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Blandine C.

Sex, Love in the Ring

Tome I
Ce livre est une fiction. Toute référence à des événements historiques, des comportements de personnes
ou des lieux réels serait utilisée de façon fictive. Les autres noms, personnages, lieux et événements sont
issus de l’imagination de l’auteur, et toute ressemblance avec des personnages vivants ou ayant existé
serait totalement fortuite.

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Tous droits réservés, y compris le droit de reproduction de ce livre ou de quelques citations que ce soit,
sous n’importe quelle forme.

Couverture copyright et design : Dejanns

Première édition : Juin 2017

ISBN : 978237764 0379

Copyright © 2017 Lips & Roll Éditions

Sous la direction de Shirley Veret.

Corrigé par Amélie et Hélène.


Illustré par Constance.
www.lipsandrollboutique.com

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Blandine C.
Table des matières
Prologue

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Biographie de l’auteur :

Blandine C. vit en Normandie avec sa famille. Passionnée par les livres


depuis toujours, elle commence à écrire très rapidement des histoires d’amour
toujours plus compliquées les unes que les autres. Pour elle, une journée
parfaite se passe devant son ordinateur à imaginer de nouvelles histoires en
compagnie de son chien. Elle puise son inspiration dans sa vie quotidienne et
particulièrement dans sa playlist composée d’artistes en tout genre.
Un jour, une personne te serrera si fort dans ses bras que tous les morceaux
brisés de ton cœur se recolleront.
Prologue
Notre appartement, à Bérénice et moi, est plongé dans l’obscurité. La seule
lumière qui parvient à percer la noirceur est celle de l’écran de mon téléphone.
Je fais un pas prudent en avant. Nos parents étant séparés, je vis avec ma sœur
depuis trois ans maintenant.

Dehors, le ciel est sombre et les nuages sont si noirs qu’ils créent une
atmosphère tendue.

Le tonnerre gronde me faisant sursauter, une tempête arrive. Je l’ignore et


me fraye un chemin à travers le séjour. Je traverse le couloir pour rejoindre la
chambre de Bérénice. Ma main glisse sur la poignée de la porte quand
j’entends des voix familières qui me paralysent. Deux timbres se mélangent et
mon cœur s’accélère quand je les reconnais. Un long gémissement s’échappe
de l’un d’eux, je halète quand il murmure :

— Tu es tellement belle Bérénice.

Un petit cri de plaisir me parvient aux oreilles. Est-ce ma sœur ?

— Arrête, Jaxon. Et si Sierra revient… ?

Je reconnais sa voix ! C’est bien elle !

— Détends-toi, bébé. Elle ne reviendra pas avant des heures. Nous avons tout
le temps.

— Elle va le découvrir, se plaint-elle.

— Non. Je lui ai dit d’aller faire des courses.

Un cri jaillit de ma gorge. Je fais quelques pas en arrière, jusqu’à ce que


mon dos cogne contre le mur. Les deux voix s’interrompent puis la porte
s’ouvre brusquement, dévoilant Jaxon et ma sœur, les yeux rivés sur moi. Lui
est torse nu et ses cheveux sont en bataille. Les joues de ma frangine sont
rouge pivoine et ses lèvres sont gonflées.

Je n’ai pas besoin de dessin… Le message est clair.

— Oh, mon Dieu !

Elle couvre sa bouche avec sa main et tente de s’approcher, un bras tendu


vers moi.

— Éloigne-toi !

Un sanglot étranglé s’échappe de ma bouche.

— Va-t’en ! je réitère.

Je ne reconnais pas ma propre voix. Je me décale le long du mur et entame


quelques pas pour m’enfuir, Jaxon hurle et tente de m’attraper par le bras, mais
je me dégage de sa poigne.

— Sierra ! Sierra, attends !

— Va te faire foutre ! je crie par-dessus mon épaule.

Des larmes coulent de façon incontrôlable. Je cours à travers l’appartement,


la respiration coupée. Le monde autour de moi devient flou et je cligne
plusieurs fois des yeux en essayant de retrouver mon souffle.

— Restez loin !

— Sierra s’il te plaît, me supplie ma sœur.

— Non !

— Princesse, calme-toi.

— Sierra, écoute-moi…

Sa voix n’est que douleur quand elle me parvient, mes mains se plaquent
contre mes oreilles et je m’accroupis sur le parquet du salon. J’ai mal, Dieu ce
que c’est douloureux ! Stop, juste stop ! C’est comme si mon cœur explosait en
mille morceaux ; les deux personnes que j’aime le plus au monde viennent de
me trahir.

— Fermez-la ! je hurle en me relevant, révoltée.

Je recule et trébuche dans le tapis, mes jambes flageolantes refusent de me


supporter, aussi je m’écrase de tout mon poids.

Merde !

Je prends une profonde inspiration pour me relever, rejoins ma chambre et


attrape tout ce que je peux pour le fourrer dans des sacs. Je ne les entends pas
lorsqu’ils tentent de me parler. Je ne les écoute pas quand ils essaient de se
justifier. Sans un mot, je boucle mes valises et quitte l’appartement sans me
retourner, le cœur en miettes.
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Quelques heures plus tard, Boston.

Mes pieds ancrés dans le sol, je cogne le sac de frappe de toutes mes forces.
Comment ont-ils pu me faire une telle chose ? Pourquoi à moi ? Je ne suis ni la
sœur ni la petite amie la plus merveilleuse du monde, mais je ne pense pas
mériter ça. Mes jointures s’écrasent férocement contre l’épais revêtement
synthétique, je prends de l’élan et recommence. La rage se mélange à la
tristesse tandis que mes poings serrés sont propulsés contre le sac. Les larmes
menacent de couler, mais je les refoule alors que les souvenirs douloureux
m’assaillent. Ceux remontant à quelques heures seulement ; les pires de ma vie.

Je cogne plus vite, plus fort, pour expulser toute ma haine.

Bordel !

Je me stoppe et me regarde dans le miroir devant moi, l’image qu’il me


renvoie ne me plaît pas ; je ressemble à un cadavre. Mes longs cheveux blonds
sont emmêlés, mes cernes sont mauves, mon corps est luisant de sueur. Je jette
un œil à mes articulations, elles sont en sang ; j’ai sans doute dû y aller un peu
fort. J’aurais dû utiliser des gants, mais la partie illogique de moi pensait que
ce serait mieux sans. Je voulais ressentir la douleur physique, ils disent qu’elle
remplace celle émotionnelle et j’en avais besoin. Eh bien, c’est de la vraie
connerie ! Je ressens les deux.

Des larmes coulent sur mes joues lorsque j’enveloppe mes poings dans un
bandage. Une chose est sûre, je vais avoir mal pendant un certain temps.

Par instinct, je balaye la salle de gym d’un regard circulaire. Il fait sombre et
la nuit commence à tomber ; il est temps pour moi de partir.

Julien, le propriétaire de l’endroit et mon patron, a dit que je pouvais


m’enfermer dans la salle lorsque c’est nécessaire. Il sait que j’ai besoin de me
perdre dans le sport pendant un moment pour laisser retomber ma colère.
J’attrape mes affaires et verrouille la porte derrière moi. La rue est calme,
hormis un groupe de jeunes qui bavardent sur le banc de l’arrêt de bus.

Je me mords nerveusement la lèvre, je n’ai nulle part où aller. Je ne peux pas


retourner à l’appartement. Bérénice y est et plutôt mourir que lui faire face
maintenant.

Chez Jaxon ?

Même pas en rêve, il est encore pire que ma sœur !

Mes amis ?

Je les ai tous laissés quand j’ai appris qu’ils savaient tout depuis longtemps
et qu’ils ne m’ont rien dit. En quelques heures à peine, j’ai perdu mes amis et
deux êtres qui m’étaient chers. Il me reste la famille, certes, mais impossible
d’aller chez papa, je le déteste toujours pour nous avoir abandonnées. Et
maman, la dernière fois que je l’ai vue, c’était à l’aéroport, elle partait pour le
Mexique. Je suis foutue…

La pluie commence à tomber et à me taquiner légèrement, mais bientôt, elle


tombe plus fortement, fouettant ma peau avec une force incroyable. Mes
cheveux et mes vêtements sont déjà trempés et mes jambes sont couvertes de
boue. Sans compter que mes sacs ne sont pas imperméables, mieux vaut ne pas
imaginer l’état de ce qui est dedans… C’est le cadet de mes soucis pour le
moment.

Je pense que la question la plus urgente que je dois me poser est : où vais-je
aller maintenant ? Je n’ai plus rien. Plus de maison. Plus d’amis. Aucune
famille. Plus de petit ami et plus de sœur. Je ne pense pas être déjà tombée aussi
bas un jour. Je veux briser leurs cœurs comme ils ont brisé le mien, ils le
méritent après tout, n’est-ce pas ? Après ce qu’ils m’ont fait…

J’essuie les gouttes et les larmes qui ruissellent sur mon visage. Un
sentiment amer court à l’intérieur de mes veines, faisant bouillir ma colère.
Comment ont-ils pu me faire une chose pareille ? Me laissant seule comme une
idiote…

Une voiture passe à vive allure un peu trop près de moi et envoie une flaque
d’eau droit sur moi. Je suis noyée, mais trop fatiguée pour me soucier de ça.
J’agrippe mes sacs et marche vers ma destination, le Joe’s, un motel dans une
petite rue pas très loin d’ici.

Ce bâtiment est plus vieux que mes grands-parents et la façade est loin d’être
attirante, mais les chambres sont assez bon marché. J’entre dans le hall
d’entrée qui ressemble beaucoup à celui d’un film d’horreur ; l’éclairage est
faible et le papier peint jauni sur les murs se décolle par endroit. Je dépose mes
sacs dans un coin et m’avance vers la réceptionniste. Elle doit avoir environ
vingt-cinq ans et à l’expression de son visage, je comprends qu’elle aimerait
être partout ailleurs plutôt qu’ici.

— Bonjour, dis-je en plaçant mon bras sur le comptoir en chêne. Je voudrais


une chambre pour ce soir.

Elle lève son visage assez haut pour me voir.

— Combien de nuits ?

— Juste celle-ci.

Elle m’observe encore dix secondes avant de soupirer, de saisir une clé et
me la donner.

— Deuxième étage, chambre 204, annonce-t-elle tranquillement. Profitez


bien de votre séjour.

Personne ne m’aide avec mes sacs, donc je continue à me débattre avec dans
les escaliers. Quand j’ouvre la porte, je reste un instant sans bouger, ce n’est
pas si horrible. OK, je plaisante, cette fois, je suis vraiment dans un film
d’horreur. Une forte odeur de moisi embaume l’air, me donnant mal à la tête.
L’unique ampoule au plafond clignote et me donne des frissons, sans parler
des murs humides. Il n’y a rien hormis un lit et une table de chevet, la moquette
est pleine de poils.

De chien ? De chat ? Ou d’autre chose ? Telle est la question.

Au moins, le matelas est assez confortable et de l’eau potable sort du


robinet. Je pose une main sur ma hanche en soupirant. Je dois vraiment me
sortir de ce merdier ! Et pour cela, demain, je vais chercher une chambre à
louer. Je ne dois pas les laisser me détruire, je suis peut-être tombée très bas,
mais je vais me relever. Je ne suis pas faible et je peux me faire confiance, je
vais m’en sortir. Et une fois que j’aurai remis de l’ordre dans ce bordel qu’est
ma vie, je m’assurerai que Jaxon et Bérénice paient pour ce qu’ils ont fait.
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L’université de Boston n’est qu’à dix minutes à pied du Joe’s, cinq si on a
une voiture, mais ça ne me dérange pas de marcher un peu.

Après avoir payé la réceptionniste pour le merveilleux séjour dans le motel,


je prends toutes mes affaires et pars. En route, la douleur de ma main me
prend, je m’arrête donc à mi-chemin et ajuste mon bandage sur mes jointures.

Les cours commencent dans une demi-heure, donc je renonce à mes sacs (je
ne peux pas débarquer dans la salle avec mes bagages sous le bras, la dernière
chose que je veux, c’est attirer l’attention) et les dépose sous un arbre dans la
cour. En espérant que personne ne me les vole… Bon, et puis, il n’y a rien de
valeur à l’intérieur. J’en retire cependant mes 20 $, ma carte du self, ainsi que
mon portable et y laisse une montre que Jaxon m’a offerte pour mon
anniversaire il y a deux mois. Ils peuvent bien la prendre, je m’en fiche.

Soudain, je suis frappée par une pensée qui me dérange. Jaxon et Bérénice
pourraient être sur le campus eux aussi. Je sais qu’elle a cours aujourd’hui. Ils
m’ont laissé des messages vocaux sur mon téléphone, me disant de revenir à la
maison afin de discuter. Après un certain temps, j’ai finalement supprimé tous
leurs messages et ai éteint mon portable.

Je suis un peu en avance et rejoins ma salle de classe. Je m’installe dans le


fond de l’amphithéâtre, huitième rang à gauche ; le meilleur endroit pour
passer inaperçue ! Là où personne ne me verra.

Je garde la tête baissée et tire sur mon sweat-shirt bleu marine, cachant mes
cheveux blonds et sales. Je suis encore seule dans la grande salle et en profite
pour vérifier l’état de mon visage grâce à l’application miroir de mon
portable. Plus aucun doute possible, je suis horrible. Il n’y a rien à faire pour
mon apparence, tant pis, je ferai avec. Je range l’appareil dans ma poche
ventrale et me saisis de mon bloc-notes et de quelques stylos. Pourquoi je me
suis inscrite à ce cours déjà ? Ah oui ! Même si l’histoire n’est pas vraiment
mon truc, c’est suffisamment intéressant pour capter un peu mon attention.
Bérénice m’a suggéré de reprendre astronomie comme elle, mais je déteste
regarder les étoiles. On dirait que j’ai bien fait de refuser.

Peu à peu, la salle se remplit d’élèves et la plupart des places sont désormais
occupées. Je garde le siège à ma droite pour mon partenaire dans ce cours.
Quand il me voit, il sourit et se glisse à côté de moi.

— Hé, Sierra, me salue-t-il.

— Hé, Brent, je lui souris.

Brent Jacobs s’est assis à côté de moi tout au long du semestre. Je ne nous
appellerais pas des amis proches car nous sommes juste des gens qui partagent
des notes ou plus précisément, il partage ses notes avec moi. Il est toujours
parfaitement habillé, la plupart du temps d’un polo assorti à un jeans sombre
comme aujourd’hui. Ses cheveux sont courts et bruns et dissimulent ses petites
lunettes carrées.

— Qu’est-ce que tu as pour moi, Jacobs ? demandé-je en faisant cliquer mon


stylo.

— Voyons ça, dit-il avant de s’éclaircir la gorge.

Il sort un dossier de son sac.

— Tu veux mes devoirs ? rit-il en me montrant des feuilles noircies de son


écriture.

— Oh mon Dieu, je ricane. Attends, j’en ai une pour toi : je me sens perdue.

Il me lance un sourire compatissant.

— Rassure-toi, j’ai volé tout ça à l’intello du premier rang.

J’éclate de rire, ça fait tellement de bien ! C’est la première fois que je


souris depuis « l’incident » avec Bérénice et Jaxon.

— Oh merde ! murmure soudain mon comparse en me poussant légèrement.


Monsieur Cooper nous voit !
Je regarde immédiatement vers le bureau du professeur en couvrant mon
sourire de ma main.

— Merde, il nous regarde encore ? panique-t-il.

— Non. Dieu merci.

Je ricane en recopiant les devoirs.

— Je pense que nous faisons une bonne équipe, fait-il remarquer.

— L’équipe qui travaille le moins ! j’ironise.

Brent rit et ses yeux descendent vers mes bras avant d’atterrir sur mes
phalanges abîmées. Tout l’humour qu’il y avait dans son regard le quitte aussi
vite qu’il est venu.

— Jésus ! Qu’est-il arrivé à ta main ?

D’instinct, je retire ma main et rougis légèrement.

— Rien, c’est juste… un accident.

— Quelqu’un t’a fait du mal ?

Il me regarde avec inquiétude maintenant, ses lunettes glissent hors du creux


de son nez.

— Oui, dis-je sans réfléchir avant de me rattraper. Non, personne ne me fait


mal.

Il fronce les sourcils.

— Qu’est-ce qu’il s’est passé ? insiste-t-il.

— J’ai rompu avec mon copain, d’accord ? je dis un peu trop durement. Il
m’a trompée avec ma sœur et hors de question maintenant de reposer un pied
dans cet appartement. Et hier, j’avais besoin de me défouler alors j’ai frappé le
sac de la salle de gym où je travaille.
Il pose sa main sur la mienne.

— Merde, je suis vraiment désolé…

Je perçois une pointe de tristesse dans sa voix et comprends alors qu’il est
vraiment sincère, bien plus que ceux que je considérais autrefois comme mes
amis. Ils savaient tous pour Jaxon et Bérénice et personne n’a pris l’initiative
de me le dire. J’étais tellement furieuse contre eux, ils ont essayé de se
défendre me disant qu’ils pensaient que j’étais au courant. C’est la dernière fois
que je leur ai parlé. Apparemment, pour eux, c’était une évidence et ils ne
savent pas comment j’ai pu ne rien voir pendant tout ce temps.

— Ça va, soufflé-je en haussant les épaules.

— Tu as un endroit où aller ? s’inquiète Brent.

Je soupire en me passant une main sur le visage.

— Je suis allée chez Joe’s la nuit dernière, mais je pourrai pas faire ça
indéfiniment. Je vais essayer d’avoir une chambre sur le campus…

— Je suis dans les dortoirs moi, mais ils sont tous pleins.

— Tu es sûr ?

Il hoche la tête en fronçant les sourcils.

— Alors, je suis foutue…, je geins.

Je laisse tomber ma tête sur le bureau en gémissant.

— Je vais devenir une sans-abri…

Brent me donne une tape sur l’épaule.

— Ne dis pas ça, j’ai un ami qui pourrait te louer une chambre. Il vit juste à
côté, tu devrais essayer.

Je me mords la lèvre en relevant ma tête.


— Génial, où je peux le trouver ?

Il m’offre un immense sourire jusqu’aux oreilles. Il me gribouille l’adresse


sur un papier puis me le tend.

— Appelle-le ou rends-toi directement chez lui, il s’appelle Kayden, dit-il.


Mais fais attention avec lui, ne dis rien de travers.

J’observe un court instant le morceau de papier ; Kayden Williams ? Ce nom


me semble familier, Julien l’a peut-être déjà mentionné ?

— Merci Brent, je dis en lui souriant, reconnaissante. Tu viens de me sauver


la vie !

Il sourit en retour.

— J’espère vraiment que tu trouveras ce que tu cherches.

Oh, il vaut mieux ! J’ignore si je survivrai une nuit de plus dans ce motel
miteux. Quand le cours se termine, j’entre l’adresse que m’a donnée Brent dans
l’application GPS de mon téléphone. Brook Commons n’est pas très loin d’ici,
c’est à seulement sept minutes du campus.

Pourvu que ça fonctionne !

J’arrive rapidement devant un superbe bâtiment tout neuf. La façade est en


crépi beige et il y a d’énormes fenêtres dans lesquelles se reflète le soleil. Je
l’admire pendant plusieurs minutes, c’est véritablement magnifique. Mais le
loyer doit être très élevé ici, je n’arriverai jamais à me payer un truc pareil,
même avec ma bourse et mon salaire de la salle de gym. J’entre tout de même
et monte les escaliers en priant pour que le fameux Kayden soit là. Brent ne
m’a pas dit l’heure où je pourrai le trouver. La nervosité se glisse à l’intérieur
de moi et se mélange à un peu d’excitation. J’aimerais tellement vivre dans un
endroit comme celui-ci !

Je monte doucement les escaliers en bois blanc quand soudain, alors que
j’atteins le palier du second étage, j’entends des talons cliqueter en dessous de
moi. Je me penche par-dessus la rambarde et jette un œil en bas pour
apercevoir une touffe de cheveux blonds et brillants. Une jeune femme sort de
son appartement, un portable écrasé contre son oreille.

— Tu étais avec Daniel la nuit dernière ?

Elle roule des yeux en parlant.

— Tu aurais dû m’appeler. J’étais inquiète !

Elle s’arrête un instant pour écouter son interlocuteur.

— Je suis heureuse pour vous deux Alex, dit-elle en souriant.

La fille finit par se rendre compte qu’elle parle si fort que les voisins
peuvent l’entendre, alors elle baisse le ton. Elle met fin à son appel et continue
de gravir les escaliers. Une fois à ma hauteur, la blonde me regarde. Elle pense
probablement que je l’écoutais. Génial… je me fais des ennemis avant même
de vivre ici !

— Excusez-moi, je murmure.

— Je vous connais ? demande-t-elle en arquant un sourcil parfaitement


dessiné.

Je rougis légèrement avant de me ressaisir.

— Non, mais vous pouvez peut-être m’aider, je cherche l’appartement 6 C.

Elle sourit.

— Oui, il est juste au-dessus.

— Merci, murmuré-je en reprenant mon ascension.

Je suis à mi-chemin quand la blonde m’interpelle, elle gravit rapidement les


marches qui nous séparent, ses talons cliquant sur le sol.

— Je ne t’ai pas demandé ton nom.

— Sierra, dis-je avec un petit sourire.


Elle me tend la main que je serre amicalement.

— Je suis Carla, tu es nouvelle ici ?

— J’espère que oui.

Son visage confus m’incite à poursuivre :

— Je veux dire… j’ai entendu dire que Kayden Williams louait une
chambre, alors…

Elle hoche la tête.

— Fais attention, me met-elle en garde en observant la porte de


l’appartement 6 C d’un air soupçonneux. Le type qui vit ici n’est pas très
sympa, j’ai essayé de lui offrir des biscuits quand il a emménagé ici. Il m’a
claqué la porte au nez, mon petit ami trouve aussi qu’il est bizarre.

Carla éveille ma méfiance.

— Je vais quand même essayer.

Son sourire apparaît à nouveau et je remarque qu’elle est assez jolie. Ses
cheveux sont mi-longs et d’un blond presque identique au mien, son visage est
fin et harmonieux. Je donnerais tout pour avoir des jambes aussi longues et
aussi fines que les siennes !

— D’accord, alors j’espère que tu seras ma nouvelle voisine !

— J’espère aussi, dis-je maladroitement tandis qu’elle s’éloigne.

Je prends une profonde inspiration face à la grande porte en bois, j’ai besoin
de me calmer. OK, je me suis fait une amie, c’est déjà un bon point. Allez, je
peux le faire, si je sonne avec un énorme sourire sur le visage, il ne me
résistera peut-être pas. J’espère juste que ce n’est pas un meurtrier à la hache…

Je rassemble mon courage et toque. Rien. Silence total. J’attends encore deux
minutes, puis, quand je me rends compte que personne ne va ouvrir, je saisis à
nouveau mes sacs. Mais juste au moment où je me retourne pour partir,
j’entends de la musique résonner de l’intérieur et des pas se rapprocher. La
porte s’ouvre si violemment que je recule d’un pas. Celui qui doit se
prénommer Kayden se tient maintenant devant moi. Ses yeux gris se durcissent
lorsqu’il me voit. Sa mâchoire se contracte et son regard glisse du haut vers le
bas de mon corps. Même s’il a l’air en colère, je suis déconcertée par sa
beauté. Il est vraiment beau, pas beau dans le sens joli garçon, non, plutôt ultra
canon. Il est musclé et ses bras sont couverts de tatouages dont j’ignore la
signification. Son visage me fait fondre sur place, ces iris gris brûlants, cette
mâchoire parfaitement définie et ces lèvres pleines. La perfection n’est pas
loin. Ses cheveux noirs sont courts, mais suffisamment longs pour tomber sur
son front. J’aperçois encore des tatouages à travers son t-shirt blanc.

— Qui t’es toi ? demande-t-il grossièrement.

Oh mon Dieu, ce pantalon moulant est si taille basse…

Ressaisis-toi, Sierra !

Je me colle un énorme sourire sur le visage.

— Je suis Sierra Lane. Brent, un ami, m’a envoyée ici, je recherche une
chambre à louer. C’est ici ?

Ses pupilles se rétrécissent.

— C’est bien ici.

— Est-ce que ça vous dérange si je regarde ?

Je fais un pas pour entrer, mais il me bloque aussitôt le passage.

— Qu’est-ce que tu fais ? demande-t-il, le front plissé.

— Excusez-moi, je voulais juste…

— Tu veux rester ici ?

— Oui.
Il réfléchit avant de répondre :

— Non.

Je ris nerveusement.

— Non ?

— Ouais, non.

Je croise les bras.

— Que voulez-vous dire ?

— Non, tu ne peux pas rester ici.

— Pourquoi ?

— T’es sourde ou quelque chose comme ça ? demande-t-il avec agressivité.


Tu ne peux pas rester ici. Fin de l’histoire. Au revoir.

Il commence à refermer la porte, mais je la bloque avec mon pied. Je ne


peux pas perdre la seule chambre disponible aussi rapidement.

— Attendez, je le retiens. Je ne comprends pas… Je suis désolée d’insister,


mais je suis vraiment sérieuse, je veux rester ici, je le veux plus que tout. S’il
vous plaît.

Il affiche un faible rire en renversant sa tête vers l’arrière, ma bouche


s’ouvre par l’incrédulité.

— Je suis désolée, mais c’est ce que je viens de dire qui vous fait rire ?

Quand son rire s’éteint, Kayden me darde de ses yeux anthracite.

— Je suis sur les nerfs, je viens de baiser et ça s’est mal terminé, se défend-
il. Cette chambre est bien à louer, mais il n’y a aucun moyen pour que je
partage mon appartement avec toi.

— Et pourquoi pas ? j’insiste à nouveau en croisant mes bras pour appuyer


ma demande. Tu penses que je ne peux pas me le permettre ? Parce que je peux.
Je ne vais pas te déranger durant mon séjour, j’ai juste besoin d’un toit.

Il me fixe plus durement. Peut-être n’apprécie-t-il pas que j’emploie le


tutoiement ?

— Ici, c’est pas un refuge pour sans-abri.

Je le déteste.

— Connard, je siffle entre mes dents. Comment tu oses dire ça ?

— Désolé, mais c’est vrai. Je ne peux pas… tu peux pas rester, OK ?


J’espère que quelqu’un d’autre, comme un gars, ou une personne qui ne me
causera pas de problèmes, viendra.

Jamais on ne m’avait parlé aussi mal, pas même Jaxon. Comment est-ce
qu’il peut dire que je vais lui causer des problèmes alors qu’il me voit pour la
première fois ?

— Tu ne me connais même pas ! lancé-je en écho à mes pensées.

— J’ai pas besoin de te connaître pour savoir que tu vas m’attirer des
problèmes. Tu ne resteras pas, fin de la conversation.

— Tu n’as même pas écouté ce que j’ai à te dire !

Il soupire, sa main serre fortement la porte.

— Au revoir, Sierra, et ne reviens pas.

Et il me claque la porte au nez.

Ce mec est sexiste ou quoi ?

Je cligne des yeux. Cette fois, c’est définitif, je suis en enfer ! Quel connard !
Je ne peux pas croire que je viens de perdre un logement à cause du caractère
de merde du proprio. Je pensais vraiment rester ici, fait chier ! Je m’y voyais
déjà ! Maintenant, retour à la case départ. Comment je vais faire ?
Adossée au mur du couloir, je me laisse glisser jusqu’au sol. Je devrais
continuer de chercher, mais trouver un autre endroit où me loger me prendra
des jours. Que ferai-je en attendant ? Je suis désespérée et n’ai pas d’autre
choix que retourner chez Joe’s pour ce soir et sûrement pour les prochaines
nuits aussi, d’ailleurs… Une offre va bien se libérer, non ?

Je saisis mes sacs et pars en direction inverse en traînant les pieds.

Du nerf Sierra ! Tout va s’arranger.


3
Je n’y crois pas… Ça fait deux jours et aucune annonce n’a été postée. J’ai
demandé autour de moi et au campus, mais le loyer est toujours trop élevé
pour mes faibles revenus. Je laisse échapper un soupir de frustration. Pourquoi
ça ne peut pas aller en ma faveur pour une fois ?

Je marche d’un pas décidé vers la salle de gym, mes phalanges sont
beaucoup moins douloureuses, je peux donc retoucher au sac de boxe. Dès lors
que je passe les portes de la salle, je me sens beaucoup mieux. Le gymnase des
Fighters est ma maison plus que n’importe quel autre endroit. Je m’entraîne ici
depuis plusieurs années et puis, j’ai décidé de prendre un emploi ici comme
entraîneur. C’est Jaxon qui m’a initiée à ce mode de vie. Jaxon est un boxeur
professionnel et il passait beaucoup de temps dans cet endroit. D’abord, je
n’avais pas compris pourquoi il aimait autant se battre avec les gens, puis,
pendant trois ans il m’a entraînée et j’ai appris à repousser mes limites. Après
ça, les choses ont changé. Il y a un sentiment qui vous envahit lorsque vous êtes
ici, l’adrénaline court dans vos veines, vous faisant sentir vivant. Votre cœur
est une bombe à retardement, comptant les secondes avant que vous ne soyez
sur le terrain. C’est le rêve.

J’aimais beaucoup regarder Jaxon se battre, il est comme un tigre,


impitoyable. J’avoue que c’est la raison pour laquelle je suis tombée
amoureuse de lui. J’étais fascinée par sa manière de se déplacer avec agilité
sur le ring. J’aimais la manière dont il regardait son adversaire, avec
arrogance et détermination. Merde ! Pourquoi je pense à lui ? Il n’en vaut pas
la peine, il ne mérite même plus d’être aimé.

Dans l’entrée, je salue Julien, le propriétaire, qui est installé sur un tabouret
derrière le comptoir, et sors une bouteille d’eau ainsi qu’une serviette de mon
sac. Les mains sur les hanches, je scrute la pièce, ce n’est pas la plus grande
salle de la ville, mais c’est définitivement la plus équipée.

— Hé, dis-je à Julien. J’ai des rendez-vous aujourd’hui ?

— Non, la salle est déserte, je ne sais pas pourquoi. Tu n’es pas obligée de
rester.

Je souris, pas certaine de savoir quoi répondre.

— Où sont les autres ?

— Ils se préparent, soupire-t-il.

— Pourquoi ?

Il me toise un instant avant de me répondre :

— Il y a un combat au Breaking Point ce soir.

— Quoi ? La compétition recommence ?

— Pas ce soir, mais oui, bientôt… Le printemps vient d’arriver, c’est le


meilleur moment de l’année, dit-il.

Je roule des yeux.

— Bien sûr.

Comme chaque année à cette période, les boxers du pays s’affrontent au


sous-sol d’un gymnase, c’est un événement clandestin. Je me demande
comment ils arrivent à garder la police à l’écart. Quoi qu’il en soit, pour ma
part, j’avais oublié, j’étais bien trop occupée ces derniers jours à chercher un
moyen de me venger de Bérénice et Jaxon. Obtenir ma revanche sur celle que
je considérais comme ma plus chère confidente sera facile. Je l’évite depuis
que je l’ai surprise dans les bras de l’homme que j’aimais, et bientôt, elle va
s’en vouloir, elle est tellement fragile. Elle m’aime énormément et fera tout
pour enterrer la hache de guerre avec moi. Mais Jaxon, c’est autre chose, ça ne
va pas être si simple. Nous nous ressemblons tellement que je sais qu’il ne
cédera pas aussi facilement. J’ignore encore comment je vais procéder, mais je
prendrai ma vengeance. En attendant, je dois remettre ma vie sur le droit
chemin, chose impossible tant que je n’ai pas un toit au-dessus de la tête !

— Qui s’affronte ce soir ? je demande en espérant que ce ne soit pas Jaxon.


Julien hausse les épaules.

— Je ne sais pas, Kayden, je pense.

Hein ?

— Attends une minute…

Et là, c’est comme si tout mon sang avait quitté mon corps.

— Kayden Williams ? je précise.

— Ouais, tu le connais ?

— Quelque chose comme ça… C’est un boxeur ?

Julien hoche la tête.

— Et un très bon même, presque aussi bon que Jaxon ! Ils ont combattu
ensemble durant la finale, tu te souviens ? Tu connais le résultat.

Je baisse les yeux, bien sûr que je sais, Jaxon a gagné. Il est incroyablement
talentueux. Mon admiration pour lui se renforçait chaque fois que je le
regardais sur le ring. Maintenant, ça me donne juste la nausée. Pour une raison
étrange, je me sens mal pour Kayden. Je me rappelle finalement de lui à
présent. Je l’ai vu au cours de cette dernière lutte avec Jaxon. Certes, je ne lui
avais pas accordé beaucoup d’attention, mais je me souviens parfaitement
comment s’est terminé le combat. Jaxon a envoyé un coup de coude sauté à
Kayden qui s’est effondré sur le sol. C’était un match très brutal que mon ex
aimait raconter. Soudain, tout commence à se mettre en place. Un plan se
forme rapidement dans ma tête et je suis tellement excitée que je commence à
sautiller sur place.

— Oh mon Dieu, oh mon Dieu, oh mon Dieu.

— Euh… Sierra ?

Julien me lance un regard étrange.


— À quelle heure ça commence ? je demande en attrapant mon sac pour le
glisser sur mon épaule.

— Dans deux heures, mais…

— Merci !

Je me penche par-dessus le comptoir et dépose un baiser sur sa joue.

— À plus Julien !

— Où tu vas comme ça ?

— Je suis un génie ! je m’exclame en quittant le gymnase.

À présent, je sais exactement comment me venger de Jaxon.

**

Après une douche dans ce motel miteux, j’enfile un haut noir et une paire de
jeans. J’attache mes cheveux en une queue de cheval haute et saute dans un taxi.
J’arrive devant Breaking Point avec dix minutes d’avance. Je me tiens devant la
salle située derrière une allée sombre et humide ; un endroit comme on en voit
que dans les films d’horreur. Je marche jusqu’à une porte en métal et tape trois
fois. Une petite trappe s’ouvre dans le métal et une paire d’yeux menaçants me
fixent.

— Mot de passe.

— Chat noir.

La fente se referme et après un court moment, j’entends le cliquetis de la


serrure puis la porte s’ouvre. L’endroit est sombre et inquiétant, les
équipements de gym bordent l’allée et je peux entendre le doux bruit des
applaudissements qui proviennent d’en dessous. Je fonce vers le fond de la
pièce, un videur m’ouvre pour que j’emprunte l’escalier menant à une autre
porte. Je l’ouvre et la familiarité de l’endroit me frappe si fort que je vacille
presque. La dernière fois que je suis venue, c’était pour encourager Jaxon. La
douleur dans ma poitrine se ravive, mais je l’ignore.

Le sous-sol est tellement grand qu’il peut accueillir au moins deux cents
personnes. Ce soir, plusieurs boxeurs s’affrontent et l’odeur de leur sang,
mélangée à la sueur, flotte dans l’air. Un épais brouillard de fumée a envahi les
lieux et je joue des coudes pour fendre la foule des supporters qui hurlent des
numéros et des noms. Des mains s’extirpent de cette masse mouvante et
brandissent des liasses de billets, certainement pour les paris.

Après avoir navigué difficilement dans cette marée humaine, j’atteins enfin
le ring. Ce n’est pas le plus beau de tous, on dirait même qu’il a été mis en
place assez rapidement, mais c’est aussi un atout : si la police débarque, il sera
démonté en deux temps trois mouvements afin de ne laisser aucune trace.

Je regarde ma montre, encore cinq minutes avant que le combat commence.


Un bookmaker un peu trop jeune pour être ici me demande si je veux placer
des paris et j’accepte. Je laisse au gars un billet et mise sur Kayden. Je sais
qu’il va remporter ce combat. J’ai fait des recherches sur lui avant de venir et
d’après ce que j’ai vu, il n’a perdu aucun duel, hormis celui contre Jaxon. C’est
tout simplement incroyable. Quelqu’un me pousse accidentellement et je
vacille en arrière.

— Désolé, je...

Mais il s’interrompt et je reconnais aussitôt la voix de cet homme.

Mes yeux s’arrondissent quand je réalise de qui il s’agit.

— Brent ?! m’exclamé-je, horrifiée.

Depuis quand vient-il dans ce genre d’endroit ?

— Qu’est-ce que tu fais ici ? je lui demande.

— TOI, qu’est-ce que TU fais ici ?


— Je suis ici pour Kayden.

— Je suis ici pour Kayden.

Nous parlons à l’unisson, il fronce les sourcils.

— Attends… quoi ?

Il plisse les paupières et me jette un regard interrogateur.

— Pourquoi ? Comment sais-tu qu’il se bat contre… ?

Sa voix se noie dans le ronflement de la foule. Brent et moi tournons la tête


vers le ring. Une corne hurle dans nos oreilles, puis un homme au centre du
terrain de combats, un mégaphone à la main, fait une annonce :

— Bienvenue à tous dans le vortex !

Il hurle, comme si le mégaphone n’était pas suffisant pour amplifier sa voix.

— Si vous n’avez pas encore pris vos paris, qu’attendez-vous ? Une fois que
les mecs seront sur le ring, ce sera fini ! Aucun échange n’est accepté une fois
le combat commencé ou bien je demande à l’un des gars de vous botter le cul.

— Ce type est fou, murmuré-je à Brent qui se met à rire.

— Il est toujours comme ça, ajoute-t-il.

Je me tourne vers lui.

— Tu viens souvent ici ? je le questionne en croisant les bras.

Il hoche la tête.

— Kayden est mon frère, répond-il en hésitant un peu. Je viens à chaque


combat. Même ceux de la rue.

Je me penche vers lui, choquée.

— Quoi ?! Mais tu ne lui ressembles pas du tout !


Il me fait un faible sourire, les yeux rivés sur le ring.

— Mes parents l’ont adopté il y a quatre ans, quand il avait seize ans.

— Oh.

C’est tout ce que je trouve à répondre.

Je me retourne à nouveau vers le ring, préférant ne pas m’attarder sur le


sujet.

— Alors, reprenons la bataille, d’accord ?! hurle à nouveau le maître de


cérémonie.

La foule applaudit, siffle et frappe du pied sur le sol.

— Sur votre gauche, nous avons Josh Murphyyyyyy !

Je peux entendre des acclamations légères, des « waouh » et quelques rares


« Murphy ! Murphy ! », mais rien de bien spectaculaire. Le mec fait le beau et
se cogne le torse avec ses poings tel un gorille.

— Et sur votre droite, nous avons celui que tous redoutent, votre numéro un,
Kayden le Killer !

Je regarde fixement vers la gauche du ring quand le type apparaît de


derrière un large rideau tendu, drapé dans un peignoir en satin rouge, tel un
roi. Peut-être que le rouge est censé symboliser le sang qu’il a déversé ou
quelque chose dans le genre. Après tout, il est le Killer.

Au moment où Kayden apparaît avec un sourire sur le visage, les spectateurs


se mettent à hurler et applaudir. Il court autour du ring avec une aisance
naturelle, il tape dans quelques mains et monte sur le ring. Il scrute la foule et
s’arrête finalement sur moi, son sourire disparaît immédiatement. Son regard
intense me rend vulnérable, je m’avance nerveusement vers le bord du ring.

— Pourquoi t’es là, toi ? grogne-t-il en s’agenouillant pour être à ma


hauteur.
Il n’obtient pas de réponse parce qu’un autre avertisseur sonore signale le
début du combat. Kayden se relève et fait volte-face pour recentrer son
attention sur son adversaire. Il ôte son peignoir et lève les poings, prêt à en
découdre. Je n’entends plus rien mis à part les cris et les hurlements de la
foule.

Josh fait le premier pas ; assez audacieux le débutant ! La plupart des novices
qui viennent s’entraîner sont incapables de frapper plus fort et de bouger plus
vite lorsqu’on leur demande, peut-être par peur. Habituellement, ils manquent
de confiance, mais pas ce type.

Josh donne le premier coup de poing avant d’en recevoir plusieurs de


Kayden qu’il encaisse. Ce dernier est rapide et c’est bien là sa force : se
déplacer à une vitesse ahurissante afin de ne pas laisser le temps à son
opposant de l’atteindre. Il lance un crochet du droit sur le visage de Josh dont
le regard se teinte de peur.

Le Killer est bon, bien qu’il baisse trop souvent sa garde, mais sa rapidité
pour frapper compense son point faible. Je pense qu’il a encore beaucoup à
apprendre, même si c’est évident qu’il est fait pour la boxe.

Brent secoue la tête.

— Kayden a encore besoin d’entraînement, je sais de quoi Jax est capable, et


à ce stade, il pourrait le terminer d’une seule main.

La foule a les yeux rivés sur lui et tous semblent ébahis par les
performances du compétiteur.

On peut entendre le son des os qui se brisent, mais je ne m’en soucie pas,
tant que ce ne sont pas ceux de Kayden ; après tout, c’est sur lui que j’ai parié et
j’ai trop besoin de lui pour le moment.

