Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Jolie Plume
Dirty Love 3
ISBN :978-2-37652-037-5
Titre de l'édition originale : Dirty Love 3
Tous droit rés ervés , y compris le droit de reproduction de ce livre ou de quelque citation que ce s oit s ous n'importe
quelle forme.
Cet ouvrage es t une fiction. Toute référence à des événements his toriques , des pers onnes réelles ou des lieux réels
cités n'ont d'autre exis tence que fictive. Tous les autres noms , pers onnages , lieux et événements s ont le produit de
l'imagination de l'auteur, et toute res s emblance avec des pers onnes , des événements ou des lieux exis tants ou ayant
exis té, ne peut être que fortuite.
ISBN : 978-2-37652-037-5
2017-06-06-1730
Internet : www.butterfly-editions.com
contact@butterfly-editions.com
À Arthur, À vous, chers lecteurs,
« Maintenant que je sais ce que veut dire être Anéantie, je ferai tout pour
savoir ce que veut dire se relever. » Inconnu
Prologue
Nina
Désormais, je peux crier haut et fort que je suis heureuse ! Si l’on m’avait
dit un jour que de tels mots sortiraient de ma bouche, je ne l’aurais pas cru.
L’année dernière encore, j’incarnais cette adolescente aux allures banales mais
qui, sous ces apparences, cachait de nombreux secrets. Une double identité, en
réalité… J’étais cette fille à peine majeure qui vendait son corps pour de
l’argent afin de s’assumer financièrement, et cette lycéenne rebelle qui se
pensait sans avenir. À l’heure actuelle, je ne cesse de me demander comment
tout cela se serait terminé si je n’avais pas rencontré cet inconnu à la
personnalité pour le moins trouble. Car finalement, seul lui a pu avoir cet
ascendant sur moi, et ainsi me forcer à remettre ma vie en question. Même si
aujourd’hui il ne m’est plus étranger, cet homme demeure et demeurera
toujours un mystère à mes yeux.
Théo… Quatre lettres qui ont chamboulé mon existence toute entière.
Notre relation a commencé sur des bases on ne peut plus nébuleuses étant
donné que je suis la prostituée qu’il a sortie des griffes de son proxénète, ainsi
que l’élève à laquelle son professeur a succombé… Aussi incroyable que cela
puisse paraître, ce n’est que très tard qu’il a réussi à établir le lien entre mes
deux avatars. Avant qu’il ne fasse la lumière sur mon horrible mensonge, nous
nous sommes d’abord écroulés chacun de notre côté en affrontant nos démons
respectifs. Puis, ensemble, nous avons appris à dominer notre dégoût de la vie
pour enfin parvenir à nous unir. Cependant, l’instant de répit au sein de nos
sombres existences n’aura été que de courte durée… Il a fini par découvrir la
véritable identité de Nina et Vanessa, ceci après que nous ayons fait l’amour…
Contrairement à mes habitudes, j’avais oublié de dissimuler les artifices de
mon avatar dans ma salle de bain… Malheureusement, sa prise de conscience
s’est soldée par une dispute d’une rare violence. Se sentant trahi, il m’a
repoussée, dégoûté par celle que j’étais réellement. Ce jour-là, j’ai pensé
l’avoir perdu à tout jamais…
J’ai alors essayé d’écouter ma raison en me répétant sans cesse que
l’éloignement était la meilleure chose qui puisse nous arriver. En effet, depuis
notre rencontre, nous nous approchions chaque jour un peu plus des abîmes de
la folie et l’apparition de ma voix intérieure me signifiait que mon état
psychique se détériorait encore plus qu’il ne l’était déjà. En résumé, cet homme
me détruisait… Mais c’était sans compter sur les interventions quasi-
quotidiennes du destin qui lui, ne désirait absolument pas nous voir séparés. Il
nous a permis de nous retrouver de la manière la plus insolite qui soit : sur un
plateau télévisé afin de débattre sur les contenus de nos romans respectifs. En
réalité, nous avons tous deux ressenti le besoin de mettre des mots sur notre
incroyable histoire.
« Dirty Love » puise ses origines dans toutes ses déchirures et sa
publication connaît un franc succès. Ce que j’assimilais à un pacte avec le
diable s’avère finalement être le terme de mon combat, celui me menant à ma
plus belle victoire. Aujourd’hui, je suis déterminée à profiter de chaque instant
de bonheur passé à ses côtés. Je ne veux plus remettre les œillères qui
bloquaient ma vue, celles qui nous ont conduits à tant de quiproquos. Et je
refuse que mon meilleur ami, mon ange gardien, subisse mes états d’âme
permanents. Lui-aussi a désormais une bataille à mener. Réconcilié avec Léa,
leur route reste toutefois très longue avant qu’ils ne soient totalement en
paix…
Mon ciel assombri s’est éclairci lors du bal de fin d’année donné à Paul
Eluard. Tête de Hibou et moi avons pu discuter calmement et presque plus
aucune ambiguïté ne subsiste entre nous. Puis, en réécoutant « Hero »
d’Enrique Iglésias, notre chanson, Théo et moi avons fini par réellement
comprendre… Il ne servait à rien de nier l’évidence… Contrairement à ce que
nous nous entêtions à croire, la boucle n’était pas bouclée… Le bonheur de
l’un dépendait de la présence de l’autre, il fallait que nous nous appartenions.
Contre toute attente, j’ai obtenu mon bac avec des notes nettement supérieures à
la moyenne et, avec l’aide de mon CPE, j’ai pris la décision de m’inscrire en
fac de Lettres à compter du mois de septembre. La plus grande difficulté sera
de nous cacher… Une fois de plus… Tout bien réfléchi, cela ne devrait pas
poser de soucis dans le sens où nous maîtrisons l’art de la dissimulation à la
perfection. Nous l’avons pratiqué durant dix longs mois, alors que la situation
s’approchait du chaos…
À cet instant où je le contemple, couché dans mon lit l’air plus serein que
jamais, je me dis que j’ai bien fait de me battre corps et âme pour lui. De
continuer à y croire, malgré tout… J’espère seulement que cette idylle
passionnelle que nous connaissons depuis un peu plus de deux mois va
perdurer, que nous avons réellement appris des erreurs commises par le
passé… Isolés dans notre bulle, nous avons su nous relever, réussirons-nous à
rester debout maintenant que la réalité nous rattrape ?
Que vont nous prévoir les scénaristes pour la suite ? Un « Nina et la loi de
l’emmerdement maximal, le retour », comme j’y avais déjà songé ? Ou
envisagent-ils plutôt de nous réserver une énième comédie romantique ? À
voir… L’avenir nous le dira mais pour le moment, l’essentiel est que nous
évoluions côte à côte sur le trottoir, que je ne longe plus les murs en resserrant
les pans de mon manteau contre ma poitrine. Peu importe la tournure que ces
travailleurs de l’ombre voudront donner à cette histoire, je marche la tête haute
car je suis fière du chemin que j’ai parcouru.
Mais surtout, je suis fière d’être avec LUI…
***
Théo
Nina
— Debout ma marmotte…
Je fais mine de ne pas entendre les mots qu’il prononce depuis maintenant
cinq bonnes minutes. Bien que ses paroles et ses caresses soient beaucoup plus
agréables que la sonnerie stridente du réveil, je refuse d’ouvrir les yeux. Ça
voudrait réellement dire que les vacances sont terminées et qu’aujourd’hui,
c’est la rentrée des classes. J’avoue que celle-ci ne peut se comparer à la
précédente puisque cette année, je ne suis ni défigurée par mon mac, ni obligée
de me prostituer pour gagner ma vie. Mais, je viens de passer deux mois
tellement merveilleux que j’ai peur que tout ceci n’ait été qu’un rêve, une
parenthèse idyllique au sein de nos sombres existences… Surtout que Théo et
moi allons devoir nous cacher… Encore… Même si notre relation y serait
jugée moins dérangeante maintenant que je suis majeure, le règlement de la fac
interdit strictement toute liaison entre un professeur et son élève, sous peine de
renvoi immédiat.
À cet instant pourtant, la main qui remonte tendrement le long de ma
cuisse me prouve que je me trouve bien dans le monde réel et non dans une
chimère. Ces dents qui jouent avec mon shorty en dentelle me signifient que
mon homme aux quatre lettres n’a pas quitté mon lit depuis le soir du bal de fin
d’année. Nous n’habitons pas ensemble, chacun ayant décidé de garder son
refuge pour ne pas brûler les étapes. Pour être honnête, j’ai plus l’impression
qu’il s’agit là d’un garde-fou dû à notre peur, le sentiment rassurant de
conserver une issue de secours pour deux âmes torturées que le bonheur
terrifie. Car dans la réalité, mis à part pour me rendre au restaurant dans lequel
je travaille désormais ou passer du temps avec Hugo, nous ne nous sommes
pas décollés l’un de l’autre une seule seconde.
— Ne faites pas semblant d’être sourde, mademoiselle… Vous savez
parfaitement que les professeurs voient rouge lorsque leurs étudiantes sont en
retard…
— Hum…
— Et une écolière de votre trempe ne se contente pas de répondre par
monosyllabe, continue-t-il de me menacer.
J’aime le jeu que nous avons instauré. En vue de notre reprise, nous nous
entraînons au vouvoiement depuis plusieurs semaines afin de dissimuler au
mieux notre relation. Cet exercice, qui devrait marquer une distance et donc
s’avérer pénible, prend un aspect beaucoup plus sexy et coquin grâce à Théo…
Dans sa bouche, ce simple pronom personnel me retourne les neurones et ce
matin ne constitue d’ailleurs pas une exception à la règle… Déjà affolés, mes
sens me poussent à entrer dans la partie :
— Quelles sont les sentences infligées, monsieur ?
— Soit, ils punissent sévèrement en les fessant ; soit, ils torturent
tendrement jusqu’à ce que leur prénom soit oublié…
— Ne me fouettez pas, ce n’est pas ma faute… Ce matin, je me suis
retrouvée captive d’un animal vorace…
— Vous mentez très mal, jeune demoiselle… Mais, vous avez de la
chance. Comme il s’agit de votre premier jour, je vais me montrer clément et
me contenter de vous malmener gentiment en guise d’avertissement.
Pendant notre dialogue, mon dessous a déjà disparu, puis joignant le geste
à la parole, mon amant commence à malaxer tendrement mes fesses. Au
moment où sa langue joue délicatement avec ma vulve, mon clitoris gonfle
sous ses caresses et tout mon corps se tend. Refusant de lâcher prise et de
perdre aussi facilement ma bataille face à son autorité, mes mains se crispent
sur les bords de l’oreiller tandis que mes dents s’enfoncent dans la ouate pour
m’empêcher de crier. Les règles ont quelque peu évolué, mais me contenir
pour prolonger le plaisir est devenu une véritable drogue.
— Vous avez un goût délicieux au réveil, très chère…
Nina
Bien que toujours tendue, mon souffle encore saccadé, je finis par
rejoindre mon meilleur ami en haut des marches. Comme nous étions venus
récupérer nos emplois du temps respectifs quelques jours auparavant, la
surprise est moindre face la découverte du décor. Tout me paraît gigantesque et
l’ensemble des éléments donne vraiment l’impression d’avoir atterri dans une
arène. Les immenses bâtiments dessinés en escalier définissent un arc de cercle
à l’intérieur duquel la terre battue se voit remplacée par une cour herbagée
tandis que les gladiateurs de l’époque sont aujourd’hui incarnés par une
multitude d’étudiants aux looks très différents. Moi qui aime la diversité
humaine, je vais être servie avec ces spécimens aux cheveux rouges et violets,
ces percés et tatoués évoluant aux côtés de styles que l’on pourrait qualifier de
plus conventionnels.
La légèreté de mon programme scolaire va me donner l’occasion
d’étudier avec soin ce nouveau microcosme qui n’a rien à voir avec les
stéréotypes que je pouvais rencontrer au lycée. Si j’arrive à trouver un seul
personnage préfabriqué au sein de cette fourmilière, je veux bien me faire
nonne ! Mes vingt heures de cours hebdomadaires vont également me
permettre de continuer à travailler au restaurant pour payer mes charges.
Certes, cette activité s’avère être beaucoup moins lucrative que celle de vendre
son corps, mais le regard que je porte à présent sur moi-même est totalement
différent… Si l’argent ne possède pas d’odeur, le respect de soi, quant à lui,
vaut un prix d’or… Surtout que désormais, Vanessa peut revenir à sa guise
pour s’amuser à satisfaire les désirs de son sombre amant…
Toujours accompagnée de Hugo, je me dirige vers l’amphithéâtre où se
déroule notre premier CM, abréviation qu’utilisent communément les étudiants
pour désigner les cours magistraux. Une salle devant laquelle nous arrivons
les poumons vidés de tout oxygène, puisqu’il nous a fallu monter pas moins de
quatre étages pour y parvenir. Si l’essentiel de notre programme se déroule à
ce niveau, je n’aurais certainement plus besoin de suivre les séances de zumba
auxquelles je me suis inscrite ! Mes fesses seront bien assez fermes après cet
entraînement quotidien ! Ce qui m’épargnerait la pénible tâche qui m’attend en
terme de coordination de mouvements… Plus nulle, tu meures… Sur le
moment, cet exercice me paraissait être le meilleur moyen pour éviter à mon
corps de se flétrir et ainsi rester la plus belle aux yeux de mon torturé. Tout
bien réfléchi, je commence à croire que je n’ai pas eu la meilleure des idées…
Alors que nous nous asseyons dans l’immense pièce, je me dis que là
encore, rien ne ressemble à ce que je connaissais au lycée. Nous sommes bien
cent cinquante élèves à attendre que le professeur de littérature comparée
vienne satisfaire son auditoire et les conversations cessent immédiatement à
l’instant où celui-ci entre. À peine quelques secondes plus tard, une rumeur
féminine enfle lorsque cette beauté animale vient déposer ses notes sur le
pupitre. Mon coeur tambourine dans ma poitrine, je suis hypnotisée et j’ai
l’impression que la bave s’apprête à couler du coin de mes lèvres. Vêtu d’un
jean brut qui descend bas sur ses hanches, il incarne la plus sublime des
tentations. Le blanc de son polo manches longues fait ressortir son teint hâlé
par le soleil de cet été, tandis que sa barbe naissante renforce la virilité qui
émane de lui. J’aime quand il est trop pressé pour ne pas se raser, j’adore par-
dessus tout être la cause de ce manque de temps. Le poing serré autour du
micro, il bombe le torse, puis se racle la gorge avant de lever ses magnifiques
yeux verts pour fixer l’assemblée. Cet homme ressemble à un matador que je
meure d’envie de défier.
Je fonds littéralement devant ce mâle incroyablement beau et sans que je
n’aie vu de signes avant-coureurs, je tombe amoureuse de lui… Pour la
seconde fois… Mes fantasmes reviennent au triple galop et je m’imagine déjà
lécher la totalité de son corps dès qu’il sera tout à moi… Pile à ce moment,
Hugo me tape du coude, geste qui me ramène instantanément à la réalité. Il me
sourit d’un air vicieux dont je ne comprends pas l’origine, jusqu’à ce qu’il
m’en fournisse l’explication :
— Ma puce, je crois que tu n’es pas la seule à vouloir passer sur le
bureau…
Paniquée par la dernière pique de mon meilleur ami, je jette un coup d’œil
autour de moi. Théo attaque son discours de présentation en demandant à
l’assistance de l’appeler par son prénom, ce qui a le don d’encourager toutes
les filles à se trémousser sur leurs sièges, comme si elles étaient prises d’une
subite envie d’uriner. Je saisis alors l’ampleur du réel danger qui me guette, la
signification exacte du malaise qui m’oppresse depuis ce matin. Je n’entends
brusquement plus rien, mise à part la peur qui résonne dans tout mon être suite
à l’évidence que l’on m’impose : même si nous avons quitté le lycée qui a
empoisonné le début de notre relation, même si maintenant nous sommes
ensemble, il reste le prof sexy aux allures bestiales et mystérieuses, à peine
plus âgé que ses élèves…
En clair, la bombe que n’importe quelle minette voudrait se taper…
Et s’il succombait à cette vague d’hormones en folie pour me renvoyer au
placard ? Maintenant qu’il connaît ses véritables valeurs, il peut largement
prétendre à mieux ! Après tout, qui voudrait rester avec une fille qui a baisé
pour de l’argent ?
Mon coeur s’emballe. Notre mode d’emploi ne nous explique pas
comment agir en de telles circonstances…
— Ma puce, ne panique pas... Tu vas finir par friser à force de mal penser
!
— Hugo, arrête. Ça ne me fait pas rire !
Plus aucun bruit n’est perceptible dans l’immense salle lorsque, de sa voix
rauque, notre professeur entame son sujet. En dépit de ce silence, je ne
parviens pas à me concentrer sur la teneur de ses propos. Tous mes sens sont
en alerte maximale. J’ignore encore réellement pourquoi, mais j’ai le
sentiment que mes inquiétudes sont fondées quant au sort réservé par nos
impitoyables scénaristes…
Les deux heures se terminent enfin. Alors que la plupart des étudiants
quitte la salle, un groupe de filles se dirige vers lui. Incapable d’effectuer le
moindre geste, mon corps reste immobile entre deux marches pendant que la
nausée remonte dans ma gorge. Elles sont toutes canons, grandes, brunes ou
blondes et son regard, quand il les voit s’approcher, ne trompe pas. Un mince
sourire s’étirant sur ses lèvres accompagne la lueur de ses iris qui s’assombrit
immédiatement. Une expression que je reconnaîtrais entre mille… Celle qu’il
utilisait à l’intention de Vanessa avant de la quitter alors qu’elle était au bord de
l’agonie… Partagée entre colère et inquiétude, je nage en plein brouillard,
tandis que Hugo m’entraîne de force vers la porte, plus euphorique que jamais
:
— Je sens qu’on va s’éclater cette année ! Ce cours était vraiment
passionnant !
— Oui, oui.
— Ma puce, ne me dis pas que tu rumines encore ?
Il n’y a maintenant plus aucun secret entre nous ce qui me permet de lui
parler librement, sans avoir besoin de réfléchir à la tournure de chacune de
mes phrases.
— Pas exactement… Mais je n’aime pas la réaction qu’il a eue quand ces
pétasses sont allées le voir.
— Incroyable ! La voilà qui recommence ! proclame-t-il d’un air
désespéré, en levant les yeux au ciel. Je ne vois vraiment pas ce qui te pose
problème.
— Tu es sérieux ou tu te fous de moi ? À l’époque, avant que tout cela
n’arrive, ne m’avais-tu pas prédit que je passerais sur le bureau ?
— Ton état devient critique, ma chère ! Ne cherche pas des signes là où il
n’y en a pas !
Alors qu’il se moque de moi, j’essaie de le prendre à son propre piège :
—Tu n’as pas peur que Léa tombe amoureuse de quelqu’un d’autre ?
— Quel rapport ? Pourquoi me demandes-tu ça ?
— Tout à l’heure, lorsque j’ai vu les chattes en chaleur baver sur Théo,
j’ai également pensé à vous. Et si elle s’amourachait d’un nouvel élève
maintenant que tu ne fais plus partie du décor ?
— Ma puce, arrête de toujours imaginer le pire ! Bien sûr que le risque
existe, mais il en va de même pour chaque couple. Si tout le monde réagissait
comme toi, il n’y aurait plus aucune relation et la planète serait dépeuplée. Il
faut vraiment que tu apprennes à avoir confiance en vous… En toi, surtout…
— Je sais, soupiré-je. Mais, c’est dur… Nous revenons de tellement loin,
tout reste encore si fragile…
— Justement, vous tirez votre force des épreuves que vous avez
traversées. Au moins, après une tempête, vous savez que vous pouvez résister
et vous relever. Contrairement à vous, ceux n’ayant jamais rencontré de soucis
seront beaucoup plus susceptibles de s’écrouler à la moindre difficulté.
— Tu as sans doute raison, passons à autre chose…
— Enfin de bonnes paroles ! Je m’excuse, je dois me sauver. Je ne veux
pas arriver en retard à mon UE d’informatique. Quant à toi, va faire transpirer
ton corps à la place de tes neurones !
— Très drôle !
— On se rejoint à la cafet’ pour manger ?
— Ok, à toute !
