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Tome I
Ce livre est une fiction. Toute référence à des événements historiques, des comportements de personnes
ou des lieux réels serait utilisée de façon fictive. Les autres noms, personnages, lieux et événements sont
issus de l’imagination de l’auteur, et toute ressemblance avec des personnages vivants ou ayant existé
serait totalement fortuite.
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Tous droits réservés, y compris le droit de reproduction de ce livre ou de quelques citations que ce soit,
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les jeux-concours
Lips&Roll Editions
Blandine C.
Table des matières
Prologue
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Biographie de l’auteur :
Dehors, le ciel est sombre et les nuages sont si noirs qu’ils créent une
atmosphère tendue.
— Détends-toi, bébé. Elle ne reviendra pas avant des heures. Nous avons tout
le temps.
— Éloigne-toi !
— Va-t’en ! je réitère.
— Restez loin !
— Non !
— Princesse, calme-toi.
— Sierra, écoute-moi…
Sa voix n’est que douleur quand elle me parvient, mes mains se plaquent
contre mes oreilles et je m’accroupis sur le parquet du salon. J’ai mal, Dieu ce
que c’est douloureux ! Stop, juste stop ! C’est comme si mon cœur explosait en
mille morceaux ; les deux personnes que j’aime le plus au monde viennent de
me trahir.
Merde !
Mes pieds ancrés dans le sol, je cogne le sac de frappe de toutes mes forces.
Comment ont-ils pu me faire une telle chose ? Pourquoi à moi ? Je ne suis ni la
sœur ni la petite amie la plus merveilleuse du monde, mais je ne pense pas
mériter ça. Mes jointures s’écrasent férocement contre l’épais revêtement
synthétique, je prends de l’élan et recommence. La rage se mélange à la
tristesse tandis que mes poings serrés sont propulsés contre le sac. Les larmes
menacent de couler, mais je les refoule alors que les souvenirs douloureux
m’assaillent. Ceux remontant à quelques heures seulement ; les pires de ma vie.
Bordel !
Des larmes coulent sur mes joues lorsque j’enveloppe mes poings dans un
bandage. Une chose est sûre, je vais avoir mal pendant un certain temps.
Par instinct, je balaye la salle de gym d’un regard circulaire. Il fait sombre et
la nuit commence à tomber ; il est temps pour moi de partir.
Chez Jaxon ?
Mes amis ?
Je les ai tous laissés quand j’ai appris qu’ils savaient tout depuis longtemps
et qu’ils ne m’ont rien dit. En quelques heures à peine, j’ai perdu mes amis et
deux êtres qui m’étaient chers. Il me reste la famille, certes, mais impossible
d’aller chez papa, je le déteste toujours pour nous avoir abandonnées. Et
maman, la dernière fois que je l’ai vue, c’était à l’aéroport, elle partait pour le
Mexique. Je suis foutue…
Je pense que la question la plus urgente que je dois me poser est : où vais-je
aller maintenant ? Je n’ai plus rien. Plus de maison. Plus d’amis. Aucune
famille. Plus de petit ami et plus de sœur. Je ne pense pas être déjà tombée aussi
bas un jour. Je veux briser leurs cœurs comme ils ont brisé le mien, ils le
méritent après tout, n’est-ce pas ? Après ce qu’ils m’ont fait…
J’essuie les gouttes et les larmes qui ruissellent sur mon visage. Un
sentiment amer court à l’intérieur de mes veines, faisant bouillir ma colère.
Comment ont-ils pu me faire une chose pareille ? Me laissant seule comme une
idiote…
Une voiture passe à vive allure un peu trop près de moi et envoie une flaque
d’eau droit sur moi. Je suis noyée, mais trop fatiguée pour me soucier de ça.
J’agrippe mes sacs et marche vers ma destination, le Joe’s, un motel dans une
petite rue pas très loin d’ici.
Ce bâtiment est plus vieux que mes grands-parents et la façade est loin d’être
attirante, mais les chambres sont assez bon marché. J’entre dans le hall
d’entrée qui ressemble beaucoup à celui d’un film d’horreur ; l’éclairage est
faible et le papier peint jauni sur les murs se décolle par endroit. Je dépose mes
sacs dans un coin et m’avance vers la réceptionniste. Elle doit avoir environ
vingt-cinq ans et à l’expression de son visage, je comprends qu’elle aimerait
être partout ailleurs plutôt qu’ici.
— Combien de nuits ?
— Juste celle-ci.
Elle m’observe encore dix secondes avant de soupirer, de saisir une clé et
me la donner.
Personne ne m’aide avec mes sacs, donc je continue à me débattre avec dans
les escaliers. Quand j’ouvre la porte, je reste un instant sans bouger, ce n’est
pas si horrible. OK, je plaisante, cette fois, je suis vraiment dans un film
d’horreur. Une forte odeur de moisi embaume l’air, me donnant mal à la tête.
L’unique ampoule au plafond clignote et me donne des frissons, sans parler
des murs humides. Il n’y a rien hormis un lit et une table de chevet, la moquette
est pleine de poils.
Les cours commencent dans une demi-heure, donc je renonce à mes sacs (je
ne peux pas débarquer dans la salle avec mes bagages sous le bras, la dernière
chose que je veux, c’est attirer l’attention) et les dépose sous un arbre dans la
cour. En espérant que personne ne me les vole… Bon, et puis, il n’y a rien de
valeur à l’intérieur. J’en retire cependant mes 20 $, ma carte du self, ainsi que
mon portable et y laisse une montre que Jaxon m’a offerte pour mon
anniversaire il y a deux mois. Ils peuvent bien la prendre, je m’en fiche.
Soudain, je suis frappée par une pensée qui me dérange. Jaxon et Bérénice
pourraient être sur le campus eux aussi. Je sais qu’elle a cours aujourd’hui. Ils
m’ont laissé des messages vocaux sur mon téléphone, me disant de revenir à la
maison afin de discuter. Après un certain temps, j’ai finalement supprimé tous
leurs messages et ai éteint mon portable.
Je garde la tête baissée et tire sur mon sweat-shirt bleu marine, cachant mes
cheveux blonds et sales. Je suis encore seule dans la grande salle et en profite
pour vérifier l’état de mon visage grâce à l’application miroir de mon
portable. Plus aucun doute possible, je suis horrible. Il n’y a rien à faire pour
mon apparence, tant pis, je ferai avec. Je range l’appareil dans ma poche
ventrale et me saisis de mon bloc-notes et de quelques stylos. Pourquoi je me
suis inscrite à ce cours déjà ? Ah oui ! Même si l’histoire n’est pas vraiment
mon truc, c’est suffisamment intéressant pour capter un peu mon attention.
Bérénice m’a suggéré de reprendre astronomie comme elle, mais je déteste
regarder les étoiles. On dirait que j’ai bien fait de refuser.
Peu à peu, la salle se remplit d’élèves et la plupart des places sont désormais
occupées. Je garde le siège à ma droite pour mon partenaire dans ce cours.
Quand il me voit, il sourit et se glisse à côté de moi.
Brent Jacobs s’est assis à côté de moi tout au long du semestre. Je ne nous
appellerais pas des amis proches car nous sommes juste des gens qui partagent
des notes ou plus précisément, il partage ses notes avec moi. Il est toujours
parfaitement habillé, la plupart du temps d’un polo assorti à un jeans sombre
comme aujourd’hui. Ses cheveux sont courts et bruns et dissimulent ses petites
lunettes carrées.
— Oh mon Dieu, je ricane. Attends, j’en ai une pour toi : je me sens perdue.
Brent rit et ses yeux descendent vers mes bras avant d’atterrir sur mes
phalanges abîmées. Tout l’humour qu’il y avait dans son regard le quitte aussi
vite qu’il est venu.
— J’ai rompu avec mon copain, d’accord ? je dis un peu trop durement. Il
m’a trompée avec ma sœur et hors de question maintenant de reposer un pied
dans cet appartement. Et hier, j’avais besoin de me défouler alors j’ai frappé le
sac de la salle de gym où je travaille.
Il pose sa main sur la mienne.
Je perçois une pointe de tristesse dans sa voix et comprends alors qu’il est
vraiment sincère, bien plus que ceux que je considérais autrefois comme mes
amis. Ils savaient tous pour Jaxon et Bérénice et personne n’a pris l’initiative
de me le dire. J’étais tellement furieuse contre eux, ils ont essayé de se
défendre me disant qu’ils pensaient que j’étais au courant. C’est la dernière fois
que je leur ai parlé. Apparemment, pour eux, c’était une évidence et ils ne
savent pas comment j’ai pu ne rien voir pendant tout ce temps.
— Je suis allée chez Joe’s la nuit dernière, mais je pourrai pas faire ça
indéfiniment. Je vais essayer d’avoir une chambre sur le campus…
— Je suis dans les dortoirs moi, mais ils sont tous pleins.
— Tu es sûr ?
— Ne dis pas ça, j’ai un ami qui pourrait te louer une chambre. Il vit juste à
côté, tu devrais essayer.
Il sourit en retour.
Oh, il vaut mieux ! J’ignore si je survivrai une nuit de plus dans ce motel
miteux. Quand le cours se termine, j’entre l’adresse que m’a donnée Brent dans
l’application GPS de mon téléphone. Brook Commons n’est pas très loin d’ici,
c’est à seulement sept minutes du campus.
Je monte doucement les escaliers en bois blanc quand soudain, alors que
j’atteins le palier du second étage, j’entends des talons cliqueter en dessous de
moi. Je me penche par-dessus la rambarde et jette un œil en bas pour
apercevoir une touffe de cheveux blonds et brillants. Une jeune femme sort de
son appartement, un portable écrasé contre son oreille.
La fille finit par se rendre compte qu’elle parle si fort que les voisins
peuvent l’entendre, alors elle baisse le ton. Elle met fin à son appel et continue
de gravir les escaliers. Une fois à ma hauteur, la blonde me regarde. Elle pense
probablement que je l’écoutais. Génial… je me fais des ennemis avant même
de vivre ici !
— Excusez-moi, je murmure.
Elle sourit.
— Je veux dire… j’ai entendu dire que Kayden Williams louait une
chambre, alors…
Son sourire apparaît à nouveau et je remarque qu’elle est assez jolie. Ses
cheveux sont mi-longs et d’un blond presque identique au mien, son visage est
fin et harmonieux. Je donnerais tout pour avoir des jambes aussi longues et
aussi fines que les siennes !
Je prends une profonde inspiration face à la grande porte en bois, j’ai besoin
de me calmer. OK, je me suis fait une amie, c’est déjà un bon point. Allez, je
peux le faire, si je sonne avec un énorme sourire sur le visage, il ne me
résistera peut-être pas. J’espère juste que ce n’est pas un meurtrier à la hache…
Je rassemble mon courage et toque. Rien. Silence total. J’attends encore deux
minutes, puis, quand je me rends compte que personne ne va ouvrir, je saisis à
nouveau mes sacs. Mais juste au moment où je me retourne pour partir,
j’entends de la musique résonner de l’intérieur et des pas se rapprocher. La
porte s’ouvre si violemment que je recule d’un pas. Celui qui doit se
prénommer Kayden se tient maintenant devant moi. Ses yeux gris se durcissent
lorsqu’il me voit. Sa mâchoire se contracte et son regard glisse du haut vers le
bas de mon corps. Même s’il a l’air en colère, je suis déconcertée par sa
beauté. Il est vraiment beau, pas beau dans le sens joli garçon, non, plutôt ultra
canon. Il est musclé et ses bras sont couverts de tatouages dont j’ignore la
signification. Son visage me fait fondre sur place, ces iris gris brûlants, cette
mâchoire parfaitement définie et ces lèvres pleines. La perfection n’est pas
loin. Ses cheveux noirs sont courts, mais suffisamment longs pour tomber sur
son front. J’aperçois encore des tatouages à travers son t-shirt blanc.
Ressaisis-toi, Sierra !
— Je suis Sierra Lane. Brent, un ami, m’a envoyée ici, je recherche une
chambre à louer. C’est ici ?
— Oui.
Il réfléchit avant de répondre :
— Non.
Je ris nerveusement.
— Non ?
— Ouais, non.
— Pourquoi ?
— Je suis désolée, mais c’est ce que je viens de dire qui vous fait rire ?
— Je suis sur les nerfs, je viens de baiser et ça s’est mal terminé, se défend-
il. Cette chambre est bien à louer, mais il n’y a aucun moyen pour que je
partage mon appartement avec toi.
Je le déteste.
Jamais on ne m’avait parlé aussi mal, pas même Jaxon. Comment est-ce
qu’il peut dire que je vais lui causer des problèmes alors qu’il me voit pour la
première fois ?
— J’ai pas besoin de te connaître pour savoir que tu vas m’attirer des
problèmes. Tu ne resteras pas, fin de la conversation.
Je cligne des yeux. Cette fois, c’est définitif, je suis en enfer ! Quel connard !
Je ne peux pas croire que je viens de perdre un logement à cause du caractère
de merde du proprio. Je pensais vraiment rester ici, fait chier ! Je m’y voyais
déjà ! Maintenant, retour à la case départ. Comment je vais faire ?
Adossée au mur du couloir, je me laisse glisser jusqu’au sol. Je devrais
continuer de chercher, mais trouver un autre endroit où me loger me prendra
des jours. Que ferai-je en attendant ? Je suis désespérée et n’ai pas d’autre
choix que retourner chez Joe’s pour ce soir et sûrement pour les prochaines
nuits aussi, d’ailleurs… Une offre va bien se libérer, non ?
Je marche d’un pas décidé vers la salle de gym, mes phalanges sont
beaucoup moins douloureuses, je peux donc retoucher au sac de boxe. Dès lors
que je passe les portes de la salle, je me sens beaucoup mieux. Le gymnase des
Fighters est ma maison plus que n’importe quel autre endroit. Je m’entraîne ici
depuis plusieurs années et puis, j’ai décidé de prendre un emploi ici comme
entraîneur. C’est Jaxon qui m’a initiée à ce mode de vie. Jaxon est un boxeur
professionnel et il passait beaucoup de temps dans cet endroit. D’abord, je
n’avais pas compris pourquoi il aimait autant se battre avec les gens, puis,
pendant trois ans il m’a entraînée et j’ai appris à repousser mes limites. Après
ça, les choses ont changé. Il y a un sentiment qui vous envahit lorsque vous êtes
ici, l’adrénaline court dans vos veines, vous faisant sentir vivant. Votre cœur
est une bombe à retardement, comptant les secondes avant que vous ne soyez
sur le terrain. C’est le rêve.
Dans l’entrée, je salue Julien, le propriétaire, qui est installé sur un tabouret
derrière le comptoir, et sors une bouteille d’eau ainsi qu’une serviette de mon
sac. Les mains sur les hanches, je scrute la pièce, ce n’est pas la plus grande
salle de la ville, mais c’est définitivement la plus équipée.
— Non, la salle est déserte, je ne sais pas pourquoi. Tu n’es pas obligée de
rester.
— Pourquoi ?
— Bien sûr.
Hein ?
Et là, c’est comme si tout mon sang avait quitté mon corps.
— Ouais, tu le connais ?
— Et un très bon même, presque aussi bon que Jaxon ! Ils ont combattu
ensemble durant la finale, tu te souviens ? Tu connais le résultat.
Je baisse les yeux, bien sûr que je sais, Jaxon a gagné. Il est incroyablement
talentueux. Mon admiration pour lui se renforçait chaque fois que je le
regardais sur le ring. Maintenant, ça me donne juste la nausée. Pour une raison
étrange, je me sens mal pour Kayden. Je me rappelle finalement de lui à
présent. Je l’ai vu au cours de cette dernière lutte avec Jaxon. Certes, je ne lui
avais pas accordé beaucoup d’attention, mais je me souviens parfaitement
comment s’est terminé le combat. Jaxon a envoyé un coup de coude sauté à
Kayden qui s’est effondré sur le sol. C’était un match très brutal que mon ex
aimait raconter. Soudain, tout commence à se mettre en place. Un plan se
forme rapidement dans ma tête et je suis tellement excitée que je commence à
sautiller sur place.
— Euh… Sierra ?
— Merci !
— À plus Julien !
— Où tu vas comme ça ?
**
Après une douche dans ce motel miteux, j’enfile un haut noir et une paire de
jeans. J’attache mes cheveux en une queue de cheval haute et saute dans un taxi.
J’arrive devant Breaking Point avec dix minutes d’avance. Je me tiens devant la
salle située derrière une allée sombre et humide ; un endroit comme on en voit
que dans les films d’horreur. Je marche jusqu’à une porte en métal et tape trois
fois. Une petite trappe s’ouvre dans le métal et une paire d’yeux menaçants me
fixent.
— Mot de passe.
— Chat noir.
Le sous-sol est tellement grand qu’il peut accueillir au moins deux cents
personnes. Ce soir, plusieurs boxeurs s’affrontent et l’odeur de leur sang,
mélangée à la sueur, flotte dans l’air. Un épais brouillard de fumée a envahi les
lieux et je joue des coudes pour fendre la foule des supporters qui hurlent des
numéros et des noms. Des mains s’extirpent de cette masse mouvante et
brandissent des liasses de billets, certainement pour les paris.
