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Toute la gloire au Seigneur Jésus qui me donne

toujours la force et l’inspiration pour donner le


meilleur de moi-même.
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Ce roman est une fiction. Les noms propres, les


personnages, les lieux, les intrigues, sont le fruit de
l’imagination de l’auteur. Toute ressemblance avec des
personnes réelles, vivantes ou décédées, des évènements
ou des lieux serait une pure coïncidence.
Les blessures de nos âmes

Résumé

La vie nous laisse parfois de grosses blessures qui nous


transforment en des personnes que nous ne voulons
pourtant pas être. Comment réussir à vivre quand on est
détruit intérieurement ? Comment réussir à aimer quand
toute notre enfance, nous avons été abusés par la personne
qui était censée nous protéger ? Comment réussir à faire
confiance quand nous avons été plus d’une fois rejetés à
cause de notre handicap ? Comment croire en un avenir
radieux quand on vit et qu’on vivra toute notre vie avec une
maladie qui pousse les autres à nous regarder avec dégout ?

Mais surtout, comment réussir à guérir notre âme de ses


blessures si désastreuses ?
1

***STEPHEN BÉKÉ

— Elle est magnifique ta maison.


— Merci !

Je pose mes clés sur le guéridon près de l’entrée.

— Bonsoir, monsieur ! Bonne arrivée !


— Merci ! dis-je du bout des lèvres à la domestique. Je ne
veux pas être dérangé.
— C’est compris, monsieur !

La tenant par la taille, je conduis ma conquête du soir vers


la chambre. Une fois à l’intérieur, je déboutonne un par un
les boutons de ma chemise. Elle comprend que nous ne
sommes pas là pour faire la causette. Elle se jette aussitôt
sur mes lèvres pour entamer un baiser langoureux. Ma
chemise voltige dans le vide, sa mini robe glisse à ses pieds.
En un clignement d’œil, je remarque qu’elle n’avait rien
porté en dessous. Je lui empoigne les fesses et la relève sans
lâcher ses lèvres. Après l’avoir allongée sur le lit, je tire une
protection de la poche arrière de mon jean. Elle veut me
déshabiller, mais je lui retire les mains. Je baisse mon jean
après m’être protégé et je m’enfonce en elle d’un seul coup.
Elle semble adorer la brutalité. J’y vais donc à fond en lui
agrippant le cou. Elle m’incite à aller plus fort. Je la
retourne sur son ventre et l’incite à se mettre à quatre pattes.
Je lui agrippe les cheveux et les tiens fermement.
J’enchaine sans relâche mes coups de boutoir, les
accompagnant de claques résonnantes sur les fesses. Ses
cris de plaisir se transforment en plainte.

— Tu me fais mal ! Arrête !

Je fais la sourde oreille et redouble d’ardeur sans tenir


compte d’elle. Elle se tortille et moi j’enroule encore plus
ses mèches autour de mes doigts. Ce sont toutes des
conasses et elles ne méritent aucune tendresse. Aucune ne
la mérite.

— Arrête, je t’en prie !

Je la cogne avec deux fois plus de rage. Elle me repousse


difficilement de son bras ramené en arrière. J’emprisonne
ce bras en la limant encore et encore jusqu’à l’entendre
renifler. Ça ne m’arrête pas pour autant.
— Pardon, laisse-moi partir, pleure-t-elle.

La porte s’ouvre subitement.

— STEPHEN !

Je roule les yeux et libère l’autre fille qui prend ses jambes
à son cou sans oublier de ramasser sa robe.

— Stephen ! Tu m’avais promis !

Je descends du lit en fermant ma braguette.

— Tu m’avais promis.
— Je ne t’ai rien promis.
— Je suis ta fiancée. Pourquoi me traites-tu de la sorte ?
Que t’ai-je fait ?

Je ne prête plus oreille à ses lamentations. Je ramasse ma


chemise.

— Si tu ne veux plus de moi, dis-le-moi clairement et


libère-moi.
— Tu connais la sortie, Martine, je réponds en enfilant ma
chemise.
— C’était donc pour me traiter ainsi que tu m’as demandé
d’aménager avec toi ?
— T’ai-je dit de venir vivre avec moi ?
— Mais tu n’as pas dit non, non plus.
— À la base, ma belle, tu n’étais qu’un plan cul. Tu es celle
qui en voulait plus. Je n’y voyais aucun inconvénient. Tu
voulais d’une relation officielle, tu l’as eue. Tu voulais
vivre avec moi, tu l’as fait. Mais tu ne me dicteras pas ma
vie. Je fais ce que je veux. C’est à prendre ou à laisser.

Je sors de la chambre et claque la porte derrière moi.


Martine l’ouvre et me suit.

— Tu es méchant, Stephen. Tu es un homme sans cœur.


Depuis le début de notre relation, je ne fais qu’encaisser
tout de toi pour que notre couple réussisse. Je me suis dit
que tu finirais par changer et que tu m’aimerais autant que
moi je t’aime. Mais je me suis beurré les yeux. Tu passes
ton temps à me battre, à m’injurier et à me tromper. Tu n’en
as pas marre ?
— Ce sont de tes cris hystériques dont j’ai marre.
— Eh bien tu vas devoir t’y habituer parce qu’avec les
effets de la grossesse, ma mauvaise humeur sera multipliée
par dix.

Je me fige juste derrière la porte d’entrée. Je me retourne


lentement.

— Grossesse ? Tu n’as pas avorté ?


— Non ! Je t’ai dit que j’allais garder la grossesse.
— Pourtant tu as pris l’argent que je t’ai remis pour te
débarrasser de cette chose.
— Cette chose c’est "mon enfant" et…

Je lui assène une gifle. La colère me pète au cerveau et


j’enchaine les coups sur elle. Comment peut-elle vouloir
garder cette chose malgré mon refus ? Je ne veux pas
d’enfant. Je n’en voudrai jamais. Plus je la cogne, plus la
haine me compresse la poitrine. Je lui donne un coup
violent dans le ventre qui la cloue par terre.

— Jésus ! hurle-t-elle en se tenant le ventre. Mon bébé.


— J’espère que tu le perdras.
Je ramasse mes clés et je sors en prenant soin de claquer la
porte derrière moi. Je me rends dans un bar non loin. J’y
noie ma colère en enchainant les verres d’alcool. Cette fille
fait tout pour me faire sortir de mes gonds. Combien de fois
lui ai-je dit que je ne voulais pas d’enfant ? Putain de bonne
femme ! Elles sont toutes pareilles. Elles ne pensent à rien
d’autre qu’à leurs propres intérêts. Il n’y a que ça qui
compte. Elles se fichent de savoir si d’autres gens seront
blessés. Elles font ce que bon leur semble. Personne ne se
préoccupe de ce que je peux ressentir. On veut à chaque
fois m’imposer des choses que je ne désire pas. Elles me
font toutes chier.

Je grogne et pose bruyamment mon verre vide.

— Encore un autre verre, dis-je au barman.


— Monsieur, je crois que vous avez déjà pris assez de
verres.
— Evite de me faire la morale et obéis simplement.

Il secoue la tête et me sert un autre verre que je vide d’une


traite.

***MARTINE ANOH
— Vous avez perdu le bébé.

Je ferme les yeux et laisse couler mes larmes. Cet enfant, je


le voulais réellement. J’avais conscience de la position de
Stephen, mais en planifiant cette grossesse à son insu, je me
suis dit qu’un bébé le rendrait plus doux, plus tendre et le
ferait m’aimer. Je suis tombée très vite amoureuse de cet
homme si mystérieux avec la mine toujours renfermée.
Nous travaillons pour la même boite, mais dans deux
succursales différentes. Nous nous sommes rencontrés lors
d’une des soirées données par notre boite qui avait réuni
tous les employés de toutes les succursales. Étant de nature
aguicheuse, je lui ai fait du rentre-dedans. Nous avons passé
cette même nuit ensemble chez lui. Il a été un peu brutal et
j’ai adoré. J’ai insisté pour qu’on garde le contact puis les
choses se sont enchainées. J’avoue que c’était toujours moi
qui prenais toutes les initiatives et ça ne le dérangeait pas.
C’est pour cela que j’ai cru qu’il finirait par accepter cette
grossesse. Mais cet homme est définitivement sans cœur.
On ne peut compter le nombre de conneries que j’ai
encaissé. Des rapports sexuels brutaux et douloureux, que
j’ai toujours cru passagers dans les débuts avant de me
rendre compte que c’était sa nature. Des coups à volonté à
chacune de mes contradictions. Les infidélités, n’en parlons
pas. Il ne s’en cache d’ailleurs pas. Cet homme tire
satisfaction dans la douleur des autres, des femmes plus
précisément. Je ne sais pas pourquoi, et pour l’heure je ne
veux pas le savoir.

— Madame, vous… vous allez bien ?


— Oui, Boya. Viens m’aider à ranger mes affaires.
— Vous partez ? me demande-t-elle de sa petite voix
innocente.
— J’ai besoin de souffler.

Je marche lentement en me tenant le bas-ventre qui est


encore douloureux. La petite fille de ménage range mes
affaires dans ma valise en suivant mes instructions pendant
que je reste assise sur le lit à superviser. Quand tout est prêt,
elle me suit avec ma valise jusque dehors. J’appelle ma
sœur pour l’informer de mon arrivée chez elle en attendant
l’arrivée du véhicule que j’ai commandé.

— Madame, vous allez revenir demain ?


— Je ne sais pas. Je reviendrai quand ton patron viendra me
demander pardon. Ce qui risque de ne jamais être le cas,
mais bon, je l’espère tout de même.
— Madame, tonton a besoin de vous. Il n’est pas méchant.
— Fhum, tu ne sais pas ce que tu dis. Quand tu seras adulte
et auras une vie amoureuse, tu me comprendras.

Mon véhicule arrive. Le gardien range ma valise dans le


coffre. Je monte et le chauffeur démarre. Il est temps que
Stephen me prouve qu’il tient à moi.

***BOYA GUEHI

Il est 23 heures et monsieur n’est toujours pas rentré. Je sais


qu’il rentrera saoul. C’est toujours comme ça quand il se
bagarre avec sa femme. Au fait, il boit toujours les soirs
mais il le fait beaucoup plus quand il fait du mal à sa
femme. Je sais que monsieur n’agit pas ainsi de gaité de
cœur. Je pense plutôt qu’il a un problème. Peut-être que son
travail lui met trop la pression et il se sent obligé d’être
désagréable pour oublier. Peut-être aussi que je veux me
convaincre de tout ceci parce que je me sens attirée par lui.
Oui, pour mon âge, il est complètement absurde de ressentir
des choses pour son patron qui est largement plus âgé. Je
n’ai que dix-sept ans et déjà, je me sens intimidée par un
homme de la trentaine. Cet homme si grand de taille, si
beau avec son teint clair et ses beaux yeux globuleux.
Je sors de la cuisine quand j’entends du bruit au salon.
Monsieur Stephen marche difficilement au point de heurter
tout sur son passage. Je me dépêche de le rattraper avant
qu’il ne trébuche.

— Martine ? C’est toi ?


— Non, monsieur. C’est Boya. Je vais vous aider à monter.

Je passe son bras musclé autour de mon corps si frêle qui a


du mal à le supporter et nous marchons difficilement vers
sa chambre.

— Tu sais que tu es une bonne femme, Martine ?


— C’est Boya, monsieur. Madame Martine est partie.

Nous entrons dans sa chambre et je le conduis à son lit. En


s’y laissant tomber, il m’entraine avec lui. Je tente de me
relever, mais il me retient fermement par la taille.

— Reste avec moi, Martine. Tu sais que je ne voulais pas


te taper. Tu m’as poussé à bout.
— Monsieur, arrêtez ! dis-je en me débattant.
— Viens-là ! Embrasse-moi !
Il bascule sur moi et m’embrasse. Mon corps est tout de
suite pris de tremblement. Qu’est-il en train de se passer ?

— Monsieur ! Je vous en supplie, arrêtez !


— Laisse-toi faire, Martine. Tu as toujours été une
chaudasse.
— Monsieur !

Je le repousse de toutes mes forces et je le regrette aussitôt,


car il se met en colère. Il me plaque violemment sur le lit
en tenant fermement mes deux bras au-dessus de ma tête.

— Pourquoi aimes-tu tant me tenir tête ? Tu sais


pertinemment que je déteste ça.
— Monsieur !

Il rassemble mes bras dans une seule de ses mains et de


l’autre, il se met à déboucler sa ceinture. Ayant une idée de
ce qui est sur le point de se produire, je me mets à pleurer.

— Monsieur, je vous en supplie, ne me faites pas ça ! Je ne


suis pas madame Martine.
Il semble ne plus m’écouter. Il ne fait que grogner des mots
inaudibles. Il relève ma robe.

— Monsieur !

Je tente une fois de plus de me relever. Grossière erreur. Il


me flanque une gifle cette fois.

— ARRÊTE DE ME DÉSOBÉIR, MERDE !

Il me bloque de nouveau les bras sans se préoccuper de mes


pleurs et supplications. Il retire avec force mon cycliste et
mon dessous.

— Monsieur, pour l’amour du ciel. Ne me faites pas ça.


Ayez pitié !

Il m’écarte les jambes et me pénètre d’un seul coup. Je


pousse un cri du plus profond de mes entrailles. Je ressens
une déchirure. Un viol, c’était la pire chose qui pouvait
m’arriver en plus de ce qu’est déjà ma vie. C’est plus que
je ne pourrais supporter. C’est trop. Je ne survivrai pas à ce
viol. Mon moral n’est pas assez en forme pour cette
épreuve.
Monsieur Stephen se vide en moi dans un long râle et se
laisse tomber sur le lit. Il s’endort à la seconde. Je me relève
douloureusement sans parvenir à stopper mes larmes qui
coulent à flots. J’ai tellement mal. Comment a-t-il pu me
faire une chose pareille ? Je le savais violent, mais jamais
je n’aurais cru qu’il serait capable de violer une personne.
Je me sens détruite de l’intérieur. Le brin d’espoir qui me
permettait de croire en un avenir radieux vient de
s’évaporer.

Je sors de la maison, les pieds nus, et je marche sous la pluie


battante. Je n’écoute pas le gardien qui me demande de
patienter le temps que la pluie cesse avant de rentrer chez
moi. Je me sens tellement sale, déshonorée, trahie par cet
homme qui m’attire tant. Mon lieu de travail était mon seul
lieu de recueil, mon seul endroit de répit où personne ne me
regardait de haut, où personne ne me regardait avec dégoût.
Le seul endroit où je pouvais rêvasser, fantasmer sur un
magnifique avenir avec moi dans une grande maison,
mariée à un homme fantastique pour qui je serais une reine
et mère de cinq magnifiques enfants saints. Je savais que ce
rêve était quasi irréalisable, mais ça me plaisait de rêver.
Mais maintenant, cet endroit de repos pour moi est
transformé en endroit de malheur où ma virginité a été prise
de façon tragique.

J’arrive chez moi toute trempée. Le désespoir m’a fait


marcher de la Riviera Palmeraie à la Riviera M’pouto sans
sentir la distance. Cette longue marche ne m’a pas permis
d’évacuer ma peine. J’ai toujours autant mal. La pluie ne
m’a pas permis de me sentir propre maintenant. Je me sens
de plus en plus sale. Pourquoi est-ce qu’il a fait ça ?
Pourquoi Dieu a-t-il permis que cela m’arrive ? N’ai-je pas
déjà assez de malheur dans ma si petite vie ? Je ne
connaissais rien d’autre que le chagrin. Pourquoi en
rajouter ? Peut-être que je devrais mourir une bonne fois
pour toutes pour ne plus vivre tout ça.

— C’est à cette heure que tu rentres ? me hurle ma tante qui


est venue m’ouvrir après plusieurs coups de sonnette. Je t’ai
toujours dit que s’il fait tard, il faut rester dormir là-bas. Tu
veux attirer des voleurs ici ?
— Par… pardon tantie, dis-je en grelotant.

Je me rends dans mon petit espace derrière la maison, je


prends des vêtements de rechange dans mon sac en mauvais
état et je me rends dans la petite douche aménagée
uniquement pour moi dans la cour. J’éclate de nouveau en
sanglots en voyant le sang dans mon dessous. Je m’assieds
au sol, ramène mes jambes contre ma poitrine et hurle toute
ma douleur. Avec la pluie qui s’abat sur la ville, impossible
que quelqu’un dans la maison puisse m’entendre. Cette
tragédie me donne une autre raison de haïr ma mère de
façon plus intense.

— C’est ta faute, je hurle de toutes mes forces. Tout ça,


c’est uniquement ta faute.

Si elle avait pris les bonnes décisions, je n’en serais pas là


aujourd’hui à vivre cette vie de merde. Je me décide enfin
à sortir de la douche pour aller dormir. Dormir me fera
oublier cette douleur pour quelques heures. Dormir me fera
du bien un laps de temps avant que la réalité ne me revienne
au visage à mon réveil. Je détends mon matelas et m’y
allonge. La porte de l’entrée arrière s’ouvre sur ma tante.
Elle jette près de moi un sachet.

— Ce sont tes antirétroviraux du mois. J’espère que tu suis


bien ton traitement hein ?
— Oui, tantie, dis-je d’une voix à peine audible.
— Hum ! Faudrait pas nous contaminer.
Elle rentre et referme derrière elle. Je mets le drap sur ma
tête et pleure en silence. Je vais ajouter “ violée" en plus de
“ sidéenne" sur le CV de ma vie.
2

***STEPHEN

Je me réveille avec un mal de chien à la tête et la queue en


l’air. J’ai encore trop picolé hier. Je devrais cesser de boire
autant quand j’ai boulot le lendemain. Je ne compte pas le
nombre de fois où je suis arrivé en retard au boulot et c’est
une chance que j’ai un haut poste de responsabilité. Je fonce
dans la douche enlever toute cette sensation de merde sur
moi. En ressortant choisir de nouveaux vêtements, je
remarque l’absence de la petite valise de Martine. Elle est
encore partie. Bof, elle reviendra quand elle le voudra. Je
n’ai sincèrement pas la tête à courir derrière une femme. Il
y en a des tonnes. Je ne vais pas m’épuiser derrière une
seule. Je me prépare et je sors de la chambre. Avec surprise,
je remarque qu’il n’y a pas de petit déjeuner sur la table.

— Boya ! Boya !

Je vais voir dans la cuisine, mais aucune trace de la fille de


maison.

— Mais où est-elle ? Pff !


Je sors retrouver le gardien.

— Bonjour, Issouf. Elle est où la petite ?


— Elle n’est pas encore venue. Peut-être qu’elle est
malade. Hier, elle est partie sous la pluie.
— Bof ! Ma voiture est prête ?
— Oui, patron. Je l’ai lavée.

Je retourne à l’intérieur me prendre un café rapide et je


fonce au boulot. Mon assistante m’accueille tout de suite
avec mon programme de la journée. Je m’installe derrière
mon bureau et je peux entamer ma journée. À la base, je vis
et travaille en France. J’ai été choisi par mon patron pour
représenter notre entreprise dans celle-ci avec qui nous
avons signé un partenariat. Je suis là pour m’assurer que
notre investissement ne tombera pas à l’eau, mais qu’au
contraire, nous en tirerons un large bénéfice. Je suis là pour
sept ans maximum. J’en ai déjà épuisé quatre et tout se
passe plutôt bien.

À la pose, je me rends dans la clinique de mon cousin et


meilleur ami, Laurence BÉKÉ (à retrouver dans Si
Seulement 1 & 2). Lui et sa mère sont ma seule famille. Il
y a aussi Elie, le petit frère de Laurence mais nous ne
sommes pas aussi proche que ça vu qu’il vit dans un autre
pays. Je cogne à la porte de son bureau et y rentre.

— Salut, mec, je le salue en lui tapant dans la main. Tu n’as


pas encore pris ta pause ?
— Si si ! J’y allais comme ça. On déjeune ensemble ?
— Oui !

Il retire sa blouse et nous nous rendons dans notre


restaurant habituel. Les employés nous reconnaissent
aussitôt et s’activent pour prendre soin de nous. Ils nous
rapportent nos boissons sans que nous ayons à passer la
commande. La serveuse qui nous sert me fait un sourire
charmeur. Je le lui rends. Si elle continue ainsi à me faire
du rentre-dedans, je la mettrai dans mon lit. Elle a une
plastique qui ne laisse aucun homme indifférent.

— Tu vas arrêter de la mater ainsi ? me bouscule mon


cousin.
— Tu as bien vu que c’était elle qui me faisait les yeux
doux.
— Et tu n’es pas obligé d’y répondre.
— Pourquoi ?
— Parce que tu es en couple.
— Tchip !

Je bois une gorgée de ma boisson.

— Comment va Martine ?
— Je ne sais pas. Elle a quitté la maison.
— Hier elle était dans ma clinique. Tu ne m’avais pas dit
qu’elle était enceinte.
— Pourquoi te parler d’une créature qui n’allait pas naître ?
Elle s’est enfin fait avorter ?
— Non, elle a fait une fausse couche et à en déduire les
bleus qu’elle avait sur le corps, je suppose que c’est toi le
responsable, me lance-t-il sur un ton de reproche.
— Mais elle ne m’écoute jamais. Si elle avait avorté
comme je le lui avais ordonné, tout ceci n’aurait pas eu lieu.
— Combien de…

Il est interrompu par la serveuse qui rapporte nos plats et


repart.

— Combien de grossesses vas-tu encore interrompre ? Ça


fait la deuxième.
— Je prends toujours mes précautions pour éviter les
grossesses, mais je ne sais pas ce qu’ont ces femmes à
vouloir à tout prix me coller des grossesses.
— Et si tu faisais un break pour te soigner.

Je repose ma fourchette que je prenais à peine et je fixe


Laurence méchamment.

— Je sais que tu détestes entendre ça, mais tu as besoin de


te faire soigner.
— Laurence, arrête sérieusement de me faire chier avec
cette histoire.
— Mais tu fais du mal autour de toi. Combien de femmes
vas-tu encore maltraiter avant de la foutre hors de ta vie ?
Tu dois évacuer toute cette agressivité…
— (Tapant du poing) TU ME FAIS CHIER !!!

Toutes les têtes autour se tournent vers nous.

— Je veux t’aider, Stephen, continue Laurence d’un ton


calme. Tu vas finir par tuer quelqu’un. Ce que tu fais subir
à ces femmes au lit peut être considéré comme du viol. Sans
compter les violences physiques.
Je vide mon verre, pose un billet de dix mille FCFA sur la
table et je sors du restaurant tout furieux. Je préfère m’en
aller au risque de le cogner. Je l’adore, mais quand il s’y
met, il devient très énervant.

— Steph ! m’appelle-t-il derrière. Steph, attends !


— Quoi ?
— OK, je suis désolé. Je n’aurais pas dû être cru avec toi.
Je voulais juste que tu prennes conscience.
— Bah, je n’ai pas besoin de remontrance aujourd’hui. Je
veux juste déjeuner avec mon frère.
— OK, rentrons. Je t’emmerderai plus avec ça. Pour
aujourd’hui.

Son sourire me fait lever les yeux au ciel. Il sait que je ne


peux rester longtemps en colère contre lui. Je lui cogne
l’épaule en retournant à l’intérieur. Nous reprenons le
déjeuner.

— Maman se plaint que tu ne viens pas la voir, m’informe-


t-il.
— Oui, j’ai eu un mois très chargé. Je trouverai un temps
pour passer la voir.
— C’est son anniversaire la semaine prochaine.
— Ah oui, mince ! Ça m’était sorti de la tête.
— Nous allons faire un diner. Tu viens ?
— Bien sûr ! Je ne peux pas manquer ça.
— Alors, c’est quoi la suite avec Martine ?
— Je ne sais pas. Tout dépendra d’elle.
— Puisqu’aucune des relations que tu as eues ne t’a
intéressé, pourquoi est-ce que tu ne stoppes pas tout pour te
concentrer sur toi-même ?
— Je n’ai jamais dit que ma relation avec Martine ne
m’intéressait pas.
— Mais pourquoi tu es indifférent ?
— Je ne suis pas indifférent. Juste que… je ne veux pas trop
me prendre la tête. Sinon, oui, j’ai des sentiments pour
Martine.
— Dans ce cas, sois un bon partenaire pour elle.

Je bois un verre d’eau pour faire passer tout ce que j’ai


avalé. Je change ensuite de sujet le reste du déjeuner. Je
devance Laurence en payant la note. Je glisse également ma
carte de visite dans le bocal et la serveuse le récupère, toute
heureuse, avant de retourner avec l’argent.
— J’espère qu’un jour tu laisseras tout ça derrière toi pour
te construire une vraie vie, stable et heureuse, avec une
petite famille.
— Ouais, ça viendra.
— Ouais, c’est ça.

Je raccompagne Laurence à sa clinique et je reprends le


chemin de mon lieu de travail. Quand je gare dans le
parking de la société, je reçois un appel de la serveuse,
Josiane. Je lui donne rendez-vous dans une boite de nuit
réputée ce soir. Je monte ensuite à mon bureau où je chasse
toute distraction pour me concentrer sur le boulot. J’ai beau
être ce que je suis, je ne badine pas sur le travail. Je sais
dissocier mes légèretés à mon travail. C’est de ce fait que
je reste typiquement professionnel avec mes collègues
femmes. Pas de rapport en dessous de la ceinture.

Le soir venu, je rejoins Josiane à notre lieu de rendez-vous


où nous passons un bon moment. Cette fille se montre très
allumeuse avec des caresses et des gestes sensuels. Au
milieu de la nuit, nous décidons de rentrer passer la nuit
chez moi.

— Tu as une belle maison.


Qu’ont-elles toutes avec mon appartement ?

— Merci !
— Tu vis avec quelqu’un ? Tout est beaucoup trop propre
pour que ce soit toi qui aies le temps de faire le ménage.
— J’ai une fille de maison.

Qui d’ailleurs a disparu. Il me faut m’assurer qu’elle n’ait


rien volé parce que ce genre de chose est fréquent chez les
filles de ménage. Elles volent des choses et disparaissent
par la suite. Bref ! Revenons à nos moutons. Je la conduis
à ma chambre et je m’attaque à sa mini robe. Elle est chaude
alors les choses vont très vite. Je sors ma protection, je
retourne la fille contre le mur et je la pénètre avec force. Je
m’active en lui empoignant les cheveux. Elle semble
adorer. À chaque coup, j’y vais encore plus fort. Elle se met
à hurler de plaisir et ça me met l’esprit à l’envers. Cette rage
commence à me consumer. Je lâche ses cheveux et agrippe
son cou. Je la retire du mur et la projette sur le lit.

— Tu es très excité, voyons, rigole-t-elle.


Je lui sépare brutalement les jambes et me glisse de
nouveau en elle en l’attrapant à la gorge.

— Oui, bébé ! Vas-y, fais-moi mal, me dit-elle tout excitée.

Oh, je ne me ferai pas prier. J’enfonce mes doigts dans son


cou en y allant plus vite. Si elle y prenait plaisir au début,
elle finit par se débattre contre mon emprise.

— Arrête ! Je… j’étouffe !

Son visage vire au rouge, ses jambes se balancent dans tous


les sens. Ça ne me convainc pas de la lâcher. Mes pulsions
me poussent à serrer encore plus mon emprise. Elle se met
à me griffer. Je continue jusqu’à éjaculer. Je la libère enfin
et me laisse tomber sur le lit.

— Non, mais tu es fou ? Tu as failli me tuer.

Je m’assieds pendant qu’elle se rhabille prestement.

— Nous étions censés prendre du plaisir ensemble. C’est


quoi cette façon sauvage de faire l’amour ? Es-tu
masochiste ?
Je reprends mon souffle sans gérer ses états d’âme. Elle
finit de s’habiller et s’arrête devant moi.

— Tu n’as pas l’intention de t’excuser ?

Je demeure silencieux

— Lorsque tu seras prêt à être plus doux, tu m’appelles.

Elle ramasse son sac et sort en claquant la porte derrière


elle. Je vais me prendre une douche. Je ressens encore le
besoin de me vider. Je dois me trouver une autre fille.

*Mona
*LYS

Je descends de ma voiture avec le paquet cadeau et entre


dans la maison où se tiendra le diner d’anniversaire. Il y a
déjà un petit monde. Laurence est présent avec sa femme
Zoé et leurs enfants. Il y a également quelques frères et
sœurs de ma tante. Elle me gratifie d’un sourire en me
voyant.
— Enfin, tu montres ton visage.
— Pardon, tatie. J’avais beaucoup de boulot. Joyeux
anniversaire.

Je l’enlace et lui tends son cadeau. Elle me remercie et je


vais rejoindre Laurence et sa femme. Comme je l’avais
signifié, Laurence et sa mère sont ma seule famille. C’est
cette femme qui m’a sauvé la vie quand j’étais au bord du
suicide. Je lui dois tout. Elle et son défunt mari m’ont
accueilli chez eux puis m’ont fait partir en France, loin de
tout le chaos familial qui me pourrissait la vie. J’y ai
terminé mes études, eu tous mes diplômes et je suis rentré
pour cette mission professionnelle. Si je devais donner un
titre de mère à une personne dans ma vie, ce serait
uniquement à cette femme.

— Bonsoir !

La voix dans mon dos me fait tourner. Martine se tient là,


toute belle dans sa robe.

— Laurence m’a invitée. J’espère que ça ne te dérange pas.


— Bien sûr que non. Tu es magnifique.
— Merci !
Laurence et Zoé nous laissent seuls.

— Laurence m’a dit pour le bébé. Je ne voulais pas que les


choses se passent ainsi. Tu aurais dû tout simplement
avorter.
— Pourquoi tu ne me demandes jamais mon avis sur les
décisions que tu prends ? Tu décides et je dois subir.
— Tu veux vraiment qu’on se prenne la tête ici ?
— Pourquoi tu n’es pas venu me chercher pour me ramener
à la maison ?
— Je ne t’ai jamais mise à la porte. Tu es partie parce que
tu avais besoin de souffler. Quand tu iras mieux, tu
rentreras.
— J’ai besoin de sentir que tu tiens à moi.
— Tu sais que je ne suis pas expressif.
— Quand on aime, on dépasse ses limites.

Nous sommes interrompus par ma tante qui nous demande


de nous rendre autour de la table pour le diner. Tant mieux,
je n’avais pas envie de parler d’amour.

***BOYA
— Boya, ça fait trois semaines que tu n’es pas partie au
travail. Tu as quel problème ?
— Mes patrons ne sont pas encore revenus de leur voyage.
— Donc tu fais comment pendant ce temps ? Je t’ai déjà dit
que je n’avais pas assez d’argent pour subvenir à tes
besoins. Toi-même tu vois que c’est avec ton salaire on
arrive à manger. Les bénéfices de mon commerce sont
insuffisants.
— Je vais passer voir la responsable de l’agence de
placement. Peut-être qu’elle aura quelque chose pour moi.
— Ah, il le faut hein. Tu as mangé ?
— Pas encore.
— Il faut manger tu vas laver les assiettes.

Elle retourne à l’intérieur et referme derrière elle. Je tire


vers moi ma petite cuvette marquée au vernis rouge de la
première lettre de mon prénom. Il en est de même que les
deux assiettes, la cuillère, la fourchette et le gobelet. Ces
ustensiles me sont réservés uniquement et restent près de
mon matelas. Toutes les précautions sont prises pour que je
ne contamine personne. C’est d’ailleurs de ce fait que je
fais la vaisselle avec des gants. Rares sont les fois où je fais
la cuisine, encore pour ne pas prendre de risque de
contagion. On me préfère dehors qu’à la maison. Moi aussi
je préfère ça. Dehors, personne ne sait que j’ai le VIH.
Dehors, personne ne me traitre comme une peste, personne
ne me regarde de haut. Dehors, personne n’a peur de moi.
C’est tout le contraire dans ma famille où personne ne veut
de moi.

Ma mère est morte du SIDA après avoir été infectée par


mon père, résultat de ses nombreuses aventures extra-
conjugales. Elle a découvert son statut sérologique lors de
ses analyses prénatales. Un traitement lui a été donné, mais
le désespoir et la douleur de devoir passer toute sa vie avec
cette sale maladie l’ont poussée à ne pas suivre
correctement le traitement. Même à ma naissance, elle n’a
pas respecté les instructions du docteur. Voici donc
comment j’ai chopé cette satanée maladie. Ma mère est
morte un an après ma naissance. J’ai vécu avec mon père et
sa nouvelle femme jusqu’à ce que lui aussi meurt quand
j’avais douze ans. Ma tante, la petite sœur de ma mère et
son mari m’ont recueilli chez eux. J’ai continué les cours
jusqu’à la classe de 3e puis quand j’ai eu mon BEPC, mon
oncle a perdu son boulot après avoir été accusé d’avoir
engrossé une de ses élèves. La famille se retrouvait réduite
à presque rien. La petite économie de ma tante l’a aidée à
ouvrir un petit commerce qui ne rapporte pas autant que ça.
Ça suffit à peine pour la nourriture. Les dépenses devaient
donc être réduites. Mon oncle ne pouvait plus payer notre
scolarité à tous, à moi et à leurs trois enfants. Quelqu’un
devait donc se sacrifier et c’est sur moi que la balle est
tombée. De toutes les façons, je venais de réussir à un
examen, ce n’était rien en comparaison des deux derniers
qui passaient tous deux en classe de terminale et de l’ainée
qui était à l’université. Je devais dorénavant travailler pour
aider mes nouveaux parents à subvenir à nos besoins. J’ai
ainsi commencé les travaux domestiques jusqu’à ce jour.
Mon salaire était donné à ma tante qui me donnait
exactement ce qu’il me fallait pour acheter ma pommade et
mon savon. Pour les vêtements, je portais ceux qui ne
rentraient plus à ma cousine et qu’elle voulait bien me
donner. Rares sont les fois où je me suis achetée de
nouveaux vêtements.

Mais tout ceci ne m’avait jamais dérangé. Tant que j’avais


un toit sur la tête, tous les sacrifices que je devais faire ne
me faisaient pas grand mal. La chose la plus douloureuse
c’est d’être mise à l’écart de tous et de tout. On m’a dit
qu’être en contact physique avec les autres ne transmet pas
le SIDA, mais les gens ne veulent rien savoir. Pour eux,
tout ce que je peux faire est susceptible de leur transmettre
la maladie. Tout ce qui m’appartient doit rester
soigneusement dans un endroit bien précis sans que les
autres ne puissent rentrer en contact avec. Je ne dois pas me
mêler à eux. Seule ma tante est moins sévère avec moi.
Sinon je suis tout le temps regardée avec dégoût. Dans le
quartier y compris. Mes cousins n’ont pas hésité à répandre
la nouvelle de mon statut à tout le monde. Je sens les gens
me dévisager à chaque fois que je passe. Je n’ai pourtant
pas choisi d’être séropositive. Je n’ai absolument rien
demandé.

Après avoir fini de manger, j’enfile mes gants et je fais la


vaisselle. Je me rends ensuite à l’agence de placement pour
demander un autre emploi. Je n’ai pas l’intention de
retourner chez monsieur Stephen. Il m’a brisée et je ne peux
faire comme si de rien n’était. Je ne veux pas d’histoire
supplémentaire.

— Bonsoir, madame, dis-je en rentrant dans le bureau de la


gérante.
— Comment vas-tu, Boya ? Assieds-toi !
— Bien, madame, je réponds en m’asseyant.
— Que puis-je faire pour toi ? Et le boulot ?
— Je ne travaille plus chez monsieur Stephen et sa femme.
Je cherche un autre boulot.
— Ah bon ? Et ils ne m’ont rien signalé. Que s’est-il passé ?
— Je… je suis fatiguée d’assister à toutes leurs bagarres. Je
ne supporte plus.

Je préfère donner cette excuse. Je n’ai pas besoin que tout


le monde sache que j’ai été violée. Si monsieur Stephen
dément, ça me créera des problèmes. Je n’en ai pas besoin.

— Je vois. Bon, puisqu’ils ne m’ont pas signalé ta


démission, je ne vais pas m’y attarder. Il y a une femme qui
était là tout à l’heure. Elle cherche une nounou pour ses
deux enfants en bas âge. Tu pourras ?
— Oui, madame.
— OK, je vais en parler avec elle et je vais appeler ta tante
pour te donner la suite des choses.
— C’est noté, madame. Merci beaucoup.

Je ressors soulagée de son bureau. Elle ne sait pas pour mon


statut sérologique. Avant, j’en parlais à mes employeurs,
mais je me faisais aussitôt rejeter. J’ai donc décidé de ne
plus rien dire à qui que ce soit puisque, tout comme à la
maison, je fais la cuisine avec des gants. Quand on me
demande la raison, je réponds juste que c’est pour plus
d’hygiène.

J’arrive à la maison, mais quelques minutes plus tard, la


dame de l’agence demande à ce que je revienne. N’ayant
pas de portable, c’est sur celui de ma tante qu’on peut me
joindre. Je rejoins la responsable de l’agence et nous nous
rendons chez la femme à la recherche de nounou. Nous
nous entretenons avec elle et séance tenante elle
m’embauche pour un salaire de 70 000 FCFA, comme mon
précédent poste. Je reste là en même temps pour prendre
l’état des lieux. Je fais la connaissance des deux enfants sur
qui je dois veiller. Ils ont deux et trois ans. J’adore les
enfants, je sens que je vais bien m’entendre avec ceux-ci.

Je rentre le soir chez moi et après ma douche, je prends mon


comprimé, exactement à vingt heures pile comme tous les
jours. Je dois prendre les ARV tous les jours à la même
heure. Je ne dois pas sauter un seul jour au risque de me
mettre plus en danger. Je finis de prendre mon diner, toute
seule dans la cour, et je rentre à la cuisine faire la vaisselle.
Je dois prendre soin de bien rincer mes couverts avant de
les laver et je ne dois surtout pas les mélanger aux autres.
Alors que je m’active, je vois mon oncle entrer dans la
cuisine. Je l’ignore. Il prend une bouteille d’eau dans le
frigo derrière moi, prends un verre et se sert. Pendant qu’il
boit, l’un de ses deux fils fait son entrée pour déposer son
assiette sale. Mon oncle a toujours le verre collé sur sa
bouche. Je sais pertinemment qu’il boit lentement pour
encore rester. Son fils ressort et lui se rapproche de moi. Il
pose le verre près de moi en se frottant contre mes fesses.
Je me décale. Il pose la bouteille d’eau et me donne une
tape sur les fesses.

— Tu as vraiment la chance d’avoir le SIDA. Je t’aurais


fait des choses que tu allais bien apprécier.

Il me presse les fesses et sort. Je laisse échapper mes larmes


de leur prison. Il a dit que j’avais la chance d’avoir le SIDA.
A-t-il une infime idée de ce que ça fait de vivre avec cette
satanée maladie ? De se sentir rejetée par tous ? D’être
considérée comme une épidémie ? De ne presque jamais
être approchée par des gens parce qu’ils ont peur d’être
contaminés ? Mais comment le saurait-il quand, à tout ce
calvaire, il ajoute les attouchements ? Je ne peux non plus
en parler à ma tante, car elle ne me croirait pas et me foutrait
à la porte. Où irais-je si elle me chassait ? Surtout que tout
le monde fuit la sidéenne que je suis.
3

***MARTINE

Après un mois et demi, je me suis remise physiquement de


ma dernière épreuve, mais j’en suis encore affectée
émotionnellement. Je désirais ardemment ce bébé. Outre le
fait que je voulais totalement conquérir le cœur de Stephen
avec, je voulais moi-même devenir mère. Je me demande
parfois ce qui se passe dans la tête de cet homme. Comment
peut-on être aussi insensible à tout ? Il se fiche de la vie de
couple, de l’amour, des enfants, de la famille, du mariage.
Tout ce qui l’intéresse c’est l’alcool, le sexe brutal, la
violence et le papillonnage. Le pire dans toute cette histoire,
c’est que je l’aime. Je ne peux plus me passer de lui. J’ai
cet homme dans la peau. Depuis le premier jour de notre
rencontre, je n’imagine pas ma vie sans lui. Pourtant, lui me
montre tout le contraire. Il me montre chaque jour, par ses
actes, qu’il n’en a rien à cirer de moi. Alors, pourquoi est-
ce je reste toujours avec lui ? Uniquement parce que j’ai foi
qu’il changera un jour pour moi. Qu’il m’aimera autant que
je l’aime ! Il suffit que je sois patiente et que je ne cesse de
lui manifester de l’amour. Il finira par céder.
Le retentissement de la sonnette de la maison me fait sortir
de ma rêverie. Ma sœur et son fiancé sont tous deux allés
au travail. Moi je profite encore de mon petit temps de
repos imposé par le docteur. Je vais ouvrir la porte sur le
voisin de palier.

— Hey, salut Martine ! Comment vas-tu ?


— Je vais bien et toi ?
— Pareillement. Ta sœur est-elle présente ?
— Euh, non. Encore au boulot.
— Mince !
— Il y aurait-il un souci ?
— Oh, rien de bien grave. Elle avait promis m’aider à faire
la cuisine. Je reçois des amis ce soir. Elle m’avait même
donné la liste des courses à faire. Bon, je vais devoir
commander à manger dehors si elle ne rentre pas à temps.
Désolé pour le dérangement.
— Je peux la remplacer, si tu n’y vois pas d’inconvénients.
— Tu ferais ça ?
— Oui ! Je suis là à paresser devant la télé depuis ce matin.
Faire à manger pour tes invités et toi ne me ferait pas de
mal.
— Je ne veux pas déranger.
— Non, t’inquiète. Laisse-moi fermer la porte et je te
rejoins.
— Ça marche. Merci déjà.

Il part chez lui, de sa démarche handicapée. Ça me fait


autant étrange de voir un si beau mec avec un handicap.
C’est bête de le penser, je sais, mais c’est comme ça. Il a
aménagé en même temps que nous il y a quelques années
avant que je ne quitte la maison pour aller vivre avec
Stephen. Il est plutôt beau gosse, de teint caramel, avec à
peu près la même taille que moi et des yeux dormants. Ma
sœur n’arrêtait pas de pousser vers lui et elle continue
d’ailleurs car elle n’aime pas Stephen. Il est certes beau,
mais pas mon goût.

Je rentre chercher mon double de clé pour condamner la


porte. Je rejoins Hermann chez lui. J’inspecte les
ingrédients achetés et je devine ce que Nadège voulait faire
comme bouffe.

— Je peux aider ? se propose-t-il. Ça irait plus vite.


— Oui, viens.
Nous faisons la cuisine ensemble tout en discutant
gaiement. Hermann est tellement sympathique qu’il
s’entend autant avec moi qu’avec ma sœur. C’est quelqu’un
de très réservé. Il peut passer des jours, enfermé chez lui,
quand il ne travaille pas, sans que personne ne sache qu’il
est là. C’est sa copine qui a de la chance.

Hermann s’active également à la cuisine en suivant les


instructions que je lui donne.

— Ça sent déjà très bon, s’extasie-t-il. Les gars vont se


régaler. Encore merci pour ton aide.
— Pas de quoi.

Plus d’une heure plus tard, nous terminons les quatre


différents mets que je sers dans des plateaux. Lapin braisé,
frites, alloco, attiéké, soupe d’agouti, riz parfumé et
couscous au poulet. Nous disposons le tout sur la table à
manger dans un coin du salon.

— Voilà, c’est bon.


— Juste à temps. Ils seront là dans une dizaine de minutes.
Je ne te remercierai jamais assez.
— Ah, arrête avec ça. J’ai pris un plaisir à le faire. Je
m’ennuyais à la maison.
— Et si tu restais avec nous ?
— Moi ? Non, ça va.
— Pourquoi ?
— C’est une soirée entre tes potes et toi.
— Oui, mais c’est chez moi et j’invite qui je veux. En plus,
ils sont très cool. Tu verras.
— Je ne veux vraiment pas m’incruster.
— J’insiste !

Il appuie son regard accompagné d’un sourire qui finit par


me faire rire.

— OK, c’est d’accord. Laisse-moi le temps de me


rafraichir. J’ai beaucoup transpiré.
— Ok.

Je fais comme j’ai dit. Je me rends propre et présentable


puis je reviens les trouver tous déjà au complet. Hermann
me prend la main et fait les présentations.

— Les gars, c’est Martine. Ma voisine.


— Martine ? Celle dont tu nous as parlé…
Celui qui avait la parole se fait couder par un de ses amis.

— Martine, eux ce sont mes frères du crime. Alfred, le plus


fou. Richard, Ulrich et Peter.
— Enchantée, dis-je timidement.

Alfred, effectivement le plus fou, se lève et me fait un


baisemain.

— Enfin ravi de connaitre notre future femme.

Je sens Hermann se rapprocher de mon oreille.

— Ne prête pas attention à lui. Il veut à tout prix me caser.

Alfred me conduit par la main et me fait asseoir près de lui.


Je suis tout de suite traitée comme une reine. Certains me
servent à manger quand d’autres me servent à boire. Je
rigole devant autant d’attention. Malgré le fait que je ne les
connais pas, ils me mettent à mon aise et m’impliquent dans
leur conversation. Durant toute cette soirée, j’oublie mon
chagrin. Il me faut en profiter avant de retourner auprès de
Stephen.
***BOYA

J’ai dû rentrer plus tôt du travail à cause de douleurs


incessantes que je ressens au ventre. Je ne sais pas ce qui
m’arrive, j’ai des tiraillements dans le bas-ventre depuis
quelques jours. J’ai pris des calmants sans pouvoir arriver
à faire passer les douleurs. Aujourd’hui, j’ai bu un
médicament traditionnel et depuis j’attends que ça fasse son
effet. J’ai un semblant de soulagement, mais alors que je
veux me lever pour aller me soulager dans mes toilettes, je
suis encore tiraillée. Je reste assise à grimacer en me tenant
le ventre.

— Boya, tu as encore mal au ventre ?


— Oui, tantie.
— Mais tu as mangé quoi et puis ça fait une semaine que tu
as des douleurs au ventre ?
— Je ne sais pas.

Je me lève et fonce dans les toilettes. Je me soulage


plusieurs minutes, je me rince et je sors.

— Toi-là, j’espère que tu n’es pas enceinte ?


— Non, tantie.

Comment veux-tu que je sois quand je n’ai pas de petit


ami ? Je n’ai d’ailleurs jamais eu de rapports… oh mince !
J’espère que ce qui s’est passé la dernière fois n’a pas donné
de fruit. Non, je ne crois pas. J’ai eu mes menstrues juste
après donc ça va.

— Bon, ça devient inquiétant. Allons dans l’hôpital du


quartier pour qu’on te donne un traitement.

Je la suis jusqu’au dispensaire où je suis prise en charge.


On demande à ce que je passe plusieurs tests. Je sens que je
n’aurai rien de mon salaire ce mois. J’avais pourtant prévu
acheter des tissus pour me coudre deux nouvelles robes.
Après plusieurs minutes, le docteur nous demande de le
suivre dans son bureau pour nous lire les résultats.

— Bon, après les examens, il s’avère qu’elle est enceinte.


— QUOI ??? hurle ma tante pendant que moi j’éclate en
sanglots.
— C’est ce qui lui cause des douleurs au ventre. Je vais lui
prescrire des calmants, mais vous devez aller voir les sage-
femmes pour la suite.
Il remplit une ordonnance et la remet à ma tante qui est
rouge de colère. Sur le chemin retour, elle ne parle pas.
Mais par sa démarche rapide, je sais qu’elle bouillonne de
colère. Moi, je suis déboussolée. Je ne peux pas être
enceinte. Mon Dieu, pourquoi ma situation va-t-elle de mal
en pire ? Un enfant ? Maintenant ? Alors que je n’ai aucune
situation stable ? Dans mon état ? Et issu d’un viol ? Cette
fois, je suis finie.

La gifle que je reçois une fois à la maison me projette dans


le fauteuil avant d’atterrir au sol.

— Comment peux-tu me ramener une grossesse ?


commence à me gronder ma tante. Ça ne va pas dans ta
tête ? Tu as le SIDA et tu trouves le moyen de te
reproduire ? Qui va s’occuper de cet enfant ? Si lui aussi il
naît avec le SIDA, ça va nous faire double problème à gérer.
Avec toi, nous n’arrivons même pas à être à l’aise dans
notre propre maison. Nous nous méfions de tout de peur
d’être contaminés. Et toi tu veux nous ramener un
deuxième malade ? On peut être inconsciente comme ça ?
Avec ta sale maladie, tu n’as pas eu peur de te coucher en
bas de garçon ? Tu n’as pas pitié de toi ? Hein ?
Elle me donne des coups que j’essaie de ne pas trop sentir
en me protégeant de mes bras. Elle défait son foulard et
continue de me fouetter en m’injuriant. Son mari entre au
même moment et dès qu’elle lui fait part de la situation, il
défait sa ceinture et je sens trois coups dans mon dos.

— C’est la bordellerie que tu veux faire dans ma maison ?


gueule-t-il. Donc tu peux écarter tes jambes ? Si tu voulais
un homme pour te baiser, il fallait nous dire, on allait te
trouver un mari. Tu as le SIDA, ça ne te suffit pas ?
D’ailleurs, qui est l’auteur ?

Je ne fais que hoqueter sans parvenir à parler.

— Parle, hurle-t-il. Qui est ce chien qui t’a engrossée ?

Je continue de hoqueter.

— Tu ne veux rien dire ? Attends, je vais te chicoter encore.

Quand je le vois s’approcher avec sa ceinture, je recule sur


mes fesses.
— Je vais parler, dis-je tout apeurée.
— C’est qui ?
— C’est… c’est mon patron.
— Quel patron ? demande ma tante. Le mari de la femme
où tu travailles là ?
— Non, où je travaillais avant.
— Donc toi on te dit d’aller travailler, c’est nerf tu t’en vas
chercher ? Allons chez lui, il va assumer cette grossesse
parce que je n’ai pas l’argent pour m’occuper de toi et ton
enfant. Va te changer, on va partir.

Elle disparait dans sa chambre et claque la porte. Je me


rends dans mon petit espace transformé en chambre les
nuits. Je retire mon haut quand je sens une tape sur mes
fesses. Mon oncle m’attrape ensuite par la gorge et me
plaque contre le mur.

— Donc toi tu sais écarter tes jambes ? J’aurais dû te baiser


quand j’en avais l’occasion.

Il me pétrit les fesses et remonte à mes seins. J’essaie de me


dégager, mais il m’étouffe carrément.
— Mais on va régler ça plus tard. Je vais acheter des
préservatifs et je vais te servir chaque nuit, comme tu
cherches garçon apparemment.

Le bruit de la porte à l’intérieur le fait sursauter et il


s’éloigne de moi. Il disparait à l’intérieur. Je me change et
nous nous mettons en route pour la maison de monsieur
Stephen.

***STEPHEN

J’interromps le travail sur lequel j’étais et je vais ouvrir la


porte à Josiane. J’ai été un tout petit peu surpris qu’elle
m’appelle, un mois après notre première idylle, pour
demander qu’on remette le couvert.

— Bonsoir, me salue-t-elle en entrant.

Elle glisse sa main sur mon torse et pose ses lèvres sur ma
joue. Je referme la porte derrière elle.

— Je ne pensais pas que tu reviendrais vers moi, lui dis-je


en me retournant vers elle.
— Il faut dire que tu m’as beaucoup manqué ces dernières
semaines. Et avec du recul, ce n’est pas si mal de faire
l’amour de façon si sauvage. Aussi bizarre que cela puisse
paraitre, mon corps en réclamait. Alors, je suis prête
m’adapter si cela peut me permettre d’être avec toi.

Elle jette son sac par terre et se jette sur mes lèvres.

— J’ai une copine. Nous vivons ensemble, mais nous


sommes en froid depuis un moment.
— Ça ne me dérange pas. Quand elle reviendra, si jamais
elle revient, nous nous verrons dehors.

Elle saisit de nouveau mes lèvres avec fougue. Je la soulève


et la conduis à ma chambre. Je la jette sur le lit. Elle rigole.

— C’est bien. Fais sortir la bête qui est en toi.

Je la regarde et je n’ai qu’une seule envie, celle de lui faire


mal. Je retire mes vêtements en même qu’elle retire les
siens. Je la retourne sur le ventre comme une crêpe, puis,
alors qu’elle se met à quatre pattes, j’enfile une protection
et je la pénètre sèchement sans me préoccuper si elle était
assez lubrifiée. Je la cogne durement. Elle geint de douleur
par moment et aussi de plaisir. Cette fille adore le danger.
Je lui agrippe le cou et j’y vais plus fort. Elle se débat et
change de position, se mettant en missionnaire.

— Je déteste qu’on me résiste.

Je la soulève par le cou, puis contre mur, je la cogne avant


de la pénétrer de nouveau avec force. Cette fois, elle a mal.
Elle tente de se dégager de mon emprise. Je lui flanque une
gifle.

— Arrête de me résister, putain. C’est moi qui commande.

Je la projette par terre et je termine cette longue partie avec


des coups de plus en plus brutaux. Je remarque son corps
rempli de bleus. Je me relève et me rends dans la salle de
bain, me prendre une douche. Elle me rejoint sous le jet
d’eau.

— J’ai adoré, souffle-t-elle. C’est ma première expérience


de sexe bestial et je crois que je vais en devenir accro. J’ai
encore envie de toi.

Quand elle me touche, je grimace de dégoût.


— Va-t’en ! je lui lance sans me retourner.
— Tu n’as pas encore envie ?
— J’ai envie de rester seul. J’ai du boulot à terminer.
— Ok. On se voit demain ?
— Oui !

Elle pose un baiser dans mon dos et part. Après chaque


rapport, je ne ressens que du dégoût. Pour moi et pour ma
partenaire. Je ressens du dégoût pour tout. Je dois sortir
boire comme chaque soir pour parvenir à dormir
paisiblement.

Je ramasse mes clés, mes portables et je marche vers la


sortie. J’ouvre la porte et je tombe nez à nez sur un couple
dont la femme s’apprêtait à taper.

— Bonsoir, monsieur, me salue l’homme. C’est vous


monsieur Stephen ?
— Oui, bonsoir. Que puis-je faire pour vous ?
— Vous reconnaissez cette fille ?

Il tire quelqu’un derrière la femme et je reconnais tout de


suite mon ancienne fille de ménage.
— Euh oui. Elle travaillait ici. D’ailleurs, je ne sais pas
pourquoi elle a disparu.
— Disparu ? s’étonne la femme. Elle nous a dit que c’est
vous qui aviez voyagé.
— Voyager ? Non. J’étais là. Que se passe-t-il ?
— Il se passe qu’elle dit être enceinte de vous.
— Hum ? Quoi ? Attendez, je crois qu’il y a erreur.
— Monsieur, pouvons-nous entrer et tirer cette histoire au
clair ?

Je leur cède le passage malgré moi. Je suis bien curieux de


savoir ce que cette gamine dira pour prouver que je suis
l’auteur de sa grossesse. Je les installe et prends place en
face d’eux. Je regarde la fille qui n’a pas relevé la tête
depuis le début.

— Boya, veux-tu bien m’expliquer comment j’ai pu te


mettre enceinte alors que je n’ai jamais levé les yeux sur toi
avec désir et que ça fera bientôt deux mois que tu as déserté
la maison sans rien dire à ta patronne ?

Elle se triture les doigts. La colère me monte au nez.


— Tu vas parler, oui ? je lui hurle, au bout des nerfs.
— C’était… cette nuit-là… où vous avez… battu madame
et qu’elle a quitté la maison. Vous… êtes rentré très tard et
saoul.
— Comme chaque soir. Donc quoi ? Tu m’as plusieurs fois
vu dans cet état et jamais je ne t’ai touchée.
— Cette nuit, vous aviez trébuché et je vous ai aidé à vous
rendre dans votre chambre. Ensuite…

Elle se tait et joue avec ses doigts. Elle est sérieusement en


train de m’énerver.

— Boya, soit tu parles, soit je te fous à la porte.


— Vous m’avez prise pour madame et vous avez voulu
coucher avec moi. J’ai résisté, vous vous êtes mis en colère
parce que j’osais vous défier. Vous n’arrêtiez pas de dire
que vous aviez horreur qu’on vous résiste et vous… m’avez
violée.

Je sens mon être se liquéfier. Je l’ai quoi ?

— Non, ce n’est pas possible. Je ne peux pas t’avoir violée.


C’est une fausse accusation.
— Je dis la vérité, je vous le jure. Vous vous êtes endormi
aussitôt et je suis partie pour ne plus revenir.

Ça ne peut pas être possible. Je me souviens m’être réveillé,


la queue en l’air, avec cette sensation d’avoir couché toute
la nuit. Mais j’ai cru que c’était avec Martine.

— Qu’est-ce qui prouve d’abord qu’elle est réellement


enceinte ? je leur demande dans l’espoir de trouver un
élément qui me disculperait.

La femme me tend une enveloppe dont j’inspecte le


contenu. OK, elle est véritablement enceinte, mais ça ne
prouve pas que ce soit de moi.

— Je suis désolé, mais je ne crois pas que ce puisse être


moi l’auteur. C’est monnaie courante de voir de jeunes
filles coucher à tout va puis attribuer leur grossesse au plus
stable financièrement. Vous devez voir avec son copain.

La petite se met à pleurer de plus belle.

— Je n’ai aucun petit ami. J’étais vierge.


Cette révélation me donne un frisson. Je me lève et fais un
tour sur moi-même en réprimant un rire nerveux.

— Écoutez, il n’y a aucune preuve de toutes ces allégations.


Boya peut très bien mentir pour me soutirer de l’argent. Je
n’ai violé personne. Je m’en serais souvenu sinon.
— POURTANT C’EST LA VÉRITÉ, hurle Boya.
— DANS CE CAS, JE N’EN VEUX PAS, je hurle à mon
tour avant de me reprendre. Si cette grossesse est
réellement de moi, je n’en veux pas. Tu en es encore au
début alors tu vas te faire avorter.
— Quoi ? Non. Je ne veux pas, s’oppose-t-elle.
— Je n’ai pas l’intention d’être le père de cet enfant alors
tu t’en débarrasses. Un instant.

Je vais dans ma chambre, prendre un peu d’argent et je


reviens les jeter devant eux, sur la table basse.

— Voici 300 000 FCFA. Enlevez cette grossesse et gardez


le reste comme dédommagement. Elle est jeune, elle pourra
se concentrer sur son avenir. Je veux voir les preuves de
l’avortement une fois fait. Maintenant, sortez de chez moi.
— Monsieur, elle affirme que vous l’avez violée.
— A-t-elle des preuves ? Non, donc allez-vous-en et que je
ne vous vois plus. Tout ceci peut être une mascarade pour
me soutirer de l’argent.

Le couple s’échange un regard puis décide de s’en aller


avec l’argent. Non, mais n’importe quoi ! Je reste là à
ruminer un moment avant de me décider à sortir. Je me
rends dans mon bar habituel où j’enfile verre sur verre. Oser
m’accuser de viol ? Quel toupet ! Jamais je ne ferais une
chose aussi ignoble. Malgré mon envie irrépressible de
rejeter cette accusation, une voix en moi essaie de me
convaincre de la véracité.

— Mais non, ce n’est pas possible, me dis-je à moi-même.

L’alcool commençant à faire son effet, je décide de me


rendre chez Laurence. Il n’est pas de garde ce soir. J’arrive
chez lui et c’est sa femme qui vient m’ouvrir.

— Bonsoir, Zoé ! Il est là ?


— Oui. Il est déjà au lit. Mais rentre, je vais le prévenir.
— Merci !
Je me serre un verre de vin et je m’assieds dans le salon.
Pourquoi est-ce que je n’arrive pas à me débarrasser de
cette petite voix accusatrice en moi ?

— Stephen ? Il y a un souci ?

Laurence, vêtu de son pyjama, s’assied dans le fauteuil près


de moi.

— Te souviens-tu de la jeune fille qui travaillait chez moi ?


— La fille de ménage que Martine avait embauchée ?
— Celle-là même. Figure-toi qu’elle est venue chez moi ce
soir avec ses parents pour m’accuser de l’avoir mise
enceinte.
— Comment ? Tu entretenais des rapports avec elle ?
— Jamais de la vie. Ce n’est qu’une gamine, en plus une
bonne. Qu’aurais-je fait avec elle ?
— Dans ce cas, sur la base de quoi peut-être affirmer
pareille chose ?
— Elle prétend que je l’ai violée, une nuit quand j’étais
saoul.

Il me regarde étrangement.
— Quoi ? Ne me dis pas que tu la crois ?
— J’attends que tu me dises quelque chose. Explique-moi
ce qui s’est passé.
— Selon ses propos, je suis rentré saoul après une violente
dispute avec Martine. Tu sais, cette même nuit où elle a
perdu sa grossesse. J’aurais trébuché, elle m’a aidé à
regagner ma chambre, ensuite je l’ai prise pour Martine, j’ai
voulu coucher avec elle, elle a résisté, ça m’a mis en rogne,
je l’ai violentée et violée en ne cessant de répéter que
j’avais horreur qu’on me résiste.

Il arque un sourcil après la dernière phrase. Nous


échangeons un long regard qui me fait stresser. Je me lève
et fais un tour sur moi.

— Je ne peux pas l’avoir fait.


— Excuse-moi de le dire, mais si on veut prendre la
signification exacte du viol… tu l’as déjà fait, à maintes
reprises, avec Martine. Pour ne parler que d’elle seule.
— Tu me traites de violeur ? m’énervé-je.
— Non ! Je dis juste que… (il soupire) tu n’es pas un
violeur, mais inconsciemment, tu le fais. Pour toi, c’est
normal, mais pour ces femmes, c’est douloureux.
Je cogne dans le mur en poussant un râle.

— Je n’ai violé personne, hurlé-je. Je ne suis pas un violeur.


— Doucement, les enfants dorment.
— Mais tu me traites de violeur.
— Non, Stephen. (Il se lève) Prends conscience que tu
refoules tes blessures sur les femmes.
— Mais merde, je n’ai aucune blessure. Tu recommences.
— Bon ! OK, nous allons nous calmer, dit-il en se
rasseyant. Qu’as-tu fait avec la jeune fille ?
— Je leur ai donné de l’argent pour qu’elle se fasse avorter.
Si c’est réellement de moi, ils le feront. Dans le cas
contraire, ils iront l’attribuer au véritable père.
— Stephen, tu vas vraiment faire avorter une gamine ? Elle
a tout au plus seize ou dix-sept ans. Tu ne peux pas lui faire
ça. Et s’il y avait des conséquences graves ? Tu y as pensé ?
— J’ai donné assez d’argent pour qu’elle le fasse dans un
bon hôpital. Je te l’aurais envoyé si tu n’étais pas contre ça.
— Oui et ça ne risque pas de changer. Mais je trouve ça
vraiment méchant que tu fasses subir une telle chose à cette
fille.
— Que voulais-tu que je fasse ?
— Que tu assumes pour une fois, hausse-t-il le ton. Tu ne
vas pas passer toute ta vie à imposer l’avortement à toutes
celles qui croiseront ton chemin. Tu ne te rends pas compte
des conséquences de cet acte. Si ça se passe mal, c’est une
vie qui sera gâchée. Tout ça pour quoi ? Parce que tu refuses
d’affronter ton passé comme un homme. Tu fais chier à la
fin.
— Est-ce un crime de ne pas vouloir d’enfant ?
— Tu ne veux pas d’enfant, tu ne veux pas te marier. Dis-
moi donc, en dehors de ton travail, c’est quoi ton but dans
la vie ?

Je le regarde en ruminant ma colère.

— Tu vois, tu ne sais que faire de ta vie. En dehors de ton


prestigieux poste, il n’y a rien qui te donne goût à la vie. Il
n’y a rien qui puisse te donner envie de te battre, de résister
à toutes les épreuves. Tu ne fais que boire, coucher avec
n’importe qui et faire mal à toutes les femmes que tu
rencontres. Vas-tu rester ainsi jusqu’à terminer tes jours ?
Tu prends de l’âge et ta vie n’a toujours aucun sens.
— Ne me parle pas ainsi.
— Tant que je serai ton frère, je te dirai la vérité. Tu dois te
faire soigner.
— Va te faire foutre !
Je sors de chez lui, tout enragé. Je déteste quand il se joue
les moralisateurs. Je me lance en pleine vitesse dans le
trafic sans m’arrêter de rouspéter. Laurence pense me
connaitre mieux que moi-même. Il pense que je suis un
malade mental qui a besoin de se faire suivre par un
psychologue. Il me prend pour l’un de ses patients. Je n’ai
pas besoin d’aide. Je n’ai besoin de personne. Je suis adulte
et je sais pertinemment ce que je fais. Qu’il ne s’attende
plus à ce que je lui confie encore mes déboires.

Je suis tellement sur les nerfs que je dépasse un feu rouge


sans faire attention. Je freine brusquement en voyant une
voiture sortir devant moi. Je réussis à réduire la vitesse de
la voiture, mais je touche malgré tout l’arrière de la voiture.

— Et merde !!!

Je sors en même temps que l’occupant de l’autre véhicule.


Je regarde les dégâts que j’ai occasionnés.

— Putain ! Vraiment toutes mes excuses, monsieur.


Pouvons-nous s’il vous plaît régler cela à l’amiable sans
impliquer la police ? Je vais tout de suite appeler mon
mécanicien. Je paye tout. Ça vous va ?
— Euh, OK, accepte-t-il pour mon plus grand soulagement.

Alors que je compose le numéro de mon mécanicien, je suis


pris d’un léger tournis. Je titube légèrement et l’homme
m’attrape le bras.

— Monsieur, est-ce ça va ?


— Euh, oui. Je suis un peu trop stressé ces jours-ci.

Il m’aide à m’adosser sur ma voiture. Je souffle un moment


pour mieux me reprendre avant de lancer l’appel.

— Vous devriez vous faire soigner.


— Non, ça va. Je n’ai pas besoin de docteur. Juste d’un peu
de repos.
— Je ne parlais pas de docteur. Mais d’un psychologue.
— Pardon ?

Je lève les yeux vers lui et je suis immédiatement pris de


frisson. Son allure fait flipper tout à coup.

— Le mal qui vous ronge vous pourrira la vie si vous ne


vous soignez pas.
— J’ai dit que je n’étais pas malade. C’est juste un vertige.
— Je vous parle de tout autre chose. Une situation assez
difficile se produira bientôt, et si avant ça vous n’êtes pas
guéri, vous allez faire assez de dégâts autour de vous avant
de vous donner la mort.
— De quoi parlez-vous ? Et qui êtes-vous ?

— Elijah ? Appelle une voix derrière le type. Tout va bien ?


J’étais en patrouille et j’ai vu ta voiture.
— Oui, tout va bien.

Il se tourne vers moi.

— Laissez tomber pour la voiture. Je crois que vous avez


assez de problèmes à gérer comme ça. Passez une bonne
soirée.

Il s’éloigne avec son ami et moi je les regarde s’éloigner


sans pouvoir bouger. Les mots de l’homme tournent en
boucle dans ma tête. Que voulait-il dire par une situation
assez difficile se produira ? De quelle situation s’agit-il ? Et
il a parlé de me donner la mort. Tchip, ce doit être un de ces
arnaqueurs qui font des enquêtes sur la vie des gens pour
pouvoir les berner et leur soutirer de l’argent. Sinon, moi
Stephen, me suicider ? Lol, n’importe quoi !
4

***MARTINE

— Que fais-tu ? me demande ma sœur Sandra en pénétrant


ma chambre.
— Je range mes affaires. Demain, je retourne chez Stephen.
— Tu avais dit que tu n’y retournerais pas tant qu’il ne
serait pas venu te supplier.
— Oui, mais le truc, c’est que Stephen a cet orgueil qui
l’empêche de s’humilier devant une femme. Mais dans le
fond, je sais qu’il m’aime. Il me l’a déjà prouvé plus d’une
fois.
— Si tu le dis. Moi à ta place je resterai ici jusqu’à ce qu’il
vienne me chercher.
— Et s’il ne le faisait pas ?
— Dans ce cas tant pis. Je passe à autre chose.
— Tu sais bien que je ne peux pas passer à autre chose.
J’aime cet homme plus que tout et je crois fermement qu’il
finira par changer. Souviens-toi du couple YOUL dont
l’histoire a fait la une des médias. La femme en a bavé pour
conquérir son homme, jusqu’à faire la prison, mais
regarde-les aujourd’hui, cet homme ne respire que pour sa
femme. Il en est obsédé littéralement. Je les ai rencontrés
plus d’une fois et il ne détache pratiquement jamais son
regard d’elle. Si Trisha YOUL y est arrivée, alors moi aussi.
— Vos histoires ne sont pas pareilles. Et ce n’est pas parce
que pour elle a fonctionné que ce sera forcément ton cas.
— Cesse d’être pessimiste. Stephen changera et tu me
féliciteras.
— Je l’espère bien. Mais tu sais que tu as toujours ta place
dans cette maison.
— Je sais, sister. Merci de m’accueillir à chaque fois.

Elle me caresse l’épaule et sort. Je boucle ma valise et sors


à mon tour avec mon sac à main. Je dois me rendre au
bureau. Je retourne demain samedi, chez Stephen avec une
nouvelle stratégie. Après analyse, j’ai compris qu’il
devenait violent à chaque fois que je lui tenais tête. Cette
fois, je vais adopter la douceur. Que ce soit au lit ou dans
n’importe quelle situation. Je vais y aller doucement avec
lui et je crois qu’ainsi, je gagnerai totalement son cœur.

Je rencontre Hermann dans les escaliers, qui part également


au travail.

— Tu es encore là ? lui dis-je pendant que nous descendons


les marches.
— J’étais en chemin quand je me rendu compte que j’avais
oublié un dossier important. Toi, tu prends ton temps
apparemment.
— Ce sont les avantages d’avoir un poste de responsabilité.
— Disons plutôt que tu as un patron cool. Le mien surveille
chacune de nos arrivées.

Nous sortons de l’immeuble.

— Je te dépose ? me propose-t-il.
— Non, je vais te mettre en retard.
— Je le suis déjà donc mieux vaut en profiter. J’insiste.
— Ok. C’est vraiment gentil.

Il mène la conversation durant tout le trajet, si bien que


nous ne sentons pas la distance. J’ai l’impression que nous
n’avons roulé que deux minutes.

— Merci pour le service, lui dis-je en détachant la ceinture


de sécurité.
— Pas de quoi. Si tu le désires, je pourrais te déposer tous
les matins et te chercher à la descente pour que nous
rentrions ensemble.
— Ça aurait été super, mais je retourne demain chez mon
petit ami.
— Ah, vous vous êtes enfin réconciliés ?
— On peut dire ça.
— C’est génial.
— Ouais. Encore merci !

Je lui embrasse la joue et descends de sa voiture.

***BOYA

Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. Pour deux raisons. La


première, parce que mon oncle n’arrêtait pas de tourner
autour de mon dortoir attendant que je m’endorme pour
venir satisfaire sa sale besogne. Il m’avait prévenu et je
savais qu’il ne rigolait pas. J’ai dû rester assise toute la nuit
et aux aguets pour le dissuader de s’approcher. Dieu merci,
il a fini par aller se coucher. La deuxième raison de ma nuit
blanche est le fait qu’on ira me faire avorter ce matin. J’ai
entendu tellement d’horreur sur les avortements que j’en ai
la trouille. Je ne veux pas mourir, je ne veux pas non plus
bousiller mes entrailles. Et même si tout se passait bien, je
ne veux pas plus tard subir la colère de Dieu qui va
m’empêcher d’avoir des enfants si un jour je rencontrais un
homme qui voudrait de moi. De plus, peut-être que
personne ne voudra jamais de moi avec mon statut
sérologique et que c’est là ma seule chance d’avoir un
enfant. Je ne veux pas me faire avorter, mais ai-je
seulement le choix ?

— Boya, on y va !

Ma tante tourne les talons sans se préoccuper de ma


détresse. Je n’ai d’autres choix que de la suivre. Plus nous
avançons dans le trajet, plus je sens mon cœur battre
douloureusement. Je pleure en silence. Je ne sais pas si je
veux ou pas ce bébé, mais je sais que je ne veux pas avorter.
Je ne veux pas prendre ce risque.

— Tantie, on peut donner le bébé dans un orphelinat après


l’accouchement.
— Et puis qui va gérer toutes les dépenses durant la
grossesse ?
— Je vais continuer à travailler et utiliser mon salaire.
— De te rappeler que c’est ton salaire qui nous aide aussi à
gérer toutes nos dépenses ? Et tu veux venir encore
diminuer ? Tu as entendu le monsieur ? Il dit qu’il ne veut
pas de cet enfant donc allons enlever.
Elle fait signe au chauffeur du taxi de garer à un carrefour.
Nous empruntons ensuite une voie au milieu de la
broussaille et marchons des minutes durant. Ce chemin ne
ressemble pas à un qui mène vers un hôpital. J’ai la
confirmation que nous ne nous rendons pas dans un hôpital
quand nous arrivons devant une maison inachevée et
délabrée.

— Nous sommes où ? ai-je l’audace de demander.


— Chez un monsieur qui fait les avortements moins
coûteux. À l’hôpital c’est beaucoup trop cher. On va utiliser
le reste de l’argent pour d’autres choses. On doit régler le
reste de la scolarité de ta sœur.

La porte s’ouvre sur une jeune fille qui tente vainement de


maintenir une autre sur ses jambes. Cette dernière a l’air
mal en point. Elle saigne abondamment.

— Il faut lui acheter rapidement les médicaments que j’ai


prescrits, hurle un homme depuis l’intérieur. Le sang va
s’arrêter, ne t’inquiète pas.
Je suis les deux filles du regard et le sang que je vois couler
le long des jambes de l’une me glace le sang. Je referme
mes bras autour de moi.

— Je peux vous aider ?

Je reviens à moi au son de la voix de l’homme en blouse


blanche tachetée de sang.

— Oui, nous sommes là pour un avortement. Une voisine


m’a parlé de vous.
— Rentrez !

Ma tante le suit sans hésiter pendant moi je traine les pas.

— Boya, dépêche-toi ! Je n’ai pas que ça à faire.

J’entre dans la maison et je suis prise d’un horrible frisson.


Il y a du sang par terre et sur le lit. Le "docteur" retire le
drap et le remplace par un plus propre, tout ça pendant qu’il
discute du coût de ses services. Il emballe rapidement
quelque chose dans un sachet, mais j’ai eu le temps de voir
des choses rouges aux formes étranges. Ce doit être sorti du
ventre de l’autre fille. J’observe également des outils posés
sur une table.

— Allonge-toi ! m’ordonne le docteur.


— Quoi ?
— Ma petite, allonge-toi on va finir vite. J’ai d’autres
clientes à voir.

Je regarde tout autour de moi, je me souviens des filles qui


sont sorties tout à l’heure.

— Non, je ne peux pas, dis-je subitement tout apeurée en


reculant.
— Tu dis quoi ? s’étonne ma tante.
— Tantie, je ne peux pas. Je ne veux pas mourir.
— Qui a dit que tu vas mourir ? Couche-toi ici vite.

Me voyant reculer, elle essaie de m’attraper, mais je sors de


là en courant.

— Boya !!! hurle ma tante. Reviens ici !

Je ne l’écoute pas. Je prends mes jambes à mon cou. Je ne


peux pas vivre cette horreur. Il est clair que cet homme
détruira ma vie et ma tante n’est pas disposée à me conduire
dans un bon hôpital. Je dois sauver ma vie. Je tombe sur les
deux précédentes filles. Celle qui saignait est allongée par
terre en saignant en abondance. Son amie ne fait que pleurer
et appeler à l’aide.

— Oh mon Dieu ! m’écrié-je de plus en plus paniquée. Elle


est… morte ?
— Je t’en prie, aide-moi ! Elle ne bouge plus.

Tout mon corps est pris de tremblement. Je suis en train de


vivre la pire journée de toute ma vie. La peur de me faire
rattraper et retourner de force chez l’autre type m’oblige à
reprendre ma course. Le tonnerre se met à gronder et des
gouttes se mettent à tomber petit à petit. Je dois trouver une
solution.

***STEPHEN

Je gare à peine ma voiture dans le parking de l’immeuble


que quelqu’un apparait près de ma voiture. Je reconnais la
servante qui est toute trempée. Je vois ses lèvres trembler
sans entendre ce qu’elle dit. Je coupe le contact et sors de
la voiture. Elle s’agenouille aussitôt devant moi.
— Monsieur, je vous en supplie, aidez-moi.
— Mais, qu’est-ce qu’il t’arrive ?

Tout ce qu’elle dit est incompréhensible. Elle dit beaucoup


de choses en même et très vite.

— Ok, Ok, calme-toi. Montons et tu m’expliqueras plus


lentement ce qu’il t’arrive.

Nous pénétrons mon appartement, mais restons non loin de


la porte.

— Oui, je t’écoute.
— Je ne veux pas avorter.
— Pardon ? Je ne veux pas de cet enfant.
— Vous n’êtes pas obligé d’assumer. Je vais le faire toute
seule. Mais je vous en supplie, aidez-moi. Je ne peux pas
retourner chez ma tante avec cette grossesse. De toutes les
façons, elle me foutra à la porte. De plus, mon oncle me
harcèle sexuellement. Il veut abuser de moi. Je veux
prendre ma vie en main. Je veux m’éloigner de tout ce qui
pourrait détruire ma vie.
Elle se met à genou.

— Tout ce que je vous demande, c’est de me garder ici en


tant que votre domestique pendant trois mois et avec mon
salaire que je vais économiser durant ces trois mois, je m’en
irai loin de vous et vous ne me verrez plus jamais. Ni moi
ni le bébé. Je ne sais pas encore si je vais le garder ou le
donner à un orphelinat, mais j’ai réellement besoin d’argent
pour reprendre le cours de ma vie. Aidez-moi, je vous en
supplie. Juste trois mois.

La voir si désespérée et en larmes me brise intérieurement.


C’est ma faute tout ça. Si je ne l’avais pas… violée, sa vie
n’aurait pas éclaté ainsi dans tous les sens.

— Écoute, je ne peux pas prendre de décision tout de suite.


J’ai besoin de réfléchir. Laisse-moi jusqu’à demain. Tu
peux néanmoins passer la nuit ici.
— Merci beaucoup monsieur.

Je la laisse là et me rends dans ma chambre. Cette histoire


est en train de prendre une tournure qui me déplaît. Elle
veut que je la garde chez moi durant trois mois. Ce qui veut
dire que je vais devoir subir les premiers mois de la
grossesse. C’est une mauvaise idée. En même temps, je me
sens obligé de l’aider. Je pousse un soupir et me laisse
tomber sur mon lit. Je vais d’abord reposer mon esprit et à
mon réveil on verra.

Je suis réveillé en sursaut par des bruits provenant du salon.


Je sors rapidement voir. Boya sort de la cuisine au même
moment.

— Mais qui cogne ainsi comme un sauvage ?

J’ouvre la porte et la tante de Boya entre en me poussant


littéralement.

— Elle est où ? gueule-t-elle.


— C’est quoi ces manières, madame ?

Elle voit Boya et balance un gros sac déchiré à ses pieds.

— Puisque tu ne veux pas te faire avorter, tu quittes ma


maison parce que je n’ai ni l’argent ni le temps pour
m’occuper d’un enfant sans père.
— Madame, calmez-vous s’il vous plaît. Il s’agit de votre
nièce. Vous ne pouvez pas la foutre dehors.
— Et vous, si vous aviez pris vos responsabilités, nous n’en
serions pas là. Tant qu’elle gardera cette grossesse, je ne
veux pas la voir chez moi. Je vous laisse gérer sa grossesse
et son SIDA. Bonne chance à votre bébé sidéen.

Elle ressort et claque la porte. Qu’a-t-elle dit à la fin ? Elle


a parlé de SIDA ?

— Que voulait-elle dire par sida ? je demande à Boya en


me tournant vers elle.
— Monsieur… je…

Elle recule. Je vois par terre une boite qui s’est échappée du
sac en mauvais état. Je la ramasse et je sens aussitôt mes
tempes battre.

— Ce sont des ARV ?


— Monsieur ! murmure-t-elle en reculant de nouveau.
— Tu as le sida ?
— Monsieur ! pleure-t-elle cette fois.
— ES-TU SÉROPOSITIVE ???
— Ou… oui, monsieur !

Je laisse la boite tomber.


— Quoi ? Et tu ne m’as rien dit alors que j’ai couché avec
toi sans protection ?
— Monsieur !

Je la saisis à la gorge et la plaque contre le mur.

— Donc tu voulais te venger ?


— Non, monsieur !
— C’est pour cela que tu es revenue ? Pour t’assurer que
j’ai réellement chopé cette sale maladie tout simplement
parce que j’ai refusé cette grossesse ?
— Non, monsieur ! Je…
— Tu dégages maintenant de ma maison.

Je la libère et ramasse mes clés.

— Monsieur, je vous en supplie, ne me faites pas ça.


— Je vais à l’hôpital faire mon test. À mon retour, je ne
veux plus te voir. Tu ne touches à rien. Je ne veux pas que
tu infectes quoi que ce soit dans ma maison. Prie pour que
je ne sois pas infecté sinon je te pourrirai la vie.
Je sors et claque la porte. Je n’ai pas le temps d’attendre
l’ascenseur alors je m’aventure dans les escaliers. J’entends
Boya me courir après.

— Monsieur, je vous en supplie, ne me mettez pas à la


porte. Je n’ai nulle part où aller.
— Ce n’est pas mon problème.
— Je ne vais pas…

Un cri me fait tourner la tête. Avec horreur, je vois Boya


dégringoler dans les escaliers.

— Merde ! Boya !

Elle finit inconsciente près de moi.

— Elle a perdu le bébé. Et non, tu n’as pas le VIH/SIDA.


J’espère qu’encore une fois tu es satisfait ?

Laurence sort de son bureau tout furieux. Je pousse un


soupir. Pourquoi les choses se passent-elles toujours aussi
mal ? Je n’ai jamais voulu faire de mal à cette fille. J’ai
l’impression de n’enchainer que de mauvaises décisions.
Pourtant dans ma tête ça semblait si simple. Pourquoi faut-
il que tout se complique à chaque fois ?

Il est 1 heure du matin quand Boya se réveille. Je m’assieds


dans le fauteuil près de son lit. À peine elle me regarde
qu’elle baisse les yeux.

— Tu as… perdu le bébé.


— Ok. Je suis désolée de ne vous avoir rien dit sur mon état
de santé. J’étais trop préoccupée à me remettre
émotionnellement de ce que j’avais vécu avec vous cette
nuit-là.

Je baisse les yeux de honte. Mais j’ai eu le temps de la voir


s’essuyer les yeux.

— Pouvez-vous, s’il vous plaît, demander à ma tante de


venir me chercher ?
— Tu veux retourner chez elle ?
— Maintenant qu’il n’y a plus de grossesse, elle
m’acceptera et la vie reprendra son cours. Je n’ai nulle part
où aller de toute façon.
— Mais… tu m’avais parlé de ton oncle qui te harcelait
sexuellement.
— Je vais gérer.
— Tu vas gérer ? Je répète, piqué au vif. Tu ne pourras rien
gérer. S’il veut te faire du mal, il le fera que tu le veuilles
ou non.

Je me lève nerveusement et lui tourne dos pour essayer de


me maitriser. Je lui refais face.

— Tu m’avais demandé exil pour trois mois durant lesquels


tu économiserais ton salaire. Je suis toujours partant pour
ça.
— Mais, vous aviez dit…
— Je sais ce que j’ai dit, dis-je en me rasseyant. Mais c’est
de ma faute si tu te retrouves dans cette situation et le
minimum que je puisse faire, c’est de t’aider. Voici ce que
nous allons faire. Au lieu de soixante-dix mille FCFA
comme salaire habituel, je t’en donnerai cent, pour qu’avec
les trois cent mille que tu auras à la fin, tu puisses te prendre
une petite maison et t’ouvrir un commerce qui te permettra
de subvenir à tes besoins.
— Vous… vous êtes sérieux ?
— Oui. Je dois me racheter, car j’ai mis du bordel dans ta
vie.
— Oh mon Dieu ! Merci monsieur.

Elle essaie de se relever, mais en est dissuadée par une


douleur au ventre.

— Non, reste couchée. Tu n’as pas à me remercier.


Maintenant, repose-toi. Tu pourras rentrer en journée.
— C’est compris monsieur.

Nous sommes libérés à dix heures du matin. Nous arrivons


à la maison et avec surprise, je vois Martine.

— Bonjour, chéri, me salue-t-elle en venant m’embrasser.


Où étais-tu passé ? Je suis là depuis huit heures.
— J’avais une urgence à gérer.
— Avec Boya ? demande-t-elle en regardant cette dernière
qui part vers la cuisine après avoir salué sa patronne.
— Nous nous sommes rencontrés en bas. Que fais-tu là de
si bonne heure ?
— Je n’ai plus le droit de revenir chez moi ?
— Si. Je suis heureux de te revoir. Tu m’as manqué.
— Toi aussi.
Elle capture mes lèvres sensuellement.

— J’ai envie de toi, me susurre-t-elle.


— Moi aussi. Devance-moi dans la chambre. Je vais boire
un verre rapidement.
— Ok. Fais vite.

Il m’embrasse encore avant de s’en aller. Je retrouve Boya


assise dans la cuisine. Elle se lève rapidement dès qu’elle
me voit.

— Boya, j’aimerais que tout ce qui s’est passé reste entre


nous. Je ne veux pas que ma fiancée l’apprenne.
— C’est compris, monsieur. Je ne dirai rien.
— C’est bien.
— Pourrais-je prendre une douche s’il vous plaît ?
— Oui. Tu vis dorénavant ici donc la douche des visiteurs
est à toi. Tu occuperas la seconde chambre.
— D’accord, monsieur. Encore merci !

Je fais un léger oui de la tête. Nous échangeons un dernier


regard avant que je ne parte rejoindre Martine dans notre
chambre.
5

DEUX MOIS ET DEMI PLUS TARD

***STEPHEN

Est-ce possible de se sentir gêné en présence d’une


personne qui vit sous son toit ? Ces dix semaines m’ont
semblé pénibles. Précisément, depuis cette nuit où j’ai
surpris Boya en train de pleurer dans la cuisine. Je m’en
suis voulu d’avoir mis le chaos dans sa vie. Elle n’était
peut-être pas parfaite, mais j’y ai ajouté des problèmes et
de la pire des manières. Sincèrement, j’ai hâte que ce
troisième mois s’achève pour qu’elle s’en aille. Le fait de
prendre sa vie en main la rendra sans aucun doute heureuse.
Et moi, le fait de ne plus la voir me fera oublier cet épisode
noir de viol. Je me suis terriblement senti coupable cette
nuit en l’entendant pleurer. Depuis, j’ai du mal à la
regarder. De ce que Martine m’a dit, elle a eu dix-sept ans
le mois passé. Encore une raison de me sentir plus minable.
J’ai violé une petite fille de seize ans. D’ailleurs, que fout-
elle à faire la servante alors qu’elle devrait être à l’école ?

— Tout va bien, Stephen ?


Je baisse les yeux sur Josiane qui s’évertuait à m’astiquer
le sexe. Je ne prends pas plaisir en ces choses. Je prends
uniquement plaisir quand c’est moi qui domine. Je l’ai
laissé faire parce que j’étais épuisé physiquement après
cette première partie de sexe rude.

— À quoi penses-tu ?
— Rien ! Je dois rentrer. Je suis épuisé.
— Je ne te suce pas bien ?
— C’est moi qui ne suis pas disposé à ça.
— Oui, je sais. Tu prends uniquement ton pied quand c’est
brutal. Mais là, j’ai mal partout. Une deuxième partie me
tuerait.
— Je vais rentrer. Je n’ai plus la tête à tout ça. On se voit
demain.

Je remonte mon jean, récupère mes clés et je pars de chez


elle. Avec Josiane, je reçois toujours satisfaction de nos
parties de jambes en l’air. Elle me laisse faire d’elle tout ce
que je veux. Martine également a fait des efforts. Elle
n’essaie plus de me résister, mais ça se voit qu’elle en
souffre, ce qui me retient de tout le temps la toucher. Avec
Josiane, c’est n’importe quand et n’importe où. Elle est
toujours prête pour moi et c’est pour cette raison que j’ai
fait d’elle uniquement mon plan B. Si avec Martine ça ne
marche pas, je pourrai toujours me rabattre sur Josiane,
même si en dehors du sexe nous n’avons quasiment rien à
nous dire. Dès l’instant qu’elle me laisse me défouler sur
elle, ça me va.

Je retrouve à la maison Martine qui dresse la table à


manger.

— Salut toi, je la salue en l’embrassant.


— Bienvenue ! Ta journée a été ?
— Oui, et la tienne ?
— Éreintante, mais ça va. Le diner est prêt. On peut passer
à table.
— Laisse-moi le temps de prendre une douche.

Je vais me doucher et je reviens la rejoindre. Nous nous


mettons à table. Durant le diner, un détail me saute aux
yeux.

— Elle est où Boya ? demandé-je à Martine. Je ne l’ai pas


vue depuis mon arrivée.
— Elle ne se sent pas très bien depuis ce matin. Une
migraine qui la dérangeait. Je lui ai dit de se reposer.
Demain elle ira beaucoup mieux.
— Vous n’êtes pas parties voir Laurence ?
— C’est juste une migraine. Elle a pris des calmants. Si
demain ça persiste, nous irons en consultation.

Je reste pensif le reste du diner. Est-ce que son état a un


rapport avec son statut sérologique ? Je sais que les porteurs
du virus du sida ont tendance à beaucoup tomber malades
à cause de leur système immunitaire très faible. Je n’en ai
pas parlé à Martine pour éviter qu’elle la traite de façon
différente parce que oui, même si Boya a le sida, elle est
comme tout le monde.

Je regarde Martine qui a fini par s’endormir dans mes bras.


Ne parvenant pas à dormir, je retire délicatement mon bras
en dessous d’elle et je me rends dans la cuisine me prendre
un verre d’eau. En passant j’ai aperçu de la lumière dans la
chambre qu’occupe Boya. Je bois mon eau et retourne sur
mes pas. Je m’arrête devant la chambre en réfléchissant. Je
souffle et reviens sur mes pas. Je cogne à la porte de la
chambre de Boya. Je cogne doucement pour ne pas la
réveiller au cas où elle dormirait. Après deux petits coups,
je déduis qu’elle dort. Je tourne dos quand la porte craque.
Je me retourne de nouveau.

— Monsieur ?
— Je suis désolé, je ne voulais pas te réveiller.
— Je ne dormais pas, dit-elle en baissant les yeux.
— Ta patronne m’a dit que tu n’étais pas très en forme.
— Oui, monsieur. Mais je vais mieux maintenant.

Elle fait un mouvement et je remarque quelque chose


derrière elle. Je m’avance et rentre légèrement dans la
chambre. C’est ma première fois d’y mettre les pieds depuis
qu’elle l’occupe.

— Tu dors par terre ? je lui demande, perplexe.


— Oui, monsieur, répond-elle la tête baissée.
— Mais, il y a un lit pourtant.
— C’est la chambre de vos invités donc aussi leur lit.
— Mais tu peux y dormir et s’il y a des amis, on n’aura qu’à
changer les draps.
— Mais je peux risquer de les… contaminer.
— Les contaminer ? Mais qui t’a dit que… bref, tu ne
contamineras personne. Tu peux t’y coucher.
— Merci, monsieur. Mais je suis très à l’aise par terre.
Je veux l’en dissuader, mais je ne veux rien lui imposer.
Avant de sortir, je remarque un cahier et un stylo posés sur
le pagne étalé par terre. On aurait dit un journal. Je lui
souhaite une excellente nuit et je retourne me coucher près
de Martine.

*Mona
*LYS

Nous sommes samedi après-midi et ayant fait une demi-


journée, je suis à la maison avec Martine en train de
regarder un programme télé. Je discute également par
WhatsApp avec Josiane et un vieux pote, nommé Ryan,
rencontré en France. Il est architecte dans une grande boite
(cf. Ami-Amour).

Mon regard est attiré par Boya qui rapporte un plateau


contenant des verres et un carton de jus de fruits. Je la scrute
puis quand elle tourne la tête vers nous quand Martine lui
donne des instructions, je baisse les yeux sur mon portable.
Je les relève quand elle détourne la tête. Je la scrute
attentivement jusqu’à ce qu’elle disparaisse dans la cuisine.
— Tu es sûre qu’elle peut travailler ? je demande à Martine.
— Oui ! Elle a dit qu’elle pouvait.

Elle me tend un verre de jus dont je bois une gorgée avant


de le lui remettre. Elle se couche ensuite sur mon buste en
le caressant doucement.

— Bébé ?
— Hum ?
— Nous tendons vers nos trois ans de relation. Tu ne crois
pas que nous devons la rendre plus officielle ? Je vis avec
toi depuis deux ans sans que mes parents te connaissent. Et
si tu allais te présenter ? Faire le kôkôkô.

Je l’ai senti hésiter sur sa dernière phrase.

— Pas de souci.
— Quoi ? Tu es sérieux ? demande-t-elle toute surprise en
se relevant.
— Oui ! On pourrait le faire le week-end prochain si tu
veux.
— Vraiment ? sourit-elle. Je ne pensais pas que tu
accepterais. Merci beaucoup, mon amour. Je vais tout de
suite le dire aux parents.
Elle m’embrasse et s’éclipse avec son portable en main.
Laurence a raison, je crois qu’il est temps que je me pose.
J’appelle moi aussi Laurence pour l’en informer et lui
demander de m’accompagner. Nous aurons beau nous
disputer, nous nous reparlerons toujours. Il est mon unique
frère. Je ne vois pas de raison de lui faire la tronche
longtemps.

***MARTINE

— Je t’avais bien dit qu’il changerait. Avant, il n’aurait


jamais accepté de venir voir les parents. Mais aujourd’hui,
il est prêt à entamer une relation sérieuse avec moi. J’ai dit
à papa de lui parler de la dot.
— Tu es vraiment convaincue de te marier avec cet homme
avec tout ce que tu vis déjà à ses côtés ? Pas plus tard que
la semaine dernière, tu m’as appelée, toute déprimée, parce
que Stephen voyait régulièrement une seule et même fille,
ce qui signifierait que leur relation soit sincère.
— Oui je sais. Et je sais aussi qu’il va changer une fois
marié.
— Qui a dit que le mariage changeait un homme infidèle ?
Un homme qui ne peut pas t’être fidèle pendant vos
fiançailles ne le sera jamais après le mariage. Arrête de te
leurrer.
— Il changera. La preuve, depuis mon retour, il n’a pas levé
la main une seule fois sur moi. Petit à petit, il deviendra un
homme meilleur.
— Si tu le dis.

Ma petite sœur vient m’informer que notre père demande à


me voir. Je me rends donc dans le salon où se tient la
rencontre entre mes parents et Stephen qui est venu,
accompagné de son cousin Laurence. J’échange un sourire
avec mon homme en allant m’asseoir près de mon père.

— Ma chérie, cet homme dit qu’il est ton homme et qu’il


veut demander ta main.
— Oui, papa, je réponds tout sourire.
— Tu veux donc qu’on lui remette la liste de la dot ?
— Oui, papa.
— C’est compris. Je vais en informer tes oncles et nous
vous ferons signe.
— Merci papa.

Mon père fait signe à la servante de récupérer les présents


rapportés par Stephen et nous passons à table. Je suis
heureuse de constater la bonne ambiance qui règne autour
de cette table en ce moment. Stephen a l’air si décontracté.
Ma mère a l’air également heureuse pour moi. Après le
déjeuner, Stephen et son frère demandent la route. Je vais
les raccompagner jusqu’à leur voiture.

— On se revoit à la maison ? me demande-t-il.


— Oui ! À ce soir.

Je l’embrasse et le laisse s’en aller. Je me sens tellement


heureuse de l’évolution de notre relation. Je sais que nous
ferons davantage. Je dois continuer à être douce et patiente.

Je jette un coup d’œil à mon portable et je vois écrit "1:25".


Encore une nuit où il rentre tard. Je suis prête à parier qu’il
était avec l’autre conasse de Josiane. Oui, je connais son
nom. J’ai fouillé le portable de Stephen et je vois
absolument tout. Lui, il la veut juste pour le sexe, mais elle,
elle en veut plus. Je sens d’ailleurs qu’elle me provoque
parce qu’elle laisse à chaque fois des traces d’elle sur lui.
Soit du rouge à lèvres sur sa chemise, soit son dessous dans
sa poche ou pire, elle le bombarde d’appels quand il est à la
maison. Elle commence sérieusement à m’énerver.
Connaissant mon homme, je sais qu’il finira par se lasser
d’elle. Mais, elle n’a pas l’air de vouloir le lâcher. Je crois
donc qu’une petite rencontre s’impose. Je sais où elle
travaille et où elle vit. Je lui rendrai une petite visite chez
elle.

Stephen prend une douche et se met au lit. Il s’endort


aussitôt. Son portable signale un message WhatsApp. Je
vérifie qu’il dorme profondément et je récupère son
portable. Je le déverrouille et dès que j’ouvre le message,
c’est une foufoune qui me saute aux yeux. Cette pétasse est-
elle sérieuse ? Ils viennent à peine de se quitter qu’elle lui
envoie une vidéo d’elle en train de se masturber. Je pose le
portable et me recouche en réfléchissant à comment lui
régler son cas.

Au réveil, le matin, je reste toujours le plus naturel possible.


Il n’a pas besoin de savoir que je sais tout de son aventure.
C’est moi qu’il va bientôt doter donc je n’ai pas à faire des
crises de jalousie.

— Au fait bébé, le départ de Boya est prévu dans deux


jours.
— Ah bon, déjà ? s’étonne-t-il en mettant les boutons de sa
chemise.
— Oui. Et c’est vraiment dommage qu’elle doive partir.
Elle travaille si bien. Il me sera difficile de trouver une fille
comme elle.
— Tu trouveras. Bon, je dois y aller.

Il m’embrasse, prend son sac d’ordinateur et sort de la


chambre. Je finis de me préparer à mon tour pour le travail.
Je passe ma journée dans l’impatience. Cette fille descend
de son travail à 18h. Quand l’heure approche, je me rends
à son lieu de travail et je me tiens à la devanture à l’attendre.
Je la vois sortir la minute qui suit.

— Bonsoir, mademoiselle ! je la salue en me plaçant sur


son chemin.
— Oui, bonsoir, répond-elle en reculant.
— C’est vous Josiane ?
— C’est pourquoi ?
— Je suis Martine. La fiancée de Stephen.
— Ah !
— Oui, ah ! Je ne vais pas passer par quatre chemins. Je
veux que tu t’éloignes de mon homme.
Elle a un petit rire qui ne m’empêche pas d’aller au bout de
ma mission.

— Je sais que vous couchez ensemble et que tu le harcèles


littéralement pour qu’il rende votre relation plus sérieuse
pendant que lui ne voit en toi qu’un vagin sur pattes.

Elle rit de nouveau.

— Je veux que tu restes loin de lui.


— Va donc le lui dire, parce que c’est lui qui m’appelle
chaque soir pour que je le détende avant qu’il n’aille dormir
auprès de toi. Si tu ne peux pas détendre ton homme, dis-
moi donc ce que tu fous près de lui ?
— Il n’y a pas que le sexe dans notre relation. Et puis je
n’ai pas de compte à te rendre. Reste juste loin de lui. Il
m’appartient. Nous allons très bientôt nous marier.
— Tu l’as bien dit. Vous allez bientôt, bientôt, vous marier.
Tant que ce n’est pas le cas, je le considère comme un
homme libre. Nous pouvons donc le lutter et la meilleure
gagnera.
— Tu veux me défier sur mon mec ? je lui demande en
m’approchant dangereusement d’elle.
— Ma chérie, ne me provoque surtout pas. Je n’ai pas peur
de me battre. Si tu ne veux pas qu’on s’approche de ton
homme, attache-le à la maison. Sinon quand il sort, il est à
moi puis quand il rentre il est à toi.
— Pourtant quand il rentre, tu le bombardes de messages.
À propos, j’ai tes nudes. Si tu ne restes pas loin de lui, je
les balance sur la toile. Je suis prête à faire n’importe quoi
pour protéger mon couple.
— Tes menaces ne me font pas peur. Fais ce que tu veux.
Retiens seulement que je sais me battre.
— Je t’aurais prévenue.

Je lui tourne le dos, arrête le premier taxi et quitte les lieux.


J’arrive à la maison avant Stephen. Je vais jeter un coup
d’œil au diner préparé par Boya avant d’aller me prendre
une douche et attendre mon homme. Je sais que cette
gourde lui fera le compte rendu. Je suis donc prête à me
défendre. Il entre dans la chambre, me salue du bout des
lèvres et s’éclipse dans la salle de bains. Je regarde son
portable et une idée me traverse l’esprit. J’ai décidé de ne
plus faire d’histoire pour éviter de me faire bastonner. Cela
n’empêche pas que j’agisse en secret. Je déverrouille le
portable et me rends dans son répertoire. Je cherche le
numéro de l’autre conasse et le bloque. Je repose le portable
et je retourne au salon. Une vingtaine de minutes après,
Stephen apparait, tout beau, tout propre, tout séduisant et
sentant agréablement bon.

— Tu ne restes pas diner ?


— Non. Ne m’attends pas pour te mettre au lit.

Il continue son chemin, mais revient tout à coup sur ses pas.

— Au fait, c’est la dernière fois que tu touches à mon


portable pour bloquer un quelconque numéro.

Mince ! Il l’a su.

— Si tu veux menacer la terre entière, c’est ton problème.


Mais tu ne fourres pas ton nez dans mon portable, sinon je
ne répondrai plus de rien. J’espère avoir été clair.

Me voici, toute honteuse, le regardant s’en aller. Je prends


sur moi et je prends mon diner toute seule.

***BOYA

— Boya !
Je sursaute en me retournant. Je baisse les yeux en voyant
mon patron, arrêté devant moi.

— Oui, monsieur !
— Voici ta dernière paye. J’y ai ajouté vingt mille pour ta
compétence.
— Merci beaucoup. Infiniment merci.

Je lui aurais attrapé ses pieds si je n’étais pas si intimidée


par lui. Il me tend l’enveloppe contenant l’argent et il sort
de la cuisine. Je l’entends sortir de la maison. Je retourne à
ma vaisselle, encore plus heureuse. Enfin, je pourrai
prendre ma vie en main. Je continue mes travaux en
chantant à cœur joie. J’ai trois cent mille rien que pour moi
seule. J’ai déjà une idée de tout ce que je pourrais faire avec
cet argent. Je pars dans deux jours. J’ai déjà payé la caution
d’une petite maison rien que pour moi. J’ai également
pensé au commerce que je vais faire. Tout est bien calé dans
ma tête.

La sonnette retentit à répétition. Je pars vite voir en me


disant que c’est mon patron qui a certainement oublié
quelque chose. Mais quelle n’est pas ma surprise en voyant
ma tante devant la porte.

— Tantie ?
— Donc toi, parce que j’ai mis tes bagages dehors, tu ne
veux pas venir demander pardon pour revenir ? Attends que
je rentre. Il est où ton patron ?
— Tantie, pardon. Ma patronne est là. Elle ne sait pas tout
ce qui s’est passé ?

