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Ce livre est une fiction. Toute référence à des événements historiques, des comportements de personnes
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Couverture copyright et design : De GeniusKP

Tome 1

Première édition : Juillet 2017 -*-*-*- ISBN : 9782377640393

Tome 2

Première édition : Aout 2017 -*-*-*- ISBN : 9782377640430

Copyright © 2017 Lips & Roll Éditions

Sous la direction de Shirley Veret.

Corrigé par Amélie et Hélène.

Illustré par Constance.


We are all broken that's how the light gets in…

Sait-il que pour lui, je donnerais ma vie ? Je reve souvent qu'il m'aime
eperdument, meme si c'est un tourment.

La complainte de Sally - L'etrange Noel de monsieur Jack


Prologue
Je souffle, mon cœur bat si fort que tous autour de moi peuvent l’entendre.
Cependant, j’évite soigneusement le regard de chacune des personnes
présentes dans la pièce. Je ne suis pas comme eux. Non ! Je ne suis ni perdue
ni folle. Je n’entends pas de voix dans ma tête, tout comme je ne suis pas une
psychopathe. Je suis moi, Louann Cassidy, mannequin et chiante en tout
temps. Parfois, j’ai des excès de colère, de temps en temps de rire ou encore
de larmes. Comment pourrais-je avoir la certitude que c’est vraiment moi
quand mes émotions s’entremêlent et disjonctent, me donnant la douloureuse
sensation de faire exploser des fusibles dans ma tête ? Mon humeur fluctue
sans raison apparente, ma colère intérieure augmente jusqu’à ce que j’oublie
qui je suis. Le pire, c’est de toujours devoir distinguer le vrai du faux.

C’est moi qui amplifie les actes ou est-ce la réalité qui me joue des tours ?

A-t-on fragmenté, une nuit, mes pensées, mon âme et mon esprit ?

Au réveil, je n’étais plus la même. J’ai traîné tout ça au plus profond de


moi pendant longtemps. Le vide, la colère, mes pensées autodestructrices, je
n’y arrive plus. Mes émotions ont fini par prendre le dessus et je les ressens
avec une telle intensité que la plus petite d’entre elles me propulse dans un
gouffre sans fond. Je perds pied, je chute dans les cris et les larmes.
L’atterrissage est toujours le plus douloureux, il est sanglant et je ne m’en
sors jamais indemne. Seulement plus meurtrie.

Ça a toujours été impossible de faire taire cette impulsivité en moi. Les


docteurs m’ont déclaré mentalement instable, et mieux encore, avec des
troubles de la personnalité limite. J’étais incapable d’y faire face, ça m’a
donc amenée à éclater ma voiture sur un parapet tout près de Daytona Beach.
Les docteurs croient qu’avec une thérapie, j’irai mieux. J’apprendrai à trouver
et comprendre les limites, mais je n’y crois pas. C’est en moi depuis si
longtemps, jamais ça ne partira.
Je le sens.

Je le sais.

Je suis perdue…

Je ne suis plus sûre de rien…

Je n’ai rien à faire ici. Rien à faire avec des gens comme ça… Je ne suis
pas comme eux… Je suis normale. J’attrape mon sac à main et quitte la salle
d’attente au pas de course.

Fuir… Je dois fuir…


1
Lou
La nuit d’hier était tout simplement démente. À un point tel que je ne
saurais dire combien de verres j’ai bus. Cependant, à en juger la gueule de
bois que je me coltine, ce fut mémorable. Je roule sur le dos en grognant, puis
ouvre les yeux pour fixer le plafond. Tiens donc, je ne suis pas chez moi ! Ce
qui veut dire qu’encore une fois, j’ai atterri chez Ethan, mon meilleur ami.
J’émerge tranquillement de mes rêves agités et insensés. Encore une nuit,
bien qu’elle ait été courte, remplie de cauchemars et de non-sens. Ce qui est
rare lorsque je rentre bourrée. L’alcool a l’avantage d’anesthésier mes
émotions et tout ce qui gravite autour de moi.

Peut-être n’aurais-je pas dû me sauver accidentellement de ma


psychothérapie ou bien oublier de renouveler mon ordonnance à la
pharmacie ?

Je pourrais dire que ce n’est qu’un événement isolé, mais non, la secrétaire
de mon psy ne prend même plus la peine de me contacter lorsque je ne me
présente pas à mon rendez-vous. Elle attend simplement que je la rappelle au
moment que je choisis, ce qui arrive quand je sens que je perds pied et que je
risque de sombrer dans ce précipice qui me suit partout où je vais. J’ai la
curieuse impression que ma lucidité ne tient plus qu’à un fil. Je pose ma main
sur mes yeux et presse fortement. Un soupir nerveux s’échappe de ma
bouche. Un ricanement amusé venant de ma droite me tire de mes pensées.

Putain de merde ! Je suis en enfer !

Je tourne péniblement la tête sur la gauche pour voir Tommy. Il est assis
dans un gros fauteuil assorti au divan sur lequel je suis étendue. Un café à la
main, il me fixe de ses yeux bleus et perçants. Ses cheveux châtains sont en
bataille et sa barbe date de quelques jours déjà. Bon sang qu’il est sexy… La
seule pensée concrète que j’arrive à avoir au milieu de ma gueule de bois,
c’est que je regrette d’avoir mis fin à notre relation clandestine. Je le veux
tout contre moi, sentir son érection contre ma peau. J’ai envie de lui, que l’on
baise comme des bêtes… non, c’est faux ! J’ai envie de sexe et il est le seul
disponible pour combler ce manque. Je souffle fortement et ferme de
nouveau les yeux.

Non Lou, rappelle-toi ta décision…

Fait chier la voix intérieure…

Cependant, je dois bien l’admettre, cette relation que nous avions était
malsaine, voire toxique, mais ce truc entre Tommy et moi peut détruire mon
amitié avec Ethan. Jamais je ne m’en remettrais si ça devait arriver. Si je dois
choisir entre le sexe et mon meilleur ami, je choisis Ethan. De toute façon,
des parties de jambes en l’air, je peux en avoir avec n’importe qui et Tommy
est un bon coup, mais pas non plus celui du siècle. Quand il s’applique, le
sexe avec lui est génial, mais lorsqu’il n’a qu’une envie, se vider les burnes, il
se fout bien que j’atteigne ou non l’orgasme.

— Fiche-moi la paix, Tommy !

Je grogne, la voix rauque et encore engourdie par l’alcool et la fumée.

— Lou, ma chérie, tu sais que tu peux venir loger dans ma chambre si ton
somptueux appartement ne te plaît pas, susurre-t-il sensuellement.

Son ton me file la chair de poule. Je ne saurais dire si c’est à cause de


l’excitation ou bien si c’est la vérité accablante de ses paroles qui me prend
de court. Chaque fois que je reviens d’une soirée durant laquelle j’ai
légèrement abusé des bonnes choses de la vie, j’entends par là, sexe et alcool,
(je suis assez névrosée sans avoir besoin d’ajouter les drogues à la liste de
mes problèmes de santé mentale), je viens dormir ici, chez mon meilleur ami,
Ethan et son colocataire Tommy. J’ai du mal à rester seule chez moi lorsque
j’ai bu. Tout me semble plus glauque et lugubre. Ici, même s’ils ne
s’aperçoivent de ma présence qu’au matin, je n’ai plus l’impression d’être au
bord d’un abîme lorsque l’effet apaisant de l’alcool s’atténue.
— Laisse-la tranquille, me défend mon meilleur ami en entrant dans le
salon.

Il s’avance vers moi, vêtu d’un jeans noir et d’une chemise bleu ciel. Son
sourire, bien qu’inquiet, resplendit jusqu’à ses incroyables yeux verts. Ses
cheveux brun pâle sont adroitement coiffés vers l’arrière. Je dois dire que je
le trouve superbe. Je me redresse et m’assieds sur le divan pour qu’il puisse
prendre place à mes côtés. Il me tend un café que j’accepte avec plaisir.

Génial, la caféine sauve mes journées !

— Merci Ethan, murmuré-je.

— Si tu veux te doucher avant de repartir, il n’y a pas de problème, me


propose-t-il.

Comme nous l’ignorons, Tommy sort de la pièce en me lançant un coup


d’œil lourd de sens qui oscille entre la jalousie et le besoin de possession ;
même si je suis la seule à l’avoir vu, ça me met mal à l’aise.

— Merci.

— Je me trompe ou ça ne va pas ?

Il fronce les sourcils, ses magnifiques iris marron prennent une intensité
surréaliste. Il me jauge, comme il le fait chaque fois, car il sait que je passe
mon temps à lui raconter des bobards sur comment je me sens réellement. Je
ne veux pas vraiment lui mentir, mais je ne veux pas qu’il s’inquiète pour
moi. Je pose la tête sur son épaule et lâche un petit soupir.

— Ça ira mieux lorsque je ne serai plus sous l’effet de l’alcool.

Je me veux rassurante, mais moi-même, je ne me crois qu’à moitié. Ce


n’est jamais aussi simple que ça en a l’air.

— Alors, à ce que je peux voir, tu as encore abandonné ton traitement, me


réprimande-t-il.
Sa voix est une caresse, un murmure si inquiet qu’il m’est impossible de
croire qu’il me fait la morale. Il me donne l’impression d’être une petite
chose fragile, et s’il parle trop fort, elle volera en éclats. Pourtant, malgré son
besoin de protection, sa voix douce est anxieuse, tout comme son regard.
Quant à moi, je me contente de hausser les épaules d’un geste las et désabusé.
Il relève son bras et le passe derrière moi, m’attirant encore plus près de son
corps. Je me laisse aller dans une étreinte réconfortante, comme lui seul sait
le faire.

— Je vais bien, dis-je.

Si j’arrive à le convaincre que tout va bien, j’arriverais à me convaincre


que ces sentiments contraires en moi s’éteindront d’eux-mêmes. Sans
thérapie, sans antidépresseurs ou somnifères. Du jour au lendemain, comme
ils sont arrivés, malgré le doute qui sommeille en moi, d’avoir toujours été
folle. Je l’ai déjà dit et je le répète : les thérapies et la médication, ça ne m’a
jamais intéressée, je ne suis pas folle. Je suis simplement hypersensible à tout
ce qui m’entoure de près ou de loin. Ce qui provoque deux réactions en moi ;
la première se caractérise par un surplus d’émotions que je suis incapable de
gérer, et la seconde, par une insensibilité très prononcée. J’appelle cela ma
« maladie hésitation ».

J’hésite entre mes émotions ou la froideur.

Les larmes et les rires.

La joie et la dépression.

L’anxiété et l’irritabilité.

Si seulement ça s’arrêtait à ça, mais non, il y a un million d’autres choses


qui ne dépendent pas de moi.

Le sentiment d’abandon, de rejet, de ne jamais se comprendre et le pire de


tous, ne jamais être sûre de qui l’on est vraiment.

Je suis qui moi ?


— Lou, tu sais ce que j’en pense et…, commence-t-il sans s’énerver.

— Oui, je sais et tu connais aussi mon opinion sur le sujet, le coupé-je.

Il ne pense pas à mal, il cherche juste à me préserver, mais nos opinions


divergent. Il préconise la thérapie alors que moi, je préfère agir comme si tout
allait bien. Nier pour me persuader que si je n’en parle pas, ça n’existe pas...
Et puis, je sais très bien ce qu’il y a dans ma tête et ce que je dois faire pour
contrer les effets de cette chose sur moi. Comme s’il lisait dans mes pensées,
il ajoute :

— Te saouler tous les soirs ne te permettra pas de t’en sortir. Tu es en train


de te créer un autre problème et crois-moi, t’as pas besoin de ça !

Encore une fois, il me parle doucement. Moi, je bous de l’intérieur, je n’ai


qu’une envie : le gifler. Il sait que je déteste qu’on me fasse la morale, mais il
le fait quand même. Il n’est que mon meilleur ami et pas mon père.

— Ce sont mes affaires, pas les tiennes, rugis-je.

— Je sais, tu me l’as déjà dit, mais c’est quand même chez moi que tu
viens trouver refuge chaque fois que tes émotions prennent le dessus, dit-il en
caressant mes cheveux.

Ce toucher m’apaise instantanément. Je souffle et me redresse. Je n’ai plus


envie d’être près de lui. Bien que je ne sois plus en colère, je n’ai pas envie
qu’il me touche, et ce, même si ça me fait le plus grand bien.

— Je crois que je vais aller prendre une douche.

— De toute façon, je dois aller travailler. Pense à ce que je t’ai dit.

Sa dernière phrase me fait soupirer alors qu’il se lève, pose un doux baiser
dans mes cheveux et quitte son appartement. Ce même baiser qu’il me donne
toujours lorsque nous nous quittons et qui m’arrache irrémédiablement un
petit sourire. Quand nous étions adolescents, je disais à tout le monde qu’à
vingt-cinq ans, je me marierais avec Ethan Hill. Au lycée, toutes les filles
étaient folles de lui, il était beau, sexy et sportif. Moi, je n’étais pas vraiment
populaire, j’étais une grande godiche de service, trop mince avec le teint trop
pâle, trop mal habillée et qui vivait dans une maison délabrée avec sa mère et
son malade de petit ami.

Les choses ont bien changé depuis le temps où je clamais mon amour pour
Ethan.

Il y a eu la débandade avec mon beau-père, mon exil à Miami, mon job de


mannequin, l’alcool, ma maladie, puis tous ces hommes dans ma vie. Mon
existence est totalement partie en couilles et je ne pouvais rien faire pour
arrêter le carnage.

À l’âge de dix-neuf ans, les médecins m’ont diagnostiqué un trouble


borderline, plus communément appelé « trouble de la personnalité limite »,
mais je n’aime pas ce terme.

Ma personnalité n’a pas vraiment de limites, elle n’en a même aucune. Je


suis une femme dans tous les extrêmes possibles.

Je ne suis pas malade. Je suis seulement moi, Louann Cassidy.

Comme chaque fois que j’ai ce genre de pensée, une boule se forme dans
le creux de mon ventre et j’en perds le souffle. Une bonne douche va me faire
le plus grand bien et détendre mon corps. J’entends du bruit dans la salle de
bain puis de l’eau qui coule, Tommy vient de me siffler ma place. Je prends
mon téléphone sur la table du salon, j’ai dû le poser là à mon arrivée. Il est à
peine 09 heures du matin, rien ne me presse avant de me rendre au boulot. Je
consulte rapidement mes courriels, la plupart sont de mon agent, mais il y en
a un de ma mère. Me doutant de ce qu’il contient, je souffle en l’ouvrant.

« Ma belle Lou,

J’espère que tu vas bien, nous c’est un peu difficile ces temps-ci, surtout
depuis que ton père a perdu son emploi… »

Non, mais elle se fout de moi ?! Ce taré n’est pas mon père. Il ne fait
jamais attention à moi, sauf pour me hurler que je suis nulle et me demander
du fric.

« … Ça me gêne atrocement de te demander ça… »

Ah ouais ! Je te crois tellement maman !

« … mais est-ce que tu pourrais nous aider avec quelques factures pour ce
mois-ci ? Bien sûr, c’est la dernière fois que l’on te le demande… »

Encore une fois, ma chère mère, je ne te crois pas.

« … Dustin te salue et espère sincèrement que tu seras là pour venir


passer Noël en famille… »

Là, c’est impossible que ce soit réciproque.

« … Les jumelles aussi aimeraient te voir, elles te remercient pour leur


cadeau d’anniversaire et auraient aimé ta présence.

Nous t’embrassons.

Maman et Papa xx »

Ils ne manquent pas de culot ces deux-là ! Si je n’étais pas autant en colère,
je trouverais leur petit numéro attendrissant. Bien sûr, si ce n’était pas la
quatrième fois qu’ils m’écrivaient en si peu de mois pour me soutirer de
l’argent. Il n’a qu’à aller travailler plutôt que de passer son temps à boire et à
fumer. Je serre fortement mon téléphone dans ma main, l’écran devient noir.
Dustin espère ma présence aux fêtes de Noël… Non, mais c’est impossible. Il
me déteste, je le déteste. Tout ce qu’il m’a fait vivre est inhumain. Les seules
fois où il me portait de l’attention, je ne m’en suis jamais sortie indemne.

Cette seule pensée suffit à me faire entrer dans une colère terrible. Je ne
peux plus me contrôler, je lance mon portable contre le plancher du salon en
poussant un cri. Il éclate en un million de morceaux qui s’envolent un peu
partout dans la pièce. Guère plus soulagée, je m’effondre dans le canapé. Du
revers de la main, j’essuie avec force mes larmes. Je tente de me répéter que
je ne suis plus cette petite fille. Je suis Louann, je suis plus forte que lui. Je ne
le laisse plus m’atteindre, je ne dois plus le laisser faire… Je souffle et des
larmes me piquent les yeux. Traîtresses qu’elles sont.

Non, je ne vais pas pleurer !

Tremblante et incertaine, je me redresse et me tiens droite comme un i.


L’eau de la douche qui coule me ramène à l’instant présent. Tommy. Comme
si j’étais propulsée par une force invisible, je m’extirpe du divan et repousse,
du bout du pied, la seule partie qui semble avoir survécu à l’explosion, la
batterie. Cet accès de violence ne m’a servi à rien, je me dirige d’un pas
décidé vers la salle de bain avec une idée en tête bien précise. Contrer ma
colère par le sexe, voilà la thérapie dont j’ai besoin. Ce qui pose problème,
c’est que le seul homme disponible en ce moment, c’est ce malade de
Tommy. Je fais rapidement fi de mes remords et pose la main sur la poignée
de la porte. Comme je m’y attendais, elle n’est pas verrouillée, aussi je me
glisse doucement à l’intérieur. Puis, j’enlève tout, mon jeans et mon haut
noir, et dépose sur le bord du lavabo ma montre ainsi que mes deux bagues.
Mon regard se promène rapidement dans la pièce. J’hésite à peine quelques
secondes avant d’ouvrir la porte de la douche et de me glisser derrière son
occupant.

Des gouttelettes chaudes atteignent mon bras, créant une décharge


électrique dans celui-ci. Je suis tentée de tourner les talons et de foutre le
camp de cette salle de bain. Cependant, je ne peux détacher mon regard de
son dos musclé et de ses petites fesses rebondies. Je laisse la tentation
m’envahir et fais courir mes doigts sur son dos jusqu’à ses épaules. Comme
j’aime toucher sa peau ! Un grognement satisfait s’échappe de sa gorge.
J’enroule mes bras autour de sa taille et me colle à lui. Il ne semble pas
surpris de ma présence. Instinctivement, ses mains se posent sur mes bras et
les caressent. Je suis secouée par une décharge d’adrénaline, comme chaque
fois que je viens le trouver dans la douche ou dans son lit après le départ
d’Ethan. Ce petit côté risqué a tout pour m’exciter et causer en moi tout un
émoi. Puis Tommy n’est pas un homme avec beaucoup de convictions, si
quelque chose peut lui procurer du plaisir, il ne se gênera pas pour en
profiter.

Il se tourne vers moi, prend mon visage entre ses mains. Son regard est
amusé, voire provocant ; je sais ce qu’il pense et m’en fous royalement, tant
qu’il me fait oublier ce mail de merde. Je l’attire vers moi, me tenant
désespérément à lui, comme on s’accrocherait à une bouée de sauvetage. Il
pose ses lèvres contre les miennes, rapidement sa langue entre dans ma
bouche. Il met fin au baiser presque immédiatement, une moue moqueuse sur
le visage.

— Je croyais que l’on devait arrêter de s’amuser nous deux, siffle-t-il avec
ironie.

Il fait le fier, mais il n’en reste pas moins que ses mains me tiennent
fermement à la taille pour me tenir contre lui.

— Si je te force, fais-le-moi savoir. Je vais aller voir quelqu’un d’autre.

Je le taquine et tente en vain de me défaire de sa poigne de fer, mais il sait


bien que je ne suis pas sérieuse.

— Et Ethan ?

Sa question reste légitime après le discours que je lui ai servi il y a peu de


temps. Son coloc est mon meilleur ami et aussi la meilleure chose dans ma
vie. Je ne souhaite en aucun cas détruire ma relation avec lui. Tommy a rigolé
en répliquant qu’il comptait les jours avant que je vienne le retrouver dans la
douche ou que je lui passe un coup de fil.

Il a eu raison, cependant, en ce moment, je m’en moque. J’ai besoin de


pallier ma colère et le vide qui s’installe en moi par autre chose.

— Tu veux que j’aille voir Ethan pour qu’il me donne ce que tu ne sembles
pas vouloir me donner ? râlé-je, abandonnant son cou.

Il me retient par le bras, me plaque contre le mur de la douche avec force.


— Tu es à moi, rien qu’à moi Lou. Ne l’oublie jamais.

Surprise par ses paroles, mes yeux s’arrondissent tandis qu’il relève mes
bras au-dessus de la tête en susurrant ces mots qui me font frémir de dégoût.
Je tente de me défaire de sa poigne de fer, mais il semble prendre ça pour un
jeu, car il me plaque de nouveau contre le mur et commence immédiatement
à faire courir sa bouche partout sur mon corps. Il s’attarde sur mes seins en
mordillant mes tétons. Je me cambre et grogne de plaisir. Je ne pense plus à
rien et ça, ça fait du bien. Ses baisers se poursuivent jusqu’à mon ventre, sa
langue se faufile tranquillement jusqu’à mon sexe et il se met à le lécher. Mes
doigts s’enfoncent dans ses cheveux alors que les siens entrent en moi et
bougent en moi à un rythme effréné. J’ai beau me tortiller pour lui signifier
que j’ai envie qu’il ralentisse la cadence, il s’acharne à me faire jouir le plus
rapidement possible. Et ça fonctionne, en quelques minutes, il me donne un
orgasme. Toujours accrochée à sa chevelure brune, je le tire vers le haut dans
l’espoir de mener un peu la danse et déconnecter mon esprit pour me perdre
dans ce plaisir. Tommy m’embrasse, sa langue entre dans ma bouche et vient
jouer avec la mienne dans un baiser un peu trop rapide, un peu trop pressé.
J’aimerais pouvoir l’arrêter et lui demander d’être plus doux, mais il me
soulève par les fesses et instinctivement, mes jambes s’enroulent autour de
ses hanches tandis qu’il entre en moi sans problème. Je pousse un
gémissement, et tout mon corps reçoit un électrochoc de plaisir.
Malheureusement, comme quelques minutes plus tôt, il n’a qu’une chose en
tête : jouir rapidement. Sa queue s’active en moi en un rythme effréné. Ses
lèvres ne lâchent les miennes qu’au dernier instant, pour s’écraser contre mon
cou tandis qu’il pousse un râle étouffé par l’eau de la douche. Il reste un
instant contre mon corps nu, à bout de souffle, et finit par me remettre sur
pied. Il m’embrasse de nouveau sur la bouche et moi, je le repousse
doucement. Il me regarde sans comprendre.

— Je dois me doucher Tom, annoncé-je avec un demi-sourire contrit.

Cette partie de sexe n’a pas eu l’effet anesthésiant escompté. Je sens déjà
que je vais avoir besoin d’une nouvelle visite chez le psy. C’est toujours la
même routine ; l’alcool et le sexe peuvent me suffire pendant des mois, mais
peu à peu les cauchemars reviennent et les nuits d’insomnie s’en mêlent.
Alors j’essaie de me noyer dans l’alcool et le sexe jusqu’à ce que je pète un
câble et que je sois contrainte de me rendre chez mon psychologue pour une
ordonnance de somnifères.

— La place est à toi ma douce, dit-il, me claquant une fesse.

Je grogne et l’entends éclater de rire de l’autre côté de la paroi de douche.

L’eau tiède qui ruisselle sur ma peau me laisse une désagréable sensation
de froid, je change sa température jusqu’à ce qu’elle me brûle l’épiderme. Je
pose les mains à plat contre le mur et baisse la tête, je laisse l’eau couler dans
mes longs cheveux bruns qui dégoulinent de chaque côté de mon visage. Je
n’ai pas la force nécessaire pour me laisser sombrer au fond de ce précipice
qui est perpétuellement devant moi.

Et si je m’y laissais sombrer qu’une seule fois ? Rien qu’une... Ça ne


pourrait pas m’amocher plus que je ne le suis déjà.

Pourtant, c’est ce que je fais chaque fois que je descends des litres
d’alcool.

Des nuits de sexe.

Que je m’abandonne à mes émotions.

Les hommes dont je ne me rappelle jamais le nom.

Les fois où je trahis Ethan en baisant son coloc.

Je me sens dégoûtante, totalement minable. Ma peau me démange. Je


balance la tête en arrière puis en avant et mon front percute douloureusement
le carrelage mouillé de la douche. Retenant un cri de douleur, je me laisse
choir sur le sol, je remonte mes genoux sous mon menton et entoure mes
jambes de mes bras. Je tapote le haut de mon front, à la racine de mes
cheveux, une petite bosse pointe déjà le bout de son nez. Je laisse ma tête
retomber sur mes genoux. Je reste dans cette position de longues minutes,
incapable de bouger, jusqu’à ce que l’eau devienne si froide qu’elle laisse sur
ma peau une impression de gel.
2
Lou
Si les soirées chez Jamie Michelle sont vertigineuses, luxueuses et
affriolantes, elles sont aussi dans la sobriété et le bon goût. En fait, je ne sais
pas comment elle fait dans ce monde où tout n’est qu’artifices et
supercheries. Sa maison est remplie de gens du milieu de la mode. Des
designers, des mannequins ou encore des photographes, mais presque tous
ont un lien avec la célèbre styliste. Cependant, moi, je ne vois pas trop ce que
je fais ici. Adam, mon agent, m’a obligée à y assister. Cette putain de soirée
est la seule façon de faire mon mea-culpa sur les événements des derniers
mois. Je n’ai pas pu refuser de me présenter malgré l’envie brûlante d’éviter
cette soirée. Vu que j’ai été chiante comme pas possible avec lui ces derniers
mois, j’ai abdiqué. Ce qui m’énerve, c’est faire bonne figure, alors que tout le
monde sait que Jamie Michelle ne s’y présente que rarement. Le plus
improbable, c’est que j’ai promis à l’agence que je resterais sobre et que je
suis en train de tenir ma promesse, et personne n’est là pour le voir.

Pourquoi ils tiennent tant à ce que je sois ici ? J’ai la drôle d’impression
qu’il y a anguille sous roche…

Alors, me voilà, malgré tout, juchée sur des talons vertigineux, à me


faufiler au travers des groupes agglutinés ici et là. Je ne sais pas ce qu’ils font
ni de quoi ils parlent, mais ce dont je suis certaine par contre, c’est que je n’ai
aucune envie de me mêler à eux. J’évite de justesse une meuf trop saoule qui
tente de s’accrocher à moi pour ne pas tomber. Elle chancelle et perd pied,
s’écroulant sur le sol. Le bruit sourd que font ses genoux lorsqu’elle touche le
sol m’arrache un demi-sourire. Je n’aime pas que l’on entre dans ma bulle
sans m’avertir au préalable. Tout comme je préfère que l’on ne me touche
pas. Après cet incident, je me laisse choir sur une chaise en retrait de tout ce
monde. Pendant un long moment, je les regarde se gaver d’alcool. Hier,
c’était moi qui étais à leur place, buvant, perdant conscience à grandes
gorgées de breuvage alcoolisé.

Après plusieurs mauvaises nuits et diverses soirées où l’alcool n’a pas


réussi à faire taire ce mal qui m’habite, je me suis tournée vers la solution la
plus logique : prendre les fameux cachets prescrits par mon psychiatre pour
m’aider à dormir. Une nuit dans le brouillard, sans rêve, et un réveil qui me
laissera dans les vapes encore quelques heures. C’en est presque alléchant. Ce
soir, je priorise la solution la moins probable, suivre mon traitement. Du
moins, pour l’instant…

Ethan serait fier de moi.

Cette pensée me donne envie d’aller le retrouver chez lui, de me glisser


dans son lit et rechercher la chaleur de son corps tandis que je bascule vers
les effets anesthésiants des somnifères. Il m’apaiserait et tout serait moins
pénible. J’ai une soudaine envie qu’il soit près de moi. Je souris, cherchant
mon téléphone dans mon sac à main, mais ne le trouve nulle part. Une
chaleur m’envahit et gagne mon visage pour finir par battre contre mes
tempes, signe que je vais bientôt exploser…

Bordel, je l’ai éclaté contre le sol ce matin…

Je soupire à m’en fendre l’âme, luttant contre une vague impétueuse de


souvenirs. Je dois respirer et me concentrer sur ce que le psy m’a dit la
dernière fois : « trouve un point d’ancrage, quelque chose qui te fasse du bien
et accroche-toi à lui… ». Merde ! Et voilà comment se sentir encore plus
folle ! J’en ai pas de putain de point d’ancrage, de truc qui m’apaise. J’ai rien.
Rien du tout. Bordel de psychologue de merde, tout juste bon pour encaisser
mes chèques, jamais nos séances ne m’ont fait le moindre bien. Quel taré
celui-là ! Oser me dire qu’il sait ce que j’ai, mais qu’il ne me le dira pas tant
que je ne ferai pas un effort considérable…

Un effort considérable ? C’est quoi ça ? Je dois me jeter du 13e étage pour


avoir son attention ?

— On dirait que ça ne va pas…


Une voix dans mon dos me fait sursauter. Je souffle et ferme les yeux, si je
ne le vois pas, peut-être disparaîtra-t-il et ira jouer les boulets avec une autre.
Ah, mais non, il reste. Je l’entends ricaner, j’ouvre les yeux, il est toujours là,
derrière moi.

Non, mais il me veut quoi, ce dégénéré ? C’est marqué sur mon front :
« jeune demoiselle en détresse » ? Non ! Alors qu’il se barre !

Ledit dégénéré me contourne et vient se placer face à moi. Dans la lumière


tamisée de la pièce, je peux distinguer ses cheveux blonds qui auraient bien
besoin d’une bonne coupe. Cependant, ce sont ses yeux gris comme l’acier
qui pénètrent jusqu’au plus profond de mon âme qui me font tressaillir. Je ne
sais pas qui est ce mec, mais à sa façon de me regarder, il réussirait à me faire
douter des fondements de la vie. Je soupire alors qu’il plisse légèrement les
paupières. Qui est-il ? Il ne me déshabille pas du regard comme le font les
autres hommes, il se contente de garder ses iris vissés dans les miens, me
perturbant comme je l’ai rarement été dans ma vie.

Bon sang ! Regarde ailleurs !

Qu’est-ce qu’il cherche en moi ? Pourquoi me sonde-t-il de la sorte ? Je


perds peu à peu pied, comme je ne l’ai jamais fait dans ma vie. En tout cas,
pas de cette façon. Non ! Personne ne m’a jamais fait cet effet. Lui, il me
déstabilise.

— Alors ? T’es venue seule ?

Et paf ! Ou comment détruire toutes ses chances d’être différent des autres
en quatre mots. Je soupire et ne réponds pas. Je me demande où il veut en
venir, il fait quoi là au juste ? Il travaille sa technique de « je me fais des amis
pour les nuls » ou bien il est ainsi avec toutes les femmes et je ne serais qu’un
numéro de plus sur sa liste ?

Désolé mon coco, je n’ai jamais rechigné à être celle que l’on baise un
soir et que l’on ne rappelle pas. Cependant, tu tombes plutôt mal, je n’ai pas
envie de me prêter à ce petit jeu de séduction qui m’amènerait probablement
dans ton lit ainsi qu’une baise rapide durant laquelle je ne suis même pas
sûre de prendre mon pied…

— Ça va ou pas ?

Il me pose cette question sans me lâcher du regard.

C’est quoi cette fixette qu’il a ?

Je hausse les épaules et continue de le détailler. Son jeans noir troué aux
genoux et son t-shirt de la même couleur avec un squelette blanc tenant un
verre me font penser qu’il ne doit pas être du milieu. Non, parce que si nous
jetons un œil autour de nous, y a que des gens saouls en vêtements griffés.
Des meufs en Louboutins ou Jimmy Choo et des mecs en chaussures vernies.
Tandis que lui fait un peu tache avec ses converses noires. Aucun doute, c’est
un pique-assiette !

Super ! Je dois me coltiner les boulets une fois de plus.

— Alors ?

— Ça va, me contenté-je de répondre sans sourire.

— À voir ton air, j’aurais cru le contraire.

Je me contente de hausser les épaules et de prendre un air las en espérant


qu’il déguerpisse.

— Parfois, parler à un inconnu, ça aide, ajoute-t-il, me sondant comme


jamais personne ne l’a fait auparavant.

Non, mais il me veut quoi ? Sauver la veuve et l’orphelin ? S’il continue,


tout ce qu’il va récolter, c’est une gifle à lui en faire exploser la joue.

Je détourne le regard et observe deux nanas en train d’échanger leur salive.


N’importe quoi ces soirées. Jamie Michelle devrait être plus présente pour
empêcher ce genre de chose parce que là, ça commence sérieusement à partir
en couilles.
— Tu risques quoi ? demande-t-il.

Comme je ne réponds pas, il prend le temps de me sourire et tourne les


talons. Pendant l’espace d’une seconde, mon cœur a un raté. Je ne veux pas
qu’il parte.

— As-tu déjà été si triste que ton corps tout entier en devenait
douloureux ?

Des paroles dites sans réfléchir… merde de merde !

— Dépression, suppose-t-il simplement.

Les gens qui ne connaissent rien des maladies mentales ont tendance à tout
mettre sur le compte de la dépression, comme si c’était la chose la plus
normale du monde. Mais non mes chéris, les maladies de l’âme et du cerveau
sont beaucoup plus complexes que ça. Cependant, je dois bien l’admettre,
j’adorerais que ce ne soit qu’une putain de dépression. Je pourrais aller faire
du parapente en Inde, ou encore faire coucou aux requins dans l’océan
pacifique. Je pourrais tenter de vivre pour reprendre goût à la vie, mais non,
ça ne fonctionne pas comme ça. Moi, plus je tente de vivre, plus je me casse
la gueule, plus j’ai mal. Ce qui est le plus douloureux à encaisser, c’est de se
dire que l’on ne guérit jamais des troubles borderline. Jamais ! On apprend à
vivre avec… Une putain de grosse connerie, j’vous le dis !

Je souffle fortement. Personne ne comprend ce que c’est de vivre ainsi. Je


hausse les épaules de nouveau, pourquoi lui ai-je dit cela ?

— Simplement une mauvaise journée, finis-je par dire en me levant pour


m’éloigner de lui.

C’est stupide de vouloir parler à un inconnu, j’ai envie de discuter avec


Ethan. Lui seul me comprend. Cependant, lorsque je passe devant cet
homme, il m’attrape le poignet et nos regards se croisent, stoppant mon envie
de foutre le camp.

D’un coup de tête, je repousse mes longs cheveux bruns qui m’étaient
tombés devant le visage. Je dois absolument mieux voir ces yeux que j’ai du
mal à lâcher. C’est la première fois que je perçois autant d’intensité dans un
regard.

— Ce n’est pas parce que tu as une mauvaise journée que tout va


nécessairement mal, me dit-il.

À cet instant, je peux lire de la compassion dans son regard. Je n’ai pas
besoin de sa compassion, tout comme je ne veux pas de son aide. Encore une
fois, il me fixe.

Va-t-il décrypter ce que je n’ai jamais osé révéler à personne ? Mes peurs ?
Mes pensées ? Mon malaise ?

A-t-il conscience qu’il vient de lire en moi comme dans un livre ouvert ?

Qu’il a pu toucher mon mal-être ?

A-t-il senti à quel point je suis près de me laisser ensevelir par la folie ?

Tout cela parce qu’il a posé ses yeux dans les miens, l’instant de quelques
secondes.

Quelques putains de secondes !

— Tu le vois bien, je suis brisée, je risque de craquer à tout moment. On ne


peut pas me réparer, pourquoi ne me laisserais-tu pas avoir une mauvaise
journée, une soirée épouvantable ou bien une vie en enfer ? murmuré-je,
déstabilisée par son regard qui change au fur et à mesure que je parle.

Mes yeux courent sur son visage pour me soustraire à ses iris hypnotiques,
il a une fossette à la joue gauche, une barbe de deux ou trois jours, sa
mâchoire est carrée. Il se dégage de lui un charisme indéniable. Il règne
autour de lui une certaine intensité.

— Tout peut se réparer, annonce-t-il simplement.

Ah super ! Encore de la psycho pour les nuls !


— Peut-être bien, mais rien n’est plus comme avant.

Je me contente de sourire, s’il croit vraiment que je n’ai pas déjà tout
envisagé. Je me suis si souvent répété ce genre de réplique que je ne suis plus
capable d’y croire. Le positif attire le positif et une bonne baffe en plein
visage.

— Qu’est-ce qu’elle avait de si spécial la fille que tu étais avant pour que
tu t’y accroches autant ? demande-t-il d’une voix douce.

— Son innocence et la vie devant elle.

Son petit numéro ne m’impressionne plus, il doit le faire avec des tonnes
de femmes chaque soir. À un autre moment, ça aurait pu m’attendrir, mais
pas ce soir, rien n’y arrive ce soir. Probablement qu’à un autre moment, je lui
serais tombée dans les bras sans aucune gêne ni retenue, mais ce soir, je n’ai
pas envie d’une baise, et ce, même si cet homme me fascine.

Je souffre, mon mental est au plus bas. Je ne comprends toujours pas


pourquoi je suis encore ici. Bien sûr, mon agent m’a demandé de venir et de
faire acte de présence, précisant que je ne devais pas commettre trop
d’impairs. J’ai accepté en pestant contre lui, j’avais prévu de ne rester que dix
minutes pour le satisfaire, mais je suis ici depuis plus d’une heure et je crois
que je viens de faire une erreur. Parler avec ce type qui lit en moi sans aucune
honte est la chose la plus stupide que j’ai faite aujourd’hui.

— On va prendre un café ?

— Pourquoi ferais-je ça ?

Je n’ai qu’une envie, me sauver en courant. Prendre mes jambes à mon cou
et foutre le camp loin, très loin.

— J’ai simplement cru remarquer que tu ne t’amusais pas ici, peut-être que
tu passeras du bon temps ailleurs.

— Et tu crois que je vais m’amuser plus en allant prendre un café avec toi
et discuter de tout ce qui me pousse vers la folie ?

Qu’il le sache immédiatement, je suis instable. Maintenant, qu’il s’en aille


et me fiche la paix une bonne fois pour toutes.

— La folie ne m’a jamais fait peur, rétorque-t-il avec un sourire.

— Je suis comme les sables mouvants, si tu marches avec moi, tu


t’enfonces, lui dis-je en récupérant mon poignet.

Je lui tourne le dos et zigzague entre les invités.

À peine dehors, l’air de Miami me donne froid dans le dos et me fait


frissonner. Je chancelle légèrement. Lorsque je retrouve pied, il est encore là,
dans mon dos. Je souffle bruyamment. Comment ai-je deviné que c’est lui ?
Je ne sais pas…

— Que veux-tu ? demandé-je résignée devant autant d’obstination.

— Savoir ton prénom…

Sa voix est rauque et chaude, elle me fait frissonner et crée dans mon
estomac une chaleur incontrôlable. Je n’ai pas envie de lui répondre. Il a déjà
lu en moi. Pourquoi a-t-il besoin d’en savoir plus ? Il en sait déjà assez et bien
plus que la plupart de mes amis.

— Que risques-tu si tu me le dis ? ajoute-t-il.

Je ferme les yeux et sens un sourire dans sa voix lorsqu’il me parle.

— Un simple prénom peut apporter trop de choses.

— Je suis Jarred Dwyer, me dit-il doucement en me contournant pour me


faire face.

J’ouvre les yeux, son regard cherche à sonder ce qu’il y a au plus profond
en moi.
Cette fois, sa voix est douce et rassurante. Je fixe ses prunelles, à la
recherche de quelque chose qui pourrait m’en dire plus sur ses intentions. Je
suis forcée d’admettre qu’il ne semble pas en avoir de mauvaises.

— Lou Cassidy, murmuré-je.

— Enchanté Lou.

Je lui souris, je ne pourrais pas dire que mon sourire est sincère, car il l’est
rarement, mais je peux dire que cette attention qu’il me porte est
attendrissante.

— Alors, on va prendre un café ?

— Je ne peux pas, désolée.

— T’as un petit ami ? demande-t-il.

— Non et je n’en veux pas, ajouté-je, écoutant la voix dans ma tête qui me
dit que je devrais foutre le camp le plus rapidement possible.

La voix instable de ma raison me crie de me barrer et pour une fois, je


l’écoute et le contourne. Cependant, ce mec ne l’entend pas de la même
oreille, il recule en même temps que moi et me sourit avant d’annoncer :

— Je te laisse partir pour cette fois Lou Cassidy, mais si jamais le hasard
fait que l’on se rencontre encore une fois, tu me donnes ton numéro ou bien
on va prendre ce café.

— Peut-être…

Je m’avance vers le taxi qui vient de se garer devant l’immeuble et m’y


glisse en donnant mon adresse au chauffeur. Je viens de planter un mec là,
l’un des rares qui me semblait normal depuis un long moment… Abasourdie
par ce qu’il vient de se passer, je me cale dans la banquette et regarde les
lumières de Miami défiler devant mes yeux.
3
Jarred
J’ai volontairement enfilé un vieux jeans troué aux genoux, un t-shirt des
Social Distortion{1} et mes putains de converses. Pourquoi ? Eh bien, parce
que personne ne sait qui je suis. Personne ne sait que c’est moi le nouveau
photographe et nouvel associé de Jamie Michelle. À Miami, je suis presque
un inconnu. Pendant les huit derniers mois, nous avons donné corps et âme
dans ce projet, une collection complète de vêtements pour homme et une
autre pour femme. Nous avons créé chacun des accessoires, pensé à chaque
infime détail. Nous ne pourrions pas être plus fiers de ce que nous avons
accompli. Nous avons présenté quelques pièces de notre collection en petit
comité et la nouvelle a commencé à s’ébruiter tranquillement puis c’est
devenu carrément une tornade. Des fuites, il y en a toujours dans ce milieu.
Cependant, cette fois, c’est nous qui avons décidé de faire fuiter que la
célèbre Jamie Michelle travaillait sur une toute nouvelle collection et que ce
serait le projet tant envié.

Comme rien n’est noir ou blanc et que nous savons fort bien que ce milieu
est rempli d’arrivistes, de faux-cul et de gens malintentionnés, nous avons
convenu d’un commun accord de nous entourer de gens avec qui nous
aimerions travailler. Une petite soirée s’est donc imposée pour départir le bon
grain du mauvais. Qui est là pour travailler réellement avec nous et qui n’est
là que pour bouffer l’assiette de raisin. Il nous a aussi semblé logique que
Jamie reste en retrait ce soir, ainsi nous tenons éloignés ceux qui ne sont là
que pour faire bonne figure. Donc, c’est à moi que revient le privilège d’être
ses yeux et ses oreilles. Cependant, en ce moment, très peu de gens m’ont
impressionné, mais il y a quand même une ou deux personnes qui se sont
démarquées, sans plus. Ce milieu commence à me dégoûter.

Je me pose un moment au centre de cette foule trop dense, elle apparaît


comme une illumination à travers ces gens trop bourrés. Elle slalome entre
les fêtards déjà trop déchirés bien qu’il ne soit que 23 heures. Son regard est
vif et alerte, ce qui me laisse penser qu’elle n’a pas bu une goutte d’alcool. Je
la détaille tandis qu’elle tente de se trouver un endroit au calme. Elle porte
une robe bleue, col en V, tombant au-dessus de ses genoux et découvrant
ainsi ses longues jambes. Sa beauté est atypique ; grande, presque filiforme et
menue, elle semble ne jamais être sortie de l’adolescence. Je me doute bien
que c’est ce côté d’elle qui lui assure un succès dans l’industrie de la mode où
l’on doit toujours avoir l’air plus jeune et plus frais qu’un bébé. Ses yeux
noisette me font penser à ceux d’un chat. Je dois bien l’admettre, elle a
quelque chose d’animal en elle. Quelque chose qui semble faire rage sans
qu’elle en ait nécessairement envie. De longs cheveux bruns tombent en
cascade de chaque côté de son visage en cœur. Elle se laisse tomber durement
sur une chaise et fouille dans son sac à main. Une tension semble naître entre
ses deux omoplates, je le sais parce qu’elle se raidit et tente de faire craquer
son cou en tournant la tête.

Je m’avance doucement vers elle et me rends compte que ce n’est pas que
de la tension. Cette nana oscille entre le désespoir et la colère.

— On dirait que ça ne va pas…

Ma voix la fait sursauter, elle souffle et se raidit, puis ne bouge plus d’un
pouce. J’ai un peu l’impression qu’elle se prépare à une attaque. Je ne sais
pas combien de secondes peuvent s’écouler avant qu’elle ne daigne relâcher
la pression dans ses épaules. J’ai envie d’en savoir plus sur elle, de voir son
visage pour pouvoir mieux comprendre ses réactions.

— Alors ? T’es venue seule ?

Toujours aucune réponse… Je ne comprends pas pourquoi elle ne me


répond pas.

— Ça va ou pas ? tenté-je de nouveau.

Elle se contente de soutenir mon regard qui s’est figé dans ses grands yeux.
Je ne suis pas certain de ce que j’y vois. De la colère ? De la peur ? De
l’exaspération ? Je crois que c’est un mélange de tout ça. Cependant, j’y
décèle aussi une grande déchirure. Je me demande si quelqu’un s’en est rendu
compte avant moi. C’est si facile à voir, mais il faut aussi arriver à passer
plusieurs barrières importantes qu’elle érige contre tous ceux qui voudraient
découvrir la vérité.

— Alors ?

Ses yeux se mettent à briller. Elle s’anime, mais les étoiles que je vois
briller dans ses pupilles ne se propagent pas sur le reste de son visage.

— Ça va !

Elle me lance ces deux mots avec une certaine arrogance qui me plaît bien.

— À voir ton air, j’aurais cru le contraire.

Elle prend un air exaspéré et me toise. Je ne comprends pas pourquoi je


reste là à me faire passer pour un abruti en forçant une femme à me parler,
mais je suis fasciné par cette personne qui semble se livrer mille combats à la
fois.

— Parfois, parler à un inconnu, ça aide, ajouté-je.

Fidèle à elle-même, elle se mure dans le silence. Ça m’énerve, je veux


savoir pourquoi elle agit ainsi.

— Tu risques quoi ?

Elle ne répond pas. Que puis-je faire de plus ? Rien du tout. Je me


demande quand même pourquoi j’ai envie de connaître les recoins obscurs de
sa vie. Résigné, je souris et tourne les talons. Quelle n’est pas ma surprise
lorsque j’entends :

— As-tu déjà été si triste que ton corps tout entier en devenait
douloureux ?

J’en perds le souffle, je n’aurais jamais pu imaginer qu’elle me dirait


quelque chose de la sorte.
— Dépression, supposé-je.

Je vois bien que mon hypothèse la dérange, mais je ne comprends pas


pourquoi. Tout comme j’ai la drôle d’impression que si elle le pouvait, elle
me fracasserait la tête contre le carrelage.

— Tout peut se réparer, insisté-je.

— Simplement une mauvaise journée, finit-elle par dire.

Le reste de la conversation se déroule dans un brouillard le plus total, je


suis là, mais sans vraiment l’être. Je me sens projeté des années en arrière
lorsque je tentais l’impossible pour convaincre Sidney que la vie pouvait être
belle parfois et que malgré tout, ça en vaut la peine.

C’est son parfum qui me ramène dans l’instant présent. Elle s’en va, elle
me quitte, comme Sidney l’a fait… Je l’attrape par le poignet. Elle rejette la
tête en arrière. Ses cheveux virevoltent et leur parfum entêtant de rose me
frappe de plein fouet.

— Ce n’est pas parce que tu as une mauvaise journée que tout va


nécessairement mal, dis-je pour la garder quelques minutes de plus avec moi.

Si je la laisse partir, j’aurai l’impression de laisser partir Sidney de


nouveau.

— Tu le vois bien, je suis brisée, je risque de craquer à tout moment. On ne


peut pas me réparer, pourquoi ne me laisserais-tu pas avoir une mauvaise
journée, une soirée épouvantable ou bien une vie en enfer ?

Plus elle me parle, plus je comprends ce besoin vital d’avoir des réponses à
mes questions. C’est elle, c’est toujours elle. Sidney. Ce sera toujours elle,
même si elle est morte il y a bientôt dix ans, elle reste dans toutes les
parcelles de mon esprit, de ma peau, de mon âme. Jamais, je n’aimerai de
nouveau.

Sans que je ne m’en rende compte, elle file vers la porte et rejoint
l’extérieur. Pendant trois secondes, je fais courir mon regard dans la salle.
J’ai quelque chose à faire ici, mais je ne peux pas la laisser partir comme ça.
Non ! Je ne peux pas. Jamie me pardonnera bien une petite sortie, je sais déjà
tout ce que j’ai à savoir. Je soupire et m’élance à sa suite.

Une fois dehors, je l’aperçois tout de suite malgré la foule. Je m’avance


doucement vers elle ; comme lors de la première fois où je l’ai vue, elle se
tend et ses épaules se redressent. J’ai l’impression qu’elle sent ma présence.
Cependant, elle ne se retourne pas et reste droite comme un i. Durant près de
trente secondes, mon regard court sur l’ouverture de sa robe. Je peux
contempler sa peau bronzée ainsi que trois petits grains de beauté tout près de
son omoplate droite. Ses épais cheveux bruns tombent en cascade dans son
dos. Mes yeux descendent jusqu’à ses jambes et remarquent qu’elles
tremblent légèrement.

C’est moi qui lui fais ça ?

Je n’arrive pas à parler.

— Que veux-tu ?

Sa voix claque dans ma tête, elle est brusque et vive. Au final, j’ai
l’impression de la déranger.

— Savoir ton prénom, déclaré-je malgré cette appréhension qui fait rage en
moi.

Bien sûr, je pourrais retourner à l’intérieur et interroger quelques


personnes, mais sans trop savoir pourquoi, j’ai envie que cela vienne d’elle.

— Que risques-tu si tu me le dis…

Je tente le tout pour le tout encore une fois, mais j’y vais avec douceur.
Elle ne doit pas être brusquée. Elle ne doit pas se sentir poussée dans ses
retranchements. Pourquoi je le sais ? Parce que c’était ainsi avec Sidney.

Elle serre les lèvres et ferme les yeux. Ses épaules se détendent. Ça me fait
sourire.

— Un simple prénom peut apporter trop de choses.

— Je suis Jarred Dwyer…

Elle ouvre les yeux et ses pupilles se posent directement dans les miennes.
Elle soupire doucement.

— Lou Cassidy…

— Enchanté Lou.

Elle me gratifie d’un sourire, mais comme pour ses yeux quelques instants
plus tôt, son sourire reste sur ses lèvres et n’illumine pas son visage. Ça me
donne la curieuse impression qu’elle a réussi à déconnecter chacun de ses
sentiments et de les isoler. J’aimerais tant comprendre pourquoi.

— Alors, on va prendre un café ?

— Je ne peux pas, désolée.

— T’as un petit ami ?

— Non et je n’en veux pas…

Ça tombe bien, moi aussi je prône le célibat !

— Je te laisse partir pour cette fois Lou, mais si jamais le hasard fait que
l’on se rencontre encore une fois, tu me donnes ton numéro ou bien on va
prendre ce café.

— Peut-être...

Elle me contourne et se dirige vers un taxi qui vient de se garer devant la


maison de Jamie. En aucun cas, elle ne se retourne. Bon sang ! Cet entretien
avec elle m’a pris au dépourvu. J’aperçois des paparazzis agglutinés sur la
pelouse.
Génial !

Je me dirige vers l’un d’entre eux, celui qui me semble le plus apte à livrer
des secrets. Comme il voit que je m’avance dans sa direction, il vient à ma
rencontre.

— Alors, grosse soirée ? demandé-je en rigolant.

— Ouais ! Pas mal ! Je peux faire quelque chose pour toi ?

— T’as vu la nana avec qui je parlais à l’extérieur ?

— Lou Cassidy ? Ouais ! Cette meuf est complètement tarée.

— Tu sais quelque chose sur elle ?

Il me toise un moment, probablement qu’il doit se demander ce qu’il peut


me soutirer si jamais il parle. Je retiens un soupir et attrape mon portefeuille
dans la poche arrière de mon jeans. J’en sors trois billets de cent dollars et les
lui tends.

— Dis-moi tout ce que tu sais sur Lou Cassidy…

— T’as pas besoin de payer trois cents balles pour avoir des infos sur elle ;
navigue sur la toile, elle y est partout. Si tu veux mon avis, reste loin de cette
nana.

— Ouais ! Merci du conseil. Elle est mannequin ?

Il hoche la tête et me sourit. Je déteste les paparazzis, ils sont toujours là à


fourrer leur nez dans les affaires des autres.

— T’as pris un cliché d’elle ?

Il hausse les épaules.

— Mec, je ne sais pas ce que tu cherches à faire, mais Lou Cassidy est
barrée dans le milieu. Plus personne ne veut travailler avec elle, lâche un
autre des paparazzis.

— Merci de l’info, mec, réponds-je.

— Moi, j’ai pris un cliché de vous deux. Lou qui part d’une soirée sobre,
plantant un mec au bas de la porte, fallait inaugurer ça, annonce-t-il
fièrement.

J’avance vers lui avec un sourire, mais il recule. Je stoppe et lève les mains
en signe de ma bonne foi.

— Tu veux me rendre un service ? demandé-je avec un sourire.

Le paparazzi s’avance vers moi et passe son bras autour de mon épaule
comme si nous étions les meilleurs amis du monde.

— Les services, ça s’achète…

— Ouais, j’en doute pas. Cependant, comme ce que je m’apprête à te


demander te fera gagner du fric, je ne compte pas te payer.

Il ricane bêtement.

— Compte pas sur moi alors.

Le premier homme à qui j’ai parlé s’avance vers moi et me demande :

— Tu veux quoi ? J’ai pris la même photo que ce toquard.

— Appelle-le magazine Starpress INC. et demande Aubrey, dis-lui que tu


la contactes de la part de Jarred Dwyer et vends-lui ta photo.

Je sors de mon portefeuille une carte de visite et la lui tends. L’homme


hoche la tête et la fourre dans la poche de son jeans. Je ne sais pas s’il va le
faire, mais qui ne tente rien n’a rien. Je retourne à l’intérieur au pas de course.
La fête continue de battre son plein et le degré de déchéance a augmenté d’un
palier. Tout le monde, ou presque, est déchiré. Je n’ai plus envie de rester là à
les regarder se vautrer dans l’alcool et la drogue.
Je me dirige vers l’escalier où l’accès est gardé par un gardien de sécurité.

— Tu surveilles, Owen ? Je dois voir Jamie, lui demandé-je.

— Pas de problème, patron.

Je ne réponds pas à sa plaisanterie et grimpe l’escalier au pas de course.


Une fois en haut, je tourne à droite et me rends au bout du couloir. J’ouvre la
porte, entre dans un bureau et me dirige vers une autre porte qui se trouve au
fond de la pièce. Je tape alors le code pour déverrouiller la porte et y entre.

Jamie est assise sur le sol en tailleur, avec des plans à ses pieds. Elle
mordille un crayon et n’a même pas remarqué ma présence dans la pièce
secrète. Je tousse pour attirer son attention. Elle relève la tête avec un sourire.

— Tu sais que ton bureau est plus confortable que le sol ?

— Il y a trop de bruit dans le bureau, ici c’est insonorisé.

Je lui souris et lui tends la main pour l’aider à se relever. Elle est toute
petite, à peine 1 mètre 55, elle a de longs cheveux bruns et des yeux noirs.
Elle porte une tunique en lin blanc et un legging noir.

— Alors, tu nous as déniché une égérie ?

Peut-on classer Lou Cassidy comme une muse ? Une égérie ? Je ne l’avais
pas vue ainsi, mais au final, je crois bien que c’est elle qui représenterait au
mieux la collection.

— Je ne sais pas. Tu penses quoi de Lou Cassidy ?

— Ah oui, Lou ! Je l’ai invitée pour faire plaisir à Adam Hart. Je ne l’avais
jamais envisagée comme une possibilité.

— Tu me parles un peu d’elle ? demandé-je.


— Ce ne sont que des rumeurs, mais on dit qu’elle vivrait des choses
difficiles. Elle cumule les mecs, l’alcool et encore une fois, ce n’est qu’une
rumeur, mais la drogue aussi. Elle a éclaté sa voiture contre un parapet près
de Daytona Beach. Ensuite, toutes sortes de rumeurs ont circulé sur elle. Je
sais ce qui te plaît chez elle.

— Elle est la seule à ne pas s’être bourré la gueule ce soir, Jamie.

Elle me regarde longuement puis m’offre un de ses sourires chaleureux


dont elle me gratifie si souvent.

— Si c’est elle que tu veux, je vais contacter son agent pour qu’on puisse
se rencontrer.

Je lui rends immédiatement son sourire.

— Je te laisse travailler, je vais aller dormir moi.

— Jarred ? Elle n’est pas Sidney, tu le sais non ?

— T’en fais pas, personne ne va remplacer Sidney.

— Ce n’est pas ça que je veux dire et tu le sais. Je te connais, tu as une


âme de sauveur et…

— T’en fais pas Jamie.

Je dépose un baiser sur son front et tourne les talons pour regagner ma
voiture.
4
Lou
En route pour mon enfer personnel que je paye beaucoup trop cher, mon
esprit s’évade. Ce soir, j’ai besoin de me retrouver, d’être seule et de bouffer
ces putains de somnifères pour enfin dormir, mais surtout, ce que je souhaite,
c’est oublier ce type que j’ai rencontré un peu plus tôt. Je sens encore son
regard gris comme l’acier dans mon dos tandis que je grimpais dans la
voiture qui allait m’éloigner de lui. J’ai cru que ça me soulagerait de me
retrouver loin de lui, mais non, ça me laisse une drôle de sensation de vide et
de manque. Je me sentais en danger avec lui, mais je n’ai jamais craint pour
ma vie. Non ! Ce dont j’avais peur, c’est que s’il posait son regard une petite
minute de trop sur moi, il changerait ma
vie.

Non, mais c’est complètement idiot ce que tu dis là. Comment est-ce qu’un
inconnu peut changer une vie ? Tu ne le connais même pas ! Il ne te connaît
même pas…

Dans un état second, je descends du taxi, après avoir réglé ce que je lui
dois. Je m’avance à grands pas vers l’immeuble où j’habite avec l’espoir de
me laisser choir dans mon lit et de ne plus en bouger pour les vingt-quatre
prochaines heures… ou jours.

Lorsque les portes de l’ascenseur s’ouvrent enfin pour m’y laisser entrer, je
suis seule et ça me soulage. Je n’aurais pas supporté de sentir le regard de
quelqu’un d’autre sur moi à cet instant.

A-t-il vu que j’étais en train de perdre pied au travers de son regard et que
cela me troublait ? Que je tremblais ?

Ce qui m’effraie le plus, c’est qu’il ait pu apercevoir à quel point j’étais
vulnérable, car je ne le montre à personne, pas même à Ethan. Lui, il l’a vu
sans que je lui en parle et je ne sais pas pourquoi… Je ne comprends pas… Je
tente de respirer plusieurs fois. Un poids compresse ma poitrine. Je pose ma
main sur mon ventre.

Respire Lou ! Trouve un point d’ancrage…

Y a pas d’ancrage… Y en a jamais… Y a rien de bon dans ma vie… Je


m’accroche désespérément à la barre de service de la cabine. Mes jointures
blanchissent tellement je la serre avec force.

Respire Lou ! Une fois… Deux fois… Calme-toi…

J’en suis incapable et ça me terrorise. Les portes de l’ascenseur s’ouvrent


au 19e étage et, à peine sortie, je le vois devant ma porte. Tommy. L’homme
que je dois à tout prix éviter. Ce soir, je n’ai pas envie que l’on s’envoie en
l’air et qu’il me plante là après son éjaculation pour retrouver sa vie et me
laisser seule chez moi avec ce trou béant dans ma poitrine.

Il est là depuis combien de temps, ce crétin ?

Il patiente, les bras croisés sur son torse, adossé au mur, dans une pose que
j’aurais trouvée horriblement sexy la veille. Il tourne la tête vers moi, sourire
insolent sur son visage d’ange. Ce n’est qu’une façade. Il est loin d’en être
un. Ses cheveux sont en bataille, son regard hagard me signifie qu’il a
probablement bu une bonne partie de la soirée. Plus je m’avance vers lui, plus
j’en suis certaine. Tout comme je le suis sur ses intentions, et sur les miennes.
Ce soir, nous n’allons pas coucher ensemble. Je n’en ai pas envie. Je me sens
épuisée. Je ne veux qu’une chose : le foutre à la porte, enfiler le pyjama le
moins sexy que j’ai et dormir.

— Ma belle Lou, s’écrie-t-il au milieu du couloir, à quelques mètres de


moi.

Il ouvre les bras, probablement pour que je vienne m’y blottir. Je suis un
peu dégoûtée par ce geste.

— Ça va ? Que fais-tu ici ? demandé-je.


J’ai la ferme intention de le foutre à la porte à coups de pied au derrière. Il
croit vraiment que nous sommes de nouveau OK pour baiser ? Qu’il aille se
faire voir ! Je ne veux voir personne. Qu’on me fiche la paix à la fin...

— Je me suis dit qu’on pourrait s’amuser puisque nous deux, c’est de


nouveau d’actualité…

Son sourire moqueur et arrogant m’irise le poil. J’expulse l’air de mes


poumons pour gagner du temps et trouver ce que je peux bien lui dire pour le
foutre à la porte sans que ça dégénère. Faut dire qu’il est du genre colérique.

— Allez, Lou ! Fais pas ta Sainte-Nitouche, t’es venue me trouver dans la


douche. Ça veut tout dire, non ?

Putain, quel idiot, nous n’avons jamais été d’actualité et nous ne le serons
jamais.

Tout comme ce ne sera jamais officiel, lui et moi. Il enfonce ses mains
dans les poches de son jeans et incline légèrement la tête sur le côté. Ses yeux
bleus suivent chacun de mes mouvements avec une lueur de désir. Pendant
une petite seconde, je me fige de surprise, j’ai cru voir son regard devenir
aussi gris que l’acier et entrer en moi pour lire ce qu’il y a de plus mauvais.
Je secoue doucement la tête pour chasser une nouvelle fois cet inconnu de ma
tête. Brusquement, je n’ai qu’une envie ; me soustraire à ce regard qui n’est
pas le sien. Je me place devant lui, c’est pourtant son regard bleu océan qui
scrute mes yeux noisette. Je ne réfléchis plus et le pousse contre le mur pour
poser mes lèvres contre les siennes. Je réagis comme je l’ai toujours fait. Je
compense les choses qui me troublent par du sexe. En ce moment, le meilleur
moyen de ne plus penser au regard obsédant de ce type qui ne veut pas me
lâcher est peut-être de succomber à un autre. Il sourit contre mes lèvres et je
contrains sa langue à entrer dans ma bouche. Dès qu’elle touche la mienne, je
sens l’alcool sur elle et dans son haleine. Ça me répugne. Il fourrage mes
cheveux avec ses doigts. Ce soir, il n’est aucunement doux, il est plutôt
bestial, sauvage. L’alcool aidant, il se fout bien de me faire mal ou pas. Je le
repousse et tente de reculer, mais ses mains entourent mon visage et sa
bouche quitte la mienne.
— Allez, je sais que t’en as envie, ma belle.

Je ferme les yeux, je ne suis pas certaine d’en avoir envie comme il dit. Je
suis plutôt là pour pallier un mal-être. S’il savait que depuis le début, il n’est
qu’accessoire dans cette histoire…

Oublie tout Lou. Laisse-toi aller.

J’ai à peine le temps de réaliser que ma réflexion est complètement idiote


qu’instinctivement, il pose ses mains sur mes hanches et m’attire pour me
coller contre son corps. Ses doigts s’enfoncent et s’agrippent à mes cheveux,
me faisant rejeter la tête en arrière. Il embrasse ma gorge et ma clavicule
provoquant en moi une série de gémissements incontrôlables. Je sens son
sexe en érection contre mon bas-ventre et une chaleur se répand en moi.

— Ouvre la porte, je ne vais pas te baiser ici, m’ordonne-t-il en relâchant


mes cheveux, mais toujours en restant bien collé à moi.

Tremblante d’excitation, je cherche mes clés au fond de mon sac à main.


Elles tombent par terre dans un bruit sourd qui fait sonner une cloche dans
ma tête.

Ce n’est pas ce que tu veux ! Wake Up !{2}

Tommy pousse un grognement de mécontentement, cependant, il ne


manque pas l’occasion pour me caresser les fesses au passage et d’y coller sa
queue bandée pour me signifier son désir tandis que je les ramasse. Ce geste
me fait prendre conscience que mes tremblements ont augmenté de façon
considérable. Je sais ce que ça veut dire, je vais bientôt perdre le contrôle.

Je ne veux pas…

Une cloche sonne de nouveau dans ma tête pour me rappeler ma


résolution. Je ne veux pas me donner à lui, tout comme je ne veux pas perdre
pied une nouvelle fois. Je déverrouille enfin la porte et suis à quelques
secondes de le repousser pour de bon, lorsqu’il pose ses lèvres contre les
miennes, refermant derrière nous. Il me plaque violemment contre celle-ci,
remontant ma robe au-dessus de mes hanches, caressant mes cuisses alors
que mes jambes s’enroulent autour de lui, sans que j’en aie conscience. Tout
se fait de façon instinctive, primaire, voire bestiale. Il pousse un gémissement
de soulagement lorsque mes doigts s’enfoncent dans ses cheveux et que je
m’accroche désespérément à eux. Je ferme les yeux pour ne plus voir la lueur
de désir dans les siens. Je ne veux plus croiser le regard de quiconque cette
nuit.

— Regarde-moi Lou, j’aime lorsque tu me regardes, me supplie-t-il.

À sa demande, j’ouvre les yeux ; bizarrement, ce n’est pas le magnifique


regard bleu de Tommy que je cherche, mais bien le regard gris de cet inconnu
qui m’a perturbée une heure plus tôt.

Qu’est-ce que je suis en train de faire à m’accrocher à lui de la sorte ?

Instantanément, mes jambes se desserrent et le lâchent. Il me lance un


regard surpris et resserre son emprise sur moi.

— Rentre chez toi, murmuré-je en me libérant de l’étau de ses bras.

— Quoi ? Tu te fous de moi ?! s’exclame-t-il vivement.

— Je t’en prie, rentre chez toi.

Mes belles résolutions du moment s’amenuisent au même rythme que les


secondes. Je ne sais plus ce que je veux. Mon bas-ventre s’enflamme devant
le regard furieux de Tommy. Je suis aux frontières de la folie et du désir et je
vacille entre les deux. Tout en moi n’est que contradiction. Je veux me
donner à lui, tout comme je souhaite le repousser. Je sais que je désire le
faire, mais ce n’est pas pour les bonnes raisons. Tommy colle son sexe gonflé
par une érection monstrueuse contre mon bassin.

Comment cette situation peut-elle m’exciter à ce point ?

— Tu me sautes dessus et puis tu me jettes, grogne-t-il en posant ses lèvres


contre ma gorge.
J’enfonce mes doigts dans ses cheveux et lui fais relever la tête. Le sourire
satisfait qu’il arbore est à la limite de l’arrogance et me donne envie de le
gifler.

— J’ai envie de te baiser, susurre-t-il d’une voix rauque.

— Fais-le ! Tout de suite !

Sa bouche s’empare de la mienne avec violence alors que sa langue bute


contre la mienne avec force. Je le repousse contre le mur pour reprendre le
contrôle, mais il ne l’entend pas ainsi. Il m’attrape par les hanches et me
place face au mur.

— Cambre-toi pour moi, baby Lou.

Je frissonne en l’entendant dire le surnom qu’Ethan utilise. Il m’arrache


mon string, le déchirant littéralement, et remonte ma robe au-dessus de mes
fesses. Deux doigts envahissent mon sexe et bougent à une vitesse effrénée.
Bon sang, c’est bon ! Je gémis, le visage et la poitrine écrasés contre le mur.
Lorsqu’il me lâche, je proteste d’une voix aiguë. J’étais si près de l’orgasme.

— Baise-moi Tommy.

— T’en fais pas, j’en ai l’intention.

Je l’entends descendre la braguette de son pantalon, puis je sens son sexe


frotter contre le mien. Il s’enfonce en moi dans un profond coup de reins qui
m’arrache des cris de plaisir. Il me relève et colle mon dos contre son torse.
Ses coups de basin sont si rapides que je peine à rester en équilibre sur mes
talons hauts et dois prendre appui sur le mur avec mes mains. Il attrape mes
seins qu’il presse fort entre ses mains. Je ne sais plus où donner de la tête.
Tommy se cambre et atteint son orgasme bien avant moi. Il se retire et
remonte son pantalon.

— T’as pas joui ? T’as envie que je te…

— Je suis désolée ! Je n’en avais pas vraiment envie, le coupé-je.


— Comment ? demande-t-il hébété.

— Je n’avais pas envie de baiser avec toi. Ça ne me plaît plus ; en fait, je


n’ai jamais aimé baiser avec toi. T’as eu ce que tu voulais, maintenant
dégage.

— T’es vraiment tarée Lou ! crie-t-il, plus insulté que jamais.

Son visage est tordu de colère et ses yeux me lancent des éclairs. Si vous
voulez faire mal à un homme, frappez dans sa virilité ou mettez en doute ses
capacités sexuelles. Tommy, il a une vision un peu amplifiée de ce qu’il peut
faire à une femme. Donc la claque n’en est que plus monumentale.

— Ne redis plus jamais ça !

Je hurle aussi fort que lui en le poussant violemment.

— Tu es une folle, une vraie malade et tout le monde le sait, crache-t-il


avec colère.

— Va te faire voir ! Casse-toi Tommy !

— J’ai pas dit mon dernier mot, Lou ! Je vais mettre Ethan au courant de
tout, hurle-t-il derrière la porte.

— FAIS-LE !

Mon cri se répercute contre les murs froids de la pièce. Je me laisse choir
sur le plancher, enlève mes talons hauts et les lance dans le fond de mon
placard. Je me relève épuisée et me dirige vers le salon pour me laisser
tomber sur le divan.

Quel connard !

Il va détruire mon amitié avec Ethan, ce petit enfoiré. Je connais Ethan


depuis l’âge de quinze ans. Personne ne compte autant que lui pour moi. S’il
fait ça, je vais… je vais…
Je le déteste, je vais le détruire !

Au lycée, Ethan était adulé et moi, eh bien, j’étais plutôt une perdante.
Nulle en sport, toujours seule, j’étais grande, trop grande pour mon âge, trop
mince, et j’avais très peu d’amis. Alors que lui était quarterback{3}, populaire,
incroyablement sexy et avait des tonnes de potes. Je ne parlais pas beaucoup,
aussi, lorsqu’il m’a approchée la première fois, j’ai cru qu’il voulait se foutre
de moi. Mais il est resté assis en face de moi et m’a parlé pendant l’heure du
déjeuner, sous le regard médusé de ses amis. Il a recommencé son petit
manège le jour suivant et ainsi de suite jusqu’à ce que moi aussi, je
commence à lui parler pour qu’il m’ouvre les portes de sa vie, faisant partie
d’un monde dont j’ignorais l’existence. Enfin, pour une fois, j’avais
l’impression de compter pour quelqu’un. Je n’étais plus seule et enfermée
dans une bulle pour me protéger des agressions du monde extérieur et de mon
beau-père.

Si je le perds, je ne lui pardonnerai jamais. Mon corps est secoué de


spasmes tant je suis nerveuse, en colère et irritée de m’être laissée baiser par
ce connard. Je me dirige vers l’endroit où j’ai laissé tomber mon sac à main.
J’y prends un sac en papier blanc avec le logo bleu de la pharmacie. Je sors
un petit flacon transparent, je le regarde sous tous les angles. Mes yeux sont
attirés par la posologie. Deux comprimés au coucher. J’ouvre le flacon d’une
main incertaine et tremblante. Deux petites pilules rosées tombent dans ma
paume, me donnant la sensation que du plomb vient de me tomber au fond de
l’estomac. J’ouvre le frigo et y prends une bouteille d’eau, j’en bois la moitié
d’une traite. Sans réfléchir, je mets les comprimés sur ma langue et les avale
avec l’eau que contient ma bouteille.

Je me traîne difficilement jusqu’à ma chambre. La lourdeur de mon


estomac se répand dans tout mon corps. Je me laisse tomber sur mon lit sans
prendre le temps d’enlever mes vêtements.

Putain de merde… Encore ces yeux…

Je jure, mais ça m’arrache quand même un sourire. Tranquillement, une


chaleur envahit mon corps et une légère confusion s’empare de moi,
déréglant mon cerveau. Pourtant, même si je connais bien ce médicament et
sais qu’il agit après une heure, je me sens rapidement emportée au pays des
rêves. Malheureusement, ces derniers se transforment rapidement en
cauchemars. Enfin, je les nomme ainsi, mais ils ne sont en fait que des
souvenirs anodins de mon passé. Pour certains, ils peuvent sembler idiots,
mais pour moi, ils sont poignants de vérité et de douleur. Le miroir de ma
triste vie. Voilà pourquoi je ne veux pas prendre ces putains de somnifères,
car ça me donne l’impression de patauger dans une mare d’horreurs que
j’aimerais oublier. J’aimerais mieux ne pas rêver. L’alcool me donne ce petit
avantage, si je rêve, je ne m’en rappelle jamais.

«…

Je suis une petite fille d’environ sept ans, je marche jusqu’à notre maison,
elle est blanche et petite avec de jolis volets jaunes. J’ai mal au ventre donc
l’école m’a autorisée à rentrer chez moi un peu plus tôt. Avant, j’aimais
notre vie à maman et à moi lorsque nous n’étions que deux, mais depuis
l’arrivée de Dustin, son nouveau copain, elle me laisse de côté. Elle le
préfère à moi. Je passe mes soirées dans ma chambre alors qu’eux se
contentent de picoler au salon.

À peine ai-je passé la porte que des bruits me parviennent du salon, je


marche doucement, en silence, pour monter dans ma chambre, je ne veux pas
me retrouver en face de cet homme. Il m’effraie, le regard qu’il porte sur moi
me fait trembler. Il le sait et il adore ça. Un cri aigu me fait tourner la tête,
ce que je vois me file la nausée : le nouveau copain de ma mère en train de
faire des galipettes avec la voisine. Il me regarde, repousse Estée en lâchant
une flopée de jurons et me demande ce que je fais ici. Tout ça en me hurlant
dessus. La voisine, une amie de maman, prend ses vêtements et fout le camp
sans même me regarder.

Furieux comme jamais, il s’avance vers moi et m’attrape par le bras, pour
me faire asseoir sur le divan. Il me demande en criant ce que je fais ici, je
pleure, ne comprenant pas son accès de colère. Je bafouille que j’ai mal au
ventre. Il ricane, me traite d’idiote, puis se marre de plus belle. Il lève la
main et me gifle. Une douleur cuisante sur la joue. Les larmes me montent
aux yeux et ça le fait jubiler. Il pose sa main sur ma cuisse et remonte
tranquillement, je me débats du mieux que je peux en le frappant sur le torse.
Il attrape mon poignet et le serre si fort que j’ai peur qu’il le casse. Je cesse
alors de gigoter.

Lorsqu’il relâche enfin mon poignet, je cours jusqu’à ma chambre et


m’affale sur mon lit. Je sanglote en silence, terrifiée à l’idée qu’il vienne me
trouver. Je reste ainsi jusqu’à ce que maman vienne me chercher pour le
dîner. Elle me questionne sur mon état et, entre deux sanglots, je lui avoue ce
que j’ai vu et ce qu’il m’a fait. Elle secoue vivement la tête : « je ne croyais
pas Dustin lorsqu’il m’a dit que tu allais inventer quelque chose d’aussi
ridicule ».

Elle quitte ma chambre, fâchée contre moi. Son copain entre quelques
minutes après son départ, un plateau-repas contenant mon dîner à la main. Il
le pose sur mon lit et me regarde en se mettant à rigoler. Il sait qu’il vient de
gagner, ma mère l’a préféré à sa propre fille.

…»
5
Lou
La lumière du jour filtre au travers les lamelles du store et me tape
directement dans l’œil. Je grogne, ma bouche est pâteuse et ma tête est
lourde. Mon corps ne semble pas avoir la force nécessaire pour entamer cette
journée. Je veux dormir encore quelques heures.

Oui, c’est ce que je vais faire.

Dans les brumes de ce putain de somnifère, j’entends vaguement frapper à


la porte. J’ouvre difficilement les yeux, la lumière du soleil me brûle la rétine.

Putain de vie de merde !

De nouveaux coups sont portés à la porte, de plus en plus forts. Je


rassemble toute la force possible pour rouler sur le dos. Un grognement
rauque s’échappe de ma bouche sous le poids de l’effort. De nouveau, les
coups parviennent jusqu’à moi. J’attrape la couverture et la remonte jusque
sur ma tête.

Bordel ! Pas moyen de dormir !

La porte d’entrée s’ouvre, est-ce mon agent ou Ethan qui entre chez moi ?
Ils sont les seuls à posséder un double de la clé.

— Lou ! C’est moi, m’avertit mon agent depuis l’entrée.

Je pousse un soupir, si j’avais eu à choisir entre lui et Ethan, j’aurais


indéniablement choisi mon meilleur ami. Je sais qu’il vient se mettre au
parfum du déroulement de la soirée, mais je n’ai pas envie de lui en parler,
car je ne saurais faire face aux images de cet homme qui défilent dans ma
tête.
— La chambre, ronchonné-je sans entrain.

Ses pas se dirigent vers ma voix, et lorsque je sens sa présence dans la


pièce, je relève la tête. J’ai la désagréable impression qu’un train vient de me
passer sur le corps.

Saloperies de somnifères !

— Super soirée hier, paraît-il, s’exclame-t-il en me souriant.

Adam Hart, trente-cinq ans, 1 mètre 80, belle gueule d’ange. Blond avec
des yeux verts. Il est ce qu’il y a de plus sexy dans tout Miami. Nous
travaillons ensemble depuis quelques années déjà. C’est aussi à ce moment
que ma vie a commencé à prendre une tournure un peu bizarre. Il a vécu
l’enfer avec moi, mais reste présent malgré tout. Le début de mon contrat
avec sa boîte a coïncidé parfaitement avec la découverte de ma maladie. J’ai
enligné les caprices, les refus à tous les projets dont il me parlait, tout cela en
passant par des crises légendaires. Il en a bavé. Je ne sais pas ce qu’il a vu en
moi, mais il m’a toujours soutenue envers et contre tout. Pour ça, je lui en
serai éternellement reconnaissante.

— J’y suis restée environ une heure et demie, puis je suis partie, soufflé-je.

Je suis persuadée qu’il va me disputer, mais non, il me sourit et s’assied


sur le lit.

— Une heure trente, c’est beaucoup plus que je t’avais demandé.

— Ouais et sans alcool, spécifié-je.

Dois-je être fière de moi ou bien me trouver idiote ? Les cauchemars


étaient si réels, si bizarres que je n’ai pas vraiment bien dormi. Un verre
m’aurait grandement aidée.

— Et tu es sagement revenue à la maison sans faire de frasque… et seule à


ce qu’il paraît.
— Comment es-tu au courant de ce genre d’info ? demandé-je, suspicieuse.

Nan ?! Il ne serait jamais allé jusqu’à m’espionner ?

Entre nous, c’est clair depuis le début ; je ne lui cache rien et de cette
façon, il n’a pas de drôles de surprises en lisant les journaux. Mais surtout,
c’est plus facile pour lui de rattraper le coup s’il sait les merdes que je fais.
Quoi que depuis ma dernière connerie, il joue gentiment à la nounou avec
moi.

— Louann, ma chérie, tu sais bien qu’il y a toujours des paparazzis à ce


genre de soirée, m’explique-t-il en me tendant le journal qu’il tenait.

Je me redresse dans le lit et m’empare du quotidien. Je le déplie


doucement, d’une main tremblante. Je déteste les journaux, les revues, les
journalistes et les paparazzis. Ils sont toujours en train d’écrire des merdes à
mon sujet. La presse de Miami ne m’a jamais fait de cadeau, allant même
jusqu’à me classer dans la catégorie des divas les plus vaches et de fêtarde
invétérée du monde de la mode ou encore de droguée compulsive. La plupart
du temps, je n’ai rien fait, mais ils ne rechignent pas à inventer des choses sur
mon compte pour vendre encore plus de leurs torchons. Comme je m’y
attendais, je fais les gros titres, mais pour une raison totalement inattendue.

« Que se passe-t-il avec Lou Cassidy ? Elle quitte la soirée de Jamie


Michelle, sobre et seule, plantant là un bel inconnu. Ce n’est pas dans
l’habitude de la jolie mannequin croqueuse d’hommes… Bla… Bla… Bla… »

Je ne lis pas le reste de l’article, car il relate mes tristes bévues et y va de


suppositions complètement démentes sur ce qu’il m’arrive. Est jointe à ce
torchon une photo de moi et Jarred, probablement prise au moment où je l’ai
planté devant la porte.

Jarred. Sur le cliché, je lui tourne le dos et me dirige vers le taxi. Lui se
contente de me fixer de loin, une main dans les cheveux. Je n’ai donc pas
rêvé de son regard dans mon dos.

— Je peux garder ton journal ? demandé-je sans pouvoir détacher mes


yeux de la photo.

— Ouais, sans problème.

— Alors, que me vaut l’honneur de ta présence de si bon matin ? maugréé-


je sur un ton faussement enjoué.

— Le matin ?! Mais nous sommes presque l’après-midi, s’indigne-t-il.

Putains de somnifères. J’ai trop dormi…

— Ah ouais, je vois…

— J’ai aussi essayé de te joindre toute la matinée, mais tu ne m’as jamais


répondu, commence-t-il.

— Je sais, j’ai eu un petit accident avec mon téléphone…

Je me défends du mieux que je peux. Même si je lui dis tout, je n’ai pas
envie de lui expliquer pourquoi mon portable a rendu l’âme de façon si
tragique.

— Comme je n’avais pas de nouvelles, et surtout, comme je suis un agent


très doué, j’ai contacté ton ami Ethan qui m’a gentiment expliqué qu’à son
retour chez lui, il a trouvé plein de petits morceaux qui ressemblaient à s’y
méprendre à ton smartphone.

— Ouais. Bon, je l’ai un peu fracassé sur le plancher de son appartement,


avoué-je honteuse de mon geste.

Adam me sourit.

— Je suis passé dans un magasin pour t’en prendre un autre.

— Merci Adam.

Il me dépose un petit sac blanc sur le lit et se relève. Il me fixe quelques


secondes puis me sourit.
— Ah oui, j’oubliais ! Tu as impressionné Jamie Michelle hier soir. Elle
aimerait te rencontrer pour te parler d’un projet. Comme tu n’avais pas accès
à ton portable, j’ai pris rendez-vous pour toi.

Je souffle fortement, je suis à peine d’humeur pour entretenir une


conversation avec lui, alors rencontrer une styliste, je ne sais pas si j’en ai
envie.

Putain, accepte ! Ce sera peut-être le dernier contrat que tu auras de toute


ta vie… Looseuse…

— Demain à 13 heures 30, sois prête trente minutes avant, je vais passer te
prendre, spécifie-t-il.

— Je peux m’y rendre seule, protesté-je.

— Je sais, mais l’agence tient à ce que tu ne manques pas ce rendez-vous,


explique-t-il sans se départir de son calme.

— Je serai prête pour 13 heures. Ne t’en fais pas.

Je bats en retraite, ce que je fais rarement. Il y a quelques jours, je me


serais plainte et j’aurais fait une crise, hurlant que je ne suis pas un bébé que
l’on doit materner et que je n’ai pas besoin de nourrice. Ce genre de chose
quoi ! Adam me regarde surpris, puis me sourit. Il doit être persuadé que je
rentre dans le droit chemin, mais dans la vie, on doit choisir ses batailles et
celle-là ne vaut pas la peine que je monte au front.

— On se voit bientôt, Lou.

Il me salue puis se dirige vers la porte d’entrée.

— Adam ? l’interpellé-je avant qu’il ne passe la porte. Tu peux envoyer de


l’argent à ma mère…

Je vois bien qu’il a envie de me demander pourquoi. Cependant, il n’en fait


rien, il sait que ma famille est un sujet tabou. Le mois passé, lorsque ma mère
m’a contactée pour la même raison, je suis entrée dans une colère terrible,
jurant que plus jamais je ne lui en enverrais. Bien sûr, j’ai fait ma petite scène
devant Adam qui a ramassé les pots cassés ensuite. Nous étions dans son
bureau en train de discuter en compagnie de son patron. Ils voulaient que je
parte à Milan pour un défilé. J’ai refusé, mais ils continuaient de discuter
entre eux. Ça m’énervait de les voir agir comme si je n’existais pas. J’ai tenté
de me calmer en m’occupant l’esprit, j’ai consulté mes mails et suis tombée
sur un message de ma mère. Elle m’envoie des courriels, car elle sait que je
ne réponds pas à ses appels.

— Oui, avec plaisir ma belle, je lui envoie combien ?

— Envoie-lui le double de la dernière fois, dis-je d’une voix froide et sans


émotion.

— Je joins un message avec l’argent ?

— Non.

Oui ! Remercie-la de m’avoir donné la vie et remercie aussi Dustin d’en


avoir fait un enfer.

— D’accord Lou, je peux faire autre chose ? demande-t-il, sentant bien que
je suis sur le point de m’écrouler.

— Non merci.

— Si tu as besoin de parler, tu peux m’appeler, tu sais.

— Je sais, murmuré-je.

Il hoche la tête et quitte mon appartement tandis que moi, je fixe l’image
de Jarred et moi.

Je me laisse retomber contre les oreillers et ferme les paupières, lourdes.


Une petite larme se coince entre mes cils ; rageusement, je l’essuie du revers
de la main. Je roule sur le dos et me laisse glisser dans les derniers effets des
somnifères.

**

— Lou ? Lou ? T’es là ?

Ethan !

Je sursaute dans mon lit. Mon cœur bat à tout rompre dans ma poitrine.

Est-il encore mon meilleur ami ? Tommy a-t-il tout fait merder ?
Connard… Salaud… Trou du cul…

— Je suis dans ma chambre, soupiré-je, craignant le pire.

Rapidement, ses pas se font entendre et il apparaît dans l’embrasure. Je


relève la tête vers lui. Comment rester insensible à son charme avec ses petits
yeux verts et son sourire en coin ? Il le sait. Il sait ce que j’ai fait. Je le sens,
ça transparaît dans tous les pores de sa peau.

— Alors tu n’as pas quelque chose à me dire ? me demande-t-il en


s’avançant vers le lit.

— Je… J’ai… je…

Je bafouille sans pouvoir poser mon regard sur lui. Mon estomac se serre et
mon cœur me fait mal, comme si j’avais reçu un coup de poignard.

— Pourquoi ne m’en as-tu pas parlé ? Je serais venue passer la nuit ici,
commence-t-il.

Mais de quoi il me parle ?

— Je sais que ce n’est pas facile pour toi chaque fois que tu dois
recommencer ton traitement, ajoute-t-il, me soulageant d’un poids.

Je me laisse tomber contre les oreillers. Sauvée... Il me parle de mon


traitement et non de mon aventure avec son colocataire.

— Je n’ai pas voulu te déranger, tu es assez occupé sans devoir jouer à la


nounou avec moi, murmuré-je.

Il s’étend dans le lit, à mes côtés. Il m’ouvre les bras et je viens me blottir
contre son torse.

— Ouais, surtout quand tu fais exploser ton téléphone chez moi.

— Ma mère m’a écrit pour me soutirer de l’argent, dis-je d’une voix


étouffée contre son torse.

Il ne me répond pas, mais me serre si fort que j’ai l’impression que je vais
me briser en deux. Puis il me relâche dans une infinie douceur et pose un de
ses habituels baisers dans mes cheveux. Sa joue contre la mienne, nous
restons ainsi un long moment jusqu’à ce que je sente sa respiration ralentir et
devenir calme. Je me défais de son étreinte après de très longues minutes.
Des heures peut-être ?

Génial, il s’est endormi…

Je m’étire et regarde l’heure sur le réveil, il est presque 16 heures. Je


m’assieds dans le lit et fixe mon reflet dans le miroir au-dessus de la
coiffeuse. J’ai l’air horrible, mon maquillage a coulé, mes yeux sont bouffis
et je porte encore la même robe que la veille, sauf que maintenant, elle est
bonne à jeter. J’ai vraiment besoin d’une douche.

Je file vers la salle de bain, règle la température la plus froide possible et


j’y entre. Il fait si chaud aujourd’hui que c’est la seule façon de retrouver
toute ma tête et ma décence. Je me douche rapidement et lorsque je sors, je
m’enroule dans ma robe de chambre en satin rouge. Ethan a roulé sur le dos,
mais dort toujours paisiblement. J’entre dans ma penderie, enfile rapidement
un short en jean avec un t-shirt blanc court et assez décolleté. Je sèche mes
cheveux et les ramène en chignon sur le dessus de ma tête. Je retourne près
d’Ethan qui s’est enfin réveillé et qui me regarde fixement. Depuis quand me
mate-t-il ?

— Tu es magnifique baby Lou, me dit-il d’une voix grave et basse.

— Merci, murmuré-je.

— Viens ici !

Comme je ne bouge pas, il s’assied dans le lit puis me sourit.

— Allez viens, tu sais bien que je ne suis pas le genre à te faire des crasses,
ricane-t-il.

Bien sûr qu’il ne fera jamais quelque chose qui pourrait me blesser, mais
parfois, j’ai peur que l’on franchisse cette mince ligne qui ferait basculer
notre amitié en quelque chose de grotesque. Car c’est ce qu’est l’amour. Un
grotesque mensonge pour faire vendre des cartes, bijoux, fleurs et chocolats à
la Saint-Valentin. De la crème glacée et des antidépresseurs pendant les
peines de cœur et des produits de beauté, amincissant et rajeunissant lorsque
l’on est seul et que l’on doit attirer la personne convoitée dans ses filets. Les
plus heureux d’entre nous sont ceux qui croient éperdument à ce mensonge.
Les plus malheureux sont ceux comme moi qui ont perdu leur illusion.
L’amour, quelle chose idiote ! Elle permet à un parent de délaisser son enfant
pour l’amour d’un homme qui ne la mérite pas.

— Hey Lou, tu me sembles loin en ce moment, murmure Ethan en


caressant ma joue.

Lorsque je pose mon regard dans le sien, je devine son inquiétude.

— Ça va, ne t’en fais pas, dis-je me voulant rassurante.

— Tu étais à des kilomètres de moi.

— Oh, il y avait probablement même un océan entre nous, dis-je pour rire,
mais bien sûr ce genre de blague ne le fait jamais rigoler.

— J’aime mieux lorsque tu es près de moi.

— C’est ce que je préfère aussi, avoué-je en me blottissant dans ses bras.

Il me berce un instant ainsi, tandis que je refoule mes larmes et mon envie
de briser la première chose qui me passe sous la main.

— Et si on sortait manger un morceau ? proposé-je.

— T’as pas envie que l’on se fasse livrer une pizza ?

— S’il te plaît. J’ai envie de sortir.

Je lui fais mes petits yeux de chien battu sachant bien que ça le fait
toujours craquer.

— D’accord, mais à une condition.

— Ah ouais ! Laquelle ?

— Approche, ordonne-t-il dans un murmure.

Pendant quelques secondes, je retiens ma respiration alors qu’il se penche


vers moi, ses doigts entrent dans mes cheveux, puis il tire doucement sur
chacune des pinces qui retenaient mon chignon. Mes cheveux retombent par
mèches autour de mon visage.

— Comme ça c’est beaucoup mieux, murmure-t-il.

— Tu crois ?

Je cherche à le taquiner pour dissiper mon malaise. Je me lève et me


penche pour me regarder dans le miroir.

— C’est qui ce mec que tu as planté à ta soirée hier ? m’interroge-t-il.


Il me regarde au travers du miroir tandis que moi, je me fige. Il tient dans
ses mains le journal qu’Adam m’a donné. Enfin que j’ai demandé qu’il me
donne. Je ne sais pas pourquoi j’ai tenu à garder ce putain de journal.

Peut-être pour garder en mémoire le regard de ce mec qui m’obsède.

— Il n’est personne, maugréé-je.

J’arrache le journal des mains de mon meilleur ami, le froisse avec une
certaine violence pour le lancer dans la petite poubelle de ma chambre.

Il est une personne que je ne vais jamais revoir…

Cette pensée me dérange…


6
Lou
Pour faire plaisir à Ethan, j’ai accepté que l’on aille manger un morceau au
Front Porch Café, notre restaurant préféré à Miami. Il longe la plage et la
promenade, ce qui plaît aux gars, car ils peuvent en profiter pour mater les
filles sur la plage. Nous sommes tombés par hasard sur cet endroit lorsqu’ils
ont emménagé dans le coin, il y a environ deux ans. Nous en avons fait
rapidement nos quartiers pour manger et nous relaxer. La nourriture y est
excellente et les gens sympa. Nous sommes tellement souvent ici que nous
n’avons plus besoin de consulter le menu. De toute façon, Ethan prend
toujours la même chose, un burger et des frites.

— Et puis ? T’as bien dormi ou pas cette nuit, après la soirée chez Jamie
Michelle ?

Il me demande ça sans lâcher son burger des yeux. Il en prend une grosse
bouchée et relève les yeux vers moi. Je réprime une envie de rire en voyant
de la mayonnaise épicée couler de sa bouche.

— Putain que c’est bon, mais bon sang que ça fait du dégât ce petit
burger !

J’éclate de rire en le voyant me piquer ma serviette de table pour s’essuyer


le menton. Il me gratifie d’un clin d’œil amusé alors que je lui lance une frite.

— Alors Lou ?

Je souffle. Je n’ai pas envie que l’on en parle. Ni que l’on joue au psy et à
sa patiente.

— Ç’a été.
Je lui mens. Je sais que ce n’est pas bien de mentir, mais ce n’est qu’un
demi-mensonge puisque contrairement à mon habitude, j’ai dormi toute la
nuit. L’insomnie n’a pas eu raison de moi cette fois.

— Je ne te crois pas Lou. Arrête de me prendre pour un con. Tu ne


protèges personne et tu nuis à toi-même.

J’ai envie de fondre en larmes en voyant la dureté dans son regard. Je fais
mon possible pour garder la tête hors de l’eau. Je ne sais plus… Je n’y arrive
plus. Il n’a pas le droit de me parler ainsi. Pas lui ! Il sait tout, il devrait
comprendre que depuis presque deux mois, j’essaie de m’accrocher à
n’importe quoi pour ne pas perdre pied et devoir retourner en consultation.

— J’ai dormi toute la nuit si c’est ce que tu veux savoir, lâché-je d’une
voix blanche et sans émotion.

— Tu sais bien que ce n’est pas ce que je te demandais. As-tu bien dormi ?

Il se fait plus pressant, je déteste lorsqu’il essaie de me soutirer des


informations que je ne veux pas lui donner. Après les larmes, c’est la fureur
que je sens monter en moi. Je respire longuement pour essayer de me calmer,
mais je n’y arrive pas.

— Que veux-tu que je te dise Ethan ? Tu sais déjà tout. J’ai pas envie de
psychanalyse et tu le sais.

Je m’emporte injustement contre lui, et ce même si je suis consciente qu’il


ne veut que m’aider. Comme d’habitude, chaque fois que je suis ainsi avec
lui, il ne m’en tient pas rigueur. Ce qui me provoque inlassablement un
sentiment de culpabilité. Même si parfois, je vois dans son regard que je
dépasse les bornes. Il reste toujours calme et rassurant, il ne m’en veut
jamais. Je l’apprécie pour ça.

— Je veux simplement la vérité…

Il prend ma main dans la sienne dans un geste qui est pourtant bourré de
bonnes intentions, mais qui me donne la nausée. Je ne veux pas qu’il me
touche. Même lui. Je ne veux pas qu’il me touche.

— Oui, il y a eu des cauchemars…, commencé-je.

J’évite de le regarder et préfère poser mon regard sur les passants qui vont
et viennent sans se soucier de nous. J’aimerais pouvoir me déconnecter de
mon cerveau, de mes sentiments, de mes appréhensions. J’aimerais tellement
pouvoir mettre tout ça dans une boîte pour quelques jours et vivre
normalement, sans toute cette colère, cette peine, ce désespoir ou bien cette
froideur en moi. Sans tous ces hauts et ces bas. Juste être quelqu’un de
normal.

— Tu sais que tu peux m’en parler Lou.

— Oui je le sais, réponds-je simplement.

Mais non, je ne vais pas le faire et tu le sais !

— Je suis ton meilleur ami et tu ne me parles que très peu dernièrement,


pourquoi ? me demande-t-il.

— Je ne sais pas, c’est comme ça.

Je sais pourquoi je ne lui parle pas, je n’ai pas envie de voir dans ses yeux
de la pitié. Surtout pas dans les siens. Je n’ai pas envie de lui raconter tout ce
qu’il y a dans ma tête. Personne ne peut comprendre, pas même lui. Parfois,
j’ai la curieuse impression d’être une poupée de porcelaine. L’une de celles
que ma mamie avait chez elle et qui m’effrayaient. Elles sont si souriantes et
si figées dans leur fragile porcelaine. J’ai l’impression d’être l’une d’entre
elles, sauf que l’on m’a bourrée d’explosifs et que je ne sais jamais quand je
vais éclater. Lorsque ça arrivera, je sais très bien que ce sera une fulgurante
explosion et je me retrouverai en mille éclats. Tout comme je sais que
personne ne pourrait survivre à un tel carnage. Pas même moi ni ceux qui se
trouveront dans les parages.

Voilà pourquoi tu dois rester loin de moi Ethan, je ne veux pas que tu te
retrouves au milieu des dégâts. Surtout pas toi.
— Lou ? Tu es encore dans la lune, me réprimande-t-il avec douceur.

— Excuse-moi, je réfléchissais.

— À quoi pensais-tu ?

— Rien d’important.

— Lou !

— Adam m’a dit que Jamie Michelle voulait me rencontrer, dis-je avec un
sourire.

Je t’ai encore menti Ethan, pardonne-moi.

— Mais c’est fantastique ! s’écrie-t-il en souriant de nouveau.

— Oui je suis très heureuse, si elle me donne ma chance, je pourrai


montrer à tout le monde que je ne suis pas qu’une fêtarde invétérée...

— Tu n’es pas que ça franchement..., s’offusque mon meilleur ami.

— Toujours en train de secourir la veuve et l’orphelin. Sans blague, ça me


met la pression. J’ai comme le sentiment que c’est ma dernière chance de
faire mes preuves.

— Tu y arriveras. Aie confiance en toi.

— Tu sais que ça ne dépend pas que de moi.

— Je dis seulement que tu dois avoir confiance en toi. Comme on dit, le


positif attire le positif.

— Vraiment…

Je marmonne, ne portant plus attention à ce qu’il dit. Quand il commence à


me sortir des phrases dignes d’un coach de vie, je ne l’écoute plus. Qui a
envie d’entendre « si tu penses être heureux, tu le seras » ? Non, mais c’est
une putain de connerie. Même si je pense vraiment fort à ne plus être malade,
lorsque j’ouvre les yeux, je le suis toujours. Ça ne fonctionne pas comme ça.
C’est stupide de penser ainsi. Ça amène les gens à vivre avec des faux
semblants et une fausse vision de ce qu’est vraiment la vie : une belle grosse
merde.

— Lou ? Tu m’écoutes ?

— Ouais. Tu disais quoi ?

— T’as vraiment la tête dans le cul ces temps-ci.

— Ouais… probablement dans le tien.

— Tu es insupportable quand tu veux.

Je pourrais être tentée de l’incendier du regard et lui faire regretter ses


paroles, mais du coin de l’œil, je vois la serveuse conduire un homme vers
une table près de la nôtre. J’ose à peine me retourner, car je reconnais ce
regard qui me dévisage. Il m’a dévisagée de la même façon la veille. Je pose
la main sur le côté de mon visage pour me cacher avant d’annoncer
vivement :

— On s’en va !

— Quoi ? On vient d’arriver et tu n’as presque pas mangé.

Bien sûr, il fallait que ce soit à ce moment qu’il s’inquiète de ce que j’avale
ou pas. Putain ! Il me fait chier là !

— On s’en fout, on s’en va immédiatement, maugréé-je sur le point de


balancer mon assiette à un passant.

Ethan se retourne au moment où l’homme s’assied à l’une des tables


voisines. Il regarde le gars un petit moment. Sa putain de clairvoyance et sa
mémoire photographique m’énervent. Il se rappelle toujours plein de petits
détails anodins. De ce que je portais la première fois qu’il est venu s’asseoir à
côté de moi au lycée jusqu’à la personne qui fait la une d’un journal pourri
avec moi.

— Ah, mais non on termine notre repas, me dit-il en se penchant vers moi.

— Ne fais pas l’idiot et foutons le camp d’ici.

Je grogne en lui faisant des gros yeux. Le con, ça le fait éclater de rire.

— Pourquoi donc ?

Si je lui explique, peut-être sera-t-il d’accord de se barrer.

C’est bien beau de rêver, mais je ne fonde pas trop d’espoir là-dessus.

— C’est le type d’hier, dis-je simplement.

— Ouais, j’ai remarqué.

Il me fixe et prend une autre bouchée de son burger. Je regarde maintenant


avec dégoût mon assiette de poisson. Elle me semble beaucoup moins
appétissante. Je sens le regard de cet homme peser sur moi, comme la
dernière fois. Je relève la tête et le fixe.

— Lou ! Comme on se retrouve.

— Bonjour, bredouillé-je.

Je tente de détacher mon regard du sien pour incendier des yeux mon
meilleur ami qui pouffe.

— Jarred, spécifie-t-il.

— Je m’en rappelle, oui.

— C’est un bon début, ricane-t-il.

Ethan se racle la gorge pour signifier sa présence.


— Je suis Ethan, son meilleur pote, s’exclame-t-il en s’immisçant dans
notre conversation.

— Enchanté, lui dit Jarred avec une politesse qui m’irise le poil.

— Alors tu as rencontré Lou l’autre soir ?

— Ouais, elle m’a promis que si l’on retombait l’un sur l’autre par hasard,
elle me filerait son numéro et on aurait un rendez-vous, lui avoue Jarred sans
me regarder.

— Ah oui ! Tu es l’inconnu qui fait la une avec elle.

— Ouais, mes potes vont me charrier toute ma vie pour m’être fait planter
devant la terre entière, s’esclaffe-t-il, faisant éclater de rire Ethan par la même
occasion.

Surtout qu’ils ne se gênent pas pour moi. Je les emmerde. Mais à peine ai-
je eu cette pensée que Jarred se tourne vers moi et pose de nouveau son
regard gris dans le mien. Un frisson me parcourt le corps alors qu’une
bouffée de chaleur me frappe de plein fouet. Je crois que je vais mourir
d’humiliation en ce moment.

— Alors tu vas me donner ton numéro ou tu vas me laisser devenir la risée


de tous mes potes ?

Encore une fois, il ne me lâche pas du regard.

— Je ne sais pas, balbutié-je.

La présence d’Ethan me gêne. Pourtant ce n’est pas la première fois qu’il


est là lorsqu’un homme tente de me séduire ou me propose de sortir, mais
cette fois, ça me met mal à l’aise. Allez savoir pourquoi…

— Come on !{4} Tu lui as promis, s’exclame mon meilleur ami.

— Non ! J’ai dit peut-être !


— C’est pas grave. Nous allons finir par nous rencontrer de nouveau. Et là,
tu devras bien te rendre compte que tu vas avoir envie de me donner ton
numéro de téléphone, dit-il sans me lâcher des yeux.

Je pousse un soupir, fouille dans mon sac à main et en sors un stylo.


Oscillant entre l’hésitation et la démence, je déchire un bout du napperon. Je
suis sur le point d’écrire mon numéro sur le papier, mais je relève la tête et
vois son regard toujours posé sur moi. Je ne pourrais pas supporter qu’il me
fixe ainsi pendant des heures. Si jamais il arrive à lire ce que j’essaye de
cacher à tout le monde, je ne m’en remettrai jamais. Finalement, j’y griffonne
« Va te faire foutre ! ». Je replie le papier, me lève, et en quittant la salle, je
dépose le mot sur la table.

Je marche le plus rapidement possible avec comme but ultime de mettre le


plus de distance possible entre ce mec et moi. Je fais les cent pas devant la
voiture d’Ethan lorsque j’entends quelqu’un arriver derrière moi. Je me
retourne, prête à fustiger mon meilleur ami, mais ce n’est pas lui qui se trouve
là.

Non ! Putain de merde !

C’est ce type qui semble me suivre partout. Il s’avance, les mains dans les
poches, d’une démarche que je ne peux m’empêcher de trouver sexy. Je
secoue la tête, il doit s’arrêter ou je pourrais perdre ce qu’il me reste de
lucidité.

— Je sais que l’on ne se connaît pas, tu dois aussi me prendre pour un fou,
mais quelque chose me pousse à aller vers toi.

— Ne t’approche plus de moi, murmuré-je.

— Je ne crois pas au hasard, tu sais.

— Je ne crois à rien pour ma part.

— C’est dommage, croire en la vie, ou avoir une passion est ce qui tient le
monde en vie. Si tu ne crois en rien, tu deviens la personne la plus triste au
monde.

— C’est ce que je suis.

— Il y a trois options qui s’offrent à toi, soit tu abandonnes, soit tu


craques, ou bien tu donnes tout ce que tu as.

Il avance d’un pas vers moi tout en me regardant droit dans les yeux. Son
regard gris entre en moi le temps de quelques secondes, jusqu’à ce que mon
meilleur ami apparaisse à nos côtés. Jarred recule légèrement et me sourit.

— Je sais que tu fais partie de la troisième option, tu dois simplement t’en


rendre compte par toi-même, s’exclame-t-il avant de faire volte-face pour
retourner à l’intérieur.

— Que te voulait-il ? me demande Ethan.

— Oh, mais tu dois le savoir. Il est devenu ton meilleur pote, non ?

Je contourne la voiture et m’y glisse en claquant la portière. Ethan secoue


la tête et vient prendre place derrière le volant.

— Tu as une trop forte réaction, là. C’est toi ma meilleure amie. C’était
assez drôle de te voir mal à l’aise quand il te courtise.

— Non ! Ce n’était pas de la drague, d’accord ?! m’indigné-je

— Ah non ! Je crois que tu dois revoir tes cours de drague ma chère, me


taquine-t-il, réussissant à m’arracher un sourire.

— T’es bête et je te hais !

— Non c’est faux, car tu souris en ce moment.

— Que ferais-je sans toi Ethan ?

— Tu t’en sortirais parce que c’est toujours ce que tu arrives à faire malgré
toutes les merdes qui te tombent dessus.
— C’est vrai. Je suis une super Lou ! Tu crois que je pourrais être
Batman ?

— Non. Tu serais plutôt Harley Quinn.

— Ah, mais bien sûr. La folle de service.

Il éclate de rire devant ma moue faussement offusquée.

— On va faire du shopping ?

— J’ai pas envie ! On se fait un film ?

— Tout ce que tu voudras princesse.

Je râle, je déteste lorsqu’il m’appelle ainsi et il le sait. Il me pousse un peu,


ce qui me fait rire de nouveau.

— Quoi ? Tu es finalement de bonne humeur ?

— T’es pas un peu taré Ethan ?

— Tu m’aimes comme ça. Avoue-le !

— Bien sûr…

Il démarre et prend la direction de son domicile. Puis je panique. Tommy !


S’il est là, il sera incapable de ne pas me lâcher des petits commentaires
désagréables.

— On va au cinéma ?

— Ça ne me dérange pas. D’habitude, tu aimes bien que l’on regarde des


films chez moi.

— Ouais, mais là j’ai envie de m’enfermer dans une grande salle sombre.

C’est la vérité. J’ai besoin de changer d’air. Ça va me faire le plus grand


bien.
7
Lou
Adam me parle, me donne ses dernières recommandations, ce que je dois
dire, ou bien faire. C’est tout juste s’il ne me dit pas quand je dois sourire ou
secouer la tête. J’ai l’impression qu’il essaie de me formater pour que je ne
commette pas de bêtise majeure. Il a aussi confisqué mon téléphone et tout ce
qui pourrait, d’après lui, être une source potentielle de mon changement
d’humeur. J’ai eu envie de l’envoyer sur les roses un moment, mais je me
retiens, scandant la même litanie depuis des heures.

Reste zen Lou ! Reste zen !

J’ai l’impression d’être revenue à mes débuts : les entrevues, les sourires
forcés, la nervosité de se savoir jugée. Encore là, c’était moins pénible que ce
qu’il va se passer dans quelques minutes. Cette rencontre est en quelque sorte
le premier pas de mon mea-culpa à l’industrie de la mode. J’ai l’impression
que l’on m’oblige à dire « Je suis désolée, j’ai merdé. Je vous ai craché au
visage, mais j’ai des problèmes… ». Au moins, au début de ma carrière, je
n’avais pas cette putain de réputation qui me précédait. J’étais une toile
blanche avec laquelle on pouvait faire ce que l’on voulait. Docile, j’acceptais
tous les contrats les uns à la suite des autres. Plus je travaillais et moins
j’avais de temps pour moi, pour être seule, pour réfléchir. Ça me plaisait bien
et j’ai rapidement fait mes preuves. Tout se passait à merveille, je me tenais
loin de l’alcool et de la gent masculine. De toute façon, je ne voyais
qu’Ethan. Je ne voulais que lui. J’étais encore dans ma phase « je veux me
marier avec lui ».

Du jour ou lendemain, ma vie a été chamboulée. Au réveil, j’avais ce


sentiment de vide en moi, cette envie de tout casser. Je ne comprenais pas ce
qu’il m’arrivait, j’étais perpétuellement en colère ou en période d’euphorie.
Cependant, plus le temps passait et plus mes sautes d’humeur fluctuaient. Et
finalement, il y a eu mon hospitalisation. On craignait pour ma vie, les
psychiatres que j’ai rencontrés me disaient suicidaire. Les journaux, eux,
avaient une tout autre version. Ils parlaient plutôt de cure de désintoxication
pour consommation excessive de cocaïne, alors que je n’en ai jamais pris de
ma vie. Adam m’a dit que l’on ne ferait pas taire les rumeurs sur mon
addiction à la drogue. Ça m’a déçue, mais qui voudrait travailler avec une
suicidaire ? Puis au fil des séances, mon psy m’a dit que j’avais un trouble de
la personnalité limite. La simple évocation de ces mots m’a fait sentir comme
si j’étais un animal de foire. Personne ne comprend vraiment ce qu’est cette
putain de maladie. Au final, on m’a relâchée dans la société à condition que
je me présente chaque semaine à nos séances hebdomadaires. Au début, je
n’avais aucun problème à m’y rendre, jusqu’à ce qu’il me demande de quoi
mon passé était fait et quels étaient mes démons.

Je me suis demandé s’il avait vraiment envie d’avoir cette discussion, pour
finalement réaliser que c’était moi qui ne voulais pas que l’on en parle
comme si nous étions de vieux amis. Je me suis levée et suis partie sans
même me retourner, malgré ses protestations. J’ai quitté son bureau au pas de
course, courant comme une dératée, mais surtout, comme si ma vie ne
dépendait que de cet instant. J’ai couru jusqu’à ma voiture et me suis
barricadée à l’intérieur. J’ai enclenché la marche avant et j’ai quitté cet
endroit. J’ai roulé quatre heures, mon mal-être se faisait de plus en plus
grandissant, même s’il disparaissait parfois durant quelques secondes. Il
envahissait chaque recoin de mon être, puis il est devenu impossible à
contrôler. Je ne distinguais plus la route. La douleur dans ma poitrine me
faisait tellement souffrir que j’ai eu peur que ce soit ainsi pour le reste de ma
vie. J’ai lâché le volant et appuyé sur l’accélérateur. Le moteur a vrombi et la
voiture a rapidement dévié de sa trajectoire pour enfin entrer en collision avec
le parapet en bordure de Daytona Beach. Le comble de l’ironie, c’est qu’à ce
moment-là, je souhaitais mourir, mais je n’ai rien eu d’autre qu’un gros coup
à la tête et le nez fracturé.

— Lou ? m’interpelle mon agent, légèrement inquiet.


— Ça va aller Adam. Allons-y, m’exclamé-je.

— T’es certaine que tu veux que je t’accompagne ?

— Non, mais si je refuse, tu vas te ronger les sangs dans la voiture, et à


mon retour, tu n’auras plus d’ongles, le taquiné-je sans émotion.

— Je ne vais pas pouvoir te chaperonner tout le temps, tu sais ?

— Je sais, mais un jour, ça ira mieux, lui dis-je sans conviction.

Ce problème de personnalité limite est si ancré en moi que je ne me voie


pas vivre sans lui. J’ouvre la portière de sa voiture et sors de l’habitacle. À
grandes enjambées, je me dirige vers la maison de Jamie Michelle. Je frappe
fortement à la porte, alors qu’Adam reste en retrait, dans mon dos. Une
femme d’environ 1 mètre 55, aux longs cheveux bruns attachés en une queue
de cheval, m’ouvre la porte. Elle affiche un sourire poli et me fait signe
d’entrer. Sans un bruit et légèrement intimidée, je la suis jusqu’à un petit
salon et m’assieds face à elle. Bien sûr, Adam me suit et même s’il reste en
retrait, je me sens épiée.

— Alors, Louann, comment allez-vous ? demande Jamie Michelle.

Je ne suis pas habituée à autant de politesse, ça me fait un peu bizarre. Je la


regarde longuement, elle semble si calme que ça me perturbe. Comment peut-
elle être si zen ? Tout chez elle respire l’apaisement, de la lueur dans ses yeux
jusqu’à l’énergie qu’elle dégage. Elle me donne envie d’être son amie et de
me confier à elle, ce qui est chose rare.

— Je vais mieux, finis-je par lui dire.

Ma petite révélation lui fait hocher la tête.

— T’as envie de me raconter ce qu’il s’est passé ? demande-t-elle.

Non, non ! Je n’en ai pas envie. Ni avec elle ni avec mon meilleur ami.
C’est comme ça et je n’y peux rien. J’aimerais que l’on me fiche la paix pour
une fois et que l’on cesse de me demander de me confier. Je ne veux pas en
parler, je ne l’ai jamais voulu et je ne comprends pas pourquoi après toutes
ces années, personne ne l’a compris et que l’on continue à me casser les
couilles avec ça. Je suis folle… point final !

— Non ! réponds-je fermement, ce qui ne semble pas l’offusquer, car elle


me regarde en souriant.

Adam tousse vivement dans mon dos pour me rappeler à l’ordre. Je souffle
longuement.

— T’as envie de voir la collection pour laquelle j’aimerais t’embaucher ?

— Oui bien sûr, balbutié-je.

Je suis décontenancée par cette femme. Je ne la trouve pas bizarre, non. Il


y a des gens qui sont totalement cinglés dans ce milieu. Je ne saurais
comment décrire cette dame énigmatique. Il se dégage d’elle un charisme et
un magnétisme incroyable.

— Suis-moi, m’intime-t-elle.

Elle se lève, avec le sourire scotché sur le visage. Je ne serai jamais


capable de sourire autant qu’elle. Elle m’entraîne dans ce que je décrirais
comme étant une penderie géante. Il y a des faux mannequins partout et ils
sont habillés avec tant de style que j’en suis presque jalouse. Que ce soit des
accessoires aux sous-vêtements en passant par les robes, jupes et hauts, tout
est d’une beauté et d’un raffinement à couper le souffle. Jamie reste en retrait
et me laisse aller et venir, touchant et m’émerveillant sur les différents tissus.
J’ai l’impression que je ne peux pas tout voir tant j’adore cette collection. Les
couleurs sont éclatantes, parfois discrètes et sombres. Puis une robe attire
mon attention, le haut est un corsage noir, le bas est une jupe en mousseline
de soie blanche. Elle semble vaporeuse et légère comme l’air. Je me tourne
vers Jamie, qui se tient un peu en retrait, les bras croisés, surveillant mes
réactions. Je ne décèle aucune peur dans son regard, mais plutôt une
bienveillance qui me déstabilise. Les designers ont généralement peur de
travailler avec moi. Je suis trop instable, mais elle, ça ne semble pas la
déranger.

— Ça te plaît, Lou ? me demande-t-elle.

Elle me parle avec douceur, espérant une réponse qui lui permette d’entrer
dans ma bulle.

— Oui. Tout est magnifique Jamie, avoué-je émue, sans savoir pourquoi.

— J’aimerais te montrer autre chose si tu as encore du temps pour moi.

— J’ai tout le temps qu’il faut, dis-je en lui souriant.

— Par contre, j’aimerais que ce cher Adam reste ici, annonce-t-elle en


s’approchant de moi.

Je pose le regard sur mon agent qui s’est réfugié dans un coin de la pièce et
qui se contente d’envoyer des messages à je ne sais qui.

— Allons-y, il ne fait même pas attention à nous, dis-je en lui lançant un


regard amusé.

Jamie me prend par le bras et m’entraîne dans une autre pièce. Ce qui s’y
trouve me laisse encore une fois bouche bée ; des sous-vêtements tous plus
sexy les uns que les autres.

— Tu vois, tu as devant toi ma première collection de sous-vêtements pour


femme, annonce-t-elle très fière d’elle.

— C’est magnifique. Tout est parfait.

— Est-ce que tu devines pourquoi je te montre tout ça ?

— Pour être honnête, non.

— J’aimerais que tu sois l’égérie de mes deux nouvelles collections,


m’avoue-t-elle en me regardant directement dans les yeux.
— Pourquoi moi ? bafouillé-je.

— Moi, je dis pourquoi pas toi ? Des conneries, nous en faisons tous. Tu es
partie de ma soirée sans avoir bu une goutte et en plantant là le beau Jarred.
Tu m’as impressionnée, admet-elle sans me lâcher du regard.

— Pourquoi m’avoir demandé de venir ici sans mon agent alors ?


demandé-je avec suspicion.

— Je voulais voir si tu en avais vraiment envie, je ne veux pas que tu le


fasses si ça ne te dit rien. Je sais que les agents peuvent parfois mettre la
pression lorsque l’on se retrouve dans une situation comme la tienne.

— Une situation comme la mienne, marmonné-je sans m’en rendre


compte.

— Alors, dis-moi seulement que cette période est terminée et moi, je vais
te faire confiance pour que l’on se lance dans cette aventure ensemble.

Sa demande me prend au dépourvu, j’ai envie de retrouver Adam et de lui


demander son avis. Tout comme je suis tentée d’accepter immédiatement son
offre. Je détourne les yeux et inspecte une à une les créations qui se trouvent
autour de moi.

— OK, j’accepte, dis-je en tendant la main qu’elle prend dans la sienne.

Nous scellons notre accord.

C’est avec le sourire que Jamie et moi retrouvons Adam, toujours pendu à
son téléphone. Lorsqu’il lève les yeux vers nous, il semble se poser une tonne
de questions, car nous partageons toutes les deux un sourire complice.

— Je viens de passer un accord avec votre cliente, Adam, annonce-t-elle,


calme et sereine sous le regard ébahi de mon agent.

— Ah oui ? Bien, je crois que nous allons devoir discuter ma chère Jamie.

Adam retrouve rapidement son rôle d’agent et il lui parle avec sérieux.
— J’y compte bien, réplique-t-elle.

— Si vous n’avez plus besoin de moi, je vais aller prendre l’air, annoncé-je
soudain prise d’une bouffée de chaleur inquiétante.

Je n’attends pas leurs réponses et me dirige vers la sortie. Le soleil de l’été


de Miami me plombe la tête. Je ne comprends pas le changement soudain de
mon humeur. Il y a quelques minutes, j’étais heureuse, j’avais une nouvelle
chance de faire mes preuves. Cependant, je me sens comme si mon monde
s’écroulait. Les murs autour de moi s’effondrent un à un. J’appuie ma main
contre le mur en pierre de la maison et attends que le monde cesse de tanguer
autour de moi. Je dois me ressaisir et Jamie compte sur moi. Je crois que c’est
ce qui me fait réagir ainsi. Je suis nerveuse de me planter encore une fois. Je
tente de me calmer et d’avoir confiance en moi comme Ethan me l’a conseillé
hier. Cependant, c’est plus facile à dire qu’à réaliser.

— Lou, je savais bien que l’on se reverrait bientôt.

Cette voix dans mon dos me fait frémir. Respirant un bon coup, je me
retourne pour me retrouver une nouvelle fois devant ces prunelles grises qui,
sans perdre une seconde, me pénètrent.

— Ah non ! gémis-je.

— Chaque fois que l’on se voit, tu me réserves toujours des accueils


chaleureux…

Il fait de l’ironie, mais il ne semble pas se laisser démonter par mon ton de
voix cinglant et mon regard froid.

— Que fais-tu ici ?

— Ça ne te regarde pas, réplique-t-il en soupirant.

Il me contourne et se dirige vers la porte.

— Excuse-moi, lâché-je.
Pourquoi je lui présente mes excuses à la fin ?

— Je ne sais pas ce que tu traverses, mais tu n’as pas à vivre ainsi


continuellement. Ta colère finira par te ronger, me dit-il dans mon dos.

— Je sais que tu as raison, admets-je.

