secrètement que les choses redeviennent comme avant.
Chapitre 4
QUE JE TE VOIE ME VOLER MES HERSHEY’S!

Journée costumée à l’école Sainte-Rosalie. Malgré ma nouvelle «hantise» face à cette fête (ouuuuh, jeu de mots d’Halloween!), j’ai suivi le
conseil de ma sœur et j’ai choisi le costume le plus original, celui qui en surprendrait quelques-uns…

Je savais que tout le monde chercherait à être original ou cute. Moi, je préférais être cool à ma façon (et subtilement prendre ma revanche sur
certains garçons).

J’étais certaine qu’ils ne se souvenaient même pas de moi, mais j’ai quand même décidé de mettre mon plan à exécution, ne serait-ce que pour
écœurer mon «grand frère» à mon tour.

Je me dirige vers J-P et sa gang, portant fièrement l’uniforme de Christine Sinclair, une joueuse IN-CRO-YA-BLE de l’équipe canadienne
féminine de soccer. J’arrive devant eux et je dis:

— Sérieusement? Ronaldo, Zidane, Messi, Beckham? Y en a deux sur quatre qui sont retraités, les gars, forcez-vous un peu! Si vous voulez
vraiment parler soccer, commencez par suivre les joueurs d’ici! J-P, tu me déçois.

— T’es qui, toi? demande Maxime, le leader qui, à l’époque, avait mis la «réputation» de J-P en jeu.

C’est fou à quel point c’est avantageux de tout savoir sur des gens qui n’ont aucune idée de qui on est.

— Jean-Philippe Carrier! Tu ne parles pas de ta merveilleuse petite sœur à tes amis? Alors que moi, je les connais tous parce que Coralie a
pratiquement changé leurs couches?
Pas besoin de leur faire un dessin; étonnamment, ils font le lien assez rapidement.

— Ah ben, ah ben, la sœur de Coralie Filion, lance Maxime. Tu essaies de faire ta comique?

— Le plus beau là-dedans, c’est qu’on a presque l’air d’être des meilleurs amis, avec nos costumes agencés, lui dis-je en affichant un petit
sourire fendant. Je ne veux pas péter votre balloune, mais la seule chose qui vous manquait, c’était une fille qui connaissait son sport,
évidemment!

Maxime s’apprête à répliquer quand une grande fille aux cheveux noirs (de leur niveau, j’imagine) s’arrête à côté de nous et s’exclame:

— Une fille dans une équipe de gars. Enfin, un peu de logique!

Dès son arrivée, j’ai vu les jambes de Maxime flancher.

Elle ajoute:

— C’est cool. C’était l’idée de qui?

— Maxime et Jean-Philippe m’en ont parlé, sachant à quel point je suivais le soccer féminin canadien de près. Et on s’entend que tu ne connais
rien au soccer si tu ne connais pas Christine Sinclair!

— Ha, ha, ha! Toi, tu l’as l’affaire! En tout cas, bravo, les gars, dit-elle en regardant Maxime avec un beau sourire, puis elle repart.

— Ah ben, ah ben! m’exclamé-je. La petite sœur de Coralie Filion qui te donne le beau jeu devant une fille qui te fait tellement triper que tu
commences à baver! En passant, je suis pas juste la «sœur de», je m’appelle Maya! Bonne journée!

Et là, c’est moi qui pars.

Baaaammmm! Une bonne chose de faite aujourd’hui!! Non seulement je viens de prendre ma mini revanche, mais en plus, j’ai eu l’air cool
devant des plus vieux!

Je me dirige ensuite vers mon premier cours de la journée: mathématiques avec M. Sauvé.

Ce prof-là, tous les élèves l’adorent. Tu le vois et tu sais que c’est un grand-papa sympathique qui aime son travail. Il est toujours souriant, il
fait de mauvais jeux de mots et il trouve ça hilarant de nous taper dans la main quand on pose une question. À la fin de chaque cours, il invente
une leçon de vie en lien avec la théorie qu’on a apprise. Souvent, c’est plus comique qu’autre chose, mais des fois, ça a du sens.

Je vais m’asseoir à mon pupitre, je sors mes crayons et je les place sur le coin de mon bureau (en m’assurant qu’ils sont tous bien aiguisés), et
j’ouvre mon cahier en écrivant la date d’aujourd’hui. C’est une routine que j’ai pris l’habitude d’accomplir dans tous mes cours.
— Dis-moi pas que tu es une fan de soccer en plus d’avoir du talent dans tous les autres sports?

Mon voisin de bureau, un grand vampire vêtu d’une cape noire, s’assoit en me révélant d’un sourire des crocs bien pointus.

— Dis-moi pas que les vampires peuvent sortir le jour maintenant? le taquiné-je à mon tour.

— Ma sœur m’a dit qu’avec ça, j’avais le droit! me répond Anthony en me montrant une bague un peu trop petite qui appartient clairement à
une fillette. Ça a l’air que c’est comme ça que ça fonctionne dans Le journal d’un vampire et qu’avec cet anneau magique, je suis protégé du
soleil. Je l’ai mis pour lui faire plaisir, mais j’avoue que je n’ai plus de sang dans le doigt. Quoique, en tant que vampire, ça ne devrait pas être
si pire que ça!

Oh que j’aime sa sœur, même si je ne la connais pas! C’est vrai qu’il ressemble légèrement aux frères Salvatore de la série quand on y pense…

— Pour répondre à ta question sur le soccer, disons simplement que les Jeux olympiques d’été, pour moi, ça veut dire une seule chose: les
compétitions de soccer de l’équipe canadienne! J’ai supplié mes parents pendant des mois pour qu’on aille voir un match au Stade olympique
pendant la Coupe du monde féminine de la FIFA. Avec constance et acharnement, j’ai réussi à être là, le 15 juin 2015, lors du match contre les
Pays-Bas!

Anthony ne dit rien. Il me regarde avec étonnement, mais aussi avec un peu d’autre chose, probablement un léger malaise, parce que j’avoue
que je m’emballe pas mal quand je parle de soccer.

Le malaise est dissipé par M. Sauvé, qui annonce que nous avons une énigme mathématique à résoudre en équipe.

Le premier duo à terminer avec la bonne réponse se méritera une surprise. L’énorme panier de bonbons qui trône sur son bureau est difficile à
manquer…

Comme d’habitude lors des travaux d’équipe, Delphine se tourne vers moi pour me faire signe de venir la rejoindre. Tout le monde s’apprête à
changer de place quand M. Sauvé nous dit que ce ne sera pas nécessaire, qu’on sera jumelé à notre voisin de bureau plutôt que de choisir nos
équipes.
— Parce que c’est votre nom de famille qui désigne votre numéro de classe. Si on considère que vos places vous ont été attribuées en début
d’année à cause de celui-ci, quelles étaient les probabilités d’être assis à côté de la personne qui devient aujourd’hui votre partenaire de
travail? demande-t-il en faisant un clin d’œil.

Un problème sur les probabilités, évidemment!

Je regarde Delphine d’un air désolé, puis je me tourne vers mon tout nouveau partenaire.

— Bon, je ne veux pas te mettre de pression, mais sache que ma force légendaire au souque à la corde était le résultat de ma frustration face à
mon équipe incapable de résoudre des énigmes dans le jeu d’évasion au camp d’intégration!

— Compétitive, miss Maya? Je ne sais pas pourquoi, mais ça ne m’étonne pas, me répond-il avec un sourire moqueur. J’essaierai d’être à la
hauteur de votre talent, très chère.

Très chère… Je ne sais pas pourquoi, mais je trouve ça charmant qu’il s’exprime dans un si beau parler. Ça fait changement des gars qui
t’appellent «bro» ou qui ne se forcent même pas et disent tout simplement «eille» pour t’aborder.

— Merci à vous, «Monseigneur du vampirisme»! Je ne doute pas que vous saurez m’impressionner!

— Je tenterai de faire valoir mes talents de mathématicien pour vous prouver l’ampleur de ma bonne volonté, gente dame!

— Sachez que je n’ai pas besoin d’un preux chevalier pour me secourir, mais j’apprécie la dévotion.

— Malheureusement, mes talents de cavalier sont plutôt médiocres, j’aurais peur de vous écraser par mégarde si je me présentais à cheval.

— Ha, ha, ha, ha! Je ne peux que vous imaginer tomber royalement en descendant de votre monture et donner un coup de pied dans le flanc de
votre fidèle destrier qui partira à toute vitesse et m’écrasera au passage! Concentrons-nous sur les mathématiques, si vous le voulez bien, car je
ne suis pas immortelle et j’aimerais pouvoir profiter du panier de victuailles que nous allons joyeusement remporter!

Jamais je n’aurais cru VOUVOYER un gars de mon âge et trouver ça rigolo de lui parler avec des vieux termes! Je ne sais pas pourquoi, mais
je me sens à l’aise de le taquiner et de dire tout ce qui me passe par la tête. Je pourrais discuter avec lui pendant des heures, un peu comme
avec J-P. Peut-être que c’est le fait d’être déguisée qui me donne envie de jouer la comédie?

M. Sauvé nous sort de notre bulle en nous remettant notre copie du problème à résoudre. En levant la tête, je vois que Delphine m’observe
avec intensité. Elle n’est pas la seule; plusieurs yeux me fixent.

— Cher partenaire, je crois que mon rire gras de princesse plus ou moins délicate en a dérangé quelques-uns, pour ne pas dire quelques-unes.
Je vous prierais donc de vous concentrer sur notre tâche et d’éviter de me faire penser à la façon dont vous pourriez accidentellement m’écraser
comme une patate.

— Gras? Votre rire est comparable à une douce mélodie chantonnée par une fée, dit-il avant de s’attaquer au problème mathématique.

Je fige un instant. Honnêtement, je ne sais pas comment réagir. J’ai l’impression d’être mise sur un piédestal, et c’est bizarre. Et je ne suis pas
certaine que j’aime les regards que certaines filles me jettent. Je n’ai pas trop le temps d’y réfléchir, car déjà Anthony trouve la première
réponse et me demande mon avis.

Finalement, il n’y a pas que la conversation qui est facile, la connexion de nos cerveaux aussi! Dès qu’il trouve une formule, je fais le calcul et
note la réponse, pendant qu’il se concentre sur la suite du problème. En moins de trente minutes, on a fini! Et avec une sacrée avance sur
l’équipe qui arrive en deuxième place, dix minutes plus tard.

— Satisfaite de notre partenariat, chère Maya?

— Vous avez honoré votre promesse de victoire. Félicitations, partenaire!

M. Sauvé nous félicite pour notre beau travail d’équipe et nos démarches détaillées sur la feuille.

— C’est grâce à Maya, monsieur. Moi, je n’ai fait que noter ses réponses! dit Anthony en me faisant un clin d’œil.
Malgré tout, je me sens mal à l’aise de gagner parce qu’on est bons en maths. On a peut-être plus de facilité, mais ça ne veut pas dire que les
autres ne méritent pas d’être récompensés pour leurs efforts. Personnellement, je me désintéresserais bien vite du dessin si on me comparait
toujours à la personne capable de peindre des portraits magnifiques. Moi, c’est à peine si je sais faire des bonhommes allumettes.

C’est décourageant de se faire comparer à des gens qui l’ont facile, surtout quand tu bûches comme un fou en «espérant» obtenir la note de
passage. Je demande donc à Anthony s’il est d’accord pour qu’on partage les friandises avec les autres élèves, et il acquiesce d’un grand
sourire.

— Peut-être est-ce là la vraie réponse au problème d’aujourd’hui! s’exclame solennellement M. Sauvé en se dirigeant vers son tableau.
Groupe! Vos camarades ont gentiment décidé de partager les gains de leur victoire avec vous tous. Parce que ce n’est pas la vitesse
d’exécution ou le résultat qui importe, mais bien les efforts fournis selon vos capacités! C’est ce que je veux que vous reteniez pour le reste de
l’année: l’important est de donner votre 100% en vous entraidant plutôt qu’en vous comparant. Certains auront plus de facilité, d’autres
devront travailler d’arrache-pied pour avoir la note de passage, mais au final, ce sont les efforts qui vous mèneront à la réussite. Et vous
méritez tous d’être fiers de vos efforts, alors… j’avais déjà prévu des sacs de bonbons pour tous!!!

Les autres enseignants doivent se poser des questions en entendant notre classe crier de joie. M. Sauvé distribue ses sacs cadeaux quand
Anthony et moi retournons à nos bureaux avec le panier surprise. J’ai encore cette drôle d’impression qu’on nous scrute, mais je n’ai pas le
temps de trop y penser parce que mon partenaire, énervé comme un enfant qui vide sa taie d’oreiller pleine de bonbons, veut absolument qu’on
regarde ce qu’on a gagné.

Sur un lit de ring pops, de bonbons en tout genre et de barres de chocolat trône un énorme sac de Hershey’s biscuits et crème. Quand je vois la
lueur dans le regard d’Anthony, je sais que j’ai de la compétition.

— Wo, minute! N’y pense même pas, ils sont à moi!

— Ah ouais? Et pourquoi? me demande-t-il en riant.

— Tu l’as dit toi-même: c’est moi qui ai tout fait! Tu as seulement écrit les réponses!

— Je pourrais te complimenter sans arrêt, mais s’il y a une chose que je ne peux pas sacrifier, ce sont les Hershey’s!

Je pense encore à sa dernière phrase lorsque la cloche sonne. Il se lève avec ses cahiers, tout innocent et souriant, puis il s’empare du sac de
chocolats et part en courant.

Résultat: je dois le poursuivre dans les corridors!

L’avantage de ma petite taille, c’est que je me faufile facilement dans les foules. On est rendus près des casiers lorsque je le vois bifurquer à
gauche pour reprendre l’escalier qui mène à la cafétéria. Un surveillant l’interpelle pour lui dire de ralentir la cadence et d’attacher son lacet
qui traîne par terre, s’il ne veut pas que son visage rencontre le sol. C’est ma chance de le dépasser. Je me cache de l’autre côté du mur, à la
sortie de l’escalier, et j’attends qu’il tourne le coin pour le surprendre.

— Tu penses vraiment t’en tirer comme ça?

Le saut qu’il fait en me voyant! Puis, on éclate de rire, on s’installe à une table de la cafétéria et on partage les Hershey’s en reprenant notre
souffle. Un vampire et une joueuse de soccer dévorant ensemble du chocolat, ça doit faire un drôle d’effet!

— Oups! On a laissé tout le reste du panier dans la classe de M. Sauvé, dit Anthony en réalisant l’étendue de nos pertes.

— On a gardé l’essentiel! De toute façon, je suis certaine que les autres ne se sont pas gênés pour piger dedans et qu’il ne reste déjà plus rien!
En tout cas, beau travail, partenaire! Je dis ça comme ça, mais je pense que plusieurs filles de la classe auraient voulu partager leurs bonbons
avec toi.

— De quoi tu parles? me demande-t-il.


— Tu le sais très bien, lui dis-je en lui donnant une tape amicale sur l’épaule.

Il n’a vraiment pas l’air de comprendre. Comment peut-il ne pas voir tous les regards rivés constamment sur lui? Peut-être qu’au fond, il
priorise les études, lui aussi? Ou peut-être que ce sont les garçons qui l’intéressent? J’arrête de me questionner aussitôt, car je me souviens que
mes amis m’attendent aux casiers pour planifier les transports pour la soirée.

— Oh! Il faut que je me sauve! J’ai un party d’Halloween à organiser avec ma gang. Je te laisse le reste du sac, tu l’as bien mérité!

Je me lève d’un bond et je pars.

— Bravo, Maya! me dit Sophie-Rose.

— Bravo pour quoi? demande Milan.

— Pour rien, répliqué-je. On a juste gagné des bonbons parce qu’on a fini de résoudre un problème en premier.

— Qui, «on»? demande Camille en relevant un sourcil.

— «On» s’en fout, dis-je en imitant son air espiègle.

— Elle était en équipe avec Anthony, révèle Sophie-Rose.

Elle, des fois… ça serait bien qu’elle se mêle de ses affaires! Juste de temps en temps. J’anticipais la réaction des filles (surtout celle de
Delphine!) à l’évocation du nom d’Anthony, et j’avais bien raison!

— Tu étais avec Anthony?! s’écrie Ève. Trop chanceuse! C’était comment??

— Euh… c’était correct?

— On se fout peut-être des bonbons, mais pas de notre amie qui était en équipe avec le beau gars de l’école! répond Camille.

— C’est gentil pour nous, ça! dit Alex en faisant semblant d’être hyper offusqué

— On doit vraiment avoir de belles personnalités pour que Mesdames nous acceptent dans leur gang. Alex, on est officiellement dans la
#friendzone! dit Milan d’un air sarcastique, pour qu’on les prenne en pitié.

— Arrêtez de faire les bébés, on vous aime pareil! réplique Camille. Mais là, on veut savoir, pour vrai, comment c’était? dit-elle en se tournant
vers moi.
— Facile! On a terminé super rapidement et…

— Pas le problème de mathématiques, espèce de nouille! Avec Anthony! Toutes les filles disent qu’il sent hyper bon! Est-ce que c’est vrai?
demande Ève, tout énervée de connaître la réponse.

— Mon Dieu, Ève, calme tes hormones! J’étais concentrée sur mes maths, pas sur l’odeur du gars!

— En tout cas, lui, il te regardait, dit timidement Sophie-Rose.

Je fige. Elle, là…

— Bon, bon, Sophie-Rose qui s’imagine des affaires, maintenant. De toute façon, c’est pas mon genre, répliqué-je pour clore la discussion.
Je change vite de sujet en demandant où on en est dans l’organisation de notre soirée. Delphine le remarque et me fait un sourire en coin,
comme pour me remercier. Loin de moi l’idée de me mettre une amie à dos en parlant de ma complicité avec son kick no 1.

Le plan: on se rejoint tous dehors après les cours pour prendre l’autobus de Camille. Tous nos parents ont déjà signé les autorisations de
changement de bus, et il ne reste qu’à les faire approuver par la secrétaire. Il n’y a que Sophie-Rose qui nous rejoindra plus tard en soirée parce
qu’elle doit absolument passer chez elle. Aucune idée pourquoi, mais je lui ai dit que j’avais déjà sa jaquette dans mon sac, alors elle pourra la
revêtir chez elle et arriver prête. Ça va être une soirée inoubliable: notre premier vrai party de gang!
Chapitre 5
LE PARTY D’ENFER DE JALBERT


Je ne sais pas pourquoi, mais il y a quelque chose de tripant dans l’idée de prendre l’autobus de tes amis. Tu patientes toute la journée en
sachant que le fun va commencer dès que la cloche va sonner, et on dirait que tous les élèves de l’autobus que tu prends habituellement savent
que ta soirée sera super cool! Les gars ont un peu de retard, alors on va leur réserver des bancs. Je décide de m’asseoir à côté d’Ève (il y a une
logique, dah!), mais Delphine me fait de gros yeux, l’air de dire «Tu fais quoi, là?».

— Camille garde une place pour Alex. Pauvre Milan, il faudrait que quelqu’un lui garde une place aussi, lui chuchoté-je en lui faisant un clin
d’œil.

— Oh my God, c’est gênant. Mais d’accord, dit-elle, soudainement stressée.

Je n’ai jamais vu ma nouvelle amie comme ça. Pourtant, on le voit tous les jours, Milan. Qu’est-ce que ça change, être assise à côté de lui ou
non? Ça doit être ses histoires de kicks qui lui font cet effet-là!
Les garçons finissent par arriver et, deux minutes plus tard, nous sommes en route pour une soirée qui s’annonce mémorable! Finalement, c’est
à peine si Delphine parle avec Milan, parce qu’elle passe le trajet à nous faire la conversation. Milan écoute sans dire un mot. C’est fou à quel
point il devient réservé et timide si Alex n’est pas là ou est occupé à autre chose (comme cruiser Camille en croyant qu’on ne s’en aperçoit
pas).

L’autobus nous laisse devant un long chemin de pavés unis dont l’accès est bloqué par deux énormes portes de fer forgé. Notre amie compose
un numéro sur l’interphone. Pas de réponse. Elle essaie deux autres fois, jusqu’à ce qu’un homme avec un léger accent français réponde,
essoufflé.

— Bonjour, mademoiselle Camille. Excusez-moi, je m’affairais aux derniers préparatifs pour votre soirée thématique. Je vous ouvre à l’instant.

— Je commençais à penser qu’on devrait camper dehors cette nuit, dit-elle pour le taquiner. C’est une blague, merci, Jalbert!

Je m’apprête à lui demander qui est Jalbert et pourquoi elle ne peut pas accéder à sa maison «comme tout le monde», mais la réponse devient
évidente lorsque les portes s’ouvrent. Derrière se cache la plus grosse maison que j’aie vue de ma vie. Je rectifie: ce n’est pas une maison,
plutôt un château! On se croirait dans un film. Des arbres gigantesques surplombent la longue route pavée qui mène à l’immense demeure. Je
suis certaine qu’on a le même air que les enfants qui vont à Walt Disney World et voient Mickey Mouse. Camille dit qu’elle nous fera visiter la
maison plus tard, mais qu’en attendant que tout soit prêt, on peut aller dans la cour se baigner.

— Mais tu ne nous as pas dit d’apporter nos maillots de bain, dit Milan, perplexe.

— Et il fait froid, en plus! On va être malades! ajoute Ève.

— Vous êtes pas game de sauter tout habillés! lance Camille pour nous défier. On va se mettre en pyjama après, de toute façon. En plus, ma
piscine est chauffée, mais si vraiment vous avez trop froid, il y a toujours le spa et le sauna! ajoute-t-elle, tout sourire.

Elle avait prévu le coup, car après avoir marché beaucoup trop longtemps pour entrer dans la maison, nous voyons que des serviettes nous
attendent déjà sur des chaises, ainsi que des verres de limonade qui trônent sur le comptoir de ce qui semble être une cuisine extérieure.
Sérieux, qui a ça? Et avec un four à pizza en pierre en plus?!

Je savais que ses parents faisaient beaucoup d’argent, mais pas au point d’engager un «Jalbert à tout faire» qui organise les soirées thématiques
de leur fille!

Camille nous invite à aller dans le sauna sec en premier. Une grosse cabane en bois dans laquelle il fait hyper chaud. Nous sommes tout
habillés, c’est l’enfer!!! On se met à suer à grosses gouttes et, en moins de deux, on sort de là en courant et on se jette dans la piscine. Qui
aurait cru qu’on ferait ça à la fin du mois d’octobre? On joue à Marco Polo pendant que Jalbert, lui, se promène sans arrêt entre la résidence
principale et une autre «d’invités». Je te le dis, c’est digne d’une télésérie américaine! Camille ne veut pas nous dire ce qu’il prépare, mais on
se doute que ce sera énorme! Vers 18 h, Jalbert nous annonce que le souper est presque prêt et que nous devons entrer pour nous changer. Il ne
nous a pourtant pas demandé ce qu’on voulait manger.
Question absolument inutile quand tu prépares tout!!! Nous nous attablons, vêtus de pyjamas horribles, dans une pièce qui doit valoir plus que
ma maison en entier. Le festin est une copie conforme du souper d’Halloween du premier film d’Harry Potter (celui qui est interrompu par un
gros troll).

On dirait un buffet pour trente personnes, alors qu’on est seulement sept. Je vais clairement te donner faim, hé, hé, hé:
C’est vrai, j’ai oublié de te dire qu’on ne se sert pas. Il y a des employés attitrés à chaque station de nourriture, et un serveur qui ramasse nos
assiettes dès qu’on en a terminé une. Honnêtement, je crois que je pourrais facilement m’habituer à ce genre de vie:
On était à se servir une deuxième fois (ON EST GOURMANDS!) quand j’ai réalisé que Sophie-Rose n’était toujours pas là et qu’elle allait
probablement rater le repas. Je lui ai subtilement envoyé un texto sous la table pour voir où elle était.
— Maya? Tu textes à la table? Tss, tss! Tes parents ne seraient pas fiers de toi! me dit Delphine en riant.

Elle est venue souper chez moi à quelques reprises, alors elle commence à bien connaître mes parents. Ils sont très clairs là-dessus: pas de
téléphone à table et pas question de donner plus d’attention à un écran qu’aux gens qui t’entourent.

— T’as bien raison! dis-je à Delphine en lançant mon téléphone dans mon sac sous la table, je voulais juste savoir où était So. Elle devrait
arriver dans une demi-heure. Est-ce que c’est correct avec toi, Cam, si on lui garde une assiette?

—À la quantité de nourriture qu’on a, vous pouvez tous repartir avec des lunchs pour les deux prochaines semaines, répond-elle en éclatant de
rire. Mes parents exagèrent tout le temps avec les quantités. Jalbert, peux-tu t’assurer de garder une assiette pas loin?
— Oui, mademoiselle Camille, confirme-t-il en s’affairant déjà à la tâche.

— Je ne me plaindrais jamais d’avoir un chef pour me faire tous mes lunchs! Ni d’avoir autant de choix! dit Alex. Les miens sont toujours
pareils! Un sandwich à je ne sais pas trop quoi avec un fruit, une barre tendre et un jus.

— Moi, mes lunchs, c’est les restants de la veille! Tout le temp! renchérit Ève.

— Dites-vous qu’en ce moment, ma mère essaie tous les livres de recettes, mais au lieu de Cuisine futée, chez nous, ça ressemble souvent à
«cuisine brûlée», ajoute Milan en riant.

— Pouvez-vous croire que la seule chose que mes parents achètent et qui ressemble un peu à des cochonneries, c’est des croustilles de légumes
ou du popcorn sans beurre, sans sel, sans goût?!

— Oh mon Dieu, oui! m’exclamé-je, mes parents aussi! Ils sont dans une phase «il faut couper le sel, le gras, le goût, la vie!». Ils achètent
même du sel sans sel. Pourquoi?

— Je vous garantis que ce soir, on n’aura pas ce problème-là! dit Camille en levant son verre. À la soirée d’Halloween la plus cool ever!

Nous levons tous nos verres et portons un toast. La soirée ne fait que commencer, et c’est déjà plus que parfait!