Elle me scrute de la tête au pied puis inversement.

— On peut être à l’aise dans la maison de son violeur


comme ça ? Regarde comme tu as grossi. Au fait, j’ai tout
compris. Toi et ton patron vous avez fait un coup pour que
tu puisses quitter notre maison. Donc vous couchez
ensemble ?
— Tantie, pardon. Ma patronne est là. Elle ne doit pas
entendre ça.
— Donc tu confirmes ? hurle-t-elle. Tu couches vraiment
avec ton patron ?

— Qui couche avec qui ?


Je sursaute en entendant la voix de ma patronne. La porte
de la maison s’ouvre sur mon patron. Je m’attrape la tête.

— Voilà, tout le monde est là, continue de hurler ma tante.


Nous allons tirer toute cette histoire au clair.
— Tantie, pardon, ne fais pas ça, je la supplie en pleurant.
— Madame, votre mari et ma nièce se sont foutus de mon
mari et moi. Ils ont couché ensemble et elle est tombée
enceinte.
— Quoi ? s’écrie, choquée, ma patronne.
— Et ils se sont arrangés pour qu’elle quitte ma maison
pour venir vivre ici.

Ma patronne passe son regarde de son mari à moi. Mon


patron agrippe le bras de ma tante.

— Ça suffit, dégagez de chez moi !

Il la tire de force vers la porte.

— Madame, méfiez-vous d’elle sinon elle va vous


distribuer le SIDA.

Mon patron sort avec ma tante.


— Boya ! C’est ce que tu me fais après tout le bien que je
te fais ? En plus, tu as le SIDA ? Tu couches avec mon mari
et tu es enceinte de lui ?
— Madame, ce n’est pas comme ça que…

Je n’ai pas le temps de finir ma phrase que je reçois un vase


en plein visage. Je sens une déchirure sur mon front. Avant
que je puisse reprendre mes esprits, je suis projetée au sol
violemment et les coups commencent à pleuvoir sur moi.
6

***STEPHEN

La dame se débat pendant que je la trimballe dans les


escaliers.

— Laissez-moi ! Je dois récupérer ma fille.


— Elle n’ira nulle part avec vous. Dégagez de chez moi !

Elle se dégage quand nous arrivons au rez-de-chaussée.

— Je vais venir avec la police, me menace-t-elle.


— Et je serai ravi de porter plainte contre votre mari pour
harcèlement sexuel et attouchements sur mineure.
— Mon mari ? Harceler une mineure ? C’est quoi tous ces
mensonges ?
— Si vous étiez moins préoccupée à vos propres intérêts,
vous auriez remarqué que votre mari harcèle votre nièce.
— C’est elle qui vous a raconté ce mensonge ? Tout ça pour
avoir votre pitié ? Je savais que cette petite n’avait pas un
bon esprit. Elle veut maintenant détruire mon foyer après
que je l’ai acceptée avec sa maladie malgré le refus de mon
mari ?
— Arrêtez de la cataloguer avec cette maladie. C’est
inhumain. Je m’assurerai qu’elle ne remette plus les pieds
chez vous.
— Étant encore mineure, elle est sous mon autorité.
— Ouais, c’est ça. N’importe quoi !

Je lui tourne le dos et je retourne à mon appartement. En


me rapprochant de la porte, j’entends des cris depuis
l’intérieur. J’entre avec fracas et le spectacle sur lequel je
tombe me glace le sang. Martine se tient au-dessus de Boya
et la roue de coups.

— Merde, Martine !

Je la soulève de force, mais elle me mord et retourne sur


Boya. Je la saisis de nouveau. Cette fois, elle se dégage et
me pousse.

— Va te faire foutre, Stephen. Comment as-tu pu me trahir


de la sorte ?
— Calme-toi ! Je vais tout t’expliquer.

Je vois Boya qui se rassoit difficilement avec le visage en


sang et inondé de larmes. Je me précipite vers elle.
— Bordel ! Martine, tu l’as blessée.
— Oui, et je vais encore la blesser.

Elle fonce sur nous, mais je la retiens avant que son coup
ne puisse toucher la petite. Finalement, c’est sur moi qu’elle
se met à se déchaîner. Elle me donne deux claques. La
colère commence par me monter au nez.

— Calme-toi ou je ne réponds de plus rien.


— Fais ce que tu veux, Stephen. Que vas-tu faire que tu ne
m’as jamais fait ? Tu es tombé bien bas en couchant avec
une boniche. Je l’ai prise comme une petite sœur et elle en
retour, elle baise avec mon mari. J’ai trop mal. Je vais la
tuer.

Elle veut aller encore contre Boya. J’essaie de nouveau de


lui faire entendre raison, mais elle est comme folle. Elle se
met à me donner des coups et réussit à donner un coup dans
le ventre de Boya. Cette fois, je perds patience. Je la saisis
par la gorge et la projette au sol. À mon tour, je me mets à
la rouer de coups. Le problème c’est que lorsque je
commence, je ne sais plus m’arrêter. Je suis à chaque fois
animé d’une rage sans nom qui m’oblige à cogner encore
plus fort.

— Monsieur, je vous en supplie, arrêtez.

Les supplications et les pleurs de Boya ne m’arrêtent pas.


Je continue d’infliger une bastonnade à Martine qui se
débat tant bien que mal. Je sens tout à coup deux bras forts
m’encercler la taille et me soulever pour ensuite me jeter
dans l’un des fauteuils. Je me retourne et je vois Laurence.

— TU M’ARRÊTES TES SAUVAGERIES,


MAINTENANT, me hurle-t-il dessus.

Il a l’air furieux et le fait qu’il m’ait interrompu me met


deux fois plus en colère.

— Jusqu’à quand vas-tu continuer à laisser vivre ce démon


en toi ? Va te faire soigner.

L’entendre encore me parler de me faire soigner accentue


de plus en plus la rage qui me comprime la poitrine. Je me
lève et fonce sur lui. Il me repousse. Je reviens à la charge
et lui envoie une droite. Il titube. Je lui envoie une autre
droite. Je veux enchaîner un troisième coup, mais il
l’esquive et m’envoie une droite qui me fait tomber de
nouveau dans le fauteuil. Je grogne, me relève et lui rentre
dedans. Je le pousse jusque sur la table à manger sur
laquelle nous roulons avant de nous retrouver par terre.
Étant au-dessus de lui, j’en profite pour lui distribuer des
coups au visage. Il finit par prendre le dessus en me
renversant et à son tour, il m’envoie des coups violents au
visage également. Je bloque certains avec mes bras. Il
s’arrête et se relève. Nous nous regardons, complètement
essoufflés.

— Stephen, ça suffit ! me souffle-t-il. Il est temps de


t'arrêter.

Je balaye la pièce du regard. Tout est sens dessus dessous.


Boya est recroquevillée sur elle-même dans un coin de la
pièce, pleurant à chaudes larmes. Martine est allongée au
sol, bougeant faiblement. Je me suis une fois de plus
défoulé sur elle. La culpabilité mêlée à la rage me
comprime le cœur. Je me lève d’un bond, ramasse mes clés
et je sors telle une flèche sans répondre aux interpellations
de mon cousin. Je monte dans ma voiture et démarre telle
une furie. Plus les jours passent et moins je me reconnais.
Toute cette rage est en train de me tuer à petit feu. Je
deviens de plus en plus violent alors que je ne le veux pas.
C’est plus fort que moi.

Je cogne plusieurs fois sur le volant. Je suis tellement en


colère que je ne remarque pas le feu tricolore devant moi
qui est passé au rouge depuis un moment. Je veux freiner,
mais je perds subitement le contrôle de la voiture. Je
panique en voyant une remorque passer non loin devant
moi. J’appuie sur le frein, mais trop tard. Je rentre
violemment dans le gros camion.

« Je le vois entrer dans ma chambre au milieu de la nuit.


Dès que je l’aperçois, je m’assieds prestement. Je
commence à trembler comme une feuille.

— Tu m’as beaucoup manqué toute cette journée.

Il s’approche en détachant sa ceinture.

— Je t’en prie, ne me fais pas ça, le supplié-je en pleurant.


— Je ne vais pas te faire de mal. Tu sais que je t’aime.
Il se rapproche encore plus.

— Je t’en supplie ! Pas ça !

Il continue d’avancer et me voyant reculer sur mes fesses,


il m’attrape une jambe et me tire.

— NON ! NON !

Je commence à me débattre.

— Reste tranquillement.
— Non ! Je ne veux pas. Non, arrête !

Une lutte s’engage. Je me débats du mieux que je peux. »

— Stephen, réveille-toi !
— Non ! Pas ça !
— Stephen !
— Non, je t’en supplie !

Je veux me dégager, le repousser, mais je n’y arrive pas. Je


me sens comme immobilisé. Mon cou est également
bloqué. Je ne comprends pas ce qui m’arrive. Je le vois
s’approcher et j’ai de plus en plus peur.

— Au secours ! À l’aide ! Ne le laissez pas me faire du mal.


Aidez-moi !
— STEPHEN ! OUVRE LES YEUX !!!

Le cri me fait ouvrir les yeux. Je tombe sur les iris noires
de Laurence au-dessus de mon visage.

— Reste calme ! Ce n’était qu’un mauvais rêve.


— Non, aide-moi ! Il veut encore me faire du mal.
— Non, il ne te fera rien.

Je suis tout en panique. Je veux bouger, mais je n’y parviens


pas.

— Stephen, regarde-moi !

Je tourne les yeux sur ma tante qui s’assied près de moi.

— Tatie, aide-moi !
— Calme-toi ! me souffle-t-elle en me prenant la main. Il
ne te fera plus de mal. Je suis là. Je te protègerai contre eux
tous.
— Non, il va venir cette nuit. Il va…

J’essaie de bouger, mais je ne sens plus mes jambes.

— Pourquoi je n’arrive pas à bouger les jambes ? Et mon


cou ? Tatie, non ! Si je reste immobile, il m’aura. Non ! Je
dois me lever ! Non !

Je veux coûte que coûte me lever. Elle panique et appelle


son fils à l’aide. Laurence revient aussitôt dans la chambre
et mon corps est soudainement pris de tremblements. Je me
mets à convulser. Après, mon esprit s’éteint.

Je me réveille de nouveau, plus calme et affaibli. Ma tante


est endormie dans le canapé et mon cousin, assis près
d’elle, manipule son portable.

— Pourquoi je n’arrive pas à bouger ?

Il lève la tête et quand il me voit réveillé, il vient vers moi.


Il a des bleus au visage et un sparadrap sur le sourcil.
— L’accident a été violent. Tes deux jambes ont été
touchées. Nous avons dû les plâtrer, ainsi que ton bras droit.
Mais après le plâtre, il te faudra réapprendre à marcher.
— Je suis paralysé ?
— Tes jambes sont cassées. Mais si tout se passe bien, tu
pourras remarcher.
— Dans combien de temps ?
— Je ne saurais le dire.

Les larmes me brouillent la vue.

— Tu sais que je ne peux pas rester comme ça, dis-je en


pleurant. S’il vient et qu’il me voit si faible, il le fera.
— Il n’est pas là ! Il ne te fera rien.
— MAIS TU NE COMPRENDS ? hurlé-je de plus en plus
en proie à la peur. Je dois avoir toute ma mobilité pour
pouvoir le repousser.
— Tout se passe dans ta tête. Il est loin.

Ma tante, que mon cri a réveillée, nous rejoint. Son fils lui
cède sa place.
— Chéri, tu dois te faire soigner. Tu dois voir un
psychologue.
— Non ! Ce dont j’ai besoin, c’est de me lever et sortir
d’ici.

Je veux me lever, mais elle appuie sur mes épaules pour me


plaquer sur place. Je n’ai d’ailleurs pas la force de lutter. Je
me laisse seulement aller dans mes émotions.

— Regarde-moi, chéri !

Je pose mes yeux remplis de larmes sur elle.

— Je t’en supplie, laisse-toi te faire suivre par un


psychologue. Tu ne peux pas continuer ainsi. Tu ne peux
pas continuer à boire chaque soir avant de te mettre au lit
pour ne pas le voir venir te hanter. Tu ne peux pas continuer
à faire du mal à toutes ces femmes, soit pour prouver que
tu n’es plus faible ou parce qu’elles te rappellent ta mère.
Tu détruis ta vie sans le savoir. Tu finiras par te tuer ou tuer
quelqu’un.
Cette phrase me rappelle ma conversation avec le type dont
j’avais rayé la voiture. Était-ce ça l’événement douloureux
dont j’allais faire face ?

— Tu dois le faire pour toi-même, pour ton frère et pour


moi. Tu m’avais promis que tu me rendrais fière et que je
ne regretterais jamais d’avoir enfreint la loi pour toi.
Regarde-moi !

Je lève les yeux et en voyant la tristesse dans son regard, je


suis pris de honte. Cette dame ne mérite pas que je lui
inflige une telle douleur.

— Tu veux que je regrette de t’avoir secouru quand tout le


monde voulait te voir mort ?

Je fais difficilement non de la tête.

— Dans ce cas, accepte l’aide que ton frère te propose. Pour


l’amour du ciel.
— Si je le fais… je ne le reverrais plus ?
— Tu ne le reverras plus.
— Je… je le ferai. J’ai compris.
— Merci !
Elle pose un baiser sur mon front. Laurence a raison, j’ai
réellement besoin d’aide. Je le sens. Je tourne la tête vers
ce dernier.

— Laurence, je te demande pardon.


— J’accepterai tes excuses si réellement tu suis les séances
avec le psy.
— Je le ferai. Tu es mon unique frère. Je ferai tout pour
conserver notre si belle amitié. Tu as toujours eu raison. J’ai
besoin d’aide.
— Tu y arriveras. On y arrivera, ensemble.

Ma tante tire une feuille de mouchoir et me nettoie le


visage. Pourquoi diable cette femme n’est-elle pas ma
mère ?

— Comment va Martine ? je demande à Laurence.


— Elle est endormie dans une autre chambre. Tu l’as mise
dans un sale état. Tu devrais peut-être la laisser libre, le
temps pour toi de te débarrasser de tes vieux démons.
— Je crois que c’est le mieux à faire.
J’ai besoin d’être seul avec moi-même. J’ai besoin de guérir
avant de me lancer dans une relation sérieuse.

— Quelle heure fait-il ? je demande de nouveau.


— 23 heures.
— J’ai faim. Mais de grâce, épargne-moi vos repas de
clinique sans goût.

Il sourit.

— Ok. Je te rapporte quelque chose.


— Merci !

Ma tante se lève du lit et récupère son sac à main.

— Maintenant que tu vas plutôt mieux, je vais rentrer me


reposer. Mais demain la servante viendra avec de la
nourriture.

En parlant de servante.

— Laurence, peux-tu me rendre un service s’il te plaît ?


— Oui, quoi ?
— C’est à propos de Boya. Ramène-la-moi demain, je t’en
prie. Elle ne doit pas retourner dans sa famille.
— Pourquoi ?
— Elle subit des attouchements de la part de son oncle. Il
menace de la violer.
— Je vois. J’irai la voir très tôt demain.
— Merci !

***MARTINE

Je me fais examiner par Laurence sous la supervision de ma


sœur qui est arrivée tôt ce matin avec d’autres vêtements de
rechange.

— Comment va-t-elle ? s’inquiète ma sœur.


— Elle n’a rien d’alarmant, mais elle a besoin de repos. Je
vais lui prescrire des calmants en cachet pour les douleurs
et en pommade pour ses bleus. D’ici une semaine, elle sera
totalement sur pied.
— Comment va Stephen ? je demande malgré tout ce qui
s’est passé.

Ma sœur soupire d’exaspération. Laurence lui demande de


nous laisser seuls un instant. Elle le fait sans opposition.
— Martine, tu sais que je t’apprécie.
— Oui !
— Et c’est pour cette raison que j’aimerais te demander de
rester loin de Stephen pendant un moment.
— Je ne te comprends pas.
— Il me charge de te dire que vous ferez une pause tous les
deux. Il doit suivre une thérapie.
— Je peux être là pour lui. Pour lui apporter mon soutien.
— C’est vrai. Mais je te conseille de prendre du temps pour
toi. Pour te remettre physiquement et psychologiquement.
Vous avez tous les deux besoin d’une pause pour vous
consacrer à vous-même. Et si après, il estime qu’il a besoin
de toi, il viendra te trouver.
— Et s’il ne vient pas ? Tu sais qu’il n’est pas du genre à
faire le premier pas.
— Eh bien tu vas devoir passer à autre chose.
— Mais tu sais que je l’aime. Que je ne vois pas ma vie
sans lui !
— Certaines décisions sont difficiles à prendre, mais elles
sont salutaires. Cette rupture te sera salutaire, crois-moi.

Je suis certes en colère contre lui, mais je n’avais pas non


plus l’intention de mettre un terme définitif à notre relation.
— Donc c’est fini entre lui et moi ?
— Pour le moment, oui. On va dire, c’est une pause.
— Ok.

Je suis déçue, mais je vais utiliser ce temps de pause pour


me refaire sur tous les plans. J’ai foi que cette pause nous
sera bénéfique et permettra à notre couple d’aller beaucoup
mieux.

Laurence me libère et je rentre avec ma sœur chez elle. Elle


me sert un repas que j’ai du mal à avaler.

— S’il te plaît, mange. Tu ne vas pas te laisser déprimer


pour cet homme. Il ne te mérite pas.
— Ne parle pas de lui ainsi. Il est dans un état critique.
— Il l’a bien mérité. J’espère que tu vas suivre les conseils
de son cousin et rester bien loin de lui.
— Oui, mais j’irai le voir de temps en temps. En tant
qu’amie.
— Pff !
Elle débarrasse la table et se rend à la cuisine. Elle en
ressort quand on sonne à la porte. Je me détends dans le
divan en tirant un drap sur moi.

— Tu as de la visite, m’informe-t-elle en se dirigeant de


nouveau vers la cuisine.
— C’est qui ?
— Salut !

Je tourne les yeux et quand je vois Hermann, je me relève


rapidement en tentant de cacher mes bleus au visage à
l’aide de mes mèches.

— Salut, je lui réponds un peu gênée.


— Désolé de débarquer ainsi. Ta sœur m’a dit que tu ne te
portais pas très bien. Alors, je t’ai apporté de la glace et du
chocolat.

Il me tend le paquet qu’il tenait.

— C’est gentil de ta part. Tu n’étais pas obligé.


— Je sais. Je vais te laisser. Porte-toi bien.
— Merci !
Dès qu’il tourne le dos, ma sœur apparait.

— Pendant que tu te morfonds pour un homme qui ne


connait pas ta valeur, un autre ici te traite comme une reine.
Tu m’énerves tellement. Tchrrr !

Elle disparaît de nouveau dans la cuisine. Je me recouche


et mes pensées s’envolent vers Stephen. J’espère qu’il se
rétablira assez vite.

***BOYA

J’ai rangé toutes mes affaires et depuis hier j’attends des


nouvelles de mon patron qui a fait un très grave accident.
Après sa sortie précipitée, son frère a d’abord appelé la
sœur de madame pour qu’elle la conduise dans sa clinique
à lui puis il est sorti pour essayer de rattraper monsieur. Il a
appelé madame quelques minutes plus tard pour l’informer
du grave accident de son mari. Je suis restée à la maison à
prier qu’il ne meure pas. Jusque-là, je n’ai pas eu de
nouvelles. J’ai tellement peur qu’il n’ait pas survécu.
Malgré tout ce qui a bien pu se passer, je continue de
ressentir de l’affection pour lui. C’est un homme bien à
l’intérieur. Seulement il laisse trop la colère le contrôler.
Bref, je dois m’en aller avant que madame ne rentre. Elle
ne doit pas me trouver chez elle, sinon cette fois-ci elle me
tuera. Je serai obligée de laisser la clé à l’agent immobilier
de l’immeuble dont le bureau est situé au premier. Je
marche vers la porte principale quand elle s’ouvre sur le
frère de monsieur.

— Bonjour, Boya.
— Bonjour, monsieur. Comment va mon patron ? S’il vous
plaît, dites-moi qu’il n’est pas mort.
— Non, il n’est pas mort.
— Merci, Jésus, dis-je doucement dans un soupir de
soulagement.
— C’est d’ailleurs lui qui m’envoie. Tu partais quelque
part ?
— Je retournais chez ma tante. Je ne veux pas causer de
problème.
— Ton patron veut que tu viennes à l’hôpital avec moi. Il
veut te parler.
— Moi ? fais-je surprise.
— Oui ! Mais d’abord, aide-moi à lui préparer un sac. Il
aura besoin de vêtements de rechange.
— D’accord, monsieur.
Nous nous rendons dans la chambre de mon patron, lui
préparer des affaires et nous nous en allons. Je suis
tellement anxieuse. Je me demande de quoi il veut me
parler. J’espère qu’il ne va pas me faire payer le mauvais
comportement de ma tante. J’espère surtout qu’il ne va pas
reprendre tout l’argent qu’il m’a remis.

Je suis conduite à sa chambre. Quand je le vois allongé dans


cet état, des larmes me montent aux yeux.

— Monsieur ! dis-je dans un sanglot. Je suis tellement


désolée. C’est ma faute tout ça. Je vous demande pardon.
— Boya, arrête de pleurer. Je ne t’ai pas fait venir pour ça.
Essuie tes larmes.

Je me reprends.

— Je t’ai fait venir pour te poser une question. Cette


histoire de harcèlement de ton oncle, c’est vrai ?
— Oui, monsieur. Il y a même déjà eu des frottements
jusqu’à ce qu’il éja…

Je baisse les yeux et il comprend.


— Je vais prendre le risque de t’aider, alors j’aimerais être
sûr que tu ne me mènes pas en bateau.
— Je vous l’assure, monsieur. Je ne vous ai jamais menti.
— Ok. Voici ce que nous allons faire. Tu vas encore rester
le temps que je me rétablisse un peu mieux et je verrai
comment t’aider. Tu peux continuer à travailler pour moi et
tu seras toujours payée.
— Non, monsieur. Je ne veux pas créer de problème avec
madame. Il est préférable que je parte. Je vais me
débrouiller, ne vous inquiétez pas.
— Si tu retournes en famille et que cet homme arrive à ses
fins, je me détesterais de ne t’avoir pas aidée alors que je le
pouvais. Tu vas donc rester chez ma tante pendant ce temps
parce que ta tante compte revenir chez moi avec la police
pour te récupérer.
— C’est compris, monsieur. Merci infiniment. Est-ce
que… je peux rester ici, près de vous ?

Il fait légèrement oui de la tête. Je m’assieds dans le canapé,


heureuse et soulagée qu’il aille plutôt bien.
J’ai fini par m’endormir. Mais je suis réveillée par des
grognements. Je promène mon regard dans la salle et je vois
mon patron s’agiter dans son sommeil.

— Monsieur ? Vous allez bien ?

Il balance son bras valide en parlant.

— Non, lâche-moi ! grogne-t-il. Non, ne me touche pas.


— Monsieur ? je l’appelle toute confuse.
— Non ! Non ! Va-t’en loin. NON !

Son cri me fait sursauter. Il s’agite de plus en plus. Je me


rapproche de lui pour essayer de le réveiller.

— Monsieur, réveillez-vous. Vous faites un cauchemar.

Je me place du côté de son bras valide pour essayer de le


réveiller, mais je regrette tout de suite quand je reçois un
violent coup à l’œil, m’arrachant un cri. Ça fait un mal de
chien. Je décide d’aller appeler quelqu’un quand tout à
coup, il se met à pleurer.
— Je t’en supplie, ne me fais pas ça. J’ai mal. Je t’en
supplie, papa.

Je vois ses larmes ruisseler sur ses joues. Puisqu’il est


moins agité, je décide de me rapprocher de nouveau.

— Monsieur, réveillez-vous. Ce n’est qu’un cauchemar.


— Il veut encore me faire du mal. Je t’en prie, aide-moi.

Toute tremblante, je pose ma main sur son épaule. Il


sursaute, mais n’ouvre toujours pas ses yeux.

— Monsieur, c’est moi, Boya. Ouvrez les yeux.


— Boya, je t’en supplie, reste près de moi sinon il me fera
encore mal.
— Personne ne vous fera de mal. Il n’y a personne.
— Si. Mon père viendra encore me faire du mal. J’ai besoin
d’aide. Aidez-moi, au secours !

Le voir si vulnérable et pleurer comme un gamin me fait


pleurer. Cet homme souffre de quelque chose.

— Il veut encore me violer. Reste près de moi.


Mon Dieu ! Ai-je bien compris ? Son père… le violait ? Oh
miséricorde !
7

***STEPHEN

Je suis surpris de voir Boya couchée près de moi. Elle se


réveille puis quand elle me voit réveillé, elle sursaute.

— Monsieur !

Je fais un mouvement avec mon bras pour faire passer la


crampe. Boya sursaute et se protège avec ses bras.

— Que se passe-t-il ?
— Ri… rien, monsieur.

Elle baisse les bras et un détail flagrant me saute aux yeux.

— Qu’as-tu eu à l’œil ? Ce n’était pas là hier.


— Ce n’est rien monsieur.
— Comment ça rien. Tu as l’œil rempli de sang et tout
enflé.

Elle garde la tête baissée et recule.


— Je vais rentrer récupérer mes bagages, monsieur.

Elle sort sans demander son reste. Elle manque de


bousculer Laurence qui rentre.

— Qu’a-t-elle ? me demande ce dernier.


— Je ne sais pas. Est-elle sortie d’ici pendant que je
dormais ? Elle a reçu un coup au visage.
— Elle n’a pas mis les pieds dehors une seule fois.
— Ah bon ? Mais comment est-ce que…

Une hypothèse me vient à l’esprit, mais je la refuse. Elle


était endormie près de moi. Est-ce qu’elle m’a vu dans une
hallucination ? Laurence m’examine pendant que je
réfléchis à cette éventualité.

— J’ai contacté mon ami psychologue. Vous commencerez


les séances la semaine prochaine, le temps pour toi d’aller
un peu mieux.
— Et comment je fais pendant ce temps ? Tu sais que si je
ne bois pas avant de dormir, je fais des cauchemars.
— Je te donnerai des somnifères. Je t’en prescrirai durant
tout ton processus de guérison. Tu sais, ces mêmes
somnifères que tu as toujours refusé de prendre.
Je souris. C’est vrai que je refusais toutes les solutions qu’il
me proposait. Aujourd’hui, cloué au lit, je n’ai pas d’autres
choix que de m’y plier. Ça ne me coûte rien tout compte
fait.

— Je vais m’absenter un moment. Je vais conduire Boya


chez maman.
— Ok.

Je passe le temps à regarder la télé accrochée au mur dans


ma chambre. La porte s’ouvre sur Boya qui entre avec en
main un panier contenant la nourriture faite par ma tante
pour moi. À peine son regard rencontre le mien qu’elle
baisse les yeux.

— Mémé a demandé de vous apporter ça, dit-elle sans lever


la tête.

Elle dispose la nourriture sur une mini table en plateau et la


pose par-dessus mes jambes.
— Je ne peux pas manger. Mon bras droit est dans un
plâtre.
— Je vais donc appeler une infirmière pour vous aider.
— Tu peux le faire, s’il te plaît ?

Elle a un petit tic. Elle s’assied avec beaucoup d’hésitation.


Elle prend la cuillère, la passe dans la sauce, verse le
contenu sur un peu de riz et l’apporte à ma bouche sans oser
me regarder. Je me laisse nourrir ainsi bien que ce soit
malaisant. Peut-être que j’aurais dû laisser Martine rester.
Mais ça aurait été injuste pour elle. Je ne peux pas continuer
à abuser d’elle ainsi. Boya me nettoie la bouche à la fin du
repas. Elle n’a pas osé me regarder dans les yeux une seule
fois.

— Est-ce moi qui t’ai fait ce bleu à l’œil ?

Elle laisse tomber bruyamment la cuillère qu’elle tenait et


se lève.

— Boya, regarde-moi et dis-moi si c’est moi qui t’ai fait ce


bleu.

Elle lève lentement la tête.


— Oui, monsieur.
— Que s’est-il passé ?
— Vous étiez agité. J’ai cru que vous faisiez un cauchemar
alors je me suis rapprochée pour essayer de vous réveiller
et c’est là que vous m’avez cognée.
— Et malgré ça tu es restée couchée près de moi.
— Parce que vous me l’aviez demandé.
— Je te l’ai demandé ?
— Oui, monsieur.
— Que t’ai-je dit exactement ?

Elle se pince la lèvre. Je la regarde, attendant qu’elle


réagisse.

— Boya, qu’ai-je dit exactement dans mon sommeil ?


— Vous… vous… avez parlé de… votre… père.

Elle recule. Elle n’a pas besoin d’en dire plus pour que je
devine que je me suis dévoilé.

— Je suis désolé pour le bleu.


— Ce n’est pas grave, monsieur. Excusez-moi !
Elle range les couverts sales dans le panier et sort. J’ai hâte
de débuter ces séances pour enterrer définitivement mon
passé.

*Mona
*LYS

Après une semaine passée à l’hôpital, je suis rentré chez ma


tante ce matin, continuer ma convalescence. Elle a insisté
pour que je puisse séjourner chez elle le temps qu’il faudra
pour me remettre sur pieds. Elle tient personnellement à
prendre soin de moi, ce qui n’est pas pour me déplaire. Je
ne dirai pas non à un peu de tendresse maternelle. Le temps
de me libérer des plâtres aux jambes et au bras droit,
j’aurais besoin d’aide pour pratiquement tout. Manger, me
doucher et faire mes besoins. Ma tante se dit être prête à le
faire tant que ça peut me permettre de me remettre assez
vite sur pied. Quand on parle de la louve, elle montre sa
queue. Ma tante entre dans ma nouvelle chambre, suivie de
Boya. D’ailleurs, son œil à elle va beaucoup mieux. Savoir
qu’elle a découvert mon secret me met de plus en plus mal
à l’aise en sa présence. Définitivement, tout est mis en place
pour que je sois en mauvaise posture face à elle.
— Comment ça va ? me demande ma tante.
— Je m’ennuie.
— Tu auras tout le temps de te distraire une fois rétabli. Je
t’ai rapporté néanmoins ton ordinateur et un nouveau
portable acheté par ton frère. Ainsi que quelques affaires.

Elle dispose les appareils sur la table de chevet.

— Alors, jusqu’à ce que tu retrouves ta mobilité, Boya va


rester dormir ici avec toi pour t’aider les nuits en cas de
besoin.

La concernée et moi échangeons un regard.

— Laurence a dit que tu dois te déplacer uniquement en


fauteuil roulant. N’essaie surtout pas de forcer les choses.
Ce sera ainsi tant que tu auras tes plâtres. On t’enlèvera ton
collier cervical la semaine prochaine.
— Oui, il m’a tout expliqué.
— Ok. Le docteur sera là dans…

La sonnette retentit.
— Je crois que c’est lui. (À Boya) Ma fille, range les
affaires de ton patron dans ce placard.
— D’accord, mémé.

Ma tante sort, nous laissant Boya et moi dans un profond


silence. Je prends mon nouveau portable et y glisse mes
puces. On frappe à la porte puis ma tante entre, cette fois
suivie d’un homme très présentable qui tient un sac
d’ordinateur.

— Stephen, je te présente le docteur Péniel N’GUESSAN.


Bon, on va vous laisser faire plus ample connaissance.

Elle rapproche le petit fauteuil de mon lit et fait signe à


Boya qui la suit hors de la chambre.

— Bonsoir, monsieur Stephen BÉKÉ. Comme l’a dit votre


tante, je suis Péniel N’GUESSAN, psychologue. Je peux ?
demande-t-il en désignant le fauteuil.
— Oui.

Il s’assied et sort une tablette, un bloc-notes plus un stylo.


— Je serai votre confident durant tout le temps qu’il faudra.
Je préfère dire confident pour mettre la personne en face de
moi, à l’aise. Nous aurons deux séances par semaine. Ça
vous va ?

Je fais oui de la tête.

— Alors, comment allez-vous ? Physiquement, je veux


dire.
— Plutôt bien.
— Que s’est-il passé ?
— J’ai fait un accident.
— Comment cela est-il arrivé ?
— J’ai grillé un feu rouge.
— Pourquoi ?
— Parce que j’étais en colère.
— Contre qui ? Et pourquoi ?

Je soupire d’exaspération.

— Contre ma copine. Parce qu’elle a porté main


injustement à notre servante.
— Vous aviez un attachement particulier pour votre
servante ?
— Bien sûr que non. C’est juste que j’estimais qu’elle ne
méritait pas ça.
— Juste parce qu’elle a porté main à votre servante, vous
êtes sorti furieux de la maison jusqu’à faire un accident ?
— Non. Je suis sorti furieux de la maison après lui avoir…

Je marque une pause, pas très fier de ce que j’ai fait.

— J’ai porté main également à ma copine.


— Une fois ? demande-t-il en écrivant.
— Plusieurs fois. Écoutez, nous ne sommes pas là pour
parler de mes rapports avec ma copine.
— Vous avez l’habitude de la passer à tabac ?

Je soupire.

— Oui !
— Pourquoi ?
— Parce que ça me met en rogne qu’on ne m’écoute pas.
Je déteste être contrarié.
— Et que faites-vous généralement après chaque bagarre
avec votre copine ?
— Êtes-vous un conseiller matrimonial ?
— J’essaie juste de comprendre. Si vous ne voulez pas en
parler, pas de souci. Parlez-moi donc de vous.

Je promène mon regard dans la pièce. Je n’ai rien à dire sur


moi.

— Après chaque bagarre, je sors me saouler la gueule parce


que je regrette aussitôt.
— Pourquoi est-ce que vous regrettez ? N’est-ce pas que
vous en tirez satisfaction ? Enfin, je le suppose.
— J’en tire satisfaction sur le coup, mais après, bonjour les
remords. Donc je me bourre la gueule pour oublier.
— Oublier quoi précisément ?
— Tout.
— Si ça ne vous plaît pas de taper sur les femmes, pourquoi
le faites-vous donc ? Pourquoi ne pas vous maitriser ? Ou
quitter la pièce, comme le font certains hommes ?
— Parce que ça me permet de me soulager, dis-je un peu
sur les nerfs.
— Vous soulagez de quoi ?

Je ne sais pas si c’est l’anxiété ou la frustration, mais je


commence par perdre patience.
— Je ne sais pas de quoi je veux me soulager, mais ça me
fait du bien.

Il note quelque chose dans son bloc-notes.

— Comment va votre mère ?

Cette fois, c’est une sourde colère qui s’empare de moi. Je


ferme le poing.

— Pourquoi me parlez-vous d’elle ?


— Comme ça. Je demande après elle comme j’aurais pu
demander des nouvelles de votre père, de vos frères et
sœurs. Aussi, votre violence envers les femmes peut être la
résultante de vos rapports avec votre mère.
— Je n’ai aucune famille. Je me fiche pas mal de ce qui leur
est arrivé. Je ne les connais pas. Ne me demandez pas de
leurs nouvelles.

Il note encore quelque chose.

— Parlez-moi dans ce cas de votre enfance.


— Laurence vous a déjà tout expliqué. Je n’ai rien à ajouter.
— Votre frère ne m’a rien dit. Il m’a juste engagé pour un
membre de sa famille. J’aimerais donc en savoir plus sur
vous pour pouvoir vous venir en aide. Peut-être que nous
saurons d’où vous vient cette violence et cette rage
immense. Je veux connaitre votre problème pour mieux
vous aider.
— Je crois que Laurence vous a engagé pour résoudre mon
problème de somnambulisme. Pas pour parler de mon
comportement envers mon ex-copine.
— Savez-vous ce que vous faites dans votre état de
somnambule ?

Je me gratte l’arête du nez.

— Je… je me débats.
— Contre qui ? Ou contre quoi ?

Ma main se met à trembler rien qu’en revoyant ces images


horribles et le visage du démon. Je reste là à lutter contre
mon angoisse sans lui répondre.

— Contre qui vous battez-vous ?


Je me passe la main sur mon visage en refoulant mes
larmes. Je tapote ensuite ma cuisse.

— Contre… mon père.

Il prend note.

— Et que veut-il vous faire pour que vous vous débattiez ?

Je me sens de plus en plus nerveux de devoir parler de cette


étape de ma vie. Je ne l’avais plus fait depuis mes dix-
huit ans.

— Il… essaie de… de… d’abuser de moi.

Je laisse couler une larme le long de ma joue. Il écrit dans


son bloc-notes.

— L’a-t-il déjà fait dans la vraie vie ?


— Oui, je réponds d’une voix faible en baissant la tête.
— Pouvez-vous m’en parler ? Quand cela s’est-il fait ?
— Presque toute ma vie.
Il prend note pendant que je lutte contre moi-même, mais
surtout contre mes larmes. Je ne veux pas parler de cette
partie horrible de ma vie.

— Si vous ne voulez pas en parler, ce n’est pas bien gra…


— J’avais cinq ans, dis-je tout à coup, les yeux fermés.
Nous vivions dans la ville de Grand-Bassam. Ce jour-là, il
était rentré d’une longue mission de trois mois. Il nous avait
rapporté des cadeaux, à ma sœur jumelle et à moi. Il nous
en offrait à chaque retour de voyage. C’était un magnifique
vélo qu’il m’avait rapporté. J’en étais si heureux. Cette
même nuit, il est rentré dans la chambre que je partageais
avec ma sœur. Elle avait dû aller dormir dans la chambre
des parents parce qu’elle ne se sentait pas très bien. Mon
père m’a réveillé puis m’a dit qu’il voulait qu’on joue à un
jeu.

« — Ne t’inquiète pas mon champion. Papa va bien prendre


soin de toi.

Il m’a retiré mon bas de pyjama et m’a retourné sur mon


ventre. J’avais le sommeil dans les yeux donc je ne prêtais
vraiment pas attention à tout ce qu’il faisait.
— Papa, j’ai sommeil.
— Oui, tu vas dormir tout à l’heure. Nous allons jouer à un
petit jeu.

J’ai tourné la tête vers lui et je l’ai vu verser un liquide sur


son phallus. Du lubrifiant. Il en avait vidé tout un flacon. Il
en avait également mis dans la raie de mes fesses.

— Mets-toi à quatre pattes.

Je rechignais toujours à cause du sommeil. Alors, il m’a


lui-même mis à genou. J’ai sursauté quand j’ai senti
quelque chose forcer le passage de mon anus.

— Reste tranquille.
— Papa ! C’est quoi ?
— Tu vas aimer. Reste juste tranquille.

Malgré moi, je lui ai obéi. Je ressentais la douleur au fur


et à mesure qu’il entrait en moi.

— Papa, j’ai mal.


— La douleur va passer tout à l’heure.
Je crois qu’il en a eu marre de forcer le passage parce qu’il
est ressorti puis tout d’un coup… il est rentré de tout son
long. »

Je serre les dents en pleurant en silence. J’étais gosse, mais


je n’ai rien oublié de ce jour.

« Mon cri a réveillé ma mère qui est accourue dans la


chambre, pensant que j’étais en danger. Mon père ne
bougeait plus. Il est resté immobile le temps que je
m’habitue à la douleur, mais j’avais trop mal et je pleurais.
Quand ma mère est rentrée et a vu le spectacle, elle a
poussé un cri.

— BONAVENTURE, QU’EST-CE QUE TU FAIS À MON


ENFANT ???

Elle l’a poussé et s’apprêtait à me prendre quand il lui a


flaqué une gifle.

— Tu dégages de cette chambre.


— Tu ne peux pas faire ça à notre fils. Non. Pas lui.
Elle a voulu me prendre de nouveau. Il lui a empoigné le
bras et l’a foutu à la porte avant de condamner la porte.
Moi, j’étais allongé au sol, pleurant toutes les larmes de
mon corps. Mon père est revenu vers moi et m’a pénétré de
nouveau et cette fois, malgré mon cri de douleur, il a
continué. Je me tordais de douleur. Ça ne l’a pas empêché
de terminer sa sale besogne. Ma mère ne faisait que cogner
contre la porte en hurlant des injures à mon père. Quand
celui-ci a terminé, il est sorti comme si de rien n’était. Ma
mère est rentrée me prendre dans ses bras et me consoler.
Je n’ai pas dormi de toute la nuit. Je ne suis pas allé à
l’école toute cette semaine parce que ma mère me soignait.
Elle a boudé mon père et c’était tout. Elle n’a plus rien fait
par la suite. Absolument rien. »

Je me nettoie le visage avec le mouchoir tendu par le psy.


Il me sert de l’eau dans la carafe près de mon lit et me tend
le verre que je vide avant de le lui rendre.

— Vous voulez continuer ou vous voulez qu’on arrête pour


aujourd’hui ?
— Je veux continuer. Si je ne le fais pas aujourd’hui, je ne
le ferai plus.
— Que s’est-il donc passé par la suite ?
— Les jours passaient et mon père était de moins en moins
présent à la maison. Étant un colonel de l’armée en son
temps, il partait beaucoup en mission. Ou devrais-je dire, il
s’inventait souvent des missions pour roucouler avec ses
nombreuses maitresses. La deuxième fois, c’était quand
j’avais six ans. Ça a été le même scénario. Il est rentré tard
la nuit dans ma chambre et a reproduit la même chose. J’en
avais droit une fois par semaine. Tout ça, sans que ma mère
lève le petit doigt. Elle ne faisait que se disputer avec son
mari, rien de plus. Quand les disputes étaient trop, il la
battait. Nous avions continué ainsi jusqu’à l’âge de dix ans
où il a décidé de passer à ma sœur. J’ai assisté impuissant
au viol de ma jumelle. Comment aurais-je pu quand il
m’avait violé avant elle ? Il y était allé tellement fort avec
elle qu’elle avait saigné toute la nuit et avait perdu
connaissance. J’ai vu ma mère tout affolée la conduire à
l’hôpital. Je crois que mon père a fait étouffer l’affaire
parce que rien ne s’est passé par la suite. Ils sont revenus
avec ma sœur. Ma mère s’était transformée en infirmière.
Elle nous soignait ma sœur et moi à chaque assaut de son
mari. Mon sphincter avait lâché et mon anus coulait tout le
temps. Je portais donc des couches et ce pendant plusieurs
mois. Ça n’a pas empêché mon père de continuer à me
violer une fois en passant. Plus les années passaient, plus
ma sœur et moi devenions des enfants très renfermés et
mélancoliques. Nos notes chutaient à l’école, nos
anniversaires n’avaient plus aucun goût pour nous. Les
gens ne comprenaient pas pourquoi, nous les enfants d’un
homme si puissant pouvions être si sombres alors que nous
avions tout à notre disposition. Nous étions enviés par nos
amis alors que nous vivions l’enfer. Quand j’ai eu
treize ans, j’ai eu une conversation avec ma mère.

« Elle était assise dans le salon à éplucher de la banane


plantain. J’étais resté de longues minutes à la regarder.
Tout ce que je ressentais en la regardant, c’était de la
colère. J’étais en colère qu’elle ne fasse rien pour nous
sauver. Elle acceptait tout sans rien faire. Je me suis
rapproché d’elle.

— Pourquoi tu ne fais rien ? lui avais-je demandé.


— De quoi parles-tu ?
— Du fait que tu laisses papa abuser de nous, Évelyne et
moi.

Elle a posé son couteau, a soupiré et m’a regardé.


— Josué, il y a certaines choses que tu ne comprendrais
pas.
— (Hurlant]) Que je ne comprendrais pas quoi ? Que tu ne
veuilles pas le dénoncer à la police ? Que tu ne veuilles pas
t’enfuir avec nous ? Tu sais que si tu vas voir les patrons
de papa, il sera puni.
— Tu veux que je porte plainte contre mon mari ? Nous
sommes en Afrique, pas chez les blancs. Ici, c’est une
abomination qu’une femme envoie son mari en prison. Tu
veux que je m’enfuie avec vous ? Pour aller où ? Je n’ai
nulle part où aller. Je dépends financièrement de lui. Il
s’occupe même de toute ma famille. Si je pars, qui va
prendre soin de vous ? Avec quel argent ? Je suis mariée
avec lui pour le meilleur et pour le pire. En tant que femme,
c’est mon devoir de le couvrir et le conseiller. Il n’est pas
parfait et crois-moi, je prie chaque jour pour lui pour qu’il
change. Il m’a promis ne plus vous toucher. Viens ici mon
chéri.

Elle a essayé de me toucher. J’ai reculé en la regardant


avec une haine sans nom. Je crois que c’est depuis ce jour
que j’ai réellement commencé à nourrir une haine viscérale
contre ma mère. »
— Votre père a-t-il tenu la promesse faite à votre mère ?

J’ai un ricanement.

— Le même soir, il est rentré de mission et s’est vidé sur


ma sœur et moi. Nous avions dormi l’un dans les bras de
l’autre en pleurant. À quatorze ans, j’ai intégré un groupe
d’élèves qui prenaient plaisir à manquer les cours pour aller
dans une résidence meublée prendre de la drogue, fumer,
boire et coucher avec les filles. J’ai essayé la drogue une
fois et je me suis senti tellement bien que j’en étais devenu
accro. Les années passaient et je m’étais transformé en un
petit voyou tandis que ma sœur se renfermait de plus en
plus. Je ne la reconnaissais plus et la voir mourir à petit feu
sans pouvoir ne rien faire pour elle me tuait également. Je
ne l’ai plus jamais vu sourire. Elle manquait également les
cours malgré les plaintes des parents. Nous n’arrivions plus
à dormir les nuits, de peur que notre père ne vienne assouvir
ses fantasmes. Je lui rapportais de la drogue pour qu’elle en
prenne la nuit afin de pouvoir s’endormir ou ne pas sentir
les assauts de notre père. Tout le monde me pointait du
doigt sans savoir ce que je vivais. J’étais devenu le petit
drogué du quartier. Je me bagarrais avec tous ceux qui
osaient me provoquer. J’avais totalement déserté l’école à
l’âge de seize ans. Une fois, j’étais rentré complètement
saoul. Ma mère avait pété un câble.

« — Josué, ça ne te va pas de te comporter ainsi ? Tu passes


ton temps dans les fumoirs et les boîtes de nuit. Tu veux
ternir la réputation de notre famille ?
— C’est moi qui veux ternir la réputation de TA famille ?
Qu’en est-il de ton pédophile de mari que tu couvres ? Toi,
tu n’as pas honte de regarder tes enfants mourir à petit
feu ?
— Tu penses que c’est un plaisir pour moi de vous voir
souffrir ainsi ? Je souffre également. Je pleure chaque soir.
Je n’ai pas le droit à la parole dans cette maison. Que veux-
tu que je fasse ?
— QUE TU JOUES TON RÔLE DE MÈRE EN FAISANT
METTRE CE DÉMON EN PRISON.
— Arrête de parler ainsi de ton père.
— Sinon quoi ? Tu vas aussi me violer ? Salope !

Elle a été grandement choquée alors elle m’a giflé. Je me


suis relevé, je l’ai poussée dans le fauteuil et j’ai ramassé
le couteau qui trainait sur la table. Mais je me suis retenu
à temps de la poignarder. Je la détestais de plus en plus,
mais je mourais surtout d’envie de la bastonner. Je voulais
la cogner pour son silence. Je suis ressorti avec rage de la
maison. Je me suis rendu dans un coin de prostituées, j’en
ai pris une et je l’ai cognée tout en lui faisant l’amour. Non,
tout en a la baisant, parce que je n’y étais pas allé de main
morte. Je voyais le visage de ma mère sur elle et je la
tabassais. J’entendais la voix de mon père qui me hurlait
que je ne serais jamais rien que son objet sexuel. J’ai
déversé toute cette rage sur cette prostituée et à la fin,
j’étais comme libéré d’un poids. J’avais trouvé là un moyen
de me soulager de la colère. La drogue me faisait mieux
encaisser les choses, mais la violence me soulageait. C’est
ainsi que j’ai pris pour habitude de cogner sur les femmes
surtout quand elles me désobéissaient. »

— Et votre sœur ?

Mon cœur se comprime douloureusement.

— Je lui avais promis nous sortir de là, mais je n’ai pas tenu
ma promesse.

« Nous venions d’apprendre que notre père rentrait d’une


autre de ses escapades. Nous étions tout tremblants de
peur, car nous savions ce qui nous attendait. Nous avions
essayé la veille, pour la énième fois de nous échapper sans
y parvenir. Papa avait posté des gardes devant la maison
et nos faits et gestes étaient surveillés. Nous étions
condamnés.

— Josué, tu dois trouver une solution. Je ne peux plus


supporter ça.
— Je suis sincèrement navré de ne pouvoir te protéger
contre tout ça. Je te fais néanmoins la promesse de nous
sortir de là. Nous allons nous en aller très très loin.
— Tu me le promets ?
— Sur ma vie.

Je l’ai serrée fort contre moi. J’adorais ma sœur. Elle était


mon alter ego. Quand notre père est rentré, il s’est tout de
suite dirigé vers elle. Malgré nos âges avancés, nous
dormions encore ensemble. Ça nous faisait nous sentir
moins seuls. Cette nuit-là, j’ai pris mon courage à deux
mains pour l’affronter. Je ne voulais pas qu’il touche à ma
sœur. Mais je n’ai pu la défendre longtemps, car il m’a
copieusement bastonné avant de me violer, moi, plutôt que
ma sœur. J’étais soulagé qu’il l’ait laissée. Je continuais à
me bagarrer avec lui à chaque fois, mais il était beaucoup
trop fort. La peur me rendait faible face à lui. J’étais donc
à chaque fois, battu et violé beaucoup plus violemment. Je
me faisais également bastonner pour chacune de mes
bêtises. La matraque était devenue mon alliée tant elle
visitait mon corps.

Un jour, la police nous a pris, mes amis et moi, avec de la


drogue. Mon père en avait été informé et il a demandé
qu’on m’enferme pour trois jours dans une cellule. Je crois
que j’ai adoré mon séjour dans cet endroit, car il n’y avait
aucune chance que mon père vienne là me faire du mal.
Malgré cela, je n’ai pas vraiment fermé les yeux. La crainte
était toujours présente. Mon esprit était déjà habitué à
subir des horreurs, les nuits au coucher. Quand je suis
enfin sorti, j’arrivais à la maison où j’entendais les pleurs
de ma mère. Elle pleurait sa fille. J’ai tout de suite compris
qu’il était arrivé quelque chose à ma sœur. J’ai couru dans
notre chambre et aussitôt mes jambes m’ont lâché. Ma
sœur jumelle s’était pendue à la barre de fer enfoncée dans
le mur sur lequel on mettait une traverse pour séparer nos
deux lits. Je n’en revenais pas. J’avais échoué. Je n’avais
pas pu tenir ma promesse. Je l’ai attrapée par la hanche et
je me suis mis à pleurer toutes les larmes de mon corps.
Elle m’avait quitté. Que s’était-il passé en mon absence ?
Je ne comprenais pas. Le corps a été transféré à la morgue.
J’ai ouvert mon placard à la recherche de vêtements de
rechange et j’ai vu une enveloppe sur mes jeans. Je l’ai
ouverte et je tombais des nues. Elle était enceinte et avait
contracté le VIH/SIDA. Mon pouls s’est accéléré et mes
tempes se sont mises à battre fort. Il l’avait mise enceinte
et l’avait infectée. C’était plus que je ne pouvais le tolérer.
J’ai rangé la lettre dans laquelle elle me disait également
qu’elle m’aimait plus que tout et me souhaitait le meilleur.
J’ai toujours la lettre avec moi. Je me suis rendu dans la
chambre de mes parents, j’ai pris l’arme de mon père et
j’ai déboulé au milieu de leur petite réunion en pointant
l’arme sur mon père.

— Tu l’as tuée. Tu as tué ma sœur.

C’était la panique générale. Les femmes ont pris la fuite


tandis que les hommes essayaient de me raisonner.

— C’est lui qui l’a tuée, je continuais de dire en gardant


l’arme bien dressée contre mon père. Il ne fait que nous
violer depuis notre enfance jusqu’à maintenant. Évelyne
s’est suicidée parce qu’elle venait d’apprendre qu’elle était
enceinte de lui et infectée du SIDA.
Les gens étaient confus. Tout le monde parlait en même
temps. Mais j’avais l’impression que personne ne me
croyait.

— Tu as encore pris de la drogue ? avait lancé mon père.


Combien de fois vais-je devoir te corriger pour que tu
arrêtes ?
— Tu nous violais et maman peut témoigner.

Ma mère se contentait de pleurer.

— Maman, dis-leur, l’avais-je supplié en pleurant ?


Maman, je t’en supplie, pour la mémoire d’Évelyne. Rends-
lui justice en disant la vérité.

Elle ne disait toujours rien.

— TA FILLE EST MORTE ET TU NE VAS RIEN DIRE ???


QUEL GENRE DE MÈRE ES-TU ???

Elle ne disait toujours rien. J’ai alors tiré sur la jambe de


mon père alors que personne ne s’y attendait. C’était son
cœur que je visais, mais j’étais trop embrouillé pour viser
normalement. Mes oncles m’étaient tous tombés dessus et
me bastonnait en me traitant de tous les noms. J’ai été
corrigé pendant des heures durant au point d’avoir des
blessures sur tout le corps. Même dans le nez et la bouche.
On m’avait ensuite enfermé dans ma chambre. On ne
l’ouvrait que pour me donner à manger. Ma mère était
venue me rapporter le diner. Je lui ai sauté dessus et l’ai
saisie par le cou dans le but de la tuer. Si seulement elle
avait fait quelque chose dès le début, nous n’en serions pas
là. Elle a eu la vie sauve grâce à mes oncles. Je suis resté
dans cette chambre tout le temps des obsèques. Une nuit,
j’ai entendu une conversation entre trois de mes oncles
derrière la fenêtre de ma chambre.

— Ce n’est pas la première fois que nous entendons une


histoire de viol contre Bonaventure. Nous devons faire
quelque chose pour qu’il arrête.
— Que veux-tu que nous fassions ? Le dénoncer à la
police ? C’est notre frère après tout. Nous allons régler
cela en famille. Tout doit rester en famille. Personne ne doit
le savoir. De plus, c’est lui le boss de la famille. S’il va en
prison, qui va scolariser nos enfants et nous donner de
l’argent quand on en aura besoin ?
— Tu as raison. Après les obsèques, nous allons laver le
petit, faire des sacrifices et c’est tout.
— Mais le petit peut aller tout raconter aux gens et cela va
se retourner contre nous.
— Bonaventure a dit qu’il allait le faire partir au village
avec nous pour qu’il y reste. La vie au village lui remettra
les idées en place. »

— Que s’est-il passé ensuite ?


— Ma tante, qui est une cousine éloignée de ma mère, et
son défunt mari étaient également présents aux funérailles.
J’ai réussi à m’échapper par la fenêtre en la brisant avec ma
main qui était tout en sang. Je cherchais une échappatoire
et j’ai vu leur voiture garée. J’ai eu la chance que le coffre
n’était pas fermé. J’y suis monté et quelques minutes après,
ils avaient pris congé. Je suis resté silencieux jusqu’à
destination. Ils étaient arrivés chez eux. C’est à ce moment
que je suis sorti du coffre. Ma tante a eu la peur de sa vie.

Je souris en m’en souvenant.

— Elle a ensuite paniqué de me voir saigner abondamment.


Je l’ai supplié de ne pas informer mes parents avant de
tomber dans les pommes. Je m’étais réveillé deux jours
après. Je leur ai tout expliqué et montré la lettre de ma sœur.
Ils m’ont cru parce que ma tante avait déjà entendu des
accusations pareilles contre mon père. Ils m’ont cependant
conduit à l’hôpital pour en avoir le cœur net. Tout était
clair. Ils m’ont gardé chez eux sans que personne le sache.
Ils m’ont fait soigner et attendu un an après que tout se soit
calmé pour me sortir du pays avec de faux papiers vers le
Ghana et ensuite vers la France. J’avais dix-huit ans et je
m’appelais dorénavant Stephen BÉKÉ. J’ai gardé ce nom,
l’ai rendu officiel, c’est-à-dire, j’ai changé mon identité
après avoir obtenu la nationalité française et avec j’ai
continué mes études. Je suis revenu au pays il y a quatre
ans.
— Pourquoi êtes-vous revenu ? Pourquoi n’êtes-vous pas
resté en France ?
— La boîte pour laquelle je bosse là-bas a acheté des
actions dans celle d’ici donc je devais venir les représenter.
J’ai hésité avant d’accepter, mais puisque je suis là pour six
à sept ans avant de retourner, je n’y ai pas trouvé
d’inconvénient. Voilà, c’est tout.
— Depuis votre retour, vous n’avez pas eu de nouvelles de
votre père ?
— Non. Je ne suis pas très porté sur l’actualité et je ne suis
pas sur les réseaux sociaux non plus. Je ne sais pas ce qu’il
devient, encore moins ma mère, et je m’en fiche pas mal.
Le psychologue souffle et regarde sa montre.

— Pile à l’heure. C’est terminé pour aujourd’hui et je vous


félicite, dit-il en me gratifiant d’un sourire
d’encouragement. Et croyez-moi, vous êtes guéri à 50 %. Il
ne reste plus qu’à faire un travail sur vous pour vous
débarrasser de tous ces démons. Comment vous sentez-
vous ?

Je soupire et lui souris.

— Je vais plutôt bien.


8

***BOYA

Je me tords de rire en écoutant Awa jouer la comédie en me


racontant les anecdotes sur sa famille. Je crois que je n’ai
pas autant ri de toute ma vie. Awa travaille ici pour mémé.
Elle ne vivait que toutes les deux avant que mon patron et
moi ne les rejoignions. Sa famille vient du même village
que mémé et c’est de là-bas qu’elle l’a prise pour venir
travailler pour elle. C’est une fille tout le temps joyeuse.
Deux mois que nous sommes ici et jamais je ne l’ai vue
triste ou de mauvaise humeur. Toujours en train de chanter,
danser ou rigoler. C’est d’ailleurs pour ça que mémé
l’adore. Que dire de cette femme que j’appelle
affectueusement mémé ? Elle est d’une douceur sans pareil.
Je ne l’ai jamais entendue hurler sur qui que ce soit. Même
sur Awa qui fait parfois des bêtises. Elle réprimande avec
tellement de douceur que ça te fait prendre conscience que
tu ne devrais pas offenser une femme autant aimable.

Le portable d’Awa sonne, l’interrompant dans son récit.


Elle discute à peine deux secondes qu’elle raccroche.
— Ton amoureux dit de lui apporter de l’eau.
— Ce n’est pas mon amoureux. Arrête !
— Tu penses que je ne vois pas comment tu le regardes ?
Tonton Stephen est joli oh. Moi-même je sais que tu es fan.
— Je ne suis fan de personne. Tu ne vois pas combien il est
plus âgé que moi ?
— Et puis quoi ? Il y a âge en amour ?
— Je m’en fous. Il est mon patron. Ça s’arrête là.

Je descends de ma chaise, rentre dans la cuisine et remplis


une autre carafe que je rapporte à mon patron. Il s’est enfin
réveillé. Je le trouve, essayant de récupérer ses béquilles. Je
repose rapidement ce que je tiens et lui donne un coup de
main. Après un mois et demi, les plâtres lui ont été retirés
et il va beaucoup mieux. Il a retrouvé l’usage de son bras,
mais pas celui des jambes qui lui sont douloureuses quand
il essaie de se tenir debout. Il se déplace parfois en
béquilles, parfois en fauteuil roulant.

Il se rend dans la salle de bains. Je dresse le lit, fais un peu


de rangement et je ressors en emportant la carafe vide. Je
reviens avec ses draps propres que j’avais lavés. Je referme
le tiroir des draps et quand je me retourne, il est là, assis
dans son fauteuil roulant, le torse nu et une petite culotte
sur lui. Je lui donne dos aussitôt et souffle.

— Désolée, monsieur.
— Tu vas t’excuser chaque fois que tu me verras à moitié
nu ?
— Je ne veux pas vous mettre mal à l’aise.
— C’est toi qui l’es à chaque fois.

Oui, parce que ne vous suis pas insensible.

— Je suis désolée.
— Cesse de t’excuser et aide-moi à enfiler mon jean.

Encore un exercice difficile. Je me sens toute chose quand


je suis très proche de lui. Je souffle et m’exécute. Je braque
mon regard vers un point fixe pour éviter de reluquer le
corps de mon patron. M’occuper de lui ces deux derniers
mois m’ont été bien pénibles. Je devais lutter à chaque fois
avec mes tremblements quand je le déshabillais, quand je
l’aidais à faire sa toilette. Il ne pouvait se doucher
convenablement à cause des plâtres, donc je l’essuyais et
c’était pénible parce que je le désirais chaque jour un peu
plus. Je voulais parcourir son corps en toute liberté. Je
fantasmais carrément sur lui et je continue de fantasmer.

— Tu n’auras plus à te torturer autant, me siffle-t-il pendant


que je ferme difficilement son jean. Je vais dorénavant me
débrouiller pour me vêtir. Je vais demander à Awa de me
faire les massages.
— Je suis désolée, monsieur. Ça me plaît de vous être utile.
C’est juste que je n’ai jamais été autant à proximité d’un
homme.
— As-tu peur de moi ?
— Non, monsieur.

Je finis et m’éloigne, mais il me saisit la main.

— Regarde-moi !

La seconde même où mes yeux tombent dans les siens, mon


cœur fait un bond.

— As-tu peur de moi à cause de ce qui s’est passé ?


Réponds sincèrement !
— Non, monsieur.
— Alors pourquoi est-ce que tu trembles ?
Parce que vous me troublez.

Face à mon silence, il lâche ma main. Awa vient au même


moment nous informer de l’arrivée du psychologue. J’en
profite pour m’en aller comme si j’avais le feu aux fesses.
Je rencontre mémé au salon qui revient de sa sortie. Je vais
la débarrasser de ses bagages.

— Bonne arrivée, mémé.


— Merci, ma fille. Regarde dans ce gros sachet noir. Je t’ai
acheté de nouveaux vêtements. J’ai remarqué que tu ne
portais que de vieilles choses.
— Oh, merci infiniment, mémé.

Je m’incline devant elle en la remerciant sans cesse.

— Pas de quoi. Tu es une fille bien, donc tu le mérites. Va


essayer et dis-moi si tout te va. Sinon on ira les changer.
— Merci beaucoup.

Je cours dans la chambre d’Awa que je partage avec elle.


Je renverse tout le contenu du sachet et je n’en reviens pas.
Il y a de magnifiques vêtements. Des robes, des jeans, des
hauts, des jupes et même des combinaisons courtes comme
longues. Je suis aux anges. Je ne me souviens pas de la
dernière fois qu’on m’a acheté des vêtements ou que je
m’en suis achetée. Je sors mon sac que je renverse pour
pouvoir faire le tri des vieux habits. Je suis trop heureuse
pour mes nouveaux vêtements. Je troque ceux que j’avais
sur moi pour une nouvelle robe volante qui me va comme
un gant. Awa fait son entrée dans la chambre.

— C’est quoi tout ça ? demande-t-elle.


— C’est mémé qui m’a acheté de nouveaux vêtements.
— Wouh ! Attends je vais voir.

Elle prend chaque vêtement qu’elle admire.

— Mémé est trop gentille, dit-elle. C’est comme ça elle me


gâte tout le temps ici. Humm regarde comme c’est joli. Tu
vas prendre pour séduire ton petit mari.
— Awa, arrête de l’appeler ainsi. Tu sais que s’il t’entend,
je vais avoir des problèmes.
— Ahii ! Pourquoi ? Parce que tu es fan de lui ?
— Awa, arrête tes trucs là et aide-moi à plier tout ça.
Elle m’aide comme j’ai dit. Je range certains dans le petit
espace du placard qui m’a été attribué. Elle plie et je range.

— C’est quoi ça ? demande-t-elle tout à coup, dans mon


dos.
— Quoi ?

Quand je me retourne et je vois la boîte de mes ARV dans


sa main. Elle l’ouvre et en sort quelques-uns dans sa main.

— Attend, ce n’est pas médicaments que les gens qui ont


SIDA là prennent ? Une cousine avait le SIDA et elle
prenait ça chaque jour, mais elle est morte maintenant. Tu
as le SIDA ?

Ça paraissait plus comme une accusation qu’une question.


Elle me regarde, attendant ma réponse. Je suis couverte de
honte. Je sors de la chambre en courant et je vais me
réfugier dans les toilettes. Je m’assieds sur le wc et éclate
en sanglots. C’est fini, elle ne me verra plus comme avant.
Elle ne me traitera plus comme avant. Elle va soit me
regarder de haut soit me fuir tout simplement. Pour une fois
que je croyais avoir enfin trouvé une amie.
— Boya ! m’appelle Awa derrière la porte en la cognant.
Boya, pardon je ne voulais pas te blesser.
— Tu vas toi aussi me repousser de peur d’être contaminée.
Je le sais déjà. Tout le monde fait ça.
— Ahii ! Pourquoi je vais te repousser ? SIDA là c’est
quoi ? Pardon, sors.
— Laisse-moi seule, s’il te plaît.
— J’ai compris. Je retourne dans la cuisine. J’ai remis tes
médicaments dans tes affaires. Excuse-moi si je t’ai fait du
mal. Ce n’était pas mon intention.

J’entends ses pas s’éloigner. Je reste à ma place encore une


dizaine de minutes avant de me décider à sortir. Je retourne
dans la chambre qui a été bien rangée par Awa. Elle en a
fait de même avec mes vêtements. Je m’assieds par terre, le
dos contre le lit, les jambes ramenées contre ma poitrine et
ma tête posée là-dessus. Je vais devoir affronter ce genre de
réaction toute ma vie. C’est pénible de voir le regard des
gens changer quand ils découvrent mon statut. C’est
comme si toute la belle image qu’ils avaient eue de moi
s’écroulait automatiquement pour ne faire place qu’à
l’image d’une jeune fille de dix-sept ans séropositive. Le
pire, c’est qu’ils croient tous que je l’ai choppé dans des
parties de jambes en l’air. Ils me voient tous instantanément
en une fille aux mœurs légères qui a été punie par la vie.
Pourtant, je ne suis qu’une victime des mauvais choix de
ses parents.

Je sens des bras m’enlacer.

— Je te demande pardon, me souffle Awa. Et sache que si


tu as peur que je m’éloigne de toi, tu te trompes. Je m’en
fous de cette maladie. Tu es une fille normale pour moi. Ce
n’est pas écrit sur ton front que tu es porteuse du virus. Et
même si ça l’était, ça ne changerait rien au fait que tu sois
une fille adorable. Je t’ai considérée comme une petite sœur
dès le premier jour de ton arrivée ici et c’est toujours le cas.

Ses paroles me pénètrent tellement que j’éclate en sanglots.


Elle me prend dans ses bras où je pleure de longues
minutes. Elle se contente de me caresser les cheveux.

— Tonton Stephen sait ? me questionne-t-elle.


— Oui, je lui réponds d’une petite voix.
— Et mémé ?
— Je ne sais pas. Peut-être que monsieur lui a dit. S’il te
plaît, est-ce que tu peux dire à Mémé que je ne me sens pas
bien ? Je ne me sens pas en forme pour faire le service.
— C’est compris. Tu as besoin d’une bonne nuit de
sommeil pour digérer ça.
— Merci !

***STEPHEN

— As-tu recontacté ta petite amie ? Lui as-tu tout expliqué


concernant ton passé ?
— Pas encore. Je préfère prendre le temps de guérir de ce
passé avant de reprendre la relation. Je veux avoir une
relation saine, sans violence. Comme tu me l’as dit une fois,
si je continue de taper sur les femmes, je ne serai pas
différent de mon père.
— Et comment comptes-tu guérir de cette violence envers
les femmes ?
— Je ne sais pas. À toi de me le dire.
— Et si tu commençais par pardonner à ta mère ?

Je pouffe de rire.

— Encore vos histoires de pardon.


— Non, écoute ce que je veux dire. Lorsque je dis de
pardonner à ta mère, je ne suis pas en train de te dire de
l’appeler pour lui dire que tu laisses tout tomber, que tu
l’aimes et que tu la veux dans ta vie.
— Qu’es-tu donc en train de me dire, docteur ?
— Libère ton cœur de cette rage, cette haine que tu lui
nourris. Libère-la de la prison de vengeance dans laquelle
tu l’as emprisonnée.
— Cette femme mérite toute la haine du monde.
— Tant que ce sera ainsi, tu continueras à être violent avec
les femmes parce que tu la verras en chacune d’elles et
puisque tu ne peux la battre, tu transféreras cette haine
contre les femmes qui entreront dans ta vie.
— C’est si facile à dire qu’à faire.
— Il faudra bien commencer quelque part.
— Sincèrement docteur, c’est le dernier de mes soucis. Ce
qui me préoccupe là maintenant, c’est de me débarrasser de
ces cauchemars.
— Alors, pour ça, je vais te proposer de faire des activités
qui vont occuper ton esprit sur autre chose que ton enfance.
— Quel genre d’activité ?
— Il y a le sport. Tu peux t’inscrire dans une salle pour faire
de la boxe afin de te défouler. Ou du karaté. Il y a aussi le
foot, le basket ou le tennis. Mais moi je te conseille la
musique.
— Pourquoi ?
— Parce que ça adoucit les mœurs. Lorsque tu te sens
angoissé, mets de la musique, douce de préférence, pour te
soulager. Tu peux également dormir avec de la musique en
fond sonore.
— Je vois.
— Ajouté à cela, je te propose la charité. Fais du bien
autour de toi. Fais une activité qui te rendra utile pour les
autres. Ta vie se limite à ton boulot et aux femmes. Rien
d’autre ne te permet de te détendre. Plus tu manifesteras de
l’amour envers les autres, moins il y aura de la place pour
la haine dans ton cœur. Ainsi commencera ta guérison.

Il n’a pas tort. Je n’ai aucun centre d’intérêt en dehors des


femmes et de l’alcool. Je dois trouver quelque chose d’utile
à faire pour m’occuper l’esprit. Nous mettons fin à la
séance du jour. Nous en avons deux d’une heure trente
minutes chacune, par semaine. Au bout des deux premiers
mois, je peux affirmer que je me sens beaucoup mieux
qu’avant. Beaucoup plus soulagé sur certains points. Ma
guérison n’est pas encore totale, mais j’ai évolué. Il y a
certaines conneries que je ne suis plus près de refaire,
comme papillonner. Je veux devenir un homme beaucoup
plus responsable.
Je rejoins ma tante au salon pour diner avec elle. Awa fait
le service toute seule. Durant tout le diner, je ne vois pas
Boya. Je n’ai plus besoin d’elle pour manger, mais elle aide
toujours Awa à dresser la table.

— Où est Boya ? je demande à Awa.


— Elle ne se sent pas très bien.

Elle échange un regard avec ma tante avant de retourner à


la cuisine.

— Pourquoi ce regard entre vous ?


— Après insistance, Awa m’a avoué qu’elle avait
découvert les ARV de Boya, ce qui a beaucoup affecté cette
dernière. Awa lui a expliqué que cela ne changeait en rien
son affection pour elle, mais Boya n’a pas eu le moral de
sortir diner alors elle a préféré prendre l’excuse d’un
malaise pour avoir une autorisation.

Je me sens mal pour Boya qui doit vivre avec la honte de


se faire découvrir et la crainte de se faire rejeter.

— Tu devrais peut-être aller lui parler après le diner, me


conseille ma tante.
— Je le ferai.

Le diner terminé, je fais comme convenu. Awa entre la


première avec une assiette de repas pour Boya. Elle sort et
me fait signe d’entrer. J’avance doucement dans mon
fauteuil roulant et le quitte pour le lit. Elle est couchée sur
le lit, le drap la recouvrant de la tête aux pieds.

— Boya !

Elle sursaute.

— Je peux te parler ?

Elle fait oui de la tête et s’assied en repliant ses jambes sous


elle. Je remarque ses yeux rougis.

— Comment as-tu eu le SIDA ?


— Par mes parents, répond-elle d’une voix à peine audible.
Je suis née avec.
— Tu veux en parler ?

Elle éclate en sanglots.


— Mon père a chopé la maladie dans ses nombreuses
relations. Il a contaminé ma mère. Quelque temps après elle
découvrait qu’elle était enceinte de moi. Par vengeance ou
par déception, je ne sais pas, elle n’a pas voulu suivre le
traitement qui lui avait été donné dans le but de mettre au
monde un bébé sain. Elle s’en foutait carrément de tout. Je
suis donc née avec. Elle m’a allaitée sans toujours respecter
son traitement. Après elle est morte. Quelques années plus
tard, c’était au tour de mon père. Je les déteste tellement,
mais surtout elle, parce que c’est sa faute si je suis
contaminée. Déjà, elle n’était pas obligée de rester avec un
infidèle chronique. Elle pouvait partir, mais elle est restée
jusqu’à chopper cette sale maladie. J’entends toujours les
femmes dire qu’on ne quitte pas un homme infidèle tant
qu’il prend soin de toi et des enfants, mais elles oublient
qu’il y a des maladies. Elles sont prêtes à risquer leur vie,
leur santé et celle de leurs enfants tout ça à cause du statut
de femme mariée. Mais quelle serait la valeur de ce mariage
si elles doivent vivre avec des maladies incurables et
qu’elles doivent en mourir ? Ils ont tous les deux gâché ma
vie.
Elle pleure de plus belle. Je vois qu’elle avait vraiment
besoin de vider son sac. Je lui prends la main et la caresse
tendrement.

— Je suis sincèrement navré. Tu n’as pas à te morfondre


parce que tu n’as rien fait de mal. Tu payes certes pour les
erreurs des autres, mais tu restes un être humain comme
tout autre. Arrête de pleurer, s’il te plaît !

Elle se reprend petit à petit.

— Depuis quand suis-tu ton traitement ?


— Depuis toute petite. Je crois quand j’avais un an, après
la mort de ma mère. Ayant découvert la cause de son décès,
le docteur nous a obligés mon père et moi à suivre les
traitements.
— Fais-tu des analyses ?
— Pour quoi faire ? Je suis déjà malade à vie. À quoi vont
servir ces analyses ?
— Tu dois savoir où tu en es, surtout si tu as suivi
régulièrement ton traitement depuis toute petite. Voici ce
qu’on va faire, demain matin nous irons te faire faire des
analyses.
— Ne vous dérangez pas pour moi, monsieur.
— Regarde-moi !

Elle lève timidement les yeux sur moi.

— Tu m’as été d’une aide précieuse durant ma


convalescence. Tu me donnais à manger, m’aidais à
prendre ma douche, et tu veillais à mon chevet lorsque les
somnifères ne faisaient plus effet et que j’étais troublé. Tu
es restée sans broncher. Je veux te rendre la pareille.

Je lui nettoie les joues avec mes doigts.

— Boya, je veux que tu retiennes que tout le monde ne te


rejette pas. Moi je ne te rejette pas, ma tante ne te rejette
pas, mon frère Laurence ne te rejette pas et Awa encore
moins. Plus tard, tu rencontreras des gens qui t’accepteront
telle que tu es. Alors, je te demande de ne pas baisser les
bras. De reprendre goût et espoir en la vie.
— Comment le faire quand toute ma famille me traite
comme une épidémie ? Ils me regardent tous comme si
j’avais de la merde sur moi. Comment suis-je censée être
heureuse au milieu de tout ça ? Comment, hein ?
Ses pleurs reprennent au point de m’émouvoir. Je l’attire
contre moi et la prends dans mes bras où elle pleure de plus
en plus. Je m’essuie les larmes furtivement. Ç’aurait été la
vie de ma sœur si elle était encore vivante ? Peut-être que
je devrais faire avec elle ce que je n’ai pu faire avec ma
sœur jumelle. La sauver de ce monde méchant et lui
redonner le sourire.

J’ai pu convaincre Boya de venir avec moi. Laurence lui a


fait des prélèvements et là nous attendons les résultats. Je
réponds au message de Martine pendant ce temps. C’est la
deuxième fois aujourd’hui qu’elle rentre en contact avec
moi. La première fois c’était le mois passé, disons, une
semaine après ma sortie de la clinique. Elle m’a appelé pour
prendre de mes nouvelles, après plus rien, jusqu’à
aujourd’hui. Je ne sais pas si un jour on reprendra notre
relation. Pour l’heure, ma seule priorité c’est de me
débarrasser de mes cauchemars, de cette violence et
reprendre une vie normale. Avoir une relation est le dernier
de mes soucis. J’ai également décidé de ne pas avoir de
relations sexuelles jusqu’à ce que je me sente guéri.
Je pose mon portable sur ma cuisse lorsque Laurence entre
dans son bureau avec des fiches en main. Il s’assied en face
de nous, de l’autre côté de son bureau.

— Alors Boya GUEHI, commence-t-il, avec ce que je lis


ici, tu as toutes les raisons d’être heureuse dans ta vie.
— Comment ça ? Je n’ai pas le SIDA ?
— Tu n’as jamais eu le SIDA. Uniquement le VIH.
— Je ne comprends pas. J’ai le SIDA oui ou non ?
— Je vais t’expliquer.

Il pose les résultats sur la table et avance son siège.

— Le VIH, autrement dit : le Virus de l’Immunodéficience


humaine, est un virus qui s’attaque au système immunitaire
du corps et tant que ce virus est maitrisé par le traitement,
il n’a aucun impact sur la santé du porteur. C’est-à-dire,
c’est lorsqu’il n’est pas traité, qu’il se développe, gagne du
terrain dans l’organisme de l’homme, qu’il arrive au stade
de SIDA. Ce qui n’est pas ton cas.
— Je ne comprends toujours pas.

Laurence et moi échangeons un regard puis un sourire. Je


me sens étrangement soulagé pour elle.
— Ce que je veux dire, c’est que tu es normale, Boya. Tu
ne fais pas la maladie. Le virus est dans le coma, pour parler
terre à terre. Et la deuxième bonne nouvelle, c’est que ta
charge virale est tellement faible qu’on croirait que tu es
totalement guérie. Tu n’es pas contagieuse même si tu as
des rapports sexuels non protégés. Outre le fait que tu dois
prendre tes ARV à vie, tu es comme nous. Tu peux avoir
des dizaines d’enfants sans qu’ils soient contaminés. Tu
n’es pas une sidéenne.
— Donc je… je suis normale ?
— Oui ! rigole Laurence.
— Je peux donc vivre normalement ? Je peux me marier,
faire des enfants, manger dans la même assiette que
quelqu’un, partager la même cuillère, etc. sans craindre de
les contaminer ? Je vais donc vivre longtemps ?
— Oui, mais à condition de continuer à suivre ton
traitement. Parce qui si tu relâches, le virus va se réveiller
et devenir très dangereux. Et j’aimerais signifier que le fait
de partager des choses avec les gens n’a jamais été source
de contagion. Il y a contagion lorsque le sang d’une
personne infectée touche une blessure d’une autre personne
saine. C’est pour cette raison que les porteurs ne peuvent
pas faire de don de sang. Il y a également contagion en cas
de rapports sexuels non protégés. Mais tu ne fais pas partie
de ce deuxième cas.

Voir la joie sur le visage de Boya me réchauffe le cœur.


C’est la première fois que je la vois sourire, le visage
dégagé. Je ne peux m’empêcher de rigoler à mon tour.
Laurence nous laisse après lui avoir signifié qu’elle doit
faire des check-up une fois par an pour s’assurer que tout
va bien.

— Je t’avais dit que tu devrais garder espoir, je lui rappelle


en la regardant jubiler sur place.
— Vraiment merci monsieur. Je ne vous remercierai jamais
assez.
— Je sais comment tu vas me remercier.
— Comment ?
— En étant tout le temps heureuse. Je ne veux plus jamais
revoir la tristesse sur ton visage. Nous allons bientôt
retourner chez nous et je te veux plus détendue. Ne
t’enferme plus dans la cuisine ou au balcon. Gesticule
librement dans la maison, tout en faisant bien ton travail
bien sûr. Tu peux faire ça ?
— Oui, monsieur ! Je le ferai. Encore merci. Mais je
voudrais faire la paix avec ma tante et tout lui expliquer sur
ma santé. Elle n’est pas méchante, vous savez. Depuis toute
petite, elle était la seule dans la famille à se préoccuper de
moi. Puis au décès de mon dernier parent, elle a encore été
la seule à vouloir me prendre sous son aile. Le problème,
c’est qu’elle s’est laissée influencer par les préjugés des
autres membres de la famille. Je veux faire la paix avec elle,
même si je ne dois plus vivre chez elle.
— C’est compris. J’irai la voir la semaine prochaine.
— Merci, monsieur.

Elle me gratifie d’un sourire chaleureux. Je lui rends son


sourire.

***TANTE ODETTE

— Pourquoi ton visage est comme ça ?


— C’est à cause de Boya. Ça fait deux mois qu’elle vit hors
de la maison.
— Mais ce n’est pas toi qui as mis ses bagages dehors ?
— Oui, parce que j’étais en colère. Mais après je me suis
rendu compte de ma bêtise. Normalement, elle devait venir
demander pardon pour que je la reprenne. Son patron lui a
monté la tête. Je veux porter plainte contre lui.
— Mais tu as quel problème ? Tu devrais te réjouir que
cette sidéenne ne soit plus dans ta maison. Ta famille et toi
ne risquez plus d’être contaminés. C’est un bon débarras.
Je ne sais même pas quelle mouche t’avait piquée pour que
tu la récupères alors que toute la famille était d’accord pour
qu’elle parte rester au campement. Tu aimes trop les
problèmes. Maintenant qu’elle est partie, oublie-la. Ce qui
lui arrivera là-bas n’est plus ton problème.
— Il s’agit de ma nièce.
— C’est aussi ma nièce hein, je te signale. Ma chère,
oublie-la. Ça te fait des soucis en moins. Bon, je m’en vais.
J’ai des courses à faire avant de rentrer.

Je regarde ma sœur aînée s’en aller, mais mes pensées sont


figées sur Boya. Je ne sais plus quoi penser, quoi faire, où
mettre la tête. Je suis tiraillée entre mon envie de récupérer
ma nièce et celle de la laisser loin de ma maison. Je n’ai
jamais détesté Boya. Sa mère, qui était ma sœur aînée, la
première de notre fratrie de douze enfants dont quatre sont
décédés, y compris elle, a toujours été ma meilleure amie.
Je suis la cinquième de la fratrie et Gisèle a été une mère
pour moi. Pour nous tous d’ailleurs. Elle aidait notre mère
dans notre éducation. Puis, quand les parents ont été dans
l’incapacité de subvenir à nos besoins, c’est elle qui a pris
la relève. Elle a quitté l’école pour les petits boulots. Même
après son mariage, elle a continué. C’est pour cette même
raison qu’elle a encaissé toutes les bêtises que lui faisait
vivre son imbécile de mari. Il ne faisait que la tromper avec
n’importe qui, la rabaissait, la battait parfois, mais elle ne
disait jamais rien, uniquement parce qu’elle dépendait
financièrement de lui. Toute notre famille dépendait de lui.
Elle subissait donc tout ça. Encore plus après la mort de nos
parents.

Sa mort a été un véritable choc pour moi. Je n’ai jamais su


qu’elle avait le SIDA. Elle me l’avait caché. Par honte ou
pour ne pas m’attrister ? Je ne saurais le dire. Ce n’est
qu’une fois morte que nous avons découvert la cause qui
n’était autre que cette maladie. Les membres de la famille
se sont mis à jaser, racontant de vilaines choses sur elle.
Même nos frères et sœurs pour qui elle s’est sacrifiée toute
sa vie. Tout le monde s’est éloigné de son mari et de sa fille
qui n’avait qu’un an. Moi je ne le pouvais. Gisèle était ma
confidente, ma mère, mon père, ma sœur, ma meilleure
amie, mon tout. Alors, j’ai gardé contact avec la famille
qu’elle avait laissée. Mes autres frères n’arrêtaient pas de
me harceler pour que je m’éloigne d’eux au risque d’être
contaminée. Petit à petit, malgré moi, j’ai fini par me laisser
influencer par leurs mauvais propos, si bien
qu’aujourd’hui, je ne peux m’empêcher de traiter ma nièce
différemment. De la voir différemment. De la voir comme
un problème, comme une maladie, comme une épidémie,
pourtant au fond de moi, je l’aime comme ma propre fille.

— Bonjour, madame !

Je reviens à moi et lève les yeux. Un homme, tenant deux


béquilles, se tient debout devant ma table.

— Boya m’a dit que vous vendez ici au marché en journée.

Je le reconnais enfin. C’est le patron de Boya.

— Je suis venu pour que nous discutions de Boya. C’est


elle qui m’envoie.
— Elle veut maintenant revenir après son ingratitude ?
— Est-ce que je peux m’asseoir ?

Je le dévisage un moment puis je nettoie la place vide sur


le banc et lui fais signe de s’asseoir.
— J’ai eu un accident la dernière fois après votre départ.
Boya s’est vue obligée de rester à mes côtés pour m’aider
vu que ma fiancée était partie.
— Je suis désolée pour vous. Que me veut Boya ?
— Vous dire qu’elle vous aime et qu’elle aimerait que vous
lui pardonniez, si jamais elle vous avait offensée.

Je cache mon émotion pour ne pas qu’il me prenne pour


une femme faible. L’homme sort quelque chose de la poche
de son jean. C’est une enveloppe pliée.

— Elle me charge de vous remettre ça. Elle m’a expliqué


la situation de votre famille. C’est la moitié de ses
économies.

Je prends l’enveloppe avec beaucoup d’hésitation. Je ne


m’y attendais pas.

— Elle aimerait également vous demander de lui permettre


de rester vivre sur son lieu de travail.
— Pourquoi ne veut-elle pas rentrer ? Elle pense que nous
la maltraitons ? C’est ce qu’elle vous a dit ?
— Non. Par contre, elle se plaint d’harcèlement sexuel de
la part de votre mari.
— Fhum ! Cette fille…
— S’il vous plaît, mettez de côté votre amour pour votre
mari ne serait-ce qu’un instant. Peut-être que vous ne la
croyez pas, mais moi si.
— Mon mari ne ferait jamais une chose pareille à un
membre de ma famille.
— Soit, je vous le concède. Mais supposons, je dis bien,
supposons qu’elle revienne vivre avec vous et que le pire
arrive, qu’il la… enfin, vous voyez. Comment vous
sentirez-vous ? Êtes-vous prête à laisser votre famille vivre
un tel scandale ? Êtes-vous prête à laisser la vie de votre
nièce se détruire de la sorte ? Je ne vous demande rien, juste
de lui permettre de rester vivre chez moi jusqu’à ce qu’elle
se prenne en charge. Elle met de l’argent de côté pour se
lancer dans le commerce plus tard. Elle viendra vous voir
autant de fois qu’elle le voudra, vous pourrez vous appeler
tous les jours et elle continuera de vous envoyer sa
contribution pour vos dépenses. Elle a juste besoin de votre
autorisation.
— Vous voulez sortir avec elle ? je lui demande avec
dédain.
— Aucunement.
— Donc pourquoi vous faites ça pour elle ?
— Parce que j’ai longtemps vu cette jeune fille plongée
dans la tristesse et aujourd’hui qu’elle veut prendre sa vie
en main et être plus épanouie, je veux l’y aider. Vous
devriez en faire autant.
— Donc c’est moi qui la rendais malheureuse ? Pourtant,
dans la famille, je suis la seule à avoir voulu d’elle dans sa
maison bien qu’elle soit une sidéenne.
— Boya n’est pas sidéenne. Elle n’a pas le SIDA.
— Ça veut dire quoi ?

Il prend une grande inspiration et se lance dans une


explication qui me surprend grandement.

— Donc Boya n’est pas contagieuse. Et même si elle l’était,


elle mériterait tout l’amour du monde parce qu’elle n’a pas
décidé d’avoir ce virus. Les porteurs du VIH/SIDA ne sont
pas des personnes à éviter. On ne contracte pas la maladie
en se frottant à eux. Si votre mari sait qu’il peut coucher
avec Boya sans risque d’être contaminé, il le fera à la
seconde même où elle mettra les pieds chez vous.
— Vous êtes vraiment très mal poli de parler ainsi de mon
mari. Il n’est pas un violeur.
— Ok, je suis désolé.
— Retournez chez vous avant que je ne m’énerve.
— Ok. Mais promettez-moi d’y réfléchir. Pensez surtout à
Boya. Vous ne perdez rien en la laissant vivre chez moi.

Il sort une carte de son porte-monnaie et la pose entre nous


deux sur le banc. Il se lève un peu difficilement.

— Passez une bonne journée, madame.

Ses paroles résonnent toute la journée dans ma tête. Il est


vrai que je n’ai rien à perdre en laissant Boya aller vivre
chez lui, mais cette histoire d’attouchement m’intrigue. Je
rejoins ma maison à la tombée de la nuit. J’entre dans la
chambre et mon mari en me voyant raccroche
automatiquement son portable. Encore une de ses
maitresses. Je reconnais qu’il est un coureur de jupons. Il
adore les fesses, surtout celles de petites filles qu’il peut
mettre au monde. Je l’ai plus d’une fois surpris avec des
gamines de dix-sept ans. C’est d’ailleurs sur elles qu’il
gaspille le peu d’argent que nous avons. Même ses élèves
n’échappaient pas à ses vices. Mais de là à ce qu’il soit un
violeur, non je refuse. Toutes les gamines avec qui il sort
ont l’air consentantes. Je n’ai jamais entendu d’histoire de
viol contre lui.
Je m’assieds sur le lit et lui relate ma conversation avec le
patron de Boya. Il s’emporte aussitôt.

— J’espère que tu n’as pas accepté ? Depuis longtemps que


je te poursuis pour que tu partes la chercher et la ramener
ici, mais tu n’as rien fait et aujourd’hui elle a pris goût à la
vie de dehors. Tu veux la livrer à la prostitution ? Je suis
certain que cet homme est un pervers qui veut juste coucher
avec elle comme bon lui semble.
— C’est monnaie courante que les filles de ménage
dorment chez les patrons. Il n’y a rien d’étrange à cela.
— Mais Boya n’est pas toutes les filles. Je ne veux pas
qu’elle reste chez cet homme. Si c’était une femme, Ok.
Mais un homme ? Jamais ! De te rappeler qu’il l’a déjà
violée ?
— Malgré cela elle veut rester vivre chez lui.
— MAIS TU AS QUEL PROBLÈME ??? hurle-t-il
subitement. Ramène-la ici.
— Toi tu as quel problème à t’agiter ainsi ? Si Boya dort ici
ou là-bas, quel est le problème ? Ou bien tu es fan d’elle ?
Elle a dit que tu la harcelais. C’est vrai ?
— Que… qu’est-ce… c’est quoi ces conneries ? C’est
comme ça qu’elle veut me remercier après que je l’aie
acceptée chez moi avec sa sale maladie ? Si c’est ça, je ne
veux plus jamais la voir ici. M’accuser, moi, de
harcèlement ? Elle est malade.

Il sort de la chambre en continuant à bavarder. Sa réaction


me donne des doutes. A-t-il vraiment fait ça ? Je prends
mon portable, sors la carte de visite de mon sac de
commerce et j’appelle le numéro. Ça sonne un moment
avant que ça ne décroche.

« — Oui, allô ! »


— Bonsoir, monsieur ! C’est Odette, la tante de Boya.
« — Ah ! Bonsoir, madame. Comment puis-je vous aider ? »
— J’accepte que Boya vive chez vous, mais pour le
moment, pas définitivement. Je vais trouver une solution.
Faudrait aussi qu’elle vienne une fois par semaine passer la
journée avec moi au marché. Je veux garder un œil sur elle.

Je l’entends soupirer de soulagement.

« — Infiniment merci. Je lui passerai la nouvelle. Demain


même elle peut passer vous voir. Encore merci. »
— Bonne soirée à vous.
« — À vous pareillement. »
Je me sens soulagée en raccrochant. Connaissant les
penchants sexuels de mon mari pour les petites filles, je
préfère garder ma nièce loin, le temps de trouver une
solution. Je ne veux pas avoir un viol sur la conscience.
9

***MARTINE

Je rigole en avoir mal aux côtes. Depuis que je passe plus


de temps avec Hermann et ses potes, je passe des journées
toutes aussi fantastiques les unes que les autres. J’adore
chacune de nos sorties avec ses amis. Je me rends compte
maintenant que lui et moi n’avions jamais fait de sorties
rien que tous les deux. Nous avons toujours de la
compagnie, ce qui n’est pas pour me déplaire.

Ça fait maintenant six mois que Stephen et moi sommes en


pause et ça me tue. Il n’est toujours pas revenu vers moi.
C’est toujours moi qui dois lui écrire ou l’appeler en
premier et lui, il a l’air un peu distant. Il me dit que je lui
manque, mais je ne comprends pas pourquoi il ne me
demande pas de revenir à la maison. Il me manque
atrocement et s’il n’y avait pas Hermann qui me fait
changer d’air pratiquement tous les jours, je crois que
j’aurais fait une dépression.

— Notre belle, tu veux encore une canette de bière ? me


demande Pacôme un peu plus loin.
— Non, je veux de la sucrerie cette fois-ci. Merci bien.

Il ouvre la glacière, fouille à l’intérieur et m’apporte ma


boisson.

— Merci ! lui dis-je avec un sourire.


— Tu es notre femme, donc nous sommes obligés de
prendre soin de toi.

Je rigole pendant qu’il retourne près de ses potes. Nous


sommes aujourd’hui à la plage pour relaxer après une
semaine de travail harassante. Les gars ont apporté de la
sonorisation pour mettre plus d’ambiance. Hermann et moi
échangeons de temps en temps des regards et des sourires.
Même à la plage, il porte un jean plutôt qu’un short comme
ses potes. Peut-être cache-t-il une grosse cicatrice de son
handicap.

— C’est donc maintenant officiel entre Hermann et toi ? me


demande la copine de Pacôme.
— Officiel ? Nous ne sortons pas ensemble. Ils insistent
tous à m’appeler ainsi, donc je ne les contredis plus.
— S’ils le font, c’est parce que Hermann craque vraiment
pour toi.
— Non je ne crois pas, dis-je en rigolant. Nous sommes
juste de bons voisins.
— Si tu ne comptais pas pour lui, jamais Hermann ne
t’aurait fait intégrer son cercle d’amis. Il ne présente jamais
ses amis à des personnes qui n’ont pas de place importante
dans sa vie.
— Il doit sans doute beaucoup m’apprécier. Rien de plus.
— Si tu le dis.

Je tourne et pose mon regard sur Hermann qui rigole avec


ses potes. S’il est amoureux de moi ? J’avoue ne m’être
jamais posé la question, surtout que je passe mes jours et
mes nuits à penser à Stephen. Hermann est juste un homme
beaucoup trop cool. C’est tout.

La journée terminée, nous rentrons chez nous,


complètement repus. J’ai besoin d’une bonne douche
chaude et de longues heures de sommeil pour pouvoir
récupérer.

— Je crois qu’après cette journée détente, je peux affronter


n’importe quelle journée de travail, dis-je pendant que nous
montons les escaliers.
— Moi c’est tout le contraire, répond Hermann avec son
sourire charmeur. J’ai besoin de plusieurs autres jours de
relaxation.
— Toi tu es trop paresseux.
— Non. Je ne suis pas un robot. D’ailleurs, les robots
également s’épuisent et ils se mettent à bugger.
— Ouais c’est ça.

Nous arrivons devant nos appartements en rigolant.

— Alors, je te souhaite une bonne nuit, me dit-il en glissant


sa clé dans la serrure.
— À toi également.

Je fouille dans mon sac à la recherche de ma clé.

— Merde !
— Quoi ?
— Soit j’ai perdu mes clés, soit je les ai oubliés ce matin en
partant.
— Sandra n’est pas là ?
— Partie en week-end. Elle rentrera tôt demain. Pff !
— Tu peux passer la nuit chez moi, si ça ne te dérange pas.
— Je ne veux vraiment pas te déranger. Je vais peut-être
aller chez mes parents.
— Arrête tes conneries. Viens !

Il me tire par le bras sans me laisser la possibilité de refuser.


Ça me soulage un peu parce que je n’avais pas vraiment
envie de me taper tout le chemin pour me rendre chez mes
parents.

Hermann me permet de me doucher dans sa salle de bains.


Il me donne également un tee-shirt à lui et un bas de jogging
à enfiler pour cette nuit. Je rigole en remarquant que ses
vêtements sont deux fois plus grands que moi. Je me rends
ensuite dans la douche et j’ouvre la pompe, mais je reçois
une brûlure au dos qui me fait hurler. Hermann déboule tout
paniqué mais se retourne aussitôt en me voyant
complètement nue.

— Je… je suis désolé, dit-il derrière la porte. J’ai cru qu’il


t’était arrivé quelque chose de grave.
— Je me suis brûlée avec de l’eau chaude.
— Merde ! Désolé, j’ai oublié de t’avertir que j’avais fait
installer un chauffage et que j’avais programmé mon
robinet sur de l’eau extrêmement chaude. J’ai quelque
souci de nerfs et ça me soulage. Est-ce que je peux rentrer
pour mettre sur une température normale ?

Je tire la serviette avec laquelle je me couvre.

— Oui !

Il entre doucement et garde les yeux baissés jusqu’à la


pompe qu’il manipule quelques secondes avant que l’eau
ne change de température. Toute la vapeur qui avait rempli
l’espace se dissipe.

— Encore désolé.
— Ce n’est pas grave. J’ai l’impression d’avoir été blessée
dans le dos.
— Je te passerai une pommade quand tu auras fini. Ça te
soulagera.
— Ok.

Ma douche prise, je retourne dans la chambre et je fais


signe à Hermann. Je reste en serviette pour lui permettre de
me passer la crème contre les brûlures. Assise sur le lit, dos
à lui, je ferme les yeux et profite de ce doux moment de
massage. Les mains expertes d’Hermann se baladent sur
mon dos, mais également sur mes épaules et mon cou. Il ne
fait pas que m’appliquer la pommade, il me fait un massage
qui me détend absolument.

— Putain, ça fait du bien, dis-je dans un gémissement.

Ses mains descendent et remontent le long de mon dos et


étrangement, une pointe d’excitation se fait ressentir. Je
sens quelque chose se poser sur mon épaule. J’ouvre les
yeux. Hermann pose un deuxième baiser sur mon autre
épaule. Je n’ose me retourner. Je n’ose le reprendre pour ce
geste, car ça me plaît.

— Martine, souffle-t-il comme pour avoir une réaction.

Je tourne la tête vers lui. Le regard de désir qu’il pose sur


moi fait battre mon cœur étrangement. Je n’ose parler. Ses
yeux descendent sur mes lèvres, les miens sur les siennes.
Il rapproche son visage, j’entrouvre mes lèvres. Il y fond
ses lèvres tout doucement. J’ouvre encore plus la bouche et
je réponds à son baiser. Nos langues se rencontrent,
provoquant un brasier en moi. Mais quand je sens la main
d’Hermann se poser sur ma cuisse, je sursaute et le
repousse.
— Nous ne pouvons pas faire ça. J’ai un petit ami.

Je m’élance dans la direction de la salle de bains. Hermann


me retient par le bras, me retourne vivement et capture mes
lèvres.

— Je sais que tu en as envie alors laisse-toi aller.

Il capture de nouveau mes lèvres puis fait tomber ma


serviette à mes pieds. Je retire son débardeur tandis qu’il
ouvre son jean qu’il baisse un peu par la suite. Il me soulève
ensuite contre le mur en me tenant fermement les jambes.
J’enfonce mes ongles dans son dos quand il me fait des
suçons dans le cou. Je n’avais pas ressenti autant de plaisir
depuis très longtemps. Il est vigoureux et doux à la fois. Il
fait un mouvement de hanche et je le sens se glisser en moi.
Je pousse un long gémissement qu’il étouffe par un baiser.
Je m’accroche à lui et resserre mes cuisses de peur de
chanceler. Plus aucun mot ne sort de ma bouche si ce ne
sont de douces complaintes. Je ne me souviens pas la
dernière fois que j’ai eu ce genre de rapport sexuel normal.
Cette fois, je prends mon pied, je savoure mon plaisir, je ne
subis aucune violence, je ne ressens aucune douleur
physique. Et je sens le premier orgasme qui vrille mon
corps.

Hermann me décolle du mur et me fait coucher sur le lit. Il


me retourne ensuite sur le ventre. Il parsème mon dos de
baisers pendant que je reprends mes esprits peu à peu. Il
remonte à mon cou pour d’autres suçons qui me font gémir
beaucoup plus fort.

— Tu es tellement douce, Martine. Tu mérites d’être aimée.

Cette déclaration me fait énormément chaud au cœur.


L’émotion me cloue la bouche. Je ferme les yeux en le
sentant me pénétrer lentement, centimètre par centimètre.
Je souffle pour évacuer le trop plein de plaisir qui me
submerge. Il commence à bouger en moi cette fois tout
doucement. Il prend son temps pour me torturer. Je
m’agrippe au drap.

— Hermann !!!

Il glisse sa main sous moi et me relève légèrement le bassin.


Je le ressens de plus en plus aller et venir en moi. Sentir son
pubis cogner contre mes fesses me rend folle. Il me fait
perdre complètement la tête quand il se met à jouer avec
mon clitoris tout en me faisant subir ses assauts avec plus
de vigueur. C’est plus que je ne peux supporter. Ma
fontaine se met en activation. J’avais oublié que j’étais une
femme fontaine tellement je n’avais plus vraiment pris
plaisir avec Stephen. Souvent oui, il me donnait du plaisir,
mais ça ne durait pas longtemps ou qui était mêlé aux
douleurs.

Hermann se retire de moi à temps avant que la jouissance


ne le frappe. Il se laisse tomber près de moi en respirant
bruyamment. Il se lève ensuite et se rend dans la salle de
bain. Je reste toujours allongée sur le ventre à reprendre
mes esprits. L’adrénaline descendue, la gêne commence à
s’installer. J’ai couché avec mon voisin alors que je suis
engagée quelque part, même si la relation est un peu tendue
pour le moment. Comment me verra Hermann maintenant ?
Comme une femme facile qui n’hésite pas à tromper son
homme. Pourtant ce n’est pas mon genre. Quand je suis
dans une relation, je m’y mets à fond. Je n’en reviens pas
de mettre laissée emporter.

Quand Hermann sort de la salle de bain, je me lève du lit et


fonce dans la douche en gardant la tête baissée. Je suis prise
de honte. Je me la suis jouée femme responsable et réfléchie
et je viens de me donner à lui aussi facilement. C’est
n’importe quoi ! Quand je retourne dans la chambre après
m’être rincée, les draps du lit ont été changés et Hermann y
est assis, manipulant son portable. Il doit sans doute être en
train de se foutre de ma gueule avec ses potes. Je m’assieds
de l’autre côté du lit et lui donne dos.

— Ce qui vient de se passer est une erreur qui ne doit plus


se répéter, dis-je en espérant rattraper les choses. Je ne suis
pas une femme facile.
— Je ne l’ai jamais pensé.
— Tant mieux. J’ai un homme dans ma vie que j’aime plus
que tout et avec qui je compte passer le reste de mes jours.
Je te le dis pour que les choses soient claires entre nous.
— Ok ! dit-il doucement. Je te laisse la chambre. Je vais
dormir dans le salon.

Il prend un coussin et sort. Je me couche avec cette honte


qui ne m’a pas quittée malgré tout.

