Vous êtes sur la page 1sur 213

Emma P.

JOY

ISBN : 978-2-37652-028-3
Titre de l'édition originale : JOY

Copyright © Butterfly Editions 2016

Couverture © Mademoiselle-e - Fotolia

Tous droit réservés, y compris le droit de reproduction de ce livre ou de quelque citation que ce soit sous n'importe quelle forme.

Cet ouvrage est une fiction. Toute référence à des événements historiques, des personnes réelles ou des lieux réels cités n'ont d'autre existence que fictive. Tous
les autres noms, personnages, lieux et événements sont le produit de l'imagination de l'auteur, et toute ressemblance avec des personnes, des événements ou des
lieux existants ou ayant existé, ne peut être que fortuite.

ISBN : 978-2-37652-028-3

Dépôt Légal : Février 2017

201702-0219h30

Internet : www.butterfly-editions.com

contact@butterfly-editions.com
« La chose amusante avec les introvertis, c'est qu'une fois qu'ils se sentent à l'aise avec vous, ils
peuvent être les personnes les plus drôles et les plus adorables qui vous entourent. C'est comme un secret
qu'ils acceptent de partager avec vous. Sauf que le secret, c'est leur personnalité ». - Inconnu.
Prologue

Je n'ai jamais eu peur de la solitude. Au contraire, je l'ai toujours aimée. Dès que j'en ai eu
l'opportunité, je suis partie de chez mes parents pour pouvoir faire ce que je voulais, quand je le voulais.
Aujourd'hui, je chéris cette liberté immense.
Je ne suis pas le genre de personne qui aime la fête, sortir constamment. Je préfère le confort de mon
canapé et la chaleur de mes romans. Il paraît que la lecture aide les gens comme moi, les introvertis.
Grâce à elle, on peut vivre, par procuration, des tonnes de situations qu'on ne provoquera sans doute
jamais. À commencer par une histoire d'amour. Ce soir, c'est Victor Hugo qui guide mes pas. Je relis un
de mes classiques favoris inlassablement : Notre-Dame de Paris.
Mes proches me prennent pour un ermite. Mais le mot qui revient le plus souvent dans leurs bouches
est asociale. D'où le fait de ne pas se mélanger aux autres est un handicap ? D'où préférer observer plutôt
que de participer activement à une conversation pose un problème ? Je suis pourtant normalement
constituée. J'ai deux jambes, deux bras et un cœur.
Ély ne lâche néanmoins pas l'affaire et me propose, comme chaque vendredi soir, de sortir entre
filles. Je me sens bien ici, avec Quasimodo et Esmeralda. Alors moi, de même que d'habitude, je décline
son invitation, prétextant une trop grosse dose de travail.
Je me souviens de notre rencontre comme si c'était hier. Nous assistions à notre premier cours de
Licence 2 à l'Université. Elle venait d'arriver en ville et avait pris place à côté de moi. Elle tentait de
faire la conversation, sans succès. Je déteste parler pour ne rien dire, alors confier mes émotions à une
inconnue ? Jamais de la vie !
J'avais juste trouvé une chose à lui demander, parce que ça m'intriguait vraiment : « Ce sont tes vrais
cheveux ou est-ce une coloration ratée ? ». Beaucoup après cela m'auraient fuie, mais pas elle. Ély a
vraiment tenté de me comprendre, continuant d’insister, en faisant le premier pas. Puis, petit à petit, elle
est parvenue à casser ma coquille. Seule une autre personne y était arrivée jusque-là, Liam. Avec lui, ça
s'est fait naturellement au collège - autant dire une éternité. Il s'isolait car il avait une passion hors du
commun pour un gamin de douze ans, le cinéma. Nous étions les deux Aliens de notre classe. Depuis, on
ne se quitte plus. Et, je me sens vraiment moi-même uniquement lorsqu'ils sont là.
Car quand on me connaît bien, on peut facilement dire que je suis quelqu'un qui aime rire et qui aime
la vie. J'adore passer des heures à m'amuser et ma passion première est de commenter chaque film ou
émission TV qui passe sur le petit écran. Soit dit en passant, j'ai encore rendu Liam complètement fou
lors du visionnage du dernier Woody Allen.
Ma mère tente de m'appeler à son tour mais je ne décroche pas. Je suis trop absorbée par ces
associations de mots qui me font voyager dans autre temps, un monde à part. Cette soirée sera comme
beaucoup d'autres, passée dans le silence. Seul le bruit des pages, qui se tournent, le brise quelque peu.
Mais, j'aime le repos que cela me procure.
La solitude.
Chapitre 1

Cette nuit encore, mon cerveau s'est amusé à me réveiller à quatre heures du matin. Il commençait
déjà à réfléchir à mon programme de la semaine. Et, pire encore, au fait même de travailler. Ce qui m'a
amenée à penser aux inégalités entre les hommes et les femmes et tout ce genre de choses. Alors que je
tentais cruellement de dormir, m'agitant dans tous les sens dans mon lit, lui, songeait aux derniers
ouvrages lus la semaine dernière, et à ceux qui m'attendraient probablement en ce lundi matin. Le traître !
Si bien qu'à neuf heures quinze, j'arrive au bureau avec une envie irrépressible de café. J'ouvre la
porte de la maison d'édition, étant la première sur place, comme tous les jours. J'enclenche la cafetière et
allume mon ordinateur. Cette routine, je l'ai mise en place depuis un mois déjà. Cela fait trente et un jours
exactement qu'on m'a offert le poste de mes rêves. Éditer. Communiquer. Lire des romans à longueur de
journées et choisir lesquels sont assez bons pour être publiés, défendus. Le souhait que j'avais petite fille
s'est bel et bien réalisé.
À neuf heures trente, j'avale mon premier mug d'or noir et me dirige instinctivement vers mon bureau.
Les autres vont arriver d'ici peu et je n'ai pas la moindre envie de m'expliquer sur ma tête à faire peur. Il
est sans doute là mon problème. Je déteste parler de moi, de mes émotions. Par contre, je ne mâche pas
mes mots et ose toujours dire ce que je pense tout haut. C'est justement ce qui a retenu l'attention de mon
boss, m'a-t-il dit.
J'ai cependant cru pendant très longtemps être malade. Alors que les autres riaient ensemble,
s'organisaient des après-midis au parc, ou même des soirées un peu plus tard, à la fac, moi, je restais
seule. Je ne ressentais pas vraiment l'envie de les accompagner. Du moins, pas tout le temps. J'aurais
aimé y aller parfois, mais j'étais hors du cercle. Blacklistée.
Quand on me demandait si j'allais bien, je ne répondais rien, tout simplement parce que ça
m'ennuyait de répéter constamment la même chose. Et rarement, quand on m'invitait à déjeuner avec le
reste de ma classe au lycée, je gardais le silence. Mais pourtant, je me sentais bien en leur compagnie. Je
préférais simplement rester à l'écart, les écouter. Lorsque quelque chose ne me plaisait pas ou qu'une
critique infondée faisait jaser, j'avouais enfin tout haut ce que je pensais tout bas. Alors en plus de passer
pour l'asociale, je devenais l'intello qui étalait sa science. Or, ce n'était pas le cas.
Sept ans après, je suis toujours la même. Joy Cohen, la solitaire. Car oui, l'une ne va jamais sans
l'autre. Les premiers chuchotements me parviennent des bureaux alentours, signe que mes collègues sont
enfin arrivés. Je sais que je suis nouvelle et que je n'ai rien à espérer, mais un bonjour serait le bienvenu.
Seul le patron s'attarde à ma porte pour me saluer. J'avoue ne jamais avoir tenté l'expérience de faire le
premier pas, mais en plus d'être introvertie, mes parents ont donné naissance à une timide. À croire que
j'ai fait quelque chose de mal dans une vie antérieure pour mériter cette plaie.
Je m'attaque à mon premier roman de la matinée après avoir vérifié mes e-mails. Mais très vite, je
suis dérangée par une petite sonnerie qui fait écho entre mes quatre murs.
- Mais d'où ça vient ce machin ? je lâche pour moi-même.
Je me faufile sous mon bureau, sans succès, vérifie mon portable au passage, mais il est éteint. Je
sursaute quand je vois une paire de chaussures face à moi.
- Mademoiselle Cohen, mais que faites-vous ? Voulez-vous bien décrocher ce téléphone avant de me
rendre fou s'il vous plaît ? La secrétaire tente de vous joindre depuis dix bonnes minutes.
- C'était donc ça, ce bruit ? Je suis désolée Monsieur, mais je n'ai jamais eu à prendre un appel
depuis que je suis en poste. Je ne savais même pas que ce combiné était branché...
Quelle tarte, je fais. Je suis certaine d'être rouge de la tête aux pieds à l'heure qu'il est. Mon patron
me toise, me priant des yeux de faire quelque chose pour cesser ce carnage, et je réponds dès qu'il sort de
ma vue.
- Joy, que faites-vous ? Il y a quelqu'un pour vous à l'accueil, venez voir.
Je raccroche précipitamment, lisse ma jupe de mes deux mains frêles et respire un bon coup. Je n'ai
encore jamais eu de visite. Qui cela peut-il bien être ? Ély ou Liam, sûrement. Mais je ne m'attendais
clairement pas à ça en arrivant face à ma mère, ivre de rage.
- Réponds-tu au téléphone de temps en temps ? J'ai essayé de te contacter une dizaine de fois depuis
ce matin. Ton cousin a encore fait des siennes et il ne veut parler qu'à toi, tu viens ? Et Mon Dieu,
regarde-moi cette allure, c'est quoi ces fringues ?
Le ton condescendant de ma génitrice rameute une partie de l'équipe dans le hall. Je l'invite
calmement dans mon bureau et en ferme la porte pour retrouver un peu d'intimité. Sans ces dizaines d'yeux
inquisiteurs sur moi, je me sens beaucoup plus à mon aise pour lui parler et réagir à son invasion
inappropriée.
- Bonjour, maman. Je n'ai pas répondu à ton message car mon téléphone est déchargé et inutile de
venir faire un tel vacarme à mon travail. Je suis nouvelle dans cette boîte, je n'ai pas envie qu'on me
prenne pour une cinglée, je m'en charge très bien toute seule. Alors maintenant dis-moi, qu'est-ce que
Grégory a encore fait ?
Elle m'explique soudain qu'il a eu un accident en rentrant d'une soirée trop arrosée mais à part
arracher un rétroviseur et rayer quelques voitures au passage, il ne lui est rien arrivé de grave. Sa propre
mère tente de le raisonner mais rien n'y fait, il ne veut en discuter qu'avec moi, parait-il. Je la chasse
poliment, lui promettant de passer chez eux le week-end prochain et d'aller voir Grégory dès la fin de ma
journée. Agacée, je reprends enfin le manuscrit où je l'avais laissé un peu plus tôt.
La journée file rapidement, et je refuse une fois encore de déjeuner avec mes collègues, préférant
engloutir mon sandwich entre deux lignes. Les commérages vont sans doute bon train à mon sujet mais je
m'en fiche. Ou, du moins, j'essaye d'en faire abstraction. Les relations seront sans doute meilleures dans
quelques temps mais je suis encore la nouvelle et j'aime prendre mes marques avant de m'engager dans
quelque chose corps et âme.
Un peu après dix-sept heures, je classe les romans qui m'ont été donnés à lire dans la journée en
plusieurs piles. Ceux qui ont leur chance, ceux sur lesquels j'hésite, qui pourront peut-être remplir les
quotas s'ils sont améliorés, et ceux qui méritent de se faire broyer ou mieux encore, de n'avoir jamais
existé. J'ose un hochement de tête à Manon, la secrétaire, et aux deux autres harpies installées non loin
d'elle avant de rejoindre mon cousin.

Grégory est comme mon frère. Nous nous protégeons comme tel. Bien sûr, il nous arrive souvent de
nous engueuler mais, comme dans toute relation, elle n'en ressort que plus saine. J'oublie parfois que nous
n'avons que quelques mois de différence. Je me sens si vieille comparée à lui. Ses conquêtes
s’additionnent et il s'est découvert une passion débordante pour les coups d'un soir et les boîtes de nuit. Il
a des amis à n'en plus compter et une vie à côté du travail, plus que débordante. En comparaison la
mienne demeure plate et sans intérêt.
Je n'ai pas à attendre bien longtemps avant qu'il vienne m'ouvrir. Encore en caleçon et à moitié
endormi, il me toise, un sourire aux lèvres. Son colocataire, Clément, déserte les lieux, et j'en suis plus
que ravie. Je ne l'aime pas du tout. Surtout depuis qu'il m'a fait des avances en me montrant son... Enfin,
sa virilité.
- Pas la peine de me sermonner, j'ai compris. Entre boire et conduire, il faut choisir. Mais si la vie
est censée être un long fleuve tranquille, je ne vois pas à quoi elle sert.
- Tu peux vivre sans pour autant être un idiot. Tu risquais gros hier soir. Et crois-moi, je t'aurais tué
de mes propres mains si tu n'avais pas réussi tout seul et que tu étais dans un état critique à l'hôpital en ce
moment.
Il lève les yeux au ciel, ce qui a le don de m'énerver encore plus. Mais rapidement, je me radoucis,
choisissant la méthode calme et sereine pour parler avec lui. Si je lui crie dessus comme l'a
probablement fait sa mère, il risque de se braquer et recommencer ce soir pour prouver à tout le monde
que nous avions tort. Secrètement, je l'aime bien trop pour ça. Même si je ne lui dirais probablement
jamais.
- Bon, ce n'est pas si grave, d'accord. Mais tu aurais pu blesser un piéton ou te faire mal, toi. La
prochaine fois, appelle-moi. Elle est plus souvent dans le garage que sur la route, mais j'ai une voiture.
Tu sais que je ne suis pas une couche tôt, alors tu me tiens au courant et je viens te chercher. Je préfère ça
que recevoir un appel me disant que tu es à la morgue.
Son teint devient livide. Il doit enfin se rendre compte de son erreur. Tout semble plus amusant quand
on a bu. Enfin, c'est ce qu'il paraît. Je n'ai jamais touché à une goutte d'alcool de ma vie. Et, il y a deux
semaines de ça, je ne savais toujours pas ce qu'était un joint. Quand je dis que je suis déjà vieille...
- Je suis désolé, Joy. Je voulais fermer le clapet d'un pote qui se la raconte tout le temps. J'en avais
marre qu'il fanfaronne devant la fille que je comptais me taper, hier soir. J'ai été con. Je ne le referais
plus. Mais j'admets, c'était excitant de jouer avec le feu, avoue-t-il, les yeux rivés au sol.
- Je ne prends pas de risques et pourtant je suis heureuse, regarde-moi. J'ai un travail qui me plaît et
paie mes factures. Je ne suis pas dépravée pour autant.
Il glousse discrètement avant d'ajouter :
- Cousine, je ne veux pas me moquer de toi, mais ta vie est chiante à mourir. Vraiment. Quand as-tu
pécho un mec pour la dernière fois ? Quand as-tu ri aux éclats à en avoir mal au ventre ? Et quand as-tu
bu plus que raisonnable, jusqu'à en perdre la mémoire ?
Il réussit à me laisser de marbre. Je n'ai jamais eu de petit ami. J'ai aimé, du moins j'ai cru aimer,
mais je ne connais pas la sensation d'une main dans la mienne, ni d'un baiser fougueux, en guise de bonne
nuit. Tout simplement parce que ça me file la trouille. Je deviens complètement débile quand je suis face
à un homme qui me plaît. Alors comment tenter une approche avec ça ? Jamais personne n'a fait le
premier pas et moi, encore moins.
- La dernière fois que je me suis amusée, c'était le week-end dernier avec Liam. On regardait une
série hilarante et nous avons discuté de nos années lycée. Là, j'ai vraiment ri, j'avoue à Greg, qui semble
perdu dans ses pensées.
- Et le mec ? Et les verres ? Il soupire. Laisse tomber Joy. Je sais que tu n'aimes pas sortir, mais
n'est-ce pas une mauvaise excuse pour ne pas le faire ? Tu le dis tellement souvent que tu en es persuadée,
mais qu'en sais-tu vraiment ? Si ça se trouve, tu adorerais ça. Je n'ai jamais rencontré de copain à toi. Ou
alors, une copine.
J'écarquille les yeux, sous le choc parce qu'il croit que je suis lesbienne et lui, rit à gorge déployée.
- Tu verrais ta tête en ce moment...magique. Ce que je veux dire Joy, c'est que tu as le droit d'essayer
des choses, toi aussi. Tu es un peu coincée, ça te ferait peut-être du bien d'apprendre à te lâcher en venant
boire un verre un de ces soirs. Je te mets au défi de sortir avec Ély, Liam et moi le week-end prochain.
Qu'est-ce que tu en dis ?
Je réfléchis à cette proposition obscène. Moi, aller me déhancher au milieu de corps dégoulinants de
sueur ? Boire des verres alors que je n'ai absolument pas soif ? Dépenser une partie de mon salaire pour
avoir le tournis en fin de soirée ? Et où vais-je me garer ? Et comment vais-je rentrer ? Cette sensation
me donne le vertige. Mais face à l'insistance de mon cousin, je crois que je n'ai pas le choix. Il est peut-
être temps que je découvre ce que ça signifie " aller à une soirée de jeunes adultes ", comme ils disent.
- C'est d'accord, compte sur moi.
En arrivant chez moi, je me rends compte de l'horreur que je viens de faire : accepter un truc pareil.
Je ne devais pas avoir les idées trop claires. Je mets mon téléphone à charger et écoute les messages de
ma mère avant de tous les effacer. Je vérifie mes e-mails professionnels, c'est le néant. Inutile de me
connecter sur mon compte Facebook, il en sera de même dans tous les cas.
Victor Hugo m'appelle et je me replonge dans son univers fabuleux. Mais ce soir, quelque chose me
dérange. Plus je tourne les pages, et plus je me vois à travers Quasimodo. Je m'imagine être comme ce
bossu, qui reste enfermé, en perdant sa moitié. Et si, moi aussi, je passais à côté de ma vie en ce moment
même, sans le savoir ?
Chapitre 2

- Oh mon Dieu, Joy ! Tu es vraiment sérieuse ? Depuis le temps que j'attends ça ! Une soirée avec ma
meilleure amie dans un bar. Franchement, tu égayes ma journée.
- Ne t'emballe pas, non plus. Si ça se trouve, je serai trop fatiguée pour sortir, ou il y aura un
imprévu. On ne sait jamais.
- Rien à foutre de tes problèmes. Vendredi soir, on va danser. Appelle Liam pour le lui dire.
Et, sans plus attendre, Ély raccroche. Est-ce si exceptionnel que ça de passer une soirée assis autour
d'une table à enfiler les verres ? Je devrais vérifier sur Google pour avoir quelques conseils avant de
passer pour une abrutie. Entre deux bouchées de mon déjeuner, je contacte Liam qui, lui aussi, semble aux
anges. "Par contre, il va falloir te relooker ma cocote" a-t-il dit. Comme si j'avais que ça à faire de
passer mon temps dans les magasins. De toute façon, j'ai toujours eu des goûts douteux en matière de
fringues.
Avant de terminer ma journée, je me lance dans la lecture d'un roman historique d'une véracité
exceptionnelle. Les mots sont justes et l'histoire d'amour centrale arrive même à me toucher. Je ne vérifie
pas l'heure et continue de le dévorer jusqu'à finir la première partie. Si bien que j'ai largement dépassé
mon temps de travail du jour quand je relève les yeux sur mon ordinateur. J'éteins la machine à la hâte et
pars prévenir mon patron de mon départ quelque peu tardif.
- Vous tombez bien, Joy. Vous n'avez encore jamais fait d'entretien avec un auteur, n'est-ce pas ?
Je secoue la tête.
- Cela vous intéresserait-il d'assister à mon rendez-vous demain matin ? Un jeune écrivain doit venir
me rencontrer de visu avant une éventuelle publication. Si vous le voulez, je vous y convie.
- J'adorerais Monsieur. Merci beaucoup. À quelle heure dois-je être présente ?
- Venez pour huit heures, je vous brieferai avant de commencer. Bonne soirée à vous.
Rencontrer un auteur de la maison me donne envie de sauter en l'air mais, comme d’habitude, je me
contiens. J'entre enfin dans le monde du travail, celui des adultes. Puis plus le temps passe, plus j'aime
ça. Je salue un peu plus fortement qu'à l'accoutumée les autres employés et rentre chez moi, le sourire aux
lèvres.

***

Pourquoi fallait-il que j'accepte cette rencontre ? Elle sort de mon train-train quotidien et ça me fait
peur. En me levant ce matin, je suis prise d'une crise d'angoisse. Et si, par ma faute, cette personne
refusait d'être publiée chez nous ? Que je faisais tout foirer ? Je choisis la plus belle tenue de mon
dressing, un tailleur blanc très professionnel et me coiffe en conséquence.
Dans la salle de bain, face à moi, j'ai l'impression de voir une inconnue. Je la regarde dans le blanc
des yeux et me demande une énième fois, pourquoi elle agit ainsi. Pourquoi elle stresse pour tout, et pour
rien, en fin de compte ? Pourquoi elle ne pourrait simplement pas profiter et vivre au jour le jour ?
J'applique mon mascara œil par œil et essaie de me forcer à sourire. Même ma figure refuse cette
grimace faussée. Mieux vaut que je reste neutre, au moins, je n'ai pas l'air d'être tirée d'un sketch de
Mister Bean.
J'avale les kilomètres dans un parfait silence. Mes talons claquent contre le bitume mais étrangement,
ce bruit me rend plus légère. J'aime marcher. Qu'il pleuve, qu'il vente ou qu'il neige. Je suis sûre de
toujours aller travailler malgré les intempéries. Le soleil commence à réchauffer les trottoirs et le vent ne
me décoiffe plus. J'arrive avant huit heures devant les locaux et me demande s'il y a quelqu'un à
l'intérieur. Devancer le boss c'est un peu osé, surtout pour une nouvelle employée, n'est-ce pas ?
J'attends cinq minutes, mais personne ne vient. Aucune lumière ni aucun bruit à l'intérieur pourraient
me faire penser qu'effectivement, il y a quelqu'un. Je décide d'entrer, prenant mon courage à deux mains.
Finalement j'avais raison, les bureaux sont tous vides. J'allume mon ordinateur, prépare du café et vérifie
mes e-mails. L'un d'entre eux provient de mon patron.

Bonsoir Joy,
Suite à un contretemps, je ne pourrais finalement pas être présent au rendez-vous de demain
matin. J'ai laissé les documents nécessaires sur mon bureau. Bon courage !

La bile me monte à la gorge et mon sang ne fait qu'un tour. Dans vingt minutes, un écrivain sera face à
moi et je devrai gérer ce rendez-vous toute seule ? J'hésite à faire demi-tour et rentrer à la maison. Et si
je n'avais pas vu le mail ? J'aurais pu avoir un empêchement, moi aussi. Mais le temps passe et je n'ai
toujours pas bougé, trop choquée par cette révélation. Je ne sais même pas si je suis prête pour ça.
Je cours jusqu'au bureau de Monsieur Badouk et avale le dossier en un rien de temps, près de la
cafetière, enchaînant les mugs. Je respire et tente de me décontracter, comme lors de mes derniers cours
de sophrologie. Avant qu'il soit la demie, je m'installe sur la méridienne de l'entrée et m'imagine autre
part. Je me vois sur mon canapé, avec Liam et un bon film. Voilà, j'y suis presque.
- C'est vous, la secrétaire ?
Je me lève, vite. Trop vite. Soudain, je me retrouve face à un charmant jeune homme. Cheveux bruns,
regard ténébreux et sans aucun doute, d’un âge approchant au mien. Bien qu'il fasse froid dehors, il porte
un t-shirt et sa veste en cuir repose sur son avant-bras. Physiquement il n'y a pas à dire, il est sexy si l'on
se fie aux critères de mode d'aujourd'hui. Mon cerveau crie "Attention beau gosse à l'horizon" tandis que
mon enveloppe humaine ne montre rien.
- Vous êtes sourde ou complètement débile ? J'ai rendez-vous avec monsieur Badouk.
Plus je l'observe et moins je me sens à mon aise. Il m'intimide. Il sourit sûrement pour se foutre de
moi. Et, bien qu'il ne me soit pas directement destiné, je ne peux m'empêcher de craquer pour ce rictus
malvenu. Ne sachant trop que répondre, je lui tends une tasse de café et il s'assoit sur l'un des canapés du
salon. Je lui tourne le dos, histoire de reprendre mes esprits et explique enfin, la voix mal assurée :
- C'est avec moi que vous allez vous entretenir. Monsieur Badouk n'est pas disponible. Il a eu un
contretemps.
Encore ce foutu sourire au coin des lèvres et il change de siège, se dirigeant vers la méridienne, sans
rien dire. Mais que fait-il ? Il s'allonge et ferme les yeux. Il veut faire sa sieste ou quoi ? Il retire ses
chaussures et commence à somnoler. Dites-moi que je rêve, c'est le pire cauchemar de toute ma vie. J'ose
à peine le déranger, mais je le dois bien. Il ne va pas rester ici toute la matinée, cet ingrat.
- Que faites-vous ?
- Je voulais essayer ce canapé que vous aviez l'air de trouver tellement confortable avant que
j'arrive. Mais, il existe bien mieux. Bon, on le commence ce rendez-vous ? Je n'ai pas que ça à faire.
Je
Meurs
De
Honte.