Jalbert nous fait signe de prendre nos effets personnels et de le suivre alors que les serveurs s’affairent à ramasser la table. La suite de la soirée
se déroulera dans la maison des invités qui se trouve à côté de la piscine. Une allée de citrouilles aux visages intimidants spécialement
aménagée pour l’occasion nous guide jusqu’à elle. Matelas gonflables et coussins pour s’asseoir, fausses toiles d’araignées collées un peu
partout, guirlandes de squelettes en plastique, chauves-souris accrochées au plafond; ils ont pensé à tout! Ce qui attire notre attention, par
contre, c’est le buffet des desserts: bonbons, guimauves, plateau de fruits et fondue au chocolat, cupcakes, barbe à papa, machine à popcorn,
croustilles, la totale! C’était de ça que Camille parlait!

— Vos parents tenaient toutefois à ce qu’il y ait des choix plus santé, alors j’ai ajouté des fruits pour accompagner la fondue au chocolat, dit
Jalbert, complice de notre gourmandise, en nous faisant un clin d’œil. Devons-nous toujours attendre votre amie, mademoiselle? demande-t-il
à Camille.

— C’est vrai, Sophie-Rose n’est pas encore arrivée! réalise-t-elle. Maya, tu n’avais pas dit qu’elle était en chemin?

— C’est ce qu’elle m’a dit.

— Elle mériterait une petite frousse d’Halloween pour son retard, dit Alex, une lueur démoniaque dans l’œil.

— Bon, qu’est-ce que tu vas faire? demande Camille, intriguée.

— Le but de l’Halloween, c’est de se faire des peurs, non? Allez, embarquez, ça va être drôle!

Je suis hésitante, mais comme tout le monde acquiesce, je n’ai pas le choix de dire oui, sinon j’aurai l’air d’une briseuse de party… Oui, je
sais, j’agis exactement comme J-P à l’époque, mais je me dis que ce ne sera pas si pire que ça. On est en jaquettes et en pyjamas laids, pas en
costumes effrayants.
— Il va falloir que quelqu’un aille la chercher et agisse comme appât pour l’attirer dans nos pièges!

Tous mes amis se tournent automatiquement vers moi.

— Sérieux? Est-ce que j’ai l’air d’un ver de terre?

— Non, mais si c’est toi, c’est certain qu’elle ne se doutera de rien! enchaîne Delphine. Tu es toujours super gentille avec elle et tu prends
souvent sa défense.

Ben oui, toi! La gentille Maya qui ne dit jamais non! Et encore une fois, fidèle à mon habitude, je suis incapable de refuser.

Lorsqu’on nous annonce que Sophie-Rose est arrivée, je vais la rejoindre à l’entrée de la maison, consciente que je suis une vraie nouille.

— Je suis tellement désolée pour le retard, me dit-elle en reprenant son souffle.

— Il n’y a pas de problème, voyons. Tu as couru?

— Euh… ouais, me répond-elle de façon évasive. Mon père m’a laissée au bout de l’allée, finalement, et il faisait vraiment noir. J’espère que
la gang ne m’en veut pas trop.

— Euh… non, la rassuré-je avec un sourire plus ou moins convaincant. Suis-moi, on est dans la maison des invités à l’arrière!

Elle soupire de soulagement et me lance un grand sourire, ce qui me fait me sentir encore plus mal! Je suis le plan et je lui dis de me suivre
dans la cour en lui racontant le début de la soirée pour la distraire. J’arrive au X désigné par Alex pour mettre le plan à exécution. On entend
des branches craquer, et Sophie-Rose sursaute légèrement.

— C’est vrai que le terrain est énorme! constate-t-elle.

— Ouais! Camille nous a dit qu’avant que ses parents l’achètent, c’était un cimetière abandonné.

— Hein?! Mais c’est donc bien creepy!

— Oui, et il paraît que, des fois, quand il fait noir, on peut entendre les esprits des morts se promener dans le boisé.

— Tu me niaises, dit-elle pour cacher son malaise.

— Je ne sais pas si c’est vrai, mais elle a aussi dit qu’elle avait déjà entendu des rires alors qu’il n’y avait personne.

À ce moment, de légers bruits de pas s’élèvent dans le noir.

— As-tu entendu ça? chuchote-t-elle.

— De quoi tu parles?

D’autres bruits de pas se font entendre, un peu plus forts, cette fois.

— Ça! Dis-moi que je ne suis pas folle! lance-t-elle en m’agrippant le bras.

— Non, je les entends aussi, dis-je en feignant la peur.


Un petit rire d’enfant résonne au loin. À la réaction de Sophie-Rose, je comprends que j’ai bien fait mon travail d’appât, mais aussi que je suis
en train de terroriser mon amie. C’est vrai qu’on ne s’entend pas toujours et qu’elle me tombe sur les nerfs de temps en temps, mais je sais
exactement comment elle se sent, l’ayant moi-même vécu.

— Est-ce qu’on est bientôt arrivées? Je ne me sens pas bien, m’avoue-t-elle d’une voix tremblotante.

— Oui, oui, c’est par là!

Toutes les lumières de la petite maison sont éteintes, mais on peut voir où on met les pieds grâce aux citrouilles éclairées. J’avoue que, dans le
noir, elles font véritablement peur.

— OK, Maya, sérieux, j’aime vraiment pas ça! déclare-t-elle en serrant mon bras plus fort.

Les bruits de pas s’accentuent et semblent se rapprocher de nous.

Alors que Sophie-Rose et moi tournons le coin de la maison, nos amis sortent de leur cachette en criant et en nous lançant de fausses araignées.
Nous crions aussi, mais de peur. Je me suis fait avoir par notre propre tour. Il faut dire qu’ils ont mis le paquet côté effets sonores.

Ils rient et se félicitent de leur coup lorsque Milan demande:

— Est-ce qu’elle pleure?

— Ben voyons, c’était juste une blague, dit Alex en se moquant d’elle. Fais pas ton bébé, Sophie-Rose!

C’est en me tournant vers elle que je réalise qu’elle ne va vraiment pas bien. Des larmes coulent sur ses joues, et elle cherche son souffle.
Chapitre 6
VÉRITÉS, MAIS SURTOUT CONSÉQUENCES

— Guys, arrêtez de niaiser, c’est pas drôle, dis-je.

— Capote pas, Maya, déclare Delphine, elle va s’en remettre.

— Ça… ça… ça tourne, me dit Sophie-Rose, totalement impuissante.

— Camille, va me chercher une débarbouillette d’eau froide; les gars, aidez-la à s’asseoir par terre. Pas de questions, go!

Ma sœur faisait beaucoup de crises de panique quand elle était plus jeune (elle se mettait beaucoup trop de pression à l’école). Je me souviens
qu’un jour, je voulais lui demander de venir jouer avec moi quand je l’ai trouvée recroquevillée en boule dans un coin de sa chambre, trempée
de sueur et à bout de souffle. J’ai crié à mes parents de venir m’aider, que Coralie n’allait pas bien du tout. Ils sont arrivés en trombe, mais dès
qu’ils l’ont vue, ils sont devenus hyper calmes. Mon père s’est tranquillement approché d’elle et l’a entourée de ses bras jusqu’à ce qu’elle
respire plus normalement. Ma mère est sortie de la pièce et est revenue avec un linge mouillé qu’elle a déposé dans son cou.

Je ne comprenais pas comment ils pouvaient être si calmes alors que ma sœur avait failli mourir–parce que, dans ma tête d’enfant de sept ans,
c’était une question de vie ou de mort. Ils m’ont expliqué que ça arrivait parfois à Coralie d’accumuler trop de stress et de paniquer.
L’important, dans ces moments-là, c’était de rester calme pour ne pas ajouter à la panique et d’aider la personne à retrouver un souffle normal.
«En cas de panique, pas de panique», m’a dit mon père.

— So, regarde-moi, ça va bien aller. Tu vas respirer au même rythme que moi, OK?

Sophie-Rose fait comme moi pendant que nos amis nous regardent sans comprendre. Elle se calme lentement, je lui dis quelques niaiseries
pour la faire rire et, lorsqu’elle se sent assez solide sur ses jambes, on entre dans la maison.

Tout le monde s’excuse. Elle répond simplement que tout est beau, qu’elle n’est pas un bébé (merci bonsoir, Alex), mais qu’elle n’a pas soupé
et qu’elle est affamée. Il faut voir toute la gang se précipiter à l’extérieur pour aller chercher son assiette!

Une fois seule avec moi, elle me dit:

— Merci pour tout. Je ne sais pas comment j’aurais fait pour me calmer si tu n’avais pas été là.

— Ouais… Je faisais partie du plan, tu sais, lui avoué-je honteusement. Si je n’avais pas participé, tu n’aurais probablement pas été dans cet
état-là. Je me trouve stupide, je n’ai pas réfléchi avant d’accepter. J’ai tellement de difficulté à dire non! C’était con… si tu savais à quel point
je suis désolée.

Elle sourit et me dit:

— Je sais. Mais tu es restée et tu m’as aidée. C’est tout pardonné.

Je suis bouche bée. Je ne sais même pas si j’aurais réagi comme elle. À ce moment-là, je pense alors qu’il y a trois façons de voir ça:
Les amis reviennent finalement avec de la nourriture pour une armée (selon moi, ils devaient culpabiliser ), et on se rassemble autour du
festin sucré-salé. Camille nous parle des activités auxquelles elle a pensé: un film d’horreur et le jeu Vérité ou conséquence, question de
pimenter la soirée.
Toujours selon Coralie, mieux vaut faire partie du premier groupe (celui qui se sert du jeu pour poser des questions un peu plus pimentées et
indiscrètes) que du deuxième (où les participants se font défier ou humilier). Ça a l’air que cette deuxième façon de jouer, c’est un rite de
passage à l’université… Aucune idée pourquoi, ma sœur n’a pas voulu m’expliquer. De toute façon, je suis pas rendue là, le secondaire, c’est
bien assez.

L’idée de jouer d’abord à Vérité ou conséquence l’emporte haut la main! Ce n’est plus comme au primaire: il y a des gars dans notre groupe
d’amis, on peut se mettre davantage au défi et poser des questions un peu plus salées.

— De toute façon, Sophie a eu sa dose de peur pour le moment, ose dire Alex, oubliant momentanément le dénouement de sa mauvaise blague.

—À moins que ce soit toi qui aies peur des conséquences. Non, excuse-moi… de la vérité? réplique Sophie-Rose avec attitude.

À l’unisson, on regarde tous Camille. Quelqu’un a osé dire tout haut ce que tout le monde pensait tout bas! La soirée s’annonce vraiment
intéressante!

— Pff! Même pas vrai! répond-il.

Pour te donner une idée, il est aussi peu crédible que mon histoire de fantômes dans l’ancien cimetière. Malheureusement pour lui
(contrairement à moi, hé, hé… ), personne ne le croit.

— Alors, on devrait commencer par toi, si tu es si confiant que ça! enchaîne Sophie-Rose en révélant ce petit caractère que personne n’avait vu
auparavant. Vérité ou conséquence?

— Conséquence! répond Alex sans hésiter, pensant éviter la question qui tue.

Mais Sophie-Rose a déjà tout prévu!

— Parfait, tu as le choix: tu passes une heure seul dans le boisé derrière la maison…
Les yeux d’Alex s’écarquillent instantanément. Il vient de se faire avoir à son propre jeu.

—… ou tu embrasses la fille qui est le plus ton genre ici, et vous officialisez le tout devant nous.

Gros silence. Elle a frappé fort. On se demande tous s’il va oser le faire, et à voir le visage de Camille, elle aussi se pose sérieusement la
question. Il prend une grande respiration, s’approche de la personne concernée et lui flanque un bec que je qualifierais de «loin d’être leur
premier». Disons qu’ils n’ont pas l’air de vouloir s’arrêter non plus…

— Bon, ça va, on a compris, vous pouvez reprendre votre souffle! dit Milan en riant.

— Et tant qu’à dire les vraies affaires, on va arrêter de niaiser! s’exclame Delphine. Camille, vérité ou conséquence? Vérité? Parfait! enchaîne-
t-elle sans lui laisser le temps de parler. Est-ce que vous sortez ensemble?

Alex et Camille se regardent longuement et, en se prenant la main, ils nous répondent oui! Ça paraît que c’est le premier couple de notre gang,
parce qu’on se met tous à applaudir. C’est digne d’une scène de film beaucoup trop prévisible, mais qui te fait quand même sourire parce que
c’est cuuuute.

— Il était temps! déclare Ève.

— Vous nous preniez vraiment pour des aveugles? ajouté-je.

— Sérieux, ce n’était même pas subtil. Il fallait bien que ce soit moi, la fille qui ne comprend supposément jamais rien, qui vous aide à vous
assumer! lance Sophie-Rose.

Elle l’a dit sans sous-entendus, mais on a un petit malaise de savoir qu’elle était consciente de ce qu’on pensait d’elle. Ça passe sous silence, et
on continue la ronde de questions croustillantes et de conséquences assez rigolotes.

On est prêts à passer à une autre activité quand Alex parle:

— On ne peut pas arrêter le jeu maintenant. Ça serait dommage de ne pas terminer ça en beauté. Mon beau Milan, dit-il en se tournant vers son
meilleur ami, vérité ou conséquence?
— Finir en beauté avec moi, je suis tout à fait d’accord! répond Milan en se donnant une attitude. Vas-y pour une vérité!

— As-tu un kick sur quelqu’un dans cette pièce?

Pouf! Magie! L’attitude disparaît aussi vite qu’elle est arrivée pour laisser place à un gros silence. Le jeu se termine exactement comme il a
commencé. C’est évident qu’Alex connaissait déjà la réponse à la question et voulait seulement mettre son ami dans la même position que lui.
À la grande surprise de tous, Milan ne se défile pas et répond oui!

— Ben là, c’est qui?! s’exclame Camille, tout énervée qu’il y ait une autre possibilité de couple dans la gang.

— Malheureusement, t’avais juste droit à une question! Meilleure chance la prochaine fois, répond Milan, du tac au tac.

On est vraiment intrigués, mais on sait qu’on doit respecter son choix de ne pas en dire plus. Delphine me lance un regard qui veut tout dire:
une jasette entre filles s’impose! Je propose donc aux autres de choisir le film pendant que Dey et moi allons chercher quelque chose qu’on a
oublié dans la maison principale.

On s’est à peine éloignées de la résidence secondaire que mon amie se met à sautiller et à répéter: «Oh my God, oh my God, oh my God, oh my
God!»

Pour la niaiser un peu, je réponds: «Oh mon Dieu, oh mon Dieu, oh mon Dieu, oh mon Dieu!», mais ça passe comme dans du beurre. Elle est
beaucoup trop énervée pour comprendre mes blagues poches dignes d’une prof de français (mais pas Mme Pichette: elle, elle est cool!):

— Milan a un kick sur une fille de la gang! Ça veut dire que j’ai des chances… Oh my god!!! Maya, il faut que tu m’aides, dit-elle, soudain
paniquée.

— T’as pas besoin de moi, voyons! Je pense même qu’il t’a subtilement regardée quand on est sorties.

— T’es sérieuse? Hiiiiiiiiiiiii!!!!

Je ne sais pas comment écrire ce son autrement. Quoi qu’il en soit, il est assez aigu pour perturber mes tympans.

— Mais là, ajoute-t-elle en reprenant son air de chevreuil terrifié, je ne peux pas vivre ma première déclaration d’amour en jaquette!

J’essaie de me retenir, mais je ne peux pas: j’éclate de rire en sachant qu’elle risque de ne pas aimer que je me moque d’elle. À ma grande
surprise, elle réalise à quel point ce qu’elle vient de dire est ridicule et elle me suit dans mon hilarité. Tu sais, ces fous rires qui sont
incontrôlables et qui donnent mal au ventre! C’est sûrement l’amour qui lui fait cet effet-là parce que, normalement, elle est plutôt susceptible,
mon amie.

Si tu lui fais un petit commentaire, il est possible qu’elle se retourne contre toi en t’adressant des reproches. Je l’aime malgré tout, mais la voir
rire me soulage vraiment. Peut-être que c’est tout le sucre qu’on a mangé, mais on est incapables d’arrêter de rire et on se trouve vraiment
drôles, même si on ne l’est pas tant que ça. Il faut dire que c’est beaucoup d’émotions en une seule soirée, surtout que maintenant, on peut se
faire des scénarios sur la future histoire d’amour entre Delphine et Milan! Je trouve ça cool de pouvoir dire que je vis ça avec ma meilleure
amie.

J’ai toujours eu ma sœur et J-P, mais jamais ce genre de relation que tu vois dans les films et dans les livres où le personnage principal a une
BFF. J’en avais une quand j’étais plus jeune, Mathilde, mais on s’est perdues de vue vers la quatrième année. Je ne me plains pas, je suis bien
entourée et je sais que je peux appeler Coralie à n’importe quelle heure de la nuit parce qu’elle est un peu comme une meilleure amie aussi,
mais ça fait du bien de savoir que j’ai enfin quelqu’un de mon âge à qui me confier.
La porte de la maison des invités s’ouvre sur Sophie-Rose, qui est venue nous rejoindre et qui nous demande ce qu’on a à rire autant. On
répond qu’on a croisé Jalbert et qu’on s’est sauvées avant qu’il pose des questions sur les appels précédents. Ça explique aussi pourquoi nous
n’avons pas récupéré les sacs qu’on avait supposément oubliés!

— Oh, mais ils sont ici, je les ai vus à côté de la télé, nous dit-elle, sans se douter qu’on raconte n’importe quoi.

Juste avant d’entrer dans la demeure, je fais ce que je fais le mieux: établir un plan pour aider Delphine à se rapprocher de Milan (malgré la
jaquette!).

— Un film d’horreur, bonne raison pour se coller, lui chuchoté-je à l’oreille.

— Coller qui? demande Sophie-Rose, qui a, à l’évidence, entendu.

— Moi, dah! répond Delphine pour éviter les soupçons. Alex et Camille vont être collés toute la soirée, aussi bien se trouver un partenaire,
nous aussi.

— Euh… mais c’est pas un peu bizarre?

— Toi, t’es bizarre, lance Dey en franchissant le seuil.

Sophie-Rose me regarde sans comprendre, et j’avoue que je me sens vraiment mal que mon amie (notre amie, oups!) lui parle sur ce ton après
tout ce qu’on lui a fait vivre ce soir. Comme je ne peux pas non plus trahir son secret, je hausse simplement les épaules et je dis:

— On est tous bizarres, de toute façon!

Je sais, réponse un peu bête, mais je suis fatiguée. Aussi, je veux profiter du temps qu’il reste, car les parents d’Ève doivent me ramener chez
moi bientôt. D’ailleurs, on dirait que les minutes passent hyper lentement, tellement on a vécu de trucs depuis notre arrivée. On s’installe
finalement pour écouter un classique d’Halloween afin de bien terminer la soirée, selon Camille.
Et c’est ce que je fais une bonne partie du film. Je suis assise à côté de Delphine, qui, elle, est à côté de Milan. Mais il n’y a aucun
rapprochement. Ouais… ça ne fonctionne pas tellement, notre affaire. C’est vrai qu’il faut quand même leur laisser un peu de temps.

Plus la soirée avance, plus je me dis que je suis peut-être folle parce que le temps semble s’être arrêté, comme pour les zombies du film. J’ai
l’impression que les parents d’Ève tardent. Ils étaient censés venir nous chercher toutes les trois (Dey aussi) à 22 h, parce que mon couvre-feu
est à 22 h 30. C’est seulement après avoir supplié mes parents pendant deux semaines que j’ai réussi à les convaincre de me laisser veiller aussi
tard parce que, normalement, je ne peux jamais dépasser 21 h 30.

Jalbert entre sans faire de bruit. Nous avons la peur de notre vie quand il crie: «Bouuu!» Il se trouve vraiment comique, mais j’avoue qu’on l’a
bien mérité. Après avoir ri un coup, il nous annonce que la mère de Milan l’attend à l’avant.

C’est là que je sais que quelque chose cloche. Milan était censé partir plus tard que nous!

Je sens une petite boule d’anxiété se loger dans ma poitrine. Puisque l’heure n’est pas affichée sur la télé, je vais chercher mon sac et mon
cellulaire que j’ai éteint un peu plus tôt. C’est en voyant mon écran s’allumer que je sais que le vrai film d’horreur, ce sera à mon retour à la
maison.
J’étais déjà terrorisée, mais la dernière notification a mis le clou dans mon cercueil (pour rester dans la thématique d’Halloween).

Depuis que je suis toute petite, c’est ma mère qui fait la discipline et me chicane pour les petits trucs. Mon père est plus relaxe et n’intervient
pas beaucoup. Mais si LUI intervient, c’est que ça va mal pour moi.
— ÈVE! Tes parents devaient venir nous chercher à 22 h, non?! J’ai déjà quinze minutes de retard, et mes parents capotent!

— Le film était à peine commencé quand je les ai textés pour leur demander de venir à 23 h 15 à la place, m’annonce-t-elle comme si de rien
n’était.

— QUOI?! T’aurais pas pu me le dire?!

— Calme-toi, Maya, tu as juste à expliquer à tes parents que son père était en retard, me répond Delphine. Ils vont comprendre, ce n’est pas de
ta faute. Les miens ne capotent pas!

— NON, toi, tu comprends pas! Mes parents vont m’assassiner! C’était ma première et dernière soirée de gang, c’est clair!

— Si tu veux, on pourrait te ramener, me propose timidement Milan.

— Tu me sauverais tellement la vie, ou plutôt… ce qu’il en reste. Mais ça vous fait faire un détour, non?

— C’est pas grave. Je pourrai me vanter d’avoir sauvé une vie! Ramasse tes trucs, je vais aller le dire à ma mère, me répond-il.

J’envoie un très bref texto à mes parents pour leur dire que je suis sur le chemin du retour, que je suis vraiment désolée et qu’il y a une
explication. Je prends mon sac et mes vêtements encore trempés, je dis bye à tout le monde et je cours jusqu’à l’avant de la maison. Milan
m’attend avec une dame assez jeune et très souriante. Je vais me présenter lorsqu’elle s’avance et me serre dans ses bras, comme si on se
connaissait déjà.

— C’est toi, Maya! me dit-elle en me libérant de son étreinte, ma foi, étonnamment puissante pour une si petite femme. Si tu savais à quel
point je suis contente de rencontrer une amie de Milan! J’ai beaucoup entendu parler de toi. Je m’appelle Renée.

— C’est un plaisir de vous rencontrer. Merci infiniment de me ramener chez moi, je sais que ça change votre trajet de retour. Je m’en excuse
sincèrement!

— Je te ramène à une seule condition: pas de vouvoiement! Dis-moi «tu»!

— Maman, Maya est déjà en retard…, lui rappelle Milan, un peu exaspéré.

— Bon, bon, bon, excusez-moi, jeune homme, de faire la conversation, mère fatigante que je suis! lui répond-elle en riant et en lui passant une
main dans les cheveux.

Nous nous installons dans l’auto et nous mettons en route. Je vois mon cellulaire s’allumer à plusieurs reprises dans mon sac, mais je ne veux
pas affronter mes parents immédiatement. Je sais que j’aurai droit à tout un sermon à la maison et j’aime mieux ne pas y songer. Renée me
change rapidement les idées en demandant comment a été la soirée.

— Vraiment cool! As-tu vu leur maison? C’est immense! s’exclame Milan.

— J’espère que tu en as profité parce que, même si j’étais multimillionnaire, jamais je ne vivrais dans ce genre d’endroit. J’ai de la difficulté à
te faire descendre quand le souper est prêt, imagine si je devais sortir une carte pour te trouver dans la maison! s’esclaffe sa mère.

— Il y avait des chefs pour nous faire à souper. Et pas de vaisselle à laver…, ajoute Milan en cherchant à avoir gain de cause.

— Ah, ça, par contre, ce serait à considérer. Les chefs seulement. N’essaie même pas, tu ne te sauverais pas de ta corvée de vaisselle!

Milan ne parle jamais de sa famille. En fait, c’est en les voyant se taquiner sa mère et lui avec autant de complicité que je réalise que je ne sais
presque rien sur lui. Dans le fond, peut-être que c’est moi qui ne me suis jamais attardée à lui poser des questions. Bizarre à quel point tu peux
côtoyer quelqu’un aussi souvent sans vraiment le connaître. Renée doit me trouver plutôt silencieuse, car elle me jette un coup d’œil dans le
rétroviseur.

— Alors, Maya, en plus d’être jolie et bien élevée, il semblerait que ce soit toi la meilleure élève de ta classe? me demande-t-elle.

— Pas la meilleure, mais j’ai quand même de la facilité.

— De la facilité?! objecte Milan. Tous les professeurs utilisent tes projets et tes examens comme exemples dans nos cours. C’est presque
lourd!

— Tu devrais peut-être prendre exemple sur ton amie quand vient le temps d’étudier en français, tu ne crois pas? ricane Renée.

— Tu as de la difficulté en français? demandé-je à Milan. Tu ne me l’avais pas dit! Avoir su, j’aurais pu t’aider!

— Trop orgueilleux, mon garçon! Surtout devant les filles…

— C’est beau, maman, concentre-toi sur la route, veux-tu? maugrée Milan.

Il y a un petit silence, mais cette fois-ci, c’est moi qui prends la parole pour le rompre.

— Je dis ça comme ça, mais je pourrais t’aider, si tu veux. J’ai souvent apporté mon aide durant les périodes de récupération.
— Vendu! accepte Renée sans consulter son fils.

Nos parents qui répondent à notre place sans même nous consulter, c’est un classique universel, je crois! Non seulement ça peut être
embarrassant de se faire «gérer» par eux, mais c’est pire devant tes amis quand tu essaies d’avoir l’air indépendant et non pas d’un fils à
maman.

Je fais subtilement signe à Milan de se tourner pour qu’il me regarde et je lui lance un sourire compréhensif et un peu moqueur, question qu’il
comprenne qu’on est dans la même équipe.

