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Playlist
Dedicace1
Prologue
Chapitre1
Chapitre2
Chapitre3
Chapitre4
Chapitre5
Chapitre6
Chapitre7
Chapitre8
Chapitre9
Chapitre10
Chapitre11
Chapitre12
Chapitre13
Chapitre14
Chapitre15
Chapitre16
Chapitre17
Chapitre18
Chapitre19
Chapitre20
Chapitre21
Chapitre22
Chapitre23
Chapitre24
Chapitre25
Chapitre26
Chapitre27
Chapitre28
Chapitre29
Chapitre30
Chapitre31
Epilogue
Bonus
Remerciements
Avenir
SDChapitre1
SDChapitre2
Pagedefin
Red romance
Anita Rigins
ISBN : 978-2-37652-238-6
130520191804
Internet : www.butterfly-editions.com
contact@butterfly-editions.com
- Playlist -
Abby
Abby
Inspire. Expire.
Fais le vide autour de toi.
Le cœur battant, je jette un coup d’œil au caissier, trop lent à mon goût.
J’essaye de ralentir ma respiration, en vain. L’homme n’a pas le temps
d’ouvrir la bouche que je lui tends un billet, engouffre la barre protéinée
dans ma poche et m’éloigne du comptoir.
L’aéroport n’est plus qu’à une heure à pieds, je peux le faire. Sean doit
me chercher dans la demeure, il doit avoir lancé ses hommes à mes
trousses. J’ai disparu, ou plutôt fui, depuis l’aube. Je suis certaine que ses
sbires fouillent en ce moment même les caves, et le bois autour du manoir.
Ils doivent penser que j’y suis encore. Ils se trompent.
Mon sac à dos sur l’épaule, je trace à travers la petite station-service,
mon billet d’avion froissé à la main. Je vérifie les angles de la pièce, il n’y a
aucune caméra. Au loin, j’aperçois les toilettes pour femmes, vers
lesquelles je me dirige. J’y entre et m’avance vers le lavabo. Par chance,
elles sont désertes. Je me penche, puis ouvre le robinet à moitié rouillé,
buvant rapidement un peu d’eau fraîche. Le goût n’est pas fameux, mais ça
fera l’affaire. La plupart de mes économies sont passées dans l’achat de
mon billet, et je dois conserver précieusement le reste. Je ne peux me
permettre de dépenser inutilement. Chaque centime compte. M’humidifiant
rapidement le visage, et plus particulièrement mes joues brûlantes, j’analyse
mes traits. Mes cernes ne cessent de se creuser. Les taches de rousseur sur
mon nez semblent plus présentes que jamais. Ma bouche est entrouverte,
mes lèvres boudeuses, laissant entrer avidement l’air dans mes poumons.
D’un geste rapide, j’ôte une mèche de mes cheveux blonds, la plaçant
derrière mon oreille pour ne pas qu’elle soit trempée.
C’est là que je les vois à travers le miroir.
Deux bottes noires.
Comment ont-ils pu me trouver aussi rapidement ?! L’angoisse me
gagne, mais je ne dois pas la laisser s’emparer de moi. Garder la tête haute
en toutes circonstances. Leur montrer qu’ils ne m’auront pas. Jamais. Je
sais me battre, et j’ai assez de courage pour mettre fin à la vie d’un homme
qui me veut du mal.
Le type qui me suivait se tient juste derrière moi. Je le reconnais, il
s’agit d’un des sbires de Sean. Il semble furieux. Vu la lueur dans ses yeux,
je paris qu’il vient tout juste de retrouver ma trace. Mon demi-frère ne doit
donc pas encore être au courant. Je ne préfère même pas imaginer dans quel
état est ce connard.
− Regardez-moi qui j’ai trouvé. Ton frère me récompensera pour
t’avoir récupérée le premier.
− Ce n’est pas mon frère, craché-je dans sa direction. Et je ne te suivrai
pas, plutôt crever.
Hors de question que je retourne entre leurs pattes. Trois pas me
séparent de la sortie. Je peux y arriver.
Un.
L’homme se demande si je vais vraiment le faire.
Deux.
Sa mâchoire tressaute. Tout en lui respire la malhonnêteté. Je ne suis
pas comme ça, je refuse de le devenir. Quitte à la payer de ma propre vie, je
ne me plierai jamais aux exigences de mon pourri de faux frangin. Je ne
laisserai pas les enfers s’abattre un peu plus sur moi, s’accrocher à ma peau.
Trois.
Je ferme les yeux, mon poing gauche fermement replié sur lui-même,
se préparant à l’inévitable affrontement. Si je les garde ouverts, il y lira ma
plus grande angoisse et en profitera.
Ma paume s’apprête à attraper la poignée de la porte quand je bondis
vers elle, mais je sens ses mains me saisir avec force l’avant-bras.
D’instinct, mon coude rencontre l’arête de son nez. Rapidement, un
filament de sang s’écoule de sa narine droite et il grogne fortement. Quant à
moi, je me retiens de gémir de douleur. Il faut que je m’enfuie. Tout de
suite. Mais, je ne suis pas assez rapide. Il attrape mes cheveux et les tire
violemment en arrière. Mon cuir chevelu me fait souffrir et je serre les dents
face à la douleur.
− Lâche-moi !
Forcément, il ne m’écoute pas. Il me tire vers le milieu de la pièce et
mon genou rencontre son bas-ventre. Je suis petite, mais rapide.
Le type essaye de protéger son torse et je profite de cet intermède pour
lui envoyer un coup de pied dans la rotule. Il vacille lourdement en me
lâchant. La jambe dans un sale état, ses yeux me lancent des éclairs. Je n’ai
pas le temps de réfléchir, pas le temps de peser le pour et le contre. Mon
poing rencontre une dernière fois son visage juste avant que sa joue ne
percute le bord du lavabo et qu’un craquement caractéristique ne me
parvienne.
Je me redresse, haletante, mes doigts me faisant souffrir. Je m’enfuis
une nouvelle fois, un souvenir abominable s’accrochant à moi de toutes ses
forces. J’ai envie de trembler, de pleurer. Mais si je veux avoir une chance
de survivre, je dois sortir d’ici, maintenant.
J’arrive une heure plus tard à l’aéroport, le cœur lourd, les poumons et
les pieds en feu. Je trouve rapidement le numéro de mon vol en direction de
Paris. J’y suis enregistrée sous un faux nom de famille, j’ai mes faux
papiers.
Tout sera bientôt terminé.
Je me trouverai rapidement à des milliers de kilomètres d’ici. Je vivrai
loin de ce monde obscur.
Je réécrirai mon histoire, vierge de toute mafia. Il est temps de prendre
les choses en main, de donner un bon coup dans la fourmilière. Je ne veux
plus de cette putain de réalité qui s’est imposée à moi durant toutes ces
années.
Mon cœur s’arrête brusquement quand mes yeux gris pensent
reconnaître un autre homme de Sean, mais c’est une erreur. Il n’y a
personne.
Inspire. Expire.
Même si je semble calme, mon rythme cardiaque s’accélère
dangereusement. Dans un geste calculé, je marche lentement, mon unique
bagage sur l’épaule. Je ne dois pas perdre une seconde.
Inspire. Expire.
Fuir pour une vie meilleure.
Depuis la mort de mes parents, il y a trois ans, les choses ont changé.
Je me suis retrouvée propulsée dans un monde qui m’était inconnu. Sombre,
obscur, il m’a transportée jusqu’aux tréfonds de mon âme.
Lorsque j’ai appris que mon beau-père, Roman, se trouvait à la tête
d’un réseau mafieux, j’ai cru défaillir. Comment avais-je fait pour vivre
aussi longtemps dans le mensonge ? Visiblement, Sean, son fils, avait été
mis au parfum dès son plus jeune âge. Je n’ai donc pas été surprise qu’il
reprenne les rênes de son affaire, cherchant à m’inclure dans ses plans
foireux.
Mon refus a signé le début de ma perte. Quand ma mère et Roman sont
morts, j’ai refusé d’aider Sean à reprendre tout ce… patrimoine. Alors, son
véritable visage s’est révélé à moi. Trois maudites années à subir ses
insultes, ses menaces, son acharnement. Sean a réussi à me briser, en partie.
Il imaginait un destin tragique pour moi. Il ne me disait rien, mais je voyais
ses idées machiavéliques traverser ses yeux.
Des années à espérer m’enfuir d’Ukraine vers cette nouvelle vie qui me
tend les bras. Pour cela, j’ai tout pensé. Planifié. Organisé. Au millimètre
près. J’ai attendu, prenant mon mal en patience. Je lui ai obéi, priant chaque
soir pour que tout cela soit terminé.
Nouveau passeport. Nouvelle identité. Tout laisser derrière moi, ne pas
me retourner.
Je joue des coudes entre les nombreuses personnes présentes. Nouveau
regard à droite, je m’assure qu’aucun homme ne me suive. Heureusement.
Je ne laisserai personne m’empêcher d’atteindre la seule porte de sortie qui
m’est offerte.
***
Abby
Abby
Sept.
C’est l’âge où j’ai réellement compris que je ne rencontrerais jamais
mon père biologique, car il était mort avant ma naissance. Avant cet âge-là,
une partie de moi avait toujours espéré qu’il arriverait devant moi un jour,
et me prendrait dans ses bras. Au fond, je m’imaginais qu’il était toujours
vivant, quelque part dans le monde, mais qu’il ne voulait simplement pas de
moi.
Sept.
C’est le nombre de détonations auxquelles j’ai eu droit après avoir
menti à Sean, un jour. Les balles m’ont toutes frôlée sans jamais trouver le
chemin de ma chair.
Sept.
C’est ce que j’observe sur le plafond blanc de ma chambre d’hôtel.
Sept petits défauts de peinture. Sept trous. Sept fêlures.
Abigail. Sept lettres que je déteste.
Ce nombre me poursuivra toujours. Certains possèdent un chiffre
porte-bonheur, moi, c’est l’inverse. Je le déteste.
Bientôt, il sonnera minuit à Kiev. Une heure à peine de décalage
horaire avec Paris alors que le chemin m’a semblé si long. Si incertain.
Rien n’est gagné.
Sean doit être en train de remuer ciel et terre pour me retrouver. Peu
importe les affaires en cours, je le connais. Il ne supporte pas que ses jouets
fétiches lui échappent. Il aime régner en maître sur son royaume. Je ne fais
et ne ferai jamais exception à la règle. Tant qu’il n’aura pas mis la main sur
moi, il ne dormira pas en paix. À l’heure qu’il est, j’imagine qu’il doit avoir
déployé ses hommes dans sept endroits stratégiques : la maison familiale, la
forêt qui la borde, l’appartement vide de ma meilleure amie, l’hôpital
public, le privé, la police qu’il a dans la poche, les frontières.
Fichu nombre de malheur.
On va rapidement découvrir qu’un homme est mort dans une misérable
station-service et Sean mettra peu de temps à comprendre que c’est le sien.
Mais il ne se doutera pas que j’ai marché jusqu’à l’aéroport et pris l’avion
sous un autre nom. Pour lui, je suis sans ressources, sans économies, sans
papiers. S’il ne me met pas la main dessus dans les alentours du manoir,
après avoir fouillé chaque petit recoin, il pensera que j’ai longé les routes en
faisant du stop pour rejoindre la Biélorussie afin de trouver des anciens
amis à Roman.
Essaie de voir le verre à moitié plein.
Si je traduisais littéralement en russe, personne ne comprendrait. Les
expressions françaises possèdent, à mes yeux, un charme fou. Ma
conscience a raison, je dois me concentrer sur le positif. Rien d’autre.
Enfin, pour le moment.
La chambre dans laquelle je me trouve, au troisième étage de l’hôtel
Mary’s, n’est pas d’un luxe incroyable, mais pas minable non plus. C’est
parfait pour une nuit. Demain, j’essayerai de dénicher un job.
Perdue dans mes pensées, l’image de Baptiste s’impose à mon esprit.
Je jette un coup d’œil au bureau d’angle, la feuille froissée posée à plat
dessus. Ma curiosité l’emporte, je me redresse et relis une nouvelle fois
l’adresse indiquée :
Rue de Prony.
Pourquoi m’a-t-il signalé ce lieu, et précisé que des filles comme moi
étaient recherchées ?
Je n’ai absolument rien contre les femmes qui vendent leur corps aux
inconnus, et se servent de leurs charmes pour empocher de l’argent. Ce
serait ridicule de les juger alors que cela fait des mois que je vis dans un
business qui s’est enrichi de la sorte. Il y a à peine quelques jours, je voyais
encore défiler une prostitutka dans les couloirs du manoir, rejoignant Sean
ou ses hommes pour qui elle travaille. Mais il s’agit d’un pas que je ne
pourrai jamais franchir.
De toute façon, Baptiste m’a parlé de devenir serveuse. Et mon alarme
interne ne s’est pas déclenchée, il n’avait pas l’air de mentir. Si ça se trouve,
je m’inquiète pour rien. Je n’ai qu’à aller y jeter un œil, juste un petit coup
rapide, histoire de voir si je loupe une occasion de gagner de l’argent. Ne
sait-on jamais… Il n’y a qu’un seul moyen de le savoir, et de n’avoir aucun
regret. Me bouger et m’y rendre.
Toujours en sous-vêtements, je récupère mon short, puis le débardeur
de rechange en boule dans mon sac à dos. Mes bottes mises, je jette un coup
d’œil à mon reflet dans le miroir en face de moi. Mes yeux gris paraissent
fatigués d’avoir assisté à tant d’horreurs. Mes cernes me donnent un air
malade. La seule chose attirante est ma bouche, en réalité. Je ne suis pas
mignonne comme l’a dit Baptiste. Et je ne cherche pas à l’être. Je passe ma
main dans ma chevelure blonde aux pointes bleues, décidant finalement de
ne pas les attacher.
Je récupère mon iPod et quelques billets, range mes affaires sous le lit,
à l’abri et quitte la chambre.
Quelques minutes plus tard, nous rejoignons le bar. Mon tee-shirt porte
un autre logo. Un petit cœur blanc. Encore un symbole du jeu de cartes.
Comme je suis à l’essai pour les deux prochaines heures, je dois
simplement observer les mouvements de Vanessa et Baptiste, puis
commencer à servir les consommations les plus simples.
Une heure plus tard et une Cosmo ratée, ce dernier s’appuie contre le
comptoir à côté de moi, pendant que je ne peux m’empêcher d’observer le
DJ mettre le feu à la piste.
− Tu t’en sors ? me demande-t-il suffisamment fort pour que sa voix
couvre l’électro.
Je hausse les épaules, dubitative.
− Euh, ouais, je n’ai encore empoisonné personne.
Il lâche un petit rire, puis retourne à ses clients, assoiffés après s’être
déhanchés pendant des heures. Vanessa me rejoint un peu plus tard,
visiblement satisfaite. Tant mieux !
− C’était un bon début, m’annonce-t-elle, souriante. Écoute, tu n’as
qu’à passer demain, en début d’aprèm’, et on pourra discuter plus
longuement, OK ?
Pour la première fois depuis mon arrivée à Paris, je me sens légère. Ça
fait un bien fou.
− Ouais !
Je dis rapidement au revoir à Vanessa et Baptiste après les avoir
remerciés, puis quitte le Wonderland, déjà pressée d’être à demain. Si
j’avais pensé trouver un job aussi facilement ! Ces quelques heures ont été
salvatrices, elles m’ont permis d’oublier Sean et le danger qu’il fait
continuellement planer sur moi, même à des milliers de kilomètres.
Une fois que j’arrive dans le hall principal, mon regard est directement
attiré par l’aile gauche du bâtiment. Les videurs se tiennent toujours devant
le couloir, l’air impassible. Une hôtesse en robe rouge sang est positionnée
entre eux. De loin, j’observe un couple chic se dresser devant eux. Je vois
clairement l’homme glisser plusieurs billets verts à l’employée. Cette
dernière, qui tient une tablette, vérifie quelque chose à l’écran, puis les
autorise enfin à passer.
Mon attention toujours braquée sur le petit attroupement, je ne regarde
pas devant moi, et percute une personne de plein fouet. Je vacille
brusquement, essayant désespérément de ne pas me ridiculiser en tombant
au sol.
Une douleur me vrille presque instantanément l’épaule droite. Mais,
par chance, quelque chose me retient, et m’empêche de perdre encore plus
l’équilibre. Une main se pose sur ma taille, puis m’empoigne fortement, me
redressant doucement. Et c’est ainsi que je me retrouve plaquée contre un
corps solide. Du béton armé. Mais pas que… Une senteur musquée,
typiquement masculine, envahit mes narines.
Bordel, c’était moins une pour me ridiculiser ! je m’exclame
intérieurement, soulagée.
− Tout va bien ? me demande soudain une voix grave, positionnée juste
au-dessus de ma tête.
Mon souffle se ralentit et je remarque que mon visage se trouve pile en
face d’un large torse chaud. Je relève doucement mes yeux vers l’inconnu.
Je n’aperçois que l’ombre de son faciès, le reste étant caché sous une
capuche grise.
Néanmoins, je peux apercevoir ses yeux, sombres, braqués
attentivement sur moi. Ils m’analysent de toute leur profondeur.
Je reprends mon souffle, tentant de m’éloigner. De ma main droite,
j’utilise le peu de forces qu’il me reste pour repousser ce corps.
Erreur.
Elle se retrouve bloquée contre ce qui me paraît être un amas de
muscles chauds et… attirants. Je déglutis en me giflant mentalement.
Que m’arrive-t-il ?
L’inconnu ne bouge pas d’un centimètre, gardant une emprise solide.
Ses yeux se plissent doucement. Il baisse la tête pour l’approcher encore
plus de la mienne, me dépassant de toute sa hauteur.
− Il me semble vous avoir posé une question, réplique-t-il, d’une voix
aussi impérieuse qu’exigeante.
Je me creuse les méninges. Mais qu’est-ce qu’il me veut, ce con ?
Sa capuche cache une bonne partie de son visage, cependant à l’instant
où il penche doucement la tête vers la droite, m’analysant toujours, je vois
sa bouche se pincer, puis sa mâchoire carrée, recouverte d’une légère barbe
noire, se contracter. J’essaye de me reprendre tandis qu’il observe le bout de
mes cheveux bleus.
− Vous venez de me déboîter l’épaule. Donc au lieu de jouer à
l’homme des cavernes, laissez-moi un peu respirer.
La douleur me vrille jusqu’à la base du cou, pourtant je me retiens de
grimacer. Je ne lui donnerai pas ce plaisir. Et surtout, j’ai déjà connu pire.
Le type ne me répond pas, toujours caché par son gilet, ne pipe pas un
mot, continuant de me détailler. Je déteste ça. Et ce que j’exècre encore
plus, c’est sa façon de me parler. Comme si je lui étais inférieure. Comme si
je devais répondre comme un esclave s’adresserait à son maître.
Je me suis juré que plus jamais je ne me laisserai faire par un sale type.
Forte de cette constatation et assaillie par un instinct protecteur, je le
repousse à nouveau et il me lâche enfin.
Je n’ai pas le temps de réfléchir que le type s’éloigne brusquement. Il
se dirige vers le couloir gauche, ne me jetant pas un seul regard, ne me
laissant que son large dos comme image.
L’hôtesse qui attend toujours, tablette en main, semble s’émerveiller
dès qu’elle le voit arriver. Monsieur Impoli lui chuchote quelque chose. La
femme se tourne vers moi, perdue. Le type se redresse et s’avance entre les
videurs qui se décalent largement pour le laisser passer.
Tout en pénétrant dans l’antre qui m’est encore interdit, il se retourne
et me sonde de ses yeux provocateurs.
Puis, il disparaît.
Sale con.
-4 -
Abby
Un an, jour pour jour, que ma mère et Roman ont été assassinés. Et
quelques mois que les choses ont commencé à se dégrader. D’abord, des
inconnus armés se sont progressivement habitués à la maison, prenant leurs
marques jusqu’à se sentir complètement chez eux. Puis, Sean, qui
jusqu’alors m’ignorait, est devenu de plus en plus envahissant. Désormais,
mes sorties sont limitées au point que je me sente prisonnière, surveillée et
scrutée en permanence par ses hommes.
À tort, j’ai pensé que la mort de ma mère et de son père nous
rapprocherait. J’ai même imaginé qu’il affirmerait sa position de grand frère
sur moi, et me protégerait. On a beau ne pas être du même sang, il
n’empêche qu’un lien puissant nous unit. Nos parents nous aimaient et
s’aimaient. Rien que pour cette raison, il devrait se comporter
différemment.
Au lieu de ça, il ne m’écoute pas. Et quand j’ose lui répondre d’un ton
qui ne lui convient pas, il n’hésite pas à m’intimider. L’autre jour, sa main
s’est levée, prête à me frapper. Au dernier moment, il l’a laissée en l’air
avant de renverser tout ce qui se trouvait sur la table, m’ordonnant ensuite
d’aller dans ma chambre. Depuis cet épisode, nous nous croisons à peine, et
ne partageons plus nos repas.
Ce soir, j’ai enfreint les règles en quittant la maison sans autorisation.
Lioudmila m’a proposé d’aller dans ce nouveau bar à Kiev. Comme je ne
suis pas sortie depuis la mort de ma mère, j’ai accepté. J’ai réussi à berner
l’un des gardes censés me surveiller. Tout se passait bien, jusqu’à ce
qu’Adrian, le bras droit de Sean, débarque dans l’établissement et me repère
de suite. Il n’a pas ouvert la bouche, m’a juste agrippé le bras et ramenée au
manoir.
***
Abby
Abby
***
Aujourd’hui…
Malgré moi, un petit rictus étire mes lèvres, que j’efface rapidement en
me tournant vers le côté gauche du bar, celui qui sera le mien, ce soir.
Je fais semblant d’ignorer l’homme qui vient de s’asseoir sur l’un des
tabourets et m’approche d’un jeune gars qui patiente, juste à côté.
− Je peux vous servir quelque chose ? l’interrogé-je alors qu’il
s’accoude sur le comptoir.
− Pourquoi pas une spécialité de la maison, Chérie ? Tu vois ce que je
veux dire ?
Je déteste son ton, et encore plus son petit sourire narquois. Voilà
exactement ce que je n’aime pas dans ce travail. Ces petits cons qui pensent
que tu n’es qu’une femme qui sert des verres, et qui fermera sa bouche face
à leurs propos souvent déplacés. Avec moi, il n’est pas tombé sur la bonne
personne.
− Nous sommes dans un club, pas dans un restaurant gastronomique,
Chéri, je dis en me tournant nonchalamment vers les bouteilles d’alcool.
J’entends un rire rauque sur ma gauche, mais j’ignore mon spectateur.
Ce qui n’est pas le cas du pauvre type installé en face de moi qui tourne sa
tête et écarquille les yeux en découvrant le grand brun assis juste à côté de
lui, en train de nous observer.
− As ? demande le jeune en se penchant vers lui, l’air ravi de le trouver
ici.
As.
Mon cœur s’emballe légèrement.
As ne l’écoute pas. Ses yeux sombres l’observent rapidement. Puis, il
tourne une nouvelle fois son attention vers moi. Une partie de ses cheveux
est attachée derrière son crâne. Une coupe étrangement masculine. Il porte
un haut tout aussi sombre. Bien que je m’en fiche, je ne peux m’empêcher
de me faire encore une fois la remarque qu’ils sont trop longs. Alors que la
lumière du bar éclaire son visage, je peux enfin distinguer ses traits.
Parfaitement, cette fois. Ses deux pupilles noires fixent mon débardeur un
poil trop grand et je me redresse en carrant les épaules, le défiant
ouvertement. Il s’attarde sur le minuscule logo sur mon sein droit, un cœur
blanc. De près, je me dis que son nez est un peu trop droit et sa barbe,
légèrement trop longue.
J’ai toujours préféré les hommes imberbes. Mais je dois bien avouer
que celle en face de moi est plutôt agréable à regarder. Elle entoure
agréablement sa bouche ainsi que sa lèvre supérieure, frémissante. Et cette
cicatrice sur son menton. Putain, cette autre imperfection ne devrait pas me
plaire.
Son visage a beau ne pas être parfait, il reste magnétique. Je mentirais
si je vous disais que je ne suis pas attirée par ce qu’il dégage. Je sens
comme un trop-plein de testostérone, de dangerosité et de dominance
s’échapper de lui. Même si une petite voix m’intime l’ordre de me méfier,
cela me donne envie de m’amuser.
− Finalement, je vais prendre un Malibu ananas, me demande le type
de tout à l’heure, rompant ouvertement notre connexion.
Je sors de ma léthargie en secouant ma tête.
Bordel, mais ça ne va pas de presque baiser un type dans ma tête, sur
mon lieu de travail ?
Pendant que je sers le gars, je remarque quelques regards surpris ou
méfiants braqués dans ma direction. Je comprends rapidement qu’ils sont
tous dirigés vers As.