Alors comme ça, il m'a vue en train d'essayer de déstresser comme une simplette ? Je devais avoir
l'air si niais. J'aurais probablement dû tenter de me décontracter ailleurs que dans l'entrée. Encore une
boulette qui vient compléter la liste de mes conneries. Je l'invite à me suivre dans mon bureau tant bien
que mal et essaye de garder mon calme, tout en conservant le peu de confiance qu’il me reste. Si elle part
se cacher maintenant, je suis foutue.
- Pourquoi m'avez-vous fait venir ?
Je me cache derrière un dossier et mon ordinateur, évitant, le plus possible, ce visage
machiavélique. Comment un seul et même corps peut contenir autant de beauté et d'arrogance à la fois ?
- À vrai dire, je crois que c'est surtout à moi de poser les questions. Pourquoi avoir écrit un tel
roman ? Qu'attendez-vous de notre maison d'édition ?
Il soupire comme un mauvais élève qui ne voudrait pas répondre à l’enseignant et, m'observe en
silence avant de dire quelque chose. Son regard inquisiteur me met hors de moi. Qu'est-ce qui se passe ?
Ai-je une tâche ? Mes lunettes sont-elles mal enfoncées sur mon nez ? Je n'ose même pas lever les yeux
vers lui pour vérifier.
- Avant ça, parlez-moi de vous. Après tout, vous pourriez être une usurpatrice qui ne souhaite que
voler mon œuvre. C'est assez louche d'avoir reçu un coup de fil de votre "patron" hier après-midi pour
confirmer cette entrevue, alors que finalement ce matin, il manque à l'appel.
Le salaud déborde de confiance en lui. Il est vaniteux et odieux. Parler de moi ? Mais que veut-il
savoir ? Ce que je mange au petit-déjeuner ? Mes études ? Ou, peut-être, quelle est ma couleur préférée ?
On s'en fout ! J'évince la question le plus naturellement possible, bien que grandement mal à l'aise, et me
félicite intérieurement quand il ouvre la bouche pour me raconter ses périples.
- J'en avais ma claque de mes cours de sociologie, alors je suis parti. Mais, je me suis vite ennuyé.
J'ai commencé à faire des recherches sur les sentiments amoureux, le désir que deux amants pouvaient
entretenir et mon manuscrit a vu le jour. Rien de sorcier. J'aimerais être publié car je suis à court d'argent
en ce moment. C'est un boulot comme un autre, non ?
Écrire, un travail ? Il se fout du monde. J'essaie d'être publiée depuis mon adolescence et ça n'a rien
d'aisé.
- L'écriture n'est pas un simple gagne-pain. C'est un travail de l'esprit au quotidien. Je n'ai pas eu la
chance de lire votre œuvre comme vous dites si bien, mais si vous désirez la publier pour l'argent,
permettez-moi de vous informer que vous vous êtes trompé d'endroit.
- Comme son nom l’indique, le rôle d’une maison d’édition est d’éditer. Et qui la fait vivre ? Nous,
pauvres petits auteurs. Alors oui, sans nous, vous n'êtes plus rien. Sans moi, vous n'avez pas de salaire.
Voulez-vous continuer à avoir un boulot ? Pour ça, il suffit de parler chiffres.
Ce crétin commence sérieusement à m'agacer. Il est plus intelligent que je ne le pensais. Malin,
surtout. Il sait comment me soumettre à son chantage. Mais Monsieur Badouk ne se laisse pas marcher sur
les pieds. À cette heure-ci, il l'aurait sans doute recadré et probablement viré de son bureau. Je ne le
regarde toujours pas en face, de peur de commettre une autre bourde et lâche enfin ce que je pense tout
bas.
- J'espère que vous savez que, pour le moment, vous n'êtes rien. Un manuscrit parmi tant d'autres. Ce
n'est pas la peine de monter sur vos grands chevaux. N'ayez pas la prétention de vous comparer aux plus
grands, car ils sont loin devant vous.
Face à moi, se trouve une moue plus qu'amusée. Moi qui pensais qu'il allait s'énerver et au mieux
partir d'ici, il n'en est rien. Il se lève simplement de sa chaise et me tend sa main très calmement.
- Je repasserai. Des incompétentes dans votre genre ne savent pas reconnaître de vrais talents. Bonne
journée quand même. Ah, et reboutonnez votre chemisier. Il semblerait que même vos seins veulent
s'éloigner de vous.
Je reste coite devant mon ordinateur. Qui est ce type pour me parler sur ce ton ? Avoir une belle
gueule n'excuse pas tout. La porte de l'accueil se ferme et je repasse chaque moment dans mon esprit,
rembobinant sans cesse pour essayer de comprendre cet énergumène. Au moins, quelques mystères
semblent déjà levés. Ce qu'il a fixé à plusieurs reprises, c'est ce décolleté outrageant. Il se prend pour un
Dieu et il en joue. Et, très clairement, ce type manque de modestie. J'annote le dossier comme il se doit,
précisant que la personne se voit déjà en haut de l'affiche et commence à jeter un œil à ses écrits par
curiosité. Il me reste trois quarts d'heure avant mon embauche officielle, je peux me le permettre.
Le titre me fait doucement rigoler : C'est quoi l'amour ? On ne pourrait pas faire plus bateau. Le
premier chapitre ne s'annonce pas mieux mais je laisse mes yeux dériver vers ces lignes débutantes,
espérant cependant ne pas me retrouver face à un texte machiste pour commencer la journée, ce qui ne
ferait qu'ajouter à mon irritation. Girls power !

À trois ans, être amoureux est synonyme de courir après une petite blonde avec deux couettes. À
six ans, on s'invite l'un l'autre à nos goûters d'anniversaire. Mais plus tard ? Quand l'innocence a
disparu, c'est quoi l'amour ? Aucune définition précise de ce mot n'existe. Il a un sens multiple. Pour
une femme, l'amour va être synonyme de fleurs, de chocolats et de gros diamants, tandis que pour un
homme, il représentera l'acte charnel.

Bla bla bla. Je file à la dernière page de l'écrit pour savoir ce qu'il en est.

Aimer n'est jamais une pure partie de plaisir. Dans une vie, on souffre autant qu'on chérit. Je peux
vous dire aujourd'hui que moi, j'ai beaucoup souffert. Probablement, encore plus que vous tous réunis.
Et, je souffre tous les jours. Car, je n'ai jamais aimé.

Lorsque je lève à nouveau les yeux, je tombe nez à nez avec une veste en cuir, posée sur le dossier
de la chaise. Je découvre alors le nom de cet arrogant. Isaac. Isaac Lincoln.
Chapitre 3

Comment un seul être humain peut-il accaparer toutes mes pensées ? Plus j'y repense, plus je revois
ses sourires grimaçants et entends à nouveau ses réflexions douteuses sur ma façon de travailler. Ce bout
de tissu face à moi n'arrange rien, évidemment. Son odeur emplit la pièce. Je me surprends même, lorsque
je vais chercher une autre tasse de café, à sentir ce blouson. Et c'est bien entendu ce moment pire que
gênant que choisit Monsieur Badouk pour faire son entrée. Karma de merde.
- Bonjour, Joy. Avez-vous eu mon message ? Le rendez-vous s'est bien passé ?
- Bonjour, Monsieur. Justement, je dois vous en parler. Monsieur Lincoln a beaucoup d'assurance.
Sans nul doute, un peu trop.
- Développez.
- Il pense avoir pondu le futur best-seller que tout le monde se déchire. Il a un ego surdimensionné et
est exécrable en somme.
- Allez droit au but, Joy. Il signe chez nous ou pas ?
- Il veut vous voir. Il doute de mes compétences.
- Vous auriez dû commencer par-là, mademoiselle Cohen. Je vais refixer un rendez-vous et vous
m'assisterez cette fois. Ce garçon a beaucoup de talent. Nous ne pouvons pas passer à côté d'une telle
perle. Un homme qui parle d'amour ? Je le veux dans ma maison. À tout prix !
Je me laisse tomber sur ma chaise comme si je ne sentais plus mes membres. Ce qui, en vérité, est un
peu le cas. Une fois la journée terminée, je dois rejoindre Liam pour une séance shopping et ça ne
m'enchante pas vraiment. J'ai tout tenté pour annuler mais il me connaît trop bien, il a devancé toutes mes
excuses. J'aimerais, pour une fois, que l'heure n'avance plus, mais qu'elle recule.
Quelques minutes seulement avant de partir, Monsieur Badouk m'envoie un e-mail avec la date du
nouvel entretien. Vendredi matin à huit heures trente. Cette fois, je ne ferai pas la même erreur, son
numéro de cirque ne prendra pas. Je ne me laisserai pas avoir par des fossettes et un regard de feu.
Jamais de la vie. Le charme, ça ne fonctionne pas avec moi.

***

J'attends Liam quelques rues plus loin. Comme à son habitude, il a du retard, et ça me va très bien.
J'ai le temps de m'asseoir et contempler la nature autour de moi. C'est fou ce qu'elle m'inspire. Elle est
reposante, douce et aimante. Nous sommes différents, nous, ces animaux fous. Au moins, elle, elle ne me
juge jamais. J'aimerais parfois crier ce que je ressens, que je suis profondément blessée par certaines
attitudes ou réflexions mais je n'en ai pas la force. Encore moins le courage.
On a beau dire, la société d'aujourd'hui nous pousse aux deux extrêmes. Soit on s'enferme dans notre
bulle, à l'abri du regard des autres, soit on s'y expose, quitte à se casser la gueule. Je suis déjà
maladroite, ce n'est pas la peine de prendre le risque de me casser le cou.
- Je suis désolé de ne pas être à l'heure. Il fallait que je trouve une place de parking et tu connais le
quartier, un enfer ! On y va ?
Je suis heureuse de retrouver mon ami. C'est bien l'une des premières personnes qui ne me pose
jamais la question la plus débile du monde : « comment vas-tu ? ». Il va directement au but et je l'aime
pour ça. Adolescente, j'ai même cru en être tombée amoureuse. Nous passions tout notre temps ensemble
et il était très tactile. Un jour, j'ai failli l'embrasser. Puis au final, je me suis défilée et j'ai laissé mes
sentiments s'en aller doucement. Au fond, je souffrais de passer tant de temps avec lui sans rien faire.
J'avais envie de tenter ce que toutes les autres jeunes filles faisaient : embrasser, séduire. Mais le temps
est passé plus vite que je n'aurais cru et je ne suis jamais sortie avec personne. Ély me tanne avec ça. Il
paraît qu'à vingt-quatre ans on traîne tous des casseroles. Pas moi.
- On peut laisser tomber le shopping. Mon placard est suffisamment rempli. Je suis sûre que tu as
mieux à faire que de passer la soirée avec moi. En plus, en ce moment, j'ai du boulot par-dessus la tête.
- Joy, je sais exactement ce que tu es en train de faire et crois-moi, tu ne vas pas gagner si facilement.
C'est une des premières soirées qu'on va passer tous ensemble et j'aimerais marquer le coup. Je te
propose un pacte. On te trouve une tenue, et on m'en trouve une aussi. Je passe plus de temps dans
l'obscurité des salles de cinéma que dans les bars alors sait-on jamais, je pourrais peut-être rencontrer
une fille intéressante et aussi folle que toi.
- Je ne suis pas folle !
Je m'écarte de quelques mètres et il commence à me regarder étrangement, pressentant la connerie
arriver. Et je gueule « Pénis » au milieu du trottoir. Je croise les regards amusés des passants qui doivent
me croire pleine de vie, sans complexes. S'ils savaient. La couverture du livre est toujours tellement
trompeuse.
Enfin, depuis samedi dernier où Liam a quitté mon appartement, je me sens bien. Je lui raconte sans
difficulté ma honte matinale mais ne m'attarde pas sur la description de Monsieur Lincoln. Il saurait qu'il
y a quelque chose et ça, je ne l'avouerais jamais. Je crois d'ailleurs que, dans quelques années, je
n'arriverai toujours pas à sortir ces trois petits mots de ma bouche. Je t'aime.
Nous entrons dans de nombreuses boutiques mais rien ne me semble approprié. Depuis quand les
robes sont devenues des pulls et les tops des soutiens gorge ? Il semblerait que j'ai manqué une étape
importante dans le suivi de la mode : la nudité est tendance.
Liam me force à essayer plusieurs tenues et, à chaque fois que je sors de la cabine, il éclate de rire.
Même les vêtements nouvelle génération ne me vont pas.
- Ça n'a rien avoir avec toi Joy, je te jure. C'est l'association de toi et ces fringues qui m'amuse. Moi
je pense qu'il faut que tu restes toi-même. Essaie une petite robe noire, toute simple.
- C'est bien à toi de dire ça. Encore faudrait-il que j'arrive à sortir de ce jean.
Je me déhanche dans la cabine tant bien que mal. Mais comment font ces filles pour enfiler un
pantalon pareil ? Elles se lavent à l'huile d'olive avant ? Je tire par tous les bouts et finis par capituler et
m'accorder une petite pause d'une minute. J'ai toujours porté des vêtements pour être à l'aise, là c'est le
jean de la torture. Il a dû être inventé pour les mannequins et, dans leur processus de fabrication, ils ont
oublié les femmes normales.
Une heure et au moins cinq magasins plus tard, je trouve enfin la robe qui ne me vieillit pas, et ne me
fait passer pour une fille facile. De couleur rouge rubis, elle a des manches trois quart et m'arrive juste
au-dessus du genou. Ma taille est marquée, affinée et, pour une fois, je me trouve belle dans autre chose
qu'un pyjama. Liam le voit à mon sourire mais ne débat pas là-dessus. Il sait d'avance que je ne
m'étendrai pas à ce sujet.
- On va voir qui rira le dernier. À ton tour, Liam, ô toi maître de l'Univers.
- Arrête Joy, on nous regarde.
Deux blondes élancées et plutôt jolies m'observent avec dédain. Elles veulent quoi, ma photo ? Liam
a les joues rougies de honte et je comprends, l'une d'elle lui plaît sûrement et je le fais encore une fois
passer pour un attardé. Je ne suis donc pas un cadeau, même pour mes amis. Ravie de l'apprendre.
On lui trouve rapidement un jean habillé et une chemise blanche, puis nous repartons pour dîner. Sur
le chemin du retour, je cogite. Je pense encore à ce Monsieur Lincoln. A-t-il remarqué qu'il avait laissé
sa veste ? Ou alors est-ce une énième manigance pour m'agacer ? J'aurais dû fouiller ses poches, sa carte
s’y trouvait peut-être.
- Qu'est-ce qui t'arrive ? Tu sembles préoccupée depuis tout à l'heure. Je pensais que c'était l'histoire
de la tenue qui te travaillait mais apparemment, il y a autre chose. Tu veux en discuter ?
J'adopte ma moue renfrognée et secoue la tête. Je ne suis pas encore prête à parler de lui. Même, si
en fin de compte, il n'y a rien à dire. Il m'a fait comprendre qu'il avait le pouvoir et que j'étais à ses pieds.
Que je ne savais pas travailler. Et pour ce qui est de sa remarque sur mes seins, je ne sais toujours pas
comment la prendre. Après tout, je ne le reverrai sans doute qu'une seule autre fois et après ce sera
terminé. Pas la peine de se prendre la tête avec ça.
- Je suis vraiment content que tu acceptes de sortir. Je n'aurais pas franchi le pas tout seul. Ça date
la dernière fois où j'ai passé une soirée à rire entre amis. J'espère juste que tu apprécieras. Mais, ne
t'inquiète pas trop. Pas la peine de lire des articles là-dessus. Ce sont juste des gens qui boivent des
coups pour se mettre dans un état second et oublier leurs soucis. Ça ne te fera que du bien Joy, je te
promets.
J'essaie de me contenir pour ne pas répondre à sa tirade mais impossible. Ma grande bouche prend
la décision pour moi.
- C'est bien ça le truc. Je ne comprends pas comment on peut rester deux, trois, peut-être quatre
heures à boire. J'ai largement avalé mon litre d'eau en une journée moi. Alors, faut-il que je jeûne d'eau
les vingt-quatre heures précédentes ? Mais, je risque de mourir de soif. Tu saisis ? Ça m'angoisse. J'avais
lu un article qui disait qu'en dépassant les deux litres de liquide ingurgité, le rein pouvait imploser. Tu te
rends compte ?
Liam ne peut plus se retenir de rire. Nous descendons les paquets tout en montant à l'appartement. Il
ne s'arrête plus de rigoler. Il en pleure, même.
- Tu es vraiment certaine de venir de cette planète ? Bon Dieu Joy, un jour tu me tueras avec tes
conneries. On ne va pas dans un bar pour s'hydrater. C'est le côté amusant de la chose, le fait d'être plus
détendu quand on a bu de l'alcool. Ça nous rend plus ouverts, tu comprends ?
Je l'observe, interloquée. Mais si ça permet de m'ouvrir aux autres, je risque de parler. Je suis contre
cette idée. Je refuse d'avouer des choses inavouables pour perdre mes amis. Et si par erreur, je lâchais
cette bombe comme quoi j'ai toujours trouvé mon meilleur ami attirant ? Qu'il m'a brisé le cœur sans le
savoir au début du lycée ? Ce n'est même pas envisageable.
- Je ne veux pas perdre le contrôle. Je suis bien comme je suis.
- Alors dis-moi ce que c'est que ça.
Il pointe du doigt mon roman de Notre-Dame et ma tasse de thé sale sur la table basse.
- Je sais que tu as passé ta soirée comme ça hier, puis celle d'avant, et encore celle d'avant. Tu n'en
as pas marre ? Essaie. Au moins, tu ne pourras pas regretter.
- Je le fais pour vous, vraiment. Mais si je n'aime pas, ne me poussez plus jamais à sortir, s'il vous
plaît. De toute façon, j'ai conscience que je terminerai seule, entourée de chats. Sortir de chez moi n'y
changera pas grand-chose.
- Tu te trompes, ma belle.
Nous avalons notre gratin de pâtes devant un vieil épisode de Friends. Et même si nous connaissons
toutes les répliques par cœur, il nous amuse encore. Je m'approche de Liam sur le canapé et il pose
instinctivement sa main sur ma cuisse. Je n'y fais pas attention jusqu'à ce que je somnole et imagine
quelqu'un d'autre à sa place. Pourquoi cet Isaac revient-il sans cesse dans ma tête, pourquoi ? Je m'en
veux rien que de m'imaginer dans cette posture avec lui.
Quand Liam part, j'attrape ma tablette et retrouve mon plus vieil ami, Google. Je recherche des
témoignages d'introvertis et beaucoup avouent avoir eu un déclic à un moment donné de leur vie. Ils se
sentaient bien dans leur peau jusqu'à ce qu'ils atteignent le point de non-retour. Même si je ne suis pas
encore prête à changer mes habitudes, ni ma façon d'être, je ressens, moi aussi, petit à petit ce désir de
vivre. J'aimerais tant être à mon aise tout le temps et arrêter de faire semblant.
Chapitre 4

J'ai prié ciel et Terre pour que cette journée n'arrive jamais. J'ai fait ma vaisselle, puis passé une
soirée sans ouvrir un seul livre, et pourtant la magie n'a pas opéré. Il est quand même arrivé. Le vendredi.
Moi qui m'extasie d'habitude à l'idée de passer deux jours entiers avec mes amis, aujourd'hui, il sonne
plutôt mon arrêt de mort. Revoir cet Isaac et aller à une soirée. Autant d'épreuves à surmonter en moins
de vingt-quatre heures. Mais, je peux le faire. Je me le dois.
J'enfile ma nouvelle robe rouge, ma plus belle paire d'escarpins et commence à marcher vivement
vers la maison d'édition. Je veux y être la première pour me faire à l'idée que oui, je vais enfin le revoir.
Non pas que ça me fasse plaisir bien entendu. Ce serait même plutôt le contraire.
En arrivant à quelques rues de ma destination finale, une averse jette son dévolu sur moi. Et c'est
sans compter sur l'automobiliste qui roule dans la flaque d'eau et m'asperge une fois de plus. Je lui lève
mon majeur mentalement et rentre en quatrième vitesse à l'intérieur. Les locaux sont vides. Il n'y a que
mes talons qui résonnent. J'aime ce cliquetis incessant. Ça me prouve tout de même que parfois, je sais
être une vraie nana de vingt-quatre ans. Une brune aux hanches un peu trop voluptueuses et des lunettes
qui lui mangent le visage.
La vision de mon reflet dans le miroir m'agace toujours autant. Mon mascara a coulé, mes cheveux ne
ressemblent plus à rien, et on dirait que j'ai pris ma douche toute habillée. Fantastique. Cela ne présage
rien de bon. Je pressens la journée merdique arriver.
- Si vous m'entendez là-haut, je vous emmerde !
Je tente d'arranger le désastre et lance la cafetière. L'ordinateur allumé, j'attends patiemment que le
temps avance. La nervosité me gagne. Et s'il ne se souvenait même plus de moi ? D’ailleurs, je ne vois
pas pourquoi il le devrait. Il doit rencontrer de nombreuses femmes tous les jours, toutes plus belles les
unes que les autres. Il n'a peut-être même pas remarqué l'absence de sa veste. Je fouille dans ses poches -
au cas où - et le regrette amèrement au moment où j'en tire un préservatif. Dégueu !
8H26.
8H27.
8H28.
8H29.
Mais pourquoi suis-je la seule à être arrivée ? Mes jambes se contractent et sont prises de spasmes
incontrôlables. Je ne peux m'empêcher de gigoter sur ma chaise de bureau. Je craque mes doigts, mon cou
et lisse ma robe plus souvent que la normale. Mon cœur bat en rythme avec la pluie sur les carreaux et
j'envisage sérieusement de partir me cacher dans les toilettes.
Soudain, j'entends la clé dans la serrure et deux voix me parviennent presque aussitôt. Il approche.
J'ai beau l'avoir vu quinze minutes dans ma courte vie, je m'en souviens comme si c'était hier. Il me
blesse. Me désarme. Et sa voix bien trop assurée pour ne pas cacher des fantômes dans les placards.
- Mademoiselle Cohen ?
L'heure est venue de se jeter à l'eau. Je retiens un gloussement en me rendant compte de l'absurdité
de la chose. Je suis trempée jusqu'aux os et mes cheveux, au lieu de sécher, ont pris des proportions
inquiétantes. Tantôt lisses, tantôt frisés, on ne sait pas à quoi s'en tenir. L'eau, je m'y suis déjà jetée et
plutôt deux fois qu'une. Même si c'était avant tout involontaire.
- J'arrive, Monsieur Badouk.
J'entends des chuchotements qui me proviennent sans doute de son propre bureau et reprends ma
respiration. Je dois me calmer avant d'entrer sinon j'aurais encore plus l'air d'une malade mentale que la
dernière fois. Comme si c'était possible. Mes talons me donnent confiance à chaque pas.
Malheureusement, celle-ci se tire à l'instant même où son regard se pose sur moi. Il me dévisage d'abord,
puis m'observe intensément de la tête aux pieds.
Ses joues mal rasées, ses yeux bleus azur et son trop plein d'assurance font de lui le pire des
mélanges. Un connard alléchant. Mon fantasme maudit. Je jure que s'il continue de me fixer de la sorte, je
me liquéfie dans la seconde. Il ne restera plus qu'une grosse flaque de Joy.
- Il semblerait que vous ne connaissiez pas les parapluies.
Je lève les yeux au ciel à l'entente de sa remarque et prends place à côté de Monsieur Badouk qui
m'observe mais ne dit rien. Lui, au moins, sait être poli.
- Reprenons donc où vous vous en êtes arrêtés l'autre fois. Monsieur Lincoln, nous sommes
intéressés par votre manuscrit. Nous souhaiterions le publier. Commençons à trois mille exemplaires et
voyons ce que ça donne, qu'en dites-vous ?
Toujours aussi ingrat, il secoue la tête et part d'un grand rire.
- Vous pensez que je vais accepter cet accord honteux ? Mon livre est un chef-d’œuvre. Succès
garanti. Si vous ne voulez pas mettre les petits plats dans les grands, il me suffit d'aller voir ailleurs. J'ai
d'autres offres dans des maisons d'éditions plus grandes.
Je tente de me retenir de parler puisqu'au fond, je joue le rôle de la potiche-assistante. Mais ses
grandes manières me rendent hors de moi. Je crois que jamais je n'arriverais à échanger avec lui sans lui
hurler dessus.
- Pourquoi être revenu dans ce cas, si vous avez tant de propositions ? Nous sommes indépendants,
nous ne pouvons pas nous permettre de lancer une impression de vingt mille exemplaires pour le plaisir.
Il me toise à nouveau et reprend son sérieux. J'ai cru apercevoir quelques secondes d'hésitation dans
ses yeux. Sans aucun doute l'expression la plus franche qu'il ait daigné offrir depuis son franchissement de
la porte d'entrée. Sa chaise se balance avec son corps et je profite du débat animé qu'il entreprend avec
mon patron pour l'observer plus en détails.
Ses cheveux ne me semblent pas si bruns que la dernière fois. Sa barbe de quelques jours quant à
elle, lui donne ce côté mauvais garçon que la plupart des femmes adorent. Du moins, je suppose.
J'observe ce sourire en coin qu'il semble adopter dès qu'il est mal à l'aise. Et ce sont ses yeux qui
finissent par me faire comprendre que j'ai été intrusive.
- Pourquoi me regardez-vous comme ça ?
Je sens le rouge me monter aux joues avant de demander mon reste. Ma gorge se noue et je joue avec
mes doigts. Tout me semble tout à coup plus intéressant que cette ignoble créature en face de moi. Autant
j'ai envie de l'étrangler quand il se prend pour une rock star, autant maintenant, j'aimerais qu'il arrête de
me contempler.
- Voilà que vous recommencez à être sourde. Pourquoi me regardez-vous ?
- Joy, vous êtes sûre que ça va ? me murmure Monsieur Badouk.
Les deux hommes m'analysent du regard et je ne trouve plus mes mots. Je fais alors la seule chose
dont je me sente encore capable : je fuis. Comment lui dire que je l'examinais parce qu'il m'intrigue plus
que les autres ? Comment avouer à quelqu'un qu'il ne vous laisse pas indifférente ? Je le hais, le méprise,
mais son physique m'attire tellement que je n'arrive pas à comprendre pourquoi il se trouve dans le même
bureau que moi. Je préfère passer pour une attardée en partant, plutôt que d'admettre ce que je pense
vraiment. Au fond, il me voit déjà ainsi, cela ne pose donc aucun problème.
Je rejoins mon cocon. Mon bureau. Lui ne me dit rien quand je fais une bourde ou le regarde un peu
trop longtemps. C'est rassurant. Je remplis mon mug une nouvelle fois et essaye d'oublier cet incident en
lisant les nombreux e-mails reçus depuis hier soir. Comment les gens peuvent-ils envoyer autant de
messages électroniques pour ne rien dire ? Savent-ils qu'à cause d'eux, je passe au moins une heure à ne
faire que ça, tous les matins ?
- Puis-je reprendre ma veste ?
Les yeux écarquillés, la bouche entrouverte. Il est là, face à moi. Et j'agis encore comme une
imbécile. J'acquiesce en silence et le laisse sortir de mon bureau. Je relève les yeux furtivement pour
pouvoir l'admirer de dos et tombe nez à nez, ou plutôt yeux de Joy Cohen à bonté divine d'Isaac Lincoln,
son cul parfait.
- Excusez-moi de revenir à la charge, mais pourquoi me regardiez-vous tout à l'heure ? Avez-vous un
souci avec ce que vous voyez face à vous ?
Il ferme ma porte et s'assoit en face de moi. Je ne peux plus lui échapper. Je suis prise au piège entre
ces quatre murs et je n'ai plus d’autre choix que celui de lui faire face. J'essaye de m'imaginer que ce n'est
pas lui mais Monsieur Badouk ou n'importe quel autre de mes collègues mais ça ne fonctionne pas. Son
parfum capiteux vole dans l'air et m'enveloppe de toutes parts.
- Vous êtes fascinant.
Ce beau salaud apprécie ma remarque et en joue. Il me sert à nouveau ce sourire à enflammer les
petites culottes. Je suis ravie de ma sincérité. J'ai prononcé les mots qu'il fallait. Ni trop, ni pas assez. Et
pour autant, je ne me suis pas dévoilée. Il fait le tour de mon bureau et approche son visage près du mien.
Trop près. Sa main se pose sur mon épaule et je sursaute. Être aussi proche d'un inconnu m'effraie. Je
retiens mon hurlement. Mes sentiments se battent dans ma tête, dans mon cœur, et j'attends de voir lequel
va l'emporter.
- Et vous, une vraie emmerdeuse. Au revoir, Mademoiselle Cohen.
Son ton suffisant m'achève sur place. Pourquoi me met-il dans un état pareil ? C'est pourtant un
homme comme un autre. J'en côtoie des pénis humains : mon boss, mes collègues, Liam, mon cousin, mon
père... Mais jamais je n'ai ressenti une telle attraction, une fascination si forte, envers quelqu'un d'aussi
peu respectueux. Il n'est même pas gentil. Il a juste une belle gueule.
Je me maudis intérieurement d'avoir pensé qu'il allait poser ses lèvres sur ma joue. Quand il m'a
effleuré l'épaule, je ressentais presque l'envie qu'il me touche ailleurs. Et pour moi, c'est vraiment une
première. Je tente de continuer ma journée de travail comme s'il ne s'était rien passé. La matinée traîne en
longueur, mais après manger, je commence à stresser pour tout autre chose. Cette maudite soirée.