Au même moment, la voiture se gare devant ma maison. Toutes les lumières sont encore allumées: mauvais signe! Moi qui priais pour que
mes parents se soient miraculeusement endormis le sourire aux lèvres en décidant de passer l’éponge sur mon «léger» retard…

Je sors de l’auto, suivie de Milan, et je m’approche de la porte d’entrée.

— Ma mère n’arrête jamais de parler! soupire-t-il, semi-amusé. Puis, pour mon français, oublie ça, tu n’es pas obligée de m’aider. Elle te l’a
imposé.

— Il n’y a rien là! Ça va me faire plaisir pour vrai. À condition que je sois en vie lundi prochain…

Quand je vois l’expression faciale de Milan changer, je sais: c’est exactement comme dans les films, au moment où le personnage réalise que
le monstre est juste derrière lui.

— On verra…, murmuré-je.

Je me suis parlé à moi-même, mais je sais qu’il m’a entendue et qu’il compatit. Il ne s’attarde pas dans l’entrée. Mon père peut être très
intimidant quand il est en colère, même s’il est en robe de chambre et en pantoufles.

— MAYA FILION, DANS LA MAISON tout de suite!!!

La voix du démon a retenti dans la noirceur. Seule, sans défense, je me dis que le film d’horreur de ce soir était bien moins effrayant que ma
réalité en ce moment.
Chapitre 7
LAVAGE DE LINGE SALE EN FAMILLE

J’ai à peine mis le pied (même pas le corps au complet!!!) dans la maison que les questions et les reproches fusent de partout. Mes parents ont
nettement eu le temps de planifier leur attaque parce que, dès que l’un finit de parler, l’autre prend le relais. Je t’épargne l’interaction complète,
parce que je t’avoue que j’ai arrêté d’écouter.

Je comprends qu’ils sont fâchés, mais il y a toujours bien des limites à se répéter! Ils auraient pu tout simplement dire qu’ils étaient déçus,
inquiets et que j’étais punie, mais non, ils devaient me faire un spectacle et me le dire de mille et une façons.

Ce que je retiens de tout ça? Ils ont une préférence pour les mots qui se terminent en «-ion».

Frustration, consternation, manque de communication, déception, aberration, rébellion, désolation, spoliation (j’ai dû aller le googler,
j’ignorais que c’était un mot) et, finalement, privation.

Si seulement je pouvais me servir de tout ce vocabulaire pour le Scrabble… Mais je hais ça, le Scrabble.

Bon, quand c’est rendu que je me défoule sur un jeu sans défense, c’est que je suis vraiment pompée.

Les conséquences: pas de sorties, téléphone confisqué et couvre-feu à 20 h 30, afin de me faire réaliser «à quel point une heure, ça fait une
différence», puisqu’il est évident que je me fous de leurs règlements.

Mes parents exagèrent tellement que je me retiens de ne pas répliquer par une de leur expression préférée:
Au lieu de ça, je m’excuse sans arrêt en pleurant comme un bébé et en disant que je me sens hyper coupable et que je ne veux pas les décevoir.

Parfois, j’aimerais pouvoir arrêter d’être la petite fille parfaite qui ne dit rien. Je m’excuse constamment, je reste polie, je ne leur manque pas
de respect, je réfléchis avant de parler, malgré tout, ce n’est jamais assez, et je me fais chicaner comme si tout ce que je fais de bien ne
comptait pas! À quoi ça sert tout ça si, au final, je me fais toujours critiquer? Je rêve d’être capable de leur répondre ce que je pense vraiment.
Ils mesureraient probablement l’ampleur de ma bonne volonté et de mon respect pour eux.

Je ne peux pas compter le nombre de fois où je me suis tourné la langue dans la bouche avant de parler ou plutôt toutes les fois où je l’ai
mordue avec force tellement je me retenais pour ne pas exploser! Ils ne peuvent même pas s’imaginer tout le sang-froid dont je fais preuve
alors qu’eux ne se gênent pas pour me rabrouer. C’est certain qu’ils seraient furieux, mais au moins, tant qu’à me faire gronder, je pourrais
avoir la satisfaction de m’être défoulée et de les avoir affrontés.

J’ai droit à toutes les réflexions de mes parents sur le respect lorsqu’ils font une erreur monumentale: mêler la journée du lendemain à mes
conséquences. Ils disent qu’ils prendront toutes les décisions et que je devrai les exécuter sans rouspéter. Décorations, organisation, distribution
de bonbons… Euh… allô?! Chaque année, j’attends ce moment avec impatience et j’ai hâte de participer. Je prends plaisir à les aider.
Comment ruiner cette journée? En me forçant à les aider.

Ils terminent même leur sermon en essayant de me faire culpabiliser une dernière fois en disant qu’on se lèvera très tôt demain et que je ferais
mieux de ne pas me plaindre de mon manque de sommeil, puisque c’est ma faute si on est tous encore debout.

Je ne sais pas si c’est parce qu’ils viennent de ruiner une de mes journées préférées de l’année, mais pour la première fois de ma vie, je ne me
sens pas mal du tout. Au contraire, on dirait que ça a nourri mon envie de vraiment avoir cette attitude full ado qu’ils me reprochent si
souvent.

J’essuie mes larmes, je prends mon sac, je leur souhaite une bonne nuit sans broncher et je me dirige vers ma chambre. À peine la porte
fermée, je me lance sur mon lit et je crie dans mon oreiller. J’aurais bien voulu me confier à mes amis ou à Coralie, mais comme je n’ai plus de
téléphone, je me dis que je pourrais t’écrire à toi.

C’est bizarre, quand même, de se confier à quelqu’un qu’on ne connaît pas, mais d’avoir l’impression qu’un lien nous unit déjà. J’espère
tellement que tu ne t’attendais pas à une histoire parfaite comme le titre pourrait le laisser croire… Je me dis que toi aussi, tu es peut-être
fatigué d’en faire autant. Pour qui? Pourquoi?

Sincèrement, c’est la chose que je trouve la plus difficile: savoir qui je suis. Pas en fonction des attentes de mes parents, des compliments de
mes amis ou de mes notes à l’école. Juste moi. J’ai l’impression que tout le monde parle des relations, des amitiés, du besoin de popularité ou
du fait de se sentir rejeté, mais que personne ne parle du feeling que j’ai. Ce sentiment d’être un peu bizarre, un peu à part, mais pas trop.
Suffisamment pour avoir le goût de m’isoler.

Par exemple, pourquoi est-ce que je me sens aussi mal à l’idée de décevoir mes parents, alors que plusieurs de mes amis s’en foutent
complètement? Pourquoi on s’attend toujours à ce que je sois heureuse et sympathique? Je n’ai pas le droit d’être déprimée ou simplement
fatiguée, des fois? Pourquoi est-ce que j’ai l’impression que je suis une des seules élèves de mon âge qui se met autant de pression? Pourquoi
est-ce que je sens que, peu importe ce que je fais, ce n’est jamais assez, parce qu’on s’attend toujours à plus de moi? Je suis Maya la miss
Parfaite, je peux toujours en faire plus!

Je suis tannée de me sentir écrasée par la pression. Tannée de correspondre aux attentes de tout le monde; je ne sais même pas quelles sont mes
attentes à moi! Longtemps, j’aurais dit que je voulais absolument donner mon 100%, être la meilleure, être parfaite. Mais en vieillissant, je
réalise que ce n’est pas normal de se stresser autant. Je veux juste être une fille de mon âge, ordinaire, bonne à l’école, mais qui a aussi le droit
(et qui se donne le droit) d’avoir de moins bons résultats parfois.

Ouin… il faudrait peut-être que je t’écrive plus souvent. Ça défoule, et on dirait que je me comprends. Ou que je m’imagine que tu me
comprends? Tout ça pour dire: merci de me lire, alors que je me plains. Je ne veux pas être super négative, mais j’avais besoin d’évacuer ma
frustration et d’échanger avec quelqu’un qui ne pourrait pas me juger ou me dire comment la gérer parce que je dois être positive en tout
temps.

Dans le fond, je parle encore toute seule… ou pas, qui sait.

Je ne sais pas pourquoi je mets des notions de temps alors que tu es avec moi dans le moment présent. J’ai peut-être peur que ça sonne trop
«journal intime», sinon. Je me sens tellement différente que je veux que mon histoire le soit aussi. Et secrètement, je me dis que ça ferait une
méchante bonne série télé!

Je veux qu’en lisant mes mots, tu aies l’impression qu’on est en pleine discussion. On ne revient pas dans le passé; on est comme des amis qui
se racontent ce qui se passe. Je ne sais pas si ce que je vais dire aura du sens, mais j’ai envie de tout te raconter comme si tu étais là. J’en ai
besoin, je crois. Et j’espère que ça te fera du bien aussi.

Mes parents n’ont pas menti: à 6 h, les rideaux de ma chambre s’ouvrent sur un samedi matin ennuagé, mais surtout, sur mon air bête. Avant de
m’endormir, j’ai pris la résolution de ne pas leur adresser la parole et de ne pas les implorer de me pardonner comme d’habitude. Aujourd’hui,
je suis forte, et je me fais respecter à mon tour! Ils s’attendent probablement à ce que je me réfugie dans leurs bras, mais non! Je ramasse les
feuilles, j’installe les décorations et je prépare les sacs de bonbons sans rechigner et sans sourire.

Je remarque vite que ma tactique fonctionne, parce qu’ils se parlent souvent en chuchotant et en regardant dans ma direction. S’ils me
demandent de faire quelque chose, je le fais sans rien dire. Lorsqu’ils me demandent si ça va, je réponds oui, sans plus. Je ne veux pas de leur
aide ni de leur pitié. J’en ai assez! C’est à leur tour de se sentir coupables. À 16 h, nous avons terminé de tout installer. Le terrain s’est
transformé en un cimetière, et le garage est désormais une «maison de l’horreur». En écrivant ce titre en GRAS sur la pancarte qui ira devant la
maison, j’ai un léger sourire de vengeance. Je sais que c’est un peu exagéré, mais je suis fru, BON!

L’Halloween, ça a toujours été sacré chez les Filion. On garde le souper pour la fin de la soirée parce que les tout-petits commencent leur
tournée vers 17 h 30 et les plus grands, vers 18 h.

Enfant, je passais l’Halloween avec ma mère pendant que mon père donnait les bonbons, mais cette année, nous avons décidé de tous rester à
la maison et d’y aller à fond en créant une maison hantée. Il y aura deux possibilités de parcours: magie ou terreur. Ma mère sera la maîtresse
du jeu chargée de diviser les groupes et de les diriger vers le parcours approprié. Les plus jeunes et ceux qui ne veulent pas avoir trop peur se
retrouveront dans le premier, alors que les plus courageux et les ados turbulents passeront dans le deuxième. À la fin de chaque parcours, il y
aura une devinette dictée par un personnage magique. C’est sans surprise et sans originalité que mon père a proposé de se déguiser en Merlin
l’enchanteur. Vieux comme il est, il aurait dû opter pour le père Fouras, si tu veux mon avis…

C’est toujours comme ça, avec mes parents: il doit y avoir un aspect éducatif (la devinette) et pratique (donner une leçon aux jeunes qui se
croient tout permis) à chaque activité.

Coralie sera la fée magique et donnera des bonbons aux enfants à la fin de ce parcours, tandis que J-P et moi serons chargés de faire peur aux
jeunes dans le circuit de l’horreur.
Coralie arrive à 17 h 10, alors nous n’avons pas le temps de parler de tout ce qui s’est passé, mais je sais que la tension est palpable entre mes
parents et moi. Elle m’interroge du regard, mais J-P arrive au même moment, alors j’ai juste le temps de lui dire:

— J’espère que les enfants sont prêts à être terrorisés. Si tu en vois quelques-uns repartir en pleurant, dis-toi que c’est parce que j’aurai évacué
ma frustration sur eux.

C’est un succès; tout le voisinage félicite mes parents pour leur concept. J-P et moi, on rit vraiment en voyant les jeunes sursauter. Je crois
même voir une larme dans les yeux d’un ado qui se trouvait un peu trop bon à mon goût. Le commentaire qu’on entend le plus fréquemment,
c’est que les acteurs y vont à fond pour faire peur aux gens, surtout le loup-garou (Salut, c’est moi!). Ça me permet de me défouler et, une fois
la soirée terminée, je me sens presque de bonne humeur! J’ai envie de m’asseoir autour de la table avec tout le monde et d’en profiter, j’en ai
assez de bouder. C’est souvent ce qui arrive avec moi: je dois me donner le temps de décompresser, puis je me raisonne et change d’attitude.

Pour souper, mon père fait son fameux pâté chinois et des croûtons de pain au beurre à l’ail et au fromage. On est tous affamés, alors on ne se
fait pas prier pour commencer à manger. On débat pour élire les trois plus beaux costumes de la soirée, puis les plus originaux. C’est entre
deux bouchées de ketchup au pâté chinois (elle abuse pour vrai, c’est ridicule, la quantité de ketchup qu’elle met!) que Coralie me demande
pourquoi je ne répondais pas à mes textos depuis hier soir.

Oh, la pente glissante! Je lui fais signe de ne pas aborder le sujet maintenant, qu’on en reparlera ensemble, toutes les deux, mais ma mère a
déjà saisi la perche.

— C’est parce que son cellulaire est confisqué. Ta sœur nous a grandement déçus hier.

— Elle est arrivée en retard, maman, c’est pas si grave que ça.

— Oh que oui, ça l’est! Parce que ça commence comme ça et ensuite, ça dégénère. Elle doit comprendre que ses actes ont des conséquences.

Je bous, mais je ne dis rien et je me concentre sur mon assiette tout en les écoutant faire la liste de mes supposés méfaits. C’est un moment
vraiment gênant, parce que même J-P a arrêté de manger.

— Non seulement elle est rentrée une heure en retard, mais elle ne répondait à aucun de nos messages ou de nos appels. Nous étions inquiets et
n’avions aucun moyen de la joindre. C’est pourtant la seule raison pour laquelle on lui permet d’avoir un cellulaire; pour rester en contact et
pouvoir communiquer en cas d’urgence. Pas pour qu’elle devienne comme tous ces adolescents qui s’isolent devant leurs écrans.

J’ai écrasé tous mes grains de maïs, et mon assiette ressemble à de la bouillie. Je vais bientôt manquer de sources de distraction…

— Et pour couronner le tout, notre chère Maya n’est pas revenue avec les parents d’Ève comme prévu, mais plutôt dans le véhicule d’une
étrangère avec un garçon qu’on ne connaît pas. D’ailleurs, c’est notre fille qu’on ne reconnaît pas depuis un certain temps. Peut-être que c’est
parce qu’elle est entourée de jeunes comme lui qui sont de mauvaises influences. Ce n’est pas vrai qu’on va la laisser se rebeller et devenir une
adolescente qui ne respecte pas les règles ni ses parents sans rien faire…

Elle va ajouter je ne sais quoi, mais c’en est trop, je ne peux plus l’entendre.

— OK, C’EST BEAU, MAMAN! ON A COMPRIS! m’écrié-je en me levant.

— Jeune fille, change de ton, m’intime mon père de sa grosse voix.

Cette fois-ci, ça ne fonctionne pas.

— Ça sert à quoi? Vous ne m’écoutez jamais de toute façon!

Mes parents vont protester, mais il est trop tard. Le méchant sort, et je ne m’arrêterai pas avant d’avoir réfuté chaque reproche qu’ils m’ont
fait.

— J’ai essayé de vous expliquer, mais vous ne vouliez rien entendre. Je sais que j’étais en retard, je comprenais votre déception et je ne
m’obstinais pas avec vous, mais vous ne m’avez même pas laissé placer un mot! Vous aviez déjà décidé que j’étais coupable à 22 h 31, une
minute après mon couvre-feu. Pour une fois, vous allez m’écouter! dis-je, les larmes aux yeux, mais avec du cœur au ventre.

C’est ainsi que je commence le monologue qui va tout changer.

— Je n’ai pas répondu à vos messages, car j’avais rangé mon téléphone dans mon sac! Vous passez votre temps à me dire de me concentrer sur
les gens qui sont présents plutôt que sur un écran. ET, avant de protester en disant que j’aurais dû l’entendre sonner, sachez que j’avais éteint
ma sonnerie, par réflexe, parce que j’ai des parents qui sont incapables de tolérer un «Ding». Vous m’avez même déjà chicanée parce que mon
téléphone avait sonné dans la nuit et que ça vous avait réveillés! Même si c’était un mauvais numéro, ce n’est pas l’inconnu au bout du fil qui
s’est fait réprimander, c’est moi! J’apprends de mes erreurs, mais vous ne le voyez pas, parce que vous êtes trop occupés à me critiquer
constamment! Je ne m’isole pas devant un écran, Seigneur, j’ai mis mon cell de côté pour profiter du temps avec mes amis, justement. Je vous
ai écrit dès que j’ai vu vos messages pour vous rassurer et vous dire que j’étais en route! Je savais déjà que j’aurais dû penser à regarder l’heure
plus souvent, mais je n’ai pas disparu quatre jours sans donner de nouvelles, alors pour la perte de contact, on repassera! Et en passant, ce n’est
pas parce que je suis en retard une fois que je suis devenue une adolescente rebelle et que mes amis sont de mauvaises influences. On voit ça,
en cours d’éthique, c’est un jugement de valeur qu’on appelle la généralisation abusive. Je peux vous prêter mes notes de cours, si vous voulez,
c’est écrit noir sur blanc. D’ailleurs, j’ai eu 100% à l’examen, la preuve que j’écoute en classe et que je ne suis pas une cause totalement
perdue. Et finalement, vous ne savez même pas pourquoi j’étais en retard!!! Vous n’avez même pas pris la peine de vous poser la question,
mais je vais quand même vous donner la réponse. J’étais en retard parce que notre lift était en retard! Ce n’est pas quelque chose que je
pouvais contrôler, et oui, j’aurais pu vous prévenir si j’avais eu l’heure!!! MAIS Milan, le jeune voyou qui m’incite clairement à vous
désobéir, a vu à quel point j’étais stressée à l’idée de rentrer encore plus tard, alors il a demandé à sa mère s’ils pouvaient faire un détour pour
me déposer. Une mère qui était présente à la réunion de parents à l’école, comme vous. De toute façon, si j’avais senti que je n’étais pas en
sécurité, j’aurais pu vous envoyer un message, puisque j’avais un moyen de communiquer!!!! Alors, en résumé, je suis privée de sorties, mon
cellulaire est confisqué et je me suis fait engueuler pour quoi? Parce que j’ai fait une erreur, mais comme je suis une ado, vous mettez ça sur le
compte de la fameuse crise d’adolescence menant à la délinquance. À mon avis, il n’y a aucune crise d’«ado» ici en ce moment, seulement des
parents qui se mettent leur fille «à dos». Parce que oui, même si je suis sous l’emprise diabolique des appareils électroniques, j’ai encore un
cerveau! Surprise! Et ce que je réalise, à l’aide de ma petite tête, c’est que je ne serai jamais assez parfaite à vos yeux! J’ai toujours été la
petite fille modèle. J’ai toujours essayé d’être à la hauteur de vos attentes, de marcher dans les pas de ma grande sœur si intelligente, si
merveilleuse, si parfaite. Ce n’est pas un reproche, Coco, mais j’en ai assez qu’on me compare à toi. J’essaie, mon Dieu que j’essaie, mais
jamais vous ne prenez en considération mes efforts. Ça me sert à quoi d’être irréprochable si, au final, vous n’êtes jamais satisfaits?

J’ai à peine pris le temps de respirer pendant ma déclaration; les larmes coulent sur mes joues, et je tremble de rage tellement j’en ai assez. Je
sais que je pourrais m’arrêter là. Je devrais probablement m’arrêter là, mais je ne peux pas m’empêcher d’ajouter:

— Sérieux, vous dites que je suis une surprise, mais à vous entendre, je suis une méchante belle erreur.

En disant ça, je sais que je viens de franchir une limite. Je sais aussi que je fais énormément de peine à ma famille, mais sur le coup, c’est MA
peine qui parle. Je pars en courant dans ma chambre, où je m’enferme. Le silence règne dans la maison. J’entends des bruits de pas, la porte
d’entrée s’ouvre, et j’ai presque un sourire à travers mes sanglots en imaginant le dilemme de J-P, déchiré entre le désir de terminer son assiette
et l’envie de se sauver pour éviter la possible poursuite de la chicane familiale. Pourtant, quand la porte se referme, j’ai l’impression que la
maison est vide… jusqu’à ce que j’entende de petits chuchotements.

Mes parents préparent déjà leur discours sur mon impolitesse et les conséquences qui viennent avec. Une partie de moi se demande si Coralie
va être d’accord avec eux. Je viens quand même de dire que j’en ai marre d’être comparée à elle. Pourtant, elle a toujours été mon modèle, et
lui ressembler serait le plus beau compliment du monde! C’est seulement avec mes parents que c’est différent: j’ai besoin qu’on me donne du
crédit pour qui je suis parce que parfois, je me demande s’ils réalisent que je ne suis pas Coralie. J’espère vraiment qu’elle ne l’a pas mal pris.
Je vais avoir la réponse assez rapidement, puisqu’elle ouvre discrètement ma porte et me demande si elle peut entrer.

— Ça dépend. M’en veux-tu pour ce que j’ai dit à papa et maman?

— Honnêtement, me répond-elle, si j’avais su qu’ils te mettaient autant de pression, c’est moi qui les aurais réprimandés bien avant!

— Je sais qu’ils ne font pas exprès et qu’ils m’aiment. Je sais aussi que ce n’est pas du tout ta faute, mais j’ai l’impression de ne pas être à la
hauteur maintenant qu’ils n’ont que moi à la maison.

Je ne peux pas m’en empêcher, je m’effondre dans ses bras en pleurant de nouveau.

— Si tu savais, ma chouette, maman et papa t’aiment tellement, me dit-elle en me serrant fort. Mais sache que je ressentais la même chose que
toi en grandissant.

Sa réponse me fait du bien. J’ai plein de questions à lui poser, mais je suis beaucoup trop épuisée par toutes les émotions vécues en une
journée. La dernière chose dont je me souviens, c’est de ma grande sœur qui me flatte doucement les cheveux, comme elle avait l’habitude de
le faire quand j’étais triste plus jeune.

Je suis réveillée par l’odeur des fameuses crêpes de mon papa. Coralie n’est plus dans ma chambre, mais j’entends sa voix à la cuisine. Elle
m’a recouverte de mon doudou préféré et a glissé mon toutou dans mes bras. Par réflexe, je le colle contre moi et le serre très fort. Ma maman
m’a dit un jour que si mon petit cœur faisait mal ou que j’avais peur, je n’avais qu’à prendre Boubou et lui faire le plus gros des câlins, jusqu’à
ce que son amour efface tout mon malheur.

Ma maman… à qui j’ai fait énormément de peine hier. Mes parents… à qui j’ai manqué de respect.

En m’assoyant sur mon lit, je me remémore la soirée de la veille… Malgré la boule d’anxiété qui se forme dans ma poitrine à l’idée de devoir
affronter mes parents ce matin, une petite partie de moi est fière de leur avoir tenu tête et d’avoir enfin dit ce que je ressentais. Malgré tout, je
sais que je devrai m’excuser. Parce que, même si j’avais beaucoup de peine, ils ne méritaient pas que je leur en fasse aussi.

Je prends mon courage (et Boubou) à deux mains et j’ouvre la porte de ma chambre. L’odeur des crêpes est légère et sucrée, mais la
conversation qui l’accompagne semble plutôt lourde. Je reste dans le corridor pour écouter, pour prendre le pouls.

— Vous ne lui donnez pas assez de mérite. Elle essaie constamment de vous prouver à quel point vous pouvez lui faire confiance, dit Coralie.

— On comprend tout ça, ma grande, mais c’est tellement difficile, répond ma mère.

— Elle veut seulement votre approbation. Avez-vous vu la pression qu’elle se met pour être irréprochable, autant à l’école qu’à la maison?
Tout ce qu’elle veut, c’est que vous soyez fiers d’elle, mais au lieu de ça, vous lui donnez des leçons de morale dès que vous le pouvez. Je sais
que vous avez peur pour elle, mais la surprotéger et la critiquer constamment ne fera que l’éloigner. Ça ne vous rappelle rien? Souvenez-vous
de mes crises de panique! Vous êtes en train de reproduire la même chose avec elle. Ça ne l’aidera pas à devenir plus mature, ça va finir par la
briser, comme moi! explose-t-elle.

Je n’avais jamais entendu ma sœur parler de la sorte à mes parents. Je me demande aussi ce qu’elle entend par «briser»… Qu’est-ce qui s’est
passé que je ne sais pas?

— Qu’est-ce qu’on a raté avec vous, les filles? sanglote mon père.
En entendant ça, c’est mon cœur qui se brise en mille miettes.

— On fait de notre mieux. On veut simplement être de bons parents, poursuit-il.

— Vous êtes de bons parents! m’exclamé-je en apparaissant dans la cuisine, toutou au bras et larmes aux joues.

Mes parents ont les yeux bouffis et n’ont vraisemblablement pas dormi de la nuit. Ma mère est une femme très émotive, mais quand je croise le
regard de mon père, rempli d’une si grande tristesse, ça me chamboule complètement.

— Je m’excuse tellement pour hier, balbutié-je. Je ne voulais pas vous faire de peine, juste que vous compreniez ce que je ressentais.

— C’est nous qui nous excusons, ma chérie. On a été trop sévères avec toi, et tu avais raison de dire qu’on ne t’écoutait pas assez. Ta sœur
nous l’a bien fait comprendre, avoue ma mère.

— On vous aime tellement, ajoute mon père, très émotif. Si vous saviez à quel point on est fiers de vous. Parfois, on se dit que c’est nous qui
ne sommes pas à la hauteur des jeunes femmes exceptionnelles que vous devenez.

— OK, ça va faire, les déclarations d’amour, vous allez me faire pleurer! rouspète ma sœur avec un sourire, tandis que le mascara lui coule sur
les joues.

— Câlin de groupe! S’il vous plaît! imploré-je.