Qui. Est. Ce. Mec ? Il est lié à un certain Jared, et passe sa vie ici. Mais
encore ?
Je me tourne vers lui. Il n’a toujours pas bougé d’un centimètre. Soit, il
ne voit pas tous ces gens qui le dévisagent ouvertement ; soit, il s’en moque
complètement.
Ma deuxième hypothèse est la bonne. Ce type possède quelque chose
de spécial. D’animal.
J’ai beau être occupée, mes yeux ne cessent de le chercher. Tandis que
j’essuie quelques verres, je l’observe en coin. Ses veines ne sont pas
saillantes, mais ressortent légèrement sous sa peau hâlée. Je remarque un
serpent, tatoué, enroulé autour de son poignet droit, remontant le long de
son avant-bras pour rejoindre d’autres taches d’encre gravées sur son
épiderme.
Des mots s’échappent de ma bouche sans que je ne parvienne à les
retenir :
− Pourquoi un serpent ?
Il ne répond pas à ma question. À la place, il me demande :
− J’aimerais...
Se fichant totalement de mes paroles, il semble hésiter, jetant un coup
d’œil vers les bouteilles.
Je soupire et reprends :
− Ne me dis pas que tu veux une spécialité de la maison, ou je ne
réponds plus de rien.
Ses lèvres tremblent une seconde. Il penche la tête comme je l’ai
souvent vu faire. Il a l’air d’analyser chaque situation, c’est assez
déstabilisant.
− Hum… Ça pourrait m’intéresser.
Je relève un sourcil et poursuis effrontément :
− Eh bien, peut-être justement, que moi, cela ne m’intéresserait pas.
Quelques secondes silencieuses s’installent entre nous. Finalement,
c’est lui qui capitule, le premier.
− Une bière. S’il te plaît.
Je me hâte de lui servir sa boisson, pressée qu’il s’en aille et arrête de
me perturber. Mais à l’instant où je lui tends la bouteille glacée, mes yeux
se posent une nouvelle fois sur le serpent noir.
− Alors ? je ne peux m’empêcher de redemander tandis qu’il avale une
première gorgée. Pourquoi un serpent ?
Il sourit réellement, cette fois. Je jurerais voir passer une ombre
d’ironie sur ses lèvres, mais je n’en suis pas certaine.
− Ne me dis pas que tu es ce genre de nanas à détester les tatouages ?
Pourtant, tu ne m’as pas l’air si prude que ça. Plutôt mordante, même,
ajoute-t-il en ingurgitant une seconde lampée de sa boisson.
Ce gars causera ma perte. Plus il me cherche, plus je meurs d’envie à
mon tour de le pousser à bout.
− Pas du tout, répliqué-je sur la défensive, je suis moi-même tatouée
et…
− Vraiment ? me coupe-t-il. Et où ça ?
Je me sens rougir. Putain, pas devant lui.
− Ça ne te regarde pas.
Forcément, mes paroles aiguisent sa curiosité. Et inévitablement, ses
yeux deviennent baladeurs. Il les baisse le long de mes jambes, puis pose
son regard entre mes cuisses. Trop, c’est trop !
− Pas ici, Abruti !
Ses prunelles brillantes de malice, il prend une nouvelle gorgée.
− Ça ne serait pas pour me déplaire, il surenchérit, sûr de lui.
Par chance, une femme m’appelle pour passer commande. Pendant que
je prépare son cocktail, As ne bouge pas d’un millimètre. Fichu karma. Il
suit avec attention chacun de mes faits et gestes.
J’ai beau pester, lutter, son regard me réchauffe de l’intérieur. Et ça ne
loupe pas. Plus je l’ignore, plus mon corps devient réactif. Et ça commence
par mes tétons que je sens durcir sous mon tee-shirt.
Ça ne peut pas continuer ainsi. Il va me rendre folle. Décidée à en finir
au plus vite, je m’approche de lui, hargneuse.
− Qu’est-ce que tu veux ?
Nouveau sourire de sa part.
Nouvelle envie de le frapper.
− Je bois simplement ma bière.
Il se penche vers moi. Son haleine légèrement alcoolisée se mélange à
son parfum viril. Il manque un rien pour que j’en sois toute retournée.
− Tu y vois un problème ?
Il va me rendre chèvre. J’essaye de garder contenance et réponds d’une
voix aussi calme que possible :
− C’est toi le problème.
L’effet semble immédiat. D’une main rageuse, il pose sa bière
bruyamment sur le comptoir et ses yeux s’assombrissent. J’y lis une sourde
colère, mêlée à un désir… évident.
Du.
Désir ?
− C’est toi qui m’as cherché, samedi dernier.
J’émets un rire sans joie et le regarde de travers :
− Moi, je t’ai cherché ?
Il hoche la tête et reprend, l’air de rien :
− Oh oui, tu m’as défié. Tu m’as rendu bouillant. Mais tu sais quoi ?
La suite de ses mots se perd dans un chuchotement électrisant :
− Tu l’étais aussi. Bouillante.
Si je ne l’étais pas, je le deviens. Sa voix… Rauque. Perturbante.
Envoûtante. Mais surtout, hautement brûlante. J’use de mes dernières forces
pour rétorquer :
− Je t’assure que je n’ai jamais été aussi froide qu’à l’heure actuelle.
Comme si ses yeux étaient aimantés vers ma poitrine, ils se posent une
nouvelle fois sur elle, avant de directement descendre entre mes cuisses.
Faisant fi de ma colère grandissante, il se pourlèche la lèvre.
Fumier, je grogne intérieurement.
Un fumier sexy, précise ma conscience, tout en se demandant à quoi il
joue.
Une vibration continue met fin à notre petite... entrevue. As tire un
téléphone de la poche arrière de son jean. D’après son expression, il semble
lire quelque chose d’intéressant. Il soupire avant de le ranger. Toujours du
coin de l’œil, je l’observe finir sa bière, puis se relever en étirant ses longs
muscles. Sans m’accorder la moindre attention, il rebrousse chemin.
Connard !
− Eh ! l’interpellé-je, furieuse.
Il ne va certainement pas s’en sortir aussi facilement !
Il se stoppe, se tourne vers moi, le regard… hautain. L’enflure ! Il
croyait partir sans payer, en plus !
− Tu me dois cinq euros !
Son visage s’illumine d’un sourire narquois.
− Tu vas devoir venir les chercher comme une grande ! lâche-t-il, une
pointe de défi évidente dans la voix.
Je le fusille du regard, et ne peux m’empêcher de lui demander :
− Et où ça ?
− De l’autre côté du couloir, ma jolie.
Il me jette un dernier coup d’œil sans équivoque, s’arrêtant sur mes
lèvres, avant de rebrousser chemin pour de bon, tout en me lançant, joueur
:
− À moins que tu n’aies peur ?
-7 -
Abby
Abby
Abby
***
Abby
Trente minutes plus tard, certaine que les invités sont occupés à parler
entre eux, je jette un coup d’œil à Sean. Toujours en train de boire, il se
laisse charmer par une grande blonde qui passe sa main sur son épaule d’un
air séducteur. Adrian n’est pas dans mon champ de vision, il doit être
occupé par sa propre cavalière.
C’est maintenant ou jamais.
Je me dirige nonchalamment vers le buffet, d’un air serein. Un serveur
récupère des plateaux vides et s’éloigne vers les cuisines. Tout en fixant
Sean du regard pour être certaine qu’il ne me voie pas, je suis l’employé.
J’entre rapidement dans les cuisines. Ce n’est pas le moment de traîner.
Je traverse la grande pièce, ne me préoccupant pas du regard des Chefs qui
préparent les plats. Je pousse la porte à l’arrière et l’air frais s’abat sur mon
visage.
Un vent de liberté souffle sur moi. Je le respire à pleins poumons.
Yes !
Mes talons claquent sur le béton, mais comme je l’avais prévu, l’arrière
de la cour me semble désert. Du moins, c’est ce que je crois.
Merde !
− Eh, que faites-vous ici ? m’interpelle un garde en arrivant droit sur
moi.
Malgré son regard qui ne me dit rien qui vaille, je me creuse les
méninges pour trouver une excuse. Une lueur d’espoir apparaît. Comme
c’est la première fois que je le vois, ça ne doit pas être un des hommes de
Sean. Il ne doit probablement pas savoir qui je suis. Je possède cet avantage
sur lui, et je compte bien l’utiliser à bon escient.
− N’ai-je pas le droit de prendre l’air sans me faire harceler par un
vulgaire membre du personnel ?
Je lui parle d’une voix supérieure, feignant l’indignation. Le type ne
mord pas à l’hameçon. Un vrai pro, mince.
− Je peux connaître votre nom ?
Il ne va pas lâcher l’hameçon si facilement. Il faut que je reste aussi
forte que déterminée. Chaque seconde compte et je viens d’en perdre des
précieuses.
− Et moi, j’aimerais connaître celui de votre patron afin que je puisse
lui faire part de vos manières désagréables, j’annonce sans me départir de
mon courage.
Il semble réfléchir, peser le pour et le contre. Enfin, au bout de ce qui
me paraît durer une éternité, il s’éloigne d’un pas en marmonnant.
− Désolé pour vous avoir dérangée.
Je hoche la tête d’un air entendu, attends qu’il soit assez loin et soupire
de soulagement. Je n’ai plus une minute à perdre. Je cours vers le fond de la
propriété, et commence à m’enfoncer dans la forêt, maudissant ces foutues
chaussures à talons. Je manque de me briser la cheville plusieurs fois, mais
réussis à traverser cette étendue boisée. J’aperçois des phares de voiture au
loin. Lioudmila !
Je crois percevoir un craquement dans mon dos, mais quand je me
tourne, je ne vois personne. Moi et mes fichues angoisses. Je trottine
jusqu’à la voiture de ma meilleure amie, un sourire ému barrant mes lèvres.
− À nous la liberté, m’exclamé-je en montant à l’avant, côté passager.
− N’en sois pas si sûre, me répond une voix masculine.
Je retiens un cri quand la main d’Adrian, assis derrière le volant, se
plaque sur ma bouche. Je me débats, je hurle, mais il est trop fort, et presse
un bout de tissu sur mon visage. Dans un dernier élan, mes ongles
s’enfoncent dans sa paume et la griffent férocement, cependant je sens déjà
mes forces me quitter. Je sombre dans les ténèbres, la peur me tordant le
ventre.
Je suis réveillée par un seau d’eau glacée que l’on me renverse dessus.
Je hurle, essaye de me protéger comme je le peux, mais une douleur si
cuisante s’abat sur ma joue que je tombe en arrière sur un matelas. Les
larmes me montent aux yeux. Trempée jusqu’aux os, je tremble et essaye de
remonter mes mains sur mon visage.
C’est à ce moment-là que je remarque qu’elles sont nouées dans mon
dos. J’ouvre mes yeux et découvre avec horreur qui se tient devant moi.
Adrian, fumant une cigarette dans un coin. Et Sean, la cravate dénouée,
adossé nonchalamment contre le mur. Il n’est que colère et fureur.
Impuissante, je le regarde s’approcher et plonger ses doigts dans mes
cheveux. Il tire si fortement dessus que ça m’arrache un cri de douleur.
− Je t’avais prévenue, Abigail.
Je ne l’écoute pas. Toutes mes pensées sont tournées vers ma meilleure
amie.
− Où… Où est-elle ? bégayé-je, glacée.
− Où est qui ? me demande Sean, en plissant ses paupières, faisant
exprès de ne pas comprendre.
Je le hais.
Avec un peu de chance, elle a réussi à s’échapper. Mais ma raison me
rappelle à l’ordre. Ce serait trop beau pour être vrai.
− Pourquoi, Sean ? Pourquoi ?
Son emprise se raffermit et des larmes chaudes coulent le long de mon
visage. Je me mets à hurler comme un animal sauvage. Au moins, ça a le
don de le faire réagir.
− Pourquoi ?! Tu oses me demander pourquoi ?! Tu joues avec moi,
Abigail. Alors, j’ai décidé d’accepter le jeu.
Sa bouche se presse contre mon oreille.
− Mais la partie se déroulera selon mes règles.
Il me lâche brusquement et je m’effondre sur mon lit de fortune. C’est
à cet instant que je comprends où je me trouve. Une petite pièce isolée, sans
fenêtre, avec juste une porte et une ampoule au plafond. Hormis le matelas,
aucun meuble n’est présent.
− Tu ne peux pas me laisser ici !
Je hurle, mais Sean s’éloigne déjà vers la porte, suivi de près par son
chien de garde.
− Ah non ? Tu en es bien certaine ?
Avant de sortir, il me jette un dernier coup d’œil et me dit enfin :
− Voici la première étape du jeu. Combien de temps penses-tu pouvoir
survivre ici ?
Mes cris, puissants, ne font pas le poids face à son rire démoniaque.
***
Aujourd’hui…
I need a gangsta
J’ai besoin d’un gangsta.
To love me better, than all the others do.
Pour mieux m’aimer que tous les autres.
To always forgive me.
Pour toujours me pardonner.
Ride or die with me.
Monte ou meurs avec moi.
Cette dernière phrase tourne en boucle dans mon esprit. Elle signifie
beaucoup de choses pour une fille comme moi. Un engagement total envers
une personne. Même si cela nous tue.
Bien vite, mon attention est portée par un homme qui se place face à
moi, un sourire charmant sur les lèvres. Je le foudroie du regard. Je n’ai
aucune envie qu’un inconnu se colle à moi, plein de sueur. Il s’éloigne bien
vite.
Je veux… Assan.
Un torse chaud se colle contre mon dos, je ne le repousse pas. Cette
odeur, je la connais. Mon corps, ce traître, réagit instantanément. Mes yeux
se ferment. Je le respire. Je profite de cette intrusion bienvenue. De ce
contact galvanisant.
Ses pectoraux se pressent contre mes omoplates et une main se pose
contre ma hanche, me maintenant collée à lui. La bouche d’Assan se plaque
sous mon oreille, faisant frissonner la base de mon cou. Et sa voix… Mon
Dieu, sa voix… Unique. Puissante. Presque irréelle.
− Je t’ai manqué ?
Je ne réponds pas. Mes mouvements parlent pour moi. Enivrée par sa
présence, je sens sa langue passer entre ses lèvres, avant de goûter ma peau,
juste sous mon lobe, ce coin si sensible.
J’aime ce qu’il me fait. Mais je ne veux pas lui donner satisfaction trop
rapidement. J’ai très envie qu’il continue son manège. Comme pour lui
rendre la tâche plus ardue, j’ondule une nouvelle fois du bassin.
Enflammée, je sens son érection grandir et se presser contre mon postérieur.
Trop, c’est trop. Sans penser aux conséquences de mes actes, je me tourne
d’un coup sec.
− Je pense plutôt que c’est moi qui t’ai manqué, pas l’inverse, As.
D’un mouvement possessif, il recolle nos deux corps l’un contre l’autre
et se met à bouger contre moi. Son souffle frappe mon front. Après avoir
baissé la tête, il plonge ses yeux sombres dans mon regard gris.
− C’est vrai, reprend-il. J’avais envie de te revoir.
J’entortille ma main droite dans ses cheveux sombres et tire doucement
dessus, cherchant à marquer mon territoire, lui faire comprendre que la
possessivité va dans les deux sens.
− Et tu as choisi d’attendre autant de temps pour me revoir ?
Mon regard ne ment pas. C’est moi qui suis partie la première, après
ma découverte du labyrinthe. Ni lui ni moi ne parlons de cet épisode.
− J’ai beaucoup pensé à toi, commence-t-il pendant que l’une de ses
mains descend le long de mon dos. La nuit, quand je me masturbais,
j’imaginais tout ce que je vais bientôt faire à ton petit corps.
Je ne peux m’empêcher de rigoler, ce qui déclenche chez lui un
grognement de frustration.
− Ça t’amuse ?
Je hoche la tête et lève les yeux au ciel.
− Tu sembles si sûr de toi, Assan.
Il tressaille en entendant son prénom complet sortir de ma bouche.
− Parfois, l’attente rend les choses meilleures, dis-je en descendant ma
paume moite sur ses fesses.
Sa réaction est immédiate :
− Je croyais que tu avais fait une erreur en me suivant, l’autre jour.
− J’ai été surprise, rien de plus.
Je ne devrais pas jouer avec le feu. Cependant, toute raison me quitte
dès que je suis en présence de cet homme. En voilà la preuve :
− Mais j’ai réalisé que je voulais encore quelque chose de toi, je
continue.
Je glisse ma paume dans sa poche arrière et en tire un billet. Il ne
semble d’abord pas s’en rendre compte. Quand je passe une main entre
nous pour lui montrer ma trouvaille, il fronce les sourcils. Je souris
grandement en découvrant vingt euros.
− Tu me dois cinq euros, tu t’en souviens ?
Ses traits se crispent instantanément.
− Tu tiens beaucoup plus entre tes mains, là.
− En effet. Néanmoins, les temps sont rudes et les taux d’intérêt ne
cessent d’augmenter. Surtout avec les types malhonnêtes.
D’un geste rapide, Assan essaye de m’arracher le billet, puis sourit
doucement quand je glisse ma main dans mon dos.
− Je considère que tu n’as plus de dette.
Même s’il semble consterné, voire choqué, il ne tente pas de me retenir
quand je décide de m’éloigner vers les toilettes. Tant mieux. Laissons
l’attente rendre les choses meilleures.
C’était sans compter une main agrippant ma taille et me tirant dans un
recoin sombre.
***
Abby
Août 2017.
J’ai dû dormir quelques heures. Désormais, mes mains sont libres. Plus
aucun lien ne les retient prisonnières. J’essaye de comprendre. Comment se
fait-il que je ne me sois rendu compte de rien ?
Le seul bruit perceptible dans la pièce est celui de mes dents
s’entrechoquant entre elles. Plus aucune larme ne coule sur mes joues. Mes
yeux sont secs d’avoir tant pleuré la nuit dernière. Et celle d’avant. La seule
chose qui me préoccupe désormais, c’est mon sort.
J’ai vu un film, une fois. Un voleur se faisait prendre la main dans le
sac par sa victime. Ce dernier a ensuite décidé d’offrir le truand… à ses
chiens. Je vous laisse imaginer la suite…
Je ne sais pas où se trouve Sean. Je n’ai pas la moindre idée de ce qu’il
manigance. Une fois n’est pas coutume, mais aujourd’hui, je rêverais de me
transformer en petite souris afin de l’épier.
J’aimerais savoir quel jour nous sommes, l’heure qu’il est. Mais rien,
dans cette pièce, ne semble en mesure de pouvoir m’apporter le plus infime
des indices. La seule chose qui m’empêche de devenir folle, c’est la petite
ampoule accrochée au plafond, m’aidant à observer ma prison.
D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu peur du noir, des
monstres cachés dans les armoires. Aujourd’hui, je me rends compte que les
pires d’entre eux agissent à découvert, vous souriant de toutes leurs dents.
Quelques minutes plus tard − enfin, je crois, il pourrait très bien s’agir
d’heures… −, la lourde porte s’ouvre, me sortant de mes pensées. Je me
relève, et me réfugie contre le mur opposé. Adrian entre dans la pièce, me
regardant dédaigneusement. Sa chemise est froissée. Il semble à bout de
nerfs, et quelque chose me dit que Sean y est pour quelque chose.
Je penche ma tête sur le côté pour essayer de voir derrière lui, mais
mon demi-frère ne l’accompagne pas. Je devrais être soulagée. Seulement,
me retrouver seule avec ce chien m’inquiète encore plus. J’ai toujours eu
une boule au ventre en me tenant près de lui. Ses sourcils broussailleux se
froncent alors qu’il observe l’état de ma robe, que je porte depuis plusieurs
jours, déchirée au niveau de ma cuisse droite.
− Eh bien, tu t’es mise dans un sale état.
− À qui la faute ? craché-je d’une voix méconnaissable.
Je vois ses yeux marron briller d’intérêt et j’avale difficilement ma
salive en essayant de recouvrir ma peau nue. En vain. Mon épiderme me
picote légèrement et je m’aperçois qu’un peu de sang coule suite à la petite
entaille que j’ai due me faire en me débattant. Je ne supporte plus mon
odeur, je pue la sueur. Mais cela n’empêche en rien ce fou de continuer de
me regarder avec... envie.
Impuissante, j’observe ses rides se creuser alors qu’il sort quelque
chose de la poche arrière de son pantalon. Aussi silencieuse que craintive,
je le regarde déballer une barre de chocolat. Ma préférée. Celle enrobée de
chocolat noir. Je me retiens presque de baver.
Il tend le morceau vers moi, sans dire un mot. J’hésite. J’ai envie de me
tourner et de l’ignorer, mais mon ventre gargouille bruyamment. Je n’ai rien
dans l’estomac. Je ne sais même pas à quand remonte mon dernier repas.
Avec faiblesse − je le sais −, je tends ma main dans sa direction. Ma paume
s’agrippe presque à la confiserie, cependant avant de la toucher, Adrian
relève la sienne, plaçant l’emballage hors de ma portée.
Il me sourit, le salaud. Tout en m’observant avec délectation, il la
croque, accentuant son geste de légers gémissements.
− Qu’est-ce que tu veux ? demandé-je en fixant le chocolat disparaître
peu à peu entre ses lèvres.
− Tu en veux ? m’interroge-t-il tout en avalant une autre bouchée.
Affamée, je hoche la tête, refusant de lui offrir la satisfaction de
rétorquer à voix haute. Adrian me regarde de haut en bas, puis reprend :
− Il va alors falloir me montrer que tu en as envie.
Je fronce les sourcils, perdue. Et là, je comprends… Il ne pense quand
même pas que… Instinctivement, je me protège en serrant mes bras autour
de ma poitrine. Cela ne l’empêche pas de me déshabiller du regard sans
discrétion. La nausée me gagne, je me retiens de vomir.
− Tu me demandes vraiment une faveur sexuelle ?
Aucune peur ne transparaît dans ma voix. Juste un profond
écœurement.
Il ne me répond pas, mais me sourit encore plus grandement. Je lâche
un rire sans joie et me penche vers lui, furieuse.
− Tu as vraiment cru que j’allais te sucer pour une friandise ? Pauvre
taré.
Adrian perd instantanément son sourire. Il jette le reste de chocolat sur
le sol poussiéreux et commence à s’avancer vers moi, furieux.
− Répète ce que tu viens de dire ? demande-t-il en essayant de me
coincer dans un coin de la pièce.
− J’ai dit : Va. Te. Faire. Foutre.
Sa main gauche plonge dans mes cheveux et la tire brusquement en
arrière. Je lâche un hurlement en essayant de me débattre. Mon bourreau
tente d’immobiliser mes bras, mais mes coups de pieds lui rendent la tâche
difficile. Néanmoins, face à ma faible force, il réussit à agripper mon cou, et
le serrer si fort que je manque d’air. Par chance, des pas se font entendre, le
forçant à me lâcher.
− Pas un mot, sinon je reviendrai pour finir le travail, m’ordonne-t-il en
me repoussant violemment contre le mur.
La porte s’ouvre sur Sean. Mon demi-frère paraît surpris de découvrir
son sbire à mes côtés.
− Qu’est-ce que tu fiches ici ?
Il questionne Adrian tout en faisant un pas dans ma direction.
Ne t’approche pas, enflure !
Son chien de garde semble réfléchir à toute vitesse pendant que,
paralysée par la peur, je retiens ma respiration. Que se serait-il passé si Sean
n’était pas entré ?
− Cette petite conne m’a attaqué alors que j’étais simplement venu lui
apporter à manger.
Menteur !
Ses mensonges me donnent envie de lui lacérer le visage. Moi qui
pensais que Sean était la pire ordure sur Terre, je viens de découvrir son
maître en la matière. Mon demi-frère ne me lâche pas du regard avant
d’ordonner à Adrian :
− Laisse-nous.
Ce dernier sort sans demander son reste.
− Il dit vrai ? me demande-t-il, une fois seuls.
Je me laisse glisser au sol, reprenant enfin peu à peu ma respiration.
Sean s’accroupit devant moi. Je me recroqueville sur moi-même tandis que
son doigt se pose sous mon menton et relève ma tête. Son contact me brûle.
M’horripile. Me dégoûte. Je revois le corps de mon chat Pratz, mort
quelques mois plus tôt, de ses propres mains.
− Abigail ? Est-ce vrai ?
Je hoche la tête rapidement avant de chasser son doigt de mon visage.
− Où est Lioudmila ? !
Cette question me hante depuis mon enfermement, ici. J’ai peur de
connaître la réponse. Il hausse négligemment les épaules.
− Mes hommes l’ont à peine touchée, elle est partie. Ce n’est pas pour
elle que tu devrais t’inquiéter.
Je plisse les yeux, mon courage revenant peu à peu.
− Comment ça, à peine touchée ?!
Il ne me répond rien, mais me fixe avec lassitude. Une autre question
me vient.