***

- Joy, je crois que même pour les oraux à la fac, tu étais moins stressée. Détends-toi, on s'amuse ce
soir !
Ély se déhanche avec assurance dans une de ses robes bien trop courte. Elle est belle. Ses cheveux
couleur feu font d'elle quelqu'un d'extraordinaire. Liam, à ma gauche, porte la tenue que nous avons
achetée ensemble. Lui aussi il attire. Moi, au centre, j'ai l'air d'une campagnarde. À la traite le matin, et
en soirée le soir. Avec la même tenue. Mon impression se confirme quand un groupe de filles rit sur mon
passage. Je n'aurais jamais dû venir. Je le savais.
Nous rejoignons mon cousin et sa bande d'amis dans le quartier VIP du bar. J'admets que les canapés
de cuir blanc et les coupes de champagne encore vides - ou du moins pour le moment - sur la table font
envie. L'ensemble m'enchante. Mais ce n'est pas pour moi, je suis issue d'un autre monde. Malgré le
brouhaha ambiant, je tente de faire le vide dans ma tête. J'ai besoin de calme, de silence.
Tout le monde me scrute, deux amis de Grégory prennent place en face de moi sans jamais me quitter
des yeux. Ça en devient flippant. Pour calmer mon malaise, Liam attrape ma main et la serre dans la
sienne. Nous discutons, ou plutôt hurlons pour se faire entendre et j'arrive à m'apaiser un peu. Pas
d'alcool qui coule à flot, pas de gogo danseuses. Les blogs mentent.
Ély est déjà agrippée au cou de mon cousin quand les premiers verres arrivent sur notre table.
Certains lancent les paris d'avaler leur shot le plus vite possible, ou d'en enchaîner plus de cinq sans
vomir. Je ne trouve pas ça drôle du tout mais j'écoute, j'observe. Ce qui est censé être le monde des
jeunes adultes, donc le mien également, ne m'enchante pas. Je le trouve hostile. Débile. Je commence à
scruter l'heure sur mon téléphone à partir de minuit. Je sens étrangement, que je ne suis pas couchée.
Liam s'aventure sur la piste de danse en me laissant à mon triste sort. J'ai toujours les deux amis de
Greg en face de moi mais ils paraissent tellement ivres qu'ils ne se souviennent sans doute même pas de
qui je suis. Triste soirée pour eux. Ils sont morts avant même d'avoir commencé à s'éclater. Je regarde
mes alter ego rire de bon cœur à quelques mètres de là lorsque je sens deux mains glacées se poser sur
mes yeux.
Chapitre 5

- Qui est-ce ?
J'essaye de ne pas montrer que je panique à l'idée qu'un potentiel violeur soit en train de s'amuser
avec moi, mais ma voix me trahit. Plus aiguë que d'habitude, plus tremblante aussi.
- Tu ne me reconnais pas ? Tu me déçois, Joy. On va jouer à un jeu. Tu me laisses t'offrir un verre et
je te révèle mon nom. Ça marche ?
Et il ose me demander mon avis ? Bien sûr que non, je ne suis pas partante pour participer à son
délire étrange. Je veux juste m'enfuir en courant. Il me piège, m'empêche de bouger en me ôtant la vue et il
croit que je vais me transformer en pochtronne avec lui ? Ce mec est un grand cinglé. Si seulement Liam
était resté quelques minutes de plus sur ce canapé immaculé, rien ne serait arrivé.
- Non, je refuse. Lâchez-moi maintenant, s'il vous plaît. Je n'ai pas envie de jouer.
Il retire tout de suite ses mains comme si je l'avais brûlé et je me retourne vivement pour découvrir
que mon agresseur n'est personne d'autre que Tony, cet abruti qui me suivait comme un chien au lycée.
J'avais entendu à plusieurs reprises des rumeurs comme quoi je lui plaisais mais ce n'était absolument pas
réciproque. Je ne sors jamais et je le rencontre ce soir. Nous sommes en pleine ville et il y a des
centaines de bars à la ronde mais non, il a fallu que je tombe dans le même que Tony-pue-le-vomi. Si
certains ne croient pas en la malchance, qu'ils me disent ce que c'est.
- Tu as embelli, Joy. Tu fais quoi aujourd'hui ?
Je lève les yeux au ciel. Un compliment. Je déteste les compliments. Mieux vaut ne rien dire que de
raconter de la merde, n'est-ce pas ? Belle, je ne le suis pas. J'ai le visage symétrique, des lèvres
pulpeuses, un nez fin s'il veut, mais belle non. Ce n'est et ne sera jamais un bon adjectif.
- Je travaille. Et toi pourquoi es-tu ici ?
- Toujours aussi marrante. Et bien je tente ma chance pour trouver l'amour, pardi ! Selon une étude,
c'est en soirée qu'on fait les plus belles rencontres, alors de temps en temps je viens ici pour rencontrer
quelqu'un. Je crois que ce soir, j'ai eu de la chance.
Il me lance un clin d’œil entendu. Je manque de vomir sur ses chaussures. Pour une fois, son surnom
serait bien mérité. Alors que j'envisage secrètement de lui donner un coup de pied bien placé avant de
courir, Liam vient enfin à ma rescousse. Je ne peux qu'être soulagée. Je suis à vif d'être à ce point
exposée face à tant de monde. Cela multiplie les chances de me faire observer, critiquer, et juger.
Chacune de mes réactions est amplifiée.
- Tony, ça fait longtemps. Tu m'excuses, je récupère ma petite amie. Tu viens, chérie ?
Je le suis volontiers jusqu'à la piste de danse. Je préfère passer cinq minutes au milieu de ces gens
dégoulinants plutôt que de prendre le risque de rester avec Tony. Je l'ai toujours trouvé bizarre. Si ça se
trouve, avec lui, j'aurais fini découpée dans son coffre avant l'aube.
- Je suis désolé de t'avoir laissée avec ce tordu. Ça va ? Tu as une petite mine. Tu es sûr d'aller bien
?
- Ça ne me plaît pas d'être ici Liam et tu le sais. Je fais un effort pour vous faire plaisir mais je ne
me sens pas à ma place. Il y a trop de monde, trop d'agitation. Il va me falloir un week-end enfermée en
solo pour m'en remettre.
Mon ami place ses mains sur mes hanches et je laisse ma tête reposer sur son épaule. La chanson est
lente, évidemment. Je m'abandonne et ferme les yeux. Pendant ce bref instant, j'oublie où je suis et j'arrive
à retrouver mon calme. Peut-être est-ce dû au danseur à qui je m'accroche ? Son parfum chatouille mes
narines, mais j'apprécie. J'aime sa façon de me toucher, de me protéger. J'ai toujours adoré ça un peu plus
que raisonnable.
Je continue mon rêve éveillé en ne me préoccupant plus que de ses deux mains sur le bas de mon
dos. Je me sens vraiment heureuse et oublie rapidement la rencontre précédente.
- Joy, la chanson est terminée, on a l'air con.
J'ouvre les yeux et retourne à la réalité. La douceur de la voix de Sam Smith a laissé place au rythme
endiablé de David Guetta et de son Sexy Bitch. Les filles se frottent contre les jambes de chaque garçon
qu'elles croisent et tirent toujours plus sur leur robe pour en dévoiler davantage. Je me retrouve sans
savoir comment, à deux mètres de mon meilleur ami, expulsée plus loin par une blonde platine aux gros
seins. J'observe la scène, choquée par la facilité avec laquelle cette garce touche mon Liam. Quelques
secondes suffisent pour me faire rebrousser chemin et retourner m'asseoir.
Je suis folle de jalousie. Je meurs d'envie de retourner percer une des bouées de cette Barbie mais je
n'en ai pas le droit. Cela semblerait bien trop louche sans explication. Et je ne veux pas la donner. Oui,
j'aime Liam. Je l'aime sans doute un peu plus qu'un simple ami. Mais il m'est interdit de l'empêcher de
s'amuser sans lui donner une bonne raison. Et je préfère une fois encore taire ma rancœur plutôt que de la
crier sur tous les toits. Quitte à finir ma vie seule.
Lorsque je me retrouve en tête à tête avec moi-même, je commence à observer ce qui se passe tout
autour. Un couple qui s'engueule parce que le mec a dansé trop collé serré avec une autre fille. Deux
hommes qui s'embrassent en cachette. Je me demande pourquoi il n'est pas encore possible de pouvoir
aimer qui on veut aujourd'hui. On est en 2015, pas en l'an 40. Une nana, sans doute un peu trop saoule,
danse sur le bar et commence à se déshabiller sous l’œil averti d'un public mature. Puis, quand je me
retourne vers la piste de danse, je vois Liam et la blonde en train de s'embrasser. Ce qui termine de
m'achever.
Je suis reconnaissante envers mes amis de vouloir me faire découvrir des choses mais celles-ci ne
sont définitivement pas faites pour moi. Je suis peut-être naïve mais je crois encore en l'amour véritable.
Celui qui vous rend chèvre, que vous ne vivez qu'une fois. Intensément. Passionnément. Ici, nous sommes
à Rungis. Chacun choisi son morceau de viande et emballé, c'est pesé.
Je regroupe mes affaires, récupère mon ticket de vestiaire dans la pochette d'Ély et déserte les lieux.
Je ne prends même pas la peine d'envoyer un SMS à Liam, je sais qu'il ne rentrera pas seul ce soir et ça
me blesse. S'il avait voulu tenter sa chance avec moi, cela fait longtemps qu'il l'aurait fait. À force, j'ai
abandonné l'idée. Moi, je ne dirai rien. Je ne ferai jamais rien.
Un taxi se gare près de l'entrée et je cours presque pour l'atteindre, mais un couple empressé se rue à
l'intérieur avant moi. Épuisée mentalement, je ne me laisse pas marcher sur les pieds. J'ai hâte de rentrer
chez moi et eux sont impatients de passer à l'acte. Je crois que je suis prioritaire. Ils pourront toujours
faire des bébés dans dix minutes.
- J'attendais ici avant vous.
Je les pointe du doigt en les accusant. J'en ai ma claque de passer après des baisers ce soir. Il faut
que cela cesse.
- Nous sommes déjà installés, on ne va pas en sortir maintenant. Démerdez-vous.
L'homme me lève son majeur gentiment et le chauffeur s'éloigne. Non, mais je rêve. Quelle
impolitesse. J'attends encore une dizaine de minutes, cependant, il n'y a plus de taxi. Tant pis, je prends le
risque de rentrer en bus. J'ai horreur des transports en commun mais c'est un moindre mal face à ce que
j'ai vécu ce soir. Je grimpe dans le premier que je trouve et tente de me rapprocher le plus possible de
chez moi. Le reste, je le ferai à pied.
- Mademoiselle, vous êtes charmante.
Une forte odeur de whisky me provient alors que l'individu règne au fond du bus. Encore un qui doit
être cuit. À ce stade, je dirais même qu'il est complètement cramé. J'hésite un instant avant de répondre
quelque chose. J'observe le chauffeur. Il a les épaules de James Bond, ce qui veut dire que dans le pire
des cas, il ne pourra rien m'arriver.
- La « mademoiselle », elle t'emmerde.
Comme je le redoutais, l'homme me rejoint à l'avant. Il sourit. Il a l'air très heureux de ma répartie.
C'est sans doute ce qu'il attendait. Il ne dépasse pas la quarantaine mais quelque chose dans son regard
me fait penser que j'ai peut-être eu tort d'ouvrir ma bouche. Ils flamboient d'envie. Je lui viens de lui
servir un cadeau sur un plateau d'argent : le défi de m'obtenir. Je reste le regard fixé sur la route et espère
au plus profond de moi, que quelqu'un montera bientôt à mes côtés. Une jeune femme qui, elle aussi,
rentre de soirée. Malheureusement, les arrêts avancent mais il n'en est rien. L'homme continue de
m'observer.
- Tu habites dans le quartier ? Je ne t'ai jamais vue. Combien tu prendrais pour une pipe ? Tu as une
bouche de suceuse. Je parie qu'on ne te l'a encore jamais dit.
Mon corps tout entier se met à trembler et je prétends me perdre dans mon téléphone. Ély m'a envoyé
un « Où es-tu ? » et comme je l'avais prédit, Liam fait le mort. Sans doute est-il trop occupé avec la
siliconée, pour s’apercevoir de mon absence. Je lui passe un coup de fil et elle répond instantanément.
- Merde Joy, où te caches-tu ? Tu nous as fait une peur bleue.
- Je suis en route pour chez moi. Mais ça ne va pas, Ély. J'ai un problème. Dis à Greg de venir me
retrouver à l'arrêt de bus Marie Curie. Le plus vite possible.
Le quadra à côté commence à baragouiner des choses incompréhensibles. Ses mains se font de plus
en plus curieuses. J'ai vraiment peur. Ma tête va, semble-t-elle, exploser avant qu'elle ne trouve mon
oreiller. « On arrive » est la dernière chose que j'entends avant qu'elle ne raccroche. La main droite de
l'individu alcoolisé se pose sur ma cuisse et je hurle.
- Ne me touchez pas, vous n'avez pas le droit.
Il rit grassement mais le chauffeur de bus ne prend pas la chose à la légère. Il appelle sa direction et
se gare sur le bas-côté.
- Monsieur, sortez d'ici immédiatement ou je serai obligé d'appeler la police.
- Je m'en bats les couilles des flics, je veux une pipe de la suceuse.
Il retourne néanmoins s'asseoir dans le fond et je prie pour qu'il me laisse tranquille encore quinze
petites minutes. Si Greg a quitté les lieux aussitôt l'appel passé, nous devrions arriver en même temps à
l'arrêt de bus. Du moins, c'est ce que j'espère fortement. Je ne veux pas me retrouver seule, surtout s'il
descend lui aussi. Tony ne m'aura pas coupé en petit morceaux ce soir, mais cet empressé me violerait s'il
en avait l'occasion, j'en ai l'intime conviction. Il a plus de forces que moi, et malgré mon amour pour les
films d'espionnage, je ne crois pas pouvoir rivaliser.
Je suis soulagée de découvrir, lorsque je descends, que tous mes amis m'attendent dans la voiture.
Liam, y compris. C'est d'ailleurs le premier qui me saute au cou pour vérifier que je vais bien. Je souris
dans son dos glorieusement. La blonde aurait dû se trouver un autre pénis pour s'amuser ce soir. Ma
jalousie dégringole et mon appréhension aussi.

J'arrive à me calmer devant un épisode de Dexter et avec une tasse de chocolat. Dans ma couette
chaude et moelleuse, je retrouve tout le calme dont j'ai besoin. Mais ce soir, je me l'avoue enfin,
j'aimerais ne pas être seule dans ce lit.
- Mademoiselle Cohen, vous me plaisez vraiment beaucoup, vous savez. J'ai envie de vous
embrasser depuis que je vous ai vue la première fois, allongée sur cette méridienne.
Les lèvres d'Isaac se posent sur les miennes et la sensation se propage dans mes veines. C'est donc
ça, s'embrasser ? Ressentir des papillons partout, le cœur qui bat plus fort, la sensation que le temps
s'arrête. Je flotte au-dessus de mon propre corps. Mes jambes me lâchent. Un délice ! J'éprouve une drôle
de sensation dans mon bas ventre. Elle se répercute dans mon sexe. Première fois que je ressens des
choses ici. Mon Dieu, j'en veux encore.
- Joy. Joy, réveille-toi, on dirait que tu fais un cauchemar. Joy, s'il te plaît.
Mon corps se retrouve soudain secoué comme une brique de jus d'orange. J'ouvre les yeux et me
retrouve face à Liam, le visage blême.
Je suis dans mon lit.
Isaac ce matin.
La soirée merdique.
Le type du bus.
Et mon premier rêve érotique avec l'arrogant.
Chapitre 6

La vie reprend son cours. J'oublie cet affreux épisode de vendredi soir et je l'oublie, lui. Un mois
passe sans que je ne le vois, ni n'en entende parler. Je me remets peu à peu de cette soirée en me
retranchant chez moi. J'enchaîne les séries, films et bouquins, et tout va mieux. Quelques fois, je pars
courir pour me réconforter. Je n'ai pas revu Ély, ni Liam depuis ce soir-là. J'avais besoin d'être seule.
Mais ce week-end, c'est le retour de notre séance cinéma dans mon salon. Et pour tout avouer, je n'attends
que ça.
Je range mon appartement, pars faire les courses pour la soirée et attends patiemment l'arrivée de
mes deux amis. Quand j'entends frapper, je me sens prête à redevenir la vraie moi. Enfin. Après deux
semaines de comédie et de non-dits.
- Salut, Joy. Liam n'est pas encore arrivé ? Il m'a dit être parti avant même que je commence à me
préparer, lance Ély.
Je tente de ne pas me focaliser sur ce chewing-gum qu'elle mâche trop bruyamment et son discours
résonne dans mon esprit. Et s'il lui était arrivé quelque chose ? Je ne m'en remettrai probablement jamais.
Je cours voir mon téléphone, seulement, la batterie a encore lâché. Mon fixe n'a aucun message. Sur les
réseaux sociaux, rien non plus. Étrange. Je commence à paniquer mais me contente de faire bonne figure.
Ély se douterait qu'il y a bien plus que de l'amitié entre Liam et moi, comme je le prétends constamment.
Un quart d'heure plus tard, ma porte vibre à nouveau sous le coup d'un cognement intempestif. Je
saute sur la poignée, mais mon sourire s'efface à peine a-t-il déformé mes traits.
- Salut. Je voulais vous présenter quelqu'un ce soir. Voici Alice. Ma... petite amie.
Sa... quoi ? Dites-moi que je rêve !
Ély ouvre la porte d'un geste vif et enlace fortement la brune qui nous fait face. Mais pourquoi le
prend-elle aussi bien ? C'est notre soirée. Nous trois. Cette peste n'a pas sa place ici. Liam m'observe,
impassible, tentant de jauger ma réaction. Comment veut-il que je réagisse ? J'ai juste envie de lui botter
le cul de ne pas m'avoir prévenue. J'aurais pu me faire à l'idée, pleurer en cachette. Là, je sens que s'il me
scrute deux minutes de plus, je vais sangloter sans pouvoir m'arrêter. Et je ne veux pas de ça. Je ne
montre jamais ce genre de faiblesse. Même pas à eux.
Je ne bouge plus, un goût amer emplit ma bouche. Je ne la connais pas, mais la déteste déjà. Je suis
terriblement jalouse. C'est encore pire qu'au bar. Cette fois, il l'a présentée comme sa petite copine. Ils
ont probablement déjà passé un cap. Je veux le bonheur de mon ami, mais je n'aurais jamais pensé que ce
soit si soudain. Et que ça me blesserait autant.
- Allez, Joy, bouge-toi, laisse-les passer. Alors Alice, tu fais quoi dans la vie ?
Liam me demande si je vais bien, pourtant, je l'ignore, bien trop vexée. La boule dans ma gorge est
immense. Je crois que si je parle, je me trahirai. Je m'assois sur le canapé en essayant de sourire. Pas de
chance, la grimace ne vient pas. Je me contente d'écouter ce qu'elle raconte avec ses grands airs, en
avalant des poignées de cacahuètes. À chaque bouchée mâchée, je m'imagine que c'est elle que je réduis
en miettes.
- Je suis professeur en classe de primaire. Les CE2, ce n'est pas de tout repos, mais j'aime vraiment
ça. Tu te dis que les enfants apprennent grâce à toi. Joy, il paraît que tu travailles dans l'édition, ça te plaît
?
Je l'ai mauvaise, et je lâche ma réponse du tac au tac. Tant pis si ça lui déplaît ou si je parais
impolie. Je veux qu'elle sente qu'elle me dérange. Qu'elle n'a pas à être ici.
- Évidemment, sinon j'aurais déjà changé de boulot.
- Oui bien sûr, répond-elle, mal à l'aise. Bon, on se le regarde ce film ?
La dinde ne va tout de même pas rester tout le temps, si ? Je m'excuse et m'enferme dans la salle de
bain, les priant de commencer sans moi. La porte à peine verrouillée, je laisse tomber le masque et mes
larmes couler. Pourquoi fallait-il qu'il agisse ainsi ? Il me semblait qu'on se disait tout, qu'on était liés
comme les doigts de la main. Il est beau, il attire, c'est évident. Mais pourquoi nous surprendre à ce point
? Tu parles d'un cadeau. Je donne un coup de pied dans ma baignoire et reprends mon calme en respirant
fortement.
- Ouvre, Joy, c'est moi. Tu es sûre que ça va ?
Sa voix me met d'autant plus en colère. Je n'ai pas envie de le voir en ce moment. Je risque de sortir
toutes les horreurs que je retiens depuis que cette harpie aux jambes trop longues est entrée chez moi.
- Laisse-moi tranquille, s'il te plaît. Je ne veux pas parler pour l'instant.
- Mais tu ne veux jamais discuter. Qu'est-ce que tu as ? C'est moi le problème, ou Alice ?
Je hausse les sourcils et cette fois il est trop tard, les mots sortent avant même que mon cerveau ne
les filtre.
- Bien sûr que c'est elle qui m'ennuie. Tu te ramènes avec ton plan cul à notre soirée. J'avais besoin
de vous. Qu'on se retrouve à trois, qu'on rigole comme d'habitude et là, je ne peux pas. Je n'y arriverais
pas et tu le sais très bien. Je pensais pouvoir mettre mes soucis de côté parce que oui, être harcelée dans
un bus en pleine nuit par votre faute, parce que vous m'aviez laissée seule en est un. Je ne suis pas sortie
depuis près d'un mois, j'avais peur. J'ai peur. Et elle vient tout gâcher.
Je m'adosse au mur, la tête entre les mains. Je lutte fortement pour ne pas recommencer à pleurer.
Pourquoi est-ce que je prends ça comme une trahison ? Les questions sont sans fin et je ne trouve aucune
réponse à apporter. Il y en a sans doute, mais je nie. Je ne veux pas avoir des sentiments pour Liam, ce
serait trop étrange. Je l’entends soupirer et s’asseoir de l'autre côté de la porte.
- Je suis désolé. D'accord, j'aurais dû vous prévenir. Mais, ce n'est pas un drame pour autant, si ? On
en passe tout le temps des soirées à trois. C'était l'occasion ou jamais de vous présenter Alice. Je la vois
depuis une semaine, Joy. On sort ensemble tous les jours. Elle compte pour moi. Si ça te met aussi en
colère, on va s'en aller.
Sous le coup de l'énervement, je lui gueule un « c'est ça, cassez-vous ». Depuis ma cachette, je les
écoute attentivement s'expliquer, s'agiter dans mon appartement, en me languissant de leur départ. Lorsque
la porte d'entrée claque enfin, laissant disparaître Liam et Alice derrière elle, je pointe mon nez dans le
salon et me retrouves-en tête à tête avec Ély, assise sur le canapé. Elle ne comprend rien à ce qui vient
d'arriver, mais ne tarde pas à me sermonner.
- Pourquoi tu les as virés comme ça ? Qu'est-ce qui se passe, putain ? Elle est géniale cette fille. Et
pour une fois que Liam nous ramène quelqu'un, il fallait que tu fasses ton emmerdeuse. T'es vraiment
chiante.
- Laisse tomber, je n'ai plus envie de le regarder ce film. Je vais me coucher. Tu peux rester et faire
comme chez toi, je m'en fous.
- Il est hors de question que tu te défiles comme ça ! Elle me pointe du doigt. Tu as un putain de
problème, Joy. Et si tu ne me dis pas ce que c'est, je finirai par le découvrir, tu me connais. Mieux vaut
passer sur le grill tout de suite, on gagnera du temps.
Je lui ressors le même discours pompeux que j'ai servi à Liam tout à l'heure, le fait que j'avais
besoin qu'on se retrouve ensemble pour oublier cette soirée des horreurs et elle compatit. Nous passons
finalement la soirée toutes les deux en nous gavant de cochonneries, devant le zapping du web. J'avais
presque oublié à quel point se retrouver entre filles peut être réconfortant.