On se regroupe tous près de l’îlot de cuisine et on se serre très fort. Je ne sais pas combien de temps ça dure, mais personne ne semble prêt à
lâcher prise. C’est finalement maman qui se détache en premier.

— C’est comme si tout allait trop vite. Vous vieillissez trop vite, la vie va trop vite, on commence à être dépassés, dit-elle en essuyant ses
larmes.

— Vous êtes passés date, nuance! murmure Coralie, entre un fou rire et un sanglot.

— Tu sauras que ton père est tout aussi jeune de caractère et en forme que lorsque tu étais petite! La preuve!

Avant qu’elle réagisse, il la prend en poche de patates sur son épaule et la promène ainsi dans toute la maison alors qu’elle se débat.

Je m’approche de maman et je lui tends mon ourson.

— Pourquoi tu me donnes Boubou? me demande-t-elle.

— Parce que tu m’as toujours dit que si mon cœur faisait mal, je devais le serrer fort dans mes bras jusqu’à ce que je me calme. Peut-être que
ça vous ferait aussi du bien, à papa et à toi?

En voyant qu’elle se remet à pleurer de plus belle, je lui demande ce qui ne va pas. Je voulais la faire sourire, pas le contraire!

— Je ne pourrais pas être plus fière d’être ta mère. Tu es une jeune femme extraordinaire, Maya Filion.

Coralie et mon père sont revenus à la cuisine, essoufflés par leur petite guerre. Mon père pourra dire ce qu’il veut, ce n’est plus comme
lorsqu’on était enfants!

— Bon! Ça va faire, les grosses larmes, intervient mon papa. Qui veut des crêpes?

Comme dans le bon vieux temps, nous nous installons à l’îlot alors que mon père nous sert son fameux déjeuner du dimanche. Je regarde les
membres de ma famille et je me dis que ce n’est pas toujours facile, mais que je ne les échangerais pour rien au monde.
La veille, j’aurais dit que je rêvais de me détacher de mes parents et d’être vraiment libre, mais à l’instant, la seule chose que je souhaite, c’est
de reprendre ma place de bébé de la famille et de retrouver mon cœur d’enfant.
Chapitre 8
MAYA 007

Quand j’arrive à l’école, le lundi matin, Milan m’attend pour prendre de mes nouvelles. Tous les autres ont probablement pensé que j’avais
exagéré la possible réaction de mes parents.

— Toujours en vie, à ce que je peux voir, constate-t-il avec joie.

— Oui! Mais privée de sorties…

— Oh! je suis désolé, bredouille-t-il en se tassant légèrement pour me laisser passer, mal à l’aise d’avoir été témoin de la scène du vendredi.

— J’ai quand même pu parler avec mes parents, et il semblerait que les récupérations soient une bonne raison de faire exception à la règle…
surtout quand c’est pour aider un ami qui en a vraiment besoin, dis-je en ouvrant ma case, le sourire aux lèvres.

— Non mais… je ne disais pas ça pour les récups, se défend-il.

— Relaxe! rigolé-je. Je sais très bien que tu aurais probablement préféré que ça ne fonctionne pas. Mais malheureusement pour toi, c’est le cas,
alors tu n’auras pas le choix d’écouter prof Maya. Surtout que ta mère semble m’aimer pas mal!

— Wo! Je n’ai jamais accepté! Ma mère m’y a forcé! objecte Milan. Mais merci pour ton aide, j’apprécie.

— Je serais disponible chaque mercredi après les cours.

— C’est noté, madame Filion.

La cloche sonne, et Milan me quitte pour prendre ses trucs dans son casier. Une bonne chose de réglée! De toute façon, je savais que mes
parents n’auraient jamais refusé que j’aide quelqu’un dans ses études. Tant mieux pour moi si ça leur permet de réaliser que mes amis sont
travaillants, et non pas des fainéants délinquants.

Premier cours de la journée, encore les mathématiques avec M. Sauvé. Je vais donc retrouver mon partenaire de Hershey’s! Effectivement,
Anthony m’attend en souriant. Il me demande comment s’est déroulée la soirée avec mes amis. Je lui fais un petit résumé, en omettant
volontairement la chicane avec mes parents. Je crois qu’il comprend qu’il y a des détails dont je ne veux pas discuter, parce qu’il ne me pose
pas plus de questions avant que le cours commence. Je me sens mal d’être aussi expéditive, mais je veux simplement oublier toute la
souffrance que j’ai pu causer en moins de soixante-douze heures.

À peine sortie du cours, Delphine m’attrape par le bras, très motivée:

— Je dois savoir si c’est vrai: Camille m’a dit qu’Alex lui a dit que Milan lui avait parlé de récups que tu lui donnerais en français?
m’interroge-t-elle.

Hein?! J’essaie encore de comprendre qui a dit quoi à qui quand elle enchaîne:

— Maya, c’est parfait!!! Tu vas pouvoir enquêter et savoir s’il a vraiment un kick sur moi!

J’aurais voulu dire que j’y avais déjà songé, mais non. Malgré tout, je m’approprie son idée, afin d’avoir l’air un peu moins nouille.

— Comme si je n’y avais pas pensé! inventé-je maladroitement.

Tout comme Sophie-Rose à l’Halloween, Delphine n’y voit que du feu! Soit mes mensonges sont de plus en plus crédibles, soit mes amies
sont complètement aveugles. Delphine est très excitée à l’idée que je devienne son espionne personnelle. En se rendant au cours de géo, elle
commence à élaborer une liste des trucs que je devrai dire et faire pour amadouer notre ami et gagner sa confiance afin qu’il finisse par cracher
le morceau.

À voir l’intensité avec laquelle elle élabore sa manigance, on croirait qu’elle prépare un scénario digne de Mission impossible. Sauf que je suis
loin d’être Tom Cruise ou d’avoir ses talents de cascadeur. Avant de me jeter d’un avion, je miserais sur les accords de verbe et les mots
d’orthographe. Malgré tout, j’ai vraiment du fun à m’imaginer être une agente double devant interroger un suspect tout en gardant sa
couverture.

Ce soir-là, en revenant à la maison, j’ai retrouvé ma joie de vivre et ma motivation habituelles. Je dis à mes parents que ça fonctionne pour les
récupérations de Milan, alors je resterai une période de plus à l’école les mercredis. Sa mère voulait me payer, mais comme je tiens à le faire
par amitié, on s’est plutôt entendues pour qu’elle me ramène à la maison ces soirs-là (maintenant qu’elle n’est plus une inconnue pour eux, mes
parents n’y voient pas d’inconvénient). Ils m’ont d’ailleurs remis mon téléphone pour me permettre de communiquer avec mon «élève» et de
les avertir si je dois rester plus tard à l’école.
Je m’installe dans ma chambre pour prendre mes messages de la fin de semaine, mais dès que j’ouvre mon téléphone, le bruit de malheur se
fait entendre.

Je commence à être aussi intolérante que mes parents à ce son. Surtout quand je réalise que les trois quarts des messages sont en fait ceux de
mon groupe, alors que tout le monde s’est répondu sans penser à moi qui subirais leur attaque de notifications en retard. Si c’est important,
d’accord, mais un «lol» ou un simple émoji ne valent pas un son aussi désagréable. Encore moins quand tu dois faire défiler les réponses et les
bonhommes pendant cinq minutes pour trouver le vrai sujet de la convo. Pas capable. Pas de patience.

Je supprime donc tous les messages, c’est moins compliqué comme ça! Si c’est vraiment important, je finirai par le savoir.

Première chose que je dois faire, maintenant que j’ai récupéré mon cell: écrire à J-P pour m’excuser de la scène dont il a été témoin.
Ensuite, j’appelle Coralie pour lui donner des nouvelles, mais elle ne répond pas. Elle doit être en plein sprint pour terminer son travail
d’analyse. Je n’ai plus trop repensé aux paroles qu’elle a échangées avec mes parents après notre soirée d’Halloween ratée, mais il faudra bien
que je l’interroge à ce sujet un jour.

J’écris finalement à Milan en lui disant de m’envoyer les leçons les plus problématiques pour lui afin que je fasse un petit plan de révision en
vue de l’examen de fin d’étape. L’aider avec ses études me donne un autre objectif que ma réussite scolaire et m’enlève de la pression.

Une autre bonne chose pour moi!

La première récupération du mercredi avec Milan se déroule super bien. Je pense que j’arrive à lui faire comprendre qu’il n’est pas nul en
français, mais bien qu’il trouve ça nul, le français. Nuance! C’est évident que tu fixes le mur et que ton cerveau ne retient rien si tu n’es pas
motivé ou intéressé par ce que tu apprends. Je lui donne donc des trucs pour qu’il s’amuse un peu plus et arrête de rendre ça si ennuyant. Je
pense qu’il ne s’attendait pas à ce que je dise autant de niaiseries pour l’aider à mémoriser l’orthographe de certains mots.

— Si tous les profs étaient comme toi, on aurait tous 100% et on aurait hâte d’aller à l’école, déclare-t-il à la fin de notre première rencontre,
alors qu’on ramasse nos cahiers dans la cafétéria presque vide à cette heure.

— C’est gentil! Il me semble que c’est plus logique de rendre ça comique. On sent moins que c’est une obligation d’étudier.

Me rappelant soudainement ma mission auprès de Delphine, j’ajoute:

— Parlant de comique, aimes-tu les spectacles d’humour?

— Oui, beaucoup! Plus jeune, je voulais être humoriste! Ma mère n’était plus capable de m’entendre utiliser les expressions de Louis-José
Houde. Chaque fois qu’elle me chicanait, je répondais: «C’était d’une tristesse!» C’est sans parler du moment où j’ouvrais un sac de chips et
m’exclamais…

— «Une grosse chips!!!!» coupé-je en éclatant de rire. Un classique. Ça m’étonne, quand même, parce que moi, c’est ma grande sœur qui
l’écoutait sans arrêt quand elle était ado. Mais si tu dis que tu voulais être humoriste, c’est que ce n’est plus le cas?

— Je suis beaucoup trop gêné pour ça! Tu n’avais pas remarqué? me dit-il avec ironie en prenant son sac à dos.

—À peine! le taquiné-je. Une autre chose sur laquelle on va devoir travailler! Dis-toi que tes présentations orales serviront de préparation pour
l’École nationale de l’humour!

—À condition que Mme Pichette aime ça…

— Je ne m’inquiéterais pas trop pour son sens de l’humour à ta place, le rassuré-je, en connaissance de cause.

Comme prévu, sa mère me dépose chez moi, mais j’ai à peine le temps de dire bonjour à mes parents et de déposer mon sac d’école que je
reçois un texto de Delphine, qui veut un rapport IMMÉDIAT. Je me dirige donc vers ma chambre pour éviter que mes parents me posent trop
de questions ou me disent que j’abuse déjà des textos.
Je ne peux pas m’empêcher de penser que le principal intéressé aurait compris l’allusion, lui…
Ouais, c’est clair qu’elle n’a pas compris pas la référence. On oublie ça!

La première idée qui me vient, c’est: depuis quand chanter Petit papa Noël est considéré comme cool? Dans ma famille, tout le monde a honte
quand mon père nous force à aller sonner aux portes pour chanter des chansons…

Mon instinct me dit que je dois me renseigner avant d’accepter une telle mission. Je ne perds pas de temps: je communique avec une de mes
sources pour confirmer les informations que Delphine m’a transmises.
J’éteins mon téléphone avant qu’il finisse son message. Pas le temps de répondre à ça, je vais le laisser stresser un peu.
Chapitre 9
«OPÉRATION MILAN» EN COURS

Les jours s’écoulent, et chaque période de récupération avec Milan signifie que la fin de la deuxième étape se rapproche. Non seulement je
dois aider mon ami à réussir, mais je dois aussi gérer mon propre stress. Pour être honnête, je ne suis pas du tout une experte en gestion de la
pression. Que j’étudie une heure ou quarante, je ne me sens jamais assez prête. Et le pire là-dedans, c’est que bien souvent, je réussis mieux
quand j’étudie moins longtemps. Probablement parce que je vire moins folle.

Heureusement, la période des examens commence par une évaluation dans une matière qui ne m’inquiète pas du tout: éducation physique. Elle
s’étendra sur quatre cours, puisqu’il s’agit d’un tournoi de soccer (hé, hé, hé, hé, merci!!).

Nous sommes divisés en quatre équipes: les rouges, les bleus, les jaunes et les verts. On affrontera chacune des équipes lors des trois premiers
cours, puis ce sera la finale. Le classement compte plus ou moins selon notre professeure, Mme Ouellet, car elle veut surtout évaluer notre
forme physique et notre capacité à jouer en équipe. Je vise néanmoins la finale pour l’or, pas pour le prix de participation. Mon nom est
nommé pour que je me joigne à l’équipe des verts, suivi, à ma grande surprise, de celui d’Anthony.

— Hé, partenaire! me dit Anthony en me tapant dans la main. Encore prise avec moi! Ça sera à ton tour de me prouver que tu as ta place dans
mon équipe, comme moi en maths à l’Halloween!

— Pourquoi j’aurais à te le prouver? Tu devrais te compter chanceux de ne pas avoir à m’affronter, lui dis-je en saisissant un ballon pour
m’échauffer.
Finalement, notre équipe n’a pas à prouver grand-chose: on est en feu!! Je termine le premier match avec un but et trois passes qui ont mené à
des buts.

Score: 7 à 0 contre les rouges, un blanchissage, rien de moins!

Le problème avec les cours d’éduc, c’est que tu n’as jamais le temps d’arrêter de transpirer avant de devoir te changer. En plus, je deviens
rouge tomate et le demeure pendant un bout, alors pour le look, on repassera! Heureusement, mon cours est juste avant le dîner, alors je profite
d’un peu plus de temps pour prendre une douche et reprendre mon souffle.

Quand je vais rejoindre mes amis à la cafétéria, ils ont presque tous fini de manger.

— C’était donc bien long, te changer! me dit Sophie-Rose en enlevant ses cahiers pour me faire une place.

— C’est parce que tu ne l’as pas vue suer pendant le match, toi! Elle est encore rouge! Pas étonnant qu’elle ait dû se laver longtemps! fait
remarquer Delphine, avec un mélange de condescendance et de moquerie.

Je me retiens pour ne pas répliquer que c’est plus facile de rester fraîche quand on ne fait rien sur le terrain et qu’on regarde le ballon rouler.
Quoique essayer de faire sa fraîche comme ça devant nos amis, ça pue l’hypocrisie!

— C’est une blague, fais pas cette tête-là. T’es déjà assez rouge comme ça.

Elle peut bien ne rien comprendre à la discussion que j’ai eue avec Milan: côté sens de l’humour, elle est assez nulle.

La preuve: personne ne rit.

Je m’assois donc pour manger mon lunch en vitesse, car le prochain cours est dans vingt minutes. J’ignore ses remarques. Je ne comprends pas
quel est son problème. La fin d’étape est peut-être intense, mais ce n’est pas une raison pour se défouler sur moi.

Anthony passe devant notre table et, en me voyant, il s’arrête pour me dire:

— Félicitations, mademoiselle Maya, vos talents sont à la hauteur de vos propos!

— Vous pouvez bien parler, avec votre tour du chapeau!

— Cela n’aurait pu se produire sans vos passes précises! Et donnez-vous du mérite pour votre but magnifique!

— Arrêtez, vous allez me faire dérougir!

Il me regarde, perplexe.

— Il semblerait que mon visage ait la couleur de l’équipe perdante, que voulez-vous!

— Ha, ha, ha! Je vois. De toute façon, toutes les couleurs vous vont bien! Sur ce, j’arrête de vous déranger et je vous laisse vous rassasier, très
chère.

Mes amis ne disent rien, mais je sais qu’ils attendent seulement qu’Anthony soit assez loin pour me lancer:

— MAIS LÀ!! C’EST CLAIR QU’IL A UN KICK SUR TOI!!!

— On a déjà eu cette conversation: on est amis, c’est tout!

J’espérais candidement que ce serait assez pour les décourager et que je pourrais retourner à mon sandwich et à mes crudités… Naïve, très
naïve.

— Il te vouvoie, t’appelle «mademoiselle» et «très chère». Il se prend pour ton preux chevalier, c’est tellement quétaine! rigole Camille.

— Ce n’est pas quétaine, au contraire, ça fait du bien de voir un gars capable de s’exprimer pour vrai! On a commencé à niaiser avec ça à
l’Halloween et depuis, c’est devenu une habitude.

— Mais pourquoi tu lui as parlé de son tour du chapeau? Il n’en porte même pas, me demande Sophie-Rose.

— Ha, ha, ha! T’es parfaite! dis-je en éclatant de rire.

Ceux qui s’y connaissent un peu en sport ont aussi un petit fou rire.

— C’est une expression pour dire qu’il a fait trois buts. Pas qu’il a fait le tour de son chapeau!
Pour la première fois, on ne rit pas d’elle, mais avec elle. Cette fille a beau être parfois un peu bizarre, ses questions ont le don d’alléger la
conversation (et de faire diversion). J’en profite pour changer de sujet en leur proposant une activité pour le temps des fêtes.

— Chaque année, ma sœur et moi, on fait une biscuiterie pour Noël. Les cadeaux coûtent cher, et on ne sait jamais quoi donner, alors on offre
des boîtes de biscuits faits maison à notre famille depuis quelques années. Maintenant, c’est notre tradition! Je lui en ai parlé et, si ça vous dit,
on pourrait faire ça chez elle après le spectacle de Noël! Coralie achèterait tous les ingrédients, et on se diviserait la facture à la fin. Ce n’est
pas cher, et en plus, ça enlève le stress de trouver des cadeaux à la dernière minute.

Mes amis sont très emballés par l’idée. Tout le monde veut participer et mettre la main à la pâte!

On commence déjà à penser aux recettes qu’on pourrait faire quand Delphine, qui a soudainement retrouvé sa bonne humeur, propose
d’apporter tous les emporte-pièce de sa mère. Avoir su que le mot «biscuit» avait le même effet que la magie de Noël, j’aurais invité mes amis
bien avant!

Entre l’étude, les récups avec Milan, les soupers de famille et la préparation de la liste d’ingrédients pour les biscuits, j’ai répété comme une
folle avec mes amies pour l’audition du spectacle de Noël. On a fait une chorégraphie hip-hop/contemporaine sur un «mashup» de chansons de
Kids United. Camille a demandé à Jalbert de trouver quelqu’un qui pourrait nous faire un arrangement musical du tonnerre. On pense même
que c’est un DJ super connu qui l’a fait… Voir que ses parents connaissent plein de vedettes et qu’elle ne nous a rien dit!!!

Le reste du crédit va à Ève, qui nous a créé une chorégraphie hallucinante, en plus d’être une super bonne prof. Elle aurait pu s’impatienter
quand on se trompait (souvent!), mais au lieu de ça, elle changeait parfois des mouvements pour nous aider. On travaillait vraiment en équipe
et on s’amusait tellement qu’on a presque oublié le stress de l’audition. Delphine s’est même excusée pour son attitude des dernières semaines,
et on a retrouvé notre belle complicité que j’aime tant. Avoir dit oui à la proposition de mes amies ne m’a apporté que du positif.

Je pense que ça a vraiment impressionné les juges qu’on se soit données autant, alors que les autres candidats arrivaient souvent avec des pistes
de musique qui sonnaient la «cacane» ou qui ne fonctionnaient tout simplement pas. L’audition s’est bien déroulée. On a manqué quelques
temps, mais on se sentait confiantes. Il faut attendre jusqu’à la deuxième semaine du mois de décembre pour savoir si on a été sélectionnées,
alors d’ici là, on se concentre sur nos examens!

D’ailleurs, aujourd’hui, c’est ma dernière session de récupération avec Milan avant son examen écrit en français. Jusqu’à présent, les
informations que j’ai sur lui sont:
Je fais mes rapports à Delphine par texto après chaque récupération (des fois, Milan et moi restons plus d’un soir pour travailler, au grand
bonheur de mon amie!), mais je sais qu’elle attend une réponse plus «crunchy», comme elle me le dit si souvent.

Le plan pour aujourd’hui: Milan et moi, on restera plus longtemps à l’école pour revoir toute la matière. On séparera ça en deux parties: la
théorie (les règles à savoir par cœur, les mots invariables, le pluriel et les exceptions) et la pratique (exercices, orthographe des mots de
vocabulaire, grammaire, etc.).

Delphine viendra nous rejoindre pour la deuxième partie pour «étudier» avec nous, mais surtout, pour me laisser le temps de pousser mon
enquête un peu plus loin. Puis, pendant qu’on travaillera sur les leçons, je glisserai subtilement son nom à quelques reprises.
Évidemment, je ferai tout ça subtilement.

Delphine me l’a bien répété dans ses textos.


Après mon dernier cours, je rejoins Milan à la cafétéria, mais elle est bondée! Je lui propose donc qu’on aille à la palestre à côté du gymnase,
question d’être plus tranquilles. C’est une petite salle avec des sofas et des tables où on peut relaxer. Parfaite pour étudier, mais surtout,
parfaite si je trouve une excuse pour m’éclipser et les laisser seuls, Delphine et lui.

Quand il insiste sur le fait qu’on peut maintenant dire «chevals» et non «chevaux», j’abandonne vite le combat du français pour lui révéler que
Delphine pratique l’équitation. C’est là qu’il m’apprend qu’il est allergique aux poils d’animaux et que le simple fait d’être dans une maison un
peu trop longtemps avec un chat ou un chien peut lui occasionner une crise d’asthme épouvantable. Je réponds en me moquant de lui et en
ajoutant que je suis allergique aux gens qui disent «chevals» et «si j’aurais» parce que…

— Les «si» n’aiment pas les «-rais»! me répond-il en bon élève.

— BRAVOOO!!! Je suis fière de toi.

— Oups, excuse-moi, je dois répondre! Commence les exercices à la page 27, je reviens! lui lancé-je en me dirigeant vers la porte.

Je n’allais quand même pas ruiner tous mes efforts en le laissant voir mes messages textes avec Delphine! Je vais donc dans le corridor pour lui
répondre.
Je suis certaine que je ne suis pas la seule à souvent oublier dans quel contexte je me trouve quand je suis sur mon cell. Je marmonne ce que je
veux écrire, je réponds tout haut avant de le faire par texto et j’éclate de rire pour vrai.

Résultat: j’ai vécu très souvent ce petit malaise de réaliser qu’on m’avait vue ou entendue et que j’avais probablement eu l’air folle. Tellement
que je suis rendue habituée et que je l’assume.

La preuve: avant de m’être tournée, je savais que quelqu’un m’avait vue et riait probablement de moi, parce que je sentais qu’on me fixait.

— Tu as vraiment une belle complicité avec ton téléphone, c’est beau à voir!

Anthony est adossé au cadre de porte. Il doit revenir d’un entraînement parce qu’il porte des vêtements de sport et est tout en sueur.

— Merci! C’est ma plus longue relation jusqu’à maintenant! Et la seule, à bien y penser!

— Fais attention. J’ai entendu dire que les téléphones sont très imprévisibles quand ils sont en relation.
— Ah oui? Explique-moi donc ça!

— D’abord, ils sont hyper anxieux!! Ils ont toujours besoin de «mises à jour»; ça dure quelques semaines et ensuite, ça dégénère à nouveau, et
tu dois en faire une autre! Ils te garantissent toujours que ce sera mieux, mais honnêtement, ils brisent souvent leurs promesses. D’ailleurs, ça
ne vaut que pour eux! Si TOI, tu «l’échappes» une fois, c’est trop tard, leur cœur est brisé. Bonne chance pour te faire pardonner parce qu’ils
sont vraiment rancuniers. Quand tu essaies de réparer cette relation-là, tu finis toujours par te couper. Et finalement, on va se le dire, ce ne sont
pas des partenaires très attentionnés. Dès qu’il y a des larmes, ils deviennent intolérants et dysfonctionnels. Aucune «garantie» sur ce qu’ils
vont faire par la suite!

Je suis bouche bée! J’analyse tout ce qu’il vient de dire. C’est tellement brillant! Et ça a tellement de sens! C’est comme un poème des temps
modernes qui relie le cellulaire à une relation toxique. Je vais devoir noter ça quelque part.

J’ai probablement l’air impressionnée, parce qu’il affiche un sourire victorieux. Je devrais arrêter de le dévisager comme une nouille et
répondre quelque chose d’aussi cool…

— Parce que toi, tu résistes bien à l’eau, à ce que je vois?! dis-je en faisant allusion à son t-shirt détrempé et aux gouttes de sueur qui perlent
sur son front.

C’est en disant ça que je remarque que son chandail blanc n’a pas résisté tant que ça, finalement… D’habitude, les chandails de l’école ne sont
pas si transparents… Je ne suis pas censée voir sa peau, non? Ni ses abdos… Depuis quand les gars de première secondaire ont des abdos?
Merde!!!! Je fixe ses abdos!!

Il s’en rend compte, mais il ne passe pas de remarque et soutient plutôt mon petit sourire gêné. C’est à ce moment-là que j’aurais besoin que la
Maya avec de l’attitude prenne le relais, mais non; pour une fois, elle est silencieuse et profite du spectacle! Je ne sais pas combien de temps
on reste là sans rien dire, mais c’est un petit «Humm, humm» qui nous sort de… je ne sais pas comment le dire… de ça.

— Excusez-moi de vous déranger, mais est-ce qu’on continue à étudier, Maya? me demande Milan, apparu derrière Anthony sans que je le
voie.

— Oui, oui, excuse-moi! Je devais répondre à Delphine et j’ai croisé…

Comme d’habitude, Anthony prend les devants pour se présenter.

— Anthony! Je suis dans son groupe titulaire. Enchanté de te connaître.

— Milan, répond mon ami, sans plus de manières.

— Désolé pour le dérangement, je vous laisse à vos études. Tu es chanceux, bro, il n’y a pas de partenaire plus brillante qu’elle!

Sur ce, il quitte les lieux en direction des vestiaires, et Milan et moi retournons à nos petites affaires dans la palestre.

— Je suis vraiment désolée, je ne m’attendais pas à le voir là.

— Pas de problème. Je me demandais juste pourquoi c’était si long de répondre à un texto, mais si j’avais su que c’était «ton Antho»…

— De quoi tu parles, «mon Antho»? lui demandé-je en rigolant.