***HERMANN ANEBO
J’ai été fou de penser qu’une fille comme elle s’intéresserait
à un handicapé comme moi. Aucune femme ne veut d’un
homme pareil dans sa vie. Depuis cet accident qui m’a
coûté une jambe quand j’avais seize ans, je suis
constamment dévisagé. Mais maintenant c’est mieux que
les années précédentes. Je me sens moins dévisagé depuis
que j’ai acheté une prothèse de jambe. Mais le problème
persistant dans l’intimité avec les femmes. Je les voyais me
regarder étrangement quand je retirais ma prothèse et
qu’elles voyaient ma jambe coupée. Je ne le supportais plus
alors j’ai arrêté d’avoir des relations amoureuses, ni de
coups d’un soir. Je vis comme un homme puceau, enfin,
jusqu’à ce soir. C’est mon tout premier rapport depuis bien
longtemps.

J’ai pour habitude de retirer ma prothèse quand je dois


dormir, mais avec la présence de Martine, je préfère dormir
avec. Je ne veux pas voir un autre regard étrange se poser
sur moi.

Lorsqu’il fait jour, je me rends dans la cuisine, faire le petit-


déjeuner. J’entends la porte s’ouvrir alors je sors. Martine
baisse les yeux quand elle me voit.
— Bonjour, Martine. Je suis en train de préparer le petit-
déjeuner.
— Merci, mais je vais rentrer. Ma sœur est arrivée.
— Tu peux au moins…
— J’ai dit : ça va.

Elle sort à la hâte sans un regard pour moi. Je crois que


l’amour, ce n’est plus pour moi. Je vais me consacrer
uniquement à mon boulot et à ma famille.

***STEPHEN

Je sors de la salle de bains, en serviette, et je remarque des


vêtements qui ne sont pas les miens, posés sur mon lit. Je
soulève le premier, c’est une chemise en tissu lourd avec
un design sur le côté fait avec du pagne. Le deuxième est
une tunique noire avec également des designs faits avec un
pagne différent du premier. Toutes les deux sont
magnifiques. Je cale les deux vêtements dans mon coude,
je prends ma béquille et je sors retrouver Boya. C’est elle
qui me prépare mes vêtements tous les jours. Elle est la
mieux placée pour m’éclairer sur ces vêtements. Je la
retrouve dans le salon, disposant le petit-déjeuner sur la
table à manger. Quand elle me voit, elle a cette réaction
qu’elle a, chaque fois qu’elle me voit le torse nu. Elle a un
petit sursaut et garde les yeux baissés ensuite.

— Bonjour, monsieur !
— Boya, regarde-moi !

Elle lève les yeux.

— D’où sortent ces chemises ? Je ne me rappelle pas les


avoir achetées.
— C’est moi qui vous les ai offertes.
— Vraiment ? Bah merci beaucoup. Mais ça a dû te coûter
cher. Fallait pas te déranger.
— Ça m’a fait plaisir de les coudre pour vous.
— Les coudre ? Je ne comprends pas.
— Je les ai cousues moi-même.
— Tu es sérieuse ? Tu as une machine à coudre ici ?
— Non. Je travaille uniquement avec du fil et des aiguilles.
— Non. Je ne crois pas.

Elle sourit devant mon air choqué.

— Tu as vraiment fait ça sans machine à coudre ?


— Oui, monsieur.
— Montre-moi ça ou je ne te croirai jamais.
— Venez !

Je la suis jusque dans sa chambre. Elle sort un petit sac de


son placard puis un autre grand sac. Elle ouvre le tout et
sort des tissus et des vêtements non achevés du grand sac.
Je peux clairement voir ses outils de travail.

— Voici une autre chemise que j’ai commencé à


confectionner pour vous.

Je la regarde, de plus en plus sidéré.

— Waouh !!! Je suis stupéfait. Où as-tu appris tout ça ?


— Je n’ai pas appris. Disons que c’est un don.
— Tu couds pour des gens ? Tu les vends ?
— Non ! Je couds uniquement pour moi. Lorsque j’avais
un peu d’argent, je m’achetais des tissus ou des morceaux
de pagne et je me confectionnais des robes ou des jupes.
J’avais mis une pause vu tous les problèmes financiers et
tout ce qui s’est passé ici. Mais maintenant que je suis
plutôt stable, j’ai repris. J’avais commencé à me faire des
robes, mais je les ai mises en stand-by pour vous coudre des
chemises. Une manière à moi de vous remercier pour votre
gentillesse. Mais vous n’êtes pas obligé de les porter si elles
ne vous plaisent pas.
— Tu rigoles ? Ces chemises sont très belles. Je serai ravi
d’être ton modèle si je dois bénéficier de si belles chemises.
— Je suis soulagée, sourit-elle.
— Bon, on en reparlera plus tard. Là, je dois filer au travail.
Encore merci ! Tu es un ange.

Je lui pose un baiser sur la joue et je sors en m’appuyant sur


ma béquille. Je finis de me préparer assez rapidement en
choisissant la chemise plus un de mes pantalons de la même
couleur. Je prends ensuite mon petit-déjeuner et je me rends
au boulot, non sans avoir souhaité une agréable journée à
Boya. Dès que je descends de ma voiture après avoir garé
dans le parking de la boîte, le vigile me compliment sur ma
chemise. Toutes les personnes que je rencontre le font
également. C’est le sourire plaqué sur les lèvres que je
rejoins mon bureau. J’avoue que le cadeau de Boya me fait
énormément plaisir. Je ne m’y attendais pas du tout. Je suis
surtout surpris qu’elle ait ce talent.et tout de même soulagé.
Vu son talent, elle peut en faire un métier. Tiens, ça me
rappelle que je ne sais pas grande chose d’elle, en
l’occurrence, de ses rêves, ses ambitions. Tout ce que je sais
d’elle, c’est qu’elle est débordante de joie. Il lui a fallu un
petit coup de pouce pour qu’elle extériorise sa bonne
humeur. Elle a ce petit truc qui la rend attachante. Je souris,
rien qu’en pensant à la tête qu’elle fait lorsqu’elle regarde
un film d’action. On croirait qu’elle se trouve au milieu des
scènes. Je lui permets de regarder la télé avec moi quand je
suis à la maison. Elle me tient informé de chaque nouvelle
sortie de sa star préférée, Collins. Elle adore les chansons
d’amour et elle en a plein son portable que je lui ai offert.
Oui, je lui ai offert un portable parce que j’en avais marre
de ne pas pouvoir la joindre lorsque je suis hors de la
maison. Elle adore son portable au point d’en être
accrochée quand elle n’a pas de tâche. C’est Boya qui me
tient informé de toutes les nouvelles du pays. C’est encore
elle qui m’a initié aux réseaux sociaux, quoi que je n’y vais
jamais. Nos rapports sont passés de patron-employé à
grand-frère-petite sœur et j’aime bien ça. J’aime me sentir
utile dans la vie d’une autre personne. J’ai mis le sourire
sur ses lèvres et ça me rend heureux.

Je descends un peu plus tôt le soir pour avoir du temps pour


me préparer à ressortir. J’ai une soirée d’affaire avec des
partenaires, mais avant, j’ai ma séance de thérapie chez
mon psychologue. Je suis accueilli par le clip de Collins (À
retrouver dans Ma plus belle MÉLODIE) qui passe à la
télévision. J’entends également Boya qui chante à tue-tête
depuis la cuisine. Je pose mon sac d’ordinateur dans le
fauteuil et je la rejoins. La jeune fille est en train de se
déhancher tout en découpant des légumes. Je m’appuie
contre le chambranle de la porte et je l’observe d’un air
amusé. Elle fait un tour sur elle-même et sursaute en me
voyant.

— Oh mon Dieu ! Monsieur, vous m’avez fait peur.


— Je suis désolé, dis-je en rigolant.
— Il est déjà 18 h ? interroge-t-elle, surprise en jetant un
coup d’œil à son portable.
— Non, c’est moi qui suis rentré un peu tôt. Je dois ressortir
pour le boulot.
— Ah d’accord. Vous voulez que je vous chauffe un peu le
repas ?
— Oui. Fais-le maintenant. Je vais me prendre une douche
et je reviens.
— Tout de suite, monsieur.

Je quitte ma position et lui donne dos, mais je reviens sur


mes pas.

— Au fait, tu danses bien, lui dis-je.


— Hummm vous vous moquez de moi, rigole-t-elle.
— Je suis sérieux. Tu m’apprendras à danser comme toi.
— J’ai compris, dit-elle en éclatant de rire. Merci,
monsieur.

Je lui souris et je vais prendre ma douche. Je reviens trouver


la table dressée. De la nourriture, de l’eau et du jus de fruits
fait par elle. J’ai stoppé avec l’alcool. Ça fait partie de mon
processus de guérison.

— Au fait, j’ai vu du monde au bas de l’immeuble quand je


suis arrivé, dis-je en prenant ma cuillère pendant que Boya
me sert du jus. Il y a eu quelque chose ?
— Hé monsieur ! Vous avez manqué un chic gbairai,
répond-elle tout à coup excitée.
— Un chic quoi ?
— Un chic gbairai. Vous ne connaissez pas ce qu’on
appelle gbairai ?
— Euh non. C’est quoi ?
— Tchié ! Monsieur, vous êtes jeune et puis vous ne
connaissez pas gbairai ? Ça veut dire affairage. Hum, ça a
chauffé ici dèh.
— Que s’est-il passé ? je lui demande en commençant à
manger.
— Vous voyez le jeune clair qui vit juste en bas ? Celui qui
a une barbe de bouc et puis des kintos.

Je plisse les yeux.

— Celui que je vous ai dit qu’il est garçon et puis il se tcha


bêtement là ?
— Celui qui dit vouloir t’épouser ?
— Tchô ! C’est lui.

Elle s’assied sur la chaise près de moi. Je le lui permets, et


nous mangeons ensemble souvent.

— Figurez-vous qu’il a engrossé trois filles lui seul.


— Vraiment ?
— Oui oh ! Hum ! Maintenant, je ne sais pas comment il
s’est arrangé, les trois filles se sont retrouvées ici. Voilà
gbafou.

J’éclate de rire.

— Putain, d’où sors-tu toutes ces expressions ?


— De Facebook, rigole-t-elle. Mais attends je vais
t’expliquer, faut pas couper mon inspiration, continue-t-elle
sans se rendre compte qu’elle m’a tutoyé. Le gars était dans
ramba.

Je pose ma cuillère et me tiens l’arête du nez en riant en


sourdine. Quand Boya se met en mode bavarde, elle te sort
des trucs pas possibles.

— Il ne savait pas quoi faire. Les trois filles ont commencé


à s’insulter. Les femmes même sont trop bêtes. Au lieu de
frapper le gars, c’est entre elles, elles se battent. Les trois
avaient gros ventre. Il était au milieu pour essayer de les
calmer, jusqu’à affaire là est arrivée dehors. Les voisins ont
essayé d’intervenir pour faire partir les trois filles. En tout
cas elles ont duré avant de se décider à rentrer chacune chez
elle.
— Et toi tu es sortie pour assister à tout ça ? je lui demande,
totalement amusé.
— Oui kèh. Qui va laisser gbairai ? J’ai même failli prendre
un faux coup.
— Fais plus attention la prochaine fois et surtout filme pour
moi pour que je puisse savourer aussi le "gbairai".

Elle pouffe de rire. L’entendre rire, c’est comme un


antidépresseur. Ça me soulage réellement. Après le repas,
je vais enfiler la tunique offerte par Boya et je prends congé
d’elle avec ma béquille sur laquelle je prends appui pour
marcher. J’arrive dans le cabinet de mon psychologue.
Notre dernier rendez-vous date d’il y a un mois. J’étais
beaucoup pris par le travail. Mais nous étions en contact
téléphonique. Il m’appelait de temps en temps pour prendre
de mes nouvelles. Nous sommes passés de deux à une
séance par semaine. Il dit que c’est mieux ainsi pour que je
puisse prendre moi-même des résolutions pour ma guérison
sans dépendre de nos séances. Et ça marche. Je vais
beaucoup mieux.

— Très belle tunique, me complimente-t-il quand je


m’installe dans le fauteuil en face de lui.
— Merci beaucoup. C’est un cadeau de Boya. Elle l’a faite
elle-même.
— Elle est douée.
— Oui. Je ne savais même pas qu’elle avait ce talent. Au
fait, il y a plein de choses que je ne sais pas sur elle. Je sais
néanmoins que c’est une fille adorable.
— J’ai remarqué qu’un sourire se dessine sur tes lèvres
chaque fois que tu parles de Boya.
— C’est bien le cas. Lui redonner le sourire, l’aider à mieux
vivre avec sa maladie, m’a énormément aidé et continue de
m’aider. Je ressens de moins en moins la culpabilité qui me
bouffait à cause de ma sœur. Je n’ai pu rien faire pour
sauver Évelyne, alors le faire pour Boya me rend heureux.
Je me sens utile, contrairement aux années de mon
adolescence où je regardais ma sœur se faire abuser sans
pouvoir lever le petit doigt. Le mois prochain, j’ai prévu
faire des dons dans un centre de santé qui recueille les
enfants et les jeunes atteints du VIH/SIDA. Je compte aussi
aider dans le secret les organisations de lutte contre les viols
sur les mineurs.
— C’est très bien. Comment se passent tes nuits
maintenant ?
— Plutôt bien. Je dors avec de la musique en fond sonore.
Parfois, Boya décide de rester près de moi à bavarder
jusqu’à ce que je m’endorme. Je prends de moins en moins
les somnifères et j’ai de moins en moins de cauchemars les
nuits.
— Et côté vie sentimentale ? Tu as maintenant renoué avec
Martine ? Ou bien une nouvelle rencontre ?
— Pour tout te dire, je ne ressens pas de manque de ce côté-
là. Aussi étrange que cela puisse paraître, plus aucune fille
dehors ne m’attire. Soit pour une relation ou même pour le
sexe. Pareil avec Martine. Nous échangeons par message,
par appel, nous rigolons, mais il n’y a rien qui se passe.
C’est mauvais signe ?
— Pas vraiment. Soit ton cœur veut t’emmener à tout
reprendre à zéro afin d’être un meilleur partenaire, soit tu
es déjà amoureux de quelqu’un sans vraiment le savoir.
— Si j’étais amoureux, je le saurais non ? La seule fille de
qui je suis très proche, c’est Boya. Il n’y a donc aucune fille
qui me fait de l’effet.

Il sourit.

— Parle-moi de Boya.
— Boya ? C’est ma nouvelle partenaire du crime, dis-je en
riant. Ma confidente. Ma petite sœur. En dehors de toi, de
mon frère et de ma tante, j’arrive à me confier à elle sans
honte, sans retenue. Je lui ai tout expliqué sur mon enfance
et notre thérapie. Comme je l’ai dit, elle m’aide souvent à
dormir quand je sens mes nerfs bouillonner. Mais en dehors
de tout ceci, c’est un petit ange. Tiens, elle m’appelle
certains midis pour savoir si j’ai mangé et quand je lui dis
que j’ai trop de boulot, elle me rapporte à manger au
bureau. Quand je la vois, je vois ma défunte sœur et c’est
pourquoi je me sens si proche d’elle. Je l’apprécie
sincèrement. Mes journées et mes soirées sans elle seraient
fades.

Il sourit et écrit quelque. Son sourire est plutôt moqueur.

— Qu’y a-t-il ? je lui demande.


— J’ai juste compris pourquoi tu ne t’intéressais plus aux
femmes.
— Pourquoi ?
— Tu es amoureux.
— Mais non, je ne le suis pas. De qui le serais-je déjà ?
— Je te laisse le découvrir.

Je le regarde sans comprendre. Nous ne tardons pas à mettre


fin à la séance. De son bureau, je fonce sur le lieu de la
soirée où je dois représenter la boîte où je bosse pour des
partenariats. Toute la soirée, les gens ne font que
complimenter ma tenue. Finalement, je crois que je vais
donner de l’argent à Boya pour qu’elle me confectionne
assez de chemises et de tuniques. Enfin, je n’aurais plus à
supporter les faux rendez-vous des stylistes. La soirée se
déroule bien et se termine aux environs de 23 heures. Je me
presse de rentrer à la maison pour pouvoir dire à Boya
combien sa tenue a été appréciée, même si je sais qu’à cette
heure, elle dort déjà. Je sais également qu’elle dort dans le
salon. J’entre à la maison et effectivement, je la vois
allongée dans le divan. Elle le fait chaque fois que je dois
rentrer tard. Elle s’endort toujours à force de m’attendre.
Ses tâches l’épuisent, donc impossible pour elle de rester
debout jusqu’à cette heure. Je pose mes clés et mon portable
sur la table basse. Je pose également ma béquille et je
prends Boya dans mes bras. Je marche lentement vers sa
chambre pour ne pas me faire mal. Je peux marcher sans la
béquille, mais pas sur de longues distances ni rapidement.
Je dois me ménager encore jusqu’à la fin de cette semaine.

Je la pose délicatement sur son lit et c’est à ce moment


qu’elle ouvre les yeux.

— Monsieur ? Vous êtes rentré ? Vous avez mangé ?


— Oui, j’ai mangé à la soirée.
— Vous avez besoin de quelque chose ? demande-t-elle en
se grattant les yeux.
— Non ! Rendors-toi ! Je vais aller me coucher.

Elle se recouche. Je tire le drap jusqu’à sa hanche et allume


le ventilateur. Je devrais songer à lui installer un
climatiseur. La chaleur est intense en ces temps-ci. Je reste
assis près d’elle à la regarder se rendormir. En levant les
yeux, je remarque un cahier posé sur la place près d’elle.
Par curiosité, je le prends et l’inspecte. Au premier coup
d’œil, je constate que c’est son journal secret. Je veux le
refermer, mais la curiosité me pousse à en lire le contenu.
Je retourne au salon avec et une fois installé dans le
fauteuil, je commence à le lire. Les premiers passages sont
d’une tristesse profonde. Je crois que ça date des moments
où elle vivait constamment dans la mélancolie. Ayant déjà
connaissance de cette partie de sa vie, je saute les pages et
je m’arrête sur une page avec un récit beaucoup plus gai. Je
souris en parcourant les pages. Elle parle de son rêve
devenir une grande styliste modéliste, de créer sa propre
marque de vêtements. Elle parle également de son rêve de
fonder une grande famille avec un homme… comme moi.
Je me carre encore plus en voyant qu’elle parle également
de moi. Elle parle de l’attirance qu’elle a pour moi et de la
joie qu’elle ressent maintenant qu’elle et moi sommes
devenus des amis, ou du moins comme frère et sœur. Une
feuille glisse du cahier. Je la rattrape avant qu’elle ne
termine au sol. C’est marqué “Les choses à acheter”. Il y a
en tête une machine à coudre, puis vient des vêtements, des
sacs à main, des bijoux, des chaussures et surtout des
perruques. Je souris en lisant ce dernier élément. Les
femmes et leurs histoires de perruque. Une idée germe dans
mon esprit. Je prends mon portable et jette un coup d’œil
sur WhatsApp. Comme je l’espérais, Zoé est connectée. Je
l’appelle directement.

« — Stephen ? Tu as un souci ? Tu veux parler à


Laurence ? » s’inquiète-t-elle.
— Non, dis-je en riant. Tout va bien. Je voulais te
demander un service.
« — Vas-y. »
— Pourrais-tu trouver un temps cette semaine pour faire
des courses avec Boya ? Je veux lui offrir de nouvelles
choses.
« — Boya, ta servante ? »
— Oui ! Elle a besoin de nouveaux vêtements et vos trucs
de femme. Tu es la seule femme que j’ai donc je te demande
ce service.
« — Tu te souviens que je suis ta femme uniquement quand
ça t’arrange n’est-ce pas ? Fhum ! Tu vas me payer. »
— Je te donnerai tout ce que tu veux, dis-je en rigolant.
« — Tu as intérêt. Bon, je vais devoir demander une
journée à Kayla. Je te fais un retour demain. »
— D’accord. Merci beaucoup. Bonne nuit et bisou à mes
bébés.
« — Bisou. »

Je retourne poser le cahier et le portable de Boya resté sur


la table ici et je rentre dans ma chambre prendre une douche
et me mettre au lit.

***TANTE ODETTE

Je rentre chez moi un peu tôt parce qu’un de mes oncles,


l’aîné de ma défunte mère est venu du village pour nous
voir. Il aurait une nouvelle importante à nous annoncer, à
mon mari et moi. Je vais ranger mes marchandises dans la
cuisine et je le rejoins qui discute avec mon mari. Je vais
lui faire les salutations, ensuite je vais prendre une douche
avant de retourner à la cuisine préparer le diner. Deux de
mes enfants vivent sur le campus pour nous éviter ces
histoires de transport et le troisième est à Korhogo chez ma
sœur. Les deux qui sont ici ne viennent que quelques week-
ends nous voir. Une fois prêt, je nous sers à manger. Nous
mangeons avec les anecdotes de mon oncle sur le village.
Si ça ne dépendait que de moi, nous serions allés vivre au
village. La vie est moins chère là-bas et il fait bon vivre.
Mon mari a refusé catégoriquement. Monsieur se trouve
trop important pour aller vivre dans son propre village où il
est né. Nous sommes du même village et ce sont nos parents
qui ont arrangé notre mariage. Nos enfants sont déjà grands,
ils peuvent très bien se débrouiller ici sans nous. On allait
seulement leur envoyer de l’argent comme nous le faisons
avec celui qui est chez ma sœur. J’espère qu’un jour mon
mari acceptera parce que la vie devient de plus en plus
difficile pour nous.

Après avoir mangé et digéré, mon oncle se décide enfin à


nous faire part de la raison de son séjour chez nous.

— Vous connaissez Patrick, le fils du plus grand planteur


du village ? nous demande-t-il.
— Oui, disons-nous ensemble.
— Voilà, il veut se marier, mais aucune femme ne veut de
lui parce qu’il a attrapé le SIDA il y a deux ans.
— Hé ! Seigneur ! m’écrié-je. Le joli garçon intelligent là ?
— Oui. Comme il est joli, il a couché avec presque toutes
les filles du village et maintenant il est malade. Tout le
monde le fuit, même les membres de sa famille.

Tout comme avec Boya.


— Il a décidé d’aller au Ghana. On lui a proposé un bon
travail là-bas avec un grand poste, mais il doit être
obligatoirement marié. Son papa est venu me parler de ça
et j’ai tout de suite pensé à Boya.
— Comment ça ? je demande même si j’ai compris ce qu’il
voulait dire.
— Puisqu’elle aussi a la même maladie, on peut les mettre
ensemble comme ça ils vont aller loin de nous tous pour
vivre leur amour de SIDA. Ils vont se mélanger entre eux
et faire leurs enfants. La famille sera enfin libérée parce que
les gens continuent de nous regarder de haut à cause d’elle.
En plus, c’est une très bonne proposition parce qu’ils sont
prêts à payer le double de la dot. Le jeune même est déjà
fan de Boya quand on lui a montré ses photos sur Facebook
ou je ne sais pas quoi là. Toute la famille est déjà d’accord,
mais comme c’est vous ses tuteurs, on a aussi besoin de
votre accord.

Même si cette proposition paraît très bonne, je ne suis pas


trop partante. Sans doute à cause de l’idée que la famille
veut se débarrasser de la petite.

— C’est une très bonne idée, dit subitement mon mari.


Nous sommes d’accord.
— Comment ça ? Nous n’avons même pas réfléchi.
— Moi j’ai fini de parler. Mon oncle, je suis dans la
chambre. J’ai un peu mal au dos.

Il me laisse seule avec mon oncle.

— Ma fille, vous n’êtes pas obligés de répondre tout de


suite. Vous avez deux mois pour réfléchir. Le jeune est parti
au Sénégal, voir un marabout pour essayer de guérir. Il va
faire un ou deux mois là-bas. C’est à son retour qu’on doit
commencer les préparatifs.
— J’ai compris.
— Bon, moi aussi je vais me coucher. Le voyage m’a
fatigué.

Quand il part, je ferme toutes les portes et je vais rejoindre


mon mari dans notre chambre.

— Pourquoi tu as accepté sans prendre la peine de


réfléchir ?
— Il y a quoi à réfléchir dans ça ? Boya a le SIDA, Patrick
a le SIDA, ils sont faits pour se marier sans craindre de se
contaminer. Où est le problème ? Puisque tu penses que je
veux la violer, je la laisse partir pour te prouver que je m’en
fous carrément d’elle. Maintenant, laisse-moi dormir.

Il se couche et me tourne dos. Il n’a pas tort sur certains


points. Jamais les hommes ne se sont intéressés à Boya et
peut-être même que ça n’arrivera jamais. Elle risque de ne
jamais se marier tout comme le jeune Patrick. Ça ne sera
pas si mal de les mettre ensemble. Au moins avec ça, elle
pourra aussi avoir des enfants un jour.
10

***BOYA

J’ai été heureuse d’apprendre qu’aujourd’hui je vais sortir


avec tante Zoé pour faire des achats. Monsieur Stephen lui
a remis de l’argent pour moi. Je suis surexcitée. Tellement
que je dispose le petit-déjeuner sur la table en chantant à
cœur joie. Monsieur Stephen apparait, prêt pour aller
travailler.

— Pourquoi est-ce que tu fais toujours autant de petits-


déjeuners ? se plaint-il faussement en s’asseyant.
— Pour que vous puissiez bien prendre des forces et être au
top au travail.
— Cette fois c’est trop. Assieds-toi et aide-moi à finir tout
ça.

J’obéis avec joie. Il me permet parfois de manger avec lui


à table ou encore dans le salon devant la télé lorsqu’il y a
notre série qui passe. Parlant de la série, la rediffusion
commence à peine.
— Monte le volume, me dit monsieur Stephen. Hier je ne
l’ai pas regardée.
— Moi non plus, dis-je en allant récupérer la
télécommande sur la table basse.
— Pourquoi ?
— Awa m’a embrouillée avec ses bavardages et j’ai zappé
la diffusion.

Je reviens m’asseoir en augmentant le volume et nous


regardons la série en mangeant. C’est une série à suspens.
Un tueur en série sévit dans un petit village et tout le monde
s’interroge sur son identité. Une chose est certaine, il fait
partie des personnages principaux.

— Je t’avais bien dit que c’était le shérif le meurtrier,


soutient monsieur Stephen.
— Ce n’est pas parce que sa montre a été trouvée sur la
scène du dernier meurtre que ça prouve que c’est lui. Moi
je dis c’est la femme du maire.
— Pourquoi ce serait elle ?
— Parce que c’est une femme aigrie. Elle n’est pas
heureuse de son ménage donc elle tue toutes les femmes qui
le sont dans les leurs.
— Humm, tu parles un français soutenu, dis donc, me
taquine-t-il.
— Mais oui ! dis-je en frimant. Je lis beaucoup ces derniers
temps à mes heures libres.
— C’est bien. Tu n’aimerais pas retourner à l’école ?
— Si, mais pour le moment j’ai beaucoup trop de défis
devant moi. En plus, ma tante compte aussi sur moi.
— Je vois.
— Pour revenir à série, si j’ai raison sur l’identité du
coupable, tu dois m’offrir de la nourriture. De nouveaux
plats.
— Ça marche !

La sonnerie de la maison retentit. Je vois une femme que je


ne connais pas à travers le judas. J’ouvre cependant.

— Bonjour, madame, lui dis-je.


— Bonjour. Stephen est là ?
— Oui. Il est à table.
— Ok.

Elle entre sans que je le lui aie permis. Je me retourne en


voulant la retenir, mais elle se précipite vers mon patron et
l’embrasse en s’accrochant à son cou.
— Mon amour. Tu m’as tellement manqué. Pourquoi tu ne
prenais plus mes appels ni ne répondais à mes messages ?
— Qu’est-ce que tu fais là ?
— Je suis venue te voir. J’ai envie de m’amuser, termine-t-
elle très sensuellement.

Je récupère ma tasse de café, mon assiette d’avocat et je


disparais dans la cuisine. J’essaie de calmer cette jalousie
qui fait battre mes tempes. Je me répète intérieurement que
cet homme ne sera jamais à moi donc mieux vaut le voir
uniquement comme un grand-frère comme il aime si bien
le dire. Je termine mon plat et je fais la vaisselle. J’entends
la porte d’entrée se fermer bruyamment. Je reste dans la
cuisine à la rendre présentable.

— Boya, appelle mon patron dans mon dos. Je suis désolé


pour tout à l’heure, si elle t’a mise mal à l’aise.
— Non, ce n’est rien, monsieur.
— C’était une fille avec qui je passais du temps dans le
passé, mais bon, j’ai coupé avec elle et cette vie d’ailleurs.
Tu l’as toi-même remarqué.
— Oui !
— On peut retourner terminer l’épisode de la série ?
Je le regarde et je ne peux m’empêcher de répondre à son
sourire. Je roule les yeux.

— Oui !

Nous retournons terminer l’épisode du jour. Il part ensuite


travailler et moi je vais me préparer pour ma journée
shopping. Awa arrive chez nous et nous nous en allons. J’ai
voulu qu’elle vienne pour que je me sente plus à l’aise. Je
ne suis pas très proche de tante Zoé donc si Awa est là, je
serai plus détendue. En plus, elle connait le lieu de travail
de tante Zoé.

Je suis émerveillée quand nous arrivons à destination. Le


local est grand, propre, lumineux et surtout bondé. Nous
montons à l’étage retrouver tante Zoé. Mes yeux brillants
ne font que regarder partout. Je vois de magnifiques
ensembles de lingeries sur des mannequins. Dommage que
je n’ai pas une grosse poitrine et de grosses fesses.

— Ah vous êtes là ! s’exclame tante Zoé quand elle nous


voit venir vers elle.
— Bonjour tantie, la salué-je.
— Qui est ta tantie là ? Quand tu me vois, je suis vieille ?
— Non, tan…

Je souris.

— Appelle-moi grande sœur Zoé comme Awa.


— C’est compris, grande sœur Zoé.
— Bon, comme tu es là, viens on va t’acheter des dessous.

Nous redescendons dans la boutique, elle choisit plusieurs


ensembles de différentes couleurs. Elle me les donne et me
conduit à une cabine d’essayage. J’enfile une tenue
transparente avant de commencer les essayages. Je crois
que c’est pour ne pas salir les dessous. Je suis émerveillée
par les ensembles. Je n’avais jamais porté de dessous aussi
classes et sophistiqués. Je regarde les étiquettes et les prix
me font tourner la tête. Les ensembles sont à 15 000 FCFA
pour certains et 20 000 FCFA pour d’autres. Et ça ce sont
les plus petits prix. Mes dessous à moi tournent
généralement autour de 500 FCFA. Waouh ! Je choisis cinq
ensembles de différentes couleurs. Nous ne sommes qu’au
début du shopping et je suis déjà satisfaite. Je ressors faire
le point à grande sœur Zoé. Elle discute avec une femme
métisse, mais très très belle avec une très belle forme. Je
reste là à la regarder, la bouche ouverte.

— Tu as fait ton choix ? me demande grande sœur Zoé.


— Oui !
— Ok. Allons, je vais les mettre dans un sac. (À l’autre
femme) Bon ! Kayla (À retrouver dans Si Seulement 1 et
2), je reviens dans quelques heures pour faire les cartons à
expédier. À plus.
— C’est compris, répond la dame. Je retourne en haut
terminer la séance photo avec Darnell.

Chacune emprunte son chemin. Awa et moi suivons grande


sœur Zoé. Nous montons dans sa voiture et nous nous en
allons.

Je ne sais pas combien monsieur Stephen a donné, mais


nous avons dévalisé les boutiques. Nous avons acheté des
robes de sortie avec des chaussures et des sacs qui vont
avec. Nous avons ensuite acheté d’autres vêtements tout
neufs, des jeans, des crop-tops, des leggins, des bodies, etc.
Je reste dans l’une des nouvelles tenues. Un jean destroy et
un haut bras mince. Grande sœur Zoé nous emmène ensuite
dans le salon de coiffure d’une de ses amies qui
confectionne les perruques. Son amie, Ashley, me fait des
propositions selon la forme de mon visage. Grande sœur
Zoé lui demande ensuite de me faire une pose sans colle
avec l’une des perruques achetées. La coiffeuse m’offre un
petit coffret de maquillage après m’avoir elle-même
légèrement maquillée.

— Bon, je crois qu’après ça, tu feras tomber les têtes de


tous les hommes, me complimente grande sœur Zoé. Tu es
à tomber par terre, ma petite.
— Merci, grande sœur.

Awa et moi, nous nous lançons dans un délire de séance


photo. J’en envoie quelques-unes à monsieur Stephen par
WhatsApp. Je me sens belle. Je me sens comme une
nouvelle personne.

***STEPHEN

— Tu t’es fait draguer par combien d’hommes ?


« — Lol, aucun. Mais j’ai senti les regards sur moi. Mdr. »

Je souris.
— Stephen, est-ce que tu m’écoutes ?

Je lève la tête de mon portable et reporte mon attention sur


mon frangin avec qui je déjeune ce midi.

— Oui, désolé. Je lisais le message de Boya.


— Elle ne te plairait pas ?
— Non, n’importe quoi ! dis-je d’un air amusé. C’est une
gamine.
— Mais ça reste une femme.
— Arrête tes conneries. Je la vois comme une petite sœur.
Pour moi, elle remplace Évelyne.
— L’amour commence toujours de façon banale.
— Ce n’est pas mon cas.
— Tu sais que je suis très fier de toi ?
— Ça fait mille et une fois que tu me le dis.
— Mais c’est sérieux. J’aime l’homme responsable que tu
es devenu.
— Ne me fais pas trop de compliments sinon je risque de
prendre la grosse tête et ne plus faire d’effort.
— Tu n’oserais pas. Maman te botterait le derrière.
— Oh que oui, je le sais.
Nous rigolons. Des personnes approchent de notre table.
Zoé est le premier visage que nous voyons, ensuite Awa
puis enfin Boya. Je l’ai déjà vue en photo, mais la voir en
vrai me fait sourire. Les trois femmes s’asseyent, Boya
reste près de moi. Je joue avec les pointes de ses mèches.
Elle ne fait que sourire. Cette joyeuse ambiance autour de
cette table dans ce restaurant me rappelle un fait : jamais
Boya n’est sortie s’amuser. Elle est tout le temps cloitrée à
la maison. Je me penche vers elle.

— Et si ce soir on se faisait un diner dans un restaurant ?


lui dis-je doucement sans que les autres entendent. Pour
changer un peu de la maison.
— Rien que tous les deux ?
— Oui. Ça te dérange ?
— Jamais de la vie, rit-elle.
— On fera donc ça.

J’enfile mon polo, mon jean, mes baskets et mets un peu de


déodorant puis du parfum et je sors de ma chambre en jetant
un coup d’œil à mon portable. J’arrive devant la chambre
de Boya et je cogne.
— Boya, ça suffit ! Sors maintenant.

La porte s’ouvre aussitôt.

— Désolée, je peignais mon tissage. Je n’ai pas l’habitude


d’avoir de longs cheveux.

Je réponds à son rire.

— Tu sens bon, lui dis-je.


— Grande sœur Zoé dit qu’on ne peut pas bien se vêtir sans
sentir bon. Vous aimez ?
— Oui. Pourrais-tu me tutoyer s’il te plaît ? Je n’en peux
plus de ces “vous’’.
— D’accord.
— On y va ?
— Oui !

Elle referme la porte de sa chambre et nous sortons de la


maison. Le trajet vers le restaurant se fait dans une
ambiance plutôt sympa. Boya a toujours quelque chose à
raconter et c’est fou comme elle peut être drôle. Nous
arrivons dans un restaurant que j’avais déjà visité une ou
deux fois et que j’ai énormément apprécié. Je tire une
chaise à Boya pour qu’elle s’installe et j’en fais de même.
Je regarde cette jeune fille et je me dis que c’est incroyable
comme la tristesse peut camoufler la beauté d’une
personne. Elle est rayonnante ce soir. Avec sa coiffure qui
révèle deux fois plus les traits fins de son visage et sa tenue
totalement différente de ce qu’elle a l’habitude de porter.
Ce soir, elle a porté un jean taille haute noir, un crop-top
noir en dentelle, une veste grise à sortie avec ses baskets.
Sans oublier son léger maquillage, brillant à lèvres et des
tracés de crayon au niveau des yeux.

— Tu désires quoi ? je lui demande en la regardant


inspecter le menu.
— Je ne connais rien de tout ce qui est ici. Ah oui, frites au
poulet !
— Nous en mangeons pratiquement tout le temps à la
maison. Fais-moi voir, pour que je te fasse découvrir un
menu.

Je lui prends le livre des menus et je choisis deux filets de


bœuf au fromage et frites. Elle va adorer. Le serveur part et
nous rapporte en premier nos boissons. Boya ne fait
qu’admirer le cadre. Je la regarde, amusé. Je bois une
gorgée de mon jus de fruits et pose le verre. Je reçois un
message auquel je réponds avant de me concentrer sur ma
partenaire.

— Parle-moi de toi, Boya, lui dis-je pour entamer la


causette.
— Moi ? Tu sais déjà tout sur moi.
— Je ne connais pas la signification de ton prénom.
— C’est en guéré. Ça veut dire ‘‘Bonheur’’. C’est mon père
qui me l’a donné. Je me demande pourquoi, vu le grand
désastre dans lequel je suis venu.
— C’est un beau prénom en tout cas et tu dois te laisser
influencer par ça. Songes-tu à une vie de famille ? Un mari,
des enfants ?
— Oui, mais je n’ai pas espoir qu’un jour un homme veuille
de moi avec mon statut.
— Tu es pourtant bien portante. Je dirais même très bien.
— C’est vrai, seulement, cette maladie demeure effrayante,
peu importent toutes les explications qu’on donnera. En
parlant de ça.

Elle jette un coup d’œil à son portable puis fouille dans son
petit sac. Elle glisse ensuite quelque chose dans sa bouche
et boit de l’eau. Je devine que ce sont ses médocs. Elle les
emporte partout avec elle.

— Tu n’as donc jamais eu de petit ami ?


— Jamais. Lorsqu’un gars semblait s’intéresser à moi, les
jours qui suivaient quelqu’un l’informait de mon statut et il
s’éloignait. Tout monde dans mon quartier sait quel genre
de fille je suis, et ce grâce à mes cousins qui ne se gênent
pas de raconter ma vie aux gens.
— Tu n’as pas de frères et sœurs ?
— Peut-être que mon père a laissé ses traces parmi ses
nombreuses maitresses, mais à ma connaissance, non. Il
paraît que ma mère avait des difficultés à enfanter et que
c’est après plusieurs années de mariage qu’elle m’a enfin
eue. Je crois que mon père a eu des enfants dehors. J’en ai
déjà entendu parler.
— Et tu n’as pas cherché à les rencontrer ?
— Non. J’avais déjà assez de problèmes dans la vie pour
chercher à familiariser avec des gens. Mais bon, un jour, je
m’y concen… (Elle cherche ses mots) conté… contence…
concentrerai. Voilà !

Nous éclatons de rire. Je me reprends en terminant ma


boisson.
— Moi je crois que tu finiras par rencontrer un homme
merveilleux qui fera de toi la femme la plus heureuse.
— Amen ! Je reçois.

Le serveur nous apporte nos commandes qui sentent


délicieusement bon. Je demande à ce qu’on nous apporte
d’autres boissons. Nous savourons nos plats en abordant
d’autres sujets de conversation. Boya n’hésite pas à prendre
quelques photos souvenirs de son premier diner dans un
restaurant. Elle en prend de nous deux. Elle me les envoie
toutes par WhatsApp. Nous finissons et commandons
d’autres plats à emporter pour le lendemain que nous
chaufferons au micro-ondes.

C’est encore en nous taquinant que nous rentrons à la


maison. Boya bâille de sommeil.

— Je crois que c’est le plus beau jour de ma vie, dit-elle en


enlevant son petit sac autour de ses épaules.
— N’exagère pas, dis-je en posant les clés sur le guéridon.
Tu auras d’autres jours beaucoup plus merveilleux. Ça, ce
n’était qu’un diner.
— C’est vrai. Mais pour l’instant, c’est le plus beau jour de
ma vie.
— Ça le sera encore plus quand tu auras vu la surprise qui
t’attend dans ta chambre.
— Une surprise ? s’étonne-t-elle en me regardant avec de
grands yeux.
— Oui.
— Personne ne m’a jamais fait de surprise. Je cours voir.

Elle court comme si elle était en compétition avec


quelqu’un. Je ricane en marchant à sa suite. Je l’entends
hurler, ce qui me fait éclater de rire. Je la rejoins et c’est
une fille hystérique que je trouve en train de câliner une
machine à coudre. J’ai mandaté Awa de venir la déposer
quand nous serions sortis. Elle m’a ensuite écrit un message
pour me prévenir de la réussite de sa mission.

— Monsieur, c’est pour moi ? Pour de vrai ?


— Oui. Je veux que tu me fasses des tonnes et des tonnes
de chemises.
— Mon Dieu ! Mon rêve est devenu réalité. Merci, merci,
merci, merci.
Elle court vers moi et me saute dessus. Je la réceptionne.
Elle s’agrippe à moi en m’enroulant de ses membres. Son
corps est pris de tremblements. Elle pleure de joie.

— Hey ! Arrête de pleurer, je lui chuchote à l’oreille.


— Jamais personne n’avait pris autant soin de moi, dit-elle
en pleurant dans le creux de mon cou. Jamais mon bonheur
n’avait intéressé personne. Merci infiniment, monsieur.
Que Dieu te bénisse.
— Regarde-moi !

Elle se redresse. Son visage est inondé de larmes. Je la


retiens avec mon bras gauche et je lui nettoie les yeux avec
mon autre main.

— Moi je serai toujours là pour toi et je ne laisserai plus


jamais personne te faire du mal. M’as-tu compris ?

Elle fait oui de la tête.

— Je ne veux plus voir de larmes sur ton visage.


Uniquement tes sourires radieux. Hum ?
Elle fait encore oui de la tête. Je lui souris et elle y répond
grandement.

— Merci d’être là pour moi, me souffle-t-elle.

Elle plonge étrangement son regard dans le mien et ça


provoque un trouble en moi. Je dégage doucement son
visage des mèches qui se sont emmêlées dans ses larmes.
Ce geste la fait frétiller. Elle ouvre la bouche comme si elle
voulait parler et mes yeux se laissent captiver par ses lèvres.
Une étrange envie de les savourer me titille. Je rapproche
mon visage d’elle, elle en fait de même. C’est comme si
j’attendais ce signal d’elle. Je me rapproche et saisis ses
lèvres. Elle m’attrape les joues pour mieux approfondir le
baiser. Nous nous embrassons comme si nous l’avions
désiré toute notre vie. Je m’assieds sur le lit sans mettre fin
au baiser. Elle reste assise sur moi à califourchon. Nos
lèvres se dévorent. Mes mains se glissent sous sa veste. Elle
lâche un gémissement quand j’entame des caresses sur son
dos. Un feu embrase mes reins quand elle se met à bouger
doucement sur moi. Je lui retire sa veste et la jette par terre.
Je la sens de plus en plus excitée. Je la stoppe.

— Boya, attends !
Elle me regarde avec incompréhension, avec la respiration
saccadée.

— Je ne veux t’obliger à rien. J’ai besoin que tu me donnes


ton accord.
— Je le veux.

Je me sens soulagé. Nous nous jetons ensemble l’un sur


l’autre. Le crop-top s’ouvrant par devant, je l’ouvre et le
retire. Je suis tout de suis fasciné par sa petite poitrine qui
pointe vers moi. Je laisse ses lèvres pour m’occuper de ses
seins. J’en saisis un dans ma main et englobe l’autre dans
ma bouche. Le long gémissement qu’elle lâche me fait
perdre la tête. Je me lève avec elle et la renverse sur le lit.
Je retire mon polo en braquant mon regard sur elle. Son
regard à elle me bouscule intérieurement. Je m’étends sur
elle, capture ses lèvres tout en faisant des mouvements de
bassin entre ses cuisses. Je descends dans son cou où je lui
laisse des traces de suçons. Je descends de nouveau sur sa
poitrine avec laquelle je joue à ma guise. La sonnerie de
mon portable retentit soudainement. Je continue de
savourer mon plaisir sans m’en occuper. Je remonte sur les
lèvres enflées de Boya. Pendant que nous nous embrassons,
je parcours son corps avec ma main. Un deuxième appel
s’annonce. Je l’ignore toujours. Sentir les petites mains de
Boya se promener sur mon corps nu m’excite de plus en
plus. J’ouvre mon jean et m’attaque au sien. Mais je
m’arrête quand on m’appelle pour la troisième fois. Je
soupire d’exaspération.

— Ce doit être une urgence.

Je sors mon portable de la poche de mon jean et je soupire


de nouveau en voyant le numéro de Martine. Je me lève et
m’assieds sur le bord du lit.

— Allô ?
« — Salut, Stephen. Tu es à la maison ? »
— Euh oui !
« — Est-ce que je peux monter ? Je suis en bas et j’ai
vraiment besoin de te parler. »

Je me passe la main sur le visage.

— Oui, vas-y !
Elle raccroche. Je commence à me sentir mal. Je me tourne
vers Boya qui s’est assise, ses jambes ramenées contre elle.

— Martine est en train de monter. Elle veut me parler.

Elle ne répond pas. La sonnerie retentit. J’enfile mon polo


et je sors ouvrir la porte à Martine. Nous partons nous
installer au salon. Elle refuse le rafraîchissement que je lui
propose.

— J’espère que je ne t’ai pas dérangé ?


— Non ! Alors, de quoi voulais-tu me parler ?
— De nous, Stephen. J’aimerais savoir où nous en sommes.
Tu m’as dit vouloir prendre le temps de guérir de certaines
blessures intérieures que j’ignore toujours, mais ça fera
bientôt sept mois que ça dure.
— J’avais vraiment besoin de me retrouver avec moi-même
pour prendre de meilleures décisions.
— Alors, que dis-tu par rapport à nous ? Chéri, ça va faire
trois ans que nous sommes ensemble et j’ai besoin de savoir
si ça vaut la peine que je continue de m’accrocher à notre
histoire. Tu sais, je t’aime de toutes mes forces, j’ai
supporté énormément et je suis encore prête à supporter
pour rester avec toi. Je suis prête à faire des sacrifices pour
toi. Je peux donner ma vie pour toi. Alors, dis-moi que tous
mes efforts ne sont pas vains. Que tous mes sacrifices n’ont
pas été inutiles ! Dis-moi que notre couple surmontera
toutes ces épreuves et deviendra plus solide. Dis-moi que
tu m’aimes, Stephen. Dis-moi qu’entre nous ça peut
marcher.

La voir si désespérée et en pleurs, me remplit de culpabilité.


Elle ne mérite pas que je la jette ainsi comme une
serpillière. Elle a supporté mon sale caractère, ma violence
et mes infidélités. Elle a été très patiente et aujourd’hui que
je suis un tout autre homme, elle mérite d’être
récompensée. Elle mérite que je lui rende la pareille. Elle
mérite que je la rende heureuse. Je me rapproche d’elle et
la prends dans mes bras.

— Je suis sincèrement désolé, Martine. Oui, nous allons


redonner une chance à notre couple. Tu es une femme
géniale et tu mérites tout le bonheur du monde.

Je relève sa tête et essuie ses larmes.

— Nous allons y aller tout doucement. J’ai encore certaines


choses à régler, mais on y arrivera.
— Est-ce que je peux revenir chez nous ?
— Oui ! Tu peux revenir dans notre maison.
— Je t’aime tellement.
— Je t’aime aussi.

Nous nous embrassons et ce baiser me ramène violemment


à quelques minutes en arrière, dans la chambre de Boya. Je
mets rapidement fin au baiser et garde Martine dans mes
bras. En levant les yeux, je rencontre le regard de Boya.
Elle baisse les yeux et tourne les talons. Je me maudis
intérieurement. Je reviens à moi quand Martine promène
ses mains sous mon haut en posant des baisers dans mon
cou.

— Non, attends arrête, dis-je en la repoussant doucement.


J’ai pris la décision de prendre mon temps avant d’avoir de
nouveau des rapports sexuels. Je ne veux plus être une
brute. Je ne veux plus te faire mal pendant nos rapports. Et
là, je ne me sens pas encore prêt.
— Ok, pas de souci. Je vais patienter et je vais t’aider à
guérir de tes vieux démons. Je veux juste que tu me fasses
assez confiance pour te confier à moi.
— Je t’expliquerais tout. Ne t’inquiète pas.
— C’est compris. Et… Boya ? Tu m’avais dit qu’elle
travaillait encore ici.
— Oui, elle est dans sa chambre. J’espère que tu comprends
pourquoi je la garde.
— Oui. Tu m’as expliqué pour son oncle.
— Merci !

Elle bâille soudainement.

— J’ai eu une journée épuisante. J’ai besoin de prendre une


douche et dormir.
— Vas-y donc. Je ferme les portes et je te rejoins.

Elle pose un baiser sur mes lèvres et prends la direction de


la chambre. Je souffle et me tiens la tête entre les mains. Je
m’aperçois maintenant de la grosse bêtise que je
m’apprêtais à faire avec Boya. Putain, qu’est-ce qui m’a
pris ? J’étais à deux doigts de coucher avec une gamine.
C’est du détournement de mineure ça. Mais en plus de ça,
je ne comprends pas comment ça a pu arriver. Je n’avais
aucune pensée sexuelle envers elle. Je l’apprécie juste. Rien
de plus. Je crois que je me suis laissé emporter par toute
cette bonne humeur qui nous entourait. Je n’en reviens pas
d’avoir été aussi léger.
Je ferme toutes les portes, éteins les lumières et je me rends
dans la chambre de Boya. Elle est maintenant en pyjama,
assise devant sa machine à coudre. Elle se lève quand elle
m’entend entrer.

— Boya, je commence avec embarras. Ce qui s’est passé,


c’était une très grave erreur.

Elle baisse la tête.

— Je ne veux pas que cela crée une gêne entre nous. Nous
devons juste faire comme si rien ne s’était passé. Je t’aime
bien, mais uniquement comme une petite sœur et j’aimerais
que ça reste ainsi.

Elle se contente de faire oui de la tête sans la relever.

— En plus euh… Martine revient vivre ici. Nous nous


sommes remis ensemble. Ne t’inquiète pas, elle sait que tu
es là et elle s’en veut pour ce qui s’était passé entre vous.

Elle fait encore oui de la tête. J’attends qu’elle dise quelque,


mais c’est tout.
— Passe une excellente nuit.

Elle demeure toujours dans le silence. Je devine qu’elle doit


se sentir mal ou peut-être embarrassée comme moi. Je passe
dessus et sors de sa chambre pour la mienne.

***MARTINE

Ce matin, après le petit-déjeuner, je me suis rapidement


rendue chez ma sœur pour arranger mes affaires. Je préfère
le faire maintenant, comme ça après le boulot ce soir, je
viens juste les récupérer et je retourne chez moi.

— Que fais-tu ? me demande ma sœur qui est entrée dans


la chambre.
— Je range mes affaires. Je retourne chez Stephen. Les
choses se sont enfin arrangées entre nous.
— Et je suppose que c’est toi qui as encore fait le premier
pas.
— Écoute, j’en ai vraiment marre de toutes tes remarques,
chaque fois que je pose un acte en rapport avec Stephen.
Chacune gère sa relation comme elle l’entend. Je ne me suis
jamais mêlée de tes affaires. Tu connais ton homme autant
que je connais le mien. Il n’est pas du genre à faire le
premier pas, mais il demeure réceptif. Et au cas où tu
l’aurais oublié, il suit une thérapie qui l’a beaucoup
transformé. Ce matin, il m’a apporté le petit-déjeuner au lit,
ce que jamais auparavant il n’avait fait. Donc oui, Stephen
n’est plus le même homme. Cette fois sera la bonne, alors
soit tu me soutiens, soit tu gardes le silence, mais de grâce,
plus de commentaire négatif sur ma relation.
— Ok. Toutes mes excuses. Tu es ma sœur et je te
soutiendrai dans tes choix même si je ne les partage pas.
Encore désolée.

Elle sort de la chambre. Je finis mes rangements, je prends


mon sac à main et je sors de la maison. Je tombe nez à nez
avec Hermann. Je suis aussitôt frappée d’une gêne sans
nom. J’ai même du mal à le regarder.

— Bonjour, Martine.
— Bonjour, Hermann.
— Tu pars au boulot ? On fait le trajet ensemble comme
d’habitude ?
— Non, j’ai déjà commandé un taxi.

Je condamne la porte et lui tourne dos.


— Tu me fuis à cause de ce qui s’est passé ? me demande-
t-il subitement.

Je reviens sur mes pas et lui fais face.

— C’était une erreur, Hermann. Une très grosse erreur. J’ai


un homme dans ma vie…
— Qui n’en a rien à foutre de toi.
— Je retourne vivre avec lui. Nous avons recollé les
morceaux. Oublie donc ce qui s’est passé.
— Ok, répond-il avec déception.

Sans plus attendre, je descends les escaliers. Je dois


m’éloigner de tout ce qui pourrait causer des troubles dans
mon foyer. Maintenant que Stephen est devenu un tout
autre homme, j’ai foi que cette fois notre relation ira
beaucoup mieux.
11

***BOYA

Ça fait deux semaines que madame est de retour et j’ai


l’impression de suffoquer. Les voir s’embrasser, se câliner,
rigoler, regarder des séries que monsieur et moi regardions,
ça me tue. Oui je suis jalouse. Après cette nuit où nous
avons presque fait l’amour, mes sentiments pour lui se sont
accrus. Je rêve de lui, je rêve de cette fameuse soirée. Je le
revois m’embrasser, engloutir mes seins dans sa bouche,
me faire des suçons dans le cou, me regarder avec autant de
désir et je brûle de plus en plus d’amour pour lui. Si avant
j’étais uniquement attirée par lui, maintenant, je suis folle
amoureuse de lui et j’en souffre. Cet homme m’a redonné
goût à la vie. Il m’a redonné le sourire. Il a fait plus que ce
que les membres de ma famille ont fait et pour ça je lui
serais éternellement reconnaissante. Mais je ne peux
absolument pas rester là à le regarder s’amouracher avec
une autre. Je ne peux pas continuer à étouffer mes
ressentiments. Qui suis-je pour faire des scènes de jalousie
à mon patron ? Sur la base de quoi ? Exprime-t-on sa
jalousie à un homme avec qui on ne sort pas ? Surtout
quand cet homme a été clair sur le fait qu’il ne ressent
absolument rien pour toi ? Alors, étant donné que je ne
supporte plus de rester ainsi chez eux à mourir à petit feu
de chagrin, j’ai décidé de m’en aller. Je ne suis rien d’autre
qu’une servante. Ils me remplaceront assez vite. Demain,
j’irai voir la dame de l’agence pour lui demander de me
trouver une autre maison où travailler. Je ne peux plus
supporter cette situation.

Je soulève le plateau contenant les couverts et je vais les


disposer sur la table à manger. Madame et moi avons fait le
diner et je dois tout disposer avant que monsieur ne rentre.
Depuis quelques jours, il rentre à 21 h, alors que d’habitude
19 h le trouvait déjà à la maison. Peut-être a-t-il beaucoup
de travail ? Ou sont-ce les bouchons qui deviennent de plus
en plus intenses ? Bref, ce ne sont pas mes oignons. Pendant
que je dresse la table, j’entends la porte d’entrée s’ouvrir.
Je ne relève pas la tête, car je sais que c’est lui. Je pose les
verres puis je soulève de nouveau mon plateau.

— Bonsoir, Boya.
— Bonsoir, monsieur, je lui réponds en regardant le sol.
Soyez le bienvenu.
— Merci ! Comment vas-tu ?
— Bien. Excusez-moi, je dois terminer de dresser la table
sinon madame va se fâcher.

Je veux m’en aller, mais il se met devant moi.

— Attends, j’ai quelque chose pour toi.

Il me tend un paquet. Je le prends et l’ouvre. Je ne connais


pas ce qui est dedans, mais c’est de la nourriture.

— Il y a deux tacos, un hamburger et une quiche.

Je fronce les sourcils sans comprendre.

— Tu m’avais demandé de te faire découvrir de nouveaux


mets si tu gagnais le pari sur la série. Tu as vu juste, sourit-
il. C’est bien la femme du Maire, le tueur en série. Elle
jalouse les autres femmes parce qu’elle était malheureuse
dans son foyer.
— Ah ! Je vois, mais merci, je ne peux pas prendre ça.
— Pourquoi ?
— Parce que je ne le peux pas.
Je pose le paquet sur la table et quand je veux encore m’en
aller, il m’en empêche.

— Boya !

Les pas de madame se font entendre dans mon dos. Elle


vient se jeter au cou de son homme.

— Qu’as-tu rapporté ? lui demande-t-elle en apercevant le


sachet sur la table.

Je laisse les amoureux seuls et j’entends madame s’extasier


sur la nourriture rapportée par son homme. C’est pour ne
plus voir ces scènes d’amoureux que je veux m’en aller.

*Mona
*LYS

Après avoir fait un tour à l’agence de placement, je me suis


rendue chez ma tante au marché. Aujourd’hui, c’est mon
jour de repos et comme à l’accoutumée, je viens passer du
temps avec elle dans le marché où elle vend. Je l’aide à
servir ses clients. Nos rapports se sont beaucoup améliorés
ces derniers mois. Elle est devenue plus douce avec moi,
plus maternelle. Je ne peux qu’en être heureuse.

— Tantie, je voudrais te faire part de quelque chose.


— Je t’écoute.
— Je veux quitter mon travail actuel pour un autre.
— Pourquoi ? demande-t-elle en fronçant les sourcils. On
te maltraite ?
— Non. Seulement que, avec l’histoire de la grossesse,
l’atmosphère est un peu tendue entre ma patronne et moi.
Je sens qu’elle n’est pas très soulagée que je sois dans sa
maison. Je ne me sens plus à l’aise. Je ne peux pas travailler
ainsi.

Je préfère donner cette excuse qui est d’ailleurs vraie. Je


ressens que ma patronne n’a pas digéré cette histoire même
si elle fait l’effort d’avoir une attitude normale avec moi.
Avant, elle rigolait avec moi, m’offrait des choses.
Maintenant, elle est très distante. Elle a raison. J’aurais sans
doute fait pareil ou encore renvoyé la servante. Je préfère
m’en aller avant que ça n’arrive.

— Tu as vu la femme de l’agence ? m’interroge ma tante.


— Oui, tantie. Elle n’a rien pour l’instant. Je vais attendre
qu’elle trouve quelque chose avant de démissionner.
— Mais puisque tu ne te sens plus à l’aise chez tes patrons
actuels, tu peux revenir vivre à la maison.

Je baisse les yeux.

— Si tu as peur de ton oncle, sache qu’il a eu du travail dans


une école et ça lui prend du temps. Tu vas occuper la
chambre de tes cousins, puisqu’ils vivent maintenant sur le
campus. Comme ça tu pourras t’enfermer chaque nuit.

Elle et moi n’avons jamais parlé de cette histoire avec mon


oncle, mais je sais qu’elle me croit.

— J’ai compris, tantie. Merci beaucoup.


— Je voulais moi aussi te parler de quelque chose. Il y a
mon oncle qui est revenu du village avec une proposition
de mariage pour toi.
— Pour moi ? je demande, très surprise.
— Oui. C’est un jeune qui a aussi le SIDA. Il veut se marier
et aller s’installer au Ghana pour travailler dans une grande
entreprise. Il a vu tes photos sur Facebook et il dit que c’est
toi qu’il veut.
— Mais je ne le connais pas. Je ne peux pas me marier avec
lui.
— Justement. J’ai demandé à ce qu’il rentre en contact avec
toi pour que vous appreniez d’abord à vous connaitre. Puis
on verra. Tu n’as rien à perdre à essayer.
— J’ai compris, tantie, je réponds sans engouement.

Il est 18 heures quand je retourne chez mes patrons. Je vais


devoir commencer à me préparer pour m’en aller. Je me
rends directement dans la cuisine, histoire de discuter de
tout ceci avec ma patronne.

— Bonsoir, madame.
— Bonsoir, Boya, répond-elle sans me regarder.
— Madame, j’aimerais vous dire que je vais m’en aller, à
la fin de la semaine prochaine.
— Comment ça ? Que se passe-t-il ? demande-t-elle en
levant la tête vers moi.
— Je veux faire autre chose de ma vie, madame. Je ne veux
pas rester indéfiniment une servante. J’ai fait des
économies et je veux ouvrir un commerce.
— Je vois. D’accord, je vais en parler avec ton patron et
nous verrons. Merci de m’avoir prévenue.
— Je vais me laver et je viens.
Elle fait oui de la tête. Si ça s’est bien passé avec elle, je
sens qu’avec mon patron, ce sera un autre combat.

***STEPHEN

— Comment ça se passe à la maison ?


— Plutôt bien, je réponds à mon psychologue sans grande
conviction.
— Pourquoi n’en suis-je pas convaincu ? Martine mène-t-
elle la vie dure à Boya ?
— Non, de ce que côté tout est normal.
— De quel côté donc ça ne va pas ?
— Mes rapports avec Boya. Elle est devenue très distante
avec moi, même quand j’essaie de la rassurer que le retour
de Martine n’a rien changé de mon côté.
— C’est un peu normal, tu ne le crois pas ? La patronne est
de retour, c’est normal qu’elle reprenne sa place
d’employée.
— Sauf que moi je ne veux pas qu’elle soit une employée.
— Que veux-tu qu’elle soit ?
— Je…

Je me passe la main sur le visage.


— Je me suis habitué à un certain rythme de vie avec elle.
Je me suis habitué à vivre avec elle sans barrière. Ce
changement subit m’énerve.
— Tu l’as embrassée et étais à deux doigts de lui faire
l’amour, puis la seconde d’après, tu as ramené une autre
femme chez toi. Que penses-tu qu’elle ressente ? Elle se
sent trahie. Ça ne m’étonnerait pas qu’elle soit amoureuse
de toi. Elle ne réagirait pas ainsi sinon.
— Amoureuse, je crois que c’est un peu trop dire. Je sais
qu’elle me trouve attirant. Mais qu’aurais-tu voulu que je
fasse avec Martine ? Que je la chasse ? Que je ne donne pas
une chance à notre relation après tout ce qu’elle a enduré
par ma faute ? Ç’aurait été ingrat de ma part de la quitter
définitivement.
— On ne fonde pas un foyer sur la reconnaissance quand
ce n’est pas accompagné d’amour.
— Mais Martine mérite cette reconnaissance. Je lui en ai
trop fait baver. C’est elle qui a essuyé toutes les
conséquences de mes blessures intérieures. Tu aurais voulu
que je lui dise : va-t’en ; tous tes efforts ont été vains ; tu
m’as supporté inutilement. Hum ? Ce serait inhumain.
— Dans ce cas, accepte donc de perdre Boya. C’est soit
Martine, soit Boya, car elles sont toutes les deux
amoureuses de toi et toi tu l’es d’une seule.
— Pff, n’importe quoi !

Je me lève et contourne le fauteuil dans lequel j’étais assis.

— Il est vrai que j’aime Martine, mais je ne me vois pas


m’éloigner de Boya pour autant.
— Pourquoi penses-tu que je parle de Martine quand je dis
que tu es amoureux de l’une d’entre elles ?
— Parce que c’est elle ma copine.
— Si tu le dis. Mais je le répète, dans cette situation, tu
seras obligé de te séparer de l’une.
— Je ne pense pas. Je vais discuter plus sérieusement avec
Boya. On trouvera bien une solution pour retrouver notre
complicité.
— Si tu insistes, sourit-il.

Je jette un coup d’œil à ma montre.

— Je dois y aller. Martine a invité ses frère et sœur à diner


avec nous.
— Ok. Passe une bonne soirée.
— Merci, à toi de même.

Je quitte la séance avec deux fois plus d’anxiété. Je ne


m’attendais pas à ce que le psychologue me dise que je
doive obligatoirement faire un choix. Je n’ai pas à choisir
entre ma petite amie et une fille que je considère comme
une petite sœur. Elles peuvent bien faire partie de ma vie
toutes les deux. Il n’y a absolument pas de choix à opérer.
Chacune joue un rôle bien différent. Je dois avoir une
conversation sérieuse avec Boya. Les choses ne peuvent
pas se passer ainsi entre nous.

Je mets cette histoire dans un coin de ma tête en pénétrant


la maison. Martine vient m’accueillir aussitôt qu’elle me
voit.

— Enfin tu es là, se réjouit-elle après un baiser. Ta séance


s’est bien déroulée ?
— Oui !
— Viens que je te présente à mon frère.

Je me laisse tirer par elle jusque dans le salon où sont


installées sa sœur aînée que je connais, plus deux autres
personnes. Je sais que l’homme est son petit frère qui vit au
Canada depuis quelques années. La dame assise à côté, je
ne la connais pas.

— Bébé, je te présente Joseph, mon petit frère et sa fiancée.


Ils sont venus faire les présentations aux parents. (À eux)
Lui, c’est Stephen, mon homme.

Nous échangeons des accolades après quoi Martine nous


invite à passer à table. Elle disparait un moment et
réapparait suivie de Boya. Mon regard s’attarde sur cette
dernière et je remarque sa perte de poids. Quand elle lève
les yeux, nos regards se croisent et elle les baisse aussitôt.
Elle finit de disposer les boissons sur la table et retourne à
la cuisine. J’essaie de me mettre dans le bain des
conversations, mais je suis préoccupé par Boya. Elle
n’affiche pas une bonne mine, en plus d’avoir un peu
maigri. J’espère qu’elle n’est pas malade. J’espère surtout
qu’elle n’a pas relâché dans la prise de ses ARV.

Je m’excuse et sors de table. Je me rends dans la cuisine


derrière Boya. Elle est assise sur une chaise, lisant un livre
que je lui avais offert des mois en arrière.

— Boya, tu vas bien ?


Elle pose son livre et se lève.

— Oui, monsieur. Vous avez besoin de quelque chose ?


— Arrête de faire ça, s’il te plaît.

Je souffle d’exaspération parce que je sais que je prêche


dans le désert.

— Tu te portes bien ? J’ai l’impression que tu as perdu du


poids.
— Je vais bien, monsieur.
— Tu suis toujours ton traitement ?
— Oui, ne vous inquiétez pas. Je ne risque pas de vous
contaminer.
— Que racontes-tu ?
— Rien, monsieur. Je suis désolée, je me suis laissée
emporter.
— Boya, je veux que nous ayons une discussion tous les
deux. Mais pas maintenant. Demain, je rentrerai à l’heure
du déjeuner pour que nous puissions parler en tête à tête.
Elle baisse la tête. Je veux en rajouter, mais j’entends des
pas approcher. Je ressors avant que Martine ne fasse son
entrée.

— Tout va bien ? me demande-t-elle, devant la cuisine.


— Oui.

Nous retournons ensemble auprès de nos invités. Après le


diner, nous nous installons dans le salon pour plus de
conversations. Martine reste adossée contre moi pendant
que j’ai le bras passé autour de sa taille. Les apparitions de
Boya qui rapporte parfois des rafraîchissements me
déconcentrent. Je ne fais que la suivre du regard. Elle par
contre ne lève pas une fois les yeux sur moi.

— Ta servante a l’air très bien éduquée et efficace dans son


travail, complimente la belle-sœur de Martine.
— Oui, elle l’est, répond Martine. Elle connait mes attentes
quand je reçois des visiteurs. C’est dommage que je doive
me séparer d’elle cette semaine.

J’ai un petit sursaut.


— Comment ça, te séparer d’elle ? je demande, tout
nerveux.
— Ah oui, j’ai oublié de te le dire. Hier elle m’a informée
vouloir s’en aller.
— Comment ça ? Pourquoi ?
— Je n’en sais rien. Elle m’a juste dit vouloir faire autre
chose que le travail de maison. Mais ce n’est pas bien grave.
Je peux maintenant m’occuper de la maison, vu que je n’ai
plus trop de charges au boulot.

Elle retourne vers ses invités avec qui les conversations


reprennent. Je n’ai qu’une seule envie, aller trouver Boya
pour lui demander des explications. Elle décide de partir
sans m’en parler. Non, mais c’est quoi ces bêtises ? Je passe
le reste du temps à me tapoter les pieds d’impatience. Boya
ne peut pas prendre une telle décision sans en avoir parlé
avec moi au préalable. Pas après tout ce qu’elle et moi
avions partagé.

Les invités demandent enfin à s’en aller. Je souffle de


soulagement. Martine propose qu’on parte les
raccompagner à leur voiture, mais je prétexte une migraine
et une fatigue. J’attends qu’ils sortent pour aller retrouver
Boya dans la cuisine. Elle est encore assise, à lire.
— Tu as décidé de t’en aller ? Depuis quand ? Pourquoi ?
— Parce que je ne veux plus travailler ici, répond-elle avec
désinvolture.
— Pourquoi tu ne veux plus travailler ici ? je lui demande
de nouveau en m’emportant. Es-tu maltraitée ? Es-tu mal à
l’aise ? C’est quoi le problème ?

Elle garde le silence.

— Boya, je te parle.
— Je ne veux plus travailler ici. C’est tout.

Elle pose son livre et se lève. Son calme commence


sérieusement par m’énerver.

— Arrête de me raconter des conneries et dis-moi la raison


de ta démission.
— La raison c’est que je suis amoureuse de toi, hurle-t-elle.

Je reçois cette déclaration en pleine face.

— Je t’aime, tu comprends ? Et ça me tue de te voir dans


les bras d’une autre. J’étais déjà attirée par toi, mais ce que
nous avons partagé cette nuit-là dans ma chambre a
bouleversé des choses en moi. Je ne peux pas rester ici à
faire semblant que tout va bien alors que ce n’est pas le cas.
Je souffre de cet amour non réciproque. Je n’ai pas le droit
non plus de me plaindre ou de faire une scène de jalousie
parce que je ne suis rien pour toi.
— Ne dis pas ça, dis-je dans un souffle.

J’essaie de la toucher, mais elle repousse ma main. Deux


lignes de larmes traversent ses paupières.

— Je souffre dans mon amour propre et je n’en peux plus.


Je vais m’en aller pour pouvoir passer à autre chose. Je ne
veux pas rester dans la peau de la boniche qui est
amoureuse de son patron, un homme déjà engagé avec une
autre. J’ai déjà trop de souci à gérer dans ma vie pour en
rajouter.

Le regard plongé dans le sien, je n’arrive pas à en placer


une. Je suis sidéré. Je ne sais quoi dire. Je n’entends que
mon cœur battre de façon désordonnée. Des bruits se font
entendre dans le salon. Boya se nettoie le visage et sort de
la cuisine. Je prends une petite bouteille d’eau minérale
dans le frigo et je sors à mon tour. Je me rends dans ma
chambre sans prêter attention à Martine qui semble me dire
quelque chose. Je pose la bouteille sur la table de chevet et
je m’enferme dans la salle de bains. Je n’ai pas aimé la voir
pleurer. Ça m’a attristé au plus haut point. Je prends ma
douche et me mets au lit. Je fais mine de dormir quand
Martine entre à son tour. Je ne suis pas d’humeur à papoter.
Quand elle se rend dans la douche, j’envoie un message à
Boya :

« Nous devons parler avant que tu ne t’en ailles. Ne pars


pas comme ça. ».

J’attends une réponse qui ne vient pas. Je repose mon


portable et me laisse emporter par le sommeil.

Ce matin, j’ai dû me rendre d’urgence au boulot pour régler


la bêtise d’un employé. J’avais pourtant prévu prendre le
temps de discuter avec Boya quand Martine serait allée au
travail. Je lui ai cependant laissé un autre message pour
l’informer que je rentrerais à ma pause pour qu’on puisse
discuter. Là encore elle n’a pas daigné répondre. Sa
révélation m’a énormément troublé pratiquement toute la
nuit au point d’en avoir le sommeil agité. Je travaille avec
beaucoup de distraction. Je n’arrive pas à me sortir Boya de
la tête. Je n’arrête surtout pas de penser à ce que serait ma
vie si je n’avais plus, près de moi, celle qui me motivait à
devenir un homme meilleur. C’est en elle que je voyais ma
sœur et ça, ça m’aidait. Elle ne peut pas s’en aller
maintenant que je commence à aller mieux. J’ai encore
besoin d’elle. J’ai été pris de court, mais je dois agir.

Dès que l’heure de la pause sonne, je fonce droit à la maison


sans perdre de temps. Seulement, en arrivant, je remarque
que la maison est beaucoup trop silencieuse.

— Boya ? je l’appelle en allant dans la cuisine. Boya ?

Elle n’y est pas. Je vais voir au balcon, rien. Je me rends


donc devant sa chambre. Je cogne plusieurs fois sans
obtenir de réponse. Je me décide à entrer. Le premier détail
qui me frappe c’est l’absence de sa machine à coudre. Je
fronce les sourcils. Par réflexe, je vais jeter un coup d’œil à
son placard et il est totalement vide. Mon cerveau refuse de
capter ce qui est pourtant évident. Je décide de l’appeler.
Le premier appel sonne dans le vide. Au deuxième, ça
sonne longtemps avant qu’elle ne décroche.

« — Al… »
— Boya, où es-tu ?
« — Je suis partie, monsieur. »
— Partie où ?
« — Je suis rentrée chez moi. »
— Je t’avais pourtant…

J’inspire en me tenant l’arête du nez, mais la colère explose.

— Je t’avais pourtant dit que nous devrions parler.


« — Monsieur, nous n’avons rien d’important à nous… »
— Je suis celui qui décide de ce qui est important, je hurle
avec rage. Je suis ton patron et je t’avais demandé
d’attendre qu’on ait une conversation avant de t’en aller.

Elle ne dit rien. Je réprime un rire amer.

— Au fait c’est ça ! Tu as fini de profiter de mes largesses


et maintenant que tu as obtenu tout ce que tu voulais, tu es
partie sans prendre la peine de me dire au revoir. Je méritais
respect et considération après tout ce que j’ai fait pour toi.
C’est de la foutaise, ce que tu as fait. C’est un gros manque
de respect. Parce que je me suis rabaissé devant toi, tu crois
être au même niveau que moi ? Tu penses que tu trouveras
quelqu’un qui te traitera comme je t’ai traitée ? Tu penses
trouver quelqu’un qui te considèrera comme MOI, je t’ai
considérée ?

Je l’entends renifler et ça me fait ravaler le reste de mon


discours.

— Merci pour cette foutaise, Boya. Infiniment merci !

Je raccroche, fais un tour sur moi-même et m’assieds sur le


lit. Je me sens de plus en plus en colère. J’appelle mon
psychologue dans les oreilles de qui je fais une longue
narration remplie de frustration. Je lui explique ce qui s’est
passé et ce que je ressens. Plus je parle, mieux je me sens,
mais il y a toujours un peu de colère en moi.

« — As-tu essayé de te mettre à la place de Boya ? Toi, tu


as peur de retomber dans tes anciens vices puisque celle
qui était ton élément de motivation n’est plus là. Mais
imagine ce qu’elle ressent en voyant le seul homme qu’elle
ait jamais aimé dans les bras d’une autre. Toi, tu es déjà
guéri même si tu as encore des craintes. Il te suffira de
trouver une autre motivation comme ces associations que
tu veux aider et le tour est joué. Mais elle, pourra-t-elle
seulement passer à autre chose ? Elle n’a jamais connu
l’amour avant toi. La seule solution pour elle est de prendre
ses distances. Mets-toi à sa place un instant. »

Ses paroles me font prendre conscience de ma bêtise de tout


à l’heure. Il a raison, je crains qu’avec le départ de Boya, je
ne puisse trouver de motivation pour travailler sur moi. Je
raccroche avec lui et je rappelle Boya. Elle décroche, mais
ne parle pas.

— Boya ?
« — Oui ! » répond-elle d’une petite voix.
— Je suis désolé pour tout à l’heure. Je n’aurais pas dû
m’emporter et te parler comme je l’ai fait. J’en suis navré.
« — Ce n’est pas grave, monsieur. Je ne vous en veux pas. »
— Merci ! J’accepte ta décision. On pourrait rester en
contact, et se voir de temps en temps ?
« — Je… je ne préfère pas. Si je suis partie, c’est pour
pouvoir vous oublier, alors rester en contact ne m’aidera
pas. »

Je me masse l’arête du nez en fermant les yeux.


— Ok. Je respecte ta décision. Mais promets-moi de me
contacter au moindre besoin. Peu importe ce dont tu as
besoin et l’heure, contacte-moi.
« — C’est compris, monsieur. »
— Prends soin de toi et ne laisse pas tomber ton rêve de
devenir la meilleure styliste de ta génération.
« — C’est bien noté. Merci, monsieur. Merci pour tout ce
que vous avez fait pour moi. »
— Tu le méritais. Au revoir.
« — Au revoir, monsieur. »

Je raccroche, un pincement au cœur. Je dois maintenant me


concentrer sur une autre source de motivation pour
continuer mon processus de guérison.

DEUX MOIS PLUS TARD

***MARTINE

Je ne sais plus ce qui se passe. Je ne sais plus quoi faire.


Stephen est devenu tellement distant que je croirais
l’embêter avec ma présence. Il n’est pas désagréable avec
moi, loin de là. Mais, il est silencieux. Il me parle à peine
et quand j’entame une conversation il n’y participe
carrément pas. Les matins, il se rend très tôt au boulot, les
soirs quand il rentre aux environs de 22 heures, il prend sa
douche, dine et va s’enfermer dans la seconde chambre
qu’il a transformée en bureau et salle de sport. Puis quand
il est fatigué, il vient dans notre chambre dormir. C’est
comme si je n’existais pas. Il me parle uniquement pour me
demander des trucs insignifiants. Il a la tête tout le temps
dans les étoiles. Il semble préoccupé et j’ai l’impression
que c’est en rapport avec une autre femme. Oui, j’en suis
certaine. Je l’ai plusieurs fois surpris en train de regarder
les photos d’une femme dans son portable. Je n’ai pas vu
son visage, car dès qu’il sentait ma présence, il éteignait
son portable. Le fait de penser qu’il est peut-être amoureux
d’une autre femme me tue. Pourquoi faut-il toujours qu’il y
ait quelque chose qui se mette entre nous ? J’ai cru que
maintenant qu’il était guéri, tout irait comme sur des
roulettes, mais non. Rien ne va toujours. Il n’est plus
violent, certes, mais il est très distant.

Je me déshabille et le retrouve sous la douche. J’ai chaque


jour un peu plus envie de lui. Il refuse toujours qu’on fasse
l’amour, pourtant je brûle d’envie de lui. Je fais tout pour
l’attirer, pour le séduire, pour l’exciter. Ça n’a aucun effet.
J’en suis arrivée à me demander s’il avait perdu sa virilité,
mais le voir en érection tous les matins me confirme que
non. Alors c’est quoi le problème ?

Je me rapproche de lui et pose des baisers dans son dos. Il


ne réagit pas et continue de se rincer sous le jet d’eau. Je
glisse mes mains devant lui et empoigne son sexe.

— Arrête ! me repousse-t-il doucement.


— Bébé, j’ai envie de toi.
— Je ne me sens pas encore prêt.
— Mais tu n’essaies même pas pour le savoir. Laisse-moi
te faire des gâteries et si tu ressens l’envie de me violenter,
on arrête.

Sans lui laisser le temps de répondre, je m’accroupis devant


lui dans l’intention de le prendre en bouche, mais il me
plante là et sort de la douche. Cette fois, je laisse ma
frustration exploser. Je le suis.

— Au fait, c’est moi que tu ne désires pas. C’est moi que


tu ne veux plus toucher. Ça n’a rien avoir avec ta thérapie.

Il ne m’écoute pas et commence à se vêtir.


— Tu couches avec une autre femme, c’est ça ? C’est celle
dont tu ne cesses de regarder les photos ? C’est à cause
d’elle que tu as mis un code super compliqué sur ton
portable pour ne pas que je puisse y avoir accès ?

Il continue toujours sa tâche sans me calculer.

— Au fait, tu vas beau faire des thérapies, tu resteras un


salaud qui baise tous les vagins sur pattes de la ville.

Je l’ai piqué au vif, car il se retourne et me saisit par le cou.


Je le vois serrer les dents puis il ferme les yeux.
Soudainement, il relâche son emprise et pousse un soupir
avant d’ouvrir les yeux.

— Je suis désolé, me dit-il.

Je le regarde, complètement sur le cul. Il ramasse ses


affaires et sort de la chambre. J’éclate en sanglots et
m’assieds sur le lit. Que se passe-t-il dans cette relation,
bon sang ?

J’ai pris ma pause déjeuner et j’ai du mal à avaler quoi que


ce soit. Je pense à mon couple. À ce qui ne va pas. À
comment faire pour que nous puissions filer le parfait
amour. Je n’en peux vraiment plus de cette situation. Je
meurs à petit feu.

— Que t’arrive-t-il, Martine ? me demande ma collègue.


Ça fait un moment que je te parle, mais tu es perdue dans
les nuages.
— Tout va bien.
— Comment ça tout va bien ? Tu as perdu du poids ces
jours-ci et tu es tout le temps triste. Tu peux me parler, tu
sais. Nous nous connaissons depuis plusieurs années.
— Je sais.

Je soupire et lui raconte le problème. Elle connait Stephen


et sait pour nous deux. Je finis mon récit en laissant couler
une larme.

— Je ne sais vraiment plus quoi faire.


— Vraiment navrée pour toi. Mais pourquoi te tortures-tu
ainsi alors qu’il y a une solution ?
— Laquelle ?

Elle boit une gorgée de sa boisson.


— Tu te souviens l’année dernière où moi aussi j’étais dans
le même cas que toi ?
— Oui. Et après tout s’est arrangé et vous vous êtes même
mariés, ton homme et toi. Comment as-tu fait ?

Elle rapproche sa tête de moi.

— Je connais une femme. Une lanceuse de cauris. Elle peut


faire le travail chap chap pour toi.
— Je ne comprends pas.
— Si mon mari est accro à moi, c’est parce que je le tiens
entre mes mains. Je l’ai travaillé bien propre.
— Tu l’as envouté ?

Elle sourit. J’écarquille les yeux.

— Tu n’es pas sérieuse ?


— Très sérieuse. Elle m’a donné une recette miracle que je
fais bouffer à mon mari. Il ne jure que par moi. Il ne regarde
plus les autres pétasses de la ville. J’ai conduit dans le
même endroit ma sœur qui souffrait à cause de son mari et
aujourd’hui elle est épanouie.
— Mais c’est dangereux.
— Tant que tu suis les instructions, tout roule. Tu veux
garder Stephen pour toi seule ou pas ?
— Si !
— Tu veux qu’il soit fou amoureux de toi et te traite comme
une reine ou pas ?
— Si !
— Donc, fais ce que je te dis. Je vais t’accompagner chez
la dame et d’ici la fin de cette année, on célèbrera ton
mariage. Fais-moi confiance.

J’inspire et expire. C’est vrai que je n’ai jamais été adepte


de ces choses, mais à l’écouter, j’avoue que je suis tentée.
12

***BOYA

« — Tu as reçu l’argent que je t’ai envoyé ? »


— Oui. Mais ce n’était pas nécessaire.
« — C’est pour te montrer combien je prendrai soin de toi
quand nous serons mariés »
— Je n’ai pas encore dit oui. Nous apprenons à nous
connaitre pour le moment.
« — Oui, et tu auras encore plus d’argent si tu acceptes. »

Je lève les yeux au ciel. Cet homme ne connait rien d’autre


que le matériel. Pour lui, tout se résume à l’argent. C’est
d’ailleurs avec ça qu’il a mis toutes les filles du village dans
son lit. Et il pense que c’est avec ça qu’il m’aura. Il est
encore au Sénégal et c’est uniquement par appel que nous
essayons de mieux nous connaitre. Au fait, lui il ne veut pas
me connaitre. Il veut juste s’assurer que j’accepte ce
mariage farfelu. Je ne veux pas de ça. J’ai toutefois
l’impression de n’avoir aucune autre alternative. Tout le
monde a déjà validé ce mariage. C’est moi qui ai tenu à ce
que Patrick et moi apprenions à nous connaitre, sinon, si ça
ne dépendait que de mes oncles, on m’aurait jeté dans ses
bras, à l’aveugle. Il est plutôt beau et élégant, de ce que j’ai
remarqué sur ses photos reçues par WhatsApp. Sauf qu’il
ne me fait aucun effet. Aucun, comme ce que me fait
monsieur Stephen.

Je ferme les yeux et pousse un soupir en voyant son image


dans ma tête. Il me manque tellement. Je regarde chaque
jour nos photos. Chaque jour, je lutte contre l’envie de lui
écrire. Je sais qu’il me suit. Il "like" toutes mes publications
sur Facebook et regarde tous mes statuts sur WhatsApp.
Mais il ne les commente pas. Lui, il n’est pas adepte des
réseaux sociaux. En dehors de WhatsApp, il n’avait aucun
compte. C’est en quelque sorte moi qui l’ai contraint à se
créer un profil sur Facebook. Profil sur lequel il ne publie
absolument rien. Nos moments de fous rires et de délires
me manquent tellement. Il m’est arrivé de penser que j’ai
peut-être exagéré en démissionnant. J’aurais dû peut-être
rester et me contenter de son amitié. J’aurais certainement
fini par l’oublier. Ça n’aurait pas été possible. Bref, il faut
que je le chasse de mon esprit.

Je mets fin à l’appel et je me concentre sur la tenue que je


suis en train de coudre. Awa m’a donné l’idée de coudre
des vêtements et de les vendre en ligne à moindre coût pour
commencer afin de me faire connaitre. C’est donc ce que
j’ai fait. J’achète des pagnes et des tissus pour
confectionner des vêtements d’hommes, de femmes et
d’enfants. Les prix vont de 5 000 FCFA à 7 000 FCFA. Je
fais mes publications dans les différents groupes de vente
en ligne et ça marche un peu. Je peux avoir trois à quatre
commandes dans une même semaine puis la semaine
d’après c’est silence radio. Je ne perds pas espoir. Je sais
que petit à petit les choses se feront. J’ai utilisé la moitié de
mes économies pour acheter trois mannequins. Homme,
femme et fillette. Bientôt j’achèterai pour petit garçon. En
attendant, je photographie simplement les vêtements de
garçon. Quelqu’un sur Facebook liquidait ses mannequins
à des prix très abordables et j’ai saisi l’occasion. J’ai collé
des affiches de quelques-uns de mes modèles un peu
partout dans le quartier avec mon numéro. Je n’espère pas
vraiment que les gens de mon quartier me sollicitent, vu le
dédain avec lequel ils me regardent tous. Par contre, de
nouveaux passants peuvent voir, aimer et me contacter. Je
garde espoir que je m’en sortirai, surtout maintenant que
j’ai ma tante de mon côté.

J’arrête de coudre lorsque j’entends quelqu’un sonner.


J’aperçois de loin ma tante qui est déjà au portail. Je me
rassieds donc et reprends ma couture. Je couds un peu de
tout, mais je suis plus spécialisée dans les tenues hommes
et femmes. Pour les enfants, c’est juste un plus que je veux
ajouter à mes compétences. Et bien que je couse désormais
avec une machine, je me sens plus à l’aise en le faisant à la
main.

— Boya, on te demande au portail.

Ma tante disparait dans la cuisine aussitôt après m’avoir fait


la commission. Et si c’était un client ? Je souris. Je me
précipite au portail tout excitée. J’ouvre la porte et je sens
mon cœur lâcher un moment quand je vois devant moi, mon
ex-patron.

— Monsieur ?
— Bonsoir, Boya.

Son sourire fait voler des papillons dans mon ventre. Ça fait
pratiquement deux mois que je ne l’ai pas vu, mais j’ai
l’impression que ça fait cent ans. Je suis très heureuse de le
voir au point de ne pas pouvoir retenir ce sourire débile qui
étire mes lèvres. Le regard qu’il pose sur moi me fait frémir.
— Bonsoir, monsieur.
— Je ne suis plus ton patron donc tu peux m’appeler par
mon prénom.
— Ok, dis-je en baissant la tête.
— J’ai demandé la permission à tante pour t’emmener
quelques heures. Tu pourrais aller te changer ? On va
manger quelque part, toi et moi.

Mon cœur s’affole au souvenir de ce qui s’était passé la


première fois que nous avions diné ensemble. Je retourne
rapidement à l’intérieur me rincer et enfiler une robe. Je
change de perruque, mets une petite touche de maquillage,
j’attrape un petit sac et je ressors retrouver Stephen. Lol, ça
va faire étrange de l’appeler par son prénom.

Après un trajet silencieux, nous arrivons dans un restaurant


d’un cadre chaleureux. Toujours sans échanger de mots,
nous passons chacun nos commandes. Quand le serveur
part, je baisse la tête, intimidée par le regard de Stephen.

— Comment te portes-tu, Boya ?


— Je vais bien, je réponds en relevant la tête. Et toi ?
— Ça va. J’ai vu que tu t’étais lancée officiellement dans
la couture et la vente de tes créations. Félicitations !
— Merci !
— J’espère que ça va ?
— Bof, pas à 100 %, mais j’ai quand même fait des ventes.
Petit à petit, ça viendra.
— Parlant de ça.

Il glisse sa main à l’arrière de son pantalon et en sort une


enveloppe.

— J’ai besoin que tu me confectionnes des chemises et des


tuniques, dit-il en me tendant l’enveloppe. Les gens ne
cessent d’apprécier celles que tu m’avais faites alors je me
suis dit : pourquoi aller chercher un autre styliste ?

Je prends l’enveloppe, l’ouvre et j’écarquille les yeux

— Mais c’est beaucoup trop d’argent.


— Tu m’en feras plusieurs. Pas seulement avec du pagne.
Avec des motifs traditionnels, des tissus de qualité surtout.
— Tu me fais autant confiance ?
— Plus qu’à moi-même.

Il accompagne sa déclaration d’une caresse sur ma main


posée sur la table. Ce simple geste me met la tête à l’envers.
Il me regarde étrangement. J’ai du mal à détourner mon
regard. Ce moment de connexion est interrompu par
l’arrivée du serveur avec nos plats. Je range l’enveloppe
contenant les 100 000 FCFA et je m’attaque à ma
commande. Stephen est celui qui conduit la conversation.
Je me détends au fur et à mesure et notre si belle entente
renaît. J’oublie cette barrière que j’avais mise entre nous et
je me laisse aller.

— Il est l’heure de te ramener chez toi.


— Merci beaucoup pour cette sortie.
— Ça m’a fait plaisir.

Au moment où nous sortons du restaurant, je reçois un


appel de Patrick. Je coupe. Il rappelle. Je coupe de nouveau.

— Un prétendant ? me demande Stephen en débloquant les


portières de sa voiture.
— On peut dire ça.

Il m’ouvre la portière et m’aide à m’installer. Nous nous


laissons bercer par la musique durant le trajet retour. Je le
sens un peu ailleurs. Il a l’air de réfléchir. Après plusieurs
minutes, il gare devant mon portail.
— Voilà ! Je t’ai ramené chez toi à temps.
— Encore merci !
— Boya ! Est-ce qu’on pourrait garder le contact ? Se voir
de temps en temps ? Tu me manques !

Mon cœur fait un bond. Il a dit que je lui manquais. Alors


que je suis perdue dans mes pensées et perturbée par cette
déclaration, il me retourne la tête et pose délicatement ses
lèvres sur les miennes. Des fourmillements me traversent
tout le corps, de la tête aux pieds. J’entrouvre les lèvres et
il s’en empare totalement. Je pose ma main sur sa joue et je
réponds goulument à son baiser. Malheureusement pour
moi, il y met fin sans toutefois s’éloigner.

— Je veux déjeuner avec toi demain. Tu acceptes ?

Je fais oui de la tête.

— Tu m’as manqué ! m’avoue-t-il de nouveau.


— Toi aussi !

Il sourit et m’embrasse brièvement.


— Rentre maintenant avant que ta tante ne se mette en
colère. Je viens te chercher demain.
— Ok. Bonne soirée.
— À toi également.

Je descends malgré moi de la voiture, je lui lance un dernier


regard puis je rentre. Je passe le reste de cette soirée la tête
dans les étoiles. Je ne cesse de caresser mes lèvres et de
garder les yeux fermés pour mieux revivre ce baiser. J’ai
hâte d’être à demain.

*Mona
*LYS

Ça fait aujourd’hui une semaine que je passe mes midis


avec Stephen. Il vient à chaque fois me chercher, tantôt au
marché où j’aide ma tante, tantôt à la maison. Et cerise sur
le gâteau, j’ai droit à un baiser à chaque séparation.
J’invente toujours des histoires à ma tante pour qu’elle me
laisse partir avec lui. Je lui ai dit qu’il m’aidait à avoir plus
de clients. En plus, avec ses chemises que je couds en ce
moment, elle n’a d’autres choix que de me croire. Je me
sens tellement bien avec lui que je ne veux pas que nos
journées s’achèvent. Je veux passer le restant de ma vie près
de lui et dans ses bras. Mais je sais que ça restera un
fantasme. D’ailleurs, cette situation commence par me
peser. Il m’embrasse chaque fois, mais jamais il ne m’a dit
si nous deux c’était officiel. Je ne sais même pas s’il est
toujours avec sa femme. Aujourd’hui, je lui en parlerai. J’ai
besoin de savoir mon rôle dans cette histoire.

— Bonjour, mesdames.

Je relève la tête de mon livre et il est là, debout devant la


table de marchandises de ma tante. Nous lui répondons.

— Pourrais-je emprunter Boya, s’il vous plaît ?


— Oui. Donnez-lui cinq minutes.
— Je suis dans ma voiture.

Je le regarde s’en aller, le cœur battant d’amour.

— Donc toi Boya, dans ta vie là tu es choisi de devenir


maîtresse ?
— Comment ça, tantie ?
— Tu me demandes ? Tu penses que je ne vois pas votre
petit jeu à tous les deux ? Il vient te chercher tous les midis
pour aller je ne sais où, vous discutez au téléphone tard dans
la nuit, il te fait des cadeaux tout le temps et hier je vous ai
vu vous embrasser. Donc c’est ce que tu veux faire ? Sortir
avec le mari d’une autre ? Tu n’as que dix-sept ans et c’est
cette vie que tu veux mener ? De te rappeler la maladie que
tu as ? Finalement, les oncles ont raison hein. Il est
préférable qu’on te donne en mariage maintenant pour ne
pas que demain tu deviennes un problème pour nous. Ton
anniversaire c’est ce mois non ? Dès que tu as dix-huit ans,
tu te maries et tu vas au Ghana avec Patrick. Fin de la
discussion. Je voulais qu’on te laisse le choix, mais avec ce
que je vois là, c’est mieux on va décider pour toi. Il faut
partir, ton maître t’attend.

Elle tourne la tête et continue de rouspéter en guéré cette


fois. Elle a parfaitement raison. J’y pensais également. Je
ne veux pas jouer ce rôle dans ma vie. Je veux être la femme
d’un homme, non sa maîtresse.

Je vais retrouver Stephen dans sa voiture. Dès que je suis


installée, il se penche vers moi. Je détourne la tête quand il
veut m’embrasser.

— Que se passe-t-il ? Il y a un souci ?


— Qui suis-je pour toi ? je lui demande de but en blanc.
— Comment ça ?
— Tu viens me chercher tous les jours pour qu’on passe du
temps ensemble, tu m’offres des cadeaux, tu m’embrasses
comme bon te semble. Que signifie tout ceci ? Sommes-
nous en couple ? Ou c’est juste un plaisir que tu prends ?

Il baisse les yeux de confusion. Je le regarde, attendant sa


réponse. Il demeure silencieux de très longues minutes. Ça
me fend le cœur.

— On devrait donc arrêter de se voir.


— Non, Boya, attends. On peut en discuter.
— Mais tu n’arrives même pas à répondre à une simple
question. Qui suis-je pour toi ?

Il ouvre ma bouche, cherche ses mots, mais n’en trouve


aucun.

— Boya… je… écoute… je t’apprécie beaucoup. J’aime


passer du temps avec toi. Je…
— Es-tu amoureux de moi ?

Cette fois il blêmit. Il se perd dans ses réflexions.


— Moi je le suis de toi et je ne veux plus continuer ce jeu.
Je ne veux pas être un passe-temps. Je veux un homme qui
m’aimera, uniquement moi. Je refuse de partager le mari
d’une autre. Alors, je le redis, mieux vaut qu’on arrête de
se voir.

Je veux ouvrir la portière, mais il me retient.

— Boya, je tiens à toi.


— Dans ce cas, fais un choix.
— Comment ça ?
— Si tu veux que nous continuions à nous voir, tu vas
devoir faire les choses comme il se doit. Je ne veux pas
rester dans l’ombre d’une autre. Soit c’est elle, soit c’est
moi. Faisons les choses bien pour ne faire souffrir
personne.

J’ouvre la portière et sors, sous son regard médusé.

DEUX SEMAINES PLUS TARD

***STEPHEN
Je récupère le colis des mains du livreur et je lui tends un
billet de 5 000 FCFA.

— La dame a déjà payé la livraison, m’informe le


chauffeur.
— Ok. Merci !

Je retourne à mon appartement en tentant de joindre Boya.


Comme depuis deux semaines, elle ne répond pas. Je lui
envoie donc un message pour l’informer de la bonne
réception de mes chemises. Elle répond juste par un ‘‘ Ok
’’ et c’est tout. Je range mon portable dans la poche arrière
de mon jean. Je me rends dans ma chambre et sors les
différentes chemises du sac. À la vue des deux premières
chemises, je suis tout de suite épaté. Cette fille a un talent
fou. Chaque chemise a son style et les tissus sont beaux.
Elle m’a fait un total de dix chemises et je suis surpris de
voir deux pantalons en bonus. A-t-elle pris quelque chose
pour sa main d’œuvre ? J’ai tellement envie de la serrer
dans mes bras pour la remercier. C’est dommage qu’elle ne
veuille plus rien avoir avec moi. Je lui envoie tout de même
un message de remerciement pour les tenues, qui reste sans
réponse.
— C’est quoi tout ça ? me demande Martine sortie de la
salle de bains.
— De nouvelles tenues.
— Waouh, c’est magnifique tout ça. Ce sont des prêts-à-
porter ou cousues ?
— Cousues.
— Il est fort ton couturier.
— Oui, dis-je du bout des lèvres.

Je remplace la chemise que j’avais enfilée pour l’une des


nouvelles. Boya les a toutes fait laver et repasser. Martine
et moi nous finissons de nous préparer et prenons la route
pour la maison de ma tante. Elle a voulu diner ce soir avec
ses deux garçons et leurs compagnes. Je suis complimenté
sur ma tenue par tout le monde. Même Zoé me demande de
lui passer le numéro de mon styliste après le diner. Ma tante
nous convie tous autour de la table.

Il coule autour de cette table une ambiance des plus


joyeuses. Ça parle de tout et n’importe quoi. Martine est
aux anges et ne se retient pas de rire aux éclats. Elle
s’entend parfaitement avec toute ma famille qui l’apprécie
également. Mais moi je suis un peu indifférent à toute cette
bonne humeur. Je ne fais que fixer le numéro de Boya, en
dessous de la table, sans avoir la force de le lancer. Je n’ai
fait que cogiter sur ce qu’elle m’a dit et je n’ai pu trouver
une réponse. Je n’arrive pas à avoir les idées claires la
concernant. Je n’arrive pas à mettre un nom sur ce que je
ressens pour elle. Est-ce de l’amitié ? Est-ce de la
fraternité ? Est-ce de l’amour ?

— Awa est où et depuis je l’appelle, elle ne répond pas ?


hurle ma tante, me ramenant sur terre, en fixant la direction
de la cuisine. AWA !!!

Awa vient en courant.

— Pardon mémé, s’excuse cette dernière. Je n’ai pas


entendu. J’étais au téléphone.
— Je t’ai déjà dit de dire à tes gars-là de t’appeler quand tu
as fini de travailler.
— Non, c’était avec Boya.

Mon cœur réagit à l’entente de ce prénom.

— Elle dit que demain elle s’en va au village pour se


marier.
— Quoi ? dis-je sans l’avoir voulu.
— Elle dit que ses parents ont trouvé un mari qui est…
"comme elle". Il cherchait une femme à marier avant de
partir vivre au Ghana avec elle pour son nouveau travail.
— Un mariage arrangé ? Et elle a accepté ?

La colère s’est tellement fait sentir dans ma voix que


Laurence a posé un regard plein d’interrogations sur moi.

— Ah, elle dit qu’elle n’avait pas le choix. C’est peut-être


sa seule chance d’avoir un mari à cause de… ce qu’elle a.
— Qu’est-ce qu’elle a ? demande Zoé qui ne comprend
rien.

Son mari lui parle à l’oreille. Je n’écoute plus les consignes


que ma tante donne à Awa. J’appelle Boya et comme je le
pensais, elle ne décroche pas. Je n’abandonne pas. J’insiste
malgré le fait qu’elle refuse toujours de répondre. J’essaie
de rester calme pourtant je suis en feu à l’intérieur de moi.
Je finis par craquer.

— Laurence, tu me passes ton portable, s’il te plaît ? Je dois


passer un coup de fil important.
Il me le donne sans hésiter. Je m’éclipse dans ce qui avait
été ma chambre pendant ma convalescence et je rappelle
Boya. Cette fois, elle décroche.

« — Oui, allô ! »


— Boya, c’est moi. S’il te plaît, ne raccroche pas. Est-ce
vrai que tu te rendras demain dans ton village pour te
marier ?

Elle demeure dans le silence quelques secondes.

« — Oui ! »

Je respire bruyamment en faisant un demi-cercle. J’essaie


de parler, sauf que je ne sais absolument pas ce que je dois
lui dire. Tout s’embrouille dans mon esprit et dans mon
cœur. Je suis troublé, nerveux, jaloux, en colère. Je
raccroche et je m’assieds sur le lit. Qu’est-il en train de
m’arriver ? Je ferme les yeux pour essayer de me reprendre
et passer sur cette histoire.

J’entends la porte s’ouvrir.

— Tout va bien ? s’inquiète Laurence. Je t’ai senti frustré.


— Ma tête va exploser, je lui réponds en levant la tête. Je
ne sais pas quoi penser.
— De quoi ?
— Boya !

Il plisse les yeux. Il s’assied près de moi.

— C’est quoi le problème ?


— Je n’arrive pas à déterminer ce que je ressens pour elle.
— Ce sont des sentiments fraternels non ? m’avais-tu dit.
— Alors pourquoi est-ce que j’ai envie de l’embrasser ?
Pourquoi je ne veux pas qu’elle accepte ce fichu mariage ?
— Donc tu es amoureux.
— Ça peut être aussi une sorte de dépendance non ? Peut-
être que je me sens attaché à elle parce qu’elle était là durant
ma période de guérison. Je la voyais comme Évelyne. Peut-
être que ça a créé un lien fort entre nous au point d’avoir
peur de rechuter si jamais elle disparaissait. Un peu comme
Évelyne.
— Bon, là ça rentre dans le cadre de ta psychologie. Tu
devais peut-être en parler à ton psy. Il t’aidera sans doute à
y voir plus clair.
Il a raison. J’appelle le docteur qui me confirme sa présence
encore à son cabinet. Je l’informe de mon arrivée.