Je ne parle pas à Liam du week-end et évite chacun de ses appels, ça lui fera les pieds. Il peut m'en
vouloir, je m'en fiche. J'ai besoin qu'il comprenne que c'était un manque de respect, une mauvaise
décision.
Quand j'arrive au travail le lundi, je manque de faire un arrêt cardiaque. Isaac est assis sous le petit
porche, en costume trois pièces, et il semble bien moins à l'aise qu'à l'accoutumée.
Ses yeux sont fixés sur son téléphone, mais quand j'arrive au bout de la rue, c'est moi qu'il regarde.
Son sourire à tomber par terre se met à habiter son visage et je commence sérieusement à manquer d'air.
- Voilà la chieuse, je ne vous attendais plus.
J'avais presque oublié la façon dont mon corps réagissait face à cet exquis étranger. Mon cœur
s'emballe, mes mains deviennent moites et mon sang afflue dans mes joues. J'ai l'impression que le climat
des Tropiques s'est implanté par ici. Je le laisse s'écarter et déverrouille l'entrée. Il me suit en silence. Je
ne sais même pas pourquoi il est là mais étrangement, ça me réjouit. Il continue de me suivre jusqu'à mon
bureau.
- Qu'est-ce que vous faites ici exactement ? On avait rendez-vous ?
- Vous n'avez pas eu le message ? Monsieur Badouk voulait nous voir tous les deux ce matin avant
neuf heures. Je suis bien d'accord, c'est affreux de passer ne serait-ce qu'une seconde avec vous, mais je
le fais uniquement pour le pognon, ajoute-t-il, ironique.
Monsieur Lincoln s'installe face à moi et j'ai l'impression que tout se répète. Je l'observe, fascinée et
parle au minimum. Aucune formalité ne me paraît assez intéressante pour lui. Tout à coup, son téléphone
sonne et il ne prend même pas la peine de me demander s'il peut décrocher. Il agit.
- Oui bébé, mais je t'ai dit que j'avais un rendez-vous ce matin. Oui, on remet la partie de baise à ce
soir. Chez toi, OK.
C'est sans doute mon côté prude qui m'indigne de sa réplique, mais comment ai-je pu penser une
seule seconde qu'un tombeur comme lui puisse s'intéresser à moi ? Suis-je assez stupide pour avoir mal
interprété son geste de l'autre jour, comme un rapprochement entre nous ? Et pourquoi ne puis-je pas
m'empêcher d'imaginer que, quand il me regarde, il est plus sincère qu'avec n'importe qui d'autre ? Je me
fais des films et ça me porte préjudice.
- Vous recommencez, Mademoiselle Cohen. Je sais que je suis beau gosse, mais ça en devient gênant.
- Je me demande comment vos chevilles entrent encore dans vos chaussettes. C'est à peine croyable.
Voulez-vous un peu de café pour faire circuler le sang ? Peut-être que ça vous aiderait à reprendre pleine
possession de vos chaussures, qui sait...
Il décline l'offre avec dédain et je commence à travailler en essayant d'oublier sa présence. Dix
longues minutes se passent avant que mon boss se pointe. Il était temps. Un peu plus, et je recommençais à
l'observer. Ce mec, étant presque trop parfait pour être vrai, devrait être exposé dans un musée d’art
corporel.
- Mademoiselle Cohen, Monsieur Lincoln, merci d'être présents. J'ai une bonne nouvelle à vous
annoncer.
Je me redresse sur mon siège. J'ai l'impression que ce qui suit ne va pas me plaire. Si ça implique
l'arrogant, je ne crois pas pouvoir assumer.
- J'ai réussi à vous placer à un salon du livre. Par contre, c'est en Belgique. Alors, j'ai pensé que
vous pourriez y aller tous les deux.
- Non, je ne préfère pas, Monsieur. Je suis débordée de travail en ce moment et notre nouvel ouvrage
sort dans une semaine. Je dois rester concentrée. Puis, en plus, je n'ai jamais accompagné d'auteur sur un
salon. Je ne suis pas sûre d'être prête.
- Non, ça ne va pas être possible, pas elle, lance Isaac, en même temps que moi.
- Cela tombe bien, je ne pose pas la question, je l'ordonne. Vous irez tous les deux en Belgique à la
fin du mois. Joy, il faudra bien qu'il y ait une première, alors autant sauter le cap maintenant. Et vous,
Monsieur Lincoln, je vous assure que Joy est l'une de nos salariées les plus compétentes, elle n'aura
aucun souci à assurer votre promotion.
Abasourdie, je tire Monsieur Badouk par le bras et l'attire dans le couloir. Je prends le soin de
fermer la porte derrière nous pour qu'Isaac n'entende rien.
- Mais son manuscrit est loin d'être terminé. Pourquoi précipiter les choses ? Qu'allons-nous y faire
?
- Nous devons redorer l'image de notre maison d'édition, Joy. Vous le savez autant que moi, le
marché est en évolution constante. Alors, avoir un charmant jeune homme comme lui qui signe chez nous,
pour une romance, c'est une force. Une vraie chance. Nous devons le montrer, le crier haut et fort. Les
maquettistes travaillent déjà à la confection de sa couverture. Il pourra la dédicacer sur place. Vous, vous
aurez un stock de livres de nos auteurs phares à vendre et quelques rendez-vous avec les journalistes à
gérer.
- Et vous êtes persuadé que la seule solution pour redresser notre société s'appelle Isaac Lincoln ? je
demande, dubitative.
- Je ne suis sûr de rien, mais nous devons essayer. Avec toutes ces sorties numériques, nous sommes
tenus de nous aligner et proposer quelque chose d'innovant aux lecteurs. Ce quelque chose, c'est lui,
Mademoiselle Cohen.
Je ré-rentre dans le bureau, seule cette fois, et me confronte au regard de celui qui, selon mon boss,
va tous nous sauver.
- On dirait qu'on va passer du temps ensemble, la muette. Bon, tant pis, ce sera un léger sacrifice,
lance-t-il, en me fixant de la tête aux pieds comme s’il n’appréciait pas ce qu’il a sous les yeux. Appelez-
moi et on s'organisera.
Il me tend sa carte et s'enfuit rapidement. Impossible, je dois me réveiller. Ça ne peut être qu'un
cauchemar. Je me pince et sens bel et bien la douleur. Merde, je ne veux pas y aller.
Chapitre 7

Trois semaines plus tard

Impossible d'être plus stressée que moi en ce moment. Je déambule dans le hall de l'aéroport,
attendant mon partenaire de voyage, mais il est aux abonnés absents. Ély et Grégory ont tenu à
m'accompagner pour me soutenir. Avec Liam, nous sommes toujours en guerre froide et je ne veux
absolument pas faire le premier pas. J'attendrai le temps qu'il faudra, mais il finira par me présenter ses
excuses. J'en suis convaincue.
- Ne t'en fais pas, Joy. Il ne devrait plus tarder.
- Je vais le tuer, tu as vu l'heure ? Il va nous faire rater l'avion ce goujat. Et je fais comment si on est
en retard à Bruxelles, moi ? Quelle excuse pourrie faudra-t-il que j'invente ?
Mon cousin me serre dans ses bras en me soufflant de me calmer au creux de l'oreille. Plus facile à
dire qu'à faire. Ce n'est pas lui qui s'apprête à passer un week-end entier avec un crétin de premier rang.
Et encore, s'il n'y avait que ça. Je suis sur le point de partager le trajet en avion avec lui, celui en taxi
ensuite, puis passer deux journées complètes en sa compagnie en faisant croire à tout le monde que nous
nous entendons bien. Mytholand, le retour !
Je déteste sortir de ma routine, et savoir que je pars avec lui me hérisse les poils. Je vais encore
passer mes nuits à m'imaginer des choses, à cogiter suite à chaque phrase qu'il m'aura dite. Cet homme a
une telle emprise sur moi qu'il me demanderait de marcher à genoux pour le distraire que je le ferais.
- Oh mon Dieu, ma poulette ! Voilà Isaac, non ?
Ély pointe du doigt un trentenaire sexy, mais la joie est de courte durée. Non, ce n'est pas lui. On
dirait qu'il me fait tourner en bourrique pour que je l'appelle. Très bien. Si jusqu'ici je m'en suis sortie
avec les e-mails, il est temps d'accélérer le mouvement. Je sors mon téléphone et compose le numéro que
j'ai appris par cœur à force de le lire encore et encore, puis attends sa réponse.
- Allô, crie-t-il à travers le combiné.
- Bonjour, Monsieur Lincoln, Mademoiselle Cohen à l'appareil. Concrètement... Qu'est-ce que vous
foutez ?
Je me retiens de ne pas hurler. Je suis morte d'angoisse à l'idée que ma valise parte sans moi, car
elle est en soute depuis bientôt trente minutes. Que ferais-je sans ma tablette et mes livres de chevet du
moment ? Pire encore, sans mon shampooing à la noix de coco que j'aime tant ? J'en ai besoin pour
survivre à deux jours avec l'arrogant.
- Déstressez joli cœur, je suis en train de me garer. Je serai là dans deux minutes.
Je raccroche et commence à jouer avec mes lunettes nerveusement. J'observe ma tenue à la va-vite,
j'espère que je n'en ai pas trop fait. J'ai passé la semaine dernière à faire du shopping afin de trouver les
vêtements appropriés à la situation. Pour l'avion, j'ai choisi une robe ample et fluide en coton noir et des
bottines plates. Mais, comparée aux individus alentour, je me sens seule. Les gens prennent tous l'avion
mal fringués, en jogging, pour la plupart. Est-ce une règle ou un code désigné par la compagnie aérienne ?
Je me tourne une énième fois vers la porte et les yeux d'Isaac croisent immédiatement les miens. Je
me sens rougir aussi vite qu'Ély me dit : « Rappelle-moi de te demander son numéro ». Il s'approche de
nous avec un sac minuscule qui ressemble plus à une pochette d'ordinateur qu'à une valise.
- Vous voyez, je suis à l'heure.
- Et où sont vos affaires ? Vous savez qu'on ne rentre pas avant dimanche soir ?
- Je les achèterai sur place, je ne vois pas où est le problème. Je voulais emmener un costume, mais
il aurait été froissé de toute façon. Question de logique, Mademoiselle Cohen.
La façon qu'il a de prononcer mon nom me rend toute chose. Et encore une fois, en sa présence, ma
température corporelle augmente dangereusement. Ély est en train de baver comme un chien devant un os
et ce salaud d'Isaac en profite. Il lui chuchote quelque chose à l'oreille qui doit être hilarant vu comme
elle explose de rire. Greg me serre dans ses bras et mon amie me demande de vanter ses mérites avant
que je m'éloigne. Si elle croit que je vais les caser ensemble, elle peut toujours courir.
Nous nous dirigeons immédiatement vers le quai d'embarquement et aucun de nous n'ose rompre ce
silence pesant. Nous sommes installés dans l'avion par les hôtesses de l'air et je découvre qu'il n'est pas
assis à côté de moi, mais à quelques rangées. Ça me soulage même si j'espérais secrètement pouvoir me
rincer l’œil. Par pur hasard, nous aurions peut-être discuté, fais connaissance, voire sympathisé. Mais là
encore, mon imaginaire m'a joué des tours. Je pensais qu'éventuellement, nous arriverions à briser la
glace.
Avant la fermeture des portes, il vient me trouver et entame la conversation.
- Je vois que votre patron a compris le message. Il nous a séparés.
Il hausse les épaules et soupire, presque déçu de cette constatation. Au fond, moi, je jubile. Ce geste
ne peut pas être mal interprété. Il aurait aimé être à côté de moi, c'est bon signe, non ?
- Enfin, j'aimerais bien vous comprendre. D'habitude, j'arrive à capter une femme en quelques
secondes mais pour vous, ça m'est impossible. Nous ne sommes pas obligés de nous parler, mais
quarante-huit heures dans le silence, ça va être long, non ? Autant rendre le voyage agréable. Pensez-y,
Joy.
J'aurais presque envie de l'envoyer bouler pour toutes les fois où il m'a surnommée la muette,
l'emmerdeuse ou la chieuse, mais il me semble sincère dans sa démarche. Et moi aussi, j'ai vraiment
envie de le connaître. Je ne prends aucun risque de ce côté, de toute façon. Je ne suis probablement pas
son genre de femme. Il suffit de l'observer pour le deviner. Puis, qui dit qu'on sera amené à se fréquenter,
par la suite ? Je suis loin d'être la seule employée de l'entreprise.
- Je suis d'accord avec vous, Isaac.
Cette fois, je ne sais pas s'il s'agit là de mon imagination débordante mais il m'a semblé entrevoir
son masque tomber à l'entente de son prénom. Enfin, il paraît que quand on lit trop de livres, on
commence à tout interpréter. Que ce soit vrai, ou complètement tordu. Au nombre de pages tournées et
lues mensuellement, je dirais que je peux être considérée comme une super interprète de tout et de
n'importe quel geste.
Il retourne s’asseoir et le décollage approche. Je déteste ça. J'ai pris l'avion une seule fois, pour
aller en Angleterre en classe de quatrième et ça m'a laissé un mauvais souvenir. J'étais tellement stressée
par le fait de revoir Isaac que ce détail m'avait, jusqu’à présent, paru superflu. Mais maintenant, je veux
sortir de cet engin et m'enfuir en courant. L'avion commence à avancer et le vieil homme à mes côtés
perçoit ma panique. Il me donne la main dans un geste réconfortant et me répète que tout va bien se
passer.
Quand nous flottons dans les airs, la sensation de liberté que j'éprouve est immense. La gravité ne
nous maintient plus au sol. Nous volons. J'observe les nuages et retrouve mon sang froid. Même si je ne
suis pas côté hublot, je vois tout et la vue m’éblouit. Impossible d'y rester insensible.
Je rallume mon téléphone pour écouter de la musique et le voyage file à la vitesse de la lumière.
Très rapidement, il nous est demandé de rattacher nos ceintures pour l'atterrissage. Le vieux monsieur
agrippe ma main par prévention, mais je me sens déjà rassurée. Je ne peux qu'appréhender le trajet en taxi
avec Isaac maintenant. C'est là que le grand spectacle va démarrer.
Nous descendons de l'appareil et je me retrouve face à un Isaac que je ne connaissais pas encore.
Ses traits sont détendus et il me lance un sourire sincère. Il respire la bonne humeur.
- Le vol s'est bien passé pour vous, Joy ?
- Très bien, malgré quelques difficultés au démarrage. Ce n'est qu'une petite heure après tout. Et vous
?
- J'ai la frousse en avion, j'avais pris un petit comprimé pour me calmer, chuchote-t-il, comme si
c'était un secret, en se penchant instinctivement vers moi.
Pour la première fois, j'ai son parfum dans le nez. Et que dire de cette senteur musquée ? Elle lui
colle à la peau et lui convient à la perfection. Je récupère ma valise et il me propose de la porter. Waouh,
où est le mec qui me traitait de muette ? S'il faut le gaver de médicaments pour qu'il soit aimable, je ferais
bien de m'en procurer une boîte dès maintenant.
Nous grimpons dans un véhicule et Isaac se la joue galant. Il m'ouvre la portière, il engage même la
conversation.
- Alors Mademoiselle Cohen, que dois-je savoir sur vous ?
La question que je déteste le plus au monde arrive. Je lutte contre mon mutisme. Rares sont les fois
où je le fais, pourtant je lui réponds. Lui, c'est lui.
- J'ai vingt-quatre ans. La littérature me passionne. Mon rêve a toujours été de travailler avec les
livres. J'hésitais entre l'édition ou les librairies, mais la vie a choisi pour moi, on dirait. Je suis fille
unique, seulement, je suis tellement proche de mon cousin que je le considère comme mon frère. J'aime le
chocolat plus que raisonnable, ma série préférée est Gilmore Girls et ma soirée parfaite se résume à
rester chez moi avec un thé et un bon roman.
- Et vous avez un petit ami, Joy ?
Je glousse. Si seulement il savait, il se moquerait de moi. J'éprouverais probablement la honte de ma
vie.
- Non. Je suis plutôt solitaire comme fille. À votre tour.
Il m'étudie, amusé. Je commence à être plus à l'aise avec lui. Son changement de comportement y est
pour beaucoup. J'ouvre grand mes oreilles, prête à enregistrer la moindre information sur celui qui
occupe mes pensées depuis notre rencontre.
- Il n'y a pas grand-chose à dire. Ma sœur voyage beaucoup. Mes deux parents sont… Ils sont en vie.
Je me suis lancé en sociologie pour leur faire plaisir, mais j'ai lâché en cours de route. J'ai enchaîné les
petits boulots et ai commencé à écrire mon livre en parallèle. Finalement, c'était une bonne idée. Je vis en
colocation avec mes deux meilleurs potes. Dirty Dancing est mon film favori et, ne riez pas, car je ne sais
pas pourquoi. Sans doute le côté ingrat de Patrick Swayze qui me rappelle quelqu'un. J'adore manger
japonais et j'aime la fête, même si je ne la fais pas tous les week-ends. Satisfaite ?
Je hoche la tête. Évidemment que oui. J'adore l'idée qu'il soit fan de Johnny et Bébé. Au fond, se
cache un cœur plus tendre qu'il n'y paraît. Il aime l'idée de l'amour, et s'il est sincère dans son roman, il
ne l'a jamais connu. Cette façade qu'il s'est construite me plaît. Ça me prouve que je ne suis pas la seule à
le faire et à avoir quelque chose à cacher.
- Vous avez hâte, pour le salon ?
- En fait, je suis un peu nerveux. J'espère ne pas décevoir. J'ai confiance en mes écrits, en ma
couverture, mais j'ai peur de m'être fixé des limites un peu trop élevées. Je ne veux pas être déçu non
plus.
- J'ai lu votre roman, enfin, en partie. Vous avez une bonne plume même si on sent bien qu'il a été
rédigé par un homme.
Il éclate de rire et pose sa main sur mon bras.
Contrôle-toi ma fille, ça ne veut rien dire pour lui.
Liam est le seul à m'avoir déjà touchée comme ça et je sens que j'ai franchi une étape aujourd'hui.
J'ai envie d'y croire. De découvrir ce qu'est l'amour.
Nous arrivons à l'hôtel, bien plus spacieux que je l'imaginais et j'entends le beau gosse à mes côtés
siffler de stupéfaction. Je demande à obtenir les clés de ma chambre au réceptionniste et il déguerpit, un
papier en main. Il revient près de deux minutes plus tard avec une tête de six pieds de long.
- Mademoiselle Cohen, je crains qu’il n’y ait eu un problème avec votre réservation.
Chapitre 8

- Comment ça, un problème ?


Le grand châtain se trémousse face à moi et commence à transpirer à grosses gouttes. Il écarte son
col de chemise comme s'il manquait d'air. Après ce qui me paraît durer dix longues minutes, il répond.
- Il y a eu un malentendu, nous avions compris que vous étiez un couple. Nous n'avons validé qu'une
seule réservation. Et avec le salon, il n'y a plus de chambre disponible. Voici votre clé. C'est au deuxième
étage.
La première chose à laquelle je pense se revendique sous la forme d’un pyjama rose avec des
cupcakes. Une adorable collection que j'ai commencée à mes seize ans. Mais, comment ai-je pu penser
que tout se déroulerait parfaitement ? J'aurais dû me douter que ce voyage était la pire idée de l'univers.
Je n'ai jamais dormi avec quelqu'un. Même avec une amie, pendant l'adolescence. J'ai toujours trouvé ça
trop privé. Mon lit est mon espace, mon cocon. Je ne veux aucune invasion. Comment vais-je réussir à
fermer l’œil à côté d'un homme qui est plus sexy que Robert Pattinson ? Oh le cauchemar !
Je n'ai pas le temps de protester que le réceptionniste se fait la malle. Il ne veut pas être engueulé, tu
m'étonnes. Isaac semble s'amuser de la situation alors que moi, je suis à la limite de l'infarctus. Pourquoi
est-il si calme ? Tandis que nous montons dans l'ascenseur, il me lâche :
- Ne vous en faites pas, Joy. On ne va pas beaucoup dormir, de toute façon. On est là pour le travail,
créer des relations. On ne passera que très peu de temps ici. Et vu la tête de l'hôtel, ils sont du genre à
avoir un canapé dans leurs chambres.
Quand nous entrons dans la pièce, je découvre avec horreur que le lit est le parfait cliché du
romantisme. À baldaquin, avec des pétales de roses et des chocolats sur la couette. J'ai vraiment dû faire
quelque chose pour que, là-haut, on se foute de moi de cette façon. J'observe le grand brun déambuler en
silence. Il essaie le matelas et m'invite à s'installer à ses côtés. J'hésite longuement, mais je meurs d'envie
de tester le confort d'une couche moelleuse, moi aussi. La pression retombe et je suis éreintée.
Je m'y allonge et reste sur le dos, bien que ce ne soit pas ma position favorite. Qui peut être à l'aise
en dormant comme un mort dans son cercueil, franchement ? Puis, il faut dire que j'ai la frousse de me
confronter à ses yeux bleus maintenant. Nous serions trop proches pour que mon attirance soit cachée.
Instinctivement, sa main se pose sur ma hanche et je sursaute. Ce contact masculin ne m'est pas
habituel. J'ai toujours cru que ces frissons étaient exagérés. Que quand le héros d'une love story ressentait
sa peau qui brûle après avoir caressé l'amour de sa vie était une blague. Je viens de comprendre ce qu'ils
ressentent. Des picotements. Un embrasement. Les chenilles qui se transforment en papillons. La neige qui
fond au soleil. Lorsqu'Isaac me touche, c'est comme si je n'étais plus moi. Que je survolais mon corps
pour observer la scène. Sa peau est bouillante et je ne peux m'empêcher de me demander ce que ça me
ferait si sa chair se collait à la mienne, nue. Puisqu'avec une épaisseur je suis dans tous mes états, j'ose à
peine imaginer ce que j'éprouverais. Quand bien même cela arriverait un jour...
- Vous savez de quoi j'ai envie, maintenant ?
M'embrasser ?
Je secoue la tête en espérant que ma réponse lui convienne. Sa main, toujours posée sur mon corps
me perturbe. J'essaye de me remémorer ce qu'il m'a dit, depuis que nous avons quitté Paris. De décoder
son comportement. Ses gestes. J'aimerais avoir un indice, un je-ne-sais-quoi qui me prouve que je lui
plais et qu'il ne se joue pas de moi.
- D'un bon gros petit-déjeuner. Puis ensuite, d'aller me chercher un costume. Vous voulez
m'accompagner ?
Mes neurones se réveillent aussi vite que je me relève. Continuer à passer du temps avec lui ? Ou en
profiter pour me ressourcer ? Je crois que je préfère rester cantonnée ici quelques heures pour me
préparer à l'après-midi qui nous attend. Ce sera une grande première professionnellement parlant et je ne
peux absolument pas me louper.
- Non merci, je vais travailler un peu. Mais allez-y.
Il ronchonne, mais ne tente pas de me faire changer d'avis. J'en suis ravie. S'il avait quelque peu
insisté, je serais montée dans un taxi avant d'avoir fini de sortir mon bloc-notes.
Je me retrouve donc seule dans cette quinzaine de mètres carrés. L'air redevient respirable et mon
cœur se calme. Je vais difficilement survivre à ce rythme pendant près de deux jours. Et dire qu'en ce
moment, je devrais être en train de faire la grasse matinée dans mon appartement.
Je profite de son absence pour vérifier le contenu de ma valise. Excepté ce pyjama immonde, je n'ai
rien de compromettant. Il va falloir que je fasse des emplettes, car il est hors de question qu'il me voit
habillée de la sorte. De près, ou de loin. Je rédige une liste de choses à faire pour le début du salon du
livre et me hâte vers la boutique la plus proche. J'achète ce que je trouve. À savoir, une de ces nuisettes
moulantes, habituellement réservées aux femmes en couple tant elles sont affriolantes. Ce n'est pas ce que
j'avais en tête, mais soit, ce sera toujours mieux que mon costume immonde qui rappelle à la Terre entière
que je suis célibataire.