Il porte coup de poing sur coup de poing tandis que Josh tente tant bien que
mal de se défendre. Kayden esquive la paire de son adversaire et le frappe avec
force droit dans l’estomac, ce qui envoie l’autre voler directement au sol.
Maintenant, je comprends pourquoi il est surnommé le Killer. Il ne s’arrête
pas, même quand l’homme en face de lui est étendu au sol. Il continue de le
frapper encore et encore, partout sur son corps, ses bras, sa poitrine, son buste.
Puis, Josh se met à crier et son adversaire s’immobilise enfin. Le mec au
mégaphone saute sur le ring.

— Le seul et l’unique vainqueur est… KAYDEN LE KILLER !

Le public explose quand l’homme lève le bras de Kayden en l’air, signalant


la fin du combat. Tout le monde est euphorique et les acclamations fusent de
tous les côtés.

Le bookmaker vient ensuite vers moi et me donne le double de ce que


j’avais misé. Brent éclate de rire lorsque lui aussi reçoit de l’argent.

— J’aime parier sur Kayden. Je suis riche grâce à lui.

Le combat suivant débute et deux nouveaux participants font leur entrée. Je


balaye la salle d’un regard circulaire ; Kayden a disparu.

Merde !

— Tu sais où il est parti ? je demande à Brent. S’il te plaît, c’est important.

Il fronce les sourcils.

— C’est à propos de l’appartement ? Ça ne sert à rien de le lui demander de


nouveau…

— Non, tu ne comprends pas, insisté-je. Je dois lui parler.

— Je ne sais pas… je…

— Brent ! je le coupe en le fixant droit dans les yeux. S’il te plaît.

Il serre la mâchoire avant de soupirer.

— Il est probablement à l’arrière de la salle de gym, je peux t’emmener si tu


veux.

J’acquiesce.
Brent et moi tissons notre chemin à travers la foule en délire. Nous entrons
dans un couloir qui mène à une porte où un garde du corps est posté. Mon ami
lui chuchote quelques mots et le type nous ouvre.

— Merci, Brent.

— J’attendrai dehors, conclut-il avec un sourire. Bonne chance.

Je lui souris et entre dans la pièce. Kayden est là, dans le fond, dos à moi. Il
semble trop occupé à bander ses mains pour remarquer ma présence. Je me
racle la gorge et il se retourne. Son torse nu est ruisselant de sueur. Ses bras
couverts de tatouages sont encore tendus par l’effort. Ses yeux brillants
rencontrent les miens et s’assombrissent aussitôt.

— Toi, ricane-t-il. Je t’ai dit de rester loin de moi…

— Techniquement, tu m’as dit de ne jamais revenir à ton appartement. Mais


je pense que tu veux entendre ce que j’ai à te dire.

— J’y crois pas… (il roule des yeux en souriant). T’es vraiment du genre
pot de colle, toi.

— Tais-toi imbécile et écoute-moi, je rétorque, ennuyée.

Ses yeux débordent d’humour.

— Tu viens de me traiter d’imbécile ?

— Oui, je l’ai fait ! (Je pose mes mains sur mes hanches) Maintenant, tais-toi
parce que ce que je vais te dire est probablement la meilleure chose qui puisse
t’arriver.

Il se laisse tomber sur un canapé miteux et incline à tête sur le côté.

— OK, si c’est la seule façon pour que tu me foutes la paix, alors je t’écoute.

J’inspire profondément.

— Je peux t’aider à battre ton ennemi sur le ring. Jaxon est mon ex-petit ami.
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Kayden me fixe pendant un bon moment, il cligne des yeux plusieurs fois en
tentant visiblement de comprendre ce que je viens de lui dire. Il penche sa tête
en arrière et explose de rire.

— Qu-quoi ? balbutié-je, confuse.

Il m’ignore et continue de rire, ce qui a le don de royalement m’agacer.

— Tu sais quoi ? Va te faire foutre si tu crois que c’est drôle !

— C’est drôle, dit-il le regard brillant de larmes. Putain, c’était la meilleure


blague que j’ai jamais entendue !

— C’est pas une blague !

Il pense vraiment que je ne suis pas sérieuse ?

— Sans vouloir t’offenser, je doute que tu puisses m’aider dans mon combat
contre Jaxon.

Son regard, plus tôt moqueur, devient soudainement plus sérieux.

— T’es une… fille.

Quel connard sexiste !

— C’est quoi ton problème ? reprend-il, cette fois plus sérieusement.

— Je suis désespérée, Kayden. Pour une raison inconnue, tu as refusé que je


reste dans ton appartement. J’ai cherché dans toute la ville, mais je suis
toujours sans abri. J’ai besoin de toi et tu as besoin de moi.

Il croise les bras, ses lèvres formant une ligne mince.

— Je ne veux rien de toi Sierra.


— Parce que tu ne sais pas encore pourquoi.

— Alors dans ce cas, je t’écoute.

Il croise les jambes m’accordant toute son attention.

— Jaxon était mon copain…, je commence.

Mais j’ai l’air si pathétique en disant cela que je me racle la gorge pour
retrouver ma contenance.

— J’ai passé trois ans de ma vie avec lui. Il m’a appris à me battre, m’a
entraînée et je l’ai regardé chaque jour combattre des adversaires en dehors de
la compétition. Je sais comment il s’entraîne, comment il travaille, comment il
pense. J’ai mémorisé comment il frappe, comment il esquive. Il m’a presque
tout appris et je suis juste ici en face de toi. Une simple copie de ton ennemi.

La mâchoire de Kayden se serre.

— Et tu veux partager tes connaissances sur lui avec moi, c’est ça ?

Je souris en constatant que je suis parvenue à capter son attention ; comment


pourrait-il refuser l’accord que j’ai à lui proposer ?

— Je ferai plus que cela, je vais t’entraîner. Je vais m’assurer que tu gagnes
et surtout contre Jaxon.

— Qu’est-ce qui te fait penser que j’ai besoin de ton aide ? me demande-t-il.
Tu m’as vu là-bas, je suis plus que capable de gagner par mes propres moyens.
Mais merci quand même.

La pointe d’ironie présente dans sa voix ne me déstabilise pas le moins du


monde, aussi je reprends :

— Tu as gagné cette bataille et tu en gagneras d’autres. Mais la guerre ?

Il reste silencieux pendant quelques minutes, pensant à ce que je viens de lui


dire. Je sais déjà qu’il envisage sérieusement de dire oui.
— La saison dernière, tu étais invincible. Tu as écrasé tous ceux qui étaient
sur ton chemin. Mais quand arriva le combat contre Jaxon… tu as vacillé.

Je m’installe sur le canapé en inclinant mon corps vers le sien.

— Je suis certaine que tu dois avoir la rage d’avoir perdu, je peux te


garantir que tu vas gagner si je suis avec toi.

— Pourquoi tu veux m’aider ? m’insurge-t-il soudain. Tu as dit qu’il était


ton mec. Était. Quelque chose a dû arriver entre vous pour que tu viennes vers
moi, hein ? Qu’est-ce que c’est ? Il t’a laissé pour une autre fille, c’est ça ?

Je le regarde fixement.

— Il m’a trompée, avec ma propre sœur. C’est un connard qui baise mal, je
lâche avec vanité. Je veux être certaine qu’il ne remportera pas ce championnat.

Kayden éclate de rire.

— T’as tout à fait raison. Ce championnat est à moi. Mais tu veux quoi en
retour ?

Je visse mon regard au sien et annonce :

— Un endroit où rester. Je ne peux pas retourner chez moi, il y a ma sœur et


Jaxon, et je ne peux pas rester indéfiniment au motel. J’ai besoin d’un toit, au
moins jusqu’à ce que je sois diplômée.

Il semble hésitant.

— Je sais pas…

— Pourquoi pas ? Je ne suis pas une mauvaise colocataire et puis, ce n’est


pas une affaire d’État !

— Les choses vont beaucoup se compliquer.

J’ignore qu’il veut dire par là, mais je n’insiste pas.

— Alors, on a un marché ou pas ?


— Donne-moi un peu de temps pour y réfléchir.

Il enfouit son visage entre ses mains et soupire fort.

— J’ai besoin d’une réponse maintenant, Kayden. Je ne vais pas pouvoir


rester une nuit de plus dans ce motel délabré.

Il secoue la tête.

— Tu te rends compte qu’une fois que j’aurai dit oui, il n’y aura plus de
retour en arrière possible ? Tu es sûre de vouloir…

— J’en suis sûre, j’en ai besoin ! je le coupe un peu trop vivement. Alors, on
a un accord, oui ou non ?

Il tourne la tête et ses yeux noirs rencontrent les miens. Il soutient mon
regard comme s’il cherchait à y trouver des réponses.

— Avant que je te donne une réponse, je veux que tu considères


sérieusement tout ça. C’est pas un jeu, je ne joue pas.

— Inutile de me parler comme à une enfant, bien sûr que j’ai déjà réfléchi !
Je t’aide si tu m’aides.

Il tend la main dans ma direction.

— Alors, on a un marché. Tu m’aides à m’entraîner pour battre cette


pourriture et tu restes chez moi.

Ses mots font vibrer mon cœur, je ne pense pas avoir été aussi heureuse
depuis un moment.

— D’accord, j’accepte en serrant sa main.

— Prends tes affaires, tu peux venir chez moi ce soir, dit-il en se levant du
canapé.

**
Bon sang, mais comment j’ai pu lui faire confiance à ce type ? Je poireaute
depuis au moins vingt minutes devant le motel avec mes sacs sur le dos. Il m’a
dit qu’il viendrait me chercher et il n’est toujours pas là. Une partie de moi est
malgré tout excitée à l’idée de s’entraîner pour le championnat (même si j’ai
toujours dit que je resterais en dehors de ces combats illégaux). Mais la simple
pensée que Kayden puisse donner une raclée à Jaxon me fait sauter de joie. Je
sors mon portable pour appeler ce taré qui apparemment m’a oubliée. Il
répond à la quatrième tonalité.

Pas pressé, le type !

— Ouais ?

Sa voix grave me surprend.

— T’as la maladie d’Alzheimer ou quoi ? je demande avec irritation. Tu as


dit que tu venais me chercher !

— Eh bien, bonjour à toi aussi, tigresse. Calme-toi, je suis là.

— Il y a plutôt intérêt, j’étais sur le point de te traiter de connard.

Il rit.

— T’es où bordel ? je demande.

— T’es aveugle ou tu le fais exprès ? Je suis dans la voiture rouge !

Je me retourne et aperçois une immense Mercedes rouge sang. Waouh ! Ma


bouche s’entrouvre ; elle est tellement luxueuse. Il s’avance à tour de roue vers
moi et descend en souriant une fois à ma hauteur. Il porte un jeans taille basse
de couleur noir, ainsi qu’un t-shirt de la même couleur moulant à la perfection
son buste. Il m’aide avec mes sacs alors que je reste figée, les yeux rivés sur sa
voiture.

— Comment tu arrives à te payer une caisse pareille ?


Ça ne me regarde pas, mais la question est sortie toute seule de ma bouche.

— Je gagne pas mal d’argent sur le ring, tu n’as même pas idée à quel point
ça peut rapporter, répond-il en me faisant un clin d’œil.

Je me glisse sur le siège passager.

— Oh, mais détrompe-toi, je sais exactement ce que ça rapporte. J’ai gagné


plus de cent dollars juste en pariant sur toi ce soir.

Il me regarde, ses yeux gris rencontrant les miens avec intérêt.

— Si tu continues à parier sur moi, bientôt, tu rouleras sur l’or ! claironne-t-


il.

— Tu n’as pas peur de… tu sais, d’aller en prison à cause de ce que tu fais ?

Kayden hausse les épaules.

— Tu vois, la compétition est connue de partout, les autorités elles-mêmes


viennent parier. On ne sera jamais pris. Jamais.

Je ne sais pas quoi ajouter à cela, donc je garde ma bouche fermée et laisse
Thanks for the Memories de Fall Out Boy remplir mes oreilles. Kayden reste
calme aussi, ses mains serrent fermement le volant tandis que nous naviguons
sur les routes. Mon portable sur mes genoux, je me rends compte que lui et
moi ne sommes pas amis et que le temps que je vais passer à ses côtés va être
très long si nous n’avons rien à nous dire.

Quand il finit par s’arrêter, je saisis mes affaires sur le siège arrière et il
m’aide à les porter jusqu’à son appartement. Nous ne parlons toujours pas
lorsqu’il enfonce la clé dans la serrure et pousse la porte. C’est la première
fois que je vois l’intérieur de son appartement, et je n’ai jamais vu un endroit
si… vide.

Les murs blancs sont stériles, pas de décoration, encore moins de cadres
photo. Il y a cependant un canapé qui met en valeur une table basse en bois et
une immense télévision. Mais hormis ça, il n’y a rien dans cette pièce. Mon
regard se déplace vers la cuisine où des boîtes de nourriture à emporter
jonchent le comptoir. Mes yeux s’arrondissent quand j’aperçois la pile de
vaisselle sale dans l’évier ; je ne veux même pas savoir quelles créatures
rampent sur ces plats ! Kayden se raidit quand il remarque que je balaie
l’endroit du regard.

— C’est pas rangé, mais…

— Sérieusement ? le coupé-je en m’avançant dans la cuisine. Tu nettoies


parfois ?

Il enfonce ses mains dans ses poches.

— Je n’ai pas le temps.

— Et tu fais quoi ? Tu vas à l’université ?

— J’ai laissé tomber, dit-il comme si c’était le cadet de ses soucis.

Je suis sous le choc.

— Pourquoi ? j’enchaîne, curieuse.

Je n’aurais jamais deviné que Kayden était du genre à abandonner. Il ne


ressemble pas à quelqu’un qui se décourage facilement avec son allure de bad
boy. Il détourne le regard, voulant sans doute éviter le sujet.

— C’est pas tes affaires, tigresse.

Il est bizarre, quand même… Une minute, je pense qu’il va m’en dire plus et
la seconde d’après, il se referme totalement sur lui-même. Ce type est fou.

— Très bien ! m’exclamé-je en attrapant mes sacs. Tu peux me montrer ma


chambre ?

Il s’avance vers un petit couloir, moi sur les talons.

— Ici, c’est la salle de bain, dit-il en pointant une porte sur notre droite. Et
là, c’est ma chambre, elle est hors limite. Personne n’entre, pigé ?

Ce n’est pas comme si tu étais assez intéressant pour que je fouille dans ta
piaule…

— Et là, c’est ma chambre, je suppose ?

— Ouais.

Il ouvre la porte et je suis étonnée de la taille de la pièce. C’est très grand,


tout comme le reste de l’appartement. Les murs sont blancs avec des rideaux
gris dissimulant une large fenêtre. Un lit king size trône au milieu. Il y a un
placard dans le coin, un grand miroir ainsi qu’un bureau. C’est grand, mais
c’est froid et totalement impersonnel. Dépourvu de vie. Hors de question que je
laisse ça comme ça, il va falloir remédier au problème.

— Désolé, la déco, c’est pas vraiment mon truc, dit-il en croisant ses
énormes bras.

— Ouais (je pose mes sacs sur le lit). J’ai vu, il n’y a rien d’accueillant ici.
Pas de tapis, pas de vase, rien de rien. C’est triste…

Ses yeux s’enfouissent dans les miens.

— Je me fiche pas mal de tous ces trucs. C’est juste une piaule, Sierra. C’est
pas ma maison, alors…

— Tu devrais en faire ta maison justement, y apporter une touche


personnelle.

Je m’assieds sur le lit en le fixant.

— Je ne mérite pas de faire de cet endroit ma maison, déclare-t-il


simplement.

Tout à coup, il semble pensif et je me sens mal de le voir ainsi à cause de


moi. Les mots sortent de ma bouche rapidement :

— Qu’est-ce qui t’est arrivé, Kayden ?

Ses yeux s’arrondissent, comme s’il était en alerte. Voilà il se ferme, un


froncement de sourcils sur son visage et il se détourne.
— Ne me pose pas de questions.

Il sort de la pièce et, avant de refermer la porte derrière lui, il murmure :

— Bonne nuit, tigresse.


5
Après avoir déballé toutes mes affaires hier soir, je me suis couchée un peu
après minuit, mais je n’ai pas réussi à dormir. Mon esprit continuait de dériver
vers Kayden. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un comme lui auparavant. Son
bras entier est recouvert d’encre qui court jusqu’à son dos. Je ne sais pas si le
tatouage signifie quelque chose ou si c’est juste pour le fun. Peut-être que c’est
pour être pris au sérieux sur le ring ? Et puis, sa personnalité est un peu…
étrange. Il est vulgaire, ingrat et complètement à l’ouest, mais il cache quelque
chose de profond et est constamment sur ses gardes. Oh… et puis pourquoi je
me torture l’esprit comme ça ? Pour un mec qui ne m’intéresse même pas en
plus !

Alors pourquoi t’arrêtes pas d’y penser, hein ?

C’est vrai… Lui et moi ne sommes liés que par un pacte et rien d’autre. C’est
suffisant. En attendant, je ne dois pas perdre de vue mon objectif : me venger
de Jaxon.

Toujours étendue dans mon lit, je jette un coup d’œil à mon téléphone : il est
08 heures du matin. Je m’étire, courbaturée après cette nuit sans sommeil. Mes
os craquent et je bâille à m’en décrocher la mâchoire. Je bondis hors du lit et
me dirige directement vers la salle de bain. Aujourd’hui, on est dimanche et
c’est la journée parfaite pour aller courir.

Après une rapide douche, je me glisse dans un débardeur noir, enfile un


legging et mes chaussures de sport. Je remarque que la porte de la chambre de
Kayden est légèrement entrouverte quand je sors. Je jette un coup d’œil rapide
par l’entrebâillement et constate qu’il n’est pas à l’intérieur. La pièce est très
bien rangée, étrange pour un gars, surtout au vu du reste de son habitation. Les
murs sont blancs comme dans tout l’appartement et le sol est en parquet gris.
Les seuls meubles présents sont le lit, un fauteuil en cuir noir près de la fenêtre
et une armoire.

Je commence à chercher sa trace dans l’appartement, mais rien. Ce mec ne


doit pas être du genre à donner des explications ou laisser un petit mot sur la
table quand il disparaît.

Par contre moi, je n’ai pas envie qu’il pense que je me suis tirée comme une
voleuse lorsqu’il va rentrer, je devrais laisser une note ?

J’attrape un stylo et griffonne sur un bout de papier que je dépose sur le


comptoir. Je m’empare ensuite de mes clés ainsi que de mon iPod et sors au
grand air. J’adore ce quartier, il y a des trottoirs assez larges pour les
personnes qui courent, c’est le top ! Le temps est au beau fixe, c’est parfait.

Je commence lentement mon footing, mais très rapidement, mes poumons se


mettent à me brûler et mon corps sort de son état de léthargie pour me hurler
qu’il a mal lorsque j’arrive au parc. OK, les événements récents ont dû avoir
raison de moi, aussi je trottine plus lentement en tentant de régulariser mon
souffle. J’inspire et expire calmement. C’est le moment que j’aime le plus dans
la course : l’adrénaline commence à se rependre dans mes veines et mon
énergie revient au grand galop pour me propulser vers l’avant.

Mon rythme ralentit quand je repère quelqu’un de familier en face de moi. Je


pourrais reconnaître ce corps couvert de tatouages entre mille. Kayden porte
un t-shirt bleu sans manches ainsi qu’un short noir. Il est de dos et ne semble
pas avoir remarqué ma présence. Lorsque je m’approche un peu plus, je
remarque qu’il porte des écouteurs lui aussi.

— Hey, je l’appelle en trottinant à côté de lui.

Il tourne la tête et stoppe sa course en m’apercevant. Il enlève ses écouteurs,


sourcils froncés.

— Tu ne m’as pas laissé de mot, dis-je.

Je détourne un peu les yeux, c’est ridicule de ma part de lui dire ça. Il semble
confus.

— Désolé, j’aurais dû ?

Sa respiration est hachée et sa voix est rauque.

— Eh bien, si on doit cohabiter, autant que je sache où tu pars si tôt le matin.


Il s’écarte de moi en faisant bien attention de ne pas me regarder.

— Tu ne vis plus seul, je renchéris.

— J’ai l’impression que tu vas me le rappeler souvent.

Il grogne et range ses écouteurs dans sa poche.

— Et tu m’as suivi jusqu’ici pour me dire ça ? poursuit-il.

— Comme si j’avais fait ça pour toi, je ricane. Je veux juste rester en forme.

Il passe une main dans ses cheveux sombres dégoulinants de sueur.

— Ils ont des tapis roulants au gymnase.

— Ouais, mais j’aime l’air frais, je rétorque. Et aussi mater les mecs en
sueur à moitié nu.

Je souris malicieusement et il hausse un sourcil.

— Comme moi ? demande-t-il, les yeux pleins d’espoir.

Wôw ! Il me fait quoi là ?

— Hum… je pensais plus à lui, réfuté-je en désignant d’un geste de la main


un type un peu plus loin.

Ledit type n’a pourtant pas la carrure d’un sportif, je dirais plutôt que c’est
l’inverse. Gringalet, il bataille pour adopter un rythme de course respectable
sans s’étouffer.

— Je ne sais pas si tu plaisantes ou si t’es comme ça de nature.

— Les deux. Mais il n’est pas mon type, il sautille beaucoup trop.

Kayden rit doucement. C’est la deuxième fois que je l’entends rire et j’aime
ce son. Il devrait rire davantage.

— T’as des conseils à me donner à moi aussi, tigresse ?


— Ouais, tu dois travailler plus sur ton bas-ventre. Et aussi un peu sur la
poitrine supérieure. Je peux t’aider, si tu veux ?

Il me regarde avec méfiance.

— Tu crois tout savoir, n’est-ce pas ? me questionne-t-il.

— Oui, je suis entraîneuse, tu te souviens ?

— Tu n’as jamais entendu dire que la modestie est la meilleure politique ?


poursuit-il en croisant les bras.

Je ris franchement.

— L’honnêteté est la meilleure politique. Et je suis honnête.

— OK, tigresse. Je pense que tu as besoin de tonifier ton ego.

— Parle pour toi. J’ai bien vu ce sourire arrogant et ta petite danse la nuit
dernière devant le public. Tu étais en plein show.

Il ouvre la bouche, incrédule.

— Je ne faisais pas mon show, se défend-il.

— Si, carrément !

Je place mes mains sur mes hanches.

— La première étape avant de battre Jaxon est de te débarrasser de ton


arrogance.

Je souris et commence à courir sans m’inquiéter de savoir si Kayden va me


rattraper ou non.

— Hey ! hurle-t-il justement dans mon dos.

Il me rattrape et se place à mes côtés en secouant la tête.

— Tu réalises que tu ne peux pas me dépasser, hein ? dit-il. Je peux même


faire des cercles autour de toi.

— Si ça, ce n’est pas faire son show, alors je ne sais pas ce que c’est.

Il ne répond pas et nous faisons notre jogging en silence. Kayden me tend


une bouteille d’eau que je presse contre mes lèvres tout en courant, le liquide
frais me fait gémir de bien-être. Je lui redonne, mais il soupire.

— Putain, tigresse, t’es pas obligée d’aller si vite.

Je le regarde, surprise, je pensais qu’il en avait plus dans le ventre que ça.

— Ça va être bien pire quand je vais t’entraîner.

Kayden gémit à son tour.

— Je pense qu’on a besoin d’une pause, ahane-t-il.

— Faible, je murmure suffisamment fort pour qu’il m’entende.

— Hey, ferme-la ! Je peux courir deux mille fois plus vite, mais c’est mieux
si on s’arrête ici.

Il se stoppe et prend quelques bouffées d’air en pointant une vitrine du doigt.

— Lu’caf fait le meilleur café de la ville.

— Je n’ai pas d’argent sur moi.

— T’en fais pas pour ça, je m’en occupe.

Sa réaction me stupéfie, mais me fait chaud au cœur. Ce mec a quand même


des bons côtés et je devrais en profiter avant qu’il ne redevienne ce monstre
insensible et arrogant qu’il est.

Il se retourne rapidement pour s’assurer que je le suis bel et bien et ses yeux
gris rencontrent les miens, laissant entrevoir un petit sourire. Nous entrons
dans le café et presque immédiatement, je me sens mal. Cet endroit ressemble
au café dans lequel je me rendais souvent avec Jaxon. Ma bouche se tord en
une grimace et ma poitrine se serre. Visiblement, Kayden remarque mon état et
roule des yeux.

— Qui est le plus faible maintenant ? se moque-t-il.

— Tais-toi, craché-je à voix basse.

Il m’ignore et se dirige vers le comptoir avant de se tourner vers moi.

— Sierra, tu veux quoi ?

— Qu’est-ce que je veux comme… quel est mon but dans la vie ou alors…

Il secoue la tête.

— T’es hilarante, tu sais ça ? Qu’est-ce que tu veux commander ?

— Un cappuccino merci, dis-je avant de me diriger vers une table libre.

Au début, je prends une table près de la fenêtre, mais je réalise ensuite que
c’est ce que Jaxon avait l’habitude de faire quand on sortait ensemble. Alors au
lieu de ça, je change et m’installe dans un coin. Kayden apparaît environ une
minute plus tard avec deux gobelets brûlants, il m’en tend un et s’installe face à
moi.

— Merci, je murmure en prenant une gorgée. Putain, ça fait du bien !

— Ouais. (Kayden dépose sa tasse) Écoute, on doit parler OK ?

Je plisse les yeux.

— Nous ne sommes manifestement pas ensemble, donc tu ne vas pas rompre


avec moi. Non, parce que souvent les gens utilisent…

—Putain d’enfer, je ne peux jamais obtenir une réponse directe avec toi, tu
peux faire un effort pour une fois ?

Il jure de nouveau en soufflant, les yeux rivés aux miens.

— Désolée, je monte vite en température quand je suis nerveuse.


— Pourquoi t’es nerveuse au juste ?

— Je sais pas ! Tu me regardes avec intensité. Soit tu vas me dire quelque


chose que je n’aime pas, soit tu vas me tuer.

Il sourit.

— Ni l’un ni l’autre, en fait, dit-il en haussant les épaules. Je pense qu’on


doit parler affaires.

— D’accord.

Ses mains s’enroulent fermement autour de sa tasse.

— À propos des heures d’entraînement. Tu as tes cours et tout…

Soudain, j’ai envie de lui demander pourquoi il a abandonné l’université. La


question est au bout de ma langue, mais je ne dis rien.

— Et je veux connaître tes horaires pour qu’on puisse établir un planning.

J’acquiesce d’un hochement de tête et réponds :

— J’ai des cours les lundis, mercredis et vendredis. Je travaille à temps


partiel au gymnase des Fighters tous les jours sauf les week-ends.

— Waouh, sérieusement ?!

Ses yeux s’écarquillent et il me fixe comme pour savoir si je suis sérieuse


ou non.

— Tu bosses au gymnase ?

J’avale une gorgée avant d’enchaîner :

— Comme je l’ai dit, je suis bonne dans ce que je fais, je souris. En plus, la
paye est correcte. Enfin bref, je suis disponible le mardi et jeudi après-midi.

Il fait non de la tête.


— Je m’entraîne tous les jours, tu pourrais passer par Breaking Point après
les cours.

Mes yeux s’agrandissent.

— Tu… tu quoi ? je demande, incrédule. Tu t’entraînes tous les jours ?

— Ouais, ça pose un problème, tigresse ?

— Qu’est-ce qui ne va pas chez toi ? (Je tape du poing sur la table) Ça va te
tuer, tu ne peux pas te fatiguer comme ça.

— Je peux tenir. Je m’entraîne tous les jours depuis l’année dernière.


Depuis…

Il s’interrompt et avale sa salive. Il doit sans doute parler du soir où Jaxon


l’a battu et lui a volé la place de champion. Je peux imaginer sa douleur ; être à
deux doigts de la victoire et se faire doubler par un imbécile.

— Comme je l’ai dit, je peux tenir le coup, il reprend, comme si de rien


n’était.

— Non, je ne peux pas… Je ne peux pas permettre ça (je secoue la tête).


Kayden, si tu continues à ce rythme, tu vas mourir de fatigue. Tu en fais trop et
ton corps ne le supportera pas indéfiniment… Bon sang, nous devons modifier
tes horaires maintenant !

— Hé, j’ai seulement accepté que tu sois mon entraîneur, pas que tu
contrôles ma vie.

Je me redresse, agacée. Ce mec est vraiment inconscient !

— T’es sérieux ? C’est mon job de m’assurer que tu ne te fasses pas tuer
avant le championnat ! J’ai besoin que tu m’aides à me venger. Si tu es blessé,
nous n’obtiendrons jamais ce que l’on veut.

Kayden reste tranquille pendant un moment pour assimiler mes paroles.

— Pour une fille stressée, tu es très rationnelle.


Je roule les yeux en posant mon menton dans ma main.

— C’est pas une bonne chose ?

Je lui fais ma tête de chien battu et il finit par craquer.

— D’accord, c’est bon ; c’est une bonne chose ! concède-t-il en levant les
mains en signe de reddition.

Je sors mon téléphone et ouvre l’application calendrier.

— D’accord, puisque je peux seulement les mardis, jeudis et week-ends, tu


peux t’entraîner du lundi au vendredi. Cinq fois par semaine pendant cinq
heures seulement. Je vais m’entraîner avec toi pendant deux jours, le reste du
temps, tu le feras seul.

— Quoi ?! s’exclame-t-il. T’es pas sérieuse ? Cinq heures, c’est pas


suffisant ! D’habitude, je fais six, parfois plus.

— Nous pouvons l’étendre à cinq et demi, mais tu auras besoin d’une demi-
heure de pause au bout de deux heures et demie.

Kayden se gratte la tête, pas enchanté par mes propos.

— Et les week-ends ?

— Repos, clamé-je comme si c’était évident. Je veux une vie moi, pas toi ?

— J’ai une vie sociale, déclare-t-il.

Je croise les bras sur ma poitrine.

— Ah oui, nomme-moi un de tes amis alors ?

— Brent, dit-il sans trop hésiter.

J’incline la tête sur le côté.

— Je pensais qu’il était ton frère ?


Il me regarde, étonné.

— Comment tu sais ça ?

—Euh… Brent me l’a dit hier soir. Détends-toi, c’est pas grave.

Il soupire.

— Ouais, Brent est mon frangin. Depuis mes seize ans. Je suis vraiment
reconnaissant d’avoir une bonne famille comme eux. (Sa voix vacille quelque
peu) Les familles d’accueil étaient rudes. Je suis plutôt chanceux.

Et là, mon cœur s’arrête et je peine à articuler quelques mots :

— Qu’est-il arrivé… Comment tu t’es retrouvé… en famille d’accueil ?

Il me sourit, mais je sens qu’il se renferme déjà.

— Tu ne veux pas vraiment le savoir, tigresse.

Kayden jette un coup d’œil à sa montre et siffle humblement.

— Allons-y, j’ai besoin d’une douche.

Il se lève sans plus dire un mot et j’observe quelques secondes ma tasse ; elle
n’est même pas à la moitié.

— Je n’ai pas le temps de finir ? osé-je.

— Non, à moins que tu veuilles rentrer seule.

Je grimace en me levant.

— Je ne t’aime vraiment pas, gémis-je en le suivant hors du café.

Une fois dehors, il lâche :

— Je ne t’aime pas vraiment non plus, mais qu’on le veuille ou non, on est
coincés ensemble. Jusqu’à ce qu’on obtienne notre revanche.
J’ai comme le sentiment que ce ne sera pas de tout repos…
6
J’ai passé le dimanche à ne rien faire. Après notre café, la bonne humeur de
Kayden a disparu et il a rapidement quitté l’appartement. Ce mec peut être
gentil quand il a besoin de l’être. Je réalise maintenant que chaque fois que je
lui pose des questions sur son passé, il se renferme immédiatement. Si c’était
une autre personne, j’aurais simplement évité le sujet, mais il m’intrigue, j’ai
envie de savoir ce qui lui est arrivé. J’ai le sentiment que la question va rester
sans réponse pendant un certain temps.

Quand je me lève le lendemain matin, Kayden est déjà parti. Mais cette fois,
alors que je me verse un café, je remarque un mot posé sur le comptoir.

« Je vais à Breaking Point, passe si tu as le temps.

Kayden. »

Et sans savoir pourquoi, je me mets à sourire. Il a fait un pas vers moi, la


première brique de l’édifice de notre amitié vient définitivement d’être posée.
Parce qu’après tout, si nous devons cohabiter et prendre ensemble notre
revanche, nous pouvons au moins être amis, pas vrai ?

Je verrouille l’appartement et descends quelques marches quand je tombe


sur Carla. Aujourd’hui, elle porte une blouse courte et un jeans taille haute qui
met en valeur ses longues jambes. Quand elle me voit, elle me salue avec un
sourire rayonnant.

— Hey, Sierra ! chantonne-t-elle joyeusement. J’allais partir, tu as besoin


d’aller quelque part ?

— J’allais me balader…

Je m’arrête en la regardant avec suspicion.

— Tu vas sur le campus aussi ?


— Celui sur l’aile droite ?

Je hoche la tête et elle sautille sur ses pieds.

— Génial ! Je peux t’emmener, si tu veux ?

Elle agite ses clés de voiture devant mes yeux.

— Avec plaisir.

Je lui offre un sourire et la suis jusqu’au parking. Elle se glisse dans le siège
du conducteur et me fait signe de m’installer à côté d’elle.

— Ça te dérange si on passe par la maison d’une amie ?

— Alex ? je demande.

Elle hausse les sourcils, aussi j’ajoute rapidement :

— Pardon. J’ai entendu ta conversation avec elle il y a quelques jours. Je


suppose que c’est d’elle que tu parles, je me trompe ?

— Merde alors, je parle si fort ? (Elle rit doucement alors qu’elle sort du
parking.) Désolée, mauvaise habitude, mais oui, Alex est ma meilleure amie.
Elle ne vit pas trop loin d’ici et elle vient de m’appeler.

J’aimerais bien avoir une meilleure amie comme Carla moi aussi… J’avais
un meilleur ami avant, plusieurs même. J’avais Trevor et Braydon, avec qui
j’ai tout de suite accroché. C’est une honte, ces gens n’étaient pas vraiment mes
potes, moi je leur faisais confiance et eux…

— Ça va ? demande Carla en tournant rapidement son visage vers moi.

— Ouais, je suis… J’étais juste dans mes pensées.

— Alex a tendance à faire ça aussi. Je pense que tu t’entendrais super bien


avec elle.

Elle sourit et recentre son attention sur la route.


— Alors, Sierra, d’où tu viens ?

— Née et élevée ici. Je ne veux pas aller ailleurs, Boston est ma maison.

— Je t’aime déjà, affirme-t-elle tout en souriant.

S’ensuivent de nombreuses questions ; si j’ai des amis ? Un copain ? Et la


réponse est toujours la même : non. D’ailleurs, ça la fait même grimacer et je
comprends qu’elle a un peu de peine pour moi. Cette fille est d’une gentillesse
hors du commun, et si je veux que tout se passe bien entre nous, je peux au
moins être honnête. Aussi je décide de lui révéler pour Jaxon.

Après un moment d’hésitation, je crache le morceau. Les mots sont à peine


sortis de ma bouche qu’elle pile, me projetant en avant.

Heureusement que j’ai mis ma ceinture de sécurité sinon j’aurais repeint son
pare-brise !

Elle se tourne vers moi, les yeux écarquillés.

— Il a fait QUOI ?! elle hurle. Quel connard ! Tout le monde sait qu’on ne
trompe pas sa petite amie avec sa sœur !

— Tout le monde sait qu’on ne doit pas tromper, je la corrige. Mais oui,
c’est un gros con.

— Il est vraiment naze de te laisser pour ta frangine (elle secoue la tête,


consternée). Et à quoi elle pensait elle ? Comment peut-elle succomber à ses
avances ?

Je ne peux m’empêcher de rire.

— Je ne sais pas, mais je la déteste maintenant.

— Bon, dit Carla en reprenant la route. Nous allons lui faire payer.

Quelques secondes plus tard, nous nous arrêtons devant de superbes


appartements flambants neufs. Je suppose qu’Alex est riche parce que je doute
qu’une étudiante puisse se permettre un endroit comme celui-ci. Nous n’avons
pas à attendre longtemps, une jeune femme aux cheveux longs noirs
s’approche de la voiture avec un sourire. La chemise qu’elle porte est
déboutonnée et l’un des boutons a été arraché. Carla lui lance un sourire
perverti.

— Daniel a fait son petit numéro sur toi ce matin, n’est-ce pas ?

Elle rougit et se glisse sur la banquette arrière.

— Il ne voulait pas que j’aille en cours aujourd’hui.

— Il faut qu’il cesse d’être si possessif envers toi, grogne Carla en roulant
des yeux.

— Il a peur que je parte en Californie et que je le laisse ici.

Oh mon Dieu. Soudain, tout se met en place dans ma tête, je sais exactement
qui est Alex et avec qui elle est.

— Putain, je lance en me tournant vers Alex. Tu es avec… tu es Alexia


Woods ? Celle à qui Daniel Kerrington a proclamé son amour à la télévision ?

La demoiselle papillonne des yeux, silencieuse, comme si elle se demandait


qui j’étais.

— Euh… oui ?

Carla pose une main sur mon épaule.

— Je suis grossière. Alex, c’est ma nouvelle amie, Sierra. Elle vient


d’emménager avec Monsieur Satan.

— Satan ? je ris. Vraiment ?

Alex se joint joyeusement à la conversation :

— Oh oui, Carla m’a parlé de lui. Apparemment, il est si insupportable qu’il


ne peut être que la réincarnation du diable.

— D’accord, vous exagérez, je leur dis à toutes les deux. Honnêtement,


Kayden n’est pas si désagréable. Bien sûr, il a ses sautes d’humeur, mais
comme tout le monde.

— Allez, personne n’a autant de sautes d’humeur que ce type ! me contredit


Carla.

Elle pose une main sur sa bouche, les yeux écarquillés, comme si elle était
sous le choc.

— Oh mon Dieu ! Peut-être que Kayden est une femme sous ses fringues, tu
sais ? Comme Amanda dans She’s The Man.{1}

— Tu te rends compte que ça arrive seulement dans les films ça ?

Alex interrompt sa meilleure amie et son attention se concentre sur moi en


poursuivant :

— Juste… ignore-la. Carla peut être super bizarre parfois.

Cette dernière se retourne, l’air faussement fâché.

— Tu es bizarre !

— Non, tu l’es !

— OK, les filles, on va être en retard en cours, dis-je en jetant un coup d’œil
à ma montre.

Carla roule des yeux.

— Voilà une raison pour laquelle je pense que toi et Alex allez bien vous
entendre. Vous êtes toutes les deux obsédées par les études.

Alex se cale entre les deux sièges avant, un mince sourire sur le visage.

— Alors, Sierra, tu as vu ce qui s’est passé avec Daniel sur le spectacle


Charlize Matson ?

— Bien sûr que j’ai vu ! m’exclamé-je. Je suis sûre que tout le monde a vu la
façon romantique de Daniel de t’avouer son amour.
Daniel Kerrington est le fils d’un multimillionnaire. Kerrington Enterprises
(l’entreprise de son père) a été peuplé de ragots à cause de la manière dont le
fils traite les femmes. Son père, Hany, avait besoin de laver sa réputation pour
devenir l’héritier de l’entreprise, il a donc tout planifié pour que Daniel et Alex
se mettent ensemble. Et Daniel a proclamé son amour pour Alexia en direct à
la télévision. Je pense que cela résume à peu près toute l’histoire. Alex fronce
les sourcils.

— Il aurait dû m’appeler et me dire tout ça en privé. Cet épisode m’a valu


des tonnes de messages de haine sur Twitter.

— C’est ce que tu obtiens pour sortir avec un millionnaire ! crache sa


meilleure amie.

— Tu m’as poussée dans ses bras ! rétorque aussi sec Alex. Et maintenant, tu
te plains.

— Je ne me plains pas !

Je ricane de les voir ainsi se disputer pour des choses sans réelle
importance.

— Eh bien, on dirait !

— D’accord, dis-je quand la voiture ralentit devant le campus. Je pense que


vous êtes les filles les plus étranges que je n’ai jamais rencontrées.

Alex renverse sa tête en arrière et rit.

— Je suis impatiente que tu deviennes comme nous. Tu pourrais peut-être


régler nos débats.

— Est-ce que je ressemble à un avocat ? je demande en riant. Je ne vais pas


être la personne du milieu.

Carla se gare et coupe le moteur tandis qu’Alex s’avance de nouveau entre


nos sièges.

— Je l’aime bien, déclare-t-elle à son amie.


— Merci de m’avoir emmenée, j’espère vous revoir bientôt.