Théo
Nina
Avant d’entrer dans la cabine, je jette un œil à mon reflet dans le miroir,
accueillant avec joie les stigmates de notre partie coquine. La fille que je vois,
a meilleure mine et elle se place sous le jet, les joues cramoisies, couleur
propre à la luxure. Quand je me savonne, mes mains glissant sur ma peau
attisent à nouveau le feu. Si j’osais ? L’interdit rend l’idée bien plus tentante…
Un sourire naît sur mes lèvres au moment où je place le pommeau entre mes
jambes. Mes muscles se contractent aussitôt et je dois me retenir de ne pas crier
lorsque le filet d’eau entre en contact avec ma chair.
Oh, je constate que les choses ont bien changé… Notre Nina ne respecte
plus les ordres dictés par son sombre amant ?
Cette remarque me coupe toute envie. Fait chier ! Je vais être une vraie
pile électrique ! J’achève alors d’éliminer le reste de savon, sors de la douche,
puis termine de me préparer, tout en calmant ma respiration encore saccadée.
Lorsque je m’apprête à partir, Théo demeure toujours étendu sur le lit, nu, le
sexe dressé.
— J’espère que tu as été sage, petite, me demande-t-il, l’air plus coquin
que jamais.
— Bien sûr !
— Tu es une gentille fille… Si tu avais fauté, crois-moi, tu l’aurais payé…
Putain, j’ai chaud… Il faut rapidement que je mette un terme à ce jeu ou je
ne partirai jamais.
— Et toi ? Que comptes-tu faire pendant mon absence ?
— Réfléchir à cette première journée et penser à toi, me répond-il en me
désignant son membre qui n’a pas dégonflé.
Ça me perturbe, je dois éclaircir ce point avant de déserter :
— Théo, je ne comprends pas pourquoi tu… tu n’as pas terminé. Cette
méthode ne te ressemble pas.
— En réalité, je voulais éprouver ce que tu subis.
Immédiatement, les alertes s’allument dans ma tête. Je me remémore son
passé, lorsque pour lui-aussi, ressentir la douleur était libérateur…
Continue à creuser.
— Alors ? le défié-je, en redressant le menton.
— Tout simplement, horrible… Tu n’es pas partie que j’ai déjà hâte de te
retrouver…
Il me sourit d’un air entendu, ce qui estompe quelque peu mes doutes. Mes
lèvres embrassent une dernière fois les siennes, puis je ferme la porte pour me
rendre au travail, situé à quinze minutes à pieds. Je marche les mains bien
enfoncées dans mes poches, tant le froid est glacial. Si les suites du passage de
mon permis se poursuivent sur les bases actuelles, je risque de me geler
encore pendant pas mal de temps. J’ai obtenu mon code, seulement
l’apprentissage de la conduite s’avère… périlleux. Mon moniteur m’a bien fait
comprendre que des heures supplémentaires seraient nécessaires…
La survie des autres automobilistes en dépend… Avouons que tu n’es
vraiment pas douée…
Je souffle d’agacement face à la moquerie de Conscience puis, les orteils
congelés, j’arrive enfin à destination. Il s’agit d’un restaurant traditionnel, à la
devanture minimaliste, puisqu’accolée et étriquée entre deux immeubles. Vu de
l’extérieur, ça ne paie pas de mine mais, une fois que l’on y rentre, l’espace et
la décoration nous font immédiatement oublier nos premières impressions. Je
pousse la porte en bois puis me dirige vers les vestiaires. Mes chaussures
claquent sur le parquet brillant, tandis que mes yeux passent au crible le bar qui
sépare les deux salles toutes en longueur. Ok, chaque objet a été remis à sa
place en vue d’accueillir nos premiers convives. Dans le vestiaire, je revêts
mécaniquement ma tenue de travail. En enfilant mes bas ainsi que ma jupe
noire plutôt moulante, je me dis que cet uniforme pourrait étrangement
rappeler celui que je portais dans mon ancienne profession.
D’ailleurs, si désormais j’utilise mon corps autrement, la finalité en reste
la même. Je dois me forcer à me montrer agréable envers des clients qui ne le
sont absolument pas et continuer à sourire quand je n’en ai pas envie, afin
d’obtenir un pourboire plus conséquent. L’échelle est moindre mais, si l’on y
réfléchit bien, j’utilise encore mes courbes pour arrondir mes fins de mois…
Sauf que mon chemisier blanc, avec une tête de sanglier dessinée dessus, me
rend tout de suite beaucoup moins sexy !
Une fois changée, tout s’enchaîne très rapidement. J’allume la chaîne hifi
sur une station qui diffuse essentiellement des chansons des années 80’- la
préférée de mon patron-, prépare quelques coupelles apéritives, fais le réassort
des frigos qui ont été pillés lors du service de midi puis, lorsque je traverse la
cuisine, je m’octroie quelques minutes de pause pour prendre des nouvelles de
mes deux collègues :
— Salut, les gars ! Alors, comment ça va ce soir ?
— Crevés, on n’a pas arrêté ! Cent couverts midi et soir ! Il nous faudrait
bien une petite pipe pour nous détendre un peu !
Au début, j’ai vraiment flippé en pensant que, par je ne sais quel biais, ils
avaient eu vent du métier que j’exerçais auparavant. Puis, après avoir tâté le
terrain de la manière la plus subtile dont je sois capable, j’ai compris que ce
genre de blague revisité à toutes les sauces était leur manière de décompresser.
Si cet humour outre certaines de mes collègues, ça n’est nullement mon cas.
Désormais, il m’en faut bien plus pour me choquer… Au fil du temps, j’ai
donc appris à rentrer dans leur jeu :
— Désolée, messieurs, toutes les places sont prises pour aujourd’hui !
— Tu pourrais faire un effort !
— On verra demain ! Pour le moment, j’y retourne, Rosa ne va pas tarder
à arriver.
Je sors en riant lorsque justement, cette dernière entre. Il s’agit de la
nouvelle adjointe de mon patron qui, suite à l’explosion soudaine de la
fréquentation du restaurant, a dû embaucher un second pour se préserver un
semblant de vie de famille. Cette femme, que je connais depuis peu, m’étonne à
chaque fois que je la vois. D’une sagesse incroyable, son splendide sourire ne
la quitte jamais et elle sait toujours employer les mots justes en fonction de la
situation. Je l’ai rencontrée lors de la signature de mon contrat et elle m’a tout
de suite impressionnée, voire intriguée. Grande, de magnifiques cheveux noirs
et un regard d’un bleu très prononcé, elle reste fine, élancée et très énergique
en dépit de son apparente cinquantaine. Des yeux dans lesquels demeure
toutefois une tristesse dont je ne parviens pas à expliquer l’origine. Pourtant, je
suis certaine d’avoir déjà croisé cette lueur quelque part… Sitôt sa doudoune
accrochée au porte-manteau, nous échangeons rapidement sur les événements
de la semaine. Rien ne diffère des précédentes, le constat reste identique : il y a
chaque jour de plus en plus de travail.
L’équipe au complet, le service commence. Il passe à une vitesse
incroyable, je n’ai pas l’occasion de penser à quoi que ce soit d’autre, tant les
clients sont exigeants. Un bien puisque cela m’évite de focaliser sur les
frottements du tissu de ma jupe le long de mes jambes… Les derniers
consommateurs partis, comme le veut la coutume, nous nous réunissons autour
de l’« As », la table numéro une, pour prendre un verre, tous ensemble. Doug,
mon patron, est certes près de ses sous, mais il ne rechigne jamais à offrir ce
petit plaisir à ses employés. Nous parlons de tout et de rien, puis, après avoir
achevé mon jus de raisin, Jean-Marc, un des cuisiniers, me dépose devant chez
Théo.
— Merci, Jean. Essaie de te reposer un peu. On se dit à mercredi ?
— Pas de soucis !
Théo
Je la laisse me toucher pour lui signifier que, dans cette cabine, j’exige
qu’elle soit Nina. Ses va-et-vient sur mon membre s’accélèrent et ma
respiration se cale sur le rythme qu’elle impose. La sensation est tout
simplement exquise, si bien que je penche la tête en arrière pour apprécier
davantage l’excitation qui grandit en moi. Ma queue ne cesse de gonfler entre
ses mains habiles et je prends vraiment le temps de profiter du plaisir que me
procure sa masturbation. Puis, désireux de la satisfaire tout autant, j’attrape
fébrilement le pommeau de douche que je positionne entre ses cuisses. Le
soupir de soulagement qu’elle pousse m’électrise, ses muscles tendus me
subjuguent, jamais je ne pourrai me lasser de l’image que sa béatitude me
renvoie.
— Prends-moi, Théo, m’intime-t-elle, la respiration erratique.
Cette fois, je ne la fais pas languir ; cette fois, je ne joue pas. Ma trique
n’ayant pas débandé de la soirée, je suis, moi-aussi, au comble de la
frustration. Les punitions que je lui inflige sont tout bonnement horribles…
Nos préliminaires cessent ainsi rapidement. Mon accessoire retrouve sa place
sur son crochet et Nina la sienne. À savoir, le dos plaqué contre le carrelage
mural, ses bras autour de mon cou, ses jambes encerclant mon bassin. Alors
que l’eau ruisselle sur nos corps, je m’enfonce tendrement en elle. La
connexion s’approche de la perfection et le cri que nous poussons
simultanément le prouve. Sans bouger, nos souffles rapides se mêlant, nous
restons quelques secondes dans cette position, front contre front, les yeux
fermés, comme pour profiter pleinement de cette impression inouïe de ne faire
qu’un. À cet instant, nous ne souhaitons être nulle part ailleurs. Ses chairs se
resserrent davantage autour de ma hampe, sonnant ainsi la reprise de mes
assauts. Je les veux tendres, mais lorsque ses mains tirent plus fort sur mes
cheveux, je comprends que cela ne lui suffit plus. Ses paumes descendent sur
mes épaules, ses ongles terminant par griffer mon dos dès que mes coups de
reins deviennent plus intenses. J’empoigne fermement ses fesses afin de la
pénétrer plus profondément encore. Les râles qu’elle tente d’étouffer dans le
creux de mon cou me mettent sens dessus-dessous, les prémices de l’extase se
faufilant toujours plus bas dans mon ventre… Je ne tiendrai plus très
longtemps… Ça aussi, je l’ai découvert. Quand des sentiments sincères s’y
mêlent, le sexe devient fascinant, transcendant.
— Rejoins-moi…, la supplié-je à mon tour.
Son corps entier répond à mon injonction. Il se raidit, ses dents mordent la
peau ultra-sensible de mon cou avant que son orgasme n’explose. Afin de
prolonger les vagues de son plaisir, je me retiens, ralentis mes mouvements et,
alors qu’elle tremble dans mes bras, je l’étreins plus fort contre mon torse.
Je ne veux pas rompre notre contact aussi rapidement, si je le pouvais, je
resterais en elle pour l’éternité. À elle seule, cette immersion me donne
l’impression d’exister… Pour de vrai… Ses lèvres glissent tendrement sur
poitrine et il n’en faut pas plus pour me perdre. Un baiser… un simple baiser
déposé sur l’ange m’entraîne vers une jouissance libératrice. Cette fille peut
obtenir de ma part ce que bon lui semble… Un jour, elle aura raison de moi,
j’en ai la certitude… Encore essoufflés, je la dépose au sol avec regret pour
l’inviter à sortir en lui prenant la main. Désormais, je dois vérifier que ma
stratégie a payé. À l’image de la nuit de notre réconciliation, je nous place
volontairement face au miroir :
— As-tu compris ?
— Euh…, je crois que oui, hésite-t-elle, les joues rouges.
— Tu crois ? Alors, je te le répète. Jamais, je ne te quitterai. Tu fais partie
de ma vie depuis le premier jour où nous nous sommes rencontrés et tu y
resteras jusqu’au dernier. Mets-toi bien dans la tête que je t’aime.
Elle tente de me répondre, mais ses paroles restent bloquées dans sa gorge
et, de gêne, elle détourne son regard en le baissant vers le sol. Je sais qu’elle
ressent des sentiments identiques aux miens, elle me le prouve au quotidien,
toutefois, il lui est impossible de les exprimer à haute voix. J’ignore d’où lui
vient cette peur de formuler ses émotions les plus profondes ; par contre, je
m’efforce de le respecter, cette attitude étant probablement liée à son passif. Je
m’accroche aux mots prononcés dans sa chambre le soir du bal de fin d’année.
Le moment magique où son « je t’aime » a filtré les barrières que lui imposent
son coeur. L’unique confession de son amour pour moi dont je parviens à me
contenter puisqu’elle a sonné comme le plus beau des poèmes.
— Je… Oui… Pareil, finit-elle par lâcher en redressant la tête.
Je lui souris à travers notre reflet tandis qu’elle peine à étouffer un
bâillement.
— Allez, viens petite. Je ne voudrais pas que tu te décroches la mâchoire,
me moqué-je, avant de l’entraîner dans ma chambre.
Nous nous glissons nus sous la couette dans notre position
d’endormissement ; elle, sur la tranche ; moi, l’étreignant aussi fort que je le
peux. Finalement, la routine qui s’est déjà installée a du bon. Elle s’avère
agréable, rassurante.
Théo
Sur le ventre, ma tête enfoncée dans l’oreiller, je songe avec plaisir qu’il
ne me reste plus qu’une journée à affronter avant le week-end ! Enfin !
Tu sembles oublier ce qui t’attend demain soir…
Putain… Le dîner chez les parents de Théo… Suite à l’issue désastreuse de
mon unique entrevue avec Monsieur et Madame Parfait, je suis loin d’être
pressée de les revoir… Jusque-là, j’étais parvenue à échapper à leurs
différentes invitations sauf que cette fois, Théo a su trouver les armes pour me
faire céder…
Comme la chair est faible…
En toute honnêteté, j’ignorais qu’une défaite puisse prendre une tournure
aussi jouissive… Bizarrement, j’ai vraiment accepté sa victoire écrasante avec
le sourire…
Il est quatorze heures et nous nous asseyons dans une salle beaucoup plus
petite que les amphis dans lesquels nous avons eu cours toute la semaine.
Celle-ci ne peut accueillir qu’une trentaine de personnes et cette fois, j’ai
vraiment l’impression de me retrouver au lycée. Les mêmes tables, les mêmes
chaises, une odeur de craie identique et …
Non !
Ce dos, ces fesses… Ces yeux…
Putain de bordel de merde !
8. Inquiétude
Nina
Après avoir chargé la voiture de Hugo, nous rentrons tous ensemble chez
Claude et buvons tranquillement un café lorsque Théo frappe à la porte. Un
Théo à la mine déconfite, tenant un bouquet de fleurs aux tiges cassées entre
les mains. Incapable d’entrevoir la beauté de son geste, je me fige
instantanément, atrocement embarrassée. Pour la première fois, notre couple
me fait honte… Afin de rompre le malaise, Hugo prend les devants en
introduisant le nouvel invité :
— Voici le… petit ami de Nina…
— Bon… bonjour, madame Sanchez. Je… Ravi de vous rencontrer.
Je me souviens qu’à cet instant, je me comparais à une ado, effrayée par
l’opinion de ses parents au sujet de son amoureux. Sauf qu’il ne s’agissait pas
d’une présentation traditionnelle où l’on essayait de juger le prétendant selon
ses projets d’avenir ou encore son milieu social. Mais sur les manières dont il
utilisait sa fille pour éloigner ses propres vices… Je crois que jamais je
n’avais connu de situation plus gênante que celle-ci… Avant que ma mère
n’enchaîne, bien évidemment !
— C’est donc vous ?
Les épaules de mon torturé, assis à mes côtés sur le canapé, se
recroquevillent aussitôt, son teint s’empourprant davantage.
— Enchanté, madame. J’aime beaucoup la décoration de votre maison.
Mon Dieu, mon asocial de base jouant au gendre idéal… Mémorable !
— Elle ne m’appartient pas.
— Je… Oui… Pardon, je n’y pensais plus. Comment vous sentez-vous ?
— Comme quelqu’un qui sort d’un hôpital psychiatrique après y avoir
passé pratiquement une année complète…
Sa main moite presse la mienne de plus en plus fort… Dans un état
identique au sien, je me dois toutefois de réagir avant qu’il ne fasse une
syncope :
— Maman, s’il te plaît…
J’admets qu’elle ait des doutes à son sujet, pourtant rien ne l’oblige à
autant de froideur ! Hugo, qui jusqu’alors, a assisté à cette joute en silence, ne
peut s’empêcher d’enchérir, avec un sourire moqueur à peine dissimulé :
— Madame Sanchez, notre Théo joue au dur comme ça, mais il faut
ménager son cœur si fragile…
Le rire nerveux s’échappant de ma bouche interrompt la suite de sa phrase.
Seulement, l’œil noir jeté dans la foulée par le dindon de la farce me le fait
instantanément ravaler… À cette minute précise, je sais déjà que cet affront me
coûtera très cher…
— Ok… Je suis allée trop loin. Pour être honnête avec vous, jeune
homme, j’ai appris à vous connaître à travers un livre et j’avoue que mes
impressions à votre sujet sont plutôt… comment dire ? Mitigées…
Je n’aurais pas exactement choisi ce terme-là…
— Cependant, étant bien placée pour comprendre que chacun mérite le
bénéfice du doute, je vous souhaite la bienvenue au sein de notre drôle de
famille. J’espère que vous saurez rendre ma fille heureuse.
— Je mettrai tout en œuvre pour la satisfaire…
Suite à cette réplique, tout le monde se tait. Si des centaines d’images me
traversent l’esprit quant à la manière dont il me satisfait chaque jour, je pense
qu’il en va de même dans celui des autres…
Notre beau mâle devrait faire attention à son vocabulaire…
Conscient de ma gêne grandissante, Hugo, se mordant le coin des lèvres
pour ne pas exploser, vole à mon secours en orientant la conversation vers des
sujets moins tendancieux… Ainsi, le reste de l’après-midi se déroule dans une
ambiance beaucoup plus légère.
Une fois sortis, Théo n’emprunte pas la route habituelle pour nous
conduire chez lui. Au fil des kilomètres, mon ventre se tord, le décor
m’apparaissant de plus en plus familier… L’hôtel… Celui de notre rencontre…
La chambre ayant abrité nos premiers ébats… Théo le Sombre revient sur le
devant de la scène afin de me punir pour mon insolence :
— Je vais t’apprendre qu’il ne faut pas se moquer de moi, petite…
Par cette simple phrase, il m’intime l’ordre d’incarner Vanessa…
— Ne m’en veux pas…
— Tais-toi !
Tandis que mon ténébreux matador me tourne autour, je tremble… Nous
rentrons à peine de vacances et durant notre exil, seule Nina ou encore Vanina
ont fait leur apparition. Notre retour en ces lieux me réjouit autant qu’il
m’effraie. L’angoisse monte, il est hors de question que nos démons ne nous
hantent à nouveau…
— Pour toi, j’ai mis ma fierté de côté…
Il se tient derrière moi, tirant sur ma queue de cheval pour me forcer à
pencher la tête en arrière. Son autre main me bloque la mâchoire pendant qu’il
continue à me menacer tout en me murmurant au creux de l’oreille :
— Tu préfères rire aux railleries de ton ami, plutôt que de me soutenir ?
Comprends que je ne peux pas admettre cela, Vanessa…
Son timbre grave ainsi que son souffle chaud descendant dans mon cou
ont raison de mes craintes… Sentir son érection prendre de l’ampleur contre
mes fesses m’exalte, je suis prête à ce qu’il me sanctionne… Négligeant
quelques instants les règles qu’exige mon rôle, la bosse située à son
entrejambe ne cessant de me narguer, mes doigts viennent la caresser.
— Ne me touche pas !
S’éloignant brièvement pour se repositionner face à moi, il me débarrasse
rapidement de mon débardeur afin de s’en servir pour lier mes poignets
derrière mon dos. Ses prunelles brillent d’une intensité sans pareille, une lueur
s’apparentant à celle des ténèbres… Lentement, il se charge ensuite d’ôter le
reste de mes vêtements avant d’en faire de même avec les siens.
— À genoux.
Je m’exécute pendant qu’il me détache les cheveux.
— Suce-moi, m’ordonne-t-il en approchant son membre de mon visage
tout en se campant fermement sur ses jambes.
Privée de l’usage de mes mains, seule ma bouche a la capacité de le
satisfaire. Joueuse, la pointe de ma langue commence par lécher
langoureusement son gland puis, gourmandes, mes lèvres englobent son
membre gorgé de sang. Plus je l’aspire, plus ses ongles s’ancrent dans mes
épaules. Ses râles m’excitent, mon sexe est déjà trempé, apte à le recevoir. Ses
coups de bassin m’incitent à le prendre avec plus de profondeur, à le sucer
frénétiquement jusqu’à ce qu’une goutte de son plaisir se dépose sur mes
papilles.