Quand il frappe à la porte un peu avant quatorze heures, je sursaute. C'est avec stupéfaction que je
découvre qu'il porte déjà son smoking. Comment un ensemble ringard devient-il si sexy chez lui ? J'ai
passé ma jupe patineuse bleu marine et une blouse ivoire, mais je parais d'une moins que rien à côté, c'est
agaçant.
Nous sommes attendus pour la cérémonie d'ouverture du salon, à 14h30, à quelques centaines de
mètres. J'espère que tout va bien se passer. Je commence à être anxieuse d'assurer sa promotion toute
seule. Et que dire du fait de rester avec lui ? J'ai envie de lui parler, mais pas de le saouler et je ne sais
pas faire la part des choses. En général, quand je trouve un mec mignon, soit je ne dis rien et le laisse
venir, ce qui n'arrive jamais soyons honnête, soit je raconte connerie sur connerie. Si bien que je finis par
passer pour une attardée. Et au vu de notre passif commun, j'aimerais éviter de faire d'autres bourdes.
- Joy ?
- Oui ?
Je continue de regarder le trottoir. Il ne manquerait plus que je m'étale avec mes escarpins ou marche
dans une merde de chien.
- Vous pensez qu'on peut se tutoyer ?
- J'ai l'habitude de vouvoyer tout le monde au travail, mais il s’agit d’un cadre un peu particulier,
n'est-ce pas ? Et je crois qu'on est aussi effrayé l'un que l'autre. Alors oui, si tu veux.
Et j'appuie fortement sur le tu. Je déteste l'arrogance qui coule de chacun de ses pores mais en même
temps, il a une telle aura, que c'en est impressionnant. Je n'ai jamais été attirée par ce genre de type, bad
boy sur les bords, mais il faut croire que tout change. Comme à mon habitude, je suis en train d'imaginer
des centaines de scénarios possibles pour cet après-midi, néanmoins, je les tais. Je reste silencieuse, le
regard dans le vide. À ce jeu-là, je suis douée.
En arrivant sur place, nous sommes installés à notre stand, et Isaac découvre enfin quelques-unes de
ses couvertures éditées sur papier brillant. Même s'il ne dit rien, je sens qu'il est ému. Il sourit, tourne les
pages une à une, prend quelques photos avec son smartphone. Un vrai gosse. Mais, je dois avouer que je
serai la première à m'extasier si ça m'arrivait un jour. La sensation de puissance quand on voit son nom
inscrit en capitale sur son œuvre doit être indescriptible.
Le maître de cérémonie ouvre le salon et le public est invité à y entrer. Très vite, des étudiantes
s'arrêtent devant notre stand. Je tente de déblatérer le discours que j'avais préparé, de leur vendre des
livres, mais rien n'y fait, elles ne sont intéressées que par une chose : le physique de l'auteur à côté de
moi. Comment peuvent-elles flirter, engager la conversation ? Je devrais demander à Google. Je ne
comprendrai jamais ce concept. Je suis sans doute un peu traditionnelle sur les bords, mais pour moi,
c'est à l'homme de faire avancer les choses, et à la femme d'accepter ou non, ses avances.
Ces deux jeunes filles qui doivent frôler les dix-huit ans battent des cils bien plus que nécessaire
devant mon coéquipier du week-end. L'une d'entre elles remonte même sa jupe. Sérieusement ? Manquer
de respect pour son propre corps à cet âge me répugne. Isaac vante les mérites de son livre, à paraître
dans les prochains mois, et les deux jeunes repartent avec leurs dédicaces sous le bras. Avoir une belle
gueule semble être un gros bonus dans ce métier. Comme dans tous d'ailleurs.
- Je viens de signer mes premiers autographes, je n'en reviens pas, c'est dingue ! Ce soir on fête ça,
Joy. On se fait une boîte, un bar, n'importe quoi, mais on trinque.
- Tu iras t'amuser si tu veux, moi je dois faire le rapport de la journée et l'envoyer à mon boss.
J'ai surtout besoin de m'éloigner de lui et ne pas le voir draguer sous mon nez, car je n'en peux plus.
J'ai envie d'imploser. Plus le temps passe, plus il distribue des cartes de visites ou accoste des « ma belle
» ou « ma beauté » à tire larigot. Je n'ai aucun droit sur lui. Ses faits et gestes ne devraient pas susciter de
réaction chez moi. Pourtant, je suis jalouse à en crever. Le temps passe et je deviens exécrable. Il me
demande si je vais bien à plusieurs reprises. Comment te dire que j'ai envie de te tuer en ce moment ? Ah,
Isaac...
- Bonjour. Pouvez-vous me parler du livre de Monsieur Lincoln qui sera publié prochainement, s'il
vous plaît ? C'est pour la presse.
Mes yeux s'écarquillent de surprise. Je lisse ma jupe et laisse ma rancœur de côté quelques instants.
J'invite la journaliste à s’asseoir sur un des tabourets mis à notre disposition, pour promouvoir le roman
de mon poulain. Je défends ses idées becs et ongles, et, bien sûr, quand elle apprend qu'il s'agit d'une
romance, elle respire le cynisme. Pourtant, j'ai des arguments prouvant que son récit est excellent. Isaac, à
quelques mètres de là, prétend parler à une fille tout en écoutant notre conversation. La reporter termine
l'entrevue en nous photographiant tous les deux, une pochette cartonnée à la main, et s'en va.
- Waouh, c'est la première fois que j'ai à défendre un auteur et ça me plaît vraiment. Tu aurais vu sa
tête lorsque je lui ai annoncé le thème. Je n'ai pourtant pas arrêté de soutenir ton ouvrage et elle m'a
promis un article papier ou sur le net. Ça fait plaisir de voir que le travail qu'on fait porte ses fruits.
Isaac me dévisage et m'écoute parler avec son éternel sourire en coin. J'ai presque l'impression de
retrouver sa version parisienne, le goujat sans limites. Mais sa voix est plus douce, il semble détendu ici.
Différent. Il attrape deux gobelets, derrière notre table, nous verse de l'eau et m'invite à porter un toast
avec lui. Je tente d'éviter ses œillades, mais il relève mon visage d'une main.
- Ah non, hors de question. Quand on trinque, c'est dans les yeux ou ça porte malheur.
Je sens mes joues s'empourprer sous son regard ardent. Il n'y a pas deux heures, j'avais envie de
l'assassiner. Mon cerveau a joué une bonne dizaine de scripts différents. La hache. Le couteau. Le
flingue... Mais, maintenant que je dois le confronter, je n'y arrive pas. Je me sens stupide et minuscule.
Fragile, surtout. J'ai l'impression d'être le dindon de la farce dès que j'ouvre la bouche. De mal
m'exprimer, alors que lui en impose.
- Tu sais Joy, j'y ai pensé toute la journée et je ne trouvais pas le temps ni les mots, mais je ressens
le besoin de m'excuser pour notre rencontre. Je ne suis pas une horrible personne. J'étais stressé d'avoir
décroché un rendez-vous, alors j'aurais fait n'importe quoi pour qu'on me remarque.
- Je ne suis pas rancunière.
Mais idiote, oui. Il s'en fout ! Il voulait que tu lui dises "non, je ne t'en veux pas". Ou mieux
encore, une petite blague sur le fait que oui, ça t'a agacée, mais qu'aujourd'hui, tout est réglé. Bon
sang, je suis destinée à rester à côté de la plaque pour le restant de mes jours...
- En tout cas, je sais ce que tu es, déclare-t-il, sûr de lui.
- Ah oui, et je suis quoi ?
Je hausse les sourcils en attendant sa réponse.
- Tu es plutôt belle, Joy Cohen.
Chapitre 9

C'est la première fois qu'un homme comme lui me complimente. J'acquiesce, mais ne dis rien. Ce
serait bien trop explicite. Je suis déjà rouge tomate, il a donc dû se faire sa propre interprétation de ses
quelques mots sur moi.
L'après-midi passe en coup de vent. Plus de la moitié des ouvrages qui m'ont été confié sont
désormais vendus. Une victoire pour la maison d'édition et une satisfaction personnelle à la clé. Avec
Isaac, tout se passe pour le mieux. Étonnement, j'ai l'impression de découvrir une autre facette de sa
personnalité. Il est bien loin le dragueur à outrance et le ravageur de petites culottes. En face de moi, se
trouve un cœur tendre comme du caramel mou. Et pour être honnête, j'adore ça.
- Joy, je t'interdis de travailler toute la soirée. On a écoulé la moitié du stock de couvertures
imprimées, je t'embarque au moins pour dîner. Tu as déjà goûté des sushis ?
Je fais languir mon interlocuteur en feignant de ranger tout ce qui traîne avant de revenir ici demain
matin. Là-haut, un débat commence entre mes deux hémisphères. L'un me crie d'accepter et me laisser
aller, l'autre se demande ce que Monsieur Badouk pensera de mon attitude. Ce salon est une grande
première et je veux pouvoir y participer encore. Malgré moi, j'entends ma voix retentir avant même
d'avoir pris ma décision.
- Non, mais j'adorerais.
Mais j'adorerais.
Nunuche !
Bien sûr que non, je ne vais pas apprécier. Je n'aime pas le poisson, alors comment puis-je envisager
le savourer cru ? Et puis, on est en Belgique. On ne mange pas des frites au fromage autour d'une pinte de
bière ici ? Il n'y a pas quelque chose de plus appétissant qu'un morceau de saumon pas cuit ?
Nous regagnons la chambre d'hôtel tout en dressant le bilan de la journée. Lorsque nous entrons dans
celle-ci, le malaise me revient. J'aimerais pouvoir me détendre dans la baignoire, mais le seul fait de
savoir qu'il est à côté me rend déjà anxieuse. Et si l'alarme incendie se déclenchait ? Je devrais sortir en
urgence, uniquement vêtue de ma serviette. Je refuse de sentir ses yeux se balader sur mon anatomie. Mes
mensurations ne sont pas dignes d'un mannequin, comme les femmes qu'il doit fréquenter habituellement.
- Je te laisse la salle de bain, vas-y d'abord et prends ton temps. En attendant, je vais regarder où on
pourrait aller dîner.
J'attrape mes vêtements dans ma valise en priant intérieurement pour que mon string ne se fasse pas
la malle. Sainte Marie Joseph, prouvez-moi que vous existez bel et bien.
Je grimpe dans la baignoire une fois qu'elle déborde presque et tâche de me détendre le mieux que
possible. Mais avoir du temps pour réfléchir n'est jamais vraiment bon signe pour ma part. Je commence
à avoir le cafard. Liam ne sait même pas que je suis ici, en Belgique. Et s'il passait à l'appartement pour
discuter ? Et si un de mes amis avait besoin de moi ? Bon sang, je débloque. Je sors de là quand mes
mains deviennent semblables à celles d'une mamie de quatre-vingt-dix ans et commence à me maquiller.
Pour une fois, j'aimerais essayer d'être jolie. "Tu es plutôt belle Joy" m'a-t-il dit. Je veux que ça se
confirme ce soir.
Je commence à enfiler ma robe lorsque j'entends sa voix rocailleuse. Je crois tout d'abord qu'il me
parle, mais son ton est doux, quasiment guimauve. Je ne peux m'empêcher d'écouter à la porte.
- Candice, tu sais bien que je ne reviens que demain... Toi aussi, tu me manques. Silence. Bon, tu
commences à me gonfler, je prendrais ton petit cul demain soir, ça te va ? Patiente et va sur Youporn, tu
trouveras de quoi te soulager.
Je suis à la fois choquée et amusée par ce que j'entends. Il ne semble pas porter cette fille dans son
cœur et ça me réjouit plus que je ne le devrais. Je me regarde une dernière fois dans le miroir et quand je
me trouve enfin « plutôt belle », je sors.
- J'ai réservé une table pour 20h30. Waouh, bordel... Joy, tu es vraiment...
Je laisse la phrase en suspens et ne l'invite pas à la terminer. Ses yeux pétillants suffisent à me
combler de bonheur. Il embarque deux ou trois affaires dans la salle de bain et, à mon tour, de me
détendre sur le lit. Cette soirée sera parfaite. Elle doit bien se passer. Si j'arrive à ne pas agir telle une
cinglée, tout ira bien. J'ai comme la sensation d'avoir mal au ventre, mais en même temps pas vraiment.
Serait-ce qu'on appelle plus communément, le stress du premier rendez-vous ? Enfin, ce n'est pas comme
si c'était vraiment un rencard. Il s'agit plutôt un dîner entre collègues. Voilà, je dois essayer de rester à ma
place. Tant qu'on discutera boulot, rien n'arrivera.
Il chantonne sous la douche et des frissons parcourent mon échine. Je n'arrive pas à me sortir son
corps de la tête. Comment est-il en dessous sa chemise ? Poilu ou imberbe ? Abdos ou pas ? Bon sang,
depuis que je le connais, je passe mon temps à avoir envie de goûter au plaisir du sexe. À chaque fois que
je pense à lui, je fantasme. C'est affreux.
Son téléphone ne cesse de vibrer pendant ce qui me paraît être des heures. La seule chose que j'ai le
temps de voir avant que l'écran ne devienne totalement noir est ce prénom : Candice. Je me sens ignoble
de penser à Isaac de cette manière, alors qu'il a une petite amie.
- Tu es prête ?
- Oui, oui.
Je lui jette un regard à la dérobée. La chemise ouverte et les cheveux trempés. Son torse est divin.
Ses muscles sont dessinés, sculptés à la perfection. Ses abdominaux appellent à la caresse. Et cette très
légère ligne de poils qui descend dangereusement, toujours plus-bas... Merde, je bave. Pourquoi est-il
aussi tentant qu'un fruit défendu ?
- Oh, et au fait, ton portable n'a pas arrêté de vibrer pendant que tu étais sous la douche. J'espère que
ce n'est pas urgent.
Il lève les yeux au ciel et range rageusement son téléphone dans la poche de son pantalon, sans prêter
attention à ce que je viens de lui dire. Une fois encore, j'en suis ravie.
Nous prenons l'ascenseur et me retrouver seule dans un si petit espace avec Isaac me donne le
tournis. Je pense à des choses pas très catholiques, alors que lui reste inébranlable. Il faut que j'arrête de
me faire des films. Ce n'est pas parce qu'il m'a dit que j'étais « plutôt belle » que je lui plais vraiment. Il y
a un grand écart entre ces deux notions. La muraille de Chine, même.
Le restaurant qu'il a choisi se trouve à quelques rues seulement, si bien que nous décidons de nous y
rendre à pied. Je découvre avec bonheur les différents bâtiments bruxellois. Des odeurs de fritures
chatouillent mes narines et commencent à m'ouvrir l'appétit. Nous atterrissons face à une grande vitrine
remplie de sushis et je fais la moue. Rien que l'odeur me répugne. Isaac, toujours posté à côté de moi,
explose de rire.
- Tu croyais vraiment que j'allais t'emmener dîner dans un japonais ? Je ne fais confiance à personne,
pas même à mes colocataires, je ne vais pas prendre le risque de m'intoxiquer avec du poisson pourri.
Allez viens, encore quelques pas et ce soir, des tapas espagnoles nous attendent.
- Vraiment ? Je n'en ai jamais mangé, dis-je, honteuse.
- Alors entre ici, tu vas avoir les papilles en folie. Bienvenue en Espagne, Preciosa.
La première chose que je remarque est la proximité des corps. J'ai presque l'impression d'atterrir en
boîte de nuit. Pourquoi restent-ils tous agglutinés debout ? Je comprends dès lors que je vois un premier
mange-debout. Une musique gitane envahit le petit local et les rires des convives font qu'on ne s'entend
presque plus. Je suis obligée de hurler à pleins poumons pour m'exprimer. Je sens que je ne vais pas
autant apprécier cette soirée que j'aurais pu.
- Deux sangrias s'il vous plaît, gueule Isaac à côté de moi.
Nous prenons place au bar et quand nos verres arrivent, je grimace. De l'alcool ? Encore ? Je fais un
effort pour lui, mais ce n'est vraiment pas le type d'endroit que j'apprécie et je lui ferai probablement
savoir plus tard.
- C'est un peu bruyant, non ?
- La joie espagnole, Joy. Laisse-toi aller, on est là pour décompresser !
Il attrape ma main et m'emmène sur ce qui ressemble à une mini piste de danse. Quand je dis mini,
c'est parce qu'au-delà de quatre couples, on manque probablement d'oxygène. Ses hanches cognent contre
les miennes et sa main se pose naturellement dans le creux de mes reins. J'ai un pas très mal assuré alors
que lui, au contraire, s'amuse comme un fou, ne prêtant aucune attention aux gens qui nous entourent. Je
commence à sentir des regards sur moi, ce qui me refroidit encore plus.
- Joy, tu es raide comme un piquet. Ferme les yeux et laisse-moi faire.
Je suis tétanisée à l'idée de l'écouter, mais les œillades de l'assemblée me permettent de me décider
rapidement. Mes paupières se ferment tant bien que mal et je sens son torse imposant contre mon dos.
Mais merde, qu'est-ce qu'il fait ? Son engin à demi dressé s'appuie contre mon cul et son souffle
s'immisce dans ma nuque. J'ai vraiment l'impression d'être en Espagne là maintenant, j'ai chaud.
Tellement chaud.
Il prend ma main dans la sienne et me fait tourner sur moi-même. Je rouvre les yeux et le spectacle
qui s'offre à moi est divin. Il sourit comme jamais je ne l'ai vu sourire et il a l'air véritablement heureux
en cet instant. Quelques gouttes de sueurs perlent sur son front, mais il s'en moque complètement. Il est
bien dans sa peau et il le montre. Lorsque la musique s'arrête, il presse une dernière fois mon corps
contre le sien avant que nous rejoignons le bar.
- Je suis sûr que tu n'avais jamais dansé comme ça, je me trompe ?
Je secoue la tête et enfile mon verre d'une traite. Mais, c'est sans doute la pire idée du siècle.
L'alcool pique tellement mon œsophage qu'il m'en fait tousser. Lorsque la sensation de brûlure s'atténue,
je commence à avoir la nausée.
- Et j'ai comme l'impression que tu n'as pas l'habitude de boire non plus ?
- En fait, j'ai touché à l'alcool pour la première fois il y a un mois et demi. Alors ouais, on peut dire
que je ne suis pas habituée à ça.
- Mais où étais-tu pendant tout ce temps, Joy ? Que faisais-tu de tes week-ends ?
J'hésite à le lui dire. Être introvertie ne m'offre pas le statut de malade pour autant, loin de là, mais
c'est souvent mal vu et surtout incompris. Les soirées comme ça, très bien, tant que ça reste ponctuel. Je
préfère cent fois mon canapé à ce brouhaha actuel.
- En fait, je n'aime pas vraiment sortir. Je me sens vite mal à l'aise dès qu'il y a trop de monde. Je
préfère la compagnie de mes amis devant un bon film à la maison.
Je pense qu'il ne s'est rendu compte de rien, mais je viens de lui faire une des plus grandes
révélations de ma vie. Même Ély, n'a rien su aussi vite. Je ne sais pas si l'alcool parle pour moi ou si je
déboîte à cause de ses deux yeux azur, mais mon cerveau ne filtre plus rien. À ses côtés je me sens aussi
fragile que rassurée. Une douce contradiction inexplicable. La sangria commence à agir. Le sang afflux
dans mes joues et je me sens guillerette, dans un quasi état second.
- Tu veux un autre verre ? J'ai l'impression que tu apprécies le cocktail !
Il sourit. Mais pourquoi sourit-il encore ? C'est déjà l'inondation dans ma culotte. S'il continue, je
vais devoir plonger ma tête dans l'eau glacée pour me calmer.
- Non merci, je ne pense pas pouvoir le supporter. On va éviter de faire en sorte que ce soit toi qui
me ramènes à l'hôtel, en me portant comme une princesse.
- Tu veux que je te dise un secret ? Jamais, je ne te porterai de la sorte. Ce serait en prendre pour
mon ego, et je ne suis pas du genre romantique. Deux autres, s'il vous plaît.
- Mais tu n'écoutes rien ? J'ai dit que je n'en voulais plus.
- C'est justement pour ça que je t'en commande un autre, Joy. Tu me parles plus facilement depuis que
tu as avalé la première sangria. Je ne sais pas si je te perturbe ou t'agace, mais tu es toujours dans la
retenue avec moi. Là, pour une fois, tu discutes franchement. Alors je ne vais pas lâcher le morceau. La
soirée ne fait que commencer !
Et c'est bien pour ça que j'ai peur. Peur de trop en dire. De me dévoiler et me mettre à nue face à lui.
Je sirote petite gorgée par petite gorgée et avale toute l'assiette de charcuterie ibérique posée devant
nous. J'ai besoin d'énergie si je veux affronter le beau gosse face à moi, pendant des heures durant. Show
must go on, comme dirait Queen.
Chapitre 10

J'avale le fond de mon troisième verre et tout me semble plus agréable. J'ai envie de vomir, le monde
tangue quand je bouge, mais je n'arrête pas de rigoler pour autant. La situation est drôle et anodine. Tous
les soucis sont loin. Même le fait de voir Isaac dans les bras d'une autre femme me fait sourire. Nous
avons parié : il danse avec quelqu'un que je choisis et je danse avec un mec qu'il désigne pour moi.
- Tu as bien sélectionné la fille, mais elle puait le parfum, ça m'a filé mal au crâne. Je suis bien
content d'avoir de l'air frais maintenant. Bon, à moi de te trouver ta prochaine cible.
Je jette un œil à mon téléphone avant de continuer notre jeu, simple vérification de routine mais
quand je remarque que j'ai quatre appels manqués, un message vocal et deux SMS, je panique. Isaac doit
s'en apercevoir à ma mine déconfite.
- Je suis désolée, je vais dehors, je dois écouter ce machin-là.
Je manque de me ramasser la tête la première en ne voyant pas la marche et compose le numéro de
ma messagerie. Mes doigts tremblent. La température intérieure était caliente, alors que dehors, le vent
me glace les os.
Vous avez un nouveau message :

Oui Joy, c'est moi, Liam. J'ai besoin de te parler. J'ai vraiment merdé l'autre fois et je voulais
m'excuser. Alors je suis passé chez toi, mais tu n'y étais pas. Je trouve ça étrange pour un samedi soir.
Peux-tu me rappeler s'il te plaît ? Je t'aime mon schtroumpf grognon.