− Pourquoi tu ne me laisses pas partir ? soufflé-je, épuisée. Je ne te
défierai plus, je le jure. Laisse-moi juste sortir d’ici, de cette maison. Je… je
veux... Je veux seulement être libre.
Sean soupire, fatigué.
− J’ai encore besoin de toi.
Ce n’est pas la première fois qu’il me dit ça. Où veut-il en venir ? Je
suis épuisée de ses cachotteries. J’ai le droit d’en savoir plus !
− Mais… pourquoi ?
Sans prendre la peine de me répondre, il se redresse, puis se met à faire
les cent pas, semblant peser le pour et le contre avant de s’arrêter vers moi,
et me tendre la main.
− Viens avec moi.
Venant de lui, cette demande me paraît… calculée. Préméditée.
− Où ça ?
Ses traits se durcissent jusqu’à devenir menaçants.
− Es-tu prête à devenir exactement la personne que je veux que tu
sois ?
Mes sentiments premiers prennent le dessus :
− Non, je…
− En cas de refus, je devrais te laisser enfermée ici. Tu en es bien
consciente ?
Sans demander son reste, il se rapproche, me surplombant de toute sa
hauteur.
− Es-tu prête à devenir exactement la personne que je veux que tu
sois ? Oui ou non, Abigail ?
Mon silence parle pour moi. Je n’en ai aucune envie. Mais moisir ici
n’est pas la solution. Tandis qu’il sort de la pièce, je le suis difficilement,
enfermant au fond de moi mes émotions.
***
Aujourd’hui…
***
Sean
Assan
Je fixe le jeu de cartes que tient Jared, mon frère, dans sa main droite.
− Je suis, annonce-t-il en déposant des billets.
J’aperçois ses doigts tapotant en rythme sur la table. Je souris
malicieusement et lui demande :
− Tu es sûr ?
Sa réaction est immédiate. Il me fusille du regard.
− N’essaye pas de m’influencer. Ton numéro ne marche que sur ceux
qui portent un string.
J’éclate de rire en secouant la tête. Ce petit con ressemble trait pour
trait à notre mère, dont il a hérité du regard clair. Quant à moi, avec mes
yeux presque noirs et mes cheveux sombres, je suis le portrait craché de
notre paternel. Son pseudo air de gros dur me fait rire tandis qu’il essaye
d’avoir l’air menaçant face à moi, ce qui ne lui ressemble absolument pas.
− Tapis, annoncé-je ensuite en toute décontraction.
Il me toise d’un air narquois.
− Je suis, rétorque-t-il avant de regarder sa montre.
Un truc cloche. Je ne sais pas quoi, mais je ne vais pas tarder à le
découvrir.
− Tu as un entretien ?
Je lui pose la question sarcastiquement alors qu’il resserre sa cravate
grise pour qu’elle soit parfaitement placée au centre de sa chemise blanche.
Il soupire d’un air théâtral, avant de me répondre, l’air de rien :
− J’aime être habillé comme le patron que je suis. Tu devrais en
prendre de la graine, il m’envoie en pleine tronche tout en fixant mon tee-
shirt blanc qui moule mon torse, laissant apparaître quelques tatouages.
Ne donnant que peu de foi à ses propos − et il le sait très bien −, j’avale
une nouvelle gorgée du liquide ambré.
Ne voulant pas me chamailler pour des futilités, je laisse passer sa
remarque. Comme je laisse passer beaucoup de choses avec lui. En tant que
grand-frère de ce petit merdeux, Dieu seul sait ce que je ferais pour lui, et
inversement. Il a subi beaucoup trop de choses dans sa vie pour qu’on
s’engueule pour des trucs inutiles.
Barbara entre dans la pièce en ondulant des hanches. Sa démarche
féline fait tourner la tête de beaucoup d’hommes quand elle est sur scène.
Elle me sourit malicieusement, puis s’installe sur la chaise libre entre mon
frangin et moi.
− Un type est venu, hier… continue Jared en l’ignorant.
Sa règle est simple. Il ne veut pas mélanger plaisir personnel et travail.
Eh bien… Disons qu’il y a peu de temps encore, je pensais la même chose.
Avant qu’une petite démone ne ramène ses fesses ici.
Je me braque en repensant à ses mots et le fixe, soudain sérieux.
− Quel type ?
− Il n’a pas donné son nom. Il s’est tout d’abord présenté comme un
investisseur. Il veut acheter des parts du club pour étendre ses affaires de ce
côté de Paris. Je ne sais pas comment il a entendu parler de nous.
− Et j’espère que tu lui as dit d’aller se faire foutre.
− Je lui ai assuré que nous n’étions pas intéressés. Il n’avait pas l’air
ravi, mais il est parti. Tout est OK, relax.
Je grogne, puis me passe la main dans les cheveux. Non, pas relax.
Personne ne vient me menacer sur mon territoire. C’est la première chose
que l’on apprend dans la rue, et que j’ai compris dans la vie.
− Si ce type revient, emmène-le-moi directement. Je lui expliquerai les
règles.
− Ce n’est pas nécessaire, Assan. Je n’ai pas envie qu’il reparte avec
des dents en moins.
− Et moi, je n’ai pas envie de pourrir mon club avec des merdeux que
je ne connais pas. Je l’ai monté avec ma thune. Cet endroit, c’est toute ma
vie. Personne ne possède le moindre droit sur lui.
Toujours calme, mon frère me reprend :
− Avec notre thune.
Comme il voit que je n’apprécie pas sa petite répartie, il croit bon
d’ajouter :
− Cet argent venait de tes combats et d’autres trucs dont je refuse de
connaître l’origine, mais je l’ai fait fructifier pendant que t’étais derrière les
barreaux, me rappelle-t-il.
Je ferme les yeux en essayant de penser à autre chose. Mon petit frère a
toujours été la tête pensante de notre duo. Alors que j’utilisais mes poings
pour essayer de nous construire un avenir, il charmait les gens pour rendre
notre futur confortable. Il a raison, quand j’étais coincé en prison, c’est lui
qui a lancé notre club.
− Je ne l’oublie pas, terminé-je en serrant ma mâchoire.
Jared pose ses cartes sur la table, tout sourire.
− Full.
− Joli... Mais pas suffisant, continué-je en posant mes propres cartes.
Il plaque ses mains sur la table et grogne de frustration :
− Un carré ?! Merde, Assan !
− Quoi, tu vas te mettre à chialer comme une gonzesse ? T’as vingt-
huit ans, Mec !
Mon frangin, silencieux, se cale contre le dossier de son fauteuil. Il n’a
jamais été bon perdant, et vu sa tronche, ce n’est pas près de changer !
− Bravo As, me murmure Barbara en posant sa main sur mon avant-
bras.
Je fixe ses doigts manucurés, et comprenant que je ne suis pas
d’humeur, la sexy brune retire sa paume.
− J’ai eu une petite discussion avec Vanessa, hier, reprend Jared.
Faisant mine de m’y intéresser, je lui réponds :
− Et c’était concluant ?
Il pince ses lèvres et me regarde d’un air scrutateur.
− Elle me parlait de la nouvelle recrue, Abby. Elle fait ses preuves. Et
il semblerait que vous vous soyez déjà rapprochés, tous les deux.
− Avec Vanessa ?
Il ne mord pas à l’hameçon.
− Ne te fous pas de moi. Tu sais très bien où je veux en venir. Abby.
Quand il prononce à nouveau son prénom, je me tends et relève la tête.
− T’essayes de me dire quoi, là ? lui demandé-je tout en notant dans un
coin de ma tête de surveiller cette fouine de manager.
− Sa période d’essai n’est pas terminée, mais elle est bien. Je compte la
garder. Je voulais que tu le saches.
La garder ? Je n’aime pas qu’il parle d’elle comme une putain de
chose. Elle va être à moi, uniquement à moi.
− Et ?
− Je dis simplement que j’aimerais que tu ne la fasses pas fuir, continue
mon frère.
Je suis tendu comme un arc, et cela ne l’a pas empêché de me dire ce
qu’il pensait tout bas. Perplexe, je passe ma langue sur ma lèvre inférieure
tout en penchant ma tête sur le côté.
− Je ne savais pas que j’avais des comptes à te rendre, je lâche en me
levant de ma chaise.
Mon frangin se crispe. Parfait.
− Non. Merde, As, ce n’est pas ce que je veux dire.
J’essaye de me détendre en sortant d’un pas raide de la salle de Trèfle,
encore vide à cette heure-là.
− Tant mieux.
Ma voix est dure, car je commence à bouillir intérieurement. Jared me
suit, tentant de ramener une mèche rebelle sur ses cheveux laqués.
− Tant mieux, répète-t-il, car elle arrive dans dix minutes.
Je me stoppe net, et il manque de me bousculer.
− Qui ?
− Abby. Je viens de lui donner rendez-vous.
Je plisse les yeux et me penche vers lui, menaçant. Il vient de dépasser
une limite, et pas des moindres.
− Ah ouais ?
− Pour le travail, il juge bon de préciser. Mince, arrête de te comporter
comme ça. Je t’ai dit qu’elle avait fait ses preuves, je pense qu’elle peut
passer à l’échelon supérieur. Enfin, si tu vois ce que je veux dire.
Je profite qu’il passe près de moi pour le retenir par l’épaule :
− Quel niveau supérieur, au juste ?
Jouer au con, je sais aussi faire.
Jared cherche ses mots étant donné qu’il ne semble pas comprendre ma
réaction.
− Elle est douée pour les cocktails, souriante et mignonne. Si elle veut
se faire plus d’argent, elle pourrait rejoindre les filles pour quelques strip
dans la salle de cœur.
Je dois paraître mesuré. Si je me laisse dévorer par mes putains
d’émotions, il comprendra. Et ça, c’est hors de question. Mais je n’arrive
pas à me taire.
− Non.
Un seul mot. Catégorique.
− Quoi, non ? Il me semble que c’est son choix. Les pourboires sont
énormes, là-bas.
− J’ai dit non. Tu ne lui proposes pas.
Il retire son épaule brusquement.
− C’est quoi ton problème ? Tu es autant le patron que moi, ici ! À ce
titre, je te rappelle que tu es censé faire fructifier nos affaires.
− Exactement, je suis aussi le patron. D’où mon véto.
Jamais, elle n’acceptera de se déshabiller en public. Je l’ai compris
dans le couloir, l’autre soir. Mais, ce n’est pas tout. Savoir que mon frère
veut lui proposer ça me met en rogne. OK, cela ne me ressemble pas, mais
je suis simplement fatigué, et sous pression, ces temps-ci.
J’aime quand les femmes ne me résistent pas et s’offrent directement.
Cependant, un peu de changement m’excite plus que de raison. Cela me
donne envie d’emprisonner le petit corps d’Abby, sans défense, sous moi,
après avoir gagné notre lutte acharnée à savoir qui possédera l’autre, le
premier. Aucune envie que des gars bandent pour elle.
− D’accord, soupire Jared. Je vais réfléchir à l’idée de l’envoyer servir
en tout bien tout honneur au bar de la salle de cœur. Pas de strip. Mais je
veux voir qui elle est avant toute chose.
Je ne lui réponds pas et continue mon chemin. Je secoue la tête en
avançant vers le Wonderland. S’il veut apprendre à la connaître, pour voir si
elle est digne de confiance surtout, je veux en être.
− Eh, qu’est-ce que tu fais ? me demande mon frère alors que je
pénètre dans le Wonderland et rejoins l’un des fauteuils, face au bar.
− Tu as dit que l’on recevait Abby. Je viens également. Tu as besoin
d’autre chose, Jared ?
− Pas toi… Tu ? Merde. T’es vraiment invivable.
***
Abby
***
13 mai 2018, un peu plus d’un an plus tôt.
Un peu plus tard dans la soirée, allongée sur mon lit, je repense à ma
mère et ses manies de peindre à des heures tardives. Roman l’observait
toujours, assis sur le canapé du grand salon, un air amoureux sur le visage.
Depuis que je fréquente Grisha, je commence à comprendre leur
attachement, ce besoin de se regarder sans rien dire. Juste parler avec les
yeux.
Un coup contre ma porte me sort de mes pensées. Le repas est terminé
depuis plus d’une heure, je ne comprends pas. Pourvu que ça ne soit pas
Sean.
Anxieuse − et par mesure de précaution −, j’enfile un peignoir par-
dessus mon short et mon top, puis m’avance vers l’entrée.
− Qui est-ce ? demandé-je en m’arrêtant juste devant.
Personne ne me répond. Le ventre noué, j’entrouvre, incertaine.
− Grisha... Mais qu’est-ce que tu fais ici ?! soufflé-je en le laissant me
rejoindre à l’intérieur tous en jetant quelques regards angoissés dans le
couloir afin de m’assurer que personne ne l’ait vu.
Je n’ai pas le temps d’en dire plus qu’il referme derrière lui et m’attire
dans ses bras. Sa bouche se pose contre la mienne, délicatement. Presque
comme un frôlement. Malgré tout le désir qui commence une course folle à
travers mes veines, je m’oblige à m’éloigner, haletante.
− Tu ne peux pas être vu ici, je secoue la tête en faisant un pas en
arrière. Tu restes un homme de Sean, il péterait un câble en apprenant cela.
Un rugissement s’échappe de ses lèvres.
− Je me moque de Sean. C’est toi que je veux, murmure-t-il en plaçant
une mèche de mes cheveux derrière mon oreille.
Après avoir récupéré mon jean échoué sur le sol, il me le tend.
− Enfile ça.
− Qu… Quoi ? demandé-je en attrapant le vêtement, immobile. Qu’est-
ce que tu fais ?
Je le regarde récupérer d’autres habits et les jeter sur un coin de mon
lit. La panique m’envahit.
− Je t’emmène loin d’ici.
Partir… d’ici ?
− Ce n’est pas possible, je lâche, blasée.
J’essaye de me placer devant Grisha, mais il m’ignore. Il ne peut pas
débarquer ici et renoncer à son poste pour tenter de me sauver.
− Nous ne pouvons pas partir. Il n’acceptera jamais.
Je le fixe, incertaine, pourtant il continue son manège.
− Tu ne comprends pas ? m’énervé-je.
Suis-je la seule à conserver un minimum de raison dans cette pièce ?
Il se tourne vers moi, déterminé.
− C’est TOI qui ne comprends pas ! C’est terminé, ces conneries. Je me
tire, et tu viens avec moi.
− Mais Sean... Il va... IL va...
− Il va quoi ? s’exclame Grisha, porté par la colère. Qu’il essaye de
nous en empêcher et je…
− Et tu quoi, exactement ? demande mon demi-frère en faisant claquer
bruyamment ma porte.
NON.
PAS.
ÇA.
Dans un élan protecteur, mon amant se place devant moi.
− Grisha… dis-je en tirant sur son bras pour passer devant lui.
Il doit me laisser calmer les choses. Sinon… Je n’ose même pas y
penser… Visiblement, il ne l’entend pas de la même façon. Dans un signe
de possession, son bras s’enroule autour de ma taille. Sean réagit
instantanément.
− Depuis combien de temps ? demande-t-il, la mâchoire serrée. Depuis
combien de temps cela dure-t-il entre vous ?
Je ne lui réponds pas, car Grisha le fait dans la seconde.
− Plusieurs mois.
− Plusieurs mois, répète Sean, ses yeux verts, brillant d’une fureur à
peine dissimulée. L’homme que j’ai embauché pour la former. Tu m’as
menti pendant tout ce temps.
− Je m’en vais avec elle, annonce Grisha sans détour.
Grossière erreur.
Putain de grossière erreur.
Un rire sans joie sort de la bouche de Sean.
− Grisha, je ne…, tenté-je dans un ultime recours.
− Tais-toi et laisse-moi faire, me coupe mon amant, durement.
Il n’a visiblement pas saisi où il a mis les pieds. Et encore moins la
dangerosité de la situation.
− Tu ne comprends pas ! Il ne va pas te laisser faire, soufflé-je, les
larmes aux yeux.
Grisha sort un pistolet de sa poche arrière. Il le braque devant lui, dans
la direction de Sean. Ce dernier ne paraît pas le moins du monde inquiet.
Au contraire, même.
− Tu ne partiras pas avec Abigail, il dit fermement. Pose ton flingue et
j’envisagerai d’oublier les deux dernières minutes. C’est ton unique
chance.
Ne l’écoutant pas, Grisha pose son doigt sur la détente. Il va tuer Sean.
Et moi, je ne fais rien pour l’en empêcher. J’imagine une vie sans cet
enfermement permanent. Une existence dans laquelle je serais libre de mes
faits et gestes. Cela fait tellement longtemps que j’ai écarté cette
possibilité.
Mais mon demi-frère est plus rapide. Forcément. Il bondit sur Grisha
au moment où ce dernier presse sur la détente. Un hurlement sort de ma
gorge à la seconde où le coup de feu se fait entendre.
− Grisha ! hurlé-je en voyant Sean percuter son corps.
Mon amant l’a touché. Du sang humidifie le tissu de sa chemise au
niveau de son épaule. Cela ne paraît pas l’arrêter. Les deux corps s’abattent
sur le sol dans un bruit lourd. Grisha semble gagner du terrain, son poing
rencontrant la mâchoire de Sean. Mais ce dernier prend rapidement
l’avantage, ses coups pleuvant sur son adversaire avant qu’il ne le renverse
et s’abatte sur lui, encore et encore.
− Arrête. Tu vas le tuer !
Le pistolet est coincé sous le corps inerte de ce dernier, je ne peux
l’atteindre. Dans un instinct de survie, mes yeux fouillent ma chambre. Ma
main s’agrippe à un vase que je lance sur le dos de mon demi-frère.
N’y tenant plus, je m’élance vers eux, prête à me jeter sur lui. Un corps
se place devant moi et je lui rentre dedans.
Adrian.
− Lâche-moi.
Je hurle, mais il agrippe mes bras et les immobilise le long de mon
corps.
Il continue en me serrant durement contre sa poitrine et j’envoie mon
poing frapper directement son nez, qui craque bruyamment.
− Petite salope, il crache en me tirant les cheveux.
Mes yeux se tournent d’eux-mêmes vers les deux hommes qui se
battent. Les poings de Sean continuent de pleuvoir sur le visage meurtri de
Grisha, qui semble peu à peu rendre les armes.
− Arrête ! Arrête !
Mais il ne m’écoute pas. Son visage, tuméfié et légèrement
sanguinolent, son bras dans un piètre état, il continue de frapper, encore et
encore.
− Sean, pitié !
Un bruit de pure terreur sort de ma gorge.
− Tu vas le tuer ! Je t’en supplie, arrête.
Je pleure à chaudes larmes tout en continuant de me débattre contre
Adrian. Mon demi-frère semble enfin m’écouter.
Il se relève, le pistolet à la main.
Non, non, non, pitié. Grisha bouge doucement et essaye de reprendre sa
respiration. Sean crache sur le sol un mélange de salive et de sang. Il braque
son pistolet dans la direction de l’homme que j’aime et tourne sa tête vers
moi.
− Glaz za glaz, zub za zub6, dit-il, essoufflé.
− Pitié, je le supplie une nouvelle fois. Je t’en supplie. Je t’en…
Mais je ne termine pas ma phrase. Sean presse la détente et sa balle
vient se loger entre les deux yeux de mon amant. Un cri d’agonie sort de ma
bouche. Personne ne m’entend, personne ne m’écoute.
Je viens de faire tuer le seul homme qui m’aimait.
- 13 -
Abby
Aujourd’hui.
***
***
Abby
***
Abby
Deux jours plus tard, alors que je me change dans les vestiaires du
Wonderland, Vanessa me rejoint, prête à commencer son service.
− Hey, me salue-t-elle en passant rapidement près de moi pour ouvrir
son casier.
J’enfile mon tee-shirt à l’effigie des Black Sabbath et la suis du regard.
− Salut !
Je remarque tout de suite qu’elle porte une paire de lunettes de soleil.
En pleine nuit ! Et à l’intérieur, qui plus est ! Le tremblement de ses
mains m’indique que quelque chose cloche. De plus, elle ne me pose
aucune question sur ces derniers jours, ce qui ne lui ressemble pas du tout.
Innocemment, je m’avance vers elle.
− Une conjonctivite ? lui demandé-je, l’air de rien.
Bravo, Abby, tu n’aurais pas pu trouver une question encore plus
ridicule ? N’essaye surtout pas de te sociabiliser, soupire ma conscience.
Vanessa stoppe ses mouvements, et pince ses lèvres.
− Non, non… Je suis juste fatiguée.
J’entends une réelle tension dans sa voix, mais également autre chose.
De la peur. À l’état brut. C’est un sentiment reconnaissable entre tous.
− D’accord… J’y vais, à demain.
Je suis mal placée pour fouiller la vie des gens et essayer de déterrer
leurs petits secrets. Je m’éloigne, puis récupère mon sac. Je sors de la pièce,
pourtant quelque chose m’empêche de faire un pas de plus. Bordel, tout
ceci ne me regarde pas. Mais j’ai reconnu les signes chez elle... Ces mêmes
signes qui étaient encore les miens, il y a peu.
Je me retourne doucement tout en essayant de la regarder discrètement.
Je ne veux surtout pas qu’elle se sente gênée. Voire pire, épiée.
J’avais vu juste.
Maintenant qu’elle a retiré ses lunettes, je remarque un énorme
hématome entourant son œil droit. Le salaud qui lui a fait ça ne l’a pas
loupée. Sa paupière, légèrement plissée, prouve que quelques vaisseaux ont
explosé. Elle ne m’a toujours pas remarquée. Penchée au-dessus du lavabo,
elle essaye de cacher sa blessure en appliquant une couche épaisse de
correcteur. Quand son index touche sa peau, je la vois grimacer doucement
et je fais un nouveau pas vers elle, bien que je sache pertinemment que je
devrais partir. Lorsqu’elle prend conscience de ma présence, je vois ses
épaules se tendre et perçois son souffle se couper.
Honteuse, elle tente de regarder ailleurs. Je ne sais pas comment
aborder les choses sans qu’elle prenne peur et décide de ne plus me parler.
Elle est ma manager, après tout. Je marche sur des œufs, j’en ai tout à fait
conscience.
Silencieuse, je m’adosse contre le mur, tout près d’elle.
− Alors quoi, tu vas continuer à me regarder tout en me jugeant
silencieusement ? marmonne-t-elle sarcastiquement.
Je ne reconnais plus son timbre, d’ordinaire si joyeux.
Je me redresse en fronçant les sourcils.
− Pourquoi est-ce que je te jugerais ? Je ne connais pas l’histoire, alors
je n’ai pas à juger de quoi que ce soit.
J’en ai trop souffert pour me permettre d’agir de la sorte avec elle.
− Tu n’es pas en train de te dire que je devrais assumer plutôt que de
cacher ma misère ?
Je relève un sourcil. C’est mal me connaître.
S’est-elle bagarrée ? Pris un meuble... ? Je pencherais plutôt pour la
première option.
− Que s’est-il passé ? demandé-je ensuite.
− Mon œil a rencontré l’angle de la porte. Relax. Au fait, t’as pas fini
ton service, toi ?
Et voilà, l’excuse toute trouvée. Elle peut me raconter ce qui l’arrange,
néanmoins la peur dans sa voix était bien réelle. Elle me ment. Je devrais
partir et me mêler de ce qui me regarde, mais sa détresse inhabituelle
m’incite à rester près d’elle.
− J’espère que cette… porte ne sera désormais plus une menace pour
toi.
Vanessa stoppe ses mouvements et se tourne vers moi.
− C’est quoi, ton problème ? Tu peux m’expliquer ? bougonne-t-elle en
se braquant.
D’accord, j’ai utilisé la mauvaise technique. Je m’apprête à m’éloigner,
puis m’arrête de nouveau en voyant ses mains trembler.
Bordel, Abby, cesse de te laisser attendrir ! Ce ne sont pas tes
affaires !
Quand elle voit que je les fixe, elle serre les poings durement. J’ai
l’impression qu’une sueur froide me colle à la peau, comme si je me
retrouvais des mois en arrière.
− Tu t’es battue ?
Tu t’es fait battre... ?
− Non ! s’exclame-t-elle, la voix montant dans les aigus.
− Qui t’a frappée ?
Ma voix est douce, se voulant rassurante. Je souhaite qu’elle
comprenne que je ne la jugerai pas, et qu’elle peut tout me dire.
Absolument tout.
− Personne, souffle-t-elle en recommençant à se maquiller.
Mais je vois ses yeux briller intensément. Et ça, ça ne trompe pas. Mon
Dieu, pitié qu’elle ne se mette pas à pleurer. Je déteste les larmes… Je n’ai
jamais su comment réconforter les gens qui pleurent. Pourtant, Lioudmila
me disait toujours qu’il fallait pleurer pour pisser moins.
Vanessa se pince les lèvres tout en se contenant.
− Personne ne mérite de se faire frapper, je reprends ensuite. Et, crois-
moi, j’en sais quelque chose.
− Qu’est-ce que t’en sais ? Tu ne sais rien du tout, Abby. Mêle-toi de
ton cul, et tout se passera bien.