J’entends la porte s’ouvrir, je me retourne pour le voir entrer. Il me sourit,


mais c’est son regard qui me perturbe.

Encore une putain de fois !!!

— À la prochaine, Lou.

— As-tu le temps d’aller marcher ? lui demandé-je, nous surprenant tous


les deux.

— En es-tu certaine ?

Ne me demande pas ça, je t’en supplie. En ce moment, je ne sais plus ce


que je veux.

— Non, mais allons-y.

— Et tu vas y aller avec ces chaussures-là ? me taquine-t-il, faisant


référence à mes talons hauts.

— Je te rappelle que je suis mannequin, je peux marcher indéfiniment avec


ce genre de godasse.

Mon ton de voix est amusé et Jarred éclate de rire.

— Si tu crois pouvoir marcher toute la journée fringuée comme ça, je n’y


vois pas de problème moi.

— Nous sommes à Miami, si j’en ai envie, j’entre dans une boutique et


j’en ressors les bras chargés de sacs.
— Et tu crois que je vais t’emmener faire du shopping ? me demande-t-il
sur un ton taquin.

— Où m’emmènes-tu ?

— Me fais-tu confiance ?

— Je ne te connais pas.

— Que risques-tu à me suivre ?

— Tu sais, je risque ma vie, peut-être que tu es un psychopathe, ou un


tueur en série, répliqué-je en croisant les bras sur ma poitrine.

— Ai-je l’air d’un fou ?

Je le jauge un instant, il paraît plutôt sain d’esprit. Plus que moi en tout
cas. Puis c’est quand même moi qui lui ai proposé d’aller marcher.

— Allons-y, Jarred.

— Je vais prévenir Jamie que je reviendrai ce soir, me dit-il en souriant.

Autant en profiter pour lui demander de prévenir Adam que je m’en vais.
J’hésite un instant et au moment où Jarred entre dans la maison, je lance sur
un ton incertain :

— Peux-tu prévenir ma nounou que je pars avec toi, et lui demander qu’il
me rende mon portable ?

— Pourquoi ne viens-tu pas avec moi ?

J’hésite à le suivre, je n’ai pas envie de me retrouver devant le regard


inquisiteur de mon agent ou bien de me retrouver face à un malaise
quelconque.

— Que risques-tu Lou ?


C’est la deuxième fois qu’il me pose cette question. Je n’ai qu’une envie,
lui répondre « si tu savais tous les risques que je prends pour tes beaux yeux
Jarred Dwyer ».
8
Lou
Jarred m’a traînée jusqu’à une vieille boutique qui vend des CD, vinyles et
autres trucs d’occasion. Je ne comprends pas pourquoi il a tenu à m’emmener
ici. Cependant, je ne dis rien, j’aime découvrir son monde et la personne qu’il
est. Un bac de vieux vinyles me sépare de cet énigmatique personnage un peu
bizarre, mais adorable. Il cherche frénétiquement quelque chose de plaisant.
Il m’a promis qu’ici, on trouvait des trucs déments. Pourtant, chaque fois
qu’il me montre un album, je hausse les épaules, provoquant son hilarité ou
son étonnement.

— Et celui-là ? demande-t-il.

Son sourire en coin me laisse présager qu’il croit que je connais ce groupe,
mais non.

— Ah, mais oui, je vois qui c’est, répliqué-je en regardant une couverture
noire avec un prisme et un arc-en-ciel.

— Vraiment ?

— Non, dis-je en rigolant.

— Dark Side of the Moon est un des plus importants albums de tous les
temps, tu ne peux pas vivre sans connaître cet album Lou, s’indigne-t-il.

— Ah, vraiment ?

— Qu’écoutes-tu comme musique ? demande-t-il en fourrant l’album sous


son bras.

Je le regarde en prendre un autre et esquisser un nouveau sourire satisfait.


— Avant, j’en écoutais beaucoup, mais maintenant, j’en ai perdu l’envie,
avoué-je avec mélancolie.

— Comment peut-on arrêter d’aimer ça ? C’est la vie, les émotions brutes


chantées et jouées par d’autres personnes. C’est une connexion intense entre
toi et quelqu’un d’autre. C’est un bout de vie partagé… C’est…

Il soupire avant d’ajouter, résigné :

— Comment c’est possible ?

— Ça arrive comme ça, je crois.

— Je ne pourrais pas imaginer ma vie sans musique, quand ça ne va pas


bien, je mets la musique à fond, je la laisse entrer en moi et ressens chacune
des notes, des accords ou des paroles. Ça repousse tout ce qui cause mes
maux.

— Ça me semble sensé, marmonné-je.

Peut-être devrais-je tenter l’expérience… ou pas…

— Que fais-tu quand ça va pas ? demande-t-il, prenant un autre disque


dans ses mains.

— Je sais pas, mens-je.

Comment pourrais-je dire à cet homme qui semble être si avisé que lorsque
ça ne va pas, j’ai des réactions un peu exagérées ? Je ne peux pas lui avouer
la réalité. Il relève la tête et pose de nouveau son regard gris dans le mien.
J’ai l’impression qu’il me touche l’âme et peut lire toutes mes pensées, même
les plus secrètes.

— Lou, je te fais la promesse que je vais te redonner le goût pour la


musique et ce peu importe le style. Nous allons devoir travailler d’arrache-
pied. Cependant, je suis prêt à tout faire pour y parvenir.

— Tout ? D’accord. Sauf de l’opéra.


— Je crois que je vais t’offrir un disque, comme ça tu pourras commencer
à faire la paix avec la musique, annonce-t-il.

— Oh, mais non. Je n’ai pas de platine pour vinyles ! m’écrié-je.

Sa proposition me surprend tellement que je hoquette.

— Pas grave ! Je peux t’offrir un vrai disque, propose-t-il en contournant le


bac pour venir vers moi.

— Je ne sais pas. Tu sais...

— Je ne veux pas te forcer, mais sache que ça part d’une bonne intention,
murmure-t-il.

Le bout de son index frôle mon poignet et remonte doucement vers mon
coude. Un petit geste léger et doux qui me fait frissonner.

— D’accord…

Je sais que ça n’a rien de sexuel, mais je ne sais plus comment me


comporter. Quand Tommy me caresse ainsi, ça se termine toujours au lit,
mais cette fois, ce toucher est différent, sans arrière-pensées. Il s’est voulu
rassurant et sincère, je ne saurais dire si ça a fonctionné, mais ça m’a
perturbée.

— Allez, viens !

Il prend ma main dans la sienne pour m’entraîner dans une section du


magasin où se trouvent des vieux disques probablement rayés.

— Quelle chance ! grogné-je.

— Hé ho, on ne juge pas. Les gens jettent de vrais trésors, je te jure. Nous
sommes dans une société de consommation. Ce que les autres ne veulent pas
fait mon bonheur.

Le contact de sa paume dans la mienne me brûle et me désarçonne jusqu’à


ce qu’il lâche ma main, créant un vide incommensurable en moi. Il se penche
au-dessus du bac et se met à chercher avec frénésie à travers les CD. Ce qui
me donne l’impression qu’il en veut un en particulier. Il stoppe ses
recherches pour tourner la tête vers moi et arborer un sourire fier. Il me tend
un album, Somewhere Between Heaven And Hell d’un groupe appelé Social
Distortion.

— C’est quoi ça ? dis-je en pointant une pochette mauve et jaune criard


avec un homme sautant avant une guitare dans les mains.

— Ça, ma chère, c’est ce qui m’a sauvé la vie à une époque, me dit-il avec
un clin d’œil.

Il chantonne un air que je ne connais pas, mais que je présume être une
chanson tirée de cet album. Puis, il se met à jouer de l’air guitar et à secouer
frénétiquement la tête de haut en bas. Il me fait la chanson au complet tandis
que je ne peux arrêter de rire. Lorsqu’il a fini son show, je ne peux que
l’applaudir en riant de plus belle. Il me fait une petite révérence avec un
grand sourire, puis il s’avance vers moi.

— Alors ce sera ce CD pour vous mademoiselle.

— Allons-y, m’exclamé-je en le tirant par le bras pour l’attirer vers la


caissière qui n’a pas manqué un seul moment du spectacle improvisé par
Jarred.

— Ce sera tout ? demande-t-elle en souriant ostensiblement.

— Ouais, dit-il en posant sa pile de vinyles sur le comptoir.

Pendant que la jeune femme enregistre ses achats, il me fixe.

— Tu fais quoi quand tu termines d’acheter tes CD ? Parce que moi, j’irais
bien manger un morceau. Je meurs de faim.

— Ne t’en fais pas, je comptais t’emmener dans un autre endroit encore


mieux.
Je dois avouer que contre toute attente, cette sortie avec ce mec me fait le
plus grand bien. Je souris à cette pensée. Je sens sa main au creux de mes
reins. Pourquoi il fait ça ? Je ne sais pas, mais ça me ramène dans l’instant
présent. Je lui souris tandis que lui m’offre un petit clin d’œil amusé. J’ai un
peu l’impression d’être de retour dans mes vieilles années d’adolescence.
Oui ! On dirait un rencard entre deux ados qui auraient séché les cours.

— Hey, vous êtes Lou Cassidy, la mannequin ! s’écrie la caissière.

Si seulement, elle pouvait baisser d’un ton afin que l’on n’attire pas
l’attention sur moi. Je tords mes doigts et mords ma lèvre tant je suis
nerveuse. C’est une des choses que je déteste dans mon métier : ne pas
pouvoir sortir de chez moi sans ameuter les gens. Surtout que ces mêmes
gens aient toujours quelque chose à dire de mal sur moi.

— Elle ? Mannequin ? s’exclame Jarred voyant mon malaise.

— Oui je suis sûre que c’est Lou Cassidy, elle sort de désintoxication,
non ?

— Je ne crois pas, elle s’appelle Sam et on revient de vacances dans le


nord de l’Irlande, s’exclame-t-il en haussant les sourcils.

La jeune femme me jauge sans aucune gêne.

— On vient de se marier, lui ment-il en souriant.

Pour peu, je le trouve presque convaincant. En tout cas, moi à sa place, je


n’y aurais vu que du feu.

— Vous n’avez même pas d’alliance, dit-elle en croisant les bras sur sa
poitrine.

— On achète nos CD d’occasion dans un endroit pourri, tu crois vraiment


qu’on a l’argent nécessaire pour s’acheter des alliances ? Allons-nous-en
chérie, ils ne comprennent rien à notre amour, s’exclame Jarred en m’attirant
contre lui.
Il prend son sac et m’entraîne à l’extérieur du magasin, son bras enroulé
autour de mes hanches. Ça me met mal à l’aise. Une fois à l’extérieur, je me
décolle rapidement de lui en le repoussant avec plus de force que je ne
l’aurais voulu. Ce qui le fait rire.

— Ne sois pas si distante chérie, me taquine-t-il.

— Je n’aime pas vraiment les démonstrations amoureuses ou que l’on me


tripote en public, tu sais, lui avoué-je.

— Pourtant, j’ai vu plein de photos de toi sur le web et tu ne sembles pas


avoir de problème avec ça, me contredit-il en touchant droit dans le mile.

Oui, mais ils n’étaient pas toi, les autres ne créaient pas en moi tout un
émoi.

Mon regard se pose dans le sien instable, déchirant, déchiré.

— Je t’en prie, ne deviens pas un de ces mecs, lâché-je simplement.

Je reste perplexe devant son silence.

— Tu m’as espionnée ?

— Je voulais simplement savoir qui tu étais, s’explique-t-il.

— Ouais, tu n’avais qu’à le demander, craché-je avec fureur.

— Ce n’est pas comme si tu étais facile à contacter, j’ai dû tomber par


hasard sur toi trois fois pour pouvoir avoir un rendez-vous avec toi.

Je le regarde, ma colère retombe immédiatement. Je crois déceler une


certaine peine dans ses iris gris. Il n’a pas aimé que je crie contre lui. Je m’en
veux.

— Tu crois au hasard ? lui demandé-je, voulant me racheter.

— Rencontrer une personne une ou deux fois est le hasard, plus de trois
fois, c’est le destin.

Il relève mon menton pour que je le regarde. Je ressens un fourmillement à


l’endroit où ses doigts se sont posés. Je détourne les yeux, de peur qu’il
m’embrasse, mon cœur bat la chamade.

S’il t’embrasse, ta vie tout entière sera bouleversée. Es-tu prête à ça ?

NON !

Ce débat mental laisse un goût amer dans ma bouche. Je me mords la


langue jusqu’à m’en faire mal.

— Le hasard ou le destin, c’est nul, raillé-je sans grande conviction, ce qui


le fait rire.

Lorsqu’il relâche son emprise sur mon menton, je me sens soulagée, mais
c’est comme si on venait de m’enlever quelque chose auquel je tenais.

— Tu as raison, mais parfois, ça nous fait rencontrer des gens


exceptionnels.

Je n’ose lui faire face, je sens mes joues rosir de plaisir et un sourire se
dessine sur mes lèvres.

Pour lui, je suis une personne exceptionnelle ?

— T’as raison, parfois ce sont des rencontres intéressantes, murmuré-je.

— Que ce soit le hasard, le destin ou même le karma, ce n’est pas


important, ce qui l’est, c’est cet instant que l’on partage en ce moment.

— Je ne crois pas à ces choses-là, le karma est une salope qui fait les
choses selon ses humeurs. Il décide pour tout un chacun, il se fout de tout.

— Je connais plusieurs filles que je pourrais appeler karma alors, ironise-t-


il en éclatant de rire, ce qui fait joindre mon rire au sien.
— Et si on allait manger avant que je m’effondre tellement j’ai faim ?
proposé-je.

— Allons-y ! Et puis comment vont tes pieds ? demande-t-il avec un


sourire.

— Ils vont bien, mens-je, réalisant soudainement que mes pieds deviennent
de plus en plus douloureux.

— Je ne te crois pas.

Je lui souris et l’entraîne vers un petit restaurant à quelques commerces du


magasin de CD. Nous prenons place sur une petite terrasse.

— Je vous sers quelque chose ? demande une serveuse d’environ vingt-


cinq ans avec d’incroyables yeux bleus.

— Une bière pour moi, annonce Jarred.

— Un thé glacé s’il vous plaît.

— Tu ne bois pas d’alcool ?

— Non, pas pour l’instant, lâché-je sans vouloir expliquer pourquoi j’ai
choisi de m’abstenir.

Comment lui expliquer que si je me mets à picoler, il fera la rencontre


d’une autre femme ? Que je risque d’accumuler les conneries et coucher avec
lui pour ne plus jamais le rappeler par la suite ?

Mais ce n’est pas comme si j’avais envie de le revoir, si ?

— Je vais prendre un thé glacé aussi, dit-il en regardant la serveuse.

— Tu n’es pas obligé Jarred, m’exclamé-je une octave trop aiguë qui me
fait grincer des dents.

— Ce n’est pas comme si j’étais obligé de boire, tu sais.


La serveuse part, me laissant seule avec cet être énigmatique et qui ne fait
que commencer à me fasciner j’ai bien l’impression.

— Comment s’est passée ta rencontre avec Jamie ?

— Assez bien. Tu as devant toi l’égérie de ses deux nouvelles collections,


avoué-je avec fierté.

— Félicitations ! Donc nous avons un événement à fêter ? s’exclame-t-il,


une lueur amusée éclaire son regard.

— Je n’ai pas envie de célébrer l’événement, annoncé-je.

— Pourquoi donc ? C’est quelque chose de positif, non ?

— Oui bien sûr, mais je n’en ai pas envie.

— Peux-tu au moins m’expliquer pourquoi ?

— Non, je ne veux pas !

— D’accord. Tu es une personne difficile à cerner Lou, ajoute-t-il en


ancrant son regard dans le mien, encore.

Cette fois, j’ai l’impression qu’il cherche à trouver ma faille. Il cherche


aussi la moindre information qui pourrait lui donner un indice sur ma
personne.

— Tu ne veux pas savoir Jarred, ne t’aventure pas là-dedans. C’est comme


se retrouver sur le mauvais côté de l’autoroute.

— Je ne vois pas pourquoi tu dis ça, s’étonne-t-il en prenant ma main dans


la sienne.

Un geste qu’il souhaite rassurant, mais qui, encore une fois, me dérange.

— C’est amusant pour l’instant, on apprend à se connaître, on rigole, tu


m’offres des CD pourris d’occasion, mais encore là, s’amuse-t-on vraiment ?
Je laisse glisser ces paroles entre nous, me dégageant de sa poigne brusque.

— Ce n’est pas gentil de dire que mes disques sont pourris. Puis tu sais
moi, j’étais content de te découvrir, tu es une personne différente et ça me
plaît, m’avoue-t-il avec un petit sourire contrit.

— Je vais te donner un scoop qui nous fera gagner beaucoup de temps à


tous les deux ; c’est bien au début, ça l’est toujours, mais bientôt, dans un
avenir probablement très proche, je vais tout détruire, annoncé-je avec une
froideur qui ne semble pas lui faire peur, ou le déstabiliser.

Pourtant, moi, je le suis. Déstabilisée et effrayée…

— Que vas-tu détruire Lou ?

Il me pose la question en se penchant vers moi avec un petit sourire


réconfortant qui me fait monter la bile aux lèvres.

Allez courage Lou ! Ce n’est pas la première fois que tu plantes un mec…

Je dois faire taire cette voix dans ma tête qui me rappelle que je veux me
barrer. Je souffle fortement et prends trois secondes pour trouver les bons
mots.

— Tout ! Ce moment agréable entre nous, toi, moi… toi…, murmuré-je en


me levant.

— Que fais-tu ? demande-t-il en fronçant les sourcils.

— Je m’en vais, avant que l’on se retrouve devant l’inévitable.

— Tu n’es pas obligée.

— Au revoir, Jarred, murmuré-je.

Je lui tourne le dos pour zigzaguer entre les tables. Je sors le plus vite
possible du restaurant pour me retrouver sur une avenue passante de Miami.
Je m’avance d’un pas rapide sans prendre la peine d’éviter les gens, je file le
plus rapidement possible.

— LOU !!! hurle-t-il derrière moi.

Je tente d’accélérer le pas, mais ce n’est pas chose évidente lorsque l’on a
des talons de dix centimètres aux pieds. Il me prend par le bras pour
m’empêcher d’avancer et m’oblige à lui faire face.

— Quoi ? Que veux-tu ? hurlé-je me retrouvant face à Jarred et son putain


de regard gris.

— Te donner mon CD pourri, répond-il en me fourrant dans les mains le


petit sac qu’il tient.

— J’en veux pas…

— Garde-le, en espérant qu’il te sauve toi aussi.

— Je... tu…, bafouillé-je.

— Il se passerait quoi si tu tombais amoureuse ? Ça changerait quoi ?

— Tout ! Trop de risques seraient à prendre en compte, avoué-je.

— Si un homme est prêt à prendre des risques pour toi, il doit être capable
de vivre avec tes blessures, murmure-t-il gravement. Moi, j’en serais capable.

— Tu ne devrais pas te contenter de si peu…

Je lui tourne le dos avant de m’enfoncer dans la foule de passants. Je le


fuis à contrecœur. Une boule se forme dans mon estomac. Je ne veux pas,
mais je dois le faire.
9
Jarred
Croiser les iris noisette de Lou, c’est se rendre compte que le monde tel
qu’on le connaît n’existe plus. Il y a un truc que je n’arrive pas à déceler ;
plus j’y plonge, moins je veux en regarder une autre. Elle est si différente de
toutes les femmes que j’ai pu connaître. Son regard m’obsède comme aucun
autre n’a pu le faire auparavant. Je suis triste d’admettre que même celui de
Sidney ne m’avait pas suivi jusque dans mes rêves. Je suis en train de faire
quelque chose de complètement absurde : faire d’une nana qui se fout
carrément de moi une priorité. Louann Cassidy… Je ne sais toujours pas quoi
en penser. Elle ressemble tant à Sidney, mais elle est aussi totalement
différente d’elle. Je ne comprends pas…

D’un côté, je me sens projeté dans un passé difficile où je devais me battre


contre des démons invisibles. Ces putains de démons n’ont jamais joué
fairplay. Ça a tué une personne que j’aimais plus que tout au monde.
Cependant, je ne saurais dire pourquoi, mais quelque chose m’attire en Lou et
ce n’est pas simplement le désir de la sauver. C’est plus profond,
indescriptible, c’est poignant jusqu’au plus profond de son être. Ou du mien ?
Et ce revirement de situation… Quand j’y pense, le sang bat à tout rompre
dans mes tempes. Tout se passait à merveille et puis, en l’espace d’un
battement de cil, elle s’est transformée en monstre cracheur de feu. Ce n’est
pas qu’elle a été méchante envers moi. Non, elle a été dure, mais pas à mon
égard, ce fut envers elle. « Tu ne devrais pas te contenter de si peu… »

Bon sang ! Comment c’est possible qu’elle ait une si piètre estime d’elle-
même ?

Je pousse une série de grognements tout en passant ma rage contre le


crayon que je tiens dans ma main. Nous sommes supposés travailler sur les
derniers détails avant la mise en marché des collections. Maintenant que nous
avons trouvé nos égéries, il n’y a plus de raison qui vaille que l’on traîne de
la patte. Ma collaboratrice est assise à son petit bureau et moi au mien, mais
je n’arrive pas à bosser. Je ne fais que penser à Lou. J’expulse tout l’air que
contiennent mes poumons, rien ne parvient à me calmer. Je serre le stylo avec
tant de force qu’il se casse en deux, répandant son encre sur mes mains et les
feuilles étalées devant moi.

— Putain de merde !

— Ça va ? demande Jamie.

Jamie, elle s’en fait toujours pour moi.

— Ouais, j’ai explosé le stylo, c’est tout.

— Explosé un stylo, c’est tout ? Vraiment ?

— Ouais, il devait être de mauvaise qualité… Tu sais, on va devoir investir


dans de meilleurs stylos.

Elle hausse les sourcils, incertaine, mais surtout inquiète. Elle arrête ce
qu’elle fait et pose sur moi le même regard qu’elle a toujours. Celui d’une
maman préoccupée pour son marmot.

— Que se passe-t-il Jarred ? Je le vois d’ici que quelque chose te tracasse.

Je ne lui ai jamais rien caché et ne vais pas commencer maintenant.


Cependant, lui avouer que je fais une fixette sur cette nana que je connais à
peine est un peu humiliant. Surtout qu’elle me repousse sans arrêt.

— C’est en rapport avec l’égérie ?

Je souffle fortement et laisse retomber mon front contre le bureau. Sa


clairvoyance finira par avoir raison de moi.

— Jarred, tu sais que tu peux me parler, jamais je ne te jugerai.

— Je sais, mais c’est tellement gênant.


— Commence par le début, propose-t-elle.

Je relève la tête et m’adosse lourdement au dossier.

— Je ne la comprends pas. Elle me repousse sans arrêt. Si seulement


j’arrivais à lire en elle.

— Avec Sidney, c’était facile, non ?

— Facile est un bien grand mot. Elle s’est… tu sais…

Encore après toutes ces années, je suis incapable de prononcer ces mots.
Incapable de me rendre à l’évidence que je n’y suis pour rien, mais surtout
que même si je l’avais compris, je n’aurais rien pu faire pour elle. Ça, c’est
difficile de se l’avouer. Personne ne veut vivre avec la culpabilité qui me
hante, jour après jour, nuit après nuit… Sans arrêt…

— Je veux dire que tu la connaissais tellement que tu pouvais prévoir ses


réactions avant même qu’elle ne pense à les mettre en œuvre.

Voilà ce qui me fait le plus mal. Je la connaissais mieux que personne,


mieux que sa propre sœur et je n’ai pas pu la sauver. Je n’ai pas vu le coup
venir. Bêtement, j’ai cru que ça allait mieux…

Idiot…

— Je n’avais pas prévu le pire, dis-je plus sèchement que je ne l’aurais


voulu.

— Arrête de t’en vouloir ! Tu n’aurais rien pu faire !

— Ce n’est plus une question de culpabilité. C’est juste que… Je sais pas
Jamie. Je suis attiré par cette fille. Ce n’est pas pour la sauver.

— Pourquoi ne lui laisses-tu pas le temps d’apprendre à te connaître ? T’es


quelqu’un de bien, elle doit s’en rendre compte par elle-même.

— C’est la logique. Je ne sais pas pourquoi je suis aussi pressé avec elle.
— Parce que t’as toujours été ainsi… Tu fonces tête baissée. Cependant, si
je peux me permettre, cette fois, tu dois lui laisser du temps.

Je hoche de la tête, encore une fois, elle a raison. Elle a toujours raison…

— Je me permets une question : se pourrait-il que tu te sentes coupable de


t’intéresser à elle ?

Je prends quelques minutes pour réfléchir à ce qu’elle vient de me dire. Ce


n’est pas dénué de sens. Ça expliquerait bien des choses qui font rage en moi.
Jamie me coupe de mes réflexions en me demandant :

— T’as connu combien de femmes depuis Sidney ?

Je souffle, mon tableau de chasse est si peu garni qu’il m’est un peu
difficile de lui avouer la vérité. Je n’ai connu que deux femmes depuis
Sidney. Bien sûr, j’ai eu quelques aventures, mais rien de sérieux. À un point
tel que l’on ne peut même pas les inclure dans mon superbe fiasco amoureux.
Je dois même avouer que les deux femmes que j’ai connues étaient un peu
cinglées. Une ne rêvait que de positions sexuelles dignes du Cirque du Soleil.
N’importe quel homme aurait été aux anges, mais lorsque j’ai passé quatre
heures menotté à sa tête de lit, j’ai rapidement déchanté et suis parti sans
demander mon reste. La seconde m’avait assuré ne pas vouloir d’enfant,
cependant, deux semaines après le début de notre relation, elle souhaitait
cesser de prendre la pilule. Ce n’est pas que je ne veuille pas de gosses, mais
il n’y a pas un nombre réglementaire d’années de couple avant de pouvoir
parler d’enfant ? Bon sang, j’ai pris mes jambes à mon cou une deuxième
fois.

— Je ne sais pas, deux ou trois…

— C’était il y a dix ans Jarred ! T’as le droit d’être heureux et tu le sais.

Je ne réagis pas, mis à part par un soupir. Je baisse les yeux sur mes
feuilles tachées d’encre bleue. Puis comme un putain de signe, j’aperçois le
nom de Lou ainsi que ses données personnelles. J’attrape mon téléphone et
entre son numéro dans mes contacts avec la ferme intention de la joindre un
peu plus tard dans la soirée. Par contre, je ne sais pas comment je dois agir.
Elle n’est comme aucune autre femme que j’ai connue par le passé. Avec
mon job de photographe, je côtoie beaucoup de nanas. Et je peux dire avec
certitude que j’en sais beaucoup sur elles. Sur leurs habitudes, leurs besoins
de se faire chouchouter. Dans bien des cas, elles ne recherchent que
quelqu’un qui les couvre de compliments et parfois même un sauveur.
Cependant, avec Lou, c’est différent. Je vais devoir la jouer fine.

C’est pour elle ou pour moi que je tiens à faire ça ?

Je n’en sais rien, mais ce que je sais, c’est que je ne peux pas rester les bras
ballants à attendre qu’elle fasse le premier pas. Comment dire ? Je suis
totalement perdu.

— Alors tu vas faire quoi ? me demande Jamie.

— Je sais pas…

Elle se lève et vient s’asseoir en face de moi avec un sourire réconfortant.

— Laisse-la venir à toi. Si elle est intelligente, elle va te recontacter et si


elle ne le fait pas, elle ne te mérite pas.

Ses paroles me font éclater de rire. Elles sont si typiques, mais si vraies.

— T’es pas un bon juge, Jamie !

— Ah non ? Pourquoi ? demande-t-elle amusée.

— T’es la grande sœur de Sidney, tu dois m’aimer par défaut.

— J’ai bien peur que ça ne fonctionne pas ainsi Jarred… T’es un type
bien…

Je marmonne un faible « merci » et change rapidement de sujet. Ses


compliments à mon égard m’ont toujours mis mal à l’aise.

— Il revient quand Anton ?


— Oh ! Je ne sais toujours pas…

— Jamie ? Que se passe-t-il ?

Soudainement, elle me semble mal à l’aise. Je me demande même si elle


ne me cache pas un truc. Je plisse les yeux et la regarde tandis qu’elle me
gratifie d’un sourire faussement amusé.

— Allez Jamie ! Je viens de me livrer à cœur ouvert, c’est ton tour ma


chère.

— Ç’a toujours été moi le psy de nous deux.

— Vrai, et c’est pour ça que je tiens à ce que tu me parles de ce qu’il se


passe avec Anton.

— Je crois qu’on va divorcer, lâche-t-elle simplement.

J’ouvre la bouche, estomaqué par son aveu. Jamais, je ne me serais attendu


à ça. Quand bien même je savais que ce n’était pas au beau fixe entre eux, je
n’imaginais pas que ça pouvait aller aussi mal. Ils sont un des couples les
plus forts que je connaisse. Je tombe des nues.

— Que s’est-il passé ? Pourquoi tu ne m’en as pas parlé ?

— Que voulais-tu que je dise de plus ?

— Nous aurions pu en parler… Je…

— Tu n’aurais rien pu faire, Jarred. Peu importe ce que tu aurais dit, ça


n’aurait rien changé. La décision vient de moi. Je ne suis plus heureuse dans
cette relation. Je… C’est moi qui lui ai demandé de partir.

— Pourquoi ?

— Ça fait plus de six ans que nous sommes mariés, et avant ça, nous avons
été en couple pendant quatre ans. Ce n’est pas une décision prise sur un coup
de tête, tu sais.
— Non, bien sûr que non ! Je m’en doute bien. Je te connais, tu ne prends
jamais une décision sans avoir préalablement pesé le pour et le contre. Par
contre, je dois te demander si tu en es absolument certaine.

— Je le suis, Jarred. Il ne me rend plus heureuse.

— S’il y a quoi que ce soit, tu me fais signe, d’accord ?

— Bien sûr. Ne t’en fais pas pour moi. Je suis une grande fille.

— Ouais, mais quand même, t’aurais pu m’avertir.

— T’as bien assez de tes problèmes sans pour autant t’inquiéter pour moi.

— Si jamais… je suis là !

Elle me gratifie d’un sourire avant d’ajouter :

— Tu serais le premier à qui j’en parlerai. Maintenant, je crois qu’on va


simplement arrêter pour ce soir.

— Bonne idée, lâché-je.

Les informations de Lou que j’ai sous les yeux m’appellent. Je flanche et
plie la feuille pour la glisser dans ma poche. Jamie m’observe, mais ne dit
rien, elle se contente de me sourire tandis que je range mes affaires.

— Je crois que j’ai taché le bureau.

— Ce n’est pas grave. C’est le tien, ricane-t-elle doucement.

Je roule des yeux, soudainement amusé par la situation, mais surtout plus
léger. La confusion règne toujours en moi, mais ce n’est plus le chaos.
10
Lou
J’ai enfilé mon pyjama des mauvais jours, le jaune en coton avec des
petites fleurs roses. Il est affreux, hideux même, mais il me réconforte. Je me
suis roulée en boule dans mon lit. Ne pas penser à Jarred, à son CD pourri, à
ses répliques dignes de n’importe quel roman d’amour qui pourrait faire
pleurer n’importe quelle bonne femme. Ses yeux… son sourire… son rire…
La déception qui semblait faire rage en lui lorsque je lui débitais mes âneries.
Si seulement il n’y avait que cela, mais c’est surtout le regard qu’il m’a lancé
lorsque je lui ai tourné le dos qui me hante. Il était empreint d’une sincérité
que j’ai rarement connue dans ma vie. Je le connais à peine et n’arrive pas à
comprendre pourquoi il me perturbe à ce point. Il n’est qu’un inconnu et ne
représente rien pour moi. Il ne me voulait pas de mal. Il ne voulait que passer
un bon moment avec moi.

Pfff… Jarred ! Quel prénom idiot en plus !

Ça doit bien faire une heure que je lance des coups d’œil vers le meuble où
j’ai posé le sac qui contient le putain de CD pourri. Qui offre des CD
d’occasion de nos jours ?!

OK ! Pense à autre chose. T’en es capable Lou. T’as quand même une
nouvelle chance de faire tes preuves. Entoure-toi de pensées positives…

OK, je n’en suis pas capable ! Je vais péter un boulon. Inlassablement, mes
yeux sont vissés sur le putain de sac en papier recyclé turquoise. Ça prend de
plus en plus de place dans ma tête. Je souffle, tentant de me convaincre que je
ne dois pas succomber. Je ne veux pas écouter ce CD. Je me lève et tourne
autour du meuble. Je m’adosse au mur sans le lâcher des yeux. Je pourrais
toujours le balancer du 19e étage. Il s’écraserait contre le trottoir dans un
fracas, répandant partout des morceaux. Je jubile en imaginant la tête qu’il
ferait… Cependant, j’en suis incapable. Je reste là, tétanisée, presque
persuadée que cette saloperie de sac contient la solution à tous mes
problèmes.

Pourquoi j’en fais une fixette ? Ce n’est qu’un putain de CD.

Ouais, mais c’est quand même celui qui l’a aidé lorsqu’il n’allait pas bien.
Bizarrement, j’en suis à me demander pourquoi ça n’allait pas pour lui, ce
qu’il s’est passé. Si quelqu’un lui a fait du mal…

La curiosité l’emportant sur le bon sens, j’attrape le sachet avec un petit


sourire en coin en repensant au petit numéro de rock star qu’il a fait chez le
marchand. Je dois avouer que je l’ai trouvé adorable et que j’ai ri comme il y
a trop longtemps que je l’avais fait.

« Ça, ma chère, c’est ce qui m’a sauvé la vie à une époque. »

Je me dirige vers mon ordinateur portable et y insère le CD. Je peste


encore contre lui. Il m’a offert un foutu disque de punk avec la pochette la
plus hideuse du monde. Bon sang, j’ai vraiment l’air d’une fille qui écoute ce
genre de musique ?! Le PC crache les premières notes de la première
chanson. Bon sang ! Je déteste ce genre de musique. Je hais la musique…
Alors que je m’apprête à arrêter ce boucan, les paroles m’interpellent, elles
m’appellent, elles sont écrites pour moi. Je remonte mes genoux sous mon
menton et écoute plusieurs fois de suite cette chanson qui parle de sentiments
dont on ne veut pas, qui arrivent sans avertissement et restent indéfiniment.
J’attrape la pochette du CD et lis le titre de la piste : Cold Feelings. Un titre
éloquent. Lorsque le chanteur entame la partie où il dit qu’il essaie de séparer
son esprit de son corps, de grosses larmes roulent sur mes joues. C’est trop
pour moi. Je change de chanson et écoute l’album au complet sans
interruption. Lorsque les dernières notes retentissent, je me sens de nouveau
vide. Je l’écoute une seconde fois avec un peu plus d’attention. Lorsque je
repère la chanson chantée par Jarred dans le magasin de disques d’occasion,
je ne peux m’empêcher de sourire. Il avait l’air d’un enfant, il ne se prenait
pas la tête pour des conneries. Il voulait me faire rire et ça a fonctionné. Je
pousse un soupir et ferme mon ordinateur. Au même moment, on toque
doucement à ma porte. Je vais ouvrir d’un pas traînant, je n’ai envie de voir
personne.

— Ethan !

Je suis heureuse de le voir. J’ai envie de discuter avec lui de ma rencontre


avec Jarred et ainsi avoir son avis sur ce mec.

— Pourquoi tu ne me l’as jamais dit ?

Visiblement, lui ne semble pas avoir envie de discuter avec moi. Par
contre, je n’arrive pas à comprendre pourquoi une telle réaction. Ses yeux se
rétrécissent devant mon inaction.

Bordel de merde ! Tommy ! L’enfoiré !

— Ne fais pas l’idiote, tu sais très bien de quoi je parle.

— Entre ! N’en discutons pas dans le couloir.

Je parais calme et sous contrôle, mais tout mon être est en ébullition. Ethan
me contourne et se dirige vers le salon comme un boulet de canon.

— Depuis combien de temps tu couches avec ?

— Un moment déjà.

Je lui avoue immédiatement dans l’espoir que sa colère diminue et qu’il


puisse me pardonner.

— Bordel de merde ! Tu te fous de moi, Lou ?! Il m’a dit que ça fait un an


que ça dure.

— C’est vrai, bafouillé-je.

— Pourquoi lui ? De tous les mecs dans cette ville, tu dois te taper mon
coloc. Bravo !
— Pourquoi pas ?! Lui ou un autre, c’est du pareil au même.

— J’en ai marre de tes conneries ! Démerde-toi toute seule à l’avenir !

— Ethan, je t’en prie.

— Ne me supplie pas par-dessus le marché.

— Je ne pourrai pas vivre sans toi, braillé-je.

— Arrête avec tes belles paroles et cette fois, ne mets pas ça sur le compte
de ta maladie.

— Pourtant c’est ainsi que j’arrive à neutraliser les effets de ma maladie.


Le sexe et l’alcool… Tu le sais…

— Bon sang ! Arrête de faire l’autruche ! Fais ta thérapie et arrange-toi


pour aller mieux, crache-t-il, sans méchanceté, mais avec une vérité qui me
fait mal.

— Pardonne-moi.

— Tu passes ton temps à dire que Tommy est infect et dégueulasse de


coucher avec tout ce qui bouge. Lui, au moins, il s’assume !

— Je… je…

Il me tourne le dos et se dirige vers la porte. Je suis encore sonnée de cette


dispute, lorsque je sens monter en moi de la colère que je ne peux pas
refréner. Il n’a pas à me hurler dessus pour ça.

Je ne lui appartiens pas.

Je ne suis à personne.

— Pourquoi tu réagis comme ça ?! hurlé-je.

— Tu ne comprends donc pas. C’est simple, tu m’as menti, tu m’as caché


que lorsque tu venais dormir chez moi la nuit après une de tes trop
nombreuses beuveries, ce n’était pas parce que c’était difficile pour toi d’être
seule, mais bien parce que tu voulais coucher avec Tommy au petit matin ou
peut-être allais-tu le retrouver dans son lit avant et tu retournais te coucher
sur le divan ensuite ?!

— Je baise qui je veux Ethan, ça ne te regarde pas ! hurlé-je, rouge de


colère.

— T’as raison, ça ne me regarde pas, mais sache une chose : je ne suis pas
en colère parce que tu as baisé Tommy, je le suis, car chaque matin tu venais
te blottir dans mes bras et me racontais à quel point ta vie est misérable.

— Tu sais bien que ça ne se passait pas comme ça, ne sois pas si injuste.

— Injuste ?! Ce qui l’est, c’est que chaque fois que tu venais chez moi, tu
me regardais comme si j’étais celui que tu voulais. Tu as toujours laissé
grandir en moi l’idée que lorsque tu irais mieux, on serait ensemble, voilà ce
qui me met en colère.

Je ne peux trouver de mots face à ce qu’il vient de me dire. Je suis même


incapable de le retenir lorsqu’il sort de chez moi comme une fusée. Il me
laisse là sans trop savoir comment gérer mes émotions et comment survivre
sans lui. J’ai envie de hurler, de lui demander de revenir. J’ai aussi envie de
lui claquer la porte au nez. La culpabilité m’envahit d’un seul coup. Je reste
plusieurs minutes à fixer le vide. Une douleur grandit en moi. Ça devient
tellement douloureux que je n’arrive plus à le supporter. Je ferme les yeux,
cherchant une solution pour pallier ces sentiments de trahison, de culpabilité
qui grandissent sans cesse en moi.

L’alcool… ou les somnifères…

J’entre dans la cuisine et ouvre le frigo. Je sors une bouteille de vodka à


peine entamée et la dépose avec force sur le comptoir. Je dévisse le bouchon
et fixe le liquide transparent à la forte odeur qui parvient jusqu’à moi, me
faisant tressaillir. Je prends la bouteille dans ma main droite et la porte à mes
lèvres. Mon téléphone sonne avant que la vodka ne touche mes lèvres.
Ethan !

Je la repose bruyamment pour me jeter sur mon portable. Ce n’est pas le


message que j’attendais, mais il est tout aussi surprenant.

* Tu ne pourras pas toujours fuir Lou. Je t’ai vue et t’ai trouvée géniale…
Jarred

Je lance mon téléphone sur le divan et vais chercher la bouteille de vodka.


Elle sera ma seule alliée cette nuit, et celles à venir. Elle bercera mes
cauchemars et pansera mon mal pendant quelques heures. Ce qui m’est
amplement suffisant pour le moment. Je reviens dans le salon et prends une
grande gorgée de ce liquide qui me brûle la gorge, me faisant grimacer. Je ne
suis pas de celles qui aiment le goût de l’alcool, ou qui adorent être dans un
état d’euphorie éphémère. Je n’aime pas boire, j’aime simplement ne plus me
rappeler à quel point je suis misérable.

J’allume la télévision et fais défiler les chaînes, jusqu’à tomber sur un


vieux film d’horreur, Poltergeist. De mauvais effets spéciaux, un mauvais
scénario et des tonnes de fantômes.

C’est l’histoire de ma vie, ça !

Mon téléphone m’indique que je reçois un nouveau message. Je prends la


bouteille et en bois une nouvelle longue gorgée. Je me laisse choir dans le
divan et prends mon portable ; SMS de Jarred. Je l’emmerde ce crétin.
Cependant, je vais devoir lui trouver un surnom plus méchant que celui-là,
mais pour l’instant, c’est tout ce que je peux trouver. Je prends mon
téléphone pour lire son message.

* Allez Lou, réponds-moi.

Va te faire voir !

Je reprends la bouteille de vodka et en bois une nouvelle longue gorgée. La


sensation de brûlure se fait moins présente, tout comme mon mal-être
s’atténue tranquillement. Je regarde mon portable et me pose soudainement
une question à propos de cet idiot.

* Pourquoi tu as mon numéro toi ?

Je prends une nouvelle gorgée de ce liquide qui commence à inhiber tous


mes sens l’un après l’autre.

* Jamie est une de mes bonnes amies.

* Ce n’est pas contre le code d’éthique qu’elle te file mon numéro ?

Sa réponse ne se fait pas attendre.

* Elle ne le sait pas.

Je choisis d’ignorer ce dernier texto, tends la main vers la bouteille déjà à


moitié vide et en bois presque tout son contenu. Je me couche sur le divan,
concentrant toute mon attention sur le film. J’attends de sombrer dans le
sommeil. Cependant, il tarde à venir me chercher. Je patiente de longues
minutes avant de me lever et d’aller à la cuisine. J’ouvre le frigo et explore
son contenu une nouvelle fois. Je ne trouve rien qui puisse faire mon
bonheur. Je me mets à farfouiller les placards les uns après les autres, jusqu’à
tomber sur une pépite. Une bouteille à peine entamée de Jack’s Daniels. Je
prends un verre, y mets de la glace et vide une bonne quantité de ce liquide
brun et prometteur. Verre en main, je m’apprête à sortir de la cuisine pour
rejoindre mon divan, lorsque je stoppe et fixe longuement les somnifères que
le psychiatre m’a conseillés pour dormir. J’attrape le petit flacon de mon
autre main et me dirige vers le salon. Je prends deux cachets entre mes doigts
et les mets sur ma langue, vidant mon verre d’un trait pour les avaler.

Je m’étends de nouveau dans le divan, attendant que les somnifères fassent


effet. Mon téléphone sonne, je réponds immédiatement, espérant que ce soit
Ethan.

— Allô ? dis-je d’une voix faible.

— Lou, c’est Jarred.


— Ah merde, c’est bien ma veine ! Tu veux quoi ?

— Tu n’as pas répondu à mon message donc…

— Fiche… moi la paix à la… fin…

— Ça va ?

— Arrête de vou… loir me sauver… ou d’être sympa, raillé-je.

Mon élocution se fait de plus en plus difficile. Je me racle la gorge pour


retrouver un semblant de voix.

— Que t’arrive-t-il ?

— J’ai bu un peu d’alcool…

— T’es certaine que t’as seulement consommé de l’alcool ? s’inquiète-t-il.

Il est agaçant à toujours vouloir sauver la veuve et l’orphelin.

— Les somnifères, c’est considéré comme quoi ? Un narcotique ?

— Arrête de faire l’idiote et dis-moi la vérité.

— On s’en fout, c’est pas comme si tu pouvais débarquer chez moi et me


sauver.

— S’il n’y a que cela pour te faire retrouver la raison...

— Tu ne sais pas où j’habite, ricané-je.

— Louann ! s’écrie-t-il.

— Ton CD est pourri…

Je ne comprends pas la suite, et mets fin rapidement à cette conversation.


Puis je perds doucement conscience. Je distingue des mains dans la
télévision, je ne sais plus si c’est le film ou bien si ces mains sont venues
s’emparer de moi pour me faire sombrer dans un sommeil immédiat.

Je sens que l’on me soulève du divan. Je suis brassée comme une poupée
de chiffon, j’aimerais ouvrir les yeux et demander à la personne qui me fait
subir cet assaut de me lâcher et de me laisser dormir, mais je n’arrive pas à
ouvrir la bouche. Une voix me parvient à travers ma torpeur.

— Lou ? Bordel ! T’as fait quoi ?

Jarred ? Il vient faire quoi ici ?

Lorsqu’il me lâche enfin, je repose doucement la tête contre le divan. On


me soulève la tête et la dépose contre un des cousins qui jonchaient
probablement le plancher.

— Fiche-moi la paix, raillé-je sans pouvoir ouvrir les yeux.

Putain de merde…
11
Lou
Je flotte toujours dans les brumes des putains de somnifères. Cependant,
mes paupières sont beaucoup plus lourdes que d’habitude. À un point tel que
je me demande ce qui m’arrive. Mon estomac se déchire en deux, la douleur
m’assaille. Je tends le bras pour trouver la table du salon, mais tâtonne dans
le vide. Une nouvelle vague de douleur fait rage en moi. Cette fois, aucun
doute, je vais être malade. J’ouvre les yeux, secouée par des hauts le cœur.
J’ai à peine le temps de m’extirper du lit.

Non, mais je fous quoi dans le lit ?

Je ne comprends rien à ce qui m’arrive. De toute façon, je n’ai pas le temps


de me poser des questions que je suis terrassée par de violents vomissements.
Quelqu’un place un seau devant mon visage et remonte de l’autre mes
cheveux. Tout l’alcool que j’ai absorbé la veille ressort de mon organisme
avec force et douleur. Un grognement qui ressemble étrangement à un
feulement s’échappe de ma gorge. Une fois cette terrible corvée terminée, je
relève piteusement la tête et le gris des yeux de Jarred me frappe de plein
fouet. Ils sont magnifiques, empreints d’une certaine tristesse et d’une
inquiétude palpable ; pour une fois, ils ne cherchent pas à voir en moi. Jarred
se contente de me fixer avec une intensité qui me fait frémir.

L’instant d’après, je suis secouée par une nouvelle vague de nausée qui me
tord les entrailles. Je me penche de nouveau vers le seau toujours tenu par
Jarred. Je vomis de nouveau, mais cette fois, c’est de la bile, et ça me brûle la
gorge, me faisant verser une larme.

Encore une fois, lorsque j’ai terminé ma sale besogne, je relève la tête et
pose mon regard dans le sien. Il a toujours la même intensité grave et triste.

— Lou, il t’est passé quoi par la tête ?


— Comment ? Je n’ai que bu un peu d’alcool…

Je tente de me défendre aussi vivement que mon état me le permet, mais


mes efforts restent vains face à lui.

— Avec des somnifères, fait-il remarquer d’une voix blanche.

— Je… que fais-tu ici ?

Je change de sujet parce que là, j’ai peur d’avoir droit à une remontrance
magistrale.

Ce serait amplement mérité…

— Tu m’as un peu mis au défi de te trouver. Cependant, je ne savais pas


sur quoi j’allais tomber en venant ici, tonne-t-il.

OK ! Un nouveau changement de sujet s’impose…

— Comment as-tu trouvé où j’habite ?

— J’ai téléphoné à ton agent, m’avoue-t-il.

— Quoi ? Pourquoi t’as fait ça ? Tu ne sais pas dans quelle merde tu viens
de me fourrer !

— Je lui ai dit que tu avais oublié ton portable dans ma voiture et que je
voulais passer te le rendre, car éventuellement tu en aurais besoin s’il voulait
te joindre.

— Il t’a donné mon adresse aussi facilement ?

Je suis surprise, Adam est assez protecteur depuis l’accident. Il n’aurait


jamais donné ce genre de détail sur ma vie.

— On se connaît relativement bien.

— Tout le monde autour de moi semble t’avoir déjà rencontré. Pourquoi je


ne t’ai jamais vu avant ?

— J’en sais rien. Je ne suis pas à Miami depuis bien longtemps…

— T’arrives d’où ?

— Je viens d’un peu partout, élude-t-il.

— Quoi ? C’est un secret d’État ?

— Si tu allais plutôt prendre une douche et ensuite nous pourrons discuter,


t’en penses quoi ?

Je jette un coup d’œil à ce que je porte, attrape le tissu jaune de mon


pantalon de pyjama entre mes doigts et roule des yeux.

— Sympa le pyjama !

— Oh, mais tais-toi ! Déjà que tu viens ici, que tu entres chez moi par
infraction et que tu agis comme si je te devais la vie.

— Lou, cette fois, ça s’est relativement bien passé, mais qui te dit que la
prochaine fois, ça se passera comme ça ?

— Je… Je… Je vais aller dans la douche. Toi, tu peux partir si tu le


souhaites.

— Non, je ne le souhaite pas. Pendant que tu te laves, je vais préparer le


petit déjeuner.

Je rougis, un peu honteuse de lui avouer que je garde rarement de la


nourriture chez moi.

— Je…

— Ne dis rien, pendant que tu dormais je suis allé au petit supermarché pas
loin d’ici et j’ai rapporté des trucs.
— Pourquoi t’es aussi gentil ?

— Donne-moi une bonne raison de ne pas l’être.

Je le fixe sans être capable de dire quoi que ce soit de plus. Il se contente
de me sourire avant d’ajouter :

— Voilà ! Je n’ai aucune raison d’être méchant avec toi, Lou.

— Je file à la douche…

Un peu chancelante, je m’extrais du lit et me dirige d’un pas mal assuré


vers la penderie.

— T’as besoin de rien, ta serviette et tes vêtements sont déjà dans la salle
de bain.

Mon cerveau se met en stand-by. Il semble être incapable d’assimiler ce


qu’il se passe. Cependant, je ne pourrais pas dire si c’est à cause des
somnifères mélangés à l’alcool ou bien si c’est parce que je suis si stupéfaite
que je ne parviens plus à penser.

Docile, je me dirige vers la salle de bain, mais sans me retourner. Je sens


son regard dans mon dos et ça me met mal d’autant plus mal à l’aise.
Cependant, une fois à l’abri, je me sens vide. Comme s’il me manquait un
truc important. Quelque chose de vital.

Machinalement, je me déshabille puis entre dans la douche. Je monte la


température à son maximum. Mon corps est ankylosé de ce que j’ai fait hier
soir. En ce moment, je me sens complètement idiote d’avoir réagi comme ça.
D’un coup, les paroles d’Ethan me reviennent en tête.

« Injuste ?! Non, ce qui l’est vraiment, c’est que chaque fois que tu venais
chez moi, tu me regardais comme si j’étais celui que tu voulais. »

Lui ai-je vraiment laissé croire que nous avions un avenir ? Si je l’ai fait,
c’était sans le vouloir. La culpabilité me vrille le ventre et la tête. Incapable
de rester seule plus longtemps, je me lave en vitesse pour retrouver Jarred le
plus rapidement possible. J’enfile les vêtements qu’il m’a choisis. Un t-shirt
noir ainsi qu’un jogging gris. Je ne sais pas où il a bien pu trouver ça. Je
peigne rapidement mes cheveux humides et pars le retrouver.

Lorsque j’entre dans la cuisine, il est en train de faire cuire du bacon et des
œufs. L’odeur qui se dégage de la poêle fait grogner mon ventre.

— Ça sent bon, dis-je.

— Merci. Ce sera bientôt prêt. Si tu veux, tu peux aller t’asseoir dans la


salle à manger.

— J’aime mieux te regarder faire, annoncé-je en m’installant sur l’un des


tabourets autour de l’îlot.

— Avoue-le que t’as envie de mater mes fesses, rigole-t-il.

Je pouffe sans pouvoir me retenir.

— Je savais que t’en pinçais pour elles.

— Écoute, tes fesses sont encore plus plates qu’une planche à pain, mon
coco !

— Oh, mais t’es vilaine à te moquer.

Je ricane bêtement, oubliant mes problèmes, oubliant Ethan et ma folie.

— Alors, comment manges-tu tes œufs ?

— Je les préfère brouillés. J’aimerais que tu me parles de toi…

Il tourne la tête vers moi. Ses yeux me frappent de plein fouet devant ma
phrase sortie de nulle part.

— Que veux-tu savoir ?


— Je sais pas. T’es presque un inconnu et t’es en train de faire brûler du
bacon dans ma cuisine.

— Bordel de merde ! jure-t-il en enlevant la poêle de la cuisinière.

J’éclate de rire alors que lui pousse un soupir et se tourne vers moi.

— Seulement des œufs, ça fait ton bonheur ?

— Ouais. Ce sera suffisant.

Il fait cuire nos œufs brouillés en silence. J’aimerais qu’il me parle, mais je
me dois de respecter le fait qu’il ne veuille pas se confier. Il remplit nos
assiettes puis les pose sur l’îlot. Il prend place à côté de moi et plante sa
fourchette dans sa montagne d’œufs.

— J’ai une grande sœur. Elle habite en Irlande avec notre père.

— Pourquoi un Irlandais viendrait vivre en Amérique ?

— Parce que c’est le pays des opportunités.

Je lui adresse un regard interloqué qui le fait rire.

— Mange Lou, m’ordonne-t-il.

Je plante ma fourchette dans mes œufs et prends une bouchée en souriant.

— Ma mère habite à Seattle avec son mari. J’avais huit ans lorsque nous
sommes arrivés ici. Je suis né lors du deuxième mariage de mon père. Ma
mère a rencontré un Américain, ce fut le coup de foudre.

— T’as vécu ça comment, ton arrivée en Amérique ?

— Assez bien. Le mari de ma mère est fantastique. Il a une grande famille


qui nous a accueillis à bras ouverts.

— T’as de la chance !
— Et toi ? Parle-moi de ta famille.

Oh non ! Pas ça !

— J’ai deux petites sœurs. Elles sont jumelles et entrent à peine dans
l’adolescence.

— Comment s’appellent-elles ?

— Sloane et Sunshine.

Elles sont adorables, cependant, je suis sans arrêt morte de peur à l’idée
que Dustin leur fasse vivre ce que moi, j’ai vécu.

Non, non, non ! Je ne dois pas penser à ça… Je dois me concentrer sur
autre chose.

Cependant, je n’ai pas le temps de me ressaisir qu’il recommence à parler.

— Je vois que quelque chose ne va pas…

— T’as tort, ça va.

— Je t’ai vue. Je t’ai observée, Lou, jamais tes rires ou tes sourires ne
m’ont trompé. Je sais que ce qui transparaît à l’extérieur n’est pas ce que tu
ressens à l’intérieur. Les conquêtes, les beuveries, les gros titres des journaux,
c’est qu’une façade que tu t’imposes. Moi, ça ne m’a pas trompé.

— Pourquoi ? Pourquoi me parles-tu de ça maintenant Jarred ?

— Il y a cette lueur qui vient d’apparaître dans tes yeux, la même que
lorsque je t’ai vue lors de la soirée de Jamie.

— Qu’as-tu vu en moi ? Pourquoi es-tu là ? Tu me connais à peine. Je ne


comprends pas.

— Ne me dis pas que tu ne sais pas ce que j’ai vu en toi !


— Dis-le-moi, je dois le savoir, l’imploré-je.

Quand il me regarde, il arrive à me faire sentir forte, magnifique, drôle,


mais aussi vulnérable. Jamais il ne me fait me sentir faible ou mauvaise. Et en
ce moment, ma vulnérabilité est à son comble.

— J’ai vu une jeune femme emplie de tristesse et de mélancolie, mais aussi


de colère et de culpabilité.

Il cesse de parler et me fixe longuement. Je ne saurais dire à quoi il pense,


mais son regard entre en moi à chacun de ses mots. Puis il pousse un long
soupir qui me déchire l’âme.

— C’est vrai, je te connais à peine. Par contre, je ne crois pas que tu aies
besoin d’être sauvée. Tu es amplement capable de savoir ce qui est bon pour
toi, mais tu sais Lou, entre le savoir et montrer au monde entier ses blessures,
il y a une différence. C’est à toi de voir si tu veux les montrer à tous, révélant
ainsi la fragilité que tu as en toi.

— Je ne suis pas fragile, répliqué-je.

— Ce n’est pas ce que j’ai dit. En toi, il y a une fragilité qui me touche et
m’interpelle.

— Où est la ligne entre ma folie et ma vie ? demandé-je sans pouvoir


retenir mes paroles.

— Elle sera là où tu auras envie qu’elle soit, me dit-il en enlevant les


mèches brunes de mon visage pour les caler derrière mon oreille.

— Jarred, tu ne devrais pas être ici…

— Pourquoi tu t’es saoulée la nuit passée ? Et les somnifères ? Tu sais que


ce n’est pas normal de faire ce genre de truc.

Normal !? Mais c’est quoi être normal ?

Sa voix est plutôt calme, posée et exempte de jugement, mais elle est aussi
emplie d’une émotion que je n’arrive pas à saisir. Puis, il m’arrive une chose
qui ne m’arrive jamais d’habitude, j’ai envie qu’il me prenne dans ses bras et
me berce, me promettant que tout ira bien. Cet inconnu me donne envie de
m’ouvrir à lui, mais sait-il dans quelle merde il vient de se fourrer ?

Protège-le de toi Lou…

— Va t’en Jarred, je t’en supplie, murmuré-je en détournant le regard.

— Pourquoi ?

— Parce qu’il se pourrait bien que je ne puisse pas contrôler mes


sentiments à ton égard. Je risque aussi de faire de ta vie un enfer lorsque les
regrets et les remords commenceront à apparaître. Ça pourrait être fabuleux
quelque temps, mais rapidement ça va devenir plus lourd et je ne veux pas
être la femme qui te fera détester l’amour.

— Lou, tu penses trop, tu crées des problèmes qui n’ont pas lieu d’être,
argumente-t-il sans se départir de son calme ni de son envie de passer du
temps avec moi.

— Peu importe…

Je saute de mon tabouret, attrape mon assiette et balance le contenu dans la


poubelle. D’un geste vif, je me retourne et entre en collision avec son torse.
Des effluves de son parfum me chatouillent les narines alors qu’il m’attrape
par les épaules afin que je lui fasse face.

— Tu sais, je ne peux pas te forcer à passer du temps avec moi ou même à


m’apprécier, mais ne reste pas ainsi, seule et triste, car un soir, tu avaleras
plus que deux somnifères et tu boiras plus que quelques verres, et peut-être
que ta douleur disparaîtra, mais tu partiras avec elle.

Cette affirmation me prend aux tripes. Personne ne m’avait jamais parlé


comme ça de toute ma vie. Pas même Ethan. Je pousse un soupir avant de lui
demander :
— Pourquoi tiens-tu autant à me sauver ?

— Je ne suis pas là pour ça, mais je peux être là parce que j’ai envie de
connaître la femme cachée derrière la façade que tu t’imposes.

— Qu’est-ce qui te motive Jarred ? J’ai besoin de le savoir. Tout ça, c’est
trop flou pour moi.

Il me fixe, tout en poussant un long soupir. Ses yeux entrent en contact


avec les miens et pour la première fois depuis que je le connais, je décèle une
ancienne douleur, des cicatrices qu’il cache au plus profond de lui. Il me
donne accès à son âme et à son cœur sans me priver d’aucun détail.

— Je suis malade, déclaré-je d’un coup.

Je lâche cette phrase de but en blanc, sans même réfléchir aux


conséquences.

— Comment ?

— Il y a quelques années, on m’a diagnostiqué le trouble de la personnalité


limite, ou trouble borderline si tu préfères. En tout cas, moi c’est ce que je
préfère. En fait, ça fait deux ans, un vide s’est installé en moi, grandissant de
plus en plus. J’ai fait le même genre de connerie que j’ai faite hier, sauf qu’à
ce moment-là, on a dû m’hospitaliser. Médecins et psychiatres se sont relayés
dans ma chambre. Certains disaient que j’étais au bout du rouleau, surmenée.
Puis un psychiatre m’a dit que j’avais le trouble de la personnalité limite. Ce
fut le début de ma déchéance.

— Ça implique quoi ?

Avec douceur, il prend ma main dans la sienne. Un petit geste qu’il veut
probablement sécurisant et encourageant, mais je n’ai plus envie de continuer
dans les révélations.

— Ça veut dire que tu dois rester loin de moi.


— Pourquoi t’obstines-tu à me tenir à l’écart ?

— Ma vie est un enfer perpétuel, composé de hauts et de bas. Je ne sais


jamais comment je vais me sentir d’une minute à l’autre, j’oscille entre la
colère, l’angoisse, la joie, la peur, le bonheur. Je me sens continuellement
incomprise, j’analyse tout, et rien ne me donne plus de plaisir. Ça n’aura pas
d’importance le nombre de fois où tu vas me dire que tu seras là, car la
seconde d’après, je vais guetter le moment où tu vas partir. Parce que même
si tu pars pour quelques heures, je vais toujours me sentir abandonnée. Tu
comprends ce que j’essaie de te dire ? Tu dois partir avant que je tombe
amoureuse de toi et que je brise la personne fabuleuse que tu sembles être.
Car pour moi, il n’y a qu’une faute de frappe entre je t’aime et je t’abîme…

Je lui balance tout ça en vissant mon regard dans le sien. J’aimerais y lire
de la peur, du mépris ou encore mieux, de l’indifférence, mais non, j’y vois
plutôt de la compréhension et une envie de me rendre la vie plus douce. Je
cherche ma respiration pendant quelques secondes. Mon discours m’a
légèrement essoufflée.

Cependant, malgré tout, j’ai l’impression que mon speech ne suffit pas,
qu’il y aurait tellement plus à dire. Parfois, j’ai si mal à l’intérieur que je
ressens cette douleur physiquement. Encore là, je ne lui ai pas parlé des
excès, mon besoin de m’enliser dans l’alcool et le sexe.

— Qu’est-ce que ton médecin te recommande comme traitement ?

— Psychanalyse, séances hebdomadaires, probablement jusqu’à la fin de


ma vie. En plus d’une médication pour dormir et des anxiolytiques au besoin
lorsque tout va trop vite dans ma tête. Mais ces temps-ci, je compense par le
sexe et l’alcool.

Je devrais avoir honte, mais en ce moment, j’ai plutôt envie de rigoler tant
mon discours est pathétique.

— Ce n’est peut-être pas la meilleure façon de faire, me fait-il remarquer.

Ce qu’il me dit m’énerve ; non, mais, il croit quoi ? Qu’il suffit qu’il entre
dans ma vie avec ses beaux principes de merde pour que je lui tombe dans les
bras ? Qu’auparavant, je n’ai jamais pensé que je partais en vrille ? Qu’il a
fallu qu’il foute un pied dans mon quotidien pour que je me réveille ?

— Tu crois que je n’avais pas remarqué ?! m’emporté-je.

— Tu sais bien que ce n’est pas ce que je voulais dire.

— Que voulais-tu dire, Jarred ? demandé-je sur la défensive.

— Je veux dire que si tu désires aller mieux, tu dois suivre ton traitement,
commence-t-il.

— Tu sais quoi ? Va-t’en !

— Quoi ? s’étonne-t-il.

— Fous le camp d’ici ! Tu veux voir la vraie Lou ? Eh bien, la voici !

— Tu crois peut-être que si tu me hurles dessus, tu vas me faire peur, mais


c’est pas le cas. Je vais partir quand tu me le demanderas calmement, car je
saurai que c’est vraiment ce que tu veux.

Il reste là à me fixer et à me parler doucement. Son pouce caresse ma joue


pour m’apaiser. Contre toute attente, ça fonctionne. Il me sourit, alors que
moi, je reste stupéfaite, ne sachant pas comment réagir.

— Pourquoi veux-tu rester ?

Je lui parle d’une petite voix, presque un murmure. Je ne le fais pas pour
l’attendrir, mais parce que je n’ai simplement pas la force de parler plus fort.

— Alors, il me faut une raison si je veux apprendre à te connaître.

— Ne réponds pas à ma question par une autre, grogné-je.

Cela le fait rire, et moi aussi par la même occasion.


— Je ne demande qu’à en savoir plus sur toi, pas parce que je veux te
sauver, ou t’empêcher de faire des conneries, mais parce que j’ai envie que tu
me rendes complètement fou de toi et peu importe ce que ça comporte. Si un
homme est assez fou pour vouloir t’aimer, il doit l’être tout autant pour
endurer tout ce que ça implique, tu ne crois pas ?

— Je crois que tu es totalement idiot de vouloir te lancer là-dedans.

— De toute façon, ce n’est pas comme si je te laissais le choix, si ?

Il se penche vers moi, je bloque ma respiration et ferme les yeux. Il presse


ses lèvres contre ma joue. Idiotement, ça me donne envie de rougir de plaisir.

— Je t’en prie Jarred.

— Je dois te quitter, mais je vais venir te chercher à 18 heures ce soir, pour


que l’on ait un vrai rendez-vous, nous deux.

Je ne réponds pas, mais ne l’empêche pas de poser un nouveau baiser sur


ma joue. Il me sourit, ramasse son assiette pour la poser dans le lavabo et
quitte mon appartement, laissant en moi un désir de bonheur.
12
Lou
Dans un état second de bonheur, je m’attelle à ramasser les vestiges de
notre déjeuner. Une fois les assiettes dans le lave-vaisselle, je me dirige vers
la salle de bain avec la ferme intention de me faire une beauté. Je sors tout
mon attirail de maquillage : pinceaux, fond de teint, crayon, etc. J’ai envie
d’être belle pour lui. C’est un sentiment idiot, mais je n’y peux rien. Ce
matin, il m’a apporté des promesses qui lui seront difficiles à tenir.
Cependant, plus je me regarde dans le miroir, moins je comprends ce qu’il
me trouve. Certes, je suis jolie, mais il y a toute cette folie en moi. Ce mal-
être qui me consume et qui me détruit. Mes grands yeux noisette se
remplissent d’appréhension et ternissent à vue d’œil. Quelles sont ses
véritables raisons ? Le sentiment de béatitude laissé par la proposition de
Jarred est rapidement parti en fumée pour laisser place au doute.

Du plat de la main, je balaie mon attirail de maquillage jusque dans la


poubelle que je tiens de l’autre. Je la laisse retomber simplement sur le
plancher. Le bruit me fait sursauter.

Putain de merde !!!

D’un pas rapide, je me dirige vers le salon en prenant bien soin de faire
claquer la porte de la salle de bain. Pour une des rares fois, j’ai allumé la
radio. The Cure chante Friday, I’m in love.

Quelle merde ! Je déteste l’amour !

J’emmerde The Cure et leur chanson pourrie. The Cure, un putain de


groupe pour dépressifs. Je hais ce groupe, je hais Jarred et ses phrases nazes
qui me font fondre. Je ne veux pas tomber sous son charme, ni le sien, ni
celui de personne d’autre d’ailleurs. Continuer ma vie telle qu’elle est me
suffit amplement. D’un geste brusque, j’éteins la chaîne stéréo et ouvre mon
ordinateur. Le CD qu’il m’a donné se met à cracher sa musique. Ça m’agace.
Son putain de CD m’a littéralement retourné le cerveau. Il n’y a aucune
musique qui puisse venir à bout des maux qui me rongent. Personne ne peut
en venir à bout. J’appuie sur le bouton pour éjecter le CD, puis attrape la
pochette et le remets à l’intérieur. Tenir cette chose dans mes mains me brûle.
D’un geste vif, je me dirige vers la terrasse et ouvre les portes-fenêtres.
L’idée qu’il s’écrase sur le trottoir depuis le 19e étage m’arrache un sourire. Je
tends le bras dans le vide et laisse tomber l’album. Quelque chose me tord les
entrailles.

Merde ! Faites que ce ne soient pas des remords…

Le cœur gros, je ne reste même pas pour contempler mon chef-d’œuvre. Je


retourne à l’intérieur avec un sentiment de culpabilité qui me ronge. Il
m’arrive quoi là ? Depuis quand je réagis ainsi ?

On s’en fout de ce type, de sa musique, de son sourire et de son putain de


regard !

J’attrape mon téléphone et consulte rapidement mes messages. Je n’ai


toujours pas reçu de SMS de remerciements de ma mère pour l’argent que je
lui ai envoyé. Ce serait la moindre des choses qu’elle pense à me remercier.
Quoique, je ne suis guère étonnée. Lorsqu’elle sera de nouveau dans le
besoin, elle va savoir comment me joindre. Ou encore lorsque Dustin aura bu
tout l’argent que je leur ai envoyé, ce qui ne devrait pas tarder à arriver…
Malheureusement…

Quelle idiote je fais ! Qu’il aille se faire voir !

Je consulte l’heure sur mon portable ; 17 heures 45. Entre le ménage et ma


séance hebdomadaire de torture, je n’ai pas vu le temps filer. Bon sang ! Il va
bientôt arriver et je n’ai même pas pu l’appeler pour annuler… Je n’ai ni
envie de voir quelqu’un ni de sortir avec lui. Au moment où je pousse un
grognement, on frappe à la porte. Je me dirige à grands pas pour répondre.
Lorsque j’ouvre, je trouve un Jarred plus beau que jamais. Il a enfilé une
chemise noire, ses manches sont repliées sur ses avant-bras, ainsi qu’un jeans
noir qui met probablement en valeur ses fesses.
— Tu sais, on ne tue pas aussi facilement Mike Ness.

Il me tend le CD qui, je ne sais par quel moyen, a survécu à cette chute.


Cependant, le boîtier a eu moins de chance, il est dans un état lamentable.

— J’ai dû me battre avec un mec louche pour le récupérer, ricane-t-il.

— Je ne vais pas sortir avec toi ce soir, lancé-je d’un trait, ignorant sa
plaisanterie.

— Ça tombe bien, j’avais prévu que l’on regarde un film chez toi.

Il me montre un sac qui semble contenir tout ce qu’il faut pour passer une
soirée cinéma parfaite. L’attention est touchante, mais la voix dans ma tête
me rappelle de rester loin de lui. Pour son bien, comme pour le mien.

— Je… tu… je n’ai pas envie de regarder un film.

— Ne me dis pas que tu hais les films aussi. Parce que si c’est le cas, je
vais croire que t’es un extraterrestre.

— Jarred… je…

— Tu ne veux pas regarder un film avec moi ?

— Non, c’est pas ça. Je veux rester seule.

— Et moi qui me faisais une joie de passer la soirée avec toi.

La culpabilité me ronge, son regard s’agrippe au mien et me sonde un long


moment avant de pousser un soupir.

— Je ne peux pas te forcer à passer du temps avec moi.

— Où est passée ta détermination sans borne ?

— Je l’ai troquée contre un sac de pop corn et quelques films. Cependant,


ne sous-estime jamais la personne que je suis. Je ne vais pas t’imposer ma
présence si tu ne la souhaites pas.

Pourquoi a-t-il toujours les mots pour chaque situation ? Il me déstabilise.


Pourtant, ma tête tourne sans arrêt, m’envoyant en plein visage toutes les
questions possibles.

— Et si on allait marcher sur la plage ? propose-t-il finalement.

C’est à mon tour de le scruter, mais moi je le fais avec insistance.

— J’aimerais mieux regarder tes films, annoncé-je en tendant la main vers


son sac.

— As-tu dîné ? me demande-t-il.

— Je ne sais plus.

— J’ai apporté tout ce qu’il faut pour nous faire des sandwichs au fromage
grillé comme maman les faisait.

— Tu as pensé à tout on dirait, lancé-je avec un sourire.

— Je me suis dit qu’il y avait de fortes chances que je te trouve dans l’état
que tu es actuellement. Je n’avais juste pas prévu que les Social Distorsion en
payeraient les frais.

Il ricane en me tendant son sac plein à craquer de victuailles et d’autres


trucs pour nous faire passer une soirée mémorable.

— Je suis désolée pour le CD.

— C’est pas grave. Tu m’invites à entrer ?

D’un geste théâtral, je me pousse pour le laisser passer. Ce qu’il fait avec
le plus grand des sourires.

— Ton appartement est magnifique Lou.


Je lui souris, file à la cuisine et attrape le sac de pop corn pour le préparer.
Je plante Jarred dans l’entrée, mais ça ne semble pas trop le gêner. Il erre
chez moi comme s’il était chez lui et ça m’arrache un sourire. Je lance avec
force le sac dans le micro-ondes et patiente en pianotant rapidement avec mes
ongles contre le comptoir de la cuisine.

Pourquoi je le laisse entrer dans mon intimité ?

Et pourquoi je souris comme une idiote ?

Les premiers grains explosent en me faisant sursauter. Je lance un regard


furieux au micro-ondes, puis me retourne pour ouvrir l’armoire et y prendre
un bol. De retour dans ma position initiale, je croise le regard perturbant de
Jarred. Il ne me sourit pas, il me toise avec un sérieux qui me serre le cœur.
Incapable de me contenir, je suis immédiatement assaillie de questions.

Pourquoi il me regarde ainsi ?

J’ai fait quelque chose de mal ?

Il veut partir, mais ne veut pas me le dire ?

Il a changé d’avis ?

Mes questionnements me tuent. Lui, il prend appui contre l’encadrement


en croisant les bras sur son torse avec le même regard inquisiteur et pénétrant,
qui me scrute sans arrêt. Je déglutis avec peine, ne pouvant plus contrôler les
battements de mon cœur.

Comme si je contrôlais quelque chose depuis que je le connais…

Ça se passe maintenant ?

C’est le moment où il n’y a plus de retour en arrière possible, c’est ça ?

Celui où je tombe amoureuse de Jarred Dwyer.

Respire Lou, respire !


Je secoue la tête pour chasser ces pensées qui s’incrustent en moi. Moi ?
Lou Cassidy qui en pince pour un homme ?! Que quelqu’un me réveille, je
suis en plein cauchemar.

— Toujours autant de pensées contraires en toi ? lance-t-il sans bouger.

— Toujours là à me jauger ? répliqué-je sur un ton plus léger que le sien.

— Ne les laisse pas gagner, murmure-t-il.

— Personne n’est vainqueur avec moi, mais qui sait, peut-être te laisserai-
je gagner ?

Ma voix se fait étrange. Pour l’une des rares fois, elle n’est pas faussement
enjouée, elle est sincère. Cependant, je ne saurais dire pourquoi ni comment.
C’est ainsi, je le sens au plus profond de mon être.

— Je ne saurais pas dire si tu me le reproches ou si ça te plaît bien.

Il se tait, passe nerveusement la main dans ses cheveux. Ce mec douterait-


il un peu de lui finalement ?

En quelques pas, il est près de moi, ouvre le micro-ondes pour attraper le


sac de pop corn et le vider dans le bol que j’ai préalablement sorti.

— Je ne sais pas si ça me plaît ou non, avoué-je en le regardant


directement dans les yeux.

— Moi, je crois que j’aime bien.

Un sourire gagne son visage, il attrape une mèche de mes cheveux et la


glisse derrière mon oreille. Je ne me sens pas idiote d’avouer ce que je
ressens. Et ce, même si c’est encore flou pour moi.

— Tu ne me regardes comme personne, continué-je sur ma lancée des


confidences.

— C’est simple, tu n’es comme aucune autre femme sur cette planète.
Je souris et détourne vivement la tête. Il veut me faire rougir avec ses
phrases déjà préparées. Pourtant, ça marche ! Il saisit doucement mon menton
entre des doigts pour que je lui fasse face. Son regard gris acier vient se
planter dans le mien.

Alors, c’est ainsi que l’on tombe amoureuse ? La respiration qui devient
saccadée. Le cœur qui bat à tout rompre. Les mains moites, la tête qui tourne
en permanence. Je me sens de nouveau devant un précipice, mais cette fois,
la sensation est poignante, vibrante et totalement différente. Cette fois, j’ai
envie de plonger, mais seulement si lui me tient la main. À peine ai-je eu
cette pensée que je ferme les yeux, ses lèvres descendent vers les miennes et
s’y posent avec une infinie douceur, mais aussi avec désir, envie et passion.
Comment c’est possible qu’un simple baiser puisse ramener quelqu’un à la
vie ? Je ne réfléchis plus, mes bras s’enroulent autour de son cou, ma poitrine
se colle à son torse. J’ai fait ces gestes des centaines de fois auparavant, mais
je n’en ai jamais ressenti l’impact, le vrai désir… l’amour, jusqu’à
maintenant.

Un grognement involontaire s’échappe de ma bouche lorsqu’il met fin à ce


baiser. Il sourit en s’écartant de moi.

— Film d’action ou d’amour ? demande-t-il en attrapant le bol de pop corn


pour se diriger vers le salon.

— Action, j’ai besoin de sang, de testostérone et de beaux mecs, blagué-je


avec une légèreté qui m’a toujours été inconnue jusqu’à maintenant.

— Mon baiser ne t’a pas suffi…

Je ne réponds pas et pose les mains à plat sur le comptoir. Je m’applique à


respirer longuement. Il va me rendre dingue.

— Tu viens ?

Sa voix n’est pas pressée et en rien elle ne m’oblige à le suivre, mais cet
apaisement qui s’en dégage me donne envie de le retrouver. Je réprime
rapidement la pensée qui me rend complètement gaga. J’ai ce besoin de me
fondre en lui pour retrouver un semblant de lucidité. Je ne veux qu’écouter ce
désir en moi.

Je me dirige vers lui, il a déjà allumé la télévision et s’affaire à insérer le


film dans le lecteur DVD. Je m’assieds sur le divan, croise les jambes et pose
tout bonnement mes mains sur mes cuisses. De l’extérieur, j’ai l’air d’une
petite fille sage, mais en réalité tout mon corps est en émoi depuis ce baiser.
Il me fait l’impression d’être un ressort tendu à son maximum.

Faites qu’il s’installe à une distance raisonnable de moi !

Jarred prend la télécommande et vient s’asseoir à environ trente


centimètres de moi. Ce qui me soulage, car je n’aurais pas pu supporter sa
proximité. Je n’aurais pas su répondre de moi. Le film commence, j’ai toute
la difficulté du monde à garder mon attention sur ce qu’il se passe. Un film
de Jason Statham ; moi qui trouve cet homme plus que séduisant, je n’arrive
pas à m’extasier devant sa beauté et son charisme légendaire. Je tente
l’impossible pour me concentrer sur le film, mais lorsque Jarred pose son
bras derrière moi sur le dossier du divan et que ses doigts entrent en contact
avec ma nuque, je suis parcourue de frissons. Le souffle court, je m’applique
à compter mes respirations et à n’en rater aucune. Le temps dure et perdure. Il
s’étire jusqu’à devenir une vraie torture.

Après une heure trente de supplice, le film se termine enfin. Je ne pourrais


pas raconter l’histoire en détail, mais par contre, je peux dire que mon self-
control ne tient plus qu’à un fil. Ses doigts sur ma peau sont un supplice, tout
en étant la plus douce des caresses.

Respire Lou bon sang !

— Alors ? As-tu aimé le film ?

Sa voix me fait sursauter. Il cesse de faire courir ses doigts sur la peau de
mon cou, un vide s’installe en moi. Putain de merde ! Je veux qu’il me touche
encore. Qu’il m’apaise. Qu’il me fasse du bien. Je le veux, lui. Je suis à un
cheveu de sombrer dans la folie. Je serais prête à parier ma vie que ce serait
la plus belle des démences que je me permettrais d’avoir. Jarred Dwyer.
— C’était bien, je crois.

— Tu crois, ricane-t-il.

Je tourne la tête vers lui, ses yeux gris entrent dans les miens et me
troublent. S’il vous plaît, que quelqu’un vienne me sauver avant que je fasse
une grosse connerie. Je ne contrôle plus aucune de mes pensées. Je suis
dominée par le désir de sentir son regard sur moi, ses doigts sur ma peau et
ses lèvres contre les miennes.

— Que se passe-t-il ? me demande-t-il en réalisant que ma respiration est


légèrement saccadée.

Bon sang ! Pourquoi il me fait autant d’effet ce mec ?!

Allez ! On se calme ! On se contrôle !

— Rien. Ça va. T’en fais pas.

— Je ne te crois qu’à moitié, murmure-t-il, faisant grimper la tension en


moi.

— Tu vas me prendre pour une dingue si jamais je te raconte.

— Essaie toujours. Pour l’instant, je ne me suis pas sauvé.

— Je… tu sais.. Tes doigts sur ma nuque…

— Ça ?! murmure-t-il en caressant de nouveau ma peau du bout des doigts.

Je hoche la tête sans le lâcher du regard.

— Jarred, ne me touche plus s’il te plaît !

Je souffle bruyamment en me levant pour me soustraire à son emprise, son


toucher, à la personne qu’il est. Lui ne semble pas l’entendre de la même
façon, mais le repousser est la seule chance de le sauver de moi et ma folie.
Au moment où je fais un mouvement pour m’éloigner de lui, il attrape mon
poignet et m’oblige à le regarder de nouveau.

— Je t’en prie, ne fais pas ça. Ne me fais pas croire que je suis
exceptionnelle.

— Que se passe-t-il ?

— Rien ! Rien du tout !

— Explique-moi, j’ai l’impression d’être à côté de la plaque en ce moment.

Lui expliquer ?

Bon sang !

Comment puis-je lui expliquer ce que je ne comprends pas moi-même ?

— Il n’y a rien à expliquer…

— Pourquoi je te sens si loin de moi en ce moment ?

— Parce que je le suis toujours, jamais je serai complètement à toi. Jamais,


chuchoté-je.

— Putain Lou ! Fais ce dont tu as envie… Tu réfléchis trop…

Je réfléchis trop ? Merde !

Il a raison. En général, je déteste ça, mais là, ça me pique directement dans


l’orgueil. Je me défais de sa poigne et passe mes bras autour de son cou, mes
lèvres sur les siennes, et m’abandonne à mon désir. Je ne suis plus maître de
rien. En fait si, de mon envie, c’est la seule chose qui me contrôle. Ses mains
glissent dans mon dos jusqu’à mes reins. Je frissonne lorsque sa langue entre
dans ma bouche et se presse contre la mienne. Je suis légèrement étourdie par
ce baiser et totalement déçue lorsqu’il y met fin. Il caresse doucement ma
joue. Je me lève sur le bout des orteils pour l’embrasser de nouveau, mais il
me repousse.
— N’allons pas trop rapidement, veux-tu ?

Quoi ? Comment ?

Mon corps se fige, le rouge me monte instantanément aux joues.


Impossible d’assimiler ce qu’il vient de me dire.

Ne pas aller trop rapidement ? Ce n’est qu’un putain de baiser… Il se fout


de moi ?!

Il me fait baisser ma garde, m’empêche de me réfugier à l’intérieur de la


forteresse que je me suis construite. Puis, il me pousse sans cesse dans mes
retranchements et au moment où je m’abandonne, à sa demande bien sûr, il
me repousse.

Ça va pas dans sa tête ?

Je suis stupéfaite, n’arrivant pas à réaliser que l’on en est là. Un film, un ou
deux baisers… ses doigts sur ma nuque… un moment fabuleux et… et… Il
vient vraiment de me repousser ? Vraiment ?

— Ne fais pas cette tête, ricane-t-il en posant un baiser dans mes cheveux.

— Ne me touche pas, aboyé-je avec force.

— Comment ?

— Tu n’as pas le droit !

Je lui hurle dessus sans retenue et ne m’en sens pas coupable du tout. Un
air surpris, puis choqué se dessine sur son visage.

— Je t’en prie, tu dois relativiser.

— Ne me redis plus jamais ça ! Tu n’as aucun droit d’entrer dans ma vie,


de mettre tout en désordre avec tes théories merdiques et de me dire de
relativiser…
— Ne le prends pas comme ça, me lance-t-il.

Réplique typique de n’importe quel homme que j’ai connu et que l’on me
sort à chaque engueulade. D’habitude, je m’en fous, mais que lui me lance
cette phrase au visage, ça me fait mal. Il n’est pas censé être différent des
autres ? J’y ai pourtant cru.

— Je dois réagir comment selon toi ?

— Je ne sais pas, mais pas comme ça.

— Ne me demande pas de baisser ma garde si tu n’as pas l’intention


d’aller jusqu’au bout.

— Je ne vois pas pourquoi tu es en colère parce que je te demande de ne


pas sauter d’étape.

— Va-t’en Jarred ! C’était un super moment, mais va-t’en tout de suite.

— Je ne te suis pas sur ce coup.

Il reste là à me toiser pendant quelques secondes. Cette fois, mon regard ne


se décroche pas du sien. Il secoue la tête, dépité.

— Va-t’en ! Ce n’est pas la peine de revenir.

— Je crois que tu t’es rarement fait refuser quelque chose dans la vie,
non ?

— Depuis le départ, tu parviens à me comprendre alors que moi-même je


n’y arrive pas, mais là, tu as tout faux.

— Je crois plutôt avoir bien compris au contraire.

— Tu crois ?! Tu ne sais rien de moi ! m’indigné-je avec une force que je


ne peux contrôler.

— C’est vrai, mais là, maintenant, je ne comprends pas ta réaction. Je ne


veux pas aller trop rapidement… et tu…

— Tu as toujours réponse à chacune de mes appréhensions, je baisse


finalement ma garde et tu me repousses.

— Ce n’est pas ce que je souhaitais faire.

— Va-t’en ! Laisse-moi seule…

— Lou…

Il se tait, me fixe quelques secondes. C’est moi qui mets fin à ce duel en le
contournant pour enlever son film du lecteur DVD. Je lui mets entre les
mains avec une force. À l’intérieur de moi, je manque de m’écrouler ou pire
encore, de tomber en miettes.

— Merde ! Tu es la personne la plus difficile à comprendre sur cette


planète.

— Ouais, bah, t’étais prévenu ! Maintenant, dégage.

Il reste là quelques secondes encore, éberlué par la dureté de ma voix. Il


secoue la tête de nouveau, attrape son téléphone qu’il avait posé sur la table
du salon et le fourre dans la poche de son jeans. Il tourne les talons, récupère
son sac et quitte l’appartement.

Je reste au milieu du salon pendant plusieurs minutes, incapable de faire


taire la fureur qui ne cesse de grandir en moi. Je lui en veux tellement qu’il
m’est impossible de me calmer. J’ai rarement eu ce genre de sentiment en
moi. Me sentir perdue, puis envahie par le manque que me laisse son
absence. La déception, ce besoin de le sentir contre ma peau. Cette
dépendance qu’il crée en moi. Je lui en veux. Tellement.

Après plus de vingt minutes à tourner cela dans tous les sens, je n’arrive
toujours pas à mettre de l’ordre dans ce que je ressens. J’étais vraiment en
train de tomber amoureuse de ce mec ?
Je suis une folle dingue.

Cette pensée fait naître en moi de l’angoisse. Je ne peux pas aimer Jarred.
Je ne dois pas. Si je me laisse aller à l’aimer, je vais nous détruire. Ça ne doit
jamais arriver.

Je tourne sur moi-même et cherche des yeux mon téléphone. Je le vois


rapidement sur la table du salon. Je n’ai toujours connu qu’une seule façon de
faire taire ce que je ne comprends pas. Encore une fois, je vais y avoir
recours. Toutefois, c’est la seule fois que ce geste me laisse un goût amer
dans la bouche.

* Peux-tu venir me retrouver ?

Je tape rapidement, puis sans réfléchir, clique sur « envoyer ». Je ne dois


plus réfléchir. Les jambes molles, je m’avance vers le divan pour m’y laisser
choir. Faites qu’il arrive rapidement…
13
Lou
L’attente n’est pas bien longue avant que l’on frappe avec force contre ma
porte. Heureusement pour moi, la personne entre sans que je n’aie à me lever.
Et tant mieux, parce que je ne suis pas sûre que mes jambes puissent me
porter jusque-là. La personne se dirige vers le salon à grands pas. Je
reconnaîtrais sa démarche entre mille ; rapide et pressée. Ses iris bleus me
transpercent l’âme de plein fouet. Je suis tremblante de la tête aux pieds et
suis incapable de bouger.

— Tu as fait vite.

— J’étais dans le coin. Tu as changé d’avis ?

— Je… je sais plus… Tu m’as balancée à Ethan. Il ne veut plus me parler.

— Tu m’as rendu furieux. Tu joues avec moi ! rétorque Tommy.

Si j’en juge à la lueur malicieuse dans ses yeux, il ne semble pas choqué
par le fait que je l’aie appelé. Il en est même excité.

— Tu joues autant que moi…

Je me lève enfin pour m’avancer vers lui, lève la tête pour le regarder. Il
me demande d’une voix rauque et sexy :

— Alors, tu as envie de quoi ?

De Jarred… mais ce con vient de me planter là…

— De toi.

Je murmure, parce que c’est la seule façon d’affronter mon mensonge sans
lui foutre une baffe pour être venu après ce qu’il m’a fait. Contre toute
attente, je pose mes mains sur ses hanches et me colle contre lui.

— Ça tombe bien, c’est ce que je veux moi aussi…

Il se penche vers moi, posant ses lèvres dans mon cou. Je ferme les yeux,
je ne veux pas le voir ni réfléchir. Simplement m’abandonner pour oublier la
boule qui s’est formée en moi depuis le départ de Jarred.

— Baise-moi…

Je ne veux qu’une chose ; me perdre dans le sexe pour ne plus réfléchir ou


voir le regard acier qui me suit partout où je vais.

— Tes désirs sont des ordres, princesse.

Je l’attrape par son t-shirt et le pousse avec force sur le divan ; il s’y laisse
tomber avec un sourire amusé. Sans plus attendre, je prends place à
califourchon sur lui et le déleste de son haut. Je passe mes doigts dans ses
cheveux bruns puis sur son corps musclé. Mes ongles s’enfoncent dans la
chair de ses épaules, laissant échapper de sa bouche un gémissement
d’excitation. Mes lèvres trouvent rapidement les siennes et ses mains entrent
sous mon haut qu’il m’enlève rapidement en poussant un râle animal. Ses
mains emprisonnent mes seins qu’il serre avec puissance. Il change de cible
et se met à torturer mes tétons en les pinçant légèrement.

Quelqu’un frappe doucement à la porte. Je ne peux m’empêcher de pousser


un soupir de soulagement. Pourquoi ? Je ne sais pas trop.

Putain de merde !

Encore une fois, sans attendre mon autorisation, on entre. Je cherche


rapidement mon haut du regard, et ne l’aperçois qu’au dernier moment. Il a
trouvé refuge sous un fauteuil. Des bruits de pas se rapprochent, indiquant
que l’inconnu s’avance vers nous. Un rire s’échappe de la bouche de l’intrus.
Je retourne prestement la tête et vois ce que je redoutais le plus. Deux yeux
gris qui me transpercent d’une déception palpable. Je la ressens jusqu’au plus
profond de mon âme. Il me dévisage, les bras croisés sur son torse. Je n’ai
jamais vu autant d’agacement chez quelqu’un. Pourtant, il ne dit rien. Tout
comme il ne m’accable pas de remords. Il tourne simplement les talons,
toujours sans un mot, et quitte à nouveau mon appartement.

Je m’éjecte des cuisses de Tommy, attrape mon haut et l’enfile le plus


rapidement possible. Je pars à la suite de Jarred comme une dératée. Je
parviens à le rattraper devant l’ascenseur et l’agrippe par le bras pour qu’il
me fasse face.

— Je ne veux pas connaître tes raisons, rugit-il d’une voix blanche.

— Je venais m’excuser.

Je me sens minable, pitoyable, lâche. Je n’ai aucune raison valable à lui


donner et ça me tue de savoir qu’il a vu le pire en moi et que ça l’a déçu. J’ai
bêtement cru qu’il serait là, malgré le peu de temps que nous avons passé
ensemble. Malgré ma maladie et tout le reste. J’ai cru que ce serait différent.
Ça me fait mal d’avoir cru qu’avec lui, ce serait différent. Mais surtout, je
m’en veux de lui faire du mal à lui.

— Sais-tu seulement pourquoi tu t’excuses ?

Oui, je le sais, mais sa question me prend totalement au dépourvu. Bien sûr


que je le sais, lui avouer c’est autre chose. J’en suis incapable.

— Tu as raison, je n’ai pas à m’excuser, aboyé-je me sentant lamentable au


plus haut point.

— Ce n’est pas ce que je t’ai dit, je t’ai demandé si tu savais pourquoi tu


t’excusais.

Encore cette question !

Pourquoi je m’excuse ?

Que veut-il que je lui dise ? La vérité… Il peut bien aller se faire foutre s’il
pense que je vais tout lui avouer.

— Tu peux baiser avec qui tu veux Lou. Par contre, c’est dommage que ce
qui a guidé ce mec dans ton lit soit le fait que j’ai refusé de coucher avec toi.

— Ce n’est pas pour ça.

Encore un mensonge… C’est exactement pour ça !

— Quand tu sauras, fais-moi signe. D’ici là, amuse-toi bien.

Il se détourne, un sourire désolé sur le visage.

— Lou, tu viens ? s’écrie Tommy dans mon dos.

Comme si c’était le moment…

J’aimerais lui demander de partir, demander à Jarred de rester. Cependant,


je ne dis rien et me contente de fixer ce dernier en l’implorant du regard.

— Allez, va t’amuser, ton ami t’attend !

— Ne t’en va pas, le supplié-je.

— Seulement si tu me dis pourquoi tu as fait ça.

Non, non ! Je ne veux pas lui avouer. De toute façon, comment pourrais-je
lui avouer l’inavouable ? Moi, amoureuse ?! Non jamais ! Surtout pas après
seulement quelques heures ici et là en sa compagnie.

— Je… ne sais pas.

— Génial, s’exclame-t-il en appuyant sur le bouton de l’ascenseur.

Comble de la malchance, les portes s’ouvrent presque immédiatement.

— À la prochaine Lou.
Un sourire mi-amusé mi-déçu apparaît sur son visage alors qu’il s’avance
dans la petite cabine. Un tourbillon d’émotions fait rage en moi. De la colère,
mais contre qui ? Je ne saurais le dire. Probablement contre moi.

Je m’avance vers la porte d’ascenseur et y balance un coup de pied. Certes,


ça ne m’avance à rien, mais surtout ça ne me défoule pas. Je tourne les talons,
fuyant l’envie de descendre l’escalier au pas de course et de le rattraper. À la
place, je me dirige d’un pas décidé vers Tommy.

— C’est qui ce mec ? demande-t-il dans un froncement de sourcil.

— Personne, marmonné-je.

Je continue mon ascension vers lui avec la ferme intention de le foutre à la


porte. Cependant, je stoppe à quelques centimètres de lui et le pousse jusqu’à
l’intérieur de chez moi en m’accrochant à son t-shirt. Lui, à mes hanches.

La porte claque vivement derrière nous, le bruit est aussi sourd que la
dernière fois que nous avons été dans cette situation. Néanmoins, il est
également révélateur. Mes yeux s’écarquillent, j’ouvre la bouche tellement je
suis stupéfaite par ce que je suis en train de faire. L’espace d’une seconde,
j’ai un élan de lucidité assez vif pour le repousser. Il me toise, l’œil mauvais.
Je peux constater qu’il ne va pas partir en douceur encore une fois.

— Tommy…

— Quoi encore ?! beugle-t-il.

Probablement sait-il déjà ce que je vais lui dire.

— Je ne peux pas faire ça.

— Laisse-moi rire !

Sa voix est d’une méchanceté qui m’atteint en plein cœur. Je sens des
larmes envahir mes yeux. Si dans ma maladie, mes émotions sont toujours en
dents de scie, je ne pleure jamais. Pleurer, c’est pour les faibles. J’en ai
souvent envie, certes, mais je me laisse rarement aller.

— S’il te plaît, casse-toi…

Mon regard fuit le sien. Ma vie m’échappant encore une fois. Pourtant,
cette fois, je ne suis pas en train d’éclater ma voiture contre un parapet. Je
suis simplement en train de perdre pied dans cette chose que je trouve
horrible. Cette chose appelée l’amour.

— Tu te fous de moi encore une fois.

— Non, tu sais bien que ce n’est pas ça.

— Alors, explique-moi ! Tu veux baiser ou pas ? Si tu n’en as pas sûre, ne


me rappelle plus jamais, hurle-t-il.

— Je t’en prie, Tommy.

Je tends la main vers lui, mais il me repousse avec violence. Je ferme les
yeux et tente de respirer longuement. Sa voix claque de nouveau dans ma tête
lorsqu’il ajoute :

— Ne me supplie pas en plus de tout ça. Tu ne vas pas bien, tu devrais


penser à te faire soigner.

Sa réplique me va directement au cœur, alors je m’effondre sur le sol et


pleure toutes les larmes de mon corps. Lui ne se soucie guère de moi. Il
tourne les talons et quitte mon appartement en claquant la porte.

Sa réplique tourne en boucle dans ma tête.

« Va te faire soigner… Va te faire soigner… »

Le regard de Jarred sur moi lorsqu’il est entré dans l’ascenseur me tue. Je
me sens perdue. De grosses larmes glissent de mes paupières pour sillonner
mes joues. J’attrape mon téléphone sur la table basse du salon et compose
instinctivement le numéro d’Ethan.
— Que veux-tu Lou ?

— Je… j’ai… besoin de toi, murmuré-je.

Je n’arrive plus à me contrôler, mes pleurs augmentent en intensité. Mon


corps est secoué de spasmes.

— Que se passe-t-il ?

— C’est Tommy, il m’a dit d’aller me faire soigner.

Un long soupir se fait entendre dans le combiné.

— Tu ne crois pas qu’il a raison par hasard ?

— Toi, t’as pas le droit de dire ce genre de chose.

— Lou ! J’en ai marre de toujours ramasser les pots cassés et de n’avoir


aucune considération.

— Je… je… Que veux-tu de moi Ethan ?

— Toi seule le sais. Cependant, ne m’en veux pas si ce que tu désires ne


me convient pas.

— Que veux-tu dire ?

— Que je ne serai plus là pour toi désormais.

Je ne prends même pas la peine de répondre et raccroche. La terre s’ouvre


sous mes pieds. La pièce se met à tourner tant l’émotion qui m’assaille est
forte. Ne pouvant en supporter davantage, je m’étends à même le carrelage du
salon. Je ne pleure plus, je suis juste totalement et irrémédiablement
assommée par la nouvelle.

Ethan… celui qui ne m’a jamais jugée. Celui qui sait tout de moi ou
presque, ne veut plus de moi dans sa vie, je ne peux plus compter sur lui…
J’ai fini par mettre fin à notre amitié de la pire façon qui soit. Je lui ai fait mal
pour des parties de jambes en l’air qui n’étaient pas très libératrices… Il me
méprise, tout comme Tommy et maintenant Jarred qui vient de voir ce qu’il y
a de pire en moi…

Ma vie se résume à quoi maintenant ? Rien. Le néant total. Je n’ai plus


rien…

Triste et pathétique Lou. T’es plus rien !

Des voix s’installent dans ma tête murmurant des tonnes de mauvaises


choses. Incapable de leur faire face, je sombre dans une folie que je ne peux
contrôler. Je ne suis plus que l’ombre de moi-même. Je veux dormir… je dois
dormir… Oui… Dormir est la solution…

Mes cachets… mes somnifères… Où sont-ils ?

Je dois les trouver.

La cuisine… Ils sont dans la cuisine…

Je vais pouvoir dormir ensuite…

Longtemps… profondément…

Je me redresse d’un bond, mais je n’ai plus aucune énergie. Mes jambes
toujours flageolantes, je me dirige vers la cuisine et ouvre l’armoire. Ma main
tremble tellement que je lâche le flacon contenant mes précieux
médicaments.

Putain de merde ! C’est pas possible !

Je me penche pour ramasser le flacon, mes jambes ne me supportent


presque plus. Je m’effondre sur le plancher une nouvelle fois, serrant la
bouteille de somnifères dans ma main. Je me relève du mieux que je peux
pour ouvrir la porte du frigo. J’attrape une bouteille de vodka et reprends la
position que j’avais au salon il y a quelques minutes. Je reste ainsi un long
moment, sans bouger, simplement à laisser le mal qui m’habite grandir. Il me
tue tranquillement de l’intérieur. Même lorsque Dustin a commencé à faire
des choses inconcevables avec moi, je n’ai jamais ressenti ce genre de
douleur.

En transe avec mes souvenirs, je laisse le temps filer, sans avoir conscience
de la durée. Les secondes semblent décuplées. Elles me font mal et me
brûlent de l’intérieur.

Comment stopper cette brûlure ?

Je me redresse en position assise, le dos contre les armoires. Je prends la


bouteille d’alcool dans ma main et l’ouvre. Je pose le goulot contre mes
lèvres. La forte odeur qui s’en dégage suffit à me brûler la gorge. Je n’ai
qu’une envie, qu’un seul besoin ; faire taire cette douleur en moi. J’ai besoin
de me sentir vivante. J’en avale plusieurs longues gorgées, mais ça ne fait pas
taire mon mal. Ça ne me redonne pas envie de vivre…

Je ne sais pas comment y parvenir…

Je ferme les yeux et avale quelques longues gorgées de ce liquide incolore


qui me brûle la gorge et l’estomac. La fiole contenant les cachets me fait mal
à la main tant je la serre fort. Je la laisse tomber mollement sur le sol et la
fixe de longues minutes. Je bois de nouveau à même la bouteille de vodka. Le
liquide qui descend dans ma gorge me brûle de moins en moins, mais
n’apaise en rien la douleur qui rugit dans ma tête.

Il y a qu’un moyen d’arriver à faire taire tout le mal que j’ai en moi…

J’attrape le flacon qui repose sur le sol entre mes jambes et l’ouvre. Je
laisse tomber toutes les pilules roses dans le creux de ma main. Le bruit
qu’elles font en s’entrechoquant me fait sourire. J’en prends une dizaine et
replace les autres dans la bouteille. Sans réfléchir, je les mets dans ma bouche
et les avale avec une grande lampée de vodka. Je m’adosse aux armoires
derrière moi.

Ça y est… Je me laisse sombrer… Je vais enfin pouvoir dormir et ne plus


souffrir…
14
Jarred
Le mot déception n’est pas assez fort pour décrire ce que je ressens face à
la scène qui se déroule sous mes yeux. Lou est assise sur les cuisses d’un
homme, seins nus, alors que lui s’accroche à ses hanches comme un
désespéré à son rail de coke. Un rire s’échappe de ma bouche sans que je ne
puisse le retenir. Elle tourne la tête vers moi, ses cheveux virevoltent dans
tous les sens, fouettant au passage le visage du connard sur lequel elle est
assise. Ses yeux s’écarquillent d’horreur en me voyant. Nous nous toisons
pendant quelques secondes. Des secondes qui me semblent plus longues que
l’éternité. Puis, je tourne les talons sans un mot et quitte cet appartement, ne
prenant même pas la peine de fermer la porte derrière moi. D’un pas rapide,
je me dirige vers l’ascenseur. Quelle n’est pas ma surprise de la sentir dans
mon dos et m’agripper le bras. Ce geste renforce ma colère. Ma stupéfaction.
Ma déception.

— Je ne veux pas connaître tes raisons…

— Je venais m’excuser.

Ben tiens…

— Sais-tu seulement pourquoi tu t’excuses ?

— Tu as raison, je n’ai pas à m’excuser, aboie-t-elle.

— Ce n’est pas ce que je t’ai dit, je t’ai demandé si tu savais pourquoi tu


t’excusais.

Ses yeux cherchent en moi quelque chose, une réponse peut-être ? Ça


m’agace. Elle ne comprend pas ma fureur. En fait, moi non plus. Je pousse un
soupir avant, à mon tour, de poser mon regard dans le sien. Ses pupilles
couleur noisette brillent de peur. Cependant, je n’arrive pas à comprendre
pourquoi. Pourquoi elle a peur ?

— Tu peux baiser avec qui tu veux Lou. C’est dommage que ce qui a
guidé ce mec dans ton lit soit le fait que j’ai refusé de coucher avec toi.

— Ce n’est pas pour ça.

J’ai la curieuse impression qu’elle me ment.

— Quand tu sauras, fais-moi signe. D’ici là, amuse-toi.

Son regard se voile, comme si elle avait envie de me demander de ne pas


partir. Si elle le faisait, je resterais. J’ai envie qu’elle le fasse. Je détourne la
tête avec un petit sourire qui pourrait l’inciter à le faire. Je crois qu’elle ne
s’en aperçoit pas, mais elle lève la main vers moi.

— Lou, tu viens ? gueule l’autre mec.

Sa main retombe contre sa cuisse. Jamais elle ne le regarde, elle visse son
regard dans le mien avec intensité. Je décide de pousser un peu, voir si elle
flanchera.

— Allez va t’amuser, ton ami t’attend !

— Ne t’en va pas…

Elle me supplie, mais je n’ai pas l’impression que la partie est gagnée pour
autant.

— Seulement si tu me dis pourquoi tu as fait ça.

— Je… ne sais pas.

Elle ne semble pas prête à s’ouvrir à moi.

Cette pensée me désole. Bizarrement, j’aurais aimé qu’elle le veuille,


qu’elle se lance autant que je suis prêt à le faire dans cette relation. C’est
donc plus que déçu que j’appuie sur le bouton de l’ascenseur en lançant :

— Génial. À la prochaine Lou.

C’est le silence total et pesant lorsque j’entre dans l’habitacle, la laissant


ainsi devant les portes. Ça me serre le cœur de la voir comme ça, déchirée par
je ne sais pas quoi. J’aimerais l’aider, mais je ne sais plus comment. Entre les
nombreux arrêts pour laisser entrer des gens, le trajet jusqu’en bas me paraît
une éternité et je commence à suffoquer. Je déteste me sentir enfermé dans un
endroit exigu, mais en ce moment, c’est encore pire. Rapidement, nous
sommes une dizaine, dont deux amies qui me matent sans vergogne, deux
parents et leurs deux enfants en train de se chamailler, une petite vieille qui
ne dit rien et reste dans son coin et enfin un couple échangeant beaucoup trop
de salive à mon goût. Je manque cruellement d’air et m’en veux de ne pas
avoir pris les escaliers.

Lorsque les portes s’ouvrent enfin, je dois me faire violence pour ne pas
bouler le petit groupe que nous sommes pour sortir le premier. Je laisse tout
le monde sortir et lorsque mon tour vient, je fonce vers la sortie à grands pas.
L’air chaud et lourd de Miami m’étouffe et n’a aucun effet bienfaiteur sur
moi. Je m’adosse au mur à côté de la porte. Soudainement, je me sens perdu.
Je cherche ma voiture du regard et ne la trouve nulle part. Je souffle
longuement. J’ai le sentiment de revivre ce que j’ai vécu avec Sidney et je
n’aime pas ça. Cependant, je ne peux m’empêcher de m’inquiéter pour Lou.

Je ne sais pas combien de temps je reste là à ressasser le passé et à penser à


ce que j’aurais bien pu faire pour sauver Sidney. La porte claque juste à côté
de moi, me ramenant à la réalité et le mec qui était à l’appartement sort
comme une furie. Il émane de lui tellement de colère que ça en est presque
risible. Il tourne la tête vers moi et un sourire narquois apparaît sur son visage
lorsqu’il me voit.

— Pourquoi tu me regardes ? me demande-t-il.

Vraiment ? Il a quel âge ce gros con ?

— T’attendais que je termine de baiser Lou pour monter la voir ?


— T’as fait ça vite, dis donc !

— Ne t’approche pas d’elle, me menace-t-il.

— Ah ouais ! Sinon quoi ?

Il rigole comme le connard qu’il est et s’avance encore vers moi. Je n’ai
pas peur de lui, mais je dois admettre que je ne suis pas le plus bagarreur qui
soit et ce mec dégage un truc pas net.

— Lou est à moi, rugit-il.

— Et elle le sait ?

— Tu me prends pour un con ou quoi ?

— Non ! Mais je ne me dis que si elle vient vers moi de la sorte, c’est que
ça ne doit pas être très sérieux entre vous. Et à moins que tu arrives à te
défroquer et à la baiser en moins de cinq minutes, t’es vraiment un rapide,
pour ne dire que ce mot-là.

— T’es vraiment un petit merdeux toi !

Il serre les poings et fait un pas de plus vers moi. Au même moment, son
téléphone se met à sonner. Il le prend dans la poche de son jeans sans me
quitter du regard et baisse les yeux vers l’écran de son téléphone.

— T’es vraiment chanceux toi !

Il tourne les talons sans plus attendre et fout le camp. Je le vois grimper
dans une voiture jaune avec des jantes en acier chromé et un aileron arrière.

Une vraie voiture de connard !

S’il a agi ainsi avec moi, pourquoi ne l’aurait-il pas fait avec Lou ? Et si
elle était mal en point ? J’ouvre la porte et retourne à l’intérieur. Je grimpe à
nouveau dans l’ascenseur. La nervosité me gagne. De nouveau, le trajet me
semble interminable. Une fois arrivé au 19e étage, j’ai un sentiment de déjà-
vu. Une boule se forme dans mon ventre et ne fait que grossir à mesure que
j’avance.

Je cours jusqu’à la porte de l’appartement de Lou et frappe de toutes mes


forces. Je patiente en vain, elle ne m’ouvre pas. Je frappe de nouveau.

— Lou ? Lou ? Ouvre-moi !

Toujours aucune réponse. Je frappe encore, à m’en faire mal aux poings.
Mes mains tremblent. Je me retrouve dans la même situation qu’il y a
presque dix ans.

— Lou ! Lou ! T’es là ?

Je hurle à pleins poumons à travers la porte. Je n’arrive plus à penser. Mon


téléphone vibre dans ma poche. Dans un éclair de lucidité, je me rappelle
avoir entré dans mes contacts le numéro de l’agent de Lou. Je refuse l’appel
de ma sœur, cherche rapidement Adam Hart dans ma liste de contacts puis
l’appelle. Il répond à la troisième sonnerie. Trois sonneries interminables.

— Hello ?

— Adam ! C’est Jarred Dwyer…

— Oui, l’associé de Jamie Michelle, c’est ça ?

— Je suis devant l’appartement de Lou et elle ne me répond pas.

— Tu sembles bien l’apprécier, mais ne t’en fais pas. Ça lui arrive parfois
de ne vouloir voir personne.

— Non, c’est pas ça ! Elle voulait me voir ! Écoute, je n’ai pas le temps de
tout te raconter, mais y a un moyen d’entrer dans son appartement ?

— J’ai le double de ses clés, mais tu me fais peur, Jarred.

— Tu peux venir me trouver chez elle ? Je te raconterai tout.


— OK. Je suis dans le quartier, j’arrive dans quelques minutes…

Je raccroche et tape de nouveau contre la porte. La dame qui habite sur le


même palier ouvre sa porte et s’avance vers moi.

— Il se passe quoi ici ? demande-t-elle.

— Lou ne m’ouvre pas la porte.

— T’es pas le premier type qu’elle fait poireauter ainsi.

— Non ! Vous avez tout faux, ce n’est pas ça. Je suis inquiet pour elle.

— J’aime bien Lou ! Parfois, elle cache un double de sa clé sous le gros
palmier.

Elle me pointe une grosse plante dans un vase de couleur or. Je cours vers
lui en priant pour qu’elle l’ait laissée là. J’attrape le tronc de l’arbre et le
soulève du sol. J’y aperçois la fameuse clé. Je la prends et sans plus attendre,
me dirige vers la porte pour la déverrouiller.

Comme une fusée, j’entre chez elle au pas de course. Je n’ai pas besoin de
faire le tour de l’appartement pour la trouver, étendue sur le sol, une bouteille
de vodka à la main. Le contenu de la bouteille s’est rependu autour d’elle et a
imbibé ses vêtements. Je m’agenouille devant elle et tente de prendre son
pouls. J’y parviens à peine tant il est faible.

— Jarred ? Lou ! Qu’est-ce qu’elle a ? s’écrie Adam.

— Appelle une ambulance, hurlé-je.

Je prends Lou dans mes bras et lui tapote le visage, mais rien n’y fait. Elle
n’a aucune réaction. Pendant que Adam parle au téléphone avec la
standardiste du 911, la voisine m’apporte une serviette humide et je lui tapote
le visage avec. Encore là, c’est une vaine tentative. Elle ne bouge pas. Son
corps reste inerte dans mes bras.

— Elle a pris quoi ? demande Adam.


Je regarde autour d’elle et aperçois dans sa main le flacon de somnifères.

— Vodka et somnifères, dis-je la gorge nouée.

Je me rappelle des paroles que je lui ai dites il y a quelques heures.

« Un soir, tu avaleras plus que deux somnifères et tu boiras plus que


quelques verres, et peut-être que ta douleur disparaîtra, mais tu partiras avec
elle. »

Et si ce fameux soir, c’était maintenant ? Jamais je ne pourrai me


pardonner ce qu’il vient de se produire. D’une main tremblante, j’ouvre la
bouteille de pilules et vérifie le contenu.

Elle semble en avoir avalé un tas. Bon sang !

— Adam ! Je crois qu’elle en a pris une dizaine.

Il étouffe un juron avant de passer l’information à la standardiste. Elle


commence à convulser, j’ai à peine le temps de lui tourner la tête sur le côté
que déjà elle se met à vomir. C’est idiot, mais ce sera probablement ce détail
qui va la sauver.

Les ambulanciers entrent dans l’appartement et se dirigent vers Lou


pendant que la voisine s’éclipse sans faire de bruit. Ils nous posent plusieurs
questions auxquelles je réponds dans un état second. Lou était là, dans mes
bras, comme Sidney l’a été il y a dix ans. Sauf que Sidney est décédée. Elle
n’est plus là. Lou a ce même mal de vivre en elle. Les ambulanciers
l’embarquent sur la civière et avant que je n’aie le temps de reprendre ma
respiration, ils l’emmènent.

Adam se tourne vers moi.

— Merci Jarred. Tu veux venir avec moi à l’hôpital ?

— Non, mais tiens-moi au courant de l’évolution de son état.

— D’accord, merci pour tout encore une fois. Si jamais je peux faire
quelque chose pour toi, fais-moi signe.

— Je n’ai qu’une chose à te demander. Ne lui dis pas que c’est moi qui l’ai
trouvée.

— Pourquoi ?

— Parce que si elle sait que c’est moi, elle ne voudra plus me parler.

Adam semble réfléchir un moment puis acquiesce avec un petit sourire.

— Va la retrouver, moi je vais nettoyer et verrouiller en sortant.

Il quitte l’appartement pour aller s’occuper de ma belle. Mes yeux tombent


sur la flaque de vomi et de vodka. L’odeur qui s’en dégage est écœurante et
me file la nausée. Je me dirige vers les portes-fenêtres et les ouvre. En
revenant vers la cuisine, je vois sur le CD de Social Distortion que je lui ai
offert. J’ouvre son PC et le mets dedans. Les premières notes m’apaisent et
me font du bien. Je pousse le volume au maximum, cherche une serpillière et
des trucs pour nettoyer les dégâts. Je dois ouvrir plusieurs placards avant de
tomber sur les produits ménagers.

Je m’acharne à nettoyer la tache, en évitant de respirer. Une fois le travail


accompli, je nettoie la serpillière et mets les serviettes dans la machine à laver
avant de la mettre en marche. Je n’ai pas envie qu’elle ait à nettoyer à son
retour.

Je me dirige vers la terrasse. La vue sur Miami est impressionnante. On


voit même jusqu’à la plage. Si j’habitais là, je serais toujours ici. Ça ferait des
photos fantastiques. Je m’assieds sur une des deux chaises et contemple la
vue jusqu’à ce que mon téléphone sonne.

— Allô ?

— Bonsoir Jarred, c’est Adam.

— As-tu des nouvelles de Lou ?


— Elle est toujours endormie, mais elle est hors de danger.

— Merci de me donner de ses nouvelles.

— Les médecins disent que si tu n’étais pas intervenu, elle serait morte à
l’heure qu’il est.

Cette simple phrase me rend nerveux. Je tremble de tout mon être. Être
avec Lou signifie revivre continuellement mon passé. Ça, je ne pourrai pas le
supporter.

— Merci Adam.

— Je te rappelle lorsqu’elle se réveille.

Je mets fin à la conversation et retourne à l’intérieur. Je ferme les portes-


fenêtres et m’assure que tout est OK avant de verrouiller la porte d’entrée et
de quitter l’appartement.

Une fois dans ma voiture, je compose le numéro de Jamie pour lui


expliquer la situation.

— Allô Jarred, ça va ?

— Lou est hospitalisée…

— Comment ça ?

— Elle a mélangé vodka et somnifères…

— Merde ! Elle va bien ?

— Elle est dans un état stable d’après Adam Hart.

— Et toi, comment vas-tu ?

— Je ne sais pas, je crois que je vais devoir prendre mes distances avec
elle.
— Fais ce qu’il y a de mieux pour toi, Jarred.

— J’en suis tout retourné. Je n’arrive même plus à réfléchir.

— Prends quelques jours pour toi. Tu sais, nous pouvons prendre


quelqu’un d’autre pour devenir l’égérie de la collection.

— Non, ne lui enlevons pas ça ! Je présume que beaucoup de gens vont


encore la laisser tomber.

— J’étais persuadée que tu dirais ça.

— Je te laisse, je suis en voiture. Je passe te voir demain.

— À demain alors.

Je raccroche et mets ma caisse en marche pour retourner chez moi. Le


trajet vers la maison est difficile, je n’ai que l’image du corps inerte de Lou
en tête.

Bon sang ! Je dois me ressaisir…

Une fois à la maison, je n’ai qu’une envie : dormir pour oublier…


15
Lou
Ma tête me lance douloureusement. J’ai l’impression d’avoir le cœur au
bord des lèvres tellement j’ai envie de vomir. Mes paupières sont aussi
lourdes que trente tonnes de briques. Tout mon corps est endolori, j’essaie de
bouger, mais mes muscles ne veulent pas coopérer. Lorsque je parviens à
ouvrir les yeux, la blancheur de la pièce me brûle la rétine. Je les referme
aussitôt. J’ai l’impression d’être de retour dans le passé, ou plutôt en enfer.

Pourtant, l’enfer est supposé être chaud, alors que là, je suis frigorifiée…

J’ouvre de nouveau les yeux. Cette fois, la brûlure est moins forte, moins
intense, moins percutante. Je tousse, ma gorge est douloureuse. Je ne
comprends pas pourquoi.

— Lou ? Ça va ? T’es réveillée maintenant ?

Ethan ?! C’est vraiment lui ?

— Je…

La gorge me brûle de plus en plus, comme si elle n’avait qu’un but précis :
se fendre en deux. La douleur est insupportable et me fait gémir.

— Ne bouge pas.

Je ne comprends pas ce que je fais ici. C’est un peu irréel comme


sensation. Ça me donne l’impression de revivre une scène peu glorieuse de
mon passé. Je veux dormir encore.

— Je fais quoi ici ? Pourquoi je suis à l’hôpital ?


Il me regarde avec ce même putain de regard que lorsque j’ai joliment
encastré ma caisse dans le parapet.

Bon sang ! Ai-je vraiment voulu mourir une nouvelle fois ?

Mes pensées sont floues, légèrement insensées. Non, je ne voulais que


dormir. Oui, c’est ça, je voulais dormir, ne plus réfléchir. Les souvenirs me
reviennent en mémoire tranquillement. Jarred… Tommy… Ethan…

J’étouffe un cri d’horreur, ma trachée est en feu et irritée. Un goût de


charbon semble s’être logé au fond de mon estomac. Un sentiment soudain de
honte me terrasse. Cette réalité que j’ai devant moi est réelle, trop réelle
même. Elle me tue.

Voulais-je vraiment seulement dormir ?

Les paroles de Jarred me reviennent en mémoire : « Un soir, tu avaleras


plus que deux somnifères et tu boiras plus que quelques verres, et peut-être
que ta douleur disparaîtra, mais tu partiras avec elle ».

Mon cœur se serre, il a vu le plus horrible en moi et n’a pas pu l’accepter.


Pourtant, je ne peux que le comprendre. C’est difficile de me l’avouer, mais à
sa place, j’aurais fait la même chose.

Ethan revient avec le médecin, coupant court à mes pensées. J’ai du mal à
les regarder tant la honte m’accable. Un homme d’une quarantaine d’années
avec une chevelure presque blanche s’assied sur mon lit et me fixe. J’ai déjà
vu cette étincelle qui brille dans ses yeux. Il a pitié de moi, je déteste que l’on
ait pitié de moi. C’est un sentiment qui me répugne.

— Bonjour Louann. Comment allez-vous ?

Je hausse les épaules, persuadée que si je me mure dans le silence absolu,


il me fichera la paix. Je n’ai pas envie de lui répondre ni de lui faire la
conversation. De nouveau, je veux dormir. Je ne veux plus voir la réalité. J’en
suis incapable.
— Savez-vous ce qu’il vous est arrivé ? continue-t-il sans se laisser
démonter par mon indifférence.

Nouveau haussement d’épaules.

— Votre manager vous a trouvée inconsciente dans votre appartement.


Vous avez bu de l’alcool et avez avalé des cachets pour dormir. Ce qui n’a
pas fait un bon mélange.