— Tu vas y aller maintenant ? s’étonne mon frère quand je


raccroche.
— Oui. J’ai besoin de réponse tout de suite, sinon je ne
pourrai me concentrer sur rien. Tu pourrais déposer
Martine à la maison, s’il te plaît ?
— Euh d’accord. Si tu y tiens.
— Merci !

Je retourne près de Martine à qui je donne comme prétexte


une urgence de travail et je pars à la hâte. Je retrouve le
psychologue qui était déjà prêt à quitter son bureau. Le
trajet m’a permis de me calmer les nerfs.

— Merci de me recevoir à la dernière minute, lui dis-je en


m’asseyant en face de lui.
— Pas de quoi. Alors, c’est quoi le problème ?

Je croise les jambes en fixant le mur derrière lui.

— Boya !
— Tu as pu enfin mettre un nom sur ce que tu ressens pour
elle ?
— Non. Et là, elle va se marier à un autre.

Je ferme les yeux en réprimant cette atroce douleur dans la


poitrine.

— Et que ressens-tu vis-à-vis de ce mariage ?


— Je ne veux pas qu’elle se marie. Je ne veux pas qu’elle
parte encore plus loin de moi. Rien que de penser qu’elle
appartiendra à un autre homme me met en rogne. Je ne sais
pas ce que c’est, mais… je ressens une vive colère en moi
depuis que j’ai appris cette nouvelle.
— Pourquoi refuses-tu d’admettre que tu es amoureux
d’elle ?
— Parce que je l’ai toujours vu comme une petite sœur. Je
voulais me racheter auprès de ma sœur en aidant Boya et
c’est ce qui m’a le plus rapproché d’elle. J’ai réussi. Je ne
ressens plus aucune culpabilité. Je ne ressens plus ce poids
sur mes épaules.
— Dans ce cas, laisse-la partir. Ta mission dans sa vie est
achevée.
— Mais tu ne comprends pas que c’est elle qui était en
mission dans ma vie ? Au début, j’ai cru que c’était moi qui
l’aidais alors qu’en réalité c’était tout le contraire. C’est elle
qui m’aidait à guérir. C’est son sourire, sa bonne humeur,
son aura, sa chaleur, son regard si innocent, ses ambitions,
son amour pour la lecture, les films romantiques, les séries
à suspens. C’est… elle, tout entière, qui me guérissait.
Quand elle était là, j’étais toujours impatient de rentrer à la
maison, la retrouver pour qu’elle me raconte ses anecdotes
de la journée. Nous passions nos soirées devant la télé à
enchaîner des films et des séries. Je me sentais différent,
beaucoup plus heureux, beaucoup plus mature, beaucoup
plus…

Je suspends le prochain mot.

— Amoureux ? me questionne le psychologue. C’est bien


ce que tu allais dire ?

Je le regarde sans pouvoir lui répondre.

— Laisse-moi t’expliquer ce que tu refuses de voir depuis


plusieurs mois. Tes intentions premières envers Boya
étaient pures et simples. Tu voulais juste aider une âme en
peine en qui tu retrouvais ta sœur jumelle. Sauf que les
sentiments s’en sont mêlés.
— Comment puis-je en être si sûr ?
— Parce qu’un frère ne brûle pas de désir charnel pour sa
sœur, sourit-il.
— Mais elle est beaucoup trop jeune pour moi. Je crois
qu’elle aura dix-huit ans cette semaine et moi j’en ai trente-
trois. Il y a pratiquement quinze ans entre nous.
— Il y a également 15 ans entre mes parents et ils ont
célébré leurs cinquante ans de mariage le mois dernier.
Comme quoi, l’âge n’empêche pas de vivre le véritable
amour.
— Que me conseilles-tu ? Pas en tant que mon psy. Plutôt
en tant qu’un ami.
— Je suis flatté que tu me considères comme un ami. Eh
bien, si j’étais à ta place et qu’il s’agissait de la fille dont je
suis éperdument amoureux, je l’empêcherais de se marier.
Par tous les moyens. Absolument tous les moyens.
— Et Martine ?
— Il est préférable qu’elle souffre maintenant plutôt que
d’être condamnée dans un mariage malheureux où l’amour
n’est pas réciproque. Tu ne crois pas ?

Cet échange avec le Docteur m’a fait un grand bien. Je


rentre chez moi en cogitant sur ce qu’il a dit. Devrais-je
accepter mes sentiments pour Boya et l’empêcher de se
marier ? J’entre dans la chambre et j’observe Martine qui
dort à poings fermés. J’ai toujours su que je n’ai jamais été
amoureux d’elle. J’aimais bien sa compagnie et sa
personnalité. Rien de plus. Je crois qu’elle l’a toujours su
également. Pourtant elle tenait à cette relation. Malgré tous
mes mauvais traitements, elle est restée et elle revenait à
chaque fois vers moi. C’est une bonne femme. Il n’y a
aucun doute. Mais je n’ai jamais réussi à tomber amoureux
d’elle.

Je retourne au salon, m’allonger dans le divan et continuant


à cogiter. Je fais défiler les photos de Boya dans mon
portable jusqu’à m’endormir.

Je me réveille en sursaut le matin. Je remarque sur mon


portable qu’il est 7 heures. Je m’étire et retourne dans ma
chambre où Martine est en train de se vêtir.

— Ah, tu es réveillé ? Je voulais finir de me préparer avant


de te réveiller. Je vais nous faire un succulent petit
déjeuner. Au fait mon cœur, ça te dirait de faire une sortie
à la plage en amoureux demain samedi ? Ça fait si
longtemps que nous n’avions rien fait ensemble.
— Est-ce qu’on pourrait parler ? lui dis-je d’une voix
calme.
— Oui, donne-moi juste le temps de finir le petit déjeuner.

Elle veut m’embrasser, mais je détourne la tête.

— C’est vraiment important.


— Que se passe-t-il ? s’inquiète-t-elle tout de suite.
— Martine, je crois qu’il est temps d’arrêter de faire
semblant. Ne nous voilons plus la face.
— De quoi parles-tu ?

Je lui prends les mains et la fais asseoir sur le lit.

— Toi et moi, ça ne marche pas. Ça n’a jamais marché et


je ne pense pas que ça marchera un jour.
— Pourquoi dis-tu ça ? Si chacun y met du sien, ça
marchera. Moi je t’aime.
— Mais ce n’est pas réciproque et tu le sais.
— Ne dis pas ça. Je sais que tu m’aimes. Seulement que tu
n’es pas très expressif.
— Arrête de te donner de l’espoir, s’il te plaît. Tu mérites
tellement mieux. Tu mérites un homme qui fera de toi sa
reine.
— Qu’es-tu en train de me dire ? me demande-t-elle d’une
voix vacillante.
— Nous devons arrêter cette relation. Définitivement.

Elle retire ses mains de mes mains et se lève.

— Tu ne peux pas me dire ça. Pas après tout ce que nous


avons vécu ensemble. Peu importe le problème, dis-le-moi
et nous trouverons une solution. Tout est possible si on le
veut.
— Justement, je ne le veux pas. Martine, je t’aime, mais
uniquement comme une amie. J’aime ta compagnie, tu es
une personne formidable, mais je ne suis pas amoureux de
toi. Je ne te désire même pas quand je te vois défiler
complètement nue ou en lingerie. Il n’y a rien. Aucun effet.
C’est de ce genre de relation tu veux ?

Des flots de larmes se mettent à se déverser sur ses joues.


Je me sens mal pour elle. Elle ne mérite pas ça.

— Je suis désolé, Martine. Mais c’est mieux ainsi.


— Tu ne peux pas me dire ça. Pas après tout ce que j’ai
enduré pour faire vivre cette relation.
— Effectivement, tu en as assez fait. Il est temps pour toi
d’être heureuse.
— MAIS C’EST AVEC TOI QUE JE VEUX ÊTRE
HEUREUSE.

Je cherche les mots pour lui faire entendre raison. Je crois


qu’elle n’est pas encore disposée à l’accepter.

— C’est à cause d’une autre femme hein ? Tu as rencontré


quelqu’un d’autre ?
— Ça n’a rien à voir. Je parle de nous deux.
— C’est n’importe quoi ! Tu es donc en train de me dire de
faire mes bagages et de m’en aller ?
— Si tu veux, je te laisse l’appartement. Je vais aller vivre
chez ma tante, le temps de m’en trouver un autre.
— Tu es autant déterminé à me quitter ? Jusqu’à me laisser
ton appartement ? Waouh ! Tu as sans doute besoin de
souffler un peu pour reprendre tes esprits. Je vais donc te
laisser seul tout ce week-end et la semaine prochaine nous
reprendrons notre vie de couple comme si rien ne s’était
passé.
Elle récupère l’un de ses nombreux sacs à main dans lequel
elle fourre quelques effets et elle sort. Elle finira par
comprendre quand elle se sera remise de ses émotions.

Je vais prendre une douche, je me prépare et je sors à mon


tour. Je tente en vain de joindre Boya tout en conduisant
vers sa maison. Je dois lui parler avant qu’elle ne s’en aille.
Arrivé devant sa maison, je cogne incessamment sans
obtenir de réponse. Je me rends au marché en espérant les
y voir. La table de sa tante est vide. Après renseignement,
on me dit qu’elles ont effectué un voyage tôt ce matin pour
la dot de Boya qui se tiendra demain et le mariage civil le
lundi. Je retourne à ma voiture, complètement abattu par
cette nouvelle. Elle va donc réellement se marier demain.
Pourquoi si vite ? Si ça avait été prévu dans plusieurs jours
j’aurais eu le temps de trouver une solution et dissuader
Boya. Maintenant, je ne sais plus quoi faire. Je me suis
rendu bien trop tard à l’évidence que je l’aimais. Demain,
elle appartiendra à un autre qui ne l’aime même pas et elle
non plus, j’en suis certain. Elle m’avait pourtant demandé
de la choisir. Au lieu de ça, j’ai gardé le silence.

La tête perdue dans le vide, je sillonne la ville. Qu’est-ce


que je fais maintenant ? Je suis tiré de mes pensées par
l’appel de mon frère. Je décroche mon portable accroché
sur le tableau de bord.

— Quoi de neuf, frangin ?


« — Que se passe-t-il encore ? Martine a appelé Zoé en
pleurs. »
— J’ai rompu, définitivement cette fois-ci.
« — Vraiment ? Pourquoi ? »
— Je veux vivre une véritable relation amoureuse sans faire
semblant. Je veux une femme que je vais aimer autant
qu’elle m’aimera, ou même plus. Mais je crains que ça ne
puisse plus être possible, car celle que je voulais se marie
demain.
« — Qui ça ? Boya ? »
— Oui. Elle et sa famille sont sur le chemin de leur village.
Demain elle se fera doter et après aura lieu le mariage civil.
J’ai été con de ne pas m’être vite aperçu de mes sentiments
pour elle et maintenant je l’ai perdue.
« — Leur village se trouve ici en Côte d’Ivoire ? »
— Oui.
« — Dans ce cas, qu’est-ce qui te retient d’aller les
rejoindre et convaincre Boya ainsi que sa tante, puisque
c’est avec elle que tu as une certaine affinité ? »
— Tu parles sérieusement ?
« — Bien entendu ! C’est la première fois de toute ta vie
que tu tombes réellement amoureux alors cette histoire ne
mérite pas de se terminer ainsi. Rejoins-les aujourd’hui
même et ai une discussion sérieuse avec ses tuteurs. Ils
veulent certainement la donner en mariage parce que c’est
la seule proposition. Va et dis-leur ce que tu désires faire
avec leur fille qui est également amoureuse de toi. »

Mais pourquoi n’y ai-je pas pensé ? Je mets fin à notre


conversation et j’appelle Awa à qui je demande plus de
détails de sa conversation avec Boya. Elle décide de
m’envoyer des captures pour que je voie moi-même ce qui
m’intéresse. Je reçois donc par WhatsApp une dizaine de
captures d’écran de leur conversation où elles parlent des
détails du mariage. On peut y voir le nom du village, le nom
du quartier où est située leur cour familiale. Je souris en
voyant un message dans lequel Boya dit combien je lui
manquerais et combien elle est folle de moi. Ça me
réconforte dans cette mission improvisée dans laquelle je
veux me lancer. Je retourne chez moi me préparer un petit
sac de voyage et c’est parti !

***TANTE ODETTE
— Boya, tu ne manges pas ?
— Non, tantie, répond-elle tristement. Je vais me coucher.

Je la regarde se diriger vers la petite maison dans notre


grande cour où est située la chambre qu’elle occupera
durant notre séjour ici. Je la sens malheureuse. Je sais
qu’elle l’est parce qu’elle ne veut pas de ce mariage. Elle
n’a pas eu d’autres choix que d’accepter face à la pression
de toute la famille. Moi non plus je ne suis pas très partante
d’une part. Seulement, je n’arrête pas de me demander ce
que serait la vie de Boya si jamais aucun homme ne veut
d’elle à cause de sa maladie. Je ne veux pas qu’elle reste
seule toute son existence. Alors malgré moi, j’ai accepté ce
mariage arrangé. Je sais ce que c’est d’être dans ce genre
de mariage ! Ç’a été aussi mon cas et je peux assurer que le
bonheur n’est pas ce qui est prioritaire. Tout ce qui compte,
c’est d’avoir un mari et lui faire des enfants. Rien de plus.
L’amour et la passion n’y sont pas forcément. On se
contente du matériel et des enfants parce que la plupart du
temps, l’homme ne nous appartient plus. Ils couchent avec
toutes celles qu’ils rencontrent et toi tu ne peux rien faire si
ce n’est supporter ; parce qu’en Afrique, c’est ÇA le
mariage. Et c’est ce que Boya s’apprête à vivre.
Malheureusement.
Je range un côté les oignons nettoyés et je m’attaque aux
poulets pour les assaisonner. Les autres femmes de la
famille et moi avions entamé les préparations pour la dot de
demain. Nous faisons le nécessaire pour que demain la
cuisine se fasse plus rapidement.

— Hum heureusement que Patrick était là dèh, sinon qui


allait mettre une sidéenne chez lui ? s’exclame la femme de
mon frère aîné, en guéré.
— Je te dis hein, répond une cousine en guéré également.
Comme les deux ont le SIDA, ils vont bien se gérer.
— Est-ce que tu sais que Patrick a recommencé avec les
femmes malgré son statut ? reprend ma belle-sœur.
— Lui là, il ne va pas changer oh. Il veut distribuer sa sale
maladie là aux gens.
— Paraît-il qu’il se protège maintenant. Ma chère, il est
déjà malade donc il ne risque plus rien. Est-ce que cabri
mort peut mourir encore ?

Elles se mettent toutes à rire aux éclats alors que moi je suis
dégoûtée de tout ceci. J’arrête de les écouter quand je reçois
un appel. Je suis surprise de voir le numéro de l’ancien
patron de Boya. Pourquoi m’appelle-t-il à 22 heures ? Je
laisse sonner en me disant qu’il s’est certainement trompé.
L’appel coupe, mais à ma grande surprise, il rappelle. Ce
doit donc être sérieux. Il ne m’a jamais appelée à pareille
heure. D’ailleurs, ça fait très longtemps qu’il ne m’a plus
appelée. Je m’éloigne des bavardages et commérages des
autres et je décroche.

— Allô ?
« — Dieu soit loué ! Vous décrochez enfin. Bonsoir,
madame. J’ai urgemment besoin de vous parler. »
— Que se passe-t-il, monsieur Stephen ?
« — C’est à propos de Boya. C’est extrêmement
important. »
— Je vous écoute.
« — Non, pas au téléphone. Je suis dehors. Pas très loin de
votre cour. »
— Je ne suis pas à la maison. Je suis au village.
« — Oui, je le sais et je suis là. »
— QUOI ?

Je vois les têtes de mes sœurs se retourner. Je pousse un peu


plus loin.

— Attendez, vous êtes ici à Bangolo ?


« — Oui, madame. Je suis arrivé il y a quelques heures et
j’en ai passé d’autres à vous retrouver. Pouvez-vous me
rejoindre s’il vous plaît ? »

Je suis tellement surprise que je ne lui réponds pas tout de


suite. Pourquoi cet homme a-t-il parcouru tout ce chemin ?
Boya lui a-t-elle causé du tort ? Je ne comprends
absolument rien.

— Ok, j’arrive.

Je vais me laver les mains, je prétexte une course à la


boutique du quartier et je sors. Je le vois adossé sur une
voiture. Je lui fais un signe de tête de me suivre. Il n’est pas
bon qu’on me voie discuter avec un homme à cette heure.
Il y a beaucoup de mauvaises langues dans ce village et les
nouvelles vont très vite. Je ne veux pas d’histoire. Je
m’arrête dans un endroit très peu éclairé et peu fréquenté à
cette heure. Les gens évitent de passer par ici à la tombée
de la nuit parce qu’il circulait un temps une rumeur selon
laquelle les âmes de certains défunts s’y promenaient. Moi
je n’en ai jamais vu et je m’en fous en ce moment. Je suis
bien trop curieuse de savoir ce que cet homme fait ici.
— Oui, que vous a fait ma fille pour que vous veniez
jusqu’ici ?
— Elle m’a rendu éperdument amoureux d’elle et je suis
venu l’empêcher de se marier.

Je fronce les sourcils. Cet homme est sérieux ? Être


amoureux de Boya ? Malgré sa maladie ?

— Attendez ? Vous êtes sérieux ? Et même si vous l’êtes,


vous pensez que nous sommes dans un film pour venir
empêcher un mariage ?
— Madame, Boya et moi, nous nous aimons.
— Elle ne m’a pas dit ça. Si c’était le cas, elle n’allait pas
accepter ce mariage.
— C’est parce qu’elle ne savait pas que ses sentiments
étaient réciproques. Je suis là justement pour ça. Pour lui
dire que je l’aime et que je la choisis. Madame, ne la
condamnez pas dans ce mariage où elle ne sera que
malheureuse.
— Monsieur, je le répète. Nous ne sommes pas dans un
film. Tout est déjà prêt pour la cérémonie de demain. Vous
n’avez pas idée de tout ce qui a été déboursé pour ce
mariage. Alors, ne venez pas ici me parler de votre amour
pour Boya parce que ça n’a plus d’importance.
Je me retourne et il me retient par le bras.

— Je veux l’épouser. Dites-moi ce qu’il y a à faire.


Donnez-moi la liste de la dot et je vous ramène tout dans
les jours à venir.

Mais cet homme a perdu la tête ou quoi ? Je le regarde, de


plus en plus surprise.

— Vous savez pertinemment que Boya souffrira dans ce


mariage. Cet homme ne l’aime pas, elle non plus.
— Ils apprendront à s’aimer et à vivre heureux, dis-je sans
grande conviction.
— C’est archifaux. Boya mérite mieux. Elle n’a que trop
souffert déjà à cause de son statut et elle subira encore des
frustrations. Elle a besoin d’une personne en qui trouver un
refuge. Une personne qui lui fera oublier son statut. Une
personne qui la rendra heureuse. Et je veux être cette
personne. Boya a énormément de rêves que je suis prêt à
l’aider à tous les réaliser. J’aime votre fille. Ne la
condamnez pas. Faites-le pour l’amour du ciel. Oublier les
oncles, les familles, l’argent, les préparatifs et penser qu’à
elle. Rien qu’à elle.
Je baisse les yeux de tristesse. Son discours me touche
malgré ma résistance.

— Que voulez-vous que je fasse ? Je n’ai aucun pouvoir


dans cette histoire. Ce sont les hommes qui décident de
tout.
— Permettez-moi donc de parler avec elle et on verra la
suite des choses.

Cet homme me met dans une situation que je sais ne pas


aimer. Je veux l’envoyer balader, mais le voir si sérieux, si
déterminé, m’oblige à faire quelque chose pour lui.

— Ok. En ce moment, la maison est encore en éveil. On va


donc se donner rendez-vous ici à 2 heures du matin pour
que vous puissiez vous parler, Boya et vous.
— Ça me convient. Merci beaucoup. Infiniment.

Nous nous séparons ainsi. À peine je franchis l’entrée de la


cour que je suis interpelée par un cousin. Mon cœur se met
à battre à vive allure. Je crains qu’il m’ait vu.

— Suis-moi, je veux te parler, me dit-il sans me regarder.


Je le suis jusque sur une terrasse où sont placées des chaises
en bois. Je me mets à chercher des explications logiques
dans ma tête. On risque de me traiter de femme volage si
on m’a vue avec le patron de Boya.

— Au fait, j’ai parlé avec ton mari et il m’a dit de t’en


parler.
— De quoi ?
— Je voulais bien que ma dernière fille, Natacha, parte à
Abidjan avec toi. Elle pourra t’aider dans ton commerce et
tout ce que tu veux. La vie ici n’est pas du tout facile et je
ne veux pas qu’elle finisse comme ses camarades et ses
grandes sœurs, avec des grossesses sans père. Je sais
qu’avec toi, elle deviendra une femme courageuse et
battante.
— D’accord. Une aide me sera bénéfique aussi pour
agrandir mon commerce.
— Merci beaucoup. Je vais de ce pas lui annoncer la
nouvelle.

Ouf, j’ai eu la peur de ma vie. Je me rends dans ma chambre


avec la crainte au ventre. Je n’arrive pas à croire ce que je
suis en train de faire. Mes frères et mes oncles vont me tuer.
***BOYA

Je ne fais que tourner sur le lit sans parvenir à dormir. Je


jette, pour la dixième fois, un coup d’œil sur mon portable.
Il est deux heures du matin. Dans 4 heures, je serai en train
de me préparer à devenir la femme d’un homme autre que
celui que j’aime. Mon destin sera scellé à un inconnu que
je n’apprécie même pas en tant que personne. Il ne m’a pas
fait bonne impression durant nos échanges. Mais est-ce que
ça compte maintenant ? Non. Je serai sa femme et tout ce
que j’aurai à faire, serait de le combler sexuellement, lui
faire des enfants et être… juste là.

Je fais mine de dormir quand j’entends la porte de la


chambre s’ouvrir. J’entends une personne s’approcher. Je
reste immobile.

— Boya ! Boya !

J’ouvre les yeux en reconnaissant la voix qui chuchote.

— Tantie ?
— Viens avec moi, chuchote-t-elle toujours.
Je me lève sans comprendre où elle veut me conduire à cette
heure de la nuit. Je récupère mon portable et je sors. Elle
me donne un peu d’eau pour me laver le visage et la bouche.
Elle m’intime l’ordre ensuite de la suivre. Nous sortons
sans faire de bruit. Je suis perplexe quand nous empruntons
un chemin sombre. Je veux lui demander où nous allons,
mais je me retiens. Je ne tarderais pas à le savoir.

— Avance un peu, il y a quelqu’un qui t’attend.

Je suis prise de peur en entendant ça. Comment peut-elle


me demander de marcher toute seule dans cette obscurité
en plein milieu de la nuit ?

— Tantie !
— Il n’y a aucun danger. Avance. Je t’attends ici.

Je prends mon courage à deux mains et j’avance. J’aperçois


une grande silhouette. Je prends peur.

— Euh, qui… qui est là ?

La personne se retourne.
— Boya !
— Stephen ? Mais que…

Il se précipite sur moi et d’un baiser, me coupe la parole.

— Comme je suis heureux de te voir, souffle-t-il près de


mes lèvres.
— Que fais-tu ici ?
— Je suis venu te dire que je t’aime. Je te choisis, Boya.
— Quoi ?
— Je veux empêcher ce mariage parce que je te veux.
Acceptes-tu de m’épouser ?
— Mais… je suis la promise d’un autre. Nous allons nous
marier.
— Pas si tu refuses et que je viens me présenter pour
demander ta main. Dis oui. Accepte de devenir ma femme.
— Je l’accepte, dis-je en souriant grandement.

Nous nous embrassons passionnément.

— Je t’aime, Boya.
— Je t’aime aussi, Stephen. Allons voir ma tante. Elle
pourra certainement nous aider.
Main dans la main, nous retrouvons ma tante qui fait le
guet.

— Tantie, Stephen veut se présenter à la famille et


m’épouser. Tu devrais peut-être le dire aux oncles et
grands-pères pour qu’ils annulent la dot et le mariage.
— Boya, je l’ai déjà dit au monsieur. C’est impossible
d’annuler ce mariage. Tes oncles refuseront de tout annuler,
surtout qu’ils ont soutiré assez d’argent à l’autre camp. Ce
mariage est scellé. Dis donc adieu à ton amoureux et on
rentre.
— Je refuse de rentrer.
— Boya ! J’ai sommeil, allons à la maison. Dans quelques
heures tu te maries.
— Je vais m’enfuir avec Stephen.
— Quoi ? Tu es folle ? Tu veux mettre la honte sur toute la
famille ? Tu penses que nous avons les moyens pour
rembourser tout ce qui a été déboursé ?
— Je veux être heureuse auprès d’un homme qui fera de
moi sa priorité. C’est pour toi que j’ai accepté ce mariage
arrangé, mais je n’en veux pas. Tout le monde s’en fout de
moi dans cette famille de toute façon. Jamais aucun d’eux
ne s’est préoccupé de moi. Personne ne voulait me prendre
après la mort de mes parents. Je les ai entendus plusieurs
fois te dire de te débarrasser de moi, de me foutre à la rue.
Donc si je m’enfuis, ils ne me feront pas plus de mal que ce
qu’ils m’ont déjà fait. Au pire des cas, je serai reniée.
Encore une fois.

Je lui attrape les mains.

— Ma tante, j’ai besoin de ton soutien sur ce coup. Tu n’es


pas obligée de dire que tu étais au courant de ma fugue. Fais
comme si de rien n’était et quand tout sera calme, Stephen
viendra demander ma main. C’est toi ma tutrice, c’est ton
accord qui compte. Tu sauras comment convaincre ton
mari. Je t’en supplie, laisse-moi m’en aller.

Elle pousse un grand soupir. Elle passe son regard de moi


à Stephen et inversement.

— Tu es sûre de ta décision ? me questionne-t-elle.


— Oui !

Elle regarde Stephen.


— Moi aussi je suis sûr, lui répond-il avant qu’elle ne pose
de question. Je veux vraiment l’épouser.
— D’accord. Allez-vous-en maintenant. Les femmes
doivent se lever à 4 heures pour commencer la cuisine. Je
dois retourner me coucher si je dois faire croire que je ne
sais rien de ta fugue.

Je lui saute dans les bras.

— Merci beaucoup, tantie. Je t’appelle plus tard.


— Ok. Allez-y.
— Merci, madame, la remercie Stephen.

Il me prend la main et nous empruntons un autre chemin au


bout duquel se trouve une voiture.

— Nous irons à mon hôtel et à 4 heures nous prendrons la


route.

Il me fait monter, monte à son tour et nous quittons les lieux


à la vitesse de l’éclair.
13

***TANTE ODETTE

Je regarde les gens s’activer en attendant le moment où le


scandale de la disparition de Boya va exploser.

— Mais où est Boya ? s’écrie une tante.

Et voilà, ça commence ! Je vais faire celle qui ignore tout


en espérant ne pas être découverte.

— Odette, où est ta nièce ? Depuis ce matin personne ne l’a


vue.
— Ah ! Moi je ne sais pas. Je ne l’ai pas vue aussi. J’ai cru
qu’elle dormait encore.
— Ahii !!! Mais elle est partie où ?

Elles se mettent à parler toutes en même temps, et ce


jusqu’à ce que ça tombe dans les oreilles de notre oncle,
celui qui joue le rôle de chef de la famille. Plus les minutes
passent, plus l’affaire prend de l’ampleur.

— Odette, ta protégée est passée où ?


— Tonton, vraiment je ne sais pas. Je ne l’ai pas vue depuis
ce matin.
— COMMENT ÇA, TU NE L’AS PAS VUE DEPUIS CE
MATIN ??? C’est toi qui étais censée la préparer. Tu as
trente minutes pour me la retrouver. Son mari et sa famille
seront là dans une heure. C’est quoi ces bêtises ?

Il se dirige vers sa maison en continuant à gronder. J’envoie


trois jeunes la rechercher dehors. Je dois jouer le jeu
jusqu’au bout. Au bout de trente minutes, les jeunes
reviennent sans Boya. Cette fois, ça crie à la catastrophe.
Tout le monde comprend qu’elle s’est enfuie. Je suis
bombardée de questions de partout. Les insultes
commencent à fuser contre Boya. C’est dans ce désordre
que le futur marié et toute sa délégation font leur entrée.
Les hommes les invitent à prendre place dans la maison
principale de notre oncle qui est la plus spacieuse de toutes.
Nous leur servons des rafraîchissements et nous les
femmes, restons dehors pendant que les hommes échangent
avec les invités. Je reste anxieuse, attendant ce qui se
déroulera. Après plusieurs minutes, les invités sortent tout
furieux en gueulant.
— Vous allez nous rembourser tout ce que nous avons
dépensé pour vous, gueule le père de Patrick. Vous êtes
tous des malhonnêtes. On avait un accord et vous voulez
nous escroquer. Ça ne va pas rester ainsi. Bande de
malhonnêtes.

Je commence à me sentir mal pour ma famille. C’est notre


nom qui sera trainé dans la boue. Je n’avais pas réfléchi à
cet aspect. Si les gens apprennent que je suis complice de
cette fugue, je suis fichue.

— Odette, m’appelle mon oncle en hurlant. Tu as vu ce que


ta sorcière de protégée nous a fait ? Jeter notre visage par
terre et mettre notre nom dans la boue. J’ai toujours dit que
cette petite était possédée, c’est pourquoi Dieu l’a maudite
en lui donnant le SIDA. Quel que soit l’endroit où elle se
trouve, je la maudis. Jamais elle ne sera heureuse dans sa
vie et jamais un homme ne voudra la marier. Elle va rester
vieille fille toute sa vie avec cette sale maladie. Et si jamais
elle revenait, dis-lui qu’elle est bannie de la famille. Elle
n’est plus l’une des nôtres donc tout ce qui va lui arriver,
c’est pour elle seule. Et toi, si jamais tu la reprends chez toi,
je te bannirai également. Qu’elle reste où elle est partie à
jamais.
Il termine avec une longue série d’insultes en patois. Je
n’arrive pas à croire que je sois responsable de ce chaos.
Mon mari se rapproche de moi.

— Tu as enfin vu le vrai visage de cette gamine. Tu l’as


crue quand elle t’a dit que je la harcelais. Aujourd’hui, elle
verse la honte sur ton visage. Je ne veux plus jamais voir
ses deux pattes dans ma maison.

Il me lance un regard dédaigneux et tourne les talons.


J’espère que Boya et son homme sont convaincus de leur
choix parce que là, mon honneur est en jeu.

***BOYA

— Tu as eu des nouvelles de ta tante ?


— Elle vient de m’envoyer un message expliquant que j’ai
été bannie de la famille et qu’elle avait pour interdiction de
me reprendre chez elle.
— Je suis vraiment désolé, dit Stephen en m’enlaçant par-
derrière.
— Oh, ce n’est rien. Je suis juste un peu triste de l’avoir
mise dans cette situation. Sinon moi, il y a bien longtemps
que j’ai arrêté de faire partie de cette famille. J’espère
seulement que tu ne regretteras pas ta décision.

Il quitte sa place derrière moi et s’assied devant moi.

— Regarde-moi ! dit-il en m’attrapant les joues. Je n’ai


jamais été aussi sûr d’une décision de toute ma vie. Avant,
je faisais des choix en suivant mes humeurs, mais là, Boya,
là, je suis prêt à donner tout ce que j’ai de plus cher au
monde pour te garder à mes côtés. Tu es le nouveau souffle
que la vie m’a donné et je ne veux pas le perdre. Je t’aime
comme tu ne peux l’imaginer.

Mes yeux se remplissent de larmes. Jamais on n’avait


manifesté autant d’amour à mon égard. Il m’embrasse
malgré mes lèvres mouillées de larmes.

— Je veux te rendre heureuse. Promets-moi de ne jamais


me quitter si jamais mes anciens démons revenaient.
Promets-moi de rester et de m’aider à me parfaire.
— Je te le promets. Je t’aime énormément, Stephen.

Nous plongeons dans un doux et tendre baiser, mais il y met


vite fin comme pour se retenir d’aller plus loin.
— Et si on allait faire des courses ? Tu n’as rien emporté de
tes affaires et demain c’est ton anniversaire.
— Ah oui, j’avais oublié.
— On n’oublie pas ce genre d’évènement. Tu rentres dans
l’âge adulte. Dès demain, tu seras majeure et tu pourras
prendre toutes les décisions que tu veux.
— La première décision que je veux prendre, c’est de te
dire oui devant le maire. Je rêve tellement de devenir ta
femme.
— Ça ne tenait qu’à moi, on serait allés aujourd’hui même
à la mairie. Mais, ta tante mérite qu’on fasse les choses
bien. On va donc devoir patienter un tout petit peu.
— Je me sens mal pour Martine. Je ne veux pas qu’elle
pense que je lui ai volé son homme. Je ne suis pas ce genre
de personne.
— Tu n’as rien fait. Elle et moi, ça n’a jamais marché. On
s’entêtait juste. Elle s’en remettra. Va maintenant te
préparer.

Il pose un baiser sur mon front et sors de la chambre. De


Bangolo, nous sommes directement venus chez sa tante. Il
a dit ne pas vouloir offenser Martine en m’emmenant chez
lui étant donné que ses affaires y sont encore. Sa tante est
en déplacement, mais il lui a tout raconté. Il ne lui cache
d’ailleurs rien.

Je me prépare et je le rejoins. En amoureux, nous sortons.


Nous partons dans une boutique faire tous les achats dont
j’ai besoin. Je suis heureuse de faire ça avec lui. C’est la
première chose que nous faisons en tant que couple. Il reste
assis et me regarde faire mon défilé tout en m’aidant à
choisir les tenues et des chaussures. Je sors de la cabine
d’essayage avec sur moi une longue robe bleue électrique
ouverte sur le côté par une fente qui s’arrête au genou. Je
me regarde dans le grand miroir devant moi et j’adore ce
que je vois. Stephen se rapproche de moi par-derrière et me
caresse les bras.

— Je veux que tu portes ça demain. Je t’ai réservé une


magnifique soirée.
— On va faire quoi ?
— C’est une surprise.

Il pose un baiser au milieu de ma tête et retourne à sa place.


Après la boutique, nous faisons un tour dans un salon de
beauté pour m’acheter des perruques. Ma tante me
ramènera toutes mes affaires à son retour. Une chance que
je ne sois pas allée au village avec ma machine à coudre.
Ils l’auraient bloquée sans doute pour la vendre en guise de
vengeance.

Nous retournons à la maison, les bras chargés. Stephen


s’absente, me laissant seule avec Awa qui en vient aux
potins. Je lui relate ce qui s’est passé au village avec des
yeux brillants d’amour et de joie.

— Je t’envie dèh, s’exclame-t-elle toute joyeuse. C’est


quand un homme va m’aimer comme ça ?
— Je n’arrive toujours pas à y croire. Je suis maintenant la
copine de "monsieur Stephen" ? J’en avais tellement rêvé.
— Vous allez donc vous marier ?
— C’est ce qu’il a dit à ma tante. On attend que les choses
se calment pour voir. Mais je serais la femme la plus
heureuse s’il m’épousait. Jamais je n’aurais cru me marier
un jour à cause de ma maladie.
— Tu vois donc qu’avoir le SIDA ne nous ferme pas la
porte au bonheur ? Ce n’est pas parce qu’on a cette maladie
qu’il n’y a plus d’espoir.
— Je souhaite un jour pouvoir redonner espoir aux autres
aussi.
— Tu le feras. Tu es un témoignage vivant. Je suis trop
contente pour toi.
— Merci beaucoup.

*Mona
*LYS

Je n’ai jamais eu de fête d’anniversaire. Jamais je n’avais


été célébrée. Alors aujourd’hui que ça se fait, je ne fais que
pleurer de joie. Stephen m’a acheté un magnifique et
délicieux gâteau que j’ai dégusté avec Awa et lui. Un petit
moment de partage, mais qui était tellement rempli
d’amour, d’émotion et de joie. Stephen m’a aussi dit qu’il
m’invitait ce soir à sortir. Alors avec Awa, nous nous
sommes rendues dans un salon de coiffure non loin de la
maison, où je me suis fait coiffer et maquiller. Maintenant,
je me prépare pour notre sortie. Je n’ai aucune idée de là où
nous allons, surtout que nous y allons avec Awa.

Je finis de me préparer, je récupère ma pochette assortie à


ma robe et je sors retrouver Stephen au salon. Je vois Awa
assise également non loin de lui.
— Pati ! On peut être jolie comme ça ? s’exclame Awa.
C’est gâté ce soir.

Stephen relève la tête dans ma direction et je vois son


regard glisser le long de mon corps. Il se lève en même
temps que son regard qui remonte sur mon visage. Il vient
vers moi, dégage une petite mèche sur mon visage.

— Tu es très belle, me souffle-t-il.


— Merci. Toi également, tu es très beau.

Il porte l’une des nouvelles chemises que je lui ai


confectionnées.

— Elle te va à merveille, je le complimente, toute souriante.


— Ma styliste est la meilleure.

Il pose un baiser sur mon front, qui me fait rougir. Je vois


Awa du coin de l’œil qui sourit elle aussi. Stephen me prend
par la taille et nous nous en allons. Awa et moi bavardons
tout le trajet tandis que Stephen se contente de conduire et
de sourire par moment aux délires d’Awa. Nous arrivons
enfin dans un lieu que je ne connais absolument pas. Il y a
une petite file de personnes devant une entrée.
— Nous sommes où ? je demande à Stephen.
— À un concert, me répond-il en manipulant son portable.
— De qui ?

Il me montre quelque chose du doigt. Je tourne la tête et je


vois une affiche avec le visage de Collins.

— Nous sommes au concert de Collins ? je demande, sous


le choc.

Il fait oui de la tête avant d’entamer une conversation


téléphonique. Awa et moi n’arrêtons pas de jubiler. Nous
sommes au concert de notre artiste préféré. J’avais vu sur
Facebook qu’il avait un concert ici en Côte d’Ivoire, mais
je ne m’y suis pas intéressée, même si dans ma tête je
souhaitais y aller. Là, ce rêve est en train de devenir réalité.

Un homme s’approche de nous, salue Stephen et demande


à ce que nous le suivions. Stephen m’attrape la main et nous
suivons le monsieur. Nous arrivons dans une grande salle.
C’est à ce moment que je reconnais l’endroit. Nous sommes
au Sofitel. La salle où nous sommes est climatisée et très
belle avec ses différentes couleurs. De nombreuses
personnes sont déjà installées devant la grande scène vide.
La connaissance de Stephen nous installe dans des sièges
de la première rangée. Je suis de plus en plus heureuse
parce que je vais voir ma star de plus près. Je suis trop
contente.

— C’était ça ma surprise ? demandé-je à Stephen, de plus


en plus excitée.
— Hum, oui !
— Merci, merci, merci !!!

Je lui saute au cou et je lui fais plein de bisous sur la joue.


Awa, qui est assise près de moi, ne fait que regarder partout.
Nous commençons à prendre des photos souvenirs. J’en
prends également avec Stephen. Après plusieurs minutes,
le concert commence avec la prestation de trois différents
artistes ivoiriens venus faire la première partie. Quand on
annonce enfin l’arrivée de Collins sur scène, toute la salle
est en délire. Sa musique est lancée puis dès les premières
notes, il apparait, micro à la main, assorti avec son
oreillette. Je suis obnubilée. J’ai devant moi ma star. Je
reste assise, même si tout au fond de moi est en ébullition.
Stephen ramène ma main, qu’il n’avait pas lâchée, à ses
lèvres et y pose un baiser. Nous échangeons ensuite un
sourire avant de retourner au concert. Nous chantons tous
en chœur avec l’artiste. Il enchaîne ses tubes pour notre plus
grand bonheur. J’ai grave envie de lui sauter dans les bras,
lui dire à quel point je suis fan et aussi prendre des photos
avec lui. Je suis en train de vivre mon plus grand rêve.

Je jette un coup d’œil à mon portable et je constate que ça


fait plus de 2 heures qu’il est sur scène. Le concert va
bientôt prendre fin. Je vois Stephen qui est concentré sur
son portable. Ce ne doit pas être trop son truc, les concerts.
Il a tout de même fait un effort pour moi. Je retourne à
Collins quand il entame un discours.

— Avant de finir avec la dernière chanson, j’aimerais


souhaiter ici un joyeux anniversaire à une personne
spéciale. J’ai été contacté par un homme, amoureux surtout,
qui m’a expliqué que la personne pour qui il demandait
cette dédicace n’avait jamais fêté son anniversaire à cause
de certaines circonstances de la vie. Alors, pour sa toute
première célébration, il voulait la marquer à vie. Je ne l’ai
jamais fait auparavant, mais son histoire m’a touché. Je vais
demander à… Boya de me rejoindre sur scène.
Hein ? Il a dit quel nom ? Quoi ? Je suis secouée par Awa
qui me fait prendre conscience qu’il s’agit de moi.

— Il parle de moi ?
— Oui, vas-y !

Je regarde Stephen qui sourit.

— C’est moi ? je lui demande.


— Oui !
— Mais…
— Vas-y !

Je me lève lourdement, l’estomac noué. Mes jambes se font


lourdes. Un protocole vient me chercher et me conduit sur
scène sous les applaudissements du public. Collins me tend
la main et c’est toute tremblante que je la saisis. Une femme
approche avec un panier cadeau et un énorme ours en
peluche.

— Joyeux anniversaire, Boya. C’est mon petit cadeau.

Je me mets à pleurer.
— Je te souhaite d’être heureuse toute ta vie. De ne jamais
laisser les gens ou les circonstances de la vie te voler ta joie.
Tu es jeune et pleine de vie, alors vis ta vie à fond.

Je pleure de plus en plus. Je regarde Stephen qui filme avec


son portable depuis sa place. Les flashs des appareils des
photographes crépitent sans cesse.

— Avant de te laisser retourner à ta place, il y a un homme


qui désire te faire une déclaration par ma voix. Il dit ne pas
être doué en amour, mais il aimerait te faire savoir à quel
point tu comptes pour lui. Cette chanson est pour toi, de la
part de Stephen.

Collins fait signe à son DJ et la musique retentit. Le public


pousse des cris de joie. C’est la chanson de sa rencontre
avec sa femme (cf. Ma plus belle MÉLODIE). Cette
chanson colle également avec mon histoire avec Stephen.
Je regarde Collins chanter pour moi, je regarde toute la salle
debout, nous filmant et chantant. Je regarde Stephen, qui
me regarde tendrement. Mes larmes redoublent. Je lâche la
main de Collins et je descends de la scène en courant. Je
cours me jeter dans les bras de Stephen. Le public pousse
de nouveau des cris. Stephen me serre fortement dans ses
bras où je pleure toutes les larmes de mon corps. Il pose des
petits baisers dans mes cheveux tout en me caressant le dos.
Je relève la tête vers lui.

— Merci ! lui dis-je, les yeux remplis de larmes ?

Il se contente de sourire. Je finis par me remettre de mes


émotions. Le concert prend fin et nous nous en allons. Awa
tient mes cadeaux et ne cesse de bavarder. Stephen ne lâche
pas main jusqu’à sa voiture. J’ai encore la gorge nouée.
Seule Awa bavarde malgré la fatigue. Nous arrivons à la
maison, Stephen et moi récupérons les cadeaux à la place
d’Awa qui somnole. Nous allons les déposer dans la
chambre de Stephen que nous occupons ensemble. Je pose
le nounours et je me blottis dans ses bras.

— Merci pour cette soirée. C’est la meilleure de toute ma


vie.
— Tu en auras des plus belles si tu acceptes de devenir ma
femme.

Il se sépare de moi et va prendre quelque chose dans un


tiroir. Il revient en ouvrant une petite boite.
— Je te le demande officiellement, veux-tu m’épouser ?

Et voilà que mes yeux s’embrouillent de larmes. Je sais


qu’il me l’avait déjà demandé, mais là, ça fait plus réel, plus
sérieux.

— Je n’imagine pas ma vie loin de toi, Boya.


— Moi non plus, dis-je entre deux sanglots.
— Alors, c’est oui ?
— Oui ! Oui, j’accepte.

Il glisse la bague à mon doigt et capture mes lèvres.

***STEPHEN

J’ai l’impression de revivre. J’ai l’impression que


maintenant ma vie aura un sens, avec Boya à mes côtés. Je
n’ai jamais autant désiré la présence d’une femme à mes
côtés. C’est fou, l’impact qu’une personne aussi anodine
qu’elle a pu avoir dans ma vie. Elle était la dernière
personne avec qui j’aurais pensé faire ma vie. C’est insensé,
les plans que la vie nous impose.
Elle veut mettre fin au baiser, mais je l’en empêche en la
pressant encore plus contre moi. J’approfondis le baiser
pendant qu’une chaleur s’irradie dans mes reins. Je suis
aussitôt en proie à l’envie fugace de lui faire l’amour. Ne
voulant y résister, je balade ma main sur ses fesses. Elle
répond à mes caresses en glissant ses mains sous ma
chemise. Nos gestes se font spontanés. Nous nous
caressons, nous embrassons de plus en plus passionnément.
Au bout d’un moment, je n’en peux plus. Je fais descendre
l’éclair dans le dos de sa robe. Elle frémit quand ma paume
se pose sur sa peau. Elle relève doucement les yeux vers
moi. Je peux y lire qu’elle me désire autant que je la désire.
Mais, elle a également peur.

— Je ne te ferai pas de mal, je lui souffle sans la lâcher du


regard.

Elle paraît un peu rassurée. Je fais glisser sa robe à ses


pieds, dévoilant son corps uniquement vêtu d’un
magnifique ensemble noir de lingerie. Sa poitrine monte et
descend sous l’influence de sa respiration saccadée.

— Tu es tellement belle, Boya. N’en doute jamais. Je te le


dirai chaque jour s’il le faut.
Je glisse mes doigts le long de ses bras avant de saisir de
nouveau ses lèvres. Elle détache les boutons de ma
chemise. Je l’aide à me la retirer et je retire également mon
débardeur. Quand elle me voit le torse nu, elle a la même
réaction qu’à chaque fois. Elle glousse. Faire du sport m’a
également aidé dans ma thérapie. J’ai donc eu beaucoup
plus de muscles qu’avant.

Je prends ses mains et les pose sur mon buste. Elle glousse
de nouveau.

— Ce corps t’appartient dorénavant. Tu peux le toucher


autant que tu veux.
— J’ai envie de toi, lâche-t-elle enfin. Mais, je… je…

Cette déclaration est celle que je voulais entendre. Je la


soulève en lui empoignant les fesses et la pose sur la table
qui sert de bureau. Je reprends notre baiser avec plus de
fougue cette fois.

— Ne fais rien, lui dis-je entre deux baisers. Laisse-moi


t’aimer cette nuit.
— Tu as des… protections ?
— Non. Mais, tu es bien portante et moi aussi.
— Ok. Mais… et concernant une grossesse ?
— J’irai t’acheter une pilule du lendemain plus tard.

Elle paraît beaucoup plus rassurée cette fois. Je me


débarrasse de mon pantalon. Je dégrafe son soutien, puis je
prends ses seins, un par un, dans ma bouche. Si je ne me
retenais pas assez, je l’aurais pénétrée depuis. Je dois la
préparer et mieux la rassurer avant tout. Je ne veux rien
faire qui puisse la brusquer. Elle écarte plus grandement ses
jambes comme une invitation. Je décale son slip et
commence un massage sur son bouton de plaisir. Elle se
cambre et se tortille. Ses gémissements stimulent encore
plus mes sens. Je prends encore mon temps, toutefois. Je lui
fais tantôt des suçons dans le cou, tantôt j’englobe ses seins
dans ma bouche, tantôt je reviens à ses lèvres. Je crois que
maintenant c’est bon. Je retire totalement son dessous que
je jette par terre, je la tire vers le bord de la table et je la
pénètre centimètre par centimètre en guettant sa réaction.
Elle grimace de douleur au début puis finit par se laisser
emporter par un long gémissement. Je commence à bouger
en elle, doucement, pour faire passer la douleur. Elle
s’agrippe à moi de toutes ses forces, me griffe dans le dos
et me mord l’épaule. J’entre et sors en elle, dans un rythme
doux et lent. Je repousse à chaque fois la jouissance qui
s’annonce. Je la soulève carrément de la table sans nous en
éloigner et je continue de lui faire l’amour en accélérant la
cadence. Nous gémissons tous les deux à l’unisson. Nos
corps ruissellent de sueur.

— Je t’aime, Boya !
— Han ! Je… t’aime. Han !

Je me vide en elle dans un râle. Je la fais asseoir sur la table


et la garde dans mes bras pendant que nous reprenons nos
souffles. Ce n’est qu’à ce moment que je m’en rends
compte n’avoir pas eu une seule fois envie de brutaliser
Boya durant tout ce moment de pur délice. Ça ne m’a
aucunement traversé l’esprit. Je peux donc dire que je suis
totalement guéri.

Au lever du jour, je me rends à la pharmacie acheter une


pilule plus des préservatifs. J’ai encore envie d’elle ce
matin. Je ne veux plus m’arrêter de lui faire l’amour. Je
salue Awa qui dresse la table pour le petit déjeuner, ensuite,
je retrouve Boya encore endormie. Je retire mes vêtements
et me glisse dans le lit en caleçon. À peine je pose mon bras
autour de sa taille qu’elle ouvre les yeux. Je souris devant
sa mine honteuse quand elle me voit. Je débarrasse son
visage des mèches.

— Bonjour, lui dis-je.

Elle sourit et se cache le visage d’une main. Ça me fait


rigoler.

— Tu as honte ?

Elle fait oui de la tête.

— Pourquoi ?
— C’est ma toute première fois de me retrouver toute nue
dans les bras d’un homme, répond-elle le visage baissé. En
plus, je n’ai aucune rondeur. Je ne fais pas le poids face à
toutes tes ex.
— Les filles avec des rondeurs ont toutes échoué là où toi
tu as réussi. En l’occurrence, me faire tomber amoureux
d’elles.
— Ah bon ? s’étonne-t-elle en relevant la tête.
— Oui. Tu es la seule à m’avoir donné envie de me marier.
Ça n’avait jamais fait partie de mes projets.
Elle regarde la bague à son doigt. J’y pose un baiser.

— Pourquoi moi ? demande-t-elle en me fixant.


— Je n’en sais rien. Je crois que c’est la vie qui t’a choisie
parce qu’elle savait ce qui était le mieux pour moi. Je n’ai
jamais su prendre de bonnes décisions de toute ma vie,
jusqu’à ce que je te demande de m’épouser.
— Tu ne regretteras pas ta décision ? Surtout si ton
entourage découvre que ta femme est séropositive ?
— Mon entourage c’est Laurence, Zoé et ma tante. Ils ne
t’ont jamais rejetée. Pour les autres, je suis prêt à leur casser
la gueule.

Elle sourit.

— J’ai l’impression d’être dans un rêve. C’est trop beau


pour être vrai. Pince-moi !
— Je vais faire mieux.

Je me glisse sous son drap en parsemant son cou de baisers.


Je me place entre ses cuisses totalement offertes pour être
plus à l’aise. Je descends ma tête vers sa cave et la goutte.
Elle sursaute en lâchant un cri.
— Qu’est-ce que…
— Je vais te faire découvrir un autre plaisir. Couvre ton
visage avec le drap si tu ne veux pas qu’Awa t’entende.

Elle obéit prestement. Je prends un plaisir fou à la torturer.


Elle lâche le coussin pour s’agripper au drap. Je la sens
proche de l’orgasme. Je la retourne sur son ventre, j’enfile
rapidement une protection et je la pénètre. Je lui fais
l’amour tout en malaxant ses fesses. Elle relève un peu son
bassin ce qui me met plus à l’aise en elle. C’est encore plus
intense que la première fois alors nous atteignons le nirvana
ensemble.

***MARTINE

— Martine, ce n’est pas Stephen là ?

Ma collègue vient vers moi avec son portable dans lequel


elle me montre une vidéo. Sur le coup je ne comprends pas.
Je vois juste Collins, la star de la musique française, mais
d’origine et de nationalité ivoirienne sur scène.

— Stephen est où ? je demande à ma collègue.


— Regarde bien.
Je continue de regarder et j’entends le nom ‘‘ Boya ’’ puis
la seconde d’après, la caméra de la personne qui filmait
tourne sur Stephen.

— Attends, il s’agit de quoi au juste ?


— De ce que j’ai compris, Stephen a fait une déclaration
d’amour à cette jeune fille par l’intermédiaire de Collins.
— Attends, quoi ? Non attends !

Je lui rends son portable et je prends le mien. Je vais


directement sur Facebook et je tape dans la barre de
recherche "Concert de Collins". Je suis accueillie par des
posts, des photos et des vidéos sur une fameuse déclaration
d’amour d’un homme à sa copine le jour de son
anniversaire. Je les parcours toutes et je sens mon cœur
quitter ma poitrine. J’ai l’impression de mourir en voyant
Boya se jeter dans les bras de Stephen, mon mec. Non, ce
doit être un rêve. Stephen et Boya ? Ma servante ? Non,
c’est faux.

J’appelle Stephen, mais il est injoignable. J’appelle son


assistante qui m’informe qu’il a pris sa journée. Ça ne peut
pas se passer ainsi. Je récupère mon sac à main et je pars à
toute vitesse sans m’occuper des questions de ma collègue.
Je suis rentrée tôt ce matin à la maison et je ne l’y ai pas
trouvé. Selon le concierge, il n’était pas rentré depuis deux
jours. J’ai cru que c’était parce qu’il avait besoin de souffler
un peu, mais je me rends compte qu’en réalité il a déserté
la maison pour aller roucouler avec… Boya ??? Non, c’est
absurde. Une domestique ? J’éclate de rire à l’arrière du
taxi que j’ai emprunté. J’espère que ce sont des sosies sinon
ça va barder.

J’arrive enfin chez la tante de Stephen. Généralement


lorsqu’il déserte sa maison, c’est ici qu’il vient se cacher. Il
aime s’y réfugier. Le gardien m’ouvre la porte et j’entre en
le poussant presque. J’entre dans la maison sans frapper.

— STEPHEN !!! STEPHEN !!!

Awa vient en courant.

— Hé ! Bonjour, tantie.


— Où est Stephen ?
— Il… Il… il n’est pas ici.
— Tu veux me mentir ? J’ai vu sa voiture garée dehors.
Elle cherche ses mots. Je la plante et me rends dans la
chambre réservée à Stephen lorsqu’il vient ici. Je l’ouvre
avec fracas et je reçois le plus gros choc de ma vie. Stephen
et Boya, debout au milieu de la pièce, tous deux à moitié
nus, s’embrassant et rigolant. Le bruit de la porte les fait
sursauter.

— C’est donc ça ? Stephen ?


— Martine ?

Je laisse tomber mon sac et je fonce sur Boya. Stephen la


place rapidement derrière lui et me repousse.

— Calme-toi, Martine, s’il te plaît !


— Me calmer ? Après que tu m’aies humilié devant la terre
entière ?
— De quoi parles-tu ?
— De votre vidéo au concert de Collins qui circule partout.
Stephen, tu as osé me faire ça.
— Merde ! J’avais oublié ce détail. Je suis sincèrement
navré. Je ne voulais pas que tu apprennes pour Boya et moi
de cette façon.
— C’est donc vrai ? Tu sors donc avec cette boniche ? C’est
pour elle que tu m’as larguée ?
— Non, ce n’est pas pour ça.
— ARRÊTE DE ME MENTIR, IMBÉCILE !

Je veux taper Boya, mais il me repousse de nouveau. Je le


tape donc lui.

— Tu n’es qu’un enfoiré, Stephen. Tu as osé me briser le


cœur à cause d’une gamine ? Une domestique ? Une
sidéenne ?
— Je sais que tu as mal, mais je ne te permets pas de la
qualifier ainsi.
— Sinon quoi ? Que vas-tu me faire ? Me frapper ? Je suis
déjà habituée. Je ne fais que dire la vérité. Tu sais avec
combien d’hommes elle a couché pour avoir le SIDA ? Tu
quittes une femme saine pour une sidéenne. Stephen, tu es
malade. Elle va te filer cette sale maladie. Compte sur moi
pour révéler au monde entier que cette garce, voleuse de
mari, a le SIDA. La honte sera toujours sur ton visage.
Écoute-moi, Boya. Tu penses qu’il t’aime ? Lol. Cet
homme n’aime personne, même pas lui-même. Il est juste
curieux de savoir ce que ça fait de coucher avec une
porteuse du virus du SIDA. Quand il en aura terminé, il te
jettera comme une vieille chaussette. Tu penses que si moi
il ne m’a pas gardée, c’est toi, une moins que rien qu’il va
garder ? Tu es très bête. Et toi Stephen, crois-moi quand je
te dis que les choses ne vont pas se passer ainsi. Tu ne t’en
sortiras pas ainsi. Je vais te pourrir la vie, te faire baver
jusqu’à ce que tu me supplies à genou de te reprendre. Tu
verras de quel bois je me chauffe. Que Dieu vous maudisse.

Je leur tourne dos, ramasse mon sac et je dégage des lieux


avec fureur. J’arrête un taxi et je me rends à la maison. Je
vais rester ici et je vais confisquer toutes ses affaires
jusqu’à ce qu’il se décide de revenir. Je passe les minutes à
ruminer, à tourner en rond et une idée germe dans ma tête.
Je prends mon sac et je ressors de la maison. Je me rends
cette fois dans un commissariat. Je vais lui faire payer tout
le mal qu’il m’a fait.

— Bonsoir, madame. Comment pouvons-nous vous aider ?


— Je veux porter plainte contre mon copain pour coups et
blessures.
— Avez-vous des preuves ?
— Oui !

J’affiche dans mon portable les photos de moi que j’ai prise
toutes les fois que je me suis fait tabasser par Stephen. Je
les prenais toujours dans le but de porter plainte contre lui,
mais je me ravisais par amour. Aujourd’hui, c’est la goutte
de trop. Il ne m’a pas battue, mais il vient de tuer mon cœur.
Je vais lui montrer de quoi est capable une femme en colère.
14

***STEPHEN

— Je m’absente quatre jours et à mon retour, tu as rompu


avec ta copine avec qui tu as fait trois ans de relation et tu
as demandé ta servante en mariage. Tu m’expliques ce qui
se passe dans ta tête au juste ?

Je souris face à la mine de ma tante.

— Cette fois, j’ai pris les bonnes décisions, tatie.


— Ah bon ? Rompre avec ta copine de longue date pour
fiancer ta servante que tu connais à peine ? C’est ça les
bonnes décisions ? J’ai l’impression que tes séances avec le
psychologue n’ont pas fonctionné.

Je rigole cette fois.

— Bien au contraire. Ça m’a permis de voir plus clair dans


ma vie et surtout dans ma vie sentimentale. J’apprécie
énormément Martine. C’est d’ailleurs pour cela que je suis
resté en couple avec elle tout ce temps alors que la vie de
couple ne m’intéressait absolument pas. Avec Boya, c’est
différent. Non, je ne la connais pas à peine. Nous nous
sommes côtoyés durant une année et je peux t’assurer que
j’étais un homme complètement nouveau. Je ne me
reconnaissais pas. Ce n’était pas seulement dû à la thérapie.
Mais, lui parler, l’avoir à mes côtés, partager des activités
ensemble, ça m’aidait beaucoup. Tatie, tu me connais et tu
sais que je ne me suis jamais intéressé aux choses qui
concernent l’amour et le mariage. Avec Boya, j’y pense
sans arrêt. Je l’aime vraiment. Je suis fou d’elle. Elle me
rend meilleur. Elle me motive à le devenir chaque jour.
— Waouh ! fait-elle, complètement dépassée. Laurence
m’en avait parlé, tout heureux que tu puisses enfin te caser,
mais je ne savais pas que c’était à ce point. Si c’est Boya
qui te permet d’être ce gentil homme, doux et rêveur que
j’ai en face de moi, je ne peux que donner ma bénédiction
pour ce mariage.
— Merci beaucoup.

Je me lève de ma place et l’enlace.

— Je suis fière de l’homme que tu deviens, dit-elle en me


tenant les joues.
— C’est grâce à toi et tes prières. Je sais que tu continues
de prier pour moi.
— Le rêve de toute mère c’est de voir ses enfants heureux
et réussir leur vie. Je sais que je ne t’ai pas mis au monde…
— Tu es ma mère, un point c’est tout.

Elle rigole et se blottit dans mes bras. Que serais-je devenu


sans cette femme ? Pourquoi ne suis-je pas sorti de ses
entrailles ? Mais comme on le dit, une mère ce n’est pas
celle qui met au monde, mais plutôt celle qui donne de
l’amour et prend soin de l’enfant. C’est exactement ce
qu’elle a fait pour moi. Je ne cesserai de lui être
reconnaissant.

Nous sommes interrompus par Awa qui nous informe que


le déjeuner est servi. Je lui demande de demander à Boya
de nous rejoindre à table. J’aide ensuite ma tante à se lever
de son fauteuil et sans lâcher sa main, nous nous rendons
autour de la table à manger. Ma tante appelle Awa pour lui
confier une tâche. Je ne vois toujours pas Boya arriver.

— Elle est où Boya ? je demande à Awa qui retournait.


— Elle est à la terrasse en train de manger.
— Tu ne lui as pas fait ma commission ?
— Si, mais elle dit qu’elle préfère manger là-bas avec moi.
Je vois. Elle a sans doute honte de ma tante. Je n’insiste pas
et je déjeune avec ma tante. Après quoi, elle se retire dans
sa chambre pour sa sieste habituelle. J’envoie un message
à Boya pour qu’elle me rejoigne au salon, ce qu’elle fait la
minute qui suit.

— Viens, assieds-toi ! lui dis-je en tapotant la place près de


moi dans le fauteuil.

Elle regarde en direction des chambres avant d’obéir. Je


passe mon bras autour d’elle et l’incite à se coucher sur
moi.

— Pourquoi tu ne m’as pas rejoint pour le déjeuner ?


— J’avais honte. Avec toi, je suis plus à l’aise. Mais
j’aurais du mal à me détendre avec ta famille parce qu’ils
m’ont toujours vu comme ton employée et là ça fait tout
bizarre de me retrouver dans la peau de ta fiancée. Tu vois
un peu le genre de la servante qui rase le mari de sa
patronne et qui devient la femme de la maison.
— Sors-moi toutes ces idées de ta tête. Notre histoire est
bien différente, surtout que rien n’a été prémédité. Pour ma
famille, tu n’as pas à avoir honte. Ils ne sont pas du genre à
juger. De plus, ils savent tous pour nous deux et ils en sont
très très heureux. C’est donc à toi de te détendre.
— Tu as raison.
— On dine donc ce soir ensemble ?
— Oui, répond-elle en souriant.

Elle tourne la tête vers moi et je pose baiser sur le bout de


son nez. Nous restons ensemble devant la télé, elle, se
couchant plus confortablement dans mes bras et moi lui
caressant tout doucement les fesses.

— Ça te dirait de reprendre les cours, au moins jusqu’au


BAC ?
— J’ai toujours voulu reprendre le chemin de l’école. Peut-
être quand j’en aurai les moyens.
— Je peux payer tes cours.
— Je ne veux pas être une charge.
— Ce n’est aucunement une charge qu’un homme prenne
soin de sa femme.
— On va vraiment se marier ? me demande-t-elle en levant
la tête vers moi.

Son sourire me fait éclater de rire.


— Ça fait la dixième fois que tu me le demandes.
— J’ai juste du mal à le croire. Il y a encore quelques jours,
j’étais malheureuse et promise à un homme que je n’aimais
pas et aujourd’hui, j’ai une bague de fiançailles à mon doigt
de l’homme de mes rêves. Tu es sûr que tu ne changeras
pas d’avis après ?
— Jamais de la vie, je signe en plongeant mon regard dans
le sien. Je t’ai choisie et c’est fini. Plus aucune autre n’a de
l’importance.

Je baisse la tête et l’embrasse.

— Monsieur ?

Nous sommes interrompus par le gardien.

— Oui, quoi ?
— Il y a des policiers dehors qui veulent vous voir.
— Il y a-t-il un souci ?
— Je ne sais pas, monsieur. Ils ne m’ont rien dit.

Je me sépare de Boya et je suis le gardien dehors. Trois


policiers sont arrêtés dans la cour.
— Bonsoir, messieurs. Comment puis-je vous aider ?
— C’est vous monsieur Stephen BÉKÉ ?
— C’est moi. Il y a-t-il un problème ?
— Une femme, du nom de Martine ANOH a déposé une
plainte contre vous pour coups et blessures à plusieurs
reprises et ce, avec des preuves à l’appui. Nous sommes
donc là pour vous embarquer au poste où vous passerez
ensuite devant les autorités compétentes.
— C’est quoi ces conneries ?
— Monsieur, veuillez nous suivre dans le silence.

Ils m’attrapent et me bousculent. Je me dégage.

— Vous n’avez pas à me traiter ainsi. C’est une


convocation ou une arrestation ?
— Ne résistez pas si vous ne voulez pas aggraver votre cas.

Deux parmi eux avancent vers moi, mais je recule. C’est là


que la voix de Boya résonne. Je tourne la tête et je la vois
courir vers nous.

— Non, laissez-le ! Il n’a rien fait.


Elle se place devant moi tel un bouclier et place ses mains
devant elle en signe de protestation.

— Il est innocent, dit-elle.


— Jeune fille, laissez-nous faire notre boulot.
— Il n’a rien fait. Laissez-le, je vous en supplie.
— Boya, retourne à l’intérieur, lui dis-je en essayant de la
repousser.
— Non, je ne peux pas.

Elle continue de s’interposer devant les officiers. Cette


scène me bouscule intérieurement. Jamais personne ne
m’avait autant défendu. Bien que ce soit des agents de
police, Boya s’oppose à eux. Elle se retourne vers moi et
m’encercle de ses bras par la taille.

— Ne les laisse pas t’emmener, me supplie-t-elle en


pleurant.
— Je reviendrai, je te le promets.
— Non ! Je ne veux pas.

L’un des policiers perd patience, saisit le bras de Boya et la


dégage de moi avec hargne.
— Hé, ne la touchez pas !

Je vois rouge quand elle tombe. Je pousse l’officier


responsable et je relève Boya. Il me fait relever de force. Je
me dégage et retiens mon poing à temps avant qu’il ne
s’écrase sur la joue de l’officier. Je respire profondément et
me retourne vers Boya.

— Retourne à l’intérieur, s’il te plaît.


— Je veux partir avec toi, pleure-t-elle de plus en plus.
— Je te reviendrai.

Je l’embrasse et m’éloigne d’elle. Ma tante et Awa font leur


apparition.

— Mais que se passe-t-il ici ? s’affole-t-elle pendant que les


policiers me saisissent de nouveau.
— N’interviens pas, s’il te plaît ! Appelle Laurence. Il saura
quoi faire.

Elle demande aux officiers dans quel commissariat je serai


conduit et elle retourne à l’intérieur en courant. Je jette un
dernier coup d’œil à Boya avant que nous ne sortions
totalement de la maison.
On me fait asseoir devant le Commissaire qui dispose
devant moi des photos de Martine avec des bleus et des
blessures sur le corps, ainsi que le visage.

— Connaissez-vous cette femme ?


— Oui. C’est mon ex.
— Reconnaissez-vous avoir été à l’origine de tous ces
bleus ?
— Oui, mais…
— Vous reconnaissez donc aussi l’avoir violentée plus
d’une fois ?
— Laissez-moi vous expliquer.
— Répondez à ma question. Oui ou non ?
— Oui, mais…
— Bien ! Enfermez-le, ordonne-t-il à ses hommes.

Ils me soulèvent brutalement et partent m’enfermer dans


une cellule.

***BOYA

Mémé, monsieur Laurence et moi entrons dans le


commissariat en courant. On se renseigne à l’accueil et
nous sommes conduits au bureau du Commissaire. Il nous
informe, sans tourner autour du pot que Stephen est
enfermé dans une cellule et qu’il sera transféré demain à la
MACA (Maison d’Arrêt et de Correction d’Abidjan).

— Mais pourquoi ? s’écrie Mémé.


— Parce qu’il a battu une femme. Et pas qu’une fois, durant
les trois années de leur relation. Votre fils a reconnu l’avoir
fait, madame. Donc il ira en prison en attendant d’être jugé.
— Monsieur le Commissaire, mon fils a changé. C’est vrai
qu’il a fait ces choses, mais c’était parce qu’il était lui-
même en dépression à cause des traumatismes qu’il avait
vécus. Mais il a arrêté toutes ces conneries depuis un an.
Celle qui a porté plainte peut l’affirmer. Depuis qu’il a
commencé sa thérapie, il n’a plus jamais levé la main sur
elle. Vous pouvez lui faire payer une amende, un
dédommagement à la victime, mais pour l’amour de Dieu,
ne l’emmenez pas à la MACA. Il n’est pas un criminel.
— Je comprends bien ce que vous dîtes. Mais nous ne
faisons que rendre justice à la victime. Elle n’a pas
demandé de dédommagement. Seulement que son bourreau
paie pour tout le tort qu’il lui a causé.
— Dans ce cas, demandez-lui de venir pour qu’on essaie de
négocier avec elle devant vous. Mon fils a changé, je vous
le jure. Tout le monde mérite une seconde chance.

Le commissaire semble touché par les propos de Mémé.


Qui serait insensible devant les supplications d’une vieille
dame pour la cause de son fils ? Le Commissaire nous
demande alors d’attendre dehors, le temps qu’il convoque
mon ancienne patronne. Nous demandons à voir Stephen
pendant ce temps. Nous sommes conduits par un officier
qui nous désigne du doigt la cellule dans laquelle Stephen
se trouve. Je reste en retrait pour que sa famille le voie. Sa
tante est tout inquiète.

— Je ne comprends pas pourquoi Martine a fait ça ?


— Elle est blessée parce que je me suis mis en couple avec
une autre aussitôt que j’ai rompu avec elle.

C’est donc ma faute. Je culpabilise tout à coup. Mémé et


monsieur Laurence le rassurent qu’ils feront tout pour le
sortir de là.

— Boya est restée à la maison ? demande Stephen.


— Non, elle est là, lui répond son frère en me désignant.
— Boya, approche s’il te plaît !

Sa famille s’éclipse pour nous laisser seuls. Je m’avance


vers la grille et il me prend les mains.

— Hé ! Tout va bien se passer. Je ne veux pas te voir triste.


— C’est à cause de moi qu’elle t’a fait enfermer, hein ?
— Non, tu n’as rien fait. C’est à moi qu’elle en veut.
— Je ne veux pas tu partes en prison, dis-je en laissant
échapper mes larmes.
— Arrête de pleurer, je t’en prie ! Je ne peux pas te prendre
dans mes bras. Je veux que tu rentres à la maison. Laisse
ma famille gérer la situation. Tu devrais déjà commencer à
penser à l’organisation de notre mariage.
— Comment peux-tu penser au mariage dans cette
situation ?
— Parce que tu es à mes côtés, et tant que ça sera le cas, je
resterai toujours positif. Je t’aime, Boya.
— Je t’aime aussi.

Il ramène mes deux mains à ses lèvres et y pose des baisers


dessus à tour de rôle.

— Rentre à la maison maintenant, s’il te plaît.


— Ok. C’est compris.

Malgré moi, je lâche ses mains et je retourne près des


autres. Le commissaire se rapproche de nous au même
moment.

— J’ai pu avoir madame Martine ANOH au téléphone et


elle dit ne pas être disposée à négocier. Elle demeure donc
sur sa position. Nous n’aurons d’autre choix que de suivre
le cours des évènements.

Sans écouter la suite de la conversation, je sors de là en


courant et j’emprunte le premier taxi que je vois. Je me
rends au travail de madame Martine. Nous sommes
plusieurs fois passées devant l’entreprise en partant faire
des courses et je connais également son emploi du temps.
Je vais la supplier à genoux pour qu’elle fasse libérer
Stephen. Elle n’est pas une mauvaise femme. Elle est tout
simplement blessée.

Dès que j’entre dans l’entreprise où elle travaille, je la vois


discuter avec d’autres gens. Je me rapproche, puis quand
elle m’aperçoit, je me mets à genoux devant elle.
— Madame, pour l’amour de Dieu, faites libérer Stephen.
Ne le laissez pas partir en prison. Je vous en supplie. Je
vous demande pardon pour tout le mal qu’on vous a fait. Si
vous voulez punir quelqu’un, que ce soit moi. Mais pas lui,
je vous en prie.

Elle me regarde avec dédain pendant que ses compagnons


lui demandent ce qui se passe.

— Cesse de te ridiculiser et suis-moi dans mon bureau.

Elle tourne aussitôt le dos. Je me lève et je la suis. Nous


arrivons dans son bureau qu’elle me demande de fermer.

— Je peux savoir ce que tu fous ici à m’exposer devant mes


collègues ?
— Je suis désolée. C’est le désespoir qui m’a poussée à agir
de la sorte.
— Le désespoir ? rigole-t-elle. Tu couches avec mon mec
et tu oses venir me parler de désespoir ? Celle qui est
désespérée ici, c’est moi. Sais-tu tous les sacrifices que j’ai
faits pour cette relation ? Et toi, avec tes airs de sainte-
nitouche, tu viens tout détruire. Stephen m’a quittée, moi,
une intellectuelle, pour toi, une moins que rien. Tu sais le
genre d’humiliation que c’est pour moi ? Si Stephen n’est
pas à moi, il ne sera non plus à toi. Il ira croupir en prison
et on le perdra toutes les deux.

Ses paroles me fendent le cœur. Je ne peux me retenir de


verser des larmes.

— Je ne sais pas pourquoi je discute avec toi. Dégage de


mon bureau.
— Puisque c’est moi le problème, punissez-moi. Faites sur
moi ce que vous voulez. Battez-moi, si cela peut vous
soulager.
— La seule chose qui puisse me soulager c’est de récupérer
mon homme. Tu veux que je le libère ? Alors, quitte-le.
Disparais de sa vie à tout jamais pour qu’il puisse revenir
vers moi.
— Vous voulez que je le quitte ? je demande, dépitée.
— Oui ! Tu dégages de nos vies. C’est toi qui me l’as pris.
Si tu le fais, maintenant, demain à la première heure j’irai
retirer ma plainte et il sera libre.
— Ok. Je vais m’en aller. Puisque c’est ce que vous voulez.
Mais comment saurez-vous que je suis partie ?
— Donne-moi ton portable. Je vais lui envoyer un message.
Je le lui donne sans hésiter. Il n’y a aucun code dessus alors
elle y accède facilement. Après quelques manipulations,
elle me le retourne.

— Je lui ai envoyé un message de rupture puis j’ai bloqué


son numéro. Le reste est entre tes mains. Si tu essaies de te
foutre de moi, tu le paieras cher, et Stephen aussi.
— C’est compris.

Je sors de son bureau, encore plus désespérée qu’à mon


arrivée. Je n’ai pas d’autre choix que de m’en aller. Je
retourne donc à la maison de Mémé et sans dire un mot à
Awa, je me dirige dans la chambre où je range le peu de
vêtements que Stephen et moi avions achetés. Quand Awa
me voit sortir avec mon sac, elle vient vers moi.

— Tu vas où ?
— Je ne sais pas encore. Mais je dois partir.
— Comment ça tu dois partir ? Ahii !
— Je n’ai pas le temps pour parler. Je dois partir, c’est tout.

Sans perdre de temps, je continue mon chemin. En me


rendant sur la grande voie pour emprunter un véhicule, je
réfléchis à où je pourrais aller. Je n’ai qu’un seul endroit et
c’est chez ma tante. Elle m’avait dit qu’ils devaient rentrer
hier. J’espère que c’est le cas.

Après trois sonneries, ma tante vient m’ouvrir.

— Boya ? Que fais-tu ici ?


— J’ai besoin d’un endroit où rester.
— Comment ça ? Et ton type ? Votre amour est déjà fini ?

Je baisse la tête.

— Donc c’était pour ça que vous m’avez mis dans tous les
problèmes ? Vous vous foutez de qui ?
— Ce n’est pas ça, tantie. Stephen est en prison et la
personne qui l’a mis là-bas m’oblige à le quitter en échange
de sa liberté.
— C’est encore quoi cette histoire ? Boya, tu me fais quoi
comme ça ?
— Tantie !
— Non, écoute-moi ! Tout le monde est en colère contre
toi, mon mari également et il a dit qu’il ne veut plus te voir
ici. Là, il est parti voir sa mère et il rentre demain…
— Donc demain je vais partir. Ou bien je vais le supplier à
genou. Tantie, tu es ma seule famille.
— Boya, je n’aime pas ce que tu me fais là. Je n’aime pas
ça du tout. Fhum ! On va essayer, mais s’il te met à la porte,
je ne pourrai rien pour toi. Tu m’as déjà causé trop de
problèmes comme ça.
— Merci, tantie.

LE LENDEMAIN

***STEPHEN

Un officier ouvre la grille et demande que je le suive dans


le bureau du Commissaire. Je m’étire en m’exécutant. Ce
n’est pas si confortable de dormir dans une cellule. Je
retrouve dans le bureau, ma tante, Laurence et mon
psychologue. Je ne comprends pas le but de sa présence. Je
les salue et je prends place près d’eux sur un siège.

— Monsieur BÉKÉ, commence le Commissaire, nous


avons reçu le témoignage de votre médecin personnel qui
nous a expliqué que vos agissements antérieurs étaient dus
à une dépression que vous viviez. Vous confirmez ?
— C’est exact. Et depuis que j’ai commencé mon suivi
avec lui, je n’ai plus jamais levé la main sur qui que ce soit.
Je suis prêt à payer un dédommagement à Martine, pour lui
prouver que je regrette amèrement tout ce qui s’est passé.
— Je vois. Je crois que nous n’avons d’autre choix que de
vous libérer en attendant de trouver un compromis avec la
plaignante parce qu’il y a quand même eu coups et
blessures.

Deux coups sont frappés sur la porte du bureau puis


Martine fait son entrée. Elle détourne les yeux aussitôt que
nos regards se croisent.

— Ça tombe bien que vous soyez là, s’exclame le


Commissaire. Nous étions justement en train de parler de
négocier avec vous pour un compromis. Monsieur BÉKÉ
est prêt à vous dédommager.
— Je ne veux aucun dédommagement. Je suis venue retirer
ma plainte. Je crois que Stephen et moi avions besoin de
discuter sérieusement pour trouver des solutions à nos
problèmes de couple.

Couple ? Elle espère toujours pour nous deux ? Le


Commissaire prend acte de sa décision puis quelques
paperasses plus tard, il nous libère tous. Ma tante se met à
louer le Seigneur. Nous sortons tous du commissariat. J’ai
tellement hâte de rentrer retrouver Boya.

— Stephen ! m’appelle Martine dans mon dos.


— Oui ?
— Je suis vraiment désolée pour ça. C’est le désespoir qui
m’a poussée à agir ainsi. Je t’aime et nous pouvons encore
recoller les morceaux.
— Martine, tu mérites mieux qu’un homme qui ne ressent
absolument rien pour toi si ce n’est de l’amitié. J’aime une
autre. Tu comprends ?
— Une autre qui n’a pas hésité à t’abandonner à la première
épreuve ?
— De quoi parles-tu ?

Elle pianote sur son portable et le place sous mon nez.

« Je n’ai rien à faire avec un homme qui est en prison. J’ai
assez de souci dans ma vie pour en rajouter. Je vous laisse
donc votre homme. »

Je fronce les sourcils sans comprendre jusqu’à ce que je lise


le nom du destinataire.
— C’est Boya qui me l’a envoyé hier.
— Je ne te crois pas. Boya ne ferait pas ça.
— Elle l’a pourtant fait. Elle t’a abandonné, alors que moi,
je suis là pour toi.

Je fonce vers la voiture de Laurence dans laquelle ils sont


tous déjà installés. Je les rejoins à l’intérieur.

— Tatie, Boya est à la maison, n’est-ce pas ?


— Je n’ai pas voulu te perturber avec ça, mais elle a quitté
la maison depuis hier, selon les propos d’Awa.
— Qui a mon portable ?
— Il est à la maison. Je l’ai mis en charge ce matin avant
de venir, au cas où on en aurait besoin.

Je refuse de croire que Boya m’ait quitté aussi facilement.


Quelque chose a dû se passer. Lorsque Laurence gare sa
voiture dans la cour de la maison, j’y saute et me précipite
dans ma chambre. Je récupère mon portable que j’allume.
Je reçois aussitôt un message de Boya envoyé depuis hier.

« Je suis désolée, mais je ne peux vivre ça à mon âge. J’ai


besoin d’un homme qui saura m’assurer un avenir
meilleur. »
Je l’appelle. Ça met du temps puis ça coupe. Ça ne sonne
même pas. Je refais la même chose plusieurs fois. Je finis
par abandonner. Il semblerait que mon numéro ait été
bloqué. Je fonce dans la douche me laver, me brosser et je
ressors me préparer. Une fois fini, je ressors de la maison.
Je dois parler à Boya. Il n’y a qu’un seul endroit où elle
puisse être.

Je sonne plusieurs fois avant que le portail ne s’ouvre.


Quand Boya me voit, son visage s’illumine.

— Stephen ? Tu… tu es sorti ?


— Pourquoi es-tu partie ? C’est quoi ce message que tu
m’as laissé ?
— Je… Au fait… Il fallait… Tu…
— Arrête d’essayer de me mentir. Tu n’es pas douée pour
ça. Dis-moi ce qui se passe. C’est ta tante qui t’a demandé
de revenir ? Ma tante t’a-t-elle fait quelque chose ? Dis-moi
la vérité.

Elle baisse la tête et garde le silence. Je me rapproche d’elle


et relève sa tête par le menton.
— Hey, regarde-moi ! Tu sais que tu peux tout me dire et
on trouvera toujours une solution. Tu as eu peur que je te
fasse du mal comme ça a été les cas avec Martine ?
— Non, je sais que tu ne me ferais aucun mal.
— Alors, tu ne m’aimes plus. C’est ça ?
— Bien sûr que non. Je t’aime, mais…
— Mais quoi ? je demande en me rapprochant encore plus.
— Martine m’a demandé de te quitter si je voulais qu’elle
retire sa plainte.

Je soupire de soulagement et je la prends dans mes bras.

— J’ai cru qu’il y avait pire. Je suis là maintenant.


— Mais je lui ai promis rester loin de toi, dit-elle en levant
la tête.
— Tu ne lui dois rien.
— J’ai peur qu’elle te remette en prison si elle nous
revoyait ensemble.
— Tu n’as pas à t’inquiéter pour ça. Je prendrai mes
précautions. Tu m’as manqué.
— Toi aussi, sourit-elle.

Je me courbe à son niveau pour déguster ses fines lèvres


qui m’ont tant manqué. Elle a un petit sursaut.
— Nous sommes dehors, dit-elle, toute honteuse.
— Et alors ? Tu vas devoir t’y habituer, parce que lorsque
nous serons mariés, je t’embrasserai partout et n’importe
où.

Elle veut en rajouter, mais je l’embrasse de nouveau. Elle


n’a pas d’autre choix que de se détendre. Je me perds dans
ce baiser qui me fait oublier mon court séjour en cellule.

— NON, MAIS QU’EST-CE QUE C’EST QUE ÇA ???

Nous sursautons tous les deux. L’oncle de Boya se tient


près d’un taxi avec un sac de voyage en main. Il nous
regarde avec fureur.

— Boya, c’est pour te prostituer que tu as fui ton mariage ?


C’est pour le dévergondage que tu as mis la honte sur ta
famille ?
— Monsieur, laissez-moi…
— Vous, je ne vous ai rien demandé. Vous devriez avoir
honte de flirter avec une gamine.
— Justement, je veux l’épouser.
— Épouser qui ? Cette sidéenne ?
Boya, comme à chaque fois qu’on l’appelle ainsi, se met à
pleurer. La tante arrive à son tour avec une jeune fille qui
porte une cuvette sur sa tête. Elle comprend ce qui se passe.

— Et qui va vous donner sa main ? Moi ? Jamais de la vie.


Elle nous a tous ridiculisés au village. La famille est pointée
du doigt. Vous pensez que quelqu’un voudra manger la dot
de cette sorcière après ce qu’elle a fait ? Je ne veux plus
jamais la voir devant mes yeux. Prenez-la cadeau. Qu’elle
parte ramasser toutes ses affaires et dégage de ma maison.
N’importe quoi !

Sa femme essaie de le raisonner, mais il la repousse et


rentre. Elle se tourne vers nous.

— J’espère que vous ne regrettez pas vos choix parce qu’il


n’y a plus de retour en arrière. Boya, viens ramasser tes
affaires.

Je fais signe à Boya d’y aller. Je reste dehors à attendre


qu’elle revienne avec ses affaires. Elle me demande de lui
filer un coup de main pour sa machine à coudre et la table
qui va avec. Nous rangeons le tout dans la voiture, dans le
coffre et la banquette arrière. Je la sens un peu en colère,
surtout lorsqu’elle claque bruyamment la portière de la
voiture après s’y être installée.

— Je vais voir ma tante et Laurence pour qu’ils


m’accompagnent pour leur parler, pour essayer d’arranger
les choses.
— Non, tu ne feras rien. Je suis fatiguée de tout le temps
supplier. J’ai passé toute ma vie à supplier les gens pour ne
pas être rejetée. Là, je suis tout simplement fatiguée. Je suis
surtout fatiguée qu’on me traite de sidéenne à tout va. Je
n’en peux plus. Je veux prendre ma vie en main. Je veux
être heureuse. Je veux réaliser mes rêves avant de quitter ce
monde et non passer ma vie à pleurnicher. Ma famille ne
veut plus de moi ? Tant pis. On s’en fout. Je ne vais
demander pardon à personne. De toutes les façons ils ne
m’ont jamais aimée. Pourquoi devrais-je me mettre à leurs
pieds ? Maintenant, si toi aussi tu ne veux plus de moi, tu
me le dis.
— Tu délires ? dis-je en souriant.
— Dans ce cas, oublie ma famille et allons nous marier.
— À vos ordres, madame.
Je démarre, tout joyeux de voir la nouvelle femme qu’elle
veut devenir. Je conduis d’une main et lui tiens la main de
l’autre. Je fais un stop à l’hôtel communal de Cocody. Nous
nous rendons à l’intérieur, la main toujours dans la main.
Nous entrons dans le bureau de qui de droit pour nous
renseigner sur les dossiers à fournir pour un mariage civil.
La première information qu’il nous donne c’est que nous
devons tous deux être majeurs, ce qui est le cas. Il nous cite
les documents législatifs à apporter.

— Quand voulez-vous vous marier ? Les mariages se font


les samedis et les jeudis. Généralement les jeudis sont
choisis par ceux qui veulent quelque chose de simple.
— On va donc prendre un jeudi, dis-je.
— Lequel ? demande de nouveau l’homme, le stylo à la
main.

Nous échangeons un regard, Boya et moi.

— Tu le veux quand ? je lui demande doucement. Je


propose le jeudi de la semaine prochaine pour mieux nous
préparer.
— J’aurais dit jeudi après-demain, mais la semaine
prochaine, c’est mieux, rigole-t-elle.
Nous tournons vers l’homme qui a l’air surpris de notre
choix qui peut sembler précipité. Il prend acte tout de
même. Il nous demande de payer une avance pour ouvrir
notre dossier. Ce que je fais et nous nous en allons. Boya
est plus souriante sur le chemin. Quand nous arrivons à la
maison, je mets ma tante au parfum sans toutefois parler du
mariage. Je garde ça pour le diner. Je lui demande donc
d’inviter Laurence et Zoé.

Comme demandé, toute ma famille est réunie ce soir autour


de la table. Boya également est parmi nous, même si elle
demeure dans le silence. Je lui caresse la main ou la cuisse
par moment pour la mettre à l’aise. Après le diner, j’invite
tout le monde au salon. Je reste debout, devant les autres
avec Boya à mes côtés. J’invite également Awa à cette
réunion parce qu’elle fait aussi partie de la famille. Je tiens
la main de Boya fermement dans la mienne.

— Voilà, merci déjà d’avoir répondu présent à mon


invitation ce soir. Je tenais officiellement à vous présenter
Boya comme ma future femme et non plus comme mon
employée. Je ne vous ai pas caché mes sentiments pour elle
et vous m’avez encouragé parce que vous avez vu les
changements que ça a apporté dans ma vie. De ce fait donc,
nous tenons à vous informer que le jeudi de la semaine
prochaine, nous nous marions.
— Oh ! Mais pourquoi si vite ? interroge ma tante. Un
mariage, ça demande beaucoup d’organisation.
— Nous n’allons pas faire un mariage comme tous les
autres. Il y aura uniquement vous quatre et après la
cérémonie civile, nous irons directement en lune de miel.
Donc pas de fête et tout. Mais à notre retour nous ferons un
grand diner familial. Je t’ai un peu brossé ce matin la
situation avec la famille de Boya et c’est ce qui nous pousse
à procéder ainsi. Nous ne voulons pas perdre de temps au
risque de laisser des gens se mettre entre nous. Je
souhaiterais donc que vous acceptiez Boya dans la famille.
— Mais bien sûr, s’exclame ma tante. Elle a toujours été la
bienvenue. Il n’y aura aucun souci de ce côté. Toutes mes
félicitations.

Elle se lève de sa place et nous enlace à tour de rôle.


Laurence et Zoé nous félicitent à leur tour. Ça redonne le
sourire à Boya.

— Alors, Laurence, tu seras mon témoin, Zoé celui de Boya


et Awa tu seras la dame de compagnie.
— Qui, moi ???? Wooouuuhhh je suis gâtée.

Awa se met à jubiler et vient enlacer Boya.

— Je suppose que j’ai pour tâche de préparer la future


mariée ? demande Zoé, le sourire aux lèvres.
— Effectivement, lui dis-je.
— Super ! Alors Boya, dès demain on commence. Je vais
te rendre kpata pour ton chéri coco. Je vais surtout te
montrer les vraies positions pour le remuer un peu.

Nous sommes tous habitués aux délires de Zoé donc rien de


ce qui sortira de sa bouche ne nous choquera. Je laisse les
femmes et m’éloigne un peu avec mon frère.

— Encore mes félicitations, frangin. Je rêvais de ce jour où


tu viendrais m’annoncer que tu te casais avec une femme
que tu aimes sincèrement. Je suis très heureux.
— Merci. Mais là j’aurais besoin d’une maison. Un duplex
de préférence. Je veux que Boya soit à l’aide. Tu peux voir
avec ton patient agent immobilier ?
— Oui, je m’en occupe. Alors, on va quand s’acheter les
costumes ?
— Demain, entre midi et deux.
— Ça marche. J’ai hâte de te voir te passer la corde au cou.

Je lui donne une légère tape à l’épaule et nous rejoignons


les autres. La soirée terminée, Zoé et Laurence partis, je
retrouve l’amour de ma vie dans notre chambre. C’est fou
de le dire hein ? Lol, je n’aurais jamais pensé dire pareille
chose d’une femme. Je l’enlace par-derrière pendant
qu’elle termine d’enfiler sa robe de nuit.

— Tu te sens mieux maintenant que tu as la confirmation


que ma famille t’a acceptée ?
— Oui ! Ne pas être acceptée par ma belle-famille, c’est un
combat que je ne me sentais pas prête à mener.
— S’ils n’avaient pas donné leurs bénédictions, ça n’aurait
rien changé de mon côté.
— Il y a intérêt. Je ne me voyais pas retourner supplier mon
oncle de me reprendre dans sa maison.

J’éclate de rire en même temps qu’elle. Je la retourne face


à moi sans relâcher mon emprise autour de sa taille.

— Je veux retrouver cette jeune femme pleine de joie que


tu étais quand nous n’étions rien que tous les deux à
l’appartement. Ta bonne humeur me manque.
— Tu la retrouveras.
— Après demain, je dois me rendre à une soirée d’affaires,
représenter la boite où je travaille pour conclure certains
marchés que nous avons en cours.
— Je peux te coudre rapidement une nouvelle chemise.
— Non, concentre-toi sur le mariage. Ce que je voulais
dire, c’est que je veux que tu m’y accompagnes.
— Moi ? Pourquoi ?
— Parce que tu es la femme avec qui je vais passer ma vie.
J’aimerais t’intégrer dans tous les domaines de cette vie. Je
veux te sentir près de moi à tout moment. Ce sera également
notre première sortie en tant que fiancés.
— Si tu y tiens. Je t’accompagnerai.
— Merci !

Je me baisse pour capturer ses lèvres. Sans parler, nous


nous déshabillons mutuellement. La chambre est de
nouveau témoin de nos ébats, tous aussi intenses les uns
que les autres.

***MARTINE

Je saute sur mon portable en voyant le numéro de Stephen


s’afficher.
— Oui, Stephen !
« — Je suis passé tout à l’heure à l’appartement et j’ai
remarqué que tu as fait changer la serrure de la porte. »
— Oui. Et ?
« — Je dois récupérer toutes mes affaires étant donné que
tu as décidé de rester y vivre. »
— Tu n’entreras dans cet appartement que lorsqu’il sera
question de redonner une chance à notre couple.
« — Martine, sois raisonnable et passe à autre chose. Tu
ne feras que te faire plus de mal. »
— J’ai fini de parler, Stephen. Si tu veux de nouveau avoir
accès à tes affaires, tu reviens vivre à la maison. Dans le cas
contraire, tu vivras sans.

Je lui raccroche au nez, encore plus déçue. Je m’attendais à


ce qu’il revienne à de meilleurs sentiments. Je continuerai
de lui mettre la pression pour qu’il me revienne. Je ne vais
pas abandonner de sitôt. J’ai la foi qu’il me reviendra. Je
suis prête à mettre ma main à couper que Boya l’a
ensorcelé. C’est qui explique qu’il l’ait préférée à moi. Je
dois continuer à me battre pour mon couple. C’est la raison
pour laquelle j’ai demandé à mon patron de me permettre
de rejoindre Stephen à cette soirée. Lui, il ne le sait pas
encore. Je vais me faire plus belle que jamais pour le
séduire et nous rentrerons à la maison ensemble pour passer
la nuit. Je le connais comme si je l’avais fait. Alors, lorsque
je dis qu’il me reviendra, il me reviendra.

Je guette l’entrée de la salle où se déroule la soirée dans


l’impatience de voir Stephen la traverser. Je reste un peu à
l’écart de tous en l’attendant. Je ne connais aucun des
hommes présents, lui par contre, si. Je commence à
m’ennuyer quand un homme s’approche de moi. Il veut
visiblement faire la causette alors j’accepte sa compagnie.
Je me laisse entrainer dans la conversation. Après une
dizaine de minutes, je vois enfin Stephen apparaitre. Je
souris, mais mon sourire s’efface quand je le vois tirer
derrière lui, Boya. Il se fout de moi là ? Cet homme est donc
sérieux à s’afficher avec cette gamine ? Cette fois, il est
clair que cette fille l’a envouté. Je bouillonne de rage, mais
je garde contenance, surtout à cause de cet homme
d’affaires qui se tient près de moi. Je reste là à regarder
Stephen présenter Boya à tous ceux qu’il accoste. Je décide
de me rapprocher. Après tout, je suis sa collègue et nous
sommes là pour le travail.
— Bonsoir, messieurs, je les salue en ignorant royalement
Boya.
— Martine ? s’étonne Stephen de me voir. Je ne savais pas
que tu serais présente.
— Oui, le boss m’a mandatée à la dernière minute pour
t’épauler. Toi par contre, je ne savais pas que tu viendrais
avec une fille à cette soirée professionnelle.

Il s’excuse auprès des autres et me conduit loin d’eux en


me tenant fermement le bras.

— À quoi joues-tu ? Nous sommes là pour le boulot.


— C’est pour le boulot et tu as ramené ton plan cul ?
— Boya n’est pas mon plan cul et tu le sais. Arrête avec ça,
s’il te plaît. Je suis conscient de t’avoir blessée, c’est
essentiellement pour cette raison que j’essaie de ne pas être
désagréable avec toi après toutes tes manigances. Passe à
autre chose.
— Je ne le peux pas. Tu ne peux pas me quitter ainsi, pas
après tous mes sacrifices.
— Tu veux que je reste avec toi par reconnaissance pour ta
patience envers moi, même si je ne ressens absolument rien
pour toi ? Tu veux d’un mariage sans amour ?
— Lorsque l’amour a une fois existé, il peut renaitre.
— Sauf qu’il n’y a jamais eu d’amour me concernant.
J’appréciais juste ta compagnie. Tu seras malheureuse avec
moi et tu le sais. Il est temps que tu l’acceptes et passes à
autre chose, surtout que j’épouse Boya la semaine
prochaine.
— Quoi ???

Il me plante là, alors que mon cerveau a du mal à


comprendre sa dernière phrase. Il va… se marier avec cette
petite ? Non, c’est la foutaise de trop. Je me retourne et je
le vois lui chuchoter à l’oreille et ils échangent un sourire.
Des larmes me montent aux yeux. Je fonce sur lui, le
retourne et lui flanque une gifle qui fait retourner
l’assemblée.

— Tu n’es qu’un enfoiré ! lui hurlé-je au visage. Tu m’as


utilisée, joué avec mon corps. Tu m’as battue, encore et
encore, tu m’as trompée, tous les jours de ta minable vie, tu
prenais plaisir à me violer au lieu de me faire l’amour. ET
J’AI TOUT ACCEPTÉ PAR AMOUR. Comment est-ce
que tu me remercies ? En me quittant lâchement et en me
lançant à la figure, une semaine après notre rupture que tu
vas te marier avec MA SERVANTE ???? Elle a le SIDA,
bon sang ! Quel avenir veux-tu construire avec elle ?
— Arrête ! me chuchote-t-il.
— Ça ne va pas se passer ainsi. Retiens bien ça.

Je sors toute furieuse du lieu de réception. Une fois dans le


taxi, j’éclate en sanglots. Il va se marier alors qu’en trois
ans de relation, il n’a jamais prononcé le mot mariage nous
concernant. Juste une semaine avec Boya et il va l’épouser.
Je sors mon portable et je lance un appel. Ma collègue met
un peu de temps à décrocher.

« — Allô, bonsoir Martine. »


— S’il te plaît, trouve un jour pour qu’on aille voir la dame
dont tu m’as parlé.
« — Qu’est-ce qui se passe ? Tu pleures ? »
— Je suis désespérée. Stephen va se marier la semaine
prochaine avec une autre. Je ne peux pas le laisser partir. Je
ne peux pas le perdre. Je refuse. S’il te plaît, aide-moi.
« — D’accord. On peut y aller ce week-end. Samedi ou
dimanche. Mais je préfère dimanche. Il y a moins de
monde. Mais es-tu prête à faire tout ce qu’elle va te dire de
faire ? Souvent c’est des choses dégueulasses ou horribles
hein ? Ça dépend du résultat que tu veux. »
— Ok. Je suis prête à tout pour récupérer mon homme.
Même à vendre mon âme au diable.
15

***STEPHEN

— C’est pour éviter ce genre de scène de ménage que je


n’acceptais pas de relation entre collègues. Vous nous avez
ridiculisés à cette soirée. Étant donné que le scandale vient
de Martine, selon ce qui m’a été rapporté, elle a été
suspendue pour un mois et ne recevra pas de salaire parce
qu’elle a mis nos contrats en danger. Certains partenaires
ont désisté après ce spectacle. Pour ceux qui sont toujours
intéressés, ils demandent que je change d’intermédiaire.
C’est-à-dire, toi. Ce qui m’emmène au deuxième point de
ma convocation à mon bureau.
— Je vous écoute.
— Martine aurait divulgué le statut sérologique de votre
fiancée à la soirée. Les partenaires se sont montrés réticents
à l’idée d’être en contact direct avec un homme qui vit avec
une séropositive parce qu’il y aurait des chances que vous
ayez été infecté également.
— C’est quoi ces conneries ?
— Fais attention à tes propos. Je vais te donner un conseil
en tant que devancier. Si tu veux pouvoir rentrer dans la
cour des grands, il va te falloir éviter de t’afficher aux
différentes soirées avec ta fiancée. Son statut risque de te
fermer des portes.
— Nous sommes au 21e siècle. C’est quoi cette mentalité ?
— Tout le monde n’a pas encore l’esprit ouvert concernant
cette maladie. Si d’autres gens apprennent que vous êtes
mariés à une femme dans ce cas, ils vous éviteront. Le
mieux, c’est de la garder loin de ta vie professionnelle.
— Avec tout le respect que je vous dois, je ne vais pas
"cacher" ma femme pour de l’argent ou des contrats. Je ne
suis pas en train de dire que je vais la trimballer à tout
moment derrière moi. Mais, s’il y a des soirées gala où tout
le monde peut venir avec qui il veut, je viendrai avec elle.
Peu importe si tout le monde connait son statut. Je vais
partager sa vie et elle va partager la mienne. TOUTE ma
vie, pas une moitié de ma vie. Donc non, je ne la cacherai
pas. Que celui qui ne veut pas bosser avec moi s’éloigne
tout simplement. Il n’est pas question ici de ma femme,
mais de ce que j’ai dans la tête comme connaissance et si
vous aussi, vous jugez que je porterai préjudice à votre
entreprise, vous pouvez toujours appeler mon patron pour
qu’il me fasse remplacer.
— Je ne suis pas en train de dire que… enfin… écoute, c’est
juste un conseil.
— Dont je n’ai pas besoin. Je peux appeler mon patron
moi-même.
— Non ! N’en arrivons pas là. Bon, laissons tomber cette
histoire. J’appellerai les partenaires pour leur faire entendre
raison.
— Ce n’est pas la peine. Je n’ai pas envie de côtoyer des
gens qui ont déjà des préjugés sur ma femme et moi.
Choisissez quelqu’un d’autre. Est-ce que je peux prendre
ma pause maintenant ? J’ai des trucs urgents à faire.
— Oui, vas-y ! m’autorise-t-il, dépité.

En sortant de son bureau, je coupe une fois de plus l’appel


de Martine. Je finis par la bloquer. Je commence par en
avoir marre d’elle et de ses conneries. Elle m’appelle sans
doute pour me hurler toutes les insanités qu’elle m’a
envoyées par message. En effet, je suis parti très tôt ce
matin chez elle, enfin chez moi, avec un menuisier qui a
défoncé la serrure. J’ai récupéré mes vêtements et mes trucs
pour le boulot puis je suis parti. Le menuisier a remplacé la
serrure et remis les nouvelles clés à l’agent immobilier. Je
lui ai laissé tous les meubles. J’en achèterais des nouveaux
avec Boya pour notre nouvelle maison que je dois d’ailleurs
aller visiter avec elle. Je vais la chercher chez ma tante, et
nous nous y rendons. Laurence nous a dégoté un
magnifique duplex avec deux terrasses, un garage et un
petit espace jardin. Boya a adoré les photos de la maison
alors j’ai confirmé que nous la prendrons. C’est main dans
la main que Boya et moi suivons l’agent immobilier qui
nous fait une visite de la maison. Je regarde ma petite fleur
qui est tout heureuse.

— Tu aimes ? je lui demande quand même.


— J’adore, s’exclame-t-elle en glissant ses doigts sur le
plan de travail dans la grande cuisine. Je n’ai jamais vu une
maison aussi belle.

