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Le reflet de l’amour
Copyright de l’édition française © 2017 Juno Publishing
Copyright de l’édition anglaise © 2015 Maria Macdonald
Titre original : Love Reflection
© 2015 Maria Macdonald
Traduit de l’anglais par B.A. Pinto
Relecture française par Valérie Dubar & Jade Baiser
Tout droit réservé. Aucune partie de cet ebook ne peut être reproduite ou transférée d’aucune façon que ce
soit ni par aucun moyen, électronique ou physique sans la permission écrite de l’éditeur, sauf dans les
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À mon mari, qui me soutient dans tout ce que je fais, et à mes filles, souvenez-
vous que tout est possible.
Je vous aime pour toujours.
Le reflet de l’amour
Cœurs enlacés ~ Tome 1
Maria Macdonald
Chapitre Un
J’ai beau regarder cette boîte, rien ne change. Elle est toujours là. Toujours
pleine. Toujours remplie de souvenirs et je ne peux pas la déplacer… pas même
d’un centimètre. Même la toucher, je n’aime pas. Quand je la frôle, en passant à
côté, des frissons me remontent le dos. Je me réprimande. Tout ça pour une
boîte, Pearson ? Mais j’ai beau essayer de le nier, je sais que ce n’est pas juste
une pauvre petite boîte sur le pas de ma porte, c’est Saul. C’est lui et tout le
reste. Il n’est que le dernier d’une longue liste.
Je ramasse le truc le plus proche, qui s’avère être la couverture de ma défunte
grand-mère, et la jette sur la boîte pour créer une barrière entre les souvenirs à
l’intérieur et moi. Pour les emprisonner dedans. Les souvenirs, je préfère m’en
passer pour l’instant. Je sursaute au bruit de la sonnette d’entrée. Rassemblant
mes esprits, je réalise qu’elle avait déjà retenti alors que je dormais. Je me frotte
les yeux pour me réveiller et dévale les escaliers, sachant déjà qui se trouve
derrière la porte.
— Hé, Con, tu es un peu en avance, dis-je en jetant un coup d’œil à ma
montre avant de lui faire signe d’entrer.
— Oui, je sais. Je suis sorti du travail plus tôt et je me suis dit que je passerais
bien voir ma super copine.
Il me fait un clin d’œil, retire sa veste, la jette sur le dossier du canapé, se
catapulte presque sur une chaise et plante ses pieds sur la table basse.
Con a les cheveux bruns, presque de la couleur du chocolat et il les porte
toujours courts. Je me demande souvent à quoi il ressemblerait s’il les laissait
pousser un peu, juste assez pour que les pointes bouclent.
— Euh… ça va, tu t’installes ? plaisanté-je et je m’affale dans mon fauteuil en
repliant les genoux sous moi.
— J’attends le café que tu me promets chaque fois, mais que tu ne fais
presque jamais !
Il laisse pendre sa langue comme s’il était assoiffé.
— Tu vas probablement attendre longtemps, lui dis-je en souriant.
Con me fixe. Je déteste lorsqu’il fait ça. C’est comme si ses yeux me
traversaient, comme s’il voyait tous mes secrets, tous mes regrets et tout le vide
en moi.
J’ai connu Conner Ralph… oui, Ralph, McKenna, presque toute ma vie,
depuis le premier club d’Éclaireuses qu’on m’a forcé à rejoindre. Con aussi
n’avait pas eu le choix. Il déteste que j’en parle, mais c’est mon histoire tue-
l’amour préférée. Pas que je l’empêche de conclure souvent, juste quand les
filles sont vraiment trop horribles. Sa mère, Debbie, était une femme géniale et
complètement foldingue. Quand Con lui a dit qu’il voulait rejoindre les
Louveteaux, Debbie s’est renseignée. Évidemment, la réunion des Louveteaux
tombait le même jour que sa soirée Bingo et cette femme n’avait pas raté une
soirée Bingo depuis… eh bien, en fait, jamais. Con a donc fini chez les
Éclaireuses bon gré mal gré. Heureusement, quand Debbie est venue le
récupérer, la Cheftaine lui a expliqué que les Éclaireuses étaient un groupe
réservé aux filles. Et c’est sans pitié que j’en reparle pour me moquer de lui. Il
répète qu’heureusement, à l’époque, les garçons n’étaient pas autorisés à
rejoindre les Éclaireuses, et qu’aujourd’hui, il serait foutu !
— Quoi ? demandé-je avec un soupir comme il continue à me fixer.
— Rien, répond-il les sourcils froncés.
— Nous n’en parlons pas alors, c’est ça ? fulminé-je en partant préparer le
café à la cuisine.
— Tu sais que tu peux me parler. Il est temps que ça sorte et que tu te soulages
de ce poids.
Il me parle comme si j’étais un animal apeuré. Je ne peux pas lui en vouloir, le
sujet me fait réagir comme si j’en étais un. En fait, il est l’un des seuls capable
d’aborder le sujet sans que je parte me cacher dans le trou de souris le plus
proche.
— Peut-être que ce poids est exactement là où il devrait être, tu y penses à ça
parfois, Con ?
Je commence à me sentir nerveuse, encore quelques minutes et je serai soit en
larmes soit en train de hurler.
Con le voit et abandonne, mais pas sans une réflexion.
— Non. Je n’ai jamais pensé que c’était là que ce poids devait être. J’y ai
beaucoup réfléchi et oui, ce fardeau doit être quelque part, mais pas sur tes
épaules. Ça n’a jamais été sa place et ça ne le sera jamais. Plus vite tu le laisseras
tomber, mieux ce sera… pour nous tous.
La dernière partie, il la murmure, espérant probablement que je ne l’entende
pas.
Il a raison, évidemment. Je sais ce que je devrais faire et je sais à quel point
j’ai rendu les choses difficiles pour les autres ces derniers mois, surtout pour lui.
Je ne le voulais pas. Mince, quand les choses ont commencé à se dégrader, j’ai
essayé de garder mes distances pour qu’ils n’aient pas à s’occuper de moi.
J’adorerais dire qu’ils ont refusé de m’abandonner, que, malgré tous mes efforts,
je ne suis pas parvenue à repousser mes amis, mais en vérité, avec le temps je ne
me suis retrouvée qu’avec quatre personnes au monde. Enfin, maintenant, deux.
Le reste était allé de l’avant, avait continué sans moi. Certains se sont
littéralement enfuis, d’autres ont essayé un temps, mais je suis sûre que tenter de
rester ami avec une recluse sur le déclin n’est pas facile, surtout quand tout ce
que l’on veut, c’est vivre sa vie et s’amuser.
Je n’avais que vingt ans quand j’ai senti ma vie m’échapper. J’avais le monde
devant moi. Je n’ai pas toujours été ainsi. Alors que je commence à me pencher
sur ma vie, les souvenirs filtrent et me ramènent à mes seize ans, il y a
maintenant tout juste dix ans… toute une vie.
Alors que je reviens à la réalité, je réalise que nous ne parlons jamais de cette
époque. En quelques mois, Con et moi étions devenus un couple presque
inséparable, et les autres filles en étaient folles de jalousie. Nous étions restés
ensemble quatre ans, mais les choses changent et les gens vont de l’avant.
C’était il y a toute une vie maintenant. Cela faisait des années que c’était fini.
Nous étions pourtant restés proches. Nous quatre au début, nous trois,
maintenant.
Le clic de la bouilloire m’annonce que l’eau a fini de chauffer et me tire de ma
léthargie. Je jette un coup d’œil à Con, le vois regarder par la fenêtre avec la
même expression que moi sur le visage.
— À quoi penses-tu ? demandé-je, espérant que la tension est assez dissipée.
Con se tourne vers moi, les épaules voûtées et un sourire amer sur les lèvres
avant de se ressaisir.
— Pea, laisse tomber le café, j’y vais. Il faut que je rentre prendre une douche
pour oublier cette journée et être prêt pour ce soir.
Il me regarde et joue des sourcils.
— Ah oui, j’oubliais, tu as un rendez-vous. Quelle bimbo, cette fois-ci ?
J’essaie de ne pas le dire trop sèchement. Entre nous, il n’y aura plus jamais
rien, pas après tout ce qui s’est passé. Je l’avais décidé six ans plus tôt et, à
nouveau, deux ans plus tard, quand il l’avait reproposé. Plus récemment, j’ai cru
que nous pourrions réessayer, mais nous n’avions pas pu et maintenant je
comprends ce que Soph voulait dire quand elle disait qu’ils étaient nos garçons,
à nous. C’est dur.
Ces six dernières années, Con n’a pas vraiment eu de petite amie régulière,
juste beaucoup de rendez-vous. Mais je sais que le temps viendra où il trouvera
quelqu’un et se casera. Nous sommes tous les deux de mauvais exemples des
gens de notre âge, nous sommes encore loin de la retraite, mais la plupart des
vingt-cinq/trente ans ont généralement au moins une relation durable.
En fait, Con a effectivement eu une petite amie après notre rupture. Il est sorti
avec Kelly, un mannequin, pendant sept mois. Nous ne l’avons pas beaucoup vu
durant cette période. Il évitait de se retrouver seul avec Soph ou moi si Kelly ou
un autre homme ne se trouvait pas là aussi. À leur séparation, notre quatuor est
redevenu ce qu’il avait toujours été, comme si les sept derniers mois n’avaient
jamais existé.
Con ne parle jamais vraiment de cette relation, sauf pour dire qu’ils s’étaient
séparés parce qu’ils n’attendaient pas les mêmes choses de la vie. Je le
soupçonne de ne pas vouloir de quelqu’un qui l’empêcherait de voir ses amis. Je
suis sûre que j’aurais réagi comme Kelly si l’une des amies de mon petit-copain
était, non seulement son ex, mais aussi celle avec qui il avait testé la cowgirl
renversée pour la première fois.
Le passé ! C’est parfois un véritable fardeau.
Con se passe la main dans le cou et regarde ses pieds.
— Ouais, je ne voulais pas en parler, Pea. Je… euh, en fait… le truc c’est que,
je ne t’en ai pas parlé avant parce que je ne savais pas comment tu réagirais,
mais la fille que je vois ce soir, eh bien… c’est – comment dire – c’est… Stacey.
Je le regarde un long moment et essaie de comprendre ce qu’il vient de dire.
Alors, il sort avec quelqu’un qui s’appelle Stacey. D’accord ! Pourquoi toute
cette agitation ? Je ne comprends pas. Une petite seconde ! Et d’un coup, je fais
la connexion.
— Stacey… comme dans, Stacey Peters ?
Il acquiesce et j’ouvre de grands yeux. Mince ! Est-ce que je l’ai invoquée en
pensant à elle ?
— Tu te fous de moi ? lui crié-je pratiquement.
Pour sa défense, il grimace et prend l’air désolé. Il fait bien. Non seulement
Stacey avait été une pétasse de première classe à l’école, constamment en train
d’essayer de nous séparer et de répandre des rumeurs horribles de tromperie
entre nous, mais en plus, même une fois adulte, alors que nous avions déjà
rompu, elle essayait de s’immiscer entre nous quatre. Plus seulement avec des
rumeurs, mais en nous envoyant certains de ses amis, hommes ou femmes, pour
profiter de nous. Et un de ses gars avait même réussi à nous droguer, Soph et
moi.
Heureusement, Con et Saul avaient prévu de nous rejoindre en boîte, mais
étaient en retard. Ils avaient tout de suite compris que nous n’étions pas nous-
mêmes et nous avaient immédiatement emmenées à l’hôpital. Saul avait reconnu
l’un des gars et ils lui rendirent une petite visite le lendemain. Il admit que
Stacey lui avait demandé de nous droguer et de prendre des photos de nous,
nues, dans des positions compromettantes. Il avait assuré qu’il ne serait, bien sûr,
jamais allé aussi loin. Ouais, c’est ça. Apparemment, Con avait perdu les pédales
et Saul avait été obligé de l’arracher du dos du garçon. Évidemment, quand ils
questionnèrent Stacey, elle nia en bloc, prétendant que le gars était un ex qui
n’arrivait pas à passer à autre chose et voulait lui causer des problèmes. Les
garçons la crurent, parce que a) ce sont des idiots et b) ce sont des idiots.
Si un homme avait été derrière tout ça, ils n’auraient jamais avalé ces bobards,
ça, c’est sûr. Par chance, elle avait déménagé trois ans auparavant et je n’avais
plus eu à me préoccuper de son prochain mauvais coup. Je ne savais pas qu’elle
était de retour et encore moins qu’elle sortait avec Con. Est-ce que ça veut dire
qu’elle s’imagine pouvoir se joindre à notre groupe ? J’ouvre et ferme la bouche
comme un poisson. Je ne sais pas ce que je veux ou dois dire.
— Pea, elle a changé. Ce n’est plus la même pétasse rancunière qu’avant,
promet-il.
— Oui, j’en suis sûre. Je suis aussi sûre qu’elle n’a pas fait exprès de nous
pourrir la vie à Soph et moi. Qu’elle ne te voulait pas depuis le début et que je
n’étais juste qu’un dommage collatéral, craché-je.
Con recule comme si je venais de le gifler.
— Pea, je suis désolé. Si ça t’embête vraiment, je peux annuler. Je pensais
qu’après toutes ces années, ce serait maintenant du passé. Je ne pensais pas que
c’était toujours aussi important pour toi.
Il essaie de me calmer encore une fois, et ce n’est pas juste. C’est toujours lui
le gentil, celui qui essaye de me rendre la vie meilleure et je lui fais toujours du
mal. Il est temps d’avoir du cran.
— Con, je suis désolée. Je n’ai pas le droit de m’énerver à cause de ton choix
de petite-amie. Vas-y et amuse-toi. Laisse-moi juste du temps, d’accord ? Je ne
veux pas d’elle au milieu de notre groupe, déjà qu’il n’est plus très grand. Tu
peux comprendre ça ?
Con me regarde comme si je venais de le blesser, comme s’il avait mal.
— Oui, Pea, ne t’inquiète pas.
Il se penche, dépose un baiser sur mon front avant de tourner les talons et de
se diriger vers la porte. Quand il l’atteint, il se retourne, une expression sérieuse
sur le visage.
— Pea, si tu as besoin de moi, je suis là. Pour n’importe quoi. N’importe
quand. Toujours.
Avant que je puisse répondre, il sort et je reste debout à regarder la porte. Je
me dis que le passé a vraiment tendance à revenir vous hanter.
Chapitre Deux
Le tic-tac de l’horloge résonne si fort que j’ai presque envie de jeter quelque
chose dessus, juste pour la voir exploser et enfin en être délivrée. Il faut bien que
je fasse quelque chose pour calmer la pression qui monte dans ma tête. Je
soupire et regarde l’horloge à nouveau. Il est 22 h 30, c’est vendredi soir et je
suis à la maison en pyjama prête à commencer mon tricot. Enfin,
métaphoriquement parlant, étant donné que j’ai plus de chances de me crever un
œil avec les aiguilles que de réussir à tricoter quelque chose d’utile !
La chanson Happy de Pharell Williams retentit dans la pièce quand mon
téléphone se met soudain à sonner. Je lui lance un regard noir, me demandant ce
qui avait bien pu me passer par la tête lorsque j’avais choisi une chanson aussi
joyeuse comme sonnerie. Le portable continue de bêler sa mélodie – il se moque
de moi, c’est évident. Il me faut toute ma volonté pour l’attraper et décrocher au
lieu de le bazarder contre un mur. Je lance un regard haineux vers l’horloge lui
disant qu’elle a de la chance : sans l’intervention subite du téléphone, elle serait
toujours mon ennemie publique numéro un.
— Allô, dis-je en répondant et je réalise que je n’ai pas regardé le nom de la
personne qui appelle.
— Hé chica. Je t’en supplie, dis-moi que tu n’es pas chez toi un vendredi
soir ?
Hum Soph. Il y avait peu de chances que ce soit quelqu’un d’autre. Je n’ai
qu’un… deux… euh, oui c’est ça deux amis.
Je grogne.
— Hé Soph. Je n’ai pas envie de sortir ce soir, c’est tout. On peut se voir
demain plutôt, si tu veux ?
J’ai bon espoir. Je ne sais pas pourquoi je m’accroche à cette idée. Soph peut
se montrer acharnée parfois, un peu comme un chien avec un os. Un bon gros
Rottweiler avec un os énorme, qui n’aurait pas été nourri depuis cinq jours et qui
détesterait les gens.
— Je parie que tu es sur ton canapé à regarder l’horloge et te demander s’il est
encore trop tôt pour aller te coucher.
À ces mots, je fais le tour du salon du regard. J’inspecte la cheminée. Est-ce
qu’elle a fait installer des caméras chez moi ?
— Sérieusement, Pea. J’arrive dans trente minutes. Sois prête à aller faire la
fête !
Et elle raccroche. Je regarde le téléphone, le serre entre mes doigts et tente
désespérément de ne pas l’envoyer contre un mur parce que, admettons-le, je
serais obligée d’en acheter un autre. Et un téléphone, c’est cher de nos jours !
Je soupire en réalisant que je devrais commencer à me préparer. Soph est
casse-pieds, mais c’est mon casse-pieds à moi, et pour le pire comme le meilleur,
elle est comme une sœur et je peux toujours compter sur elle. Si je ne veux pas
sortir et si je suis irritable depuis mardi, c’est à cause de Con et de son rencard
avec Stacey.
Je n’arrive pas à m’y faire. Je ne comprends pas pourquoi ma vie est soudain
si bizarre ! Je suis en colère qu’il l’ait choisie, elle. Il est sorti avec beaucoup de
filles, des bimbos généralement. Je pense qu’il aime qu’elles soient sans
profondeur, il sait dès le départ qu’il n’aura pas à s’investir émotionnellement. Si
l’on oublie évidemment que Stacey est une pétasse depuis je ne sais combien
d’années, je n’arrive pas à cerner mon problème. Peut-être que ce n’est pas une
bimbo et que c’est ce qui me gêne ? Bien sûr, elle y ressemble et j’ai parfois eu
la preuve qu’elle agissait comme telle, mais elle le connaît depuis des années.
Pas aussi bien que Soph ou moi, mais suffisamment bien pour qu’il ressente
quelque chose à son égard.
Je secoue la tête et me fais la leçon, littéralement.
— Arrête de faire le bébé. Con peut bien choisir qui il veut. Quoiqu’il arrive,
il sera toujours votre ami, à Soph et toi. Maintenant, tu te mets sur ton trente-et-
un et tu vas les rejoindre à cette soirée.
Ça ne marche pas.
Pas du tout.
Je tourne les talons et file dans ma chambre pour changer de tête, littéralement
et métaphoriquement.
— Spanx, ce soir, c’est toi et moi contre le monde entier !
Une heure plus tard, nous nous arrêtons devant la boîte qui a été réservée pour
l’anniversaire de quelqu’un. Tom ? Rick ? Jasper ? Je ne sais pas, je ne suis là
qu’en tant qu’invitée de Con ou de Soph. C’est toujours comme ça. C’est
toujours eux qu’on invite. J’imagine qu’il est compliqué de demander à une
personne qui refuse de voir du monde de venir à une soirée.
D’ordinaire, je ne viens pas. Rien, ni plainte ni supplication ou pieds écrasés
ne pouvaient m’influencer… oui, Soph faisait ça parfois. Je ne sortais pas de la
maison. Mais ce soir, j’ai l’impression de le lui devoir. Non seulement elle me
supporte malgré tous mes problèmes depuis des années, mais en plus, ces
dernières semaines, j’allais de mal en pis et je ne savais pas comment arranger
les choses.
Évidemment, j’essaie aussi de me faire pardonner d’avoir manqué son dîner
d’anniversaire, il y a quelques semaines. Je ne voulais pas me retrouver seule au
milieu de si peu de gens, à tenter toute la nuit de ne pas me faire remarquer par
mon silence. Ce n’est pas que les gens me mettent mal à l’aise ou que je n’aime
pas parler avec eux, c’est juste que je dois être dans le bon état d’esprit, et
généralement, je ne le suis pas. Essayer de faire la conversation à des inconnus
me semble inutile.
Mais ce soir, pour Soph, je ferai un effort. Elle n’était pas satisfaite de la tenue
que je m’étais choisie. Mon Spanx était resté dans le placard, attendant une
nouvelle aventure. Son style, c’était paillettes ou jupes courtes, en fonction de la
situation. Moi, c’était plutôt confort et jeans usés. Ce soir, j’ai mélangé un peu
des deux genres pour apaiser Soph. Je porte un dos nu noir avec un
enchevêtrement délicat de sequins argentés sur le devant. Un jean moulant noir
et des bottines noires à talon aiguille confortables, mais légèrement trop hautes
pour moi, ce qui me rend presque incapable de marcher. J’avais ajouté une
touche de couleur en choisissant une pochette et une bague fantaisie rouge.
Après m’être coiffée en relevant mes cheveux en boucles souples, j’avais aussi
utilisé plus de maquillage que d’ordinaire.
Je suis Soph à l’intérieur du club mal éclairé, j’écoute la musique, les
conversations et je réalise qu’à part elle, je ne connais probablement qu’une
seule autre personne ici ce soir.
— Viens. Je veux me trouver un gars mignon avant qu’ils ne soient tous pris
pour la nuit, dit Soph en se tordant le cou pour mieux repérer sa prochaine
victime.
— En fait, j’espérais qu’on pourrait boire un verre et danser un peu, Soph. Tu
sais, passer du temps ensemble, discuter ?
— Oui, Pea, c’est une idée géniale, mais une boîte de nuit, ce n’est pas
l’endroit idéal pour ça ! Enfin, pour bavarder ! Tu sais quoi ? Peu importe où je
me réveille demain, je ferai la marche de la honte jusqu’à chez toi et nous
discuterons autour d’un café, pendant que je me repose la tête sur la table de ta
cuisine et lunettes de soleil sur le nez. Qu’est-ce que tu en penses ?
Avec un clin d’œil, elle s’éloigne et se retrouve noyée dans la foule. Je ne la
vois plus.
Très bien, premier arrêt, le bar ! Je me faufile entre les gens et tente d’attirer
l’attention du barman en lui faisant signe derrière un couple apparemment
déterminé à s’entre-dévorer le visage. Quand il me remarque enfin et prend ma
commande, j’aperçois un siège de libre. Je m’assieds, soulagée de pouvoir enfin
boire quelque chose. Je suis déshydratée.
— Bonsoir, dit quelqu’un à ma droite.
Je suppose que ce n’est pas pour moi, je ne réponds donc pas et regarde ma
commande qui vient d’arriver.
— Je peux m’asseoir ici ?
Je tourne la tête à droite et réalise que le couple cannibale est parti et qu’à sa
place se trouve un inconnu qui m’observe. Il est mignon. Ses cheveux bruns,
presque noirs sont coupés ras. Il est joliment bronzé, mesure probablement un
mètre quatre-vingt et a l’air bien bâti. Un sourire faux sur le visage, j’acquiesce
pour dire que la place est libre.
Il me tend la main pour que je la lui serre.
— Je suis Dane Matthews.
Mes yeux vont de sa main à son visage plusieurs fois avant que je ne réponde
à son salut.
— Je m’appelle Pea, dis-je.
Il écarquille les yeux.
— Pea ? Comme petit pois en anglais ?
Je plisse le nez.
— Eh bien, en fait mon nom, c’est Pearson, mais tout le monde m’appelle
Pea.
— OK, alors si c’est un surnom, pourquoi pas Peer plutôt ?
— Eh bien, ça se prononce Peer-son, mais en fait, ça s’écrit P-E-A-R-S-O-N.
Donc, Pea.
Je me rends compte que je suis sur la défensive et que j’ai croisé les bras sur
ma poitrine.
Il lève les mains.
— Désolé. Désolé, je ne disais pas ça pour me moquer, rigole-t-il.
Je cherche son visage, il est si ouvert et sincère que je comprends qu’il n’est
pas en train d’essayer de faire le malin.
— Désolée, je ne suis pas douée pour le social, marmonné-je.
— Moi, je trouve que tu t’en sors très bien, dit-il avec un sourire en coin.
Je me retourne vers mon verre, le cœur lourd. Je ne suis pas sortie depuis
tellement longtemps que j’en ai oublié comment flirter. C’est agréable de retenir
l’attention de quelqu’un même si nous n’avons pas encore échangé plus de
cinquante mots.
— Alors, Pea, qu’est-ce qui t’amène ici ce soir ? Je ne crois pas t’avoir déjà
croisée, demande-t-il.
— Tu ne te serais pas emmêlé les pinceaux par hasard ? Je pensais que c’était
censé être… « Je suis sûr de t’avoir déjà croisée quelque part », dis-je en levant
un sourcil.
Il sourit.
— Je n’aime pas les clichés. J’essaie d’être original, répond-il.
Je me tapote les lèvres d’un doigt.
— Ah bon ? Hum… laisse-moi réfléchir. Très bien, Monsieur « J’aime être
différent », tu utilises quelle technique d’approche alors ? Et ne prétends pas que
tu n’en as pas ! Tous les hommes en utilisent même si c’est en disant qu’ils n’en
ont pas justement.
— Non, tu as raison. Tous les hommes ont leurs techniques. Mais pourquoi te
parlerais-je des miennes ? Si je le fais, tu ne me trouveras pas irrésistible et tu ne
tomberas pas amoureuse de moi.
Son visage se fend d’un sourire.
J’émets un grognement… oui, un grognement, carrément.
— Essaie toujours.
Je le taquine maintenant. Je me rends compte que ce qu’il va dire ensuite
m’intéresse vraiment.
— OK, alors, quand je rencontre une belle femme comme toi, je lui demande
si elle aime les chats.
Je le dévisage retournant sa phrase dans tous les sens dans ma tête.
— Attends, j’essaie de comprendre là. Je suis presque sûre de ne pas avoir mal
entendu. Donc, quoi ? Je veux dire… quoi ?
— Essayons, dit-il en souriant. Alors, Pea, est-ce que tu aimes les chats ?
— D’accord, je marche. Je veux vraiment savoir où cette conversation va nous
mener. C’est sympa les chats, je suppose.
— Tu en as ?
— Non.
— Tu en veux ?
— Je n’y ai jamais pensé, mais probablement pas.
— Eh bien alors, il faut que tu sortes avec moi, répond-il en me souriant de
nouveau.
— Quoi ? Sérieusement ? Quel est le rapport avec les chats ?
— Tu vois, après m’avoir rencontré, si tu me jettes, tu me verras toujours
comme celui qui t’aura échappé. Tu ne tomberas jamais amoureuse et tu ne
fonderas jamais de famille. Tu t’achèteras beaucoup de chats et seras, à partir de
ce moment-là, connue partout comme « la folle aux chats » qui conserve les
cadavres de ses animaux dans le congélateur.
Je ne peux pas m’en empêcher, j’explose littéralement de rire. Un gros rire. Je
ne me rappelle pas la dernière fois que c’est arrivé. Pliée en deux, j’essaie de
respirer tout en me tenant les côtes. Alors que je retrouve mon calme, je réalise
que malgré le nombre de personnes et le bruit dans la boîte, les gens me
dévisagent. Je balaye du regard la foule et repère Con qui m’observe. Essayant
de lire en moi. Mes yeux font le point tout à coup, quand Stacey se glisse à côté
de lui, s’agrippant à son bras comme elle avait l’habitude de le faire avec Saul.
Saul.
Lorsque nous étions encore tous les quatre.
J’ai le souffle coupé. C’est comme faire un bond dans le passé. Je ferme les
yeux et me concentre sur les battements de mon cœur. Boum. Boum. Boum.
Cinq jours, plus que cinq petits jours avant mon vingtième anniversaire. Une
autre étape de ma vie. Ça fera aussi quatre ans que nous étions devenus un
couple, Con et moi. Quatre ans ! J’avais l’impression que nous étions ensemble
depuis toujours. Par conséquent, je remettais en question tous les choix que
j’avais faits dans ma vie. J’avais prévu de partir faire le tour du monde pendant
six mois pour mon vingtième anniversaire, j’en parlais depuis toute petite. Je le
répétais tellement que, pour mes dix-neuf ans, ma grand-mère m’avait offert un
portefeuille avec des billets, un itinéraire et des bons de voyage. Elle avait
réservé des chambres et des avions pour les six mois suivants le jour de mes
vingt ans. Et en plus de tout ça, elle m’avait aussi donné de l’argent de poche.
J’étais euphorique, bouleversée et certaine que je ne pouvais tout simplement
pas accepter. Pourquoi voudrais-je abandonner Con six mois ? J’étais
amoureuse. Je le suis toujours. Je crois.
Je regardai autour de moi les gens danser et s’embrasser. Je fermai les yeux et
écoutai la musique. J’avais cinq jours pour me décider. Cinq jours pour choisir
entre l’aventure de mon existence ou l’amour de ma vie. La pression me semblait
énorme. Bien plus grande que ce qu’une fille de vingt ans, en boîte de nuit un
samedi soir, avec ses meilleurs amis et son petit copain, aurait dû être capable
de ressentir.
Je baissai les yeux sur ma robe rouge, me demandant pourquoi j’avais laissé
Soph choisir ma tenue. Le tissu était tellement moulant qu’il me collait comme
une deuxième peau et je me sentais nue. J’errai en direction de notre petit box.
Soph et Saul riaient et Con souriait de quelque chose qu’ils avaient dit.
— Hé ! Pourquoi la queue pour les toilettes est-elle aussi longue ? Et
pourquoi est-ce que tu m’as laissée toute seule, Soph ? me plaignis-je.
— Désolée, chica. Je ne te voyais plus et je gênais tout le monde alors je suis
sortie t’attendre dehors, mais ce gars trop craquant m’a fait de l’œil. J’étais
obligée d’y aller.
Elle fit un clin d’œil, mais les deux garçons partirent en fou rire.
— Oui, le seul problème, c’est qu’il ne lui faisait pas de l’œil, il essayait de ne
pas vomir et lorsque Soph s’est approchée, tout est sorti, expliqua Saul,
contenant à peine son fou rire.
— Je suis surpris qu’elle s’en soit sortie indemne, ajouta Con.
— Oui, on aurait dit une scène de l’Exorciste, renchérit Saul. Je m’attendais à
ce que sa tête se mette à tourner sur elle-même, bafouilla-t-il. Ou celle de Soph !
Tu avais l’air de vouloir le trucider.
Saul et Con s’esclaffèrent en la regardant.
— Vous êtes tellement immatures parfois et qu’il ait vomi ne veut pas dire
qu’il ne me faisait pas de l’œil ! dit-elle d’un ton sec.
— Con, est-ce que je te fais de l’œil là, selon toi ? demanda Saul en se
tournant vers Con et prétendant être sur le point de vomir.
Con rit.
— Non, sérieusement, je veux savoir. Je ne veux pas que les filles se jettent sur
moi quand je suis prêt à rendre mon Jack Daniel’s !
Les garçons pleuraient de rire et Soph se tenait là, les mains sur les hanches,
faisant la moue. Ce fut cet instant, cet instant qui aurait semblé banal à toute
personne étrangère à notre groupe, qui me décida. Comment pourrais-je
abandonner ces gens, ils étaient ma famille. Ma vie. Ma paix.
Quatre jours plus tard, mon monde paisible s’écroula pour la première fois.
C’était la veille de mon anniversaire. Tout paraissait normal, rien ne laissait
présager que quelque chose arriverait et changerait ma vie.
Je me réveillai quand le chien des voisins se mit à aboyer. Ouvrant un œil, je
regardai l’heure, 7 h 30 du matin. Je me cachai les yeux avec un bras.
— Bah ! Putain de chien. Tous… Les… Matins… !
Je roulai hors de mon lit et me traînai jusqu’à la salle de bain. Je regardai le
miroir et me remémorai la nuit précédente.
C’était un pot de départ, je crois, pour quelqu’un de l’immeuble de Saul –
honnêtement, je ne me souvenais pas. Je m’étais sentie mal toute la journée et
avais décidé de rentrer tôt. Évidemment, Con avait voulu m’accompagner, mais
je lui avais dit de rester et de s’amuser.
Maintenant que je voyais mon reflet dans le miroir, je me posai la question,
pourquoi ne lui avais-je pas demandé de me ramener et de s’occuper de moi ?
Ah oui, c’est vrai, Grand-mère aurait eu une crise cardiaque ! Elle croyait
toujours que j’étais vierge, ou peut-être voulait-elle seulement y croire.
Les trois autres étaient chanceux, ils avaient soit leur propre appartement
même minuscule, soit droit à un peu d’intimité. Ils avaient tous un but et des
carrières. Je n’avais jamais ressenti le besoin de planifier ma vie, de savoir où
j’allais ou bien où je serais dans cinq ans.
Saul était photographe, Soph était mannequin et Con se préparait à devenir
rédacteur sportif. Il travaillait à temps partiel pour le journal local et étudiait le
journalisme à l’université. Je travaillais au supermarché. Parfois, j’avais
l’impression de déséquilibrer notre groupe. Ils ne le mentionnaient jamais, mais
sortir et dépenser de l’argent était toujours plus difficile pour moi. Con
proposait toujours de tout payer pour moi, et honnêtement, parfois j’acceptais.
Souvent, je refusais, ce qui faisait qu’ils rataient beaucoup d’opportunités de
s’amuser puisqu’ils ne voulaient pas participer sans moi. Mais même si j’avais
eu une carrière incroyable et lucrative, je vivrais probablement toujours chez ma
grand-mère. J’habitais avec elle depuis mes six ans.
Ma mère, sa fille, était mère célibataire. Elle n’avait jamais mentionné
l’identité de mon père à qui que ce soit. Ce qui voulait dire, je suppose, qu’elle
resterait secrète pour toujours. Ma mère était morte d’un cancer quand j’avais
six ans. Ma grand-mère était mon héroïne.
Je brossai mes dents et sautai dans la douche. Vingt minutes plus tard, je me
sentais déjà plus humaine. Je décidai de rendre visite à Con pour voir dans quel
état il se trouvait ce matin.
Le temps que j’arrive chez lui et réalise qu’il n’y était pas, Soph m’avait écrit.
Soph : Morte. Je suis juste morte. Argh. Je ne boirai plus. Jamais. Je crois
que quelque chose est mort dans ma bouche
Moi : Tu as fini où ? Je suis chez Con, mais il n’est pas là.
Soph : Chez un type. Je me suis traînée jusqu’à la maison et me suis mise au
lit. La dernière fois que je l’ai vu, Con était chez Saul. Il doit squatter son
canapé.
Moi : Je passe te cuisiner un truc ce soir.
Soph : Mon héros. Je savais que je ne t’aimais pas pour rien !
Je ris et fourrai mon portable dans ma poche. Tournant les talons, je pris la
direction de l’appartement de Saul.
H-quinze minutes avant le drame.
En arrivant, je ne pris pas la peine de frapper. La porte était entrouverte. À
l’intérieur, je pouvais voir les restes de la nuit précédente éparpillés dans la
pièce. Des bouteilles et des verres vides, des mégots, des vêtements et même
quelques personnes.
J’errai dans le petit appartement. Il ne me fallut pas longtemps pour trouver
Con. C’est simple, il n’y avait que deux chambres et il était dans l’une d’elles…
dans le lit… une fille y était aussi, enroulée autour de lui, la tête sur son torse
nu.
J’eus un cri de surprise au même moment où Saul entra.
— Hé, Pea, qu’est-ce que tu fais ici si tôt ? demanda-t-il avant de remarquer
mon expression et de tourner la tête vers Con et la traînée. Putain, Con ! Tu fous
quoi ? hurla-t-il.
Je ne disais toujours rien. Je ne pouvais pas. Ma gorge était paralysée.
Pendant un instant, je n’étais même pas certaine de pouvoir respirer. Mon
souffle m’échappa d’un coup quand Con ouvrit les yeux et me sourit.
— Hé, bébé, dit-il automatiquement.
Il baissa ensuite les yeux vers la pouffiasse contre lui qui commençait juste à
se réveiller. Son visage refléta de la confusion puis de la colère. Quand il releva
les yeux sur moi, il prit peur.
Je tournai les talons. Je pus l’entendre rugir :
— PUTAIN !
Je courus, sprintai, me sauvai comme si ma vie en dépendait et ne m’arrêtai
que lorsque j’eus atteint mon lit et enfouis mon visage dans l’oreiller, pleurant
jusqu’à ne plus avoir de souffle.
Deux jours plus tard, je partais pour mon voyage de six mois. J’ignorai tous
les appels de Con, tous ses messages et toutes ses visites. Je parlai à Soph et
Saul pour les avertir de mon départ. Ils voulaient que je reste. Disaient que je
devais lui parler, que ce n’était pas ce que je croyais. Je n’arrivais pas à
imaginer un scénario dans lequel le retrouver, presque nu, entrelacé avec une
autre femme serait acceptable. Je partis donc.
Deux semaines plus tard, j’appris que j’étais enceinte.
Alors que je me force à ne plus me souvenir, j’attrape mon sac et pars. Je jette un
coup d’œil à Con avant de sortir et je peux voir que tout son visage est teinté de
douleur. C’est quelque chose que je vois souvent maintenant, quand il me
regarde.
Je quitte la boîte de nuit et prends un taxi. Je ne me sentirai pas réellement en
sécurité tant que je ne serai pas rentrée, sachant qu’une fois à la maison, je
pleurerai pour tout ce que j’avais perdu. Pour tout ce qui avait fait le vide en moi
et pour les quelques morceaux de moi-même qui restaient.
Chapitre Trois
Je plante la clé dans la serrure avec assez de force pour manquer la casser. Je me
précipite à l’intérieur et claque rapidement la porte derrière moi. Mon cœur bat si
fort qu’il pourrait bondir hors de ma poitrine. Je me laisse glisser par terre
jusqu’à n’être plus qu’une masse au milieu du couloir. Ma poitrine est serrée et
je mets la main sur mon cœur attendant que la douleur s’estompe. Je me répète
‘respire’ pour essayer de me calmer.
Un coup à la porte me fait hurler de peur. Depuis quand suis-je aussi
nerveuse ? Je secoue la tête. — Merde, j’ai besoin d’aide, marmonné-je en me
relevant. Je jette un coup d’œil par le judas et vois Dane. Mais qu’est-ce qu’il
fiche ici et comment connaît-il mon adresse ?
Alors que je suis sur le point d’ouvrir la porte, une sonnerie dans ma poche
m’informe de l’arrivée d’un message. Je sors mon portable pour le lire.
Soph : J’ai donné ton adresse à Dane.
Je fixe l’écran et réponds rapidement.
Moi : Quoi ? Pourquoi ?
Soph : Il avait l’air inquiet et voulait vérifier que tu allais bien. Désolée.
J’allais venir, mais il voulait vraiment te voir. Ne t’inquiète pas, ce n’est pas un
malade. C’était sa fête.
Moi : Oh, je me sens beaucoup mieux alors !
Soph : Cool. Je passerai te voir demain. xx
Je me tiens là, à maudire l’impossibilité de faire passer un ton sarcastique par
message, tout en étant presque certaine que Soph avait bien compris ce que je
voulais dire, pourtant elle avait décidé de ne pas en tenir compte.
— Euh, Pearson, est-ce que ça va ?
La voix de Dane me rappelle que je suis plantée ici comme une idiote en train
de l’ignorer. Il doit sûrement me trouver complètement dérangée. En fait, il se
demande à coup sûr, pourquoi il s’est embêté à suivre une folle.
— Pearson ?
— Désolée, une petite minute.
Je regarde le couloir. Je porte toujours mon manteau ; mon sac et son contenu
sont éparpillés sur le sol. Je rampe jusqu’à la pochette, refourre tout à l’intérieur
et la dépose sur les escaliers, puis je retire ma veste et la lance par-dessus la
rambarde. Je fais face à la porte essayant de me recentrer. Dieu seul sait à quoi je
ressemble puisque, dans le hall d’entrée, il n’y a pas de miroir pour vérifier.
J’ouvre la porte et tente de la jouer calme et décontractée.
— Hé, Dane, qu’est-ce que tu fais ici ?
— Eh bien, tu t’es pratiquement enfuie. En fait, je ne sais pas vraiment ce qui
s’est passé. J’ai eu peur de t’avoir contrariée. J’ai demandé ton adresse à Soph en
pensant qu’il valait mieux te suivre. J’espère que ça ne te dérange pas ?
Il a l’air un peu inquiet et aussitôt je me sens mal. Ce type a quitté sa propre
fête pour s’assurer que j’allais bien. C’est plutôt gentil de faire ça pour
quelqu’un que l’on vient de rencontrer. Même si, d’ordinaire je trouverais ça
bizarre. Je sais que Soph ne m’enverrait pas un psychopathe.
J’entrouvre la porte et recule, méfiante.
— Entre ?
On dirait plus une question qu’une affirmation.
Il relève la tête rapidement.
— Tu es sûre ? Tu n’as pas l’air très convaincue, fait-il en riant, mais je
distingue l’insécurité dans sa voix.
Je soupire et réalise qu’il me prend probablement pour une folle furieuse.
J’acquiesce.
— Oui, désolée, la nuit a été… bizarre… difficile… perturbante…
Je me décide pour « longue ».
Il sourit, mais le sourire n’atteint pas ses yeux. Il entre et regarde autour de lui.
— Du thé ?
— Café, plutôt. Enfin, si ça ne dérange pas.
— Non, bien sûr. C’est juste une habitude, de proposer du thé, je suppose.
— Je n’en bois pas. Pas depuis des années, je tourne un peu au café. C’est une
mauvaise habitude, j’imagine, mais je bois du décaféiné la nuit pour me détendre
un peu, tu vois ?
— Oh, je n’ai pas de déca et il est…
Je regarde l’horloge.
—… presque minuit…
J’entends ma voix se faire toute petite sur la fin et je sais pourquoi.
C’est franchement triste, même quand je me force à sortir, je me retrouve à la
maison avant minuit, comme Cendrillon, mais sans marraine la bonne fée ni
chaussures de verre super classes.
Dane me sourit.
— Un « caféiné » ira très bien.
Je me dirige vers la cuisine, consciente qu’il me suit. Oh mon Dieu ! Soph
connaît-elle vraiment ce gars ? Pourquoi l’ai-je invité dans ma maison ? Il
pourrait me tuer pendant que je lui fais son café. Je crois bien que je n’aie pas
rangé la table à repasser. Je me rappelle l’avoir pliée, mais je ne l’ai pas remise à
sa place entre le mur et le réfrigérateur. Il pourrait me frapper avec alors que
j’aie le dos tourné, ou avec le fer à repasser ! Je ne l’ai pas rangé non plus. Il
pourrait me le lancer dessus. Ce serait un coup fatal et l’on ne reconnaîtrait plus
mon visage. Soph serait obligée de venir identifier mon corps et je serais toute
horrible et écrabouillée. Mais d’un côté, ce serait bien fait pour elle, ça lui
apprendrait à donner mon adresse à des maniaques sanguinaires !
J’attrape la bouilloire, prête à le frapper avec elle s’il tente quoi que ce soit, et
je me tourne lentement. En le faisant, je l’aperçois appuyé contre le plan de
travail, à l’autre bout de la cuisine, en train de lire le journal local gratuit que je
m’apprêtais à recycler. Il lève les yeux, regarde la bouilloire dans ma main et
sourit largement.