— Tu le sais très bien. Toute la gang le dit! Avoue-le donc, que tu as un kick sur lui, me défie-t-il.

— Tu peux bien parler! Toi, c’était qui, la fille dont tu parlais au party d’Halloween?

Exactement au moment où je crois qu’il va tout me révéler, la porte de la palestre s’ouvre sur une Delphine rayonnante qui ne réalise pas à quel
point son timing est mauvais. Trente secondes de plus, et je l’avais!!!!
La suite? Plus embarrassant que ça, tu meurs. Delphine a rapidement compris qu’elle était arrivée au mauvais moment, et Milan s’est refermé
sur lui-même. On a quand même étudié nos mots de vocabulaire ensemble, mais il n’y avait pas du tout l’étincelle de magie que j’aurais voulu
créer pour mes deux amis.

J’ai fait signe à Dey que j’étais désolée, que je lui expliquerais plus tard.

Pour un plan qui aurait vraiment pu fonctionner, c’était totalement raté.


Chapitre 10
LA TÊTE DANS LES POUBELLES

Les examens sont presque terminés! Enfin! Les vacances de Noël arrivent à grands pas, et je ne peux pas être plus heureuse! Les filles et moi
avons appris que nous avions été sélectionnées pour faire partie du spectacle de Noël, tout comme Alex et Milan avec leur numéro de
backflips! Ils ne nous avaient même pas dit qu’ils avaient auditionné, petits cachottiers! Ça allait être incroyable de vivre ça toute la gang
ensemble!

Parlant de Milan, le malaise n’a pas duré longtemps. Il nous a même envoyé un texto, à Delphine et à moi, pour s’excuser d’avoir été bête. Il
était stressé pour son examen de français et n’avait pas bien géré son anxiété, mais grâce à notre aide, il savait qu’il allait réussir. Je trouvais ça
cool qu’il ait aussi inclus Dey dans ce message, et je sais que ça lui a fait plaisir également. Un jour, j’arriverai à la matcher pour vrai!

On répétait notre numéro après les cours avec les gars, en leur demandant de nous regarder et de nous corriger, puis on faisait la même chose
avec leur numéro. On s’entraidait, et ça nous permettait aussi de penser à autre chose qu’aux évaluations.

D’ailleurs, c’est juste avant une répétition que Milan arrive un jour en courant dans ma rangée de cases en criant: on a réussi!!! Je n’ai pas le
temps de me tourner que je sens ses bras me serrer et me soulever de terre.

— Wooo!!! lancé-je, ne m’attendant pas du tout à cette réaction.

— Je CAPOTE!!! MERCI, MERCI, MERCI!!!!

Je pense qu’il ne réalise pas à quel point il me serre fort, alors je dois péter sa balloune; c’est ça ou risquer de me retrouver avec une côte
brisée!

— Milan… j’étouffe!

— Oh! Excuse-moi! dit-il en me déposant, beaucoup trop énervé pour se calmer.

— Qu’est-ce qui se passe, coudonc?

— Mon examen de français!! me répond-il en brandissant sa feuille. On a réussi! J’ai eu 77%!!!!

— Oh my God!!!! BRAVOOOOOOO!!! Tu l’as fait!!

On doit avoir l’air de deux singes qui n’arrêtent pas de crier parce que tout le monde nous dévisage. On s’en fout, on a une méchante bonne
raison de célébrer!

— C’est grâce à toi! C’est ma meilleure note à vie!

— C’est pas vrai, ça! Je n’ai pas fait ton examen pour toi, c’est toi qui étais en feu! Je savais que tu réussirais! le félicité-je en lui faisant un
props.

— Ma mère va CAPOTER! Il faut que je l’appelle pour lui dire!

Il repart aussi rapidement qu’il est arrivé pour lui téléphoner. Au passage, il croise Anthony et lui lance:

— T’avais raison, buddy!! C’est vraiment la meilleure!!!

C’est son buddy, tout à coup? Ah, les garçons, ces êtres complexes! Je pense qu’Anthony aussi est plutôt surpris de cet élan de joie.

— Coudonc, qu’est-ce que tu lui as fait? me demande-t-il, perplexe.

— Il a eu sa note d’examen de français et il capote un peu beaucoup!

— En se jetant sur toi? échappe-t-il, sans réfléchir.

— Ben voyons, c’est Milan! C’est mon bro autant que le tien dorénavant, on dirait! lui dis-je en riant.

— En tout cas, s’il est dans la friendzone, il ne le sait clairement pas.

— Il n’y a pas de friendzone ou de lovezone! Sérieux, c’est parce que je suis une fille que je ne peux pas avoir d’ami garçon? dis-je, excédée.
Il faut absolument que ça cache quelque chose?! Non, c’est juste un ami! Et c’est pareil pour toi! Je vois pas pourquoi tout le monde capote
avec ça!

Je me laisse emporter, mais j’en ai marre qu’on sous-entende toujours que l’amitié entre un gars et une fille, ça ne se peut pas. Moi, j’y crois
fermement.
La preuve: ma relation avec J-P.

— Excuse-moi, murmure-t-il en baissant la tête comme s’il avait commis quelque chose d’impardonnable, je ne voulais pas te faire fâcher.

Oh non! Pauvre petit, il a l’air de s’en vouloir à mort!!

— Ce n’est pas de ta faute. C’est juste une accumulation, le rassuré-je.

— Non, j’ai été con de dire ça. Pardon.

Avant même que je puisse le convaincre que c’est mon cerveau qui a «tilté», il part. Là, c’est moi qui me sens mal. Mais en regardant l’heure,
je vois que je n’ai pas le temps de le rattraper parce que mes amis m’attendent pour notre répétition. Il ne peut pas s’en vouloir tant que ça,
non?

Les backflips de Milan sont meilleurs que jamais ce jour-là. Va savoir pourquoi!

Il ne me reste plus que mon examen de maths à passer, mais il me stresse vraiment beaucoup. J’ai étudié pendant des heures et des heures, mais
on dirait que ça ne voulait plus rentrer dans ma petite tête trop pleine. Mes parents ont essayé tant bien que mal de me rassurer, de me dire que
j’avais toujours eu de la facilité en maths, que je connaissais bien mes notions, mais je ne suis pas arrivée à faire disparaître la boule d’anxiété
qui se pointe le bout du nez quand je suis incapable de me concentrer. Comme s’il fallait que je révise sans arrêt, sans quoi je suis condamnée à
l’échec.

Quand le professeur nous remet l’examen, je regarde toutes les questions et je suis rassurée: mon cerveau n’a rien oublié. J’ai même le temps
de terminer assez d’avance pour revérifier mes calculs deux fois plutôt qu’une. Il reste dix minutes à la période quand je me lève pour aller
remettre ma copie à M. Sauvé. Je peux être fière de moi et enfin arrêter de paniquer avec les satanés examens!!!

Pour ce qui est de l’évaluation en éducation physique, mon équipe de soccer avait remporté le tournoi haut la main! Notre enseignante avait
donc proposé une compétition amicale contre les gagnants de la deuxième secondaire lors d’un dîner. On était vraiment motivés à continuer sur
notre lancée de victoires! Et ça ne nous ferait pas de mal de jouer une partie contre des joueurs de notre niveau.

Je ne pouvais pas plus me tromper: ils n’étaient pas du tout de notre niveau, et ça a fait TRÈS mal.

Le détail qu’on ne savait pas, c’est que tous leurs joueurs faisaient partie de l’équipe de l’école et de ligues compétitives. En d’autres mots: on
avait beau être petits et mignons, ils n’en avaient rien à faire et n’hésitaient pas à se battre pour avoir le ballon. Je surveillais leur plus grand
joueur quand un de ses coéquipiers a fait une passe dans les airs dans sa direction. Je n’avais aucune chance, mais j’ai essayé quand même: il
s’enlignait pour une tête, alors j’ai sauté en même temps que lui pour tenter l’interception. Je t’épargne les détails, mais disons que cet échange
a compté peu de mots.
On m’a transportée à l’infirmerie. En enlevant mon soulier, j’ai vu l’ampleur des dégâts en même temps que l’infirmière. Le dessus de mon
pied était enflé et un peu bleuté, mais ce n’était pas lui qui avait encaissé tout le choc. C’est déjà laid, un gros orteil, mais le mien faisait pitié.
Il avait pris le coup pour les plus petits, qui étaient miraculeusement intacts.

L’école a appelé mes parents, qui sont venus me chercher pour m’emmener à la clinique. Le diagnostic, après une attente interminable et une
radiographie: fracture du gros orteil. Repos, glace, éviter de mettre trop de poids sur mon pied et, surtout, aucune activité sportive impliquant
des mouvements qui risqueraient d’aggraver ma blessure. Et ce, pendant quatre à six semaines! Le médecin a aussi attaché mon gros orteil à
son voisin. À mon grand malheur, la danse faisait partie des activités interdites.

J’étais complètement démoralisée. J’avais travaillé si fort et j’avais tellement envie de vivre ça avec mes amies! Tout allait si bien, pourquoi ça
devait m’arriver maintenant?!

De retour à la maison, j’ai relu les derniers messages de notre conversation de groupe avec un pincement au cœur: le décompte des jours avant
le spectacle, l’adrénaline, les choses qu’on devait perfectionner, à quel point c’était cool qu’on vive ça tous ensemble… Tous, sauf moi. J’ai
envoyé un texto à mes amies pour leur annoncer la nouvelle et m’excuser de les laisser tomber de la sorte, puis j’ai fermé mon cellulaire pour
ne pas voir leurs réponses. J’avais eu ma dose de douleur pour la journée et je n’avais pas envie qu’elles me prennent aussi en pitié.

Cette nuit-là, j’ai fait un cauchemar. Au début, j’étais en réunion dans une salle de conférence pour parler du plan d’un bâtiment. Je disais à
mes collègues (des inconnus, comme beaucoup de visages dans mes rêves) que la structure n’était pas stable et qu’il faudrait y apporter des
corrections, sinon elle risquait de s’écrouler. Ils m’ont remerciée de mon intervention et m’ont assurée que tout était en règle.

Un instant plus tard, je me retrouvais assise à la cafétéria de mon école, et mes collègues architectes avaient été remplacés par mes amis. Je
sentais subitement que la terre se mettait à trembler, alors je criais à tout le monde d’évacuer les lieux. Je savais que la structure n’était pas
fiable!! On aurait dit une scène d’apocalypse, tout le monde courait vers la sortie la plus proche. Pendant ce temps, je faisais le tour de l’école
afin de m’assurer qu’il ne restait personne.

Sans que je comprenne pourquoi, j’entendais un bébé pleurer dans les vestiaires, alors j’ai défoncé la porte pour le sauver (j’avais aussi une
force surhumaine et un courage étonnant dans ce rêve-là). Je l’ai pris dans mes bras juste avant qu’une poutre se détache du plafond et s’écrase
au milieu de la pièce. Les murs commençaient à s’affaisser et je savais que je n’avais plus beaucoup de temps. J’ai dévalé les escaliers à toute
vitesse et je me suis dirigée vers la porte principale en sprintant. Soudain, la charge dans mes bras est devenue lourde à porter et j’avais de plus
en plus de difficulté à avancer. Le bébé avait été remplacé par une montagne de livres de référence que je ne pouvais pas déposer.

Alors que l’édifice était sur le point de s’effondrer, j’ai vu mon groupe d’amies à travers les portes vitrées. Je leur faisais signe de venir
m’aider, je criais à l’aide. Miraculeusement, un des gars de ma classe m’a vue.

À mon grand étonnement, il a éclaté de rire et a dit à ses amis de venir voir à quel point «la petite bolée faisait pitié avec sa pile de cahiers».
Tous les élèves et même les enseignants se sont joints à son fou rire et m’ont regardée sans bouger «le petit orteil». J’avais beau avoir sauvé
l’école en entier, personne ne pensait à venir m’aider. Mes bras ont lâché sous le poids de mes bouquins au moment exact où j’avais
l’impression que le bâtiment allait s’écrouler. J’ai juste eu le temps de voir le dictionnaire se diriger droit sur…

— MON ORTEIL!!!!!!! ai-je crié en me réveillant.

Il y a eu plus de peur que de mal, finalement, parce que la douleur ne m’a pas accompagnée dans la réalité. Il était 1 h du matin, et j’étais
encore tout habillée. Je m’étais endormie à mon bureau sur mes cahiers et à côté de moi trônait le fameux dictionnaire de mon rêve. À moitié
réveillée, je me suis rendue à mon lit et j’ai troqué mes vêtements contre mon pyjama. C’est en le mettant que j’ai découvert (à mes dépens)
que le gros orteil est impliqué dans beaucoup plus d’activités que je le croyais. Par exemple, si tu es debout, que tu mets ta jambe droite dans
ton pantalon de pyjama et que, par le plus beau des hasards, tu manques d’équilibre, c’est sur ton pied gauche que tu vas sautiller pour ne pas
te planter.

Je n’ai pas vraiment mieux dormi une fois couchée dans mon lit. Je n’arrêtais pas de me réveiller en sursaut, comme si j’avais oublié quelque
chose.

C’est donc sans surprise qu’au matin, je décide de sauter la routine matinale et de faire «snooze» sur mon réveil le plus longtemps possible. Je
me fous de m’habiller en vitesse et d’avoir les cheveux en bataille, chaque minute de sommeil compte.

Je suis encore un peu zombie en arrivant à ma classe de maths. Il faut dire que j’ai la démarche «tu essaieras de ne pas mettre de poids sur ton
gros orteil en te rendant à tes cours». Le plus difficile, c’est les escaliers! Après que la cloche a sonné, le message du jour se fait entendre à
l’interphone. C’est toujours le même élève qui le fait, mais je ne connais pas son nom, alors je l’ai surnommé Marcel.
Une fois le message terminé, M. Sauvé nous annonce que les examens sont corrigés et qu’on les révisera aujourd’hui.

C’est lorsque je reçois mon paquet de feuilles agrafées que mon cœur s’arrête: 67%?! Il doit y avoir une erreur, ce n’est pas possible! J’étais
certaine de mes réponses à 99,9%!! Je tourne les pages frénétiquement et je ne vois que des «Bien». Ah, au dernier numéro, j’ai perdu un point
et demi, mais c’est tout! L’examen est noté sur 50, donc en fait, je devrais avoir 97%! Je vais lever ma main pour parler à M. Sauvé quand je
vois qu’Anthony regarde son résultat au numéro 12. Pourtant, je me souviens très bien de m’être dit que c’était un drôle de hasard qu’il y ait 11
numéros, comme mon chiffre chanceux…

J’ai beau répéter «Non», au fond de moi, je sais que la réponse est «OUI, OUI, OUI».

Je n’ai pas vu le problème au verso de la dernière page!!! Et il valait quinze points!!! Comment ai-je pu le rater?! À ce moment-là, je sais que
ça ne va pas. J’ai tout à coup vraiment chaud et je suis étourdie. Je cherche mon souffle, mais je ne suis pas capable de calmer la panique qui
monte dans ma gorge.

J’ai l’impression d’étouffer et que mon cœur va exploser dans ma poitrine. Ça tourne beaucoup trop, il faut que je sorte. Sans même demander
la permission à l’enseignant, je m’élance vers la porte en attrapant la poubelle au passage. Bon réflexe, parce qu’à peine sortie dans le corridor,
je vomis ma vie.

M. Sauvé vient voir si je suis correcte. Il me dit de prendre le temps de me calmer et qu’il enverra un élève pour m’accompagner à l’infirmerie.
Je vais m’y opposer, mais la visite surprise d’un autre énorme haut-le-cœur m’en empêche.

Résultat: je me retrouve de nouveau la tête dans la poubelle.

En entendant la porte de la classe s’ouvrir et se refermer, puis des bruits de pas, j’ai un petit soulagement en sachant que Delphine est là. Au
moins, elle ne me jugera pas. Je la sens s’asseoir à côté de moi et je lui balance tout, en gardant la tête dans la poubelle au cas où, parce que je
suis encore étourdie:

— J’en ai tellement marre. Je fais toujours de mon mieux, j’aide les autres, j’essaie d’être miss Parfaite en tout temps, mais ce n’est jamais
assez. Tout va mal, ces temps-ci. D’abord, la blessure qui m’empêche de faire le spectacle de Noël avec vous, et maintenant la pire note de ma
vie! C’est ma faute, en plus! Je n’ai pas pris le temps de regarder comme il faut et je n’ai pas vu le problème à l’arrière. Maudit que je suis
conne!!! Sérieux, je suis pus capable!

Et c’est là que j’éclate en sanglots. Des larmes brûlantes qui ne veulent pas s’arrêter. Delphine ne dit rien et met simplement son bras autour de
mes épaules pour me réconforter.

Une minute! C’est loin d’être un petit bras, ça. Et ça sent…. oh non!

— Dis pas ça. Tu es loin d’être conne, Maya.

Je relève la tête si brusquement que je manque d’assommer Anthony.

Son rire envahit le corridor et, avant que je ne réalise ce qui se passe, je cesse de pleurer et je ris un peu aussi.

— Ça va, me laisser faire une folle de moi et écouter tout ça? J’étais certaine que c’était Delphine!

— Qu’est-ce que ça change?

— J’aurais pu dire des conneries! Ou des secrets! Mais c’est pas ça, le problème; c’est hyper gênant que tu me voies comme ça!
— Explique-moi pourquoi ça serait gênant.

— Euh… allô?! J’ai la tête dans une poubelle depuis tantôt et je pleure comme un bébé en te faisant un monologue sur tout ce qui va mal.
C’est pathétique, mon affaire.

En le disant, je réalise que je dois avoir une tête horrible, en plus d’un regard de chevreuil effrayé dont le mascara n’est pas waterproof. C’est
encore plus gênant, et j’ai encore plus envie de pleurer. La honte! J’enfouis mon visage dans mes mains pour me cacher, comme une enfant de
quatre ans. Je ne sais pas ce que j’imagine en faisant ça: qu’il croira que j’ai disparu, comme les bébés à qui ont fait «peek-a-boo»?

— Hé! Arrête de te juger comme ça, me dit-il en retirant doucement mes mains de mon visage et en relevant mon menton. Il n’y a rien là.

Il dégage une mèche encore collée sur ma bouche et la replace derrière mon oreille. Il n’est vraiment pas dédaigneux, ce gars.

— C’est gentil de vouloir épargner mon orgueil, mais je n’en ai plus, rendue là, rigolé-je sans beaucoup de force.

— Regarde-moi, me demande-t-il gentiment, mais avec une certaine autorité. Tu n’es pas pathétique, OK? Tu ne te souviens pas de mes
métaphores concernant le cell et les relations?

— Oui, mais c’est quoi, le rapport?

— Je suis tout sauf un iPhone pas fiable. Les larmes ne me font pas peur, et tu peux te vider le cœur n’importe quand, si tu veux, je vais
t’écouter avec plaisir. Essaie seulement de ne pas te vider «littéralement» trop souvent, j’ai peut-être un peu moins de facilité avec l’odeur…

Je lui envoie une tape amicale sur l’épaule en éclatant de rire.

— Je te l’accorde, celle-là: ça doit sentir la mort… Ha, ha, ha, ha, ha!

Il a le don de m’apaiser et de me faire me sentir en sécurité. Quand j’arrête de rire, il me regarde toujours avec son petit sourire en coin.

— Tu sors d’où, toi? lui demandé-je sincèrement. D’habitude, c’est moi qui réconforte et aide les autres.

— Peut-être que tu mérites qu’on t’aide, pour une fois.

Il me fixe toujours, et on dirait qu’il me voit réellement, au-delà de la miss Parfaite que je prétends être.

J’ai un fou rire à cette idée, mais je crois qu’Anthony l’interprète peut-être autrement, parce qu’il me sourit un peu plus en soutenant toujours
mon regard.
Finalement, M. Sauvé nous coupe ça assez vite en ouvrant la porte de la classe. Il nous demande ce qu’on fait toujours là, mais cette fois-ci,
c’est moi qui prends les devants. Je dis que j’ai encore été malade et qu’Anthony m’a gentiment tenu compagnie pendant que je reprenais mes
esprits, mais que ça va mieux, maintenant. Je me lève, un peu déstabilisée, et je leur assure que tout est correct. Anthony insiste pour que je me
rassoie, mais je lui fais non de la tête. M. Sauvé retourne en classe, suivi d’Anthony, qui, juste avant d’entrer, se tourne pour me regarder. Je lui
fais un signe de tête pour le rassurer et j’articule un MERCI silencieux.

Dès que la porte se referme, je me sauve avec la poubelle et je me rends dans les toilettes des filles. Je ne vais quand même pas laisser ça dans
le corridor! C’est en me voyant dans le miroir que je prends conscience de l’étendue des dégâts. Impossible qu’ils m’aient crue quand j’ai dit
que tout allait bien. J’ai tout sauf l’allure de quelqu’un dont l’état est stable. Mais en y repensant, je ne sais pas si le vertige que je ressens est
dû à ma crise de panique… ou à autre chose.

Je survis à ma journée non sans avoir de petites bouffées de chaleur de temps à autre, mais je gère bien, cette fois.

En ouvrant mon casier pour faire mon sac, je vois que quelqu’un y a glissé un papier. Je fais souvent ça avec les filles, mais elles ne le font que
rarement en retour. Autre mini déception dans mon cœur.

Encore une fois, il m’a fait sourire quand j’en avais besoin. Ça fait vraiment du bien.

Je n’attends pas d’être chez moi pour lui répondre. À peine me suis-je assise dans l’autobus que j’entre son numéro dans mes contacts.
En levant la tête de mon téléphone, je réalise que je souris comme une nouille…
C’est enfin la dernière journée d’école avant les vacances de Noël. Tous les élèves apportent un petit quelque chose à manger pour le brunch
en classe, puis on se rend dans la grande salle pour le spectacle. À midi, tout doit être terminé et hop, congé! La seule chose un peu moins le
fun, c’est que les élèves qui participent au spectacle n’ont pas le temps de profiter du déjeuner. Ils doivent se faire une assiette et retourner se
préparer à la hâte. Je souhaite silencieusement qu’Alex et Milan pensent à ne pas trop manger, avec tous les sauts qu’ils vont faire. Trop de
desserts, c’est pas super quand tu te retrouves la tête à l’envers.

Anthony a tenu sa promesse et m’a apporté un énorme sac rempli de Hershey’s aux biscuits à la crème.

— Cadeau! Avec ça, tu devrais en avoir assez jusqu’à Noël!

— C’est dans deux jours! Donne-moi au moins jusqu’au jour de l’An, sinon je vais rouler comme une boule au retour des vacances, rigolé-je.

— Je te pousserai! déclare-t-il avec son sourire, qui a soudain un petit je ne sais quoi de différent.

Un sourire auquel je ne suis peut-être plus si indifférente. Mais ça reste quand même juste un ami. C’est dans ma tête que ça se mélange, pas
dans la vraie vie.

C’est bientôt l’heure du spectacle, alors nous nous dirigeons vers la grande salle. Je me faufile dans les coulisses pour aller souhaiter un gros
merde à mes amis. (La prof de musique m’aime bien, alors j’ai eu un passe-droit. Chouchou, je sais, mais si ça peut m’être utile, je serais folle
de ne pas en profiter!!!) Les filles sont complètement tétanisées.

Je ne peux peut-être pas les accompagner sur scène, mais je peux leur faire un de mes fameux discours de motivation pour les crinquer! Même
d’autres élèves que je ne connais pas m’écoutent et à la fin de mon monologue, il y en a plein qui m’applaudissent. Je leur dis que s’ils sont
stressés, je serai la folle qui crie beaucoup trop fort! Le pire, c’est qu’en plus de m’entendre, ils vont me voir, parce qu’on est assis en ordre de
groupes titulaires, et le mien est le 111… Donc à moi la première rangée pour leur faire honte!

Sincèrement, pour un spectacle étudiant, c’est mieux que je pensais! Il y a vraiment beaucoup de talent, et la plupart des numéros sont somme
toute assez bons. Bon… j’avoue que J-P avait un peu raison en disant qu’il y avait cinq catégories de participants. Je l’ai dit à Anthony, alors
après chaque prestation, on se montre subtilement un chiffre avec nos doigts.
Des filles de ma classe à qui je n’ai jamais vraiment parlé forment le prochain groupe à monter sur scène, juste avant Milan et Alex. C’est la
petite gang de chix qui passent leur récré à potiner tout en se remaquillant. Je sais que ça sonne hyper cliché, j’aurais vraiment souhaité que ce
soit faux, mais ça a l’air que ça existe dans pas mal toutes les écoles. Ça ne me regarde pas, et je n’ai rien contre le maquillage: j’en mets et
j’écoute des tutoriels sur YouTube comme tout le monde! Mais tsé… si tu trouves que l’activité la plus captivante, c’est de rire des autres en te
dessinant des faux sourcils, tu devrais peut-être lâcher un peu l’artificiel et essayer de te trouver une personnalité.
Malheureusement, je n’aurais pas pu mieux dire parce qu’elles interprètent… non, je rectifie: elles copient littéralement le numéro du spectacle
de Noël du film Mean Girls (Méchantes ados).

Honnêtement, je pense que mes parents me priveraient de sortie pour le restant de mes jours s’ils me voyaient danser comme ça. Même les
profs ne savent pas trop si c’est approprié ou non. Mais qui suis-je pour juger? Clairement pas un gars, à entendre leurs sifflements et leurs
applaudissements. Pendant un instant, on se croirait dans un zoo. Ils agissent comme les singes qui s’activent quand tu leur lances des pinottes
ou des morceaux de banane.

C’est un cas majeur de catégories 1 et 5! Mon partenaire de rigolade n’est plus attentif à mes signaux. Eh oui, même le gentil et respectueux
Anthony est affecté par cette démonstration de déhanchement. Comme tous les garçons de ma rangée, d’ailleurs.

— Ferme ta bouche, tu commences à baver! lui chuchoté-je.