Je la laisse parcourir chaque recoin de la maison et je me


rapproche de l’agent.

— Vous avez apporté les papiers ? Comment devons-nous


procéder pour le paiement ?
— Pour le paiement, votre frère s’en est déjà chargé. Vous,
vous n’aurez qu’à signer les papiers qui feront de vous les
heureux propriétaires de cette demeure.
— Ah bon ? Je n’en savais rien. Attendez que je l’appelle.

Il ne m’a rien dit pourtant nous étions hier ensemble.


« — Oui, mon frère ! »
— Je suis avec l’agent dans la nouvelle maison et il m’a dit
que tu avais déjà réglé le solde.
« — Oui, c’est mon cadeau de mariage. »
— Quoi ? Mais c’est trop.
« — Mon souhait a toujours été de te voir heureux, plus
mature et casé. Aujourd’hui, que tu es sur ce chemin, je ne
peux qu’en être heureux alors ça, c’est ma manière
d’exprimer ma joie. Mais attention, ce n’est pas gratuit. »
— Je m’en doutais bien. Tu es un escroc.

Il éclate de rire.

« — Je t’offre cette maison et en contrepartie je veux que


tu te battes corps et âme pour demeurer heureux. Arrange-
toi à ne plus laisser qui que ce soit, encore moins ton passé
douloureux, venir foutre le bordel dans ta nouvelle vie.
Bats-toi surtout pour rendre ta femme heureuse, parce
qu’en le faisant, tu te rendras toi-même heureux. »

Ses paroles me font monter les larmes aux yeux. Je les


essuie avant qu’elles ne brisent les barrières de mes
paupières.
« — Ne me dis pas que tu pleures ? »
— Va te faire foutre, enfoiré !

Nous rigolons comme des gamins.

— Vraiment merci ! Ça me touche énormément. Je te


promets de respecter ma contrepartie. Encore merci pour
tout.
« — C’est la famille. Je te laisse, j’ai un patient à aller voir.
On s’appelle plus tard. »
— Ouais ! À plus.

Je conclus avec l’agent en signant les papiers qu’il faut et


je rejoins Boya qui est maintenant dans le salon. Elle me
saute dans les bras quand je lui annonce que la maison est
à nous.

— On peut venir l’habiter en même temps ? dit-elle toute


surexcitée.
— Nous devons la meubler avant tout.
— On peut le faire demain.
— Non, une chose après l’autre. Finissons avec le mariage
et de retour de notre lune de miel, on s’occupera de cette
immense maison. Tu auras tout le temps de faire tout ce que
tu veux donc patience.
— J’ai trop hâte. Je sais déjà comment nous allons la
décorer et la meubler.

Elle m’explique tout ce qui se passe dans sa tête en


bougeant partout. Je la suis, je la regarde, en souriant.
Laurence a raison. En travaillant à rendre l’autre heureux,
on le devient également.

***BOYA

Nous avons pris du retard dans les courses parce qu’il a


énormément plu tout le week-end. Ça a commencé ce
vendredi soir pour finir ce lundi, alors impossible de sortir.
Nous sommes donc restés enfermés à la maison. Alors
comme c’était prévu, j’ai déménagé ce matin chez
Laurence et Zoé. En effet, Zoé et Mémé ont exigé que je
m’éloigne de Stephen avant le jour du mariage pour mieux
me préparer. Zoé a donc proposé que je vienne rester chez
elle afin qu’elle puisse à son tour prendre bien soin de moi.
Ou comme elle le dit, “ elle va me rendre zo pour tuer le
cœur de Stephen ’’. Ce dernier m’a déposée chez elle avant
de se rendre à son boulot. Zoé et moi sommes maintenant à
la boutique. Nous en faisons le tour, elle choisit plusieurs
articles et nous allons dans son bureau. Elle ouvre une petite
valise vide. Elle me présente chaque lingerie avant de la
ranger soigneusement dans la valise.

— Tu as déjà porté des strings ? me demande-t-elle.


— Non. Jamais.
— Bah, tu vas en porter maintenant ! Mais pas tous les
jours. On va dire pour les moments coquins avec ton
homme. Les autres, tu les porteras quotidiennement.

Elle me montre une tenue très très complexe. Tout est en


corde. Il n’y a pas de tissu donc ça ne cache absolument
rien des seins et de la partie intime.

— C’est quoi ça ?


— Une lingerie très osée, rigole-t-elle. Quand tu portes ça,
attends-toi à te faire prendre toute la nuit dans toutes les
positions.

Je rougis de honte. La patronne de Zoé entre avec un petit


sac.
— Voici les tenues de la dernière collection que tu m’as
demandées, lui dit-elle en allant s’asseoir à la place de Zoé
derrière son bureau
— Merci, répond celle-ci en récupérant le paquet. J’étais en
train d’expliquer à Boya que lorsqu’on porte une lingerie
osée, on doit être prête à être bouffée toute la nuit.

Sa patronne, Kayla, rigole.

— Pendant qu’on y est, reprend la patronne. Pourquoi tu ne


lui fais pas un cours sur le sexe, madame la doyenne en
sexologie.
— Je m’apprêtais à le faire. [À moi] Bon ! Ma petite, écoute
maintenant mes conseils. À votre lune de miel, ne le laisse
pas prendre le contrôle de votre premier coup. Montre-lui
que tu peux être une vraie tigresse. Donc tu vas porter cette
tenue. Viens que je te montre comment on la porte.

Elle sort une autre tenue du petit sac en carton rapporté par
sa patronne et me montre comment l’enfiler. C’est un
bodysuit en dentelle, ouvert au niveau de la poitrine
jusqu’au nombril, en string derrière et ouvert au niveau de
la foufoune.
— Je t’ai acheté une boite de Nutella. Tu vas le
badigeonner de partout et le laper avec lenteur et sensualité.
Tu mets ça sur son dagobert.
— Dagobert ?
— Oui, son truc là.

J’écarquille les yeux.

— Tu mets le chocolat tout le long et tu l’engloutis. Tu


astiques jusqu’à ce que tout le chocolat disparaisse. Quand
tu le sens devenir dur, tu arrêtes, tu attends quelques
secondes et tu reprends. Ne le laisse pas jouir. Torture-le
puis un moment, tu t’assieds sur lui, comme ça.

Elle prend un des grands coussins de son divan, le pose sur


la moquette et s’assied dessus, les genoux relevés et elle se
met à bouger.

— Tu ne descends pas totalement. Reste suspendue. Tu


montes doucement, tu descends doucement, en le fixant
avec amour. Au fur et à mesure, tu accélères la cadence et
tu commences à le binzer bien.
Sa copine ne fait que rire devant le spectacle de Zoé. Moi
par contre, je suis toute honteuse. Je n’ai jamais fait tout ça.
Je vois que j’ai du boulot. Zoé m’explique encore d’autres
techniques à utiliser au lit. Malgré ma gêne, je finis par
éclater de rire. Nous partons ensuite dans un spa pour mon
avant-dernière séance. La dernière se fera le mercredi. En
tout cas, Zoé s’occupe parfaitement de moi. Nous avons
acheté ma robe le lendemain de l’annonce du mariage. Ça
ne sera pas une longue robe de princesse. Plutôt une robe
blanche courte, volante avec un beau design orné de perles
au niveau du buste. J’aurais une coiffe en lieu et place d’un
voile. Avec tout ce qui s’est passé dans ma famille, je suis
bien heureuse qu’aucun de ces gens n’assiste au plus beau
jour de ma vie. Je suis seulement un peu chagrinée pour ma
tante. Elle, elle mérite d’être là. Mais bon, je ne veux pas
lui causer d’autres problèmes. Si les gens apprennent
qu’elle a assisté à mon mariage, elle se prendra des foudres.
Le mieux est de l’éloigner de tout ceci.

Nous avons enfin bouclé avec les courses. Zoé et moi


rentrons carrément épuisées. Bien que cette cérémonie soit
prévue petite, elle demande quand même beaucoup
d’effort. Les deux enfants de Zoé et Laurence nous mettent
un peu d’ambiance avec leurs bavardages à n’en point finir.
Ils sont tellement adorables que j’en rêve d’en avoir là tout
de suite. Je ne sais pas encore si Stephen est guéri de ce
côté. Je ne sais pas s’il est prêt à avoir des enfants
maintenant. Je crois que je vais lui poser la question avant
que nous n’entrions dans le mariage pour au moins être
située.

Après le diner, je prends congé de mes hôtes et je vais


m’enfermer dans ma chambre de séjour. Je reçois en même
temps un appel de mon homme. Un large sourire déforme
mes lèvres.

— Je m’apprêtais justement à t’appeler.


« — Tu vois que nous sommes liés ? »
— Je vois ça, en effet. Et ta journée ?
« — Comme toujours. Sauf que tu m’as énormément
manqué. Je devrais être en train de te serrer dans mes bras
en ce moment. »
— Tu me manques aussi. Au fait, je voulais te poser une
question.
« — Laquelle ? »

Je prends une grande inspiration avant de me lancer.


— Es-tu prêt à avoir un enfant ? Maintenant je veux dire ?

Un silence s’installe. Ça dure plusieurs secondes durant


lesquelles je redoute sa réponse.

« — Je ne sais pas si je suis prêt. Je ne veux pas non plus


tenter le coup et faire n’importe quoi. Je ne veux rien faire
qui puisse te faire souffrir. Voici donc ce que je propose.
Prenons notre temps. Nous sommes encore jeunes, toi
surtout. Tu rentres à peine dans l’âge adulte. Prends le
temps de te connaitre, de poser certaines bases de ta vie.
Tu as parlé de reprendre le chemin de l’école. Mettons
toutes ces choses sur pied, profitons l’un de l’autre
pleinement. En tout cas, moi je veux profiter de ma petite
femme avant qu’un petit être étranger ne vienne me la
voler. »

Je souris. L’anxiété disparait.

« — J’espère que tu comprends ce que je veux dire ? Ne


nous précipitons pas pour faire les choses. »
— Je comprends et je suis d’accord.
Je comprends surtout qu’il n’est toujours pas prêt. Je ne vais
pas le forcer. Je saurais être patiente pour que notre premier
bébé vienne dans une bonne harmonie familiale.

« — Je t’aime, Boya. J’ai hâte d’être à jeudi. »


— Moi aussi j’ai hâte. Je t’aime très fort.

*Mona
*LYS

Le jour tant attendu est enfin arrivé et je suis morte


d’anxiété. Assise dans la voiture climatisée de Zoé, je ne
fais que gratter le manche de mon bouquet en attendant
l’heure fatidique. J’ai tellement peur que quelque chose
vienne gâcher ce moment. Je prie qu’on en finisse au plus
vite. Nous avons opté pour une cérémonie de l’après-midi
pour ne pas avoir de pression, car c’est plus dégagé à ces
heures-là.

Awa, qui était allée voir ce qui se passait dehors, revient


dans la voiture.

— J’espère que tu es prête ? Ce sera à nous dans cinq


minutes.
— Je suis trop pressée même.
— Avant que tu ne passes, il y a quelqu’un qui veut te voir.
— C’est qui ?
— Tu verras. C’est une surprise.

Elle ressort et je vois un corps monter. Quand la personne


s’assied, je suis surprise de voir ma tante.

— Tantie ?

Elle entre totalement et referme la portière avant de se


tourner vers moi.

— Comment vas-tu, la future mariée ?


— Bien. Mais, que fais-tu ici ? Comment as-tu su ?
— C’est ton mari qui m’a appelée pour me dire. Il voulait
que tu aies un membre de ta famille à tes côtés pour ce jour
précieux. Je ne pouvais pas manquer ça. Aucune mère ne
peut manquer le mariage de son enfant. Oh non, ne pleure
pas !

Elle me prend dans ses bras. Son geste me touche


grandement. Je ne m’attendais vraiment pas à ça, vu qu’elle
en avait déjà assez fait. Elle prend un papier mouchoir de
son sac et me nettoie délicatement le visage.

— Ne gâche pas ton maquillage. Tu es parfaite.


— Merci !
— Bon, je vais m’asseoir dans la salle.
— Attends, pourrais-tu me conduire à l’autel et donner ma
main à Stephen ?
— Avec plaisir.

Elle m’enlace une dernière fois et sort de la voiture. Sa


présence a fait disparaitre mon stress. Je suis heureuse
qu’elle soit présente. Je sors de la voiture, plus sereine. Ma
tante m’attrape le bras et nous marchons vers l’autel sous
les acclamations de ces quelques personnes présentes.
Stephen ne fait que sourire en ayant le regard braqué sur
moi. Je réponds à sourire jusqu’à arriver à son niveau. Il
descend les marches et ma tante pose ma main dans la
sienne.

— Je te donne ma fille. Soyez heureux.


— Merci ! lui répond Stephen.
Il pose un baiser sur ma main et me conduit devant
l’adjointe au maire. Nous nous asseyons pour écouter le
récit des articles concernant le mariage. Nous passons
ensuite au consentement puis à l’échange d’alliances
accompagné de vœux. La fille de Laurence nous apporte la
boite des alliances. J’adore les alliances que nous avons
choisies. Surtout la mienne. C’est deux bagues en une, en
or et ornées de petits diamants. Ça a coûté un peu cher, mais
Stephen a insisté pour qu’on les prenne parce qu’elles me
plaisaient.

— Boya, commence Stephen, ma petite fleur, devant tout


le monde ici et devant Dieu, je promets de travailler à être
un meilleur mari pour toi. Je te promets de t’aimer plus que
ma propre vie. Dès aujourd’hui, je m’engage à lutter à tes
côtés. Tes problèmes seront les miens, tes défis seront les
miens. Tu n’es pas obligée de partager mes douleurs à moi,
car je suis prêt à tout supporter pour nous deux. Mon
nouveau but dans la vie sera de te placer au sommet du
monde et faire de toi la femme la plus heureuse. S’il arrivait
que je faiblisse quelque part, souviens-toi que je ne suis
qu’un homme qui peut faire des erreurs, mais qui jamais,
consciemment, ne pourrait te faire de mal. Je t’aime et je
chérirai cet amour jusqu’à la fin de mes jours.
Je baisse la tête et verse toutes les larmes de mon corps.
Stephen me passe la bague au doigt. Je me ressaisis après
plusieurs secondes. Awa vient me nettoyer le visage. Je
prends la bague de Stephen.

— Mon trésor, je promets…

Je suis interrompue par un sanglot. Je serre les dents. Ce


que je vis en ce moment est trop beau pour être vrai. Mon
Dieu, moi une pauvre sidéenne rejetée par tous, me voici en
train de me marier avec un homme merveilleux. Dieu est
amour. Il a eu pitié de moi et m’a redonné espoir.

— Je… Je serai…

Je n’arrive plus à parler. L’émotion est à son comble. Awa


qui ne faisait que me nettoyer le visage finit par
abandonner.

— Je suis désolée… j’ai oublié tout ce que j’avais préparé.


Je suis tellement…
Je me perds de nouveau au milieu de mes larmes. Stephen
se rapproche et me relève le visage. Des larmes perlent sur
ses joues. Il me sourit malgré tout.

— Tu n’es pas obligée de parler. Tu auras toute la vie pour


m’exprimer ce que tu ressens. Je t’aime tellement. C’est
dingue.
— Je t’aime à la folie.

Il m’attire par la taille contre lui et nous nous embrassons.

— Je ne vous ai même pas encore déclaré mari et femme,


rigole le maire. Vraiment, le love est trop.

Nous séparons nos lèvres en riant. Stephen me nettoie le


visage du bout de ses doigts. J’en fais de même pour lui. Le
maire nous déclare mariés, mettant ainsi fin à la cérémonie.
Nous prenons des photos avec le maire, ensuite la famille.
Nous leur disons au revoir par la même occasion parce que
Stephen nous a programmé un shooting photo avant de
nous rendre à cet endroit mystérieux qu’il a préparé pour
nous. Ce serait une surprise.
Nous arrivons enfin à destination à la tombée de nuit. Il est
19 heures lorsque Stephen gare sa voiture. Nous avons
tardé à la séance photo, car à défaut d’avoir des photos de
cérémonie de mariage, nous en avons fait dans diverses
tenues. Nos tenues de mariage civil, des tenues
traditionnelles et des tenues de soirée. On me faisait
changer de coiffure et de make-up à chaque fois. C’était si
génial que je ne voulais pas que ça finisse. Nous avons fait
des poses sensuelles et très complices. J’ai adoré. Mais je
suis maintenant épuisée.

— Où sommes-nous ? je demande à mon mari en


descendant de la voiture.
— À Assinie.
— Là où les stars viennent ? je demande, toute surprise.
— Oui !
— Oh mon Dieu ! J’ai toujours rêvé de venir ici. J’étais tout
le temps fascinée quand je voyais les stars publier leurs
photos sur Facebook.
— Je sais, sourit-il en sortant nos affaires du coffre. Nous
en avons pour une semaine ici.
— Vraiment ?
— Oui ! Viens !
Il me prend la main et me conduit à l’intérieur. Un employé
vient récupérer nos valises pendant que Stephen discute
brièvement avec la réceptionniste. Apparemment, il avait
déjà réservé la chambre. Je ne fais que regarder partout en
allant vers la chambre. Je vois même une célébrité du pays
qui discute au téléphone. Je souris.

— Tu verras presque toutes les stars du pays demain,


m’informe Stephen.
— Ah bon ? Comment ?
— Un riche du pays organise un grand concert près de la
plage et tout le monde est invité. Moi, ce n’est pas trop mon
truc, mais on y assistera si tu le désires.

Je souris de plus belle. J’ai hâte de voir toutes ces stars.


Nous arrivons à notre belle chambre qui a une vue sur la
mer. Il y a aussi une piscine et un jacuzzi à l’arrière. C’est
tellement beau à voir, surtout avec les lumières qui
entourent les lieux et le reflet des étoiles dans le ciel.
Stephen m’enlace par-derrière pendant que j’ai le regard
perdu dans l’espace.

— Je veux que tu te lâches, que tu t’éclates.


Il m’embrasse les cheveux.

— Tu es maintenant ma femme. Tu n’as donc plus le droit


ni de raison d’être triste ou d’être dans ta coquille.
D’ailleurs, pourquoi être triste quand on a épousé le plus
sexy des hommes ?

J’éclate de rire.

— Je ne te savais pas si prétentieux.


— Je vais cacher tous tes livres parce que tu commences à
utiliser de gros mots qui ne me plaisent pas.
— Carrément ! Essaie tu vas voir.
— Tu oses me défier ? s’étonne-t-il faussement en me
retournant. Tu me connais ? On verra si tu auras encore la
bouche quand je te ferai des choses ce soir.
— Ce soir, c’est plutôt moi qui vais te faire des choses que
tu n’imagines pas.

Il fronce les sourcils.

— Pourquoi ai-je l’impression que les démons de Zoé t’ont


possédée ?
— Parce que c’est le cas, dis-je en rigolant. Alors, après le
diner, je vais te montrer une autre facette de ma…
— Pourquoi attendre le diner ? Et maintenant ?
— On doit se reposer et… oh punaise !

Il m’a ramassée et jetée sur son épaule.

— Je veux voir ça maintenant. Allons prendre une douche


avant.

Il me donne une tape sur les fesses. Je suis morte de rire. Il


nous emmène à la salle de bains qui est très spacieuse. La
baignoire est pleine d’eau moussante et de pétales de rose.
Nous nous déshabillons et y glissons. Stephen, assis
derrière moi, pète le champagne non alcoolisé posé non loin
et nous sert dans des coupes. Je vis un véritable rêve. Tout
est parfait. Nous trinquons et buvons à notre union. N’étant
pas habituée à boire, je sirote un peu et pose la coupe. Je
sens la main de Stephen glisser sur ma poitrine, descendre
sur mon ventre et se poser sur ma fleur. Je frissonne. Il joue
avec le petit bouton qui me procure tant de plaisir. Je ferme
les yeux, ramène ma tête en arrière contre son torse et je
savoure ce moment de douce torture.
— Je veux t’entendre gémir, souffle-t-il à mon oreille avant
de la mordre.

Pas besoin de me le dire une deuxième fois. Les


gémissements traversent mes lèvres sans effort. Quand il
enfonce ses doigts en moi, je sursaute et m’accroche à la
baignoire.

— Stephen !!!
— Dis-moi, bébé.
— Ce n’est… pas… han… juste… hum !
— Tu auras le temps de me faire tout ce que tu veux. Pour
l’instant, laisse-moi te détendre.

Il accélère les mouvements de ses doigts en moi. Il les


accompagne par des suçons dans le cou. Je tape contre la
baignoire. Je finis par exploser dans un cri qui me surprend.
Je reste couchée sur lui pour reprendre mes esprits. Il
continue de parsemer mon cou de baisers. Je sens ses mains
reprendre des caresses sur ma poitrine.

— Ah non, ça suffit, dis-je en me dégageant. C’est moi qui


prends soin de toi maintenant. Après tu pourras faire tout
ce que tu veux. Rince-toi, apporte-moi ma petite valise et
va t’allonger dans le lit.
— À vos ordres, madame.

Je le reluque pendant qu’il se rince. Ce beau corps sexy


m’appartient. J’ai trop la chance. Il me rapporte ma valise
et sort de la salle de bains. Je vais me rincer à mon tour et
avant quoi que ce soit, je prends mon comprimé. J’enfile
ensuite la lingerie faite uniquement en fils, en string, de dos
et ouvert par devant. Je défais ma perruque et la laisse au
vent. Je mets un peu de parfum, je prends la boite de Nutella
plus un bandeau pour les yeux, des foulards et je sors.
Monsieur est allongé tout nu sur le lit, manipulant son
portable. Quand il lève les yeux sur moi, il siffle
d’admiration.

— Waouh ! Tu es… waouh !

Je rigole face à sa mine.

— Pose ton portable, monsieur, et allonge-toi bien dans le


lit.
Il s’exécute. Je pose en douce la boite de chocolat au sol
sans qu’il la voie et je le rejoins sur le lit.

— Je vais t’attacher les mains et te bander les yeux.


— Tu ne comptes pas me tuer, j’espère ?
— Si, mais d’une autre manière.

Il se laisse faire. Je descends récupérer la boite de chocolat.


Je ne perds pas le temps à lui badigeonner le buste avec
mon doigt.

— Que mets-tu sur moi ?

Je plonge mon doigt recouvert de chocolat dans sa bouche.

— Je croyais que tu n’aimais pas le chocolat ?


— Oui, mais ce soir je fais une exception.

Je pose le reste du pot près de nous et je commence à le


nettoyer tout doucement. Ça le fait sourire. Ce n’est pas si
mal que ça le chocolat. Mon manège l’amuse et lui procure
du plaisir en même temps. Je finis avec le haut, je m’attaque
au bas. Je lui tourne dos et commence à badigeonner son
petit soldat.
— Que veux-tu faire ?
— Chut !!!

Je lui en mets partout et assez. Je commence par son


nombril et je descends encore lentement plus bas. Il grogne
quand je commence à m’occuper du soldat.

— Merde ! Boya !

Je suis à la lettre les conseils de Zoé. Je nettoie


minutieusement mon objet de plaisir. Je m’arrête à chaque
fois que je le sens durcir deux fois plus.

— Je ne te croyais pas si douée, rit-il.

Je continue mon travail. Il se détend et m’encourage entre


ses grognements. Quand il est tout propre, je lui refais face
et je m’empale sur lui, mais pas totalement. Je me retire et
m’empale à nouveau. Quand je suis dans une posture
confortable, je retire le bandeau sur ses yeux.

— Tu es en train de me rendre fou, dit-il tout essoufflé.


— C’est le but.
Je me mets dans une position assise, les genoux relevés, je
monte et je descends dans un rythme lent, de quoi le rendre
encore plus fou. J’aime l’entendre gémir.

— Laisse-moi te toucher, me supplie-t-il.

Je souris et je commence à accélérer. Nous nous regardons


dans les yeux, ce qui m’émoustille encore plus. Je le
chevauche jusqu’à ce je le sente se vider en moi dans un
long râle. Je le suis la seconde d’après. Nous sommes tous
les deux à bout de souffle.

— Tu viens de me vider de toutes mes forces.


— J’ai donc réussi ma mission.

Je libère ses mains. Tout à coup, il bondit sur moi et me


renverse sous lui.

— Tu croyais que j’allais te laisser me torturer sans


répliquer ? À mon tour de jouer.

Il me retourne sur le ventre comme une crêpe et relève d’un


seul coup mon bassin, m’obligeant à me mettre à quatre
pattes. Il astique mon bouton de plaisir assez rapidement.
Je me perds dans mes gémissements. Il frotte sans cesse. Je
sens le plaisir monter de la plante de mes pieds à ma tête.
Stephen me pénètre par surprise, ramène ma tête en arrière
en tirant mes cheveux et il se donne pour mission de me
cogner jusqu’à me faire enchaîner orgasme sur orgasme. Je
crois que je n’aurais pas dû le provoquer. Je ne fais
visiblement pas le poids face à lui. Si je ne meurs pas de
plaisir ce soir, je sortirai avec des fractures partout.

***MARTINE

Enfin, nous arrivons chez la lanceuse de cauris. Je n’ai pas


compris l’averse qu’il y a eu le week-end dernier. Une pluie
non-stop qui s’est arrêtée d’un seul coup le lundi matin.
C’était à croire qu’elle avait pour but de m’empêcher de
venir voir cette femme. Après ça, ma collègue a eu
énormément de boulot cette semaine. Il a fallu qu’elle
invente un malaise ce vendredi matin pour qu’on vienne
voir la féticheuse.

Je suis vraiment surprise de remarquer que le lieu de


consultation se trouve dans un grand duplex en pleine ville
et non une cabane en pleine forêt comme je m’y attendais.
La maison est tellement belle qu’on ne se douterait pas
qu’elle appartient à une lanceuse de cauris. Le vigile nous
pose des questions sur les raisons de notre visite et il nous
conduit ensuite à l’étage, sur une terrasse. Une femme
physiquement imposante s’y tient, assise sur une natte, dans
un grand boubou et un foulard sur la tête. Elle manipule ses
cauris.

— Retirez vos chaussures et asseyez-vous, nous intime-t-


elle sans lever la tête.

Nous obéissons et la rejoignons sur la natte. Elle ramasse


tous ses cauris, les secoue dans sa paume et les verse devant
elle.

— Dites-moi ce que vous avez et ce que vous attendez de


mes génies.

Je regarde ma collègue qui me fait signe de parler.

— Mon… mon fiancé m’a quittée pour une autre. Pour ma


servante, après trois ans de relation et deux ans de vie
commune. Et…
— Il veut l’épouser, termine la diseuse de cauris en
retournant un cauris.
— C’est exact. Je veux récupérer mon homme et je veux
par la même occasion qu’il oublie l’autre. Non, qu’il la
haïsse de toute son âme. Je veux qu’il ne regarde plus
aucune autre femme et qu’il ne jure que par moi. Je veux
qu’il m’aime à la folie et m’épouse rapidement.
— Fhum ! fait-elle en regardant ses cauris.

Elle les manipule quelques secondes et me regarde.

— Es-tu prête à faire ce que les génies te diront ?


— Je suis prête à tout.

Elle prend un petit tube près d’elle.

— D’abord, tu mets ce parfum sur toi et tu t’arranges à le


rencontrer. Ce parfum va capter son esprit et il sera plus
réceptif à toi parce que je vois qu’il a coupé tout contact
avec toi.
— C’est ça.
— Ce parfum va t’aider à rétablir le contact. Son regard sur
toi va changer. Après, tu l’invites chez toi. Tu prends cette
poudre, tu dis tout ce que tu désires dessus et tu mélanges
dans sa nourriture ou sa boisson. Le même jour, si tu veux
tu vas coucher avec lui. Ça va faire renaitre ses sentiments
pour toi. Une fois que tout ceci sera fait et que votre relation
aura repris, tu vas faire à manger pour lui avec tes
menstrues.

Je fronce le visage de dégoût.

— Pourquoi mes menstrues ? Il n’y a pas autre chose ?

Ma collègue me donne un coup de coude.

— Je veux juste savoir parce que les menstrues c’est… sale.


— Ma chérie, c’est en fonction de ce que tu demandes que
les génies te prescrivent les choses. Tu ne peux pas vouloir
manger la viande de l’éléphant sans le tuer d’abord. Tu
veux que ton homme te mange dans la main et tu penses
que le sacrifice à faire sera facile ? S’il était déjà amoureux
de toi, les génies allaient te prescrire autre chose, mais je
vois qu’il n’y a même pas une goutte d’amour pour toi dans
son cœur. Si tu n’es pas prête, tu peux t’en aller. Je ne cours
pas après les clients.
— Hé, la reine mère ne te fâche pas s’il te plaît, intervient
ma collègue. C’est sa première fois de consulter. Elle va
faire. Hum ? termine-t-elle en me regardant.

Je ne fais que peser le pour et le contre. Faire manger mes


menstrues à Stephen ? Ce ne serait pas horrible de ma part ?

— Martine, tu veux laisser ton homme à cette gamine ? Moi


je l’ai fait et mon mari se porte bien. Ça n’affecte en rien sa
santé, si c’est ce qui te préoccupe. Tu veux retourner et
regarder Stephen épouser une autre ? Tu es prête à vivre
avec ça ?

Je suis perdue. Mais le fait de savoir que ça n’aurait aucun


impact sur la santé de Stephen me rassure un peu.

— Ok, je vais le faire. Expliquez-moi tout.

La femme me dévisage et reprend.

— Comme je disais, lorsque tu feras tes menstrues, mets à


chaque fois tes serviettes remplies de sang dans une
calebasse contenant un peu d’eau. C’est avec cette eau que
tu vas lui faire à manger. Tu ne dois pas en manger aussi.
Uniquement lui. Avec ça, cet homme ne pourra pas respirer
sans t’en demander la permission.

Elle me tend le parfum et la poudre que je récupère et je les


range dans mon sac.

— Merci ! Combien je vous dois ?


— Donne-moi trente mille cinq francs. Puis, quand vous
aurez passé la nuit ensemble, tu reviens remercier les génies
comme il se doit.

Je sors l’argent en y ajoutant la pièce de 5 FCFA. Ma


collègue m’avait déjà prévenue qu’elle exigeait toujours
cette pièce sur les montants. Nous nous en allons ensuite.
Ma collègue m’encourage durant le trajet retour. Même si
ça me fait étrange de procéder à de telles pratiques, je suis
déterminée à sauver mon couple.

Ça fait près d’une heure que je suis assise dans le restaurant


habituel de Stephen à attendre qu’il en franchisse la porte
pour aller à sa rencontre. Mais aucune trace de lui. J’attends
encore trente minutes et je décide de m’en aller. Je trouverai
une autre stratégie d’ici la fin de la journée. J’ose croire que
l’histoire de son mariage cette semaine est un mensonge.
N’empêche que je dois m’arranger à le voir ce soir et passer
la nuit avec lui. Je crois que je vais me rendre à son bureau.
La jeteuse de cauris dit qu’il devrait juste poser les yeux sur
moi et sentir le parfum mystique pour que ses sentiments
envers moi changent.

Je paie la note pour ma consommation de jus de fruits et je


sors. J’arrête un taxi, mais au moment d’y monter,
quelqu’un me saisit la main avec force. Je tourne la tête et
je vois une vieille dame.

— Renonce à ce que tu veux faire ou ton âme sera souillée


à tout jamais et tu n’auras plus aucune porte de sortie.
— Quoi ?

Elle plonge son regard dans le mien et je sens un vent


glacial me souffler.

— Pourquoi vouloir te condamner dans un mariage avec un


homme qui ne t’aimera jamais ? Réfléchis bien avant de
l’envouter. Ce sera un acte sans retour possible et la fin
risque de t’être fatale.
Elle me plante et marche en direction d’un homme qui
l’attend près d’une Range Rover. Mon cœur bat à toute
vitesse au point où je suis prise de peur. Mais comment sait-
elle ce que je veux faire ? Je cours à sa suite et la rattrape
avant qu’elle ne monte à l’arrière de la voiture.

— Maman, s’il vous plaît, attendez ! Je… Comment vous


savez tout ça ?
— Tu ne comprendrais pas. Tu es trop jeune et trop belle
pour gâcher ta vie ainsi. As-tu pensé aux répercussions ?
Lorsqu’on demande un service au diable, la dette est
toujours énorme.

Sans pouvoir me maîtriser, je me mets à pleurer.

— C’est le désespoir qui me pousse à faire ça. Sinon ce


n’est pas ma nature.

Elle me prend la main et je reçois cette fois une sorte de


décharge. Je me sens soudainement rassurée.

— Est-ce que vous pouvez m’accorder cinq minutes ? J’ai


besoin de parler à une personne neutre qui ne me jugera pas.
Elle sourit.

— Elijah, accorde-moi cinq minutes, s’il te plaît, s’adresse-


t-elle à l’homme derrière elle.
— C’est compris, maman.

Je l’invite à l’intérieur du restaurant où nous nous installons


à la table que j’occupais quelques minutes plus tôt. Je me
prends un petit verre de jus. La dame ne veut rien. Après
une gorgée de ma boisson, je lui fais le résumé de ma
relation avec Stephen et des derniers évènements
provoqués par moi. Son regard est plein de douceur durant
tout mon récit. Pas un seul instant son visage s’est déformé.

— Après tout ce que tu viens de me dire, pourquoi insistes-


tu pour maintenir cette relation ?
— Parce que je suis folle amoureuse de lui. Madame…
— Appelle-moi maman Aude (À retrouver dans
Kanègnon).
— Maman Aude, j’ai mis beaucoup d’espoir en cette
relation.
— Et c’est ce qui te donne le droit de vouloir lui faire du
tort et détruire ta vie par la même occasion ? Mon enfant,
quand Dieu te montre tous les signes négatifs chez un
homme avant le mariage, tu dois t’en aller. On ne se marie
pas avec des "il va changer". Ça ne marche pratiquement
jamais. Si pendant votre copinage ou vos fiançailles, tu
remarques que ton homme est un infidèle notoire, un
homme très violent, un homme qui te rabaisse tout le temps
devant les gens ou en privé, ou encore qui a des pratiques
sexuelles étranges, tu dois fuir cette relation. Les femmes
sont prêtes à sacrifier leur vie et leur dignité à cause d’une
bague. On ne se marie pas à un homme parce qu’on l’aime.
On se marie parce qu’en plus de l’amour, vous savez vous
rendre heureux malgré des épreuves ; vous savez vous
donner du respect mutuellement ; vous savez prendre soin
l’un de l’autre même dans la colère et que vous avez la
même vision de la vie. Cet homme n’est pas fait pour toi.
Non, il n’est pas méchant. C’est un homme bon, au
contraire. C’est plutôt toi qui as insisté à rester dans sa vie.
Et si tu veux tout savoir, tu aurais joué un grand rôle dans
sa vie si tu étais restée son amie parce qu’il n’en a pas
réellement.
— Ah bon ?
— Oui. Tu as vu un beau mec et tu l’as voulu. Sinon, ce ne
sont pas avec tous les hommes qui rentrent dans nos vies
que nous devons sortir. Dieu fait rentrer certains hommes
dans nos vies pour une mission bien précise et c’est ton cas
avec cet homme. Alors, accepte cette séparation et reprends
ta vie en main. L’amour frappera dans très peu à ta porte.
— Je ne sais plus si je pourrai de nouveau faire confiance à
un homme, dis-je la voix tremblante.
— Oh que si, sourit-elle ! Surtout avec cet homme qui
n’attend que toi pour te rendre heureuse.
— Quel homme ?
— Je ne sais pas qui c’est, mais je sens la présence d’un
homme au cœur pur et rempli d’amour pour toi. C’est lui
qui guérira ton cœur si tu lui donnes de la place. Je le dis
souvent aux femmes, pendant que tu pleures pour un
homme, un autre est là à te regarder, à t’aimer en silence et
à t’attendre pour faire de toi sa reine. Tant que tu seras
bloquée sur ton ex, tu ne verras pas cet homme qui t’est
destiné. Je sais que c’est dur, mais il le faut.

Je refoule mes larmes du mieux que je peux. Je remercie


maman Aude et je la raccompagne à sa voiture. J’arrête un
autre taxi pour rentrer chez moi. Je sors les potions
mystiques de mon sac à main et je les observe tout le long
du trajet. Les paroles de la vieille dame tournent en boucle
dans ma tête. Je me remets à pleurer. Je demande au
chauffeur de changer de destination. Je continue de pleurer
jusqu’à ce qu’on arrive devant l’immeuble où vit ma sœur.
Quand je descends du taxi, je jette les objets à la poubelle
et je monte. Je me souviens n’avoir pas sur moi le double
de sa clé. Je me laisse glisser sur sa porte jusqu’au sol. Là,
je pleure tout mon saoul. J’ai tellement mal de devoir
accepter de perdre Stephen. Mon portable ne fait que me
signaler un appel que je finis par prendre. C’est encore ma
collègue.

« — Allô, Martine ! Je viens d’apprendre que Stephen s’est


marié hier et il a pris une semaine de congé. Je préfère te
le dire moi-même avant que tu ne l’apprennes par
quelqu’un d’autre. Mais ce n’est pas un problème hein. Dès
qu’il revient, tu commences le plan. On construit maison
sur maison. Il peut divorcer de l’autre pour te marier donc
ne baisse pas… »

Je raccroche et j’éclate en sanglots. C’est fini, je l’ai perdu.


Non, je ne veux pas souiller mon âme en l’envoutant. Je ne
veux pas qu’il m’aime par la force d’un esprit. Je le voulais
entièrement. Mais je ne l’aurai plus. Je dois l’accepter
même si c’est douloureux.

Je sens quelqu’un s’arrêter devant moi. Je relève la tête et


je vois Hermann, la main tendue devant moi sans rien dire.
Sans hésiter, je pose ma main dans la sienne. Il me relève
et me prend dans ses bras où je continue de pleurer à
chaudes larmes. Il ne dit toujours rien. Il se contente de me
caresser le dos.

— J’ai tellement mal.


— Je sais. Vide-toi !

Comme s’il avait actionné un bouton, mes larmes se


mettent à couler à flots. Ça fait atrocement mal de dire
adieu à une relation pour laquelle on a tout donné. Ça fait
un mal de chien.
16

DEUX SEMAINES PLUS TARD

***MARTINE

Je n’ai plus goût à rien. Je ne ressens plus le besoin de sortir


de mon lit, de me faire belle, de prendre soin de moi.
Pourquoi ferais-je tout ça, d’ailleurs ? Pour qui le ferais-je ?
Ma vie n’a plus aucun sens. Jamais je ne m’étais sentie
aussi mal pour un homme. Qu’ai-je fait ? Où ai-je fauté ?
Qu’aurais-je dû faire que je n’ai pas fait ? Tant
d’interrogations qui me turlupinent. J’aimais tellement cet
homme, diantre ! Je ne me voyais pas faire ma vie avec
autre que lui. Il était mon essentiel. Peut-être que c’est de
là que vient mon erreur. J’ai trop mis mon espoir en lui.
Mais ça, c’est une erreur que je ne reprendrai plus. Plus
aucun homme n’aura mon cœur. Même si je dois avoir des
relations amoureuses à l’avenir, elles seront superficielles
pour moi. Je ne m’engagerai plus à cent pour cent. C’est
terminé tout ça. Je serai plus prudente.

— Martine, ça suffit, sors de ce lit.

Je rechigne et mets le drap sur ma tête. Sandra le tire et le


jette loin de moi.
— Ça fait deux semaines que tu es cloîtrée dans cette
chambre. La vie continue après Stephen. Il y a d’autres
hommes dehors, donc ne te tue pas pour celui-ci.
— Je ne veux plus avoir affaire aux hommes. Ce sont tous
des salauds, je lui réponds, les yeux fermés.
— Ah non ! Je suis désolée de te le dire, mais aucun homme
n’est à la base de ton chagrin. Tu te l’es causé toute seule.
Excuse-moi de te le dire, mais tu avais tous les signes que
Stephen n’était pas fait pour toi, pourtant tu t’es entêtée. Tu
as voulu toute seule supporter ses infidélités, sa violence,
son indifférence. Tu as dit que c’était parce qu’il avait vécu
un traumatisme. Mais même après qu’il se soit soigné, il est
resté indifférent vis-à-vis de toi. Jamais il ne t’appelait pour
exprimer son manque de toi, ni t’envoyais de messages
d’amour. Tu voyais tout ça et tu les lui excusais. Donc
chérie, tu es la seule coupable ici. Quand un homme
rencontre l’amour de sa vie, il devient un tout autre homme.
La preuve avec ton ex. Tu ne lui étais pas destinée. Tu
voulais à tout prix forcer le destin. Maintenant que tu as
assez pleuré, reprends-toi, fais-toi belle et vis ta vie.
— Tchrrrrr !!!
— C’est ton problème. Je te laisse dans ton trou. Quand tu
seras fatiguée, tu vas sortir.

Elle sort et claque la porte derrière elle. Je récupère mon


drap et me couvre à nouveau. Nadège revient dans ma
chambre.
— Tu as de la visite.
— C’est qui ?
— Viens voir toi-même.

Elle sort et claque encore la porte. Elle est décidée à me


faire chier aujourd’hui. Je sors avec nonchalance du lit,
vêtue de mon pyjama et les cheveux négligés. C’est
Hermann que je trouve assis au salon.

— Bonjour ! lui dis-je avec paresse.

Il se lève en me voyant.

— Salut ! Comment vas-tu ? Ça fait deux semaines que je


ne t’ai pas vu mettre les pieds dehors.
— Je vais bien, merci.
— J’ai préparé une nouvelle recette. Des lasagnes. Et j’ai
besoin de l’avis d’une spécialiste.
— Merci, mais je me sens fatiguée.

Il me regarde de haut en bas et remonte.

— Tu as pourtant passé la moitié de la journée au lit.


— Oui et je suis toujours fatiguée, dis-je un peu sur la
défensive.
— Ok. Au fait euh, ma famille veut m’organiser un
anniversaire " surprise ". Ça te dirait de m’accompagner ?
Ça se passera chez mes parents à Angré. Ça m’éviterait
aussi d’entendre un autre sermon de ma mère sur le fait que
je devrais me marier et fonder une famille.
— Écoute, je te remercie pour toutes ces invitations, mais
sincèrement, je n’ai pas la tête pour toutes ces choses. Je
veux juste rester sous mes draps.
— Tu ne dois pas te maltraiter ainsi.
— De quel droit ma sœur et toi vous permettez-vous de me
dicter ma conduite ? Ce n’est pas vous qui avez été trahi.
— On essaie juste de t’aider à surmonter cette mauvaise
passe.
— Mais je ne vous ai rien demandé. Laissez-moi vivre mon
chagrin comme je l’entends. Je suis une grande fille et je
sais ce que je fais. Ne m’emmerdez plus.

Il me fixe un moment de façon étrange.

— Comme tu veux, finit-il par dire.

Il tourne le dos puis, après quelques pas vers la porte, il


revient vers moi.

— Non, ce n’est pas juste, dit-il. Tu n’as pas le droit de


traiter ainsi les personnes qui t’aiment pour de vrai quand
tu as passé tout ton temps à donner de la valeur à ceux qui
n’en avaient rien à cirer de toi. Ce n’est surtout pas juste
que tu te traites de la sorte. Oui, tu as mal et tu as le droit
de faire ton " deuil ". Mais tu ne dois surtout pas laisser cet
homme te mettre plus bas que terre. Regarde-toi, tu n’es
plus que l’ombre de toi-même. Tu as perdu de ta superbe.
Tu n’es plus cette belle jeune dame qui a fait chavirer mon
cœur dès le premier regard.

J’ouvre plus grand les yeux.

— Tu n’es plus cette femme joyeuse dont je suis amoureux.


Tu te laisses mourir pour un homme qui a refait sa vie alors
qu’il y a un autre homme qui ne rêve que de faire sa vie
avec toi.

Il fait deux pas vers moi.

— Moi, je suis fou amoureux de toi et je suis prêt à faire


n’importe quoi pour te rendre heureuse sans que tu aies à
me courir après. Estime-toi heureuse de n’avoir pas été
abandonnée parce que tu serais le problème. Moi, j’ai été
plus d’une fois trahi à cause de mon handicap. Toi, des
milliers d’hommes tomberont amoureux de toi parce que tu
as tout de la femme parfaite. Mais moi, aucune femme ne
voudra d’un handicapé comme mari. Ça ne fait même pas
partie des critères de sélection. Tu as encore la possibilité
de trouver le grand amour. Quant à moi, je suis condamné
à être un sous-homme à cause de ça.

Il se baisse et fait remonter le bas de son pantalon. Je suis


sidérée de voir qu’il porte une prothèse.
— J’ai la jambe amputée et à cause de ça, j’ai du mal à
trouver l’amour. Alors oui, ton cas est meilleur. Oui, il y a
pire que ce que tu as vécu, donc ressaisis-toi. Fais-toi belle
et va croquer la vie. C’est tout ce qu’on te demande. Tu n’as
que trente ans, bon sang ! Maintenant, si tu veux rester ainsi
telle une momie, libre à toi. Je ne te dérangerai plus.

Il me tourne le dos et il part pour de bon cette fois. Ses


propos m’ont transpercée, surtout lorsqu’il parlait de sa
situation. Je ne savais même pas qu’il portait une prothèse
de jambe. Il est tout le temps en pantalon et jean. C’était
donc par complexe. Ce n’est pas juste qu’il vive ça. J’oublie
l’espace d’un instant mon chagrin et je pense à lui. Ça n’a
pas dû être facile pour lui de se faire rejeter. Je comprends
pourquoi il est si réservé.

La sonnerie de mon portable depuis la chambre me fait


sortir de ma rêverie. Je cours le récupérer. Je reconnais le
numéro de notre Directeur des Ressources humaines.

— Allô, monsieur !
« — Le patron me charge de t’informer que tu peux
reprendre le travail dès demain. Stephen aurait plaidé en
ta faveur. »
— C’est noté, monsieur. Merci beaucoup.

Enfin une bonne nouvelle. Je suis un peu surprise que


Stephen ait fait ça pour moi, vu les saloperies que je lui ai
faites. Nous ne nous sommes plus revus depuis l’épisode
du commissariat. Même quand je suis allée récupérer mes
affaires. Je lui ai juste envoyé un message pour l’en
informer après que je sois partie de là. Le lendemain il m’a
fait parvenir mes ustensiles de cuisine et les couverts avec
un message disant qu’ils me revenaient tous parce que
c’était moi qui les avais achetés. En effet, Stephen n’avait
pas grand-chose dans sa cuisine quand je l’ai connu. C’est
après que je me sois installée chez lui que j’ai équipé la
cuisine de pratiquement tout, autant avec mon argent
qu’avec le sien. Au moins je ne sors pas bredouille de cette
relation.

***HERMANN

« SURPRISE !!! »

Je savais bien qu’on me préparait un anniversaire


" surprise ". Ma mère ne sait pas mentir, encore moins me
cacher des choses. Elle n’est pas douée pour ça. Elle se
doute bien que j’avais déjà vu clair dans son jeu. Je souffle
le gâteau qu’elle place sous mon nez. Elle le donne ensuite
à ma sœur et me serre fortement dans ses bras.

— Joyeux anniversaire, mon gros bébé. Que le Seigneur


déverse la grâce du mariage sur toi.
— Amen, maman, dis-je en riant.
— Et aussi la grâce de l’enfantement. Je veux laver mes
petits-enfants oohhh.

Je me contente de sourire. Ma sœur, me voyant en danger,


vient me délivrer.

— Je veux aussi enlacer mon frère, dit-elle en écartant notre


mère. Joyeux anniversaire, chenapan.
— Merci, petite sorcière.

Je la serre fort contre moi. J’adore ma petite sœur. Plus


jeunes, nous étions tels des ennemis, toujours à nous
chamailler. Mais aujourd’hui, avec l’âge, nous sommes
devenus plus matures et beaucoup plus proches. Je vais
saluer les gars qui font également partie de la fête comme
chaque année. Eux, ce sont mes potes depuis l’enfance.
Nous vivions dans le même quartier, de ce fait, nous allions
dans la même école. J’étais dans la même classe qu’Alfred
et les deux autres étaient ensemble dans une autre classe.
Nous avions noué une amitié très solide, si bien qu’après le
déménagement de chacun de nous, nous sommes restés en
contact. Nous nous sommes retrouvés dans la même
université. Nous nous faisions remarquer partout où nous
passions. Tous aussi beaux et stylés les uns que les autres,
nous ne passions jamais inaperçus. Tout le monde voulait
se lier d’amitié avec notre bande et toutes les filles
voulaient coucher avec nous. Nous vivions dans
l’insouciance totale et c’est cette insouciance qui m’a coûté
ma jambe. Nous revenions d’une virée nocturne en boîte de
nuit. Nous étions tous saouls, mais ça ne nous a pas
empêchés de prendre le volant. Richard était au volant et
nous bavardions à tue-tête au point de n’avoir pas remarqué
le véhicule devant nous. Je préfère oublier l’état dans lequel
nous étions. Nous avions tous eu des graves séquelles
comme le coma pour certains et la paralysie pour d’autres,
mais je suis le seul à être sorti avec une jambe en moins.
J’ai été amputé juste au-dessus du genou. Ce détail a fait
vivre mes amis dans la culpabilité durant des années,
encore plus quand ils me voyaient déprimer et me faire
rejeter ou ridiculiser par certaines personnes, surtout par les
filles. Certains en me voyant avec ma béquille me prenaient
pour un mendiant. J’étais tout le temps dévisagé. J’ai décidé
de me renfermer et de ne garder que mes potes et ma famille
dans ma vie. Je pouvais me passer de l’amour.

Alors que je croyais avoir échappé à ma mère, elle vient me


tirer des bras de mes potes et elle me conduit dans un
endroit isolé du salon.

— Je croyais que pour ton 31e anniversaire, tu viendrais


enfin avec une fille pour me la présenter.
— Maman, je t’ai déjà dit d’oublier ça. Je ne veux pas me
stresser à chercher une femme qui m’acceptera avec mon
handicap. Quand ce sera le moment, celle qui me sera
destinée viendra. Je ne veux vraiment pas me prendre la tête
avec ça.
— Chéri, ne perds pas espoir, s’il te plaît ! Tu es un homme
normal et tu mérites de vivre une vraie histoire d’amour.
— Laissons donc les choses se faire.

Elle me gratifie d’un sourire compatissant. Je vois Alfred


sortir rapidement avec son portable collé à l’oreille. Celui-
là doit être encore en train de donner rendez-vous à une
fille.

— C’est dommage que ton père ne soit plus là.


— Pas de sujet triste, maman.
— Oui, c’est vrai. Toutes mes excuses.
— On passe quand à table ?
— Dans…

— Bonsoir !

Je me retourne vivement au son de cette voix. Martine se


tient au milieu du salon, toute belle dans sa robe et ses
cheveux au vent, tenant un paquet cadeau en main. Je
marche vers elle sans cacher ma surprise.

— Que fais-tu là ? Et comment as-tu trouvé la maison ?


— Alfred m’a donné un coup de main. Je suis venu célébrer
l’anniversaire de mon ami.
Nous échangeons un sourire pendant que mon regard se
balade dans le sien. Mon cœur ne cesse de s’emballer
devant cette beauté.

— Tu me la présentes ? dit ma mère en me bousculant.


— Maman, c’est Martine, ma voisine de palier. Martine,
ma mère.
— Enchantée, Madame.

Ma mère surprend Martine en la prenant dans ses bras.

— Je suis très ravie de te rencontrer, ma fille. On passait


justement à table. Viens que je t’installe.

Elle tire Martine sans lui laisser en placer une. Je savais que
cette femme se ferait des films.

— Tu es dans de beaux draps.

Je tourne la tête vers Richard et les autres qui se foutent de


ma gueule. Je lève les yeux au ciel. Nous rejoignons ma
mère et Martine près de qui ma mère m’installe. Tout le
diner, ma mère oublie carrément mon existence et ne
papote qu’avec Martine à qui elle pose toutes les questions
qui lui passent par la tête.

— Maman, tu vas faire regretter à mon invitée d’être venue.


— Ah, je veux mieux la connaitre. Qui sait de quoi demain
sera fait.

Finalement, je n’aurais pas dû inviter Martine. En voulant


éviter un autre discours sur le mariage, je n’ai fait que
donner de l’espoir à ma mère. Ma mère fait table rase et
laisse mon invitée tranquille. La petite fête ne tarde pas à
prendre fin. Mes potes et ma sœur me trimbalent dans une
boîte de nuit. Martine est également partante. Nous nous y
rendons et tout de suite une bouteille de champagne est
pétée. Ma sœur célèbre mon anniversaire plus que moi-
même. Tout le monde semble s’amuser. Alfred met Martine
dans le bain et elle se laisse aller. Je souris, rien qu’en la
regardant sourire. Ça fait un bail que je n’avais pas vu ce
sourire que sa brèche rendait deux fois plus magnifique sur
son visage. Elle est tellement belle, avec son teint d’ébène
et sa silhouette si parfaite que j’ai adoré découvrir sans ses
vêtements.

Au bout de quelques minutes, je ressens le besoin d’aller


prendre un peu d’air. Je m’excuse donc auprès de mes amis
et je sors m’installer sur la terrasse du bar où sont installés
des petits fauteuils et des tables. Je reste là à regarder
l’animation de la ville. Les voitures défiler, les gens se
balader et rigoler. J’aime voir les gens être heureux, profiter
de leur vie, sainement surtout. J’ai failli y passer, il y a des
années en arrière et je peux dire que c’est horrible de devoir
mourir alors qu’on n’a encore rien accompli dans sa vie.
Raison pour laquelle j’ai voulu me stabiliser à tous les
niveaux. J’ai réussi à le faire dans plusieurs domaines de
ma vie, tel le côté professionnel par exemple. J’ai un bon
boulot, un bon poste avec un salaire conséquent. J’ai
également réussi à vivre avec mon handicap. Le seul hic se
trouve au niveau de ma vie sentimentale. Les déceptions
vécues du fait de ce handicap m’ont laissé une blessure
dans le cœur au point où j’ai renoncé une fois pour toutes à
l’amour. Je refuse de me faire rejeter de nouveau. Je refuse
de surprendre un regard dédaigneux de celle que j’aime sur
ma personne à cause de ma jambe en moins. Ou même un
regard de pitié. Je refuse que cette blessure intérieure
s’agrandisse.

— Que fais-tu tout seul ici ?

La voix de Martine me sort de ma rêverie. Nous échangeons


un sourire et elle prend place en face de moi.

— J’avais besoin de souffler un peu. Je ne t’ai pas remercié


d’avoir répondu à mon invitation.
— Tu n’as pas à le faire. Je ne regrette pas d’être venue. Je
voulais également m’excuser pour la dernière fois. Je ne…
— Non, arrête ! Laissons ça derrière nous. Tu es en beauté
ce soir.
— Merci, sourit-elle. J’ai repris le boulot et ça m’aide à me
changer les idées.
— Tu sais que ma proposition de te déposer au travail les
matins et te récupérer à la descente tient toujours ?
— Tu veux vraiment faire ça ?
— Avec énormément de plaisir.
— Ok, ça marche.

Elle me gratifie encore de son magnifique sourire qui ne me


laisse pas insensible.

— Au fait euh, je n’ai jamais su que tu portais une prothèse.


J’ai toujours cru que tu avais juste une malformation à la
jambe. Que t’est-il arrivé ? Enfin, si ce n’est pas indiscret.
— Accident de voiture avec les gars. Nous avons tous raté
la mort.
— Oups ! Je suis désolée. Au final, tu es le seul à avoir
gardé une séquelle.
— Pas vraiment. Bon, la séquelle la plus visible c’est la
mienne. Mais chacun a gardé un petit bobo tout de même.
— Sans vouloir réveiller des souvenirs douloureux, tu as
parlé du fait que des femmes t’avaient repoussé…
— Pas repoussé, mais méprisé. Déjà, ma petite amie dans
le temps m’avait largué après qu’on m’ait amputé la jambe.
J’ai mis une pause sur les relations amoureuses pour
m’adapter à ma nouvelle vie d’handicapé. Après deux ans,
je me suis remis sur le marché dans le but de me caser. Mais
un jour, j’ai surpris ma petite-amie dire à ses amies au
téléphone qu’elle avait la nausée à chaque fois qu’elle
voyait ma jambe coupée. Je n’avais pas encore de prothèse
à cette époque. Elle a dit qu’elle avait surtout envie de
vomir quand cette petite jambe la touchait pendant nos
rapports.
— Vraiment ? s’exclame-t-elle sous le choc.
— Je t’assure. Elle a ensuite dit qu’elle supportait toutes
ces "conneries" uniquement parce que j’étais un bon parti
et qu’aucun homme n’avait jamais autant bien pris soin
d’elle dans le passé. Ce jour-là, quelque chose s’est brisé en
moi. Un gros complexe a surtout germé en moi. Je refusais
que quelqu’un entre dans mon intimité bien que je veuille
fonder une famille. J’avais peur de revivre ce genre de
mépris alors je me suis renfermé et j’évite de faire voir mon
handicap à qui que ce soit.
— C’est pour cela tu ne portes jamais de culotte.
— Oui. Je me sens minable au fait.
— Oh non, ne dis pas ça, dit-elle en venant s’asseoir à la
place près de moi. Tu n’es pas minable. Au contraire, tu es
un homme tellement génial qu’on voudrait éternellement
rester en ta compagnie.
— Pourtant tu n’as fait que me repousser. Surtout depuis ce
qu’il y a eu entre nous.

Elle baisse les yeux.

— Tu es la première femme à avoir touché mon cœur


depuis que j’ai renoncé à l’amour. Et je peux dire que ça
fait près de dix ans. Tu m’as redonné envie de croire de
nouveau à l’amour.
— Hermann, je… je ne me sens plus prête pour ça. Plus
après ce que j’ai vécu. Je ne pense pas pouvoir de nouveau
faire confiance à un homme, encore moins lui confier mon
cœur.
— Je ne te demande pas de tomber amoureuse de moi
maintenant, je réponds en lui prenant la main. Je veux juste
que tu te laisses aller, que tu me laisses te prouver que tous
les hommes ne sont pas comme ton ex. Je veux
qu’ensemble nous guérissions de nos blessures. Restons
amis, mais le genre d’amis qui peuvent terminer ensemble.
— Je ne te promets rien, mais j’accepte tout de même.
— Merci !

Je lui pose un baiser sur la main. Nous retournons à


l’intérieur pour terminer la soirée avec les autres. Martine
me tire sur la piste de danse malgré mon refus. Elle ne me
laisse pas le temps de retourner m’asseoir qu’elle se met à
danser contre moi. Pris dans un fou rire, je finis par céder.

***TANTE ODETTE

— Natacha ! Natacha !

Je regarde ma nièce qui a le regard perdu dans le vide.

— NATACHA !!!
— Hein, maman ? sursaute-t-elle.
— Tu as quel problème ces jours-ci et puis tu es toujours
perdue dans tes pensées ?
— Il n’y a rien, maman. Tu disais quoi ?
— Devance-moi à la maison pour commencer à préparer la
nourriture du soir. Tu dois aussi enlever le linge sur la corde
et les plier.
— D’accord, maman.

Je lui donne une cuvette contenant des ingrédients pour la


cuisine. Je dois reconnaître que la présence de ma nièce
m’est vraiment bénéfique. Elle me soulage de certaines
tâches. Je peux aussi avoir suffisamment d’heures de repos
pour récupérer des forces. Ça fait trois mois qu’elle est là
et je suis satisfaite de son service à mes côtés. Mais, j’ai
remarqué depuis le début de ce mois que son humeur a
changé. Cette petite qui riait tout de temps et qui
m’exprimait son bonheur d’être à Abidjan est maintenant
devenue très calme. Je dirais, triste. Quand je lui demande,
elle me dit qu’elle n’a rien. Sans doute que ses parents lui
manquent. Elle ne s’était jamais séparée d’eux avant. Ce
doit être ça. Je vais en discuter avec elle.

Je la rejoins à la maison après avoir rangé les affaires au


marché. Je rentre toujours à la maison avec mes
marchandises et je reviens avec les matins. Je trouve
Natacha assise au sol dans la cuisine, la main sur la joue et
l’esprit ailleurs comme une personne malheureuse. Je
prends un tabouret et je m’assieds près d’elle. Elle revient
à elle en entendant le bruit que je fais en m’asseyant.

— Natacha, tu as quel problème ?


— Je n’ai rien, maman.
— Mais pourquoi tu fais comme si tu étais malheureuse ?
Je te maltraite ? Je te fatigue ?
— Hé non, maman. Tu es très gentille.
— Mais il y a quoi ? Ou bien ce sont tes parents qui te
manquent ? Tu veux partir les voir au village et puis revenir
ou bien rester là-bas ?

Elle baisse la tête.

— Tu ne veux plus rester ici ?


— Si ! répond-elle faiblement.
— S’il y a un problème dis-moi on va régler.
— Il… il n’y a rien.
— Bon, quand tu seras prête à parler, tu me fais signe. Je
m’en vais me laver. Je reviens.

Après ma douche, je reviens terminer le diner. Mon mari


entre temps rentre du travail et s’enferme dans la chambre.
Lorsque tout est prêt, je vais le prévenir qu’on va passer à
table. Mais lorsque j’approche de la chambre, je surprends
une conversation qui me fait tiquer.
— Je t’ai déjà dit ce que je veux. Tu me le donnes et je te
donne quatorze en moyenne générale. Je suis le professeur
principal et je peux faire ce que je veux… Il fallait étudier
dans ce cas et puis ne te joue pas les vierges. Je sais que tu
sors avec le chef de classe. Tout ce que tu as à faire, c’est
de me faire passer un bon temps dans un hôtel et tu auras
tout ce que tu veux… Bon, j’en ai marre de me répéter.
Quand tu seras prête à baisser ton caleçon, fais-moi signe.
Dans le cas contraire, apprête-toi à redoubler la classe de
première.

Je n’en reviens pas de ce que j’ai entendu. Je rentre en


fracas.

— Jules, donc c’est ce que tu fais ?


— Il y a quoi ? sursaute-t-il.
— Tu obliges tes élèves à coucher avec toi pour augmenter
leurs moyennes ?
— Arrête de raconter des bêtises, lance-t-il troublé.
— Je t’ai bien entendu. Jules, tu as fini de coucher avec
toutes les filles là dehors et maintenant tu obliges les petites
filles ? Pourquoi tu veux goûter à tous les péchés ?
— Arrête de crier dans mes oreilles.
— Si la police vient te chercher, même "A", je ne vais pas
dire. Tu vas aller croupir en prison. Est-ce que tu te protèges
d’abord ? C’est le SIDA que tu veux me ramener ? Je crois
que je vais exiger le préservatif.
— À qui ? Moi ton mari ? Dans ma maison ?
— Oui ! Je ne vais pas te laisser gâcher ma vie. J’ai accepté
de subir tes infidélités parce que je n’ai pas le choix, mais
je ne vais pas subir avec toi les conséquences de cette
mauvaise vie-là. Donc si tu ne portes pas de préservatif, tu
ne me touches plus. De toutes les façons, tu me trompes
déjà donc cette décision ne va rien créer si ce n’est me
protéger moi-même. Si tu n’arrêtes pas ce que tu fais avec
les petites filles, je vais aller te dénoncer chez tes
supérieurs.
— Mtchrrr ! Comme si tu peux. Regarde, quitte devant moi
je vais passer. J’ai faim.

Il me pousse et sort de la chambre. Cet homme m’a coupé


l’appétit. Je sors donner des instructions à Natacha et je vais
me coucher. Si ce n’est pas parce que la vie ne me donne
pas d’autres choix, qu’est-ce que je fous dans ce mariage ?
La seule bonne chose que j’ai eue, ce sont mes enfants. Je
suis condamnée dans ce mariage sans bonheur.

Ma vessie pleine me réveille au milieu de la nuit. Je


remarque l’absence de Jules dans le lit. Je vais dans la
douche sans l’y trouver. Je me soulage et je sors de la
chambre, à la recherche de mon mari. Je tombe sur lui non
loin de la chambre de Natacha. Il sursaute en me voyant.

— Tu es quitté où ?
— Je… j’ai entendu du bruit donc je suis allé voir. Ce sont
des souris. Allons dormir.
Je ne sais pas pourquoi, mais je ne crois pas en cette histoire
de souris. Je le suis tout de même dans la chambre.

*Mona
*LYS

Je regarde encore l’heure sur mon portable et je me


demande ce que Natacha fait encore à la maison. Je lui ai
pourtant bien dit de me rejoindre vite au marché pour que
je puisse aller faire le ravitaillement à Adjamé. Ma
marchandise est arrivée et je dois aller la chercher. Je me
suis préparé très tôt ce matin, mais Natacha tardait dans la
douche. Je l’ai donc devancée pour venir placer les
légumes, le temps qu’elle finisse de se préparer. Mais là, ça
fait plus de deux heures que je l’attends. Elle n’a pas non
plus de portable pour que je puisse l’appeler. Je finis par
confier ma marchandise à ma voisine de table et je retourne
à la maison.

Dès que je franchis la porte de la maison, j’entends des cris.

— Sauvez-moi oohhh !!! Mon ventre oohhh !!!

Je cours à l’intérieur en reconnaissant la voix de Natacha.


C’est sur une scène horrible que je tombe. Natacha se tord
de douleur au sol et elle saigne abondamment.
— JÉSUS CHRIST !!! NATACHA !!!
— Maman, je vais mourir oohhh !!! pleure-t-elle.

Je suis toute paniquée. Je ne sais pas si je dois la soulever,


lui poser des questions pour savoir quoi faire. Finalement,
je cours dehors, arrêter un taxi et je reviens la chercher pour
la conduire à l’hôpital. Elle perd connaissance avant que
nous n’arrivions.

Après plusieurs minutes à attendre, le docteur vient vers


moi.

— Madame votre fille a perdu beaucoup de sang. Nous


allons lui faire une transfusion sanguine. Nous allons
commencer avec deux poches de sang pour voir.
— D’accord. Je vais payer. Mais elle a eu quoi ?
— Un avortement qui a mal tourné.
— Avorte… quoi ? fais-je presque en hurlant. Comment
ça ? Elle n’a que seize ans.
— C’est ce que les examens ont montré. Vous pouvez aller
la voir le temps qu’on lui ramène les poches de sang.

Je me presse même d’aller la voir. J’ai appelé mon mari qui


n’a pas décroché. Je lui ai écrit un message. J’aurais besoin
d’argent parce que tout ce que j’avais sur moi est presque
fini dans les soins de Natacha. Je regarde cette dernière qui
garde la tête baissée.
— Natacha, tu étais enceinte ?

Elle ne répond pas.

— Natacha, je t’ai ramenée du village et c’est avec ce gros


problème tu me remercies ?

Elle se met à pleurer.

— À quel moment tu t’es fait enceinter ? Tu ne sortais


jamais de la maison. Nous étions tout le temps ensemble au
marché comme à la maison, donc explique-moi comment.

Elle continue de pleurer.

— Natacha, je te parle. Qui t’a enceintée et t’a fait avorter ?

Elle ne répond pas.

— Si tu ne me réponds pas, je vais dire au docteur de te


laisser mourir. Tu veux mourir ?
— Non, maman. Ne fais pas ça.
— Donc, parle !
— C’est… c’est… c’est…
— C’EST QUI ???
— C’est papa.
— Quel papa ?
— Ton… mari.
— Tu dis quoi ? Tu couchais avec mon mari ?
— Non, maman. Il… me forçait chaque soir. Je ne… je ne
voulais pas, mais… il m’a forcée et… et il a dit que… si je
refusais, il allait dire à la police que je vole et ils vont me
mettre en prison.
— Seigneur !

Je pose mes deux bras sur ma tête. Tout mon corps est pris
de tremblement.

— Je suis tombée enceinte et… il m’a envoyé quelque


chose dans une bouteille pour boire. C’est quand j’ai bu…
que j’ai eu mal au ventre.
— Seigneur Jésus !

Je m’attrape la tête. Mon Dieu ! Dans quoi mon mari m’a-


t-il mise ?
17

***TANTE ODETTE

— Jules !!! Jules !!! Juuules !!!


— Tu cries mon nom comme ça pourquoi ? se plaint-il en
sortant de la chambre alors que je m’apprêtais à y entrer.
— Qu’est-ce que tu as fait ?
— Tu parles de quoi ?
— Tu n’as pas reçu mon message et vu mes appels ?
— J’ai vu tes appels, mais pas de message. Tu as quel
souci ?

Il retourne dans la chambre en se plaignant. Je le suis.

— Tu as fait avorter Natacha après l’avoir mise enceinte ?

Il se retourne dans un sursaut.

— C’est elle qui t’a raconté un tel mensonge ? Ces petites


filles ont quel souci à m’accuser ?
— Natacha est hospitalisée après avoir perdu beaucoup de
sang suite à la prise de la bêtise que tu lui as donnée. ELLE
A FAILLI MOURIR.
— Quoi ? Comment ça ? fait-il tout apeuré. La femme qui
m’a vendu le médicament m’a dit que c’était sans effet
néfaste.
— DONC C’EST VRAI ??? Mon Dieu ! Tu as donc
vraiment violé cette petite ?
— Chut !!! Arrête de hurler. Les voisins pourraient
t’entendre.
— Jules, pourquoi tu as fait ça ? je demande en pleurant.
Tes maîtresses dehors ne te satisfont plus ? Pourquoi violer
une petite de seize ans ? Jules ! Eh Jésus !
— Je te demande pardon, ma femme. Je ne sais pas ce qui
m’a pris. Je jure que c’est un démon qui m’a possédé.
— Donc Boya disait la vérité. Jules, tu viens de détruire la
vie de ma nièce. Je vais dire quoi à ses parents maintenant ?
— Pardon, ne leur dis rien. On va la soigner et elle se
rétablira. On va lui remettre de l’argent pour qu’elle se
taise. Ma femme, pardon, ne dis rien à personne. On va
gérer ça entre nous. Je ne vais plus recommencer. Je le jure.

Il essaie de m’attraper les mains, mais je le tape.

— Tu me dégoûtes. La semaine passée je t’ai surpris en


train de forcer la main à une de tes élèves pour qu’elle
couche avec toi et aujourd’hui, je découvre que tu es un
violeur. Tu mérites d’aller en prison.
— Ne dis pas ça, ma femme. Tu dois me couvrir pour
sauver mon honneur. Je suis ton mari.
— Je réfléchirai à ton cas quand je vais finir avec Natacha.
Mais crois-moi, tu mérites une correction sévère. Tu fais
honte à toute la famille. Donne-moi de l’argent pour les
soins de la petite. Tout mon fonds de commerce est fini.

Il court fouiller dans son tiroir et me tend 50 000 FCFA. Je


change mes habits tachés de sang et je retourne à l’hôpital.
Dès que j’arrive, une infirmière s’approche de moi.

— Madame, ça fait un moment qu’on vous cherche. Vous


devez emmener votre fille dans un CHU parce que son cas
devient grave. Elle perd encore du sang. On ne peut plus
rien faire.
— Quoi ? Hééé, c’est encore quoi ça ? On va faire ça
comment ?
— Vous allez devoir prendre un taxi parce que nous
n’avons pas d’ambulance.
— Hé, Jésus ! Je reviens.

Je cours chercher un taxi et je reviens chercher Natacha.


Les infirmières m’aident à l’installer et me donnent son
dossier avant de nous en aller. Natacha est couchée sur mes
pieds, inconsciente. Je regarde cette petite et j’ai tellement
mal. Comment mon mari a-t-il pu faire une chose pareille ?
Nous arrivons au CHU de Cocody. Elle est vite prise en
charge. Je patiente dans le couloir avec la peur au ventre.
Je prie qu’elle s’en sorte. Je ne vais pas supporter de la
perdre dans ces circonstances. On m’envoie une
ordonnance et on m’informe que je dois encore payer des
poches de sang. L’argent que j’avais sur moi disparait à la
seconde. J’espère qu’après ça, ils ne me demanderont plus
rien parce que je suis fauchée. Le pire c’est que pour le
moment je ne peux appeler personne en renfort au risque de
dévoiler ce qui s’est passé. Je ne sais pas quoi faire de cette
situation. Je n’ai pas les idées claires. Dois-je dénoncer mon
mari à la famille ou le couvrir ? Jules m’a mise dans une
situation complexe. Je suis obligée d’informer les parents
de Natacha de son état et ils voudront forcément en
connaitre la cause.

Jules m’appelle, mais je ne décroche pas. Je n’ai pas envie


de lui parler. Il m’énerve à un point que je ne peux
expliquer. Après plus d’une heure d’attente, le docteur
demande à me parler dans son bureau. Je commence à
penser au pire. Je prie pour qu’il ne m’annonce pas de
décès. Nous nous installons dans son bureau.

— Docteur, comment va-t-elle ? Le sang s’est arrêté ?


— Oui, nous avons pu la stabiliser. Mais il y a eu des
dégâts. De très graves. Mais avant tout, j’aimerais que vous
m’expliquiez ce qui s’est passé exactement.
— Je… je suis rentrée à la maison et je l’ai vue se tordre de
douleur en perdant du sang.
— Est-ce que vous savez dans quelle circonstance elle est
tombée enceinte ?
— Non ! je réponds doucement.
— À voir l’état de sa vulve et selon ce qu’elle nous a dit
avant de perdre connaissance, elle a été violée et ce serait
son violeur qui lui aurait remis le liquide toxique à boire.
— Je… je, je, je ne savais pas.
— J’ai eu l’impression que c’est quelqu’un de proche, vu
son hésitation à me révéler son identité.

Mon Dieu ! Qu’est-ce que je fais ? Est-ce que je dénonce


mon mari ? Est-ce que j’en parle d’abord à la famille pour
qu’on règle ça à l’amiable ?

— Lorsqu’elle se réveillera, vous devez parler avec elle


pour qu’elle vous révèle l’identité de la personne afin de
porter plainte parce que cette personne ne l’a pas seulement
violée, il l’a fait plusieurs fois, il l’a aussi obligée à avorter
et cet acte lui a causé une desquamation de la paroi utérine.
En français simple, ça a endommagé l’utérus de cette petite
fille.

Je m’attrape la tête et je pleure à chaudes larmes.

— Si vous voulez, je vais vous aider à mener cette affaire


en justice. Mais vous ne devez pas laisser cette affaire ainsi.
Cette petite mérite qu’on lui rende justice.

Mes larmes redoublent. Je suis dans un gros dilemme. Il


s’agit de mon mari et de ma nièce. Seigneur, je fais quoi ?
— Mais avant tout, nous devons procéder à une chirurgie
pour enlever les parties nécrosées afin de sauver son utérus.
Vous allez devoir payer le coût de l’opération. Nous devons
le faire le plus vite possible donc jusqu’à ce soir.
— D’accord docteur. Je vais de ce pas chercher l’argent.

Je me nettoie le visage avec le bout de mon pagne, je signe


des papiers qu’il pose devant moi et je sors du bureau. Je
crois que je vais devenir folle. Je retourne à la maison.
Jules, assis au salon, sursaute en me voyant.

— Quelles sont les nouvelles ? Comment va-t-elle ?


— Si tu voulais vraiment le savoir, tu serais venu au CHU
avec moi.

Il baisse la tête. Je sors un papier de mon grand porte-


monnaie et je le pose sur sa jambe.

— Nous devons payer 500 000 FCFA pour l’opération de


Natacha et il y aura aussi un traitement sur deux à trois mois
qu’elle doit suivre. Tu as abimé son utérus.
— Oh, merde ! Mais où on va enlever cette grosse somme ?
— Tu me demandes ? Quand tu faisais tes bêtises, tu m’as
demandé ? Arrange-toi pour trouver cette somme avant
qu’il ne fasse nuit. Moi je n’ai plus rien.
— Mais tu sais que je n’ai pas l’argent aussi.
— C’EST TON PROBLÈME. Je ne t’ai pas dit de dépenser
ton argent sur tes maîtresses. Tu as créé ce problème donc
arrange-le.
— J’ai compris.
— Maintenant, il faut appeler ses parents au village pour
leur annoncer la nouvelle.
— Quoi, quoi, quoi ? Tu veux leur dire quoi ?
— Que tu as violé leur fille, l’as mise enceinte, l’as fait
avorter et que maintenant elle est dans un état critique à
l’hôpital et doit se faire opérer.
— Tu ne peux pas leur dire ça.
— Et pourquoi pas ? C’est leur fille, ils méritent de savoir
la vérité.
— Je t’en prie, ne fais pas ça. On peut dire qu’elle s’est fait
enceinter par un petit voyou qui l’a obligée à avorter en
cachette. Ensuite, on donnera de l’argent à Natacha ou on
la menacera pour qu’elle se taise.
— Donc en plus de lui avoir fait du mal, tu veux la faire
passer pour la mauvaise ? je hurle, sous le choc. Jules, tu ne
regrettes même pas ton acte. Le Docteur a raison, je devrais
te dénoncer à la police.
— Quoi ? Me dénoncer, moi ton mari ?
— Oui, je réponds avec hargne en versant une larme. Car
tu le mérites. Tu as brisé cette petite et Dieu seul sait si elle
s’en remettra. Elle va vivre avec ce traumatisme. As-tu
pensé à tout ça ? Jésus, elle a seize ans. SEIZE ANS.
Pourquoi tu n’es pas allé chez les prostituées dehors pour
te soulager ? C’est un crime que tu as commis et en temps
normal tu dois partir en prison.
— Donc tu vas mettre ton mari que je suis en prison ? Tu
vas dénoncer le père de tes enfants ?

Je regarde cet homme et j’ai envie de le gifler. Il me


dégoûte tellement. Je quitte devant lui et je vais m’enfermer
dans la chambre. Je fouille dans mes affaires pour voir
combien je peux rassembler avec le peu d’argent que je
cache parfois dans certains coins. Je compte le tout et ça ne
fait que 40 000 FCFA. Je suis obligée d’appeler des gens
pour prendre des prêts. Je mets mon portable en charge le
temps pour moi de prendre une douche et de revenir. Si ce
n’était une affaire aussi complexe, j’aurais laissé Jules se
débrouiller tout seul pour rassembler l’argent. Par la grâce
de Dieu, tous ceux que je sollicite se montrent
compatissants à l’était de santé de ma nièce qui a fait " un
accident de la circulation ". À 20 heures, Jules et moi
rassemblons l’argent que nous avons pu obtenir par nos
sollicitations. Encore des dettes qu’il faudra rembourser.

*Mona
*LYS

L’opération s’est bien déroulée par la grâce de Dieu. J’ai


passé la nuit au CHU à prier durant tout le temps qu’a duré
l’opération. Je suis rentrée ce matin me rendre propre et
repartir. Natacha va beaucoup mieux. Son état est
maintenant stable. On attend qu’elle aille un peu plus mieux
pour rentrer à la maison. J’ai également appelé ses parents
au village et j’ai demandé à ce qu’ils viennent. Je n’ai pas
pu garder cette affaire pour moi. Ils doivent savoir ce qui
s’est passé. De toutes les façons ils le sauront parce que
Natacha veut maintenant rentrer au village. Je ne me vois
pas en train de la menacer pour qu’elle se taise. Je ne peux
pas lui infliger cette souffrance supplémentaire.

Je sors de la chambre quand mon portable se met à sonner.


C’est Boya.

— Allô, ma fille !
« — Bonjour, tantie. Tu vas bien ? Je suis passée hier au
marché, tu n’étais pas là. Je t’ai appelée aussi, ça ne
passait pas. Je suis encore au marché et tu n’es pas là. Une
de tes voisines m’a dit que tu avais eu un souci. »
— Je vais bien. Hier, mon portable était déchargé en
journée. C’est quand je suis rentrée le soir que je l’ai mis
en charge. Je suis au CHU de Cocody en ce moment. Je vais
rentrer ce soir.
« — Tu ne te portes pas bien ? »
— Non, c’est Natacha qui ne sent pas bien.
« — Je viens. Je m’ennuyais un peu à la maison et j’ai
voulu passer la journée avec toi. Je t’appelle dès que
j’arrive. »
Elle coupe sans me donner la peine de répondre. Je retourne
au chevet de Natacha. Jules n’a pas encore mis les pieds
pour voir le résultat de ses œuvres. Je regarde Natacha qui
se plaint par moment de légères douleurs au ventre. Quand
elle se réveille de nouveau, j’essaie de la convaincre de
boire les jus qu’elle est autorisée à boire pour le moment,
mais elle ne veut rien avaler. Ou du moins, elle n’y arrive
pas. Elle n’a aucun appétit. Tout ce qu’elle fait, c’est
pleurer.

— Natacha, pardon, arrête de pleurer.


— Je veux retourner chez mes parents. Je ne veux plus
rester ici.
— S’il te plaît, calme-toi ! Tu dois d’abord guérir.
— Je ne veux pas. Je veux partir. Appelle ma maman, je
veux lui parler. Je vais lui dire de venir me chercher.
— Tu vas partir, j’ai compris, mais pardon calme-toi.

Elle ne m’écoute pas et continue de pleurer à chaudes


larmes. Le docteur nous rejoint et tente également de la
raisonner. Il réussit à la calmer, enfin un peu, car elle pleure
maintenant en silence. Il m’appelle dehors pour me parler.

— Avez-vous pu discuter avec elle pour connaitre l’identité


de son violeur ? me demande-t-il.
— Non, pas encore. J’attends qu’elle se remette un peu de
toutes ces émotions avant d’en discuter avec elle. Ses
parents seront là ce soir. Ensemble on en discutera.
— J’insiste vraiment pour que vous le fassiez. Parce que si
c’est vraiment un proche de vous et que vous ne faites rien
contre lui, il recommencera sa sale besogne et cette fois, il
risque de la tuer. Aussi, ne le faites pas que pour elle, mais
pour les autres filles de son âge. S’il l’a fait avec elle, il le
fera sur toutes les autres adolescentes qu’il rencontrera.
Vous sauverez des vies en envoyant ce violeur en prison.

Le discours du docteur me fait couler des larmes.

— Quel violeur ?

La voix de Boya me fait sursauter.

— Ne laissez pas cette affaire tomber aussi facilement,


continue le Docteur. Je vous laisse.

Il retourne dans la chambre. Boya vient s’arrêter devant


moi.

— C’est contre quel violeur tu dois porter plainte ? Qui a


violé qui ?
— C’est… Natacha qui s’est fait violer.
— Mon Dieu ! Par qui ? Vous le connaissez ?

Les larmes me montent aux yeux. Je remarque des chaises


vides à quelques pas de nous. Je vais m’asseoir, car mes
jambes ne me tiennent plus. Boya vient s’asseoir près de
moi.

— Comment va-t-elle ?
— Elle va mieux. L’opération s’est bien passée.
— Elle a subi une opération ?

Je me nettoie les yeux.

— Oui. Suite à un avortement.


— Elle était enceinte de son violeur ?
— Oui, je réponds en laissant mes larmes couler de
nouveau. Et il l’a fait avorter.
— Donc vous le connaissez ? Tu dois aller le dénoncer à la
police.
— Boya, je ne peux pas.
— Pourquoi ? Un homme a violé ta nièce et a failli la tuer.
Il mérite de croupir en prison.

Mes larmes se mettent à couler comme un ruisseau.

— On peut y aller maintenant. Je vais t’accompagner et


payer ce qu’il faut.
— Boya, dis-je entre deux sanglots. Je ne peux pas aller
porter plainte comme ça. C’est trop compliqué.
— Mais qu’est-ce qu’il y a de si compliqué là-dedans ?
C’est ton fils ?
— Non. Franck ne ferait jamais ça.
— Mais c’est qui ? Un voisin ? Un membre de la fam…

Son regard se perd dans le vide comme si son cerveau avait


enfin capté. Elle me regarde de nouveau.

— C’est… c’est tonton ? Ton mari ?

Je baisse la tête de honte. Elle comprend tout.

— Il a donc fini par terminer sur une autre ce qu’il avait


commencé sur moi. Cet homme mérite vraiment de
séjourner en prison.
— Boya, on parle de mon mari.
— Ton mari a détruit la vie d’une adolescente, réplique-t-
elle avec colère.
— Chut !!! Parle doucement.
— On parle d’une fille qui n’a rien demandé de tout ceci.
Elle est venue à Abidjan pour chercher un avenir meilleur.
Mais cet avenir vient d’être brisé et le restera si rien n’est
fait pour lui rendre justice. Est-ce que tu penses à elle ? Tu
me parles de ton mari alors que c’est lui le coupable ici.
C’est à la victime que tu devrais penser.
— Il est le père de mes enfants. Quel genre de femme je
serais si je l’envoie en prison ? Nous sommes en Afrique et
le rôle de la femme c’est de couvrir les fautes de son mari.
Boya, j’ai très mal pour Natacha. Mon cœur est brisé en
mille morceaux. Je veux tellement changer les choses, lui
rendre justice, mais il s’agit de mon mari. Mon mariage
prendra fin à l’instant même où j’irai porter plainte contre
lui.
— Imagine donc que ce soit à ta fille que c’était arrivé.
Qu’aurais-tu souhaité ? Tu allais accepter que le violeur
reste en liberté pendant que ta fille souffre ?

Rien que cette pensée me serre le cœur.

— Je connais quelqu’un qui hait sa mère de toutes ses


forces parce qu’elle n’a rien fait quand son père le violait,
lui et sa sœur qui a fini par se suicider. C’est ce qui risque
d’arriver à Natacha si tu ne laves pas son visage. Oublie ton
mariage et pense à elle.

Elle s’assied de sorte à me donner dos et manipule son


portable. Je sais ce qu’il est bien de faire, mais ça demande
beaucoup trop de sacrifices.

*Mona
*LYS

Ça fait plus de cinq heures que dure la réunion entre les


hommes de la famille. Ils n’ont pas voulu que les femmes
y assistent. La mère de Natacha est donc restée au chevet
de sa fille à l’hôpital et moi je suis restée ici à la maison
pour me reposer un peu avant de me rendre à mon tour au
chevet de ma nièce. Jules a fait appel à ses oncles, dont l’un
est venu avec un homme de Dieu, tous ont pour mission de
trouver une solution à cette situation. J’ai entendu des cris,
des insultes, des paroles de malédictions, des supplications.
Là en ce moment, tout est calme. Ils discutent plus
calmement. Je sors du lit pour aller me prendre une douche.
Je n’ai finalement pas pu dormir, comme depuis le début de
ce chaos. Quand je reviens me vêtir dans la chambre, Jules
fait son entrée.

— Alors ? Qu’est-ce qui a été décidé ? je lui demande.


— Nous avons réglé ça à l’amiable. Les oncles et l’homme
de Dieu ont pu convaincre Thomas de ne pas conduire cette
affaire en justice. Je vais verser un dédommagement à
Natacha à hauteur de deux millions, payer ce qu’il faut pour
faire des sacrifices et laver Natacha. On me demande aussi
de suivre une séance de délivrance sur une semaine pour
me délivrer de ce démon. Tu vois, tu t’agitais pour rien.
Tout est rentré dans l’ordre.

Il allume son portable, sourit et le manipule.

— Bon, je dois sortir. Je vais chercher l’argent qu’on me


demande.

Il pose son portable sur le lit, se déshabille et rentre dans la


douche. Je prends son portable. Il reçoit un message au
même moment. J’appuie dessus et je suis prise de dégoût.
La petite à qui il faisait du chantage a fini par accepter sa
proposition. Il lui a donné rendez-vous dans un hôtel et elle
vient de confirmer sa présence. Le docteur avait raison. Cet
homme se plaît dans cette abomination et il n’a aucun
remords. Je pose son portable et je me rends au CHU. Je
tombe sur une scène qui me déchire le cœur. La mère et la
fille qui pleurent l’une dans les bras de l’autre. Je reste en
retrait et je pleure en silence.

— Seigneur, qu’ai-je fait pour mériter cela oohhh, pleure


ma belle-sœur. Seigneur, pourquoi est-ce que c’est ma fille
que tu punis pour mes fautes ? Si j’ai fauté quelque part, il
fallait me punir, me tuer s’il le fallait, mais pas infliger une
telle souffrance à ma fille.

Elle continue ses complaintes puis en voulant se nettoyer le


visage, elle remarque ma présence. Depuis son arrivée, elle
ne me parle pas. Elle arrange sa fille sur le lit et me fait face.

— Tu as vu ce que ton mari a fait ? me lance-t-elle dans


notre ethnie. Il a détruit la vie de ma fille et aujourd’hui elle
ne veut plus rien faire. Elle a perdu goût à la vie. Ma fille
risque d’avoir du mal à faire des enfants quand elle sera
mariée. Est-ce qu’un homme va seulement vouloir
l’épouser avec ce qu’elle a vécu ? Pendant ce temps, ton
mari vit à l’aise. Il n’a aucun problème. Il va juste faire des
rituels et c’est tout. Je suis contre cette décision, mais je ne
peux rien dire parce que quand nos hommes décident, nous
les femmes ont doit seulement accepter. Ma fille va guérir,
je vais la ramener au village. On va devoir la mettre dans
un mariage arrangé pour espérer qu’elle soit dans un foyer
un jour. Vraiment merci pour tout.
— Ma sœur…
— Pardon, toi et ta famille, restez loin de ma fille.

Elle me tourne dos et va se coucher près de sa fille. Je sors


totalement abattue. Je ne contrôle plus mes larmes qui
coulent sans cesse. Je ne peux pas vivre ainsi. Je ne peux
accepter pas que les choses se passent ainsi. Je ne me
pardonnerai jamais. Je vois ma fille à la place de Natacha.
Je me vois moi-même à la place de Natacha. Comment
allais-je me sentir si j’avais été violée et traumatisée de la
sorte ? Qu’est-ce que j’allais vouloir ? Est-ce que j’allais
être contente si rien n’était fait pour sauver mon honneur ?
Je ne peux pas vivre avec ce poids sur mon cœur.

Je me rends au commissariat qui se trouve à cinq minutes


du CHU. Je me rapproche de la réception.

— Bonsoir, madame. Je voudrais voir le commissaire.


C’est pour porter plainte contre un cas d’abus sexuel sur
mineur. Plusieurs mineurs.

Vu la gravité de la chose, on me conduit rapidement dans


le bureau du commissaire. Je lui répète l’objet de ma
plainte.
— Vous connaissez le violeur ? me demande-t-il en
piochant un stylo dans une tasse remplie de stylos et
crayons.
— Il s’agit de mon mari.

Il suspend son geste et relève la tête.

— Vous voulez porter plainte contre votre mari ? Vous en


êtes certaine ?
— Oui, monsieur.
— Vous êtes sûre d’aller jusqu’au bout ? De ne pas vous
rétracter plus tard ?
— Je ne vais pas revenir sur ma déclaration.
— Vous êtes prête à briser votre mariage ? Je vous pose
toutes ces questions pour éviter que vous ne veniez pleurer
à mes pieds pour que je relâche votre mari. Si l’affaire est
lancée, il n’y aura plus de retour en arrière.
— Je le sais et je veux aller jusqu’au bout. Je ne peux plus
rester mariée à un homme qui n’a pas peur de violer des
petites filles. Je ne peux pas partager ce péché et ses
malédictions avec lui.
— Dites-moi donc ce que vous savez et nous irons l’arrêter.

***BOYA

Je réprime mes larmes en entendant Stephen arriver. Je


plaque un sourire sur mes lèvres et je me retourne pour
accueillir mon mari. Il pose son sac dans le fauteuil et me
prend dans ses bras, glissant sa tête dans mon cou et il y
pose des baisers. Ça me procure beaucoup de bien.

— Tu m’as tellement manqué, me susurre-t-il


— Toi aussi.

J’enroule mes bras autour de son cou et mes jambes autour


de sa taille quand il me soulève. Nous nous embrassons.

— Je t’aurais fait l’amour si je n’étais pas si fatigué.


— Pas grave. Je suis également épuisée. J’ai passé la
journée à coudre.

Il me regarde étrangement.

— Pourquoi je te sens triste ?


— Rien. Ce doit être la fatigue. Va prendre ta douche. Je
vais dresser la table.

Il pose un dernier baiser sur mes lèvres et me repose au sol.


Je vais à la cuisine tandis qu’il monte les escaliers. Je
préfère ne pas lui parler de ce qui se passe dans ma famille
en ce moment. On vient à peine de se marier et je ne veux
pas déjà l’emmerder avec tout ça.

Stephen redescend une demi-heure plus tard et nous


passons à table.
— Je t’avais dit qu’il était possible que je parte en France
ces jours-ci ?
— Oui, je réponds en jouant dans mon assiette.
— Voilà, j’irai cette semaine. Je risque d’y faire un mois.
— Un mois ? je répète en relevant la tête.
— Peut-être moins, mais ça n’excédera pas un mois.
— Je vois.

Cette annonce me rend deux fois plus triste. Malgré mes


efforts, je n’arrive pas à cacher cette tristesse.

— Boya, que t’arrive-t-il ? Pourquoi cette mine ? C’est à


cause du voyage ?
— Non, ce n’est pas ça. Ce n’est rien.
— Comment ça ? J’avais remarqué ton humeur triste
depuis deux jours, mais tu me rassurais. Là, je vois
clairement que ça ne va pas. Que t’arrive-t-il ?

Je me mords les lèvres pour m’empêcher de pleurer. Il me


prend la main.

— Chérie, tu dois me dire ce qui ne va pas. Je suis ton mari.


Tu n’es plus seule.

Je lève mes yeux au ciel tout en continuant à lutter contre


mes larmes.
— Mon oncle a… violé ma cousine puis l’a obligée à
avorter avec un produit très dangereux qui l’a conduite à
l’hôpital.
— Purée ! Comment a-t-il pu ?
— Je n’arrête pas de me dire que c’est ce qui me serait
arrivé si tu ne m’avais pas fait sortir de là.
— Oh non ! Ne pleure pas !

Il me relève et me fait asseoir sur ses jambes.

— Mais c’est la vérité. Je sentais qu’il finirait par le faire et


s’il m’avait obligée à avorter, j’en serais sans doute morte.
J’ai tellement mal pour ma cousine.
— Chut !!! Je suis vraiment désolé.

Il me laisse pleurer dans le creux de son cou et me caresse


tendrement le dos. Quand je suis calmée, il me nettoie le
visage avec son torchon de table.

— Comment va-t-elle ? me demande-t-il.

Je prends une grande inspiration et je lui relate les faits


depuis le début jusqu’à l’appel de ma tante qui venait de
m’informer qu’elle avait finalement porté plainte.

— Elle a réellement porté plainte ? s’étonne Stephen.


— C’est ce qu’elle m’a dit.
— Waouh ! Elle a un sacré courage. Aucune femme n’en
serait capable.
— Effectivement.
— Mais ça fait trois jours que ça se passe et tu ne m’as rien
dit ?
— On vient à peine de se marier. Je ne voulais pas déjà
t’embêter avec les problèmes de ma famille.
— Nous sommes une seule chair, Boya. Tout ce qui te
touche me touche également. Alors non, tu ne peux pas me
cacher des choses et les vivre toi seule. Il ne doit pas y avoir
de secret entre nous.
— Je sais. Je suis désolée !
— Promets-moi de ne plus jamais rien me cacher.
— Promis !
— Maintenant, fais-moi ton plus beau sourire.

Je rougis et souris. Il me fait un bisou sur le front. La


sonnerie de mon portable interrompt ce petit moment
d’amour. C’est ma tante. Je décroche et je mets sur le haut-
parleur.

— Oui, tantie !
« — La police a arrêté Jules dans l’hôtel que je leur ai
indiqué, m’annonce-t-elle en pleurs. Il est en prison et il
sera déféré demain. Ses frères et sœurs ne cessent de
m’appeler pour m’insulter et me menacer. Je dois quitter
la maison avant qu’ils ne viennent me trouver. »
— Tu vas partir où ?
« — Je ne sais pas encore. Peut-être chez une cousine à
Koumassi. Je voulais juste t’informer pour ne pas que tu
viennes ici demain. »
— D’accord, tantie. Mais…

L’appel coupe. Je la rappelle, mais ça ne passe pas. Son


portable doit être éteint.

— Et si on l’hébergeait le temps que tout se calme, dit


soudainement Stephen.
— Vraiment ? Tu le veux vraiment ?
— Bien sûr ! Elle a fait ce que ma mère n’a jamais fait. Elle
mérite qu’on la soutienne. De plus, elle risque de se faire
lyncher par sa belle-famille. Sa vie est en danger.
— Allons donc vite avant que le pire n’arrive.

Avant que nous n’arrivions, nous voyons des gens


attroupés devant la maison. Il y a des éclats de voix
provenant de l’intérieur de la maison. Nous nous dépêchons
d’y entrer. Des sacs et des valises sont jetés devant nous
puis ma tante se fait bousculer. Ses vêtements sont un peu
déchirés à quelques endroits.

— Sorcière, lui hurlent les cinq personnes présentes.


Comment une femme peut-elle faire mettre son mari en
prison. Sorcière ! Libère la maison de notre frère. Toi et tes
enfants ne faites plus partie de notre famille. Dégage d’ici.
Les trois femmes du groupe essaient encore de la brutaliser,
mais Stephen s’interpose.

— Ok, ça suffit ! leur lance-t-il en attrapant le bras de ma


tante. Elle va s’en aller.
— Oui, dégagez avec elle. Nous, nous allons nous battre
pour faire sortir notre frère de prison. Mais toi, considère-
toi comme une femme divorcée parce que ton mariage
prend fin aujourd’hui. N’importe quoi ! Je savais que tu
étais une sorcière.

Stephen ramasse les bagages, j’en prends un et nous nous


en allons avec ma tante.

— Viens, tantie. Tu vas venir rester quelque temps chez


nous.
— Non, tu viens à peine de te marier. Je ne veux pas venir
t’encombrer.
— C’est grâce à toi si je suis dans ce foyer donc je ne peux
pas t’abandonner. Personne ne connait chez moi pour venir
te harceler. Viens, s’il te plaît !
— Hum, d’accord !

Nous quittons rapidement les lieux avant que ces sauvages


ne viennent nous agresser.
18

***TANTE ODETTE

Jules a été déféré hier. Je n’ai fait que recevoir tellement


d’appels que j’ai fini par ne plus décrocher et ensuite des
messages d’insultes et de menaces. Certains par contre me
supplient d’aller retirer ma plainte. La mère de Jules veut
que j’aille dire à la police que j’ai menti sur mon mari par
jalousie parce qu’il avait des maîtresses. Mais, ils oublient
qu’il a été aussi surpris à l’hôtel avec une mineure dont les
parents ont également porté plainte. Donc cette affaire ne
dépend plus de moi. Ma famille, quant à elle, est divisée.
Certains me reprochent d’avoir mis mon mari en prison,
quand les autres soutiennent ma décision. Ceux qui me
soutiennent sont pour la majorité de la famille de la mère
de Natacha. En parlant d’elle, elle m’a appelée hier pour
me dire qu’elle voulait qu’on se voie. Pour ne pas mettre
Boya en danger en faisant connaitre sa maison, j’ai préféré
venir la retrouver vers le CHU. Natacha sort aujourd’hui de
l’hôpital. Sa mère et elle resteront chez une sœur le temps
de son traitement. Le docteur a demandé à ce qu’elle reste
dans les parages afin qu’il la suive.

Ma belle-sœur me rejoint devant le CHU. Elle a plutôt


bonne mine aujourd’hui.
— Comment vas-tu, ma sœur ? me salue-t-elle.
— Ça peut aller. Et Natacha ?
— Elle va beaucoup mieux. Surtout depuis qu’elle a appris
que Jules est parti en prison.

Ce détail me brisera toujours le cœur.

— Au fait, j’ai voulu te voir pour te dire merci de vive voix.


— Pourquoi ?
— Parce que tu as eu le courage d’aller contre la décision
des hommes de la famille et tu as dénoncé ton mari. J’aurais
dû faire autant parce qu’il s’agit de ma fille, mais j’ai
préféré garder le silence. Merci beaucoup.
— C’était nécessaire. Je ne pouvais pas vivre avec ça sur la
conscience.
— La police est venue nous poser des questions, Natacha
et moi ; et nous avons confirmé ce que tu as dit. Mon mari
voulait qu’on se taise, mais ton acte m’a donné le courage
de lui tenir tête. Encore merci !
— C’est normal. Que comptes-tu faire quand Natacha sera
rétablie ?
— On va retourner au village. J’espère qu’elle pourra
reprendre goût à la vie.

Je réfléchis une dernière fois à une idée qui m’était venue


depuis hier. J’essaie de peser le pour et le contre. Bon, je
vais tenter voir.
— Au fait, j’ai réfléchi et je voulais que tu me laisses
Natacha.
— Hum ? Comment ? Pourquoi ?
— Natacha a voulu venir chercher son avenir à Abidjan. Je
ne veux pas qu’elle retourne comme ça au village. Je ne
veux pas qu’elle garde ce mauvais souvenir dans sa vie. Le
mari de Boya a promis m’ouvrir un plus grand commerce
et me prendre une petite maison à son retour de voyage. Je
veux me racheter auprès de ma fille. Laisse-la rester avec
moi et je te promets de faire d’elle une vraie femme
accomplie qui prendra soin de vous, ses parents.

Elle fixe le sol un long moment avant de me regarder.

— Je vais en parler avec son père et je te fais signe. Merci


de vouloir te racheter même si ce n’est pas toi qui lui as fait
du mal.
— C’est la moindre des choses.

***DEUX ANS PLUS TARD***

— Maman, la femme de Marcory est venue chercher son


sac.
— J’arrive.
Je raccroche avec la cliente qui a passé une commande et je
vais servir ma cliente habituelle. Je lui donne sa
marchandise et elle sort les billets de son porte-monnaie.

— Il n’y a pas de réduction pour une fidèle cliente ? me


supplie-t-elle.
— Tu sais que je l’aurais fait sans hésiter, ma sœur. Mais
les choses sont en train de devenir chères.

Elle me donne mon dû, prend sa marchandise et s’en va. Je


prends mon sac à main et je me rends à Adjamé voir
comment les choses se passent là-bas. Jamais de toute ma
vie je n’aurais imaginé que je serais un jour une grande
femme d’affaires. Stephen a tenu sa promesse. De retour de
son voyage, il y a deux ans, il m’a pris une petite maison de
deux pièces qu’il louait pour moi et il m’a donné une très
forte somme pour me relancer dans mes activités. Il m’a
signifié qu’au moindre besoin, je devais lui faire signe. J’ai
pris le temps de me renseigner sur les activités rentables et
on m’a donné un circuit de vente de piment en gros. J’ai
pris le risque de miser et je ne le regrette pas aujourd’hui.
Je me fais assez d’argent. Je voyage surtout beaucoup dans
tout le pays. Je vais chercher ma cargaison de sacs de
piments et je les revends. J’ai une quinzaine de fidèles
clientes, il y en a qui achètent une fois en passant, en plus
de tout ça, j’ai une place dans le grand marché d’Adjamé
où une fille vend en détail pour moi à des prix tellement
abordables que je fais cent pour cent de bénéfice chaque
jour.