Elle me salue en me promettant de me donner des nouvelles bientôt. Je sors


de la voiture avec mon sac et me dirige vers l’école, mais soudain, je me fige.
Merde. Bérénice est là, sous un arbre ombragé, sa main entrelacée à celle de
Jaxon. Ses cheveux blonds bruissent légèrement sous le vent et Jaxon se tient
devant elle. Il cale une mèche de ses cheveux derrière son oreille, elle lui
sourit et se penche en avant pour presser ses lèvres contre les siennes. Je sens
tout l’air quitter mon corps et mes jambes deviennent molles. Un mélange
d’émotions tourbillonne en moi, mais celle qui me domine est la colère. Je
serre les dents quand Jaxon enlace ma sœur.

Dire qu’il n’y a pas si longtemps, c’est moi qu’il prenait dans ses bras, moi
qu’il embrassait…

Mais aujourd’hui, il ne se soucie plus de moi. Et visiblement, Bérénice non


plus. Ils se fichent bien du mal qu’ils m’ont fait. J’ai cessé d’exister au moment
où je les ai laissés.

— Sierra, tu vas bien ?

C’est Alex qui me rejoint, son regard suit le mien.

— Oh non, lâche Carla en se plaçant à son tour près de moi. Est-ce que
c’est… ce sont… ?

— Ouais, lâché-je bouillonnante. C’est eux.

La brune se plante devant nous.

— D’accord, je suis confuse. Quelqu’un peut me dire ce qui se passe ?

— Ils… c’est mon ex petit-ami et ma sœur.

— Putain ! jure-t-elle. C’est pas bon ça.

— C’est carrément la merde, renchérit Carla en regardant sa meilleure amie.

Elle se tourne vers moi, les poings sur les hanches.


— Tu sais quoi ? Je pense qu’il a besoin qu’on lui rende visite.

Je saisis la main de Carla tandis qu’elle entame le premier pas dans leur
direction.

— Non.

— Pourquoi pas ? Ce type le mérite !

— Non, pas lui. J’ai déjà de grands projets pour lui.

— OK. Alors on va tordre le petit cou mince de cette chienne…

À mon tour, je fais un pas en avant, mais Alex nous attrape toutes les deux
par le bras.

— Calmez-vous les filles. Vous n’êtes pas rationnelles, vous devez vous
détendre.

— Je ne peux pas rester ici à ne rien faire, je dois leur rendre la vie
impossible tout comme eux ont fait de la mienne un enfer.

— Exactement !

Carla applaudit en sautillant tandis qu’Alex roule des yeux.

— C’est ridicule… Rien de bon ne peut ressortir de ça, vous le savez ?

Je l’ignore et me dirige droit sur Bérénice, désormais seule. Parfait, sans


Jaxon, elle sera plus vulnérable.

Soudain, j’entends la voix d’Alex derrière moi :

— Attends, attends !

Mais je ne l’écoute pas.

Ma sœur a l’air si innocente avec ses joues roses et ses yeux timides. Mais je
sais mieux que personne que ce n’est qu’une façade. À la minute où elle me
voit venir vers elle, sa bouche s’ouvre en grand.
— Si-Sierra, elle bégaie sous le choc, le regard plein de culpabilité. Oh mon
Dieu, c’est vraiment toi, tu…

Elle n’a pas le temps de terminer sa phrase que ma main vient percuter sa
joue.
7
Pendant longtemps, Bérénice se contente de me regarder, sa joue rougie par
ma gifle. Puis, doucement, les larmes se mettent à couler de ses yeux.

— Si-Sierra…

Sa voix est comme un murmure. Au fond, je suis heureuse de la voir si mal.


Heureuse qu’elle ressente le besoin de pleurer. Parce qu’elle a détruit une
partie de ma vie.

— Vous m’avez ruinée, tu sais ça ? Toi et Jaxon, je lâche entre mes dents, les
poings serrés.

L’adrénaline s’invite progressivement dans mes veines.

— Tu m’as ruinée, je répète.

— Je suis désolée ! Je suis désolée, Sierra. Je ne voulais pas que tu le


découvres comme ça…

— Oh, ça va. Tu savais ce que tu faisais ! je crie, hors de moi.

Un amas d’étudiants a commencé à se former autour de nous. Je repère


Carla et Alex du coin de l’œil, leurs bouches sont grandes ouvertes devant la
scène.

— Putain, j’ai vraiment honte pour toi, je te faisais confiance !

Bérénice pleure désormais de façon incontrôlable.

— S’il te plaît Sierra… Tu ne comprends pas, couine-t-elle. Je l’aime !

— Connerie, je grogne. Tu ne l’aimes pas. Il te fait penser que tu l’aimes,


mais c’est faux ! C’est un manipulateur ! S’il t’aimait, lui, il m’aurait quittée.
Tu n’es que son jouet, quand il en aura assez, il te jettera.
— Tu ne le connais pas comme moi, Sierra !

Bérénice essuie les larmes de son visage et me regarde, de la pitié dans les
yeux.

— Tu ne… il n’est pas comme ça ! Il est gentil, doux et il me fait me sentir


vivante.

Elle me dégoûte…

— S’il te fait te sentir en vie, alors tu es morte pour moi, tu es morte ! Tu


l’as eu ? Alors tu es morte !

Cette fois, je suis carrément folle de rage.

— Sierra, s’il te plaît ! (Elle recommence à pleurer) Maman et papa


voudraient que nous soyons unies.

— Oh, n’ose même pas utiliser maman et papa contre moi ! Maman doit
être, en ce moment, en train de draguer un gars sur la côte et papa fait Dieu sait
quoi, je grogne.

Je me tourne pour partir, mais Bérénice attrape ma main et s’accroche à moi


en sanglotant.

— Sierra, tu ne peux pas partir… je vais rompre avec lui. Je ne peux pas te
perdre ! Tu es ma sœur et je t’aime !

— Non, je secoue la tête en la repoussant. Je ne veux pas que tu le quittes, je


veux que tu voies ce que tu as perdu à cause de lui.

Et puis, je me retourne et m’en vais, laissant une Bérénice déchirée et une


foule confuse. Je rejoins ma salle, toujours aussi furieuse.

— Qu’est-ce que c’était, ça ? demande Brent en entrant dans la classe.

Je roule des yeux et fixe un point droit devant moi.

— Hello ? Terre à Sierra ?


— Je ne suis vraiment pas d’humeur à parler en ce moment, Brent.

Après ce qui s’est passé avec Bérénice, l’énergie a quitté tout mon corps. Je
me sens beaucoup mieux maintenant que j’ai libéré une partie de ma colère
refoulée sur elle. Je sais que je l’ai mise dans une situation délicate, mais je ne
pouvais pas m’en empêcher. Bérénice le mérite. Elle n’aurait pas dû faire ça.
Elle n’aurait pas dû continuer sa relation avec lui. Elle n’aurait pas dû me dire
qu’elle l’aimait. Jaxon Deneris n’aime personne. Il est incapable d’aimer. Il
m’a fait croire ça à moi aussi et il a complètement détruit ce que nous avions.
Désormais, c’est à mon tour de l’anéantir. De les anéantir tous les deux. Et je
ferai n’importe quoi pour y parvenir.

— Sierra, Brent m’appelle de nouveau, enfonçant sa plume sur mon bras.


Allez, parle-moi.

Je soupire.

— Qu’est-ce que vous avez vu exactement tout à l’heure ?

— Je ne sais pas (il se gratte la tête). Rien ? Tout ? Quelle réponse tu


préfères ? Parce que vu ton expression, j’ai pas envie de t’embêter en ce
moment.

J’écorche un rire.

— Je suis en colère contre Bérénice, mais ne t’en fais pas, mon cerveau est
assez rationnel pour ne pas déverser ma colère sur toi.

Brent regarde vers le bas, ses lunettes glissent jusqu’au bout de son nez.

— Ouais, mais tu étais effrayante.

Je hausse les épaules.

— J’ai perdu mon sang froid là-bas, ça ne se reproduira plus.

— Est-ce que tu aimes encore Jaxon ? C’est pour cette raison que tu étais
comme ça ?
Ses yeux recherchent la vérité sur mon visage.

— Évidemment, je l’aime toujours. Je pensais que nous allions bien avant


que je ne découvre tout ça. Notre relation n’était pas parfaite, mais je l’ai aimé.

Jaxon a été tout ce dont j’avais besoin pendant trois ans. Il m’a réparée, m’a
reconstruite et finalement, il m’a détruite. Il a pris soin de moi, surtout quand
j’étais au plus bas.

— C’était bien de voir ma sœur pleurer, cependant je ne peux pas attendre de


détruire Jaxon pour me venger.

Brent rit doucement. Il se penche ensuite vers ma table, en adoptant le ton de


la confidence.

— Je t’ai entendue parler avec Kayden. Tu vas le former pour battre ton ex,
pas vrai ?

— Ouais, je réponds en hochant la tête. Je connais Jaxon par cœur. Je vais


apprendre à Kayden tout ce que je sais.

Le visage de Brent s’illumine.

— Je suis heureux, sourit-il. Vraiment, je le suis. Depuis qu’il a perdu la


dernière fois… il est insupportable. Maintenant, il est de meilleure humeur, je
pense qu’il a besoin de quelqu’un comme toi dans sa vie.

Mon visage reflète la confusion.

— Je veux dire… pas d’une manière romantique. Tu as cette étincelle et lui,


il est tellement glacial.

— Comme le feu et la glace, je souris.

À peine une minute plus tard, le professeur nous renvoie de son cours et je
sais que c’est ma faute. Nous avons parlé tout le long, enfin surtout moi.

— Tu vas au Breaking Point plus tard pour voir Kayden ? me demande


Brent une fois près de la sortie.
Je me souviens du mot de Kayden qui m’informait qu’il était là-bas. Je ne
sais pas combien de temps il sera à Breaking Point, mais Julien va m’allumer
si je ne me présente pas au travail.

— Ouais peut-être, dis-je en sortant de l’établissement. Je vais voir si je n’ai


pas trop de boulot.

**

Julien me dit de partir une heure plus tôt parce que la salle de gym est
blindée de gars un peu trop intéressés par mon postérieur. Il a peur qu’ils
essaient de profiter de moi, alors il m’a foutue dehors. J’ai d’abord protesté, ce
n’est pas parce qu’ils tentent quelque chose qu’ils vont réussir, je sais me
défendre. Mais comme c’était ma seule façon de rejoindre Kayden, j’ai capitulé
et après un « salut Julien », j’ai pris mes affaires et suis montée dans un taxi
pour rejoindre Breaking Point.

Je tape à la porte et cette fois, il n’y a pas de videur pour me saluer. La salle
de gym est étonnamment vide ce soir. Il n’y a qu’un couple de gars en train de
s’embrasser dans un coin sombre. Au centre de la salle, un ring de boxe plus
petit que celui du sous-sol, mais de taille respectable. Un homme à moitié nu et
tatoué se tient au centre, je reconnais tout de suite cette carrure sportive, ces
muscles saillants. Kayden se retourne dès que j’entre et il fronce les sourcils.

— T’es en retard.

— Je m’en fous, grogné-je en jetant mon sac sur le sol. Je suis là, non ? Et
aujourd’hui, je n’étais pas obligée de venir.

— Bien sûr que si. J’ai dit aux gars que tu étais avec moi.

Il essuie la transpiration qui perle sur son visage avec le dos de sa main. Je
croise mes bras et le regarde. Ses cheveux noirs sont en bataille. De la sueur
dégouline sur tout son corps, soulignant ses muscles. Ses tatouages se tendent à
chaque mouvement qu’il effectue animant ce tableau encré sur sa peau. Le seul
vêtement qu’il porte est un short large et ses gants de kickboxing.

— Depuis combien de temps tu t’entraînes ? je demande en éclaircissant ma


gorge.

J’espère qu’il n’a pas remarqué les trémolos dans ma voix. Le voir comme
ça me déstabilise, tout chez lui respire la virilité. Il est vraiment ultra canon et
quelque part, ça me rend fébrile.

Kayden s’arrête un moment.

— Deux heures, dit-il en baissant les yeux.

— Tu mens, je ricane. Combien de temps ?

Il jure à voix basse.

— Quatre.

— Une heure de plus et tu es mort, je secoue la tête en saisissant ma


serviette.

Je marche vers le ring et tends ma main.

— Aide-moi.

Il ôte l’un de ses gants et attrape ma main, me propulsant vers l’avant. C’est
la première fois que je le touche. J’essaie de ne pas penser à ça quand il
enroule ses mains autour de ma taille pour me soutenir tandis que je passe par-
dessus l’une des cordes.

— Merci, marmonné-je en rougissant légèrement.

— Alors, j’ai entendu cette merde qu’il y a eu entre ta sœur et toi sur le
campus.

Il s’adosse au poteau en souriant.

— Waouh, les nouvelles vont vite, hein ? dis-je en plaçant ma serviette sur
les cordes. Mais oui, c’est arrivé, je l’ai confrontée et elle a pleuré.
— Tu es une chauve-souris, tu le sais ? (Il secoue la tête) Tu laisses ta quête
de vengeance t’alimenter.

— Et toi, tu laisses ta quête de victoire te donner la force de continuer. On


devrait peut-être arrêter de se juger et s’occuper chacun de ses affaires, tu ne
crois pas ?

Il rit et la lumière se reflète dans ses yeux gris. Je m’avance d’un pas en
essayant de ne pas faire attention à son regard désarmant. Mes mains devant
moi et mes pieds ancrés dans le sol, je dis :

— Frappe-moi.

— Quoi ?

Il me fixe, confus, un sourcil relevé.

— Frappe-moi.

— Je ne vais pas te frapper ! C’est… c’est… je ne peux pas.

Je sais ce qu’il veut dire, il ne veut pas me taper parce que je suis une
femme.

— C’est moi qui te le demande (je rebondis sur mes pieds). Allez, Kayden,
imagine que je suis Jaxon. Avec des seins tueurs et des cheveux blonds en plus.

Il grogne et se met en position devant moi.

— Je ne sais pas pourquoi tu me fais faire ça.

Je tape son bras.

— Tu n’es pas prêt. Ton bras, Kayden. Je veux que tu fasses comme si c’était
un vrai combat.

Il lève ses bras vers le ciel. Bon sang, il ne peut pas faire ce qu’on lui
demande ?

— Non, je ne peux pas faire ça, je ne peux pas… te frapper. Ce n’est pas
juste.

— Oh, allez, je gémis.

Il me tourne le dos et je me dirige vers lui, prête à l’attaquer. Son corps se


tord et sa main saisit mon poignet avant que je puisse le pilonner. Mes lèvres se
courbent en un sourire.

— Bien.

Kayden me relâche et nous prenons nos positions sur les côtés opposés de
l’anneau.

— Je pense que nous allons commencer lentement aujourd’hui, car nous


n’avons qu’une heure. Que dirais-tu de faire quelques blocs ?

— C’est un truc amateur, siffle-t-il en croisant ses bras.

Ainsi, ses muscles ressortent d’autant plus.

— Écoute, petite merde, je crache. Si tu penses une seconde que le blocage


est un truc d’amateur, alors tu n’as rien compris. Jaxon est tout aussi bon à ça
qu’en attaque.

— Bien, très bien, capitule-t-il. On va faire comme tu veux pour une fois.
Mais je te le dis : je suis une bonne merde à ça. T’es sûre de ne pas vouloir
m’enseigner des trucs de débutant parce que tu ne sais pas faire autre chose ?

Je plisse les yeux.

— Va te faire foutre.

Je verrouille mes bras en le regardant avec un air de défi.

— Maintenant, frappe-moi, Kayden.

Il respire profondément et se prépare.

— Bien, je vais te cogner. Mais dans moins d’une minute, tu me supplieras


d’arrêter.
Je ris presque.

— Tu ne vas pas réussir. Crois-moi.

— Tu as confiance en toi, hein, tigresse ?

Ce petit sourire satisfait sur son visage m’agace. Il parle, parle et parle dans
l’espoir, peut-être, de gagner du temps.

— Ouais. Bon, tu vas rester comme ça longtemps à me regarder ou tu vas


me frapper ?

Les mots ont à peine quitté ma bouche que Kayden se précipite vers moi
avec un rugissement d’animal sauvage.
8
Kayden s’avance dans le but de me frapper au visage. Immédiatement, mes
bras se verrouillent devant moi en forme de « L » et viennent bloquer son
poing. D’un geste rapide, il tente un second assaut avec l’autre bras. À ses
mouvements et sa vitesse, je comprends que ce mec est doué, mais qu’il n’ose
pas y mettre toute sa force. Malgré ça, le choc de son punch me fait vaciller et
il enchaîne avec un troisième coup.

Je jubile en saisissant son poignet et en le bloquant dans son dos jusqu’à ce


qu’il se mette à gémir de douleur. Je le lâche immédiatement et il se laisse
tomber à genoux ; il semble sous le choc.

Tu ne t’attendais pas à ça, hein, mon coco ?

— Sérieusement ? je lui demande, les poings sur les hanches. C’était si


pathétique. Je ne peux pas croire que tu as presque gagné le championnat
comme ça.

Je pouffe tandis qu’il se relève.

— Hey, grogne-t-il. Je t’ai laissée gagner.

Je rigole.

— Vraiment ? C’est ça ton excuse ?

— Écoute tigresse, si tu attends que j’admette que tu es meilleure que moi, tu


peux encore courir, parce que c’est pas près d’arriver.

Je roule des yeux.

— D’accord Rocky, fais-moi voir ce que tu as dans le ventre.

Cette fois, Kayden essaie un straight knee-thrust{2}, mais je bloque son genou
avant qu’il ne touche mon ventre. Ensuite, je me décale légèrement et prends
appui sur ma jambe gauche. Au moment où il ne s’y attend pas, mon pied droit
vient frapper l’arrière de sa cheville. Il tente de se rattraper, mais il échoue et
tombe dans un bruit sourd. Je tremble quand je le vois grimacer de douleur.

— Je pensais qu’on devait travailler juste la défense, se plaint-il, essayant de


reprendre son souffle.

Il me regarde, les yeux revolvers.

— Tu m’as fait trébucher. C’est de la triche.

— La triche n’existe pas sur le ring, surtout pas au sous-sol.

Je tends la main pour l’aider, tandis qu’il continue de me fixer. Finalement, il


secoue la tête et se relève de lui-même.

— Tu dois savoir qu’il n’y a pas de règle, je dis.

Kayden se moque.

— Je pensais qu’on allait jouer équitablement.

— Vraiment ? je ris presque. Tu ne veux pas admettre que tu viens de te faire


botter le cul par une nana ?

— Tu blesses gravement mon ego, tigresse.

Il place sa main contre son cœur dans un geste théâtral.

— Je suis vraiment impressionné, cependant. T’es douée, tu devrais


envisager de faire carrière.

— Et avoir toujours peur que les flics me coincent ? Non merci. Je suis fière
de faire tout ça. J’aide les gens à se battre. C’est ainsi que je m’occupe. Toi, je
ne sais pas pourquoi tu te bats. J’ignore si c’est pour l’argent, ou peut-être
pour ce sentiment d’euphorie qui te traverse quand tu frappes quelqu’un…

À la manière dont ses yeux me dardent, je comprends que j’ai touché un


point sensible. Et c’est encore plus vrai lorsqu’un voile de colère vient
recouvrir son visage et faire ressortir la veine de sa tempe.
— Ça suffit. T’as aucune idée de la raison pour laquelle je souffre, Sierra.
On devrait se remettre au boulot au lieu de parler.

À quoi bon insister ? Il s’est fermé comme une huître, je n’obtiendrai rien de
lui aujourd’hui.

— D’accord, acquiescé-je. Mets-toi en position.

Il se place face à moi, ses gants dans son champ visuel, ses avant-bras
parallèles l’un à l’autre, le menton baissé et ses pieds légèrement décalés pour
consolider ses appuis. Ses yeux brillent d’une lueur indéfinissable et je peux y
lire tellement d’émotions que je comprends que ses secrets sont sans doute
lourds à porter.

Puis, il m’assène un direct court que je bloque aisément.

— Encore.

Il me frappe. Je bloque. Et nous répétons ce petit manège encore et encore.

À la fin de l’heure, Kayden parvient à contrer la plupart de mes défenses. Je


suis impressionnée par sa rapidité à mémoriser mes pas et mes blocs. Il utilise
la technique du balayage avec son pied à son avantage quand j’essaie de le
frapper.

Ce type est définitivement un délinquant super doué. L’un des meilleurs que
je connaisse. Et c’est vraiment une bonne chose, mais il y a quand même des
inconvénients. Jaxon est l’un des plus grands défenseurs de tous les temps. Il
était professionnel avant de décider que les combats souterrains étaient mieux
pour lui. Il disait que c’étaient des victoires faciles et j’étais d’accord avec lui.

Quelle imbécile j’étais !

Je pensais qu’il était imbattable. Et j’aimais cela, j’étais toujours heureuse


pour lui. Jaxon était chaud. Il est un homme de quatre-vingt-dix kilos de
muscles. Épaules larges, pectoraux énormes et abdominaux parfaitement
dessinés. Les filles étaient toutes dingues de lui et c’était difficile pour moi de
les garder à l’écart, je pensais néanmoins avoir réussi… J’aimais Jaxon, mais
j’étais si occupée à m’assurer qu’aucune fille ne me vole la place que je n’ai
pas réalisé qui était la réelle menace. Ma propre petite sœur. Elle sent
l’innocence à plein nez alors comment aurais-je pu me douter qu’elle ferait
une chose pareille ? En plus, elle est plutôt jolie, le genre de nana sur laquelle
on se retourne : petit nez, joues roses et grands yeux bleus. Elle ne se soucie
pas de la façon dont on la regarde et reste naturelle en toutes circonstances.
Elle est gentille, douce et j’ai utilisé ses traits de personnalité à mon avantage.
Je la négligeais sans arrêt, la rabaissais et jamais, elle n’a protesté. Elle ne sait
pas se défendre, alors il était facile d’avoir le dessus. Je voulais paraître forte
et indomptable et au fond, je m’en veux. J’ai été injuste avec elle et elle m’a
rendu la monnaie de ma pièce.

Et je n’arrive toujours pas à croire que Jaxon l’ait choisie, elle et moi
sommes si différentes… Il était supposé être à moi. Jaxon m’a aimée. Ou du
moins, je pense. Pourquoi ça a changé ? Qu’ai-je fait de mal ?

— Hé, tigresse, ça va ?

Le ton inquiet de Kayden me ramène à la réalité.

Je continue de rassembler mes affaires dans mon sac et me passe de l’eau


sur le visage.

— Ouais.

Il ne veut pas me parler de lui, je ne lui parlerai pas de moi. Point final.

— Allons-y.

Nous sortons du Breaking Point pour rejoindre sa voiture, une décapotable


rouge. Je m’installe sur le siège passager et lui prend place derrière le volant.
Déjà, le silence se fait, et pour le briser, il allume la radio. Il démarre et quitte
sa place de stationnement.

La capote est enlevée et ses cheveux sont agités par le vent. Ses yeux gris
brillent, frappés par les rayons lunaires. Il est vraiment très beau, c’est
indéniable. L’éclairage joue avec les traits de son visage, faisant ressortir ses
pommettes, ses fossettes et sa mâchoire inclinée.
Dieu, ses fossettes ! Elles vont me tuer un jour…

Mais il est encore plus beau lorsqu’il sourit. Dommage qu’il le fasse
rarement…

Nous nous stoppons au feu rouge et il se tourne vers moi.

— Merci de m’avoir aidé, souffle-t-il du bout des lèvres, face à mon sourire.

— Tu apprends vite. Personne n’avait jamais réussi à mémoriser aussi


rapidement ma technique de défense.

Il lève un sourcil.

— Vraiment ?

Je pouffe et il poursuit :

— Tu viens de me faire un compliment ? J’en suis honoré.

— Oh, ferme-la.

Je regrette immédiatement de l’avoir complimenté.

— Je dois enregistrer ça !

Il se met à fouiller dans le vide-poches, puis dans la boîte à gants en beuglant


qu’il ne trouve pas son « foutu téléphone ».

— Va en enfer, Kayden !

Il sourit en se concentrant sur la route lorsque le feu passe au vert.

— Que j’aille en enfer ne change rien à ce que je suis : un vrai dieu du ring.

— Oh s’il te plaît, je gémis en couvrant mes oreilles comme une enfant.


Arrête.

Il rit davantage.
— Je suis parvenu à impressionner celle qui pensait que je n’étais qu’un
débutant, la tigresse en personne !

— Arrête de m’appeler comme ça, je grogne en cachant mon visage avec


mes mains. Je déteste ce surnom.

— Pourquoi ? Ça te gêne, tigresse ? me taquine-t-il.

— Oui.

— Alors je vais t’appeler tigresse, lance-t-il, satisfait.

Je croise les bras et fais la moue.

— T’es vraiment pas croyable, Kayden.

Je frappe son bras, mais la douleur me fait grimacer.

— Putain, tu es fait en acier ou quoi ?

Il me regarde brièvement, de l’humour dans le regard et un rictus moqueur


au coin des lèvres.

— Si tu dis ça pour me séduire, alors sache que je n’ai aucune intention de te


mettre dans mon lit.

Je roule des yeux.

— Je te déteste, tu le sais ?

— C’est réciproque, tigresse, rétorque-t-il.

Lorsque nous arrivons à l’appartement, la fatigue me tombe dessus d’un seul


coup. Je pense que Kayden ressent la même chose parce qu’il bâille quand il
ouvre la portière.

— Laisse-moi prendre ça, murmure-t-il en saisissant mon sac, en plus du


sien.

— Quel gentleman ! je me moque. Peut-être que la galanterie n’est pas morte


finalement.

Nous entrons et je me laisse tomber dans le canapé du salon. Bon sang, mes
jambes me font un mal de chien.

— Aah ! je crie de douleur quand je touche l’endroit douloureux.

— T’es aussi douillette que toutes les autres nanas, se moque-t-il.

Je le fusille du regard.

— Est-ce que tu m’as déjà vue en robe ? Ou avec des talons aiguilles ? M’as
tu déjà vue avec une once de maquillage pour me rendre jolie ?

Il rit doucement.

— Bon point.

Je me traîne du canapé et bâille.

— Je vais dormir.

— Moi aussi, il soupire en croisant ses bras.

Je me dirige vers ma chambre et lui se rend à la sienne. Mais avant d’ouvrir


nos portes respectives, nous nous observons un moment. Ses yeux sont
magnifiques, d’un gris si particulier qu’ils en sont hypnotiques. Ses cheveux en
bataille lui confèrent un air d’animal sauvage, ses tatouages ajoutent à son côté
bad boy. Je lui offre un léger sourire et, avant que je puisse fermer la porte,
Kayden m’arrête.

— Hey, Sierra ?

Je lève les yeux et rencontre les siens. Il hésite un moment puis se lance :

— Je suis fort, mais j’ai mal à l’intérieur. Comme toi.

Je sens que tout l’air sort de mes poumons.

— Kayden…
— Bonne nuit tigresse, il murmure en s’enfermant dans sa chambre.

Il a… mal à l’intérieur ?
9
— Tu sais, Bérénice m’a dit ce qui s’est passé entre vous deux hier, dit mon
père à l’autre bout du fil.

Je bâille, assise dans mon lit, les jambes étendues devant moi et mon
portable collé à l’oreille.

— Dire que je suis déçu de vous serait un euphémisme, continue-t-il.

Je souffle. Je ne veux vraiment pas avoir cette conversation maintenant.


C’est trop tôt.

— D’accord, lâché-je.

Qu’est-ce que je pourrais bien dire d’autre ? Que je suis désolée ? Le suis-je
vraiment ? Je me sens mal d’avoir giflé ma propre sœur, mais ce n’est pas
comme si j’avais fait ça sans raison.

— Tu n’essaies même pas de t’expliquer ? il demande.

Je roule des yeux en soufflant de plus belle.

Mon père, Jacob Lane, a arrêté de se soucier de ma sœur et moi il y a quatre


ans, lorsque maman et lui se sont séparés et qu’il s’est remarié à une riche
héritière. Depuis, c’est comme s’il était mort pour moi. Je le déteste toujours
autant de ne pas avoir essayé d’arranger les choses avec ma mère. Il a
abandonné. Ils l’ont fait tous les deux. Et notre famille s’est effondrée. Et c’est
pourquoi je me sens amère chaque fois qu’il appelle, pour le peu qu’il le fasse.

Il agit comme s’il savait mieux que moi ce que je dois faire, il essaie
toujours de me dicter ma conduite. Mais il n’est pas en position de me dire
quoi que ce soit. Je suis mes envies et oui, j’ai commis beaucoup d’erreurs,
mais ça m’a aidée à avancer, sans lui.

— Tu veux vraiment avoir cette conversation en ce moment ?


Mon humeur matinale habituelle laisse place à de la rage, comme chaque
fois que j’entends sa voix d’ailleurs.

— Oui, Sierra, confirme-t-il, déterminé. Je n’ai pas été là depuis quelque


temps, mais…

— Quelque temps ? Ça fait quatre ans !

— Tu devrais te comporter en adulte, dit-il en élevant le ton. Et tenir ta


langue plutôt que parler ainsi à ta propre sœur.

— Ne me dis pas quoi faire de ma langue alors que tu as passé toutes ces
années à maudire maman chaque fois que tu en avais l’occasion.

Silence. Puis, il souffle et reprend d’une voix plus douce :

— Sierra, je suis désolé… Combien de fois dois-je vous le répéter, à ta sœur


et toi ? Alyson donne un sens à ma vie.

— Et quoi ? Aujourd’hui, elle « donne un sens à ta vie » et demain, tu


l’abandonneras comme tu l’as fait avec maman ? Je n’ai rien à apprendre d’un
lâche. Je ne veux ni de tes conseils ni de ta leçon de morale.

Je balance les feuilles de mes cours à travers le lit et me masse le front du


bout des doigts.

Il soupire bruyamment dans le combiné.

— Il ne s’agit pas de moi, mais de ta sœur et toi.

— Parce que ça te fait te sentir mieux de savoir que j’ai blessé quelqu’un
comme tu as blessé ta famille ?

— Sierra ! Je veux que tu t’excuses auprès de ta sœur.

— Non. Elle a peut-être fait sa victime en venant te parler, mais je peux te


dire qu’elle méritait cette gifle. Tu savais qu’elle a couché avec Jaxon ? Pas
une, pas deux, mais un tas de fois. Alors qu’on était encore en couple. Elle te
l’avait dit ? On dirait que tu ne vas pas reconnaître ta petite fille parfaite !
Il reste silencieux pendant un moment. Il veut libérer toute sa colère sur moi,
mais il sait que c’est inutile. Au lieu de ça, il prend une profonde inspiration
pour se calmer.

— Vous ne pouvez pas toutes les deux enterrer la hache de guerre et


continuer à vivre ? Vous êtes sœurs, vous devez rester unies.

— Je veux qu’elle ressente la douleur que j’ai ressentie à cause d’elle et de


sa trahison. Moi aussi j’ai besoin de temps !

— Sierra ?

— Non ! dis-je fermement. Et n’essaie pas de m’appeler de nouveau, j’ai


pris ma décision et je m’y tiendrai.

— Tu vas le regretter. S’il te plaît, pense à ce que je t’ai dit, tu dois


apprendre à pardonner.

Je serre mes doigts autour de mon portable et après un moment de réflexion,


raccroche sans un mot de plus pour lui.

— Va te faire foutre ! je grogne.

C’était probablement la conversation la plus intense que j’ai jamais eue avec
mon père. Normalement, je lui dis simplement de ne pas me déranger, mais
cette fois, c’était différent. Il y a tellement de colère en moi dernièrement. Ce
n’est pas bon. Et la seule façon de me débarrasser de ce sentiment, c’est en me
vengeant de ceux qui m’ont trahie. C’est le seul moyen… non ?

Après avoir pris une douche et enfilé des vêtements propres, je me rends au
séjour. Une note est posée sur la table basse.

« Je suis parti faire mon jogging.

Kayden. »

Je roule les yeux et, alors que je m’apprête à me laisser tomber de tout mon
poids sur le canapé, un étrange bruit provenant de la cuisine attire mon
attention. Qui est-ce ? Une bête ? Un voleur ?

À pas de loup, je recule silencieusement vers ma chambre. Je me glisse à


l’intérieur et m’empare d’une batte de baseball avant de retourner au salon.

Je m’avance vers l’entrée de la cuisine et aperçois une silhouette masculine,


dos à moi, en train de fouiller dans les placards. Mon regard balaye la pièce et
je constate que la porte d’entrée est ouverte. Bon sang, c’est bel et bien un
voleur !

Sans réfléchir une seconde de plus, je m’avance vers l’intrus et lui assène un
coup de batte dans le dos.

— Putain ! jure-t-il en arrêtant immédiatement de fouiller.

Il gémit de douleur en portant une main à l’endroit où je l’ai frappé.

Je brandis mon arme de plus belle tandis qu’il tend la main en avant, comme
pour m’en dissuader. Durant une fraction de seconde, je l’observe, avant de le
frapper à nouveau.

— Prends ça ! je hurle.

Il se retourne et je l’envoie sur le sol avec un coup de pied.

— Salaud de voleur !

— Bordel de merde… Je ne suis pas un stupide voleur, merde !

Il gémit de douleur, la bouche crispée. Avant même que je puisse réagir à ce


qu’il vient de dire, Brent sort des toilettes et ses yeux s’arrondissent face à la
scène. Qu’est-ce qu’il fait ici ?

— C’est quoi le bordel ? demande-t-il.

— Ce gars a essayé de pénétrer dans l’appartement ! Passe-moi mon


téléphone ! Je vais appeler les flics.
— Stop ! C’est mon ami et l’ami de Kayden aussi.

Je plisse les yeux.

— Quoi ? Comment ? Qui vous a laissé entrer ?

Le gars, toujours assis par terre, étouffe un petit rire.

— On a une clé.

— Quoi ? Pourquoi vous avez une clé de mon appartement ? je demande,


confuse.

Brent secoue la tête.

— Kayden nous fait confiance, alors parfois, on vient traîner ici quand il
n’est pas là.

— Vous ne pouvez pas venir ici quand ça vous chante, je crache. Et toi, dis-je
en pointant le mec sur le sol, j’aurais pu te tuer.

— Tu l’as presque fait, il grince.

Brent aide son ami à se relever.

— Merde. Pour une femme, tu cognes fort. Je pense que je dois avoir une
commotion cérébrale ou un truc dans ce goût-là.

— Je suis désolée…, je murmure en allant au réfrigérateur. Je vais te donner


de la glace.

Pourquoi Kayden ne m’a-t-il pas parlé de ça ? Je vais le tuer !

Une fois que Brent et moi avons aidé le gars à s’installer sur une chaise, je
lui donne un pain de glace qu’il place sur sa tête. Je me sens vraiment coupable
d’avoir frappé un mec innocent, mais je ne pouvais pas deviner que c’était un
pote de Kayden… Mon ami me regarde, crispé, et je ris nerveusement.

— Je suis vraiment désolée de t’avoir frappé, euh…


— Evans, continue le gars. Bien que j’ai beaucoup de noms sur le campus.
Ils m’appellent dieu sexuel, Evans à la grosse b…

Brent roule ses yeux.

— Fais pas attention. Il a un ego de la taille des États-Unis.

Evans ferme les yeux et se met à rire.

— Il est jaloux parce qu’il n’obtient pas autant de plans cul que moi.

Je secoue la tête.

— Permets-moi de deviner, tu es le chaud lapin du campus ? Le gars qui a


des relations sexuelles avec tout ce qui a un vagin ?

— Malheureusement, ils m’appellent aussi comme ça, soupire-t-il. Mais ce


n’est pas ma faute, j’aime les filles. Et elles m’aiment aussi.

Brent souffle.

— Je te préférais quand tu gémissais de douleur sur le sol…

— Tais-toi.

— Bon, s’il vous plaît, je peux récupérer votre clé ? Parce que je pense que
ce sera mieux si vous frappez avant d’entrer. Je me sentirais beaucoup mieux.

Je tends la main vers Brent qui me regarde, hésitant.

— Je vais en parler avec Kayden, dit-il.

Son ami acquiesce d’un hochement de tête.

— En plus, il a une télévision à LED. Idéal pour regarder le football !

Je renifle.

— Je m’en fous, je veux cette clé.


J’insiste et tends à nouveau la main pour la saisir, mais mon ami recule en
souriant.

— On ne peut pas te la donner comme ça.

— Pourquoi pas ? Tu veux vraiment que je te cogne encore, Evans ?

Il hausse les épaules.

— Non, s’empresse-t-il de répondre. Pas question que je prenne encore un


coup de cette chienne.

Le regard de Brent se pose sur son ami.

— J’ai besoin de la clé pour vérifier…, dit-il.

Au même moment, Kayden entre dans l’appartement.

— Kayden ! Dis à ces deux idiots de rendre leur clé.

Les yeux gris orageux de mon colocataire nous fusillent tous les trois sur
place, et plus particulièrement Evans dont, jusqu’à lors, je n’avais pas examiné
le visage ; le coup que je lui ai mis au visage a laissé une jolie trace bleuâtre
sur sa pommette. Il lève son sourcil dans la confusion.

— Kayden, elle est impossible. Elle veut que je redonne la clé de


l’appartement. Je lui ai dit non.

Je croise mes bras sur ma poitrine.

— Kayden, ils ne peuvent pas entrer comme ça. Et s’ils entrent alors que je
suis nue ou un truc comme ça ?

— Ça me dérange pas, dit Evans effrontément.

Mon colocataire enlève sa serviette autour de son cou et essuie la sueur sur
son visage. Mes yeux se posent sur son torse nu bien dessiné.

— Brent, donne la clé à Sierra, déclare-t-il le visage enfoui dans la serviette.


— Tu te moques de moi ?! On en a besoin. Le câble dans les dortoirs est
tellement mauvais, ici, c’est le seul appartement où on peut squatter pour
regarder la télé !

Brent me la remet à contrecœur, les lèvres pincées.

— Désolée Brent, je lance en souriant.

Cette fois, Kayden est celui qui roule des yeux.

— Vous ne venez pas ici souvent de toute façon. Et maintenant que nous
avons une femme qui vit ici, on doit penser à elle aussi.

Evans rit.

— Tu t’es fait couper les couilles, mon ami.

L’autre lui lance un regard noir avant de se tourner vers moi.

— Ne crois pas que parce qu’ils n’ont pas de clé, on est débarrassés d’eux.
Ils sont comme des parasites.

Je lance la clé de Brent dans le petit panier sur la table puis passe devant
Kayden.

— Je pourrais les mettre dehors, tu sais.

Il ne me regarde même pas quand il répond.

— Je sais, Sierra.

D’un coup, il semble désagréable et froid.

— Tu vas aller à la salle de gym ? je demande, pour tester son humeur.

— J’en sais rien, il murmure.

Sans une parole de plus, il se dirige vers sa chambre, puis ferme la porte. Je
jure à voix haute en secouant la tête et Brent m’adresse un sourire
compatissant.
— Il est sympa parfois, ajoute-t-il en haussant les épaules.

— Ses sauts d’humeur me rendent dingue ! Appelle-moi quand il aura fini


d’être désagréable. Je serai à Breaking Point.

Je tourne les talons et prends la route pour le gymnase. Pourquoi est-il


devenu soudainement si glacial ? Voilà la question que je me pose durant tout
le trajet. Je n’arrive pas à le suivre, lui et ses multiples visages.
10
Kayden Williams est un connard ! Quand il est arrivé au Breaking Point une
heure après moi, il était plutôt étrange. Il n’a même pas essayé de me parler
quand il s’échauffait. Quand je lui ai demandé quel était son problème, il m’a
totalement ignorée. Et si j’étais la cause de sa colère ?

— Tu as fini ? je le questionne alors qu’il couvre sa main gauche d’un tissu


rouge.

Encore une fois, silence radio.

— As-tu besoin d’aide ? je continue, sentant l’agacement poindre.

Ma patience a clairement des limites et lui prend tout son temps. Bon sang, il
m’énerve !

— Kayden ?

Il se contente de grogner.

— Peut-on aborder le sujet qui fâche ? je dis sur un ton plus calme. C’est
quoi ton problème ?

— J’ai aucun problème, articule-t-il simplement.

— Bien sûr que si, tu as un problème. Que se passe-t-il ? Je pensais que nous
allions bien depuis hier soir ! J’ai passé un bon moment à t’entraîner. J’ai fait
quelque chose qui t’a dérangé ?

— Putain Sierra, grogne-t-il en cessant tout mouvement. Ferme-la ! Je te


jure qu’il vaut mieux que tu la boucles ou…

— Ou quoi ? Tu ne peux pas faire n’importe quoi. Nous avons besoin l’un
de l’autre.

Je croise mes bras, un rictus sur les lèvres.


Il fixe sa main à moitié recouverte de tissu rouge.