— Prometteuse… Mais le moment n’est pas encore venu…
Après s’être dégagé, il se poste derrière moi en me forçant à me pencher.
— Regarde comme tu es belle, petite insolente…
Je ne peux le voir, ce qui rend mon envie de le sentir bien plus pressante.
L’électricité qui émane de lui pénètre dans chacune de mes fibres et plus ses
paumes malaxent ma croupe, plus mon désir enfle. Putain, je le veux tellement
! Tout à coup, ses doigts dévient, s’insinuant dans ma fente pour y entamer de
délicieux va-et-vient… Je lutte pour ne pas gémir et, à force de me contenir,
des perles de sueur apparaissent le long de ma colonne vertébrale…
— À mon tour de te défier…
Son majeur glissant à l’orée de mes fesses illustre on ne peut mieux ses
propos… Douce promesse… Ses caresses s’accentuent afin de me préparer à
cette immersion dans mon intimité la plus secrète jusqu’à ce qu’il s’y enfonce
brusquement, m’arrachant un cri issu d’un mélange de douleur et d’extase. Je
suis tellement serrée que jamais je n’ai eu autant le sentiment de ne faire qu’un
avec lui…
— Aucune douceur pour toi ce soir, Vanessa…
Effectivement, son bassin claque frénétiquement contre ma peau pendant
qu’il me griffe violemment le dos. Mon corps entier me lance, décuplant ainsi
mon plaisir. Ses assauts deviennent secs, m’indiquant l’imminence de sa
jouissance et pour m’interdire de me perdre à mon tour, je me mords les
lèvres jusqu’à ce qu’elles en saignent…
— Ne te contracte pas comme ça… Je vais… Aahh !
Son orgasme explose avant qu’il ne puisse achever sa phrase, son abandon
entraînant le mien, sans que je ne parvienne à le contrôler…
— Tu n’as pas respecté les règles…
Trop épuisée pour répondre, je m’allonge à même le sol et contre toute
attente, il m’y rejoint afin de m’enlacer tendrement.
— Je te le ferai payer plus tard, petite… Tu n’es plus apte à supporter une
nouvelle punition…
Deux jours après, je portais toujours les stigmates de sa vengeance… Je
ne m’étais suis pas rendue compte qu’il y avait mis autant de force, cela
m’inquiétait… Je n’arrivais pas à m’ôter de la tête que Vanessa lui manquait,
que le jeu auquel nous jouions ne lui suffisait pas… Il aimait la baise dure, la
vraie… Pas celle que nous nous inventions…
Ce retour dans le passé a duré plus de temps que je ne le croyais.
Malheureusement, il me laisse dans le même état d’incertitude qu’à l’époque, si
bien que je n’entends pas Théo rentrer, jusqu’à ce qu’il m’interpelle :
— Nina ?
— Ah ! Salut !
— À quoi pensais-tu encore ? m’interroge-t-il sur un ton de reproche.
Dis-le-lui !
J’aimerais bien mais les traits de son visage, plus tendus qu’à
l’accoutumée, m’en empêchent…
— Rien d’important, je t’assure. J’appréhende seulement le dîner de
demain. Et toi ? Tu n’as pas l’air en forme, non plus…
— Oh, juste le contrecoup de la rentrée… Je dois m’habituer au
changement de rythme. Quant à toi, n’aie aucune crainte par rapport à mes
parents. Ils ont évolué, je t’assure. De toute façon, ça ne peut être pire que
l’accueil réservé par ta mère…
— Pas faux, rétorqué-je en me retenant de rire.
— Alors, cette tenue pour demain ?
— Je ne l’ai pas trouvée… Je verrai plus tard.
— Ok…
— Que veux-tu faire ce soir ? enchaîné-je pour rapidement détourner la
conversation.
— Rien… Mis à part profiter de toi…
Manquant tous les deux d’entrain, nous commandons des pizzas puis, une
fois notre repas terminé, nous nous lovons sur le canapé pour végéter devant
la télévision. Nous nous contentons de nous câliner sans que le sexe ne s’invite
dans la partie… En plus, en dépit de ces gestes d’affection, j’ai l’impression
que pour lui comme pour moi, le cœur n’y est pas… Étrange… Voire
inquiétant…
9. Traquenard
Nina. Samedi.
Hier soir, je n’ai pas osé avouer à Théo les raisons pour lesquelles je
n’avais pas choisi mes vêtements pour le dîner. En fait, l’inquiétude me
rongeait, mais le courage d’affronter ma garde-robe me manquait également.
Je me trouvais face à ma penderie lorsque la vue des affaires de Vanessa m’a
empêchée de continuer mes investigations.
J’ai ressenti un énorme pincement au cœur, comme si une main invisible
le comprimait entre ses doigts… Une sensation non éprouvée depuis
longtemps… Aujourd’hui, l’envie n’est pas plus revenue, sauf que cette fois, il
ne me reste plus d’autre option puisque je revois Monsieur et Madame Parfait
d’ici trois heures à peine. J’ouvre alors les battants de mon armoire et panique
à nouveau au moment où mes yeux se posent sur les tenues de mon avatar.
Pourquoi réagis-tu de cette manière ? Cette histoire appartient au passé.
Jamais plus tu ne retourneras sur le trottoir. Maintenant, ton entourage sait,
personne ne te laissera sombrer.
Une partie de moi refusant toujours de les porter en public, j’essaie en
priorité les fripes de Nina qui, comme je m’en doutais, ne conviennent
absolument pas, car trop simples pour des gens de leur rang. Après de longues
inspirations pour me ressaisir et me motiver, après avoir passé en revue la
quasi-totalité de mon dressing, mon choix se porte finalement sur une robe,
très peu mise, appartenant à Vanessa. Noire, elle épouse parfaitement les
courbes de mon corps. Les bretelles en sont fines, le tissu arrive à mi-cuisse,
une légère fente étant dessinée sur la jambe gauche. Bien que trop dévêtue à
mon goût, Théo me rassure sur le fait qu’elle soit adaptée pour l’occasion, tout
en restant sexy.
Tu vois, seul ton mauvais jugement te trompe.
Une fois habillée, lorsque j’enfile mes escarpins vernis à petits talons, je
ressemble à une boule de nerfs ambulante. S’en apercevant, mon homme aux
quatre lettres interrompt mon geste et m’oblige à m’asseoir sur le canapé :
— Théo, nous allons être en retard…
— Ne t’inquiète pas, je gère… J’ai seulement envie de te détendre un
peu…
Il me bande les yeux, me plaque contre le dossier, fait glisser mon triangle
de soie le long de mes cuisses, avant de remonter mes pieds au niveau de
l’assise pour m’écarter les genoux.
— Qu’est-ce que… ?
— Chut… Nous allons légèrement pimenter cette soirée…
Aussitôt, sa bouche plonge voracement sur mon intimité… Mon Dieu, à
chaque fois qu’il me possède de cette manière, je me perds… Mes muscles se
délient dans un profond soupir tandis que mon corps se cambre davantage afin
de lui offrir un meilleur accès. Contre toute attente, même si je suis loin de
l’orgasme, il stoppe les assauts de sa langue.
— Continue !
— Non…
Je l’entends farfouiller dans la poche de son pantalon de costume puis,
sans crier gare, il introduit quelque chose en moi… De surprise, je me
redresse d’un coup sec et pour seule explication, il me libère la vue.
Ah, non ! Hors de question !
— Tu ne vas pas me forcer à… à… avoir ça lors d’un tête-à-tête avec tes
parents ?
Je n’arrive absolument pas à qualifier ce truc !
— Appelons un chat un chat, petite. Ceci est un œuf vibrant… Histoire que
tu ne m’oublies pas ce soir…
— Non, tu ne peux pas me demander une chose pareille. De toute façon, tu
as promis de ne pas me quitter d’une semelle !
— Ce qui sera effectivement le cas, fais-moi confiance… Mais autant nous
amuser un petit peu…
Accompagné d’un sourire coquin, il agite la télécommande et se charge
de mettre l’accessoire en route. Putain… Wahou… L’effet des fourmillements
reste malheureusement inqualifiable… Rouge écarlate, je me relève, lisse ma
robe et remets de l’ordre dans mes cheveux ébouriffés. Mes escarpins enfin
chaussés, nous quittons l’appartement, main dans la main. En nous dirigeant
vers la voiture, je refuse de me focaliser sur l’objet de mes tourments qui
m’empêche de marcher correctement… Pour le moment, je vide mon esprit et
me concentre à fond sur la soirée qui m’attend…
Théo
Nina
Lorsque je me réveille le dimanche matin, Théo est déjà sorti de notre lit.
Perturbée par son absence, je le rejoins immédiatement dans le salon. Il
prépare ses cours, la mine sombre. Encore déstabilisée par le déroulement de
cette « soirée-traquenard », je ne cherche pas sa présence et me concentre sur
les tâches ménagères que je n’avais pas pris le temps d’accomplir. Quant à lui,
contrairement à ses habitudes, mon homme aux quatre lettres ne se lève pas
pour venir traîner dans mes jambes en quête du moindre signe d’affection.
L’ambiance m’effraie, ma sale impression que nous nous évitons subsiste…
— Tu sais, je crois que je n’ai pas très envie d’assister à la compétition de
Hugo, m’interrompt-il, pendant que je termine d’étendre ma lessive.
Quelque chose cloche…
— Pour être honnête, moi non plus…
Nous nous sourions timidement avant que je ne me charge de l’annulation
en laissant un message sur le répondeur de mon meilleur ami. En réalité, je
ressens la nécessité de m’isoler dans notre bulle, j’aspire à ce que nous nous
retrouvions afin d’être plus forts face au quotidien qui nous submerge… Son
manque de motivation à sortir provient-il également de ce besoin ?
Nina, interroge-le. La situation s’envenime chaque jour un peu plus…
Certainement pas ! Si c’est pour m’entendre dire que je m’invente des
films, autant économiser ma salive ! De toute façon, il s’agit très certainement
d’un temps d’adaptation ! Alors, pas de quoi en faire toute une montagne !
Donc si je comprends bien, tu vas aussi te taire à propos de Zack ?
Évidemment ! Hors de question que j’évoque ce sujet ! Mis à part un bref
contact l’année dernière, un clin d’œil qui était probablement dû à un morceau
de poussière, rien ne vaut la peine d’être déclaré ! Ma décision prend tout son
sens lorsque je vois maintenant Théo s’approcher de moi, un sourire enjôleur
sur les lèvres. Il m’invite à m’installer sur le canapé, puis pose un plaid sur nos
deux corps enchevêtrés. Trop occupés à nous câliner devant diverses séries,
nous ne bougeons plus de l’après-midi et le soir venu, même si le sexe reste
inexistant, j’ai enfin le sentiment que nous sommes redevenus nous.
Le lendemain matin, fidèle à notre rituel du lundi, Hugo vient me chercher
à la maison.
— Prête pour cette nouvelle semaine ? m’interroge-t-il, alors que je lui
tends sa tasse de café.
— Dans l’absolu, oui…
Théo étant dans les parages, mon meilleur ami agit comme si ma réponse
était normale, mais je me doute pertinemment qu’elle ne le satisfait pas. Dès
que nous aurons refermé la porte de mon hall, il relancera le sujet, j’en suis
certaine ! En retard, je les laisse discuter pendant que je fonce dans la salle de
bain pour terminer de me maquiller. Lorsque je réapparais dans le salon, ils
sont en train de reparler de nos futures vacances en République Dominicaine.
— Ça va être l’éclate totale ! J’ai tellement hâte, s’extasie Hugo.
— On se rejoint chez toi après le resto ? lancé-je à Théo pour rapidement
abréger cette démonstration de joie.
— Ok. Il me tarde déjà, me répond-il en plongeant son visage dans mon
cou pour respirer mon odeur.
Je le sens aussi fébrile que moi… Nous sommes probablement tous les
deux effrayés à l’idée de briser ce qui a été réparé hier…
— Bon les amoureux, vous n’allez quand même pas vous sauter dessus en
ma présence ?
J’aime profondément mon ange gardien, mais parfois… Il m’use ! À
regret, je m’éloigne de Théo et comme je l’ai prédit, Hugo attaque d’emblée,
dès que nous atteignons le trottoir :
— Ma puce, je te connais par cœur, crache le morceau.
— Le dîner… Une véritable catastrophe…
— Qu’ont-ils encore inventé ?
— Pour te résumer, ce qui devait être un repas intime a muté en une
réception bon chic, bon genre. J’avais vraiment le sentiment d’être un animal
de foire ! Sans compter que sa mère ne peut pas me voir…
— Je suis certain que tu assombris le tableau.
— Bordel ! Arrêtez tous de me dire que je me fais des films ! Hugo, j’ai
surpris une conversation dans laquelle elle énonçait clairement que je ne
méritais pas son fils. Cette fois, les éléments sont concrets.
— Ah, oui, effectivement !
— Attends, la suite ! Cette garce a osé convier l’ex de Théo à sa petite
sauterie !
— La morte ?
— Pas elle, évidemment ! Je te parle de celle qu’ils voulaient lui imposer
!
— Ah, ok, ne m’engueule pas ! Parfois, tu es difficile à suivre ! Et Théo
dans tout ça ? De quelle manière a-t-il réagi ?
— Alors qu’il m’avait promis de ne pas m’abandonner, je me suis
retrouvée seule…
— Ma pauvre bichette…
— Ne te moque pas ! Après, ayant lui-aussi entendu les propos de sa mère,
il a pris ma défense.
— Donc, où se situe ton problème ? me demande-t-il en me regardant
comme la dernière des cruches.
— Hugo, tu te rends compte ? Ça m’arrache la bouche de prononcer ces
mots, mais la sorcière dit vrai ! Je ne suis qu’une vulgaire prostituée et par ma
faute, il ne leur parle plus !
— Quand comprendras-tu que personne ne peut obliger cet homme à agir
contre son gré ? Il les a affrontés pour toi, voilà tout ce qui importe. Le reste
ne te concerne pas. Aie foi en ton couple !
— Du coup, sa vie se déroulera ainsi ? Il passera son temps à s’isoler des
gens qui m’insulteront à cause de mon passé ? Je n’ai pas le droit de lui
imposer une existence aussi pathétique.
— Nina Sanchez, permets-moi de t’informer que tu m’uses !
Nous sommes deux…
— Tu as l’air d’oublier la loque détestable à laquelle il ressemblait avant
de te rencontrer ! Où en serait-il à l’heure actuelle si tu ne t’étais pas battue
pour lui ?
Pas bien loin, effectivement… Certainement ivre, dans une chambre
d’hôtel, à ordonner à une prostituée de se la fermer pendant qu’il la baise…
— Exact… Je n’avais pas envisagé la situation sous cet angle… Quelle
calamité… Pardonne-moi.
— Excuses acceptées. Mais tu dois ouvrir les yeux et cesser de
dramatiser… C’est dans ton comportement actuel que réside le réel danger, pas
sur vos passés…
À ces mots, je me rappelle effectivement l’absurdité de ma réaction… J’ai
honte… On aurait dit une gamine qui ne connaissait rien à la vie.
Qui ignore tout de l’amour sonnerait plus juste…
— Ok… Message reçu ! Et vous, votre week-end ? enchaîné-je pour
changer de sujet au plus vite, histoire qu’il ne se moque pas de moi, une fois de
plus.
— Génial ! Samedi, nous sommes allés faire les boutiques et dimanche, la
tournée des bars pour fêter ma première place à la compétition d’aviron. Mes
amis devaient venir m’encourager mais visiblement, ils étaient bien trop
occupés à ruminer des bêtises…
— Lorsque je croiserai tes copains, rappelle-moi de leur dire qu’ils sont
vraiment stupides ! ironisé-je, beaucoup plus détendue.
— Compte là-dessus, je n’y manquerai pas !
Théo. Lundi.
Il est midi et je n’ai toujours pas l’envie d’être lundi. Avant d’aller
m’acheter un sandwich, je m’arrête quelques instants dans la cour afin de
profiter des rayons du soleil en ne désirant qu’une chose : remonter le temps.
Me retrouver deux mois plus tôt, sous la chaleur caniculaire du soleil
dominicain ou ne serait-ce qu’à hier après-midi, lorsque Nina et moi nous
câlinions, tout simplement. Notre dimanche matin a encore été quelque peu
mitigé. Clairement, nous nous évitions, probablement suite aux conséquences
de notre « soirée-traquenard »… Contrairement à son habitude, mon ovni ne
cherchait pas ma présence ; quant à moi, je tentais d’établir une stratégie en vue
de préserver notre cocon, tout en songeant à la manière la plus adéquate
d’empêcher Mélissa de revenir s’immiscer dans ma vie… Incontestablement,
la fréquenter, même en tant que simple amie, ne m’apporterait que des ennuis.
Et puis, inutile d’ajouter de nouveaux parasites au sein de notre relation… Il y
en a déjà tellement ! De ce fait, tout au long de cette matinée, je me suis
longuement remué les méninges et, une fois mes idées en place, il ne me restait
plus qu’à les mettre en application… Sans que Nina ne soit au courant… Cela
lui causerait trop de peine…
Après l’annulation de notre sortie en compagnie de Hugo et Léa, j’ai
réellement éprouvé la nécessité de m’isoler au sein de notre bulle. J’aspirais à
ce que nous nous retrouvions dans le but d’être plus forts face à ce putain de
quotidien qui nous submerge… Sans rien entreprendre de particulier, les
sombres nuages ont disparu de notre ciel en fin d’après-midi et, même si le
sexe a demeuré inexistant, j’ai enfin eu le sentiment que nous étions redevenus
nous… Pourtant, en la quittant ce matin, je ne me sentais plus aussi serein
qu’hier, effrayé à l’idée que ce que nous sommes parvenus à réparer ne se
brise à nouveau.
Nina
Mélissa
Théo
Nina
Lorsque le battant s’ouvre, l’image qui apparaît devant mes yeux me laisse
sans voix. Je voulais de la surprise ? Ma foi, celle-ci se révèle énorme… Ce
n’est pas mon écorché qui se présente à moi, mais la « psy au fouet », les
cheveux encore mouillés, probablement nue sous la chemise style bûcheron
que j’avais offerte à Théo pour son anniversaire.
Attends, ne te fie pas aux apparences, il y a forcément une explication…
— Qui êtes-vous ? Je peux éventuellement lui transmettre un message ?
Elle ne manque pas de culot, cette grognasse !
Elle agit en maîtresse de maison… ll n’y a pas de doute possible… Il m’a
trahie… Comme tous les autres… Me trouvant brusquement illégitime sur le
pas de cette porte, je me sens pâlir, abdiquant sans même essayer de
revendiquer ce que je croyais m’appartenir :
— Non. Ça ira. Merci. Personne, je ne suis personne…
Ce face-à-face restera à jamais gravé dans ma mémoire. Nouveau choc,
nouveau chaos, nouvelle dégringolade… Sauf que cette fois, il n’y a pas eu de
combat… J’ai directement baissé les armes. De toute façon, à quoi bon me
battre ? Mes réflexions de la nuit sur son soi-disant « amour » étaient
finalement les mauvaises. Définitivement, face à une femme de sa trempe, je ne
tiens pas la distance. Elle a tout et je n’ai rien. Je ne SUIS rien… Par le passé,
elle a eu le don d’exorciser ses démons, alors que j‘ai été incapable de le
protéger de ceux du présent…
Trop sonnée par cet affreux constat, je décide de sécher les cours. À la
place, je me rends à la pépinière, celle où nous avions mangé une glace avec
ma mère et Claude, puis m’assieds sur un banc dont le fer me lacère le
derrière. À l’image de ma vie, les saisons sont de plus en plus perturbées. Ce
matin, fraîcheur et brouillard épais me donnent plus l’impression d’être au
mois de novembre qu’en septembre. Je rentre davantage mes épaules afin de
récupérer un semblant de chaleur, mais en vain. En réalité, c’est à l’intérieur de
moi que tout gèle… Mon cœur se trouve pris dans un énorme pain de glace,
impossible à faire fondre… Notre pacte rompu, ma vie se brise… Encore…
Pourquoi m’avoir trompée en sachant que nous nous étions promis que jamais
cela ne se produirait ? Pourquoi a-t-il baissé les bras après une simple dispute
? Avec elle, en plus ?