— Je ne sais pas pour toi, mais je préfère mon café avec de l’eau chaude.
Il me fait un clin d’œil… oui, un clin d’œil !
Je regarde la bouilloire et rougis. Pivotant rapidement, je la place sur la base,
l’allume et m’occupe en lisant les inscriptions sur les tasses, mugs et autres. Nos
échanges se limitent à moi lui demandant s’il veut du lait ou du sucre. C’est
étrange. Je viens tout juste de rencontrer cet homme et il est dans ma cuisine.
Aucun de nous ne parle et pourtant, le silence est confortable. Est-ce que ça veut
dire quelque chose ?
Je prépare le café et le lui tends.
— Tu es sûre que tu ne te sentirais pas mieux si tu me renversais ce café
dessus plutôt ? me demande-t-il, un éclat dans les yeux.
Je lève un sourcil.
— Je ne vois pas de quoi tu parles.
Il sourit, puis hésite.
— Je vais laisser filer celle-là, si tu réponds plutôt à celle-ci, pourquoi tu t’es
enfuie tout à l’heure ?
Je joue nerveusement avec ma tasse.
— Dane, je me rappelle t’avoir dit que je n’étais pas très douée pour le social.
Alors, imagine à quel point je suis nulle avec les gens que je viens de rencontrer
et qui, en plus, ont tendance à vouloir trop en savoir.
Il rigole, son rire est jovial et chaleureux. Quelque chose en lui me fait me
sentir en sécurité.
— Je sais que j’ai l’air de ne pas aimer les limites, mais j’étais sincèrement
inquiet pour toi et je voulais seulement m’assurer que tu allais bien.
Je regarde par la fenêtre de la cuisine, mais il fait nuit noire dehors et tout ce
que je vois, ce sont nos reflets.
Dane traverse la cuisine, m’attrape par les épaules et me retourne pour me
regarder dans les yeux.
— Pea, regarde-moi.
Je lève les yeux vers son visage. Il est très beau, c’est indéniable. Soigné et, à
l’évidence, en forme, avec des yeux d’un marron profond.
— Tu avais ce regard quand tu es partie, c’était tellement soudain. Tu riais et
l’instant d’après tu avais disparu. S’il te plaît, tu n’es pas obligée de me raconter
toute ta vie, dis-moi juste que tout va bien.
Je peux voir la sincérité sur son visage ; je regarde en direction de la fenêtre à
nouveau.
— Je vais bien. Non, ce n’est pas vrai. Je ne vais pas bien, mais ça va. Un
jour, j’irai bien et un jour… je serai même heureuse. …Un jour.
Je l’entends soupirer.
— Pea, je vais dormir sur ton canapé ce soir.
— Quoi ! Non ! lui crié-je pratiquement au visage.
Il rit encore.
— Enfin une vraie réaction.
Je fronce les sourcils et croise les bras sur ma poitrine attendant qu’il
fournisse une explication.
— Pas la peine de te mettre sur la défensive avec moi, Pea, je pensais que
nous n’en étions plus là.
Je ne dis rien et continue de le dévisager. Je me demande s’il commence à me
trouver flippante ? Je glousse intérieurement et il doit le voir dans mes yeux.
— Je te fais rire ? demande-t-il.
Je ne dis rien.
Il laisse échapper un profond soupir.
— OK, écoute, je ne voulais pas t’offenser. C’est juste que… on dirait que tu
te coupes du monde. C’est comme si tu étais un robot en pilote automatique et
chaque fois que tu réagis à quelque chose, tu as l’air de te le reprocher juste
après. Comme si tu n’avais pas le droit de ressentir quoi que ce soit.
Il ouvre la bouche, il veut sûrement dire autre chose et je le regarde fixement.
Je suis pétrifiée. Je n’arrive pas à croire que l’on puisse relever tant de choses à
mon sujet en seulement trente minutes de conversation. Je pensais que je le
cachais pourtant bien ? Oh mon dieu ! Je sens ma poitrine se serrer à nouveau.
— Pea, écoute, c’est bon. Allons nous asseoir. Tu as l’air un peu pâle.
Ce qu’il voit doit lui faire peur parce qu’un instant plus tard, il me soulève et
me porte jusqu’au salon, avant de me déposer délicatement sur le canapé. Il
s’éloigne et j’ai l’impression d’être un escroc. Il s’inquiète vraiment alors que je
vais bien. C’est étrange, pour une fois, je n’ai pas le cœur lourd, ce qui est un
sentiment avec lequel je vis depuis des années. Quelque chose chez cet homme
me fait me sentir plus légère, mais quoi ?
Soudain, on toque à la porte et j’entends :
— Pea, Pea, ouvre. C’est Con ! Est-ce que ça va, Pea ?
Mince ! Brièvement, je me demande pourquoi il paraît si inquiet. Je me
demande si Stacey lui a proposé de rencontrer ses parents. Je m’esclaffe
intérieurement. Est-ce que je suis soûle ? Droguée ? Qu’est-ce qui se passe ? Je
ne suis pas du genre à pouffer, même intérieurement.
J’entends la porte s’ouvrir, puis :
— Qu’est-ce qui se passe ici ? Où est Pea ?
— Elle est sur le canapé, détends-toi.
On pousse la porte et tout à coup, Con est là, à genoux à côté de moi.
— Pea, qu’est-ce qui ne va pas ?
Son front est plissé et il semble paniqué.
— Con, je vais bien. Promis. Je me sentais un peu patraque et Dane s’est
inquiété, alors il m’a couchée sur le canapé, mais ça va mieux. Écoute, je vais
me relever.
— Comment ça, il t’a couchée sur le canapé ? demande-t-il, un grondement
dans la voix.
— Je l’ai portée jusqu’au sofa. Tu sais, au cas où elle s’évanouisse et se fasse
mal, grogne Dane en retour.
Les hommes, je vous jure !
— Fermez-la tous les deux. Je vais bien. Ça n’allait pas, mais maintenant ça
va.
Je m’assieds et promène les yeux entre les deux hommes.
— Con, qu’est-ce que tu fais ici ? Où est Stacey ?
— Je l’ai ramenée chez elle. Je voulais être certain que tu allais bien. Tu es
partie de la fête comme si on t’avait contrariée.
Il tourne la tête vers Dane.
Je peux voir Dane lui lancer un regard, je parle donc avant qu’il puisse
répondre.
— Con, comme je n’arrête pas de le répéter, tout va bien. Ça n’allait pas, mais
maintenant si. Je voulais juste sortir de la boîte. Dane était inquiet, donc il est
venu me voir après que Soph lui ait donné mon adresse.
Le visage de Con se vide de toute expression.
— Soph lui a donné ton adresse ? Quelle idiote, elle fait n’importe quoi quand
elle a bu !
Avant que je puisse la défendre, Dane intervient.
— Soph essayait d’aider, tu sais ? Ce truc que font les amis ? Elle était
inquiète et moi aussi. J’ai demandé l’adresse de Pea pour m’assurer qu’elle allait
bien. Je connais Soph depuis un moment, alors elle sait que je ne suis pas un
malade mental.
Il me regarde avec un pétillement dans les yeux en disant les derniers mots et
je rougis. Il doit savoir que c’était ce que je pensais un peu plus tôt.
Con voit notre échange et grogne, littéralement, fort. Je me retourne vers lui,
les yeux écarquillés, à l’instant où Dane se met à rire.
— Écoute Pea, il faut que j’y aille de toute façon. À l’évidence, tu vas mieux
et Con est là, je suis sûr qu’il peut s’occuper de toi.
J’acquiesce et souris, craignant de dire quelque chose et de paraître encore
plus stupide que j’en avais déjà l’air.
— Je te raccompagne jusqu’à la porte, annonce Con.
Alors que Dane s’éloigne, il se retourne pour me faire face.
— Pea, Soph m’a aussi donné ton numéro. Je t’appelle dans deux ou trois
jours.
Avec ça, il me lance un clin d’œil et la grimace de colère de Con s’aggrave. Je
les regarde marcher jusqu’à la porte, les entends murmurer, puis la porte claque
et Con revient.
— Non, mais qu’est-ce qui t’es passé par la tête, Pea ?
Il fait les cent pas et agite les mains en l’air. C’est plutôt amusant à voir et
alors que je ricane, il braque les yeux sur moi.
— Pourquoi ris-tu ? Ce n’est pas drôle !
— Con, tais-toi !
Je tente toujours de retenir mon rire.
— Un mec bizarre débarque devant ta porte, tard la nuit, et toi, tu lui ouvres ?
Ça aurait pu être un fou.
Il est en train de s’énerver, je me lève donc et sors. Je vais prendre une
douche. J’ai besoin d’effacer les souvenirs de cette soirée. J’entends des pas et
fais volte-face. Con se trouve à quelques centimètres de moi, quelque chose
brille au fond de ses prunelles et ce qu’il était sur le point de crier, s’arrête sur le
bout de sa langue. Sa respiration se fait plus rapide et il plonge ses yeux dans les
miens. Leur vert brillant tourne au vert profond et il m’attire à lui et je me perds
dans mes souvenirs d’il y a six ans…
— Pea ! entendis-je Soph crier dans l’aéroport bondé alors que je me tenais là à
l’attendre.
Ça faisait seize semaines que j’étais partie.
Seize semaines à pleurer Con.
Seize semaines depuis que j’avais changé de numéro de téléphone pour
stopper ses appels et messages incessants.
Et quatre semaines depuis que mon corps avait détruit tout ce qui restait de
nous.
Seize semaines ! C’était incroyable tout ce qui m’était arrivé en si peu de
temps.
— Bonjour Soph, tu m’as manqué.
J’attendis qu’elle se soit rapprochée pour la prendre dans mes bras et en le
faisant, je remarquai Saul par-dessus son épaule, l’air penaud. Je tressaillis
légèrement.
— Saul ?
Je regardai derrière lui, mon cœur battant soudain la chamade. Il avait sans
doute remarqué ma panique.
— Ne t’inquiète pas Pea, il n’est pas là.
— Et pourtant il a insisté, marmonna Soph.
Quoi ?
— Qu’est-ce que tu fais ici, Saul ?
Ma question paraissait sèche et je grimaçai sachant que ce n’était pas sur ce
ton que j’avais prévu de le dire.
— Désolé, Pea. Je voulais juste voir si tu allais bien. Con a voulu venir quand
il a découvert que Soph te rendait visite, mais nous savions que tu ne serais pas
d’accord. Alors je lui ai dit que je viendrais et lui dirais comment tu te portes en
rentrant.
— Comme un espion ? demandai-je une petite touche d’humour dans la voix.
— Tu me connais, Pea. 007, c’est mon deuxième prénom.
Il écarta les bras et se désigna lui-même avec un clin d’œil.
— Très bien vous deux, rentrons à l’hôtel. J’ai envie de me détendre, de
manger, de nager, oooh… et d’aller à la plage ! intervint Soph.
— Une chose à la fois, Soph. Tu es là pour deux semaines, n’est-ce pas ? dis-
je et Soph regarda ses pieds. Soph ?
— Eh bien, j’allais venir pour deux semaines, mais l’agence a appelé et m’a
proposé un job la semaine prochaine. Je ne peux pas refuser, Pea.
Je serrai les dents. J’avais besoin de Soph maintenant, mais ce n’était pas de
sa faute. Elle n’était pas au courant de ce qui s’était passé. Je ne le lui avais pas
dit. Je ne l’avais dit à personne. Si je l’avais fait, elle aurait décliné l’offre de
travail et elle en avait besoin. Elle rêvait d’être un mannequin célèbre depuis si
longtemps, et qui sait quelle opportunité ferait décoller sa carrière.
— Pea ?
Je pouvais entendre l’inquiétude dans sa voix.
— Désolée, Soph, non, ce n’est pas grave. Évidemment que tu dois accepter
ce travail ! dis-je en souriant et Saul me dévisagea comme l’aurait fait Con.
Il pouvait lire en vous avec ses regards. C’était troublant. Cette fois-ci, je fus
celle qui détourna les yeux.
Soph, sans remarquer le regard de Saul et trop heureuse d’être pardonnée se
ragaillardit.
— Saul restera deux semaines, lui.
Je levai les yeux sur lui, il me fixait toujours. Oh, merde ! Bon, eh bien, il
faudra bien en parler à quelqu’un un jour ou l’autre.
— Allez, on y va ?
Je me dirigeai vers la sortie.
Je reviens d’un coup à la réalité quand Con caresse du pouce mon visage. Nous
nous regardons. Il essaie de lire en moi à nouveau et je peux voir une touche de
désir dans ses yeux. Je m’éloigne.
— Con, j’ai besoin de prendre une douche, murmuré-je.
Il ne me lâche pas. Dans ses yeux se reflète la bataille intérieure qu’il est en
train de livrer. Lentement, il me relâche et je reprends le chemin de la salle de
bain.
— Pea, m’appelle-t-il.
Je me tourne.
— Pea, je suis désolé d’avoir crié. J’étais en colère parce que tu te mets en
danger.
Je m’apprête à ouvrir la bouche, mais il reprend.
— Je sais que Soph connaît ce type et qu’il n’a pas essayé de te tuer, mais
j’avais peur. Alors peut-être… peut-être, que j’ai mal réagi en me mettant à crier,
mais je m’inquiéterai toujours pour toi.
Je laisse ses mots glisser sur moi, ne sachant pas vraiment quoi répondre, et
dis finalement :
— Ce n’est rien, Con, ne t’inquiète pas. Je vais me doucher, tu seras là quand
je sortirai ?
— Non, Pea, je dois y aller. Je voulais t’en parler après la fête, mais je ne t’ai
pas vue, c’est en partie pour ça que je suis venu ce soir.
Sa voix se change en simple murmure et je sens mon cœur battre à tout
rompre. Je sais que je ne vais pas aimer ce qui va suivre.
— Je pars dans deux jours, je suis muté pour une mission à New York.
Apparemment, le nouveau patron du journal est américain et tant qu’il vit ici, il
exige les stats de tous les sports américains, donc ils veulent que j’y aille.
— Mais, mais, mais…
Je ne peux que bredouiller.
— Ils ne peuvent pas te demander d’abandonner ta vie ici et de partir comme
ça !
Je commence à lever la voix.
— Si, Pea, ils peuvent. C’est écrit dans mon contrat.
— Et Stacey ?
Dès que ces mots quittent mes lèvres, je sens la confusion se peindre sur mon
visage. Je n’ai aucune idée d’où peut bien sortir cette question.
Con rigole.
— Stacey et moi, ce n’est pas sérieux, Pea, tu le sais. Je ne fais pas dans le
sérieux.
Il me regarde dans les yeux, me mettant au défi de le contredire.
— Oh !
— Oh ? C’est ça ? C’est tout ce que tu as à dire ?
Il semble blessé.
— Non, je veux dire, oui. Je veux dire… balbutié-je.
— Qu’est-ce que tu veux dire ? dit-il maintenant irrité.
— Je veux dire, « oh » comme dans « je n’avais pas réalisé que ce n’était pas
sérieux entre vous ». Je croyais… enfin, je veux dire… je pensais que comme tu
la connais depuis longtemps…
Je laisse la question mourir sur mes lèvres.
Il me dévisage, les sourcils froncés.
— Alors, ça ira pour toi quand je serai loin ? crache-t-il.
— Hé ! Con, calme-toi, bon sang. À quoi t’attendais-tu ?
— Eh bien, à un petit peu d’émotion au moins.
J’inspire profondément, plusieurs fois. La dernière chose que je veuille c’est
une dispute juste avant son départ vers un autre pays. Mais c’est notre truc
apparemment.
— Con, je suis émue, mais j’essaie de ne pas le montrer pour ton bien. Tout
ira bien pour moi quand tu seras là-bas et tu sais pourquoi.
Je marque une pause en le regardant, il est toujours en colère, je continue
donc.
— Parce que tu dois y aller. Tu n’as pas le choix. Parfois, les choses que nous
ne contrôlons pas sont les choses qui nous aident le plus. Et de toute façon, je
serai là quand tu reviendras.
Il me regarde un long moment, cligne des yeux puis tourne les talons et quitte
la maison sans un regard en arrière.
Je reste là, choquée un instant, puis retrouve mes esprits. Une fois sous la
douche, je laisse les larmes couler librement, sachant qu’elles seront emportées
avec l’eau. Je ferme les yeux et laisse mon esprit vagabonder pendant que je
repense à certaines choses que je préfère généralement ignorer…
Après avoir changé de chaîne pour la centième fois, je jette la télécommande sur
le canapé. Je m’énerve souvent contre les objets inanimés ces temps-ci. Je
soupire dédaigneusement comme si quelqu’un pouvait m’entendre et demander
ce qui n’allait pas. Je peux sentir les plis sur mon front et je sais que je suis en
train de froncer les sourcils. Je me le permets parce qu’il n’y a personne. Ça fait
deux semaines maintenant que Con est parti.
Pas un appel !
Pas un texto !
Pas un mail !
Il n’a même pas laissé de message à Soph pour moi.
Dane a appelé et nous avons décidé de faire quelque chose cette semaine. Il
vérifie son emploi du temps et me recontacte. Je suis censée choisir l’endroit,
mais apparemment, j’ai perdu toute créativité parce que je n’ai aucune idée.
La sonnette m’annonce un visiteur et, mon cercle d’amis étant réduit à sa plus
simple expression, je sais qu’il ne peut s’agir que de Soph. Quand j’ouvre la
porte, elle me regarde et sourit un peu tristement avant de me prendre dans ses
bras.
— En quel honneur ? demandé-je.
— Comme ça. Tu as l’air triste, Pea. Tu as l’air triste depuis des années, mais
maintenant tu as aussi l’air perdue.
Je recule pour la laisser entrer en me demandant depuis quand on pouvait me
lire aussi facilement. Une fois au salon, nous nous asseyons face à face, chacune
d’un côté opposé du sofa, prêtes à bavarder.
— Tu as des nouvelles de Con ? demandé-je sans préambule.
Si elle lit effectivement en moi aussi facilement qu’elle en a l’air, elle ne
devrait pas être surprise.
— Oui, il a appelé la nuit dernière. Très tard. Il a dit qu’il aimait le travail
qu’on lui a confié. Que tout allait vite là-bas. Il avait l’air content.
Elle me regarde pour s’assurer que je ne suis pas sur le point de m’effondrer.
Je ris.
— C’est bien ! Je veux qu’il soit heureux avant tout. J’aimerais juste qu’il
m’appelle. Deux semaines sans parler, je n’ai pas l’habitude. La dernière fois,
c’était…
Je m’arrête, réalisant que j’étais la seule à blâmer cette fois.
— Tu sais, quand tout ça est arrivé, c’est Saul qui m’a convaincue de venir te
voir.
Je la dévisage.
— Quoi ? Tu ne voulais pas me rendre visite ?
Je réalise que ses mots me blessent.
Soph grimace.
— Ce n’est pas que je ne voulais pas. Mais je pensais que tu avais besoin
d’être un peu seule. Je pensais que tu me dirais quand tu aurais besoin de moi.
Depuis, j’ai compris que c’est d’un bon coup de pied aux fesses que tu as besoin
pour faire quoi que ce soit. Et je ne parle même pas de ce qu’il te faut pour
mettre de l’ordre dans tes idées.
— J’avais besoin de toi. De vous tous. Plus que jamais. J’avais peur de te le
dire. De te demander de l’aide. Je pensais qu’admettre en avoir besoin rendrait
les choses trop réelles et que ce serait reconnaître que j’avais peut-être fait une
erreur.
Soph fronce les sourcils et penche la tête sur le côté.
— Nous sommes toujours en train de parler de ce qui est arrivé entre Con et
toi, n’est-ce pas ?
— Eh bien, oui, de ça et d’autre chose.
J’attrape un coussin et retire la poussière imaginaire de dessus.
— Pea ?
J’entends tellement plus que mon nom dans sa question. Je me souviens de
l’intonation malheureuse dans la voix de Saul quand il a posé la même
question…
— Pea ?
L’appel s’accompagnait d’un coup à la porte. J’inspirai profondément et
expirai en comptant jusqu’à dix.
— Pea ? entendis-je, plus fort, tandis qu’il frappait une deuxième fois.
Traînant des pieds jusqu’à la porte, j’ouvris en grand pour faire comprendre
à Saul qu’il pouvait entrer.
Il me dépassa et s’assit sur le lit.
— Alors, tu me racontes ?
— Direct ? Comme ça, Saul ? Tu ne voulais pas y aller doucement ?
demandais-je en souriant misérablement.
— Écoute Pea. Je t’aime, mais tu ne joues pas vraiment franc jeu et je sais
que tu caches quelque chose. Je le sais. Alors, crache le morceau que je puisse
tout arranger. T’arranger toi.
Un rire m’échappa. Il sonnait creux.
— Je ne crois pas qu’on puisse encore m’arranger, Saul.
— Alors quoi ? C’est le truc avec Con ? Tu sais que ce n’est pas ce que tu
crois. Sérieusement, j’ai découvert toute l’histoire. Je voulais te l’expliquer,
mais au début Con voulait te le dire lui-même et après tu refusais de l’écouter.
Maintenant, il est d’accord pour que je m’en charge pour lui. Il déprime, Pea.
Il est effondré. Je ne l’ai jamais vu comme ça. Il faut que je t’explique afin que
vous régliez toutes ces conneries. Tu n’arrêtes pas de me repousser, mais là,
c’est fini.
— J’étais enceinte, glissai-je entre cette tirade et celle qui ne manquerait pas
de suivre.
Il me regarda avec de grands yeux. Je pouvais y voir sa douleur. Pour moi,
peut-être. Pour Con ? Je ne savais pas. Il ne dit rien et moi non plus. Après
quelques minutes, il devint apparent qu’il ne répondrait pas. Je me lançai donc.
— Les premiers temps de mon voyage, j’étais en Espagne, comme tu le sais.
À peu près une semaine après mon départ, je n’arrêtais pas d’être malade. Rien
de grave. Je ne me suis pas inquiétée. Je ne l’ai pas vu venir. J’ai vomi trois
jours d’affilée, avant d’aller voir le médecin. Heureusement, il parlait vraiment
bien anglais, sinon, il faut bien admettre que je n’aurais rien compris à ce qu’il
disait. Il m’a demandé quand j’avais, tu sais, eu mes règles pour la dernière
fois. J’ai calculé et compris ce qu’il essayait de me dire. Il a demandé un
échantillon d’urine et fait des tests, et voilà.
Je m’interrompis en réalisant que, peut-être, l’anecdote sur l’urine serait de
trop pour lui. Je souris intérieurement, soulagée d’être encore capable de
m’amuser de certaines choses.
— Quoi ? Pourquoi ? Comment ? Pourquoi ne nous en as-tu pas parlé ?
Attends, une seconde, tu étais enceinte de Con, n’est-ce pas ?
— Évidemment ! Qu’est-ce que tu insinues, Saul ? répondis-je, irritée.
Il essayait juste de protéger son meilleur ami, mais il me connaissait quand
même depuis des années. Il savait que je ne tromperais jamais Con.
— Ce n’est pas moi qui suis allée voir ailleurs, je te rappelle ! lançai-je,
cassante.
— Il ne t’a pas trompée non plus, Pea, mais il faut que tu m’écoutes afin que
je puisse arranger les choses. Après vous pourrez vous remettre ensemble et
avoir…
— Arrête, Saul, l’interrompis-je et il détourna brusquement les yeux de la
porte qu’il fixait.
— Non, Pea ! Toi, arrête !
Une expression d’agacement passa sur son visage.
— J’en ai assez que tu te coupes de nous. Je pensais que tu avais besoin de
réfléchir, de t’éclaircir les idées. Je pensais que tu étais avec Con depuis assez
longtemps pour au moins lui laisser une chance de s’expliquer. Merde ! criait-il
à présent.
Je me contentai de le regarder. J’étais engourdie, je ne ressentais plus rien.
C’était comme si mes émotions s’étaient enfuies en même temps que tout le
reste, me laissant avec un corps vide. Une coquille.
— Pea, tu ne vas rien dire ? Je veux dire, Con ne sait pas. Je sais qu’il ne
sait pas, il me l’aurait dit.
— Non, tu as raison, je ne l’ai pas dit à Con et je ne le ferai pas. Ça ne le
concerne plus.
Je réalisai à quel point je devais paraître froide.
— Mais qu’est-ce qui ne va pas chez toi, Pea ? cria Saul.
Je ne pensais plus à l’hôtel, aux personnes dans les chambres voisines, à
Soph ou à rien d’autre, quelque chose en moi céda.
— PUTAIN, J’AI PERDU UN BÉBÉ, SAUL, VOILÀ CE QUI NE VA PAS
CHEZ MOI ! hurlai-je.
Je lui criais littéralement au visage. Je ne me savais même pas capable de
faire tant de bruit. Je me levai pour quitter la chambre. J’avais besoin de sortir.
J’avais besoin d’arrêter de lui parler, de ne plus penser ni au passé ni au
présent. Alors que je me dirigeais vers la porte, je me retournai.
— En fait, ce n’est pas tout à fait exact, dis-je, les dents serrées.
Saul me regarda, la bouche ouverte.
— J’ai perdu deux bébés, pas un !
Les yeux de Saul s’agrandirent et je sentis une larme glisser le long de mon
visage. Je pivotai sur mes talons et courus hors de la pièce avant qu’il ne puisse
ajouter quoi que ce soit. Je passai mon temps à courir.
Reprenant mes esprits, j’entends… clac, clac. C’est Soph qui claque des doigts.
— Où es-tu partie ? Tu fais ça tellement souvent, parfois ça m’inquiète. Je me
demande si un jour, tu oublieras de te réveiller, me dit-elle doucement.
Je la regarde, la tristesse ternit son beau visage.
— Tu ne te débarrasseras pas de moi si facilement. J’essaie de plaisanter, mais
il n’y a pas d’humour dans ma voix.
— Et si je te préparais à dîner ce soir ?
Soph incline la tête sur le côté, attendant ma réponse.
— Et si nous le faisions ensemble, plutôt ? contré-je, pas certaine de vouloir
goûter son plat fétiche, saumon-légumes, à nouveau.
Je comprends qu’en tant que mannequin elle ait besoin de garder la ligne,
mais je ne suis pas mannequin et j’aime le gâteau au chocolat et la vraie
nourriture.
Elle sourit et nous passons en cuisine.
Quand ma grand-mère est morte, j’ai gardé la maison. Heureusement, le prêt
immobilier était déjà remboursé sinon je n’aurais pas pu me le permettre. C’est
une maison individuelle à trois chambres en bordure de Londres. Si ma grand-
mère n’avait pas habité là toute sa vie, son prix n’aurait pas été abordable. Je
reçois constamment des lettres d’agents immobiliers m’exhortant à vendre, sous
prétexte qu’une armée de clients était prête à acheter ma maison. Eh bien, ils
peuvent toujours attendre. Je me trouverai cinq cents chats et j’habiterai ici
jusqu’à ma mort, juste pour leur pourrir la vie. Bon sang, je suis vraiment
irritable en ce moment !
Je parcours la cuisine du regard. Elle est rustique, avec un grand évier blanc.
Au-dessus se trouvent une fenêtre à guillotine et des rideaux blancs brodés de
jolies libellules roses et vertes. La pièce est anormalement spacieuse, assez pour
accueillir une cuisinière en fonte, une table en bois pour huit personnes et une
armoire remplie des porcelaines que ma grand-mère aimait tant. Je me demande
si les autres maisons de la rue ont une cuisine aussi grande, ou si elles ont toutes
été rénovées trop de fois pour les conserver.
Je me rends compte que, de nos jours, les gens ont besoin de plus d’espace
pour leur famille, mais ma grand-mère et moi avions toujours été les seules à
habiter cette maison. Nous n’avions jamais eu à réarranger la cuisine.
Je ne m’imagine pas y toucher. Elle aimait cette salle et y était toujours en
train de faire de la pâtisserie. C’était sans doute pourquoi j’aimerai toujours les
gâteaux au chocolat, personne ne les faisait comme elle.
Personne.
Elle m’aimait assez pour m’offrir en abondance quelque chose que je
chérissais et qui m’enveloppait.
De l’amour et de la sécurité.
C’est ce qu’elle m’a donné en me laissant cette maison.
Sa présence… c’est ce que je ressens quand je suis ici.
— Alors, que dirais-tu de préparer un hachis parmentier ? demandé-je,
devinant déjà sa réponse.
Elle plisse le nez.
— Ouais. Euh… Je dirais que non.
— Avez-vous une contreproposition à me faire, Miss Rawlings ?
Je hausse un sourcil, attendant sa réponse. C’est une tradition, lorsque nous
mangeons ensemble, de négocier le menu jusqu’à atteindre un consensus.
— Pourquoi pas du poulet sauce barbecue et une salade ?
— Pourquoi pas du poulet sauce barbecue et du riz ?
— Et du poulet sauce barbecue avec une salade de riz ?
Soph me regarde les yeux pleins d’espoir.
— D’accord, Soph, je peux survivre avec ça. De toute façon, j’ai fait des
muffins au chocolat en dessert.
Je sais que mon visage est fendu d’un sourire diabolique en disant ça. Soph ne
peut pas résister à mes muffins au chocolat et je les prépare justement pour cette
raison. J’avais l’intuition qu’elle viendrait ce soir.
Nous sommes le 14 octobre, le jour où Con et moi étions devenus un couple…
notre anniversaire. Je ne sais pas s’il n’est pas étrange de le considérer encore
comme notre anniversaire, après toutes ces années ? Si nous étions restés
ensemble, ça aurait fait dix ans aujourd’hui. Nous serions probablement mariés
et aurions des enfants.
Des enfants. Cette pensée, c’est comme prendre un camion en pleine face.
Je ferme les yeux et inspire profondément plusieurs fois. Faire entrer l’air par
le nez et l’expirer par la bouche. Et on recommence. Encore une fois. Quand
j’ouvre les yeux, Soph me regarde.
— J’ai paniqué un instant. Ça va mieux, dis-je avec un sourire larmoyant.
— Appelle-le, m’encourage-t-elle.
— Non, répliqué-je.
— Pourquoi pas ?
— Je n’ai même pas son numéro.
Je réalise que j’ai l’air d’une enfant.
— Bon sang Pea, tu as son portable.
Soph commence à se fâcher. Je ne lui en veux pas, je sais que quand il s’agit
de mes complexes, je peux être invivable.
— S’il voulait me parler, il m’aurait appelée, Soph. Il ne l’a pas fait. Il ne veut
donc pas.
Le silence tombe et je me tourne pour commencer à préparer le poulet. Soph
souffle et s’occupe de la salade.
Je sais que nous serons réconciliées avant que le dîner ne soit prêt. Mais je
comprends qu’elle s’offusque. Honnêtement, ne pas parler à Con me fait du mal.
Chaque jour est douloureux. Chaque jour, je me sens plus perdue et plus seule.
Chaque jour, je me demande si j’ai pris la bonne décision en gardant mes
distances toutes ces années. Romantiquement parlant du moins.
Je sais qu’il ne m’a pas trompée. Je le sais depuis six ans. Mon esprit s’évade
et je me souviens de ce qui s’est passé…
Lorsque je repris connaissance, il faisait jour et j’étais allongée sur le lit de Saul
tandis que lui ronflait sur la chaise près de la fenêtre.
Alors que je me relevai, il se réveilla, ouvrit les yeux et les promena autour
jusqu’à les poser sur moi.
— Comment tu te sens ce matin, Pea ? demanda-t-il d’une voix ensommeillée.
— Je ne me rappelle rien après que tu as allumé la douche, mais pour ce qui
est d’avant ça, je suis vraiment, sincèrement désolée, répondis-je.
— Non, Pea, juste non. Merde !
Il se frotta le visage d’une main.
— Tu aurais dû nous le dire… lui dire. Il aurait été là pour toi. Tu ne peux pas
réellement croire qu’il t’ait trompée, n’est-ce pas ?
Il était exaspéré.
— Saul, quand je l’ai vu dans ce lit, avec cette fille, j’ai cru sans l’ombre d’un
doute qu’il m’avait trompée. Alors même qu’il m’appelait chaque jour, je croyais
toujours qu’il m’avait trompée. Quand j’ai appris que j’étais enceinte, j’ai voulu
le contacter, vous m’aviez répété, Soph et toi, qu’il n’avait rien fait et toutes ces
bêtises paraissaient ridicules et sans importance en comparaison. Je me suis
assise et j’ai réfléchi à tout ça, alors j’ai su, SU, qu’il n’aurait pas pu me faire
ça. J’ai décidé de l’appeler, mais après tout ce qui s’était passé, j’ai eu peur. À
ce moment-là, ça faisait un peu plus de huit semaines que j’avais appris pour les
bébés et onze depuis le lit et CETTE femme. Je venais de faire l’échographie,
elle montrait que j’étais non seulement enceinte depuis quatorze semaines
environ, mais qu’en plus j’attendais des jumeaux. J’ai compris que je devais lui
dire. Il avait le droit d’être au courant et je devais savoir ce qui s’était passé.
Peu importe à quel point ça allait faire mal. J’en avais besoin pour remettre de
l’ordre dans ma tête et essayer d’avancer. Peut-être ensemble.
Je pris une inspiration pour calmer mes nerfs, tout en essayant de réaliser ce
que je venais de lui dire. Maintenant, lui seul savait. Me libérer de ce poids
aidait d’une certaine façon.
— Alors, pourquoi ne lui as-tu rien dit ?
Je pouvais entendre la déception et la colère colorer sa voix.
— Parce que deux jours plus tard, je les ai perdus.
Je sentis une larme sur ma joue.
— Oh, princesse, répondit Saul et me serra dans ses bras, aussi fort qu’il le
pouvait. Juste afin que tu le saches, pour être clair, cette femme dans le lit avec
Con. C’était un vrai malentendu.
Je me mis à sangloter tout à coup, les larmes coulaient librement, mais je ne
pouvais dire un mot.
— Elle est lesbienne.
Je tressaillis dans ses bras.
— Elle est venue faire la fête comme nous tous. Con s’est mis au lit vers 2 h.
Je m’en souviens parce que nous étions dans la cuisine en train de discuter de la
nouvelle conquête de Soph quand il a dit qu’il allait se coucher. J’allais me
foutre de lui, mais j’ai regardé l’heure et j’ai été surpris de voir qu’il était déjà
si tard.
Il inspira et baissa les yeux sur moi.
— Kate… C’est le nom de cette fille. Elle est restée debout à faire la fête
jusqu’au moins 4 h. Je le sais parce qu’elle se disputait avec sa copine, Jodie, et
qu’elle est partie. J’ai eu peur que quelqu’un appelle la police à cause de tout le
bruit qu’elles faisaient.
Il essuya une larme de ma joue.
— Enfin, bon, Kate a disparu. Je ne savais pas qui était dans le lit avec lui, je
ne voyais pas. Je ne l’ai reconnue qu’une fois que tu es partie, j’étais sur le
point de botter le cul de Con.
À ces mots, je relevai la tête et esquissai un sourire. Nous savions tous les
deux qu’il ne serait jamais capable de battre Con. D’aussi loin que je me
souvienne, Con pratiquait le kickboxing et, bien que Saul s’entraîne parfois avec
lui, il n’a jamais eu son niveau.
Saul feignit d’être indigné.
— Hé ! Ça pourrait arriver ! Surtout si je suis autant en colère que je l’étais
ce matin-là.
Je souris largement et me sentis privilégiée d’être aimée à ce point.
— De toute façon, Con était furieux lui aussi. Au début, il a cru que quelqu’un
essayait encore de vous faire rompre, mais Kate n’avait même pas réalisé qu’il
était dans le lit. Il n’y avait pas de lumière quand elle est entrée et, pour être
honnête, je pense qu’elle était bourrée, donc elle ne l’aurait pas remarqué même
si c’était le cas. Sa copine, Jodie, est revenue quarante-cinq minutes plus tard et
elles sont parties ensemble, chevauchant vers le soleil couchant, littéralement.
Jodie conduit une Harley, s’esclaffa-t-il et je levai les yeux au ciel.
Je savais que Con ne m’avait pas trompée. Il ne m’avait pas laissée tomber,
mais moi je l’avais laissé tomber, lui. D’abord en partant sans le laisser
s’expliquer, ce qui m’aurait détruite si nos rôles avaient été inversés, mais plus
important encore, je n’avais pas réussi à protéger ses bébés. Je fermai les yeux
et me sentis vide. Rien, je ne ressentais rien.
Saul m’entoura de son amour et me tint contre lui. Je devais croire que les
choses s’arrangeraient. Je devais croire que je réussirais à reconstruire ma vie.
Je regarde par l’immense fenêtre les passants marcher dans les rues et vaquer à
leurs occupations. Ce ne sont pas leurs vies qui sont en train d’être bouleversées,
à cet instant précis ; qui sont en train de changer à tout jamais.
Je ne sais plus à qui la faute.
L’appartement que le journal a loué pour moi est gigantesque, luxueux et, à
l’évidence, très cher. Je devrais profiter de mon séjour ici, devrais sortir toutes
les nuits, rencontrer de nouvelles personnes, faire la fête et toutes ces choses
d’homme célibataire. Au lieu de ça, qu’est-ce que je fais ? Le trouillard. Voilà ce
que je fais.
Je suis resté assis sur le canapé, hier, penché en avant, les coudes sur les
genoux. Je n’ai pratiquement pas bougé de la journée. Une bouteille de Jack
dans la main. Merde, le seul mouvement que j’ai fait, c’est de lever la bouteille
pour boire.
Je sais qu’hier, c’était notre anniversaire, à nous.
Pea et moi.
Ouais. Quelle blague !
Nous étions censés être indestructibles. Des amis avant tout qui se faisaient
confiance et s’aimaient. C’est vers moi qu’elle devait venir, pour parler, pour
dire la vérité. Au lieu de ça, je suis celui à qui elle ne dit rien. Elle ne s’ouvre
plus à moi comme elle le faisait avant l’incident avec la lesbienne dans mon lit.
J’ai toujours cru que nous pourrions tout surmonter. Je me suis planté. Elle se
focalise tellement sur les détails, qu’elle n’arrive plus à voir ce qui se passe
autour d’elle. L’accident de Saul a tout aggravé. Elle avait déjà pris ses distances
avec Soph et moi, mais, au moins, elle parlait encore avec Saul, même si la
situation semblait parfois tendue entre eux. Maintenant, sans lui ? Eh bien,
maintenant, elle est fermée comme une huître. Et avec la mort de sa grand-mère
en plus il y a quelques mois… Je suppose que je pensais pouvoir la reconquérir.
Réussir à l’atteindre. À lui dire ce que je voyais… elle… moi… tout.
Je sais maintenant que je me plantais et qu’il est temps de se réveiller. J’ai
l’impression qu’elle m’appelle au secours, mais ne me laisse pas l’aider. Si je
n’arrête pas bientôt, il n’y aura plus rien en moi. C’est moi qui devrais être sauvé
et il n’y aura personne pour le faire.
C’est pourquoi j’ai décidé d’envoyer ce message hier soir. Je voulais qu’elle
sache que je pensais à elle, mais que j’avais besoin de tourner la page. Il faut que
j’arrête de penser à elle. J’ai besoin d’être libre. J’ai donc envoyé ce message
avant de finir la bouteille de Jack et de m’évanouir.
Maintenant, je suis là, debout, à regarder le monde continuer à tourner et je
me demande si j’ai pris la bonne décision. Elle est partout. Elle me hante. J’ai
besoin de distance pour guérir, mais maintenant, je ne suis pas sûr d’en être un
jour capable. L’idée qu’elle ne fasse plus partie de ma vie me donne envie de
frapper le mur, encore et encore. Je secoue la tête, comme si en faisant ça,
j’arriverais à me débarrasser de ces pensées.
On sonne à l’intercom pour m’avertir que la voiture est arrivée pour
m’emmener rejoindre les gars au bar du coin. Il est l’heure d’aller manger et
boire. N’importe quoi pour oublier. Je baisse les yeux sur ma tenue et vérifie que
je suis présentable. Je ne me rappelle presque pas ce que j’ai fait aujourd’hui, je
suis donc plutôt content de voir que je porte des vêtements propres ce qui veut
dire un jean et des bottes de moto noires et un tee-shirt Henley gris. J’ai dû
prendre une douche. Je ne me souviens presque de rien avant les quarante-cinq
dernières minutes que j’ai passées à regarder par la fenêtre. J’attrape mes clés,
mon portefeuille et mon téléphone, je claque la porte et je descends l’escalier en
trottinant.
Ce que je préfère dans cet immeuble, c’est la salle de sport dans la cave. J’ai
dû passer presque tout mon temps libre là-bas depuis mon arrivée. Je voudrais
trouver des cours de kickboxing et m’y inscrire. Juste pour continuer à pratiquer.
Mais en attendant, je m’entraîne dans la salle de sport et quand je n’ai pas de
temps, je cours dans les escaliers. Mais comme je n’ai aucune envie d’arriver au
bar trempé de sueur, je m’arrête après dix étages et finis de descendre en
ascenseur.
En sortant de la cage d’escalier, légèrement haletant, je souris à la petite brune
qui attend également l’ascenseur. Elle ne doit pas faire plus d’un mètre soixante,
ses cheveux châtains ondulent un peu, elle porte un jean moulant bleu et une
sorte de haut vert ample qui semble flotter à chacun de ses mouvements, mais
qui colle et met en avant sa large poitrine. Je me rends compte que je suis en
train de regarder ses seins et détourne rapidement les yeux pour me concentrer
sur son visage. Elle me sourit. Bizarre. Elle doit avoir réalisé que je la matais,
mais elle n’a pas l’air de s’en soucier.
— Hé, tout va bien ? demandé-je.
Je vois ses yeux s’écarquiller et s’embraser. Je connais ce regard. On me le
jette souvent depuis que je suis installé ici. Les Américaines ont l’air de
beaucoup aimer l’accent britannique.
— Salut, joli accent, ronronne-t-elle.
— Merci, dis-je en souriant, sachant déjà ce qu’elle voulait.
Oui, bon, ça fait peut-être de moi un salaud, mais être sympa ne m’a pas
vraiment réussi jusqu’à présent. Même si je ne suis « sympa » qu’avec Pea.
— Bon, alors, je suis juste obligée de te demander. Pourquoi est-ce que tu sors
de la cage d’escalier ? demande-t-elle au moment même où les portes de
l’ascenseur s’ouvrent et nous y entrons.
Elle appuie sur le bouton du rez-de-chaussée et les portes se referment.
Je ris et réponds :
— J’essaie de rester en forme. Je ne pense pas que j’aurais le temps de passer
à la salle de sport aujourd’hui, je me suis donc dit que je descendrai l’escalier en
courant. Mais je n’ai pas réussi à faire plus dix étages. Je n’ai pas envie de
dégouliner de sueur.
Je lui fais un clin d’œil et remarque qu’elle m’inspecte des yeux.