— Je pense que je vais tenter ma chance sans toi.

Cette fois, je hausse le ton.

— Qu’est-ce qui ne va pas chez toi ?!

— Toi…

Il ne dit pas un mot de plus, secoue la tête et ferme les yeux.

— Laisse tomber. J’en ai fini avec tout ça. Je ne peux pas faire ça, je ne peux
pas. Je peux le faire tout seul. Je peux le faire sans toi.

Il se lève du banc et je fais de même. Le regard plongé dans le sien, je


fulmine et, même s’il fait une tête de plus que moi, j’ai toujours l’impression
que je suis supérieure. Il ne va pas faire ça. Il joue avec mes règles maintenant,
mais il ne peut pas décider d’avoir besoin de moi que lorsqu’il le veut.

— Tu penses que tu peux le faire sans moi ? Réfléchis-y encore. Je t’ai battu
hier. Tu n’arrives même pas à bloquer mes attaques. Ce qui signifie que sans
moi, tu ne vas pas durer dix secondes sur le ring contre Jaxon. Je me demande
même comment tu as réussi à tenir jusqu’ici.

Je fais une pause, mais face à son visage fermé, je reprends :

— Je ne sais pas quel genre de merde t’est arrivée entre hier soir et ce matin,
mais t’as vraiment l’air pathétique. Je mérite d’être traitée avec respect.

Il serre fermement sa mâchoire.

— Tu ignores ce que je suis, Sierra.

— T’as raison, je sais pas. Mais tu n’es pas un homme. Ce n’est pas la
quantité de coups de poing que tu peux donner, ou combien de temps tu peux
tenir sur un ring qui fait de toi un homme. En être un, c’est montrer un réel
courage et avoir la force de surmonter ses blessures et ses cicatrices. Sers-toi
des tiennes comme d’une force et non comme une faiblesse.
L’espace d’un instant, il reste muet. Il semble tranquille, comme s’il
réfléchissait à ce que je viens de dire. Au lieu de supporter ce silence gênant, je
me détourne de lui et saisis mes gants.

— Rentre chez toi, Kayden. Prends un jour de repos et repense à ce que je


t’ai dit. Et si c’est vraiment ce que tu veux, alors je quitterai ton appartement à
la première heure demain.

J’enfile mes protections et me dirige vers le sac. J’ai besoin de me défouler,


d’extérioriser. Avant de me mettre à cogner, je me retourne, mais il n’est déjà
plus là.

**

Après avoir complètement assassiné le sac de boxe, je soupire en enlevant


mes gants pour prendre mon téléphone dans mon sac. Autant je déteste Kayden
de souffler constamment le chaud et le froid avec moi, autant je m’inquiète
toujours pour lui. Il doit s’être passé quelque chose d’important qui a affecté
son état d’esprit. Je compose le numéro de téléphone de Brent et attends qu’il
réponde. Quand il décroche, sa douce voix s’élève dans le combiné.

— Hey, Sierra.

— Hey. Dis, tu as des nouvelles de Kayden?

— Il va bien, répond-il. Il est enfermé dans sa chambre, mais il est saint et


sauf.

Je laisse échapper un soupir de soulagement.

— Honnêtement, Brent, parfois, je me sens comme si j’étais une adolescente


avec lui et ses mille facettes.

— Il a beaucoup de problèmes. Une fois qu’il sera redescendu sur terre, il


prendra conscience de la façon dont il t’a parlé et il s’en voudra.
Je secoue la tête.

— D’accord.

— Tu rentres à l’appart ? demande-t-il, visiblement inquiet.

— Pas encore, je lâche après quelques secondes de réflexion. Je pense que je


vais passer du temps avec quelques amis.

Il souffle longuement.

— Tu as des amis ?

— Tais-toi. Oui, j’en ai ! Ils sont vraiment gentils. Carla vit dans
l’immeuble, d’ailleurs.

— Cool. Je suis content que tu aies fait de nouvelles rencontres. Je pense que
tu as définitivement besoin d’une soirée tranquille après ce qui s’est passé avec
Kayden.

Je mets mon sac sur mon épaule en acquiesçant, comme s’il pouvait me voir.

— On se retrouve plus tard.

Après que Brent ait raccroché, mon doigt glisse jusqu’au numéro de Carla.
Elle me l’a donné après mon épisode avec Bérénice.

— Hey, chantonne-t-elle joyeusement en décrochant. Quoi de neuf, Sierra ?

— Salut, Carla (je souris à moi-même). Tu as des plans aujourd’hui ?

— Oui, mais tu peux venir avec moi si le cœur t’en dit.

— On passe la journée ensemble ?

— Ça marche !

Carla vient me chercher au Breaking Point quinze minutes après le coup de


fil. Quand je la rejoins dans sa voiture, elle me fixe étrangement.

— Quoi ? je lui demande, la confusion clairement affichée sur mon visage.

— Qu’est-ce que tu fais dans un endroit comme celui-ci ? elle souligne en


pointant le bâtiment du doigt, qui ressemble plus à un bordel qu’à une salle de
sport.

Je ris nerveusement.

— Ne me demande pas.

— D’accord, conclut-elle en s’insérant dans la circulation.

Voilà pourquoi j'apprécie Carla. Elle ne pose pas de questions, ce qui


signifie qu’elle me fait confiance.

Pas comme Kayden.

J’ignore pourquoi je pense à lui maintenant, mais inévitablement, un sourire


se dessine sur mon visage. Ce gars a des problèmes de confiance. Juste au
moment où je pensais que j'allais l'atteindre, il me dit de m’enfuir. Tout ce que
je veux, c’est jeter un coup d’œil sur ce qui se cache derrière le masque qu’il
porte. Je veux savoir qui est le vrai Kayden.

— Alors, où allons-nous ?

— Chez Daniel et Alex, elle me sourit. Leur appart est carrément cool, ils
vivent dans un putain de penthouse{3}.

Lorsque nous arrivons à destination, mon amie frappe à la porte et attend.


J’entends des pas puis la porte s’ouvre en grand.

— Hey ! Entrez.

Alex nous accueille avec un sourire chaleureux.

Carla ouvre grand les yeux.

— Je sens l’odeur des… PANCAKES.


Son amie rit.

— Daniel fait un peu la cuisine, dit-elle avant de se tourner vers moi. Hé,
Sierra. Je ne t’attendais pas aujourd’hui.

— Je ne m’attendais pas à venir non plus (je hausse les épaules en souriant).
Ça fait longtemps que je n’ai pas passé de temps avec des amis.

Elle me guide à l’intérieur et j’essaye de ne pas lorgner chaque coin de


l’immense pièce à vivre pour ne pas paraître indiscrète.

Cet endroit est énorme !

— Classe, je murmure en regardant autour de moi.

Des planches en bois poli couvrent le sol et un vaste paysage s’étend à


travers la fenêtre. Des vases remplis de pot pourri traînent çà et là et une légère
fragrance d'agrumes flotte dans l'air. D'épais rideaux beiges rendent l’endroit
chaleureux et laissent filtrer une lumière douce.

Mes pieds parcourent instinctivement l’espace salon où est disposée une


télévision trois fois plus grande que celle de Kayden. Les deux canapés en cuir
et le tapis ajoutent de la couleur à l’endroit ; moderne et magnifique.

— C’est beau, dis-je, excitée. Je suis jalouse.

Carla se tient à côté de moi.

— Je sais. Dommage qu’on n’ait pas un mec multimillionnaire avec qui


coucher, nous aussi.

— S’il vous plaît les filles, je n’aime pas ce genre de blague.

Une voix familière se joint à nous et je me tourne pour me retrouver face à


Daniel Kerrington. Ses cheveux sont blonds et épais et il utilise ses deux mains
pour les repousser de son front, révélant chaque fois un peu plus son visage.
Ses yeux bleus sont larges quand il me scrute et ses lèvres sculptées se
courbent en un sourire.
— Tu es Sierra ? il demande. Alex m’a beaucoup parlé de toi. Elle a dit que
tu étais un ninja de classe supérieure ou quelque chose dans ce goût-là.

Je ne peux m’empêcher de rire.

— Je suis entraîneur de kickboxing. Je travaille au gymnase des Fighters.

— Waouh ! Tu pourrais m’apprendre quelques mouvements ? Ce serait cool.

Il fait un geste en direction de sa petite amie.

— Au cas où Madame décide de m’envoyer au tapis. Plus sérieusement,


avoir beaucoup d’argent, c’est aussi être constamment en danger et un jour, je
veux vraiment avoir des enfants. Donc je dois pouvoir les protéger.

Alex se place à ses côtés et il glisse un bras autour de sa taille.

— Tu veux des enfants ?

— Pourquoi pas ? Ne me dis pas que tu n’as pas envie d’en avoir.

Il la regarde avec défi.

— Sujet sensible, Kerrington, lâche-t-elle. On ne va pas avoir cette


conversation maintenant.

Il grogne.

— Tu dois vraiment cesser de m’appeler Kerrington maintenant. Je ne suis


plus lié à ce fils de pute.

Je lève les sourcils, confuse, et Carla se penche vers moi pour me chuchoter
quelques mots à l’oreille :

— Il s’est émancipé de son père, Harry Kerrington.

— Tu es mon homme. Tu n’es pas comme lui, déclare sa petite amie.

Mon cœur fond au moment où elle le regarde, des étoiles plein les yeux. Il
lui retourne le sourire qu’elle lui adresse puis se penche pour appuyer un léger
baiser sur ses lèvres. Carla fait la grimace.

— Vous êtes absolument écœurants, même des crêpes n’effaceront pas cette
image de mon esprit !

Daniel rit.

— Est-ce que des pancakes avec du chocolat ont plus de chance ?

Alex se détache de son compagnon et nous entraîne, Carla et moi, jusqu’à la


cuisine.

— C’est fantastique ! s’exclame mon amie en prenant une bouchée. C’est


comme du sexe dans ma bouche.

— Tu es sûre que tu parles toujours des crêpes ? lui demande Alexia.

Nous nous installons autour de la table alors que Daniel fait sauter quelques
crêpes dans la poêle. Nous les mangeons avec un peu de chocolat fondu et de
fruits de saison. À la minute où je goûte les pancakes, je gémis presque de
bien-être.

— Oh mon Dieu ! Je pense que je peux devenir accro à ça.

Nous rions et parlons de tout et de rien, à savoir ma profession et ma


cohabitation avec Kayden. Bien sûr, le sujet dérive sur les hommes, et bien
qu’Alex et Carla soient prises, ça ne les empêche pas de baver sur certains gars
du campus. Daniel semble assez agacé et essaie de changer de sujet, mais sa
petite amie ne lui laisse pas ce plaisir.

La relation d’Alex et Daniel est bizarre. Ils se disputent, mais s’aiment


malgré tout. Lui la regarde toujours de la même façon : amoureusement, et ses
yeux ne peuvent mentir. Les voir si heureux et amoureux me fait comprendre
ce que j’ai perdu avec Jaxon. Aurai-je la chance, moi aussi, de vivre quelque
chose comme ça ?

— Alors, parle-nous de Kayden.

Carla se tortille sur son tabouret.


— Oh, oui ! On veut connaître tous les détails.

Je ris. Eh bien, elles ont l’air vraiment intéressées par Monsieur le Killer, on
dirait.

— Commençons par le début, si vous voulez bien, dis-je, le sourire aux


lèvres.
11
Assise sur le siège passager de la voiture de Carla chez qui j’ai finalement
passé la nuit, nous nous dirigeons vers le campus. En me levant, j’ai pensé
demander à Kayden de venir me chercher pour ensuite me conduire en cours,
mais je me suis rappelé qu’il était toujours un trou du cul, donc je ne l’ai pas
dérangé. Et puis, je ne voulais pas gâcher ma bonne humeur. En fait, ma
journée d’hier passée avec mes amis était ce souffle d’air frais dont j’avais
besoin. Carla, Alex et Daniel sont amusants et j’ai adoré sortir avec eux. Le
maître de maison nous a même fait l’honneur de nous interpréter quelques
chansons à la guitare. Vers midi, Daniel est parti bosser et Alex, Carla et moi
avons mangé chinois avant de regarder une comédie à la télé.

Ils sont de bons amis et après avoir passé du temps avec eux, je me suis
rendu compte que j’ai besoin d’eux dans ma vie. Ils sont honnêtes, et ça fait un
bien fou de relâcher la pression.

Je rejoins la cafeteria et, après avoir bu une quantité impressionnante de


caféine, file en cours d’histoire. Dans les couloirs menant à ma salle, je
m’imagine déjà rentrer chez moi en prétextant souffrir d’une grippe, mais si je
fais ça, je devrais rentrer à l’appartement et par conséquent, revoir Kayden. Et
je ne suis vraiment pas prête pour le moment. Donc, je chasse cette idée et
m’installe sur une place au fond où Brent m’attend déjà. Nous bavardons un
petit moment et continuons même lorsque le professeur arrive pour débuter
son cours. Malheureusement, ça n’a pas vraiment l’air de lui plaire et nous
sommes à nouveau virés.

Pour s’excuser d’avoir ri trop fort, Brent m’offre un café avant de me


déposer au gymnase.

— Je suis là, les gens !

J’annonce ma présence alors que j’entre dans la salle de gym. Julien me jette
un coup d’œil paresseux du comptoir et souffle ostensiblement. Il glisse ses
cheveux sombres et désordonnés sur le côté et se mord la lèvre.
— Bien, mieux vaut tard que jamais.

— Une personne sage a dit une fois : « une reine n’est jamais en retard ».

— Tu n’es pas une reine, Sierra. Alors, reste professionnelle et mets-toi au


travail.

Cette fois, il me fusille littéralement du regard.

— Bien, abdiqué-je en déposant mon sac derrière le comptoir.

Je discute un long moment avec un type que je n’avais jamais vu ici afin de
lui présenter la salle avant que Brandon Shaw ne débarque. Ce mec est un
habitué, il vient assez régulièrement et en impose avec ses cent kilos et ses
dizaines de piercings. Il s’approche de moi et me demande de le suivre sur le
ring pour un entraînement. Docilement, j’obtempère. Je me mets ensuite en
position, les poings devant mon visage. Il tente de me frapper aux côtes, mais
j’esquive et lui envoie un coup de pied dans le mollet. Nous enchaînons
quelques échanges avant qu’il ne s’écroule au sol. Cette fois, il m’a donné un
peu de fil à retordre. Il est assez doué pour quelqu’un d’inexpérimenté, il sera
probablement très fort dans quelques années.

— Merde, je t’ai presque eue, grimace Brandon, un genou au sol.

Je l’aide à se redresser et tape sur son épaule.

— Bon essai, mon pote. Mais personne ne me surprend. Personne.

— Vraiment personne ? demande une voix familière.

Mon souffle se coupe quand je tourne la tête. C’est Kayden. Il porte son t-
shirt blanc et son short noir. Aujourd’hui, il n’a pas pris la peine de prendre
une douche si j’en crois ses cheveux en désordre. Ses yeux couleur métal
reflètent des tas d’émotions et je constate une légère marque boursouflée à la
base de sa nuque, juste au-dessus de sa clavicule. Il doit sans doute remarquer
que je le fixe et s’empresse de remonter son col pour la dissimuler tout en
baissant la tête. Je me tourne vers Brandon qui semble tout aussi confus que
moi.
— Tu peux y aller, Shaw. Je te verrai la semaine prochaine.

Ce dernier ose à peine regarder le Killer, qui, quant à lui, l’assassine de ses
iris anthracite.

— Qu’est-ce qui t’est arrivé ? je demande, une fois seuls.

Il hausse nonchalamment les épaules.

— Je me suis battu.

— Pourquoi ?

— J’ai… des problèmes auxquels je dois faire face, élude-t-il en glissant ses
doigts dans ses cheveux sombres.

— Tu te bats à l’extérieur du ring maintenant ? Seigneur, Kayden… C’est


gâché to…

Il me coupe d’un geste de la main, son regard devenant plus dur.

— Je me suis pas battu pour passer le temps. La nuit dernière, j’ai été attaqué
par des mecs parce qu’ils pensaient qu’ils étaient meilleurs que moi. Alors je
leur ai montré. Tu penses que je suis mauvais ? Tu devrais voir les autres.

Je soupire. Je ne comprends rien à son histoire…

— Pourquoi es-tu ici ?

Je croise mes bras et le fixe. Il déglutit et semble nerveux de me voir


aujourd’hui.

— Hier soir, quand j’ai été agressé, je me suis rendu compte que j’étais
stupide. La seule raison pour laquelle je m’en suis sorti, c’est parce que j’ai fait
ce geste qui m’a sauvé, celui que tu m’as appris, dit-il, ses yeux se verrouillant
aux miens.

Il semble si sérieux, si sincère, que mon cœur se met à battre plus vite.

— D’accord, reprend-il, peut-être que ce n’était pas la seule raison, parce


que j’ai donné quelques bons coups de poing, mais c’était la principale.

Il s’éclaircit la voix et passe à nouveau sa main dans ses cheveux noirs.

— Je suis ici pour m’excuser.

— Sensationnel, je souffle. Kayden « le Killer » Williams me fait des


excuses.

— Je t’ai traitée comme de la merde et j’en suis désolé.

Il se gratte la tête, les yeux rivés au sol. Suis-je en train d’halluciner ou


vient-il vraiment de s’excuser ? De plus, à son air penaud, il semble vraiment
sincère.

— Je ne dis pas ça parce que j’ai besoin de toi pour m’aider à gagner ce
championnat, je le dis parce que j’ai réellement mal agi.

— Merci, murmuré-je. C’est vraiment tout ce que j’avais besoin d’entendre.


Je t’ai appelé par plein de noms, tu veux en entendre quelques-uns ? Que je me
souvienne… connard, salaud, trou du cul, imbécile, me…

— D’accord, j’ai compris, m’interrompt-il en ricanant. Je suis tout ça, je


l’admets.

Un détail me revient alors en mémoire.

— Je n’ai toujours pas eu d’explications… Est-ce que j’ai fait quelque chose
de mal ? Pourquoi tu étais froid avec moi hier ?

Il reste silencieux quelques instants et alors que je crois qu’il va cracher le


morceau, il lâche simplement :

— Je ne peux pas en parler.

— Et pourquoi pas ?

— On ne peut pas simplement… oublier ? S’il te plaît Sierra. Je ne veux pas


entrer dans les détails.
Il me supplie du regard. Je soupire, s’il ne veut vraiment pas en parler, je ne
peux pas le forcer.

— Bien, j’abdique, un peu à contrecœur.

Il sourit, creusant de magnifiques fossettes sur ses joues.

— Tu finis à quelle heure ?

— Dans deux heures, dis-je en jetant un œil en direction de Julien qui fait
une sieste. Mais je n’ai personne à entraîner ce soir, le temps va être long.

— Alors, prends le reste de la soirée, dit-il en s’avançant pour éloigner une


mèche de cheveux de mon visage.

Mes yeux s’élargissent à son geste soudain. Il semble être choqué aussi
parce qu’il se ressaisit rapidement et s’éloigne de moi.

— On dîne avec les gars ce soir.

— Evans et Brent ? je demande, le cœur battant la chamade.

Le contact de Kayden vient de m’envoyer une décharge d’adrénaline dans


tout le corps et je peine à retrouver mon état normal.

— Oui, on va à Basil Kitchen, tu connais ?

Je hoche la tête ; c’est là qu’Alex travaille.

— Bien, c’est d’accord, accepté-je en rassemblant mes affaires. Le dîner me


motive plus que rester ici à ne rien faire. Mais j’ai entendu dire que les prix
sont… très élevés.

Kayden grimace et murmure quelques mots que je ne saisis pas. Nous


quittons ensemble la salle.

Cette soirée sera vraiment intéressante.


**

— Cet endroit, c’est de la bombe ! s’exclame Evans lorsque nous pénétrons


dans le restaurant.

Brent, Kayden et moi le suivons de près. Je dois dire que je me sens plutôt
tendue. Avant de venir, je ne savais pas comment m’habiller et mon colocataire
ne m’a pas vraiment laissé le temps de me décider. J’ai donc opté pour un jeans
noir accompagné d’un débardeur de la même couleur.

Kayden me regarde et sourit, sachant très bien que je ressemble à une


pomme de terre devant toutes ces personnes ultras chics.

— Hé, Sierra !

Alex se matérialise, tapotant ses doigts sur son tablier. Elle s’approche pour
nous accueillir avec un sourire chaleureux. Evans la regarde bien plus
longtemps qu’il ne le faut et il semble sur le point de s’évanouir. Il se penche et
me chuchote :

— Pas mal ta copine.

— Elle est prise, je souligne en souriant face à son air déçu.

Il hausse les épaules.

— Quand elle aura goûté à la bête, elle ne voudra plus de son gigolo, il
piaille en suivant Alex comme un petit toutou.

Un serveur nous amène à notre table, Kayden, Brent et moi nous installons,
mais Evans est trop occupé à draguer Alex pour remarquer que tout le monde
est déjà assis à l’attendre. Quand enfin, il vient poser son derrière sur la
dernière chaise, Alex nous donne à tous un menu. Et lorsqu’elle en tend un à
Evans, celui-ci en profite pour caresser le dos de sa main du bout de ses doigts.
Mon amie semble dégoûtée et Brent frappe l’épaule d’Evans.

— Arrête ça.
— La ferme, maman, relève-t-il.

— Vous deux, taisez-vous. Vous me donnez un putain de mal de tête, crache


Kayden alors qu’il inspecte le menu.

L’autre l’ignore et affiche un grand sourire quand il voit, quelques minutes


plus tard, Alex revenir pour prendre nos commandes. Il essaie de se montrer
galant, mais c’est raté !

— Je vais prendre la saucisse, s’il vous plaît, annonce Evans d’une voix
rauque.

— C’est un excellent choix.

— Je parie que vous aimez les saucisses aussi, hein, Alexia ?

Cette dernière se détourne et me dévisage comme pour me demander


comment elle peut se débarrasser de lui. Je hausse les épaules en souriant,
impuissante.

Après avoir passé nos commandes, Kayden brise le silence en plaçant ses
mains sur la table et s’adresse à nous tous.

— Les gars, nous avons plus d’un mois avant la finale. Une semaine avant
que les rondes éliminatoires commencent.

— Déjà ? je lui demande.

Il hoche la tête.

— Tu n’es pas prêt.

— Ces tours-là sont assez faciles, précise Evans en détournant ses yeux de la
belle serveuse. Cela sert uniquement à faire le tri dans les participants ; séparer
ceux qui ne sont là que pour s’amuser de ceux qui prennent la compétition plus
au sérieux. Il ne fait aucun doute que Kayden va réussir haut la main !

Je me tourne vers l’intéressé.


— Tu es confiant ?

Il hausse les épaules.

— Avec ton aide, je vais être féroce. L’an passé en demi-finale, j’ai affronté
East Lee. Sa défense est assez minable, mais il est énorme et plutôt balèze.

— S’il est fort, alors tu dois le battre avec la vitesse, j’affirme.

Il me dévisage, confus.

— Quoi ? Pas la peine d’être offensé le tueur, c’est juste que t’es pas très
grand et si tu veux faire le poids, il faut être stratégique.

— Super… Maintenant, je suis vraiment confiant, ironise-t-il en croisant les


bras sur son torse.

Je soupire.

— Je suis sérieuse ! Permets-moi de reformuler ça : tu es musclé et à côté de


moi, tu es comme le putain d’Empire State Building, mais lui fait au moins
cent cinquante kilos. Tu dois utiliser son poids à ton avantage. Si Hulk et Flash
étaient en duel, qui gagnerait selon toi ?

— Hulk ! intervient Brent.

— Flash ! affirme Evans.

— Flash gagnerait, les contredis-je, sûre de moi. Hulk pourrait l’écraser de


tout son poids, mais comment faire pour l’atteindre alors que Flash se déplace
à la vitesse de l’éclair ?

Kayden me regarde en souriant.

— Tu marques un point.

— Merci. On va travailler là-dessus dès demain. Que dois-je savoir d’autre


sur les opposants ?

Durant l’heure suivante, nous parlons tous les quatre des adversaires que
Kayden devra affronter. Bien sûr, celui que nous devons craindre, c’est Jaxon,
mais pour l’atteindre, il y a beaucoup de petits monstres à écraser avant. Dans
une compétition comme celle-ci, avec peu de règles, il faut être stratégiques
afin que le Killer ait toutes ses chances et finisse avec le moins de dégâts
possible.

Après avoir fini nos plats, Kayden paie la note volontairement, à ma grande
surprise. Je pensais qu’on se serait disputés, mais non. Peut-être qu’il est
fatigué de se battre continuellement avec moi ?

Evans s’empresse de saluer Alex et Brent le suit toujours de près. Kayden


tend la main vers moi pour m’aider à me lever de ma chaise et une fois de
plus, je suis surprise par sa gentillesse.

— Hey, Tigresse ? Je voulais te dire merci.

— Pourquoi ?

Il sourit, ce qui fait apparaître ses fossettes.

— Pour me tenir tête. Tu as raison, je dois utiliser mes cicatrices comme une
force et non l’inverse.

Je souris, sachant que c’est un tremplin pour nous.

Un pas en avant, enfin.


12
Je passe la semaine suivante à entraîner Kayden. Tous les matins, nous
commençons par faire du jogging. Au début, nous nous limitions au quartier,
puis, au fil du temps, nous sommes allées de plus en plus loin. Bientôt, je vais
pouvoir courir dix kilomètres tous les jours. C’est un travail difficile et
laborieux, mais si nous souhaitons écraser Jaxon, c’est un passage obligé.

— Tu m’as tué, Tigresse, ahane-t-il, à bout de souffle, tandis que nous


parcourons les derniers mètres.

— Parce que tu penses que c’est facile pour moi ? je crache, la respiration
déchiquetée.

— Hé bien ouais, on dirait. Tu ne transpires même pas.

— Je ne peux pas dire la même chose de toi, dis-je en observant son dos.

Son t-shirt gris est trempé, si bien qu’il arbore une teinte plus foncée, proche
du noir.

Peu à peu, il ralentit et ses doigts viennent agripper l’ourlet du tissu pour le
passer par-dessus sa tête. J’ai vu Kayden torse nu beaucoup trop souvent à mon
goût. Je ne vais pas m’en plaindre, d’ailleurs c’est plutôt un spectacle
intéressant, mais chaque fois, mes yeux refusent de se détacher de son corps.
Mon cœur bat à tout rompre tandis que mes yeux détaillent ses tatouages ; ces
motifs colorés et sombres à la fois qui parsèment son dos ainsi que ses
épaules. Je sais qu’il a un autre tatouage un peu plus bas, j’ai aperçu un
fragment du dessin quand il est sorti de sa chambre sans avoir fermé le bouton
de son jeans. Il me semble qu’il s’agissait de lettres, je me demande ce qu’il y a
d’écrit.

Kayden est toujours un mystère pour moi. Bien que nous soyons en bons
termes, je n’ai toujours aucune idée de qui il est vraiment. Je sais qu’il boit du
lait directement à la bouteille, qu’il déteste la musique country, qu’il ne quitte
jamais la maison sans son portable et une paire d’écouteurs. En dehors de
toutes ces informations, que sais-je de lui ? Rien, j’en ai bien peur. Je suis
arrachée à mes pensées par son raclement de gorge et je sursaute légèrement
quand je comprends que j’ai été prise en flagrant délit de matage. Il hausse les
sourcils et bombe le torse.

— La vue te plaît, Tigresse ?

Il me taquine, il sait que je le reluque chaque fois qu’il est torse nu. Quant à
moi, je fais comme si de rien n’était et joue même la carte de l’ignorance. Je
me détourne rapidement et dis :

— De quoi tu parles ?

— Tu viens encore de me mater, il sourit.

Je roule des yeux.

— Ne va pas t’imaginer n’importe quoi, Kayden.

J’accélère et le dépasse en quelques foulées. Je l’entends reprendre son


rythme et ses chaussures cognent le sol pour tenter de me rattraper. Mais je l’ai
bien trop épuisé.

Maintenant que nous avons augmenté la distance pour le footing, je prends


l’habitude d’apporter du glucose dans ma bouteille. Je lui donne et il en verse
dans sa bouche, mais il recrache immédiatement en me balançant.

— C’est du glucose, tu as besoin d’énergie. Je ne veux pas que tu t’épuises


trop. Tu as besoin de garder tes forces pour la compétition.

Je lui tends de nouveau la bouteille.

— Sûrement pas. Hors de question que j’en reprenne. Éloigne cette merde
jaune loin de moi !

— Ce n’est pas jaune. C’est beige.

— Peu importe. Apporte un soda la prochaine fois.


Je ne peux m’empêcher de rire.

— Tu es incroyable.

Nous atteignons finalement notre point de contrôle, qui est l’entrée de notre
appartement. Mon colocataire me dépasse et s’élance dans les marches alors
que moi, une fois en haut des escaliers, je m’accroche à la balustrade pour
reprendre mon souffle. Mais bientôt, mes genoux lâchent et je tombe sur le sol.
Je suis désormais étendue par terre dans le couloir, les mains de chaque côté de
mon corps. Le froid du carrelage me fait du bien et je comprends alors qu’en
ce moment, nous donnons absolument tout pour être au top.

Les éclats de rire de Kayden retentissent tandis qu’il fait demi-tour pour me
rejoindre. Il n’est pas en meilleur état, mais je sais qu’il prend sur lui devant
moi. Question d’ego, je suppose. Il descend les marches en expirant et inspirant
bruyamment. Puis, il me tend une main que je saisis en gémissant. Je me
redresse, mais un étourdissement me terrasse. Je m’agrippe à ses épaules pour
me stabiliser.

Je crois que j’ai, moi aussi, besoin de glucose !

Quand je me rends compte que c’est la première fois que je le touche


comme ça, mon cœur entre en ébullition. Je lève la tête et observe ses yeux
gris. Une expression indéchiffrable traverse son visage.

Merde, je pourrais me perdre dans ses yeux pour toujours !

Je devrais me détacher de lui, mais pour une raison inconnue, j’en suis
incapable. Aussi nous restons comme ça un moment, moi agrippée à ses
épaules tendues et sa main à lui calée dans le creux de mes reins. Au bout d’un
moment, je m’éloigne.

— Euh… je…

— Ouais, chuchote-t-il en regardant vers le sol, clairement embarrassé. Je


vais prendre une douche.

Puis, alors qu’il remonte les marches vers l’appartement, je l’entends


murmurer, mais ne comprends pas ce qu’il dit. Puis, il ajoute :
— De préférence, une froide.

Le rouge me monte aux joues.

Après notre course de ce matin, nous avons pris une douche très rapide
avant d’aller au Breaking Point. Je voulais travailler sur sa vitesse et son
agilité. Donc après lui avoir donné quelques conseils, il court autour de moi. Je
connais cette tactique puisque c’est moi qui lui ai appris, mais il finit par me
prendre à mon propre jeu. Je balance ma jambe, mais Kayden s’écarte
rapidement. Je donne un coup de poing sur son épaule, mais cela me fait
perdre l’équilibre.

— Ouille, grogné-je en tombant sur le sol.

Kayden hurle de joie ; une nouvelle petite victoire à son actif. Dire que je
suis fière de lui est un euphémisme.

— Ouais ! C’est ma troisième victoire consécutive, Tigresse !

— Je suis devenue trop douce avec toi, je plaide pour ma défense.

Je ne veux pas admettre qu’il est presque meilleur que moi. Cela stimulerait
son ego et nous n’avons pas besoin de cela, surtout maintenant que nous nous
rapprochons des éliminations. C’est dans deux jours et même si je commence à
devenir nerveuse, je sais que samedi, Kayden va y arriver. J’ai juste peur que
ses émotions aient raison de lui et qu’un excès de confiance ne lui fasse tout
perdre.

— Si ça t’aide à dormir la nuit…

Je ris.

— Maintenant, aidez-moi Monsieur Stupide, ajouté-je.

J’attrape la main qu’il me tend et saute sur mes pieds.

— Je crois que je vais avoir un bleu à la joue.


— Je suis désolé. Je t’ai vraiment fait mal ?

Soudain, son visage se crispe et il semble bien moins euphorique que


quelques minutes plus tôt.

— Honnêtement, ça ne fait pas si mal, je murmure. J’ai vu pire.

Il se fige instantanément.

— Est-ce que… Jaxon t’a blessée ? Physiquement, je veux dire ?

— Oui.

Toute la couleur quitte son visage et il pose sur moi un regard d’horreur.

— Oh mon Dieu, non, ce n’est pas ce que tu crois ! m’empressé-je de


rectifier. Il ne m’a pas abusée. Mais il m’a formée. Comme je l’ai déjà dit, il a
été mon mentor durant trois ans.

— Oh…, il soupire de soulagement.

— Ouais, lui dis-je en attrapant ma bouteille et en me jetant de l’eau sur le


visage. Il était un bon mentor. Certes, il était sévère et brutal, mais j’ai appris
beaucoup avec lui. Et maintenant, je t’apprends tout à toi.

Je bois une gorgée d’eau et Kayden s’avance près de moi.

— Est-ce qu’il te soignait après ? demande-t-il avec hésitation.

Je le regarde ; pourquoi me pose-t-il cette question ?

— Oui, il l’a fait. Il était gentil avec moi. Et il me faisait beaucoup rire.
Beaucoup de personnes le détestent à cause de son humeur changeante, moi je
pensais qu’il en valait la peine.

— Tu lui as parlé depuis qu’il t’a trompée ?

— Non, et je n’en ai pas envie. Si je le fais, j’ignore comment je pourrais


réagir.
Kayden rit doucement. Je lui tends une serviette et il l’utilise pour essuyer la
sueur qui coule sur son visage.

— La ligne entre la haine et l’amour est mince, argue-t-il en haussant les


épaules.

— Shakespeare, sors de ce corps !

Je me moque de lui et il me jette la serviette.

— Je vais reprendre une douche, il m’annonce avant de se retourner vers


moi.

Je le salue silencieusement lorsqu’il entre dans le vestiaire. Je saisis ensuite


mon téléphone pour vérifier mes messages. L’un est de Carla.

* Rejoins-moi lundi pour un café !

Un autre est de Evans.

* Vérifie tes snaps.

Quand je le fais, je roule des yeux devant des images de filles nues qu’il a
décidé de m’envoyer.

Il est terrible, celui-là…

J’ai également un appel manqué de mon père et autant dire que je n’ai pas
franchement envie de le recontacter. Mais il rappellera sans doute et je n’aurai
pas de temps à lui accorder, aussi je prends sur moi, appuie sur son nom
affiché à l’écran et colle mon portable à mon oreille. Il décroche rapidement.

— Sierra ?

— Qu’est-ce que tu veux ? je soupire.

— Je ne pensais pas que tu me rappellerais.

À sa voix, il semble presque soulagé.


— Tu veux que je raccroche ?

— Non, non, s’empresse-t-il de dire. Je t’ai contactée car je voulais savoir si


tu pouvais venir pour le week-end.

Je me passe une main dans les cheveux, déjà agacée par la conversation.

— Non, je ne peux pas. J’ai autre chose de prévu.

— Bon sang Sierra ! me maudit-il. Si tu es impliquée dans toute cette merde


que Jaxon a faite…

Ma bouche s’entrouvre et je mets quelques secondes à réaliser ce qu’il vient


de me dire.

— Non, je ne le suis pas.

Mensonge…

Mon père connaît Jaxon et toute l’épreuve du championnat clandestin. Il sait


quand et comment ça se déroule et ce que cela implique.

— J’espère, gronde-t-il sévèrement. Parce que si j’entends que tu participes


à cette compétition ou que tu es impliquée de quelque manière que ce soit…

Je le coupe :

— Papa, n’essaie même pas de me menacer. Tu n’as pas le droit de le faire.


Et pourquoi veux-tu que je vienne à la maison au juste ? En fait, non, laisse
tomber, je n’ai pas envie de savoir. Tout comme je n’ai pas envie de rencontrer
ta cinquième ou sixième femme. Désolée, je perds le fil avec tes conjointes.

Il se tait un instant ; là, ça sent la dispute à plein nez !

— Bon sang Sierra ! Tu devrais revenir pour le week-end. Il y a quelque


chose de très important que je dois te dire et pas question que l’on en discute au
téléphone.

Je ne réponds pas et il reprend :


— S’il te plaît, tu me manques…

Il semble désespéré maintenant. Je ferme les yeux en expirant. Je ne peux pas


dire que mon père ne me manque pas, mais je déteste ce qu’il est devenu. Il
continue d’insister et je capitule.

— Bien, abdiqué-je, les dents serrées. Je prendrai un taxi demain matin, mais
je pars le lendemain.

— Merci, Sierra. Je t’aime.

— Au revoir, je grogne simplement.

Je me tiens au banc et dépose mon téléphone dans mon sac. Juste à ce


moment-là, Kayden refait son apparition. Il est à moitié nu, des perles d’eau
glissant sur son torse tatoué. Ses cheveux sombres sont humides et ébouriffés,
et une serviette blanche pend autour de son cou. Quand il se dirige vers moi, je
remarque que son short est dangereusement bas sur ses hanches, laissant
entrevoir ce V séduisant qui se dessine dans le bas de son ventre. Une ligne de
poils bruns disparaît sous le tissu. Je dois me forcer à détourner le regard.

— Hey, lâche-t-il d’une voix rocailleuse.

— Hey, réponds-je, feignant d’être distraite. Demain, je vais…

— Tu retournes chez ton père, termine-t-il à ma place.

Comment sait-il ça au juste ? M’aurait-il écoutée ?

— Désolé Tigresse, je voulais pas jouer les voyeurs, se défend-il. Mais tu


parlais fort.

— C’est bon, y a pas de problème. Désolée, mais tu vas devoir t’entraîner


tout seul demain.

— T’es sûre que ça va aller ? demande-t-il. Je peux peut-être…

Il s’interrompt, mais je souris, soupçonnant la suite.


— Kayden, tu es inquiet pour moi ?

Il détourne les yeux, essayant clairement de cacher sa gêne.

— Non, bien sûr que non. Je dis simplement que si tu as besoin de soutien…

— Kayden le Killer doux avec moi ? je le taquine en mettant mon sac sur
mon épaule. C’est tellement adorable. Mais ne t’inquiète pas, je vais tenir le
coup. C’est pour toi que je m’inquiète.

— Pourquoi ? il demande, en croisant ses bras.

— Comment vas-tu survivre un jour sans moi ?

Je lui fais un bisou sur la joue en passant à côté de lui.

— Bye, Kayden. Et surtout, évite de te surmener, je n’ai pas envie que tu


tombes en morceaux avant le début de la compétition !

Son rire fait écho quand je sors de la salle de gym.


13
En partant, j’ai laissé un mot à Kayden sur le comptoir de la cuisine, c’est
devenu une habitude désormais. Après avoir terminé les cours, je passe par la
bibliothèque. Evans est là et il joue avec sa langue dans la bouche d’une fille. Il
glisse sa main plus bas quand j’arrive à sa hauteur.

— Prenez une chambre ! je les gronde.

Il relève la tête, du rouge à lèvres sur ses joues.

— Hey Sierra ! claironne-t-il avec des yeux de séducteur. Tu tombes bien…

Je m’écarte ; s’il croit qu’un plan à trois avec cette rouquine peut
m’intéresser, il se trompe ! Il se tourne vers sa conquête et dit :

— Allez, file.

— Mais nous venons juste de…

— Je t’appelle demain.

Il lui donne une tape sur le cul et elle s’éloigne, ses talons cliquetant sur le
sol. Je lui lance un regard de dégoût.

— Ne me juge pas, Sierra.

— Oh, ce n’est pas mon genre.

Je serre mes livres contre ma poitrine.

— Tu fais toujours ça ? Jouer avec la langue de n’importe quel poussin


désireux de faire ça avec toi ?

— Toujours. (Il me fait un clin d’œil) Tu en veux aussi, hein ? Je suis


débordé en ce moment, mais peut-être que je peux trouver un créneau le jeudi
après le déjeuner.
— Va te faire foutre !

Je fais volte-face et l’abandonne là.

— D’accord, je suis désolé.

Il m’attrape le bras, m’obligeant à me retourner.

— Tu peux me faire une faveur ? Ne raconte pas ça à Brent.

Je soulève un sourcil, confuse.

— Pourquoi ?

Evans baisse les yeux.

— Ne lui dis rien, c’est tout.

— OK, tu as ma parole. S’il n’y a rien d’autre, alors tu pourrais me lâcher ?


J’ai autre chose à faire.

Il libère sa prise et enfonce ses mains dans ses poches.

— Où tu vas ?

— Chez mon père.

Sa bouche se crispe et je poursuis :

— Mes parents sont divorcés. Ma mère voyage autour du monde et hurle sur
des hommes au hasard alors que mon père multiplie les conquêtes.

Je ne m’y attendais pas, mais il se met à rire.