Malheureusement, il ne se révèle pas aussi fort que nous l’avions cru…
Ou bien, j’avais raison depuis le début. Son unique dessein était celui de
posséder Vanessa, celle qu’il pouvait baiser sans avoir à rendre de comptes…
Je ne lui suffis pas. Nina étant incapable de le satisfaire entièrement, il est allé
chercher ailleurs ce qu’il n’a pas pu obtenir de moi… Des compensations
trouvées en retournant dans son passé…
L’esprit vide, je regarde les makis s’amuser sur le décor en pierre mis à
leur disposition. Au moins, eux n’ont pas ce genre de questions à se poser, ni
cette souffrance permanente à subir. Quand la mienne va-t-elle s’arrêter ?
Visiblement, pas maintenant… Regarde qui voilà…
Mes yeux quittent les singes pour détailler la silhouette d’une jeune
blonde, vêtue d’une jupe courte. Barbie Barbara ! Sans déconner ! Elle me suit
partout ! À croire qu’elle m’a greffé une puce GPS dans les fesses afin de
pouvoir me localiser à tout moment !
— Nina ?
— Bonjour, Barbara, la salué-je dans un sourire feint.
— Je peux m’asseoir ? me demande-t-elle par pure politesse, puisqu’elle
se pose sans même attendre ma réponse.
— Visiblement, tu n’as pas besoin de mon accord… Mais, vois-tu, je suis
venue ici dans l’objectif d’être seule, donc…
— Moi-aussi, ne t’inquiète pas…
Alors, dégage !
— J’aime bien m’installer dans ce parc pour faire le point, reprend-elle, la
tête tournée en direction du sol, sa lèvre inférieure tremblant légèrement.
Plus je la regarde, plus je me dis que le vent et la baisse des températures
ne sont pas les uniques causes de son attitude. Je ne reconnais décidément plus
cette fille. Qu’est devenue la pimbêche extravertie, ressentant sans cesse le
besoin de se mettre en avant afin d’être au centre de l’attention ? Qu’a-t-on
fabriqué du gourou qui, en vue de séduire son public de potiches, se moquerait
de ma sale tête à ce moment même ? D’habitude, aucun détail ne lui échappe,
elle ne laisse rien filtrer entre les mailles de son filet. Surtout quand cela lui
permet de servir ses propres intérêts… Indéniablement, son but a toujours été
de me rabaisser pour se sentir exister. Alors, que se trame-t-il ? Les minutes
passent sans qu’aucune de nous deux ne parle, avant qu’elle n’entame, comme
si elle ne pouvait supporter le calme ambiant :
— À quoi dois-tu réfléchir, toi ?
— Énormément de choses, Barbara.
Je lui réponds d’un air las pour lui signifier qu’il ne faut absolument pas
me saouler. Une fois de plus, voyant que je ne donne pas suite à son appel du
pied, elle entreprend de continuer, seule, la conversation :
— Moi, c’est aux récentes bêtises que j’ai commises…
Mon Dieu ? Cette fille sait donc ce que signifie le terme « remise en
question » ?
En quelques mots, elle a réussi à éveiller mon intérêt. Désirant cependant
ne pas le lui montrer, je reste murée dans mon silence. Cette garce serait
capable d’en jubiler et de se moquer de ma réaction. En plus, ma curiosité n’a
pas à attendre longtemps avant d’être satisfaite :
— Pour tout t’avouer, l’autre jour à la cafétéria, je vous ai menti à Hugo et
toi. Mes vacances étaient loin d’être parfaites.
Tu t’es cassée un ongle ?
— Mon cher paternel ne m’a payé ni voyage, ni cheval en récompense de
l’obtention de mon bac… À la place, je me suis vue offrir un séjour en hôpital
psychiatrique…
Quoi ?
— Après ma tentative de suicide, il a seulement eu l’air de s’apercevoir de
mon existence.
J’en reste sur le cul. Que s’est-il passé dans sa tête pour qu’elle souhaite en
arriver au pire ? Mon côté mère Theresa ne peut s’empêcher de prendre le pas
sur mon principe de précaution, si bien que je l’interroge :
— Pourquoi ?
— J’ai craqué, encore… Pendant notre semaine de suspension, j’avais
déjà essayé de mettre fin à mes jours, sans avoir le courage d’aller jusqu’au
bout…
D’où son absence… Finalement, elle cachait bien quelque chose…
— Et puis, à la seconde tentative, j’ai réellement voulu mourir. Mon père,
parti en voyage d’affaires, Huguette, notre gouvernante, en vacances chez sa
nièce, pour la première fois, je me suis retrouvée seule face à moi-même. Sans
le rôle que je me donnais au lycée, je me suis rendue compte que je ne valais
pas grand-chose. Que j’étais seule… Que ma vie n’avait aucun sens…
Tu as le don d’attirer les dépressifs !
— Je… je suis désolée, Barbara.
— Ne le sois pas. Surtout pas toi ! Depuis que l’on se connaît, je ne t’ai pas
épargnée et je m’en excuse. J’aimerais que tu me croies lorsque je t’affirme,
ne pas avoir pensé le quart des insultes que j’ai prononcées à ton égard. Nous
en avons longuement discuté avec mon psychiatre et il m’a aidée à saisir que,
depuis de nombreuses années, sans que je ne m’en aperçoive, je n’étais plus
réellement moi… Que le personnage machiavélique, façonné par mon esprit,
ne me servait que de faire-valoir pour que l’on me donne de l’importance.
— Je te comprends… Si tu as besoin de quoi que ce soit, n’hésite pas.
Nina, arrête ! Tu cèdes beaucoup trop facilement ! Si elle te mentait dans
le but de te jouer un sale tour ? Tu es vraiment une bonne poire !
Non. Je n’envisage pas qu’une personne puisse aussi bien imiter la
tristesse et le dégoût de soi. Je suis certaine qu’elle dit vrai.
— À l’instar de Théo, je voudrais que, toi-aussi, tu me pardonnes…
Tiens, il a passé l’éponge ? Encore un détail dont il a omis de me parler…
— Pas de problème.
Bon, Barbara, à la limite, je valide. Mais je te préviens, si tu capitules
aussi rapidement avec l’autre cinglé, cette fois, je me barre définitivement !
La désertion de Conscience me tente énormément… Seulement, jamais je
ne pourrai oublier la peine que lui m’a causée…
— J’ai un service à te demander, poursuit-elle.
À moi ?
— Je t’écoute.
— Je ne possède pas encore le recul nécessaire pour m’auto-analyser.
Alors, à l’avenir, lorsque tu me sentiras déraper, pourras-tu m’en alerter ?
— Voilà une mission que j’accepte avec plaisir ! Ai-je aussi le droit de te
torturer comme tu l’as fait avec moi ? la taquiné-je.
— Ça serait amplement mérité…
— Allez, plus sérieusement, je ne peux pas te promettre que nous
deviendrons les meilleures amies au monde, mais nous pouvons déjà tenter
d’éloigner le passé ? Qu’en penses-tu ?
— D’accord… Merci, Nina…, conclue-t-elle dans un soupir s’apparentant
à du soulagement.
En silence, nous regardons toutes les deux dans le vague avant qu’elle ne
reprenne :
— Et…, et toi, tu désires en discuter ?
Eh merde…
— Écoute Barbara, ne le prends pas pour toi, mais c’est tellement
compliqué que, même si je voulais me confier, je ne saurais pas par où
commencer.
— Tu ne trouves pas que Théo a l’air de plutôt bien s’entendre avec la
prof de Zumba ?
Pourquoi aborde-t-elle ce sujet, tout à coup ? Si elle m’enfonçait un
poignard dans le cœur, ça serait pareil…
Esquive…
— Je ne sais pas…
— Comme je te l’ai suggéré la dernière fois, vu les événements de l’année
dernière ainsi que les œillades que vous ne cessez de vous lancer à la fac,
j’aurais juré que tu étais en couple avec lui…
Toi qui croyais dur comme fer en votre discrétion absolue…
Ouais… Sur ce point également nous n’avons pas été bons… Bref,
maintenant, je vois enfin où elle souhaite en venir… Jamais, elle ne lâche le
morceau, cette sangsue !
— Et que ton état résultait d’une énième dispute entre vous, à l’image de
ce que tu décrits dans « Dirty Love »…, enchérit-elle.
— Ah…, me contenté-je de répondre mollement, dépourvue du moindre
argument valable.
— Mais lorsque je constate la complicité entre nos deux professeurs, je
me dis que je me suis fait des films. Vous ne pouvez pas être ensemble…
Brusquement, une pointe de jalousie me serre le cœur, engendrant une
réaction profondément irraisonnée :
— Théo m’a trompée avec la prof de Zumba, lâché-je, en retenant mon
souffle.
Ça y est, tes neurones ont définitivement grillé.
—…
Pourtant, tu as réussi à lui couper la chique ! Bravo ! Une grande première
!
Effectivement, elle me dévisage avec des yeux ronds de surprise, sa
bouche s’ouvrant et se refermant sans qu’elle n’émette plus aucun son.
— Je viens seulement de l’apprendre, continué-je dans l’espoir de l’aider
à sortir de sa stupeur.
— Putain, j’y crois pas ! Toi ! Lui ! Vous ! Ton livre ! Je savais que ce type
n’était pas net ! De… depuis combien de temps ça durait ?
— Entre eux ? Je ne veux surtout pas le savoir…
— Non, vous deux !
— Ma foi, il s’agit d’une excellente question. Trop longtemps pour qu’il
éprouve de la lassitude ou pas assez pour que notre couple soit suffisamment
solide et résister…
— Nina, je suis sincèrement désolée. Comment puis-je t’aider ?
— Ne te fatigue pas, Barbara. Nous avons déjà tout essayé.
— Tu n’as pas le droit de dire une chose pareille ! Avec le foutu caractère
que tu as, tu vas quand même lui faire payer sa trahison, rassure-moi ?!
Finalement, elle te connaît plutôt bien…
— Pour l’instant, je l’ignore…
Je ne la regarde pas directement, mais fixe son poignet. Ayant
exceptionnellement accepté de remplacer ma collègue pendant le service de
midi, sa montre indique l’urgence de mon départ au restaurant.
— Un conseil, Nina. Ne te laisse pas marcher dessus.
— Je verrai ça plus tard. Pour le moment, mon objectif est celui d’aller
bosser et de serrer les dents pour ne pas m’effondrer devant les clients…
— Comme tu veux. Permets-moi de t’inciter à sérieusement y réfléchir…
— Oui… Prends soin de toi en attendant…
Avant de partir, après quelques secondes d’hésitation, je sors un morceau
de papier de mon sac afin d’y griffonner mon numéro de portable.
— Ne reste pas seule si ton moral retombe. Appelle si besoin, ok ?
— Merci, Nina…
— Je me sauve. À plus, Barbara.
Théo
Plus par besoin d’occupation que par devoir envers mes élèves, j’assume
le reste de mes cours, la mort dans l’âme. Ma journée terminée, je file à la
salle de sport, étant donné qu’à part boire ou baiser, il s’agit du seul moyen de
me défouler. Alors que je trottine sur le tapis de course, tel un flash, une brève
image apparaît dans mon cerveau. Je nous vois, Mélissa et moi, remonter les
escaliers de mon hall d’entrée en tanguant. Ensuite… Trou noir… Putain !
C’est ce qu’il se produit après qui m’intéresse ! Furieux, j’augmente la
difficulté de ma course en poussant le bouton à son maximum. Comment
réagir ? Retourner demander des explications à mon ancienne maîtresse ? Non,
mauvaise idée. Mon état pourrait me faire perdre les pédales. À cause de cette
sorcière, je viens de tout perdre. À bout de souffle, plus épuisé nerveusement
que physiquement, je stoppe mon exercice puis, sors de l’enceinte du gymnase
sans même prendre de douche. Ne désirant plus être confronté au lieu de ma
faute, j’erre dans les rues, le visage baissé vers mes pieds. Je ne me rends pas
compte du temps qui passe et lorsque je regarde ma montre, l’heure indique la
fin imminente du service de Nina. Refusant de m’avouer vaincu, je décide de
l’attendre au restaurant afin de poursuivre cette conversation. Qu’elle le veuille
ou non, nous n’allons pas nous séparer pour une partie de jambes en l’air qui
ne signifie absolument rien ! Oui, je lui ai menti. Mais elle va bien finir par
comprendre que c’était par peur de la perdre, bordel !
Es-tu seulement certain que cela excuse tout ?
18. Tout s'explique
Tandis que mes collègues et moi sommes assis à l’As, ma chef ressort des
vestiaires, métamorphosée. Surprise, je la détaille avec soin en arrêtant aussitôt
d’arracher les cuticules de mes pouces. Elle a troqué son éternel jean contre
une robe en mousseline bleu nuit, accessoirisée d’un magnifique sautoir.
Féminine à souhait, ma patronne affiche un sourire resplendissant, rehaussé
d’un rouge à lèvres couleur sang mettant sa bouche pulpeuse en valeur.
Indifférente aux diverses remarques plus que suggestives des cuisiniers, elle
s’installe parmi nous. Pendant qu’ils conversent, je conserve le silence, à la
fois ravie de son apparent bien-être et anxieuse de la discussion qui s’annonce.
Enfin, leur dialogue s’essouffle si bien que chacun entreprend de rentrer chez
soi. Comme l’autre jour, ma supérieure et moi nous retrouvons seules l’une en
face de l’autre, nos verres respectifs posés devant nous.
— Nina, je sens que tu t’enfonces… Ce soir, je suis fermement décidée à
en apprendre les raisons exactes. Je peux te paraître insistante, mais j’agis pour
ton bien. J’aurais aimé que l’on se comporte de cette manière avec moi lorsque
j’étais au plus bas.
Je m’abstiens évidement de lui avouer que j’ai déjà été beaucoup plus
mal…
— Je t’écoute.
Que dire ? Vu son courage, je ne peux décemment pas lui avouer que mon
état résulte de la folie d’un homme ou que ma mère n’a pas décroché son
téléphone… Elle ne comprendrait pas et me considèrerait comme une pauvre
petite fille fragile… Je m’y refuse !
— Rien d’important, je t’assure. Inutile de t’inquiéter pour moi. J’ai
seulement passé une journée difficile.
Punaise, elle recommence ses cachotteries !
— Nina… Dois-je te rappeler celle que, moi-aussi, j’ai été ? J’ai pratiqué
l’art du mensonge bien avant toi donc, crois-moi, il y en a un paquet qui se
sont racontés… Si tu savais le « nombre de journées difficiles » qu’il m’a fallu
inventer ! Alors, celle-ci, on ne me la fait pas…
— Ok…, cédé-je face à son pragmatisme. En ce moment, ma vie déraille
complètement. En l’espace de quelques jours seulement, la quasi-totalité de
mes certitudes s’est envolée.
— Ce qui se produit fréquemment lorsqu’on se trouve en phase de
reconstruction. En ces circonstances, notre esprit reste confus en permanence,
il nous dicte tout et son contraire. Mais avec le temps, tu verras, tu récupèreras
tes repères.
— Donc, si je comprends bien, je ne dois pas prendre de décision hâtive ?
— Lesquelles, par exemple ?
— Celle de rompre avec mon petit ami…, avoué-je à demi-mots.
— Ça dépend des circonstances… T’a-t-il encore fait du mal ?
En dépit de mon cerveau fatigué, je tilte immédiatement. Pourquoi «
encore » ? Elle ne l’a vu qu’une fois sans que je ne les présente l’un à l’autre !
Cesse de voir le mal partout !
— Oui…, soupiré-je, décidant de ne pas prêter attention à ce qui est
certainement une erreur de langage de sa part. Je crois sincèrement que nous
nous aimons, seulement, j’ai le sentiment que nous passons notre temps à nous
déchirer. Sauf que, comme tu le dis, peut-être s’agit-il simplement de mon
cerveau qui me leurre ?
— Je ne le pense pas. J’ai cru comprendre que…
Elle interrompt sa phrase, et rougit avant de se reprendre :
— Enfin, ce que tu ressens a bien une cause, alors ne banalise pas ta peine.
Utilise-la pour réfléchir. Peut-être n’était-ce pas le bon ?
De toute évidence, non… Mais ceci devient soudainement accessoire… Je
ne me suis pas trompée quant à mes soupçons… Son attitude m’intrigue, ses
sous-entendus me perturbent au plus haut point. Elle sait quelque chose, j’en ai
la certitude… Ne désirant pas une confrontation directe, je laisse s’installer un
silence pendant lequel je réfléchis au meilleur moyen d’obtenir réponses à mes
questions.
— Bonsoir…
Cette voix familière s’arrête au moment où je me retourne dans sa
direction. Mes yeux ont à peine le temps de croiser les siens qu’il baisse la
tête…
Mais qu’est-ce qu’il fout là ?
Rosa, encore plus gênée que précédemment, se décide à prendre la parole
pour me sortir de mon état quasi-hypnotique :
— Inutile de te présenter Pascal ?
Effectivement !
Et là, je comprends… Son comportement envers moi, le fait qu’elle ait pu
conclure aussi vite que je connaissais Jack et ce qu’elle vient de me dire à
propos de Théo… Quel meilleur informateur que Tête de Hibou ?
Ainsi que « Dirty Love… ». Elle l’a forcément lu…
Je le crains… La concernant, je suis sûre qu’elle n’a eu aucun mal
trancher sur la véracité de ce roman… En quelque sorte, cette histoire raconte
également la sienne…
— Oui, nous nous connaissons plutôt bien, rétorqué-je, horriblement mal
à l’aise.
— Nous avions prévu de sortir danser ce soir. Je m’excuse de ne pas
t’avoir parlé de notre relation avant, mais il n’était pas planifié que vous vous
rencontriez aussi tôt…, énonce-t-elle sur un ton de reproche.
— J’ai vu le reste de l’équipe partir et je m’inquiétais que tu n’arrives pas,
se justifie mon ex tortionnaire, probablement aussi embarrassé que moi.
— Nous prenions simplement le temps de discuter entre filles.
Je panique… Hors de question que Tête de Hibou prenne part à cette
conversation ! Je supplie Rosa du regard afin qu’elle n’aille pas plus loin dans
son discours, au moins le temps où nous sommes ensemble. Ce qu’il se passe
après ne me regarde plus. Comme si elle avait déjà anticipé ma supplique, elle
enchaîne rapidement à l’intention de son amant :
— Sers-toi un verre, il ne me reste plus que quelques tables à dresser.
L’air pénètre à nouveau dans mes poumons. Cette femme est fantastique !
N’ayant aucune envie de me retrouver en tête-à-tête avec mon ancien CPE,
même quelques minutes, je parviens à articuler, encore sous le choc :
— Laisse, Rosa. Je m’en charge. Profitez de votre soirée…
— Ça ne te dérange pas ?
— Pas du tout, répliqué-je en me levant précipitamment pour me mettre au
travail.
— Ok. Mais après, tu rentres chez toi et tu te vides la tête.
Sauf que je ne possède plus aucun moyen de me distraire… Seul lui
pouvait y parvenir… Après m’avoir saluée, ils sortent du restaurant, main dans
la main. Si le silence règne à présent dans la salle, un orchestre a pris place
dans mon crâne. Quel bordel, une vraie cacophonie ! Tête de Hibou, Rosa ! Si
j’avais pu m’en douter !
Tu connais désormais la raison de ses dîners en solitaire…
Lors de mes premiers pas en tant que prostituée, je me souviens l’avoir
croisé aux bras d’une de mes collègues, mais de là à penser que cet esprit si
étriqué ait pu s’éprendre de l’une d’entre elles ! Jamais de la vie ! D’après ce
que Rosa m’a laissé entendre l’autre soir, c’est donc lui qui l’a aidée à s’en
sortir… Surprenant !
Pas tant que ça ! Rappelle-toi de ce qu’il a fait avec toi…
Pas faux…Lui-aussi cachait finalement parfaitement son jeu…
La salle remise en ordre, je quitte les lieux à mon tour. Au moment où je
ferme la porte du sas, je sens ma nuque picoter et mon ventre se tordre…
Théo… Non, pas ici, pas maintenant ! S’il continue à me poursuivre de cette
manière, je vais finir par craquer ! Telle une girouette, je tourne vivement ma
tête de gauche à droite afin de rechercher LA raison de mon trouble, sans
toutefois l’apercevoir. Étrange… Je suis vraiment crevée, je dois effectivement
me reposer. Perturbée, effrayée à l’idée de replonger dans la folie du manque,
je m’éloigne de la devanture pour rentrer à la maison. Je n’aspire qu’à une
chose, m’isoler en broyant du noir, allongée sur mon canapé. Seulement
quelques mètres ont été parcourus lorsque, pour la deuxième fois de la soirée,
mes yeux rencontrent une silhouette qui n’a vraiment aucune raison de se
trouver ici…
19. Trouble des sens
Nina
Nina
Nina. Lundi.