— Alors, tu habites au dernier, hein ? Du moins, en supposant que tu vives ici
et que tu ne rendais pas visite à quelqu’un ?
— Oui, j’habite là, dis-je.
Je vois dans ses yeux qu’elle réfléchit à quelque chose.
— Hmm, je suis surprise. Je ne t’ai pas croisé au gymnase. On a dû se
manquer.
Je la regarde des pieds à la tête, elle n’a pas l’air d’une fan de sport. Ce n’est
pas que je me soucie de la silhouette d’une femme. Je n’aime pas
particulièrement les sportives, elles ont souvent un corps long et filiforme ou très
mince et ce n’est juste pas mon truc. Je préfère les silhouettes en huit, le genre
Marilyn Monroe ou Diana Dors. Je pense que la plupart des hommes sont
comme moi. Cependant, ça ne veut pas dire que je n’essaie pas d’autres types, je
ne fais pas de discrimination.
— Oui, il faudra que je fasse plus attention, dis-je.
À l’évidence, elle apprécie parce que son sourire s’étire et ses joues rosissent,
ce qui la rend bien plus attirante que l’attitude effrontée et audacieuse de notre
début de conversation. J’aime courir après quelqu’un, pas être poursuivi.
Nous atteignons le rez-de-chaussée et l’ascenseur s’ouvre. Alors que nous
sortons, elle se tourne vers moi, un sourire aguicheur aux lèvres et dit :
— Je m’appelle Libby.
Je tends la main et quand elle la saisit, je réponds :
— Con, enchanté de te rencontrer, Libby.
Je retire ma main et sors rejoindre la voiture qui m’attend tout en ayant la
sensation d’être une proie guettée par un prédateur. Lorsque je m’assieds à
l’arrière, j’ai immédiatement l’impression d’avoir trahi Pea. Je ressens ça chaque
fois, avec chaque relation depuis la nôtre. Je mets la tête en arrière et ferme les
yeux.
J’ai essayé avec d’autres femmes, sans succès. Son ombre est toujours là. Son
fantôme. Le fait qu’elle soit physiquement toujours présente dans ma vie n’aide
probablement pas. C’est l’une des raisons qui m’a poussé à tenter quelque chose
avec Stacey. Cela n’aurait jamais collé entre nous. Je pense que je l’ai surtout
fait pour qu’elle réagisse, pour voir ce qu’elle ferait. Sa réaction en apprenant
que je partais m’a blessé. Elle a agi comme si je ne devais pas quitter Stacey.
Comme si notre relation était quelque chose de sérieux et le fait qu’elle l’accepte
facilement a été la goutte d’eau de trop. Je devais me réveiller. J’étais clairement
du passé pour elle. Je ne ferai jamais partie de son avenir et si je ne passe pas à
autre chose, elle me détruira.
La voiture s’arrête, je descends et entre dans le bar. Je vois Sam, Lewis et
Tyler assis ensemble à une table et je me rapproche.
— Hé, connard ! lance Lewis, tout sourire.
Sam me salue d’un mouvement de menton et je m’installe à côté de Tyler, qui
me donne une tape dans le dos et dit :
— Content de te voir ce soir, mec. J’ai cru que nous serions obligés de te
kidnapper pour te faire venir.
Je regarde ce groupe de gars. Des gars que j’en suis venu à considérer comme
des amis et je souris. Je dois me forcer à me laisser aller.
— Alors, c’est quoi le plan pour ce soir ? demandé-je.
Lewis sourit toujours lorsqu’il dit :
— Se bourrer la gueule et finir la nuit, la queue entre deux longues et jolies
jambes toutes chaudes.
Sam secoue la tête et Tyler lève les yeux au ciel. Je rigole et pour une fois, je
n’ai pas à me forcer. J’écoute la musique et la reconnaît, c’est This Is Where It
Ends de Midnight Hour.
Je regarde mes amis un instant tout en écoutant les paroles de la chanson avant
de répondre.
— Ça m’a l’air d’un bon plan.
Je me répétais souvent que les choses arrivaient pour une raison. Enfin, jusqu’à
mes vingt ans. Et puis, j’ai grandi.
Après avoir pleuré jusqu’à tomber de sommeil la nuit dernière, je me suis
réveillée ce matin avec une migraine affreuse. C’est à cet instant, alors que je
regarde la cheminée depuis le canapé, mon mug de thé refroidissant à la main,
que je décide que c’est assez. Je vais devoir enfiler ma tenue de grande fille et
arrêter de m’apitoyer sur mon sort.
Plus facile à dire qu’à faire !
Pourtant, je suis là. Toujours debout, ou assise.
Je dois aller à l’hôpital aujourd’hui, pour mes visites. J’adore les mercredis et
aujourd’hui se doit d’être une bonne journée. J’ai besoin de penser à autre chose.
J’ai besoin d’apaiser mon âme.
Il y a autre chose que je dois faire. Alors que je pleurais la nuit dernière, j’ai
réalisé que je devais tout raconter à Soph. Il fallait que je la laisse entrer. Que je
partage ma douleur, et avec de la chance, l’aide à comprendre le grand n’importe
quoi que j’étais.
Elle est tout ce qui me reste.
Je ne peux pas m’éloigner d’elle aussi.
Mais avant ça, il faut que je survive à aujourd’hui.
Tout d’abord, je dois me rendre présentable. C’est ce que je fais chaque fois
que je vais à l’hôpital, au cas où je croiserais quelqu’un qui me reconnaît. Je
viens le mercredi, exprès. C’est un jour sûr. Personne ne vient le mercredi, trop
de réunions, de déjeuners de charité pour les femmes. Argh. Les gens sont trop
occupés à se cacher derrière leurs masques pour voir les fissures dedans.
Cependant, si je suis vue, je sais qu’on me fera sortir immédiatement. Qu’on
m’interdira de revenir ; et je ne peux pas courir ce risque. Au moins, si on
m’attrape, j’aurai l’air vaguement décente et, je l’espère, on se contentera de me
demander poliment de partir sans m’interdire de revenir.
Après m’être douchée, je cherche dans ma garde-robe et décide de porter une
robe vert émeraude à boutons, un cardigan et des ballerines noires. J’ajoute une
écharpe verte comme touche finale. Je relève mes cheveux en les entortillant et
je n’applique que le minimum de maquillage. J’attrape mes affaires en sortant de
la maison et marche rapidement jusqu’à l’arrêt de bus.
Sur le chemin de l’hôpital, je laisse mes pensées vagabonder. Elles se
rapportent généralement à Saul. Récemment, pourtant, depuis son départ, c’est
Con qui les occupe. Je me demande ce qu’il est en train de faire ? Je me
demande s’il me reparlera un jour ? Je veux l’appeler, mais je le connais, s’il
voulait de mes nouvelles, il m’aurait déjà appelée ou écrit. Il me met de côté.
S’éloigne de moi. Je ne peux en vouloir qu’à moi. Je l’ai poussé à agir ainsi. Je
gâche tout ce qu’il y avait de bon dans ma vie. Je suis maudite et il est bien
mieux sans moi.
Je regrette seulement de ne pas lui avoir dit. Lui avoir dit ce que je ressentais
vraiment. Mais je me sens tellement vulnérable à l’idée de lui raconter. Je suis
malade rien que d’y penser. Alors je n’y pense plus.
Lorsque j’arrive à l’hôpital, je prends une profonde inspiration rafraîchissante
avant d’entrer. Alors que je dépasse la réceptionniste, je souris et continue. Ce
doit être une intérimaire, car elle me demande qui je suis et qui je viens voir.
Karen, la réceptionniste habituelle, doit être absente.
Après m’être débarrassée du Pit Bull de l’entrée, je rejoins l’ascenseur et
attends. J’ai l’impression de toujours être en train d’attendre ces temps-ci. Je ne
suis plus certaine de ce que j’attends.
J’arrive au troisième étage et prends le couloir. Je passe par la salle des
infirmières pour discuter avec Cheryl.
— Bonjour, comment va-t-il aujourd’hui ? demandé-je…
Je pose toujours la même question.
Cheryl sourit.
— Il a l’air d’aller mieux aujourd’hui. Je pense qu’il ne va pas tarder à
pouvoir sortir.
Je souris.
— C’est ce que j’espère, dis-je, bien que mon ventre se noue à cette idée.
Je fais les vingt pas qui me séparent de la chambre numéro quatorze. Je frappe
à la porte et entre, souriant en apercevant la frêle silhouette sur le lit.
— Hé Saul, dis-je doucement.
— Hé Pea, répond-il.
Chapitre Sept
Je suis dans le bus sur le chemin du retour et j’essaie de ne pas penser aux
dernières quarante-huit heures. J’essaie de ne pas penser à tous les instants
véritablement misérables de ces derniers temps. J’en ai assez de me sentir mal.
Ce n’est pas surprenant que je n’aie plus d’amis. Je ne voudrais pas non plus
passer du temps avec moi-même ! Argh ! Même là, je me plains.
Alors que je me demande ce que je vais bien pouvoir faire ce soir, télévision et
chili ou bain moussant et verre de vin, mon téléphone se met à vibrer dans ma
poche. Je le sors et remarque que c’est Dane.
— Bonjour, dis-je en souriant.
J’ai l’impression que c’est le premier vrai bon moment depuis des jours.
— Hé Pea, répond-il puis continue. Alors, je me disais… du patin à roulettes.
Je sais, à sa voix, qu’il sourit.
— Hum… du patin à roulettes ? C’est tout ? Je suis censée deviner la fin de la
phrase ?
— Ha, ha, Pea, tu te souviens qu’on a parlé de faire quelque chose ? Eh bien,
du patin à roulettes, s’exclame-t-il comme s’il venait de découvrir le sens de la
vie et était très fier de lui.
— D’accord Dane, je marche. On fait ça. Même si je suis presque sûre que je
ne vais faire que m’embarrasser devant tous les adolescents qui vont forcément
se sentir obligés de patiner autour de moi, rigolé-je.
— Ne t’inquiète pas, Pea, ce soir, c’est une soirée spéciale senior.
À ces mots, il éclate de rire.
— Quoi ?
Ce n’est pas ce que je veux faire ce soir, mais il n’a pas encore appris à
reconnaître les intonations de ma voix.
— Désolé, c’était juste trop tentant pour ne pas le dire.
Il marque une pause avant de continuer.
— Bon, le mercredi soir est réservé aux plus âgés, donc vingt-cinq ans et plus.
Ils appellent ça « Voyage dans le Temps ». C’est vraiment triste, mais, hé, ça
veut dire qu’on n’a pas à s’inquiéter des ados ni d’avoir l’impression d’avoir
besoin d’un déambulateur.
J’entends l’espoir dans sa voix et je sais qu’il faut que je sorte de la maison.
Que je passe une soirée loin de la détresse sous laquelle je persiste à m’enterrer,
dernièrement. Ce qu’il me faut, c’est me bouger les fesses et aller de l’avant, bon
sang.
— Ça semble un bon plan Dane, nous nous retrouvons là-bas ?
— Ne dis pas n’importe quoi, tu ne te promènes nulle part à Londres, à pied,
toute seule, en pleine nuit. Je passe te prendre dans une heure.
Et il raccroche.
Je fixe longuement mon téléphone, un sourire stupide sur le visage. Je sais que
les gens me regardent, je peux sentir leurs yeux me brûler, mais je m’en fous. Je
suis heureuse et c’est libérateur.
Avant que Dane arrive pour me récupérer, j’ai eu le temps de me tresser les
cheveux et de remplacer ma robe par un jean moulant, des bottes Ugg et un pull.
J’ouvre la porte et il entre, parfaitement à l’aise en ma présence. Je m’arrête un
instant et contemple cette situation. Il a l’air aussi à l’aise avec moi que je le suis
avec lui. Une douce chaleur se répand en moi et je souris.
— Prête à y aller ? demande-t-il en me regardant.
— Oui, il faut juste que j’attrape mon sac, dis-je en le regardant du coin des
yeux.
Il porte un jean, des bottes et un pull en tricot torsadé, et réussit tout de même
à avoir de la classe. Avec sa taille, sa carrure et son visage, les femmes vont se
jeter sur lui toute la soirée. Je m’arrête à nouveau et réfléchis. Je ne suis pas
certaine de savoir ce que m’inspire cette idée. Nous n’avons jamais parlé de ces
sorties comme de rendez-vous. En fait, nous n’avons jamais parlé de rendez-
vous… du tout. Chaque fois que nous sortons ou passons du temps ensemble,
nous nous amusons et apprécions la compagnie de l’autre, mais nous n’avons
jamais mis un nom sur ce que nous vivions. Et avant aujourd’hui, avant cet
instant précis, je n’y avais pas réfléchi. Maintenant, bien sûr, je n’arrête pas d’y
penser et, à cause de ça, je suis nerveuse et ne sais pas comment me comporter.
C’est ça Pea, commence la soirée en te demandant où tu vas. Je me
réprimande mentalement. Et moi qui voulais m’amuser ce soir.
— Pea ? dit Dane, interrogateur.
Je sais ce que ça signifie, il pense que je suis folle parce que je regarde dans le
vide. Je grimace mentalement.
— Désolée, je rêvassais, allons-y.
Je me force à sourire et je sais qu’il le voit, ce qui, encore une fois, est
incroyable. Le fait qu’il arrive à repérer ce genre de chose en si peu de temps.
— Pea, ses Uggs te vont bien. Ce sont des vraies ?
— Oui, elles sont vraies. Pourquoi ?
Je ne sais pas trop pourquoi il me demande cela, sa question sort un peu de
nulle part et pendant un instant, je me sens mal à l’aise.
— Non, pour rien. Je me disais juste que si c’étaient des copies, j’aurais pu
t’en offrir des vraies. Je connais quelqu’un qui les achète en lot en Australie pour
les revendre ici avec une marge. Je peux t’en avoir, c’est tout.
Son sourire est sincère, mais mon ventre se noue.
— Merci Dane, mais même si c’étaient des contrefaçons, je ne pourrais pas
accepter quelque chose comme ça de ta part. Tu comprends, nous nous
connaissons à peine.
— Pea, ce n’est pas un problème.
Il rigole, mais son rire est forcé. Je sais qu’il essaie de se reprendre parce qu’il
croit avoir mis les pieds dans le plat.
La vérité est que Con me les a achetées pour mon anniversaire. Il m’avait vue
les admirer dans une vitrine et quand il s’était aperçu que je ne pouvais pas me
les payer, il les avait prises pour me faire la surprise. Je repense au 28 avril, à
mon anniversaire…
— Soph, ces stupides bottes me font un mal de chien ! Argh ! Est-ce qu’elles sont
pensées pour broyer les os et empêcher les femmes de remarcher un jour ? me
plaignis-je probablement pour la centième fois depuis que nous avions quitté son
appartement.
— Il faut souffrir pour être belle, mon chou, souffrir, répliqua Soph avec un
clin d’œil.
Je levai les yeux au ciel et me concentrai sur les deux cent cinquante mètres
qu’il nous restait à parcourir avant d’arriver et de pouvoir poser mes fesses.
Avec de la chance, les garçons auraient trouvé une table pour nous.
C’était un nouveau bar, il avait ouvert le mois dernier. Nous avions parlé d’y
faire un tour, mais n’en avions pas eu le temps. Comme c’était mon anniversaire,
les garçons avaient décidé de régler ça ; nous verrions enfin pourquoi ce bar
faisait tant parler de lui. Nous avions presque atteint le Black Diamond. Nos
pauvres pieds… Bon, en fait, surtout les miens, puisque Soph avait l’air
parfaitement à l’aise. En fait, Soph aurait probablement pu faire de la
randonnée avec ses talons.
Je ne la comprenais pas. Je veux dire, j’aimais les talons et j’aimais les
chaussures, en général, c’était l’un de mes péchés mignons. Mais je n’avais pas
envie de marcher un kilomètre en bottes pointues à talons aiguilles sexy. Je crois
qu’elles essayaient d’aspirer mon âme par mes doigts de pied.
Cette nuit, Soph avait essayé, une fois encore, de me rendre séduisante ou de
me faire ressembler à une prostituée. J’imagine que tout dépend de la définition
que l’on se fait de ces deux idées. Elle m’avait fait rentrer dans une jupe noire
moulante en lycra. J’étais pourtant sûre que ce style était passé de mode depuis
les années 80. Je portais également un haut près du corps en laine rouge et aux
longues manches qui s’arrêtait juste sous ma poitrine. Je ne savais pas trop à
quoi était censé servir ce gilet. Et puis, évidemment, il y avait ces bottes noires
sexy qui me montaient jusqu’aux genoux. Le talon mesurait au moins quinze
centimètres. Mes jambes étaient nues et un petit sac noir avec ce qui ne pouvait
être décrit que comme des breloques argentées, signalait ma position à tous ceux
qui nous entouraient. Mes yeux et leurs faux cils étaient surlignés de violet et de
khôl noir. Du gel aidait mes cheveux châtains à tenir en queue de cheval sur le
haut de ma tête. Ils étaient si longs qu’ils tombaient jusqu’au milieu de mon dos
malgré tout. Et enfin, un long cœur en argent pendait au niveau de mon nombril.
À tout instant, je m’attendais à ce qu’on essaie de m’offrir de l’argent pour une
fellation.
Soph avait l’air satisfaite de cette métamorphose. Elle, évidemment, était
magnifique avec sa robe bohème indigo. Elle se rassemblait sous sa poitrine et
tombait fluide afin de ne s’arrêter que quelques centimètres au-dessus de ses
genoux sur le devant et au milieu de ses mollets derrière. Elle portait une paire
sublime de sandales dorées dont les lacets s’enroulaient autour de ses jambes, le
tout associé à une pochette dorée. Ses cheveux lâchés reposaient sur ses épaules.
Elle était impeccablement maquillée et lorsqu’elle souriait, elle ressemblait à un
ange.
J’étais soulagée de voir que nous atteindrions bientôt le bar, mais également
inquiète : il y avait une file d’attente. Je n’aurais pas dû me faire de soucis
puisque Soph se montra persuasive et le videur nous laissa entrer au grand dam
de tous ceux qui attendaient dehors. Soph ne sembla pas le remarquer, attrapa
ma main et me traîna à l’intérieur. J’étais contente que Soph sache où aller. Elle
manœuvrait entre les groupes comme une pro. J’avais toujours été légèrement
mal à l’aise dans ce genre d’endroit, comme si je n’y étais pas à ma place.
C’était un lieu réservé aux personnes magnifiques.
Mes suspicions se confirmèrent quand, en regardant autour, j’aperçus Saul et
Con, à une table, en train de bavarder avec trois femmes qu’ils subjuguaient
apparemment. Con et Saul attiraient toujours les femmes. Plus précisément,
leurs apparences faisaient qu’ils attiraient les très belles femmes. Ce soir, ce
n’était pas différent. Soph me sentit raidir quand ses yeux tombèrent sur eux.
— Pea, ne t’en fais pas. Tu sais que les garçons leur diront d’aller voir
ailleurs quand nous arriverons, dit-elle avec un sourire que je remarquai crispé.
Elle me guida jusqu’au bar, pour nous prendre de quoi boire.
— J’ai l’habitude maintenant, Soph, c’est devenu normal. Ils sont juste trop
mignons, soupirai-je.
— Ha, ha, Pea, ne leur dis pas ça ! Ils ont déjà la tête assez grosse.
Elle me fit rire et en relevant les yeux, je vis Con me regarder, puis Saul se
tourna également. Ils se levèrent de leur table et commencèrent à se diriger vers
nous, s’attirant les foudres des femmes avec qui ils discutaient.
— Tu vois Pea, je te l’avais dit. Jetées, murmura Soph à mon oreille.
Je ne pus réprimer un sourire.
— Mesdames, quelle heureuse coïncidence, annonça Saul quand il fut près de
nous.
Il nous attrapa toutes les deux et nous serra contre lui en même temps. Alors
que nous nous dépêtrions, il s’appuya sur Soph, un bras autour de ses épaules.
— Hmm, je ne suis pas sûr que tu sois suffisamment couverte avec ça, Pea, dit
Con en haussant un sourcil.
— Qu’est-ce qu’il y a, Con ? Elle n’a pas le droit de mettre en avant ses
atouts ? Peut-être qu’elle aura de la chance ce soir, hein ? Elle n’a pas eu
d’action depuis des années, le taquina Soph.
— Tu en as eu assez pour deux, Soph, répondit-il en souriant.
— Stop ! Et si nous nous amusions juste sans nous comporter comme des
crétins ce soir, hein ? grogna Saul.
Soudain, le barman s’approcha de nous.
— Qu’est-ce que je vous sers, mesdames ? demanda-t-il avec un clin d’œil.
Cette fois-ci, ce fut Con qui grogna.
— Elles prendront une Vodka et un Coca Light, ce sera deux bières pour nous,
répliqua-t-il en se désignant ainsi que Saul.
Le barman leva les mains et partit préparer les boissons.
— Franchement, Con ? Tu peux parler à ces traînées là-bas, mais un barman
nous fait un clin d’œil et tu passes en mode chef de meute, s’exclama Soph,
exaspérée.
— C’est bon, on se calme, dis-je.
Ils commençaient à m’agacer.
— Nous sommes censés fêter mon anniversaire et vous ne faites que vous
disputer. Je suis là, habillée comme une prostituée, je ne sens plus mes pieds
avec ces bottes et pour couronner le tout, je suis plus maquillée qu’une gamine
de treize ans. J’ai juste envie de m’amuser.
Dans ma frustration, j’avais commencé à agiter les bras. Donc, évidemment,
ce qui devait arriver arriva. Ils éclatèrent tous de rire. Eh bien, au moins, la
tension était retombée. L’instant était passé. Nous retournâmes à la table que les
garçons avaient quittée, qui était miraculeusement restée inoccupée.
Alors que nous nous installions, Con dit :
— Tu sais, Pea, j’ai ton cadeau dans la voiture. Tu as l’air d’en avoir besoin.
Tu pourrais retirer ces chaussures inconfortables.
— Je ne crois pas, Con ! J’ai mis des siècles à lui trouver la tenue parfaite
pour ce soir et je ne te parle même pas du temps qu’il m’a fallu pour la
convaincre de l’enfiler. Tu ne la feras pas se changer maintenant, déclara Soph
en se préparant, à l’évidence, pour une dispute.
Con rigola et me fit un clin d’œil.
— Ne t’inquiète pas Soph, je me disais juste que quand elle verra ce que je lui
ai pris, elle voudra les essayer tout de suite.
— Eh bien, tu piques ma curiosité, lui dis-je.
— Désolé, Pea, tu vas devoir attendre jusqu’à demain, maintenant. Tu n’auras
ton cadeau que le jour de ton véritable anniversaire, dit Con avec un sourire
entendu.
— Rabat-joie, répondis-je.
— Bon, j’ai envie de danser. Viens, Pea, dit Soph.
— Est-ce que tu te moques de moi ? lançai-je. Tu ne m’as pas entendue dire
que j’étais boiteuse avec ces bottes ?
— Ce n’est pas grave, tu dois juste bouger ton corps, pas tes pieds. Allez !
Soph saisit mon bras et ne me laissa pas le choix. Une fois sur la piste, je
réalisai que ce n’était pas aussi horrible que je l’avais redouté, je n’avais qu’à
me balancer d’un côté puis de l’autre. Con et Saul nous regardaient depuis la
table – Saul souriant de toutes ses dents et Con avec les yeux rivés sur moi. En
moins de temps qu’il ne faut pour le dire, nous étions sur la piste depuis
quarante-cinq minutes.
— Je vais juste demander aux garçons de nous prendre plus de boissons. Je
reviens dans une seconde. Ne t’enfuis pas ! ordonna Soph.
Je me contentais de me balancer joyeusement sans embêter personne quand
des mains se glissèrent sur mes hanches et se mirent à les caresser tandis qu’une
voix d’homme chuchota à mon oreille,
— Cette idiote te laisse toute seule sur la piste de danse ?
Sa voix était mielleuse et satisfaite, et un frisson de dégoût me remonta le dos.
— Désolée, mais je crois qu’il y a malentendu. Je suis là avec des amis. Ils
sont juste là, dis-je d’une voix tremblotante en désignant notre table.
Elle était vide.
Je détestais me retrouver dans ce genre de situation. Ce n’était pas non plus
très courant, mais je me sentais toujours mal à l’aise et ne savais jamais
comment me comporter ou quoi dire.
— Oh ! Ma pauvre, on dirait que tes amis sont partis. Ne t’inquiète pas, on
peut s’amuser juste toi et moi, murmura-t-il au creux de mon oreille.
Soudain, du froid remplaça sa chaleur dans mon dos. Ce fut comme une
libération, comme si je pouvais respirer à nouveau. Me tournant, je ne vis
personne. J’étais complètement perdue. Mais en pivotant à nouveau, Soph était
devant moi. Elle était si près qu’un petit cri de surprise m’échappa.
Heureusement, le bar était bruyant et personne ne le remarqua.
— Oh mon Dieu, Pea. C’était trop classe, s’exclama Soph.
— Que… De quoi tu parles ? balbutié-je, confuse.
— Eh bien, cela se voyait que ce type te fichait la trouille. Je veux dire, je suis
partie voir les garçons et je n’ai même pas réalisé qu’il s’approchait de toi.
Comme d’habitude, c’est Con qui a remarqué le premier. Il était genre « Saul
ramène Soph à la voiture. Je vais chercher Pea et nous nous en allons ».
Évidemment, tu me connais, je n’aurais manqué le spectacle pour rien au monde
alors à mi-chemin, j’ai demandé à Saul de s’arrêter, juste à temps pour voir Con
approcher ce sale type par-derrière. Il lui a tapé sur l’épaule et quand le gars
s’est retourné, il lui a fait cette prise super rapide avec la main, comme s’il le
frappait au ventre et à la tête en même temps.
Soph illustrait ses propos avec les gestes d’un apprenti ninja beurré se battant
contre un serpent et je ris presque, puis elle secoua la tête, de l’admiration
pétillant dans son regard, et poursuivit son histoire.
— Bien sûr, je ne suis pas sûre à cent pour cent, il a dû lui mettre deux coups,
mais en même pas une seconde. C’était vraiment super rapide et le gars s’est
écroulé. Il s’est évanoui et personne n’a rien remarqué !
Elle sautait presque d’excitation.
— Il a traîné le mec jusqu’à une table à côté et l’a mis sur une chaise. On
aurait dit un poivrot. En approche. En approche.
Soph chuchota les derniers mots.
— Pea. Ça va ? demanda Con, l’inquiétude brillant dans ses yeux.
— Ça va maintenant. Merci, répondis-je avec un sourire tremblotant.
— Allez, nous te ramenons chez toi, dit Con en plaçant un bras autour de mes
épaules.
Nous rejoignîmes la voiture de Saul et le trajet jusqu’à chez moi se fit dans le
plus grand silence.
— Hé, les gars, si ça ne vous dérange pas, je pense que je vais juste rentrer et
me coucher. Mes pieds me font trop mal et j’ai juste envie de me détendre, dis-je
hésitante.
Je savais qu’ils ne seraient pas contents.
— En temps normal, je râlerais, mais nous avons réussi à passer une partie de
la soirée dehors et c’est ton anniversaire demain, donc je vais te laisser filer.
N’oublie pas, nous t’emmenons déjeuner demain à midi pour fêter ça, répondit
Soph. Tu peux me déposer à la maison, Saul ? demanda-t-elle en le regardant.
— Bien sûr, mon sucre d’orge, répondit-il avec un clin d’œil. Et toi, Con ?
lança-t-il en regardant dans le rétroviseur.
— Je vais m’arrêter chez Pea, pour m’assurer que tout va bien, dit-il.
— Je suis là, Con. Juste là, dis-je en agitant une main devant son visage.
Primo, pas la peine de parler comme si je n’étais pas là et deuzio, je vais bien.
B.I.E.N. Bien ! soupirai-je.
— Oui, je sais Pea, mais ça me rassure, dit-il en battant des cils et j’éclatai de
rire.
— D’accord, acceptai-je.
Saul nous déposa, nous souhaita une bonne nuit et rappela que nous devions
nous retrouver le lendemain au pub du coin pour déjeuner, puis Con me suivit à
l’intérieur.
— Va et enlève ces bottes ridicules, je vais faire du thé, dit-il. Oh, et tu n’as
qu’à prendre ton cadeau et l’ouvrir.
Il me tendit le paquet qu’il avait gardé dans la voiture de Saul. Je me dirigeai
vers le salon et regardai le cadeau. La boîte était grande, oblongue et plutôt
lourde. Il y avait un gros nœud argenté autour. Je déposai mon sac à main sur le
sol et retirai mon collier. Avant de faire quoi que ce soit d’autre, je déchirai le
papier, arrachant le nœud au passage. Lorsque j’ouvris la boîte, je poussai un
cri de plaisir en apercevant les magnifiques Uggs, chaudes et confortables, dont
je rêvais depuis une éternité.
— Con ! m’écriai-je. Con, je n’arrive pas à croire que tu m’aies acheté ça.
J’en veux une paire depuis des lustres, dis-je, sautant de joie.
Il émergea de la cuisine, deux tasses à la main et les posa sur le manteau de
la cheminée avant de s’installer à côté de moi sur le canapé.
— Eh bien, je sais que tu en parles depuis Noël. Je voulais te les offrir à ce
moment-là, mais j’ai pensé que tu te les achèterais toi-même alors j’ai pris autre
chose. Et puis, tu as commencé à parler de t’en prendre des fausses à la place,
alors je me suis dit que je t’en offrirais plutôt pour ton anniversaire.
— Elles sont vraiment chères, ces chaussures, Con, dis-je doucement.
— Oui, mais bon, je t’aime, dit-il le ton léger.
Nos regards se croisèrent et dans ses yeux je vis le même désir que je savais
briller dans les miens.
— J’apprécie vraiment. Je les adore. Merci, me dépêchai-je de lui répondre.
— Allez, Pea, essaie-les. Voyons voir à quoi elles ressemblent, dit Con en se
levant et buvant une gorgée de thé. Mince, ça brûle, gémit-il, les sourcils
froncés.
Je rigolai et toute la tension quitta mon corps.
Je retirai les bottes, grognai et fermai les yeux, profitant du plaisir de laisser
mes pieds respirer. En les rouvrant, je vis Con me regarder intensément. De la
douleur passa dans ses yeux.
— Là, Pea, donne-moi tes pieds, je vais te masser, dit-il en se rasseyant.
Ne me laissant pas le choix, il attira mon pied gauche sur ses genoux.
Alors qu’il commençait le massage, je fermai les yeux et penchai la tête en
avant, appréciant son travail. J’avais toujours dit qu’il avait des doigts de fée.
Nous restâmes assis environ cinq minutes. J’étais complètement absorbée par ce
qu’il faisait, si bien que je ne réalisai pas que ses mains étaient montées jusqu’à
mon mollet et qu’il poursuivait, maintenant, son massage au-dessus de mon
genou.
J’étais tellement prise dans l’instant, me rappelant ses mains sur moi il y a
longtemps, que je ne remarquai rien d’autre que le bien que me procurait ce
massage. Alors qu’il continuait, incapable de m’en empêcher, je me mis à gémir.
J’ouvris les yeux et les plongeai dans les siens. Un feu ardent y brûlait. Je
savais, sans l’ombre d’un doute, ce qu’il voulait, mais je ne pensais pas que ce
soit une bonne idée.
Pourtant, pour l’instant, je ne pouvais rien faire.
Con perçut mon silence comme une approbation et continua. Ses mains
massèrent de plus en plus haut, jusqu’à ce que ses doigts frôlent mes sous-
vêtements et me caressent au travers. J’aurais pu venir à cet instant précis,
même avec si peu. Ça faisait des années que je n’avais pas eu ce genre d’intimité
avec autre chose que ma propre main. Mon corps prenait le dessus sur mon
cerveau et je n’étais plus capable de penser clairement. Tout à coup, Con glissa
les doigts sous ma culotte et se mit à dessiner des cercles autour de mon clitoris.
Je gémis et, ce faisant, je sentis son souffle chaud sur mes lèvres. Il m’embrassa
tendrement, puis lécha le coin de ma bouche. J’entrouvris les lèvres et il y
plongea la langue. Con n’était plus tendre et m’embrassait comme il ne m’avait
jamais embrassée auparavant, sans jamais retirer la main de mes plis. Son autre
main passa dans mon dos où il attrapa ma queue de cheval. Il bascula ma tête
en arrière d’un coup, sans tirer assez fort pour me faire réellement mal. Il
relâcha mes lèvres en même temps, avant d’attaquer mon cou, déposa des
baisers jusqu’à sa base, remonta, puis mordilla mon oreille. J’émis un
gémissement lorsqu’il retira sa main de mon sexe. Il fit courir ses paumes sur
mes jambes puis sur mes flancs.
— Tu portes vraiment beaucoup trop de vêtements, je trouve, Pea. Il va falloir
remédier à ça.
Con me fit me lever et se mit à retirer mon gilet et ma robe en même temps. Il
me regarda me tenir là en sous-vêtements et tenta de reprendre le contrôle de sa
respiration. Il plongea les yeux dans les miens un instant, essayant clairement de
comprendre quelque chose. Quoi ? Je ne savais pas. Il baissa la tête, mordit
délicatement le bout de mon sein à travers le soutien-gorge et j’oubliai tout le
reste. Je rejetai la tête en arrière, la douce sensation m’excitait et m’arracha
aisément un soupir. Il passa les mains autour de moi et dégrafa mon soutien-
gorge, avant de reprendre là où il s’était arrêté, mais sans tissu pour interférer
cette fois.
— Con, gémis-je, ce qui sembla ne faire que l’encourager.
Il agrippa ma culotte et la fit glisser le long de mes jambes, tout en tombant à
genou. Une fois mes sous-vêtements retirés, je me trouvais complètement nue.
Toujours accroupi, il leva les yeux sur moi et murmura :
— Magnifique.
Un mot que mon cerveau troublé n’eut pas le temps d’assimiler avant qu’il
m’effleure du nez et inspire mon parfum.
— Mmm, ton odeur m’avait manqué, murmura Con.
Je n’eus pas le temps de répondre. Sa langue me caressa dans toute la
longueur, dans un sens, puis dans l’autre. Mes genoux cédèrent presque, mais il
avait passé l’un de ses bras autour de mes jambes et me maintint debout. Il me
fit reculer lentement jusqu’à ce que je sois contre le buffet et capable de me
soutenir seule, puis il écarta mes jambes et me dévora. Il était comme possédé,
comme si j’étais la meilleure chose qu’il ait jamais goûtée.
Je ne m’en plaignais pas.
Je le regardai l’espace d’un battement de cœur, avant de fermer les yeux et de
savourer ce que seul Con était capable de me faire ressentir. Il me lécha, se
montrant particulièrement attentif à ma zone la plus sensible, puis me pénétra de
sa langue encore et encore. Je gémis et me tordis sous le plaisir. Soudain, il
s’arrêta et j’aurais pu me lamenter, mais, je savais que la meilleure partie était
encore à venir. Il se redressa devant moi et se déshabilla entièrement. J’observai
son corps, ses jambes musclées et son beau torse, qui n’auraient dû pouvoir
exister qu’après une séance intensive de Photoshop. Ses bras étaient saillants. À
l’évidence, le sang battait à tout rompre dans toutes les veines de son corps, ce
qui expliquait les pulsations qui agitaient presque ses muscles. Je vis la pointe
d’un tatouage, que je savais représenter un aigle, dépasser de son épaule, ainsi
que l’inscription Forever Love calligraphiée sur son cœur depuis des années.
Mes yeux remontèrent jusqu’aux siens et je le vis sourire d’un air satisfait.
— Tu aimes la vue ? demanda-t-il sans me laisser le temps de répondre.
Il me souleva et m’assit sur le bahut. Con se plaça entre mes jambes, se
positionnant à mon entrée, prêt à me prendre. Il me regarda dans les yeux une
nouvelle fois, attendant quelque chose, quand je ne dis rien, il commença à me
pénétrer lentement. Nos gémissements se mêlèrent alors qu’il avançait
centimètre par centimètre.
— Merde, Pea !
Une fois qu’il fut entièrement en moi, il me regarda.
— Ça va être rapide et brutal, Pea. Je vais juste te prendre parce que je ne
vais pas pouvoir tenir très longtemps, d’accord ?
Je fis oui de la tête et il n’attendit pas plus pour se mouvoir brusquement en
moi, m’emplissant de son membre long et épais, avant de se retirer comme s’il
jouait. Il me prenait si violemment que je pouvais sentir ses testicules claquer
contre le bas de mon intimité. Soudain, mon corps prit le contrôle et je fermai les
yeux alors que l’euphorie m’envahissait et que l’orgasme que j’avais manqué
atteindre tout à l’heure me rattrapait enfin. J’entendis vaguement Con jouir à
son tour, mais je le sentis clairement se déverser en moi. Reprenant notre souffle,
je regardai Con dans les yeux. J’avais besoin de savoir quelle ligne de conduite
prendre, ne sachant pas ce que nous ferions ensuite.
— Merde, Pea, tu es toujours tellement étroite, dit-il en secouant la tête. Tu
n’as pas été avec un gars depuis combien de temps ? demanda-t-il, cependant
dans ses yeux, je voyais qu’il ne savait pas pourquoi il posait la question.
— Tu veux vraiment savoir ça, Con ? répondis-je, hésitante.
— Je n’en suis pas sûr, Pea… c’est plutôt que j’en ai besoin.
Il sourit, mais le sourire n’atteignit pas ses yeux. Je décidai de lui dire la
vérité.
— Con, le dernier homme avec qui j’ai été, c’était toi, murmurai-je.
Ses yeux se firent plus tendres et il me fixa avant de dire :
— Eh bien, allons dans la chambre, que je puisse recommencer, mais
lentement cette fois. Je veux savourer ton corps, lécher tes seins et te dévorer
jusqu’à ce que tu cries mon nom. Je veux être sûr que ton corps sache qui est le
patron et je vais m’assurer que tu te souviennes de celui qui est entre tes jambes.
À ces mots, il me souleva, me porta jusqu’au lit et nous passâmes les trois
heures suivantes à nous aimer comme il l’avait décrit.
C’était divin.
J’avais l’impression d’être au paradis.
Les problèmes arrivèrent au matin, quand je me réveillai et remarquai une
note sur le lit.
Pea, je n’ai pas voulu te réveiller. Je pense qu’il faut que nous parlions de ce
qui s’est passé la nuit dernière et de ce que nous allons faire maintenant. Je
t’appelle plus tard. Con
Je sentis une larme glisser sur ma joue. J’étais tellement bête. Tout ce temps,
j’ai cru qu’il voulait que nous nous remettions ensemble, évidemment, il ne
voulait pas. Il voulait seulement s’enfuir !
Je secouai la tête et essayai de m’éclaircir les idées. Je vis mon téléphone
posé sur la table de chevet. Je le pris et fis quelque chose de stupide. Je lui
écrivis, alors que j’étais en colère ou peut-être blessée. Probablement les deux.
Moi : Con. Merci pour cette nuit. Pea.
Je ne voulais pas qu’il croie que j’attendais plus de lui, mais, en même temps,
je voulais qu’il ait l’opportunité d’offrir plus, s’il le désirait.
Mon portable reçut un message.
Con : Pea. Tu veux que nous parlions de ce que nous allons faire maintenant ?
Nous pourrions réessayer toi et moi ? Con.
Je sentis comme des papillons dans mon ventre. Une sensation que je n’avais
pas eue depuis des années. Décidée à ne pas avoir cette conversation par textos,
je l’appelai.
— Pea, désolé, mais je suis un peu occupé pour l’instant, pourrions-nous en
parler plutôt au déjeuner ?
Je pouvais entendre dans sa voix son envie désespérée de raccrocher, je
distinguais aussi des gloussements de femme dans le fond.
— Con, que se passe-t-il ? Où es-tu ? demandai-je.
Puis je l’entendis.
— Con, reviens, ça refroidit et moi avec, ronronna une voix de femme.
Je pus presque percevoir sa frustration et le bruit de sa main passant sur son
visage.
— Pea, ce n’est pas ce que tu crois. J’ai promis à un ami de le retrouver pour
prendre le petit-déjeuner ce matin. Il y a cette fille qui lui plaît et elle voulait
amener une amie alors, il y a quelques jours, il m’a demandé de me joindre à
eux pour qu’elle ne tienne pas la chandelle. Je ne voulais pas le laisser tomber,
mais bien sûr, il ne va rien se passer, se dépêcha-t-il d’expliquer.
— Con, pas une seconde je n’ai pensé que quelque chose se passerait entre toi
et cette fille, répondis-je calmement, mais ma voix paraissait blessée même à
mes propres oreilles. En revanche, par respect pour moi et ce qui s’est passé
cette nuit, pour ce qui aurait pu se passer entre nous après, sans oublier le fait
que tu aies dit vouloir désespérément me récupérer, tu aurais dû écrire ou
appeler ton ami pour annuler, déclarai-je.
— Pea, ne fais pas ça. Ce n’est pas ce qui s’est passé. Je sais, j’aurais dû
annuler, mais je suis stupide et je n’y ai pas pensé.
Ses suppliques ne servaient à rien, c’était terminé pour moi.
— Con, murmurai-je. Dis-moi ce que tu dirais… ferais… ou penserais si,
après une nuit de sexe tout simplement incroyable et d’amour magnifique, tu te
réveillais avec simplement un mot. Ne sachant pas où nous en sommes, tu
m’appelles et je te réponds que je suis trop occupée pour parler. Après quoi tu
entends un homme dans le fond me parler comme pour me séduire et que la
seule explication que je te fournis, c’est que je suis techniquement en plein
rencard. Mais que ça ne veut rien dire ?
Je sus qu’il comprenait quand il se mit à grogner. Fort. Je soupirai.
— Je te verrai à midi…
Je marquai une pause avant le coup de grâce.
— Oh et Con ? Merci pour cette nuit, c’était un formidable cadeau
d’anniversaire.
Puis, je raccrochai et éteignis mon téléphone. Je me levai, me douchai,
m’habillai et, ne voulant pas être à la maison où l’on pourrait me trouver
facilement, je sortis pour la journée. Sans surprise, il ne se montra pas au
déjeuner.
Bien que nous nous soyons expliqués, je ne le revis pas de la semaine. Nous ne
parlions jamais de cette nuit. Elle demeurait dans ma mémoire comme un rêve.
— Sérieusement Pea, tu me fiches la trouille lorsque tu te déconnectes comme
ça, s’alarme Dane et je réalise que j’ai probablement l’air d’une folle à regarder
dans le vide, mais s’il veut apprendre à me connaître, il va devoir s’y habituer
parce que je fais ça depuis toute petite.
— Fais avec Dane, fais avec. Je suis comme ça.
Je lui fais un clin d’œil et toute tension ou incertitude se dissout.
— Allons enfiler ces patins, dis-je, plus heureuse que prévu.
Encore une fois, il me fait me demander pourquoi je suis aussi détendue en sa
compagnie.
— Ça marche, mon petit rayon de soleil, allons-y.