— Agréable, dit-il en souriant.

Je hausse les épaules.

— Je peux t’y accompagner, si tu veux ?


— Toi et ta bite qui ne pense qu’à entrer dans n’importe quel vagin ?
Sûrement pas.

Il secoue la tête.

— Tu as l’esprit tordu, Sierra.

— Mais tu étais sérieux ? Tu veux vraiment m’accompagner ?

— Je peux me rendre utile, bébé.

Il adopte cet air hautain que je déteste. Parfois, je me demande pourquoi


Brent et Kayden sont amis avec lui. Il est tellement différent d’eux !

Finalement, j’accepte et nous regagnons sa voiture. Mais avant de nous


glisser dans l’habitacle, nous nous faisons siffler par un groupe de gars un peu
plus loin.

— Tu as des fans ? je lui demande, ennuyée d’être ainsi affichée.

Il hoche la tête.

— Comme je l’ai dit, je suis assez populaire sur le campus. Les filles veulent
avoir des rapports sexuels avec moi. Les gars, eux, veulent passer du temps
avec moi, sans doute pour que je leur transmette mes techniques de drague. J’ai
déjà une liste de successeurs pour prendre ma place quand j’aurai fini les
cours.

— Successeurs ? je renifle. C’est stupide.

— Non, c’est génial. Je laisserai mon héritage et mon nom traversera


l’histoire.

Il me fait un clin d’œil.

— Où allons-nous, ma douce ?

— Ne m’appelle pas comme ça, je ricane.

— Mais tu laisses Kayden t’appeler Tigresse. Oh, mais attends… c’est parce
que tu sors avec lui, c’est ça hein ? me demande-t-il soudainement.

Mes yeux s’arrondissent.

— Je ne suis pas avec Kayden. Je ne peux même pas suivre ses sautes
d’humeur. Il est comme un Kardashian.

Il se moque.

— Peu importe. Tu es attirée par lui.

— S’il te plaît, ne m’embête pas avec cette connerie absurde.

— Tu ne veux juste pas t’avouer tes sentiments, Sierra.

— Tu fais fausse route. Je ne ressens rien pour lui, rétorqué-je, sur la


défensive.

Il sourit et je lui donne l’adresse de la maison de mon père. Je me laisse


tomber sur le siège passager et ce que Evans vient de dire ne cesse de passer en
boucle dans ma tête. Suis-je attirée par Kayden ? Certes je le trouve
incroyablement beau et à côté de lui, Jaxon est ringard. Mais, est-ce que je
l’aime ? Je ne peux pas le dire. Je souffre encore de ce que mon ex m’a fait. Ce
genre de trahison ne s’efface pas si facilement. Donc je ne peux pas penser à
aimer quelqu’un en ce moment, surtout pas Kayden, mon colocataire. Le gars
que je connais depuis seulement deux semaines. De plus, ce mec est une espèce
rare. Pour l’aimer, je devrais déjà comprendre son histoire et le comprendre
lui, au passage.

Et perdue dans mes pensées, je remarque à peine que nous sommes arrivés.
Cette baraque est énorme ! Sans parler des arbres gigantesques qui tapissent le
jardin. Oh, et puis il y a cet immense garage qui pourrait aisément abriter vingt
voitures. Une piscine et une grande porte complètent ce tableau idyllique de la
demeure parfaite. Je préfère ne pas imaginer combien tout ceci a coûté.

— Merci pour le trajet, dis-je en attrapant mes sacs dans le coffre de Evans.

Il me lance un sourire.
— De rien bébé.

Il me fait un clin d’œil et j’ai la soudaine envie de lui arracher ce sourire qui
lui colle au visage.

Je me penche vers lui pour murmurer :

— Si tu ne pars pas maintenant, mon père pourrait penser que…

La porte d’entrée s’ouvre et une voix que je ne connais que trop bien hurle :

— Sierra !

Trop tard. Le diable est apparu.

Il n’a pas changé depuis la dernière fois que je l’ai vu, il y a environ quatre
mois, hormis ces quelques plis qui barrent son front et les cernes sous ses
yeux. Il est toujours cet homme séducteur qui a fait chavirer le cœur de ma
mère.

— C’est ton petit ami ? s’exclame-t-il en s’approchant de nous et en lorgnant


mon chauffeur.

— Non.

— Oui.

Nous avons répondu en chœur et je dévisage Evans. Mais à quoi il joue ? Il


me sourit, satisfait de lui, puis tend sa main à mon père.

— Je suis Evans. C’est un plaisir de vous rencontrer, monsieur.

L’autre lui rend sa poigne.

— Il a de bonnes manières.

— Papa, c’est juste un ami.

Evans rit.
— Votre fille ne veut jamais dire qu’elle me connaît. J’étais un joueur, mais
après avoir rencontré Sierra, eh bien… vous savez combien votre fille peut
être convaincante quand elle veut.

J’ai envie de me gifler mentalement un million de fois pour avoir accepté


qu’il m’accompagne.

— D’accord Evans, je grogne en le poussant vers sa voiture. Tu dois partir à


présent.

— Non reste, insiste papa. J’aimerais en savoir plus sur ton petit ami, Sierra.

— Ce n’est pas mon petit ami…

— Je dois y aller, monsieur, décline poliment Evans. Encore une fois, c’était
un plaisir de vous rencontrer.

Je l’observe tandis qu’il pénètre dans sa voiture et je le fusille du regard


quand il lève ses sourcils, en se retirant de l’allée.

— Eh bien, c’était intéressant, souffle mon père.

— Il a joué avec toi, tu le sais ?

— Tu as des amis très intéressants. Je vais envoyer Houston pour récupérer


tes sacs.

Houston est le majordome de la maison de papa. Il y travaille depuis le


second mariage de mon père. Je l’ai rarement vu, mais pour le peu que nous
nous sommes croisés, il semblait malheureux.

L’homme arrive, toujours avec sérieux, et après un faible hochement de tête,


il passe la sangle de mon sac sur son épaule.

— Aux chambres d’hôte, je présume ? demande-t-il avec un sourire.

— Oui. Merci, Houston !

Je m’installe dans le salon pendant un moment, en faisant la moue devant le


nombre de choses inutiles qui traînent ici. Par exemple, ces quelques vases qui
décorent l’endroit. Mon père m’a dit une fois que l’une de ses femmes aimait
en acheter quand elle visitait de nouveaux continents. Je soupire et me dirige
vers la cuisine lorsque j’entends une voix trop familière.

— Si… Sierra ?

Elle balbutie lorsque j’entre dans la pièce.

Je vais tuer papa. Je vais le tuer. Il ne m’a pas dit qu’elle était là !

— Bonjour ma sœur, dis-je à Bérénice qui a encore la joue abîmée. Qu’est-


ce que tu fais ici ?

Elle croise les bras sur sa poitrine comme pour se protéger.

— Papa ne m’a pas dit…

— Eh bien, papa ne me l’a pas dit non plus. Si j’avais su que tu étais là, je ne
serais pas venue ici.

Elle reste silencieuse. Je traverse le salon pour monter à l’étage, mais elle
m’arrête en attrapant mon bras.

— Reste loin de moi, je vocifère.

Elle fronce les sourcils.

— Sierra, nous devons parler.

— Je ne veux pas parler, je crache, une pointe d’ironie dans la voix. Je te l’ai
déjà dit, tu es morte pour moi.

— Écoute-moi ! elle crie. S’il te plaît, je n’ai jamais eu la chance de


m’expliquer…

Donc, c’est ce pour quoi papa voulait que je revienne. Il veut que je fasse la
paix avec Bérénice. Qu’ils aillent en enfer tous les deux !

— Pousse-toi de mon chemin.


— Non, elle résiste fermement. Jaxon m’a appris à me défendre au cas où, je
suis debout et je ne bougerai pas.

— T’es pas incroyable…

— Je sais que tu souffres Sierra, dit-elle d’une voix plus douce. Et je veux
faire en sorte que ce soit plus facile pour toi.

Je serre la mâchoire avec un regard menaçant.

— Je te le jure, Bérénice, bouge ou tu vas le regretter.

— Que se passe-t-il ici ?

Une autre voix se joint à nous, cette fois, je ne sais pas à qui elle appartient.
Je rejoins la pièce voisine, ma petite sœur sur les talons, et tombe sur une
femme brune plutôt mignonne, une tasse de thé entre ses mains. Elle porte une
robe en satin gris sous laquelle on devine des courbes parfaites, et ses yeux
clairs comme le cristal nous fixent.

— Ne t’inquiète pas, Alyson. C’est entre ma sœur et moi, intervient


Bérénice.

— Qui c’est elle ?

Je ne me suis pas rendu compte que je parlais à voix haute et ladite Alyson
se met à souffler.

— Eh bien, je ne pensais pas que tu étais si désagréable. Mais je suppose que


je vais passer l’éponge, juste cette fois.

J’adopte mon air le plus menaçant. Pour qui elle se prend, celle-là ?

— Je vous connais ?

— Non, mais j’ai l’impression que nous allons devenir les meilleures amies
du monde.

Elle sourit sincèrement ; si elle croit que nous allons nous raconter nos
petits secrets en nous peignant les cheveux, elle peut toujours rêver !

Au même moment, mon père entre dans la cuisine et s’arrête quand il nous
voit toutes les trois.

— D’accord, quelqu’un peut me dire ce qu’il se passe ? je demande sur les


nerfs.

— Calme-toi, me tempère mon paternel. J’en parlerai au dîner.

Alyson s’approche de mon père et passe un bras autour de lui avant de


déposer un baiser sur sa joue.

— Je pense qu’on devrait lui dire maintenant, elle a l’air d’être sur le point
de me tuer.

Il soupire.

— Tu as raison, chérie.

« Chérie » ? Sérieux ?

Il essaie de toucher ma main, mais je fais un pas en arrière. Il m’adresse


alors un sourire forcé.

— Sierra… Alyson et moi, nous allons nous marier.

Et là, le monde s’arrête de tourner. Ma respiration devient plus sourde. Cela


ne devrait pas m’étonner. Je veux dire, il m’a déjà fait la même annonce
plusieurs fois. Mais cela me surprend. Toujours.

— D’accord, je lâche, tentant tant bien que mal de ne rien laisser paraître.

Mon père fronce les sourcils.

— Sierra, je veux que tu saches que cette fois, c’est différent. J’aime
vraiment Alyson. Elle est intelligente, belle et elle me fait tout le temps
sourire…

— D’accord, je le coupe. Je vais monter à l’étage.


— Sierra ! m’appelle Alyson alors que je m’éloigne.

Je me retourne, les poings serrés.

— Ne me touche pas, je la préviens alors qu’elle tend une main dans ma


direction.

Elle ferme la bouche. Papa est juste là, réfléchissant sans doute à la
meilleure manière de gérer la situation.

— Sierra, je sais que tu ne me crois pas. J’ai tellement déconné au cours de


ces dernières années…

— « Déconné » ? je répète, incrédule. Tu as déconné ? Tu as fait pire que ça,


papa. Je ne sais pas pourquoi je te donne toujours une chance. Je suis venue ici
aujourd’hui parce que je pensais que tu voulais vraiment me voir. Peut-être
qu’on aurait pu prendre un nouveau départ, toi et moi. Et puis, je les vois, elles.
(Je fais un geste en direction de Bérénice et Alyson) Cette femme qui n’a
même pas la moitié de ton âge et avec qui tu vas te marier. Est-ce qu’elle sait
combien d’épouses tu as eues ces dernières années ? Cinq ? Six ? Je ne peux
même pas le dire. Et tu t’attends à ce que je te croie quand tu dis que c’est
différent ?

Mon père garde le silence. Alyson me regarde avec horreur, ce qui me fait
rire.

— Tu ne répliques pas car toi aussi tu sais qu’elle n’est pas différente des
autres.

— Pourquoi essaies-tu de me punir ? demande mon père, son visage crispé


reflétant sa douleur. Je fais ce que je peux Sierra, j’essaie d’aimer de nouveau.
Je fais peut-être plus de mal que de bien, mais j’essaie.

— Tu n’as pas essayé, répliqué-je en secouant la tête. Tu n’as pas essayé


quand tu nous avais, maman et moi. On était ton bonheur, mais tu étais bien
trop aveuglé pour le voir.

Après un dernier regard sur mon paternel, je monte à l’étage, laissant tout le
monde stupéfait.
14
Un dîner n’a jamais été aussi gênant que celui-ci. Je ne parle pas, ne fais que
marmonner un mot quand c’est vraiment nécessaire, comme « pomme de
terre » ou « sauce ». Je garde la bouche fermée pour ne pas dire des choses qui
pourraient rendre l’ambiance encore plus glaciale. À ma grande déception,
Bérénice a choisi de prendre place à côté de moi. Tandis que Alyson, la poule
du moment de papa, se trouve face à moi. Je reste la tête baissée parce que
chaque fois que je regarde sur ma droite, Bérénice me lance des coups d’œil
coupables. Et si je relève le nez, Alyson me supplie des yeux de lui donner une
seconde chance. Papa, reste silencieux et comme moi, il garde le visage vers
son assiette fourrant de temps à autre des petits pois dans sa bouche.

Le regard triste d’Alyson se dirige vers mon paternel avant de se poser à


nouveau sur moi. Je soupire et place mes couverts dans mon assiette.

— Alyson, si tu veux dire quelque chose, fais-le.

Cette dernière essuie les bords de ses lèvres avec sa serviette. Je peux dire
qu’elle vient d’une famille riche à la façon dont elle se tient et à la manière
dont elle manie ses couverts, toujours avec grâce. Papa aime les femmes
pleines aux as, c’est certain.

— Sierra, je sais que tu as quelque chose contre moi, commence-t-elle.

Mais je lève la main pour l’arrêter.

— Non, Alyson. Je n’ai rien contre toi.

Je tremble de colère quand je poursuis :

— J’ai quelque chose contre lui, dis-je en pointant mon père du doigt. Et ce
mariage.

Elle secoue la tête.


— Ton père est un homme très gentil. Il n’est plus celui qu’il était autrefois.

— Oh, et tu le connais mieux que moi, peut-être ? Quand as-tu fait sa


rencontre ? Il y a un mois ? Deux ? Je l’ai connu toute ma vie et je pense que tu
devrais reconsidérer cet engagement.

Bérénice me dévisage, stupéfaite par mes paroles.

— Sierra, tu ne peux pas dire ça !

Je me tourne vers elle.

— Et pourquoi pas ? Elle mérite de savoir comment est vraiment papa. Elle
mérite de connaître la douleur qu’il a infligée à maman, jusqu’à ce qu’elle soit
obligée de parcourir le monde pour s’éloigner de lui !

Mon paternel se lève d’un bond, la colère se lit dans ses yeux sombres.

— Ferme-la, Sierra !

Je hausse un sourcil provocateur.

— De toute évidence, Bérénice ne veut pas exprimer son opinion à propos


de toi, donc je vais être la seule à le faire. Je l’ai toléré depuis si longtemps.
Mais maintenant, quand je te vois avec elle…

Mon regard insiste sur Alyson.

— Je pense que tu es un lâche. Tu te caches derrière ces femmes pour


remplacer tout ce que tu as perdu par le passé. Nous. Maman, Bérénice et moi.
Tu n’es qu’un lâche.

Il frappe du poing sur la table, renversant par la même occasion le verre


d’Alyson qui hurle à l’unisson avec ma sœur.

— Sors d’ici, grogne-t-il sur un ton acide.

Je le regarde fixement ; c’est vraiment ce qu’il veut ? Je détaille un peu plus


ses traits crispés, cette petite veine sur sa tempe qui menace d’exploser, ses iris
furibonds qui me dardent. OK, là, j’ai ma réponse : il est vraiment sérieux.

— Tu m’as insulté plus de fois que je ne le mérite et je ne le tolérerai plus.


Sors, Sierra. Et tant que tu te comporteras ainsi, ne remets plus les pieds ici.

Cette fois, Bérénice intervient :

— Papa ! Ne fais pas ça.

Il la regarde avec incrédulité.

— Tu la défends ?

— Elle est ma sœur, répond-elle. Tu ne peux pas lui faire ça. Je n’accepte pas
ce qu’elle t’a dit, mais tu ne peux pas la mettre dehors.

Je n’ai jamais pensé qu’un jour elle me défendrait. Elle qui se laissait
toujours faire, elle que j’ai si souvent rabaissée.

— Je m’en vais, conclus-je.

Je me lève, ma frangine m’implore du regard.

— Sierra…

— Que tu m’aies défendue ne veut pas dire que je te pardonne. Au revoir,


Bérénice.

Mes lèvres se pincent en une ligne serrée.

— Alyson, je la salue avec un signe de tête.

Elle se lève, les larmes glissant sur son visage.

— S’il te plaît, Sierra, nous allons parler de ça calmement…

— C’est trop tard, dis-je avant de retourner à ma chambre pour prendre mes
affaires.
Houston m’aide à ranger mes sacs dans le coffre de la voiture, tandis
qu’Arthur, le chauffeur de mon père, se glisse derrière le volant. J’embrasse la
joue du majordome et souris.

— Merci, Houston. Je suis désolée, nous n’avons pas réussi à survivre au


week-end, je dis en fronçant les sourcils.

— Mademoiselle Lane, je suis navré concernant votre père, mais vous avez
vraiment poussé le bouchon ce soir.

— Je sais ce que j’ai fait, soupiré-je. Mais il le méritait.

Il secoue la tête, pas tout à fait d’accord avec moi.

— Quelqu’un mérite-t-il vraiment d’être jugé si durement pour les erreurs


qu’il a commises dans le passé ?

Je détourne les yeux, ses mots tournent et retournent dans mon cerveau déjà
rempli des derniers instants passés dans le manoir. Houston parvient toujours à
me mettre devant le fait accompli et à atteindre mon moral quand je le mérite,
cependant, cette fois, hors de question de laisser paraître une quelconque
émotion.

— Bonne nuit, conclus-je avant d’entrer dans la voiture.

La route du retour est longue et la culpabilité s’empare peu à peu de moi à


mesure que je repense au dîner. Je n’aurais peut-être pas dû y aller aussi fort,
mais ce qui est fait est fait. Soudain, le visage de Kayden s’impose dans mon
esprit. Je ne suis pas tellement différente de lui. Nous avons beaucoup de colère
à l’intérieur et c’est dangereux. Cependant, il l’extériorise d’une façon
différente : en déversant sa rage sur le ring.

Une fois à destination, Arthur désire m’aider à sortir mes affaires de la


voiture, mais je lui dis de ne pas se déranger. Je mets mon sac sur mon épaule,
en prends un autre à la main et entre dans l’immeuble, des larmes silencieuses
menacent de jaillir de mes yeux. Je suis énervée d’avoir été expulsée de la
maison de mon père, mais je le méritais sans doute après réflexion. Et cela ne
fait qu’attiser la colère que j’éprouve contre moi-même.

Je toque à la porte et Kayden ouvre rapidement. Ses yeux s’écarquillent


quand il me voit.

— Hé, je pensais que tu rentrais demain…

— Je peux entrer ? je demande, les larmes venant se nicher au creux de mes


paupières.

Et pour une raison que j’ignore, ma colère s’évanouit pour laisser place à
une profonde douleur. Je me sens perdue, tellement perdue… La culpabilité me
rattrape et mon cœur me fait tellement mal que je suis à deux doigts de
m’effondrer.

— S’il te plaît…

Soudain, son visage pâlit.

— Euh… Oui, bien sûr.

Il se décale, j’entre et dépose mon sac sur le plancher du salon. Kayden


traverse la pièce, le regard inquiet.

— Sierra… tu vas bien ?

— Non, je réponds d’une voix faible.

Doucement, les larmes se mettent à glisser sur mes joues. Je tente bien de les
effacer avec les manches de ma veste, mais elles reviennent sans cesse.

— Kayden, sangloté-je. Je… j’ai fait quelque chose de mal.

Il s’approche de moi et glisse ses mains dans mon dos, je m’effondre contre
son torse.

— Hé, murmure-t-il.

Jamais sa voix n’avait semblé si douce, si calme.


— Tigresse…

Pour une fois, je le laisse me prendre dans ses bras. Pour une fois, je me
permets de pleurer dans son t-shirt, accablée par le poids de mes fautes. Pour
une fois, je m’autorise à être vulnérable.

Après plusieurs minutes passées à pleurer, Kayden se rend à la cuisine afin


de nous préparer un chocolat chaud. Je ne pense pas qu’il se soit déjà occupé
de quelqu’un dans cet état. Parce que quand il passe à côté de moi pour
atteindre la plaque électrique, il dépose un timide bisou sur ma joue, comme
s’il ne savait pas quoi faire d’autre. Et quand je lui raconte ce qui s’est passé et
ce qui m’a amenée à agir de cette façon, il me dit que tout va bien, que c’est
terminé. J’ai envie qu’il me crie que j’ai eu tort, mais au lieu de ça, il est gentil
et avenant. Le Kayden attentionné et prévenant est tellement attachant…

— Merci, je murmure quand il me tend une tasse de chocolat chaud.

— Tu sais que je ne t’ai jamais vue aussi bouleversée ? dit-il en s’adossant


au comptoir, son mug à la main.

— Crois-moi, ça ne se reproduira plus.

J’avale une gorgée de ma boisson.

— On dirait que tu viens de te faire attaquer par un animal sauvage.

Je laisse échapper un petit rire.

— Je doute que des ours ou autres bestioles se promènent en ville.

Kayden sourit et ses yeux rencontrent les miens. Une étrange émotion teint
ses iris d’une nuance plus claire ; c’est quelque chose que je n’avais encore
jamais vu chez lui.

— Je suis vraiment désolé pour ta famille, Sierra.

— Quelle famille ? Ma sœur est une voleuse de petit ami, mon père est un
fils de pute hypocrite qui en est à sa septième épouse.
— Et ta mère ?

Je soupire.

— Dieu seul sait où est ma mère… Je l’envie cependant. Elle est libre
maintenant alors que moi, je dois m’occuper de tout le monde.

— Attends, dit-il incrédule. Si traiter quelqu’un de lâche, c’est prendre soin


de lui alors, toi et moi avons besoin d’une sérieuse discussion.

Je me moque.

— Oh, et tu sais comment prendre soin de quelqu’un ? Tu me tapotais le dos


là-bas pendant que je pleurais en marmonnant des choses que je ne comprenais
pas. Je ne peux pas compter sur toi pour me faire me sentir mieux, ironisé-je.

Il se lève et capitule.

— J’ai essayé.

J’imite sa voix.

— J’ai essayé.

— Ne te moque pas de moi, Tigresse.

Je renifle et dépose ma tasse pour croiser mes bras.

— Tu penses que j’ai eu raison ? De dire ça à mon père ?

Il réfléchit un moment avant de me répondre :

— Après tout ce que tu m’as dit sur lui, je sais que je déteste ce mec. Mais je
ne pense pas qu’il mérite ta colère. Je veux dire, il a dit qu’il était désolé, pas
vrai ? Et il dit qu’il a changé, non ?

— Je sais. Mais je ne le crois pas, soulevé-je en secouant la tête. Je… Je ne


veux pas qu’il se case avec cette femme. Une partie de moi… une partie de moi
pense que peut-être, un jour, il reviendra pour réparer notre famille brisée.
C’est un fantasme stupide, mais j’aimerais que nous soyons tous ensemble à
nouveau, comme avant.

Un léger sourire apparaît sur le visage de Kayden.

— C’est stupide, je sais, je gémis. Je me sens comme idiote d’avoir dit ça.

— Ce n’est pas… ce n’est pas enfantin, il poursuit à voix basse. C’est normal
de penser ça, Sierra. Je pense que ce que tu veux, c’est que quelqu’un t’aime.

Je me fige à ses mots. Ça semble si étrange.

— Qu… quoi ? je bégaye.

Merde, je ressemble à Bérénice maintenant !

— Tu as été trahie par des personnes chères à ton cœur et il te faut quelqu’un
pour recoller les morceaux. Même si t’essayes d’agir comme une dure à cuire
Tigresse, je sais que tu as mal et que tu veux juste que quelqu’un éloigne cette
douleur loin de toi.

Ses mots s’ancrent dans ma tête et je me sens tout à coup fébrile. Quelque
chose me dit qu’il pourrait aussi parler de lui-même. Je lui offre un petit
sourire, bien qu’il soit forcé.

— Tu parles comme un thérapeute.

— On dirait que tu as besoin d’une thérapie.

— Et toi, tu as besoin d’un traitement, je le corrige. Monsieur Christian


Grey.

Il me fixe de ses yeux rieurs.

— Tu viens vraiment de m’appeler comme ça ?

— Ouais, je l’ai fait. Alors, quoi ? je le défie, en croisant les bras. Tu vas
changer d’humeur comme lui ? S’il y a bien quelqu’un qui a besoin d’une
thérapie, c’est toi.

— Le kickboxing est la meilleure thérapie qui soit.


Il marque un point.

— Tu as l’air d’avoir besoin d’évacuer ton stress, il souligne. Je ne me suis


pas entraîné aujourd’hui. Je ne peux pas le faire sans toi, alors, si ça te dit…

Ses mots parviennent à me faire sourire. Je crois que nous avons besoin de
l’un de l’autre plus que nous le pensions.

— Oh ! Je t’ai manqué, hein ? je lui demande en posant ma main sur mon


cœur.

Il secoue la tête en riant légèrement.

— Quoi qu’il en soit, Tigresse, j’ai marqué un point ! Et je suis assez en


forme pour quelques tours sur le ring. T’en penses quoi ?

Mes lèvres se courbent en un léger rictus.

— Je suis partante.
15
Aujourd’hui, c’est le jour J. C’est fou, mais je ne me sens pas le moins du
monde nerveuse. C’est peut-être parce que j’ai formé Kayden pendant des jours
de façon à ce qu’il fasse sortir ses adversaires en moins de trois minutes.

Dans quelques heures, la salle de gym Breaking Point sera fermée pour le
tournoi. Aucun policier ne tentera d’arrêter l’activité illégale. Parce qu’ils
seront tous à l’intérieur avec nous, plaçant des paris et criant autour du ring.

Kayden, Evans, Brent et moi sommes assis autour de la table à manger pour
nous préparer. Ou plus précisément, Kayden et moi-même nous préparons à ce
qui va se passer, alors que Brent et Evans se jettent sur la dernière part de
pizza.

— Tu as déjà mangé les deux dernières parts des boîtes précédentes ! Je ne


pense pas que tu mérites celle-ci, s’énerve Brent.

Il se penche pour saisir le morceau, mais Evans l’en empêche.

— Mais Brent, c’est pas juste. Il y a un supplément fromage sur celle-là !

— Ouais, c’est la raison pour laquelle elle est pour moi.

Evans lui arrache la boîte, en sifflant.

— Sûrement pas !

Je me tourne vers Kayden en levant les yeux au ciel.

— Dis-moi encore une fois, pourquoi tu es ami avec ces deux-là ?

Il observe un instant les deux estomacs sur pattes.

— Ils étaient tolérables à une époque. Maintenant, plus tellement. Mais


comme tu peux le voir, il n’y a pas beaucoup de gens prêts à être mes amis.
Je pouffe.

— C’est ta faute aussi. La plupart du temps, tu repousses les gens qui


s’approchent à plus de deux kilomètres de toi.

Il se masse les épaules.

— On peut parler d’autre chose ?

— Pourquoi ? Tu te sens mal à l’aise de parler de ton manque d’amis ? je le


taquine et il grogne.

— Pourquoi tu dois toujours me défier, Sierra ?

Il pose ses coudes sur la table et se rapproche un peu plus de moi.

— Parce que j’aime quand tu t’énerves, le provoqué-je en me mordant la


lèvre inférieure.

Kayden se lève et se rend dans sa chambre, murmurant des malédictions. Je


jette un coup d’œil à l’horloge sur le mur et saute de mon siège.

— Les gars, on devrait y aller maintenant pour qu’on puisse avoir une
bonne vue.

Brent et Evans m’ignorent complètement et continuent de se jeter des


regards assassins. Je suis entourée d’idiots…

**

L’air est chargé d’excitation et parfumé à la sueur et à la bière. Même si je


venais souvent ici avant, je ressens toujours une gêne au fond de moi. Peut-être
que cela a quelque chose à voir avec les gars étranges qui me sifflent ? Ou
peut-être parce que les filles courent dans tous les sens avec leurs talons hauts
et leurs jupes serrées en gloussant comme des truies ?
Brent, Evans et moi accompagnons Kayden dans l’une des petites pièces
derrière la salle de gym pour nous préparer. Je dis ensuite à nos deux acolytes
de nous trouver un bon emplacement près du ring et je n’oublie pas de leur
donner de l’argent afin qu’ils misent sur Kayden. Lorsque je sors les billets,
les yeux de mon colocataire s’écarquillent.

— Tu profites, hein ?

Je lui offre un sourire provocateur.

— Comme tu me l’as dit, je peux gagner de l’argent facile avec toi. Peut-être
que si je reste avec toi un peu plus longtemps, je serai millionnaire.

Ses prunelles me scrutent avec envie, et je ne suis pas sûre de comprendre


les émotions que j’y vois. Il est si doué pour dissimuler ses sentiments, alors
que moi… pas tellement. Peut-être que c’est ce qui rend Kayden séduisant. Il est
mystérieux et j’espère un jour parvenir à briser ce masque de froideur qu’il
porte.

— Oh, avant que j’oublie ! m’exclamé-je en fourrant ma main dans mon sac.

J’en sors un peignoir en satin rouge que je lui tends.

— J’ai trouvé ça dans la salle de bain, je crois que c’est à toi.

Il soupire de soulagement et l’attrape.

— Merci.

Je le regarde fixer le satin un moment. Il admire le vêtement avec joie.

— Tu ne serais pas le tueur sans ça.

Il relève la tête et plonge ses iris métalliques au fond des miens.

— Tu peux… m’aider à le mettre ?

J’incline mon visage sur le côté, sans voix. Comme quoi, parfois, il laisse
tomber son costume de mec froid et distant.
Je l’aide à glisser le peignoir sur ses épaules. Puis, il se retourne et j’attache
sa ceinture sur le devant. Sa poitrine monte et descend rapidement, il halète
quand mes doigts entrent en contact avec sa peau. Je le regarde et ses yeux
plongent dans les miens avec une telle intensité que je sens mes joues devenir
brûlantes. Je remonte mes paumes le long de son torse jusqu’à atteindre son
cou. Nous sommes si proches à cet instant… C’est la première que cela
m’arrive depuis longtemps et cette soudaine proximité me met mal à l’aise.

— Qu’est-ce que tu me fais, Tigresse ? susurre-t-il, le souffle court.

Il cale une mèche de cheveux derrière mon oreille, puis avec son pouce, me
caresse doucement la joue. Je suis ensorcelée par la façon dont ma peau revient
à la vie sous ses doigts.

Kayden serait-il ma faiblesse ?

Je ferme un bref instant les yeux pour me ressaisir et ajuste le tissu dans son
cou.

— Ça fait moche quand le col est remonté sur ta nuque, dis-je en faisant un
pas en arrière.

Sa main glisse et reprend place le long de son corps. Il rit doucement.

— Il est temps que tu y ailles.

Il hoche la tête.

— Bonne chance, le tueur.

— Je n’ai pas besoin de chance. Je t’ai toi, Tigresse, et c’est suffisant, sourit-
il avant de quitter la pièce.

Et je pense qu’à cet instant, mon cœur est sorti de ma poitrine pour
tambouriner aux oreilles de tous. Que m’arrive-t-il ? Je dois me ressaisir !

« Qu’est-ce que tu me fais, Tigresse ? », il a chuchoté cette phrase avec tant


de douceur qu’il a fait frémir ma colonne vertébrale. La vraie question est :
qu’est-ce que tu me fais, Kayden ?
Je veux bien accepter le fait que je sois attirée par lui, mais je pensais que
c’était juste de la luxure, du désir… Et si… Et s’il y a des sentiments impliqués
aussi ? Je ne peux tout simplement pas me le permettre. Je suis là pour une
seule raison : me venger de Jaxon. Après ça, j’en aurai fini avec Kayden. Et lui
en aura fini avec moi. Alors, pourquoi ai-je l’impression que je n’y arriverai
pas ?

Je suis arrachée à mes pensées par le rugissement de la foule. Je me fraye un


chemin vers Brent et Evans.

— Hey ! crie mon ami par-dessus les hurlements des spectateurs. Qu’est-ce
qui t’a pris autant de temps ?!

— Je le préparais, je réponds en arrivant à leur hauteur.

Evans me montre le paquet de pop-corn qu’il a dans ses mains.

— T’en veux ?

— Où t’as eu ça ? je lui demande. Je pensais qu’on ne pouvait acheter que de


la drogue ici ?

— Ouais. On a pris de l’herbe aussi.

— Quoi ?! je m’écrie, horrifiée.

Evans éclate de rire.

— Je plaisante, Sierra. Décoince-toi un peu !

Je secoue la tête, prends une poignée de pop-corn et rive mes yeux au ring,
dans l’attente que l’homme au peignoir de satin rouge se matérialise. Bientôt,
le type au mégaphone débarque, ameutant toujours plus la foule en délire.

— Première règle du ring souterrain : vous ne parlez pas du ring


souterrain ! Le tournoi de cette année va être d’enfer !

Une autre série d’acclamations vient couper court à son introduction.


— Très bien, fermez-la maintenant ! hurle l’annonceur en ramenant le
silence. Mesdames et Messieurs, voici Paul Hammer et Jones la légende !

Les deux boxeurs apparaissent des extrémités opposées de la salle de sport et


font leurs petites rondes autour de l’anneau, faisant les beaux face aux
spectateurs. Une fois leur petit manège terminé, ils prennent place sur le ring.
Ils plissent leurs yeux et serrent les poings. Puis, un bruit sourd, celui d’une
corne de brume à gaz, annonce le début de la lutte. Jones frappe son adversaire
à l’abdomen, l’autre riposte avec des coups de pied.

— C’est un geste amateur, je dis à Brent. La soirée va être longue.

— Je pense que dans deux ou trois tours, ce sera à Kayden.

— Combien d’adversaires il doit éliminer ce soir ?

— Deux, d’après ce que je peux voir, il y en a beaucoup cette année.

Je ne sais pas si c’est une bonne ou une mauvaise chose.

Je me concentre sur l’anneau en face de moi en regardant silencieusement


les deux novices se confronter. C’est finalement Jones qui perd et quand je jette
un coup d’œil à la montre de Brent, je constate qu’il a tenu deux minutes.

D’autres concurrents se jettent sur le ring, j’identifie rapidement qui sont les
bons et qui sont les mauvais. Ceux chez qui je ne reconnais aucun talent axent
tout sur l’offense et non la défense. Ils sont imprudents sur le ring, c’est
quelque chose qui pourrait les faire tuer. Kayden est un peu des deux. Un peu
imprudent, mais aussi rationnel. Je lui ai appris à séparer l’instinct de la
logique, mais il ne maîtrise pas encore ça. L’instinct va de pair avec les
émotions et si ses émotions sont renforcées, cela pourrait lui permettre de
gagner. Mais je sais que lorsqu’il est en colère, il a tendance à être plus
imprudent. Je dois passer plus de temps avec lui pour l’aider à améliorer ça. Je
suis vraiment impatiente qu’il arrive, à tel point que je sautille sur la pointe des
pieds, ce qui fait rire Evans. Il me passe un peu de pop-corn et je le dévore.

— Enfin, le moment que TOUT LE MONDE attend, l’homme que tout le


monde craint… Kayden LE KILLER !
J’ai beau l’avoir vu il y a moins d’une demi-heure, mon souffle se brise
lorsque le rouge sang de son peignoir en satin apparaît à gauche du ring. Ses
cheveux ébouriffés, son regard froid et son allure de vainqueur captent tous les
regards. Ses muscles se tendent sous sa peau tatouée et il parcourt la salle de
ses yeux métalliques en trottinant. Lorsqu’il m’aperçoit, un sourire se dessine
sur son visage. Un frisson remonte le long de ma colonne vertébrale et couvre
ma peau de chair de poule. Je souris moi aussi et il s’approche en ignorant le
public qui hurle son prénom. Il se dirige droit sur moi, les poings serrés, de
cette même attitude de champion qu’il arbore chaque fois qu’il est ici. Une fois
à ma hauteur, son sourire s’élargit.

— Tigresse.

— Tueur.

— Regarde-moi.

Il se retourne et monte sur le ring en passant entre la troisième et la


quatrième corde. Son adversaire, Maddox West, fait craquer ses articulations. Il
est gigantesque, le crâne rasé, le visage balafré et le regard qui veut dire « je
vais te manger tout cru ».

Kayden m’envoie un dernier sourire avant de remettre son masque de


noirceur.

Mon enthousiasme disparaît lorsque la corne de brume retentit. Mon cœur


bat si vite dans ma poitrine qu’il donne l’impression de vouloir en sortir. Je
suis excitée, mais nerveuse également.

Le Killer prend place au centre du ring, face à son adversaire. Un nouveau


son et le combat débute.

Brent pose sa main sur mon épaule, dans un geste réconfortant.

Kayden grogne comme un animal alors qu’il entame une course folle autour
de son opposant avant de le prendre par surprise. Bien.

Les yeux de West s’écarquillent et il tente de rendre les coups, mais l’autre
l’évite et s’éloigne pour le frapper directement à la cage thoracique. Kayden
est rapide, plus rapide que jamais et l’autre boxeur peine à l’atteindre. Il tourne
constamment autour de lui, évite tous les coups et fait vivre l’enfer à Maddox.
Mon colocataire envoie son poing à plusieurs reprises sur la joue de son
adversaire le faisant tomber au sol.

La foule devient sauvage lorsque le Killer maintient son opposant au sol en


bloquant son buste de tout son poids. Il le matraque d’assauts brutaux. Je
tremble, comme si je pouvais sentir la souffrance de ce type ; son temps sur le
ring est compté. Maddox tente de riposter, mais il échoue lamentablement. Puis
rapidement, il reçoit le coup final : un uppercut surpuissant. Les acclamations
pleuvent et j’applaudis.

L’homme au mégaphone attrape le poignet de Kayden et lève son bras pour


le proclamer vainqueur du duel. Le gagnant de ce combat essuie son nez
ensanglanté avec le dos de sa main et affiche cet air sûr de lui qui le caractérise
sur le ring.

Il descend et l’annonceur déclare le début du prochain combat. Kayden se


précipite vers nous, rapidement félicité par Brent et Evans.

— Pas mal, je me moque.

— Merci Tigresse. Je vais me nettoyer et je reviens.

J’acquiesce d’un hochement de tête tandis qu’il disparaît déjà dans les
vestiaires. J’aimerais le suivre, mais après son combat et ce que j’ai ressenti
tout à l’heure avant qu’il ne monte sur le ring, je dois mettre un peu de distance
entre nous. Pour notre bien à tous les deux.

Evans, Brent et moi trouvons une place un peu plus loin, nous nous faufilons
au travers de la foule en délire et je bouscule quelqu’un par inadvertance.

— Désolée, je souris rapidement avant de m’éloigner.

Mais la personne m’attrape la main.

— Tu ne me dis pas bonjour, princesse ?

Cette voix familière, je la reconnaîtrais entre mille. Je me fige


instantanément et mon bras se remplit de frissons au contact de sa peau sur la
mienne. Je me force à regarder cette paire d’yeux bleus qui me fixent.

— Bonsoir, Jaxon.
16
— Princesse…

Il tend la main pour atteindre mon visage, mais je fais un pas en arrière. Il se
mord la lèvre, visiblement frustré par mon refus. Autrefois, j’adorais quand il
faisait ça, mais aujourd’hui, j’aimerais qu’il se la morde jusqu’au sang, juste
pour le voir souffrir. Ouais, ce serait génial.

— Ne me touche pas, je gronde.

— Allez, princesse. Ne sois pas comme ça. Je sais qu’on a eu un petit


dérapage, mais…

— Un « petit dérapage » ? T’es malade ou quoi ?!

Il fronce ses sourcils blonds.

Bien que nous soyons dans un gymnase rempli de cris et d’acclamations,


mon hurlement parvient à attirer l’attention de quelques personnes qui nous
entourent. Mais je ne m’en préoccupe pas.

— Tu m’as trompée avec Bérénice ! Comment peux-tu appeler ça un « petit


dérapage » ?

— D’accord, ouais, j’ai du culot, je le reconnais.

Du culot ? En effet, il en a pour débiter des conneries pareilles !

— Mais princesse, je…

— Ne m’appelle pas comme ça ! je le coupe. Tu en as perdu le droit !

Il glisse une main dans ses cheveux et me détaille de ses yeux bleus et vides.

— Très bien. D’accord. Tu as raison. J’essayais juste d’alléger les tensions.


Il soupire et moi, je meurs d’envie de lui sauter au cou pour l’étriper !
Comment peut-il prendre les choses avec autant de légèreté ? Ne se rend-il pas
compte du mal qu’il m’a fait ?