Théo. Lundi.
— Donc, que l’on soit bien clair ! Je. Ne. Veux. Plus. Jamais. Entendre.
Parler. De. Toi, achève-t-elle en articulant exagérément chaque mot, le visage
souillé par les larmes qui ne cessent de couler.
Bordel, qu’ai-je encore fait ? Je suis sonné. Pendant que Nina déverse sa
colère sur Mélissa, je poursuis mon retour dans la réalité en retraçant ce qu’il
vient de se produire. Avec stupeur, je me rends compte qu’il m’a été
impossible de contrôler mes actes. Mon esprit me dictait de ne pas laisser
libre-court à mes pulsions mais, possédé, mon corps a refusé de l’écouter…
Carrément flippant.
Situation surréaliste, ça commence à devenir une habitude.
J’en ai ma claque des coups en vache de ces putains de forces supérieures
! À peine notre réconciliation amorcée qu’elle se trouve déjà périmée ! Les
scénaristes doivent vraiment se fendre la gueule à nous malmener de cette
manière ! Incapable de formuler des paroles cohérentes afin de la retenir, je ne
peux que la regarder s’enfuir pour ce qui sera, sans nul doute, la dernière
fois… Désirant m’assurer que tout ceci soit bien réel, je cligne des yeux à
plusieurs reprises. Les détails du décor deviennent moins flous et
malheureusement, oui… Cette journée qui devait rimer avec ma reconquête
signera celle où je l’ai définitivement perdue…
— Théo, tu trembles, calme-toi, ne cesse de me répéter la voix autoritaire
de Mélissa.
Aussitôt, ma colère redouble, elle s’immisce dans chaque litre de sang qui
circule dans mes veines… Cette putain de charmeuse de serpent a encore réussi
à m’envoûter… Je la hais, je ME hais ! Qu’est ce qui cloche chez moi, à la fin
?! Pourquoi suis-je aussi sensible au magnétisme de cette cinglée alors que je
la déteste au plus haut point ? D’une seule main posée sur ma poitrine, elle m’a
éloigné de l’autre connard ; d’un simple regard, ma respiration saccadée a
retrouvé son calme en se calant à la sienne, évinçant ainsi la hargne qui me
possédait.
Elle a capturé ton âme…
Nina
Les sirènes allumées dans ma tête hurlent de plus belle alors que mon
visiteur se trouve toujours sur le pas de la porte.
— Claude ?
— Je… je peux entrer ? me demande-t-il, hésitant.
Intriguée par sa mine grave, je m’efface afin de le laisser pénétrer dans ce
qui ne s’apparente plus vraiment à un cocon. On y étouffe, l’hostilité de
l’ambiance enfle au fil des minutes qui s’égrènent… Perplexe, je jette un œil
dans le couloir, espérant y voir ma mère mais, définitivement, il est seul…
— Que fais-tu là ? entamé-je directement en sautant volontairement l’étape
des salutations, dignes d’une bonne hôtesse.
Il ne relève pas mon manque de politesse et s’assied lourdement sur le
canapé, l’air accablé. Mes muscles, bien trop tendus, m’empêchent de l’imiter.
Alors, je reste debout, impatiente d’entendre ses explications.
— Je suis venu te prévenir que ta maman a souhaité que nous nous
séparions.
Putain… Il va falloir m’éclairer parce qu’aux dernières nouvelles, tout
allait pour le mieux dans le meilleur des mondes…
— Oh… Que… Pourquoi ?
— Je ne le sais pas exactement…
J’ai peur de comprendre…
Ne tire pas de conclusions trop hâtives…
— Depuis quand n’êtes-vous plus ensemble ?
— Vendredi, lâche-t-il dans un soupir.
Le jour où elle a cessé de décrocher son téléphone…
— Je suis désolée, Claude.
— Merci…
— Elle… elle habite encore avec toi ?
— Non, ta mère est aussitôt repartie chez elle, me répond-il en levant ses
yeux vers moi.
Son regard se teint d’une détresse que j’ai bien trop souvent éprouvée…
Putain, putain, putain… Je la sens mal…
— C… Comment se porte-t-elle ? lui demandé-je, anxieuse à l’idée de ce
qu’il peut m’apprendre.
— Ta maman…, entame-t-il en déglutissant péniblement.
Accouche, bordel !
— Ta maman a rechuté…
— NOOONN !
Je pensais avoir prononcé ces paroles intérieurement, mais l’écho que
cela crée dans mon appartement me prouve que ce hurlement bestial provient
de ma gorge. Il symbolise mon désespoir, l’illustration parfaite de la continuité
de ma déchéance… Tout mon corps se met brusquement à trembler et,
incapable de me rendre jusqu’au canapé, je m’affale sur la table basse, les
larmes silencieuses brouillant ma vue :
— Je suis sincèrement navré, Nina, tente-t-il de me consoler.
— C’est… C’est peut-être seulement une erreur de parcours ?
Je me voile la face, je le sais, sauf que je ferais n’importe quoi pour ne
pas me trouver confrontée à cette nouvelle vérité.
— J’ai moi-aussi essayé de m’en convaincre quand cela a démarré.
Je percute aussitôt le sens de ses propos. Cependant, afin de ne laisser
aucune place au doute, je souhaite les entendre de sa propre bouche :
— Que cherches-tu exactement à me dire ?
— En fait, depuis sa sortie de l’hôpital, elle n’a jamais vraiment cessé de
boire… Au début, il s’agissait de coupes de champagne lorsque nous allions
dîner…
Comment a-t-il pu cautionner une connerie pareille ? Redonner à un
alcoolique l’opportunité de picoler, pourquoi n’ai-je rien vu ?
— Après, chaque occasion devenait un prétexte à l’ouverture d’une
bouteille… Lorsque je m’en suis rendu compte, il était déjà trop tard… Elle
niait l’évidence, ne voyait plus que l’alcool dictait à nouveau sa conduite…
Elle a définitivement rompu le dialogue avant de mettre un terme à notre
relation, arguant que je ne la soutenais pas de la manière dont elle le voulait et
que je l’empêchais d’en profiter.
Ça recommence… Je n’arrive pas à y croire…
— À ce jour, je représente la cause de tous ses malheurs, achève-t-il,
désespéré.
Mon ventre se serre… Ce discours demeure identique à celui qu’elle me
tenait… Il faudra toujours que ce soit la faute de quelqu’un… En définitive,
elle n’a pas compris… Ce qui reste difficile à admettre est qu’une personne
extérieure à la famille - ayant déjà elle-même sombré - ait à subir cela.
D’ailleurs, n’importe qui aurait déjà pris ses jambes à son cou…
— Pourquoi n’es-tu pas parti ?
— Parce que je l’aime, me répond-il, la gorge nouée par l’émotion.
Je maintiens, cet homme vient d’une autre planète…
Je ne suis pas d’accord… Regarde de quelle manière tu réagis avec Théo
alors qu’il te fait continuellement souffrir. Tout comme toi, l’espoir de voir un
jour les choses s’arranger lui permet d’oublier les mauvais moments…
— Elle dit ne plus être amoureuse et malheureusement, je ne peux pas la
forcer à éprouver des sentiments. Pourtant, je n’ai pas envie de baisser les
bras…
— Je comprends…
Non, en réalité, je ne comprends pas ! Bordel ! Après ce qu‘elle a enduré,
ce que NOUS avons enduré, elle gâche tout sur un coup de tête ?
Nina… Rappelle-toi les propos des médecins… Il s’agit d’une maladie…
Les rechutes semblent inévitables avant une guérison complète…
— Pourquoi ne pas m’avoir prévenue plus tôt ? À deux, nous y serions
probablement arrivés ?
— Je pensais pouvoir la raisonner, lui démontrer que pour être heureuse,
elle n’avait pas besoin de ce monde artificiel dans lequel l’alcool la plongeait.
Il me fait tellement de peine… Le peu de colère que j’ai pu éprouver
auparavant s’évapore. Je crois ne même plus avoir la force de m’énerver, ni
celle de prononcer le moindre mot. Je suis sonnée et la suite de ses
explications me met K.O :
— Je voulais également te délester de ce poids que la vie t’a remis entre
les mains sans t’en laisser le choix. Je désirais que tu vives enfin une
adolescence normale, Nina. Comme tout à chacun, tu en as le droit.
Mes larmes redoublent d’intensité. Parce que je ne peux plus me leurrer,
incontestablement, « la loi de l’emmerdement maximal » marque
officiellement son grand retour, mais surtout parce que le geste de cet homme
- que j’aurais aimé avoir pour père- me touche énormément. Même si ma chute
s’avère atrocement douloureuse, je lui serai éternellement reconnaissante de la
chance qu’il a voulu m’offrir.
— M… Merci…
Vivre une existence paisible… J’ai touché ce rêve du bout des doigts et en
aussi peu de temps qu’il n’en faut pour le dire, on a déplacé ma cible à des
kilomètres… D’ailleurs, contrairement à ce que je croyais la dernière fois, je
ne frôlerai probablement plus jamais le bonheur… Même en serrant les dents
extrêmement fort…
— Je peux t’assurer que j’ai tout mis en œuvre pour la sauver…
Pas vraiment. Seulement, je ne peux pas lui balancer une vérité pareille…
—…
— Je suis désolé. J’ai échoué, Nina.
Mon Dieu, si l’on continue sur cette lignée, je vais m’écrouler… Qu’il
souffre autant me retourne les tripes.
— Quand l’as-tu vue pour la dernière fois ?
— Juste avant de venir ici, je lui ai rapporté ses dernières affaires. Elle
allait se mettre au lit…
À six heures du soir ? Malheureusement, je saisis parfaitement ce que cela
signifie…
— Ok…
Pas besoin d’en dire plus, le regard que nous échangeons parle de lui-
même.
— J’ai compris qu’il était grand temps de t’informer de la situation…
Il ne l’exprime pas entièrement, mais j’ai pleinement conscience de ce
qu’il se passe dans sa tête. Il hésite entre partir pour se préserver ou
s’accrocher par amour, par sens du devoir. Il ne mérite pas cette triste
existence… Alors, bien que je n’en aie pas les moyens, je revêts mon costume
de fille forte que rien ne peut jamais atteindre, avant de poursuivre :
— Je te remercie d’être venu m’avertir. Je vais m’en occuper, désormais.
Tu n’as plus de soucis à te faire…
L’évincer de la sorte me cause énormément de peine. J’aurais aimé le
garder dans ma sphère, lui, ce père de substitution, pour continuer à me donner
l’illusion d’un semblant d’équilibre. Seulement, un tel acte relèverait de
l’égoïsme pur… Je suis incapable de l’emprisonner au sein de la spirale
infernale qui nous attend : l’angoisse, la tristesse, la peur permanente de
découvrir le pire… Ce n’est pas son rôle.
Ok… Mais qui se préoccupera de toi ?
Présentement, je préfère ne pas songer à cela, les choses sont déjà assez
difficiles à gérer.
Après avoir tous les deux conservés un silence presque religieux, ses mots
annoncent l’imminence de son départ :
— Tu… Tu me donneras des nouvelles de temps en temps ?
— Bien sûr…, affirmé-je, en réfrénant les sanglots qui jouent des coudes
dans ma gorge.
— Prends soin de toi, surtout… Ne permets pas à cette nouvelle épreuve
de te démonter…
—…
— Je tiens à ce que tu saches que je te considérais comme ma fille…
Et moi, le père que je n’ai jamais eu… Incapable de prononcer ses mots,
je me contente de me jeter dans ses bras. Pendant ces quelques instants, je
m’autorise à baisser les armes pour profiter de ce réconfort, sachant
pertinemment que je n’en aurai plus durant le lourd combat que je m’apprête
encore à mener…
— Au revoir, Claude, me forcé-je à dire au bout d’une dizaine de minutes.
Silencieux, ses yeux emplis de larmes parlent bien plus que des mots… Il
détourne les talons, encore plus meurtri qu’à son arrivée.
Aussitôt la porte refermée, mon masque d’invincibilité retombe. Je le
savais… Forte, je ne le suis pas… Avant de pouvoir atteindre le canapé, je
m’écroule littéralement sur le sol et, recroquevillée sur moi-même, je laisse
couler le peu de larmes qui traînent encore, quelque part dans mon corps…
J’ai perdu Théo, l’homme de ma vie… Ma mère vient, elle-aussi, de me
trahir… Je n’ai plus rien… Le désir de ressentir la douleur s’immisce à
nouveau dans mes entrailles… Le besoin a franchi un palier supplémentaire, il
se transforme en nécessité… Mes tripes réclament un mal plus fort que celui
auparavant éprouvé, comme une envie irrépressible de me détruire…
Ne déconne pas, je te préviens…
Bien sûr que non… Mais pour aller de l’avant, un mystère reste à
élucider… Je dois tout mettre en œuvre afin de trouver les réponses aux
nombreuses questions que je me pose depuis des années. La tâche n’est pas
aisée puisqu’il s’agit de comprendre ma mère… Courbaturée, je me relève, ce
changement de position me permettant de sortir quelque peu de mes sombres
pensées. Tel un automate, je me dirige vers la cuisine, agrippe fermement ma
bouteille de gin, puis la pose sur la table basse du salon après m’en être servi
un verre. Je connais parfaitement les premiers effets de l’alcool puisqu’à une
époque, sa brûlure dans ma gorge suffisait à atténuer la tristesse que je
ressentais. Alors aujourd’hui, dans le but d’en explorer plus profondément
chaque facette, je bois encore et encore…
À trop aimer,
J’en ai oublié mes mots et mes idoles.
J’en ai marre de jouer la comédie,
De me voir mener cette vie.
Mais où va-t-on ?
Mais où vas-tu ?
Tu me disais que la vie n’était qu’une vaste planque,
Et que les seuls manèges étaient ceux de l’amour.
Moi, en toi,
Je n’ai vu que tes ardeurs et ton amour désinvolte
Qui m’enivrait de cette passion,
De cet amour délicieux…
En me prenant la main,
Tu me parlais des lendemains,
Et moi…
Je te disais que je ne t’oublierai pas…
Tu me disais que tu détenais le secret,
Celui de la passion
Et quand je te regardais,
Je me noyais au fond.
Et toi,
Le ciel au fond de tes yeux,
Tu me contais des mots…
Les autres,
Ils parleraient de nous comme une légende.
Celle de deux êtres un peu fous,
Qui pensaient qu’aimer,
C’était un peu comme rêver…
À chaque pensée,
Mon cœur s’emballe,
Pour cette histoire peu banale.
Mais je sais,
Et tu sais,
Que le temps passe vite et que tout est éphémère…
Même nos plus beaux rêves…
Hugo
Après une nuit passée à faire l’amour à Léa, je m’éveille, baignant encore
dans une douce béatitude post-coïtale. Comme à mon habitude, je tends mon
bras vers mon téléphone portable qui - depuis que j’ai connaissance des délires
de Nina- ne quitte jamais ma table de chevet. Les yeux embués de sommeil, je
parviens toutefois à discerner l’icône m’indiquant l’arrivée d’un texto. Quand
le prénom de ma meilleure amie apparaît sur l’écran, une boule d’angoisse se
forme aussitôt dans mon ventre, me poussant ainsi à l’ouvrir précipitamment.
J’y lis seulement quatre lettres :
[H.E.L.P]
Quatre lettres qui me donnent des sueurs froides et qui font accélérer mon
rythme cardiaque. Putain… Ni une, ni deux, je quitte les draps pour m’habiller
sans même passer par la salle de bain. D’une main tremblante, j’attrape les
clefs de mon véhicule afin de foncer directement chez ma sœur de cœur.
Concernant les limitations de vitesse, on repassera plus tard, quelque chose de
grave se trame. La porte du hall entrouverte, je monte les marches d’escalier
trois à trois puis, arrivé sur son palier, je frappe violemment contre sa porte.
Pas de réponse… La panique enfle, cette fois, je hurle :
— Bordel, Nina, ouvre-moi ! Mon poing me lance à force de taper contre
le bois. J’hésite à la défoncer à coups d’épaule quand un éclair de lucidité me
rappelle que je possède les doubles de son appartement. Je cours les chercher
dans la boîte à gants de ma voiture et remonte pour enfin pénétrer dans son
salon. Silencieux… Mes yeux le passent au crible avant de s’arrêter net sur la
table basse. L’inventaire se fait rapidement : une bouteille de gin entièrement
vide, au même titre qu’une bonne dizaine de tablettes de cachets, déformées
d’avoir été utilisées. Putain de bordel de merde ! Ce que je redoutais depuis des
années a fini par se produire… Je me rue dans sa chambre et sans encore
l’apercevoir, je sais déjà qu’elle s’y trouve. Elle ronfle, ouf… Par contre, une
odeur nauséabonde attire mon attention : du vomi mélangé à de l’alcool
fermenté… Je dois retenir ma respiration lorsque je m’approche près de son
lit. Elle n’a pas fermé les volets et un haut-le-cœur me saisit au moment où la
lumière du jour me permet d’entrevoir son corps empli d’un liquide visqueux.
Faisant abstraction de mon dégoût, je la secoue, ma main se trouvant
directement tartinée des stigmates de ses régurgitations nocturnes :
Théo
L’eau semble réveiller la totalité des cellules de mon corps, comme si l’on
me réanimait suite à un long coma. Je me sens enfin vivant… L’espace de
quelques instants du moins car, à ma sortie de la cabine, la serviette enroulée
autour de ma taille, j’observe mon reflet, dégoûté. Même si je me suis retrouvé
dans un état similaire à maintes reprises, je ne reconnais pas l’homme qui se
présente à moi. D’une pâleur affolante, ses joues sont tellement creusées
qu’elles laissent apparaître les os cachés sous ses pommettes. Le fond de son
œil est jaunâtre, parsemé des vaisseaux sanguins qui ne cessent d’éclater sous
les effets de l’alcool…
Pitoyable…
J’en conviens… Mais il s’agit surtout d’un être humain effrayé par le
silence de la pièce. Un silence qui le renvoie à ses propres incertitudes, à son
angoisse de revoir la personne inconditionnellement aimée. Une peur de
s’entendre dire à quel point il l’a détruite plus qu’elle ne l’était déjà… Et que
par sa faute, elle a voulu en finir…
La vérité te fout la trouille, tout simplement…
Las de voir ma sale gueule de lâche, je me détourne de la glace, puis me
penche pour récupérer la bague que j’avais jetée, un peu plus tôt. Après l’avoir
roulée entre mes doigts pendant de longues minutes, ma décision semble enfin
prise…
— Théo, tout va bien ? me demande Léa depuis la cuisine.
— Oui, j’arrive !
Je m’habille rapidement avant de la rejoindre dans le salon que je
parcours du regard, ébahi. Les cadavres de bouteille éparpillés, un peu partout,
ont laissé place à une propreté jamais vue jusque-là.
— Léa ? l’interpellé-je
— Oui ?
— Allons-y.
Elle me sourit, rassemble ses affaires en silence puis, lorsque nous
débouchons sur le trottoir, je nous oblige à marquer un temps d’arrêt :
— Merci. Du fond du cœur, merci.
— À ton service ! Mais, je te préviens, ne déconne pas…
Sans un mot supplémentaire, elle s’éloigne et j’attends qu’elle ait dépassé
le coin de la rue pour monter dans ma voiture. Si je croyais à ce genre de
connerie, je pourrais dire que mon amie a été le signe qu’il me manquait afin
de comprendre que ma fuite représentait la pire des conneries, qu’elle était un
leurre monté de toutes pièces par ces machiavéliques scénaristes… Notre
histoire n’est pas finie, elle ne le sera d’ailleurs jamais… Nous sommes des
âmes-sœurs… Torturées, mais des âmes-sœurs, quand même…
Aujourd’hui, la chance me sourit puisque je trouve directement une place
en face de l’immeuble de Nina. Les muscles tendus à outrance, j’inspire
profondément avant de pénétrer dans le hall.