Il fait un geste vers sa voiture.
Je me pétrifie.
— Je… je… non, juste… je ne peux pas, bredouillé-je.
— Pea, je sais pour l’accident. Soph m’a raconté.
Ses yeux prennent une teinte triste.
— Tu ressembles à un lapin pris dans les phares d’une voiture, Pea. Ça va
aller. Prends ma main et je vais t’aider à gérer. Tu ne peux pas fuir les
automobiles toute ta vie. Tu es remontée en voiture depuis l’accident, n’est-ce
pas ? demande-t-il calmement.
— Oui Dane, mais seulement avec Con, m’efforcé-je de dire, une douleur vive
dans la poitrine.
Son visage est déterminé.
— Eh bien, aujourd’hui, mon petit soleil, tu vas monter en voiture avec moi.
Mes yeux papillonnent entre la voiture et Dane. Je dois le faire. Je dois me
forcer. Je ne peux pas laisser les fantômes du passé me hanter et contrôler ma vie
éternellement. Je regarde Dane, ma décision inébranlable.
— D’accord, on fait ça, dis-je, déterminée.
Tout à coup, il attrape ma main et m’entraîne vers sa grosse voiture aux allures
sportives et intimidantes. J’hésite et m’arrête, tirant la main de Dane. Il se
retourne et un froncement de sourcils barre un instant son beau visage.
— Pea ? demande-t-il.
— C’est juste, je ne sais pas… je ne crois pas…
Il interrompt mon baratin.
— Tu peux le faire Pea, fais-moi confiance.
Mes yeux croisent les siens et je peux voir qu’ils sont pleins de gentillesse et
de quelque chose que je ne reconnais pas vraiment. Je sens mon corps se
détendre lentement et après avoir donné l’ordre à mes orteils de se décrisper, tout
le reste suit jusqu’à ce que mes doigts desserrent la main de Dane. Je baisse les
yeux et je remarque le sang qui reflue dans sa main. Je m’y agrippais tellement
fermement que je lui avais coupé la circulation.
— Désolée, dis-je, penaude.
Souriant, il répond.
— Ne t’inquiète pas, petit soleil, ça en vaut la peine si tu montes dans cette
voiture avec moi et que nous allons patiner ensemble.
J’acquiesce et fais quelques pas de plus vers l’automobile. Inspirant à fond
pour me calmer les nerfs et expirant lentement, Dane ouvre la portière et je me
glisse à l’intérieur. Les fauteuils sont luxueux, tout en cuir et doux. Je ferme les
yeux, entends la portière du côté conducteur s’ouvrir et Dane s’installer. Je
tourne la tête vers lui et souris.
— Merci, Dane. Je n’ai pas complètement surmonté ma peur, mais c’est un
pas en avant. Qui sait, peut-être qu’un jour, je conduirais même à nouveau.
Je suis malade rien qu’à cette idée, mais bizarrement, je ressens également une
profonde détermination à accomplir cette tâche.
Un jour, je vaincrai mes démons. À cet instant précis, je me promets
solennellement de réussir. De m’améliorer. De me rendre digne à nouveau. De
me reconstruire pour ne plus avoir peur de la vie. Pour pouvoir porter mes
cicatrices fièrement, sachant que j’ai appris d’elles, au lieu de les cacher et
d’avoir honte de ce que j’ai fait. Peut-être qu’un jour, je serai capable de me
regarder dans le miroir et de ne plus me sentir responsable. Bien qu’à cette
pensée, un frisson glacé me parcourt de part en part.
Soudain, Dane démarre la voiture, s’éloigne du trottoir et à part mon cœur qui
remonte un instant dans ma gorge et que je remets à sa place en comptant
jusqu’à dix, le voyage est tolérable. Nous arrivons à la salle de patinage à
roulettes en un seul morceau et j’ai l’impression d’avoir fait le premier pas vers
ma nouvelle vie. C’est un détail pour le reste du monde. Monter dans une
voiture. Rouler d’un point A à un point B. Mais pour moi, c’est monumental. Je
n’étais plus capable de faire ça sans Con, c’est donc comme un triomphe.
D’autant plus que Con n’est plus là pour m’emmener en voiture… m’aider à
avancer et m’aider à me sentir entière.
Je descends, nous marchons jusqu’à la patinoire et j’ai l’impression d’avoir à
nouveau treize ans. Alors que nous entrons, je me rends compte que je me
souviens parfaitement comment patiner. Comme si je n’avais pas arrêté de
pratiquer il y a des années. Je glisse sur le parquet légèrement et quand je
regarde à ma gauche, Dane est là, souriant. Je m’arrête. Il prend une photo de
moi à cet instant.
— Hé ! Qu’est-ce que tu fais ? grommelé-je.
— Il faut absolument que tu voies ta tête. Je ne t’ai jamais vue aussi
rayonnante de joie, dit-il, tout sourire.
— Oui, eh bien, tu ne me connais pas depuis si longtemps que ça, répliqué-je
et il eut l’air peiné.
— Eh bien, mon petit soleil, j’ai l’impression de te connaître depuis
longtemps, répond-il doucement, et je me sens immédiatement coupable d’avoir
dit ça, même si je ne l’avais pas fait en pensant à mal.
— Il y a ça aussi, pourquoi est-ce que tu m’appelles « ton petit soleil » ?
demandé-je, songeant qu’il semblait m’avoir rebaptisée et essayant de faire
avancer la conversation.
Il baisse les yeux sur moi et sourit avant de répondre.
— Parce que Pea, tu es comme un petit rayon de soleil pour moi. Tu illumines
mes journées quand tu es près de moi. Tu ne le réalises peut-être pas encore,
mais tu as comme une aura qui attire les gens. Quand tu ne les rejettes pas, bien
sûr. Il faut juste passer le mur d’enceinte que tu as érigé autour de toi, d’abord.
Et au cas où tu ne l’aurais pas remarqué, j’aime ta compagnie.
Il m’attire dans ses bras puis me relâche et s’éloigne avant de se retourner, de
patiner à reculons et de crier :
— Ça se traîne, essaie de suivre.
Je promène le regard autour de moi et remarque que l’attention de presque
toute la gent féminine présente est sur lui. Je ne sais pas trop ce que j’en pense.
Je veux dire, si c’est un rendez-vous, alors je devrais être en colère ou me sentir
supérieure, mais notre relation n’est pas encore définie. Je ne pense pas que nos
soirées soient romantiques, mais en même temps, je ne comprends pas pourquoi
un type que j’ai rencontré à une fête, il y a quelques semaines, voudrait passer du
temps avec moi s’il ne s’attend pas à plus que de l’amitié. L’idée qu’il puisse être
gay me traverse l’esprit, mais je la repousse rapidement. J’ai remarqué sa façon
de regarder les femmes. Bien qu’il ne me regarde jamais de cette manière-là. Ce
constat force mon cerveau à s’emballer à nouveau. Je ne sais pas encore quoi
penser de Dane et moi, mais où qu’en soit notre relation, je vais devoir mettre un
nom dessus et vite !
Chapitre Huit
Je me force à ouvrir les yeux. La lumière entre par les immenses fenêtres du loft.
J’adore être au dernier étage de l’immeuble, la vue est magnifique et le bruit de
la ville ne monte pas jusqu’ici briser le calme ambiant. Je veux dire, j’ai toujours
cru que Londres était une ville active, mais New York, c’est quelque chose
d’autre. Généralement, je garde les rideaux fermés afin de ne pas être ébloui le
matin et prendre une demi-heure pour me réveiller avant d’entamer la journée. Je
me cache les yeux avec un bras et grogne. Je sursaute en entendant une voix.
— Bonjour.
Je tourne rapidement la tête et vois une femme avec un plateau et ce qui
ressemble à du thé, devant moi.
— Hé, grimacé-je avec un mal de tête carabiné.
— Je me suis dit que je préparerais bien le petit-déjeuner, dit-elle en battant
des cils dans ma direction.
J’essaie de me souvenir d’elle, mais même si je la connais, il est évident
qu’elle ne me connaît pas du tout. Le truc des cils ne marche pas sur moi avant la
première tasse de thé. Je n’aime pas prendre de petit-déjeuner et je n’aime pas
qu’on ouvre les rideaux de ma chambre. Ce que je déduis qu’elle a fait. Son seul
bon point est d’avoir préparé du thé à la place du café. Étant donné qu’elle s’est
sûrement servie dans ma cuisine, il y a même des chances qu’il soit buvable. Je
soulève la tasse et bois une gorgée. Merde ! Je n’ai jamais bu de thé aussi
mauvais. J’ai envie de lui dire de partir pour pouvoir aller m’en préparer un
décent. Me réveiller un peu. Me gratter les boules et être tranquille, quoi, mais
d’un coup, elle se glisse dans mon lit.
Merde ! C’est quoi son nom ?
J’essaie de faire fonctionner mes méninges. Lisa ? Non, ce n’est pas ça.
Lucy ? Oh mince, qu’est-ce que c’était ? Et puis mon cerveau se remet à peu
près en marche. Voilà, c’est ça, Libby, la fille de l’ascenseur. Mais comment est-
elle arrivée dans mon lit ? Je me gratte la tête et tente de me souvenir de ce qui a
pu se passer hier soir. Je sais que je suis sorti avec Lewis, ce qui n’est jamais une
très bonne idée. Je me rappelle avoir bu. Beaucoup ! Je ne me souviens pas
comment je suis rentré, mais je me revois vaguement traverser le hall d’entrée de
l’immeuble.
C’est ça ! C’est évident, j’ai croisé Libby quelque part entre l’entrée et la
porte de mon appartement. Ce que j’ai fait avec elle, en revanche, je n’en ai
aucun souvenir. Soudain, une pensée me traverse. Est-ce que j’ai bien utilisé un
préservatif ?
— Libby ? coassé-je, la voix craquant sous la peur.
— Oui ?
— Est-ce qu’on a utilisé une capote ? demandé-je.
— Une capote ? dit-elle, l’air confus.
— Oui, tu sais, un préservatif ?
Je crois que je pourrais l’étrangler si elle ne répond pas dans les dix secondes.
— Non, pourquoi donc ? répond-elle.
— Eh bien, Libby, je ne sais pas. Peut-être pour ne pas choper de maladie ou
que tu tombes enceinte ! Merde ! terminai-je en criant.
— Merde toi-même ! réplique-t-elle en sautant du lit. D’une, je n’ai pas de
putain de maladie et en plus, je prends la pilule.
Ses yeux me lancent des éclairs et je me rends compte qu’elle n’a pas terminé.
— De deux, M. L’Étalon, tu n’as pas réussi à démarrer hier, donc nous
n’avons pas couché ensemble, finit-elle avec emphase avant de croiser les bras
sur sa poitrine.
— Merci mon Dieu, soupiré-je soulagé et, vexée, ses yeux se mettent à
flamboyer.
Je réalise que j’ai été impoli à l’instant même où j’arrête de parler. Je ne suis
pas certain de ce qui s’est passé entre nous, mais elle m’a préparé le petit-
déjeuner, m’apprécie clairement et je viens de la traiter comme une malpropre,
tout ça parce que j’étais bourré hier soir et que je suis incapable de me rappeler
de ce que j’ai fait.
— Écoute, Libby, je suis vraiment désolé. J’ai juste paniqué. Je n’ai jamais
couché avec quelqu’un sans préservatif et, d’habitude, je me souviens de ce que
je fais.
Je marque une pause et réfléchis.
— En fait, les seules fois où j’ai couché avec quelqu’un en étant bourré, j’étais
en couple.
Je me frotte le menton et repense à Pea, sept ans plus tôt…
Pea : Rejoins-moi.
Je lus le message et grimaçai. Pea insistait depuis des semaines pour visiter
ce bar et n’arrivait pas à se le sortir de la tête, malgré tous mes efforts. Saul et
Soph n’avaient pas l’air intéressés. J’étais presque sûr que ce bar n’était
fréquenté que par des vieux et des gens qui se sentaient seuls.
Mais si j’y allais aujourd’hui, c’était entièrement ma faute.
Son anniversaire était la semaine dernière et pour ses dix-neuf ans je lui ai
offert des boucles d’oreilles en diamant. Elles n’avaient pas été particulièrement
chères, les diamants se voyaient à peine. Je n’avais pas vraiment les moyens
pour plus : je venais de commencer le travail à mi-temps pour le journal et
étudiais le journalisme en parallèle ; mais je voulais quelque chose avec ses
pierres porte-bonheur et c’était tout ce que j’avais pu trouver. Je lui avais aussi
offert des bons. Mais pas des bons ordinaires, c’était trop facile. Je lui avais
donné cinq coupons spéciaux – à usage unique.
Je nettoierai ta voiture.
Je passerai une soirée avec tes amies du supermarché (j’avais frissonné en
écrivant celui-ci).
Je t’emmènerai visiter ce que tu veux (si c’est dans ce pays).
Je nous cuisinerai un repas (et peut-être que Saul et Soph auront le droit de
venir) – je détestais cuisiner.
Où que tu sois, si tu utilises ce coupon, je te rejoindrai.
Je m’inquiétais.
Sa grand-mère lui avait basiquement offert un tour du monde. Elle avait
sûrement utilisé toutes ses économies. Depuis que nous étions enfants, Pea
parlait sans cesse de voyager. Mais pas en auberge de jeunesse. Il faut savoir
que Pea ne survivrait pas trois minutes sans le tout-confort. Tous les lieux à
visiter avaient été choisis et réservés avec minutie par sa grand-mère et elle ne
dormirait qu’à l’hôtel ou dans des appartements. J’avais encore un an à passer
avec elle puisqu’elle ne devait partir que pour ses vingt ans. Je n’étais pas
content. Je ne l’avais pas dit à Pea. Comment le pourrais-je ? Quel cadeau
incroyable ! Je ne voulais pas qu’elle manque ça. Je voulais qu’elle le vive. Mais
j’avais cru que pour ce voyage, je serais avec elle. Que nous le ferions
ensemble, que nous le vivrions comme une seule et même personne.
Bien que son anniversaire ne soit passé que depuis quelques semaines, j’avais
déjà nettoyé sa voiture et cuisiné pour Saul, Soph et elle. La semaine prochaine,
je devrai faire face au dîner avec les collègues de travail. Je détestais passer du
temps avec elles. Les quatre femmes me collaient toujours de trop près et
suggéraient des choses quand Pea n’était pas là, ce qui me fichait franchement
les jetons. Surtout venant de Tina, elle avait probablement le même âge que ma
mère. Il y avait aussi Nick, une espèce d’ordure doublé d’un connard. Quand les
femmes se jetaient sur moi, lui avait des vues sur… ma copine. Je rêvais de le
cogner. J’en avais parlé à Pea, mais elle répétait qu’elle avait besoin de ce
travail, qu’elle réussissait à le gérer depuis dix-huit mois et que ce n’était donc
pas la peine. Je savais qu’elle avait raison. Pourtant, ça ne m’empêchait pas
d’avoir envie de lui mettre des coups. Beaucoup de coups.
Il n’y avait qu’une seule personne que j’appréciais… Mike. Il était sympa,
mais pas comme l’était les femmes. Il ne me donnait pas l’impression d’être un
harceleur en puissance. Tina, en revanche, je n’en étais pas si sûr.
Mike avait les pieds sur terre, il avait un petit-ami que je n’avais rencontré
qu’une seule fois, mais ça crevait les yeux qu’il adorait Pea et veillerait sur elle,
toujours. Il va sans dire que les soirées avec les collègues de Pea étaient très
rares. Mais, j’avais promis.
Et là, elle venait d’utiliser son bon « Je t’emmènerai visiter ce que tu veux »,
pour ce bar karaoké que j’évitais depuis qu’elle en avait parlé. Maintenant, je
ne pouvais plus fuir. Nous échangions des messages depuis vingt minutes. Elle,
me demandant de venir et moi, cherchant des excuses pour ne pas le faire.
J’étais méfiant. Je ne voulais pas chanter et j’avais entendu dire que, parfois, les
patrons de ce genre de bar choisissaient des personnes au hasard et les faisaient
chanter ou les humiliaient jusqu’à ce qu’ils acceptent ou quittent le bar. Je ne
voulais pas être l’une de ces personnes. Pea m’avait assuré que ce bar ne faisait
pas ce genre de chose, mais comment pouvait-elle le savoir ?
Pea était décidée à y aller et moi, à refuser, mais j’avais écrit « visiter ce que
tu veux », je ne pouvais donc pas me défiler.
Je regardai le téléphone.
Moi : D’accord. Quelle heure ?
Pea : Dans une demi-heure.
Merde ! Je contemplai mon jogging et ma veste. Je sortais à peine d’un cours
de kickboxing et d’une séance à la salle de sport. J’étais en sueur, je puais, je
devais retrouver ma copine dans trente minutes et il en fallait quinze pour y
aller.
Je montai les escaliers en courant et pris la douche la plus courte de ma vie
puis enfilai un jean, des bottes et un tee-shirt. J’attrapai mes affaires et me
précipitai dehors. Je décidai de prendre le bus pour y aller et un taxi pour
rentrer. Quand j’arrivai, j’étais déjà en retard de dix minutes. Je cherchai le bar,
recevant des regards de la foule. J’avais raison. Cet endroit n’était fréquenté
que par des vieux et des gens qui se sentaient seuls. Il n’y avait personne de
moins de trente-cinq ans. Ou alors ces gens avaient mal vieilli. Il y avait même
des gens seuls. Je déambulai jusqu’à me sentir mal à l’aise. Je décidai de
prendre un verre au bar et d’attendre Pea. Elle était peut-être en retard. Tout en
buvant ma bière, je regardai autour de moi, soulagé de ne plus être le centre
d’attention. Alors que je commençais à me détendre, j’écoutai la musique –
Evanescence, Bring Me To Life, une chanson qui déchirait et que je ne
m’attendais pas à entendre ici. Sans compter que la personne qui la chantait
était douée, c’était surprenant.
Je regardai la scène, mais ne distinguai pas grand-chose. Il y avait des
machines à fumée et des lumières partout, comme si les propriétaires essayaient
d’aveugler tout le monde. Je me rapprochai en zigzaguant entre les tables. Je ne
remarquais plus personne, il n’y avait plus que cette voix, cette chanson. Tandis
que j’atteignais le devant de la scène, je réalisai qu’un gars se tenait légèrement
en retrait et interprétait le couplet de l’homme, pas aussi bien que le vrai
chanteur ni aussi bien que l’autre voix. Je dépassai quatre autres personnes
avant de réaliser qu’il y avait vraiment du monde et qu’autour de la scène, les
gens étaient plus jeunes, plus près de mon âge. Ils n’étaient simplement pas assis
aux tables, mais plutôt par terre, se servant du devant de la scène comme d’une
sorte de fosse. Les cris et les encouragements étaient bruyants. Si bruyants,
qu’on pouvait probablement les entendre de la rue.
Quand la fumée se dissipa et que les lumières remontèrent, l’homme qui
animait visiblement le spectacle et qui semblait être le second chanteur dit :
— Alors ça, mesdames et messieurs, c’est un spectacle qu’on ne voit pas tous
les jours. On applaudit notre Pearson !
Je restai là, immobile. Comme cloué sur place. Je regardai Pearson descendre
les marches sur le côté de la scène sous les applaudissements et les accolades,
les regards suggestifs et les phrases d’approche bateau qu’elle rejetait poliment
pour me rejoindre malgré le monde. Je ne savais pas quoi penser. Une partie de
moi était bluffée et impressionnée. Je savais que ma copine pouvait chanter,
mais là, c’était autre chose. Sa voix était tellement belle, en fait, qu’elle m’avait
touché, moi et apparemment, tous les autres aussi. Mais une autre part de moi-
même me répétait qu’elle ne m’avait pas dit qu’elle venait chanter ici, et je ne
savais pas pourquoi. Elle n’en avait pas parlé et, quand bien même elle pouvait
faire ce qu’elle voulait de sa vie, nous étions ensemble depuis trois ans et nous
nous connaissions depuis l’enfance. Ces gens, ici, la connaissaient de toute
évidence, ils l’avaient appelée « leur » Pearson.
Pourquoi me le cachait-elle ? Un malaise me gagna.
— Hé bébé, fit-elle, pantelante en arrivant à mes côtés.
Dieu, comme elle était belle.
— Salut ma belle, dis-je en lui souriant.
— Tu es en retard, répondit-elle avec une moue.
— Désolé, mais tu ne m’as pas vraiment laissé le temps et je revenais du
sport.
— Ce n’est pas grave, je ne me suis décidée à utiliser mon bon pour te faire
venir qu’au dernier moment.
— À ce propos, dis-je en essayant de choisir mes mots avec précaution pour
ne pas la vexer. Tu ne m’as jamais dit que tu chantais ici ? Je veux dire, pas
comme ça… là-haut.
Je pointai la scène.
— On dirait que tu fais ça depuis un moment ?
J’attendis sa réponse, essayant de cacher que ses cachotteries me blessaient.
Je ne voulais pas qu’elle se sente coupable de faire quelque chose qu’elle aimait.
— Je suis désolée, Con. C’est arrivé si vite. En fait, c’est vraiment de ta faute.
Elle se tordit les doigts et j’attendis patiemment qu’elle poursuive.
— Il y a quelques mois, tu as dit que nous devrions tous faire ce qui nous fait
envie, surtout si nous avons peur, parce que nous ne vivons qu’une seule fois.
Je pense à ce qu’elle dit et me rappelle cette conversation que nous avions
eue. Je voulais apprendre à jouer de la guitare, mais j’avais peur d’être
vraiment mauvais et de passer pour un idiot. Mais, j’avais dit qu’il était
important d’essayer, j’avais pris des cours et les leçons avançaient bien. Bien
qu’il me reste encore beaucoup de travail avant d’être capable de jouer sans
regarder les cordes.
— Je me souviens, bébé. Mais pourquoi ne m’as-tu rien dit ?
Elle fronça des sourcils et reprit.
— Je n’avais pas prévu de le faire, Con. Je voulais chanter, je ne le fais plus
depuis le lycée, mais je voulais le faire là où personne ne pourrait me
reconnaître. Je n’ai pas les moyens pour me payer un professeur de chant, alors
je suis venue ici. C’était un endroit tranquille où personne ne venait.
Évidemment, je ne viens que les soirs de semaines, généralement, puisque c’est
plus calme.
Elle s’interrompit et observa le bar.
— Qui l’eut cru ?
Elle releva les yeux vers moi attendant ma réponse.
— Cru quoi ? demandai-je, confus.
— Qui aurait cru que je puisse chanter ? Que l’on ne me chasse pas de la
scène en me huant ? répondit-elle et mon cœur se fendit en comprenant qu’elle
avait vraiment dû faire des efforts.
Pour monter là-haut, mais aussi pour me faire entrer dans son jardin secret.
— Je te l’aurais dit, mon cœur.
Ses yeux s’élargirent.
— Tu penses que je chante bien ? demanda-t-elle.
— Bébé, tu chantes tout le temps… mais alors, vraiment. Tu ne t’en rends
sûrement même pas compte. Tu fredonnes quand tu fais le ménage et tu chantes
dans la voiture, quand tu te promènes dans les magasins, partout, et bébé, tu
chantes vraiment bien. Tu as toujours été douée. Ta voix est magnifique. Tu es
magnifique.
Son sourire était rayonnant tandis qu’elle partageait quelque chose
d’important pour elle.
Bien sûr, nous le dîmes aux autres et nous venions au moins une fois par
semaine l’écouter chanter dans ce bar. Il a fermé, il y a cinq mois. C’est une
laverie automatique maintenant.
Alors que nous arrivons devant l’hôpital, je saute de voiture pendant que Dane
cherche une place de parking. J’en profite pour appeler la mère de Soph. L’idée
ne me réjouit pas, mais je marcherais sur des braises pour cette fille. J’inspire,
compose le numéro et tape du pied en attendant qu’elle décroche.
— Allô.
— Bonjour Mme Rawlings, c’est Pearson Amberry à l’appareil. L’amie de
Sophie.
— Hmm, que puis-je pour toi, Pearson, réplique-t-elle, sèchement.
— Je vous appelle pour vous prévenir que Soph a été emmenée à l’hôpital la
nuit dernière. Elle a été agressée.
— Et comment, exactement, a-t-elle été agressée ? demande-t-elle comme si
elle parlait du temps qu’il faisait.
— Elle a quitté un bar et cherchait un taxi quand un homme l’a attaquée, nous
ne savons pas encore qui.
— Eh bien, c’est bien son genre de traîner dans les bars avec des hommes peu
recommandables.
Elle est tellement froide, si je pouvais je lui referais le portrait.
— Je pensais que vous voudriez être au courant. Elle va mieux, mais elle s’est
pris un mauvais coup à la tête et a une commotion. Elle a passé la nuit à
l’hôpital.
Je monte de plus en plus le ton et je remarque que certains passants se
retournent vers moi.
— Elle n’est pas morte non plus, Pearson. Si ça avait été le cas, on me l’aurait
dit d’abord, sans doute.
Quelle pétasse !
— Eh bien, maintenant vous savez. Je n’oublierai pas de dire à Soph que vous
vous en foutez.
— Doucement Pearson, ce n’est pas la peine de se comporter aussi
vulgairement. Je ne sais pas ce que tu attends de moi. Tout à l’air sous contrôle.
J’inspire profondément. C’est soit respirer, soit hurler et je ne pense pas que la
petite vieille dame avec son déambulateur qui passe à côté de moi apprécierait
que je hurle.
— Je dirai à Soph… je lui dirai qu’elle peut compter sur moi… toujours. Je
vais voir ma meilleure amie, maintenant.
Je ne lui laisse pas le temps de répondre. Je raccroche et range mon téléphone,
en mode silencieux, dans mon sac. Elle ne rappellera jamais de toute façon. J’ai
appris il y a longtemps que cette femme avait un cœur de pierre.
En arrivant dans la salle, je vois Soph assise sur son lit, regarder par la fenêtre.
— Hé Soph.
Elle se retourne brusquement et son visage se fend d’un immense sourire.
— Pea, je suis tellement contente de te voir. Tu m’aides à m’enfuir ? dit-elle
en plaisantant.
Je m’approche et la prends dans mes bras en fermant les yeux. Je suis
tellement reconnaissante qu’elle aille bien.
— Le médecin m’a donné le feu vert, alors allons-y, dit-elle juste quand Dane
tourne à l’angle.
Il nous rejoint et la serre contre lui. Elle me regarde, je réponds d’un
haussement de sourcils et me demande ce qui a bien pu se passer entre eux. Elle
me sourit tristement.
— Dane, elle peut sortir. Nous pouvons nous en aller, dis-je à son dos.
Il desserre son étreinte, la tient à bout de bras et la regarde fixement.
— Tu ne sors plus avec des crétins et tu ne vas nulle part toute seule la nuit.
Un point c’est tout.
— Ne t’inquiète pas Dane, je ne compte pas ressortir avec qui que ce soit
avant un moment. Un très long moment, si long que j’en aurai des toiles
d’araignées entre les jambes, déclare-t-elle en riant.
Dane n’a pas l’air amusé, ce qui me fait rire et j’ajoute, malgré l’hilarité :
— Pas de panique Soph, je ne laisserai pas les araignées s’installer. Je
t’offrirai un vibromasseur.
Elle sourit et réplique :
— Je n’en ai jamais eu besoin, ce sera une toute nouvelle expérience pour
moi.
Elle plaisante toujours, mais je vois qu’au-delà de son sourire, elle se remet.
Elle essaie. Je vais devoir avoir une discussion sérieuse avec elle.
— Allez, le clown, nous te ramenons à la maison.
Je la tire doucement par le bras.
Nous rejoignons la voiture après que Soph ait dit au revoir aux infirmières et
Dane récupéré ses affaires. Je lui ai apporté des vêtements à moi pour qu’elle
n’ait pas à remettre sa robe déchirée jusqu’à la maison. Tout ce qu’elle portait la
nuit dernière est dans un sac entre les mains de Dane. Je suis presque sûre que
Soph y mettra le feu un peu plus tard. Nous montons en voiture et je m’installe à
l’arrière. Soph paraît perplexe puis me sourit.
— Tu t’améliores, Pea, dit-elle tout bas.
— Oui, j’y travaille.
Elle se penche, me serre la main et sourit avant de se glisser sur le siège avant
et je suis encore une fois épatée de voir que mon amie remarque tant de choses
malgré ses propres malheurs. Nous roulons jusqu’à chez moi et rentrons.
— Je vais faire du café, annonce Dane avant de filer sans me laisser le temps
de dire que je veux du thé.
— Pea, il va falloir que je rentre bientôt, murmure Soph.
Voilà.
C’est le moment que je redoute depuis hier. Je sais qu’elle va crier et refuser,
mais je vais être ferme et lui dire, pour une fois, que c’est ainsi et qu’elle n’a pas
son mot à dire. Et je vais devoir le faire sans la mettre plus en colère encore.
Sa mère lui a rendu la vie impossible quand elle était jeune, l’accusant de
choses qui n’étaient jamais sa faute. Elle n’était jamais une assez bonne fille non
plus, évidemment. Elle n’était pas assez intelligente, elle n’était pas assez chic et
elle ne parlait pas de manière assez distinguée. Quand nous étions enfants, Soph
a tenté de rendre sa mère fière ou même simplement heureuse. Je l’ai vu essayer
des années, se raccrochant à l’espoir que sa mère lui accorde ne serait-ce qu’un
peu d’attention ou lui témoigne de l’affection. Elle n’espérait même pas de
l’amour. Il faut imaginer une petite fille de sept ans en train de se dire que sa
propre mère ne l’aimera jamais. J’en souffrais encore et ce n’était pas à moi que
c’était arrivé. Et puis, il y a eu ce jour fatidique, quand Soph avait neuf ans, où
sa mère l’a accusée d’avoir causé la mort de son père. Merde ! Cette femme avait
besoin d’un bon retour de bâton.
— Soph, viens t’asseoir avec moi, mon ange, dis-je en faisant signe de la tête
vers le canapé.
Nous nous asseyons face à face, comme toujours, prêtes à parler.
J’attrape sa main.
— Soph, j’espère que tu ne vas pas te mettre en colère.
Elle se raidit en entendant mes mots, mais demeure silencieuse et continue à
me regarder fixement.
— J’ai pris une décision. C’est une décision qui te concerne. Je pense que
c’est pour ton bien et je sais que tu ne seras probablement pas d’accord, mais il
faut que tu comprennes pourquoi je le fais. Sois patiente et laisse-moi
t’expliquer…
Je marque une pause, la regarde un instant puis reprends.
— Pendant des années, je t’ai vu grandir sans l’amour de ton horrible mère.
Elle tressaille, mais ne dit rien.
— Je t’ai vu essayer de gagner son amour, essayer de la rendre fière, essayer
de la rendre heureuse et quand tout a échoué, tu as fait ton possible pour ne pas
te mettre au travers de son chemin pour qu’elle puisse avoir la paix qu’elle
demandait. Je t’ai vue une fois, nous avions dix ans, tu te souviens ? On nous
avait choisies pour les rôles principaux de la crèche de Noël. Tu étais Marie et
moi l’Étoile du Berger.
Elle acquiesce et une larme coule le long de sa joue.
— Je me souviens de toi, tu sautais de joie. Tu étais certaine qu’elle serait
enfin fière de toi. Tu étais tellement excitée, tu n’en pouvais plus d’attendre pour
le lui annoncer. Je me souviens de l’émerveillement dans tes yeux quand tu lui as
dit.
Je m’arrête et reprends mon souffle pour m’empêcher de pleurer.
— J’étais à côté de toi quand tu lui as dit et j’ai vu une petite fille de dix ans
s’écrouler quand elle t’a répondu qu’elle croyait que Marie était censée être
brune et qu’ils auraient mieux fait de choisir quelqu’un avec une meilleure
élocution ; que la fille de Diane Taylor, Josie, aurait probablement été un choix
plus judicieux. Et pour couronner le tout, elle a ajouté qu’elle ne pourrait pas
venir au spectacle à cause d’un bal de charité.
C’est son excuse pour tout à cette femme.
Soph pleure sans bruit, ses larmes coulent à flots.
— Elle ne te méritait pas à l’époque, elle ne te mérite pas plus aujourd’hui.
Quand nous étions plus jeunes, je voulais te sauver. Je pensais que si je pouvais
me transformer en X-Man ou en Jean Grey, alors peut-être que je pourrais
t’emmener loin d’elle. Enfant, je pensais que c’était une vilaine sorcière. Je t’ai
vu t’effriter au fil des ans. Pour être honnête, je suis surprise que tu sois même
devenue mannequin, à une période, tu avais si peu confiance en toi, Soph… si
peu. Il y a tellement d’autres histoires, tu le sais et je le sais. Ce que j’essaie de
dire – difficilement – il faut l’admettre…
Elle me sourit tout en reniflant.
—… c’est que je n’ai pas pu te sauver la première fois, mais que je le peux
cette fois-ci. Tu es ma meilleure amie, ma sœur et jusqu’à nouvel ordre, tu
habites avec moi.
Elle écarquille les yeux et s’apprête à dire quelque chose, mais je la prends de
vitesse.
— Non, attends ! Ce n’est pas négociable, c’est déjà tout vu. J’ai besoin de toi
ici autant que tu en as besoin. Je t’aime et c’est tout ce qu’il y a à en dire.
Je me rassieds et croise les bras pour me donner des airs de « il n’y a pas de
non possible ». Tout à coup, elle se jette dans mes bras et sanglote de manière
incontrôlable. Dans un premier temps, je panique, puis songe que c’est peut-être
ce dont elle a besoin. De pleurer. Peut-être que c’est cathartique et que cela va
l’aider à aller mieux ? Je me contente donc de lui tapoter le dos et de lui
murmurer :
— Lààààà.
Dane revient alors que je suis en train de la réconforter et, quand il nous voit,
son expression devient plus douce. Il nous sourit, au dos de Soph et à moi. Puis
il pivote et retourne dans la cuisine, visiblement pour nous laisser du temps.
Après quelques minutes d’étreinte, Soph me relâche et se calme.
— Pea, tu ne réalises pas ce que tu viens de faire pour moi. Tu n’imagines pas
à quel point j’avais peur de retourner dans mon appartement toute seule. Je ne
savais pas quoi faire. Je savais que je pouvais te demander, mais je ne voulais
pas m’imposer. Alors, que tu me dises que c’est déjà tout vu me soulage
tellement, tu n’imagines pas.
Elle s’interrompt, mais lève une main pour m’empêcher de parler puisqu’elle
n’a pas terminé.
— Tu as grandi avec moi. Tu as vu ce qui se passait chez moi, mais tu ne l’as
pas vécu toi-même, donc tu ne peux pas réellement comprendre à quel point mon
enfance a été écrasante. Il faut que tu comprennes, je ne pouvais partager ce
fardeau avec personne, je ne pouvais me réfugier nulle part quand les choses
devenaient vraiment dures. Pas de frères et sœurs, pas de grands-parents,
personne… il n’y avait qu’elle. Puis tu es arrivée avec ta grand-mère. Tu as
essayé autant que possible d’être là pour moi. Tu m’as sauvée, plus que tu ne
peux l’imaginer. Je t’aime Pea. Tu m’as sauvée quand j’étais enfant et tu me
sauves encore aujourd’hui. Je serai toujours là pour toi. Tu m’as montré ce
qu’est une vraie famille. Un jour, j’espère réussir à devenir comme toi. Gentille,
aimante, confiante, attentive et altruiste. Les gens gravitent toujours autour de toi
parce que tu es ce genre de personne. Tu les attires sans même t’en rendre
compte. Et tu sais quoi ? Chacun d’entre nous est chanceux de t’avoir dans sa
vie. Je sais que tu as des problèmes en ce moment et que tu t’es éloignée de
nous, mais je suis contente de voir que tu nous reviens.
Elle me serre contre elle et je sens une larme sur mon visage, mais c’est une
larme de joie à l’idée que j’aie pu apporter ça à mon amie, à ma sœur.
Quelques minutes plus tard, Soph monte à la salle de bain pour se rafraîchir
un peu et je déambule jusqu’à la cuisine pour prévenir Dane qu’il peut revenir. Il
traverse la pièce, jette ses bras autour de moi et me tient contre lui quelques
instants.
— Elle a raison, tu sais, tu es toutes ces choses et bien plus encore. Je pense
que tu commences enfin à le réaliser.
Je lève les yeux vers lui.
— Je ne suis pas sûre d’avoir été la meilleure amie qui puisse être, mais j’ai
bien l’intention de changer ça, à partir d’aujourd’hui, lui dis-je.
— Pea, d’après ce que j’ai compris, tu as été une bien meilleure amie toutes
ces années que tu sembles le penser. Ces gens ne resteraient pas à tes côtés, à
veiller sur toi avec autant de tolérance si tu ne le méritais pas. Et maintenant ?
Maintenant, tu reprends le contrôle de ta vie.
Je le regarde curieusement.
— Oui, c’est ce que tu fais, me réprimande-t-il. Et tu fais ce qu’il faut pour
ton amie.
Il plante ses yeux dans les miens.
— Tu es spéciale Pea et je suis heureux que tu m’aies laissé entrer dans ton
monde pour le découvrir.
Je ne sais pas trop où il essaie d’en venir, mais soudain, Soph entre.
— Alors, Dane. Il semblerait que j’emménage ici avec Pea. Tu ne connaîtrais
pas un homme grand et fort pour m’aider à amener mes affaires ?
Elle lui fait un clin d’œil.
Il lui sourit.
— Et si nous passions à ton appartement chercher ce dont tu as besoin
immédiatement et que le week-end prochain, nous terminions le travail et
rendions ton bail.
Soph me regarde, une question dans les yeux, j’acquiesce simplement et me
tourne vers Dane.
— Ça a l’air parfait. Allons-y maintenant. En terminant vite, je pourrai
commencer à préparer le dîner.
La journée passe rapidement et la nuit tombée, après que Dane soit parti, Soph
et moi nous prélassons sur le canapé, les yeux rivés sur la télévision et ses
émissions nazes du dimanche soir. Je regarde Soph quand elle reçoit un message
et fronce les sourcils en le lisant.
— Qu’est-ce qui se passe ? demandé-je inquiète en voyant son expression.
— Je… c’est… c’est un message de Wes.
Elle ressemble à un lapin pris dans des phares. Je lui prends le téléphone, tape
un message et l’expédie.
Soph : Ne me recontacte plus, connard !
Je ne lui rends pas le portable et le garde, certaine qu’il répondra.
Wes : Espèce de pouffiasse ! Heureusement ke je t’ai jetée, y a plein d’autres
petits culs pour moi, de toute façon.
J’envoie une copie des messages à Dane.
Soph : Dane, c’est Pea. Je viens de t’envoyer les messages que Soph a reçus
de ce toquard de Wes ainsi que mes réponses. Je lui ai pris son téléphone et je
vais maintenant effacer ses textos et bloquer son numéro, je me disais juste que
tu aimerais peut-être le savoir, étant donné que tu connais ce type.
Je reçois immédiatement sa réponse.
Dane : Je m’en occupe. Tu vois ? Une véritable amie.
J’esquisse un sourire et efface les textos avant de rendre son portable à Soph.
— Ne t’inquiète pas, Soph. Ce ne sont pas tous des crétins. Un homme spécial
viendra, essayé-je de la rassurer, mais elle reste assise et secoue la tête.
— C’est terminé pour moi, Pea. Je ne peux pas retraverser tout ça et je ne sais
pas si je pourrais un jour. Je fais une croix sur les hommes.
Elle se lève et marche jusqu’à la cuisine. Je la suis.
— Alors, plus d’hommes ? demandé-je et Soph secoue la tête.
— C’est juste… je…
Elle se tait et baisse les yeux au sol. Je ne peux pas voir son visage, mais je
distingue ses larmes tomber et s’écraser par terre.
— Je ne peux pas.
Sa voix se brise en un sanglot et je me précipite vers elle, l’agrippe et l’attire à
moi. J’embrasse son front. Je voudrais la cacher et repousser tous ses malheurs,
tous ses démons.
— Que dirais-tu d’un bain moussant ? suggéré-je en sachant qu’elle adore ce
genre de choses.
Elle fait oui de la tête et je lui dis d’aller se préparer pendant que je m’en
occupe. Une fois le bain prêt, elle grimpe dedans et je retourne dans ma chambre
mettre mon pyjama. Je l’entends parler dans son bain. Elle doit être au
téléphone. Tout à coup, un nom retient mon attention :
— Con. Je ne sais pas de quoi ils discutent puisque je n’essaie pas d’écouter à
la porte, mais je suis contente qu’elle l’ait appelé, il l’aidera à se remettre.
Je me blottis sur le canapé avec ma couverture molletonnée et une tasse de
thé. Je me sens glisser vers le sommeil quand, soudain, mon portable reçoit un
message.
Con : Tu t’en es bien sortie, trésor. Je suis fier de toi. Fais de beaux rêves.
Je souris et de la chaleur se répand en moi.
Moi : Merci, Con. Dors bien.
Chapitre Douze
Plus tard dans la journée, alors que je rentre à la maison à pieds, je réfléchis à ce
que je sais que je dois faire. Je pense aux différentes choses qui me sont arrivées
et aux nombreuses explications que je dois à ceux qui me soutiennent depuis
toujours. À ces personnes qui méritent de savoir. Je songe également que
commencer à lâcher prise et à m’ouvrir aux autres, m’aiderait à retrouver celle
que je suis. Parce que quelque part au milieu de tous ces secrets, je me suis
perdue.
Juste avant d’arriver, mon téléphone se met à chanter My Immortal
d’Evanescence et je me souris à moi-même – Con. Depuis que Soph a été
attaquée, Con m’écrit souvent. Il a commencé par me demander des nouvelles de
Soph. Il voulait savoir si elle allait vraiment bien, si je ne lui racontais pas des
bobards pour le rassurer. Étrangement, Soph s’est parfaitement remise, si on ne
compte pas sa phase casanière. La police n’a toujours pas attrapé son agresseur,
pourtant cette nouvelle n’a pas l’air de la perturber. Elle passe le plus clair de son
temps libre avec moi et Dane. Dane qui semble être devenu un élément
permanent de mon quotidien. Je sors le téléphone de ma poche.
Con : Hé trésor, comment se passe ta journée ?
Je souris et réponds en essayant de ne bousculer personne.
Moi : Hé Con, tout se passe bien. De ton côté ?
Sa réponse est presque immédiate.
Con : Ce serait mieux si je pouvais te voir.
Je secoue la tête bien qu’il ne puisse pas me voir.
Moi : Con, nous ne sommes plus au Moyen-Âge, nous pouvons nous appeler
sur Skype quand j’arrive à la maison, si tu veux ?
Con : Nan, je vais à mon cours de kickboxing, faut bien s’entretenir.
Moi : C’est vrai, tu ne voudrais pas que les femmes arrêtent de te regarder. :-)
Con : Est-ce que tu viens d’utiliser un smiley ? C’est la fin du monde ?
Moi : J’en utilise parfois.
Con : Hmm.