D’accord, je l’ai mérité. Malgré tout, je poursuis sur ma lancée :
− J’en sais justement beaucoup sur le sujet. Pense ce que tu veux, mais
personne n’a le droit de te faire du mal.
Sa lèvre inférieure se met à trembler encore plus, mais aucune larme ne
s’échappe de ses yeux secs. Elle veut paraître forte. Je comprends bien vite
qu’elle a déjà reçu des coups. Pourquoi, n’avais-je jamais rien remarqué
avant ce soir ?
Une dissimulatrice en chef. Si je ne l’avais pas croisée avant qu’elle se
maquille, je ne me serais aperçue de rien.
− Écoute, Vanessa, dis-je en posant ma main sur la sienne. Ne te laisse
pas faire par cette personne. Je suis sûre que ce n’est pas la première fois,
et…
− Si, ment-elle. Il ne m’a frappée qu’une fois !
Donc, c’est un homme. Mudak7.
− Peut-être que c’est la première fois, je reprends, désireuse de ne pas
la braquer. Mais ça va être de pire en pire. Il continuera de t’attaquer, tout
en essayant de te faire culpabiliser. Ne lui permets pas de te mettre plus bas
que terre. Tu n’es pas la première à qui cela arrive, et certainement pas la
dernière. Éloigne-toi de lui avant qu’il ne soit trop tard. Ne sois pas aussi
stupide que moi en ayant trop peur d’agir face aux coups.
Elle ne me répond pas, mais je m’y attendais. Les souvenirs remontent
peu à peu, je sens mon cœur se serrer alors qu’une rage sourde éclate en
moi. Je la lâche, puis m’éloigne vers la porte.
− Abby ?
Je me retourne vers elle, les sourcils froncés.
− Toi, tu as réussi à éviter les coups ? À t’éloigner ?
Je prends une profonde inspiration.
− J’ai réussi à fuir avant qu’il ne soit trop tard. Mais les cicatrices,
elles, ne partent pas. D’ailleurs, elles ne partiront jamais.
Physiques ou morales, quelle importance ? Dans les deux cas, la
souffrance est bien présente.
Je quitte la pièce, le ventre noué, sans un regard en arrière. Et là,
bordel, je sens mes yeux s’humidifier. Je ne dois pas m’abaisser face au
passé. Il doit rester derrière moi, je m’en suis fait la promesse solennelle.
Mais des images me viennent. De mon corps meurtri. De ceux d’hommes
torturés sous les mains de Sean.
Rageusement, j’essuie une larme sur ma joue.
Stupide fille. Tu es faible, Abigail. Tu le seras toujours.
Les mots de cette ordure me martèlent le cœur.
J’ai besoin de prendre l’air. Immédiatement. Penser à autre chose.
Revenir dans l’instant présent.
En arrivant dans le hall, je ralentis le pas. Bordel, il ne manquait plus
que ça. Assan traverse l’immense entrée, les yeux fixant l’écran de son
téléphone. Je remarque trois types à ses côtés, ainsi que d’autres le suivant
juste derrière. Tous arborent une mine excessivement sérieuse. Le grand
brun porte une chemise blanche dont les premiers boutons sont ouverts et
manches relevées, dévoilant ainsi ses avant-bras. Je descends mon regard et
découvre son pantalon de costume plutôt moulant ainsi que des chaussures
italiennes en cuir qui le rendent... différent. Plus dangereux, pourtant moins
sauvage que quand il est habillé d’un simple tee-shirt et d’un jean.
Sentant ma présence, ses yeux sombres plongent dans les miens.
J’essaye d’avoir l’air sûre de moi, cependant quand il aperçoit mes yeux
rougis, il se tend imperceptiblement.
Je m’arrête, le voyant esquisser un pas dans ma direction. Les types qui
l’entourent me jettent un coup d’œil interrogateur. Assan secoue la tête et
son regard se fait plus dur. Il chuchote quelque chose à un de ses chiens de
garde qui rigole doucement.
Le grand brun me fixe à nouveau, mais beaucoup plus durement, cette
fois-ci. Mais une expression différente traverse ses yeux, une seconde.
Comme s’il voulait me transmettre un message. Comme s’il faisait exprès
de ne pas s’approcher de moi pour ne pas attirer l’attention sur ma
personne. Puis, sans demander son reste, il s’éloigne en m’ignorant
complètement. Je ne comprends pas pourquoi. Il y a peu, il avait sa bouche
entre mes cuisses, et semblait vouloir me posséder. Qu’est-ce qui vient de
se passer ?
Imbécile, qu’est-ce que tu t’imaginais ? Ils sont tous pareils.
- 16 -
Abby
***
***
Abby
Juin 2018.
Dans la vie, il faut faire des choix. Ces derniers peuvent être difficiles.
Mauvais, aussi. Ils peuvent changer ta vie à jamais. Le plus important n’est
pas la conséquence de chacun, mais la liberté de pouvoir choisir.
Ma mère me répétait toujours de ne pas laisser les autres décider pour
moi. Si seulement ça avait été aussi simple.
Me battre alors que le combat semble perdu d’avance ?
− Il faut que tu manges.
Lioudmila s’assied près de moi sur le matelas. Son ton est réprobateur.
Je sais qu’elle s’inquiète pour moi. Hormis elle, personne n’est autorisé à
venir me voir. Me voyant me laisser mourir de faim, Sean l’a fait venir de
force. Elle reste mon dernier rempart face à la mort, et il en a bien
conscience.
Penser à ce monstre me révulse. Il a tué Grisha. Mon Grisha. Si avant
je le haïssais, maintenant c’est beaucoup plus fort que ça. Il n’y a pas de
mot suffisant me permettant de décrire ce que je ressens à son égard. Pour
ce qu’il est et ce qu’il m’a fait. Pour ce qu’il me fait devenir. À son contact,
je ressens des choses inconnues. Une envie de meurtre si intense qu’elle
m’aveugle presque.
− Est-ce que je suis maudite ? demandé-je en chuchotant presque.
Pourquoi est-ce que tous ceux que j’aime finissent-ils par m’être arrachés ?
Ma meilleure amie se rapproche de moi. Je vois ses yeux sombres
retenir ses larmes. Je ne suis pas aussi forte qu’elle et laisse l’eau salée
couler le long de mes joues. Elle serre ma main dans la sienne, en soutien
silencieux.
− Tu n’es pas maudite, Abby.
− Il veut que je devienne comme lui, je halète. Un monstre.
Liou s’installe face à moi et croise ses jambes, adoptant une position
similaire à la mienne. Je l’ai entraînée contre ma volonté dans mon
quotidien infâme, alors même qu’elle se bat contre le sien.
− Tu ne vas pas devenir un monstre. Tu es trop pure pour ça.
− Pure ? Mon âme se noircit à son contact. Et tout mon temps, je le
passe à ses côtés.
− Tu ne…
Ma porte s’entrouvre doucement. Mon demi-frère apparaît, et ma gorge
se noue. La nausée me gagne. Je hoche la tête dans la direction de
Lioudmila, lui indiquant de partir. Elle secoue la sienne et se redresse en
fusillant Sean du regard.
− Vas-y, murmuré-je.
Je ne veux pas qu’elle mène le combat que je suis en train
d’abandonner lâchement. Ce n’est pas à elle de faire ça. Elle risquerait d’y
perdre beaucoup. À commencer par sa propre vie. Je ne le laisserai pas me
la prendre, elle aussi.
Après avoir serré plus fort la main de Lioudmila, je répète :
− Vas-y. Maintenant.
Heureusement, elle m’obéit. Dès que la porte se referme derrière mon
amie, la chambre redevient glaciale. D’abord, Sean ne bouge pas. Puis, il
avance d’un pas, ses mains dans les poches. Il m’observe attentivement,
attendant de voir si je vais encore essayer − vainement − de m’en prendre à
lui. Ce que j’ai fait, ces deux derniers jours. En vain.
− Je ne regrette rien, annonce-t-il, tranquillement.
Je le hais.
− Pourquoi regretterais-tu d’avoir tué l’homme qui m’aimait ?
demandé-je sarcastiquement. Le regret n’appartient qu’à ceux qui ont un
cœur. Donc évidemment que tu ne regrettes rien. Si tu es venu ici pour me
dire ça, sache que tu perds ton temps. Tu n’as pas de cœur, Sean. Tu n’es
qu’une coquille vide.
Je me relève et marche vers lui.
− Tu es l’exact opposé de l’homme bon qu’était ton père. Tu essayes
de me pourrir la vie, hein ? Jusqu’à ce que je craque ? Eh bien, bravo, je
suis en train de péter un câble, hurlé-je en abattant mon poing contre son
torse durement. Qu’est-ce que tu me veux ? Pourquoi moi ? Réponds !
hurlé-je une nouvelle fois.
Mais il ne pipe pas un mot. Il me fixe, inexpressif, aucune émotion ne
traversant son regard.
− Tu représentes une pièce maîtresse de l’échiquier. Grisha ne l’était
pas. Il m’a défié, Abigail. Il a fait de moi son bourreau. Tel est le destin.
Une traversée funeste où les regrets n’ont pas leur place. Où le cœur n’en a
pas, non plus. Je serai de retour dans quelques jours. D’ici là, tiens-toi
tranquille. Adrian te garde à l’œil.
Quand il quitte enfin la pièce, mes poings s’abattent sur le mur. Mes
coups résonnent en même temps que mes hurlements. Toute pensée
cohérente me quitte. Je cours vers la salle de bain, les larmes ruisselant sur
mon visage.
Pardon, Maman. Pardon.
Mes doigts tremblants se tiennent au lavabo. Quelques minutes passent
tandis que je ne bouge pas. Mes yeux fixent mon reflet dans le miroir. Le
médaillon représentant une colombe, que m’a mère m’a offert, pend
négligemment autour de mon cou. Il est abîmé. Il manque un bout d’aile,
pourtant, il est plus précieux que tout ce que je possède. Elle me l’a donné
le jour de mes dix-sept ans. Juste quelques heures avant sa mort et celle de
Roman. Je sens mes forces s’envoler, mélangées à mes pleurs, et aux
derniers espoirs qui m’abandonnent. Je me laisse aller sur le sol, les genoux
relevés, la tête entre mes bras. Je sanglote bruyamment tout en fermant
durement les paupières. Ma tête en arrière, j’inspire profondément. Je sens
une goutte chatouiller la peau nue de ma cuisse. Je l’essuie négligemment
tout en gardant les yeux fermés. En percevant un peu plus de liquide entre
mes cuisses, je rouvre les paupières. Je vois flou, j’ai l’impression que la
pièce tourne tout autour de moi. J’aperçois des taches. Sombres. Mon short
en coton blanc a viré au rouge bordeaux. Entre mes cuisses, le sang ne cesse
de couler.
Abondamment.
Comme si une bulle d’hémoglobine venait de se rompre. Je sais que ce
ne sont pas mes règles. Mais alors, quoi ?
Le sang, mon sang, coule sur le carrelage, le recouvrant légèrement.
Ce... C’est impossible. Et pourtant, je sais que c’est vrai. Je le sens au plus
profond de mon être. Je sais que je suis en train de perdre un enfant dont
j’ignorais l’existence. J’abandonne une autre partie de moi, en ce moment
même.
Je pleure sans relâche. Je pleure Grisha. Je pleure ce bébé qui ne verra
jamais le jour. Je pleure cette vie de merde.
Je n’ai plus qu’à me laisser tomber dans un sommeil sans rêves, sans
fin. Espérant ne plus jamais me réveiller.
Le reste de la soirée se passe sans autre fait particulier. Encore une fois,
Assan est absent, tout comme son frère. Ces derniers soirs, c’est à peine si
nous avons croisé Jared. As, lui, est porté disparu. Je ne comprends pas son
comportement, et j’avoue que je suis perdue.
Il y a plusieurs soirs, sa tête était entre mes cuisses et il me donnait du
plaisir. Puis, je l’ai croisé avec des types bizarres dans le hall du club, et il a
fait comme s’il ne me connaissait pas. Par la suite, alors que je prenais ma
pause, il est arrivé dans l’arrière-cour. Il ne m’avait pas vue, mais moi, j’ai
entendu son appel et les choses louches qu’il disait à un certain Lokz. Du
moins, je pensais qu’il ne m’avait pas aperçue. Mais il m’a ensuite envoyé
un message, me prouvant le contraire. Depuis, silence radio. Comme s’il
attendait que je vienne à lui…
Ce n’est pas mon genre de courir après un homme. Ou même qu’un
homme me court après, à vrai dire. Et puis, vu ce que j’ai entendu, il serait
mauvais pour moi.
Inutile de perdre mon temps avec un type qui ne m’apporterait que des
ennuis. Il suffit juste que je dise à mon vagin de se désintoxiquer de l’envie
qu’il a de son pénis.
− Je finis dans une heure, m’annonce Maya. Tu prends ta pause
maintenant ?
Je hoche la tête dans sa direction et essaye encore une fois de voir si
Vanessa ne se trouve pas dans les parages. Ce qui n’est pas le cas. J’avance
vers le couloir menant aux vestiaires du personnel.
− Pardon, souffle difficilement une voix. Mais tu n’aurais pas dû… Tu
n’aurais pas dû…
Cette voix, je la reconnaîtrais entre mille. Il s’agit de celle du sale type,
au comptoir, tout à l’heure.
La suffocation qui s’ensuit fait grimper l’adrénaline en moi. J’accélère
mes pas et déboule dans la pièce, normalement interdite au public. Nos
vestiaires.
Vanessa se débat comme elle le peut sur la pointe des pieds pour éviter
de finir complètement étouffée. Le salopard la maintient fermement contre
le mur tout en serrant sa gorge. Entre deux tentatives de supplication, les
yeux de ma manager se révulsent. Il va la tuer !
− Je t’avais prévenue, chuchote-t-il, furieusement.
Si je suis partie à Paris, c’est pour me retrouver loin de tous ces trucs-
là. Je voulais une vie paisible, un boulot tranquille. Je ne demandais rien
d’autre, moi !
Une rage monte en moi, je ne la connais que trop bien. Je n’essaye
même pas de la chasser. D’instinct, je regarde discrètement sur les côtés,
cherchant un moyen de le faire bouger de là. Mais à part mon sac de sport à
moitié vide, il n’y a rien. Quand j’entends Vanessa supplier dans un râle, je
ne réfléchis plus et m’abats sur lui. De toutes mes forces. Je pense à Grisha,
à la force qu’il m’a transmise. Aussi bien mentale que physique.
Mon pied frappe l’arrière du genou de l’homme, puis je fauche son
pied, en plein dans son tendon.
− Bordel ! hurle-t-il en s’effondrant au sol.
Vanessa s’écroule presque et essaye de reprendre sa respiration.
− Ça va aller, la rassuré-je en la saisissant par le coude et la redressant
durement. Il faut que tu quitte cette pièce. Va chercher MK, ordonné-je.
Elle me fixe en hochant la tête, mais ne bouge pas d’un centimètre.
− Maintenant ! crié-je plus fort.
Enfin, elle s’éloigne en regardant avec effroi l’homme qui se redresse
déjà face à moi.
− Espèce de petite salope, tu aurais dû te mêler de ton cul.
Il sort un couteau de la poche de son jean. On dirait un camé à la
recherche de sa prochaine dose… Je lui lance un petit sourire et reprends :
− Je préfère m’occuper du tien. Beaucoup trop gras à mon goût.
Il envoie son bras dans ma direction, essayant de me toucher avec sa
lame. Il bouge bien. Il doit faire partie de ces petits caïds qui se sentent
intouchables.
Première leçon à retenir, personne ne l’est. Certains tombent au sol
plus difficilement que d’autres, mais ils finiront toujours par rendre les
armes.
Tout en hurlant, il essaye de me frapper au niveau de la poitrine.
Pas gentil, le petit, souffle ma conscience, armée jusqu’aux dents.
Je me penche en avant et esquive sa lame. Putain, il n’y va pas de main
morte. Quand je me décale pour éviter son coup, je parviens à frapper sa
main, puis son coude. Il lâche son couteau qui valse à un mètre de là.
Malgré tout, je n’ai pas été vigilante. Son autre poing finit directement dans
ma mâchoire, faisant tourner brusquement ma nuque sur le côté. Le goût
métallique du sang envahit ma bouche.
− Il me semble que frapper une femme ne te fait rien, craché-je dans sa
direction en déglutissant. Eh bien, ça tombe bien, frapper les chiens ne me
fait rien, non plus.
Alors qu’il pense que je vais l’attaquer au visage, il relève son bras,
mais libère son cou. Ma main cogne directement sa pomme d’Adam.
Depuis que je me suis enfuie d’Ukraine, je n’ai jamais été aussi énervée. Ce
chien, en face de moi, s’apprête à en faire les frais. Il le mérite, c’est
certain.
Pourtant, alors que je m'approche de lui, son sourire malsain reste
accroché à son visage. Il va essayer de me plaquer au sol, j’en suis presque
certaine.
Vas-y, Mec, fonce… Tu ne sais pas de quoi je suis capable.
Mais au moment où je m’élance vers cette crevure, j’entends des pas
furieux flouer le sol des vestiaires.
− Abby !
Je ne veux pas prendre le risque de manquer d’attention, donc j’ignore
la personne qui m’appelle. Dans ce type d’affrontement, chaque seconde
reste cruciale. Mais deux bras solides, et très très masculins, me tirent
brutalement en arrière.
− Non ! crié-je telle une bête sauvage.
Je veux terminer ce putain de travail !
− Tu vas te calmer ? hurle Assan en me traînant de force de l’autre côté
de la pièce.
Merde.
MK, l’un des videurs de la boîte, maîtrise l’inconnu. Il tord ses bras en
le sortant sans ménagement du vestiaire.
Je reprends tranquillement mon souffle.
− Calme-toi, me demande Assan. Calme-toi un peu !
Toujours furieuse, je secoue mes bras pour me dégager de son emprise.
Une fois libérée, je me tourne vers lui et croise mes bras sur ma poitrine. Je
relève ensuite le bas de mon tee-shirt pour essuyer mon menton, retenant un
gémissement de douleur. Je vais avoir un beau bleu.
− Mais ce n’est pas possible, m’énervé-je, tu disparais, tu m’ignores
quand tu me croises, puis reviens quand il ne faut pas ! Tu le fais exprès ou
quoi ? Je n’avais pas besoin de ton aide, soufflé-je durement en le fusillant
du regard.
Je fais les cent pas, ne me calmant toujours pas. Merde, j’aide
quelqu’un, et je passe limite pour la psychopathe de service ? Je m’attendais
à une autre réaction de sa part. Des remerciements, par exemple. Sans
même parler du fait que je n’avais pas besoin de lui. Le sale boulot, je
l’aurais terminé toute seule.
− Tu allais te faire tuer, rétorque-t-il en fixant la coupure sur ma lèvre
inférieure.
Je plisse les yeux, énervée comme jamais. Il n’a toujours pas compris à
qui il avait affaire. Je ne suis pas en porcelaine. Loin de là, même.
− Je n’ai pas besoin d’un chevalier servant. Le fait que je n’ai pas de
pénis entre les jambes ne veut pas dire que je suis inoffensive.
− Je l’ai bien compris, ça.
Il passe une main dans ses cheveux avant de grogner dans sa barbe en
pointant un doigt rageur dans ma direction.
− Mais c’était quoi, ça ?! Tu peux m’expliquer ? Tu essayais de
maîtriser ce type ? D’ailleurs, où as-tu appris à te battre ?! Dois-je
m’inquiéter ?
Il se fout de qui, lui ? Je redresse la tête.
− On a tous nos petits secrets. N’est-ce pas, mon ange ? insisté-je
sarcastiquement en mettant volontairement l’accent sur le dernier mot.
− N’essaye pas d’entrer dans une situation de laquelle tu ne pourras pas
sortir, m’ordonne presque Assan en penchant la tête sur le côté.
− Quelle situation, As ? L’un de tes petits secrets ? Un petit secret dans
lequel tu ordonnes à un homme de tout nettoyer derrière lui ? Ou tu parles
d’une ancienne vie que tu ne veux plus rejoindre ?
Assan se rapproche de moi, les narines frémissantes.
− Ne joue pas sur ce terrain-là, me répond-il, fermement.
S’il croit qu’il va me faire peur avec son air méchant, c’est qu’il ne me
connaît pas. Mais alors, pas du tout !
− Et pourquoi pas ? Tu es un type louche, non ?
Je suis en colère, alors je n’arrive pas à parler calmement. De plus, le
fait qu’il m’ait ignorée quelques jours plus tôt, pour m’envoyer un SMS
énigmatique le soir d’après, me reste en travers de la gorge.
Un pas de plus, et je peux voir ses veines devenir saillantes au niveau
de son cou. Les mâchoires serrées, il déclare :
− Parce que tu n’aimerais pas découvrir ce que cache ce... secret.
Désormais, nous ne sommes plus qu’à quelques centimètres l’un de
l’autre.
− Au contraire, je crois que j’aimerais beaucoup, soufflé-je en
redressant le menton.
Mais qu’est-ce que tu racontes ? Tu délires, m’ordonne ma conscience.
On a tiré une croix sur la case danger, là ! Pense à Sean, Adrian, et toute la
clique, ça te fera reprendre tes esprits !
Rien ne m’arrête. L’adrénaline coule dans mes veines, tel un dopant. Je
veux savoir ce qu’il cache, et je le saurai.
− Tu essayes de me mettre en garde contre toi ? demandé-je.
Je m’avance vers lui jusqu’à effleurer son torse du bout de mon index.
Je rajoute, plus déterminée que jamais :
− Je crois plutôt que c’est toi qui devrais faire attention.
Pourtant, quand Assan se penche vers moi, et frôle mon menton, je le
laisse faire.
− Vraiment ? reprend-il en bougeant sa tête, ses cheveux tombant sur
son front.
− Tu n’as même pas idée.
− Au contraire, je crois que si. Tu es une femme dangereuse.
Ses yeux deviennent plus doux. Il essaye de se contenir, mesurant
chacun de ses gestes.
− Et tu es un homme dangereux, lancé-je comme s’il s’agissait d’une
évidence. Pourquoi m’avoir ignorée quand tu étais avec ces hommes,
l’autre soir ?
Je n’arrivais pas à retenir ma question. Il plisse les yeux, comme s’il se
retenait de me répondre. Mais il chuchote finalement :
− Parce que je ne voulais pas qu’ils te regardent.
Ni lui ni moi ne nous attendions à cette réponse. Est-ce que c’est, ça,
l’expression qui avait traversé ses yeux, de la possessivité ? Il souhaitait
m’ignorer pour que ses clients ne me jettent pas un regard ? Mon cerveau
tourne à cent à l’heure, comprenant quelque peu son comportement. Assan
ne me laisse pas réfléchir et continue :
− Tu vas avoir un joli bleu. Sois sûre qu’il ne remettra jamais les pieds
ici, murmure-t-il en passant son doigt sur la petite plaie sous ma lèvre
inférieure.
J’agrippe son poignet, mais ne lui réponds pas. Je ne fais pas un geste,
continuant de le fixer intensément. Noir sur gris. Deux êtres calmes en
apparence, mais bouillonnants au fond de leurs tripes.
− Tu attends quoi ? Que je t’embrasse ? me chuchote-t-il.
Nous y voilà. Enfin.
− Seulement si le goût du sang ne te dégoûte pas, rétorqué-je
effrontément.
Il dépose un baiser sur le haut de ma pommette en murmurant :
− Ça ne me gêne pas.
Sa bouche se rapproche de la mienne, son souffle s’abat contre mes
lèvres entrouvertes. Je tremble de partout. Cet homme me rend folle… de
lui. Notre colère se calme au contact de l’autre. Cela ne m’était encore
jamais arrivé.
− Abby ?
Jared.
Assan se braque brusquement. Je reconnais la voix de son frère. Mais
je ne bouge pas et lui non plus, immobile face à moi.
− Soigne cette vilaine blessure, il murmure avant de me relâcher et
s’éloigner. Mets de la glace dessus. Et rentre. Maintenant.
Son timbre est redevenu froid. Cependant, ses yeux gardent la même
intensité. Il souffle le chaud et le froid, et c’est ensuite à mon tour. On
attaque, contre-attaque et on se défend comme on peut. Mais nous venons
de partager quelque chose de spécial, lui et moi. Nous le savons
pertinemment, tous les deux. Je hoche simplement la tête, partagée entre la
haine et le désir, puis le regarde sortir du vestiaire, ignorant son frère.
− Je vais bien, je réponds à la question silencieuse de Jared.
Il me fixe étrangement. Je vois presque les questions danser dans ses
yeux.
− Hum… MK va vous raccompagner. Je suis désolé pour ce qui s’est
passé ce soir.
Et moi donc.