Ne pas merder, Théo… Ne pas merder…
27. Perversion de l'esprit
Nina
[H.E.L.P]
Théo
Putain… J’y crois pas. Elle se met à pleurer… Quel drame ai-je encore
initié ? Alors qu’elle se barre dans sa salle de bain, je ne cesse de me poser la
question car, de toute évidence, ses larmes ne résultent pas de l’orgasme… À
cet instant, elle affiche le même air que Vanessa lorsque nous étions dans cette
chambre d’hôtel. Un regard perdu dans lequel on décèle la peur mêlée à
l’envie. Je me hais… Sans le vouloir, je l’ai blessée… Selon mon habitude, j’ai
baisé au lieu de parler… Pourquoi ma queue déménage-t-elle dans mon
cerveau à chaque fois que cette fille se trouve dans mon périmètre ? Pourquoi
n’ai-je pas été capable, comme tout individu normal, de simplement lui dire : «
Je suis tellement heureux de te voir en vie ! » ? Non, il a fallu que je satisfasse
ce putain de manque, que je me laisse envahir par la volupté qui régnait dans la
pièce, que je m’embrase à cause des flammes qui dansaient dans ses pupilles.
Quel blaireau ! Voilà ce à quoi je songe tandis qu’elle vient me rejoindre sur
son canapé. Bon, je dois écouter Léa et arrêter de m’apitoyer. Il devient urgent
de mettre un terme à tous ces non-dits, de repartir sur de bonnes bases. Notre
relation vaut la peine d’être vécue, je suis déterminé à le lui faire comprendre.
— On m’a informé de ce qu’il s’était produit, entamé-je d’un ton
protecteur.
— Ah, je vois…
Quelle réponse ! De toute évidence, ma tâche ne sera pas aisée…
Étant donné ton comportement, que tu rames m’apparaît plus que
légitime…
Vu sous cet angle…
— Explique-moi… Pourquoi ? l’encouragé-je à poursuivre.
— Pour les mauvaises raisons sans doute, me répond-elle d’un air blasé.
Trop de tuiles d’un coup, j’imagine…
— Ah, cette fameuse « loi de l’emmerdement maximal », dévié-je afin de
la sortir de sa morosité apparente.
—…
Visiblement, cette tactique ne fonctionne pas. Changes-en.
— As-tu des nouvelles de ta mère ?
— Non.
Fermée comme une huître… Tu vas galérer…
— Je me sens horriblement coupable… J’aurais dû être présent pour te
soutenir dans cette épreuve difficile.
— Tu ne peux pas jouer sur tous les tableaux…, sous-entend-elle, amère.
— Nina, je ne plaisante pas ! m’énervé-je. Tu ne vas pas bien, je ne vais
pas bien, NOUS n’allons pas bien !
Enfin, la bombe se désamorce puisqu’elle réplique sur un ton identique au
mien :
— Tu percutes seulement maintenant ?
— Non, évidemment… Par contre, j’étais persuadé que tout s’arrangerait.
— Ah, oui ? De quelle manière ? En priant pour que je devienne aveugle
ou la pire des connes ? En souhaitant que je puisse un jour me résigner à
t’attendre pendant que tu en sautes une autre ?
— Mais, bordel, Nina ! Ne sois pas ridicule ! En quelle langue dois-je
m’excuser ?
— Tu ne comprends pas que je me fous de tes repentirs ? Tu espères
vraiment que ça suffit ? Permets-moi de te souligner qu’une fois encore, tu es à
côté de la plaque ! Tu veux savoir pourquoi j’ai pleuré ? Parce que je suis
malade à l’idée d’imaginer les mains de cette tarée posées sur ta peau, de
savoir que tu penses à elle quand tu me baises ! Parce que j’ai envie de gerber
en songeant qu’ELLE voit ton visage lorsque tu es en train de jouir !
— Ne te parasite pas avec des faits qui n’existent pas.
— Bien. Alors, dis-moi. Comment réagirais-tu à ma place ? me défie-t-
elle.
—…
— Ah, tu vois, en inversant les rôles, tu te rends compte que ce n’est pas
aussi facile que tu le croies !
— Je tenterais au moins de t’excuser, lâché-je, ne sachant pas s’il s’agit là
d’un mensonge éhonté ou de la vérité.
J’opte pour la mauvaise foi…
Toute tension semble subitement s’évaporer de son corps. Ses épaules
s’affaissent, elle baisse la tête, serre ses paumes l’une contre l’autre pour
gratter les cuticules de son pouce gauche.
Mauvais signe…
— J’ai essayé… Mais je ne peux pas, Théo.
Co… Comment ? Sa voix prend un rythme traînant… Je déteste ce ton, j’ai
l’impression qu’elle s’apprête à rendre les armes.
— De… Que ? Tu ne peux pas quoi ?
— Te pardonner, murmure-t-elle.
Putain…
— Je te jure que cette satanée nuit ne signifiait rien !
— J‘accepte de l’envisager.
Oui ! On gagne du terrain !
— Sauf que psychologiquement, je suis incapable de passer l’éponge. Ça
bloque là-dedans, m’explique-t-elle, en déliant ses mains pour se taper la tête
du bout du doigt.
Hé merde…
— Je ne recommencerai pas, je te le promets !
— Il paraît que tous les infidèles se défendent de cette façon… Tu le
referas, Théo. Et peut-être que cette fois-là comptera… Comment veux-tu que
je sois sereine concernant l’avenir ?
— Ne songe pas à de telles choses, s’il te plaît. Il s’agit d’un faux
problème.
— Arrête de me dire ce que je suis en droit de penser ou non !
— Mais, je…
— Cependant, tu as raison, me coupe-t-elle.
Ah ?
— Le hic se situe également dans la manière dont tu te comportes avec
moi.
— Attends, je ne comprends rien. Tu m’as affirmé que tu aimais le jeu que
nous avions instauré !
— Je ne parle pas de ça.
Franchement, il me faut un décodeur, je suis complètement paumé.
— Putain Théo, ne me regarde pas avec cet air ahuri ! À croire que tu
tombes des nues !
Ben…
— Depuis que nous avons mis les pieds dans cette satanée fac, tu ne cesses
de me traiter comme la dernière des catins ! Je ne suis pas ton objet, figure-toi
!
— Je… Je ne me doutais pas que tu pouvais l’interpréter de cette façon…
Il faut effectivement que je travaille sur ma jalousie…
S’il n’y avait que cet aspect…
— Je… Au-delà de notre couple, j’ai aussi besoin d’exister par moi-
même. On m’a déjà beaucoup trop humiliée, je me suis déjà trop battue pour
accéder à ma liberté. Je ne peux cautionner un comportement pareil… Tu saisis
?
— Oui… On a encore du boulot, hein ? achevé-je en souriant timidement,
dans l’espoir qu’elle me rende la pareille.
— Effectivement… Mais à quel prix ?
— Celui de notre bonheur.
— Mmm…
Je commence à flipper grave. Rien n’a l’air de pouvoir la dérider.
— Nina… Nous sommes heureux ensemble, non ?
— Oui…
Enfin, elle l’avoue…
— Nous l’avons été. Deux mois, Théo. Deux mois. Crois-tu que cela soit
suffisant ? En contrepartie, dis-moi combien de temps nous passons à nous
détruire ?
Elle marque un point…
—…
— Trop longtemps, justement, répond-elle à ma place. Au fond, nous le
savons tous les deux. Maintenant, nous devons nous l’avouer.
Et remporte la manche…
Jamais ! Je compte bien le lui prouver… J’attrape mon manteau posé sur
l’accoudoir du canapé, puis ouvre la fermeture éclair de la poche. Alors que je
suis sur le point d’en sortir la bague pour lui faire ma demande, ses paroles
stoppent mon geste, net :
— Te souviens-tu de la décision que tu te sentais obligé de prendre
lorsque nous étions dans cette chambre d’hôpital ?
À l’évocation de cet épisode douloureux, je ferme les yeux tout en me
massant les tempes dans de petits cercles concentriques. — Oui…, soufflé-je
péniblement.
— Aujourd’hui, je l’accepte…, énonce-t-elle d’une voix tremblante.
— Hors de question. Notre histoire ne peut pas s’achever ! Nous sommes
des âmes-sœurs !
— Théo, ouvre les yeux ! Quelque chose a été cassé, aucun retour en
arrière ne sera possible… Tu as brisé notre pacte… C’est fini…
L’ampleur du choc me rend muet, engendrant un pesant silence qui
s’éternise. Les mots cheminent difficilement dans mes synapses jusqu’à ce
qu’ils fassent sens… Peu à peu, je me résigne… Mais, pour retarder la
douloureuse échéance de notre séparation, je lui saisis les mains et la fixe
intensément. Mes yeux lui font un adieu impossible à retranscrire avec des
mots. Ils sonneraient bien trop creux par rapport à la puissance de ce que je
ressens. Alors que nous nous dévisageons, des perles incontrôlables dévalent
le long de nos joues respectives. Je pense que nous avons été trop fous de
croire que cela pouvait marcher. La voir pleurer me retourne, encore plus
lorsque je prends conscience que la plupart des larmes qu’elle a versées, ont
coulé par ma faute… Elle a raison… Je dois lui rendre sa liberté… Meurtri,
après avoir posé une dernière fois mes lèvres sur son front, je me résous à
partir et, le corps aussi lourd que mon coeur, je claque sa porte sans même me
retourner…
Cette fois, il s’agit réellement de la fin de votre histoire…
Donc, qu’attends-tu pour te barrer ? Tu me tapes sur le système !
Abattu, je reste longtemps assis dans ma voiture, les mains agrippées au
volant, le regard dans le vague… Nous avons enfin eu la conversation que
nous méritions. Cette issue désastreuse n’est pas celle que j’escomptais
cependant, elle était nécessaire à la compréhension de l’aspect destructeur de
notre amour… Ça m’arrache les tripes… Toutefois, pour elle, pour son
bonheur, je me force à l’accepter. Mon projet de départ, que je croyais
définitivement avorté, s’avère, au bout du compte, toujours d’actualité. Sauf
que maintenant, je ne l’effectue plus par lâcheté, mais en connaissance de
cause… Demain, j’en aurai terminé avec tout ça… Je finis par démarrer, le
bruit du moteur étouffant les bruits que font les palpitations effrénées de mon
coeur.
Rentré chez moi, l’essentiel de mes affaires étant déjà prêt, je m’emploie à
gérer les différentes modalités administratives relatives à ma désertion. Installé
à la table du salon, j’entame la rédaction d’une lettre, destinée aux deux seules
personnes que je ne regrette absolument pas de quitter. Eux se verront offrir un
dernier affront en guise d’adieu… Cette fois, ils assumeront réellement les
agissements de leur fils.
Nina
Les spasmes de désespoir débutent dès que Théo claque la porte de mon
appartement. Étant donnée l’issue désastreuse de cette conversation, il fallait
s’y attendre… Je désirais cette mise au point, seulement, je n’imaginais pas que
cela me ferait aussi mal de lui dire adieu… J’ai l’impression que l’on vient de
me planter un poignard en plein coeur et qu’on tente maintenant de le retirer
sans y parvenir. On tire avec force sur cette dague, on la pousse d’avant en
arrière, de gauche à droite en vue de l’extraire… Mais elle se refuse à sortir.
Ces manipulations ouvrent davantage la plaie déjà béante ; pourtant, je ne
cherche pas à mettre un terme à ces mouvements. J’en ai besoin, au même titre
que les larmes qui coulent. Ils sont des remèdes servant à libérer toute
l’amertume accumulée, à nettoyer mes viscères de la souffrance y étant
incrustée… En parallèle, mon cerveau s’obstine à me repasser tout ce que
Théo et moi avons partagé depuis que nous nous connaissons. À l’image d’un
film à l’eau de rose, je revis nos bons comme nos mauvais moments sur un
fond de musique tragique… Oui… Car malheureusement, grâce à ces flash-
backs, je me rends compte qu’il y a eu bien plus de peines que je ne le croyais.
Les gens, ainsi que les forces supérieures, n’étaient vraiment pas décidés à
nous laisser en paix… Pour avancer, j’essaie donc de me persuader qu’aucun
regret ne doit subsister… De toute façon, quoi qu’il advienne, cet homme
restera à jamais gravé dans ma mémoire… Il sera éternellement, mon
torturé…
Lorsque je lève les yeux en direction de l’horloge murale, je m’aperçois
qu’il est cinq heures passées. Fait chier ! Je n’ai pas envie de bouger ! Pourquoi
avoir refusé ce foutu arrêt de travail ? Comme si j’avais la tête à aller bosser !
Ça t’aidera à te changer les idées. Maintenant, tu tournes la page pour
être en mesure d’écrire une nouvelle histoire.
Donc, j’en conclus que cette satanée voix n’a pas décampé en même temps
que lui… Que va-t-il falloir que je fasse pour qu’elle me fiche la paix ? Tout
en me levant péniblement du canapé, je songe au moyen de l’expulser de mon
crâne. Mise à part me taper la tête contre les murs, je ne vois aucune autre
solution… D’ailleurs, en parlant de tête, maintenant face à la glace de la salle
de bain, cette dernière me fiche la trouille… Je ne peux décemment pas me
présenter au restaurant avec une tronche pareille ! Alors, tout comme cela
m’arrivait fréquemment dans mon ancienne profession, je m’applique à
camoufler soigneusement les stigmates de mes dernières peines. Grands coups
d’eau dans l’espoir de voir dégonfler mon visage, anticernes, fond de teint,
poudre, tout y passe. Si ma mine s’en trouve à peu près meilleure, mon état
d’esprit quant à lui, demeure identique.
— Allez Nina, motive-toi !
Au bout de la quinzième répétition devant le miroir « allure générale », je
ne suis toujours pas capable d’exécuter mes propres ordres… Je reste encore
bien dix minutes à tenter de m’auto-convaincre puis, en désespoir de cause, je
me résous à partir. Après avoir lissé les plis imaginaires de ma tenue- un pull
col roulé noir assorti d’un jean-, j’enfile ma doudoune pour quitter
l’appartement, non sans détailler avec mélancolie chaque élément de mon
salon qui, définitivement, ne sera jamais plus pareil… Pendant mon trajet,
d’autres souvenirs tentent de revenir paralyser mon cerveau mais, à cet instant,
je refuse de les laisser prendre possession du peu de neurones qui subsiste.
Pourquoi mon esprit s’escrime-t-il à m’occasionner une telle torture ?
La vraie valeur des choses n’apparaît que lorsqu’on les a perdues…
Je l’ai compris depuis longtemps déjà, tu peux garder tes clichés pour toi
! Les ruminations de cet après-midi n’ont-elles pas été suffisantes ? J’ai passé
des heures à me torturer ! Je connais parfaitement l’importance de Théo dans
ma vie, inutile de continuellement me le rappeler ! J’aimerais juste que l’on me
dise quand cessera cette auto-flagellation !
— Vous, qui vous acharnez sans relâche, n’avez-vous pas envie d’une
nouvelle cible ? Je suis usée jusqu’à la corde, vous ne pourrez plus rien faire
moi…, marmonné-je, sans réellement savoir à qui je m’adresse.
Au même instant, je croise un passant marchant en sens inverse, ce dernier
me dévisageant comme si j’étais folle. Pff… Oui, je parle toute seule ! Et alors
? Si ça les dérange, les gens n’ont qu’à s’occuper de ce qui les regarde ! Tout à
coup, ça devient trop… Pour ne pas me laisser une nouvelle fois submerger
par mes émotions, je refuse l’accès de ces réminiscences qui continuent à
vouloir forcer les portes de mon esprit, en me focalisant sur mon devenir.
Indéniablement, je dois me raccrocher aux bases. L’oublier, les cours, le
boulot, Hugo. Point final !
Nina
— Mademoiselle ?
Bien que l’on me secoue gentiment, mes paupières refusent de se relever.
L’énergie me manque, j’ai l’impression que l’on compresse ma cage
thoracique dans un étau tandis que ma peau me brûle atrocement… Qu’ai-je
encore fait ? Où suis-je ?
— Mademoiselle, vous m’entendez ?
Peu à peu, le brouillard qui flottait autour de moi se dissipe, aidant ainsi
les éléments à me revenir en mémoire. Barbara, Jack, la bagarre en vue
d’acquérir une liberté que j’avais pourtant déjà retrouvée. Théo… Revenu dans
le but de me sauver… Sauf qu’à cet instant, le timbre de sa voix sonne faux à
mes oreilles…
— Théo ? l’appelé-je faiblement.
— Non, mademoiselle, il ne s’agit pas de Théo.
Impossible…
— Je suis policier, les pompiers ne vont pas tarder à arriver.
Pompier ? Policier ? Je ne comprends plus rien…
— Ramenez-moi Théo ! Je l’ai entendu.
— Y’a-t-il un certain Théo dans les parages ? se met à crier mon
mystérieux interlocuteur.
Personne ne répond à sa question. Cette fois, je n’ai plus d’autre choix que
d’ouvrir les yeux. Je dois savoir.
— Bonsoir. Content que vous soyez réveillée. Vous allez bien ?
Pas vraiment… Même si mon mal de crâne empêche à mes rétines de faire
correctement le focus, de toute évidence, les iris de cet homme ne sont pas
verts, sa mâchoire arrondie, et non anguleuse, son torse musclé certes, mais
pas aussi dur qu’un roc…
Ta souffrance t’a encore leurrée…
— Comment vous appelez-vous ?
— Nina Sanchez, articulé-je difficilement.
— Êtes-vous capable de me détailler les événements ?
— Je… je…
— Ce type l’a attaquée sans aucune raison apparente, intervient
brusquement Rosa en m’ordonnant le silence d’un seul regard.
— Vous le connaissiez ? reprend le flic à mon intention.
— Elle non, elle travaille dans mon restaurant. Mais moi, oui…
Je comprends… Elle leur donne du grain à moudre afin qu’il ne se
préoccupe pas trop de mon cas…
— Dans quel cadre, madame ? Vous a-t-il déjà importunée ?
— Je bossais pour lui, affirme-t-elle en ancrant profondément ses pupilles
assombries dans les siennes.
Tout à coup gêné, le policier baisse la tête, puis enchaîne après s’être raclé
la gorge :
— Bien… Je vois… Nos services le traquaient depuis un moment et nous
sommes heureux d’avoir pu lui mettre la main dessus. J’aurai prochainement
besoin de vos témoignages. Mademoiselle Sanchez, vous concernant, il suffira
de nous décrire les circonstances de cette agression. Quant à vous… Pour…
heu…
— La prostitution, achève-t-elle à sa place en redressant son buste.
— Exactement. Voici les pompiers. Il ne nous reste plus que quelques
formalités à accomplir avant que je ne vous laisse entre leurs mains.
Ce policier, à peine sorti d’études, note nos coordonnées, puis s’en
retourne vers Jack, qui me regarde haineusement pendant que l’on m’examine.
— Il y a eu plus de peur que de mal, mademoiselle Sanchez, m’informe
l’urgentiste. Vous avez de la « chance », il n’y a pas de casse.
Je rêve ou il vient de former des guillemets avec ses doigts ?
Tu ne fantasmes pas, il l’a fait… On doit leur apprendre cette mimique à
l’école de médecine, je ne vois pas d’autre explication.
— Alors, pourquoi ai-je autant de mal à trouver de l’air ? l’interrogé-je
en ayant le sentiment que l’étau se resserre davantage.
— Vos difficultés respiratoires sont essentiellement dues aux coups que
vous venez de recevoir. Une bonne nuit de sommeil et la gêne devrait se
résorber. De toute façon, nous allons vous conduire à l’hôpital.
Hors de question ! À cette heure, je ne suis pas certaine de pouvoir
supporter le comportement des « guillemets-men » …
— Inutile, je vais bien, affirmé-je.
— En cas de perte de connaissance, le protocole l’exige. Surtout lorsque
des délires l’accompagne…
— Pardon ?
— Au sujet d’un certain Théo… Vous ne vous en souvenez pas ?
Je ne fabule pas ! Paniquée, incapable de répondre quoi que ce soit, je jette
un regard suppliant à Rosa afin qu’elle m’aide.
— Cet homme existe, monsieur, intervient-elle.
— Bien. Où est-il alors ? demande-t-il en vue de la piéger.
— Absent, ils viennent de rompre. La peur l’a sans doute poussée à
l’oublier.
Ses mots noircissent encore plus ma triste réalité, mais semblent faire
mouche auprès du pompier.
— Bien…, acquiesce-t-il, toutefois sceptique. Je vous demande donc de
me signer cette décharge en me promettant de la surveiller pendant les
prochaines quarante-huit heures.
— Comptez sur moi.