Moi : Si, je le fais ! J’évolue ! ;-)
Con : Ouah ! Bientôt tu vas écrire tout en abrégé !
Moi : N’allons pas trop loin trop vite ! :-D
Con : D’accord, trésor, à plus tard.
Moi : D’accord, Con.
Je m’arrête et secoue la tête, avant de ranger le portable dans ma poche et de
reprendre ma route. Cinq pas de plus et Evanescence retentit à nouveau. Je
récupère mon téléphone.
Con : Ton visage n’est pas la seule partie de ton corps que j’ai envie de voir.
;-)
Je reste éberluée un instant, mais je sens mon cœur cogner dans ma poitrine et
la chaleur affluer entre mes jambes. Je retourne mon téléphone à sa place et
recommence à marcher, un sourire secret sur les lèvres. Pour une fois, j’ai un
bon secret.
Quand j’arrive, Soph est occupée dans la cuisine. Elle prépare une sorte de
salade avec des noix – un truc pour lapin. Elle sourit et chante The Only
Exception de Paramore. Elle est très belle et semble calme. Je suis tellement
heureuse qu’elle se soit remise de son agression. Je vais m’installer sur le canapé
et quand elle termine, elle vient me rejoindre.
— Alors, Pea. Quoi de neuf ? demande-t-elle et un déclic se produit en moi, je
sais que c’est le moment.
— Soph, il faut que je te dise quelque chose, dis-je.
— Ça ne présage rien de bon ça ! fait-elle avec un rire nerveux.
— Eh bien, la vérité, c’est qu’il y a plusieurs choses dont je ne t’ai jamais
parlé parce que j’avais peur.
Elle paraît confuse.
— J’avais peur de ta réaction. Peur de moi-même, mais surtout peur parce que
ces choses n’ont jamais apporté que des disputes et du chagrin.
Je soupire.
— Et ces choses sont la raison pour laquelle Saul est là où il est.
— Dis-moi, répond-elle doucement, mais fermement et je sais qu’elle peut
l’encaisser.
— D’accord.
Je me sens libérée d’un poids en sachant que je fais enfin ce que j’aurais dû
faire il y a des années.
— Il y a six ans, je suis partie en voyage.
Elle acquiesce.
— Quand je suis venue te voir avec Saul… continue Pea, m’encourage-t-elle.
— Je venais de faire une fausse couche.
La main de Soph vole jusqu’à sa bouche et ses yeux s’embrument.
— Quoi ? murmure-t-elle. Oh Pea.
Elle fait non de la tête comme si ce que je dis ne peut pas être vrai.
— Pea… pourquoi ne m’as-tu rien dit ?
Je la regarde comme si elle possédait les réponses que je cherchais. Puis, je
me lève et fais les cent pas.
— Je ne sais pas, Soph. Je n’ai pas de réponse à cette question.
— Tu… est-ce que tu l’as dit à Con ?
Je lui souris parce que, contrairement à Saul, elle sait qu’il n’y aura jamais que
Con pour moi. Mais mon sourire s’efface quand mon cerveau enregistre sa
question.
— Non.
Je secoue la tête à nouveau et regarde les photographies au-dessus de la
cheminée.
— Je ne lui ai jamais dit, Soph.
Mes mots lui coupent le souffle.
— Je ne lui ai jamais permis d’être fou de joie. Je ne lui ai jamais permis
d’arranger les choses entre nous… même si ça, c’était plutôt de ma faute.
Je réfléchis à ce que je viens de dire un instant avant que Soph n’intervienne
encore.
— Il ne sait toujours pas ?
— Non, pourtant il faut que je lui dise, déclaré-je.
L’esprit clair, je sais qu’il s’agit d’un autre pas à faire si je veux aller de
l’avant, mais aussi qu’il s’agit du plus effrayant de tous.
Elle acquiesce.
— Oui, Pea, je veux dire, c’est difficile, mais il faut qu’il sache. Il mérite de
savoir.
Elle me parle calmement comme elle le fait depuis des années. Tout ce que ça
fait, c’est me mettre en colère. Pas contre elle. Jamais contre elle. Mais contre le
fait que je la force à me parler ainsi alors que je ne mérite qu’une bonne gifle
pour ne l’avoir jamais dit à Con.
— Je ne lui ai jamais permis de les pleurer, dis-je distraitement.
— Les ! s’écrie Soph.
Je tourne la tête vers elle et, bien que triste, je réussis à lui sourire.
— Oui, des jumeaux. J’étais enceinte de douze semaines. J’ai passé une
échographie, je ne savais pas exactement quand mes règles s’étaient arrêtées et
comme j’étais dans un autre pays, les médecins ont préféré m’en faire passer
une. Je les ai vus, tous les deux.
Je sens les larmes me monter aux yeux, j’inspire donc profondément. Soph
s’approche de moi et m’entoure de ses bras.
— Pea… je suis tellement désolée.
Elle me caresse le dos quelques minutes avant de dire :
— C’est pour ça que tu as réagi comme ça après l’accident ?
De fines lignes d’eau salée barrent ses joues.
J’acquiesce.
— Oui, je suppose… je veux dire, je n’y ai pas pensé jusqu’à récemment. Je
n’arrivais pas à tout encaisser.
Soph prend une profonde inspiration.
— Pea.
Et je sais déjà ce qu’elle va dire. Ce qu’elle ne comprend pas, c’est que je sais
déjà et l’ai accepté. Quelle que soit la fin.
— Tu dois lui dire.
— Je sais. J’ai dit que je le ferai.
Je reste entre ses bras quelques minutes de plus, puis elle recule et attrape mes
mains et me fixe.
— J’ai cru que l’accident était de ma faute, dis-je en relâchant le souffle que je
retenais sans m’en rendre compte ainsi qu’une montagne de tension.
Exprimer tout simplement à voix haute ce qui me fait culpabiliser depuis des
mois est un soulagement.
— Ne dis pas ça Pea, c’était un accident.
— Je crois que je l’ai enfin compris. Mais nous nous disputions au sujet de
Con, c’est la seule chose qui nous faisait nous disputer.
Je baisse la tête. Nous gardons toutes les deux le silence un moment.
— Soph ?
— Oui ? dis Soph un brin d’appréhension dans la voix.
— Il y a autre chose.
Elle ne dit rien, attendant que je poursuive.
— Je rends visite à Saul.
Soph s’étrangle et recule, me relâchant entièrement.
— Pourquoi ? demande-t-elle.
— Parce que j’en ai besoin.
— Je suis désolée Pea, je ne comprends pas !
Elle va se placer à l’autre bout de la salle et croise les bras. Je comprends sa
soudaine amertume.
Après l’accident, j’ai dérivé. J’étais déprimée. Puis la mère de Saul nous a
tous interdit de le voir à cause de moi. Nous avons décidé de garder nos
distances, d’attendre qu’il aille mieux et puisse parler pour lui-même. Nous
avons décidé de ne le contacter que par téléphone. Puis Con et Soph m’ont pris à
partie et nous avons eu cette « conversation » faisant de Saul un sujet tabou pour
mon propre bien. Ça n’a servi qu’à me mettre en colère. Pourtant je savais qu’ils
ne faisaient qu’essayer de m’aider, je les ai donc laissé faire. Ce qu’ils ne
réalisaient pas, c’est que, dès lors, j’ai tout mis en œuvre pour être capable de
voir Saul, d’où le nouvel emploi. Ils savaient pour le travail à l’hôpital. Ce qu’ils
pensaient, en revanche, c’est que j’avais postulé avant l’accident et qu’il ne
s’agissait que d’une coïncidence. Ils étaient également persuadés que j’étais trop
docile pour essayer de rendre visite à Saul. J’adorais aller le voir, même lorsqu’il
était encore dans le coma. Bien que je préfère pouvoir lui parler. Mais les deux
autres me manquaient. Nous avons toujours été ensemble et j’ai conscience
qu’en allant lui rendre visite, j’ai trahi leur confiance. Je dois faire comprendre à
Soph.
— Soph, laisse-moi t’expliquer.
Je lui fais signe de se rasseoir sur le canapé, ce qu’elle fait, heureusement.
— Quand je me suis remise de l’accident, j’étais complètement brisée.
— Je me souviens, commente-t-elle.
— J’étais déjà à cran à cause de ma première fausse couche, la deuxième…
m’a presque tuée.
Son visage s’adoucit et elle prend ma main.
— Je peux imaginer, dit-elle, la voix teintée de douleur et je m’interroge.
— Soph, est-ce qu’il y a des choses que tu devrais me dire ? demandé-je.
Elle fixe son pouce caressant le dos de ma main.
— Une autre fois, Pea.
— Soph ? murmuré-je.
— Non Pea. C’est à toi de te décharger d’un poids aujourd’hui. Mon tour
viendra plus tard.
Je soupire et sais que je n’obtiendrai rien en la forçant à me parler.
— Bref, j’avais besoin de voir Saul et elle m’en empêchait.
Je regarde mes pieds et le vernis rouge qui s’écaille de mes ongles.
— Je ne savais pas quoi faire et j’étais déboussolée. J’avais seulement besoin
de le voir et je n’arrivais à penser qu’à ça.
— Oh, Pea.
— Quand j’ai repris le contrôle, je ne savais pas comment arranger les choses
et toutes les personnes à qui je demandais normalement conseil étaient soient
liées à l’accident, soient mortes.
Une larme que je n’avais pas remarquée s’échappa de mes yeux.
— J’ai vraiment déconné, Soph. Vraiment.
Soph se penche et me reprend dans ses bras.
— J’y étais aujourd’hui.
Je la sens se raidir à mes mots avant de détendre lentement ses muscles.
— C’est vrai ? demande-t-elle, la voix tendue.
— Oui, il sort dimanche.
Elle tressaille à nouveau.
— Vraiment ? demande-t-elle, surprise.
— Oui, tu ne savais pas ? Je pensais que vous vous parliez au téléphone.
— Nous nous appelons, mais pas depuis quelques jours, dit-elle en haussant
les épaules.
— Eh bien… bref, il veut que je vienne le chercher. Il ne veut pas voir sa
mère.
Soph s’étrangle.
— J’ai dû lui dire.
Ses yeux s’agrandissent, mais elle sait de quoi je parle. Ce n’est pas le pire, ça
ne met juste pas sa mère en valeur. Nous nous étions mis d’accord pour ne pas
lui dire que sa mère nous avait interdit de venir. Leur relation était déjà assez
compliquée, nous ne voulions pas l’empirer. Mais je ne pouvais pas le laisser
penser que Soph et Con se fichaient de lui.
— Qu’est-ce qu’il a dit ? demande-t-elle timidement.
— Eh bien, il n’était pas très impressionné. Il l’a un peu insultée. Puis il a dit :
« Dieu merci ».
Soph semble confuse.
— Oui, je n’ai pas compris sur le coup non plus et tu sais ce qu’il a répondu
quand je lui ai demandé ce qu’il voulait dire ?
Soph secoue la tête.
— Il a dit qu’il préférait savoir que sa mère était une pétasse qui se mêlait de
ce qui ne la regardait pas, que de penser que deux de ses meilleurs amis n’en
avaient rien à faire de lui.
À ces mots, Soph et moi nous regardons un instant avant d’éclater de rire.
— Alors, à quelle heure doit-on passer prendre le Prince, du coup ? demande-
t-elle une fois son calme retrouvé.
Je ris du surnom qu’elle lui a donné une dizaine d’années plus tôt à cause de
son obsession pour la chanson titre du Prince de Bel-Air.
— Je ne suis pas sûre, il doit m’envoyer un message dimanche quand il est
prêt, dis-je et Soph me lance un grand sourire.
Tout à coup, la sonnette retentit.
— Ah oui, ce doit être Dane, dit Soph automatiquement en se levant pour aller
lui ouvrir.
En quelques semaines, Dane est presque devenu un résident à part entière de
la maison. Je m’inquiétais, auparavant, que notre groupe se retrouve envahi par
la petite amie de l’un des garçons. Je n’aurais jamais imaginé que ce serait un
homme qui s’y ajouterait, bien que personne ne sorte avec lui… tout de même.
— Hé petit soleil, dit-il en entrant dans le salon avant de me faire un énorme
câlin.
— Hé Dane, bâillé-je.
— Fatiguée ? demande-t-il, inquiet.
— Mmm… un peu, marmonné-je.
— Ça va ? s’enquit-il, promenant les yeux entre Soph et moi.
— Mm-mm ! acquiescé-je. Mais, je pense que je vais passer mon tour pour les
bavardages ce soir et me mettre au lit. Soph peut te raconter notre soirée.
Soph me lance un regard interrogateur.
— Soph, autant le mettre au courant, j’essaie de me débarrasser de ces
secrets… pas d’en rajouter.
Je lui fais un clin d’œil. Soph paraît surprise et Dane me regarde avec un
mélange de stupéfaction et de frustration sur le visage.
Quand je suis au lit, j’attrape mon portable comme je le fais depuis deux
semaines. Je le mets sur silencieux et tape un message.
Moi : Bonne nuit Con. Tu me manques.
Je me tourne ensuite et m’endors avec un sourire, sachant qu’au matin, un
message sera là à attendre que je le lise.
Con : Bonne nuit, trésor. Tu me manques aussi. Toujours.
Chapitre Treize
Je suis assise à la table de la cuisine, une tasse de thé dans une main et mon
nouveau livre dans l’autre, en train de tomber plus amoureuse encore de mon
dernier petit-ami imaginaire en date, quand j’entends Soph descendre les
escaliers à pas feutrés.
Elle passe la porte et se frotte les yeux.
— Du thé ? demandé-je, la faisant sursauter.
— Mince, Pea, je ne t’avais pas vue.
— Haha. Non, tu étais trop occupée à essayer de finir de te réveiller.
Soph n’a jamais été matinale. Contrairement à moi. Quand mes pieds touchent
le tapis de ma chambre en sortant du lit, c’est bon, je suis réveillée. Soph met des
siècles à émerger complètement ce qui nécessite beaucoup de thé ou de café, en
fonction de ses envies du jour.
— Du thé, s’il te plaît, murmure-t-elle en traînant des pieds jusqu’à la chaise.
Je l’observe une minute, elle regarde fixement la table, l’expression vide et les
yeux vitreux. Je continue mon livre et lui laisse le temps de se réveiller.
J’arrive juste à un passage intéressant – l’héroïne a été kidnappée et le héros
est sur le point de la retrouver et de la sauver – quand mon téléphone se met à
vibrer. J’avais oublié qu’il était en silencieux. Je réactive le son et lis le message
que je viens de recevoir.
Dane : Est-ce que tu veux venir chez moi demain soir, petit soleil ?
Je regarde le texto un temps. Il saura que je l’ai lu parce qu’il pourra le voir
sur son téléphone. Pourtant, je n’arrive pas à me convaincre de répondre. Je veux
savoir pourquoi il est si secret, mais avant-hier, je n’étais pas particulièrement
inquiète de ce qu’il pourrait me dire. Après avoir parlé à Soph, j’ai un peu peur
d’apprendre quelque chose qui me donnerait envie de lui mettre un coup de
genou entre les jambes. Mon portable s’allume de nouveau, avec un « ping »
cette fois-ci.
Dane : Allez Pea. Tu voulais que je sois honnête et je suis prêt à l’être.
Pourquoi est-ce que tu ne réponds pas ? Qu’est-ce qui a changé ?
Je jette un coup d’œil à Soph, me demandant si je devrais vraiment avoir cette
conversation par téléphone ou attendre de le voir.
Moi : Rien, Dane. Passe me prendre à 18 h demain, si ce n’est pas trop tôt ?
Dane : Non, c’est bon. 18 h. À plus tard, petit soleil.
Dix minutes plus tard, je regarde encore le téléphone en me demandant si je
ne venais pas de lui faire de la peine, quand Soph ressuscite.
— Pourquoi est-ce que tu regardes ton téléphone depuis tout à l’heure ?
s’enquit-elle et je relève brusquement les yeux.
Je remarque qu’elle hausse un sourcil interrogateur. J’essaie d’écarter sa
question.
— Oh, désolée, dis-je en secouant la tête comme pour sortir d’une transe. Tu
me connais, toujours en train de rêvasser, dis-je tout en tapotant ma tempe.
— Hmm, alors, où étais-tu cette fois ? insiste-t-elle et je suis obligée de lui
répondre avec une partie de la vérité.
— Dane m’emmène chez lui demain.
Elle s’étrangle et je la regarde, confuse.
— Quoi ?
— Non, désolée Pea, ce n’est pas une mauvaise chose. C’est juste qu’il ne
ramène personne chez lui. Il ne l’a jamais fait. Enfin, je suppose qu’il laisse
venir ses amis et sa famille, mais pas de femmes, déclare-t-elle.
— Oui, excepté Soph, tu oublies que je suis son amie. Il n’y a rien de
romantique là-dedans.
Puis je rajoute :
— D’aucun côté.
— Comment est-ce que tu peux savoir qu’il n’y a rien de romantique de son
côté ? m’interroge-t-elle et je peux percevoir le froid dans sa voix.
— Soph, il ne m’a donné aucune indication qu’il était intéressé d’une façon
romantique, pas une caresse, pas une suggestion, rien. Tu as dit hier qu’il t’a fait
plusieurs propositions ces dernières années, je suis donc presque convaincue
qu’il aurait fait de même avec moi s’il le voulait.
Je peux voir Soph réfléchir à ce que je viens de dire et je rajoute :
— De toute façon, je crois que ce n’est pas un homme qui tourne autour du
pot, si tu vois ce que je veux dire. S’il voulait quelque chose, je suis sûre qu’il le
ferait savoir.
Elle fronce les sourcils puis admet :
— Oui, j’imagine que tu as raison. Mais ça n’explique toujours pas pourquoi
il t’emmène chez lui.
Cette fois, c’est à mon tour de froncer les sourcils.
— Quoi ? Est-ce que tu insinues qu’il ne peut pas simplement être mon ami ?
Qu’il n’apprécie pas tout bêtement ma compagnie ?
Soph rigole de ma dramatisation.
— Non, bécasse. Je trouve simplement cela étrange et puis, pourquoi
maintenant ? Il doit y avoir une raison.
Je soupire et sais que je ne dois plus lui cacher des choses. J’ai retenu ma
leçon.
— Il a quelque chose à me dire, je suppose. Avant que tu demandes, non, je ne
sais pas de quoi il s’agit, ou même de quoi il pourrait s’agir, je n’ai aucune idée
et je n’ai pas posé de questions.
Soph croise les bras sur sa poitrine en reniflant. J’ai répondu à tout ce qu’elle
était sur le point de demander, avant même qu’elle n’ait la chance de
m’interroger.
— Ne reste pas là à bouder juste parce que je te connais, dis-je en essayant de
réprimer un sourire.
Son visage passe de l’agacement à l’intérêt.
— Qu’est-ce que ça peut bien être ? Je suis intriguée, fait-elle.
— Moi aussi, j’imagine que je le saurai demain et qu’en rentrant je te le dirai.
— Argh ! J’ai l’impression d’avoir à attendre une éternité, gémit-elle et je ris.
— Eh bien, et si nous pensions plutôt à Saul, aujourd’hui, hein ? répliqué-je et
son expression s’illumine d’un sourire heureux et sincère.
— Oui, j’ai hâte de le voir.
Puis son sourire disparaît.
— Il va tellement m’en vouloir de ne pas être allée le voir, se murmure-t-elle
presque.
— Non, il ne t’en voudra pas. Je lui ai expliqué, tu te souviens ? Il sait que tu
n’avais pas le choix et que sa mère t’en a empêchée.
Elle acquiesce, mais se détourne ensuite.
— Oui, mais toi tu y es allée. Tu n’as pas abandonné.
Je soupire.
— Rappelle-toi Soph, je n’allais pas bien du tout, je pensais que tout était de
ma faute. La seule chose qui me gardait debout, c’était l’idée de pouvoir le
revoir. Je n’étais pas vraiment au top moi-même… je ne l’avais juste pas encore
remarqué à ce moment-là.
Ses yeux se font plus doux et elle hoche la tête.
— Oui, Pea, je sais. J’ai juste hâte de le voir.
— Moi aussi, concordé-je.
Deux heures plus tard, comme d’habitude, j’attends Soph.
— Soph, appelé-je du bas de l’escalier quand un coup de klaxon se fait
entendre dehors.
— J’arrive ! répond-elle.
— Dépêche-toi, le taxi est là ! crié-je à nouveau, juste quand elle commence à
descendre les marches.
— Je sais, j’ai entendu et j’arrive, réplique-t-elle.
Je la contemple. Elle porte un pantalon en faux cuir noir à taille haute avec des
chaussures ouvertes en cuir verni couleur pêche. Les talons doivent au moins
mesurer douze centimètres. Elle a aussi une veste de motard noire et une
pochette. Ses cheveux sont relevés en une haute queue de cheval retenue par du
gel et le dessus est coiffé en une sorte de coque pouffant. Elle est parfaitement
maquillée… certes, maquillée pour la journée et pas pour une soirée, mais tout
de même. Je la regarde puis baisse les yeux sur mon legging noir, mes Uggs et
mon grand pull vert jade. J’ai les cheveux en queue de cheval basse, du gloss et
du mascara. Je me sens complètement naze à côté d’elle.
— Euh, Soph, nous allons toujours à l’hôpital, n’est-ce pas ? Je veux dire, je
ne confonds pas les jours ? demandé-je en m’inspectant encore une fois.
Elle rigole.
— Tu es très bien comme ça, Pea. Mais je voulais simplement me mettre sur
mon trente et un. Tu sais que je n’ai pas revu Saul depuis longtemps.
Je secoue la tête et plaisante avec elle.
— Oui, mais tu réalises bien que c’est un hôpital privé, n’est-ce pas ? Ils
risquent de te voir et de penser que tu es une prostituée de luxe, dis-je avec un
clin d’œil.
Elle me sourit et répond :
— Du moment qu’ils pensent au mot « luxe », ça me va !
Nous sortons ensemble et rejoignons en riant le taxi qui nous attend.
Ce n’est qu’à mi-chemin vers l’hôpital que je réalise être montée dans le taxi
sans même y penser. Je souris à la vitre.
Il y a quelque chose de bizarre avec Saul. Je n’arrive pas à dire exactement quoi,
pourtant il a l’air en colère, principalement contre Soph. Je ne comprends pas
quel est son problème. Évidemment, Soph m’a prise à part plus d’une fois depuis
notre arrivée à l’hôpital une heure plus tôt, afin de me demander si je l’avais
remarqué et ce que j’en pensais. Elle est maintenant convaincue qu’il lui en veut
de ne pas être venue lui rendre visite, mais si c’était le cas, ne serait-il pas en
colère contre moi aussi ? Pourtant là, c’est vraiment contre elle qu’il est remonté.
— Soph, sérieusement… arrête de t’inquiéter. Il est probablement seulement
de mauvaise humeur. Tu le serais aussi si tu avais été coincée ici, non ?
Saul était prêt à partir quand une infirmière est arrivée et lui a dit qu’il ne
pouvait pas sortir tant qu’un médecin ne l’aurait pas déchargé. Depuis, nous
attendons et ça a clairement l’air de mettre Saul hors de lui. L’infirmière a sans
doute le béguin pour lui, à en juger par les œillades qu’elle lui jette. Je suis
presque sûre que c’est contre le règlement de l’hôpital et Soph la fusille du
regard. Si Saul n’était pas aussi remonté et que nous n’étions pas dans un
hôpital, j’en rirais.
— Oui, je suppose, soupire-t-elle.
— Allez, ramenons ces cafés ignobles à Saul et attendons de pouvoir partir.
Elle hausse les épaules, mais revient dans la chambre avec moi.
— Vous en avez mis du temps, nous lance Saul.
— Il y avait un vieil homme devant nous, dis-je.
Il se contente de nous fixer, les lèvres pincées et le front plissé. Il est toujours
beau et, bien qu’il se comporte comme un crétin sans raison apparente, j’ai juste
envie de le prendre dans mes bras et le serrer contre moi. Je me demande si
l’euphorie que je ressens en le voyant disparaîtra un jour ? Je n’arrive pas à
croire que nous ayons failli le perdre. Je promène mon regard entre eux deux
depuis ma place près de la fenêtre surplombant Londres. Soph est assise sur le
rebord du lit et, malgré son agacement, Saul ne la lâche pas des yeux. Quand il
se détourne pour me parler ou saluer une infirmière, Soph le regarde
discrètement. C’est assez comique, en fait.
Ces deux-là sont ma famille. Je serais perdue sans eux. Mince, je serais
complètement seule sans eux. Ils sont tout pour moi. Dane est rapidement en
train de devenir un membre de cette famille et je compte aussi évidemment Con.
J’aurais aimé qu’il soit là. Il me manque chaque jour un peu plus et depuis que
j’ai pris conscience tout à coup hier, que ce serait toujours lui et seulement lui
pour moi, il me manque encore plus.
J’ai pris une décision hier. Je vais le rejoindre.
J’ai quelques économies, pas grand-chose, environ 1500£. J’ai regardé les
vols British Airways l’autre jour : un aller simple pour New York est à 1100£.
J’ai besoin de plus d’argent. J’ai besoin d’être sûre d’avoir assez pour pouvoir
rentrer ou survivre assez longtemps pour me trouver un travail si je décide de
rester. Je sais que je pourrais rester chez Con. C’est un peu le but, mais qu’est-ce
que je fais si, en arrivant, je le trouve avec une autre femme ? Si c’est le cas, je
ne pourrais pas rester, je ne supporterais pas de le voir avec quelqu’un d’autre,
tous les jours, devant moi. J’enroule mes bras autour de moi. J’ai mal au ventre
rien qu’en y pensant et je suis obligée de me retenir pour ne pas laisser mes
émotions s’échapper.
— Pea ? demande Saul et c’est la première fois depuis notre arrivée qu’il
s’adresse réellement calmement à l’une d’entre nous, qu’il est vraiment lui-
même.
— Désolée Saul, je réfléchissais à des choses que je ne devrais pas envisager.
Je souris, m’approche du lit pour m’y asseoir à ses côtés, à l’opposé de Soph,
et m’appuie contre lui.
— Je t’aime Saul, vraiment. Tu es comme mon frère et mon meilleur ami.
Soph tousse et je ris.
— Vous l’êtes tous les deux.
Je secoue la tête et souris en regardant Saul dans les yeux.
— Je sais que tu vas mieux.
Je l’inspecte des pieds à la tête.
— Tu vas aller mieux.
Puis je lève les yeux sur Soph.
— Tout ira bien pour toi aussi. Je dois aller le voir. Je dois lui dire. Je dois me
battre pour lui. Je finirai ma vie avec lui ou sans personne. Il n’y a pas de
troisième option.
Je réalise que Saul me tient la main.
— Reste encore une semaine ? Pour m’aider à m’y retrouver un peu ?
demande-t-il.
— Bien sûr que je vais rester, je veux dire, je ne peux pas encore y aller de
toute façon. Je n’ai que 1500£ et, d’après mes calculs, j’ai besoin de 4000£ juste
pour l’aller-retour, en espérant qu’il me laisse rester chez lui.
Mon ventre se noue quand les pensées de tout à l’heure me reviennent.
— Nous t’aiderons. Tout ce que tu veux, me dit Saul.
Je serre sa main.
— Merci, Saul, cependant c’est quelque chose que je dois faire toute seule.
Je veux qu’il sache que j’ai fait des efforts. Mince, je veux qu’il sache qu’il
mérite tous ces efforts.
À cet instant, le médecin entre. Il s’avère que c’est une jeune femme et que
Saul l’intéresse, elle aussi, puisqu’elle nous observe, Soph et moi, assises de
chaque côté de lui.
— Un peu d’espace, pour que je puisse examiner M. James ?
Soph lui jette un regard noir, mais se lève tandis que je m’éloigne simplement
en souriant. Le médecin tire le rideau autour de Saul et fait ce qu’elle a à faire.
Tout à coup, je l’entends dire :
— Eh bien, vous devez vraiment être sportif pour avoir un physique pareil.
Et je ne peux réprimer un petit rire dédaigneux. Quand elle ressort de derrière
le rideau, elle nous lance un regard plein de venin et s’en va en tapant des pieds.
Soph et moi éclatons de rire, puis Saul ouvre le rideau avec un grand sourire.
— Je suis libre et fin prêt ! dit-il.
Nous nous retournons pour partir, le sourire aux lèvres. Une seconde plus tard,
ils se désagrègent quand la mère de Saul surgit dans la pièce. Elle arbore
immédiatement une moue de dégoût en nous apercevant, Soph et moi, et file tout
droit vers son fils.
— Saul, je suis venue te ramener à la maison, dit-elle en me regardant avec un
mépris évident.
Elle écarquille les yeux en voyant la tenue de Soph, ce qui me donne
simplement envie de rire. Je me contiens pour ne pas envenimer les choses pour
Saul.
— Je ne rentre pas avec vous, déclare Saul.
— Ne fais pas l’idiot, Saul, tu as besoin d’amour maternel.
— Non, je ne veux ni n’ai besoin de votre amour.
— Ne fais pas l’ingrat Saul, je ne t’ai pas élevé comme ça. Fréquenter des
racailles ne veut pas dire que tu dois te comporter comme tel, dit-elle avec
mépris en nous regardant à nouveau.
Soph est sur le point de dire quelque chose et je la pousse discrètement vers la
porte, sachant qu’elle pourrait causer des problèmes et que Saul n’a pas besoin
de ça pour l’instant. Mais je sais aussi qu’il va avoir besoin de quelqu’un à ses
côtés pour le soutenir moralement. Il n’a jamais eu de mal à envoyer promener
sa mère, mais je veux quand même qu’il puisse se reposer sur moi.
— Fermez-la, répond-il, les dents serrées.
— Eh bien ! Ce n’est pas la peine d’être aussi vulgaire, Saul !
Saul soupire.
— S’il vous plaît, Mère, allez-vous-en. Je rentre avec Pea, dit-il en me
désignant.
— Elle ! hurle-t-elle en me pointant du doigt. C’est à cause de cette fille que
tu as manqué mourir, Saul et elle a l’audace de se tenir là comme si de rien
n’était.
Elle me regarde, méprisante.
Je sens mon cœur cogner dans ma poitrine, tambouriner comme s’il allait
s’enfuir d’entre mes côtes. J’en envie de lui crier dessus. J’en envie de hurler, ou
encore mieux, de la frapper, mais je me retiens. Je ne lui offrirai pas la
satisfaction de me faire jeter dehors ou pire, de lui donner une raison de porter
plainte pour coups et blessures. Elle le ferait.
— Je vais vous dire quelque chose que vous feriez mieux d’écouter Mère,
parce que je ne le ferai qu’une seule et unique fois, dit Saul si calmement que
c’en est effrayant.
Sa mère, tout comme moi, doit se rendre compte qu’il ne rigole pas.
— J’en ai assez de vous. C’est fini. Vous ne vous êtes pas souciée de moi tant
que j’étais ici. Je sais exactement combien de fois vous êtes venue et combien de
temps vous êtes restée. Les infirmières savent tout, dit-il en regardant la porte.
Je vois sa mère pâlir.
— Je n’ai pas besoin de votre argent, de vos possessions ou de vos
connexions. Je n’ai pas besoin de votre embarras pour mon travail de
photographe, d’un nouveau métier ni de la fille d’une de vos amies du country
club. Je n’ai pas besoin de votre mépris pour ma véritable famille ni que vous me
répétiez à quel point ils vous sont inférieurs. Vous avez eu vingt-sept ans de ma
vie. Je vous ai laissé vingt-sept ans pour vous réveiller. Pour devenir une maman
et pas une mère. Pour me témoigner un semblant d’amour qui ne serait pas feint
ou mis en scène. Vous avez eu le temps. Maintenant, c’est fini. Vous ne me
reverrez plus. Partez. Maintenant.
Il fait un signe de tête à une infirmière dans le couloir qui entre et dit :
— Mme James, j’ai bien peur que vous ne soyez obligée de partir.
Elle paraît choquée, comme si elle ne savait pas vraiment quoi faire. Alors que
je la crois sur le point de sortir sans faire de vagues, une expression purement
venimeuse s’empare de son visage et elle se tourne brusquement vers Saul.
— Je suppose que tu te permets de me dire ça maintenant parce que tu quittes
l’hôpital et que tu n’as plus besoin de moi pour payer les frais d’hospitalisation
privée que j’ai souscrits !
Saul la regarde et sourit d’un air satisfait.
— Ne vous inquiétez pas Mère, j’ai payé les frais ce matin. Vous n’aurez pas
besoin de mettre la main à votre portefeuille.
Je peux voir que ce commentaire la secoue, elle baisse légèrement sa garde.
— Comment… je ne comprends pas.
— Si vous preniez la peine de m’écouter, vous sauriez que je me suis fait
beaucoup d’argent grâce à ce que vous considérez comme un petit hobby
stupide. Je suppose que les gens sont prêts à payer pour le vainqueur d’un Prix
Pulitzer, hein ?
Il termine avec une attaque à sa fierté. Le plus triste dans tout ça, c’est que je
pense que c’est réellement un coup dur pour elle, mais pas parce qu’elle
s’apprête à perdre un fils. Non, elle s’en voudra de ne pas avoir réalisé quel
prestigieux photographe son fils était devenu et de ne pas pouvoir s’en vanter
pour cette raison. Mais ce qu’il y a de pire encore, c’est qu’elle s’en vantera de
toute façon, il ne sera simplement pas à son bras quand elle le fera.
Deux heures plus tard et nous sommes assis dans le salon de Saul, la télévision
allumée et le chauffage au maximum. Soph est partie pour une séance photo et
Saul semble un peu distant.
— Est-ce que tu veux que je parte ? demandé-je.
— Quoi… oh, non.
Il secoue la tête.
— Désolé, je suis perdu dans mes pensées.
— Veux-tu en parler ? m’enquis-je.
— Eh bien, il n’y a pas grand-chose à en dire. Ma mère est une pétasse. Je ne
suis pas complètement remis et apparemment Dane, qui travaille, ou travaillait
avec Soph, est maintenant votre super pote à toutes les deux.
— Saul ! m’écrié-je.
— Quoi ?
— Saul, dis-je en souriant et me retournant pour le regarder de sous mes cils.
— Oh merde, Pea, ne me fais pas ce truc de fille. Dis-moi juste ce que tu
veux. C’est tellement plus simple comme ça, dit-il avec un grand sourire.
Je lui frappe le bras pour plaisanter et dis :
— Tu as le béguin pour Soph ?
Son sourire s’évapore et il répond sans hésitation.
— Non. Pas du tout.
— N’essaie pas de me mentir, Saul James ! Je te connais depuis que nous
sommes enfants.
— Je ne changerai rien à ma réponse, déclare-t-il avec fermeté.
Je décide de ne pas insister. J’ai toujours su qu’il y avait des étincelles entre
Saul et Soph, ils semblent juste hésiter à en faire quelque chose.
Bien sûr, maintenant que Dane est de la partie, qui sait ce qui se passera,
surtout depuis que Soph s’est jurée de ne plus fréquenter d’hommes.
Je me réveille dans une pièce illuminée de bleu. Alors que je me force à ouvrir
les yeux, je réalise que je suis toujours sur les genoux de Saul et que je peux
l’entendre respirer doucement en dormant. Je me tourne vers la télévision et
remarque que le film s’est arrêté. Le lecteur de DVD s’est éteint tout seul,
l’écran n’affiche plus que du bleu.
Je distingue vaguement l’horloge de Saul sur le mur et l’heure, 9 h 20. Saul a
des stores dans son appartement et l’obscurité de la pièce donne l’impression
d’être toujours en pleine nuit. Je ne dors pas souvent aussi longtemps, mon corps
devait vraiment avoir besoin de se reposer.
Je sens mon téléphone dans ma poche et je l’attrape pour voir s’il y a des
messages. Malheureusement, la lumière émise par le portable, qui est pourtant
infime, est amplifiée par l’obscurité et réveille Saul.
— Pea ? demande-t-il en mâchant légèrement ses mots.
— Oui, je suis là Saul. Est-ce que tu veux que j’aille chercher tes cachets ?
— Non, non, c’est bon. J’irai les chercher dans un moment, répond-il
distraitement.
— Qu’est-ce qu’il y a ? demandé-je en me redressant.
— Oh rien, j’ai juste… je me suis réveillé en pensant que j’étais encore à
l’hôpital. J’étais un peu perdu pendant une seconde.
Il le dit en secouant la tête.
— Je vais prendre mes médocs et faire un tour sous la douche. Je crois que
j’ai besoin de me rafraîchir un peu. Tu peux mettre la cafetière à chauffer pour
moi ? Il va sûrement falloir la nettoyer vu que je ne l’ai pas touchée depuis un
moment, dit-il en souriant.
Il s’en va à la salle de bain et je reporte les yeux sur mon téléphone. Je vois un
message de Dane.
Dane : C’est toujours bon pour ce soir, petit soleil ?
Je me sens mal d’avoir passé la journée avec lui, hier. Ce n’est pas sa faute si
Soph n’est pas à l’aise, mais je n’arrive pas à croire qu’il n’ait rien remarqué de
ses sentiments et qu’il n’ait rien pu faire pour moins la blesser. Je sais bien qu’ils
se sont disputés et je me demande s’il n’avait pas lui-même commencé à trop
s’investir dans leur relation et n’avait pas su comment le gérer. De ce que j’ai
appris, Dane est un homme droit, il ne mène pas les gens en bateau et, bien qu’il
soit passionné, je ne crois pas qu’il ferait exprès de blesser quelqu’un, surtout
pas Soph. Le principal problème, que je ne voyais pas hier, mais que je perçois
clairement aujourd’hui, est que tout ça ne me regarde pas. Je serai là si Soph ou
Dane me le demande ; et si je pense que leur relation passée commence à
empiéter sur le présent, là, j’interviendrai peut-être.
Je regarde le portable et tape ma réponse.
Moi : Bien sûr, 18 h, c’est ça ?
Dane : 18 h..
Fixant toujours le téléphone, je me demande si je n’ai pas compliqué les
choses entre nous hier, mais je rejette cette idée. J’ai seulement répondu à un
texto, je n’ai rien fait pour le contrarier.
Une autre pensée me traverse, étant donné que ses messages sont si brefs, ce
qui ne lui ressemble pas… peut-être est-il nerveux à cause de ce qu’il a à me
dire ? Que vais-je s’il m’annonce quelque chose que je n’arrive pas à accepter ?
Je ne peux pas penser comme ça. Je dois croire qu’il est possible de voir au-
delà des fautes, des mensonges, des tromperies et des erreurs de jugement. Parce
que dans le cas contraire, où en serai-je avec Con ?
Je pense à lui une minute et mon cœur se serre en son absence. Je lui écris
donc un message qu’il verra à son réveil.
Moi : Je sais que tu dors. Je veux juste que tu saches que je pense à toi.
Je suis prise par surprise quand My Immortal d’Evanescence commence à
retentir et je sursaute.
— Con, dis-je avec un sourire en décrochant.
— Hé trésor.
— Qu’est-ce que tu fais ?
— Je suis couché dans mon lit.
— Ce n’est pas le milieu de la nuit ?
— Si, répond-il paresseusement.
— Tu n’arrives pas à dormir ?
— Non, dit-il.
— D’accord… tu aurais juste pu m’écrire. Tu ne devrais pas te réveiller
encore plus en me parlant.
Il reste silencieux une seconde puis soupire et répond.
— Ta voix… L’entendre c’est comme rentrer à la maison, Pea. Tout chez toi
est comme la maison.
Je suis surprise. Nous nous écrivons beaucoup. Nous nous appelons parfois et,
bien que nous flirtions et dansions autour du problème – notre relation, ce
qu’elle est exactement et ce qu’elle pourrait devenir – au téléphone, nous n’en
parlons jamais directement. À moins de pouvoir le balayer en riant, mais c’est
tout. Ce dont nous ne discutions pas venait de devenir le sujet principal de la
conversation. Je ferme les yeux et fais ce que j’aurais dû faire il y a longtemps.
— Tu es mon chez moi aussi, Con. Je veux que tu rentres.
Il ne dit rien et mon cœur s’emballe.
— Con ?
Rien.
— Con ?
Et puis, j’entends… des ronflements discrets. Il s’est endormi au téléphone.
Quelques heures plus tard, je suis avec Saul au supermarché où j’ai travaillé, en
train de faire le plein. Le frigo et les placards sont vides chez lui et le peu qui lui
restait avait dû aller à la poubelle. Je suis étonnée qu’il ne leur soit pas poussé
des jambes et qu’ils ne se soient pas jetés eux-mêmes à la poubelle.
Évidemment, le manque de lait est quelque chose qu’il n’a réalisé qu’après que
j’aie préparé le café. Il peut, bien sûr, le boire sans lait… moi, en revanche… pas
vraiment.
Nous voilà donc ici et Saul arbore une expression d’enfant grincheux. En fait,
avec son attitude, c’est un peu comme se promener au magasin avec un enfant
grincheux. Il n’a jamais aimé le supermarché et commande d’habitude en ligne.
Son séjour à l’hôpital l’en a évidemment empêché et il ne s’agit pas de quelque
chose que j’imagine faire pour lui.
— Argh ! Je déteste cet endroit, il y a toujours trop de monde ! gémit-il.
— C’est vrai, mais il y en aurait encore plus si c’était le week-end, dis-je.
Nous faisons encore quelques pas.
— Pourquoi est-ce que ces femmes se réunissent au milieu de l’allée ?
demande-t-il, confus et je hausse les épaules avec un sourire.
Quelques pas.
— Pourquoi est-ce que tout le monde marche aussi lentement ?
Je le regarde, vois un mélange de confusion et d’agacement passer sur son
visage et je ris. Il grimace dans ma direction, mais je continue à rire.
Nous terminons finalement de faire les courses, rentrons chez lui et je le fais
se reposer, à son grand mécontentement. Je nous prépare ensuite à déjeuner.
— Saul ? dis-je avec hésitation.
— Présent, ma puce, répond-il.
Je m’approche avec les sandwichs et m’assieds en face de lui.
— Je vais le dire à Con.
— Je sais, tu m’en as parlé.
Il mord dans son sandwich et le recrache.
— Désolé, puce, mais qu’est-ce que c’est que ce truc ?
— Du jambon et de la salade, pourquoi ?
— J’espère que tu les as mis dans le panier pour les ramener chez toi parce
que je ne mange pas des trucs de lapin, tu le sais.
— Saul ! Tu dois manger correctement, tu sors juste de l’hôpital.
— Justement, j’ai besoin de vraie nourriture, dit-il en se levant et marchant
jusqu’à la cuisine ouverte.
Il sort une poêle et y jette directement du bacon.
— Saul ! Tu ne peux pas manger ça.
Il me sourit du coin des lèvres.
— Regarde-moi, ma puce.
Je soupire avec dédain, mais je le connais. J’ai essayé d’ajouter discrètement
de la salade pour sa santé. J’aurais dû savoir qu’il réagirait comme ça.
— Alors, tu parlais de tout dire à Con, mais tu l’avais déjà décidé, n’est-ce
pas ?