À le voir sursauter, il a carrément oublié que j’étais là. Il s’essuie la bouche. Incapable de m’en empêcher, je pouffe de rire et j’enchaîne:

— Mon cher Anthony, tu viens de te faire classer dans la catégorie 5! Tu vas pouvoir aller rejoindre les autres au zoo.

C’est en regardant autour de lui qu’il comprend de quoi je parle, et il éclate de rire à son tour. Je pense que les demoiselles sur la scène nous
ont entendus et n’ont pas apprécié, à voir les regards qu’elles me lancent. Bon, ça y est, miss Parfaite s’est mis à dos les filles populaires…

Demandez et vous recevrez, qu’on dit?

Avoir su, j’aurais été un peu plus précise… Oupsie.


Chapitre 11
BISCUITERIE ET MAGIE DE NOËL

Ça a été une journée riche en émotions, mais elle se termine en beauté autour de sucreries et de plaques à biscuits! On est tous rassemblés à la
grande table chez Coralie pour préparer les recettes, mélanger les ingrédients et découper les biscuits à l’emporte-pièce. On parle du spectacle.

— Les gars, vous étiez incroyables!!! C’était votre meilleure perfo! m’exclamé-je en mettant des pépites de chocolat dans mon mélange.

— Les coulisses du numéro étaient encore plus spectaculaires, dit Camille en éclatant de rire. Tu aurais dû voir Alex sprinter vers les toilettes
en sortant de la scène parce qu’il allait être malade. Il a certainement battu un record de vitesse!

— Hé, t’es ma blonde. T’es censée être de mon bord et trouver que je fais pitié.

— Pauvre p’tit chat! ajoute Ève. On t’avait dit, aussi, de pas manger autant de gâteau au chocolat!

— Mais il était siiii bon!!! répond Alex, avec le même air que l’émoji qui a les yeux en cœur.

— Espèce de bibitte à sucre, rigole Camille. J’ai jamais vu ça!

— Je suis gourmand, je suis comme ça! réplique son chum avec un grand sourire.

— Vous aussi, les filles, vous étiez super bonnes! ajouté-je.

— Pas besoin de faire semblant, Maki, me répond Delphine en ronchonnant. On était offbeat les trois quarts du temps, et Sophie-Rose m’est
rentrée dedans.

— Je suis vraiment désolée, murmure Sophie. J’étais toute perdue dans les mouvements et j’ai essayé de suivre Ève.

— C’est pas grave, répond la chorégraphe. On entendait mal la musique, c’était presque impossible de compter les temps, même pour moi! On
a eu du fun pareil, c’est ça l’important!

— Oh, la belle attitude! dit Coralie en prenant son ton d’adulte. Ça mérite du moût de pomme!

— Merci, matante Coralie, chantonné-je comme une gamine.

Ma sœur sort du frigo une bouteille de mousseux de pomme. Sans alcool, é-vi-dem-ment!
À bien y penser, ça ressemble aux histoires que pas mal de gens racontent:

«Ça goûtait pas l’alcool, ça se buvait comme du jus de fruits. Après, je m’en rappelle plus.»

«Je me sens comme un déchet!! Non! Je suis un déchet. C’est fini, l’alcool, PLUS JAMAIS!» (Ça, c’est ce que ma sœur dit toujours un
lendemain de veille… )

Elle fait donc sauter le bouchon (certains échappent un cri de surprise; il y a toujours quelqu’un qui crie: «hiiiiiii!» ), remplit les verres et
nous dit de choisir le nôtre. Je vois le jugement dans les yeux de mes amis et le fou rire qu’ils essaient de contenir. Sa vaisselle provoque
souvent cette réaction chez les invités.

— Bon, pas de commentaires sur vos flûtes à champagne! J’ai hérité des vieux verres de notre enfance. Choisissez votre bonhomme de Disney
et arrêtez de rire. Plus tard, vous réaliserez le coût de la vie et apprendrez que, quand c’est gratuit, tu dis OUI! Sur cette leçon de matante
Coralie, santé!

— SANTÉ!! répondons-nous en chœur.

Sans plus tarder, on se remet à la tâche: on a quand même plus de cinq cents biscuits à cuisiner et à décorer. On a choisi cinq recettes et on
s’organise pour faire du travail à la chaîne. On prépare d’abord tous les mélanges, puis on se divise la découpe à l’emporte-pièce, la cuisson et
la déco. On s’est dit qu’on échangerait les rôles de temps en temps pour faire un peu de tout. On se sent vraiment en vacances. Les deux seules
personnes qui restent plus à l’écart sont Ève et Delphine.

Connaissant mon amie, je sais qu’elle doit bouder à cause de leur performance. Avec quelques biscuits, ça finira par passer. Je découpe de
petits sapins dans un mélange de biscuits au beurre et pépites de chocolat quand je remarque que Sophie-Rose semble elle aussi culpabiliser
dans son coin. Je vais la rejoindre et la rassure en disant que ce n’est pas de sa faute, que tout le monde a fait des erreurs et que, de toute façon,
la seule qui sait vraiment danser, c’est Ève. Si je ne m’étais pas cassé un orteil, je me serais sûrement plantée en bas de la scène et je me serais
fracturé une jambe ou un bras!

— Anthony t’aurait rattrapée, tu le sais bien, me répond-elle en me faisant un clin d’œil.

Je la regarde en faisant semblant de ne pas comprendre ce qu’elle insinue.

— Vous deviez avoir une méchante belle complicité, pour que Chloé et sa gang de mères Noël à jupes courtes sortent de scène aussi furieuses
en disant que tu avais éclaté de rire «beaucoup trop fort», juste parce que tu étais jalouse et que tu voulais l’attention d’Anthony. On aurait dit
un extrait du film…

—… Mean Girls, dis-je avant qu’elle ait le temps de finir sa phrase. J’ai pensé la même chose! Mais elles sont donc bien intenses! On riait,
c’est tout.

— Je ne fais que répéter ce que j’ai entendu. Mais on va être honnêtes, c’était assurément elles qui étaient en manque d’attention!!!
— T’as bien raison! Et toi, arrête de t’en faire et laisse Delphine bouder si elle le souhaite. Gâche pas ta journée pour ça!

On change de poste de travail, et je me retrouve avec Milan au stand de décoration.

On est chargés de décorer les bonhommes de pain d’épices.

De mon côté, ça se passe bien: il faut dire que je me suis habituée, avec les années. Mon voisin de table n’a pas la même facilité, il faut croire.

— Sérieux, on ne pouvait pas avoir les étoiles à l’orange qu’on doit juste tremper dans le chocolat? se plaint-il.

— C’est quoi, le problème? demandé-je en riant.

— Est-ce que j’ai l’air d’un pro de la déco? Chaque fois que j’essaie de mettre du glaçage sur les biscuits, ça me colle sur les doigts, et je finis
par les beurrer ou les casser.

Je n’ai qu’à regarder ses bonhommes pour comprendre: on dirait qu’ils ont été victimes d’un massacre! Leurs yeux sont énormes, leurs
visages sont déformés, certains ont perdu un bras ou une jambe, et il y en a même un dont la tête gît à côté de son corps.

— Honnnn…

Je mets ma main devant ma bouche pour me retenir, mais c’est peine perdue: j’éclate de rire. Tu sais, quand personne ne comprend pourquoi tu
ris parce que tu n’as pas fini ta phrase, mais que même si tu essaies de reprendre ton souffle, tu échoues lamentablement à mi-parcours et tu te
remets à rire comme un fou?

Je me roule par terre en pleurant à chaudes larmes et en disant: «J’ai mal au ventre, OK… Ouuuuffff!»

Tout le monde attend que je prenne sur moi pour savoir ce qu’il y a de si drôle.

— Ce que je voulais dire, c’est: «Tu as tué Tibiscuit!»

C’est le problème avec ce genre de fou rire: il s’éternise et ruine le timing comique. Quand tu réussis enfin à prononcer ta phrase, tout le
monde se dit: «Ah… c’est juste ça?»

Je crois aussi que j’en avais besoin, parce qu’après cette séance d’abdos spontanée, je sens que la pression est enfin tombée. Comme si j’avais
libéré d’un seul coup le stress accumulé. Je m’empare de Tibiscuit et, pendant deux secondes, je me sens vraiment mal d’avoir envie de le
manger… Je m’imagine sa vie dans sa future maison en pain d’épices, avec ses amis, puis, en regardant la structure instable qu’essaie de
construire Coralie, je me dis qu’il sera plus en sécurité dans mon bedon!

Vers 18 h, on a miraculeusement terminé tous les biscuits. Tout le monde peut repartir avec une grosse boîte et les séparer à sa guise pour faire
des cadeaux. (Sauf Alex, qui les mangera probablement en cachette et offrira une mini boîte à ses parents.)

Le père de Sophie-Rose ayant eu un léger contretemps, elle nous a averties, Coralie et moi, qu’il aurait du retard. Elle nous aide donc
gentiment à ramasser la vaisselle et à nettoyer ce qui doit ressembler à nouveau à une table et à un comptoir. Quelques minutes plus tard, elle
reçoit un autre message.

— Je suis tellement désolée, mon père a quitté le travail pour aller chercher mon frère et il a été retardé par le trafic. On a seulement une auto,
alors ma mère l’attend pour pouvoir partir.

— J’ai une idée! Plutôt que de faire stresser tes parents qui en ont sûrement déjà plein les bras, pourquoi tu ne resterais pas à souper avec nous?
Ça leur donnerait le temps de se reposer un peu et de laisser passer la circulation du même coup! propose ma sœur.

Je regarde Coralie avec de grands yeux pour qu’elle lise dans mon esprit.

— Oh! Je ne voudrais tellement pas m’imposer et vous déranger. Maya m’a dit que c’était votre soirée entre sœurs, je ne veux pas ruiner votre
tradition.
— Tu ne ruines rien, voyons! Allez, va les appeler!

— Tu es OK avec ça, Maya? me demande-t-elle en attendant mon approbation.

— BEN OUI, voyons… pourquoi ça me dérangerait? m’exclamé-je un tantinet trop fort pour que ce soit crédible, mais je pense que ça importe
peu, puisque j’ai à peine dit «oui» qu’elle sort sur le balcon.

Je me tourne vers ma sœur et, dès que je suis certaine que So ne peut pas nous entendre, je lui dis:

— Tu ne m’as pas vue quand je t’ai regardée? On est des sœurs, tu devrais comprendre mes messages télépathiques!

— T’inquiète, je les ai plus que compris, sœurette! Même si tu avais brandi des drapeaux rouges pour me faire signe, ça aurait été plus subtil
que tes deux yeux tellement grands ouverts qu’on aurait dit qu’ils allaient te sortir de la tête. Je te souhaite qu’elle ne l’ait pas remarqué, c’était
pas super gentil de ta part.

— Je comprends que tu voulais être gentille en l’invitant et je t’en remercie, mais je désirais qu’on ait notre soirée à nous! En plus, je ne la
connais pas tant que ça, personne dans la gang n’est vraiment ami avec elle… Elle est collante.

— Ah ouais? Je vais te dire quelque chose, veux-tu? Tu devrais apprendre à la connaître. Tu réaliserais que parmi les filles de cette gang
«d’amis» là, c’est pas mal la seule qui a du respect pour toi. Si tu te tenais plus souvent avec elle, tu n’aurais peut-être pas hérité de l’attitude
de merde de la petite boss des bécosses.

— Qui ça, Delphine?

— Tu vois, tu as dit son nom sans même réfléchir, fait remarquer ma sœur. Regarde, choupinette, je t’aime, tu es merveilleuse, mais c’est mon
travail de grande sœur de te faire réaliser que tu mérites beaucoup mieux qu’une «amie» avec cette attitude-là. Hé, elle était fâchée parce que
son numéro était mauvais, passe encore, mais faire la baboune pour qu’on lui donne de l’attention et jacasser avec les deux autres filles pour
rire de Sophie, ça, non. Je comprends maintenant pourquoi on nous répétait que les adultes voient tout. Toi, tu es trop dedans, parce que ce sont
tes amis, mais moi, j’analysais chaque comportement, je voyais chaque petit secret qui se disait; le manque de respect, aussi. Ce qui se passe à
l’école, c’est tes affaires, mais si j’étais toi, je ferais attention avec elle. On dirait une bombe à retardement. Je ne la feele pas du tout. Et watch
out quand elle va réaliser que son kick tripe sur toi…

Je vais la questionner quand elle me fait signe de ne rien dire.

— Bon, ton amie est sur le point de raccrocher, alors tu affiches un beau sourire et on s’en reparle une autre fois, dit-elle entre ses dents.

— Tout est beau, annonce Sophie-Rose en arrivant. Mes parents vous remercient mille fois. Ils se sentaient hyper mal, mais je crois que ça les
a vraiment soulagés.

— Tant mieux, alors! déclare Coralie. Bon, on fait un dernier sprint, puis Maya et moi, on te concocte notre fameux souper «après biscuiterie».

— Est-ce que j’ai le droit de savoir ce que c’est? demande Sophie-Rose, intriguée.

— DU KRAFT DINNER! lancé-je avec fierté.

Il y a énormément d’incrédulité dans son regard. J’avoue qu’on a peut-être l’air de triper un peu trop sur nos pâtes orange fluo, mais c’est parce
qu’il y a une histoire derrière ça. Cette fois-ci, ma sœur accepte de tenir compte de mes messages télépathiques, puisqu’elle enchaîne tout de
suite avec le fameux récit du souper de biscuiterie.
C’est donc en rangeant notre bordel qu’elle explique notre tradition à Sophie.

— La première édition de la biscuiterie a eu lieu il y a trois ans. Maya avait neuf ans, j’en avais vingt. Je commençais l’université et j’avais
besoin de mon espace. Je me suis donc donné comme objectif de me trouver un appart avant les fêtes. Quand elle a su que je ne vivrais plus à
la maison, Maya était démolie. Elle pleurait sans arrêt et elle disait que j’allais l’abandonner. Pour la rassurer, je lui ai promis que mon nouveau
chez-moi deviendrait comme une «cabane moderne» où on pourrait se faire des soirées de filles et écouter des films en mangeant du popcorn et
des bonbons. Ça l’a convaincue pendant un court moment, mais tu as sûrement dû remarquer qu’elle est plutôt du genre «pas le temps de
niaiser», notre Maya. Alors, à peine avait-elle arrêté de pleurer qu’elle m’a demandé avec excitation quand serait notre première soirée. Je
savais que la fin de session allait être quelque chose, en plus du déménagement, alors je lui ai dit qu’on se ferait un «avant-Noël». Comme je
venais tout juste d’emménager, j’avais utilisé une bonne partie de mes économies pour payer mon loyer et je n’avais plus beaucoup de sous
pour les cadeaux. J’ai toujours aimé cuisiner et je savais qu’avec peu, on pouvait faire beaucoup, alors j’ai eu l’idée de la biscuiterie. Je suis
allée acheter les ingrédients et j’ai demandé à Maya de m’aider à trouver des recettes dans les livres de nos parents sans qu’ils s’en rendent
compte. Je sais, j’aurais pu regarder sur Internet, mais je voulais qu’elle se sente dans le coup et, en plus, dans ma tête, ce n’était pas logique
qu’elle utilise un ordinateur à cet âge-là. Je sais, j’ai l’air vieille et out en disant ça, mais j’aimais mieux savoir qu’elle mettait des Post-it sur
les pages ou qu’elle recopiait les recettes à la main pour me les donner.

— C’est vrai! Ça me prenait un temps fou. Le pire, ce n’était pas les ingrédients, c’était les instructions pour la préparation et la cuisson!

— Ça aura valu la peine parce que je les ai gardées. Un jour, je les sortirai, et tu me remercieras d’avoir été aussi out!

— Pour vrai?! Tu ne me l’avais pas dit! m’écrié-je.

— C’est ça, le but d’un souvenir: l’oublier pour mieux le redécouvrir. Alors, pour continuer mon histoire, on a choisi trois recettes qui
nécessitaient des ingrédients similaires, question de diminuer les coûts. Sauf qu’une fois à l’épicerie, Maya m’a suppliée de faire des
bonhommes de pain d’épices, et il fallait qu’on ait plusieurs couleurs de glaçage. J’ai fini par accepter, parce qu’elle était vraiment cute dans le
temps, dit-elle en me faisant un clin d’œil et en me chatouillant.

— Ha, ha, ha, très comique! dis-je en la repoussant à l’aide de mon linge à vaisselle plein de mousse.

— Le seul problème, c’est que je n’avais pas pensé au souper dans mon budget. Alors, j’ai parcouru les allées à la recherche d’un miracle, et
c’est là que je l’ai vu. Le fameux macaroni orange, en rabais à 67 cents la boîte. J’en ai pris deux et j’ai acheté un paquet de saucisses à hot-
dog, parce que Mam’zelle a toujours eu ce drôle de goût.

— Tu peux bien parler, la coupé-je. Tu mets du ketchup partout, même dans ton macaroni!

— T’as jamais voulu y goûter, c’est super bon! Un mélange sucré-salé! Tu manges bien des cheeseburgers avec du ketchup, c’est la même
affaire, mais juste avec le fromage orange!

— Jamais je ne traverserai du côté obscur de la force!

— Yoda, calme-toi.

— Tes références à Star Wars sont nulles, Coco.

— Je sais, j’haïs ça aussi! Mais Yoda a mon double menton, alors je l’aime, lui! précise-t-elle en faisant exprès de s’écraser le menton dans le
cou.

— Honnêtement, intervient Sophie-Rose, qui a arrêté d’essuyer la vaisselle pour écouter attentivement, vous êtes le duo de sœurs le plus cool
du monde. J’aimerais ça, avoir ce genre de relation avec mes frères.

— Tu en as plus qu’un? lui demandé-je en réalisant qu’à part quelques trucs d’école, je ne sais rien d’elle.

— Oui, mais ils sont plus jeunes. Mathias a huit ans et Loïc, cinq ans.

— Tu vas voir, ça viendra, la rassure ma sœur. Bon, avez-vous faim, les filles?

— Avec tout le sucre que j’ai mangé depuis ce matin, le salé ne me fera pas de tort!
—À moi non plus, acquiesce Sophie. En plus, je ne me rappelle pas quand j’en ai mangé pour la dernière fois.

— Parce que c’est vous, je vais sortir ma vaisselle de luxe: le kit qui va avec les verres! lance ma sœur comme si c’était la nouvelle du siècle.

J’avoue que c’est toujours drôle de retrouver mon bol en plastique des 101 dalmatiens, ou celui des dinosaures qui change de couleur quand tu
mets quelque chose de chaud dedans. Ah, souvenirs!

On s’assoit toutes les trois par terre dans le salon (ça fait partie de notre tradition) et on mange en discutant de plein de choses. Sophie-Rose
ose goûter au mélange atroce de ma sœur et, à mon grand dégoût, elle trouve ça tellement bon qu’elle met elle aussi du ketchup dans son plat.
Elles sont deux contre moi, alors je dois me sauver à la cuisine pour éviter qu’elles réussissent à en mettre dans mon bol. J’en profite pour me
resservir!

Ben quoi? Il me faut des forces pour contrer leurs attaques!

Sophie-Rose s’intègre bien à notre dynamique. Coralie a peut-être raison: je l’ai jugée trop rapidement. On dirait que mon amie m’entend et
tente de me contredire, parce qu’elle mentionne le nom d’Anthony en m’envoyant un grand sourire.

Pourquoi il faut toujours qu’elle me parle de lui!!!

— Anthony? m’interroge ma sœur, un petit sourire coquin aux lèvres. Est-ce que je devrais le connaître?

— C’est mon ami. On a fait quelques projets ensemble, et il est assis à côté de moi en maths.

— C’est tout? Tu es certaine?

— C’est clair qu’il capote sur elle et qu’ils vont finir par sortir ensemble, lâche So, incapable de se retenir plus longtemps.

Je pense que, cette fois-ci, c’est elle qui a accepté ma demande de message télépathique (ou elle a simplement vu mon visage changer de
couleur).

— En fait, se reprend-elle, je dis ça, mais je sais rien. C’est peut-être dans ma tête aussi. C’est parce qu’il faut dire qu’Anthony, c’est le gars
sur qui toutes les filles capotent, sauf Maya ici présente, apparemment. Mais j’ai vu comment il la regardait en classe, à quel point il cherchait
toujours à la faire rire. Il s’est même porté volontaire pour prendre soin d’elle quand elle est sortie en courant pour vomir.

— Attends! Quoi? T’es sortie en courant pour vomir? Quand ça? Et il t’a aidée? Genre il y a un kid de douze ans qui s’est proposé pour aller te
tenir les cheveux? Mais d’où il sort, lui?

— Je me pose la question assez souvent, avoué-je, un peu gênée.

— Sœurette, tu rougis!!! Bon, arrêtez de me faire languir, les filles, montrez-moi une photo, quelque chose!

On regarde le compte Instagram d’Anthony quand une notification apparaît dans le haut de mon écran.

— Ah ben là, par contre, Maya Filion, tu me déçois! Vous vous écrivez, et tu ne m’as jamais rien dit? Mon cœur de sœur a mal, s’exclame
Coralie en feignant une grande tristesse de tragédienne.

— On s’est écrit seulement une fois. Et dis-toi que j’ai eu son numéro parce qu’il voulait savoir comment j’allais après l’épisode du vomi. Pas
cute comme histoire.

— Justement! Il faut qu’il te trouve à son goût en ti-pépère pour te l’avoir donné après avoir vu ça! rigole-t-elle, quoiqu’il y ait un soupçon de
vérité dans ce qu’elle dit.

C’est à ce moment que Sophie reçoit un appel. Son père l’attend dehors.

— Le temps a passé beaucoup trop vite. J’aurais parlé comme ça avec vous toute la nuit, dit-elle en enfilant ses bottes et son manteau.
— La prochaine fois, on se fera une soirée pyjama, si tu veux! lui proposé-je. Peut-être pendant le temps des fêtes?

— J’aimerais vraiment ça! Merci encore pour l’accueil et les biscuits, Coralie. Je te promets que Maya va finir par goûter à ta recette spéciale!

— Je compte sur toi! Tu es ma partner de macaroni au fromage-ketchup, maintenant!

— C’est lourd! m’esclaffé-je. Mais bon, on va dire que je vous aime pareil!

— Je voudrais dire que «t’as pas le choix», dit So en imitant Delphine.

— Ha, ha, ha, ha, ha! Pas besoin de me forcer avec vous! laissé-je échapper en toute sincérité.

— Je dois y aller, mon père va se demander ce que je fais! Merci encore. Joyeux Noël!

— Joyeux Noël, ma belle, répond ma sœur en lui ouvrant la porte.

— Profite de ton temps des fêtes. On se texte, OK?

Et là, je fais quelque chose de très spontané: je la serre dans mes bras, comme je le ferais avec une vraie bonne amie. Et elle me rend mon
câlin! Peut-être qu’au fond de moi, je sais que c’est le début d’une solide amitié. Bon, je sais, c’est super quétaine, dit comme ça, mais des fois,
tu le sens, quand c’est la bonne personne. C’est pas juste dans les histoires d’amour que la connexion peut être spéciale, c’est aussi avec de
bons amis.

En voyant le regard inquisiteur de ma sœur quand je me tourne, je sais qu’on ne se couchera pas de sitôt. Je vais subir l’interrogatoire de ma
vie. Je pense que je préférerais presque manger sa mixture infecte que d’avouer qu’elle a eu raison sur toute la ligne pour ma nouvelle bonne
amie. J’essaie subtilement d’en savoir plus sur le sujet de sa conversation avec les parents l’autre jour, de lui faire dire pourquoi elle se sentait
brisée, mais elle me fait rapidement comprendre qu’il n’est pas question qu’on en discute… du moins, pour le moment.

C’est en me réveillant le lendemain que je réalise que je n’ai toujours pas lu le message d’Anthony. Une partie de moi est stressée à l’idée de
connaître son contenu, mais je me calme en me rappelant qu’on parle bien de mon AMI Anthony.

J’ouvre donc le texto.

La 4? C’était quoi, déjà? Les malaises? C’est vrai que je suis souvent gênante, je l’admets! Voyons.

— Oh! dis-je tout haut en retrouvant la mémoire.

Heureusement, ma sœur ne m’a pas entendue et dort encore à côté de moi.


Là, c’est vrai, je ne peux pas m’en empêcher. Je fais le son typique de la fille trop énervée dans les films pour ados:
Chapitre 12
NOUVELLE ANNÉE, NOUVELLE MAYA

Ça a été un de mes plus beaux Noëls à vie.


On aurait dit que tout allait bien.

Emportée par l’euphorie de cette magie, j’ai eu la malencontreuse idée de faire part de mon bonheur à ma sœur: elle s’est moquée de moi
pendant plus d’une semaine en me demandant toujours si j’étais déshydratée et si je voulais de l’eau (parce qu’elle disait que je vivais d’amour
et d’eau fraîche). Même Boubou, mon vieux toutou, avait l’air moins vieux!

Le reste du temps des fêtes a ressemblé à ça: jeux de société en famille, rattrapage de lecture, journée de ski avec J-P et beaucoup trop de
chocolat chaud. Chaque année, je fais la même erreur: j’abuse de ce breuvage-là (c’est la faute de mes parents, ils le font avec du vrai chocolat
fondu et ajoutent des tonnes de guimauves!). Ensuite, je suis incapable de penser au goût du chocolat chaud jusqu’à l’année suivante (en ce
moment même, je me dis que ça a l’air bon jusqu’à ce que… non, je n’y pense plus!). Mes amis et moi, on s’est envoyé quelques textos de
gang pour se souhaiter un joyeux Noël, mais sans plus. Le seul qui m’a écrit personnellement, c’est Milan, qui voulait me remercier d’avoir été
la meilleure prof ever. Une partie de moi se demandait pourquoi je n’avais pas plus de nouvelles de Delphine, mais j’avoue que ça ne me
dérangeait pas trop, puisqu’une autre personne occupait mes pensées.
Anthony et moi, nous nous étions écrit à quelques reprises, après son message de type «mon cœur a failli exploser», mais je savais qu’il partait
en voyage dans le Sud avec sa famille le 27 décembre, donc que je ne recevrais plus rien de lui avant de retourner à l’école. Dans le fond,
c’était probablement un mal pour un bien, parce que je commençais à être un peu trop intense de ce côté. Chaque fois que son nom
apparaissait sur mon cell, mon cœur faisait un saut dans ma poitrine, et je souriais comme une dinde (thématique de Noël + encore une fois de
la bouffe).