En ce moment, les gens ont vraiment le don de parler de moi comme si
j’étais absente. En même temps, je suis soulagée car je n’aurais pas pu tenir le
quart de cette conversation. Je me serais forcément embrouillée dans mon
mensonge. Les papiers remplis, à nouveau sur pied une fois le brancard replié,
j’interroge ma patronne :
— Rosa ? Vu la manière dont je t’ai agressée, pourquoi m’as-tu défendue
?
— Parce que j’estime, peut-être à tort, que tu as besoin d’aide… Et puis, en
aucun cas les forces de l’ordre ne doivent connaître la nature exacte de tes
liens avec Jack… Tu es certes très mature pour ton âge ; seulement, ce sont les
chiffres inscrits sur ta carte d’identité qui comptent avant tout. S’ils
comprenaient que tu étais à peine majeure…
Oh putain, je n’y avais pas réfléchi, non plus…
— Merci, Rosa, pour tout…, la coupé-je.
— Je t’en prie, ma belle… Mais c’est surtout ton amie que tu dois
remercier. Sans elle, nous serions probablement intervenus trop tard…
Hugo
Théo
Tic Tac. Tic Tac. Assis sur l’une des chaises de mon salon, je fixe ma
montre depuis des heures. À cette minute précise, les aiguilles m’indiquent le
moment de partir… Le coeur serré, j’effectue un dernier tour de mon
appartement, encore entièrement meublé en dépit de mon abandon imminent.
Dans un ultime regard, je salue tous les souvenirs qui lui sont rattachés, puis
attrape mon sac de voyage avant de claquer la porte derrière moi. Pendant que
je descends les escaliers, en me forçant à ne rien ressentir, je glisse les clefs
dans l’enveloppe destinée à mes parents. Maintenant que je suis à l’air libre, je
ne parviens pas à retrouver une respiration normale pour autant si bien que,
pour m’apaiser, je détaille la façade de mon immeuble en expirant à grandes
bouffées. Je ne reverrai plus ces volets rouges… Mon angoisse refuse de
disparaître, elle s’accroît même davantage à l’instant où je joue nerveusement
avec la bague, désormais accrochée à la chaîne autour de mon cou. Putain,
pourquoi ai-je le sentiment de foncer droit dans le mur ?
La peur, Théo… Pour tout le monde, l’inconnu s’avère anxiogène. Rassure-
toi, il s’agit de la meilleure décision que tu aies prise…
L’état de doute dans lequel je me situe me pousse à m’en remettre
totalement à ma voix intérieure. Je pensais d’ailleurs que cette dernière
s’évaporerait dès la fin de mon histoire avec Nina… Mais non… Son rôle est
probablement celui de me guider jusqu’à ce que les portes de l’avion ne se
referment.
Sur le chemin qui me mène à la poste, je prends soin de m’imprégner de
tous les éléments qui ont composé mon décor au cours de ces dernières années.
Étrangement, tout m’apparaît beaucoup plus beau que d’ordinaire. En sachant
que je n’aurai plus l’occasion de les observer, même les arbres les plus banals
se magnifient. Contrairement à d’habitude, je ne m’énerve pas contre la
guichetière qui me regarde avec gourmandise quand elle lèche le timbre
fraîchement acheté afin de le coller sur l’enveloppe. Aujourd’hui, je l’y
autorise… Elle n’en a pas connaissance, mais jamais plus elle ne pourra
m’allumer de la sorte.
Mes courriers postés, brusquement pris d’une sensibilité débordante,
j’effectue de nombreux détours avant de me rendre à la gare, passant ainsi une
bonne heure à saluer une dernière fois les lieux qui me sont le plus chers.
Nina
— Réveillée ?
Je rabats la couette sur mon visage pour ne pas entendre cette voix qui me
tire de ma somnolence. Comme me l’indique le grincement familier de la
porte, Rosa entre dans ma chambre et vient s’asseoir sur le rebord de mon lit.
— Nina ?
— Mmh…
— Je ne vais pas tarder à partir. Tu as bien dormi ?
— Aussi surprenant que cela puisse paraître, oui, constaté-je en me
tournant vers elle.
Ce simple mouvement m’arrache une grimace de douleur. Clairement,
mes courbatures ne disparaîtront pas de sitôt…
— Te sens-tu capable de rester seule jusqu’à la fin de mon service ? me
demande-t-elle, en me caressant les cheveux.
— Ne t’inquiète pas, ça ira. Il me faut juste un peu de temps pour émerger.
— Ok… Je t’ai déposé des cachets sur le plan de travail de la cuisine.
Prends-les dès que tu te lèveras. Je serai de retour au plus tard à seize heures.
— Oui, maman, me moqué-je gentiment.
Instantanément, une vague d’amertume me submerge. J’aimerais tellement
que ce soit la mienne qui soit en train de prononcer ces paroles bienveillantes
!
Nina, n’y songe pas…
Je sais… Décider de ne plus la voir est une chose, apprendre à vivre avec
en représente une autre…
Rosa partie, je me réveille convenablement, étire mes articulations
douloureuses, avant d’effectuer une tentative afin de m’extraire de ma couette
si chaude. Lorsque je me redresse, à l’image du lendemain de la première
bagarre, ma tête tourne affreusement et, à peine mes pieds posés au sol, je
manque de défaillir. Fébrile, en me tenant aux murs, j’avale les comprimés
préparés par ma patronne, puis me dirige à petits pas dans la salle de bain.
J’imaginais que l’eau chaude me ferait du bien, qu’elle délierait mes muscles
froissés, finalement, cet exercice s’apparente à un véritable calvaire ! Dès que
mes mains entrent en contact avec ma peau, des coups d’électricité se
propagent dans tout mon corps. Je sors donc plus rapidement que prévu, enfile
mon fidèle peignoir, et à la seconde où je m‘assieds sur le canapé, la porte de
mon appartement s’ouvre en grand.
— Hugo ? Tu ne frappes plus, maintenant ?
Mes remontrances s’arrêtent sur le champ. Quelque chose ne va pas… Il
apparaît rouge écarlate, des gouttes de sueur perlant le long de son front,
essoufflé comme s’il venait de courir un marathon.
— Il ne servait à rien que tu paniques, je t’avais assuré que tout allait bien.
— Ce… Ce… pas…, bégaie-t-il, totalement incapable de formuler une
réponse cohérente.
— Bon, pose-toi cinq minutes.
Il se place à mes côtés tandis que je le dévisage, incrédule, en attendant
qu’il reprenne une respiration normale.
— Ok, ça va mieux ! Tu pourrais au moins relever ton courrier, me
dispute-t-il en posant une énorme pile de prospectus sur ma table basse.
J’ai franchement d’autres choses auxquelles penser !
— Lire les pubs ne fait pas partie de mes plus grandes priorités, vois-tu.
Bref, pourquoi es-tu dans un état pareil ?
Il relève sa tête cramoisie vers moi, ses yeux s’agrandissant lorsqu’ils
atterrissent sur mon visage tuméfié :
— Putain, ma puce ! On dirait Shrek peint en violet ! Ce salaud ne t’a
vraiment pas ratée ! s’exclame-t-il, horrifié.
Je sais, merci… Toujours le mot pour plaire…
— S’il s’agit du prix à payer pour que nous ne le revoyons plus dans le
décor, cette tronche d’ogre en vaut la peine… J’en conclus que tu n’as pas pu
t’empêcher d’aller glaner des informations auprès de Barbara…
— Je l’envisageais, en effet. Seulement, figure-toi qu’elle m’a trouvé
avant.
— Ah, elle t’a raconté ? Incroyable, non ?
— Euh… Oui… Elle t’a appelée entre temps ?
— Ben non, elle me l’a appris hier soir !
— Impossible, nous ne le savions pas encore, réplique Hugo,
décontenancé.
— Excuse-moi, j’étais peut-être sonnée ; pourtant, je l’ai parfaitement
entendue m’avouer qu’elle préférait les femmes !
— Quoi ?
— Tu ne voulais pas me parler de ça ?
— Barbie, lesbienne ! Celle-ci, non plus, je ne m’en serais absolument pas
douté ! Bref, on s’égare. Je suis venu t’annoncer un truc de dingue !
— Léa attend à nouveau un bébé !
— Non. C’est à propos de Théo…
— Hugo, je t’arrête tout de suite. Inutile d’essayer de me faire changer
d’avis, je ne reviendrai pas en arrière.
— Écoute-moi, m’ordonne-t-il d’un ton sans appel qui m’empêche de
continuer ma phrase. Barbara a enfin compris que « Dirty Love » était une
histoire vraie…
— Je suis également au courant. D’ailleurs, elle a mis les voiles peu après
que nous en ayons discuté.
— Parce qu’elle a décelé LA faille !
— Tu me stresses ! Je ne capte rien !
— Théo ne t’a pas trompée avec Mélissa…
J’ai l’impression que lui-aussi m’envoie un puissant uppercut dans
l’estomac. Ma respiration, déjà erratique, se coupe carrément lorsqu’il
m’explique les éléments découlant de leur interrogatoire.
— Donc, rien d’étonnant à ce qu’il ne possède plus aucun souvenir…,
conclut-il dans un sourire magistral.
Putain… Je vais saigner cette connasse…
— Je… Merde…
— Je croyais que cette information te ferait hurler de joie, que tu serais
déjà sur le point de te ruer chez lui !
— Oui… Bien sûr, je suis contente… Mais… Tu vois, au final, sa
tromperie a révélé qu’il existait beaucoup trop de brèches au sein de notre
relation. Elle n’était pas saine, ne menait nulle part, tu comprends ?
— Pas complètement… Au lycée, sans aucun doute. Mais plus maintenant,
si ?
— Si…
— Tu… Tu… Tu ne vas rien faire, alors ?
J’inspire profondément puis déglutis avant de lui répondre :
— Je ne vais rien faire. Nous sommes séparés et le resterons.
— Ok… Donc, il n’a aucun regret à avoir quant à son départ, ajoute-t-il
paraissant déçu par ma réaction.
Quoi ?
— Son départ ? Où ? Quand ?
— Punta Cana… Hier, Léa lui a rendu visite. Il le lui a annoncé.
— Pourquoi tu ne me l’as pas dit plus tôt ?
— Parce que je viens seulement d’avoir la possibilité d’échanger avec
elle. Ils sont au salon du livre. D’après ses infos, à cet instant, Théo se trouve
probablement dans un train en direction de Paris.
Mon coeur bat à mille à l’heure. Même si j’ai affirmé le contraire, au fond
de moi, une infime lueur d’espoir subsistait en songeant que, fidèle à mes
habitudes, je changerais d’avis dès que je l’aurais en face de moi…
Ce qui ne sera désormais plus possible…
— Alors, comme me l’a souvent répété Rosa, il devait en être ainsi…, me
résigné-je.
Je prends ma tête entre mes paumes, les coudes posés sur mes genoux en
me forçant à respirer afin de ne pas pleurer. Pour me faciliter cette pénible
tâche, je me concentre sur le tas de prospectus jusqu’à ce que mes idées
s’éclaircissent et qu’un bout d’enveloppe blanche attire mon intention. Je m’en
empare prestement, repensant aussitôt à ma mère. Je l’inspecte sous tous les
angles, seulement, elle apparaît vierge de toute écriture, sans cachet me
permettant d’en identifier la provenance. Les tripes au bord des lèvres, je
l’ouvre. À peine la lettre sortie, telles des feuilles secouées par le vent, mes
mains tremblent follement. Mes yeux rencontrent l’écriture belle, masculine et
arrondie qui a noirci la page… Son écriture…
Bordel…
Je tente de la relire une seconde fois ; seulement, les larmes brouillant ma
vue m’en empêchent.
— Ma puce ?
— Hugo ?
— Oh là là, je déteste cette voix…
— Moi-aussi… Il s’agit de celle que prend Nina quand elle saisit qu’elle a
merdé sur toute la ligne…
Et pas qu’un peu…
Il m’aime… Assez pour tirer un trait sur ses acquis… Assez pour me
laisser aller dans les bras d’un autre… Putain, je ne veux pas d’un autre ! Je le
veux lui, mon torturé !
— Regarde-ça, ordonné-je à mon ange gardien en lui collant la lettre dans
les mains.
Il s’en empare, parcourt silencieusement ces mots merveilleux tandis que
je les prononce du bout des lèvres. Comme s’ils s’étaient gravés dans mon
coeur au rythme de ma lecture, je les connais déjà à la virgule près.
— Wahou !
— Wahou, quoi ? demandé-je confirmation, effrayée à l’idée de me
planter d’interprétation.
— Ben… Tu as clairement merdé !
Putain, putain, putain. Ne pensant plus à la douleur présente dans tout mon
corps, je me lève brusquement en attrapant un prospectus afin de me ventiler.
— Bon, maintenant, on fait quoi ?
— Bordel, je n’en sais rien, Hugo ! hurlé-je en cédant totalement à la
panique. Il a mis les voiles !
— Ma puce, son avion ne décolle que dans quatre heures…
— Quatre heures ? Impossible de le retrouver dans un laps de temps aussi
court !
— Je… euh…
Pour la première fois, je vois mon meilleur ami s’affoler.
Mauvais signe…
— On s’en fout, on tente ! décide-t-il. Fonce ! Enfin, attends, je t’emmène
à la gare ! se ravise-t-il. Tu prendras le train de seize heures. Si tout se goupille
bien, tu auras même trente minutes d’avance.
— Ok ! Go, go, go !
Remontée à bloc, je crie à tue-tête en ébouriffant mes cheveux alors qu’il
n’est qu’à quelques centimètres de moi. Je vais dans ma chambre, me change,
reviens en trombe dans le salon, attrape mon sac à main, prête à partir, le laisse
retomber à terre, puis retourne vers mon dressing quand je m’aperçois que j’ai
oublié d’enfiler un soutien-gorge.
— Putain, Nina, magne-toi ! m’engueule-t-il, également au bord de la
rupture nerveuse.
Nous descendons les escaliers quatre à quatre et nous engouffrons dans la
voiture, tendus. Le trajet se déroule dans un silence électrique, mes pouces
ressortant dans un état déplorable à notre arrivée à la gare. Nous courons
comme des dératés dans le hall, si bien que je monte dans mon wagon deux
minutes avant que le train ne se mette en branle. Les portes sur le point de se
refermer, je crie à Hugo, resté à quai :
— Je t’aime ! Merci !
— Merde, ma puce !
Les gens doivent nous prendre pour des cinglés, mais je m’en moque. Ils
ne savent pas que mon bonheur dépend, en partie, de mon voyage dans cette
rame bien précise. Au moment où cette dernière s’arrête au terminus, mes
doigts sont carrément en sang… Telle une catcheuse en manque de contact
physique, en bousculant bon nombre de passagers, je me rue en direction des
portes de sortie et fonce vers la borne où je saute dans le taxi qui me mènera à
l’aéroport. Suite à un problème technique sur la voie, j’ai perdu mes trente
minutes d’avance… En espérant que son vol ait également pris du retard…
Autrement, nous sommes foutus… Mon Dieu, faites en sorte que, cette fois,
notre timing soit le bon, je vous en supplie…
34. Question de timing
Nina
Dans les bras l’un de l’autre, nous nous embrassons à pleine bouche,
l’excitation grandissant à mesure que notre baiser s’intensifie… Si nous étions
dans un film ou dans un conte, il ne manquerait plus qu’une salve
d’applaudissements de la part du public de curieux qui nous entoure pour que
la scène soit parfaite… Mais, sur ce coup-là, les scénaristes ont merdé… Ils ne
sont pas aussi forts que nous pouvions le croire…
Epilogue
« Tout le monde dit que l’amour fait mal, mais c’est faux. La solitude
fait mal, se faire rejeter fait mal, perdre quelqu’un fait mal. Tout le monde
confond ces petites choses avec l’amour, mais en réalité, l’amour est la seule
chose dans ce monde capable de faire fuir tout ce mal et te faire te sentir
bien à nouveau ». Liam Neeson
Je n’ai pas pu me résoudre à monter dans cet avion. Je me suis rendu dans
la file d’attente et, à mesure que mon tour approchait, le sentiment de foncer
droit dans le mur m’a à nouveau submergé. Conscience a eu beau m’engueuler,
m’insulter à cause de ma lâcheté, je me suis éloigné de cette rangée peuplée
d’automates. Perdu, en proie à une indécision des plus absolue, j’ai pris la
direction des toilettes afin de recentrer mes idées en vue d’établir un plan
concernant la suite des événements. Après m’être rafraîchi le visage, mes yeux
ont rencontré leur reflet dans le miroir dégueulasse fixé au-dessus du lavabo.
L’homme que je regardais me donnait envie de gerber. Je me revois me
fustiger, me traiter de sans-couilles, de pourri, de pervers. D’affamé qui n’a
pas su résister à la tentation de tromper la seule femme qu’il n’ait jamais
aimée. Je ne ressentais plus que de la haine… Sans trop savoir quoi faire de ma
peau, attendant sans doute que l’on vienne encore trancher à ma place, j’ai
quitté les toilettes publiques en traînant des pieds, dégoûté par les odeurs de
pisse qui me piquaient les narines. De toute façon, inutile que je reste dans cette
foutue salle d’embarquement, même d’ici quelques heures - voire quelques
jours-, je serai toujours aussi incapable de monter dans ce putain de coucou,
ai-je conclu, abattu. Je commençais à étouffer, mon coeur tapait fort dans ma
poitrine à cause de l’angoisse. Il fallait que je prenne l’air, que j’aille
m’enquiller deux, trois verres. Ou plus, si affinités. Saletés de mauvaises
habitudes ! Aussi tenaces que des putains de morbacs ! J’ai donc rebroussé
chemin dans l’objectif de regagner la sortie de l’aéroport. Alors que je
m’apprêtais à quitter l’escalator menant à l’entrée de l’immense hall en verre,
j’ai failli m’écrouler. Nina… Impossible… À croire que mon état de
dépendance avait gravi un échelon supplémentaire. Pourtant… Je me suis
dissimulé parmi les voyageurs afin de m’assurer que ma vision ne résultait pas
d’un nouveau tour imaginé par ces maudites forces supérieures. Elles m’ont
déjà baisé avec une perruque, autant se méfier de leurs manigances… Mon
entêtement a payé car, effectivement, il s’agissait bien d’elle… De ses paumes
glissant le long de la baie vitrée, de ses genoux posés au sol, de ses mains
recouvrant son visage pendant que mon avion décollait. Aux alentours, les
gens la dévisageaient comme si le diable la possédait, personne ne daignant
s’en approcher. Dans ces situations, l’humain me déçoit toujours… La tristesse
ne se refile pas telle une maladie, chacun se trouve libre de l’accepter ou de
l’éloigner de soi. Sans réfléchir davantage, je me suis précipité vers elle en vue
de la protéger de ces paires d’yeux vicieux. Au début, elle a refusé de croire
que je puisse être là, il a fallu que je la convainque en utilisant son surnom… «
Petite » … Finalement, il n’appartient qu’à nous, il nous renvoie là où notre
romance a débuté.
Maintenant que la lumière a été faite sur ma soi-disant trahison,
maintenant que la volonté de tout mettre en œuvre pour la rendre heureuse a
remplacé la fureur, je songe à nouveau aux scénaristes. Cette fois, ils ont
vraiment assuré. Certes, on nage en plein cliché ; seulement, la scène se révèle
tout simplement idyllique. Nous sommes deux silhouettes enlacées dans un
aéroport, se jurant de rester ensemble pour l’éternité, s’embrassant à pleine
bouche afin de sceller cette promesse. Le moment idéal pour formuler ma
demande en mariage… Lorsque je m’agenouille, il ne manque plus que les
applaudissements de la foule pour parfaire le tableau et ainsi inscrire notre
histoire au registre de la comédie romantique ultra mielleuse…
— Non, Théo, je ne peux pas t’épouser.
Ou non… Définitivement, ce style ne nous convient pas, le romantisme a
l‘état pur ne sera jamais notre crédo…
Des paillettes crépitant dans nos pupilles, nous quittons le site, main dans
la main. Dans l’immédiat, je n’ai aucune envie de rentrer sur Nancy. Non parce
que je ne nous crois pas assez fort pour affronter le quotidien, mais
simplement pour ne l’avoir rien qu’à moi pendant quelques instants encore.
D’ailleurs, je connais l’endroit parfait. Un lieu où je n’ai pas remis les pieds
depuis mon adolescence, un hôtel somptueux dans lequel mes parents et moi
avions séjourné lors d’une longue escale. Quand nous parvenons devant
l’immense bâtisse de style haussmannien, Nina ne réagit pas de la manière
escomptée… Évidemment…
— Théo, tu es fou ! Une seule nuit ici représente deux mois de mon salaire
au restaurant !