— Oui, je sais que nous en avons parlé. Je suppose que je ne parlais que de la
façon dont je lui expliquerais, tu sais, pourquoi j’étais à New York et que je
devais rester pour le reconquérir… enfin, n’importe quoi. Je ne pensais pas au
reste.
Il ne dit rien, il attend juste que je termine.
— Je pense que je viens seulement de réaliser qu’il pourrait dire non. Il
pourrait répondre qu’il ne veut plus jamais me revoir. Il pourrait dire qu’il ne
m’aimera plus jamais.
Je commence à paniquer maintenant. Saul baisse le feu sous la poêle, me
rejoint, s’assied à côté de moi et me frotte le dos.
— Détends-toi, puce, tout va bien. Tout ira bien.
— Et si ce n’est pas le cas ? lui crié-je.
— Écoute Pea, Con t’aime depuis… toujours. Je te l’ai déjà dit. Oui, il faut
que tu lui dises tout. Que tu lui déballes tout. Je ne peux pas te dire comment il
réagira. Je ne sais pas.
Il se tait et un froncement de sourcils barre son visage puis il me regarde à
nouveau.
— Pea, je sais quel genre d’homme il est et tu sais quel genre d’homme il est.
Même s’il ne le prend pas bien, tu dois lui laisser une autre chance. Tu dois te
battre afin que les choses s’arrangent. Tu dois simplement te rappeler que,
parfois, nous prenons les mauvaises décisions, parfois, nous ne réagissons pas
comme il le faut, nous ne pouvons pas revenir en arrière, il faut donc aller de
l’avant. Parfois, il faut convaincre la personne que nous aimons de croire en
quelque chose à laquelle on ne croyait pas nous-mêmes avant, déclare-t-il et je
ne sais pas s’il parle encore de Con et moi.
De toute façon, il m’a remonté le moral.
— Merci, Saul. J’en avais besoin.
— Quand tu veux, dit-il et il me serre rapidement contre lui avant de retourner
s’occuper de son bacon. Désolé ma puce, j’ai faim, lance-t-il avec un clin d’œil.
Je lève les yeux au ciel, mais pense à ce qu’il vient de dire. Je dois me battre
pour Con, je dois m’attendre à ce qu’il soit, au mieux, en colère et au pire, qu’il
se sente tellement blessé qu’il ne supporte plus d’être près de moi. Mais je dois
essayer et essayer encore plus après. Parce que je ne suis rien sans lui à mes
côtés. Je suis incomplète sans lui. Je le sais maintenant.
Quelques heures plus tard, je m’apprête à rentrer chez moi après avoir mangé et
regardé Piège de cristal avec Saul. Alors que je me prépare à partir, une pensée
me frappe et je veux lui en parler.
— Saul ?
— Toujours présent, ma puce, dit-il avec un grand sourire.
— Qu’est-ce qui se passe entre Soph et toi ? demandé-je et son sourire
s’évapore.
Sa bouche se transforme en fine ligne pincée.
— Rien, se contente-t-il de répondre.
— Saul, c’est à moi que tu parles là, tu te rappelles ? Tu es mon ami depuis
qu’on a cinq ans. Tu m’as relevé quand je suis tombée et me suis écorchée les
genoux. J’ai annoncé à tes petites amies que tu ne voulais plus d’elles et m’en
suis pris plein la tête après. Tu me connais et je vous connais, toi et Soph. Il se
passe quelque chose. Je ne sais pas quoi, pourtant il y a truc. Maintenant, parle !
Il soupire et regarde au plafond. Un instant, je crois qu’il ne dira rien, mais
tout à coup, il murmure presque.
— Tu sais ce que tu ressens ?
Et je le regarde confuse jusqu’à ce qu’il reprenne.
— Elle est mon Con, Pea. Elle est mon Con.
Je sens mon cœur se briser en entendant la douleur dans sa voix et je me sens
également prête à danser à l’idée que mes deux meilleurs amis trouvent le
bonheur ensemble.
— Depuis quand ? demandé-je.
— Toujours, me dit-il.
Il regarde maintenant le sol et réfléchit visiblement.
— Pourquoi n’êtes-vous pas ensemble ? Je veux dire, je suis sûre qu’elle
t’aime aussi. Enfin, je crois.
Il me sourit tristement puis passe un bras autour de moi.
— Soph et moi. Nous ne sommes pas… nous ne faisons pas dans la relation
stable, Pea. Nous gâcherions notre amitié. Il y a trop à perdre.
— Mais… essayé-je de dire avant d’être interrompue.
— C’est comme ça, ma puce, laisse tomber.
Je grommelle dans ma barbe, mais il rit simplement. Il me jette sur son épaule
comme un pompier et me lance sur le canapé.
— Est-ce que tu ne devais pas rentrer ? rit-il.
Il me fait un clin d’œil et s’en va dans la salle de bain.
Crétin !
Il est plus de 15 h 30 et je sais que Dane passe me prendre à 18 h. Soph doit être
au travail puisqu’elle n’est pas à la maison, j’allume donc mon iPod et Snow
Patrol se met à chanter Set Fire To The Third Bar. Je monte le son des haut-
parleurs… vraiment fort et vais me faire couler un bain. J’y verse beaucoup de
mousse, sachant que j’ai besoin de me détendre autant que possible, et allume
des bougies.
Je passe dans ma chambre, ouvre l’armoire et farfouille machinalement
dedans. Je cherche quelque chose à me mettre ce soir, mais je ne sais pas
vraiment pourquoi j’ai envie de bien m’habiller. C’est comme si je cherchais une
armure, une sorte de protection et je ne comprends pas pourquoi.
J’entends la musique changer et je réalise que je n’ai pas surveillé le niveau de
l’eau. Ma baignoire se remplit très vite. Je cours donc à la salle de bain et y
trouve le bain débordant de bulles. Je coupe le robinet et mets la main dans
l’eau. Heureusement, la baignoire n’est remplie qu’aux trois quarts, elle a
seulement l’air de déborder à cause de la quantité de bain moussant que j’y ai
ajouté. Je sors et retourne dans ma chambre, décidée à ne choisir ma tenue
qu’après le bain. Je me déshabille et me rends compte que je n’ai pas pris de
serviette. Je retourne discrètement dans la salle de bain, nue, je ne sais pas trop
pour quelle raison puisqu’il n’y a personne ici à part moi.
Je me glisse dans l’eau chaude et soupire, relâchant toutes les douleurs et
tensions que je portais sans m’en apercevoir. Je laisse aller ma tête en arrière et
ferme les yeux.
Ma vie a tellement changé ces derniers mois. J’ai été à mon point le plus bas
et aussi au plus haut. J’ai perdu des amis, j’en ai rencontré d’autres et je me suis
finalement retrouvée moi-même.
Il m’apparaît tout à coup pour quoi je m’inquiète pour ce soir. C’est parce que
Dane a fait la différence dans ma vie, plus qu’il ne l’imagine. J’ai peur de le
blesser. Je ne suis pas connue pour mes bonnes réactions.
Mes pensées se tournent vers Con. C’est la première fois que je me l’autorise
depuis ma conversation avec Saul. Je n’arrive pas à effacer le sourire de mon
visage quand je pense à ce qu’il a dit. L’idée d’être enfin à nouveau avec lui me
fait presque trop peur pour l’imaginer, au cas où ça ne se produirait pas. Ce qui
serait encore pire serait de le voir avec quelqu’un d’autre. Je suis trop égoïste
pour lui souhaiter d’être heureux. Je veux dire, je veux évidemment qu’il soit
heureux. Heureux avec moi. Seulement moi.
Je frissonne et réalise que l’eau du bain est froide. Je sors et enroule une de
mes serviettes moelleuses autour de mon corps. Je vide le bain et me traîne
jusqu’à la chambre. J’entends du bruit en bas, je sais donc que Soph est rentrée.
Je reprends mes recherches là où je les avais laissées et tente de trouver quoi
porter. Je suis encore en train de fixer l’armoire cinq minutes plus tard quand
Soph passe la tête par la porte.
— Hé ma fille, alors c’est le grand soir, hein ? ricane-t-elle.
— Ne commence pas Soph, ce n’est pas drôle ! me plaignis-je.
— Si un peu, dit-elle sans s’arrêter de rire.
— Non, ça ne l’est pas ! Et s’il me dit quelque chose qui ne me plaît pas ?
demandé-je.
— Quoi ? Qu’il était une femme avant par exemple ? rit-elle.
— Ce n’est pas drôle ! Et de toute façon, je m’en ficherais si c’était le cas…
ce serait même un soulagement ! répliqué-je.
— Oooh, je sais ! Il est des Services Secrets comme James Bond.
Je considère cette idée un instant tandis que Soph écarquille les yeux en
réalisant ce qu’elle vient de dire et la probabilité de son hypothèse.
Puis j’éclate de rire.
— Je ne crois pas Soph, il ne pourrait pas me le dire même si c’était le cas, lui
fais-je remarquer tout en choisissant finalement un jean moulant et un pull.
— Dommage, murmure-t-elle. Je sais ce que c’est, se vante-t-elle en me
tapotant le bras comme si je n’étais pas déjà juste à côté d’elle. Il t’a vendu à un
prince arabe pour deux chameaux.
Elle rejette la tête en arrière et rit comme une hystérique. Je lève les yeux au
ciel.
— Il a secrètement peur des poulets parce qu’il sait qu’ils essaieront un jour
de conquérir le monde.
Elle se bidonne maintenant et je n’arrive pas à m’empêcher de l’imiter. Après
quelques minutes, je retrouve mon calme.
Soph essuie encore les larmes de ses yeux quand je dis :
— Je crois que ça a quelque chose à voir avec sa famille. Il m’en a parlé un
peu, mais il est encore très secret là-dessus.
Soph repart dans un fou rire, mais essaie de me dire quelque chose. Après la
troisième tentative, je distingue vaguement :
— Peut-être qu’il a des co-épouses…
— Mais qu’est-ce que c’est des co-épouses ? demandé-je en recommençant à
rire, sans très bien savoir pourquoi, mais Soph rit et c’est contagieux
apparemment.
— Tu n’as jamais vu l’émission Sister-wives ? dit-elle entre deux sursauts de
rire et je fais non de la tête.
— Mince alors, je n’arrive pas à croire que tu ne connaisses pas. Tu dois
absolument regarder ! s’écrie-t-elle en me frappant le bras.
— D’accord, d’accord ! dis-je en massant le bras.
Nous recommençons à rire et je la pousse hors de ma chambre pour pouvoir
m’habiller.
Quarante-cinq minutes plus tard, je suis prête, légèrement maquillée et mes
cheveux sont secs, raidis et attachés à la base de mon cou en queue de cheval. Je
descends les marches pour rejoindre Soph qui est assise sur le canapé en train de
faire semblant de lire.
— Il aime se déguiser en Tina Turner et veut s’inscrire à X-Factor avec toi en
duo.
Elle pouffe de sa trouvaille et renifle en même temps. Je secoue la tête et lève
les yeux au plafond avec un petit rire.
Un coup à la porte brise la gaieté du moment. Je reprends mes esprits et ouvre.
— Hé Dane, dis-je.
— Tu as regardé par le judas ?
C’est la première chose qu’il me dit.
— Eh bien, bonjour à vous aussi, Monsieur Je-suis-de-bonne-humeur ! dit
Soph en sortant du salon.
Dane fronce les sourcils et dit :
— Vous n’êtes que toutes les deux. Je ne sais pas combien de fois il faudra
que je vous répète d’être prudentes !
— D’accord, d’accord, tu es content ? Calme-toi ! intervins-je.
— Tu es prête à partir ? demande-t-il en me regardant, curieux.
— Oui, bien sûr, dis-je et je le suis dehors tandis qu’il dit au revoir à Soph
par-dessus son épaule.
Je regarde derrière moi vers Soph, qui fait de grands yeux, et j’articule :
« Souhaite-moi bonne chance ! ».
Chapitre Dix-Huit
Voyager en voiture avec Dane ce soir est une nouvelle expérience pour moi.
D’ordinaire, sa présence me rassure, surtout depuis qu’il connaît mes peurs. Ce
soir pourtant, je suis sur mes gardes. Je ne sais pas si c’est à cause de moi ou de
lui. Nous arrivons dans une rue bordée de grandes maisons et d’énormes
voitures.
— Nous y voilà, dit-il en se garant sur le côté.
Je lève les yeux et contemple une immense maison victorienne. Nous sommes
sur une allée de gravier et la bâtisse doit avoir un sous-sol parce qu’il faut
monter trois marches pour atteindre la grosse porte d’entrée d’un noir brillant. Il
y a même un de ces vieux heurtoirs dessus. La maison possède deux grandes
fenêtres à guillotine de chaque côté de la porte.
— Viens, dit-il puis il gravit les marches et déverrouille la porte.
Il la garde ouverte et me laisse entrer la première.
Le sol est magnifique, en bois et malgré l’opulence qui s’en dégage, la maison
garde un côté chaleureux.
— Le salon est de ce côté.
Il pointe la première porte. J’y vais et me retrouve entourée de marron clair et
de couleur crème, toute la pièce est chaude, il y a une cheminée au centre et ce
qui ressemble à une télévision à écran plat au-dessus. Choisissant une place sur
le canapé, je m’installe et attends qu’il en fasse autant.
— Veux-tu manger quelque chose ? demande-t-il.
— Je suppose, dis-je.
— Tu veux, oui ou non ? Je ne veux pas te forcer, lance-t-il sèchement.
— Dane, que se passe-t-il ? Tu te comportes bizarrement depuis des jours et
maintenant, nous sommes ici et tu es censé me donner des explications, mais à la
place, tu m’agresses en me parlant de repas ! m’exclamé-je.
— Quelque chose, je vais préparer quelque chose, murmure-t-il et il pivote et
sort.
Je reste assise un moment, perplexe, avant de le suivre tout à coup, rongée par
la colère.
Il se tient devant le frigo et le fixe sans bouger. Je sens quelque chose émaner
de lui, on dirait de la peur. Ça m’effraie. Cherchant maladroitement quelque
chose à lui dire, je décide, à la place, de trouver la salle de bain et de m’y
rafraîchir. Je ne sais pas trop où aller et choisis de me glisser à l’étage. J’ai
l’impression d’être une voleuse et me jette sur la première porte qui passe.
Autour de moi, j’admire le décor blanc crème relevé de touches de noir le
long des murs, des rideaux, de la couverture et des coussins éparpillés sur le lit.
Cette pièce semble être pensée pour une femme, mais a l’air inoccupée. Je
regarde la vieille coiffeuse près des portes-fenêtres et m’étrangle presque en
remarquant à quel point elle ressemble à celle que ma mère utilisait quand j’étais
enfant. Incapable de m’en empêcher, je m’assieds devant cette table magnifique :
elle est blanche avec un incroyable miroir doré. Je crois me souvenir que Grand-
mère appelait ça le style château. Il y a deux tiroirs qui ressortent de sa surface
plane, un de chaque côté du miroir, avec de petites poignées noires couvertes de
détails pour les ouvrir. Une deuxième paire identique se trouve sous la table.
Laissant mes mains glisser sur le bois, je sens mes yeux s’embrumer. Je me
souviens de ma mère se brossant les cheveux et me souriant, assise sur un
tabouret semblable. Perdue dans mes pensées, je n’entends ni la porte s’ouvrir, ni
Dane entrer. Ce n’est que quand il parle que je tombe presque par terre de
surprise.
— J’ai cru que tu étais partie, dit-il avec une note de tristesse dans la voix.
Je fais non de la tête en me retournant rapidement pour lui faire face.
— Cette chambre est magnifique.
Il ne dit rien et se contente de hocher la tête tristement. Cette facette de sa
personnalité ne m’est pas familière et je ne sais pas quoi faire, mais je
m’inquiète pour lui, je veux apaiser sa douleur.
— Est-ce que tu veux voir le reste de la maison ? demande-t-il soudain et il
fronce brièvement les sourcils.
— Oui, cependant tu n’es pas obligé de me faire visiter.
— Pourquoi ça ? réplique-t-il.
— Eh bien… pour rien, c’est juste que… tu as proposé de me faire faire le
tour et puis tu as eu l’air choqué et ennuyé d’avoir dit ça.
Il rigole.
— Tu l’as remarqué, hein ?
— Mm-mm, acquiescé-je.
— Je ne ramène pas vraiment de gens ici et je ne fais jamais visiter. C’est mon
refuge.
— Eh bien, je suis heureuse d’être déjà ici. Nous pouvons retourner en bas et
manger quelque chose, si tu veux. Je ne voulais pas… je n’essayais pas de te
brusquer… je suis désolée d’avoir insisté tout à l’heure. Nous ne sommes pas
obligés de continuer en haut.
Je suis prête à dire presque n’importe quoi pour qu’il redevienne le Dane
confiant et plein d’assurance que je connais.
— Non, je veux dire, avec toi, je me sens assez à l’aise pour te faire visiter,
t’amener ici… il y a tellement… j’ai l’impression que je peux être honnête avec
toi… Je suis heureux quand tu es là, se force-t-il à dire et ses yeux s’agrandissent
tandis qu’il semble prendre conscience de ce qu’il dit tout en parlant.
— Eh bien, je suis contente que tu te sentes à l’aise avec moi, mais ce n’est
pas une raison pour que je te brusque. Écoute, je sais que tu m’as invitée ici pour
me dire quelque chose, mais j’arrête d’insister. Ce n’est pas juste et ce n’est pas
ce que je fais d’habitude… mince, j’ai accumulé tellement de secrets au fil des
années, qui suis-je pour te demander d’être honnête envers moi ?
— Pea, tu ne comprends pas, j’apprécie ce que tu dis, que tu sois prête à me
laisser tranquille, et crois-moi, si c’était quelqu’un d’autre, je sauterais sur
l’occasion. Qu’est-ce que je raconte, si c’était quelqu’un d’autre, nous ne serions
pas là pour commencer. Personne d’autre ne serait arrivé si loin, murmure-t-il
comme s’il se parlait à lui-même maintenant et je ne comprends pas vraiment ce
qui se passe.
Je n’ai jamais pensé qu’il y avait quoi que ce soit de romantique entre nous,
mais ces mots commencent à me faire un peu paniquer. Est-ce que j’ai mal
interprété les signes entre nous ? Est-ce qu’il s’attend ou veut plus ?
J’inspecte la pièce pour voir si la voie est libre jusqu’à la porte, mais il se tient
au milieu de ma route. Il doit remarquer ma panique et mes yeux fuyants parce
qu’il hausse les sourcils.
— Pea ?
Je ne dis rien et secoue simplement la tête.
— Pea, qu’est-ce qui ne va pas ? demande-t-il, l’inquiétude pointant dans sa
voix.
Je secoue la tête plus fort, incapable de formuler une phrase. Je vais le perdre.
Je vais le perdre lui aussi parce que je l’ai mené en bateau sans le vouloir. J’ai dû
le faire, il ne serait pas sur le point de me dire qu’il m’aimait si ce n’était pas le
cas.
— Je ne t’aime pas, laissé-je échapper en me levant rapidement.
— Quoi ?
Une expression de pure confusion passe sur son visage.
— Je veux dire, comme un ami, oui, mais j’ai un Con et il a un truc là, dans ce
qu’il y a là-dedans, bredouillé-je, incohérente en me tapant la poitrine, là où se
trouvait mon cœur, encore et encore.
Il rit en me regardant.
Il rit !
— Quoi ? Quoi ? Le rire ?
Je continue à bafouiller et il rit encore plus fort.
— Pea, dit-il en riant. Pea ! Oh, mon Dieu, tu es trop drôle.
Il rit, plié en deux, un bras autour du ventre.
Maintenant, je suis en colère. Je n’ai pas la moindre idée de ce qui se passe,
mais Dane pense que c’est drôle et je me sens comme une parfaite imbécile sans
comprendre pourquoi. C’est comme si on avait dit une blague que j’étais la seule
à ne pas comprendre.
Je me tais et attends de voir ce qu’il va faire ensuite. Une fois qu’il se sera
enfin calmé.
— Désolé, Pea, dit-il entre deux profondes inspirations.
À l’évidence, il essaie de ne pas s’écrouler de rire à nouveau. Il gesticule et
lève un doigt pour me signaler d’attendre un instant. De mon côté, je croise les
bras sur ma poitrine et me mets à taper du pied.
— Ce n’est plus drôle, ces conneries, Dane, déclaré-je.
Je commence vraiment à me sentir stupide. Il sait visiblement que je pensais
qu’il était sur le point de dévoiler son amour intemporel pour moi et que j’ai eu
la trouille. Quoi ? Je ne comprends pas ? Pourquoi est-ce si amusant ?
— Est-ce que c’est vraiment si drôle que ça ? L’idée que tu sois amoureux de
moi ?
Mince, je l’ai dit tout haut.
Dane se calme plutôt vite et plisse les yeux en me regardant.
— Assieds-toi, dit-il en faisant un geste vers le tabouret que j’occupais un peu
plus tôt.
Je m’installe, sans commenter ses sautes d’humeur.
— Est-ce que tu es bipolaire ?
Merde ! Qu’est-ce qui ne va pas avec mon autocensure aujourd’hui ?
— Quoi ? demande-t-il en se mordant la lèvre.
Je ne sais pas s’il est confus ou en train de réprimer une nouvelle vague de
rire, mais, au moins, il semble avoir changé d’humeur.
— Désolée, ne fais pas attention, dis-je en secouant la tête pour moi-même
comme une parfaite idiote.
— Pea, murmure-t-il et il s’agenouille devant moi.
Quoi ?
— Je ne voulais pas le faire comme ça.
J’ouvre la bouche, mais il me fait signe de me taire d’une main.
— Non, je ne vais pas te demander de m’épouser !
Je pince mes lèvres et les mords toutes les deux, il me connaît trop bien. Il le
remarque clairement puisqu’un coin de sa bouche tressaute.
— Écoute, il y a beaucoup de choses que je dois te dire. Beaucoup à expliquer.
Je veux que tu saches, avant que je ne te dise mon secret, que tu dois écouter. Je
ne veux pas que tu te mettes à paniquer entre mes bras. J’ai besoin que tu me
laisses te parler.
Il lève les yeux vers moi comme si j’étais son sauveur.
— Dane, pour la première fois depuis notre rencontre… tu me fais un peu
peur, admis-je.
Il attrape ma main, ce qui me fait sursauter, mais commence ensuite à en
masser le dos du plat du pouce et je m’apaise.
— Pea.
Il prend une profonde inspiration et la laisse s’échapper tout d’un coup. Il
s’immobilise un moment en me regardant dans les yeux.
— Tu avais raison, d’une certaine façon… je t’aime effectivement, mais pas
comme tu le penses. Pea… je suis ton frère.
Tout mon monde s’arrête de tourner à cet instant précis. Je me fige, comme si
mon corps venait d’oublier comment bouger, comment cligner des yeux,
comment respirer. Comme au ralenti, mes sens me reviennent et je secoue la tête,
non. Je ne comprends pas. Comment pourrait-il être mon frère ? Comment
pourrais-je avoir un frère ? Personne ne m’a prévenu… est-ce qu’on sait ? Est-ce
qu’on me l’a caché ? Qui est au courant ? Pourquoi m’a-t-on laissée là à me
sentir comme une idiote alors qu’on le savait ?
Je plaque une main contre ma bouche et les larmes coulent de mes yeux et sur
mes joues. Les pleurs dont je n’avais pas pris conscience jusqu’à cet instant me
secouent.
— J’étais tellement seule ! gémis-je et Dane doit percevoir ma douleur parce
qu’il grimace. J’étais tellement seule, répété-je, cette fois dans un murmure.
— Pourquoi… pourquoi ne me l’a-t-on pas dit ? Pourquoi m’a-t-on laissé
croire que je n’avais plus personne ? demandé-je.
Même en le disant, je sais qu’en réalité, j’avais Soph, Con et Saul, mais toutes
ces années j’ai cru qu’il n’y avait que moi et Grand-mère. Je savais qu’elle ne
serait pas toujours là et que je devais m’y préparer. Enfant, cette pensée me
brisait le cœur. Savoir qu’à la mort de votre grand-mère vous seriez totalement
seule. Tout ce temps, j’avais quelqu’un. Depuis quand le sait-il ?
— Est-ce que tu le sais depuis le début ? lui demandé-je d’un ton sec en
reprenant le contrôle de mes émotions.
Il se frotte la nuque.
— Je le sais depuis à peu près un an. Je veux dire, j’ai toujours suspecté que
j’avais une famille, mais… eh bien… je n’ai appris qu’à ce moment-là pour toi.
— Alors pourquoi maintenant ?
Je le fixe en plissant les yeux.
— Je n’ai jamais voulu m’imposer dans ta vie. J’ai appris à te connaître de
loin, tu semblais heureuse. Je ne savais pas si mes secrets seraient les bienvenus
ou pas, répond-il et je vois la même sincérité sur son visage que la première nuit
où je l’ai vu.
— Attends ! Alors la nuit de notre rencontre… tu connaissais mon nom ?
Pour toute réponse, il acquiesce.
— Alors toute cette histoire avec mon prénom, c’était une blague pour toi ?
Ses yeux s’agrandissent.
— Non, oui, c’était une blague. C’était pour, tu sais, briser la glace, mais oui,
je connaissais déjà ton nom.
Je m’appuie les coudes sur les genoux et mets la tête entre les mains. Je ne
savais pas quelle question poser. Je ne savais même pas par où commencer.
— Merci de ne pas t’être enfuie, murmure Dane, me tirant de mes pensées.
— J’ai encore le temps, répliqué-je sans le regarder et je l’entends rire sans
humour.
Je ne sais même pas par où commencer à réfléchir, mais Dane doit s’en rendre
compte parce qu’il me parle et répond à toutes les questions que je ne pose pas.
— On ne voulait pas de moi.
À ces mots, je relève brusquement la tête et le regarde me raconter l’histoire
de sa vie.
— J’étais un problème pour ma mère.
— Attends ! crié-je et Dane recule un instant. Qui ? demandé-je et il plisse les
yeux, confus.
— Qui quoi ? fait-il.
— Quel parent… ou les deux ? demandé-je, horrifiée en imaginant ma mère
abandonner son enfant.
Son visage s’éclaire quand il comprend la question.
— Le père. Nous avons le même père, clarifie-t-il et j’acquiesce.
Me redressant légèrement, je lui laisse le temps de poursuivre son histoire. Il
se lève et s’approche du lit pour s’y asseoir.
— Ma mère était riche… de la haute société… ha !
Il s’arrête et secoue la tête.
— Elle n’avait pas prévu de tomber enceinte de moi, notre père était un
mauvais garçon classique. Je suppose qu’elle se faisait la main ou quelque chose
du genre. Je ne pense pas que ses parents aient été au courant de sa grossesse.
D’après le peu d’informations que j’ai réussi à réunir, elle leur a dit qu’elle
partait pour Paris pour six mois et à la place, elle est venue à Londres chez un
ami. Après l’abandon, la seule personne au courant, apparemment, sans compter
notre père, c’était l’homme qui allait devenir son futur mari. Ils ont eu un autre
enfant trois ans après ma naissance. Moi, j’étais son sale petit secret.
Il serre les dents pour essayer de contrôler sa colère.
— Bref, j’ai été baladé de foyer en foyer. Personne ne m’a maltraité, mais
personne ne m’a vraiment aimé. Mais ça aurait pu être pire.
J’ai envie de l’interrompre. J’ai envie de lui demander de me parler de son
enfance. De dire qu’il n’est pas forcé de la cacher sous le tapis et que ce n’est
pas parce qu’il y a pire, qu’il ne doit pas reconnaître les épreuves qu’il a
traversées. Mais je sens que ce n’est pas le moment.
— Je suis devenu mannequin à seize ans. Je pouvais gagner de l’argent et d’un
coup, je me suis mis à gagner assez bien ma vie. Enfin, assez bien pour avoir
mon propre appartement et commencer à vivre. À vivre vraiment.
Il se tait et regarde par la fenêtre.
— Ces années, Pea… ces années, elles étaient toutes pareilles. Il n’y avait pas
de vie, pas de couleurs. Je travaillais, j’étais payé, je couchais avec des filles et
c’est tout. Je gagnais de plus en plus d’argent et puis je me suis lassé du
mannequinat. Je voulais essayer quelque chose de différent, alors j’ai ouvert mon
entreprise.
— Tu es le patron de cette entreprise ? le coupé-je.
Il sourit, sincèrement cette fois.
— Oui, c’est la seule autre chose dont je sois fier, déclare-t-il.
— L’autre chose ? demandé-je.
— Toi, Pea. Je suis fier de toi. Je l’étais quand je ne te connaissais pas
vraiment et je le suis encore plus maintenant.
À ces mots, quelques larmes de joie m’échappent. Il est fier de moi. Fier. De.
Moi… Moi ! Je ne réfléchis pas à la raison, je savoure seulement la sensation de
chaleur qui m’enveloppe.
Il reprend.
— La compagnie s’est plus agrandie que je l’avais imaginé et la gérer me
prenait trop de temps. J’ai donc passé les rênes et pris un autre rôle. J’y vais
quand j’en ai envie et, évidemment, je donne toujours mon avis sur tout, mais au
jour le jour… j’ai donné.
— C’est comme ça que tu as connu Soph ? demandé-je, mais je connais déjà
la réponse.
Il acquiesce.
— J’ai rencontré Soph grâce au travail. Quand je suis tombé sur elle,
j’enquêtais sur mon passé. Je ne savais encore rien de ma famille. J’ai passé du
temps avec elle.
Il doit remarquer mon haussement de sourcils parce qu’il se reprend :
— D’accord, nous couchions ensemble. Le problème, c’est que j’ai
commencé à l’apprécier, dit-il en se frottant le menton.
— Où est le problème ? demandé-je.
— Eh bien, c’est à peu près au moment où j’ai réalisé que mes sentiments
changeaient que j’ai découvert qui j’étais et le plus important, que mon père
avait eu un autre enfant… toi.
Je fronce les sourcils en le regardant.
— En quoi ça t’empêchait d’aimer Soph ? m’enquis-je, irritée.
— En rien, répond-il immédiatement. Je veux dire, je n’ai pas cessé de
l’aimer, mais je savais que si je voulais te rencontrer, et je n’étais pas encore sûr
de le vouloir ou pas, je ne pouvais pas le faire au bras de Soph. Elle aurait pensé
que je l’avais utilisée. J’ai dû rompre.
Je hoche la tête en comprenant.
C’est exactement ce qu’aurait pensé Soph.
— J’en savais déjà un peu sur vous tous. Soph parlait de vous souvent, elle
disait que vous étiez sa famille. Je ne voulais pas gâcher ça. Je me suis renseigné
un peu plus sur toi, j’ai appris au sujet de ta mère et que tu avais, basiquement,
été élevée par ta grand-mère.
J’acquiesce.
— Elle me manque, murmuré-je.
— Je le sais, petit soleil. C’est pour ça que j’ai décidé de te le dire, finalement.
— Quoi ? demandé-je, confuse.
— Ta grand-mère était au courant pour moi.
Je me lève du tabouret d’un bond, le mouvement est si brutal que le siège
bascule sur le côté. Dane se lève également.
— Pea, calme-toi, ce n’est pas ce que tu crois.
J’inspire et expire, inspire et expire avant de grogner :
— Explique-moi.
— J’ai voulu te rencontrer dès que je t’ai vue, mais je ne voulais pas non plus
te déstabiliser. Tu semblais heureuse, satisfaite tout du moins. Je ne savais pas si
me voir surgir de nulle part casserait ça ou pas. Bref, un jour, je suis allé sur la
tombe de ta mère.
Je lève un sourcil et plisse les yeux.
— Écoute…
Il met les mains en l’air.
— Je n’avais aucune arrière-pensée, c’est juste… je ne sais pas, je suppose
que comme je ne pouvais pas te parler à toi et que je n’ai pas de parents à
pleurer, ils sont tous les deux vivants…
— Ils sont vivants ? l’interromps-je en me rasseyant lentement sur le tabouret
que Dane a redressé.
Un éclair de colère passe sur son visage.
— Oui, notre cher père est alcoolique et toxicomane et il s’est installé dans le
nord après avoir été arrêté plusieurs fois pour vol à Londres.
Il doit voir la peine dans mes yeux.
— Je ne m’inquiéterais pas si j’étais toi, petit soleil. Tu es mieux sans lui.
Crois-moi. Ce sera une conversation pour un autre jour, disons dans un an ou
peut-être cinq. Bref, je voulais parler, de ce qui se passait. Je ne fais pas
confiance aux thérapeutes et je n’avais pas beaucoup d’amis. Les gens avec qui
je passais du temps… eh bien, je n’allais pas leur raconter ma vie. Alors aussi
stupide que ça puisse paraître, j’ai pris l’habitude d’aller sur la tombe de ta mère.
J’avais un peu l’impression d’être plus proche de toi et je pouvais parler de tout
ce qui me passait par la tête. C’est là qu’elle m’a croisé.
— Grand-mère, dis-je.
— Oui, ta grand-mère. Elle m’y a trouvé un jour en train de bavarder avec la
tombe comme un fou. Elle m’a évidemment demandé qui j’étais et elle avait, je
ne sais quoi, je ne pouvais pas mentir.
— Oui, elle avait une espèce de virus de la vérité qui lui collait à la peau, dis-
je avec un petit rire et il me lance un grand sourire.
— Je lui ai tout raconté. Tout.
— Qu’est-ce qu’elle a dit ?
La réponse est importante pour moi. Grand-mère me connaissait, elle savait ce
que j’aurais voulu.
— Elle a dit que je devais te parler et qu’elle m’y aiderait. Elle a dit qu’on n’a
jamais de famille trop grande.
Il sourit et regarde le plafond, perdu dans ses pensées avant d’ajouter :
— Pour la toute première fois, j’ai eu la preuve qu’une famille pouvait être
bien. Ta grand-mère, elle voulait que je te connaisse, simplement parce qu’elle
était si spéciale.
Nous restons tous les deux silencieux quelques minutes.
— Alors, quel était le plan ? demandé-je.
Il baisse les yeux.
— Il n’y en avait pas. C’est à dire, nous nous étions mis d’accord pour nous
revoir deux semaines plus tard. Nous avons échangé nos numéros, même si
j’avais déjà le sien.
— Parce que tu m’espionnais ? demandé-je avec un petit sourire malicieux et
il relève la tête, inquiet avant de voir mon expression et de sourire à son tour.
— Oui, parce que je te suivais partout, dit-il avec un clin d’œil. Bref, quelques
jours avant le rendez-vous, elle est morte.
Il se tait.
— C’est tellement triste. Il y a beaucoup de choses que je n’ai pas pu lui dire.
De choses que je n’ai pas pu faire et voilà que j’apprends qu’elle avait un
énorme secret qu’elle n’a pas eu l’occasion de me dire. Je me sens un peu mieux
de ne pas avoir été la seule, dis-je.
Je me lève, m’étire et marche jusqu’aux portes-fenêtres avant d’ajouter :
— Alors tu as décidé que tu voulais me parler ?
Il s’approche et se place à côté de moi.
— Non, je veux dire, pas exactement. Je savais, après la conversation avec ta
grand-mère, que je devais te parler, mais après son décès, c’est devenu encore
plus important, je voulais que tu saches que tu avais encore de la famille, mais
j’avais peur.
Je me tourne vers lui.
— Peur de quoi ? demandé-je.
— Peur d’être encore rejeté. Ta grand-mère m’a rencontré par accident et elle
ne m’a pas dit de partir, j’avais donc au moins une chance qu’elle te demande de
m’écouter. Sans elle, eh bien, je ne savais pas comment tu réagirais ni comment
tu accepterais la nouvelle. Alors, j’ai pris patience et me suis assuré, de loin, que
tu allais bien, autant que possible. Et puis, tu as eu cet accident et tu as eu l’air
de perdre pied, bien sûr, maintenant, je sais pourquoi. J’étais tellement inquiet
que j’ai décidé qu’il était temps d’entrer dans ta vie pour être là pour toi. Juste là,
répète-t-il en montrant de la main l’emplacement à mes côtés. Le reste… tu le
sais déjà. J’ai fait en sorte de te rencontrer à cette soirée. Je voulais que tu
puisses apprendre à me connaître, sans que ça devienne romantique, ce qui est,
crois-le ou non, beaucoup plus difficile qu’il n’y paraît. J’avais tellement peur
que tu t’imagines des choses, dit-il en grimaçant.
— Beuuurk ! dis-je en tirant la langue.
— Tu dis ça maintenant, mais sérieusement, j’étais inquiet.
Il rit, puis ajoute :
— Mais tout s’est bien passé, parce que tu as un Con et il a un truc là, dans ce
qu’il y a là-dedans, tu te souviens, dit-il en pointant du doigt mon cœur avant de
rire à nouveau en rejetant la tête en arrière.
— Crétin ! déclaré-je en pouffant.
— C’est le travail des grands frères, non ? demande-t-il avec un clin d’œil.
— Un frère… un frère, dis-je avec respect.
— Mm-mm, répond-il.
Je le regarde et souris.
— J’adore ça. Je suis tellement heureuse. Je me demandais pourquoi j’étais si
sereine avec toi. Pourquoi je me laissais aller. Et maintenant, je sais.
Il passe un bras autour de moi.
— Petit soleil, tu n’as pas idée à quel point je suis content d’entendre ça. Je
t’aime de loin et de près depuis longtemps. Maintenant, j’ai une famille.
— Je t’aime aussi frérot, dis-je. J’ai hâte de le dire aux autres. Ils vont être
tellement heureux pour moi.
Il se raidit.
— Oui, à ce propos.
Je lève les yeux vers lui, inquiète.
— La mère qui a eu un autre enfant quelques années après ma naissance… cet
enfant, c’est Saul.
Chapitre Dix-Neuf
Deux jours se sont écoulés depuis la nouvelle choc. Je n’ai presque pas quitté
Dane des yeux. J’ai pitié de lui, il est passé de « pas de famille » à « ne peut plus
s’en débarrasser ».
— Désolée, dis-je à nouveau.
— Petit soleil, sérieusement, arrête de t’excuser. Ça ne me dérange pas du tout
de passer la soirée avec toi, je te répète que j’adore passer du temps avec toi.
— Oui, cependant je sais que tu voulais sortir ce soir et je gâche tout en étant
malade, gémis-je.
— Est-ce que tu as fait exprès de tomber malade ? demande-t-il.
— Eh bien, j’ai fait exprès de manger ce hot-dog sur le marché, me plaignis-
je.
— Oui, ça, c’est vrai, dit Dane en adoptant une grimace de dégoût.
Nous restons silencieux quelques minutes, je suis couchée sur le canapé, il y a
un seau par terre près de moi et Dane est assis sur une chaise. La télévision est
allumée, mais c’est surtout pour le bruit de fond, nous sommes tous les deux
perdus dans nos pensées.
— Est-ce que c’est ce que tu avais imaginé ? demandé-je.
— Quoi ?
Dane se tourne vers moi, un sourcil en l’air.
— Avoir une famille… est-ce que c’est comme tu l’avais imaginé ?
Je retiens ma respiration et réalise que je veux qu’il dise « oui ». Je veux
réussir à combler le vide qu’il a toujours ressenti.
— Tu te souviens quand tu m’as demandé pourquoi je t’appelais petit soleil ?
Je lui réponds en acquiesçant.
— J’ai dit que c’était parce que tu étais comme un rayon de soleil dans ma
vie. Rien n’a changé, tu es toujours ce soleil, mais tes rayons ne sont plus aussi
petits, tu illumines maintenant l’obscurité.
Il n’est plus qu’une silhouette trouble quand je relève la tête, mes yeux sont
pleins de larmes, j’ai longtemps voulu un frère ou une sœur, maintenant, j’en ai
un et j’ai vraiment tout ce que j’ai toujours voulu.
— Dane, est-ce que je peux te demander quelque chose ? demandé-je pour
aborder un sujet qui me travaille, mais qu’il esquive depuis des jours.
— Mm-mm, marmonne-t-il.
— Si tu es content d’être mon frère… content d’avoir une famille… alors,
pourquoi est-ce que tu n’en as pas encore parlé à Saul ?
Ses yeux se durcissent immédiatement.
— Pea, je t’ai déjà dit que je ne veux pas en parler.
— Eh bien, moi si ! contré-je.
— Ahhh ! grogne-t-il.
— Ne me grogne pas dessus, Dane Matthews ! Je suis ta sœur et je veux
savoir !
Je croise les bras sur ma poitrine, ce qui ne me donne pas l’air menaçant que
j’espérais étant donné que je suis toujours allongée sur le canapé. Il me regarde
et ses lèvres tressautent tandis que ses yeux s’adoucissent.
— Petit soleil, c’est juste… ce n’est juste pas aussi simple avec Saul, soupire-
t-il, les épaules tombantes.
— Pourquoi ? Dis-moi ! S’il te plaît ?
Il passe une main sur son visage tout en se penchant en avant sur sa chaise.
— Ce n’est pas de sa faute… il ne sait même pas, remarque-t-il et je suis un
peu décontenancée.
— Qu’est-ce que tu veux dire par « ce n’est pas sa faute » ? Pas la faute de
qui ?
— Saul… ce n’est pas de sa faute… c’est juste, eh bien, je ne l’aime pas.
Je me redresse à ce commentaire et m’installe correctement sur le sofa.
— Comment ça, tu ne l’aimes pas ? demandé-je et je peux entendre les
intonations tranchantes de ma voix.
Il lève les mains en signe d’apaisement et sourit, mais je ne le trouve pas
drôle.
— Écoute Pea, ce n’est pas de sa faute. Comme je l’ai déjà dit, c’est difficile à
expliquer, mais je suppose que je suis jaloux de lui.
Je suis perplexe.
— Jaloux de quoi ? demandé-je et ma voix a retrouvé sa douceur.
— Il a une famille, petit soleil, elle ne l’a pas rejeté, lui.
Ces derniers mots ne sont qu’un murmure.
— Je ne suis pas sûre qu’il verrait les choses de cette manière, répliqué-je.
Il fronce les sourcils et me regarde, attendant d’entendre ce que j’ai à dire.
— Tu n’as jamais vraiment enquêté sur sa vie, n’est-ce pas ?
Il baisse la tête.
— Non. J’imagine que je ne voulais pas voir comment se passait sa vie. La vie
dont j’aurais dû faire partie.
— Dane, dis-je calmement et il relève la tête. Il n’a pas eu une super enfance,
sa mère… votre mère… elle n’est pas « câlins et gentillesse ». Elle ne fait pas le
truc avec le lait et les cookies. Elle te prend ce qu’elle peut et abandonne tout le
reste. Je le sais, je l’ai vue le faire à Saul tellement souvent. Et j’étais là. La
dernière fois. La fois où il lui a enfin dit qu’il ne voulait plus d’elle dans sa vie.
Je secoue la tête à mon propre scepticisme.
— Son père trompait sa mère, d’après le peu que Saul a laissé échapper au fil
des ans. Il est parti avec sa maîtresse et n’est jamais revenu. Saul avait dix ans à
ce moment-là et il n’en parle pas.