Oh, le Seigneur a relevé mon visage. Tous ceux qui, dans


ma famille, avaient passé leur temps à m’insulter parce que
j’avais envoyé mon mari en prison sont les mêmes qui
viennent ou m’appellent aujourd’hui pour m’expliquer
leurs problèmes d’argent qui ne finissent jamais. Quand il
y a des cérémonies dans la famille, c’est moi on appelle
pour avoir le dernier mot. Je les regarde et je ris. Je sais
surtout à quel moment leur donner mon argent et quel
moment je ne le dois pas. Ils m’ont tous tourné le dos et
aujourd’hui ils veulent bouffer le fruit de ma restauration.
En dehors de Boya et son mari, seul Dieu a été mon appui
ces deux dernières années. J’ai vécu pas mal d’humiliation
de la part de ma belle-famille. Je me suis rendue dans une
église où chaque dimanche j’allais déverser toute ma peine.
Je me suis réfugiée dans la prière, même chez moi je ne
cessais de prier, et Dieu m’a soulagée de ce poids qui pesait
sur moi. Je continue d’aller à l’église parce que ce n’est pas
parce que tout va bien aujourd’hui que je vais couper ma
communion avec Dieu. Il bénit mes activités chaque jour
au point où moi-même je n’y crois pas. Ma vie a
complètement changé.

J’arrive et la fille qui travaille pour moi me fait le point de


ce qu’elle a vendu depuis ce matin.
— Il reste un sac de piment, termine-t-elle.
— Je vais appeler pour voir si je peux avoir deux sacs pour
terminer le mois. Les femmes du marché gouro sont venues
prendre leurs sacs ?
— Oui, tantie.
— D’accord. Tu as déjà mangé ? Il est midi passé.
— Pas encore. Il y avait beaucoup de clients.
— Bon, va manger. Je vais rester un peu ici.

Je m’installe derrière ma marchandise et je refais le point


de la somme qu’elle m’a rendue. Souvent je regarde tout
cet argent que j’ai à ma disposition et je souris toute seule.
Moi qui avais du mal à m’acheter des vêtements, c’est moi
qui compte beaucoup d’argent aujourd’hui comme ça ? Il y
a un Dieu pour les pauvres vraiment.

J’appelle certains de mes fournisseurs et seul un me


confirme que je peux avoir de la marchandise. J’appelle
ensuite Francis, le vieux chauffeur de gros camion qui me
rapporte souvent mes marchandises de l’intérieur du pays.

« — Bonjour, la grande dame. »


— Bonjour, monsieur Francis. Tu es où en ce moment ?
« — Je suis vers Daloa. »
— Ça tombe bien. Je voulais que tu récupères deux sacs de
piment à Bouaflé.
« — C’est noté. Demain tu auras ça. »
— Infiniment merci !
« — De rien, la grande dame. »

Je raccroche et range l’argent que je tenais.

— Bonjour, maman.

Je relève la tête et je vois mon fils Franck. Je pousse et lui


donne une place sur le banc.

— Tu fais quoi ici ? Tu n’as pas cours ?


— Non, le professeur a eu un empêchement. J’étais venu
m’acheter de nouveaux vêtements et j’ai croisé celle qui
travaille pour toi. Elle m’a dit que tu étais là, donc je suis
venu te saluer.
— Comment va ta sœur ?
— Bien. Au fait, les inscriptions pour le concours d’entrée
à la gendarmerie ont débuté. Je t’avais dit que je voulais
faire.
— Tu es sûr que c’est ce que tu veux ?
— Oui, maman. La vie d’étudiant n’est pas facile et avec
les cours qui ne finissent jamais sans oublier les grèves et
les affrontements, on ne voit pas le bout du tunnel. Je ne
veux pas finir ma vie à suivre les cours pour finir chômeur.
Je veux travailler et je suis attiré par la gendarmerie.
— D’accord. Je vais te donner un peu d’argent pour mettre
sur toi pour les courses du concours.
— Merci, maman.
Il reste encore un peu avant de s’en aller. Cette épreuve
avec Jules m’a beaucoup rapproché de mes deux fils qui
sont devenus très protecteurs envers moi. Celui qui était
chez ma sœur est finalement revenu à l’université de
Cocody, rejoindre ses frères. Ma sœur faisait partie des
personnes qui m’avaient tournée le dos. Elle m’a
clairement dit qu’elle ne pouvait plus garder mon fils chez
elle et que je devais assumer mes mauvaises décisions
seule. Mes fils ont été choqués d’apprendre les œuvres de
leur père. Par contre, avec leur sœur, c’est tout le contraire.
Ma fille me déteste d’avoir fait enfermer son père. Elle me
déteste encore plus depuis qu’il a écopé de quinze ans de
prison ferme. En effet, des enquêtes ont été menées et
plusieurs autres élèves ont avoué avoir été harcelées
sexuellement par leur professeur Jules au risque de leur
donner de très mauvaises notes et moyennes. Tous ces
témoignages et les plaintes des parents ont causé
l’augmentation de sa peine. Quant à la question de savoir
pourquoi il faisait tout ça, monsieur a répondu qu’il aimait
tout simplement la fraicheur que lui procureur les jeunes
filles. C’est juste un fantasme qu’il assouvissait. J’en ai
profité pour divorcer avec l’aide de Stephen. De toutes les
façons, avec ce que j’avais fait, mon mariage était déjà
fichu. De plus, ça allait être vraiment insensé de vouloir me
remettre avec Jules après tout ça. Au vu des raisons
évoquées dans ma demande de divorce, les choses sont
allées un peu rapidement et c’est cette année que j’ai pu
enfin me libérer de ce mariage. Toutefois, à défaut d’avoir
ma fille à mes côtés, j’ai Natacha qui est devenue ma fille
et non plus ma nièce. Avec la prière et les motivations, elle
a pu reprendre goût à la vie et aujourd’hui elle est heureuse.
Elle guérit bien. Après deux ans de formation dans un salon
de coiffure, elle est devenue une experte en tresses de tout
genre et gère le grand salon de coiffure d’une dame qui a
mis en elle toute sa confiance. En ce moment, elle se forme
dans la confection et la pose de perruque de grande qualité.
Ses parents sont tellement fiers d’elle qu’ils ne cessent de
me bénir, surtout qu’elle leur envoie de l’argent chaque fin
de mois.

Aujourd’hui, je peux dire que tout va pour le mieux. Je suis


une femme divorcée, mais heureuse et à cinquante ans je
dois reprendre ma vie à zéro. Mais le mariage ne fait plus
partie des choses à reprendre. Je ne suis plus prête à me
condamner dans un mariage où je ne ferais que tout subir.
Je vais travailler à faire partie des plus grandes femmes
d’affaires de ce pays.

***BOYA

Je sors de l’école, entourée de mes deux voisins de classe,


une fille et un garçon. Les seuls de qui je suis le plus proche
depuis mon entrée dans cette école de stylisme. Stephen
m’y a inscrite pour que je suive le parcours de mon rêve. Je
suis en même temps des cours normaux et je suis en classe
de 1re. J’ai décidé toutefois de passer le BAC en candidate
libre cette année. Je veux obtenir ce diplôme et enfin mieux
me concentrer sur le stylisme.

— Ce n’est pas ton mari là-bas ? me dit ma voisine.

Je tourne la tête et je vois Stephen adossé contre sa voiture


et manipulant son portable. Je me mets à courir vers lui.

— BÉBÉ ??? je hurle en souriant à pleines dents.

Quand il relève la tête et me voit courir vers lui, il sourit et


range son portable dans la poche arrière de son jean. Je
laisse tomber mon sac à main et je lui saute dans les bras en
m’enroulant autour de lui. Il m’attrape fermement et me
serre très fort.

— Tu m’as trop manquée, lui dis-je.


— Toi aussi, petit cœur.

Je l’embrasse passionnément, oubliant que nous sommes en


pleine rue et que tous les regards sont braqués sur nous.

— Je t’aime, je t’aime, je t’aime.

Il éclate de rire.

— Tu es arrivé quand ?
— Il y a quelques minutes. Je viens directement de
l’aéroport. J’avais trop envie de voir ma petite femme. On
rentre ?
— Oui !

Il me fait descendre. Je récupère mon sac et nous nous en


allons dans sa voiture. Lors de son voyage d’il y a deux ans,
il a été promu directeur adjoint de la boîte où il travaille
après avoir dévoilé des magouilles qui se faisaient dans le
dos du patron. Depuis lors, Stephen est constamment entre
la France et la Côte d’Ivoire. Chaque deux mois, parfois
trois mois, il doit effectuer un voyage qui dure
généralement trois semaines. Parfois moins. Cette
promotion lui donne plus de pouvoir ici dans leur boîte
partenaire. Il a dorénavant son mot à dire dans les décisions
qui doivent être prises. De plus, il a entamé les démarches
pour ouvrir une succursale de leur entreprise ici. Mais bon,
en ce moment ce n’est pas ça le plus important. Je veux
savourer le corps de mon mari.

Nous nous sautons dessus dès que nous arrivons à la


maison. Il nous emmène à notre chambre en me tenant dans
ses bras comme une nouvelle mariée. Sans nous protéger,
comme nous le faisons la plupart du temps, nous faisons
l’amour. Je n’ai pas envie de lui dire qu’il y a de fortes
chances que je sois dans ma période d’ovulation parce qu’il
voudra arrêter et aller nous acheter des préservatifs, chose
que je ne risque pas de supporter. Mon corps a trop soif de
lui. À chaque fois que j’ovule, je brûle deux fois plus de
désir sexuel. Bof, j’irai m’acheter une pilule plus tard.

Voyant Stephen un peu fatigué à cause du voyage, je le fais


asseoir et je prends les rênes. Je monte sur lui et je le
chevauche avec vigueur. Je sens le feu dans mes reins, j’en
veux plus. Je sens que je vais exploser d’une minute à
l’autre. Et ça finit par arriver. Nous sommes tellement repus
que nous nous endormons sur le champ, dans les bras l’un
de l’autre.

Nous avons pratiquement passé toute la nuit à faire l’amour


et là encore ce matin, nous le faisons sous la douche. Je suis
tout excitée rien qu’en le voyant. Je crois que le manque de
sa personne ainsi que ma période fertile y sont pour
beaucoup. Chaque claquement contre mes fesses me fait
perdre la tête. J’en veux à chaque fois un peu plus. Je sens
de nouveau Stephen se vider complètement en moi. Il
parsème mon dos de baisers pendant que nous reprenons
nos souffles. Je me retourne et me blottis dans ses bras.

— Ça va ? me questionne-t-il en me caressant le dos.


— Oui !
— Tu seras en retard à l’école.
— Je sais. Je dois faire vite.

Nous prenons rapidement notre douche et sortons nous


préparer. Stephen a pris sa journée pour se remettre de son
voyage épuisant. Il s’habille tout de même pour me
conduire à l’école. Je suis très en retard alors que nous
avons un contrôle aujourd’hui.

La journée a été vraiment chargée et épuisante. Ne sachant


pas à quelle heure je finirai, j’ai demandé à Stephen de ne
pas se fatiguer à venir me chercher. J’entre donc à la maison
deux fois plus éreintée à cause des embouteillages. Stephen
est déjà au lit. Je prends mon diner, prends une douche et je
le rejoins au lit. Il se retourne et m’entoure de ses bras. Ce
contact réveille des désirs en moi, mais je suis bien trop
fatiguée. Demain, je lui sauterai dessus et je…

— Oh, merde ! chuchoté-je.

J’ai oublié de passer prendre des pilules à la pharmacie. Ce


sera ma première tâche demain, enfin, si je n’oublie pas
encore, vu le programme chargé qui m’attend.

***MARTINE

« — Que ton sourire éclaire de nouveau cette journée et


que rien ne vienne l’effacer. Je t’aime. »

Je souris et pose mon portable sur mon lit. Depuis deux ans,
je reçois des petits messages de ce genre chaque matin au
réveil. Je vais prendre rapidement ma douche en gardant ce
sourire sur mes lèvres. Nous devons rejoindre ses amis à la
plage pour un week-end détente. Après un an à se
fréquenter comme des amis, à passer des temps précieux
ensemble et à se confier l’un à l’autre, nous avons fini par
sortir ensemble. J’ai accepté ses avances il y a un an et ça
fait un an que je me sens aimée. Il y a tout de même encore
un blocage. J’ai encore du mal à totalement me lâcher avec
lui. Il y a encore des barrières que je n’arrive pas à briser.
J’espère pouvoir y arriver avec le temps parce que Hermann
est un homme génial.

Je sors rejoindre Hermann devant son appartement. Je suis


surprise de le voir en culotte. Ça me fait sourire de plaisir.

— Houlaa !!! Je vois que tu t’es enfin décidé.


— Oui, c’est grâce à toi. Viens là !

Il m’attire contre lui.

— Bonjour toi ! me dit-il avant de m’embrasser.

Je réponds à son baiser.

— Nous devons y aller maintenant, sinon nous risquons


d’être pris dans les embouteillages.
— Tu as raison, répond-il en me libérant.
— Au fait, ta culotte te va à merveille.
— Merci ! sourit-il en plaquant ses lunettes de soleil sur les
yeux.
Nous nous attrapons les mains et descendons les escaliers.
Je suis fière de lui aujourd’hui parce qu’il a enfin décidé de
vaincre son complexe sur sa jambe amputée. Je n’ai fait que
l’encourager depuis deux ans à exposer sa prothèse à la vue
de tous afin que cela puisse briser son complexe. Je suis
vraiment très heureuse qu’il l’ait fait aujourd’hui.

Les autres sont déjà tous là. Nous les rejoignons sous le
hangar. Nous nous mettons tout de suite dans le bain. Ses
amis ne font que féliciter Hermann pour son exploit.
Malgré le regard des gens sur lui lorsqu’il se lève par
moment, il est plutôt relax. Je le sens beaucoup plus
heureux ce jour que d’habitude.

— Merci ! me souffle Peter à l’oreille.


— Pourquoi ? je lui demande sans comprendre.
— De lui avoir redonné le sourire. Je ne l’avais pas vu ainsi
heureux depuis l’accident.

Nous regardons tous les deux le concerné qui ne fait que


rire. Je suis heureuse, en même temps j’ai un pincement au
cœur. Je ne sais pas si ce que je ressens pour lui c’est de
l’amour. Je me sens bien en sa compagnie, mais je redoute
ce moment où il voudra rendre notre relation plus sérieuse.
Je ne me sens pas prête pour ça. Je ne sais s’il le comprendra
ou s’il sera encore prêt à patienter.
Je ressens soudainement des tiraillements dans le bas-
ventre qui me coupent l’appétit. Hermann le remarque et
s’en inquiète. Je le rassure et Dieu merci le malaise passe.
Nous profitons de la journée dans la gaieté. Hermann me
garde jalousement dans ses bras comme s’il avait peur que
quelqu’un me vole. Je reste blottie contre lui pendant que
nos amis s’amusent dans l’eau. Les douleurs au ventre
reviennent subitement. Ma grimace ne passe pas inaperçue.

— Tu vas bien ? s’inquiète de nouveau Hermann.


— Je ne sais pas. Depuis hier, j’ai des douleurs au ventre.
— C’est un problème d’indigestion ?
— Je ne crois pas. Mais ça va passer, ne t’inquiète pas.
— Tu es sûre ? On peut aller à l’hôpital.
— Non, ça va. Ça ne fait plus mal déjà.
— Comme tu veux. Et si on allait rejoindre les autres ?
— Tu peux ? Je demande à cause de ta prothèse.
— Oui, il n’y aura aucun souci.

Il me prend la main et nous allons près de l’eau. Oh, j’ai


trop peur pour m’aventurer dans la mer comme les autres.
Nous nous amusons comme des enfants à nous éclabousser
d’eau. Je ne me rappelle pas avoir été triste une seule fois
dans notre relation. Même lors de nos petites disputes,
Hermann s’excuse toujours, même quand c’est moi qui suis
en tort. Et il ne permet jamais qu’on se sépare en étant
fâchés. Il s’arrange à ce que tout rentre dans l’ordre le plus
vite possible. Aucun homme ne m’a jamais aussi bien traité
que lui.

Nous rentrons de cette folle et épuisante journée, mais


c’était génial comme à chaque fois.

— Mon Dieu, je suis exténuée, dis-je en montant les


escaliers avec nonchalance.
— Reste avec moi cette nuit pour que je m’occupe de toi,
me propose-t-il quand nous arrivons devant nos différentes
portes.
— Toi, je te vois venir.

Il m’attire contre lui et m’embrasse dans le cou. Je rigole à


gorge déployée et je finis par me laisser entraîner par lui
dans son appartement. Nous nous embrassons jusqu’à
tomber dans le divan en nous déshabillant. Mon corps est
pris de frissons sous ses caresses. J’ai redécouvert le sexe
avec lui et de la plus belle des manières. Malheureusement
pour moi, à cet instant, le plaisir laisse place à une atroce
douleur au bas-ventre qui m’arrache un cri.

— Je t’ai fait mal ? sursaute Hermann en panique.


— Non, c’est encore la douleur.
— Nous devons aller à l’hôpital.
— Je vais plutôt aller prendre un calmant chez moi.
— Non, allons plutôt à l’hôpital et ce n’est pas à discuter,
Martine. Il faut qu’on sache ce qu’il t’arrive. Ça ne nous
coûtera rien. Viens, allons !

Une prise de sang m’a été faite et là nous attendons


impatiemment les résultats. J’ai été prise de vertiges, alors
on m’a assigné une chambre pour que je me repose.
Hermann est à mes côtés, assis sur une chaise et ne cesse
de me caresser doucement le ventre. Il est trop chou.

— Tu vas mieux ? s’enquiert-il en me fixant d’un regard


qui me fait fondre.
— Oui. Maintenant j’ai faim.
— Tu veux que je te commande quelque chose ?
— Je vais attendre qu’on rentre.

Le docteur fait son entrée avec une enveloppe en main.

— Nous avons les résultats. Félicitations, monsieur dame.


Vous allez avoir un bébé.

Cette annonce me fait l’effet d’une bombe. Je ne m’y


attendais pas du tout. C’est vrai qu’avec Hermann on ne se
protégeait pas tout le temps, mais je n’espérais plus tomber
enceinte. Enfin, je n’y pensais plus, de peur d’être encore
déçue. Le docteur nous tend une ordonnance contenant des
calmants pour mes douleurs au ventre. Après son départ, je
me tourne vers Hermann qui n’a rien dit depuis.

— Je te préviens, je n’ai pas l’intention d’avorter.


— Avorter ? Mais qui t’a parlé d’avortement ? Je veux ce
bébé, termine-t-il tout souriant.
— Vraiment ?
— Mais bien sûr. Je le veux avec toi.

Il me prend la main et se met à genou.

— Ma puce, accepte de devenir ma femme. Accepte de


venir vivre avec moi et après la naissance du bébé, on se
mariera. Ou même avant l’accouchement. Tout dépendra
de toi. Je veux rencontrer tes parents. Demain, si tu veux.
Je suis prêt à fonder une famille avec toi. S’il te plaît, dis
enfin oui.

J’ouvre la bouche, mais aucun son ne sort. Ce petit hic qui


m’empêchait de m’engager totalement dans cette relation
ressurgit.

— Je préfère qu’on prenne notre temps, finis-je par dire.


— Mais ça fait un an que nous sommes ensemble. Que se
passe-t-il ? Je croyais que tu avais confiance en moi.

Sauf que ce n’est pas le cas. Je me dis que du jour au


lendemain il peut se foutre de moi et me briser le cœur.
C’est pour cela que je me suis empêchée de tomber
amoureuse de lui. Oui, j’aime être en sa compagnie, dans
ses bras, dans son lit, mais pas au point de me caser avec
lui. Je ne suis plus prête pour ça. Vivre avec un homme, le
présenter à ma famille. Non, je ne veux plus de ça. Je
préfère encore être une mère célibataire.
19

DEUX MOIS PLUS TARD

***BOYA

Je stresse à mort. Je crois que je suis dans la merde. Ça fait


deux mois que je n’ai pas eu mes menstrues et là je suis
morte de trouille. Je savais que j’aurais dû prendre la pilule
la dernière fois que Stephen est revenu de voyage. J’étais
tellement occupée avec les devoirs à l’école que ça m’est
complètement sorti de la tête. Me voici maintenant en train
de fixer les tests de grossesse avec la frousse de pisser
dessus. Une chance que Stephen soit de nouveau en voyage.
Ça me permet de vérifier tout ça plus calmement. Bon,
quand il faut y aller, il faut y aller ! Je procède au test sur
les deux tubes et je patiente, les yeux fermés. J’espère que
je ne suis pas enceinte. Avec Stephen on avait dit qu’on
attendrait que je sois un peu plus posée dans mes études.
Là, je dois passer le BAC et ce n’est absolument pas le
moment. J’ouvre les yeux et…

— Oh, purée !

Je suis enceinte. Je ne sais pas comment réagir. Ce n’était


pas prévu. Mon Dieu ! Je ne sais pas quoi faire. Il faut que
je réfléchisse. Je vais en parler à ma belle-mère. Je dois
passer la saluer tout à l’heure et lui rapporter deux robes
que j’ai confectionnées pour elle. J’arrive chez elle une
demie heure plus tard, juste au moment où elle passait à
table. Je la rejoins donc pour le déjeuner. Je lui offre ensuite
ses robes qu’elle essaie. Elle les adore. Je demande à lui
parler quand elle s’apprête à se retirer dans sa chambre pour
sa sieste quotidienne.

— Maman, je viens de découvrir que je suis enceinte.


— Oh, mais c’est génial ! Je vais encore être de nouveau
grand-mère. Toutes mes félicitations.
— Merci, maman ! Mais je ne sais pas si Stephen voudra
qu’on le garde.
— Ah oui, ça, c’est un autre souci. Je crois que, vu à quel
point il t’aime, il fera des efforts pour l’accepter. Il aura
sans doute peur, mais je suis certaine qu’il acceptera.
— Tu crois ?
— Oui ! Tu devrais en parler avec lui.

Malgré ma conversation avec maman, je ne me sens


toujours pas rassurée. Je décide d’aller rendre visite à
Laurence dans sa clinique. Lui, il connait beaucoup mieux
mon mari que n’importe qui. Il saura me dire quoi faire.
Son assistante me fait installer dans son bureau sous son
ordre le temps qu’il finisse d’ausculter un patient. Je
regarde mon portable espérant voir un message de Stephen,
mais toujours aucun signe de vie. Ça fait trois jours qu’il
est parti et il ne m’a appelée qu’une seule fois. Je
commence à m’inquiéter. D’habitude, il m’appelle tous les
jours jusqu’à son retour. Je suppose qu’il doit être occupé.

— Alors, comment va ma deuxième femme ? me demande


Laurence en entrant dans son bureau.
— Je vais bien, merci. Toi aussi j’espère.
— Je me maintiens malgré la fatigue, répond-il en
s’asseyant derrière son bureau. Alors, quoi de neuf ce
matin ?
— Je suis enceinte.

Il écarquille d’abord ses yeux et se met à sourire par la suite.

— Mais c’est génial. Je serai tonton. Toutes mes


félicitations. Comment a réagi Stephen ?
— Il ne sait rien pour l’instant. Il ne m’a pas appelée depuis
hier.
— Il doit être très pris. Mais tu comptes le lui dire, n’est-ce
pas ?
— Je ne sais pas. Nous avions convenu attendre avant
d’avoir un bébé et là ça nous tombe dessus comme ça.
— Vous aviez convenu attendre jusqu’à quand ?
— Je ne sais pas. Jusqu’à ce je commence à travailler peut-
être ou…
— Ou jusqu’à ce qu’il se sente prêt, ce qui risque de ne
jamais arriver.
— Je dois donc avorter, je suppose.
— Oh non ! Loin de là.
— Mais qu’est-ce que je fais s’il refuse ? Je n’aurai pas
d’autre choix, non ?
— Est-ce que toi tu es prête pour avoir ce bébé ?
— Je ne me sens pas prête parce qu’il y a les cours et le
BAC, mais je sais que je peux le faire.
— Dans ce cas, impose-lui un choix à faire. Je ne dis pas
de lui dire directement de choisir entre votre bébé et son
passé. Fais-lui comprendre par ta décision de garder cette
grossesse qu’il doit choisir entre fonder votre famille ou
continuer à vivre dans son passé. Stephen est guéri. Il a
juste peur de te faire du mal, raison pour laquelle il ne veut
rien tenter. Il t’aime et crois-moi, s’il sent qu’il est en train
de te perdre, il fera le bon choix.
— Tu crois ?
— J’en suis certain. Je le connais, cet enfoiré.

Je souris. Si Laurence dit que Stephen acceptera la


grossesse, alors je le crois.

J’ai attendu son appel toute la soirée et rien. Que peut-il


bien faire qui l’empêche d’appeler sa femme ? Je décide de
l’appeler malgré l’heure tardive. Je veux lui parler de la
grossesse en même temps parce que je ne sais pas si j’en
aurais le courage quand je l’aurai devant moi. Ça sonne
dans le vide avant de se couper. Il doit être endormi. Il est
22 heures ici. Je rappelle une deuxième fois. Ça sonne
longtemps et juste au moment où je m’apprête à raccrocher,
il décroche.
— Allô, bébé ?
« — Euh désolée, ce n’est pas Stephen. »

La voix de cette femme fait retourner mon cœur. Que fait


une femme avec le portable de mon mari ?

— Où est mon mari ?


« — Ah, c’est vous sa femme ? me répond-elle avec le rire
dans la gorge. Stephen est déjà endormi. Je lui dirai que
vous avez appelé, demain quand on se réveillera. »

Elle coupe. Je reste un moment immobile. Elle vient de me


raccrocher au nez ? C’est donc pour cela que Stephen ne
m’a pas appelée tout ce temps ? Parce qu’il préfère
roucouler avec une autre ? J’ai cru qu’il n’était plus cet
homme infidèle. Je n’en reviens pas. Je sens mes larmes me
monter aux yeux. Je veux rappeler pour exiger de lui parler,
mais j’ai la gorge trop nouée pour parler.

***STEPHEN

Je me lave les mains et je sors des toilettes de mon bureau.


Je surprends mon assistante avec mon portable dans sa
main.

— Que fais-tu avec mon portable ?


Elle sursaute.

— Euhh ! Je…
— Je l’ai entendu sonner plusieurs fois, dis-je en récupérant
l’objet.
— Oui. Je… j’ai…

Mon visage se déforme quand je vois des appels de ma


femme, mais surtout qu’il y a un temps de communication
qui est marqué. Je me tourne vers mon assistante.

— Tu as répondu à l’appel de ma femme ? je lui demande,


en colère.
— Oui, monsieur. Je lui ai dit que…

Elle se lève et se rapproche doucement de moi.

— … que vous étiez occupé, termine-t-elle en glissant sa


main sur mon buste.

Je lui saisis le bras et la pousse tellement fort qu’elle


manque de tomber au sol. Elle se rattrape dans le siège.

— Pour qui t’es-tu prise pour oser répondre à ma femme ?


Et pour qui te prends-tu pour oser te rapprocher de moi ?
— Je voulais juste vous faire décompresser, se justifie-t-
elle. Vous êtes à la tâche depuis que vous êtes là. J’ai cru
qu’un peu de plaisir vous ferait du bien.
— Du plaisir ? Cette boîte risque de couler et tu me parles
de plaisir ? En plus, tu veux briser mon mariage ?
— Monsieur…
— Non, tu la fermes. Dégage immédiatement de mon
bureau avant que je ne te cogne. Demain, tu viendras
ramasser tes affaires. Tu es virée.
— Mais monsieur, vous ne pouvez pas me faire ça. Je vous
en supplie ! Je ne le ferai plus.
— Tu auras dû y penser. Fous le camp d’ici ! Femme
légère.

Elle ramasse ses affaires et sort, tandis que de mon côté, je


lance le numéro de Boya. Elle ne décroche pas.

— Eh merde !

Elle doit être en colère. Les soucis de la boîte m’ont


tellement mis la pression que je n’avais pas une minute à
moi. De mauvais employés ont détourné de l’argent et si
rien n’est fait, nous nous retrouvons tous au chômage. Nous
avons pu trouver une solution ce matin et ce soir j’ai voulu
boucler les dossiers restants pour pouvoir prendre demain
très tôt le premier vol pour retourner auprès de ma femme.
Je n’ai quasiment rien avalé depuis deux jours et il fallait
que cette connasse vienne rajouter à mes soucis.

Boya ne répond toujours pas. Je ramasse mes affaires et je


retourne à mon hôtel. Ce n’est qu’une fois là-bas que je
prends le temps d’écouter la note vocale de Laurence sur
WhatsApp.

« — Salut, mon frère. J’espère que tout baigne là-bas. Je


sais que ce n’est pas à moi de te le dire, mais je dois t’y
préparer avant que tu ne fasses une connerie à ton retour.
Voilà, Boya est enceinte. »

Mon pouls s’accélère automatiquement.

« — Ne prends pas de décision hâtive. Je crois vivement


qu’il est temps que tu affrontes cette partie de ton
traumatisme. C’est la dernière porte à ouvrir pour ta
guérison totale. Réfléchis bien, mais surtout pense à ta
femme avant tout. »

Je me masse le visage. Waouh ! Il fallait que tout ça me


tombe dessus en même temps. Je laisse une note vocale à
Boya pour lui expliquer la raison de mon silence. J’envoie
ensuite un mail à l’assistante de mon patron pour lui donner
des consignes et je me mets au lit. Je sens que la journée
sera mouvementée.

*Mona
*LYS

Boya est assise devant la télé et ne bouge pas bien que


sachant que je suis là. Je pose mes affaires et me rapproche
d’elle. Elle n’a aucune réaction. Mais je remarque qu’une
larme glisse sur sa joue.

— Mon amour !

Je m’assieds près d’elle.

— Boya ! Chérie !

Je veux la toucher, mais elle recule.

— Tu m’avais promis ne jamais me tromper, lâche-t-elle en


pleurant.
— Et j’ai tenu ma promesse jusque-là.
— Arrête de me mentir.
— Je ne te mens pas. Jamais je ne te ferais une chose
pareille. Je t’ai tout expliqué dans la note que je t’ai envoyé
sur WhatsApp.

Elle se lève et veut s’en aller. Je la retiens.

— Laisse-moi, Stephen.
— Parle-moi !
— Comment je fais pour savoir que tu ne me mens pas ? Je
t’ai vu tromper sans cesse Martine.
— Je ne suis plus cet homme.
— Qu’est-ce qui le prouve ? Que fais-tu avec une femme
dans ta chambre tard dans la nuit ?
— Nous étions à l’entreprise. Elle t’a menti. Je l’ai
renvoyée pour ça. Bébé !

Je veux de nouveau la toucher, elle repousse ma main.

— J’ai le VIH, Stephen. Alors si tu sais que tu ne peux


résister à l’envie de me tromper, libère-moi. Je crains que
mon organisme ne supporte pas une MST (Maladie
Sexuellement Transmissible). Je ne veux pas mourir. Je
préfère encore divorcer que de mourir à cause de tes
infidélités.
— Arrête de raconter des choses pareilles. Tu parles sous
le coup de la peur. Je sais que tu as peur que je refuse la
grossesse.

Elle éclate en sanglots, ce qui me prouve que j’ai raison. Je


me rapproche d’elle.

— J’ai aussi peur d’échouer en tant que père. Je suis mort


de trouille. Je ne pense pas y arriver. Mais… je suis prêt à
essayer.

Elle me regarde avec surprise. Je me rapproche encore plus


et lui attrape les mains. Je plonge mon regard dans le sien
pour qu’elle voie toute la sincérité de mon âme.
— Je travaille chaque jour à être un homme exemplaire et
un meilleur mari, et je le réussis plutôt bien. Alors,
pourquoi ne pas essayer d’être un bon père ?

J’essuie ses joues du bout de mes doigts.

— Je veux le faire, mais rien qu’avec toi. Je t’aime, Boya.


— Je t’aime aussi.

Elle éclate de nouveau en sanglots. Je la prends dans mes


bras. Cette petite femme me rend fort à un point qu’elle ne
peut s’imaginer. Je m’assieds et la fais asseoir sur mes
jambes comme un bébé. Elle adore cette position. Elle se
blottit dans mes bras tout en reniflant.

— Pardonne-moi d’avoir douté de toi, s’excuse-t-elle.


— C’est à toi de me pardonner de t’avoir négligée ces
jours-ci. Je suis à toi seule, entièrement. N’en doute plus
jamais.

Je la serre plus fort contre moi et pose un baiser dans ses


cheveux. Que Dieu me donne la force d’être un bon père
pour mon enfant. Je veux créer une autre génération
d’hommes avec cette nouvelle famille que j’ai eu la grâce
d’avoir.

***HERMANN
— Martine n’a toujours pas donné de réponse à ta
proposition d’aller voir ses parents et de vivre ensemble ?
— Toujours pas. Je crois qu’elle n’est pas prête pour se
caser.
— Comprends-la. Elle a vécu un énorme chagrin. Tu sais
ce que c’est.
— Ouais.
— Alors, patiente, mon chéri. Elle finira par accepter. Je
crois qu’elle t’aime déjà.

Moi je n’en suis pas si sûr. J’ai toujours senti la distance


qu’elle mettait entre nous. J’ai toujours senti ses rétentions.
Elle ne m’avait jamais dit en premier qu’elle m’aimait. Elle
répondait uniquement quand moi je le lui disais et on aurait
dit qu’elle le disait machinalement. On sait tous que
lorsqu’une personne dit à une autre personne qu’elle
l’aime, l’autre doit automatiquement répondre par la
réciproque. Je continue bonnement de croire qu’elle finira
réellement par tomber amoureuse de moi comme c’est le
cas pour moi. J’y crois fermement.

— Je dois y aller maintenant. Je dois aller chercher Martine


à son travail.
— C’est compris. Merci encore pour les courses.
— Pas de quoi, maman.

Je l’embrasse et je pars de chez elle. Je n’étais pas très en


forme ce matin, raison de mon absence au travail
aujourd’hui. Je veux tout de même aller chercher Martine
pour lui éviter de se taper l’embouteillage. Depuis deux
mois que nous avons découverts la grossesse, il s’est
installé une distance entre Martine et moi. Elle s’est
renfermée, ne veut plus participer à nos sorties avec mes
amis, ou même en tête à tête. Elle a toujours des excuses,
notamment la fatigue due à la grossesse. Je n’insiste pas au
risque de la mettre sur les nerfs.

Je monte directement à son bureau quand j’arrive à son lieu


de travail. Je remarque que la porte n’est pas complètement
fermée. Je m’apprête à cogner quand j’entends mon nom.
Je suspends mon geste et écoute la conversation entre
Martine et sa collègue.

— Et si c’était à cause de son handicap que tu n’arrivais pas


à tomber amoureuse de lui ? demande sa collègue à
Martine. Parce que oui c’est vrai que Hermann est beau
gosse, mais aucune femme n’a pour critère d’homme un
handicapé.
— C’est vrai, tu as raison.

Elle a raison ? Sur quoi ? Les critères ou le fait que mon


handicap soit un frein à ses sentiments ?

— De ce que je sais, continue la collègue, c’est que les


hommes handicapés sont très coléreux. J’en ai déjà vu
plusieurs fois et entendu des histoires de ce genre. À cause
de ce complexe, ils n’hésitent pas être violents quand ils se
sentent offensés. Ma chérie, tu as enfin eu la grossesse que
tu as tant espérée. Concentre-toi uniquement sur ça. Tu
pourras chercher à te marier plus tard avec un homme que
tu aimeras.
— Je ne veux pas briser le cœur d’Hermann.
— Donc tu préfères rester avec lui par pitié ?

Elle ne répond pas. Pourquoi est-ce qu’elle ne rejette pas


les propos de son amie ? Je crois que j’en ai assez entendu.
Je l’appelle en retournant à ma voiture. Je lui fais signe que
je suis garé en bas. Avant qu’elle n’arrive, j’essaie de
canaliser mes émotions qui sont en ébullition. Je sens mon
cœur sur le point de se briser. Elle me rejoint et nous
pouvons nous en aller. Outre les civilités, nous demeurons
silencieux tout le long du trajet. Je croyais que la grossesse
nous rapprocherait davantage. Il faut croire que c’est tout
le contraire. Dès que le docteur nous a dit que nous serons
parents, je me suis tout de suite mis à imaginer ma petite
famille réunie sous le même toit et vivant un amour fort. Je
veux donner une famille unie à mon enfant. Ça risque de ne
pas être possible si la mère ne s’en sent pas prête.

Lorsque je gare dans le parking de notre immeuble, je


coupe le contact et reste assis dans la voiture, l’air pensif.

— Tu ne descends pas ? me demande-t-elle.


— Il y a deux mois, je t’ai proposé qu’on officialise notre
relation et jusque-là tu ne m’as donné aucune réponse.
— Je t’ai dit que je n’étais pas prête.
— Pour quoi exactement, n’es-tu pas prête ?
— À cause de tout ce que j’ai vécu avec Stephen.
— Et jusqu’à quand seras-tu prête ?
— Hermann !
— Je veux savoir si cette relation aura un avenir. Je veux
savoir où on va au juste.

Elle baisse la tête. Le silence prend la place dans


l’habitacle. Je regarde devant moi en tapotant doucement
sur le volant.

— Es-tu amoureuse de moi ?


— Hermann !
— Je veux savoir.
— Je sais que je ressens des choses pour toi. Je…

Elle cherche ses mots.

— J’ai entendu ta conversation avec ta collègue me


concernant.
— Oh mon Dieu ! soupire-t-elle. Hermann, ce n’est pas ce
que tu crois. Je suis confuse depuis un moment. Je ne sais
plus ce qui me passe par la tête.
— Dans ce cas, dis-moi si tu nous as déjà projeté tous les
deux dans l’avenir. Dis-moi si tu désires passer le restant
de ta vie à mes côtés.

Elle demeure silencieuse. Mon cœur en prend un coup.

— Eh bien, je crois que c’est officiellement fini entre nous.


— Hermann !
— Tu n’auras plus à faire semblant pour ne pas me briser
le cœur.
— Ne dis pas ça.
— Tu devrais descendre maintenant. Je serais toujours
présent pour le bébé et toi. Tu pourras me contacter à
n’importe quel moment ou quelle heure, je répondrai.
— Ne fais pas ça.
— (M’énervant) Dis-moi à quoi ça sert de maintenir une
relation dans laquelle il n’y a pas d’amour.
— Je ne veux pas que les choses se terminent ainsi.
— Je n’ai pas besoin de ta pitié. Ce n’est pas parce que j’ai
une jambe en moins que tu vas prendre des pincettes avec
moi. Je ne suis un nécessiteux. Je t’aime ; ce n’est pas
réciproque alors il n’y a pas de raison d’être en couple.
Descends, s’il te plaît !
— Je suis désolée, Hermann. Je ne voulais pas te faire de la
peine. Je…
— Je t’en prie, descends, lui dis-je doucement. Et crois-
moi, je ne t’en veux pas.
Elle descend sans rien ajouter. Je démarre et quitte
l’immeuble. Je conduis en direction de la maison d’Alfred.
J’avais tellement d’espoir en cette relation. Je me disais que
c’était enfin la bonne avec qui je passerais le reste de mes
jours. Je ne veux y penser. Je veux passer à autre chose.
Plus je m’attarderais sur l’échec de cette relation, plus j’en
souffrirais. Alfred, en voyant ma mine, devine que je vais
mal.

— Que t’arrive-t-il ? s’inquiète-t-il pendant que je marche


vers son salon.
— C’est fini avec Martine.
— Oh ! Que s’est-il passé ?

Il vient me rejoindre dans le canapé.

— Elle ne m’aime pas. Et mon handicap y est aussi pour


quelque chose.
— Je suis vraiment désolé.
— Est-ce que je peux rester ici quelque temps ?
— Bien sûr ! Chez moi c’est chez toi. Mets-toi à l’aise. Tu
sais que moi je serai toujours là pour toi. Tu le sais ça ?
— Ouais, mon pote. Merci. Demain tu iras chercher
quelques affaires chez moi.
— Ok. Bon, je nous commande des pizzas et on fera un pari
devant le match de ce soir.
— Ah ouais, j’avais oublié le match.
Je reçois un appel de Martine. Je coupe, éteins mon portable
et je me concentre sur le match. Je dois être dur avec moi-
même pour pouvoir passer à autre chose.
20

*TANTE ODETTE

— Que la paix du Seigneur vous accompagne et qu’il


bénisse cette semaine.
— Amen, répondons-nous tous ensemble.

Le pasteur marque ainsi la fin du culte. Nous nous saluons


les uns les autres. Certains discutent, d’autres rigolent, c’est
cette belle ambiance qui nous anime à chaque fin de culte.
J’aime tellement passer du temps à l’église. Ça me fait
énormément de bien. J’ai appris à aimer la présence de Dieu
pendant l’épreuve que j’ai traversée. Ça me procurait de la
joie à chaque fois, raison pour laquelle je me suis engagée
corps et âme au service du Seigneur.

En saluant les gens, je tombe sur un visage familier.

— Monsieur Francis ? Toi ici ?


— Ah bonjour, ma belle dame. Comment vas-tu ?
— Dieu fait grâce. Je ne savais que tu venais dans cette
église.
— Je fais partie de cette église, mais j’avoue qu’entre le
travail et la fatigue, j’ai abandonné la maison du Seigneur.
Aujourd’hui, j’ai voulu venir me ressourcer spirituellement
et surtout remercier Dieu de m’avoir épargné d’un accident
tragique hier. Je crois que c’était un avertissement de Dieu
pour que je revienne dans sa maison, termine-t-il en riant.
— Je crois aussi. Dieu merci qu’il ne te soit rien arrivé.
J’espère qu’après ça tu seras régulier.
— Oh que oui ! Toutes les fois que je serai disponible, je
viendrai.
— C’est bien. Donc là tu rentres chez toi ?
— Oui. Je n’ai rien d’autre à faire dans ma vie à part
conduire les gros camions et passer mes journées à dormir,
rigole-t-il de nouveau.
— Dans ce cas je t’invite chez moi pour partager un repas.
Du foutou à la sauce graine.
— Mon plat préféré. Comment dire non ?
— Allons-y donc.

Natacha me rejoint au même moment et nous nous en allons


à pied. Ma nouvelle maison n’est pas loin de l’église. Je
peux donc piler mon foutou ou cuisiner mon riz rapidement
avant de m’y rendre sans être en retard.

J’installe monsieur Francis et je vais troquer mon complet


pagne par une longue robe à fines bretelles en tissu pendant
que Natacha dresse la table. Je reviens nous servir à tour de
rôle sur la table à manger.

— Maman, je m’en vais, m’informe Natacha qui apparaît


avec son petit sac accroché à son épaule.
— Tu t’en vas où ?
— Je t’avais dit que je devais aller passer la journée avec
Boya.
— Ah oui ! N’oublie pas de prendre le kaolin pour lui
donner, lui dis-je en guéré. Dis-lui de bien boire pour
sécuriser le bébé. Après je vais lui apporter des
médicaments pour ses lavements.
— D’accord, maman. J’ai déjà pris. À ce soir.
— Que le Seigneur t’accompagne.
— Amen !

Je retourne à monsieur Francis que je finis de servir et je


m’assieds près de lui. Il rend grâce à Dieu pour le repas et
nous commençons à manger. Il laisse la fourchette et la
cuillère et mange avec ses doigts. Quand j’ai commencé
mon commerce, Dieu m’a fait la grâce de rencontrer des
gens qui ont été très bénéfiques pour ma stabilité dans ce
monde des affaires. Et parmi ces personnes, il y a ce vieil
homme de soixante ans qui est une grande bénédiction pour
moi. Je me souviens dans mes débuts, j’avais égaré ma
marchandise d’un million, financée par Stephen. Ceux qui
devaient me livrer mes sacs de piment se sont trompés et se
sont retrouvés au Mali avec mes sacs. C’est dans les
échanges avec eux pour trouver une solution afin de me
ramener ma marchandise que Francis, qui m’entendant me
lamenter dans le marché d’Adjamé, a décidé d’aller
récupérer le tout pour me les rapporter, et ce gratuitement.
Je l’ai tellement béni ce jour-là qu’il a commencé à rire. Il
a décidé de m’aider en transportant mes colis, et ce à un
petit prix. C’est ainsi que notre collaboration a commencé.
Je suis bien heureuse de le recevoir aujourd’hui chez moi.
C’est bien la première fois que j’ai un geste aimable à son
égard.

— C’est vraiment délicieux, complimente-t-il, la bouche


pleine.
— Merci !
— Je ne me rappelle pas la dernière fois que j’ai autant bien
mangé une nourriture faite maison.
— Ta femme ne prépare pas pour toi ?
— Oh non ! J’ai perdu ma femme il y a des années de cela.
— Et tu ne t’es pas remarié ?
— Non. Je n’ai plus eu la tête à ça. J’ai préféré me
concentrer sur l’avenir de mes enfants.
— Combien d’enfants as-tu ?
— Trois. Ils sont grands et chacun dans son foyer. Et toi ?
— J’en ai trois également. Ils sont encore à l’université. Le
deuxième va passer le concours de la gendarmerie cette
année.
— Dieu fera.
— Amen !

Un bruit nous fait tourner les têtes vers l’entrée.

— Donc c’est pour sortir avec d’autres hommes que tu as


jeté papa en prison ? relève ma fille en dévisageant Francis.
— Sonia ? Je ne savais pas que tu venais.
— J’étais venue chercher mon extrait de naissance, mais je
crois que je n’aurais pas dû venir.

Elle tourne dos et repart. Je rince rapidement ma main dans


le bocal et je cours derrière elle.

— Sonia, attends, s’il te plaît !


— Quoi, maman ? Juste deux ans et tu sors déjà avec un
autre homme ? Tu voulais donc te débarrasser de mon père
depuis longtemps.
— Bon maintenant ça suffit ! J’ai accepté ta colère en me
disant que ça allait passer, mais là, ça suffit ! Tu me
reproches d’avoir sauvé la vie de plusieurs jeunes filles ?
— C’est vrai que ce qu’il a fait est grave, mais vous auriez
pu régler ça autrement que de l’emmener en prison.
— La place de tout violeur se trouve en prison. Ça fait mal,
mais c’est ainsi. Ton père était mon mari depuis mes vingt
ans, donc j’ai passé trente ans avec lui. J’ai même quitté
l’université pour être une femme au foyer. Tu n’as pas idée
des conneries que j’ai supportées pour vous maintenir dans
une famille unie pendant que ton père faisait absolument
tout ce qu’il voulait. J’ai fermé ma bouche sur plusieurs de
ses conneries, mais sur les abus sur mineures, ça non. Tu
crois que ça a été facile pour moi de mettre mon mari en
prison ? Mais il le fallait parce que si c’était à toi que c’était
arrivé, j’aurais souhaité que justice te soit rendue. Je ne te
le souhaite pas, mais s’il arrivait que tu subisses un
harcèlement sexuel ou te fasse violer, mon Dieu je refuse
cela, j’espère que tu souriras à ton bourreau et ne voudras
pas qu’il paie pour son acte. Si tu veux me bouder le reste
de ta vie, c’est ton problème. J’ai la conscience tranquille.
Tu peux partir ou tu veux, mais je reste ta mère malgré tout.

Cette fois, c’est moi qui lui tourne le dos. Je suis fatiguée
de subir ses caprices. Je vais m’asseoir dans le salon plutôt
qu’à la table à manger. On avait fini de manger de toute
façon.

— Tout va bien ? me demande-t-il en se rapprochant de


moi.
— Oui. Je suis désolée pour tout ça.
— Ce n’est pas bien grave.
— Je vais aller me reposer maintenant. Le culte m’a
épuisée.
— Ok. Passe une excellente suite de journée. Encore merci
pour la nourriture.
— Bonne journée également.

J’ai honte qu’il ait entendu cette partie de ma vie. Je n’en ai


jamais parlé à qui que ce soit en dehors de mon pasteur.
Même si je ne regrette pas de l’avoir fait, c’est quelque
chose que je ne veux pas non plus que les gens sachent.

***MARTINE
Hermann a déserté son appartement depuis un mois et
j’avoue me sentir mal. Non, je ne me sens pas mal. Il me
manque. C’est absurde de le dire, surtout après lui avoir
brisé le cœur, mais il me manque réellement. Je me retiens
de l’appeler ou de lui écrire pour prendre de ses nouvelles
pour éviter qu’il ne prenne cela pour de la pitié. Je regrette
amèrement de n’avoir pas contredit ma collègue lorsqu’elle
racontait sa connerie de théorie sur les handicapés. Le truc,
c’est que j’étais perdue entre mes pensées et notre
conversation. Je voulais coûte que coûte mettre un nom sur
ce que je ressentais pour Hermann. Il le fallait pour prendre
des décisions qui se montraient impératives avec la
grossesse. Je ne voulais pas donner de fausse famille à mon
enfant. Une famille où l’amour n’était pas réciproque. Je ne
voulais surtout pas qu’Hermann commette la même erreur
que moi en s’impliquant de tout son être dans une relation
sans avenir comme moi je l’ai fait avec Stephen. En voulais
bien faire les choses, j’ai fini par blesser cet homme si
merveilleux. Je n’arrête pas de me demander si c’était de
lui qu’il était question dans la révélation que la vieille dame
m’avait donnée. Je suis perdue. J’ai peur de prendre de
mauvaises décisions, de me laisser guider par ma
précédente déception et de faire n’importe quoi. Il faut que
je me calme pour mettre toutes mes idées au clair parce que
les choses n’ont cessé de s’enchaîner et ça ne m’aide pas.

Je suis dans la salle d’attente de la clinique, attendant mon


tour pour l’échographie. J’entame aujourd’hui mes visites
prénatales. J’ai hâte. J’en ai informé Hermann par message
en précisant le lieu et l’heure. Il m’avait dit qu’il aimerait
assister à toutes mes visites. Je ne fais que regarder son
numéro en espérant qu’il m’appelle. Je redoute surtout
d’être en sa présence. Nous avons fait tout un mois sans
nous voir ni même nous parler. Je ne sais pas comment il
se comportera avec moi. C’est Alfred qui prenait de mes
nouvelles pour son ami.

Je tourne la tête et mon cœur sursaute en le voyant entrer


dans la clinique. Sa barbe non taillée lui confère un certain
charme, encore plus avec les lunettes de soleil plaquées sur
son visage. Je souris de soulagement et de bonheur qu’il
soit là. Il retire ses lunettes de soleil quand il est plus proche
de moi.

— Salut ! Comment vas-tu ? s’enquiert-il en prenant place


sur le siège près de moi.
— Bien, merci. Et toi ?
— Ça va. Merci !

Nous nous tenons ensuite compagnie dans le silence


jusqu’à ce qu’on me fasse signe que c’est mon tour.
Hermann et moi entrons dans la salle d’échographie. Le
docteur est plutôt bien accueillant.

— Alors, votre premier bébé ?


— Oui, docteur, je réponds en me couchant sur le lit.
— C’est vous le mari, je suppose, dit-il à l’encontre
d’Hermann.
— Juste le père, rectifie celui-ci, pince-sans-rire.

Cette rectification me pince au cœur. Oui, c’est vrai qu’il


n’est pas mon mari, encore moins mon compagnon, mais il
aurait pu jouer le jeu. Le docteur, qui est un homme d’un
âge avancé, ne s’en formalise pas. Il demeure dans sa bonne
humeur. Je regarde Hermann qui est concentré sur l’écran
comme s’il y comprenait quelque chose.

— Voici votre bébé, nous dit le docteur après quelques


secondes en posant son index sur son écran. Il est encore
tout petit vu que vous êtes maintenant à douze semaines et
trois jours.

En effet, nous voyons une petite forme, mais qui m’émeut.


C’est mon bébé. Un bébé que j’ai tant rêvé avoir. Je baisse
les yeux sur Hermann qui mime un sourire en regardant
l’écran. J’y rapporte également mon attention. Le docteur
nous rassure que tout va bien autant chez moi que chez le
bébé. Il demande à Hermann de sortir pour procéder à ma
première consultation prénatale. Je fais tout le nécessaire,
une prise de sang y compris pour des examens. Je ressors
retrouver Hermann qui manipule son portable.

— J’ai terminé, lui dis-je.


— Tu rentres ou tu as prévu aller quelque part ?
— Non, je rentre.
— Allons-y donc.

Nous arrivons au parking de notre immeuble dans un


silence de cimetière. Je n’avais jamais été autant mal à
l’aise en compagnie d’un homme. Il ne m’a dit aucun mot
ni lancé aucun regard. Il s’est contenté de conduire jusqu’à
destination. Je descends et je suis surprise de le voir
descendre à son tour. Il sort une petite valise du coffre de
sa voiture. Enfin, il revient chez lui. Enfin, je l’espère.
Arrivé devant nos appartements, il ouvre sa porte et entre.
Non, je ne peux laisser les choses se passer ainsi. Je cogne
à sa porte. Il ressort.

— Tu as besoin de quelque chose ?


— Pourquoi… pourquoi cette indifférence ? Notre rupture
signifie-t-elle que nous sommes ennemis ?
— Je suis désolé si je t’ai donné cette impression. J’essaie
juste de jouer mon rôle à tes côtés et c’est tout.
— Ça implique donc de ne plus m’adresser la parole ?
— Souviens-toi, Martine, qu’il y a quelques semaines en
arrière tu fuyais littéralement ma compagnie ! Tu avais mis
une barrière entre nous. J’essaie juste de la respecter.
— Je…

Je referme ma gueule. Il a raison. Je suis la première à avoir


mis une distance entre nous. Comme je suis conne.
— Écoute, je serai toujours disponible pour toi si tu as
besoin de moi, continue-t-il. Je n’ai d’ailleurs pas d’autres
choix puisque tu portes mon enfant.
— Ok. Désolée pour cette remarque déplacée.
— Ce n’est rien. Je vais me reposer maintenant.

Je recule en refoulant ma tristesse. Il a dit qu’il serait là pour


moi uniquement parce que je porte son enfant et non parce
qu’il m’aime. Ce petit détail m’a quand même fait mal.

DEUX MOIS PLUS TARD

***STEPHEN

J’entre à la maison et je pousse un soupir en voyant Boya


endormie sur la table basse du salon au milieu de ses
cahiers. Je pose mes affaires dans l’un des fauteuils et je
m’assieds sur la moquette près d’elle.

— Ma puce ! je l’appelle doucement en lui tapotant le dos.


Ma puce !
— Hum ?

Elle se relève tout doucement et se met à bâiller. Elle


sursaute ensuite en me voyant.

— Oh bébé, tu es déjà là ? Oh mince, je n’ai pas fait le


diner, s’agite-t-elle. Laisse-moi quelques minutes pour…
— Non, reste tranquille, lui dis-je en lui retenant le bras. Je
vais commander à manger.
— Je suis vraiment désolée. J’étais en train de bosser et je
me suis endormie.
— Ce n’est pas bien grave. Viens.

Je passe une commande de nourriture en ligne, je l’aide à


se relever et je la conduis dans notre chambre. Je l’aide à se
dévêtir, j’en fais de même et nous allons à la douche. La
sentant vraiment épuisée, je lui fais prendre sa douche.
Pendant qu’elle se vêtit, je descends ranger le salon, dresser
la table et récupérer le diner avec le livreur au portail. Elle
descend avec toujours autant de nonchalance.

— Ouvre la bouche, lui dis-je une fois que nous sommes


installés autour de la table à manger.

Elle obéit et je glisse son comprimé dans sa bouche. Elle y


ajoute un verre d’eau qu’elle vide d’une traite. Je ne fais
que la regarder avec de la peine. Je déteste la voir autant
surmenée. Je lui prends doucement la main et la caresse.

— Et si tu laissais tomber le BAC cette année pour te


soulager un peu de tes tâches ?
— Non, je veux le faire.
— Mais regarde-toi. Tu es tout affaiblie par la fatigue. Tu
as beaucoup trop de choses à gérer et ce n’est pas bon pour
ton état. Tu es à peine à trois mois de grossesse et tu es déjà
à bout de souffle. Remets le BAC à l’an prochain.
— Non, je ne veux pas. Le BAC c’est dans deux semaines
et j’ai déjà assez bossé pour l’annuler. Je veux évoluer. J’ai
pris trop de retard dans ma vie.
— Tu n’es en compétition avec personne et tu ne dois de
réussite à personne.
— Je le sais, mais… (elle soupire) je veux vraiment le faire
et je crois en être capable. Il faut simplement que je
m’organise mieux entre la maison et les cours.
— Ok, voici ce qu’on va faire. Je vais te chercher quelqu’un
qui viendra faire le ménage deux à trois fois par semaine,
pour te libérer de cette corvée. Pour la nourriture, on peut
cuisiner ensemble les week-ends plusieurs petits plats à
congeler et on en commandera également. Ça te va ?

Elle fait oui de la tête.

— Je t’aime.
— Je t’aime aussi, sourit-elle. Merci d’être si attentionné.
— Viens-là !

Je l’attire sur mes jambes et l’embrasse. Je me baisse pour


embrasser son ventre. Je m’habitue à l’idée de bientôt
devenir père. Chaque jour j’embrasse son ventre pour créer
un lien entre moi et mon enfant.

— Tu feras un bon père, j’en suis certaine.


— Si tu le dis, c’est que ça sera le cas.

Nous échangeons un sourire avant de retourner à nos plats.

***BOYA

Je pose ma feuille puis quand je sors de la salle je souffle


un très grand ouf de soulagement. Enfin, j’ai terminé mes
épreuves. Mon Dieu, j’ai trop stressé durant ces examens.
Je sens un vent frais me souffler le corps. Il ne reste plus
qu’à attendre les résultats. Je cours me jeter dans les bras
de mon homme qui m’attendait, adossé contre sa voiture.

— Enfin, nous sommes libérés.


— Libérés, délivrés.

Il pose un baiser sur mes lèvres et me serre fort dans ses


bras. Dieu m’a donné un mari en or. Cet homme stressait
plus que moi, il était là tous les jours de composition à midi
pour me faire décompresser pendant les déjeuners. Il m’a
aidée dans les révisions. Cet homme est parfait.

Sur le chemin retour pour la maison, je reçois l’appel de ma


voisine de classe. Aujourd’hui est le dernier jour des cours
de stylisme. Ça devait être la semaine dernière, mais il y a
eu des retards sur certains cours à rattraper. J’ai hâte pour
la prochaine rentrée. Ma prière est d’avoir le BAC pour
pouvoir totalement me concentrer sur le stylisme et mieux
me perfectionner.

— Allô, ma belle.
« — Oh Boya, j’ai une excellente nouvelle pour toi. » hurle-
t-elle, l’excitation dans la voix.
— Qu’est-ce qu’il y a ?
« — On s’apprêtait à rentrer à la maison quand la
directrice est venue annoncer qu’un défilé de mode pour
élèves amateurs serait organisé dans trois mois pour
donner la chance aux novices. Trois élèves dans toute
l’école ont été choisis et devine quoi ? »
— Tu as été choisie ?
« — Pas moi. Toi ! Tu fais partie du trio. »
— QUOI ??? SÉRIEUX ???
« — Mais ouiiii !!! Il y a aura un jury et le gagnant aura un
stage d’une année auprès de l’un des meilleurs stylistes du
pays. »
— Non, je n’y crois pas. Quoi ???

Elle éclate de rire.

« — Tu peux venir voir la directrice pour plus de précision


et aussi pour valider ta candidature. Toutes mes
félicitations, chérie. »
— Merci beaucoup. J’y vais tout de suite.
Je raccroche et raconte tout à Stephen. Il change d’itinéraire
et nous arrivons rapidement à l’école. Il reste dans la
voiture pendant que je vais rencontrer la directrice de
l’établissement. Après une trentaine de minutes et ma
candidature remplie, je retourne auprès de mon mari. En
gros, il y aura dix candidats et chacun doit présenter trois
tenues. Deux tenues de gala homme et femme, plus une
tenue au choix qui doit représenter un pays, une région, ou
une identité culturelle. Et c’est cette dernière tenue qui sera
la pièce maîtresse du défilé qui aura plus de portée dans les
votes. Je n’arrive pas à croire que j’ai été choisie. Je savais
que j’étais bonne dans ce domaine, mais je ne savais pas
que c’était au point de me faire remarquer par la directrice
et d’être choisie pour représenter son établissement. Je dois
donner le meilleur de moi-même. Ce stage m’ouvrira de
grandes portes plus tard.

TROIS MOIS PLUS TARD

Je me lève, je regarde le résultat et je ne suis toujours pas


satisfaite. Il y a encore des retouches à faire. Je reviens sur
la tenue au choix. C’est elle qui déterminera ma victoire
alors j’y ai mis le paquet. La compétition c’est dans deux
jours et je suis prête à 90 %. Mes deux tenues de gala sont
déjà prêtes. Il ne reste plus que la dernière tenue. Elle m’a
pris beaucoup plus de temps que les deux autres. Trois mois
c’était beaucoup trop peu pour confectionner trois tenues
présentables pour un concours de mode. Une chance que ce
soit pour des amateurs donc il y aura indulgence si les
tenues ne sont pas au top comme pour des professionnels.
N’empêche que je n’ai pas voulu faire les choses à moitié.

— Tu es encore debout ?

Je lève la tête vers mon mari, debout dans les escaliers, dans
son jogging et son tee-shirt. Je remarque qu’il est 01 heure
du matin sur l’horloge murale.

— Oh non, il me reste encore quelques petits trucs à


ajouter.
— Bébé, il se fait tard. Tu vas t’épuiser encore plus et
tomber malade.
— Donne-moi encore trente minutes pour tout boucler. Je
vais terminer cette nuit et prendre la journée de demain
pour me reposer.

Il pousse un soupir et me rejoint. Il s’assied sur la moquette


et me prend la machine à colle et se met à coller le reste des
perles, suivant ce que j’ai commencé.

— Tu devrais aller te coucher, tu travailles demain.


— Je ne peux pas te laisser faire ça seule dans ton état.

Je souris en le regardant s’activer. Ai-je déjà dit que j’ai le


meilleur des maris ? Si j’ai pu finir ces tenues dans le délai,
c’est parce qu’il m’a beaucoup aidée. Chaque fois qu’il
revenait de travail, il mettait la main à la pâte au point où il
a acquis certaines notions de la couture. Il me fait l’aimer
de jour en jour.

Pendant qu’il met les ornements sur la tenue principale, je


fais les dernières retouches sur les tenues que j’ai mises sur
les mannequins en cire. Nous travaillons ainsi sans voir
l’heure s’échapper. Quand je me retourne vers lui, il est
endormi, assis sur la moquette, la tête ramenée en arrière
dans le fauteuil. Je souris. Je lui retire tout doucement le
pistolet à colle et le range. Je pousse la tenue et je m’installe
près de mon mari. Je lui pose un léger baiser sur les lèvres
et je me blottis contre lui. Je sens son bras me rapprocher
encore plus de lui. Il glisse et s’allonge sur la moquette en
me gardant dans ses bras. C’est dans cette position que nous
passons le petit reste de la nuit.

*Mona
*LYS

C’est aujourd’hui le grand soir et je stresse à mort. La


compétition va débuter dans quelques minutes. Tous les
compétiteurs sont présents et de ce que j’ai vu, ils ne sont
pas là pour jouer. Nous avons été tous mis dans une très
grande salle pour nous préparer. J’ai été bluffée par les
tenues des autres candidats, mais je suis convaincue d’avoir
mieux fait. Je ne suis pas du tout intimidée. Juste un peu de
trac. La salle où se déroulera le défilé n’est pas très grande,
donc il n’y aura pas assez de monde. Nous avons eu chacun
le droit de n’inviter que deux personnes. En plus de
Stephen, j’ai invité ma tante. Natacha fait partie de mes
mannequins. Nous pouvions en choisir en dehors de l’école
alors je l’ai prise parce qu’elle a une très belle plastique. La
pièce maîtresse lui va comme un gant. Même si je ne gagne
pas ce soir, je serais tout de même heureuse d’avoir
participé à ce concours. Ça me sera sans doute bénéfique.

Je reçois une tape sur l’épaule. Je me retourne et mon cœur


s’emplit de joie en voyant Stephen.

— Tu es finalement venu ?
— Je ne pouvais pas manquer ça. J’ai reporté le rendez-
vous. Tiens !

Il me tend un très gros bouquet de roses. Il m’attire et


m’embrasse.

— Tu es magnifique, ce soir.
— Toi aussi.

Il a porté sa chemise assortie avec la robe que je porte. Nous


en avons plusieurs de ce genre dans nos dressings. Nous
entendons le maître de cérémonie annoncer le début du
défilé dans le micro.
— Je retourne dans la salle. Ta tante est là également.
Retiens que peu importe les résultats, tu es la meilleure.
— Merci !

Il m’embrasse le front et part. Je me tourne vers mes


mannequins qui ont fini de se faire maquiller. Il y a Natacha
et mes deux voisins de classe qui ont bien voulu défiler pour
moi. On demande aux stylistes de faire un défilé à tour de
rôle sur le podium pour se présenter au jury. Je colle le
numéro sept sur mon bustier et je sors à la suite des autres.
Nous nous mettons en rang dans le couloir derrière le
podium. Chacun passe à tour de rôle, salue le public et les
membres du jury et retourne. Quand vient mon tour, le tract
reprend. Je m’avance sur le podium. Un sifflement me fait
tourner la tête. Stephen m’acclame beaucoup plus fort que
les autres en sifflant. Ma tante se tient près de lui, toute
joyeuse. Je garde mon regard sur eux pour ne pas sentir les
regards du petit public présent. Je leur souris pendant que
le maître de cérémonie fait ma présentation. Je retourne
hors du podium.

Nous sommes maintenant à la dernière étape et j’ai pris de


la confiance. Sans prétention aucune, mes tenues sont
largement mieux travaillées que celles de mes adversaires.
Ils ont tous fait du bon boulot, mais il n’y a pas de touche
personnelle. Ils ont exactement fait ce que nous avons déjà
l’habitude de voir. J’ai de grandes chances de remporter la
victoire.
Je jette un dernier coup d’œil à Natacha quand je reçois un
message de Stephen.

« — J’ai entendu les membres du jury s’extasier sur tes


tenues. Je crois que tu vas gagner. Tu es la meilleure. Je
suis fier de toi. »

Mon sourire s’agrandit. Je prends mon comprimé et nous


sortons nous mettre en position. Mon tour arrive. Natacha
part faire son défilé avec grâce et beauté. Les gens qui
n’étaient pas, à la base, venus pour moi se mettent à
s’extasier sur ma dernière tenue. Ils avaient déjà commencé
à chuchoter lors des premiers passages, mais là, ils
extériorisent. Cachée derrière le rideau, je les regarde
capturer ma dernière création avec leurs appareils. Je souris
de bonheur. J’ai opté pour une tenue Akan ornée de perles
et une couronne en chapeau. Mes trois mannequins sont
appelés à faire un défilé d’ensembles une dernière fois,
après quoi, je sors me présenter avec eux. Je me sens
comme une star devant les acclamations du public. Stephen
qui filmait, se lève et se met à siffler.

— Tu es la meilleure, hurle-t-il.

Des têtes se tournent vers lui. Il n’a pas l’air de s’en soucier.
— C’est ma femme, leur dit-il fièrement. C’est la
meilleure.

Je ris devant son manège. Quelle joie d’avoir son mari


comme premier supporter ! Je ressors avec mes
mannequins. Nous nous mettons à jubiler une fois hors de
la scène. Je suis tellement heureuse d’avoir pu vivre cette
magnifique expérience. Je suis pleinement satisfaite de
moi. Nous retournons dans la grande salle, le temps que les
trois derniers candidats terminent leurs passages. Je suis
surprise de voir notre directrice dans mon stand avec deux
autres compétitrices.

— Madame ?
— C’est à toi ça ?

Je baisse les yeux et mon souffle se fait court en voyant ma


boîte des ARV dans sa main.

— Oui, madame, lui dis-je doucement.

Elle baisse la tête un moment puis la relève.

— Nous allons devoir te disqualifier, m’annonce-t-elle.


— Quoi ? Mais pourquoi ça ?
— Nous ne pouvons pas prendre le risque de donner au
styliste vedette une stagiaire portant le VIH/SIDA.
Elle réalise avoir parlé trop fort quand les autres se mettent
à chuchoter. Mes deux voisins s’éloignent doucement de
moi. Les larmes me montent aux yeux. J’envie de
disparaitre devant cette honte qui me submerge.

— Comment… avez-vous vu mes médicaments ? je réussis


à lui demander malgré le nœud dans ma gorge.
— Quelqu’un nous l’a signalé parce que ça fait partie de
mes critères de sélection. Je veux travailler avec des gens
sains. Vous avez le SIDA et c’est un gros risque que nous
ne pouvons pas prendre. Le stylisme implique de devoir
travailler avec des aiguilles. Imaginez-vous si une aiguille
vous pique et que le styliste, sans le savoir, l’utilise et se
fait piquer également. Il se fera contaminer et risque de
mourir. Je suis désolée, mais tu ne pourras être classée dans
ce concours.

Je la regarde et je n’ai sais quoi dire. Ses propos et le regard


de toutes les personnes présentes n’ont d’effet que de faire
verser mes larmes. Je vois, du coin de l’œil, Stephen
rentrer. La scène coupe son engouement.

— Que se passe-t-il ? me questionne-t-il en s’arrêtant


derrière moi.
— Je suis disqualifiée. On rentre à la maison.
— Pardon ? Pourquoi ? Qu’as-tu fait ?
Sans répondre, je prends ma boîte des mains de la
directrice. Stephen qui a suivi mon geste comprend. Il
repose tout de même sa question, mais frontalement à la
directrice qui lui annonce sa décision et les raisons. Il pète
aussitôt un câble.

— C’est une blague j’espère ?


— Monsieur, votre femme…
— …Est la styliste la plus talentueuse à ce concours et vous
osez la disqualifier alors qu’elle est à deux doigts de gagner.
C’est inhumain ce que vous faites.
— Bébé arrête, j’essaie de le calmer en lui attrapant le bras.

Il avance malgré tout vers la femme.

— Retenez bien son nom : Boya GUEHI BÉKÉ. Vous la


verrez très bientôt sur vos écrans en tant que l’une des
meilleures stylistes de ce pays. Vous la solliciterez pour ses
créations et c’est MOI qui viendrais vous les livrer. Vous
allez regretter votre choix de ce soir.

N’en pouvant plus de toute cette scène, je récupère mon sac


à main et je sors en courant. Je m’en fiche des tenues. Qu’ils
en fassent ce que bon leur semble. Je n’en ai plus rien à
foutre. Stephen me rejoint près de sa voiture. Il déverrouille
les portières. Quand je m’y installe, j’éclate en sanglots.

— Chérie !
— Je veux rentrer à la maison.

Il ne dit rien et démarre. Quand nous arrivons à la maison,


je monte dans notre chambre me réfugier sous les draps du
lit et je pleure tout mon saoul. Donc parce que j’ai le VIH,
je n’ai pas le droit de réaliser mon rêve ? Je suis condamnée
à rester ainsi sans rien faire ? Je n’arrive pas à le croire.
J’étais pourtant si près de la victoire. Ils ont gâché ma
soirée.

Stephen retire le drap de ma tête. Il est agenouillé près du


lit sur lequel il s’est accoudé.

— Tu dois prendre des forces en ce qui s’est passé pour


atteindre tes objectifs.
— Je ne pourrai pas, lui dis-je entre mes larmes. Ils m’ont
anéantie.
— Tu n’as pas le droit de baisser les bras. C’est ce que tu
veux enseigner à nos enfants ?

Il glisse son doigt sur ma joue.

— Tu as fait beaucoup trop de chemin pour abandonner


maintenant. Regarde où tu es aujourd’hui. Toi la servante
sans avenir d’hier, tu es aujourd’hui mariée, maîtresse
d’une belle maison, tu as obtenu le BAC avec la mention
"bien" et tu portes des jumeaux dans ton magnifique ventre.
Même toi tu ne croyais pas être là un jour. Alors, c’est
encore possible de toucher ton rêve. Repose-toi
aujourd’hui, mais demain relève-toi et reprends ton
parcours. Ni le VIH, ni qui que ce soit ne doit te freiner. As-
tu compris ?

Je fais un timide oui de la tête.

— Endors-toi. Je t’adore.

Il m’embrasse le bout du nez, embrasse mon ventre,


remonte le drap sur moi, allume le climatiseur et me laisse
seule. Je ferme les yeux en me faisant la promesse de me
lever plus forte demain.
21

***BOYA

J’ouvre les yeux et je vois Stephen debout devant moi.

— Ah ! Enfin, la patronne se réveille. Alors, je vais vous


réciter votre programme pour les prochains mois.

Il place un calepin sous son nez.

— Alors, tu as la tenue akan d’hier à reproduire pour une


dot le mois prochain. La même tenue pour une mariée qui
la veut comme deuxième tenue pour son mariage dans deux
mois. Il y a une femme qui veut t’acheter la robe de soirée
présentée par ta voisine et son époux veut que tu lui
reproduises la tunique portée par ton voisin vu qu’ils ne
font pas la même taille. Les deux tenues doivent être faites
au même motif afin qu’ils soient assortis pour un dîner gala
dans trois semaines. Ah oui, il y a aussi une demande pour
Natacha. Une agence veut d’elle comme mannequin pour
leurs shootings-photos. Voilà, c’est tout pour le moment.

Je le regarde sans comprendre. J’ai entendu tout ce qu’il a


dit, mais je n’ai pas saisi.
— Arrête de me regarder comme une cinglée. Va prendre
une douche et te brosser les dents. Léonora KOFFI t’attend
en bas pour un échange.
— Qu’est-ce… Quoi ? Qu’est-ce que tu as dit ?
— Ton idole est ici même, en bas, dans ton salon, en train
de boire du thé.
— Tu blagues ?
— Non, ma petite fleur. Tu es devenue célèbre grâce à ton
talent.
— Mais comment ? Je ne comprends rien.
— La directrice de ton école a remis mon numéro aux
clients après qu’ils aient insisté pour te joindre. Et là, depuis
ce matin, mon portable ne fait que sonner et…

Il est interrompu par la sonnerie de son portable. Il


communique un instant avant de revenir à moi.

— Bon, là tu as une autre robe à confectionner pour un


anniversaire, le dernier samedi de ce mois. Soit dans moins
de deux semaines.

Je commence à réaliser ce qui m’arrive. Je me mets à


sourire grandement et je pousse un cri de joie. Stephen en
rigole.

— Dépêche-toi de descendre. Ton invitée est là depuis plus


d’une heure.
Il vient m’embrasser et sort de la chambre. Je cours dans la
salle de bain me rendre propre et je descends après m’être
vêtue. Mon cœur s’emballe en voyant Léonora KOFFI, une
styliste ivoirienne vivant et exerçant en France et qui y est
très réputée. Je n’en reviens pas qu’elle soit assise dans mon
salon. Je me rapproche d’elle, les étoiles dans les yeux. Je
l’adore, cette femme. Je peux passer des heures à regarder
ses créations et ses défilés.

— Bonjour, madame ! je la salue timidement.


— Ah ! Enfin, ma star se pointe.

Elle se lève et me prend dans ses bras. Je suis surprise et


heureuse à la fois. Elle me fait asseoir près d’elle.

— J’ai adoré tes créations hier. Je me suis vue en toi. Mais


j’ai été profondément déçue que tu aies été disqualifiée
alors que tu méritais amplement de gagner.
— Oui. La directrice m’a disqualifiée.
— C’est vraiment horrible ce qu’ils ont fait. Et je n’ai pas
manqué de lui dire le fond de ma pensée à la fin du
concours. On ne peut pas disqualifier une personne pour
une raison aussi idiote.
— Elle vous a dit ?
— Oui, après que j’ai insisté pour avoir une bonne
explication. Et laisse-moi te dire, ma belle, que le SIDA ne
doit pas être un frein pour toi. Beaucoup de stylistes ont
également cette maladie, mais personne ne le sait
réellement parce qu’ils aiment afficher la partie plaisante
de leurs vies. Des stylistes qui couchent avec les
mannequins et même des clientes, on en voit tout le temps.
Cette maladie est répandue au milieu de nous, mais
personne n’en parle. Même moi, j’ai le VIH.

J’écarquille mes yeux.

— Mais moi je l’ai chopé avant d’entrer dans le stylisme.


— Vraiment ?
— Eh oui !

Elle s’adosse confortablement dans le fauteuil et se perd


dans ses pensées.

— Plus jeune, j’étais tellement belle avec une plastique de


rêve que j’avais tous les hommes à mes pieds. Ne voulant
pas d’une relation sérieuse, je ne sortais qu’avec les
hommes mariés. Dès que je voyais une bague briller sur le
doigt d’un homme qui paraissait aisé, je travaillais à le
mettre dans mon lit. Ensuite, c’était au tour des grands
types de ce pays. Je voyageais avec eux quand ils avaient
du travail hors du pays. Je touchais des centaines de
millions à vingt-cinq ans et j’avais ma propre maison. Mes
parents ne disaient rien, tant que je leur rapportais beaucoup
d’argent. Puis un jour, j’ai rencontré Ulrich. Il était tout le
contraire de moi. Réservé, pieux, discret, sensible, très
calme… bref, toutes les qualités qui pouvaient me plaire
chez un homme. Malgré ma vie secrète, nous avions entamé
une relation. Je lui mentais constamment, mais j’étais raide
dingue de lui. Ça ne m’était jamais arrivé auparavant.
J’avais même songé à tout abandonner pour construire une
vie avec lui. J’avais d’ailleurs commencé à manquer les
rendez-vous et rejeter les appels de mes prétendants. Je me
détachais peu à peu de ma mauvaise vie, quand
soudainement, Ulrich tombait gravement malade. Les
examens ont révélé qu’il avait le VIH/SIDA et pire, son
système immunitaire était très faible.
— Oh, non !
— Il s’est mis à m’insulter parce que c’était évident que ça
venait de moi. Ulrich n’avait pas eu de rapport depuis deux
ans avant notre rencontre et il avait eu à faire des examens
sanguins pour d’autres raisons et il n’avait jamais eu cette
maladie. J’ai fait mon test à mon tour et ça s’est confirmé.
J’avais le SIDA et je l’avais contaminé. Je ne faisais que lui
demander pardon. Deux jours après, il a rendu l’âme sur
son lit d’hôpital.
— Oh, mon Dieu !
— Je me suis détestée. Je vivais dans la culpabilité. Quand
j’ai informé mes nombreux partenaires, ils m’ont tous
rejetée. J’ai vendu tous mes biens pour reprendre ma vie à
zéro à partir d’un petit studio et j’ai mis sur pied une petite
activité qui ne marchait pas vraiment.
— Et vos parents ?
— Au début, ils m’évitaient par peur d’être contaminés.
Mais après, ils sont revenus à de meilleurs sentiments et
m’ont apporté leur soutien. Ils m’aidaient du mieux qu’ils
pouvaient, mais je traînais dans la galère comme jamais,
jusqu’à ce que je rencontre un homme trois ans plus tard
qui m’a tout de suite demandé de venir vivre avec lui. Je ne
faisais rien d’autre que passer mes jours à la maison. Lui, il
s’occupait de tout. J’ai cru que c’était Dieu qui me
soulageait avec cet homme alors que non, il était plutôt un
envoyé du diable. Cet homme me rabaissait sans cesse et
ne se retenait jamais de me lancer à la figure que j’étais une
pauvre sidéenne. Je subissais parce que je me disais que je
n’aurais jamais mieux ailleurs. Pour moi, ma vie était finie
ainsi, plus aucun homme ne voudrait de moi avec mon
statut. J’étais donc obligée de vivre ainsi. Puis un jour,
après qu’il m’ait copieusement battue, il m’a conduite à
l’hôpital pour des soins. Je suis tombée sur un docteur qui
m’a donné des conseils qui m’ont boostée. Il m’appelait
chaque jour pour prendre de mes nouvelles et par nos
échanges, j’ai eu le courage de quitter ce foyer de merde.
La vie me punissait déjà assez avec cette maladie, je n’allais
pas encore accepter des humiliations inutiles. Je suis
retournée chez mes parents au village. Un mois après, le
docteur m’a fait des avances. J’ai refusé par peur de
retomber dans un autre enfer. Il est revenu à la charge après
trois mois. J’ai fini par accepter. Il me dota et m’épousa
légalement un mois après.
— Waouh !
— Eh oui ! Aujourd’hui, nous vivons en France avec nos
cinq magnifiques enfants bien portants. Mon mari est celui-
là qui m’a offert ma première machine à coudre pour que je
me distraie avec à la maison le temps de me trouver un petit
boulot. J’ai fini par prendre goût à la chose et me voici
aujourd’hui. Je n’ai pas laissé le VIH/SIDA diriger ma vie ;
encore moins ai-je laissé les gens me malmener parce que
je suis malade. En plus d’être une styliste, j’ai une ONG qui
apporte son soutien aux porteurs du virus et nous faisons
des campagnes partout dans le monde. Je dis à tous les
porteurs qu’ils sont aussi importants que les bien-portants.
Je leur dis que ce n’est pas parce qu’ils sont malades qu’ils
doivent laisser les gens les écraser. Peu importe la manière
dont ils ont chopé la maladie, ils méritent le respect.
Aujourd’hui, ma charge virale est très basse et je vis à
l’aise. J’ai même prié pour des gens qui m’ont dit avoir été
guéris de la maladie.
— Vraiment ? On peut en guérir ?
— J’y crois fermement. Dieu peut tout. J’ai demandé à
Dieu de me guérir, moi aussi. Il m’a dit non, que je dois être
un témoignage palpable ! Les autres porteurs doivent me
voir briller dans le monde malgré le virus pour qu’ils
puissent croire que c’est possible aussi pour eux. Je te
raconte ça pour que tu ne laisses pas l’événement d’hier te
retirer toute soif de réussite. Au contraire, à chaque fois
qu’on te met les bâtons dans les roues parce que tu as le
VIH, tu dois leur balancer un exploit à la figure. Ce que je
fais pour ne pas me laisser déstabiliser, c’est de dire à des
gens qui me contactent pour partenariat que j’ai le VIH et
que c’est à eux de voir s’ils sont toujours intéressés. Mais
bon, ça, c’est quelque chose que j’ai réussi à faire après
plusieurs exercices de courage. Aujourd’hui, que le monde
entier sache que je suis atteinte ne me fait ni chaud ni froid.
Je l’ai même marqué dans ma biographie.
— Vous êtes bien courageuse. J’espère un jour arriver à ce
stade.
— Je te le souhaite. Mais bref, passons. La raison de ma
visite ici, c’est que j’ai besoin de toi parmi mes poulains
dans mon centre de formation à Londres.
— Hum ? Moi ? Londres ?
— Oui ! J’ouvre mon nouveau centre et je veux que tu
fasses partie de mes élèves avec qui j’irais faire mes
différents défilés dans les pays. Tu es très talentueuse,
Boya. Tu as besoin d’un bon mentor pour mieux te
façonner.
— Waouh ! Je… je ne sais pas quoi dire. Je… Oh mon
Dieu !
— Voici ma carte et la fiche de renseignement de mon
centre. Tu as jusqu’à la prochaine rentrée pour me donner
une réponse.
— Oh mon Dieu !

Je récupère sa carte de visite puis la fiche et je l’enlace. Mes


cris de joie attirent Stephen. Je lui raconte et il se met à
jubiler avec moi. Moi qui me lamentais de n’avoir pas
remporté le concours, me voici avec une énorme
proposition et des sollicitations pour confectionner des
vêtements. Je crois que c’est ce qu’on dit « lorsqu’une porte
se ferme, Dieu t’ouvre une autre porte. ».

***MARTINE

Je m’ennuie, je manque de sommeil, le bébé ne fait que


jouer au foot dans mon ventre. Mon Dieu ! Je suis épuisée.
Il me reste encore un mois à supporter avant la sortie de ce
bébé gymnaste. J’y ai tellement hâte, ce n’est pas possible.
Il est 01 heure du matin et je n’arrive pas à dormir. Je ne
fais que me balader entre Facebook, Instagram et TikTok.
Je vais faire un tour sur WhatsApp histoire de regarder les
statuts de mes contacts. Je les regarde tous pour faire passer
le temps. Je vois en troisième, le statut d’Alfred. Ce sont
des photos de lui et ses amis sur la terrasse d’un restaurant.
Il a publié plusieurs photos. Je m’arrête sur l’une qui me
donne un coup de contraction. On y voit Hermann échanger
un sourire avec une fille. Je ferme les yeux pour réprimer
ma jalousie. Cette fille, je ne sais d’où elle sort, mais elle
est constamment collée à lui dans les photos et vidéos. Je la
vois également ici chez Hermann. Elle a même réussi à le
faire sourire alors que moi, ça fait sept mois que je n’ai pas
vu, ce sourire. Chaque fois que nous sommes ensemble, il
garde son air sérieux. Il discute à peine avec moi. J’ai
pourtant tout fait pour retrouver cet homme si jovial, mais
aucun résultat. Nous sommes juste les parents du bébé à
naître, et rien de plus.
Je vais dans la partie message et j’appuie sur nos
conversations. Je le vois connecté à cette heure. J’agrandis
sa photo de profil et la contemple en luttant avec l’envie de
lui écrire. Je compte jusqu’à dix puis je lui envoie un
message.

« — Tu ne dors pas ? »

Je fixe son numéro, attendant sa réponse, mais il se


déconnecte après avoir lu mon message. Toute déçue, je
pose mon portable près de moi sur le lit. Je sens une
vibration aussitôt. Je récupère mon portable à la hâte. Je
souris. Il a répondu.

« — Non. Tu n’arrives pas à dormir non plus ? »


— Non. J’ai de légères douleurs aux pieds.

C’est un mensonge. Je veux qu’il vienne. Il réagit toujours


quand je lui dis que j’ai un bobo quelque part. Je prie,
espérant que mon plan marche encore.

« — Tu veux que je vienne te les masser. »

Je rigole de soulagement.

— Je ne veux pas te déranger. Pas la peine.


« — Tu ne me déranges pas. J’arrive. »
Je jubile. Il a gardé mon double de clé depuis ce jour où j’ai
eu d’atroces douleurs au ventre qui m’empêchaient de
marcher alors que je prenais ma douche. Je lui ai donné un
double pour qu’il puisse facilement avoir accès à la maison
en cas d’urgence. Je m’arrange un peu avant qu’il n’arrive.
Il ne tarde pas à cogner à la porte de ma chambre.

— Tu peux entrer.

Mes sens se troublent quand je le vois entrer. J’ai


l’impression que cette distance qu’il a installée entre nous
me fait tomber amoureuse de lui. Ou peut-être que je l’étais
déjà et cette distance m’a permis de m’en rendre compte.
Je sais juste que je ne suis pas insensible à cet homme. Il
s’assied vers le bas du lit et commence à me masser les
pieds.

— Merci ! lui dis-je.


— C’est normal, répond-il regardant mes jambes qu’il
continue de masser.
— Pourquoi tu ne dormais pas ?
— Je ne sais pas. Je n’avais tout simplement pas sommeil.
— Je vois. Ta journée s’est bien passée ?
— Bof, ouais ! Ma nouvelle promotion demande beaucoup
plus de responsabilité et de charges. Il est possible que
j’effectue un voyage la semaine prochaine pour l’intérieur
du pays.
— Pour combien de jours ?
— Une semaine tout au plus.
— Tu vas me manquer.

C’est sorti tout seul. Je l’ai pensé, mais je n’avais pas prévu
le dire à haute voix. Il ne dit rien.

— Au fait, tu vas quand chez ta mère ? finit-il par dire,


brisant le silence.
— Ce samedi. Je voulais attendre d’être dans mon
neuvième mois avant d’y aller, mais elle ne fait qu’insister.
— Tu ne dois pas rester seule. Ta sœur n’est plus très
présente ici.
— C’est ça.

Je suis obligée d’interrompre le doux massage pour aller


me vider la vessie. Hermann m’aide à me tenir debout et
quand je reviens, il m’aide à me rasseoir. Je grimace de
douleur à cause de mon dos qui me fait sacrément mal.
Hermann se propose de me masser. Cette fois, il s’assied
derrière moi et commence à me soulager. Ce massage ne
fait pas que me soulager, ça me donne en plus des envies
cochonnes. Je suis en manque de sexe. Avant, ça ne
m’aurait rien dit, mais les hormones me donnent des envies
folles de sexe. Je suis excitée à chaque fois que je vois
Hermann. J’ai lutté contre cette envie tout ce temps.
Aujourd’hui qu’il est dans ma chambre à cette heure, j’ai
bien envie de tenter un rapprochement. Je me retiens tout
de même, de peur d’être repoussée. Je reste dans cette lutte
jusqu’à m’endormir, adossée contre lui. Je sens ses bras
m’encercler et ses mains se poser sur mon ventre qu’il
caresse tout doucement.

L’inconfort de ma position finit par me réveiller. Je me lève


et je remarque Hermann endormi derrière moi dans sa
position assise. Il a l’air si paisible. Je glisse mes doigts sur
sa joue et les passe sur ses lèvres délicatement. Comme je
brûle de les embrasser. Je prends ce risque et je lui fais un
timide baiser. Il ouvre les yeux.

— Qu’est-ce que tu fais ? me questionne-t-il.


— J’ai envie de toi.

Je le sens hésiter, alors je prends les devants et l’embrasse.


Il garde les lèvres fermées. Ça ne me décourage pas pour
autant. J’insiste sur mon baiser jusqu’à ce qu’il cède. Il me
tient la joue en approfondissant le baiser. Je glisse ma main
sous son tee-shirt. Les choses vont très vite et nous nous
retrouvons allongés, lui derrière moi, à faire l’amour. C’est
tellement bon que je veux que ça continue toute la nuit.
Mais c’est bien dommage, car j’atteins l’orgasme bien
assez vite. Nous restons immobiles les minutes qui suivent.
Je me lève ensuite pour me rendre dans la salle de bains où
je me rends compte en voulant me nettoyer qu’il n’avait pas
éjaculé. Pourtant il a tout arrêté quand j’ai atteint l’orgasme.
Je dois avoir suspendu son plaisir. Je retourne dans la
chambre avec l’intention de lui faire plaisir, mais la pièce
est vide. Il n’y est plus. Avant que je ne me pose des
questions, j’entends le bruit de la porte d’entrée. Je prends
mon portable et je lui envoie un message.

— Pourquoi es-tu parti ?


« — J’ai sommeil. »

Je fronce les sourcils. Il pouvait dormir ici non ? Je me


couche en me promettant d’aller lui parler à mon réveil.

Il est plus de 9 heures quand je me réveille. Je vais prendre


une douche, je prends ensuite mon petit-déjeuner et je sors
de la maison. Je tombe sur une scène qui me donne le
vertige. Hermann et cette fameuse fille qui est tout le temps
avec lui s’embrassent devant chez lui. Ils se séparent et la
fille disparaît dans les escaliers.

— Tu me fais l’amour la nuit et ce matin tu t’affiches avec


une autre ? je lui lance sans pouvoir contenir ma jalousie.
Tu t’es retenu d’aller au bout pour venir terminer le boulot
avec elle, c’est ça ?
— Calme-toi, Martine. Je t’ai fait l’amour parce que les
hormones te donnaient des envies.
— Ce ne sont pas les hormones. J’avais envie de TOI. Je
n’avais pas envie d’un autre.
— Je t’ai donné ce que tu voulais. Il est où le problème là ?
— Pourquoi est-ce que tu n’as pas… tu vois ce que je veux
dire ?
— C’est toi qui avais besoin de sexe. Pas moi.
— Tu… n’avais donc pas envie de moi ?
— Martine, s’il te plaît, n’allons pas sur ce terrain. Tu
portes mon enfant et je l’ai fait pour te soulager. Mais je ne
pense plus pouvoir le refaire. Par respect pour ma copine.
— Je croyais que tu ne voulais plus de relation.
— J’ai changé d’avis. Je prends de l’âge et je veux fonder
une famille.
— Avec elle ?
— Pourquoi pas ?

Je cligne plusieurs fois les yeux pour repousser mes larmes.

— Tu as donc mis une croix sur nous deux ?


— C’est toi.
— Mais c’est parce que j’avais peur de m’engager. Je ne
voulais pas reprendre les mêmes erreurs. J’ai été blessée.
— Et tu m’as blessé en retour. J’essaie de passer à autre
chose, de guérir de mes blessures parce que ça me pourrit
la vie. Lorsque tu auras mis notre enfant au monde, tu
pourras te trouver quelqu’un qui saura panser tes plaies.
Nous n’étions pas faits pour rester ensemble vu toutes les
blessures que nous traînons. Je l’ai compris bien tard, mais
mieux vaut tard que jamais.
— Ok.

Que puis-je ajouter d’autre ? Je tourne les talons et je


retourne à l’intérieur de ma maison. Je m’assieds dans le
divan et j’éclate en sanglots. En voulant trop me protéger
pour éviter une autre déception, j’ai fait fuir un homme qui
m’aimait sincèrement et pouvait me rendre heureuse.

***TANTE ODETTE

Je range les différentes sauces dans le frigo de Boya. Je lui


en ai fait pour toute la semaine. La grossesse la fatigue
beaucoup depuis le début donc je passe la voir chaque
semaine pour m’assurer qu’elle se porte mieux. Je lui
écrase ses médicaments indigènes pour ses lavements. Elle
en boit un autre contre le paludisme de la grossesse.

Boya et son mari viennent nous trouver dans la cuisine,


Natacha et moi.

— Bonjour, maman, me salue-t-il.


— Bonjour, mon fils.
— Je vais au travail. S’il te plaît, assure-toi qu’elle se
repose toute cette journée. Elle n’a pratiquement pas dormi
de la nuit à cause des douleurs dans son dos. Qu’elle ne
touche pas sa machine à coudre.
— Compte sur moi, mon fils.
— Je vais rentrer à 18 heures.
— Je vais donc t’attendre avant de m’en aller.
— Merci beaucoup. À plus. Au revoir, Natacha.
— Au revoir, tonton.
Il embrasse sa femme puis sort de la cuisine.

— Boya, va te coucher.
— Ah, maman !
— Tu as entendu ce que ton mari a dit ? Si tu veux pouvoir
coudre, il faut bien te reposer. Va te coucher dans le salon
si tu veux. On vient te trouver là-bas.

Elle sort en tirant sa bouche. Natacha la suit au salon quand


moi je reste dans la cuisine pour terminer le rangement de
ce que j’ai apporté. Je mets des écorces au feu pour elle et
je vais les retrouver. Elles sont en train de discuter du
nouveau contrat de mannequin photo de Natacha. Elle
hésitait pour accepter à cause de son travail de coiffeuse,
mais je lui ai fait comprendre qu’elle pouvait faire les deux
boulots. Elle a eu rendez-vous avant-hier pour fixer son
contrat et je peux dire qu’elle a de la chance. Elle se fera
encore plus d’argent.

Nous profitons de notre présence ici pour aider Boya à


couper les tissus des tenues qu’elle doit coudre. Ça lui
facilitera les choses demain quand elle commencera le
travail.

« — Bonsoir, madame. Je suis arrivé avec vos bagages. »


— Monsieur Francis n’est toujours pas revenu travailler ?
« — Non, madame. Il est sorti de l’hôpital il y a deux
jours. »
— C’est aussi grave que ça ?
« — Oui, mais je crois qu’il va beaucoup mieux
maintenant. Il dit qu’il reprendra le boulot la semaine
prochaine. »
— D’accord. Merci. Je passerai demain prendre mes
marchandises.
« — C’est compris, madame. »

Je raccroche et je regarde l’heure sur mon portable. Il est


18 heures. Stephen rentre du travail au même moment. En
rentrant à la maison avec Natacha, j’appelle Francis pour
prendre de ses nouvelles. Il me semble plutôt en forme par
le son de sa voix. N’habitant pas très loin de chez moi, je
décide de passer chez lui, le saluer. Lorsque j’arrive à son
carrefour, je lui fais signe pour qu’il envoie quelqu’un me
chercher. Je ne connais pas exactement sa maison. Je suis
surprise de le voir lui-même venir vers moi.

— S’il n’y avait personne pour venir me chercher, il fallait


simplement m’indiquer la maison pour que je vienne.
— J’avais envie de me dégourdir les jambes. Je suis fatigué
de rester allongé. Viens, allons-y.

Ça se sent par sa démarche qu’il n’est pas au top de sa


forme. Il reste malgré tout de bonne humeur. Je suis
surprise de nouveau quand nous arrivons devant une grande
maison à deux niveaux.

— C’est ta maison ? je lui demande, vraiment choquée.


— Oh, oui ! répond-il en me conduisant à l’intérieur. Ce
sont les folies de mes enfants. Ils m’ont obligé à quitter ma
petite maison de deux pièces pour venir vivre ici dans un
ennui total.

Nous tombons sur une jeune femme et un petit garçon de


deux ans maximum.

— Ma belle dame, je te présente ma fille Ornella. Chérie,


je te présente Odette, une amie.
— Je suis ravie de vous rencontrer, dis-je à la fille en lui
tendant la main.
— Moi également, me répond-elle avec sympathie. Vous
êtes la seule connaissance femme qu’il me présente.
J’espère donc que toutes les deux nous pourrons réussir à
le convaincre d’arrêter de conduire ces gros camions. Ça ne
cesse de le rendre malade, mais il ne veut rien comprendre.

Francis lève les yeux au ciel et me tire vers le salon.

— Ne t’occupe pas de ma fille. Elle et ses frères en font


trop.
— Pourtant elle a raison, dis-je en m’asseyant. Tu devrais
songer à prendre ta retraite. Pourquoi continues-tu de te
fatiguer autant alors que tu n’es pas en manque de moyens ?
Ton patron comprendra.
— Mon patron ? C’est mon propre camion. J’en ai une
dizaine.
— Ah bon ? Mais pourquoi tu conduis au lieu de te reposer
et attendre les recettes ?
— Oh, à cause de l’ennui. Après la mort de ma femme, j’ai
consacré ma vie à l’éducation de mes enfants. Aujourd’hui
qu’ils ont tous réussi et vivent en Europe et en Amérique,
j’ai décidé de conduire pour ne pas trop sentir la solitude.
Ils refusent que je travaille, raison pour laquelle ils mettent
tout à ma disposition.
— Mais pourquoi tu ne t’es pas marié tout ce temps ?
— Parce que je ne voulais pas de femme qui allait venir
maltraiter mes enfants. Après, quand ils sont tous partis, je
me suis trouvé vieux pour courir après une femme. J’ai
soixante ans. Quelle femme voudrait d’un vieil homme
" ennui " comme moi ? Tu es d’ailleurs la seule femme que
je fréquente et qui met les pieds chez moi.
— Moi-même c’est la première fois que je fréquente un
homme comme ami depuis…

Je ravale le reste de ma phrase.

— Je t’ai parlé de ma vie. Tu pourrais aussi me parler de la


tienne, vu qu’on peut dire que nous sommes de bons amis.
Je garde la tête baissée, hésitant si je dois lui dire ou pas. Je
me souviens qu’il sait déjà pour mon mari.

— J’ai dénoncé mon mari à la police parce qu’il violait ma


nièce, Natacha. Elle a failli perdre la vie à cause de
l’avortement qu’il l’a ensuite forcée à faire.
— Oh !
— Je sais que je peux être considérée comme une mauvaise
femme…
— Mauvaise femme ? Mais loin de là. Tu mérites toutes les
récompenses du monde pour avoir rendu justice à cette
petite. Combien de femmes le feraient ? Je connais des
femmes qui ont regardé les vies des jeunes filles être
détruites en protégeant soit leurs maris, soit leurs enfants
violeurs. On ne se douterait pas que Natacha ait vécu une
pareille tragédie tant elle est heureuse avec toi. Si tu ne
m’avais pas dit que c’était ta nièce, je ne l’aurais jamais su.
J’ai toujours cru que c’était ta fille. Les gens qui te jugent,
ce sont eux les plus bêtes. Tu mérites un bon mari. Comme
moi.

J’éclate de rire.

— Mais je suis sérieux. Nous sommes tous deux vieux et


célibataires. On pourrait vivre notre vieillesse ensemble.
— Noonn ! Je ne veux plus me consacrer à un homme et
sacrifier mon bonheur pour lui. J’ai déjà tout donné à mon
ex-mari.
— Qui t’a dit que tous les hommes sont pareils ? Moi j’ai
été fidèle à ma défunte femme durant nos quinze ans de
mariage.
— Mtchrrr. C’est moi vieille là, tu veux blaguer ?
— Je te dis la vérité. J’ai toujours été un très bon mari et
bon père. C’est pourquoi mes enfants me le rendent si bien.
Ils me pressent même de me remarier.
— Vraiment le mariage ne fait plus partie de mes priorités.
— D’accord. Le jour tu veux te marier, souviens-toi qu’il y
a un vieux " ennui " ici qui cherche une femme.
— J’ai compris, je réponds en riant.

DEUX MOIS PLUS TARD

***BOYA

— J’ai pensé à un truc, me dit Stephen en me massant les


pieds pendant que je grignote des chips, posées sur mon
ventre rebondi.
— À quoi ?
— Pour que tu puisses intégrer l’équipe de Léonora KOFFI
à Londres, je devrais démissionner.
— Pourquoi ?
— Pour que nous puissions vivre ensemble sinon on sera
obligés de vivre séparément et ça, je ne le veux pas.
— Je ne veux pas non plus que tu quittes ton travail pour
moi.
— Je suis prêt à le faire si c’est pour que tu réalises ton
rêve.
— Mais c’est trop. On trouvera une autre solution.
— Ouais. On a encore du temps. Bon, ça y est ? Je peux
aller me reposer maintenant ?
— Oui, je lui permets en riant. Merci pour le massage.
— Vivement que tu accouches parce que tu commences à
m’exploiter.
— C’est pour la bonne cause.
— C’est ça. Allez, bye !

Il pose un baiser sur mon nez, sur mon gros bidon et part
en direction des escaliers. Je me concentre sur ma série.
Depuis que je suis rentrée dans mon dernier trimestre, je
vais beaucoup mieux. Je pète la forme. Ça m’a permis de
coudre et satisfaire tous mes clients. J’ai encore des tenues
à coudre pour les prochains mois. Je dois faire au plus vite
parce qu’après l’accouchement, je crains ne plus pouvoir
être très apte durant plusieurs mois.

Je reviens à moi par les coups donnés sur la porte d’entrée.


Je vais voir et le gardien m’informe qu’il y a un homme au
portail qui demande à voir un certain Josué. Je le suis pour
aller voir. Il y a un vieil homme debout devant la maison.

— Bonjour, monsieur.
— Bonjour, ma fille. Excusez-moi, je cherche Josué. On
m’a dit que c’était ici sa maison.
— Josué ? Il n’y a pas de Josué ici. Je vis uniquement avec
mon mari Stephen.
— Voilà, c’est ça. On m’a dit qu’il s’appelle Stephen
maintenant. Sinon son vrai nom c’est Josué. Je suis son
oncle paternel et je voudrais lui parler de toute urgence.

Oh purée ! Je crains que ce soit le passé de Stephen qui


refasse surface. Mon Dieu, qu’est-ce que je fais ? Je le
laisse le voir ou je le renvoie ? Et si cette rencontre réveillait
les vieux démons en Stephen ?
22

***BOYA

— Veuillez m’excuser un moment. Je vous reviens.