Bravo ! Je ne savais pas…

Je détourne le regard. Je me sens nauséeuse, je sais très bien ce qu’il va se


passer. Mon dossier va passer du docteur au psychiatre et enfin au
psychologue. Jusqu’à ce que l’un d’entre eux abandonne et me renvoie à la
maison en échange de mes bonnes résolutions.

Quelles vont être mes bonnes résolutions cette fois ?

Ne plus m’approcher de l’alcool ?

Des médocs ?

Du sexe ?

De Jarred ?

Je peux très bien vivre sans médocs, sans alcool ou même sans sexe, mais
pour y parvenir, j’aurai besoin de lui. Je me doute bien que ce qu’il a vu l’a
dégoûté au point de ne plus vouloir quoi que ce soit avec moi. Pourquoi j’ai
réagi ainsi ? Pourquoi chaque fois qu’il arrive un truc, je me sens trahie ?
Pourquoi ai-je cette drôle d’impression d’être folle, de ne jamais être
complètement moi ? Je comprends mieux maintenant mon envie de dormir.

— Vous ne voulez pas me parler Lou ?

— Non, je n’ai pas envie de vous parler.

— Je peux vous aider, mais vous devez y mettre du vôtre.


— Non, je ne veux pas y mettre du mien ! Non, je ne veux pas de ton aide !

— Je peux vous poser une seule et unique question avant de vous laisser
tranquille ?

Je hausse les épaules. J’ai envie de lui hurler : JE M’EN FOUS !

— Je sais ce qu’il s’est passé dans votre tête quand c’est arrivé. La chose
que je me demande, c’est pourquoi une jeune femme telle que vous a peur de
guérir ?

Je visse mon regard dans le sien. Ses mots entrent en moi et se répercutent
dans ma tête.

« Peur de guérir. »

Peur de ne plus être moi-même.

Peur de ne plus être la victime.

Peur de guérir.

Peur d’être folle…

Et si ça finissait par me tuer…

Je lâche son regard et me cale un peu plus dans les oreillers.

— J’ai froid, dis-je en regardant Ethan.

— Une infirmière vous apportera une autre couverture, annonce le


médecin.

Il quitte ma chambre sans rien dire de plus, me laissant là, seule face au
regard inquiet d’Ethan. Finalement, je crois que je préférais quand le médecin
était présent. Maintenant, je vais devoir faire la conversation avec Ethan et ça
ne me dit rien qui vaille.
— Lou, pourquoi ?

Je détourne le regard et ferme les yeux. Il sait bien que je ne vais pas
dormir, mais je ne peux pas supporter son regard inquisiteur sur moi. Il va me
poser trop de questions et y répondre, ça va me tuer.

— Ce n’est pas ce que tu voulais, hein ?

Non. Je ne sais plus… Je voulais juste dormir. Endormir mon mal ! Ma


peine ! Ma honte ! Mon problème !

Comme je ne réponds pas à ses questions, il finit par annoncer :

— Je vais passer un coup de fil.

J’ouvre les yeux et le regarde sortir de la chambre. Je n’ai pas envie d’être
ici. Je me sens sale et monstrueuse. Je m’assieds dans mon lit lorsqu’un autre
médecin entre dans la chambre.

À tous les coups, celui-là est un psychologue.

— Bonjour, Louann, je suis le docteur Andrews. Je suis psychiatre.

Bah merde, il a la dégaine d’un psy !

— Ça te dit qu’on discute un moment ?

Je hausse les épaules.

— Mon collègue m’a dit que tu ne voulais pas nous parler. Moi, j’aimerais
essayer de discuter avec toi. Qu’en dis-tu ?

Je ne réponds pas, mais le fixe.

— On va t’accabler de questions dans les heures et les jours à venir. Il y


aura beaucoup de « pourquoi ». Cependant, je ne vais en avoir qu’une.

Il ne me quitte pas des yeux. Celui-ci me semble un peu trop perspicace à


mon goût. Il ne lâchera pas l’affaire aussi facilement.

— Tu me laisses te poser ma question ?

Je hausse de nouveau des épaules.

— Tu sais Louann, parler dans le vide n’est pas une méthode que j’aime
employer. Tu me laisses te poser la question ou pas ? Si tu ne veux pas, je
m’en vais, mais tu ne seras pas prête de partir d’ici. Je ne fonctionne pas
ainsi, tant que je vais avoir un doute, tu resteras ici.

— Vas-y, pose-la ta foutue question, râlé-je, tandis que ma gorge me fait


souffrir.

— Quel a été l’élément déclencheur ?

— Je peux avoir de l’eau ? demandé-je sans porter attention à sa question.

Il se lève et me remplit un verre qu’il me tend. Puis il se rassied à la même


place et attend patiemment que je termine de boire.

— Alors, quel a été l’élément déclencheur ? répète-t-il.

— Je sais pas.

— Une perte de contrôle ? Un sentiment d’abandon ? De rejet ? Une


détresse ? Il s’est passé quoi dans ta tête quand tu as eu le déclic de prendre
ces cachets ? me demande le psy.

Si je lui réponds, va-t-il me prendre pour une folle ? Ma débandade avec


Jarred, le fait qu’il quitte mon appartement ainsi après m’avoir fait sentir
spéciale m’a amené un sentiment de rejet. Est venue ensuite la perte de
contrôle, j’ai dû appeler Tommy pour pallier ça. Quand Jarred a quitté mon
appartement la seconde fois, je me suis sentie abandonnée, désespérée. Puis
Ethan m’a repoussée, il m’a abandonnée pour de bon…

Ma gorge se serre tant j’ai honte de ce que j’ai fait, tant j’ai honte d’avoir
ce genre de sentiments. Ce n’est pas normal de ne pas pouvoir se contrôler.
— J’ai eu envie de dormir…, abdiqué-je devant son regard inquisiteur.

— Pourquoi ?

— Pour ne plus ressentir la honte de ce que j’ai fait.

— Qu’as-tu fait, Lou ?

Il profite du fait que je commence à m’ouvrir à lui alors qu’il m’avait dit
qu’il ne me poserait qu’une seule question. Il m’a menti…

— Je ne veux pas en parler, dis-je fermement.

— Comment se déroule ta maladie ?

— Mon trouble de la personnalité limite ? Je ne comprends pas bien la


question. Si je suis ici, c’est que ça ne fonctionne pas, je crois.

Alors que je donne cette réponse, Ethan entre dans la chambre, suivi de
mon agent, son visage est fermé. Je n’arrive pas à voir s’il est inquiet ou bien
en colère, mais je sais une chose : ça va chauffer, il ne me fera aucun cadeau.
Le psychiatre me sourit et m’annonce qu’il va me laisser avec mes amis, mais
qu’il reviendra me voir avant de terminer son service.

Putain, j’aimerais bien mieux qu’il reste pour discuter plutôt que
d’affronter ces deux-là.

— J’aimerais rester seul avec Lou, ordonne Adam, en mettant Ethan à la


porte.

Il s’avance vers moi et s’assied sur le lit, au même endroit où le médecin


était quelques instants plus tôt.

— Il s’est passé quoi ? me questionne-t-il avec une voix douce.

— Je n’ai pas été capable de gérer le surplus d’émotions.

— Lou, l’agence ne veut plus te représenter. Un communiqué de presse


sortira dans la journée pour expliquer ce qu’il t’arrive. Cette fois, je ne peux
plus rien pour toi. Je suis désolé.

— Adam ! Ils me lâchent tous, mais pas toi ! Je t’en supplie.

— J’ai tout essayé pour les faire revenir sur leur décision.

— D’accord…

Je dois me résigner, ma vie tout entière vole en éclats. Je ne sais plus


comment faire pour retrouver un semblant de lucidité. En suis-je vraiment
là ? Seule et triste dans une vie qui ne me plaît guère.

Encore une fois, tu ne peux t’en prendre qu’à toi-même…

— Je suis désolée.

— Cesse de t’excuser. J’ai quand même réussi à te garder le contrat avec


Jamie Michelle.

— Elle ne voudra plus de moi elle non plus.

— Appelle-la et explique-lui la situation.

Il dépose une enveloppe en papier kraft sur le lit.

— J’ai pu te sauver ce contrat, mais tu vas vraiment devoir te ressaisir. Elle


est la seule chance qu’il te reste. Elle a vu un truc en toi, ne la déçois pas…

— Comment ? Comment je peux y arriver ?

— Je ne sais plus. Je ne peux plus rien faire pour toi.

— Ne m’abandonne pas. Toi, tu ne peux pas le faire. Les autres, c’est


normal s’ils partent, mais pas toi, murmuré-je tristement.

— Je vais rester ton ami, mais je ne serai plus ton agent.


Je sens le sang affluer à mon visage qui doit être en train de prendre une
couleur rouge.

— Ne te fâche pas contre moi. J’ai fait mon possible, mais pour l’instant,
je ne peux plus. Tu ne peux pas m’en vouloir. J’ai les mains liées.

— Tu n’es pas supposé être là pour me sauver les fesses quand ça ne va


pas ?

— Tu sais bien que ça va plus loin que ça. L’agence ne peut plus prendre
ce genre de risque. Je suis désolé.

Je tourne la tête pour ne plus le regarder.

— À la prochaine Lou…

Je ne réponds pas et me contente de bouder. Une fois qu’il est parti,


j’attrape mes couvertures et me cache dessous. J’ai besoin d’être seule, je ne
peux supporter la présence de quiconque en ce moment.

Les réjouissances sont de courte durée, car j’entends quelqu’un entrer dans
la pièce, mais je ne bouge pas. J’attends que la personne reparte comme elle
est arrivée, mais elle semble obstinée. C’est sûrement Ethan. Lorsqu’il se
racle la gorge, j’en ai la confirmation. Je sors un œil de la couverture.

— Arrête de faire l’enfant Lou !

— Adam vient de me laisser tomber, avoué-je la gorge nouée par


l’émotion, le stress et l’envie de pleurer.

Cesse tes gamineries, pleurer c’est pour les faibles…

— Ah oui, comment ça ?

— L’agence ne veut plus de moi, je suis un cas trop difficile à gérer.

— Tu ne peux pas dire que tu es la simplicité incarnée.


— Va te faire voir Ethan, craqué-je, déversant ma colère soudaine sur lui.

— Tu te rends compte que je suis ici à te supporter malgré tout ?

— Excuse-moi.

— Va vraiment falloir que tu te réveilles avant de tout perdre.

— Je n’ai plus rien…

— Parce que tu le veux bien. Je ne vais pas te plaindre. Je l’ai trop souvent
fait par le passé, tranche-t-il avec froideur.

— J’en peux plus.

— Tu sais ce qu’il te reste à faire.

Il se lève et me quitte. Il part, comme tous les autres. Il me laisse seule.

Seule…

Seule avec moi-même et ma folie…

Je le hais…
16
Jarred
Je stationne ma voiture sur le parking du Jackson Memorial Hospital. Je
suis venu dans le but de voir Lou, mais je ne suis pas certain d’avoir le
courage d’entrer dans sa chambre. Les paroles de Jamie tournent en boucle
dans mon esprit. « Ce n’est pas Sidney… Va la voir, tu te sentiras mieux
ensuite… Si tu veux laisser tomber, fais-le, mais parfois les gens ont besoin
d’un coup de pouce… T’es effrayé, je le comprends, mais t’es aussi un type
bien… » Un type bien… facile à dire vu de l’extérieur. Elle ne comprend pas
non plus pourquoi cette culpabilité me ronge. J’ai voulu voir ce qu’elle avait
dans le ventre… Elle m’a demandé de rester, mais je suis parti. Quel lâche…

Je souffle fortement et pose ma tête contre le volant. Non, non, je ne peux


pas aller la voir comme ça. Je vais lui dire quoi en entrant dans sa chambre ?
« Coucou, c’est moi qui t’ai poussé à faire ça, tu ne m’en veux pas trop
j’espère ? » ? C’est nul ! Totalement nul…

Mon téléphone sonne, je me redresse pour l’attraper dans la poche de mon


jeans. Je ne peux m’empêcher de sourire en voyant le nom de Jamie
apparaître sur l’écran.

— Hello Jamie !

— Alors, tu y es ? demande-t-elle du tac au tac.

— Ouais, j’y suis.

— Et t’es entré ?

— Non. Je suis toujours dans ma caisse.

— Ne le fais pas si t’en as pas envie, mais tu sais ce que j’en pense.
— Ouais je sais, mais tu veux bien me le répéter pour me convaincre d’y
aller ?

Elle éclate de rire devant ma demande.

— Je crois que tu dois la voir, car elle t’a permis de sortir de ta zone de
confort.

Attends… Elle me fait quoi là ? Ce n’était pas de ça dont nous avions


discuté.

— Depuis que tu la connais, j’ai l’impression qu’elle t’a redonné goût à la


vie. Y a la même lueur d’espoir dans tes yeux que lorsque Sidney était là. Je
ne sais pas si c’est parce que tu as l’impression de devoir être son sauveur,
mais elle, elle t’a sauvée.

— Jamie, ce n’était pas ce que je t’avais demandé, dis-je la gorge serrée.

— Je sais, mais tu devais le savoir.

Déstabilisé, je passe une main dans mes cheveux et soupire longuement.

— Merci, soufflé-je.

— Maintenant, sors de ta caisse et va la retrouver.

— Oui patronne.

Elle éclate de rire et met fin à la conversation. Je n’avais jamais vu ça sous


cet angle. Cependant, elle a raison ; après la mort de Sidney, je me suis éteint
et au contact de Lou, j’ai l’impression de reprendre vie. De retrouver celui
que j’étais avant et ça me fait du bien. Si je lui fais du bien comme elle m’en
fait, elle doit le savoir. Ça pourrait peut-être l’aider.

Persuadé que c’est la meilleure chose à faire, je m’extirpe de ma voiture en


attrapant au passage la peluche que je lui ai achetée : un gros monstre vert
fluo avec des cornes mauves. J’aurais aimé trouver un truc plus mignon, mais
il n’y avait rien d’autre dans le magasin où je me suis arrêté en route. Je me
dirige à grands pas vers les portes de l’hôpital. Une fois dans le hall d’entrée,
je rencontre le mec avec qui elle était au restaurant lorsque je l’ai croisée
après la soirée de Jamie, il discute avec le mec que Lou s’est tapé. Ça me
soulève le cœur de le voir. Je serre les poings et décide de les ignorer, mais ce
petit connard ne l’entend pas de la même oreille.

— Hey p’tit con ! lance-t-il à mon intention.

Je me contente de le saluer d’un signe de la tête. Son ami lui intime de ne


pas faire de frasques ici. Malgré tout, je ne l’ai pas encore lâché des yeux
lorsque j’appuie sur le bouton de l’ascenseur. Ce mec semble assez taré pour
me prendre en traître. Une fois à l’intérieur, j’attends que les portes se
referment, mais quelqu’un y entre au dernier moment. L’ami de Lou, Ethan.
Il me sourit. Bizarre…

— T’es venu voir Lou ? demande-t-il de but en blanc.

— Ouais.

— Chouette la peluche…

Qu’il foute la paix à ma peluche !

— Tu veux quoi mec ?

Je suis à cran et son petit jeu ne m’impressionne pas. Toutefois, je suis


étonné, car au restaurant il semblait être quelqu’un de bien. Les apparences
sont parfois trompeuses.

— Pourquoi tu veux voir Lou ?

— Parce qu’elle est mon amie…

— Je vais être honnête avec toi, ne le prends pas mal, mais elle est mal en
point et je crois que ce serait mal venu de ta part de lui rendre visite.

— Tu te fiches de moi ? Et l’autre idiot avec lequel tu parlais, lui peut


venir la voir ?
— Ouais, c’est un pote à elle, tandis que toi, t’es rien…

Les portes de l’ascenseur s’ouvrent, je lui lance un regard lourd de sens. Je


dois même me faire violence pour ne pas lui foutre mon poing dans la gueule.

Il était où lorsque Lou avait besoin de lui ?

— Bien, merci de ton avis éclairé sur la situation, mais Lou saura me le
dire si elle ne souhaite pas ma présence.

Sur ces mots, je sors de l’ascenseur et cherche une indication sur l’endroit
où se trouve la chambre de la belle. Rapidement, je me dirige vers le
comptoir des infirmières.

— Bonjour, pourriez-vous m’indiquer où se trouve la chambre de Louann


Cassidy ?

— Vous êtes de la famille ? demande la dame qui doit avoir environ


cinquante ans.

Elle me jauge un moment de ses grands yeux verts.

— Je suis son petit ami…

Je mens, mais je sais que si je ne le fais pas, on ne me laissera


probablement pas la voir. La dame semble avoir conscience de mon
mensonge, mais elle pousse un soupir et ajoute :

— Troisième porte à droite.

— Merci infiniment.

D’un pas vif, je me dirige vers l’endroit indiqué par la gentille infirmière.
Une fois devant la porte, je reste plusieurs minutes à la fixer. Je ne peux plus
avancer, mes jambes semblent remplies de plomb. Je souffle pour me donner
du courage puis entre. Ce que je vois me tord les entrailles, une nouvelle fois,
je suis propulsé dans le passé. Elle est étendue sur le dos, les yeux fermés, sa
peau est d’une blancheur inquiétante. Elle semble si petite sous les draps
immaculés de l’hôpital. J’avance vers elle et cogne dans une chaise que je
n’ai pas vue. Lou relève la tête vers moi, ses yeux sont si inquiets qu’il m’est
difficile de soutenir son regard.

— Je t’ai apporté une peluche, marmonné-je.

C’est la seule chose « intelligente » que je trouve à dire… Bravo Jarred !

— Elle est… humm, adorable…

— C’est un monstre, mais il a une caractéristique particulière.

— Ah oui ? Laquelle ?

— C’est un monstre dévoreur de cauchemars. Grâce à lui, tu n’en feras


plus jamais.

Elle me sourit et ses yeux s’emplissent de larmes. Incapable de le


supporter, je m’assieds à ses côtés et ouvre les bras. Elle place sa tête au
creux de mon épaule et pleure contre mon torse un bon moment.

— Ça va aller Lou. Je suis là.

— Pourquoi t’es là ? demande-t-elle.

Il y a tant de raisons que je pourrais lui donner, mais je crois qu’elle n’est
pas encore prête à les entendre.

— Parce que j’en ai envie et que je devais t’apporter ton monstre, réponds-
je en lui tendant la peluche.

Elle le prend entre ses mains et caresse son pelage vert fluo.

— Il est affreux, ricane-t-elle.

— Ne le blesse pas, sinon il ne pourra plus te protéger de tes mauvais


rêves.
Elle rigole doucement et lui plante un doigt dans l’œil.

— Hey ! Pourquoi tu fais ça ? Tu vas lui faire de la peine.

Elle lève la tête vers moi.

— Pourquoi t’es là Jarred ?

— Parce que j’en ai envie et que tu as besoin de moi, je répète. C’est assez
simple comme raison ?

Elle semble se perdre dans ses pensées, je sens qu’elle en profite pour
enfiler son armure et me pousser hors de sa vie. Ça ne me plaît pas. J’ai
besoin d’elle. D’un geste égoïste, je repousse une mèche de ses longs
cheveux bruns et caresse sa joue. Elle ferme les yeux, profitant ainsi de cette
minuscule caresse. Ma main libre se pose contre sa nuque et de nouveau, je
l’attire vers moi.

— Et si c’est moi qui avais besoin de toi Lou ? murmuré-je avant de


déposer un baiser dans ses cheveux.

— Personne n’a besoin de moi.

— C’est faux et tu le sais. Je crois même que tu as peur.

— Pourquoi aurais-je peur ?

Sa voix n’est qu’un chuchotement contre mon torse. Je ne suis pas près de
la lâcher. J’ai encore besoin de son corps contre le mien.

— Parce que si quelqu’un dépendait de toi, il y aurait trop de risques de


casse ?

— Je pourrais briser quelque chose en toi.

Je lui caresse doucement les cheveux.

— Tu ne sais pas ce qu’il y a en moi, ma belle. Je ne suis pas un de ces


types que tu rencontres chaque nuit dans les bars.

Un silence réconfortant s’installe entre nous. Aucun de nous deux ne


bouge. Cette étreinte est apaisante. Cependant, elle y met fin en relevant la
tête.

— Je suis fatiguée.

— Je vais te laisser, alors.

— Jarred… Merci d’être venu, pour la peluche et pour n’avoir posé aucune
question.

— Je sais que le moment venu, tu m’en parleras. T’en fais pas, je serai là.

— Merci.

— Tu l’as déjà dit.

Avec mon pouce, j’efface une larme qui s’est échappée de ses paupières.
Elle ferme les yeux et un millier d’autres suivent.

— Lou, ne pleure pas ! Tout va s’arranger, je te le promets.

Elle hoche la tête et me sourit malgré tout.

— Tu peux rester jusqu’à ce que je m’endorme ?

— Oui. Ensuite, Peluche va prendre le relais.

— Non. Il ne s’appelle pas Peluche, ricane-t-elle, les yeux toujours


brillants de larmes.

— Alors quel nom allons-nous lui donner ?

Elle observe le monstre vert aux cornes mauves d’un œil critique puis finit
par annoncer :
— Pourquoi ne pas l’appeler Green ?

— Ah, mais oui ! C’est beaucoup plus original que Peluche, ricané-je.

— C’est à moi, donc c’est moi qui décide.

Elle serre Green contre sa poitrine.

Comment ne pas la trouver charmante et adorable en ce moment ?

Je pousse un soupir et mon téléphone sonne au même moment. Elle me


fixe pendant de longues secondes alors que je fouille dans ma poche pour
l’attraper.

— Allô ?

— Jarred ! Nous avons un souci, j’ai besoin de toi immédiatement,


annonce Jamie, la voix tremblotante.

— Un souci de quel ordre ?

— Un dégât des eaux, la collection va bien, mais tu dois venir tout de


suite.

— Putain de merde ! J’arrive. Je dis au revoir à Lou et je suis là.

— Fais vite.

Je raccroche, inquiet. Je n’ai jamais senti Jamie aussi paniquée.


Généralement, elle est du genre calme et parvient toujours à garder son sang-
froid. Je me retourne vers Lou qui me regarde toujours, mais cette fois, en
fronçant les sourcils.

— Ça va pas ?

— Y a un petit problème.

— Tu veux m’en parler ?


— Un dégât des eaux chez Jamie, je dois aller l’aider le plus rapidement
possible.

— Je comprends.

— Je t’appelle ce soir, d’accord ?

Elle hoche la tête et me sourit. Je m’avance pour déposer un baiser sur son
front.

— Merci pour Green.

— S’il n’y a que ça pour te faire plaisir… Dors bien. Je te donne de mes
nouvelles rapidement.

Je vois bien qu’elle n’a pas envie que je parte, mais je n’ai pas le choix. Je
l’embrasse de nouveau, mais cette fois sur la joue. Elle rosit et j’ai droit à un
nouveau sourire. Je quitte rapidement sa chambre avant que toutes mes
bonnes intentions ne s’envolent et que je reste toute la soirée à l’embrasser et
la serrer contre moi.
17
Lou
Je me suis pliée du mieux que je pouvais à leur traitement. J’ai bien vu que
le psychiatre était un coriace et qu’il n’abandonnerait pas aussi facilement
que les autres. Au bout du compte, ça m’a fait du bien de parler à quelqu’un.
Cependant, pour qu’une psychanalyse fonctionne, le sujet se doit d’être à
100 % honnête avec son thérapeute, mais moi, ça, je ne peux pas me le
permettre. Alors comme la faim justifie les moyens et que je souhaitais
ardemment retourner à la maison et reprendre le cours de ma vie, j’ai fait ce
qu’il me demandait. On m’a donc laissé sortir de l’hôpital sous conditions de
bonne conduite et de me présenter à mes rendez-vous avec le docteur
Andrews. En ce moment même, je suis en train d’accomplir cette tâche ardue
qu’ils m’imposent : rendez-vous avec le psychiatre.

Je patiente dans la salle attenante à son bureau. La lumière vive de la pièce


me file presque le mal de crâne. Je sais bien qu’on dit que la luminothérapie
aide les patients à passer au travers de leur dépression, mais là, ça m’agresse !
Moi, tout ce que j’espère, c’est survivre à cette journée sans trop d’embûches
et d’émotions. Je ne vais pas faire chier la terre entière avec mes états d’âme.
J’ai eu Jarred quelquefois au téléphone, mais il n’a que très peu de temps
pour moi. Jamie a besoin de lui et il lui consacre toutes les minutes possibles,
ne trouvant que quelques instants pour m’appeler. Sa présence me manque et
me rend exécrable. Je ne peux m’empêcher de me dire que s’il tenait
réellement à moi, il ferait un peu plus d’efforts.

— Louann ? m’appelle la secrétaire.

Je relève la tête sans vraiment la considérer. Elle me fait signe de la suivre


jusqu’au bureau du médecin.

Le docteur entre dans la pièce. Il ne ressemble en rien aux docs qui se sont
succédé dans ma vie au cours des dernières années. Ils avaient tous l’air
blasés et fatigués, tandis que lui, ses yeux verts sont vifs et alertes. Dernière
coupe à la mode, cheveux noirs, il a la petite trentaine.

La lumière m’agresse et m’empêche de réfléchir correctement. Je ne


comprends pas cette fixation que j’ai sur la lumière depuis ma sortie de
l’hôpital. Je me suis même terrée chez moi et ai fermé les rideaux et
verrouillé la porte. Je me cache, ne répondant pas aux appels incessants
d’Ethan.

— Bonjour Lou. Comment allez-vous ce matin ?

— Ça va.

— Comment ça se passe depuis votre retour de l’hôpital ?

— Bien, mens-je sans aucune honte.

Ça ne va pas bien, c’est même l’enfer !

— Prête à commencer ?

— Tout dépend de vous, ironisé-je avec froideur.

Il ne répond pas à ma réplique et se contente de sourire bêtement.

— Que croyez-vous que nous faisons dans mon bureau ?

Je hausse les épaules. Je ne veux pas lui répondre. Il me jauge un long


moment.

— J’ai lu avec attention votre dossier, je sais que les précédents


spécialistes ont tous laissé tomber. Moi, je n’en ai pas l’intention.

— Ils l’ont tous fait, pourquoi pas vous ?

— Parce que ce serait dénigrer le métier que j’aime tant.


— Pourquoi vous acharnez-vous ? Vous ne pouvez rien faire pour moi de
toute façon.

— C’est vrai que le traitement des troubles borderline est assez nébuleux.
Mais je suis plus pour la thérapie que pour la prescription d’antidépresseurs
ou d’antipsychotiques. Votre maladie n’est pas vous et vous devez trouver
l’élément déclencheur.

— Je m’en fous !

— Je ne crois pas que vous vous en foutiez réellement. Personne ne se fout


de ne pas aller bien. Vous devez apprendre à visualiser les limites à ne pas
franchir et je vais vous aider à y parvenir.

Il croit quoi ? Qu’il va me sauver ? Il ferait aussi bien d’oublier les


honneurs, il n’y arrivera pas.

— Lou, vous êtes en mode cataclysme, vous ne pouvez pas accepter


l’inacceptable. Vous êtes malade, ce n’est pas qu’une simple grippe. Vous
avez toujours eu une certaine vision de la vie et du jour au lendemain, votre
monde a été secoué. Vous êtes borderline et vous souffrez d’un trouble
psychopathologique. Vous n’avez pas d’autres choix que de l’accepter pour
aller mieux.

— Putain docteur ! Vous venez de m’enlever toute la merde que j’avais


dans les yeux depuis plus de deux ans, ironisé-je avec un sourire amusé.

— Je sais très bien que vous le savez, vous me semblez assez intelligente
pour faire la part des choses. Cependant, je dirais que vous n’avez pas envie
de voir la vérité en face. Car si vous deviez le faire, ce serait avouer d’où
provient l’élément déclencheur.

— Il n’y a pas d’élément déclencheur, ma maladie est arrivée comme ça,


tranché-je en croisant mes bras sur ma poitrine.

Il me regarde, me sourit. La tension en moi monte d’un cran. Je me lève


d’un bond.
— Maintenant, si vous voulez bien m’excuser, j’ai autre chose à faire.

— Je ne vous retiens pas. Par contre, je trouve qu’on a beaucoup avancé ce


matin.

Je lui lance un regard meurtrier et sors rapidement de son bureau, folle de


rage, de colère, mais surtout d’appréhension.

On a avancé ? Comment ? Je ne comprends pas ! Je ne veux pas


comprendre.

Je sors de l’immeuble et marche aussi rapidement que mes talons hauts me


le permettent. Je hèle un taxi et grimpe à l’intérieur. Je lui donne mon adresse
d’une voix si basse qu’il doit me la faire répéter à plusieurs reprises.

La tête posée contre la vitre, je laisse la ville défiler devant mes yeux. On
approche du quartier de Jamie Michelle. Je relève brusquement la tête. Elle
est ma seule chance.

— Arrêtez-vous ici ! ordonné-je.

— Quoi ? On est sur un boulevard !

— Stop ! Stop immédiatement.

Il s’arrête sur le bas-côté et je lui lance un billet de vingt dollars. Je


m’expulse du véhicule, marche rapidement sur le trottoir pour rejoindre la
maison de Jamie. L’anxiété me gagne de plus en plus.

Je dois lui dire quoi au juste ? « Désolée, j’ai merdé… Je suis malade…
mais surtout folle… Pardonnez-moi si je vous ai nui… »

Pourquoi ne pas dire la vérité ?

Je hais les vérités… elles font toujours mal. Putain, c’est si douloureux.

Sans vraiment m’en rendre compte, je me retrouve devant la porte de chez


Jamie. Tremblante de la tête aux pieds, je toque plusieurs fois. Je patiente
quelques minutes quand enfin, on vient m’ouvrir. Quand la porte s’ouvre et
qu’apparaît cette femme bienveillante à la peau blanche presque translucide,
je me sens rapidement plus calme. Ses longs cheveux noirs sont coiffés en
une haute queue de cheval et elle porte une longue noire qui semble aussi
légère que la soie.

— Lou, que me vaut l’honneur de ta visite ? demande-t-elle avec un


sourire poli.

— Je devais venir vous parler de ce qui est arrivé, commencé-je.

— Entre ! Allons sur la terrasse pour discuter, nous serons plus à l’aise.

Je hoche la tête et la suis jusqu’à la fameuse terrasse. Elle me propose de


m’asseoir pendant qu’elle va chercher quelque chose à boire. Je me plais à
contempler l’incroyable cour arrière. Tout est luxueux ici, mais avec une telle
sobriété que je me sens bien.

Jamie revient avec deux grands verres de thé glacé. Je suis contente qu’elle
ne m’ait pas apporté d’alcool.

— Alors que se passe-t-il ?

— J’ai un peu perdu pied…

— Oui j’ai lu les journaux, mais j’aimerais avoir ta version, me demande-t-


elle.

— Je suis malade. J’ai un trouble de la personnalité limite, révélé-je sans


plus attendre.

— Tu veux m’expliquer en quoi ça consiste ?

— Pour faire court, c’est un désordre émotionnel. C’est comme si je


ressentais tout dix à cinquante fois plus fort et rajoutons à ça un
comportement impulsif. Par moment, je ne sais pas comment je dois me
comporter.
La honte m’envahit et me ronge de l’intérieur. Je vais flancher et ne
pourrai pas aller au bout de ce que je suis venue faire ; mon mea-culpa.

— Tu ne sais donc pas où sont les limites ?

— Si on veut.

— Quel est ton avenir ?

Mon avenir ? Je ne sais pas. Je ne veux pas comprendre pourquoi elle me


pose cette question.

— Je vois un psychiatre, mais c’est pas facile.

— Je ne crois pas que ce sera un chemin évident. Si je comprends bien, tu


es venue ici pour me présenter tes excuses ?

— Pas mes excuses, mais expliquer ce qui m’arrive. Et si vous voulez me


virer pour ce qui est arrivé, je comprendrai.

— J’en avais l’intention oui, mais que tu aies pris le temps de venir m’en
parler change la donne.

— Je ne comprends pas bien.

— En venant me parler, tu prouves ta volonté d’avancer. Ça me suffit,


mais sache qu’il n’y aura pas de seconde chance.

— J’en suis bien consciente.

— Maintenant file ! Ouste ! Va profiter de ton temps libre. On commence


bientôt les séances photo. Ensuite, tu n’auras plus beaucoup de temps pour
toi.

— Merci infiniment pour cette chance.

— Ne me déçois pas. On joue gros toutes les deux.


— Promis, je ne la gâcherai pas.

Je me lève et me dirige vers l’entrée. Lorsque j’ouvre la porte, je tombe


nez à nez avec Jarred.

— Jarred ! m’écrié-je une octave trop haute.

— Tu fais quoi ici ?

— Je suis venu discuter avec Jamie, et toi ?

— Elle est une de mes très bonnes amies.

— D’accord. Tu crois que l’on pourrait se parler ? demandé-je.

Je ne suis pas certaine d’avoir la force d’aller au bout de cette


conversation, mais je dois lui parler.

— Je n’ai pas le temps pour ça. Par contre, je suis heureux de voir que tu
vas mieux.

— Aller mieux… c’est un grand mot.

Son visage devient soudainement triste.

— Je sais que je n’ai pas été très présent lorsque tu étais à l’hôpital, mais…

— En effet.

— Je vois bien que t’es en colère contre moi.

— Tu te trompes, je ne le suis pas.

Je le contourne pour sortir de la maison et ainsi le fuir. Lui… son regard…


et tout le reste… Je marche si rapidement que mes cuisses me brûlent. Mes
pieds sont aussi très douloureux. Bon sang ! C’est presque inhumain
d’endurer une telle torture sur des talons aiguilles. Je marche depuis
maintenant dix minutes lorsqu’une voiture se gare à côté de moi.
— Monte, Lou.

— Dégage ! aboyé-je en continuant de marcher avec la même fureur.

— Tu habites à l’opposé de la ville. Tu vas en avoir pour des heures.

— Ce n’est pas ton problème.

— Monte dans la caisse avant que quelqu’un percute ma voiture. Au cas


où tu ne l’aurais pas remarqué, c’est un boulevard ici.

— Continue ta route, je ne monte pas avec toi.

— Je vais te laisser t’expliquer.

Je me stoppe et me penche pour le regarder.

— Tu te fous de moi Jarred ?! Retourne chez ton amie et oublie mon


existence.

— D’accord, nous ne parlerons pas, mais je ne vais pas te laisser rentrer


chez toi comme ça.

— Je vais appeler un taxi.

— Bon sang, t’es butée comme nana !

Je soupire et entends une voiture klaxonner en évitant de justesse celle de


Jarred.

— Je t’en prie, sauve ma caisse, me supplie-t-il.

— D’accord.

Je m’avance rapidement vers sa bagnole que je contourne pour grimper à


l’intérieur où règne une tension palpable. Il n’a pas envie d’être là, seulement
Jarred est un bon gars. Il ne m’aurait jamais laissée traverser la ville pour
retourner chez moi. Je souffle bruyamment.
— Tu sais…

— Lou, tu fais ce que tu veux. Je n’ai pas à te dicter ta conduite.

— Tu avais dit que tu me laisserais m’expliquer.

Il se stoppe à un feu rouge et se tourne vers moi. Lorsque le feu passe au


vert, je sens que je suis à deux doigts d’exploser. J’essaie de respirer et de me
calmer, mais c’est impossible.

— Que crois-tu ? T’es ici pourquoi ? Tu veux quoi ? Jouer au bon


samaritain ?

— Ne t’en prends pas à moi. Pourquoi tu agis comme ça avec moi ? Il s’est
passé quoi depuis ma visite à l’hôpital ? J’ai vraiment besoin de savoir !

Putain ! Si j’avais su qu’il me poserait cette question, j’aurais continué à


me détruire les pieds en marchant. Au diable sa voiture. Je n’ai pas envie de
lui dire que ce qui me fait mal, c’est son absence des derniers jours. De toute
façon, pourquoi me manque-t-il ? On ne se connaît pas après tout.

— T’as pas autre chose à me demander ?

— C’est ce que je veux savoir.

— Et moi, je ne veux pas parler de ça !

— Comme tu veux.

Je croise mes bras sur ma poitrine.

— Tu as baisé avec lui finalement ?

Je détourne la tête pour projeter mon regard par la vitre. Des larmes flirtent
avec mes paupières. Mes yeux s’emplissent d’eau et bientôt, des torrents
salés viennent inonder mes joues. Je laisse mes cheveux retomber sur mon
visage afin qu’il ne puisse pas voir ce triste spectacle.
Bon sang ! J’ai voulu mourir et lui, ce qui l’intéresse, c’est de savoir si j’ai
couché avec Tommy !

Je ne réponds pas et par chance, il n’insiste pas et conduit en silence. La


ville défile sous mes yeux. Je sens un vide se creuser en moi. J’en ai
l’habitude, mais celui-ci est plus amer, plus difficile à gérer que les autres.
Lorsqu’il se gare devant chez moi, je suis incapable de lui faire face.

— Merci, murmuré-je, la voix entrecoupée de sanglots.

Je sors de la voiture au pas de course et m’engouffre dans l’immeuble.

— Attends-moi Lou…

Je m’arrête, mais ne me retourne pas. Je reste là, droite comme un i, mon


cœur battant la chamade dans ma poitrine.

— Pourquoi tu pleures ?

Je hausse les épaules alors qu’il avance sa main vers mon visage et effleure
mes joues de ses doigts. Je frissonne.

— Tu veux que je reste avec toi ?

— Ça va aller.

— S’il y a quoi que ce soit, tu peux m’appeler.

— Merci, mais ce ne sera pas nécessaire.

— La proposition est là. T’en fais ce que tu veux.

Il recule puis s’en va. J’avance vers l’ascenseur d’un pas lourd, j’aurais
aimé être seule, mais je me trouve avec un couple qui se tripote sans arrêt en
me filant la nausée. Tandis que nous montons les étages, mon angoisse
grimpe en flèche. Dans quelques instants, je vais me retrouver seule et ce sera
difficile de faire face.
Quelqu’un se trouve devant ma porte. Encore une fois. Je sais très bien qui
c’est. Je m’avance vers lui avec l’impression d’avoir du plomb dans les
jambes.

— Tu fais quoi ici ?

— Tu parles d’une façon de m’accueillir.

— Tommy, je t’en prie, fous le camp d’ici !

— Je me suis dit qu’on pourrait s’amuser.

— Je suis une folle qui a besoin de se faire soigner, ne l’oublie pas.

— Mais t’es le meilleur coup de ma vie, ma belle.

— Écoute, la meilleure baise de ta vie te demande de foutre le camp.

— Allez, ne fais pas ta Sainte-Nitouche.

— J’ai toujours flanché, je me suis toujours tournée vers toi, mais cette fois
c’est terminé.

— Ah ouais ?! Je ne te crois pas.

— Mon ami est sur le point d’arriver.

— Ouais, ouais…

Je relève la tête et, comme par magie, les portes d’ascenseur s’ouvrent et
Jarred se matérialise devant mes yeux.

— Le voilà !

Je m’avance vers lui à grands pas.

— Il fait quoi ici ? demande-t-il.


— Je ne sais pas. Je l’ai prévenu que tu venais.

Jarred me sourit et sa main s’empare de la mienne.

— T’en as pas terminé avec moi, Lou ! annonce Tommy avec force.

Il s’en va et entre dans l’ascenseur. Je relève la tête vers Jarred qui me


serre contre lui. Ma tête repose contre son torse.

— Reste loin de ce mec. Promets-le-moi.

— Oui…

Ma voix n’est plus qu’un murmure.

— Tu venais faire quoi ?

— J’avais besoin de te parler…


18
Lou
L’angoisse me gagne. Les mots : « J’avais besoin de te parler » devraient
être interdits dans toutes conversations sérieuses. Comment ne pas devenir
folle en les entendant ? Ils ont tendance à être porteurs de mauvaise nouvelle
ou à amener une certaine culpabilité. Et ce n’est pas l’impression qu’une
nouvelle tuile va me tomber sur la tête qui me fera relativiser. Non. Je stresse
au max. Je déverrouille ma porte et le fais entrer. Il se rend au salon sans un
mot. Docile, je le suis à contrecœur.

— Je t’en prie, abrège mes souffrances et dis-moi immédiatement ce que tu


as à me dire.

— Sais-tu quels sont mes rapports avec Jamie ?

— Vous êtes amis, pourquoi ?

— Oui, mais je travaille aussi avec elle.

Ne me dites pas que je vais devoir travailler avec lui…

— Je suis photographe et…

— Je vois, ce sera toi qui vas faire les photos, c’est ça ?

— Ouais, mais je suis aussi son associé…

— Je vois…

— Je ne voulais pas que tu le découvres le jour du shooting.

Bien sûr, je sais déjà ce qu’il va me dire… Cependant, je me tais et le


laisse continuer, même si ça m’arrache le cœur.
— Pour le bien de l’équipe, je crois que nous devrions faire comme s’il ne
s’était rien passé.

Voilà. J’avais raison. Je le savais.

— Je crois que ce serait préférable pour tout le monde que l’on prenne nos
distances.

— Pas de problème. T’en fais pas.

Je lui tourne le dos, tremblante. Je ferme les yeux plusieurs secondes. Sa


main touche mon épaule. Je soupire. Je ne veux pas qu’il me touche. La seule
chose que je veux, c’est qu’il s’en aille.

— Jarred, ne me touche plus jamais.

Ma voix n’est qu’un chuchotement. Cependant, il n’enlève pas sa main de


ma putain d’épaule.

— Ne me touche plus jamais ! grogné-je beaucoup plus fort.

— Lou, nous allons travailler ensemble. Je crois que nous devrions faire
des efforts chacun de notre côté.

— J’en ai bien conscience, maintenant dégage. T’en fais pas, tout se


passera à merveille. Ce n’est pas dans mon intérêt de faire foirer ce projet.

Je suis agacée et tranchante. Presque acide dans mes propos. Il a pitié de


moi. Carrément pitié. Je suis incapable de supporter cette émotion. Elle me
fait toujours entrer dans une colère terrible. Je laisse tomber ma tête en arrière
et pousse un profond soupir. Je me retourne vers lui, plus froide que jamais.

Pourquoi est-il encore là ? Il ne comprend donc rien ?

— Je vais te demander une nouvelle fois de foutre le camp. IM-MÉ-DI-A-


TE-MENT !

— Ne me hurle pas dessus.


— Alors, fais ce que je te demande !

Son regard gris comme l’acier se visse au mien. Je tourne légèrement la


tête et plisse les paupières. Jamais je ne comprendrai ce mec. Il s’avance vers
moi et caresse ma joue du bout des doigts.

— Je ne suis pas le dernier toquard que tu ramasses la nuit quand ça ne va


pas.

— Oh, mais ça, tu l’as déjà dit, mais pour ton information rien ne m’a
encore prouvé que tu n’es pas l’un d’entre eux.

— J’essaie de faire les choses comme il faut, alors cesse de te braquer


contre moi !

— Fais comme bon te semble. C’est le cadet de mes soucis.

— As-tu compris pourquoi je suis parti après le film ?

Je n’ai pas envie de jouer au jeu des questions-réponses. Mon seul désir est
qu’il parte. Qu’il me laisse seule et que je puisse me calmer.

— Pour l’instant, ce n’est pas dans la liste de mes priorités.

Si je le formule la chose différemment, peut-être comprendra-t-il ?

— Je ne voulais pas être un de ces mecs dont tu ne te préoccupes plus au


petit matin. Je me suis dit que si nous tentions une nouvelle approche, j’avais
peut-être une chance d’attirer ton attention pour les bonnes raisons.

— Quelle charmante attention !

Incapable de supporter l’intensité de ses yeux, je détourne la tête et ravale


mes larmes. J’ai agi si égoïstement. Si puérilement. Cependant, je m’en fous
pas mal.

— Je t’en prie Lou, regarde-moi.


Sa voix est empreinte d’une telle tristesse qu’il m’est impossible de ne pas
acquiescer à sa demande. Il fait un pas vers moi et pose un baiser sur mon
front. Parcourue d’une décharge électrique, je tremble de la tête jusqu’aux
orteils.

— Je continue à croire que tu ne devrais pas t’approcher de moi.

— Qu’est-ce que ça t’apporte de me tenir loin de toi ?

— T’es venu pour ça après tout, non ? Pour me dire que ça ne pourra
jamais fonctionner nous deux.

— Je suis venu te dire que nous devons faire comme s’il ne s’était rien
passé. Ensuite, ce sera autre chose. Nous allons travailler ensemble
régulièrement au cours des prochains mois, car je suis l’associé de Jamie et
que je m’occupe de la collection pour femmes.

— Je comprends. Merci d’être venu me le dire. Je n’aurais pas aimé être


mise devant le fait accompli.

Ma voix est neutre, mais à l’intérieur, j’ai l’impression de vibrer et de


m’écrouler. Pour ses putains de beaux yeux, j’aurais fait n’importe quoi.
J’aurais été prête à revoir mes priorités et ma ligne de conduite sur l’amour.
Bon sang. Pourquoi lui ?

— Il y a une chose que je ne comprends pas…

— Jarred, je ne suis pas d’humeur à m’amuser.

Il s’avance d’un petit pas vers moi, il est si près à présent que je peux sentir
la chaleur de son corps contre le mien. Je relève les yeux, incertaine, effrayée,
presque paniquée.

— Quand tu me regardes ainsi, je n’ai qu’une envie ; te protéger de tout.

Je souffle et détourne la tête, mais il m’en empêche en posant sa main sur


ma joue.
— Je n’arrive pas à dire si tu es faible ou trop forte, mais je sais que tu es
différente des autres nanas que j’ai connues. T’as ce sourire qui emmerde tout
le monde et ces yeux qui supplient que l’on t’aime. T’es une femme
complexe. T’as un ouragan dans le cœur qui parsème ton âme et ta tête de
millions de particules brillantes. T’es magnifique… et…

Je pouffe, incapable de me contrôler. J’appuie mon front contre son épaule


et éclate de rire de plus belle. Il ne bouge pas, mais sa main glisse dans mon
dos et mes rires se transforment en larmes.

— Ça va aller, ma puce.

Il passe ses bras autour de moi et je me retrouve collée à lui, déversant des
torrents de pleurs, mouillant au passage son t-shirt. Il passe sa main dans mes
cheveux et les caresse doucement, ne me lâchant que lorsque mon corps n’est
plus secoué par les sanglots. Je me décolle doucement.

— T’as envie de m’expliquer ce qui s’est passé ?

— C’est la chose la plus ringarde que je n’ai jamais entendue.

— Ah, mais c’est gentil ça, mais tu as éclaté en sanglots ensuite.

— C’est aussi la chose la plus belle que l’on m’ait dite. Personne ne m’a
jamais parlé ainsi. Ça m’a émue.

— Je n’avais pas terminé, tu sais.

— Garde-le en réserve pour la prochaine fois où ça n’ira pas.

— Promis.

Ses mains se posent de chaque côté de mon visage, il essuie les larmes sur
mes joues.

— T’as envie qu’on dîne ensemble ?

Je me contente d’un simple hochement de tête.


— J’ai l’autorisation de fouiller dans tes placards ? demande-t-il en se
dirigeant vers la cuisine.

— Jarred, non. C’est pas une bonne idée.

Il ouvre le premier placard et fronce les sourcils. Il fait la même chose avec
le deuxième et le troisième. Puis il se tourne vers moi.

— Ne me dis pas que c’est tout ce qu’il y a à manger chez toi ?

— Je ne fais que rarement la cuisine. Je suis toujours seule ou ailleurs. Et


si jamais je suis à la maison, c’est plus simple de commander chez le traiteur,
annoncé-je en fermant les portes.

Mais il ne se laisse pas démonter et ouvre le quatrième placard.

— C’est une blague, Lou ? Il y a plus d’alcool que de nourriture ici.

— C’est chez moi. Si ça ne te plaît pas… tu sais ce que tu as à faire.

— Je ne sais pas ce qui me retient de tout vider dans l’évier.

— Je ne te le conseille pas. Ça me mettrait vraiment en colère.

— J’abandonne. Tu fais ce que tu veux.

Il fait quelques pas vers la porte, mais je m’avance vers lui et le retiens.

— Je voudrais que tu restes.

— Alors, fais quelque chose pour moi et vide les bouteilles.

— L’alcool n’est pas un problème, avancé-je.

— Alors tu n’auras aucun problème à les vider dans le lavabo.

Il me défie du regard et ça ne me donne qu’une envie : lui prouver qu’il a


tort. Je ne suis pas alcoolique. J’attrape la première bouteille de vodka et la
vide. Je fais la même chose pour le Jack’s Daniel’s, la tequila et le
Jägermesteir. La dernière, mon alcool préféré, est la plus difficile à faire
disparaître.

— Voilà, c’est fait.

— Et comment tu te sens ?

— Parfaitement bien.

Je mens. C’est même l’un des plus gros mensonges de toute ma vie, car en
ce moment, j’ai l’impression de perdre pied. Je me sens faible, vulnérable.
J’ai la drôle de sensation d’être mise à nu. Il me fixe, me sonde et plus il le
fait, plus je me sens sombrer dans le vide. Il s’avance vers moi, caresse ma
joue du bout des doigts et vient dessiner la forme de mes lèvres.

— Ça va aller. T’es capable de t’en passer.

— Oui. T’as raison. J’ai faim, annoncé-je en soupirant.

— Ça te dit de manger indien ? Je t’invite.

— Oui. D’accord.

— Je vois que tu ne vas pas bien. Ne joue plus à ça avec moi. T’as pas
besoin de jouer la dure, l’insensible et encore moins la fille intouchable. T’as
le droit de pleurer et de te sentir dépassée, mais t’as plus le droit
d’abandonner.

— Pourquoi tu me dis tout ça ?

— Parce que tu avais besoin d’entendre ce que j’avais en réserve.

— Fallait pas l’utiliser maintenant.

— T’inquiète, j’en ai d’autres.

Du bout des doigts, il caresse mon avant-bras et remonte jusqu’à mon


épaule, créant en moi une éruption volcanique. Mon sang bout dans mes
veines. Mon ventre devient chaud comme de la braise. Je manque de me jeter
à son cou pour l’implorer de m’embrasser. Cependant, je ne suis pas prête à
vivre une autre débâcle. Pourtant, au moment où je m’y attends le moins, il
descend sa tête blonde vers moi et pose ses lèvres contre les miennes. Je
grogne et sens un sourire étirer sa bouche. Ses bras m’enserrent et ses doigts
tracent de petits cercles dans mon dos. Sa bouche quitte la mienne pour
embrasser cette fine peau située sous mon oreille. Je le repousse avec force, il
me dévisage en fronçant les sourcils.

— Si tu ne veux pas aller jusqu’au bout et que tu préfères partir, dis-le-moi


tout de suite.

Il rit doucement et m’embrasse une nouvelle fois avant d’ajouter :

— Et tu vas faire quoi ?

— Te menotter à mon lit et m’amuser avec ton corps.

— Rien que pour ça, j’ai envie de te repousser.

— Je pourrais te faire vivre l’enfer.

— Ça dépend de quel genre d’enfer tu parles.

— Je m’amuserais longuement à tes côtés. Peut-être même que je me


masturberais doucement en te regardant te tortiller et me supplier de te
chevaucher.

— Et tu finirais sur ma queue ?

— Bien sûr que non, lorsque j’aurai joui, j’irai prendre une douche.

— Et tu me laisserais là comme un con ?! s’écrie-t-il faussement indigné.

— Comme un con qui aurait une belle grosse érection.

— Qui te dit que mon sexe est énorme ?


— Je l’ai senti contre le mien et crois-moi, ce n’est pas un petit spaghetti.

Il éclate de rire à un point tel que je crois qu’il va exploser. Lorsqu’il


réussit à se calmer, il me regarde avec une intensité qui me met mal à l’aise.

— Quoi ? Pourquoi tu me fixes comme ça ?

— Parce qu’il y a quelques secondes, tu étais la plus belle chose que je n’ai
jamais vue au monde. Tu étais détendue. Tes yeux étaient remplis
d’étincelles. J’ai même cru y voir de l’espoir. Ça m’a plu.

— Tu me plais bien aussi, je dirais.

— Je n’ai pas l’intention de partir ce soir.

— T’as déjà visité ma chambre, non ?

— Oui, mais je crois que ce sera plus agréable cette fois.

— Il y a de bonnes chances que si tu me tiens les cheveux, ce ne sera pas


parce que je suis en train de vomir.

— Ah bon, et pourquoi ça ? me demande-t-il en écarquillant les yeux.

Je me hisse sur la pointe des pieds et lui murmure à l’oreille :

— Parce que ta queue serait dans ma bouche.

Sans que je n’aie le temps de réagir, je suis soulevée et balancée sur son
épaule comme un vulgaire sac de patates. Je ris tellement que je manque de
m’étouffer. Il me pose doucement sur le lit et se penche sur moi pour
m’embrasser de nouveau. Je passe mes bras autour de son cou et l’attire
contre moi un peu brusquement. Il tombe contre mon corps dans un
grognement rauque, mais je ne le lâche pas pour autant. Je le garde bien collé
contre moi en passant mes jambes autour de ses hanches.

— Bon sang Lou.


Je l’interroge du regard, mais son sourire m’enlève toute inquiétude.

— T’es la personne la plus excitante que j’ai connue, susurre-t-il contre


mon oreille.

Il mordille mon lobe, m’arrachant de petits gémissements. Il descend le


long de mon cou toujours en me mordillant. Je me cambre légèrement ; mon
bas-ventre entre en contact avec son sexe dur comme la pierre. Il poursuit
avec de petits baisers sur ma clavicule et suit une ligne imaginaire menant
tout droit à mon décolleté.

— J’ai envie de te voir nue.

Je lâche ma prise autour de ses hanches et laisse doucement retomber mes


jambes sur le matelas. Il s’attaque presque tout de suite à mon haut. Très
rapidement, je me retrouve nue devant lui. Je me redresse pour lui faire la
même chose, mais il me repousse contre le lit.

— Jarred ! objecté-je.

— Chut. Laisse-moi goûter ton corps.

Sur ces simples paroles, mon corps s’embrase, sa bouche revient jouer
avec mes seins, mais cette fois, il s’amuse avec mes tétons qu’il mordille et
lèche. Je gémis et me cambre. Il dépose une multitude de baisers sur mon
ventre, descendant lentement vers mon sexe. Je retiens mon souffle lorsqu’il
se stoppe entre mes cuisses qu’il embrasse. Sa barbe de trois jours me
chatouille et me fait frissonner. Je suis proche de l’implosion lorsque sa
langue touche mon clitoris. Je retiens mon souffle.

Putain. Il ne va pas me faire jouir aussi rapidement ?! C’est impossible !

Il entre son doigt en moi et de petits va-et-vient rapides viennent à bout de


moi. Je pousse un grognement bestial en jouissant.

— Bordel de merde, Jarred.


Il remonte vers moi et m’embrasse. Sa langue entre dans ma bouche et
s’amuse avec la mienne. Mes mains entreprennent d’ouvrir son jeans.

— T’as un préservatif ? lui demandé-je.

— Non. Je n’avais pas prévu que nous baiserions.

— J’en ai dans la table de chevet.

Il me sourit et ouvre le tiroir, il en sort un préservatif et le pose contre le


matelas. Je me place devant lui, les jambes encore tremblantes. Je fais courir
mes doigts sur son torse. Il enlève son t-shirt et le lance dans la pièce.

— Non, c’est moi qui voulais te déshabiller. J’ai tellement rêvé de ton
corps.

— Tu réussis toujours à me charmer.

— T’es vraiment bête, ricané-je.

Je le déleste de son jeans et l’envoie retrouver son t-shirt. Je prends le


temps de contempler son corps. Il n’est vêtu que de son boxer moulant, noir
et incroyablement sexy. J’ai l’impression d’être une gosse devant un tas de
friandises. Je me mords la lèvre et ne peux détacher mon regard de lui. Il
prend ma tête entre ses mains et vient m’embrasser. Mes bras se nouent
autour de sa nuque, ses doigts s’enfoncent dans la chair de mes cuisses. Il me
soulève pour me balancer sur le lit.

— Jarred ! Je voulais…

— Je sais ce que tu voulais, mais j’ai envie d’autre chose.

— C’est moi qui décide…

Il se penche vers moi et m’embrasse, faisant taire mes protestations. Je le


repousse.

— Laisse-moi faire, ensuite mon corps sera tout à toi.


— Serais-tu un peu dominateur ?

— Pas en général, mais en ce moment, je dois te posséder. Je dois être en


toi. Mon sexe me fait mal. Je te veux. Je veux t’entendre gémir et hurler
chaque fois que j’entrerai en toi. Je veux te voir tout près de l’orgasme, car tu
es magnifique à ce moment-là.

Ses yeux gris sont vibrants de désir alors que mon sang ne fait qu’un tour
et que mon cœur s’est probablement arrêté de battre en entendant ses paroles.
Sa bouche entre en contact avec la mienne. Je ne résiste plus et murmure
contre ses lèvres :

— J’abandonne. Fais ce que tu veux de moi.

Il me regarde un petit moment et ajoute :

— En as-tu envie ?

— Oui, murmuré-je.

— Dis-le-moi.

— J’ai envie de toi, Jarred.

Sans plus attendre, il enlève son boxer et se place entre mes cuisses. Il
embrasse mes seins, mon ventre et remonte doucement vers ma bouche, ne
me lâchant que quelques secondes pour enfiler le préservatif. Je me sens vide
sans ses mains et ses caresses. Je pousse un râle lorsqu’il revient vers moi,
son sexe dans sa main qu’il frotte contre le mien. Il entre en moi doucement
et tranquillement. Je me cambre et rejette la tête en arrière. Il cesse de me
pénétrer immédiatement.

— Regarde-moi Lou. Je veux voir tes yeux.

Je visse mon regard dans le sien et il revient en moi. Il se penche et


m’embrasse. Sa queue bute au fond de mon intimité et il cesse à nouveau tout
mouvement. Il reste ainsi pendant de longues secondes. Lorsqu’il
recommence à bouger, ses va-et-vient sont si vifs, si puissants, que tout mon
corps en est ébranlé. J’en perds le souffle. Je gémis tellement que je suis
persuadée que tous mes voisins doivent m’entendre. Son bassin tape si fort
contre le mien que je ne me contrôle plus. Des sons incompréhensibles
sortent de ma bouche lorsque je vis le meilleur orgasme de ma vie. Jarred me
suit de près en s’écroulant sur moi. Il roule sur le côté, m’attirant contre son
torse. Vidée de toute énergie, je m’endors presque immédiatement, blottie
dans ses bras réconfortants.
19
Lou
Y a-t-il quelque chose de plus désagréable que de se réveiller et d’être
frigorifiée ? Quand bien même je me plains de la chaleur étouffante de
Miami, je ne pourrais pas vivre dans un endroit où il fait moins de 20 °C. Je
déteste être gelée et en ce moment, j’ai froid et grogne en tentant de trouver
les couvertures, en vain. J’ai beau chercher, rien. J’ouvre donc un œil et
m’aperçois que la pièce est plongée dans le noir. Et comment cela se peut-il
que je sois nue, dans mon lit et sans au moins un drap sur moi ? Même à
40 °C, je dois absolument dormir avec une couverture.

Il s’est passé quoi en quelques heures ? J’ai bu ? Non, je n’ai pas la gueule
de bois…

Les images affluent et se bousculent dans mon esprit. Ça me fait sourire.


Jarred ! Le souvenir de son parfum me fait tourner la tête. Cet homme me
déstabilise, me rend folle et me force à devenir meilleure. Cet homme, je
commence à l’aimer. Je suis quelqu’un d’autre dans ses yeux. J’ai
l’impression d’être Lou, peu importe si je suis folle, peu importe ce que je
porte ou ce que je dis. Ça me fait un bien fou d’être moi-même. Je ne l’effraie
pas avec ma putain de maladie de merde. J’ai même envie de devenir
meilleure pour lui.

Je m’étire longuement, un sourire idiot scotché au visage, et sors du lit


pour le chercher. Quelle heure est-il ? Il semblerait que nous soyons encore
au milieu de la nuit. Il ne doit pas être bien loin. J’enfile mon peignoir noir et
réalise que ses vêtements ne sont plus là. Un papier est posé sur la table de
chevet. Instinctivement, je me dis que ça ne s’annonce pas bien. Je m’avance
rapidement pour le prendre en main et le lire. Son écriture est soignée et ça
aussi, ça me fait sourire.
« Ma belle Lou.

J’ai dû partir. J’ai apprécié cette soirée. Cependant, je pense que nous
devrions ralentir la cadence. Nous allons travailler ensemble et ce sera
difficile pour tout le monde. Ensuite, je te promets de t’inviter au restaurant
pour reprendre là où nous nous sommes arrêtés. D’ici là, garde la tête haute,
on se revoit bientôt pour le shooting photo.

Jarred »

Je reste debout un long moment à fixer le vide, essayant de gérer la colère


qui me gagne.

« On devrait ralentir la cadence… »

Cette phrase laisse en moi un sentiment d’abandon. Je suis désemparée et à


cela s’ajoute la colère. Cependant, c’est à moi que j’en veux. Pourquoi lui ai-
je fait confiance ? Pourquoi me suis-je offerte à lui si facilement ? Pourquoi
son message est-il comme un coup de poignard dans mon cœur ? Je respire
longuement, fortement, plusieurs fois.

Allez Lou, t’es capable de gérer. Ce n’est pas si grave. Ce ne sont que
quelques semaines…

Quand bien même je sais qu’il a raison, je déchire la lettre en petits


morceaux que je balance dans la pièce. Les bouts virevoltent partout et
certains terminent leur course contre mon visage. Ce qui déclenche une
nouvelle vague de colère. Je le ressens comme une claque en pleine tronche.
Je prends quelques profondes respirations, mais n’arrive pas à me calmer. Je
ferme les yeux et tente de relativiser comme le répète mon putain de
psychiatre.

Est-ce qu’il y a pire que ce qui m’arrive en ce moment ? Oui.

C’est une raison pour réagir ainsi ? Oui… Enfin non.

Je souffle fortement plusieurs fois. Je tente de me concentrer sur ma


respiration, mais n’y arrive pas. Je n’ai que son putain de regard en tête et il
me manque. Il me manque tellement que ça m’en coupe le souffle.

Pourquoi ne puis-je pas être normale ?

Je contemple les morceaux de papier sur le sol et laisse la culpabilité


m’envahir. Elle est si difficile à supporter qu’elle cisaille en deux ma lucidité.
Enfin le peu qu’il me reste. Je tente de reprendre mes esprits en me rappelant
ce que le docteur Andrews a essayé de m’apprendre. Il y va avec la technique
de la relativisation.

Quelle merde ! Je ne sais même pas sur quoi je pourrais relativiser…

Je ferme les yeux et tente de me calmer en respirant longuement. J’ouvre


un œil et la vue des minuscules bouts de papier me fait frémir.

Bon sang ! Ça ne marche pas…

Qu’il aille se faire voir avec ses méthodes de merde !

Mes doigts se crispent et je serre les poings. Ma vue se brouille. Je me


trouve dans un état second, une sorte de monde parallèle. Je n’ai plus
conscience de mes gestes. J’ouvre les yeux et attrape le premier truc qui me
tombe sous la main – ma lampe de chevet – et le balance à travers la pièce.
L’objet finit sa course dans le mur où est accroché un grand miroir qui tombe
au sol. BAM ! Il vole en éclats, répandant du verre partout dans la pièce.

Génial ! Sept ans de malheur !

Le réveil subit le même sort ainsi que tout le contenu de ma coiffeuse. Ça


vole dans tous les sens. Pendant l’espace de dix secondes, j’ai l’impression
d’être possédée par une force inconnue. Dix putains de secondes et c’est
assez pour foutre un bordel monstre dans ma chambre et dans ma tête. Je
contemple le fouillis que je viens de créer et la colère se ravive dans mon
ventre.

Je suis vraiment stupide de réagir ainsi.


Je dois sortir d’ici le plus rapidement possible. Je quitte la chambre et me
dirige vers le salon, prends mon téléphone sur la table basse. À bout de
souffle et rongée par la culpabilité, je m’écroule sur le divan. Je compose le
numéro de Jarred. Heureusement, il répond à la deuxième sonnerie.

— Allô ?

Sa voix est légèrement endormie. Probablement qu’il pionçait, vu


l’heure…

— C’est moi.

— Lou ? Tout va bien ?

— T’es partie, lui reproché-je.

— Je m’excuse, je devais… j’étais attendu ailleurs.

— D’accord.

Un nouveau sentiment d’abandon me tord les entrailles. Il était attendu


ailleurs… par une autre fille ? Il a fait quoi ? Il ne pouvait pas me réveiller ?

— T’as trouvé mon mot ?

Et comment que je l’ai trouvé…

— Ouais. Difficile de le manquer.

— Tu étais si belle endormie, je n’ai pas voulu te réveiller. Je serais resté


là toute la nuit à te regarder dormir.

— Je t’en prie. Ne dis pas ça !

— C’est pourtant la vérité.

De nouveau, la culpabilité me ronge et manque de me faire vomir.


J’expulse l’air de mes poumons.
— Ça va ? demande-t-il inquiet.

— J’ai juste eu une mauvaise journée.

— Tu sais que ça ne fait pas de toi une mauvaise personne.

— Je sais, mens-je.

— Je suis sérieux, Lou. Ne crois pas que tu es une mauvaise personne


parce que tu as une mauvaise journée ou une mauvaise pensée. T’es
exceptionnelle, crois en toi ma belle.

— Pourquoi t’es pas mon psychiatre ?

— Je ne t’aurais pas acceptée comme patiente.

— Ah non ? Pourquoi ? demandé-je, vexée.

— Parce que j’aurais été tenté de manquer à l’éthique professionnelle.

— T’es bête !

— Non, c’est vrai. Tout le monde t’adore, tu dois simplement arrêter de


tout gâcher en agissant sur des coups de tête.

Je serre mon téléphone entre mes mains.

— Lou. Respire. Je sais que tu n’aimes pas ce que je dis, mais je sais aussi
que quelque part, tu comprends.

— Comment arrives-tu toujours à trouver les bons mots ?

Il éclate de rire, je me surprends à me demander à quoi il ressemble en ce


moment. A-t-il une lueur taquine dans les yeux ? Il penche la tête avec cet air
d’enfant sage ?

— Que penses-tu de ce que je t’ai écrit ? demande-t-il, toujours aussi


amusé.
— Ça me va, mens-je.

— Je dois dormir ma belle. Je suppose que nous allons nous voir à la


soirée chez Jamie avant que le shooting photo ne commence ?

— Oui, je suis invitée.

— Si tu as besoin, n’hésite pas à m’appeler.

— OK. Merci.

Je pose mon téléphone sur la table en poussant un soupir. Je me sens


totalement idiote en ce moment. Je me lève et vais chercher le balai et la pelle
avec l’intention de nettoyer les dégâts. Cependant, après réflexion, la tâche
me semble insurmontable. Je referme la porte derrière moi et retourne au
salon. Je reprends mon téléphone et vérifie l’heure : 03 heures 52. Je me sens
incapable de rester seule. Je compose le numéro de la station de taxis tout
près de chez moi et me dirige rapidement vers la buanderie, attrape un
jogging et un t-shirt qui traînent dans le sèche-linge pour les enfiler. Je
balance mes clés et mon téléphone au fond de mon sac à main et sors
rapidement.

Je n’ai pas à patienter bien longtemps avant qu’un taxi se gare devant
l’immeuble. Je grimpe à l’intérieur et donne l’adresse de mon meilleur ami.
Je profite du trajet pour tenter de faire le vide dans ma tête, mais la pagaille y
règne toujours. Je me sens trahie qu’il ne soit pas resté et coupable d’avoir
tout saccagé dans ma chambre. Une fois arrivée, je ne sais plus ce que je
viens faire ici. J’ai presque envie de demander au chauffeur de refaire le
chemin en sens inverse pour me ramener à la maison. Cependant, je paie la
course et entre chez Ethan avec la clé qu’il m’a donnée. L’entrée donne sur le
salon, la pièce est plongée dans le noir, je cherche à tâtons l’interrupteur
lorsqu’une personne entre dans la pièce.

— Ethan ?

— Non, c’est moi.


Je trouve l’interrupteur et allume la lumière, Tommy est là, devant moi.
Torse nu, ne portant que son jeans. Sa peau couleur caramel et ses abdos
saillants feraient se pâmer n’importe quelle fille, mais moi, je n’ai plus que le
corps de Jarred en tête. Je réprime une envie de vomir lorsqu’il s’avance vers
moi avec une lueur vicieuse dans le regard.

— Tu viens faire quoi ici ?

— Je venais voir mon meilleur ami.

— Il est sorti, je ne sais pas quand il rentre.

— Ça te dérange si je dors sur le canapé ?

— Pourquoi ne prendrais-tu pas mon lit ? ricane-t-il.

Son rire me donne froid dans le dos. Je suis prise d’une envie de foutre le
camp tant il me fait peur. Je me redresse pour lui tenir tête, chose peu facile.

— Je ne veux plus de cette relation, tu le sais, non ?

— Je ne comprends pas pourquoi.

Il s’avance vers moi dans la pénombre, je recule d’un pas et me cogne


durement la tête en me heurtant au mur.

— Je suis sûr que tu le veux, Lou…

— Ne rêve pas.

Son haleine empeste l’alcool et me fait frémir. Je sens la peur se décupler


en moi. Il est si près de moi que son souffle chaud vient cogner dans mon
cou. Ça me donne la nausée.

— Tommy, s’il te plaît recule. Je vais rentrer chez moi.

— T’en fais pas. J’ai même plus envie de te toucher. Tu me dégoûtes, tu


sais.
Pourtant, il pose ses deux mains de chaque côté de ma tête et me fixe de
ses yeux sombres que je vois à peine dans la noirceur. Par contre, je vois ses
dents blanches lorsqu’il sourit, visiblement amusé de me filer la trouille. Sa
main vient se poser sur ma joue qu’il caresse doucement.

— Laisse-moi. T’as trop bu et demain, tu le regretteras.

— Tu crois ?

Je tente de le repousser, mais il est beaucoup plus fort que moi et il les
attrape mes poignets pour les maintenir au-dessus de ma tête. De sa main
libre, il relève mon menton et baisse la tête pour m’embrasser. Je me
contorsionne du mieux que je peux pour lui échapper, en vain.
Instinctivement, je lui mords la lèvre et ne la lâche qu’au moment où il
saigne. Il se décolle de moi, le regard noir de colère. Une gifle bien sentie
vient s’abattre sur ma joue, créant un bourdonnement intense dans mes
oreilles.

— Petite salope !

La tête m’élance et me fait mal. Il pose sa main sur mon épaule et enfonce
ses doigts dans ma peau.

— Tommy, tu me fais mal. Arrête.

— Lou. Arrête de faire la difficile…

Il s’approche de moi, je sens son haleine chargée d’alcool sur mon visage.
Mes mains à plat sur son torse, je tente de le repousser, mais il est trop fort.
Bon sang ! Je ne veux pas revivre ce moment ! De nouveau, il attrape mes
mains et les maintient au-dessus de ma tête.

C’est pas possible. Non. Je ne vais pas le laisser faire…

Je souffle fortement alors que sa bouche se pose avec fermeté contre la


mienne. Sa langue force l’entrée de mes lèvres et finit par se frayer un
chemin jusqu’à la mienne. Sans réfléchir aux conséquences, je lui mords la
langue si fort que du sang coule dans ma bouche. Avant qu’il n’ait le temps
de réagir, je lui enfonce mon genou dans les parties intimes. Un gémissement
furieux s’échappe de sa bouche et il recule d’un pas. Juste assez pour que je
tente de m’évader. Je pose la main sur la poignée de la porte et essaie de
l’ouvrir, mais il saisit le bas de mon t-shirt pour me ramener vers lui. J’essaye
de le frapper, mais je ne suis pas assez forte pour le repousser ; cette fois, je
me débats comme un diable dans l’eau bénite.

Il ne m’aura pas. Il ne me fera pas de mal…

Pas comme Dustin…

Je le frappe de nouveau, mais cette fois, je l’atteins à la mâchoire. Je lui


griffe le visage avec mes ongles, il titube en reculant.

— T’es qu’une petite salope, Lou !

Je n’écoute pas ses injures et prends mes jambes à mon cou. Je cours
comme une dératée pendant plus de dix minutes. Mes pensées s’emmêlent, je
ne suis plus sûre de rien. Je sens encore ses mains sur mon ventre descendant
jusqu’à mon sexe. C’est toujours ainsi qu’il commence. Sans préliminaires,
me traitant d’allumeuse et me murmurant d’en parler à qui je veux, personne
ne croira une fille comme moi. Je sens encore ses yeux d’un bleu presque
translucide me déshabiller du regard. Dustin. Dustin. Soudainement, ils
prennent une teinte marron foncé et mes jambes se bloquent, refusant
d’avancer.

Tommy. Tommy.

Je scande ce prénom dans ma tête comme une triste vérité. Le passé se


mêle au présent, je ne sais plus ce qu’il vient de se passer. Il était saoul… il…
il… il a tenté de me violer…

D’un coup, mes genoux se dérobent sous mon poids. Tout comme mon
cerveau qui ne peut plus rien supporter. Je respire si fort que ma poitrine se
soulève à un rythme effréné. Je dois trouver un moyen de… de… Je ne sais
même plus de quoi… Tommy… Sa voix claque dans ma tête comme un
fouet. Je souffle, une fois, deux fois, trois fois, puis mon cri transperce la
nuit. Je suis dans un état second. Je relève la tête et scrute l’horizon. Je suis
dans un parc.

OK. Tu dois être capable de dire lequel…

Mon regard se pose sur ce qu’il y a autour de moi. Des arbres et des bancs.
Rien qui ne m’indique où je me trouve.

OK. Calme-toi et relativise…

J’ai l’impression d’entrer en mode survie. Du revers de la main, j’essuie


mon visage barbouillé de larmes. Je dois me rendre jusqu’au banc. Il est à
environ deux cents mètres. Je peux y parvenir et ensuite, je trouverai une
solution…

Je me redresse sur mes bras tremblants, ils flanchent sous mon poids et je
me tombe dans l’herbe humide. Comme une révélation, je me rappelle que
j’étais chez Ethan et que le seul parc aux alentours de son appartement est le
Moore Park.

Comme si le fait de savoir où je suis me redonnait un regain d’énergie, je


me redresse et, d’un pas chancelant, me dirige vers le banc. Je m’y laisse
choir, prête à savourer cette petite victoire, mais soudain, je suis prise d’un
haut-le-cœur.

Je vais gerber…

Je me penche, mais rien ne sort. Je me rappelle alors que je n’ai rien mangé
de la journée. J’étais supposée manger, mais en fin de compte, Jarred et
moi…

Jarred. Oui. Je peux l’appeler. Lui viendra me chercher.

J’attrape mon téléphone dans mon sac à main. J’en suis même à me
demander comment j’ai pu me le trimbaler tout ce temps sans m’en rendre
compte. J’aurais dû frapper Tommy avec. La peur laisse place à une colère
que je ne contrôle plus du tout.

Ce fils de pute de Tommy a voulu me baiser de force…

Je respire longuement, une fois, deux fois, trois fois. Puis mes épaules
s’affaissent et les sanglots reprennent. Je dois parler à Jarred le plus
rapidement possible. Je déverrouille mon téléphone et compose son numéro.
Il répond à la troisième sonnerie d’une voix endormie.

— Oui ?

L’entendre me réchauffe le cœur et un sourire étire légèrement mon visage


barbouillé de larmes.

— Jarred, c’est moi.

— Lou ? Ça va ? Tu pleures ?

— Tu peux venir me chercher s’il te plaît ?

— Oui, mais t’es où ?

— Moore Park.

— J’arrive, ne bouge surtout pas.

— Oui.

— J’arrive Lou. Je suis à dix minutes.

— Oui.

— T’as besoin que je reste au téléphone avec toi ?

— Fais vite s’il te plaît…

— Oui ma belle.
Je raccroche sans plus un mot. Le fait qu’il ne m’ait pas posé de questions
et qu’il vienne aussi rapidement me réchauffe le cœur. Je peux compter sur
lui. Je remonte mes genoux sous mon menton et enserre mes jambes avec
mes bras. Dix minutes… Je peux attendre dix minutes… Je fixe l’arbre en
face de moi et compte les secondes…
20
Lou
Malgré mon moment de lucidité, je tente de ne pas réfléchir à ce qu’il vient
d’arriver. Une fois calmée, j’ai bien vite abandonné ma technique de compter
les secondes. Je scrute plutôt l’horizon à la recherche de quelque chose sur
quoi je pourrais porter mon attention, mais je ne trouve rien. Rien du tout.
Pourquoi Ethan n’habite-t-il pas dans un quartier qui bouge plus ? Ah ouais !
Pour que je ne me fasse pas agresser lorsque je vais chez lui à 03 heures du
matin.

Bon sang. Sait-il que la menace qui rode est parfois dans notre propre
maison ?

Non, non. Il ne sait rien. Il n’a conscience de rien. Je devrais l’appeler pour
lui raconter ce qui s’est passé. Je souffle, je lui dois la vérité, et ce même s’il
est en colère contre moi. C’est lui qui me pousse à me prendre en main et à
m’ouvrir à lui. D’une main tremblante, je compose son numéro de téléphone.

— Lou. Tiens donc.

Tu parles d’une façon de répondre au téléphone…

Il y a le son de la télé en arrière-plan, je suppose donc qu’il est revenu chez


lui. J’espère que Tommy ne lui a pas raconté de conneries.

— Ethan, je dois te parler… Je… Tout à l’heure…

— Ouais. Tommy m’a raconté que tu es passée et ce qu’il s’est passé


ensuite.

Wôw, comment ? Je ne comprends plus rien…


— Oui, je voulais te voir et Tommy, il… il…

— Que vas-tu inventer encore ?

— Quoi ? Inventer ? répété-je, dubitative.

— Ouais. Tommy m’a dit que t’as débarqué et tu lui as fait des avances. Il
a fini par flancher et tu l’as mordu et griffé au visage.

— C’est faux ! objecté-je.

— Ah non. Alors tu nies l’avoir fait ?

— Non, mais il a tenté de me faire du mal.

— Tu me déçois Lou. Ces temps-ci, tu délires complètement…

— Ethan, je n’ai rien fait.

— Pourquoi Tommy mentirait-il ? Pourquoi te croirais-je, toi qui passes


ton temps à me mentir ?

— Ne me fais pas ça…

— J’en ai marre Lou. Ressaisis-toi un peu… La vie n’est pas faite que de
caprices.

— Ne me laisse pas tomber Ethan…

— Je crois que là, c’est toi qui nous laisses tomber, déclare-t-il en
raccrochant.

Il ne me croit pas, tout comme ma mère ne m’a pas crue lorsque je lui ai dit
pour Dustin. Je secoue la tête pour chasser ces pensées destructrices. Une
voiture se gare à l’entrée du parc, je ne peux m’empêcher de frémir de terreur
que l’on me fasse de nouveau mal. J’ai l’impression que mon esprit, mon âme
et mon corps tout entier sont à vif, n’importe qui pourrait me blesser. Puis
j’aperçois Jarred sortir de la voiture et venir vers moi. Propulsée par le besoin
qu’il me serre contre lui, je me lève d’un bond et m’élance vers lui. Je cours
si rapidement que lorsque j’arrive près de lui, il n’a le temps que d’ouvrir ses
bras pour me retenir tandis que je m’écroule.

— Lou ? Ça va ? demande-t-il en caressant doucement mes cheveux.

Je secoue la tête, incapable de prononcer le moindre mot.

— Tu veux venir chez moi ? demande-t-il.

Je le repousse légèrement, mal à l’aise, et relève la tête, ses yeux gris


m’apaisent, mais m’angoissent aussi. Je ne sais pas si je pourrais supporter un
quelconque rapprochement avec lui après ce qui vient de m’arriver.

— J’ai une chambre d’ami si jamais tu ne veux pas dormir dans le même
lit que moi…

— Je… Je…

Incapable d’aligner deux mots correctement, je pousse un soupir et hoche


la tête. Il m’attire de nouveau contre lui et m’entraîne vers la voiture. Il
m’aide à m’installer et prend rapidement place à mes côtés. Instinctivement,
sa main attrape la mienne et ses doigts se nouent aux miens.

— Tu veux me dire ce qui t’arrive Lou ?

— On peut en parler chez toi ?

— Oui, mais j’aimerais vraiment savoir ce qui se passe.

Je tente de lui sourire, mais c’est quasi impossible. Je sais bien que son
geste se veut réconfortant, mais ça me fait monter la bile à la gorge. Je serre
les lèvres, persuadée que ça va bientôt arriver.

Putain, faites que je ne vomisse pas dans sa caisse…

— T’es prête ? On y va ? demande-t-il.


Il m’offre un minuscule sourire pour tenter de m’apaiser, mais je vois bien
qu’il essaye de soulager ce qui fait rage en moi ; je ne dirais pas que ça
fonctionne parce que je vois qu’il est inquiet et que des centaines de
questions font rage dans sa tête.

— Oui, allons-y.

Le silence dans l’habitacle met mes nerfs à vif. Je me penche vers l’avant
et tente de respirer, mais c’est de plus en plus difficile.

— Lou ? Ça va ?

— Le silence, ça me tue…

Il branche son smartphone en auxiliaire à l’autoradio et la musique retentit


comme par magie, me coupant de mes pensées destructrices.

— T’as Cold Feeling ?

— Des Social Distortion ?

— Ouais.

Je sens qu’il a envie de me lâcher une vanne pourrie, mais il se retient.


Bientôt, la chanson s’élève dans l’habitacle, je reprends place dans le siège,
ma tête contre la vitre, les yeux fermés, pour ressentir les paroles. Lorsque la
piste se termine, je me laisse bercer par la suivante et ainsi de suite. À la fin
de l’album, je relève la tête en me demandant où l’on peut bien être. Ça ne lui
a pas pris plus de dix minutes pour venir me chercher alors que là, on doit
rouler depuis plus d’une demi-heure. Je regarde Jarred en plissant les yeux.

— Où sommes-nous ?

— J’ai conduit sans m’arrêter, tu semblais avoir besoin des Social D.

— Tais-toi, veux-tu ?

— J’ai rien dit, rigole-t-il.


— Et nous sommes loin de chez toi ?

— Non, j’ai tourné dans le quartier.

Il met son clignotant à droite puis s’engage dans une rue déserte avant de
tourner dans une allée parfaitement pavée que nous remontons tranquillement
jusqu’à une grosse maison typique de Miami.

Bon sang. Y a beaucoup trop de fenêtres sur cette baraque…

Il me conduit à l’intérieur, tout est magnifique et décoré avec goût dans des
tons blanc et noir, avec quelques légères touches de couleur par-ci par-là. Je
suis éblouie, il doit penser que mon appartement manque de vie en
comparaison de cet endroit.

— Chez toi… c’est… hum… magnifique…

— Merci. Jamie est très douée en déco.

— Toi et elle ?

Il éclate de rire et je rougis d’avoir posé cette question.

— Jamie est comme ma grande sœur. Elle a toujours été là pour moi…

Il attrape mon menton entre son pouce et son index et m’oblige à relever la
tête. Le soleil se lève à peine, apportant une lumière nouvelle. Il touche ma
joue à l’endroit exact où Tommy m’a frappée. Je grimace de douleur, je suis
persuadée que je vais avoir une ecchymose sur le visage.

— Lou ? Que s’est-il passé ? demande-t-il, l’œil mauvais.

— Je… rien…

Je me détourne, il me saisit par le poignet pour me retenir, ce qui me fait


étouffer un petit cri de douleur. Il remonte ma main vers lui et inspecte mon
poignet.
— Lou… Si tu ne me dis pas ce qui s’est passé, je vais faire un malheur.

Les forces me manquent ; épuisée, je relève la tête. Ses yeux gris acier me
sondent jusqu’au plus profond de mon âme. Cependant, ce que j’y vois
m’interpelle. Il y a tant de tendresse qu’il est impossible pour moi de ne rien
lui dire. Ce que je vois me persuade que lui va me croire. Mon cœur se serre
et je ne peux m’empêcher de lever la main pour caresser sa joue.

— J’ai besoin d’un café…

— Suis-moi à la cuisine, je vais en faire.

Il noue ses doigts aux miens et m’entraîne dans la pièce voisine. Je prends
place sur un tabouret autour de l’îlot, le regarde mettre du café dans le
percolateur qu’il met en marche avant de se tourner vers moi.

— Alors Lou ?

— En voyant ton mot, je ne comprenais pas. J’ai eu l’impression d’être


trahie. Tu sais, c’est vrai lorsque je te dis que peu importe le nombre de fois
où tu me diras que je compte pour toi ou encore que tu reviens dans une
heure, je vais le vivre chaque fois comme un abandon. Ça fait partie de ma
maladie. J’en suis désolée…

— C’est moi qui suis désolé de t’avoir blessée.

— Ce n’est pas ta faute. J’ai essayé de me calmer, de relativiser, mais ce


fut impossible. J’ai quelque peu saccagé ma chambre, avoué-je, honteuse.

— Pourquoi tu ne m’as pas appelé ?

Je souffle, ça me semble si logique maintenant…

— J’en sais rien… après avoir fait ça, je t’ai appelé… ça m’a encore plus
fait culpabiliser. Je me sentais totalement idiote d’avoir réagi ainsi. Surtout
avec la façon dont tu m’avais parlé. Tu es si doux, si prévenant avec moi. Je
m’en voulais, j’étais incapable de rester seule dans mon appartement, j’avais
prévu d’aller dormir sur le divan d’Ethan.

Je me tais et passe ma main sur mon visage. Je suis morte de fatigue et


revivre ce moment me vole mes dernières forces. Jarred ne dit rien, ce qui
n’est pas bon signe. Il se retourne et attrape deux tasses dans l’armoire. Il
verse le café dedans et, toujours dos à moi, me demande :

— Sucre et lait ?

— Non merci.

Il se retourne et me tend mon breuvage fumant.

— Et ensuite ?

— Quand je suis arrivée chez Ethan, Tommy m’a entendue et il est venu
me trouver. Il m’a fait des avances que j’ai tenté de repousser, mais il est
beaucoup plus fort que moi. Alors, il m’a frappée. Il aurait pu… tu sais…
mais je l’ai mordu, frappé et griffé.

La pression tombe et me fait craquer, j’éclate en sanglots en cachant mon


visage entre mes mains. Jarred contourne rapidement l’îlot et me prend dans
ses bras. Son silence est si pesant que je pleure aussi pour ça. J’ai
l’impression qu’il m’en veut d’avoir été chez Ethan. Je déverse des torrents
de larmes contre son torse. Lorsque je me calme, il me lâche et retourne sans
un mot à sa place.

— Je sais bien que tu m’en veux… Je suis désolée…

— T’en vouloir ? Mais pourquoi t’en voudrais-je ?

— Je sais pas, tu ne dis rien…

— Lou, j’essaie de me contenir pour ne pas aller éclater la tête de cet


enfoiré.

Il revient vers moi et prend mon visage en coupe. Je ne sais pas si j’en suis
soulagée, mais il pose son front contre le mien.
— Ma chérie, c’est aussi à moi que j’en veux d’avoir laissé ce mot.
J’aurais dû te réveiller et t’expliquer. Je m’excuse, ça t’aurait évité bien des
peines.

— T’en fais pas pour moi. J’ai déjà vécu bien pire, tu sais.

Il m’oblige maintenant à me mettre debout. Je ne sais pas comment réagir,


je me laisse donc aller contre son torse avec un soupir et le maigre espoir de
me sentir mieux. Ses bras s’enroulent autour de moi, il me maintient avec
fermeté contre lui.

— Lou, c’est insensé de dire ça. Ce mec aurait pu abuser de toi… C’est…
c’est…

Il cherche ses mots, mais ce qu’il ne sait pas, c’est que, cette fois, je ne me
serais pas laissée faire.

Non. Aucun autre homme ne va m’imposer ça.

À cette pensée, mon corps se met à trembler. Je ferme les yeux, car je me
sens emportée dans un abyme sans fin. Je me force à garder la tête froide et
une respiration régulière. Cependant, ça ne fonctionne pas. Si les bras de
Jarred m’ont réconfortée il y a quelques minutes, maintenant c’est tout le
contraire, ils m’étouffent et m’empêchent de rester lucide. Je le repousse
vivement et me dirige vers le salon d’un pas pressé. Je dois absolument
mettre de la distance entre nous.

— Que se passe-t-il Lou ? demande-t-il en m’attrapant par le bras.

Ma respiration est saccadée, j’ai l’impression de manquer d’air. Je tente de


retrouver pied, mais rien ne fonctionne. Il soupire et m’oblige de nouveau à
l’affronter.

— Lou. Regarde-moi… Je t’en prie…

— Il l’a fait… Il l’a fait…, scandé-je.


Je déraille complètement. Encore une fois, le passé se mêle au présent,
m’entraînant dans une spirale infernale. Il me guide jusqu’au canapé et
m’aide à m’asseoir.

— Qui a fait quoi ?

— Lui… mon beau-père…

— Tu veux m’expliquer ? Parce que je ne saisis plus rien.

Je relève la tête, incertaine, tremblante. Je ne peux pas lui en parler. Je ne


comprends pas pourquoi j’ai dit ça. Je le regrette. Il va vouloir savoir. Il va
vouloir comprendre et me demandera de me livrer à lui. Ensuite, il me
trouvera répugnante et aura honte de moi.

Mais Jarred n’est pas comme les autres, si ?

— Tu veux m’en parler ?

Il me demande encore de faire la lumière sur ce qu’il se passe en ce


moment dans ma tête. Il ne l’exige pas, non. Sa demande est douce et
attentionnée. Ça me donne envie de me livrer à lui malgré la peur qu’il me
prenne pour une folle.

Mais tu l’es déjà, Lou.

— Je… Tu…

Je lève les yeux vers lui. Une boule dans mon ventre me tord les entrailles.
Il caresse ma paume avec son pouce.

— Ma mère a rencontré Dustin quand j’avais sept ans.

Je me tais, incapable de prononcer un mot de plus. Je ferme les yeux, la


tête me tourne tant l’émotion qui m’assaille est impétueuse.

— Il a fait quoi ? C’est lui qui t’a fait quelque chose ?


Je me contente de hocher la tête.

— Je l’ai surpris avec la voisine en train de s’envoyer en l’air. Il m’a hurlé


dessus et m’a frappée. Il était en colère contre moi. Quand j’en ai parlé à ma
mère, elle ne m’a pas crue…

— L’amour fait faire des choses horribles parfois… Cependant, ce n’est


pas une raison de ne pas te croire.

Je lui coupe la parole et continue de parler comme si je ne pouvais plus


m’arrêter. J’ai commencé et je dois livrer mon histoire jusqu’au bout.
Qu’importe ce qu’il se passera par la suite.

S’il m’apprécie un peu, il restera avec moi…

J’ai envie de sourire à cette pensée.

— J’ai eu des formes rapidement et plus je vieillissais, plus son regard sur
moi changeait. Il devenait plus insistant. Quand j’ai eu quinze ans, il est venu
dans ma chambre et m’a obligée à le toucher. Il n’y a jamais eu pénétration,
mais c’était tout aussi horrible de le toucher. Quand j’en ai parlé à maman,
encore une fois, elle a préféré le croire lui plutôt que moi. Ça m’a détruite…

Son absence de réaction m’effraie, je n’ose pas le regarder. Je ferme les


yeux quelques secondes et lorsque je les ouvre de nouveau, il me fixe et
semble incapable de me lâcher.

— Je t’en supplie, dis quelque chose.

— Ce que tu as vécu est horrible. Je n’ai pas de mot pour dire à quel point
je suis désolé pour toi.

— Ce n’est pas de ta faute, tu n’as pas à l’être… Y a qu’Ethan qui était au


courant et ce soir, il ne m’a pas crue. Ça me fait si mal.

— Lou, ton ami est blessé. Je crois qu’il t’aime bien et qu’en ce moment, il
voit que tu t’éloignes de lui. Il reviendra.
— J’espère que tu as raison.

— J’ai toujours raison, tu sais. Je crois aussi que tu devrais en parler à ton
psychiatre.

Je secoue vivement la tête et me lève si rapidement que Jarred semble


étonné de ma soudaine vitalité.

— Ne crois-tu pas que tout est lié ? continue-t-il.

— Tu crois vraiment que je ne sais pas ? Que je n’ai jamais fait de


recherches sur ma maladie ? J’ai passé des mois à faire des recherches !
Chaque fois, j’en venais à la même conclusion : un traumatisme dû à
l’enfance… Tu crois vraiment que je suis assez conne pour ne pas me douter
que c’est à cause de ça que je suis folle ?

Il s’avance vers moi et tente de me calmer, mais je me débats si vivement


qu’il doit m’attraper par les bras et m’obliger à le regarder pour que je
m’apaise.

— Lou ! Ça suffit, ce n’était pas un reproche.

— Je… je…

— Tu veux qu’on aille dormir ? Tu dois être épuisée, non ?

— Oui.

Il m’entraîne dans sa chambre. Je n’ai pas le temps de m’attarder sur la


décoration tant je suis à bout de forces. Il ouvre le premier tiroir d’une grande
commode en bois foncé et me tend un t-shirt ainsi qu’un jogging.

— Y a une salle de bain juste là, tu pourras te débarbouiller et te mettre au


lit. Je vais dormir sur le canapé.

— T’es fâché contre moi ? demandé-je tremblante.

— Pas du tout. Je ne voulais pas t’imposer de dormir avec moi après ce


qu’il s’est passé cette nuit.

— Au contraire, j’ai besoin de toi plus que jamais.

— Je vais dormir avec toi alors.

Je lui adresse un faible sourire et me dirige vers la salle de bain attenante à


la chambre. Je me déshabille rapidement et enfile les vêtements qu’il m’a
prêtés. J’examine mon visage dans la glace. Ma joue a déjà commencé à
prendre une teinte bleutée.

Bon sang. Faites que ça ait disparu avant le shooting…

Je prends une douche rapide, me sèche et m’habille le plus vite possible.


J’attrape la brosse à dents de Jarred et me lave les dents. Une fois terminée, je
reviens dans la chambre pour le trouver au lit. Il a tiré tous les rideaux de la
pièce, créant ainsi un semblant d’obscurité. Rapidement, je me glisse sous les
couvertures et accepte de me blottir dans ses bras. Je pose ma tête contre son
torse. Ni lui ni moi ne parlons, mais il caresse doucement mon dos du bout
des doigts. C’est sous cette caresse que je m’endors dans ses bras, épuisée.
21
Lou
Je roule sur le côté et bute contre un corps. Une peur inconnue gagne mes
entrailles et se faufile jusque dans mon estomac.

Que m’arrive-t-il ? Pourquoi je réagis ainsi ?

J’ouvre un œil et souffle, soulagée d’apercevoir le visage de Jarred.


Pendant un moment, j’observe la courbe bien définie de sa mâchoire ainsi
que sa barbe de quelques jours qui parsème ses joues et son cou d’un léger
duvet châtain. Son nez long et fin. Ses paupières bordées de cils bruns. Il est
magnifique lorsqu’il dort. Du bout des doigts, je caresse son épaule et
remonte lentement vers sa mâchoire.

— Mmm Lou. Il est quelle heure ? grogne-t-il.

— Je ne sais pas, mon téléphone est dans mon sac à main qui est resté au
salon.

Il s’étire, attrape le sien sur la table de chevet et grogne de nouveau. Il


passe son bras autour de mes épaules et m’attire contre lui.

— Il n’est que 11 heures du matin. On devrait dormir encore.

— Pour certains, la journée est déjà entamée depuis longtemps.

— Sans doute que ces gens ne se sont pas couchés à 07 heures.

— Désolée que tu sois fatigué à cause de moi.

— Non. Ne t’excuse pas. Je suis heureux que tu m’aies appelé…

— Merci d’être là, Jarred.


Il me repousse légèrement, je ressens ce geste comme un abandon. Ça me
fait drôle. Cependant, ce sentiment ne dure pas longtemps, car il roule sur le
côté pour me faire face et caresse ma joue avec sa main droite.

— Dis-moi comment tu vas.

— Ça va. En grande partie grâce à toi. Merci d’avoir été là.

— Tu peux m’appeler à n’importe quelle heure, tu le sais.

Je hoche la tête et lui souris. Il touche ma joue et replace une mèche de


mes cheveux qui a glissé devant mes yeux.

— T’es magnifique Lou. J’ai jamais vu une femme aussi belle que toi.

Je rougis devant ce compliment et cache mon visage avec mon bras.

— Ne te cache pas, c’était sincère.

— Tu me fais du bien, Jarred.

Il me sourit bêtement et se penche vers moi, ma respiration se coupe. Je


ferme les yeux et il pose ses lèvres contre les miennes, m’offrant ainsi le
baiser le plus doux et passionné de toute ma vie. Ses doigts fourragent mes
cheveux, mes bras se nouent autour de son cou. Nos corps se soudent l’un à
l’autre. Impossible de nous lâcher. Cependant, il met fin à cette étreinte, nous
laissant haletants et avec un sentiment de manque. Ni lui ni moi ne lâchons
l’autre. Il pose son front contre le mien en murmurant :

— Lou…

Je ne peux m’empêcher de sourire.

— Tu vas me détester, mais nous devons en parler…

— Je sais. Tu souhaites qu’on fasse quoi ? Je ne peux pas lâcher le projet,


c’est probablement ma dernière chance, tu sais…
— Oui, j’en ai conscience, de toute façon, je n’aurais pas voulu que tu
abandonnes. J’ai l’impression que cette collection a été dessinée pour toi.

— Je ne veux pas renoncer à toi.

La peur me tord le ventre, c’est difficile de me dire que c’est peut-être la


dernière fois que je peux regarder ses yeux gris de si près.

— C’est la même chose pour moi. Je t’ai, je te garde.

Cette seule phrase suffit à me rassurer et faire bondir mon cœur.

— Deux mois, c’est pas grand-chose…

— Tu souhaites que nous gardions secrète notre relation ?

— Ce serait le mieux à faire, tu ne crois pas ? Rien ne nous empêche de


nous voir ensuite.

— En public, nous allons nous comporter comme des amis, c’est ça que tu
veux dire ?

— Oui. C’est le mieux que j’ai à te proposer.

— Et dans l’intimité ? demandé-je.

— Rien ne m’empêchera de faire ça…

Il se penche vers moi et suçote la peau de mon cou. Ça me fait glousser de


plaisir. Il remonte tranquillement vers mon oreille et murmure :

— Ça te dit une relation clandestine avec moi ?

Je rejette la tête en arrière et me mets à rigoler. Il en profite pour déposer


des petits baisers jusqu’à ma gorge.

— Dis oui.
Il relève la tête et m’implore du regard.

— J’ai besoin de toi, Lou…

Personne avant lui n’a eu besoin de moi. Son regard me sonde et se visse
dans le mien. Avec les plus belles intentions du monde, je lui réponds :

— Oui… Oui. Tout ce que tu souhaites.

Il se jette sur ma bouche et m’embrasse avec avidité. Ses mains se posent


sur ma nuque et nos corps se soudent de nouveau. Cette fois, rien ne pourra
les séparer. Il roule sur le dos, m’entraînant avec lui. Je me retrouve au-
dessus de lui à le chevaucher. Avec une rapidité déconcertante, il me retire
son t-shirt et prend mes seins entre ses mains. Il se relève légèrement et
mordille mes tétons. J’ondule du bassin, frottant mon sexe trempé contre le
sien, dur comme la pierre. Il pousse un grognement, me colle contre son torse
puis me soulève et tire sur mon jogging pour me l’enlever. Je pousse un cri
de surprise. La manœuvre est risquée, à tout moment il pourrait me laisser
tomber sur le sol, mais il ne semble pas s’en soucier ou s’en rendre compte.
Aussi rapidement que pour le t-shirt, il me retire le pantalon que je porte et
me replace sur lui, mais je l’arrête et prends place à genoux sur le lit.

— Lou, tu fais quoi là ?

Je ne réponds pas et lui souris. Je prends son pénis entre mes doigts. Il est
long et dur, et je mouille juste à le toucher. Je fais de lents mouvements de
va-et-vient le long de sa hampe. Je descends la tête vers sa queue et me lèche
les lèvres en lui lançant un regard lubrique. Il ne me lâche pas des yeux, il
semble hypnotisé par le plaisir. Je pose mes lèvres contre son gland humide
et prends sa queue dans ma bouche. Ses doigts entrent dans mes cheveux et
s’y agrippent pendant que je le suce. Il gémit, se cambre, faisant entrer mon
sexe plus profondément dans ma gorge.

— Lou… Stop… je ne… Oh fuck{5}…

Je bouge plus rapidement le long de sa hampe, aspirant plus fort et plus


loin sa queue. Il grogne, gémit et se contorsionne. Sa respiration devient
saccadée et il pousse un nouveau grognement de plaisir en jouissant dans ma
bouche.

— Putain Lou. Tu m’as tué…

J’avale son sperme et me redresse pour aller à la salle de bain. Je me rince


la bouche avec de l’eau et quand je me retourne, Jarred est dans mon dos.

— Tu croyais aller où comme ça ? me demande-t-il.

— Rincer ma bouche et boire un peu d’eau.

— J’ai même pas pu jouer avec toi…

— Ce n’est pas terminé, babe.

Il me sourit et s’avance vers moi. Il m’agrippe par les fesses et me soulève


pour m’asseoir sur le lavabo. Je m’accroche du mieux que je peux au rebord.
La peau brûlante de mon dos contre le miroir froid me fait pousser un cri,
mais ce n’est rien comparé à celui que je pousse lorsque Jarred aspire mon
clitoris entre ses lèvres. Il s’accroche à mes hanches tout en jouant de sa
langue sur mon sexe trempé. Lorsqu’il me lâche pour enfoncer deux doigts en
moi, je ne sais plus à quoi me retenir pour ne pas glisser. J’essaie de ne pas
bouger, mais c’est impossible tant le plaisir me prend de court. Ses doigts en
moi bougent, m’amenant rapidement au bord de l’orgasme. Ma respiration se
fait haletante, saccadée, j’ai l’impression de perdre la tête tant c’est bon. Je
n’ai pas le temps de lui dire que j’aime ce qu’il me fait que je jouis. J’essaie
de me retenir au miroir, au lavabo, mais rien n’y fait. Je ne contrôle plus rien
tant je tremble face à cette jouissance.

— Oh bon sang ! Oh merde !

Jarred se relève, essuie ses lèvres du revers de la main et vient


m’embrasser. Son sexe frotte contre le mien. Il m’attrape par les hanches et
s’enfonce en moi d’un long coup de reins. Je pousse un nouveau cri de
plaisir. Il me bourre de coups de bassin. Je m’accroche à ses épaules, plantant
mes ongles noir et mauve dans sa peau. Mes longues jambes s’enroulent
autour de ses hanches. Sa queue va et vient en moi de moins en moins vite,
mais toujours plus loin. Il donne un long coup de hanche et me fait jouir une
nouvelle fois, je me cambre, m’accroche à lui. Je suis dégoulinante de sueur,
tout comme lui. Il jouit en moi en m’embrassant longuement, sa langue dans
ma bouche. Je le repousse doucement.

— Là, c’est toi qui m’as tuée.

Je le regarde retirer son préservatif.

— Tu l’as enfilé quand ce préservatif ?

— Je l’ai pris avant de venir te trouver.

— T’avais tout prévu, rigolé-je en sautant en bas du meuble de salle de


bain.

Mes jambes sont tremblotantes, Jarred me retient et m’enlace.

— Ça te dit une douche ?

— Je crois qu’on en a besoin tous les deux…

— Vas-y en premier, je passe après.

— Viens avec moi.

Je me dirige vers la cabine en verre et y entre en laissant la porte ouverte.


Jarred me suit de près et ouvre les robinets. Il règle la température et m’attire
sous le jet à effet de pluie. Il mouille mes cheveux et m’envoie de l’eau sur le
visage. Je rigole comme une enfant.

— Jarred ! Non !

— Je n’ai que du shampoing pour homme à te proposer…

— Ça fera amplement l’affaire, dis-je en prenant une bouteille.


J’en mets une noisette dans ma paume et repose la bouteille. Je fais
mousser mes cheveux sous le regard inquisiteur de Jarred. Il repousse mes
mains et termine la tâche à ma place. Ensuite, il s’applique à me rincer
soigneusement la chevelure.

— Putain, tes cheveux sont si longs…

— Je les aime comme ça.

Il pose un baiser sous mon oreille avant d’ajouter :

— Ça tombe bien, moi aussi.

Il prend une bouteille de gel douche et me frotte partout. Je le soupçonne


même de s’attarder à des endroits spécifiques de mon corps.

— Tu peux aller dormir un peu si tu veux, je n’en ai pas pour longtemps.

— Laisse-toi faire.

Je le savonne comme il l’a fait pour moi, touchant sa peau du bout des
doigts. Il est magnifique, sa peau est tendue sur ses muscles. Je pourrais
passer des heures à le toucher ainsi.

— OK. C’est terminé, annoncé-je.

Nous sortons de la douche, il me tend une serviette. Nous nous séchons


chacun de notre côté en silence. En général, les silences me mettent mal à
l’aise, mais celui-ci me fait du bien. Je ne me sens pas obligée de dire quoi
que ce soit et j’ai la curieuse impression que lui aussi ressent la même chose.

De retour dans la chambre, il me tend un nouveau t-shirt et un jogging. Il


en revêt un à son tour. Épuisés, nous reprenons place dans le lit. Il m’ouvre
les bras et je me blottis contre lui.

— J’ai confiance en nous Lou, annonce-t-il.

Cette affirmation me fait sourire.


Il croit que ça va fonctionner nous deux…

— Moi aussi, dis-je tout bas.

— Tu vas devoir me parler lorsque ça n’ira pas Lou…

— T’en fais pas…

— Je suis sérieux, tu dois me faire confiance.

— Oui.

Je relève la tête et lui souris. Ses yeux acier sont vissés dans les miens. Du
revers de la main, il me caresse la joue.

— T’es importante pour moi, sache-le. Je ne vais pas te laisser tomber si


facilement.

— Merci Jarred, murmuré-je.

Je repose ma tête contre son torse et m’endors rapidement.


22
Lou
Moi, Louann Cassidy, garde les yeux bien fermés. Je veux profiter de ces
quelques instants de tranquillité avant qu’il ne se réveille. Moi qui ai toujours
préféré fuir sur la pointe des pieds avant l’aube, je donnerais tout pour me
réveiller dans ses bras jusqu’à la fin de mes jours.

Lou, t’es amoureuse de ce mec…

Ah non. Pas toi… Ferme-la.

Tu sais que lorsqu’il s’éveillera, vous devrez agir comme si vous n’étiez
que des amis.

Oui, j’en ai conscience, mais nous n’avons pas le choix. Je ne veux pas
compromettre son travail. J’ai les meilleures intentions du monde, mais
parfois, j’ai du mal à me contrôler.

Comme s’il sentait mon angoisse, il resserre son emprise autour de ma


taille. Son corps est maintenant collé si fort contre le mien que je sens son
cœur battre dans mon dos. Ou peut-être est-ce simplement le mien qui bat à
tout rompre.

Tu sais que j’ai raison. Un jour, il te dira qu’il n’a pas envie d’être avec
quelqu’un comme toi…

Non. Non. Non. C’est faux. Je t’en prie, tais-toi conscience.

Me taire ? Tu n’acceptes donc pas la vérité…

S’il te plaît…
T’as besoin d’une piqûre de rappel ? Il t’a baisée simplement parce qu’il
avait pitié de toi. T’es tombée dans le panneau comme une débutante…
Bravo ! Tu te rappelles ce qu’il est arrivé la dernière fois que tu as aimé un
mec ?

Non ! Pas ça. Non. Arrête !

Sors de ce lit et va-t’en… TOUT DE SUITE…

Il n’est pas comme les autres…

Un kilo de plomb vient de me tomber dans l’estomac. J’ouvre les yeux, la


lumière du jour filtre à travers le store. Je suppose qu’il est déjà tard dans
l’après-midi. Je repousse doucement son bras et sors du lit sans lui jeter un
coup d’œil, car si jamais je le regarde, je serai incapable de partir. Sur la
pointe des pieds, je me dirige vers la cuisine, ouvre un tiroir et en sors un
bloc-notes ainsi qu’un crayon. Je lui rédige une petite lettre.

« Coucou Jarred,

Tu semblais fatigué, je suis donc rentrée chez moi pour ne pas te déranger
et aussi parce que je n’avais pas envie de vivre un au revoir. Tu me manques
déjà. Passe-moi un coup de fil en soirée si le cœur t’en dit.

Je t’embrasse.

Lou »

Je laisse mon mot sur l’îlot et me dirige vers l’entrée. J’enfile mes
chaussures et attrape mon sac à main. Une fois à l’extérieur, la chaleur
m’étouffe un moment. Je sors mon téléphone de mon sac et consulte mes
messages. J’en ai une dizaine d’Ethan.

Bon sang. Il me veut quoi ?

Une voiture se dirige vers moi et j’avance sans y porter trop attention, bien
trop prise par les messages de mon meilleur ami. La portière claque.
— Lou ?

Bon sang, Jamie !

— Ce n’est pas ce que tu crois, me défends-je en me retournant vers elle.

Sa bouche s’ouvre en grand et ses yeux sortent presque de leurs orbites.


Face à sa stupeur, je suis prête à tout nier en bloc. Je ne veux pas mettre
Jarred dans une situation compromettante, mais lorsqu’elle avance la main
vers mon visage, je réalise que ce n’est pas parce que je porte les vêtements
de son meilleur ami qu’elle réagit ainsi, mais sans doute à cause de la balafre
que j’ai sur la joue.

— Lou, t’as quoi au visage ?

— J’ai rencontré plus balaise que moi. C’est pour ça que je suis ici, Jarred
est venu me chercher, j’ai dormi... Je... Je... Ne me mets pas à la porte.

Elle rit légèrement et attrape mon menton entre son pouce et son index
pour examiner ma joue.

— T’en fais pas. J’ai entièrement confiance en Jarred, dit-elle. Mais aussi
en toi, ajoute-t-elle après un moment. Par contre, j’aimerais vraiment savoir
qui t’a fait ça.

— Personne d’important. Tu sais que je vais tout faire pour ne pas te


décevoir.

Je ne dirais pas qu’elle est satisfaite de ma réponse, mais elle hoche la tête
avec un petit sourire.

— Tu retournes chez toi ?

— Ouais. J’allais appeler un taxi.

— Viens, je te ramène, annonce-t-elle.

Elle pose sa main sur la mienne et m’invite à la suivre.


— Tu avais rendez-vous avec Jarred ?

— Non. Comme il a annulé notre petit déjeuner, je venais l’inviter pour le


dîner.

— C’est ma faute, je suis désolée.

— Ne le sois pas. Jarred sait ce qu’il fait…

Je hoche la tête et la suis jusqu’à sa voiture. Je me glisse sur le siège


passager de sa très jolie Mercedes GL 500. Mon Audi R8 me manque. J’en ai
marre de dépendre des taxis ou encore de marcher jusqu’à en avoir les jambes
en feu. Plus que deux mois avant de la retrouver. Soixante-huit jours… Je
dois tenir bon. Nous filons rapidement dans l’allée sinueuse avant de
déboucher dans la rue. Je lui explique rapidement où j’habite. Elle semble
connaître les lieux. Je me concentre sur l’endroit où nous nous trouvons. Je
n’avais pas fait attention à l’aller, mais Jarred habite dans le quartier le plus
huppé de Miami. Ça me fait grincer des dents.

Comment puis-je connaître ce mec depuis si peu de temps, ne rien savoir


sur lui et penser l’aimer ?

— Alors vous deux…

— Non. Il n’y a pas de « nous deux », la coupé-je rapidement, le regrettant


aussitôt.

— Je n’y vois pas d’inconvénient.

— Il n’y a rien entre nous. Nous priorisons le travail avant tout.

— C’est du Jarred tout craché, ricane-t-elle.

Bon sang. Même son rire est adorable…

— Ouais.

— Impatiente de commencer à bosser ?


— Oui, ça va me changer les idées.

— J’ai su que tu avais perdu tes autres contrats. J’en suis désolée.

— Non. Ne le sois pas. Je ne veux pas de la pitié des gens.

— La pitié n’est pas quelque chose de mal, tu sais. Ça ne veut pas dire que
je pense que tu es faible. Ça veut seulement dire que ta situation me touche.
Tu ne dois pas mélanger ça avec de l’apitoiement. Jamais je ne te regarderai
t’apitoyer sur ton sort.

Elle se tait, me laissant méditer ses paroles. Elle a raison, j’ai longtemps
mélangé pitié et apitoiement.

— T’es forte Lou. Ne doute jamais de toi. Tu n’es pas le genre de nana à se
morfondre dans un coin.

— Je ne veux pas te contredire, mais je crois que ta vision de moi est


erronée.

— Ah bon, pourquoi ? Ne te rabaisse pas sans arrêt. T’es capable de faire


de grandes choses. Tu te relèves à chaque chute. C’est aussi l’une des raisons
pour lesquelles je voulais que ce soit toi l’égérie de ma collection.

— Merci, dis-je à demi-voix.

— Voilà. T’es à la maison.

— Merci Jamie.

J’ouvre la portière, mais elle m’attrape par la main.

— Apprendre à s’aimer est la chose la plus difficile au monde. Vivre avec


une maladie aussi. Ça va aller, mais parfois c’est plus difficile. Mets tout en
œuvre pour rendre ta vie plus facile et non la compliquer, mais surtout, tu ne
dois plus jamais laisser quelqu’un te blesser, d’accord ?

Incapable de me contrôler, je la prends dans mes bras. Elle me frotte le dos


d’un geste amical en riant. Je lui murmure un dernier « merci » avant de sortir
de sa bagnole. Je patiente devant l’ascenseur un petit moment en réfléchissant
à ce qu’elle vient de me dire. M’aimer, en suis-je vraiment incapable ? Elle a
raison sur un point, j’ai tendance à tout compliquer. Je devrais peut-être
l’engager elle aussi comme psy. Les portes s’ouvrent et Ethan apparaît. Je
porte la main à ma bouche pour étouffer un petit cri. Il s’avance vers moi, je
recule d’un pas.

— Où étais-tu ?! hurle-t-il, furieux.

Oh non. Il ne va pas me crier dessus !

— Ça ne te regarde pas.

— Ça fait des heures que je t’attends.

— Tu veux quoi ?

— Te parler. On peut monter chez toi ?

— Je suis fatiguée. Une autre fois peut-être.

— Tu reviens d’où à cette heure ? Et qu’est-ce qu’il t’est arrivé au visage,


bon sang ?

Je pousse un soupir. Je suis incapable d’être en colère contre mon meilleur


ami, mais ce qu’il m’a avoué la veille change la donne entre nous. Je ne peux
pas me permettre que ses sentiments changent à mon égard.

— J’étais chez Jarred.

— Super alors ! T’as trouvé quelqu’un pour te consoler.

— Pourquoi t’es comme ça ? Il n’y a jamais eu de jalousie entre nous et


maintenant…

— Avant, il n’y avait personne qui comptait dans nos vies. C’était nous
deux contre le reste du monde, tu te rappelles ?
Je souris à cette pensée. Il a raison. Ça n’a toujours été que nous deux.

— Maintenant, nous avons chacun quelqu’un dans nos vies et c’est


difficile à accepter.

— T’as quelqu’un dans ta vie ? demandé-je surprise.

— Ouais.

— Tu ne m’en as jamais parlé.

— C’est difficile. T’es plus disponible, Lou.

— Et toi, t’es méchant avec moi.

— Je m’excuse pour hier, j’aurais dû écouter ta version avant de sauter aux


conclusions. Surtout maintenant que je vois tes bleus… J’en suis désolé, mais
t’es injoignable ces temps-ci.

J’ignore sa remarque concernant mon visage. Je ne veux pas en parler avec


lui. Ni avec personne d’ailleurs.

— Je suis toujours ta meilleure amie, Ethan. Nous avons traversé trop de


choses pour laisser tomber. Nous allons y arriver. Je ne veux pas perdre mon
meilleur ami.

— Et moi la mienne. Je te propose que nous dînions tous les quatre un de


ces jours.

Jarred et moi ne sommes qu’amis pour l’instant… Cette pensée me tord les
entrailles et réduit mon cœur en miettes. Immédiatement, je ressens le besoin
de l’appeler pour lui faire part de ce qui m’arrive et de comment je me sens.

Bon sang. Dans quoi je me suis embarquée ?

— Oui, avec plaisir, je lui en parle et je t’envoie un texto.

— Je dois aller trouver Carla. J’attends ton message ma belle.


Je hoche la tête et appuie avec violence sur le bouton de l’ascenseur.
Lorsque je m’y engouffre, une main se glisse entre les portes et elles
s’ouvrent de nouveau. J’ai peur que ce soit Ethan qui souhaite prolonger la
conversation. Cependant, ce n’est pas lui que je découvre. Ce ne sont pas ses
yeux verts qui entrent en contact avec les miens. C’est un regard gris comme
l’acier et il pénètre au plus profond de moi me faisant frémir de plaisir.

Jarred ! Bon sang, il est là.

Il entre dans l’ascenseur et prend mon visage entre ses mains.

— Ne repars plus jamais comme ça. Je t’en supplie, m’implore-t-il en


m’attirant contre lui.

Je ne comprends pas ce revirement de situation, mais je me laisse aller


contre son torse. Il appuie sur le bouton de mon étage et nous grimpons
jusqu’au 19e si rapidement que j’ai l’impression de n’avoir presque pas
profité de ses bras. Il m’entraîne vers mon appartement, je déverrouille d’une
main tremblante et nous entrons.

— Je me suis posé tout un tas de questions quand j’ai découvert que tu


n’étais plus dans le lit avec moi. Puis, j’ai trouvé ton mot. Je me suis dit qu’il
y avait de bonnes chances que ce soit le fouillis dans ta tête.

— Je ne voulais pas d’un au revoir… Je comprends, mais te dire au revoir


à chaque fois, ça va être difficile.

— Je ne veux ça que pour faciliter le travail de tout le monde, ma puce.

— Je sais. Je sais aussi que tu fais toujours ce qu’il faut et je te trouve


fabuleux aussi pour ça.

— Lou… Je…

— Je t’en prie, laisse-moi parler. Sinon, je n’aurai plus le courage de le


faire.
Il me sourit et prend ma main dans la sienne.

— Allons discuter sur le canapé, propose-t-il.

Je le laisse m’entraîner dans le salon, nous nous asseyons, côte à côte.


Jamais il ne me lâche. Ça m’apaise, mais n’enlève pas ma peur, je perds peu à
peu courage.

— Tu sais bien que tu peux tout me dire.

— Je crois sincèrement avoir des sentiments pour toi…

Il ouvre la bouche pour parler, mais je l’intime de se taire en levant ma


main libre.

— Tu me touches, je n’arrive pas à savoir pourquoi. T’es aussi si différent


de moi et des autres hommes que j’ai connus. Je n’arrive pas à expliquer ce
que tu es. Personne avant toi ne m’avait donné envie d’être forte et de
surmonter la maladie. Quand tu me regardes, je n’ai pas l’impression d’être
folle ou malade. Tu me fais sentir importante et je sais qu’en prononçant ces
mots, tout sera plus difficile maintenant, je m’en excuse.

Il ne dit rien, mais il avance sa tête vers moi et pose ses lèvres contre les
miennes. Il m’embrasse passionnément, tendrement sans jamais lâcher ma
main.

— T’es belle, tu me rends fou. T’es douce, j’ai toujours envie de toi. Tu
m’as retourné le cerveau, murmure-t-il contre mes lèvres.

— Ne dis pas de sottises.

— Tu me donnes envie d’envoyer paître toutes mes convenances pour tes


beaux yeux noisette.

De nouveau, il s’empare de ma bouche, sa langue glisse à l’intérieur et


tourne autour de la mienne. Je grimpe sur ses cuisses, enroulant mes bras
autour de son cou, collant ma poitrine contre son torse.
— Et si nous allions dans ta chambre ?

Ma… chambre… Merde. Il y a plein de casse partout. Non. Non. Je ne


peux pas…

— Nous sommes bien ici, non ?

— Comme tu le souhaites, t’as une capote ? demande-t-il en glissant ses


mains sous mon t-shirt.

— Pas sur moi.

Il me soulève et me repose sur le divan.

Il fait quoi là ?

Jarred se dirige vers ma chambre. Je me lève pour le retenir.

— Que fais-tu ? demandé-je paniquée.

— Je vais en chercher une, je sais où tu les planques.

Putain de merde !!!

— Bordel. Que s’est-il passé dans ta chambre ?

Je me laisse retomber mollement sur le divan, vaincue et persuadée qu’il


va me prendre pour une folle. Il réapparaît au bout du couloir, les poings sur
les hanches.

— Une tornade, tenté-je vainement.

— La tornade Louann a explosé, dit-il en venant s’asseoir à côté de moi.

— Tu n’étais plus là. Il n’y avait qu’un mot. J’étais en colère. Je m’excuse.

Je suis dépitée, certaine qu’il ne voudra plus jamais me voir. Qui pourrait
bien vouloir de moi ? Je suis folle. Complètement marteau. Il semble réfléchir
et probablement se demande-t-il comment il va pouvoir se débarrasser de moi
sans trop d’encombres.

— Je reviens dans cinq minutes, annonce-t-il en posant un baiser sur mon


front.