Désobéissant à Assan, j’ai continué mon service. Il est fini depuis
trente minutes déjà, mais j’ai insisté pour faire la fermeture du club. Je suis
encore énervée, l’adrénaline me parcourt toujours et j’éprouve le besoin de
m’occuper l’esprit. Si je rentre à l’appartement, je serai comme un lion en
cage. Je n’ai pas revu Vanessa, je sais que Jared lui a ordonné de prendre sa
soirée. Maya m’a collé aux fesses pendant une heure jusqu’à ce que je la
menace de lui couper les cheveux pour qu’elle me lâche. Assan est reparti,
lui aussi, après avoir quitté les vestiaires. Il avait l’air aussi énervé que moi,
et j’ai bien vu cette lueur dans ses yeux. Il s’est inquiété pour moi.
− Les derniers fêtards viennent de partir, m’annonce Baptiste en
étouffant un bâillement. Je te ramène ?
Je vois bien que derrière sa fausse attitude calme, mon collègue ne sait
pas trop comment réagir.
− Je vais bien. Arrête de me fixer comme une mère poule. Ce n’est pas
ma première bagarre.
Ma tentative pour le dérider ne fonctionne pas vraiment. C’est nouveau
pour moi, de voir des gens que je connais depuis peu s’inquiéter pour ma
petite personne. Ça me déstabilise.
− Je finis de ranger le comptoir et je rentre, vas-y.
Je vois bien qu’il est épuisé, mais essaye de le cacher. Il pince ses
lèvres, prêt à me contredire.
− MK est toujours là, continué-je. Il fermera derrière moi, t’en fais
pas.
Je finis par avoir gain de cause, quelques minutes plus tard. Je sais que
MK patiente dans le hall, prêt à tout boucler une fois que nous aurons tous
déserté les lieux. Une partie de ma colère ne me quitte toujours pas. Ce type
allait tuer ma manager. Comment un homme peut-il frapper une femme qui
fait la moitié de sa taille ? Comment un fort peut-il brutaliser un plus faible
que lui ? Deux questions pour lesquelles je n’ai pas la réponse. Je ne sais
pas ce que MK a fait au sale type, mais j’espère qu’il l’a jeté sur le trottoir
comme une vulgaire ordure.
Finalement, je termine enfin de nettoyer et récupère mon sac avant de
sortir du Wonderland. Je n’ai pas eu le courage de changer de tenue, gardant
toujours mon haut de travail. La seule chose dont je rêve à l’heure actuelle,
c’est un bain brûlant qui permettra à mes muscles fatigués de se détendre.
Je bâille à m’en décrocher la mâchoire en arrivant dans le hall du club. La
porte menant à l’extérieure est ouverte et j’entends MK parler au téléphone.
Je me dirige vers la sortie, pourtant quelque chose me retient. Je ne saurais
pas dire ce que c’est, mais je ne peux m’empêcher de jeter un coup d’œil au
couloir de gauche, celui qui mène au labyrinthe des péchés. Tout se
chamboule en moi.
Mes pas me mènent jusqu’à l’entrée du corridor. Il n’y a plus de
videurs, vu l’heure tardive. Je suis censée partir, je n’ai pas le droit d’être
ici. Cependant, poussée par une envie inconnue, je traverse doucement le
couloir de gauche et arrive devant le labyrinthe des péchés. Ma main se
pose sur la lourde porte. Si ça se trouve, il y a des alarmes qui vont se
déclencher et les flics vont arriver. Alors, ils m’embarqueront et finiront par
découvrir que mes papiers sont des faux.
Cette peur ne m’arrête pas. Je rentre dans cet endroit désert. Je
n’entends plus personne parler, car tous les clients ont quitté les lieux.
Toutefois, une légère mélodie continue de résonner entre les murs. Et je sais
parfaitement d’où elle vient. Je longe le couloir, la respiration haletante, et
m’arrête devant la salle de cœur. Quelques jours plus tôt, quand j’y suis
entrée, accompagnée d’Assan, j’ai découvert un lieu rempli de luxure. Cette
salle de cœur regroupe plusieurs péchés, l’envie, la luxure, la paresse et la
gourmandise. Des images me reviennent, ces filles nues qui dansaient sur la
petite piste, au milieu d’hommes fortunés venus admirer leurs corps.
Je pénètre dans la salle, et l’odeur sucrée m’envahit instantanément,
comme l’autre soir. La plupart des lumières sont éteintes, mais pas toutes. Il
reste quelques néons qui éclairent la scène déserte où trônent des barres de
pole dance. Devant la scène, des fauteuils sont disposés, dos à moi. Assis
sur celui du milieu, une personne est à moitié plongée dans le noir. Mon
instinct m’a poussée à venir ici, comme s’il savait pertinemment qui il allait
trouver. À cet instant, je n’arrive pas à réfléchir correctement et, surtout,
intelligemment. Je me laisse simplement guider par la dernière vague
d’adrénaline qui m’anime. Et j’agis. Stupidement, sans doute.
Je m’avance vers la scène, larguant mon sac de sport à mes pieds. En
attendant mes pas, la silhouette se redresse, mais l’homme garde sa tête
penchée en avant. Sa main droite, qui serre un verre transparent, se
contracte un peu plus. J’entends une brusque inspiration. Lui aussi a senti
ma présence.
− Je t’ai demandé de rentrer chez toi, il y a quelques heures, murmure
Assan.
Sa voix est rauque, fatiguée. Nous sommes au milieu de la nuit, et il a
l’air aussi crevé que moi. Je ne réponds pas à sa question, parce qu’en
réalité, je n’ai rien à lui dire à cet instant. Ce n’est pas le moment de
l’interroger, de lui poser des questions sur ce que j’ai entendu de sa
conversation, l’autre jour. Et ce n’est pas le moment de répondre aux
siennes. Je crois qu’il le sait, lui aussi. Il redresse sa tête doucement, ses
muscles dorsaux jouent doucement. Il tourne lentement son visage vers
moi, les mèches de cheveux effleurant le col de son tee-shirt. Je ne sais pas
ce qui me pousse à agir, mais je le fais. Je m’avance vers lui, la respiration
saccadée, contourne son fauteuil et plante mes yeux droit dans les siens. Me
voilà debout juste devant lui. Ses jambes sont légèrement écartées et je les
force un peu plus à se séparer en me positionnant entre elles. Sa tête arrive
au niveau de ma poitrine. Il relève un sourcil, pose son verre sur la petite
table près de lui et penche désormais la tête en arrière.
Sa mâchoire se contracte un peu plus en analysant le bleu fleurissant
sur mon visage. Il entrouvre ses lèvres, mais se retient au dernier instant.
− Ce n’est pas le moment pour parler, hein ?
Il connaît la réponse à sa question. Il sait que je ne suis pas là pour
qu’on discute. Je suis là parce que j’ai fait taire la partie rationnelle de mon
cerveau, celle qui me pousse à agir raisonnablement et à m’éloigner de lui.
Mon patron qui semble avoir beaucoup de choses sombres qui gravitent
autour de lui.
− Non, je ne veux pas parler, finis-je par murmurer.
Sa main droite agit rapidement, elle agrippe l’arrière de ma cuisse, et la
seconde d’après, je me retrouve à califourchon sur ses genoux. Assan me
fixe furieusement, un mélange de désir et de colère, un combo qui ne
semble pas nous quitter depuis notre première rencontre. Je me redresse
légèrement pour garder l’équilibre et me replace correctement, mes fesses
entrant directement en contact avec son érection. Son souffle frappe ma
bouche, nous respirons le même air. Il sent le whisky, la cigarette, et un
parfum masculin qui me fait m’humecter les lèvres. Je fixe les traits de son
visage, la petite cicatrice sur son menton, au milieu de sa courte barbe noir.
Ses yeux, de la même couleur, bordés de cils sombres. Ses sourcils froncés,
signe qu’il m’analyse de son côté. Je suis assise, les genoux écartés, sur un
type que je connais à peine. Il a le pouvoir de me renvoyer, et pourtant, je
n’arrive pas à m’éloigner. J’ai aimé Grisha. Je lui ai donné une partie de
moi. Pendant que j’étais entre les mains de Sean, il m’a aidée, un temps, à
garder la tête hors de l’eau. Mais il m’a toujours regardée avec délicatesse,
comme une petite fille faible et malheureuse.
Assan, lui, me fixe comme s’il allait me dévorer. Comme si je
représentais une étendue d’eau dans un désert à perte de vue.
Ses doigts m’agrippent un peu plus férocement la cuisse et me tirent
davantage vers lui. Mes fesses le pressent, je le sens s’exciter sous moi. La
situation lui plaît autant qu’elle me ravit. Pourtant, il ne bouge pas. Il
continue d’observer la coupure sur ma lèvre inférieure.
− J’ai envie de lui faire mal.
Il parle de l’inconnu avec qui je me suis battue, ce soir.
− MK l’a amoché et viré d’ici avant que je le touche, continue-t-il.
Mais si je mets la main sur lui, je l’explose.
Je plisse mes yeux et me penche vers lui.
− Je t’ai dit que je ne voulais pas parler.
Et j’abats ma bouche contre la sienne, ignorant l’élancement dans la
lèvre. Je crois que ça s’est rouvert, mais nous n’en avons que faire. Tandis
que sa main agrippe mes fesses, mes propres doigts plongent dans ses
cheveux que je tire durement. Un grognement sort de sa poitrine alors qu’il
répond à mon assaut. Ses hanches entrent en action. Les miennes suivent la
danse, avides. Seuls nos vêtements séparent nos corps nus, et la frustration
se fait encore plus grande. À cet instant, je n’ai plus envie de combattre,
j’éprouve seulement le besoin de me laisser aller.
Je me sens grisée, j’ai l’impression de ressentir encore ce sentiment de
liberté. Mon corps en veut davantage, il désire être libre de toutes ses
inhibitions. Sa langue taquine la mienne, la cherche, puis s’éloigne. Je
recule mon visage et plonge vers son cou. Je mords sa peau, je la lèche, je
tourmente Assan. Et comme moi, il en réclame encore.
Le temps de la réflexion est oublié, seuls nos péchés dictent nos
besoins.
L’adrénaline qui m’a secouée il y a quelques heures se libère enfin. Ma
colère, mon désir, je mets tout dans mes coups de dents, dans mes baisers.
La frustration dont Assan est l’auteur, je la lui livre en pâture. Ses mains
saisissent mes hanches, me faisant onduler plus rapidement contre lui. Il
embrasse bien, mais il bouge encore mieux. Il frotte son visage contre le
mien, sa barbe appuyant contre mon visage et je retiens un juron. Tandis
que ma main se déplace entre nous, cherchant à relever son haut dans le
seul but de toucher sa peau brûlante, la porte de la salle de cœurs claque
bruyamment.
− Abby, tu es là ?
Pas encore ! hurle ma conscience, prête à sortir les crocs. Je
m’immobilise, Assan poussant un véritablement grognement de frustration.
Je relève ma tête et fixe MK qui est dans l’entrée, la bouche grande
ouverte.
− Pardon Abby, je ne savais pas si tu avais quitté le club, et… excusez-
moi, Patron, il murmure en comprenant avec qui je me trouve.
Je suis énervée autant que je suis excitée. Cependant, le charme est
rompu, je le sais et l’homme bouillonnant sous moi également. Je lis des
promesses dans ses yeux sombres. C’est la troisième fois que nous sommes
interrompus. Il essaye de me faire comprendre que la prochaine fois sera la
bonne… Tandis que mon cerveau se réveille soudainement, je prends
conscience de ma position, de mes actes. Comme si ma vie n’était pas assez
compliquée comme ça, je viens d’en rajouter une couche. C’est pas vrai…
Je m’éloigne brutalement et Assan me laisse faire, à regret.
− Ne m’ignore plus comme si j’étais une merde, je le mets en garde.
Il sait de quel épisode je parle. Lorsque je l’ai croisé avec ces types
dans le hall et qu’il m’a regardée comme un humain observerait
nonchalamment un insecte. J’ai compris ses mots, il ne voulait pas que
d’autres hommes me fixent. Mais la partie irrationnelle de mon cerveau lui
ordonne de ne plus agir comme ça.
Je me redresse. Quant à lui, il reste immobile, parfaitement à l’aise.
− Abby, m’ordonne-t-il pour que je le regarde.
Mais je n’y arrive pas. Probablement parce que je sens que je suis en
train de perdre la partie. Et par-dessus tout, je suis en train de me perdre,
moi. Sa voix claque dans mon dos une nouvelle fois, mais je m’éloigne
rapidement, me baisse pour récupérer mon sac et sors de la salle, les jambes
flageolantes.
Assan est la tentation incarnée. Casseroles, passé ou pas… Je ne sais
pas si je serai assez forte pour y résister.
- 18 -
Sean
Kiev.
***
Abby
Paris.
***
Abby
Lioudmila
Russie.
***
Abby
***
Barbara est un vrai tyran. Je crois que la prochaine fois qu’elle lèvera
les yeux au ciel en me parlant, j’enfoncerai mes doigts dans ses globes pour
les lui arracher.
Je pense que ma robe ne l’a pas convaincue. Pourtant, je ne suis pas la
seule qui ne sert pas en petite tenue. Une teigne. Rien de plus, rien de
moins. Elle ne me fait pas peur. Des filles comme elle, j’en ai croisé des
dizaines.
Mon doigt tapote le comptoir au rythme de la musique sensuelle qui se
joue, et je laisse mes yeux se promener à travers la grande pièce. Un show a
commencé, quelques filles se déhanchent sur la scène, sous des yeux
envieux. L’alcool coule à flots tandis que nous servons les divers clients
assis autour des danseuses.
Aucun type n’a essayé de me toucher ou n’a été incorrect. À vrai dire,
leur attention est accaparée par la piste, ce qui me convient très bien.
− Une nouvelle, ronronne un type en s’installant au bar alors que je
prépare une commande.
Je lui souris poliment en hochant simplement la tête.
− Magnifica, s’exclame-t-il avec un clin d’œil appuyé.
− Grazie.
Que je lui réponde dans sa langue semble lui plaire, mais cela ne
m’empêche pas de rester fermée à toute proposition. Je ne suis pas là pour
l’amener dans une des pièces dédiées à la luxure, à l’arrière de la salle. Et il
le comprend bien vite lorsqu’il s’éloigne quelques minutes plus tard, la
mine crispée.
− Eh, insiste une voix haute perchée sur ma droite.
J’ignore Barbara en continuant de servir mes verres.
Mais je me stoppe complètement quand elle se colle presque à moi, en
claquant des doigts.
Comme si j’étais une chienne. Sa chienne.
− Est-ce que tu viens de claquer des doigts dans ma direction ?
demandé-je, calmement.
Ne pas la tuer. Ne pas la tuer.
Je pourrais éventuellement arracher ses boucles brunes et lui faire
nettoyer le sol avec ?
Ma collègue esquisse une moue boudeuse et lève, encore une fois, ses
yeux au ciel.
− Tu es censée charmer les clients. Leur donner envie de revenir, pas
les dégoûter, dit-elle en observant ma robe avec une moue désormais
sceptique.
− Pardonne-moi, je réponds d’un air désolé, ma main posée sur mon
cœur, mais la plupart des hommes reviennent vers les femmes qui leur
résistent, pas celles qui ouvrent les cuisses en quelques secondes à peine.
Elle plisse les yeux en pointant un doigt rageur dans ma direction.
− Écoute-moi bien espèce de petite conne… commence-t-elle.
− Enlève ton putain d’index de ma poitrine. Tout de suite, la coupé-je
d’une voix tranchante.
Je ne suis pas sa petite poule qu’elle peut manier à sa guise. Elle n’est
pas ma supérieure, Vanessa l’est. Pitié, faites que toutes les filles de l’aile
gauche ne soient pas aussi connes.
− Tu devrais vraiment…
− Que se passe-t-il, Mesdemoiselles ? nous coupe une forte voix que je
reconnaîtrais entre mille.
Assan.
Première fois que je le revois depuis…
Ne pas y penser. Ne pas y penser. Ne pas… Euh, il se passe quoi, là ?
Barbara plaque un sourire sur son visage et minaude dans la direction
de l’homme qui m’a…
Stop.
− Assan, ronronne presque la brune en se penchant par-dessus le bar,
lui offrant une vue parfaite sur son décolleté. Je suis contente de te voir…
À ma grande surprise, As la mate sans discrétion, ce qui n’échappe pas
à l’autre gourde.
Connard.
Connasse.
Puis, il se tourne vers moi, tout sourire. Je reste impassible. Il ne
m’aura pas.
Sa chemise blanche a beau mouler parfaitement son torse, ses cheveux
sombres effleurer son col, et ses avant-bras se poser sur le comptoir, une
luxueuse montre accrochée à son poignet, je lui accorde à peine un regard.
Enfin, pas trop.
− Je ne savais pas que la nouvelle recrue serait si dure à former, se
plaint d’emblée Barbara. Impossible à vivre.
À mon tour, je lève les yeux au ciel et me retiens de rire.
− Tu te fous vraiment de la gueule du monde, je reprends sous son
regard choqué. C’est la carte qui se moque du chéquier.
Assan, surpris, se tourne vers moi, et lâche d’une voix rauque :
− Le respect envers tes supérieurs est de rigueur, Abby. Retourne
travailler, ordonne-t-il à Barbara qui s’éloigne, tout sourire.
Je vais les tuer.
Tous. Les. Deux.
Je me penche furieusement vers Assan.
− Baiser son patron est une preuve suffisante de respect, tu crois ?
demandé-je froidement.
Il perd son sourire en se redressant.
− Peut-être que je devrais baiser Barbara. Qu’en penses-tu ?
Je relève un sourcil dans sa direction, choquée par ses dernières
paroles. Ne me laissant pas le temps d’en placer une, il reprend durement :
− Travaille correctement. Sinon, tu dégages. Compris ?
Puis, sans demander son reste, il s’éloigne. Me retenant de l’insulter, je
sens mes yeux s’embuer légèrement.
Je ne verserai pas une seule larme pour lui. Il ne le mérite pas.
***
Assan
J’entends Abby jurer dans mon dos et me retiens de rire devant son
entêtement. J’aime la taquiner. Et je l’avoue, je voulais la vexer comme je
l’ai été hier. Je devais rejoindre un client important dans la salle de pique,
mais je vais finalement rester quelques minutes de plus ici. Je m’installe à
quelques mètres du bar, dans un luxueux fauteuil en cuir noir.
Le show de Candice et Mia attire beaucoup de regards.
Pourtant, je reste dos à la scène, observant Abby qui remplit son
plateau en marmonnant dans sa barbe.
Je vois la colère transpirer de ses pores. Elle déteste que je la remette à
sa place, et j’adore sa réaction. Elle place un nouveau verre sur le plateau et
l’empoigne en s’éloignant du bar. Quand elle passe près de moi, elle ne me
remarque pas puis se dirige vers deux hommes admirant le spectacle des
filles d’un œil avide.
Elle leur sourit poliment tout en les servant. Le plus âgé des deux
continue d’observer la scène sans faire attention à elle. Mais l’autre type, un
blond d’une trentaine d’années, fixe d’un air intéressé les formes dévoilées
par sa robe fendue au niveau d’une de ses cuisses.
Une fente que je n’avais pas remarquée.
Fait chier.
Je serre mes poings, hargneux. Sans gêne, l’homme continue de mater
ses jambes tandis qu’Abby s’incline pour déposer son verre. Quand sa main
s’avance vers sa peau nue, que je sais particulièrement tendre à cet endroit,
je me redresse. Elle est à moi. À aucun de ces imbéciles. Je vais leur crever
les yeux. Je n’arrive pas à contenir la soudaine possessivité qui monte. Je ne
connais pas ce sentiment, mais il ne me laisse pas le choix. Il s’instaure en
moi et dévore tout sur son passage. Que m’arrive-t-il ?!
Au moment où elle se tourne vers l’homme, un air meurtrier sur le
visage, je respire à nouveau. Elle se penche si près de son visage que
l’homme recule doucement. Ses prochains mots semblent choquer le type
qui ouvre la bouche en perdant sa bonne humeur.
Je tuerais pour savoir ce qu’elle lui a dit.
Fier, je la regarde s’éloigner vers une autre table, la tête haute.
Apercevant MK du regard, j’indique du menton la table des deux
hommes, lui dictant silencieusement de les virer rapidement d’ici. Je ne
veux pas que l’un d’eux s’imagine la toucher. Lorsque ma petite blonde
passe une nouvelle fois près de moi, je ne laisse pas passer ma chance.
− Un verre de Whisky Benromach, lui ordonné-je.
Elle s’arrête, la mine énervée. Ses lèvres se plissent et je me retiens de
la tirer à moi pour passer mes mains sous sa petite robe. Mais je ne veux pas
être le premier à craquer. J’ai encore envie d’elle, c’est une certitude. La
prendre hier sur mon bureau ne m’a pas rassasié, loin de là. Au contraire,
cela m’a ouvert l’appétit.
Cette nuit, je n’ai fait que repenser à sa chaleur entourant ma queue,
l’attirant à elle possessivement.
Pourtant, elle m’a repoussé. Après ce moment de dingue partagé
ensemble, Abby s’est fermée, m’envoyant bouler sans aucun respect.
Elle m’a comparé à un putain de repas !
J’ai autant envie de la brutaliser que de la baiser encore et encore. Me
voiler la face ne servirait à rien. Je suis prêt à recommencer, envoyant valser
mes propres règles. La question est juste de savoir combien de temps je vais
tenir sans sa peau.
La sublime brune avec qui j’ai déjeuné, ce midi, aurait été prête à une
bonne partie de jambes en l’air. Et elle m’aurait remercié, elle !
Malgré ses avances, mes yeux étaient hantés par une petite blonde,
beaucoup trop têtue à mon goût. Une jeune femme un peu trop curieuse, qui
serait prête à mettre ses pieds là où elle n’a pas le droit d’aller.
Et pourtant, elle me plaît d’une force…
Je déteste qu’elle sache plus de choses sur moi, que moi sur elle. Cela
va à l’encontre de ma nature profonde.
Je n’ai rien trouvé sur elle. Rien. Elle essaye de se mêler de mes
affaires, sans montrer aucune peur. Aucune appréhension face à mon passé.
Face au vrai moi. Putain, Abby, qui es-tu ? Que cherches-tu ? Que me veux-
tu ? Pourquoi est-ce que tu me hantes comme ça ?! Pourquoi est-ce que
j’arrive pas à la virer ?!
Sans se départir de son professionnalisme, Abby passe sa langue sur
ses lèvres en hochant la tête.
− Je vous ramène ça tout de suite.
Son soudain vouvoiement me fait hausser les sourcils. Bordel, elle
continue à jouer. Ou pas. Suis-je allé trop loin avec cette histoire de
Barbara ? Possible.
Elle revient quelques minutes plus tard, la mine sombre, la posture
droite.
Je trempe mes lèvres dans le liquide ambré.
− Ce n’est pas du Benromach, j’indique en buvant une gorgée.
Abby relève un sourcil. Elle est si facile à piquer.
− Je vous assure que si.
Je penche la tête sur le côté, joueur.
− Ma réponse n’admettait aucune contradiction. Vous vous êtes
trompée, continué-je en posant mon verre sur la table vernie.
Elle me foudroie du regard. Puis, me surprenant, elle se penche et
récupère mon verre. Elle l’amène à ses lèvres et en lèche le rebord de la
pointe de la langue.
− Hum, ronronne-t-elle, c’est bien du Benromach. Aucun doute
possible.
Mon regard est hypnotisé par sa petite langue, l’imaginant sans mal sur
une autre partie de mon corps. Je me sens immédiatement durcir contre la
fermeture de mon pantalon. J’ai besoin de sentir ses lèvres autour de ma
queue. Pourvu qu’elle ne remarque rien.
− Ce sera tout, annoncé-je d’une voix rauque.
Elle a des antennes, ce n’est pas possible ! Ma voix a pour seul effet
d’inciter ses yeux à se poser directement sur mon entrejambe. Fière de
l’effet qu’elle me procure, elle s’éloigne en se déhanchant plus que de
raison.
Cette fille ne m’a pas tout dit. Elle est si secrète, sur tout. Et moins j’en
sais, plus je veux en savoir. Son entêtement me rappelle mon propre
comportement il y a des années de ça.
Prêt à en découdre contre le monde entier. Dans l’unique but de…
survivre. Les mots de Lincoln me reviennent en tête. Certes, il m’a sorti de
la misère. Puis, il m’a engagé. Mais il m’a ensuite piégé. Il m’a envoyé en
taule parce qu’il avait peur que je le dépasse. Les images défilent dans ma
tête, me plongeant dans mes souvenirs.
***
***
Aujourd’hui.
J’ai finalement choisi de suivre Lincoln. Pour protéger mon frère, pour
lui offrir une meilleure vie. J’ai vendu mon âme au Diable avant de devenir
l’un de ses plus fidèles disciples. Je me suis sali les mains. Je les ai
recouvertes de sang. Avant de dépasser mon maître.