Évidemment, il fallait que le seul week-end de l'année où je ne suis pas chez moi, Liam décide de
venir se faire pardonner. Bien ma veine. Je le rappelle immédiatement sans prêter attention aux autres
SMS. Il a dû prévenir Ély et Greg qui lui auront probablement dit pour le voyage, mais je tiens à mettre
les points sur les i. Et tant que j'ai une forte dose d'alcool dans le sang, je me sens plus courageuse qu'à
mon habitude. Il répond après la deuxième sonnerie.
- Joy, enfin, je m'inquiète, où es-tu ? Ély m'a affirmé que tu ne dormais pas chez elle.
- Tu vois Liam, tu ne peux pas me donner le statut de la méchante parce que je ne t'ai rien dit. Tu ne
me parles pas pendant des semaines et du jour au lendemain, tu arrives comme une fleur ? Mais va au
diable Liam, sérieusement !
- Tu es sûre que tout va bien ? Tu as une drôle de voix. Mon Dieu Joy, tu es bourrée ?
- J'ai le droit d'agir comme bon me semble et toi tu fais ce que tu veux avec ta pétasse. Coucou
Alice, tout roule ? Moi, je me porte comme un charme. Le monde est beau. Oh, Isaac. Toi aussi tu vas
bien ?
Il se tient à côté de moi, la cigarette dans la bouche et je l'observe en extraire la fumée. Quand est-ce
que cet homme n'est pas sexy ? Il semble sortir tout droit d'une sitcom ou d'une publicité pour parfum. Je
l'observe, longtemps, et son rictus ne tarde pas à apparaître.
- Bordel, Joy, mais où es-tu ? Tu es complètement pétée. Et d’abord, c’est qui cet Isaac ? Laisse-moi
te ramener chez toi, s'il te plaît. Je commence vraiment à m'inquiéter.
- Alors, je t'attends. Je suis à Bruxelles. Ramène ta fraise copain ! Allez, je te vois bientôt. Ciao.
Puis, sans l’écouter davantage, je raccroche. Moins de deux, et je lui balançais tout. Surtout des
horreurs sur sa parfaite petite amie. Je me plonge à nouveau dans les yeux d'Isaac et j'espère ne pas trahir
cette envie de l'embrasser qui pulse dans mes veines. Je dois sans doute rêver, l'excès de sangria m'y
aidant, mais j'ai l'impression que l'atmosphère se charge d'électricité autour de nous.
- Tu ne veux pas qu'on rentre à l'hôtel ? Je commence vraiment à ne pas me sentir bien, je lui avoue.
- Mais tu n'as pas encore dansé avec le type que je t'ai choisi ! Et la soirée commence à peine. Il est
super tôt, il n'est que vingt-trois heures.
Je fais la moue. J'ai envie de dormir. Le contrecoup arrive et l'excitation laisse place à la fatigue. Je
suis certaine que dans moins de quinze minutes, je m'étale sur le sol, comme une crêpe, en tombant dans
les bras de Morphée. Il semblerait que je n'ai pas l'alcool très marrant en fin de compte. Juste quelques
instants.
- Bon, je te raccompagne parce que je suis sympa, et je vais en boîte. Moi j'ai envie de tester les
bruxelloises, ce soir. Par contre, je ne rentrerai probablement pas. On se retrouvera à dix heures au salon
demain matin.
- Parce que tu aimes les coups d'un soir, toi ? Et ta petite amie, tu y as pensé ?
Je l'observe, faussement dégoûtée. Évidemment que c'est son truc. Comment ai-je pu ne pas m'en
douter. J'ai entendu son petit numéro dans mon bureau la dernière fois. Et Candice, il en fait quoi ? Est-il
du genre à tromper aussi ? Ça, j'apprécie beaucoup moins. Moi qui l'idéalisais, le mettais sur un
piédestal, il descend petit à petit dans mon estime. Isaac est un homme empressé qui ne veut rien d'autre
qu'enchaîner les conquêtes. Une vraie déception.
- Bien sûr. Parce que ose me dire que toi, tu n'as jamais eu de plan cul, peut-être ?
Si j'étais sobre, je suis certaine que je serai allée me cacher ailleurs. Au mieux, j'aurais couru pour
ne jamais faire face à cette discussion. Mais l'alcool accentue ce côté impulsif que j'ai bien caché sous le
décolleté.
- Je n'ai jamais baisé. Je suis vierge. Une vraie sainte qui n'a jamais eu de pénis en elle, youhou !
La stupéfaction. Le choc. Ou peut-être est-ce de la surprise. Le visage d'Isaac devient livide et son
éternelle assurance n'est plus. Il s'arrête même de marcher.
- Oh bah, merde alors. Je crois que si tu m'avais foutu un coup de poing en pleine trogne, ça m'aurait
fait tout aussi bizarre. Mais on t'a enfermée dans une grotte, impossible d'en être autrement. Raiponce,
sors de ce corps ! Enfin je veux dire, regarde-toi. Tu dois attirer constamment.
- Faut croire que je suis difficile. Merci de m'avoir raccompagnée.
- Attends, m'interpelle-t-il, comment est-ce que tu me trouves, Joy ?
Pourquoi me pose-t-il cette question piège ? J'ai envie de lui hurler qu'il est sexy à en mourir, et
qu'en ce moment même, je rêve de me jeter sur lui pour l'embrasser, mais je la joue courte.
- Je pense que tu es intéressant.
Je passe le hall avant d'entendre autre chose de sa part. En une soirée, je lui ai presque avoué mon
introversion. Il sait désormais que je suis vierge. Il m'a entendue parler avec Liam. Et j'ai tenté de
camoufler tant bien que mal le fait que je le trouve plus beau qu'un Apollon. Ça va de mal en pis. J'ai
l'impression que la boisson ne fait pas que de m'aider. Elle me permet de me détendre, certes, mais
j'avoue tout et c'est un réel problème. Il ne doit jamais savoir à quel point il m'attire. Je refuse d'avoir le
cœur brisé, ni la honte qu'il le raconte à tous ses amis. Lui doit en avoir des centaines, moi je n'en ai que
deux. Comment passer pour une fille cool après ça ?
Je me démaquille et allume la télévision. Je passe la nuisette achetée quelques heures plus tôt et
m'installe dans le lit. J'essaye de faire le vide, mais je n'y arrive pas. Je ne vois que le visage d'Isaac,
encore et encore. La tête qu'il a faite quand je lui ai annoncé que j'étais chaste. Merde, Joy, tu n'aurais pas
pu la fermer ? Même Liam ignore tout de ma situation. Bien sûr, il sait que je n'ai jamais été en couple,
mais de là à savoir si j'ai déjà couché... Je suis loin d'en être sûre.
Plus le temps passe et plus je redeviens sobre. Bordel, pourquoi j'ai été lui dire ça ? Quand j'ouvre
les yeux, le réveil affiche quatre heures du matin, mais il n'y a toujours personne dans la chambre. La
télévision diffuse un film érotique et je suis en train de me demander où se cache Isaac. Si ça se trouve, il
est tellement bourré qu'il faudrait que je l'appelle. Mais je n'ose pas. Après tout ce que j'ai fait et lui ait
dit ce soir, j'ai vraiment honte de lui adresser la parole. Je tente de me rendormir, néanmoins dix minutes
plus tard, un boucan d'enfer me sort de ma transe.
- Putain de merde, ça fait mal.
J'allume la lampe de chevet et croise le regard d'Isaac. Il va très bien. Il est juste un peu débraillé
mais il semble aussi frais qu'en début de soirée.
- Dors, Joy. Je vais m'installer sur le canapé.
- Non, ne t'inquiète pas. Je viens juste de me réveiller en fait. Je me demandais où tu étais.
- J'ai été dans la boîte de l'hôtel finalement et il y avait tout un tas de monde du salon. J'ai pu parler
avec pas mal de gens, c'était vraiment une soirée sympa. Malgré le prix des verres, l'ambiance battait son
plein.
Je lui souris et pars aux toilettes. L'alcool provoque des dégâts sur moi. Je n'arrête plus de pisser.
Quand je contourne le lit, j'entends Isaac étouffer un juron. Son pied doit encore être endolori, mais il
veut faire bonne figure. Ça, c'est un homme avec un ego de dix fois sa taille !
- Tu ne veux vraiment pas t'allonger là ? Je tapote le matelas à mes côtés. Il y a deux couettes et il
est tellement large qu'on ne se touchera même pas.
Il me dévisage, croyant certainement à une plaisanterie mais non, je suis sérieuse. J'ai envie de sentir
son odeur. Le regarder dormir. J'espère même m'égarer quelque peu dans la nuit pour pouvoir passer une
de mes mains dans ses cheveux. J'en rêve depuis des jours entiers. Il prend place à côté de moi en
louchant sur ma nuisette, alors je décide de me recouvrir. J'éteins lumière et télévision et son parfum
envahit l'espace. Je ne sens plus que ça. J'ai enfin l'impression d'être sereine.
- Candice, c'est ta petite amie, n'est-ce pas ?
Il soupire fortement. Je sens que tout son corps se tourne vers moi. Il doit tenter de me sonder, mais
je lutte et reste allongée sur le dos. Bon sang, que je hais cette position. Son corps se crispe à l'entente de
son prénom. Ai-je dit une connerie ?
- C'est compliqué. Je la vois, mais on ne fait rien de plus que coucher ensemble ou partager quelques
soirées, ce n'est pas très sérieux. Elle voudrait plus, mais je ne veux pas.
- Pourquoi tu n'arrives pas à t'accrocher à une femme ?
Mais tu vas te taire, oui ! Pourquoi toutes les questions qui m'ont brûlé la langue durant toute notre
escapade sortent maintenant ? Le moment était agréable, je le sentais proche de moi. Et là, je sens qu'il va
se braquer et, qu'une fois de plus, je vais passer pour une psychopathe. J'aimerais tellement qu'il garde
une belle image de moi. De notre voyage.
- Pour la même raison que tu n'as jamais eu de rapports sexuels, j'imagine. Je n'ai pas trouvé la
bonne, simplement. Mais on peut arrêter de parler ? Je refuse d'avoir la tête dans le cul, demain.
Je hoche la tête même s'il ne le remarque certainement pas et me retourne. Je m'enferme peu à peu
dans mon cocon protecteur. Je réfléchis. Une fois de plus. Si bien que je mets de longues minutes avant de
m'endormir. Je ressasse tout ce qu’il s'est passé dans la journée. Il m'a dit que j'étais belle, nous avons
dansé. On a discuté et je me suis confiée comme jamais. Décidément, en sa présence, je me comporte
différemment. Et dire qu'Ély voulait que je lui parle d'elle. Jamais, je n'arriverai à imaginer Isaac avec
une fille. Je ne sais même pas quel est son genre. Si tant est qu'il en ait un.
Je rêve de deux yeux bleus cette nuit-là, et ce qui me réveille est la sonnerie de mon portable et la
luminosité de l'écran. Liam me contacte, encore. Depuis hier soir, il n'a pas arrêté de téléphoner. J'ai été
infecte avec lui. Je dois me rattraper. Je me note mentalement d'aller le voir dès demain soir, après le
boulot. Aujourd'hui, dimanche, je décide de réveiller l'homme qui dort à mes côtés le plus doucement du
monde. Je pars chercher le petit déjeuner en bas et quand ma mission est accomplie, j'ouvre le rideau. Il
sourit doucement et ses paupières s'ouvrent pour laisser ses iris s'ancrer dans les miens.
Il se gratte la gorge plusieurs fois et ne cesse de regarder dans ma direction. J'en viens à penser que
quelque chose cloche ou alors qu'il ne peut plus respirer. Je m'approche un peu plus du lit, toujours en
essayant de garder une distance raisonnable et Isaac lâche enfin :
- Joy, ta nuisette. Elle est complètement transparente.
Et c'est la fois de trop. La révélation de trop. Il m'a vue à moitié à poil, en plus de lui avoir balancé
toute la vérité à mon sujet. Je fonce dans la salle de bain, sous le jet brûlant de la douche, et me laisse
aller à ma honte.
Chapitre 11

- Joy, il faut que tu sortes de là ou on va vraiment être en retard.


J'essaye de prendre sur moi. Vraiment. Je fais tous les efforts du monde pour quitter la salle de bain,
mais j'ai honte qu'il ne pose ne serait-ce qu'un œil sur moi. Dans le magasin, cette nuisette semblait jolie.
Un brin affriolante, cependant, rien de vulgaire. Enfin, c'est ce que je croyais. Jusqu'à maintenant. Je
comprends mieux le sourire lubrique de la caissière désormais. Ils m'ont laissée partir avec un putain de
bout de tissu transparent.
Quand je reprends confiance, ma montre affiche déjà dix heures. Je suis catastrophée. Nous devons
être au salon dans vingt minutes et Isaac n'est absolument pas prêt. Assis sur le rebord du lit, en boxer, il
semble avoir la tête dans les vapes.
- Qu'est-ce que t'as foutu là-dedans ? Je te jure que si on se fait réprimander, je dirais que c'est de ta
faute.
Je hoche la tête et il soupire avant d'aller se doucher. Nous arrivons avec dix minutes de retard et
passons inaperçus auprès des organisateurs. Il semblerait qu'il y ait un problème de sécurité et qu'ils aient
besoin de temps pour vérifier les différentes sorties de secours. Installés à notre stand, j'étale les
couvertures imprimées de l'arrogant et prépare les marqueurs. Isaac m'observe, inexpressif, et je sens que
cette journée va être longue, voire, carrément mortelle.

***

Pourquoi y a-t-il tant de monde dans les aéroports ? Je rêve d'être tranquille, seule. Après deux jours
de course effrénée, je ne songe qu'à mon lit. J'ai besoin de m'éloigner d'Isaac. J'aurais cru que passer
quarante-huit heures en sa compagnie allait effacer ma fascination pour lui mais malheureusement pour
moi, ce n'est pas le cas. Cet homme a deux personnalités bien distinctes. Celle qu’il m'a laissé paraître à
notre rencontre, grossier et arrogant, et celle de Belgique, attentionné et joueur. Le jour et la nuit.
Assis dans un Starbucks, nous grignotons un morceau avant de rentrer en France. Il dévore son donut
tandis que je mange élégamment ma part de cheesecake. Cette pâtisserie américaine devrait être interdite
à la vente. Les mauvaises calories vont toujours se loger dans mes fesses me faisant, progressivement
mais sûrement, un fessier à la Kim Kardashian. Si certaines se plaignent d'avoir des poignées d'amour,
moi je me désole d'avoir une énorme boule en guise d’arrière-train. Et, à mon plus grand désespoir, même
les joggings matinaux n'y font rien.
- Ai-je été à la hauteur, ce week-end ?
J'abandonne le fil de mes pensées pour atterrir à nouveau dans le café. Face à moi, Isaac triture ses
doigts nerveusement, attendant sans doute que je réponde positivement.
- Nous avons réussi à écouler toutes tes pochettes. Quelques jeunes femmes sont même reparties
avec des flyers de la maison d'édition et des ouvrages d'autres auteurs sous le bras. Donc, tu peux être
fier de toi.
Son regard s'illumine. Pourtant, aucune expression ne déforme ses traits. Seuls ses grands yeux bleu
marine parlent pour lui. Un inconnu ne s'apercevrait probablement de rien. Moi si. Et j'ai la sensation
qu'il est bien plus heureux qu'il n'aimerait le laisser paraître.
Ayant beaucoup d'avance, nous décidons de faire les boutiques. Nous nous suivons silencieusement,
n'ayant aucun sujet de conversation. Je n'ose pas lui adresser la parole lorsque je suis dans mon état
normal, sobre. À vrai dire, lui non plus ne brise pas cet instant de calme. Mais étrangement, je me sens
bien. Savoir qu'il est proche de moi me rassure. Je me suis accrochée à sa présence en très peu de temps
et je crains le fait de reprendre mes habitudes de célibataire endurcie. La soirée d'hier était certes un peu
bruyante mais cette danse, sa main dans la mienne... Je n'ai jamais rien vécu de pareil.
Mon téléphone vibre m'indiquant l'arrivée d'un message. Ély, forcément.

[Je viendrai te chercher à l'aéroport. J'espère que tu m'as arrangé le coup avec ton beau gosse. Je
t'apporte une surprise. Bisous.]

- Un problème ?
- Oh non, tout va bien. Mon amie Ély me confirme juste qu'elle sera là pour m'accueillir tout à
l'heure.
- Celle que j'ai déjà rencontrée, la rouquine ?
- Oui. D'ailleurs, elle aimerait avoir ton numéro. Enfin, je sais que ce n'est pas vraiment approprié,
mais tu serais d'accord ?
- Elle peut lâcher l'affaire, je ne suis pas intéressé.
Sa remarque me laisse sans voix. Je tente de déceler un semblant d'amusement, pourtant, rien ne
vient. À son tour, il jette un coup d’œil à son portable et le range rageusement dans sa poche. J'ai
l'impression que sa mauvaise humeur reprend le dessus. Ne dit-on pas chassez le naturel, il revient au
galop ? L’Isaac froid et ingrat fait son grand come-back.
Je m'achète un roman pour l'avion, bien que le trajet soit court et nous sommes invités à embarquer.
Cette fois Isaac ne s'installe pas à l'autre bout de l'appareil, mais à mes côtés. Sacré Monsieur Badouk, il
se doutait qu'après deux journées ensemble, nous ne nous comporterions plus comme chien et chat. Si
seulement mon boss savait ce que je ressens à chaque fois que je pose les yeux sur son corps d'Apollon...
Il m'aurait probablement faite rapatrier en voiture, illico presto.
- Je déteste être à côté du hublot, lâche-t-il avec dédain.
- Et bien, on échange si tu veux. Moi je préfère, comme ça tout s'arrange.
Nous échangeons de place tant bien que mal, les rangées étant relativement étroites. Mes mains se
posent malencontreusement sur son torse et les siennes sur ma taille. Je tressaille, mais garde la tête
froide. Je me répète à maintes reprises que tout ça ne représente rien pour lui et leurre mon cerveau.
Le décollage approche et, une fois de plus, je suis nerveuse. Isaac semble carrément prêt à imploser.
Je résiste à l'envie de lui prendre la main, car je sais pertinemment que ça aggraverait la situation. Mon
esprit est déjà totalement chamboulé par notre proximité, inutile que cela atteigne une autre partie de mon
corps, à savoir mon cœur.
- Tu sais, je pensais vraiment que tu étais une peste prétentieuse habillée en Sainte Vierge...
Je détourne les yeux de mon livre une seconde et le fixe, scandalisée. D'où se permet-il de me dire
que j'ai des fringues de bonne sœur ?
- Pour qui te prends-tu d’oser critiquer ma garde-robe ? Et si moi je suis prétentieuse, laisse-moi
t'annoncer que tu es le pire des enfoirés.
Mes joues rougissent suite à mon excès de colère. Isaac éclate de rire tellement fort qu'il attire de
nombreux regards vers nous. Je n'aime pas ça. J'en ai horreur. Il doit s'en apercevoir parce que je me
ratatine sur mon siège, comme pour me fondre dans le tissu. Bien entendu, ça ne fonctionne pas du tout.
Cela ne fait qu'accentuer son hilarité.
- Tu ne m'as pas laissé terminer ma phrase. J'allais dire : mais je me rends compte que je me suis
trompé. Tu portes même des nuisettes transparentes, c'est pour dire.
Je rêve de lui frapper l'avant-bras, mais une force extrême m'en empêche. Ou alors, peut-être que ce
sont les secousses commençant à agiter l'avion dans tous les sens qui me terrorisent. Mon regard se
braque sur les hôtesses de l'air en train de s'attacher. L'une d'elle entreprend même de réaliser un signe de
croix. Bon sang, pourquoi fallait-il que ça arrive ? Un message du pilote nous explique que nous passons
au-dessus d'un orage et que ça risque de secouer jusqu'à Paris. Le cheesecake tente de remonter à
plusieurs reprises, cependant je lui supplie de rester niché dans mes fesses. Il a une autorisation spéciale.
Quand je commence à croire qu’on n’atterrira jamais, je serre la main d'Isaac et le regarde fixement.
Il semble tout aussi paniqué que moi. Malgré tout, le contact entre nos deux corps est rassurant. Il emmêle
ses grands doigts aux miens et j'entends un « j'ai peur » franchir les barrières de sa bouche. Je ne peux
qu'affirmer que moi aussi. Si j'étais une romantique née, je choisirais ce moment pour un premier baiser.
Mais même si je meurs d'envie de goûter à ses lèvres, jamais je n'oserai. Alors je chasse cette idée de ma
tête et tente d'extirper ma main de la sienne. Mais sa poigne est trop forte. Impossible de m'y soustraire.
Une nouvelle annonce retentit et nous avertit de notre arrivée imminente et je me sens déjà un peu
mieux. Je n'ai pas vomi, contrairement à notre voisin de rangée et surtout, Isaac m'a soutenue. Ses doigts
sont calleux et doux à la fois. Sa main, elle, est chaude, brûlante même. Je ne peux réprimer un sourire
face à ce délicieux souvenir. Quand les roues du maudit appareil se posent sur le sol, je jubile.
- On peut dire que c'était un vol mouvementé, j'admets, tout en suivant Isaac dans le couloir.
- La prochaine fois, je fume un joint avant de monter, j'ai cru qu'on allait crever dans les airs, putain.
Nous marchons ce qui me paraît être des kilomètres et une intruse vient se glisser dans ma menotte.
Je rosis de plaisir à ce contact bienvenu. Dans quelques minutes je serais séparée de lui, et même si je
sais que la distance me fera du bien, il va me manquer, c'est certain. Nous attendons de récupérer nos
valises et lorsque c'est chose faite, je me sens triste, quasi nostalgique.
Le portique dépassé, je croise le regard d'Ély, habillée extrêmement court pour l'occasion. Tu
m'étonnes, il fallait qu'elle montre ses atouts à Isaac. À l'intérieur, je fulmine. Et derrière sa longue
crinière rouge, se tient Liam, penaud et l'air désolé. Cette fois ce n'est plus la jalousie qui m'anime, mais
la colère. Comment ose-t-il se pointer maintenant ?
Je sens un corps chaud se rapprocher de moi et comprends qu'il veut m'accompagner voir mes
proches.
- Tu n'es pas obligé de rester, tu sais. Ély va sans doute flirter avec toi si tu traînes. Elle est
sincèrement intéressée.
- J'attends quelqu'un mais cette personne n'est pas encore arrivée, autant aller saluer tes amis. À
moins que tu aies honte de moi. En même temps, un beau gosse avec une Sainte Vierge...
Je ris et sans m'en rendre compte, nous sommes déjà arrivés à leur niveau.
- Isaac je te présente Liam et tu as déjà rencontré Ély.
Je n'ai pas le temps de prononcer un mot de plus qu'une montagne de boucles brunes me chatouille le
visage. Mon meilleur ami me murmure qu'il est désolé à de nombreuses reprises et je me laisse aller à
son étreinte. Ses bras sont chauds et c'est l'odeur que j'ai toujours connue, celle que j'aime. Au fond, je
n'attendais que ça, son pardon et nos retrouvailles.
Derrière nous, se joue une toute autre scène. Ély triture ses cheveux et complimente à tout va le
bellâtre face à elle. Isaac reste de marbre malgré ses nombreux efforts et je peux certifier que la moutarde
lui monte au nez. Il commence à me fixer. Pour lui prouver qu'il n'a pas le dessus sur ma personne, je
laisse mes yeux plantés dans les siens. On verra bien qui lâchera l'échange le premier.
- Joy, je peux te parler en privé, s'il te plaît ?
De la surprise. Et encore ce n'est pas un mot assez fort pour exprimer ce que je ressens en ce
moment. Il attrape à nouveau cette foutue main - quand va-t-il me la rendre ? - puis me tire loin de là.
- Je croyais qu'il n'y avait personne dans ta vie. Tu m'expliques ?
Cette fois c'est sûr, je n'invente rien, Isaac bouillonne. Je m'apprête à lui révéler que Liam n'est rien
d'autre que mon meilleur ami, mais une tornade blonde m'en empêche. Accrochée à son cou, elle
entreprend de lui laver les amygdales. Leurs langues se meuvent de façon répugnante. Son mini short en
jean, vulgaire au possible, laisse peu de place à l'imagination. Je devrais m'éloigner et quitter des yeux
cette scène dégueulasse, mais je me retrouve soudainement clouée sur place. Mon corps refuse de faire le
moindre mouvement.
- Bonjour ! Moi, c'est Candice, et toi ?
Même si je le pressentais, l'entendre de vive voix me blesse. Je rejoins Liam et Ély sans dire un mot
et, quand nous arrivons à la voiture, la part de cheesecake atterrit sur le goudron.
Chapitre 12

Après avoir subi une énième honte de ma vie - j'ai perdu le compte -, je m'installe à l'arrière de la
voiture. Je n'ai envie de parler à personne, il est temps que je retrouve mon cocon, ma solitude. Liam
l'accepte sans broncher et monte le son de la radio au maximum. Malheureusement pour moi, Ély
commence à peine son interrogatoire.
- Alors, comment ça s'est passé ? J'espère que tu lui as parlé de moi. Bon sang ce mec, j'en ferais
bien mon quatre heure, lâche-t-elle, rêveuse. Enfin, sans vouloir te vexer, Joy.
- Laisse tomber, Ély. Je suis fatiguée.
Elle hoche la tête et me jauge à travers le rétroviseur. Je l'apprécie beaucoup, mais elle sait être
casse pieds quand elle s'y met. Elle est innocente dans cette histoire, pourtant, lorsqu'elle me parle
d'Isaac de cette façon, j'ai la désagréable sensation qu'on m'enfonce des poignards dans le dos,
inlassablement. Une opération vicieuse et douloureuse.
- Oh mais tu as toute la soirée pour te reposer. Dis-moi-en plus sur lui. Tu as appris à le connaître ?
Qu'aime-t-il ?
Je ronchonne et refuse de répondre à ses questions stupides. J'entends un "t'es chiante" sortir de sa
bouche mais n'y prête pas attention. Je me contrefiche de ce qu'elle peut penser en ce moment. Et pour sa
santé mentale, il vaut mieux que je me taise. Je risquerais probablement des semaines de faisage de
gueule intense et disons qu'Ély ne fait jamais dans la dentelle quand elle est en colère. S'y frotter coûte
cher. Je me réinstalle confortablement dans mon siège et observe le paysage. De nuit, la ville lumière est
encore plus belle.
Je lutte de plus en plus contre la boule qui grossit dans ma gorge et réprime mon envie de pleurer.
Pourquoi ai-je cru que ma relation avec Isaac avait évolué, en un week-end seulement ? Pour quelle
raison je me suis mise à espérer qu'il m'invite à sortir ou même qu'il m'embrasse ? Dans mon esprit,
chaque scénario se déroule un à un.
- J'ai été ravi de passer ces deux jours avec toi, Joy. Et je veux que cela continue. Ça te tente de finir
la soirée chez moi ?
- Oh... À ton appartement ?
Je rougis comme une pivoine et baisse les yeux. Mon corps entier crie que oui, mais mon cerveau est
en alerte rouge. S'il désirait quelque chose que je ne peux lui offrir ? Et s'il n'attendait de moi que du sexe
?
- On pourrait discuter et je pourrais t'aider avec les comptes rendus. Je te promets que je ne dirai
rien à ton patron. Je t'invite à dîner, qu'en dis-tu ? me propose-t-il, avec insistance, un sourcil haussé.
- Allons alors goûter à tes talents de cuisinier !
Son rire parvient à mes oreilles. Il appartient à ce genre de sons doux et réconfortants que vous
n'oubliez jamais, quoi qu'il en soit. Ceux qui sont tellement familiers qu'ils vous réchauffent le cœur
lorsque plus rien ne va. Et bien plus que la sonorité de la vibration elle-même, la façon dont ce sourire
est articulé : la fossette qui se creuse sur un visage et les yeux qui se brident, emplis de larmes de joie.
Puis, les lèvres qui s'incurvent, toujours plus fort.
- Joy, es-tu avec nous ? Je disais, veux-tu qu'on s'arrête dans une pharmacie si tu te sens barbouillée
?
J'ouvre les yeux à la hâte, de peur de m'être faite prendre la main dans le sac. Pourvu que je n'aie pas
parlé en rêvassant. Je ne crois pourtant pas avoir dormi... Bon sang, tout cela me semblait si réel. J'ai un
pincement au cœur en réalisant que ce n'est pas le cas.