Il quitte mon appartement comme une flèche tandis que moi, je vis les cinq
pires minutes de ma vie. Je m’applique à compter chacune des secondes,
mais ça me semble toujours aussi interminable. Je me lève après six minutes
et vais à ma chambre, armée du balai que j’avais posé tout près de la porte ; je
commence à ramasser les dégâts de la tornade. De grosses larmes roulent sur
mes joues, je ne suis plus capable de les contenir. Je m’assieds à même le sol.
Je l’ai perdu, j’en suis certaine. Je l’ai perdu… Il a vu le monstre que j’étais
et il ne peut pas le supporter...

La porte d’entrée s’ouvre, je me relève d’un bond, séchant du mieux que je


peux mes larmes du revers de la main.

— Lou ? Tu pleures ?

— J’ai cru que tu t’étais sauvé.

Il s’avance vers moi et prend mon visage entre ses mains, s’appliquant
ensuite à sécher les quelques gouttes de souffrance qui perlent encore,
déposant un baiser ici et là sur mon front ou mes joues.

— Ma chérie, ne doute plus jamais de moi, d’accord ?

Je hoche la tête.

— Ça va mieux ?

Je murmure un faible « oui ».

— J’ai ça ici pour toi.

— C’est quoi ? demandé-je en fronçant les sourcils devant son poing fermé
et tendu dans le vide.
— Ce n’est pas super glamour, mais je crois que ça peut t’aider. C’est
quelque chose qui compte beaucoup pour moi.

Il prend ma main dans la sienne et dépose une chaîne en argent,


typiquement masculine, avec une bague.

— C’est quoi ?

— Mon bien le plus précieux. La bague appartenait à ma meilleure amie,


elle est décédée et la chaîne est un cadeau de ma mère.

— Non. Je ne peux pas te prendre ça.

— Disons simplement que c’est un prêt jusqu’à ce que tu aies


suffisamment confiance en moi. À ce moment, tu me les remettras. Qu’en
dis-tu ?

Je hoche la tête alors qu’il m’attrape par les épaules pour me faire pivoter.
Il passe le bijou autour de mon cou et dépose un baiser sur mon lobe
d’oreille.

— Et si je t’aidais à tout nettoyer ? propose-t-il.

— Ce n’est pas nécessaire.

Il me fait un clin d’œil et attrape le balai.


23
Lou
Je vais à la cuisine chercher la poubelle pour jeter les débris. J’attrape au
passage mon téléphone sur la table du salon. Une fois de retour dans la
chambre, je trouve Jarred face à ma coiffeuse en train de regarder une photo
de moi avec mes deux sœurs. Silencieusement, j’avance vers lui.

— À droite, c’est Sloane. Elle est plus extravertie que Sunshine. Je les
aime beaucoup et elles me manquent. Je crois qu’elles ne comprennent pas
pourquoi je refuse catégoriquement de retourner à la maison.

— Elles sont magnifiques, tout comme toi.

— Merci. Elles n’ont pas plus de onze ans sur la photo, maintenant, elles
doivent en avoir treize.

Il passe son bras autour de mes épaules et m’attire contre lui. Il pose un
baiser sur mes cheveux.

— Alors, on s’attelle à la tâche, ma belle ?

— Ouais. Tu n’es pas obligé de m’aider. On peut retourner sur le canapé et


faire comme si tu n’avais rien vu.

— Ça pourrait être une idée, mais je n’ai pas envie que tu fasses ça toute
seule. T’es bien capable de dormir pendant deux mois sur le divan pour ne
pas voir le bordel que tu as causé.

— T’as raison… Je…

Mon téléphone sonne. Je lève les yeux vers Jarred qui me sourit.
— C’est Ethan, expliqué-je en regardant le nom sur l’écran.

— Dis-lui d’aller se faire voir.

Sa voix est dure et je refuse de croire que c’est par jalousie. Je lui touche le
bras.

— Allez, réponds. Faut pas faire attendre Monsieur, râle-t-il.

Je pose mon smartphone sur ma coiffeuse et me place devant lui.

— Que se passe-t-il, Jarred ?

— Je vais être honnête avec toi, ce mec ne mérite pas ton amitié, ni que tu
sois dans sa vie. Je te connais peu certes, mais assez pour savoir qu’il y a une
raison pour laquelle tu le gardes.

— Il est là depuis le début, c’est tout. Il connaît tout de ma vie, il ne m’a


jamais jugée.

— Désolé Lou, je ne peux pas le sentir ce mec.

Je caresse son visage du plat de la main, sa barbe naissante me pique la


paume. Cette sensation me fait sourire.

— T’as pas à être jaloux.

— Ce n’est pas de la jalousie…

Je ricane à ces mots. Il secoue la tête, soudainement amusé.

— Bon. Peut-être un peu, mais j’ai vu comment il te regardait…

— Ah ouais. Et il le fait comment ?

— Je sais pas… Comme s’il avait envie de te croquer.

J’éclate de rire sans pouvoir m’arrêter. Lui pose ses poings sur ses hanches
et me regarde toujours aussi amusé. Je me tape sur la cuisse tant ce qu’il dit
me faire rire.

— Allez Lou. Ne te moque pas. C’est vrai.

— Nous ne sommes pas dans un remake de Mon Vampire bien-aimé…,


rigolé-je de plus belle.

— Ça existe ce film ?

— J’en sais rien. J’aime mieux les films d’action.

— Ça te dirait une soirée films, ce soir ?

— Oui, mais seulement si on peut s’embrasser.

Je noue mes bras autour de son cou et l’attire contre moi.

— T’es déjà complètement dingue de moi, me taquine-t-il.

— Tu m’as laissée entrevoir que c’était possible… Ne me le retire pas…

Je panique un peu. Instinctivement, je touche la chaîne autour de mon cou


et ferme les yeux. Sa barbe me gratte la joue et son souffle chaud est contre
mon cou. Je frémis à ce contact.

— C’est possible, babe.

Il resserre son étreinte autour de moi. L’endroit où nous sommes disparaît


ainsi que mes angoisses, mes questionnements, mon stress et l’envie que j’ai
de toujours tout envoyer valser. Il pose ses lèvres sur les miennes, je
m’abandonne complètement à lui. Mon corps se réchauffe, ma tête est en
ébullition et mon putain de téléphone sonne de nouveau. Je grogne contre les
lèvres de Jarred. Ça le fait rire.

— Allez, réponds. Sinon il va encore nous déranger pendant les vingt


prochaines années.
C’est en riant que je prends l’appel.

— Allô ?

— Lou ? C’est Ethan. Ça va ?

— Ouais, ça va et toi ?

Jarred m’attrape par la taille et me serre contre lui. Dans le miroir de ma


coiffeuse, je nous observe. Ce que je vois me ravit comme jamais. Ses yeux
gris acier sont vissés sur moi. Ce mec est d’une beauté à couper le souffle.
J’en reviens pas d’avoir cru que c’était un pique-assiette à la soirée de Jamie.

— Lou ? Tu m’écoutes ou pas ?

— Oui. Oui. Excuse-moi. Que disais-tu ?

— Carla aimerait te rencontrer. Ça te dit qu’on dîne tous ensemble demain


soir ?

— Je vais voir ce que j’ai au programme.

Envisager de perdre une seule minute de mon temps avec Jarred me tord
les entrailles.

— Invite ton mec si tu le souhaites. Je m’en fous. Je veux que tu sois là.

— Je vais voir ce que je peux faire, d’accord ?

— Ouais, envoie-moi un message avant demain matin. On ira dîner au


Front Porch Café.

— Oui, je t’envoie un SMS dès que je sais.

— À demain, Lou.

Je raccroche et me tourne vers Jarred avec mon plus beau sourire. Il plisse
les yeux lorsque je me mets ostensiblement à battre des cils.
— Quoi ?

— Tu fais quoi demain soir ?

— Oh. Ne me dis pas que tu as envie de cuisiner pour moi. Attends… Oh.
Aucun risque vu que tes placards sont vides.

Je roule des yeux, plus amusée qu’exaspérée par sa remarque.

— Tu crois que tu aurais envie de venir dîner avec moi, Monsieur Ethan et
sa nouvelle chérie ?

Il éclate de rire à l’évocation du surnom idiot qu’il a donné à mon meilleur


ami quelques minutes plus tôt.

— Non, j’en ai pas envie, mais pour toi, je peux le faire. Cependant, on va
devoir agir comme des amis.

— Ça me gonfle, mais OK. Je ne veux pas affronter ça toute seule.

— Lorsqu’il ne regardera pas, je vais poser ma main sur ta cuisse et


remonter vers ton entrejambe…

Il me dit ça en posant un baiser dans mon cou qui me fait glousser. Je me


pends à son cou et l’embrasse passionnément. Ses mains entrent dans mon
jogging, il attrape mes fesses et me soulève. J’enroule mes jambes autour de
ses hanches. Il avance avec précaution dans la pièce, mais à peine a-t-il fait
quelques pas qu’il met le pied sur un débris et nous manquons de nous
rompre le cou. Il me repose dans un éclat de rire.

— Décidément, ce n’est pas le bon moment pour batifoler, lancé-je en


rigolant.

— Tenons-nous-en à notre plan initial. Ménage et film.

— Tu dors ici ?

Ma voix est minuscule, j’ai peur qu’il veuille partir. Ce serait légitime, car
il a sa propre maison qui est beaucoup plus belle que mon appartement, mais
surtout, qui n’a pas été saccagée par une folle furieuse.

— J’aimerais beaucoup dormir avec toi.

Je lui souris, soulagée, mais guère convaincue.

— Je me trompe ou il y a quelque chose qui cloche ?

— Je ne sais pas. Ça va, je crois.

Il me fixe avec suspicion. Je serre les lèvres puis abdique rapidement


devant son regard.

— Pourquoi voudrais-tu rester ici alors que chez toi, c’est cent fois, même
mille fois plus beau que chez moi ?

Il hausse les épaules et me répond :

— Parce que tu y es. C’est simple, non ?

« Parce que tu y es… »

Je n’ai pas de mots pour expliquer ce qu’il se passe en moi en ce moment.


Des émotions que je n’ai que rarement connues explosent de toutes parts dans
ma tête et mon cœur. Je pourrais même dire dans mon corps aussi, car
lorsqu’il me touche, j’ai l’impression de m’embraser, comme si un feu
courait dans mes veines.

— Alors, on s’y met, sinon on ne regardera jamais ce film, déclare Jarred.

Il caresse ma joue du revers de la main et se détourne lentement de moi. Il


contemple la pièce et soupire.

— Dis donc, t’en fais de la casse quand t’es en colère, toi.

— J’ai un peu perdu pied, murmuré-je.


La honte m’envahit. Il ne devrait pas être obligé de ramasser mes dégâts,
mais je sais que si j’objecte, il va me dire que ça lui fait plaisir et que ce sera
plus rapide à deux. Je le regarde se pencher et attraper ma lampe de chevet
dont la base est en trois morceaux. Il lance le tout dans la poubelle. Puis il
décroche le cadre du miroir et touche du bout des doigts le trou dans le mur
laissé par la lampe.

— Je vais devoir aller à la quincaillerie pour acheter le nécessaire pour


couvrir ce trou.

— Et si on mettait un cadre ? Ça cacherait le tout, non ?

— Moi, je vais savoir qu’il est là, et chaque fois que je te ferai l’amour
dans ce lit, je ne penserai qu’à ce trou.

— Ce serait tellement horrible et je serais terriblement vexée que ton


attention ne soit pas complètement tournée vers moi.

— Je suppose que tu ne vois aucune objection à ce que je répare les dégâts


alors.

— De toute façon, t’es têtu comme une mule…

Il s’avance vers moi et pose ses mains sur mes hanches pour m’attirer vers
lui.

— Et dès que je t’ai vue, j’ai su que je te voulais…

— Pourquoi ? Qu’as-tu vu en moi ?

— Une jeune femme qui n’avait pas envie d’être dans cette soirée, mais
qui se pliait aux exigences de son manager. Il se dégageait de toi un truc que
j’ai rarement vu chez une femme.

— De la folie…

— Oh ça non. Toutes les femmes sont folles… ou presque…


— T’es bête, c’est pour ça que tu es célibataire ? Parce que tu ne
rencontres que des cinglées…

— J’aime bien l’adage, mieux vaut être seul que mal accompagné.

— Tu crois que ça pourrait fonctionner nous deux ?

— Je sais que c’est difficile pour toi d’envisager ça sous cet angle, mais
oui, je crois sincèrement que ça peut fonctionner…

Je m’apprête à le couper, mais il pose son index sur mes lèvres.

— Ça peut marcher, malgré ta maladie, malgré tout ce qu’on pourra


traverser. Si tu as confiance en nous, ça marchera.

Il m’embrasse sur le front et ajoute :

— J’ai confiance en nous, et toi ?

— J’ai confiance en toi…

— Tu dois aussi avoir confiance en toi aussi, ma Lou.

— Oui. Tu vas m’aider, non ?

— Oui. Je t’en fais le serment.

— T’as pas peur que je tombe et que je fracasse tout sur mon passage ?

— Pourquoi tu ne te demandes pas ce qu’il se passera si on s’envole tous


les deux ?

Il se met à fredonner une chanson que je reconnais immédiatement.

— I believe I can fly. I believe I can touch the sky. I think about it every
nights and days. Spread my wings and fly away !

— Tu chantes R. Kelly ?
— Tu connais ce chanteur, mais tu ne connais pas les Social D. Sacrilège !

— Ça passait beaucoup à la radio au cours des années 90, je crois.


Cependant, ça n’explique pas pourquoi toi, tu connais ça.

J’éclate de rire devant son air faussement offusqué.

— Vous saurez, mademoiselle, que je chantais la version de Me First and


the Gimme Gimmes.

— Et la différence, c’est quoi ? rigolé-je.

— Me First and the Gimme Gimmes est un groupe de punk.

Il entame le refrain dans un rythme un peu plus soutenu, avec une voix
beaucoup plus rauque et en imitant tous les instruments. Un moment, c’est la
guitare, l’autre la batterie et quelques secondes plus tard la basse. Quand son
spectacle prend fin, il me fait une petite révérence.

— C’est à quel moment que je dois te lancer mon soutien-gorge ?

— Quand tu veux bébé. Quand tu veux.

Il m’attire contre lui et du bout des doigts, il repousse les cheveux qui me
tombent devant les yeux.

— Je suis en train de tomber amoureuse de toi Jarred, t’en as conscience,


j’espère ?

Son regard se visse dans le mien ; immédiatement, je regrette mes paroles.


Je suis tentée de les reprendre, mais je ne sais pas comment faire sans perdre
la face. Ce qui me chagrine le plus, c’est que je les pense vraiment.

— T’as conscience que moi aussi, Lou ? Tu sais qu’il n’y a plus de retour
en arrière possible ?

Je me contente de hocher la tête. Ma gorge me semble sèche, j’ai du mal à


déglutir. Jarred pose ses lèvres sur les miennes et m’embrasse.
— T’es conscient qu’après ça, nous n’allons pas ramasser ce fouillis ?

— Je suis la voix de la raison. Nous allons nettoyer et ensuite batifoler


comme des bêtes.

— J’emmerde la voix de ta raison. À poil et tout de suite ! exigé-je en


riant.

Je l’agrippe par le col de son t-shirt et l’entraîne dans le salon. Il plisse les
yeux, amusé par ma démarche. Lorsque je le pousse sur le canapé et que je
me place à califourchon sur lui en enlevant mon t-shirt, il se mord la lèvre.
Un petit geste que je trouve excitant.

— Je vais te déshabiller et ensuite…

Trois coups bien portés à la porte me font sursauter. Je regarde Jarred,


surprise et un peu effrayée.

— Tu attends quelqu’un ?

Il fronce les sourcils et me tend mon t-shirt que j’enfile à la vitesse de la


lumière.

— Lou ! Ouvre cette putain de porte ! hurle Tommy.

— Tu attendais ce mec ? rugit Jarred.

— Non, non. Je ne veux plus jamais le revoir.

Il me soulève et me pose à côté de lui. Prestement, il se lève et se dirige à


grands pas vers la porte, les poings serrés. Je suis inquiète de ce qui pourrait
se passer. Il ouvre et tombe face à face avec Tommy ; comme je m’y
attendais, il est saoul.

— Oh, mais t’es pas Lou, toi ! T’es le petit merdeux qui est toujours collé
à son cul.

— Je crois que tu devrais partir, mec.


— Sinon quoi ? Tu vas me refaire le portrait ?

Tommy ricane méchamment, mais Jarred ne semble pas impressionné par


son comportement.

— Je vais te dire une chose ; si jamais tu t’approches à nouveau de Lou, je


ne vais pas seulement te refaire le portrait, je te découperai en morceaux. T’as
compris ?

— T’inquiète, j’ai pas l’intention de me refaire ta meuf. J’ai assez donné,


cependant, je dois lui parler. Alors pousse ta sale tronche de connard et
laisse-moi lui dire deux mots.

— Tu n’entreras pas ici tant que j’y serai.

— Lou, dis à ce petit merdeux de se pousser.

— Va-t’en Tommy. Je ne veux plus te voir. Plus jamais.

— Lou. Écoute-moi, j’avais trop bu et…

— En effet. Va-t’en Tommy. T’en fais pas, j’en parlerai à personne.


Maintenant, dégage.

— T’as entendu ? Fous le camp !

Jarred lui claque la porte au nez. Tommy rugit depuis le couloir et puis
plus rien. Jarred se tourne vers moi et m’ouvre les bras ; sans plus attendre, je
cours me réfugier contre lui. Il me tient serrée un long moment.

— Je crois qu’on va ranger ta chambre et ensuite on va dormir, qu’en


penses-tu ?

— Je suis d’accord avec toi. Je suis exténuée.

— Moi aussi.

Il m’entraîne dans ma chambre et attrape le balai tandis que je jette avec


précaution les éclats du miroir dans la poubelle. La tâche ne nous prend que
vingt minutes, mais la visite impromptue de Tommy a tout gâché. Une fois
que tout est nettoyé et que les draps sont changés, Jarred et moi prenons place
dans le lit, collés l’un contre l’autre.

— Comment tu vas après la visite de Tommy ?

— Ça va. Tu étais là, ça m’a aidée à faire face à la situation.

— T’as géré.

Je lui souris et ferme les yeux.

Si seulement la vie pouvait tout le temps être comme en ce moment…


24
Lou
La salle de bain est baignée d’une vapeur chaude et réconfortante qui
recouvre les murs et les miroirs de la pièce. L’eau bouillante délie mon corps
tendu et laisse en moi un sentiment de béatitude. J’enfile mon peignoir et ôte
la buée qui m’empêchait de voir mon reflet. Une serviette enroulée autour de
mes cheveux, j’éponge l’eau sur ma peau ruisselante. La chaleur me fait
légèrement suffoquer, je sors donc rapidement de la pièce pour enfiler un truc
dans ma chambre.

Ce matin, avant de retourner chez lui, Jarred m’a fait remarquer que nous
deux, ça devenait rapidement sérieux. Je me suis contentée de sourire comme
une idiote. Il n’a rien ajouté, je sais aussi que de sa bouche, ce n’était pas une
remarque désobligeante. Je mets un short en jean avec un haut couleur pêche.
Je démêle ma tignasse brune et entreprends de la sécher. Une fois cela fait, je
me fais une queue de cheval haute et termine avec un peu de mascara.

Ça suffira. Elle n’est pas la reine d’Angleterre après tout…

La sonnette d’entrée retentit et c’est avec un plaisir difficile à contenir que


je me dirige vers la porte. Il me détaille du regard et moi, je plisse les yeux en
le voyant tenir une lampe que je reconnais.

— Cadeau ! s’écrie-t-il avec son plus beau sourire.

— C’est la tienne.

— Ouais, mais nous savons tous les deux que celle que tu avais repose
désormais en paix. J’ai même acheté du papier bulle pour la protéger. Tu sais,
au cas où une autre tornade réapparaîtrait.

— Très drôle ta blague, ironisé-je.


— Merci. Tu comptes rencontrer la copine de ton meilleur ami ainsi
fringuée ?

— Pourquoi pas ?

Il rigole et moi, je fronce les sourcils et lui arrache la lampe des mains pour
me diriger rapidement vers ma chambre en le plantant là.

— T’es fâchée ? demande-t-il en me suivant.

Je me retourne vers lui et me rends compte qu’il est sublime dans sa


chemise noire et son jeans. Je m’avance vers lui et passe mes bras autour de
son cou pour poser un baiser sur ses lèvres.

— Non, je ne le suis pas, mais toi tu es magnifique.

— Allez change-toi, maquille-toi, nous sommes déjà en retard.

— J’ai pas envie. C’est pas la reine d’Angleterre cette nana.

— Lou, fais un effort. T’as presque l’air d’une SDF.

— T’es pas drôle, grogné-je en le frappant sur le torse.

— Suis-moi, je vais t’aider.

Il se dirige vers ma penderie, y entre et pendant environ deux minutes, je le


regarde faire le tour de ma garde-robe. Puis il s’arrête, attrape un haut couleur
or, dos nu, ainsi qu’un slim noir. Il prend quelques accessoires et revient vers
moi.

— Hop, hop, Lou, ordonne-t-il en lançant mes affaires sur le lit.

— Ça le fait. Tu t’y connais en vêtements de nana, rigolé-je.

— Je suis photographe, ne l’oublie pas.

Il saisit ma queue de cheval pour retirer avec douceur l’élastique qui


retenait mes cheveux. Puis à l’aide de ma brosse, il me peigne. Jamais un de
mes prétendants ne m’avait brossé les cheveux. Je ne saurais dire pourquoi,
mais ce geste me touche. Je ne peux m’empêcher de le fixer au travers de la
glace. Jamais il ne lâche mes cheveux du regard. Lorsqu’il est enfin satisfait
du résultat, il pose la brosse sur ma coiffeuse et un baiser sous mon oreille.

— Si tu fais vite, nous allons partir plus tôt ce soir et je te promets un


changement de programme assez intéressant.

— Je demande des explications… Non, montre-moi plutôt.

Il me sourit sans me lâcher du regard et ajoute :

— T’es une petite futée, mais habille-toi.

Je grogne, tandis que lui se marre bien. J’enlève mon short et mon haut,
puis revêts les vêtements qu’il a choisis pour moi. Je dois avouer qu’avec les
accessoires, ça en jette.

— T’es plus que magnifique. Maintenant, allons-y.

— Je ne devais pas me remaquiller ? demandé-je en riant.

— Finalement non. T’es parfaite comme ça.

Il prend ma main dans la sienne et pose un baiser dans ma paume, puis


remonte vers mon poignet, mon avant-bras, mon épaule, ma clavicule et vient
poser un dernier sur mes lèvres.

— Tu me rends folle, murmuré-je en posant mon front contre le sien.

C’est la première fois que je prononce ces mots-là sans penser que je
mérite d’être enfermée dans un asile pour aliénés.

— Partons avant que je ne puisse plus me contrôler.

— Toi, t’es le roi du self-control.


Je le taquine en prenant sa main pour l’entraîner vers la sortie.

— Ne me tente pas Lou ou nous allons être salement en retard.

Je me retourne vers lui, pose une main sur son torse et le pousse contre le
mur. Ses doigts s’enfoncent dans la peau de mes hanches, alors qu’il m’attire
contre lui. Mes lèvres s’emparent des siennes, ma langue cherche la sienne.
Un grognement sourd s’échappe de sa bouche tandis qu’il se met à embrasser
ma mâchoire et suivre sa courbe jusqu’à mon lobe d’oreille. Son souffle
chaud court sur ma peau et rend mes jambes molles à un point tel que je dois
passer mes bras autour de son cou pour ne pas m’écrouler sur le sol.

— T’es excitante, Lou. Tu me rends fou, tu me tentes, me donne envie


d’envoyer valser ce putain de dîner à la con.

Je souris en l’entendant évoquer l’excitation que je provoque chez lui. Il


mordille mon lobe d’oreille puis pose une multitude de baisers entre ma
mâchoire et mon épaule.

— Je pourrais t’arracher ce slim qui te fait un des plus beaux culs que je
n’ai jamais vu, te soulever et te baiser à même le comptoir de la cuisine.

Je rejette la tête en arrière, ses lèvres et sa langue descendent jusqu’à mon


décolleté.

Bon sang ! Je pourrais jouir juste avec ça !

Il enfonce ses doigts si fort dans ma peau que je pousse un cri. La tête
enfouie entre mes seins, il grogne en me maintenant brutalement contre lui.

— Jarred, fais-le. Je t’en supplie.

Il relève la tête vers moi avec un petit sourire amusé, puis il me lâche. Par
chance, je suis accrochée à son cou, car je vacille un petit moment.

— Tu fais quoi ? demandé-je, haletante.

— Nous allons être en retard.


— Ne te fous pas de moi, tu ne peux pas nous laisser dans cet état.

— Nous ?

— Toi aussi mon grand, dis-je en passant ma main sur le renflement de son
pantalon.

— Ne t’inquiète pas, je suis capable de gérer ça. Toi, t’en es capable ? me


demande-t-il en riant.

C’était intentionnel ?

— T’en fais pas pour moi, répliqué-je.

Il vient de piquer légèrement mon orgueil. C’est à croire qu’il ne me


connaît pas. Si j’embarque dans son jeu, il s’en mordra les doigts et me
suppliera de l’achever. Il m’attire de nouveau vers lui et m’embrasse le front.

— T’es belle comme ça.

— T’es un idiot. Un total idiot.

— Ne m’en veux pas. Nous manquons seulement de temps.

— Ce n’est pas ça, je n’aime pas qu’on joue avec moi, grogné-je.

— Ne sois pas mauvaise joueuse.

— T’inquiète, je vais me venger…

Je lui en fais la promesse en attrapant mon sac à main pour sortir de chez
moi. Cependant, Jarred reste là, à me fixer, les bras de chaque côté du corps,
un petit sourire sur son visage.

— Alors t’es ce genre de nana ? Celle qui se venge ?

— Et toi, t’es ce genre de mec ? Celui qui ne conclut pas ?


Il s’avance vers moi en plissant les yeux d’amusement, il attrape mon
menton dans sa main et me fait relever la tête.

— Je conclus toujours…

— Sauf en ce moment, ricané-je à ses dépens.

— Attends ce soir, ma chérie.

Je lui offre mon plus beau sourire et l’embrasse sur la bouche.

Si seulement, il savait ce que j’ai prévu pour lui…

— Alors tu viens ou tu restes là à papoter toute la soirée ? demandé-je.

Il s’avance vers moi et ferme la porte derrière lui. Il me tend la main et je


noue mes doigts aux siens avec un plaisir que je n’arrive pas à dissimuler.
Nous patientons sans un mot devant l’ascenseur. Par contre, une fois à
l’intérieur, Jarred se penche vers moi et m’embrasse à pleine bouche. Je suis
happée par l’excitation lorsqu’il glisse sa main sous mon haut pour venir
toucher mon sein. Un ding retentit dans la cabine, nous indiquant que nous
nous arrêtons à un étage. Cependant, rien ne semble nous arrêter. Nous nous
embrassons à tout rompre et l’ascenseur repart sans prendre personne.
Probablement a-t-on préféré nous laisser seuls. Jarred lâche mon sein pour
poser ses mains sur mes hanches et m’attirer vers lui. Je ne peux pas ignorer
la bosse qui déforme son pantalon. Je descends la main et palpe son sexe en
érection par-dessus le tissu. Ça le fait gémir et moi aussi.

Lorsque nous atteignons le rez-de-chaussée, je pousse un soupir et le


dégage de moi avec beaucoup d’efforts.

— Ce que tu viens de faire c’est tout, sauf sage.

— Quoi ? Moi ? C’est toi qui m’as sautée dessus comme une bête assoiffée
de sexe, Jarred.

— Bon. D’accord, c’est peut-être un peu de ma faute…


Je roule des yeux alors qu’il glisse sa main dans la mienne.

Jarred gare sa voiture sur le parking. Je n’ose pas le regarder, car je sais
très bien ce qu’il pense. Je le sens me fixer avec un sourire qui doit lui fendre
le visage en deux.

— Allez, dis-le.

— Quoi donc ? rigole-t-il.

Je tourne la tête vers lui, puis pousse un soupir en voyant ses yeux gris sur
moi. Il se penche et s’empare de mes lèvres.

— T’es belle, t’as bien fait de te changer.

— Retournons chez moi, cachons-nous dans ma chambre et faisons


l’amour cinq fois.

— Cinq fois, répète-t-il en m’embrassant de nouveau.

Je pose ma main sur sa queue qui, elle, semble approuver mon idée. Il me
défie du regard, m’intimant de ne pas continuer, mais je ne l’écoute pas et
continue ma pression sur son sexe qui ne demande qu’à participer.

— Lou, si tu la lâches immédiatement, je te fais jouir six fois tout à


l’heure, d’accord ? marchande-t-il.

J’acquiesce avec mon plus beau sourire et un battement de cils ravageur.

— T’es le démon en personne Lou Cassidy, lâche-t-il en secouant la tête.

— Q-q-q-uoi ?

Il se penche vers moi, pose un baiser sur ma joue et prend ma main dans la
sienne.
— T’es tentante, bandante, t’es belle et le pire, c’est que tu le sais.

— Sans prétention, je suis jolie, oui. Cependant, je n’ai jamais pensé que tu
me dirais de telles choses.

— Ça te dérange que je te parle ainsi ? demande-t-il d’une voix rauque.

— Non, non. Pas du tout, je pensais juste que tu étais un peu plus…
propret.

Ses yeux prennent une lueur amusée tandis qu’il éclate de rire si fort qu’il
se penche en avant pour se tenir les côtes.

— Tu es une nana assez marrante, rigole-t-il en sortant de la voiture.

Non, mais il se fout de moi ?

Il me contourne et s’avance vers la portière qu’il ouvre. Il me tend la main


pour m’aider à en sortir, mais je l’ignore et me dirige d’un pas décidé vers le
restaurant. Il m’attrape le poignet et m’oblige à lui faire face.

— Il se passe quoi ?

— Rien. Allons à ce foutu dîner et foutons le camp d’ici.

— Avant que nous entrions, tu vas me dire ce qu’il se passe réellement.

Je ne sais pas…

Si seulement je le savais, ce serait moins compliqué.

C’est vraiment parce qu’il a ri de moi ?

Pourtant, ça n’avait rien de méchant…

Il était amusé par ce que j’ai dit…

Ce n’était pas vilain…


Pourquoi suis-je incapable de le regarder ?

Ah oui. Parce qu’il lit en moi comme dans un livre ouvert.

Ses putains d’yeux sondent sans arrêt mon âme…

Il y cherche quoi ?

La vérité… Il la sait déjà…

Il glisse mon menton entre son pouce et son index.

— Lou, je n’ai pas peur que tu me fasses la gueule pendant des heures pour
une petite chose que je vais dire de travers. Je ne suis pas parfait, loin de là.
Cependant, je ne suis pas le dernier des tarés que tu as fréquentés. Par contre,
je m’excuse si tu as trouvé un peu rude ma façon de te dire que je n’ai jamais
vu de femme plus sexy que toi en ce moment.

Je lève les yeux vers lui, il recommence son putain de manège à me sonder
l’âme. Cette fois, je ne me dérobe pas, je le laisse faire.

— C’est pas ça.

Je détourne la tête en poussant un soupir. Le dire à voix haute est bien pire
que de me l’avouer mentalement.

— Je n’ai pas aimé que tu ries de moi.

Ses épaules s’affaissent, son regard ne me lâche pas une seule seconde. Ses
yeux se moquent de moi, mais au moins, il n’a pas éclaté de rire.

— Ma belle, jamais je ne me moquerai de toi, je vais te taquiner à te rendre


folle, mais je ne te ferai pas de mal intentionnellement. Je t’en fais le serment.

— Ne fais pas de promesse que tu ne pourras pas tenir.

— Ne fais pas ça. Ne me repousse pas parce que tu es effrayée.


Il se penche vers moi, repousse mes cheveux et pose un baiser sous mon
oreille. Je frissonne en sentant ses lèvres contre ma peau.

— J’ai peur moi aussi, mais je sais que ça va fonctionner. T’es magnifique,
rayonnante et attachante. T’en as même pas conscience. Ça me rend encore
plus fou de toi.

Je ne connais aucune fille qui ne serait pas attendrie par ce qu’il vient de
dire.

Minute papillon. Il a dit ça à combien de filles ?

Je me renfrogne tout de suite.

— Profite du compliment. Arrête de faire la gueule.

— Ce n’est pas ce que je fais, grogné-je.

Il éclate de rire et me prend par la main, nous nous dirigeons vers le


restaurant qui semble bondé. Je pousse un soupir.

— T’as bien fait de te changer, non ? Tu attires tous les regards.

Je grogne de nouveau et ça le fait rire. Une hôtesse se dirige vers nous,


mais Jarred l’arrête pour lui indiquer que nous n’avons pas besoin d’aide. Je
ne comprends pas sa réaction. Il nous entraîne vers la table où se trouvent
déjà Ethan et sa petite amie. Il me laisse me glisser sur la banquette et prend
place à côté de moi.

— Salut.

Bon sang. J’ai pas envie d’être ici…

Mon humeur devient de plus en plus massacrante. À un point tel que j’ai
l’impression que mon visage va craquer tant je me force à sourire.

— Lou, je te présente Carla, et vice versa.


Il ne présente pas Jarred ?

— Enchantée, annonce la nouvelle nana de mon meilleur ami.

Je dois retenir une grimace.

— Moi de même.

— Et toi, tu es… ? Je crois qu’Ethan a oublié de faire les présentations.

— Jarred, je suis euh, un ami de Lou.

« Je suis euh… un ami de Lou… »

Vraiment ?

Va te faire voir.

Avec rage, j’attrape le menu et le feuillette sans vraiment le lire. Une


serveuse s’avance vers nous.

— Je vous apporte un apéritif ? demande-t-elle.

Sa voix est beaucoup trop enjouée et ça me porte sur les nerfs. J’ai envie
de lui faire avaler son menu.

— Une bière pour moi.

Je lance ma commande sans même considérer Jarred, mais ça ne


m’empêche pas de sentir son regard sur moi. Mon visage s’enflamme et
lorsque je me tourne vers lui, je lui offre mon plus beau sourire. Il plisse les
yeux, me sondant de nouveau. Sa main s’empare de la mienne que j’ai posée
sur ma cuisse. Je le repousse. Il se penche vers moi et me glisse à l’oreille :

— Suis-moi à la salle de bain.

Je fais celle qui n’a pas entendu et me contente d’attraper la bière que la
serveuse vient de poser devant moi. J’en bois une longue gorgée.
— Veuillez nous excuser.

Il se glisse hors de la banquette et m’attrape par le bras pour m’entraîner


vers les toilettes. Je suis tentée de me débattre, mais je n’ai pas envie de
passer pour une folle. Il me pousse à l’intérieur et entre à ma suite pour
verrouiller la porte derrière lui.

— Il se passe quoi ?

— Tu m’amènes ici pour ça ?

— Pourquoi réagis-tu ainsi ?

— T’arrêtes pas de me dire les plus belles choses que je n’ai jamais
entendues et ensuite tu balances « Je suis euh… un ami de Lou », m’écrié-je
d’une voix aiguë.

— Tu veux quoi ? Tu attends quoi de moi ? Tu me plais beaucoup, mais


bordel, tu attends quoi de moi ? Que je crie haut et fort ce que je ressens pour
toi ?

— Ce serait honnête.

Il secoue la tête et attrape mon visage entre ses mains.

— Je fais plus que t’apprécier, mais pour l’instant, nous ne pouvons pas
être ensemble. Nous en avons discuté Lou, ne gâchons pas tout. Je t’en prie.

Ses mains sur ma peau me brûlent, je recule de plusieurs pas jusqu’à buter
contre le mur.

— Non. Ne réagis pas comme ça. Tu savais que ça se passerait comme ça.

Je détourne la tête.

— J’ai stupidement cru qu’après ce que nous avions vécu, les choses
seraient différentes.
— Non. Tu me plais, n’en doute pas, mais pour le bien de tous, nous ne
devons pas nous afficher. Tu sais que c’est la bonne décision.

— Je t’en prie, va-t’en.

— Qui va te ramener ?

— T’en fais donc pas pour ça.

Je lui tourne le dos et attends que la porte de la salle de bain se referme


avant de foncer sur elle pour la verrouiller. Je souffle, ma respiration est
saccadée. Je tremble de tout mon corps et balance un coup de pied dans la
poubelle. Le contenu se répand sur le sol. Je sors de la pièce en colère et
fonce vers la table pour prendre mes affaires et foutre le camp. Quelle n’est
pas ma surprise de découvrir Jarred assis à sa place qui m’attend avec un
sourire contrit.
25
Jarred
Mon réveil va bientôt sonner. Comme ça ne peut pas être la fête tous les
matins, je dois me rendre chez Jamie pour rattraper le boulot en retard.
L’échéance pour présenter la collection arrive à grands pas et si, depuis le
départ, je n’ai pas lésiné sur les efforts, j’ai quelque peu ralenti la cadence
depuis que j’ai rencontré Lou. Je ne regrette pas les instants que nous avons
passés ensemble, ils nous ont permis de nous rapprocher, cependant, je
regrette un peu que Jamie doive bosser deux fois plus pour combler mon
absence. Je m’étire en essayant de ne pas réveiller Lou. La soirée d’hier m’a
épuisé. En fait, j’avais oublié combien ça pouvait être difficile de tenter
d’aider quelqu’un dans l’état de Lou. Je l’apprécie énormément, je pourrais
même dire que je développe des sentiments sincères à son égard. Mais je dois
aussi avouer que la soirée d’hier soir n’a pas été à la hauteur de mes attentes.

J’ai eu l’impression qu’à chaque minute qui s’écoulait, nous frôlions le


désastre. Lou était à cran, cherchant la moindre petite chose pour faire éclater
sa mauvaise humeur, surtout contre moi. Même après avoir finalement décidé
de rester, j’ai eu droit à des regards désapprobateurs. Je ne sais pas ce qui me
retenait de prendre mes cliques et mes claques et de foutre le camp de ce
putain de restaurant. C’est donc avec soulagement que nous en sommes
sortis. La meuf de son ami Ethan est sympathique, alors que ce dernier n’a
presque pas dit un mot, se contentant de nous fixer Lou et moi à tour de rôle.
Ce qui m’amène à penser que ses sentiments pour Lou ne sont pas que
platoniques. J’irais même jusqu’à dire que ça date d’un moment.

Après notre retour à la maison, nous étions tous les deux épuisés.
Rapidement, nous nous sommes mis au lit. Encore une fois, elle était comme
perdue, elle m’a demandé pourquoi j’étais toujours là. Ou encore, si je
comptais la sauver. Je ne sais pas combien de fois je vais devoir le lui répéter,
mais je l’ai fait, sans broncher. Je ne sais pas si ça l’a soulagée, mais elle a
fini par me sourire et a semblé se détendre un peu.

Le corps nu de Lou est collé contre le mien. Je sors du lit, elle grogne et
roule sur le dos. Avec précaution, je remonte la couverture sur son corps. Elle
ouvre doucement les yeux.

— Tu t’en vas déjà ? murmure-t-elle.

Elle me semble aussi endormie que sa voix peut l’être. Je ne peux que lui
offrir un petit sourire.

— Oui. Il est bientôt 08 heures.

— Merci d’être resté cette nuit et désolée de mon comportement pour hier.

Je suis soulagé de voir qu’elle a conscience d’avoir été une plaie.


Cependant, je dois bien admettre que c’est impossible pour moi de lui en
vouloir.

— T’en fais pas.

Je tente de la rassurer, mais ce n’est pas évident. Je me rends bien compte


qu’elle va trouver difficiles les prochaines semaines et que ce que je lui
demande repoussera ses limites au plus profond de son être. J’ai l’impression
qu’elle devra aller au bout de sa personne.

— Je ne sais pas pourquoi j’ai réagi ainsi…

— Ça va aller. Tu sais, si tu veux que ça fonctionne, tu ne dois pas te


fâcher lorsque je te présente comme une amie.

— Je sais. J’ai tellement honte…

— Non. Non. Je ne veux pas que tu culpabilises.

— Je peux t’avouer un truc sans que tu ne te fasses de fausses idées ?

— Essaie toujours. Si je pars en courant, c’est que tu m’as foutu la trouille


de ma vie.

— T’es tellement bête parfois, dit-elle en roulant des yeux.

— Vas-y ma puce, je t’écoute.

— Ça m’a fait quelque chose qu’Ethan soit en couple…

Génial…

Je m’assieds en prenant sa main dans la mienne pour l’inciter à se confier à


moi.

— Pas parce que je l’aime d’amour, il est un ami, un pilier, mais j’ai un
peu peur qu’il n’ait plus de temps pour moi. J’ai peur qu’il ne veuille plus
être mon ami. J’ai eu l’impression que cette fille, bien qu’elle soit adorable,
allait prendre ma place. Ça m’a fait peur, Ethan sait tout de moi.

— Je comprends que ça peut te faire peur, mais tu sais, il doit faire sa vie.

— Je sais, et moi, la mienne. Ça a juste été un choc, je crois que j’aurais


aimé qu’elle soit laide comme un boudin et une peste. J’aurais pu la détester.

Elle a raison, Carla est d’une beauté naturelle, blonde, avec de grands yeux
verts. Elle est aussi adorable et discute de tout sans aucune gêne.

— Tu n’as rien à envier à personne Lou. T’es toi-même magnifique, drôle


et y a pas deux filles comme toi au monde.

Je lui ouvre les bras. En resserrant la couverture autour de son corps, elle
vient se blottir contre moi.

— T’es super avec moi tout le temps, alors que je suis une vraie peste…

— Tu sais Lou, tous les couples ont des problèmes au début. On doit
apprendre à se connaître et à trouver notre équilibre. On va y parvenir, car j’ai
confiance en nous.
— Pourquoi tu réussis toujours à me rassurer ?

— J’en sais rien, sans doute parce que je suis génial.

Elle me pousse et relève la tête vers moi. Ses grands yeux noisette se
vissent dans les miens. Elle me sonde, je sais ce qu’elle cherche. Elle veut
savoir pourquoi je suis toujours là. En fait, je ne le sais pas moi-même. Y a-t-
il une part de Sidney que je vois en elle ? Ai-je envie de la sauver, car je n’ai
pas pu le faire avec Sid ? Cependant, même si cette dernière est dans chaque
parcelle de ma relation avec Lou, j’ai de réels sentiments pour elle. Comment
réagirait-elle si elle apprenait mon passé pas très glorieux avec mon ex ?
Probablement qu’elle me ferait pendre par les couilles et qu’elle me haïrait.
Que se passerait-il si je lui en parlais maintenant ? Je n’ose même pas y
penser…

— Pourquoi t’as envie d’être avec moi ?

Elle me pose cette question avec une hésitation non dissimulée. Voilà, une
différence entre Sid et Lou : Sidney arrivait à cacher ses sentiments, au
contraire de Lou qui est un vrai livre ouvert.

— Parce que t’es aussi captivante que je suis génial.

— T’es bête, tu le sais ça ? ricane-t-elle.

Elle a cette faculté de passer d’un extrême à l’autre en un quart de seconde.


Un instant anxieuse, puis elle se paie ma tête. Un instant en colère, puis elle
rigole. Mais ce que je déteste le plus, c’est lorsqu’elle passe par des
sentiments tels que la culpabilité et l’indifférence. Malgré tout, ça me fascine.
Je ne peux m’empêcher de me dire qu’au final, elle n’a besoin que d’être
rassurée. Je ne sais pas si je peux la sauver, ou même si elle a besoin de
l’être, mais je sais que je suis capable de la rassurer.

Oui. J’en suis capable.

— Ce sera OK pour toi aujourd’hui ?


— T’en fais pas. Tu m’as promis que tu reviendrais en soirée. Ça va aller.

Elle tente de me rassurer, mais aussi de se rassurer à la fois. Ça me fait


sourire.

— Oui. S’il le faut, tu m’envoies un texto ou tu m’appelles.

— Jarred, j’ai déjà passé de nombreuses journées seule.

— Ça, c’était avant de me connaître et de te rendre compte à quel point je


suis fabuleux.

— Je devrais être payée pour entendre toutes les âneries que tu débites.

— Là, t’as probablement raison…

Du plat de la main, elle caresse mon torse nu. Mon corps est parcouru d’un
frisson.

— Je suis impatiente que tu reviennes.

Prenant son menton entre mon pouce et mon index, je relève son visage et
pose mes lèvres contre les siennes. Ses bras se crochètent autour de mon cou
et son corps se colle au mien. Incapable de résister, je la soulève et l’assieds
sur mes cuisses.

— Ça tombe bien que tu sois déjà nue…

— Tu comptes faire quoi ? demande-t-elle amusée.

— Te faire gémir de plaisir.

Je baisse la tête pour lui mordiller la peau du cou, instantanément, son


corps se tend et elle se cambre, me donnant une vue fantastique sur ses seins
que je m’empresse de lécher, mordiller et aspirer. D’un geste rapide, je la
soulève pour qu’elle soit à califourchon sur moi. Elle attrape mon pénis dans
mon boxer et le sort en me masturbant doucement. Sans un mot, elle soulève
ses hanches et dirige ma queue à l’entrée de son vagin. Je pousse un
gémissement de plaisir lorsqu’elle enfonce mon sexe en elle.

Oh ! Bon sang, j’aime cette fille…

Je… quoi ? Impossible de me concentrer avec elle qui mène la danse et me


chevauche. Ses seins bougent au même rythme que ses allées et venues sur
mon pénis. Je ne peux me retenir plus longtemps de les prendre dans mes
mains et de les serrer. J’aspire son téton droit dans ma bouche et le mordille.
Elle se cambre, je suis obligé de lâcher son sein gauche pour poser ma main
contre le bas de son dos et ainsi la garder empalée sur ma queue. Rejetant la
tête en arrière, elle jouit dans un râle. Elle s’affale à moitié sur moi en posant
son front contre le mien et ses yeux dans les miens. Je crois que c’est son
regard qui me donne le coup final. Je viens en elle en m’abandonnant moi
aussi dans un grognement sourd.

À bout de souffle, je nous laisse tomber contre le matelas. Lou vient se


blottir contre mon torse. Sa respiration se calme lentement, alors que moi,
mon cœur continue de battre à tout rompre dans ma poitrine. J’ai pensé que
j’aimais cette fille… C’est absurde. Bien sûr, mes sentiments pour elle se
développent assez rapidement, je ne suis pas assez con pour le nier.
Cependant, je ne la connais que depuis si peu de temps. Encore une fois, je
dois admettre la vérité, j’ai l’impression d’avoir déjà traversé l’insurmontable
avec elle. Mes sentiments sont là, c’est indéniable, mais peut-on appeler ça de
l’amour ? Non, pas en si peu de temps. C’est impossible que ce soit ça. Y a-t-
il un temps défini pour que l’on puisse dire aimer quelqu’un ? C’est quand
même un peu aberrant… Totalement fou…

Je me relève et vois bien que Lou s’est endormie. J’aurais aimé discuter de
tout ça avec elle. J’aurais voulu qu’elle me donne son point de vue. Je
remonte la couverture sur elle et dépose un baiser sur son front. Je sors du lit
et enfile rapidement mes vêtements. Une fois mon téléphone en main, je lui
adresse la parole.

— Lou ? Je m’en vais, annoncé-je en déposant un embrassant sa joue.

— Hmm. À plus tard, marmonne-t-elle.


La voir ainsi me fait sourire. Elle est belle et vulnérable, sans avoir l’air de
constamment se battre contre elle-même.

Je me dirige à pas feutrés vers la porte d’entrée, lorsque je l’entends sortir


du lit d’un bond et me crier d’attendre. Je stoppe et me retourne pour
l’apercevoir courir vers moi avec le drap autour de son corps, les cheveux en
bataille et un air fatigué sur le visage.

— Oui ? demandé-je intrigué.

— J’ai oublié quelque chose…

Elle se dresse sur la pointe des pieds et pose délicatement ses lèvres sur les
miennes.

— T’avais oublié de m’embrasser ?

— Non, de te souhaiter une bonne journée.

Je prends son visage entre mes mains, un sourire se dessine sur mes lèvres.

— T’es vraiment adorable quand tu veux.

— Je sais ! Allez, file maintenant.

Elle m’attrape par les épaules, me fait tourner face à la porte qu’elle ouvre
et avant de pouvoir répliquer, elle me claque une fesse en me souhaitant une
bonne journée. J’éclate de rire et lui souris avant de m’avancer vers
l’ascenseur. Elle siffle dans mon dos, je me retourne et vois bien qu’elle me
mate.

— Hey beau gosse, rapporte le dîner ce soir en même temps que ton joli
cul.

— Et toi, attends-moi en nuisette très très sexy, poupée…

Elle rigole et retourne dans son appartement. Amusé par cet échange, je
presse le bouton de l’ascenseur.
**

Je grimpe l’escalier au pas de course et file vers l’atelier. Je pousse un


soupir en entrant. Jamie y a foutu un bordel complètement dément. Je la
trouve assise, les jambes croisées, en train de bosser sur un patron. Deux
crayons retiennent ses longs cheveux bruns en un chignon désordonné. Elle
passe une main sur son visage avant de faire craquer son cou.

— Si tu me dis que tu as bossé toute la nuit, je vais devoir t’engueuler.

— J’ai pas trop le choix, mon associé a flanché pour les beaux yeux de
notre égérie.

— Je l’aide à aller mieux.

— Jarred… Ne me mens pas… Je te connais trop bien…

— Dis donc, t’as mis le bordel toute seule ?

— Ouais. J’en suis pas mal fière, mais n’esquive pas ma question.

— Je croyais que c’était plutôt une affirmation…

Elle se lève et vient vers moi avec le même regard bienveillant qu’elle a
toujours à mon égard.

— Jarred, je ne veux pas te faire la morale, mais j’ai peur que tu te fasses
du mal.

— Je sais ce que je fais, t’en fais pas. Et puis, je croyais que tu appréciais
Lou.

— Oui. Elle est adorable, cependant elle est un peu instable.


— Pourquoi lui avoir donné le job si tu n’as pas confiance en elle ?
m’emporté-je.

— Oh, Jarred. T’es déjà amoureux d’elle.

— Jamie… Je… Non. En fait oui.

— Je lui ai donné le job parce que, toi, tu as vu un truc en elle.

— Elle n’est pas Sidney, elle n’a pas besoin d’être sauvée…

— D’accord. Tu sais ce que tu fais, je suppose.

— Je ne comprends pas ; un jour, tu me pousses à aller vers elle et le


lendemain, tu sembles dire le contraire.

— Je m’inquiète pour toi, tout simplement.

J’ai envie de lui dire que ça ne la regarde pas, mais lorsque je pose mes
yeux sur elle, je me rappelle qu’elle n’est pas le type de nana à fourrer son
nez dans la vie des autres. Ma fureur redescend aussitôt.

— T’en fais pas Jamie. Je suis conscient des risques, tout comme Lou.
T’en fais pas non plus pour la collection, rien ne sera gâché à cause de ce que
nous vivons.

— Alors tu avoues que vous vivez quelque chose ?

— Je ne l’ai jamais nié…

— Et tu sais, je ne m’en fais pas trop pour la collection, je m’en fais


surtout pour toi. Toi et ton petit cœur.

Je marmonne un rapide « merci » avant de jeter un coup d’œil à la pièce.

— Tu lui as parlé de Sidney ?

Je secoue la tête et ajoute :


— Non, mais je vais le faire bientôt.

— Ne tarde pas trop…

— Je sais. Je tiens à faire ça dans les règles et là, ce n’est pas le bon
moment. Elle n’est pas prête…

Jamie met sa main sur mon bras et me sourit, comme elle l’a toujours fait.

— C’est toi ou elle qui n’est pas prêt ?

Ne voulant pas répondre à sa question, je grogne et commence à ranger la


pièce.
26
Jarred
L’appartement de Lou est plongé dans le silence le plus total. Je dépose
mes sacs sur le comptoir de l’îlot, puis range le tout. J’ai voulu rattraper mon
retard des deniers jours, alors je suis resté plus tard à l’atelier. Comme Lou
me l’avait demandé, je suis passé acheter des victuailles, je ne comprends pas
comment elle fait pour vivre sans aucune trace de nourriture chez elle.
J’espère sincèrement que ce ne sera pas un autre problème qui va me péter au
visage. Le placard qui contenait tout son alcool me fait de l’œil. Je meurs
d’envie de l’ouvrir pour vérifier si elle n’a pas refait le plein. L’envie de lui
faire confiance et la peur d’être déçu m’empêchent de jeter un œil. Comme
un con, je suis face à ce putain de placard et le fixe. Je ne sais pas ce que
j’espère, peut-être qu’il s’ouvre tout seul et que je découvre par hasard que
j’ai eu peur pour rien. Je croise les bras sur mon torse. Je crois qu’en ce
moment, ça me donne l’impression d’être invincible. Ça me donne une
contenance que je n’ai pas vraiment.

Bon. OK. Tu vas pas y passer toute la nuit. Soit tu regardes, soit tu
cherches Lou…

Non. Non. Non. Je ne vais pas regarder…

Je me retourne face à l’îlot et ramasse les sacs qui y traînent encore pour
les mettre à la poubelle. J’ai l’impression que le placard devient de plus en
plus imposant, il prend aussi beaucoup de place dans ma tête. La curiosité me
gagne et je peine à contrôler mon envie de vérifier.

Non. Tu vas lui faire confiance…

Et puis merde…

Je me lance sur le placard et l’ouvre. Mes épaules s’affaissent tant je suis


soulagé. Il n’y a rien. Aucune bouteille, aucun médicament. RIEN.

T’as pas regardé dans les autres…

Comme un con, je me lance sur les autres, les ouvrant un à un. Rien.
Cependant, je suis triste de réaliser que « rien » est vraiment le mot qui
convient. Il n’y a rien… Quelques verres, assiettes et ustensiles. Un ou deux
poêlons, sans plus. Je l’avais bien remarqué lorsque je lui ai fait à déjeuner,
mais je n’avais jamais capté à quel point c’était inquiétant. Mon regard court
sur les murs, aucune photo, aucune couleur ou décoration. J’ouvre le placard
sous l’évier, il y a bien quelques produits nettoyants, mais seulement le strict
minimum.

D’un pas traînant, je passe de pièce en pièce, cherchant des preuves que
Lou habite bien ici. J’ai l’impression d’être dans un appartement de luxe sans
vie. Cette soudaine réflexion me fait peur. Elle m’a dit quoi déjà sur sa
maladie ? Je ne me rappelle plus.

J’avance vers sa chambre et souris en la voyant endormie, en nuisette sexy


de couleur mauve. Un livre est tombé sur le sol. En deux pas, je suis devant
son lit et me glisse doucement à ses côtés. À son contact, toute mon
appréhension et mes questionnements s’envolent. Je soupire et me colle
contre son dos. Je passe mon bras autour de sa taille. Elle relève la tête et se
laisse aller contre mon corps.

— T’es déjà rentré ? marmonne-t-elle.

— Il est plus de 21 heures.

— Merci de m’avoir appelée pour me prévenir.

— Je peux te poser une question ?

— Tu peux tout me demander, tu sais.

Sa réponse me fait plaisir et me donne encore plus foi en nous.


— Pourquoi y a aucune décoration ou couleur sur les murs ? Pourquoi y a
aucune photo ?

— Je n’ai jamais pensé que je resterais longtemps ici. Ensuite, je dormais


plus souvent chez Ethan qu’ici, m’avoue-t-elle.

— Pourquoi ?

— Je détestais être seule chez moi, seule avec moi-même, mes


cauchemars, mes pensées… ma folie…

— T’es retournée dormir chez lui depuis nous deux ?

Elle roule sur le côté et me fait face. Nous sommes tous les deux étendus
dans le lit, son visage est si près du mien que je dois me faire violence pour
ne pas l’embrasser sur-le-champ.

— C’est ce que j’allais faire quand Tommy s’est fait un peu trop
entreprenant…

— Quand il a voulu te violer, grogné-je.

— Ne dis pas ce mot, je t’en supplie.

Je pose un baiser sur son front et elle continue de parler :

— Mais non, je n’y suis pas retournée. Ethan est de plus en plus distant
avec moi.

— J’en suis désolé, ma chérie.

Elle hausse simplement les épaules.

— Tu sais que tu as les plus beaux yeux que je n’ai jamais vus ? lance-t-
elle.

— Tu dis ça parce que tu es amoureuse de moi, ricané-je.


— Que veux-tu ? Ton charme est indéniable.

J’adore lorsqu’elle me taquine comme ça. Mes doigts courent dans son
dos. Le fin tissu de sa nuisette provoque en moi de drôles de sensations et me
file une érection de la mort. Ma queue me fait mal dans mon jeans et je dois
me faire violence une nouvelle fois pour ne pas lui arracher ce qu’elle porte et
lui faire l’amour. Nous devons d’abord parler et ensuite baiser. Les priorités
avant tout…

— T’aimerais pas qu’on décore un peu chez toi ?

Elle fronce les sourcils et se recule légèrement de moi.

— C’est quoi cette nouvelle obsession pour ma déco ?

— Ça manque de vie…

— Et… ?

Décidément, je ne peux pas lui en passer une… Elle va hurler…

— Lou. Y a rien dans tes placards, uniquement le strict nécessaire. T’as


aucune photo sur les murs. Tout à l’heure, j’avais l’impression que c’était
mort chez toi…

— Y a rien dans mes placards parce que je suis rarement ici et que lorsque
j’y suis, je n’aime pas me faire chier à préparer un repas. Généralement, je
vole de la nourriture chez Ethan ou je passe chez le traiteur. Pour les photos,
j’ai celle de mes sœurs sur ma coiffeuse.

— T’en as une. Une seule photo.

Elle s’assied dans le lit et replie les jambes, sans me lâcher du regard.

— Je ne sais pas ce que tu cherches Jarred, mais si je n’ai pas de photo,


c’est que je n’ai personne d’assez important dans ma vie à afficher sur les
murs.
— Et Ethan ?

— Ce ne serait pas un peu bizarre d’avoir le visage de mon meilleur ami


placarder partout dans mon appartement ? rigole-t-elle.

— D’accord. Je me rends, je n’apprécierais pas de voir son visage pendant


que je te fais l’amour.

— Tu ne penses qu’à ça, espèce d’obsédé.

J’éclate de rire et l’attrape par le poignet pour la tirer vers moi. Elle tombe
mollement contre mon torse et se blottit contre moi.

— J’ai toujours voulu avoir une salle de bain mauve.

— Pourquoi cette couleur ?

— Parce que c’est celle que je préfère.

— Allez. On le fait. On peint ton appartement au complet.

— Quand va-t-on trouver le temps pour ça ?

— Pourquoi tu dois toujours casser mon plaisir ?

— Je suis casse-pieds, que veux-tu ?

— C’est faux. Jamais je ne penserai ça de toi.

— Un jour, ça arrivera.

— De quoi tu parles Lou ?

— Tu le sais, tu l’as vu. Un instant ça va, le suivant, j’oscille entre folie,


tristesse, mélancolie, culpabilité, joie et rires incontrôlés. Peu importe le
sentiment, ça me déstabilise complètement tant l’émotion est forte.

— Je t’ai dit de ne pas choisir pour moi…


— Je ne le fais pas, je t’avertis que je suis folle.

— Tu veux bien arrêter de parler ainsi de toi ? T’es pas folle… Bon sang.
T’as pas conscience de qui tu es…

— Dis-le-moi encore, ça me rassure toujours de savoir que toi, tu me


comprends.

— Tu veux des compliments, c’est ça ?

Elle rigole et cache son visage sous sa chevelure brune. Je passe mes
doigts dedans pour dégager sa frimousse.

— Tu vois. Tu ne sais pas quoi dire.

— C’est faux, je réfléchissais à comment j’allais te dire que chaque fois


que je croise ton regard, j’y vois une femme tellement forte qu’elle tiendrait
le monde entier à bout de bras.

— T’es bête Jarred.

— Non. Je ne suis pas dupe, je vois les différentes facettes de ta


personnalité, y a celle que tu es en ce moment, c’est celle que je préfère. Tu
es détendue, tu rigoles, tu te confies. Dans ces moments, je te trouve
touchante, humble, vraie. Puis, y a celle que tu es devant les autres, t’as peur
que le monde arrive à entrer dans ta bulle, et tu sais que si ça arrive, ça
pourrait te blesser. Cependant, je ne dirais pas que tu es craintive ou méfiante,
parce que c’est devenu un système d’autodéfense de tenir les gens à l’écart.
S’ils ne sont pas dans ta vie, ils ne peuvent pas te faire de mal. En même
temps, je trouve ça magnifique tous ces contrastes chez toi, parfois forte et
vulnérable… Je n’ai jamais vu ça, tu me fascines.

Je me tais et le silence s’installe entre nous si longtemps que je crois


presque qu’elle s’est endormie. Cependant, je n’ai pas envie de rompre ce
moment. Je caresse son dos et un soupir s’échappe de sa bouche, m’indiquant
qu’elle ne dort pas. Je crois que je pourrais rester ainsi pour l’éternité.
— Pourquoi moi ? demande-t-elle.

Sa voix est nouée par l’émotion. Je continue de lui caresser le dos. Une
question me trotte dans la tête : je lui parle maintenant de Sidney ? Est-elle
prête ? J’ai la ferme conviction que non. Les paroles de Jamie me reviennent
en tête : « C’est toi ou elle qui n’est pas prêt ? ». C’est moi. Bien sûr que c’est
moi, je ne suis jamais prêt à parler d’elle. J’avoue aussi que la réaction que
Lou pourrait avoir m’effraie. Je ne suis pas prêt à la perdre. Je dois attendre le
bon moment avant de lui avouer pour Sidney…

— Pourquoi pas ? T’es belle. T’es drôle. T’es euh…

— Je suis euh.

— Ouais. C’est un beau compliment, non ?

— T’es bête. T’es idiot. T’es euh…

— Merci infiniment. T’as faim ?

— Non. Je suis surtout fatiguée…

— Tu manges quand ?

— Jamais. Je me laisse mourir de faim. Non, mais c’est quoi le problème


ce soir, Jarred ?

— Ne te fâche pas contre moi simplement parce que je m’inquiète pour toi.

— Je sais pas. J’ai l’impression que tu cherches la bête noire.

— Tu sais que c’est faux.

— J’en ai marre, je vais dormir sur le canapé.

Elle se lève et se sauve comme une flèche.

Bon sang !
J’ai pas tellement la tête à me disputer, mais je sors quand même du lit et
vais la trouver au salon. Elle est assise sur le divan et semble avoir les bras
croisés sur la poitrine. Ça me fait rire, elle ressemble à une enfant qui
bouderait son papa. OK. Avec ce qu’elle porte, elle est loin de ressembler à
une gosse et moi, j’ai pas tellement envie d’être son paternel… Cette simple
pensée me file la nausée. Si jamais je vois son salaud de beau-père, je le
frappe jusqu’à ce que mort s’ensuive. C’est à cause de lui que Lou est ainsi,
qu’elle se déteste, qu’elle n’a aucune confiance en personne. C’est lui qui a
détruit sa vie.

Je m’avance vers le canapé et m’assieds sur la table basse. Je pose ma


main sur son épaule, comme je m’y attendais, elle me repousse.

— Ne me touche pas…

— Lou. Pourquoi réagis-tu ainsi ?

Comme une furie, elle se retourne vers moi. Ses yeux noisette prennent
une teinte plus foncée.

— Toi… toi, t’as pas de droit de me demander ça.

— Je comprends pas ce qu’il se passe là. Tu peux m’expliquer ?

— T’expliquer ? Comment ?

Elle se relève et arpente la pièce en bougeant les bras dans tous les sens. Je
ne peux que la regarder faire, trop estomaqué pour répliquer.

— Pourquoi devrais-je expliquer quelque chose que tu comprends mieux


que moi généralement ? T’as envie d’être dans ma tête ? À ma place ?

Elle se stoppe et me fixe quelques secondes, puis recommence sa tirade.


D’un côté, je suis tenté de la secouer et de l’autre, de me lever et foutre le
camp. En fait, dans une autre situation, c’est ce que je ferais, mais là, j’ai ces
putains de sentiments pour elle qui me prennent à la gorge.
— Quoi ? Tu ne dis rien. Régale-toi du spectacle, la folle est dans la
place…

Sans un mot, je me lève et l’attrape par les épaules. Elle tente de me


repousser, mais je suis plus fort qu’elle.

— Lâche-moi Jarred. Lâche-moi et va-t’en.

— C’est vraiment ce que tu veux, que je parte ?

Je suis persuadé qu’elle va me répondre que non, mais elle se redresse,


droite comme un i, et me défie du regard.

— Ouais. Va-t’en.

Je la jauge un instant en me posant un millier de questions. Je reste ou je


pars ? Elle veut quoi réellement ? Et moi, ai-je envie de partir ?

— Lou, je crois que tu parles sous le coup d’une colère qui n’a pas lieu
d’être…

Elle me coupe la parole :

— Pas lieu d’être ? Tu débarques dans ma vie et tu veux tout


chambouler… Tu veux me changer… Tu m’interroges sur ma putain de
décoration, sur mes murs blancs… T’as pas le droit. T’AS PAS LE
DROIT !!!

— D’accord. Je ne veux pas partir, mais tu es légèrement remontée et


incontrôlable… Je vais te laisser à ta petite crise et lorsque tu te seras calmée,
t’as mon numéro…

Une douleur cuisante et expéditive me strie la joue. Lou me regarde,


stupéfaite. Mais elle ne peut pas l’être plus que moi en ce moment.

Elle vient de me gifler ? Vraiment ?

Je ne prends même pas la peine de la regarder ni de lui dire quelque chose.


Je tourne les talons et sors de cet appartement en claquant la porte.

À quoi bon me battre ? Pour vivre ça ?

Je presse le bouton de l’ascenseur, et dès lors que les portes s’ouvrent, je


m’engouffre à l’intérieur en ayant peine à réaliser ce qu’elle vient de faire.
Elle m’a frappé… Elle m’a foutu une baffe en bonne et due forme. Je me
laisse aller contre la paroi du fond et espère que personne ne viendra troubler
ma descente.

Bon sang. Qu’est-ce qui lui est passé par la tête ?

L’ascenseur s’arrête et une jeune femme d’une vingtaine d’années entre


dans la cabine. Elle me regarde trois petites secondes avant d’appuyer sur le
bouton du rez-de-chaussée. Elle est plutôt pas mal, blonde, grosse poitrine,
fesses parfaitement rondes dans un jeans bien serrant. Cependant, ce n’est pas
Lou, elle n’a pas cette flamme qui brûle en elle. Elle n’a pas cette fureur
incontrôlable. Pourtant, sa putain de fureur m’a quand même giflé si fort que
je ne serais pas étonné d’avoir une ecchymose. Je suis fortement tenté de
remonter les dix-neuf étages et de retourner la voir, mais elle m’a giflé pour
aucune putain de raison. C’est inadmissible. Non, en fait, ce que je n’arrive
pas à lui pardonner, c’est de ne pas s’être excusée. C’est légitime qu’elle soit
en colère contre moi, je ne suis pas parfait, loin de là. Mais ça me trotte dans
la tête. Ça me déchire de me dire que mes sentiments n’étaient probablement
qu’à sens unique.

Une fois l’ascenseur au premier étage, la jeune femme lève les yeux vers
moi et me sourit. Pris par mes pensées, je lui retourne simplement la
politesse.

— Hey. Je te connais ?

Ah oui ? Vraiment ?

— T’es le mec de Louann Cassidy ?

— Je suis surtout son ami…


Je laisse ma phrase en suspens, je comprends seulement maintenant ce que
Lou a pu ressentir. Je ne la veux pas qu’en tant qu’amie, je suis un sombre
idiot de vouloir lui imposer ça.

— Tu crois que je peux te demander ton numéro ? demande-t-elle d’une


voix chantante.

Je sors avec elle de la cabine, ne sachant pas quoi lui répondre, aussi
j’esquisse un léger sourire. Je n’avais même pas remarqué qu’elle me zieutait.

— Je…, commencé-je en me stoppant après quelques pas.

— JARRED ?

Lou apparaît au bout du couloir, la porte de la cage d’escalier tape


violemment contre le mur, mais elle ne s’en soucie pas et court vers moi. La
blonde secoue la tête et me tourne le dos. Lou s’arrête devant moi, essoufflée,
haletante, elle pose ses mains sur ses cuisses et lève les yeux vers moi.

— C’est qui elle ? demande-t-elle.

Il y a une certaine jalousie dans son regard. Ça me fait sourire.

— Ma nouvelle maîtresse…

— C’est pas super marrant.

— Si. Ça l’est.

— C’est pas important… Je m’excuse… Je m’en veux tellement…

— Lou… tu n’as pas à me frapper quand ça ne va pas comme tu le veux…

Elle me fixe, puis ses yeux s’embuent de larmes.


27
Lou
Mon visage surchauffe, le rouge me monte aux joues.

Pourquoi ? Pourquoi gâche-t-il ce moment ?

— Lou. Je crois que tu parles sous le coup d’une colère qui n’a pas lieu
d’être…

Je parle sous le coup de la colère ?

Non, mais il se fout de moi…

Automatiquement, je vois rouge, la colère grimpe en moi. J’ai l’impression


que je vais bientôt éclater. Je respire fortement pour me calmer, mais rien ne
fonctionne. Il fronce les sourcils.

Ce geste m’agace, bon sang !

Je manque de hurler comme une démente. Je réussis à garder suffisamment


le contrôle sur moi-même pour ne pas exploser. Cependant, je ne manque pas
de lui exposer ce qui me chagrine.

— Pas lieu d’être ? Tu débarques dans ma vie et veux tout chambouler…


Tu veux me changer… Tu m’interroges sur ma putain de décoration, sur mes
murs blancs… T’as pas le droit. T’AS PAS LE DROIT !!!

Je hurle et plus je le fais, moins je me sens bien. J’ai envie de tout briser.
Pourquoi désire-t-il régir ma vie ?

— D’accord. Je ne veux pas partir, mais tu es légèrement remontée et


incontrôlable… Je vais te laisser à ta petite crise et lorsque tu te seras calmée,
t’as mon numéro…

IN-CON-TRÔ-LA-BLE !!!

Je perds subitement conscience de la réalité. Je ne vois plus rien et ne sais


plus ce que je fais. En ce moment, différencier le bien du mal m’est
totalement impossible. Un ballet de pensées toutes plus infernales les unes
que les autres fait rage en moi.

Il ne t’aime pas…

Il croit que tu es folle…

Il t’a fait croire que tu étais exceptionnelle…

T’es incontrôlable…

Incontrôlable…

Folle… Une psycho…

Incontrôlable…

Il va partir… Il va te quitter…

Tu l’aimes… T’es folle…

Il s’en va…

Tu savais que ça arriverait de toute façon…

Il t’avait dit qu’il n’agirait jamais ainsi…

Mais au fond, à quoi tu t’attendais…

T’es incontrôlable Lou…

Je ne sais pas pendant combien de temps ces pensées s’affolent dans ma


tête, elles prennent de plus en plus de place dans mon esprit. Je chavire vers
la folie. Ma main s’élève et s’abat sur sa joue sans aucune raison. Aussitôt, je
regrette mon geste, cependant, idiote que je suis, je me redresse et le jauge. Il
ne me regarde même pas. Ça me fout encore plus en colère.

Au revoir culpabilité, bonjour fureur.

Il me tourne le dos et s’en va. La porte claque durement et c’est comme si


c’est moi qui venais de me faire gifler. La pièce se met à tourner. Alors que
mes jambes me lâchent, je m’écroule au sol.

Il est parti…

J’ai peine à le croire. Ça semble être pire que la fin du monde. Le cœur
serré, je me relève avec beaucoup de difficulté. Jarred n’est pas comme tout
le monde, il est différent. Il me comprend. Si je lui explique, peut-être me
comprendra-t-il ?

Poussée par le mince espoir qu’il puisse me pardonner, je fonce comme


une dératée vers la porte. Lorsque j’arrive devant l’ascenseur, c’est pour
constater que sa descente est déjà amorcée et que je vais devoir patienter.

Non, ce n’est pas possible.

Je vais le rater. Il va partir pour de bon et ne plus jamais revenir. Il ne


voudra plus de moi et ça, je ne pourrai le supporter. Je tourne les talons et
fonce vers la cage d’escalier. La porte cogne le mur, mais je ne m’en soucie
guère. Dix-neuf étages à descendre, je ne dois pas perdre une seule seconde.
Je dévale les premières marches, en saute plusieurs à la fois. À l’atterrissage,
mon pied droit se pose à moitié dans le vide, et moitié sur la marche. Je
manque de m’étaler de tout mon long, j’ai seulement le temps de me retenir à
la rampe. Cependant, ça ne m’arrête pas, je crois même que ça renforce mon
désir d’arriver au premier étage le plus rapidement possible.

J’ai l’impression que les niveaux défilent trop lentement. 18… 17… 16…
15… 14… 13… et comme le putain de chiffre treize est généralement signe
de malchance, la porte s’ouvre et un mec d’environ vingt-cinq ans apparaît
devant moi comme par magie. Et comme la magie n’existe pas dans ce
monde, ô combien cruel, il ne disparaît pas lorsque je le percute de plein
fouet dans le torse. Mon visage cogne contre ses pectoraux durs comme la
brique ; pour peu, il me brisait le nez. Sans que je ne le réalise vraiment, je
me retrouve les fesses au sol. Monsieur Pectoraux D’acier me jauge en
plissant les yeux. Je ne peux dire s’il est en colère ou non, mais il me scrute
d’une drôle de façon.

Je tente de me relever, mais mon poignet gauche me lance. Je n’en tiens


pas compte plus longtemps et me redresse en m’appuyant sur l’autre main. Je
lui hurle un :

— Désolée bonhomme !

Et je continue ma course comme une dératée. Je dévale les autres étages en


me tenant la plus éloignée possible de la porte.

Bon sang de merde !

Maintenant au huitième, je suis à bout de souffle et tiraillée entre l’envie de


me rouler en boule dans un coin ou de continuer. Ainsi, je pourrais appeler
Jarred sur son téléphone pour le supplier de revenir.

Quelle conne ! Pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt ?

Je ralentis ma course pour attraper mon téléphone, je tâte mes hanches…

QUOI ?

Putain ! Je cours comme une folle en nuisette transparente…

Je fais quoi ? Je continue ou remonte jusqu’au 19e étage avec la honte de


ma vie ? Je n’ai pas à me poser la question plus longtemps, je poursuis. Jarred
vaut bien une petite humiliation.

J’arrive enfin au premier étage. J’ouvre la porte, elle cogne durement


contre le mur. Jarred est là.
— JARRED ?

Je hurle à m’en casser la voix, il se retourne vers moi, à la fois surpris et


souriant. Puis j’aperçois la nana du 15e qui lui fait les yeux doux.

Non, mais elle se prend pour qui cette salope ?

— C’est qui elle ? grogné-je.

Je sais pertinemment que je n’ai pas le droit de demander ce genre de


chose. Jarred est libre de faire ce que bon lui semble, mais la jalousie me
vrille l’estomac. Maintenant, c’est elle que je giflerais bien.

— Ma nouvelle maîtresse…

Oh non. C’est lui que j’étranglerais…

— C’est pas super marrant.

— Si. Ça l’est.

OK. Ça l’est quand même un peu…

— C’est pas important… Je m’excuse… Je m’en veux tellement…

— Lou… tu n’as pas à me frapper quand ça ne va pas comme tu le veux…

Mes yeux s’emplissent de larmes. Je me mords l’intérieur de la joue.

— Je sais, je le sais… Je m’en veux tellement...

Il baisse les yeux vers moi et sourit. Je pourrais même dire que son sourire
amusé devient légèrement malicieux. Il tend sa main vers moi pour repousser
mes cheveux.

— Ne me gifle plus jamais, d’accord ?

Je me contente de hocher la tête et tente de lui sourire faiblement. Il


m’attire contre lui et passe son bras autour de mes épaules pour m’entraîner
vers l’ascenseur.

— Tu sais que tu as couru dix-neuf étages en nuisette pour me dire que tu


m’aimes ?

Je me stoppe immédiatement et plisse les yeux, chose qui le fait éclater de


rire.

— Hé oh poussin, je n’ai jamais rien dit de tel.

— Poussin ? m’interroge-t-il en haussant un sourcil.

— Quand tu rigoles, on dirait un poussin… Jarred, je m’en veux tellement.


Cette situation me met à bout de nerfs. J’aimerais vraiment pouvoir mettre
des mots sur notre relation.

— Remontons et allons en discuter.

Il presse le bouton de l’ascenseur sans plus un mot. Lorsque les portes


s’ouvrent, Jarred glisse sa main dans la mienne et nous entrons. Nous
remontons les dix-neuf étages dans un silence plus qu’absolu et angoissant.

— OK. Merde. Dis quelque chose, m’écrié-je quelque part entre le 12e
étage et la folie.

Il appuie sur le bouton pour stopper l’ascenseur. J’écarquille les yeux ; si je


ne prends jamais les escaliers, c’est surtout par lâcheté, car je n’aime pas ces
boîtes à sardines qui peuvent rester bloquées à tout moment.

— T’as couru en nuisette, sexy et transparente, pour me rattraper. Tu peux


prétendre le contraire, mais pour moi, c’est une belle preuve d’amour.

Sa voix est rauque et lorsqu’il se tourne vers moi, je vois bien qu’il est
excité. En quelques secondes, je suis soulevée et plaquée contre le miroir
froid de la cabine. Sa bouche s’empare de la mienne et son sexe semble prêt à
exploser contre le mien. Nos langues entrent en contact et dansent l’une
contre l’autre. Ses doigts s’enfoncent dans la chair de mes fesses, ce qui me
fait grogner. Lorsque sa bouche lâche la mienne, je suis haletante et cherche
mon souffle.

L’ascenseur se remet en marche et s’arrête pour laisser monter quelqu’un.


Jarred me dépose sur le sol et semble avoir du mal à garder ses mains dans
ses poches. Rouge de honte, je n’ose lever les yeux vers l’intrus.

Une fois au 19e, nous filons rapidement vers mon appartement, dont j’ai
oublié de fermer la porte.

— Pas très prudent, me réprimande Jarred.

— Je devais te rattraper. Je n’arrivais pas à me dire que je t’avais perdu.


T’as raison, je t’aime, je suis folle de toi et parfois, je ne sais pas comment
gérer tout ça. Tu me rends folle, mais aussi plus calme et sereine. Je te veux
dans ma vie.

— C’est la plus belle déclaration d’amour du monde…

— T’es bête, ça n’a rien de romantique.

— Peut-être, mais ça vient de toi, donc c’est la plus belle chose que je n’ai
jamais entendue.

Jarred ferme la porte derrière nous et me pousse contre le mur avec un


sourire entendu. Je sais bien ce qu’il a derrière la tête, mais je pose quand
même la question :

— Que fais-tu ?

— D’après toi ? demande-t-il en déchirant ma nuisette.

Un cri de surprise s’échappe de ma bouche, cependant, je n’ai pas le temps


de réagir qu’il m’embrasse à en perdre haleine. Il me soulève et me porte
jusque dans ma chambre, me dépose doucement sur le lit et me débarrasse
des restes mauves de ma nuisette.
Sa langue court doucement de mon cou vers mes tétons, qu’il prend entre
ses dents pour les mordiller. Je me cambre sous l’effet de cette caresse, mais
il m’attrape par les hanches pour que je cesse de gigoter.

— Jarred, bon sang !

— Tu veux que j’arrête ? demande-t-il en relevant la tête vers moi.

— Bordel, non. Je veux ta queue en moi.

— T’as pas envie de ma langue sur ta chatte…

Oui.

Non.

Fuck…

— Je m’en fous, mais fais-moi jouir tout de suite.

Immédiatement, il plonge entre mes cuisses pour lécher mon sexe avec
tellement d’avidité que je me tortille dans tous les sens. Je pousse des
gémissements aigus, mais surtout incontrôlables. Je crois même défaillir
lorsqu’il enfonce deux doigts en moi et qu’il les fait bouger à toute vitesse. Je
suis tout près de jouir lorsqu’il stoppe tout. Il ne me touche plus… Nada…

— Jarred…

Je le supplie, mais il part du lit et ouvre ma penderie. Je me redresse sur un


coude et le regarde faire. Il revient avec deux foulards, un rose et un noir.

— Tu comptes faire quoi avec ça ? demandé-je, intriguée.

— À ton avis ?

Il ricane et se penche vers moi pour m’embrasser.

— T’as pas envie de jouer un peu ? Je te promets que dès que tu jouis, je te
détache.

— T’es malade, rigolé-je.

— Tu me fais confiance ou pas ?

Le regard qu’il me lance me met dans tous mes états. Je n’arrive qu’à
hocher la tête. Il me sourit, attrape mon poignet droit et le fixe à la tête de lit.
Il répète l’opération pour mon poignet gauche. Il ne serre pas les liens et si je
le souhaite, je peux m’en défaire rapidement. Cette petite attention me ravit.
Il sort du lit et se déshabille tout en me fixant de son regard acier.

Putain que j’aimerais le toucher en ce moment !

— Tu me fais confiance ? demande-t-il de nouveau en se glissant entre mes


cuisses.

— Oui.

Ma voix n’est qu’un murmure, mais lorsqu’il embrasse l’intérieur de mes


cuisses, je frémis et m’accroche aux foulards avec force. Sa langue entre en
contact avec mon clitoris, puis il l’aspire. Je ferme les yeux et le laisse
devenir maître de mon plaisir et de mon corps. Ses doigts se faufilent en moi
et bougent avec une lenteur démesurée. Je souffle, ma respiration devient
haletante, presque sifflante. Je me mords l’intérieur de la joue. Je suis
attachée, je ne vois rien, mon plaisir ne dépend que de lui et il s’applique à
lécher, aspirer et mordiller chaque parcelle de mon sexe. Ses doigts en moi
accélèrent, je suis secouée par un orgasme si intense que je n’arrive pas à
crier ma jouissance. Je n’avais jamais vécu ça auparavant. Je ne peux que
subir. Mon corps est parcouru de secousses. Lorsqu’il me lâche, un long râle
s’échappe de ma bouche.

Ses mains agrippent mes hanches qu’il soulève avant de s’enfoncer en moi.

— Ah bon sang, Jarred.

Il va et vient en moi si rapidement que je crois que je vais jouir d’un


instant à l’autre. D’un long et puissant coup de reins, il bute au plus profond
de mon être et ne bouge plus. Il délie les foulards qui retiennent mes poignets
à la tête de lit. Je m’accroche à son cou de toutes mes forces. Il recommence à
aller et venir en moi avec la même rapidité qu’au départ. Nous sommes tous
les deux en sueur et hors d’haleine lorsqu’il explose en moi, m’amenant, moi
aussi, dans un orgasme fulgurant.

Il s’écroule sur moi, puis roule sur le dos. Je me blottis contre son torse.

— Nous n’avons pas parlé de ce qu’il s’est passé, lâché-je.

Je sais pertinemment que je suis en train de gâcher un beau moment entre


nous, mais je ne peux me retenir.

— Nous avons la vie pour en parler.

— La vie… T’as l’intention de me garder longtemps…

— Aussi longtemps que tu voudras de moi.

Je relève la tête et pose mes yeux dans les siens.

— Lou, fais-moi confiance…

— Jarred, je n’ai jamais fait autant confiance à quelqu’un…

Il me sourit alors que je repose ma tête contre son torse.

— T’as envie de regarder un film ? demandé-je.

— Tu vas rester nue contre moi ?

— T’es vraiment un obsédé, Jarred Dwyer.

— Je sais, mais tu m’aimes comme ça…

— Ne prends pas tes rêves pour la réalité.


— Dommage parce que moi, je t’aime…

Je me relève et le fixe. Je ne sais pas quoi dire. En fait, c’est faux, je le


sais. Cependant, je ne sais pas comment le lui dire alors je me contente de
bafouiller :

— Moi aussi…

— T’es pas obligée de me le dire, tu sais.

— Non. Non. Je ressens la même chose que toi. Je ne sais juste pas
comment te faire comprendre que je t’aime et que tu as changé ma vie.

— Regardons un film et reste nue contre moi, ce sera un bon départ.

Je rigole comme une idiote, mais je suis surtout amoureuse et me sens


légère comme une plume. Ce mec m’a ouvert les yeux sur un monde
merveilleux. Son monde à lui.
28
Lou
Je n’avais jamais foulé le sol du cabinet d’un psychiatre avec le sourire et
l’envie de me livrer, de lui dire que ça va mieux, que je vois la lumière au
bout du tunnel. Cette seule pensée me fait vibrer de bonheur. Cependant, je
ne suis pas dupe, je sais qu’il me reste beaucoup de chemin à faire, mais je ne
me sens plus comme si j’étais au bord du précipice. Je crois que Jarred est
entré dans ma vie au parfait moment, celui où je n’étais plus capable de
supporter l’oscillation entre la folie et la normalité. Ça aurait fini par me tuer.
C’est donc avec un sourire non feint que je me dirige vers la secrétaire, une
jeune femme de mon âge, rousse et incroyablement gentille. Je ne l’avais
jamais vraiment remarquée avant. Nous échangeons un sourire. Ça me fait
bizarre ce genre de situation. Avant, je serais entrée ici et aurais pris place sur
un siège en maugréant contre l’ineptie de ma vie. Je n’aurais souri à personne
et me serais contentée de me lamenter sur mon triste sort.

— J’ai rendez-vous avec le Docteur Andrews à 14 heures, annoncé-je.

— Oui. Vous pouvez vous asseoir, mademoiselle Cassidy, je vous appelle


dans quelques minutes.

Je me retourne et jette un regard aux patients présents dans la salle


d’attente. Je ne dirais pas que je me sens différente d’eux, car je suis comme
eux, j’essaie de m’en sortir, vraiment cette fois. Cependant, désormais, je suis
plus que consciente de ce qu’ils peuvent traverser. Je crois que Jarred
m’apporte une certaine conscience sociale. Je suis moins centrée sur moi-
même.

Je prends place à côté d’une dame d’une quarantaine d’années. Ses


cheveux sont coupés court et blond platine. Elle n’ose pas me regarder. Une
bien drôle de réflexion s’empare de moi.
Avais-je l’air aussi mal en point ?

Je suis tentée de lui sourire ou de lui demander si elle va bien, mais la


secrétaire s’avance et me fait signe de la suivre. Les talons de ses bottes
claquent contre le carrelage. Elle m’ouvre la porte du bureau et j’y entre
docilement. Je suis surprise de trouver le docteur Andrews assis derrière son
ordinateur en train de lire un dossier, probablement le mien vu l’épaisseur
faramineuse. Je me demande ce qu’il écrit sur moi. Peut-être que je suis un
cas social… ou il songe à ajouter une maladie à ma liste de problèmes. Je suis
contente qu’il soit déjà là parce que généralement, je dois contempler la
peinture blanche de ses murs et ses diplômes pendant presque quinze minutes
et souvent, je trouve le temps si long que ça me rend de mauvaise humeur.
Une mauvaise humeur que je passe volontiers sur lui.

La porte se referme doucement derrière moi alors que je prends place sur
l’une des deux chaises de service. Je m’étire pour jeter un œil à ses dossiers,
mais je n’arrive pas à voir.

— Bonjour Louann.

Il lève la tête vers moi et me sourit, amusé par ma piètre tentative de


lecture.

— Bonjour docteur, annoncé-je gaiement.

— Comment allez-vous aujourd’hui ?

— Je vais mieux.

Je lui lance ça avec une fierté évidente dans la voix. Je suis tellement
heureuse des progrès que j’ai faits. J’espère qu’il en sera satisfait lui aussi.

— Mieux comment ? demande-t-il suspicieux.

— Je sais pas, mais je me sens mieux. J’apprends tranquillement à vivre


avec ma maladie et à l’accepter.
— Vous parlez maintenant de votre maladie comme si elle faisait partie
intégrante de vous, je me trompe ?

Je vois bien où il veut en venir, mais je ne vais pas m’emporter, et ce


même si j’ai envie de lui dire que c’est un vieux débile.

— N’est-ce pas ce que vous vouliez que je voie ; le trouble de la


personnalité limite autrement ?

— Comment le voyez-vous ?

— Pourquoi répondez-vous toujours par une question ? Vous voulez tester


ma patience ? J’ai appliqué tous vos conseils et j’ai maintenant l’impression
que ce n’est pas suffisant pour vous.

— Louann, je ne suis pas là pour vous énerver, mais bien pour vous faire
prendre conscience que vous avancez dans votre processus de rétablissement.
Cependant, il vous reste bien du chemin à faire et je crois que vous le savez.

— Oui, je le sais. Je ne suis pas idiote quand même.

— Qu’est-ce qui a amené cette prise de conscience sur votre maladie ?

— Je ne sais pas, je crois que c’est parce que j’ai rencontré un mec. Il est
génial et m’aide beaucoup. Souvent, il me comprend sans que je n’aie à
parler.

— Cet homme et vous êtes intimement liés ? demande-t-il en fronçant les


sourcils.

— Ça dépend de ce que vous entendez par intimement liés.

Je tente de plaisanter, mais ma patience s’ébruite si rapidement que je suis


étonnée de ne pas encore avoir explosé. Il se contente de me jauger un long
moment. Je perds légèrement la raison et ajoute :

— Je vois où vous voulez en venir Docteur, mais non, il ne me quittera


jamais et ne me fera pas de mal. Il n’est pas comme les autres. Il est un
homme bien qui me pousse à devenir meilleure.

— Et si jamais ça arrivait ? Si jamais il vous quittait, comment réagiriez-


vous ?

Je détourne le regard, je sais ce qu’il tente de faire. Je suis consciente qu’il


veut me faire voir toutes les options possibles à ma relation avec Jarred, mais
je suis incapable d’entrevoir une éventuelle fin avec lui. En fait, je ne serais
pas capable de l’accepter. Ce serait un coup fatal pour moi.

— Louann, je ne dis pas ça pour être défaitiste, mais bien pour que vous
envisagiez tous les chemins possibles. Si vous l’entrevoyez, vous pourrez
mieux gérer vos réactions.

— Je n’ai pas envie de penser à ce genre de chose…

— C’est vous qui devez être responsable de votre bonheur. Vous devez
envisager toutes les possibilités.

— Docteur, veuillez m’excuser, mais je dois interrompre ce rendez-vous.


Je suis heureuse, je vais bien. Vous devriez vous réjouir pour moi. Pour une
putain de fois dans ma vie, j’ai envie de vivre…

Je ne lui laisse pas le temps de répliquer que je fonce déjà vers la porte.
J’ai l’impression d’avoir le visage en feu, mes mains tremblent et lorsque je
passe la porte du cabinet, de grosses larmes roulent sur mes joues. Ça y est, je
pleure. Quelle conne ! Je fonce dans le couloir avec en tête l’idée de mettre le
plus de distance possible entre cet endroit et moi.

Une fois à l’extérieur, la pression et le besoin d’éclater quelque chose ne


passe pas. Je n’ai qu’une envie : entendre la voix de Jarred qui me rassure,
qui me dit que tout va bien aller et qu’il m’aime… Cependant, je n’arrive pas
à me convaincre de le déranger pour ça. Jamie et lui ont organisé une petite
fête avec des amis et des parents pour célébrer le lancement de leur collection
et ça a lieu demain, donc ils sont en train de peaufiner les derniers détails.
J’essuie rageusement mes larmes et tente de refouler celles qui essaient de se
faufiler.
Lentement, j’avance dans la rue et me dirige vers chez moi. J’attrape mon
téléphone dans mon sac à main et branche mes écouteurs. Je fais jouer la
playlist de Jarred, toutes des chansons censées m’aider à ne pas devenir folle
lorsqu’il n’est pas là. Je mets le volume aussi fort que mes pauvres tympans
me le permettent et me laisse bercer dans les notes parfois rock ou punk de
groupes aux noms impossibles à mémoriser. J’accélère le pas, repoussant du
mieux que je peux toutes les mauvaises pensées qui tentent de s’insinuer en
moi.

J’ai le droit d’être heureuse et d’aimer, surtout que Jarred me fait du bien
comme personne. Il me comprend et m’aide à me comprendre. Ce n’est pas
un fou furieux ou encore un taré qui ne pense qu’à tremper son biscuit dans le
plus de verres de lait possible. Non, il m’aime et passe son temps à me le
répéter. Ça ne fait qu’une semaine depuis la fameuse nuit où je l’ai giflé et où
nous avons fait l’amour de façon magistrale, mais j’ai l’impression de le
connaître depuis toujours. Chaque fois qu’il pose son regard sur moi, mon
cœur s’affole. Je n’ai jamais su ce qu’était l’amour jusqu’à ce que je fasse la
connaissance de ce mec. Il rend ma vie plus belle, alors pourquoi ce putain de
psychiatre tient-il à ce que j’entrevoie la possibilité que Jarred me lâche ? Il a
promis qu’il ne le ferait jamais.

La musique s’arrête et mon téléphone se met à sonner. J’enlève les


écouteurs et prends l’appel.

— Allô ?

— Allô ma puce. Comment s’est passé ton rendez-vous ?

— Je suis partie…

— Comment ça ?

— Il voulait que j’entrevoie la possibilité que tu me quittes un jour.

— Pourquoi ?

— Pour que je puisse anticiper ma réaction. C’est complètement con.


— Je vois où il veut en venir, mais sache que j’ai confiance en nous.

— Je sais, moi aussi…

Je cesse de marcher et me dirige vers un banc en bordure d’un


supermarché. Tremblante de la tête aux pieds, je m’y assieds.

— Je me trompe ou ça va pas ?

— Ça va aller.

— T’es où ? Je vais venir te chercher et te ramener chez toi.

— Non. Je vais marcher jusque chez moi et t’y attendre, d’accord ?

— T’en as pour plus d’une heure de marche. Je viens te chercher.

— Tu dois bosser…

Je m’entête à lui demander de ne pas venir, mais je sais bien qu’il ne va


pas m’écouter.

— Ce ne sera l’affaire que d’une seule petite heure. Jamie va survivre sans
moi.

J’entends la principale intéressée rigoler.

— Bon d’accord, je suis à quelques pâtés de maisons de la clinique. Tout


près du supermarché.

— Ne bouge pas de là, j’arrive.

— Ouais patron.

— Tu sais que j’adore lorsque tu m’appelles comme ça ? ricane-t-il.

Sa plaisanterie me fait rouler des yeux, mais m’arrache quand même un


sourire. J’entends ses pas résonner dans le couloir puis une porte se refermer.
— T’es dégoûtant.

— Je suis en route et ne dis pas le contraire, tu adores ça, annonce-t-il.

— Je ne vais pas répondre à ça. Maintenant, éteins ton téléphone et


conduis prudemment.

Son rire retentit dans le combiné. Le simple fait de lui avoir parlé me
remplit de bonheur et me donne envie d’aller botter l’arrière-train de ce
psychiatre pessimiste et idiot de surcroît. Il n’est pas supposé aider les gens à
mieux vivre avec leur maladie ? Non ! À la place, il les pousse à ne voir que
le négatif.

Quel connard !

Je patiente gentiment sur mon putain de banc. Il ne lui faut pas plus de dix
minutes pour venir me trouver. Pourquoi ça prend autant de temps ? Je
panique légèrement à l’idée qu’il lui soit arrivé quelque chose. Mon état doit
être dû à ce putain de psychiatre. Il m’a mise en mode alerte, je vois le mal
partout à cause de lui.

Je pousse un soupir de soulagement lorsque la voiture de Jarred entre dans


le parking. D’un bond, je me lève et me dirige vers lui. Sans attendre une
seule seconde, j’entre dans le véhicule. Une fois à l’intérieur, il attrape mon
visage entre ses mains et m’embrasse à en perdre haleine.

Jarred pose son front contre le mien et murmure :

— Je t’aime…

Il n’en faut pas plus pour que mon cœur déborde d’émotions et explose.

— Merci d’être venu.

— Je serai là chaque fois que tu en auras besoin.

— Je t’aime, soupiré-je lorsqu’il me lâche.


— Alors mademoiselle, je vous ramène à la maison ?

— Avec plaisir esclave.

— Lou, non. On dit chauffeur…

Je roule des yeux avant d’exploser de rire. Ma relation avec lui est une
vraie bouffée d’air frais et bon sang, ça me fait du bien !
29
Lou
Ce fut un soulagement lorsque le coiffeur est parti, il n’était pas la douceur
incarnée. Il m’a tiré tellement de fois les cheveux qu’à la fin, j’ai fini par lui
demander de dégager. Il m’a mis tant de laque que j’avais un arrière-goût
désagréable sur la langue. J’ai fini par les laver de nouveau et terminé l’étape
coiffure moi-même. Étant la nouvelle égérie de leur collection, la nouvelle
collection de Jamie Michelle et le nouveau styliste/photographe/mec le plus
canon de la terre, Jarred Dwyer, je ne peux pas me contenter d’avoir l’air
d’être figée dans le temps. Plusieurs de leurs amis et membres de leur famille
seront au rendez-vous pour célébrer leur collaboration. Ce sera intime, mais
depuis que je sais que ce ne sont que leurs proches qui sont conviés à
l’événement, je stresse. Je suis nerveuse comme jamais. J’ai peur de dire une
connerie ou de faire un faux pas.

Je me regarde une dernière fois dans le miroir et me dirige vers ma


penderie. Je sors de la housse en plastique noir puis enfile une robe de soirée
vert émeraude avec un haut à manches longues en dentelle pailletée noire. Le
bas est un drapé de satin de soie fendue à l’avant. J’adore cette robe qui a été
choisie par nul autre que Jarred. Il se place derrière moi et remonte la
fermeture éclair dans le dos de ma robe. Une fois sa mission accomplie, il
dépose un baiser sur ma nuque.

— T’es magnifique, lâche-t-il.

Il effleure mes cheveux, puis mon épaule, à travers la dentelle de mon haut.
Je frissonne à ce contact.

— T’es pas mal toi non plus.

Il porte un pantalon noir ainsi qu’une chemise de la même couleur.


Il est… ouf…

Il me donne envie de lui arracher sa chemise. Je souffle fortement.

— OK ! Ne me touche plus jusqu’à ce que l’on soit de retour.

— Je savais que tu étais folle de mon corps.

— Non, mais Jarred, si tu me payais ne serait-ce que 25 centimes pour


chaque connerie que tu dis, je pourrais me payer un super voyage en
Angleterre.

— On n’a qu’à partir après le shooting, et aller passer une semaine là-bas.

— Je vais avoir une tonne d’autres obligations ensuite, tu sais ?

— Tu peux soudoyer le patron.

Il ricane et pose un baiser au coin de mes lèvres. Je le repousse pour


vérifier que mon rouge à lèvres ne s’est pas étalé partout.

— Je vais enfiler mes chaussures et nous pourrons y aller ensuite ?


demande-t-il.

— Je n’attends que toi, bébé.

Il me sourit et se dirige vers l’entrée, moi, je me regarde une nouvelle fois


dans la glace. L’image que je renvoie me plaît bien : une femme séduisante
sans trop d’artifice. Mais soudain, la nervosité me gagne. Instinctivement, je
touche mon cou. La chaîne ainsi que la bague que Jarred m’a prêtées me
manquent. Sans réfléchir, j’ouvre le tiroir de ma coiffeuse et enfile la bague à
ma main droite. Je me sens instantanément mieux. J’enfile mes talons hauts,
attrape la pochette assortie à ma robe et pars retrouver Jarred.

— Nous sommes prêts ? demande-t-il.

— Ouais !
— Nerveuse ?

— Je vais gérer, t’en fais pas.

— Oh, mais je ne m’en fais pas. Je sais que tu seras parfaite, tu l’es
toujours.

Je secoue la tête en refermant la porte de mon appartement. Il noue ses


doigts aux miens. Une fois face à l’ascenseur, je presse le bouton et me
tourne vers lui.

— Et toi ? T’es nerveux ?

— Je gère.

— T’en fais pas, tu vas tout déchirer, annoncé-je avec le sourire en entrant
dans la cabine.

— Merci Lou.

Sa voix est faible et pas très assurée. Je me retrouve devant un autre


homme et pour une fois, ce n’est pas moi qui suis sur le point de craquer.

— Jarred, j’ai vu la collection et elle est magnifique. T’as pas à t’en faire.

— Merci Lou.

Il me prend dans ses bras durant toute la descente jusqu’au premier étage.
C’est la première fois que je le sens aussi nerveux et fébrile ; ne pas pouvoir
le rassurer, ça me fait mal. Je ne peux que lui offrir ma présence et ça me
semble peu.

**
Il gare la voiture devant la maison de Jamie Michelle, puis se tourne vers
moi.

— T’es prête ?

— Ouais, et toi ?

— Ça va le faire !

Je lui souris en sortant de la voiture, rapidement il est à mes côtés et passe


son bras autour de ma taille. La dernière étreinte avant que nous n’entrions.

— Maintenant, nous ne sommes plus que des amis.

— Ce n’est que pour quelques heures, le rassuré-je.

— Faisons comme si nous étions plus que ça.

— Quoi ? m’étranglé-je.

— J’en ai marre de me cacher. Jamie sait pour nous deux et elle s’en fout.
Je crois que si tous ces gens sont mes amis, ils seront heureux pour moi.

Il me serre si fort contre lui qu’il m’est impossible de ne pas me rendre


compte qu’il est nerveux.

— Ça va aller Jarred. Je t’aime, tu le sais.

— Merci d’être là, mon cœur.

Un sentiment de bien-être s’empare de moi. Je jubile, je souris, mais


surtout je suis bien et persuadée que cette soirée sera fabuleuse en tout point.

— Allons-y ! proposé-je.

Sa main se glisse dans la mienne et nous entrons. La maison bourdonne de


monde, employés et invités. Je serre la main de Jarred si fort que je peux
presque entendre ses phalanges craquer.
— Ça va ? demande-t-il.

— Oui. C’est juste que je ne pensais pas qu’il y aurait autant de monde.

Il n’a pas le temps de répondre que Jamie apparaît. Magnifiquement sobre,


comme à son habitude. Elle porte une robe blanche à manches longues qui
frôle le sol et qui met en valeur sa silhouette frêle.

— Louann ! s’écrie-t-elle.

— Hé oh. Je suis là moi aussi, s’indigne faussement Jarred.

— Toi, je te vois tous les jours…

Elle rigole puis son regard descend vers nos mains enlacées et sa bouche
s’arrondit sous l’effet de la surprise.

— À ce que je peux voir, t’as suivi mon conseil…

— Quel conseil ? demandé-je.

Jamie prend mon autre main et me tire vers elle.

— Allez viens. Je vais tout t’expliquer et j’ai des tonnes de gens à te


présenter.

Je joue le jeu et la suis sous le regard amusé de mon petit ami. Ce mot
sonne comme de la musique à mes oreilles. Jamie me présente énormément
de gens en peu de temps et je serre tellement de mains que j’en ai le tournis.
Puis une dame et un homme d’environ cinquante ans s’avancent vers nous.
La femme ressemble trait pour trait à Jamie. J’en conclus donc que c’est sa
mère.

— Bonsoir ma chérie.

La voix de la dame est posée et agréable.

— Maman, je ne savais pas que vous deviez venir, s’écrie Jamie.


— Jarred nous a fait venir depuis l’Australie. Il s’est occupé de tout. C’est
un amour, ce garçon.

Le regard de la mère de Jamie se voile légèrement d’une tristesse palpable.


Cependant, elle semble se ressaisir rapidement et nous lance un sourire
radieux.

— Et vous mademoiselle, vous êtes ? demande le père de Jamie.

— C’est Louann Cassidy, l’égérie de notre collection féminine. Lou, je te


présente mes parents, Mark et Elina.

— Enchantée, bafouillé-je.

Sa mère tend la main vers moi avec un sourire amusé.

— J’ai beaucoup entendu parler de vous, Lou.

S’ensuit une poignée de main totalement banale et douce. Puis elle serre
ma main si fort dans la sienne que j’en ai une grimace de surprise. Je tente de
me défaire de sa poigne de fer. Si elle est aussi minuscule que sa fille, il ne
faut pas se leurrer, elle a une force phénoménale. Avant que je n’en aie
conscience, elle retourne ma main et regarde la bague à mon auriculaire. Ses
yeux s’écarquillent d’horreur. J’ai l’impression que quelqu’un vient de jeter
un seau d’eau de javel sur moi.

— Comment c’est possible ? s’écrie-t-elle en regardant sa fille.

Je tente de récupérer ma main, mais elle ne l’entend pas de la même façon


que moi. Elle m’agrippe par le poignet et montre à son mari et sa fille la
bague que Jarred m’a gentiment prêtée.

— C’est la nouvelle petite amie de Jarred, explique Jamie sans lâcher sa


mère du regard.

— Mais c’est la bague de Sidney !

— Ce ne sont pas nos oignons, rétorque sa fille.


— Jarred me l’a prêtée, me défends-je.

— Oh, mais il n’avait pas le droit de vous prêter cette bague.

— Je suis désolée, il m’a dit qu’elle appartenait à une amie. Il ne m’a pas
donné plus de détails.

J’ai envie de mourir de honte, mais je veux surtout partir d’ici et aller me
réfugier dans les bras de Jarred.

— Une amie ! Vraiment ? C’est totalement absurde ; Sidney était la femme


de votre petit-ami.

Sa femme…

Je tombe des nues.

— Maman ! Ça suffit ! tonne Jamie.

— Non ! Il faut que cette fille sache que la bague qu’elle porte à son
auriculaire est la bague de mariage de ma petite fille.

Je me défais de la poigne de madame Michelle et cherche Jarred du regard.


Je ne le vois nulle part. Je respire avec difficulté.

— Je suis désolée pour votre fille, je ne savais pas qu’il était marié…

— Jarred est veuf, Lou…

La nouvelle me coupe le souffle.

— Ça va ici ?

Jarred !

Je suis soulagée de le savoir finalement près de moi.

— Elle a la bague de Sidney !


Cette voix, je la déteste finalement…

Il prend ma main dans la sienne et regarde la bague à mon auriculaire.

— Tu m’as dit que je pouvais la porter tant que j’en sentirais le besoin…

— Je ne vois pas où est le problème, me rassure-t-il.

— C’est la bague de mariage de Sid !

J’en peux plus de l’entendre répéter ces mots, j’ai envie de les lui faire
avaler à cette vieille folle. Ni Jamie ni son père ne disent quoi que ce soit. Ce
n’est que moi, Jarred et madame Michelle.

— Elina, je peux offrir cette bague à qui je veux, tente-t-il calmement.

— Non ! Non ! Non ! C’est celle de ma fille. T’as pas le droit.

— Je peux comprendre votre peine, mais…

— Non ! Non ! Tu ne peux pas comprendre, tu n’étais pas là !

— Maman ! Ça suffit !

Je ne comprends plus rien à la situation sauf qu’Elina semble en vouloir à


Jarred. Je suis totalement perdue. Monsieur Michelle emmène sa femme à
l’écart et Jamie s’avance vers nous alors que je m’accroche désespérément à
la main de Jarred.

— C’est le moment de lui dire, je crois…

— Me dire quoi ?

Jarred secoue la tête. Je vois bien qu’il évite mon regard.

— Je serai dans l’atelier, annonce-t-il.

— Il se passe quoi ?
— Suis-moi…

Docilement, je le suis jusqu’à l’atelier. Hier, je suis venue le trouver ici


même. Il était tard et comme il n’avait pas terminé, je me suis installée à son
bureau et j’ai patienté. Lorsqu’il a terminé, il s’est avancé vers moi et m’a
embrassée. Nous avons fait l’amour à même son bureau. Il n’arrêtait pas de
me dire de me lâcher car les murs sont insonorisés.

Comme ça, si je fais une crise, personne ne m’entendra…

**

Je n’ai plus conscience du monde qui m’entoure. Un éclair de lucidité me


traverse lorsque je dois chercher mes clés dans mon sac à main. D’un pas vif,
je me dirige vers la salle de bain. Je n’ai pas pleuré, mais mon maquillage a
coulé. Comment c’est possible ? Ah oui, parce que je viens de marcher plus
de deux heures dans les rues de Miami pour revenir à la maison. Mes
cheveux sont en bataille et si l’on regarde bien, au fond de mes yeux, il n’y a
plus une seule lueur de vie. Tout l’espoir que j’avais est mort dès l’instant où
il a prononcé les mots : je t’ai menti.

Il m’a menti…

Il m’a asséné le coup de grâce face à une cinquantaine de personnes que je


ne connaissais pas. Ça aurait été légitime de faire une crise, mais je n’en étais
pas capable. Je ne l’ai pas vu venir. Les paroles de mon psychiatre me
reviennent en mémoire : « Vous devez envisager toutes les possibilités ».
Je… Je… comment aurais-je pu savoir que Jarred était capable de me
mentir ? Il a toujours été transparent sur sa vie privée, mais je me rends bien
compte que ce n’était qu’un leurre. Au final, il m’a caché tellement de choses
que j’en suis sonnée. Il était marié… OK. Ça, je peux comprendre qu’il n’ait
pas eu envie de m’en parler. La bague qu’il m’a prêtée n’était pas à sa
meilleure amie, mais à sa femme… Si j’avais su, jamais je n’aurais accepté
de la prendre… Cette fille, Sidney, elle était malade… Elle a fait une très
grosse dépression et elle s’est suicidée…

Il m’a menti, il me jurait qu’il n’a jamais voulu me sauver. Il me répétait


sans cesse qu’il était là parce qu’il en avait envie. Comment aurais-je réagi
s’il m’avait avoué la vérité ? Aurais-je été plus compréhensive ? Me serais-je
mise en colère ? L’aurais-je écouté ? Non, bien sûr que non ! Ça n’a jamais
été mon genre de relativiser. À la place, j’explose et hurle, mais il aurait eu le
mérite d’être honnête s’il m’avait dit la vérité.

La vérité n’est jamais facile…

Je fixe toujours mon reflet dans la glace. Je fais pitié. Il faut tomber bas
pour ressentir de la pitié pour soi-même. J’attrape un élastique sur le
comptoir et attache mes cheveux en une haute queue de cheval. Je ressors de
la pièce et me dirige vers la cuisine. J’ouvre les placards un à un. Ce que j’y
cherche n’y est pas. Non, c’est vrai, il m’a fait vider mes bouteilles. Je me
laisse choir sur le sol. Je laisse tomber ma tête entre mes mains et agrippe
mes cheveux. Je tire tellement fort que des poignées se détachent de mon
crâne et s’enroulent autour de mes doigts. J’ai mal, la douleur afflue si
rapidement dans tout mon corps que je ne suis pas certaine que je vais
pouvoir endurer tout ça plus longtemps. Je me recroqueville sur moi-même.
Je n’arrive plus à réfléchir, je tombe… je tombe… je… tom… be… Je ferme
les yeux, j’aimerais pleurer, mais n’y arrive pas. Si j’y arrivais, ça me
soulagerait. Non, à la place, je reste là à contempler l’impossible se profiler
devant moi. Je dois trouver une façon de pallier cette douleur.

Je ne veux pas mourir… Je ne veux pas vivre… Je veux seulement cesser


d’avoir mal…

Le seul moyen que je connais comporte trop de risques et je pourrais y


laisser ma vie. Au final, qui ça importerait ? Je suis seule. Complètement
seule. Je me relève d’un bond et ouvre le placard qui contient mes
somnifères. Avec ça, je suis certaine de divaguer pour au moins vingt-quatre
heures. J’attrape le flacon et inspecte son contenu.

Bon sang. Il ne m’en reste que trois…


Trop peu pour ce que j’ai prévu de faire. Je me contente de les balancer à
la poubelle. On cogne à la porte de mon appartement. D’un pas lent et mal
assuré, je pars ouvrir.

Bien sûr, c’est lui, Jarred. Je n’arrive pas à prononcer un traître mot. Je ne
peux que le fixer, tremblante de la tête aux pieds.

— Lou. J’ai eu peur qu’il te soit arrivé quelque chose, commence-t-il.

— T’as plus à t’en faire…

— Je…

Il passe une main dans ses cheveux et souffle. Il semble tout aussi au bout
du rouleau que moi.

— Pourquoi t’as fait ça, Jarred ?

— Je…

Il se tait, pour moi c’est bien pire que s’il m’avait dit qu’il ne voulait pas
en parler. Il ne sait tout simplement pas quoi dire. Autant terminer le
massacre tout de suite.

— T’as pas besoin de t’expliquer, je ne veux pas savoir finalement.

— Je…

— T’en fais pas, je ne vais pas flinguer ma dernière chance de travailler.


J’ai aussi trop de respect pour Jamie pour tuer sa collection. Toi et moi allons
avoir une relation strictement professionnelle. Maintenant, dégage !

Encore plus dépitée qu’avant sa visite, je claque la porte et la verrouille.


Ma respiration est saccadée, je perds pied, je le sens. Des larmes roulent sur
mes joues. Surprise, je les touche du bout des doigts. Un gémissement entre
le rire et le hurlement s’échappe de ma bouche. Incapable de réfléchir,
j’attrape le petit meuble dans l’entrée, celui qui me sert à ranger mes clés et
mes lunettes de soleil, et le balance contre le gros miroir. Le bruit qu’il fait en
se casant est le même qu’a fait mon cœur lorsque Jarred m’a avoué m’avoir
menti. Les objets volent dans tous les sens. Et après quelques minutes, je
réalise que j’ai saccagé la moitié de mon appartement.

Je me trouve au milieu des débris, tétanisée et n’arrivant même plus à


enligner une seule petite pensée. Il me faut même plusieurs minutes avant de
retrouver un semblant de lucidité, juste assez pour éviter les éclats du miroir,
et aller chercher le flacon de somnifères dans la poubelle. J’attrape aussi une
bouteille d’eau et me dirige vers ma chambre. Je grimpe sur mon lit sans
même enlever mes talons hauts et me glisse sous les couvertures. J’avale les
trois somnifères et bois ma bouteille d’eau presque en entier. Je me laisse
divaguer entre mes pensées.

Il y a des événements, des petites choses minuscules, qui peuvent nous


changer à jamais. Certaines sont comme une bouffée d’air frais, elles sont
revigorantes et donnent un autre goût à la vie. Cependant, d’autres font l’effet
d’une douche froide avant de nous plonger en enfer. Depuis le départ, j’ai mis
Jarred dans la première catégorie. Je me suis rabaissée, allant même jusqu’à
me croire pas assez bien pour lui. Allant même à croire que personne ne sera
assez bien pour ce mec. Mon estime de moi a toujours été facile à réduire à
néant, mais face à lui, je me sentais normale, presque invincible.

Je me suis crue invincible… mais il m’a tuée…

Finalement, ça n’en vaut pas la peine…


30
Jarred
Neuf ans plus tôt.

Aujourd'hui, rien ne se passe comme prevu. Depuis ce matin, j'ai


l'impression de vivre un enfer. Mon reveil n'a pas sonne et je me suis leve
avec presque une heure de retard. Evidemment, j'etais a la bourre a ma
formation, ce qui m'a valu des reprimandes de la part de mon maitre de stage.
Cependant, j'y suis habitue, personne ne comprend jamais vraiment ce qui
m'arrive, parfois meme moi je m'y perds. C'est comme ca avec Sidney : les
journees sont chaotiques, les reveils difficiles et les moments ou je dois la
laisser seule sont insurmontables. Mais etre son pilier, ca me va, du moment
qu'elle se sent mieux. Cependant, ne pas recevoir de texto ou d'appel comme
elle a l'habitude de faire, ca me rend atrocement nerveux.

Je ne sais jamais ce qu'elle peut me reserver comme <<< surprises >>>,


qui sont rarement bonnes ces derniers temps. Du genre de celles qui
reussissent a vous glacer le sang et vous petrifier de l'interieur. Je souffle, ce
n'est pas facile et je commence a en avoir assez. Pourtant, je l'aime plus que
de raison, mais c'est parfois si difficile que j'en deviens fou. C'est elle que
j'aime malgre tout, je le sais depuis que j'ai pose mon regard sur elle il y a
quatre ans.

J'ai parfois l'impression d'etre le seul adulte du couple et lorsque j'ai


commence mes cours de photographie, ce fut difficile. Sidney le prenait
comme un abandon de ma part. Elle sait bien que vouloir vivre ses reves
demande un minimum d'implication et que j'aurai a jongler entre un travail
merdique de serveur dans un bar minable et mes cours. Ce qui ne nous laisse
plus beaucoup de temps pour etre ensemble. Chaque jour, elle suit
religieusement mon planning et on s'appelle pendant mes pauses, sans
exception. Cependant, aujourd'hui, rien. Aucun appel ou texto et lorsque
j'essaye de la contacter, je tombe directement sur sa boite vocale. Je suis
epuise et n'ai qu'une envie, prendre une bonne douche et la retrouver, mais ce
n'est jamais simple avec ma femme.

Bon sang, comme je me hais lorsque je pense a des choses comme ca...

Je gare ma voiture en bas de l'immeuble et inspire fortement. De l'endroit


ou je me trouve, je peux voir les fenetres de notre appartement, mais il
semble plonge dans le noir. Je sors de l'habitacle, entre au pas de course dans
le batiment, la peur au ventre, et fonce vers la cage d'escalier comme un
derate. A bout de souffle, j'arrive au 4e etage et c'est d'une main tremblante
que je deverrouille la porte. Pourquoi ressent-elle toujours le besoin de
s'enfermer a cle ? Si jamais quelque chose lui arrive, les secours devront tout
defoncer pour entrer.

Je passe le vestibule, peu surpris de constater que le salon est plonge dans
une noirceur inquietante. D'habitude, elle laisse toujours la lumiere allumee,
mais la, rien. J'avance a tatons a sa recherche, mais je ne la trouve nulle part.
Pendant une minute, j'appose mes mains sur le mur et ferme les yeux. Je sais
que je devrais me depecher et retourner toutes les pieces pour la retrouver,
mais ce soir, je n'en peux plus. J'inspire profondement en realisant que j'agis
en parfait egoiste. Je l'aime, je vais meme l'aimer toute ma vie, mais ce soir,
la petite Sidney d'avant me manque. Je percute finalement que je dois bouger.
J'avance a tatons au travers les pieces en priant pour qu'il ne lui soit rien
arrive.

Mon coeur bat la chamade, une drole de sensation de deja-vu s'empare de


moi et laisse un gout amer dans ma bouche. C'a beau ne pas etre la premiere
fois que je suis confronte a tout ca, le stress n'en diminue pas moins.

-- Sid ? T'es la ?

J'actionne l'interrupteur pour allumer la lumiere de la cuisine, mais ca ne


fonctionne pas. Je tente avec le suivant, toujours rien. C'est probablement une
panne dans le secteur. Les autres appartements etaient-ils aussi plonges dans
le noir a mon arrivee ? Je ne sais plus. Je scrute chaque piece jusqu'a la
chambre d'ami que nous avons transformee en atelier, c'est son endroit. Elle
s'y sent bien et y passe le plus clair de son temps.

Sidney a un reel talent artistique, et specialement pour la peinture. A


chaque fois, elle reussit a trouver le petit quelque chose en plus, que ce soit la
joie ou la douleur, le doute ou le mepris. Elle a un don.

-- Sidney ?

Un faible gemissement provenant de la chambre attire mon attention.

Non ! Pas encore...

Elle gemit de nouveau, mais cette fois, son cri transpire le desespoir. Bon
sang ! Ce n'est pas bon signe. Sans plus attendre, je me dirige au pas de
course vers la chambre a coucher. J'essaie a nouveau d'allumer la lumiere, en
vain.

Putain de merde ! Qu'est-ce qui se passe ?

Je m'avance dans la piece et apercois le corps presque inerte de Sidney,


etendue sur le lit. Je m'assieds a ses cotes, tentant de ne pas ceder a la panique
et respire longuement. Ce genre de situation me prend toujours autant aux
tripes.

-- Sidney, que se passe-t-il ? demande-je en posant ma main sur son


epaule.

Des pleurs etouffes s'arrachent de sa bouche. Je souffle, nerveux, et realise


que cette fois, elle est encore consciente, pas comme la derniere fois ou j'ai
du la faire transporter d'urgence a l'hopital, alors qu'elle avait avale le contenu
de sa boite d'antidepresseurs. Je crois que je n'avais jamais eu aussi peur
qu'au moment ou je l'ai trouvee inanimee sur le canape. Y penser me donne
des frissons. Heureusement, elle roule sur elle-meme et me regarde, les yeux
brillants d'un millier de larmes.

-- Pourquoi tu pleures ?
Ma voix tremble, je suis toujours incapable de la voir dans cet etat de
detresse intense.

-- J'ai froid Jarred...

J'inspire de soulagement. Si ce n'est que ca, la crise passera rapidement et


nous pourrons nous concentrer sur autre chose.

-- Oui, il doit y avoir une panne dans le secteur, commence-je.

-- Non...

Elle me coupe la parole et se tait en serrant les levres. Les rayons de lune
qui caressent son beau visage et ses longs cheveux rouges laissent apparaitre
le doute present dans son regard.

-- Pourquoi non ? T'as appele la compagnie d'electricite ?

-- Oui...

-- Que se passe-t-il alors ?

-- Promets-moi de ne pas m'en vouloir, mais je crois qu'il n'y a que nous
dans cette situation...

-- Comment c'est possible ?

-- Ne te fache pas, je t'en supplie.

Je pince les levres et ferme les yeux ; la vie avec Sidney peut avoir le gout
de l'enfer, mais les doux moments que nous passons ensemble tendent a
rendre cette saveur moins amere.

-- Tu sais bien que je suis incapable de me facher contre toi.

-- On nous a coupe le courant, lache-t-elle dans un souffle.