— Qu’est-ce que je peux dire ou faire pour améliorer la situation ? Dis-le-


moi et je le ferai.

Je ricane avec haine.

— Tu ne peux rien faire, c’est trop tard Jaxon ! Je me sens bafouée. J’ai été
manipulée, vous m’avez menti et trahie. Ce n’est pas un sentiment qui peut
disparaître avec des excuses !

— Mais tu ne me laisses pas parler, il rétorque.

J’inspire et expire doucement pour me calmer et tenter de garder mon self-


control.

— Tu ne me laisses pas faire bébé, dit-il à nouveau d’une voix doucereuse.


Je m’en veux…

Son ton est si doux que je pourrais presque le croire. Me ment-il ? S’en veut-
il vraiment ? Une petite voix dans ma tête me dit de ne pas lui faire confiance.
Il a toujours su me manipuler pour me faire croire ce qu’il voulait, alors
pourquoi serait-ce différent maintenant ? Ce mec est, et restera une ordure. Je
pointe un doigt accusateur sur son torse.

— Tu savais ce que tu faisais. Tu as pensé quoi ? Que ce serait amusant,


hein ? Jouer avec les sœurs Lane, c’est drôle, pas vrai ? Mettre ta langue dans
ma bouche le soir et entre ses cuisses la nuit ? C’était un jeu ?

— Putain, jure-t-il les dents serrées. Calme-toi.

— Non.

— J’ai fait une erreur, il rugit, visiblement à bout de patience.

Je ne peux pas m’empêcher de rire.


— Une erreur ? Tu as fait une « erreur » ?

— Oui, concède Jaxon en baissant d’un ton. J’ai fait une connerie, Bérénice
ne signifie rien pour moi, Sierra, rien.

Il tend de nouveau la main pour toucher ma joue, mais je la repousse d’un


mouvement vif.

— Ne me touche pas, je grogne. Ne m’approche pas.

Ses yeux s’écarquillent. S’il pense pouvoir tout effacer d’un revers de la
main, il fait erreur. J’aimerais tant qu’il souffre comme moi je souffre, qu’il
ressente cette douleur lancinante qui me réveille encore parfois la nuit.

— Donne-moi une autre chance. Sierra… Tu m’aimes, je le sais. Et je t’aime


aussi, j’ai déconné et j’en suis désolé. Mais est-ce vraiment une raison
suffisante pour sacrifier trois ans de relation ?

Je fixe ses prunelles bleues, à la recherche d’une pointe d’honnêteté, de


sincérité, mais je n’y trouve rien hormis du vide.

— Ne fais pas ça, princesse…, m’implore-t-il tandis que je recule encore


d’un pas. On peut recommencer, tout ce que tu as à faire, c’est passer au-dessus
de ça.

— Non, répliqué-je fermement. Je ne peux pas. Et je n’en ai pas la volonté.


Tu es un connard, je t’en veux de m’avoir ruinée. Je te hais et j’espère que tu
brûleras en enfer. En couchant avec elle, tu as toi-même tiré un trait sur notre
relation.

— Mais, je t’ai déjà dit qu’elle ne signifie rien pour moi…

— Tu n’as donc pas compris ? je le coupe. Je m’en fous. Que tu l’aimes ou


que tu la détestes. Je m’en fous. Tout ce qui compte, c’est le poignard que tu
m’as planté dans le dos. Tu es vraiment irrécupérable si tu penses que me
tromper avec ma sœur n’était qu’une simple erreur, un passage à vide. Ça a
changé ma vie, ma vision de toi et tout ce qui faisait de nous ce que nous
étions.
Il secoue la tête.

— Merde, princesse. Je suis désolé, putain !

Je ne le laisse pas finir et l’interromps à nouveau :

— Je t’aimais. Je suis restée à tes côtés et j’ai toujours été fidèle et toi, tu as
fait tout l’inverse. Tu pensais peut-être me faire tomber, mais devine quoi ? Je
suis debout, droite et devant toi. Et ma haine n’a aucune limite. Ne te méprends
pas, je vais faire en sorte que le tournoi de cette année soit mémorable, en
particulier pour toi.

— De quoi tu parles ?

Son regard clair se fait plus dur.

— Je pourrais te tuer là, à mains nues si je voulais. Mais je vais laisser ça au


Killer, après tout, c’est sa spécialité.

Et soudainement, il retrouve cet air qu’il ne réserve habituellement qu’à ses


ennemis. Ses yeux tournent à l’orage et arborent désormais une teinte plus
foncée. La musculature de sa mâchoire ressort et tous ses muscles se tendent à
leur maximum.

— Qu’est-ce que tu racontes ? il siffle.

— Je pense que tu sais exactement de quoi je parle, je réponds, un rictus


moqueur au coin des lèvres.

Il fait un pas vers moi et se saisit de mon bras avec une puissance
ahurissante.

— Tu ne feras pas ça, Sierra. Tu ne peux pas faire ça.

Je me dégage de son emprise d’un geste vif. Je fais volte-face, prête à partir,
mais avant, je lance par-dessus mon épaule.

— On se voit en finale.
Mon esprit tente encore de comprendre les agissements de Jaxon tandis que
je m’éloigne de lui. Bon sang, comment notre relation a-t-elle pu finir ainsi ?
Nous étions si proches, si amoureux autrefois. Désormais, je ne ressens plus
que de la haine. Comment pourrait-il en être autrement après ce qu’il a fait ?
Pourtant, au fond de moi, dans un coffre fort verrouillé à double tour,
demeurent encore des sensations mêlées à un soupçon d’amour que je ne
parviens pas à enrayer, peu importe combien j’essaye. C’est lui qui m’a appris
à ne pas avoir peur du monde. Il était celui qui m’aidait à affronter les
mariages ratés de mon père et l’absence de ma mère. C’est lui qui s’est assuré
que je sois forte, physiquement, émotionnellement et mentalement. Je ne serais
rien sans lui. Mais il n’est pas quelqu’un de bien, et même s’il m’a aidée, je
suis certaine qu’il l’a fait dans un but précis. Jaxon ne fait jamais rien sans
attendre quelque chose en retour. Et si Bérénice était dans le coup ? Si c’était
elle qui lui avait demandé de me venir en aide ? Si ça se trouve, ils se
connaissaient bien avant que je le rencontre, peut-être même qu’ils sortaient
déjà ensemble ? Je crois que je deviens parano…

Je rejoins mes amis et Brent s’empresse de sauter sur moi.

— Hey, où étais-tu ?

Je regarde Evans qui s’est acheté un autre paquet de pop-corn. Merde, ce


mec mange vraiment comme un porc et pourtant, il n’a pas un poil de graisse !

Hallucinant…

— Désolée, je ne vous trouvais pas.

Le mensonge semble passer.

— Eh bien, ne bouge plus et reste avec nous, me dit-il. Tu pourrais te perdre


à nouveau.

Mais je suis déjà perdue, Brent…

— D’accord.

Il indique le ring.
— Le prochain combat de Kayden commence.

— Contre qui il se bat ? je demande, mon intérêt piqué au vif.

— L’aigle, annonce Evans. Ce mec pèse une tonne ! Le voilà !

Il pointe l’ouverture sur la gauche.

— Génial, dis-je sarcastiquement. Kayden doit être entièrement prêt à se


battre. Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre. Sinon, il n’ira pas en
demi-finale.

Lorsque l’annonceur appelle le nom de Kayden, il apparaît à la porte et


entame sa petite danse autour du ring. Une pellicule de sueur coule de sa tempe
lorsqu’il passe devant moi. Ses yeux gris rencontrent les miens et il fronce les
sourcils.

— Est-ce que ça va ?

— C’est plutôt moi qui devrais te poser la question, je souris en regardant


l’aigle qui attend impatiemment de l’autre côté du ring.

— Ne t’inquiète pas pour moi, Tigresse. Ce poids lourd, je vais me le faire.

Je souris.

— Allez, remporte ce combat.

Il hoche la tête, puis me tourne le dos et se dirige de l’autre côté du ring. Il


se dépouille de son peignoir comme il l’a fait au combat précédent, mais cette
fois, son regard glisse rapidement sur moi. Il est toujours bon pour cacher ses
sentiments, mais ce soir, il est transparent. Il s’inquiète. Il est inquiet pour moi.
Je renifle. Kayden est réellement capable de ressentir autre chose que de la
colère.

Le son de la corne retentit et le Killer secoue la tête, se préparant au combat.


L’aigle ne perd pas de temps et attaque, mais Kayden esquive chacun de ses
coups avec une rapidité exemplaire. Il enchaîne un fouetté{4} et un direct court
et atteint son adversaire au flanc. L’aigle s’écarte et contre-attaque avec un
chassé{5} droit dans ses côtes. Il n’a pas le temps d’esquiver et accuse le coup en
grimaçant. À cet instant, je me crispe, mais ça devait arriver pas vrai ? De plus,
j’ai confiance en Kayden, il va prendre sa vengeance. Et comme je l’avais
prédit, il lance un assaut surpuissant.

À mesure que le combat progresse, mon cœur bat plus vite. J’aime le
regarder se battre car il donne tout et n’est jamais dans la retenue. Chaque coup
est porté avec force. Contrairement à lui, Jaxon axe sa technique sur la
stratégie. C’est bien, mais c’est également risqué, il a eu de la chance pendant
trois ans. Mais face à Kayden, je crois qu’il ne sera plus aussi chanceux.

Enfin, le combat se termine avec l’aigle étendu sur le sol, les doigts du
Killer enserrant sa nuque. Ce dernier est incapable de bouger, la foule hurle
« le Killer ! Le Killer ! ». L’annonceur le déclare vainqueur de son second
combat.

Après que le bookmaker m’ait donné mon argent, Brent, Evans et moi nous
retournons à la salle de gym pour voir Kayden. Il porte de nouveau son
peignoir rouge sang, désormais trempé de sueur.

— C’était génial ! s’extasie Evans en lui donnant un coup sur l’épaule. Si


j’étais gay, je te sauterais dessus !

Brent tousse et détourne le regard.

— Félicitations.

— Merci mec.

Kayden hoche la tête puis se tourne vers moi.

— Tu l’as tué, je le taquine.

Il secoue la tête en riant légèrement.

— Tu vas arrêter avec ces jeux de mots ?

— Jamais, je souris.
Il jure dans un souffle.

— On devrait célébrer sa victoire, non ? je demande à Brent et Evans.

Le visage de ce dernier s’illumine immédiatement.

— Pizza Party !

Brent et Kayden gémissent à l’unisson.

— Quoi ? Sérieux, vous avez un problème, les mecs. La pizza, c’est la vie !

Je rigole et dis :

— Ne vous prenez pas la tête, on a le temps d’y réfléchir.

Ils disparaissent tous les deux en argumentant chacun leur tour sur pourquoi
il faut aller à tel endroit plutôt qu’à un autre.

Je me retrouve seule avec mon colocataire et son comportement est pour le


moins étrange. Il semble… mal à l’aise ? Peut-être se rappelle-t-il ce qu’il s’est
passé avant le combat ?

Il m’adresse un sourire timide.

— Alors, combien tu as parié sur moi ?

Je lui montre l’argent que je viens de remporter et lui tends.

— Considère ça comme le loyer du mois.

Ses yeux se posent sur les billets, mais il n’en fait rien.

— C’est…

— Tu ne penses quand même pas que je vais vivre gratuitement dans ton
appartement ? Allez, prends-les.

— Techniquement, ce pognon est à moi par défaut. Après tout, tu paries sur
moi pour l’avoir. Alors, moi je te le donne pour…
Je pose mon index sur sa bouche.

— Chut.

Un léger scintillement d’humour passe dans ses yeux.

— Ne parle pas. N’essaie pas d’être sympa. Prends l’argent, d’accord ?

Il acquiesce d’un hochement de tête et louche sur mon doigt posé sur ses
lèvres. Je me retire rapidement et m’éclaircis la gorge en toussant. Puis, son
regard se déplace lentement vers une figure sombre de l’autre côté du couloir.
Je me décale pour apercevoir la silhouette. C’est lui, Jaxon. Je lève les yeux au
ciel.

— Jaxon, grogne Kayden.

Sa voix est dure, rocailleuse et gutturale. Serait-il en colère ?

Il fait un pas dans sa direction, mais je l’empêche d’avancer davantage en


enroulant mes doigts autour de son poignet.

— Garde ton énergie pour le ring, dis-je doucement.

— Il t’a trompée, vocifère-t-il en fusillant mon ex-petit ami du regard.

Je ricane.

— Tu ne peux pas te battre avec lui pour ça. Et puis, je lui ai parlé toute à
l’heure. Je l’ai menacé une ou deux fois et il sait que je suis en train de t’aider.

Sa mâchoire se crispe.

— Tu lui as dit que tu m’aidais ?

— Oui. Jaxon ne prend pas les menaces à la légère, les vieilles habitudes ne
meurent jamais. Il fera tout ce qui est en son pouvoir pour s’assurer que tu ne
te mettes pas en travers de son chemin lors du championnat.

Kayden se moque et adopte une attitude désinvolte.


— Ce championnat est à moi. Il ne l’emportera pas.

— Bien, j’acquiesce. Il sait que tu es une menace, surtout maintenant que je


suis à tes côtés. Désormais, il va essayer d’utiliser tes faiblesses contre toi dans
ou en dehors de la compétition. Rappelle-toi, il n’y a pas de règles. Il faut donc
faire attention. Quelles sont tes faiblesses Kayden ? Tu dois me les dire pour
qu’on anticipe. Ta petite amie ? Ta voiture ? Ta famille ?

Il détourne le regard, prenant soin d’éviter mes yeux. Il semble presque…


triste. Au bout de quelques secondes, il soupire.

— Toi.

— Quoi ?

Je hausse les sourcils, confuse.

— Toi, il répète d’une voix étranglée. Ma faiblesse c’est toi, Tigresse.


17
Kayden
Je me précipite vers elle, mais ça va trop vite. C’est trop tôt. Ça fait
seulement deux semaines que je la connais.

Une semaine que je me suis rendu compte que je pourrais peut-être ressentir
des trucs pour cette nana.

Cinq jours que je sais que j’aimerais éloigner l’enfer d’elle.

Quatre jours que je ne peux plus me voiler la face.

Et une journée pour comprendre que j’aime regarder ses yeux verts et m’y
perdre.

J’aime Sierra Lane. Elle est folle et sarcastique, elle me conteste toujours à
travers ses paroles et ses actions. Elle est déterminée à obtenir ce qu’elle veut,
peu importe les conséquences. Cette gonzesse a une volonté de fer. Elle n’a pas
peur de dire ce qu’elle pense à voix haute ; une grande gueule en somme. Elle
est courageuse et il ne faut pas sous-estimer sa force. Car ce petit bout de
femme est plus forte que n’importe quel boxeur de haut niveau.

Elle admet ses fautes et il lui arrive parfois même d’être vulnérable. Mais
cela ne la rend pas faible. Au contraire, ça la rend plus forte encore.

Cependant, pas question d’avoir des sentiments pour cette pile électrique. Je
ne peux pas me le permettre. J’ai construit des murs autour de moi, pour ne
plus ressentir ce truc qui fait mal. Et puis, je la mérite pas. Merde ! Je dois me
ressaisir ! Pas question qu’elle s’insinue davantage dans mon monde !

Comme si elle comptait te laisser faire…

C’est vrai, elle, tout ce qu’elle souhaite, et je l’ai bien compris, c’est que
j’arrête de me cacher. Alors pourquoi je ne l’en empêche pas ? Je deviens une
mauviette… Une vraie loque qui lui lèche presque les bottes. Et c’est elle, ma
faiblesse. Elle fait de moi ce qu’elle veut : elle pourrait tout aussi bien me
détruire que me rendre meilleur. Mais le monstre que je suis ne mérite pas de
vivre heureux.

Je frappe le sac avec violence.

Je ne la mérite pas !

C’est sans doute vrai, mais je pense valoir plus que ce salaud de Jaxon.
Comment il a pu lui faire une chose pareille ? Comment on peut déconner à ce
point ? J’ignore pourquoi il l’a fait, mais une chose est sûre, je vais l’écraser
sur le ring. Je vais lui broyer chacun de ses muscles jusqu’à ce qu’il me
supplie d’arrêter. Non, en fait, je vais le frapper jusqu’à ce qu’il ne puisse
même plus ouvrir la bouche. Il va payer pour m’avoir privé de la victoire lors
du dernier championnat et pour avoir brisé le cœur d’une fille qui ne le
méritait pas.

Mes poings continuent de cogner le sac de frappes rouge. Plus vite, plus fort.
Et à chaque coup, je revois la tête de cet enculé et son putain de sourire tandis
que j’étais sonné, allongé sur le ring. Il a le bras en l’air, on clame sa victoire,
mais il ne la mérite pas. Ça ne se reproduira pas. Jamais. Je vais m’entraîner
encore plus s’il le faut, mais la victoire sera à moi cette année.

Et Sierra aussi…

Sierra, j’aimerais qu’elle soit à moi, mais elle est indépendante et je suis
nocif pour elle. Je devrais d’ailleurs lui dire de s’éloigner, parce que moi, je
serai incapable de le faire.

Mes poings fracassent le sac tandis que mon esprit s’égare encore.

Parfois, je m’imagine en train de la serrer dans mes bras, l’embrasser, lui


dire que je l’aime et rire avec elle quand elle me tient tête. Je ne peux pas le
nier, j’aime Sierra bien plus que je ne le devrais. Est-ce qu’elle m’aime, elle
aussi ?

Parfois, lorsque j’enlève mon t-shirt pour l’entraînement, je la surprends à


me mater et chaque fois, une émotion intense monte dans ma poitrine. Je sais
pas vraiment ce que c’est… de l’amour ? De l’envie ? De la fierté ?

Faut que j’arrête de me prendre la tête, parce que c’est déjà clair dans mon
esprit : je l’aime.
18
Aujourd’hui, c’est le jour où j’aimerais que tous les couples restent chez eux
pour ne pas s’exposer au monde et cracher leur bonheur. Ouais. C’est la Saint-
Valentin. L’amour est dans l’air, littéralement, alors je devrais probablement
me mettre sous oxygène pour ne pas avoir à supporter ça.

Quand j’étais avec Jaxon, je ne pensais pas vraiment à la Saint-Valentin. Ce


n’était pas son genre les cœurs et tout le reste, et à moi non plus d’ailleurs.
Néanmoins, on passait toujours un bon moment. Pour notre première fête des
amoureux, nous avons passé la soirée chez lui à visionner les James Bond.

L’année suivante, il m’a emmenée dans un restaurant italien et m’a


embrassée sous les étoiles. Et la troisième, nous l’avons passée dans ma
chambre à faire l’amour toute la nuit. Le fait d’y repenser me fait grimacer de
dégoût.

Quelle idiote j’ai été…

En somme, cette journée va être un enfer. Si j’y survis, je demande la Légion


d’honneur !

Après voir maudit la terre entière, je me traîne hors du lit, saisis mon
téléphone et compose le numéro de Carla. S’il y a quelqu’un qui peut me faire
sentir mieux, c’est bien elle.

— Hé, Sierra ! Joyeuse Saint-Valentin.

Je bâille et coince le portable entre mon cou et mon épaule en utilisant mon
autre main pour peigner mes cheveux devant le miroir.

— Tu as prévu quelque chose ce soir ?

— Bien sûr, dit-elle comme si c’était une évidence. Simon m’a invitée dans
un restaurant raffiné. Et ça tombe bien, parce que je commençais à croire qu’il
allait passer le restant de sa vie devant sa Xbox pour terminer son jeu stupide.
Je ris un peu.

— Je suppose qu’Alex et Daniel sortent aussi ?

Je peux deviner le sourire de Carla.

— Daniel a planifié quelque chose d’extravagant pour Alex, c’est sûr. Mais
je ne peux pas t’en dire plus.

— Ouais, je soupire. Vous et vos copains me déprimez encore plus.

— Toi, tu as besoin d’un homme ! Pour que tu te sentes à nouveau aimée.

— Je sais, je gémis. Enfin, je n’ai pas besoin de quelqu’un pour me sentir


aimée. Juste… j’ai passé mes trois dernières Saint-Valentin avec Jaxon et… ça
me donne envie de rester devant des Disney toute la journée à manger un
énorme pot de glace.

Mon amie pouffe.

— Que dirais-tu de Kayden ? Tu pourrais passer la soirée avec lui ?

— Il n’est pas mon petit ami.

— Je ne voulais pas dire qu’il l’était, elle rit. Mais tu n’es pas la seule à ne
pas vouloir passer la Saint-Valentin en solo. Tu devrais y penser.

— Kayden et la Saint-Valentin ne vont pas dans la même phrase. Mais merci


pour le conseil. En attendant, je vais regarder un film.

— D’accord. Si tu as besoin de quelque chose, appelle-moi. Mais pas après


23 heures ! Ciao !

— Bye, Carla.

Je soupire, laisse tomber le téléphone sur le matelas et croise mes bras en


inspectant ma chambre vide.

Je vis dans l’appartement de Kayden depuis deux semaines maintenant et je


n’ai pas eu le temps de déballer toutes mes affaires. Bérénice m’a envoyé le
reste de mes affaires ici la semaine dernière. Il est temps que je me sente un
peu plus comme chez moi.

Je quitte la pièce, enroulant mes bras autour de moi. Il est encore tôt,
08 heures 30 pour être exacte et je ne vois aucune note sur le comptoir de la
cuisine, ce qui signifie que Kayden est encore en train de dormir. Il a besoin de
récupérer après le combat d’hier.

Une fois dans le séjour, je regarde les murs blancs et fronce les sourcils. Il y
a quelques fissures dans la peinture ; pas très attirant ni chaleureux. Soudain,
une pensée commence à germer dans ma tête. Cet endroit n’est peut-être pas
vraiment chez moi, mais ce n’est pas non plus chez Kayden. Il vit ici depuis un
an et demi et je ne vois rien qui lui est propre. Il n’y a pas de cadres photo, pas
d’oreillers colorés sur le canapé ni même de vase. Rien. C’est comme s’il se
préparait à partir sans laisser de trace de son passage en ces lieux. Les
engrenages de mon cerveau turbinent à plein régime et je me souris à moi-
même. Eurêka ! Je sais ce que je vais faire pour la Saint-Valentin. Il y a du
changement dans l’air !

**

Je reviens avec plusieurs pots de peinture et autres objets que j’ai achetés
chez Home Store. Je traîne le tout dans le séjour au moment même où Kayden
sort de sa chambre, ses cheveux noirs ébouriffés et seulement vêtus d’un boxer
bleu marine.

— Salut, dis-je sur un ton léger.

Il bâille et scrute les pots de peinture.

— C’est quoi ce bordel ? il demande de sa voix encore entachée par le


sommeil.

— Oh, j’ai fait un peu de shopping, souris-je en sortant les clés de sa voiture
de ma poche et en les déposant sur le comptoir. Merci de m’avoir prêté ta
caisse.

— Euh… je ne t’ai rien prêté du tout…

— Peu importe.

Il croise ses bras sur son torse, faisant ressortir sa musculature couverte
d’encre, et me regarde, suspicieux, en fronçant légèrement ses sourcils bruns.

— Tu sais, quand tu fais du shopping, je pense à vêtements et chaussures et


tout ce que la plupart des filles achètent quand elles font les boutiques.

Je plisse les yeux et claque ma langue sur mon palais.

— Est-ce que je ressemble à la plupart des filles ?

— OK, j’ai pigé, abdique-t-il.

— Aide-moi avec ça, tu veux ?

Je traîne la peinture à la cuisine. Ensuite, je prends une cuillère dans le tiroir


et ouvre les couvercles.

— Je voulais prendre du rose fuchsia, mais je suppose que le magenta fera


l’affaire.

Il regarde dans le pot de peinture, puis lâche une grimace de dégoût ainsi
qu’un juron bien salé.

— Tu vas faire quoi avec ça ?

— Nous allons peindre ton appartement, idiot ! je souris et touche son nez
avec mon doigt.

Ses yeux s’écarquillent.

— T’es pas sérieuse, là ?

— Allez, Kayden ! Cet endroit est tellement triste ! Il a besoin d’un peu de
couleur et d’une touche féminine, n’est-ce pas ?
Il secoue la tête, accompagnant son geste d’un regard désapprobateur.

— Non. Hors de question de peindre mon appart.

— Mais pourquoi pas ? Merde ! Maintenant, je suis de plus en plus frustrée.

— Parce que c’est stupide ! argumente-t-il, sur la défensive. Je l’aime


comme il est !

— Ah oui ? Pourtant, cet endroit n’a rien de chaleureux ni même


d’accueillant.

— Et pourquoi tu t’en inquiètes ?

Il se met à ricaner en tapant du pied avant de rétorquer :

— Parce que… je vais le faire, d’accord ? Je m’en fiche de ton avis et cet
endroit ressemble plus à une prison qu’à un putain d’appartement ! Et c’est la
Saint-Valentin. Et j’ai l’intention de dépenser de l’argent dans de la peinture de
merde pour ne pas penser à toutes les choses que Jaxon et moi on ferait si on
était encore ensemble !

Je m’arrête pour reprendre mon souffle et sens le regard de mon colocataire


peser sur moi.

— T’es sur les nerfs, hein ? il demande, d’une voix atone.

Il respire fort et je siffle silencieusement.

— Ouais (je baisse les yeux). J’ai besoin d’extérioriser, c’est tout.

Il m’adresse maintenant un sourire sympathique.

— D’accord, t’as raison. Cet endroit ne ressemble à rien de toute façon.


J’espère que t’as acheté des rouleaux de peinture.

Ma bouche s’ouvre en grand. Merde. J’étais tellement absorbée par la


couleur qui correspondrait le mieux que j’ai oublié de prendre un rouleau.

— Oh, non…
Je soupire.

— Quel genre de personne achète de la peinture, mais pas de rouleaux ?

— J’ai pensé que tu en aurais un !

— Est-ce que c’est mon genre d’avoir ce genre de merde ici ? il s’emporte.

— Bon, soufflé-je, exaspérée. Je vais simplement aller cher Target pour en


acheter.

Il glisse sa main dans sa nuque.

— Non, je pense que j’en ai un dans le tiroir du bas.

— Tu m’embrouilles, je ricane.

— J’adore t’embrouiller, Tigresse.

Il s’approche et sort deux rouleaux du placard.

— D’accord, et maintenant ? il me demande.

— Tu te moques de moi ?

— Je n’ai jamais peint un appartement, j’ai pas que ça à faire.

Je souris.

— Bien, je suppose que je vais m’en charger toute seule alors.

Il croise les bras, un large sourire sur le visage.

Après avoir déplacé tous les meubles et posé une toile sur le sol, nous
mettons les cinq seaux de peinture au milieu de la pièce. Je regarde le spectre
des couleurs devant moi : rose magenta, kaki, turquoise, rouge et beige.
Kayden, qui a finalement la brillante idée de mettre un t-shirt, fixe le rose.

— T’as sérieusement cru que je voudrais peindre mon salon en rose


pétasse ?
Je hausse les épaules.

— Je ne sais pas quelle couleur tu aimes alors j’ai pris un peu de tout.

Il referme le magenta, en secouant la tête. Elle est très belle cette couleur,
qu’est-ce qu’il lui reproche ? Je ne cherche même pas à savoir, je garderai
cette teinte pour ma chambre.

— Très bien. Alors, quelle couleur veux-tu sur ce mur ? je lui demande, le
rouleau en main.

La demi-heure suivante est consacrée à discuter de la teinte la plus


appropriée pour repeindre le salon. Je suis intéressée par le rouge et le beige,
mais Kayden est borné sur le beige et le kaki. On a donc commencé à se
disputer et ça a duré un long moment. Finalement, il a gagné en prétextant que
puisque je suis arrivée bien après lui, il doit avoir le dernier mot. Je cède à
contrecœur et plonge mon rouleau dans la couleur beige avant de commencer
à appliquer la première couche. Nous peignons tous les deux en silence. À
l’exception des occasionnels grognements de mon cher coloc, pas un mot ne
franchit la barrière de nos lèvres. Ce n’est pas gênant, c’est… décontractant.

Au bout d’un moment, j’entends Kayden soupirer et il dépose son rouleau.

— Bleu, il murmure.

— Quoi ? je lui demande, confuse.

— Tu as dit que tu ne savais pas quelle couleur j’aime. Ma couleur préférée


est le bleu.

Je souris, je ne m’attendais pas à ça.

— Ça, c’est parce que tu es un garçon.

Il lève un sourcil.

— Oh, et quelle est ta couleur préférée ? Je parie que c’est rose.

Je ne dis rien. Parce qu’il a raison. Il prend mon silence comme une réponse
positive.

— Comme une petite fille, se moque-t-il.

— Tais-toi !

Je plonge mon rouleau dans la peinture beige et en lance sur lui, elle atterrit
droit sur son t-shirt propre. Il regarde son torse, choqué, tandis que je jubile.

— T’es sérieuse là ?

J’affiche mon sourire le plus rayonnant alors qu’il plonge son pinceau dans
le rouge.

— T’es sûr que c’est ce dont tu as envie ? je le questionne en dégageant le


couvercle du pot rose.

— Éloigne cette horrible couleur de moi ! panique-t-il en ricanant.

Trop tard, la peinture rose atterrit sur tout son visage et son torse avant de
dégouliner sur son pantalon.

— Tu vas payer pour ça ! il hurle en m’attaquant avec son rouleau.

Il m’éclabousse l’épaule de rouge. Je hurle, imbibe mon rouleau et le jette


sur lui. Puis, je plonge mes mains dans l’un des pots. Quand il s’approche avec
un sourire malicieux sur le visage, je presse mes paumes sur ses joues, le
recouvrant de magenta. Il se penche pour prendre le couvercle et je saisis cette
opportunité pour attraper le seau de peinture rouge et le verser sur son corps.

— Putain, Sierra ! il beugle. Viens ici !

Je m’éloigne en souriant.

— Non ! Tu peux toujours courir !

— Viens ici ! il réitère en saisissant le pot de beige.

Il m’éclabousse un peu avec ses mains en avançant doucement.


— Ne m’approche pas Kayden !

J’essaie de courir, mais le plancher est glissant avec la peinture et je tombe


sur le sol. Et bien sûr, il en profite. Je ris, prise au piège. Kayden se met à
califourchon sur moi et me verse le seau de peinture sur mon corps en riant.

— Arrête ! je hurle en protégeant mon visage avec mes mains.

— D’accord ! Je m’arrête…

Il lâche le seau de peinture vide, son visage proche du mien. Son sourire est
parti. Ses lèvres sont une ligne mince alors qu’il me fixe de ses grands yeux
gris. Ses doigts essuient lentement les éclaboussures de peinture sur mon
visage.

— Sierra, il souffle.

Mon regard tombe sur sa bouche.

Cher Dieu, est-ce mauvais pour moi d’imaginer ce que serait d’embrasser
ses lèvres ?

Avec un mouvement audacieux, je touche sa joue. Il se presse contre ma


paume et je m’émerveille de sa beauté. C’est comme s’il laissait ses murs
tombés, me laissant enfin l’approcher. Quand je me retire, il enroule ses doigts
autour de mon poignet. Il me demande silencieusement de ne pas m’arrêter.
C’est comme s’il était accro à mon contact.

Il est accro à moi ?

Moi, je suis accro à lui aussi. Je ne peux pas m’éloigner de lui. Il a peut-être
des sautes d’humeur, peut se montrer irritable et agaçant au possible, mais ça
ne me fait l’aimer plus encore. Il peut rire et être grognon, mais je sais aussi
qu’il se soucie de moi. Même s’il a une drôle de façon de le montrer. Il est
prisonnier de son monde de douleurs, cependant, je suis persuadée que je peux
l’en sortir. Que je peux être celle qui détruit les murs protégeant son cœur.

— Tigresse…
Il tourne légèrement la tête et embrasse ma paume. J’aime ce geste, le
contact de ses lèvres chaudes sur ma peau. Je voudrais qu’il m’embrasse
partout. J’imagine ses lèvres sur mon front, ma joue, mes lèvres, mon cou, la
courbe de mes seins, mes cuisses… Non. Pas comme ça. Cette pensée seule me
ramène à la réalité. Je ne peux pas l’aimer. Je ne peux pas aimer son contact
comme si c’était une drogue. Je ne devrais pas le désirer comme ça. Je déglutis
et retire ma main.

Cette fois, il me laisse faire et je me redresse. Kayden fait de même en


faisant courir sa main tremblante dans ses cheveux. Il ne me regarde pas, j’ai
même l’impression qu’il me fuit.

— Nous allons devoir racheter de la peinture, dis-je en me mordant la lèvre.

Le sol est trempé d’une myriade de couleurs et le mur que nous avons peint
ne ressemble à rien.

— Ouais, répond Kayden d’une voix sèche. Nous… on… tu devrais nettoyer
avant.

Il a l’air de vouloir en dire plus, et je l’invite silencieusement à s’exécuter.


Mais au lieu de ça, il reste muet, se dirige vers sa chambre et claque la porte.

— Merde…

Un pas en avant, dix en arrière.


19
Après avoir été acheter de nouveaux pots de peinture chez Home Store, nous
avons terminé notre œuvre. Peindre le mur que nous avions laissé en plan et
les autres aussi. Ensuite, ça nous prend toute la soirée pour nettoyer et ranger.

Je prends du recul sur la pièce et essuie une fine pellicule de sueur sur mon
front en inspectant les murs. Hum, c’est plutôt pas mal.

— Pas mal, dis-je en écho à mes pensées.

— Ça aurait pu être mieux si on n’avait pas raté le premier mur.

Je fronce les sourcils.

— Honnêtement, je trouve que c’est mieux maintenant, je signale en essuyant


mon rouleau.

Kayden hausse les épaules et jette son pinceau dans la peinture. Son
téléphone commence à vibrer sur le comptoir de la cuisine, il essuie ses mains
sur son pantalon et décroche rapidement.

— Allô ?

—…

— Hey, Brent.

Son visage s’apaise doucement et je souris, sachant que Brent est


probablement la seule personne qui puisse le décrisper.

—…

— Ouais. D’accord. Je lui dirai.

—…
— Salut.

Il raccroche et fixe un instant l’écran de son portable avant de reporter son


attention sur moi.

— Qu’est-ce qu’il a dit ? je demande.

— Brent et Evans vont dans un club ce soir. Il voulait savoir si ça


t’intéressait de les accompagner.

— Un club ? Bien sûr. Pourquoi pas ? À moins… que tu veuilles rester ici ?

Il secoue la tête.

— J’y vais si tu y vas.

— Alors, allons-y !

Je me précipite dans ma chambre pour prendre une douche rapide et enlever


le reste de peinture sèche dans mes cheveux. Une fois débarrassée, je retourne
mon placard à la recherche de quelque chose de décent à porter. Je n’ai pas été
en boîte depuis longtemps. Je ne me souviens même pas de la dernière fois que
j’y ai mis les pieds. Qu’est-ce que je peux porter ? La majorité de mon armoire
se compose de pulls molletonnés, débardeurs noirs, pantalons souples et jeans.
Je ne suis pas vraiment intéressée par la mode et je n’ai jamais voulu que ça
change. Mais maintenant… je ne sais pas… je voudrais être jolie.

Finalement, je mets la main sur une robe noire sans bretelles. Elle semble un
peu courte sur moi, c’est une de mes « amies » qui me l’avait offerte pour mes
dix-huit ans dans l’espoir de changer mon sens du style, mais je ne l’ai jamais
portée, jusqu’à maintenant. Le tissu embrasse mon corps au bon endroit et
l’ourlet repose sur mes cuisses. C’est sexy et j’aime ça. Je me glisse dans une
paire de talons hauts avant de quitter ma chambre.

Je retrouve Kayden adossé sur le comptoir de la cuisine, les mains dans les
poches. Il porte un t-shirt noir et un jeans de la même couleur. Son parfum
ambré flotte dans l’air.

Quand il lève la tête, ses yeux anthracite s’écarquillent. Sa bouche s’ouvre,


ses iris glissent de mon visage jusqu’à ma poitrine, puis mes hanches et tout le
long de mes jambes. Il inspire profondément et presse les paupières.

— Quelque chose ne va pas ?

Je place mes mains sur mes hanches en me penchant un peu en avant.

— Non, tout va bien, murmure-t-il en saisissant les clés de sa voiture.


Allons-y.

Mon cœur se brise légèrement, je pensais que peut-être… peut-être qu’il


allait me dire qu’il me trouvait jolie.

Je prends mon sac à main et le suis, les lèvres serrées. Lorsque nous
arrivons à la voiture, Kayden se tourne une nouvelle fois vers moi. Il se
penche, les yeux brillants. Mon souffle se coupe ; que va-t-il faire ?

— T’es terriblement attirante, lâche-t-il avant de se glisser dans l’habitacle et


de mettre le contact.

Je cligne plusieurs fois des yeux et garde la bouche ouverte. Merde ! Que
quelqu’un me pince. Kayden pense que je suis belle. Cet homme veut vraiment
ma mort…

Je respire lentement et laisse le silence envahir la pièce. Que pourrais-je


bien répondre à cela ? De plus, je voudrais garder ses mots en moi et m’en
imprégner. Jamais, je ne veux les oublier.

Nous quittons l’appartement et je reste muette durant tout le trajet. Une fois
au club, j’aperçois Evans et Brent en train de faire la queue dans la longue file.
Je sors de la voiture, suivie de près par mon colocataire. Lorsque mes deux
amis me voient, leurs expressions changent immédiatement.

— Merde, siffle Evans. T’es chaude, Sierra !

— Euh… merci, je murmure en regardant Brent qui me sourit.

Kayden s’approche, les mains enfoncées dans les poches de son jeans noir.
Ses lèvres sont pincées et, de temps à autre, il lâche une grimace.
— Alors, c’est ici qu’on va passer la Saint-Valentin ?

— Ouais, pourquoi pas ? répond Evans. Les filles ici sont chaudes comme la
braise et désespérées. Après tout, qui aime être seul pour la Saint-Valentin ?
Moi, je veux bien être leur valentin d’un soir, si vous voyez ce que je veux
dire.

Brent le regarde, avec irritation.

— La file avance, allons-y.

Nous attendons encore une demi-heure avant de finalement arriver devant la


porte. À minuit, nous sommes à l’intérieur. Evans est à peine entré qu’il s’est
mis à baver devant les filles et à les suivre comme un petit toutou, Brent est
parti avec lui. Kayden, à mes côtés, se racle la gorge.

— Je vais avec… Brent et Evans.

Avant que je n’aie le temps de réagir, il est déjà loin. Il m’évite, génial. Je me
dirige vers le bar, il me faut un verre pour me vider la tête !

— Un whisky, je demande au barman.

— Bien sûr mademoiselle, accepte-t-il avec un clin d’œil.

Il part me préparer mon verre et je glisse ma main dans mes cheveux en


regardant les gens se déhancher sur la piste. Ils ont l’air de vraiment s’amuser.
J’aperçois Evans danser avec deux filles qui semblent trop jeunes pour que ce
soit légal. Brent paraît ne pas être dans le coin et Kayden non plus.

Le barman dépose ma commande devant moi et je trempe mes lèvres dans le


liquide ambré. Puis, je bois mon whisky d’un coup, laissant la brûlure typique
de l’alcool agresser ma gorge. Ça fait du bien !

Je paye ma consommation et me dirige vers la piste de danse. J’ai décidé de


profiter de ma nuit. Le DJ lance de bonnes musiques et j’ondule mes hanches
au rythme de la chanson en tendant les mains dans les airs. Tandis que je me
défoule, un vertige me prend et la chaleur mêlée à l’alcool commence à faire
son effet. Je suis euphorique et ris pour un rien. Je ne suis pas la meilleure
danseuse du monde, mais au moins je m’amuse.

Après quelques autres musiques, le DJ change de registre et lance des


morceaux plus doux. Merde, juste au moment où je m’amusais ! Je commence
à m’éloigner de la piste, mais m’arrête quand je vois Kayden devant moi. Il
semble incertain lorsqu’il s’approche.

— Hey, il marmonne.

— Hey, je réponds en hochant la tête. Je vais me prendre un autre verre.

Je fais un pas pour passer devant lui, mais il me bloque le chemin.

— Sierra… danse avec moi, dit-il avec une expression que je ne parviens
pas à identifier.

Je le fixe, stupéfaite par sa demande. Il veut danser avec moi. Il est de


nouveau normal, il ne me fuit plus. Je ne le comprends pas, une minute il veut
être le plus loin possible de moi et la seconde d’après, il souhaite danser avec
moi. Je ne suis pas un jouet, bon sang ! Ses changements d’humeurs me
déroutent. Il a mille facettes et ça devient vraiment compliqué à suivre.

— Tu veux danser ? Je veux dire, je ne suis pas bonne pour ce genre de


chose, mais…

Il baisse les yeux, visiblement embarrassé.