Liam se gare en bas de ma rue et me propose de m'aider à monter ma valise. Je décline l'offre,
préférant rabâcher ma mauvaise humeur toute seule. Ély me fait promettre de déjeuner avec elle demain
midi, pour tout lui raconter. Qu'elle peut être bornée quand elle s'y met ! Je vais prévoir mon discours ce
soir et lui recracherai demain. Vrai ou pas, elle n'y verra que du feu si je mens.
Je prends ma douche en quatrième vitesse et enfile un pyjama confortable, moche à souhait. Je
regagne mon lit, retrouve mon ordinateur et commence à m'endormir quand un bruissement me fait
sursauter. Mon téléphone vibre sous mes fesses et je hurle comme une attardée. Sur l'écran, une
notification. Un message de la part d'Isaac.

[J'espère que tu es bien rentrée. C'était sympa de faire ce voyage ensemble. Et pardon pour
l'aéroport, Candice sait se montrer grossière, surtout avec les charmantes demoiselles qui
s'approchent un peu trop près. Bonne nuit, Sainte Vierge.]

C'est avec le cœur tambourinant dans la poitrine et un sourire béat que je retrouve l'univers des
songes.

***

Après une longue matinée emplie de félicitations de Monsieur Badouk, Ély me retrouve devant la
maison d'édition. À mon grand désarroi, sa mini robe noire attire les regards. J'essaye vraiment de passer
inaperçue à ses côtés, mais avec sa chevelure rousse étincelante et sa bouche grande ouverte, c'est
inconcevable. Chaque homme normalement constitué se retourne sur une femme comme elle.
Liam a toujours été intrigué par notre amitié. Il suffit de nous regarder pour comprendre que nous
sommes incompatibles. Et quand on creuse, la différence s'accentue. Elle est la définition même de
l'extraversion, je suis introvertie. Sa liste de conquêtes gonfle de jour en jour, la mienne n'existe pas. En
définitive, nous n'avions aucune raison d'être amies. Mais ce sont ces différences qui nous ont
rapprochées. Et surtout, notre franc parler à toutes les deux. Nous ne nous laissons jamais marcher sur les
pieds. Deux vrais requins.
La petite brasserie où nous sommes installées est bondée. Au fond, j'en suis ravie. Je me dis surtout
que les échanges de paroles seront courts et peu fréquents. Une chance pour moi quand je sais ce qui
m'attend : un interrogatoire de haut niveau.
- Maintenant qu'on est là ma cocote, tu vas cracher le morceau ! Quels sont ses goûts en matière de
femmes ? A-t-il parlé de moi ? Qu'avez-vous fait ?
Je prends une grande inspiration et déblatère le discours préparé la veille.
- Et bien, je n'ai pas appris grand-chose. Comme tu le sais, nous ne nous entendons pas vraiment
bien. Je peux te dire que nous sommes sortis samedi soir pour fêter la signature de ses premiers
autographes. Il aime beaucoup l'écriture et la lecture. Il vit en colocation avec deux amis. J'ai cru
comprendre qu'il adorait la cuisine japonaise et puis voilà. À cause du salon, on n'a pas eu le temps de
visiter Bruxelles.
- Une soirée ? Tu ne vas pas me dire qu'il t'y a emmenée, toi ?
Elle éclate de rire et entortille une mèche de cheveux autour de son index. Je ne manque pas de lui
faire remarquer qu'elle n'a pas à agir de cette manière avec moi, ses chichis ne m'affectent guère. Son
esclaffement me vexe. Est-ce si drôle que moi, Joy Cohen, je sorte avec un homme ? Je ne suis pas une
martienne, tout de même. Je laisse la rage me gagner et lui réponds avec hargne.
- Parce que tu me prends pour qui, franchement ? La pire des débiles ? Même si je n'aime pas perdre
mon temps dans les bars, je peux déroger à la règle, de temps en temps. Nous avons mangé des tapas,
dansé et rigolé. Je me suis vraiment amusée.
- Il n'y qu'une explication à tout ça, tu es tombée amoureuse de lui !
Sous la table, mes jambes tremblent et je me pince les cuisses pour éviter de ressembler à une
écrevisse. Non, je ne suis pas amoureuse. Oui, il m'attire. Mais je ne l'avouerai jamais. Il a quelqu'un
dans sa vie, et ma meilleure amie rêve de le mettre dans son lit. Partant de ce double constat, ce n'est pas
la peine de semer la zizanie en avouant des sentiments qui n'en sont pas véritablement.
- Comment oses-tu insinuer une chose pareille ? Il me hait.
Elle mâchouille son entrecôte sans grande conviction. Le reste de la conversation tourne autour
d'Isaac et elle ne cesse de me rabâcher à quel point elle ne comprend pas le fait qu'en deux jours, je ne lui
ai pas sauté dessus. Comment explique-t-on à une assoiffée de chair fraîche que l’on est végétarienne ? Je
crois qu'elle ne pourrait même pas comprendre. Ély est le genre de personne à avoir ce qu'elle veut et
quand elle le veut. Elle ne se soucie pas des sentiments d'autrui, elle fonce.
Elle me raccompagne au travail, un peu plus tard que prévu, et je l'entends minauder derrière moi. Je
m'apprête à me retourner vivement pour la sermonner quand je me rends compte de qui il s'agit. Je
reconnais ce parfum. Ce ton de voix. Isaac. J'ai passé quarante-huit avec lui et ai donc eu le temps de
l'observer à ma guise. À cet instant, je pourrais presque prédire ses actions ou les mimiques de son
visage. Chacune d’entre elles sont ancrées dans mon cerveau.
- Tu veux bien me donner ton numéro ? Un dîner et plus si affinités, ce serait sympa, propose-t-elle à
mon copain de voyage.
Je vois Ély s'amuser avec une de ses mèches rouges, encore. Elle fait ses yeux de biche, mettant ses
atouts en valeur mine de rien. Isaac lui tend finalement une carte et elle l'embrasse sur la joue. Je déteste
le sentiment qui m'envahit en regardant la scène.
Pourquoi ai-je envie de d'étrangler mon amie de mes mains ? Et pourquoi je ressens l'envie
irrépressible de lui donner un coup de dictionnaire pour le blesser ? Je reste stupéfaite jusqu'à ce que son
regard se pose enfin sur moi. Bien sûr, je reste et resterai la seconde option.
Je profite du moment où l'un de mes collègues sort fumer pour me précipiter à l'intérieur de la
maison d'édition. Immature, c'est certain, mais je ne dois rien à cet arrogant de première. Je me cache
dans les toilettes, et tends l'oreille pour l'entendre à l'accueil. Il demande à me voir. Merde, il veut
discuter. Je recoiffe mes cheveux avec mes doigts, applique une couche de gloss sur mes lèvres charnues
et sors en trombe. Mais le karma me rattrape vite. Je me prends les pieds dans le tapis et m'étale de tout
mon long, sous les yeux amusés de Manon, la secrétaire, et bien évidemment d'Isaac.
- On dirait que je te fais de l'effet, plaisante-t-il.
Je sens mon cœur battre plus vite. Sérieusement ? Pourquoi t'emballes-tu, espèce de petit muscle ? Je
ne t'en ai pas donné l'autorisation. Et comment oses-tu rendre mes mains moites et mes joues rouges ?
Salopard de traître !
- Pourquoi es-tu là ?
- Waouh, tu as l'air ravie de me voir, quel plaisir. On peut aller dans ton bureau, s'il te plaît ?
Je le devance et ressors mon armure du placard, accompagnée de mon masque. Il doit imaginer que
je ne l'aime pas. Oui, je préfère qu'il pense qu'il me répugne, plutôt que l'inverse.
- Bon, je viens pour te suggérer un marché. Mais si tu n'es pas d'humeur, je reviendrai demain.
- Non, vas-y.
Sa proposition m'intrigue bien trop pour que je le laisse s'enfuir sans rien me dire. La curiosité est un
des vilains défauts dont je suis dotée. J'aime tout savoir, tout apprendre, tout saisir. Si seulement il
existait un livre pour expliquer le flot de sensations que je ressens en sa présence, je serais la première
lectrice. Parce que pour l'instant, dès qu’il s’approche, j'ai l'air d'une cruche.
- Je veux que ce soit toi qui te charges de toute ma promotion. Tu sais, pour le bouquin. Et deuxième
chose, pourquoi tu ne réponds pas à mes messages ? Tu m'ignores ou je rêve ?
- Veux-tu vraiment que je m'occupe de ton ouvrage ? Je connais ton animosité envers moi, tu ne l'as
pas cachée la dernière fois qu'on s'est retrouvé dans ce bureau. Donc, pas la peine de me faire de la
charité, je n'en ai pas besoin.
Il semble outré. Il ne comprend pas ma réaction. Moi non plus, à vrai dire. Je suis exécrable avec lui
alors qu'hier encore, on se tenait la main dans l'avion.
- De la charité ?
Désormais, il hurle presque.
- Tu te fous de moi, Joy ? On a réalisé un carton tous les deux, rends-toi à l'évidence. Je pensais que
tu apprécierais un tant soit peu mon offre. Moi, j'ai aimé ces deux jours, je présumais que c'était
réciproque. Désolé de m'être pointé comme ça, tu ne me reverras pas de sitôt, je te le promets.
Je suis désarçonnée. Que dire pour le retenir sans rien avouer ? Je laisse alors sortir, ou plutôt
s'échapper les mots de ma bouche :
- Viens boire un verre chez moi, vendredi. S'il te plaît.
Je griffonne mon adresse sur un bout de papier et quand il part, le visage fermé, je réalise que je
viens sans doute de commettre la pire erreur de toute ma vie. Je me suis montrée faible.
Chapitre 13

Isaac

Un jour, elle me rendra fou. C'est certain. Je ne comprends jamais son comportement. En Belgique,
tout se déroulait pourtant bien. Nous avons échangé, ri. Il me semblait même entrevoir un morceau de la
vraie Joy. Puis, d'un seul coup, je me reprends des remarques dans la gueule. Et bien sûr, je suis le
méchant de l'histoire. Celui qui passe pour le connard.
Quand je rentre à l’appartement, Ayden et Arthur sont affalés sur le canapé en train de jouer à la
console. Moi qui pensais pouvoir profiter d'un peu de calme, c'est loupé. Notre confrontation m'a mis sur
les nerfs et cela doit se voir sur ma tronche puisqu’à plusieurs reprises, les gars me demandent comment
je vais.
- Foutez-moi la paix, merde !
Je m'isole et me plonge dans l'écriture. Depuis que j'ai signé mon contrat à compte d'éditeur, j'ai foi
en mon talent et m'essaye à l'écriture d'autres romans. J'aimerais rédiger quelque chose de moins
autobiographique, cette fois. Même si toutes mes révélations sont masquées et que personne ne croira
jamais que je parle de moi. Comme si Isaac Lincoln en avait quelque chose à foutre de l'amour. Si
seulement vous saviez...
Dans l’incapacité la plus totale de trouver un semblant d’inspiration, je ronchonne sur ma feuille
vierge. Le syndrome de la page blanche, il paraît. Putain, il a fallu que je rencontre une empotée pour que
je commence à perdre mes moyens. Je me sens stupide et même la partie de baise chez Candice n'a pas eu
l'effet escompté. Chaque nuit que Dieu fait, je ne pense qu’à son corps dans cette nuisette sexy. Je me suis
aussi branlé jusqu'à en avoir les couilles bleues. Sans succès. Je n'ai pas trouvé le moyen d'oublier. De
l’oublier, elle.
Le crayon est balancé sur le lit et mon carnet de notes suit le même chemin. Je rejoins alors mes
colocs sur le sofa et ils me passent une manette en silence. L'heure qui suit me permet de me la sortir
enfin de la tête, et j'avoue que je suis soulagé. À ce rythme, il aurait fallu m'interner à Noël. Comment une
nana peut-elle être si compliquée à décoder ? D'habitude, il suffit de les regarder en face pour tout
comprendre. Les joues rougissent, le regard ment, une lèvre se fait mordiller quand elles sont excitées.
Tant de codes que j'ai déjà compris. Pourtant, elle, elle m'étonne toujours. Foutue Joy Cohen. Si
seulement je ne t'avais jamais rencontrée. La partie de Cluedo qui se joue continuellement dans mon
esprit n'existerait pas, au moins.
- Et si on sortait, ce soir ? Cela fait trop longtemps que ne sommes pas allés boire un coup tous les
trois et que nous n'avons pas pécho de belles meufs.
- Vendu, lâche Ayden.
- Ça me va aussi. Mais n'exagère rien, c'était jeudi dernier. Par contre, il est bien entendu hors de
question qu'on retourne au bar de la dernière fois. Je ne veux pas que le travesti me recolle aux bask',
j'avoue, dépité à l’idée de revivre un tel moment.
Nous explosons de rire et sortons une première bière. Le pack se vide et les esprits s'échauffent. Des
blagues salaces sont prononcées à tout va nous faisant rire aux éclats. Chacun d'entre nous se prépare et le
mode tombeur s'active naturellement. Ce soir, j'aurais la plus belle des gonzesses à mon bras, et je vais la
sauter à n'en plus finir. Sur le lit, la commode, à même le sol... J'essaye de me convaincre que j'en ai
besoin pour penser à autre chose.
Arthur attrape les clés de l'appartement et la porte à peine franchie, je sens mon téléphone vibrer
dans ma poche. J'ai presque peur de vérifier le destinataire du message. J'ai trop envie de faire la fête
pour reculer maintenant. Je prends mon courage à deux mains à l'attente du tramway et grimace
grandement quand je vois qui m'a envoyé ce SMS. Pourquoi maintenant ?
- Qu'est-ce qui t'arrive, mon vieux ? On dirait que t'as tes règles. Tu es trop bizarre aujourd'hui.
Ayden, en toute discrétion comme d'habitude, vient de gueuler ces propos à toute la foule
environnante. Des regards se posent sur moi, rieurs, et une belle blonde se tortille sous mon nez pour
attirer mon attention. Dommage que je ne sois pas assez bourré pour ça, sinon elle devenait ma proie du
soir. Elle me lance un petit signe de la main avant de monter dans le wagon et je feins l'ignorance. Pas la
peine de collectionner les greluches dans mon répertoire. Candice tient ce rôle assez bien vu son niveau
de conneries débitées à la seconde. Elle a même osé me demander de sortir avec elle une fois, j'en ris
encore.
Je prends la peine de lire le texto de Joy, trop piqué par la curiosité pour attendre la fin de soirée.
Tant pis si celle-ci est gâchée par sa faute, je le lui ferai payer vendredi soir. Chez elle. Parce
qu'évidemment que j'irai. J'ai envie d'en apprendre plus sur elle afin de mieux la cerner, et rien de tel
pour entrer dans son univers.

[Bonsoir Isaac.
J'espère ne pas te déranger. Je tiens à te présenter mes excuses pour cet après-midi. J'étais
déconcertée de te revoir si vite. Et Ély avait passé la pause déjeuner à m'agacer. Je ne sais pas non
plus ce qui m'a pris de t'inviter vendredi soir de la sorte, un élan de folie, sans doute. Néanmoins si tu
veux passer tout de même, ce qui m'étonnerait, je serai ravie de te faire goûter une de mes spécialités.
Tiens-moi au courant. Et non, jamais de la vie, je signerai la Sainte Vierge, espèce d'arrogant.]

Arthur tente de lire les quelques mots qui noircissent mon écran, mais je ne le laisse pas se pencher
au-dessus de mon épaule. Il risque de m'emmerder toute la soirée s'il voit le nom d'une femme affiché
dans mes messages. Je fourre le portable dans ma poche aussi vite que je l'ai dégainé, un sourire sur la
gueule malgré moi. Quand nous sortons du tram, je ne pense plus qu'à une chose : m'éclater comme
jamais. Je me contrefous de me payer la gueule de bois de ma vie, j'ai envie de faire comme si je n'avais
jamais rencontré Joy, l'envahisseuse de mon esprit, ce soir. L'énigme qu'elle représente sera mise de côté
quelques heures durant, j'en ai besoin.
Nous regagnons un bar-concert que nous connaissons bien et nous installons sur des tabourets près
de l'entrée. Il est encore trop tôt pour choisir les filles que nous ramènerons à la maison ce soir. Elles
sont peu nombreuses et groupées. Et il n'y a rien de pire qu'une horde de donzelles ensemble. Il suffit que
tu dises une connerie et tu es grillé. Le mieux pour choper, c'est de trouver la solitaire qui sera venue ici
avec sa bande d'amies et qui a envie de s'isoler quelques heures. Ce coup-là marche à chaque fois. Ou
mieux encore, l'entreprenante qui, elle aussi, vient chasser.
- Salut Stéphane, tu nous sers trois mojitos, s'il te plaît ?
Un peu plus loin, un chanteur s'avance vers la scène et branche sa guitare. C'est le moment fatidique,
celui qui va attirer les gonzesses. On dit qu'on attire les abeilles avec du sucre, on séduit les nanas avec
un gars qui chante, c'est indéniable. Infaillible même. Le jeune ne se débrouille pas trop mal et interprète
une dizaine de chansons pop rock avec sa gratte. Je me laisse aller à agiter ma jambe quand il reprend
des grands classiques. Lorsqu'un duo à priori assez connu prend place, les femelles s'agitent et gagnent
les premiers rangs. Très vite, l'espace se remplit et nous commençons à repérer les plus bandantes de la
soirée.
- Ayden, que dis-tu de la petite rousse devant ? Elle a l'air chaude comme la braise et plutôt bien
gaulée. Enfin, de ce que je peux voir. Ça doit être plus intéressant en dessous.
Arthur rit à gorge déployée. Il commence à atteindre un niveau d'alcool assez élevé dans le sang pour
déconner, je le connais par cœur. Ses pupilles se sont maintenant dilatées et bien qu'il bafouille, il
enchaîne les vannes. Stéphane nous apporte une troisième tournée et c'est à mon tour de trouver la fille
parfaite pour la nuit.
- Les mecs, vous voyez la blondasse qui s'ennuie sur les canapés là-bas ? Je la veux !
Avant d'entendre un quelconque signe de désapprobation - je connais l'amour d'Arthur pour les
cheveux décolorés- je file vers elle à grands pas. Elle ne me remarque pas, trop absorbée par son
téléphone. Je tente le tout pour le tout et m'assois à côté d'elle. Quand elle s'aperçoit enfin que je ne suis
pas l'un de ses potes débiles, elle devient rouge écarlate.
- Salut… Je m'appelle Isaac, et toi ? Je me suis dit que tu devais t'ennuyer un peu toute seule, alors je
suis venu faire connaissance. Je vais être direct, tu me plais bien.
La blonde arbore ses yeux de biche et j'ai l'impression que c'est dans la poche. Mais je comprends
vite à quel point je m'étais planté quand un dangereux psychopathe me soulève par le col. Il me hurle de
ne plus m'approcher de sa nana ou il va, et je cite, « me casser le nez avant de m'arracher les dents une
par une ». Bon, je ne préfère pas tenter le diable. Mes potes sont morts de rire et ont bien évidemment
observé toute la scène qui vient de se dérouler sous leur nez.
- Alors là mon pauvre, tu te serais vu, c'était hilarant, s'exclame Ayden, les larmes aux yeux à force
d'avoir ri.
Je bougonne et vide mon verre d'un trait, me concentrant dorénavant sur la musique qui se joue ici.
Arthur a rejoint une petite brune dans les toilettes et Ayden est occupé à séduire la rousse de tout à
l'heure. Quant à moi, je me retrouve comme un con et la soirée que j'espérais relaxante devient un
véritable enfer. Je pense. Encore et encore. Je suis presque tenté de contacter Joy maintenant pour lui dire
de ramener son cul ici. Elle était tellement divertissante quand elle avait bu quelques verres que j'ai envie
de retrouver ça. Au moment où nous avons réellement bavardé, j'ai compris qu'elle avait quelque chose
de spécial. Un petit plus. Par exemple, elle est vierge et elle s'en balance. Et rien que ce statut particulier
m'a donné envie de creuser pour éclaircir ses mystères.
À une heure du matin, je me décide à rentrer à la maison. Mes colocataires sont aux abonnés absents.
Je les soupçonne d'être en pleine orgie dans les chiottes, mais hors de question que j'aille vérifier mon
hypothèse. Je n'ai pas envie de gerber tripes et boyaux.
Je sors du bar et une bouffée d'air glacé me claque le visage. Nous avons beau être au début du
printemps, il semble que l'hiver ne soit pas bien loin. Je marche sur plusieurs centaines de mètres avant
de réaliser que quelqu'un me suit. Je commence à me marrer en me disant que si cette personne tente quoi
que ce soit, elle se retrouvera au sol en moins de deux secondes. J'ai pris des cours de karaté plus jeune
et lorsqu'on a les bases, on ne les perd jamais.
J'ose enfin me retourner à un passage piéton où le feu est encore rouge. Je sursaute avant de me
rappeler où je l'ai vue : c'est son amie. Je reconnais ses cheveux couleur feu et son air malicieux.
- Je suis désolée, je ne voulais pas t'effrayer, et je n'avais non plus envie de gueuler ton nom comme
une folle furieuse. Tu vas bien ?
- Euh ouais. Mais que fais-tu ici ?
Elle a l'air d'insister. Si c'est ce qu'elle veut, je la mets dans mon lit et plus vite ce sera fait, plus vite
elle passera à autre chose. Elle ne m'attire pas particulièrement. Elle paraît grande gueule et je n'aime pas
ça. Mais soyons honnête, une bite n'a pas d’œil mesdames et messieurs.
- Je bosse au City trois fois par semaine et ce soir, c'était mon jour. J'aime mon job de bibliothécaire
en journée, mais j'ai besoin de voir du monde et d'entendre un peu plus de bruit que des pages se tourner
inlassablement. On peut aller boire un verre quelque part ou tu es pressé ?
Je commence à hésiter. Le feu a eu le temps de passer au vert au moins deux fois maintenant,
pourtant, je n'arrive pas à me décider. Est-ce que Joy m'en voudra si je touche à sa copine ?
Probablement. Mais d'ailleurs, le saura-t-elle ? Peut-être qu'elle a la langue bien pendue sans pour autant
parler de ses conquêtes, ça arrive. Oh et puis merde, je suis seul, mes colocs ne sont pas prêts de rentrer.
Moi aussi, j'ai le droit de prendre du bon temps. Peu importe de qui il s'agit.
- Je rentrais, tu me raccompagnes ?
Un sourire inédit vient envahir son visage. Et j'ai soudainement un goût amer dans la bouche.
Toutefois, en y réfléchissant bien, Joy n'est rien pour moi, juste une personne avec qui je travaille. À
Bruxelles, elle était attirante, presque sexy, mais peut-être que tout vient de mon imagination débordante.
Le fait d'être loin de Paris, d'avoir une peur commune m'a probablement retourné le cerveau.
Non, franchement, Isaac, tu ne dois avoir aucun regret concernant cette chieuse née.
Je la tire par la main pour la faire monter jusqu'à l'appartement. Je déverrouille la porte et elle me
saute dessus. Je l'embrasse jusqu'à ne plus avoir de souffle et sentir que je suis dur comme un roc, un peu
plus au Sud. Je la déshabille quand nous franchissons le seuil de ma chambre et la prends directement
contre la porte. Pour qu'elle ferme sa gueule, je pose ma main sur sa bouche et enchaîne les coups de
butoir jusqu'à l'extase.
- Waouh Isaac, c'était fabuleux.
- Ouais, je marmonne. Maintenant, dégage, tu connais le chemin.
Ély analyse mes traits, incrédule, et s'apercevant que je suis on ne peut plus sérieux, quitte la pièce
obscure. Je m'allonge sur mon lit, en tenue d'Adam et relis le SMS de Joy avec amertume. Sans savoir
pourquoi.
Chapitre 14

Je suis recroquevillée sur mon canapé et les larmes ne cessent de couler. Je ne compte plus le
nombre de mouchoirs que j'ai utilisés et qui jonchent maintenant sur le sol en me narguant. Mon téléphone
vibre, mais la seule chose que j'arrive à faire, c'est pleurer, encore et encore.