Je retourne à l’intérieur et j’appelle ma belle-mère. Elle


saura me dire quoi faire parce que je suis perdue.

« — Allô, ma fille. »


— Maman, il y a un problème.
« — Il y a quoi ? »
— Il y a un homme devant la maison qui prétend être
l’oncle paternel de Stephen et il voudrait le voir d’urgence.
« — Son oncle ? Comment l’a-t-il retrouvé ? »
— Je ne sais pas et là je ne sais pas quoi faire.
« — Où est ton mari ? »
— Il fait sa sieste.
« — Depuis longtemps ? »
— On va dire trente minutes.
« — On a encore une heure avant qu’il ne se réveille.
Installe l’oncle là où Stephen ne le verra pas vite. Je viens.
On va essayer de régler ça avant son réveil. »
— D’accord, maman. Je vais faire comme tu as dit.

Je vais installer l’oncle sur la terrasse arrière. Stephen n’y


vient pratiquement jamais. Je lui sers à boire et je retourne
au salon, attendre maman BÉKÉ. Elle arrive après une
quarantaine de minutes.

— Il est où ? me demande-t-elle.


— À l’arrière. Mais Stephen ne va pas tarder à se réveiller.
— On fera ça vite.

Elle pose son sac à main dans le fauteuil et file à l’arrière


de la maison.

— Qu’est-ce que tu fais ici ? attaque-t-elle subitement


l’homme avant même de s’asseoir.
— Amandine ? C’est donc vrai que c’est toi qui as
kidnappé Josué, le fils de ta propre cousine ?
— Kidnappé ? J’ai sauvé cet enfant de vos griffes. Vous
saviez ce que votre frère lui faisait subir et vous aviez
préféré fermer vos bouches. Pire, vous avez parlé de faire
un rituel. Un rituel ? Sérieux ?
— Tu n’avais pas à intervenir.
— Dieu m’aurait frappée si j’avais osé ramener cet enfant
chez vous. Là, il dort. Donc, dis-moi ce que tu veux vite fait
et tu retournes chez toi.
— Je veux lui parler directement. C’est un truc de famille.
— Si tu veux réussir à lui parler, tu vas devoir passer par
moi. Si je lui dis de te foutre dehors, il le fera. Tu as une
trentaine de minutes pour me convaincre de te laisser le
voir.
L’homme baisse la tête un long moment avant de la relever.

— Bonaventure a violé ma petite-fille de trois ans jusqu’à


lui déchirer l’anus et le vagin.
— Doux Jésus ! grimace maman BÉKÉ.
— Elle a été transférée ici à Abidjan, au CHU de Cocody
où on doit lui faire plusieurs opérations qui coûtent
beaucoup trop cher pour nous. Même si toute la famille
cotise, l’argent n’arrivera pas. D’un autre côté, ma fille et
son mari veulent envoyer l’affaire en justice. Mais
Bonaventure menace et il a donné une condition. Si mes
enfants renoncent à porter plainte, il s’occupera de tous les
soins de la petite. Dans le cas contraire, il la laissera mourir
et s’arrangera à pourrir leur vie. Pourtant, ils sont
déterminés à porter plainte. Ils veulent même faire une
vidéo pour la mettre sur les réseaux afin de toucher les
personnes de bonne volonté. J’ai décidé de les soutenir
malgré les menaces. C’est pourquoi je suis venu voir Josué.
— Il s’appelle Stephen, rectifie maman BÉKÉ en le
lorgnant.
— Pardon, Stephen. Je voulais qu’il témoigne aussi contre
son père pour rendre le dossier solide vu la réputation de
son père dans le pays.
— La bonne blague. Vous l’aviez livré à lui-même et
aujourd’hui c’est son aide que vous demandez ? Tu sais
quoi ? C’est bien fait ce qui t’arrive aujourd’hui. Je suis
sincèrement navrée pour le bébé, mais pour toi, il ne
t’arrive que la conséquence de tes mauvais choix. Personne
n’a protégé Stephen. Personne n’a osé tenir tête à ce
monstre, encore moins le dénoncer. Il vous rend ce que
vous lui avez toujours excusé. Regardez-vous, dans la
famille, aucun de vous n’a réussi dans la vie. Même pas vos
enfants. Tout simplement parce que vous vouliez vivre à
tout prix aux crochets de Bonaventure. Vous aviez préféré
vous contenter des miettes qu’il vous donnait chaque fin de
mois et aujourd’hui aucun de vous n’est capable de sortir
l’argent pour sauver la vie de cette petite. Si j’avais laissé
Stephen entre vos mains, il serait misérable ou pire, mort.
Débrouillez-vous loin de mon fils pour régler cette histoire.
Ne l’impliquez surtout pas dans ça. Réglez ça en famille
puisque c’est ce que vous aimez bien faire.
— Tu ne peux pas parler à sa place.

Elle rit.

— Attends qu’il se réveille et tu verras.


— Que se passe-t-il ici ?

Quand on parle du loup. Stephen passe son regard sur


chacun de nous puis quand il voit son oncle, son visage se
décompose.

— Que fait cet homme chez moi ?


— Mon fils…
— Je ne suis pas ton fils. Comment m’as-tu trouvé ?
— Tu as eu une fois affaire à la justice. Je crois qu’une
femme avait porté plainte contre toi. C’est au commissariat
que l’un des officiers, qui est du même village que nous, t’a
reconnu. Il nous en a parlé il y a une semaine lorsque nous
nous sommes tous retrouvés pour la fête de génération.
C’est également durant cette fête que ton père a…
— Je n’ai aucun père. Et tu dégages tout de suite de ma
maison.
— Mon fils…
— J’AI DIT QUE JE N’ÉTAIS PAS TON FILS. Où était
ta paternité quand toi et les autres me bastonniez après que
j’ai révélé les atrocités de Bonaventure ? Fous le camp tout
de suite de chez moi.

Je me rapproche de lui et force le passage de sa main


formée en poing puis je glisse mes doigts entre les siens. Je
lui caresse le torse doucement de mon autre main. Maman
BÉKÉ échange avec l’homme et il décide de s’en aller.
Stephen baisse les yeux sur moi.

— Ne laisse plus jamais cet homme rentrer ici.


— Je suis désolée.

Il me prend dans ses bras.

— T’a-t-il fait du mal ?


— Non.
— Et toi, Tatie ? demande-t-il à sa tante.
— Non, rien.
— Qu’est-ce qu’il voulait ?
— Assieds-toi ! Nous allons en discuter.

Nous prenons place dans le divan près de maman BÉKÉ.


Elle lui relate le récit de l’oncle. Stephen serre ma main au
fur à mesure que maman BÉKÉ avance dans son récit.

— Je ne veux plus avoir à faire à ces gens.


— C’est ce que je lui ai dit.

Je prends le risque d’intervenir.

— Mais, et concernant la petite ?

Stephen baisse la tête face au regard de sa tante.

— C’est vrai que ta famille est détestable, mais cette petite


fille est autant une victime que toi. Je crois que nous devons
faire quelque chose pour lui sauver la vie.
— Boya a raison, approuve maman BÉKÉ. Je peux
demander à Laurence de voir ce qu’il peut faire.

Stephen approuve de la tête. J’en suis soulagée.

DEUX JOURS PLUS TARD


Depuis la visite de son oncle, Stephen n’est plus tout à fait
le même. Il est rentré dans une bulle et j’ai peur qu’il ne
s’éloigne de moi, même si à mon égard, rien n’a changé. Je
l’ai plusieurs fois surpris, l’air pensif. Il me fait l’amour
plus de fois que d’habitude, comme s’il en avait besoin pour
évacuer des ressentiments. J’essaie d’être là pour lui,
malgré son silence. Ce silence s’est accru après l’annonce
du décès de la petite fille violée par son père. Laurence
avait pris les choses en main, mais c’était déjà trop tard. Je
crois que c’est ce décès qui a le plus affecté Stephen. Ça lui
rappelle certainement celui de sa sœur jumelle.

Alors qu’il est concentré à manipuler son portable, je


m’approche, je lui prends son portable que je pose sur la
table, je m’assieds sur ses jambes et je me blottis contre lui.
Il referme ses bras autour de moi.

— Désolé pour mon silence, me souffle-t-il.


— Je veux que tu me parles. Je suis censée être ta meilleure
amie.
— Je sais. Je ne voulais juste pas t’inquiéter.

Je me redresse et le fixe.

— C’est plutôt ton silence qui m’inquiétera. Je veux tout


partager avec toi. Nous menons tous les combats ensemble.
— Je le sais. Navré !
Il vient vers moi et capture mes lèvres. Nous nous
embrassons avec toute la passion du monde jusqu’à ce
qu’un éclat de voix dehors nous interrompt. Le gardien
semble hurler sur quelqu’un.

— Attends, je vais voir, me dit Stephen.

Il m’aide à me relever et il part vers la porte d’entrée. Je le


suis de près. À la seconde même où Stephen ouvre la porte,
il se fige. Je le regarde sans comprendre le choc qui a
déformé son visage. Il est comme liquéfié. Je tourne la tête
de l’autre côté et je vois un homme d’un grand gabarit, aux
allures effrayantes et avec un air qui me rappelle…
Stephen. Je regarde les deux hommes se fixer et je suis prise
d’horreur.

— Oh mon Dieu, dis-je tout doucement.

Je crois que c’est son… père. J’en suis certaine à 100 %.


Ces deux hommes se ressemblent comme deux gouttes
d’eau. Chaque pas de cet homme fait reculer Stephen. Il me
saisit la main et m’oblige à reculer avec lui.

— Donc comme ça tu veux t’associer à mon imbécile de


frère pour me dénoncer ? lui lance le monsieur d’une grosse
voix sans le quitter du regard.
Je me retiens de pousser un cri quand Stephen m’écrase les
doigts en y exerçant une très forte pression. Je relève les
yeux pour le regarder et je vois des larmes couler sur ses
joues.

— Ssss… sors… sors de chez moi, réussit-il à dire, tout


tremblant d’effroi.
— Je suis venue te prévenir de faire gaffe à ce que tu fais.
Tu as peut-être changé après toutes ces années de
disparition, mais moi je reste le même. Tu te mets sur mon
chemin et je te ferai pire qu’avant.

Stephen m’écrase encore les doigts. C’est un homme


terrifié que j’ai sous mes yeux. Il n’arrive plus à bouger ni
à parler. Son père glisse son regard sur moi et tourne le dos.
Stephen le suit du regard jusqu’à ce qu’il referme la porte
derrière lui. Malgré ça, il ne bouge toujours pas.

— Bébé ?

Il sursaute quand je le bouscule.

— Nous… nous devons… nous devons nous en aller, dit-il


tout à coup en s’agitant.
— Comment ça ? Pour aller où ?
— Je je je je ne sais pas. Nous devons partir.

Il me tire et me trimbale jusqu’à la chambre.


— Prends ta valise et range toutes tes affaires.
— Bébé, calme-toi ! On ne peut pas partir comme ça.
— Si, nous le devons. Sinon il reviendra nous faire du mal.
Il est capable de tout. Si nous restons ici, il nous fera du
mal. Je… il… je… je…

Il commence à dire des choses incohérentes en continuant


à aller et venir partout dans la chambre avec ses vêtements.
Je me mets à pleurer en le voyant dans cet état. Ce n’est pas
Stephen que j’ai en face de moi. Mais un enfant effrayé. Je
crois que l’âme du petit Josué est revenue. Il parle, pleure,
fait n’importe quoi, tel un enfant qui a peur qu’on lui fasse
du mal. Il ne cesse de répéter que son père reviendra lui
faire du mal, exactement la même phrase qu’il disait
pendant ses cauchemars. Ils ont réussi à réveiller son
traumatisme. Me sentant impuissante devant cette scène, je
sors de la chambre et condamne la porte avec la clé.

— BOYA !!! se met-il à hurler dans la chambre. BOYA,


OUVRE !!! IL VIENDRA ME FAIRE DU MAL.
— Je t’en prie, calme-toi ! lui dis-je en pleurant. Nous
allons trouver une solution.

Il commence à cogner la porte en m’intimant sans cesse


l’ordre de lui ouvrir. Je fuis et descends au risque de finir
par céder. Je m’apprête à appeler sa tante, quand celle-ci
fait son entrée.
— C’est quoi ces cris ? s’inquiète-t-elle. Pourquoi pleures-
tu ?
— C’est Stephen. Il est… méconnaissable depuis que son
père est venu ici.
— Bonaventure est venu ici ?
— Oui, et Stephen est en proie à la panique. Il ne fait que
pleurer et dire que nous devons nous en aller. Je ne savais
pas quoi faire. J’ai paniqué et je l’ai enfermé dans la
chambre.
— Ok, calme-toi, ma chérie. Je vais appeler Laurence.

Elle appelle son fils et lui explique tout, sans omettre un


mot. Nous nous asseyons ensuite au salon à attendre
l’arrivée de Laurence pendant que Stephen continue de
s’agiter en haut. J’ai tellement peur qu’il se fasse du mal.

Laurence arrive enfin avec en main une trousse de premiers


secours.

— Il est toujours en haut ? s’enquiert-il.


— Oui, répondons-nous ensemble.
— Ok, je vais monter essayer de lui injecter ce somnifère,
dit-il en sortant une seringue de la boîte. Il a besoin d’une
pause.
— Je t’accompagne, se propose sa mère.
Je veux les suivre, mais on m’ordonne de rester loin au
risque qu’un incident m’arrive. Je les laisse partir, mais
après quelques secondes, je les suis. Je reste devant la
chambre et j’écoute. Ils essaient de lui faire entendre raison,
mais Stephen n’est pas disposé à les écouter. Un moment,
j’entends des bruits comme une bagarre.

— Non, arrêtez ! hurle Stephen. Il va me faire du mal. Je ne


dois pas dormir. Non ! Tatie, dis à Laurence de me laisser.
— Tu en as besoin, mon chéri, le rassure maman BÉKÉ,
tout en pleurs.

Stephen hurle encore et encore et encore. Je me laisse


glisser sur le sol en fermant mes oreilles avec mes mains en
continuant à pleurer à chaudes larmes. Mon cœur est brisé
en mille morceaux. Il ne mérite pas ça. Il avait pourtant
réussi à surpasser son traumatisme. Il était guéri. Mais ces
gens ont tout réveillé. J’ai affreusement mal.

Je libère mes oreilles quand je n’entends plus de bruit dans


la chambre. Quelques minutes plus tard, Laurence et sa
mère sortent. Ils me regardent avec douleur. Maman BÉKÉ
a les yeux tout rouges et le visage mouillé de larmes.
Laurence s’accroupit à mon niveau.

— Il est endormi. Tu dois être forte pour lui, car il aura


besoin de toi. Je sais que c’est trop te demander dans ton
état, mais tu es désormais sa raison de vivre.
Je fais oui de la tête en éclatant en sanglots.

— Descendons que je te donne des cachets pour te reposer


également. Je vais appeler son psychologue. Il aura besoin
de parler à son réveil.

Il me relève et nous descendons. Il prend ma tension puis


me fait une injection qui me donne aussitôt envie de dormir.
Il me conduit ensuite dans l’une des deux chambres du bas
où je dois me reposer.

***STEPHEN

J’ouvre les yeux lourdement. Je me sens courbaturé. J’ai


atrocement mal au crâne. Je vois Laurence et mon
psychologue assis dans la chambre. Je me souviens
immédiatement de ce qui s’est passé.

— Où se trouve ma femme ?

Tous les deux lèvent leurs têtes.

— Elle est endormie dans l’une des chambres du bas, me


répond Laurence. Toi, comment te sens-tu ?
— Lourd. J’ai soif.
Il se rapproche de mon lit pour me servir à boire pendant
que je me redresse pour me mettre en position assise. Il me
laisse ensuite seul avec le psychologue.

— Comment vas-tu, Stephen ? me questionne ce dernier


une fois mon verre d’eau terminé.
— J’ai connu des jours meilleurs. Je ne comprends pas.
Pourquoi ai-je fait cette crise ? Je croyais être guéri.
— Une guérison se fait en plusieurs étapes. Il y a la
guérison de surface. C’est-à-dire, apprendre à vivre sans ce
qui nous minait, décider de libérer son cœur, etc. puis il y a
la guérison en profondeur qui consiste à affronter, à résister
et à vaincre. Et c’est là que se trouve la guérison totale. Je
savais bien qu’un jour tu devrais faire face à tes vieux
démons. Nous y sommes. Dis-moi comment tu t’es senti en
voyant ton père.
— Terrifié. Je croyais que je le haïssais, mais non, je suis
terrifié par lui. Quand je l’ai vu, tout m’est revenu à la
figure. Quand il abusait de moi, quand il me battait, quand
il me privait de nourriture quand j’étais trop rebelle. J’ai
flippé et là j’ai sacrément honte de moi.
— Il n’y a pas à avoir honte. Cet homme t’a fait subir des
atrocités. Il est tout à fait normal que tu sois traumatisé par
lui. Maintenant qu’il est de retour, tu dois lui faire face,
l’affronter et le vaincre.
— Je n’ai jamais réussi à le vaincre. Il a toujours réussi à
me mettre par terre.
— Il y a une première à toute chose.
J’inspire et expire. Il met fin à la séance après quelques
autres minutes d’échange en promettant de revenir demain
pour une plus longue. Il est 19 heures et il doit rentrer. Je
descends rejoindre Laurence et ma tante. Je les rassure que
je vais bien.

— Boya et toi devriez venir rester chez moi, le temps que


tout se calme, propose ma tante. Ton père risque de revenir
vous intimider. Tu ne dois pas l’affronter seul.
— Tu as raison. Demain nous viendrons. J’ai encore besoin
de dormir pour mieux me reprendre.
— À demain donc.

Elle pose un baiser sur mon front.

— J’ai prévenu Zoé que je passerai la nuit ici, m’informe


Laurence. Je pourrais intervenir en cas d’urgence.
— Merci, frangin !
— Boya est dans la chambre de droite.

Je m’y rends sans attendre. J’entre silencieusement dans la


pièce et je m’agenouille par terre, près de son visage. Je
prends sa main et y pose des baisers. Je la regarde dormir
si paisiblement. Je regrette de lui avoir fait autant peur. Elle
n’aurait pas dû me voir dans cet état.

Je lui embrasse la joue et elle ouvre les yeux.


— Salut, ma beauté.

Elle libère sa main et la pose sur ma joue qu’elle caresse


doucement.

— Je suis désolé de t’avoir fait peur.


— Tu dois être fort pour nos bébés.
— Je le serais, pour tous les trois.

J’embrasse dans la paume de sa main.

— Je t’aime, Stephen.
— Moi aussi. Je t’aime plus que tout.

Je l’embrasse et je me faufile près d’elle sous le drap. Je me


perds en elle et je puise de la force en sa douceur pour
outrepasser cette mauvaise rencontre.

« Mon père entre dans la chambre pendant que je suis à


moitié endormi. Je sursaute au bruit que fait la porte en se
refermant. Je ne dors jamais profondément parce que je
sais qu’il viendra assouvir sa sale besogne. Je recule sur
mon lit. Il avance vers moi en ouvrant son pantalon, avec
son sourire machiavélique.
— Comme tu m’as manqué, mon Josué.
— Non, papa, arrête. Je suis un adulte maintenant.
— Oh, tu restes toujours mon petit garçon. Quand je t’ai
vu, j’ai tout de suite eu envie de te prendre dans mes bras
et de te montrer à quel point tu m’as manqué.

Il veut m’attraper le pied, mais je bondis du lit et me colle


contre le mur.

— Ne me touche pas ou je te ferais mal.


— Vas-y ! J’aimerais bien voir ce que tu vas me faire, toi
qui as toujours été faible devant moi.

Il continue de s’approcher de moi. Je recule jusqu’à être


coincé contre le mur. Il me saisit par le col, mais je le
repousse.

— Cesse de résister, m’intime-t-il.


— Reste loin de moi.
— Laisse-moi te faire du bien.

Il me saisit et déchire mon haut. Je me débats du mieux que


je peux pour l’empêcher d’aller plus loin.

« — Stephen, calme-toi ! Tu fais un cauchemar. »

Mon père me donne une claque, je la lui rends.


« — Aahh ! Oh mon Dieu ! Stephen, arrête. »

Mon père me retourne de force en me bloquant les bras


dans le dos. Je gesticule jusqu’à me dégager et je lui envoie
un coup de coude dans le visage. Je me retourne vivement,
lui agrippe le cou et je le cogne violemment contre le mur.
Un cri, autre que celui de mon père me fait sursauter. »

J’ouvre les yeux et je remarque avec horreur Boya plaquée


contre le mur et son cou entre mes mains. Comme si je
m’étais fait brûler, je la lâche sans réfléchir et elle s’écroule
au sol, inconsciente. Horrifié par ce que je venais de faire,
je recule. Je suis encore plus horrifié en voyant la ligne de
sang couler entre ses jambes. Des larmes commencent à me
remplir les yeux. Je n’arrive pas à bouger. Je regarde ma
femme inerte au sol et je me mets à pleurer. Je finis par
avancer vers elle et je m’agenouille.

— Bo… Boya ! Mon amour, s’il te plaît, réponds ! Boya !

Face à son silence, j’éclate en sanglots. J’entends la porte


s’ouvrir en fracas.

— Que se passe-t-il ? J’ai entendu des éclats de voix.


— J’ai tué ma femme. Je l’ai tuée, Laurence.
— OH MERDE !!!
Il me pousse et s’agenouille devant Boya. Il lui touche le
bras, le cou et pose son oreille sur sa poitrine pour écouter
les battements de son cœur.

— Merde ! dit-il de nouveau. On doit la conduire à


l’hôpital.

Il sort de la chambre en courant. Je ne supporte plus cette


image de Boya alors je me lève et prends mes jambes à mon
cou. Je dois partir loin d’elle. Partir loin de tous sinon je ne
ferai que leur faire du mal. Mon père a encore réussi à me
faire fuir.
23

***MAMAN BÉKÉ

Ça fait deux jours que Stephen est porté disparu. Personne


ne sait où il se trouve. Nous avons appelé son patron, son
psychologue, interrogé ses collègues, mais aucune nouvelle
de lui. Chaque heure qui passe me fait stresser encore plus.
Je crains qu’il ne se soit fait du mal. Je sais qu’il n’est pas
suicidaire, mais au vu des derniers événements, la
déception peut le pousser au pire. Mais la culpabilité
surtout. Il doit s’en vouloir à mort pour ce qu’il a
inconsciemment fait à sa femme. Nous savons tous qu’il
n’aurait jamais fait pareille chose volontairement. Mon
Dieu ! Qu’est-ce que ces gens sont en train de faire à mon
enfant ?

— Maman, Boya s’est réveillée.

Je suis mon fils dans la chambre de ma belle-fille. Dès


qu’elle nous voit, elle demande des nouvelles de son mari.
Nous lui disons qu’il est rentré à la maison se changer. Elle
a été deux jours inconsciente ; elle doit bien se reprendre
avant qu’on lui annonce la subite disparition de son mari.
Laurence la rassure en plus qu’elle et ses bébés se portent
bien et qu’il y a eu plus de peur que de mal. Quand elle est
plus apaisée, je lui donne son repas. Je la laisse ensuite
devant la télé et je sors de la chambre. Je dois rentrer me
reposer puis revenir.

Dès que j’arrive chez moi, je me mets au lit pour ma sieste.


À peine je ferme les yeux qu’on tape à la porte de ma
chambre.

— Mémé, il y a une femme qui est venue te voir. Elle dit


qu’elle est ta sœur, m’informe Awa derrière la porte.
— Une sœur que tu ne connais pas ?
— Non. Elle n’est jamais venue ici avant.
— Ok, j’arrive. Installe-la.

Je me rhabille et je sors. Je fronce les sourcils en voyant


Bénédicte, la mère de Stephen chez moi.

— Toi, chez moi ?


— Où as-tu mis mon fils ? Tu me l’as arraché durant des
années.
— Ton fils ? Évelyne et Josué sont morts, je te signale. Tu
n’as donc plus d’enfant. Stephen est MON fils. Mon nom
figure sur son extrait de naissance.
— Comment as-tu pu me faire ça ? Me priver de mon
enfant ?
— Seigneur, donne-moi la force de ne pas gifler cette
femme, me dis-je à moi-même en baissant la tête avant de
la relever vers Bénédicte. Que fais-tu chez moi ?
— Je cherche mon enfant. Je suis allée chez lui et il n’y
avait personne depuis deux jours. Il doit être forcément ici.
— Qu’est-ce que tu lui veux ?
— C’est mon enfant, je fais de lui ce que je veux.
— Et tu l’as très bien réussi. Une femme qui laisse son mari
violer ses enfants et qui le couvre de surcroît. Je me
demande bien si tu as un cœur.
— Tu penses être meilleure que moi ? Si tu étais une si
bonne femme, ton mari ne serait pas mort.
— En plus d’être sans cœur, tu es très bête.
— Je ne te permets, lance-t-elle en fonçant sur moi.
— Quoi ? Tu veux me taper ? Ose et plus jamais tu ne
regarderas quelqu’un de travers. Je suis vieille, mais j’ai
assez de force pour te refaire le portrait. Tu penses que
votre pouvoir et votre argent me font peur ? Vous n’êtes
rien devant moi. Maintenant, écoute-moi bien. Reste loin
de mon fils " Stephen ", sinon je peux t’assurer que tu le
regretteras. C’était uniquement pour le protéger que mon
mari et moi, nous ne vous avions pas poursuivi en justice.
Mais aujourd’hui, si vous tentez quoi que ce soit contre lui,
je vais vous faire payer tout le mal que vous lui avez fait.
Surtout toi. Je vais m’assurer que tu pourrisses en prison.
— Fais ce que tu veux. Tu ne me fais pas peur. Je ne
bougerai pas d’ici sans mon fils.
— Je vais dormir. Si à mon réveil, je te trouve ici, c’est avec
de l’eau bouillante que je vais t’accompagner.
Je la plante là et je vais dormir. Il fallait qu’elle vienne
ajouter la colère à mon anxiété. N’importe quoi !

***STEPHEN

Je marche sans savoir où je vais. J’erre dans les rues depuis


deux jours. La première nuit, je l’ai passée à marcher
jusqu’au matin avant de me poser au milieu de nulle part
pour réfléchir. La nuit d’hier, je me suis faufilé en douce
dans mon bureau après le départ des employés, avec la
complicité du chef de sécurité qui détient tous les accès.
Aujourd’hui encore, je déambule dans la ville. Je ne me suis
rien mis sous la dent. Je n’ai pas faim, je n’ai pas soif, je ne
ressens rien. Je me sens vide de toute émotion. Je suis
comme un fou. Je me sens minable, nul. Après tous ces
efforts, après toutes ces séances avec le psychologue, après
tous les sacrifices faits par ma famille, me voilà qui flanche
à la première épreuve. Avec tout l’amour et les soutiens
reçus par les miens, je n’ai pas eu assez de couilles pour
affronter mon passé. Tout ça pour flancher comme une
merde. Je ne sers à rien. Ni à ma tante, ni à Laurence et
encore moins à Boya. J’avais pour devoir de protéger cette
dernière, mais qu’ai-je fait en échange ? Je l’ai conduite à
l’hôpital dans un état critique. Comment va-t-elle ?
Comment vont les bébés ? Je n’ai pas eu assez de jugeote
pour aller m’enquérir de leurs nouvelles. J’ai tellement mal
que je me mets à pleurer. Une voix dans ma tête n’arrête
pas de me crier que je ne suis qu’un bon à rien. C’est
effectivement ce que je suis. Peut-être que me donner la
mort serait la meilleure des solutions. Oui, c’est ça ! C’est
le mieux à faire.

Je m’aventure sur la voie et je m’arrête au milieu. Je ferme


les yeux, attendant le véhicule qui viendra m’ôter la vie. Je
compte mentalement pour ne pas me préoccuper des bruits
autour de moi. Mais un éclat de rire me fait ouvrir les yeux.
Mon regard tombe sur un couple de l’autre côté de la voie
dont l’homme ne cesse de faire rire sa compagne enceinte.
Ils ont l’air heureux, amoureux. La femme me rappelle ma
Boya. Je lui avais promis la rendre heureuse. Je lui avais
promis être le meilleur des hommes. Pourtant, si je me
donne la mort, la seule chose que je lui ferais serait de la
rendre extrêmement malheureuse. Elle ne mérite pas de
vivre ça après tout le chemin parcouru. Mais je crois que
moi non plus je ne veux pas la perdre. Je ne veux pas mourir
et ne plus jamais la voir. Ne plus jamais voir son
magnifique visage innocent. Ne plus jamais la regarder
sourire, l’entendre rire aux éclats. Ne plus jamais la
toucher, la caresser, l’embrasser, lui faire l’amour, l’aider à
confectionner ses tenues. Ne plus jamais l’aimer à la folie.
Non, je ne veux pas perdre ça. Je ne peux pas mettre ainsi
fin à notre si belle histoire d’amour. Je suis en proie à une
lutte intérieure quand des bruits de klaxon me font
sursauter. Les chauffeurs me gueulent dessus en me disant
de dégager de la voie. J’ai encore l’esprit embrouillé.
***MARTINE

Je relève la tête quand le chauffeur du véhicule dans lequel


je me trouve gare brusquement et se met à hurler sur
quelqu’un.

— Que se passe-t-il ? je lui demande en regardant autour.


— Je ne sais pas si c’est un fou ou s’il est drogué, mais il y
a un type qui est arrêté au milieu de la route. Il a même failli
se faire cogner. Regarde-le avec sa grosse tête. Quand les
gens se droguent, ils ne veulent pas rester chez eux.

Il continue de parler en passant près de l’homme en


question. Je le regarde par curiosité, et je le reconnais.

— Mais c’est Stephen ?

Je regarde en arrière puisque le véhicule est en mouvement


et je suis certaine que c’est lui.

— Arrêtez la voiture, s’il vous plaît !


— Il y a quoi ? Vous voulez accoucher ?
— Non, je dois faire quelque chose rapidement.

J’ouvre prestement la portière avant que le chauffeur n’ait


stationné la voiture. Je sors et je marche aussi rapidement
que mon ventre me le permet puis je tire Stephen hors de la
route.
— Stephen, que t’arrive-t-il ?

Son visage se déforme par la surprise.

— Que fais-tu au milieu de la voie ? Que t’arrive-t-il ?


— Je…

Il a subitement le tournis. Je le retiens.

— Es-tu souffrant ?
— Non, juste faible. Je n’ai rien avalé depuis deux jours.
— Ok. Viens avec moi.

Il n’a pas d’autre choix que de me suivre. Je le fais monter


dans la voiture et je demande au chauffeur de changer
d’itinéraire. Je rentrais chez mes parents après mon rendez-
vous à l’hôpital, mais je ne peux pas y aller avec lui, surtout
pas après tout ce qui s’est passé. Je lui donne les bananes
douces que je m’étais achetées. Il mange avec nonchalance
et finit par s’endormir. Je le regarde avec beaucoup de
compassion alors que j’ai cru le détester toute ma vie. Je
me demande ce qui a bien pu lui arriver pour qu’il mette
ainsi sa vie en danger. Il a l’air fatigué à mort avec des
cernes sous ses yeux. Je suis obligée de le réveiller quand
nous arrivons. Il est vraiment faible. Il a beaucoup transpiré
aussi.
— Viens que je te montre de quoi prendre une douche.

Je lui donne une serviette et une brosse neuve que je gardais


dans mon tiroir depuis des mois. J’ai l’impression qu’il n’a
pas pris soin de lui depuis un bon moment. Il a l’air sale et
négligé.

— Laisse tes vêtements sur le lit, je vais les passer à la


machine.

Je sors commander de quoi manger et boire. Je reviens dans


la chambre récupérer son bas de jogging et son tee-shirt que
je vais laver. Je reste ensuite au salon à l’attendre après
avoir dressé la table. Je n’arrive pas à croire que Stephen
soit chez moi. Non, je n’arrive pas à croire que je sois en
train de l’aider, après tout le mal qu’il m’a fait. Les
quelques rares fois où je l’avais vu après notre rupture
définitive, c’était de loin. Nous ne nous sommes plus
jamais parlé jusqu’à ce jour. Je me sens maintenant
anxieuse. Je ne sais pas comment me conduire avec lui
quand il sortira. Je crains de me rendre compte que je l’aime
encore aujourd’hui. J’espère que ce n’est plus le cas.
J’espère avoir réellement tourné la page avec lui.

Je reçois un appel d’Hermann qui me ramène sur terre.

— Oui, allô. Désolée de ne t’avoir pas prévenu. J’ai fini à


l’hôpital.
« — Et qu’a dit le docteur ? »
— Que nous allons attendre jusqu’à la fin de la semaine. Si
je n’accouche pas, il va devoir déclencher. Sinon, le bébé
se porte bien. Il ne veut juste pas sortir.

Il a un petit rire qui me fait sourire.

« — Tu es où là maintenant ? Je voulais venir te chercher.


Je ne suis pas très loin de là. »
— Euh, je suis déjà rentrée. Je suis à mon appartement. Je
vais retourner chez mes parents tout à l’heure.
« — On se verra donc. Je rentre également. »
— Euh, au fait, non. Je préfère qu’on se voie chez mes
parents. Je te ferai signe quand je serai rentrée.
« — Pourquoi tu ne veux pas qu’on se voie maintenant ?
Ma mère m’a remis un colis pour toi. »
— Je… c’est-à-dire…

L’appel se coupe. Je ne savais pas si je devais lui dire pour


Stephen ou non. Je craignais sa réaction. Un bruit me fait
lever la tête. Stephen se tient en serviette devant moi. Le
voir ainsi me ramène plusieurs années en arrière. J’adorais
le regarder ainsi. Je bavais sur lui pratiquement. Là, je ne
sais pas ce que je ressens. Je suis tout simplement
nostalgique.

— Désolé de me présenter ainsi, tu as lavé mes seuls


vêtements.
— Ce n’est pas grave. Viens, je t’ai commandé de quoi
manger.

Il me suit à la table à manger. Je lui tiens compagnie


pendant qu’il mange avec la même nonchalance.

— Ce n’est pas bon ?


— Si. C’est moi qui n’ai pas d’appétit.
— Tu dois pourtant manger. Tu as l’air très affaibli.

Il pousse un soupir et s’efforce de manger encore un peu. Il


ne termine pas le plat. Il boit le jus d’orange pour faire
descendre le tout.

— Merci, Martine. Merci de m’avoir tiré de cette route.


— Que t’est-il arrivé pour que tu fasses ça ?

Il s’adosse dans sa chaise et baisse le regard tout en tapotant


sur la table.

— Mon père abusait de moi de mes cinq ans à mes seize


ans.

J’ouvre la bouche et écarquille les yeux.

— … De ma sœur jumelle également. Et elle a fini par se


donner la mort. Ma mère regardait sans rien dire. C’est à
cause d’elle que je manifestais cette violence envers les
femmes.
— Je… je n’en reviens pas.
— Je me suis échappé lors des obsèques de ma sœur et je
me suis réfugié chez les BÉKÉ. Ils m’ont fait sortir du pays
et j’ai changé d’identité. J’ai vécu presque toute ma vie
avec ce traumatisme. J’ai pu en guérir grâce à ma nouvelle
famille et au psychologue. Enfin, je croyais être guéri
jusqu’à ce que mon père débarque chez moi. Tout m’est
revenu à la figure. Les blessures se sont rouvertes.
— Je suis sincèrement navré pour toi. Crois-moi.
— Merci !
— C’est donc pour cela que tu t’es mis dans cet état ?
— Non. J’ai…

Il se passe la main sur le visage.

— J’ai fait du mal à Boya dans mon sommeil croyant me


battre avec mon père. Elle est enceinte de huit mois. De
jumeaux.
— Oh non ! Comment va-t-elle ?
— Je n’en sais rien. J’ai fui de la maison en la voyant inerte
au sol et perdant du sang. Laurence s’occupait d’elle.
— Mais tu dois appeler pour savoir comment elle et les
enfants vont.
— Je n’ai pas ce courage-là. Je me déteste tellement. Je lui
ai fait du mal alors que je lui avais promis la protéger. J’ai
laissé mon passé reprendre le dessus sur moi alors que je
suis en train d’accomplir ma vie.

Sa voix se brise. Il passe sa main sur son visage pour


nettoyer ses larmes avant qu’elles ne sortent. Le voir si
vulnérable me chagrine. Après ce qu’il vient de me dire, je
crois que je comprends les mauvaises attitudes qu’il a eues
envers moi. C’est affreux et traumatisant. La vieille dame
voyante avait donc raison de dire que Stephen n’était pas
une mauvaise personne. Il souffrait juste en silence.

— Stephen, je sais que c’est difficile, mais tu dois te battre


pour vaincre ce passé troublant. Tu ne peux pas le laisser
venir gâcher tout ce que tu as construit jusque-là. Tu dois
faire dégager ton père de ta vie par tous les moyens.
— Je n’arrive même pas à lui tenir tête. Comment
réussirais-je à le dégager ?
— Tu vas devoir trouver le moyen. Pense à Boya, à vos
bébés, à maman BÉKÉ et Laurence. Ce n’est pas un hasard
si ton père est réapparu. C’est le moment de tuer ton
Goliath, crois-moi. Il est certes vrai que je t’ai haï de
m’avoir brisé le cœur, mais j’ai remarqué de loin tous les
changements de ta vie. Je t’ai vu regarder Boya avec
tellement d’amour que je croyais dur comme fer qu’elle
t’avait ensorcelé parce que ce n’était pas le Stephen
insensible avec qui je suis sortie trois années.

Il sourit.
— Bats-toi pour ta femme, pour vos enfants et pour toi-
même.
— Je ne sais pas si j’y arriverai.
— Essaye tout de même.

Il souffle.

— Tu as sans doute encore besoin de te remettre de tous ces


événements et de réfléchir. Mais avant, il faudrait appeler
ta famille pour les rassurer. Qu’ils sachent que tu vas bien.
Ils doivent penser que tu t’es suicidé.
— Ils voudront que je revienne.
— Tu dois quand même les rassurer. Après, tu verras quoi
leur répondre.

Je glisse mon portable devant lui. On sonne à la porte au


même moment. J’y vais et je demande l’identité de la
personne sans ouvrir. Je me mords la lèvre en entendant la
voix d’Hermann. Et merde ! Je ne peux faire marche
arrière. Il sait déjà que je suis là. J’ouvre la porte.

— Je croyais que tu ne durerais pas ici.


— En effet ! J’ai eu un petit contretemps.
— Tu es maintenant prête à partir ? Je peux te
raccompagner.
— Ah euh, non ! Je suis encore là pour le moment. Je dois
gérer certains trucs.
Son regard se détourne soudainement de mon visage et se
pose sur un point derrière moi. Quand son visage se
déforme, je comprends qu’il a vu Stephen. Je me retourne
et effectivement, Stephen s’est déplacé de la table à manger
pour le salon. Je reviens à Hermann qui me regarde d’une
manière qui me fait culpabiliser.

— Waouh ! lâche-t-il. Tu recouches avec ton ex ?


— Non ! Absolument pas. Il a des sou…
— Je ne veux rien savoir, gronde-t-il. Mais avant de faire
tes saloperies avec lui, mets au monde mon enfant.
— Hermann, ce n’est vraiment pas ce que tu crois.
— C’était donc pour ça que tu ne voulais pas que je vienne
te voir ici. Waouh ! Mieux, je te laisse avec ton amoureux,
termine-t-il en posant un sac de magasin devant moi.
— Hermann, atte…

Il me tourne dos et rentre chez lui. Je le suis et j’empêche


la porte de se refermer de justesse. J’entre derrière lui dans
sa maison.

— Hermann, s’il te plaît, écoute-moi. Il n’y a rien entre


Stephen et moi.
— J’ai dit que je ne voulais rien savoir. Il y a un homme à
poil chez toi et tu veux me faire croire qu’il ne se passe rien
entre vous. C’est la meilleure.
— Mais c’est quoi ton souci au juste ? De quoi te plains-
tu ? Je te rappelle que nous ne sommes plus ensemble et
tout comme toi, j’ai le droit de fréquenter qui je veux. Je te
rappelle aussi que c’est toi qui t’affiches partout avec ta
petite amie, alors pourquoi te mets-tu dans cet état en
voyant Stephen chez moi ?
— Tu as raison. Je vais fermer ma gueule. Ta vie ne me
regarde plus. Je veux juste que tu accouches avant de faire
quoi que soit. Referme la porte derrière toi en sortant.

Il marche vers sa chambre et claque sa porte. Je crois que


j’ai empiré les choses. Je retourne près de Stephen.

— Tu n’as pas mis ton code de déverrouillage.

Ah oui ! J’avais oublié. Je lui prends le portable et je mets


le schéma.

— Il y a de l’eau dans le gaz entre toi et ton petit ami ?


— Ce n’est pas mon petit ami, mais mon ex et l’auteur de
ma grossesse.
— Ça ne va pas trop entre vous ?
— Non ! On va dire que j’ai fait n’importe quoi avec lui.
Tu m’as fait beaucoup de mal, Stephen. Et ça m’a mis des
blocages au point de ne plus faire confiance aux hommes.
— Je suis désolé pour tout.
— Oh, ça va ! Le problème vient plus de moi qui ne sais
pas faire la part des choses. Tout comme toi, j’ai laissé le
passé m’influencer.
— Je vois.
— Bref, vas-y ! Tu peux aller communiquer dans ma
chambre. Quand tu auras terminé, je m’en irai.
— Où ?
— Chez mes parents. C’est là-bas que je vis en ce moment.
Ma sœur a aménagé avec son homme. Je dois libérer
l’appartement dans deux semaines donc tu peux y rester le
temps qu’il te faudra pour te remettre.
— Encore merci, Martine. Tu es une femme en or.
— Merci !
— Et au passage, tu es très ravissante avec ta grossesse.
— Merci, dis-je cette fois en souriant.

Il répond timidement à mon sourire avant de s’en aller en


direction de la chambre.

***STEPHEN

Je compte mentalement jusqu’à cinq et je lance le numéro


de Laurence. Il doit être déçu et en même temps inquiet.

« — Allô ! Bonjour, Martine. »

Ah oui, j’avais oublié qu’il avait son contact.


— Ce n’est pas Martine. C’est… moi.
« — Putain ! Stephen, où es-tu ? Tout le monde est mort
d’inquiétude pour toi. Maman est à deux doigts de perdre
la tête. »
— C’est pour vous rassurer que j’appelle. Je vais… plutôt
bien. Comment vont Boya et les bébés ?
« — Ils vont tous bien. Rien de grave ne leur est arrivé. Tu
m’entends ? Alors, reviens. Ta femme a besoin de toi. »
— Je… je ne pense pas pouvoir rentrer. Je crains de faire
n’importe quoi, surtout avec mon père dans les parages.
Non. Je préfère m’éclipser, le temps d’y voir un peu plus
clair.
« — C’est ensemble que nous devons affronter cette
situation. Tu ne dois pas t’isoler ou fuir. »
— Je suis désolé, mais ma décision est prise. Je voudrais te
demander de prendre soin de Boya et des enfants. Je ne sais
quelle sera ma destination finale, mais… j’ai besoin d’être
loin.
« — Tu veux jouer au lâche, c’est ça ? Jusqu’à quand
continueras-tu de fuir ? Tu veux abandonner à la première
épreuve ? »
— Je ne pourrai pas lutter contre mon père. C’est
impossible. Dis à Boya que…
« — Non ! Tu lui diras tout ce que tu veux toi-même. Je te
la passe. »
— Laurence ! Laurence ! Lau…
« — Allô ? Bébé, c’est toi ? »
Je serre les dents en refoulant mes larmes, mais l’émotion
est beaucoup plus forte que moi. Je laisse mes larmes
descendre. Je n’arrive pas à lui répondre. Ma gorge est trop
nouée.

« — Bébé, où es-tu ? Je ne fais que te chercher depuis mon


réveil. Tu viens à quelle heure ? »
— Je ne viendrai pas.
« — Comment ça ? Qu’est-ce que tu racontes ? »

Je réprime mes larmes, mais en vain.

— Je suis incapable de te protéger. Tu mérites mieux.


« — De quoi parles-tu ? J’ai du mal à te saisir. Rentre à la
maison, nous allons en parler. Ce qui est arrivé était un
accident. C’était à moi de ne pas te toucher quand j’ai
constaté que tu faisais un cauchemar. Reviens, bébé. »
— Je veux que tu retiennes que je t’aime comme un
malade. Que tu es la plus belle chose qui me soit arrivée de
toute mon existence. Je ne veux pas t’abîmer avec mes
blessures. Je dois m’éloigner de toi au risque de reproduire
avec toi les mêmes erreurs qu’avec Martine.
« — Je t’en prie, ne me fais pas ça, pleure-t-elle. Je suis
enceinte. Tu n’as pas le droit de me donner du chagrin. »
— C’est pour ton bien. Tu mérites mieux.
« — ARRÊTE DE ME DIRE QUE JE MÉRITE MIEUX.
C’EST TOI QUE JE VEUX. »
— Mon amour, calme-toi !
« — Comment peux-tu me faire une chose pareille ?
Comment peux-tu m’abandonner ? Tu m’avais demandé de
ne pas te quitter s’il arrivait que tu replonges. Et je te l’ai
promis. Je ne te déteste pas. Je veux que tu reviennes pour
qu’on affronte ça ensemble. Nous sommes une équipe. Ne
laisse pas ton père détruire notre famille. »
— Je suis désolé.
« — Stephen… »

Je coupe et je me laisse emporter dans un sanglot. Ça m’a


brisé de l’entendre pleurer. J’ai foutu en l’air toutes les
promesses que je lui avais faites. Mon père a raison
lorsqu’il me traite sans cesse de minable. Je me nettoie le
visage et je sors retrouver Martine au salon. Je lui rends son
portable.

— Lorsque mes vêtements seront secs, je m’en irai.


— Où ? Chez toi ?
— Non. Quelque part d’autre. Laurence risque de te mettre
la pression pour que tu lui dises où je me trouve.
— Ne fuis pas, s’il te plaît ! Tu anéantiras ta famille.

Je les anéantirai plus si je reste à leur côté. Je me suis


souvenu de cet homme dont j’avais cogné l’arrière de la
voiture qui m’a dit que je passerai par une épreuve difficile
et que si je n’étais pas guéri, je ferais du mal aux miens
avant de me donner la mort. Je veux éviter toutes ces
tragédies.
***BOYA

Tout le monde me supplie de me calmer, mais je n’en ai pas


envie. Comment veulent-ils que je me calme quand mon
mari vient de m’abandonner ? Il a osé me dire que je
méritais mieux. Il a osé me dire une telle chose. Je dois être
en train de rêver. Ça ne peut pas m’arriver. Stephen ne peut
pas me faire un coup pareil. Je vais dormir et peut-être qu’à
mon réveil, il sera là. Je me nettoie le visage et je me couche
sous les regards de mes deux mamans. Je ferme les yeux et
je me refais le film de tous nos moments heureux.

Je me réveille après plusieurs heures et Stephen n’est pas


là. Laurence vient m’informer que je peux rentrer à la
maison puisque je vais mieux.

— Tu as eu des nouvelles de ton frère ?


— Non, malheureusement. Martine m’a dit qu’il était parti,
elle ne sait où.
— Il va donc vraiment m’abandonner avec des deux
bébés ?
— Je ne sais pas, Boya. Toute cette affaire me laisse
perplexe. La dernière fois que je l’ai vu si troublé, c’était
quand mes parents l’ont recueilli chez nous. Il était tout le
temps apeuré. Je pense qu’il a besoin d’un peu de temps
pour retrouver de la force et du courage. Tu dois être forte.
Tu l’as toujours été, mais là tu dois l’être deux fois plus. Il
y a de fortes chances que tu accouches avant la fin de la
semaine alors tu dois te préparer mentalement à être maman
plus tôt que prévu. Le stress et tous les petits bobos que tu
as eus au cours de la grossesse risquent de précipiter
l’accouchement. Nous serons tous là pour te soutenir. Tu
n’es pas seule.
— Merci !

Ma tante entre, suivie de Natacha. Elles m’aident à me


préparer pour la sortie.

— Tu vas rester chez moi le temps que ton mari revienne.


— Non, maman. Je veux rentrer chez moi.
— Mais, Boya…
— Stephen va me revenir alors je veux l’attendre chez
nous. Ne m’oblige pas à m’éloigner de ma maison, je t’en
prie.
— Fhum ! Comme tu veux. C’est donc moi qui vais rester
avec toi.

Elle demande à Natacha de retourner chez elles lui faire un


petit sac et l’envoyer chez nous.

Deux autres jours sont passés sans que mon mari revienne.
Mais je ne perds pas espoir. Il finira par retrouver le chemin
de la maison. Il m’avait promis de belles choses et j’y crois
encore. Notre histoire ne peut pas se terminer de cette
façon.

— Boya, rentre maintenant, s’il te plaît. Il se fait tard.


— Je te rejoins tout de suite.

Ma tante pousse un soupir de désespoir et retourne à


l’intérieur. Chaque soir, je m’assieds dehors, devant la
maison à attendre le retour de Stephen. Je me sens si seule
sans lui, si vide. Je n’arrive à rien faire. Stephen était mon
leitmotiv, surtout quand je faiblissais. Il avait toujours les
mots pour me redonner courage. Il me manque
affreusement.

Les bébés se mettent à jouer dans mon ventre. Je finis par


rentrer pour me mettre au lit. Peut-être que demain il
viendra. Je garde toujours espoir.

Je me réveille au milieu de la nuit avec une forte envie de


boire de l’eau. La carafe rapportée par ma tante dans la
chambre que nous partageons est vide. Je sors donc la
remplir. Je marche lourdement avec le poids de mon ventre
sur moi. En passant vers le salon, je remarque, dans le faible
éclairage de la pièce, une présence dans l’un des fauteuils.
Je prends peur, mais pas assez longtemps, car je finis par
reconnaître Stephen bien qu’il garde sa tête baissée. Je pose
doucement la carafe et je me rapproche à pas lourds vers
lui. Mon cœur se gonfle de joie, mais aussi de colère.
— Ste… Stephen ?

Il relève la tête. Quand il me voit, il se nettoie le visage.

— Je… je te demande pardon, mon amour, me dit-il la voix


tremblante. Je voulais m’en aller, loin de vous pour vous
protéger, mais… je n’arrive pas à vivre sans toi.

Je m’arrête devant lui, les yeux larmoyants.

— Je t’aime, bébé ! continue-t-il.

Il lève la main en direction de mon ventre, mais je la tape.

— Ne me touche pas !
— Bébé !
— Tu as osé m’abandonner après toutes tes belles
promesses.
— Je croyais bien faire.
— Eh bien tu avais tort. Retourne d’où tu viens puisque
c’est ce que tu veux.
— Bébé !

Nous fondons tous les deux en larmes. Il se met à genou


devant moi. Ça me fait pleurer deux fois plus.

— Pardonne-moi !
— Tu m’as brisé le cœur.
— Je me déteste pour ça. Redonne-moi une chance.

Il m’attrape par la taille malgré ma résistance. Je déverse


ma douleur en le tapant.

— Tu m’as abandonnée.
— Laisse-moi me racheter. J’ai besoin de toi. Je ne veux
pas te faire de mal, mais en même temps je ne peux plus
vivre loin de toi.
— Moi aussi je ne peux plus vivre sans toi. Je t’aime
tellement.

Je l’enlace et lui caresse sa tête posée sur mon ventre


pendant que nous continuons à pleurer à chaudes larmes. Il
m’enserre encore plus la taille. Les bébés se mettent à
bouger dans tous les sens. Il leur donne des baisers avant de
se lever et de m’embrasser.

— Je vais me battre pour notre famille. Je vais lutter


comme un malade pour vous protéger.
— Je te crois. On le fera ensemble. On guérira ensemble.

Il m’embrasse encore et me serre dans ses bras. Je savais


qu’il me reviendrait. J’en suis soulagée. Nous restons ainsi
enlacés, quand soudainement, je sens un liquide sortir de
moi.
***STEPHEN

Boya se détache de moi brusquement.

— Qu’est-ce qu’il se passe ?


— Je ne sais pas. Je sens quelque chose couler sous ma
robe.

Je la relève légèrement, mais impossible de voir quoi que


ce soit dans ce noir. Je veux aller allumer les ampoules,
mais elle m’attrape en poussant un cri de douleur.

— Boya ! Mon amour.


— Laurence a dit que je risquais d’accoucher cette
semaine. Je crois qu’on y est. Aargh !
— Je te conduis à l’hôpital. Où est ton portable ? Je vais
appeler Laurence.
— Dans la chambre du bas. Ma tante y est.

La tante apparaît au même moment. Je l’informe de la


situation et cours prendre le portable de Boya. Je reviens
prendre la clé de ma voiture dans le bocal où je la garde et
nous sortons. La tante de Boya retourne à l’intérieur
prendre le sac préparé pour l’accouchement et elle nous
rejoint dans la voiture. J’appelle Laurence dès que je
démarre.

« — Boya ? Tout va bien ? »


— C’est moi, frangin. Je crois qu’elle veut accoucher. Tu
es à la clinique ?
« — Je ne suis pas de garde aujourd’hui. Mais je vous y
rejoins. Je vais prévenir son gynécologue. »
— Merci !

Ils vont lui faire une césarienne. Sa tension est beaucoup


trop élevée pour lui permettre d’accoucher aisément par
voie basse. On la sort de la chambre sur un lit. Laurence, le
gynécologue de Boya et un autre docteur seront à son
chevet. Je me rapproche du lit et je lui prends la main.

— Tu es là hein ? Tu ne vas pas encore disparaître ?


— Non, mon cœur. Je suis là. Je t’attendrai aussi longtemps
qu’il le faudra.

Nous échangeons un baiser et je les laisse l’emmener.


Laurence s’approche de moi.

— Je suis content que tu sois revenu sur ta décision.


— Il le fallait. Occupe-toi bien d’elle, je t’en prie.
— Tu n’as pas à me le demander. Je te ramènerai ta femme
et tes enfants.

Nous nous cognons les poings et il part à son tour. Je reste


avec la tante de Boya qui est à genou en train de prier.
J’ai l’impression d’attendre depuis une éternité. La tante de
Boya n’a pas arrêté une seconde de prier. Je sursaute de ma
chaise en voyant mon frère arriver.

— Où sont-ils ? Comment va ma femme ?

Il sourit.

— Ta femme et tes enfants se portent à merveille. Tu as une


fille et un garçon.

La tante de Boya pousse un cri de joie. Moi je tombe dans


les bras de Laurence en le remerciant du plus profond de
mon cœur. Je suis papa. Je suis doublement papa.

— Je peux les voir ?


— Nous avons gardé Boya endormie à cause de sa tension.
Elle doit mieux se reposer. Elle sera conduite tout à l’heure
dans sa chambre. Mais tu peux venir voir les bébés.

Je le suis dans une salle où deux infirmières s’occupent de


deux bébés. Nous restons en retrait pour les observer. Les
bébés ne font que pleurer.

— Tu as des enfants très nerveux, me chahute Laurence.


Regarde comme ils n’arrêtent pas de hurler.
Je ris malgré mes larmes. Je n’avais jamais imaginé avoir
des petits moi. Je les regarde et mon cœur ne peut que battre
d’amour, de fierté, de bonheur, de positivité. Laurence
récupère le premier bébé de qui l’infirmière a fini de
s’occuper et il me l’envoie, enroulé dans son drap.

— Voici ton petit garçon.

Mes larmes redoublent. Quelle chance j’ai, ce n’est pas


possible. Je ne croyais plus recevoir tant de bénédictions
après tout ce qui m’est arrivé. Je vivais en attendant le jour
de ma mort. Je n’avais aucun but dans la vie. Je vivais
comme ça. La vie m’a donné une deuxième chance et je
vais la tenir. En regardant ce petit être innocent, je prends
une décision.

— Je vais dénoncer mon père, je lâche d’un seul coup.


— Quoi ? fait Laurence qui pense avoir mal entendu.
— Je vais me débarrasser de lui en l’exposant aux yeux du
monde pour que la justice n’ait d’autre choix que de le
punir.
— Tu veux vraiment l’affronter ?
— Il le faut. J’ai des enfants maintenant. Je ne peux le
laisser leur faire ce qu’il m’a fait à moi. Je ne peux prendre
ce risque. Je ne peux plus le laisser avoir de l’emprise sur
moi. Je dois l’arrêter.
— Tu en es sûr ?
— Plus que jamais.
— Alors, fais-le.

Oui, je vais le faire. Ce démon doit payer pour ses crimes.


24

***HERMANN

Je ne sais pas comment Martine a pu me convaincre de


venir passer la nuit avec elle chez ses parents. Ah oui, je
sais. Elle a utilisé la grossesse en insistant sur le fait qu’elle
était au plus mal. Elle sait que je ne lui refuse jamais rien
quand c’est en rapport avec la grossesse. Je reconnais tout
de même qu’elle souffre en ce moment. Elle est à dix mois
de grossesse, c’est-à-dire bien au-delà de son terme, et le
bébé refuse toujours de sortir. Elle souffre de mal de dos,
mal aux jambes, aux reins et a des remontées gastriques tout
le temps. Je ne peux rien faire pour la soulager alors je cède
à tous ses caprices. Ma mère m’a dit que les derniers mois
de la grossesse sont souvent pénibles pour la femme et qu’il
lui faut beaucoup d’attention. J’essaie de mettre de côté
mes émotions, surtout après le dernier spectacle vu chez
elle avec son ex. Je préfère d’ailleurs ne plus y penser. J’ai
tellement eu mal que j’en ai eu une nuit blanche. Je n’ai
cessé de l’imaginer de nouveau dans le bras de ce type.
Bref, ça suffit !

Je descends de ma voiture et je sonne à leur portail. C’est


la mère de Martine qui vient ouvrir.

— Ah, c’est toi mon fils.


— Désolé de venir à cette heure. J’avais du boulot à
terminer avant.
— Ce n’est pas grave. Elle est dans sa chambre.
— Merci !

Je monte avec mon petit sac contenant mes affaires. J’ai


sciemment voulu arriver tardivement pour éviter de passer
des moments embarrassants avec elle. Une tension règne
entre nous depuis deux jours. Je ne veux pas parler de ce
qui s’est passé au risque d’engendrer une autre dispute. De
plus, elle a été claire. Autant je suis passé à autre chose en
me mettant dans une nouvelle relation, autant elle peut en
faire de même. Je crois que le message est clair.

J’arrive devant ladite chambre et frappe. Sa voix résonne


depuis l’intérieur m’intimant de rentrer. J’obéis. Elle est
assise sur son lit, le ventre exposé, le drap remonté
légèrement sur ses jambes et un truc autour de ses seins,
censé être un soutien, mais sans manches. Elle semble
regarder un film sur sa tablette.

— Salut !
— Salut ! Désolée d’être à moitié nue. Je suffoque de
chaleur malgré la climatisation.
— Mets-toi à l’aise.
— Tu as dîné ?
— Oui. Avec… j’ai dîné, merci.
— Tu veux prendre une douche.
— Déjà fait avant de venir.

Je pose mon sac dans un coin de la chambre et je la rejoins


dans le lit.

— Merci d’avoir accepté de venir passer la nuit avec moi.


— C’est normal.

Je reçois l’appel de ma nouvelle copine.

— Tu es déjà rentrée ?
« — Oui et toi ? Tu es arrivé chez Martine ? »
— Oui. Je me mettais comme ça au lit.
« — Ok. On se dit à demain donc. Je suis à plat. Passe une
bonne nuit. Je t’aime. »
— Bisou.

Je raccroche et me place confortablement dans le lit. Avec


elle, on y va doucement. Je lui ai tout raconté de moi en lui
précisant que je ne cherche pas à vivre le parfait amour. Je
veux me caser avec une personne avec qui on aura la même
vision des choses. Cette idée vient de mes amis qui m’ont
demandé de fréquenter quelqu’un et qu’à la longue,
l’amour s’installera. Nous avons tous décidé de nous poser
et chacun a commencé à mettre ses bases. Parfois, il faut
savoir choisir la bonne personne même s’il n’y a pas
d’amour fou. Elle sait tout de Martine et ne se dérange pas
du fait que nous aurons bientôt un enfant ensemble. Pour
l’heure, tout baigne.

— Tu peux retirer ta prothèse pour être plus à l’aise.


— Non merci, ça va.
— Tu ne dors jamais convenablement avec.
— J’ai dit ça va, je réponds, un peu sur la défensive avant
de me reprendre. Je préfère rester ainsi au cas où je devrais
t’aider au milieu de la nuit.

Sa mère vient cogner à la porte. Martine sort discuter avec


elle. Je glisse mes écouteurs dans mes oreilles et m’allonge
dans le lit en fermant les yeux. Je sens Martine se réinstaller
dans le lit, mais je demeure dans ma position. Elle me
tapote sur le bras ce qui m’oblige à ouvrir les yeux.

— Tu comptes demeurer distant jusqu’à ce qu’on


s’endorme ? Nous ne pouvons pas discuter comme des
amis ? Tu ne m’as pas demandé comment je vais.

Je l’ai pourtant fait durant toute cette journée par téléphone


et même quand je me rendais ici. Je me redresse sur le lit
en retirant mes écouteurs.

— Comment te sens-tu ?
— Mal. Mais pas à cause de la grossesse. Plutôt parce que
tu me traites comme une étrangère. Comme si j’étais un
coup d’un soir qui est malheureusement tombée enceinte.
— Ne dis pas ça. Tu comptes pour moi, tu le sais.
— Dans ce cas pourquoi je ne le sens pas ?
— Je suis pourtant là, non ?
— À cause du bébé. Pas pour moi.
— Nous ne sommes plus un couple.
— Et je veux qu’on le redevienne.

Elle s’approche de moi et m’attrape le bras.

— Je veux qu’on se redonne une chance.


— Ce n’est plus possible.
— Mais pourquoi ?
— Parce que je n’ai plus confiance en toi, je lui réponds en
haussant presque le ton. Nous sommes sortis ensemble
durant plus d’une année et tous les " je t’aime " que tu me
disais n’étaient pas sincères. Tu n’étais pas amoureuse de
moi alors que tu affichais le contraire. Tout le monde le
croyait. Il a fallu cette grossesse pour que tu arrêtes de faire
semblant. Dès que nous avons découvert ton état, tu as mis
un fossé entre nous. Tu refusais toutes mes invitations, tu
demeurais silencieuse quand nous étions ensemble. C’était
à croire que tu ne visais que la grossesse pour te débarrasser
de moi.
— C’est faux.
— Et il n’y a pas que ça. Tu as approuvé toutes les
conneries que te disait ta collègue sur les handicapés. Tu
n’as rien dit pour me défendre ou pour réfuter ses dires. Tu
as passé tout ton temps à me motiver pour que je m’accepte
alors que toi-même, mon état te dérangeait.
— C’est faux, Hermann.
— Alors, dis-moi comment je pourrais te faire confiance si
tu me dis que tu m’aimes. Comment pourrais-je te croire si
tu me dis que mon handicap ne te fait ni chaud ni froid ? Je
ne peux plus.
— Je suis consciente de t’avoir fait du tort, mais c’était
parce que j’étais blessée.
— Oui, par un ex qui se trouvait quasiment à poil dans ton
salon il y a trois jours.
— C’était parce que je l’avais aidé. Il était à deux doigts de
se suicider et je l’en ai empêché. Crois-moi, je ne ressens
plus rien pour lui. Il m’a suffi d’être en sa compagnie pour
le comprendre. De l’eau a coulé sous les ponts. Je suis
passée à autre chose. Je ne suis plus cette jeune femme qui
fondait devant lui. Il ne me fait plus aucun effet,
contrairement à toi. Celui dont j’ai besoin, c’est toi.
— Ce dont tu as besoin, c’est de te retrouver avec toi-
même. Tu n’as pas réellement eu un moment pour guérir
complètement de tes blessures, pour reprendre totalement
ta vie en main, de te fixer de nouveaux objectifs. C’est vrai.
Quelques jours après ta rupture, nous avons commencé à
nous fréquenter, puis à sortir ensemble. Ensuite, la
grossesse est arrivée puis nous avons rompu. Il y a eu trop
d’enchaînement. Tu devrais prendre le temps de te
reconstruire. Ainsi, tu sauras réellement ce que tu ressens
et ce que tu veux. Le bébé sera très bientôt là. Il aura besoin
d’une mère émotionnellement stable.

Elle baisse la tête, toute déçue, et me lâche le bras.

— Tu as raison.
— Je ne te déteste pas. Retiens-le. Je souhaite que les
choses soient faites comme il se doit, avec conviction.
— Je comprends.

Elle pose sa tablette sur la table de chevet et glisse sous le


drap. J’éteins la lumière et je l’imite. C’est dos à dos que
chacun s’endort.

Je me sens bousculé dans mon sommeil. J’émerge


doucement.

— Hermann ! Hermann !
— Hum ?
— J’ai très mal au ventre.
— Ah bon ? Tu veux qu’on parte à l’hôpital ?
— Oui ! Ça fait très mal.

Je bondis du lit. Elle me montre où lui prendre une robe


qu’elle va enfiler et son sac préparé pour l’accouchement.
Je ne me rappelle pas le nombre de fois où nous nous
sommes baladés dans l’hôpital avec ce sac. J’espère de tout
cœur que cette fois sera la bonne. Je sors faire signe à ses
parents et à bord de la voiture de son père nous prenons le
chemin de l’hôpital.

Et c’est la bonne. Après vérification, il nous a été annoncé


qu’elle était à deux doigts. Bon, je ne sais pas ce que ça veut
dire, mais je sais que ça signifie que le travail a commencé.
La mère de Martine et moi, nous la soutenons dans l’étape
d’avant accouchement. Elle doit faire des marches dans la
chambre qui lui a été attribuée jusqu’à ce qu’elle arrive à
dix doigts, selon ce que j’ai compris. Tantôt elle va mieux,
tantôt les contractions la font se tordre de douleur. Je lui
caresse le dos à chaque fois ou je me propose comme appui.
Elle a l’air à bout de souffle. Elle se met à pleurer.

— Que t’arrive-t-il ? je lui demande en allant vers elle.


— Je suis fatiguée.
— Je suis désolé. C’est presque fini. Viens là !

Je la prends dans mes bras. Elle m’encercle fort comme


pour me signifier qu’elle n’a pas l’intention de me lâcher
de sitôt. Je la garde contre moi en continuant à lui caresser
le dos. Les douleurs deviennent plus intenses. Une
infirmière vient la vérifier et elle nous annonce que le bébé
est fin prêt à sortir. Elle va appeler le gynécologue pendant
qu’une autre la prépare. Sa mère et moi sortons. Je désire
appeler ma mère pour qu’elle puisse me rassurer parce que
je suis mort d’inquiétude. Mais elle voudra venir, chose que
je ne veux pas, vu l’heure tardive. Ce serait risqué. Je vais
devoir être fort tout seul.

***MARTINE

Après avoir été déchirée pour l’épisiotomie et avoir perdu


un peu de sang, j’entends enfin les premiers cris de mon
bébé. Nous y avons passé toute la nuit, mais je ne regrette
rien. Elle est là, maintenant.

— C’est une fille, m’informe le docteur. Elle fait quatre


kilogrammes. Toutes mes félicitations.

Il l’essuie et la pose sur ma poitrine. Je pleure de joie sur


mon bébé. Enfin, j’ai mon bébé. Je l’embrasse, la caresse
et lui dis que je l’aime.

— Nous allons devoir la reprendre pour continuer vos


soins. Nous allons vous anesthésier le périnée pour le
recoudre.

J’approuve de la tête. Qu’ils fassent tout ce qu’ils veulent.


Je veux qu’on me libère pour que je puisse prendre ma fille
dans mes bras. J’avais perdu espoir de devenir mère.
Aujourd’hui, c’est fait.

Après les soins, on m’installe convenablement dans la


chambre et on me ramène ma fille pour que je la nourrisse.
Une aide-soignante me montre comment le faire. Je regarde
ce petit être tirer mon téton et je souris de bonheur.
Hermann rentre et se fige en voyant sa fille. Il est tout ému.
Il s’approche et il me surprend en m’enlaçant. Il pose un
baiser sur mon front.

— Merci beaucoup, ma puce. Pour ce merveilleux cadeau.


Merci !

Je suis tellement heureuse de le voir si heureux et


vulnérable. Je lui tends sa fille qui a fini de manger. Il ne
cesse de sourire de bonheur.

— Elle est magnifique. Comme sa maman. Merci encore,


Martine. Tu fais de moi l’homme le plus heureux en ce jour.
— Merci à toi aussi ! Grâce à toi, je réalise mon vœu de
devenir mère.

Il me prend la main et l’embrasse. J’en veux tellement plus.


Je veux qu’il m’embrasse, qu’il me dise qu’il m’aime et
qu’il accepte de nous redonner une nouvelle chance. Mais
je vais patienter. Je vais pour l’instant me concentrer sur
mon magnifique bébé.

***STEPHEN

Je suis dingue de mes enfants. Je ne fais que les regarder,


les bercer, les embrasser, leur chuchoter des mots doux à
l’oreille. Je suis fou d’eux. Généralement, les hommes ont
peur de tenir leur nouveau-né à cause de leur si petit corps.
Mais moi, je suis plutôt excité à le faire. Je suis dans une
joie immense de voir des petits bouts de moi. Qu’ils sont
mignons !

— Tu vas finir par la bouffer à force de la regarder ainsi,


rigole Boya qui allaite le garçon, assise dans notre lit.
— Je crois que je suis amoureux, dis-je en dévorant du
regard la fille que je tiens dans mes bras depuis plusieurs
minutes.
— Je suis jalouse.
— Oh, il y a de quoi. Tu as une rivale de taille.

Elle en rit.

— Tu crois qu’elle me ressemble ? je demande à ma


femme.
— Elle a tes yeux en tout cas. Ils l’ont tous les deux. Au
fait, tu as pensé aux prénoms ?
— J’en avais dans la tête, mais là je les ai tous oubliés.
— Je voulais qu’on appelle la fille… Évelyne, propose-t-
elle avec un peu d’hésitation dans la voix.
— Tu es sérieuse ?
— Oui. Enfin, si tu le veux. Je ne veux pas réveiller de
mauvais souvenirs.

Je marche vers son lit et je m’assieds près d’elle.


— Merci de vouloir donner le nom de ma défunte sœur à
notre enfant. Merci.

Je me penche vers elle pour l’embrasser. Cette décision me


réconforte encore plus dans la mienne.

— J’ai pris une décision.


— Laquelle ?

Je pose la fille dans son berceau et je prends le garçon des


bras de sa mère et je le pose dans le deuxième couffin. Je
reviens à ma place et je prends la main de Boya.

— J’ai énormément réfléchi, et… j’ai décidé de dénoncer


mon père.
— Tu… tu en es sûr ? Je veux dire, tu t’en sens vraiment
capable ?
— Je ne sais si j’en suis capable. Je sais juste que je dois
protéger ma famille et retrouver ma paix intérieure en me
débarrassant de lui. Mon oncle a contacté ma tante hier et
il est désespéré. Toutes leurs tentatives contre mon père
échouent. La police veut étouffer l’affaire à cause de la
réputation de mon père. Je veux donc faire une déclaration
publique en utilisant mon ancien nom pour ne pas vous
exposer toi et les enfants. Mais je veux faire tout ça avec
ton accord.
— Bien sûr que tu le peux, enfin, si tu penses que c’est le
mieux à faire. Seulement, promets-moi de tout arrêter si tu
te sens en danger ou accablé.
— Je te le promets. Merci. Je t’aime.
— Je t’aime aussi.

Je saute dans le lit près d’elle et la prends contre moi. Je


hume son parfum et puise assez de force dans cette étreinte
pour ce que je m’apprête à faire.

*Mona
*LYS

J’ai donné rendez-vous à mon oncle et sa fille chez ma


tante. Je préfère les recevoir et gérer cette affaire loin de ma
maison. Ça fait cinq jours qu’elle a accouché et elle a
besoin de tranquillité pour se remettre de son accouchement
et prendre soin des enfants. Sa tante et Natacha vivent avec
nous pour apporter assistance à Boya. Maman Odette a
également embauché une servante pour plus d’aide. Tout
doit être mis en place pour qu’elle soit à l’aise.

J’arrive chez ma tante avant l’heure du rendez-vous, car je


veux m’entretenir avec elle. Je l’ai sentie un peu distante
avec moi depuis mon retour. Elle m’en veut sans doute pour
ma dernière fugue. Je me rends directement à sa chambre
où Awa me dit qu’elle se trouve. J’entre après avoir cogné.
Elle se redresse sur le lit en tenant sa Bible en main.
— Désolé de te déranger pendant ta méditation.
— J’avais déjà terminé. Viens !

Plutôt que de m’asseoir près d’elle sur le lit comme elle me


le signifie, je m’agenouille près de son lit, les coudes posés
sur le lit et les mains jointes.

— Je sais que tu es fâchée. Je te demande pardon.


— Je ne suis pas fâchée. Juste déçue que tu ne sois pas venu
me voir quand tu allais mal comme tu en as toujours eu
l’habitude. Quand on t’a recueilli, il y a bientôt vingt ans,
c’était moi que tu appelais à l’aide chaque nuit quand tu
faisais des cauchemars. Tu te confiais à moi, tu pleurais
sans cesse et sans honte dans mes bras. Même dans ton état
adulte, quand tu étais encore en couple avec Martine et que
tu te sentais sur le point de péter les plombs, tu venais
passer tes nuits ici pour te sentir en sécurité. Alors, je n’ai
pas compris pourquoi cette fois, tu as préféré me fuir, moi
aussi. Tu ne me trouves plus utile dans ta vie, c’est ça ?
— Non ! Ne dis pas une chose pareille. Tu es la personne
la plus importante dans ma vie. J’étais perturbé. Je n’en ai
pas parlé à Boya, mais j’ai tenté de me suicider.
— Pardon ? Mon Dieu ! Tu allais si mal ?
— Oui, mais maintenant tout va bien. Je ne voulais plus
vous faire de la peine, surtout à toi qui avais déjà assez
supporté pour moi. J’en avais marre. Aujourd’hui, j’ai
repris mes esprits. Je suis prêt pour la lutte. Cependant, j’ai
besoin de tes bénédictions. Demande à ton Dieu de me
donner la force pour aller jusqu’au bout.
— Et tu l’auras. Tu auras mes prières et tu m’auras, moi, à
tes côtés.

Elle descend de l’autre côté du lit et vient vers moi. Je reste


à genoux et la laisse me prendre les mains. Je ferme les
yeux quand elle commence à faire sa prière. Ça fait du bien
d’avoir quelqu’un qui prie pour toi à chaque instant et dans
chaque situation. Sa prière me fait du bien. Elle la clôt avec
un " Amen " puis un baiser sur la tête. Awa vient nous
annoncer l’arrivée de l’oncle et sa fille ainsi que Laurence.
Je lui prends la main et nous les rejoignons au salon. J’ai de
la peine en voyant ma cousine si abattue. Perdre son unique
enfant de façon si dramatique. Je crois sincèrement qu’elle
a malheureusement payé pour les mauvaises décisions de
son père. Lui et ses frères m’ont bastonné, puis imposé le
silence quand je leur ai dévoilé les horreurs de leur frère.
Ils se sont rangés de son côté sous prétexte qu’il les
nourrissait tous. Au final, il reçoit en retour ce qu’il a
couvert.

— Infiniment merci de nous aider dans ce combat, me dit


mon oncle.
— Je ne le fais pas pour vous. Je le fais pour moi-même. Si
je n’avais rien à y gagner, je n’aurais pas levé le petit doigt
en dehors d’avoir voulu soigner la petite.
Il baisse la tête de honte.

— Bien. Vous avez envoyé toutes les photos, les examens


médicaux et le certificat de décès de la petite ?
— Oui, tout est là.

Sa fille dispose tout sur la table centrale.

— Voici ce que nous allons faire. Ta fille et toi allez faire


une vidéo expliquant toute l’histoire en montrant les photos
de l’orifice et l’appareil génital déchirés.
— Les images sont choquantes, relève mon oncle.
— Il faut choquer pour que nous soyons pris au sérieux. De
mon côté, je ferai un vocal. Je serai bref, mais je dirai
l’essentiel. Nous allons ensuite utiliser le compte Facebook
de ta fille. On identifiera les pages médias les plus
populaires, les autorités et les influenceurs. Les choses se
feront très vite ainsi.
— On fera tout ce que tu veux.

Tout étant planifié, nous commençons les enregistrements.


Nous commençons par le père et la fille. Nous les mettons
dans un endroit neutre où rien ne puisse faire identifier la
maison. Nous activons la caméra devant eux et ils
commencent à parler. Ils expliquent leur histoire en
montrant les preuves. Ils rapprochent les photos choquantes
de la caméra pour qu’elles soient plus visibles. Un moment,
mon oncle parle d’autre chose.
— Je voulais profiter pour demander pardon à mon neveu,
le fils de cet homme, qui dans le passé avait révélé à toute
la famille que son père abusait de lui et sa défunte sœur
jumelle et nous au lieu de le protéger, nous l’avons battu
pour qu’il se taise. Je crois que c’est Dieu qui me punit
aujourd’hui. J’espère que mon neveu et le Seigneur me
pardonneront un jour.

Il entame son discours de fin en donnant son numéro quand


je m’éclipse dans ma chambre de séjour pour procéder à
mon enregistrement. Je sors la lettre que m’avait laissée
Évelyne et je la prends en photo. Je l’ai conservée tout ce
temps en souvenir d’elle sans savoir qu’un jour elle me
serait bénéfique. J’active l’audiophone, j’inspire et en dix
minutes, je résume mon histoire. Quand je finis, je sors la
donner à Laurence qui est déjà en train de publier la vidéo.
Il en fait de même avec l’audio.

— Voilà ! C’est fait ! Les dés sont jetés.

*Mona
*LYS

Depuis deux jours, la toile est en ébullition. Mon audio et


la vidéo de mon oncle circulent partout. Sur Facebook, sur
TikTok, sur Instagram et même dans les WhatsApp. Les
gens ne parlent plus que de ça. La population est révoltée
et demande à ce que les autorités prennent les choses en
main. Les publications sont multipliées à longueur de
journée sur ce sujet. Il y en a quelques-uns parmi les
internautes qui, au milieu de tout ceci, ne croient pas en nos
témoignages parce qu’ils auraient " mieux côtoyé mon père
que nous " et de ce fait donc, ils le connaîtraient mieux que
nous. La bonne blague ! Selon eux, ce serait un coup monté
de toute pièce pour ternir l’image du grand général de
l’armée qui sera très bientôt décoré par le président de la
République pour ses services rendus à la nation. J’aurais
bien aimé les voir à nos places. Maintenant que tout est sur
la place publique, on attend de voir les réactions des
autorités. Mon oncle, qui avait communiqué ses numéros
dans la vidéo et sur la page de sa fille, dit recevoir
énormément d’appels de gens qui veulent nous aider. Il
collabore avec certains influenceurs qui font vraiment
bouger les choses.

Remarquant que mon fils dort paisiblement dans mes bras,


je vais le reposer dans son couffin. Je me tourne du côté de
sa sœur qui dort à poings fermés. Je souris de bonheur. Je
sors informer maman Odette que ses deux petits-enfants
dorment et je monte retrouver ma femme dans notre
chambre. Les bébés dorment avec leur grand-mère et
Natacha dans leur chambre pour qu’elles puissent aisément
s’occuper d’eux les nuits et ainsi permettre à Boya de se
remettre rapidement. Les matins, Boya contribue en
passant du temps avec ses enfants avec la domestique pour
que sa tante se repose et s’occupe de ses affaires. Ma tante
et Awa viennent aussi passer leurs journées ici pour donner
leurs coups de main. Tout le monde est vraiment mobilisé
autour de Boya et des bébés. Je n’aurais pas rêvé d’une
meilleure famille.

Je glisse dans le lit près de ma femme qui regarde des


modèles de vêtements de grands stylistes ivoiriens et
africains.

— Je te croyais déjà endormie, dis-je en posant un baiser


dans son cou.
— J’avais sommeil jusqu’à ce que je commence à regarder
ces modèles. J’ai hâte de reprendre la couture.
— Prends le temps de guérir. Et la première chose que tu
feras quand ce sera le cas, tu sais c’est quoi ?

Elle se met à rire quand je glisse de nouveau mon visage


dans son cou.

— Non, je ne sais pas.


— Ouais, c’est ça.

Je prends un coussin et la tape doucement avec. Mon


portable se met à sonner.

— Oui, allô ?
« — Bonsoir, c’est bien monsieur Josué MÉMEL ? »
— Euh… Qui êtes-vous ?
« — Je suis le procureur d’état, monsieur Ali
DOUKOURÉ. J’ai écouté vos témoignages et j’aimerais
vous rencontrer tous les trois. Je vais prendre cette affaire
personnellement en charge afin que justice soit faite. Alors,
est-ce possible de se voir demain à mon bureau ? Votre
oncle est déjà partant. C’est lui qui m’a remis votre
contact. Vous pourrez ainsi déposer plainte en bonne et due
forme. »
— C’est compris. Nous viendrons demain.
« — Merci bien. Excellente soirée à vous. »
— À vous pareillement.

Je raccroche dans un soupir d’aise.

— Tu as rendez-vous avec qui demain ? C’est concernant


l’affaire ?
— Oui. C’était le procureur d’état. Il souhaite s’occuper
personnellement de cette histoire.
— Oh, mais c’est une excellente nouvelle ! Enfin, vous êtes
pris au sérieux.
— Ne crions pas vite victoire. Ça peut être un piège pour
nous réduire au silence. Je continue de rester sur mes
gardes.
— Tu as raison. Je reste cependant positive. Tout se passera
bien.
Je vais me brosser les dents et je reviens me mettre au lit.
Je reste couché sur les jambes de Boya qui me caresse la
tête en continuant à regarder sa tablette. Je commence par
me laisser emporter peu à peu par le sommeil quand
soudainement, un grand bruit se fait entendre dehors.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? sursaute Boya.

Le bruit vient du portail. On aurait dit que quelqu’un le


bousculait. S’en suivent des éclats de voix. Je reconnais
celle du vigile, mais pas la seconde. Je vais voir par la
fenêtre de la chambre et je vois nettement mon père pousser
le vigile de toutes ses forces et foncer à l’intérieur de la
maison.

— Que se passe-t-il, Stephen ?


— Je viens. Reste ici.
— Que se passe-t-il ? demande-t-elle cette fois plus
inquiète.
— Surtout, ne sors pas de la chambre.

Je sors de la chambre et je descends le plus vite possible.


J’entends déjà mon père dans le salon qui gueule sur ma
belle-mère et Natacha qui regardaient leurs feuilletons
Novelas.

— Où est ce fils de pute ?


— Sors immédiatement de chez moi où j’appelle la police,
je lui lance en arrivant devant lui.
— Vas-y ! Fais-le ! Tu crois que j’ai peur de ces
incompétents ?
— Si tu n’avais pas si peur, tu ne serais pas ici à cette heure
de la nuit.
— Je suis ici pour te mettre en garde, sale enfant raté. Tu
penses pouvoir me nuire et ternir cette si belle image que
ce pays a de moi ? Eh bien, tu te fous le doigt dans l’œil.
Vos plans à la con vont échouer.
— Pourquoi trembles-tu donc ?

Il avance dangereusement vers moi. Je ferme les poings


pour me donner la force de lui tenir tête. Il faut que je lui
résiste. Il sourit en ne me voyant pas reculer comme j’en ai
toujours eu l’habitude.

— Oh ! Tu veux dire que tu as pris la confiance ? Tu n’as


plus peur de moi, c’est bien ça.
— Comme tu peux le constater.

Il sourit de nouveau.

— On verra si c’est toujours le cas quand je t’aurais broyé


la mâchoire et éliminé ta bêtise de femme et vos morpions.

Une colère sourde s’empare de moi au point où je ne sais


d’où me sort cette force inouïe qui me remplit la main et
qui me pousse à lui envoyer mon poing dans sa gueule. Il
s’écroule comme une merde.

— Ne t’avise plus jamais de menacer ma famille. Tu


risques de ne pas me reconnaître. Connard !

Ma belle-mère me prend le bras et me fait reculer. Je


dévisage cet homme censé être mon père se masser la
mâchoire endolorie. Il met du temps à se relever. Le coup
était vraiment violent. Il finit par se remettre, difficilement,
sur les jambes. Il ne cesse de cligner des yeux comme s’il
avait le vertige.

— Tu crois être devenu un homme ? Je vais te prouver que


non. On se reverra.

Il sort en marchant avec précaution. Maman Odette va


boucler la porte quand il sort et le suit du regard à travers la
fenêtre. Je sens quelqu’un m’attraper le bras. Je me retourne
et dès que je vois Boya, je la serre contre moi.

— Ça va ? s’inquiète-t-elle.
— Oui. Montons nous coucher.

Je lui prends la main et nous remontons.

*
La rencontre avec le procureur a été comme je l’espérais. Il
est déterminé à rendre justice. Nous avons porté plainte et
j’ai demandé à ce que des policiers soient assignés chez moi
et ma tante pour nos sécurités parce que la menace de mon
père n’est pas à prendre à la légère.

Après la réunion, je me suis rendu dans les nouveaux


locaux de la boîte annexe de l’entreprise où je bosse. Les
choses avancent pour le mieux et d’ici le mois prochain, je
pourrai lancer les recrutements. Je regarde les différents
dossiers qui m’ont pour l’heure été parvenus. C’est en
scrutant l’un des profils que je réponds à l’appel du
procureur.

— Allô, bonjour, monsieur le procureur.


« — Bonjour, monsieur BÉKÉ. Je tenais personnellement à
vous informer de l’arrestation de votre père il y a quelques
instants. Il sera directement déféré à la maison d’arrêt, le
temps de procéder à son procès. Vous n’avez donc plus rien
à craindre. Il est hors d’état de nuire et avec le dossier
fourni contre lui, il ne s’en tirera pas. »
— Merci beaucoup, monsieur le procureur. On espère que
la justice fera son travail.
« — Oui, elle le fera. »

C’est tout ce que je désire. Je suis sans doute trop


pessimiste, mais je n’arrive pas à me réjouir. Tant que cet
homme ne sera pas officiellement condamné, je ne pourrai
savourer cette victoire.
25

****STEPHEN

Je profite de cette belle journée avec ma petite famille. Ma


tante est présente et heureuse que mon père soit derrière les
barreaux. Elle est même plus heureuse que moi, comme si
elle l’avait rêvé depuis longtemps. Boya est couchée sur
moi et nous regardons tous ensemble un film drôle. La tante
de Boya quant à elle se repose parce que les jumeaux l’ont
épuisée toute la nuit et ce matin elle devait aller chercher
ses marchandises. Cette femme mérite un très gros cadeau.
Elle fait énormément pour nous.

— Je crois que le petit Evans s’est réveillé, s’exclame ma


tante en allant récupérer le bébé dans son petit lit posé non
loin de nous. Il doit avoir faim.

Elle lui fait des bisous bien qu’il continue de pleurer et le


donne à Boya qui sort aussitôt son sein et le lui met dans la
bouche. Le petit se tait à la seconde. Boya qui allaite, c’est
l’une des plus belles images qui m’aient été données de voir
dans ma vie. Elle est tellement magnifique dans son rôle de
maman. Elle est deux fois plus belle depuis qu’elle a donné
naissance à nos deux bébés. Je ne cesserai de la contempler.
Un grabuge me détourne de Boya. Quelqu’un rentre en
trombe dans la maison. Définitivement, on doit garder cette
porte condamnée de jour comme de nuit. Une rage m’anime
en voyant ma mère. J’aurais dû finalement laisser les
officiers de police continuer à faire la sécurité ici.

— Josué, tu dois retirer ta plainte. Tu ne peux pas laisser


ton père en prison.

Cette femme est-elle sérieuse ? Pff !!! De toute façon, plus


rien ne m’étonne d’elle. Elle a vendu sa dignité aux chiens.

— Je vais te demander poliment de sortir de ma maison, lui


dis-je.
— Tu vas me chasser ? Moi ta mère ?
— Je ne te reconnais pas comme telle. Désolé.
— Josué, nous sommes en Afrique, et aucun enfant ne doit
porter atteinte à ses parents. C’est une abomination et une
malédiction que tu attires sur tes enfants.

Je ferme les poings et fonce sur elle.

— Ne parle plus jamais de mes enfants.

Le haussement du ton de ma voix réveille la petite Ivy. Ma


tante la prend et la berce. Le regard de ma mère s’attendrit.
— Tu… tu as des enfants ? Ce sont des jumeaux ? Je suis
donc grand-mère ?
— Tu n’es rien du tout. Mes enfants ont déjà une grand-
mère paternelle et elle est juste derrière moi.
— C’est moi ta mère ! hurle-t-elle.
— Tu ne l’as jamais été. Dégage tout de suite de ma
maison.
— Cette femme a réussi à te détourner de moi. Elle t’a
kidnappé et…

Je lui saisis le bras, mais au moment de la conduire vers la


sortie, ma tante m’arrête.

— Non attends, Stephen. Ne te fatigue pas.

Elle repose la petite qui s’est rendormie dans son lit. Elle
vient saisir ma mère à ma place et la trimbale dehors malgré
sa résistance. Je les entends se chamailler depuis l’extérieur
jusqu’à ce que le portail claque.

— J’espère que tout ça finira bientôt, se plaint Boya. Je ne


veux pas que mes enfants évoluent dans cette atmosphère.
— Je te demande pardon pour tout.
— Je ne t’en veux pas. Juste que j’en ai marre d’entendre
des cris et des insultes.
— Ça finira bientôt. La justice va bientôt donner sa
sentence et c’est bon, nous serons définitivement libres.
TROIS MOIS PLUS TARD

Je ne comprends toujours pas pourquoi après trois mois,


mon père n’a pas été jugé, surtout pour une affaire aussi
grave. Il y a eu mort d’homme, diantre. De plus, d’autres
témoignages se sont ajoutés au nôtre. Mon père ne faisait
pas du mal qu’à nous. Il en faisait également dehors. Des
familles, qui avaient été tenues au silence, se sont révélées.
Des jeunes dont il a gâché la vie parce qu’ils auraient refusé
ses avances. Certains, qu’il a harcelés sexuellement et fait
arrêter sur des fausses accusations. J’ai cru qu’avec tous ces
témoignages, les choses iraient vite. Mais depuis, il n’y a
aucune évolution. J’espère recevoir de bonnes nouvelles
d’ici mon retour de voyage. Je dois m’absenter pour une
semaine. Je dois aller en France pour discuter de l’évolution
de la nouvelle succursale que je suis en train d’ouvrir ici.
Mon boss veut me donner de nouvelles directives.

En surfant sur la toile, j’attends l’heure du vol. Mon


portable me signale un appel du procureur. Je décroche
prestement, espérant avoir une excellente nouvelle.

— Bonjour, monsieur le procureur. Quelles sont les


nouvelles ?
« — Bonjour, monsieur BÉKÉ. Je n’en ai pas de bonne. »
— Dites-moi ! dis-je, l’anxiété dans la gorge.
« — Votre père a été relâché. »
— QUOI ? je hurle en me levant de mon siège.
COMMENT EST-CE POSSIBLE ?
« — L’ordre vient d’une autorité avec qui votre père a eu à
faire des choses… louches. Je crois qu’il a dû le menacer
de tout balancer s’il finissait en prison. »
— MERDE ! Justice de merde ! Vous m’avez dit de vous
faire confiance !
« — Là c’est au-dessus de mes compétences. J’ai été
menacé de ne rien tenter ni révéler. Je me mets en danger
en vous informant. Vous devez prendre vos précautions
pour vous protéger ainsi que votre famille parce qu’avec la
rage qui l’animait, je crains qu’il ne s’en prenne à vous. »
— C’est n’importe quoi ! Vraiment n’importe quoi.

Je raccroche tout enragé. Je ressens tout d’un coup une


douleur à la poitrine et mon cœur se met à battre
douloureusement. Il faut que je rentre immédiatement.

***BOYA

Je suis réveillée par l’appel de Stephen.

— Allô, mon cœur, dis-je le sommeil dans la voix. Je te


croyais déjà dans l’avion.
« — Je… Tu dois… Mon… J… T… »
— Chéri, je ne t’entends pas. Ça coupe.
« — Condamnez-les… J’arri… »
L’appel coupe. Je le rappelle, mais ça n’aboutit pas. Il doit
y avoir un problème de réseau. Je réessayerai plus tard. Je
veux me rendormir, mais un bruit assourdissant me fait
sursauter. Je cours voir par la fenêtre de la chambre ce qui
se passe.

— Mais c’est quoi ça ?

Un homme a défoncé le portail avec sa voiture et a cogné


le vigile. Je cherche une tenue plus présentable à enfiler
puis au moment de descendre, j’entends des éclats de voix.

— Où est ce chien ? Il est où, ce fils raté ?

Je descends et je tombe nez à nez avec le père de Stephen.

— Que… que faites-vous chez moi ?


— Où est-il ?
— Il n’est pas là. Veuillez sortir de chez moi.

Il me dévisage de la tête aux pieds puis inversement. Les


pleurs d’un bébé lui font tourner la tête.

— Je me lavais quand j’ai entendu un bruit qui a réveillé


le…

Ma tante se fige en voyant le père de Stephen. Je le vois


craquer sa mâchoire.
— À défaut d’avoir le père, je prendrai l’enfant, tonne-t-il
de plus en plus en colère.

Il s’avance dangereusement vers ma tante qui recule.

— Que faites-vous ? demande ma tante en continuant de


reculer.
— Donnez-moi ce bébé.
— Non, jamais.

Il veut le lui prendre de force, mais ma tante résiste. Je lui


saute dessus en lui assenant des coups, mais il se retourne
et me flanque une gifle qui me projette au sol. Ma tante en
profite pour s’enfuir avec le bébé.

— Va te cacher, Boya, me hurle-t-elle, et appelle la police.


Je m’occupe des enfants.

Je me souviens avoir laissé mon portable en haut. J’y


remonte en courant. Je vais m’enfermer dans ma chambre
et je prends mon portable pour appeler Stephen.

***STEPHEN

« — J’ai une intervention chirurgicale. Dès que je termine,


je vais chez toi. »
— Merci, frangin.
Je continue d’avancer dans le trafic. Je préfère rentrer
directement plutôt que d’affoler Boya par téléphone. Je
dois trouver une autre solution contre mon père. Il n’en
restera pas là, j’en suis certain. Je ne peux plus faire marche
arrière maintenant que je me suis lancé dans ce combat
contre lui.

Je veux rappeler Boya pour prendre de ses nouvelles quand


c’est elle qui appelle.

— Oui, ma puce. Je crois qu’il y avait un problème…


« — Stephen, aide-nous ! hurle-t-elle, la panique dans la
voix. Ton père est ici et il est comme fou. Il veut prendre
l’un des bébés. »
— Oh merde ! Appelle la police. Je vais en faire de même.
Si tu peux, sors de la maison chercher de l’aide. Mais ne
l’affrontez surtout pas. Il vous fera du mal. C’est une brute.
« — J’ai peur. Il… »

Un grand bruit se fait entendre, suivi d’un cri de Boya puis


l’appel se coupe. Mon sang est en ébullition.

— Non, non, non non !

Je la rappelle, mais ça ne sonne même pas. Ça ne fait que


biper.
— MERDE !

J’appuie sur l’accélérateur, mais au bout de cinq minutes de


conduite, je tombe dans un embouteillage monstre. Je
cogne sur le volant. Je rappelle sans cesse Boya et c’est
toujours le même résultat. Elle a dit que mon père était chez
nous. Mon cœur n’arrête pas de cogner fort contre ma
poitrine. Je suis mort de trouille de ce qu’il pourrait leur
faire. Je veux appeler Laurence, mais je me souviens qu’il
doit être en salle d’opération en ce moment. Il faut pourtant
que quelque chose soit fait. Piqué au vif, je sors de ma
voiture avec mon portable en main et je me mets à courir
au milieu des voitures. J’appelle le procureur.

« — Monsieur BÉKÉ ? »


— Vous avez laissé cet homme en liberté et maintenant il
est chez moi à menacer ma famille.
« — Qui ? Votre père ? »
— Oui. Il menace de s’en prendre à mes enfants. Envoyez
vos hommes immédiatement chez moi avant que le pire
arrive.
« — Oui, je le fais tout de suite. »

Je raccroche et accélère ma course. Pourvu que la police


arrive à temps.

***BOYA
Je descends voir ce qu’il se passe en bas. Le père de
Stephen est en train de cogner avec brutalité sur la porte de
la chambre de ma tante. Entendre mes enfants pleurer me
fait paniquer et me fait pleurer également. Je vais chercher
un pilon dans la cuisine et je reviens, mais c’est un peu tard,
car il est rentré dans la chambre. J’entre derrière lui et je lui
donne un coup dans le dos pendant qu’il lutte avec ma tante.

— Boya, va chercher de l’aide dehors, me hurle ma tante.

À peine elle finit sa phrase qu’il la cogne brutalement


contre le mur. Elle s’évanouit. Je prends peur et plutôt que
de prendre la fuite, je veux encore lui donner un coup en
espérant cette fois le mettre à terre. Je le tape, mais mon
coup n’est pas assez fort.

— Si mon fils n’a jamais pu me vaincre, tu crois que toi tu


le pourrais ? Sale gamine.

Il m’administre une gifle et m’arrache le pilon qu’il jette


hors de la chambre.

***STEPHEN

Je continue de courir malgré la fatigue. Je dois arriver au


bout de cette longue file d’embouteillage pour pouvoir
emprunter un autre véhicule. Je ne fais que formuler des
prières et des supplications à Dieu pour qu’il épargne ma
famille. Je mourrais si malheur leur arrivait. J’entends
encore la voix toute paniquée de Boya et j’en ai des sueurs
froides.

Le bruit d’une autre moto me fait tourner. Enfin, un motard


qui est tout seul. Je lui fais signe de s’arrêter alors qu’il se
faufile entre les véhicules. Il ralentit à mon niveau.

— Bonjour, monsieur. Je vous en supplie, avancez-moi et


je prendrai une voiture. Ma famille est en danger.
— Où allez-vous ?
— Chez moi à Cocody Palmeraie. Mais vous pouvez juste
me laisser devant.
— Montez !

***BOYA

— Ne touchez pas à mes enfants, je hurle au père de


Stephen.

Je le tape de mes petits bras et ça ne semble pas l’affecter.


Je le mords alors. Il hurle et me saisit à la gorge.

— Ne me pousse pas à te tuer. Je veux juste régler mes


comptes avec mon bon à rien de fils.
— Je vous en prie, laissez mes enfants tranquilles, je le
supplie en pleurant. Ils n’ont rien à voir dans cette histoire.
— Je dois toucher mon fils là où ça fait mal.
Il me laisse tomber et marche de nouveau en direction des
berceaux des bébés qui ne font que pleurer. Je prends cette
fois la lampe sur la table de chevet et je le tape avec.

— Bon, j’en ai plus que marre de toi maintenant.

Il me saisit par les épaules et il me pousse avec une telle


force que ma tête cogne contre le mur et je perds
connaissance.

Je ne sais pas combien de temps je suis restée inconsciente,


mais quand j’ouvre les yeux, je vois Laurence venir vers
nous en courant.

— Bon sang ! Boya ! Boya ! Que s’est-il passé ?


— Le… Le père de Stephen est… venu et… Oh non !
Mes… enfants.

J’ai affreusement mal au crâne, mais je me relève malgré


tout. Laurence se rend au chevet de ma tante qui est
toujours inconsciente. Je rampe vers les lits des bébés dont
on n’entend plus les pleurs. Je regarde dans le premier
berceau et le garçon y est endormi.

— Oh, Dieu merci !


Je m’appuie sur le berceau pour me mettre sur mes jambes
et aller au second lit que je trouve… vide.

— Oh mon Dieu ! Ma fille n’est plus là. Il l’a enlevée. Le


père de Stephen a séquestré mon bébé.
— Comment ça ? sursaute Laurence en venant vers moi.
— Il a dit qu’il se servirait d’eux pour faire du mal à son
fils. Oh non ! Pas mon enfant. Seigneur, non !

Je pousse un cri de douleur. Laurence me rattrape avant que


je ne m’effondre au sol.

***STEPHEN

Le motard gare sa moto devant ma maison. Cet homme si


généreux a voulu me conduire à destination. Je remarque
tout de suite un cargo de police et une ambulance qui part
à la seconde où nous garons. Je remercie le motard qui
repart aussitôt. En me retournant, je constate que le portail
est en train d’être réparé. Je cours à l’intérieur. Il y a trois
policiers dans la cour. Je rencontre deux autres à l’intérieur
discutant avec Laurence et ma tante qui tient Boya dans ses
bras.

— Que s’est-il passé ?


— Ton père a enlevé mon bébé, me hurle Boya en se levant.
— Mais… Non, ce n’est pas possible ! Merde !
Elle essaie de parler, mais sa phrase se meurt dans un
sanglot. Ma tante la prend dans ses bras. Elle se dégage et
fonce sur moi. Elle me donne des coups sur le buste en
pleurant.

— Ramène-moi ma fille. Va la récupérer chez ton démon


de père.

Elle enchaîne ses coups en pleurant de plus belle. Je lui


attrape les bras et la prends contre moi. Mes yeux
s’embrouillent de larmes.

— Je suis vraiment désolé, bébé. Je te demande pardon.


— Je veux ma fille.
— Je vais la ramener, je te le promets.

Ma tante vient la reprendre de mes bras et monte avec elle.

— Que s’est-il passé ? je demande à Laurence.


— Je suis venu trop tard. Boya m’a expliqué que ton père
est venu en défonçant le portail avec sa voiture. Ensuite, il
voulait régler ses comptes avec toi, mais comme tu étais
absent, il a enlevé la jumelle. C’est en essayant de l’en
empêcher qu’il s’en est pris aux deux femmes. La tante de
Boya a été conduite à l’hôpital. Elle était encore
inconsciente quand je suis arrivé. Le gardien également y a
été conduit. Ton père lui est rentré dedans.
— Mais où était la servante ?
— Sortie faire des courses. Elle vient à peine de rentrer. Il
faudra conduire Boya à la clinique plus tard pour
l’examiner. Elle semble n’avoir rien eu comme séquelles,
mais sait-on jamais ?

Je lance un juron en tournant sur moi.

— Monsieur, nous avons des questions à vous…


— Allez vous faire foutre avec vos questions, je hurle sur
l’officier. Cet homme était en prison et vous l’avez relâché
alors ne venez pas ici me faire chier avec vos questions.
— Steph, calme-moi, me chuchote Laurence.

Je pousse un cri de rage.

— Donne-moi tes clés, dis-je à mon frère, tout tremblant de


colère.
— Que vas-tu faire ?
— Je vais me rendre à Bassam, chez mes parents. Il doit
peut-être y être.
— Allons ensemble. Tu n’es pas en état de conduire.

Nous laissons les policiers en plan et nous nous en allons.


De toute façon, ils sont là pour assurer notre sécurité ; qu’ils
le fassent donc. Moi je vais m’occuper de mon affaire tout
seul.
Je suis deux fois plus anxieux sur le chemin. Ça fait vingt
ans que je n’ai pas mis les pieds dans cette maison qui
renferme tant de douleurs. Tant de traumatismes que je dois
vaincre aujourd’hui si je veux retrouver ma fille.