— Je veux danser avec toi, répète-t-il dans un souffle.

— Je ne suis pas une bonne danseuse, je rétorque.

— Tu peux voir ça comme une façon de tournoyer sur le plancher, plutôt.

Je souris un peu.

— Merci de confirmer mes soupçons à propos de mes deux pieds gauches,


dis-je sarcastiquement. Est-ce que tu veux vraiment faire ça avec moi ?

— Oui.
Et puis, il fait un mouvement audacieux en attrapant ma main et en me
traînant sur la piste de danse. Nous naviguons dans la masse de couples jusqu’à
ce qu’il trouve un endroit un peu plus tranquille. Il écrase la distance restante
entre nous et place ses mains sur mes hanches.

— Mets tes mains autour de mon cou, m’ordonne-t-il.

Je m’exécute. Quand mes paumes entrent en contact avec sa peau, il inspire


profondément. Il presse son corps contre le mien et nous nous balançons au
rythme lent et régulier de la chanson. Mes yeux sont rivés aux siens et
impossible de m’en détacher. Je suis hypnotisée par tout ce que j’y lis. Il se
penche et appuie son front contre le mien, un geste intime que je souhaite
garder en mémoire pour toujours. Il enfouit son nez dans le creux de mon cou
et je compte mentalement le nombre de fois où mon souffle se brise.

— Kayden…

— Tigresse…

Il murmure et son nez se déplace sur mon épaule.

— Tu n’as aucune idée de ce que tu me fais, rajoute-t-il.

— S’il te plaît…

Je le supplie et ignore même pourquoi je le fais. Tout ce que je sais, c’est


que je désire rester dans cette bulle, avec lui et loin des autres.

Il fait une pause et, à contrecœur, met de l’espace entre nous. Ses yeux
orageux rencontrent les miens.

— Je suis désolé.

Je le fixe, perdue. Décidément, je n’arrive pas à le suivre. Il enfonce ses


doigts dans ses cheveux.

— Il y a une raison pour laquelle on ne s’est pas embrassés cet après-midi ?


me questionne-t-il de but en blanc.
Je reste silencieuse. C’est comme si tout l’air avait été aspiré hors de cette
pièce, je ne peux plus respirer.

— Nous le voulons tous les deux, mais on ne peut pas le faire. Parce que tu
es toujours accrochée à ton ex et que je trimballe beaucoup trop de secrets qui
pourraient détruire cette relation avant même qu’elle ait commencée.

Ses mots me frappent avec une telle violence que je vacille un peu. Je me
libère de ses bras et cesse de danser.

— De quels secrets tu parles ?

Il secoue la tête.

— Je ne suis pas prêt à parler de ça, Sierra.

— Alors, quand ? je demande, frustrée. Chaque fois que j’essaie de te poser


des questions à ce sujet, tu t’enfuis. Pourquoi ? Tu ne me fais pas confiance ou
quoi ?

— Ce n’est pas du tout ça. Je te fais confiance. J’ai juste peur que mes
démons te détruisent toi aussi…

Je recule.

— J’ai été honnête avec toi dès le début. Tu sais tout ce qu’il y a à savoir sur
moi. Mon passé, ma famille, Jaxon. Et moi, je réalise que je ne connais rien de
ta vie. Comment c’est possible ? Je suis attirée par toi, mais je ne sais même
pas ce qu’il t’est arrivé par le passé pour que tu sois autant en colère.

— Tu ne comprends pas, Sierra… Ce qui m’est arrivé… Je ne peux pas en


parler, parce que… je ne peux pas ! C’est trop difficile pour moi.

Je baisse les yeux, ne sachant pas quoi rétorquer. Je ne devrais pas le pousser
à me le dire s’il n’est pas prêt, pourtant, je brûle d’envie de tout savoir à son
sujet. D’un autre côté, je me refuse d’insister, lui ne me ferait pas ça. Et puis,
s’il n’est pas prêt, inutile de le pousser à bout. Sans compter que je ne suis pas
encore prête pour m’investir dans une nouvelle relation. J’ai rompu avec
Jaxon il y a seulement deux semaines, c’est encore trop frais, trop douloureux
pour passer outre.

— D’accord. Très bien. Nous allons… tout oublier et juste danser.

Il me jette un regard perplexe, pas totalement convaincu par ses propres


mots.

— Je te promets. Nous allons juste danser. Imagine-toi pendant trois minutes


que nous ne sommes pas attirés l’un par l’autre.

Je mets mes bras autour de lui. Il hésite à placer ses mains autour de ma
taille.

— On ne peut pas danser ainsi, je lui fais remarquer. Et s’il te plaît, arrête de
souffler le chaud et le froid avec moi. Je n’arrive plus à te suivre…

Il hoche la tête et pose enfin ses mains sur moi.

— C’est tellement difficile d’être près de toi parfois.

— C’est bien ou mal ?

Il me serre dans ses bras, son nez dans mes cheveux alors que nous nous
déplaçons.

— Les deux.

Je souris et pour un petit moment, nous oublions nos problèmes et notre


passé. Nous nous concentrons sur le moment présent, car c’est la seule chose
qui nous empêche d’éclater en morceaux.

Après ma danse avec Kayden, je file aux toilettes. Pendant un bref moment,
je me souviens de la façon dont il a posé ses mains sur moi. La seule chose qui
empêchait le contact de sa peau contre la mienne était cette robe que je porte. Je
peux presque imaginer à quel point ce serait délicieux de le sentir me toucher.
Je me souviens de ses lèvres si proches des miennes quand son front a touché
le mien. Je pouvais presque sentir son souffle se déchirer et effleurer mes
lèvres. Et il luttait contre ses propres envies, tout comme moi je bataillais pour
ne pas m’abandonner à lui. Mais il sait que nous ne sommes pas prêts pour ça.
Et autant je déteste ça, autant j’admets qu’il est plus sage que nous ne
franchissions pas la limite. Toxique, Kayden est toxique. Il m’a empoisonnée et
il n’y a pas de retour possible pour moi.

Je sors des toilettes et aperçois, quelques mètres plus loin, Brent et Evans en
train de discuter dans un coin. Ils ne m’ont pas vue et alors que je m’avance
doucement vers eux, je m’immobilise quand j’entends de quoi ils parlent. Je
couvre ma bouche pour ne pas lâcher un bruit susceptible de trahir ma
présence.

Merde, je joue à la voyeuse là, je devrais avoir honte, mais ma curiosité me


pousse à les écouter.

Je me cache derrière un groupe de personnes et tends l’oreille. Je les entends


et les vois, mais eux sont tellement absorbés par leur conversation qu’ils ne me
remarquent pas. Evans fait un pas audacieux vers Brent.

— Je suis désolé, j’arrive pas à me contrôler. J’aime les filles. Je suis attiré
par elles.

— Je sais, soupire Brent. Mais je ne peux pas rester là pendant que tu baises
ces nanas en prétendant que ça ne se reproduira plus. Je ne peux pas te sortir de
mon esprit, Evans. Depuis ce baiser…

Je plaque ma main sur ma bouche pour étouffer un cri de surprise.

— Je ne veux pas en parler, lâche Evans. Ça ne fonctionnera pas de toute


façon. Mes parents vont me tuer s’ils découvrent que je suis… que je suis…

— Ouais. Je sais…

— C’est pourquoi je dois garder cette façade… personne ne soupçonnera


quoi que ce soit.

Il se tait un moment et son visage se voile de tristesse.

— Mais ce que je ressens pour toi… c’est indescriptible.


Brent jure à voix haute.

— Je suis désolé. Nous sommes fous. Et autant je veux tout ça avec toi…
autant ça ne peut plus se reproduire.

Brent ne dit rien et l’autre se rapproche de lui.

— Un bisou de plus ? Pour la route ? Evans murmure.

— Je ne sais pas…

— S’il te plaît, le supplie-t-il.

Brent soupire. Je vois qu’il essaie de combattre son désir, mais à la fin, il
échoue. Il s’avance et presse ses lèvres contre celle d’Evans. Mes yeux
s’écarquillent, je suis sous le choc.
20
À la minute où ils ont commencé à s’embrasser, je suis partie de là. Je… je
suis étonnée. Je ne savais pas que Brent était… et Evans était… et… qu’ils
avaient des sentiments l’un pour l’autre. Quelle révélation ! Tout devient
logique désormais, les regards appuyés de Brent quand Evans drague une fille,
ses réflexions, etc. Brent est jaloux, il est jaloux parce qu’il aime Evans. Et ce
soir, ils se sont embrouillés. Zut… Kayden est-il au courant de la liaison entre
son frère et son meilleur ami ?

Je slalome entre les fêtards pour rejoindre le centre de la salle. Et tandis que
je m’arrache à mes questions, je constate qu’il n’y a plus de musique.
Étrange… Quel genre de club coupe la musique en pleine nuit ?

Je lève un sourcil, curieuse, alors que j’approche de la piste de danse où tout


le monde s’est arrêté pour se rassembler dans un coin. Leurs visages reflètent
la surprise et la curiosité. Je me fraye un chemin parmi la foule et quand
j’arrive enfin à voir ce qui se passe, ma bouche s’ouvre toute seule. J’essaie de
comprendre la scène qui se déroule devant moi. Kayden est confronté à Jaxon
et sa bande. Ils l’entourent et tentent visiblement de l’intimider. Mon
colocataire semble serein, pas le moins du monde impressionné. Il se tient
debout, sa mâchoire serrée, les poings fermés.

— Je ne prends pas les menaces à la légère, tueur, gronde Jaxon. Quand ma


petite amie m’a dit qu’elle t’aidait à t’entraîner, j’ai d’abord pensé qu’elle
plaisantait. Alors, un de mes gars a enquêté et à ma grande surprise, c’était
vrai. Elle était sérieuse.

— Petite amie ? (Kayden rit franchement) Ex-petite amie plutôt ? Après tout,
tu as trompé Sierra avec sa sœur. C’est faible, même venant de toi, Deneris.

Des murmures s’élèvent dans la foule tandis que je reste paralysée, les yeux
rivés sur la scène. Si j’aide Kayden maintenant, l’un d’eux va s’occuper de moi
et les autres vont l’attaquer. Je dois réfléchir à un plan.

— Tais-toi, crache Jaxon. Où est-elle ? Où est Sierra ?


Il fait quelques pas vers la foule et la balaye d’un regard circulaire, mais
Kayden le bloque.

— Ne fais pas un pas de plus, il le menace.

Mon ex sourit et deux hommes baraqués écartent mon colocataire. Jaxon


déambule alors dans la pièce avec des yeux de prédateur.

— Sierra ? Princesse, où es-tu ? J’ai dit que j’étais désolé !

Il revient près de Kayden et fronce les sourcils.

— Où est-elle ? Rends-la-moi !

— Quoi ? demande l’autre en le fusillant du regard. Tu penses qu’elle


t’appartient ? Sierra peut prendre ses propres décisions. Et je la connais assez
pour savoir que jamais elle ne te pardonnera. Elle et toi, c’est fini mon pote.

— Elle est à moi, articule mon ex avec agacement. Bérénice s’inquiète pour
elle et moi aussi ! Tu sais où elle est, Kayden et si tu me le dis, je te promets
que le combat se passera uniquement sur le ring. De toute façon, on la
trouvera, j’ai déjà des mecs qui fouillent le club.

Mon colocataire pâlit, ses yeux se jettent dans la foule. Il inspecte chaque
personne et quand enfin son regard se pose sur moi, il soupire de soulagement.
De mon côté, j’ai un plan. Je jette un coup d’œil au pied de biche posé sur le
bout du comptoir et je fais en sorte qu’il le voit lui aussi. Je ne suis qu’à
quelques mètres de là. Il faut que Kayden trouve une occasion de distraire
Jaxon et ses hommes afin que je puisse m’emparer de l’objet.

Jaxon incline la tête sur le côté.

— T’as envie de me frapper maintenant, tueur ?

— À quoi tu joues, Deneris ? grogne Kayden en faisant un pas de côté.

Il a compris mon plan, parfait.

— Tu cherches à faire quoi avec Sierra et sa sœur ? À détruire leurs vies ?


Je sais que tu aimes toujours ton ex. Mais tu vas finir par te rendre compte
qu’elle est avec moi maintenant. Tu ne peux plus l’avoir. Tu avais Sierra, mais
tu as voulu Bérénice, assume !

Kayden ne s’arrête pas là et poursuit son monologue.

— T’es qu’un putain de connard, Jaxon. Tu es aussi perdu qu’un fils de pute
le jour de la fête des Pères.

Il fait un mouvement audacieux vers l’avant et appuie son front contre celui
de mon ex. La foule retient son souffle.

— Je commence à me demander ce que Sierra t’a trouvé. Tu n’es qu’un


menteur manipulateur. Et le jour du championnat, je serai le mec le plus
heureux de cette foutue terre lorsque j’aurai botté ton p’tit cul serré.

Le visage de Jaxon devient rouge de colère. Je m’approche un peu plus du


pied de biche.

— Je ne te laisserai jamais Sierra. C’est une femme indépendante et elle peut


faire ses propres choix. De plus, je prendrai soin d’elle mieux que toi tu ne l’as
jamais fait.

Les yeux bleus de mon ex-petit ami deviennent si sombres que c’en est
effrayant. Sa main fourrage vigoureusement ses cheveux blonds.

— Elle ne t’aimera jamais comme elle m’a aimé, beugle-t-il, un rictus


malsain au coin des lèvres. J’étais tout pour elle.

— S’il vous plaît ! je les interromps d’une voix faussement calme, le pied de
biche à la main.

Tout le monde tourne la tête vers moi et je me sens intimidée devant ces
centaines de paires d’yeux qui me fixent.

— Ne fais pas comme si tu étais spécial pour moi.

— Princesse…, soupire Jaxon.


Ses yeux vont et viennent entre Kayden et moi.

Je me penche, la barre en fer à la main, prête à en découdre.

— Éloignez-vous de nous ou je vous jure que je vous fais la peau. Et je ne


plaisante pas !

Je me déplace et fais face aux hommes de Jaxon. Ils échangent un regard et


rient. Ils ont l’audace de rire ? Vraiment ?

— Vous pensez que je blague ? (Je fais un bref signe vers mon ex) Il m’a
appris tout ce que j’ai besoin de savoir pour me défendre. Maintenant, je vais
vous donner deux options. La première : partir. La seconde : rester ici et je
vous enterre tous.

J’attends leur réponse, mais ils restent muets comme des carpes. En fait, tout
l’endroit est terriblement silencieux.

— OK, je réponds. Je vois que vous avez choisi l’option numéro deux.

Je recule pour prendre de l’élan et alors que je m’apprête à m’élancer, Jaxon


m’interrompt :

— OK, STOP !!! Inutile de nous donner en spectacle. On part. On voulait


juste effrayer ton petit ami.

— Il n’est pas mon petit ami, je réponds.

— J’en suis heureux.

Les lèvres de Jaxon se courbent en un sourire et il affiche un air hautain et


supérieur en bombant le torse. Il poursuit :

— J’espère te revoir rapidement, Sierra. Tu sais à qui tu appartiens et ce


n’est sûrement pas à ce bâtard.

— Va au diable ! je crache, mauvaise. Tu es un lâche et Bérénice est bien


trop aveuglée pour s’en rendre compte.
Jaxon ne fait que sourire et, d’un signe de la main, ordonne à ses hommes de
partir.

— Au revoir, princesse.

Ils fendent la foule avant de disparaître. Le barman se précipite vers moi.

— J’allais appeler les flics, je le jure ! Mais ils m’ont menacé et tout s’est
passé si rapidement…

— C’est bon, demandez juste au DJ de remettre la musique.

Il hoche la tête, reprend le pied de biche et sourit en l’examinant.

— Je ne peux pas croire qu’ils aient réellement cru que tu allais te battre
contre eux, dit Kayden en souriant.

— Un simple merci suffirait.

— Je n’ai pas eu besoin de ton aide, mais merci.

— Tu as toujours besoin de mon aide, je le taquine. Kayden, la jeune fille en


détresse.

— Oh, la ferme. Comment… tu te sens ?

Je croise mes bras sur ma poitrine et réfléchis un moment.

— Je viens de réaliser que Jaxon n’était pas celui que je croyais. Je veux
dire… il m’a trompée avec ma sœur et c’était là un premier aperçu de ce qu’il
était vraiment. Mais ce soir, la façon dont il parlait de moi m’a fait réaliser que
pour lui, je n’étais qu’un trophée de plus.

Mon colocataire doit sans doute comprendre que je suis submergée par les
émotions, aussi il glisse son bras autour de ma taille et me serre contre lui.

— Hé, murmure-t-il. Ça va aller. On va se venger, il va payer pour ce qu’il


t’a fait.

— Je sais, dis-je, essayant de retrouver mes esprits. Et je m’assurerai qu’il


voit ta victoire quand il se réveillera à l’hôpital le lendemain du championnat.

— Tu sais, c’était la plus étrange Saint-Valentin que j’ai passée de toute ma


vie. J’ai vraiment aimé, déclare-t-il. La journée a été très… mouvementée.

Enfin, la musique s’élève à nouveau dans les haut-parleurs et la foule se


dissipe comme si de rien n’était. Brent et Evans nous rejoignent, leurs mains
tremblantes désireuses de se toucher, mais devant réfréner leurs envies. Mon
camarade de classe a une expression de crainte sur le visage quand il me voit.

— Hé, lâche-t-il. On a manqué quelque chose ?

— On vous racontera dans la voiture, dis-je en me pressant encore plus


contre Kayden.

Nous marchons vers la sortie, Brent un peu à l’écart. Je profite du fait que
mon colocataire soit en grande conversation avec Evans pour m’entretenir
avec mon ami.

— Alors, commencé-je en me plaçant à ses côtés. Quand comptais-tu me


dire qu’il y a quelque chose entre toi et Evans ?

Ses yeux s’écarquillent et il me fixe, une expression de surprise sur le


visage.

— Je ne vois pas de quoi tu parles…

— Vous n’étiez pas très discrets tout à l’heure dans le couloir des toilettes.

Il se terre dans le silence et je continue :

— Je te propose un marché ; je te raconte le face-à-face entre Kayden et


Jaxon si tu m’expliques ce qu’il se passe entre Evans et toi. Alors, t’en penses
quoi ?

Il reste silencieux quelques secondes de plus avant de hocher la tête.

— Deal.
**

Une fois à l’appartement, Kayden et Evans se jettent directement sur le frigo


à la recherche de quelque chose à manger. Pendant ce temps, je traîne Brent
dans ma chambre et ferme la porte afin que nous soyons tranquilles.

— Assieds-toi, je commande en montrant mon lit du doigt.

Il prend place sur le bord du matelas, les doigts noués et le regard fuyant. Je
m’installe à ses côtés et enlève mes talons. Bon sang, ces trucs étaient en train
de me tuer les pieds !

— Alors, que s’est-il passé ? Je suis désolée d’avoir écouté, mais je vous ai
vus et…

— C’est bon, me coupe-t-il en hochant la tête. Ce qui est fait est fait.

Je lui offre un sourire réconfortant et pose ma main sur son épaule.

— Vous êtes ensemble, c’est bien ça ?

Ses joues rougissent légèrement tandis qu’il secoue la tête.

— Non… En fait, je ne sais pas exactement comment on en est venus à


s’embrasser. Et puis, de fil en aiguille, les sentiments sont apparus et je n’ai
rien pu faire pour empêcher ça. J’ai gardé ça secret pendant longtemps, parce
que pour moi, c’était impossible qu’Evans soit gay. Mais la semaine dernière,
la veille du jour où tu es allée chez ton père, lui et moi nous avons… eh bien…
il m’a embrassé.

— Et c’est bien… non ?

Les joues de Brent deviennent encore plus rouges, virant presque au rouge
pivoine. Il presse ses lunettes plus loin dans le creux de son nez.
— Ouais. Nous avons… fait ça un moment. Mais un jour, il a dit qu’il fallait
qu’on mette un terme à ça. Ses parents sont fous de religion et s’ils apprenaient
qu’il a eu une liaison avec un homme… ils le renieraient, c’est certain. Et
même si j’ai envie d’être avec lui, je refuse qu’il souffre.

— C’est nul…

Ma tête tombe sur le lit et Brent s’étend à mes côtés.

— C’est nul de ne pas pouvoir être avec la personne qu’on aime…, je


murmure, pensive.

— Je ne sais pas si tu parles toujours de moi… ou de toi, Brent glousse.

— Des deux, mon pote, je ris.

— Toi et Kayden ? Allez ! Même une personne aveugle peut voir à quel
point vous avez envie d’être ensemble. Je pense que vous seriez bien ensemble.

— Ouais, mais ça n’a pas vraiment d’importance. C’est compliqué. Vraiment


ultra compliqué.

Il tourne la tête vers moi, mais je continue de fixer le plafond.

— Ça ne peut pas être aussi compliqué qu’Evans et moi.

Je le regarde.

— Tu ne m’as jamais dit que tu étais gay.

— Ce n’est pas comme si j’allais crier sur tous les toits que j’aime les
hommes !

— Tes parents le savent-ils ?

— Bien sûr. Et ils sont même très compréhensifs et attendent que je leur
ramène un mec. Kayden aussi est au courant. D’ailleurs, il m’a beaucoup
soutenu.

— C’est gentil de sa part.


— Ouais, il n’est pas comme les parents d’Evans, lui est compréhensif et
ouvert.

Il arque ses sourcils et sa bouche se crispe ; je vois bien qu’il souffre et ça


me fait de la peine de le voir ainsi. Il se reprend rapidement.

— Alors, qu’est-ce qu’il y a de compliqué entre Kayden et toi ?

Je soupire. Je suppose qu’il n’y a plus lieu de le cacher.

— Nous savons tous les deux que nous sommes attirés l’un par l’autre. Mais
il ne veut pas s’engager parce qu’il pense que je suis toujours amoureuse de
Jaxon. Et je ne peux pas gérer le fait qu’il ne veut pas me dire ce qui lui est
arrivé dans le passé pour qu’il soit si froid avec les gens.

Brent se fige un instant.

— Putain…, il siffle. Mais… est-ce que tu aimes encore Jaxon ?

Je secoue la tête.

— Je pensais que je l’aimais en fait. Avant de commencer à comprendre que


je voulais Kayden. Voir Jaxon aujourd’hui m’a fait comprendre que je n’étais
pas amoureuse de lui. J’étais amoureuse de la personne que je pensais qu’il
était. Et il s’avère qu’il s’est bien foutu de moi pendant trois ans. Ce n’était pas
la bonne personne.

Brent me lance un sourire sympathique.

— Au moins, maintenant tu te rends compte que tu ne l’aimes pas. Donc, tu


peux avancer avec Kayden.

— Ce n’est pas si facile… Il y a des zones d’ombre dans sa vie, il est très
mystérieux et ne s’ouvre jamais. De mon côté, j’ai besoin d’avoir une totale
confiance en lui et d’y aller par étape, parce que ma rupture est encore trop
fraîche. Quand il sera prêt, il me le dira et peut-être que je le serai aussi. Mais
en attendant, il est préférable que nous restions amis. Pour l’instant.

Il se mord la lèvre inférieure.


— Tu sais, une partie de moi est mécontente de voir que vous êtes tous les
deux trop têtus pour faire le premier pas. Mais l’autre partie comprend et te
rejoint pour dire que ce mec est complexe. Et puis, une rupture, c’est jamais
facile à oublier !

Je ris.

— On peut ne plus en parler ? C’est déprimant.

— Tu as raison, ta vie amoureuse est déprimante !

— La tienne aussi ! je réplique.

— Peut-être qu’on devrait tenter un truc nous deux ? Je n’ai jamais eu de


relation avec une fille et je doute que tu sois déjà sortie avec un homme gay.

Je grimace, peu emballée par son idée.

— Non merci. Je vais simplement rester seule. Parqu’en couple avec toi, il
serait déplacé de reluquer Kayden. Il est si musclé et si…

— D’accord, Sierra. J’ai compris.

Je perçois la lueur d’amusement dans son regard et le pousse pour le


taquiner. Au même moment, la porte de ma chambre s’ouvre et Kayden passe
la tête dans l’entrebâillement.

— T’es pas à poil, Tigresse ?

— Tu vois bien que non, idiot.

Un léger sourire passe sur ses lèvres avant qu’il ne nous observe, Brent et
moi, à tour de rôle.

— Alors, de quoi vous parliez ?

Mon ami rit.

— De ton corps magnifique.


— Vraiment ? piaille-t-il en haussant les sourcils. Tu penses que j’ai un beau
corps, Sierra ?

— Je vais aller dormir ! je m’exclame en me redressant. Dehors tous les


deux !

Et là, ils se foutent carrément de ma gueule. Mais je dois avouer que ma


piètre tentative pour esquiver le sujet a de quoi faire sourire. Mon ami prend
congé, suivi de près par mon colocataire et alors que je m’apprête à fermer la
porte, il la bloque avec son pied.

— Attends, Sierra.

Je croise les bras.

— Quoi ?

Il prend appui sur le cadre de la porte, s’avance légèrement vers moi et


dépose un baiser sur ma joue.

Une minute… Quoi ?! Kayden vient vraiment de m’embrasser sur la joue ?!


Dites-moi que je rêve !

Je reste étourdie quelques secondes, surprise par une telle démonstration


d’affection. Ça ne lui ressemble pas de faire une chose pareille !

Il se gratte le derrière de la tête et me jette un petit sourire qui fait apparaître


ses fossettes.

— Bonne nuit, Tigresse. Et bonne Saint-Valentin.


21
Je suis en plein cauchemar ! Ma bouche s’entrouvre et je suis certaine qu’on
peut lire sans problème l’horreur sur mon visage.

« Monsieur Jacob Lane et Madame. Alyson Elizabeth Skeeter et leurs


familles sont ravis de vous inviter pour célébrer leur mariage le : 15 avril
2015 au Club Ballroom »

— Qu’est-ce que… putain !

Je crie, je hurle, prête à tout casser dans l’appartement. Le faire-part dans la


main, je fulmine à l’idée qu’ils aient eu le culot de m’envoyer ça.

Kayden sort de sa chambre, à moitié nu, en bâillant. Et quand il voit


l’invitation de mariage dans ma main, il lève un sourcil, aussi confus que je
suis en colère. Je lui donne la carte sans dire un mot. Il se frotte les yeux, passe
une main sur son visage pour effacer les dernières traces de sommeil et lit
attentivement. Au fil de sa lecture, il lâche quelques soupirs.

— Et… c’est quoi le problème ? demande-t-il.

— Tu ne comprends donc rien…, je gémis. Je n’arrive pas à croire qu’ils


aient pu m’inviter…

— Hé, dit-il en plaçant l’invitation sur le comptoir de la cuisine.

Ils plongent ses yeux hypnotiques dans les miens. Le gris de ses iris semble
plus doux et moins orageux.

— Tout va bien Tigresse. N’y va pas si tu n’en as pas envie.

— Tu as raison.
— Bien.

Je montre la carte du menton.

— Alors, allons la brûler.

— Quoi ?!

Il semble étonné, mais c’est vraiment ce que j’ai envie de faire : brûler ce
foutu faire-part de mariage et oublier.

— Laisse-moi faire, je poursuis. Je vais prendre le briquet et cramer ce bout


de papier sans importance.

— Tu commences vraiment à m’inquiéter là, précise-t-il en me regardant


d’un air dubitatif.

Avant que je n’amorce le moindre geste, il se précipite pour attraper


l’invitation. Il l’agite sous mon nez.

— Tu ne peux pas faire ça, me contredit-il.

Il lève le bras avec le carton à la main et j’essaie de sauter pour l’attraper.

— Allons, laisse-moi la brûler ! Peut-être qu’il comprendra au moins ! Je ne


veux pas qu’il se marie !

Kayden, le papier toujours en main, soupire.

— Tu te fais du mal pour rien, Tigresse.

Finalement, je renonce. Il n’a pas tort. Mes bras retombent de chaque côté de
mon corps.

— Je sais…

Conscient que je ne tenterai plus rien, il repose l’invitation sur le comptoir


de la cuisine et se place devant moi, un large sourire aux lèvres.

— Je suis désolé pour ton père.


Il baisse les yeux.

— Il ne s’en soucie même pas. Il s’en fout de maman, de moi. Il ne pense


qu’à lui.

Kayden saisit cette opportunité pour enrouler ses bras autour de ma taille et
se rapprocher de moi. Je plaque mon visage contre son torse en laissant cette
sensation familière de chaleur me transporter.

— J’adore ça…

Je ferme les yeux et savoure ce moment qui nous appartient.

— Moi aussi, souffle-t-il.

Lorsqu’il se retire, il se racle la gorge et fait courir ses doigts dans ses
cheveux sombres.

— Est-ce que ta mère le sait ?

— À propos du mariage ? Non. Je ne pense pas que mon père lui ai dit. Et je
l’imagine mal le faire… « Salut, je me marie encore une fois ! Et tu es invitée à
venir admirer le spectacle ! Tu pourras voir combien une autre femme peut me
rendre heureux ».

Kayden rit.

— Ouais, ce serait bizarre.

Je soupire.

— Je suppose que je devrais l’appeler pour lui faire part des nouvelles. Elle
mérite de savoir quel lâche est mon père.

Il acquiesce d’un hochement de tête.

— Je vais aller m’entraîner, la demi-finale approche, ce n’est pas le moment


que je me relâche.

— Je te rejoins plus tard, je lance en prenant un verre dans le placard.


Quelques minutes plus tard, il disparaît alors que j’engloutis un demi-litre
d’eau glacée. Je ne sais pas exactement ce que nous sommes, lui et moi, mais
c’est à la fois bon et mauvais. C’est bien parce qu’il s’ouvre un peu plus chaque
jour, il a moins de sautes d’humeur, ce qui le rend plus agréable à vivre. Mais
c’est également mauvais parce que je n’ai aucune idée de ce qui nous sépare.
Sommes-nous amis ? Je n’en suis même pas sûre. Les amis n’ont pas
constamment envie de s’embrasser ou de se sauter dessus. Mais nous ne
sommes pas en couple non plus. C’est tellement bizarre…

Je me dirige vers ma chambre et prends mon téléphone pour appeler ma


mère. Je compose le numéro et elle répond à la première sonnerie.

— Bonjour ! s’exclame-t-elle, guillerette, en décrochant.

Sa bonne humeur ainsi que la douceur de sa voix m’avaient manqué.

— Coucou maman.

Comment vais-je lui annoncer ça ? Je ne sais pas dans quel état elle est
aujourd’hui. A-t-elle oublié papa pour de bon ? Est-elle fragile, triste, en
colère ou joyeuse ?

— Maman… je ne sais pas comment te dire ça… mais papa va…

— Se marier ? Encore ? elle termine ma phrase à ma place. Je sais, ma


chérie, je sais.

— D’accord, je suis perdue là… Il te l’a dit, c’est ça ?

— Bien sûr qu’il l’a fait. Il m’a même envoyé une invitation.

Je l’entends soupirer.

— Sierra, je… Je vais au mariage.

Qu’est-ce qu’elle a dit ? Elle y va ? Je suis en plein cauchemar !

— Pourquoi ça ? Pourquoi tu y vas ?


Mon ton monte d’un cran malgré moi. Je ne m’attendais pas à ce qu’elle soit
si calme à ce sujet. Son ex-mari, dont elle est encore secrètement amoureuse,
se marie et l’invite.

— Parce que je suis fatiguée de lui en vouloir.

Je suis certaine qu’elle secoue la tête quand elle dit ça.

— Je ne veux plus lui en vouloir, il essaie d’être heureux, je le comprends.

— Je suis perdue…, lâché-je. Je pensais que… que tu serais énervée.

— Quoi ? Bien sûr que non ! Ne sois pas idiote. Il est temps de faire
retomber ta colère comme je l’ai fait. Je me sens tellement mieux depuis que je
l’ai dépassée. Tu dois laisser faire la vie, Sierra. Cette colère que tu as en toi,
elle te détruit un peu plus chaque jour.

Je ne dis rien.

— Je sais que ça a été pénible pour toi de nous voir nous diviser, reprend-
elle. Mais tu sais pourquoi je suis partie, n’est-ce pas ? Je ne pouvais pas rester
près de lui parce que je l’aimais toujours. Beaucoup. J’étais fâchée, blessée. Je
me suis sentie trahie. Mais… après toutes ces années, tous ces sentiments
diminuent. Et je suis une femme heureuse désormais.

— Je ne suis pas comme toi, je lui rappelle. Je déteste papa. Tu as oublié ?

— Je n’ai rien oublié. Mais est-ce que tu me hais d’être partie ?

Je reste silencieuse.

— Je sais que tu as toujours un peu de rancœur envers moi, mais tu arrives à


passer outre. Ne peux-tu pas essayer de faire la même chose avec ton père ?

— Il ne le mérite pas, déclaré-je. Il t’a blessée. Il s’est marié à toutes ces


femmes et nous a laissé tomber.

— Je sais, mon bébé. Et rappelle-toi combien j’étais folle à propos de ça.


Elle fait une pause puis reprend :

— Mais après un certain temps, j’ai commencé à penser qu’il était idiot de le
haïr pour ça. Ça ne vaut pas le coup. Au fond, je m’en fiche. Et je veux qu’il
soit heureux. J’ai été en colère un temps, mais maintenant… je suis bien avec
ça.

Elle continue :

— J’ai une belle maison ici à Porto Rico. Et j’ai quelqu’un ici qui se soucie
réellement de moi et qui m’aime beaucoup. Je veux que tu viennes me voir
bientôt, chérie. Il fait toujours tellement chaud ici, j’ai un bronzage ravissant.
Et tout dans cet endroit est à couper le souffle. Je vais t’emmener aux meilleurs
endroits que j’ai trouvés. Nous pourrons visiter toutes les îles et manger des
spécialités locales.

Je ris doucement.

— Ce serait sympa.

— Je reviens pour le mariage, nous avons beaucoup de temps à rattraper,


ajoute-t-elle de sa voix douce et réconfortante.

Je fronce les sourcils.

— Maman…

— Non, je ne veux rien entendre. Je reviens pour le mariage. C’est ce que je


dois faire, je dois donner à ton père ma bénédiction, même je suis presque
certaine qu’il divorcera d’ici un an. Au moins, il sait que je suis passée à autre
chose. Moi, j’ai réussi et toi, vas-tu y parvenir ?

Je coupe la communication et fixe le plafond de ma chambre. Ses paroles ne


cessent de revenir dans mon esprit. Elle a raison. Je suis en colère. Tellement
en colère. Plus ça va, plus cette haine me consume et fait de moi un monstre de
méchanceté. Mais j’aime cette rage qui bouillonne en moi. C’est le seul
sentiment que je connais depuis des années et je commence à y prendre goût.
Elle est ma seule amie quand tous m’abandonnent. Et maman me demande de la
laisser tomber ; impossible. Pas encore du moins. Comment fait-elle ? Je sais
qu’elle l’aime encore, même si elle ne veut pas l’admettre.

Je m’allonge, le visage enfoui dans l’oreiller, et gémis. Ma mère revient


dans deux semaines pour le mariage. Je voudrais me réjouir car j’ai vraiment
envie de la voir. Mais pas d’assister à ce foutu mariage ! J’aimerais pouvoir
ruiner cette journée afin que mon père comprenne enfin ses erreurs.

J’entends un bruit du diable, une espèce de cognement brutal et je me


redresse aussitôt. Je bondis hors du lit et mon instinct premier me dicte
d’attraper ma batte de baseball, celle-là même que j’avais utilisée pour frapper
Evans. Je me dirige à pas de loup vers l’entrée. Je colle mon œil au judas pour
voir qui est là. Bien sûr, c’est Evans.

Je déverrouille la porte et il entre dans le salon sans même y avoir été invité.
Il fixe un instant ma batte, les sourcils froncés, les poils de ses bras au garde à
vous, avant de reporter son attention sur moi.

— Vraiment ? Encore ?

— Je dois toujours être préparée. Ça aurait pu être un vrai voleur cette fois.

— Mais, j’ai toqué ! Et ça m’étonnerait qu’un voleur fasse ça.

— Rectification : tu n’as pas toqué, tu as frappé violemment.

— Peu importe. Écoute, j’ai besoin que tu me fasses une faveur.

— Euh… tout dépend de quoi il s’agit.

Je place la batte contre le mur et regarde mon invité avec curiosité.

— J’ai besoin de toi. Je veux que tu sois ma fausse petite amie pour la nuit.

— Quoi ?!
Décidément, c’est la journée des surprises ou quoi ?

— Je savais que tu réagirais comme ça, soupire-t-il. J’ai besoin de toi. Mes
parents viennent en ville pour dîner avec moi et je leur ai dit que ma petite
amie serait présente.

— Alors, dis-leur que tu n’as pas de copine je grogne. Pourquoi devrais-tu


mentir ?

— Parce que s’ils soupçonnent que je ne suis… pas aussi droit qu’ils le
pensaient… Ils vont me tuer s’ils apprennent la vérité !

J’enfonce mes mains dans les poches arrière de mon jeans en le scrutant de
haut en bas. Evans ne sait pas que je suis au courant qu’il est gay, alors
pourquoi dit-il ça ? Serait-il prêt à se confesser à moi ?

— Je sais. Je ne devrais pas leur mentir, dit-il, exaspéré. Mais j’ai besoin de
ça. Je ne peux pas les perdre. Je veux qu’ils pensent que je suis toujours leur
garçon. Le garçon qu’ils ont toujours voulu avoir. Je les ai déjà bien trop
souvent déçus avec mes notes et les bagarres, si en plus, ils apprennent que je
joue avec les filles… Je ne veux pas qu’ils pensent que je suis une cause
perdue. S’il te plaît Sierra.

Je peux entendre le désespoir dans sa voix et ça me fait mal au cœur. Si


seulement, les choses étaient plus faciles…

— Evans, tu n’es pas une cause perdue. Ne pense pas ça parce que tu es gay,
bi ou quoi que ce soit.

Ses yeux s’écarquillent.

— Oui, je sais tout. Je t’ai entendu parler avec Brent au club. Ça n’a pas
d’importance. Ça ne définit pas qui tu es. Tu es Evans, et même si tu en souffres
et que tu es parfois carrément taré, je pense que tu es quelqu’un de bien. Peut-
être que tu es un peu perdu, mais ça va aller.

Evans m’offre un triste sourire.

— J’aimerais que tu n’aies pas à cacher le fait que tu es gay à tes parents.
S’ils t’aiment, ils devraient accepter. Tu es leur fils, après tout.

— J’aimerais que ce soit aussi simple…

— Moi aussi, j’admets. Et même si l’idée de mentir à tes parents ne me plaît


pas vraiment, je vais le faire. Je serai ta fausse petite amie. Parce que je me
soucie de toi et que je ne veux pas que tes parents te repoussent. Mais en
échange, tu devras leur parler, d’accord ?

Il hoche la tête.

— D’accord.

Je souris.

— Tu viens me chercher à 19 heures ce soir. Et tu devras m’apporter


quelques Skittles pour grignoter, ça m’occupera. J’adore cette merde et la
soirée va être longue.

Il rit de bon cœur.

— Et n’oublie pas, je lui rappelle, nous avons un accord.

— Ouais. Tu penses que Kayden va être enthousiaste quand il va apprendre


que je t’emmène dehors ce soir ?

Je me pince les lèvres.

— J’espère. (Un sourire se glisse sur mon visage) Tu sais quoi ? Je vais
même porter quelque chose de sexy ce soir. Quelque chose qui attire l’œil et
qui est vraiment décolleté.

Il grimace.

— Je plaisante, je porterai une robe spéciale belle famille.

— Bien, dit-il, rassuré.

Il attrape ses clés de voiture puis relève les yeux vers moi.
— Mais, tu sais quoi ? J’aimerais voir le regard et le visage de Kayden si tu
portais une robe de bimbo et qu’on sortait d’ici bras dessus, bras dessous.
22
Je n’ai jamais pensé qu’un jour, je ferais du shopping avec Evans. En effet,
après notre petite discussion, il m’a traînée dans les boutiques pour tenter de
dénicher « The robe de bimbo ». Et le moins que l’on puisse dire, c’est que
Monsieur est difficile en matière de fringues…

Il aboie des ordres à la vendeuse et chaque fois que je lui propose une robe
qui pourrait faire l’affaire, il me répond avec une grimace qu’elle est
« horrible », « importable », « bonne à jeter aux ordures ». Je ne suis pas sortie
de l’auberge…

— Rappelle-moi de ne plus jamais faire de shopping avec toi, je gémis en


entrant dans une cabine d’essayage pour la dixième fois.

Je ferme le rideau d’un geste vif et je serais prête à parier qu’il a posé ses
fesses sur un tabouret, juste derrière, les jambes croisées, les yeux rivés sur un
numéro du magazine Vogue. Il est vraiment agaçant… Il pouffe quand il trouve
une tenue qui ne lui convient pas et couine lorsqu’au détour d’une page, il
tombe sur un mannequin en bikini.