Stupefait, je ferme les yeux et soupire. Lorsque je les ouvre a nouveau, elle
me fixe d'un regard triste.

-- Je t'ai pourtant donne l'argent pour ca, y a un mois et demi...

-- Ne te fache pas !

C'est la deuxieme fois qu'elle me demande ca, je crains de ne pas apprecier


ce qu'elle va me dire, mais j'ai surtout peur de l'excuse qu'elle va trouver.
Sidney a toujours une explication pour tout. Elle peut facilement rejeter la
faute sur ses parents, sa soeur, le voisin, moi. Peu importe, mais elle avoue
rarement ses fautes.

-- Le docteur ne veut plus me prescrire de somniferes...

-- Sidney, t'as pas pris cet argent pour acheter illegalement des somniferes
?

Elle secoue la tete et fait un petit geste de la main. Depuis quelques mois,
elle achete des medicaments sur internet, et ce meme si je n'arrete pas de lui
dire que l'automedication peut etre tres dangereuse, elle ne m'ecoute pas. Tout
y est passe : antidepresseurs, somniferes, ou encore anxiolytiques. Je ne sais
plus quoi faire...

-- Je n'arrivais pas a me sevrer et encore moins a dormir, se defend-elle.

Que dire face a son malheur ? Comme chaque fois, son desespoir me
coupe le souffle et me retourne les entrailles. J'aimerais tellement pouvoir
l'aider a redevenir celle qu'elle etait avant. Celle qu'elle aimait etre, mais mes
tentatives se soldent toujours par des echecs.

-- T'es fache ?

-- Je suis seulement tres decu, tu sais que je ne peux pas me facher contre
toi.

Je me penche pour deposer un baiser sur sa tempe, mais avant que mes
levres ne touchent sa peau, elle me lance :
-- J'ai demande de l'argent a mes parents, ils vont nous aider a passer ce
mauvais cap.

-- Encore une fois...

Je dois maintenant tenter de controler ma colere et mon envie de gueuler.


Je vais vraiment me facher, je n'aime pas qu'elle demande de l'aide a Mark et
Elina chaque fois que nous sommes dans la merde. Je prefererais que nous
trouvions une solution ensemble, que nous nous debrouillions avec nos
problemes. Ca les rend nerveux de devoir gerer tout ca et ils s'inquietent pour
nous. Ce qui m'enerve le plus, c'est qu'elle pourrait vendre ses toiles, mais a
la place, elle les entrepose dans un coin et elles prennent la poussiere. Je
crains de ne jamais comprendre pourquoi elle s'attache de cette facon aux
choses...

-- Je leur ai explique pourquoi. Ils ont compris, mais maman souhaite que
je voie un nouveau psychiatre ou un psychologue. Je ne sais plus, tant que
c'est un professionnel. Elle a parle avec un ami qui lui a conseille quelqu'un,
bref, j'ai rendez-vous demain.

Connaissant Sidney, je sais tres bien que lorsqu'elle parle avec un debit
aussi rapide, c'est qu'elle se sait dans une impasse. Je dois rapidement couper
court a la conversation, car chaque putain de fois que ca ne va pas et qu'elle
fait un truc dement comme ca, sa mere lui dit de changer de psychiatre et paie
les pots casses. J'ai l'impression qu'en agissant ainsi, elle empeche sa fille de
faire face aux consequences.

-- Je vais aller chercher toutes les couettes de l'appartement et on va dormir


l'un contre l'autre.

Je me leve et sors de la chambre, je dois mettre un peu de distance entre


nous, car je risque d'exploser. Je rejoins la buanderie et attrape toutes les
couvertures. Je pose les mains a plat sur le seche-linge et baisse la tete.

-- Aujourd'hui, c'est pas une bonne journee, je suis desolee de te causer


autant de problemes.
Je ferme les yeux quelques secondes, puis tourne la tete vers elle. Ses
grands yeux verts en amande me fixent, brillants de larmes. Elle mord sa
levre inferieure, attendant sans doute que je dise quelque chose, mais rien ne
vient.

-- Pourquoi tu restes avec moi, Jarred ?

-- Pourquoi en voudrais-je une autre que toi ? Tu me tiens occupe comme


si j'avais huit amantes, ironise-je.

Elle fait fi de ma replique, elle a besoin que je la rassure.

-- C'est pas une bonne journee, j'ai l'impression de ne pas etre moi-meme
aujourd'hui.

-- Demain sera mieux, lui promets-je.

Elle me semble si triste que je suis incapable de lui en vouloir plus


longtemps. J'ouvre les bras et rapidement, elle colle son visage ruisselant de
larmes contre mon torse.

-- Allons dormir, nous en avons besoin tous les deux, annonce-je.

Elle hoche la tete et m'aide en attrapant les couvertures. Une fois dans la
chambre, nous preparons notre lit et prenons place dans les bras l'un de l'autre
sous cet amas de draps et de couettes. Sidney frissonne contre mon corps, ses
mains glacees entrent sous mon t-shirt, je proteste en me tortillant, ce qui la
fait rire. Je tente de la rechauffer en la serrant contre moi.

-- Raconte-moi encore pourquoi c'est moi, demande-t-elle.

Je souris, elle aime que je lui raconte la premiere fois que je l'ai vue. Je ne
sais pas pourquoi, mais j'ai l'impression que ca la rassure sur mon amour pour
elle.

-- Tu portais un t-shirt pourri des Social Distortion, et...

-- Non, mon t-shirt des Social D. n'est pas pourri.


Je l'embrasse sur le dessus de la tete avant d'ajouter :

-- C'est vrai, en plus t'etais super canon dedans.

-- T'es bete ! J'avais l'air d'un sac.

Encore une fois, elle est toute en contradictions. Chaque fois que je lui
raconte cette histoire, elle me reprend si je dis que son haut etait pourri ou
encore que je la trouvais jolie, mais c'est ma Sidney et je l'aime ainsi.

-- Je te trouve belle, peu importe ce que tu portes.

Elle ne repond pas, donc j'en profite pour continuer mon histoire qu'elle
doit connaitre par coeur depuis le temps.

-- Tu te rappelles m'avoir salement envoye sur les roses lorsque j'ai critique
ton t-shirt ? Je ne le faisais que pour t'accoster. Je t'ai aimee des que tes yeux
se sont poses sur moi pour me fusiller.

Elle rigole en ajoutant :

-- Je sais, mais t'etais pas mieux que moi avec ton t-shirt des Clash et tes
converses en cours de gym.

-- J'avais du style, bebe !

Elle pose sa tete sur mon torse et dessine des cercles sur le tissu de mon
haut. Ca me chatouille, mais je ne dis rien, je sais que lorsqu'elle fait ca, c'est
qu'elle commence a aller mieux.

-- Si c'etait a refaire, tu viendrais me parler ?

-- Je le ferais sans hesiter, jusqu'a ma mort. T'es la plus belle chose qui me
soit arrivee.

-- Je n'y crois pas.

-- Tu ne me crois jamais quand je te dis ca, mais tu sais Sidney, peu


importe la facon dont tu te percois, l'important, c'est que moi je trouve un
millier de belles choses chez toi.

Elle ne dit rien, mais je sais qu'elle sourit.

-- Je ne serais rien sans toi, bebe.

-- Tu es mon tout, Jarred. J'ai besoin de toi pour exister.

Ces deux phrases, nous nous les disons quand elle est au plus bas, et cela
ameliore toujours la situation. C'est ce que nous nous sommes dit en nous
unissant dans un horrible mariage a Las Vegas. Sidney n'insiste pas et
rapidement, nous nous endormons l'un contre l'autre.
31
Jarred
17 juin 2016

J'aurais du me douter de ce qui se passerait en invitant les parents de Jamie


a venir a cette putain de fete. J'aurais tellement voulu que ca se passe
autrement, que nous en parlions tranquillement chez elle ou chez moi.

La phrase d'Elina explose dans ma tete comme une bombe, mais je crois
que c'est pire lorsque je croise le regard de ma belle.

-- Jarred est veuf, Lou...

Voila, c'est dit, elle le sait. Cependant, je n'en suis pas soulage. Cela fait
des semaines que je veux lui en parler, mais j'en suis incapable, car terrifie a
l'idee qu'elle apprenne pour Sidney.

-- Ca va ici ? dis-je betement.

Lou semble soulagee de me savoir pres d'elle, cependant moi, je me sens


comme le dernier des minables de n'avoir rien trouve d'autre a dire que <<<
ca va >>>...

-- Elle a la bague de Sidney !

La voix d'Elina me casse les oreilles et me fait grincer des dents ; je tente
de faire abstraction des gens qui nous entourent pour me concentrer sur Lou
qui me semble perdue, terrorisee. Mon seul but pour l'instant est de la
rassurer, je prends donc sa main et regarde la bague en question, un bel
anneau en or blanc orne d'un petit diamant. Elle n'a rien de luxueux, mais elle
represente tant a mes yeux. Lorsque je l'ai demandee en mariage, elle m'a
presse pour que l'on fasse ca rapidement. Nous nous sommes alors envoles
pour Las Vegas dans la soiree et le lendemain, nous nous sommes maries
avec pour seuls temoins a la ceremonie un pasteur portant un costume d'Elvis
Presley et un couple saoul patientant pour franchir le pas a leur tour. Ca
sentait la biere de mauvaise qualite, la moisissure et la sueur, je crois que ca
venait de l'homme qui semblait cuver une mechante gueule de bois. J'ai voulu
rebrousser chemin au moins cent fois pour lui promettre un mariage
grandiose, avec la robe blanche, sa soeur comme demoiselle d'honneur et son
pere qui la conduirait jusqu'a l'autel, mais lorsque j'ai pose mon regard sur
elle, ses yeux brillaient de bonheur. Elle se foutait de l'endroit ou nous etions
tant que l'on s'unissait. Je me rappelle m'etre demande pourquoi elle etait si
heureuse avec moi, et comme si elle avait lu dans mes pensees, elle m'avait
souri avant de dire : <<< y a personne comme toi, peu importe ce qui nous
entoure, c'est toi que je veux. Tu rends ma vie tellement plus belle, je veux
etre a toi pour toujours >>>.

-- Tu m'as dit que je pouvais la porter aussi longtemps que j'en sentirais le
besoin...

Lou me coupe de mes pensees et me ramene a la realite. Je tente de lui


sourire pour l'apaiser, mais elle a besoin de sentir que je ne la laisse pas
affronter ca seule. Je souffle et me place a ses cotes. Mon bras se glisse
autour de sa taille et je l'attire contre moi.

-- Je ne vois pas ou est le probleme, la rassure-je.

-- C'est la bague de mariage de Sid ! me coupe Elina.

-- Elina, je peux offrir cette bague a qui je veux.

Elle prend un air superieur, choque et dedaigneux en me toisant. Je ne sais


pas par quel saint j'arrive encore a rester calme et ne pas lui hurler de ne pas
interferer dans ma vie, elle n'a jamais eu ce droit et je ne vois pas pourquoi
elle commencerait maintenant.

-- Non ! Non ! Non ! C'est celle de ma fille. T'as pas le droit.

Sa voix frole la folie tant la douleur de la perte de sa fille est toujours


palpable. Je ne peux m'empecher de me dire que j'aurais du leur parler de
l'importance de Lou dans ma vie, peut-etre que la reaction d'Elina aurait ete
differente. J'aurais du parler de Sidney a Lou. Bon sang, je deteste lorsque ma
vie devient une suite de <<< j'aurais du >>>.

-- Je peux comprendre votre peine, mais...

-- Non ! Non ! Tu ne peux pas comprendre, tu n'etais pas la !

Encore cette accusation, c'est vrai, je n'etais pas la et je m'en veux chaque
jour. Cependant, elle ne l'avait jamais formule de cette facon. Ca me tord les
entrailles quotidiennement.

-- Maman ! Ca suffit !

Lou ne semble rien comprendre a la situation. Ce qui me peine, c'est qu'elle


semble perdre pied aussi rapidement qu'elle perd confiance en moi. Ses
grands yeux noisette me sondent. Je ne sais plus ou donner de la tete. Je suis
propulse dans le passe, bataillant pour rester dans l'instant present. Jamie se
tourne vers moi et pose une main sur mon avant-bras en me disant :

-- C'est le moment de lui dire, je crois...

Ouais, mais je n'en ai pas envie...

-- Me dire quoi ?

Je me place face a Lou, mes mains de chaque cote de son cou, mon regard
dans le sien.

-- Je serai dans l'atelier, annonce-je simplement.

-- Il se passe quoi ?

-- Suis-moi...

Elle me suit sans broncher jusqu'a l'atelier. Ici, elle va pouvoir me hurler
dessus sans que personne n'entende et ca me rassure. Par contre, je suis bien
plus effraye a l'idee de la perdre. Mon souffle se coupe, ma tete tourne
legerement, je ne sais pas comment je vais faire pour lui avouer tout ca. Je
n'aime pas etre mis devant le fait accompli. Je referme la porte derriere nous
et souffle un bout coup. Lorsque je me retourne pour la regarder, elle tend la
main vers moi en declarant :

-- Je crois que ca t'appartient.

J'avance la main vers elle et elle y laisse tomber la bague de Sidney en


prenant soin de ne pas me toucher.

-- Lou, je te l'ai donnee pour une bonne raison. Je te l'ai explique... Je...

Bon sang ! Comment la convaincre que je l'aime en cherchant mes mots


comme un enfant ?

-- Ce n'est pas une amie, n'est-ce pas ?

En guise de reponse, je me contente de secouer negativement la tete. Lou,


elle, serre les levres si fort qu'elles me semblent perdre de leurs couleurs
malgre le rouge qui les recouvre.

-- Qui est Sidney ?

Sa voix est presque un murmure, elle est aussi effrayee que je le suis.

-- Je ne sais pas comment expliquer ma relation avec Sid. Nous nous


sommes connus tres jeunes, au lycee, elle a ete ma premiere copine. J'en suis
tombe immediatement amoureux. Par contre, apres le bac, nous avons
rapidement emmenage ensemble et les choses se sont deteriorees. Chaque
jour, elle s'enfoncait un peu plus dans la tristesse. Elle avait des acces de
colere demesures.

La douleur m'assaille et je suis incapable de continuer, je ferme les yeux et


soupire. Je n'ai qu'une envie, que Lou me prenne dans ses bras et qu'elle me
serre contre elle en me susurrant que tout ira bien, mais elle ne dit rien.
-- Elle avait quoi Sidney ? demande-t-elle d'une voix etonnement douce.

-- Trouble bipolaire.

Elle me tourne le dos, et ne pas voir ses yeux me rend completement fou.
J'aimerais la contourner pour l'obliger a me regarder, mais je suis tetanise par
les questions qu'elle pourrait me poser.

-- Il lui est arrive quoi ?

Tout sauf cette question !

Je demeure toujours incapable de mettre des mots sur ce qui s'est passe ce
fameux soir de novembre. Pourquoi ne m'a-t-elle pas appele ? Pourquoi avoir
fait une chose pareille ? Il y a tellement de <<< pourquoi >>> que je ne sais
plus comment y repondre.

-- Un peu comme toi, elle refusait les traitements, elle me jurait qu'elle
allait mieux, mais ce n'etait pas le cas...

Les evenements s'emmelent dans ma tete, je ne sais pas par ou commencer,


mais je continue mon monologue pour lui livrer ce que je retiens depuis si
longtemps.

-- J'ai du partir pour une formation a plusieurs heures de route, Sid est allee
chez ses parents, mais chaque fois que je devais m'eloigner d'elle, c'etait
l'enfer. Elle ne me faisait plus confiance. Quand on se parlait au telephone,
elle me demandait avec qui j'etais ou encore si je l'avais trompee alors que je
passais tout mon temps libre au telephone pour la rassurer. Un soir, j'ai
termine un peu plus tard et quand je suis revenu dans ma chambre d'hotel,
j'avais un message d'Elina, Sidney etait entre la vie et la mort suite a une
nouvelle tentative de suicide. Elle est decedee avant mon arrivee a l'hopital.

Malgre le soulagement d'avoir enfin devoile mon passe, je n'en ressens pas
les bienfaits. Lou est la et me fixe d'un regard peine.

-- Je suis navree pour ta femme, Jarred.


La remercier me semble deplace, alors je me contente d'un mince sourire.
Lorsque je fais un pas vers elle, elle recule. Ce geste est tel un coup de
poignard, mais je n'insiste pas et reste la. Je sais comment Lou fonctionne et
si je tente de la forcer a faire quoi que ce soit, elle me repoussera. Cela n'en
sera que plus difficile.

-- Je ne savais pas comment te l'avouer, Lou. J'avais peur... Ca aurait pu


tout compliquer entre nous. J'avais peur que tu ne veuilles plus de moi...

Elle ricane mechamment et me lance un regard noir.

-- Pourquoi ? Parce que je suis folle ? J'ai un trouble de la personnalite


limite, mais je crois que je suis en mesure de comprendre ce genre de chose.

-- T'as tellement de mal a accepter ta maladie que je ne savais pas sur quel
pied danser.

-- Pourquoi tu t'es interesse a moi ? Tu la voyais en moi ? T'as voulu me


sauver parce que tu n'as pas pu le faire pour elle ?

-- Lou ! Non ! C'est faux !

-- Je t'en supplie, ne me mens pas encore une fois...

-- Je pense que tu me faisais beaucoup penser a elle, avoue-je.

Je suis incapable de la lacher des yeux, je ressens le besoin de graver son


visage dans mon esprit. Surprise, elle me regarde comme si j'etais
monstrueux.

-- T'as voulu me sauver ?

-- Non ! Tu sais bien que non...

Elle presse les paupieres et serre les poings si fort que ses jointures
blanchissent. Je n'ai pas peur qu'elle me frappe, et de toute facon, ce serait
merite. Cependant, elle n'en fait rien et secoue la tete. Le verdict est tombe.
Lou campe sur ses positions et peu importe ce que je ferai, elle ne changera
pas d'avis.

A-t-elle raison ? Voulais-je simplement la sauver ?

Non, je suis reste parce qu'elle me fait vibrer comme personne ne l'a fait
auparavant. Si je lui dis, m'ecoutera-t-elle ?

-- Je ne t'avais demande qu'une chose : partir si ton seul but etait de


recueillir la petite chose desesperee que je suis.

-- Lou, j'ai ete la pour toi a chaque moment parce que j'en avais envie...
Parce que tu comptes pour moi... Parce que je t'aime.

-- Tu ne comprends pas. Je ne sais plus deceler le vrai du faux. Quand


m'as-tu menti et quand as-tu ete sincere avec moi ? Tu m'as cache la verite et
je ne peux pas vivre dans le doute.

-- Je ne t'ai jamais menti...

-- Je suis malade Jarred et je ne peux pas survivre a ca. Je ne sais meme


plus si tu m'aimes vraiment ou si tu as dit tout ca pour soulager ta conscience.

-- Lou, je t'en prie, ne le prends pas comme ca...

Peu a peu, son visage se crispe.

-- Je vais le prendre comme ca me chante ! hurle-t-elle. Tu m'as menti, je


ne veux plus te voir !

Elle fonce vers la porte et sort comme une furie. Je peux sentir la colere
emaner d'elle et je le comprends tres bien. Nerveux, j'arpente la piece de long
en large, mais bientot, Jamie debarque avec son eternel sourire bienveillant.

-- Je suis desolee pour ma mere, annonce-t-elle.

Je ne peux pas lui en vouloir, Elina Michelle a toutes les raisons du monde
de me hair, je n'ai pas su proteger sa fille, la femme que j'aimais. Ils ne m'en
ont jamais tenu rigueur, mais donner la bague de mariage de leur defunte fille
est impardonnable.

-- C'est pas grave Jamie.

-- Tu crois que ca va aller pour Lou ?

-- J'en sais fichtrement rien. Tu crois que je devrais aller voir si elle va bien
?

Elle pose un regard resigne sur moi qui me donne froid dans le dos. Je ne
l'ai pas ecoutee quand elle me conseillait de lui en parler, mais est-ce qu'elle
aurait bien pris mes aveux ? J'en sais rien... Avec Lou, j'ai toujours
l'impression de me promener avec une grenade degoupillee entre les mains et
l'effet n'est jamais plaisant. Cependant, ces derniers jours, j'ai bien vu qu'elle
changeait a mon contact, qu'elle prenait sur elle, qu'elle apprenait a accepter
sa maladie.

-- Tu vas faire attention a toi ? demande-t-elle.

-- Comme toujours.

Je m'avance vers elle et depose un baiser sur ses cheveux.

-- Merci pour tout, Jamie.

Elle me gratifie d'un sourire chaleureux et me laisse partir. Bon sang, la


soiree ne se deroule pas du tout comme prevu et j'espere sincerement que ca
ne portera pas prejudice a la collection.

Lorsque j'arrive au rez-de-chaussee, je constate que tout se passe bien.


Apparemment, personne n'a remarque l'incartade entre Lou et Elina. Cette
derniere se tient dans un coin recule du salon et pose un regard noir sur moi.
Je meurs d'envie d'aller lui dire le fond de ma pensee, aussi je fonce vers elle
et lui tends la bague.

-- C'est ca que vous voulez ?

-- Jarred, non, c'est a toi, nous te l'avons deja dit, intervient Mark.
Malgre ces paroles, je ne peux detacher mon regard d'Elina qui, loin de
sembler coupable du mal qu'elle vient de causer, se tient droite comme un i.

-- T'as donne la bague de mariage de Sidney a cette fille, me reproche-t-


elle.

-- Oui, je l'ai fait et je ne m'en sens pas coupable car j'aime Lou. Elle n'est
pas Sidney et ne prendra jamais sa place, mais mon avenir m'appartient.
Alors si ca peut vous apaiser, prenez cette foutue bague et on n'en parle plus.

Je tends vers elle l'anneau qu'elle attrape precipitamment.

-- Elina, rends-lui immediatement ! tonne son epoux.

Elle lui tourne le dos et disparait dans la masse d'invites. Mark semble
sincerement desole.

-- Pardonne-lui Jarred, Sidney lui manque beaucoup...

-- Je sais. A moi aussi...

Comment pourrais-je lui en vouloir ? Elle me manque aussi, chaque jour.


Chaque minute sans elle est difficile. Enfin, c'etait vrai jusqu'a l'arrivee de
Lou dans ma vie. Bien que tout soit toujours complique avec elle, elle est une
bouffee d'air frais, elle redonne un sens a ma vie. C'est idiot, mais je le realise
seulement maintenant. J'aurais du le lui dire plus tot, tout lui reveler sur mon
passe...

-- J'ai vu ton amie partir, elle semblait fachee. Ca va aller ?

-- J'en sais rien ! Avec Lou, c'est un peu comme avec votre fille.

Il se pince les levres et n'ajoute rien. Sidney faisait aussi ce geste


lorsqu'elle etait contrariee.

-- J'espere que vous savez que j'ai aime votre fille plus que ma propre vie et
que...
-- Oui, je le sais et ma femme en est egalement consciente. Tu as le droit
d'etre heureux avec une autre, Jarred.

-- Ouais. Je tente de l'etre.

-- Merci de nous avoir invites.

Je hoche la tete et lui tourne le dos pour sortir de la maison et regagner ma


voiture. Une fois installe derriere le volant, je fixe la radio ; ce soir, je n'ai pas
le coeur a ecouter de la musique qui me rappellerait Sid. C'a toujours ete un
exutoire, une facon de me rappeler ma femme. Toutes les chansons que
j'ecoute lui ressemblent. Parfois, lorsque la nostalgie me submerge, je mets
un CD des Social Distortion, son groupe prefere, et je peux presque entendre
son rire resonner entre les notes.

Je conduis nerveusement jusque chez Lou, les mains serrees sur le volant,
au point que ca en devient douloureux. Je fixe la route et reflechis a ce que je
pourrais lui dire. Cependant, rien ne me vient. Peu importe, je dois tenter le
tout pour le tout pour elle, pour nous. Parce que je l'aime.

Me voila devant la porte de son appartement. Aucun bruit ne filtre, je


n'aime pas ca. Je leve une main tremblante pour toquer. Le bruit de ses talons
aiguilles claque contre le plancher et je soupire de soulagement ; elle n'a rien
fait de grave. Pourtant, mes faibles espoirs s'estompent lorsqu'elle ouvre et
que la colere qui emane d'elle me frappe de plein fouet.

-- Lou ! J'ai eu peur qu'il te soit arrive quelque chose !

-- Pourquoi ? Parce que je suis une putain de nevrosee ?

-- Tu sais bien que je n'ai pas dit ca. Je m'inquiete pour toi !

Anxieux, j'enfonce mes mains dans les poches de mon pantalon. Je vois
bien qu'elle bout a l'interieur. Elle pourrait bien m'arracher la tete. Comment
la blamer ? Je le meriterais...

-- T'as plus a t'en faire. Comme tu peux le voir, je vais bien malgre tes
mensonges !

-- Je...

Elle me coupe la parole. Extenue par tout ca, je passe une main dans mes
cheveux et souffle un bon coup.

-- Pourquoi t'as fait ca Jarred ?

-- Je...

Je n'arrive meme pas a formuler une phrase. Pourtant, dire la verite serait
facile, mais pour une raison inconnue, je n'y arrive pas. En fait, je crois que
c'est parce que je ne sais plus pourquoi je n'ai rien dit. Mais je l'aime, bordel !
Je dois le lui dire tout de suite, mais elle ne m'en laisse pas la chance et
m'interrompt :

-- T'as pas besoin de t'expliquer, je ne veux pas savoir finalement.

-- Je...

-- T'en fais pas, je ne vais pas flinguer ma derniere chance de travailler. J'ai
aussi trop de respect pour Jamie pour tuer sa collection. Toi et moi allons
avoir une relation strictement professionnelle. Maintenant, degage.

La porte claque, le bruit est si fort qu'il me dechire le coeur. Le cliquetis du


verrou s'eleve, elle ferme a nouveau sa forteresse, m'interdisant ainsi l'acces.

Je pose mes mains sur le bois et tends l'oreille, j'ai peur pour elle. Je suis
meme terrifie. C'etait aussi ainsi avec Sidney ; je vivais constamment dans la
crainte qu'elle ne fasse une connerie.

Un rire mele a un hurlement retentit dans son appartement, me faisant


sursauter. Je sais que je ne peux rien faire et ca me tue. D'horribles bruits de
casse me parviennent. Je suppose que tous ses meubles sont en train de voler
en eclats et que demain matin, elle s'en voudra. Lorsque le silence revient
enfin, je me place dos a la porte et me laisse glisser au sol, un frisson de
degout me parcourt l'echine.

C'est moi qui ai cree ca...

Elle ne m'avait demande qu'une seule chose, ne pas rester avec elle si mes
intentions etaient de la sauver. Je n'ai jamais compris pourquoi jusqu'a cette
conversation. J'aimerais tellement savoir si elle va bien... Et si je defoncais la
porte pour entrer ? Apres reflexion, c'est une mauvaise idee. Elle me foutrait
dehors a coups de pied au cul !

Le silence qui fait maintenant rage dans son appartement est bien plus
inquietant que le bruit assourdissant qu'il y avait quelques instants plus tot. Je
me releve d'un bond et fais les cent pas dans le couloir. Soudain, une idee me
traverse l'esprit.

La cle... La putain de cle sous le palmier !

Je m'elance pour la recuperer en priant pour qu'elle soit toujours la. Dans
mon empressement, je manque de renverser la plante sur le tapis d'un gris
douteux. Cle en main, je deverrouille la porte avec prudence, de peur qu'elle
ne se trouve derriere et qu'elle me frappe a l'instant ou je passerai la tete dans
l'embrasure.

Putain ! T'es une vraie poule mouillee...

Je penetre a pas de loup dans l'appartement. L'entree est totalement


saccagee. Tout y est passe : chaussures, lampes et meubles. Par chance, le
reste de l'appartement ne semble pas avoir subi la tornade Lou. Piece apres
piece, je la cherche, la boule au ventre, mais elle reste introuvable. Le coeur
battant a tout rompre, je passe la tete dans l'encadrement de la salle de bain,
mais elle est vide. Soulage, je me dirige vers la seule piece restante, la
chambre a coucher. Je passe, tremblant, la tete derriere la porte.

Suis-je soulage d'y trouver Lou endormie sous les couvertures ?

D'un pas lent, je me dirige vers elle, sa poitrine se souleve et s'abaisse


tranquillement. Je tourne la tete et apercois le flacon vide de somniferes sur la
table de chevet. Je ferme les yeux et tente de me rappeler combien il en
restait. Pas plus de trois ou quatre, je crois. Je souffle, mais reste inquiet
malgre tout. Je remonte la couverture sur elle et retourne dans l'entree pour
constater les degats.

Je ne peux pas partir et laisser ca comme ca. Tout comme je ne peux pas
l'abandonner alors que je ne suis meme pas sur qu'elle va bien. Je me penche
et attrape une botte.

Quel carnage...

Bon sang, pourquoi une fille a-t-elle besoin d'autant de chaussures ?

Je les attrape une a une et les lance rapidement pres de la garde-robe.


Ensuite, je tente de redonner vie a la petite table qui tronait a cote de la chaise
en cuir brun clair, mais c'est peine perdue, elle l'a demolie. Rageusement, je
lui donne un coup de pied et elle tombe en morceaux dans un grand fracas. Je
tourne en rond. Par ou commencer ? Que faire avec tous ces bouts de
meubles casses ? Je souffle et passe une main dans mes cheveux.

D'un pas presse, je me dirige vers la chambre de Lou, j'ai besoin de la voir.
Je prends place sur le lit ; je ne veux pas la toucher ou qu'elle sache que je
suis la, j'ai simplement envie de la regarder dormir. La couverture a glisse et
revele une partie de son epaule droite, sa peau est blanche comme de la
porcelaine. Comment vivre a Miami sans jamais bronzer ? Decidement, Lou
ne fait rien comme personne.

Une meche de ses cheveux bruns glisse et lui barre le visage. Je ne peux
m'empecher de detailler ses traits, ses longs cils sombres, la fine courbe de sa
machoire, ses pommettes saillantes et son petit nez retrousse. Je pose ma
main sur son epaule denudee tandis qu'elle ouvre difficilement les paupieres.
Ces dernieres papillonnent un moment et elle plonge ses grands yeux noisette
dans les miens.

-- Jar... red...

-- Je suis la ma puce.
-- Pour... quoi... ?

-- J'ai eu peur Lou...

-- De... ga... ge...

-- Je vais rester. Je vais te prouver que je t'aime, non pas parce que je
voulais te sauver, mais parce que mon coeur s'affole quand tu es pres de moi.

Sa respiration devient reguliere et ses yeux se referment. Cependant, je ne


pourrais pas dire si elle dort reellement ou si elle m'ignore. Je depose un bref
baiser sur son front et retourne dans l'entree. Je dois ranger, sinon ca risque
de la chambouler a son reveil.

Tu ne fais pas ca pour la sauver, alors ?

Oui... Non... Je le fais principalement par amour...

Je pousse un soupir et attrape le balai ainsi que la poubelle dans le placard.


J'entasse les morceaux de meubles dans un coin. Je ne sais pas combien de
miroirs elle a casses dans sa vie, mais j'espere qu'elle n'est pas superstitieuse,
car ses sept prochaines vies seront sous le signe de la malchance. Je ramasse
les eclats de la glace et d'un vase pour les deposer dans la poubelle. La tache
ne me prend finalement qu'une vingtaine de minutes.

Je retourne jeter un coup d'oeil a Lou pour verifier qu'elle va bien.


Maintenant allongee sur le dos, sa respiration est reguliere. Je deboutonne ma
chemise noire trempee de sueur. Elle ne va pas se reveiller avant des heures,
alors pourquoi ne pas prendre une douche et me reposer un peu avant de
braver la tempete de nouveau ? Je file dans la salle de bain, je dois bien avoir
un t-shirt propre et un pantalon dans le seche-linge.
32
Lou
J'emerge de mon sommeil, lucide en ce qui concerne les evenements de la
veille. Malheureusement, les somniferes n'ont pas eu l'effet escompte.
D'habitude, ils endorment tellement mes sens qu'il me faut pres de deux
heures pour me reveiller completement. Ce matin, c'est different, les
souvenirs me percutent de plein fouet.

J'ai merde et ne peux m'en prendre qu'a moi-meme. En temps normal, je ne


me laisse pas attendrir par l'amour ; aucun homme n'a le droit de franchir la
barriere dressee autour de moi. Cependant, j'ai betement cru qu'avec Jarred,
ce serait different. Je lui ai fait confiance, lui ai ouvert les portes de mon
royaume et il m'a trahie...

Je le deteste...

Je l'aime...

Mes sentiments s'entremelent, je lui en veux tellement que je pourrais le


frapper jusqu'a ce que sa tete explose en mille morceaux. J'ai mal, j'avais
confiance en lui, mes emotions s'entrechoquent et fluctuent a tel point que j'ai
l'impression de ne plus rien controler. J'ai peur, tres peur de ce que pourrait
etre ma vie sans lui. Renoncer au bonheur qu'il pourrait m'apporter me tue.

Bon sang ! Laissez-moi mourir en paix ! J'en peux plus...

Je sors du lit, la boule au ventre, et me prends les pieds dans les


couvertures. J'etouffe un juron et me retiens juste a temps a la petite
coiffeuse. Bordel de merde, je n'ai pas enleve mes talons hauts avant d'avaler
ces foutus cachets ! Je les retire et les balance a l'autre bout de la piece. Le
bruit sourd qu'ils font en percutant le sol me fait sursauter. Je soupire de
maniere exageree, ma robe me comprime la poitrine et m'empeche de
respirer. Je me dirige vers la penderie pour y prendre des vetements plus
confortables. Je cherche un t-shirt precis, celui des mauvais jours.

Quelqu'un entre dans ma chambre ; je n'entends pas ses pas, mais sens sa
presence. Je sais que c'est lui, il n'y a que lui pour envahir mon espace vital
de la sorte. Ca m'enerve, mais en meme temps, s'il est la malgre tout, c'est
sans doute parce qu'il m'aime, pas vrai ?

-- Que veux-tu ? aboye-je.

-- Comment tu sais que...

-- Ecoute Jarred, je suis totalement et ineluctablement une putain de


nevrosee, mais je peux etre intuitive et intelligente.

-- Je t'interdis de dire ce genre de chose.

-- Comme si tu etais en droit de me dire quoi que ce soit...

Blesse par mes paroles, il choisit de les ignorer.

-- Je suis reste pour m'assurer que tu allais bien...

-- Pas de chance, la folle n'a pas mis fin a ses jours, crache-je.

Il s'avance vers moi et m'attrape le bras en vissant son regard gris acier
dans le mien. J'aimerais ne pas fremir et continuer a jouer a la fille mechante
et arrogante, mais son expression me bouleverse.

-- Ne prononce plus jamais ces mots, tu m'as bien compris ?

Piquee par son ton acerbe et tranchant, je le repousse avec violence et


fronce les sourcils, cherchant quelque chose qui pourrait l'atteindre. J'ai ce
besoin en moi de lui faire mal comme il m'a fait mal.

N'a-t-il pas deja assez souffert ?

Le sentiment d'impuissance mele a la colere s'intensifie et menace


d'eclater, ce qui m'effraye. C'est comme si j'etais victime d'un raz-de-maree
emotionnel.

-- T'as pas a me dire quoi faire et encore moins quoi dire ! T'as perdu ce
droit en me mentant.

-- Je ne l'ai jamais eu ! D'ailleurs, je ne ferai jamais une chose pareille,


mais je ne veux plus jamais t'entendre dire que t'es folle, nevrosee ou que tu
vas mettre fin a tes jours.

Il s'avance vers moi et caresse ma joue. Ce geste me brule et me donne


froid dans le dos en meme temps. J'aimerais tellement lui hurler de ne plus
jamais poser ses mains sur moi, mais je meurs d'envie qu'il continue.
J'aimerais aussi lui dire de partir, mais j'ai tellement besoin de lui. Je n'arrive
plus a bouger et n'ai qu'une envie, m'enfuir. Je suis tetanisee, c'est comme si
mon corps tout entier venait d'etre coule dans du beton. Malgre moi, je ferme
les yeux et serre les levres. Je ne maitrise plus mon corps et encore moins
mon cerveau.

-- Lou, je sais que tu m'en veux, t'as meme toutes les raisons du monde
d'etre en colere contre moi, mais bon sang, ne te flingue pas pour ca.

Un frisson de degout me parcourt l'echine et lorsque j'ouvre les yeux, j'ai


l'impression que le regard que je lui lance l'effraie.

-- <<< Pour ca >>> ?! <<< Pour ca >>> ?! hurle-je. Tu n'as pas idee de ce
qui se passe dans ma tete, ni de combien ce fut difficile pour moi de m'ouvrir
a toi. Tu n'as jamais remarque que tu es mon putain d'espoir dans cette vie de
merde ? Ma vie c'etait le chaos, jusqu'a ce que tu y entres, Jarred. Tu m'as fait
croire a un monde que je ne croyais possible que dans les romans ou les
films.

De grosses larmes s'invitent au coin de mes paupieres et rapidement, elles


se mettent a couler sur mes joues.

-- Dis-moi que t'avais remarque...


Il s'avance vers moi et passe ses bras autour de mon corps tremblant. Je me
debats et tente de le repousser du mieux que je peux, en vain ; il est trop fort
pour moi alors je me mets a hurler a pleins poumons.

-- LACHE-MOI !!!

-- Lou, calme-toi ! Je t'en supplie.

Posant mes mains a plat sur son torse, je tente a nouveau de le repousser,
mais il continue de me maintenir contre lui et cela decuple ma panique. De
meme que cela ranime des souvenirs que j'aimerais enterrer.

-- Non ! Non ! Pas toi ! Ne me force pas ! Je t'en prie.

Comme si mes paroles l'avaient frappe en plein visage, il me lache et je


tombe mollement contre son corps, extenuee et a bout de souffle. Je reste la,
le visage colle contre son torse et je pleure, incapable de le repousser.

Avec precaution, il caresse doucement mon dos et attend que la crise


passe. Son parfum est different de la veille, il sent l'homme et le jasmin. Je
releve la tete et lui demande :

-- T'as pris une douche ?

Ma question peut sembler derisoire, mais savoir qu'il a passe la nuit a


veiller sur moi me fait chaud au coeur.

-- J'avais plus de savon, donc j'ai utilise le tien.

Je ne saurais dire si cet aveu me touche ou m'emeut, mais en tout cas, ca


me rassure. Jarred, toujours egal a lui-meme, toujours une bonne parole, une
bonne action. A cote de lui, j'ai l'impression d'etre un monstre d'egoisme et de
cruaute.

-- Excuse-moi Lou, murmure-t-il.

Du bout des doigts, il cajole mon visage, puis me souffle a l'oreille :


-- Je m'en veux tellement de t'avoir menti, de t'avoir blessee. Si je le
pouvais, je reviendrais en arriere et changerais ma facon de faire, mais encore
la, j'aurais peur que tu me repousses et que tu ne veuilles pas de moi.

Je cherche mes mots, mais aucun ne semble assez fort pour exprimer ce
que je ressens. Je me defais de son etreinte et attrape les vetements que j'ai
laisses tomber sur le sol pendant ma lutte contre Jarred.

-- Je vais prendre une douche... J'ai l'impression d'etre... sale...

Je designe mon corps et mes cheveux d'un geste lent de la main. Il ne


repond pas et se contente de hocher la tete. Il s'ecarte doucement pour me
laisser passer, mais avant que je ne franchisse le pas de la porte, il me dit :

-- Peu importe ta decision, je l'accepterai, mais sache que je t'aime plus que
tout au monde.

-- Je sais, reponds-je simplement.

Je suis tentee de revenir vers lui et de le prendre dans mes bras pour le
rassurer, mais quelque chose attire mon attention. Depuis l'endroit ou je me
trouve, je n'apercois aucune casse, aucun debris, aucun eclat de verre ou du
miroir que j'ai balance a travers la piece. Je m'avance avec prudence pour
constater qu'il a tout nettoye, tout a ete jete a la poubelle. Je me retourne vers
Jarred qui attend sur le pas de la porte et le fusille du regard.

-- C'etait pas a toi de faire ca, grogne-je.

-- Je l'ai fait parce que j'en avais envie, et aussi parce que c'est ma faute si
tu es ainsi.

-- J'ai pas envie que tu fasses ce genre de chose pour moi.

-- Je sais... mais j'avais envie de le faire...

-- Je... Merci...

Quelques coups discrets se font entendre a la porte. Jarred hausse les


epaules. Je ne me sens pas apte a ouvrir ; pendant quelques secondes, je
ferme les yeux. Comme s'il sentait la crise approcher, il pose sa main sur mon
epaule et me propose :

-- Va prendre ta douche, nous pourrons poursuivre cette conversation un


peu plus tard ?

Je hoche la tete et file sans dire un mot vers la salle de bain. D'un geste
lent, je me penche vers le robinet de la baignoire et ouvre l'eau chaude. Je me
deshabille, lance mes vetements dans le panier et me place sous le jet qui me
fait un bien fou. Je releve la tete vers le pommeau et laisse l'eau couler sur
mon visage. J'enfonce mes doigts dans mes longs cheveux bruns et les
demele du mieux que je peux. Malgre de longues minutes a me savonner,
cette impression desagreable d'etre sale ne me lache pas. Je frotte si
frenetiquement ma peau avec le gant de toilette que j'en saignerais presque.

Je pose la tete contre le carrelage blanc et pousse un grognement. Je hais


me sentir ainsi, je ne supporte pas de perdre le controle de ma vie, et ce que je
deteste par-dessus tout, c'est de me demander ce qu'une personne normale
ferait a ma place. Non, pour moi c'est impossible de relativiser, je dois
toujours tout amplifier, tout deformer, comme une cinglee.

Peut-etre qu'une visite chez le psy me ferait du bien...

Quelle idee de merde !

Il avait raison, j'aurais du prevoir que Jarred allait me decevoir, ce n'est pas
un super heros. C'est un etre humain, tout comme moi.

Quelle merveilleuse prise de conscience !

J'etouffe un gemissement alors que je saute de la baignoire pour me diriger


vers les toilettes. Je perds le souffle, ma tete tangue de tous les cotes. Je suis
alors prise de nausees, mon corps tremble et mon estomac se retourne. Je
mets la tete dans la cuvette et y expulse le contenu vide de mon estomac. La
bile me brule la gorge et des larmes ameres me piquent les yeux.
Maintenant, je me sens encore plus degoutante. Avec difficulte, je me
redresse pour rejoindre la baignoire et me savonne de nouveau.

Il doit s'etre ecoule une bonne heure lorsque je sors finalement, la peau
rougie et les yeux gonfles par les larmes. Je ne dirais pas que je me sens plus
propre ou moins sale, mais je me sens legerement mieux, presque d'attaque a
avoir une conversation avec Jarred pour mettre fin a tout ca.

En ai-je vraiment envie ?

Je soupire et enfile un peignoir avant de quitter la salle de bain en trainant


les pieds. Cependant, au salon, je bloque, incapable de faire un pas de plus.
La tele est allumee et Jarred est assis sur le canape en train de regarder un
dessin anime avec ma petite soeur, Sloane.

-- Je... Sloane, que fais-tu ici ?

-- Ne te fache pas ! Je devais venir te voir, lache-t-elle.

-- Maman va etre en colere si elle sait que tu es ici et je ne parle pas de


Dustin...

-- Je ne veux pas y retourner, me coupe-t-elle.

Meme si je lis de la peur dans son regard, j'y vois aussi de la determination.
Je suis effrayee a l'idee qu'il ait pu arriver quelque chose a Sarasota. Faites
que ce ne soit qu'une petite crise d'adolescence et qu'il ne lui soit rien arrive
de grave.

-- Sloane, explique-moi...

Je m'avance vers elle et prends place sur le canape a ses cotes. Elle vient
aussitot se blottir contre moi et pleure a chaudes larmes. Je la serre dans mes
bras et regarde Jarred, interloquee. Il hausse les epaules, je suppose donc
qu'elle ne lui a pas parle.

-- Je vais aller acheter un truc pour le diner, propose-t-il.


Je hoche la tete. Peu importe le probleme de Sloane, je vais avoir besoin de
lui pour affronter tout ca. Avec un petit sourire, il pose une main sur mon
epaule, un geste rassurant.

Il est la... Toujours la...

Une fois la porte refermee, je repousse doucement ma petite soeur et pose


mes mains de chaque cote de son visage pour essuyer de mes pouces les
larmes qui coulent sur ses joues.

-- Tu veux me dire ce qui se passe, s'il te plait ?

-- J'ai peur Lou.

-- De quoi as-tu peur ?

En ce moment, c'est moi qui ai les entrailles tordues par l'apprehension et


la douleur. Si jamais il a pose ses sales pattes sur les jumelles, je le tue de
mes propres mains.

-- C'est papa...

Sa voix s'etouffe et ses sanglots redoublent. Elle s'ecroule sur moi. Je suis a
deux doigts d'exploser. La colere fait rage en moi avec tellement d'intensite
que je ne sais pas comment j'arrive a la controler. Je regrette que Jarred soit
parti, j'aimerais sentir de nouveau sa main sur mon epaule pour me signifier
que tout va bien.

-- Ne pleure plus, bebe, je suis la ! Tu peux me dire ou est Sunshine ?

-- Elle a peur, elle ne voulait pas mettre papa en colere.

Sa voix n'est qu'un faible murmure, mais j'y ressens des choses que je ne
connais que trop bien : la peur, la haine et la culpabilite. Ca vous tord les
entrailles et l'estomac, impossible de rester lucide lorsque l'on doit y faire
face. Je sais aussi a quel point Dustin peut etre cruel parfois.

-- On va trouver une solution et pendant ce temps, tu vas rester ici.


-- On peut aller chercher Sunshine ?

-- Je vais faire mon possible...

C'est tout ce que je trouve a dire, je ne veux pas effrayer ma petite soeur,
mais s'il le faut, je la trainerai jusqu'a Miami par la peau des fesses.

-- Lou ! Je ne veux pas que quelqu'un le sache... Jamais...

Je ne dis rien et me contente de replacer les meches de ses cheveux qui lui
barrent le visage derriere son oreille. Encore une fois, je connais ces
sensations de honte et de peur qui vous rendent impuissantes. Je tente un bref
sourire avant de lui demander :

-- T'as envie que je te montre ou tu vas dormir cette nuit ?

Elle hoche la tete sans grand entrain et me suit jusqu'a ma chambre. Je


passe mon bras autour de ses epaules, l'attirant ainsi contre moi.

-- Je n'ai pas de chambre d'ami, mais nous pouvons dormir dans le meme
lit si tu n'y vois pas d'inconvenient. Par contre, je me demande une chose, t'es
venue jusqu'ici comment ?

-- En bus, puis j'ai marche depuis la station jusqu'ici.

-- Mais bebe, c'est a plus de sept kilometres !

-- Je sais, j'ai tres mal aux pieds.

-- Je sais ce qu'on va faire, tu vas prendre un bain chaud et lorsque Jarred


reviendra, on va diner ensemble et regarder un film. T'en penses quoi ?

Sloane ne me repond que par un hochement de tete et me suit dans la salle


de bain.

-- T'as des vetements ou je t'en prete ?

-- J'ai mon sac dans l'entree.


-- Sloane, ca va aller, ne t'en fais pas, d'accord ?

Avec un petit sourire, elle me contourne pour aller chercher ses affaires.
Pendant ce temps, je lui fais couler un bain, j'y ajoute de la mousse et allume
des chandelles pour qu'elle puisse se detendre un peu. Lorsque je me
retourne, elle est dans l'embrasure, son visage refletant une profonde tristesse.
Je m'avance vers elle et la serre fort contre moi.

-- Je suis la, je ne le laisserai plus te faire de mal.

Qu'elle ne me reponde pas declenche une alarme dans mon esprit. Je


cherche quelque chose a lui dire, mais rien ne vient. Rien n'est assez
reconfortant pour ce qu'elle vit. La porte d'entree s'ouvre et mon petit ami
nous rejoint.

-- C'est Jarred, dis-je, ca va aller Sloane ?

-- Ouais...

-- Prends le temps qu'il te faut pour te relaxer et rejoins-nous a la cuisine


lorsque tu auras termine.

-- J'espere que tu as faim Sloane parce que j'ai presque devalise le


supermarche.

Elle le gratifie d'un sourire et referme la porte de la salle de bain, je me


retourne vers Jarred et lui tombe dans les bras. Surpris, il m'entraine vers le
salon, ou nous prenons place sur le divan. De grosses larmes envahissent mes
yeux, il me caresse la joue.

-- Lou, tu dois te ressaisir. Je ne sais pas ce qui se passe, mais il me semble


que ta soeur est en piteux etat, elle a besoin de toi.

-- Je tiens a te dire que je suis encore en colere contre toi, mais...

-- Je sais, mais si tu as besoin de moi, je suis la.

Je ne sais pas pourquoi j'ai ressenti le besoin de dire ca, mais sa reponse
me fait le plus grand bien. Mes pensees vont et viennent tellement rapidement
que lorsque Jarred pose sa main sur la mienne, je sursaute.

-- Tu sais ce que tu vas faire ? me demande-t-il.

Je pose mes yeux noisette dans son regard aussi gris que l'acier. Je tente de
reflechir, mais rien n'y fait, je ne sais pas comment agir pour proteger ma
soeur. Je ne connais meme pas les lois en matiere d'abus ou de maltraitance.

-- Je vais appeler ma mere pour lui dire que Sloane est ici, j'inventerai un
truc, je ne sais pas encore quoi, et ainsi je pourrai disposer de quelques jours
pour bouger.

-- Ce sont les grandes vacances, alors pourquoi ne pas en profiter pour


inviter Sunshine aussi ? Explique a ta maman que Sloane a debarque ici a
l'improviste et que tu irais bien chercher ton autre soeur pour passer du temps
avec elles parce qu'elles te manquent.

-- Tu viendras avec moi ?

Son idee est geniale ! Pas question de laisser mon autre soeur aux mains de
ce connard. Je serre les poings, cherchant ainsi a canaliser ma colere, mais ca
ne fonctionne pas, bien au contraire.

-- Oui ! Je viendrai avec vous si tu as besoin de moi.

-- Tu le fais pour me sauver de moi-meme ou parce que t'en as envie ?

-- Un peu des deux, c'est ca l'amour, non ? Tout faire pour que l'autre aille
bien, mais c'est aussi le faire parce que c'est ce que l'on souhaite.

-- Ca m'enerve ce don que tu as de toujours avoir raison.

Il pose son front contre le mien et sourit avant d'ajouter :

-- T'as dit que j'avais toujours raison !

-- Ca m'arrive de delirer.
Ses levres s'emparent des miennes dans un doux baiser que je ne peux
refuser, mais il y met fin rapidement et me regarde, probablement effraye a
l'idee qu'il puisse me rendre furieuse.

-- Jarred, tu sais qu'on va devoir en parler tranquillement ? J'ai besoin de


savoir la verite et il faut que tu me parles de Sidney, il y a trop de zones
sombres...

-- Je repondrai a toutes tes questions avec plaisir.

-- Je vais appeler ma chere mere... Toi, t'as pas un repas a nous preparer ?

-- A vos ordres, chef !

Je roule des yeux et vais m'enfermer dans ma chambre. Je souffle


longuement avant de composer le numero de maman. J'ai grandi dans la ville
de Sarasota, situee a quatre-vingt-cinq kilometres de Tampa Bay en Floride.
Une belle ville, ouais, mais c'est aussi un endroit qui me rappelle un passe
douloureux que je souhaiterais oublier.

Mes mains tremblent ; telephoner a ma mere est toujours quelque chose de


tres difficile. Les conversations sont meublees de malaises et nous avons
rapidement compris qu'il valait mieux s'en tenir a l'essentiel lorsque l'on se
parlait.

-- Allo ?

-- Bonjour, ca va ?

-- Lou ? Que me vaut cet honneur ?

-- Je t'appelle parce que j'ai recu une visite et je ne voulais pas que tu
t'inquietes.

-- Une visite ? Comment ?

-- Sloane...
-- Ouais, je me demandais bien ou elle etait passee...

Je mettrais ma main a couper qu'elle n'avait meme pas remarque sa


disparition. Je respire longuement et poursuis la conversation, bien decidee a
ne pas papoter plus de deux minutes avec elle.

-- Ouais, elle a debarque ici en pretextant que je lui manquais. Tu crois que
ce serait possible que je vienne chercher Sunshine demain ?

-- Je ne sais pas.

-- Ce n'est que pour quelques jours et ca me permettrait de passer du temps


avec elles.

-- C'est a elle de voir, lache-t-elle sechement.

-- Je peux lui parler ?

-- Ouais, mais avant, puisque je t'ai au bout du fil...

-- Combien tu veux ? demande-je froidement.

La rage me consume, mais j'essaie de la contenir pour ne pas nuire aux


jumelles. Je vais lui donner tout ce qu'elle veut, du moment que je peux
repartir avec Sunshine.

-- Si je t'apporte la meme chose que la derniere fois, ca te va ?

J'ai la desagreable impression d'acheter mes petites soeurs. Je souffle


fortement et la voix de Sunshine resonne dans le combine. Elle ne m'a meme
pas repondu, la salope.

-- Lou ?

-- Coucou bebe, comment ca va ?

-- Sloane me manque...
-- T'as envie de venir passer les grandes vacances chez moi ?

-- Oui ! J'aimerais beaucoup.

-- Je vais venir avec Sloane et un ami demain. Nous arriverons assez tot,
car je travaille l'apres-midi.

-- D'accord !

-- Dis-moi, il est OK avec toi ?

-- Oui ! Oui ! T'en fais pas. Je peux parler a Sloane ?

-- Elle est dans la douche, mais je lui dis qu'elle t'appelle lorsqu'elle en sort,
d'accord ?

-- Oui...

-- Bebe, t'en fais pas, je suis la.

-- Je l'espere... Je dois raccrocher, maman m'appelle.

-- D'accord. Je t'aime Sun.

La tonalite retentit, je pousse un soupir et pars retrouver Jarred dans la


cuisine. Le voir s'atteler aux fourneaux avec un de mes tabliers de cuisine me
fait sourire, mais je n'en demeure pas moins nerveuse et irritee de ma
conversation avec ma mere. Il coupe des legumes pour preparer une sauce
pour les pates en train de cuire. Lorsqu'il m'apercoit, assise a l'ilot en train de
l'observer, il me sourit et continue sa preparation. Je le regarde faire pendant
un moment et je dois avouer que ca commence a sentir divinement bon, mon
estomac crie famine.

-- Je crois que j'ai faim, annonce-je.

-- Ca s'est passe comment ?

-- Comme a chaque fois... Tu crois que tu pourrais venir avec moi demain
matin tres tot ? Tu pourrais dormir sur le canape, si t'es d'accord ?

-- Oui, pas de probleme.

Sloane vient s'asseoir a cote de moi dans un nuage de jasmin qui me


chatouille les narines. Elle porte un vieux jeans elime et un t-shirt rouge
simple. Ses longs cheveux auburn sont enroules dans une serviette rose. Je
passe mon bras autour de ses epaules et lui souris.

-- Alors, t'as pu joindre Sunshine ?

-- Oui, on va la chercher demain matin. Elle veut que tu l'appelles,


annonce-je en lui tendant mon telephone.

Elle saute du tabouret et se dirige sur le canape ou elle se laisse choir


mollement. Elle compose le numero de la maison et je la regarde discuter
avec Sunshine pendant un moment.

-- Tu sais ce que tu vas faire ?

Je me retourne vers Jarred et leve les yeux vers lui, navree d'admettre qu'il
n'y a pas trente-six solutions. Je vais faire une chose que j'aurais du faire il y
a bien longtemps deja. Je me contente de hocher la tete, silencieusement,
alors qu'il me questionne du regard.

-- Je te le dirai lorsqu'on sera seuls.


33
Lou
Sloane s'est finalement endormie sur le canape un peu apres la fin du film.
Jarred l'a emmenee dans mon lit. En silence, nous terminons de nettoyer la
cuisine et de faire la vaisselle, tous deux preoccupes. Moi a propos de ma
frangine, mais lui ?

Ma petite soeur a tres peu parle, ce qui m'inquiete autant que ca renforce
mon desir de mettre un terme a tout ca. Sloane a toujours ete du genre un peu
excentrique, avec des tas d'amis. Lorsque je lui ai propose d'appeler ses
copines, elle a gentiment decline mon offre en me disant que ceux qui
doivent savoir ou elle se trouve le savent deja. Qu'elle se coupe des gens
qu'elle aime me peine beaucoup car moi aussi, j'ai fait cela, pensant que
c'etait la meilleure chose pour moi, mais seul Ethan est reste.

La soiree s'est deroulee dans un silence presque absolu et inquietant. Jarred


et moi avons essaye de meubler les moments de malaise, mais comme notre
relation n'est plus au beau fixe, ca sonnait faux. Toutefois, je lui suis
reconnaissante de m'epauler dans toute cette merde, il n'en etait pas oblige.
Le lave-vaisselle est en marche, Jarred passe une main nerveuse dans ses
cheveux et je tente un rapide sourire.

-- T'as envie qu'on discute au salon ?

Il hoche la tete et pose une main dans le creux de mes reins. Ce geste me
brule tout comme il me fait du bien. Le drole de silence qui s'est installe entre
nous se poursuit et me donne mal a l'estomac, aussi je decide de le rompre.

-- Merci d'etre reste.

Je m'installe sur le canape en repliant mes jambes contre ma poitrine,


Jarred prend place a mes cotes et depose sa main sur mon genou droit.
-- J'aimerais savoir ce que tu comptes faire...

-- Je vais me rendre au commissariat et deposer plainte contre Dustin. Je ne


peux pas imposer a Sloane de temoigner, donc il n'y a pas cent solutions...

Je me tais, c'est a peine envisageable pour moi de les laisser traverser ces
epreuves. Jarred me sonde quelques instants de ses iris gris.

-- Tu sais ce que ca implique ?

-- Mais oui, je le sais, et pour l'instant, bien que je sois effrayee, je sais que
c'est la seule chose a faire.

Je me tais, incapable de poursuivre tant la culpabilite me tord les entrailles.


Si j'avais parle avant, mes soeurs ne seraient pas dans cet etat-la et peut-etre
que moi non plus... Je m'emporte, mes bras bougent dans tous les sens, mon
corps commence a trembler alors que mes yeux se contentent de le fusiller. Il
se penche avec lenteur vers moi et raffermit sa poigne sur mon genou.

-- Lou, ce n'est pas ce que je veux dire, je te conseille vivement de le faire,


mais tu dois etre consciente des repercussions que ca pourrait avoir sur ta vie.
Tu es une personnalite publique alors...

C'est vraiment tout ce qui lui importe ?!

-- Ca n'entachera pas ta precieuse collection, et si tu penses le contraire,


mets-moi a la porte et trouve-toi quelqu'un d'autre.

-- On commence demain, tu sais bien qu'on ne peut plus faire machine


arriere.

-- Alors c'est ce qui t'inquiete le plus, ta putain de collection ?! Mes soeurs


vivent l'enfer...

Je me redresse et saute du canape pour faire les cent pas a travers la piece.
Je suis tellement enervee que je pourrais lui arracher la tete, mais rapidement,
il vient se placer devant moi et pose ses mains sur mes epaules pour me
stopper.

-- Lou, ce n'est pas ce que je veux dire, mais tu dois savoir que ta vie sera
encore une fois exposee au grand jour. Et pour la collection, personne ne va
te mettre a la porte parce que tu as vecu des abus. Tu nous connais mieux que
ca, Jamie et moi.

Honteuse, je releve la tete vers lui et pousse un long soupir. Il a toujours le


meme regard sur moi, comprehensif et rassurant. Encore une fois, ca
fonctionne.

-- Je sais, mais...

Je me tais, incapable d'exprimer ce que je ressens en ce moment. C'est un


melange de peur, d'angoisse et de perseverance. Detournant la tete, je me
laisse tomber sur le canape et remonte mes genoux sous mon menton. Lasse
et epuisee, je me masse les tempes. Jarred reprend sa place a mes cotes dans
un silence des plus absolus. Doucement, ses bras entourent mes epaules et
pendant un moment, je ne bouge pas. Rapidement, l'envie de me blottir contre
lui m'envahit et je me laisse aller contre son torse, laissant libre cours a mes
larmes.

Une fois calmee, il releve ma tete et m'oblige a le regarder.

-- Si tu crois que c'est ce que tu dois faire, alors fais-le. Si tu as besoin, je


t'accompagnerai au commissariat et dans toutes les etapes, je serai la. Tu ne
seras pas seule.

Je balbutie un faible <<< merci >>> et ferme les yeux avant de reposer ma
tete contre son torse.

-- Lou, je sais que ce n'est pas le moment, mais j'aimerais te demander


quelque chose.

Comme je ne reponds pas, il poursuit, la voix tremblante :

-- Tu crois que tu pourras me pardonner un jour ?


-- Oui, malgre la douleur, je pense pouvoir te pardonner. Mais j'ai pas
envie d'en parler maintenant...

-- Je comprends.

Je releve la tete vers lui et visse mon regard dans le sien.

-- J'ai besoin de toi et de ton amitie pour passer au travers de tout ca.

Il reprime une grimace et tente un bref sourire ; je ne suis pas aveugle, il ne


s'attendait pas a ce que je lui dise ca.

-- Je serai la, Lou, ne t'en fais pas. Aussi longtemps que tu auras besoin de
moi, je serai la.

-- T'es quelqu'un de bien Jarred Dwyer, souris-je.

-- Meme si je t'ai menti ?

-- Et si on parlait d'omission et non de mensonge ?

Je me redresse et me decolle de lui. L'apprehension, mais aussi le


soulagement, se lisent sur son visage.

-- Tu sais, je ne voulais pas aimer quelqu'un d'autre qu'elle, elle etait


l'amour de ma vie. Cependant, toi, t'es venue tout chambouler, une vraie
tempete.

-- Je n'ai rien voulu chambouler, m'emporte-je.

-- Non, je sais, mais tu as donne a ma vie un second souffle.

Sciee par l'emotion, je sens des larmes perler au coin de mes paupieres.
Tout de suite, il prend mon visage entre ses mains et embrasse mes yeux a
demi clos.

-- Lou, non ! Je ne veux plus que tu pleures pour moi. T'es la femme la
plus forte que j'ai rencontree, ne laisse pas tes larmes ruiner ca.
-- C'est faux, je fais toujours des crises pour rien, je casse des choses et je
pleure sans arret. Je suis faible.

-- Pour moi, personne n'est plus fort que toi, bebe.

-- Merci Jarred. Je crois qu'on devrait dormir maintenant, demain sera une
dure journee.

-- T'as raison, tu passes la nuit avec moi sur le canape ? demande-t-il plein
d'espoir.

-- J'ai promis a Sloane de dormir avec elle.

-- Pas de probleme, dans ce cas. Je te dis a demain, je vous reveille a 05


heures, d'accord ?

-- Oui patron !

Alors que je me leve, il attrape mon poignet.

-- Lou, je t'aime, tu le sais, hein ?

Il me semble si triste a cet instant... Je n'ai jamais ete douee pour


reconforter les gens, faire des sourires bienveillants ou encore laisser germer
l'espoir.

-- Oui, je le sais, mais...

-- Tu veux mon amitie pour l'instant, c'est ca ? termine-t-il a ma place.

Je ne reponds pas et me contente de lui sourire. Rapidement, je file vers ma


chambre pour me soustraire a son regard. Je me glisse sous les couvertures et
prends place aux cotes de ma petite soeur. Lorsqu'elle sent ma presence dans
le lit, elle se crispe, se redresse et se tasse le plus loin possible de moi. Son
etat de panique m'interpelle. Je tente de poser une main sur son epaule, mais
elle me repousse.

-- Sun ? Sunshine, t'es ou ?


Elle est paniquee, terrorisee, sa voix est emplie de sanglots. Combien de
fois s'est-il glisse dans son lit la nuit ? Cette seule pensee me degoute.

-- Ma puce, c'est moi. C'est Lou.

Soulagee, elle soupire et se laisse retomber sur les oreillers.

-- Je ne savais plus ou j'etais, lache-t-elle.

-- Si tu preferes dormir seule, je peux aller dormir sur le canape avec


Jarred...

-- Non, reste, d'habitude Sunshine est la.

-- Tu veux parler de ce qui est arrive ?

-- J'y arrive pas, pleure-t-elle.

Je la prends dans mes bras et la serre contre moi tellement fort que j'ai
l'impression qu'elle va se briser en deux.

-- Je suis desolee de ne pas avoir ete la pour vous deux, gemis-je.

-- Tu l'as vecu toi aussi, non ?

-- J'ai jamais imagine qu'il pourrait faire ca a ses propres filles... Mais oui,
il a fait la meme chose avec moi. Ca a dure un moment, des annees meme.
J'etais un peu plus agee que toi.

-- Je le hais tellement.

Je lui caresse les cheveux pour l'apaiser, mais elle semble impossible a
calmer. Sa respiration est haletante. J'attrape son visage panique entre mes
mains et l'oblige a me faire face.

-- Sloane, regarde-moi, respire tranquillement, ca ira mieux ensuite, la


rassure-je.
Elle calque sa respiration sur la mienne et finit par s'apaiser. Etait-ce une
bonne chose que de venir trouver refuge chez moi ? Je suis malade,
qu'adviendra-t-il si elle assiste a l'une de mes crises ?

-- Ne le laisse plus jamais etre pres de moi. Prends-nous ici, avec toi. Ne
nous laisse pas retourner chez lui.

-- Bebe, je vais faire tout ce qui est en mon pouvoir pour que vous n'y
retourniez jamais.

Un faible sourire s'affiche sur son visage d'ange. Mon esprit s'emplit de
doutes ; pourront-elles habiter avec moi ? Telle est la question... Peu importe,
je dois essayer quand meme !

-- Tu sais, je vois un psychiatre pour m'aider a passer au travers de tout ca.

-- Papa dit que tu es folle, tu sais ?

Je ne peux m'empecher d'eclater de rire, ce qui la fait froncer les sourcils. Il


y a bien longtemps que ce que dit ce tare ne m'atteint plus, et ca ne m'etonne
pas de lui.

-- Il doit dire tellement de mauvaises choses sur moi, mais je m'en fous.
Par contre, je suis malade, j'ai un trouble de la personnalite limite, tu sais ce
que c'est ?

Elle secoue la tete et des boucles auburn lui tombent devant les yeux. Je les
lui replace avec tendresse derriere son oreille.

-- C'est un trouble de l'humeur, des emotions, de la vision que je peux avoir


de moi, des autres et des situations. Tu comprends ou pas ?

-- Pas vraiment...

-- Quand tu te disputes avec Sunshine, ca te fait de la peine, non ?

-- Oui ! C'est sur, c'est ma jumelle.


-- Imagine alors que la peine que tu ressens est multipliee par dix.

Ses yeux s'arrondissent et sortent presque de leurs orbites. Sa reaction me


fait rire, elle est si innocente, si pure...

-- Parfois, ca peut meme aller jusqu'a quarante fois plus fort.

-- Tu fais comment dans ces moments-la ?

Je hausse les epaules et tente un sourire.

-- Je crois que Jarred m'aide a controler mes emotions, il m'aide beaucoup


a rationaliser.

-- Tu sais, j'aime beaucoup Ethan, mais je crois que j'ai une preference
pour ton nouvel ami.

-- Moi aussi, annonce-je en appuyant legerement avec mon index dans ses
cotes.

Elle etouffe un gemissement, je fronce les sourcils et souleve son t-shirt.


Elle se debat et tente de le maintenir en place, mais je l'ai prise de court. Ce
que j'y vois m'acheve ; de fines coupures courent de son flan jusqu'a son
ventre. Aucun doute sur leur provenance : elle se mutile. Et certaines des
marques sont encore fraiches.

-- Lou ! Non !

-- Pourquoi ? Pourquoi tu fais ca ?

Elle s'effondre, la tete dans les oreillers, et pleure toutes les larmes que son
petit corps peut contenir. Je pose ma main sur son epaule et annonce :

-- Sloane, releve-toi. Je dois te parler.

Elle secoue negativement la tete. Qu'importe, je lui dirai quand meme.

-- J'avais seize ans la premiere fois que j'ai pose une lame sur ma peau, ca
me faisait autant de bien que ca me detruisait, alors je peux tres bien
comprendre pourquoi tu le fais. Je sais aussi que tu ne le fais pas par desir de
mourir, mais bien parce que ca calme ton mal, mais Sloane, as-tu deja pense
qu'un jour, il n'y aura plus de point de non-retour ?

Je me tais, la laissant prendre conscience de ce que je viens de lui dire, puis


j'ajoute :

-- Je parle en connaissance de cause, je ne veux pas me la jouer grande


soeur qui sait tout, mais je sais ce que c'est de se sentir sale, hideuse, et de
n'avoir confiance en personne et encore moins en soi. Ca peut te paraitre
stupide ce que je te dis en ce moment, mais bebe, dis-toi que je suis arrivee a
ce putain de point de non-retour et j'ai failli y laisser la vie.

Elle releve la tete, les yeux remplis de larmes. Elle essuie frenetiquement
son visage avec ses paumes. J'attrape une boite de mouchoirs dans la table de
chevet et la pose a cote d'elle. Elle s'assied de nouveau dans le lit et se
mouche bruyamment.

-- T'as fait quoi ? demande-t-elle.

-- J'ai eclate ma voiture sur un parapet a plus de 160 km/h.

-- Oui, maman nous a rapidement raconte. Sun et moi, on voulait venir te


voir, mais papa et maman ne voulaient pas, c'etait trop cher.

-- Je sais, c'est pas grave ma cherie. Que dirais-tu de dormir maintenant ?


Demain, on doit se lever a l'aurore pour aller chercher Sunshine. Ca va mieux
?

-- Oui. T'en fais pas.

Elle s'etend a nouveau et ferme les yeux. Je l'imite et patiente environ dix
minutes qu'elle s'endorme avant de quitter la chambre pour aller rejoindre
Jarred. Je le trouve assis sur le canape, un film en sourdine diffuse sur l'ecran
plat du salon. Les images qui defilent semblent tirees d'une comedie
romantique. Il est tellement concentre sur son telephone sur lequel il pianote
a une vitesse incroyable qu'il sursaute lorsque je m'assieds tout pres de lui.

-- Lou ? Bon sang ! Je croyais que tu dormais.

-- Je te derange ?

-- Non ! Jamie prenait de mes nouvelles, et des tiennes par la meme


occasion, je lui dis que je l'appellerai demain a notre retour ensuite je suis
tout a toi.

-- Tu lui as raconte ? demande-je.

-- Je... Oui... Comme je ne savais pas si on serait revenu a temps... Elle dit
qu'on peut emmener les jumelles au studio.

-- Je pensais plutot demander a Ethan de venir les surveiller.

-- Bonne idee, grogne-t-il.

Sa reaction m'etonne.

-- C'est quoi le probleme ?

-- Rien ! Tu venais me parler d'un truc en particulier ?

-- Ouais, mais avant, t'as quoi Jarred ?

-- C'est con et je vais avoir l'air d'un idiot jaloux, mais generalement, ce
n'est pas le genre de chose qui me fait peur, mais tu ne vas pas me remplacer
par Ethan, hein ?

Le coin de mes levres fremit, je me mords l'interieur de la joue avant de


craquer et d'exploser de rire.

-- Ne te fous pas de moi, dit-il avec un petit sourire.

-- T'es jaloux, mon petit ?


-- Oui... non... Enfin... J'ai merde...

-- Lui aussi, il a merde a plusieurs reprises.

-- Voila une raison de plus de m'inquieter, non ?

-- T'as merde, d'accord, mais Jarred ne me mens plus...

Il souffle, passe nerveusement une main dans ses cheveux avant de nouer
ses doigts aux miens.

-- Pour l'instant, ma priorite, ce sont les jumelles, et ensuite, apprendre a te


connaitre sans sauter d'etape. T'en penses quoi ?

-- Tu deviens sensee, me taquine-t-il.

-- Cependant, je ne sais pas ce que ca va donner nous deux. Je ne veux pas


te faire de promesses tant que j'aurai pas fait le tri dans tout ca.

-- Je comprends Lou...

Il se tait un instant avant de dire :

-- Tu ne dors pas encore ?

Ramenee dans la realite pesante des dernieres heures, mon sourire s'eteint
subitement, je ferme les yeux et une larme roule sur ma joue.

-- Lou ? Que se passe-t-il ?

-- Je... Sloane... Elle... Bon sang ! Elle se mutile...

-- Non ?! Putain de merde !

-- Jarred, je suis perdue, je ne sais pas quoi faire pour l'aider...

-- Parle-lui de ce que tu as vecu, c'est la meilleure facon de l'inciter a


s'ouvrir a toi.
-- J'aimerais tant qu'elle accepte de voir un psy ou quelqu'un qui pourrait
l'aider.

-- Laisse-lui le temps, me conseille-t-il.

Je lui souris faiblement. Ce dont j'ai besoin en ce moment, c'est d'etre


contre lui. J'ai envie de sentir ses doigts s'enfoncer dans mes cheveux, qu'il
caresse ma nuque et qu'il m'apaise. Cependant, Sloane a aussi besoin de moi,
elle ne veut pas dormir seule, mais si je ne reste pas pres de lui, je vais
craquer et ce ne sera pas bon pour elle.

-- Tu crois que ce canape serait assez grand pour qu'on dorme tous les deux
dessus ?

Il me sourit et hausse les epaules l'air de dire <<< on devrait essayer >>>.
Il m'attire contre son torse, je le laisse faire et pose ma tete au creux de son
epaule.

-- Je sais comment faire.

Il me fait signe de me relever, je m'execute, intriguee, et le regarde


s'etendre sur le dos puis me tirer de nouveau vers lui.

-- T'es bete, je vais t'ecraser.

-- T'es folle, tu peses quoi ? Cinquante-cinq kilos, toute mouillee.

J'ai envie de dormir contre lui, aussi je fais taire les voix qui me disent que
ce serait preferable de retourner aupres de Sloane. Avant de m'installer, je lui
demande :

-- Aucune promesse, d'accord ?

-- On va juste dormir, Lou. Juste ca.

Je m'etends pres de lui, la tete sur son torse. Ses bras m'entourent et il
depose un bref baiser dans mes cheveux. Bien que la position ne soit pas la
plus confortable qui soit, elle reste probablement la chose la plus sensuelle et
apaisante que je n'ai jamais connue. Les doigts de Jarred courent sous mon t-
shirt en dessinant des cercles imparfaits le long de ma colonne vertebrale,
mais jamais il ne tente autre chose ; ca me plait.
34
Jarred
Le trajet pour se rendre jusqu'a Sarasota dure pres de trois heures et se
passe dans un silence quasi total. A l'arriere, Sloane ne dit pas un mot et se
contente de regarder par la fenetre. Et comme pour echapper a ses peurs, elle
ferme les yeux. Lou, quant a elle, change inlassablement de station de radio.
Le stress des deux soeurs est palpable a un point tel que ca me rend anxieux
moi aussi.

Une fois a proximite de la ville, ma belle eteint la radio en disant :

-- J'ai besoin de me concentrer.

Je ne comprends pas trop sur quoi elle souhaite se concentrer, c'est quand
meme moi qui conduis dans un endroit inconnu, mais a mesure que nous
nous enfoncons dans la ville, elle m'indique dans quelle rue tourner avant
meme que le GPS le fasse. Plus nous nous approchons de la maison de sa
mere, plus ses poings se serrent. Finalement, elle annonce :

-- Gare-toi dans l'allee derriere le vieux pick-up marron...

Sa voix est presque un murmure alors qu'elle me pointe une maison jaune
et decrepie, aux volets blancs abimes par les annees. Jouant nerveusement
avec ses doigts, elle se tourne vers Sloane et lui dit :

-- Reste dans la voiture avec Jarred, je reviens vite.

L'adolescente semble sur le point de fondre en larmes, mais elle hoche la


tete pour lui signaler son accord. Lou se tourne vers moi et se force a me
sourire. Cela est cense etre rassurant, mais ca ne fonctionne pas vraiment. Je
suis mort d'inquietude pour elle. Avant qu'elle ne sorte, j'attrape sa main et la
caresse avec mon pouce. Un petit geste qui, j'espere, lui fera du bien. Elle
attrape son sac a main en cuir a ses pieds et quitte rapidement l'habitacle. Je
leve les yeux vers Sloane qui n'ose meme pas me regarder.

-- Ca va ? demande-je.

-- Je... Oui...

-- Ne t'en fais pas, je ne laisserai rien t'arriver. Ni a toi ni a tes frangines.

-- Merci... J'ai dit a ma soeur que j'adorais Ethan, mais que c'etait avant de
te connaitre.

La confidence de cette gosse qui n'a presque pas dit un mot en ma presence
depuis son arrivee me touche.

-- Merci Sloane.

Soudain, son visage se crispe en une drole de grimace. Je lance un rapide


coup d'oeil vers la maison et apercois un homme d'environ un metre quatre-
vingt-dix, les cheveux bruns mi-longs et gras, venir vers la voiture. Il porte
un t-shirt blanc et sale ainsi qu'un pantalon de mecanicien. Il s'avance vers
nous, une cigarette au bout des doigts. Il crache par terre et s'arrete au milieu
de la pelouse en fixant la voiture. Ce type ne m'inspire que du mepris et je
n'ai qu'une envie, lui foutre mon poing dans la tronche.

-- C'est ton pere ? demande-je.

Elle se contente de prononcer un faible <<< oui >>> et de se caler le plus


possible dans le siege arriere.

-- Je veux pas le voir...

Sa voix n'est qu'un murmure d'effroi, je comprends mieux l'envie de Lou


de faire tout son possible pour sauver sa soeur.

-- Ferme les yeux et fais semblant de dormir, ordonne-je.

Elle s'execute sans poser de questions tandis que moi, je sors de la voiture
pour aller a la rencontre de ce type.

-- Chouette bagnole le kid, lance-t-il.

-- Ouais, j'ai travaille dur pour l'avoir.

Je lance un regard a son pick-up tout pourri et lui sourit. Il est parfaitement
conscient que je lui lance une pique silencieuse, mais il ne replique pas,
finalement peut-etre est-il plus intelligent qu'il n'en a l'air ?

-- Sloane est dans ta caisse ?

Il fait un pas vers ma voiture, mais je lui bloque le passage et tente de lui
sourire.

-- Elle dort, elle est extenuee d'avoir fait ce voyage en bus hier.

-- C'est ma fille, je veux la voir.

-- Aucun doute la-dessus, mais pour l'instant, elle dort et j'aimerais bien
qu'elle puisse reprendre des forces. Elle a fait des heures de bus et a marche
pendant sept kilometres hier, donc ce serait bien qu'elle puisse se reposer.

Un rictus ironique etire ses levres. Je dois detourner le regard pour ne pas
lui refaire le portrait.

-- Alors t'es le nouveau mec de Lou, c'est ca ?

-- Ma relation avec votre belle-fille ne vous regarde pas.

-- T'es vraiment mal barre, mec, cette nana est folle.

Je respire longuement, mais lorsqu'il eclate d'un rire gras, j'ai peine a me
contenir. Il vaut mieux que je m'eloigne de lui, car avoir ce type en face de
moi et ne pas pouvoir lui defoncer la gueule me fout en rogne.

-- Sloane vous appellera a son reveil, dis-je en regagnant la voiture.


Il rigole de plus belle lorsque je pose la main sur la poignee, la sienne se
place sur mon epaule. Je ne sais pas a quoi il joue, mais je n'ai pas envie de
participer. Je tente de lui faire comprendre en lui lancant un regard noir.

-- Alors, tu prends ton pied avec ma belle-fille. Elle doit avoir de


nombreux talents particuliers pour que tu restes avec, parce qu'entre nous
deux, elle est completement taree.

-- Et si tu enlevais ta sale patte de mon epaule pour commencer ? Ensuite,


tu pourrais retourner a l'interieur et me foutre la paix avant que je te regle ton
compte.

-- Dustin ! Laisse Jarred tranquille ! gueule Lou depuis la galerie.

-- Jarred ! Tu parles d'un nom...

Je ne prends pas la peine de lui repondre et tourne la tete pour apercevoir


Lou. Elle est avec une femme d'environ quarante-cinq ans aux cheveux
auburn et aux yeux marron qui a l'air aussi pimpante que son mari peut avoir
l'air defraichi. La soeur jumelle de Sloane est entre les deux femmes. Si les
soeurs sont des copies conformes, Sunshine a les cheveux bruns de Lou et les
yeux verts de son pere.

-- Vous etes prete les filles ? demande-je.

Lou prend la main de sa petite soeur dans la sienne et attrape un sac rempli
de vetements. Sunshine traine sa grosse valise derriere elle, je les aide a les
mettre dans le coffre et retourne prendre place derriere le volant. Sloane ne
bouge pas et fait toujours semblant de dormir. Nous demarrons sans attendre.

Au bout d'un kilometre, je lui annonce qu'elle n'a plus rien a craindre. Elle
releve la tete et se jette dans les bras de sa soeur jumelle.

Si le trajet pour aller a Sarasota s'etait deroule dans le silence le plus total,
celui du retour est ponctue des piaillements des deux adolescentes. Comme si
au contact l'une de l'autre, elles reprenaient vie. Lou noue ses doigts aux
miens et me sourit.
-- Merci, murmure-t-elle.

Nous arrivons a Miami un peu avant 11 heures, nous avons, par


consequent, a peine le temps de deposer les filles chez Lou et de filer au
studio. Par chance, Ethan etait deja la et les filles se sont jetees a son cou. Il
leur a promis de les emmener au cinema et manger un morceau. Les jumelles
etaient si heureuses de passer du temps avec lui que Lou et moi avons
rapidement ete oublies. Voir ses petites soeurs reagir ainsi a rendu son sourire
a ma belle. Elle est completement subjuguee alors que moi, je reste la, sans
bouger, attendant le signal de depart.

-- Amusez-vous, lance-t-elle joyeusement.

Elle depose un rapide baiser sur la joue d'Ethan, ce dernier lui murmure
quelque chose a l'oreille et Lou eclate d'un rire cristallin. Vrille par la
jalousie, je serre les poings pour ne pas faire une nouvelle connerie.

-- File ! Tu vas etre en retard, lui dit-il. Les filles sont en securite avec moi.

-- Ouais, par chance, j'ai le patron dans la poche.

-- Tu peux avoir tout ce que tu veux Lou.

-- T'es un peu baratineur la...

Il hausse les epaules, un rictus amuse sur le visage. Lou eclate a nouveau
de rire alors qu'il lui fait un clin d'oeil, puis elle revient vers moi d'une
demarche legere.

Bon sang, suis-je oblige de subir ca ?

Lorsque je regarde Ethan, un sourire vainqueur se dessine sur ses levres, et


ca, c'a le don de m'enerver.

-- Comment va Carla ?

Je lui pose cette question, tentant le tout pour le tout et ainsi rappeler a Lou
que son ami est engage avec une autre.
-- J'en sais rien.

Il hausse les epaules et lance un regard a Lou qui se retourne subitement


vers lui, la bouche formant un O.

-- Comment ca ?

-- Ca marchait pas entre nous.

Il lache cette phrase avec un haussement d'epaules, attirant ainsi toute


l'attention de Lou. Encore une fois, j'ai l'impression d'etre totalement
invisible.

-- Comment ca ?

-- Une longue histoire. Si t'as envie, on pourrait aller prendre un cafe


demain et je te raconterai ce qui s'est passe.

Ma belle hoche la tete et pose sa main sur la poignee de la porte d'entree.

-- Ouais, si tu veux.

Elle sort de l'appartement avec moi dans son sillage, la queue entre les
jambes de m'etre ainsi fait ramener au statut de patron.

C'est vraiment ce qu'elle veut que je sois, le patron et elle l'employee ?

Cette seule pensee me broie les entrailles. Je n'ai pas envie de jouer ce
genre de jeu et encore moins d'etre l'ex toujours transi d'amour qui se fait
bouffer par la jalousie. Non, ce que je veux, c'est elle, mais je ne veux pas me
battre avec Ethan, le parfait cretin, pour tomber dans les bonnes graces de ma
douce. Pourtant, je n'ai pas hesite une seule seconde a lui balancer au visage
pour Carla. Je souffle tout en grimpant dans la voiture.

-- T'es sur que ca ne te pose pas de probleme de me ramener chez moi ? Si


tu es trop fatigue, je peux prendre un taxi, tu sais.

-- T'en fais pas Lou, j'ai dit que je te raccompagnerais, je vais le faire.
Lou se renfrogne et se pince les levres. Je me demande si je n'ai pas ete un
brin trop sec avec elle. Ne pouvant plus y tenir, je tourne la tete vers elle et
mon regard croise le sien, plein d'apprehension. J'ignore pourquoi, mais je ne
tente rien pour la rassurer. Je demarre alors le moteur et prends la direction
du studio ou se deroulera le shooting pour la campagne publicitaire pour le
parfum, les sous-vetements, la ligne de vetements et d'accessoires, le site web
et ensuite pour le catalogue. Autant dire que nous avons du pain sur la
planche !

Lorsque nous entrons dans le studio, les yeux de Jamie s'illuminent,


heureuse de constater que nous ne sommes pas a la bourre. Elle s'avance d'un
pas rapide vers Lou et l'attrape par le bras avec douceur.

-- Vous etes en avance, je vais avoir le temps de discuter avec Lou et de lui
expliquer ce qu'elle doit faire. Jarred, t'as encore tout ton materiel a sortir et a
installer.

-- Ca va aller Lou ? demande-je.

-- T'en fais pas, je ne vais pas la manger.

-- Oui, je suis entre de bonnes mains.

-- Tu ne verras ta muse que lorsqu'elle sera prete.

Jamie me chasse d'un geste de la main et entraine ma belle avec elle vers
les loges, me laissant ainsi en tete a tete avec mes droles d'idees. Je me sers
alors un cafe et prends un muffin sur le buffet.

-- Salut Jarred, lance une voix chantante dans mon dos.

Tout mon etre se contracte en entendant les aigus de cette voix. D'un geste
brusque, je me retourne vers la personne, mes yeux entrent en contact avec
une grande blonde aux iris noirs, incroyablement bien roulee.

-- Elie ! Que fais-tu ici ?


-- Je suis venue avec mon frere.

-- Je ne savais pas que Deeclan devait poser aujourd'hui.

-- Non, en fait, il voulait venir voir comment ta muse se debrouille, vu la


reputation qu'elle a...

Elle laisse sa phrase en suspens et me gratifie d'un sourire enjoleur. C'est


du Elie tout crache, seductrice et confiante jusqu'au bout des ongles.
Cependant, le pourquoi de sa venue m'echappe, elle n'aime ce genre d'endroit
que si elle est sous le feu des projecteurs.

-- Je vais te poser la question une nouvelle fois, que fais-tu ici ?

-- Tu ne m'as jamais rappelee !

Sa voix monte une nouvelle fois dans les aigus et une moue aguicheuse se
dessine sur ses levres peintes en rose bonbon. Elle s'accroche a mon bras et se
met a marcher d'un pas lent, m'entrainant avec elle, au risque d'envoyer mon
cafe et mon muffin valdinguer par terre. Je soupire, la journee ne fait que
commencer et j'ai l'impression que je ne suis pas au bout de mes peines. Je
me stoppe net et lui fais face, determine a mettre un frein a cette conversation
inutile.

-- Elie, je ne t'ai pas rappelee parce que j'ai rencontre quelqu'un...

-- Ah ouais, la mannequin un peu folle...

-- Elle s'appelle Lou et elle n'est pas folle ! tonne-je.

Elle ne considere pas ma reponse.

-- Peu importe.

Je fronce les sourcils et lui demande a nouveau :

-- Tu veux quoi ? Tu savais bien que nous deux, ce n'etait qu'une nuit !
-- Je sais, et c'est ce qui me derange, annonce-t-elle, joueuse.

Je souffle, epuise, je n'ai pas envie de debattre avec elle. Son frere, qui est
un tres bon ami, m'avait prevenu que sa soeur etait legerement timbree. Peut-
etre aurais-je du le croire...

-- Elle le sait, ta petite muse, pour nous deux ?

-- Elie, y a pas de <<< nous deux >>>.

-- Je t'ai dit que j'obtiens toujours ce que je veux, je n'en ai pas termine
avec toi.

Elle pose un rapide baiser sur ma joue et me gratifie d'un clin d'oeil avant
de me tourner le dos. Elle se dirige en roulant des hanches vers son frere.
Encore une tuile qui me tombe sur la tete. Ca va me rendre fou.

-- Dis Jarred, tu ne vas pas te... tu sais... Elie...

Jamie ! La voix de la raison. Que m'avait-elle dit ? <<< Ne t'acoquine pas


avec cette fille, c'est une source d'ennuis ! >>> J'ai repondu quoi ? <<<
T'inquiete, je sais gerer ce genre de probleme ! >>> Quel con ! Quel con !
Maintenant, le <<< probleme >>> en question aimerait bien me sucer encore
une fois. Bon sang ! Je ne suis pas au bout de mes peines. Je dois en parler a
Lou avant que ca ne degenere et qu'elle n'ait une raison de plus de me hair.
35
Lou
La chose que j'aime le plus avec le boulot de mannequin, c'est qu'une fois
les portes du studio passees, mes problemes s'envolent pour un court instant.
Ca grouille de monde, y a toujours quelqu'un pour te tirer de tes pensees.
Aujourd'hui ne fait pas exception, et pour une fois, ca m'etourdit.

-- Ca va ? demande Jarred.

-- Je...

Je me tais, pose mes yeux dans les siens et y lis ses inquietudes, mais pour
une raison inconnue, je reste incapable de lui repondre. Comme une idiote, je
me contente de hocher la tete. D'un cote, j'ai envie de lui demander de cesser
de jouer au papa poule avec moi et de l'autre de l'etreindre, l'embrasser et le
remercier d'etre la pour moi. Je deteste ne pas etre capable de mettre des mots
sur mes emotions. Jamie s'avance alors vers moi et repond a ma place avec
toute la tendresse qu'elle possede.

-- Je t'emprunte Lou. On revient bientot, tu ne la reconnaitras plus.

Elle rigole et m'entraine vers les loges ou sont deja installes une chaise de
coiffeur et tout le materiel necessaire pour ma transformation : des brosses,
des ciseaux, des pinceaux, ainsi qu'un grand miroir recouvrant toute la
surface d'un mur et enfin des presentoirs sur roulettes contenant tous les
vetements de la collection.

Contrairement a ce que je pensais, nous sommes seules. Jamie me laisse


toucher les vetements et m'extasier devant leur beaute. Je n'en reviens pas de
la chance que j'ai. Ce qu'ils ont cree est tout simplement sublime et je suis
flattee qu'ils m'aient choisie pour ca. Au fond de moi, je sais bien que sans
Jarred, Jamie n'aurait jamais pose son regard sur moi. Cette pensee me tord
les entrailles.

Allez ma fille, tu derailles totalement...

Reveille-toi Lou ! Pourquoi voudrait-elle de toi ?

C'est faux ! Elle est si gentille avec moi... Elle ne peut pas faire semblant...

Ah... non ?

Je tente de faire taire cette putain de voix qui me rappelle sans arret que je
suis mauvaise, mais comme toujours, c'est peine perdue.

-- Tout va etre super Lou, tu vas voir !

Je tente de lui sourire, mais j'ai l'impression que tout mon corps se crispe.

-- Alors, on commence par quoi aujourd'hui ? demande-je.

-- Je me dois d'avoir une petite discussion avec toi avant de debuter.

Voila, je te l'avais dit !!!

Je souffle et ferme les yeux quelques secondes. Toute personne avec un


trouble borderline qui entend cette phrase panique et a envie de prendre ses
jambes a son cou. En ce moment, je suis tout pres d'imploser tant la nervosite
me vrille l'estomac. Effrayee, je trouve mille raisons pour qu'elle me renvoie
chez moi. Peut-etre que le petit scandale entre sa mere et moi... ? Ou encore,
peut-etre n'aime-t-elle pas la facon dont je traite son ami ? Ou peut-etre ne
m'apprecie-t-elle pas ? Je ne sais plus quoi penser et lorsqu'elle pose sa main
sur mon epaule et qu'elle me fait signe de m'asseoir sur une chaise, sur le
dossier de laquelle est inscrit mon nom, je me mets a trembler.

-- J'ai demande a ce qu'on nous laisse un petit moment seules afin que nous
puissions parler de ce qui s'est passe avec mes parents.

-- Ca va Jamie, je comprends. Je t'assure que je suis incapable de leur en


vouloir.
Je tente de rattraper le coup, je n'ai pas envie de me faire virer. Je tiens a ce
boulot, mais cette phrase me laisse un gout amer dans la bouche. Je ne dirais
pas que c'est la reaction exageree de madame Michelle qui m'enerve, mais
c'est plutot le fait que Jarred m'ait cache des choses.

-- Je ne voulais pas te parler de mes parents, je n'excuse pas le geste de ma


mere, mais si Jarred t'en avait parle avant, ca ne se serait pas passe ainsi.

-- Tu sais, il a fait ce qu'il croyait etre le mieux, il ne faut pas lui en


vouloir.

Et voila que je prends la defense de Jarred...

-- Je ne lui en veux pas...

Elle se tait et me regarde au travers du miroir devant moi. Elle saisit une
brosse a cheveux. Elle retire l'elastique retenant ma queue de cheval et avec
douceur, entreprend de me peigner. Je la laisse donc faire, surprise par son
geste.

-- Et toi, tu lui en veux ?

Je la regarde un instant. Est-ce que Sydney lui ressemblait ? Je ne sais


meme pas de quelle couleur etaient ses yeux...

-- Parfois oui, et parfois non. Je lui ai tout dit de ma vie, ma maladie, mes
pathologies, mes problemes. Je crois qu'il en sait plus sur moi que mon
meilleur ami.

-- Comment aurais-tu reagi si Jarred t'en avait parle avant ? demande-t-elle


calmement.

-- Je ne peux pas prevoir mes reactions. J'aurais probablement ete en


colere, ou peut-etre que je ne me serais pas interessee a lui, mais s'il m'avait
dit la verite, ca aurait ete au moins ca de pris.

Je baisse la tete et fixe les pinceaux a maquillage sur la table.


-- J'aime Jarred, ca, c'est une evidence, mais je n'arrive pas a comprendre
pourquoi il a garde ce secret pour lui. J'aimerais savoir ce qu'elle representait
a ses yeux, ce qui l'a charme chez elle. J'aurais aime qu'il veuille de moi au
point de partager tout avec moi. J'ai l'impression d'etre importante tout en
etant insignifiante, alors que lui represente tant a mes yeux.

-- Tu lui as dit ca ?

Je secoue vivement la tete, de grosses larmes s'amusent encore a s'inviter


au coin de mes paupieres. Je deteste me sentir faible et miserable. Je releve
les yeux.

-- Si tu veux savoir si je l'aime, la reponse est oui. Cependant, pour


l'instant, je crois qu'on a d'abord besoin de se retrouver, d'apprendre a se
connaitre...

-- Et je crois que tu as deux autres petites priorites, me rappelle-t-elle.

-- Oui ! Je tiens a bien faire les choses, mais Sloane est deja folle de lui.

-- On l'est toutes ma cherie. Par contre, je vais te poser une nouvelle


question. Tu sais, il a ete longtemps seul et...

-- Je me doute bien qu'il n'a pas utilise sa main toutes ses annees, rigole-je.

Jamie joint son rire au mien et poursuit :

-- Non, tu as raison, il y a eu quelques femmes dans sa vie qui ont pris un


peu plus d'importance, mais au final, c'etaient des...

-- Des folles ? demande-je, amusee.

-- Non, je dirais qu'elles etaient un peu accros, mais ca, c'est une autre
histoire. Ce que je veux savoir, c'est a quel point tu lui fais confiance.

Je prends quelques secondes pour reflechir ; elle me cache quelque chose


et tate le terrain pour m'avouer un truc. J'en mettrais ma main a couper. J'ai
envie de savoir, mais je veux que ca vienne de lui.
-- Je lui fais confiance, il m'a menti certes, mais tout n'est pas encore mort.
S'il y a un truc, j'aimerais le savoir par lui. Comme je te disais, je lui ai tout
dit de ma vie, et ce, dans les moindres details, malgre la peur qu'il me juge.
J'ai besoin qu'il soit honnete avec moi. Enfin, s'il m'aime vraiment.

-- Ne doute pas de son amour.

Elle repose la brosse sur le plan de travail et releve mes cheveux avec un
sourire que je decrirais comme etant diabolique et decide.

-- T'en penses quoi ? demande-t-elle.

-- Je comprends pas...

-- Tes cheveux. Je crois que ce serait parfait pour la seance photo, la ils
sont tres longs, ca alourdit les traits de ton visage.

Je me regarde quelques instants dans la glace et lorsque Jamie relache ma


tignasse et qu'elle retombe en cascade dans mon dos, je ne sais plus quoi
penser.

-- J'ai toujours eu les cheveux longs, lache-je.

-- Je sais, c'est une clause dans ton contrat, je crois, non ?

-- Ah ca, non. Ce n'etait que pour embeter un peu Adam.

Jamie eclate de rire et je ne peux que me joindre a elle. Parfois, je me


demande comment il fait pour endurer tout ce que je lui fais vivre.

-- Je crois que si tu n'acceptes pas, je te fais porter une perruque.

-- Ah non ! Pas ca ! Ca gratte une perruque.

-- Et des cheveux, ca repousse...

Elle me repond du tac au tac, mais toujours avec son sourire chaleureux et
bienveillant.
-- Tu comptes faire quoi dans mes cheveux ?

-- Moi rien, mais Levi risque de se lacher un peu.

Mes yeux passent des ciseaux sur le plan de travail a son reflet dans le
miroir. Je tords mes doigts dans tous les sens et, devant mon air affole, elle
ajoute, en placant ses mains a environ cinq centimetres en dessous de mes
oreilles :

-- A l'avant, ca aurait cette longueur, tandis qu'a l'arriere, ce serait plus


court. Une jolie coupe asymetrique.

-- Je... La perruque est tentante...

-- Si ca ne te plait pas, apres le shooting, je demanderai a Levi de te mettre


des extensions, d'accord ?

Des putains d'extensions, c'est une torture ! Je crois que j'aimerais mieux
bruler en enfer. On m'en a mis une fois pour un shooting et la coiffeuse a
passe trois heures a me tresser et me tirer les cheveux dans tous les sens. J'ai
termine cette seance de calvaire en la menacant de l'egorger si jamais ca ne
finissait pas bientot.

-- Tu y tiens vraiment ? demande-je.

Un sourire etire son visage et elle tape dans ses mains.

-- Oui !

-- Alors, faisons-le.

Elle depose un baiser sur ma joue qui me surprend et ajoute :

-- Je vais chercher le coiffeur.

-- Jamie, attends !

Elle s'arrete et se place devant moi pour me regarder dans les yeux.
-- Je l'aime...

-- Je sais ma cherie.

Elle s'eclipse et revient avec un homme d'une trentaine d'annees, cheveux


noirs mi-longs et rases sur un cote, yeux vert petant mis en valeur par un trait
d'eye-liner noir. Un anneau orne son nez.

-- Je te laisse entre les doigts de fee de Levi.

-- Alors, on rase tout ? s'exclame-t-il avec un sourire.

Le grognement etouffe qui s'echappe de ma bouche et mon air affole le


font exploser de rire. Diabolique, il fait claquer la paire de ciseaux dans sa
main, je sursaute et me renfrogne dans ma chaise.

-- T'inquiete pas, ca ne fera pas mal.

-- Jamie ?

-- Levi, ne la traumatise pas des le depart. Tu lui fais une coupe


asymetrique environ cinq centimetres plus longs a l'avant, compris ?

-- Oui patronne !

-- Et si Lou me dit que tu t'es amuse a lui faire peur, je te renvoie faire des
permanentes a des vieilles !

-- T'as vu comme elle est cruelle ?

Il m'envoie un clin d'oeil au travers du miroir et ajoute :

-- J'avais tres hate de travailler avec toi, Lou !

Je fronce les sourcils et baragouine un truc presque incomprehensible.

-- T'es bien l'un des seuls...


-- Mais non, on veut tous voir quand tu vas faire une scene et exploser tel
un feu d'artifice.

Je le jauge un moment alors qu'il hausse les sourcils avec un sourire


amuse, puis eclate de rire.

-- T'es vraiment tare comme mec, lache-je en riant a mon tour.

Il se met a papoter de tout et de rien en tournant autour de moi avec son


arme de torture. Lorsqu'il donne le premier coup de ciseau, mon coeur a un
rate.

-- Tu te doutes que c'est maintenant trop tard pour reculer, cherie !

-- Tais-toi et fais ton boulot.

-- C'est maintenant que tu vas faire une scene ?

Incapable de lui en vouloir, je lui fais mon plus beau sourire et lui montre
mon majeur.

-- Accroche-toi bien, les prochaines meches a tomber sont les pires. Tu


seras transformee.

Mes cheveux tombent sur le sol a une vitesse impressionnante. Cependant,


il a tort, plus il coupe et plus c'est facile. J'ai un peu l'impression de devenir
quelqu'un de nouveau. Une fois termine, il seche mes cheveux et les coiffe.
Ensuite, il applique sur mon visage fond de teint, mascara et crayon noir. Il
me tend des sous-vetements et la robe pour laquelle je suis tombee
amoureuse quand Jamie m'a montre la collection, celle avec le haut en
corsage noir, le bas est une jupe en mousseline de soie blanche. Tres legere.

-- Enfile ca et va rejoindre Jamie et Jarred.

Je souffle, soudainement inquiete de ce que va penser ce dernier de ma


nouvelle coupe de cheveux. Et comme si Levi sentait mon stress, il pose une
main sur mon epaule et dit :
-- T'es sublime !

-- Merci, murmure-je.

Il me laisse seule pour enfiler les vetements. Une fois la tache accomplie,
je me dirige vers le miroir et tourne sur moi-meme. Le rendu est magnifique,
j'ai presque l'impression d'etre une autre. Je touche le tissu aussi leger que le
vent et tourne de nouveau sur moi-meme.

-- Elle te va a ravir.

Une voix dans mon dos me fait sursauter, je me retourne et tombe nez a
nez avec une jeune femme belle a mourir, blonde platine avec des yeux noirs
brillant de vie. Je suis jalouse de sa beaute autant que de sa prestance.

-- Merci.

-- Alors, t'es une amie de Jarred ? lance-t-elle.

-- Ouais... et toi ?

-- Comme toi, une amie.

Comme moi ? Une amie a quel titre ? Je ne suis qu'une amie pour lui
maintenant. La conversation sur les ex de mon ex que j'ai eue avec Jamie me
revient en memoire. Je souffle, nerveuse de savoir cette femme d'une beaute a
couper le souffle pres de lui. Elle attrape une meche de mes cheveux entre
son pouce et son index et rigole.

-- Je ne savais pas que Jarred aimait les nanas avec une coupe a la
garconne.

Une coupe a la garconne ?! Elle se fout de moi la !?

-- Aux dernieres nouvelles, ce sont mes cheveux.

-- Lou ?
Je me retourne et apercois Levi qui me fait signe de le suivre. Soulagee de
quitter cette nana, je me dirige vers lui a grands pas. Une fois a ses cotes, il
me souffle a l'oreille :

-- La vipere ne t'a pas mordue, j'espere ?

-- C'est qui cette fille ?

-- Elle n'est personne, mais si tu tiens a savoir, ce n'est que la soeur de


Deeclan, le meilleur ami de Jarred, ou comme j'aime l'appeler, la sangsue.
Elle s'accroche aux basques de Jarred et impossible de s'en defaire.

Genial !

-- Elle en pince pour lui, non ?

-- Elle fait plus que ca, il est une veritable obsession pour elle, surtout
depuis qu'ils ont baise ensemble. Mefie-toi.

Je ne reponds pas et laisse Levi m'emmener a la table contenant des tonnes


de nourriture, muffins, croissants, viennoiseries, assiettes de fromage et
raisin. Tout ca me donne la nausee. Je lutte contre l'envie de tout envoyer
valdinguer a l'autre bout de la piece ou d'eclater la tete de quelqu'un contre un
mur.

-- T'as faim ? demande Jarred dans mon dos.

-- Non, ca va.

-- T'as coupe tes cheveux ?

-- Ouais... Tu aimes ou pas ? Car quelqu'un m'a dit que tu n'allais pas
aimer.

-- Qui t'a dit ca ?

Un rire cristallin et force emplit la piece, je tourne les yeux et m'apercois


qu'il provient de la soeur de Deeclan. Je ne peux me retenir de lever les yeux
au ciel, il comprend rapidement que ca vient de cette connasse.

-- C'est pas tes cheveux que j'aime, c'est toi.

Je secoue la tete, bien decidee a lui tirer les vers du nez sur sa relation avec
elle.

-- Y a quelque chose entre vous deux ?

Il me jauge un long moment, puis secoue la tete.

-- Alors ?

-- Non, il n'y a rien eu entre nous.

-- C'est marrant, car Levi se rappelle que vous avez passe de bons moments
ensemble. Tu devrais me dire la verite, ca nous aiderait...

-- Bon sang ! Je ne sais jamais comment tu vas reagir.

-- Peut-etre, mais ca aurait au moins le merite d'etre honnete de ta part.

Jamie s'avance vers nous et nous questionne du regard.

-- Ca va ? On peut commencer ? s'inquiete-t-elle.

-- Ouais, commencons, lance Jarred en se dirigeant vers son materiel.

Il vient de mettre fin si rapidement a la conversation que j'en perds le


souffle. Ca me donne l'impression de ne pas etre si importante que ca pour
lui. Jamie vient vers moi et pose sa main sur mon avant-bras.

-- Il m'a encore menti...

Elle ferme les yeux et les ouvre immediatement en soufflant.

-- Je vais finir par le tuer...


-- C'est pas si grave.

Je tente de lui sourire et vais prendre place devant l'appareil. Je me place


face a la toile blanche et pousse un soupir. Je dois prendre un moment pour
retrouver pied. Il y a si longtemps que je ne me suis pas retrouvee face a un
objectif. Ma machoire tremble sous l'effet grisant de l'adrenaline qui court
dans mes veines. Je me retourne et capte instantanement le regard de Jarred,
son appareil photo a la main, un sourire sur les levres ; il me rassure sans
avoir fait quoi que ce soit.

-- T'es prete Lou ?

-- Plus que jamais...

C'est faux, mais malgre les mensonges et ma peine, c'est son sourire qui
me fait du bien et je sais que grace a lui, la seance photos sera une reussite.
36
Lou
Tout le monde est parti, mis a part Jarred et moi. La seance photos s'est
relativement bien passee, c'etait bizarre de me faire guider par mon ancien
amant. J'ai pu faire la connaissance de Deeclan, l'homme avec qui je poserai
demain. Si sa soeur est magnifique, lui est sublime ; ils se ressemblent
beaucoup, cheveux blond platine et yeux noirs, un physique a en faire palir
plus d'un. Lorsqu'il a vu que je devais attendre Jarred, il a gentiment propose
de me ramener a la maison. J'ai decline en le remerciant, trop impatiente de
me retrouver seule avec son ami pour discuter de son nouveau mensonge.

Je me suis changee et me suis assise en tailleur sur le sol un peu en retrait


pour le regarder ranger son materiel. Il est beau, sublime meme, et pendant
quelques minutes, je reste subjuguee. L'air est humide et son t-shirt jaune des
Sex Pistols lui colle a la peau. Ses muscles se bandent chaque fois qu'il se
penche pour attraper un truc. Et je ne parle pas de ses fesses... Ce mec est
wow et rendrait n'importe quelle fille raide dingue de lui. Je laisse mon sac a
main par terre et me releve pour me diriger vers lui. Il tente d'enrouler la
grosse toile blanche qui a servi pour le shooting.

-- T'as besoin d'aide ? lui demande-je.

-- Ca va, merci, j'ai presque termine.

Je peine a detacher mon regard de lui, il a une telle prestance, il degage un


petit quelque chose que je n'arrive pas a cerner. Je sais que je devrais profiter
de cette accalmie entre nous pour discuter de choses plus legeres, mais je ne
peux me sortir de la tete le fait qu'il m'ait menti encore une fois. J'ai vraiment
l'impression que je me mets en colere pour rien, que ca n'a pas d'importance
et que ma maladie amplifie tout.

-- Tu m'as menti encore une fois.


-- Je sais... J'ai pas d'excuses.

Il se redresse, eteint une lampe puis s'avance vers moi, les yeux brillants.
Je deglutis difficilement et suis tentee de reculer d'un pas. Tetanisee, la gorge
soudainement seche et le coeur battant a tout rompre, je releve la tete vers lui.

-- Je ne sais plus comment agir avec toi, murmure-t-il.

Son souffle chaud sur ma joue me fait fremir, il prend mon visage en
coupe.

-- Fais comme tu as toujours fait et...

Il s'empare de ma bouche avant meme que je puisse terminer ma phrase. Sa


langue force la barriere de mes levres, il murmure mon nom et m'attrape par
les hanches pour me maintenir contre lui. Son bassin frotte contre le mien. Si
je me fie a son erection, ses intentions sont claires. Il a envie de moi. Je le
repousse doucement et tourne la tete.

-- Jarred, souffle-je.

-- J'en peux plus Lou, j'ai besoin de savoir que tu es a moi.

Je ris et me defais de sa poigne, lui grogne.

-- Depuis quand tu te la joues macho ?

-- Ca me rend fou tout ca !

-- Eh bien, sache que moi aussi. Tu me mens, tu me caches des choses...

-- Que veux-tu savoir ? Je vais tout te dire.

Son desespoir me touche, je dois prendre sur moi pour ne pas succomber a
son petit air triste. Je pose doucement mes mains a plat sur son torse pour le
maintenir eloigne.

-- Ce n'est pas le lieu ni le moment, et tu le sais. Les filles m'attendent a la


maison.

-- Quand ? Quand allons-nous pouvoir en parler ?

Je hausse les epaules et pars recuperer mon sac sur le sol.

-- J'aimerais aussi qu'on prenne le temps de discuter, mais je sais que si on


le fait ici et maintenant, ca prendra des heures. Je vais donc prendre un taxi
pour rentrer, mais tu sais, mes sentiments pour toi n'ont pas change,
seulement, la situation est un peu compliquee.

Je vois bien qu'il est decu, mais ca ne peut pas etre autrement entre nous.
Du moins, pas pour l'instant.

-- Mes soeurs sont ma priorite. Lorsque les choses se seront calmees, nous
pourrons envisager de reparler de nous.

-- Et d'ici la ?

-- On pourrait aller prendre un cafe, regarder un film. Tu pourrais me


parler de ton passe, moi du mien, on pourrait apprendre a se connaitre. Nous
n'avons pas eu le temps de nous decouvrir l'un l'autre.

-- Tu relativises beaucoup. Ca te va bien.

Son ton est borde de tristesse, mais il comprend mon point de vue.

-- Je n'ai pas le choix. Tant que ce n'etait que moi, ca allait, je pouvais
deraper, me foutre en l'air, mais je veux autre chose pour les filles.

Il s'avance vers moi et depose un baiser sur mon front. Du bout des doigts,
il caresse mes joues et chuchote d'une voix douce contre mon oreille :

-- Je vais faire tout ce que je peux pour te prouver que je ne suis pas un
minable.

-- Bon sang ! J'ai connu des centaines de mecs, et crois-moi, c'est pas ton
cas. Meme pas un petit peu.
-- Je... Je...

Il cherche ses mots puis detourne le regard. Ca me fait mal de decouvrir


cette partie vulnerable de lui.

-- Lou, j'ai peur de te perdre.

-- Ca n'arrivera pas... Tu as confiance en nous ?

-- C'est pas une question de confiance, tu le sais bien.

-- Alors c'est quoi ?

-- Je sais pas.

J'ai le pressentiment qu'il me ment. Il souffle avant de me tourner le dos. Je


fais quoi ? Je l'oblige a tout me dire ou bien je le laisse ruminer seul dans son
coin ?

-- Jarred, je...

Triste et decu, il reporte son attention sur son materiel qu'il range de facon
assez brusque pour passer ses nerfs. Je pose doucement ma main sur la
sienne, il cesse immediatement tout mouvement et visse son regard gris dans
le mien. Je fremis. Je tends l'autre main vers son visage et caresse sa joue.

-- Ca va tout changer ! Le temps change toujours tout, me dit Jarred.

-- Tu n'as donc pas confiance en nous !?

-- Pourquoi tu me parles de confiance sans arret ?

J'avance doucement mon visage vers le sien, mes levres cajolent sa joue
avant d'y deposer un baiser. Mes doigts se nouent aux siens, mes gestes sont
lents et j'ai l'impression que ma peau s'embrase.

-- Si tu m'aimes, tu dois croire en nous, moi, j'y arrive malgre tout.


-- Meme si je t'ai menti ?

-- Oui, malgre ma maladie, tes omissions, les jumelles, le shooting photo.


Malgre tout ! Que dois-je dire de plus pour te convaincre ?

Il hausse les epaules. Hein, c'est tout ? Non, mais il attend quoi ? Il fait
quoi la ? Il me repousse alors que j'essaie de le convaincre que nous deux
c'est du solide, je suis scotchee. Fachee, je me dirige d'un pas rapide vers la
porte, cependant, avant de la passer, je me retourne et l'apercois debout, les
bras ballants.

-- Lou, attends !

En quelques enjambees, il est pres de moi et pose sa main sur ma nuque


pour m'attirer contre lui. Je le laisse faire, j'ai autant besoin que lui de son
corps contre le mien.

-- Je m'excuse. J'ai l'impression que je vais te perdre.

-- Tu sais bien que c'est faux. Mais ne me mens plus, ne me cache plus
rien.

-- Je ne sais jamais comment tu vas reagir.

Je me hisse sur le bout des orteils et murmure a son oreille :

-- C'est le fait que je ne fasse pas de crise qui devrait t'inquieter.

Un doux rire s'echappe de ses levres, suivi d'un soupir. Sa main descend
dans le creux de mon dos, il me serre contre lui. Son odeur me monte aux
narines, mon corps se presse contre le sien. Je crochete mes bras autour de
son cou.

-- Tu sais ce que j'ai envie de te faire en ce moment ? demande-t-il.

-- T'es qu'un petit obsede.

Je lui donne une tape sur le bras en le repoussant, mais il rigole en


resserrant son etreinte autour de ma taille. La tete enfouie dans mes cheveux,
il hume mon parfum.

-- Je t'aime, ma vie sans toi serait un desastre.

Cette phrase murmuree est remplie de desespoir, d'envie et de regrets. Cet


aveu m'arrache un sourire, alors que mes mains viennent triturer le bas de son
t-shirt. Tout mon corps et mon esprit exultent, il m'aime, il m'aime vraiment.

-- Lou, ca me rend dingue cette situation.

-- Bienvenue dans la famille Dingo, rigole-je.

-- C'est pas drole.

Il me repousse, tourne les talons pour retrouver son materiel. D'une main,
je retire mes talons hauts et de l'autre, je pose mon sac par terre. Pieds nus et
d'un pas lent, je me dirige vers lui et m'arrete a quelques centimetres de son
corps. Je peux presque sentir sa chaleur irradier. J'appuie doucement mes
paumes au niveau de ses reins et l'etreins en passant mes bras de chaque cote
de son corps. Immobile comme une statue, il me laisse faire. Je fais alors
courir mes doigts sur son ventre.

-- T'as raison, c'est pas drole, murmure-je.

-- Je... Lou...

Ma main droite se faufile jusqu'a son sexe qui devient rapidement dur. Il
souffle fortement alors que je malaxe doucement sa queue au travers de son
jeans.

-- Tu sais que maintenant, tu ne peux plus partir et me laisser ainsi ?

Je laisse retomber ma tete contre son dos en riant.

-- Tu trouves ca marrant ?

Je devine qu'un sourire etire son visage. Je defais le bouton de son pantalon
et ouvre sa braguette.

-- Marrant, non, mais je compte bien te sucer comme personne ne l'a fait.

-- Tu n'effaceras pas mes doutes avec une pipe, Lou.

Sa phrase, son ton tranchant et son corps crispe me refroidissent


immediatement. Je lache sa queue et m'eloigne de lui. Je me sens blessee,
humiliee et incroyablement bete. Le revirement de situation me laisse
dubitative. Un instant ca va, l'autre non. Je ne sais plus sur quel pied danser.

-- Bon sang, Jarred ! m'ecrie-je. Tu crois vraiment que je pense qu'une


fellation peut remettre notre couple sur les rails ? Tu me prends vraiment
pour la derniere des salopes. Et puis c'est quoi ca ? Il y a quelques minutes, tu
me suppliais presque pour qu'on baise a meme le sol.

Il se retourne vers moi en remontant sa braguette.

-- Non, en fait je ne sais pas...

-- Co... Comment ?

-- Ce ne serait pas la premiere fois que tu compenses par le sexe quand ca


ne va pas dans ta vie...

Je vois rouge, puis noir, la colere me fait exploser. Je ne sais pas ce que je
lui hurle, mais en tout cas, je le gifle a lui en faire tourner la tete.

-- T'es qu'un con !

Ma colere se transforme rapidement en crise de larmes, il tend la main vers


moi, mais je recule si vivement que mes pieds cognent contre son materiel et
je tombe sur les fesses. Tetanisee par la douleur qui me parcourt la colonne
vertebrale, je remonte les genoux vers mon menton et enfouis ma tete entre
mes bras. C'est ainsi recroquevillee que je pleure toutes les larmes de mon
corps. J'aimerais pouvoir prendre mes jambes a mon cou, mais j'ai tellement
mal que je n'arrive plus a bouger.
Je sens la presence de Jarred pres de moi. Il se penche vers moi et s'assied
sur le sol a mes cotes.

-- Lou, je perds la tete, murmure-t-il.

Je n'arrive pas a prononcer la moindre parole. Je souffle, effrayee qu'il


puisse a nouveau me blesser. Son bras passe autour de mes epaules et il
m'attire contre lui.

-- Je ne sais pas pourquoi j'ai dit ca. J'ai l'impression de devoir sans cesse
etre parfait...

Je me laisse aller contre son torse, il m'etreint en resserrant ses bras autour
de moi avec force.

-- Je ne sais pas comment reagir, t'as vu mes faiblesses...

Je renifle bruyamment contre son t-shirt.

-- Pardonne-moi Lou...

Je suis incapable de reflechir, je ressens le besoin cruel de m'eloigner de lui


pour y voir plus clair. Je releve donc la tete et fixe mon regard dans le sien.

-- Je dois rentrer maintenant. J'aimerais voir les filles avant qu'elles aillent
dormir.

-- D'accord.

Il se releve et m'aide a me mettre sur pieds.

-- Je dois terminer de ranger le materiel...

Son regard pese sur moi pendant que je remets mes talons hauts. J'ai la
curieuse impression d'avoir perdu mon Jarred.

-- D'accord.
-- Je peux passer chez toi ensuite ? On pourrait discuter.

Je me contente de hocher la tete et de prendre mon sac a main pour me


diriger vers la sortie.

-- Lou ? Attends ! hurle-t-il avant que je franchisse la porte.

En une seconde, il est pres de moi et attrape mon visage entre ses mains.

-- Est-ce que tu me hais ?

Incapable de repondre, je secoue la tete.

-- Je suis con, j'ai ete mechant sans raison avec toi. J'ai si peur de te perdre.

-- M'insulter est une belle facon de me garder pres de toi, ironise-je.

-- Bon sang, bebe ! Je deraille completement.

-- J'ai envie d'etre un peu seule et de prendre un bain. Tu veux passer


quand tu auras termine ?

-- Oui.

-- Je t'aime Jarred, ca j'en suis persuadee, mais ne tarde pas trop a redevenir
le mec dont je suis tombee amoureuse.

Je pose la main sur la poignee pour sortir, mais il me retient une ultime
fois.

-- Je peux te demander un bisou ?

Me hissant sur la pointe des pieds, je depose un bref et rapide baiser sur le
bout de ses levres. Je ne sais pas si cela le satisfait, mais pour l'instant, c'est
tout ce que je suis en mesure de lui offrir. Je passe la porte rapidement et une
fois a l'exterieur, j'attrape mon telephone pour appeler un taxi.

Mon coeur bat a tout rompre dans ma poitrine, je fixe mon immeuble,
incapable d'y entrer. Ma petite vie peut-elle etre chamboulee par l'arrivee des
jumelles ? Si au studio j'ai tout fait pour ne pas y penser, etre confrontee a
cette realite me scie les jambes. Je me suis promis de faire tout mon possible
pour les sortir de cette merde que leur pere leur impose.

Allez, Lou, fais-le pour les filles... Ne pense pas, une fois a l'interieur, les
choses iront d'elles-memes.

Je souffle et penetre dans l'immeuble. Je ne vois pas le trajet en ascenseur,


moi qui d'habitude trouve qu'il est si lent. J'ouvre la porte de chez moi et
depose mon sac a main dans l'entree. J'enleve mes talons hauts qui me
meurtrissent les pieds et rejoins le salon. Ethan est etendu torse nu sur le
canape et regarde un film.

-- T'as pris tes aises, dis donc.

-- Alors comment s'est passee ta premiere journee ? Oh bon sang ! T'as


coupe tes cheveux.

-- Oui, j'aime bien ma nouvelle coupe, ca te plait ?

-- C'est different, mais t'es toujours magnifique. T'as l'air plus femme.

Je rigole en me laissant tomber sur le canape. Je plie mes jambes sous mes
fesses et m'assieds le plus loin possible de lui.

-- Ca, c'est du compliment. Les jumelles dorment ?