Après avoir navigué difficilement dans cette marée humaine, j’atteins enfin
le ring. Ce n’est pas le plus beau de tous, on dirait même qu’il a été mis en
place assez rapidement, mais c’est aussi un atout : si la police débarque, il sera
démonté en deux temps trois mouvements afin de ne laisser aucune trace.
— Désolé, je...
— Attends… quoi ?
— Si vous n’avez pas encore pris vos paris, qu’attendez-vous ? Une fois que
les mecs seront sur le ring, ce sera fini ! Aucun échange n’est accepté une fois
le combat commencé ou bien je demande à l’un des gars de vous botter le cul.
Il hoche la tête.
— Mes parents l’ont adopté il y a quatre ans, quand il avait seize ans.
— Oh.
— Et sur votre droite, nous avons celui que tous redoutent, votre numéro un,
Kayden le Killer !
Josh fait le premier pas ; assez audacieux le débutant ! La plupart des novices
qui viennent s’entraîner sont incapables de frapper plus fort et de bouger plus
vite lorsqu’on leur demande, peut-être par peur. Habituellement, ils manquent
de confiance, mais pas ce type.
Le Killer est bon, bien qu’il baisse trop souvent sa garde, mais sa rapidité
pour frapper compense son point faible. Je pense qu’il a encore beaucoup à
apprendre, même si c’est évident qu’il est fait pour la boxe.
La foule a les yeux rivés sur lui et tous semblent ébahis par les
performances du compétiteur.
On peut entendre le son des os qui se brisent, mais je ne m’en soucie pas,
tant que ce ne sont pas ceux de Kayden ; après tout, c’est sur lui que j’ai parié et
j’ai trop besoin de lui pour le moment.
Il porte coup de poing sur coup de poing tandis que Josh tente tant bien que
mal de se défendre. Kayden esquive la paire de son adversaire et le frappe avec
force droit dans l’estomac, ce qui envoie l’autre voler directement au sol.
Maintenant, je comprends pourquoi il est surnommé le Killer. Il ne s’arrête
pas, même quand l’homme en face de lui est étendu au sol. Il continue de le
frapper encore et encore, partout sur son corps, ses bras, sa poitrine, son buste.
Puis, Josh se met à crier et son adversaire s’immobilise enfin. Le mec au
mégaphone saute sur le ring.
Merde !
J’acquiesce.
Brent et moi tissons notre chemin à travers la foule en délire. Nous entrons
dans un couloir qui mène à une porte où un garde du corps est posté. Mon ami
lui chuchote quelques mots et le type nous ouvre.
— Merci, Brent.
Je lui souris et entre dans la pièce. Kayden est là, dans le fond, dos à moi. Il
semble trop occupé à bander ses mains pour remarquer ma présence. Je me
racle la gorge et il se retourne. Son torse nu est ruisselant de sueur. Ses bras
couverts de tatouages sont encore tendus par l’effort. Ses yeux brillants
rencontrent les miens et s’assombrissent aussitôt.
— J’y crois pas… (il roule des yeux en souriant). T’es vraiment du genre
pot de colle, toi.
— Oui, je l’ai fait ! (Je pose mes mains sur mes hanches) Maintenant, tais-toi
parce que ce que je vais te dire est probablement la meilleure chose qui puisse
t’arriver.
— OK, si c’est la seule façon pour que tu me foutes la paix, alors je t’écoute.
J’inspire profondément.
— Je peux t’aider à battre ton ennemi sur le ring. Jaxon est mon ex-petit ami.
4
Kayden me fixe pendant un bon moment, il cligne des yeux plusieurs fois en
tentant visiblement de comprendre ce que je viens de lui dire. Il penche sa tête
en arrière et explose de rire.
— Sans vouloir t’offenser, je doute que tu puisses m’aider dans mon combat
contre Jaxon.
Mais j’ai l’air si pathétique en disant cela que je me racle la gorge pour
retrouver ma contenance.
— J’ai passé trois ans de ma vie avec lui. Il m’a appris à me battre, m’a
entraînée et je l’ai regardé chaque jour combattre des adversaires en dehors de
la compétition. Je sais comment il s’entraîne, comment il travaille, comment il
pense. J’ai mémorisé comment il frappe, comment il esquive. Il m’a presque
tout appris et je suis juste ici en face de toi. Une simple copie de ton ennemi.
— Je ferai plus que cela, je vais t’entraîner. Je vais m’assurer que tu gagnes
et surtout contre Jaxon.
— Qu’est-ce qui te fait penser que j’ai besoin de ton aide ? me demande-t-il.
Tu m’as vu là-bas, je suis plus que capable de gagner par mes propres moyens.
Mais merci quand même.
Je le regarde fixement.
— Il m’a trompée, avec ma propre sœur. C’est un connard qui baise mal, je
lâche avec vanité. Je veux être certaine qu’il ne remportera pas ce championnat.
— T’as tout à fait raison. Ce championnat est à moi. Mais tu veux quoi en
retour ?
Il semble hésitant.
— Je sais pas…
Il secoue la tête.
— Tu te rends compte qu’une fois que j’aurai dit oui, il n’y aura plus de
retour en arrière possible ? Tu es sûre de vouloir…
— J’en suis sûre, j’en ai besoin ! je le coupe un peu trop vivement. Alors, on
a un accord, oui ou non ?
Il tourne la tête et ses yeux noirs rencontrent les miens. Il soutient mon
regard comme s’il cherchait à y trouver des réponses.
— Inutile de me parler comme à une enfant, bien sûr que j’ai déjà réfléchi !
Je t’aide si tu m’aides.
Ses mots font vibrer mon cœur, je ne pense pas avoir été aussi heureuse
depuis un moment.
— Prends tes affaires, tu peux venir chez moi ce soir, dit-il en se levant du
canapé.
**
Bon sang, mais comment j’ai pu lui faire confiance à ce type ? Je poireaute
depuis au moins vingt minutes devant le motel avec mes sacs sur le dos. Il m’a
dit qu’il viendrait me chercher et il n’est toujours pas là. Une partie de moi est
malgré tout excitée à l’idée de s’entraîner pour le championnat (même si j’ai
toujours dit que je resterais en dehors de ces combats illégaux). Mais la simple
pensée que Kayden puisse donner une raclée à Jaxon me fait sauter de joie. Je
sors mon portable pour appeler ce taré qui apparemment m’a oubliée. Il
répond à la quatrième tonalité.
— Ouais ?
Il rit.
— Je gagne pas mal d’argent sur le ring, tu n’as même pas idée à quel point
ça peut rapporter, répond-il en me faisant un clin d’œil.
— Tu n’as pas peur de… tu sais, d’aller en prison à cause de ce que tu fais ?
Je ne sais pas quoi ajouter à cela, donc je garde ma bouche fermée et laisse
Thanks for the Memories de Fall Out Boy remplir mes oreilles. Kayden reste
calme aussi, ses mains serrent fermement le volant tandis que nous naviguons
sur les routes. Mon portable sur mes genoux, je me rends compte que lui et
moi ne sommes pas amis et que le temps que je vais passer à ses côtés va être
très long si nous n’avons rien à nous dire.
Quand il finit par s’arrêter, je saisis mes affaires sur le siège arrière et il
m’aide à les porter jusqu’à son appartement. Nous ne parlons toujours pas
lorsqu’il enfonce la clé dans la serrure et pousse la porte. C’est la première
fois que je vois l’intérieur de son appartement, et je n’ai jamais vu un endroit
si… vide.
Les murs blancs sont stériles, pas de décoration, encore moins de cadres
photo. Il y a cependant un canapé qui met en valeur une table basse en bois et
une immense télévision. Mais hormis ça, il n’y a rien dans cette pièce. Mon
regard se déplace vers la cuisine où des boîtes de nourriture à emporter
jonchent le comptoir. Mes yeux s’arrondissent quand j’aperçois la pile de
vaisselle sale dans l’évier ; je ne veux même pas savoir quelles créatures
rampent sur ces plats ! Kayden se raidit quand il remarque que je balaie
l’endroit du regard.
Il est bizarre, quand même… Une minute, je pense qu’il va m’en dire plus et
la seconde d’après, il se referme totalement sur lui-même. Ce type est fou.
— Ici, c’est la salle de bain, dit-il en pointant une porte sur notre droite. Et
là, c’est ma chambre, elle est hors limite. Personne n’entre, pigé ?
Ce n’est pas comme si tu étais assez intéressant pour que je fouille dans ta
piaule…
— Ouais.
— Désolé, la déco, c’est pas vraiment mon truc, dit-il en croisant ses
énormes bras.
— Ouais (je pose mes sacs sur le lit). J’ai vu, il n’y a rien d’accueillant ici.
Pas de tapis, pas de vase, rien de rien. C’est triste…
— Je me fiche pas mal de tous ces trucs. C’est juste une piaule, Sierra. C’est
pas ma maison, alors…
C’est vrai… Lui et moi ne sommes liés que par un pacte et rien d’autre. C’est
suffisant. En attendant, je ne dois pas perdre de vue mon objectif : me venger
de Jaxon.
Toujours étendue dans mon lit, je jette un coup d’œil à mon téléphone : il est
08 heures du matin. Je m’étire, courbaturée après cette nuit sans sommeil. Mes
os craquent et je bâille à m’en décrocher la mâchoire. Je bondis hors du lit et
me dirige directement vers la salle de bain. Aujourd’hui, on est dimanche et
c’est la journée parfaite pour aller courir.
Par contre moi, je n’ai pas envie qu’il pense que je me suis tirée comme une
voleuse lorsqu’il va rentrer, je devrais laisser une note ?
Je détourne un peu les yeux, c’est ridicule de ma part de lui dire ça. Il semble
confus.
— Désolé, j’aurais dû ?
— Comme si j’avais fait ça pour toi, je ricane. Je veux juste rester en forme.
— Ouais, mais j’aime l’air frais, je rétorque. Et aussi mater les mecs en
sueur à moitié nu.
Ledit type n’a pourtant pas la carrure d’un sportif, je dirais plutôt que c’est
l’inverse. Gringalet, il bataille pour adopter un rythme de course respectable
sans s’étouffer.
— Les deux. Mais il n’est pas mon type, il sautille beaucoup trop.
Kayden rit doucement. C’est la deuxième fois que je l’entends rire et j’aime
ce son. Il devrait rire davantage.
Je ris franchement.
— Parle pour toi. J’ai bien vu ce sourire arrogant et ta petite danse la nuit
dernière devant le public. Tu étais en plein show.
— Si, carrément !
— Si ça, ce n’est pas faire son show, alors je ne sais pas ce que c’est.
Je le regarde, surprise, je pensais qu’il en avait plus dans le ventre que ça.
— Hey, ferme-la ! Je peux courir deux mille fois plus vite, mais c’est mieux
si on s’arrête ici.
Il se retourne rapidement pour s’assurer que je le suis bel et bien et ses yeux
gris rencontrent les miens, laissant entrevoir un petit sourire. Nous entrons
dans le café et presque immédiatement, je me sens mal. Cet endroit ressemble
au café dans lequel je me rendais souvent avec Jaxon. Ma bouche se tord en
une grimace et ma poitrine se serre. Visiblement, Kayden remarque mon état et
roule des yeux.
— Qu’est-ce que je veux comme… quel est mon but dans la vie ou alors…
Il secoue la tête.
Au début, je prends une table près de la fenêtre, mais je réalise ensuite que
c’est ce que Jaxon avait l’habitude de faire quand on sortait ensemble. Alors au
lieu de ça, je change et m’installe dans un coin. Kayden apparaît environ une
minute plus tard avec deux gobelets brûlants, il m’en tend un et s’installe face à
moi.
—Putain d’enfer, je ne peux jamais obtenir une réponse directe avec toi, tu
peux faire un effort pour une fois ?
Il sourit.
— D’accord.
— Waouh, sérieusement ?!
— Tu bosses au gymnase ?
— Comme je l’ai dit, je suis bonne dans ce que je fais, je souris. En plus, la
paye est correcte. Enfin bref, je suis disponible le mardi et jeudi après-midi.
— Qu’est-ce qui ne va pas chez toi ? (Je tape du poing sur la table) Ça va te
tuer, tu ne peux pas te fatiguer comme ça.
— Hé, j’ai seulement accepté que tu sois mon entraîneur, pas que tu
contrôles ma vie.
— T’es sérieux ? C’est mon job de m’assurer que tu ne te fasses pas tuer
avant le championnat ! J’ai besoin que tu m’aides à me venger. Si tu es blessé,
nous n’obtiendrons jamais ce que l’on veut.
— D’accord, c’est bon ; c’est une bonne chose ! concède-t-il en levant les
mains en signe de reddition.
— Nous pouvons l’étendre à cinq et demi, mais tu auras besoin d’une demi-
heure de pause au bout de deux heures et demie.
— Et les week-ends ?
— Repos, clamé-je comme si c’était évident. Je veux une vie moi, pas toi ?
— Comment tu sais ça ?
—Euh… Brent me l’a dit hier soir. Détends-toi, c’est pas grave.
Il soupire.
— Ouais, Brent est mon frangin. Depuis mes seize ans. Je suis vraiment
reconnaissant d’avoir une bonne famille comme eux. (Sa voix vacille quelque
peu) Les familles d’accueil étaient rudes. Je suis plutôt chanceux.
Il se lève sans plus dire un mot et j’observe quelques secondes ma tasse ; elle
n’est même pas à la moitié.
Je grimace en me levant.
— Je ne t’aime pas vraiment non plus, mais qu’on le veuille ou non, on est
coincés ensemble. Jusqu’à ce qu’on obtienne notre revanche.
J’ai comme le sentiment que ce ne sera pas de tout repos…
6
J’ai passé le dimanche à ne rien faire. Après notre café, la bonne humeur de
Kayden a disparu et il a rapidement quitté l’appartement. Ce mec peut être
gentil quand il a besoin de l’être. Je réalise maintenant que chaque fois que je
lui pose des questions sur son passé, il se renferme immédiatement. Si c’était
une autre personne, j’aurais simplement évité le sujet, mais il m’intrigue, j’ai
envie de savoir ce qui lui est arrivé. J’ai le sentiment que la question va rester
sans réponse pendant un certain temps.
Quand je me lève le lendemain matin, Kayden est déjà parti. Mais cette fois,
alors que je me verse un café, je remarque un mot posé sur le comptoir.
Kayden. »
— J’allais me balader…
— Avec plaisir.
Je lui offre un sourire et la suis jusqu’au parking. Elle se glisse dans le siège
du conducteur et me fait signe de m’installer à côté d’elle.
— Alex ? je demande.
— Merde alors, je parle si fort ? (Elle rit doucement alors qu’elle sort du
parking.) Désolée, mauvaise habitude, mais oui, Alex est ma meilleure amie.
Elle ne vit pas trop loin d’ici et elle vient de m’appeler.
J’aimerais bien avoir une meilleure amie comme Carla moi aussi… J’avais
un meilleur ami avant, plusieurs même. J’avais Trevor et Braydon, avec qui
j’ai tout de suite accroché. C’est une honte, ces gens n’étaient pas vraiment mes
potes, moi je leur faisais confiance et eux…
— Née et élevée ici. Je ne veux pas aller ailleurs, Boston est ma maison.
Heureusement que j’ai mis ma ceinture de sécurité sinon j’aurais repeint son
pare-brise !
— Il a fait QUOI ?! elle hurle. Quel connard ! Tout le monde sait qu’on ne
trompe pas sa petite amie avec sa sœur !
— Tout le monde sait qu’on ne doit pas tromper, je la corrige. Mais oui,
c’est un gros con.
— Bon, dit Carla en reprenant la route. Nous allons lui faire payer.
— Daniel a fait son petit numéro sur toi ce matin, n’est-ce pas ?
— Il faut qu’il cesse d’être si possessif envers toi, grogne Carla en roulant
des yeux.
Oh mon Dieu. Soudain, tout se met en place dans ma tête, je sais exactement
qui est Alex et avec qui elle est.
— Euh… oui ?
Elle pose une main sur sa bouche, les yeux écarquillés, comme si elle était
sous le choc.
— Oh mon Dieu ! Peut-être que Kayden est une femme sous ses fringues, tu
sais ? Comme Amanda dans She’s The Man.{1}
— Tu es bizarre !
— Non, tu l’es !
— OK, les filles, on va être en retard en cours, dis-je en jetant un coup d’œil
à ma montre.
— Voilà une raison pour laquelle je pense que toi et Alex allez bien vous
entendre. Vous êtes toutes les deux obsédées par les études.
Alex se cale entre les deux sièges avant, un mince sourire sur le visage.
— Bien sûr que j’ai vu ! m’exclamé-je. Je suis sûre que tout le monde a vu la
façon romantique de Daniel de t’avouer son amour.
Daniel Kerrington est le fils d’un multimillionnaire. Kerrington Enterprises
(l’entreprise de son père) a été peuplé de ragots à cause de la manière dont le
fils traite les femmes. Son père, Hany, avait besoin de laver sa réputation pour
devenir l’héritier de l’entreprise, il a donc tout planifié pour que Daniel et Alex
se mettent ensemble. Et Daniel a proclamé son amour pour Alexia en direct à
la télévision. Je pense que cela résume à peu près toute l’histoire. Alex fronce
les sourcils.