Alors, une petite semaine de détox pour retrouver la vraie Maya ne me ferait pas de tort. Comme je l’avais promis à Sophie-Rose, je l’ai
invitée pour une soirée pyjama chez moi. J’ai aussi invité les autres filles de la gang, mais je n’ai pas obtenu de réponses à mes textos.
Finalement, c’était mieux comme ça, parce que j’ai appris à connaître So encore plus et qu’à la fin de la soirée, on avait même des inside jokes.
Ça faisait du bien de ne pas devoir toujours réfléchir à ce que j’allais dire par peur de déplaire. Je pouvais être moi-même, un peu comme avec
J-P, Coralie ou Anthony.

D’ailleurs, le matin suivant ma soirée pyjama, mes parents ont invité J-P et ses parents à bruncher. D’habitude, ils sont avec nous le jour de
Noël, mais cette année, ils ont eu un changement de programme, car la grand-maman de Jean-Philippe est tombée en glissant dans son entrée,
alors ils ont dû aller à l’urgence pour s’assurer qu’elle n’avait rien de cassé. Je me demandais pourquoi c’était si grave, puisque je suis la pro
des chutes sur les plaques de glace et que ça n’a jamais eu beaucoup de conséquences, à part ma gêne à l’idée que des gens me voient tomber.

Mes parents m’ont expliqué que les os des personnes âgées sont plus fragiles et qu’une fracture peut engendrer d’autres problèmes de santé.
Finalement, il y a eu plus de peur que de mal parce qu’il semble que le soir même de son retour de l’urgence, elle recevait toute la famille à
souper.

J’étais contente de les retrouver, ils sont un peu comme ma famille, eux aussi! Coralie est venue pour le déjeuner, et on a mangé toute la
journée en parlant, en racontant des blagues et en faisant les fameux jeux d’énigmes de mon père. Sophie-Rose s’est super bien mêlée au
groupe et elle m’a remerciée à plusieurs reprises avant de partir.

Malheureusement, la phrase poche de mes parents résonnait dans ma tête depuis quelques jours: toute bonne chose a une fin. Dernière journée
de vacances avant le retour à l’école. J’en ai profité au maximum en faisant la grasse matinée une dernière fois, et mes parents m’ont préparé
leur succulente recette de tortellinis gratinés à la sauce rosée.

En arrivant à l’école le lundi matin, je réalise que j’aurais vraiment pris une semaine de vacances de plus. Rien ne me donne envie d’être là, et
j’aurais continué mon marathon de lecture pendant encore un petit bout de temps!
En ouvrant mon casier, je constate que mon vœu a été en partie exaucé: j’aurai effectivement encore de la lecture à faire, car quelqu’un m’a
laissé plusieurs feuilles pliées en deux, toutes numérotées. Mon cœur bondit quand je vois qu’elles proviennent d’Anthony! Je les mets dans
mon agenda en me disant que je les lirai pendant la récré. Ça ajoute un suspense à ma journée.

Il n’y a pas que ça qui est intrigant: Camille, Delphine et Ève agissent bizarrement avec moi. Même les gars semblent ressentir un certain
malaise. Je sais que quelque chose cloche réellement lorsque Mme Pichette nous annonce qu’on aura un nouveau projet à faire en équipe de
deux et que Delphine ne se tourne pas vers moi.

Je choisis de me mettre avec Sophie, même si je sens qu’Anthony me regarde, parce que ça va être un peu trop intense, sinon. Je n’ai pas
encore lu ses mots et j’ai trop de papillons dans l’estomac. Qu’est-ce qui explique ce sentiment de chatouillement, d’ailleurs? Ça ressemble au
stress, mais en drôlement positif… Je ne sais pas comment le décrire… Disons que le stress, c’est un mal de ventre, mais que ça, c’est des
guili-guili qui font le même bien que quelqu’un qui te joue dans les cheveux. Petits frissons garantis.

Après le cours de français, je rattrape Delphine pour lui parler. Je déteste quand une situation n’est pas claire, alors je veux en avoir le cœur net
et savoir une fois pour toutes s’il y a un problème.

— Hé! lui dis-je en la rejoignant. Comment s’est passé ton Noël?

— Correct, me répond-elle.

— C’était une excellente idée, la recette de biscuits Red Velvet. Tous les commentaires étaient fous!

— Tant mieux.

— Est-ce qu’il y a quelque chose qui ne va pas? Je t’ai textée et tu ne m’as jamais répondu. Je voulais vous inviter à une soirée pyjama que
j’organisais avec So.

— Les filles et moi, on avait déjà prévu un truc, désolée de ne pas t’avoir textée back.

Oui, il se passe quelque chose de bizarre. Elle me fait de l’attitude tout en gardant un sourire de «fausse fine»», le genre de sourire qui cache
un mauvais coup comme…

Le plus stressant là-dedans, c’est qu’en y réfléchissant bien, je sais que les deux sont très possibles. Je lui dis donc gentiment:

— Si j’ai fait quoi que ce soit, tu peux me le dire. J’ai l’impression que tu m’évites ou que tu m’en veux.
— Ben non, tu t’en fais pour rien, je te dis! Tout est beau, me rassure-t-elle. Il faut que je me sauve, j’ai un cahier à aller chercher dans mon
casier. On se voit en histoire!

Je décide de la croire, même si mon instinct me dit qu’il y a anguille sous roche. Je le saurai bien assez vite, si c’est le cas.

Je me rends à la bibliothèque pendant la récré pour pouvoir lire la lettre d’Anthony sans me faire déranger. Il y décrit ses vacances, le décor
paradisiaque dans lequel il se trouvait et la chaleur qu’il faisait à ce moment. Je n’en doute même pas, vu la quantité de taches plus foncées qui
ont fait gondoler la feuille par endroits et qui rendent difficile la lecture de certains mots (il s’excuse d’ailleurs un peu plus loin pour les gouttes
de sueur). Je décide de lui répondre par une missive moi aussi.

C’est ainsi qu’on a commencé à s’écrire des lettres qu’on déposait dans nos casiers respectifs ou qu’on cachait dans l’agenda de l’autre.
Dans nos lettres, on se parle de nos journées, on se raconte des anecdotes comiques qui nous sont arrivées, on compare nos notes d’examens et
on se défie d’obtenir la plus haute moyenne. C’est léger et sympathique, et ça met du soleil dans mes journées. Par contre, j’attends toujours
qu’il ne soit pas là pour lire ses lettres et y répondre. Je me rends de plus en plus souvent à la bibliothèque et à part So, qui connaît mon secret
et a même lu quelques-uns de nos échanges, les membres de la gang ne savent pas de quoi il retourne et se posent des questions. Ils agissent
tous étrangement avec Sophie et moi depuis le retour des vacances, alors tant qu’à me sentir out de mon propre groupe d’amis, je préfère me
plonger dans mes études et parfois, comme ce midi, dans la rédaction d’une réponse.

Je comprends enfin comment Sophie-Rose doit se sentir et je m’en veux d’avoir fait partie de cette petite clique-là.

J’écris la deuxième page de ma réponse à la plus récente lettre d’Anthony quand je perçois une présence derrière mon épaule. Lorsque je me
tourne pour vérifier, Ève s’éloigne en marchant hyper rapidement.

Coudonc, je suis sous haute surveillance ou quoi?

Dans ce cas-ci, je vois très clair. Je prends mes affaires et je suis Ève sans qu’elle le réalise. Elle va s’asseoir à notre table et dit je ne sais trop
quoi aux autres. Je vois Delphine rouler les yeux et Camille faire une moue poche. Alex a l’air d’être d’accord avec sa blonde, mais Milan, lui,
semble contrarié; de la déception?

Je fonce et j’attaque!

— Bon, c’est quoi, l’histoire, là? Vous m’ignorez depuis le retour des vacances et vous me faites de l’attitude, mais quand je vous demande ce
qui se passe, personne ne dit rien! Et là, je surprends Ève en train de m’espionner et de lire ce que j’écris? C’est quoi, le problème?!

En voyant Delphine se lever d’un coup pour m’affronter, je pense immédiatement à la phrase que ma sœur m’a dite le soir de la biscuiterie:

La bombe est sur le point de m’exploser au visage.

— Le problème, c’est que tu nous mens en pleine face depuis octobre. Tu dis être notre amie, mais tu nous mens sur ta relation avec Anthony
depuis longtemps! On l’a vu mettre des lettres dans ta case, fais pas semblant!

— J’ai-tu l’air de faire semblant?

— Et cette attitude de Madame je m’en fous, je suis indifférente à tout, je suis gentille avec tout le monde et tout le monde m’aime, on n’est
plus capables! C’est comme s’il fallait tout le temps que ce soit toi, le centre d’attention.

— Mais ça sort d’où, tout ça? J’ai jamais cherché l’attention de personne!

— Tu t’es pas vue au show de Noël! Même la gang de Chloé le disait. Tu t’es mise à rire super fort après leur numéro pour avoir l’attention
des gars parce que tu étais jalouse qu’Anthony regarde d’autres filles! Au début, je me demandais pourquoi elles disaient ça, mais quand je suis
montée sur scène et que je t’ai vue là, dans la première rangée, assise à ses côtés en train de lui faire je ne sais quels signes pour qu’il te
remarque, j’ai compris. C’est pas pour rien que je me suis trompée dans les temps et que j’ai foutu en l’air la chorégraphie, j’étais trop occupée
à retenir mon envie de vomir!

—…
Ma petite voix intérieure est de très bon conseil, pour une fois. Elle me dit de la laisser finir sa crisette avant de l’assommer. Le seul détail que
je ne sais pas, c’est si elle veut dire l’assommer au sens propre ou au sens figuré.

— On a compris: t’es bonne à l’école, t’es la chouchou des profs, les gars capotent parce que tu sues en éduc, t’as une sœur super trop nice
dont tu ne cesses de parler, tu te prends pour une prof et tu aides ceux qui en ont besoin. On la connaît, la liste! Arrête de te penser meilleure
que tout le monde juste parce que t’es une miss Parfaite, tu gosses! me crie Delphine.

Pendant une fraction de seconde, je pense à l’assommer au sens propre, mais je réalise que ça serait tout, sauf propre. En plus, je n’ai jamais
été de nature violente, et elle ne mérite même pas que je lui consacre de l’énergie.

Ce qu’elle ignore, c’est qu’elle s’attaque à une pro des répliques assassines. Parce qu’une personne qui parle fort, qui crie ou qui fait un long
monologue qui n’a pas de sens, ce n’est pas nécessairement intimidant.

Mais… une fille de 1,50 mètre qui garde son calme et affiche un mini sourire, à peine perceptible, mais qui veut tout dire, c’est moins
rassurant.

— C’est quoi, ce petit sourire-là? Tu trouves ça drôle?

— En fait, oui! Assez comique, même, compte tenu du fait que tout ce que tu me demandes de faire pour toi depuis le début de l’année, c’est
de t’attirer l’attention des gars. Tu veux savoir pourquoi ils me la donnent à moi et non pas à toi, à ton grand désespoir? C’est parce que t’as
une attitude de merde d’enfant gâtée pourrie qui ne pense qu’à sa petite personne. La preuve, tu as mis tout le blâme sur Sophie-Rose pour les
erreurs de la choré, et c’est trois semaines plus tard que tu avoues que c’est entièrement ta faute. C’est vraiment le fun d’avoir une amie
comme toi, sachant que tu fais plus confiance à des filles qui racontent des ragots qu’à ta supposée meilleure amie. Je pourrais très bien me
venger en racontant tout ce que tu m’as déjà dit, mais si je faisais ça, tu n’en aurais plus, des amis. Mais comme je suis si parfaite et que je
tiens à le crier au monde entier, je vais garder ça entre toi et moi, lui dis-je en décochant un clin d’œil à Milan. Oh! dernière chose, ajouté-je en
m’approchant dangereusement de son visage et en la fixant droit dans les yeux: FUCK YOU!

Je pars là-dessus, alors que je l’entends très bien m’envoyer promener en criant probablement d’autres niaiseries, mais je m’en fous
royalement: C’EST LA PREMIÈRE FOIS QUE JE DIS CES MOTS-LÀ!!! Je suis tout ébranlée. C’est comme si mes parents allaient
sortir de nulle part et me taper sur les doigts en me disant: «Jeune fille, ton langage!!»
Je pense que Sophie-Rose commence à me connaître vraiment bien parce qu’elle vient me rejoindre dans ma cachette, l’escalier bleu dans le
fond d’un corridor perdu. Je me demande si elle va me dire que j’ai exagéré quand elle me lance, en levant la main pour me faire un high five:

— Mon Dieu que ça a dû te faire du bien!!!! Je rêve de l’envoyer promener comme ça depuis tellement longtemps, merci, merci, merci!!! Je
pense que je l’ai vécu à travers toi! Un peu plus, et je t’applaudissais!

— HA, HA, HA, HA! Une chance que je t’ai, toi! Mais sois honnête, c’était pas trop méchant? J’avais jamais dit ces mots-là, ça me perturbe.

— Juste le fait que tu penses à ton langage plutôt qu’à toutes les méchancetés qu’elle t’a dites me fascine.

— C’était du gros n’importe quoi. Je suis pas assez nouille pour la laisser me manipuler comme ça. Je sais que ça va sonner prétentieux, mais
elle est jalouse. Elle passe sa frustration sur moi parce que, dans le fond, elle rêve d’avoir de l’attention. C’est triste.

— Là, c’est moi qui vais être méchante, mais si tu savais à quel point je ne suis pas triste! Et les autres ne sont pas mieux; ils l’écoutent et la
suivent comme des moutons!

— Ça me déçoit tellement, je pensais qu’on était une vraie gang.

— Moi, je sais depuis le début que j’en fais pas partie, admet-elle.

— Je suis désolée pour ça. J’étais aussi poche qu’eux. Je t’ai jugée trop vite.

— Pas de trouble! Moi, je savais que je ne te lâcherais pas jusqu’à ce que tu réalises que c’était moi, la plus cool! rigole-t-elle en me donnant
une tape amicale sur l’épaule.

— Comme dirait mes parents: «Une chance qu’on s’a.»

Ce soir-là, en revenant chez moi, je réalise à quel point les choses ont changé en peu de temps. La magie de Noël a manifestement opéré, mais
je ne sais pas si c’est si positif que ça. Mon cellulaire ne fait plus «Ding» aussi souvent qu’au début de mon histoire. Je comprends que les
noms qui s’y affichent maintenant sont ceux des gens sur qui je peux vraiment compter.
Je le sais assez vite en voyant la grosse face de ma sœur apparaître sur mon téléphone. Je devrais peut-être lui mettre une photo de contact un
peu plus avantageuse. Je repenserai à ça une autre fois. Pour l’instant, je sais que Sophie a dû lui glisser un mot de ce qui s’est passé
aujourd’hui. J’ai à peine répondu qu’elle part sur une tirade!

— La petite hypocrite! Juste à lui voir la face, je ne l’aimais déjà pas! Je peux te dire que si j’avais su ce qu’elle préparait, je me serais
arrangée pour mettre du piment fort dans tous ses biscuits, qu’elle s’étouffe avec toutes les méchancetés qu’elle t’a dites!!!

Ah! Mon amie lui en a révélé plus que je pensais, finalement.

— Sophie-Rose m’a dit à quel point tu es restée calme malgré tout et que tu as utilisé tes mots avec précision pour la remettre à sa place.
J’avoue que je suis fière de savoir que tu retiens de ta grande sœur, déclare-t-elle, apparemment heureuse que j’aie su me défendre. Mais peu
importe, ce n’est pas le but de mon appel. Comment tu vas?

— Je sais pas trop, dis-je bien honnêtement. On dirait que, du jour au lendemain, tout a changé. Je suis un peu perdue, je t’avoue.

— Ne t’inquiète pas, beauté. Dis-toi que les vrais amis sont là pour rester. Je sais que ça te fait de la peine, et même si je pense que tu es mieux
sans eux, je crois aussi que c’est le temps qui dira si vous allez vous réconcilier.

— Ouin… J-P m’a dit qu’on pouvait venir avec ses amis et lui des fois.

— Oh, qu’il est fin! Juste un conseil pour toi, maintenant…

— Quoi?

— Ce n’est pas à toi de t’excuser. Je te connais, tu finis par culpabiliser et par prendre la responsabilité sur tes épaules pour tout régler. Tu
mérites mieux, bébé sœur.

Elle dépose un gros bec mouillé sur la caméra et raccroche. C’est à ce moment que je vois dans mon historique toutes nos convos… Si je veux
suivre le conseil de Coralie, je ne peux pas être nostalgique et me sentir coupable. Je supprime donc tous les messages qui concernent ma gang,
puis je vais dans mes contacts.

C’est décidé. Nouvelle année, nouvelle Maya. Je ne me laisserai plus marcher sur les pieds. Même si la douleur s’est dissipée pendant le temps
des fêtes, mon gros orteil commence à peine à retrouver sa forme… Laissez-moi une chance!
Chapitre 13
PETIT CŒUR FRAGILE

La vie à l’école était nettement différente. Seulement deux semaines après le retour en classe, j’avais quitté mon groupe d’amis. Ils
m’ignoraient royalement, et Delphine m’avait même bloquée de son Facebook. Sérieusement, c’était ridicule à quel point ils étaient immatures
d’agir ainsi. Au final, ce n’était pas moi, la perdante. J’avais une bonne amie en Sophie et on se tenait presque tout le temps avec la gang de J-
P.
Donc, je disais que c’était un mal pour un bien parce que Sophie-Rose et moi, on se tient avec des plus vieux qui nous comprennent un peu
plus. J’avoue que j’ai succombé à la tentation de la vengeance par excellence: j’ai publié des photos tripantes avec mes nouveaux amis pour
montrer (et aussi pour me convaincre, je ne vais pas te mentir) que je vais bien. Ça va bien, mais j’ai quand même des pincements au cœur en
me disant que je ne peux même plus adresser la parole à ceux avec qui j’ai vécu des moments mémorables. Ça a été ma première gang à vie!

Quand je passe devant mon ancienne table, je les vois me dévisager, mais j’ai l’impression de capter des regards d’incompréhension plutôt que
de jugement. Comme s’ils se demandaient pourquoi tout a éclaté, mais n’osaient rien dire. Le regard de Milan est le plus facile à lire de tous: il
n’a pas envie d’être mêlé à ça, mais l’est malgré lui, puisque Alex est son meilleur ami.

ALEX = CAMILLE = DELPHINE

Une autre chose a changé: les échanges de lettres avec Anthony ont cessé soudainement. Sa dernière lettre date de la journée de ma chicane
avec mes amis. C’était celle à laquelle je répondais avant de réaliser qu’Ève m’espionnait. Je l’ai mise dans le casier d’Anthony le jour même
et je l’ai vue dans son agenda dans le cours de maths cet après-midi-là.

Avec toutes les émotions que j’avais vécues cette journée-là, j’avais décidé de lui en écrire une autre en soirée pour me vider le cœur sur tout
ce qui était arrivé, sans pour autant dire qu’il était concerné. Il n’arrêtait pas de me répéter de ne pas hésiter, de me confier à lui, et le jour où je
l’ai fait, il a arrêté de m’écrire… Je comprends que c’était peut-être intense, qu’il ne savait probablement pas comment me répondre, mais
même en classe, il s’est mis à agir différemment. Il me traitait un peu comme un chum de gars, maladroitement. Comme s’il y avait un malaise
ou de la gêne.

C’est Sophie-Rose qui finit par rallumer une étincelle d’espoir dans mon petit cœur déboussolé. J’étudie à la bibliothèque lorsqu’elle entre en
poussant les portes si fort qu’elle manque d’assommer deux élèves au passage. Elle s’excuse rapidement, plus ou moins consciente du fait
qu’elle a non seulement créé une commotion dans la bibliothèque, mais qu’elle aurait pu provoquer deux commotions cérébrales aussi! Elle
affiche un air haïssable, comme celui d’une enfant qui implore ses parents d’arrêter de travailler une minute pour venir voir le dessin qu’elle a
fait… avant de dévoiler que sa toile, c’est le mur de la salle à manger! (Histoire vraie! ) Le genre de sourire qui dit: «J’ai quelque chose à
te dire, TU VAS TELLEMENT capoter!!!!» Mais derrière ça, il y a le petit: «Je pense? À 90% ou 80%, peut-être?»

Et j’ai raison. Dès que je ramasse mes cahiers, elle me tire vers la sortie comme si c’était une question de vie ou de mort. Sauf qu’elle a
tellement couru que je dois attendre, parce qu’elle n’a plus de souffle. Sacré So-So! (Je ne sais jamais quel surnom lui donner. C’est long,
toujours dire Sophie-Rose!)

— TU NE SAIS PAS CE QUE J’AI VU TANTÔT! dit-elle en prenant le temps d’appuyer sur chaque mot.

— Non, JE N’ÉTAIS PAS LÀ, dis-je en l’imitant.


— J’étais à la cantine et je voulais aller me chercher un repas, mais la file était trop longue, et je n’avais pas la patience, alors je suis plutôt
allée à la machine distributrice. Juste à côté de la table du conseil étudiant.

— OK…?

— Ben! Qu’est-ce qu’il y a, à cette table-là?

— Ouf… grosse question. Un conseil et des étudiants?

S’il y a une chose qui m’ennuie au plus haut point, ce sont les gens qui me font languir en essayant de me faire deviner ce qu’ils ont à me dire.
C’est toi qui es venu me voir, il n’y a pas d’énigme là, SHOOT!

— Non! Je veux dire, pour quelle occasion est-ce qu’ils sont là sur l’heure du dîner?

— Sérieux, So, j’ai pas demandé à jouer aux devinettes. Si c’est pas si urgent que ça, je vais retourner étudier!

— OK! OK! C’est la table pour acheter des roses pour la Saint-Valentin et envoyer le courrier du cœur!

— Est-ce que tu es subtilement en train de me demander de t’acheter une rose pour la Saint-Valentin? lui demandé-je en riant.

— Ah! Je n’y avais pas pensé, mais je ne dis pas non! Mais ce n’est pas ça, il y a plus!

— Plus qu’une tradition un peu quétaine? Plus que toutes les filles qui souhaitent secrètement en recevoir une et seront hyper déçues si ce n’est
pas le cas? Plus que le prix ridicule auquel ils les vendent?!

— Ah… t’es tellement pas romantique, bougonne-t-elle.

— Au contraire, je le suis vraiment. Je pense qu’on ne devrait pas attendre le jour de l’amour pour se dire qu’on s’aime ou s’offrir des fleurs. Il
y a une journée internationale du popcorn aussi, mais je te garantis que je vais continuer d’en manger le reste de l’année! Sans parler de la
journée internationale de la frite et de la journée internationale du hamburger, qui ne tombent pas le même jour! Tu fais quoi avec ton trio?
Tous les McDo feraient faillite comme ça! dis-je en claquant des doigts.

— J’ai vu Anthony à la table des roses, lance-t-elle pour me faire taire.

Ça fonctionne. Je voudrais contrôler mon cerveau, mais il part en vrille! Une rose? Pour qui? Est-ce que ça pourrait être pour moi? Mais non,
ça ne se peut pas, il ne me parle même plus! Il agit super étrangement. Oh! Est-ce que ça pourrait être à cause de ça? Il est mal à l’aise parce
qu’il compte m’envoyer une rose à la Saint-Valentin? Oh mon Dieu! Ça serait tellement romantique! Et c’est tellement quelque chose qu’il
ferait. Tout se tient, maintenant: il m’évite par peur que je le découvre!

— Attends, il faisait quoi? Il les regardait, il en achetait une? Est-ce qu’il a clairement dit pour qui c’était? demandé-je en rafale.

— Euh… je sais pas trop. Mais c’est certain que ça serait son genre de faire ça pour toi!

— As-tu vu la quantité de filles qui voudraient sortir avec lui dans l’école? Il a le choix! C’est tout sauf certain que c’est pour moi.

— Oui. Mais j’ai aussi vu comment il te regarde, et ça, c’est unique à TOI! Je comprends que tu ne veux pas te faire de faux espoirs, mais si tu
fais le calcul… les chances sont de ton côté.

— Mathématiquement parlant, je ne peux pas calculer des données émotionnelles parce qu’elles sont constamment changeantes.

— Vous êtes faits pour aller ensemble, avec vos phrases de bolés! Tu lui diras ça après avoir reçu sa rose!

— S’il m’en achète une! précisé-je.

— Imagine…

Et c’est justement ça, le problème: je n’avais aucune difficulté à l’imaginer.

Je tombais, comme bien d’autres, dans le piège de l’espoir de la rose…

Et je ne te mentirai pas. J’ai compris pourquoi beaucoup de filles s’accrochent à ça; c’est un sentiment incroyable.
Malgré tout, je ne voulais pas qu’on devienne complètement gaga avec ça, alors j’ai proposé à Sophie-Rose qu’on s’achète chacune une rose,
question de garder en tête que, peu importe ce qui arrive, on est cool et on mérite de s’acheter des roses tous les jours si on en a envie et qu’on
n’a pas besoin de gars pour nous en offrir! On a aussi décidé de s’écrire une lettre… puis deux… puis, je ne sais plus combien elle en recevra,
finalement! Il y en avait de tous les genres: lettre sincère, humour, citations, etc. On s’est dit qu’on pourrait en ouvrir une chaque jour, comme
ça on ne fêterait pas seulement le 14 février, mais aussi le 15, le 16, le 17, le 18, le 19, jusqu’à épuisement!