— Ouais, je suis définitivement bi. J’aime beaucoup les filles, lance-t-il


tandis que j’enfile la robe.

— Peut-être que tu es juste attiré physiquement parlant ?

Il soupire bruyamment.

— C’est trop déroutant. Chaque fois que je regarde une nana, je me dis que
si elle est belle, ça pourrait suffire. Mais quand je vois Brent, j’ai envie de
l’embrasser, de serrer sa main dans la mienne, le faire sourire, rire, et crier de
bonheur. Je crois que je pourrais tomber amoureux de lui, il murmure. Il est
différent. Il est cool, sympa, mignon et il me fait rire comme personne. Il y a
aussi le fait qu’on se chamaille tout le temps.

— C’est vrai, souris-je.


Je n’ai jamais vu deux personnes se battre autant ! Mais c’est toujours bon
enfant.

— Ouais. Je l’aime beaucoup. Et ça m’effraie.

J’ai enfilé ma robe, mais impossible de remonter la fermeture éclair. Zut !

— Pourquoi as-tu peur de tes sentiments ? je demande. Tu devrais profiter


de ce qu’il y a entre Brent et toi. Il t’aime beaucoup, ça se voit, mais il a peur
lui aussi, peur qu’à cause de lui, tes parents te tournent le dos. C’est noble de sa
part. Mais… je pense quand même que tu dois leur dire au plus vite.

Evans reste silencieux pendant un moment.

— Je ne sais pas pourquoi je reçois des conseils d’une fille qui semble faire
la même chose que moi.

J’ouvre le rideau d’un geste rapide.

— Quoi ?! je m’exclame.

— Tu as peut-être accepté tes sentiments pour Kayden, mais tu n’arrives


toujours pas à aller vers lui. Je vois la façon dont tu le regardes. J’aime ça, tu
es capable de voir au-delà de son physique, tu as saisi ce qu’il y a de bon en lui.
Mais pourquoi as-tu peur de ce que tu ressens quand tu es avec lui ? Tu devrais
te jeter sur lui et l’embrasser à pleine bouche !

J’aurais dû m’attendre à ce qu’il me renvoie la balle…

— Tu n’as aucune idée de ce qui se passe entre Kayden et moi.

Je baisse les yeux.

— Et qu’est-ce qui se passe exactement entre lui et toi ? il reprend.

Il ne lâche donc jamais l’affaire ?

— Je sais pas trop… Je… je ne peux pas être avec quelqu’un qui a autant de
secrets. Je sais qu’il a ses démons… mais tout le monde en a, non ? Et chaque
fois que je lui pose des questions sur ce qu’il s’est passé, il ne me répond
jamais. Il ne veut pas en parler et c’est tellement frustrant pour moi. Je suis
attirée par lui, oui. Mais j’ai peur. Peur de ces sentiments que je ressens pour
lui.

— Est-ce si grave de ressentir quelque chose pour lui ?

Je croise les bras sur ma poitrine.

— Non, pas du tout. Mais… tu ne comprends pas. Je suis sortie avec Jaxon et
il m’a fait du mal. Pas seulement parce qu’il m’a trompée avec ma sœur. Je lui
ai donné trois années de ma vie. Trois ans. Et je n’ai réalisé à aucun moment
qu’il me manipulait pendant tout ce temps. J’en viens même à me demander s’il
m’a aimée à un moment. Et tu vois, les cicatrices que laisse ce genre de
trahison ne disparaissent pas comme ça. Ça déchire toute ton âme jusqu’à ce
qu’il ne reste plus rien. Je ne suis plus qu’une coquille vide.

Evans reste muet.

— Ce n’est pas comme si je ne faisais pas confiance à Kayden. Mais…

Ma voix se dérobe sous l’émotion.

— Mais tu as peur de ce qu’il pourrait te cacher, pas vrai ? termine-t-il pour


moi.

J’incline la tête avant de déclarer :

— Tout le monde a un masque qu’il revêt. Jaxon a le sien et Kayden


également. Et si ce secret faisait tomber le sien ? J’aimerais voir le vrai
Kayden avant de faire quoi que ce soit avec lui. Est-ce que j’accepterais ce
secret qu’il cache ?

— C’est le risque à prendre quand on tombe amoureux. C’est absolument


terrifiant… mais c’est beau aussi. Alors, pourquoi tout gâcher à cause du
passé ? Quand il sera prêt, il te le dira. Tu n’étais pas là quand l’incident a eu
lieu, tu ne peux pas savoir à quel point il était anéanti. Il a vécu la misère. Il est
brisé, mais quand il est avec toi, il redevient l’homme qu’il était autrefois.
Je baisse les yeux, troublée par ses révélations. Je ne cherche pas à en savoir
plus sur cet « incident », parce que j’aimerais que ce soit Kayden qui m’en
parle. Et puis, au fond, je ne veux plus en parler pour le moment car savoir
qu’il souffre me déchire un peu de l’intérieur.

— Tu dois aller vers lui. Il est sûrement effrayé lui aussi par ses sentiments
pour toi. Il est têtu. Tu es têtue. Vous êtes parfaits l’un pour l’autre. Et il n’y a
rien à craindre. Tu dois être courageuse et prendre le risque.

Je renifle et l’observe, captant toute la sincérité qui transparaît dans son


regard bienveillant.

— Je ne peux pas croire que j’écoute les conseils d’un gay.

— Hé ! s’offusque-t-il. Je suis juste perdu sexuellement en ce moment et ne


remets pas ça sur le tapis, je te prie.

— D’accord, assez parlé, ris-je. Alors, cette robe ?

Contrairement à toute à l’heure, il prend le temps d’analyser cette robe sous


toutes les coutures. Elle possède des manches courtes et s’arrête à mi-cuisses.
Elle est de couleur ivoire avec un motif en or complexe sur le devant.

Un sourire glisse lentement sur son visage.

— Elle est bien. C’est vraiment celle-là qu’il te faut. J’adore !

Je soupire de soulagement ; enfin !

— Merci.

— Maintenant, va te changer. Notre dîner est dans deux heures et je dois


encore te parler de la façon dont il faudra que tu te comportes, conclut-il
lorsque j’entre à nouveau dans la cabine.

Je lève les yeux au ciel.

— Quand même ! Je sais comment me comporter avec des parents.


— Oh, vraiment ?

Le sarcasme suinte dans sa voix.

— La dernière fois que je t’ai entendue parler de parents, tu disais que tu


avais été expulsée de la maison de ton père après avoir hurlé des injures à sa
fiancée. Donc, excuse-moi si je pense que tu as besoin d’un léger cadrage au
niveau de ton comportement.

La robe glisse à mes pieds et je grogne.

— Si je n’étais pas à moitié nue en ce moment même, je t’étranglerais !

— Merde, jure-t-il. C’est bizarre si je te dis que je trouve cette image


mentale super chaude ?

Ouais, je crois que je le préfère lorsqu’il doute de sa sexualité…

Après notre petite escapade dans les boutiques, Evans m’a déposée à mon
appartement.

Kayden n’est pas encore rentré, alors j’ai tout mon temps pour me préparer.
Je passe une bonne trentaine de minutes à essayer d’appliquer de l’eye-liner
sur mes paupières. Après l’avoir effacé à de nombreuses reprises avec du
démaquillant, j’abandonne et opte pour un fard à paupières irisé. Une fine
couche de fond de teint, du blush sur mes pommettes et un peu de rouge à
lèvres. Une fois le maquillage terminé, j’envoie un rapide SMS à Evans afin
qu’il n’oublie pas mes Skittles. Je reçois sa réponse presque immédiatement :

* J’ai tes bonbons, bébé. Prépare-toi, je serai bientôt là.

Je me souris à moi-même et envoie dans la foulée un texto à mon


colocataire.

* Quand comptes-tu rentrer ?

Je glisse mon téléphone dans mon sac à main et au même moment, la porte
d’entrée s’ouvre. J’enfile un peignoir et jette un coup d’œil dans le couloir
pour constater qu’il s’agit de Kayden. Il a une serviette blanche enroulée autour
du cou, comme après chaque entraînement. Quand il me voit, ses lèvres se
courbent en un sourire.

— Tigresse.

— Salut le tueur. Comment était l’entraînement ?

Je le rejoins dans la cuisine.

— Super, répond-il en s’installant sur un tabouret devant le comptoir. Il


aurait été meilleur si tu avais été là.

Je m’approche de lui en rougissant. Oh mon Dieu ! J’avais totalement oublié


de dire à Kayden que je ne serais pas là pour l’aider aujourd’hui.

— Merde. J’ai complètement oublié de te prévenir que…

Il me coupe :

— Pourquoi ne m’as-tu pas dit que Evans en pinçait pour Brent ?

Son regard s’assombrit subitement. J’ouvre puis ferme ma bouche à


plusieurs reprises, ne sachant pas vraiment quoi dire.

— Eh bien, je l’ai découvert il y a quelques jours seulement…

Il baisse les yeux.

— Je suis vraiment stupide. Brent est… mon frère et Evans est mon meilleur
ami depuis ma dernière année de cours. Comment j’ai fait pour ne pas le
remarquer ?

— Parce que… t’es stupide ?

Il plisse les yeux et dit :

— Sérieusement, je n’ai rien vu.


Je me glisse sur un tabouret à côté de lui, il a l’air de vraiment s’en vouloir
et ça me fait de la peine.

— Est-ce vraiment important qu’ils aient des sentiments l’un pour l’autre ?
Brent est un bon gars. Evans aussi. Bien qu’ils ne soient probablement pas le
couple idéal, je suis curieuse de voir comment ils vont finir ensemble.

Il me jette un regard curieux.

— Comment tu sais qu’ils finiront ensemble ? Les parents d’Evans seront


fous s’il leur dit.

Je hausse les épaules.

— J’ai un pressentiment, appelle-moi Madame Clairvoyance !

— Depuis quand tu utilises des mots compliqués comme « clairvoyance » ?


il demande, horrifié.

— Ce n’est pas le problème.

Il ricane et ses fossettes se dessinent sur ses joues.

— Ils se complètent, et ensemble, ils deviendront meilleurs, j’en suis


certaine. Mais toi… Tu savais pour l’homosexualité de ton frère, mais
comment as-tu appris pour sa liaison avec Evans ?

Il pose ses coudes sur le comptoir et noue ses doigts.

— Eh bien, Brent est super déprimé depuis quelque temps donc j’ai pensé
qu’il avait raté un exam ou un truc dans le genre. Mais aujourd’hui, il est venu
au gymnase en espérant te trouver. Mais tu n’étais pas là, donc je lui ai dit qu’il
pouvait se confier à moi. Il n’a pas fallu longtemps avant qu’il crache le
morceau.

— Alors, ça ne te pose pas de problème à toi, de savoir que ton frangin aime
ton meilleur pote ?

— Pas vraiment, je m’en fiche, je crois. Mais au fait, tu n’as pas une fausse
soirée, toi, ce soir ?

Je me fige.

— Comment tu sais ça ?

— Je suis pas stupide… J’ai croisé Evans ce matin, il m’a dit que ses parents
débarquaient ce soir.

Je sens tout l’air quitter mes poumons. Je n’arrive qu’à hocher la tête.

— Je vois… donc tu vas bel et bien le rejoindre, pas vrai ? il me demande,


imperturbable.

Il ne reflète aucune émotion, il est redevenu insensible.

— Ouais. Il m’a même acheté ça à titre de compensation.

Je me lève et ôte le peignoir que j’avais enfilé plus tôt. Dès lors qu’il tombe
à mes pieds, ses yeux s’écarquillent et une étincelle semble se rallumer en lui.

— Putain, Tigresse ! Alors là, t’es carrément magnifique.

— Arrête, je murmure en rougissant.

Il ne me lâche pas du regard et je me tortille, gênée par l’intensité de ses


yeux gris.

— Tu rends les choses difficiles…, je lâche en me détournant.

Il recule un peu puis ferme les yeux.

— T’as raison. Je… pardon.

— C’est bon, je rétorque. On sait tous les deux que nous sommes un peu plus
que des amis…

— Tigresse…

— Non, ça va. Tu n’as pas à te justifier, il faut juste que nous clarifiions les
choses entre nous, d’accord ? Nous ne sommes pas prêts pour plus, je le sais…

Kayden ouvre la bouche pour parler, mais il est interrompu par la sonnette
de l’entrée. Je pars ouvrir la porte en soupirant. Evans est debout dans le
couloir, sa chevelure blonde plaquée en l’arrière. Il porte un t-shirt blanc ainsi
qu’un pantalon noir. Quand il me voit, ses yeux balayent mon corps sans
aucune pudeur. Le sourire qu’il me jette signifie sans doute qu’il approuve.

— Mes bonbons ? j’exige en tendant la main vers lui.

Il sort le paquet de sa poche arrière et me le lance.

— Tu pensais que j’allais oublier, hein ?

Il sourit, mais tente de se faire tout petit lorsque mon colocataire apparaît à
mes côtés. Il lance, peu sûr de lui :

— Hé, mon frère.

Kayden hoche la tête, un léger sourire aux lèvres. Evans saisit cette
opportunité pour faire un peu d’humour :

— Je te l’arrache ce soir !

— Prends soin d’elle ou les mots qui seront gravés sur ta pierre tombale
seront : « Mort en 2015, frappé par le Killer jusqu’à ce qu’il rende son dernier
souffle ».

Les yeux d’Evans sortent littéralement de leurs orbites.

— Ignore-le, dis-je en riant. Allons-y.


23
Lorsque nous arrivons finalement à Basil Kitchen, Evans m’aide à sortir de
la voiture. Il faut dire que cette robe moulante est un brin étroite et qu’il est
difficile pour moi de bouger correctement. Je murmure un « merci » et jette
mon paquet de bonbons vide à la poubelle.

— Je suis nerveux, murmure-t-il alors que je glisse mon bras sous le sien.

— Ce sont tes parents. Tu ne devrais pas être nerveux de les voir, je


commente.

— Ouais, mais tu ne les connais pas… Ils jugent sans arrêt les autres. Un
coup d’œil suffit pour savoir s’ils apprécient ou non quelqu’un. S’ils te
sourient, tu peux dire que c’est gagné, ils t’accueilleront à bras ouverts. Dans le
cas contraire, tu passeras sans doute le pire dîner de ta vie.

C’est supposé me rassurer ?

Je murmure quelques injures et nous nous dirigeons vers l’entrée du


restaurant choisi par les parents d’Evans. Un endroit plutôt chic qui donne
envie. Alors que je m’apprête à pousser la porte, il agrippe ma main d’une
poigne tremblante et je comprends que son stress est à son apogée. En me
tournant vers lui, je peux voir un mince filet de sueur glisser lentement de son
front. Je me pince les lèvres en fronçant les sourcils parce que maintenant, je
sais à quel point Evans a peur de ses parents. Je serre plus fort sa main dans la
mienne car il en a besoin. Avant de passer devant la porte, mon comparse
m’arrête et me fait face.

— Tu sais comment tu dois te comporter, pas vrai ?

— Oui, tu me l’as répété au moins dix mille fois dans la voiture. Je ne suis
pas idiote. Je peux me souvenir de ces règles simples.

— Je suis désolé. Mais je n’ai vraiment pas envie de les voir, il gémit en
glissant une main dans ses cheveux blonds. Bon, tu as compris, n’est-ce pas ?
Je saisis ses épaules et le secoue comme un prunier.

— Arrête ! Tu ne dois pas te soucier de moi, je vais gérer.

Il souffle.

— D’accord, allons-y.

Il tend sa main et je noue mes doigts aux siens. Il utilise son autre main pour
pousser la porte. Une jeune métisse nous attend dans le hall d’entrée, un
énorme sourire sur le visage.

— Avez-vous une réservation, monsieur ?

Evans hoche la tête.

— J’ai déjà une table en attente.

— D’accord, dit l’hôtesse en prenant deux menus. Suivez-moi.

En parcourant les tables, je les aperçois. Evans m’a montré des photos d’eux
et je pourrais maintenant les reconnaître entre mille. Ses parents nous
attendent, installés à une table près de la fenêtre. À leurs mines, on comprend
aisément qu’ils s’ennuient. La mère de mon ami a les cheveux attachés en une
coiffure élaborée et elle porte un cardigan bleu sur sa robe champagne. Quant
à son père, il arbore une coupe stricte ; sa tignasse blonde est plaquée sur le
côté. Il porte un costume noir tout aussi guindé et se tient droit sur sa chaise.

Lorsque nous arrivons à leur table, leurs visages s’illuminent et le père


d’Evans se lève immédiatement pour me tendre la main.

— Bonjour Sierra, je suis ravi de vous rencontrer.

Je me force à afficher un grand sourire et serre plus fermement la main de


mon comparse.

— Moi aussi, monsieur.

— Appelez-moi Robert, précise-t-il.


Je hoche timidement la tête. Sa femme me salue à son tour avec un sourire
chaleureux.

— Je suis Lily. Nous avons beaucoup entendu parler de vous.

— Maman, papa, Evans les salue d’un hochement de tête avant de tirer ma
chaise pour que je m’installe.

— Fiston, pourquoi n’appelles-tu pas le serveur ?

Evans ne l’a pas entendu, bien trop stressé pour faire attention à quoi que ce
soit. Il s’assied à son tour. Lily me dévisage, scrutant de ses yeux inquisiteurs
chaque centimètre carré de ma personne. Une fois son petit manège terminé,
elle m’offre un sourire qui sonne faux.

— Vous ne pensez pas que ce que vous portez ce soir est un peu trop
provocant ?

— Quoi ? (Je regarde ma robe) Comment ça ?

— Eh bien, je la trouve provocante. Il n’y a rien de plus à dire, lâche-t-elle


avec mépris.

— Maman, c’est bon.

Elle hausse les épaules.

— Je dis juste qu’elle montre trop de peau à mon goût. Tu es sûr que ce n’est
pas l’une de tes partenaires sexuelles ?

Horrifiée, j’ouvre grand la bouche.

— Maman, ça suffit, intervient de nouveau Evans. Elle n’est pas ce genre de


fille.

Robert regarde son fils de travers et dit :

— Ne parle pas à ta mère de cette manière.

— Mais, je…
— Fils, vocifère-t-il.

Son ton sec et incisif nous fige tous les trois. Evans serre les dents, la
bouche fermée et fixe ses genoux, le visage rouge d’embarras. Je regarde
brièvement autour de nous et constate que l’assemblée des personnes présentes
s’est tue pour nous observer. Bon, je crois que maintenant, je comprends
pourquoi Evans ne m’a pas parlé de ses parents avant. Je pense qu’il les aime
autant qu’il les déteste, c’est assez étrange comme relation. Il affirme vouloir
contrôler sa vie comme il l’entend, mais le voir ainsi soumis me fait froid
dans le dos. Et moi qui voulais l’aider, c’est pas gagné !

— Qu’est-ce que vous faites dans la vie ? m’interroge durement Robert.

— Je suis à l’université et je fais des petits boulots…

Je ris nerveusement et Lily et son mari me jettent des coups d’œil assassins.
J’espère qu’ils vont changer de sujet, parce que ce n’est pas comme si je
pouvais leur dire que j’entraîne des boxeurs pour des combats clandestins !

— Vous voulez du champagne ? je propose en souriant.

Ils me regardent, mais ne répondent pas. Je soupire, la soirée va être longue,


très longue…

Il faut un certain temps pour que les parents d’Evans commencent à se


détendre après l’incident de « la tenue inappropriée ». Lorsque nos plats nous
sont servis, tout est heureusement oublié et monsieur et madame Evans se
mettent à me bombarder de questions.

— Sierra, d’où venez-vous ?

— Je suis née à Boston.

— Comment avez-vous rencontré notre fils ?

— Nous étions dans la même classe.


— Que faites-vous durant votre temps libre ?

Sa mère ne s’arrête plus et ça m’agace, mais je ne laisse rien paraître.

— Je passe beaucoup de temps avec mes parents, qui sont encore ensemble
et amoureux.

Cette phrase a du mal à sortir de ma bouche, mais Evans a tenu à ce que je


sorte cette connerie pour avoir l’air d’une fille sans problème.

— Que pensez-vous de notre fils ?

— Evans est intelligent, gentil, attentionné et c’est la personne la plus


adorable qui soit. Je l’aime beaucoup et il parvient toujours à me faire sourire.

— Quel avenir pensez-vous avoir avec lui ?

Bon, c’est un interrogatoire du FBI ou quoi ?

— Une fois que nous aurons obtenu notre diplôme, nous nous marierons et
nous aurons des enfants. Nous vieillirons ensemble et regarderons notre
famille s’agrandir dans une maison près d’un magnifique lac. Et bien
évidemment, nous continuerons à nous aimer inconditionnellement.

Bien qu’Evans m’ait fait apprendre des répliques bien précises, en ce


moment, j’improvise et ça le rend nerveux car sa paume presse ma cuisse.
Cependant, les parents de mon ami semblent très satisfaits de mes réponses. Ils
font des blagues débiles qui n’ont aucun sens, mais je ris pour ne pas paraître
grossière.

Evans me serre la main et se penche pour murmurer à mon oreille.

— Merci.

— Je pense que je mérite un autre paquet de bonbons.

— Je t’en achète une centaine si tu leur dis que je suis intelligent et sage.

— Deal.
Une fois nos plats engloutis, nous passons au dessert. J’ai opté pour un
gâteau au chocolat, tout ce qu’il y a de plus banal. Mais je suis friande de ces
trucs-là et la première bouchée me fait gémir de plaisir.

Nous parlons un moment de nos études et de l’intelligence d’Evans ; je vais


les mériter, mes Skittles ! Puis de sujets plus banals comme la politique, la
religion, etc. Et je pense qu’ils commencent à m’apprécier.

À la fin du repas, Robert sort son chéquier en parlant avec Lily de la façon
dont Evans a changé depuis la dernière fois qu’ils l’ont vu.

— Il semble très heureux avec vous, me dit-elle.

Je souris, mais il y a quand même cette gêne au fond de moi à l’idée que je
leur mente effrontément.

— Bien sûr qu’il l’est.

— Oh, si vous saviez à quel point je lui en voulais de faire toutes ces bêtises
avec ces filles.

Je jette un regard, mal à l’aise, à Evans. Nous nous observons un instant puis
sa mère lâche un couinement d’horreur.

— Qu’est-ce qui ne va pas ? je lui demande, intriguée.

Elle fixe quelque chose derrière moi, intriguée. Je me retourne et Evans fait
de même. À l’une des tables, deux hommes semblent filer le parfait amour ;
leurs doigts noués entre eux, leurs regards débordants d’amour. Ils semblent
très amoureux et ce tableau me fait chaud au cœur. Cependant, Lily ne paraît
pas être du même avis que moi.

— C’est révoltant. Regarde, Robert !

Ce dernier se penche pour voir la scène et soupire de désapprobation. Je me


pince les lèvres et serre les dents pour m’empêcher de faire une remarque qui
pourrait compromettre ce dîner. Cependant, je vois bien que le dégoût de ses
parents affecte Evans qui s’est aussi renfermé sur lui-même.

— Qu’est-ce qui ne va pas dans le fait d’être gay ?

Merde, Evans prend des risques là…

Je tourne la tête et remarque qu’il est maintenant debout, une expression de


fureur sur le visage. Ça ne va pas bien se terminer !

— Qu’est-ce que tu viens de dire ? tique la femme assise devant moi.

Elle a haussé un sourcil et cela lui confère un air hautain que j’ai beaucoup
de mal à supporter.

— Tu m’as très bien entendu, où est le mal dans le fait d’être gay ?

Le poing de son paternel se serre et ses yeux s’assombrissent.

— C’est mal et tu le sais ! Dieu ne nous a pas créés pour ça. C’est un choix
d’être gay, c’est se détourner du droit chemin.

À cet instant, mon complice explose de rage.

— Ce n’est pas vrai et tu le sais !

— Evans…

Je tends la main pour le toucher, mais il évite mon contact.

— Non, je ne peux pas… Je dois leur dire, murmure-t-il.

Il inspire profondément et braque ses yeux sur ses parents.

— Il n’y a rien de mal à être gay. On ne choisit pas de qui on va tomber


amoureux. Homme ou femme, ça n’a aucune importance. Ils ne méritent pas
votre mépris. Et pourquoi vous vous comportez ainsi avec les gens comme
eux, comme moi ? Vous les regardez comme s’ils étaient des putains
d’animaux sauvages ! C’est tellement minable…

À nouveau, l’assemblée s’est tue et je peux maintenant entendre les mouches


voler.

— Tu es… tu es…

Lily fond en larmes.

— Oui, maman. Je suis bisexuel. J’aime les hommes et les femmes. Et ça ne


devrait pas avoir d’importance, parce que je suis votre fils, la chair de votre
chair. Mais si selon vous, cela fait de moi une mauvaise personne, alors tant
pis. Je préfère mille fois être quelqu’un de mauvais que de vous ressembler,
vous qui ne voyez le monde qu’avec un regard plein de haine. Acceptez-moi,
ou quittez ma vie.

Je me lève en marmonnant son prénom. Mais il ne me considère pas et


poursuit son monologue :

— J’ai demandé à Sierra d’être ma petite amie pour la soirée parce que
j’avais peur de votre jugement. Mais maintenant, je suis en mesure de vous
affronter et de vous dire ce que je pense. Vous critiquez tout et tout le monde,
sans vous soucier de ce que les autres ressentent. Si vous ne pouvez pas
m’accepter comme je suis, alors adieu.

Robert a l’audace de rire.

— C’est inacceptable, chouine-t-il en secouant la tête. Comment as-tu pu


penser une seconde que nous serions d’accord avec ça ? Tu es juste un peu
perdu. Le ciel peut te pardonner si tu viens avec nous maintenant…

Evans le dévisage, les yeux ronds comme des soucoupes.

— Vous êtes ridicules… Jamais vous ne ferez de moi une copie conforme de
ce que vous êtes.

Je jette un coup d’œil fatigué à Lily et Robert :

— Votre fils a raison. Pourquoi vouloir le changer et le rejeter pour ses


choix ? C’est égoïste. Il reste le même que celui que vous avez connu, rien ne
change. Acceptez-le comme il est. Il est dommage que vous réagissiez de cette
façon.
Je secoue la tête et me lève, bientôt rejointe par mon complice. Nous
quittons le restaurant et à la minute où nous posons un pied dehors, je l’enlace.

— Je suis vraiment fière de toi.

Il soupire de soulagement.

— Je suis fier de moi aussi.

Il a vidé son sac, mais on peut encore percevoir de la tristesse dans sa voix,
dans son regard… Je prends son visage en coupe.

— Si tes parents ne peuvent pas l’accepter, alors ils n’en valent pas la peine.
Tu m’entends ?

Il hoche la tête.

— T’as raison…

Je l’enlace un instant en lui caressant doucement le dos.

— On devrait y retourner, je déclare après quelques minutes.

Evans s’éloigne de moi et me sourit sans répondre.

— Quoi ? je demande.

Il saisit les clés de sa voiture dans la poche de son pantalon et me les jette. Je
les attrape avant qu’elles ne tombent au sol.

Je le regarde, ahurie.

— Rentre et fais attention à toi, d’accord ? Je n’ai pas envie que Kayden me
tue.

Il dépose un bisou sur ma joue avant de me tourner le dos et de partir en


courant.

— Mais où tu vas ? je crie.


— Je vais chercher Brent ! il hurle avant de disparaître dans la nuit.

Est-ce que ça signifie que je n’aurai pas mes bonbons ?


24
Je suis rentrée à l’appartement un peu après minuit. Après avoir laissé
tomber les clés de voiture d’Evans sur le comptoir, je note mentalement de les
lui rendre plus tard en lui demandant comment les choses se sont déroulées
avec Brent.

Je retrouve Kayden allongé sur le canapé et quand il se rend compte que je


suis dans la pièce, il se redresse un peu.

— Eh, alors, comment s’est passé le faux rendez-vous amoureux ?

— C’était un désastre…, ricané-je.

Je me dirige vers le canapé et m’installe confortablement à côté de lui.

— Evans a tout déballé.

Kayden écarquille les yeux et se redresse pour de bon.

— Ses parents l’ont découvert ?! C’est pas bon ça…

Je hausse les épaules.

— Je ne pense pas qu’il s’en soucie. Après tout, juste après que nous soyons
sortis du restaurant, il a couru retrouver Brent.

— Comme quoi, même lui peut être romantique, parfois.

Il s’étire, faisant ainsi ressortir sa musculature. Chaque fois qu’il bouge, les
tatouages sur son corps s’animent et semblent prendre vie. C’est un spectacle
dont je ne me lasserai sans doute jamais.

— Ouais. Je voulais l’appeler pour lui demander comment ça s’était passé,


mais ils ont tous les deux besoin de temps.

— Ouais.
Je reporte mon attention sur la télévision, évitant par la même occasion de
détailler son torse nu.

— Qu’est-ce que tu regardes ?

— Rédemption.

— C’est bien ?

Il ricane.

— Les scènes de combat sont vraiment trop parfaites, elles sont


chorégraphiées. C’est nul, c’est carrément une insulte au kickboxing.

Je me rapproche de lui, mais pas assez près pour que nos épaules se
touchent.

— Regarde ça. (Kayden pointe l’écran) Tu vois ça ? Le héros n’aurait pas pu


prévoir cette attaque, à moins qu’il ait une paire d’yeux à l’arrière de sa tête.
C’est une pure connerie.

— C’est un film, je lui rappelle. Ce n’est pas censé être réel. C’est pourquoi
il y a des films comme Fast and Furious.

— Je sais, soupire-t-il. Mais si ce mec était dans le monde réel, il serait mort
au moins dix fois.

— Oui, si c’est moi qui me bats contre lui, c’est sûr ! je souris.

Il ouvre la bouche, vexé.

— Eh, je me suis amélioré ! Je pense que tu vas aimer certains des nouveaux
mouvements que j’ai inventés. Tu n’as pas vraiment été la meilleure
entraîneuse ces derniers jours, alors je me suis débrouillé sans toi.

— Pardonne-moi si j’ai une vie en dehors des entraînements.

Je le regarde et le sens se raidir un peu.

— D’accord, je suis désolée, je lance pour rattraper le coup.


Kayden reste silencieux et garde les yeux rivés sur l’écran de la télé.

— La demi-finale, c’est samedi, n’est-ce pas ? j’enchaîne.

— Ouais, se contente-t-il de répondre.

Je me lève du canapé.

— Alors, on doit aller t’entraîner.

Cette fois, il me considère et se tourne vers moi pour me fixer d’un air
ahuri.

— Maintenant ?

— Oui. Maintenant !

— Tu te fous de ma gueule, il est presque minuit !

— Et alors ?

Il me dévisage, grave.

— T’as raison. Je deviens une entraîneuse pathétique. Mais je suis disponible


maintenant. Alors, tu peux rester vautré sur ce canapé à regarder ce film que tu
détestes ou tu viens avec moi ?

— OK. OK.

Finalement, mes paroles ont raison de lui et il capitule, se lève du canapé et


croise ses bras sur son torse. Il semble si grand, si imposant.

— D’accord, mais où on va aller ? Le Breaking Point est fermé, précise-t-il,


un soupçon d’ironie dans la voix.

— Je vais appeler Julien.

— Qui est Julien ?

J’ignore pourquoi, mais il pâlit d’un coup.


— Mon ami et le gars qui possède le gymnase des Fighters. Maintenant,
habille-toi, et en route !

Il jure à voix basse en se dirigeant vers sa chambre.

— J’espère que tu ne crois pas que je vais encore me laisser faire ainsi après
le championnat.

— Tu trouves que je suis trop autoritaire peut-être ? Oh, mais Monsieur le


Killer n’a encore rien vu !

Une demi-heure plus tard, nous arrivons au gymnase et réussissons à entrer,


après avoir supplié Julien pendant quinze minutes de nous prêter les clés. Il me
les a finalement données à condition que je travaille une heure de plus demain.
J’allume toutes les lumières en ajustant ma brassière de sport, l’ensemble du
lieu s’illumine. Je dépose mon sac sur le banc dans le fond de la salle et place
mes poings sur mes hanches. Kayden inspecte l’endroit.

— Prêt ? Déshabille-toi.

— Oui, madame, il répond en souriant. Seulement mon t-shirt ? Ou le


pantalon aussi ?

— Tu peux l’enlever, mais seulement si tu veux anéantir tes chances d’avoir


un jour des enfants.

Il me dévisage quelques secondes, une grimace sans nom sur la bouche.

— Parfois, t’es vraiment trop chiante.

Je serre les dents en continuant de le regarder.

— T-shirt.

Il attrape le bas de son haut et le passe par-dessus sa tête avant de le balancer


au sol.
— Heureuse ?

— Oui.

Mes yeux dansent rapidement sur son torse ferme et bien dessiné. Sur ses
pectoraux bandés et ses bras sculptés.

— Oui, je suis contente, je répète en reportant mon attention sur visage.

Kayden me sourit.

— C’était une excuse pour voir mon corps, pas vrai ?

— Ne t’aventure pas là-dedans, tueur. J’ai vu mieux.

Mensonge. Il a le plus beau corps que j’ai jamais vu. Un canevas rempli de
couleurs et de formes subtiles. Une toile couverte des coups de pinceau d’un
véritable artiste.

Hé oh ! Redescends sur terre, Sierra !

Je me racle la gorge et détourne les yeux avant de me diriger vers l’armoire


où est entreposé le matériel de boxe.

Je reviens avec des protections autour de mes cuisses et de mes bras ainsi
qu’un bandage pour les poings de Kayden. Je le lui lance et il le rattrape.

— Ce soir, tu vas me montrer ce que tu vaux vraiment. Tu dis que tu t’es


entraîné, hein ? On va voir combien tu t’es amélioré sans moi.

Une fois qu’il a fini d’enrouler ses mains, il s’échauffe. Je l’invite ensuite à
s’avancer près de moi. Je prends un coussinet dans chaque main en attendant
qu’il soit prêt.

— Vas-y, prends ton temps, nous avons toute la nuit de toute façon, je
murmure sarcastiquement.

Kayden lève les yeux au ciel. Il inspire profondément et projette son tibia en
avant pour frapper violemment ma cuisse. Chaque fois qu’il me donne un
coup, il grogne. Il réussit presque à me faire tomber tant il y met de puissance.
Puis, il lance un direct court dans le coussinet droit et le coup est si violent que
je vacille et fais un pas en arrière. Et là, sur son visage couvert de sueur, se
dessine un léger sourire qui creuse ses fossettes séduisantes. Son sourcil
relevé, il est tellement beau.

— Ne te réjouis pas trop vite, tu as encore du chemin à faire, je grogne,


sarcastique.

Je souris, au moins je sais qu’il a vraiment travaillé. Il garde un rythme


soutenu et ses progrès sont grandioses

Nous passons la prochaine heure à revoir différentes combinaisons


d’attaques et de défense. Au bout d’un moment, je jette les coussinets et lui
enseigne quelques astuces pour venir rapidement à bout de ses adversaires. Il
écoute attentivement et nous échangeons quelques coups. Il finit par me frapper
à l’épaule alors que de mon côté, je lui lance quelques coups sur le torse. Il rit
en continuant, il tente de me faire tomber avec la vitesse. Ça a le mérite de me
faire sourire.

— Allons, tueur. Tu ne peux pas gagner contre moi. Tu hésites beaucoup


trop avant de me frapper.

— Tu ne peux pas me reprocher ça ! Je ne veux pas te blesser.

Il sautille sur place alors que j’attends son attaque, et comme à son habitude,
il trouve toujours un moyen de retarder ce moment.

— Oh, allez ! Ne fais pas ta chochotte !

— Ce n’est pas ça ! se défend-il, frustré. Tu ne comprends pas, Tigresse. Ça


me blesse littéralement chaque fois que je dois te frapper. Et je n’aime pas la
douleur que tu ressens. Surtout après… après ce que Jaxon t’a fait.

Mes bras retombent le long de mon corps.

— Kayden…

— Je sais. C’est stupide de penser ça, déclare-t-il en secouant la tête. Te faire


mal est la dernière chose que je souhaite.

Je me pince les lèvres pour me retenir de sourire.

— Tu es fou.

— Tu es folle, il me corrige. Je ne sais pas pour toi, mais moi, je suis claqué.
Je pense que c’est suffisant pour aujourd’hui.

J’acquiesce en croisant mes bras.

— Ouais, allez à la douche, tueur !

— Tu ne viens pas te laver ? il me demande en s’éloignant déjà vers les


vestiaires.

— Avec toi ? Aucune chance.

Il rit.

— Ce n’est pas ce que je voulais dire, Tigresse.

— Je vais prendre un bain à la maison.

Il hoche la tête et attrape son sac avant de disparaître derrière la porte, me


laissant seule dans la salle de gym. J’inspire profondément en repensant aux
paroles de Kayden. Il ne veut pas me blesser… D’une certaine manière, ça me
fait plaisir, même si pour l’entraînement, c’est problématique. Et cette raison
suffit à gonfler mes sentiments pour lui. Qu’est-ce que je vais faire…

Notre entraînement terminé, Kayden et moi sommes rentrés à l’appartement


afin de rattraper nos heures de sommeil. Il est allé directement au lit tandis que
je rêvassais, installée sur le balcon. J’avais besoin d’un moment à moi.
Comment vais-je faire ?

Chaque jour, je lutte un peu plus pour ne pas tomber amoureuse de lui, mais
c’est si dur…
Chaque jour, il me fait sourire et rire. Peu à peu, et à sa façon, il répare les
morceaux brisés de mon cœur. Je me sens si bien près de lui… Qu’est-ce qu’il
m’a fait ? J’ai besoin d’une gifle !

Je n’ai jamais ressenti quelque chose comme ça. Même pas pour Jaxon. L’ai-
je seulement vraiment aimé ? Où est-ce que je me voilais la face ? Lorsque
nous sortions ensemble, j’avais bien plus besoin de lui qu’il n’avait besoin de
moi. Il m’a réparée, m’a entraînée et a fait de moi quelqu’un de fort, sans
jamais rien demander en retour. Au final, je pense que je savais que ça finirait
par nous détruire. Il est bien mieux sans moi, la petite fille fragile dont il devait
s’occuper. Et cette même fille désirait le garder pour elle, de peur de ne jamais
retrouver quelqu’un comme lui. De peur de ne jamais plus être aimée. Et c’était
vrai jusqu’à ce que je rencontre Kayden. Lui se soucie de moi d’une façon
différente. Il essaie toujours de me protéger, sans jamais rien exprimer, et c’est
attachant.

Il est dur, vulgaire, nonchalant et perdu. Il a beaucoup d’humour et nous


passons toujours de bons moments ensemble. Ses sautes d’humeur qui
m’agaçaient au début se font de plus en plus rares et bon Dieu… Je l’aime. Je
l’aime tellement.

Mes paupières commencent à se faire lourdes, je devrais certainement aller


dormir. Alors, je rentre, ferme la baie vitrée menant au balcon et me dirige
vers ma chambre d’un pas las. Je marche dans l’obscurité et m’arrête devant sa
porte en pensant qu’un jour peut-être, je serai assez courageuse pour lui dire
ce que je ressens.

Je peux ouvrir mon cœur à Kayden. Oui, je peux le faire.

**

Je me lève au son de la sonnette.

— Ugrh, je grogne avant de mettre mon oreiller sur mon visage, en espérant
que la personne qui sonne à la porte parte.
Mais bien sûr, cette personne insiste. Après quelques injures, je balance mon
coussin et me traîne hors du lit pour aller répondre.

— D’accord, d’accord ! je crie, ma main déjà sur la poignée de la porte.

Je tourne la poignée et ouvre, découvrant une femme aux cheveux bruns. Ses
yeux bleus sont grands, ses lèvres fines et elle se dandine quand je lâche un
faible « salut ». Je l’observe un peu et comprends que je la connais.

— Salut, me répond-elle timidement. Je suis désolée. Je ne voulais pas te


réveiller, mais j’ai besoin de toi maintenant.

Mais oui, je l’ai déjà vue !

À suivre…
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Retrouvez l’actualité de l’auteure :

Blandine C.
{1}
She’s The Man est un film américain réalisé par Andy Fickman en 2006. Il met en scène une jeune
femme contrainte de prendre la place de son frère jumeau.

{2}
Straight knee-thrust, ou coup de genou remontant, est un coup de genou porté au corps à corps lorsque
l’adversaire est penché vers l’avant.

{3}
Un penthouse est un appartement-terrasse situé généralement au dernier étage d’un immeuble ou d’un
hôtel de luxe.

{4}
Le fouetté est un simple coup de pied circulaire.

{5}
Le chassé est un coup de pied en avant ou en arrière qui atteint l’adversaire avec le plat du pied.
Page titre
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