— Tu m’as poussée dans ses bras ! rétorque aussi sec Alex. Et maintenant, tu
te plains.
— Je ne me plains pas !
Je ricane de les voir ainsi se disputer pour des choses sans réelle
importance.
— Eh bien, on dirait !
Dire qu’il n’y a pas si longtemps, c’est moi qu’il prenait dans ses bras, moi
qu’il embrassait…
— Oh non, lâche Carla en se plaçant à son tour près de moi. Est-ce que
c’est… ce sont… ?
Je saisis la main de Carla tandis qu’elle entame le premier pas dans leur
direction.
— Non.
À mon tour, je fais un pas en avant, mais Alex nous attrape toutes les deux
par le bras.
— Calmez-vous les filles. Vous n’êtes pas rationnelles, vous devez vous
détendre.
— Je ne peux pas rester ici à ne rien faire, je dois leur rendre la vie
impossible tout comme eux ont fait de la mienne un enfer.
— Exactement !
— Attends, attends !
Ma sœur a l’air si innocente avec ses joues roses et ses yeux timides. Mais je
sais mieux que personne que ce n’est qu’une façade. À la minute où elle me
voit venir vers elle, sa bouche s’ouvre en grand.
— Si-Sierra, elle bégaie sous le choc, le regard plein de culpabilité. Oh mon
Dieu, c’est vraiment toi, tu…
Elle n’a pas le temps de terminer sa phrase que ma main vient percuter sa
joue.
7
Pendant longtemps, Bérénice se contente de me regarder, sa joue rougie par
ma gifle. Puis, doucement, les larmes se mettent à couler de ses yeux.
— Si-Sierra…
— Vous m’avez ruinée, tu sais ça ? Toi et Jaxon, je lâche entre mes dents, les
poings serrés.
Bérénice essuie les larmes de son visage et me regarde, de la pitié dans les
yeux.
Elle me dégoûte…
— Oh, n’ose même pas utiliser maman et papa contre moi ! Maman doit
être, en ce moment, en train de draguer un gars sur la côte et papa fait Dieu sait
quoi, je grogne.
— Sierra, tu ne peux pas partir… je vais rompre avec lui. Je ne peux pas te
perdre ! Tu es ma sœur et je t’aime !
Après ce qui s’est passé avec Bérénice, l’énergie a quitté tout mon corps. Je
me sens beaucoup mieux maintenant que j’ai libéré une partie de ma colère
refoulée sur elle. Je sais que je l’ai mise dans une situation délicate, mais je ne
pouvais pas m’en empêcher. Bérénice le mérite. Elle n’aurait pas dû faire ça.
Elle n’aurait pas dû continuer sa relation avec lui. Elle n’aurait pas dû me dire
qu’elle l’aimait. Jaxon Deneris n’aime personne. Il est incapable d’aimer. Il
m’a fait croire ça à moi aussi et il a complètement détruit ce que nous avions.
Désormais, c’est à mon tour de l’anéantir. De les anéantir tous les deux. Et je
ferai n’importe quoi pour y parvenir.
Je soupire.
J’écorche un rire.
— Je suis en colère contre Bérénice, mais ne t’en fais pas, mon cerveau est
assez rationnel pour ne pas déverser ma colère sur toi.
Brent regarde vers le bas, ses lunettes glissent jusqu’au bout de son nez.
— Est-ce que tu aimes encore Jaxon ? C’est pour cette raison que tu étais
comme ça ?
Ses yeux recherchent la vérité sur mon visage.
Jaxon a été tout ce dont j’avais besoin pendant trois ans. Il m’a réparée, m’a
reconstruite et finalement, il m’a détruite. Il a pris soin de moi, surtout quand
j’étais au plus bas.
— Je t’ai entendue parler avec Kayden. Tu vas le former pour battre ton ex,
pas vrai ?
À peine une minute plus tard, le professeur nous renvoie de son cours et je
sais que c’est ma faute. Nous avons parlé tout le long, enfin surtout moi.
**
Julien me dit de partir une heure plus tôt parce que la salle de gym est
blindée de gars un peu trop intéressés par mon postérieur. Il a peur qu’ils
essaient de profiter de moi, alors il m’a foutue dehors. J’ai d’abord protesté, ce
n’est pas parce qu’ils tentent quelque chose qu’ils vont réussir, je sais me
défendre. Mais comme c’était ma seule façon de rejoindre Kayden, j’ai capitulé
et après un « salut Julien », j’ai pris mes affaires et suis montée dans un taxi
pour rejoindre Breaking Point.
Je tape à la porte et cette fois, il n’y a pas de videur pour me saluer. La salle
de gym est étonnamment vide ce soir. Il n’y a qu’un couple de gars en train de
s’embrasser dans un coin sombre. Au centre de la salle, un ring de boxe plus
petit que celui du sous-sol, mais de taille respectable. Un homme à moitié nu et
tatoué se tient au centre, je reconnais tout de suite cette carrure sportive, ces
muscles saillants. Kayden se retourne dès que j’entre et il fronce les sourcils.
— T’es en retard.
— Je m’en fous, grogné-je en jetant mon sac sur le sol. Je suis là, non ? Et
aujourd’hui, je n’étais pas obligée de venir.
— Bien sûr que si. J’ai dit aux gars que tu étais avec moi.
Il essuie la transpiration qui perle sur son visage avec le dos de sa main. Je
croise mes bras et le regarde. Ses cheveux noirs sont en bataille. De la sueur
dégouline sur tout son corps, soulignant ses muscles. Ses tatouages se tendent à
chaque mouvement qu’il effectue animant ce tableau encré sur sa peau. Le seul
vêtement qu’il porte est un short large et ses gants de kickboxing.
J’espère qu’il n’a pas remarqué les trémolos dans ma voix. Le voir comme
ça me déstabilise, tout chez lui respire la virilité. Il est vraiment ultra canon et
quelque part, ça me rend fébrile.
— Quatre.
— Aide-moi.
Il ôte l’un de ses gants et attrape ma main, me propulsant vers l’avant. C’est
la première fois que je le touche. J’essaie de ne pas penser à ça quand il
enroule ses mains autour de ma taille pour me soutenir tandis que je passe par-
dessus l’une des cordes.
— Alors, j’ai entendu cette merde qu’il y a eu entre ta sœur et toi sur le
campus.
— Waouh, les nouvelles vont vite, hein ? dis-je en plaçant ma serviette sur
les cordes. Mais oui, c’est arrivé, je l’ai confrontée et elle a pleuré.
— Tu es une chauve-souris, tu le sais ? (Il secoue la tête) Tu laisses ta quête
de vengeance t’alimenter.
Il rit et la lumière se reflète dans ses yeux gris. Je m’avance d’un pas en
essayant de ne pas faire attention à son regard désarmant. Mes mains devant
moi et mes pieds ancrés dans le sol, je dis :
— Frappe-moi.
— Quoi ?
— Frappe-moi.
Je sais ce qu’il veut dire, il ne veut pas me taper parce que je suis une
femme.
— C’est moi qui te le demande (je rebondis sur mes pieds). Allez, Kayden,
imagine que je suis Jaxon. Avec des seins tueurs et des cheveux blonds en plus.
— Tu n’es pas prêt. Ton bras, Kayden. Je veux que tu fasses comme si c’était
un vrai combat.
Il lève ses bras vers le ciel. Bon sang, il ne peut pas faire ce qu’on lui
demande ?
— Non, je ne peux pas faire ça, je ne peux pas… te frapper. Ce n’est pas
juste.
— Bien.
Kayden me relâche et nous prenons nos positions sur les côtés opposés de
l’anneau.
— Bien, très bien, capitule-t-il. On va faire comme tu veux pour une fois.
Mais je te le dis : je suis une bonne merde à ça. T’es sûre de ne pas vouloir
m’enseigner des trucs de débutant parce que tu ne sais pas faire autre chose ?
— Va te faire foutre.
Ce petit sourire satisfait sur son visage m’agace. Il parle, parle et parle dans
l’espoir, peut-être, de gagner du temps.
Les mots ont à peine quitté ma bouche que Kayden se précipite vers moi
avec un rugissement d’animal sauvage.
8
Kayden s’avance dans le but de me frapper au visage. Immédiatement, mes
bras se verrouillent devant moi en forme de « L » et viennent bloquer son
poing. D’un geste rapide, il tente un second assaut avec l’autre bras. À ses
mouvements et sa vitesse, je comprends que ce mec est doué, mais qu’il n’ose
pas y mettre toute sa force. Malgré ça, le choc de son punch me fait vaciller et
il enchaîne avec un troisième coup.
Je rigole.
Cette fois, Kayden essaie un straight knee-thrust{2}, mais je bloque son genou
avant qu’il ne touche mon ventre. Ensuite, je me décale légèrement et prends
appui sur ma jambe gauche. Au moment où il ne s’y attend pas, mon pied droit
vient frapper l’arrière de sa cheville. Il tente de se rattraper, mais il échoue et
tombe dans un bruit sourd. Je tremble quand je le vois grimacer de douleur.
Kayden se moque.
— Et avoir toujours peur que les flics me coincent ? Non merci. Je suis fière
de faire tout ça. J’aide les gens à se battre. C’est ainsi que je m’occupe. Toi, je
ne sais pas pourquoi tu te bats. J’ignore si c’est pour l’argent, ou peut-être
pour ce sentiment d’euphorie qui te traverse quand tu frappes quelqu’un…
À quoi bon insister ? Il s’est fermé comme une huître, je n’obtiendrai rien de
lui aujourd’hui.
Il se place face à moi, ses gants dans son champ visuel, ses avant-bras
parallèles l’un à l’autre, le menton baissé et ses pieds légèrement décalés pour
consolider ses appuis. Ses yeux brillent d’une lueur indéfinissable et je peux y
lire tellement d’émotions que je comprends que ses secrets sont sans doute
lourds à porter.
— Encore.
Ce type est définitivement un délinquant super doué. L’un des meilleurs que
je connaisse. Et c’est vraiment une bonne chose, mais il y a quand même des
inconvénients. Jaxon est l’un des plus grands défenseurs de tous les temps. Il
était professionnel avant de décider que les combats souterrains étaient mieux
pour lui. Il disait que c’étaient des victoires faciles et j’étais d’accord avec lui.
Et je n’arrive toujours pas à croire que Jaxon l’ait choisie, elle et moi
sommes si différentes… Il était supposé être à moi. Jaxon m’a aimée. Ou du
moins, je pense. Pourquoi ça a changé ? Qu’ai-je fait de mal ?
— Hé, tigresse, ça va ?
— Ouais.
Il ne veut pas me parler de lui, je ne lui parlerai pas de moi. Point final.
— Allons-y.
La capote est enlevée et ses cheveux sont agités par le vent. Ses yeux gris
brillent, frappés par les rayons lunaires. Il est vraiment très beau, c’est
indéniable. L’éclairage joue avec les traits de son visage, faisant ressortir ses
pommettes, ses fossettes et sa mâchoire inclinée.
Dieu, ses fossettes ! Elles vont me tuer un jour…
Mais il est encore plus beau lorsqu’il sourit. Dommage qu’il le fasse
rarement…
— Merci de m’avoir aidé, souffle-t-il du bout des lèvres, face à mon sourire.
Il lève un sourcil.
— Vraiment ?
Je pouffe et il poursuit :
— Oh, ferme-la.
— Je dois enregistrer ça !
— Va en enfer, Kayden !
— Que j’aille en enfer ne change rien à ce que je suis : un vrai dieu du ring.
Il rit davantage.
— Je suis parvenu à impressionner celle qui pensait que je n’étais qu’un
débutant, la tigresse en personne !
— Oui.
— Je te déteste, tu le sais ?
Nous entrons et je me laisse tomber dans le canapé du salon. Bon sang, mes
jambes me font un mal de chien.
Je le fusille du regard.
— Est-ce que tu m’as déjà vue en robe ? Ou avec des talons aiguilles ? M’as
tu déjà vue avec une once de maquillage pour me rendre jolie ?
Il rit doucement.
— Bon point.
— Je vais dormir.
— Hey, Sierra ?
Je lève les yeux et rencontre les siens. Il hésite un moment puis se lance :
— Kayden…
— Bonne nuit tigresse, il murmure en s’enfermant dans sa chambre.
Il a… mal à l’intérieur ?
9
— Tu sais, Bérénice m’a dit ce qui s’est passé entre vous deux hier, dit mon
père à l’autre bout du fil.
Je bâille, assise dans mon lit, les jambes étendues devant moi et mon
portable collé à l’oreille.
— D’accord, lâché-je.
Qu’est-ce que je pourrais bien dire d’autre ? Que je suis désolée ? Le suis-je
vraiment ? Je me sens mal d’avoir giflé ma propre sœur, mais ce n’est pas
comme si j’avais fait ça sans raison.
Il agit comme s’il savait mieux que moi ce que je dois faire, il essaie
toujours de me dicter ma conduite. Mais il n’est pas en position de me dire
quoi que ce soit. Je suis mes envies et oui, j’ai commis beaucoup d’erreurs,
mais ça m’a aidée à avancer, sans lui.
— Ne me dis pas quoi faire de ma langue alors que tu as passé toutes ces
années à maudire maman chaque fois que tu en avais l’occasion.
— Parce que ça te fait te sentir mieux de savoir que j’ai blessé quelqu’un
comme tu as blessé ta famille ?
— Sierra ?
C’était probablement la conversation la plus intense que j’ai jamais eue avec
mon père. Normalement, je lui dis simplement de ne pas me déranger, mais
cette fois, c’était différent. Il y a tellement de colère en moi dernièrement. Ce
n’est pas bon. Et la seule façon de me débarrasser de ce sentiment, c’est en me
vengeant de ceux qui m’ont trahie. C’est le seul moyen… non ?
Après avoir pris une douche et enfilé des vêtements propres, je me rends au
séjour. Une note est posée sur la table basse.
Kayden. »
Je roule les yeux et, alors que je m’apprête à me laisser tomber de tout mon
poids sur le canapé, un étrange bruit provenant de la cuisine attire mon
attention. Qui est-ce ? Une bête ? Un voleur ?
Sans réfléchir une seconde de plus, je m’avance vers l’intrus et lui assène un
coup de batte dans le dos.
Je brandis mon arme de plus belle tandis qu’il tend la main en avant, comme
pour m’en dissuader. Durant une fraction de seconde, je l’observe, avant de le
frapper à nouveau.
— Prends ça ! je hurle.
— Salaud de voleur !
— On a une clé.
— Kayden nous fait confiance, alors parfois, on vient traîner ici quand il
n’est pas là.
— Vous ne pouvez pas venir ici quand ça vous chante, je crache. Et toi, dis-je
en pointant le mec sur le sol, j’aurais pu te tuer.
— Merde. Pour une femme, tu cognes fort. Je pense que je dois avoir une
commotion cérébrale ou un truc dans ce goût-là.
Une fois que Brent et moi avons aidé le gars à s’installer sur une chaise, je
lui donne un pain de glace qu’il place sur sa tête. Je me sens vraiment coupable
d’avoir frappé un mec innocent, mais je ne pouvais pas deviner que c’était un
pote de Kayden… Mon ami me regarde, crispé, et je ris nerveusement.
— Il est jaloux parce qu’il n’obtient pas autant de plans cul que moi.
Je secoue la tête.
Brent souffle.
— Tais-toi.
— Bon, s’il vous plaît, je peux récupérer votre clé ? Parce que je pense que
ce sera mieux si vous frappez avant d’entrer. Je me sentirais beaucoup mieux.
Je renifle.
Les yeux gris orageux de mon colocataire nous fusillent tous les trois sur
place, et plus particulièrement Evans dont, jusqu’à lors, je n’avais pas examiné
le visage ; le coup que je lui ai mis au visage a laissé une jolie trace bleuâtre
sur sa pommette. Il lève son sourcil dans la confusion.
— Kayden, ils ne peuvent pas entrer comme ça. Et s’ils entrent alors que je
suis nue ou un truc comme ça ?
Mon colocataire enlève sa serviette autour de son cou et essuie la sueur sur
son visage. Mes yeux se posent sur son torse nu bien dessiné.
— Vous ne venez pas ici souvent de toute façon. Et maintenant que nous
avons une femme qui vit ici, on doit penser à elle aussi.
Evans rit.
— Ne crois pas que parce qu’ils n’ont pas de clé, on est débarrassés d’eux.
Ils sont comme des parasites.
Je lance la clé de Brent dans le petit panier sur la table puis passe devant
Kayden.
— Je sais, Sierra.
Sans une parole de plus, il se dirige vers sa chambre, puis ferme la porte. Je
jure à voix haute en secouant la tête et Brent m’adresse un sourire
compatissant.
— Il est sympa parfois, ajoute-t-il en haussant les épaules.
Ma patience a clairement des limites et lui prend tout son temps. Bon sang, il
m’énerve !
— Kayden ?
Il se contente de grogner.
— Peut-on aborder le sujet qui fâche ? je dis sur un ton plus calme. C’est
quoi ton problème ?
— Bien sûr que si, tu as un problème. Que se passe-t-il ? Je pensais que nous
allions bien depuis hier soir ! J’ai passé un bon moment à t’entraîner. J’ai fait
quelque chose qui t’a dérangé ?