- 21 -
Abby
Assan se stationne vingt minutes plus tard devant une petite brasserie
parisienne. Il coupe le contact de sa Maserati, puis tape en rythme avec son
pouce sur le cuir du volant. Je sens qu’il veut dire quelque chose, mais se
retient. Il se tourne ensuite vers moi, les sourcils froncés.
− Je suis toujours furieux contre toi.
Ce n’est pas une phrase à laquelle je m’attendais. Un petit sourire me
vient devant son air frustré. Je ne l’écoute pas plus et ouvre la portière sans
l’attendre.
− T’as entendu ce que je t’ai dit ? me demande-t-il en faisant le tour du
véhicule pour me rejoindre.
Je hoche la tête, tout en levant les yeux au ciel.
− Furieux pour quoi exactement ? Pour t’avoir comparé à de la bouffe ?
Étoilée qui plus est ! Si j’avais su, j’aurais trouvé un équivalent chez le fast-
food du coin ! Là, tu aurais pu être énervé ! Il faut relativiser…
Puis, je comprends enfin. Il ne va quand même pas oser… Si ?
− Tu veux me faire manger un vrai repas pour me renvoyer ma pique,
c’est ça ?
Il pince les lèvres en penchant légèrement sa tête, puis un soupir
s’échappe de ses lèvres. Il avance vers la porte en marmonnant dans sa
barbe alors que je rigole doucement. Je sens qu’il regrette déjà son
invitation. Eh bien, pas moi, je ne vais pas dire non à de la bouffe gratuite.
− Tu sais, commencé-je en passant devant lui et tirant la porte, c’est à
moi d’être furieuse contre toi. Et non l’inverse.
Je la lui claque au nez. Mais, il revient rapidement à la charge.
− Et pourquoi ?
− Tu t’es comporté comme un connard, cette nuit.
− Comme un patron serait plus approprié. Au contraire, je me suis
trouvé parfaitement professionnel.
Il va me faire sortir de mes gonds !
− Ose me dire que tu ne veux pas plus qu’une simple relation
professionnelle, je lui rappelle alors qu’un serveur s’approche de nous, un
grand sourire aux lèvres.
Nous suivons le grand type qui nous amène vers une table un peu à
l’écart, bien que la brasserie soit presque vide à cette heure-là. En nous
voyant, il a probablement dû comprendre que nous avions des choses à
régler, As et moi. Dès que nous sommes seuls, ce dernier s’approche de moi
pour tirer ma chaise en arrière. Il profite de cette opportunité afin de glisser
ses lèvres tout près de mon oreille.
Frissons garantis.
− C’est vrai. Je veux plus que cette merde de professionnalisme. Et je
suis presque sûr que toi aussi.
Je me tourne vers lui, incertaine. Quand mes yeux plongent dans les
siens et que je vois l’intensité de son regard, je lui réponds d’un simple
hochement de tête. Sans réfléchir. En comprenant mon geste complètement
dingue, je m’assieds en l’ignorant à nouveau.
Cependant, mon trouble ne lui échappe pas. Il s’installe à son tour, fier
de lui. Le serveur revient vers nous avec un stylo, prêt à prendre notre
commande.
− Je vous écoute, nous annonce-t-il en souriant.
Le pauvre, il doit avoir des crampes aux joues. Néanmoins, quand je
vois ses deux petites fossettes, je ne peux m’empêcher de trouver ça
charmant. Heureusement que mon caractère de cochon m’aide à ne pas
sourire toutes les deux minutes.
Assan se gratte la gorge, je me tourne vers lui et ne peux louper son
expression mi amusée, mi en colère, face à mon soudain intérêt pour le
serveur. Une idée germe, et pas n’importe laquelle. Preuve de mon
immaturité, certes, mais juste pour lui renvoyer la balle de son
comportement de la veille.
Aucun crime ne reste impuni. Il va l’apprendre à ses dépens.
Je me tourne franchement vers l’employé − en ignorant volontairement
Assan −, et lui adresse un grand sourire.
− Que me conseillez-vous de bon ?
Le serveur, ravi de ma demande, me répond du tac au tac :
− Nous proposons des formules sucrées, et des formules salées.
Je fais mine de réfléchir :
− M’imaginez-vous plutôt salée ou sucrée ?
Il me fixe, perplexe, osant un regard circonspect vers As. Vu les éclairs
lancés par mon patron, il retrouve immédiatement un sérieux de
circonstance.
− Vous trouverez votre bonheur sur notre carte, j’en suis certain.
L’épisode Barbara est encore bien coincé dans le fond de ma gorge,
alors j’insiste :
− De vous à moi, j’aime déguster tous types de repas, dis-je en
ronronnant, tout en lâchant un petit gémissement.
Le serveur, défait, avale sa salive en clignant des yeux, faisant mine de
ne pas comprendre mon sous-entendu douteux. Peu importe, Assan l’a
parfaitement saisi, lui. Pour preuve, sa réponse quasi immédiate :
− Par autre type de repas, tu fais référence à ma queue ?
Le pauvre gars rougit, prêt à rebrousser chemin.
− Non, toi, reste. Nous n’avons pas encore passé commande, lâche le
grand brun, ne me quittant pas des yeux.
− Non, mon chéri, rétorqué-je. Dans ce cas-là, je parlerais plutôt
d’amuse-bouche. Enfin, si tu vois ce que je veux dire…
Le serveur toussote de gêne, et je prends un air innocent devant sa
mine défaite.
− Une formule sucrée, je surenchéris ensuite.
Si je continue, le type va passer de rouge pivoine à rouge bordeaux.
− Deux, ordonne Assan avant que le serveur ne s’éloigne
précipitamment en notant notre commande. Amuse-bouche, hein ?
continue-t-il ensuite. Ce n’est pas ce que disait ta petite chatte en se
contractant autour de moi.
Je soupire, lasse.
− Tu l’as bien cherché.
Il me fusille encore plus du regard et son pouce gauche tapote la nappe
blanche. Un nouveau tic nerveux que je n’avais pas encore remarqué. Si je
n’étais pas aussi proche de lui, je ne m’en serais pas aperçue. Cette
proximité me… trouble autant qu’elle me rend perplexe. Devant sa mine
toujours aussi sombre, je reprends :
− Tu veux que je sois sincère ?
En guise de réponse, j’ai droit à un silence pesant. Nous avons assez
joué, gagné, perdu. L’heure de vérité a sonné. Je me penche vers lui, mes
yeux dans les siens.
− Sentir ta queue en moi m’a fait éprouver une sensation incroyable.
Totalement démente.
Il entrouvre ses lèvres tout en fixant ma bouche. Aucun son n’en sort.
Il ne s’attendait pas à une réponse pareille.
− Je ne vais pas te demander comment c’était d’être en moi, continué-
je d’une voix égale, tes petits cris m’ont confirmé que tu as aimé ça, et pas
qu’un peu.
− Ha. Ha. Ha.
Il a répondu ça, car il ne savait pas quoi dire d’autre. Ça se voit, ça se
sent. Une drôle d’électricité crépite entre nous.
Abby
Le lendemain.
***
Assan
Me vider la tête.
Ne pense à rien d’autre... qu’à détruire ton adversaire.
Mes poings s’abattent à rythme régulier sur le sac de sable qui est
accroché au plafond, juste devant moi. À chaque impact, un bruit sourd
retentit entre les quatre murs de la pièce. Mes phalanges me font légèrement
souffrir. Mes muscles, fatigués, commencent à tirer.
Mais cette sensation de liberté, cette énergie qui quitte mes membres
alors qu’une autre, plus profonde, m’envahit, m’apporte une réelle
satisfaction. Un besoin.
Par-dessus la musique, j’entends un bruit. Un bip sonore. J’immobilise
le sac d’un bras couvert de sueur, et tout en reprenant ma respiration, je
récupère une serviette blanche à quelques mètres de là, posée sur l’un des
canapés en cuir blanc de mon salon. Je m’essuie rapidement le visage et
balance le linge un peu plus loin, le faisant atterrir sur une sculpture
d’Élisabeth Bonvalot représentant un guerrier samouraï en céramique.
Je décroche le combiné, essoufflé.
− Ouais ?
− Votre invitée est arrivée, m’annonce Tom, le réceptionniste.
− Faites-la monter, j’ordonne alors que je sens instantanément
l’excitation et la colère m’envahir.
J’éteins volontairement la musique ainsi que la plupart des lumières.
Le torse toujours luisant de sueur, je raccroche sans un autre mot et
récupère mon portable posé sur l’îlot central de ma cuisine ouverte, donnant
sur le salon et la salle à manger.
Mes yeux fixent le message que vient de m’envoyer Abby, et un petit
sourire naît sur mon visage. En lui envoyant mon adresse il y a presque une
demi-heure, j’étais presque certain qu’elle allait me répondre en me disant
d’aller me faire foutre. Mais une petite partie de moi savait qu’elle
viendrait, juste pour me demander quel est mon problème, et me prouver
qu’elle n’a pas peur de se pointer dans mon antre. Sa quasi-fuite me revient
en mémoire. Hier, je lui ai demandé si elle avait fui son pays. Elle ne m’a
pas répondu, elle a battu en retrait, essayant de cacher sa peur derrière ses
yeux gris dans lesquels la tempête semble prendre sa place.
Je me dirige d’un pas lent vers mon escalier, menant à la sorte de
mezzanine ouverte qui accueille ma chambre. Le fait que toutes ces pièces
soient ouvertes les unes aux autres m’a immédiatement donné envie
d’acheter ce loft.
Je m’assieds en haut des marches et patiente. J’admire tout ce luxe à
ma disposition. Si ma mère était encore en vie, je lui aurais acheté un
endroit similaire pour la mettre à l’abri. Mais elle est morte il y a bien
longtemps d’un cancer, et nous n’avions, à l’époque, pas les moyens pour
l’aider, pour la soulager. Mon père l’a rapidement suivie dans la tombe.
Sans la femme de sa vie, il a choisi de sombrer à son tour. Putain, il m’a
abandonné avec Jared, nous laissant livrés à nous même entre les rues
étroites et poussiéreuses d’Agadir.
J’ai vécu une vie misérable la majorité de mes années sur Terre. Faire
des sales boulots m’a aidé à m’en sortir. Aujourd’hui, c’est mon club qui
me rapporte, qui me rend meilleur.
J’entends le tintement de l’ascenseur, signe caractéristique des portes
en train de s’ouvrir directement sur mon salon. Silencieux, je me penche et
pose mes coudes sur mes genoux, observant Abby entrer chez moi. La
découvrir ici devrait m’insupporter. Aucune nana n’avait encore foulé le sol
de mon havre de paix. Même Jared, mon propre frère, ne vient que lorsque
c’est nécessaire. Pourtant, découvrir la jeune blonde s’avancer sur le
parquet me plaît plus que de raison.
Abby ne m’a pas remarqué, assis dans la pénombre, à l’observer. Elle
avance doucement en analysant la pièce qui l’entoure. Je vois qu’elle essaye
de cacher sa curiosité, mais je sais très bien que de nombreuses questions
surgissent dans son esprit.
Le parquet grince dès lors qu’elle jette un coup d’œil à la cuisine
moderne, sur sa droite. Heureusement, elle ne relève pas les yeux. J’aime
l’étudier en silence. En face d’elle, elle découvre le grand salon, avec pour
panorama la capitale, immense, s’étendant au pied de cet immeuble aux
nombreux étages. Elle s’avance entre les canapés, fixe la sculpture et ses
sourcils blonds se froncent quand elle remarque la serviette pendue
négligemment sur le guerrier samouraï.
Ses yeux gris analysent chaque détail, et enfin, elle perçoit le sac de
sable accroché au plafond. Elle se dirige vers lui et mes propres yeux ne
peuvent se détacher de sa silhouette musclée, tellement bandante. Ses fesses
sont moulées dans un jean taille basse et sa poitrine se soulève doucement
sous son top blanc. Même si j’ai toujours eu un faible pour les talons
aiguilles, lorsque je vois ses bottes noires en cuir, mon sexe durcit
davantage.
Cette nana casse tous mes principes. Et j’ai l’impression que ça ne fait
que commencer.
Je passe ma langue sur mes lèvres tout en l’imaginant la poser autre
part. Sur un endroit encore plus humide… Quand Abby effleure le sac de
boxe, elle laisse traîner ses doigts là où les miens le frappaient il y a
quelques minutes de ça. D’un revers, elle le pousse et qui tangue
légèrement. J’ignore pourquoi mon corps la veut encore. Mais je ne peux
lutter contre ce désir qui se transforme en besoin.
Oui, je la veux encore.
Je ne suis pas repu d’elle. Et plus cela avance, plus je me dis que je ne
serai jamais rassasié.
En silence, je me redresse sur les marches et je descends les escaliers.
Je m’arrête à quelques mètres derrière elle tandis qu’elle s’immobilise. À
l’instant où ses épaules se tendent, je comprends qu’elle sait que je suis là.
Elle m’a senti.
Cependant, elle ne se retourne pas. Elle continue de balancer le sac
légèrement, à un rythme régulier. Mes pieds font grincer le parquet au
moment où je m’approche un peu plus d’elle. Elle bouge doucement et
contourne le sac en y laissant traîner son doigt. Après avoir effectué un tour
complet, elle se retrouve enfin face à moi.
Je vois le désir briller dans ses yeux. Elle a beau essayer de me mentir,
de se mentir, je sais qu’elle me veut aussi. Elle cherche à s’éloigner
mentalement de moi, pour que je n’obtienne pas les réponses à mes
questions. On veut rester isolés, mais on n’y arrive pas. Je veux prendre ce
que je veux, et elle souhaite en faire de même.
Sous bien des points, nous sommes identiques.
− Laisse-moi deviner, commence-t-elle d’une voix rauque, tu n’arrivais
pas à dormir, car ton corps me réclamait ?
Un coin de ma bouche se relève face à son air de défi.
− Et tu as répondu à mon appel, car le tien me voulait encore plus.
Étrangement, elle ne me contredit pas. Elle ne tente même pas de
cacher ses émotions, un air sauvage s’imprégnant de son visage. Voulant
faire durer les choses, et toujours un peu vexé de son précédent
comportement, je me penche vers l’un des canapés. Je récupère une paire de
gants et la lui envoie au visage. Abby la saisit et relève ses yeux dans ma
direction.
− Tu m’expliques ce bordel ? me demande-t-elle sans les enfiler.
− Je veux voir de quoi tu es capable.
Elle rejette sa tête en arrière, ses boucles blondes brillant sous le clair
de lune.
− Tu m’as fait venir ici pour qu’on se batte ?
− Non. Je prévois aussi de te baiser, continué-je d’une voix ferme.
− Et si je n’en ai pas envie ? dit-elle en me jetant un regard moqueur.
− Nous savons pertinemment que tu le veux autant que moi. Mais
avant, ouais, je veux voir de quoi tu es capable.
− Et tes gants à toi ? me demande-t-elle en fixant les siens qu’elle tient
contre elle.
Je hausse une épaule négligemment. Je sens son regard se poser le long
de mon torse nu.
− Je n’en ai pas besoin.
Abby relève ses yeux vers mon visage, furieuse. Elle pince ses lèvres
et me jette les gants au visage. J’en évite un, et récupère l’autre au vol.
− Moi non plus, crache-t-elle.
Je retiens un rire devant son air buté. C’est tellement facile de la mettre
en rogne. Je me campe sur mes jambes et lui fais signe d’approcher. Elle
jette un coup d’œil à son jean, perplexe.
− S’il te gêne, tu peux l’enlever, je lui suggère d’une voix mielleuse.
− Blyat14.
Elle bougonne dans sa barbe en retirant ses bottes brusquement.
Je me redresse quand je comprends qu’elle risque vraiment de l’ôter.
Fausse alerte, elle le garde en place. À mon grand désespoir.
− Je peux garder mon jean et exploser ta belle gueule, termine-t-elle en
se redressant.
J’essaye de garder mon sérieux en attendant qu’elle approche.
Néanmoins, elle ne le fait pas. Elle campe sur ses pieds, parée à toute
attaque.
N’y tenant plus, je m’avance vers elle et la bouscule doucement au
niveau de son épaule droite. Elle plisse les yeux, mais ne me pousse pas en
retour. Ne la ménageant pas, je fais mine de m’approcher de son épaule
gauche. Avant que ma main ne réussisse à l’effleurer, elle envoie son poing
dans le creux de mon coude, m’empêchant d’atteindre ma cible.
Je n’en attendais pas moins d’elle.
Je commence à avancer ma paume pour toucher, une nouvelle fois, son
épaule droite, mais au dernier moment, je change de direction et pars vers la
gauche. L’impact étant volontairement léger, elle ne vacille pas. Pourtant, je
sens la colère monter en elle. Exactement la réaction que j’attendais.
− C’est quoi ton problème ? me demande-t-elle alors. Tu veux qu’on se
batte ? T’as un sérieux grain dans la tête, mon gars.
Je ne lui réponds pas, attendant qu’elle porte le prochain coup. Elle
soupire en levant les yeux au ciel et se tourne pour récupérer ses bottes, au
sol. J’en profite pour attraper le haut de son bras droit, au niveau de son
biceps contracté. Abby se dégage furieusement, puis se retourne légèrement
vers moi avant d’envoyer son poing gauche dans ma direction.
Instinctivement, je décale ma tête, juste avant que l’impact ne touche le bas
de mon menton. Ses bottes oubliées, elle se place face à moi. Un petit
sourire pointe sur son visage alors qu’elle place sa garde.
− Tu vas le regretter, As.
Sa voix a l’air joueuse, elle n’est pas réellement énervée. Parfait. Je
n’ai aucune intention de mettre de la force dans mes mouvements, je veux
simplement la rendre folle et la pousser à bout.
Je relève ma propre garde, puis place mes jambes en appui. Elle fixe
mes côtes avec un air sauvage. À l’instant où je pense qu’elle va me frapper
pile à cet endroit, elle envoie son poing dans mon épaule gauche. Mes
sourcils se froncent face à la force de son coup. Qui lui a appris ça ? Ses
doigts, parfaitement placés, lui épargnent toute douleur. Profitant de ma
stupeur, elle envoie un nouveau coup. Dans mes côtes, cette fois.
− Putain, grogné-je. Tu m’as eu par surprise.
Elle me répond d’un de ses rires moqueurs. Elle veut jouer à ça ? Elle
va me trouver !
− Tu t’attendais peut-être à autre chose, As ?
À l’attaque suivante, j’intercepte son bras gauche que j’immobilise à
quelques centimètres de mon visage.
− C’est ça qu’ils apprennent en Ukraine ? demandé-je, moqueur. C’est
pour fuir une personne aussi nulle que tu as atterri ici ?
Fermée, elle secoue la tête et souffle :
− L’arme la plus douloureuse ne sera jamais un poing.
Je serre doucement sa peau, puis la relâche.
− Et qu’est-ce que c’est ?
Seul le silence me répond.
− À toi, finit-elle par me lancer en relevant sa garde, tout en se
repositionnant.
Je secoue la tête, dubitatif.
− Je ne veux pas te faire mal.
Toute chaleur quitte le visage d’Abby à la seconde où elle bondit sur
moi. Même si je bloque facilement ses poings, son genou vient frapper le
côté de ma cuisse, pile dans le muscle. Elle s’éloigne presque directement
en sautillant joyeusement. Je la fusille d’autant plus du regard.
− Au contraire, je crois que c’est moi qui vais te faire mal, As.
Quand elle est joueuse ou en colère, elle m’appelle par mon surnom.
Ce n’est pas une petite chose fragile que j’ai en face de moi. Alors que
j’envoie mon poing vers elle et qu’elle le bloque avec une aisance
déconcertante, je relève le pied et la pousse au niveau du bas-ventre. Elle
recule légèrement, ce qui me fait sourire.
− Tu n’as rien d’autre en stock ? me demande-t-elle, moqueuse.
Je me prête peu à peu au jeu et envoie, cette fois-ci, mon tibia frapper
son flanc, au niveau de ses côtes. Mon coup était léger et maîtrisé, la
mettant juste en garde sur mes réelles capacités. Pourtant, contre toute
attente, elle semble encore plus motivée face au combat qui s’annonce.
− Essaierais-tu de me tuer, mon ange ?
Aucun sourire ne filtre sur ses lèvres. Son visage, plus impassible que
jamais, me fixe avec dureté.
− Qu’est-ce que t’en sais ? Peut-être que d’autres sont morts sous mes
poings.
Je sais qu’elle ment, Abby n’a jamais touché personne. Sous ses airs de
dure à cuire se cache une nana au cœur tendre. J’en suis quasiment certain.
Quasiment.
Elle a fui son pays, et j’en découvrirai bientôt les raisons. Je sens que
c’est bien plus profond qu’un simple abandon familial ou un délit. Son
comportement, sa façon d’être si discrète et mystérieuse, ne cessent de
m’inciter à croire qu’elle se cache de quelqu’un.
Et ce quelqu’un doit être dangereux.
Sa remarque me ramène dans mon propre passé, quand je tenais la vie
de personnes entre mes mains. Cependant, elle me sort rapidement de mes
pensées, ses poings s’enchaînant. Je parviens à les bloquer, mais de justesse.
Puis, quand elle relève son genou, ma garde n’étant pas remise, il atterrit à
nouveau sur ma cuisse, pile dans mon muscle.
Garce.
− Putain, grogné-je en la repoussant.
Son air ravi me donne envie de la baiser férocement, jusqu’à ce qu’elle
sombre dans l’inconscience, épuisée d’avoir hurlé mon prénom.
− C’est ça qu’ils apprennent au Maroc ? me demande-t-elle, me
renvoyant mes propres mots à la figure. Lincoln t’a pêché là-bas ? Vous
avez monté un business ensemble ?
Pour la première fois, j’envoie mon poing dans son visage. Sa garde
bloque mon coup, mais mon autre poing parvient au niveau de son épaule
gauche.
Devant sa grimace douloureuse, je me glace instantanément. J’ai
frappé trop fort, et je m’en veux.
− Ça va ? m’inquiété-je subitement.
Elle ne répond pas qu’elle revient déjà à la charge avec intensité. Son
enchaînement est rapide et je la laisse faire tout en reculant de quelques pas.
− Bats-toi, m’ordonne-t-elle. Comme un homme. Comme le vrai As.
Putain, elle va me rendre barjo.
J’intercepte son prochain coup, bloque son biceps droit entre ma main
gauche, et serre mon emprise. Alors qu’elle essaye de se dégager, je l’attire
contre moi. Mes mains se plantent dans ses cheveux et je plaque ma bouche
sur la sienne. Elle la ferme férocement, grondant doucement. Au moment
où je passe ma langue sur ses lèvres fermées, je sens un coup arriver au
niveau de l’articulation de mon genou.
B.
O.
R.
D.
E.
L.
Ivre de désir et de colère, je tire sur ses cheveux et la heurte de la
même façon. Je profite du fait qu’elle vacille légèrement pour me laisser
tomber sur elle et la plaquer sur le sol, essayant toutefois de ne pas
l’écraser. Mais quand elle se débat, je permets à mon poids de la maintenir
tout contre le parquet.
− Connard, m’insulte-t-elle entre deux baisers.
Sa main s’abat sur ma joue et j’agrippe son menton pour l’immobiliser
et lui meurtrir la bouche, ma paume se plaçant contre sa gorge alors qu’elle
me tire les cheveux.
Elle appuie sur mon épaule gauche pour me faire basculer et je lui
permets de se redresser sur moi, me retrouvant allongé contre le sol. Abby
se positionne à califourchon sur mon bassin, et le « V » de ses cuisses se
frotte langoureusement contre mon érection.
Elle me rend fou.
− Match nul, décrète-t-elle.
Peu importe, j’ai déjà oublié notre petit combat.
J’agrippe ses hanches afin qu’elle bouge plus fortement. Quand elle
gémit, j’embrasse son oreille et la pointe de ma langue passe sur son lobe,
que je suce avidement. Ses ongles s’enfoncent dans ma nuque, et n’y tenant
plus, je me relève tout en la gardant dans mes bras. Ses cuisses
emprisonnent mes hanches. Alors que j’esquisse un pas, elle arrache sa
bouche de la mienne et m’ordonne :
− Le canapé.
Je me laisse tomber, l’entraînant avec moi dans ma chute. Sans
demander son reste, elle ôte son top qu’elle passe au-dessus de sa tête. Je
déboutonne son jean, et bien vite, elle se retrouve complètement nue sur
mon corps impatient. Le désir nous consume d’une force que je ne pensais
pas connaître un jour. Quand elle dégage mon érection de mon jogging, je
ne peux retenir un son rauque de sortir de ma gorge, faisant vibrer ma
poitrine. Abby mordille ma pomme d’Adam et j’halète. Assise sur moi, ses
yeux plongent dans les miens, remuant mon cœur de toutes parts. Il ne m’en
faut pas plus pour entrer en elle, complètement dur. Je passe mon pouce sur
sa lèvre inférieure, l’embrassant encore et encore.