Laurence gare devant la maison et mon cœur se met à battre


à vive allure. Je n’ai pas le temps de m’apitoyer sur mon
sort. Je cogne le portail avec brutalité jusqu’à ce que le
vigile vienne ouvrir. Je le pousse de mon chemin.

— Bonaventure, où es-tu ? je hurle en fonçant dans la


maison, suivi de Laurence. Où es-tu, espèce d’enfoiré ?

Quand je pose les pieds à l’intérieur de la maison, je suis


pris de frissons et toutes les horreurs vécues ici me frappent
au visage. Je secoue la tête et serre les poings pour rester
maitre de moi.

— BONAVENTURE ???

Ma mère sort de nulle part.

— Mais qui hurle comme… Oh, Josué ! Mon fils !


— Où est ton mari ? OÙ EST-IL ???
— Mais que t’arrive-t-il ? As-tu oublié que tu l’as fait
mettre en prison ?
— Il est sorti et a enlevé ma fille.
— Quoi ? Oh Jésus ! Je n’en savais rien.
— Ouais, c’est ça !

Elle essaie de me toucher, mais je retiens ses bras et la


pousse loin de moi. Elle tombe dans son fauteuil. Je
parcours les pièces à la recherche de mon père, mais il n’est
nulle part. Ma mère me suit en essayant de me calmer.
Laurence m’aide dans ma fouille. Je vais dans leur chambre
et elle est vide.

— Chéri, calme-toi ! Je ne pense pas qu’il fera du mal au


bébé.

Elle me touche le dos et je pète une durite. Je fais volte-


face, la bloque contre le mur par la gorge et envoie mon
poing vers son visage, mais je m’arrête à temps. C’est à
cause d’elle que je suis devenu si violent envers les
femmes. L’envie de la cogner est toujours présente. Je
grogne.

— Ne pose plus jamais, plus jamais tes mains sur moi.


— Josué !

Je grogne de nouveau et cogne dans le mur près de son


visage. Laurence me décolle d’elle. Je me dégage de lui et
je vais voir dans la dernière pièce que j’avais expressément
évitée. C’est mon ancienne chambre. Cette pièce qui a
abrité tous mes malheurs. Je l’ouvre et la première image
qui me vient, c’est celle d’Évelyne, suspendue à la barre de
fer. Je ferme les yeux pour réprimer mes larmes, mais elles
m’échappent tout de même. J’entends nos cris et nos
soupirs douloureux pendant que nous subissons les assauts
de notre père. Ça fait toujours autant mal.

— Nous devons y aller, me souffle Laurence en me tenant


le bras. Il n’est pas ici.

Je m’essuie les larmes et je me tourne vers ma mère.

— S’il fait du mal à ma fille, je le tuerai de mes propres


mains et je viendrai te tuer pour l’avoir couvert.

Je me laisse conduire par Laurence hors de la maison. Je


cogne plusieurs fois sur le tableau de bord une fois dans la
voiture.

— Tu dois porter plainte.


— Pour aboutir à quoi ? Si pour des cas graves comme la
pédophilie et les homicides il n’a pu être jugé, c’est pour un
enlèvement qu’il le sera ?
— C’est différent maintenant. Le premier contexte c’était
des témoignages avec des preuves, certes, mais juste des
témoignages. Là, c’est un enlèvement. L’acte est là, visible
aux yeux de tous. La police fera son travail.
— Pour être relâché plus tard.
— Mais au moins on aura récupéré le bébé. Pour la suite,
on verra. S’il faut dénoncer le système sur la place
publique, on le fera. Le plus important maintenant c’est de
sauver le bébé.
— Ok. Rendons-nous chez le procureur. Avec lui je sais
que les recherches se feront très vite.

J’appelle ma tante pour prendre des nouvelles de Boya. Elle


s’est finalement endormie. À peine je raccroche que je
reçois un appel d’un numéro inconnu. Je devine tout de
suite que c’est mon père.

— Oui, où est ma fille ?


« — Je vois que tu es devenu super intelligent au point
d’avoir deviné que c’est moi. »

Laurence me fait signe de mettre sur le haut-parleur. Le


bébé se met à pleurer. Je sursaute sur place. Laurence gare
la voiture sur le côté.

— Où est ma fille ? Si tu lui fais du mal…


« — Oulaa, je ne suis pas mauvais au point de faire du mal
à un bébé. Je l’ai juste pris pour te rendre plus docile. »
— Qu’est-ce que tu veux ? Tu as été relâché, alors que me
veux-tu ?
« — Je veux te faire comprendre que tu ne pourras jamais
rien contre moi, que tu seras toujours aussi faible face à
moi. Pour commencer, je veux que tu fasses une autre
déclaration publique pour avouer m’avoir accusé à tort.
Que c’était un coup monté de toute pièce pour te venger de
moi parce que j’avais refusé ton homosexualité et aussi
parce que je t’avais fait enfermer après que tu eus commis
plusieurs crimes passionnels sur les amants de ton petit-
ami. Et cette fois, tu vas faire une vidéo dans laquelle on
verra ton visage. Tu vas le faire aujourd’hui même, ou je
laisserai ta fille mourir de faim et de soif. La balle est dans
ton camp. »

Il raccroche. Laurence me regarde, l’air horrifié.

— Que vas-tu faire ?

Je prends une grande inspiration et je ferme les yeux.


26

***TANTE ODETTE

J’avale les comprimés que me donne l’infirmière. Je suis


fatiguée de rester ici. Je veux rentrer auprès de ma fille. Je
veux savoir comment elle va. Quand je me suis réveillée,
Natacha était assise près de moi et elle m’a informée que
l’un des bébés avait disparu. Je n’imagine pas dans quel état
se trouve Boya. Elle doit être bouleversée. Je dois être à ses
côtés.

— Ma fille, est-ce que je peux rentrer chez moi


maintenant ? je demande à l’infirmière qui a fini de retirer
ma perfusion.
— Ce n’est pas moi qui décide, maman. Attendez, je vais
demander au docteur.

Natacha, qui était sortie, revient en demandant à quelqu’un


derrière elle de rentrer. Je regarde avec plus d’attention
pour voir le nouveau venu. Ma surprise est grande en
voyant Francis. L’infirmière sort de la chambre, suivie de
Natacha. Elle doit retourner au travail.

— Bonjour, ma belle dame.


— Bonjour, Francis. Je suis bien surprise de te voir.
— J’étais passé chez toi déposer tes marchandises lorsque
ta fille m’a dit que tu avais eu un bobo. Je suis donc venu
te faire une petite surprise.
— C’est vraiment gentil. Viens, assieds-toi !

Je pousse pour lui faire de la place près de moi sur le lit.

— Alors, comment ça va ?


— Il y a eu plus de peur que de mal.
— Qu’est-ce qui s’est passé ?
— Une agression à la maison. Mais tout va bien.
— Ah, j’ai eu peur. J’ai dit à Dieu de ne pas permettre que
quelque chose t’arrive tant que je ne t’ai pas épousé.
— Tchrr ! Regarde, pardon laisse-moi avec ton histoire de
mariage. J’ai des problèmes en ce moment.
— Et je veux les partager avec toi. Mais bon, on en
reparlera quand tu iras mieux, mais je suis très sérieux. Je
veux que tu me promettes de réfléchir quand même à ma
proposition.
— Je vais réfléchir.

Il sourit. Je ne comprends pas pourquoi cet homme veut à


tout prix m’épouser alors que je n’ai plus rien à lui offrir en
tant que femme. C’est le dernier de mes soucis en ce
moment. Je veux rentrer auprès de Boya. Francis reste
quelques minutes et part parce qu’il a du travail.
La porte s’ouvre encore, cette fois sur Laurence suivi de
Stephen. Ils n’ont pas bonne mine.

— Ah, docteur tu es là. Je peux rentrer maintenant ?


— Oui, j’ai parlé au docteur qui s’est occupé de toi. Tu
peux partir.

Il m’examine et sort. Stephen se rapproche.

— Je te présente toutes mes excuses pour ce que mon père


t’a fait.
— Tu n’as pas à présenter des excuses. Donne-moi plutôt
les nouvelles.
— Il a enlevé la jumelle et il demande à ce que je fasse une
nouvelle vidéo pour démentir les précédentes déclarations
et me dénoncer pour un crime qui n’a jamais existé.
— Mais il est malade cet homme !
— Je sais.
— Et tu vas le faire ?
— Je n’ai pas d’autre choix si je veux récupérer ma fille.
— Il doit sans doute y avoir une autre solution. Si tu fais
ça, c’est toi qui auras des problèmes avec la justice. Si tu
vas en prison, Boya ne le supportera pas.
— Je ne sais plus quoi faire.

Il soupire et s’assied dans le divan non loin du lit.

— Moi je sais ce que tu peux faire.


— Quoi ? demande-t-il en me regardant.

Je descends du lit et m’assieds près de lui dans le fauteuil.

— Prier.

Il baisse la tête. Je pose la main sur son épaule.

— Dans ce combat que tu mènes personnellement contre


ton père, seul le Seigneur peut te donner la victoire. Nous
devons prier pour un miracle. Donne-moi ta main.

Je n’attends pas qu’il le fasse. Je lui prends la main et je


ferme les yeux. Je prie en demandant à Dieu d’agir pour
que nous puissions récupérer notre bébé au plus vite, saine
et sauve. Mais aussi qu’il nous débarrasse définitivement
de ce monsieur qui représente un danger pour la société
entière.

— Au nom de Jésus que j’ai prié, amen !


— Amen ! dit-il en me serrant la main. Merci beaucoup.
— Gardons la foi.

Son portable se met à sonner. Il décroche et sort pour


communiquer. Il revient après plusieurs minutes et me
prend la main pour que nous nous en allions.

***STEPHEN
Nous arrivons à la maison et tout de suite la tante de Boya
se rend à son chevet dans notre chambre. J’ai demandé à
Laurence de la maintenir endormie jusqu’à demain en
espérant qu’à son réveil, sa fille soit à ses côtés. Je reste
dans le salon avec ce dernier et ma tante à qui j’explique
ma conversation avec mon père.

— Cet homme est ignoble, se révolte ma tante. Il est le


diable en personne. Que comptes-tu faire ?
— Je vais faire ce qu’il a dit.
— Mais tu risques la prison. Et vu comme la justice est
corrompue, tu risques pire. As-tu pensé à ta petite femme
qui a construit son univers autour de toi ?
— C’est soit ça, soit on perd notre fille. Je dois y aller au
risque de me laisser convaincre par toi. Tout va bien se
passer.

Je lui embrasse la joue et je prends les escaliers pour ma


chambre pendant que la tante de Boya les descend. Je me
couche près de ma femme et me blottis contre elle. Je lui
caresse doucement les cheveux.

— Je t’aime comme il ne m’a jamais été permis d’aimer.


Tu es la plus belle chose qui me soit arrivée de toute ma vie
et je ne veux rien perdre de ce que nous avons bâti jusque-
là. Je te fais la promesse de ramener notre petite princesse,
peu importe ce que cela me coutera.
Je pose un baiser sur sa tempe et je reste ainsi plusieurs
minutes avant de sortir de la chambre pour la chambre
voisine. Je positionne mon portable en mode selfie sur le
bureau et je m’assieds en face. J’active la caméra puis je
commence à parler.

— Bonjour à tous. Je suis Josué MÉMEL, le fils du général


de l’armée, Bonaventure MÉMEL. C’est moi qui avais fait
le récent témoignage en anonyme. Aujourd’hui, je reviens
démentir tout ce que j’avais dit. J’avais fait ce faux
témoignage en complicité avec mon oncle pour me venger.
En effet, j’ai toujours été un enfant rebelle, au point de
trainer le nom de mon père dans la boue. J’ai voulu me
venger de mon père, car il m’avait fait mettre en prison
parce que j’avais tué l’amant de mon petit ami de l’époque.
Ce n’était d’ailleurs pas le premier crime pour lequel il me
faisait enfermer. Je n’ai jamais digéré le fait qu’il me fasse
cela à moi, son fils. Étant donné que mon oncle avait
également une dent contre lui, nous avons uni nos forces
pour lui faire du tort, pour l’empêcher de recevoir la
décoration des mains du président de la République comme
cela était prévu. Les images de l’enfant sont réelles, mais le
violeur est une personne de notre village. Je fais ces aveux
parce que je suis pris de remords. J’ai beau lui en vouloir,
il reste mon père. Cette histoire est allée beaucoup trop loin.
Je suis prêt à subir la sentence de la justice. Désolé de vous
avoir embêté avec nos histoires de famille.
Je me lève et coupe la caméra. Je vais sur mon compte
Facebook, je fais les manipulations qu’il faut et je poste la
vidéo. Les commentaires ne mettent pas du temps à fuser.
Bien sûr, ils sont tous choqués. Je reçois l’appel de mon
père. Il a dû voir la vidéo.

— J’ai fait ce que tu voulais. Rends-moi ma fille.


« — Je vais t’envoyer une adresse où tu devras te rendre.
Nous allons tous deux régler nos comptes et abstiens-toi de
venir avec la police. Tu risques bien sûr de le regretter. »

Je n’en avais pas l’intention. Il raccroche. Je reste dans la


chambre pour me reposer, mais surtout bien peaufiner mon
plan de ce soir. Je dois en avoir un si je veux revenir vivant
avec ma fille. Je sais que mon père ne se laissera pas faire
aussi facilement. Il a certainement un autre tour de manche
à jouer. Tout ce que j’espère, c’est que ma fille soit en
bonne santé. J’espère surtout que cet homme ne lui a pas
fait des choses abominables. Je ferme les yeux et fais une
prière mentalement. Dieu ne peut pas laisser cette ordure
gagner de nouveau. Ce soir doit prendre fin son règne. Il le
faut pour que je puisse guérir complètement.

Je reçois le message de l’adresse. Je retourne dans ma


chambre changer de tenue. J’envoie un message, puis
j’embrasse Boya avant de descendre. Ma tante s’est
endormie dans le divan. Laurence est assis, avec sa femme
Zoé couchée contre lui. Quand il me voit, il comprend. Il se
lève sans cacher son inquiétude.

— Tu ne veux vraiment pas que je vienne avec toi ? me


demande-t-il de plus en plus anxieux.
— Non ! Il faut qu’un homme reste pour veiller sur la
famille. Je reviendrai sain et sauf et avec notre bébé.

Il s’approche et me prend dans ses bras.

— Tu es fort, Steph. Ne laisse personne te persuader du


contraire.

Il s’éloigne et glisse quelque chose dans ma main.

— Ta voiture a été ramenée. Elle est dehors.


— Merci !

J’embrasse ma tante qui dort, je fais ensuite une accolade à


Zoé et je pars. Sur le trajet, je me nourris de déclarations
positives afin de me donner encore plus de courage pour
affronter mon père. Je vais me retrouver seul avec lui. Dieu
seul sait ce qui se passera. Je sens tout de même que je
n’aurai pas d’autres occasions pour me débarrasser de ce
vieux démon qui m’a traumatisé toute ma vie.

Je gare devant un immeuble en chantier. Je prends mon


portable et je descends. Je reçois un appel de mon père qui
me demande de monter au deuxième étage. Il fait presque
nuit et l’endroit est désert. Je m’exécute en glissant mon
portable dans la poche de mon jean. Mon père se trouve
dans l’un des appartements à moitié terminés. Les carreaux
sont posés, les murs terminés, mais le balcon pas
totalement. Mon père est assis à une table à laquelle sont
accolées deux chaises. Il y a deux bouteilles de Whisky, des
verres et deux paquets de cigarettes posés sur la table ainsi
qu’un briquet. Je remarque tout de suite le petit lit portatif
avec le bébé endormi à l’intérieur. Je me précipite vers elle.
Je pousse un soupir de soulagement en la voyant dormir
paisiblement avec sa tétine dans sa bouche. Je lui caresse
délicatement la joue pour ne pas la réveiller.

— Ça fait cinq minutes qu’elle s’est endormie après avoir


mangé. Elle n’a fait que pleurer depuis ce matin.

Je vois non loin du lit, une boîte de lait et deux petits


biberons. Mon père tire sur une cigarette.

— Prends place, m’intime mon père en rejetant la fumée


dans ma direction.
— Je veux juste m’en aller avec ma fille.
— Tu l’auras. Mais avant, toi et moi devions parler
d’homme à homme. Nous ne l’avons jamais fait. Alors,
assieds-toi !
J’hésite un moment et j’avance lentement. Je prends place
en face de lui. Il remplit nos deux verres et boit le sien. Je
regarde mon verre sans le toucher.

— Pourquoi fais-tu ça ? je lui demande en le fixant droit


dans les yeux. Pourquoi t’en prends-tu à des gens
innocents ?
— Parce que j’ai du pouvoir. Tu devrais essayer.
— C’est donc à cause de ce pouvoir que tu abuses des
enfants ? Que tu as abusé de tes enfants ?

Il garde les yeux dans son verre.

— On va dire que c’est juste un fantasme. Certains le font


pour des besoins mystiques, mais moi… j’aime juste goûter
à cette innocence que dégagent les enfants.
— Tu es ignoble de parler ainsi.
— Oh oui, je sais. Mais pourquoi me juger pour mon
fantasme ? Chacun le sien.
— On ne fantasme pas sur des enfants.

Il ricane et boit. Ma haine pour lui s’accroît chaque seconde


que je passe devant lui.

— Tu sais, pendant mon processus de guérison avec mon


psychologue, il m’est arrivé de penser que tu avais, toi
aussi, subi des choses affreuses dans ton enfance qui t’ont
poussé à faire tout ce que tu as fait. Mais là, tu me prouves
que tous ceux qui posent de mauvais actes n’ont pas
forcément vécu des traumatismes. Certains sont tout
simplement méchants de nature. Ou devrais-je dire,
possédés par un démon qui les a choisis spécialement pour
détruire la vie d’innocentes personnes ? Et tu en fais partie.
Tu es un agent du diable envoyé pour détruire l’avenir des
enfants. Tu mérites la pire sentence qu’il soit.
— C’est pourquoi je t’ai demandé de venir. Pour que tu
puisses me punir parce que la justice ne le fera jamais à
cause de mes relations. La seule chose qui poussera ces
gens à me faire payer tous mes crimes, serait que je les
trahisse en m’alliant avec leurs ennemis, chose que je ne
suis pas assez bête pour faire. Donc mon cher fils…

Il se lève de tout son gabarit devant moi.

— Viens et punis-moi !

Je le regarde et oui, je brûle d’envie de le cogner, de le jeter


par-dessus cet immeuble, de cribler tout son corps de balles,
de le tuer de mes propres mains. Mais au lieu de ça, je me
lève et marche vers ma fille.

— Je vais laisser la justice divine te punir. Moi je rentre


avec ma fille.

Il éclate de rire.
— Mais tu es définitivement con, mon garçon. La justice
divine n’existe pas. Venge-toi toi-même.

Je ne l’écoute pas. Je veux prendre ma fille quand je me


sens retourné puis la seconde qui suit, je reçois un coup en
plein visage. Je recule en dandinant.

— Viens et bats-toi ! Toute ton adolescence, tu n’as fait que


me défier sans parvenir à me vaincre. Aujourd’hui que tu
es un adulte et un père de famille, je te donne la possibilité
de retenter ta chance. Tu en as rêvé toute ta vie.
— Fiche-moi la paix.

Je fais encore deux pas vers ma fille et il m’envoie deux


coups au visage.

— Si tu réussis à me mettre KO, tu repars avec ta fille


comme trophée. Dans le cas contraire, je l’emmène avec
moi. Viens, je t’attends.

Il retrousse les manches de sa chemise et se met en position


de bagarre.

— Montre-moi ce que tu as dans le ventre. Je sais que tu en


meurs d’envie.

Oui j’en meurs d’envie, mais le puis-je ? Toutes mes


tentatives contre lui ont toujours échoué. Face à mon
silence, il me donne une claque, puis une deuxième, puis
une troisième. Je me protège avec mes bras. Il continue de
me rouer de coups et ça ramène tous mes souvenirs sous
mes paupières fermées. Je me revois enfant, recevant les
coups de cet homme. Il me battait à chaque résistance de
ma part, à chaque bêtise faite à l’école ou en dehors. Je me
faisais blesser le dos avec sa matraque. Piqué au vif, j’ouvre
les yeux, le repousse et lui envoie une droite.

— Ah, c’est bien, rigole-t-il. Tu commences à te réveiller.


Allez, viens. Continue !

Il me cogne, je le cogne. Il m’envoie un coup dans le ventre,


je lui en donne deux au visage.

— C’est ça, mon garçon. Montre-moi ce que tu as dans le


ventre.

Je commence par en avoir marre alors je me jette sur lui.


Mes poings, mes pieds, mes genoux, il les reçoit tous. Je le
tape avec toute la colère qui m’habite. Il esquive certains
de mes coups et m’en donne également. Je me sens blessé
sur certaines parties de mon visage. Mon père me voyant
lui tenir tête se met deux fois plus en colère. Il redouble de
vigueur dans ses coups et y va de plus en plus vite pour ne
pas me permettre de l’arrêter. J’encaisse tout à devenir
faible. Je vacille et finis dos contre le mur. Il recrache du
sang par terre.
— Relève-toi, petit enfoiré ! Viens, qu’on termine ce
combat.
— Pourquoi ne veux-tu tout simplement pas me laisser ? je
demande, la gorge nouée. J’ai passé des mois à faire des
séances pour me débarrasser de toi, me débarrasser de ton
influence sur ma vie. Et quand je croyais avoir réussi, tu
refais surface et tu me pourris de nouveau la vie. Je veux
juste que tu disparaisses définitivement de ma vie. Va-t’en !
— Tant que je serai ton père, je ferai de toi ce dont j’ai
envie.
— Je pars avec ma fille. Tue-moi si tu veux. Je m’en bats
les couilles.

J’essuie la ligne de sang qui se rapprochait de mon œil et je


marche vers ma fille. Avant que je ne puisse arriver à son
niveau, mon père passe son bras autour de mon cou et me
fait une prise très serrée au point de me faire manquer d’air.

— Puisque tu n’as pas de couilles pour te débarrasser de


moi, je vais te tuer pour en finir une bonne fois pour toutes.

Il me fait tomber par terre, se place au-dessus de moi et me


serre le cou.

— Je t’ai donné la vie, je vais te la reprendre.


Il serre de plus en plus fort. Je commence sérieusement à
manquer d’air. Je bouge mes pieds dans tous les sens.

— Je vais te tuer et faire croire à tout le monde que tu t’es


suicidé à cause des remords.

Mes yeux commencent à révulser. Je le tape avec le peu de


force qui me reste.

— Quand je vais finir avec toi, j’irai éliminer ta tante, ton


cousin, tes enfants et je finirai avec ta femme après lui avoir
fait goûter à mon joujou.

Ah ça non ! Je l’ai laissé me faire du mal, mais je ne le


laisserai pas en faire à ma famille. Je puise toutes mes
dernières forces dans mon envie de protéger ma famille et
j’enfonce mon doigt dans l’épaule droite de mon père. Il a
toujours eu un problème à l’épaule, raison pour laquelle il
avait quitté le terrain pour exercer derrière un bureau. Il
pousse un cri et je profite de ce moment de relâchement
pour sortir de ma ceinture le petit couteau que m’avait filé
Laurence en douce et je l’enfonce dans le côté de mon père.
Il hurle de nouveau et se laisse tomber. Il reste au sol à
agoniser. Il retire le couteau et le jette loin de lui. Je
m’adosse contre un mur pour reprendre mon souffle. J’étais
réellement à deux doigts d’y passer.

« — Tu ne dois pas le laisser gagner. »


Cette voix… Je tourne les yeux et je vois une faible
lumière. Je cligne les yeux et je crois rêver. Évelyne se tient
tout près du lit de ma fille. Celle-ci se met aussitôt à
couiner.

« — Cet homme nous a assez fait de mal comme ça. Ne le


laisse pas continuer de régner. Il m’a tuée. Ne lui permets
pas de tuer ta femme et tes enfants. Finis-en avec lui. »

Je sens mon portable vibrer dans ma poche. Je sens qu’il est


temps pour moi d’en finir. Je n’attends pas qu’il se remette
sur ses jambes. J’enchaîne les coups dans son visage et dans
son ventre. Il s’écroule.

— Viens, c’est maintenant moi qui t’attends.

Il se redresse. Je me souviens de ce jour où il m’a envoyé


son genou en plein visage, m’arrachant une dent. Je fonce
sur lui et lui envoie mon genou dans son visage. Il crache
du sang.

— C’est bien, cogne-moi ! Montre-moi ce que tu as dans le


ventre.

Je lui agrippe le col et je multiplie mes coups sur son visage


jusqu’à lui péter le nez. Je me revois recevant des coups, je
me revois me faisant abuser encore et encore. J’entends les
cris et supplications de ma sœur. Je la revois s’essuyer le
sang entre ses jambes. La rage s’accroît.

— Affronter… résister… et vaincre.

Je me le répète sans cesse en infligeant une correction à


mon père. Je l’ai affronté, je lui ai résisté parce que je suis
encore debout et que j’ai pris le dessus sur lui. Maintenant
je dois le vaincre.

— Tu ferais mieux de me tuer parce que si je sors d’ici


vivant, ta femme me sentira passer.
— Ne parle plus jamais de ma femme. Plus jamais.
— Je vais lui faire pire qu’à toi.

Je le relève par le col et je le trimballe vers le balcon.

— Oui, tue-moi ! VAS-Y !

Je sens une présence près de moi. Je sens la présence de ma


sœur. Je sens qu’elle est là. Je sens sa main se pose sur mes
mains. Ensemble, nous poussons notre père du balcon
inachevé et je le regarde s’écraser en bas sur ma voiture. La
présence ne se fait plus ressentir. Mon père geint de douleur
en se tenant les côtes. Je n’avais pas l’intention de le tuer.
Je nettoie ma bouche ensanglantée et je vais prendre ma
fille dans les bras. Elle pleure à chaudes larmes.
— Papa est là, mon amour.

Je la cale dans un bras et je plie le petit lit de l’autre.

— On va voir maman.

Je l’embrasse au front. Je descends et en bas, je vois mon


père couché par terre et encerclé par une dizaine de gars.

— Merci de m’avoir laissé le temps de régler mes comptes


avec lui, leur dis-je.

Ils me cèdent la place et je me rapproche de mon père.

— Je ne voulais pas te tuer. Je ne suis pas un meurtrier


comme toi.
— Dans ce cas, prépare-toi à subir ma colère. Tu crois que
tes hommes peuvent me faire quelque chose ? Vous êtes
tous des incapables.
— Tu ne reconnais donc pas ces hommes ?

Il les regarde puis son regard s’agrandit.

— Certains font partie de tes victimes. Pour d’autres, ce


sont leurs proches qui ont été tes victimes et le reste, ils
détestent juste les violeurs.

Il rit.
— Ils ne peuvent rien contre moi. Tu es bien bête de te fier
à eux. Et même s’il m’arrivait quoi que ce soit, n’oublie pas
que ta vie est déjà gâchée avec tes derniers aveux. La police
doit être certainement en train de te rechercher pour te
foutre en prison.

C’est à mon tour de rire.

— C’est toi qui es plutôt bête. Tu croyais vraiment que je


viendrais ici sans avoir un plan ? Tu croyais vraiment, mais
vraiment que j’allais une fois de plus te laisser me pourrir
la vie ? Personne sur la toile n’a vu ma vidéo.
— Gros n’importe quoi ! J’ai vu les commentaires.
— Des commentaires de ceux qui se trouvent derrière moi
en ce moment. Ce que tu ne sais pas, cher père, c’est que
sur Facebook, tu peux choisir les personnes qui peuvent
voir tes posts. Et c’est ce que j’ai fait.

***FLASH-BACK***

— Au nom de Jésus que j’ai prié. Amen !


— Amen ! Merci beaucoup.
— Gardons la foi.

Je lui presse la main pour faire passer le frisson ressenti tout


le long de sa prière. Mon portable se met à sonner alors je
sors de la chambre.
— Oui, allô ?
« — Bonsoir, monsieur Josué… ou devrais-je Stephen ? »
— Vous êtes qui ?
« — Sachez d’abord que nous sommes plusieurs. Nous
avons eu vent que le général Bonaventure avait été libéré
sous ordre d’une haute autorité. Nous sommes au nombre
de dix et nous avons, pour la plupart, été des victimes de
votre père. »
— Je vois. Que me voulez-vous ? Je ne vois pas en quoi je
peux vous aider.
« — Moi et trois autres, faisons partie de l’armée
ivoirienne et nous voulons vous aider à punir votre père. »
— En quoi faisant ?

***FIN DU FLASH-BACK***

— Je devais te livrer à eux après avoir réglé mes comptes


avec toi. Si tu te connectes, tu verras que la vidéo n’existe
plus. Je n’ai fait que gagner du temps pour leur permettre
d’arriver ici sans se faire voir en traçant mon portable.

Ils devaient me biper lorsqu’ils seraient arrivés. Ce qu’ils


ont fait lorsque j’étais couché sous mon père quand il
m’étranglait.

— Je préfère qu’ils te règlent ton compte. Moi je veux


garder mes mains pures pour caresser ma femme et bercer
mes enfants. C’est fini, Bonaventure MÉMEL. Tu n’auras
plus aucune emprise sur moi. Je suis délivré de tes
conneries. Il est temps de payer pour tout le mal que tu as
fait.

Je lui tourne le dos et je pars vers ma voiture. J’avance en


regardant l’esprit de ma jumelle, debout près de ma voiture.
Elle me sourit. Je lui souris, soulagé d’avoir pu lui rendre
justice, puis elle disparaît. J’installe mon bébé sur le siège
arrière et je monte à l’avant. J’ai hâte de retrouver ma petite
femme.

***BOYA

J’ouvre lentement les yeux et les referme à cause du rayon


de soleil.

— Salut, ma reine au bois dormant.

Cette douce voix de Stephen m’oblige à ouvrir totalement


les yeux. Il est agenouillé près du lit et me tient la main.

— T’ai-je déjà dit que tu étais magnifique à chaque réveil.

Je le regarde sans pouvoir parler. J’ai la bouche pâteuse. Je


remarque des bleus sur son visage et sa lèvre fendue. J’y
parcours mes doigts en me redressant sur mon coude.
— Que t’est-il arrivé ? je lui demande, inquiète.
— Rien de bien grave.
— Mais tu es blessé.
— Ce n’est rien, ma puce. Regarde de l’autre côté.

Je tourne la tête.

— Oh mon Dieu ! Mon bébé.

Je me relève et prends ma fille dans mes bras.

— C’est toi qui l’as ramenée ? Comment ? Ton père a été


arrêté ? Quand… ???
— Hé ma puce, fait-il en s’asseyant derrière moi. Toutes
les questions n’ont plus d’importance. Le plus important,
c’est que notre famille soit de nouveau réunie et plus aucun
démon du passé ne viendra troubler notre quiétude.
— Vraiment ? je demande en me tournant vers lui.
— Vraiment.

Je pousse un soupir et colle mon front contre le sien. Je me


sens soulagée. Mais suis surtout heureuse que tout soit
enfin fini.
27

****MARTINE

Je regarde la vidéo horrible de la torture du père de Stephen.


J’ai reconnu la voix de Stephen et le témoignage dans
l’audio rendu public. Mais il n’y a pas que ça. Lorsque j’ai
vu les photos de l’accusé en question, j’ai tout de suite
deviné que c’était le père de Stephen. Impossible de passer
à côté de ça quand on voit leur forte ressemblance. Nous
tous, qui avions suivi le déroulement de cette histoire,
avions été surpris d’apprendre la libération de ce pédophile.
Une vidéo circule depuis avant-hier dans laquelle on voit
plusieurs hommes en cagoule autour du père de Stephen,
allongé au sol, nu par le bas, pleurant comme un gamin et
poussant des petits cris de douleur par moment en se tenant
les fesses. Il est clair qu’il a été abusé et tabassé par eux.
J’aurais eu de la peine pour lui si je n’avais pas entendu
toutes les horreurs qu’il avait fait subir à d’innocentes
personnes qui, pour la plupart, sont des enfants. Celui qui
parle devant la caméra continue de citer les mauvaises
œuvres du général MÉMEL.

« — Notre justice est corrompue parce qu’elle a osé


relâcher ce criminel malgré tous les témoignages contre
lui. Alors, nous, nous allons rendre justice, à nous-même,
mais aussi à toutes ses victimes partout dans le pays et
même en dehors. Nous lui avons déjà fait ce qu’il adore
faire aux autres. Il nous a tous bien senti passer. Au point
où il s’est chié dessus. »

Ils se mettent tous à rire et l’un d’eux donne un coup de


pied au père de Stephen.

« — Maintenant, nous allons lui donner la sentence que


tous les pédophiles et les violeurs méritent. »

Il fait signe aux autres et ils relèvent le monsieur qu’ils font


asseoir sur une chaise. Il ne résiste pas, tellement qu’il est
affaibli. On lui écarte les jambes en les tenant fermement
de part et d’autre. Ainsi que les bras pour l’empêcher de
bouger. Quand il voit celui qui semble être le chef sortir un
gros couteau, il se met à paniquer, à hurler, à se débattre, à
supplier. Je comprends tout de suite ce qu’ils veulent lui
faire. L’homme qui tient le couteau donne dos à la caméra.
Lorsqu’il lève le couteau, je renverse le portable pour ne
pas voir ça. J’entends tout de même le cri transperçant de
l’otage à travers mes oreillettes. Son cri est insupportable.
Je retourne le portable quand le chef reprend la parole. Il
montre le sexe coupé à la caméra.

« — Voilà ! Toutes les fois que la justice refusera de faire


son travail, nous le ferons à sa place. Allez, bye. »
La vidéo s’arrête. Je vais lire les commentaires et
pratiquement tout le monde les félicite et les surnomme
" les justiciers ". Ceux qui ne sont pas d’accord avec cette
sentence se font insulter par les autres. La vidéo circule
partout, les blogueurs enchaînent les publications à ce sujet.

Je reçois une tape sur l’épaule. Je retire mes écouteurs et


prête attention à ma coiffeuse.

— Voilà, tu es prête.

Ma sœur entre dans ma chambre.

— Oh mon Dieu ! C’est la sœur de qui qui est belle comme


ça ? Si j’étais un homme, j’allais te demander en mariage
immédiatement.
— N’exagère pas, dis-je en rigolant.
— Humm ! C’est Hermann qui tombera encore sous ton
charme.
— Tu sais qu’il n’a pas d’yeux pour moi. Il est passé à autre
chose. Et puis s’il te plaît, ne me parle pas d’amour. J’ai
mis ça en stand-by pour un temps. Le seul amour de ma vie,
c’est ma fille chérie.
— Parle pour toi. Mais bon, c’est le moment de descendre
faire ta première entrée avec ton bébé.
— Mais Hermann n’est pas encore arrivé.
— Si, j’ai vu sa voiture et celles de ses amis garer tout à
l’heure. Ils doivent être maintenant au salon.
— Ok, j’arrive. Tu peux dire au DJ de programmer ma
musique d’entrée.

Elle sort pendant que ma coiffeuse asperge ma coiffure


d’un produit de fixation. Je prends ma fille qui dort
paisiblement et je descends. Je rencontre ma mère dans les
escaliers. Elle me prend le bébé des mains. En bas, je vois
Hermann et ses amis suivre ma sœur pour se faire installer
sous les bâches dehors. Je suis surprise de voir Hermann
marcher avec des béquilles et sans sa prothèse.

— Hermann !

Il se retourne et vient vers moi.

— Pourquoi tu n’as pas ta prothèse ?


— Elle a un dysfonctionnement depuis ce matin. Peter l’a
ramenée chez le docteur pour qu’il la règle et il me la
rapportera ici.
— Je vois.
— Ça te dérange que je sois ainsi ? Que mon handicap soit
autant visible ?
— Pourquoi est-ce que tu insistes sur ça ?
— Désolé. Je ne voulais pas te blesser. Juste m’en assurer
au cas où je devrais rester en retrait pour ne pas te mettre
mal à l’aise.
Ça me fait vraiment mal qu’il continue de me considérer
comme une personne qui rejette les personnes vivant avec
un handicap. Je préfère faire comme si je n’avais rien
entendu. Je le plante et continue mon chemin dehors. Le
maître de cérémonie m’annonce et je sors en esquissant des
pas de danse au son de la musique. Ma mère me suit en
dansant avec le bébé dans ses bras. Aujourd’hui, c’est la
sortie de ma fille et pour l’occasion j’ai organisé une fête.
Il y a les membres de ma famille, des connaissances du
quartier et mes collègues. Je danse sous leurs acclamations.
Je ne remercierai jamais assez le Seigneur de m’avoir fait
la grâce d’être maman. Je suis heureuse aujourd’hui,
épanouie, je me sens légère. Pendant que je danse, je vois
les amis de Hermann se rapprocher de moi pour me filmer
et jeter des billets de banque sur moi. Hermann reste assis
à me regarder avec un sourire sur les lèvres. Le photographe
capture chaque moment. Après le show, je m’installe sur la
même table qu’Hermann, ses amis, sa sœur et la mienne
pour partager le repas avec tous mes invités. La mère
d’Hermann et ses trois invités sont sur la même table que
mes parents. Ceux-ci ont mis le paquet pour la nourriture.
Il y a environ sept différents plats. Hermann ne fait que
manipuler son portable durant tout le temps de dégustation.
Peter arrive enfin avec sa prothèse. Il la donne à Hermann
qui, sans se gêner, la porte là sur place en repliant le bas de
son pantalon, aux yeux de tous. Je suis heureuse qu’il ait
surpassé ce complexe. Il n’aurait jamais fait ça avant. Sa
jambe le gênait trop pour qu’il l’expose ainsi.
Ma mère vient me chuchoter à l’oreille que c’est le moment
de changer de tenue. Je la laisse me devancer le temps pour
moi de terminer ma boisson. Je retourne à l’intérieur puis
en passant vers la cuisine, je surprends une conversation
entre deux de mes cousines.

— Attends, c’est celui qui a un pied coupé qui est le mari


de Martine ?
— Oui oh. Moi-même j’étais dépassée quand je l’ai vu
mettre son faux pied en fer. Martine est tombée dèh.
— Vraiment. Avec tous les jolis gars chocos d’Abidjan là,
c’est un homme handicapé elle est partie prendre.
— Mais au moins il est joli. C’est ce qui le sauve.
— Je te dis hein. Sa beauté le sauve.

Elles éclatent de rire en se tapant dans les mains. J’entre en


fracas, les faisant sursauter.

— Ramassez vos affaires et dégagez de ma fête.


— Mais on a fait quoi ?
— Oser venir à la sortie de ma fille et insulter son père ?
Mais ça ne va pas chez vous ? Malgré ce que vous dites
qu’il est, il a reconnu sa fille, il a été avec moi du début à la
fin de la grossesse. Où sont les pères " normaux " de vos
enfants ? Vos enfants portent le nom de votre père.
Personne ne les a reconnus. Et vous venez ici vous jouer les
intéressantes. Libérez ma fête.
Mes éclats de voix ont alerté ma mère qui déboule dans la
cuisine.

— Que se passe-t-il ici ? Pourquoi ce bavardage ?


— Maman, demande à tes nièces de quitter ma fête.
— Ah ! Pourquoi ? Elles sont venues aider pour la fête.
— Et je les remercie pour leur aide, mais maintenant
qu’elles rentrent chez elles parce que je ne vais pas
permettre qu’elles restent là à manquer de respect à mon
homme. Je monte me changer, si elles sont encore là à mon
retour, la fête prendra fin.

Je les plante là et je monte. Je rencontre ma sœur dans les


escaliers. Je lui explique ce qui vient de se passer. Elle me
calme et elle vient m’aider à enfiler ma deuxième tenue
traditionnelle. Hermann n’a pas voulu se fatiguer avec tous
ces changements. Il se changera pour la dernière tenue.

Des coups sont donnés sur la porte de ma chambre. Ma


sœur ferme ma fermeture éclair et va voir. Elle ouvre
grandement la porte pour céder le passage à Hermann qui
berce sa fille en pleurs.

— Elle doit avoir faim. Il est où son biberon ?


— Attends, je te le fais.
Il s’assied sur la chaise pendant que je fais le biberon de la
petite. J’ai opté pour l’allaitement mixte vu que je dois
reprendre le travail la semaine prochaine. Ainsi, ma mère
pourra la gérer en mon absence. Je lui donne le biberon
pour qu’il nourrisse sa fille. Il aime bien le faire. Je dirai
qu’il adore le faire. En plus de cela, il aime lui changer sa
couche, l’habiller après son bain, la dodeliner pour qu’elle
dorme. J’aime le père qu’il est. Il aurait sans doute fait un
meilleur mari également.

— J’ai entendu du grabuge en bas et il paraîtrait que tu t’es


disputée avec quelqu’un.
— Ce n’est rien. Juste des bêtises de mes cousines.
— Je vois. Je tenais à m’excuser pour ma remarque tout à
l’heure. Je t’ai senti offensée.
— Évidemment que je l’étais. Ça me tue que tu doives me
demander à chaque fois si ta jambe ne me posera pas de
problème. C’est vrai que j’ai déconné une fois dans le
passé, mais je n’ai jamais eu honte de toi ni de te présenter
comme mon homme. Même si nous ne nous remettrons
plus ensemble, rien ne changera de mon côté. Retiens ça
une bonne fois pour toutes.
— Je l’ai retenu, sourit-il.

Il retire le biberon de la bouche de sa fille qui a finalement


trouvé le sommeil dans les bras de son père.
— Je crois que tu vas faire ton entrée toute seule, me fait-il
remarquer.
— Je vois ça. Je vais la remettre à ma mère ou à la nounou.
Allons-y.

Nous confions le bébé à ma mère et je fais une nouvelle


entrée en dansant. Les deux idiotes de cousines sont parties
et c’est tant mieux. Je profite de la soirée sans me soucier
de qui que ce soit.

Nous passons à la dernière tenue et cette fois Hermann


enfile sa tunique faite de pagne et de tissu, assortie à ma
robe et celle de notre fille. Il reste près de moi pendant la
coupure du gâteau. Quand je sens sa main se poser sur la
chute de mes reins, je frissonne et je souris. Nous
échangeons un regard qui m’émoustille. Ses amis se
mettent à nous taquiner en nous appelant " les mariés ".
Après la coupure, Alfred prend le micro tandis que tout le
monde rejoint sa place. Hermann et moi restons debout, sa
main toujours à la même place.

— Bonsoir à tous. Je suis Alfred, l’oncle principal de notre


bébé Moya. Mais également le premier mari de notre belle
Martine.

Je savais qu’il la sortirait celle-là. Je ne fais que sourire à


son discours.
— Alors, nous tous ses maris, sauf Hermann bien sûr, nous
avons décidé d’offrir un cadeau spécial à notre femme pour
lui dire merci. Merci d’avoir rendu notre frère père, merci
de le rendre heureux, merci de l’avoir sorti de sa bulle.

Je lève la tête vers le concerné qui m’a l’air ému. Il baisse


la tête et me sourit timidement.

— Notre femme, merci beaucoup.

Les autres se mettent à pousser des cris de joie et siffler. Je


crois qu’ils sont un peu saouls. D’ailleurs, il en manque un.

— Voici ton cadeau qui arrive.

Un klaxon assourdissant se fait entendre. Je me retourne et


je vois une voiture se garer non loin de nous. Il y a un gros
ruban qui l’entoure. Ulrich en sort et je comprends que c’est
ça mon cadeau. Je sautille sur place telle une gamine puis
je cours vers ma voiture. Je comprends maintenant
pourquoi Hermann insistait pour que je fasse mon permis
de conduire. Je m’installe dans ma voiture, tout heureuse.
Je ressors enlacer chacun des amis et je finis par Hermann.

— Merci beaucoup pour le cadeau.


— Je n’ai pourtant rien fait. Tout vient d’eux.
— C’est en partie grâce à toi.
Il se contente de m’embrasser le front. Bien que nous ne
soyons plus ensemble, Hermann continue d’avoir des
gestes affectueux envers moi depuis mon accouchement.
La soirée prend ainsi fin. Chaque invité repart. Ma sœur
range les cadeaux reçus. Hermann monte souhaiter bonne
nuit à sa fille. Je le raccompagne à sa voiture. Ses amis sont
dans les leurs, l’attendant pour s’en aller. Nous nous
adossons à sa voiture en nous faisant face.

— Je ne te l’ai pas dit, mais tu étais magnifique toute cette


journée dans tes différentes tenues.
— Merci. Toi aussi tu es très beau dans ta chemise.

Nous rigolons. Il me prend la main et me tire doucement


vers lui.

— Notre fille a de la chance de t’avoir comme mère.

Je rougis. Il dégage mon visage d’une mèche.

— C’est dommage que tu ne vives plus à l’immeuble. On


aurait repris nos chemins ensemble pour le travail.
— Ça va me manquer. Mais on pourrait se voir aux heures
de pause pour déjeuner ensemble vu que nos lieux de travail
ne sont pas si éloignés.
— J’approuve. On se dit donc à demain ?
— Tu ne veux pas passer la nuit ici ? je lui demande avec
une mine de chien battu.
— Si je reste, je risque de faire quelque chose de pas très
catholique.
— Ah bon ? Comme quoi ?

Je me rapproche encore plus de lui en souriant. Son regard


descend sur mes lèvres. Je sens qu’il a envie de
m’embrasser. Je prends le risque de rapprocher mon visage
du sien. Le fait qu’il ne recule pas est bon signe. J’ai envie
de lui depuis des semaines. Mais je n’ose lui demander
d’étancher cette soif. Nos lèvres sont de plus en plus
proches. Sauf que ce moment est gâché par un appel. Il sort
son portable de sa poche et nous voyons ensemble la photo
de sa petite amie sur l’écran. Je soupire de déception et je
m’éloigne de lui. Il coupe le son de l’appel sans décrocher.

— Je vais y aller maintenant. On m’attend.


— Je vois. Rentrez bien.

Il m’embrasse la joue. Je me dégage de sa voiture pour qu’il


puisse y monter. C’est avec déception que je leur dis tous
au revoir de la main. Je croyais réellement qu’aujourd’hui
il aurait décidé de nous donner une autre chance. Je
retourne à l’intérieur, retrouver ma sœur au salon. Je me
laisse tomber dans le fauteuil près d’elle.

— Je vous ai vus à deux doigts de vous embrasser. C’est


bon ? Vous êtes de nouveau ensemble ?
— Si c’était le cas, je serais partie avec lui pour qu’on fasse
l’amour toute la nuit.

Je pousse un long soupir de déception.

— C’est vraiment mort entre lui et moi. Je dois, pour de


bon, passer à autre chose. Heureusement que je reprends le
boulot demain. Ça me changera les idées.
— Moi j’ai foi qu’un jour, il te fera sa demande.
— C’est tout ce que je souhaite.

Nous sommes interrompues par le gardien. Il m’informe


qu’il y a un homme qui désire me voir. Je vais donc à la
rencontre de ce mystérieux personnage.

— Stephen ? Que fais-tu ici ?


— Salut ! Je ne dérange pas, j’espère ?
— Non, non. Que puis-je faire pour toi ?
— Bon, je vais aller droit au but. J’ai proposé ton profil à
mon patron pour que tu gères la succursale de notre
entreprise ici et il est d’accord.
— Qu’est-ce que tu dis ?

Il me tend une chemise à rabat.

— Tu as ici toutes les informations. Comme tu le sais,


l’entreprise dans laquelle je bosse possède plusieurs
branches et l’une d’elles est dans ton domaine. Boya a eu
une opportunité à Londres. Alors, ne pouvant assurer la
direction de la boîte ici, j’ai décidé de te proposer la place
de directrice. Tu vas collaborer directement avec le grand
patron pour que vous vous familiarisiez. Il est très exigeant,
de ce fait fais-toi un passeport, car tu vas beaucoup faire la
navette entre la France et ici. Mais bon, tout ça, c’est si tu
acceptes.

Je lis les clauses du contrat et je suis sur le cul. Moi, à la


tête d’une entreprise aussi prestigieuse ? Je n’en reviens
pas.

— Je te laisse le temps de réfléchir, mais tu dois faire vite,


car nous devons terminer les recrutements. Disons que tu
as deux jours pour me donner une réponse. Je dois tout
boucler avant de m’en aller pour Londres.
— C… c’est… waouh ! Merci beaucoup. Je vais mieux
relire le contrat et je te fais signe.
— Ça marche. Je vais rentrer maintenant.
— Attends ! J’ai suivi l’affaire avec ton père. Tu vas bien ?
— Parfaitement bien, sourit-il. Bonne nuit.
— Merci ! Bonne nuit.

Je le regarde s’en aller et je souris bêtement. Ça, c’est un


miracle. Un très gros miracle

TROIS MOIS PLUS TARD


Ce midi, contrairement aux autres jours, je me rends au
bureau d’Hermann avec le déjeuner. Depuis trois mois,
nous déjeunions ensemble dans différents restaurants ou
fast-foods de la ville. Ayant tous deux des postes bien
placés, nous pouvons nous permettre de petits retards de
temps en temps. Ces petits moments ensemble nous ont
tellement rapprochés que tout le monde croit que nous nous
sommes remis ensemble. Mon père est allé jusqu’à lui dire
qu’il n’a pas intérêt à me mettre enceinte une seconde fois
tant qu’il ne m’aura pas dotée. Nous en avons rigolé ce
jour-là. Ce rapprochement m’a donné espoir en nous. Je
crois fermement qu’on se remettra ensemble. Durant ces
mois, je n’ai pas vu trace de sa copine. Je ne sais pas s’ils
sont toujours ensemble, mais en ma présence, il ne parle
jamais d’elle ni ne communique avec elle.

En montant à son bureau, je remarque le malaise de certains


collègues qui me connaissent très bien, à force de me voir
défiler ici parfois. Son assistante se lève en me voyant.

— Bonjour, madame Martine.


— Salut, ma belle. Ton patron est là, je suppose. Son
bureau n’est pas fermé.
— Il est là. Mais… je… attendez !

Je pousse la porte de son bureau sans avoir la patience


d’attendre qu’elle formule correctement sa phrase et tous
mes espoirs s’envolent. Hermann et l’autre fille
s’embrassent goulument. Ils sont tellement à fond qu’ils ne
se sont pas rendu compte de ma présence. En détournant les
yeux, je remarque des paquets repas posés sur la moquette
dans le petit espace salon. Je retourne doucement sur mes
pas en ramenant la porte à sa position initiale. Je tends le
paquet à son assistante.

— Tu peux garder ça pour ton déjeuner. Il a déjà mangé de


toute façon.
— Vous devriez peut-être attendre un peu pour lui parler.
— Non, ça va. J’ai du boulot qui m’attend. Ne lui dis pas
que je suis passée, s’il te plaît.

Je repars de là, toute déçue. Cette fois c’est définitif, je mets


une croix sur nous deux. Je vais passer à autre chose.

Tout le reste de la journée, il ne daigne pas m’appeler. Le


message est tellement clair qu’on ne peut pas faire semblant
de ne pas le comprendre. Je cale tout ça dans un coin de ma
tête et je me concentre sur mon nouveau travail. J’ai eu le
trac les premières semaines, craignant de ne pas être à la
hauteur, mais aujourd’hui ça va. Je joue mon rôle à la
perfection. Je rêvais d’avoir une promotion à mon ancien
lieu de travail, mais en vain. Le patron était trop pingre pour
augmenter nos salaires. Pourtant, le précédent poste que
j’occupais ne correspondait nullement à mes compétences.
C’était le besoin urgent de travailler qui m’avait poussée à
m’en contenter. Je crois que maintenant, je suis à ma place.
Le patron de Stephen, enfin notre patron, a été épaté par
mes compétences, raison pour laquelle il n’a pas hésité à
accepter la proposition de Stephen. Je travaille directement
avec lui. Pour l’heure, la boîte est encore petite. Le projet à
court terme c’est de la faire grandir d’ici deux ans. C’est ça
mon nouveau combat. Mon salaire actuel, qui est juste
provisoire le temps de mon observation, est le triple de mon
précédent salaire. Je n’aurais pas rêvé mieux.

La journée achevée, je rentre à la maison, chez mes parents


plus précisément. Ces deux vieux ne sont pas prêts à me
laisser partir prendre mon propre appartement maintenant
que le bébé a grandi. De ce qu’ils m’ont dit, ils ne me
laisseront m’en aller qu’une fois mariée ou dotée. Je ne
m’en plains pas. Ça me permet de mieux économiser pour
me prendre une magnifique maison pour mon petit trésor et
moi.

Ma fille sautille dans les bras de ma mère en me voyant


entrer. Je la récupère, après avoir embrassé ma mère, pour
lui donner sa douche. Je me mets à son entière disposition
quand je rentre de travail. Après sa douche, je lui donne sa
bouillie. Je la remets ensuite à sa nounou pour aller prendre
ma douche, après quoi, je me détends dans mon lit. Malgré
mes efforts durant cette demi-journée à ignorer la scène vue
dans le bureau d’Hermann, je continue d’avoir mal. Pour
un homme, il a la rancune vraiment tenace. Qu’ai-je fait de
tellement grave qui ne mérite pas d’être pardonné ? Qu’ai-
je fait de si horrible pour ne pas mériter une seconde
chance ? Cet homme a réussi à me guérir de mes blessures
et maintenant il refuse de me donner la possibilité d’être
heureuse à ses côtés. Je fais défiler ses photos dans mon
portable. J’en ai une bonne cinquantaine. Si ce n’est plus.
Sur la majorité, il est avec sa fille depuis sa naissance
jusqu’à hier. Encore une fois, je vais devoir dire adieu à une
relation à laquelle je tiens de tout mon être.

Je suis interrompue dans mon ruminement par des coups


sur ma porte.

— Entrez !!!

La porte s’ouvre dans mon dos. Je sors de ma galerie en


attendant que la personne qui est entrée parle.

— Bonsoir !

Je me retourne rapidement en entendant la voix


d’Hermann.

— Oh, c’est toi. Je ne m’attendais pas à te voir.


— Pourquoi ? Je viens ici tous les soirs pourtant.
— Je sais. Je l’ai dit comme ça. Ta fille est en bas avec sa
nounou.
— Je l’ai déjà embrassée. Je suis là pour toi.
— Tu es venu m’annoncer ton mariage ?
Il plisse les yeux et sourit. Je me mords la langue
m’apercevant de ma jalousie difficile à camoufler.

— Je veux t’emmener quelque part. On ira, rien que tous


les deux.
— Laisse-moi me changer.
— Tu es parfaite comme ça.

Ce ne doit rien être d’important alors. Je me remets du


déodorant, un peu de parfum et j’arrange ma longue robe
en soie. Je prends mon portable, mon porte-monnaie et
nous nous en allons. Sur le trajet, je ne fais que répondre à
ses questions sur ma journée de travail. Je reste détachée à
la conversation.

— Pourquoi je te sens bizarre ?


— Je suis fatiguée.
— Tu es sûre qu’il n’y a rien d’autre ?
— Rien.
— Si tu le dis.

La voiture entre dans un quartier que je ne connais pas. Je


dirais que c’est une cité et elle n’a que de grands duplex,
tous pratiquement avec le même plan. Il gare devant l’une
des maisons.

— C’est chez qui ici ?


— Viens !

Je l’imite en descendant de la voiture. Je le suis à l’intérieur.


Je fronce les sourcils en voyant la maison complètement
vide. Il n’y a aucun meuble. Juste des ampoules et la
peinture blanche sur tous les murs. Hermann me prend la
main et me conduit dans une autre pièce. Là, je reste sur le
cul. Je regarde ce qu’il y a sans en revenir.

— J’espère que ça va faire passer ta mauvaise humeur.

Il retire ses chaussures et part s’arrêter sur la moquette sur


laquelle sont disposés de la nourriture, du champagne, du
vin, des pétales de rose, des bougies parfumées et une
dizaine de gros coussins. La lumière tamisée confère un air
romantique à la pièce.

— Tu viens ? propose-t-il en me tendant la main.

Et comment ? Je retire mes chaussures et je le rejoins en


posant ma main dans la sienne.

— J’espère que tu n’as pas encore diné ?


— Non, je réponds en regardant sur la moquette avec
admiration.
Il déballe tout ce qu’il y a comme nourriture. De la pizza,
des hamburgers, des frites et des poulets panés de chez
KFC.

— Crois-tu qu’on pourra finir tout ça ?


— Te connaissant ? Oui, tu peux tout bouffer toi seule.
— Arrête de me traiter de gourmande, dis-je dans un éclat
de rire.
— Tu manges deux fois depuis que tu as accouché.
— Et c’est la faute à qui ? Si tu ne m’avais pas mise
enceinte, j’aurais encore ma taille de guêpe.
— Ouais, c’est ça. Mets toute la faute sur moi.

Il prend une frite et la rapporte à ma bouche. Ainsi débute


la dégustation de notre diner. J’oublie ma mauvaise
humeur, j’oublie mon chagrin et je profite de ce moment
avec lui. Avec tout le bavardage que j’ai fait, j’ai
pratiquement tout mangé. Il ne reste qu’un carton de Pizza.
Hermann me regarde en riant. Je l’ignore et porte mon verre
de vin à mes lèvres.

— Mon assistante m’a expliqué ce qui s’est passé entre


midi et deux.

Je m’arrête et repose doucement mon verre.

— Je lui avais pourtant dit de ne rien te dire.


— Pourquoi ?
— Parce que ce n’était pas si important. Tu avais mieux à
faire.

Je reprends mon verre et le vide.

— J’aime quand tu es jalouse.


— Je ne t’ai pas dit que je l’étais.
— Tu n’as pas besoin de me le dire. Je te connais
parfaitement et je sais tout ce que tu penses en ce moment.
— Ah bon ? Dis-moi donc à quoi je pense.

Il se rapproche de moi. Je le regarde, attendant de voir ce


qu’il veut faire. Je suis surprise de voir son visage se
rapprocher du mien. Je jubile intérieurement jusqu’à ce
qu’il pose ses lèvres sur les miennes. J’y réponds tout de
suite en lui attrapant la tête. Il pouffe de rire.

— J’avais donc vu juste.


— Ferme-la et embrasse-moi.

C’est à son tour de me tenir la joue et de glisser sa langue


dans ma bouche. Enfin, j’ai droit à un baiser. Et pas
n’importe lequel.

— Hermann, j’ai envie de toi, je lui avoue près de ses


lèvres.
— Moi aussi.
— Mais elle a qui cette maison ? Personne ne viendra nous
surprendre ?
— Je venais justement te demander si tu voulais bien qu’on
en soit les propriétaires.
— Quoi ?

Je me sépare de lui d’un seul coup. Il ouvre un écrin devant


moi. J’ouvre la bouche.

— Veux-tu bien qu’on réunisse notre petite famille dans


cette maison ?
— Mais… ta copine… Je…
— J’ai rompu avec elle ce midi. Elle a insisté pour avoir un
baiser d’adieu.
— Tu en es sûr ?
— T’ai-je déjà menti ?
— Non ! Je…

Je me mets à sourire. Je n’en reviens pas de ce qui se passe.

— Tu ne m’as pas donné de réponse.


— J’ai cru que tu savais lire dans mes pensées.
— Je veux te l’entendre dire.
— Mais bien sûr que je le veux. Mon Dieu ! Depuis
longtemps que j’attends ce moment.

Je bondis sur lui et nous nous retrouvons allongés, moi au-


dessus de lui. Je m’attaque à ses lèvres en ondulant mes
reins sur lui. Son excitation se fait ressentir tout de suite. Le
sentir contre moi augmente mon envie. Il empoigne mes
fesses par-dessus ma robe et les presse comme s’il voulait
en faire sortir du jus. Je relève ma robe pour pouvoir sentir
directement le contact de ses mains sur mes fesses. Je
continue de bouger sur lui en tentant d’ouvrir son jean. Il
finit par le faire lui-même.

— J’ai des préservatifs dans la poche arrière de mon jean,


m’informe-t-il essoufflé.
— Je n’en veux pas. Je veux sentir ta chair contre la
mienne.
— Ton père a dit…
— Dote-moi donc vite.

Il sourit et me donne une claque sur les fesses. Trêve de


bavardage. Je décale mon dessous, baisse le sien et je
m’empale sur lui.

— Oh oui putain, c’est bon ! fais-je dans un long soupir.


— Tu m’as manqué.
— Toi aussi, mon amour ! Toi aussi !

Je le chevauche avec la dernière énergie comme si demain


n’existerait plus. Nos soupirs et ses claques sur mes fesses
emplissent la pièce. Il fait descendre le bustier de ma robe
pour avoir accès total à mes seins qu’il renferme dans ses
mains et les pétrit. Un moment, il me renverse et prend le
dessus. Mes deux jambes calées entre le creux de ses
coudes, je me fais pilonner parfaitement. Je tape sur la
moquette, une manière pour moi de supporter le raffut de
plaisir qui va me rendre folle. Ma fontaine s’active et ne
s’arrête pas, tout le temps que dure cette partie de jambe en
l’air. Il n’a pas l’air fatigué. Il se retire, m’incite à me mettre
à quatre pattes et reprend le pilonnage. N’en pouvant plus
de cet immense plaisir, je me mets à pleurer en
l’encourageant à aller plus fort, plus vite. Il finit enfin par
se déverser en moi. Nous nous écroulons sur la moquette.
Je ferme les yeux, satisfaite et inondée de bonheur. Je
l’entends rire et je le rejoins.

— Je crois que j’ai encore faim, lui dis-je.


— Pourquoi crois-tu que j’ai commandé autant de
nourriture. Je compte en commander encore parce que nous
aurons du boulot toute la nuit.
— Nous allons passer la nuit ici ?
— Bien sûr.
— Mais et ta fille ?
— Qu’elle reste avec sa grand-mère. Moi, je dois profiter
de ma femme.

Parlant de ça, je me souviens n’avoir pas porté la bague de


fiançailles. Je me relève, la ramasse et l’enfile avant de
venir me coucher dans ses bras.
— Elle est magnifique, dis-je en la contemplant. Merci de
nous redonner une chance.
— Tu es arrivée là où je voulais que tu arrives.
— Où ?
— Tu n’es plus au stade où ta vie et ton bonheur dépendent
de l’humeur d’un homme. Je voulais qu’en dehors d’une
relation amoureuse, que tu aies des rêves et des objectifs à
atteindre. Tu n’es plus cette femme désespérée prête à
marabouter un homme pour obtenir son attention. Avant, tu
ne me parlais pas de ton boulot. Toutes nos conversations
tournaient autour de relations amoureuses, de déception, de
mariage, de blessures intérieures… Il n’y avait que ça.
Aujourd’hui, tu me parles des grands rêves que tu nourris.
Tu me fais le point de tes journées au travail. Tu as su guérir
de tes blessures.
— C’est en grande partie grâce à toi. Tu as su me motiver
et me donner plusieurs raisons de guérir. Merci !

Je l’embrasse et ce baiser va plus loin. Je sens que je


passerai une nuit extraordinaire.

***TANTE ODETTE

Après tout ce qui s’est passé avec la famille de Stephen, j’ai


compris que la vie est courte, que tout pouvait basculer à
tout moment et qu’il était important d’avoir près de soi des
personnes qui t’aiment réellement. Ça m’a donc motivée à
accepter les avances de Francis. J’étais déjà très tentée de
l’accepter, mais la peur d’être de nouveau traitée comme un
décor dans un foyer me bloquait. Je ne voulais plus d’un
mariage sans amour, d’un mariage sans avenir pour moi. Je
ne voulais pas encore subir les multiples infidélités d’un
homme. Je ne voulais plus de tout ça. Mais le couple de
Boya et Stephen m’a redonné espoir. Je crois que tant qu’on
vit, on peut avoir sa part de bonheur.

Il nous faut faire de bons choix et ne pas décider de tout


accepter, de tout subir, au nom d’une soi-disant culture
africaine. Une femme africaine ne doit pas divorcer, une
femme africaine ne doit pas exposer son mari, une femme
africaine doit couvrir toutes les bêtises de son mari, quelles
que soient leurs gravités, une femme africaine doit accepter
les infidélités de son mari et accepter d’élever tous les
enfants adultérins qu’il lui ramènera. Aller à l’encontre de
toutes ces règles ne fera pas de nous de mauvaises femmes.
Tout le monde n’a pas le même degré de tolérance. Que
celles qui peuvent tout supporter, le fasse. Mais qu’on
arrête de lancer la pierre à celles qui décident de prendre un
autre chemin. Certaines femmes perdent la vie ou la tête, à
force de tout accepter. Certaines perdent toute estime
personnelle et pensent que sans un homme, leur vie n’aura
plus aucun sens. J’ai surtout compris qu’une femme qui met
sa confiance en l’Éternel ne verra jamais son visage verser
dans la honte. Il la relèvera toujours quel que soit ce que les
hommes diront et quel que soit le temps que ça prendra.
Alors, après trois mois de relation, ce vieil homme " ennui "
a décidé de me doter. J’ai ri quand il me l’a dit, pensant
qu’il plaisantait, alors que non. Il était dans tout son sérieux.
Me voici aujourd’hui dans mon village, en train de me faire
maquiller pour aller me présenter à mon mari. Lorsque j’ai
appelé mon ainé pour lui annoncer ma dot, il a également
cru que je plaisantais. Tout le monde dans la famille l’a cru.
Il leur a fallu causer au téléphone avec Francis pour
accepter cette vérité. Les gens ont jasé. Pourquoi est-ce
qu’à mon âge je me remarie ?

J’ai ignoré toutes les remarques. Je n’ai plus l’âge pour me


préoccuper des avis des gens sur mes décisions. Dieu est
mon guide et je crois qu’il ne me fera pas prendre de
mauvaises décisions.

La maman de Natacha entre dans la chambre où je suis.


Depuis hier qu’elle a revu sa fille, elle ne fait que rire de
bonheur. Elle est fière de la jeune fille que sa fille est
devenue.

— Hé, ma sœur, merci oohhh !!! Vraiment merci pour tout


ce que tu as fait pour ta fille. Je ne l’ai même pas reconnue.
Tout le monde parle d’elle et ses amies l’envient comme
ça.
— Disons merci à Dieu de l’avoir restaurée. Sinon moi je
ne pouvais rien.
— Vraiment ! Que toute la gloire lui revienne. Mais je dis,
le mari de Boya là, il est joli hein. La petite là a eu bon mari
malgré sa maladie.
— C’est vous qui croyez que quand on a le SIDA on
devient un monstre. Il faut aussi la remercier parce que c’est
aussi grâce à elle que ta fille est un peu connue à Abidjan.
— Tu as raison. En tout cas, la vie a fermé nos bouches dèh.
Les gens qui parlaient mal de Boya, aujourd’hui faut pas
les voir la regarder avec envie on dirait ils vont la manger.
Il reste un peu même d’autres vont laper ses pieds.
— C’est Dieu qui a fermé vos bouches. Demain si
quelqu’un a le VIH/SIDA, vous allez mieux le traiter.
— C’est ça dèh.

Une autre sœur vient m’annoncer que c’est le moment


d’aller me présenter à mon mari. Je suis vieille donc les
histoires de « on va me cacher pour faire tourner le marié »
je ne suis pas dedans. On va aller droit au but. Ils ont fini
de se mettre d’accord, je vais sortir le rejoindre. Mes
cousines m’accompagnent tout de même avec des chants de
réjouissance dans notre ethnie. Je souris en voyant Francis.
Je ne sais pas si je suis trop vieille pour dire que je l’aime,
mais en tout cas, c’est ça. C’est un homme bien qui a su
toucher mon cœur. Mon ex-mari ne m’avait jamais traitée
comme Francis me traite. Il se comporte comme si on était
tout jeunes. En trois mois, je ne compte plus le nombre de
fois qu’il m’a invitée au restaurant. À la plage aussi. Il
pense que nous avons quinze ans. Nous n’avons pas encore
dormi ensemble. Je lui ai dit que je préfère attendre après
le mariage qui aura lieu dans deux jours à Abidjan. Ce sera
un mariage à quatre plus un petit repas partagé en famille.
Je veux un truc simple.

Mes oncles me demandent si je connais l’homme venu me


doter et si j’accepte de devenir sa femme. Je réponds par
l’affirmative pour le grand bonheur de tout le monde, mais
surtout de Boya. Elle est plus heureuse pour moi que tout
le monde. J’ai failli gâcher sa vie en me laissant berner par
les membres de ma famille qui l’ont rejetée à cause de sa
maladie. Pourtant, elle avait un si bel avenir. Mon Dieu est
vraiment le Dieu des orphelins.

Après la petite cérémonie, nous passons aux festivités.


Francis me prend la main et me conduit à ses enfants qui
ont effectué le déplacement avec lui. Ils sont venus de leurs
différents pays d’accueil spécialement pour assister aux
mariages. Je les connais de loin. J’ai discuté plusieurs fois
avec eux et je les ai vus par appels vidéo, en dehors de sa
fille que j’avais déjà rencontrée avant. C’est la première
fois que nous nous voyons en vrai aujourd’hui. La fille me
prend directement dans ses bras.

— Toutes mes félicitations, notre nouvelle maman.


Bienvenue dans la famille.
— Merci !
Les deux hommes me font les bises en guise de
félicitations. Ça se lit sur leurs visages qu’ils sont heureux
pour leur père.

— On vous souhaite tout le meilleur, dit l’ainé. J’espère


surtout que tu as assez de courage pour supporter ce vieux
grincheux.
— Qui grincheux ? Moi ? Ces enfants ne me respectent plus
depuis qu’ils me dépassent.
— Ouais, c’est ça. Surtout, empêche-le de rouler ses gros
camions. Il n’a plus l’âge.
— Oui, je l’ai déjà mis en garde, dis-je, amusée.
— Je vais aller vendre le piment avec elle au marché.

La phrase de Francis nous arrache tous un rire. Je fais signe


à ma fille et son petit frère d’approcher. Je fais les
présentations avec les enfants de Francis. Franck a eu son
concours de gendarmerie donc il est parti en formation pour
un bon moment. Pour ce qui concerne ma fille, elle est
revenue à de meilleurs sentiments quand elle a appris que
j’avais été hospitalisée après l’agression du père de
Stephen. Elle a compris que j’étais le seul parent qui lui
restait, puisque son père en a encore pour très longtemps,
et de ce fait nous devrions rester soudées. Bien qu’elle ait
toujours mal du sort de son père, elle a décidé de me
pardonner. Nos rapports ne sont pas encore totalement au
beau fixe comme avant, mais ça viendra. La volonté y est
déjà donc ça viendra.
— Maman, tu m’accompagnes pour parler à Boya, s’il te
plaît ?
— Oui, allons.

Nous nous excusons auprès des autres et allons vers Boya


et son mari. Elle m’a confié vouloir s’excuser auprès de
Boya pour toutes les fois où elle et Franck n’ont pas été
sympathiques avec elle. Aucun de nous ne l’était à une
époque. Boya laisse son mari et vient vers nous.

— Euh, au fait il n’y a rien de grave, commence ma fille.


Je tenais à m’excuser au nom de mon frère et moi pour
toutes les fois où nous avons voulu t’humilier en divulguant
ton statut. C’était…
— Oh non ! Je n’ai pas besoin d’excuse. Laissons ça dans
le passé. Je n’ai absolument rien gardé contre vous dans
mon cœur.

Elles se font une accolade. Et voilà, tout est bien qui finit
bien.

***STEPHEN

Je range les dernières valises dans le coffre de la voiture de


Laurence. Je prends mon vol ce soir avec ma femme et nos
enfants pour Londres. Le centre de stylisme ouvrira dans
deux mois alors nous devons aller nous installer et prendre
nos marques dans la ville. Nous avons beaucoup de choses
à faire avant que Boya ne commence sa formation. Le fait
que j’aie la nationalité française nous facilitera la tâche. Je
n’ai pas voulu que Boya renonce à cette belle opportunité,
c’est pourquoi j’ai déposé ma démission chez mon patron.
À ma grande surprise, il l’a refusée disant qu’il ne voulait
pas se séparer d’un employé aussi compétent. Alors, il m’a
proposé de co-diriger une autre de ses entreprises à Londres
qui n’avait rien avoir avec celle où je travaillais et qui
n’entre pas dans mon domaine de compétence. Je vais
devoir me former et apprendre à partir de zéro comment les
choses se passent. Mais j’ai déjà une certaine connaissance
du secteur alors je crois que ça pourra aller. De toutes les
façons, c’est une aubaine pour moi surtout de pouvoir
garder mon job et rester auprès de ma petite famille.

Je fais mes aurevoirs à Zoé en l’enlaçant, pendant que Boya


discute avec Awa, et je vais en faire de même avec ma tante
qui tient sa petite-fille.

— Vous allez beaucoup me manquer, dit-elle, tout émue.


— Toi aussi. Mais on viendra chaque vacance donc ce n’est
pas si grave.
— Je l’espère.

La tante de Boya n’a pu être là, car après son mariage il y a


deux jours, elle est partie en lune de miel avec son époux.
Nous l’avons tout de même appelée ce matin pour lui dire
au revoir. C’est Laurence qui nous conduira à l’aéroport et
aura pour tâche de nous faire parvenir le reste de nos
affaires demain par avion.

Alors que le gardien ouvre le portail pour nous permettre


de sortir avec les voitures, une femme entre en courant.
Boya recule avec le jumeau dans ses bras.

— Josué ! Mon garçon !

Je lève les yeux au ciel en ignorant ma mère qui se


rapproche de moi.

— Que me veux-tu encore ?


— Je suis venue te supplier de me pardonner et de me
laisser faire partie de ta vie. Je suis ta mère. Je suis
abandonnée de tous depuis que ton père est dans cet état
grave. Je n’ai que toi.
— Moi ? [Je ricane] Non, tu n’as que ton mari. C’est lui que
tu as toujours choisi au détriment de tes enfants. Reste donc
dans ton foyer.
— Mais il est dans un piteux état. Sa famille l’a également
abandonné.
— Ce n’est pas mon souci.
— Josué, on ne tourne pas dos à ses parents quelles que
soient leurs erreurs. Pardonne-moi pour tout.
— Je t’ai pardonné. Mais je suis désolé, tu ne pourras pas
faire partie de ma vie.
— Mais tu viens de dire que tu m’as pardonné.
— C’est exact. Pardonner ne signifie pas forcément
recoller les morceaux, reprendre à zéro. Pardonner, c’est
libérer son cœur de tout ressentiment envers un tiers. C’est
ce que j’ai fait. Je ne te déteste plus. Mais je préfère te
garder loin de moi et de ma famille.
— Je suis ta mère. Je t’ai donné la vie.
— Ce n’est pas une raison suffisante pour me la gâcher. J’ai
besoin de positivité autour de moi pour être un meilleur
père pour mes enfants et un meilleur mari pour ma femme.
Je te le redis, je t’ai pardonnée, mais que chacun reste dans
son monde. Maintenant s’il te plaît, tu peux t’en aller. J’ai
un avion à prendre.

Elle passe son regard sur Zoé, puis sur Laurence, après sur
Boya pour finir sur ma tante en espérant qu’ils
interviennent pour elle.

— Ma sœur, aide-moi à récupérer mon fils, supplie-t-elle


ma tante.
— On ne force pas un enfant brisé par ses parents à revenir
dans leurs bras. Laissons les choses se faire seules. Le plus
important, c’est qu’il t’ait pardonné.

Ses larmes se mettent à se déverser sur ses joues. Ça ne


m’émeut pas le moins du monde. Tout enfant serait triste
de voir sa mère pleurer. Moi, je ne ressens absolument rien.
Je suis par contre convaincu de lui avoir pardonné parce
que je n’ai plus cette envie irrépressible de la cogner quand
je pense à elle ou quand je l’ai vue rentrer tout à l’heure. Je
ne veux pas qu’elle fasse partie de ma vie parce que je ne
ressens pas cet attachement d’un enfant à sa mère, cet
amour si fort qui unit une enfant à la femme qui lui a donné
la vie. Lorsque je la regarde, je ne ressens absolument rien.
Peut-être qu’un jour, ça changera. Elle devrait se réjouir
que je ne la haïsse plus, et ce grâce à la prière. Maman
Odette m’a encouragé à me confier à Dieu et j’ai fini par y
prendre goût. Je ne fais pas une journée sans parler à Dieu.
Ça m’a déchargé d’un lourd fardeau et ça a nettoyé mon
cœur de toute colère, toute haine, toute amertume et surtout
de tout traumatisme. Je peux affirmer que le suivi
psychologique et la prière m’ont totalement guéri. Mais il
n’y a pas que ça. L’amour des miens a également joué un
grand rôle. Que serais-je devenu sans cette femme qui m’a
sauvé et qui m’a donné tout l’amour du monde sans faire
de distinction entre ses enfants et moi ? Je le réaffirme, une
mère ce n’est pas seulement celle qui donne la vie. C’est
aussi celle qui éduque, aime, protège et se sacrifie pour un
enfant qu’elle n’a pas mis au monde. C’est plus ça être une
mère que mettre au monde.

Ma mère passe son regard sur chacun de mes enfants. Sa


tristesse grandit. Elle nettoie ses larmes et tourne les talons.
À force de vouloir protéger un homme démoniaque, elle a
fini par tout perdre. Mon père est dans un sale état. Il se chie
dessus malgré les interventions chirurgicales. Son périnée
l’a lâché. En plus de cela, il a d’atroces douleurs au derrière
dû à des plaies qui se sont infectées. Il a aussi la tremblote.
Bref, je retiens que les gars avec qui je m’étais associé n’ont
pas badiné dans leur vengeance. Je n’ai pas voulu savoir ce
qu’ils allaient lui faire et je n’ai pas non plus regardé la
vidéo qu’ils ont publiée sur le net. Je leur avais juste
demandé de ne pas le tuer, car la mort serait bien trop facile
pour lui. Il devait souffrir jusqu’à son dernier souffle. Là,
je suis plus que soulagé.

On ne couvre pas un violeur, qui qu’il soit. Que ce soit votre


mari, votre fils, votre frère ou votre père, dénoncez-le. Si
c’est sa toute première fois, en le dénonçant vous pourrez
le sauver, le faire changer au plus vite. S’il en a l’habitude,
vous aurez sauvé la vie de plusieurs personnes, car il
devient un danger ambulant. Ça peut faire mal de dénoncer
une personne qu’on aime, mais avant de la couvrir et
couvrir son acte ignoble, mettez-vous ou encore imaginez
votre enfant à la place de la victime.

Si vous ou votre enfant aviez été violé, qu’auriez-vous


voulu ? Que le coupable paye, ou qu’il reste en liberté à
profiter de la vie et à faire subir le même sort à d’autres ?
Si après cette interrogation vous souhaitez toujours
protéger votre proche violeur, alors vous méritez vous aussi
de finir vos jours en prison.
28

TROIS ANS PLUS TARD

***BOYA

Je descends avec madame Leonora de sa voiture et nous


entrons dans le grand hôtel cinq étoiles où se tiendra la
conférence organisée par elle. Nous sommes sur Paris
depuis une semaine. Nous avons participé à la Fashion
Week où nous avons présenté de nouvelles tenues avec des
motifs africains. L’idée vient de moi, car je veux garder
mon côté africain. Les gens ont plutôt aimé nos créations et
nous avons eu encore plus de contacts. Je me suis
perfectionnée dans le centre de formation et je me suis
surtout bien intégrée à Londres. J’adore cette ville. Elle est
magnifique et il y fait tellement bon vivre que je ne voulais
plus rentrer. Les premiers mois, nous vivions dans un petit
appartement puis un peu plus tard, nous avons pris une plus
grande maison. Ça n’a pas été facile dans les débuts avec
les enfants. On devait les déposer à la crèche pour pouvoir
vaquer à nos occupations et on les récupérait le soir. Nous
avons fini par trouver nos repères et nous sommes des
Londoniens à mille pour cent.

Lorsque nous entrons dans la salle où se tient la soirée,


toutes les personnes présentes se lèvent et reçoivent
madame Leonora avec de fortes acclamations. Il y autant
de français que d’africains dans la salle. Elle donne ce soir
sa conférence annuelle sur les femmes porteuses du
VIH/SIDA. Je l’ai vue travailler pour la cause de ces
femmes malgré ses obligations dans sa profession de
stylisme. Elle était tellement déterminée qu’on aurait dit
qu’elle connaissait absolument toutes ces femmes. Ça m’a
motivée à rejoindre son organisation. Je veux pouvoir ne
plus ressentir de douleur ni de gène quand quelqu’un
découvre ma sérologie. Je veux vivre paisiblement avec ça.
Je me suis donc transformée en son assistante. Je le suis
devenue officiellement après un an. Ça me passionne tout
autant que le stylisme.

Madame Leonora prend la parole et commence par la prière


avant de montrer sur l’écran géant, les actions menées par
l’organisation. Nous voyons défiler les images du
reportage-photos des actions caritatives dans les banlieues
de certaines villes d’Europe et d’Afrique. Également les
actions dans le centre de recueil des personnes atteintes du
SIDA et très mal en point. Nombreux sont ceux qui ont été
abandonnés par leurs familles. Seuls les docteurs et les
infirmières sont désormais leurs proches. Ils y sont,
attendant leur mort prochaine.

— J’aimerais alors vous féliciter, mesdames, vous qui


travaillez à mes côtés pour redonner le sourire et de l’espoir
à ces personnes désespérées. Que Dieu vous bénisse
abondamment.

Nous répondons toutes " Amen " en acclamant fortement.

— Il y a de nouvelles femmes qui ont intégré


l’organisation. Je vais donner la parole à celles qui se
sentent prêtes à parler brièvement de leur histoire pour
édifier l’assemblée.

Elle quitte le pupitre et aussitôt une femme la remplace.


Nous l’écoutons raconter son histoire avec beaucoup de
tristesse au début et de l’espoir vers la fin. Il en est de même
pour les trois autres qui la suivent. Les regarder surpasser
leur crainte du jugement devant certaines personnes dans
cette salle qui sont bien portantes me motive. Si je dois
vaincre cette crainte en moi, c’est le moment de sauter le
premier pas. Quand la dernière femme termine son
discours, je me lève d’un seul coup. Je vois madame
Leonora froncer les sourcils d’abord et sourire ensuite.
Sous son regard encourageant, je m’arrête derrière le
pupitre et je souffle. Je me rapproche du micro.

— Bon… bonsoir. Je suis Boya GUEHI BÉKÉ. J’ai vingt-


quatre ans et je suis porteuse du VIH.

Elles me saluent en claquant leurs doigts. Je raconte mon


histoire en quelques phrases. Pendant que je parle, je vois
Stephen entrer avec les jumeaux, Évelyne et Evans. Je ne
savais pas qu’ils viendraient. Je les avais laissés à Londres.
À la fin de mon speech, je me sens légère et pleine de
confiance. Je me sens surtout prête à affronter le monde.
Après ça, je n’aurai plus honte que qui que ce soit découvre
mon statut. Je serai une source de motivation pour les
jeunes filles porteuses de la maladie. Je veux parcourir le
monde pour montrer à tous que porter le VIH/SIDA ne fait
pas de nous des plaies pour la société. Je vais réussir et
prouver au monde qu’avec le VIH/SIDA on peut impacter
le monde. Oui, je le ferai. J’y arriverai.

Je vais embrasser mon mari et mes enfants.

— Je suis si heureuse de vous voir, leur dis-je en me


blottissant dans les bras de mon homme.

Il me serre contre lui et pose un baiser sur ma tempe.

— Je suis fier de toi.


— Merci ! Je t’aime !
— Je t’adore !

Il pose encore un baiser sur ma tempe. Après mon


témoignage, madame Léonora reprend place sur l’estrade,
mais cette fois dans un fauteuil pour un talkshow. Il est
l’heure de la sensibilisation. Ma petite famille et moi
prenons place.
— Je souhaite la bienvenue à tous ceux qui assistent à la
conférence pour la première fois. La majorité est très jeune
et c’est très bien pour le message que je veux faire passer.
À vous les jeunes qui êtes saints, vous avez encore la
possibilité de faire de bons choix afin d’éviter cette
maladie. Le nouveau slogan des jeunes de mon pays c’est
« On ne mange pas la banane avec la peau. ». En d’autres
termes, on ne doit pas se protéger sinon il n’y aura pas de
goût. Quand j’entends ça, ça me fait rire. Si vous refusez de
manger la banane avec sa peau dans vos relations hors
mariage, vous allez manger la banane avec sa peau toute
votre vie quand vous aurez enfin rencontré votre âme sœur.
Vous voulez être mariés légalement et avoir des rapports
avec des préservatifs ?

Certains disent non, quand d’autres semblent un peu gênés.

— Dans ce cas, c’est maintenant que vous devez vous


protéger. Moi je conseille toujours la protection tant que
vous n’êtes pas mariés parce que vous ne savez pas ce que
votre partenaire fait dehors, mais surtout parce qu’il sera
évident que vous aurez plusieurs relations amoureuses
avant de trouver la bonne personne. Vous allez passer votre
temps à coucher avec tous vos prétendants sans protection
pour ensuite être obligés de vous protéger avec votre mari
ou votre femme. Il y a le SIDA dans affaire de goût oh.
Vous allez avoir le goût et les maladies qui vont avec, sans
oublier une grossesse non désirée pour encore augmenter le
pourcentage de mères célibataires. Ah, vous m’épuisez,
vous les jeunes !

Ça fait sourire tout le monde.

— Maintenant, arrivons sur les mariés, puisqu’il y en a


également dans cette salle. À vous les hommes mariés qui
êtes incapables de maitriser vos kikis, de grâce, ayez pitié
de vos femmes et vos enfants et protégez-vous. Ce ne sont
pas eux qui vous ont demandé d’être des adultères donc
protégez-les des MST et du VIH/SIDA. À vous, mesdames,
qui aviez décidé de supporter les infidélités de vos hommes
sous prétexte qu’il pleut partout comme on le dit de là où je
viens, ne sacrifiez pas vos vies et celles de vos enfants oh !
Vous avez tous les droits d’exiger des protections à vos
conjoints.

Les couples se mettent à ruminer. D’autres en rigolent.

— Ah, donc en plus de l’infidélité, vous voulez en bonus


les MST et le SIDA ? Est-ce que vous savez qu’il y a des
MST qui rendent stériles ? Est-ce que vous savez que vous
risquez de ne pas avoir la chance de résister au SIDA et
donc de mourir plus vite que les autres porteurs si votre
système immunitaire est faible ? Restez-la seulement à dire
“ mon foyer, mon foyer, mon mari, mon mariage ’’. Les
antirétroviraux vont vous dégoûter. Bon, vous craignez
quoi en imposant les préservatifs à vos maris ? Qu’ils
aillent voir ailleurs ? Mais c’est déjà le cas, donc vous ne
perdez rien hein. Maintenant, à défaut d’imposer les
protections, vous pouvez imposer des examens de santé
chaque mois ou chaque trimestre. Ou bien ça aussi c’est
difficile ? Vraiment vous jouez avec cette maladie. Vous
pensez que c’est facile de vivre avec ça ? Avaler tous les
jours des comprimés ? Vivre dans la peur constante de
mourir ? Devoir subir les rejets et jugements de la société ?
Vous voulez rendre vos enfants orphelins pour qu’une autre
femme vienne les maltraiter, tout ça parce que vous avez
voulu préserver votre mariage à tout prix ? Et vous les
hommes, vous voulez rendre vos enfants orphelins et
misérables, abandonnés de tous, tout ça parce que vous
n’avez pas voulu maitriser vos pulsions sexuelles ? Fhum !
Il est préférable de faire des sacrifices maintenant que de
vivre éternellement dans le regret.

Son discours fait réfléchir tout le monde.

— Votre vie est plus importante que le goût du sexe ou le


mariage. Retenez ça. Retenez aussi que les personnes
atteintes du VIH n’ont plus besoin de jugements, mais de
soutien. Une personne qui a eu cette maladie comme
résultat de sa vie volage, a déjà une grosse punition, donc
n’en rajoutez pas. Aimez vos proches malades,
soutenez-les, motivez-les à suivre minutieusement leur
traitement afin d’arriver au stade d’avoir une charge virale
très faible. Oui, c’est possible d’avoir le VIH et d’avoir des
rapports sexuels non protégés sans risque de contagion.
Oui, c’est possible, mais au bout d’un suivi rigoureux de
son traitement. Aux porteurs, ne négligez pas vos
traitements. Ne relâchez pas, ne laissez pas la maladie
prendre le dessus. Votre vie n’est pas fichue. Oui, vous êtes
malades, mais vous pouvez vivre plus longtemps que des
bien-portants. Vous pouvez faire tout ce qu’ils font.
Travailler, faire du sport, vous marier, avoir des enfants
sains, accomplir de grandes choses. Est-ce que quand vous
me voyez je ressemble à quelqu’un qui porte un virus ?

Ça dit “non’’ dans la salle.

— Je ne me néglige pas. Je prends soin de moi, je profite


de ma vie, je travaille à réaliser mes rêves, tout ça en
prenant mes ARV. Ce n’est pas le SIDA qui va me tuer en
tout cas. Ne baissez pas les bras. Et si vous pensez que tout
le monde vous a abandonné, sachez que Dieu ne vous
abandonnera jamais. Mettez en lui votre sort. Votre joie et
votre bonheur ne doivent dépendre des humeurs des
hommes. La paix que donne le Seigneur est la meilleure de
toutes et ne disparait jamais tant qu’on se confie en lui.
Gardez la foi et qui sait… un miracle peut être possible pour
vous et vous guérirez définitivement. Je crois en cela et je
vous le souhaite. Passez une excellente soirée.
Je crois qu’elle a tout dit. Peu importent les épreuves par
lesquelles nous passons, nous ne devons pas baisser les bras
et désespérer de la vie tant que nous ne sommes pas morts.
Dieu a un plan pour chacun de nous et ses desseins pour
nous s’accompliront si nous mettons en lui notre foi. Tant
qu’il y a la vie, Dieu peut encore agir.

****HERMANN

— Nous allons chercher maman.


— Choueeette !!!

La petite me saute dans les bras.

— Vous partez déjà ? demande ma mère en revenant de la


cuisine.
— Oui. L’avion de Martine ne va pas tarder à atterrir.
— Mais tu vas me ramener la petite non ? Parce que j’ai le
pressentiment que vous alliez vouloir faire des retrouvailles
dignes de ce nom. En plus, j’ai fait à manger pour Martine.

Je souris. Elle s’approche de moi et me tient les joues.

— Mon cœur est dans la joie de te voir si heureux. Je t’avais


dit que cette fille était faite pour toi. Je ne la remercierai
jamais assez pour tout le bien qu’elle te procure.
— Ouais ! J’ai de la chance de l’avoir.
— Tu vois qu’il y aura toujours quelqu’un quelque part qui
nous aimera malgré nos défauts physiques.

Je la prends dans mes bras et je lui pose un baiser sur le


front. Elle a raison. J’ai compris que peu importe le
physique qu’on a, il y aura toujours quelqu’un qui nous
aimera sans avoir honte de nous. Mais le plus important
avant de chercher l’amour d’une tierce personne, c’est de
s’accepter soi-même, s’aimer et se donner de la valeur, peu
importe le regard des autres. Je peux affirmer que je n’ai
plus honte de ma jambe. J’ai fait un sacré travail sur moi
pour y arriver. Je suis allé une fois au supermarché sans ma
prothèse et j’avais enfilé une culotte. Les premières
minutes, j’étais un peu complexé par le regard de gens puis
j’ai commencé à les ignorer et plus je le faisais, mieux je
me portais. Aujourd’hui, je suis plus à l’aise dans ma peau
avec ou sans prothèse. Je me sens bien.

J’arrive à l’aéroport avec ma fille. Nous sortons de la


voiture avec les ballons ronds et en cœur avec écrit dessus
" Joyeux anniversaire ". C’est l’anniversaire de Martine
aujourd’hui et dans trois jours, notre mariage. Elle ne
s’attend pas à nous voir. Je lui ai dit que je devais effectuer
un voyage hier et que je ne rentrerais que ce soir. Je tiens
les ballons, le bouquet de fleurs et ma fille tient le muffin à
la crème chantilly. Nous guettons son arrivée au milieu de
ce beau monde.
— Voici maman ! s’écrie ma fille en la pointant du doigt.

Dès que je repère Martine, celle-ci pose les yeux sur moi.
Son visage se déforme par la surprise et la joie. Elle court
vers nous avec sa valise qu’elle laisse finalement tomber et
réceptionne sa fille qui courait vers elle.

— Comme tu m’as manquée, ma princesse.


— Joyeux anniversaire, maman.

Elle prend le gâteau de la main de sa fille et croque dedans


avant de le conduire aux lèvres de la petite qui en mange
également. Enfin, elle vient vers moi.

— Surprise ! dis-je en lui souriant amoureusement.


— Merci, mon bébé d’amour.

Elle m’embrasse brièvement et prend son bouquet de


fleurs. Je vais prendre sa valise et nous allons à ma voiture.
Martine reste à l’arrière avec sa fille qui lui relate tout ce
qu’elle a raté durant ces trois semaines d’absence. Son
patron a voulu qu’elle le rejoigne en France pour travailler
ensemble sur les projets de l’entreprise qu’elle gère ici. Ça
lui a pris du temps, mais ça la rend heureuse de travailler,
alors on ne peut que la soutenir. Nous nous rendons chez
ma mère pour déguster le copieux repas qu’elle lui a
concocté. Je préfère qu’on reste chez ma mère parce que si
nous rentrons directement à la maison, Moya ne voudra pas
revenir ici alors que je veux pouvoir faire l’amour à ma
femme dans toutes les pièces de la maison. Durant ses deux
jours de repos, nous allons faire nos retrouvailles dans tous
les sens du terme. Nous avons aménagé ensemble deux
mois après nos retrouvailles, soit après la dot, selon les
exigences de ses parents.

Nous restons donc chez ma mère toute la journée et ne nous


en allons que lorsque Moya se met au lit. Enfin, les bonnes
choses vont commencer.

Dès que nous franchissons la porte d’entrée de notre


maison, je saute sur Martine. Elle aussi n’attendait que ce
moment. Je la soulève en enroulant ses jambes autour de
moi.

— Tu m’as manqué, lui dis-je entre deux baisers.


— Toi aussi.

Je la fais coucher dans le fauteuil et en la dévorant du


regard, je me déshabille. Elle en fait de même. Voir son
corps nu me fait perdre patience. Je me baisse pour
reprendre possession de ses lèvres. Mes mains se faufilent
entre ses cuisses et mes doigts se glissent en elle. Elle se
cambre en poussant un soupir malgré nos lèvres scellées.
Elle m’incite à aller plus loin. Je ne me fais pas prier. Mes
doigts lui font l’amour avec plaisir jusqu’à sentir sa
fontaine s’activer. Elle se lâche dans un cri. Je la regarde
avec un grand sourire. Elle est tellement belle quand elle
dans cet état. Son sourire m’émerveille. Elle se lève pour
m’embrasser, mais pas assez longtemps, car elle se retourne
et s’offre à moi. Elle sait que j’adore cette position, j’adore
sentir ses fesses claquer contre moi. Elle baisse
complètement son tronc, cambre parfaitement son dos,
relevant ainsi son bassin. Je savais que cette nuit allait être
torride. Je me glisse en elle et s’en suivent des coups de
boutoirs très bruyants accompagnés de ses cris et de mes
grognements. J’enroule ma main dans ses mèches et j’y
vais avec plus d’ardeur.

— Bébé !!!
— Oui, mon amour !!!
— Je… Ah… Je… t’aime ! Oui !
— Je t’aime aussi, mon amour. Tu me fais perdre la tête.
Argh !

Elle essaie de parler, mais ses mots restent entrecoupés.


Elle m’incite à m’asseoir dans le divan et c’est à son tour
de me faire voir les étoiles. Je reste agrippé à sa poitrine
ferme pour tenir le coup. Je perds la notion du temps. Ce
n’est que lorsque je pousse le râle final que je retrouve mes
esprits. Martine s’écroule dans mes bras. Nous respirons
comme si nous venions d’échapper à une course poursuite.

— Il est clair qu’après ça, tu tomberas enceinte malgré la


pilule.
Nous avions décidé d’attendre après le mariage pour faire
notre deuxième enfant. Elle se redresse et me regarde,
amusée.

— Quoi ?
— Je suis déjà enceinte.
— Quoi ? je répète en bougeant sur place.

Ça la fait rire.

— On va avoir un deuxième bébé.


— Tu dis vrai ?
— Oui ! Je l’ai su il y a deux jours en France.

Je suis tellement fou de joie que je ne sais quoi dire. Je


l’embrasse partout sur son corps à la faire rire aux éclats.
J’ai hâte qu’on se marie pour qu’elle soit totalement à moi.

***MARTINE

J’entre aux bras de mon père à la mairie et l’émotion est à


deux doigts de me submerger. J’essaie de retenir mes
larmes pour ne pas gâcher mon maquillage. Mais me voir
dans cette magnifique robe de princesse, marchant vers cet
homme qui me regarde avec tant d’amour, de passion et
voir ma petite fille marcher devant moi en versant des
pétales de roses par terre me fait pleurer à chaudes larmes.
Au diable mon make-up ; je ne peux plus résister. Mon père
me serre fortement la main en signe de réconfort après avoir
remarqué mon état. Mes larmes redoublent en voyant
Hermann se nettoyer les yeux remplis de larmes. Nous
sommes passé par beaucoup de choses, lui et moi. Nous
nous sommes heurtés à cause de nos blessures intérieures.
Finalement, nous y sommes arrivés. Nous avons soigné nos
blessures, avons pris le dessus sur le passé et nous nous
unissons ce jour.

Je me calme quand mon père remet ma main à Hermann.

— Tu es sublime.

Son compliment me fait sourire. Il me fait un baise-main et


me conduit devant le maire. Ma sœur vient rapidement me
nettoyer le visage. Hermann et moi nous nous tenons la
main sous la table durant tout le discours de l’adjointe au
maire. Nous nous lançons des regards accompagnés de
sourires. Enfin arrive le moment le plus important. Nous
nous levons et nous nous faisons face.

— Monsieur ANEBO Hermann, souhaitez-vous prendre


pour épouse, mademoiselle ANOH Martine ici présente ?

Il me sourit grandement. J’éclate de rire devant sa mine


espiègle. Ses amis quittent l’assemblée et viennent lui
éponger le visage rien que pour faire durer le suspense.
— Tu ne dois pas répondre en transpirant.

Ils finissent de le nettoyer et s’éloignent. Quand Hermann


ouvre encore la bouche, ses amis reviennent avec la
complicité d’Alfred, son best man.

— Attends, on dirait ton nœud papillon est desserré.

Ils lui arrangent son nœud, puis son œillet et ils terminent
par sa veste. Les personnes dans la salle sont mortes de rire.
Les gars s’éloignent de nouveau et quand ils veulent revenir
pour la troisième fois, ma sœur se place devant eux comme
barrage en ouvrant ses bras. Hermann en profite pour
répondre.

— Oui, je le veux.

Ses fous d’amis sont les premiers à jubiler. L’adjointe au


maire se remet de son fou rire et se tourne vers moi.

— Mademoiselle ANOH Martine, souhaitez-vous prendre


pour époux, monsieur ANEBO Hermann, ici présent ?

Hermann ouvre le seul bouton de son costume en faisant


mine d’être stressé. Son best man le ventile avec ses mains
comme pour lui donner de la force. Hermann inspire et
expire en me regardant. Je ris aux larmes. Je n’aurais pas
trouvé meilleur mari que lui. Il est parfait, malgré ses
défauts.

— OUIIIIIIII !!! je finis par dire avec le plus grand sourire


du monde.

J’éclate de rire quand Hermann et ses amis se mettent à


sauter dans toute la salle. Sans attendre que l’adjointe au
maire termine sa phrase finale, il revient vers moi, relève
mon voile et capture mes lèvres.

— Tu es maintenant à moi, Madame ANEBO, me souffle-


t-il avant de reprendre possession de mes lèvres sous les
cris de joie de ses amis.

Et dire que j’ai failli ne jamais vivre ce moment de bonheur


à cause de mon obstination à rester accrochée à une relation
sans avenir. J’ai failli perdre ce bonheur à cause de mes
blessures que j’avais laissé prendre le dessus sur moi. J’ai
appris beaucoup dans ce parcours périlleux. J’ai appris
qu’une femme perdait beaucoup à rester dans une relation
toxique. J’ai appris que tant qu’une personne reste
accrochée à une personne ou une chose qui la fait souffrir,
elle ne pourra rencontrer ce qui fera son bonheur. J’ai appris
que notre bonheur n’était pas lié à une personne, mais
uniquement à nous-mêmes, alors si on s’éloigne d’une
personne toxique pour nous, ça ne voudra pas dire que notre
vie ne vaudra plus rien. Sachons sortir des relations qui
nous bouffent notre bonheur, quel que soit le nombre
d’années qu’on y a passé. Nous n’avons qu’une seule vie,
ne laissons personne la gâcher.

J’ai aussi compris que nous devons impérativement


chercher à guérir de nos traumatismes. Sinon il n’y aura pas
que nous qui en souffrirons. Nous ferons souffrir également
ceux qui nous entourent. Il est d’ailleurs plus important de
guérir avant de lier sa vie à celle d’une autre personne.
Nous devons aussi laisser ceux qui nous aiment nous aider
dans notre processus de guérison. Nous aurons toujours
besoin de quelqu’un à nos côtés. Nos parents, plusieurs
amis ou un seul, un psychologue, un homme de Dieu, peu
importe, laissons les bonnes personnes entrer dans nos vies
et nous donner un coup de main. Et si nous pensons qu’il
n’y a personne qui nous aime, regardons là-haut, il y a un
Dieu qui nous a créés et qui nous aimera toujours, quelles
que soient nos fautes. Si nous nous sentons seuls au monde,
fléchissons genoux et parlons à Dieu. Lui seul est mieux
placé pour nous soulager.

Nous ne pourrons bâtir convenablement notre vie si nous


ne nous débarrassons pas des blessures de nos âmes.

***FIN
Matthieu 11 v 28 - 29 : Venez à moi, vous tous qui êtes
fatigués et chargés, et je vous donnerai du repos. Prenez
mon joug sur vous et recevez mes instructions, car je suis
doux et humble de cœur ; et vous trouverez du repos pour
vos âmes.
Autres livres du même auteur :

1-Juste un peu d’amour


2-Ami-Amour
3-Lizzie, une exception
4-La vengeance est une femme
5-Mon cœur contre ma raison
6-Leela, la défigurée
7-Du contrat à l’amour
8-Un amour dangereux tome 1
9-Un amour dangereux tome 2
10-Un sacrifice très coûteux
11-Floriane, les épreuves d’une orpheline
12-TY : ce cœur à conquérir
13- L’autre lui
14-La vengeance est une femme tome 2
15-Si seulement…tome 1
16-Si seulement…tome 2
17-TY : Cet homme à tout prix
18-Plus qu’un regard
19-Murima tome 1
20-Murima tome 2
21-Dark
22-Ma plus belle MELODIE
23-Dark 2
24-Kanègnon
25-Dinguerie à MIAMI
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Mona LYS, 2022

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