— Ou quoi ? Tu ne peux pas faire n’importe quoi. Nous avons besoin l’un
de l’autre.
— Toi…
— Laisse tomber. J’en ai fini avec tout ça. Je ne peux pas faire ça, je ne peux
pas. Je peux le faire tout seul. Je peux le faire sans toi.
— Tu penses que tu peux le faire sans moi ? Réfléchis-y encore. Je t’ai battu
hier. Tu n’arrives même pas à bloquer mes attaques. Ce qui signifie que sans
moi, tu ne vas pas durer dix secondes sur le ring contre Jaxon. Je me demande
même comment tu as réussi à tenir jusqu’ici.
— Je ne sais pas quel genre de merde t’est arrivée entre hier soir et ce matin,
mais t’as vraiment l’air pathétique. Je mérite d’être traitée avec respect.
— T’as raison, je sais pas. Mais tu n’es pas un homme. Ce n’est pas la
quantité de coups de poing que tu peux donner, ou combien de temps tu peux
tenir sur un ring qui fait de toi un homme. En être un, c’est montrer un réel
courage et avoir la force de surmonter ses blessures et ses cicatrices. Sers-toi
des tiennes comme d’une force et non comme une faiblesse.
L’espace d’un instant, il reste muet. Il semble tranquille, comme s’il
réfléchissait à ce que je viens de dire. Au lieu de supporter ce silence gênant, je
me détourne de lui et saisis mes gants.
**
— Hey, Sierra.
— D’accord.
Il souffle longuement.
— Tu as des amis ?
— Tais-toi. Oui, j’en ai ! Ils sont vraiment gentils. Carla vit dans
l’immeuble, d’ailleurs.
— Cool. Je suis content que tu aies fait de nouvelles rencontres. Je pense que
tu as définitivement besoin d’une soirée tranquille après ce qui s’est passé avec
Kayden.
Je mets mon sac sur mon épaule en acquiesçant, comme s’il pouvait me voir.
Après que Brent ait raccroché, mon doigt glisse jusqu’au numéro de Carla.
Elle me l’a donné après mon épisode avec Bérénice.
— Ça marche !
Je ris nerveusement.
— Ne me demande pas.
— Alors, où allons-nous ?
— Chez Daniel et Alex, elle me sourit. Leur appart est carrément cool, ils
vivent dans un putain de penthouse{3}.
— Hey ! Entrez.
— Daniel fait un peu la cuisine, dit-elle avant de se tourner vers moi. Hé,
Sierra. Je ne t’attendais pas aujourd’hui.
— Je ne m’attendais pas à venir non plus (je hausse les épaules en souriant).
Ça fait longtemps que je n’ai pas passé de temps avec des amis.
— Pourquoi pas ? Ne me dis pas que tu n’as pas envie d’en avoir.
Il grogne.
Je lève les sourcils, confuse, et Carla se penche vers moi pour me chuchoter
quelques mots à l’oreille :
Mon cœur fond au moment où elle le regarde, des étoiles plein les yeux. Il
lui retourne le sourire qu’elle lui adresse puis se penche pour appuyer un léger
baiser sur ses lèvres. Carla fait la grimace.
— Vous êtes absolument écœurants, même des crêpes n’effaceront pas cette
image de mon esprit !
Daniel rit.
Nous nous installons autour de la table alors que Daniel fait sauter quelques
crêpes dans la poêle. Nous les mangeons avec un peu de chocolat fondu et de
fruits de saison. À la minute où je goûte les pancakes, je gémis presque de
bien-être.
Je ris. Eh bien, elles ont l’air vraiment intéressées par Monsieur le Killer, on
dirait.
Ils sont de bons amis et après avoir passé du temps avec eux, je me suis
rendu compte que j’ai besoin d’eux dans ma vie. Ils sont honnêtes, et ça fait un
bien fou de relâcher la pression.
J’annonce ma présence alors que j’entre dans la salle de gym. Julien me jette
un coup d’œil paresseux du comptoir et souffle ostensiblement. Il glisse ses
cheveux sombres et désordonnés sur le côté et se mord la lèvre.
— Bien, mieux vaut tard que jamais.
— Une personne sage a dit une fois : « une reine n’est jamais en retard ».
Je discute un long moment avec un type que je n’avais jamais vu ici afin de
lui présenter la salle avant que Brandon Shaw ne débarque. Ce mec est un
habitué, il vient assez régulièrement et en impose avec ses cent kilos et ses
dizaines de piercings. Il s’approche de moi et me demande de le suivre sur le
ring pour un entraînement. Docilement, j’obtempère. Je me mets ensuite en
position, les poings devant mon visage. Il tente de me frapper aux côtes, mais
j’esquive et lui envoie un coup de pied dans le mollet. Nous enchaînons
quelques échanges avant qu’il ne s’écroule au sol. Cette fois, il m’a donné un
peu de fil à retordre. Il est assez doué pour quelqu’un d’inexpérimenté, il sera
probablement très fort dans quelques années.
Mon souffle se coupe quand je tourne la tête. C’est Kayden. Il porte son t-
shirt blanc et son short noir. Aujourd’hui, il n’a pas pris la peine de prendre
une douche si j’en crois ses cheveux en désordre. Ses yeux couleur métal
reflètent des tas d’émotions et je constate une légère marque boursouflée à la
base de sa nuque, juste au-dessus de sa clavicule. Il doit sans doute remarquer
que je le fixe et s’empresse de remonter son col pour la dissimuler tout en
baissant la tête. Je me tourne vers Brandon qui semble tout aussi confus que
moi.
— Tu peux y aller, Shaw. Je te verrai la semaine prochaine.
Ce dernier ose à peine regarder le Killer, qui, quant à lui, l’assassine de ses
iris anthracite.
— Je me suis battu.
— Pourquoi ?
— J’ai… des problèmes auxquels je dois faire face, élude-t-il en glissant ses
doigts dans ses cheveux sombres.
— Je me suis pas battu pour passer le temps. La nuit dernière, j’ai été attaqué
par des mecs parce qu’ils pensaient qu’ils étaient meilleurs que moi. Alors je
leur ai montré. Tu penses que je suis mauvais ? Tu devrais voir les autres.
— Hier soir, quand j’ai été agressé, je me suis rendu compte que j’étais
stupide. La seule raison pour laquelle je m’en suis sorti, c’est parce que j’ai fait
ce geste qui m’a sauvé, celui que tu m’as appris, dit-il, ses yeux se verrouillant
aux miens.
Il semble si sérieux, si sincère, que mon cœur se met à battre plus vite.
— Je ne dis pas ça parce que j’ai besoin de toi pour m’aider à gagner ce
championnat, je le dis parce que j’ai réellement mal agi.
— Je n’ai toujours pas eu d’explications… Est-ce que j’ai fait quelque chose
de mal ? Pourquoi tu étais froid avec moi hier ?
— Et pourquoi pas ?
— Dans deux heures, dis-je en jetant un œil en direction de Julien qui fait
une sieste. Mais je n’ai personne à entraîner ce soir, le temps va être long.
Mes yeux s’élargissent à son geste soudain. Il semble être choqué aussi
parce qu’il se ressaisit rapidement et s’éloigne de moi.
Brent, Kayden et moi le suivons de près. Je dois dire que je me sens plutôt
tendue. Avant de venir, je ne savais pas comment m’habiller et mon colocataire
ne m’a pas vraiment laissé le temps de me décider. J’ai donc opté pour un jeans
noir accompagné d’un débardeur de la même couleur.
— Hé, Sierra !
Alex se matérialise, tapotant ses doigts sur son tablier. Elle s’approche pour
nous accueillir avec un sourire chaleureux. Evans la regarde bien plus
longtemps qu’il ne le faut et il semble sur le point de s’évanouir. Il se penche et
me chuchote :
— Quand elle aura goûté à la bête, elle ne voudra plus de son gigolo, il
piaille en suivant Alex comme un petit toutou.
Un serveur nous amène à notre table, Kayden, Brent et moi nous installons,
mais Evans est trop occupé à draguer Alex pour remarquer que tout le monde
est déjà assis à l’attendre. Quand enfin, il vient poser son derrière sur la
dernière chaise, Alex nous donne à tous un menu. Et lorsqu’elle en tend un à
Evans, celui-ci en profite pour caresser le dos de sa main du bout de ses doigts.
Mon amie semble dégoûtée et Brent frappe l’épaule d’Evans.
— Arrête ça.
— La ferme, maman, relève-t-il.
— Je vais prendre la saucisse, s’il vous plaît, annonce Evans d’une voix
rauque.
Après avoir passé nos commandes, Kayden brise le silence en plaçant ses
mains sur la table et s’adresse à nous tous.
— Les gars, nous avons plus d’un mois avant la finale. Une semaine avant
que les rondes éliminatoires commencent.
Il hoche la tête.
— Ces tours-là sont assez faciles, précise Evans en détournant ses yeux de la
belle serveuse. Cela sert uniquement à faire le tri dans les participants ; séparer
ceux qui ne sont là que pour s’amuser de ceux qui prennent la compétition plus
au sérieux. Il ne fait aucun doute que Kayden va réussir haut la main !
— Avec ton aide, je vais être féroce. L’an passé en demi-finale, j’ai affronté
East Lee. Sa défense est assez minable, mais il est énorme et plutôt balèze.
Il me dévisage, confus.
— Quoi ? Pas la peine d’être offensé le tueur, c’est juste que t’es pas très
grand et si tu veux faire le poids, il faut être stratégique.
Je soupire.
— Tu marques un point.
Durant l’heure suivante, nous parlons tous les quatre des adversaires que
Kayden devra affronter. Bien sûr, celui que nous devons craindre, c’est Jaxon,
mais pour l’atteindre, il y a beaucoup de petits monstres à écraser avant. Dans
une compétition comme celle-ci, avec peu de règles, il faut être stratégiques
afin que le Killer ait toutes ses chances et finisse avec le moins de dégâts
possible.
Après avoir fini nos plats, Kayden paie la note volontairement, à ma grande
surprise. Je pensais qu’on se serait disputés, mais non. Peut-être qu’il est
fatigué de se battre continuellement avec moi ?
— Pourquoi ?
— Pour me tenir tête. Tu as raison, je dois utiliser mes cicatrices comme une
force et non l’inverse.
— Parce que tu penses que c’est facile pour moi ? je crache, la respiration
déchiquetée.
— Je ne peux pas dire la même chose de toi, dis-je en observant son dos.
Son t-shirt gris est trempé, si bien qu’il arbore une teinte plus foncée, proche
du noir.
Peu à peu, il ralentit et ses doigts viennent agripper l’ourlet du tissu pour le
passer par-dessus sa tête. J’ai vu Kayden torse nu beaucoup trop souvent à mon
goût. Je ne vais pas m’en plaindre, d’ailleurs c’est plutôt un spectacle
intéressant, mais chaque fois, mes yeux refusent de se détacher de son corps.
Mon cœur bat à tout rompre tandis que mes yeux détaillent ses tatouages ; ces
motifs colorés et sombres à la fois qui parsèment son dos ainsi que ses
épaules. Je sais qu’il a un autre tatouage un peu plus bas, j’ai aperçu un
fragment du dessin quand il est sorti de sa chambre sans avoir fermé le bouton
de son jeans. Il me semble qu’il s’agissait de lettres, je me demande ce qu’il y a
d’écrit.
Kayden est toujours un mystère pour moi. Bien que nous soyons en bons
termes, je n’ai toujours aucune idée de qui il est vraiment. Je sais qu’il boit du
lait directement à la bouteille, qu’il déteste la musique country, qu’il ne quitte
jamais la maison sans son portable et une paire d’écouteurs. En dehors de
toutes ces informations, que sais-je de lui ? Rien, j’en ai bien peur. Je suis
arrachée à mes pensées par son raclement de gorge et je sursaute légèrement
quand je comprends que j’ai été prise en flagrant délit de matage. Il hausse les
sourcils et bombe le torse.
Il me taquine, il sait que je le reluque chaque fois qu’il est torse nu. Quant à
moi, je fais comme si de rien n’était et joue même la carte de l’ignorance. Je
me détourne rapidement et dis :
— De quoi tu parles ?
— Sûrement pas. Hors de question que j’en reprenne. Éloigne cette merde
jaune loin de moi !
— Tu es incroyable.
Nous atteignons finalement notre point de contrôle, qui est l’entrée de notre
appartement. Mon colocataire me dépasse et s’élance dans les marches alors
que moi, une fois en haut des escaliers, je m’accroche à la balustrade pour
reprendre mon souffle. Mais bientôt, mes genoux lâchent et je tombe sur le sol.
Je suis désormais étendue par terre dans le couloir, les mains de chaque côté de
mon corps. Le froid du carrelage me fait du bien et je comprends alors qu’en
ce moment, nous donnons absolument tout pour être au top.
Les éclats de rire de Kayden retentissent tandis qu’il fait demi-tour pour me
rejoindre. Il n’est pas en meilleur état, mais je sais qu’il prend sur lui devant
moi. Question d’ego, je suppose. Il descend les marches en expirant et inspirant
bruyamment. Puis, il me tend une main que je saisis en gémissant. Je me
redresse, mais un étourdissement me terrasse. Je m’agrippe à ses épaules pour
me stabiliser.
Je devrais me détacher de lui, mais pour une raison inconnue, j’en suis
incapable. Aussi nous restons comme ça un moment, moi agrippée à ses
épaules tendues et sa main à lui calée dans le creux de mes reins. Au bout d’un
moment, je m’éloigne.
— Euh… je…
Après notre course de ce matin, nous avons pris une douche très rapide
avant d’aller au Breaking Point. Je voulais travailler sur sa vitesse et son
agilité. Donc après lui avoir donné quelques conseils, il court autour de moi. Je
connais cette tactique puisque c’est moi qui lui ai appris, mais il finit par me
prendre à mon propre jeu. Je balance ma jambe, mais Kayden s’écarte
rapidement. Je donne un coup de poing sur son épaule, mais cela me fait
perdre l’équilibre.
Kayden hurle de joie ; une nouvelle petite victoire à son actif. Dire que je
suis fière de lui est un euphémisme.
Je ne veux pas admettre qu’il est presque meilleur que moi. Cela stimulerait
son ego et nous n’avons pas besoin de cela, surtout maintenant que nous nous
rapprochons des éliminations. C’est dans deux jours et même si je commence à
devenir nerveuse, je sais que samedi, Kayden va y arriver. J’ai juste peur que
ses émotions aient raison de lui et qu’un excès de confiance ne lui fasse tout
perdre.
Je ris.
Il se fige instantanément.
— Oui.
Toute la couleur quitte son visage et il pose sur moi un regard d’horreur.
— Oui, il l’a fait. Il était gentil avec moi. Et il me faisait beaucoup rire.
Beaucoup de personnes le détestent à cause de son humeur changeante, moi je
pensais qu’il en valait la peine.
Quand je le fais, je roule des yeux devant des images de filles nues qu’il a
décidé de m’envoyer.
J’ai également un appel manqué de mon père et autant dire que je n’ai pas
franchement envie de le recontacter. Mais il rappellera sans doute et je n’aurai
pas de temps à lui accorder, aussi je prends sur moi, appuie sur son nom
affiché à l’écran et colle mon portable à mon oreille. Il décroche rapidement.
— Sierra ?
Je me passe une main dans les cheveux, déjà agacée par la conversation.
Mensonge…
Je le coupe :
— Bien, abdiqué-je, les dents serrées. Je prendrai un taxi demain matin, mais
je pars le lendemain.
— Non, bien sûr que non. Je dis simplement que si tu as besoin de soutien…
— Kayden le Killer doux avec moi ? je le taquine en mettant mon sac sur
mon épaule. C’est tellement adorable. Mais ne t’inquiète pas, je vais tenir le
coup. C’est pour toi que je m’inquiète.
Je m’écarte ; s’il croit qu’un plan à trois avec cette rouquine peut
m’intéresser, il se trompe ! Il se tourne vers sa conquête et dit :
— Allez, file.
— Je t’appelle demain.
Il lui donne une tape sur le cul et elle s’éloigne, ses talons cliquetant sur le
sol. Je lui lance un regard de dégoût.
— Pourquoi ?
— Où tu vas ?
— Mes parents sont divorcés. Ma mère voyage autour du monde et hurle sur
des hommes au hasard alors que mon père multiplie les conquêtes.
Il secoue la tête.
Il hoche la tête.
— Comme je l’ai dit, je suis assez populaire sur le campus. Les filles veulent
avoir des rapports sexuels avec moi. Les gars, eux, veulent passer du temps
avec moi, sans doute pour que je leur transmette mes techniques de drague. J’ai
déjà une liste de successeurs pour prendre ma place quand j’aurai fini les
cours.
— Où allons-nous, ma douce ?
— Mais tu laisses Kayden t’appeler Tigresse. Oh, mais attends… c’est parce
que tu sors avec lui, c’est ça hein ? me demande-t-il soudainement.
— Je ne suis pas avec Kayden. Je ne peux même pas suivre ses sautes
d’humeur. Il est comme un Kardashian.
Il se moque.
Et perdue dans mes pensées, je remarque à peine que nous sommes arrivés.