-- Ouais. Ca fait environ une heure.

-- Merci d'etre venu.

-- J'aime toujours autant passer du temps avec elles, et avec toi aussi, tu
sais.

Je reprime une grimace et me releve brusquement.

-- Je vais enfiler un pyjama et dormir, je suis epuisee.


-- Ca te pose un probleme si je termine le film avant de partir ?

-- Non, mais installe-toi sur la chaise, car le canape est mon lit.

-- J'ai un matelas gonflable chez moi, je te l'apporterai si tu veux.

Je lui souris et prends la direction de la salle de bain ou j'enfile un t-shirt


appartenant a Jarred et un short noir. Lorsque je reviens au salon, Ethan a fait
mon lit et s'est installe dans le gros fauteuil assorti au divan.

-- Merci, murmure-je.

-- Si t'as besoin que je les surveille encore demain, fais-moi signe. En fait,
je leur ai promis de les emmener a la plage bientot.

-- Demain je bosse encore, mais toi, tu ne travailles pas ?

-- Si, mais je prendrai un conge.

-- T'es pas oblige.

-- J'en ai envie.

-- Si tu insistes, d'accord.

Je me glisse sous les couvertures et tente de porter toute mon attention sur
le film, mais impossible de me concentrer. Mon cerveau est obnubile par le
comportement etrange de Jarred. Par chance, nous allons pouvoir en discuter
rapidement. Epuisee, je baille longuement et ferme les yeux. Il me suffit de
quelques secondes pour tomber dans un sommeil profond.
37
Lou
Lorsque j'ouvre enfin les yeux, le jour pointe deja le bout du nez. J'ignore
quelle heure il est et impossible de mettre la main sur mon telephone. Je me
laisse alors retomber mollement sur l'oreiller. Je ferme les paupieres et tente
de me rendormir, mais rien n'y fait, car une pensee me poursuit et ne fait que
ranimer ma colere.

Jarred.

Pourquoi n'est-il pas venu ici hier ? Il m'a oubliee ? Il etait fache ? Il n'en
avait plus envie ? Peut-etre a-t-il appele l'autre pouffiasse qu'il a deja baisee.

Bon sang ! Je deviens folle a me poser toutes ces questions.

Je repousse violemment la couverture et me redresse d'un bond.

Une douche ! J'ai besoin d'une douche. Ca me remettra les idees en place...

Je saute du divan et file, mais m'arrete net. Quelqu'un est endormi sur une
chaise. Immediatement, mon coeur s'emballe. Il est venu. Jarred est venu, il
m'aime, je lui manque, je suis ivre de joie. Pour peu, je danserais sur place. Je
m'avance pour lorgner cet homme que j'aime plus que tout dans ce monde
pourri et... Euh ? C'est Ethan... La, je ne comprends plus rien. Je me place a
cote de lui et lui donne une pichenette sur le bout du nez, il ouvre les yeux en
sursautant.

-- Lou ! Il est quelle heure ? grogne-t-il.

-- On s'en fout de l'heure, ce qui m'intrigue, c'est pourquoi tu dors dans ma


chaise ?
-- On se calme.

Me calmer ? Il est malade ? En ce moment, je pourrais le reduire en chair a


pate, ce petit con.

-- Je vais me doucher, annonce-je.

Je tourne les talons, mais il m'attrape par le poignet.

-- Lou, j'ai fait un truc de mal ?

Sa voix est empreinte de doutes et de tristesse et ca tue instantanement ma


fureur.

-- Je... Oui... En fait non, mais j'ai besoin de mon espace personnel. Je
squatte mon propre canape, et avec Jarred, ce n'est pas au beau fixe. J'ai
besoin de moments a moi.

-- Tu ne savais meme pas que j'etais la.

Son pouce caresse ma peau. J'en ai des frissons.

-- Je crois que c'est une bonne chose qu'il soit loin de toi.

-- Co... Comment ? bredouille-je.

-- Il t'eloignait de moi...

-- Ethan...

-- J'ai faim, annonce une voix dans mon dos.

Je me retourne pour voir Sunshine qui se frotte les yeux avec ses petits
poings fermes. Je me retourne vers mon ami qui se leve d'un bond, enfile son
t-shirt et s'avance vers ma petite soeur.

-- Je vais vous preparer un petit-dejeuner et ensuite on ira a la plage, t'en


penses quoi Sun ?
Ma frangine hoche la tete et suit mon ami vers la cuisine. Je reste la, les
bras ballants le long du corps avec l'impression d'etre incapable de m'occuper
des jumelles, d'etre perpetuellement a cote de la plaque. Ca m'enerve d'avoir
ete coupee dans ma conversation avec mon meilleur ami. Dorenavant, ce sera
ca ma vie, il me faut plus de stabilite, c'est une evidence.

J'attrape mon telephone sur la table basse et l'allume, decue de constater


que je n'ai aucun message de Jarred. Je fais rapidement defiler la liste de mes
contacts, tout en me glissant dans la salle de bain. Une fois la porte refermee
derriere moi, j'appuie sur le numero de mon psychiatre.

-- Bonjour, bureau du docteur Andrews.

-- Bonjour, Anita, c'est Louann Cassidy, et...

-- Louann, ca fait un moment ! Que puis-je faire pour toi ?

Je souffle, c'est difficile et j'ai peur qu'elle se moque de mon appel au


secours. Cependant, ce n'est pas comme si j'avais le choix, si ?

-- J'ai besoin d'un rendez-vous avec le docteur Andrews.

-- Oui, bien sur, vous allez bien ?

-- Pour l'instant, ca va, mais je perds pied peu a peu.

-- Demain, 09 heures, ca vous va ?

-- C'est parfait, je vais me liberer.

-- A demain, alors.

Cet appel n'enleve rien a mon stress et a mon sentiment de ne jamais etre a
la hauteur, mais au moins, je peux me reposer sur l'espoir que le docteur
Andrews mette des mots sur ce qui m'arrive. Peut-etre vais-je me sentir moins
folle.

Je m'assieds sur le rebord de la baignoire et compose le numero de Jarred.


Pourtant, ca ne fait qu'alimenter ma nervosite de passer ce coup de fil. Je
tombe sur sa boite vocale apres plusieurs sonneries.

<<< Bonjour ! Vous etes bien sur le repondeur de Jarred Dwyer, laissez
un message et je vous rappellerai. >>>

-- Coucou Jarred, c'est Lou, heumm, comme t'es pas passe hier soir, je me
demandais si je pouvais toujours compter sur toi pour m'emmener au studio
ce matin. Rappelle-moi.

Je pousse un soupir et pose mon telephone sur le comptoir. J'enleve un a un


mes vetements avant d'entrer dans la baignoire. Lorsque les jets d'eau tiede
touchent ma peau, je sursaute tant j'ai l'esprit ailleurs. Je reste un moment le
visage leve vers le pommeau, les yeux fermes. D'un geste las, je passe la
main dans mes cheveux que je lave avec une lenteur demesuree. Me trouver
entre Ethan et mes soeurs qui le venerent me fout les boules. J'ai toujours
peine a croire que notre amitie s'est degradee a ce point.

Une fois douchee, je m'enroule dans une serviette puis enfile mon peignoir.
Je sors de la piece et a peine ai-je franchi la porte que mon telephone sonne.
Je saute dessus, esperant un appel ou un message de Jarred. Un sourire se
dessine sur mes levres lorsque je vois son nom sur l'ecran. Rapidement, les
doigts tremblants, je consulte son texto.

* Desole, je suis occupe, peux-tu demander a Ethan de t'emmener ?

Je suis sonnee. Pourquoi m'ecrit-il au lieu de m'appeler ? J'ai besoin


d'entendre sa voix, car je panique completement. J'ai peur de le perdre, qu'il
ait compris que je n'etais pas quelqu'un de bien. Cependant, encore une fois,
je suis redirigee vers sa boite vocale.

-- Jarred, c'est encore moi. Je... Je... Rappelle-moi s'il te plait.

Enfoncant mon telephone dans la poche de mon peignoir, je me dirige vers


ma chambre pour m'habiller. Mes gestes sont mecaniques et je choisis mes
vetements un peu au hasard, un jeans bleu pale avec un haut blanc, puis un
coup de brosse dans mes cheveux. Avant de sortir de la chambre, je me
prends les pieds dans la valise ouverte d'une de mes soeurs. Elles sont la
depuis vingt-quatre heures et ont deja foutu le bordel. Je grogne tout en me
dirigeant vers la cuisine pour leur rappeler de ranger leurs affaires.

Ils discutent de tout et de rien, tandis que je prends place au bout de la


table. Ethan a prepare des oeufs et coupe quelques fruits. Je me demande ou
il a trouve tout ca. J'attrape un croissant et mords dedans en me versant une
tasse de cafe.

-- T'as vu Lou, heureusement que Jarred est alle faire des courses hier,
sinon on n'aurait pas pu prendre le petit-dejeuner, s'extasie Sloane.

Je lui souris. Depuis l'arrivee de Sunshine, elle semble aller mieux, elle a
retrouve sa moitie.

-- Oui, Jarred pense toujours a tout, mais je vous aurais emmenees au


restaurant.

-- La prochaine fois peut-etre ? propose Sloane.

Je me contente de sourire devant ses yeux remplis d'etoiles. Ethan rigole, je


me tourne vers lui et la facon dont il me regarde me perturbe. Il y a un
melange intense de desir et de colere.

-- Ca te derangerait de me conduire au studio ?

Je lui pose cette question pour chasser de ma tete ces pensees un peu
absurdes. Cependant, la grimace qu'il fait m'amene a penser que je ne suis pas
si loin de la verite.

-- Ton chevalier servant ne peut pas ? ricane-t-il.

-- Laisse tomber, je vais prendre un taxi.

D'un geste rapide, je bois une gorgee de cafe en me brulant la langue.


Etouffant un juron, je me leve pour balancer ma tasse dans l'evier. Les
jumelles sursautent et comme une enfant, je tourne le dos a Ethan. Je souffle
longuement avant de retourner a la table pour rassurer les filles.

-- Alors, avez-vous apporte vos maillots de bain ? leur demande-je.

-- Oui, repond calmement Sunshine.

-- Mais ils sont vieux et defraichis. Tu crois que tu pourrais nous preter un
des tiens ?

-- Euh non ! T'as treize ans, t'es pas en age de porter des bikinis !

-- Les filles a notre ecole en portent deja, replique Sloane.

-- Bah vous, vous etes mes petites soeurs et je ne veux pas que vous portiez
ce genre de chose, capiche ?

Sunshine se renfrogne et Sloane, quant a elle, tente de m'amadouer avec


ses beaux yeux. Je secoue la tete, plus amusee que decouragee par leurs
comportements. Je crois que Sloane n'a pas bien compris qu'un bikini
exhiberait ses marques aux yeux de tous. Bon sang, c'est deja difficile pour
moi de ne pas m'enfoncer la tete dans l'eau alors proteger les jumelles me
semble impossible.

-- Samedi nous irons faire les magasins, d'accord ?

-- Oui ! hurlent-elles a l'unisson.

-- Mais vous allez devoir y mettre du votre et ranger la chambre, faire la


vaisselle et balayer tous les jours.

-- Oh hein, faut pas croire que nous sommes tes esclaves, grogne Sloane.

-- Faut pas croire que je vous prete ma chambre pour rien.

-- Bon d'accord, mais tu nous achetes un bikini samedi.

Je suis tentee de refuser, mais ses yeux implorants me font hesiter, et puis,
il doit bien y avoir un truc pas si mal pour des ados de treize ans.
-- Je ne dis pas oui, mais on va voir ce qu'il y aura dans les boutiques.

Elles echangent des regards et des rires enthousiastes, jusqu'a ce que


j'ajoute :

-- Si vous manquez ne serait-ce qu'une seule journee de menage, il n'y aura


pas de shopping samedi.

Grognons, elles se levent pour mettre en marche le lave-vaisselle, toujours


en m'offrant des regards pour m'amadouer.

-- Bon sang, je suis en retard, meugle-je en regardant l'heure.

Je me leve d'un bond et cours vers la porte, apres avoir embrasse les filles.

-- Ca va si je vous laisse avec Ethan ?

-- Mais oui, t'en fais pas, replique Sloane.

-- Je vous aime les filles ! crie-je en attrapant mon sac a main.

Je cours dans le couloir pour rejoindre l'ascenseur avant qu'il ne descende.

-- Lou ? Attends, je vais t'emmener au boulot.

-- Non, ca va, reste surveiller les filles.

-- Elles ont treize ans, elles peuvent rester seules une petite heure.

Je pese le pour et le contre, mais il me pousse dans l'ascenseur et prend


place a cote de moi. Ce geste a le don de m'agacer, je me colle donc a la paroi
du fond en esperant qu'il reste eloigne.

-- Elles m'ont promis qu'elles seraient sages, sinon je ne les emmene pas a
la plage.

Je me contente de hocher la tete tandis que l'ascenseur nous amene


jusqu'en bas. Une fois dans la voiture, c'est toujours avec le meme silence que
le trajet jusqu'au studio se deroule. Je regarde defiler la ville en tentant de
faire taire toutes ces voix qui embrouillent mon cerveau. Une chose est sure,
il y a de l'eau dans le gaz entre Jarred et moi, et je ne comprends pas
pourquoi. Une autre chose dont je suis persuadee, c'est que le retour d'Ethan
dans ma vie me met a cran. Cependant, dans les deux cas, je ne comprends
pas pourquoi.

Ethan gare sa voiture devant le studio et se tourne vers moi avec un petit
sourire.

-- C'est bizarre entre nous, mais t'es ma meilleure amie et...

-- N'en dis pas plus, pour l'instant c'est tres bien comme ca.

Mon ton tranchant semble le peiner, je m'empresse donc d'ajouter :

-- Ecoute, je suis un peu pressee en ce moment, mais on en reparle bientot,


d'accord ?

-- Ca te dirait que je prepare le diner ce soir ?

-- Je t'appelle dans la journee, je ne sais pas quand je vais terminer.

-- Dis plutot que tu ne sais pas si lui va vouloir te voir.

-- Y a un peu de ca, reponds-je.

-- C'est n'importe quoi et tu le sais...

-- Ethan, t'aurais pu m'avoir n'importe quand, t'as jamais rien fait pour. Que
veux-tu que je fasse ? C'est lui que j'aime.

Sur ces mots, je sors de l'habitacle et fonce a l'interieur. Tout semble deja
pret. Jarred discute avec Deeclan et sa soeur ; la jalousie me vrille l'estomac,
mais ce sentiment est de courte duree, car Jamie vient vers moi.

-- T'es en retard et en plus, t'as une sale tete.


-- J'ai mal dormi. Je dors sur le canape pour laisser mon lit a mes soeurs
et...

-- Ou tu t'es amusee avec Ethan toute la nuit, crache Jarred en venant vers
moi.

Le rouge me monte aux joues, ses propos me genent autant qu'ils me


mettent en colere, meme si je ne comprends pas tres bien ou il veut en venir.

-- Vous reglerez vos problemes plus tard, tonne Jamie.

-- Je ne sais pas de quoi tu parles.

-- Ne me prends pas pour un con !

-- OK ! Allez dans la loge de Lou, je vous laisse cinq minutes avant


d'envoyer Levi te transformer, d'accord ?

Jarred m'attrape par le bras et m'entraine avec force dans la loge. Je tente
de me defaire de sa poigne, mais il est trop fort pour moi. Il claque la porte
derriere nous et me lache enfin. Je suis persuadee que s'il avait serre un peu
plus fort, j'aurais une ecchymose.

-- Que se passe-t-il ? demande-je.

-- Je suis passe hier, et...

Les pieces du puzzle s'imbriquent rapidement dans ma tete. Je n'en reviens


pas !

Pourquoi n'y ai-je pas pense plus tot ?

-- Et c'est Ethan qui t'a ouvert, c'est ca ?

Il se contente de croiser les bras sur son torse et me toise avec peine et
rage. Deux sentiments intenses auxquels je suis habituee, mais que je vois
rarement dans les yeux d'un autre, alors je ne sais pas trop comment reagir.
-- Il ne s'est rien passe avec Ethan...

-- Ne me prends pas pour un con, il m'a ouvert torse nu...

-- Bon sang, Jarred, tu m'enerves.

-- T'as jamais cache ton penchant pour ce mec !

Son ton accusateur me prend aux tripes. Je me retiens de tout mon etre
pour ne pas lui hurler dessus. Je souffle et leve les yeux vers lui.

-- T'es con comme pas permis. Je m'en tape de lui et nous n'avons pas baise
ensemble.

-- Que faisait-il chez toi a 01 heure 30 du matin ?

-- Je suis arrivee et il regardait un film, je me suis endormie sur le canape


presque immediatement.

Il detourne le regard, passe une main dans ses cheveux et inspire


longuement.

-- Je... Je n'avais pas pense a cette option.

-- Non, mais tu aurais du. J'ai bien des defauts, je suis peu folle, mais je
suis honnete, je ne t'ai jamais rien cache.

-- Lou, pardonne-moi.

Je secoue la tete, depitee par la facon dont il me percoit. Je me suis


toujours foutue de la maniere dont les autres me percoivent, mais que lui
puisse penser a mal de moi, ca me tue.

-- Pourquoi me penses-tu si mauvaise ? Pourquoi ta vision de moi a-t-elle


change ?

-- Je ne sais plus ce que je dois croire.


-- Moi ! Tu dois me croire, moi, et mes sentiments. Je sais que c'est bien
plus facile de croire que je suis la derniere des garces, mais toi, t'as pas le
droit de penser ca. Tout le monde, sauf toi.

-- Je t'aime Lou, ca me rend fou.

-- Tu te rappelles au debut, tu voulais qu'on priorise le travail, se voir en


tant qu'amis et apres ca, nous verrions si nous avons encore des sentiments
l'un pour l'autre ?

-- C'est vraiment ce que tu veux ? demande-t-il, d'une voix brisee.

-- J'en sais rien, mais c'est la seule solution que je vois pour le moment.

-- Ce soir, apres le boulot, je te ramene et on en parle, d'accord ?

La porte s'ouvre et Levi entre en annoncant sa presence.

-- Y a pas de casse ? Personne n'est mort ?

Si, mon coeur est eclate en million de morceaux.

-- Tu nous donnes encore une minute ? demande Jarred.

-- Jamie veut te voir immediatement, rencherit le coiffeur.

-- Nous deux, on va avoir une discussion ce soir.

-- Oui, patron.

Jarred tourne les talons et me laisse seule avec Levi qui, je l'espere, va
tellement parler que je n'aurai pas le temps de penser.
38
Lou
Levi m'a obligee a porter des talons aiguilles si hauts qu'ils defient le seuil
de gravite. Il m'a coiffee et maquillee a un point tel que je ne me reconnais
meme plus. J'ai revetu une nuisette beaucoup trop sexy au decollete en
dentelle noire avec de legeres bretelles en satin blanc tout. Je sors de la loge
rouge comme une tomate. Le regard des autres me gene et me donne la
curieuse impression d'etre une bete de foire. Jamie arrive pres de moi pour
verifier mes atouts en s'extasiant.

-- Ce sera la pub de parfum la plus sexy de toute l'histoire des pubs, piaille-
t-elle.

Je ne comprends pas pourquoi je dois etre en petite tenue pour ca. Je


grogne et tente de lui faire le sourire le plus ironique que j'ai en reserve.

-- Si j'y survis. Mes talons sont si hauts que je vais me fracturer quelque
chose si jamais je tombe.

-- Je ne te demande pas de courir un marathon, juste de poser et d'etre jolie,


ricane-t-elle.

Jarred s'avance vers moi et me detaille d'un oeil critique. Je lui lance une
oeillade mechante avant de lui demander :

-- T'as fini de me regarder comme si j'etais un morceau de viande ?

-- Ca ne te plait pas cette seance photos ?

-- Si, mais je suis pas super a l'aise ainsi vetue...

-- Alors, commencons le plus rapidement possible avant que cette jolie


dame ne se fasse detruire les pieds par ses horribles talons hauts...

Deeclan, l'homme avec qui je dois poser, s'avance vers nous d'un air
dramatique. Il tend la main et m'entraine sur le plateau.

-- Depuis quand on ne demande pas au photographe s'il est pret ? grogne


Jarred.

-- Allez, sois pas mauvais joueur, s'il ne se cree pas une alchimie entre eux,
les photos ne vaudront rien, replique a voix basse Jamie.

Je n'entends pas ce que Jarred lui repond, car Deeclan releve mon menton
et pose son regard dans le mien.

-- T'as entendu, on doit developper une alchimie, murmure-t-il.

Alors la, c'est pas gagne...

-- Ouais, alors on discute un peu avant de se foutre a poil...

Je tente une plaisanterie que je trouve nulle des l'instant ou elle franchit
mes levres.

-- J'ai rien contre le fait d'etre nu tout de suite, si c'est avec toi.

-- Remballe ta bonne volonte Deeclan, on se met au boulot, grogne Jarred.

-- Tu crois qu'il est jaloux ?

Mon partenaire me souffle a l'oreille cette question qui me fait fremir.


Jalousie ou pas, je n'ai pas l'intention de creer un sentiment de competition
avec son ami. Ce type manque de convenance et me refroidit.

Il n'est pas cense etre son meilleur pote ?!

-- OK, vous etes prets ?

Je me tourne vers Jarred qui tient son appareil dans une main et de l'autre,
il serre le poing. Je ne l'avais jamais vu ainsi et pour dire vrai, ca ne me plait
pas. J'ai comme la curieuse impression que ca ne se deroulera pas dans la joie
et la bonne humeur.

-- Je...

-- Lou, on n'a pas le temps de papoter. On se bouge...

Je me fige, incapable d'encaisser la durete de sa voix. La main de Deeclan


caresse mon bras et je tourne la tete vers lui. Mon regard entre en contact
avec le sien et me fait frissonner. Je ferme les yeux un instant, respire
profondement et tente de faire le vide dans ma tete. Soudainement, ma tenue
me met encore plus mal a l'aise, j'ai le regard de Jarred qui me foudroie et
Deeclan qui tente de m'entrainer du cote obscur de la force.

-- Laisse-toi aller, ce sera plus facile...

Mon partenaire murmure a mon oreille et Jarred aboie des ordres que je
n'entends pas vraiment. Un bourdonnement emplit mon crane. Chaque
endroit ou mes yeux se posent, les gens me regardent, stupefaits. Ils semblent
se demander ce que je fais la, pourquoi c'est moi qui ai eu le job. Moi aussi,
je me le demande...

Mon coeur bat la chamade et ma respiration se coupe. Une decharge


electrique me parcourt tout le corps lorsque Deeclan pose sa main au creux de
mes reins. Je m'eloigne de lui d'un mouvement brusque.

Fuir... Je dois fuir... Je ne peux plus rester ici... J'abandonne...

Je fonce comme une deratee sous le regard stupefait de tous, mais avant
que je n'aie le temps de quitter le plateau pour m'enfermer dans la loge, Jarred
me barre la route et j'entre en collision avec son torse. Apeuree, je leve la tete
vers lui.

-- Calme-toi Lou, murmure-t-il.

-- Je... Jarred...
Ma voix s'eraille, il pose doucement la main sur mon avant-bras et caresse
ma peau du bout des doigts.

-- Ca va. Je suis la.

-- Je... Il me touchait devant toi.

Je chuchote, esperant que lui seul m'ait entendue.

-- Alors, on le fait ce shooting ? J'ai pas toute la journee devant moi !


s'ecrie Deeclan.

-- Va prendre un cafe, mec, beugle Jarred.

-- Y a une heure qu'on est supposes avoir commence.

-- Va prendre un cafe, repete mon ancien amant avec fermete.

Je n'arrive pas a detacher mon regard du sien. Ses yeux gris me sondent et
pour une fois, je suis heureuse qu'il tente de lire en moi, peut-etre arrivera-t-il
a deviner mon mal-etre ?

-- T'as pas a paniquer, Lou. Je suis la, je suis tout pres.

-- Je... Ta voix... T'etais fache.

-- Je ne le suis plus...

Il leche ses levres et me sourit, sa main glisse dans la mienne et ses doigts
se nouent aux miens. Avec douceur, il m'entraine devant les cameras, les
lumieres m'aveuglent l'espace d'une seconde et je panique.

-- Lou, je vais te montrer ce que je veux, d'accord ? Ensuite, tu crois que tu


pourras le reproduire avec Deeclan ?

J'acquiesce et le laisse faire sans broncher. Il pose ses mains sur mes
hanches, me tourne vers la camera et se place derriere moi.
-- Jamie, Love is a Loosing Game.

Je ne comprends pas ou il veut en venir, mais la jeune femme se lance sur


l'ordinateur portable de Jarred et une musique retentit presque aussitot.
Langoureuse et sexy, je ne reconnais pas qui chante, mais la voix de la
chanteuse est chaude, rauque et incroyable.

-- Je...

-- Ne dis rien et coupe-toi du monde, ne pense qu'a moi.

Sa bouche contre mon oreille, il me susurre les paroles de la chanson et


m'excite. Instantanement, j'oublie tous les gens autour de nous, je me tourne
vers lui et pose ma main contre sa joue. La sienne descend le long de mon
dos et caresse mes fesses, je me cambre et rejette la tete en arriere, sa bouche
effleure ma gorge sans jamais deposer de baiser sur ma peau qui s'enflamme.
Un grognement etouffe m'etrangle presque.

Souvent, j'ai eu l'impression de n'etre qu'une bombe a retardement, et cet


instant ne fait pas exception a la regle, sauf que la, c'est mon corps qui risque
d'imploser. Son souffle chaud cree une chair de poule jusqu'a mon echine, je
ne controle plus rien. Les mains de Jarred se posent contre mes omoplates et
il me redresse, son regard gris acier devient plus sombre sous l'envie et le
desir. Ses levres effleurent les miennes et je ne peux me retenir d'essayer de
l'embrasser, mais il est plus rapide que moi et me contourne.

Son souffle est maintenant contre ma nuque, ses doigts s'enfoncent dans
mes cheveux et me tirent doucement vers l'arriere. Poussee par le desir, par
ses presque caresses qui me rendent folle, je me cambre, calant ma tete dans
le creux de son epaule. Sa main libre se pose sur mon ventre et m'attire contre
lui.

-- T'es la personne la plus sexy que je n'ai jamais vue, murmure-t-il contre
mon oreille.

Avant que je n'aie le temps de repondre, il me retourne et je me retrouve de


nouveau face a lui. J'ai l'impression de n'etre qu'un pantin entre ses mains et
ca m'excite.

-- Retire tes talons hauts, ordonne-t-il.

Empressee d'executer ses ordres, je balance mes escarpins a l'autre bout de


la piece. Jamais Jarred ne me lache, ses mains semblent maintenant etre
partout sur moi et ca me rend folle de ne pas avoir pu l'embrasser. Sans que
j'en aie conscience, il se glisse dans mon dos et pose ses mains sur mes
hanches. Nous bougeons lascivement sur le rythme sensuel de la musique. Je
releve la tete et lui baisse la sienne, nos bouches se trouvent a moins d'un
centimetre l'une de l'autre, mais c'est le regard qu'il m'adresse qui me
perturbe. J'y vois tout l'amour qu'il me porte, j'y vois sa peine, son mal, son
envie de me prendre ici...

-- C'est bon ! J'ai ce qu'il me faut, hurle Jamie.

Jamie... La seance photos... les autres... Bon sang ! C'est pire qu'une
douche glacee. Je parcours la piece des yeux et chaque fois que mon regard
entre en contact avec quelqu'un, je rougis.

-- T'as pas a avoir honte ma belle, t'etais superbe, s'ecrie Jamie en venant
vers nous.

-- Je... Je... La salle de bain...

Je fonce comme une deratee vers la salle de bain et m'y enferme. Je respire
avec difficulte et tente de mettre le verrou, mais je n'arrive a rien, car mes
doigts tremblent. J'abandonne et commence a faire les cent pas dans cet
espace confine. Les mains contre le mur au fond, je tente de calmer ma
respiration en inspirant et expirant. Lorsque je suis a peu pres calmee, je me
retourne pour me passer de l'eau sur le visage, mais suis stoppee dans mon
elan en voyant Jarred, le dos contre la porte.

-- Je...

Impossible de formuler une phrase coherente, son sourire en coin me laisse


croire que ca lui plait de constater l'etat dans lequel il m'a mise.
-- Tu vas survivre ?

J'avance vers lui, l'attrape par le t-shirt et me hisse sur la pointe des pieds
pour m'emparer de ses levres. Il ne me repousse pas et me laisse l'embrasser
avec une passion presque violente. Ses bras se referment autour de ma taille
et il me souleve en m'agrippant par les fesses. En deux pas, il me pose
doucement sur le lavabo et decolle ses levres des miennes.

-- On a du travail, tu sais ?

Je reponds par un grognement, alors qu'il s'empare a nouveau de ma


bouche. Mes jambes s'enroulent autour de ses hanches et je sens son erection
contre mon sexe. Ses mains s'emparent de mon visage et ses iris refletent des
emotions que je ne saisis pas.

-- Lou, je t'aime, je suis fou de toi. En fait, tu me rends fou tout court. J'en
peux plus. Je t'aime bebe...

Il pose son front contre le mien et soupire.

-- Je...

Il s'arrete, face a mon manque de reaction.

-- ...comprends que tu me hais...

Wow, rembobinons ! Comment on en est arrives la ? Comment peut-il


croire ca ?

-- J'ai merde, mais j'en ai marre de m'excuser et d'etre tenu a l'ecart.

Je ferme les yeux.

-- Jarred, lache-moi. Laisse-moi respirer un peu.

Ses bras retombent le long de son corps et il me tourne le dos. Il passe une
main nerveuse dans ses cheveux.
-- Comment peux-tu croire que je te hais ? murmure-je.

-- Lou, tu ne me touches plus, tu me repousses et passes tout ton temps


avec Ethan.

-- C'est faux, je veux que ca continue nous deux, tu le sais.

-- Tu ne comprends pas que je suis incapable d'etre ton ami en attendant


que...

Il arpente la petite piece de long en large.

-- J'etais mort de jalousie de savoir que Deeclan allait t'enlacer, pourquoi


crois-tu que j'ai reagi de la sorte ? J'ai eu envie de lui arracher la tete lorsque
je l'ai vu caresser ton bras.

Stoppant sa course, il fait volte-face et attrape mon visage en coupe.

-- Est-ce que tu m'aimes ? murmure-t-il.

Je pose mes mains sur les siennes et lui souris.

-- Jarred, je n'ai jamais aime personne comme je t'aime toi.

-- Arretons nos conneries et laisse-moi dire au monde entier que t'es a moi.

-- C'est pas un peu possessif tout ca ?

-- Si, mais depuis que je t'ai perdue, j'ai ce besoin de te posseder. J'ai envie
de ton corps, de tes crises de nerfs, de tes inquietudes, de ton rire et de la
facon dont tu hausses les sourcils lorsque tu as besoin de savoir si je suis
sincere. Je te veux, toi, Lou, et personne d'autre.

Je ne trouve plus mes mots, je hoche la tete sans pouvoir le lacher du


regard.

-- Ce soir, viens chez moi, ordonne-t-il. Les jumelles pourraient prendre la


chambre d'ami, et nous deux, on pourrait discuter. Lou, je ne suis pas pret a
t'abandonner, ni maintenant ni jamais.

-- Je... OK.

-- OK ? repete-t-il.

-- OK, disons au monde entier que nous sommes amoureux.

Aucune personne sensee ne resterait de marbre face a une telle declaration.


Ses mains lachent mon visage et se posent sur mes hanches, il me tire contre
lui et mon corps fremit. Quelqu'un cogne a la porte, nous tirant de nos
retrouvailles, mais Jarred ne bouge pas et pose de nouveau son front contre le
mien avant de murmurer :

-- Je t'aime ma Lou.

-- Moi aussi.

-- On va rattraper tout ca ce soir, mais la, on doit retourner bosser.

Jarred me lache et me tend la main pour m'aider a descendre. Ses doigts se


nouent aux miens et nous sortons de la salle de bain. Immediatement apres
etre sortis, Jamie s'avance vers nous, le regard inquiet.

-- On a un probleme, commence-t-elle.

-- Tu m'expliques ?

-- Deeclan, il ne veut plus poser pour nous.

-- Pourquoi donc ? demande Jarred en arquant un sourcil.

-- Parce que tu t'es foutu de lui !

-- C'est n'importe quoi, tonne mon... petit ami ?

-- Je vais vous laisser discuter entre vous, dis-je.


-- Tu peux rentrer chez toi, Lou.

-- Comment ? Je suis viree ?

-- Non, va te reposer, Jarred t'a legerement travaillee au corps. Nous allons


regler le probleme de Deeclan et nous nous reverrons demain.

-- Je dis ca comme ca, mais vous avez un autre mannequin homme sous la
main.

Je pose un baiser sur la joue de Jarred et file vers la loge pour me changer.
J'y trouve Levi en train de ranger son materiel, il leve la tete vers moi avec
une lueur d'amusement dans les yeux.

-- T'as fait des jalouses, tu sais, meme moi qui ne suis pas gay, j'aurais
voulu etre a ta place.

-- Vraiment, t'es pas gay ?

-- Non, mais c'est quoi ces stereotypes sur les coiffeurs ?

-- Non, ce n'est pas ca, c'est le trait d'eye-liner, et ta facon de... euh... laisse
tomber.

Il eclate de rire si fort que je sursaute.

-- Non, mais tu sais que tu es completement tare.

-- J'aime tellement faire ce genre de blague aux petites filles dans ton
genre.

-- <<< Aux petites filles dans mon genre >>> ? Tu ne sais donc pas qui je
suis.

-- Oh, mais si, j'ai meme parie avec Betsy que tu allais faire une scene dans
la premiere semaine, elle, elle croit que tu t'es assagie.

-- T'as parie quoi ?


-- 250 $ !

-- Si tu m'en donnes la moitie, j'en fais une demain.

-- T'es serieuse ?

-- Non, et toi t'es completement barge, rigole-je.

-- Tu veux que je te raccompagne ? demande-t-il.

-- Ouais pourquoi pas, sinon je dois prendre un taxi.

-- Change-toi et rejoins-moi a l'exterieur, je vais fumer.

Rapidement, je retire la nuisette et enfile mes vetements, j'attrape mon sac


a main et sors de la loge. J'apercois Jamie et Jarred en train de discuter, et ce
dernier ne semble pas d'accord avec ce qu'elle lui dit. Je m'avance
prudemment vers eux, mon petit ami se tourne vers moi et me sourit.

-- Levi va me raccompagner, annonce-je.

-- Je passe toujours vous prendre les jumelles et toi plus tard ?

-- Je l'espere, oui.

Il depose un baiser sur mes levres et je me dirige vers la porte.

-- Lou ? m'appelle Jamie. T'as assure avec Jarred.

-- Pour la seance ou pour le supporter ?

-- Les deux, bien sur.

Je rigole devant l'air ahuri de celui dont nous nous moquons et sors
retrouver Levi qui fume a cote d'une voiture sport rouge sang.

-- C'est a toi ?
-- Ouais miss ! T'es prete ?

J'acquiesce et me dirige vers la portiere qu'il m'ouvre. Une fois tous les
deux a l'interieur, je lui indique mon adresse et c'est en discutant de tout et de
rien que nous sillonnons les rues de Miami. J'ai la drole d'impression que je
viens de me faire un tres bon ami. Ca me fait sourire car je ne suis pas du
genre a m'attacher facilement aux autres.
39
Jarred
Lou quitte le studio, plus belle que jamais, les joues rougies. J'aimerais lui
courir apres, l'attirer dans mes bras, plonger mon regard dans le sien et y lire
tout l'amour qu'elle me porte. Jamie me ramene a la realite en un claquement
de doigts.

-- Jarred, je sais que t'es heureux de l'avoir retrouvee, mais j'ai besoin que
tu restes avec moi. Deeclan peut nous coller un proces. Nous devons
absolument trouver une solution.

-- Qu'il aille se faire voir ! C'est lui qui est parti. Nous ne l'avons pas mis a
la porte a ce que je sache, alors il peut bien s'etouffer avec son proces.

-- Cette collection est importante et tu dois t'investir autant que moi. Je sais
que Lou a beaucoup de place dans ta vie. Je dois avouer que c'est une nana
geniale, mais c'est difficile de gerer tout l'air qu'elle deplace, si je peux me
permettre.

Je n'aime pas la tournure que prend la conversation. Je me mords l'interieur


de la joue pour ne pas l'incendier. Je dois respirer longuement avant d'etre en
mesure de repondre sans etre condescendant.

-- Jamie, je l'aime et nous l'avons choisie pour une bonne raison. Regarde
ses photos, ne viens pas me dire qu'elles ne sont pas sublimes. Tu etais aussi
persuadee que moi qu'elle etait le bon choix.

Je tourne vers elle l'ordinateur portable et l'oblige a regarder les cliches que
nous avons pris. Elle inspire longuement et ferme les yeux quelques
secondes. Je connais suffisamment Jamie pour savoir que ce n'est pas de la
mechancete, non, elle a peur pour la collection. Nous avons passe tellement
d'heures sur ce projet que c'est presque impossible de les compter.
-- Oui, je te le concede, mais j'ai peur que le projet finisse par capoter.

-- Je vais poser comme mannequin et j'aiderai Lou a ne pas deraper, lache-


je.

-- Jarred, je ne sais pas si c'est une bonne idee, tu es trop implique et... vous
deux... ca degenere tellement rapidement...

-- J'essaie de sauver la situation du mieux possible, mais dis-moi ce que tu


as en tete et je vais me plier a tes choix...

Elle s'assied sur la chaise devant l'ordinateur et fait defiler les photos de
Lou en les etudiant d'un oeil critique. Discretement, je jette un coup d'oeil
par-dessus son epaule ; cette proximite, ce desir qui emane de ces cliches est
presque sexuel, mais elle ne peut nier qu'elles sont sublimes et feront fureur.
Elle inspire puis leve les yeux vers moi.

-- Vous avez une alchimie magnifique, je l'admets. Y a juste une chose qui
me chiffonne...

Laissant sa phrase en suspens, elle reporte son attention sur l'une des
photos. Lou est devant, moi derriere, nos regards sont soudes. On peut y lire
tout le desir qui nous habite, mais aussi l'amour.

-- Quoi donc ? me decide-je a demander.

-- Qui sera le photographe ?

-- Toi !

-- Non ! Je n'ai pas ton talent, Jarred. Engageons quelqu'un d'autre.

-- Jamie, tes cadrages sont parfaits. Ce serait une perte d'argent d'engager
quelqu'un pour un job que l'on peut faire nous-memes.

-- N'utilise pas mes mots contre moi, grogne-t-elle.

-- Je vais te montrer le b.a.-ba de la photo. Si j'ai pu l'enseigner a Sidney, je


devrais y arriver avec toi.

Sans me lacher du regard, elle fremit. Je sais qu'elle se sent coupable de ce


qui s'est passe entre sa mere, Lou et moi, mais personne n'est a blamer. Si je
lui avais tout avoue des le depart, nous n'en serions pas la.

-- On n'en a pas encore parle, mais comment Lou reagit face a ca ?

Je hausse les epaules, j'en ai aucune idee. Elle est l'etre le plus enigmatique
de cette planete.

-- Je sais pas, je crois qu'elle le prend plutot bien compte tenu de tout ce
qui se passe dans sa vie, et du fait que je lui ai cache une partie importante de
la mienne, mais je l'aime et je sais qu'elle aussi.

J'essaie de convaincre qui la ? Jamie ou moi... ?

-- Peut-etre que c'est la raison pour laquelle elle reagit si bien, vous etes
faits pour etre ensemble.

-- J'en sais rien, mais elle ne fonctionne pas comme les autres filles et en ce
moment, je ne l'ai jamais sentie si forte. J'ai l'impression de me trouver face a
un roc, tandis que moi, je m'ecroule.

Elle pose une main sur mon bras et me sourit.

-- T'as pas besoin d'etre toujours aussi fort, t'as le droit d'avoir des
faiblesses. Et tu sais, Lou, ce n'est pas Sidney. Elle a un truc que ma soeur
n'avait pas.

Ai-je vraiment envie de savoir ? Non ! Cependant, je vais me garder de le


lui dire. Parler de Sidney ravive toujours une douleur en moi que je ne peux
controler.

-- Quoi donc ? finis-je par demander.

-- Lou a envie de vivre et elle va se battre pour y parvenir. Sidney avait


depuis longtemps abandonne, et ca, ce n'est pas de ta faute.
-- Facile a dire.

-- Ouais t'as raison, et moi, je dois retourner chez moi regler mon divorce
et aussi verifier qu'Anton ne jette pas toutes mes affaires dans la piscine ou
qu'il ne mette le feu a la baraque.

-- Ca se passe toujours aussi mal, votre di... vous deux ?

-- Ouais tu peux le dire, notre divorce, et ouais ca ne se passe pas tres bien.
Il ne prend pas la chose de gaite de coeur.

-- T'as besoin que j'aille lui rendre une petite visite ? demande-je.

Elle eclate de rire et se leve pour recuperer son sac a main.

-- Pourquoi tu te fous de moi la ?

-- Je ne me fous pas de toi, c'est juste que de nous deux, c'est toujours moi
qui te viens en aide, mais la, c'est le contraire, c'est toi qui tentes de jouer les
gros bras pour moi.

-- T'es bete, t'es ma meilleure amie...

-- Ouais et je suis capable de faire face a Anton, mais merci de me soutenir


dans cette epreuve.

-- Comme si j'allais te laisser vivre ca toute seule !

-- Allez, va retrouver Lou, passez un moment agreable ensemble.

-- T'as envie de venir diner avec nous ?

-- Je ne voudrais pas vous deranger.

-- Nous ne serons pas seuls, les jumelles seront la.

Un sourire illumine son visage et elle hoche la tete.


-- D'accord, a 19 heures chez toi ?

-- C'est parfait.

-- Ce sont ces photos qu'on prendra pour la pub de parfum.

Sans dire un mot de plus, elle sort du studio d'un pas rapide, me laissant
seul devant l'ordinateur. J'ai a peine eu le temps de regarder les cliches de
Lou et moi. Je les fais defiler tranquillement, analysant le moindre de nos
gestes, la position de nos corps. Lou est magnifique, et moi j'ai l'air d'un
pequenaud avec mon t-shirt des Sex Pistols et mon jeans troue.

La Belle et la Bete quoi !

Soudain, je doute : pourquoi nous lancons nous la-dedans ? Pour moi, ca


n'evoque rien d'autre que la difference entre Lou et moi. Elle, si belle et
sophistiquee, tandis que moi, j'ai l'air de monsieur Tout-le-Monde accoutre de
la sorte. Ces photos seraient parfaites pour une pub de parfum pour homme,
et non l'inverse.

Est-ce que je viens d'avoir une idee de genie ? Wow ! Je crois bien que oui.

J'attrape mon telephone dans la poche de mon jeans et envoie un mail a


Jamie pour lui expliquer mon idee completement folle. Encore un projet de
plus. Nous allons faire un parfum pour homme. Je suis persuade que ca peut
fonctionner.

La photo sur l'ecran de l'ordinateur est si intense que je dois la montrer


immediatement a Lou, aussi je l'imprime pendant que je range mon materiel.
Le bruit d'une porte qui s'ouvre avec fracas me fait relever la tete, je me
retourne pour apercevoir Deeclan qui vient vers moi, le visage tordu par la
colere.

-- Deeclan ! Je voulais t'appeler justement.

-- Ah ouais ! Et tu voulais quoi ?


-- Te parler de ce qui s'est passe tout a l'heure. Je voulais seulement aider
Lou et lui montrer ce que j'attendais d'elle. Jamie s'est emballee en prenant
des photos.

-- T'as volontairement pris ma place, mec, mais ce n'est pas de ca dont je


viens te parler.

-- Ah non ? demande-je surpris.

-- Ma soeur ! T'es un beau salaud, toi !

-- Wow mec, t'as mis un moment pour reagir, mais tu savais qui s'etait
passe un truc entre Elie et moi, une fois...

-- Ne me prends pas pour un con, tu la laisses miroiter avec des <<< peut-
etre >>> et ensuite tu fais ce numero-la avec ta petite psychopathe cinglee.

Il me faut plusieurs secondes pour assimiler ce qu'il vient de me dire. Avec


difficulte, je fais abstraction du fait qu'il vient de traiter Lou de <<<
psychopathe cinglee >>>.

-- Qu'est-ce que tu me reproches au juste ?

-- De l'avoir laissee esperer que vous pourriez avoir un avenir.

-- Deeclan, je ne sais pas ce qu'elle t'a dit ou ce qu'elle a pu s'imaginer,


mais il n'y a jamais eu de <<< nous deux >>> avec Elie.

-- Ne me prends pas pour un con, Jarred. Tu te la tapes depuis un bon


moment. Reviens sur terre, mec, t'es pas un dieu non plus !

J'accuse le coup et pose mon appareil sur la table pour m'avancer vers lui.
Il reagit au quart de tour.

-- Tu essaies de m'intimider ? J'ai jamais eu peur de toi !

Si je tenais vraiment a l'intimider, je m'y prendrais autrement, ce mec est


plus baraque que moi et legerement impulsif.
-- Ecoute bien Deeclan, t'es mon pote, mais va pas croire que je vais te
laisser dire des trucs comme ca. Ta soeur, je ne lui ai rien promis, c'etait
qu'une nuit, pour le reste, si elle s'est fait des idees, je n'y peux rien...

Avant que je n'aie le temps de terminer ma phrase, son poing vient percuter
ma machoire. Aussitot, une douleur vive se diffuse jusqu'a mon oreille
gauche. Par reflexe, je pose mes mains sur son torse pour le repousser.

-- Non, mais t'es malade ou quoi ?! hurle-je.

-- Ne t'approche plus d'Elie ! Ne mets plus jamais la faute sur elle ! Tu


connaissais ses sentiments pour toi et t'en as abuse ! T'es qu'un connard !

-- Vraiment !? Va te faire voir Deeclan. Ta soeur s'est fait des putains de


films.

-- Et hier ?

-- Quoi hier ? Je ne te suis plus la.

-- T'as pas baise avec elle dans la loge ?

-- Bon sang, mec, tu ne crois pas que j'ai assez de problemes avec Lou
comme ca ?! Pas besoin d'ajouter ta soeur par-dessus le marche.

Il semble reflechir pendant quelques secondes, je choisis ce moment pour


ajouter :

-- Tu connais ta frangine, non ? Tu me connais tout autant. J'ai pas baise


Elie, si tu ne me crois pas, verifie les videos de surveillance. Nous n'avons
pas ete seuls apres que tout le monde soit parti.

-- Putain de merde ! Quelle conne ! grogne Deeclan.

-- Ton job, tu peux le reprendre quand tu veux. Jouer au mannequin, tres


peu pour moi. Cependant, la pub de parfum sera tournee par Lou et moi.

-- Je... Ouais...
-- Alors, tu restes ?

-- Ouais.

Il tourne les talons pour se diriger vers la sortie.

-- Hey Deeclan ?

Il s'arrete et se tourne vers moi, attendant que je poursuive.

-- Tu ne parles plus jamais de Lou comme ca, sinon je t'eclate la gueule.

-- Tu fais pas le poids contre moi, mec, rigole-t-il.

-- Me cherche pas, tu y laisserais des plumes.

Il rigole en sortant du studio. Je porte mes doigts a ma machoire et etouffe


un juron. Ce petit con ne m'a pas loupe. J'attrape mon telephone sur la table a
cote de l'ordinateur et compose le numero d'Elie qui repond presque
immediatement en minaudant.

-- Hello mon beau !

Je roule des yeux et respire profondement.

-- Alors comme ca t'envoies Deeclan me casser la gueule ?!

-- Je ne lui ai pas demande ca, et...

-- Elie, je ne sais pas ce qui se passe dans ta petite tete, mais il n'y aura rien
entre nous. Je suis amoureux de Lou, et ca, tu ne pourras jamais le changer.

-- T'es con, cette nana est nevrosee...

-- Ah oui, eh bien sache qu'a partir de maintenant, ta presence n'est plus


toleree au studio...

-- Jarred !!!
Elle geint, mais je ne lui laisse pas le temps de me supplier et mets fin a
l'appel. Nerveux, je passe ma main dans mes cheveux, je dois prevenir Lou,
ne plus lui mentir et ne plus rien lui cacher. Je compose son numero et c'est
une petite voix chantante qui me repond.

-- Oui ?

-- Allo, je suis bien sur le telephone de Louann ?

-- Louann ? glousse mon interlocutrice. Plus personne ne l'appelle ainsi...

-- C'est Sloane ?

-- Oui c'est moi ! Tu veux parler a ma soeur ?

-- Oui, elle est disponible ?

-- Attends, je vais voir, elle se disputait avec Ethan, il y a quelques


minutes.

-- Tu sais pourquoi ?

-- Je sais pas, elle m'a dit que c'etaient des histoires d'adultes, mais je ne
suis pas idiote, je sais comment ca fonctionne.

-- Ah ouais ? Et ca fonctionne comment ?

Cette petite fille est marrante et je me retiens pour ne pas rire.

-- Ce sera a celui qui impressionnera le plus Lou. Mais je pense que t'as tes
chances !

-- D'accord ma belle, je te remercie.

-- Sloane ? Tu parles a qui ? s'ecrie la voix de Lou.

-- A ton amoureux, rigole l'adolescente.


Je les entends se disputer gentiment et Lou grogne lorsqu'elle porte le
telephone a son oreille. Cette fois, je ne peux me retenir et explose de rire.

-- Pas facile de s'occuper d'adolescentes, hein ?

-- Je ne te le fais pas dire. Nous sommes pretes, annonce-t-elle


joyeusement.

-- Super, je pars du studio a l'instant.

-- Alors pourquoi tu m'appelles ? T'as envie que l'on se fasse un sexphone ?


chuchote-t-elle.

-- Tout a l'heure, t'etais au bord de l'implosion, alors imagine ce qu'il se


passerait si je te disais que j'ai envie de glisser ma langue sur ton clitoris...

-- OK ! Tais-toi idiot et dis-moi la raison de ton appel.

-- Deeclan est passe tout a l'heure et il m'a frappe.

-- Oh my God !{6} Pourquoi ? Tu vas bien ?

-- A cause de sa soeur Elie. Elle a pleure dans ses bras comme quoi je lui
aurais fait de fausses promesses et quand elle nous a vus ensemble, elle a pete
un cable. Deeclan est venu me remettre les pendules a l'heure et ma machoire
en a pris un coup.

-- Tu vas bien ?

-- Ouais, t'en fais pas. Ca te pose un probleme si Jamie vient diner avec
nous ?

-- Pas du tout.

-- Elle est en instance de divorce et...

-- Jarred, pas besoin d'explications, ca ne me derange pas. Maintenant,


viens ici, je suis morte de faim.
-- J'arrive, j'arrive, ricane-je.

-- Fais attention sur la route, et je t'aime.

-- Moi aussi, murmure-je la voix emplie d'emotion.

Je raccroche, attrape la photo et me dirige vers la sortie en prenant soin de


verrouiller derriere moi.
40
Lou
Des moments comme celui-ci, je n'en ai connu que tres peu dans ma vie.
Ceux ou l'on a l'impression de former une vraie famille, d'etre normaux.
Nous sommes tous les cinq attables, Jarred a ma droite, les jumelles devant
nous et Jamie entre Sloane et mon petit ami. Par contre, je ne dirais pas que
ce que nous mangeons est de la grande gastronomie, loin de la, nous avons
fait livrer des pizzas et nous gavons de sodas. Les conversations sont legeres,
c'est la premiere fois que je me sens reellement apaisee depuis des jours.

Je ne peux m'empecher de sourire en pensant qu'enfin, les jumelles


semblent se sentir chez elles. Meme si au depart Sunshine ne semblait pas
vouloir se joindre a nous, elle s'est finalement detendue. Je crois surtout
qu'elle avait un parti pris pour Ethan, mon ancien meilleur ami, qui ne prend
pas tres bien le fait d'etre relaye au second plan dans ma vie.

En arrivant chez moi tout a l'heure, j'etais horrifiee de constater a quel


point il a, encore une fois, pris ses aises. Ca m'a foutue en colere et les
jumelles se sont refugiees dans ma chambre au pas de course pour ne pas voir
la tempete eclater. J'avais l'impression que peu importe ce que je disais, il ne
comprenait pas ou plutot, il ne voulait pas comprendre. C'est facile de faire
l'autruche. Exasperee, j'ai fini par lui demander de partir et il s'est contente de
me repondre que je devais me trouver un autre baby-sitter.

-- Lou, t'es avec nous ? demande Jarred.

-- Ouais, j'etais dans la lune. Vous disiez quoi ?

-- Que tu peux emmener les filles au studio, elles ont promis d'etre sages,
m'explique Jamie.

Je regarde Jarred pour obtenir son approbation, un sourire amuse se


dessine sur ses levres.

-- Allez, laisse-les venir, elles en meurent d'envie.

-- Bon d'accord ! Cependant, je ne veux pas avoir a vous dire de vous


calmer ou d'etre sages, capiche ?

Sloane leve les yeux au ciel et ajoute en rigolant :

-- Tu dis toujours ca...

Je regarde Sunshine, qui ne pipe pas mot et se leve de table pour rejoindre
la terrasse par la porte vitree. Je regarde ma soeur qui se leve pour la suivre,
mais lui intime de se rasseoir.

-- Attends, qu'est-ce qui se passe ?

-- C'est difficile pour elle, ne lui en veux pas. Je vais aller voir ce qu'elle a.

-- Reste la et mange le dessert apporte par Jamie.

-- Tu viens m'aider Sloane ? demande cette derniere.

Je lui souris pour la remercier et file rejoindre ma frangine sur la terrasse.


La cour arriere est plutot grande, je marche le long d'une petite allee en pierre
et la trouve assise dans l'herbe, le dos appuye contre le tronc d'un arbre. Je
prends place a ses cotes et pendant un long moment, aucune de nous deux ne
parle. Apres plusieurs minutes, elle pose sa tete sur mon epaule et pleure.
J'attrape sa main dans la mienne pour tenter de la rassurer.

-- Sunshine, je peux te poser une question ?

Hochant la tete, elle soupire pour m'intimer de continuer.

-- Ce n'est pas Sloane, n'est-ce pas ? C'est toi qui as subi ca ?

Ses pleurs redoublent et son petit corps est secoue de spasmes. Passant un
bras autour de ses epaules, je l'attire contre moi pour qu'elle se laisse aller.
Lorsqu'elle releve la tete, j'essuie ses larmes avec mes pouces.

-- Pourquoi Sloane ne m'a pas dit la verite ?

-- J'avais peur de partir seule de la maison, elle m'a promis que vous
reviendriez me chercher.

-- Je suis la maintenant. N'aie plus peur mon bebe.

-- Tu n'etais pas la ! Tu ne sais pas...

Elle me crache injustement ces paroles au visage. Je tressaille et expulse


l'air de mes poumons pour ne pas lui hurler dessus.

-- Sloane ne t'a rien dit ? demande-je le plus calmement possible.

-- Si, elle me l'a dit, mais je t'en veux, t'etais pas la...

-- Bebe, c'est vrai, je n'etais pas la pour te proteger, mais ne m'en veux pas,
je ne savais pas comment gerer cette merde.

-- Je le deteste, grogne-t-elle.

-- Moi aussi... Dis-moi ce que je peux faire pour t'aider, Sun.

Je souffle, incapable de supporter une minute de plus son air decourage.

-- Est-ce qu'on pourra rester avec toi ? Tu sais, pour toujours ?

-- Je te promets que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour ca.

Elle se blottit contre moi et nous restons un moment ainsi, bercees par le
silence et le bruissement des feuillages agites par la brise. Nous avons vecu la
meme merde et etre l'une contre l'autre apaise nos souffrances, quelque part.

-- Tu sais ce qu'on devrait faire pour etre certaines que ca ne se produise


plus jamais ?
-- Je ne veux pas en parler...

-- Je comprends, mais ca t'apaiserait. Je ne te force pas, mais si tu n'en


parles pas, il y a des chances que l'on vous oblige a retourner vivre a
Sarasota.

-- J'ai peur ! Je ne veux pas que tout le monde sache...

-- Je sais, moi aussi, mais je vais aussi apporter mon temoignage sur ce qui
m'est arrive. Il doit payer pour ce qu'il nous a fait.

-- Tu vas etre la, hein ?

-- Oui. Voila ce qu'on va faire, demain, je commence le boulot vers 15


heures, alors on va se rendre au commissariat apres mon rendez-vous avec
mon psychiatre, ca te va ?

Sunshine leve ses grands yeux verts vers moi, ils sont remplis
d'incomprehension.

-- Tu vois un psychiatre ?

-- Ouais, depuis peu en fait. Il est doue et c'est le seul qui ait survecu.

-- Comment ca ?

-- J'avais beaucoup de colere en moi avant et je refusais de parler de mon


passe. En fait, je n'en ai pas encore parle avec lui...

-- Tu vas le faire maintenant ?

-- Oui, et tu sais pourquoi ?

Elle secoue la tete et ses longs cheveux auburn volent dans tous les sens. Je
pose un baiser sur son front avant de poursuivre :

-- Parce que tu me donnes envie d'etre plus forte.


Sunshine se presse tout contre moi. Puis, j'apercois Jarred sortir de la
maison pour venir vers nous.

-- Alors c'est ici que vous vous planquiez.

-- On papotait un peu, lance-je en lui souriant.

-- T'as envie d'un morceau de gateau au chocolat, Sunshine ? Promis, ce


n'est pas moi qui l'ai fait !

-- Alors la, oui !

-- Jamie t'attend a la cuisine, tu peux lui dire qu'elle me prepare un grand


verre de lait ?

Ma petite soeur se leve et file vers la cuisine. Jarred prend place a mes
cotes, nouant ses doigts aux miens. Je pose ma tete contre son epaule et
inspire son parfum reconfortant.

-- C'est Sunshine...

-- J'avais un doute depuis la premiere fois que je l'ai vue, avoue-t-il.

-- Hein ?

-- Sloane est pleine de vie, elle te taquine sans arret, Sunshine est plus
renfermee. Et la tristesse dans ses yeux ne trompe personne.

-- J'aurais du le voir avant...

-- Je crois que tu esperais tellement que Sunshine soit a l'abri de tout ca que
tu refusais de voir la verite en face.

Bon sang, ce mec est... est...

-- T'es genial, Jarred.

-- Que me vaut l'honneur de ce compliment ? ironise-t-il.


-- Oh ! On ne peut meme plus dire a quelqu'un qu'il est genial ?

Sans prevenir, il me souleve comme si je ne pesais rien du tout. Il m'assied


sur ses cuisses, j'enroule mes bras autour de son cou. Je l'attire contre moi et
presse mes seins contre son torse.

-- Tu peux me dire ce que tu fais...

Taquine, je me penche vers lui et murmure a son oreille :

-- Donc, je peux te dire que j'ai envie de passer ma langue sur ta queue ?

-- Ouais, tu peux, grogne-t-il d'une voix rauque.

Mon index descend sur son torse et va tapoter son sexe dans son jeans qui,
rapidement, devient dur. Ses bras noues autour de ma taille resserrent leur
etreinte pour me presser toujours plus contre lui.

-- Hey ? Vous voulez du gateau ? s'ecrie Jamie depuis la terrasse.

-- Bon sang ! Elle me casse les couilles la !

J'explose de rire tandis que Jarred lui hurle dessus. Elle retourne a
l'interieur et ni mon amant ni moi ne bougeons, continuant de nous observer.
Ses doigts s'enfoncent dans mes cheveux, qu'il caresse doucement. Sa bouche
s'empare de la mienne et nous nous embrassons avec tellement de passion
que j'ai du mal a canaliser mon desir. Encore une fois, il ajoute a mon
supplice en me repoussant, chose qui me fait grogner de mecontentement.

-- Tu m'as chauffee toute la journee, et la encore !

-- Je sais que tu me veux, mais ca devra attendre ce soir.

-- Mais nous sommes le soir !

-- Tes soeurs pourraient nous voir.

-- Elles seraient traumatisees par tes grosses fesses poilues.


-- Attends un peu, toi ! Mon cul n'est ni gros ni poilu.

Je me leve brusquement, le sourire aux levres, et cours a travers l'herbe


verte et parfaitement tondue, mais Jarred est plus rapide que moi et me
rattrape en passant ses bras autour de ma taille. Il me souleve et je pousse un
hurlement de surprise.

-- Allez ! Excuse-toi !

-- Non !

-- Si tu ne t'excuses pas, je te lance dans la piscine !

-- Jamais !

Il stoppe et me balance sans menagements sur son epaule. Des rires amuses
s'elevent de la terrasse. Je releve la tete et vois mes soeurs et Jamie en train de
rire.

-- OK ! OK ! Je m'excuse, clame-je.

Il me repose sur le bord de la piscine et me sourit, mais pas de son sourire


que je connais, non, il me sourit de facon malicieuse, presque diabolique. Et
sans avoir eu le temps de dire <<< ouf >>>, je me retrouve la tete sous l'eau.
Je bois la tasse avant de refaire surface.

-- T'es qu'un petit con ! hurle-je.

Il me tend la main, mais je la refuse et tente de me diriger vers la petite


echelle. Jarred lance son telephone dans l'herbe et saute dans l'eau a son tour.
Comme il nage mieux que moi, il me rattrape avant que je puisse sortir du
bassin. Il s'agrippe a moi et me colle contre son corps mouille.

-- T'es fachee ?

Posant mes mains sur sa tete, je tente de l'enfoncer dans l'eau, mais rien n'y
fait, il ne bouge pas et se contente de rire de moi.
-- T'es pas assez forte, rigole-t-il.

-- Pas de sexe ce soir...

Je murmure cette phrase pour que lui seul l'entende. Il me fait les gros
yeux, accompagne d'une adorable moue avant de se laisser couler. Lorsqu'il
remonte, il m'attire vers lui et me chuchote au creux de l'oreille :

-- Tu me dois tout le sexe que je veux.

Nous sortons de la piscine, ruisselant d'eau. Nous regagnons la terrasse


sous les regards amuses des autres. Jamie nous attend avec des serviettes pour
nous eponger. Malgre la chaleur, je grelotte. Jarred s'avance vers moi et passe
sa serviette autour de mes epaules.

-- Va te changer, ordonne-t-il.

Je lui souris et file vers la chambre. J'ouvre mon sac et y prends un short
noir et ainsi qu'un haut bleu ciel. Je vais encore avoir froid la-dedans, je leve
les yeux vers la penderie de Jarred et m'avance avec une idee bien precise :
lui voler un pantalon de jogging et un t-shirt. Retirant mes vetements trop
legers, j'enfile ceux de mon amant le plus rapidement possible. Au meme
moment, il entre dans la chambre, change et habille d'un pantalon noir et
d'une chemise grise. Il se seche les cheveux a l'aide d'une serviette. Je ne
peux m'empecher de le detailler, j'ai envie de fondre sur lui pour l'embrasser
tellement il est beau.

-- Tu peux me donner tes fringues, je vais faire une lessive.

Je lui tends mes vetements mouilles et son sourire ne le lache pas.

-- T'as pique mes affaires ?

-- J'avais peur d'avoir froid avec mon short.

Se penchant vers moi, il pose un baiser sur ma joue et me dit :

-- Ca te va bien. Les filles nous attendent pour regarder un film.


-- J'aurais aime passer du temps avec toi.

-- Une fois au lit, je ne te lache plus. On fait l'amour plusieurs fois et


ensuite, on ne dort pas de la nuit...

-- On va faire quoi ? demande-je, curieuse de connaitre le programme.

-- Discuter. Je vais te parler de Sidney, de ma vie avec elle, de comment je


l'ai connue et toi, tu vas me parler d'Ethan le petit merdeux.

-- Ethan le petit merdeux ? repete-je en rigolant. Joli surnom... Tu veux


savoir comment il t'appelle ?

Il plisse les yeux en s'avancant vers moi d'une demarche exagerement sexy.
Ses longs bras entourent ma taille et il me colle contre lui.

-- Dis toujours.

J'ai beau chercher un surnom amusant, je n'en trouve aucun. Finalement,


j'explose de rire et il appuie son front contre le mien.

-- Alors ? Il m'appelle comment ton pote ?

-- C'etait une blague. Ou alors, il a peur que je lui refasse le portrait si


jamais il disait un mot de travers a ton sujet.

-- T'es une petite bagarreuse toi. Desormais, je me souviendrai de ne pas


trop te chercher.

-- T'es bete, je n'ai meme pas ete capable de te mettre la tete sous l'eau !

-- Ca, c'est parce que t'es une femme, c'est-a-dire, le sexe faible.

-- N'importe quoi ! Je vais te montrer tout a l'heure si je suis le sexe


faible...

Je le repousse et file vers le salon, lui sur les talons. Les filles sont
installees devant la television et nous attendent.
-- Oh Lou ! Ne le prends pas comme ca, c'etait une blague.

Les jumelles levent vers moi un regard interrogateur, je me laisse choir


entre Jamie et Sloane en secouant vivement la tete.

-- Vous ne devinerez jamais ce qu'il m'a dit ! Il a dit que nous, les femmes,
etions le sexe faible.

-- Quoi ? Non, mais, comment oses-tu Jarred Dwyer ? retorque Jamie,


completement outree.

Il se fait huer par les frangines. Bien fait pour lui !

-- C'etait une blague, calmez-vous.

Il rigole et vient s'asseoir sur le sol devant moi.

-- Alors, on regarde quoi ? demande-t-il.

-- Toi, rien, tant que tu ne t'excuseras pas, replique-je.

-- Oh Lou ! S'il te plait ! Pardonne-moi, je ne suis qu'un homme !

Les regards inquisiteurs pleuvent et finissent par le faire abdiquer.

-- Bon, d'accord, je m'excuse les filles.

Je me penche et ebouriffe ses cheveux en rigolant.

-- Les enfants, je vous laisse, declare Jamie. Je rentre voir si mon ex-mari
n'a pas mis le feu a la maison.

Jarred et elle se levent d'un meme mouvement et mon amant, en parfait


gentleman, reconduit son amie jusqu'a la porte.

-- Alors, on regarde quoi les filles ? demande-je en tapant dans mes mains.

-- Ouija !
-- Vous etes sures ? C'est un film d'horreur, hein !

-- C'est Sunshine qui a choisi, declare sa jumelle.

Je lance le navigateur internet et cherche le film en question en streaming.

-- Pretes ?

Elles s'exclament en choeur et je clique sur le bouton play lorsque Jarred se


laisse tomber a mes cotes. Il m'attire contre lui et je me blottis au creux de ses
bras protecteurs.

Je crois que de ma vie, j'ai rarement autant hurle de peur ! Mais les filles
ont aime ca, c'est tout ce qui compte.
41
Lou
Le film enfin termine, les filles ont rapidement trouve refuge dans la
chambre d'ami. Elles se sont serrees l'une contre l'autre dans l'immense lit.
Tellement adorables ! Elles etaient tellement claquees de leur journee, que si
je n'avais pas hurle a la mort tout le long du film, elles auraient entame leur
nuit il y a un bout de temps deja.

En meme temps, quelle idee de regarder un film d'epouvante...

J'ai rejoint la chambre avec mon amant, main dans la main. Et cela me fait
un drole d'effet. D'habitude, nous passons nos nuits chez moi. C'est une
premiere.

-- Je vais verifier que tout est bien ferme, je l'ai promis a Sunshine,
m'explique-t-il.

Il depose un rapide baiser sur le bout de mes levres et file avec le sourire. Il
est si beau, si plein de vie a cet instant. Plus jamais son sourire ne doit
disparaitre. Car lorsqu'il illumine son visage, c'est toute ma vie qui s'eclaire.
J'attrape mon sac sur le sol et le pose sur le lit, j'en fais rapidement le tour
pour sortir un truc plus sexy, des dessous transparents rose et noir. Je me
depeche d'enfiler le tout et remets le t-shirt de Jarred avant de me glisser sous
les couvertures fraiches.

Il entre dans la chambre quelques secondes plus tard et se deshabille


rapidement pour ne garder que son boxer vert fluo. Je pouffe de rire en le
voyant.

-- C'est joli ca, monsieur.

-- On ne se moque pas, demoiselle.


Il se glisse sous les draps parfumes de son odeur et depose un baiser sur ma
tempe. Je me blottis contre son torse chaud, ma main glissant doucement sur
ses abdominaux.

-- Merci pour tout ce que tu fais pour nous.

Ses doigts courent sur mon epaule et descendent le long de mon bras.

-- On est enfin seuls, lache-t-il.

-- Oui, enfin...

Ma voix n'est qu'un murmure, alors que mes doigts poursuivent leur
descente vers son boxer. Je tire doucement sur l'elastique et le relache en
riant.

-- a ce que je vois, tu es pret.

En effet, une enorme bosse deforme le fin tissu de son sous-vetement.

-- Je le suis depuis la seance photo.

-- Je...

Parfois, les mots ne sont pas necessaires pour exprimer une emotion, et en
ce moment, aucun ne l'est tant la tension sexuelle entre nous est palpable.
Notre relation ne repose pas uniquement sur le sexe, mais a cet instant, j'ai
tellement envie de lui que j'oublie le reste. Je glisse ma main baladeuse sous
l'elastique et empoigne fermement son sexe. Aussitot, il se met a grogner et
se mord la levre inferieure.

Tellement sexy !

Je repousse les couvertures qui tombent en bas du lit, et me place a genoux


a cote de lui.

-- Lou, t'es si belle avec mon t-shirt.


Je souris et me penche pour passer ma langue autour de son gland. Je le
titille quelques secondes, pour le savourer. J'ose quelques lapements de sa
hampe avant de l'engloutir completement. Il gemit sous les caresses que je lui
prodigue et sa main vient cajoler le bas de mes fesses avec delicatesse.
J'impose une cadence langoureuse et il s'invite sous mon t-shirt. Il s'arrete et
passe un doigt sous le tissu de ma petite culotte.

-- Wow, jeune fille, que portes-tu ?

Sans lacher sa queue, je releve la tete vers lui et lui souris. M'attrapant sous
les aisselles, il me releve et m'installe a califourchon sur lui. Je vais
commencer a hair quand il fait ca.

-- Jarred ! Non ! C'etait pas ca le plan !

-- Retire ce t-shirt tout de suite ou je le dechire.

-- Non ! Je...

Ne me laissant pas finir, il attrape le bas du t-shirt et le reduit en charpie.


Son geste est tellement excitant que je crois que je pourrais avoir un orgasme
rien qu'en le regardant faire des lambeaux du tissu.

-- Oh bon sang de merde ! T'es belle, t'es sexy comme personne et merde...
Tu voulais me cacher ca ?

-- Je voulais jouer un peu avec toi avant de te devoiler mes atouts.

-- Serieux ? Je ne sais pas ce que je vais faire de toi...

Il plonge la tete entre mes seins qu'il parseme de baisers humides, tout en
me maintenant contre lui. Dans la position que nous sommes, son sexe frotte
contre le mien, provoquant des decharges electriques partout dans mon corps.
La friction est delicieuse, la peau de son penis si douce. Je releve la tete, un
sourire diabolique aux levres. Jarred glisse ses doigts dans ma petite culotte et
part a la recherche de mes plis. Il les malmene, les fouille, me procurant un
plaisir salvateur. Il me fixe, guettant la moindre de mes reactions. Et le
spectacle doit lui plaire car je le sens grossir de seconde en seconde.

Je me tends, me courbe et grogne lorsqu'il enfonce deux doigts en moi,


qu'il fait bouger si rapidement que j'en perds le souffle. Je ne controle plus
mes spasmes, happee par un plaisir intense. Il s'enfonce, ressort, pour
s'enfoncer de nouveau avec toujours plus de vigueur. Rapidement, des
fourmillements me gagnent et je contracte tous mes muscles pour me gaver
de cet orgasme qui, bientot, me submerge. La sensation est exquise. J'atteins
le septieme ciel a une vitesse folle.

Tremblante, je retombe lourdement sur le matelas, humide de mon plaisir,


et laisse Jarred se glisser entre mes cuisses tout en se delestant de son boxer
devenu trop etroit.

-- T'es prete pour un second round ?

-- Laisse-moi respirer deux secondes...

Faisant fi de mes paroles, il enfile un preservatif et vient frotter sa queue


contre mon sexe trempe. Son gland titille mon clitoris mettant tous mes
muscles au garde-a-vous. Il me teste, tate le terrain, avant, d'un seul coup, de
me penetrer vigoureusement. Je pousse un gemissement si puissant qu'il doit
mettre sa main sur ma bouche afin que je ne reveille pas les filles.

Son sexe entre et sort en moi a un rythme delirant que j'ai du mal a suivre.
Il me souleve de nouveau, sortant completement de moi et me place a quatre
pattes sur le lit. Ses mains caressent mes fesses, mes cuisses et le bas de mon
dos, je suis a mille lieues de cette chambre. Jarred s'enfonce profondement en
moi et il reste ainsi plusieurs secondes. Je sens sa queue si loin en moi que
c'en est presque irreel. Il me redresse, son torse contre mon dos. Nous
sommes en sueur, haletants, et presque a bout de souffle. Une de ses mains
s'agrippe a mes seins tandis que l'autre descend jusqu'a mon clitoris qu'il
frotte avec tant de ferveur que je jouis presque tout de suite dans un rale
guttural. Mais il n'en a pas fini, il me repose sur le lit et s'amuse a s'enfoncer
en moi de facon anarchique. Tantot avec fougue, tantot avec une langueur
insupportable. Il joue de mon desir, essaye des rythmes plus ou moins
cadences afin de faire durer notre plaisir. Il est doue, c'est le moins que l'on
puisse dire et ce n'est pas moi qui vais m'en plaindre !

Et lorsqu'il juge que c'en est assez, il me pilonne avec fougue, butant
toujours plus profondement au fond de moi. Rapidement, un troisieme
orgasme, plus puissant que les precedents, me happe avant qu'il ne
m'accompagne dans l'extase. Haletant, il s'affale sur moi, son corps recouvert
d'une fine pellicule de sueur.

Remis en partie de ses emotions, il remonte la couverture sur moi et


s'eclipse quelques minutes. Je ne reprends conscience que lorsqu'il entre dans
le lit et se colle a moi avec un sourire fier.

-- Tu peux le dire si tu veux.

-- Dire quoi ? je le questionne, un peu perdue.

-- Que je suis le meilleur coup de ta vie, babe.

-- Si tu crois que je vais flatter ton ego, mister Dwyer...

-- Je t'aime, me coupe-t-il.

Je me blottis contre son torse et ferme les yeux, me concentrant sur sa


respiration, plongeant peu a peu dans les limbes d'un sommeil profond.

-- Lou ? Tu dors ?

-- Presque, pourquoi ?

-- J'avais envie qu'on discute...

Il laisse sa phrase en suspens, tandis que je me redresse pour le regarder.


Ses yeux sont remplis d'hesitation et de crainte. Je m'assieds et me cale contre
les oreillers attendant patiemment qu'il continue, mais rien ne semble pouvoir
sortir de sa bouche. Je m'extirpe du lit et attrape mon sac.

-- Tu fais quoi Lou ?


-- Ca semble serieux, donc je vais enfiler un truc plus decent.

Je retire les derniers lambeaux du t-shirt qui tenait en place par je ne sais
quel miracle et passe le short et le haut que j'ai apportes. Lorsque je reprends
place dans le lit, il m'ouvre ses bras et je viens m'y blottir a nouveau. Je
trouve adorable ce besoin qu'il a de toujours devoir me toucher.

-- Tu veux parler de Sidney, c'est ca ?

-- Oui, je crois...

-- T'es pas oblige si tu ne te sens pas pret pour ca.

Le silence qui fait soudainement rage dans la piece commence a me peser.


Je vois bien qu'il veut le faire, mais quelque chose l'en empeche. Je connais
ce sentiment, trop bien meme, alors je lui facilite la tache et commence :

-- J'ai connu Ethan, j'avais, je crois, quatorze ou quinze ans. C'etait un peu
avant que les abus de Dustin ne commencent. J'avais peu d'amis, tu sais, et
lui, il est venu s'asseoir avec moi. Je ne parlais pas beaucoup, mais il est
revenu chaque jour jusqu'a ce que je daigne lui adresser la parole.

-- Pourquoi il a fait ca ?

-- J'en sais rien, il m'a toujours sauvee avant meme que je sache que je
devais l'etre. Et puis, toutes les filles au lycee etaient folles de lui. Il etait
quarterback pour l'equipe de football, il avait des tas de potes et le fait qu'il
choisisse d'etre le mien me laissait croire que j'avais un truc de special.

-- Ethan, le sauveur. Ca lui va bien.

-- Ouais... Alors quand on a commence a s'eloigner, je me suis sentie...


bizarre. Il y a quelques semaines encore, je ne pouvais pas imaginer ma vie
sans lui. Maintenant, c'est sans toi que je ne peux pas la vivre. A cette
epoque, je repetais a qui voulait bien l'entendre que je me marierais un jour
avec Ethan Hill.
Je rigole a cette pensee si puerile, mais Jarred ne se joint pas a moi.

-- J'ai su aussi en voyant Sidney que je me marierais avec elle. J'etais le


petit nouveau, j'avais un accent irlandais horrible, mais toutes les filles etaient
apres moi. Je n'etais pas dans ce delire-la. Mais ca, c'etait avant de la
rencontrer. Elle portait un t-shirt rouge des Social Distortion, et je l'ai
charriee la-dessus. Le lendemain, elle venait me voir pour rire de mon t-shirt
des Clash et mes converses en cours de gym.

-- Je crois que je l'aurais aimee, declare-je.

-- Parce qu'elle riait de moi ?

-- C'est l'une des raisons, mais aussi parce qu'elle semblait differente des
autres.

-- Elle l'etait. Tu sais, je crois que je t'en ai pas parle parce que j'avais peur
que tu sois jalouse.

Je me redresse, surprise, et plisse les yeux.

-- Pourquoi je serais jalouse d'elle ?

-- J'en sais rien... A cause de notre passe commun peut-etre ? Et parce


qu'avant de te connaitre, je ne pensais pas etre capable d'aimer a nouveau.

-- Ca, c'est votre passe, ce qui lui est arrive est horrible, mais... Tu sais,
Jarred, jamais je ne te demanderai de te taire quand tu auras envie de parler
d'elle, mais ne pense plus jamais que je suis jalouse d'elle. Je crois meme
qu'au fond, je suis triste pour elle. Meme si je ne la connaissais pas, j'aimerais
qu'elle soit encore parmi nous.

Les yeux brillant de larmes, il m'attire contre lui et me serre fort dans ses
bras. Nous restons ainsi un moment et je decide de lui faire une confidence.

-- Par contre, je dois t'avouer que je suis morte de jalousie d'une autre fille.

-- Qui donc ?
-- La soeur de Deeclan, et je te jure que si elle tente encore de te mettre le
grappin dessus, elle ne se rappellera plus de son prenom !

-- Bebe, ne sois pas si agressive. Elle ne t'arrive pas a la cheville.

Je m'etire et plante un baiser sur ses levres tout en enfoncant mes doigts
dans ses cheveux.

-- Je t'aime et t'es a moi.

-- C'est pas un peu possessif tout ca ?

Je lui donne une tape sur le torse, roule des yeux et fais glisser mon index
sur sa clavicule.

-- T'as conscience d'avoir change ma vie ?

-- J'ai tendance a faire cet effet-la aux gens.

-- T'es tellement bete quand tu veux !

Il me bascule sur le matelas et s'empare de mes levres.

-- T'aimes quand je fais l'idiot, ne le nie pas.

-- D'accord, peut-etre un peu ! Tu ne m'avais pas promis plusieurs baises


sauvages ?

-- Deja prete a recommencer ? J'avais cru t'avoir mise K.O.

-- Il en faut plus que ca pour mettre au tapis, babe, replique-je, amusee.

S'emparant de mes poignets, il les bloque au-dessus de ma tete. De son


autre main, il me deleste de mon short avec une agilite deconcertante. De
meme pour mon top. Sa langue se faufile tranquillement, dessinant des
lignes, qui n'ont aucune logique, de ma gorge, jusqu'a mes seins dont il
s'amuse a titiller et mordiller les tetons. Il leche ensuite mon ventre et ouvre
mes cuisses d'un geste autoritaire du genou. Son souffle chaud cogne contre
mon intimite dispersant des nuees de frissons sur ma peau. Lorsqu'il effleure
mon clitoris de sa langue, j'agrippe les draps de toutes mes forces. Il
empoigne mes hanches qu'il malmene. Il leche goulument mes replis,
accentuant les coups de langue. Ses doigts se joignent a la partie et s'insinuent
en moi. Ils se courbent, bougent comme des diables, un instant lentement et
la seconde d'apres avec rapidite. J'en perds le souffle et mords l'interieur de
ma joue si fort qu'un gout de fer se repand dans ma bouche. Cependant, je
m'en soucie peu et explose litteralement contre les levres de Jarred qui me
donne l'orgasme de ma vie.

Haletante et tremblante, je ferme les yeux et me recroqueville contre mon


amant qui vient de reprendre place dans le lit. Ses bras autour de mes epaules,
il remet la couverture sur moi.

-- Je... Je... plus d'energie... pour toi...

-- T'en fait pas, babe. Dormons.

Je pose ma tete sur son torse et il resserre son etreinte.

-- Jarred ?

-- Heum ?

-- T'as raison. T'es le meilleur coup de ma vie.

-- T'as vraiment le chic pour flatter l'ego d'un mec.

Il rigole en posant un baiser sur ma tete. Puis, il me dit quelque chose que
je n'entends pas et plonge dans un sommeil profond.
42
Lou
Ce matin, ce n'est pas facile. Sunshine est nerveuse comme jamais et je
dois avouer que je ne suis pas d'un calme olympien. Jarred fait son possible
pour nous apaiser, car il sait bien qu'aujourd'hui, les filles et moi allons
devoir faire preuve de courage. Nous allons prendre le taureau par les cornes
et reprendre le controle de nos vies. Mon amant pose devant moi une assiette
de pain grille et de fruits frais que je repousse immediatement en froncant les
sourcils.

-- Montre l'exemple, me sermonne-t-il gentiment.

Je leve les yeux vers les jumelles qui semblent calquer leurs
comportements sur le mien. J'attrape une tranche de pain et mords dedans en
forcant un sourire. Je prends sur moi malgre mon estomac qui n'a de cesse de
se contracter. Le traitre se retourne et je dois me lever d'un bond pour foncer
vers l'evier. De la bile me remonte dans la gorge. Jarred attrape mes cheveux
et caresse doucement mon dos.

-- Ca va aller ?

Je hoche la tete, ravalant mes larmes, et tente de controler mes


tremblements. Une petite main se pose sur mon bras, je leve les yeux et
croise le regard vert de Sunshine. Elle est inquiete et a peur, je la comprends,
je dois faire peine a voir...

-- Bebe, je vais bien. Mon estomac s'est un peu rebelle.

-- Allez vous habiller, on va bientot partir, leur dit Jarred.

En silence, elles se dirigent vers la chambre d'ami. Je fonce alors sur mon
petit ami et m'ecroule dans ses bras. Il me serre fort contre lui, je respire son
odeur et cela parvient a me calmer.

-- Lou, t'es sure que ca va aller ?

-- Non, et probablement que je serai en miettes a mon retour, mais je dois


le faire.

-- Je serai la.

-- Oui, c'est grace a ca que j'y arrive.

-- Lou ! J'ai rien a me mettre, grogne Sloane dans mon dos.

-- Bon sang ! T'as apporte quoi comme vetement ?

-- Je sais plus !

-- Viens, on va aller voir.

Je lache un sourire a Jarred qui me fait un clin d'oeil.

-- C'est ca d'avoir des enfants, plaisante-t-il.

Un dernier baiser rapide sur ses levres et je file retrouver ma petite soeur
dans la chambre. Les deux ont etale toutes leurs fringues sur le lit et c'est le
fouillis.

-- Comment vous faites pour foutre le bordel dans une piece que vous
occupez depuis moins de vingt-quatre heures ?

Elles ne repondent pas et se decalent afin que je puisse faire l'inventaire de


leurs fringues.

Bon sang ! Depuis combien de temps n'ont-elles pas eu de vetements neufs


?

Leurs affaires sont dans un sale etat. Certaines fringues sont trouees,
d'autres usees par le temps. Cette constatation me serre le coeur et renforce
mon desir de les garder a l'ecart de Dustin et de notre mere.

-- C'est tout ce que vous avez apporte de Sarasota ?

-- C'est ce qui est le moins abime, m'explique Sloane.

Je souffle, tentant de contenir ma rage. Qu'est-ce qu'ils ont fait de tout


l'argent que je me tue a leur envoyer ? Je suppose que Dustin a du le boire...
N'ont-ils pas la moindre decence ? Ca les tuerait d'acheter des vetements a
leurs filles ? Je n'ai qu'une envie : exploser quelque chose tant je bous
interieurement. Je serre les poings si fort que mes phalanges blanchissent et
ma machoire se contracte avec tant d'intensite que mon visage semble fige.

-- Lou ?

Je tourne le regard vers Sunshine qui tremble comme une feuille. J'inspire
profondement, a plusieurs reprises.

Calme-toi. N'explose pas devant elles. Respire...

Je lui souris du mieux que je peux et lance le haut que je tiens dans mes
mains sur l'amas de vetements.

-- Je dois bien avoir un t-shirt ou deux a vous preter dans mon sac et
lorsque j'aurai un moment, on ira faire un peu de shopping.

Les filles echangent des regards complices, je suis heureuse que


l'evenement de la tempete qui me menacait soit derriere nous. Si la situation
n'etait pas si difficile, j'esquisserais un sourire de fierte. Elles ont
suffisamment de problemes, pas besoin d'en rajouter une couche. Jarred toque
a la porte et nous demande s'il peut entrer.

-- Ouais !

-- Alors les filles, vous etes pretes ? Jamie m'a telephone, je dois passer
plus tot que prevu au studio.

-- Y a une urgence ? demande-je, inquiete.


-- Elle dit que non, mais j'ai l'impression que oui.

-- D'accord, on se depeche dans ce cas.

Je plonge la main dans le tas de fringues et sors deux t-shirts relativement


potables ainsi que deux shorts. Je leur tends avec un sourire.

-- Allez les filles, Jarred est presse, on va passer a l'appartement et vous


pourrez fouiller dans mes vetements, OK ?

Je sors de la chambre, accompagnee de mon petit ami qui semble plus


preoccupe que jamais. Je pose la main sur son bras et lui demande :

-- Ca va aller ?

-- Ouais, Jamie m'a un peu inquiete.

-- Va la retrouver, nous on va prendre un taxi.

-- Dis pas de sottises, je t'ai promis que je t'amenerais, ce n'est qu'un petit
detour !

-- T'es sur ? Parce qu'on peut se debrouiller, hein.

-- Laisse-moi faire ca pour toi. Ca me peine de ne pouvoir t'emmener au


commissariat ensuite...

Pour le faire taire, je crochete mes bras autour de son cou et l'embrasse
passionnement.

-- J'aime ta facon de me dire de me taire.

Je ris contre ses levres et plonge mes yeux noisette dans ses prunelles
grises.

-- T'en fais pas, s'il y a quoi que ce soit, je t'appelle et tu accoueras tel un
preux chevalier.
Il secoue la tete, amuse par le ton de ma voix exagerement aigue. Les filles
sortent de leur chambre et nous rejoignent dans le salon, habillees et pretes a
partir.

-- Non, mais vous passez tout votre temps dans les bras l'un de l'autre ou
quoi ? s'ecrie Sloane.

-- Ta soeur est folle de moi, j'y peux rien, se defend-il.

-- C'est faux ! m'indigne-je faussement.

-- Vous etes tous les deux completement gagas l'un de l'autre, replique
Sunshine en enfilant ses tongs.

-- Mes soeurs sont contre moi ! Vraiment du grand n'importe quoi !

Et c'est dans une atmosphere un peu plus legere que nous nous dirigeons
vers la voiture. Je sais bien que ca n'enleve rien au stress et a l'angoisse qui
nous habitent toutes les trois, mais une chose est sure, etre ensemble rend la
tache moins difficile. Jarred nous conduit au cabinet de mon psychiatre en
tentant quelques blagues.

Je suis nerveuse de laisser les filles seules dans la salle d'attente, mais je
n'ai pas d'autre option et comme dit mon petit ami : <<< Elles ont treize ans,
ce ne sont plus des bebes >>>. J'aimerais tant reussir a me dire qu'il a raison.

-- Tu m'appelles apres ton rendez-vous pour me dire comment ca s'est


passe et comment tu te sens ?

-- Ouais, c'est promis.

Il m'embrasse une derniere fois avant que je sorte de l'habitacle. Je reste


quelques secondes devant le batiment, figee, a le regarder partir. Des larmes
menacent, mon coeur se serre et ma levre inferieure tremble. Soudain, je me
sens terriblement vulnerable, puis je me rappelle une phrase que je lui ai dite.

<<< Ca n'aura pas d'importance le nombre de fois ou tu me diras que tu


es la, car la seconde d'apres, je vais guetter le moment ou tu vas partir.
Parce que meme si tu pars pour quelques heures, je me sentirai toujours
abandonnee. >>>

Et la, je me sens delaissee, et une douleur atroce me compresse l'estomac.


Pourtant, je sais que je vais le revoir bientot... J'inspire profondement, Sloane
glisse sa main dans la mienne, j'aimerais dire que ca me rassure, mais non,
mon angoisse augmente d'un cran. Cependant, je ne laisse rien paraitre.

-- Venez, on entre.

Ma voix est si chevrotante que c'en est presque surrealiste. Les filles
m'accompagnent sans dire un mot a l'interieur, d'un signe de tete, je leur
demande d'aller s'asseoir dans la petite salle d'attente. Je me dirige d'un pas
hesitant vers la secretaire.

-- Bonjour Lou, heureuse de te revoir.

-- Salut Anita.

-- Ca va pas ?

Elle me pose la question en haussant un sourcil interrogateur.

-- Je... Non.

Elle leve les yeux vers Sloane et Sunshine, assises cote a cote, les mains
jointes sur leurs cuisses, sages comme des images.

-- Qui sont ces adorables petites ?

-- Mes soeurs, tu vas pouvoir...

-- Oui, t'en fais pas. Tu peux te rendre dans le bureau du docteur Andrews,
je m'occupe d'elles.

Avec un sourire radieux, elle se leve et part les rejoindre. Je leur jette un
dernier regard et fonce vers le bureau du psychiatre. Je toque a la porte et
attends quelques secondes avant d'entrer.

-- Bonjour Lou, dit-il dans mon dos.

Je sursaute et pose la main contre mon coeur. Je tremble comme une feuille
et manque de m'effondrer. Le docteur me rattrape in extremis et m'aide a
m'asseoir sur l'une des chaises de service. Il prend ensuite place derriere son
bureau.

-- Qu'est-ce qui ne va pas, Lou ?

-- Je... Je...

Ma respiration est sifflante, un bourdonnement emplit mes oreilles et mon


cerveau se met a carburer a vive allure. Je vois a peine le docteur Andrews se
lever et venir s'installer sur l'autre chaise de service, a cote de moi.

-- Lou, vous devez vous calmer et m'expliquer ce qui se passe.

-- Il a abuse de moi, lache-je d'un trait.

Je redresse la tete et visse mon regard apeure dans le sien. L'espace d'un
instant, j'y decele de la stupefaction, mais il se reprend rapidement et me
demande :

-- Qui vous a fait ca ?

-- Mon beau-pere... je vous... vous ai menti.

Il reste songeur quelques secondes avant de poursuivre :

-- Pourquoi etes-vous dans cet etat ?

-- Il a recommence...

Ma voix n'est que murmure et les mots que j'ai prononces sont si
douloureux... Non, en realite, ce ne sont pas les paroles qui font mal, mais la
verite qu'elles renferment.
-- Il a recommence avec vous ?

Je secoue negativement la tete. Ma levre inferieure tremble, mes yeux se


remplissent de larmes qui coulent a outrance. Je renifle bruyamment et
accepte les mouchoirs que me tend mon psychiatre.

-- Lou, vous devez me repondre...

-- Ma soeur... Sunshine...

-- Il a abuse d'elle ?

-- Oui, j'etais pas la pour prendre soin d'elle. Si j'avais parle avant, elle
n'aurait pas eu a vivre ca. Je... Je...

J'enfonce mon visage dans mes mains pour etouffer mes sanglots, mais je
n'y arrive pas, ils ne font que redoubler d'intensite. D'une patience legendaire,
il me laisse me calmer, ce qui me prend plusieurs longues minutes.

-- Ou est votre soeur en ce moment ?

-- Elles sont avec Anita, dis-je, desormais un peu plus calme.

-- D'accord. Donnez-moi une seconde, voulez-vous ?

Il sort du bureau, me laissant seule avec mes sombres pensees. Je tente de


me concentrer sur ma respiration comme il me l'a enseigne, mais cela ne fait
que m'affoler. Les secondes se transforment en minutes et les minutes en
heures. La douleur et mon angoisse sont si presentes que je perds la notion du
temps. Ma respiration s'accelere de nouveau et redevient sifflante, de
lointains souvenirs m'envahissent, ceux que j'ai toujours repousses au plus
profond de mon etre.

<<< ...

L'atmosphere est toujours humide a cette epoque de l'annee a Sarasota.


J'ai traine plus longtemps que prevu avec Ethan, maman n'est pas la, elle
travaille tard ce soir et Dustin se fout bien de l'heure a laquelle je rentre
tant que je ne l'emmerde pas. Les jumelles doivent dormir depuis un
moment deja, alors il n'y a rien qui me force a rentrer. Ethan aime bien me
raccompagner jusque chez moi, meme s'il doit faire un detour de trente
minutes. Ce sont nos petits moments ensemble, sans ses amis qui se
demandent constamment pourquoi il continue de trainer avec une fille
comme moi. En fait, moi non plus je ne le comprends pas. Et plus il me
couvre de petites attentions de ce genre, plus je tombe amoureuse de lui.

-- Alors, on se voit demain au lycee Lou ?

-- Ouaip, a demain !

Il continue son chemin alors que je rentre chez moi. La maison me fait un
peu honte, je n'y invite jamais personne, Ethan est le seul a qui je permets de
venir. L'herbe est toujours jaunie et rarement tondue, contrairement a la
parfaite petite pelouse de nos voisins. La cloture est en morceaux et la
peinture est ecaillee. Sans parler des fenetres et des volets. D'ailleurs, il en
manque au salon, Dustin repete constamment qu'il va s'en charger, mais ne
le fait jamais. En plus, si l'on ne fait pas attention et que l'on pose le pied sur
la deuxieme marche menant au porche, il y a de fortes chances que l'on se
coince la jambe en tombant. Je deteste cette maison ! En fait, je la hais
surtout depuis que maman s'est remariee avec ce con, il ne fait que me hurler
dessus et me traiter d'idiote ou de bonne a rien. A force, j'ai fini par me dire
que c'est a cause de ca que je n'ai pas d'amis.

-- Ou t'etais ? hurle-t-il des l'instant ou je mets le pied a l'interieur.

-- Avec Ethan, maman le sait...

Sa main s'abat sur ma joue avec une telle force que tout mon visage se met
a bruler. Mon souffle se brise et je reste figee un instant. Du bout des doigts,
je touche, tremblante, l'endroit ou il m'a giflee.

-- Va dans ta chambre immediatement petite conne !

Aujourd'hui, plus que les fois precedentes, il semble enerve. Il hurle si fort
que j'en ai mal aux tympans. Je ne comprends pas sa colere, mais je
deguerpis comme un lapin devant un chasseur. Je grimpe l'escalier tellement
vite que je ne sais meme pas si mes pieds se posent sur les marches. A bout
de souffle, je claque la porte derriere moi et me laisse tomber sur mon lit. Les
pas de Dustin qui viennent vers ma chambre m'inquietent et je suis plus
effrayee que jamais lorsqu'il entre dans la piece.

-- Tu vas pas commencer a claquer les portes chez moi, compris ?!

Incapable d'articuler le moindre mot, je me contente de hocher la tete et


roule sur le cote pour lui tourner le dos. Son regard sur moi, je ne le
supporte plus : vicieux et corrompu. Je retiens mon souffle et bouche mes
oreilles, comme pour echapper a cette realite.

Le matelas s'enfonce a cote de moi et il pose sa main repugnante sur ma


hanche. Je le repousse du mieux que je peux, en donnant des coups de coude,
mais il se cramponne a moi.

-- T'en fais pas, ca ne te fera pas mal...

... >>>

Une main se pose sur mon epaule, je sursaute vivement. Mes larmes
redoublent et mon corps est parcouru de spasmes douloureux. Il me touche
encore, je me sens sale comme jamais. J'entends une voix, mais ne parviens
pas a l'identifier. Je ne vois que le visage de mon beau-pere, son sourire
narquois qui me veut du mal. Ma respiration se coupe, mon coeur s'arrete, les
souvenirs se fracassent les uns contre les autres pour creer des scenes
auxquelles je ne me souviens plus avoir participe. Tout se melange, mon
esprit est un vrai champ de bataille.

Je regarde autour de moi, tentant de me persuader que je suis ailleurs, mais


impossible de me rassurer. Quelque chose cloche, mais quoi ? La personne
qui me parle tente d'attirer mon attention, mais je n'arrive pas a rester avec
elle, je suis terrifiee.

Et si c'etait Dustin ? Non ! Non ! Non !


Respire, Lou, tu dois respirer !

C'est bientot termine... ce n'est pas ce qu'il disait toujours ?

Pense a autre chose... Pense a Ethan...

Non ! Non ! Pas lui, il ne m'a pas crue pour Tommy...

Tommy... la douche... les mensonges... son regard qui me deshabillait sans


cesse...

Ethan... Sloane... Sunshine... Je n'arrive pas a me raccrocher a eux...

Ma vie vole en eclats... Mon coeur me fait mal, il se dechire... J'ai


l'impression que des mains envahissent mon etre, qu'elles me touchent en ce
moment meme. Qu'elles s'agrippent a chaque element qui me compose pour
tout faire disparaitre. Sa voix emplit ma tete. C'est la sienne, celle qui me
torture depuis si longtemps.

J'ai quinze ans...

Je ne sais plus...

Mille et un... Mille et deux... Mille et trois... Mille et quatre...

Respire Lou... Mille et cinq...

Un cri strident dechire la piece. C'est moi. Des mains se posent sur mon
visage, une voix, differente de celle qui hante mes cauchemars, elle me
parle...

Concentre-toi sur elle, elle ne te veut pas de mal...

-- Lou, c'est le docteur Andrews, regardez-moi. Respirez tranquillement.

Mes yeux se promenent dans la piece. Ce n'est pas Dustin qui se trouve
devant moi, mais mon psychiatre. Je n'ai plus quinze ans, mais vingt-six. Ses
yeux bleu ciel me sondent, il va me poser des questions auxquelles je ne veux
plus repondre. Il se leve et prend un pichet d'eau pour remplir un verre qu'il
me tend ensuite.

-- Buvez ca.

J'execute son ordre et bois d'un trait tout le liquide. Le docteur Andrews
reprend sa place a mes cotes et me laisse quelques minutes pour me calmer.

-- Lou, je sais ce qu'il s'est passe dans votre enfance, mais j'ai besoin de
savoir ce qui vient de declencher cette crise. Je dois savoir pourquoi vous
reagissez si violemment aujourd'hui.

-- Il lui a fait du mal, si j'avais parle...

-- Inutile de vous en vouloir. Parfois, le silence est la meilleure facon de se


proteger.

-- Je dois le faire maintenant, pour les sauver de cet enfer. Je vais aller voir
la police, tout dire...

-- C'est le fait de porter plainte qui vous faire reagir ainsi ?

Je hoche la tete et inspire profondement.

-- J'ai demande a Anita d'emmener vos soeurs dans la petite salle de


conference afin qu'elles se sentent plus a l'aise. Ensuite, en ce qui concerne la
plainte, sachez que cela sera le premier pas vers la delivrance.

-- Ouais, je sais...

-- Avez-vous un avocat, Lou ?

-- Non ! Pourquoi en aurais-je besoin ?

-- Parce que toute plainte pour abus sexuel est suivie d'une enquete et qu'il
est preferable que vous soyez accompagnee d'un avocat pour vous suivre et
vous conseillez dans vos demarches.
-- Je... Je... n'y avais pas pense.

-- Si vous le souhaitez, je peux parler de vous a un ami qui...

-- Oui s'il vous plait, je m'empresse de le couper.

-- Ce n'est pas dans mes attributions, mais si vous le souhaitez, je peux


l'appeler immediatement...

-- Oui...

D'une demarche rapide, il se dirige derriere son bureau et attrape son


telephone pour composer un numero. Je n'arrive pas a me concentrer sur ce
qu'il dit, mon esprit vagabonde et je dois faire des efforts considerables pour
ne pas laisser les souvenirs reprendre le dessus.
43
Jarred
Je me gare devant le studio et attrape mon telephone dans le vide-poches
pour envoyer un message a Lou. Je sursaute en voyant que j'ai douze
messages non lus de Jamie.

Bon sang ! Que se passe-t-il ?

Je sors rapidement de l'habitacle et fonce comme un derate dans le


batiment. Ma meilleure amie est dans le hall, les bras croises. Elle secoue la
tete et repond aux questions d'un officier de police.

-- Jamie ? Que se passe-t-il ? Mon telephone etait en mode vibreur, je n'ai


pas enten...

D'instinct, mon regard se pose sur le reste de la piece, tout est saccage. Mes
appareils ne sont plus que des pieces detachees, les ordinateurs sont exploses
sur le sol et les toiles sont litteralement eventrees. Je glisse nerveusement mes
mains dans mes cheveux et m'avance vers ma meilleure amie qui semble
aussi deroutee que moi.

-- La collection... Dis-moi que les fringues n'ont pas ete touchees,


murmure-je.

-- Jarred...

Je ne l'ecoute plus et fonce vers la loge de Lou. Tout y est saccage, les
miroirs sont eclates au sol, les vetements ont subi tellement de dommages
qu'il est impossible de les retaper.

-- Monsieur Dwyer, madame Michelle m'a dit que vous etiez le dernier a
avoir quitte le studio hier ?
Je me retourne vers un officier de police d'une quarantaine d'annees aux
cheveux noirs. Il semble imperturbable et attend patiemment que je reponde a
sa question.

-- Oui, c'est moi, j'ai verifie que tout etait bien verrouille. Je ne comprends
pas comment ils ont pu entrer... Je fais toujours attention a ce genre de detail
!

-- Venez avec moi, nous allons discuter avec votre associee.

Heureux de m'arracher a tout ce que je vois dans cette piece, je le suis pour
rejoindre Jamie et le second officier.

-- Ca va ? je demande a mon amie.

-- Oui, un peu secouee, mais ca va.

-- A son arrivee, madame Michelle et monsieur Watson ont entendu des


bruits suspects. Monsieur Watson est alle voir et est tombe sur deux hommes
qui l'ont bouscule avant de prendre la fuite, m'explique le deuxieme agent.

-- Levi ? Il va bien ?

-- Oui, t'en fais pas, il est parti aux urgences par mesure preventive, il a
recu un coup sur la tete.

-- Putain de merde ! On sait qui est entre par effraction ? demande-je.

-- Non, et nous n'avons pas beaucoup d'indices. Les cameras de


surveillance ont ete, elle aussi, detruites.

-- Ils sont entres comment ?

-- Ils ont fracasse un carreau de la salle de bain. Nous poursuivons notre


enquete et allons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour trouver ceux qui
ont fait ca.

Le premier officier recoit un appel et s'eloigne pour y repondre. Jamie,


toujours positive et qui voit un bon cote a tout, leve les yeux vers moi, ils
sont pleins de larmes. J'ouvre mes bras et elle vient s'y blottir.

-- Monsieur Dwyer, j'aimerais que l'on discute de la soiree d'hier. Nous


devons retracer le schema des allees et venues au studio.

-- Oui, bien sur. Mon associee peut-elle rentrer chez elle ? Elle est
legerement secouee, elle a besoin de repos.

-- Oui, nous en avons termine avec madame Michelle. S'il y a quoi que ce
soit, nous vous recontacterons. Souhaitez-vous qu'un officier vous
raccompagne ?

-- Non, je tiens a rester, lance-t-elle.

Je lui lance un regard lourd de sens. Elle est tetue et peu importe ce que
nous pourrons dire, si elle veut rester, elle restera.

-- Vraiment, je ne pars pas Jarred.

Je leve les bras en signe de reddition et inspire longuement pour me


calmer.

-- Ne te fache pas contre moi, nous avons fait tout ca ensemble, je ne te


laisse pas seul pour affronter les questions et tout le reste.

-- T'es mignonne Jamie, mais t'as besoin de repos. Tu vas craquer sinon...

Croisant les bras sur sa poitrine, elle me defie. Sidney avait la meme lueur
de determination dans les yeux.

-- D'accord ! Alors quelles sont vos questions ? demande-je a l'officier.

-- A quelle heure mademoiselle Cassidy a-t-elle quitte le studio ?

-- Je dirais aux alentours de 15 heures 30. Nous avons eu des petits soucis
hier, et nous avons tout arrete au milieu de l'apres-midi. Jamie et moi avons
discute un moment, ensuite elle est partie.
-- A quelle heure avez-vous quitte les lieux, madame Michelle ?

-- Je vous l'ai deja dit. A 16 heures 20. Je le sais, car mon ex-mari m'a
appelee et qu'on s'est engueules, ensuite je suis rentree a la maison.

-- Vous n'etes pas en bons termes avec votre ex-mari ?

Le ton de l'officier est suspicieux et seme le doute dans mon esprit.

-- Non, il ne prend pas bien le divorce, mais jamais il n'aurait fait une
chose pareille !

Je me mords la levre en me rappelant qu'hier, Jamie plaisantait sur le fait


qu'Anton pouvait mettre le feu a leur maison. Cependant, je le connais bien,
jamais il n'aurait pu faire ca. Perdu dans mes pensees, l'officier me ramene a
l'ordre.

-- Monsieur Dwyer ? Pouvez-vous continuer ?

-- Euh... oui ! Apres le depart de Jamie, j'ai passe un long moment a


reflechir a notre petit probleme, j'ai regarde les photos prises la journee et
mon ami, l'autre mannequin, Deeclan, est arrive.

Je me tais, persuade que ce que je m'appretais a dire pourrait mettre


Deeclan dans la merde. Sans compter les quelques problemes qu'il a eus avec
la police. L'officier enchaine avec une nouvelle question.

-- Deeclan Bennet, c'est bien ca ?

-- Ouais.

-- Racontez-moi votre rencontre avec lui.

Inspirant profondement, je tente de rassembler les brides des evenements


d'hier, mais je n'arrive pas a faire le tri, tout se melange.

-- Deeclan etait en colere, car j'ai euh... il y a quelque temps, j'ai eu une
relation d'un soir avec sa petite soeur et elle s'est fait des idees sur nous deux.
Deeclan est venu mettre les points sur les i.

-- Que s'est-il passe entre vous deux ?

-- Rien de bien terrible...

L'officier releve un sourcil interrogateur. Du coin de l'oeil, j'apercois Jamie


pincer les levres et un air reprobateur se dessiner sur son visage.

-- J'ai besoin de details...

-- Deeclan est parfois un connard, mais il ne ferait pas ca...

-- Dites-moi ce qui s'est passe entre monsieur Bennet et vous. Ensuite, je


jugerai si oui ou non, il est veritablement capable de faire ca ou pas.

Je secoue la tete, decourage face a la situation.

-- Il m'a frappe a la machoire, on s'est un peu engueules, mais lorsqu'il est


parti, tout etait OK entre nous.

-- Convoque monsieur Deeclan Bennet pour un interrogatoire.

L'ordre du premier officier tombe sur moi comme une tonne de briques.
L'autre agent hoche la tete et fait signe a Jamie de le suivre. Elle me lance un
regard inquiet, elle souhaite mon approbation, je la connais, elle s'inquiete de
la suite des evenements.

-- Ca va aller Jamie, fais ce qu'il te dit.

Je les observe s'eloigner avant de me concentrer sur le premier agent. Je


tente de comprendre ou il veut en venir avec tout ca, mais il est
imperturbable. Il me fait un peu penser a Dwayne Johnson, et au vu de sa
carrure, il est le genre de mec qu'il est preferable de ne pas se mettre a dos.

-- Ecoutez monsieur Dwyer,

-- Vous pouvez m'appeler par mon prenom, lache-je.


-- D'accord, Jarred, allons a l'exterieur, voulez-vous ?

Un peu d'air frais me fera le plus grand bien. Rester ici et contempler ce
desastre me fout un peu les boules. Nous marchons en silence vers la sortie et
une fois a l'exterieur, il se tourne vers moi et me demande :

-- Croyez-vous que l'ex-mari de votre associee aurait pu...

-- J'en sais rien, Jamie dit qu'il ne prend pas bien le divorce, Anton a ses
defauts, mais j'ai du mal a croire que c'est lui.

-- Vous etes parti tout de suite apres le depart de madame Michelle, c'est
bien ca ?

-- J'ai jete un nouveau coup d'oeil aux photos et j'en ai imprime une pour
l'offrir a Lou.

Il hoche la tete et note un truc sur un calepin.

-- Quelle est votre relation avec Louann Cassidy ?

-- Lou est ma petite amie, ce n'est pas elle qui a fait ca, nous avons passe la
nuit ensemble.

Je m'empresse de le preciser. C'est preferable etant donne les troubles de


personnalite de Lou, elle serait la suspecte parfaite dans ce genre d'enquete.

-- Nous allons quand meme l'interroger. Nous devons le faire avec chacun
de vos employes.

-- Je m'en doute, mais je peux vous demander d'y aller mollo avec elle ?

-- Pourquoi ? demande-t-il en froncant les sourcils.

-- Elle vit des choses difficiles...

-- Jarred, si vous voulez que je fasse quelque chose pour vous, je dois
absolument tout savoir.
-- Lou a subi des abus sexuels durant son adolescence. Ses soeurs ont
debarque chez elle recemment pour chercher du reconfort suite a ce que leur
pere leur a egalement fait subir.

Il hoche la tete et me lance un regard rempli d'intensite et de rage.

-- Elles vont porter plainte, j'espere ?

-- C'est ce qu'elles font en ce moment, sinon elles seraient ici avec moi.

-- Bien. Je me chargerai moi-meme d'interroger mademoiselle Cassidy.


Maintenant, parlez-moi de votre relation avec la soeur de Deeclan Bennet.

-- Elle s'appelle Elie, nous avons eu une breve aventure, il y a quelque


temps deja. Elle accompagnait son frere pour le shooting d'hier. Elle voulait
que nous recommencions a nous voir, j'ai refuse. Apres la visite de Deeclan,
j'ai telephone a Elie afin d'etre sur que les choses etaient claires entre nous.

-- D'accord, merci beaucoup pour vos reponses, Jarred.

L'officier retourne a l'interieur, mais je n'ai aucune envie de le suivre. Je


souffle et m'adosse au mur en pierre blanche du batiment. La porte s'ouvre au
meme moment et Jamie vient prendre place a mes cotes sans dire un mot.
Elle pose sa tete sur mon epaule et nous restons ainsi, immobiles. Les
voitures vont et viennent dans la rue, et le vrombissement des moteurs est la
seule chose qui entache notre silence. Tant de mois de dur labeur reduits a
neant en l'espace d'une nuit... J'en suis encore sonne.

-- Je suis desolee pour ton materiel, Jarred, lache-t-elle.

-- C'est pas grave. Ce qui m'enerve le plus, ce sont les centaines d'heures
que nous avons passees a bosser qui ont ete reduites en fumee.

Elle se met a gigoter et a se dandiner d'un pied sur l'autre. Serait-elle


nerveuse ? Je me place devant elle et l'observe. Ce n'est pas dans ses
habitudes de paraitre si genee.
-- Que se passe-t-il ? je demande.

-- J'ai cache une information a la police, Jarred...

-- Co... Comment ?

La, je suis sur le cul ! Ca ne lui ressemble vraiment pas !

-- Pourquoi ? Que s'est-il passe ?

-- J'ai trouve ca dans la loge de Lou.

Elle enfonce sa main droite dans la poche de son pantalon en lin, en ressort
un morceau de papier froisse et me le tend. Je le prends delicatement dans
mes mains et le deplie.

<<< Laisse-la tranquille, tocard ! Sinon, on reviendra ! >>>

-- Jamie, on doit le montrer a la police...

-- Ils vont revenir Jarred, t'as lu comme moi.

-- Oui, mais on ne doit pas cacher ce genre d'information.

-- Ils viennent de detruire tout ce que nous avions cree et ca, en l'espace de
quelques minutes !

J'ai peine a croire que Jamie refuse de montrer ce putain de bout de papier
a l'inspecteur. J'ai envie de lui hurler qu'elle est folle, mais elle me lance un
regard furieux.

-- C'est Lou, il parle d'elle dans le message, c'est certain. Quitte la Jarred !
Je t'en supplie.

Je secoue la tete, plus decu que jamais par ma meilleure amie. Sa reaction
me met un sacre coup au moral et je recule.

-- C'est n'importe quoi, ca ne prouve rien et tu le sais. Je vais montrer ce


papier a l'inspecteur, immediatement.

-- T'as pas envie de proteger ce que l'on a cree ?

-- Si, bien sur que si ! Ne pense pas que je suis un connard, mais ce sont
des menaces et je ne vais pas m'y soumettre. Je ne vais pas sacrifier ma
relation avec Lou...

-- Mais t'es pret a sacrifier notre travail, c'est ca ?

-- Pas le moins du monde, mais...

Jamie secoue la tete et fond instantanement en larmes. Doucement, je


releve son visage.

-- Jam ! Que se passe-t-il ? Je te connais, y a autre chose.

-- Anton, il me fait du mal, ca me rend folle. Il exige la moitie de ce que


j'ai, y compris de ca, annonce-t-elle en levant les bras vers le studio.

Je ferme les yeux et expire bruyamment.

-- J'aime Lou, ne te meprends pas la-dessus, mais je cherche une solution


pour eviter le pire.

-- T'es comme une soeur pour moi, tu es aussi ma meilleure amie, mais je
dois montrer ce papier. Ce sont des menaces...

-- Fais-le.

Jamie hoche de la tete tandis que je la prends dans mes bras.

-- Montre-leur, murmure-t-elle.

Je n'attends pas plus longtemps et rentre au pas de course. Je file droit vers
l'inspecteur qui est au telephone et lui met sous le nez le papier. Il ne prend
meme pas la peine de saluer son interlocuteur et fourre son portable dans sa
poche pour prendre du bout des doigts le message contenant les menaces
ecrites a l'encre noire.

-- Ou avez-vous eu ca ?

-- C'est moi qui l'ai trouve, Levi et moi avons eu peur que ca recommence
alors...

-- Madame Michelle, vous ne devez pas divulguer une telle preuve !

Il tend le papier a son associe et lui aboie de l'apporter immediatement au


labo. Bon sang, j'ai l'impression d'etre dans Enquetes Criminelles !

-- Mademoiselle Cassidy !

Je me retourne et apercois Lou venir vers moi, le visage gonfle, les yeux
rougis et tremblant de tout son etre.

-- Jarred ? Que s'est-il passe ?

Je m'avance vers elle d'un pas rapide et la prends dans mes bras. Du coin
de l'oeil, j'apercois Jamie prendre en charge les jumelles. J'enfonce mon
visage dans les cheveux de ma belle et en respire le parfum de jasmin.
Immediatement, je me sens mieux.

-- Jarred ?

-- Quelqu'un est entre par effraction cette nuit. Je vais tout te raconter, mais
avant, comment vas-tu ?

-- Mieux et mal a la fois, mais c'est fait.

-- Je suis fiere de toi bebe.

-- Maintenant, raconte-moi, exige-t-elle.

-- Mademoiselle Cassidy, je suis l'inspecteur Reynolds, je vais devoir


prendre votre deposition et...
-- Pouvez-vous nous laisser quelques minutes pour discuter ?

-- Non, j'en suis desole,

-- Ca va aller, vous pouvez me poser toutes les questions que vous le


souhaitez, mais j'aimerais que Jarred reste avec moi.

-- Suivez-moi dans ce cas, nous allons discuter dehors.

Main dans la main, nous suivons l'inspecteur a l'exterieur. Lou est


nerveuse, mais je tente du mieux que je peux de la reconforter.
44
Lou
Comment survivre a une journee aussi mouvementee ? Je ne sais pas... Je
crois meme que mon esprit va s'effondrer d'un moment a l'autre. J'ai beau
tenter de garder la tete haute devant les filles, je n'attends en realite qu'une
chose : qu'elles aillent dormir pour me retrouver dans les bras de Jarred afin
de lui raconter le rendez-vous chez mon psychiatre.

Nous sommes installes autour de la piscine, Jamie a ravi les jumelles en


leur apportant des maillots de bain dignes de ce nom, elles en profitent pour
jouer dans la piscine. Jarred a allume le barbecue et fait griller des steaks.
Moi, je dresse la table sur la terrasse pour que l'on puisse manger a
l'exterieur. Mes gestes sont tous machinaux et je ne parle que tres peu. Jamie
s'avance vers moi avec un gros plat en verre contenant une salade de pates
qui, selon mon amoureux, est la meilleure du monde. Elle depose le recipient
au centre de la table et me regarde.

-- Je te dois des excuses Lou...

-- Pourquoi donc ?

-- Suite a la decouverte de la lettre, j'ai demande a Jarred de te quitter...

Estomaquee par ses paroles, je tire une chaise pour m'asseoir. Je pose la
main a plat contre la table et souffle.

-- Pourquoi ?

-- Ce n'est pas contre toi, je ne savais plus quoi faire pour eloigner cette
menace qui plane sur ce que j'ai mis des mois a creer.

Je pince les levres et n'arrive plus a prononcer le moindre mot. Je reste la,
stoique, bafouillant des mots que meme moi je ne comprends pas. Tout le
respect que j'avais pour cette femme est ebranle et ca, ca me fait mal. J'avais
l'impression qu'en entrant dans la vie de Jarred, j'avais une nouvelle famille,
moins nevrosee que la mienne.

-- Tu ne peux pas dire de telles choses, Jamie, pas apres avoir m'avoir
defendue envers et contre tous...

-- Je suis desolee, c'est toute ma vie...

-- Ce n'est pas moi qui ai demande a ces personnes de saccager mon lieu de
travail.

-- Je sais, mais la menace venait de toi. Je m'en veux, Lou, je n'ai pas
reflechi.

-- Maintenant, t'en penses quoi ?

-- C'etait stupide de demander a Jarred de te quitter, j'en conviens. Je sais


que vous vous aimez profondement et je suis heureuse qu'il t'ait dans sa vie.
Il renait a ton contact, je tenais juste a etre honnete avec toi.

Je fais un effort considerable pour lui sourire. J'ai envie d'envoyer valser la
table et lui hurler que je me fous pas mal de son honnetete.

-- Ca va ici ? s'inquiete Jarred en s'approchant.

-- Ouais ! Je vais me servir un verre de vin.

D'un bond, je me leve et file vers la cuisine. J'ai la tete dans le frigo lorsque
mon petit ami debarque.

-- Tu tiens vraiment a boire de l'alcool ce soir ?

-- Ouais ! J'ai des tonnes de choses a oublier et l'alcool est le meilleur


moyen d'y parvenir.

Je me leve et me retourne, une bouteille de rouge en main. Son regard, que


je tente de fuir, cherche le mien. D'un geste rapide, mais delicat, il attrape
mon menton entre son pouce et son index pour m'obliger a soutenir ses yeux
gris. Tout en, bien sur, se saisissant du vin que j'ai en main pour le poser sur
le comptoir de la cuisine.

-- Tu me dirais quoi si je te demandais de ne pas boire d'alcool ce soir ?

-- J'en ai besoin, je ne me sens pas bien.

-- Tu ne te sentiras pas mieux si tu te saoules.

-- Fais pas chier Jarred ! crache-je.

-- Ne t'en prends pas a moi. Jamie surveille notre diner, toi tu me suis, on
va discuter dans la chambre.

Il m'attrape par le bras et m'entraine vers sa chambre. Plus je tente de me


debattre, plus il resserre sa poigne. Je le repousse avec force, mais il ne bouge
pas.

-- Tu me fais mal, lache-moi !

-- Cesse de gigoter dans tous les sens et suis-moi.

Desserrant son emprise sur mon membre, il me laisse passer devant lui.

-- Entre, ordonne-t-il une fois devant sa porte.

Je soupire et m'execute. Une fois a l'interieur, il referme derriere lui et


fonce sur moi.

-- Qu'est-ce que ca va t'apporter de boire ce soir, Lou ?

-- Ca va me detendre.

-- Tu crois que je n'ai pas suffisamment de problemes comme ca ? Il faut


que tu en rajoutes une couche ! hurle-t-il.
Jamais il ne m'a crie dessus de la sorte. Je chancelle et une douleur
profonde s'insinue en moi.

-- Desolee d'etre un paquet de problemes pour toi !

C'est a mon tour de hurler contre lui, mais ca ne semble meme pas le
perturber, alors que moi, je tremble de tout mon etre.

-- Tu crois vraiment etre un paquet de problemes pour moi ? T'es pas bien
la !

Mes yeux s'emplissent de larmes, je presse les paupieres et les sens


s'infiltrer entre mes cils. Ravalant mes pleurs, je lui fais face et lui dis d'une
voix monocorde :

-- Ne me dis plus jamais que je ne suis pas bien, sinon la prochaine fois, je
te refais le portrait.