Son fourreau étroit m’accueille, et nous gémissons à l’unisson. C’est
différent. Je sens directement sa peau, l’humidité de son vagin qui glisse
contre ma hampe. Abby se redresse brutalement, ouvrant grand les yeux et
retirant sa bouche de la mienne.
− Préservatif.
− Merde, craché-je en me retirant.
Une des raisons pour laquelle c’était si bon. Moi en elle, sans aucune
barrière.
Elle sourit et récupère son jean. Quand elle tire une protection de la
poche arrière, je relève un sourcil, surpris. Néanmoins, dans le bon sens du
terme.
− Je vois que tu étais déjà parée à toute éventualité. Tu ne cesseras
jamais de me surprendre, mon ange.
Elle rigole doucement sans prononcer le moindre mot. Lorsque j’entre
une nouvelle fois en elle, nous ne parlons plus, transportés par les
sensations devenant de plus en plus intenses. Je la retourne brusquement et
la plaque contre le canapé. Je reste figé entre ses cuisses, observant ses
seins qui se balancent. N’y tenant plus, mes dents s’emparent de son téton
droit pendant que ma main libre agrippe son autre sein. Son odeur
m’envahit, me rend fou. Je la baise un peu plus fortement, la folie prenant
possession de moi.
Chacun de mes coups de reins nous amène vers un orgasme
complètement dément. Les contractions de son sexe emportent ma
jouissance presque instantanément.
− Encore, gémit-elle quand je cherche à me retirer. Assan, encore.
Elle répète mon prénom plusieurs fois tout en posant son front contre
le mien.
Et je lui donne ce qu’elle veut, me perdant moi-même, pour quelques
heures encore, dans un monde fait de luxure.
Le plus évident qui soit.
- 23 -
Abby
Abby
***
Abby
Aujourd’hui.
***
Quelques heures plus tard, tandis que je bâille à m’en décrocher la
mâchoire, j’écoute Assan reprendre sa respiration près de moi. Les draps
sont trempés de sueur. L’odeur du sexe flotte encore dans ma chambre. La
radio est allumée dans un coin de la pièce et je prie pour que ma colocataire
n’ait pas entendu notre nouvelle partie de jambes en l’air. Allongée sur le
dos, je tourne ma tête vers Assan et découvre qu’il m’observe, dans la
même position que moi. Il doit lire les questions dans mes yeux, car il prend
son air canaille.
− Tu crois que Maya nous a entendus ? murmuré-je.
Son regard longe ma poitrine découverte, admirant les traces que sa
barbe a laissées dans mon cou pendant qu’il frottait son visage contre ma
peau. Il ne semble absolument pas s’en vouloir.
− Vu le manque d’épaisseur des murs, effectivement, je crois qu’elle
t’a entendue me hurler de ne pas toucher à ton trou du cul.
Je frappe sa poitrine du plat de ma main en levant les yeux au ciel. Je
n’y peux rien si je suis expressive au lit. Le grand brun se moque de moi et
emprisonne ma main contre lui juste avant de me tirer brutalement au-
dessus de son corps. Nos peaux nues entrent de nouveau en contact. Je ne
sais pas vraiment comment réagir face à cette position. J’enfonce mes
coudes dans sa poitrine et me redresse, de façon à plonger mes yeux dans
les siens.
Qu’est-ce qu’on est en train de faire, Assan ?
Voilà une question silencieuse que je lui pose. Les mots n’arrivent pas
à sortir de ma bouche. J’observe les traits de son visage, la cicatrice sur son
menton, les petites rides au coin de ses yeux. Il a l’air aussi épuisé que moi,
et pourtant, il m’a rejointe ici, ce soir. Sans me demander mon avis, il
attendait une nouvelle fois devant ma porte. Comme les autres soirs.
Trop rapide. Trop intense.
C’est la pensée qui m’a traversée quand je l’ai aperçu. Alors, je lui ai
demandé de virer son cul d’ici, que je n’étais pas d’humeur. Vous savez
comment cet imbécile a réagi ? Il m’a mordu la lèvre avant de plaquer sa
bouche contre la mienne. Et encore une fois, j’ai cédé. Parce que j’en avais
autant envie que lui.
Tandis que son index dessine des arabesques sur ma fesse droite, une
autre question me vient. Et celle-ci, j’arrive à la lui poser :
− Tu as couché avec Barbara ?
Son doigt s’immobilise une seconde sur ma peau, avant de reprendre
son chemin comme si de rien n’était. Il m’observe attentivement. Plutôt que
de paraître inquiet ou de chercher ses mots, il sourit doucement, le coin
gauche de sa bouche se relevant. Son érection durcit à nouveau sous moi,
comme si mon comportement l’excitait.
− Jalouse, mon ange ?
Je plisse les yeux et enfonce un peu plus mes coudes dans sa poitrine.
− Bien sûr que non. Pourquoi serais-je jalouse ? Tu fais ce que tu veux
de ta queue.
Il relève ses sourcils, pas dupe. J’essaye de rester parfaitement
hermétique, du moins en extérieur. Parce qu’au fond de moi, je connais
parfaitement la réponse. Je tente de ne pas être dévorée par la jalousie. Mais
c’est peine perdue.
− Bien sûr que je fais ce que je veux de ma queue, reprend Assan. Je
baise qui je veux.
Je hoche simplement la tête, refroidie désormais. On ne se promet rien,
lui et moi. Mais sa non-réponse ne me plaît pas. Loin de là même. J’essaye
de m’éloigner de lui, mais il m’en empêche, ses deux bras s’enroulant
comme des serpents dans mon dos.
− Qu’est-ce que tu fais ? me questionne-t-il en fronçant les sourcils.
Laisse ton petit corps sur moi.
− Moi aussi, je fais ce que je veux de mon corps, As.
Ma réponse le déconcerte. Néanmoins, je n’arrive pas à me calmer. La
seule chose que je vois dans ma tête, c’est lui en train de pénétrer une
Barbara qui beugle comme une dinde. Je dois me calmer, il a raison, je
m’en moque. Il fait ce qu’il veut. Je me redresse à nouveau et, cette fois, il
me laisse partir. Je m’éloigne, puis m’assieds au bord du lit, sentant ses
prunelles brûler la peau de mon dos.
− Je vais prendre une douche, tu devrais t’en aller.
Mes fesses ont à peine quitté le matelas que sa main agrippe ma hanche
et me tire en arrière. La seconde suivante, je suis clouée au matelas, lui
fermement positionné au-dessus de moi. Ses mèches sombres et humides
tombent sur son front tandis qu’il me fixe sans flancher. De longues minutes
passent, ni lui ni moi ne parlons.
− Je n’ai pas baisé Barbara.
Je ne devrais pas m’en réjouir, pourtant un soupir de soulagement
s’échappe de mes lèvres. Et il le remarque, parce qu’il paraît satisfait, lui
aussi.
− Tu m’écrases, bougonné-je en le poussant sur le côté pour reprendre
contenance.
Il se laisse tomber sur le matelas près de moi et se place ensuite sur le
flanc. Ses yeux analysent mon intimité avec gourmandise, puis se posent
sur le minuscule tatouage sur ma hanche. Son pouce effleure la petite
colombe gravée à même ma peau. Le tatouage que j’ai réussi à faire il y a
deux ans dans le dos de Sean. Le même symbole qui pend à mon cou. Son
regard suit d’ailleurs le pendentif se tenant à cet endroit. La dernière chose
qui me reste de ma mère. Mon cadeau le plus précieux.
− Pourquoi une colombe ?
Je hausse une épaule et replace correctement ma tête sur l’oreiller.
− C’est un symbole qui représente la paix.
Je ne dis rien de plus, mais Assan comprend au fond de lui. Enfin, je
crois. Il ne me pose aucune autre question, réalisant que moi aussi, je
recherche la paix. Je m’habitue à ce silence confortable entre nous, mais il
finit par murmurer, comme pour lui-même :
− Mon père adorait les oiseaux. À Agadir, il les nourrissait. Ma mère se
foutait de sa gueule, mais elle l’observait toujours en souriant. C’était son
truc. Il s’occupait d’eux, et ça lui procurait une certaine tranquillité
d’esprit.
J’avale plusieurs fois ma salive face à ce souvenir qu’il choisit de
partager avec moi. Je ne sais pas vraiment quoi répondre, alors je ne
réfléchis pas :
− Ma mère les aimait aussi. Surtout les colombes… Elle… Elle les
peignait tout en chantant doucement. Je suppose qu’elle m’a transmis sa
passion pour elles.
Porter une colombe sur ma peau me rapproche d’elle.
Assan m’observe sans un mot, attentif à ce qui sort de ma bouche.
Nous ne jouons plus, tous les deux. Ses yeux plongés dans les miens, il
continue :
− Tu me parles d’elle au passé… Elle n’est plus là, pas vrai ?
Sa question me coupe le souffle. Mon corps se tend, mes muscles se
braquent. J’ai l’impression d’être au bord du vide. Je déteste ça. Je déteste
cette sensation. Je hoche simplement ma tête, essayant vainement de
contrôler mes émotions. Elle n’est plus là, mais elle est toujours présente,
dans mon cœur. Il effleure le symbole gravé sur ma peau, et ses yeux me
font comprendre que la peine que je tente de cacher, il la connaît.
− Les miens, non plus, soupire-t-il. Ma mère est morte d’un cancer.
Mon père s’est laissé aller. J’étais… J’étais très jeune. À peine dix-sept ans.
Je m’accroche à ses paroles, repoussant mon propre passé très loin de
moi.
− Alors, tu t’es ensuite occupé de Jared ?
Il ne me répond pas tout de suite, mais son silence en dit long.
− Ouais. J’ai fait le nécessaire pour qu’on s’en sorte. Mes poings m’ont
servi à gagner mes premiers billets. J’ai commencé à pratiquer des combats
de rue. Et puis… j’ai fini par tout quitter pour ouvrir mon club.
Je comprends ce qu’il ne me dit pas. Entre les deux, Lincoln l’a sorti
de la misère. Mais qu’a-t-il fait pour lui ? Et comment Assan s’est-il
retrouvé en prison ? Il ne dit rien de plus et je ne veux pas gâcher cet instant
en lui posant cette question. Ou peut-être que j’ai peur de sa réponse. Nous
avons traversé pas mal de merdes dans le passé, on a essayé différemment
de s’en sortir. Je suis loin d’être blanche comme neige, et je commence à
comprendre que lui aussi. J’ai tué. J’ai frappé. J’ai volé. S’il savait tout
ça… J’ai quitté mon pays pour m’éloigner des types dans ce genre.
Pourtant, je n’arrive pas à le fuir, lui. Mon instinct sent qu’il est différent.
Comme si nous étions deux pièces d’un même casse-tête qu’il fallait
manier avec précaution jusqu’à ce qu’elles puissent s’emboîter
parfaitement.
I need a gangsta.
J’ai besoin d’un gangsta.
To love me better, than all the others do.
Pour mieux m’aimer que tous les autres.
To always forgive me.
Pour toujours me pardonner.
Abby
En terminant mon service, le soir suivant, je rêve d’un bon bain brûlant
qui détendrait mes muscles fatigués.
Nous sortons du club avec Maya, et je l’écoute me raconter le dernier
film de Chris Hemsworth ou un truc comme ça. Il serait, d’après elle, le
parfait sosie d’un Viking sexy. Ce qui me fait noter, dans un coin de ma
tête, d’aller voir sa tête sur Google.
− Pas sûr que ton homme apprécie, la coupé-je en avançant sur le
trottoir.
Ma coloc’ lève ses yeux au ciel en secouant sa main.
− On s’en fout. Je suis peut-être au régime, mais rien ne m’interdit de
regarder la carte des desserts !
Un bruit de pas rapides nous arrête.
− Abby ! claque la voix d’Assan dans mon dos.
L’impatience que j’entends dans son ton me fait me stopper net. Je
fronce les sourcils, rapidement imitée par ma collègue et me tourne. Aurais-
je empoisonné un client sans faire exprès ?
− Je te jure que je n’ai pas tué Barbara, ce soir.
Il ne semble pas d’humeur taquine, bien au contraire. Sa pomme
d’Adam bouge rapidement contre sa gorge tandis qu’il me fixe, les yeux
noirs. Il paraît épuisé. Maya, elle, rigole doucement ne sachant pas quoi
faire d’autre.
− Qu’est-ce qui se passe ? demandé-je finalement en croisant mes
bras.
Je ne devais pas le retrouver, dans les heures à venir. En fait,
m’envoyer en l’air ne fait pas partie de mes projets imminents. Je souhaite
seulement m’enfouir dans une eau bouillante pour le reste de ma vie. Assan
s’avance rapidement vers moi, se retenant de me sauter dessus. J’attends
qu’il me réponde, de moins en moins confiante. Une odeur de tabac,
mélangée à son parfum, m’envahit de partout lorsqu’il fait un nouveau pas
dans ma direction.
− Je t’ai cherchée partout dans le club, commence-t-il d’un air
courroucé.
La façon dont il me parle ne me plaît pas. Je relève les sourcils et jette
un œil à ma colocataire.
− Tu devrais t’éloigner, il va y avoir une bagarre.
Elle lève ses mains en l’air et fait mine de répondre à ses textos. Je
commence à bien la connaître, je sais qu’elle nous écoute parfaitement. Je
m’avance à mon tour vers Assan et mon corps touche presque le sien.
− Donc tu me cherchais, et maintenant tu m’as trouvée. C’est quoi le
problème ? T’as tes règles ou quoi ?
Il ouvre sa bouche, mais aucun mot n’en sort. Comme s’il ne savait pas
comment aborder la situation. En réalité, je comprends que c’est parce que
Maya se trouve toujours là. Il se tourne vers elle, le regard sombre.
− Ce sera tout, tu peux rentrer chez toi.
Elle ne sait plus où se mettre. Elle est partagée entre l’envie de fuir et
celle, plus raisonnée, de rester jouer les fouines.
− Très bien, j’y vais, annonce-t-elle en passant près de nous.
Je me tourne vers elle, les sourcils froncés.
− Quoi ? NON ? Attends-moi !
Assan marmonne dans sa barbe et se penche vers moi.
− Non, souffle-t-il à mon oreille. Toi, tu m’accompagnes.
− Coucher avec toi ne fait pas partie de mes projets, ce soir. Surtout
quand t’as l’air d’une humeur de chien.
Il prend une nouvelle fois sur lui, je le vois bien. Je me demande ce qui
a bien pu le tourmenter comme ça, mais il garde le silence.
− J’ai eu un souci de clientèle, finit-il par avouer, le regard toujours
aussi sombre.
Je hoche la tête, pas certaine de le croire. Je pencherais plus pour une
dispute avec son frère. Je remarque une lueur particulière dans ses yeux.
Une de celles que je n’avais jamais vues auparavant chez lui. Comme si un
danger grandissant s’imposait en lui, le couvant jalousement,
l’emprisonnant.
− Je vais rentrer chez moi et prendre un bon bain chaud, objecté-je,
néanmoins.
Il frotte furieusement son visage. En baissant sa main, il semble plus
calme. Peut-être qu’il ne s’agit de rien de grave, finalement. Son regard se
fait plus doux, il effleure mon poignet de ses doigts.
− Viens avec moi, il me demande dans un souffle. Chez moi.
Quelque chose dans son ton m’interpelle. Une partie de moi me dit de
fuir, et l’autre m’ordonne de le suivre. En fixant sa bouche, puis ses
prunelles attentives à la moindre de mes expressions, je décide de suivre
mon instinct.
− J’espère que ta baignoire est géniale, marmonné-je en passant près de
lui.
***
***
Dormir avec Assan, une nouvelle fois, est une erreur. Surtout lorsque
mon esprit tourmenté ne cesse de divaguer.
Une main me secoue au beau milieu de la nuit et je me réveille en
sursaut, couverte de sueur. Essoufflée, je me redresse, le découvrant au-
dessus de moi. Ma gorge me brûle comme si j’avais trop hurlé et un frisson
désagréable me parcourt.
− Quoi ? demandé-je en haletant.
− Tu étais agitée.
Je me trouvais en plein cauchemar. Je le sais. Je revois encore les
visages morts de ma mère et de Roman, Sean présent derrière moi, la
bouché pincée aux lèvres. Un mauvais rêve qui ne cessera jamais de me
hanter. Je soupire en fermant les yeux.
Au moment où je rouvre mes paupières, Assan me fixe toujours aussi
bizarrement. Il ne dormait pas. Je vois les questions s’entrechoquer dans
son regard noir. Dans un élan protecteur, je couvre mes seins dénudés, ne
comprenant pas son comportement.
− Tu parlais pendant ton sommeil, commence-t-il. Tu. As. Hurlé.
Comme si… Comme si on était en train de te faire du mal.
Je me braque complètement face à ses mots. Mais le pire arrive avec sa
phrase suivante :
− Tu as prononcé un nom. Tu l’as crié.
C’est impossible. Non, ne me dites pas que j’ai fait cette connerie.
− Je ne parle pas dans mon sommeil, répliqué-je pour sauver les
meubles. Tu as dû mal entendre.
Mon amant se penche vers moi en secouant sa tête. Sa grande main
caresse tendrement ma joue.
− Qui est Sean ?
Mon cœur loupe un battement. Mon souffle se ralentit. Je déglutis
difficilement. Je tire ma jambe, mais il la serre encore plus. Je me dégage
finalement et me redresse pour sortir du lit. Je dois immédiatement partir
d’ici avant qu’il ne me pose des questions, avant que j’en dise trop et
l’implique dans cette histoire.
− Abby ? Dis-moi, m’ordonne-t-il en se levant à son tour. Tu l’as hurlé
plusieurs fois, puis tu l’as supplié de te laisser en paix. Qui est-ce ?
Je ne lui réponds pas et récupère mon short, puis mon haut.
− C’est personne.
Ma voix est tranchante comme une lame de couteau et j’enfile
rapidement mon tee-shirt. Il se place face à moi tout en tirant mon bras pour
m’obliger à rester immobile. Je plisse les yeux, méfiante.
− Au contraire, je ne crois pas que ça soit personne, s’énerve-t-il à son
tour.
Je plisse les yeux. Qu’est-ce qui lui prend ?! C’est à moi d’être
énervée, pas à lui. Énervée contre moi même, pour avoir relâché ma garde,
comme une foutue débutante.
− Personne qui te regarde, rectifié-je froidement.
J’enfile rapidement mon short.
− C’est l’homme avec qui tu couchais, là-bas, en Ukraine ?
Un rire sarcastique sort de ma bouche. S’il savait. Sean n’est jamais
allé jusque-là, mais je sentais ses regards sur moi, sur ma silhouette. Je me
sentais sale.
− Tu ne vas pas partir sans m’avoir répondu, m’annonce Assan d’une
voix forte.
Habillée, je relève un sourcil vers lui.
− Oh, tu crois ?!
Il ne me répond pas. Il me juge du regard, essayant de lire la vérité à
travers mes prunelles.
Dommage, Bébé.
Si les yeux sont le reflet de l’âme, sache que les miens sont vides.
− C’est l’homme que tu fuis ? L’homme qui t’a forcée à quitter ton
pays ? reprend-il, sur la défensive.
Merde, Assan, mêle-toi de tes affaires.
Je savais que ça arriverait. J’ai baissé la garde une seconde, et me voilà
prise au piège. Tout ça pour rien.
Stupide fille !
Alors que j’essaye de passer près de lui, il se poste devant moi,
m’empêchant de faire un pas supplémentaire.
− C’est lui ?
J’ai beau le pousser, il ne bouge pas d’un centimètre.
− Laisse-moi passer, ordonné-je entre mes dents serrées.
Il serre ses bras sur son large torse, puis secoue sa tête.
− C’est lui ? C’est lui, Abby ?
Je soupire et tente de le pousser à nouveau. Il ne doit pas savoir. Pour
son bien. Pour le mien.
Pour ma survie.
− Mais laisse-moi ! crié-je.
− Dis-moi ! hurle-t-il en secouant mon bras.
Je ne l’ai encore jamais vu se mettre dans un état pareil. Autant en
terminer au plus vite. De toute façon, il ne me lâchera pas avant de
connaître la vérité. La vraie. La seule.
− Oui ! Tu es content ! Maintenant, fous-moi la paix !
Le choc est visible sur son visage. Il desserre son emprise et essaye de
me tirer à lui.
− Mon ange. Raconte-moi ce qu’il t’a fait.
J’aimerais tellement, mais je ne peux pas. Tout en l’ignorant, je passe
près de lui, et dévale l'escalier. C’était sans compter sur sa rapidité. Une fois
arrivée devant l’ascenseur, il me bloque à nouveau le passage.
Bordel, il me colle au cul, pire qu’une MST.
C’est seulement à cet instant que je remarque qu’il porte seulement un
caleçon. Il est essoufflé et, apparemment, perdu. Mais je ne peux rien lui
dire.
− Il te cherche, n’est-ce pas ?
Mon inquiétude vient de grimper d’un cran supplémentaire. Malgré
mon silence, il semble lire la confirmation sur mon visage.
− Sait-il que tu es ici ?
− Non. Non, il ne le sait pas.
Mais pour combien de temps encore ? Si ça se trouve, il m’a retrouvée
et s’apprête à me kidnapper.
− S’il te plaît, oublie ce qui vient de se passer.
Je ne veux surtout pas qu’il s’en mêle. Il doit rester en dehors de cette
histoire. Je vois qu’il se retient de me secouer, puis de m’attirer vers lui. Ses
poings sont serrés le long de son corps.
− Explique-moi.
Sa voix se veut calme, comme si cela allait m’aider à me confier. Mais
je ne peux pas le faire. Je n’en ai pas le droit. Je redresse le menton et
contre-attaque :
− Et toi, raconte-moi ce que tu faisais pour cet homme, ce Lincoln. Il
t’a sorti de la misère, et que lui as-tu donné en échange ? Pourquoi avoir fait
de la prison ?
Son visage se ferme presque instantanément. Il ne me répond rien.
Dès que les portes s’ouvrent, je me faufile dans la cabine, essayant tant
bien que mal de ne pas regarder Assan. Néanmoins, quand il m’appelle
d’une voix inquiète, mon regard plonge dans le sien.
− Il faut… Abby, écoute-moi une minute, je t’en supplie.
Malgré son air préoccupé, je l’ignore une nouvelle fois, laissant
l’ascenseur se fermer sur lui. Sur ce stupide « nous » auquel j’ai failli croire.
Les filles comme toi ne tombent pas amoureuses, Abby. Les filles
comme toi n’ont pas le droit de se laisser affaiblir.
***
Je ne suis pas rentrée directement chez moi, car je savais pertinemment
qu’il y serait. Assan était furieux, mais surtout inquiet. Je bénis les dieux
que Maya soit chez l’homme qu’elle fréquente, et non à l’appartement. Je
ne veux pas qu’elle voie Assan. Je ne veux pas qu’il me cherche et me
demande des comptes, car je ne n’arriverai pas à le repousser. Je vais
craquer, je le sens, et il ne le faut pas.
Alors, j’ai rejoint un minuscule café, me blottissant sur une banquette
tout en ignorant ses nombreux appels. Il veut absolument discuter.
Discuter ? Ce n’est pas une option envisageable. Donc, j’ai directement
coupé mon portable.
Une heure plus tard, je me décide enfin à quitter le petit établissement,
les membres engourdis. Mes yeux fixent le vide, je me demande à quel
point je suis foutue. J’ai mal agi, et cela, dès le départ. J’aurais dû garder
mes distances. J’ai voulu jouer avec le feu en croyant que je pourrais
maîtriser ce foutu brasier. Résultat des courses, les flammes m’ont attirée
parmi elles. Sans aucune fuite possible.
Je n’ai pas été prudente. J’ai failli laisser Assan entrer dans mon
monde.
Il a réussi, me contredit ma conscience.
Oui, il a réussi. Je dois arrêter de me mentir à moi-même. Bien
évidemment qu’il était en train de réussir. Il a trouvé une petite faille dans
mon armure et est parvenu à s’imposer. Je n’ai rien vu venir.
Je l’ai senti si proche de mon passé, si proche de cette saleté qui me
couvre entièrement...
Qu’aurais-je dû lui dire ? Que je suis un monstre ? Que j’ai tué ? Que
mon demi-frère, après m’avoir brisée, m’a transformée en pantin
désarticulé ?
Je sais que nous avons tous un passé. Assan a vécu des choses. Et je
n’en connais que la surface.
Il n’est pas Sean.
Assan a été obligé de se battre pour survivre. Son passé a fait de lui
l’homme qu’il est aujourd’hui. Pendant que moi, je me suis battue, mais
d’une autre façon. J’ai tabassé des hommes, et j’ai fini par ne plus
m’opposer aux ordres de Sean.
Je me suis menti à moi-même. L’espace de quelques instants, j’ai cru
que...
Qu’est-ce que je croyais ? Que quitter l’Ukraine ferait sortir
définitivement Sean de ma vie ? Mais mon existence tournera toujours
autour de lui. De la crainte qu’il me retrouve.