Cette baraque est énorme ! Sans parler des arbres gigantesques qui tapissent le
jardin. Oh, et puis il y a cet immense garage qui pourrait aisément abriter vingt
voitures. Une piscine et une grande porte complètent ce tableau idyllique de la
demeure parfaite. Je préfère ne pas imaginer combien tout ceci a coûté.
— Merci pour le trajet, dis-je en attrapant mes sacs dans le coffre de Evans.
Il me lance un sourire.
— De rien bébé.
Il me fait un clin d’œil et j’ai la soudaine envie de lui arracher ce sourire qui
lui colle au visage.
La porte d’entrée s’ouvre et une voix que je ne connais que trop bien hurle :
— Sierra !
Il n’a pas changé depuis la dernière fois que je l’ai vu, il y a environ quatre
mois, hormis ces quelques plis qui barrent son front et les cernes sous ses
yeux. Il est toujours cet homme séducteur qui a fait chavirer le cœur de ma
mère.
— Non.
— Oui.
— Il a de bonnes manières.
Evans rit.
— Votre fille ne veut jamais dire qu’elle me connaît. J’étais un joueur, mais
après avoir rencontré Sierra, eh bien… vous savez combien votre fille peut
être convaincante quand elle veut.
— Non reste, insiste papa. J’aimerais en savoir plus sur ton petit ami, Sierra.
— Je dois y aller, monsieur, décline poliment Evans. Encore une fois, c’était
un plaisir de vous rencontrer.
— Si… Sierra ?
Je vais tuer papa. Je vais le tuer. Il ne m’a pas dit qu’elle était là !
— Eh bien, papa ne me l’a pas dit non plus. Si j’avais su que tu étais là, je ne
serais pas venue ici.
Elle reste silencieuse. Je traverse le salon pour monter à l’étage, mais elle
m’arrête en attrapant mon bras.
— Je ne veux pas parler, je crache, une pointe d’ironie dans la voix. Je te l’ai
déjà dit, tu es morte pour moi.
Donc, c’est ce pour quoi papa voulait que je revienne. Il veut que je fasse la
paix avec Bérénice. Qu’ils aillent en enfer tous les deux !
— Je sais que tu souffres Sierra, dit-elle d’une voix plus douce. Et je veux
faire en sorte que ce soit plus facile pour toi.
Une autre voix se joint à nous, cette fois, je ne sais pas à qui elle appartient.
Je rejoins la pièce voisine, ma petite sœur sur les talons, et tombe sur une
femme brune plutôt mignonne, une tasse de thé entre ses mains. Elle porte une
robe en satin gris sous laquelle on devine des courbes parfaites, et ses yeux
clairs comme le cristal nous fixent.
Je ne me suis pas rendu compte que je parlais à voix haute et ladite Alyson
se met à souffler.
J’adopte mon air le plus menaçant. Pour qui elle se prend, celle-là ?
— Je vous connais ?
— Non, mais j’ai l’impression que nous allons devenir les meilleures amies
du monde.
Elle sourit sincèrement ; si elle croit que nous allons nous raconter nos
petits secrets en nous peignant les cheveux, elle peut toujours rêver !
Au même moment, mon père entre dans la cuisine et s’arrête quand il nous
voit toutes les trois.
— Je pense qu’on devrait lui dire maintenant, elle a l’air d’être sur le point
de me tuer.
Il soupire.
— Tu as raison, chérie.
« Chérie » ? Sérieux ?
— D’accord, je lâche, tentant tant bien que mal de ne rien laisser paraître.
— Sierra, je veux que tu saches que cette fois, c’est différent. J’aime
vraiment Alyson. Elle est intelligente, belle et elle me fait tout le temps
sourire…
Elle ferme la bouche. Papa est juste là, réfléchissant sans doute à la
meilleure manière de gérer la situation.
Mon père garde le silence. Alyson me regarde avec horreur, ce qui me fait
rire.
— Tu ne répliques pas car toi aussi tu sais qu’elle n’est pas différente des
autres.
Après un dernier regard sur mon paternel, je monte à l’étage, laissant tout le
monde stupéfait.
14
Un dîner n’a jamais été aussi gênant que celui-ci. Je ne parle pas, ne fais que
marmonner un mot quand c’est vraiment nécessaire, comme « pomme de
terre » ou « sauce ». Je garde la bouche fermée pour ne pas dire des choses qui
pourraient rendre l’ambiance encore plus glaciale. À ma grande déception,
Bérénice a choisi de prendre place à côté de moi. Tandis que Alyson, la poule
du moment de papa, se trouve face à moi. Je reste la tête baissée parce que
chaque fois que je regarde sur ma droite, Bérénice me lance des coups d’œil
coupables. Et si je relève le nez, Alyson me supplie des yeux de lui donner une
seconde chance. Papa, reste silencieux et comme moi, il garde le visage vers
son assiette fourrant de temps à autre des petits pois dans sa bouche.
Cette dernière essuie les bords de ses lèvres avec sa serviette. Je peux dire
qu’elle vient d’une famille riche à la façon dont elle se tient et à la manière
dont elle manie ses couverts, toujours avec grâce. Papa aime les femmes
pleines aux as, c’est certain.
— J’ai quelque chose contre lui, dis-je en pointant mon père du doigt. Et ce
mariage.
— Et pourquoi pas ? Elle mérite de savoir comment est vraiment papa. Elle
mérite de connaître la douleur qu’il a infligée à maman, jusqu’à ce qu’elle soit
obligée de parcourir le monde pour s’éloigner de lui !
Mon paternel se lève d’un bond, la colère se lit dans ses yeux sombres.
— Ferme-la, Sierra !
— Tu la défends ?
— Elle est ma sœur, répond-elle. Tu ne peux pas lui faire ça. Je n’accepte pas
ce qu’elle t’a dit, mais tu ne peux pas la mettre dehors.
Je n’ai jamais pensé qu’un jour elle me défendrait. Elle qui se laissait
toujours faire, elle que j’ai si souvent rabaissée.
— Sierra…
— C’est trop tard, dis-je avant de retourner à ma chambre pour prendre mes
affaires.
Houston m’aide à ranger mes sacs dans le coffre de la voiture, tandis
qu’Arthur, le chauffeur de mon père, se glisse derrière le volant. J’embrasse la
joue du majordome et souris.
— Mademoiselle Lane, je suis navré concernant votre père, mais vous avez
vraiment poussé le bouchon ce soir.
Je détourne les yeux, ses mots tournent et retournent dans mon cerveau déjà
rempli des derniers instants passés dans le manoir. Houston parvient toujours à
me mettre devant le fait accompli et à atteindre mon moral quand je le mérite,
cependant, cette fois, hors de question de laisser paraître une quelconque
émotion.
Et pour une raison que j’ignore, ma colère s’évanouit pour laisser place à
une profonde douleur. Je me sens perdue, tellement perdue… La culpabilité me
rattrape et mon cœur me fait tellement mal que je suis à deux doigts de
m’effondrer.
— S’il te plaît…
Doucement, les larmes se mettent à glisser sur mes joues. Je tente bien de les
effacer avec les manches de ma veste, mais elles reviennent sans cesse.
Il s’approche de moi et glisse ses mains dans mon dos, je m’effondre contre
son torse.
— Hé, murmure-t-il.
Pour une fois, je le laisse me prendre dans ses bras. Pour une fois, je me
permets de pleurer dans son t-shirt, accablée par le poids de mes fautes. Pour
une fois, je m’autorise à être vulnérable.
Kayden sourit et ses yeux rencontrent les miens. Une étrange émotion teint
ses iris d’une nuance plus claire ; c’est quelque chose que je n’avais encore
jamais vu chez lui.
— Quelle famille ? Ma sœur est une voleuse de petit ami, mon père est un
fils de pute hypocrite qui en est à sa septième épouse.
— Et ta mère ?
Je soupire.
— Dieu seul sait où est ma mère… Je l’envie cependant. Elle est libre
maintenant alors que moi, je dois m’occuper de tout le monde.
Je me moque.
Il se lève et capitule.
— J’ai essayé.
J’imite sa voix.
— J’ai essayé.
— Après tout ce que tu m’as dit sur lui, je sais que je déteste ce mec. Mais je
ne pense pas qu’il mérite ta colère. Je veux dire, il a dit qu’il était désolé, pas
vrai ? Et il dit qu’il a changé, non ?
— C’est stupide, je sais, je gémis. Je me sens comme idiote d’avoir dit ça.
— Ce n’est pas… ce n’est pas enfantin, il poursuit à voix basse. C’est normal
de penser ça, Sierra. Je pense que ce que tu veux, c’est que quelqu’un t’aime.
— Tu as été trahie par des personnes chères à ton cœur et il te faut quelqu’un
pour recoller les morceaux. Même si t’essayes d’agir comme une dure à cuire
Tigresse, je sais que tu as mal et que tu veux juste que quelqu’un éloigne cette
douleur loin de toi.
Ses mots s’ancrent dans ma tête et je me sens tout à coup fébrile. Quelque
chose me dit qu’il pourrait aussi parler de lui-même. Je lui offre un petit
sourire, bien qu’il soit forcé.
— Ouais, je l’ai fait. Alors, quoi ? je le défie, en croisant les bras. Tu vas
changer d’humeur comme lui ? S’il y a bien quelqu’un qui a besoin d’une
thérapie, c’est toi.
Ses mots parviennent à me faire sourire. Je crois que nous avons besoin de
l’un de l’autre plus que nous le pensions.
— Je suis partante.
15
Aujourd’hui, c’est le jour J. C’est fou, mais je ne me sens pas le moins du
monde nerveuse. C’est peut-être parce que j’ai formé Kayden pendant des jours
de façon à ce qu’il fasse sortir ses adversaires en moins de trois minutes.
Dans quelques heures, la salle de gym Breaking Point sera fermée pour le
tournoi. Aucun policier ne tentera d’arrêter l’activité illégale. Parce qu’ils
seront tous à l’intérieur avec nous, plaçant des paris et criant autour du ring.
Kayden, Evans, Brent et moi sommes assis autour de la table à manger pour
nous préparer. Ou plus précisément, Kayden et moi-même nous préparons à ce
qui va se passer, alors que Brent et Evans se jettent sur la dernière part de
pizza.
— Sûrement pas !
— Les gars, on devrait y aller maintenant pour qu’on puisse avoir une
bonne vue.
**
— Tu profites, hein ?
— Comme tu me l’as dit, je peux gagner de l’argent facile avec toi. Peut-être
que si je reste avec toi un peu plus longtemps, je serai millionnaire.
— Oh, avant que j’oublie ! m’exclamé-je en fourrant ma main dans mon sac.
— Merci.
J’incline mon visage sur le côté, sans voix. Comme quoi, parfois, il laisse
tomber son costume de mec froid et distant.
Je l’aide à glisser le peignoir sur ses épaules. Puis, il se retourne et j’attache
sa ceinture sur le devant. Sa poitrine monte et descend rapidement, il halète
quand mes doigts entrent en contact avec sa peau. Je le regarde et ses yeux
plongent dans les miens avec une telle intensité que je sens mes joues devenir
brûlantes. Je remonte mes paumes le long de son torse jusqu’à atteindre son
cou. Nous sommes si proches à cet instant… C’est la première que cela
m’arrive depuis longtemps et cette soudaine proximité me met mal à l’aise.
Il cale une mèche de cheveux derrière mon oreille, puis avec son pouce, me
caresse doucement la joue. Je suis ensorcelée par la façon dont ma peau revient
à la vie sous ses doigts.
Je ferme un bref instant les yeux pour me ressaisir et ajuste le tissu dans son
cou.
— Ça fait moche quand le col est remonté sur ta nuque, dis-je en faisant un
pas en arrière.
Il hoche la tête.
— Je n’ai pas besoin de chance. Je t’ai toi, Tigresse, et c’est suffisant, sourit-
il avant de quitter la pièce.
Et je pense qu’à cet instant, mon cœur est sorti de ma poitrine pour
tambouriner aux oreilles de tous. Que m’arrive-t-il ? Je dois me ressaisir !
— Hey ! crie mon ami par-dessus les hurlements des spectateurs. Qu’est-ce
qui t’a pris autant de temps ?!
— T’en veux ?
Je secoue la tête, prends une poignée de pop-corn et rive mes yeux au ring,
dans l’attente que l’homme au peignoir de satin rouge se matérialise. Bientôt,
le type au mégaphone débarque, ameutant toujours plus la foule en délire.
D’autres concurrents se jettent sur le ring, j’identifie rapidement qui sont les
bons et qui sont les mauvais. Ceux chez qui je ne reconnais aucun talent axent
tout sur l’offense et non la défense. Ils sont imprudents sur le ring, c’est
quelque chose qui pourrait les faire tuer. Kayden est un peu des deux. Un peu
imprudent, mais aussi rationnel. Je lui ai appris à séparer l’instinct de la
logique, mais il ne maîtrise pas encore ça. L’instinct va de pair avec les
émotions et si ses émotions sont renforcées, cela pourrait lui permettre de
gagner. Mais je sais que lorsqu’il est en colère, il a tendance à être plus
imprudent. Je dois passer plus de temps avec lui pour l’aider à améliorer ça. Je
suis vraiment impatiente qu’il arrive, à tel point que je sautille sur la pointe des
pieds, ce qui fait rire Evans. Il me passe un peu de pop-corn et je le dévore.
— Tigresse.
— Tueur.
— Regarde-moi.
Kayden grogne comme un animal alors qu’il entame une course folle autour
de son opposant avant de le prendre par surprise. Bien.
Les yeux de West s’écarquillent et il tente de rendre les coups, mais l’autre
l’évite et s’éloigne pour le frapper directement à la cage thoracique. Kayden
est rapide, plus rapide que jamais et l’autre boxeur peine à l’atteindre. Il tourne
constamment autour de lui, évite tous les coups et fait vivre l’enfer à Maddox.
Mon colocataire envoie son poing à plusieurs reprises sur la joue de son
adversaire le faisant tomber au sol.
J’acquiesce d’un hochement de tête tandis qu’il disparaît déjà dans les
vestiaires. J’aimerais le suivre, mais après son combat et ce que j’ai ressenti
tout à l’heure avant qu’il ne monte sur le ring, je dois mettre un peu de distance
entre nous. Pour notre bien à tous les deux.
Evans, Brent et moi trouvons une place un peu plus loin, nous nous faufilons
au travers de la foule en délire et je bouscule quelqu’un par inadvertance.
— Bonsoir, Jaxon.
16
— Princesse…
Il tend la main pour atteindre mon visage, mais je fais un pas en arrière. Il se
mord la lèvre, visiblement frustré par mon refus. Autrefois, j’adorais quand il
faisait ça, mais aujourd’hui, j’aimerais qu’il se la morde jusqu’au sang, juste
pour le voir souffrir. Ouais, ce serait génial.
Il glisse une main dans ses cheveux et me détaille de ses yeux bleus et vides.
— Tu ne peux rien faire, c’est trop tard Jaxon ! Je me sens bafouée. J’ai été
manipulée, vous m’avez menti et trahie. Ce n’est pas un sentiment qui peut
disparaître avec des excuses !
Son ton est si doux que je pourrais presque le croire. Me ment-il ? S’en veut-
il vraiment ? Une petite voix dans ma tête me dit de ne pas lui faire confiance.
Il a toujours su me manipuler pour me faire croire ce qu’il voulait, alors
pourquoi serait-ce différent maintenant ? Ce mec est, et restera une ordure. Je
pointe un doigt accusateur sur son torse.
— Non.
— Oui, concède Jaxon en baissant d’un ton. J’ai fait une connerie, Bérénice
ne signifie rien pour moi, Sierra, rien.
Ses yeux s’écarquillent. S’il pense pouvoir tout effacer d’un revers de la
main, il fait erreur. J’aimerais tant qu’il souffre comme moi je souffre, qu’il
ressente cette douleur lancinante qui me réveille encore parfois la nuit.
— Je t’aimais. Je suis restée à tes côtés et j’ai toujours été fidèle et toi, tu as
fait tout l’inverse. Tu pensais peut-être me faire tomber, mais devine quoi ? Je
suis debout, droite et devant toi. Et ma haine n’a aucune limite. Ne te méprends
pas, je vais faire en sorte que le tournoi de cette année soit mémorable, en
particulier pour toi.
— De quoi tu parles ?
Il fait un pas vers moi et se saisit de mon bras avec une puissance
ahurissante.
Je me dégage de son emprise d’un geste vif. Je fais volte-face, prête à partir,
mais avant, je lance par-dessus mon épaule.
— On se voit en finale.
Mon esprit tente encore de comprendre les agissements de Jaxon tandis que
je m’éloigne de lui. Bon sang, comment notre relation a-t-elle pu finir ainsi ?
Nous étions si proches, si amoureux autrefois. Désormais, je ne ressens plus
que de la haine. Comment pourrait-il en être autrement après ce qu’il a fait ?