-- Dis-moi ce qui se passe. Je sais que je peux t'aider Lou, mais ne me


demande pas de te laisser boire de l'alcool quand tu te trouves dans cet etat-la.
Tu dois faire un pas vers moi pour que ca fonctionne.

Je m'assieds sur le rebord du lit et attends qu'il vienne prendre place a mes
cotes avant de lui exposer mes plus sombres pensees.

-- J'ai l'impression d'etre dans une voiture, derriere le volant, le pied au


plancher, mais je ne suis maitre de rien. C'est comme si quelqu'un avait pris
le controle de mon corps, ne me laissant que mes yeux pour assister a la
scene. Et je fonce droit dans un mur. C'est bete, mais si tu me tiens la main, tu
vas te crasher avec moi. Parfois, j'apercois la lumiere au bout du tunnel et tu
m'y attends, mais d'autres fois, tu es dans la voiture avec moi...

Ce que je deteste le plus dans les revelations, ce sont les silences qui
suivent. Car ils sont pesants et il est difficile d'en sortir. Jarred me fixe, les
yeux grands ouverts.

-- Je sais ce que t'es en train de faire. T'as eu une dure journee, c'a ete la
merde d'un bout a l'autre, et la, tu te sens mal, tres mal meme, et ton seul
mecanisme de defense est de detruire ce qui te rend heureuse. Lou, t'as le
droit de pleurer, de crier, t'as le droit d'etre en colere contre l'humanite, mais
ne m'abandonne pas, car si toi, tu n'as pas besoin de moi pour vivre, ma vie a
moi n'a aucun sens sans toi.

-- T'as pas le droit de me dire ce genre de chose...

-- Pourquoi ?

-- Parce que je ne peux pas t'en vouloir ensuite...

-- Pourquoi, de toute facon, m'en voudrais-tu ?

Je hausse les epaules et, avant que je ne puisse dire un mot, il murmure au
creux de mon oreille :

-- Je ne laisserai jamais personne nous separer, sache-le. Ni Jamie, ou


encore Ethan, personne... Jamais...

Il me souleve et me pose sur ses cuisses, son visage plonge dans mes
cheveux, son nez chatouillant mon cou et ses levres embrassant doucement
mon lobe d'oreille en murmurant qu'il m'aime.

-- Je suis la et jamais je ne m'en irai. Souviens-toi de ca.

Comment continuer de lui en vouloir apres ca ? Il a sans doute raison...


Lorsque quelque chose ne va pas, je fais constamment en sorte de detruire
tout ce qui m'entoure. Peut-etre que j'aime l'autodestruction ?

On toque a la porte, interrompant notre instant partage. Jarred laisse


retomber sa tete contre mon epaule et soupire.

-- Je suis impatient d'etre ce soir, qu'on puisse discuter entre nous.

Sautant de ses cuisses, je pars ouvrir la porte, et decouvre ma petite soeur


Sunshine qui me fixe sans trop savoir quoi dire.
-- Ca va bebe ? demande-je en plissant les yeux.

-- J'avais peur de vous trouver a poil !

-- T'es bete, rigole-je en la poussant un peu.

-- Le diner est pret !

-- Jamie a fait bruler les steaks ? demande Jarred en venant vers nous.

Ma petite soeur, toujours intimidee de se trouver en presence de mon


amoureux, se contente de secouer la tete en haussant des epaules. Il ne lui
faut pas plus de deux secondes pour repartir.

-- Elle a un peu de mal avec moi, malgre les efforts que je fais pour la
mettre a l'aise.

-- Laisse-lui du temps, mon cheri.

-- T'as raison... Dis-moi, tu vas mieux la ?

-- Jamie, elle voulait que tu me quittes...

-- Jamais je ne ferai ca, d'accord.

Incertaine de ses paroles, mais voulant y croire de tout mon etre, je lui
souris. L'amour, je l'ai toujours fui, de peur de devoir subir des adieux. Enfin,
jusqu'a lui. Il est toujours la, malgre tout ce qu'il a subi a cause de moi.

-- Ca va Lou ?

Je hoche la tete, passe mes bras autour de son cou et me hisse sur la pointe
des pieds pour l'embrasser.

-- Tu semblais lointaine, me dit-il en me repoussant legerement.

-- Je me disais que j'etais chanceuse de t'avoir.


-- Redis-le encore. Je vais l'enregistrer pour la prochaine fois ou ca va
merder.

-- La, reve pas mon coco !

Je file vers la cuisine avec Jarred sur mes talons. J'ouvre la porte du frigo et
attrape des cocas. J'en profite egalement pour remettre le vin, que mon petit
ami m'avait confisque plus tot, au frais. Je me retourne vers lui.

-- Lou, rappelle-toi que tu ne dois pas boire d'alcool, me sermonne-t-il.

-- Tais-toi et aide-moi, reponds-je en lui tendant les sodas. Tu croyais


vraiment que j'allais boire la bouteille de vin alors que mes soeurs sont la ?
Vraiment ? C'est mal me connaitre !

Je pouffe tandis qu'il secoue la tete. Il fait un pas vers moi, referme la porte
d'un coup de pied et me pousse contre le frigo. Il s'empare des cannettes que
j'ai dans les mains et les balance presque sur le comptoir. Je le regarde faire,
amusee, alors qu'il se penche pour me donner un baiser sauvage. Il joue de sa
langue sur la mienne et le plaisir me gagne. Mais, il s'eloigne comme ca, d'un
coup ! Je grogne de mecontentement.

-- T'en veux toujours plus, voila ton defaut.

-- Ca semblait te plaire hier lorsque t'avais la tete entre mes cuisses,


murmure-je contre son oreille.

-- Allons manger avant que...

-- Qu'est-ce qui te plaisait ? demande Jamie dans le dos de Jarred.

-- Oh rien ! s'ecrie celui-ci, rouge de honte.

-- Ouais, c'est ca... Venez manger avant que ca refroidisse.

Je passe devant elle en evitant son regard, mais elle me retient par le bras.

-- Jamie, c'est pas le moment, tonne Jarred.


-- Je deteste les malentendus, tu le sais...

-- Ouais, mais ce n'est pas le moment, on va passer a table.

-- Donne-nous deux minutes, d'accord ? annonce-je.

Elle semble surprise et Jarred leve les bras en signe de reddition. Il


marmonne un truc qui ressemble a quelque chose comme : <<< ne faites pas
trop de casse dans ma cuisine >>> et disparait sur la terrasse. Jamie finit par
me sourire et entame la conversation.

-- Je ne m'excuserai pas une nouvelle fois, mais je tiens a te dire que je


t'apprecie beaucoup et que j'ai aussi beaucoup de respect pour toi.

-- C'est bon, je te pardonne. Mais ne tente plus de nous separer, ca ne


fonctionnera pas.

-- Ce n'etait pas mon but et tu le sais.

-- Ouais, mais ca aurait pu faire des degats, et tu le sais.

J'utilise le meme ton qu'elle, afin qu'elle comprenne bien qu'entre son
meilleur ami et moi, c'est du serieux.

-- Dois-je m'excuser encore ?

-- Non, allons diner.

J'invite Jamie a me suivre, ce qu'elle fait avec un sourire. Nous rejoignons


mes soeurs et Jarred qui ont deja commence a manger.

-- He, fallait pas nous attendre, plaisante la jeune femme.

-- Vous etes des nanas, on ne sait jamais combien de temps vous pouvez
papoter.

-- Parfois, j'ai l'impression que tu oublies que tu es en minorite.


-- J'ai pas peur de vous, ricane-t-il en bombant le torse.

-- Oh ! Ne vous en faites pas, il fait moins le malin lorsque nous sommes


seuls.

L'atmosphere s'est allegee, bien que je sente les filles preoccupees. Elles
reussissent a rigoler aux conneries de Jarred et Jamie qui passent leur temps a
se chamailler comme des gosses.

La soiree se deroule de la meme facon que celle de la veille : nous


regardons un film qui, cette fois, est une comedie romantique que les
jumelles devorent. Aux alentours de 22 heures, les jumelles baillent et Jamie
annonce son depart. J'accompagne mes soeurs jusqu'a leur chambre ; un
endroit plus intime afin que nous puissions discuter un peu.

Elle fouille dans mon sac a la recherche d'un pyjama potable. C'est qu'avec
tout ce qui s'est passe aujourd'hui, nous n'avons pas eu le temps de faire du
shopping.

-- Alors, comment vous allez ? demande-je en feignant la legerete.

-- Ca va Lou, t'inquiete pas, me lache Sunshine.

-- Bien sur que je m'inquiete bebe. Aujourd'hui, c'etait eprouvant pour nous
trois.

-- Toi, comment tu vas ? s'enquiert Sloane.

-- Si vous ca va, alors moi aussi.

-- Merci pour ce que tu fais pour nous.

Je leur souris et les laisse se glisser sous les draps en leur faisant promettre
de dormir et de ne pas papoter toute la nuit. Elles m'offrent d'immenses
sourires en guise de reponses.

Impatiente de retrouver Jarred, je me depeche de me rendre au salon. Je le


trouve assis par terre en train de fouiller dans un meuble.
-- Tu fais quoi ? demande-je.

-- Je cherchais quelque chose que je souhaite te montrer, mais ce ne sera


pas avant que tu m'aies raconte comment ca s'est passe chez le psychiatre.

Je m'assieds sur le canape en repliant mes jambes sous moi.

-- J'ai panique, j'ai eu l'impression d'etre transportee dans le passe. Je n'ai


jamais eu aussi peur de toute ma vie. Je sentais sa presence, son odeur, son
regard sur moi. Tout ce que je pouvais faire, c'etait pleurer. Le docteur
Andrews a ete tres patient et m'a ramenee a l'instant present.

Je passe une main dans mes cheveux. Dans le cabinet de mon psychiatre,
j'ai perdu la notion du temps. Je n'etais plus Lou, la jeune femme de vingt-six
ans, mais l'ado perdue de quinze ans que j'ai jadis ete.

-- J'avais des flash-back de la premiere fois qu'il m'a touchee et je n'arrivais


plus a me controler. C'etait comme si je revivais ce jour-la, mais en sachant
ce qu'il allait se passer. C'etait etrange...

Inspirant profondement, je serre les poings pour controler mes


tremblements. Jarred se penche vers moi et me murmure des mots qui
m'apaisent. Il me dit qu'il est la, qu'il m'aime et que je suis la personne la plus
forte qu'il connaisse.

-- Ensuite, le docteur m'a pose des questions, mais je crois qu'il avait
devine avant que je ne lui avoue. Il m'a conseillee de prendre un avocat, il m'a
aussi gentiment recommande un ami a lui qui est arrive dans l'heure. Et selon
lui, remplir une declaration a deposer devant un juge sera plus efficace que
d'aller au commissariat.

Jarred me laisse reprendre mon souffle avant de poser sa main sur la


mienne.

-- Vous avez toutes les trois rempli une deposition ?

-- Oui, et lui va la porter lui-meme devant un juge. Nous aurons des


nouvelles dans les jours a venir.

-- T'es forte bebe, je suis fier de toi.

-- Et je suis aussi epuisee !

-- Allons dormir, propose-t-il.

-- Tu ne voulais pas me montrer un truc ?

-- Demain. Etant donne qu'on bosse pas, on aura tout le temps necessaire.

Il se releve et me tend la main que j'accepte avec un petit sourire.

-- Viens, je vais te faire un massage pour te detendre. Babe, n'oublie jamais


que t'es la meilleure. Personne ne serait capable de traverser tout ca sans
garder la tete sur les epaules, mais toi, tu y es parvenue.

-- Merci, murmure-je.

Que puis-je dire de plus ? Rien du tout. Il est la, comme il me l'avait
promis. Je me blottis contre son torse et il caresse mes cheveux avec douceur.
45
Jarred
<<< ...

Une main glisse sur mon torse nu. Des levres se posent au creux de mon
cou. J'immerge tranquillement de mes reves, la nuit a ete courte, je n'ai pas
beaucoup ferme l'oeil. Cette situation est en train de me rendre dingue, je ne
sais plus quoi faire... Mais l'amour que j'eprouve pour Sidney est fort,
presque impossible a detruire. Des l'instant ou mes yeux se sont poses sur
elle, j'ai su, je l'ai ressenti jusqu'au plus profond de mon ame : c'est elle et ca
le sera toujours.

Mes yeux papillonnent et j'apercois sa tete rousse penchee au-dessus de


moi. Un sourire amuse sur son visage, elle se met a parsemer mon torse de
baisers. Le matin, c'est le moment ou Sidney est la plus vulnerable. Mais
aujourd'hui, elle semble de bonne humeur malgre mon depart imminent pour
quelques semaines. Elle m'a pousse a accepter ce stage en photographie,
bien qu'au depart, je refusais de m'eloigner d'elle. Un stage dans un studio
pres de la maison m'aurait suffi. Cependant, a quelques heures de mon
depart, je me sens plus libere que jamais.

Sa bouche descend jusqu'a ma queue qu'elle sort de mon boxer. Sa salive


se depose sur mon gland avant que sa langue ne le lape. Sa douceur
m'arrache des grognements de plaisir. Elle leche mon sexe sur toute la
longueur en caressant mes testicules de ses mains expertes. Elle les malaxe,
les soupese, les titille. Puis, elle me prend en bouche. Mes doigts plongent
dans ses cheveux fins et lui imposent le rythme que je desire. Elle me laisse
guider sa tete comme je l'entends, en bougeant sa langue sur ma hampe.

-- Sid... Je vais jouir...

Ses levres enserrent avec force ma queue et ne pouvant plus me retenir, je


me repends dans sa bouche. Bon sang ! Je crois n'avoir jamais joui aussi
rapidement de toute ma vie.

Je releve la tete tandis qu'elle se dirige vers la salle de bain. Je me laisse


retomber sur les oreillers et ferme les yeux.

J'ouvre subitement les paupieres, une vive douleur se repand dans mon
torse. Sidney est penche sur moi et me frappe de nouveau. Je ne comprends
pas ce qui se passe ni pourquoi nous sommes passes de la pipe matinale au
<<< je vais te tuer mon salaud ! >>>. Je tente de parer les coups, mais rien
n'y fait, elle s'acharne en me hurlant des paroles incomprehensibles.

-- Sidney ! Calme-toi bon sang ! Explique-moi ce qui se passe !

La plupart des crises que Sid fait sont le fruit de son imagination
debordante et je reussis generalement a la calmer en quelques minutes, mais
je dois admettre que je l'ai rarement vue dans une telle fureur. J'ai
l'impression d'etre face a un dragon cracheur de feu.

-- Tu veux me quitter !!! hurle-t-elle.

C'est toujours la meme rengaine. Elle pense que j'en aime une autre et que
je vais la laisser tomber. Avec mon depart, je me doutais qu'elle ferait des
crises, et je suis meme impressionne qu'elle n'eclate que maintenant.

-- Sidney, tu sais bien que c'est faux !

-- T'es un menteur et un trou du cul ! braille-t-elle.

Je sors du lit et enfile mon jeans. Je me place face a elle, les mains sur ses
epaules pour tenter de la calmer.

-- Calme-toi !

-- Non ! Je ne me calmerai pas !

Elle me tend un bout de papier plie en quatre. Je n'ai pas besoin de


regarder ce que c'est, car je sais pertinemment ce qu'il contient. Depuis un
moment, ce n'est jamais facile avec elle, bien qu'elle n'ait pas fait de scene
concernant mon depart, elle a cumule les crises pour toutes sortes de
connerie. Et il y a quelques jours, j'ai meme pense qu'il etait preferable pour
nous de divorcer. Je lui ai donc ecrit une lettre, que je ne lui ai jamais
remise, mais que je n'ai pas jetee.

Hier, je l'ai glissee dans mon sac de voyage, dans le but de la detruire une
fois a l'autre bout du pays, afin qu'elle ne tombe jamais dessus. J'ai eu un
moment de faiblesse, j'ai failli lacher prise... Et visiblement, elle a mis la
main sur ma lettre.

-- Sidney...

-- Tu veux me quitter ?

-- Non ! C'etait une journee difficile, j'avais besoin de...

-- Tu m'as toujours dit que les coups durs n'entacheraient pas notre
relation, me coupe-t-elle.

-- Je n'ai pas d'excuse, j'ai des faiblesses moi aussi et...

-- Tu dis toujours que tu seras fort pour nous deux. Tu me mens sans arret
! m'interrompt-elle a nouveau.

-- Ca suffit, je ne suis pas Superman ! Parfois, c'est difficile pour moi


aussi.

-- Tu dis toujours que ca ne l'est pas parce que tu m'aimes...

Elle reprend chacune de mes paroles et me les lance au visage. Je ne sais


plus quoi lui dire pour lui faire comprendre que ce n'est pas ce que je veux.
J'inspire, passant une main dans mes cheveux, et tente de m'approcher d'elle.
Mais elle recule si rapidement qu'elle se prend les pieds dans un coussin et
tombe sur les fesses. J'accours pour l'aider a se relever, mais elle me hurle de
foutre le camp.
-- Sidney, calme-toi ! On va prendre le temps de parler et tu vas
comprendre...

-- Je ne veux pas comprendre, va t'en Jarred !

Elle se releve d'un bond et se place face a moi, ses grands yeux noirs me
fixant durement.

-- Va-t'en ! Je ne veux plus jamais te voir.

-- Vraiment ? Je ne te crois pas.

-- Degage ! T'es qu'un salaud !

Je la connais trop bien : lorsqu'elle est dans cet etat, je ne peux rien faire
pour la calmer, alors je fais mon sac en le remplissant de choses sans
importance, des choses que je choisis au hasard, pour donner l'illusion de
plier bagages. Ce n'est pas la premiere fois que l'on se retrouve dans cette
situation et d'habitude, avant meme que j'aie passe la porte, elle me court
apres en s'excusant et en m'assurant qu'elle ne veut pas que je la quitte.
Cependant, la, elle semble imperturbable.

-- C'est vraiment ce que tu veux ? Car tu sais, je pars cet apres-midi, tu ne


me reverras pas avant des semaines.

-- Je ne veux plus de toi...

-- Je t'aime Sid ! Ne l'oublie pas et puis, lorsque tu retrouveras la raison,


t'as mon numero, non ?

-- Je ne t'appellerai pas Jarred, va-t'en. Comme tu dis, ca devient difficile


pour toi d'entrevoir l'avenir.

-- T'as jamais dit des mots qui depassaient ta pensee ? Tu veux me quitter
au moins trois fois par semaine, mon bebe.

Elle semble se radoucir et ses bras retombent le long de son corps.


-- Peut-etre que ca va nous faire le plus grand bien ces semaines loin de
l'autre, lache-t-elle.

-- T'as mon numero, appelle-moi autant de fois que tu en as besoin,


d'accord ?

Elle hoche la tete, je m'avance vers elle et pose un baiser sur son front.

-- Je t'aime Sidney, ne l'oublie pas. Y a pas d'amour comme le notre.

Un faible sourire se dessine sur ses levres alors que je me dirige vers la
salle de bain pour enfiler un t-shirt et mettre les vetements que j'ai laves hier
dans mon sac.

-- Jarred ! Ne m'oublie pas la-bas.

Je me retourne. Elle est adossee au cadrage de la porte. Elle me semble si


petite, si menue, tellement fragile et pleine de tristesse.

-- Comment pourrais-je t'oublier, bebe ?

-- Je sais pas... Tu pourrais rencontrer une fille moins compliquee...

-- Et la vie serait, par consequent, bien plus morne.

Un sourire amuse sur les levres, elle s'avance et s'assied sur le lavabo.
L'orage est passe, enfin pour l'instant... Je soupire de soulagement en
m'avancant vers elle pour l'embrasser.

... >>>

J'ouvre brutalement les yeux, un gout amer en bouche. Deboussole et


perdu, il me faut quelques secondes pour me situer dans le temps et realiser
que ce n'est qu'un reve, mele a des souvenirs.

Je roule sur le dos avant que de fins doigts aux ongles rouges et noirs se
posent sur mon torse. Ses cheveux bruns me chatouillent le cou lorsqu'elle
pose sa tete sur mon epaule. Ma main part a la rencontre de la sienne et entre
deux petits grognements, elle murmure mon prenom comme une douce
melodie. Le parfum au jasmin de Lou me titille les narines. Bon sang, je
l'aime et la vie est tellement plus facile depuis qu'elle est la ! Elle a chasse
beaucoup de mes mauvais souvenirs et malgre ses crises, je me sens leger,
vraiment heureux. Bien qu'elle croie que la vie a ses cotes est comme l'enfer,
moi, je me sens bien.

Je retire sa main de mon torse et m'extrais du lit en douceur pour ne pas la


reveiller. Elle grogne et roule sur le dos, puis sur le cote. J'enfile un t-shirt
ainsi qu'un pantalon de jogging, je sors de la chambre a pas de loup et me
dirige vers le salon. J'attrape la petite boite que j'ai sortie du meuble un peu
plus tot et en sors des albums photo qui datent de l'epoque de Sidney. Je les
feuillette tranquillement, laissant les souvenirs affluer en moi comme un
baume sur mes regrets. Ce n'est jamais facile de penser a elle, mais je
m'efforce de me souvenir des bons moments. Ceux qui font en sorte que ca en
valait le cout.

Des pas legers et lents se font entendre, je tends l'oreille. Ce n'est pas Lou,
je reconnaitrais sa demarche entre mille. Elle se deplace toujours comme si
elle etait pressee d'aller etrangler quelqu'un. Donc, j'en conclus qu'il doit
s'agir de l'une de ses soeurs. Je leve la tete et apercois Sunshine a l'entree de
la piece.

-- Tu ne dors pas ?

-- Non, j'ai apercu de la lumiere, je pensais que c'etait Lou... Je ne vais pas
te deranger plus longtemps.

-- Reste, viens t'asseoir. Puis, tu sais bien que si c'etait ta soeur, toute la
maison saurait qu'elle est reveillee, rigole-je.

Un petit sourire nait sur ses levres, elle me parait hesitante, presque
nerveuse.

-- Tu veux venir t'asseoir et mettre la tele peut-etre ? lui propose-je de


nouveau.
D'un hochement de tete, elle vient prendre place sur le divan, elle tire
inlassablement sur le bas de son t-shirt qui semble trop court pour elle. Mal a
l'aise, elle evite mon regard.

-- Je reviens dans une minute, d'accord ?

Rapidement, je sors de la piece et me dirige dans la buanderie ou j'attrape


un t-shirt propre, puis un petit detour par la cuisine, ou je prends des sodas et
un paquet de chips. De retour au salon, je pose le tout sur la table basse.

-- T'es pas obligee de l'accepter, mais Lou m'a explique pour votre
probleme de fringues.

Je lui designe le t-shirt d'un geste du menton. Elle fronce les sourcils et ses
yeux me lancent un millier de questions. Devant son air circonspect, j'ajoute
immediatement :

-- T'en fais pas, il est propre.

-- C'est pas ca... Sloane et moi ne sommes pas habituees a tant de


gentillesse...

-- Ce n'est pas de la gentillesse, c'est du bon sens. T'as pas de fringues,


alors que moi, mes tiroirs en debordent...

-- Merci Jarred, murmure-t-elle.

Elle se leve et enfile le t-shirt par-dessus son haut. Attrapant le sachet de


chips, elle se rassied sur le canape.

-- T'as envie qu'on regarde un truc a la tele ?

Je n'ai droit qu'a un haussement d'epaules de sa part. L'adolescence n'est


pas dans une periode facile alors je n'imagine pas ce que cela doit etre lorsque
l'on a une vie comme celle de cette mome.

-- C'est qui la fille sur les photos ? demande-t-elle avec un signe de tete
vers l'album pose sur la table basse.
-- Sidney. C'etait ma femme...

-- Je ne savais pas que tu etais divorce.

-- En fait, je suis veuf.

-- Je suis desolee...

Elle se tait et se mord la levre, nerveuse. J'attrape l'album et me rapproche


d'elle pour lui tendre.

-- Ne le sois pas. Sur cette photo, nous etions en terminale, quelques jours
avant le bal de fin d'annee. Sid m'avait traine de force dans pres de vingt
boutiques pour trouver la robe parfaite. Tu sais ce qui est bete dans cette
histoire ?

Secouant la tete, elle pose son regard vert sur moi, je ne peux m'empecher
de sourire.

-- Apres plus de cinq heures de shopping, nous sommes revenus a la


premiere boutique et elle a achete la premiere robe qu'elle a essayee.

Sunshine pouffe, alors que je tourne la page de l'album et lui montre une
photo de Sidney et moi a ce fameux bal. Elle porte une robe noire, tombant a
mi-cuisses, aux coutures pailletees et au col rond. Sans manches, la tenue
laisse voir ses epaules.

-- Elle est belle, souffle l'enfant.

-- Oui, elle l'etait. Je n'ai jamais vu une personne aussi belle qu'elle.

-- Et Lou ?

Comment expliquer a une ado de treize ans la difference entre Lou et Sid ?
Je vois a l'etincelle de peur qui brille dans ses yeux que je ferais mieux de
trouver une reponse valable et rapidement.

-- Ta soeur est differente. Elle a une telle prestance et n'en a pas


conscience. Sid avait besoin de moi sans arret, son univers ne pouvait pas
tourner si je n'etais pas la. Mais avec ta frangine, c'est autre chose. Parfois, je
regarde Lou et j'ai l'impression que le monde entier se crashe autour d'elle.
Elle est toujours la survivante, elle est forte et vulnerable, douce et dure, drole
et cynique. Ta soeur est un phenomene a elle seule, j'ai ete attire par elle
immediatement. J'ai ressenti le besoin d'etre constamment pres d'elle, pas
pour la sauver, mais parce que c'est vital pour moi.

Sunshine sourit, satisfaite de ma reponse. Et a cet instant, je comprends :


ce n'est pas elle qui a besoin de moi, mais bien moi qui ai besoin d'elle.
Soudain, une ombre apparait dans l'encadrement de la porte ; c'est Lou. Les
poings sur les hanches, elle nous observe.

-- Tu ne dors pas Sun ? demande-t-elle.

-- Je n'y arrivais pas...

Elle lui sourit et vient s'asseoir a mes cotes.

-- Que faites-vous ?

-- Je regardais un vieil album photo, je montrais a Sunshine de quoi j'avais


l'air quand j'etais un ado.

Mes doigts se nouent aux siens, je la sens se raidir. Pourquoi ? Elle se


ferme et je sais ce que ca veut dire : nous allons encore nous disputer. Je
pince les levres et detourne la tete.

-- Je crois que tu devrais retourner au lit, je te montrerai tout ca demain,


dis-je a Sunshine.

-- Ouais, je suis fatiguee.

A-t-elle senti qu'il y avait de l'eau dans le gaz entre sa soeur et moi ?

Je la regarde partir et tente de recuperer ma main, mais Lou s'y accroche


desesperement.
-- Ca va ? demande-je.

-- Pourquoi tu ne m'as jamais dit tout ca ? Ce que tu viens de dire a ma


soeur ? J'aurais aime que tu partages ca avec moi aussi, au lieu de surprendre
votre conversation.

-- Je sais pas... J'ai essaye, mais peut-etre que tu ne m'entendais pas ou que
je ne viens que de comprendre tout ca.

-- Je me pose une question depuis hier, tu trouves que ca va trop vite entre
nous ?

-- J'aimerais bien te dire que oui, mais non. Parfois, j'ai l'impression de te
connaitre depuis des annees, mais d'autres fois, j'ai le sentiment que nous ne
sommes que de vagues connaissances.

Elle se blottit contre moi, la tete au creux de mon epaule, je la souleve pour
l'asseoir sur mes cuisses, tandis qu'elle passe ses longs bras autour de mon
cou.

-- Je peux voir Sidney ?

-- Oui.

J'etire le bras et attrape l'album photo. Lou pouffe en me voyant en costard


trois pieces noir avec un noeud papillon paillete.

-- Ne te moque pas, j'avais la grande classe !

-- Ouais, mais a cote d'elle, n'importe qui l'aurait. Elle est belle.

Ses longs cheveux bruns etaient teints en rouge et descendaient en cascade


jusqu'a ses reins. Son maquillage est simple et presque discret sur la photo,
malgre son gloss rouge petant. J'ai peine a detacher mon regard d'elle, et je
dois avouer qu'en ce moment, elle me manque.

-- J'ai le chic pour attirer les jolies filles.


Je ne veux pas que Lou se rende compte de mon malaise, alors je tente une
blague, mais ca ne semble pas trop fonctionner.

-- Je peux te demander un truc ?

-- Tu peux tout me demander, tu le sais.

-- Je sais que tu n'es pas avec moi pour me sauver, ca, ca va, mais je t'en
prie, je ne veux jamais etre en competition avec l'autre femme de ta vie.

-- Non, tu ne le seras jamais. Tu vois les choses comme ca ?

-- Pas du tout, enfin, pas vraiment... Je comprends Jamie et ses parents,


mais c'est difficile de voir que je ne serai jamais a la hauteur de Sidney.

-- Ils ne le font pas expres...

-- Je le sais. Et puis, je crois qu'elle et moi aurions pu etre amies.

J'eclate de rire et enfouis ma tete dans son cou.

-- Vous auriez fait une belle paire et m'auriez rendu completement barge !

-- Mais tu l'es deja, bebe !

Je decide de changer de sujet, pas que la conversation soit lourde, mais


parler de Sidney comme ca me torture toujours un peu.

-- Demain, on pourrait emmener les filles faire du shopping ? Et apres, on


pourrait diner dans un restaurant.

-- C'est une idee super ! On peut inviter Jamie ?

-- Euh... oui, mais ca m'etonne que tu proposes.

-- J'adore cette femme et je crois qu'en ce moment, elle a besoin d'etre


entouree.
-- Je l'appellerai demain pour lui proposer.

-- Je retourne au lit, tu m'accompagnes ou t'as encore besoin d'un moment


avec tes souvenirs ?

-- Je t'accompagne.

Encore une fois, nous regagnons la chambre main dans la main, presses de
nous blottir l'un contre l'autre.
46
Lou
Des eclats de rire me tirent de mon sommeil. J'ouvre les yeux et tourne la
tete a la recherche de Jarred. Sa place dans le lit est vide, il n'est plus dans la
chambre. Un mal de tete me terrasse, c'est si lancinant que j'ai l'impression de
sentir mon sang pulser dans mes tempes. Tremblante, je frotte mes yeux avec
mes poings avant de sortir du lit et d'enfiler un peignoir. Un petit passage a la
salle de bain s'impose pour me passer un peu d'eau fraiche sur le visage. Je
verrouille la porte derriere moi, un vertige m'assaille et je dois me retenir au
lavabo pour ne pas m'effondrer. Je souffle en attrapant un gant de toilette que
je mouille et passe sur ma peau moite. Tantot sur le visage, tantot sur les
epaules et le cou.

Une fois le malaise passe, j'ouvre la porte de la petite pharmacie a la


recherche d'aspirine ou d'un truc pour faire passer les maux de tete. Comme
je ne trouve rien qui fasse mon bonheur, je pars rejoindre Jarred dans la
cuisine. Il est assis a la table avec les filles et fait le pitre. Il leve sur moi un
regard amuse qui devient rapidement grave lorsqu'il voit ma tete.

Je fais si peur que ca ?

-- Bebe ? Ca va ?

-- J'ai mal a la tete, dis-je.

-- Coucou tout le monde ! s'ecrie Jamie dans mon dos.

Sa voix cogne dans ma tete comme un echo et me fait grimacer.

-- Ca va Lou ?

-- Seulement une migraine.


-- Tu veux du paracetamol ?

-- T'en as ?

-- Ouais, dans mon sac a main, sourit-elle.

-- T'as quoi dans ces deux gros sacs ? demande Jarred.

-- J'espere que mon initiative ne sera pas mal prise, mais j'ai remarque que
les filles n'avaient pas beaucoup de vetements alors j'ai fouille dans ma
collection pour ado et leur ai apporte quelques trucs. Ca date de la saison
derniere, mais...

-- Non, Jamie, tu ne peux pas leur donner tout ca, grogne-je.

-- Oh ! Tu sais Lou, je pensais plutot echanger ca contre une ou deux


journees pour m'aider a nettoyer le studio.

-- Alors, dans ce cas-la, il faut leur demander.

Elle pose les deux enormes bagages sur la table, enfonce la main dans son
sac a main en cuir mauve et en ressort une boite blanche et bleue qu'elle me
tend. Je me laisse choir sur la chaise a cote de Jarred et me prends la tete
entre les mains.

-- Je t'apporte un verre d'eau.

Jamie ouvre une armoire et en sort un grand verre qu'elle remplit d'eau et
pose devant moi.

-- Merci, marmonne-je.

-- T'as pas beaucoup mange hier, je vais te concocter un bon petit-dejeuner,


annonce Jarred.

Il se leve et s'affaire rapidement a preparer du pain grille accompagne de


fromage et de fruits. Il demande a Jamie si elle veut quelque chose, je
l'entends vaguement repondre que non. Un grand verre de jus d'orange
apparait devant moi, puis une assiette remplie. Je n'ai pas vraiment faim...

-- Mange ! m'ordonne Jarred.

Les jumelles pouffent en me voyant lever les yeux au ciel. J'attrape un


quartier d'orange pour le croquer en adressant un faux sourire a mon petit ami
qui me repond avec une grimace. Je releve la tete vers Jamie qui me sourit,
amusee.

-- Vous n'avez pas repondu a Jamie, dis-je en regardant mes soeurs.

-- Peut-etre pourriez-vous jeter un coup d'oeil au contenu avant de me


donner votre reponse.

Elles se lancent sur les sacs avec tellement d'entrain que je suis surprise
qu'elles aient pu patienter jusque-la. Les vetements volent dans tous les sens
sous des <<< oh ! >>> et des <<< ah ! >>> d'extase. Malgre mon mal de
crane accablant, je ne peux reprimer un sourire. La main de Jarred se pose sur
la mienne et il la presse pour m'intimer de terminer mon assiette. Je refoule
un grognement et mords dans une tranche de pain grille. Une fois mon petit-
dejeuner termine, mon mal de tete a presque disparu et les filles sont allees
dans la chambre pour ranger leurs nouveaux vetements.

-- Merci Jamie ! T'as besoin d'aide ? Parce que Jarred et moi n'avons rien
de prevu aujourd'hui.

-- Et moi qui croyais qu'on allait passer une journee ensemble, bougonne-t-
il.

-- He, mon coco, tu ne vas pas laisser ton associee se taper tout le travail.

-- C'est une grande fille !

Avant que je n'aie le temps de reagir, la main de Jamie s'eleve et claque le


derriere de sa tete.

-- Bon sang ! Jamais moyen de te laisser faire tout le sale boulot.


-- Je ne fais que me baser sur ce que tu me repetes sans cesse.

Elle prend une voix aigue et continue avec des paroles que Jarred lui a deja
dites :

-- On est une team ! On fait tout ensemble ! Si t'as des problemes, moi
aussi j'en ai. Je suis la pour toi.

Je pouffe, ce qui encourage Jamie a se moquer de son ami qui lui fait des
grimaces.

-- OK ! J'abdique ! On va t'aider partenaire.

-- Si vous voulez une soiree en amoureux, je peux prendre les filles chez
moi ce soir, propose-t-elle.

-- C'est gentil, mais...

-- Oui ! Dis oui Lou ! hurle Sloane.

Jarred hausse les epaules et se contente de me sourire. Je n'ai pas d'enfant,


je n'ai meme jamais pense devenir mere et la, je dois m'occuper de deux
adolescentes en pleine croissance qui piaillent sans arret. J'ai bien
l'impression qu'elles vont faire de ma vie un doux enfer...

-- Je...

-- On sera sages et on fera tout ce que Jamie nous demandera.

Je pense que ca nous fera du bien a toutes les trois.

-- Bon, d'accord ! Cependant, ne causez pas de problemes a Jamie, sinon je


vous enferme dans votre chambre pour une duree indeterminee.

Sloane me saute au cou pour me remercier et file en courant avertir sa


soeur.

-- S'il y a quoi que ce soit, tu m'appelles, d'accord ?


-- T'en fais pas Lou, tout va bien se passer. Comment va ton mal de tete ?

-- Beaucoup mieux, merci.

-- J'avais raison, t'avais besoin de manger, s'ecrie Jarred, fier de lui.

-- Nope ! C'est le paracetamol qui m'a remise sur pied, le taquine-je.

-- Pas moyen d'avoir raison dans cette maison ! Je vais m'habiller, lorsque
vous m'aimerez dignement, vous me trouverez dans ma chambre.

Il se leve, pose un baiser sonore sur mes levres et quitte la salle a manger
en feignant de bouder. Jamie s'assied a mes cotes et visse son regard dans le
mien.

-- Je ne le fais pas pour acheter mon pardon.

-- C'est pas comme s'il y avait quelque chose a pardonner, reponds-je.

-- Si quand meme, mais je le fais parce que je vous aime beaucoup les
jumelles et toi.

-- Tu sais, moi, ce sont mes economies qui t'en sont reconnaissantes. Je


n'imagine pas ce que ca m'aurait coute d'habiller ces deux-la.

Elle se contente de me sourire et se leve.

-- Je vais aller les voir et les aider a trouver leurs tenues pour la journee.

-- Peux-tu verifier qu'elles ne foutent pas le bordel dans la chambre, s'il te


plait ?

-- Oui maman !

Je roule des yeux et me leve a mon tour pour rejoindre Jarred dans sa
chambre. Mais lorsque j'ouvre la porte, je constate qu'il n'y est pas.
Lentement, je me dirige vers la salle de bain attenante. Bingo ! Il est la, torse
nu, et se rase. Je baisse la lunette des toilettes et m'y assieds. Pendant
quelques minutes, je l'observe en silence. Il me lance des petits regards
amuses au travers du miroir.

Une fois le bas de son visage parfaitement lisse, je m'avance vers lui et
grimpe sur le lavabo. J'attrape son doux visage entre mes deux mains et
caresse sa peau. C'est si agreable... Ses yeux gris comme l'acier me
transpercent et s'insinuent en moi pour reveiller mon bas-ventre. Je perds tous
mes moyens. Sa bouche s'empare alors de la mienne, sa langue s'immisce
entre mes levres et entame une danse sensuelle avec la mienne.

-- J'ai tellement envie de toi Lou, chuchote-t-il contre mon oreille.

Je fremis, mon coeur bat a toute allure, faisant pulser a toute vitesse mon
sang dans mes veines. Mes mains glissent sur sa chair, le long de son corps
jusqu'a son pantalon que je m'acharne a vouloir lui enlever. Le repoussant
legerement en posant une main contre son torse, je me glisse en bas du lavabo
et le lui retire enfin. Sa queue est a quelques centimetres de mon visage et elle
me semble dure comme de la pierre.

D'un geste rapide, je la prends dans ma main et la masturbe un petit


moment, imposant un rythme lent tandis que je ne quitte pas des yeux son
membre. Puis, j'ouvre la bouche pour lecher son gland. Mais a peine ai-je
donne quelques coups de langue qu'on frappe a la porte. Jarred etouffe un
juron et grogne avant de demander :

-- Ouais ? Quoi ?

-- On se demandait quand vous seriez prets a partir, demande sa meilleure


amie.

-- Tres bientot !

Je souris et continue mon petit manege, il se crispe et tente de me


repousser, mais je m'acharne et continue en enfoncant sa queue dans ma
bouche.

-- Lou est presque prete, annonce-t-il.


-- Tu veux qu'on parte avant vous et qu'on se rejoigne au studio ?

Ma langue lape sa hampe avec delice, je prends mon temps dans le but de
lui offrir la meilleure fellation de toute sa vie. Il n'essaie plus de m'en
empecher, non, il baise litteralement ma bouche en me tenant par les
cheveux. Il ondule du bassin, desireux de s'enfoncer toujours plus. Je savoure
son gout masculin et la douceur de cette peau fine.

-- Jarred ?

-- Non ! On arrive, la.

Il grogne et enfonce un peu plus ses doigts dans ma tignasse. Son sexe
entre et sort de ma bouche si rapidement que j'en perds le souffle, je tente de
reprendre le controle de la situation et le repousse legerement pour ne pas
m'etouffer. Ses doigts desserrent leur emprise dans mes cheveux et il me
laisse imposer le rythme que je souhaite. Moi qui ne souhaitais, a la base, que
lui offrir un peu de plaisir buccal, je suis rapidement soulevee et mes
vetements me sont arraches avec empressement. Il me retourne, me forcant a
prendre appui sur le lavabo, les deux mains fermement cramponnees a la
faience. De sa main droite, il frictionne mon clitoris et je mouille plus que de
raison. Il plonge rapidement un doigt en moi, comme pour me preparer a
recevoir quelque chose de plus gros. Puis, lorsque je suis suffisamment
glissante, il s'enfonce en moi, accompagnant son intrusion d'un delicieux son
rauque. Je ne suis plus qu'un pantin entre ses mains et il fait de moi ce qu'il
veut, pour mon plus grand plaisir.

Mes seins bougent au meme rythme que son bassin. L'une de ses paumes
est posee sur mon ventre et il me redresse. Mon dos bute contre son torse. Et
nous nous observons au travers du miroir. Je ne suis pas du genre voyeuse,
narcissique ou autre, mais l'image que me renvoie la glace m'excite tellement
que lorsque Jarred descend sa main le long de mon corps pour venir la glisser
entre mes cuisses, je ne peux retenir mon orgasme. Je me mords l'interieur de
la joue jusqu'au sang et me contorsionne dans tous les sens, essayant de me
soustraire a la caresse de ses doigts. Je ne vais pas y survivre... Mais son autre
main, toujours sur mon ventre, me maintient avec force contre lui. Il continue
de me masturber, mon sexe est en feu. Je le sens en moi, sur moi. Il accelere
et mon bas-ventre est douloureux de plaisir. J'entends sa respiration dans mon
oreille et cela m'excite d'autant plus. Il va me tuer... Je grogne, me cambre et
gemis jusqu'a un deuxieme orgasme. Mes jambes me supportent a peine
lorsqu'il recommence a s'enfoncer en moi. Il est insatiable et moi, je ne suis
plus qu'une boule de plaisir qui en redemande encore et encore.

Des coups portes a la porte nous derangent une seconde fois. Jarred
grogne, mais ne repond pas, s'affalant contre mon dos pour lacher un rale
etouffe. Son poids contre moi en plus de mes jambes flageolantes vient a bout
de mes dernieres forces, nous nous affalons sur le carrelage froid,
completement nus.

-- On part, venez nous retrouver plus tard, annonce Jamie.

-- On a manque le train, je crois, murmure-je.

-- Alors, on a tout le loisir de recommencer.

-- Mon corps ne va pas survivre...

-- Petite joueuse, va !

J'ignore sa petite pique. Je me releve, l'entrejambe moite, et me faufile dans


la cabine de douche. J'y entre et fais couler l'eau chaude sur mon corps
endolori par cet exercice. Bien sur, Jarred me rejoint, pret a recommencer.

-- Il ne se repose jamais ? demande-je, agacee, en designant son sexe qui


gonfle deja.

-- Pas quand t'es la.

Je sens son regard dans mon dos, mais je suis trop enervee pour lui faire
face. A la place, je plonge la tete sous les jets d'eau et mouille mes cheveux,
je tends la main pour attraper le shampoing, mais le fait tomber. Putain !
Jarred le ramasse et me le tend.
-- Je comprends pas pourquoi t'es en colere, Lou. T'es fachee parce que j'ai
toujours envie de toi ?

-- C'est pas ca, et tu le sais tres bien ! Maintenant, j'aimerais bien me


doucher tranquille.

-- Non, je ne sais pas ! Explique-moi !

Je me retourne.

-- J'ai l'impression que tu m'aimes uniquement pour ca...

Son sourire s'affaisse et l'expression que je lis sur son visage reflete la
deception et la colere. Instinctivement, je recule.

-- T'es serieuse la ?

Oui...

Non...

Bien sur que non...

-- Oui !

Il secoue la tete et sort de la douche, sans un mot. Je reste la, les bras le
long du corps, l'eau ruisselant sur mon corps. Mon cerveau est passe en mode
off, mon coeur, lui, explose et une petite voix interieure me repete que je ne
suis qu'une idiote. Rapidement, je sors de la cabine et seche mes cheveux.
J'enfile des vetements propres et cherche Jarred dans la maison. Je le trouve
apres un moment sur la terrasse. Il a l'air toujours aussi enerve.

-- Jarred ? Je peux te parler ?

-- Pas maintenant, Lou.

-- Je me doutais bien qu'un jour, je te decevrais. T'as pas voulu m'ecouter.


-- Laisse-moi tranquille !

Je l'observe quelques secondes. Il reste immobile, aussi je tourne les talons


et me rends dans la chambre des filles. J'embarque tous leurs vetements dans
les sacs et vais les poser tout pres de la porte d'entree. Ensuite, je file dans la
chambre et fais la meme chose avec mes affaires. Je suis tentee de laisser un
mot pour qu'il me rappelle, mais je laisse mon coeur ici, c'est suffisant. Je
sors de la piece avec ma valise que je traine difficilement derriere moi.

Jarred apparait au bout du couloir, droit comme un piquet, les bras croises
sur le torse.

-- Tu crois vraiment que c'est a cause de ca que je suis avec toi, parce que
t'es bandante ?

-- Non ! Non ! C'est pas ca !

-- C'est quoi alors, Lou ? Parce que la, je ne te suis plus.

-- Je sais pas ce qu'il m'a pris. Je suis desolee...

Je l'observe lui, mais aussi ce que je viens de gacher. Il me toise, puis en


l'espace d'une seconde, son regard se radoucit et ses bras retombent de
chaque cote de son corps. J'y vois comme un appel au secours, une demande
pour une seconde chance. Je laisse tomber ma valise et m'elance vers lui.
Seulement quelques metres nous separent, mais je me jette sur lui sans lui
laisser le temps de repliquer. Mes mains entourent son visage et tente de
l'obliger a me regarder.

-- Jarred, je t'aime ! Je t'en prie, ne me laisse pas tomber. Je t'aime bebe !


Bon sang, je t'aime !

Je m'egosille, tandis que mon corps tremble comme une feuille. Ses yeux
se posent dans les miens, il me sonde, tente de voir en moi.

-- Te laisser tomber ? Tu fais quoi avec ta valise, Lou ?


-- Je m'en allais...

-- T'es tellement bete parfois ! Je t'aime, et je ne sais plus quoi dire pour
que tu le comprennes.

-- Non, je le sais, c'est juste que... On venait de baiser brutalement, comme


des betes quoi, et la seconde d'apres, t'avais toujours une trique d'enfer.

-- Tu prefererais que je reste indifferent face a toi ?

-- Non !

-- Babe, tu penses trop, ca cree des problemes qui n'ont pas lieu d'etre.

Il embrasse le dessus de mon crane en soupirant.

-- Tu t'en allais vraiment ?

-- Mais non, c'etait pour...

-- T'es bete, je te l'ai deja dit, non ?

-- Je crois bien...

-- Lou, je ne vais pas te faire de grand sermon sur ce que doit etre l'amour,
parce que t'aimer n'a rien de conventionnel. T'aimer, c'est plutot comme etre
au milieu d'une tornade.

-- C'est pas gentil ca...

Je me mets a bouder comme une enfant tandis qu'il prend place sur l'un des
canapes du salon.

-- Non, attends, tu me laisses jamais terminer et j'ai toujours l'air d'un


couillon.

J'ai envie de pouffer, mais son air triste m'en dissuade.


-- Jarred, pourquoi t'as envie d'etre avec moi ? Je suis loin d'etre facile a
vivre, tu l'as dit toi-meme. T'as toujours l'impression d'etre au milieu d'une
tornade. Un jour, t'en auras marre de tout ca et tu partiras.

Il se leve et fait les cent pas devant moi, puis il stoppe et se retourne.

-- Merde ! Dis-moi ce que je dois dire pour tu arretes de penser ce genre de


chose ! Dis-moi ce que je dois faire pour que ca cesse d'etre en up and down
nous deux. Je l'ai vecu une fois, je ne suis pas certain de survivre a une telle
relation. Je t'aime, t'es magnifique, et le fait que j'ai une putain d'erection
quand tu partages la meme douche que moi ne devrait pas etre un sujet de
dispute.

-- Je...

Un frisson me parcourt l'echine. Il n'est pas certain de survivre avec moi,


jamais une phrase ne m'avait autant blessee. Ne pas survivre... comprend-il
seulement le poids de ses mots ? Je ne crois pas...

-- Tu sais ce qui me fait le plus de mal dans ce triste monde ? demande-je


en me placant face a lui.

Il ne me lache pas des yeux, je caresse sa joue du bout des doigts.

-- Je blesse les gens que j'aime parce que je suis trop impulsive, mes
emotions en dents de scie n'arrangent rien. Mais c'est ainsi. Cependant,
j'essaie tellement fort de faire des efforts quand je suis avec toi. Parce que je
t'aime comme je n'ai jamais aime personne dans ma vie.

J'embrasse le bout de ses levres et ajoute :

-- Mais je ne peux pas risquer que tu ne survives pas a notre relation. Tu


merites mieux qu'une cinglee dans mon genre.

-- Lou, t'es en train de faire quoi ?

-- Sacrifier mon coeur pour toi. T'as le droit d'etre heureux...


-- Avec toi, je le suis, mais quand tu me fais la gueule pour rien, je ne sais
plus quoi faire. J'ai peur que tu ne comprennes pas ce que je ressens pour toi.
C'est dur a gerer, j'ignore quand je dois prendre des gants et quand je peux
agir normalement.

Je tente un bref sourire. Il sait bien que ma maladie est un desordre des
emotions et que je dois me battre chaque minute contre les impulsions que
cela entraine. C'est dur pour lui, mais ca l'est egalement pour moi.

-- Je ne suis pas Sidney, Jarred. Hier, je t'ai demande de ne pas nous


comparer.

Je n'ai pas envie de me disputer avec lui. Laisser retomber la pression me


semble etre la meilleure chose a faire pour le moment.

-- Peut-etre qu'on pourrait prendre quelques jours pour nous, chacun de son
cote..., je propose.

-- Non ! Jamie va garder les filles ce soir, et nous, on a besoin de parler.

Son ton est ferme, autoritaire et ne me donne pas envie de le contredire.


Puis, je risque quoi a rester pour la nuit ? Rien, il n'est ni un psychopathe ni
un idiot qui profitera de moi.

-- Comme prevu, on va aller donner un coup de main a Jamie et ensuite,


nous aurons une discussion.

La honte me submerge d'un seul coup, elle est si vive que j'enfouis mon
visage entre mes mains et lui tourne le dos. Je me sens comme la derniere des
idiotes, pourquoi j'ai reagi ainsi ? Je m'en veux tellement...

-- Lou, reste avec moi, murmure-t-il.

-- Bon sang ! Je ne suis qu'une conne ! Je ne veux pas mettre un terme a


notre histoire, je veux que tu continues de bander pour moi...

Il penche la tete en pincant ses levres.


-- Premierement, c'est toi qui voulais me quitter, et deuxiemement, je
banderai pour toi toute ma vie, bebe.

Je tente de sourire, mais c'est difficile. Jarred releve mon menton avec son
index et visse son regard dans le mien.

-- Ouais, j'ai dit une connerie et je m'en veux. Je ne peux pas vivre sans toi.
En fait, je le sais depuis la reception chez Jamie, mais parfois, on a besoin
d'une piqure de rappel. Tu me pardonnes ?

Pour reponse, je hoche la tete alors qu'il m'embrasse.


47
Lou
Jarred gare sa voiture dans le petit parking adjacent au studio. Je me sens
toujours terriblement honteuse de la crise que j'ai faite ce matin. J'ai
l'impression d'etre une enfant capricieuse. Je devrais plutot etre flattee de
faire autant d'effet a mon petit ami.

Quelle conne !

-- Lou, cesse de ruminer, je t'entends jusqu'ici.

Je pose ma tete contre le dossier, puis la tourne vers lui avant de prendre la
parole.

-- Je ne rumine pas. J'ai juste honte de ce que j'ai fait, j'ai l'impression
d'etre une enfant qui dit <<< non, je n'aime pas >>> sans meme avoir goute...

-- Tu y as deja goute et il me semble que ca t'a plu. T'inquiete, je reste a ta


disposition si t'en veux un peu plus...

Je fronce les sourcils, ce qui le fait eclater de rire. Il sort de la voiture,


toujours aussi hilare, et je le rejoins.

-- Dis-moi ce qu'il y a de marrant, grogne-je.

Il se penche vers moi avec un sourire carnassier et murmure a mon oreille :

-- Ce soir, tu auras tout le loisir de comprendre et d'y gouter autant que tu


veux.

-- T'es bete !

Je pouffe en lui donnant un coup sur le bras alors que nous penetrons dans
le studio. Il fait mine d'avoir mal et Jamie s'avance vers nous en secouant la
tete, amusee par nos gamineries.

-- Un jour, elle va te foutre une raclee, rigole-t-elle.

-- T'inquiete pas, je sais comment eviter ca. J'ai beaucoup d'atouts.

Il fait rouler ses sourcils de facon assez suggestive, ce qui me fait rire, mais
son amie secoue la tete et s'ecrie :

-- Bon d'accord ! Je ne veux pas savoir !

-- Bref... En quoi puis-je etre utile ? demande-je.

-- Tu peux ranger ta loge, il y a un sacre bordel la-bas.

-- D'accord. T'as pas eu de problemes avec les filles ?

-- Non, aucun.

Je secoue la tete avant de lancer un regard circulaire dans la piece.


J'apercois mes petites soeurs tout au fond en train de mettre des objets casses
dans une grosse poubelle. Sloane releve la tete et m'envoie un signe de la
main. Je lui reponds avec un petit hochement de tete et me dirige vers elles.

-- Ca va mes cheries ?

Elles sont magnifiques avec les vetements que Jamie leur a donnes. Sloane
porte un haut ample legerement ouvert dans le dos de couleur violet et un
short noir, tandis que Sunshine a choisi une tenue plus classique : short en
jean et haut blanc. Elle me fait de plus en plus penser a moi a cet age.

-- Ouais, et toi ? demande Sun.

-- Je vais bien. Je serai dans la loge s'il y a un probleme, d'accord ?

Elles me repondent sans vraiment le faire en grognant. Je suppose que ca


veut dire qu'elles trouvent que je les materne trop, mais c'est plus fort que
moi.

Je rejoins ma loge. Et j'etouffe un juron en constatant l'etat de la piece. Je


reste pantoise face a un tel desordre. Qui a bien pu faire ca ?

Par ou commencer ? Je scrute les debris un instant et constate que le seul


objet plus ou moins en etat est la table sur laquelle etaient poses les produits
de beaute. Je remonte mes manches et agrippe le bois. Oh, hisse ! Bon sang,
ce truc est bien plus lourd que je ne pensais ! J'inspire un bon coup et
recommence. Argh ! Impossible, j'y arriverai jamais. Et pas question de
demander de l'aide a Jarred, il s'en vanterait. Excedee, je donne un coup
puissant dans le pied de la table et celle-ci glisse, devoilant un petit objet
brillant. Tiens ?

Je me penche pour le sortir des debris. Et la, mon coeur a un rate. Il s'agit
d'une montre, dont le bracelet est en argent noir. Je connais bien ce bijou. Ce
n'est pas possible... Tremblante, je retourne le cadran et vois ce que j'aurais
prefere ne pas voir. Un nom y est grave : celui d'Ethan.

Comment cette montre a-t-elle pu atterrir ici ? Il n'a jamais mis les pieds au
studio ! De plus, il ne s'en separe jamais... J'ai beau retourner ca dans tous les
sens, il n'y a qu'une explication possible : il est venu ici. Pourquoi ? Voulait-il
me voir ? Puis, ca devient comme une evidence. Mon souffle se coupe ;
aurait-il pu saccager cet endroit ? Aurait-il pu tout detruire avec autant de
violence ? Est-ce que je le connais suffisamment pour affirmer que non ?
Comment a-t-il pu faire ca ?

Les questions affluent, mais le manque de reponses me rend folle. Il etait


mon meilleur ami, la personne qui me connait le plus. Jamie m'a parle d'un
message qu'elle aurait trouve dans ma loge, ca disait quoi deja ? Pas le temps
d'y reflechir qu'une voix m'interpelle.

-- Lou ?

Je sursaute et me retourne, tremblante, les yeux remplis de larmes, le coeur


gros comme jamais.
-- Bebe ? Que se passe-t-il ?

-- C'etait ecrit quoi sur la note laissee dans ma loge ?

Ma voix est blanche, mon ton incisif.

-- <<< Laisse-la tranquille, tocard ! Sinon, on reviendra ! >>>.

Ils sont deux, il n'a pas fait ca tout seul. L'idee doit etre de Tommy. Oui,
c'est ca, il me deteste et voulait m'en faire baver en s'en prenant aux
personnes qui comptent pour moi. Il a entraine Ethan dans un plan
completement insense...

Je ne vois pas d'autre solution...

-- Lou, dis-moi ce que tu as.

-- Je... Je..., bafouille-je.

Maintenant que je ne peux plus nier l'evidence, j'ai perdu la faculte de


former des phrases concretes. Ont-ils voulu me blesser moi, ou Jarred ?

Pour l'une des rares fois depuis que je le connais, la presence de mon petit
ami ne me rassure pas. Lorsque je lui montrerai ce j'ai decouvert, il entrera
dans une colere terrible et cela m'effraie.

Mais tu dois lui dire, Lou !

Mes levres tremblent comme jamais, mes yeux deviennent humides et je


lache d'un coup :

-- C'est Ethan qui a fait ca.

Ses yeux s'ecarquillent, sa bouche s'ouvre pour former un O parfait.

-- Quoi ?

-- C'est a Ethan...
Je pose la montre dans sa main, incapable de dire quoi que ce soit pour le
rassurer.

-- Je suppose qu'il n'a jamais mis les pieds ici ? continue-je.

J'ai besoin qu'il me dise que si, qu'ils se sont disputes. J'ai besoin de lui
trouver une excuse, un alibi qui prouveraient qu'il n'a rien a voir dans tout ca.
Mon ami de toujours n'a pas pu faire ca...

-- Pas a ma connaissance.

Ces paroles annihilent mes derniers espoirs. Je reste muette et mes


emotions semblent etre passees en stand-by. Dans une situation comme celle-
la, j'aurais sans doute tout detruit autour de moi, mais cette fois, je reste
calme, completement videe.

L'homme que j'ai toujours considere comme mon meilleur ami, celui que je
pensais au-dessus des autres... a detruit le studio ? Pourquoi ? Je ne
comprends pas.

Jarred hurle, ordonnant a Jamie de nous rejoindre dans ma loge, mais sa


voix est etrangement lointaine. Je suis momentanement coupee de tout. Les
silhouettes evoluent autour de moi, mais elles ne sont que des ombres dans la
lumiere projetee par les spots du plafond. Ces memes ombres echangent des
paroles qui ressemblent a de vagues bourdonnements.

On s'avance vers moi pour m'enlacer, je reconnais le parfum de Jamie. Je


reviens sur terre et apercois Jarred pendu a son telephone, probablement en
train de contacter l'inspecteur en charge de l'enquete.

-- Lou ? Regarde-moi ! m'intime-t-elle.

Ses mains froides glissent sur mon visage, je me detourne brusquement. Il


faut que je m'eloigne de cet endroit. Tout ceci est de ma faute...

Je tente de la contourner, mais elle s'accroche a moi de toutes ses forces. Je


me debats et parviens a me defaire de sa poigne. Elle hurle a Jarred de me
rattraper, il lance son telephone a son amie et me ceinture par la taille.

-- Lou ! Non ! Reste avec moi, murmure-t-il contre mon oreille.

Je me debats toujours en lui criant de me lacher. J'ai tellement besoin d'etre


seule, j'ai besoin de le voir, de savoir pourquoi il a fait ca. Pourquoi veut-il
detruire tous ceux qui m'entourent ?

Mes pieds decollent du sol et Jarred a de plus en plus de mal a me contenir,


ce sont les regards apeures des jumelles qui me calment. Elles sont effrayees
et tremblent de la tete aux pieds.

-- Lou, tu pleures ?

Ma petite Sunshine me fait remarquer que mon visage est humide. Du bout
des doigts, je touche mes larmes et tente de les essuyer avec la paume de ma
main. Mais les pleurs continuent d'affluer.

-- Lou, respire. Reste avec moi, murmure Jarred.

Il resserre son etreinte pour me rassurer. Je calque ma respiration sur la


sienne, et son souffle chaud sur ma nuque m'apaise.

-- C'est ca, bebe. Je suis la.

Jamie apparait dans mon champ de vision et emmene les jumelles avec
elle. Je ne sais pas comment il fait, mais il m'entraine dans la salle de bain,
celle ou nous avons presque baise il y a quelques jours. La piece est tout aussi
saccagee que le reste du studio, ca me fait mal de voir mes souvenirs ainsi
reduits a neant. Je me retrouve assise sur le lavabo, Jarred devant moi, son
regard gris dans le mien. Il me sonde, se demandant sans doute si je vais bien.

-- Je... Je suis desolee Jarred...

-- C'est pas ta faute, tu n'as pas a t'excuser.

-- C'est mon ami qui a fait ca...


-- Pour l'instant, nous ne pouvons pas en etre certains. L'inspecteur va venir
nous interroger et ensuite...

-- Je veux rentrer a la maison, je veux dormir dans tes bras. J'en peux
plus...

-- Oui bebe. C'est ce que nous allons faire, mais pour l'instant, nous devons
attendre l'inspecteur. Tu peux faire ca pour moi ?

Je me contente de hocher la tete. Oui, je peux faire ca pour lui et ce, meme
si mon monde s'ecroule. Avec la supposee trahison d'Ethan, j'ai le sentiment
que ma vie n'est qu'une vaste mascarade. Mais au centre de ce champ de
bataille, il y a Jarred. Et malgre toutes les guerres que nous avons essuyees, il
reste present. C'est mon roc, le seul sur lequel je peux reellement m'appuyer.

-- Tu vas mieux ? demande-t-il.

Non, je ne vais pas mieux, non ca n'ira pas mieux. Ce qu'il a fait est
impardonnable. Mon desespoir fait place a la colere, mes larmes cessent
immediatement de couler et je serre les poings. Jarred ressent mon malaise et
prend mon visage en coupe. Je n'ai qu'une envie, hurler et eclater la tete
d'Ethan contre l'asphalte !

-- NON ! Lou ! Non ! Calme-toi...

Ses yeux cherchent les miens, mais je les evite soigneusement. Ils
pourraient me faire flancher.

-- Je vais le tuer, crache-je.

-- Regarde-moi ! Ne te laisse pas consumer par la colere.

-- Tu veux quoi ? Que je lui tape dans la main pour ce qu'il a fait ?

-- Non ! T'as le droit d'etre en colere, mais ne laisse pas ce sentiment te


consumer. T'es plus forte que ca.

-- Votre travail... votre materiel...


-- On ne peut pas nous demonter si facilement, pas vrai ?

-- Jarred, je m'en veux... Sans moi, vous n'en seriez pas la.

-- T'as probablement raison, mais jamais je regretterai d'avoir pose les yeux
sur toi a cette soiree. Si c'etait a refaire, je le ferais encore. Sans toi, je serais
encore le pauvre mec que j'etais.

Je ne trouve rien a redire a ca. Par contre, je ne sais pas si ca m'apaise, me


calme ou me convainc, mais je decide de me ranger a ce qu'il dit. Je tente de
calmer ma respiration, sans succes. J'attrape Jarred par la nuque et le serre
contre moi. Il passe instantanement ses bras autour de ma taille et me colle
contre lui.

-- Ma cherie, ce n'est pas ca qui va nous eloigner l'un de l'autre. On est bien
plus forts que ca.

Mon desespoir et ma colere retombent au contact de sa joue sur la mienne.


L'espace de plusieurs minutes, nous restons ainsi, j'ai la sensation que lui
aussi a besoin de savoir que je suis la pour lui. Mes doigts s'enfoncent dans
ses cheveux et, de mon autre main, je caresse doucement sa nuque. Il a besoin
de moi, et cette constatation me fait le plus grand bien. Ce n'est pas toujours
moi qui craque, ca lui arrive a lui aussi. Et dans ces moments, je veux qu'il
sache qu'il peut compter sur moi. Quelques coups bien portes a la porte nous
ramenent a une realite que j'aimerais bien oublier.

-- Lou ? Jarred ? L'inspecteur est la.

-- On arrive, s'ecrie mon petit ami.

Il releve la tete et visse ses yeux gris dans les miens.

-- T'es prete ?

-- Si t'es avec moi, je suis prete a tout.


48
Jarred
Ce petit merdeux d'Ethan me donne envie de l'etrangler a mains nues, le
torturer, le tuer et donner son corps a bouffer a des hyenes. Rien que d'y
penser, j'en tremble de colere. Je mentirais si je disais que je suis etonne qu'il
soit derriere tout ca, mais je me garde bien de le dire, Lou est suffisamment
perturbee par la trahison de son meilleur ami. Ca me peine de la voir ainsi.

Durant tout l'interrogatoire, elle s'est accrochee a ma main qu'elle serrait a


m'en rompre les os. C'etait difficile de la voir ainsi, si pres de son point de
rupture, tremblante de tout son etre. Elle a repondu aux questions de
l'inspecteur avec un courage qui m'a etonne. Elle n'a rien omis, meme les
trucs plus personnels concernant sa relation avec Ethan et Tommy. Elle a tout
raconte, combien Tommy pouvait etre instable par moments ou son
changement de comportement apres qu'elle lui ait signifie qu'elle ne
souhaitait plus de relation sexuelle avec lui. Par contre, lorsqu'est venu le
moment de parler d'Ethan, elle s'est quelque peu renfrognee et son ton est
devenu etrangement cinglant. Je crois qu'elle ne lui pardonnera jamais ce qu'il
a fait.

Une fois l'interrogatoire termine, Lou s'est tournee vers moi et a fondu en
larmes dans mes bras. Les vannes etaient ouvertes et elles etaient impossibles
a fermer. Suite a ca, Jamie et moi avons convenu de nous en tenir au plan
initial, car si Lou a ete d'une force incroyable, elle a aussi besoin de se
reposer. Alors comme nous l'avions prevu, les filles vont dormir chez Jamie
ce soir et moi, je vais tacher de prendre soin de ma belle.

-- Jarred ?

Levi, le coiffeur que nous avions engage pour la collection, s'avance vers
moi d'un pas decide. Il traine sur le visage un coquard qui tourne au vert. Il
semble tout aussi epuise que nous par les evenements recents. Je le connais
depuis environ cinq ou six ans, il a debarque un soir a l'une des soirees de
Jamie, et il n'est plus jamais reparti.

-- Ca va mec ?

-- Ouais, ca va, mais je dois te parler...

Oula, ca ne presage rien de bon ca...

-- Ca ne peut pas attendre ? Lou a besoin de moi.

-- C'est justement de ca dont je dois te parler. J'en ai discute avec les


policiers, mais je voulais te le dire a toi. Je crois que ceux qui ont fait ca
connaissent bien Lou, car j'ai entendu les deux hommes parler et...

Je l'interromps :

-- On a quelques pistes aussi. Tu as vu leurs visages dis-moi ?

-- Comme je l'ai dit aux policiers, ils etaient masques. Jarred, cette histoire
est insensee, mais j'ai peur qu'ils s'en prennent a Lou, directement tu vois ?

-- Je veille sur elle.

-- Mais aussi a toi et a Jamie.

-- Pourquoi on serait en danger ?

Il secoue la tete, je remarque que l'eternelle ligne d'eye-liner qu'il s'acharne


a mettre sur sa paupiere a disparu. Je fronce les sourcils en me posant mille et
une questions. Que se passe-t-il ?

-- Ca va Levi ? Tu m'inquietes la, mec...

-- Je sais pas, je n'avais fait face a un tel degre de violence auparavant. J'ai
peur que ces deux-la s'en prennent a vous de la meme facon...
Il n'a pas tort. S'ils s'en sont pris a lui, ils pourraient s'en prendre a Jamie.
Peut-etre n'est-ce pas la bonne chose de les laisser, elle et les jumelles, seules
? Je ne supporterai pas que quelqu'un s'en prenne a elle.

-- J'ai propose a Jamie de venir a la maison, mais tu la connais, elle est


tetue comme personne ! Elle me repete qu'elle n'a rien a craindre, mais quand
je l'ai appelee la nuit passee, elle semblait quand meme craintive.

Je hausse un sourcil, surpris par ce que Levi vient de dire. Il telephone a


Jamie la nuit, mais pourquoi ? C'est admirable qu'il s'inquiete autant pour sa
patronne, mais en meme temps, je ne peux m'empecher de trouver sa reaction
suspecte...

-- La nuit ? Elle te laisse l'appeler a 05 heures du matin ?

-- Ouais, mais c'est elle qui m'a demande de le faire...

Des l'instant ou il realise en avoir trop dit, il se met a bafouiller.

-- Euh ouais... Tu sais... euh... laisse tomber.

-- Y a quelque chose que tu ne me dis pas, Levi ?

-- Non ! Enfin...

Il se tait, croise les bras sur son torse et secoue la tete, sans lacher un mot
de plus.

-- Si tu ne me le dis pas, je vais lui poser la question a elle directement.

-- Elle ne te dira rien.

Bien decide a savoir ce qu'il se passe, je hele Jamie qui vient vers nous
immediatement. Elle nous regarde a tour de role, mais chaque fois que ses
yeux se posent sur notre ami, elle lui sourit, quant a moi, je ne recolte que de
droles de grimaces. Bon, qu'est-ce que j'ai fait de mal ?

-- C'est quoi le probleme ?


-- Levi, ici present, semble croire que tu es en danger.

-- On en a parle hier, et te meler a tout ca, Jarred, ne resoudra rien...

-- Ah ouais, vous en avez parle hier ?

Je croise les bras sur mon torse et contemple Jamie d'un air amuse. Il m'en
a fallu du temps pour comprendre que les deux idiots devant moi s'aiment
plus que bien.

-- Ouais, comme je parle a un ami, rencherit Jamie.

-- Que se passe-t-il ici ? demande Lou en s'approchant.

-- Je crois que ma meilleure amie essaie de me prendre pour un idiot.

-- Ce n'est pas ca... C'est que...

-- Laisse-la tranquille Jarred, tonne ma belle.

Je m'avance vers elle et pose mes mains sur sa taille, aussitot, elle me
repousse legerement. Je fronce les sourcils et la laisse m'entrainer a l'ecart.

-- Ca va Lou ?

-- On rentre bientot ? Je suis epuisee...

-- Oui, je vais avertir Jamie et nous partons.

-- Merci, je vais verifier aupres des filles que tout est OK pour elles.

Je la prends dans mes bras, cette fois, sa tete se niche immediatement au


creux de mon cou. De legers tremblements secouent son corps, je ne sais pas
si elle a froid ou bien si c'est par peur. Mes mains caressent doucement son
dos, dans l'espoir de l'apaiser.

-- Une fois a la maison, je te ferai couler un bain bien chaud. Puis, pendant
que tu te prelasseras dans la mousse, je preparerai le diner. Ensuite, on
regardera un film dans le lit, d'accord ?

Elle acquiesce et s'agrippe tellement fort a moi que j'ai l'impression qu'elle
va craquer d'un instant a l'autre. Jamie s'avance vers nous, accompagnee de
Levi et des jumelles.

-- Levi viendra dormir a la maison, annonce-t-elle.

Lou fait promettre a ses frangines d'etre sages. Je crois que c'est beaucoup
pour elles en ce moment, elles semblent autant sur le point de flancher que
leur ainee. C'est decide, des vacances s'imposent, elles ont toutes les trois
besoin de souffler.

-- Ca va aller ? demande-je a ma meilleure amie.

-- Mais oui, il tient a rester a la maison.

Elle designe Levi d'un signe de tete, un air amuse sur le visage. Comment
j'ai fait pour ne rien voir avant ? Ils sont proches, trop proches pour n'etre que
de simples amis. Je me demande quand ca a commence. Est-ce pour ca que
Jamie a ressenti le besoin de mettre un terme a son mariage avec Anton ? Est-
ce pour cette raison qu'il est si en colere ?

-- Vous etes pretes les filles ? s'exclame le coiffeur.

-- S'il y a quoi que ce soit, je t'appelle, d'accord ?

Lou hoche la tete et vient se blottir contre mon corps, je passe mon bras
autour de ses epaules, tandis que les siens entourent ma taille.

-- Hey Jamie ? N'oublie pas les protections.

Elle secoue la tete, guere amusee par ma reflexion un poil taquine. Lou me
donne un coup dans le ventre qui me fait legerement grimacer, mais qui fait
rire tout le monde.

-- N'oublie pas de verrouiller en sortant, ordonne Jamie.


-- Comme s'il y avait encore quelque chose a voler ici...

-- Faudrait pas retrouver un SDF en train de dormir dans un coin, en plus


de tout ca, grogne Lou.

La porte claque, annoncant le depart de nos amis. Je me tourne vers ma


belle et prends son visage en coupe. Ses grands yeux noisette se vissent dans
les miens, incapables de bouger, nous restons ainsi un long moment, sans dire
un mot. Elle se pose un millier de questions, je le vois dans son regard, mais
surtout, elle a peur que ca recommence. Elle n'a pas peur pour elle, elle a peur
pour moi, Jamie, le studio, les jumelles.

-- Dis-moi ce qui se passe dans ta tete, exige-t-elle.

-- J'ai... j'ai du mal avec tout ce qui arrive...

-- Je comprends... Je m'en veux tellement que... je me sens coupable...


Jarred. Imagine s'ils s'en etaient pris a toi... je ne m'en serais jamais remise.

-- Ils ne peuvent rien contre moi, bebe, et tu sais pourquoi ?

Elle secoue la tete et ses cheveux lui fouettent le visage. Je presse mes
levres contre son front, elle me serre un peu plus contre elle.

-- Parce qu'ensemble, nous sommes plus forts que tout.

Lou se detend et je profite de cette proximite pour murmurer ma plus


grande peur a son oreille. Je sais que si je la regarde dans les yeux, je ne
pourrai pas prononcer ces mots insenses.

-- Tu ne vas pas me quitter pour ca, hein ?

Elle tente de se defaire de l'emprise de mes bras, mais je la serre contre


moi si fort qu'elle cesse de gigoter immediatement.

-- Jarred, nous sommes incapables de survivre l'un sans l'autre. C'est ce


qu'on a dit, non ?
Ses paroles ont un effet apaisant sur moi, ses bras remontent dans mon dos
et ses doigts caressent doucement ma nuque. Elle se hisse sur la pointe des
pieds et m'embrasse sur la joue.

-- Je t'aime.

Malgre le cote chaotique de la situation, je ne peux m'empecher d'etre


heureux. Elle est la et ne compte pas s'en aller. Je passe mon bras autour
d'elle et l'entraine vers la porte en la serrant contre moi.

-- N'oublie pas de verrouiller ! Jamie t'arrachera la tete si tu ne le fais pas.

-- Y a un truc qui me chiffonne sur Levi et elle.

-- Non, mais laisse-les tranquille Jarred, me reprimande-t-elle.

Je referme derriere moi et Lou s'appuie contre le mur.

-- T'avais remarque pour eux ?

-- Non, mais maintenant, je trouve ca evident.

-- Pas moi, j'ai toujours pense que Levi etait homosexuel.

-- Quand bien meme il serait bisexuel, ca ne changerait rien.

-- Je sais, je suis juste etonne.

Elle pince ma joue entre son pouce et son index en riant.

-- Jamie est une grande fille.

Je lui ouvre la portiere de la voiture et la referme une fois qu'elle est a


l'interieur. Je contourne rapidement la voiture et prends ensuite place derriere
le volant. Une fois en route, Lou glisse sa main dans la mienne. Ce geste me
reconforte dans les petits doutes que j'ai. Je conduis en silence jusque chez
moi.
-- Tu crois que les filles vont bien ? demande-t-elle.

-- Tu peux appeler Jamie pour en etre certaine, meme si ca ne fait meme


pas une heure que nous les avons quittees.

-- J'en fais trop, non ?

Je me gare devant la maison.

-- Pas du tout, tu t'inquietes pour elles et c'est super. Maintenant, entrons,


je vais preparer le diner.

-- T'as pas besoin de me couvrir de milliers d'attentions, tu sais ?

-- Je sais, mais j'ai envie de voir un sourire sur ton visage. Peu importe
l'heure de la journee.

Un sourire force etire ses levres, je sens qu'elle bascule tranquillement dans
une espece de culpabilite impossible a freiner. Elle sort du vehicule et se
dirige vers la maison sans meme m'attendre, je ne peux m'empecher de serrer
les dents de colere. Ce connard d'Ethan et ses conneries destinees a faire de la
vie de Lou un enfer commencent serieusement a me gonfler. Je sors a mon
tour et la suis a l'interieur.

Une fois dans le salon, je ne la trouve nulle part, je fais rapidement le tour
en commencant par la chambre. Je suppose que c'est un reflexe, Sidney
trouvait toujours refuge dans le lit lorsque ca n'allait pas.

Lou est differente.

-- Lou ? l'appele-je.

La panique me gagne si rapidement que je ne peux plus la controler. Je


tente de me raisonner une nouvelle fois, mais rien n'y fait. Elle n'est ni dans la
cuisine ni dans le salon ou dans la salle a manger. D'un pas rapide, j'avance
vers la porte menant a la terrasse, le coeur battant a tout rompre. Ouf, elle est
la, les coudes poses sur la rambarde, elle fixe un point dans le vide. Je ferme
les yeux deux secondes et expire profondement.

-- Que fais-tu ? demande-je.

-- J'ai besoin de prendre l'air...

Lasse, elle tourne la tete vers moi, ses yeux sont vides de tout sentiment,
elle semble si fatiguee...

-- Ca va ?

Elle se contente de hausser les epaules et reporte son attention sur ce


qu'elle fixait quelques instants plus tot. Incapable de lui parler ou de lui
imposer de se livrer a moi, je me pose a cote d'elle.

-- Je crois que j'ai besoin d'une sieste.

-- T'as envie que je prepare le diner ?

-- J'ai pas tres faim...

-- Tu dois manger, Lou.

J'ai droit a un sourire force qui semble vouloir me signifier que j'en fais
trop.

-- Bon, d'accord, mais un truc leger.

Elle depose un rapide baiser sur mes levres et quitte la terrasse sans
attendre une seconde de plus. Si j'etais de nature suspicieuse, je dirais qu'elle
tente de me fuir. Je lui emboite donc le pas pour lui demander des
explications.

Lorsque j'entre dans la chambre, elle est sagement assise sur le lit, les
jambes croisees et les mains sur les genoux.

-- Je savais que tu me suivrais...


-- J'aimerais savoir ce qui se passe Lou.

-- Rien, sauf que mes amis ont lachement saccage ce que tu as mis des
mois a creer. Ca me bouleverse...

-- Je peux comprendre que tu te sentes trahie. Je me demande juste


pourquoi ils ont fait ca.

-- Je m'en fous, ils l'ont fait et c'est suffisant.

-- Tu t'attends a quoi Lou ? Parce que la, tu me repousses alors que tout a
l'heure, tu m'assurais que tu m'aimais, et je ne comprends plus tes reactions.

Legerement surprise par le ton acide de ma voix, elle ouvre et ferme la


bouche a trois reprises. Je meurs d'envie d'accourir pres d'elle et de la prendre
dans mes bras, mais je reste la, les bras croises sur le torse.

-- T'es pas le seul qui a du mal a gerer ca. Je ne sais plus comment reagir.
Je t'aime Jarred, n'en doute jamais.

-- Ca va bien nous deux, non ?

-- Ouais, mais je ne sais pas si c'est ma maladie ou si c'est moi qui suis
ainsi, mais a force de me chercher, je me perds.

-- Alors, ne me laisse pas et je te guiderai. Arrete de me repousser.

-- Desolee, je me sens simplement coupable...

Je soupire.

-- Ethan et Tommy sont des malades, t'es pas d'accord ?

Je m'agenouille devant elle et prends ses mains dans les miennes. Sa peau
est douce et froide a la fois.

-- Ne me quitte pas Lou, tu survivrais sans moi, mais moi, non.


-- C'est faux et tu le sais.

-- Ce que je sais, c'est que l'on a encore cette discussion.

-- C'est toi qui crois que je vais te laisser.

D'un geste desespere, j'attrape son visage entre mes mains et l'embrasse
avec passion. Elle m'attire vers elle.

-- Je suis desolee si tu as cru que je voulais te quitter, marmonne-t-elle.

-- Ce n'est pas grave.

-- J'ai jamais vraiment ete en couple, tu sais.

Je la regarde commencer un monologue, tandis que je prends place a ses


cotes. Elle prend naturellement ma main dans la sienne et me sourit.

-- Ouais, tu dois te dire que j'ai eu beaucoup d'hommes dans ma vie, et c'est
vrai, mais je n'ai jamais voulu etre en couple avec quelqu'un. Je n'ai jamais
aime assez fort pour ca, mais avec toi, c'est different et je crois que j'ai
quelques lacunes. Parfois, je ne sais pas comment je dois me comporter. Et
d'autres fois, j'ai besoin de me retrouver seule avec moi-meme.

Son discours me prend de court ; je ne m'attendais pas a ce genre de


reaction de sa part. Elle est plus posee, plus calme, je ne dirais pas qu'elle
n'est pas moins tourmentee, mais un truc s'est revele en elle, une force
invisible et je comprends mieux ce que Jamie disait. Lou a envie de vivre
malgre tous les obstacles sur sa route.

-- Je crois que je te dois aussi une explication.

Je l'attire contre moi et nous nous etendons sur le lit, dans les bras de
l'autre. Du bout des doigts, elle caresse mon bras, provoquant une decharge
electrique dans mon corps.

-- Avec Sidney, nous avions de violentes disputes. Parfois, elle se fachait si


fort contre moi que je devais faire mes valises et partir. Souvent, elle me
rattrapait avant que je franchisse la porte...

-- Donc t'as peur que je te fasse vivre le meme enfer ?

Je me contente du silence. Peu a peu, elle y succombe et s'endort. Je


patiente encore, afin d'etre certain qu'elle ait rejoint le pays des songes et me
glisse doucement hors du lit. Je rejoins la cuisine et ouvre le frigo. Bon... c'est
clair que ca fait un moment que je n'ai pas fait les courses. Tant pis, je vais
faire avec les moyens du bord ! Je rassemble tout ce que je peux et me mets
derriere les fourneaux.
49
Lou
Je me suis endormie dans les bras de l'homme le plus merveilleux du
monde, mais a mon reveil, il n'etait plus a mes cotes. Un sentiment de vide
s'empare rapidement de moi. Je ferme les yeux, happee par une nouvelle
envie de dormir. Quand je dors, je ne ressens plus rien, pourtant, il y a
d'autres facons de ne rien ressentir. Tout comme l'alcool m'empeche de
reflechir, et que le sexe me donne l'impression d'etre aimee.

Putains de demons ! Ils ne sont jamais bien loin...

Grognant et maugreant, je repousse la couverture que Jarred a posee sur


moi et sors rapidement du lit. Je suis encore habillee, bon sang... La mauvaise
humeur me consume deja. Je respire un long moment avant de sortir de la
piece.

Une fois dans le couloir, une odeur de tomate et d'ail parvient jusqu'a moi.
Mon ventre se met immediatement a grogner et a reclamer de la nourriture.
C'est si rare pour moi de ressentir la faim que je suis etonnee. En fait, les
troubles alimentaires sont une autre pathologie de ma maladie. Je crois qu'il
n'y a pas grand-chose que les personnes ayant une personnalite limite
n'experimentent pas, l'alcool, le sexe, la drogue, les medicaments, l'anorexie,
la boulimie, la mutilation, moi il y a que la drogue qui me fait peur. Que des
putains d'addictions, de faux moyens de se sentir bien et je ne m'en rends
compte que maintenant.

Lorsque j'entre dans la cuisine, Jarred est devant les fourneaux, torse nu, il
porte un jeans et un tablier noir. Je le detaille du regard, sans pouvoir
m'arreter. Ses muscles bougent doucement sous sa peau legerement bronzee.
Je remarque une fine cicatrice longue de quatre centimetres qui court sur ses
cotes. Je me demande comment il l'a eue. Je me mords la levre, reprimant une
envie de passer mes doigts dessus. Aucun doute, c'est l'homme le plus
seduisant que j'ai croise et le voir ainsi me redonne ma bonne humeur.

-- Pourquoi les hommes cuisinent-ils tous torse nu ?

Espiegle, je lui pose la question en m'appuyant contre le mur pres du


comptoir. Il leve les yeux vers moi et me sourit. Mon estomac crie famine
une nouvelle fois, alors que mon corps tout entier reve de se coller contre le
sien.

-- Ca evite de tacher les vetements de sauce tomate.

-- Et tu portes un tablier pour proteger ta petite peau sensible, le taquine-je.

Il s'avance vers moi en secouant la tete, mais je l'esquive et me dirige vers


la casserole ou mijote une sauce rouge qui sent divinement bon le basilic et le
thym. Je tente de plonger mon doigt dans la sauce, mais Jarred m'attrape la
main.

-- T'es malade, c'est bouillant ! Puis on ne trempe pas son doigt sale dans la
nourriture.

Je pouffe et lui tire la langue. D'un geste rapide, il me retourne et m'attire


contre lui. Mon dos est colle contre son torse et ses longs bras viennent
m'enserrer la taille. Doucement, il caresse mes cheveux pour murmurer a mon
oreille des paroles qui me procurent un sentiment de bien-etre intense.

-- Je t'ai regardee dormir. T'etais belle, si calme. T'avais l'air d'un ange.
C'est peut-etre idiot, mais j'ai eu envie de toi. J'avais envie de te faire
tellement de choses...

-- T'es vraiment un obsede, Jarred Dwyer.

Je glousse comme une adolescente. Ses levres courent sur la peau de ma


nuque avec une lenteur que je peine a tolerer. Je me tortille et gigote, alors
que lui resserre son emprise autour de moi. Je sens son sexe en erection
contre mes fesses, mes jambes deviennent molles. Un parfum d'after-shave
vient chatouiller mes narines lorsqu'il se penche un peu plus vers moi. Ses
joues fraichement rasees caressent ma peau, je fremis a ce contact si doux.

-- Je t'ai embrassee juste ici...

Il depose un baiser sur mon epaule, tout pres de ma clavicule. Je leve la


main et la depose contre sa nuque pour le garder tout contre moi, je sens un
sourire etirer ses levres. Il ne s'arrete pas et poursuit son doux supplice en
glissant ses mains sous mon t-shirt.

-- Et j'ai imagine que je caressais ton ventre juste pour le plaisir de te voir
te tortiller.

-- C'est pas sympa ca.

-- J'ai pense te faire bien pire, tu sais...

-- Dis-moi tout, exige-je, taquine.

-- Et si je te le montrais plutot...

A ces paroles, il me retourne face a lui et me souleve pour m'asseoir sur


l'ilot. Je pousse un cri de surprise, mais ca ne fait que l'encourager a
continuer. Il retire mon petit haut et le laisse tomber sur le sol de la cuisine.
Sa bouche s'empare de mes tetons qu'il mordille avidement tandis que l'une
de ses mains masse mon autre sein. Des gemissements incontrolables sortent
de ma bouche et, lorsque Jarred se redresse pour venir poser ses levres contre
les miennes, je me colle a lui pour sentir sa peau sur la mienne. Mes bras se
crochetent autour de son cou tandis que ses doigts s'emparent de la ceinture
de mon pantalon.

-- Aide-moi Lou, supplie-t-il.

Joueuse, je me contente de lui sourire et de le tenir contre moi. Il attrape


ma levre entre ses dents et la mordille. Mon cou, mon lobe d'oreille et ma
clavicule subissent le meme traitement. Il aspire et joue avec chaque parcelle
possible de ma peau sensible, et bordel de merde, ca me rend folle ! Je sais ce
qu'il essaie de faire et je suis au bord de l'implosion quand il me souleve par
les fesses pour me poser par terre.

D'un geste rapide, il defait le bouton de mon jeans et tente de le descendre,


sans pour autant y parvenir. Je ne peux detacher mon regard de lui et de son
tablier. Impossible de garder mon serieux, je pouffe en appuyant mon front
contre son epaule. Stupefait de ma reaction, il cesse tout mouvement et
m'observe en plissant les yeux.

-- Tu ris de moi ? demande-t-il.

J'attrape les rubans de son tablier entre mon pouce et mon index en
pouffant de nouveau.

-- Ca te va trop bien !

Il esquisse un sourire amuse et me repousse legerement pour tirer de toutes


ses forces sur le tissu, en quelques secondes, les cordelettes de son tablier
explosent et il se retrouve torse nu devant moi. Mes mains caressent son
corps muscle, ma bouche se pose contre sa gorge avec douceur, il grogne, me
laissant faire. Rapidement, ses doigts s'enfoncent dans mes hanches et je
passe les miens entre sa peau et le rebord de son pantalon. Je le descends
avec une lenteur calculee, tout en faisant courir mes levres sur sa peau nue.
Une fois accroupie devant lui, et son pantalon enleve, j'attrape sa queue dans
ma main et la leche. Des l'instant ou elle franchit la barriere de mes levres, il
se met a gemir. Generalement, ses mains s'agrippent a ma tete et m'imposent
une certaine cadence, mais cette fois, il me laisse faire les choses a mon
rythme. Ma langue se promene sur toute sa longueur et je le reprends dans ma
bouche. Ses grognements me laissent presager qu'il va bientot jouir, je
poursuis ma fellation, n'attendant qu'une chose, sa jouissance.

-- Lou... Je...

Il n'a pas le temps de terminer sa phrase qu'il explose dans ma bouche. Son
liquide chaud se repand dans ma gorge. Je me releve et me rince rapidement
la bouche dans l'evier de la cuisine. Lorsque je me retourne vers lui, il est
appuye contre l'ilot, toujours grise par sa jouissance. Je m'avance vers lui et
me hisse sur la pointe des pieds pour poser un rapide baiser sur ses levres.

-- T'es fantastique, il susurre.

-- T'es pas mal non plus, dans ton genre.

-- Dans mon genre, repete-t-il.

Ses yeux s'arrondissent et se plissent, avant qu'il ne m'asseye a nouveau sur


l'ilot. Je ne sais pas comment il y arrive, mais il me retire mon jeans et le
laisse tomber au sol. Il glisse sa tete entre mes cuisses, les embrasse avant de
plonger sa langue directement sur mon clitoris deja trempe. Je pousse un ah !
de plaisir et bascule en arriere pour prendre appui sur mes coudes. Ses doigts
s'invitent en moi et s'enfoncent profondement dans mon sexe, tantot avec une
rapidite deconcertante, tantot avec une lenteur aguichante. Je tremble de la
tete aux pieds, mon bas-ventre contracte au maximum. Rapidement, ma tete
se met a tourner et je ne retiens plus les petits cris de plaisir qui sortent de ma
bouche.

Ses doigts experts s'activent, fouillant mes trefonds avec minutie afin que
je puisse profiter de chaque sensation. Son pouce se presse contre mon
clitoris gonfle et j'explose. Je hurle mon excitation avant qu'un delicieux
orgasme me happe. Cependant, il continue sa torture jusqu'a ce que je crie
son nom si fort que les murs de la maison en tremblent.

Il se releve, un sourire fier sur le visage, et se penche pour murmurer


quelques mots :

-- Avoue que je suis plus que pas mal...

Je n'ai pas le temps de repondre que le bip du detecteur de fumee retentit.


Un son strident qui envahit toute la maison. Jarred se retourne, nu comme un
ver, et attrape la casserole dont la sauce parfumee a vire au noir et degage
desormais une epaisse fumee odorante

Je saute en bas de l'ilot, attrape mon t-shirt que j'enfile et cours vers la
porte menant a la terrasse pour l'ouvrir. Mon petit ami ne semble plus savoir
ou donner de la tete. Ne pouvant plus me retenir, j'explose de rire si fort que
je dois me tenir les cotes. Un torchon a la main, il attrape la casserole et court
avec jusqu'a l'evier.

Il leve les yeux vers moi, et son air ahuri et depasse me fait de nouveau
exploser de rire. Lachant la casserole dans l'evier, il vient vers moi avec une
lueur vengeresse dans les yeux. Je leve les mains en signe de reddition, mais
rien ne semble vouloir le calmer.

-- Jarred, non !!!

-- Tu te moques de moi ?

-- Tu courais nu comme un ver pour sauver notre diner brule, avoue que
c'est plutot comique.

Baissant les yeux vers sa nudite qu'il semble avoir oubliee, il releve la tete
avec un sourire amuse.

-- Oups.

Je pince mes levres pour retenir un rire, alors qu'il s'avance vers moi et
capture ma nuque entre ses mains pour m'attirer vers lui. Je me hisse sur le
bout des orteils et l'embrasse avec passion.

-- Va t'habiller, je t'invite a diner, lache-je.

-- Tu vas payer pour moi ?

-- Ah non ! Tu ne vas pas me la jouer : c'est le mec qui paie...

Il hausse un sourcil, amuse par mon ton faussement exaspere.

-- Ton penis me derange, alors va t'habiller, ordonne-je.

C'est son tour d'exploser de rire. Je tourne les talons et fonce vers la
chambre.
-- Lou ? m'interpelle-t-il.

Je me stoppe et me demande pendant quelques secondes si je dois me


retourner, car j'ai la conviction qu'il va me dire un truc qui va me mettre hors
de moi. Cependant, je n'ai pas a me retourner qu'il est deja dans mon dos.

-- Je savais que t'etais dingue de moi.

Je leve les yeux au ciel et me retourne pour lui faire face.

-- La modestie finira par t'etouffer.

-- Ne le prends pas comme ca, c'est toi qui as dit que mon penis te
derangeait.

-- T'es tellement bete ! Parfois, je me demande pourquoi je m'acharne a


endurer tes conneries.

-- Parce que t'es dingue de moi, cherie.

Il prend un ton de voix moqueur et m'attire contre lui.

-- Bon sang, Jarred, habille-toi !

-- T'es fachee, je le sens.

-- Non ! C'est faux !

Mensonge !

Pourtant, je ne comprends pas ce qui me met de mauvaise humeur.

Inspire, expire. Inspire, expire.

-- Bebe, je te connais, mais je comprends aussi que tu ne veuilles pas


avouer a quel point t'es folle de moi.

-- Allez, habille-toi, je suis morte de faim.


-- On passait un bon moment, Lou...

-- Les derniers jours ont ete de la merde, je craque.

-- Regarde-moi !

-- Va enfiler des vetements !

D'un pas rapide, je me dirige vers la chambre. Je fouille dans mon sac et
cherche un pantalon. Bon sang ! Je n'ai plus rien a me mettre ! Je vis dans
mes putains de valises, j'en peux plus. Mon chez-moi me manque, ma
tranquillite, ma folie aussi. Je n'ai plus mes reperes.

En ai-je deja eu ?

Je suffoque, ma vue se brouille et comme une idiote, je verse des torrents


de larmes. Mes jambes se derobent sous mon poids et je m'effondre au sol. Je
n'ai plus un seul vetement propre et je suppose que les filles non plus. Je ne
suis pas capable de prendre soin de moi. Alors, comment pourrais-je prendre
soin d'elles ? Je n'arrive meme pas a gerer mes putains de lessive...

-- Lou ? Tu vas bien ?

La voix paniquee de Jarred m'interpelle, mais je n'ai pas la force de me


redresser. Je reste la, etendue sur le plancher, a lutter contre les soubresauts
que m'imposent mes pleurs. J'aimerais hurler, mais aucun son ne sort de ma
gorge.

Il s'assied sur le sol et m'attire contre lui. Je le laisse me hisser sur ses
cuisses et pose ma tete contre son torse chaud. Ses bras protecteurs
s'enroulent autour de moi, il chuchote des choses supposees me rassurer, mais
rien n'y fait. Ma respiration est hachee, mon coeur bat dans un tempo
impossible a freiner. Un cri, mon cri, aussi aigu que torture envahit la
chambre. Jarred sursaute et resserre son etreinte, il ne semble pas pret a me
lacher. Ca me dechire et ne fait qu'augmenter ce truc qui me torture en ce
moment. Que m'arrive-t-il ? Peut-etre que je pose juste trop de questions...
C'est plus fort que moi. Et ca me donne envie de mourir.
Est-ce que je veux vraiment mourir ?

Oui !

Non...

Partir et les laisser, Jarred et les jumelles ? Pas question. Pourtant, j'ai
mal... Si mal...

Et comme s'il comprenait que je suis doucement en train de plonger en


enfer, il resserre encore plus son etreinte. Il me parle et cette fois, j'entends sa
voix. Elle se glisse doucement jusqu'a mes tympans comme une brise legere.

-- Je deteste te voir comme ca, en lambeaux, rongee par la culpabilite, les


remords et les regrets. Parfois, je crois savoir comment tu vas reagir, mais
bien souvent je me trompe. T'es fascinante Lou. Tu changes constamment de
couleur, pour passer du blanc le plus pur au rouge le plus sanglant. T'as cette
facon bien a toi de prendre les choses avec un degre de serieux qui m'epate,
alors que d'autres choses ne semblent meme pas t'atteindre. T'es juste trop
sensible et j'aime ta facon d'aimer et de detester avec chaque fibre de ton etre.
Je t'aime pour ca, et aussi parce qu'avec toi, il n'y a jamais deux poids deux
mesures. Je suis fou de toi.

Il me berce en silence, repetant sans cesse sa declaration d'amour, comme


s'il voulait que mon cerveau s'en impregne. S'il savait ce que j'ai dans la tete
en ce moment, il me ferait sans doute interner. Je crois que tout mon etre est
en perpetuel combat contre lui-meme. Une part de moi veut etre enfermee,
alors qu'une autre est tiraillee entre la vie et la mort. Et il y a aussi cette petite
voix, terree au plus profond, qui desire que je m'en sorte, qui souhaite que je
me fasse soigner. Pourtant, comment peut-on se nourrir de pensees positives
lorsque ce qu'il y a en nous n'est qu'enfer et noirceur ? Je ne sais plus, je n'ai
pas envie d'essayer de comprendre, tout comme je n'ai plus envie de me
battre.

-- Je t'aime Lou, reviens-moi. Je te promets que plus jamais je ne te mettrai


en colere.
Il pense que c'est de sa faute. Comment peut-il croire ca ? Il est la seule
chose de bien dans ma vie. Mes sanglots se calment subitement, mais il
patiente sagement que je redresse la tete vers lui. Un petit sourire deforme
son visage.

-- Tu veux m'expliquer ce qui t'est arrive ?

Je hausse les epaules, me sentant idiote.

-- Je n'ai plus rien a me mettre..., lache-je honteusement.

Sa bouche s'ouvre et se referme a plusieurs reprises avant qu'il ne dise :

-- On n'a qu'a faire une lessive.

-- C'est pas si simple... Je me suis dit que j'etais incapable de m'occuper de


moi, alors comment je pourrais m'occuper des filles ?

-- Tu vas apprendre, c'est tout nouveau pour toi. Elles ont debarque un peu
sans prevenir dans ta vie. Il faudra un peu de temps, mais tu verras, tu t'en
sortiras.

-- J'aimerais etre capable de m'occuper correctement d'elles maintenant...

Il prend mon visage entre ses mains et essuie avec ses pouces les dernieres
trainees laissees par mes larmes.

-- Tu dirais quoi si on commandait une pizza avant de faire la lessive ?

Je hoche peniblement la tete, un sourire timide sur les levres.

-- Comme ca, nous n'aurons pas besoin de sortir et personne ne se rendra


compte que tu manques de vetements. Puis, tu sais que si tu as besoin de
quelque chose a te mettre, mon armoire est remplie de fringues que tu peux
emprunter.

Je lui souris, plus sincerement cette fois, et me releve, le corps douloureux.


Je m'etire un instant avant qu'il ne m'enlace.
-- Pas de piment dans la pizza, s'il te plait, exige-je.

-- Tu vas mieux ? demande-t-il, visiblement toujours un peu inquiet.

-- Oui, ne t'inquiete pas.

-- T'es sure ?

-- Aussi longtemps que tu seras a mes cotes, j'irai bien. Je t'aime.


50
Jarred
Assis a la table de la salle a manger depuis pres d'une heure, je joue
nerveusement avec un crayon. J'ai ecrit une note a Lou pour la prevenir que je
m'absente une petite heure. J'ai prevu de me rendre chez elle et ramener tout
ce dont elle pourrait avoir besoin. Depuis le carnage au studio, elle est assez
fragile et je crains qu'elle ne puisse pas assurer avec les filles. Je prefere la
garder un peu avec moi, du moins, jusqu'a ce qu'elle aille mieux.

Je souffle, retournant dans ma tete les evenements des derniers jours.


L'arrivee des jumelles et tout ce qui en a decoule, le vandalisme au studio et
la preuve que c'est Ethan qui a fait ca.

Bordel de merde ! Comment reussir a garder la tete hors de l'eau avec tout
ca ?

N'importe quelle personne sensee craquerait. Lou a ete d'une force a toute
epreuve, mais elle s'ecroule tranquillement et ca me fait peur. Elle tente de
me rassurer, mais je ne suis pas dupe. A force, meme moi je ne sais plus ou
donner de la tete. <<< Aussi longtemps que tu seras a mes cotes, j'irai bien. Je
t'aime >>>, qu'elle dit.

Oui, elle m'aime, mais ca ne veut pas dire qu'elle va bien pour autant et je
pense que ma presence a ses cotes n'y change pas grand-chose. Je me sens
impuissant, j'avais ce meme sentiment avec Sidney et je deteste ca.

La soiree que nous devions passer en amoureux s'est revelee plus chaotique
que prevu. Le diner a brule a cause d'une partie de jambes en l'air, ensuite, la
pizza a mis presque quatre-vingt-dix minutes a arriver. Lou etait a fleur de
peau, s'accrochant a moi de peur de sombrer encore plus. La voir aussi
vulnerable me touche tellement... J'en perds la tete.
J'attrape la note et me dirige vers le salon. Lou dort encore a poings
fermes, mais tremble un peu ; depuis quelques jours, meme le sommeil ne
semble pas venir a bout de ses tourments et ca m'effraie. Je prends le plaid
sur l'autre canape et l'etends sur son corps frele. Sur la table basse du salon, je
pose la note et embrasse sa joue. Elle gemit et se tourne sur le dos.

D'un pas rapide, je sors de la maison, car je sais que si elle se reveille, elle
ne me laissera pas mettre mon plan a execution.

Le trajet de la maison jusqu'a l'appartement de Lou est de seulement vingt


minutes. Ce n'est pas enorme, mais bien trop pour moi : j'ai peur de la laisser
seule, qu'elle ne se reveille et constate que je ne suis plus la. La derniere fois
que c'est arrive, elle a saccage sa chambre. Je me fous qu'elle passe a tabac
ma baraque, mais j'aimerais eviter une enieme dispute.

Je stationne mon vehicule devant l'immeuble. Je dois faire vite. Presse et


nerveux, j'entre et me dirige vers l'ascenseur. Il met un temps fou avant
d'arriver, bordel ! Perdant un peu patience, je me dirige vers l'escalier que je
gravis le plus rapidement possible. Une fois au 10e etage, je regrette mon
impatience. J'ai mal partout et ma respiration est hachee. J'aurais du attendre
ce foutu ascenseur...

Bon sang ! Quelle idee d'habiter au 19e etage !

Lorsque j'arrive devant la porte d'appartement de Lou, je me fige. Elle est


entrouverte et un vacarme incroyable provient de l'interieur. Sur la defensive,
je m'avance doucement dans l'entree. Je sais bien que je devrais foutre le
camp, mais la curiosite l'emporte sur le bon sens.

Je progresse tranquillement vers le salon, la scene qui se deroule devant


mes yeux me depasse completement. Un homme a la carrure imposante met
en pieces tout ce qui lui tombe sous la main. Se sentant soudainement epie, il
se retourne vers moi, le visage tordu par la rage.

-- Tiens donc ! Le petit photographe !

Son visage me dit quelque chose... Mais oui !


-- Tommy ! Que fais-tu ?

-- Je m'amuse. Tu vois bien ?

Il bombe le torse et redresse les epaules. Il se degage une telle fureur dans
son regard que meme le plus brave des hommes se sentirait petit.

-- Pourquoi ?

-- Ta pute de copine a envoye Ethan en prison.

-- Je connais bien la loi, si c'est son premier delit, il va y faire un court


sejour, etre libere sur parole et faire des travaux d'interet general.

Parler... Voila ce que je dois faire tout en maintenant une certaine distance
entre nous deux. Si je me battais avec lui et que je prenais un coup, Lou
perdrait a nouveau pied.

-- Tu crois vraiment que ca fonctionne comme ca ? Tu connais rien a la


vraie vie mon pote !

-- Parce que toi, tu en sais plus peut-etre ? T'es un peu derange, mais t'es
pas un criminel.

-- Qu'est-ce qui est plus dangereux, un mec derange ou un criminel ?

C'est quoi cette question de merde ?

C'est comme se demander ce qui est venu au monde en premier, la poule


ou l'oeuf, c'a ni queue ni tete.

-- Alors ? Suis-je assez fou pour t'eclater la tete contre un mur ? Ou suis-je
assez intelligent pour maquiller ca en suicide selon toi ?

-- Tu ne ferais pas une chose pareille.

N'empeche qu'il n'y a pas si longtemps, il a presque viole Lou.


-- Tu crois vraiment ?

Il fait un pas vers moi, cependant, je ne bouge pas et le defie du regard.


Jamais je ne cille et nous restons plusieurs minutes ainsi, les yeux dans les
yeux, avec une haine debordante pour l'autre. Puis il finit par exploser d'un
rire demoniaque. En ce moment, la seule chose dont je suis certain, c'est que
ce mec est un putain de malade. D'un geste rapide, il s'avance vers moi et me
pousse. Comme je ne m'y attendais pas, je chancelle et recule de quelques
pas.

-- Ethan ne voulait pas le faire, rigole-t-il. Mais il fallait montrer a Lou


qu'elle ne peut pas nous oublier aussi facilement.

-- Elle a ses raisons, comme la tentative de viol que tu as commise...

-- He oh ! Elle est toujours consentante, parfois je dois user de moyens de


persuasion, mais elle finit toujours par ceder.

-- T'es pas un peu obsede par elle par hasard ?

-- Lou est a moi, t'as compris ?

-- Laisse-la decider de ce qui est bon pour elle.

D'une mechancete sans egal, il eclate de nouveau de rire.

-- Je suppose que c'est toi qui es bon pour elle.

Je ne reponds pas.

-- Ethan ne voulait pas qu'on saccage sa loge, mais lorsque j'ai vu ton
materiel trainer et les photos sur l'ecran de l'ordinateur, je n'ai pas pu m'en
empecher. Avant de tout casser, j'ai efface toutes les photos de ton disque
dur. Ensuite, j'ai fait voler dans tous les sens ce qui me tombait sous la main.

Je croise mes bras sur mon torse.

-- Pourquoi ? Parce que Lou ne veut plus de toi ?


-- Oui, mais aussi parce que je te deteste. T'es un petit merdeux qui
debarque avec une cuillere en argent dans la bouche et qui croit qu'il peut tout
changer.

En prononcant ces paroles, il fait craquer ses doigts et s'avance doucement


vers moi. S'il croit que je vais me laisser faire, je suis pret a riposter.

-- Tu vas souffrir.

Sans attendre, il balance un coup de pied direct dans mon abdomen. Je me


plie en deux sous le coup de la douleur. Son coude percute ma nuque et je
m'ecroule sur le sol, tete la premiere. Un gout de ferraille et de sel emplit ma
bouche. Ma machoire a cogne contre le sol et le choc m'a legerement ouvert
la levre. Tommy me releve en agrippant mon t-shirt pour me placer face a lui,
tout ce que j'arrive a faire, c'est rire et lui cracher mon sang au visage. Il voit
rouge. Avant qu'il n'ait le temps d'aller plus loin, deux policiers armes entrent
dans l'appartement et l'encerclent avant qu'il se lance de nouveau sur moi. Il
tente de resister, en vain. L'un des agents entraine Tommy a l'exterieur en lui
lisant ses droits. L'autre, la radio en main, contacte deja une ambulance.

-- Que s'est-il passe ? me demande-t-il.

-- Je suis venu chercher les affaires de ma copine et il etait deja la a tout


fracasser.

-- C'est la voisine qui nous a prevenus.

-- Tommy, lui, il a saccage mon studio. C'est l'inspecteur Reynolds qui est
sur l'affaire, vous devriez le contacter.

Le policier marmonne un truc, tandis que je me laisse tomber sur le


canape, completement vide. Il ne faut pas longtemps avant que les secours
arrivent. Une femme s'avance vers moi en enfilant des gants.

-- Bonsoir, monsieur, comment vous sentez-vous ?

Non, mais quelle question...


-- Comme un mec qui vient de se faire tabasser.

-- Ou avez-vous mal ?

Perdant le peu de patience qu'il me reste, je me contente de grogner. Elle


me fait ouvrir la bouche et inspecte l'interieur.

-- Vous avez recu un coup au visage ? demande-t-elle.

-- Non, derriere la tete.

-- D'accord, le mieux serait de vous transporter au Memorial Hospital pour


des examens...

-- Non ! J'ai pas le temps pour ca...

-- Monsieur, vous recu eu un coup derriere la tete, un professionnel doit


vous ausculter.

-- Ca va aller.

-- Vous avez peut-etre une commotion ! insiste-t-elle.

-- Je... Non, je dois retrouver ma petite amie, elle m'attend...

Au meme moment, l'inspecteur Reynolds entre dans la piece et s'avance


vers moi.

-- Jarred ! Comment allez-vous ?

-- Ca va, mais je dois aller retrouver Lou. Elle va paniquer si je suis trop
long.

L'inspecteur Reynolds me jauge un instant. Je me redresse, luttant contre la


douleur que je ressens pour paraitre le plus normal possible. Je tente meme
un sourire, histoire d'avoir l'air en pleine forme. Il evalue la situation un
moment, puis abdique en secouant la tete.
-- C'est bon, laissez-le partir, ordonne-t-il a l'ambulanciere.

-- Merci inspecteur.

-- Une fois que j'en aurai fini ici, je passerai prendre votre deposition.

-- Entendu.

Sans plus attendre, je sors de l'appartement. Cette fois, je patiente devant


l'ascenseur, car je n'ai pas l'energie necessaire pour prendre l'escalier. A
l'interieur, je m'ecroule. Et si ma douleur n'etait pas que physique ? Je craque
litteralement. Moi ! Ca ne m'etait jamais arrive avant. Pourtant, je n'ai pas le
temps de m'apitoyer sur mon sort, Lou a besoin de moi.

Comme une fleche, je sors de la cabine des la seconde ou les portes


s'ouvrent et je file vers ma voiture.

Lorsque j'arrive chez moi, la maison est toujours plongee dans le noir, rien
ne semble avoir bouge. J'avance avec prudence a sa recherche. Je la trouve
dans le salon, toujours endormie dans la meme position. Je m'assieds sur la
petite table du salon et lui caresse la joue. Elle ouvre doucement les yeux et
sursaute en me voyant. Elle se redresse d'un coup et me regarde avec ses
grands yeux noisette remplis de questions.

-- Non, mais il t'est arrive quoi ?!

Elle se penche vers moi et caresse mes levres couvertes de sang seche.

-- Jarred ?

-- Je suis alle chez toi, je voulais te rapporter des affaires, mais quelqu'un
est venu avant moi.

Je prefere etre honnete avec elle. Avec Lou, j'ai appris que mentir etait la
pire des erreurs.

Elle pousse un cri d'horreur.


-- C'etait Tommy. Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il ne m'a pas
loupe...

Je tente un peu d'humour, mais Lou ne semble pas trouver ca amusant. Elle
me toise de son regard le plus mauvais.

-- Quand je suis arrive, j'ai entendu des bruits de casse, je suis entre et j'ai
trouve Tommy en train de tout detruire chez toi. Il etait en colere et passait
ses nerfs sur ce qui lui tombait sous la main. Il m'a ensuite avoue que c'etait
bien Ethan et lui qui ont saccage le studio.

-- Putain de merde ! Pourquoi t'es-tu frotte a lui ? Tu cherchais quoi en le


confrontant ?

-- En le confrontant, repete-je. Tu crois quoi ? Que je savais qu'il etait en


train de tout demolir chez toi et que je m'y suis rendu dans l'espoir de me
bagarrer avec lui ?

-- T'aurais du appeler la police ! T'aurais du partir, me reproche-t-elle.

Ne pouvant en supporter plus, je craque et explose. J'ai fait ca pour elle,


bordel !

-- Mais qu'est-ce que tu imagines a la fin ?!

Elle recule, visiblement apeuree par mon ton cinglant.

-- Tu... tu aurais du partir.

-- Ouais ! C'est ca !

Ressentant pour la premiere fois depuis notre rencontre le besoin d'etre loin
d'elle, je me leve et sors du salon pour rejoindre la salle de bain. J'attrape un
gant de toilette que je passe sous l'eau froide, puis sur mon visage. Le reflet
que me renvoie le miroir me fait presque peur. Mes levres abimees sont
couvertes de sang et mes yeux sont rougis. Je souffle et enleve mon t-shirt
que je lance dans le panier a linge sale. Je ne prends meme pas la peine de
desinfecter mes blessures, ca attendra. Je claque les portes et m'enferme dans
ma chambre. Blotti sous les draps, la fatigue m'assaille. Mais le vain espoir
que Lou vienne me rejoindre parvient a me tenir eveille.

Tu sais qu'elle ne viendra pas, ce n'est pas son genre.

C'est vrai et je ne vais certainement pas lui courir apres. Je ne sais pas si je
trouve le sommeil, ou si je ne fais que somnoler, mais lorsque j'ouvre les
yeux de nouveau, le soleil se couche.

Pas plus avance qu'au moment ou je me suis mis au lit, je roule sur le dos
et fixe le plafond. Ma tete me fait legerement mal, mais c'est supportable.
Cependant, le fait que Lou ne soit pas venue m'attriste. J'avais besoin d'elle,
mais elle n'a pas repondu a l'appel, alors que moi j'ai toujours ete la. Je sors
de mon lit, bien decide a avoir une discussion avec elle.

Rapidement, je fais le tour de la maison, mais ne la trouve a nulle part. Le


plaid est plie et a ete range a sa place sur le canape. Froncant les sourcils, je
rejoins la cuisine, rien. Ses reactions sont imprevisibles, mais elle ne m'aurait
pas quitte, pas encore une fois, si ? J'ai besoin d'elle, et ca, elle ne le sait
meme pas. Elle n'en a meme pas conscience.

Je panique, ouvre les portes les unes a la suite des autres en esperant la
trouver dans un coin, avec ce sourire que j'aime tant. J'entre en coup de vent
dans la chambre d'ami et la vois sur le lit, roulee en boule. Elle se redresse
subitement, son visage est gonfle, ses yeux rougis d'avoir trop pleure. Ses
cheveux sont ebouriffes, elle semble avoir passe les pires heures de sa vie.
Elle saute du lit et court vers moi, ses mains attrapent mon visage, sa tete se
pose contre mon torse et elle est de nouveau secouee par des sanglots. Moi, je
reste la, ebahi, surpris par cet elan de desespoir. Elle s'accroche si fort a moi
que mon cou me fait mal. Je l'entraine donc vers le lit ou nous prenons place.

-- Je m'excuse Jarred... J'ai eu peur pour toi... Je... Je... pas te perdre.

-- Je craque Lou, je lache de but en blanc. Je t'aime, ca, ca ne change pas,


mais je suis humain, je ne peux pas tout supporter.
-- Je sais. J'ai juste eu si peur pour toi...

-- Partons avec les filles, prenons quelques jours ensemble, loin de tout ca.

Elle cogite un instant avant de repondre :

-- D'accord, prenons des vacances.

-- Merveilleux ! Je sais ou on peut aller, dis-je avec le sourire.

La sonnette d'entree retentit au meme moment. Lou essuie frenetiquement


ses yeux pour chasser les dernieres larmes qui s'accrochaient a ses cils.

-- Va prendre une douche, je vais ouvrir, c'est probablement l'inspecteur.

Elle m'embrasse avec tellement de passion que je suis tente de laisser


poireauter l'inspecteur dehors pour profiter de ma belle, mais elle me
repousse doucement et pose son front contre le mien.

-- Je t'aime Jarred.

-- Moi aussi, bebe.

Nous nous levons et elle s'enfuit vers la douche tandis que je vais repondre.
51
Lou
J'ai traine sous la douche plus longtemps que prevu. Je n'ai pas envie de
repondre aux questions que l'inspecteur pourrait me poser sur ma relation
avec Tommy.

Bordel de merde ! Il fait chier ce con !

Je ne veux pas avoir a expliquer que baiser avec cet idiot etait un exutoire,
surtout si Jarred est la.

Dans le miroir, la buee s'evapore petit a petit alors que je fixe mon reflet.
Mes yeux sont cernes, rougis et ils trainent un leger voile de tristesse.

Je crois que ce serait le moment ideal pour une seance avec mon
psychiatre.

Je secoue la tete a cette pensee, mes cheveux virevoltent dans tous les sens
et me fouettent le visage. Je les regarde tourbillonner autour de ma tete et
bien que me faire une simple queue de cheval en sortant de la maison me
manque, je crois que j'aime bien la coupe imposee par Jamie. Elle a raison, ca
adoucit les angles de mon visage.

J'ouvre la porte du seche-linge et attrape un t-shirt ainsi qu'un pantalon


appartenant a Jarred. Je porte les vetements a mon nez et les hume, j'adore
l'odeur de sa lessive. Ca sent l'air frais des montagnes. Quelqu'un tousse dans
mon dos, je me retourne vivement, les joues rougies de m'etre fait attraper a
faire ce geste idiot.

-- Ca te plait ? demande Jarred.

Je hausse les epaules, faussement desabusee, et m'avance vers lui.


-- Ouais, mais je prefere quand tu les portes.

Ses bras encerclent ma taille et me collent contre lui.

-- Moi je prefere que ce soit toi...

-- L'inspecteur est parti ?

-- Ouais, mais il veut qu'on passe au commissariat demain matin. Il


voudrait te poser des questions sur ta relation avec Tommy.

Oh non !

-- J'ai pas envie de repondre a sa saloperie d'interrogatoire, grogne-je.

-- T'as pas le choix, ma puce. C'est pour le bien de l'enquete.

Je detourne les yeux et rejoins la chambre pour m'etendre sur le lit frais.
Jarred prend place a mes cotes et noue ses doigts aux miens.

-- Tu crois que tu me verrais differemment si j'avais fait un truc vraiment


horrible ?

-- T'as tue quelqu'un ? demande-t-il en arquant un sourcil.

-- T'es bete. J'essaie de t'avouer quelque chose qui me torture, et c'est pas
facile.

-- D'accord, j'arrete de dire des conneries. Vas-y, prends ton temps.

Mon pouce dessine de petits cercles dans la paume de sa main.

-- Avant de commencer, il faut que tu saches que je t'aime. Je t'aime


tellement...

-- Lou, tu m'inquietes la.

Il m'aide a me redresser pour m'installer sur ses cuisses. Il niche sa tete


dans mon cou et respire mon odeur, ce qui semble l'apaiser un peu. J'adore
lorsqu'il fait ca. Ca n'a rien de sexuel, c'est juste la preuve qu'il a besoin de
moi contre lui.

-- J'ai peur que si je te dis la verite sur ma relation avec Tommy, tu me


voies differemment.

-- Babe, je me doute de ce qu'etait votre... tu sais... Mais j'aimerais


l'entendre de ta bouche.

-- J'ai honte, voila pourquoi je ne voulais pas en parler...

-- Tu sais, lorsque tout ca se sera tasse, ca ira mieux. Tu verras que je peux
etre terriblement ennuyant et je vais realiser que t'es pas si chiante que ca !

Je roule des yeux et secoue la tete.

-- Moi, chiante ? Jamais !

-- T'as raison, t'es parfaite et je t'aime.

Je souris et enfonce mes doigts dans ses cheveux, il ne bouge pas et me


laisse caresser sa tignasse. Je plonge mon regard dans le sien et y vois tout
l'amour qu'il a pour moi. C'est si intense, si fort, que j'en ai le souffle coupe.
Une realite que je ne soupconnais pas s'impose a moi : il a besoin de moi,
comme j'ai besoin de lui. C'est bizarre, mais je crois que notre relation vient
de prendre un nouveau tournant. Cette evidence me permet de voir plus clair
et je decide de tout lui confier sur Tommy.

-- Je ne sais pas comment expliquer notre relation. Je crois que c'etait


surtout un moyen de decompresser, de faire taire ce mal-etre qui bouillonne
en moi. Quand je baisais avec lui, je me sentais aimee, meme si ce n'etait que
pour un court laps de temps. C'est un peu comme l'alcool : il soulage l'espace
de quelques heures. Puis c'est devenu un cercle sans fin, plus je me sentais
mal, plus j'avais ce besoin de me sentir aimer. Tommy etait toujours
disponible. Peu importe le moment de la journee ou de la nuit. J'appelais et il
debarquait dans l'heure. Ca faisait tellement longtemps que ca durait que je ne
pourrais meme pas dire quand ca a commence.

Cela me met mal a l'aise de parler de ca en sa presence, mais je me fais


violence et continue sur ma lancee. Je sais au fond de moi qu'il ne me quittera
pas pour cette histoire. N'importe qui pourrait le faire, mais pas lui. J'en ai la
certitude.