Paris ne représente plus une zone sûre. Je le sens.
Cette ville n’est plus pour moi. Je vais devoir partir. Avant qu’il ne soit
trop tard.
J’ai peur.
En longeant le trottoir, je rallume mon portable, la gorge nouée.
Perdue dans mes pensées, je n’aperçois pas tout de suite l’imposant
4x4 noir, garé juste devant chez moi et la vitre passagère qui descend. Une
voix s’en échappe :
− Montez.
De la fumée sort de l’intérieur de l’habitacle, et je me mets à trembler
de la tête aux pieds.
Sean m’a retrouvée, j’en suis quasiment certaine. Il doit patienter à
l’arrière, savourant déjà la punition qu’il va m’infliger.
Mais lorsque je me penche légèrement en avant, ma surprise est totale.
Un vieil homme, avec un chapeau, me fixe étrangement. Celui qui
sortait du bureau d’Assan l’autre jour, après leur dispute. Lincoln.
Que me veut-il ?
- 27 -
Abby
***
Assan n’était plus devant chez moi quand je suis rentrée. Lorsque j’ai
fui son appartement quelques heures plus tôt, je voulais m’éloigner de lui.
Mais désormais, après tout ce que Lincoln m’a dit… j’ai besoin de le voir.
De comprendre. De l’affronter.
Je saisis peu à peu pourquoi j’ai tout de suite été si attirée par lui en le
rencontrant. Nous avons tué, tous les deux. Nous avons déjà ôté la vie. Nos
mains sont couvertes de sang. Avant de quitter la ville pour fuir à nouveau,
je dois comprendre qui il était réellement. Je veux aussi m’assurer qu’il ne
fasse pas de connerie, qu’il ne fouille pas dans mon passé. Il ne faut pas
qu’il cherche à savoir qui est Sean.
Je suis prête. J’ai besoin de savoir.
Lorsque j’arrive quelques minutes plus tard, je me ronge presque les
ongles. Je ne sais pas exactement comment je vais réagir face à lui. Tout est
allé si vite entre nous. De la tension jusqu’à la colère. Nous n’avons pas su
nous contrôler. Je dois l’affronter une dernière fois. Je veux m’assurer que
tout ce qui s’est passé entre nous n’était pas qu’une illusion. J’ai cru être
libérée de mon passé, mais il avait une prise sur moi, tout ce temps. Je
n’étais pas un petit oiseau qui sortait de sa cage pour la première fois. En
réalité, les chaînes de l’Enfer ne m’ont jamais laissée. Je me suis accrochée
à un homme aussi dangereux que celui que je fuyais. Je ressens des
émotions pour lui. Et je ne sais pas comment faire pour me protéger à
nouveau. Je suis sans défense. Je dois démissionner. Partir à nouveau.
Les hommes qui gardent l’entrée de l’aile gauche me laissent passer. À
cette heure-ci, Assan doit être dans la salle de cœur. Je me dirige vers elle,
mais manque de rentrer dans Jared, son frère, au détour d’un croisement. Il
a l’air furieux, les sourcils froncés, la bouche pincée.
− Abby ? ! Qu’est-ce que tu… Merde, il marmonne en sortant son
portable de sa poche. C’est pas possible !!!
Il se tire les cheveux et inspire profondément pour essayer de se
calmer. Je suis moi-même perdue, je cherche Assan, cependant voir Jared
comme ça me stoppe dans ma lancée. Je me demande s’il connaît le passé
d’Assan ? Sait-il ce qu’il faisait pour Lincoln ?
− Est-ce que tout va bien ?
− La serveuse de la salle de carreau est malade, et celle qui devait la
remplacer n’arrive que dans vingt minutes.
Désormais, Jared m’observe attentivement de haut en bas.
− Tu ne travailles pas ce soir, je me trompe ?
Je secoue la tête en regardant autour de nous.
− Il faut que je trouve Assan. Je dois lui parler. Où est-il ?
J’entends un fracas dans son dos, directement dans la salle. Celle qui
représente l’orgueil.
− Je ne sais pas où il se trouve, marmonne Jared. J’ai perdu sa trace. Il
a dû rentrer. Il ne répond pas à son foutu téléphone alors que ça concerne
son FOUTU club ! Entre là-dedans et fais le service pendant vingt minutes
jusqu’à ce la serveuse arrive.
− Non, je…
Mais il s’éloigne déjà, prenant un appel. Il lâche une litanie de jurons
tout en marchant rapidement pour sortir du labyrinthe. Je ne travaille pas ce
soir, et je ne travaillerai plus les autres soirs. Je ne suis pas ici pour bosser,
uniquement pour parler en toute honnêteté avec Assan. Je fixe l’entrée de la
salle de carreaux, et s’il était encore ici ? J’entre dans la pièce, essayant de
chercher sa chevelure sombre du regard.
Seulement cinq tables sont présentes, des chaises dispersées tout
autour. Pas de scène avec des filles faisant leur show. Pas de danseuses.
Juste un bar dans un coin de la pièce. Deux tables sont occupées par des
hommes de divers âges, tous habillés d’une chemise luxueuse et d’un
costume foncé. Je sens quelques regards se poser sur moi, mais je les
ignore.
L’unique serveuse, une grande blonde, est en train de ramasser une
flûte qu’elle a fait tomber sur le sol. Ses mains tremblent presque. Quand un
morceau de verre coupe la chair de son pouce, elle retient un petit cri et
essaye de terminer sa tâche. Les quelques clients semblent s’impatienter, lui
jetant des regards noirs. Les hommes présents ne sont pas là pour le plaisir,
mais pour parler affaires. Je me rappelle des mots d’Assan quand il m’a
présenté cet endroit comme un lieu où « on dirige le monde selon ses désirs,
en oubliant celui des plus pauvres. » Ils veulent être servis rapidement.
CQFD.
Je m’avance vers elle, et récupère le plateau sur le bar à ses côtés.
− Quelle table ? Je m’en occupe.
Ses yeux brillants de larmes me remercient silencieusement.
− La quatre, murmure-t-elle. Merci.
J’ignore ses remerciements et m’avance dans la petite salle, cherchant
toujours Assan. Il n’est pas là. Jared avait raison, il doit être rentré chez lui.
− Et voilà pour vous, annoncé-je aux types en arrivant près d’eux.
Je sers les trois clients de la table sans leur jeter un regard, mon
attention perdue sur autre chose. Si Assan essayait de fouiner dans mon
passé, et qu’il découvrait ce que j’ai fait… Ce que je suis… Et s’il trouve
qui est Sean…
Je garde mes yeux braqués sur les flûtes de champagne, évitant d’en
faire tomber une. Le gars à droite me remercie distraitement en tapant un
message sur son portable. Mais rapidement, j’entends :
− Est-ce que l’on se connaît ?
Je me braque instantanément. La main tremblante, je pose la coupe. Je
tourne ma tête et mes yeux plongent dans ceux d’un homme d’une
quarantaine d’années. D’abord, je ne le reconnais pas.
− Non, je ne crois pas.
Le type fronce ses sourcils comme s’il cherchait dans ses souvenirs. Il
fixe ma poitrine, puis l’angle de mes hanches avec un air pervers.
− Hum, quel dommage, ma douce.
Puis il hausse ses épaules, et continue de taper son message. Il ne m’a
apparemment pas reconnue, mais moi, je viens de le reconnaître. Un
politicien ukrainien. Je l’ai déjà croisé rapidement dans la demeure.
Uniquement de loin si bien qu’il ne m’a jamais vue de près. Mais je
reconnaîtrais son infâme visage entre tous.
Mon cœur loupe un battement. Ma gorge se noue, la nausée me gagne.
Merde.
Sortir d’ici.
BORDEL.
MAINTENANT !
Je sens un tremblement toucher chaque membre de mon corps. Les
jambes flageolantes, je ne réfléchis pas et sors de la salle sans un regard en
arrière.
Je bouscule à nouveau Jared dans le couloir. Perdu, il me retient avant
que je ne perde l’équilibre.
− Tout va bien ? Abby, j’ai encore besoin de toi pendant un quart
d’heure !
Non. Tout ne va pas bien.
− Je ne me sens pas bien, je mens en fuyant sans un regard en arrière.
Adieu, Jared.
Je l’entends m’appeler à nouveau, mais je n’arrive pas à réfléchir
correctement. C’était moins une, bordel. Et si le politicien avait fait
semblant de ne pas me reconnaître ? Je m’éloigne comme un robot. Je
regarde encore derrière moi, personne ne m’a pas suivie. Je me presse de
sortir du club à toute allure. J’essaye de me calmer mentalement en pensant
à ce que je dois faire.
N’emmener que le nécessaire.
Jeter mon portable.
Récupérer l’argent sous mon lit.
Alors que je m’interroge sur l’endroit où je vais pouvoir atterrir en
toute sécurité, l’image d’Assan s’impose d’elle-même. Je monte rapidement
dans un taxi. Le temps est compté. Mais je dois.... Je dois le voir une
dernière fois.
Lui dire la vérité. Et connaître la sienne.
***
Assan
Abby
Je presse le pas en entrant dans mon hall d’immeuble. Mon cerveau est
comme déconnecté de la réalité. Le seul ordre que je me répète en boucle,
c’est de foutre le camp. Je n’aurais pas dû rester avec Assan, mais j’avais
besoin de lui dire au revoir. C’était inconscient, je le sais.
Je ne sais pas pourquoi je lui ai tout révélé, ce soir. Après avoir
compris son passé, je crois qu’une partie de moi avait besoin de se libérer à
son tour. Je me suis dit que je devais lui laisser une petite part de moi en
échange. Avant de partir.
Contrairement à ce que je m’imaginais, je n’ai lu aucune honte dans
ses yeux, aucun dégoût. Un air de pitié est rapidement apparu sur ses traits,
puis a disparu tout aussi vite. Alors, la colère a pris place. Pas une haine
dirigée vers moi, mais destinée à mon demi-frère.
Assan semblait prêt à tuer pour moi. J’ai vu les ténèbres envahir ses
yeux et je me suis sentie protégée. Il n’a pas essayé d’en savoir plus, il n’a
pas essayé de comprendre ce que je ne lui disais pas à travers mes paroles,
il m’a simplement aidée à oublier.
Mais on n’oublie jamais vraiment ses cauchemars. Ils reviennent assez
vite pour nous montrer qu’on ne peut vivre sans eux.
La seule issue qu’il me restait était celle de partir.
Tandis que son corps chaud réchauffait les draps, ses bras solides
autour de moi, je me suis glissée hors du lit, sans un regard en arrière.
Qu’aurais-je pu faire d’autre ? Lui demander de l’aide ?
Je sais au fond de moi qu’il aurait attendu Sean de pied ferme, campant
devant moi pour faire barrière de son corps. Je l’ai vu dans ses yeux, je l’ai
senti dans ses gestes.
Il t’aurait protégée, ajoute ma conscience.
Je ne veux pas qu’il vienne me sauver. Je suis déjà condamnée.
Abby
***
Lorsque la berline noire s’engage, une heure plus tard, dans la
propriété, mes membres sont lourds comme de la pierre, mon cœur est serré
dans un étau incassable.
Le gravier crisse sous les pneus, la pluie s’abat toujours aussi
fortement au-dehors. La demeure apparaît rapidement devant moi, immense
masse de pierres se perdant au milieu de la verdure.
Le vent se déchaîne sur les arbres. L’averse frappe les immenses
fenêtres de la bâtisse. Le véhicule s’immobilise devant l’entrée, aux côtés
d’une Lamborghini rouge vif.
− Bon retour à la maison, murmure Adrian avec rancœur.
Bienvenue en enfer, plutôt.
Je n’attends pas que l’on m’ouvre, je sors et claque la portière derrière
moi, cet enfoiré se la prenant presque en plein visage. Mes cheveux volent
dans tous les sens, la pluie trempe mes mèches blondes, les emmêlant entre
elles.
Je ne bouge pas d’un centimètre, glacée jusqu’à l’os. Le ciel se fait de
plus en plus gris, à l’image de la noirceur de mon âme aussi.
La lourde porte d’entrée s’ouvre en grand, laissant passer la
réincarnation de la monstruosité. Les trombes d’eau s’attaquent à sa
chemise noire, la collant avec force contre sa peau. Sean descend les trois
marches de pierres, s’avançant vers moi. Son éternel sourire en coin collé
au visage, ses yeux verts m’analysent avidement. Ses mèches brunes se
collent contre son front alors que sa haute stature n’est plus qu’à quelques
mètres. Je ne bouge toujours pas, sentant Adrian se positionner juste
derrière moi.
Mon « demi-frère » se place juste en face de moi. Il plonge ses deux
mains dans ses poches, mais ne dit rien. Nous nous fixons l’un et l’autre,
attendant l’action qui déclenchera enfin le début de l’ouragan.
Enfin, sa voix commence gravement :
− Le passé nous rattrape toujours, Abigail.
Je plisse les lèvres et m’avance d’un pas. Sean baisse doucement sa
tête pour rester à la même hauteur que moi. J’approche encore de quelques
centimètres. Son souffle se mêle au mien alors qu’il se demande sans doute
à quoi je joue.
Je le fixe durement, et profite de son inspection pour lui envoyer
brutalement un coup de tête, mon front percutant son nez avec force.
Un craquement effroyable retentit, et dans la même seconde, un cri de
rage sort de sa bouche. Une main s’abat alors avec force contre ma tempe,
me plongeant dans les ténèbres.
***
***
Lincoln
Le regard attentif, j’observe les différentes photos transmises par mes
hommes, il y a quelques heures. Plusieurs types sont présents sur ces
clichés, mais pas seulement. Un autre visage me fait penser à quelqu’un
d’autre, me plongeant des années en arrière. Mon index passe sur les traits
juvéniles de la jeune femme. Ces derniers sont tellement similaires aux
siens… Son pendentif endommagé me l’a confirmé. Une colombe à qui il
manquait un bout d’aile. Il s’était cassé lors d’une violente dispute entre
nous.
Ce bijou que j’ai offert à mon Adelina, la seule femme que j’ai aimée.
Celle qui m’a quitté sans me prévenir, du jour au lendemain. Elle était
enceinte de moi, et m’a fui. Notre relation était trop chaotique, nous nous
déchirions sans cesse. Mes infidélités l’ont détruite. Je l’ai cherchée
pendant tant d’années, mais je ne l’ai jamais retrouvée. Sa disparition m’a
plongé dans les ténèbres. Jusqu’à ce que je croise cette Abby, qui avait le
même regard, le même bijou, la même fougue.
Alors, j’ai su. Quelque chose au fond de moi me l’a dit. Elle n’est pas
juste une inconnue couchant avec un de mes anciens gars. Elle est plus,
beaucoup plus que ça pour moi. J’ai mis mes meilleurs hommes pour en
savoir plus sur elle.
− Qui sont ces types ? demandé-je à l’un de mes hommes de main qui
attend à mes côtés.
− Nous n’en avons aucune idée, Patron. Nous les avons suivis jusqu’à
un aéroport privé près du Bourget. Ils ont pris un jet privé.
Je regarde une nouvelle fois les photos. L’un des gars tient la jeune
Abby fermement par le bras, la traînant derrière lui. Elle ne voulait pas les
suivre, cela se voit comme le nez au milieu de la figure.
Je n’ai pas confirmation de son identité.
Pourtant, elle ressemble tant à Adelina. Depuis toutes ces années, je me
suis posé un million de questions, toutes restées sans réponse. Je lui en ai
tant voulu, parce qu’elle m’avait fui. Mais désormais, une autre pensée me
ronge. Je crois qu’Abby est ma fille. Mon unique fille, celle que je n’ai
jamais vue grandir.
Je dois la retrouver. Et je vais avoir besoin d’aide. Pour ça, je ne
connais qu’une seule personne capable du pire comme du meilleur.
− Prépare la voiture, j’ordonne. Nous allons voir As.
- 30 -
Abby
***
***
Allongée sur mon lit, dans mon ancienne chambre, je fixe le plafond.
Ma curiosité ne cesse d’être exacerbée. Je sais très bien que quelque chose
se passe dehors. J’ai entendu de nombreuses voitures arriver. Mais quand je
regarde par la fenêtre, l’entrée de la demeure ne m’est pas visible, je ne
peux donc pas savoir ce qu’il s’y passe.
Un homme garde l’entrée de ma chambre, empêchant quiconque
d’entrer ou sortir. Je suis allée le voir, et à demi-mot, il m’a avoué que Sean
recevait des hommes importants pour ses affaires, ce soir.
Mes pensées s’entrechoquent. Je cherche le moyen de tout retourner.
C’est le moment idéal de tout saccager. De me barrer d’ici. D’aller chercher
Liou et de fuir.
Si je suis prévenante et discrète, nous pouvons nous en sortir. Je
n’aurai pas d’autre occasion avant le jour de mon anniversaire.
Le garde devant ma porte ne me laissera pas sortir, il va donc falloir
que j’agisse autrement. J’enfile rapidement un jean, des bottines plates
noires ainsi qu’un simple tee-shirt de la même couleur. Je me place derrière
la porte de la salle de bains, et lâche un faux hurlement de détresse. Le
garde toque à la porte. Bingo.
− Tout va bien ?
Je ne réponds pas. Quand j’entends ma porte s’ouvrir, je comprends
qu’il a mordu à l’hameçon.
Allez, viens, mon chou.
− Que se passe-t-il ?
Alors qu’il apparaît dans mon champ de vision, je sors de ma cachette
et bondis derrière lui. Je pousse sa tête, puis l’assomme contre le meuble du
lavabo. Son corps s’effondre au sol et je le lâche sans ménagement. Je
récupère le Beretta qu’il avait et le coince dans l’arrière de mon jean, sous
mon tee-shirt.
Je cours en dehors de ma chambre, rejoignant rapidement les caves. Je
traverse le grand salon et ne croise personne. Quand je parcours l’immense
couloir, je ralentis le pas en découvrant un garde de profil devant l’entrée du
bureau de Sean. J’ai déjà vu ce gars quelque part. Pas ici. Je me creuse les
méninges.
Je jette un coup d’œil derrière moi, dans la direction des caves. Puis
dans celle du type qui me rappelle un souvenir. Un certain choc m’envahit
lorsque je le reconnais. C’est l’homme de main de Lincoln, celui qui m’a
fait monter dans sa voiture, l’autre jour.
Je ne réfléchis pas une seconde et m’avance vers lui. À l’instant où ce
dernier me remarque, la surprise envahit son visage. Il entrouvre ses lèvres
et marmonne quelque chose, que je n’arrive pas à saisir. J’entends la voix
de Sean derrière la porte fermée.
Alors que je m’apprête à faire demi-tour, la porte s’ouvre. Adrian
apparaît, les sourcils froncés. Quand il me découvre, la panique prend place
sur son visage. Il plisse les paupières et chuchote avec rage :
− Retourne dans ta chambre immédiatement.
Je passe sans ménagement près de lui avec un petit sourire. Il tire sur
mon poignet, mais déjà, les discussions s’arrêtent dans le bureau de Sean.
Ce dernier, en véritable hôte, se tient au bout de la petite table de réunion
faite de verre.
Ma venue ne lui plaît pas. Du tout.
− Abigail, il essaye de contenir la colère dans sa voix. Il me semblait
qu’on avait convenu de ton absence.
Je lui fais un sourire mielleux en m’avançant vers lui, ignorant
royalement les cinq hommes présents.
− Je me suis dit que j’allais venir étant donné que je possède également
des parts non négligeables dans les... affaires.
Je m’assieds à l’autre bout de la table, essayant de paraître sûre de moi.
Qu’est-ce que tu fous, là ? s’exclame ma conscience. Stupide fille,
casse-toi !
Quand je me dis que je fais une réelle erreur et que j’aurais dû
directement aller chercher Liou, je dévisage chaque homme présent dans la
pièce. Au dernier visage, mon corps se braque, j’essaye de ne rien montrer.
Lincoln.
Mon cœur loupe un battement. Je ne comprends plus rien à la situation.
Il me jette un petit coup d’œil, comme s’il ne me reconnaissait pas. Il
regarde ensuite Sean et continue sa conversation, m’ignorant totalement.
Adrian, quant à lui, s’installe près de moi, comme pour me surveiller.
− Qui sont ces hommes ? lui murmuré-je.
Il les fixe un à un, prudent.
− De possibles futurs clients. Ils ont insisté pour rencontrer ton frère,
aujourd’hui. Pour la survie de ta copine, tu as intérêt à bien te comporter.
Nous avons besoin de nouvelles alliances afin de faire face à nos nombreux
ennemis.
Je me cale dans mon siège. Lincoln me jette un rapide coup d’œil. Et je
comprends réellement ce qu’il fiche ici. Je vois la promesse silencieuse
qu’il est en train de m’accorder. Et bizarrement, mon corps décide de lui
faire confiance.
− Je serai aussi silencieuse qu’une tombe, j’assure à Adrian en fixant
Sean.
Je sens le poids du Beretta contre la peau de mon dos.
C’est l’heure de reprendre la partie et d’abattre mes ultimes pions.
- 31 -
Abby
FIN
- Épilogue -
À bientôt, Anita.
- À découvrir dans notre catalogue...
Deux premiers chapitres offerts... -
-1-
Calista
***
C’est bon de rentrer chez soi. Je n’avais pas imaginé que tout
changerait et que tout resterait pareil. Ce que je ressens est discordant, je le
sais, mais je suis en pleine contradiction avec moi-même. D’un côté, je suis
contente d’être de nouveau à la maison, d’un autre, j’aurais aimé rester là
où j’étais. Les bonnes choses ont toujours une fin. Pourtant, ici, j’ai
l’impression que rien n’en a.
Notre propriété est toujours la même que lorsque je suis partie ; un
endroit antinomique et incohérent, voire rebelle et provocateur. Nous
aimons dire que nous vivons dans une ferme, sauf qu’elle n’a rien de
traditionnel. Elle a dû l’être à un moment donné mais, résolument, elle ne
l’est plus. Il s’agit à présent un véritable complexe architectural mêlant
ancienneté et modernité. Les habitations sont encore bordées par quelques
hectares de champs vallonnés et de forêts denses, le tout cerclé par une
enceinte robuste. Quant au corps de ferme, il a été divisé afin que chacun
puisse y avoir son intimité.
Les quatre familles des quatre membres du célèbre groupe de rock
Rechute vivent ici. Nos patriarches connaissent une véritable success-
story qui n’en finit plus depuis les années quatre-vingt. Ils ont également
réussi à percer sur la scène internationale et n’ont rien à envier aux Rolling
Stones, Led Zeppelin, Scorpions ou autres. Contraints de se sédentariser
avec l’arrivée des enfants, ils n’ont jamais commis l’écueil de se séparer et
ont réussi à créer ça : la Ferme. Mon frère, Félix, pendant les premiers mois
de sa vie, a connu leur vigueur vagabonde. Pas moi.
Quand leur progéniture a eu l’âge de prendre son indépendance, nos
parents ont décidé de nous offrir nos propres bicoques, toutes les unes à
côté des autres, sans charme, s’apparentant à des poulaillers. Malgré tout,
j’ai réussi à y créer mon nid. Gus, mon Gus, a eu la folle idée d’y construire
sa yourte. Nous l’avons fabriquée tous ensemble, le temps d’un été ; lieu
emblématique qui fut à une époque le repère de notre petite bande de cinq
ados – Basile, Solal, Gus, Cyrielle et moi.
C’est totalement utopique de penser que nous sommes libres puisque
nos proches ne sont jamais très loin. Seul Félix a une véritable maison, plus
éloignée, mais qui reste tout de même sur nos terres, statut de « papa »
oblige. Loin d’être aussi posés que lui, bien que de la même génération, les
frères de Basile, Hector et Ulysse, vivent aussi dans les poulaillers quand ils
n’écument pas le monde comme à l’heure actuelle.
Je suis rentrée depuis deux heures et rien n’a changé. Pourtant, rien
n’est pareil. Peut-être que c’est moi qui suis différente. Non pas que je me
sente en décalage avec l’endroit. Bien au contraire, je me sens
irrésistiblement chez moi. Peut-être même n’ai-je jamais été autant en
accord avec ce lieu et cette ambiance. J’ai eu besoin de partir pour me
retrouver réellement afin de savoir qui j’étais. L’aurais-je finalement
découverte, cette place que je cherchais tant ? Ou alors, je ressens ce
sentiment de plénitude simplement à cause de l’euphorie du moment ?
Après avoir été loin de mes proches, est-ce que la peur panique de vivre
aussi pleinement et excessivement qu’eux m’a désormais quittée pour me
fondre enfin dans leur moule ?
Peut-être que d’ici quelques jours, je me sentirai de nouveau en
opposition avec cette vie. Mais pour l’instant, la seule chose qui résonne
dans ma tête, ce sont les paroles d’une chanson d’Orelsan :
***
Basile
***
***