Pourtant, au fond de moi, dans un coffre fort verrouillé à double tour,
demeurent encore des sensations mêlées à un soupçon d’amour que je ne
parviens pas à enrayer, peu importe combien j’essaye. C’est lui qui m’a appris
à ne pas avoir peur du monde. Il était celui qui m’aidait à affronter les
mariages ratés de mon père et l’absence de ma mère. C’est lui qui s’est assuré
que je sois forte, physiquement, émotionnellement et mentalement. Je ne serais
rien sans lui. Mais il n’est pas quelqu’un de bien, et même s’il m’a aidée, je
suis certaine qu’il l’a fait dans un but précis. Jaxon ne fait jamais rien sans
attendre quelque chose en retour. Et si Bérénice était dans le coup ? Si c’était
elle qui lui avait demandé de me venir en aide ? Si ça se trouve, ils se
connaissaient bien avant que je le rencontre, peut-être même qu’ils sortaient
déjà ensemble ? Je crois que je deviens parano…
— Hey, où étais-tu ?
Hallucinant…
— D’accord.
Il indique le ring.
— Le prochain combat de Kayden commence.
— Est-ce que ça va ?
Je souris.
À mesure que le combat progresse, mon cœur bat plus vite. J’aime le
regarder se battre car il donne tout et n’est jamais dans la retenue. Chaque coup
est porté avec force. Contrairement à lui, Jaxon axe sa technique sur la
stratégie. C’est bien, mais c’est également risqué, il a eu de la chance pendant
trois ans. Mais face à Kayden, je crois qu’il ne sera plus aussi chanceux.
Enfin, le combat se termine avec l’aigle étendu sur le sol, les doigts du
Killer enserrant sa nuque. Ce dernier est incapable de bouger, la foule hurle
« le Killer ! Le Killer ! ». L’annonceur le déclare vainqueur de son second
combat.
Après que le bookmaker m’ait donné mon argent, Brent, Evans et moi nous
retournons à la salle de gym pour voir Kayden. Il porte de nouveau son
peignoir rouge sang, désormais trempé de sueur.
— Félicitations.
— Merci mec.
— Jamais, je souris.
Il jure dans un souffle.
— Pizza Party !
— Quoi ? Sérieux, vous avez un problème, les mecs. La pizza, c’est la vie !
Je rigole et dis :
Ils disparaissent tous les deux en argumentant chacun leur tour sur pourquoi
il faut aller à tel endroit plutôt qu’à un autre.
Ses yeux se posent sur les billets, mais il n’en fait rien.
— C’est…
— Tu ne penses quand même pas que je vais vivre gratuitement dans ton
appartement ? Allez, prends-les.
— Techniquement, ce pognon est à moi par défaut. Après tout, tu paries sur
moi pour l’avoir. Alors, moi je te le donne pour…
Je pose mon index sur sa bouche.
— Chut.
Il acquiesce d’un hochement de tête et louche sur mon doigt posé sur ses
lèvres. Je me retire rapidement et m’éclaircis la gorge en toussant. Puis, son
regard se déplace lentement vers une figure sombre de l’autre côté du couloir.
Je me décale pour apercevoir la silhouette. C’est lui, Jaxon. Je lève les yeux au
ciel.
Je ricane.
— Tu ne peux pas te battre avec lui pour ça. Et puis, je lui ai parlé toute à
l’heure. Je l’ai menacé une ou deux fois et il sait que je suis en train de t’aider.
Sa mâchoire se crispe.
— Oui. Jaxon ne prend pas les menaces à la légère, les vieilles habitudes ne
meurent jamais. Il fera tout ce qui est en son pouvoir pour s’assurer que tu ne
te mettes pas en travers de son chemin lors du championnat.
— Toi.
— Quoi ?
Une semaine que je me suis rendu compte que je pourrais peut-être ressentir
des trucs pour cette nana.
Et une journée pour comprendre que j’aime regarder ses yeux verts et m’y
perdre.
J’aime Sierra Lane. Elle est folle et sarcastique, elle me conteste toujours à
travers ses paroles et ses actions. Elle est déterminée à obtenir ce qu’elle veut,
peu importe les conséquences. Cette gonzesse a une volonté de fer. Elle n’a pas
peur de dire ce qu’elle pense à voix haute ; une grande gueule en somme. Elle
est courageuse et il ne faut pas sous-estimer sa force. Car ce petit bout de
femme est plus forte que n’importe quel boxeur de haut niveau.
Elle admet ses fautes et il lui arrive parfois même d’être vulnérable. Mais
cela ne la rend pas faible. Au contraire, ça la rend plus forte encore.
Cependant, pas question d’avoir des sentiments pour cette pile électrique. Je
ne peux pas me le permettre. J’ai construit des murs autour de moi, pour ne
plus ressentir ce truc qui fait mal. Et puis, je la mérite pas. Merde ! Je dois me
ressaisir ! Pas question qu’elle s’insinue davantage dans mon monde !
C’est vrai, elle, tout ce qu’elle souhaite, et je l’ai bien compris, c’est que
j’arrête de me cacher. Alors pourquoi je ne l’en empêche pas ? Je deviens une
mauviette… Une vraie loque qui lui lèche presque les bottes. Et c’est elle, ma
faiblesse. Elle fait de moi ce qu’elle veut : elle pourrait tout aussi bien me
détruire que me rendre meilleur. Mais le monstre que je suis ne mérite pas de
vivre heureux.
Je ne la mérite pas !
C’est sans doute vrai, mais je pense valoir plus que ce salaud de Jaxon.
Comment il a pu lui faire une chose pareille ? Comment on peut déconner à ce
point ? J’ignore pourquoi il l’a fait, mais une chose est sûre, je vais l’écraser
sur le ring. Je vais lui broyer chacun de ses muscles jusqu’à ce qu’il me
supplie d’arrêter. Non, en fait, je vais le frapper jusqu’à ce qu’il ne puisse
même plus ouvrir la bouche. Il va payer pour m’avoir privé de la victoire lors
du dernier championnat et pour avoir brisé le cœur d’une fille qui ne le
méritait pas.
Mes poings continuent de cogner le sac de frappes rouge. Plus vite, plus fort.
Et à chaque coup, je revois la tête de cet enculé et son putain de sourire tandis
que j’étais sonné, allongé sur le ring. Il a le bras en l’air, on clame sa victoire,
mais il ne la mérite pas. Ça ne se reproduira pas. Jamais. Je vais m’entraîner
encore plus s’il le faut, mais la victoire sera à moi cette année.
Et Sierra aussi…
Sierra, j’aimerais qu’elle soit à moi, mais elle est indépendante et je suis
nocif pour elle. Je devrais d’ailleurs lui dire de s’éloigner, parce que moi, je
serai incapable de le faire.
Mes poings fracassent le sac tandis que mon esprit s’égare encore.
Faut que j’arrête de me prendre la tête, parce que c’est déjà clair dans mon
esprit : je l’aime.
18
Aujourd’hui, c’est le jour où j’aimerais que tous les couples restent chez eux
pour ne pas s’exposer au monde et cracher leur bonheur. Ouais. C’est la Saint-
Valentin. L’amour est dans l’air, littéralement, alors je devrais probablement
me mettre sous oxygène pour ne pas avoir à supporter ça.
Après voir maudit la terre entière, je me traîne hors du lit, saisis mon
téléphone et compose le numéro de Carla. S’il y a quelqu’un qui peut me faire
sentir mieux, c’est bien elle.
Je bâille et coince le portable entre mon cou et mon épaule en utilisant mon
autre main pour peigner mes cheveux devant le miroir.
— Bien sûr, dit-elle comme si c’était une évidence. Simon m’a invitée dans
un restaurant raffiné. Et ça tombe bien, parce que je commençais à croire qu’il
allait passer le restant de sa vie devant sa Xbox pour terminer son jeu stupide.
Je ris un peu.
— Daniel a planifié quelque chose d’extravagant pour Alex, c’est sûr. Mais
je ne peux pas t’en dire plus.
— Je ne voulais pas dire qu’il l’était, elle rit. Mais tu n’es pas la seule à ne
pas vouloir passer la Saint-Valentin en solo. Tu devrais y penser.
— Bye, Carla.
Je quitte la pièce, enroulant mes bras autour de moi. Il est encore tôt,
08 heures 30 pour être exacte et je ne vois aucune note sur le comptoir de la
cuisine, ce qui signifie que Kayden est encore en train de dormir. Il a besoin de
récupérer après le combat d’hier.
Une fois dans le séjour, je regarde les murs blancs et fronce les sourcils. Il y
a quelques fissures dans la peinture ; pas très attirant ni chaleureux. Soudain,
une pensée commence à germer dans ma tête. Cet endroit n’est peut-être pas
vraiment chez moi, mais ce n’est pas non plus chez Kayden. Il vit ici depuis un
an et demi et je ne vois rien qui lui est propre. Il n’y a pas de cadres photo, pas
d’oreillers colorés sur le canapé ni même de vase. Rien. C’est comme s’il se
préparait à partir sans laisser de trace de son passage en ces lieux. Les
engrenages de mon cerveau turbinent à plein régime et je me souris à moi-
même. Eurêka ! Je sais ce que je vais faire pour la Saint-Valentin. Il y a du
changement dans l’air !
**
Je reviens avec plusieurs pots de peinture et autres objets que j’ai achetés
chez Home Store. Je traîne le tout dans le séjour au moment même où Kayden
sort de sa chambre, ses cheveux noirs ébouriffés et seulement vêtus d’un boxer
bleu marine.
— Oh, j’ai fait un peu de shopping, souris-je en sortant les clés de sa voiture
de ma poche et en les déposant sur le comptoir. Merci de m’avoir prêté ta
caisse.
— Peu importe.
Il croise ses bras sur son torse, faisant ressortir sa musculature couverte
d’encre, et me regarde, suspicieux, en fronçant légèrement ses sourcils bruns.
Il regarde dans le pot de peinture, puis lâche une grimace de dégoût ainsi
qu’un juron bien salé.
— Nous allons peindre ton appartement, idiot ! je souris et touche son nez
avec mon doigt.
— Allez, Kayden ! Cet endroit est tellement triste ! Il a besoin d’un peu de
couleur et d’une touche féminine, n’est-ce pas ?
Il secoue la tête, accompagnant son geste d’un regard désapprobateur.
— Parce que… je vais le faire, d’accord ? Je m’en fiche de ton avis et cet
endroit ressemble plus à une prison qu’à un putain d’appartement ! Et c’est la
Saint-Valentin. Et j’ai l’intention de dépenser de l’argent dans de la peinture de
merde pour ne pas penser à toutes les choses que Jaxon et moi on ferait si on
était encore ensemble !
— Ouais (je baisse les yeux). J’ai besoin d’extérioriser, c’est tout.
— Oh, non…
Je soupire.
— Est-ce que c’est mon genre d’avoir ce genre de merde ici ? il s’emporte.
— Tu m’embrouilles, je ricane.
— Tu te moques de moi ?
Je souris.
Après avoir déplacé tous les meubles et posé une toile sur le sol, nous
mettons les cinq seaux de peinture au milieu de la pièce. Je regarde le spectre
des couleurs devant moi : rose magenta, kaki, turquoise, rouge et beige.
Kayden, qui a finalement la brillante idée de mettre un t-shirt, fixe le rose.
— Je ne sais pas quelle couleur tu aimes alors j’ai pris un peu de tout.
Il referme le magenta, en secouant la tête. Elle est très belle cette couleur,
qu’est-ce qu’il lui reproche ? Je ne cherche même pas à savoir, je garderai
cette teinte pour ma chambre.
— Très bien. Alors, quelle couleur veux-tu sur ce mur ? je lui demande, le
rouleau en main.
— Bleu, il murmure.
Il lève un sourcil.
Je ne dis rien. Parce qu’il a raison. Il prend mon silence comme une réponse
positive.
— Tais-toi !
Je plonge mon rouleau dans la peinture beige et en lance sur lui, elle atterrit
droit sur son t-shirt propre. Il regarde son torse, choqué, tandis que je jubile.
— T’es sérieuse là ?
J’affiche mon sourire le plus rayonnant alors qu’il plonge son pinceau dans
le rouge.
Trop tard, la peinture rose atterrit sur tout son visage et son torse avant de
dégouliner sur son pantalon.
Je m’éloigne en souriant.
— D’accord ! Je m’arrête…
Il lâche le seau de peinture vide, son visage proche du mien. Son sourire est
parti. Ses lèvres sont une ligne mince alors qu’il me fixe de ses grands yeux
gris. Ses doigts essuient lentement les éclaboussures de peinture sur mon
visage.
— Sierra, il souffle.
Cher Dieu, est-ce mauvais pour moi d’imaginer ce que serait d’embrasser
ses lèvres ?
Moi, je suis accro à lui aussi. Je ne peux pas m’éloigner de lui. Il a peut-être
des sautes d’humeur, peut se montrer irritable et agaçant au possible, mais ça
ne me fait l’aimer plus encore. Il peut rire et être grognon, mais je sais aussi
qu’il se soucie de moi. Même s’il a une drôle de façon de le montrer. Il est
prisonnier de son monde de douleurs, cependant, je suis persuadée que je peux
l’en sortir. Que je peux être celle qui détruit les murs protégeant son cœur.
— Tigresse…
Il tourne légèrement la tête et embrasse ma paume. J’aime ce geste, le
contact de ses lèvres chaudes sur ma peau. Je voudrais qu’il m’embrasse
partout. J’imagine ses lèvres sur mon front, ma joue, mes lèvres, mon cou, la
courbe de mes seins, mes cuisses… Non. Pas comme ça. Cette pensée seule me
ramène à la réalité. Je ne peux pas l’aimer. Je ne peux pas aimer son contact
comme si c’était une drogue. Je ne devrais pas le désirer comme ça. Je déglutis
et retire ma main.
Le sol est trempé d’une myriade de couleurs et le mur que nous avons peint
ne ressemble à rien.
— Ouais, répond Kayden d’une voix sèche. Nous… on… tu devrais nettoyer
avant.
— Merde…
Je prends du recul sur la pièce et essuie une fine pellicule de sueur sur mon
front en inspectant les murs. Hum, c’est plutôt pas mal.
Kayden hausse les épaules et jette son pinceau dans la peinture. Son
téléphone commence à vibrer sur le comptoir de la cuisine, il essuie ses mains
sur son pantalon et décroche rapidement.
— Allô ?
—…
— Hey, Brent.
—…
—…
— Salut.
— Un club ? Bien sûr. Pourquoi pas ? À moins… que tu veuilles rester ici ?
Il secoue la tête.
— Alors, allons-y !
Finalement, je mets la main sur une robe noire sans bretelles. Elle semble un
peu courte sur moi, c’est une de mes « amies » qui me l’avait offerte pour mes
dix-huit ans dans l’espoir de changer mon sens du style, mais je ne l’ai jamais
portée, jusqu’à maintenant. Le tissu embrasse mon corps au bon endroit et
l’ourlet repose sur mes cuisses. C’est sexy et j’aime ça. Je me glisse dans une
paire de talons hauts avant de quitter ma chambre.
Je retrouve Kayden adossé sur le comptoir de la cuisine, les mains dans les
poches. Il porte un t-shirt noir et un jeans de la même couleur. Son parfum
ambré flotte dans l’air.
Je prends mon sac à main et le suis, les lèvres serrées. Lorsque nous
arrivons à la voiture, Kayden se tourne une nouvelle fois vers moi. Il se
penche, les yeux brillants. Mon souffle se coupe ; que va-t-il faire ?
Je cligne plusieurs fois des yeux et garde la bouche ouverte. Merde ! Que
quelqu’un me pince. Kayden pense que je suis belle. Cet homme veut vraiment
ma mort…
Nous quittons l’appartement et je reste muette durant tout le trajet. Une fois
au club, j’aperçois Evans et Brent en train de faire la queue dans la longue file.
Je sors de la voiture, suivie de près par mon colocataire. Lorsque mes deux
amis me voient, leurs expressions changent immédiatement.
Kayden s’approche, les mains enfoncées dans les poches de son jeans noir.
Ses lèvres sont pincées et, de temps à autre, il lâche une grimace.
— Alors, c’est ici qu’on va passer la Saint-Valentin ?
— Ouais, pourquoi pas ? répond Evans. Les filles ici sont chaudes comme la
braise et désespérées. Après tout, qui aime être seul pour la Saint-Valentin ?
Moi, je veux bien être leur valentin d’un soir, si vous voyez ce que je veux
dire.
Avant que je n’aie le temps de réagir, il est déjà loin. Il m’évite, génial. Je me
dirige vers le bar, il me faut un verre pour me vider la tête !
— Hey, il marmonne.
— Sierra… danse avec moi, dit-il avec une expression que je ne parviens
pas à identifier.
Je souris un peu.
— Oui.
Et puis, il fait un mouvement audacieux en attrapant ma main et en me
traînant sur la piste de danse. Nous naviguons dans la masse de couples jusqu’à
ce qu’il trouve un endroit un peu plus tranquille. Il écrase la distance restante
entre nous et place ses mains sur mes hanches.
— Kayden…
— Tigresse…
— S’il te plaît…
Il fait une pause et, à contrecœur, met de l’espace entre nous. Ses yeux
orageux rencontrent les miens.
— Je suis désolé.
— Nous le voulons tous les deux, mais on ne peut pas le faire. Parce que tu
es toujours accrochée à ton ex et que je trimballe beaucoup trop de secrets qui
pourraient détruire cette relation avant même qu’elle ait commencée.
Ses mots me frappent avec une telle violence que je vacille un peu. Je me
libère de ses bras et cesse de danser.
Il secoue la tête.