-- Ensuite, tu es arrive. Toi, tu es different de lui, different des hommes que


je ramenais incessamment dans mon lit. En fait, je crois que tu es different de
l'humanite tout entiere. Tu t'es fait une place dans ma vie, si immense et si
rapidement que j'ai cesse de l'appeler. Je n'en avais plus besoin et j'ai
commence a me refuser a lui. Il l'a mal pris, je crois.

Il pose un baiser a la jonction de mon cou et de ma clavicule, je grogne.

-- Cesse de penser au sexe, je n'ai pas termine, le reprimande-je.

-- C'est toi qui te mets cette idee en tete.

-- Je suis assise sur tes cuisses, je sens ton erection.

Je lui donne une pichenette sur le bout du nez en souriant.

-- Oui, tes fesses sur ma queue me font de l'effet, mais ca ne veut pas dire
que j'ai envie de te baiser maintenant. Je t'ecoute et ca me touche que tu te
confies a moi. En ce moment, de nous deux, c'est toi l'obsedee.

Secouant la tete et roulant des yeux, je reprime une envie de rire en me


mordant la levre. Avec un sourire en coin, il se met a me chatouiller, une
attaque sournoise qui me fait hurler de rire. Je lui crie d'arreter, de me lacher,
mais il ne semble pas vouloir abdiquer.

Ses levres se posent contre ma gorge et il aspire ma peau. Je cesse de


gigoter et crochete mes bras autour de son cou.

-- Merci de me faire confiance, murmure-t-il d'une voix douce et apaisante.

Je redresse la tete, nos visages ne sont plus qu'a quelques centimetres l'un
de l'autre.

Un raclement de gorge nous fait sursauter brusquement.

-- Nous sommes chanceux, ils sont habilles, rigole Jamie.

Je m'ejecte des cuisses de Jarred si rapidement que je chancelle un petit


moment. Mon petit ami attrape la couverture et la pose sur lui sous les
protestations de Jamie.

-- Non, mais vous ne pouvez pas vous tenir tranquilles un peu ?

-- C'est lui, son truc le demange en permanence, grogne-je.

-- On va dans notre chambre, vous etes degoutants, nous dit Sloane.

Les jumelles se sauvent sans meme nous dire bonjour.

-- Vous avez dine ? demande Jarred pour changer de sujet.

-- Non, on venait vider vos reserves.

-- Ah bah, on pourrait aller au restaurant, t'en penses quoi ?

-- Pas envie de me meler a la populace, et puis, Levi est parti acheter


quelque chose a manger.

Jarred hausse les sourcils et un sourire amuse se dessine sur ses levres.
Jamie secoue la main pour lui signifier de ne pas continuer sur cette voie,
mais il est tetu et se leve pour s'avancer vers son amie.

-- Allez, dis-le-moi, y a bien un truc entre vous ?

-- Il est juste mon ami !

Elle tourne les talons et fonce vers la cuisine. Nous la suivons. En entrant
dans la piece, elle se stoppe si subitement que mon petit ami entre en
collision avec elle et je le percute de plein fouet. Elle pousse un cri de
surprise devant l'etat de la cuisine.

-- Non, mais il s'est passe quoi ici ?!

Je n'ai pas le souvenir que nous avions laisse un bordel aussi enorme. La
casserole qui contenait la sauce brulee traine dans l'evier trop rempli. Une
cocotte pleine d'eau trone sur la gaziniere ainsi que quelques pots d'epices
renverses. Un plat rempli de legumes est vulgairement pose sur l'ilot et ca
sent le crame. Mais la chose qui attire le plus mon attention est mon string
rose sur le plancher. Mes joues s'empourprent lorsque Jamie se retourne vers
nous les yeux ronds.

-- On peut dire que vous vous etes amuses pendant l'absence des filles. Et
puis Jarred, qu'est-ce qui est arrive a ton visage ?

Jarred se touche rapidement le visage et fait une grimace lorsque ses doigts
passent sur sa bouche meurtrie. Il expose rapidement les faits a Jamie qui se
decompose peu a peu, mais Jarred la rassure en lui disant qu'il va bien et que
cette histoire sera bientot derriere nous.

En ce qui concerne la cuisine, mon homme et moi echangeons un regard


gene. Elle n'a pas tort... Mais j'en profite pour changer de sujet.

-- Je... Ah, puis zut ! Qu'est-ce que tu croyais ? Qu'on allait jouer au
scrabble ? demande-je.

Mon cheri pouffe et m'attire dans ses bras, Jamie serre les levres. Je ne sais
pas si elle a envie de retenir un rire ou ses paroles.

-- Alors, je comprends mieux ton desir d'aller au resto.

-- Allez Jamie ! Aide-nous a faire le menage !

-- Non ! Je pensais plutot qu'on pourrait se prelasser autour de la piscine et


diner ensemble.

-- Je suis d'accord avec cette idee ! m'exclame-je.


-- Genial ! s'ecrie-t-elle.

-- J'aurais bien profite un peu de l'eau de la piscine, mais je n'ai pas de


maillot...

-- J'ai pense a tout, chantonne-t-elle.

Elle rejoint le vestibule et revient en quelques secondes, un sac en toile


turquoise en main. Jarred secoue la tete, amuse.

-- J'ai de super maillots pour toi ! Et il y en avait pour les filles dans les
vetements que je leur ai donnes.

-- Dis-moi que tu ne leur as pas donne de bikini !

-- Tu me prends pour qui ? Elles sont trop jeunes pour ca.

-- Toi, je t'aime, souris-je.

-- Et puis, si je voulais leur en offrir, je te demanderais la permission avant.

Jarred regarde l'echange entre sa meilleure amie et moi d'un oeil amuse.
Jamie me tend le sac avec un sourire et je file dans la chambre.

-- Tu ne vas pas m'aider a nettoyer ?

-- Non ! C'est toi qui as voulu faire des trucs sur l'ilot...

Il marmonne un truc que je n'entends pas. Je bifurque vers la chambre des


jumelles avec un sourire. Je toque doucement a la porte.

-- Je peux entrer ?

Assises l'une en face de l'autre, elles discutent a voix basse. Sloane hoche
la tete et Sunshine se contente de me sourire. Je prends place entre elles.
Parfois, je me sens tres proche d'elle, mais d'autres fois, comme en ce
moment, j'ai l'impression qu'elles me bloquent l'acces a leur monde. Je crois
que ce doit etre un truc de jumelles.
-- Comment ca s'est passe chez Jamie ? demande-je.

-- Elle est gentille, on l'aime beaucoup, repond Sloane.

Je me tourne vers Sun et lui souris, en l'attente d'une reponse qui ne vient
pas.

-- Et toi Sunshine ?

-- Ca va ! me repond-elle joyeusement.

Je les regarde tour a tour avant de demander, plus serieusement :

-- Vous vous sentez bien ici avec moi ?

-- Mais oui, on est bien avec toi, repond Sloane.

-- Je crois que j'ai un peu peur que vous ne trouviez pas vos marques. Mon
appartement est grand, mais vous partagez la meme chambre. Mais sachez
que ce n'est que provisoire. Je vais nous trouver un endroit plus grand, vous
aurez chacune votre chambre et...

-- Lou... ca va ! On est bien avec toi et on ne veut pas chacune notre


chambre, declare Sunshine.

-- Je... Je... ne comprends pas.

-- Tout ce qu'on souhaite, c'est etre avec toi, loin de papa, enchaine
calmement la seconde.

-- Vous etes beaucoup moins difficiles que moi a votre age.

Contre toute attente, Sunshine passe ses bras autour de moi et me serre
contre elle. Ce geste me reconforte. Est-ce la preuve que je ne suis pas une
grande soeur merdique ?

Un peu mal a l'aise, je lache :


-- Allez ! Habillez-vous et allons nous baigner. Jarred va nettoyer le bordel
qu'il a fait cette nuit.

-- Ce serait beaucoup plus marrant si on avait des bikinis !

Je secoue la tete et me leve.

-- N'y pense meme pas avant tes vingt et un ans.

Je rejoins le couloir d'ou leurs petites voix me parviennent encore.

-- Lou ? On t'aime, tu sais ?

-- Moi aussi les filles.

-- Alors on peut avoir des bikinis ?

-- Je... C'est de la manipulation, n'est-ce pas ?

Je me retourne pour les regarder : elles ont joint leurs mains et battent des
cils pour m'amadouer.

-- Si vous parlez encore une fois de ces bikinis, vous allez porter des sacs
de jute pour le reste de vos vies.

Elles explosent de rire tandis que je me dirige deja vers la chambre de


Jarred. Il est assis sur son lit.

-- Tu ne fais pas le menage ?

-- Pas tout de suite, nous n'avions pas termine de discuter.

-- Ca peut attendre, hein.

Sans un mot, il s'avance vers moi, ferme la porte derriere moi et me plaque
contre elle. Sa bouche s'empare de la mienne et ses mains s'agrippent a mes
hanches. Sa langue entre dans ma bouche et glisse avec passion et fougue
autour de la mienne. Je laisse tomber le sac de toile de Jamie au sol et
enfonce mes doigts dans ses cheveux. Nous sommes tous les deux haletants
lorsqu'il met fin a ce baiser. Avec douceur, il pose la tete contre mon front et
murmure :

-- Viens habiter ici.

-- Je...

Je le repousse legerement, afin de le regarder pour etre sure de ne pas avoir


reve. Le veut-il vraiment ? Ses yeux flamboyant de determination tendent a
dire que oui, mais il faut que j'en aie la certitude. Je ne peux pas me permettre
de me lancer a l'aveuglette, pour les filles.

-- J'ai les jumelles avec moi, Jarred...

-- Elles peuvent venir. Il y a bien assez de place ici.

-- Je ne sais pas... J'aimerais dire oui, mais je dois leur demander avant. Je
ne suis plus seule, tu le sais bien.

-- Parle-leur-en et reviens-moi avec ta decision bientot.

Il m'embrasse de nouveau et quitte la piece sans plus un mot. Moi, je


m'assieds sur le rebord du lit et fixe le vide, pensive. J'arrive pas a y croire...
Il m'a vraiment demande de vivre avec lui ! Si tout a l'heure j'ai pense que
notre relation avait pris une tournure inattendue, je n'aurais jamais pu
imaginer que ce serait a ce point. J'inspire et expire longuement, incapable
d'expliquer le sentiment qui nait en moi. Tranquillement, un sourire nait sur
mes levres.

Il veut que je vive avec lui...


52
Jarred
Enfin, tout est nettoye ! La casserole de sauce brulee n'a pas survecu a la
bataille. Apres des annees de bons et loyaux services, elle a eu droit a un aller
simple pour la benne a ordures.

Je me laisse tomber dans le canape, rince, et souris comme un idiot en


repensant a la tete que Lou a faite lorsque Jamie a apercu son string sur le sol.
Je ne crois pas l'avoir deja vue plus genee. Apres un petit moment de detente,
j'annonce a mes convives, tous installes en terrasse (d'ailleurs, Levi nous a
rejoints), que je file prendre une douche.

C'est une chaude journee et avec le menage et ma bagarre avec Tommy,


j'ai vraiment besoin de me laver. Je fais un rapide detour par la chambre d'ami
et y jette un bref coup d'oeil. Il y a assez de place pour y mettre deux petits
lits. Bien sur, je devrais virer un meuble, mais avec les deux grands placards,
elles auront assez de place pour ranger leurs affaires. Elles auraient aussi
besoin d'un bureau ou faire leurs devoirs, mais ca pose probleme... ca ne
passera jamais. Je crois que je me suis un peu emballe tout a l'heure en disant
a Lou qu'il y avait suffisamment d'espace dans cette maison. Ma baraque est
grande, mais j'ai l'impression qu'avec deux adolescentes, nous allons
rapidement manquer de place.

Reflechis, reflechis...

Peut-etre pourrais-je leur amenager une chambre au sous-sol ? Un espace


qui leur serait entierement dedie ? Bien que Lou ne m'ait pas encore donne sa
reponse, j'ose penser qu'elle va accepter. Bref, en attendant, il va falloir que
j'y reflechisse, mais pour le moment, direction la douche !

Une fois sous le jet d'eau tiede, je me detends et reste un moment les mains
posees a plat contre le carrelage. Un mouvement discret derriere moi ainsi
qu'un leger bruit me font sourire. Des paumes trouvent mes fesses qu'elles
malaxent. Je profite quelques instants de cette sensation et me retourne. Ces
grands yeux noisette me fixent avec une intensite hors du commun. Elle a
beau etre nue, souriante et belle a damner un saint, ce n'est pas ce qui retient
mon attention. Non, au plus profond de son regard, je vois ce petit truc. Cette
jeune femme a su me toucher. C'est elle. Je le sais, comme j'ai su pour
Sidney.

Je pose mes mains sur ses hanches et fais un pas en avant. Je me penche
pour etre a sa hauteur et susurre quelques mots au creux de son oreille :

-- Epouse-moi...

Elle se decolle de moi et me fixe, cherchant sans doute l'erreur ou peut-etre


ce qu'elle pourrait dire pour refuser. Alors, avant qu'elle ne puisse dire
quelque chose, je continue :

-- Ne me dis pas non, la demande va rester en suspens jusqu'a ce que tu me


dises oui. Peu importe le temps que ca va prendre, trois jours, trois ans, trois
mois, trente ans. J'attendrai si tu ne te sens pas prete.

-- Est-ce que... trois secondes suffiraient ?

Wow ! Je ne m'attendais pas a ca.

-- Je... seulement si t'es sure de ta reponse.

-- Oui !

J'ai du mal a comprendre... Ou alors, je suis si choque que mon cerveau est
passe en stand-by.

-- Tu sais que tu ne pourras plus jamais te debarrasser de moi si tu


acceptes. Alors, c'est oui ? Tu es sure de toi ?

-- Oui !

Elle hoche la tete, souriante, les yeux brillants d'emotion. Elle se pend a
mon cou et je la souleve pour la plaquer contre la paroi de la douche. Je
m'empare de sa bouche avec empressement, j'ai ce besoin douloureux de
sentir ses levres contre les miennes. Elle rejette la tete en arriere, haletante. Je
baisse la tete vers son cou et aspire sa peau. Resserrant son emprise autour de
mes hanches, elle ondule legerement du bassin. Mon sexe frotte doucement et
douloureusement contre le sien.

-- J'ai envie d'etre en toi.

-- Baise-moi Jarred.

Comment refuser une telle demande ? Lorsque je la pose par terre, ses
jambes tremblent un moment, mais elle se reprend en prenant appui contre la
paroi. Mes mains caressent avidement son sublime corps que j'aime tant. Je
pince ses tetons, ce qui la fait grogner. Ses doigts fins s'emparent de ma
queue et dessinent un lent mouvement de va-et-vient. J'aime cette sensation,
mais j'ai envie de plus. Mes baisers glissent sur sa peau et remontent vers son
cou puis jusqu'a son oreille. Je mordille son lobe et murmure :

-- Laisse-moi etre en toi... C'est tout ce dont j'ai envie.

-- Fais-le ! Tout de suite !

Sa voix est sexy, debordante d'excitation et comme si c'etait possible, elle


me fait bander encore plus. Je colle mon corps contre le sien, ma queue
contre ses cuisses. Relevant une de ses jambes, je me glisse doucement en
elle et la penetre sans perdre plus de temps. Un grognement s'echappe de sa
bouche lorsque je bute au plus profond d'elle. Nos regards sont connectes, en
osmose et je ne pourrais pas etre plus excite qu'en ce moment. Je ne mets pas
beaucoup de temps a jouir.

A bout de souffle, je m'ecroule et elle me suit. Assis tous les deux a meme
le receveur de douche, je halete en la fixant. Certain qu'elle n'a pas eu le
temps d'avoir un orgasme, je place ma main contre son sexe et avec mes
doigts, je la masturbe. Elle se cambre, comme si elle ne s'attendait pas a cette
caresse. Inconfortable, je change un peu ma position pour enfoncer deux
doigts en elle et caresser son clitoris avec mon pouce. Je le presse, dessine de
petits cercles rapides juste au-dessus de son point le plus sensible. J'aime la
facon dont son corps reagit, ces petits frissons qui couvrent sa peau malgre la
chaleur de l'eau, ces tremblements qui secouent son bas-ventre tandis que je
m'active en elle. Sa bouche s'entrouvre et elle pousse un long rale de plaisir.
Rapidement, elle se met a trembler de tout son etre et dans un grognement
rauque, son plaisir explose sur ma main. D'une voix encore hachee, je lache :

-- Viens me rejoindre quand tu veux dans la douche.

Je l'embrasse avec ardeur et elle repond a mon baiser avec tant de ferocite
que mon excitation remonte. La fraicheur de sa langue decuple mon plaisir et
mon sexe se remet a gonfler. C'est hallucinant ce pouvoir qu'elle a de me
donner toujours envie !

Lou se met a rire et donne une legere tape sur mon bas-ventre.

-- Il n'est jamais epuise, rit-elle en designant mon sexe.

Elle se penche pour attraper un gant de toilette et se nettoie rapidement.


Subjugue par sa beaute, mes yeux refusent de se detacher de son corps.

-- Parfois il l'est, mais il reprend rapidement des forces a tes cotes, je


reponds.

-- T'etais vraiment serieux tout a l'heure ?

-- Pourquoi ? C'est pas mon genre de sortir ce genre de chose sans etre
serieux.

-- C'est juste que... Ca ne fait pas longtemps que l'on se connait... C'est
soudain...

-- L'amour ne se mesure pas au nombre d'heures passees avec l'autre, ca se


ressent juste la, remarque-je en posant mon index contre son coeur.

Un sourire de bonheur et de ravissement illumine son visage.

-- Allons retrouver Jamie et les jumelles, j'ai dit que j'allais chercher des
sodas il y a un moment deja, annonce-t-elle joyeusement.

-- J'ai comme l'impression qu'elles ont eu le temps de mourir de soif.

Elle sort de la douche et s'enroule dans une serviette, puis elle m'en lance
une et seche ses cheveux avec une autre. Je ne peux detacher mon regard
d'elle alors qu'elle enfile un bikini tres sexy turquoise et blanc.

-- Bon sang ! Jamie ne devrait pas te donner de tels vetements.

-- Pourquoi ? Il ne peut pas rester au calme quelques heures ?

-- Vous saurez, jeune fille, que j'ai tout le self-control du monde. Si je


decide de ne pas faire l'amour avec toi, alors je ne le ferai pas.

Son rire cristallin se repand dans la salle de bain. C'est si fort que tout le
monde doit l'entendre.

-- Tu veux parier ?

-- Parier quoi ?

-- La corvee de lessive pour un mois ?

-- Rien que ca ! s'ecrie-t-elle, joueuse.

-- Et celle des repas.

-- Genial ! Prepare-toi a perdre.

-- Et toi, a etre aux petits soins avec moi pendant un mois.

Elle fait quelques pas vers moi, bien consciente de ses charmes, et pose un
baiser excessivement sensuel sur le bout de mes levres. Mon corps fremit a ce
contact. Et lorsque ses doigts effleurent ma hampe par-dessus ma serviette, je
dois me faire violence pour ne pas la baiser a meme le sol. Je me ressaisis
juste a temps et enfile rapidement mon maillot.
Elle me rend fou...

J'attrape des serviettes dans le placard et me dirige vers la terrasse. Je


prends place sur une chaise, un peu perdu dans mes pensees. Les filles et
Levi sont dans la piscine et s'amusent a s'eclabousser. Jamie sort du bassin et
me rejoint. Elle s'enroule dans la serviette que je lui tends et s'assied a mes
cotes.

-- Jarred, qu'est-ce qu'on va faire pour la collection ? demande-t-elle le


regard perdu dans le vide.

-- J'en sais rien... Mais la meilleure chose a faire serait de reconstituer une
collection. Quelque chose d'encore plus fabuleux.

Je crois que ma proposition lui confere un regain de bonne humeur.


Aussitot, elle retrouve le sourire.

-- On a encore tous nos plans et patrons dans l'atelier. Va falloir s'y mettre
bientot, elle s'exclame.

-- Ouais, t'as raison. Je sais que j'ai passe enormement de temps avec Lou
dernierement, mais...

-- Ca va, Jarred. Tu as raison de penser un peu a toi.

-- Tu as raison... En attendant, j'ai peut-etre un truc qu'on pourrait utiliser.

Je n'entends pas la reponse de Jamie et file jusqu'a ma chambre. J'ouvre le


premier tiroir de mon bureau et prends la photo de Lou et moi pendant la
seance photo. Je reviens au pas de course jusqu'a la terrasse et la montre a
mon associee avec un sourire fier.

-- Tu crois que ca pourrait fonctionner pour la campagne du parfum ?

-- Comment ? Tu en as garde une copie ?

-- Juste celle-la. Je voulais l'offrir a Lou, mais on peut l'utiliser.


-- Oui, ca peut marcher.

Elle regarde de longues minutes le cliche puis me sourit.

-- T'es totalement accro a cette fille, pas vrai ?

-- Et toi, avec Levi ?

-- C'est un ami, Jarred ! Je l'aime bien, mais pour l'instant, ce n'est que...

-- De l'amitie amelioree, c'est ca ?

-- T'es bete..., soupire-t-elle.

Elle me donne une petite tape sur le bras.

-- Au fait... Comment se passe le divorce ?

-- Anton fait trainer les choses. Il me menace, veut toujours plus, exige la
moitie de mes biens sous pretexte que c'est moi qui ai mis fin a notre relation.
Je decouvre une nouvelle facette de sa personnalite et ca me peine.

-- Il sait pour Levi et toi ?

-- Il s'en doute, mais je ne lui ai jamais confirme. Je crois que c'est ce qui le
fait rager le plus.

-- Alors tu avoues qu'entre vous deux, il y a un petit quelque chose.

Jamie ne me repond pas et se leve, annoncant qu'elle va mettre la photo en


lieu sur. Je la laisse s'eclipser en silence. Comment ai-je fait pour ne pas
remarquer son mal ? J'etais tellement obnubile par Lou que je n'ai pas vu
qu'elle n'allait pas bien. Je me leve a mon tour pour la rejoindre dans la
maison. Je la retrouve dans la cuisine.

-- Jamie, je sais que ca ne va pas...

-- Je divorce Jarred, c'est normal que ca n'aille pas.


-- J'ai l'impression que c'est bien plus profond.

-- Ca l'est, mais ce n'est pas grave, dit-elle.

-- Je suis la si tu as besoin.

-- Je sais, merci Jarred

-- Ca va ici ? demande Lou en nous rejoignant.

Je me retourne, elle est degoulinante et met de l'eau partout sur le sol. Elle
nous toise a tour de role. J'ai comme l'impression que cette jolie demoiselle
est jalouse. C'est assez surprenant.

-- Oui, reponds-je.

-- Jarred s'inquiete juste au sujet de mon divorce.

-- Je vois. Je ne voulais pas vous interrompre, je venais simplement


prendre de l'eau. Je vous laisse, les enfants, retorque Lou.

-- Attends un peu toi, je dois te parler...

Lou me regarde, surprise, et Jamie s'eclipse sans un mot.

-- Pourquoi es-tu venue dans la cuisine ?

-- Je te l'ai dit, j'avais soif...

-- Je ne te crois pas.

-- J'ai soif, mais si le projet tient toujours de s'evader quelques jours, tu


devrais inviter Jamie a se joindre a nous.

Alors la, elle m'en bouche un coin.

-- Je ne m'attendais pas a ce que tu le proposes, mais c'est une bonne idee !


Mais dis-moi... tu serais pas un peu jalouse d'elle par hasard ?
Elle fronce les sourcils et pince les levres.

-- Ne fais pas cette tete, j'avais juste l'impression, c'est tout.

-- Jarred, j'ai beaucoup de problemes de comportement, j'ai meme


enormement de trucs qui ne tournent pas rond dans la tete, mais la jalousie
n'en a jamais fait partie. Par contre, j'envie votre relation, on ne peut pas dire
que mon meilleur ami soit digne de confiance.

Elle se livre a moi si facilement que ca m'emeut. Je m'avance vers elle et la


prends dans mes bras, son corps trempe contre le mien me fait tressaillir. Lou
se hisse sur la pointe des orteils et pose ses levres contre les miennes.

-- Je venais aussi voir si je pouvais te faire flancher.

Ses mots sortent de sa bouche sur un ton rauque, alors que sa main caresse
doucement mon sexe qui decide de repondre present.

-- Tres tentant, marmonne-je.

J'ai bien conscience que je suis faible, mais bon sang, j'en ai envie ! Je
peux sentir, a travers le tissu trempe de son bikini, ses tetons durcis. Ils
frottent contre mon torse et me rendent fou. Je suis incapable de reflechir et
me concentre sur cette sensation. Cependant, elle se detache bien vite de moi
en riant.

-- Avoue que tu n'es plus aussi sur de ton self-control.

Elle se dirige vers le frigo et prend une bouteille d'eau, ce qu'elle n'a pas
prevu, c'est que je la suive et le plaque contre celui-ci. Mes mains effleurent
son ventre et remontent vers ses seins que je serre avec peu de douceur entre
mes doigts. Elle gemit et se mord la levre, je penche la tete vers elle et
murmure a son oreille :

-- Tu te doutes bien que ca peut se jouer a deux ce que tu fais la.

Elle se redresse et me repousse du plat de la main, un sourire amuse sur les


levres.

-- Pourquoi tu souris ?

D'un haussement d'epaules, elle retourne a l'exterieur. Je pose les mains


contre le comptoir de l'ilot et inspire profondement. Elle va me rendre fou,
c'est certain. A mon tour, je sors de la maison et reprends ma place a cote de
Jamie. Lou est retournee dans l'eau avec Levi et les filles.

-- Elle va mieux j'ai l'impression, lache ma meilleure amie.

-- Un peu comme avec Sid, y a des jours avec et des jours sans.

-- Ne la compare pas trop a ma petite soeur.

-- Je le fais de facon inconsciente.

-- Tu sais que tres peu de filles accepteraient ton passe avec Sidney.

-- Je sais, Lou est une perle. Nous avons prevu un week-end avec les filles
loin de tout. Ca te dirait de te joindre a nous ? Levi est le bienvenu aussi.

-- Je... Nous n'allons pas nous imposer.

-- Je crois que nous avons tous besoin d'un break, Jamie. C'est Lou qui a
propose que tu nous accompagnes.

Jamie pese mentalement le pour et le contre. Et je me perds egalement dans


mes pensees.

Je devrais peut-etre contacter l'inspecteur pour lui demander de venir ici,


j'ai l'impression que ce sera trop eprouvant pour Lou de se rendre au
commissariat.

-- J'ai toujours mon chalet a cinq heures de route d'ici, on pourrait s'y
rendre tous les six, propose Jamie.

-- J'adore l'idee, ca fait un moment qu'on n'y est pas alle.


-- Ce chalet, c'est la seule chose qu'Anton ne veut pas.

-- C'est un idiot.

-- Que veux-tu, j'aime les idiots, toi y compris.

Je roule des yeux, ce qui la fait rire. Puis sans reflechir, je lache :

-- J'ai demande a Lou de venir vivre ici.

-- C'est une super nouvelle, elle a dit quoi ?

-- Elle tient a en parler aux jumelles avant de reponse.

-- Elles t'adorent, me rassure ma meilleure amie. Elles vont accepter, j'en


suis presque certaine.

-- Je... J'ai aussi fait une autre demande a Lou...

Rapidement, elle enleve ses lunettes de soleil. Ses yeux sortent de leur
orbite et sa bouche s'arrondit sous l'effet de surprise.

-- Jarred... tu n'as pas fait ca ?

-- Je... Je l'aime Jamie, c'est toi qui me dis sans arret que je dois continuer
ma vie malgre l'absence de Sidney.

Sans un mot, elle prend ma main dans la sienne et une larme roule sur sa
joue.

-- Pourquoi tu pleures ? J'ai dit quelque chose de mal ?

-- Mais non, idiot ! Je suis juste si heureuse pour toi. Dis-moi qu'elle a dit
oui...

Surpris par ses paroles, je me contente de hocher la tete et elle reprime un


cri de joie.
-- Je ne pensais pas que ca te mettrait dans cet etat.

-- C'est tout simplement fantastique ! Je suis si heureuse pour toi !

-- Laisse Lou t'annoncer la nouvelle. J'ai peur qu'elle m'assassine d'avoir


vendu la meche.

-- Tu me connais, je suis une tombe. Je vais lui confectionner une robe de


mariee fabuleuse...

-- Vous venez vous baigner ou vous allez papoter toute la journee ?! s'ecrie
ma belle depuis l'exterieur en agitant les bras.

Jamie et moi echangeons un regard complice et rejoignons les autres.


53
Lou
Jarred et moi nous preparons a nous mettre au lit. Nous sommes epuises et
nos peaux sont rougies par le soleil. Ce fut une belle journee, du genre que
l'on place dans son top cinq des meilleurs evenements de sa vie. Meme la
visite de l'inspecteur n'est pas parvenue a faire disparaitre ma bonne humeur.
Sachant que Jarred acceptait pleinement mon passe avec Tommy, et ce sans
meme me juger, m'a enleve un poids de sur les epaules. En fait, je me fous
pas mal de ce que les autres pensent de moi, du moment que lui, cet homme
que j'aime plus que tout, m'accepte telle que je suis.

Je me glisse sous les couvertures et ferme les yeux.

Toute la journee, il y a eu une certaine tension sexuelle entre Jarred et moi,


je crois que c'est surtout parce qu'il tient a me prouver son self-control et que
je cherche a le faire flancher. S'il savait a quel point je trouve ca flatteur qu'il
ait toujours envie de moi. Si on exclut ma petite crise d'il y a quelques jours.
Je n'y peux rien, mais je tache de faire des efforts pour controler mes sautes
d'humeur et mes exces de folie. La Louann Cassidy d'autrefois ne se remettait
jamais en cause, subissant sa maladie sans desir de s'en sortir, mais celle
d'aujourd'hui a une reelle envie d'avancer.

Le matelas s'affaisse legerement a mes cotes et un corps se blottit contre le


mien. Jarred pose un baiser dans mes cheveux et resserre son etreinte.

-- On va vraiment le faire ? demande-je.

-- Si c'est nous marier dont tu parles, oui, on va le faire.

-- Tu etais marie avec Sidney, comment s'est deroule votre mariage ?

Il rit doucement, son souffle chaud contre ma nuque me fait frissonner.


-- Je lui ai fait la grande demande un vendredi, je voulais lui offrir un
mariage de reve, mais Sidney etait un peu comme toi, lorsqu'elle avait un truc
en tete, impossible de la faire changer d'avis. Elle avait decide que ca se
passerait dans le week-end, rien qu'elle et moi. Le lendemain, nous etions a
Las Vegas et un sosie d'Elvis Presley nous unissait devant un couple
completement bourre. Ca n'avait rien de romantique et je ne suis pas tres fier
de ce mariage.

-- Alors, pourquoi l'avoir fait ?

Je me roule sur le cote, j'aime le regarder lorsqu'il me parle d'elle. J'adore


voir ses yeux s'illuminer et un sourire beat se dessiner sur ses levres.

-- Parce que c'etait ce qu'elle voulait.

Il est ainsi ; Jarred est la gentillesse incarnee. Il n'y a que lui dans ce monde
pour pouvoir supporter deux cinglees dans le genre de Sidney et moi.

-- J'ai eu envie de l'embarquer sur mes epaules et de me sauver. J'aurais


voulu lui offrir un mariage de princesse, avec Jamie comme demoiselle
d'honneur, mais avant que le pasteur nous fasse signe de nous avancer, je l'ai
regardee dans les yeux et j'ai vu qu'elle etait heureuse. Il emanait autour d'elle
une aura de bonheur, alors je n'ai pas pu lui refuser ce plaisir.

Touchee comme je ne l'ai jamais ete dans ma vie, je pose ma main sur sa
joue et embrasse le bout de son nez.

-- Quel homme merveilleux tu es.

Ma voix tremble en prononcant ces mots. Jarred pose sa main derriere ma


nuque et m'attire contre lui. Son nez s'enfonce dans mes cheveux et il
chuchote :

-- C'est toi qui es merveilleuse.

Je le repousse vivement et fronce les sourcils en le regardant.


-- Pourquoi ? Tu ne peux pas prendre mon compliment et simplement me
dire merci ?

-- Merci, mais ca n'empeche pas que tu es une personne fantastique.

Je ne dirais pas que je suis surprise de sa reponse, mais ca me conforte


dans la pensee qu'il fera toujours passer l'univers entier avant lui.

-- Ah bon ! Et pourquoi ?

-- Tu acceptes mon passe avec Sidney sans chichi, tu t'interesses a ce que


l'on etait, tu me questionnes. Tu es tres attentive. Je ne pourrai jamais te
remercier suffisamment pour ca, ma cherie.

-- Elle a fait partie de ta vie. Elle est aussi une grosse partie de toi. Jamais
je ne te demanderai de te taire lorsque tu ressentiras le besoin de parler d'elle.

Je me tais, la voix nouee par l'emotion. J'enfouis ma tete dans son torse et
colle mon corps contre le sien. Ma jambe s'enroule autour de la sienne.

-- T'es une femme etonnante.

-- T'es pas mal non plus dans ton genre. Au fait, j'ai parle aux filles
concernant tes deux demandes lorsque je suis allee les border.

Il se redresse en s'appuyant sur son coude. Ses yeux entrent en moi, tentant
de deviner la reponse avant meme que je ne l'aie prononce.

-- Sunshine croit que si on se marie, c'est logique qu'on habite ensemble.

Il fourrage ses cheveux de sa main libre et se laisse tomber contre l'oreiller.


Un malaise me gagne et me serre les entrailles. Rapidement, je me pose des
questions. Regrette-t-il ses deux demandes ? Non, impossible, on vient d'en
parler. Peut-etre a-t-il l'impression que c'est trop tot ? Et si c'est le cas, il ne
sait probablement pas comment me le dire ? Oui, c'est surement ca.

-- Je... Si tu crois que c'est trop tot... je...


-- Hein ? Mais non, je suis si heureux. Je ne pensais pas que j'aurais une
reponse si vite.

A mon tour, je me laisse tomber sur les oreillers et ferme les yeux. Je
frissonne en sentant le contact de ses levres sur mon epaule denudee. Il
remonte tranquillement vers ma clavicule et embrasse ma gorge. Je gemis de
plaisir, puis me mets a rigoler.

-- Qu'est-ce qui te fait rire ?

-- T'es en train de perdre ton pari. Tu sais qu'avec les filles et moi chez toi,
tu vas avoir du travail mon coco.

-- A ce que je sache, je n'ai pas encore perdu le controle.

-- Ah non, qu'est-ce que tu es en train de faire dans ce cas ?

-- Je compte te donner un orgasme si puissant et si intense que tu me


supplieras de laisser tomber ce stupide pari.

-- Je demande a voir.

Ses levres reprennent possession de ma peau, me donnant l'impression de


la chauffer a blanc. De ses baisers, il remonte jusqu'a mon lobe d'oreille qu'il
mordille.

-- Je vais profiter de toi au maximum.

-- Embrasse-moi, exige-je.

Avec un sourire ravi, il se place au-dessus de moi, tout son poids reposant
sur ses coudes sur lesquels il prend appui. Son souffle chaud contre mon cou
manque de me faire defaillir et lorsque sa bouche s'empare enfin de la
mienne, sa langue se glisse entre mes levres entrouvertes et vient s'amuser
avec la mienne. Elle quitte ma bouche apres un long baiser passionne, il
aspire doucement ma levre inferieure.

Balancant son poids sur le cote droit, il m'enleve mon t-shirt si


precipitamment que je tremblote lorsque je me retrouve nue. En s'apercevant
que je ne porte aucun sous-vetement, ses yeux s'emplissent de desir. Sa main
caresse mon ventre et je ne ferme les yeux que deux secondes, avant de les
rouvrir subitement en sentant ses dents exciter mes tetons qui pointent deja de
plaisir. Je me courbe, grisee par tant de sensations. Il m'attrape par la taille et
ecarte doucement mes jambes pour se glisser entre elles.

Sa langue humide cherche mon clitoris, qu'elle trouve tres rapidement.


Tantot il l'aspire, tantot il le mordille doucement. Il pousse ses doigts en moi
et me baise avec, me portant jusqu'au point de non-retour. Plus je me tortille,
plus il me leche. Je me tremousse et m'agite, agrippant le drap de toutes mes
forces. Je me redresse et enfonce mes doigts dans ses cheveux, m'accrochant
a eux pour imposer mon rythme. Il donne tout ce qu'il a, allant et venant en
moi comme un marteau piqueur. Son doigt sur mon point G deverse en moi
des torrents de frissons. Mes cuisses tremblent et je ne controle plus mes rales
de plaisir.

Sans un mot, il se redresse et prend place a cote de moi dans le lit, me


laissant ainsi haletante et tremblante. Sans un mot, je roule sur le flanc et me
presse contre lui. Ma main descend vers son pantalon de pyjama et tate son
penis aussi dur que le beton.

-- Lou, je ne veux pas flancher. Je veux te prouver que je sais me controler.

Avec un sourire amuse, je me redresse, descends son pantalon et m'assieds


a hauteur de sa queue, les jambes de chaque cote de son corps. Dans un lent
mouvement, je bouge mon bassin contre le sien. Sa queue qui frotte contre
mon clitoris gonfle de mon orgasme me provoque des electrochocs partout
dans le corps. Il me regarde intensement, sa bouche deformee par le plaisir.

-- Je sais que tu es en mesure de te controler, mais cette fois, c'est moi qui
prends le controle.

Je souleve les hanches et fais glisser sa queue dans mon sexe trempe. Il
pousse un long soupir de contentement tandis que je monte et descends sur sa
hampe. Il agrippe mes seins et les serre dans ses mains, la douleur que cela
provoque est exquise. Ses pouces jouent avec mes tetons, les malmenent,
repandant des decharges electriques dans mes mamelons. Je grogne pour lui
signifier qu'il y va un peu trop fort. Comprenant le message, il se redresse et
depose une multitude de baisers sur ma poitrine. Je tente d'accelerer les
mouvements de mon bassin, mais je suis tellement obnubilee par ses caresses
que je ne parviens pas a me concentrer.

Tout a coup, il m'attrape par les hanches et me presse contre son bas-ventre
avant d'exploser en moi, repandant sa semence entre mes cuisses.

Je me laisse retomber contre lui, son sexe toujours en moi, secouee par cet
orgasme fulgurant. Nous restons dans cette position un moment, jusqu'a ce
que, epuisee, je souleve les hanches et me glisse a ses cotes. Jarred vient
instinctivement se blottir contre moi.

-- Je t'aime bebe.

Sa tete se niche dans mon cou et son souffle chaud caresse ma peau.
Rapidement, sa respiration devient plus reguliere a un point tel que je me
demande s'il ne s'est pas endormi. Je le pousse un peu, il grogne, marmonne
et roule sur le dos.

Ah oui ! Vraiment ?

Je souris et me leve pour enfiler un short et un t-shirt. Sans faire le moindre


bruit, je me dirige vers la cuisine pour grignoter un truc. Je suis a peine entree
dans la piece que je sursaute en voyant quelqu'un assis sur un tabouret de
l'ilot. Je reconnais rapidement Sunshine.

-- Sun ? Tu m'as fait peur !

-- J'avais faim et comme Jarred a dit de faire comme chez moi...

-- Non ! Non ! T'as raison ! N'hesite surtout pas, j'ai faim moi aussi. T'as
trouve un truc interessant ?

-- Non, pas trop...


Elle secoue une carotte devant elle en faisant la grimace.

-- Y a plus de restes du diner ?

-- Non, Levi mange comme un porc !

-- Ouais, ca devrait etre illegal de manger autant et d'etre aussi mince,


grogne-t-elle.

-- Ouais, t'as raison, mais les courbes c'est tres sexy aussi, dis-je en
m'asseyant pres d'elle.

-- Tu parles, t'es aussi mince que lui.

-- Je n'ai aucun merite, tu sais. Parfois, j'oublie de manger pendant des


jours. Ca fait partie de ma maladie, je suppose.

-- Est-ce que je vais developper la meme chose que toi ? demande-t-elle.

Elle est serieuse, mais a peur aussi et ca me serre le coeur. Je prends sa


main dans la mienne et tente de lui sourire.

-- Je ne sais pas Sunshine, mais je vais tout faire pour que ca n'arrive pas.
Tu ne feras pas les memes erreurs que moi. On va consulter un psychiatre,
voir des gens pour que tu en parles...

-- J'ai pas envie d'en parler avec un psychiatre.

Oh merde ! Elle me fait penser a moi. Ca, ca me fait peur. Et si elle


devenait comme moi ? C'est si difficile a gerer... elle ne doit pas vivre ca...
Jamais...

-- T'as de la chance, ce n'est pas genetique, ca provient d'evenements


marquants dans l'enfance. Si tu en parles, que tu voies des specialistes, t'as de
bonnes chances de ne pas etre folle comme moi.

-- Et si je t'en parlais a toi ?


-- Je serai toujours la pour t'ecouter ma cherie, mais je ne sais pas si je suis
la plus apte pour te conseiller.

Elle me sourit et me tend un bout de carotte que je refuse d'un signe de


main.

-- T'avais pas faim ?

-- Si, mais je crains qu'il n'y ait plus grand-chose dans le frigo, je peux
m'en passer.

-- Y a des oeufs et du lait.

-- Tu crois que Jarred a de la farine et de l'huile ? demande-je.

Sunshine hausse les epaules et saute de son tabouret pour ouvrir les
placards. Elle se retourne vers moi avec un paquet de farine. A mon tour, je
descends de mon tabouret et plonge le bras par-dessus la tete de ma soeur
pour en ressortir un pot de sirop d'erable.

-- Je crois qu'on va se faire des crepes !

-- Il est 02 heures du matin Lou...

-- Y a pas d'heure pour manger des crepes. Tu m'aides ?

Ma petite soeur pose sur le comptoir la farine et pars a la recherche de


l'huile.

-- Tu veux sortir un poelon ? lui demande-je.

Elle se penche et ouvre une petite porte, en sortant le poelon de l'armoire,


elle accroche une grosse marmite qui tombe dans un gros bruit sourd contre
le sol. Nous sursautons toutes les deux, et lorsque je pose les yeux sur elle, je
vois qu'elle est sur le point de pleurer.

-- Sunshine, tu ne t'es pas fait mal ?


Elle hausse les epaules et se retourne pour foncer sur moi. Je la serre dans
mes bras si fort que je pourrais presque la casser en deux.

-- C'est pas grave ma cherie.

-- J'espere ne pas avoir reveille Jarred...

-- C'est ca qui te fait peur ?

-- Je...

-- Hey ! On se fait un petit en-cas de fin de soiree ?

Mon petit ami apparait dans la cuisine en baillant, vetu de son jogging gris.
Il s'avance vers nous.

-- On avait faim, alors on a decide de se faire des crepes. Tu sais qu'on va


bientot devoir aller faire les courses ?

-- Faut me reveiller quand vous faites ca, j'adore les crepes.

Il prend place a l'ilot et pose sa tete dans sa main.

-- On va reveiller Sloane ? demande-t-il a l'intention de ma soeur.

-- J'y vais.

Sunshine repond si rapidement que j'en suis surprise et Jarred aussi. Elle
file vers la chambre et me laisse seule avec mon cheri.

-- Qu'est-ce qu'elle a ?

-- Elle a eu peur que tu la disputes pour la marmite qui est tombee.

Il me regarde surpris, puis se leve et sort de la cuisine.

Bon, apparemment, je vais devoir cuisiner toute seule...


Je m'affaire a peser la bonne quantite de farine et a la melanger a l'huile.
J'ajoute les oeufs, le lait, le beurre ainsi que le sucre. Je tente de melanger le
tout, mais je ne fais que m'envoyer de la farine partout. Je grogne en y allant
plus doucement.

-- T'as besoin d'aide ? demande Sloane dans mon dos.

-- Euh... Ouais... Commence a faire chauffer l'huile dans le poelon.

-- T'inquiete pas pour Sunshine. Elle s'habituera rapidement a la situation.

-- Je... Je... ne m'inquiete pas.

-- Ouais ! Ouais ! Et c'est quoi cette idee de crepes en plein milieu de la


nuit ?

-- J'ai faim, grogne-je.

-- Tu sais Lou, t'as pas besoin de jouer a la maman avec nous. T'as qu'a etre
notre soeur.

-- Tu dis ca parce que vous voulez des bikinis.

Elle eclate de rire en secouant la tete.

-- Je suis jeune, mais pas conne, on a debarque dans ta vie et on a tout


chamboule.

-- Je suis heureuse que vous soyez la, admets-je.

-- Alors, ca avance ces crepes ?

Je me retourne sur mon cheri et ma petite soeur qui semble mal a l'aise. Je
souhaite sincerement qu'elle trouve la paix interieure. J'aimerais qu'elle voit
un psychiatre...

Jarred reprend sa place autour de l'ilot et Sunshine s'assied a ses cotes.


-- Tu peux venir nous aider si tu nous trouves trop lentes.

-- Vous m'avez reveille, donc vous me nourrissez.

Amusee, je secoue la tete et commence a faire cuire la pate pendant que


Sloane sort les assiettes.

-- Je pensais a un truc... Etant donne que vous allez venir vivre ici avec
Lou, je me disais que ce serait bien que vous ayez un endroit a vous. Du
coup, j'ai pense qu'on pourrait amenager le sous-sol.

Je me retourne vers lui et serre les levres.

-- T'aurais pu m'en parler d'abord, lache-je sechement.

-- Je voulais le faire, mais je me suis endormi trop vite. La chambre d'ami


est trop petite pour deux ados, tandis qu'au sous-sol, il y a la place necessaire
pour une chambre et un bureau pour que les filles puissent bosser
tranquillement.

-- Je veux un ordinateur ! s'ecrie Sloane.

-- Y en a deja un au sous-sol. Vous ne l'avez pas encore visite, je me


trompe ?

Synchronisees, elles secouent la tete avec un sourire beat.

-- La porte avant la salle de bain y mene, allez voir.

Comme deux fusees, elles foncent vers l'endroit indique par Jarred, qui lui
se leve et vient pres de moi.

-- Je ne voulais pas te mettre devant le fait accompli. Je... Je crois que j'ai
voulu leur faire plaisir.

-- Ca va, mais n'oublie pas de me consulter la prochaine fois, d'accord ?

Il m'embrasse avec passion, mais je le repousse presque immediatement.


-- Quoi ?

-- On va pas recommencer a faire bruler notre repas.

Il eclate de rire et retourne s'asseoir. Nous discutons un bref moment,


jusqu'a ce que les filles reviennent et reclament de la nourriture. Nous
mangeons nos crepes maison en papotant et en riant.
54
Lou
Voyant que je perdais pied, j'ai pris rendez-vous avec mon psychiatre. Je
suis heureuse de constater que plus je le vois, plus je devine lorsque ca ne va
pas. Je n'aurais jamais cru ca il y a quelques mois.

J'entre dans la salle d'attente lumineuse et blanche, meme si j'ai maintenant


l'habitude, je suis toujours un peu mal a l'aise et malgre tous mes progres, etre
ici m'intimide. Je souffle et fais un signe de main a la secretaire qui m'invite a
venir pres d'elle.

-- Bonjour Anita !

-- Louann, heureuse de te revoir. Tu peux te rendre dans le bureau du


docteur Andrews, il ne devrait pas tarder.

-- Merci.

-- Je peux me permettre de te demander comment vont tes soeurs ?

-- Bien, je suppose. Tu ne saurais pas me conseiller un psy ou un


professionnel adapte a ce qu'elles ont vecu ?

-- Je vais me renseigner.

-- Merci.

D'un pas rapide, je tourne le dos a Anita et file vers le bureau de mon
psychiatre. Ca me rend triste d'admettre que je connais le chemin sur le bout
des doigts. J'ouvre la porte et prends place dans l'un des fauteuils en cuir
clair. La nervosite me gagne, je souffle et me leve pour arpenter la piece de
long en large. Sur le bureau, un dossier attire mon attention.
C'est le mien ? Ca doit forcement etre le mien...

D'une main tremblante, je l'ouvre, comme je l'avais prevu, c'est mon


dossier.

Oh merde ! Il est tellement epais.

Il y a toutes les informations me concernant. Je me laisse choir sur la


chaise du docteur et commence a le feuilleter. Il y a tout, absolument tout. De
mon accident de voiture a Daytona Beach, a ma fausse tentative de suicide. Il
y a meme une copie de notre deposition de plainte aux filles et moi. Je
souffle, me retrouver devant ca est plus difficile que je ne l'aurais imagine.

Mes doigts tremblent tandis que je tourne les pages. Je tombe finalement
sur une feuille, redigee a la main, qui me retourne l'estomac et me donne
envie de vomir.

<<< La patiente, Louann Cassidy, nee le 23 mars 1991, est actuellement


hospitalisee. Bien qu'aucune desorganisation ne soit observee, la patiente
semble refuser les traitements proposes. De nature colerique, impulsive,
aux relations interpersonnelles chaotiques, avec une personnalite de type
borderline. Elle decompense avec le sexe et l'alcool depuis de nombreuses
annees. Auparavant, elle a cumule des pathologies anorexiques et
l'automutilation. Louann est une personne tres instable
psychologiquement, un suivi avec un psychiatre devra etre mis en oeuvre.

Suite a une premiere rencontre avec la patiente, je demeure persuade que


son mal de vivre gere sa maladie et l'empeche d'avancer sainement. Un
traumatisme lie a l'enfance peut etre responsable de ca.

Une therapie cognitive avec notion d'acceptation devra etre mise en place
pour aider la patiente a etre en mesure de mieux faire face aux imprevus et
ainsi apprendre a controler sa colere et son impulsivite. Cependant, il sera
primordial de creer un climat de confiance avec la patiente. L'objectif est
d'amener madame Cassidy a comprendre et attenuer le sentiment
d'incompletude et la psychasthenie qui l'habite.
La patiente ne sera pas facile d'approche, il doit y avoir un juste equilibre
de douceur et de fermete. Madame Cassidy est aussi tres intelligente et
l'amener a se poser des questions pourrait la faire evoluer dans sa maladie.
Elle doit aussi prendre conscience qu'elle a besoin d'un tuteur, dites personne
ressource, dans sa vie pour s'epanouir pleinement. >>>

Les mots flashent dans ma tete a toute allure.

Colere... Impulsivite... Controle... Anorexie... Mutilation... Maladie...


Sainement... Traumatisme... Instable... Incompletude... Psychasthenie...

Ma respiration se coupe, je ferme les yeux quelques secondes et tourne la


page. Je tombe sur d'autres notes comme celle-ci qui me font aussi mal que la
premiere. Au bout de quelques feuilles, je decouvre sur un plan
chronologique des evenements repertories au cours de ma derniere
hospitalisation ainsi que des notes expliquant l'element declencheur. Mon
coeur bat la chamade, mon sang tape tellement fort dans mes tempes que je
perds toute connexion avec la realite. Je ne vois plus rien, sauf cette feuille
devant moi. Ca me fait mal de voir sur papier a quel point je suis folle et
nevrosee. Je dechire le rapport et le fourre dans la poche de mon jeans. Je
releve la tete et apercois mon psychiatre. Il est adosse a la porte et me
regarde.

-- La curiosite est un vilain defaut, Louann.

Prise en faute, je bondis sur mes pieds et tente de sortir de la piece, mais le
docteur Andrews pose sa main sur mon epaule.

-- Et si nous en discutions ? Je crois qu'il est important que nous parlions


de ce que tu as lu dans ton dossier.

Il me tutoie...

-- Je... Non ! Je n'en ai pas envie.

-- Je t'en prie.
Il me fait signe de la main et, comme une enfant qui se fait reprimander, je
m'execute et prends place sur la chaise situee face a son bureau.

-- Dis-moi ce qui t'a perturbee dans ton dossier.

-- Je... tout... Vous me donnez l'impression d'etre folle...

-- C'est moi qui te donne cette impression ?

-- Vos mots... Ils font mal...

-- Oui, je peux le comprendre.

-- Je ne suis pas folle !

-- En aucun cas, ca n'a ete mes mots.

Je pince les levres et ferme les yeux.

-- Louann, vous ne devez pas croire que je suis votre ennemi. J'essaie
seulement de bien cerner la personne que vous etes pour vous aider au mieux.

Il me vouvoie a nouveau...

-- Vous pensez que je suis folle ?

Ces paroles me font mal. Chaque fois que je les prononce, une vive
douleur s'eveille en moi, mais en ce moment, c'est encore pire.

-- Non, jamais je n'ai pense que vous etes folle.

-- Vous dites que je suis <<< instable psychologiquement >>>.

-- Je crois que vous l'etes, mais je crois aussi que vous avez envie de vous
en sortir, non ?

-- Qui n'en a pas envie..., lache-je, acide.


-- Je crois sincerement que vous ne voulez pas abandonner. Je me trompe
peut-etre ?

Son sourire est assez revelateur, a un point tel que je me pose des questions
sur ce qu'il en est.

-- Vous avez laisse mon dossier la pour que je le voie, pas vrai ?

-- On peut dire ca comme ca.

-- Pourquoi voulez-vous que je lise vos notes ?

-- Vous n'avez pas une petite idee ?

Pourquoi ? Je ne sais pas, peut-etre voulait-il que je me sente inadequate.


Non, impossible, j'ai confiance en lui. Il est mon psychiatre, le seul qui ait
vraiment voulu m'aider. Jamais il n'aurait fait ca.

-- Quels mots vous ont fait mal ? continue-t-il.

Colere... Impulsivite... Traumatisme... Instable... Incompletude...


Psychasthenie...

Je ne sais plus, j'en perds le fil. Ma respiration se coupe, mes yeux evitent
les siens.

-- Louann, pouvez-vous me citer les mots qui vous ont blessee ?

-- La colere, ca me donne l'impression d'etre toujours fachee.

-- Et vous l'etes ?

Le suis-je ? Non, plus maintenant... Plus depuis que Jarred est entre dans
ma vie. Enfin, je le suis moins. Il n'attend pas ma reponse et continue :

-- Si on dit colere, on dit souvent, impulsivite. Je me trompe peut-etre,


mais l'un ne va pas sans l'autre, pas vrai ?
-- C'est vrai. J'ai tendance a briser des choses, a me faire mal. Ma petite
soeur, Sloane, s'automutile.

-- Comme vous l'avez fait ?

-- Oui, souffle-je.

-- Avez-vous pense lui faire rencontrer un psychiatre ?

-- Oui, j'ai demande a Anita de me conseiller quelqu'un.

-- J'ai quelque chose a vous proposer Lou, pour vous aider a regler ce
probleme de colere. Tous les mardis soir, j'offre a des patients tels que vous
une seance d'une heure durant laquelle j'enseigne des techniques pour
controler la rage en eux. Ensuite, il y a des echanges entre nous, nous
discutons librement et sans jugements.

-- Un peu comme les alcooliques anonymes, non ?

-- Dans le meme style, oui.

-- Alors, non merci.

Il hoche la tete et me tend une feuille.

-- Au cas ou vous en ressentiriez le besoin.

Je n'ai aucune intention de me rendre dans l'une de ces seances pour


dingues. Pas question non plus de m'asseoir en cercle autour d'un mec qui
livrera les secrets infinis de la colere et l'impulsivite. Ensuite, on se confira
nos plus terribles secrets et on echangera nos numeros de telephone. Bah quoi
? Faut quand meme se tenir au courant de l'evolution de nos pathologies.
C'est du grand n'importe quoi. Cependant, je prends quand meme la feuille
qu'il me tend et la fourre dans la poche de mon jeans.

-- Que voulez-vous dire par : l'amener a se poser des questions sur sa


maladie ?
-- Je crois que vous etes plus consciente que vous ne l'avez jamais ete des
consequences de votre maladie sur vous et votre entourage. Et c'est d'autant
plus vrai depuis que vous m'avez parle de l'homme avec qui vous partagez
desormais votre vie.

-- Jarred ? Oui, je ne dois jamais le detruire.

-- Pourquoi croyez-vous que vous allez le detruire ?

-- C'est ce que je fais toujours. Avant, j'avais l'impression d'etre nocive


pour les gens autour de moi. Depuis qu'il est dans ma vie, j'ai le sentiment
que j'ai le droit d'etre quelqu'un de bien.

-- Qu'est-ce qui vous en empecherait ?

-- Je sais pas... Autrefois, j'avais la sensation d'etre enchainee a une vie que
je ne voulais pas.

-- Qu'est-ce qui vous fait aimer la vie maintenant ?

-- Je sais que vous allez desapprouver, mais lui. Simplement lui. C'est
comme s'il m'etait dedie. Il n'a pas peur de ma maladie, il sait me calmer, il
est exceptionnel.

-- Je ne desapprouve pas, j'ai simplement voulu que vous preniez


conscience des possibilites.

Il jette un coup d'oeil a l'horloge murale et me sourit.

-- C'est deja termine, docteur ?

-- J'en ai bien peur, oui.

-- Je ne dirais pas que ce fut un plaisir, mais merci.

Il se contente de me sourire et me raccompagne jusqu'a la reception. Il


contourne le comptoir blanc pour se placer derriere Anita.
-- Je vais voir Louann et ses soeurs la semaine prochaine en priorite. C'est
moi qui vais m'occuper de leur dossier.

Le secretaire scrute le psychiatre d'un regard surpris, puis sans poser de


question, elle ouvre son agenda.

-- Lundi a 14 heures, ca vous va ? demande-t-elle.

-- Oui, merci Anita et merci a vous docteur Andrews.

D'un pas rapide, je sors du bureau et patiente devant l'ascenseur, lorsque


les portes s'ouvrent, je m'avance doucement dans la cabine et un jeune
homme me crie de les retenir. Ce que je fais sans un mot et lorsqu'il entre a
son tour, je me cale dans le fond.

-- Merci mademoiselle.

Je me contente de hocher la tete et de lui sourire faiblement.

-- Je te connais, lache-t-il.

N'ayant pas trop envie de faire causette, je lui reponds un peu sechement :

-- Non, je ne crois pas.

-- Mais si ! Je comprends que tu aies pu oublier, faut dire que t'etais


salement bourree. T'es Louann Cassidy, c'est ca ?

Je ne reponds pas et leve les yeux pour regarder a quel etage nous sommes.
Heureusement, les portes s'ouvrent au rez-de-chaussee et je me depeche de
sortir pour me soustraire a l'attention de cet homme. Je fonce a l'exterieur
comme une deratee et jette un regard circulaire dans le parking. Aucune trace
de Jarred. Bon sang de merde !

-- Hey ! T'etais plus loquace que ca l'autre nuit !

<<< L'autre nuit >>> ?!


Non, mais il croit quoi ? Ca doit faire six mois que je n'ai pas baise avec un
inconnu. Il commence serieusement a me casser les couilles, ce con. Il pose
sa main sur mon bras, prise de panique, je le repousse vivement.

-- Quoi qu'il ait pu se passer entre nous, il serait peut-etre temps que tu te
decides a passer a autre chose.

-- He ! On se calme ma jolie, j'avais oublie que t'etais une sauvage et pas


qu'au lit, mon ami a eu des traces de morsures sur son cou pendant des jours.

Son ami ? Wow ! Je n'ai aucun souvenir de ca.

Ma respiration se coupe et l'espace d'une seconde, je ne vois plus rien,


comme si le monde venait de cesser de tourner pour que j'assimile ce qu'il me
dit. Lorsque je reprends contact avec la realite, un taxi se gare devant
l'immeuble et une jeune femme en sort. Je m'avance et la bouscule
legerement pour prendre la place qu'elle vient de quitter. J'aboie rapidement
mon adresse au chauffeur qui me regarde bizarrement.

-- Tu avances ou quoi ?

Il marmonne un truc incomprehensible et s'engage sur la route. Je ferme les


yeux et tente de faire le vide, sans succes. Je suis confrontee a mon passe sans
le vouloir, je pousse un soupir et une larme tente de se frayer un passage
entre mes paupieres.

T'es plus cette fille-la ! Tu dois te rendre a l'evidence que t'as fait des
choses pas toujours recommandables dans ta vie, mais tu es passee a autre
chose. Tout le monde a le droit a une seconde chance, toi, y compris. Secoue-
toi...

-- Vous comptez rester dans mon taxi toute la journee ?! gueule le


chauffeur.

J'ouvre les yeux et lui tends un billet de 20 $ pour ensuite sortir sans
demander la monnaie. Je grimpe jusque chez moi en faisant taire mes pensees
malsaines, et en essayant de me convaincre que je suis une bonne personne
malgre tout.

Combien de nanas ne veulent pas s'engager et ont un mode de vie de


celibataire endurci qui leur convient ? Des tonnes ! Alors pourquoi ca me
semblait si horrible quand il s'agissait de moi ? Parce que je le faisais pour
faire taire les voix qui me disaient que je suis une mauvaise personne. Parce
que je le faisais pour faire disparaitre les cauchemars, les souvenirs, mon mal
de vivre... C'etait une bien meilleure solution que la drogue.

Je deverrouille la porte et ce que je vois me coupe le souffle. J'avais oublie


que Tommy avait saccage mon appartement. Il y avait peu de choses
auxquelles je tenais, mais de voir tout ce que je possedais en miettes sur le sol
me donne la nausee. Mon estomac se contracte et se souleve. Je m'elance vers
la salle de bain en tentant d'eviter de mettre le pied sur un truc. J'arrive juste
au moment ou je rends mon petit-dejeuner. Je vomis tripes et boyaux au
travers de mes larmes. Je tente avec difficulte de tenir mes cheveux derriere
ma tete, mais leur nouvelle longueur me rend la vie dure. Une fois terminee,
je tire la chasse, me laisse glisser contre le mur et attrape une serviette pour
eponger mon visage.

Je reste un long moment, le regard perdu dans le vide a me demander


pourquoi il a fait ca. Ca me fait mal, ma peau me demange, je frappe ma tete
contre le mur a plusieurs reprises. Le dernier coup est si fort que la douleur se
repend jusqu'a mes doigts. Je pousse un grognement etouffe et enfonce mon
poing droit dans ma bouche pour faire taire un cri etrangle.

La porte d'entree s'ouvre, je tente de me relever rapidement, mais je perds


l'equilibre et retombe au sol.

-- Lou ?

Jarred !

Je souffle, soulagee de savoir que c'est lui et qu'encore une fois, il vient me
sauver. Il entre dans la salle de bain et me regarde, surpris. Sans un mot, il
prend place a mes cotes et noue ses doigts aux miens.
-- J'etais en retard, j'ai tente de t'appeler, mais ca n'a pas repondu donc j'ai
contacte la secretaire qui m'a dit que tu etais partie depuis pres de vingt
minutes.

-- Je... L'appart, il est detruit.

-- On va regler le probleme rapidement. On va venir tout nettoyer et


recuperer ce qui est potable, mais pour l'instant, y a plus urgent a faire.

-- Comment ?

-- Un agent des services sociaux est a la maison pour toi.

-- Pourquoi ? Qu'est-ce que j'ai fait ? demande-je d'une petite voix.

-- Je crois que c'est pour juger si tu es apte ou non a t'occuper des jumelles.

Un bourdonnement emplit mes oreilles et m'empeche de reflechir. Je


n'arrive pas a lacher Jarred du regard, j'attends des explications, mais elles ne
viennent pas ou peut-etre qu'il me les dit, mais je ne les entends pas. Il se leve
et me tend une main que je prends pour m'aider a me relever. Une fois sur
pied, je fonds en larmes dans ses bras.
55
Lou
Le trajet jusque chez Jarred se fait en silence. Des l'instant ou il m'a
explique que Jamie est restee avec les filles et les deux agents des services
sociaux, je n'ai plus prononce un seul mot. Petrifiee par ce qui pourrait se
produire, je me fais l'effet d'une condamnee a mort. Je sais fort bien que c'est
inevitable. On va me retirer la garde des filles et elles vont retourner chez
Dustin. Bon sang ! Je leur avais promis que jamais je ne laisserais ca se
produire !

Tu t'attendais a quoi ? Laisser deux gosses a une cinglee comme toi, c'est
completement absurde !

C'etait stupide de ma part de penser que je pourrais jouer le role de parents.


Pourtant, j'aurais du m'en douter, j'aurais du le prevoir...

Nerveuse, je tords mes doigts dans tous les sens, Jarred me prend la main
et tente de m'apaiser, mais en ce moment, rien n'y parviendrait. Je crois ne
jamais avoir ete aussi stressee de toute ma vie. La musique qui emplit
l'habitacle m'enerve, je m'etire donc pour eteindre la radio avec une rage
incontrolable. Il me lache un regard surpris et s'apprete a dire quelque chose,
mais se ravise aussitot. Apres d'interminables minutes, il gare finalement sa
voiture dans l'allee et se tourne vers moi.

-- On y est et je suis avec toi, ne l'oublie pas.

J'aimerais pouvoir lui sourire et lui assurer que ca va bien se passer, mais je
n'y arrive pas. Il detourne la tete et regarde devant lui en froncant les sourcils.
Il semble agace, ce qui ne laisse rien presager de bon.

-- Que se passe-t-il ?
-- Rien du tout. Ecoute Lou, je sais que tu es nerveuse, je sais aussi que ce
sera difficile pour toi d'entrer dans la maison et de sourire, mais je te
demande de le faire. Je te demande de repondre a leurs questions avec calme
et honnetete.

-- Que se passe-t-il ? repete-je.

-- Ces gens sont venus evaluer si tu es apte a avoir la garde des filles. Car
bien sur, la garde sera retiree a Dustin et ta mere, mais c'est la procedure
normale. Je t'en prie Lou, garde ton calme. Pour leur bien.

Je hoche la tete, pas certaine d'y arriver. Je tremble de tout mon etre et
lorsqu'il lache ma main pour sortir du vehicule, j'ai l'impression que le vide
en moi s'intensifie. J'inspire profondement et sors a mon tour de l'habitacle.
Une fois aux cotes de Jarred, je prends sa main dans la mienne et nous
entrons.

Jamie vient vers nous, une lueur d'inquietude dans les yeux.

-- Lou ! Te voila enfin !

-- Ou sont les filles ? demande-je.

-- Je... Apres le depart de Jarred, un agent les a emmenees pour les mettre
temporairement dans une famille. Je n'ai rien pu faire pour les en empecher...
Je m'excuse...

Mon monde s'ecroule totalement. Je lache la main de Jarred et m'avance


vers une dame rousse avec une coupe a la garconne d'environ trente-cinq ans.
Mon sang cogne avec violence dans mes tempes, me faisant perdre peu a peu
toute connexion avec la realite. Mes mains sont moites et je les essuie
frenetiquement sur mon pantalon. J'inspire profondement et, avec toute la
force que je peux rassembler, je m'avance vers l'intruse qui vient de me retirer
les filles.

-- Bonjour, mademoiselle Cassidy, desolee de debarquer chez vous a


l'improviste.
-- Ou avez-vous emmene mes soeurs ?

Faisant fi de ma question, elle s'avance vers moi et me tend une main que
je prends mollement dans la mienne. Elle a le sourire un peu faux de la
femme qui a trop vu de sevices chez les enfants.

-- Je me presente, je m'appelle Rebecca McFly et je suis la pour vous faire


part de la decision du tribunal concernant la garde de Sloane et Sunshine
Abrahams. Pouvons-nous nous asseoir ? demande-t-elle.

-- Oui, allez dans la salle a manger, propose Jarred.

Il nous conduit en silence jusqu'a la table et se retourne pour sortir de la


piece.

-- Tu peux rester... S'il te plait...

Ma voix n'est qu'un faible murmure, mais il m'entend et vient


immediatement prendre place a mes cotes avec un sourire reconfortant.

-- Alors voila, mademoiselle Cassidy, j'aurais aime que les choses se


passent autrement, mais etant donne votre passe, nous avons prefere ne
prendre aucun risque et emmener immediatement les jumelles.

-- Mon passe ? demande-je, dubitative. Je ne vais pas faire de mal a mes


soeurs.

-- Ca, c'est a nous d'en juger.

Decidant d'ignorer sa phrase dediee a me narguer ou peut-etre a tester mes


limites, je poursuis en reclamant des explications.

-- Mais je ne comprends pas bien puisque la cause n'a pas encore ete
entendue.

-- Oui, c'est vrai. Mais en premier lieu, nous devons nous assurer que vos
soeurs sont bien et dans un environnement securitaire. Le juge a decide
qu'elles seraient placees dans une famille d'accueil pour une periode de trente
jours.

-- Pourquoi ? Elles ne manquent de rien ici, et surtout elles sont loin de


leur pere. C'est le principal, selon moi.

-- Je ne peux pas juger de la culpabilite de monsieur Abrahams. Un suivi


sera fait aupres de vos soeurs pour determiner ce qui est le mieux pour elles.

-- Je leur ai promis qu'elles n'auraient plus rien a craindre et qu'elles


pourraient vivre avec moi. Je ne veux que les aider, je sais ce qu'elles ont
subi, car moi aussi je l'ai vecu. Je sais que ca ne depend pas de moi, mais tout
ce que je veux, c'est qu'elles soient bien.

Rebecca pose un regard compatissant sur moi. Ma voix tremble, il est


difficile pour moi de garder mon calme en ce moment et de canaliser ma
colere et ma tristesse. Ma gorge se noue de facon si violente que je n'arrive
plus a respirer. Jarred pose sa main sur le dossier de ma chaise et caresse
doucement mon dos. Je ferme les yeux et pousse un profond soupir.

-- Le departement de protection a l'enfance tient aussi compte du desir de


l'enfant. Si vos soeurs ressentent l'envie de vivre avec vous, le juge en tiendra
compte, mais il va egalement tenir compte de votre volonte a tout mettre en
oeuvre pour que les filles soient bien avec vous.

-- Que dois-je faire ?

-- Tout est explique dans ce document.

D'un geste rapide, elle sort un paquet de feuilles de sa mallette et les pose
devant moi.

-- La-dedans, vous trouverez un plan d'intervention avec vos besoins, ceux


des jumelles et les objectifs a atteindre. La date de comparution devant le
juge est dans un mois pour les sevices subis sur vous et vos soeurs. Le juge
decidera ensuite de qui aura la garde de Sloane et Sunshine, l'etat ou vous.

Elle parle de facon machinale et ca me tue. Elle semble vide de toute


emotion humaine. Sa compassion n'a ete que de courte duree. Jarred serre ma
main dans la sienne, sentant probablement que je vais m'ecrouler d'une
seconde a l'autre.

-- Si je peux vous permettre un conseil, Louann, preparez la maison


comme si vous etiez certaine que vous aurez la garde de vos soeurs.

Ne pouvant rien ajouter d'autre, je me contente de hocher la tete en fixant


les papiers devant moi. Voyant encore une fois que je perds pied, mon petit
ami prend la parole.

-- Ce sera possible de rendre visite aux filles ?

-- Vous pouvez faire une demande a la famille qui les accueille, mais vous
devez d'abord passer par moi. Tout est explique dans les papiers que je vous
ai remis.

-- Merci...

-- Je vous laisse, voici ma carte. Si vous avez des questions, n'hesitez pas a
m'appeler.

Elle se leve et tend la main vers Jarred puis vers moi, je la prends dans la
mienne mollement. Maintenant qu'elle a annonce qu'elle partait, j'ai
l'impression que je vais flancher. Jarred me prend par le bras et m'intime de le
suivre pour raccompagner l'agent des services sociaux. C'est probablement
l'une des choses les plus penibles que j'ai eues a faire dans ma vie : la
remercier, lui sourire faussement et refermer la porte derriere elle, tout ca,
sans meme piquer une crise.

Des l'instant ou sa voiture disparait, mes jambes me lachent et je tombe sur


le sol, un sanglot etouffe et sifflant s'echappant de ma gorge. Je releve la tete
et apercois Jamie sortir du salon. J'avais completement oublie qu'elle etait la.
Jarred lui fait signe de se retirer, elle le fait en silence. Il me souleve, et
instinctivement, je passe mes bras autour de son cou et pose ma tete contre
son epaule. Avec une douceur quasi infinie, il m'emmene dans ma chambre et
me depose sur le lit. Il se place a cote de moi et me tient collee contre son
corps.

-- Je suis la, Lou.

Comme si sa voix me ramenait a la realite, je me mets a pleurer et a crier.


J'ai l'impression de recevoir une belle et violente gifle en pleine face. Ma tete
est dans un etau qui me comprime tellement le cerveau que j'en perds le
souffle. Il n'y a pas pire douleur au monde. Jamais je n'ai eu aussi mal, ca me
prend au coeur, a la tete, au ventre, ca me tord chaque partie possible de mon
corps.

-- Ils ont emmene les filles, braille-je.

Je ne peux plus me retenir, si tout a l'heure j'etais plutot passive, en ce


moment, je suis une vraie furie. Je me redresse et, lorsqu'il tente de me
retenir, je le frappe sur le torse. Il ne cherche pas a m'en empecher, mais il me
maintient fortement contre lui. Je hurle ma deception, ma colere et mon mal
aussi fort que je le peux. Tentant de m'extraire de ses bras, je me debats, je
n'ai plus envie de le sentir contre moi. Je ne veux pas etre apaisee. Nous
basculons en bas du lit dans un bruit sourd. Plus rapide que lui, je cours me
refugier dans la salle de bain et verrouille la porte derriere moi.

-- Lou ! Laisse-moi entrer immediatement !

Je ne lui reponds pas, ouvre les robinets a pleine capacite pour couvrir le
bruit de sa voix qui me fait irremediablement culpabiliser. J'ouvre l'armoire a
pharmacie pour en eplucher le contenu, je fais tomber les flacons de pilules
un a un sur le lavabo. Rien ne correspond a ce dont j'ai besoin en ce moment.
Du revers de la main, j'envoie valser tout ce qui se trouve sur le comptoir et
finis par me laisser choir sur le sol. Instinctivement, et pour me proteger de je
ne sais quelle menace, je remonte mes genoux sous mon menton. Parcourue
de spasmes, je passe les bras autour de mes jambes pour tenter de me calmer,
mais rien n'y fait.

-- Je jure que si tu n'ouvres pas, je defonce cette putain de porte, gueule


Jarred.
Son poing qui s'abat avec force contre la porte declenche de nouveau mes
larmes. Mon regard parcourt la piece, cherchant desesperement un truc pour
mettre fin a cette douleur qui m'anime. Ce mal qui me tord les entrailles, cette
culpabilite d'avoir laisse tomber les filles.

-- Lou, merde ! Je t'en prie, laisse-moi t'aider !

Sa voix n'est que peur et sanglots, je lui fais du mal. J'etire le bras et
entrouvre la porte pour le laisser entrer. En l'espace de quelques secondes, il
est au sol avec moi et m'attire contre lui.

-- Ca va pas Jarred... Je vais pas bien la.

-- C'est dur, je sais, mais ne laisse pas tomber.

-- Ca me fait mal ! J'ai mal partout ! Ma peau, j'ai mal, je perds la tete, c'est
la meme douleur que j'ai ressenti pendant mon adolescence et...

Joignant le geste a la parole, je passe mes ongles sur mes avant-bras, me


lacerant la peau. Immediatement, il capture mes poignets entre ses mains et
m'intime d'arreter.

-- Non ! Lou, ne fais pas ca, je t'en supplie. T'es forte. Respire et regarde-
moi dans les yeux.

Lachant mes poignets, il me souleve et m'assied sur ses cuisses. Ses mains
s'emparent de mon visage et il visse ses yeux dans les miens.

-- Regarde-moi Lou !

Je secoue la tete alors que de grosses larmes s'echappent de mes paupieres


et coulent abondamment sur mes joues.

-- Je n'en suis pas capable.

-- Juste une seconde, pose tes yeux dans les miens une petite seconde.

Je cesse de gigoter et fais ce qu'il me demande. Je ne sais pas s'il sait ce


qu'il fait, mais son regard me calme. Il ne m'empeche pas d'etre tordue par la
douleur, mais il me rassure et me permet d'etre soudainement plus lucide.

-- Lou, c'est difficile, mais on va se ressaisir et creer un petit paradis pour


les filles, d'accord ?

-- Oui ! Oui !

Il me lache, mais je ne suis pas prete a renoncer a la chaleur de ses mains,


je me laisse donc tomber contre son torse et niche ma tete dans son cou. Ses
bras s'enroulent autour de moi et me serrent fort.

-- Je vais aussi leur montrer que je veux aller mieux. Je vais aller a mes
rendez-vous avec mon psychiatre et prendre serieusement mon traitement.

-- C'est une bonne idee. Je crois que tu devrais emmenager ici rapidement.

Impossible de repondre, alors je me contente de hocher la tete.

-- Viens, on va aller dans le lit, ce sera plus confortable.

Je me leve et lui tends la main pour l'aider. Il la prend avec un petit sourire
et nous partons nous etendre dans son lit. Sans un mot, je pose ma tete sur
son torse.
56
Lou
Je me suis endormie dans les bras de l'homme que j'aime, mais ce ne fut
pas facile. L'apres-midi a ete long et charge de larmes que j'ai deversees sur
lui. Jamais ca n'a semble le deranger, bien au contraire. Chaque fois, il se
montrait rassurant, cependant, a certains moments, il m'a semble aussi affecte
que moi par le depart des jumelles. Nous avons aussi parle une partie de la
journee de la procedure a suivre pour recuperer mes petites soeurs. Qu'il soit
aussi motive que moi pour regagner leur garde me rejouit.

Je roule sur moi-meme et me heurte a son corps inerte. Il dort sur le dos, la
bouche entrouverte, un bras pose sur son front. Je me mets a detailler son
visage, la courbe de sa machoire, ses longs cils chatains, l'arete fine de son
nez, sa barbe qui commence a recouvrir son menton et ses joues. Mes yeux
descendent jusqu'a son cou, j'ai soudainement envie d'y plonger la tete pour
respirer son odeur. Du bout des doigts, je caresse son torse tout en me
blottissant contre lui. Il grogne doucement et passe son bras autour de moi.

-- On essaie d'abuser de moi dans mon sommeil ?

Sa voix est rauque et endormie, elle me fait l'effet d'un electrochoc qui
lache une nuee de frissons dans mon corps. Ma tete se niche naturellement
dans le creux de son cou et ma main glisse sur son ventre.

-- Si j'avais voulu abuser de toi pendant que tu dormais, je t'aurais reveille


en te prodiguant la meilleure fellation de ta vie.

-- Faut pas te gener alors.

Mes doigts s'insinuent entre l'elastique de son boxer et sa peau. Il se


contracte, je ne peux retenir un sourire. J'enfonce ma main dans son pantalon
et attrape sa queue mi-dure. Un grognement resonne dans la piece alors que
je commence a le masturber avec une lenteur demesuree.

-- Merde Lou !

J'enfouis mon visage dans son epaule pour etouffer un ricanement. Il se


redresse subitement, me faisant rouler sur le cote.

-- Tu trouves ca marrant ?

J'explose de rire devant son air faussement agace. Il se mord la levre


inferieure quelques secondes avant de fondre sur moi et de m'embrasser avec
passion. Son corps est tellement colle contre le mien que je peux sentir son
erection frotter contre ma jambe et ca m'excite. Lorsqu'il met fin a notre
baiser, j'ai l'impression d'etre vide. Je veux ressentir a nouveau ce sentiment
d'etre entiere, je l'attire donc contre moi dans un geste desespere.

-- Lou, t'es certaine ?

Je ne comprends pas bien ce qu'il me demande. Sa bouche s'empare de la


mienne tandis qu'il se glisse entre mes jambes et appuie son erection contre
mon sexe humide. Je rejette la tete en arriere et lui pose ses levres contre ma
gorge pour en aspirer la peau. Cette caresse m'a toujours fait perdre la tete. Je
cherche le contact de son penis, m'y frottant avec ardeur. Il cesse de me
toucher pour me retirer mon haut et le lancer dans la piece. Un instant, il
m'observe, fait sensuellement glisser sa langue sur ses levres et me sourit
avant de plonger vers moi pour mordiller mes seins. Mon corps est en
ebullition et c'est encore plus vrai lorsqu'il glisse ses doigts dans mon
pantalon pour toucher mon clitoris. J'en ai tellement envie que ca en devient
douloureux. Il dessine des sillons verticaux en enfoncant son doigt dans mon
vagin chaque fois qu'il s'en approche. Je mouille enormement et cela facilite
la friction.

-- Jarred ! Je te veux en moi !

-- Je veux te faire jouir, bebe...

Je me redresse et plante mes yeux dans les siens avant de m'accrocher a


son cou.

-- Baise-moi tout de suite, compris ?

Ses yeux gris deviennent plus sombres sous le coup de l'excitation. Il retire
mon pantalon, puis le sien, avec une rapidite inimaginable. Sans attendre plus
longtemps, il s'enfonce en moi, m'arrachant des hurlements de plaisir. Ses
levres me goutent alors qu'il me defonce litteralement. Il me pilonne comme
un furieux, agitant mon corps dans tous les sens. Je plante mes ongles dans
ses epaules et lui mords le cou, guidee par un appetit sexuel presque animal.
Un melange de douleur et de plaisir me submerge. Je ne peux rien faire, rien
maitriser, tant cette sensation est exquise.

-- Putain Lou, grogne-t-il en se repandant en moi.

A bout de souffle, il s'ecroule sur moi et roule sur le dos, m'entrainant avec
lui. Je ferme les yeux, epuisee, mais sereine. J'ai peine a croire que nous
avons atteint l'orgasme aussi rapidement et que j'ai hurle aussi fort.
D'habitude, je fais plus attention, car les filles sont la.

Les jumelles... Putain de merde !

La culpabilite me ronge et je comprends mieux les paroles de Jarred. Je


n'ai pas percute lorsqu'il m'a demande si j'etais certaine. Cependant, il n'a pas
cherche a m'en dissuader. Je me releve et m'assieds sur le rebord du lit pour
enfiler des vetements.

-- Ca va ?

-- Pourquoi t'as pas cherche a m'expliquer ce que tu voulais dire en me


demandant si j'etais certaine ?

-- Je...

-- T'as voulu baiser, c'est fait... T'as pas pense que j'en aurais peut-etre pas
envie.
-- Lou, c'est toi qui as commence, pas moi.

-- Tu veux dire que c'est de ma faute ?

-- Pas du tout. Nous sommes deux adultes consentants et aucun de nous n'a
force personne.

J'inspire fortement et attrape mon t-shirt pour l'enfiler. Je veux sortir de la


chambre, mais Jarred a deja remis son pantalon et me retient par le bras.

-- Qu'essaies-tu de faire Lou ?

-- Je... Je ne pouvais pas faire ca... Les jumelles sont parties, je leur avais
promis qu'elles pourraient rester avec moi, que je les protegerais. Je n'ai pas
le droit de m'amuser et d'avoir du plaisir.

-- Ce que tu dis est insense... Quand vas-tu cesser de culpabiliser ?

-- Quand je saurai qu'elles vont bien.

Jarred se place devant moi, mais je fuis son regard.

-- Lou ! Je ne comprends pas. On a fait l'amour, c'est tout.

-- Non, t'as raison, tu ne comprends pas, mais tu aurais du.

-- Qu'est-ce que j'aurais du comprendre, dis-moi ?

-- Tu aurais du comprendre que je ne le voulais pas vraiment.

Un rire rauque et charge de tristesse s'echappe de sa bouche.

-- C'est n'importe quoi tout ca ! Comment j'etais suppose savoir que tu ne


voulais pas faire l'amour ? Tu te tortillais sous mes caresses, t'es vraiment une
bonne comedienne, j'ai cru que tu appreciais.

-- Ne joue pas sur les mots, tu sais tres bien ce que je veux dire.
-- Non, alors la, non, je ne sais pas. Alors, tu vas m'expliquer ce que tu
essaies de faire parce que je suis completement paume.

-- Je n'essaie pas de faire quelque chose en particulier, j'essaie de te dire


que je ne voulais pas coucher avec toi. Tu m'as decue, tu aurais du le savoir
que je n'avais pas besoin de ca, que je ne voulais pas vraiment.

-- Je suis suppose savoir ca comment lorsque tu te frottes sur ma queue ?

Je vois rouge et le gifle de toutes mes forces en lui hurlant dessus. Je ne


sais pas ce que je crie, mais je le fais avec violence. Lui, il me fixe, hebete
par ce que je viens de faire. Je le frappe sur le torse avec tellement de
brutalite que mes poings me font mal. Ses mains enserrent mes poignets et il
me repousse si fort que je titube et tombe sur le lit.

-- Ca suffit Lou ! s'ecrie-t-il, acide.

-- Tu m'as poussee, hurle-je. Tu m'as poussee !

-- Bon sang ! Tu veux que je fasse quoi ? Tu me gifles et me frappes


comme si j'etais un punching-ball. Lou, je t'aime, mais c'est trop. Tout ca,
c'est trop ! Tu m'accuses presque d'avoir abuse de toi.

-- Je ne voulais pas baiser avec toi...

Il me regarde, decu et degoute par ma reaction. Je souffle, alors qu'il me


tourne le dos et va s'enfermer dans la salle de bain, mais avant d'entrer, il se
retourne vers moi et me lance :

-- J'ai l'impression de ne pas etre assez bien pour toi. D'un cote, j'aimerais
te trouver des excuses pour cette dispute, mais je n'en ai pas envie. Je ne crois
pas vraiment que ca puisse fonctionner nous deux si tu en viens a croire que
j'ai pu abuser sexuellement de toi. Je t'aime Lou, probablement plus que je
n'ai jamais aime dans ma vie, mais ca, je ne peux pas l'accepter.

-- Je savais qu'on finirait par se detruire...


-- Ca, c'est toi qui l'as voulu...

-- Je vais retourner chez moi.

-- Ouais, c'est mieux, je crois ! T'as besoin que je te raccompagne ?

Je secoue la tete, reprimant des flots de larmes alors que Jarred entre dans
la salle de bain. La seconde suivante, j'entends la douche couler et attrape
mon sac pour y fourrer toutes mes affaires. Ma tete me lance et mon coeur me
fait si mal que je dois appuyer ma main dessus pour calmer la pression. J'ai
presque rien apporte. Faut dire que je passe le plus clair de mon temps avec
les vetements de Jarred sur le dos, ses t-shirts ont une odeur qui me rassure,
du moins, aussi longtemps que mon parfum ne prend pas le dessus sur le sien.

Il veut que je parte, dans ce cas, je ne vais pas lui imposer ma presence
plus longtemps. Tremblante comme jamais, je me leve, attrape mon sac de
voyage et sors de la piece. Plus je m'eloigne, plus je me sens mal. Mon
monde vacille sans lui. La main sur la poignee d'entree, j'hesite. Je tourne les
talons et rejoins la chambre. L'eau de la douche coule encore. J'ai comme
l'impression qu'il n'est pas pres d'avoir fini. Je pose mon sac au pied du lit et
me dirige vers la cuisine.

Je n'ai pas envie de partir et m'en veux tellement de lui avoir dit ca... Je
dois me calmer et tenter de lui expliquer les raisons minables qui m'ont
poussee a agir ainsi. J'ouvre les placards un a un, il n'y a pas grand-chose
pour le diner. Si je cuisine pour lui, ca me donnera une raison de rester un
peu plus longtemps.

Je me lance sur le frigo et ouvre le congelateur. Il reste deux poitrines de


poulet et des pates, c'est toujours mieux que rien. J'allume le gaz et mets le
poulet dans un plat avec des epices et un peu d'eau. Ensuite, je mets de l'eau a
bouillir dans une casserole et la depose sur le feu. Faire la cuisine m'occupe
l'esprit. Je sors les assiettes du lave-vaisselle et m'assieds autour de l'ilot pour
patienter sagement que Jarred sorte de la salle de bain.

-- T'attends pas ton taxi a l'exterieur ?


Sa voix est comme une douche froide, mais c'est encore pire lorsque je me
retourne vers lui et que je croise son regard. Pourtant, meme en colere contre
moi, il demeure l'etre le plus beau que je n'ai jamais vu.

-- Je ne l'ai pas appele.

-- Pourquoi ? Pourquoi tu cuisines ? Pourquoi t'es encore la ?

Sa derniere phrase tombe sur moi comme une tonne de briques.

-- Tu veux que je parte ?

Il ne dit rien et se contente de me fixer avec amertume. Je secoue la tete,


l'estomac noue par l'emotion, et saute en bas de mon tabouret. Je m'avance et
me plante devant lui.

-- Desolee pour tout, j'ai fait de ta vie un enfer. T'es quelqu'un de genial
Jarred, je te souhaite ardemment de rencontrer quelqu'un de moins nevrose
que moi.

Il detourne le regard, ce qui me donne l'impression que la conversation est


terminee. Je me hisse sur le bout des orteils et depose un baiser sur sa joue.

-- J'ai pas envie de partir, lache-je d'une petite voix.

-- Pourquoi ? Pourquoi tu veux etre avec quelqu'un qui abuse de toi ?

-- C'est faux ! C'est moi qui ai mal reagi. Je m'en veux, je m'excuse aussi.
Je sais que je ne peux pas effacer mes paroles, mais je m'excuse.

Je passe mes bras autour de son cou et m'accroche a lui avec desespoir.

-- Bon sang ! Tu m'as fait mal, Lou !

-- Je sais, je m'excuse ! Je m'en veux tellement. J'ai eu l'impression que je


ne devais plus etre heureuse, car j'ai manque a ma promesse faite aux
jumelles. Pardonne-moi ! Je t'en supplie ! Tu sais que sans toi, je ne suis rien.
-- Tu prepares quoi pour le diner ?

Hebetee par sa question, je fronce les sourcils.

-- Je... Je... J'ai fait du poulet et des pates. Je pensais qu'on aurait pu
discuter en mangeant.

-- J'accepte ta proposition.

Soulagee, je l'embrasse en lui disant que je l'aime plus que tout au monde.
Il me sourit et pose ses mains sur mes joues pour m'embrasser avec toute la
passion possible.

-- Je t'aime Jarred.

-- Merci d'etre restee, ca signifie beaucoup pour moi.


57
Lou
La culpabilite est un bien drole de sentiment, mais parfois, il est le seul a
pouvoir nous remettre sur les rails. J'ai fait une chose que je ne pensais pas
possible et ca me torture. Plus jamais, je ne lui ferai du mal. Je m'en fais le
serment.

Je deteste me l'avouer, mais la maison est cruellement vide sans les


jumelles, elles me manquent a tel point que ca en est douloureux. Jarred dort,
mais moi, impossible de fermer l'oeil. Je me glisse donc hors du lit et attrape
le sac contenant toutes mes affaires que je n'ai pas encore deballees. J'ai
besoin de me detendre, de penser a autre chose et ce qui m'aide dans ces
moments-la, c'est nager. Il y a trop longtemps que je ne me suis pas adonnee
a ce petit plaisir. Je ne sais pas bien pourquoi, je crois que je me suis un peu
perdue en court de route. Si j'habite ici, je recommencerai. J'adorais ce sport
lorsque j'etais au lycee, enfin jusqu'a mon accident de voiture pres de
Daytona Beach, il y a quelques annees.

Je pose le sac sur la table et fouille dedans jusqu'a ce que mes doigts
entrent en contact avec le lycra d'un des maillots de bain offert par Jamie.
Malgre le fait qu'elle ait demande a Jarred de me quitter, je l'aime bien et
comprends qu'elle ait eu peur de tout perdre a cause de moi.

Je me deshabille dans la cuisine et enfile le maillot blanc une piece au


decollete plongeant et dont les decoupes carrees sur les cotes apportent un
aspect tres classe a cette piece. Il est hyper sexy et c'est une chance que les
filles ne sont pas la, ca leur donnerait un argument de poids pour avoir ces
fameux bikinis dont elles ne cessent de parler.

Je sors, l'air est encore chaud et pesant, l'humidite laisse presager un gros
orage. Je me dirige rapidement vers la piscine et plonge sans attendre. A la
minute ou mon corps fend l'eau, je me detends. Je fais plusieurs longueurs
pour me vider la tete. Puis je pars m'asseoir sur les marches pour reprendre
mon souffle. Bon sang, je ne suis plus aussi en forme qu'avant !

Un bruit de raclement de gorge me fait sursauter. Je me retourne vivement


et manque de replonger.

-- Jarred ? Tu ne dors plus ?

-- Non. Ton sac n'est plus dans la chambre, je t'ai cherchee partout.

-- Bebe, j'etais ici. J'avais besoin de me vider la tete.

-- J'ai eu peur Lou...

-- Viens pres de moi.

-- Je suis en boxer...

-- On s'en fout, il est plus de minuit et y a aucun voisin aux alentours.

Il abdique et je lui fais signe de venir s'asseoir sur le bord de la piscine,


entre mes jambes. Je glisse mes bras autour de ses epaules. En silence, je
plonge mes doigts dans ses cheveux et les caresse avec douceur. Il pose son
visage entre mes seins, ca n'a rien de sexuel, c'est simplement un besoin de
reconfort.

-- J'ai eu si peur, Lou.

-- Tu ne dois pas avoir peur de ca. Jamais je ne partirai, bebe.

-- Tu m'appelles rarement comme ca.

-- Je sais, je crois que j'avais peur que si je le faisais, j'allais trop m'attacher
a toi.

Il releve la tete et me sonde de ses yeux gris.


-- Mais c'est foutu, parce que je suis deja irremediablement amoureuse de
toi Jarred Dwyer. Je t'aime et je m'excuse encore pour tout a l'heure.

-- Ce n'est pas grave ; tu es restee et c'est tout ce qui compte.

-- J'aimerais que cette phrase puisse faire disparaitre ma culpabilite.

Sa main caresse mes cuisses de facon si sensuelle que je dois me mordre la


levre pour ne pas m'asseoir sur les siennes. Pour me soustraire aux envies qui
me gagnent, je plonge dans l'eau et me rends jusqu'a l'autre bout de la piscine.
Je me hisse sur le rebord pour en sortir.

-- Hey Cassidy ! Tu fais quoi la ? hurle-t-il.

Je manque de pouffer en l'entendant m'appeler par mon nom de famille.

-- Hey, Dwyer, je vais me coucher, tu viens ?

-- Je sais pas ! Toi, tu devrais venir me rejoindre ici. On etait bien.

-- Oh, mais je te connais. T'es obsede et tes caresses devenaient insistantes.

Un air serieux sur le visage, il se releve et vient vers moi. Il prend mes
mains dans les siennes et visse ses yeux dans les miens. Il sent bon, un
melange d'eau de piscine, d'after-shave et de savon.

-- Je dois te poser une question, tu vas peut-etre te facher, mais je dois te la


poser. Pourquoi nous imposes-tu une barriere dans le sexe ? La plupart du
temps, tu te laches, j'ai l'impression que tu me fais confiance a cent pour cent,
mais d'autres fois, surtout ces derniers jours, tu sembles sur le point
d'exploser. J'aimerais comprendre ce qui se passe dans ta tete.

Je suis la, devant lui, degoulinante, avec le coeur qui bat la chamade.
J'inspire si fort que je dois presque m'en decrocher un poumon. J'aimerais lui
expliquer, mais j'ai peur qu'il trouve ma raison stupide. Parce que moi, je la
trouve stupide.

-- S'il te plait ! Si tu veux que ca fonctionne nous deux, tu vas devoir y


mettre du tien et t'ouvrir.

-- Je veux que ca fonctionne...

-- Alors, dis-moi ce qui se passe.

Je ferme les yeux, il lache mes mains et pose les siennes derriere ma nuque
pour caresser de ses pouces la courbe de ma machoire.

-- Avant toi, le sexe etait un moyen d'oublier tout ce qui me rongeait. J'ai
peur de retomber dans cette routine malsaine. J'ai peur de t'entrainer la-
dedans.

-- Si tu as toujours peur, nous n'avancerons jamais.

-- Toi, tu es effraye que je te quitte. Nous avons chacun nos peurs, mais on
ne doit pas les laisser nous detruire, si ?

-- T'as raison bebe. Serais-je en train de faire de toi une femme sensee ?

Je secoue la tete en levant les yeux au ciel.

-- Tu t'y crois trop...

-- Je voulais te faire rire.

Je me hisse sur le bout des orteils et pose mes levres sur les siennes. Mes
bras s'enroulent autour de son cou et je me colle a lui si fort que nos corps ne
font plus qu'un. Un tremblement s'empare de moi, malgre la chaleur.

-- Allons dans le lit, on peut regarder un film et tu pourras meme te coller


contre moi pour te rechauffer.

-- Vais-je pouvoir glisser mes mains dans ton calecon ?

Un air faussement choque se dessine sur son visage. D'un geste rapide, et
que je n'ai pas vu venir, il me souleve et me depose comme un sac de patates
sur son epaule.
-- Tu fais quoi ? Tu te la joues homme de Cro-Magnon ?

-- Ouais, et je sais que tu aimes ca.

-- Jarred ! Pose-moi par terre ! Tout de suite !

Il execute ma demande et glisse son index sous son menton pour me


relever la tete.

-- Ca t'a fachee ? demande-t-il.

-- Non, pas du tout, car je sais que t'es pas capable de m'attraper autrement
que par surprise.

-- C'est vraiment ce que tu crois ?

Il avance d'un pas vers moi, tandis que moi je recule a vive allure.

-- Ne te sauve pas !

Je tente de me retourner pour prendre mes jambes a mon cou, mais il me


rattrape et nous tombons a la renverse sur l'herbe verte et legerement humide.
Son corps glisse par-dessus le mien et sa bouche s'empare de la mienne. Je ne
reste pas insensible bien longtemps a son toucher.

-- T'as le droit d'aimer que je te touche.

Sa voix est rauque, chaude et sensuelle. Je me tortille sous la caresse de ses


levres.

-- Mais je compte bien te faire oublier tous les autres, bebe ! Avec moi, ce
ne sera pas pareil.

-- Quel orgueil ! le taquine-je.

-- Ce n'est pas de l'orgueil mal place, mais si je dois passer ma vie a


chercher le truc pour que tu sentes bien avec moi, pour que tu aies
l'impression que nous deux c'est different, je le ferai.
Il me semble plus determine que jamais, mais le fait qu'il pense ca me fait
mal.

-- T'as pas compris..., je murmure.

Je me redresse sur mes coudes.

-- Je ne disais pas ca parce que j'ai l'impression qu'avec toi c'est pareil. Au
contraire. Avec toi, c'est different, je n'ai jamais connu ca et j'ai peur que...

Je me tais et cherche mes mots. Je ne suis pas douee pour avouer ce qu'il y
a au plus profond de mon etre.

-- Ecoute Jarred, chaque minute passee avec toi me donne envie de


t'arracher tes vetements. Chaque seconde, je veux que tu sois sur moi, en train
de m'embrasser et de me faire ces trucs fous que tu fais avec ta langue. J'ai
toujours envie de toi, bebe. Toujours, et c'est pour ca que j'ai peur de t'attirer
dans la spirale infernale de ma vie et de mes pathologies. Un jour, je vais te
detruire...

-- T'as donc si peu confiance en toi ?

-- Non, c'est pas ca !

-- Tu m'aimes ?

-- Mais oui !

-- Et pas comme les autres mecs ?

-- Mais non, pourquoi ?

-- Alors je sais que ce sera different, parce que tu l'es et aussi parce que tu
te bats pour aller mieux. J'aime la femme que j'ai rencontree a la soiree, celle
qui m'a envoye sur les roses, et j'aime aussi celle que tu deviens depuis
quelque temps. Cette fois, ce n'est pas a nous que tu dois laisser une chance,
mais a toi.
Il se penche et m'embrasse tendrement, avec douceur, mais aussi avec
passion. Soudain, une premiere grosse goutte s'ecrase sur ma tete. Puis de
nombreuses s'ensuivent. Jarred leve la tete et inspecte le ciel.

-- Il va y avoir de l'orage.

Il se met a pleuvoir de plus en plus fort et rapidement, nous sommes


trempes.

-- Viens, on rentre, dit-il en me tendant la main.

Je la prends avec plaisir et le suis jusqu'a l'interieur. Nos pieds sont


mouilles et nous glissons sur le carrelage de la cuisine. C'est avec difficulte
que nous nous dirigeons vers la salle de bain. Jarred me tend de grosses
serviettes, alors que je retire mon maillot de bain et que je le lance dans la
baignoire. Il fait la meme chose et se seche lui aussi. J'enfile un t-shirt lui
appartenant et un short a moi et file rapidement me mettre au chaud sous les
couvertures. Il me rejoint et se colle contre moi.

-- Tu voulais qu'on regarde un film ? demande-t-il.

Je grogne en me pressant contre son torse. Je suis bien ainsi et n'ai pas
tellement envie de regarder un film. Je prefere etre blottie dans ses bras,
respirer son odeur et sentir ses doigts s'enfoncer dans mes cheveux mouilles.

Je baille a tout rompre et trouve le sommeil rapidement.

**

Lorsque je me reveille, il fait jour et le ciel est sombre. La pluie tape


encore durement contre les fenetres de la maison. J'etire le bras et cherche
Jarred dans le lit, mais il n'y est pas. Je pars donc a sa recherche dans la
maison. Je passe par le salon, la cuisine, la salle a manger, je tente meme la
terrasse. Puis je descends au sous-sol, la piece que je n'ai jamais visitee. Je le
trouve en train de deplacer des meubles.

-- Tu fais quoi ici ? demande-je.


-- Je commence a amenager le sous-sol pour les filles. Je crois qu'on
devrait mettre ton canape ici et on prendra ton lit pour notre chambre, il est
beaucoup plus confortable. Tu crois qu'elles prefereraient une chambre a
deux ou une chambre chacune ?

-- Elles veulent partager la meme.

-- Tu connais leur couleur preferee ?

Je m'avance vers lui avec un sourire et passe mes bras autour de son cou.

-- T'es pas oblige de faire tout ca, tu sais ?

-- Je sais, mais j'en ai envie.

-- Sloane adore le turquoise et Sunshine le jaune.

-- J'ai eu peur que tu me dises qu'elle aimait le rouge et le noir. Je vais faire
un design assez cool pour incorporer les deux couleurs.

-- Merci pour ce que tu fais.

-- On va recuperer leur garde, c'est promis.

Touchee et emue, une larme coule sur ma joue, il s'empresse de l'essuyer


avec son pouce.

-- J'ai envie que tu sois heureuse et je sais que sans elles, tu ne le seras
jamais completement.

-- Merci !

Des pas se font entendre au-dessus de nos tetes. Je questionne Jarred du


regard, il depose un baiser sur mes levres et me dit :

-- Jamie m'a appele tout a l'heure, elle a apparemment quelque chose a


nous annoncer.
-- Probablement qu'elle a officialise sa relation avec Levi.

-- Ouais et si c'est ca...

-- Si c'est ca, tu ne vas ni la charrier ni la taquiner. Tu vas la feliciter et etre


gentil.

-- Mais je le suis toujours !

-- Y a quelqu'un ? s'ecrie-t-elle depuis l'etage.

-- Oui ! On monte, lui repond Jarred. Toi, n'oublie pas que ton allegeance
me revient, tu dois etre de mon cote.

-- N'importe quoi ! Qui a decide ca ?

-- Moi ! Tu m'aimes, donc...

-- On se calme mon coco ! Je ne vais pas approuver chacune des merdes


que tu dis a ta meilleure amie.

Il explose de rire et prend ma main pour m'entrainer vers l'etage. Nous


retrouvons Jamie au salon.

-- Que se passe-t-il ? T'as enfin decide de nous avouer que t'aimes bien
Levi ?

Elle secoue la tete et lance :

-- Pourquoi devrais-je te dire une chose que tu sais deja ?

-- Simplement pour que je puisse exulter mon plaisir et clamer haut et fort
que j'ai raison.

-- Si ca peut te faire plaisir, Levi et moi sommes ensemble, mais nous


attendons que mon divorce soit prononce avant de l'annoncer officiellement
aux curieux dans ton genre.
-- Oh, mais Jamie, je suis ton meilleur ami...

-- T'es pire qu'une fille ! Mais je ne suis pas ici pour ca, j'ai recu un appel
de mon avocat. Ethan est passe devant le juge, il s'en tire avec une amende
salee et beaucoup d'heures de travaux d'interet general. Tommy, lui, ecope de
trente-six mois de prison ferme, apparemment, il n'en serait pas a son coup
d'essai.

Je n'entends plus le reste de ses paroles, mais je sais qu'elles me font mal.
J'expulse tout l'air de mes poumons et ferme les yeux.

-- Lou ? Ca va ? me demande Jamie.

Je vais bien ou pas ? Je ne sais pas. Les paroles de Jarred me reviennent en


memoire. Lorsque tout ca sera tasse, nous pourrons vivre heureux ensemble.
Je souffle et ouvre les yeux de nouveau. Je croise les regards inquiets de
Jamie et Jarred.

-- Oui, je suis seulement heureuse que ce soit derriere nous.

Je m'assieds sur le canape, le souffle court et le coeur battant a tout rompre.


Ce n'est pas un mensonge a proprement parler, je suis heureuse que ce soit
termine, mais je me vois mal leur avouer que je suis triste que mes amis
doivent payer pour ce qu'ils ont fait, et ce meme si je sais que c'est merite. Je
me sens mal pour eux...

Jarred pose sa main sur la mienne.

-- C'est normal que ca te fasse quelque chose, Lou, me dit-il.

-- J'ai envie qu'ils paient pour ca, mais ca me fait bizarre de me dire que
c'est a cause de moi...

-- C'est faux, ce n'est pas a cause de toi, replique Jamie.

-- Si je n'avais pas ete la, votre collection n'aurait pas ete detruite.

Elle hausse les epaules et me lance un sourire.


-- Nous prenons ca comme une chance de nous refaire et de construire
quelque chose de plus grandiose encore. Nous allons aussi avoir besoin de toi
en tant que mannequin.

-- Oui, je ferai tout ce que vous voulez.

Jarred sourit et pose un baiser sur ma tempe. Tous les trois, nous discutons
une partie de la journee de la future collection, mais jamais nous ne reparlons
d'Ethan et Tommy.
Épilogue
Lou
J'ouvre les yeux, l'eclairage des neons et la blancheur des murs me
pulverisent la retine. Incapable de le supporter plus longtemps, je presse mes
paupieres. Tout ca n'est rien compare a l'odeur d'antiseptique qui me fait
tourner la tete que j'ai peine a garder hors de l'oreiller. Je crois que je ne me
suis jamais sentie aussi faible qu'en ce moment. Il me faut plusieurs minutes
pour realiser ou je me trouve.

L'hopital.

Je ne comprends pas ce qui m'est arrive. Est-ce que j'ai vraiment


recommence a me faire du mal ? Non, impossible ! Dix mois que tout va
bien. Dix mois que je participe aux seances de therapie du docteur Andrews.
Dix mois que je m'efforce de donner le meilleur de moi-meme pour Jarred et
les filles. Ils ne me le pardonneront jamais si j'ai fait ca. C'est l'une des
conditions du juge pour que j'obtienne la garde de mes soeurs, d'abord
provisoirement, ensuite de facon permanente. Je souffle, mon ventre me fait
mal.

Je tente a nouveau d'ouvrir les yeux, la piece est lumineuse, mais ca ne


m'empeche pas de le voir pres du lit, assis sur une chaise, en train de dormir.
Il est si beau en ce moment et ce que je sens en moi m'empeche presque de
respirer. Je l'aime d'un amour si fort que parfois j'en oublie de respirer. Je
l'aime au point d'avoir peur de le blesser. Lorsque je l'ai rencontre, j'etais
persuadee que nous nous blesserions, c'etait ce que j'avais toujours connu de
l'amour. Jamais je n'aurais cru que nous pourrions panser nos blessures
ensemble. Comme quoi, l'amour peut rendre les gens meilleurs.

Tout me revient alors en memoire, mais de facon si lente que je ne percute


pas totalement. Je ne comprends pas pourquoi j'ai oublie certains faits. C'est
flou dans ma tete. Je touche mon ventre qui me fait encore mal. Mes doigts
tatent la perfusion enfoncee dans mon bras. Je souffle avec difficulte. Il s'est
passe quoi a la fin ?

-- Jarred ? l'appele-je, desesperee.

Il sursaute en entendant ma voix et fonce sur moi. Ses mains s'accrochent a


mon visage. Il semble aussi desespere que moi, il se penche pour
m'embrasser, mais je le retiens en posant mollement mes mains sur son torse.

-- Il est ou ?

Ma voix se casse, je ne trouve rien d'autre a lui dire. J'aimerais lui dire que
je l'aime, infiniment meme, mais la seule personne a laquelle je pense est
l'autre homme de ma vie.

-- Il va bien, il est tout rose, un peu petit, mais il va bien.

Je souffle, soulagee, et le laisse m'embrasser.

-- J'ai eu si peur...

Il murmure en posant son front contre le mien, ses yeux gris s'emplissent
rapidement de larmes.

-- J'ai eu peur de te perdre.

-- Que s'est-il passe ?

S'asseyant plus confortablement sur le lit, il prend ma main dans la sienne


et une ombre voile son visage.

-- Je me rappelle qu'on est venus ici parce que j'avais des contractions. J'ai
cru que c'etait impossible, car il restait presque six semaines avant son
arrivee.

-- Oui, c'est ca, au debut ca se passait bien, mais lorsqu'il est sorti, le
placenta n'a pas suivi comme prevu. Le docteur l'a retire manuellement.
Je grimace a ce souvenir ; meme sous peridurale ce fut douloureux.

-- Ensuite, tu as fait une hemorragie importante, j'ai cru que je te perdais


pour toujours.

De grosses larmes coulent sur ses joues, je prends son visage en coupe et
lui souris.

-- Tu sais bien que tu ne pourras pas te debarrasser de moi aussi


facilement.

Une infirmiere entre dans la chambre et me regarde, elle semble surprise


de me voir reveillee.

-- Bonjour, Louann, comment vous sentez-vous ?

-- Bonjour, j'ai un peu mal au ventre. Je peux voir mon fils ? demande-je,
tremblante.

-- Vous devez d'abord voir le medecin.

-- Non ! Je veux le voir tout de suite.

Je lance un regard desespere a Jarred, j'ai besoin de le voir, de savoir qu'il


va bien.

-- Ce ne sera que quelques minutes, tente-t-il.

-- Le docteur va venir. Vous pouvez bien attendre dix minutes.

-- Je...

-- Peu importe ce que vous allez dire, ca ne changera pas les ordres que j'ai
recus.

-- Quelle megere !

Je ne peux me retenir de grogner lorsqu'elle quitte la chambre. Par chance,


elle n'entend pas mon insulte, je suis persuadee que si elle m'avait entendue,
elle aurait retarde la visite du medecin rien que pour m'emmerder. Jarred
etouffe un rire et caresse la paume de ma main avec son pouce.

-- Comment vont les filles ?

-- Jamie et Levi s'occupent d'elles. Elles voulaient venir te voir, mais j'ai
prefere attendre que tu sois reveillee pour ne pas les traumatiser plus.

-- Merci.

Je suis heureuse qu'il les ait empechees de venir me voir. Depuis qu'elles
ont ete placees en famille d'accueil, elles ont toujours peur que je parte ou
qu'elles soient obligees d'aller vivre ailleurs. Je leur ai promis un nombre
impressionnant de fois que nous ne serions plus separees, mais elles doutent
encore et je peux les comprendre.

Le medecin entre dans la chambre et me pose une serie de questions


banales. Du coin de l'oeil, j'apercois Jarred prendre son telephone et envoyer
un message. J'ai envie de lui demander a qui, mais le docteur ne me lache pas
une seconde. Je tente de lui repondre le plus rapidement possible, mais il etire
son entretien en precisant que je dois me reposer le plus possible, que j'ai
perdu beaucoup de sang et que je suis chanceuse d'etre vivante. Ensuite, je ne
l'ecoute plus vraiment, je sais ce que je veux savoir, le reste n'est que du bla-
bla pour moi.

Lorsqu'il prend conge, une infirmiere arrive en poussant un petit incubateur


et l'approche pres du lit. Mon coeur se serre et je n'ai jamais ressenti ce genre
de bonheur auparavant. Meme ce jour ou Jarred et moi nous sommes dits <<<
oui >>> devant nos familles ne m'a pas emplie d'autant de bonheur et de
fierte. Je me penche vers l'incubateur et le contemple, les yeux brillants de
larmes. Il est tout petit, il porte un bonnet bleu et une grenouillere de la meme
couleur ornee d'une girafe. Elle est beaucoup trop grande pour lui et il semble
encore plus minuscule dedans.

-- Qu'est-ce qu'il porte ? demande-je.


-- C'etaient dans ses affaires, mais de toute facon, tous les vetements que
nous lui avons achetes sont trop grands.

-- Il est magnifique.

-- Il a deja le caractere bien trempe de sa mere.

Un sourire ravi sur le visage, il me donne un petit coup de coude. Je roule


des yeux et ne peux detacher mon regard de ce petit etre.

-- Va falloir lui trouver un prenom.

Je reflechis un instant en regardant mon fils, puis mon mari. Une idee folle
s'impose en moi.

-- Et si on l'appelait Sidney ? Ca va aussi bien pour un homme que pour


une femme, non ?

-- Pourquoi ?

-- A sa facon, elle t'a marque et sans elle, tu n'aurais pas eu tout ce courage
pour m'aimer.

-- Je ne sais pas quoi dire...

-- Alors, dis oui...

-- Ah non... pas une autre demande en mariage ! s'ecrie une voix dans notre
dos.

Je tourne la tete et apercois Jamie, Levi et mes soeurs. Je suis si heureuse


de les voir que je leur ouvre les bras et elles viennent m'etreindre doucement.
Jarred me sourit et me dit :

-- Je leur ai envoye un texto pour les prevenir que tu etais reveillee. Tu leur
manquais. Une journee sans toi et l'univers au complet est depeuple.

Je roule des yeux, amusee.


-- Lou, j'ai eu si peur que tu meurs, murmure Sloane.

-- Mais non, ce n'est pas si peu qui va me tuer.

-- Moi je savais qu'il ne t'arriverait rien, replique Sunshine.

Ma petite Sun a vecu tellement de choses difficiles pour son age, mais elle
est tellement plus forte que moi adolescente. Elle a accepte d'aller voir mon
psychiatre, mais elle tenait a y aller sans sa soeur qui au depart, l'a pris
comme une trahison. Cependant, maintenant, elle comprend bien que sa
jumelle a besoin de parler a un professionnel. Elles ont entame leur deuxieme
annee au lycee International Studies Carter School. Le proces de leur pere fut
penible, mais elles ont super bien gere, parfois mieux que moi, mais moi,
j'avais Jarred pour m'aider a tenir bon. Il a ecope d'une peine de huit ans
d'emprisonnement. Pas suffisant selon moi. Pour ma mere, depuis que Dustin
n'est plus dans le decor, elle semble revivre. Elle a donne une seconde vie a la
maison. Les filles lui parlent presque toutes les semaines, tandis que moi,
j'evite encore les echanges avec elle. Je lui en veux beaucoup trop.

-- Alors, comment va s'appeler ce petit ange ? nous questionne Jamie.

Elle est penchee vers l'incubateur et affiche un air beat. Jarred m'adresse un
clin d'oeil que je comprends immediatement. Il adore mon idee, mais a peur
de la reaction de son amie. Je dois avouer que maintenant que j'y pense, moi
aussi ca m'inquiete un peu. Ce serait legitime qu'elle n'approuve pas.

-- Quoi ? Ne me dites pas que ce petit va s'appeler bebe Dwyer toute sa vie
! Excuse-moi Jarred, ton nom de famille est horrible, ricane Levi.

-- C'est irlandais mon pote.

-- Peu importe, c'est affreux.

Je leur coupe la parole et commence ma tirade en regardant Jamie


directement dans les yeux.

-- Je ne sais pas ce que tu vas penser de mon idee, mais j'aimerais appeler
mon fils Sidney, comme ta soeur.

Elle ouvre la bouche pour parler, mais je leve la main pour lui signifier que
je n'ai pas termine.

-- Je sais que ca peut te paraitre etrange et peut-etre meme deplace, mais j'y
tiens. Ta soeur a eu une place importante dans la vie de Jarred et je suis
persuadee que sans elle, il ne serait pas l'homme merveilleux qu'il est
aujourd'hui.

Cette fois, elle est sans voix, ses yeux sont brillants de larmes et elle porte
une main a sa bouche.

-- Cependant, si tu trouves ca trop deplace, nous allons tenir compte de ton


opinion, car nous aimerions que tu sois la marraine de notre petit.

Elle ne peut retenir ses pleurs. J'aimerais me lever pour la prendre dans
mes bras, mais je ne peux pas vraiment bouger tant mon ventre me fait mal.
Mon mari, cet homme incroyable, s'avance vers sa meilleure amie et l'attire
contre lui. Sloane prend ma main dans la sienne et me sourit.

-- Alors, qu'en dis-tu ? insiste-t-il.

-- Toi, t'en penses quoi ? Tu veux que ton bebe porte le prenom de ma
soeur ?

-- Je crois que ce serait une merveilleuse idee. Sidney est en moi et ca ne


changera jamais.

-- Toi, tu es prete a accepter ca ? me demande-t-elle.

-- Oui, de toute facon, je ne veux pas effacer ta soeur de la vie de Jarred.

-- Alors oui !

Mon cheri s'assied sur une chaise aux cotes de Levi et sourit.

-- Oui pour etre marraine aussi ? poursuit-il.


-- T'es bete ! Bien sur !

-- Et toi, si tu cesses de te moquer de mon nom de famille, tu pourras etre


le parrain, ricane Jarred.

-- Moi ? Parrain ?! s'ecrie Levi

-- Pourquoi pas...

Je n'entends plus ce qu'ils se disent, car une pensee s'empare de moi. Il n'y
a pas si longtemps, la seule personne que j'aurais voulu comme parrain pour
mon fils, c'est Ethan. Parfois, sa presence rassurante me manque, tout comme
son amitie et le reconfort qu'il m'apportait. Cependant, c'est impossible pour
moi de lui pardonner ce qu'il a fait. Un soir, Jarred est revenu avec des
nouvelles de mon ancien meilleur ami, je suis entree dans une colere terrible.
Il a alors compris que j'avais mis Ethan dans un coin de ma tete et que je ne
voulais plus en parler.

Le rire de mes amis me ramene avec eux, mais aussi ma petite Sun qui
serre ma main dans la sienne en m'interrogeant du regard. Je me contente de
lui sourire, ce qui semble la rassurer.

-- En tout cas, t'es pas sortie de l'auberge, il a le caractere de sa mere.

-- N'importe quoi, grogne-je.

-- Ca va, sa mere est une de mes bonnes amies.

L'infirmiere megere de tout a l'heure entre dans la chambre et pousse un


cri.

-- Non ! Non ! Non ! Et non ! Il y a beaucoup trop de monde ici. Allez


ouste ! La maman doit se reposer.

Elle met tout le monde a la porte, ils m'embrassent tous rapidement avant
de sortir. Je reste seule avec Jarred et notre fils, plus heureuse que jamais.

Je n'ai jamais pense que ce serait facile et ma vie fut bordee d'evenements
chaotiques. Cependant, dans cet enfer, il y a ces petits moments de bonheur
infini que je choie et qui me permettent de garder la tete hors de l'eau. Et tout
ceci, je le dois a un seul et unique homme. Celui pour qui j'eprouve un amour
hors du temps. Nous avons panse nos blessures ensemble, surmonte des
obstacles et gravi des murailles de douleurs. Lorsque je l'ai rencontre, j'etais
persuadee que nous nous blesserions, c'etait ce que j'avais toujours connu de
l'amour. Comme quoi, l'amour peut rendre les gens meilleurs.

FIN
Remerciements
Cette fois, ce sera relativement court... Enfin... je vais essayer... mais avant
de commencer, j'aimerais dire un petit quelque chose sur cette maladie.

Borderline est l'aboutissement d'un beau delire de ma part. J'ai ecrit


chacune des lignes de ce roman sans me mettre de limite ou de barriere. Je
me suis impose cette regle meme si je savais que parfois, vous pourriez vous
dire : <<< Euh ?! Vraiment ?! >>> Alors, si vous lisez ces mots, j'aimerais
vous dire merci d'avoir passe ces quelques heures en compagnie de Lou et de
Jarred. Bien sur, je dois aussi remercier ma maison d'edition d'avoir encore
une fois, eu confiance en moi pour ce roman. Merci a Amelie et Helene, qui
m'ont aidee a le rendre encore meilleur.

Je dois aussi remercier mes betas, je n'ai pas ete evidente, je crois avoir
remis en question chaque ligne, chaque mot. Merci Morgane, Justine et
Claude de m'avoir TELLEMENT supportee dans ce projet.

Merci Gen Martin, tu es une personne vraiment geniale et je suis tout


simplement heureuse que nos chemins se soient croises.

Merci a ma pomichou alias Eloise, t'es tellement cinglee qu'a tes cotes, je
me sens normale. Ma Cricri d'amour et sa gentillesse grosse comme l'univers,
je t'aime beaucoup.

Merci a ma Valou. Peu importe ce qui arrive, t'es la seule qui reste toujours
a mes cotes, peu importe la distance ou ce qui nous arrive.

Ensuite, je pourrais citer la terre entiere dans mes remerciements que ca ne


serait pas assez pour vous signifier combien je suis heureuse en ce moment
que l'histoire de Lou et Jarred ait enfin vu le jour.
Notes
{1}
Social Distortion est un groupe de punk rock américain.

{2}
Signifie « Réveille-toi ».

{3}
Le quarterback est un poste offensif au football américain.

{4}
Signifie « Allez ! ».

{5}
Signifie « putain ».

{6}
Signifie <<< Oh mon Dieu ! >>>
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