— Ne t’en préoccupe pas.
— Tu sais, celui où nous allions me suffit amplement…
— Hors de question. Tu vaux bien mieux que ces sinistres endroits.
Désormais, je te traiterai comme une reine.
— Mon luxe le plus précieux est celui de pouvoir passer chaque jour à tes
côtés.
Touché au plus profond de mon coeur, les mots me manquent, je ne peux
formuler de réponse cohérente. Têtu, je l’entraîne tout de même jusqu’à la
réception, réserve notre suite et, aussitôt dans notre chambre, ses protestations
s’évanouissent. Mon objectif en tête, je reste sourd à ses paroles en me
dirigeant vers la salle de bain pour lui faire couler un bain. Étant donné son
état, vu ce que nous venons encore de vivre, elle ressent probablement le
besoin de se délasser.
— Nina, l’appelé-je, une fois la baignoire deux places suffisamment
remplie.
Elle arrive au pas de course, puis se blottit dans mes bras lorsqu’elle
découvre mon attention.
— Merci…, se contente-t-elle de me murmurer.
En silence, je me charge de la déshabiller, constatant avec dégoût les
hématomes qui recouvrent sa peau. Pendant notre trajet, elle m’a raconté ce
qu’il s’était produit et une chose peut s’avérer certaine, je m’assurerai que ce
salaud pourrisse en taule jusqu’à la fin de ses jours. À l’instant où son corps
entre en contact avec l’eau, un soupir de bien-être lui échappe, mon entrejambe
s’animant dès qu’elle penche sa tête en arrière.
— Tu ne viens pas ? m’interroge-t-elle, les yeux fermés, le visage levé en
direction du plafond.
— Euh… Non… Profite de ton moment, tu as mal et je ne suis pas sûr de
pouvoir rester sage…
— Qui t’a dit que je voulais d’un Théo sage ? réplique-t-elle, un sourire se
dessinant sur ses lèvres.
Ces quelques mots ont raison de ma bonne volonté. Je me dévêts
rapidement pour la rejoindre. Dos à mon torse, elle se positionne entre mes
jambes tandis que je m’empare du loofa mis à notre disposition. Cet accessoire
me rappelle le gant de crin que nous avions utilisé à l’époque… Sauf
qu’aujourd’hui, la matière se révèle d’une exquise douceur, comme pour nous
signifier que le temps est venu d’éloigner la douleur, de panser les blessures,
d’en refermer les cicatrices. Je parcours chacune de ses courbes en remerciant
le destin de l’avoir remise sur ma route. Tel un animal en rut, en me léchant les
babines, je fixe ses tétons qui pointent à travers la mousse étalée un peu plus
tôt. La situation devient difficilement contrôlable quand elle ondule au rythme
de ma queue tressaillant contre sa colonne vertébrale. Putain… Je la désire
tellement… Ses paupières toujours closes, sa paume se faufile entre nos
bassins et commence à caresser mon bas-ventre, en ne touchant jamais mon
membre… J’exige qu’elle s’en saisisse… J’aspire à ce qu’elle continue son
manège sans même le frôler… Je ne sais plus… Cette fille peut obtenir de moi
ce que bon lui semble… Elle a réussi à inverser les rôles… Avant, elle était le
pantin dont je me servais à ma guise ; désormais, elle a pris la place du
marionnettiste… Le souffle court, mes pouces dégagent les nuages de savon
qui m’obstruaient la vue sur ses deux magnifiques pommes, pendant que mes
doigts libres sinuent plus bas sur son abdomen. Dès que mon index se pose sur
son bouton rose, elle se cambre davantage tout en resserrant son emprise sur
ma queue. Putain… Nos gestes se font échos. Quand je ralentis mes
mouvements, elle aussi ; quand je tourne plus fort et plus vite, elle malmène
mon gland en passant sa langue sur ses lèvres… Je rêve de la voir jouir dans
cette position. J’étends encore mon bras afin de m’immiscer entre ses chairs.
Ses jambes s’écartent, ses muscles se contractent, ses soupirs devenant de
minces gémissements. Habitée par le désir, elle délaisse mon sexe, remonte ses
mains à hauteur de mon cou, sa tête sur mon torse se faisant plus lourde. Elle
s’abandonne à moi. Totalement… J’adore… Sa bouche pulpeuse s’arrondit, se
refermant presque aussitôt pour étouffer un cri lorsque j’englobe plus
fermement sa poitrine gorgée de sang. J’accélère le tempo, elle lâche
définitivement prise… Au moment où je claque sèchement son clitoris, à
l’instant où je pince étroitement son téton, sa respiration cesse l’espace de
quelques secondes, ses cuisses se resserrent l’une contre l’autre puis, elle se
perd, en murmurant mon prénom entre deux spasmes. Bordel… Le plus
sublime des tableaux… Les clapotis de l’eau se calment au même rythme que
sa respiration. Quand elle ouvre enfin les yeux, ses pupilles sont voilées de
plaisir jusqu’à ce qu’une lueur de défi vienne le remplacer. Elle se tourne face
à moi, l’air radieux… et coquin…
— À ton tour…
Putain… Vanessa…
— Assieds-toi, m’ordonne-t-elle en me désignant le siège moulé dans la
baignoire.
Le coeur battant d’excitation, la queue en feu, je ne peux qu’obéir. À
genoux, elle s’approche de moi, les bras derrière son dos. Elle dépose de
légers baisers le long de mes jambes, ces derniers s’intensifiant à mesure
qu’elle remonte vers le haut de mon corps. Elle s’attarde sur le sud de mon
ventre, le lèche, le mordille, encore une fois, sans jamais effleurer le symbole
de mon désir pour elle… Mon sang pulse, cette fille me rend fou… Tout à
coup, elle rompt tout contact, se redresse, puis m’examine attentivement avant
de se repositionner au-dessus de mon bassin. Ses prunelles flamboyantes
s’ancrent dans les miennes tandis qu’elle glisse lentement ma hampe en elle,
centimètre par centimètre… Mon membre gonfle à mesure de mon immersion
dans sa moiteur. Je veux qu’elle me caresse, mais là n’est visiblement pas son
but. Elle s’oblige à conserver ses mains à distance de ma peau. Je vois
parfaitement où elle souhaite en venir. Elle nous propulse dans cette chambre
d’hôtel, celle où tout a commencé… Elle nous renvoie au soir où, alors que je
me trouvais assis dans le fauteuil en cuir, après m’avoir merveilleusement
sucé, Vanessa était venue s’empaler sur moi, sans autorisation. Excité par le jeu
qu’elle me propose, je m’y prête avec impatience. Tandis qu’elle halète, je
saisis ses deux seins aussi doux que du velours, tout en parcourant l’intérieur
de ses cuisses, ne songeant même pas à titiller son point le plus sensible. Ses
mouvements, d’abord lents, sont amples et fluides, puis tout s’accélère. Ses
coups de reins deviennent saccadés, incohérents, sa poitrine rebondissant pour
le plus grand plaisir de mes yeux, qui n’arrivent plus à se passer de ce
spectacle enivrant. Je la sens se resserrer de plus en plus autour de moi, ce qui
m’amène au bord de la jouissance. Mais il me manque quelque chose, ce que
seul cet ovni a le droit de me faire.
— Tou… Touche-moi, Nina…, la supplié-je.
Ses mains se délient afin de se poser sur mon torse, sa bouche dévore la
mienne, aspire ma langue, entraînant ainsi une explosion intense, libératrice
qui me laisse étourdi pendant quelques instants…
— Promets-moi que l’on ne se déchirera plus jamais, petite, lui demandé-
je une fois mes esprits plus clairs.
— Je ne le peux pas… Par contre, je te jure que nous allons travailler à
grandir… Ensemble…
Alors que nous sommes dans le train pour rentrer sur Nancy, je repense
aux trois jours merveilleux que nous venons de vivre. Trois jours partagés
entre la visite des monuments phares de la capitale et la redécouverte de notre
couple, son apprivoisement… Nous avons posé les choses à plat, une mise au
point me permettant de retrouver le Théo insouciant que j’avais découvert lors
de notre séjour en République Dominicaine. Dorénavant, je refuse que cet
aspect de sa personnalité soit enfoui sous les non-dits… Peu avant notre départ,
j’ai envoyé un message à Hugo pour rapidement lui résumer l’issue de ma
course. À l’aide de centaines de smileys, il m’affirme être heureux pour nous
et j’imagine parfaitement son air coquin au moment où il me marque :
Comme l’exige notre rituel, il viendra me chercher lundi afin que l’on se
rende ensemble en cours. Je serai toutefois présente à la fac demain matin
puisque, désireux de réparer la totalité des dommages, nous avons pris rendez-
vous avec le recteur afin de lui expliquer clairement les tenants et les
aboutissants de notre relation. Alors que le train arrive en gare, je prie
secrètement pour que Théo puisse récupérer son poste… Même si je suis
certaine que le comportement des étudiantes lui bavant dessus continuera à me
taper sur les nerfs, je parviendrai à me contrôler car, maintenant, je n’ai plus
peur… J’ai foi en nous…
Ma nuit a été mauvaise. J’aurais aimé rester à Paris encore quelques jours,
mais on ne peut s’isoler éternellement, il faut bien se confronter à la réalité à
un moment ou un autre. D’autant que le quotidien ne m’effraie plus… Je sais
que nous pourrons y résister sans qu’il ne nous submerge. J’ai foi en nous,
plus rien ne pourra désormais nous détruire… Non, j’ai mal dormi à cause de
l’entretien qui se profile avec mon supérieur.
Nina et moi nous rendons à la fac et, pendant que nous montons
l’immense escalier en béton, je me dis que ma place dépend du bon-vouloir du
doyen… Flippant. Maintenant, face à lui, nous n’en menons pas large…
— Je vous écoute, énonce-t-il d’un ton froid, assis derrière son bureau, les
mains croisées devant sa poitrine alors qu’il ne nous a toujours pas invités à
nous installer.
Comme nous en avions convenu, Nina demeure silencieuse pendant que je
me charge de répondre.
— Nous désirions vous rencontrer afin de vous expliquer plus clairement
la nature de notre liaison. En réalité, nous étions déjà en couple avant
d’intégrer votre établissement. Nos sentiments l’un envers l’autre sont sincères.
J’aimerais récupérer mon emploi et, si vous acceptez de me le rendre, nous
pouvons vous assurer que vous ne rencontrerez plus aucun souci à notre sujet.
Nous veillerons à la plus entière discrétion.
— J’entends ce que vous me dites et je suis persuadé de vos bonnes
intentions ; seulement, je ne peux donner une suite favorable à votre requête.
Merde ! Pourquoi ?
— Comprenez bien, enchaîne-t-il comme s’il avait entendu ma réflexion
intérieure, je perdrais toute crédibilité si je vous réintégrais. De plus, si
d’autres entamaient ce genre de… relation, il me serait difficile de sévir… Je
suis sincèrement navré…
Je crois que je m’y attendais… Pourtant, j’éprouve quand même des
difficultés à réellement appréhender ce qu’il m’arrive.
Déçus, nous quittons les lieux après l’avoir remercié et salué. Désormais,
la question va se poser : De quoi mon avenir sera-t-il composé ?
Suite à notre entretien avec le doyen, Théo a entamé une grande période
de remise en cause. Au début, j’étais vraiment effrayée à l’idée que l’inactivité
ne le fasse replonger dans ses sombres travers, un sentiment inutile, puisque de
toute évidence, il n’était plus cet homme-là. Chaque jour, il a travaillé à
avancer et lorsque je rentrais de mes cours, nous prenions le temps d’échanger
sur ses réflexions de la journée et ce, sans que nos voix intérieures ne viennent
s’immiscer dans la conversation… Incroyable ! Elles ne sont pas revenues
depuis leur départ lors de notre première nuit parisienne. À l’heure actuelle,
mon torturé n’a toujours pas retrouvé d’emploi. La démarche s’avère d’autant
plus compliquée qu’il a décidé de quitter le milieu de l’enseignement. Reste à
savoir dans quel domaine il désire maintenant s’orienter. Il souhaite prendre
son temps afin de ne pas se tromper dans son choix et surtout, être entièrement
présent à mes côtés pour l’épreuve qui m’attend… Demain débute le procès
contre Jack… Comme l’avait exigé le policier le soir de la bagarre, Rosa et
moi nous sommes rendues au commissariat au retour de ma fugue romantique.
Fidèle à notre stratégie, j’ai tu ce qu’il s’était réellement produit. De ce fait, sa
mise en examen a été plus compliquée que prévu. Isolé, le témoignage de Rosa
ne constituait pas une preuve suffisante, il s’agissait de sa parole contre la
sienne. Il nous a donc fallu réunir des récits d’autres filles ayant bossé pour lui,
des femmes difficiles à convaincre car apeurées par les conséquences d’une
simple déposition. Nous y sommes finalement parvenues et d’ici quelques
minutes, nous serons fixées… Voilà le juge… La mine grave, probablement
suite à sa longue délibération, il se réinstalle dernière son pupitre. Mes pouces
en sang, j’attaque les cuticules de mon index tant je suis stressée… Je n’entends
pas les prémices de sa phrase, seuls les derniers mots captent mon attention :
— Cinq ans de prison avec sursis.
Ne me dites pas qu’il est sérieux ? Rosa et moi échangeons un regard
désespéré. Putain, hors de question que ce salaud s’en tire aussi facilement ! Je
suis certaine qu’à peine les portes du tribunal franchies, il cherchera à recruter
de nouvelles « poules aux œufs d’or ! ». Mes jambes s’agitent, je fulmine, je
me transforme encore en ce taureau dont la fumée lui sort par les narines.
Incapable de lui octroyer une telle impunité, comme dans un film, je me
lève en hurlant à travers la salle d’audience :
— Messieurs, les juges ! Si j’avouais vous avoir menti ?
Tous les yeux sont rivés sur moi, plus personne ne bouge. Seule Rosa me
chuchote l’ordre de me rasseoir et de me taire. Mais je ne l’écoute pas… Pour
m’en sortir, j’ai besoin qu’il paie !
— Si je vous disais que je connaissais cet homme bien avant qu’il ne me
tabasse ce fameux soir ? insisté-je face au silence du magistrat. Qu’il était mon
proxénète alors que je n’étais qu’une gamine de dix-sept ans ?
Le temps paraît se figer, puis mon principal interlocuteur se décide à
trancher, désappointé et tendu :
— Nous nous devons d’éclaircir ce point. Mademoiselle Sanchez,
veuillez-vous rendre à la barre.
Mon avocat au bord de la crise cardiaque, je me dirige vers l’endroit
indiqué. Angoissée comme jamais, j’entame de raconter ma propre histoire.
Les débuts sont difficiles, les mots ont du mal à sortir, ils me font atrocement
souffrir… Un sentiment renforcé par l’attitude des jurés, empreinte de peine et
de compassion… Sauf que je ne supporte pas un tel comportement à mon
égard. Je n’ai jamais été et ne serai jamais une petite chose fragile… Je me
nourris donc de cette douleur pour rebondir, affermir mon discours et, au fil
de mes paroles, l’accablement se transforme en un extraordinaire sentiment de
liberté… Peu à peu, je prends conscience du chemin parcouru… Je suis en
train de me pardonner… À la fin de mon récit, la fierté que je lis dans les yeux
de Théo et Rosa m’arrache les larmes que je retenais… Des larmes de joie…
Elles sont silencieuses mais lavent toute l’amertume et la honte accumulée au
cours de ces dernières années…
— Bien, nous vous remercions pour votre témoignage, mademoiselle
Sanchez. Remettez immédiatement cet homme en cellule. L’audience est
suspendue.
Bien que nous ne connaissions pas encore la peine encourue, nous
ressortons soulagés du tribunal, Rosa et moi nous tombant dans les bras l’une
de l’autre :
— Je suis fière de toi, ma belle.
Une fois de plus, je pleure et ris en même temps… Parfois, le soulagement
crée des réactions étranges…
— Merci, Rosa. Sans toi, je n’y serais jamais arrivée…
— Maintenant, tout ceci se trouve derrière toi. Tu vas pouvoir avancer et
enfin vivre ta vie.
— Oui… Une page se tourne pour toi aussi ; que comptes-tu faire à
présent ?
— Continuer à me battre pour l’honneur des femmes et…
Elle stoppe sa phrase et tend sa main en direction de Tête de Hibou qui se
rapproche pour s’en saisir :
— Nous avons décidé de franchir le cap… Nous allons nous installer
ensemble…
— Je suis super contente ! Vous le méritez ! Rosa ?
— Oui ?
— Y’a-t-il de la place pour moi dans ton association ?
Elle me regarde, sans avoir l’air de comprendre le sens de mes propos :
— Je… De l’autre côté de la barrière, je veux dire…
— Évidemment, me répond-elle en souriant à travers ses larmes tout en
resserrant son étreinte.
La tête haute, nous descendons les marches du parvis, pressés de connaître
la décision du juge. Celle-ci tombe quelques semaines plus tard. Je la considère
comme faible par rapport à la souffrance que cette ordure a infligée à de
nombreuses femmes, puisqu’il écope seulement d’une peine de quinze ans
d’emprisonnement. Somme toute, c’est déjà mieux que rien…
Désormais fixée, je n’ai plus le droit de me retourner sur mon passé.
Comme ne cesse de me le répéter Théo, je dois en être fière et m’en servir
pour me construire un bel avenir…
FIN
Remerciements
« MERCI. C’est un petit mot simple, mais qui pèse lourd. Si mes lèvres
l’expriment avec douceur, c’est qu’il prend naissance au fond de mon coeur.
Un grand merci, un petit merci, peu importe sa taille, il n’a pas de
dimension…C’est un signe de reconnaissance qui ne connaît pas
l’indifférence ». Auteur inconnu
Je pensais qu’écrire le mot « fin » me mettrait dans tous mes états. Oui, les
battements de mon cœur se sont accélérés, mais ce n’est rien comparé à ce que
je peux ressentir à l’écriture de ces remerciements. Ce qui n’était
qu’amusement au départ s’est transformé en une formidable aventure qui
s’achève sur ces mots. Je suis fière que nous l’ayons vécue ensemble et espère
qu’elle continuera au-delà de ce roman. En tout cas, je ne pensais pas en
ressortir aussi enrichie. Riche de vous dans un premier temps. Pendant un peu
plus d’un an, nous avons appris à nous connaître en partageant des bouts de
nos vies respectives et je tiens à conserver précieusement tous ces instants. Si
l’on m’avait dit un jour que mon histoire susciterait de telles réactions, je n’y
aurais pas cru… Vos messages, commentaires, témoignages m’ont
profondément touchée, alors merci… Ensuite, riche de tous les apprentissages
que j’ai pu en tirer… Sur moi-même… Vous partager cette histoire m’a
retourné les tripes, m’a fait grandir sans que je ne m’y attende réellement…
Alors, sincèrement, merci à vous de me l’avoir permis.
Je ne peux malheureusement pas citer tout le monde mais, une nouvelle
fois merci à celles et ceux de la première heure, à celles et ceux qui ont pris le
bateau en route puis, à celles et ceux qui viennent d’y embarquer.
Encore et toujours merci à Théo, mon homme de l’ombre, qui a su me
donner les conseils ainsi que le temps nécessaire pour continuer à avancer.
Merci aux personnes de mon entourage qui ont désiré découvrir cette
facette, parfois inconnue, de ma personnalité…
Merci également aux blogueuses, chroniqueuses et organisatrices de
groupes Facebook pour les superbes retours que vous avez pu établir au sujet
de ce roman. Je tiens à souligner le travail exceptionnel réalisé bénévolement
afin d’aider les auteurs à se faire connaître.
Un immense merci à ma maison d’Éditions, Butterfly. Je pense que
l’année que nous venons de passer ensemble a été l’une des plus marquante de
ma vie. Vous avez su m’accorder votre confiance, gérer mes incertitudes et ça,
je ne l’oublierai jamais.
Un merci tout spécial à toi, Stéphanie, mon éditrice. Pour ta patience et ta
compréhension. Tu as accepté et composé avec mon côté légèrement… on peut
se l’avouer… psychopathe… Promis, je vais essayer de m’arranger…
Les filles, je le répète, petit papillon deviendra grand…
Alors merci à vous qui venez de tourner cette dernière page…
Encore et toujours suspendue à vos mots, Jolie Plume.
Les autres ouvrages disponibles chez Butterfly Editions :
Kessilya : Gabriel