— Ce n’est pas du tout ça. Je te fais confiance. J’ai juste peur que mes
démons te détruisent toi aussi…
Je recule.
— J’ai été honnête avec toi dès le début. Tu sais tout ce qu’il y a à savoir sur
moi. Mon passé, ma famille, Jaxon. Et moi, je réalise que je ne connais rien de
ta vie. Comment c’est possible ? Je suis attirée par toi, mais je ne sais même
pas ce qu’il t’est arrivé par le passé pour que tu sois autant en colère.
Je baisse les yeux, ne sachant pas quoi rétorquer. Je ne devrais pas le pousser
à me le dire s’il n’est pas prêt, pourtant, je brûle d’envie de tout savoir à son
sujet. D’un autre côté, je me refuse d’insister, lui ne me ferait pas ça. Et puis,
s’il n’est pas prêt, inutile de le pousser à bout. Sans compter que je ne suis pas
encore prête pour m’investir dans une nouvelle relation. J’ai rompu avec
Jaxon il y a seulement deux semaines, c’est encore trop frais, trop douloureux
pour passer outre.
Je mets mes bras autour de lui. Il hésite à placer ses mains autour de ma
taille.
— On ne peut pas danser ainsi, je lui fais remarquer. Et s’il te plaît, arrête de
souffler le chaud et le froid avec moi. Je n’arrive plus à te suivre…
Il me serre dans ses bras, son nez dans mes cheveux alors que nous nous
déplaçons.
— Les deux.
Après ma danse avec Kayden, je file aux toilettes. Pendant un bref moment,
je me souviens de la façon dont il a posé ses mains sur moi. La seule chose qui
empêchait le contact de sa peau contre la mienne était cette robe que je porte. Je
peux presque imaginer à quel point ce serait délicieux de le sentir me toucher.
Je me souviens de ses lèvres si proches des miennes quand son front a touché
le mien. Je pouvais presque sentir son souffle se déchirer et effleurer mes
lèvres. Et il luttait contre ses propres envies, tout comme moi je bataillais pour
ne pas m’abandonner à lui. Mais il sait que nous ne sommes pas prêts pour ça.
Et autant je déteste ça, autant j’admets qu’il est plus sage que nous ne
franchissions pas la limite. Toxique, Kayden est toxique. Il m’a empoisonnée et
il n’y a pas de retour possible pour moi.
Je sors des toilettes et aperçois, quelques mètres plus loin, Brent et Evans en
train de discuter dans un coin. Ils ne m’ont pas vue et alors que je m’avance
doucement vers eux, je m’immobilise quand j’entends de quoi ils parlent. Je
couvre ma bouche pour ne pas lâcher un bruit susceptible de trahir ma
présence.
— Je suis désolé, j’arrive pas à me contrôler. J’aime les filles. Je suis attiré
par elles.
— Je sais, soupire Brent. Mais je ne peux pas rester là pendant que tu baises
ces nanas en prétendant que ça ne se reproduira plus. Je ne peux pas te sortir de
mon esprit, Evans. Depuis ce baiser…
— Ouais. Je sais…
— Je suis désolé. Nous sommes fous. Et autant je veux tout ça avec toi…
autant ça ne peut plus se reproduire.
— Je ne sais pas…
Brent soupire. Je vois qu’il essaie de combattre son désir, mais à la fin, il
échoue. Il s’avance et presse ses lèvres contre celle d’Evans. Mes yeux
s’écarquillent, je suis sous le choc.
20
À la minute où ils ont commencé à s’embrasser, je suis partie de là. Je… je
suis étonnée. Je ne savais pas que Brent était… et Evans était… et… qu’ils
avaient des sentiments l’un pour l’autre. Quelle révélation ! Tout devient
logique désormais, les regards appuyés de Brent quand Evans drague une fille,
ses réflexions, etc. Brent est jaloux, il est jaloux parce qu’il aime Evans. Et ce
soir, ils se sont embrouillés. Zut… Kayden est-il au courant de la liaison entre
son frère et son meilleur ami ?
Je slalome entre les fêtards pour rejoindre le centre de la salle. Et tandis que
je m’arrache à mes questions, je constate qu’il n’y a plus de musique.
Étrange… Quel genre de club coupe la musique en pleine nuit ?
— Petite amie ? (Kayden rit franchement) Ex-petite amie plutôt ? Après tout,
tu as trompé Sierra avec sa sœur. C’est faible, même venant de toi, Deneris.
Des murmures s’élèvent dans la foule tandis que je reste paralysée, les yeux
rivés sur la scène. Si j’aide Kayden maintenant, l’un d’eux va s’occuper de moi
et les autres vont l’attaquer. Je dois réfléchir à un plan.
— Où est-elle ? Rends-la-moi !
— Elle est à moi, articule mon ex avec agacement. Bérénice s’inquiète pour
elle et moi aussi ! Tu sais où elle est, Kayden et si tu me le dis, je te promets
que le combat se passera uniquement sur le ring. De toute façon, on la
trouvera, j’ai déjà des mecs qui fouillent le club.
Mon colocataire pâlit, ses yeux se jettent dans la foule. Il inspecte chaque
personne et quand enfin son regard se pose sur moi, il soupire de soulagement.
De mon côté, j’ai un plan. Je jette un coup d’œil au pied de biche posé sur le
bout du comptoir et je fais en sorte qu’il le voit lui aussi. Je ne suis qu’à
quelques mètres de là. Il faut que Kayden trouve une occasion de distraire
Jaxon et ses hommes afin que je puisse m’emparer de l’objet.
— T’es qu’un putain de connard, Jaxon. Tu es aussi perdu qu’un fils de pute
le jour de la fête des Pères.
Il fait un mouvement audacieux vers l’avant et appuie son front contre celui
de mon ex. La foule retient son souffle.
Les yeux bleus de mon ex-petit ami deviennent si sombres que c’en est
effrayant. Sa main fourrage vigoureusement ses cheveux blonds.
— S’il vous plaît ! je les interromps d’une voix faussement calme, le pied de
biche à la main.
Tout le monde tourne la tête vers moi et je me sens intimidée devant ces
centaines de paires d’yeux qui me fixent.
— Vous pensez que je blague ? (Je fais un bref signe vers mon ex) Il m’a
appris tout ce que j’ai besoin de savoir pour me défendre. Maintenant, je vais
vous donner deux options. La première : partir. La seconde : rester ici et je
vous enterre tous.
J’attends leur réponse, mais ils restent muets comme des carpes. En fait, tout
l’endroit est terriblement silencieux.
— OK, je réponds. Je vois que vous avez choisi l’option numéro deux.
— Au revoir, princesse.
— J’allais appeler les flics, je le jure ! Mais ils m’ont menacé et tout s’est
passé si rapidement…
— Je ne peux pas croire qu’ils aient réellement cru que tu allais te battre
contre eux, dit Kayden en souriant.
— Je viens de réaliser que Jaxon n’était pas celui que je croyais. Je veux
dire… il m’a trompée avec ma sœur et c’était là un premier aperçu de ce qu’il
était vraiment. Mais ce soir, la façon dont il parlait de moi m’a fait réaliser que
pour lui, je n’étais qu’un trophée de plus.
Mon colocataire doit sans doute comprendre que je suis submergée par les
émotions, aussi il glisse son bras autour de ma taille et me serre contre lui.
Nous marchons vers la sortie, Brent un peu à l’écart. Je profite du fait que
mon colocataire soit en grande conversation avec Evans pour m’entretenir
avec mon ami.
— Vous n’étiez pas très discrets tout à l’heure dans le couloir des toilettes.
— Deal.
**
Il prend place sur le bord du matelas, les doigts noués et le regard fuyant. Je
m’installe à ses côtés et enlève mes talons. Bon sang, ces trucs étaient en train
de me tuer les pieds !
— Alors, que s’est-il passé ? Je suis désolée d’avoir écouté, mais je vous ai
vus et…
— C’est bon, me coupe-t-il en hochant la tête. Ce qui est fait est fait.
Les joues de Brent deviennent encore plus rouges, virant presque au rouge
pivoine. Il presse ses lunettes plus loin dans le creux de son nez.
— Ouais. Nous avons… fait ça un moment. Mais un jour, il a dit qu’il fallait
qu’on mette un terme à ça. Ses parents sont fous de religion et s’ils apprenaient
qu’il a eu une liaison avec un homme… ils le renieraient, c’est certain. Et
même si j’ai envie d’être avec lui, je refuse qu’il souffre.
— C’est nul…
— Toi et Kayden ? Allez ! Même une personne aveugle peut voir à quel
point vous avez envie d’être ensemble. Je pense que vous seriez bien ensemble.
Je le regarde.
— Ce n’est pas comme si j’allais crier sur tous les toits que j’aime les
hommes !
— Bien sûr. Et ils sont même très compréhensifs et attendent que je leur
ramène un mec. Kayden aussi est au courant. D’ailleurs, il m’a beaucoup
soutenu.
— Nous savons tous les deux que nous sommes attirés l’un par l’autre. Mais
il ne veut pas s’engager parce qu’il pense que je suis toujours amoureuse de
Jaxon. Et je ne peux pas gérer le fait qu’il ne veut pas me dire ce qui lui est
arrivé dans le passé pour qu’il soit si froid avec les gens.
Je secoue la tête.
— Ce n’est pas si facile… Il y a des zones d’ombre dans sa vie, il est très
mystérieux et ne s’ouvre jamais. De mon côté, j’ai besoin d’avoir une totale
confiance en lui et d’y aller par étape, parce que ma rupture est encore trop
fraîche. Quand il sera prêt, il me le dira et peut-être que je le serai aussi. Mais
en attendant, il est préférable que nous restions amis. Pour l’instant.
Je ris.
— Non merci. Je vais simplement rester seule. Parqu’en couple avec toi, il
serait déplacé de reluquer Kayden. Il est si musclé et si…
Un léger sourire passe sur ses lèvres avant qu’il ne nous observe, Brent et
moi, à tour de rôle.
— Attends, Sierra.
— Quoi ?
Ils plongent ses yeux hypnotiques dans les miens. Le gris de ses iris semble
plus doux et moins orageux.
— Tu as raison.
— Bien.
— Quoi ?!
Il semble étonné, mais c’est vraiment ce que j’ai envie de faire : brûler ce
foutu faire-part de mariage et oublier.
Finalement, je renonce. Il n’a pas tort. Mes bras retombent de chaque côté de
mon corps.
— Je sais…
Kayden saisit cette opportunité pour enrouler ses bras autour de ma taille et
se rapprocher de moi. Je plaque mon visage contre son torse en laissant cette
sensation familière de chaleur me transporter.
— J’adore ça…
Lorsqu’il se retire, il se racle la gorge et fait courir ses doigts dans ses
cheveux sombres.
— À propos du mariage ? Non. Je ne pense pas que mon père lui ai dit. Et je
l’imagine mal le faire… « Salut, je me marie encore une fois ! Et tu es invitée à
venir admirer le spectacle ! Tu pourras voir combien une autre femme peut me
rendre heureux ».
Kayden rit.
Je soupire.
— Je suppose que je devrais l’appeler pour lui faire part des nouvelles. Elle
mérite de savoir quel lâche est mon père.
— Coucou maman.
Comment vais-je lui annoncer ça ? Je ne sais pas dans quel état elle est
aujourd’hui. A-t-elle oublié papa pour de bon ? Est-elle fragile, triste, en
colère ou joyeuse ?
— Bien sûr qu’il l’a fait. Il m’a même envoyé une invitation.
Je l’entends soupirer.
— Quoi ? Bien sûr que non ! Ne sois pas idiote. Il est temps de faire
retomber ta colère comme je l’ai fait. Je me sens tellement mieux depuis que je
l’ai dépassée. Tu dois laisser faire la vie, Sierra. Cette colère que tu as en toi,
elle te détruit un peu plus chaque jour.
Je ne dis rien.
— Je sais que ça a été pénible pour toi de nous voir nous diviser, reprend-
elle. Mais tu sais pourquoi je suis partie, n’est-ce pas ? Je ne pouvais pas rester
près de lui parce que je l’aimais toujours. Beaucoup. J’étais fâchée, blessée. Je
me suis sentie trahie. Mais… après toutes ces années, tous ces sentiments
diminuent. Et je suis une femme heureuse désormais.
Je reste silencieuse.
— Mais après un certain temps, j’ai commencé à penser qu’il était idiot de le
haïr pour ça. Ça ne vaut pas le coup. Au fond, je m’en fiche. Et je veux qu’il
soit heureux. J’ai été en colère un temps, mais maintenant… je suis bien avec
ça.
Elle continue :
— J’ai une belle maison ici à Porto Rico. Et j’ai quelqu’un ici qui se soucie
réellement de moi et qui m’aime beaucoup. Je veux que tu viennes me voir
bientôt, chérie. Il fait toujours tellement chaud ici, j’ai un bronzage ravissant.
Et tout dans cet endroit est à couper le souffle. Je vais t’emmener aux meilleurs
endroits que j’ai trouvés. Nous pourrons visiter toutes les îles et manger des
spécialités locales.
Je ris doucement.
— Ce serait sympa.
— Maman…
Je déverrouille la porte et il entre dans le salon sans même y avoir été invité.
Il fixe un instant ma batte, les sourcils froncés, les poils de ses bras au garde à
vous, avant de reporter son attention sur moi.
— Vraiment ? Encore ?
— Je dois toujours être préparée. Ça aurait pu être un vrai voleur cette fois.
— J’ai besoin de toi. Je veux que tu sois ma fausse petite amie pour la nuit.
— Quoi ?!
Décidément, c’est la journée des surprises ou quoi ?
— Je savais que tu réagirais comme ça, soupire-t-il. J’ai besoin de toi. Mes
parents viennent en ville pour dîner avec moi et je leur ai dit que ma petite
amie serait présente.
— Parce que s’ils soupçonnent que je ne suis… pas aussi droit qu’ils le
pensaient… Ils vont me tuer s’ils apprennent la vérité !
J’enfonce mes mains dans les poches arrière de mon jeans en le scrutant de
haut en bas. Evans ne sait pas que je suis au courant qu’il est gay, alors
pourquoi dit-il ça ? Serait-il prêt à se confesser à moi ?
— Je sais. Je ne devrais pas leur mentir, dit-il, exaspéré. Mais j’ai besoin de
ça. Je ne peux pas les perdre. Je veux qu’ils pensent que je suis toujours leur
garçon. Le garçon qu’ils ont toujours voulu avoir. Je les ai déjà bien trop
souvent déçus avec mes notes et les bagarres, si en plus, ils apprennent que je
joue avec les filles… Je ne veux pas qu’ils pensent que je suis une cause
perdue. S’il te plaît Sierra.
— Evans, tu n’es pas une cause perdue. Ne pense pas ça parce que tu es gay,
bi ou quoi que ce soit.
— Oui, je sais tout. Je t’ai entendu parler avec Brent au club. Ça n’a pas
d’importance. Ça ne définit pas qui tu es. Tu es Evans, et même si tu en souffres
et que tu es parfois carrément taré, je pense que tu es quelqu’un de bien. Peut-
être que tu es un peu perdu, mais ça va aller.
— J’aimerais que tu n’aies pas à cacher le fait que tu es gay à tes parents.
S’ils t’aiment, ils devraient accepter. Tu es leur fils, après tout.
Il hoche la tête.
— D’accord.
Je souris.
— J’espère. (Un sourire se glisse sur mon visage) Tu sais quoi ? Je vais
même porter quelque chose de sexy ce soir. Quelque chose qui attire l’œil et
qui est vraiment décolleté.
Il grimace.
Il attrape ses clés de voiture puis relève les yeux vers moi.
— Mais, tu sais quoi ? J’aimerais voir le regard et le visage de Kayden si tu
portais une robe de bimbo et qu’on sortait d’ici bras dessus, bras dessous.
22
Je n’ai jamais pensé qu’un jour, je ferais du shopping avec Evans. En effet,
après notre petite discussion, il m’a traînée dans les boutiques pour tenter de
dénicher « The robe de bimbo ». Et le moins que l’on puisse dire, c’est que
Monsieur est difficile en matière de fringues…
Il aboie des ordres à la vendeuse et chaque fois que je lui propose une robe
qui pourrait faire l’affaire, il me répond avec une grimace qu’elle est
« horrible », « importable », « bonne à jeter aux ordures ». Je ne suis pas sortie
de l’auberge…
Je ferme le rideau d’un geste vif et je serais prête à parier qu’il a posé ses
fesses sur un tabouret, juste derrière, les jambes croisées, les yeux rivés sur un
numéro du magazine Vogue. Il est vraiment agaçant… Il pouffe quand il trouve
une tenue qui ne lui convient pas et couine lorsqu’au détour d’une page, il
tombe sur un mannequin en bikini.
Il soupire bruyamment.
— C’est trop déroutant. Chaque fois que je regarde une nana, je me dis que
si elle est belle, ça pourrait suffire. Mais quand je vois Brent, j’ai envie de
l’embrasser, de serrer sa main dans la mienne, le faire sourire, rire, et crier de
bonheur. Je crois que je pourrais tomber amoureux de lui, il murmure. Il est
différent. Il est cool, sympa, mignon et il me fait rire comme personne. Il y a
aussi le fait qu’on se chamaille tout le temps.