— Ouah, Pea… je ne savais pas, dit-il en se frottant la nuque.
Je secoue la tête.
— Non, tu ne savais pas. Mais tu as préféré supposer… pas cool, Dane. Pas
cool.
Je tends la main vers la sienne et il vient s’asseoir à côté de moi.
— Écoute, je sais que tu en as vu de toutes les couleurs et je sais que tu ne
m’as pas encore tout raconté et je t’aime. Alors je ne peux pas imaginer comme
il doit être difficile de parler de ses secrets à quelqu’un qu’on ne connaît presque
pas, mais tu dois lui dire et quoi qu’il arrive, tu m’auras toujours, moi. Je serai
toujours là pour toi. Toujours. Tu es de ma famille et je te fais confiance.
Sa main tressaille dans la mienne à ma confession.
— Quoi ? dis-je. Tu crois que je te mens ?
Il secoue la tête.
— Ce n’est pas ça, ça fait juste longtemps qu’on ne m’a pas dit ça.
Et c’est à mon tour, d’être surprise par ce qu’il dit.
— Comment… comment ça ? Ça fait combien de temps ? demandé-je.
Je ne suis pas sûre de vouloir connaître la réponse, j’ai déjà mal au cœur rien
qu’en pensant qu’on puise lui avoir fait du mal.
— La dernière fois qu’on m’a dit qu’on me faisait confiance, j’avais seize ans.
Je ne méritais ni sa confiance ni son amour. Je l’ai abandonnée. Je n’ai plus
jamais entendu parler d’elle.
— Qui était-ce ? Et qu’est-ce que tu veux dire par « tu l’as abandonnée » ?
J’ai un millier de questions à poser, mais je commence par ces deux-là.
Il se lève et marche jusqu’à la fenêtre. Je ne crois pas qu’il répondra, mais
alors que je suis sur le point de me lever et de le rejoindre, il commence à parler,
je reste donc à ma place et l’écoute. Ce n’est pas ce à quoi je m’attendais.
— Ce n’est rien et ça n’a pas d’importance. C’est du passé et je n’ai pas envie
d’en parler, déclare-t-il.
— Tout est du passé, Dane. Tout ce que tu as fait, c’est du passé. Ça ne veut
pas dire que tu peux tout mettre sous le tapis et jouer l’ignorant. Les choses
reviennent toujours te hanter. Parfois, il faut lâcher prise et pour ça, il faut en
parler.
— Je ne dis pas jamais, petit soleil, juste… pas aujourd’hui, OK ?
Il me supplie, j’acquiesce donc. Il ne peut pas me voir et comme je ne dis rien,
il se retourne brusquement pour me regarder et j’acquiesce à nouveau.
— Je serai toujours là pour toi aussi, Pea. Pour ce que ça vaut, je te fais
confiance et je t’aime plus que tout au monde.
Je me lève et m’approche de lui. J’enroule mes bras autour de son ventre et
regarde le marron de ses yeux… le même marron que les miens. Je murmure :
— Un jour Dane, j’espère que tu diras ces mots à l’amour de ta vie et, qui que
ce soit, elle aura beaucoup de chance. Elle est là, Dane, il faut juste que tu
t’ouvres à cette possibilité et quand tu l’auras trouvée…
Je m’interromps et regarde par la fenêtre, songeant à mon propre problème de
relation inexistante. Je me prépare et reporte le regard sur lui.
— Quand tu l’auras trouvée, tu devras la laisser entrer. La laisser te guérir…
la laisser te promettre cet amour que vous partagerez.
Il me sourit et dit :
— Mais je t’ai toi, n’est-ce pas ?
Je hoche la tête, souris et il m’attire contre lui.
— C’est tout ce dont j’ai besoin.
— Juste comme ça, je n’ai pas oublié pour Saul et il doit savoir, sans compter
tout le reste, pour toi et moi, pour ça, dis-je en nous désignant tous les deux. Ça,
c’est ma nouvelle à moi aussi et c’est l’un de mes meilleurs amis. Pendant des
années, il a été mon plus proche confident. Je ne serai pas à l’aise avant de
l’avoir dit à tout le monde, dis-je.
Il acquiesce bien que le mouvement soit accompagné d’une grimace.
— Demain… demain. Si tout le monde est libre, nous pourrions les inviter
tous ici, comme ça, si tu ne te sens pas complètement mieux, tu n’auras pas à
bouger.
— Vendredi serait mieux, dis-je. Je travaille demain et ça nous laisse tous
quelques jours.
— OK, vendredi, c’est bon pour moi, dit-il et je me détends.
J’ai besoin qu’ils le sachent. J’ai besoin que ma famille soit au courant. Je ne
veux plus de secrets, j’en ai assez.
Chapitre Vingt
J’ai l’impression que ça fait des années que je ne suis pas monté sur un ring. Je
peux sentir la sueur, le sang et la fumée des cigarettes qui ne sont pas censées
être autorisées. Je fais craquer ma nuque d’un côté puis de l’autre et m’échauffe
avec le sac de frappe. Dès que l’avion s’est posé, j’ai su que je devais venir ici.
Je suis allé directement chez moi. Je suis content de ne pas avoir loué mon
appartement durant mon absence et d’avoir choisi de payer une personne pour
venir surveiller si tout allait bien chaque semaine. Je suis entré en courant, j’ai
jeté mes sacs sur le canapé, je pouvais sentir le renfermé dans l’air. Alors, bien
que nous soyons en novembre, j’ai ouvert toutes les fenêtres de l’étage, attrapé
un jogging et un sweat-shirt à capuche d’une de mes valises abandonnées, pris
les clés et mon téléphone et me suis presque envolé jusqu’au garage. Mon bébé
m’avait manqué, presque autant que Pea. J’ai ouvert la porte et admiré la vue. La
carrosserie noire brillait même dans le noir et les jantes en alu scintillaient. J’ai
cliqué sur l’interrupteur pour allumer les lumières du garage et pris le temps de
regarder ma Mercedes S65 AMG Coupé. C’est mon bébé et je ne sais pas si je
l’abandonnerais même pour Pea.
Quand ma mère est morte, elle n’a laissé que des factures. Mon père nous a
fait faux bond presque toute ma vie, jusqu’à finalement disparaître
complètement des radars quand j’avais à peu près quatorze ans. J’ai entendu
dire, des années plus tard, qu’il était mort, mais je ne sais pas si c’est vrai. Je
m’en fichais à l’époque et je m’en fiche toujours aujourd’hui. Il ne revenait que
pour réclamer quelque chose, généralement de l’argent, que Mams lui donnait
bêtement. Elle avait réussi à accumuler une montagne de dettes, probablement à
cause de son amour un peu trop prononcé pour le Bingo, et j’ai dû vendre la
maison pour les rembourser. Heureusement, je n’ai eu qu’à sortir cinq mille
livres de ma propre poche pour finir d’en payer plus deux milles pour
l’enterrement.
À l’époque, ça m’a presque ruiné et j’ai dû vivre chez Saul un moment.
Environ six mois après son décès, une lettre est arrivée pour moi, chez Pea.
Apparemment, mes grands-parents maternels, dont je n’ai aucun souvenir – ils
sont morts quand j’étais encore tout-petit – avaient de l’argent. Ils avaient laissé
une sorte de fonds fiduciaire. À mes vingt-cinq ans, une lettre a
automatiquement été envoyée chez Pea. À l’intérieur, il était expliqué que ma
mère avait choisi cet arrangement au cas où elle ne serait plus là pour mon
anniversaire. Elle avait laissé une note dans la lettre disant qu’elle avait hérité de
ses parents et qu’ils avaient eux-mêmes déjà créé ce fonds pour moi. Dans le
message, elle avait écrit : Je sais que tu ne seras jamais loin de Pea. Elle est ton
ancre.
Elle avait apparemment dépensé sa part des années auparavant, l’avait
dilapidée en pariant. La maison dans laquelle nous vivions était, à l’origine, celle
de mes grands-parents, il n’y avait donc pas de prêt à rembourser. Je n’ai jamais
su combien elle avait touché, mais j’ai reçu un peu moins de cinq cent mille
livres que j’ai immédiatement placées sur un compte à fort intérêt.
Ha… J’ai cru qu’il serait plus malin de les mettre de côté en attendant de
décider quoi en faire. Je suppose qu’au début, j’espérais pouvoir nous aider Pea
et moi à nous installer. Je savais qu’elle vivait toujours chez sa grand-mère. Elle
adore cette maison, mais je pensais qu’avec de l’argent, elle pourrait la redécorer
à volonté. Nous aurions pu nous marier et partir en vacances, avoir des enfants.
Mais avec le temps, j’ai abandonné cet espoir et décidé d’acheter ce dont j’avais
besoin.
La maison que j’ai choisie est neuve. Je n’aime pas ça, mais je sais qu’en la
revendant, j’aurai une marge de profit. J’espère un jour vivre avec Pea chez elle
et fonder une famille.
Qu’est-ce que je dis ! Non, je n’espère pas, je sais qu’un jour je vivrai avec
elle.
La seule chose que j’ai achetée et dont je rêvais depuis l’enfance, c’est une
voiture. C’était ridiculement cher. Un peu moins de deux cent mille livres. Alors,
avec l’achat de la maison, il ne restait presque plus rien de la somme de départ,
mais je m’en fichais. J’adore cette voiture.
J’ai sauté dedans et conduis dans Londres un moment avant de finalement
prendre la direction de la salle de Murphy. Cet endroit n’est pas comme toutes
les autres salles de sport, ce n’est pas un lieu pour les demoiselles, bien que
certaines femmes y viennent quand même. Mais elles viennent pour faire de la
boxe, pas pour être jolies sur le tapis de course. J’ai appris à boxer ici, quand
j’étais vraiment jeune, et de là, je suis passé au kickboxing à dix-huit ans. J’ai
toujours adoré ces deux sports et je ne suis pas trop mauvais non plus. Je me suis
déjà battu plusieurs fois sur le ring, des combats contrôlés ou bien sauvages.
Paddy, le propriétaire, m’approche tranquillement.
— Conner, mon garçon, je ne te vois plus ces temps-ci, commente-t-il avec un
gros accent du nord de l’Irlande tout en s’appuyant lourdement sur une canne
dont il n’a pas besoin.
J’attrape ma serviette, essuie la sueur de mon visage et lui réponds :
— Désolé Paddy. J’étais à New York pour le travail.
— New York ? Nous ne sommes pas assez bons pour toi, c’est ça, mon gars ?
Il me lance un clin d’œil et rigole.
— Naan, Paddy, tu sais bien que si, répliqué-je avec un grand sourire avant de
reprendre. J’ai dû aller dans une salle à seins.
Je regarde ses yeux sortir de sa tête et je ris. Il appelle les salles de sport
modernes des salles à seins à cause de ce que les femmes y portent et il ne
considère pas les hommes là-bas comme de « vrais hommes », il pense que se
sont des poseurs ou des imposteurs. Je ne peux pas dire que je lui donne tort. La
plupart de ces hommes se feraient bouffer et sûrement même recracher en trente
minutes ici.
— Tu as aimé ça… cette salle à seins ? demande-t-il.
— Merde non !
Il sourit et me tape dans le dos.
— Bonne réponse, mon garçon.
— Il vaudrait mieux que j’y retourne Paddy ou je vais me raidir les muscles.
Il regarde autour et se frotte le menton.
— Eh bien, voyons, étant donné que tu es là, j’aurais besoin de ton aide.
— Ah oui ? dis-je.
— J’ai un petit nouveau, vingt-deux ans, il se débrouille bien au kickboxing,
presque autant que toi.
Il soupire.
— Si seulement tu étais passé pro.
Il détourne le regard et secoue la tête. Je lève les yeux au ciel, c’est notre
débat habituel, je n’ai jamais voulu en faire mon métier, j’aime le kickboxing
parce que je peux me défouler.
— Bref, reprend-il. J’ai besoin de quelqu’un pour monter sur le ring avec lui.
Mais je te préviens, il est doué.
— D’accord, je t’autorise à m’utiliser comme punching-ball, Paddy. Quand ?
— Maintenant, ce serait bien.
Et avec ça, il se tourne, porte son pouce et son index à sa bouche et siffle.
Comme toujours, tout le monde s’arrête pour voir à qui il s’adresse, et donc, de
qui il a besoin. En quelques secondes, une paire d’yeux noirs se plante sur lui et
les autres retournent à leurs occupations. Un gars, légèrement plus petit que moi
aux cheveux blonds très courts, arrive en trottinant.
— Paddy ? demande-t-il.
— Alex, voici Conner McKenna.
Le gars écarquille les yeux.
— Alors c’est toi le Conner McKenna dont tout le monde parle, dit-il en
rigolant. Ce mec n’arrête pas de parler de toi, fait-il en pointant Paddy du pouce.
— Content de te rencontrer Alex, dis-je en le saluant d’un mouvement de
menton.
— Alex, je veux que tu passes sur le ring avec Conner, lui dit Paddy.
— Putain oui ! répond Alex, ce qui me surprend.
Il doit me voir froncer les sourcils.
— Désolé mec, c’est juste que si tu es aussi bon qu’ils le disent, alors c’est un
honneur. De toute façon, il faut que je reste ouvert et que j’apprenne, et le seul
moyen d’apprendre, c’est de me battre contre des gars meilleurs que moi.
Je rejette la tête en arrière et ris.
— Je vois qu’il répète toujours les mêmes trucs, dis-je en secouant la tête, ce
qui me vaut un coup de canne dans les tibias.
— Ferme-la, je suis peut-être vieux, mais je peux toujours te botter le cul, dit
Paddy.
— Oui monsieur, dis-je en tentant de réprimer un rire et de masser mon tibia
douloureux en même temps.
Je croise le regard d’Alex et le vois également contenir un fou rire.
— Équipez-vous tous les deux et grimpez sur ce ring… vous avez cinq
minutes.
Alex et moi partons dans des directions différentes pour nous préparer. J’ai
besoin d’enfiler un short, heureusement, j’ai un casier à moi, j’ai donc du
rechange à l’intérieur. Une fois prêt, Patty nous force tous les deux à mettre un
casque et nous passons sur le ring.
C’est étrange, quand je suis là-dessus, c’est comme si quelque chose
s’emparait de moi, quelque chose de totalement animal. Toutes mes autres
émotions disparaissent et mon esprit se focalise.
Nous nous déplaçons sur le ring. Alex tente quelques petits coups rapides,
mais aucun ne m’atteint. Je patiente, j’attends de le voir bouger, se pencher, de
trouver un point faible, une ouverture. En quelques minutes, je remarque qu’il
replace sa jambe trop loin derrière lui et que sa main gauche est trop basse quand
il frappe.
Le coup suivant, il me l’assène au menton, mais je suis prêt à répondre avec
un crochet et le frappe fort tout en lui fauchant ses appuis, ce qui l’envoie au sol.
Paddy commence à lui crier des choses, mais j’ignore tout ce qui se passe autour.
Vingt minutes plus tard, Paddy met fin au match. Le gamin est doué, je dirai à
Paddy ce que j’en pense plus tard, mais il a encore des choses à apprendre.
— Je vois que tu n’as rien perdu, mon garçon, me dit Paddy.
— Je m’entraîne avec Saul.
— Ahhh.
C’est tout ce qu’il dit. Il sait que nous nous entraînons ensemble depuis des
années.
— Merci de m’avoir affronté, Conner, dit Alex, debout à côté de moi.
— Quand tu veux, Alex, tu dois encore apprendre deux ou trois trucs, mais je
pense qu’avec le temps, tu seras bien meilleur que moi.
Alex secoue la tête.
— Ça, ce n’est pas sûr, mec, mais je vais essayer.
J’acquiesce puis pointe le ring et regarde Paddy.
— Est-ce que le ring est dispo pour un temps ? J’ai envie de m’étirer et de
faire quelques mouvements tout seul.
Il sait que c’est mon truc. C’est comme ça que je procède.
— Il est à toi, mon garçon, dit-il en s’éloignant.
Il marmonne et fait de grands gestes en parlant à Alex. Je souris et retourne
sur le ring.
Avant, je venais ici quand j’étais frustré à cause de Pea. Quand je n’arrivais
pas à la récupérer. Quand, malgré le nombre de femmes avec qui je couchais,
aucune d’elles n’égalait sa lumière, elles n’étaient que des ombres à côté d’elle.
Maintenant, je suis là, déterminé et je sais que ce soir, je vais déstabiliser son
existence paisible. Je vais reprendre ce qui m’appartient. Je vais ébranler son
monde et la faire vivre dans le mien.
Cette fois, il n’y aura pas de retour en arrière possible !
Chapitre Vingt et Un
Je fais les cent pas et me ronge les ongles, quelque chose que je n’ai plus fait
depuis l’adolescence.
— Arrête, ordonne Dane.
— Je n’y arrive pas, ils seront là dans une minute, lui dis-je, tranchante.
Il soupire.
— Je le sais, si quelqu’un devrait être inquiet, c’est moi.
Je braque les yeux sur lui.
— Pourquoi toi ? C’est aussi mon secret et ils font partie de ma famille.
Ses traits s’adoucissent.
— Je sais petit soleil, mais calme-toi, ils t’aimeront quoiqu’il arrive, ils
t’aimaient avant, ils t’aimeront toujours.
Je sais qu’il a raison et que je dois me ressaisir. La vérité, c’est que je
m’inquiète de la réaction de Saul vis-à-vis de Dane.
J’entends les clés de Soph tourner dans la serrure et sursaute, Dane secoue la
tête et me sourit.
La porte s’ouvre alors et je perçois des murmures discrets qui ressemblent à
une dispute entre Soph et Saul. Je soupire, connaissant ces deux-là, cette soirée
pourrait bien se transformer en spectacle si je les laisse faire.
Quand ils entrent au salon, Saul se tourne vers Dane et le salue d’un coup de
menton.
— Dane, dit-il.
Dane fait exactement la même chose.
— Saul.
J’ai presque envie de pouffer de rire. Je les observe tous les deux et remarque
la ressemblance. La même teinte de peau, presque la même couleur de cheveux,
la courbe des joues et du menton, en plus de leur silhouette. C’est assez
incroyable. Mais Dane a mes yeux et mes cils. Saul, lui, a hérité des yeux bleus
perçants de son père.
Saul me regarde et son expression vide se remplit de chaleur, il me sourit et
s’approche pour me prendre dans ses bras.
— Hé, ma puce, tu vas bien ? demande-t-il en se reculant pour me regarder
dans les yeux.
Rah ! Il est en train de faire ce truc où il me fixe et lit dans mes pensées.
— Ça va, dis-je pour le stopper en tournant les talons vers la cuisine. Allez
dans la salle à manger et installez-vous, je vous amène le repas, lancé-je.
— Oooh, je viens avec toi, intervient Soph.
La porte de la cuisine se referme à peine qu’elle dit :
— Crache le morceau.
Je tourne la tête vers elle, une expression, qui, je l’espère, reflète un « je ne
vois pas du tout de quoi tu veux parler » innocent, sur le visage, mais qui dit
probablement plutôt « s’il te plaît ne me frappe pas » à en juger par la façon dont
Soph fronce les sourcils.
— D’accord. Soph, écoute, nous allons tout expliquer pendant le dîner.
— Tu me répètes ce truc depuis des jours, Pea ! Tu avais dit que tu me
raconterais tout en revenant de chez Dane. C’était lundi. Nous sommes
maintenant vendredi ! C’est mal. L’amitié a des règles pour une raison précise et
toi, tu les enfreins toutes, de la pire des manières possible, se plaint-elle.
— Je suis désolée, Soph… je t’aiiiiime, dis-je en faisant la moue.
— Pfff, fait-elle avant de repartir vers la salle à manger en attrapant des bols
de nourriture au passage.
Je pince mes lèvres entre les dents pour ne pas rire. Quand je reviens
finalement à table, je sens la tension dans l’air, même Soph est tendue.
— Vous pouvez vous servir quand vous voulez, dis-je, hésitante.
Tout le monde commence à bouger en même temps et malgré le vacarme des
assiettes et des couverts s’entrechoquant, tout reste étrangement silencieux et
personne ne parle, j’essaie donc de faire la conversation.
— Alors Soph, est-ce que tu sors avec quelqu’un en ce moment ? demandé-je.
Saul et Dane interrompent tous les deux ce qu’ils sont en train de faire pour la
dévisager. Je vois que ça la met mal à l’aise et je m’en veux tellement d’avoir
posé cette question que j’aimerais disparaître sous terre. Même si, un mois plus
tôt, cette question aurait été banale.
— Non, pas en ce moment. Je recommencerai probablement à ressortir d’ici
peu. Tu pourrais venir avec moi, répond-elle en me suppliant du regard.
J’acquiesce.
— Bien sûr, nous pourrons nous faire une soirée entre filles.
Dane commente :
— Je peux toujours venir, vous savez, pour veiller sur vous.
Je lève les yeux au ciel, mais Saul ajoute :
— Je peux venir aussi, vous savez, je vous ai toujours protégées.
— Ce ne serait pas vraiment une soirée entre filles si vous veniez tous les
deux, fais-je remarquer, ce qui me vaut deux regards noirs.
Je regarde Soph et écarquille les yeux en la voyant tenter de se retenir de rire.
— Oui, nous ne voulons pas de vous avec nous. Vous nous bridez, dit-elle en
me lançant un clin d’œil.
— Ce n’est pas comme si l’une d’entre vous se cherchait un homme, si ?
demande Dane, mais il semble plus l’affirmer que le demander.
— Eh bien, non. Je veux dire, je n’y ai pas pensé… tu sais… depuis… répond
Soph et sa voix se brise.
— Tu n’as besoin que des amis que tu as toujours eus, Soph, dit Saul et j’ai
l’impression d’y voir une attaque contre Dane.
Dane fusille Saul du regard.
— Heureusement que tu me connais depuis des années aussi alors, Soph.
Il s’adresse à elle, mais fixe Saul et Saul lui renvoie un regard mauvais.
— Oui, depuis des années. Ce n’est pas comme si tu n’avais pas toujours été
bien pour elle, n’est-ce pas ? Pas comme si tu l’avais laissée tomber comme un
vieux mouchoir, crache Saul.
— Ça suffit ! crié-je et ils se taisent tous les deux tout en reportant leurs
regards noirs sur moi.
Soph a baissé la tête et ses épaules sont voûtées.
— Ne parlez pas d’elle comme si elle n’était pas là. Elle n’est pas un prix que
vous pouvez vous disputer. Je voulais que cette soirée soit spéciale. Je voulais
que ce soit quelque chose dont je puisse me souvenir et pas pour les mauvaises
raisons. J’en ai jusqu’ici, dis-je en mettant ma main au-dessus de ma tête. J’ai
quelque chose à dire Saul et je voulais que tu sois là pour pouvoir le faire. C’est
aussi un peu l’histoire de Dane, mais je voulais être celle qui te l’annonce.
Maintenant que le dîner est effectivement gâché par vos enfantillages, allons au
salon, lancé-je et j’attrape la main de Soph pour l’y traîner.
Alors que nous marchons, elle se penche vers moi et murmure :
— C’était classe, vous déchirez mademoiselle !
Je tourne la tête et la vois sourire.
— J’avais oublié comment tu étais quand tu n’étais pas déprimée. Rappelle-
moi de ne jamais te mettre en rogne, dit-elle avec un clin d’œil.
Quand tout le monde est assis, les garçons essayant très clairement de garder
une expression neutre, je prends une profonde inspiration et débute.
— D’accord, alors, il n’y a pas de manière simple de l’annoncer, donc je vais
me lancer et nous expliquerons ensuite, Dane et moi.
Je dis ça et ils me regardent avec des expressions confuses sur le visage, seul
Dane me fixe avec tendresse.
— Oh mon Dieu ! s’exclame Soph en plaquant une main sur sa bouche. Je
croyais que ce n’était pas romantique entre vous, fait-elle en nous dévisageant
tour à tour.
— Ça ne l’est pas, répliqué-je.
Je suis sur le point de continuer et de la réprimander pour m’avoir
interrompue quand Dane intervient.
— Tu voulais savoir s’il y avait quelque chose entre nous ? Pourquoi est-ce
que tu voudrais savoir ça ?
Tout du long, Saul le fusille du regard, mais je peux voir la peine dans ses
yeux et je sais pourquoi.
— Ce n’est pas… je ne voulais pas… ce n’est pas ça, dit-elle en s’enveloppant
de ses bras.
Saul renchérit.
— Évidemment qu’elle ne voulait pas dire ça, elle s’inquiète juste pour Con.
Dane le foudroie des yeux et ils recommencent tous à se disputer. Je ne peux
plus en placer une, alors je crie.
— Dane est mon frère !
Ils se taisent tous, puis Saul et Soph se mettent à parler en même temps.
— Quoi ? Comment ça ? demande Soph.
— Depuis quand est-ce que tu le sais ? Qui d’autre ? demande Saul.
— Mais calmez-vous, vous me donnez la migraine, dis-je en me massant les
tempes. Bon, écoutez, Dane et moi avons le même père. Dane l’a découvert il y
a un moment et l’a dit à Grand-mère, ils allaient m’en parler, mais elle est morte
et il n’en a pas eu l’occasion. Il s’est tenu à l’écart parce qu’il ne voulait pas me
perturber, mais il a vu que j’allais de moins en moins bien et a trouvé un autre
moyen pour me rencontrer. Il me l’a dit lundi et personne d’autre n’est au
courant.
Je leur fais la version courte avant qu’ils recommencent à parler.
Les yeux de Saul vont et viennent ce qui signifie que son cerveau se démène
aussi pour comprendre.
— Pourquoi est-ce que tu ne nous l’as pas dit lundi alors ?
Je soupire et je vois Dane sur le point d’ouvrir la bouche pour expliquer, mais
ils lui sont si hostiles ce soir que je décide qu’il est préférable de l’annoncer moi-
même. Je lève donc la main pour le stopper.
— Laisse-moi faire, dis-je et il acquiesce.
Je peux tout de même le voir serrer les dents, il n’est pas content que je prenne
la responsabilité de cette déclaration.
— La situation est compliquée, c’est pour ça que nous ne vous avons rien dit
tout de suite. Vous voyez, nous avons le même père Dane et moi, mais c’est
aussi ton frère parce que… vous avez la même mère, lâché-je en regardant Saul.
Il ne réalise pas tout de suite ce que je suis en train de lui expliquer, puis il se
lève de son siège d’un bond.
— Quoi ? s’écrie-t-il.
— Calme-toi, Saul, dis-je en me plaçant entre lui et Dane qui s’est levé lui
aussi.
Soph n’arrange pas la situation en affirmant :
— Ah oui, je vois vraiment une ressemblance de famille.
Elle le dit en les observant tour à tour. Je me mets la tête entre les mains.
— Saul, assieds-toi, laisse-le t’expliquer.
Soph tire Saul par le bras et il se rassoit à côté d’elle pendant que je fais de
même avec Dane à mes côtés. Dane lui expose toute la situation et, bien que je le
vois se détendre par rapport à Dane, je vois aussi la froideur dans ses yeux quand
il mentionne leur mère.
La tension est lourde, Dane est complètement honnête avec Saul, qui panique
par moment, mais Soph garde une main sur sa jambe ce qui semble le calmer. En
revanche, je vois Dane poser les yeux sur cette main à plusieurs reprises et je me
dis que les prochains mois ne vont pas manquer d’intérêt.
Quand tout est dit, Saul baisse la tête.
— Je savais que c’était une pétasse, une pétasse sans cœur. Elle l’a toujours
été. Je ne pensais pas qu’elle était capable de faire ça, fait-il, le visage toujours
baissé.
Dane a apporté des journaux pour prouver ses dires. Je n’ai jamais douté de
lui, mais je suppose qu’il est logique de les montrer à Saul. J’imagine qu’il aurait
pu croire que tout avait été inventé, aussi incroyable que ça puisse paraître.
— Franchement… je ne crois pas que je t’en aurais parlé si tu n’étais pas aussi
proche de Pea. Je veux dire, je voulais une famille, mais je suppose… eh bien…
je ne t’ai jamais vraiment aimé. Désolé mon frère.
Je remarque que Saul tressaille au mot « frère ». Con est généralement le seul
à l’appeler comme ça, mais je ne pense pas que Dane réalise ce qu’il vient de
dire.
— J’étais jaloux quand j’ai appris pour toi, je l’ai été jusqu’à très récemment.
Jusqu’à ce que Pea m’explique quelle véritable pétasse elle était.
Je regarde Saul, qui écoute et essaie de tout digérer.
— Désolée, m’excusé-je et il secoue la tête.
— Pas besoin Pea, c’est la vérité. De ce que je sais, tu ne fais qu’exposer des
faits. Il vaut mieux qu’il sache maintenant avant de la rencontrer.
C’est au tour de Dane de tressaillir.
— Je ne la rencontrerai pas. Je n’en ai pas envie. Tout ce que je voulais, c’était
une famille et peut-être que nous arriverons un jour à construire ça, toi et moi,
mais si ça n’arrive pas, tant pis. Je le respecte. Mais sache que je ferai toujours
partie de la vie de Pea, elle est tout ce dont j’ai besoin. Je l’aime.
Il passe un bras autour de moi et me serre contre lui.
— Je t’aime aussi, dis-je avec un sourire.
Je suis contente que ces secrets disparaissent.
— Maintenant, il n’y a plus qu’à le dire à Con, annoncé-je.
— Dire quoi à Con ? entendis-je venir de la porte du salon et je tourne
brusquement la tête pour voir Con debout dans l’embrasure en bottes, jean noir
et tee-shirt Henley vert foncé.
Il se tient les jambes légèrement écartées, stable, les bras croisés, ce qui me
permet de voir le contour de ses muscles. Il prend toute la porte. Il est divin. Il a
aussi l’air plutôt en colère. Ses yeux sont plissés et rivés sur le bras autour de
mes épaules.
Tout à coup, tout le monde se met à parler en même temps, j’entends des mots
comme « sœur », « de retour » et « combien de temps ». Mais j’ignore tout ça, ce
n’est que du bruit de fond, tout est flou autour de moi et ressemble à un rêve.
Tout ce que je vois, c’est lui. Je ne peux pas décrocher les yeux et apparemment
il ne le peut pas non plus. Il ne bouge pas et je ne sais pas si c’est parce qu’il n’a
pas entendu que Dane était mon frère ou s’il ne sait juste pas quoi faire. Mais
mon corps à l’air de savoir parfaitement ce qu’il faut faire. Je m’avance sans
même le réaliser.
Je n’entends plus rien maintenant. Peut-être que tout le monde s’est tu, ou
peut-être que je ne les entends tout simplement plus. Je m’en fiche. Je ne vois
que lui. Quand je le rejoins, je m’arrête et lève la tête. Ses yeux vert profond
brillent d’émotions et j’inspecte son visage, le visage qui m’a tant manqué.
— C’est toi, Con. Ça l’a toujours été.
Ma bouche le dit avant que mon cerveau n’ait la chance de l’arrêter. Il lève
une main et la place sur ma joue.
— Je t’aime, Pea.
— Je t’aime tellement, murmuré-je et il se penche et touche mes lèvres des
siennes.
Il garde les yeux ouverts, il maintient notre lien.
— Je suis rentré trésor… pour toi.
Mon estomac se noue. Maintenant, je dois tout lui dire. Maintenant, les choses
sérieuses commencent.
Avant que je puisse ouvrir la bouche, il attrape ma main, puis regarde par-
dessus mon épaule.
— Salut les gars, dit-il à Saul et Soph.
Il regarde ensuite Dane et incline la tête.
— Je suppose que comme tu es son frère, je n’ai plus besoin de te traiter de
gros abruti ?
Derrière moi, Dane rigole.
— Je suis désolé d’arriver et de repartir aussi vite et je vous promets que nous
parlerons dans quelques jours, mais Pea et moi, nous nous tournons autour
depuis trop longtemps maintenant et il n’est pas question que ça continue, alors
je l’embarque chez moi.
Je regarde autour de moi, Soph me fait un sourire radieux et Saul et Dane ont
des sourires en coin aux lèvres, puis Con m’entraîne avec lui.
Nous sortons, allons jusqu’à sa voiture et je la regarde. J’avais oublié qu’elle
était aussi jolie. Si Con savait que j’utilisais le mot « jolie » pour la décrire, il
grognerait. Je me glisse à l’intérieur et Con s’installe et hausse un sourcil.
— Quoi ? Je monte dans les voitures maintenant, dis-je en souriant.
Il prend ma main avant de démarrer.
— Je suis content de retrouver ma Pea.
Il embrasse le dos de ma main.
— J’ai toujours été là, Con, remarqué-je tout bas.
— Je sais, trésor. Je ne voulais pas dire ça négativement.
Il a placé ma main sur sa cuisse et la masse du pouce quand il ne passe pas les
vitesses.
— Je sais, c’est juste… la route a été longue pour moi. Je me suis sentie
responsable de tellement de choses pendant si longtemps et j’ai fait des erreurs et
des choses que je dois me faire pardonner…
Je ne finis pas ma phrase.
— Et si nous nous inquiétions de tout ça un autre soir, bébé ? Je suis là
maintenant et nous devons rattraper le temps perdu. Je serai là après pour t’aider
à guérir, dit-il en me regardant et je peux voir mon amour se refléter dans ses
yeux.
— Promets, murmuré-je.
— Toujours, répond-il et je sens mon cœur se serrer à nouveau en sachant
qu’il ne sait pas ce qu’il vient de me promettre.
Je n’ai aucun moyen de savoir s’il pourra tenir cette promesse.
— Alors, dit-il pour me tirer de mes pensées avant de continuer. Dane est ton
frère ? Je ne l’ai pas du tout vu venir.
Il rigole.
— Mais je suis content, je ne voulais pas être obligé de lui refaire le portrait.
Quand je l’ai entendu te dire qu’il t’aimait et que tu as répondu la même chose,
ça m’a presque tué, Pea.
Sa voix se brise et il regarde droit devant lui. J’attrape sa main et la serre.
— Tu n’as pas encore entendu le meilleur, dis-je en essayant de dépasser cet
instant pénible que nous traversons tout à coup.
Il tourne la tête avant de reporter les yeux sur la route.
— Quoi ?
— C’est aussi le frère de Saul.
Con fait un écart. C’est une chance que les routes soient désertes.
— Merde ! Sérieusement ? Ils ont tous les deux cette mère ?
Et ce petit commentaire me fait sourire. Il savait naturellement quelque chose
dont j’avais moi-même douté une fraction de seconde : ma mère n’aurait jamais
eu un autre enfant qu’elle aurait caché.
— Oui, c’est fou, n’est-ce pas ? dis-je.
— Merde, oui, répond-il, éberlué.
Nous arrivons chez lui, il gare la voiture et nous entrons. Dès que nous
passons au salon, il m’attrape.
— Con, nous n’avons même pas encore allumé la lumière ! m’écrié-je.
— Hmm… je ne compte pas rester dans cette pièce, dit-il en m’embrassant
dans le cou.
Je laisse aller ma tête en arrière, ferme les yeux et le laisse faire.
Tout à coup, il me soulève et monte les marches en me gardant dans ses bras.
Je blottis mon nez dans son cou. Je sais ce qui va arriver et je souris. Je le
laisserai toujours me prendre. Avec Con, je me comporte comme une parfaite
dévergondée et je m’en fiche.
Nous arrivons dans sa chambre.
— Merde alors, c’est glacial ici, dit-il et je confirme en me pelotonnant
davantage contre lui.
— Pourquoi est-ce qu’il fait si froid ? marmonné-je.
— Lorsque je suis rentré tout à l’heure, ça sentait le renfermé parce que
l’appartement n’avait pas été ouvert depuis un moment, alors j’ai ouvert pour
aérer. J’ai fermé les fenêtres il y a quelques heures, mais je ne pensais pas qu’il
ferait encore aussi froid. Je vais allumer le chauffage, dit-il en se déplaçant
rapidement dans la pièce.
J’enlève mes chaussures d’un coup de pied et file sous les couvertures pour
essayer de rester au chaud tout en grelottant.
Il revient et s’assoit sur le lit. Il quitte ses bottes et je fixe son dos et les
muscles qui se découpent même sous son haut. Il jette les bottes sur le côté et
passe une main derrière lui pour tirer son tee-shirt au-dessus de sa tête. Une fois
de plus, je ne peux plus bouger, je me contente d’admirer sa perfection. Il retire
son jean, ne restant qu’en boxer, avant de se glisser sous les couvertures.
— Je dis ça comme ça, mais si tu as froid, je ne suis pas sûre qu’enlever tes
vêtements soit la meilleure idée qui soit, dis-je.
— Eh bien, on dit que c’est le corps qui génère le plus de chaleur. Et si on
enlevait aussi les tiens pour vérifier si c’est vrai ?
Il disparaît sous les couettes et je pouffe comme une gamine de douze ans.
Je peux le sentir baisser mon legging et l’instant d’après, sa tête réapparaît de
sous les draps.
— Pas de culotte, Pea ? J’aime ça. Je vais peut-être l’exiger de manière
permanente.
Il m’offre un large sourire auquel je réponds avant de passer à nouveau sous
les couvertures. Je n’ai cependant pas le temps de réfléchir ou de sourire plus.
Tout à coup, il commence à déposer des baisers le long de l’intérieur de ma
jambe, juste au-dessus du genou et un soupir m’échappe. Il remonte ma jambe,
l’embrasse et la mordille délicatement tout en écartant mes cuisses avec lenteur.
Ses mains atteignent mon sexe avant sa bouche. Je me concentre tellement sur
ses baisers que je suis prise par surprise quand un doigt passe entre mes lèvres. Il
le fait courir de haut en bas lentement puis le glisse en moi. Il le retire et quand il
l’y replonge, il ajoute un doigt de plus, place sa bouche sur mon clitoris et le
suçote. Mon dos se soulève du lit et je me sens déjà partir. Je ferme les yeux et
me débarrasse de mon pull et de mon caraco, soulagée de ne pas porter de
soutien-gorge. Il a accès à ma poitrine et sa main sort de sous le duvet pour venir
jouer avec le bout de mon sein. Je me tortille au rythme de ses mouvements et
des étincelles se répandent en moi, prêtes à s’enflammer quand, tout à coup, il
s’arrête.
— Ahhh ! crié-je et il sort la tête de sous les couvertures.
— Désolé, bébé, mais je veux être en toi quand tu jouis, dit-il et je peux déjà
le sentir contre mon intimité.
Il se frotte à moi, s’enduisant du liquide qui s’écoule entre mes jambes.
— Tu es tellement mouillée.
— Toujours pour toi, Con, gémis-je quand il entre en moi.
Il va et vient, me pénétrant et m’ouvrant lentement.
— Il n’y a que moi ? demande-t-il.
Je sais ce qu’il veut dire alors je hoche la tête. Ses yeux s’embrasent et il me
prend entièrement.
— Ahhh ! grogné-je au même instant où il gémit « Merde ».
Il continue ses balancements.
— Plus, Con, dis-je, la voix rauque et il accélère.
Il se penche et prend un mamelon dans sa bouche, il le mordille doucement. Il
s’approche ensuite et me regarde dans les yeux avant de déposer sa bouche sur la
mienne. Il m’embrasse tendrement, mais le baiser se fait plus fiévreux à mesure
qu’il accélère le rythme de ses hanches. Il glisse une main entre mes jambes et
caresse mon clitoris du pouce et la combinaison me fait basculer. Alors que je
me calme, je le sens jouir. Il se couche sur moi un instant, puis inverse nos
positions d’une roulade, pour que je sois sur lui. Nous respirons bruyamment
quelques minutes puis nous nous détendons.
— Tu es rentré aujourd’hui ? demandé-je.
— Mmm, dit-il.
— Tu es venu me voir le jour de ton arrivée ?
— Mmm.
— Tu dois être fatigué ? m’enquis-je.
— Mmm.
— Con, il y a tellement de choses que je dois partager avec toi, tellement de
choses à te dire.
Cette fois, il n’y a pas de réponse, je baisse donc les yeux et il dort. Je
commence à croire que je n’aurai jamais la chance de lui parler, pour être
honnête.
Chapitre Vingt-Deux
Je cours vers la voiture, j’ai beau accélérer ou crier de toutes mes forces,
personne ne m’entend.
— Con ! crié-je, mais il se contente de me regarder comme il ne l’a jamais
fait : les yeux vides et froids.
Je me tourne vers la foule et crie.
— À l’aide !
Mais les gens continuent de vaquer à leurs occupations et ne remarquent rien,
ils discutent de choses sans importance.
— Quelqu’un… je vous en prie.
Ma voix se brise sur le dernier mot et se transforme en sanglot. Je ferme les
yeux, je les garde fermement clos, j’essaie de trouver quoi faire. Soudain,
quelqu’un pointe une lampe sur mon visage, mais je n’arrive pas à ouvrir les
yeux, j’essaie de mettre les mains devant moi pour repousser la lumière, mais je
n’y arrive pas.
Je sursaute, ouvre grand les yeux et vois la lune. Elle est pleine et basse dans le
ciel. On dirait qu’elle déverse toute sa lumière sur moi au travers de la fenêtre
sombre. Je réalise très rapidement que je suis toujours dans le lit de Con et l’eau
séchée sur mes joues, la sueur et les battements affolés de mon cœur confirment
que j’ai fait un autre cauchemar. Les souvenirs de la veille me reviennent, il y en
a beaucoup. Je frissonne.
Je me tourne vers Con. Il est allongé sur le ventre, la tête vers moi. Ses bras
sont à plat et sous sa tête. Son tatouage d’aigle s’enroule le long de son dos et
disparaît par-dessus son épaule et je sais qu’il atteint presque l’inscription
Forever Love sur son cœur. Il s’est fait tatouer quand nous nous sommes séparés,
apparemment, il voulait quelque chose pour montrer que l’on pouvait aimer
quelqu’un pour toujours, même sans être avec cette personne. Je soupire, il est
tellement incroyablement sexy. Ses cheveux sont un peu en bataille et son
menton est couvert d’une barbe naissante. Je ne sais pas d’où m’est venue la
volonté de le repousser toutes ces années et encore moins comment j’ai pu
supporter de le voir avec toutes ces autres femmes.
Je regarde à nouveau par la fenêtre et essaie de fermer les yeux. Con n’a pas
de volets ou de rideaux à sa fenêtre ce qui explique pourquoi je n’arrive pas à
bloquer la lumière. Je ne sais pas comment il peut dormir comme ça. Je jette un
coup d’œil au réveil sur la table de chevet, je vois qu’il est juste cinq heures
passées, je m’extirpe donc lentement du lit. Je sais qu’il a besoin de dormir pour
s’habituer au décalage horaire. Il aurait probablement dû passer la journée d’hier
à se reposer, ce qui, connaissant Con, signifie qu’il s’est forcé à rester debout
pour pouvoir s’endormir à la bonne heure et se débarrasser du décalage horaire
aussi vite qu’il est humainement possible.