J’ai réussi à concentrer mes énergies sur mes études les jours suivants, mais ça a été de courte durée. La vraie Maya avec du caractère voulait
savoir maintenant, mais la nouvelle, celle qui est toute gênée et qui ressent des papillons dans l’estomac à la seule idée de s’asseoir à côté
d’Anthony en maths, voulait se mettre en boule et dormir jusqu’au 14 février. Je me suis donné un coup de pied au derrière, j’ai fait taire ma
peur et j’ai pris mon courage à deux mains; j’ai toujours eu une voix intérieure courageuse et même un peu délinquante, ce n’était pas vrai
que du jour au lendemain, je la laisserais devenir une guimauve… surtout que les chocolats chauds me dégoûtaient encore.

Je finirais par me dégoûter aussi si je continuais de ramollir de la sorte et d’accorder autant de temps et d’énergie à un gars qui était passé de
«gentleman incroyable et sensible» à «je joue la game et je t’ignore, à toi de me courir après».

J’ai décidé de glisser une dernière lettre dans le casier d’Anthony à la première heure le lendemain. Elle sera un peu plus directe, cette fois-ci,
car j’en ai assez de ne plus me reconnaître. Je suis plus déterminée que ça dans la vie et je ne changerai certainement pas de personnalité parce
qu’un gars me fait de l’effet.
C’est précis: je le complimente, je lui dis (dans notre dialecte) qu’il m’intéresse et que personne ne se compare à lui, mais qu’à un moment
donné, une fille se tanne. La porte est ouverte, choisis et assume. Seras-tu un téléphone révolutionnaire comme tu prétends l’être, ou seulement
un vendeur de rêves et d’illusions? Je m’étonne d’être aussi zen maintenant que tout est mis sur papier. D’une certaine façon, il s’agit de ma
toute première déclaration d’amour. Je la prends donc en photo avec mon cellulaire afin de pouvoir garder ce moment dans mes souvenirs si
un jour…

Je suis vraiment rendue quétaine à ce point? J’allais dire: «si un jour j’ai des petits-enfants et que j’ai envie de leur raconter que c’est comme
ça que mamie a cruisé papi quand elle avait votre âge»!

Il me fait peut-être perdre la tête (comme le Tibiscuit de Milan, oh non!!), mais au moins, je garde mon sens de l’humour!
J’arrive donc un peu plus tôt à l’école (j’ai supplié mes parents de venir me reconduire, prétextant que j’avais un enseignant à rencontrer) pour
être certaine d’insérer la lettre décisive dans son casier sans être repérée. Je suis tout énervée. Je retourne à ma case après, satisfaite d’avoir
retrouvé un peu de mon caractère et de mon attitude, puis je prends mes cahiers et je monte à la cafétéria m’acheter un bagel parce que je n’ai
pas eu le temps de déjeuner.

Pour une rare fois depuis longtemps, j’apprécie la nourriture que je mange, même s’il s’agit d’un vieux bagel de machine distributrice.
Honnêtement, je ne pense pas que notre appétit devrait être affecté par notre niveau d’intérêt envers quelqu’un. Au contraire, je veux pouvoir
partager de bons repas et un dessert avec la personne que j’aime, pas de «l’eau fraîche». La vie est trop courte pour qu’on ne puisse pas
profiter des deux plus grands bonheurs du monde en même temps. D’ailleurs, il faudrait que je commence à suivre des couples qui publient des
photos des restaurants qu’ils visitent et de la nourriture qu’ils découvrent. C’est tout à fait ça, mon #CoupleGoal!

En prenant mon téléphone pour faire mes recherches, je vois que Sophie-Rose m’a écrit pour me demander où je suis et si je peux la rejoindre
à sa case dès que je verrai son message. Quand j’arrive, je vois son visage changer du tout au tout.

— Euh… salut! Comment tu vas ce matin? me demande-t-elle avec fébrilité.

— Super bien! J’ai l’impression que ça va être une bonne journée! J’ai bien dormi, je suis arrivée tôt, j’ai décidé de mettre les choses au clair
avec Antho, et j’ai eu le temps de déjeuner à la cantine!

— Attends! Qu’est-ce que tu veux dire, mettre les choses au clair?

— Je lui ai laissé une lettre dans sa case où je lui dis comment je me sens et que je veux savoir ce qu’il en est une fois pour toutes.

— Penses-tu qu’il y a moyen que tu la récupères avant qu’il arrive? me demande-t-elle, avec la face d’une fille qui va m’annoncer quelque
chose que je ne veux pas entendre.

Elle n’a pas besoin de dire ou de faire quoi que ce soit. En tournant ma tête, je «vois» la nouvelle qui va faire le tour de l’école en un rien de
temps. Au bout du corridor, main dans la main, arrivent Anthony et… roulement de tambour… Chloé et ses sourcils bien dessinés!

Ils ne passent pas inaperçus! Ils attirent les curieux qui veulent être à l’affût de l’actualité. Chaque élève y va de son commentaire, plusieurs
approuvent, d’autres quittent le lieu de rassemblement parce qu’ils ont mieux à faire. On dit qu’une image vaut mille mots; eh bien, dis-toi que
cette vidéo en direct de Sainte-Rosalie vaut un cœur qui se brise en mille miettes live dans ma story.

C’est la première fois que je m’en veux d’avoir fait autant de sauvegardes dans ma mémoire; j’aurais voulu effacer tous les souvenirs que
j’avais de lui dans mon historique, comme on l’aurait fait avec un ordinateur. J’aurais voulu ne jamais croiser son regard: un regard auquel je
pensais être connectée, mais dont le mot de passe avait été changé et dont l’accès m’était désormais refusé.

Je regrettais de lui avoir donné accès à mon profil, sachant que je n’aurais pas d’autre choix que de le bloquer afin de me réinitialiser.

Ma vie est une métaphore des réseaux sociaux et mon cœur brisé, la preuve que je ne dois plus accepter de demandes d’amitié.
On dirait la parade du roi et de la reine du bal. Finalement, peut-être que je ne me suis pas trompée en disant à la blague qu’il était bon pour le
zoo: il se donne en spectacle comme un pro. Tout à coup, je n’ai plus du tout peur. Je vais récupérer ma lettre coûte que coûte. La cloche sonne,
et je dis à Sophie que je la rejoindrai en classe, que j’ai quelque chose à régler.

Je me dirige vers la case d’Anthony. Lorsque j’y arrive, je vois qu’il a déjà pris ma lettre et entamé sa lecture. Ah et puis merde, tant pis! Il n’a
pas répondu aux deux autres de toute façon, il n’aura qu’à jeter celle-là aussi! Les émotions se sont bousculées si rapidement dernièrement que
je ne suis même plus capable de les identifier, mais je peux te garantir que la douleur que je ressens à cet instant donne tout son sens à
l’expression «avoir mal au cœur».

Plutôt que de me rendre directement à mon premier cours, je sors en courant. Je suis saisie par le froid glacial qu’il fait, mais j’ai besoin
d’atténuer la douleur, que l’hiver engourdisse ma peine. Je vais devoir passer à travers cette journée et toutes celles qui vont suivre jusqu’à ce
que ce trou dans mon cœur se referme. En attendant, je dois protéger ma blessure à tout prix. C’est en regagnant ma salle de classe que je
découvre ce qu’est l’instinct de survie, parce que l’arrivée d’un ou une retardataire ne passe jamais inaperçue.

Quand quelqu’un cogne à la porte de la classe, tout le monde se retourne pour voir qui c’est. Un peu essoufflée, je m’excuse pour mon retard et
vais m’asseoir en disant «allô» à Sophie, comme si c’était la première fois que je la voyais aujourd’hui. Elle me demande en douce si ça va, et
j’acquiesce sans hésiter. Je m’installe à mon bureau et j’écoute la théorie sans broncher, sachant exactement où ne pas regarder. Je souhaiterais
n’avoir jamais croisé son regard, et je ne le laisserai certainement pas attraper le mien.

Toute la journée, j’ai l’impression d’être dans une compétition de tag, sauf qu’il y en a plusieurs styles qui se jouent en même temps: la tag
visuelle (ne pas croiser son regard), la tag physique (l’éviter le plus possible et me sauver en cas d’urgence), la tag sonore (faire comme si je
ne l’entendais pas, qu’il s’adresse à moi ou pas) et finalement, la tag psychologique (ne pas le laisser m’atteindre s’il cherche à me parler, à
s’expliquer ou à s’excuser). J’ai bien fait d’établir ces règles, et il faut dire que Sophie est une complice parfaite. Je ris tellement grâce à elle
par moments que j’en oublie presque ma peine. Je sais par contre que pour le dernier cours de la journée, je ne pourrai qu’être forte et souhaiter
que mon caractère me protège et m’empêche de me ridiculiser ou, pire, de me laisser aller à pleurer encore une fois devant lui… mais cette
fois, à cause de lui.

Sophie est comme une coach de motivation personnelle avant qu’on entre dans la classe de M. Sauvé. Elle me masse les épaules, me dit de me
détendre et que tout va bien aller. Je suis la plus forte, mon cœur est fait de roc, et mon bouclier est en acier! Je prends une grande respiration
et je vais m’asseoir à mon bureau, sans même regarder Anthony. Même si je sens sa présence à côté de moi, je me concentre sur le tableau.

J’aurai l’air folle s’il le faut, mais pas question que je lui donne l’occasion de penser qu’il peut me parler. Au moins, je sais qu’il n’abordera
pas «ça», parce que sa Chloé est assise juste devant nous et n’arrête pas de se tourner pour lui passer des petits papiers. J’ai le bonheur d’en lire
un par mégarde (les règles de la tag sont claires, pas de contact visuel avec Anthony… ce n’est pas ma faute si mon regard se dépose ailleurs!).
Je dis «bonheur», mais en voyant toutes les fautes d’orthographe qu’elle a faites dans sa phrase, je me dis qu’il va avoir un sacré plaisir à la lire
si elle lui écrit des lettres aussi longues que les miennes.

À ce moment, M. Sauvé déclare qu’on est dus pour un peu de changement, alors il nous attribue de nouvelles places.
J’ai rêvé d’entendre la cloche sonner toute la journée, et lorsque ce moment arrive enfin, je ressens un soulagement incroyable, mais j’ai aussi
l’impression que les émotions que j’ai su si bien cacher refont surface d’un seul coup. Je me précipite donc vers mon casier, je lance mes
cahiers dans mon sac en vitesse et je déguerpis à l’extérieur pour entrer dans l’autobus avant que quelqu’un me voie. Je dois me calmer et
respirer. Une fois à la maison, je pourrai tout laisser aller sans problème, je dois seulement réussir à tenir vingt-cinq minutes de plus.

Les larmes, sur bien des plans, c’est comme une envie de faire pipi (pas parce que c’est de l’eau et que c’est chaud, arrrkk):

Je réussis à dissimuler quelques larmes discrètes sous mon foulard et ma tuque, que j’ai pris la peine d’utiliser pour couvrir une bonne partie de
mon visage. Il faut bien trouver un avantage au froid; il me permet d’avoir l’air du Bonhomme Carnaval sans que personne ne se doute que je
bous en dedans.

En me voyant entrer dans la maison, mes parents remarquent que quelque chose cloche. C’est vrai que ce n’est pas tous les jours que je
m’habille vraiment «en hiver».
Je teste ma résilience en décidant de souper et de passer la soirée avec mes parents. Je leur raconte une journée totalement fictive pour voir
s’ils me croient… Eh bien oui! C’est fou à quel point mon jeu d’actrice s’est amélioré en quelques mois. Je les laisse finalement à leurs
émissions de fin de soirée, prétextant beaucoup de devoirs: j’en ai effectivement beaucoup, mais je ne pensais pas les faire ce soir, ni aucun
autre soir avant un bout de temps, d’ailleurs.

Je m’assois tout simplement par terre au milieu de ma chambre et je laisse couler mes larmes en silence. Je n’ai plus aucune notion du temps.
Tout ce que je sais, c’est que j’ai mal. Jamais je n’aurais cru que les sentiments que j’avais pour quelqu’un, aussi petits soient-ils, pourraient
provoquer une douleur si forte dans ma poitrine. Je crois qu’Anthony n’a été que l’élément déclencheur dans l’histoire; que j’accumule les
déceptions depuis un peu trop longtemps. J’en ai marre d’être déçue si souvent par les gens autour de moi. Peu importe ce que je fais, ils
finissent tous par m’abandonner, me trahir ou essayer de me briser. Cette fois, je peux dire que, en groupe, ils ont réussi.

Je me couche sur le sol et je regarde le plafond jusqu’à ce que ma respiration se calme enfin et que je m’endorme paisiblement en me disant
que plus jamais, je ne laisserai des personnes me briser.
Chapitre 14
AVERTISSEMENT: RETIRER LES ÉPINES AVANT D’OFFRIR
UNE ROSE…

Mon plan d’attaque est le suivant: en apparence, je suis la miss Parfaite que j’ai toujours été, je reste souriante et enjouée pour faire croire à
tous ceux qui m’ont fait du mal que la vie est belle et que je m’en sors très bien. À l’intérieur, par contre, je bous d’une rage que je garderai
enfouie jusqu’à ce que je puisse l’évacuer seule à mon retour à la maison. Tout le monde remarque cependant un petit changement dans mon
attitude: j’ai la mèche courte.

Je garde le sourire, mais je peux vite me retourner et t’envoyer paître si ma patience est à bout. Malheureusement, comme presque tous les
adolescents de mon âge, je me défoule fréquemment sur mes parents, puisque je les vois souvent. Ça, mathématiquement parlant, je peux le
calculer: on vit ensemble, ils me parlent, me posent des questions, me disent quoi faire… La roue de la probabilité est contre eux, considérant
que les différentes possibilités sont:

Une Maya pas très sympathique, quoi! Je te le dis, c’est vraiment un plaisir de me côtoyer jusqu’à ce que tu réalises que j’ai deux attitudes:
«souriante, mais frustrée» ou «frustrée tout court».

De ce côté-là, mes parents sont quand même nice. Ils ne me forcent pas à leur dire ce qui se passe, ils me disent seulement qu’ils sont là si j’ai
besoin de parler. Il me semble que j’ai déjà entendu cette phrase-là dernièrement. Parlant du taouin qui l’a prononcée, il a essayé d’entrer en
communication avec moi depuis l’officialisation de son couple. Il a liké quelques-unes de mes photos et m’a même écrit en DM, jusqu’à ce
que je décide de le bloquer pour ne plus voir son nom apparaître en premier sur toutes mes publications.

Pendant ce temps-là, c’est aussi silence radio avec mon ancienne gang. Je vois que la leader du groupe (si on peut l’appeler comme ça)
commence à manquer d’arguments pour rallier ses troupes. Je pense que tout le monde est fatigué d’être frustré sans aucune raison, y compris
moi avec mon attitude de caca. Mais il m’arrive d’être tellement à pic pour rien que même ma voix intérieure me dit: «Fille, ça va, être bête?»

Au moins, je m’en rends compte, mais j’ai l’impression que je ne peux rien y faire.

C’est un soir où Sophie et moi restons à l’école après les cours qu’arrive ce que je redoutais. La rencontre. On étudie à la cafétéria lorsque je
réalise que j’ai oublié un cahier dans mon casier. Je descends pour aller le chercher quand je vois Anthony discuter avec Jonathan, le grand
blond qui aime m’appeler «la p’tite». Je me surprends à écouter un bout de leur conversation, mais tout ce que je comprends, c’est «Bro, je sais
tellement pus quoi faire» et «Je te comprends, man… Je sais pas quoi te dire non plus». Man, bro, tu parles d’un langage évolué, toi! Voir si je
parlerais à Sophie en l’appelant toujours woman!
C’est à ça que je pense quand je vois son regard changer de direction.

Il n’a pas le temps de capter mon regard parce que je fais volte-face sans réfléchir et j’ai mon premier french à vie… avec la poutre de béton
derrière moi.

Résultat: je suis loin de passer inaperçue et je vais me retrouver avec une bosse sur le front! Je suis vraiment bonne pour faire une folle de
moi! Pour ajouter à l’insulte, le grand idiot de Jonathan se met à rire.

— Es-tu correcte? me demande celui que je ne dois pas regarder, pas toucher, pas écouter et ignorer.

Alors qu’il est là, à côté de moi, avec son mautadine de parfum de plage de cochonnerie!

— J’ai-tu l’air correcte?! m’écrié-je sans même cacher ma frustration.

Contrairement aux larmes ou à l’envie de pipi, il semblerait que la colère et la déception sont deux sentiments qui ne se contiennent pas bien.
Lorsque ça explose, gare à tous ceux qui se trouvent dans les parages. Jonathan comprend rapidement que s’il continue à rire et ne part pas
immédiatement, il y passera lui aussi. Il abandonne son ami à une mort certaine. Même Anthony sait que son heure est venue. Il a voulu agir en
singe irrespectueux? Regarde-moi bien me transformer en King Kong et lui parler dans sa langue de macaque!

— Euh… je sais pas…

— Tu sais pas?! C’est sûr que tu sais pas, ça fait trois semaines que tu m’ignores!

— Je ne t’ignorais pas, c’est juste que…

— C’est juste que le gars gentleman et attentionné a été remplacé par un moron de première classe? C’est juste que tout ce que tu m’as dit,
c’était du gros n’importe quoi? C’est juste que t’avais pas les couilles de me dire que tu tripais sur Chloé?

— J’étais juste fru… J’ai cru que…

— Tu voulais me prouver que tous les gens à qui je donne ma confiance finissent par me décevoir?!

— J’ÉTAIS SÛR QUE TU AVAIS UN CHUM!

— De quoi tu parles?! m’exclamé-je.

— J’ai vu les photos passer sur ton compte Instagram. Tu avais plein de nouveaux amis, des plus vieux, puis il y a eu la photo où tu serrais un
gars dans tes bras et il avait écrit que tu étais sa meilleure… C’est con, je le réalise maintenant!

Argh! Il me niaise?! Les photos que j’ai publiées sur Instagram avec J-P et ses amis de gars pour montrer à mon ancienne gang à quel point je
pouvais me passer d’eux? Je n’aurais jamais cru qu’Anthony tomberait dans le panneau! Quand même, il aurait pu m’en parler au lieu de
bouder dans son coin!

— Con, tu dis?! J-P, c’est comme mon frère, comment t’as pu croire ça?! Je t’avais parlé de lui, en plus!

— Je sais, mais à ce moment-là, j’étais fru parce que je pensais que tu t’étais foutue de moi.

— Parce que c’est mon genre, peut-être? Et ta réaction logique a été de te dire: «Si elle fait ça, je vais lui faire la même affaire»? Un 10/10
pour la maturité, hein!

— J’avais pas pensé à ta réaction… Je me disais que ça te passerait dix pieds par-dessus la tête, ajoute-t-il en tentant une petite blague sur ma
taille, mais je saisis la perche pour répliquer de nouveau.

Je suis en feu, littéralement. Toutes les particules de mon cœur crient «À L’ATTAQUE!!!!» et les mots sortent comme des flèches sans que je
puisse les retenir.

— Ben oui! Parce que rien ne peut atteindre miss Parfaite. Parce qu’elle est capable d’en prendre, miss Parfaite. Parce qu’elle a toujours l’air
forte, miss Parfaite. Parce que c’est correct de lui briser le cœur, à miss Parfaite!

Je l’ai dit à voix haute. C’est sorti. J’ai le cœur brisé. J’ai beau faire semblant que tout va bien, la blessure est encore à vif. C’est là que je lance
mon attaque finale. Je le regarde droit dans les yeux et je le laisse voir tout: la déception, la douleur, la frustration, la colère et même, malgré
moi, ce sentiment d’affection qui aurait pu devenir de l’amour.

On n’a pas toujours besoin de mots pour exprimer ce qu’on ressent.

Je le laisse en plan, sans rien ajouter. Je retourne à la cafétéria pour retrouver Sophie, qui me dit:

— Tu étais où tout ce temps-là, coudonc?! Et veux-tu bien me dire pourquoi t’as une bosse dans le front?
— Parce que je suis une fille «entêtée»! Mais t’inquiète pas, c’est pas vraiment moi qui ai frappé un mur.

Et puis, j’éclate de rire. Un rire de soulagement, un rire d’épuisement, un amalgame d’émotions sens dessus dessous, mais qui vont peut-être
finir par avoir du sens.

Le fameux 14 février arrive enfin, mais sans le stress qui m’a écrasé la poitrine dans les dernières semaines. Le port de l’uniforme n’est pas
obligatoire aujourd’hui, à condition d’avoir du rouge ou du rose sur ses vêtements. Le conseil étudiant a décoré les corridors avec des fleurs et
des cœurs qui tourbillonnent. Je ne sais pas comment décrire ça, c’est des décorations qui tournent constamment. Pour vrai, je me croirais dans
un party thématique de la Saint-Valentin de ma grand-mère: c’est quétaine à souhait, mais il y a quelque chose de charmant et de presque
mignon.

C’est durant le cours de français qu’on reçoit le courrier du cœur. Juste pour que tu puisses te faire une image mentale, les membres du conseil
qui le distribuent sont déguisés en Cupidon, accoutrés d’une couche-culotte, d’un drap en bandoulière sur le haut du corps et d’un arc… Très
chic!

Tout le monde est complètement abasourdi de voir la quantité de lettres que Sophie-Rose et moi recevons. On fait comme si de rien n’était,
mais dès qu’on se retrouve seules après le cours, on éclate de rire!

— C’était épique!!! m’exclamé-je. As-tu vu la face de Delphine? Elle va se poser des questions toute la journée!

— Moi, j’ai surtout vu la face d’une autre personne… Hé boy. C’est écrit dans son front qu’il a fait une erreur!

— Tant mieux, il va s’en souvenir quand il va se regarder dans le miroir.

— Le pire, c’était Chloé qui était assise à côté de lui et qui lui a dit: «OK, c’est clair qu’elles se sont juste envoyé trop de lettres pour avoir l’air
moins loser!» Il lui a dit qu’il s’excusait de ne pas lui en avoir envoyé autant, mais qu’elle n’avait pas à s’en prendre à d’autres pour ça. Beau
petit couple, hein!

— HA, HA, HA, HA, HA, HA! Si elle savait à quel point elle a raison!!!

La journée se déroule plutôt bien et je me sens forte. J’aurais cru que ce serait plus difficile de vivre ma première Saint-Valentin de cette façon-
là, mais finalement, UNE bonne amie, c’est bien mieux qu’un chum ou que «Delphine la pas fine». (Trop facile!)

J’ai dû manquer un cours d’histoire pour aller chez le dentiste en début de semaine, alors quand j’arrive en classe, M. Couture me propose de
reprendre le mini test dans un local juste en face. Je m’installe donc avec ma feuille. Ce sont des mots cachés, alors bien honnêtement, même si
ça compte comme un examen, j’ai vraiment du fun, et ça passe super vite. Ce prof-là, un homme dans la cinquantaine, a vraiment le don de
nous faire aimer l’histoire. Même les examens sont cool, il faut le faire!

Je retourne en classe après seulement trente-cinq minutes sur les cinquante-cinq que dure le cours. M. Couture me regarde avec incrédulité.

— Déjà terminé, mademoiselle Filion?

— Oui! dis-je avec un grand sourire.

— Alors, venez ici que je corrige votre copie!

— Maintenant? murmuré-je avec gêne.

— Oui! Pas de pression, mais j’ai fait un pari avec vos camarades de classe: si vous finissiez votre examen en avance et que vous aviez plus de
35/40, on arrêterait les leçons, et le reste de la période serait libre.

Ben non, pas de pression du tout!

À mon grand soulagement, même si je n’en doutais pas vraiment, j’ai un beau 40/40, et M. Couture met un autocollant sur ma copie (il a
toujours des autocollants ou des étampes soleil, c’est super cute).

Maxime, mon voisin de bureau en histoire (il copie tout le temps sur moi, c’est gossant!), se lève pour aller rejoindre ses amis, alors je fais
signe à So de s’approcher. On va lire notre première lettre ensemble quand quelqu’un cogne à la porte. Sérieux, dès que ça fait TOC TOC, tout
le monde arrête de vivre pendant un moment pour regarder qui c’est. On doit avoir la même réaction qu’une bande de chiens qui entendent le
mot «biscuit»,

C’est M. Sauvé, notre prof de maths, qui a décidé de dédier sa période libre à la distribution des roses.

La tension est palpable. Les filles sont toutes assises sur le bout de leur chaise, et certains garçons semblent plutôt anxieux. Anthony fait partie
de ceux-là. Pendant ce temps, Sophie et moi, on est vraiment relaxes: on va en recevoir une de notre meilleure amie, quoi de mieux!

M. Sauvé nomme chaque personne une par une. Anthony reçoit une fleur de la part de Jonathan, qui dit l’aimer à la folie. J’avoue que, devant
cette déclaration de «bromance», même moi, je ris.

Quand M. Sauvé dit le nom de Sophie-Rose, je suis fière en voyant la réaction des élèves. Elle, la fille dont tout le monde se moque, a reçu une
rose. Elle doit être plus cool qu’on le pensait, non? Elle revient s’asseoir lorsque M. Sauvé me nomme. On se fait subtilement un clin d’œil en
se croisant, puis il me remet ma précieuse rose de l’amitié avec le petit mot de So.

Je vais retourner à ma place quand il m’arrête.

— Mademoiselle Maya, ne vous sauvez pas si vite. J’en ai deux autres pour vous.

Pardon? Il y a assurément erreur sur la personne. Je reste plantée là à le regarder d’un air qui veut dire: «Vous me jouez un tour, vous, là!»
Mais non, il me tend deux autres roses. Impossible que j’en reçoive trois?!

Je regagne mon bureau sous le regard de tous les élèves.

Il fait chaud, soudainement!

Je demande à Sophie-Rose de lire les cartes avant de me les montrer. En bonne amie, elle fait d’abord une crise cardiaque en voyant ce qui s’y
trouve. Lorsqu’elle me les remet, elle me dit, plus ou moins à la blague:

— Je prie pour toi, mon enfant.

J’ouvre les deux en même temps. Et puis…

Ben non, ça serait tellement pas correct que je te laisse dans l’incertitude comme ça jusqu’au prochain livre. Mais j’aurais peut-être aimé
tomber dans les pommes à ce moment-là: ça m’aurait empêchée de devoir gérer la suite.

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