— Je ne sais pas pourquoi je reçois des conseils d’une fille qui semble faire
la même chose que moi.
— Quoi ?! je m’exclame.
— Je sais pas trop… Je… je ne peux pas être avec quelqu’un qui a autant de
secrets. Je sais qu’il a ses démons… mais tout le monde en a, non ? Et chaque
fois que je lui pose des questions sur ce qu’il s’est passé, il ne me répond
jamais. Il ne veut pas en parler et c’est tellement frustrant pour moi. Je suis
attirée par lui, oui. Mais j’ai peur. Peur de ces sentiments que je ressens pour
lui.
— Non, pas du tout. Mais… tu ne comprends pas. Je suis sortie avec Jaxon et
il m’a fait du mal. Pas seulement parce qu’il m’a trompée avec ma sœur. Je lui
ai donné trois années de ma vie. Trois ans. Et je n’ai réalisé à aucun moment
qu’il me manipulait pendant tout ce temps. J’en viens même à me demander s’il
m’a aimée à un moment. Et tu vois, les cicatrices que laisse ce genre de
trahison ne disparaissent pas comme ça. Ça déchire toute ton âme jusqu’à ce
qu’il ne reste plus rien. Je ne suis plus qu’une coquille vide.
— Tu dois aller vers lui. Il est sûrement effrayé lui aussi par ses sentiments
pour toi. Il est têtu. Tu es têtue. Vous êtes parfaits l’un pour l’autre. Et il n’y a
rien à craindre. Tu dois être courageuse et prendre le risque.
— Merci.
Après notre petite escapade dans les boutiques, Evans m’a déposée à mon
appartement.
Kayden n’est pas encore rentré, alors j’ai tout mon temps pour me préparer.
Je passe une bonne trentaine de minutes à essayer d’appliquer de l’eye-liner
sur mes paupières. Après l’avoir effacé à de nombreuses reprises avec du
démaquillant, j’abandonne et opte pour un fard à paupières irisé. Une fine
couche de fond de teint, du blush sur mes pommettes et un peu de rouge à
lèvres. Une fois le maquillage terminé, j’envoie un rapide SMS à Evans afin
qu’il n’oublie pas mes Skittles. Je reçois sa réponse presque immédiatement :
Je glisse mon téléphone dans mon sac à main et au même moment, la porte
d’entrée s’ouvre. J’enfile un peignoir et jette un coup d’œil dans le couloir
pour constater qu’il s’agit de Kayden. Il a une serviette blanche enroulée autour
du cou, comme après chaque entraînement. Quand il me voit, ses lèvres se
courbent en un sourire.
— Tigresse.
Il me coupe :
— Je suis vraiment stupide. Brent est… mon frère et Evans est mon meilleur
ami depuis ma dernière année de cours. Comment j’ai fait pour ne pas le
remarquer ?
— Est-ce vraiment important qu’ils aient des sentiments l’un pour l’autre ?
Brent est un bon gars. Evans aussi. Bien qu’ils ne soient probablement pas le
couple idéal, je suis curieuse de voir comment ils vont finir ensemble.
— Eh bien, Brent est super déprimé depuis quelque temps donc j’ai pensé
qu’il avait raté un exam ou un truc dans le genre. Mais aujourd’hui, il est venu
au gymnase en espérant te trouver. Mais tu n’étais pas là, donc je lui ai dit qu’il
pouvait se confier à moi. Il n’a pas fallu longtemps avant qu’il crache le
morceau.
— Alors, ça ne te pose pas de problème à toi, de savoir que ton frangin aime
ton meilleur pote ?
— Pas vraiment, je m’en fiche, je crois. Mais au fait, tu n’as pas une fausse
soirée, toi, ce soir ?
Je me fige.
— Comment tu sais ça ?
— Je suis pas stupide… J’ai croisé Evans ce matin, il m’a dit que ses parents
débarquaient ce soir.
Je sens tout l’air quitter mes poumons. Je n’arrive qu’à hocher la tête.
Je me lève et ôte le peignoir que j’avais enfilé plus tôt. Dès lors qu’il tombe
à mes pieds, ses yeux s’écarquillent et une étincelle semble se rallumer en lui.
— C’est bon, je rétorque. On sait tous les deux que nous sommes un peu plus
que des amis…
— Tigresse…
— Non, ça va. Tu n’as pas à te justifier, il faut juste que nous clarifiions les
choses entre nous, d’accord ? Nous ne sommes pas prêts pour plus, je le sais…
Kayden ouvre la bouche pour parler, mais il est interrompu par la sonnette
de l’entrée. Je pars ouvrir la porte en soupirant. Evans est debout dans le
couloir, sa chevelure blonde plaquée en l’arrière. Il porte un t-shirt blanc ainsi
qu’un pantalon noir. Quand il me voit, ses yeux balayent mon corps sans
aucune pudeur. Le sourire qu’il me jette signifie sans doute qu’il approuve.
Il sourit, mais tente de se faire tout petit lorsque mon colocataire apparaît à
mes côtés. Il lance, peu sûr de lui :
Kayden hoche la tête, un léger sourire aux lèvres. Evans saisit cette
opportunité pour faire un peu d’humour :
— Je te l’arrache ce soir !
— Prends soin d’elle ou les mots qui seront gravés sur ta pierre tombale
seront : « Mort en 2015, frappé par le Killer jusqu’à ce qu’il rende son dernier
souffle ».
— Je suis nerveux, murmure-t-il alors que je glisse mon bras sous le sien.
— Ouais, mais tu ne les connais pas… Ils jugent sans arrêt les autres. Un
coup d’œil suffit pour savoir s’ils apprécient ou non quelqu’un. S’ils te
sourient, tu peux dire que c’est gagné, ils t’accueilleront à bras ouverts. Dans le
cas contraire, tu passeras sans doute le pire dîner de ta vie.
— Oui, tu me l’as répété au moins dix mille fois dans la voiture. Je ne suis
pas idiote. Je peux me souvenir de ces règles simples.
— Je suis désolé. Mais je n’ai vraiment pas envie de les voir, il gémit en
glissant une main dans ses cheveux blonds. Bon, tu as compris, n’est-ce pas ?
Je saisis ses épaules et le secoue comme un prunier.
Il souffle.
— D’accord, allons-y.
Il tend sa main et je noue mes doigts aux siens. Il utilise son autre main pour
pousser la porte. Une jeune métisse nous attend dans le hall d’entrée, un
énorme sourire sur le visage.
En parcourant les tables, je les aperçois. Evans m’a montré des photos d’eux
et je pourrais maintenant les reconnaître entre mille. Ses parents nous
attendent, installés à une table près de la fenêtre. À leurs mines, on comprend
aisément qu’ils s’ennuient. La mère de mon ami a les cheveux attachés en une
coiffure élaborée et elle porte un cardigan bleu sur sa robe champagne. Quant
à son père, il arbore une coupe stricte ; sa tignasse blonde est plaquée sur le
côté. Il porte un costume noir tout aussi guindé et se tient droit sur sa chaise.
— Maman, papa, Evans les salue d’un hochement de tête avant de tirer ma
chaise pour que je m’installe.
Evans ne l’a pas entendu, bien trop stressé pour faire attention à quoi que ce
soit. Il s’assied à son tour. Lily me dévisage, scrutant de ses yeux inquisiteurs
chaque centimètre carré de ma personne. Une fois son petit manège terminé,
elle m’offre un sourire qui sonne faux.
— Vous ne pensez pas que ce que vous portez ce soir est un peu trop
provocant ?
— Je dis juste qu’elle montre trop de peau à mon goût. Tu es sûr que ce n’est
pas l’une de tes partenaires sexuelles ?
— Mais, je…
— Fils, vocifère-t-il.
Son ton sec et incisif nous fige tous les trois. Evans serre les dents, la
bouche fermée et fixe ses genoux, le visage rouge d’embarras. Je regarde
brièvement autour de nous et constate que l’assemblée des personnes présentes
s’est tue pour nous observer. Bon, je crois que maintenant, je comprends
pourquoi Evans ne m’a pas parlé de ses parents avant. Je pense qu’il les aime
autant qu’il les déteste, c’est assez étrange comme relation. Il affirme vouloir
contrôler sa vie comme il l’entend, mais le voir ainsi soumis me fait froid
dans le dos. Et moi qui voulais l’aider, c’est pas gagné !
Je ris nerveusement et Lily et son mari me jettent des coups d’œil assassins.
J’espère qu’ils vont changer de sujet, parce que ce n’est pas comme si je
pouvais leur dire que j’entraîne des boxeurs pour des combats clandestins !
— Je passe beaucoup de temps avec mes parents, qui sont encore ensemble
et amoureux.
— Une fois que nous aurons obtenu notre diplôme, nous nous marierons et
nous aurons des enfants. Nous vieillirons ensemble et regarderons notre
famille s’agrandir dans une maison près d’un magnifique lac. Et bien
évidemment, nous continuerons à nous aimer inconditionnellement.
— Merci.
— Je t’en achète une centaine si tu leur dis que je suis intelligent et sage.
— Deal.
Une fois nos plats engloutis, nous passons au dessert. J’ai opté pour un
gâteau au chocolat, tout ce qu’il y a de plus banal. Mais je suis friande de ces
trucs-là et la première bouchée me fait gémir de plaisir.
À la fin du repas, Robert sort son chéquier en parlant avec Lily de la façon
dont Evans a changé depuis la dernière fois qu’ils l’ont vu.
Je souris, mais il y a quand même cette gêne au fond de moi à l’idée que je
leur mente effrontément.
— Oh, si vous saviez à quel point je lui en voulais de faire toutes ces bêtises
avec ces filles.
Je jette un regard, mal à l’aise, à Evans. Nous nous observons un instant puis
sa mère lâche un couinement d’horreur.
Elle fixe quelque chose derrière moi, intriguée. Je me retourne et Evans fait
de même. À l’une des tables, deux hommes semblent filer le parfait amour ;
leurs doigts noués entre eux, leurs regards débordants d’amour. Ils semblent
très amoureux et ce tableau me fait chaud au cœur. Cependant, Lily ne paraît
pas être du même avis que moi.
Elle a haussé un sourcil et cela lui confère un air hautain que j’ai beaucoup
de mal à supporter.
— Tu m’as très bien entendu, où est le mal dans le fait d’être gay ?
— C’est mal et tu le sais ! Dieu ne nous a pas créés pour ça. C’est un choix
d’être gay, c’est se détourner du droit chemin.
— Evans…
— Tu es… tu es…
— J’ai demandé à Sierra d’être ma petite amie pour la soirée parce que
j’avais peur de votre jugement. Mais maintenant, je suis en mesure de vous
affronter et de vous dire ce que je pense. Vous critiquez tout et tout le monde,
sans vous soucier de ce que les autres ressentent. Si vous ne pouvez pas
m’accepter comme je suis, alors adieu.
— Vous êtes ridicules… Jamais vous ne ferez de moi une copie conforme de
ce que vous êtes.
Il soupire de soulagement.
Il a vidé son sac, mais on peut encore percevoir de la tristesse dans sa voix,
dans son regard… Je prends son visage en coupe.
— Si tes parents ne peuvent pas l’accepter, alors ils n’en valent pas la peine.
Tu m’entends ?
Il hoche la tête.
— T’as raison…
— Quoi ? je demande.
Il saisit les clés de sa voiture dans la poche de son pantalon et me les jette. Je
les attrape avant qu’elles ne tombent au sol.
Je le regarde, ahurie.
— Rentre et fais attention à toi, d’accord ? Je n’ai pas envie que Kayden me
tue.
— Je ne pense pas qu’il s’en soucie. Après tout, juste après que nous soyons
sortis du restaurant, il a couru retrouver Brent.
Il s’étire, faisant ainsi ressortir sa musculature. Chaque fois qu’il bouge, les
tatouages sur son corps s’animent et semblent prendre vie. C’est un spectacle
dont je ne me lasserai sans doute jamais.
— Ouais.
Je reporte mon attention sur la télévision, évitant par la même occasion de
détailler son torse nu.
— Rédemption.
— C’est bien ?
Il ricane.
Je me rapproche de lui, mais pas assez près pour que nos épaules se
touchent.
— C’est un film, je lui rappelle. Ce n’est pas censé être réel. C’est pourquoi
il y a des films comme Fast and Furious.
— Je sais, soupire-t-il. Mais si ce mec était dans le monde réel, il serait mort
au moins dix fois.
— Oui, si c’est moi qui me bats contre lui, c’est sûr ! je souris.
— Eh, je me suis amélioré ! Je pense que tu vas aimer certains des nouveaux
mouvements que j’ai inventés. Tu n’as pas vraiment été la meilleure
entraîneuse ces derniers jours, alors je me suis débrouillé sans toi.
Je me lève du canapé.
Cette fois, il me considère et se tourne vers moi pour me fixer d’un air
ahuri.
— Maintenant ?
— Oui. Maintenant !
— Et alors ?
Il me dévisage, grave.
— OK. OK.
— J’espère que tu ne crois pas que je vais encore me laisser faire ainsi après
le championnat.
— Prêt ? Déshabille-toi.
— T-shirt.
— Oui.
Mes yeux dansent rapidement sur son torse ferme et bien dessiné. Sur ses
pectoraux bandés et ses bras sculptés.
Kayden me sourit.
Mensonge. Il a le plus beau corps que j’ai jamais vu. Un canevas rempli de
couleurs et de formes subtiles. Une toile couverte des coups de pinceau d’un
véritable artiste.
Je reviens avec des protections autour de mes cuisses et de mes bras ainsi
qu’un bandage pour les poings de Kayden. Je le lui lance et il le rattrape.
Une fois qu’il a fini d’enrouler ses mains, il s’échauffe. Je l’invite ensuite à
s’avancer près de moi. Je prends un coussinet dans chaque main en attendant
qu’il soit prêt.
— Vas-y, prends ton temps, nous avons toute la nuit de toute façon, je
murmure sarcastiquement.
Kayden lève les yeux au ciel. Il inspire profondément et projette son tibia en
avant pour frapper violemment ma cuisse. Chaque fois qu’il me donne un
coup, il grogne. Il réussit presque à me faire tomber tant il y met de puissance.
Puis, il lance un direct court dans le coussinet droit et le coup est si violent que
je vacille et fais un pas en arrière. Et là, sur son visage couvert de sueur, se
dessine un léger sourire qui creuse ses fossettes séduisantes. Son sourcil
relevé, il est tellement beau.
Il sautille sur place alors que j’attends son attaque, et comme à son habitude,
il trouve toujours un moyen de retarder ce moment.
— Kayden…
— Tu es fou.
— Tu es folle, il me corrige. Je ne sais pas pour toi, mais moi, je suis claqué.
Je pense que c’est suffisant pour aujourd’hui.
Il rit.
Chaque jour, je lutte un peu plus pour ne pas tomber amoureuse de lui, mais
c’est si dur…
Chaque jour, il me fait sourire et rire. Peu à peu, et à sa façon, il répare les
morceaux brisés de mon cœur. Je me sens si bien près de lui… Qu’est-ce qu’il
m’a fait ? J’ai besoin d’une gifle !
Je n’ai jamais ressenti quelque chose comme ça. Même pas pour Jaxon. L’ai-
je seulement vraiment aimé ? Où est-ce que je me voilais la face ? Lorsque
nous sortions ensemble, j’avais bien plus besoin de lui qu’il n’avait besoin de
moi. Il m’a réparée, m’a entraînée et a fait de moi quelqu’un de fort, sans
jamais rien demander en retour. Au final, je pense que je savais que ça finirait
par nous détruire. Il est bien mieux sans moi, la petite fille fragile dont il devait
s’occuper. Et cette même fille désirait le garder pour elle, de peur de ne jamais
retrouver quelqu’un comme lui. De peur de ne jamais plus être aimée. Et c’était
vrai jusqu’à ce que je rencontre Kayden. Lui se soucie de moi d’une façon
différente. Il essaie toujours de me protéger, sans jamais rien exprimer, et c’est
attachant.
**
— Ugrh, je grogne avant de mettre mon oreiller sur mon visage, en espérant
que la personne qui sonne à la porte parte.
Mais bien sûr, cette personne insiste. Après quelques injures, je balance mon
coussin et me traîne hors du lit pour aller répondre.
Je tourne la poignée et ouvre, découvrant une femme aux cheveux bruns. Ses
yeux bleus sont grands, ses lèvres fines et elle se dandine quand je lâche un
faible « salut ». Je l’observe un peu et comprends que je la connais.
À suivre…
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les jeux-concours
Lips&Roll Editions
Blandine C.
{1}
She’s The Man est un film américain réalisé par Andy Fickman en 2006. Il met en scène une jeune
femme contrainte de prendre la place de son frère jumeau.
{2}
Straight knee-thrust, ou coup de genou remontant, est un coup de genou porté au corps à corps lorsque
l’adversaire est penché vers l’avant.
{3}
Un penthouse est un appartement-terrasse situé généralement au dernier étage d’un immeuble ou d’un
hôtel de luxe.
{4}
Le fouetté est un simple coup de pied circulaire.
{5}
Le chassé est un coup de pied en avant ou en arrière qui atteint l’adversaire avec le plat du pied.
Page titre
Prologue
1
2
3
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5
6
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8
9
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