Une fois debout, j’attrape son tee-shirt Henley de la nuit dernière et l’enfile. Je
m’arrête et lui jette un nouveau coup d’œil. Maintenant que je me suis déplacée,
je peux contempler son autre profil et il ne perd absolument rien de sa beauté. Je
secoue la tête et soupire en le regardant. Ce qui pourrait arriver maintenant n’a
plus d’importance, je veux être avec lui et s’il ne veut plus de moi… alors je suis
foutue.
Je descends les escaliers sur la pointe des pieds, essayant de rester aussi
silencieuse que possible, et vais à la cuisine. Une tasse de thé est nécessaire.
Rapidement, je réalise que c’était une mauvaise idée de venir pieds nus quand il
n’y a pas de chauffage, en plein novembre. Mes pieds sont gelés. Je file au salon
à la recherche d’une paire de pantoufles, mince, au point où j’en suis, je
prendrais même ses baskets, que ses pieds soient deux fois plus grands que les
miens ou non. Je ne trouve aucune chaussure, mais mes yeux tombent sur sa
valise. Je sais que ce n’est pas très moral de fouiller dans ses affaires, bien que je
l’aie fait sans inquiétude pendant des années, mais maintenant que notre relation
a pris un tournant, je suppose qu’il va falloir redéfinir les limites entre nous.
D’un autre côté, je refuse tout simplement de marcher dans cette cuisine au
carrelage de granit froid, pieds nus. Et j’ai besoin d’une tasse de thé et je ne veux
pas réveiller Con.
Tant pis ! Je décide de le faire et de lui dire après. Son pardon, c’est quelque
chose dont je vais avoir besoin en grande quantité. Je ne crois pas qu’un détail de
plus change grand-chose au final. J’ouvre la fermeture éclair de la valise et vois
immédiatement beaucoup de vêtements. Je tiens la valise ouverte et m’apprête à
la refermer en réalisant qu’il n’y a pas de chaussures quand des chaussettes
propres attirent mon attention. Je sais comment Con emballe ses affaires, cette
valise est donc celle de son linge propre et il y a un sac fourre-tout quelque part
rempli de linge sale. Il a probablement tout mis dans la buanderie en attendant de
lancer une machine – il est tellement organisé. Je souris et rouvre la valise en
rejetant rapidement le dessus pour pouvoir attraper la paire de chaussettes. La
force de mon geste éparpille les papiers rangés dans la poche intérieure. Je lève
les yeux au ciel en repensant au nombre de fois où je lui ai dit de ne pas garder
ses documents à cet endroit pour des raisons de sûreté. En ramassant les papiers
pour les remettre à leur place, je remarque le coin d’une photographie qui attire
mon attention. Je la reconnais. Je la tire de la pile et laisse les autres papiers
flotter jusqu’au sol, mais je ne peux pas décrocher les yeux de l’image.
C’est une grande photo séparée en deux parties, représentant la même scène
deux fois, mais avec dix ans d’écart. Je me souviens du jour où Con l’a prise.
Je regarde la photo coupée en deux devant moi. D’un côté, deux enfants se font
une promesse. De l’autre, deux jeunes adultes commencent à réaliser cette
promesse. Je sens les larmes me monter aux yeux. Des larmes de joie. De joie,
qu’il ait gardé cette photo que je croyais perdue et de la chaleur me submerge
quand je réalise qu’il l’a emmenée avec lui.
Je sens une paire de bras chauds se glisser autour de ma taille.
— Je n’ai jamais pu m’en séparer, murmure-t-il à mon oreille.
Je me tourne et le regarde. Je vois réellement mon futur dans ses yeux. S’il
s’en allait maintenant, il me tuerait.
— Ça a toujours été toi, Con.
Il sourit et attrape mon menton, il penche ma tête en arrière puis approche ses
lèvres et caresse les miennes, les yeux toujours plongés dans les miens.
— Je t’aimerai toujours, trésor. Tu devrais le savoir maintenant.
Je déglutis et détourne le regard vers le sol.
— Qu’est-ce qui ne va pas, Pea ? demande Con, sa voix se teinte
d’inquiétude.
— Il y a des choses… des choses que je dois partager avec toi, murmuré-je.
Je sais que je dois être forte. Nous ne pourrons jamais vraiment être ensemble
tant qu’il y aura ça entre nous. J’attrape sa main et regarde ses yeux pleins
d’inquiétude.
— Viens, assieds-toi. Ça ne va pas être facile à dire, mais je dois le faire.
Il acquiesce et de la peur passe sur son visage.
Nous restons assis en silence sur le canapé quelques minutes. J’essaie de
préparer ce que je vais dire, même si c’est presque impossible de se préparer
pour ça. Il essaie visiblement de deviner ce que je pourrais bien lui annoncer.
Mais je suis presque certaine qu’il ne s’attend pas à ce qui va suivre… pas du
tout.
— Il y a une chose que j’ai gardée secrète. Je dois t’en parler si nous voulons
vraiment essayer de faire fonctionner ce que nous avons.
Je parle lentement, ne voulant pas faire d’erreur.
Il se contente de me regarder et d’attendre la nouvelle.
— D’accord, c’est parti… j’ai été enceinte.
Ses mains sursautent dans les miennes et ses sourcils se rencontrent.
— En fait, pour être claire, je suis tombée enceinte deux fois, murmuré-je et il
se fige.
Je ne lui laisse pas l’occasion de parler et décide, à la place, de tout déballer
très vite.
— J’ai perdu les bébés… les deux fois… fausses couches.
Con se décrispe et je vois ses traits s’adoucir, il serre mes mains et je les lui
retire. Il fronce à nouveau les sourcils et j’emmêle mes doigts en fixant mes
genoux. Il n’a toujours rien dit et je sais que son cerveau est en train de traiter ce
que je viens de lui annoncer.
— Je croyais… commence-t-il tout à coup et il me tire de mes pensées.
Sa voix est rauque comme s’il essaie de ne pas la laisser se briser.
— Je croyais que tu n’avais eu que moi ?
Je peux distinguer la douleur dans ses yeux, il croit que je lui ai menti, ce que
j’ai fait, mais pas à propos de ça.
Il secoue la tête.
— Ça n’a pas d’importance, bébé. Tu essaies de me parler de quelque chose
de difficile qui t’est arrivé et je suis plus occupé à m’inquiéter pour moi-même et
à t’imaginer avec quelqu’un d’autre… merde, je suis vraiment débile.
Il baisse la tête et j’ai l’impression d’être la reine des pétasses.
Je sais qu’il doit le faire pour moi, pour me laisser parler et me soulager. Je
suis consciente qu’il veut connaître tous les détails de ma vie, mais il pense que
je ne lui dis pas tout et ne veut pas que je voie que mes mensonges le blessent. Il
croit pourtant que j’ai couché avec quelqu’un d’autre et que je lui ai caché avoir
été enceinte.
— Tu es tellement génial.
— Seulement pour toi, trésor, grogne-t-il.
Il attrape ma main à nouveau et je réalise que j’ai dit la dernière partie à voix
haute.
— Con.
J’attends qu’il me regarde. Sois courageuse Pearson. C’est tout ou rien.
— La première fois, j’ai découvert que j’attendais des jumeaux…
Ses yeux s’agrandissent juste assez pour que je le remarque.
— C’était quelques semaines après que je sois partie pour mes vingt ans.
Je le vois réfléchir et, avant qu’il ne comprenne, j’ajoute :
— La deuxième fois, c’était cette année, à peu près un mois après mon
anniversaire.
Tout son corps sursaute, il lâche mes mains et se lève.
— Tu… tu, commence-t-il avant de secouer la tête.
Son corps vibre et je ne sais pas trop si c’est de colère ou de surprise.
— Tu ne mentais pas quand tu disais qu’il n’y avait que moi ?
Sa voix est basse et tranchante et des flammes brûlent dans ses yeux. Je
suppose que ma question précédente a trouvé sa réponse – il ne tremble pas de
surprise.
Je fais non de la tête et il se pince la racine du nez, puis lève les yeux au
plafond.
— Mes bébés ? fait-il brièvement et j’acquiesce. Des jumeaux et encore un
autre.
J’acquiesce à nouveau et les larmes coulent sur mes joues.
— Ne te mets pas à pleurnicher, merde, Pearson, gronde-t-il et je me
recroqueville face à sa colère. Tu es tombée enceinte de moi deux fois et tu n’as
jamais eu la décence de me le dire ?
Il secoue la tête puis crie :
— Deux fois !
— Je suis désolée, Con.
— Qu’est-ce que ça peut bien faire que tu sois désolée maintenant, hein ? Tu
es partie en jouant les femmes hautaines parce que tu croyais que je couchais
avec quelqu’un d’autre. Pendant des années, j’ai essayé de te reconquérir, j’ai
essayé de te récupérer et de te montrer ce que nous pourrions être ensemble. Des
années, merde ! rugit-il. Et tout ce temps, tu cachais ce secret énorme que tu
n’avais pas le droit de garder. C’étaient aussi mes enfants. J’avais le droit de
savoir. Nous aurions pu tout arranger, faire mieux. J’aurais pu être là pour toi et
nous n’aurions pas eu à traverser tout ça.
Il s’interrompt, puis reprend presque pour lui-même.
— Je me suis demandé tellement longtemps pourquoi tu étais si distante.
Il me fixe, les yeux aussi froids que dans mon rêve de ce matin puis il se
détourne vers la fenêtre.
— Con, je suis désolée de ne pas avoir pu les protéger, murmuré-je.
Il se retourne brusquement et hurle :
— Après tout ce temps, tu crois que je pense que c’est de ta faute ? C’est ça
qui t’inquiète Pearson, hein ? Eh bien, rassure-toi, je ne le crois pas.
Il secoue la tête et baisse les yeux par terre.
— Je pensais que tu me connaissais mieux que ça. Peut-être que nous ne nous
connaissons pas du tout finalement.
Il passe devant moi en coup de vent, monte l’escalier et je reste assise en
silence un moment, essayant de me remettre. Je l’entends ensuite redescendre,
toujours furieux, et passer au garage. Un instant plus tard, la voiture démarre et il
s’en va loin de moi.
J’attends longtemps, ça doit déjà faire une heure, puis je réunis mes affaires et
remets ma robe. Je regarde mon portable, mais Con n’a pas appelé. Je fais défiler
mes contacts et me demande qui appeler si tôt, un samedi matin.
J’appuie sur « appeler » et le téléphone sonne.
— Pea ?
— Je lui ai dit, dis-je en sanglotant. Il est parti.
— Où es-tu ?
— Chez lui.
— Je serai là dans cinq minutes, dit-il et il raccroche.
Cinq minutes plus tard, Saul me pousse dans sa voiture et me ramène chez lui.
Il arrive à me mettre au lit dans la chambre d’amis, mais tout ressemble à un
mauvais rêve. Je pleure et il me tient contre lui.
— Tout va bien, ma puce. Tout va bien, répète-t-il et je m’endors en sachant
que j’ai tout gâché.
Chapitre Vingt-Trois
J’arrête la voiture en faisant crisser les pneus et file en trombe chez Murphy. S’il
y a bien un jour où j’ai besoin de me défouler, c’est aujourd’hui. J’ouvre la porte
violemment et vois Paddy dans son bureau. Il s’avance vers moi, mais je lève
une main d’un geste brusque.
— Pas maintenant, Paddy, déclaré-je en continuant à marcher.
Je le vois hocher la tête et se rasseoir.
Je me change, enfile mon short et laisse tomber le haut, je n’ai pas à me
cacher des yeux baladeurs des femmes ici. Tout ce qui compte ici, c’est ta force,
ta vitesse et ton endurance. Les autres s’en fichent de ton apparence et ils ne se
mêlent pas de tes affaires.
J’enroule les bandages autour de mes mains et retourne à la salle de sport pour
m’échauffer. Vingt minutes plus tard, je suis en train de mettre des coups de pied
dans un punching-ball et je sens mon agressivité remonter peu à peu à la surface.
Mon téléphone sonne et je me fige une seconde. Je ne sais pas si j’ai envie de
regarder ou pas, je ne sais même pas si un message de Pea ne suffirait pas à me
faire perdre complètement les pédales, mon calme ne tient qu’à un tout petit fil.
— Merde, grogné-je en me penchant pour attraper le portable.
Mes sourcils se froncent quand je vois que le message est de Saul.
Saul : Qu’est-ce que tu lui as dit ? Elle est effondrée.
— Quoi ? rugis-je. Elle est effondrée ? Elle ? Et il était au courant, lui ?
Je vois que les autres gars me remarquent et m’observent, mais quand je les
foudroie tous d’un regard, ils se détournent rapidement et retournent à leurs
occupations. Je les fixe tous un moment, espérant qu’on vienne me provoquer
pour pouvoir me battre et enfin relâcher toute la rage qui coule dans mes veines
à cet instant précis.
Je reste debout un moment, les bras le long du corps, je respire par le nez, ne
sachant pas quoi faire. Puis, je réponds à Saul.
Moi : Tu savais ?
La réponse est instantanée.
Saul : Tu sais bien que oui. Tu me connais. Ton cerveau y travaille et
reconstitue le puzzle en ce moment même.
Merde, au moins quelqu’un à l’air de me connaître. Je repense à la
conversation que nous avons eue au téléphone avant mon retour.
Elle a traversé beaucoup d’épreuves, plus que nous pouvons l’imaginer. Elle
n’a pas toujours réagi comme elle l’aurait dû. Tu devras peut-être oublier le
passé pour atteindre le futur que tu désires.
Il essayait de me prévenir. Je ne lui en veux pas. Je sais qu’il ne trahirait
jamais un secret. Je le connais également assez bien pour être certain qu’il l’ait
encouragée à me parler. Pourtant, ça ne pardonne pas ce qu’elle a fait.
Je secoue la tête, incrédule, et tape une réponse.
Moi : Oui, tu as raison. Je sais que tu ne me l’aurais pas dit. Mais c’est
complètement fou mon frère.
Saul : Peut-être, mais je pensais que tu réagirais mieux. Qu’est-ce que tu as
dit ?
Moi : Je me suis énervé. Je ne voulais pas. Elle croyait que je lui en voudrais
d’avoir perdu mes enfants. Après toutes ces années, c’est ce qu’elle pense de
moi.
Saul : Merde.
Moi : Ouaip.
Saul : Que faisons-nous maintenant ?
Je décide de l’appeler.
— Con.
— Je ne sais pas ce que je vais faire, Saul. Je ne sais pas. Je ne sais même pas
si je pourrais la regarder comme avant.
— Comment ça ? murmure-t-il, à l’évidence, elle est quelque part près de lui.
— Elle est avec toi ? demandé-je, mais ce n’est pas une question.
— Oui, mais elle dort dans la chambre d’amis.
Je ne m’étais pas rendu compte que je retenais mon souffle, je soupire.
— Je la regardais comme si elle était précieuse. Comme si elle avait la clé de
mon bonheur à venir dans les yeux. Ça a toujours été elle, Saul. Je me suis remis
de la période où elle refusait de me laisser lui expliquer ce qui s’était passé avec
cette histoire de tromperie. Elle m’a presque brisé… tu étais là. Tu le sais. Et
pourtant, ça… ça, c’est plus… plus grave… elle m’a juste démontré qu’après
toutes ces années, elle ne me connaissait pas du tout. Je ne sais tout simplement
pas si je pourrais encore la regarder de la même façon. Peut-être qu’elle a
réellement besoin de quelqu’un d’autre, de quelqu’un qui pourra la traiter
comme elle veut… comme elle a besoin d’être traitée.
— Con, tu ne crois pas un mot de ce que tu dis. Tu l’aimes. Tu lui pardonneras
quand tu te seras calmé et qu’elle t’aura expliqué.
— Je ne sais pas si c’est encore vrai, admis-je autant à lui qu’à moi-même.
Je l’entends s’étrangler de surprise.
— Con, tu ne peux pas honnêtement croire que tu vas la voir sous un autre
jour, à partir de maintenant. Tu ne peux pas honnêtement croire que tu
accepterais de la voir aimer quelqu’un d’autre que toi. Tu ne peux pas réellement
être prêt à abandonner ?
J’entends l’incrédulité dans sa voix et la mienne se brise quand je dis :
— Je ne sais pas si je peux encore l’aimer.
— Ne… ne fais rien. Prends le temps de réfléchir quelques jours et de décider
de ce que tu veux. Ne fonce pas tête baissée. Prends le temps mon frère et
réfléchis.
Je hoche la tête.
— Oui, d’accord.
— Tu es chez Murphy ? demande-t-il, mais il connaît déjà la réponse.
— Au moins, il y a quelqu’un qui me connaît ici. À plus tard, dis-je en
raccrochant et je laisse ce « plus tard » planer autour de moi.
Je sens les gouttelettes glisser sur mon corps, choisir le chemin à prendre, sans
savoir où elles arriveront, mais sans jamais changer de direction, déterminées et
fortes.
J’enroule la serviette autour de moi et frissonne. Cinquième jour.
Je m’assieds devant la coiffeuse et regarde le miroir. Le même miroir devant
lequel j’ai décidé de ne plus être vide et faible, de reprendre ma vie en main. De
survivre.
Maintenant, je veux encore plus. Je veux vivre.
Le seul moyen d’y arriver, c’est avec Con. Je vais le récupérer. Je vais me
battre pour son amour. Il le mérite, il s’est battu pendant plus de dix ans.
Maintenant, c’est à mon tour.
C’est là que tout commence.
Pendant une heure, je reste assise à regarder par la fenêtre, sachant ce que je
dois faire, mais pas comment réussir.
Soph passe la tête par la porte.
— Je suis tellement contente de te voir debout et en meilleure forme, même si
ce n’est que pour regarder dans le vide, habillée d’une serviette mouillée.
Elle fronce les sourcils et je pouffe intérieurement.
— Merci d’avoir veillé sur moi, Soph. Tu sais que je t’aime, n’est-ce pas ?
dis-je.
Elle acquiesce et ses yeux se remplissent de larmes.
— Pea, je veux que tu sois heureuse. Je pensais vraiment qu’il serait revenu
maintenant. Il ignore tout le monde.
Elle s’assoit sur le lit et tend la main pour prendre la mienne.
— Si vous n’y arrivez pas vous, alors quelle chance nous reste-t-il à nous
autres ? dit-elle, la voix tremblante.
— Ne t’inquiète pas, tu auras ta part de bonheur, Sophie Rawlings. C’est une
promesse, murmuré-je en l’attirant dans mes bras.
Un peu plus tard, elle sort de ma chambre et j’attrape mon portable. Après
avoir réfléchi à ce que je devais faire, je passe un appel pour confirmer que ma
destination serait ouverte ce soir.
Puis, j’envoie le message le plus effrayant de ma vie.
Moi : Brighton. Devant la mer. AbsoluteRetro. Sois là à 19 h.. J’utilise mon
dernier bon.
J’appuie sur envoyer et attends une réponse. Dix minutes et toujours rien. Je
baisse la tête et espère vraiment que Con honore ce cadeau d’anniversaire même
après toutes ces années et qu’il sera là, ce soir.
J’arrive à l’AbsoluteRetro une heure en avance, juste pour me calmer les nerfs.
Je n’ai encore jamais été aussi nerveuse dans un endroit comme celui-ci.
C’est probablement un coup bas d’essayer de le récupérer comme ça. Prendre
quelque chose qui était à nous quand nous avons commencé à sortir ensemble et
l’utiliser pour lui montrer ce que nous pourrions être à nouveau. Mais je
n’hésiterai pas à utiliser des coups bas. Mince, au point où j’en suis, je jouerai
n’importe quel coup possible pour être près de lui.
Je regarde les différentes personnes monter sur scène et chanter. J’adore
chanter, c’est tellement libérateur. Avec toutes ces émotions en moi, j’en ai
besoin ce soir. Soph a presque explosé de joie quand je lui ai exposé mon plan.
Elle voulait venir avec moi, mais je lui ai dit que c’était quelque chose que je
devais faire seule. Je devais montrer à Con qu’il méritait qu’on se batte pour lui.
Que je l’aimais, que c’était dans mes veines. Je suis déjà allée voir le manager
pour lui expliquer quelle chanson je voulais chanter un peu après dix-neuf
heures. En attendant, j’essaie de profiter de la musique et des gens qui chantent
des chansons que j’ai entendues des milliers de fois interprétées par des milliers
de voix différentes.
Je jette un coup d’œil à mon téléphone. Pas de message ou d’appel manqué,
pourtant il est 19 h 5. Je le cherche autour de moi en espérant le trouver, peut-
être qu’il ne m’a juste pas encore vue. Mes yeux filent de table en table, mais
aucun de leurs occupants n’est Con. Je fixe mon verre en tentant de ne pas
craquer, une larme esseulée s’échappe et tombe dedans. Le chanteur de Sweet
Home Alabama termine et le maigre public applaudit. Changeant de position sur
le tabouret, j’entends les premières notes d’Iris de The Goo Goo Dolls et me
fige.
Con chantait ça, quand il a réalisé à quel point chanter était important pour
moi. La façon dont je me sentais voler, libérée de toutes les émotions qui
s’accumulaient en moi. Il a fait quelque chose que toute personne vraiment
amoureuse essaierait de faire : s’impliquer. Alors, il me rejoignait. Il montait sur
scène avec moi puis avec le temps, tout seul, parfois même avec Saul, quand
nous arrivions à le forcer.
Con me chantait toujours cette chanson. À cette époque, je pense qu’il le
faisait surtout pour la première partie qui décrivait ce qu’il ressentait pour moi.
Je lève les yeux vers la scène et le vois me fixer tout en chantant, le visage dénué
de toute expression. Je pense que maintenant, c’est plutôt la deuxième partie qui
l’intéresse : que je le connaisse. Mais peu importe, il est là et je sens les paumes
de mes mains transpirer et les battements de mon cœur accélérer.
Quand la chanson se termine, la foule hurle et il vient vers moi, à l’instant
même où il atteint ma table, l’animateur appelle :
— Pearson Amberry ?
Con me regarde.
— Vas-y, dit-il en faisant un signe de la tête vers la scène.
Je carre les épaules et décide de lui montrer ce que je ressens. Je monte sur
scène, je prends le micro, ma musique commence et je ferme les yeux un instant
seulement quand je laisse s’échapper les premières notes. Puis, résolue, je les
rouvre et regarde fixement Con, espérant qu’il puisse y voir tout l’amour que
j’éprouve pour lui. Je laisse les mots de la chanson Rain de Madonna résonner et
j’espère qu’ils parviendront à briser l’armure dont il s’est entouré.
La chanson se finit tout à coup. Je descends de scène sous les
applaudissements et le rejoins. Nous nous fixons une éternité puis il lève une
main et replace une mèche de cheveux derrière mon oreille. J’attrape sa main
avant qu’il la retire.
— Je t’aime, Con. Pour toujours.
J’aperçois les muscles de sa joue bouger et je ne sais pas du tout à quoi
m’attendre.
— Il faut que nous parlions, pas ici, viens, dit-il en attrapant ma main et
m’entraînant dehors.
Nous traversons la route jusqu’au bord de mer. Alors que nous nous
approchons de l’eau, je m’arrête et tire sur sa main, il se retourne rapidement et
fait un pas vers moi.
— Tu es la seule personne à ne m’avoir jamais fait de mal, dit-il et je tressaille
à ces mots. Mais tu es aussi la seule que j’aie toujours aimée de toutes les fibres
de mon être. Tu as déjà mon passé et il n’y a pas de futur si tu n’es pas là. À mes
côtés et dans mon lit. Je veux regarder tes yeux tous les jours et voir l’amour que
j’ai pour toi s’y refléter, je veux savoir que je suis tout ce que tu veux… et tout
ce dont tu as besoin. Je ne peux pas tomber au premier obstacle et abandonner
quand tu as besoin de moi près de toi… avec toi pour te battre pour nous. Mais,
trésor, je te le dis tout de suite, tu n’as pas besoin de te battre parce que je suis à
toi. Je l’ai toujours été. Et tu es à moi. Pour toujours.
Mes larmes arrivent comme les vagues de la mer, elles vont et viennent avec
le bruissement de l’eau, et, alors que je le regarde, il les essuie de ses pouces.
— Je sais que je me suis comporté comme un crétin.
J’essaie de faire non de la tête, de lui dire que c’est moi qui ai gardé des
secrets, mais il tient mon visage entre ses mains et m’empêche de bouger.
— Oui, tu aurais dû me le dire. Oui, ça m’a blessé. Mais je m’en suis remis et,
bien que je n’aie pas été à ta place, je ne suis pas bête au point de ne pas pouvoir
reconnaître que les circonstances prennent parfois le dessus sur une situation
particulière. Bien sûr, j’attends de toi que tu sois honnête à partir de maintenant,
mais je n’ai pas besoin de te le demander parce que je sais que tu le seras. Ce qui
m’a demandé du temps à pardonner, c’est que tu aies cru que je serais en colère
ou te tiendrais responsable pour les fausses couches. Je n’ai pas géré ça
correctement. Après réflexion et quelques messages de Saul m’ordonnant
d’arrêter de jouer les trous du cul, j’ai réalisé que ce n’était pas de ma réaction
dont tu avais peur… pas vraiment. En réalité, ce sont tes propres peurs que tu
projetais sur moi. Tu te sens responsable, depuis le début.
Il arrête de parler quand un sanglot me secoue et je baisse la tête. Il m’a
toujours si bien comprise et cette conversation est pour le moins douloureuse. Il
me prend dans ses bras et reprend, le visage dans mes cheveux.
— Ce que tu dois comprendre, c’est que ce n’est pas ta faute. Il nous arrive
des merdes et quelqu’un en paie toujours le prix. Je t’aimerai toujours comme
mon autre moitié, comme la mère de ces enfants que je ne connaîtrai jamais.
Il me rattrape quand mes jambes cèdent et il nous assoit tous les deux sur les
galets avant de me tirer sur ses genoux. Nous restons là en écoutant la mer et les
pleurs qui m’agitent doucement, il caresse mon dos et me tient contre lui.
Les yeux pleins de larmes, je le regarde.
— Tu es tout ce dont j’ai besoin pour être libre. Tu illumines toutes mes parts
d’ombres et tu me complètes. Je t’aimais et je t’aimerai… toujours.
— C’est tout ce que j’ai toujours souhaité, trésor. Ici, maintenant, j’ai tout ce
que je désire entre mes bras et je ne te lâcherai jamais… je t’en fais la promesse.
Épilogue
Je peux sentir le sol dur et froid sous mes genoux. J’aurais dû installer un tapis
ici il y a des années. Je ne supportais tout simplement pas l’idée de toucher à
quoi que ce soit. Je ne voulais pas m’en occuper avant.
Et maintenant ?
Eh bien, maintenant, j’en suis à la dernière pièce du puzzle de la reprise en
main de ma vie.
Nous sommes maintenant fin janvier, Con et moi sommes ensemble depuis
trois mois, notre relation est plus que solide, au point qu’il vit chez moi. C’est
rapide, nous en avons conscience, surtout après tout ce qui s’est passé, mais nous
en avons discuté. La vie nous a mis face à des situations pourries. Le genre de
situations qui vous testent vraiment et vous font réaliser que la vie est fragile et
qu’elle ne dure pas toujours. Le temps est parfois un ennemi. Con et moi avons
fait de la route, ensemble, mais aussi séparément. Nous savons qui nous sommes
et nous savons ce que nous voulons. Il a donc insisté pour que nous vivions
ensemble et je ne voyais pas de raison de ne pas le faire. Malgré tout, on parle de
moi ici et je ne l’ai pas laissé vendre sa maison. Pas encore. Je lui ai dit que si
nous étions encore ensemble dans un an – et nous le serons, il ne m’échappera
plus… jamais – alors il aura ma permission de la vendre. Mais, honnêtement, je
pense que ça ne me dérangerait pas s’il la vendait demain.
Soph est toujours là. Nous avons passé un Noël magnifique. Au matin, il n’y
avait que Con et moi, puisque Soph voulait faire la grasse matinée. Je pense
qu’elle voulait simplement nous laisser passer du temps seuls. Nous avons
ouvert les cadeaux et je me suis étranglée en voyant que Con m’avait acheté un
magnifique médaillon. Je veux croire qu’il est en argent. C’est probablement du
platine, mais j’ai décidé de ne pas demander parce que je sais que je lui
reprocherais d’avoir dépensé autant d’argent pour moi et ce n’est pas quelque
chose que l’on aime entendre à Noël. Le médaillon est rond avec une étoile
gravée sur le devant. En l’ouvrant, l’émotion m’a submergée devant les deux
magnifiques visages pleins d’amour en photo à l’intérieur. Maman d’un côté, et
de l’autre Grand-mère.
— Regarde derrière, avait dit Con, un bras autour de mes épaules.
J’avais retourné le médaillon et lu l’inscription gravée sur la surface lisse.
« Nous veillons toujours sur toi », et à ce moment-là, les larmes avaient
commencé à couler.
Plus tard dans la journée, Soph nous avait fait l’honneur de sa présence et Saul
et Dane étaient arrivés. Nous avons passé le reste de Noël ensemble. Comme il
se doit. En famille.
Je touche mon médaillon et fixe la boîte, ça m’aide à me sentir plus calme de
savoir qu’il est autour de mon cou et qu’elles sont avec moi.
Je prends une profonde inspiration et retire prudemment la couverture de
Grand-mère de la boîte. Je lis ce qui est inscrit sur le bois sombre du coffret.
Mon bébé. Puisse la lumière toujours éclairer ta vie et l’amour ton cœur. Ta
maman qui t’aimera toujours.
J’inspire difficilement, en essayant de ne pas craquer. Mais je sais déjà que
c’est perdu d’avance.
Je soulève le couvercle et le parfum de ma mère m’assaille. Je regarde à
l’intérieur de la boîte et mes yeux caressent toutes ces choses auxquelles j’ai
essayé de ne pas penser pendant si longtemps. Attrapant le premier papier de la
pile, je m’assieds et lis.
Une femme et un homme de vingt-six ans ont été emmenés à l’hôpital après la
collision d’une voiture et d’une camionnette dans le quartier de Kentish Town
cet après-midi.
Les services ambulanciers de Londres ont été appelés sur les lieux un peu
avant 18 h 40.
Les pompiers étaient également présents pour extraire l’homme de la voiture.
J’arrête de lire et me concentre plutôt sur la photo de la voiture de Saul,
écrasée et broyée, entourée de deux voitures de police. Un frisson me traverse en
repensant à ce qui est arrivé et à ce qui aurait pu se passer. Je remercie le
Seigneur de l’avoir sauvé ce jour-là. J’inspire profondément, froisse le bout de
papier entre mes mains et sens un poids me quitter.
Ensuite, je sors la source de l’odeur qui s’échappe de la boîte. Le parfum que
ma mère utilisait tout le temps. Je le respire, ferme les yeux et laisse mes
souvenirs d’elle courir dans ma tête avant de sourire.
Je le dépose sur le côté, décidant de le mettre sur ma coiffeuse pour toujours
me souvenir d’elle quand j’ai besoin d’être forte. Puis je sors le parfum de ma
grand-mère et je sais déjà que je ferai la même chose avec. Pour les jours où j’ai
besoin de penser à son amour autour de moi.
J’attrape la petite pile de photos et les regarde toutes. Elles sont de ma mère et
moi, de Grand-mère et moi… de nous trois. Tout le monde est heureux et sourit.
L’amour brille au fond de nos yeux.
Le cliché suivant me coupe le souffle et je passe automatiquement une main
sur ma poitrine, m’attendant à ressentir de la douleur comme chaque fois que je
la regarde, mais cette fois-ci, il n’y a rien. C’est Con et moi. Il a été pris le jour
de mes dix-huit ans. Saul, Con, Soph et moi étions sortis dîner et étions ensuite
allés au karaoké. Classique. Ce n’était pas vraiment différent de nos soirées
habituelles, nous sortions manger et chanter au moins une fois par semaine.
C’était devenu notre rituel. Mais nous ne prenions pas des centaines de photos.
Cette nuit-là, pourtant, Saul avait décidé de jouer les photographes. Il étudiait le
sujet à l’université et emportait son appareil partout ou presque, et il avait passé
la soirée à prendre des clichés.
Je suis sur scène, en train de chanter, mais sur cette image, je suis en retrait,
c’est Con qui est au premier plan et c’est lui qui intéressait Saul. Con n’en savait
rien. Je le subjuguais complètement. Ça se voyait sur son visage. On pouvait y
lire l’histoire d’un garçon captivé par la fille qu’il regardait. Il me fixait avec tant
d’amour, de passion et de fierté, c’était tout simplement incroyable.
Saul me l’avait donné en me disant :
— Si tu as un jour un doute, regarde cette photographie. Son amour pour toi
est intemporel, ma puce.
Je serre l’image contre ma poitrine, émerveillée que ce garçon m’aime autant.
Qu’il m’aime encore et qu’il m’ait aimée chaque seconde depuis, jusqu’à
devenir l’homme qu’il est aujourd’hui. Je place la photographie sur le haut de la
pile. Je sais déjà ce que je ferai ce week-end : j’irai acheter des cadres et
j’accrocherai toutes ces photos sur le mur, comme j’aurais dû le faire depuis le
début, pour que le monde puisse les voir.
La boîte est maintenant presque vide et je ne sais pas trop quoi sortir ensuite,
ce qui reste est douloureux.
J’opte pour la lettre et fixe sa simple enveloppe blanche sur laquelle est écrit
Pearson de la main de ma mère. Je sors la lettre, soudain déterminée quand je
l’ouvre et commence à lire.
Pearson,
Mon bébé, je sais que quand tu recevras cette lettre, il te sera peut-être
difficile de la lire. Je ne sais pas quel âge tu as aujourd’hui. J’ai dit à Grand-
mère de te la donner quand elle te jugera prête.
J’ai été absente pour tant de choses dans ta vie et j’en manquerai encore tant
d’autres. Je suis désolée, mon bébé. Je suis tellement désolée de ne pas avoir pu
être là pour chaque genou écorché ou pour ton premier chagrin d’amour. De ne
pas pouvoir rencontrer l’amour de ta vie et être à tes côtés le jour de ton
mariage. Je suis désolée de ne pas avoir l’occasion d’être une bonne grand-mère
pour les enfants que tu auras peut-être.
Je suis surtout désolée de te laisser presque sans famille. Je sais que Grand-
mère ne sera pas toujours là et que tu te sentiras probablement seule. Je te
promets que tu ne le seras jamais vraiment. Je te promets que je veillerai
toujours sur toi. Je sais que tu seras forte. Tu dois faire face à la vie, toujours
être courageuse, ma chérie.
Je veux que tu saches que tu es mon miracle. Tu es ce qui me rend la plus fière
au monde. Tu m’as sauvée et je t’aimerai toujours, où que j’aille.
Vis mon bébé, vis chaque jour comme le dernier… vis pour moi, vis pour toi et
aime passionnément.
Je serai toujours fière de toi. Tu es ce qui a fait de ma vie quelque chose de
spécial.
Je t’aime,
Maman
Mes mains tremblent quand je remets la lettre dans l’enveloppe et les larmes me
montent aux yeux. Je repose la lettre dans la boîte, j’ai décidé qu’au lieu d’en
avoir peur, je chérirai ce coffret et y garderai mes plus précieux souvenirs, ceux
qui n’appartiennent qu’à moi ou à Con ou à nous deux. Ceux que nous ne
voulons garder que pour nous.
Quand j’arrive aux deux derniers objets de la boîte, je suis forcée de prendre
quelques minutes pour réunir mon courage avant de les prendre. Je jette un coup
d’œil aux escaliers, sachant que Con sera bientôt à la maison, je mets
inconsciemment les mains sur mon ventre. Elles tremblent toujours quand je
ramasse les images.
Deux images.
Sur l’une d’entre elles, il y a deux bébés et sur l’autre, un seul. Les images
sont noires et de mauvaise qualité, si je ne les avais pas fixées toutes ces heures
durant, je ne pourrais pas y retrouver les bébés. Je tiens chaque échographie dans
une main. Mon regard glisse de droite à gauche et les larmes débordent et
cascadent sur mes joues. Je ne fais pas de bruit. J’ai tellement pleuré pour eux,
ces bébés qui devraient être ici, avec moi aujourd’hui.
J’entends la porte s’ouvrir et je sais que Con est rentré.
— Pea, où es-tu, trésor ? appelle-t-il tandis que la porte claque et je l’entends
aller de pièce en pièce pour me trouver.
Je ne peux pas ouvrir la bouche et essayer de stopper mes larmes en même
temps.
— Pea ?
Sa voix est plus proche et puis, je l’entends mettre un pied sur l’escalier. Il me
trouve agenouillée par terre, entourée de souvenirs, des larmes plein le visage. Il
s’installe à côté de moi et m’entoure de ses bras.
— Qu’est-ce qui ne va pas ? demande-t-il, puis ses yeux se posent sur les
échographies et il se raidit.
Je ne les lui ai jamais montrées. Je n’ai pas ouvert cette boîte depuis
longtemps.
— Est-ce que c’est…
Sa voix se perd. Il n’a pas besoin de demander, il sait déjà ce que c’est, mais je
hoche tout de même la tête.
— Oh bébé, soupire-t-il, mais je distingue la tristesse dans sa voix.
Il n’y a rien d’autre à dire et nous restons assis, dans les bras l’un de l’autre,
une éternité. Nous fixons les échographies et il me berce doucement d’avant en
arrière.
Il brise soudain le silence.
— Nous en aurons d’autres. Nous en aurons assez pour faire toute une équipe
de foot.
— Pourquoi de foot ? demandé-je.
— Eh bien, parce que je ne veux que des garçons, trésor.
— Et pourquoi ça ? hurlé-je presque.
— Je ne veux pas de fille qui te ressemble. J’ai déjà assez de mal comme ça à
m’occuper des connards qui te tournent constamment autour !
Je ris.
— Je ne plaisante pas, bébé, réplique-t-il, ce qui me fait rire encore plus fort et
je vois le coin de ses lèvres tressauter.
— Eh bien, tu vas être bien embêté si c’est une fille alors, n’est-ce pas ?
Il sursaute et me regarde.
— Pea ?
Je me penche en avant et tire la photo de l’échographie de la poche arrière de
mon jean.
— Papa, je te présente bébé, dis-je et ses yeux s’agrandissent et parcourent
rapidement chaque centimètre de l’image.
Il ne dit rien et j’essaie de briser le silence en espérant qu’il n’entendra pas
l’inquiétude dans ma voix.
— Je ne sais pas trop comment c’est arrivé. J’ai un stérilet, mais je suppose
que rien n’est efficace à cent pour cent. Je ne l’ai réalisé qu’il y a quelques jours,
mais l’hôpital ne voulait pas me réserver une place pour l’échographie tant qu’ils
ne savaient pas depuis quand j’étais enceinte et je ne voulais pas que tu rates la
première. J’ai demandé au médecin de permanence aujourd’hui si elle ne pouvait
pas m’en faire passer une pour savoir à peu près depuis quand j’étais enceinte et
elle m’a donné ça. Je me suis précipitée à la maison pour te montrer, mais tu
étais encore au travail, alors je t’ai attendu et j’ai décidé qu’il était temps de faire
le tri dans cette boîte. Elle me hante depuis trop longtemps, mais je crois que ce
ne sera plus un problème dorénavant.
Soudain, mes bavardages sont interrompus quand je recule tandis que Con se
jette sur moi et me serre fort contre lui.
— Je t’aime Pearson. Je t’aime parce que tu t’es battue et que tu as cru en
nous.
Il reprend son souffle et murmure :
— Parce que tu fais de nous une famille.
— Joyeux anniversaire, Con, lui dis-je.
À propos de l’Auteur
Je suis la maman de deux belles filles – les deux aimant les livres autant que moi – qui travaille à temps
plein.
Je suis né à Londres et j'ai déménagé à Wiltshire avec mon mari en 2004.
J'écris depuis que je suis petite et ne peux pas imaginer un moment où je ne penserais pas à de nouvelles
histoires et aventures.
En 2014, j'ai commencé à écrire Le reflet de l’amour. Je n'avais pas l'intention de la publier, je suivais
simplement une histoire que les personnages tissaient dans ma tête. Lorsque l'histoire fut complète, je me
suis rendu compte que ces personnages n'allaient jamais se taire. Au lieu de cela, ils ont continué à pousser
des mots dans mon cerveau, souvent au milieu de la nuit ou quand je conduisais, ce qui m'a amené à
recourir à des manières étranges de prendre des notes !
J'ai publié Le reflet de l’amour en mars 2015. Depuis, je continue à écrire et à publier, car les nouvelles
histoires ne cessent de croître.
Mis à part ma famille, la lecture et la musique sont mes autres passions après l'écriture, et vous trouverez
toujours une playlist attachée à chacun de mes livres. Si vous vous connectez à ma page Spotify, vous
pouvez récupérer mes listes.
J'essaie d'être aussi active que possible sur les médias sociaux, donc vous pouvez généralement m'y trouver.
Vous pouvez également m'envoyer un courriel. Il suffit de passer à la page 'contactez-moi'.
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en réalité.
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Résumé
Que se passe-t-il quand vous trouvez l’amour de votre vie, puis vous le perdez ?
Pearson Amberry a perdu le seul homme qu’elle ait aimé de toute sa vie. Depuis
de nombreuses années, elle a des secrets qu’elle n’a jamais partagés avec
personne. Tombant dans une spirale descendante dont elle ne peut pas sortir, sa
vie est rapidement en train de ne devenir qu’une survie. C’était jusqu’à ce qu’un
nouvel homme entre dans sa vie. Un homme avec ses secrets, et quand l’amour
de sa vie revient inopinément, elle sait qu’il est temps de se purifier.
Conner McKenna s’est retiré lorsqu’il a blessé Pearson. Il est parti dans un autre
pays quand son travail l’y a entraîné, même s’il ne le voulait pas. Après des
années à essayer d’être son ami et voulant être de retour dans son lit, il décide
que trop c’est trop. Lorsqu’un de leurs amis est attaqué, il se rend compte que la
vie est trop courte et qu’il doit remuer ciel et terre afin de tenter de regagner son
cœur. Cependant, quand il comprend la vérité, sera-t-il capable de la gérer et
pourrait-il encore regarder Pearson de la même manière ?
Qu’arrivera-t-il lorsque les secrets seront révélés et que les émotions se
multiplieront ? Peuvent-ils dépasser leur passé et reconnaître l’amour reflété
dans l’autre ?
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autres titres parus chez
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Avertissements
Dédicace
Chapitre Un
Chapitre Deux
Chapitre Trois
Chapitre Quatre
Chapitre Cinq
Chapitre Six
Chapitre Sept
Chapitre Huit
Chapitre Neuf
Chapitre Dix
Chapitre Onze
Chapitre Douze
Chapitre Treize
Chapitre Quatorze
Chapitre Quinze
Chapitre Seize
Chapitre Dix-Sept
Chapitre Dix-Huit
Chapitre Dix-Neuf
Chapitre Vingt
Chapitre Vingt et Un
Chapitre Vingt-Deux
Chapitre Vingt-Trois
Chapitre Vingt-Quatre
Épilogue
À propos de l’Auteur
Résumé