Quelques heures plus tôt…

- Mademoiselle Cohen, j'aimerais vous remercier pour votre travail à Bruxelles. J'ai réussi à me
procurer un exemplaire du journal où vous apparaissez avec Monsieur Lincoln et j'ai pensé que vous
aimeriez l'avoir.
Il me tend un cadre où, au centre, Isaac et moi avons l'air heureux. Je lis les propos de la journaliste
et m'amuse du ton employé. Elle semblait convaincue par mes propos, au premier abord et, lorsque je lui
ai confié qu'il s'agissait d'une romance en bonne et due forme, elle est devenue cynique. Le papier qui
trône sous mes yeux transpire l'ironie. Néanmoins, elle fait la promotion de la maison d'édition. Je
considère donc l'opération réussie. Je remercie grandement mon supérieur et pose l'article encadré sur la
chaise face à moi. S'il y a bien quelque chose qui peut m'aider à travailler aujourd'hui, c'est ce bon
souvenir.
Je n'ai pas eu de réponse à mon texto de hier soir. J'avoue qu'avec Isaac, je ne sais pas vraiment à
quoi m'attendre. Peut-être qu'il boudait encore dans son coin. Ou qu'il travaillait, tout simplement. Je ne
lui ai jamais demandé quand, et surtout comment, il trouvait l'inspiration. Si ça se trouve, c'est en pleine
nuit, en buvant un verre de lait, qui sait ?
Les minutes ont filé avant que je n'appuie sur cette petite touche « envoyer ». Je voulais m'excuser
pour mon comportement et les mots inappropriés qui se sont échappés de mes lèvres. J'espère qu'il aura
compris le message et surtout le fait que l'invitation proposée un peu plus tôt ne tient plus.
J'observe Manon et mes autres collègues aller déjeuner en salle de pause mais ce midi, je ressens le
besoin de m'isoler. Je vais chercher ma salade, une assiette, et retourne déjeuner dans mon antre. J'enfile
mon casque, lance un épisode de Dexter et déguste mes tomates. Je suis tellement emportée par ce qui se
passe pendant les trente premières minutes, que j'oublie que le temps passe. Dexter Morgan est en train de
cacher le corps de sa victime dans un sac poubelle et je me demande secrètement comment quelqu'un qui
travaille dans la police arrive à tuer si facilement. Ses collègues doivent être excessivement mauvais
pour ne rien voir.
Lorsque le générique de fin s'enclenche, j'entreprends de ranger mon bazar. Ma pause déjeuner se
termine dans une demi-heure et je compte bien en profiter jusqu'à la dernière seconde. Si j'aime travailler
à la maison, je ne suis pas pour autant une de ces fanas de boulot qui mangent en dix minutes. J'aime
prendre mon temps, ne serait-ce que pour éviter les ballonnements. À quatre pattes, je trie les dossiers de
mon armoire. Si je me laisse envahir, je ne retrouverai plus rien.
- Oh, nom de Dieu, Joy ! J'ai quelque chose à t'annoncer !
Sa voix stridente me fait bondir. Mon premier réflexe est de lancer l'agrafeuse en sa direction. Elle
m'a foutu une trouille bleue. On n'agresse pas les gens en entrant dans leurs bureaux quand ils sont en train
de faire le tri, bon sang ! Mon cœur se retrouve dans ma bouche et je ne suis pas sûre que mes jambes me
tiennent debout. Ély, dans sa combi-short turquoise s'agite face à moi. Elle lève les bras en l'air, et souris
les yeux pétillants. Je sais de ce dont elle va me parler avant même qu'elle ouvre la bouche.
- Bon, allez, va à l'essentiel : son nom, son âge, et sa note sur dix.
- Nous l'avons fait debout, contre une porte, et c'était, mamma... Je crois que toutes les femmes
devraient coucher avec lui pour essayer. Il est fabuleux, un bon 9/10 ! Et je compte bien recommencer.
D'ailleurs, tu ne connais pas la meilleure des nouvelles de la Terre ?
Elle est barbante à me vanter les plaisirs du sexe à chaque fois qu'elle trouve un beau gosse. Mon
amie me fait peut-être vivre ma vie sexuelle par procuration, mais les images qui me trottent toujours en
tête après sont peu ragoutantes. Cependant, le pire reste tout de même quand elle m'a avoué avoir tenté
une relation SM. J'ai imaginé Ély vêtue de latex avec une cravache pendant tout le reste de la journée. À
vomir !
- Bon, puisque tu refuses de le deviner, je vais te le dire : ton auteur est le meilleur amant de cette
planète. Oh et quand je repense à la grosseur de sa queue... Joy, tu dois regretter de ne pas avoir flanché
ce week-end !
Alors que je n'écoutais qu'à moitié ses révélations, soudain, je lâche tout. Le dossier que je tenais
fermement m'échappe et le son résonne dans toute la pièce. Je suis figée sur place, comme à l'aéroport,
avec Candice. Je repose la question poliment, histoire d'être certaine d'avoir bien compris :
- Isaac ? Tu as vraiment couché avec Isaac ?
- Et oui, ma cocotte. Je t'avais certifié que je l'aurais dans mon lit, un jour ! Ou contre un mur, mais
c’est tout comme !

Lorsque je repense à son sourire satisfait, je pleure davantage. Est-ce le rôle d'une amie, de coucher
avec celui que vous trouvez attirant ? Je me sens trahie de toutes parts. Liam m'oublie de plus en plus,
passant tout son temps avec cette Alice de malheur, et maintenant voilà qu'Ély baise Isaac. Le même avec
qui je dormais il y a deux jours. Terminé, je n'ai plus foi en rien. L'amitié, c'est de la poussière. Quand le
sexe s'y invite, ça fait tout foirer.
Et comme si je n'avais pas passé la journée la plus éprouvante de mon existence en feignant de
sourire tout l'après-midi face à mes collègues en réunion, il faut désormais que ma mère m'appelle.
J'attends d'avoir terminé mon pot de glace Ben & Jerry's avant de la recontacter. Si je ne le fais pas, elle
peut se pointer ici, qu'il soit vingt-trois heures, ou pas.
- Joy, si tu as un portable, c'est pour décrocher. Bon, je t'appelais pour te signaler que ce week-end,
nous célébrons l'anniversaire de ta grand-mère, et j'aimerais que tu viennes déjeuner avec nous,
dimanche.
Je lève les yeux au ciel, espérant que mon iPhone tombe en panne de batterie, ou que ma mère passe
sous un tunnel. Malheureusement pour moi, rien n'y fait. J'ai beau me pincer, je suis toujours au bout du
fil, en train de déblatérer sur un éventuel poulet-frites. Si elle se doutait qu'en ce moment, je m'en fous
royalement. Qu'autre chose de bien plus grave occupe mon esprit. Un traître dénommé Isaac.
- OK, je dois venir à quelle heure ?
- Sois là dès onze heures, pour m'aider à installer les plats sur la table. Ah et surtout, Joy, évite de
mettre une jupe, ça te grossit.
J'entends mon père hausser la voix en fond de tâche et me crier que non, je suis belle peu importe les
circonstances. Si tu me voyais maintenant papa, je ne pense pas que tu aurais la même estime de moi.
Mais comment te dire que celui qui me plaît ne me regarde même pas ? Comment t'expliquer à quel point
le fait de l’imaginer avec Ély me fait un mal de chien ? Et pourquoi dois-je subir autant de souffrance d'un
seul coup ? Ai-je écrasé un petit chien et sa propriétaire avec ma voiture, dans une vite antérieure ?
- Maman, je porterai ce que je veux, que ça te plaise ou non. Et toi, évite de cuisiner. Je préfère être
à la maison à dix heures et préparer le repas plutôt qu'empoisonner toute la famille.
Un grognement guttural retentit à travers le combiné. Je l'ai vexée. Après quelques instants de
silence, nous convenons qu'aller au restaurant est la meilleure des options. Pas de travail en amont, de
stress pour le supermarché, ni aucun moyen de se louper. Ma grand-mère sera ravie. On ne peut pas dire
que je suis proche d'elle, disons qu'elle radote beaucoup, mais je reste admirative de son passif et de tout
ce qu'elle a pu vivre.
Je m'installe dans mon lit quand l'heure tardive indiquée sur ma pendule me force à réagir, mais le
sommeil ne vient pas. Je n'ai que les mots d'Ély en tête et la voix d'Isaac lui murmurant des cochonneries.
Si je suis imaginative et me créé divers scénarios concernant ma vie, j'arrive aussi à inventer des
situations avec des personnes de mon entourage. Et celle-ci ne me plaît vraiment pas du tout. Je ne sais
pas si c'est pour le tester ou si mon inconscient aime la douleur, mais j'attrape mon smartphone et rédige
un autre message à son encontre. Cette fois, je me laisse aller. Je penserai plus tard. Cet arrogant vient de
me briser le cœur sans le savoir, moi je vais lui casser les couilles. C'est comme ça que ça fonctionne,
non ? J'ajoute deux smileys, bien dosés, rien que pour l'agacer.

[Bonsoir Isaac. J'espère qu'Ély était un bon coup… En tout cas, toi, il paraît que tu es
fantastique. Surtout contre les murs. J'ai lu l'article paru dans la presse belge concernant la future
sortie de ton ouvrage, et il est plutôt bon. Peut-être autant que toi finalement... :-) La Sainte Vierge
t'emmerde et te prie d'aller te faire voir :-)]

L'absence de réponse qui suit ne m'étonne guère. Évidemment qu'il se tait, que répondre à mes
accusations ? Mais au fond de moi, j'espérais un peu de répartie de sa part. Je sais qu'il est têtu et qu'il se
montre souvent exécrable, alors je m'attendais à ce qu'il attrape ma perche pour enchaîner sur d'autres
insultes.
Les jeux sur ma tablette m'amusent un temps mais, très vite, je retombe dans mon ennui mortel. Au
moins, les larmes se sont arrêtées, c'est un petit exploit. Il est cinq heures du matin, je dois me lever dans
moins de deux heures, et je crois que ce n'est même plus la peine d'essayer de dormir. Je range
l'appartement, laissé à l'abandon depuis quelques jours et enfile un jogging pour aller courir. J'ai besoin
de me défouler et je ne connais rien de mieux que d'affronter les éléments, une paire de baskets aux pieds.
Mon iPod et mes clés en poche, je tourne sur l'avenue en trombe. Il fait encore extrêmement froid et
la pluie commence à tomber. À vrai dire, quand je cours, je m'en moque. Au contraire, je la préfère à la
chaleur étouffante. J'arpente les rues, pour la plupart désertes. J'entame ma course sur les bords de Seine
et repense à tous ces moments douloureux. La présentation d'Alice et mon comportement grossier envers
Liam. Notre dispute et notre relation quasi inexistante au jour d’aujourd'hui. Je songe de nouveau à Isaac,
à sa bouche sur celle de Candice, et, successivement j'entrevois la tête d'Ély apparaître. L'a-t-il
embrassée de cette façon, elle aussi ? Lui a-t-il pris la main comme il a tenu la mienne dans l'avion ?
Les foulées deviennent de plus en plus rapides et mes poumons me crient d'arrêter. Je suffoque
presque, pourtant je sens qu'il me faut quelques minutes supplémentaires pour me vider pleinement la tête.
Je sais qu'après ce footing, je pourrai affronter le monde et prétendre que tout va bien. Je termine ma
course et me dirige droit vers chez moi, en marche rapide. Mais je ne m'attendais certainement pas à
découvrir une telle surprise devant ma porte.
Liam porte un sachet de viennoiseries et un thermos de café. Il frappe et ses essais sont vains,
évidemment. Il semble déçu. Quand il m'aperçoit derrière lui, dans l'escalier, il recouvre sa bonne
humeur et me serre dans ses bras. J'ai affirmé que je pouvais affronter le monde, commençons dès
maintenant.
- Que fais-tu ici, si tôt ?
- Tu me laisses entrer ? Je dois te parler, mais le palier avec ton psychopathe de voisin qui rôde, ça
me refroidit.
Je ne peux m'empêcher de lui sourire et cette fois, c'est authentique. Il s'assoit sur mon canapé
pendant que je m'étire et il me toise, silencieux. Je l'invite à engager la conversation d'un simple signe de
tête. Il se racle la gorge, ce qui n'augure rien de bon.
- Tu ne veux pas t’asseoir à côté de moi cinq minutes ? Tu me rends nerveux.
Je m'exécute, bien trop curieuse à l'idée de découvrir son secret. J'espère qu'il va m'annoncer sa
rupture avec Alice. Mais, soyons réalistes, si c’était le cas, il ne serait pas aussi gêné face à moi. Il aurait
les larmes aux yeux ou sombrerait dans la dépression. Je dévore un croissant en quelques secondes,
réalisant à quel point l'exercice m'a donné faim. Au bout de quelques secondes qui me semblent durer une
éternité, il se lance enfin :
- Je...
Chapitre 15

- Joy, j'emménage avec Alice.


J'hésite entre le rire ou la colère. À croire que les mâles de mon entourage se sont donné le mot pour
me mener la vie dure. Comment, en quelques semaines, mon meilleur ami peut-il envisager de vivre avec
une fille ? Il ne m'a jamais proposé d'être sa colocataire bien que ça aurait facilité les choses à notre
entrée à l'Université !
Je dévore une nouvelle viennoiserie tout en sirotant mon café et le regarde dans le blanc des yeux.
Soit c'est une caméra cachée, soit il l'a mise en cloque, je ne vois aucune autre possibilité à cette
mascarade.
- Qu’en penses-tu ? Je voulais que tu sois la première à le savoir. Ély l'ignore et je ne te parle pas de
mes parents. Ils feraient une attaque.
- Il faut croire que tu es complètement con pour accepter de vivre avec une pimbêche de la sorte. Je
suis sûre que dès que tu auras le dos tourné, elle sautera sur tout ce qui bouge. Entre les rencontres
parents-professeurs et les conseils de classes, elle aura le choix.
Face à moi se trouve désormais un Liam stupéfait, à la mine déconfite. Je suis très calme mais
cassante. Il doit réagir avant qu'il ne commette la plus grosse erreur de sa vie. Car, si leur relation avance
à ce rythme, qui sait s'il ne se mariera pas le mois prochain ? Je me ressers un café et commence à
déambuler dans l'appartement. L'horloge tourne et je dois passer sous la douche ainsi qu'abuser du
maquillage pour ne pas terroriser mes collègues.
J'enlève ma veste, mes chaussures et détache mes cheveux. J'ôte également mon t-shirt et reste en
brassière de sport et legging noir. J'essaye de déstabiliser Liam et l'inciter poliment à partir, mais il ne
semble pas particulièrement prêt à quitter les lieux. Il arrive à ma hauteur et attrape mon bras violemment.
La fureur que je lis dans son regard me fait frissonner. Je crois qu'il va me hurler dessus, alors, qu'au
final, il se contente d'approcher son visage du mien, aussi près que possible.
- N'ose jamais plus insulter Alice devant moi. Tu ne la connais même pas. Joy, j'ai voulu faire un pas
en avant en venant te voir ce matin. J'aurais pu ne rien t'avouer. Tout compte fait, tu mérites de rester
seule, comme toujours. De toute façon on sait tous que tu pourriras comme ça.
J'ai rarement vu Liam en colère, seulement quelques fois. La première est lorsque j'avais cassé son
vélo au collège. Il me l'avait prêté pour un après-midi et j'avais trouvé le moyen de le laisser par terre
chez moi. En rentrant, mon père avait roulé dessus et malgré tous ses efforts pour le réparer, il n'y était
pas parvenu. J'avais dû me mettre à genoux et lui offrir un nouveau deux roues pour me faire pardonner.
Mais là, comment y arriverai-je ? Il connaît ma franchise. Il sait que cela peut en devenir blessant.
Pourtant, en ce moment, j'ai l'impression qu'aucune excuse ne sera suffisante.
Il s'approche de la porte et mes larmes coulent à nouveau. Il m'analyse plus longtemps que
nécessaire, soupire et quitte les lieux. Je reste des minutes entières, à même le sol, pour tenter de
comprendre ce qui vient d'arriver. J'aimerais me donner un coup de pied au cul et avancer, mais c'en est
trop en peu de temps. Il a parfaitement raison... Si je continue ainsi, je finirai toute seule. Dans un coup de
folie, j'attrape mon téléphone et attends que sa messagerie retentisse pour me morfondre en excuses. Je le
fais plus pour lui que pour moi, car je ne le pense pas véritablement, mais une règle stipule qu'il faut dire
pardon quand on blesse quelqu'un. Et si je n'agis pas, je n'arriverai pas à assumer cette nouvelle journée.
La goutte d'eau déborderait du vase.
- Bonjour, ou bonsoir selon l'heure à laquelle vous appelez ! Vous êtes bien sur le portable de
Liam, mais je ne peux pas vous répondre. Laissez un message. Eeeeeet c'est à vous !

- Je suis... suis... désolée. Je n'aurais pas dû critiquer ta situation. Je ne vais pas bien en ce
moment. J'ai besoin de mon meilleur ami. Mais tu n’es que rarement là. Je ne sais pas quoi faire Liam.
Tu me... manques. Je n'arrive pas à croire que je suis en train de chialer sur ta boîte vocale. Tu te
souviens de ce film débile avec Julia Roberts ? J'ai l'impression que c'est moi en ce moment. J'ai
besoin de te voir, te parler, vraiment besoin de toi, s'il te plaît.

Et sur cette lamentation, je raccroche. Tant bien que mal, je me traîne jusqu'à la salle de bain et
laisse couler l'eau chaude en pleurant encore. Me rendais-je compte à quel point ma vie était malheureuse
avant qu'Isaac n'y entre ? Dans le passé, cette solitude constante m'apaisait, alors qu'aujourd'hui, elle me
pèse. Je ne dirais pas que je suis devenue extravertie, loin de là, mais je ressens la nécessité d'être
accompagnée plus souvent. Cette soirée avec lui a sans doute été la meilleure de ma vie même si je le
niais jusqu'à maintenant.
En admettant que Liam et Ély se détournent de moi, qu'est-ce que je deviendrais ? Je serais bel et
bien seule. Il ne me resterait plus que mon cousin qui se fait rare lui aussi. Tous ont leur vie pendant que
je passe à côté de la mienne. Ça m'effraie.
Pour la première fois de mon existence, je suis en retard au travail. Monsieur Badouk m'excuse et
s'inquiète presque en voyant mon visage. Comme le reste de l'équipe, d'ailleurs. Pourquoi les gens font-
ils attention aux autres uniquement quand ils ont des problèmes ? Je n'aime déjà pas qu'on me regarde,
mais alors quand les yeux de mes interlocuteurs sont teintés de désolation, c'est bien pire encore.
C'est également la première journée où je me tourne les pouces et ne travaille pas. J'ouvre un
manuscrit et relis la première ligne un nombre incalculable de fois sans la comprendre. Je ne consulte
même pas mes e-mails de peur de me faire engueuler par tel ou tel auteur. Actuellement, l'écrivain du
dernier polar paru chez nous me mène la vie dure agissant déjà comme s'il était une vedette. Mais non, ce
n'est pas parce que son livre se vend bien qu'on peut, pour autant, lui livrer des bouteilles de champagne
et des call-girls en plein milieu de la nuit...
J'ignore le monde qui m'entoure et me plonge dans ma bulle. Je me sens au fond du trou, à l'instar de
mes pires moments. J'ai des hauts, durant lesquels je vais proposer à mes amis de sortir un peu, et des
très bas où je me cloître chez moi, téléphone éteint et ordinateur portable laissé à l'abandon des jours
durant. C'est le cas aujourd'hui, je ne désire voir personne. J'aimerais apprendre à connaître le milieu un
jour, celui qui me permettrait d'avoir une vie stable. J'en ai déjà parlé à un psychologue quand j'ai fait ma
visite médicale à la faculté. Il m'a dit que tout était dans ma tête et que rien ne pouvait soigner mon
introversion, à part moi-même. Tu parles d'un conseil. Je suis donc censée me réveiller guérie un matin,
comme si c'était possible.
Je rentre à la maison en traînant des pieds, essayant de rester le plus longtemps possible sous cette
pluie fine. Puis, je m'enferme. À peine mon blouson enlevé, je réalise avoir oublié mon téléphone au
bureau, alors je fais demi-tour. Mon talon se casse sur le chemin et un homme malpoli me rentre dedans
avec sa trottinette. Et pour m'achever, je reconnais la chevelure d'Isaac, de dos, dans le bureau de mon
patron. Je l'observe, dégoûtée par ses actes, et malheureusement, nos regards se rencontrent. Ses yeux
bleus me jaugent comme jamais, il est hors de lui, je peux le sentir d'ici. Je me dépêche de repartir chez
moi priant en mon for intérieur qu'il ne me suive pas. J'aimerais croire qu'il ne m'a pas vue, mais ce serait
comme ne pas voir la tour Eiffel quand on se trouve à ses pieds. Improbable.
Ély m'envoie un rapide texto pour savoir si elle peut passer dans la soirée et je lui réponds que non,
j'ai un manuscrit à lire. Mensonge bien entendu, mais si elle se pointe je crois que je ne pourrais pas
empêcher mon poing de s'écraser sur son menton.
***

Vendredi soir, Liam me propose de passer la soirée chez moi, rien que tous les deux. Il apporte la
collection des DVD de Tim Burton et je prépare de quoi grignoter. Cela me semble être un bon
compromis. Nous nous sommes échangés quelques messages depuis ce début de semaine chaotique et il
comprend mon désarroi. Je ne sais toujours pas comment il peut me supporter, mais je l'en remercie, car
sans mon meilleur ami, je ne suis pas grand-chose. Il frappe à la porte et rentre directement. Quand je
l'observe face à moi, je ne peux m'empêcher de le serrer fort dans mes bras. Lorsqu'il habitera avec
Alice, pourrais-je encore apprécier sa présence certains week-ends ?
- Tu es une idiote, tu le sais ça ? À rester murée dans le silence, tu nous rendras tous fous.
- Je n'avais pas envie de t'embêter l'autre fois, d'autant plus que c'est ridicule quand j'y repense. Je
n'aurais pas dû si mal me comporter avec toi. J'ai jugé Alice sans la connaître, je m'excuse.
Il embrasse mes doigts et m'attire contre lui. Ce geste étrangement familier me provoque une drôle de
sensation dans l'estomac.
- Bon, maintenant que je suis là, tu vas me raconter ce qui ne tourne pas rond ? J'ai besoin de
comprendre pourquoi tu étais si en colère, et pourquoi Ély n'est pas là ce soir. Je ne crois pas aux
coïncidences, reprend-t-il.
J'ai le cœur qui se comprime dans ma poitrine et les mains qui commencent à trembler. Je n'ose pas
lui avouer mes sentiments naissants envers Isaac. Il ne les comprendrait peut-être même pas. Je file en
cuisine afin d'aller chercher mes nombreuses préparations et quand je pose les plats sur la table basse,
ses bras m'encerclent à nouveau.
- Tu sais bien que tu peux tout me dire, Trésor.
- J'ai participé au salon du livre en Belgique avec un auteur qui vient de signer chez nous, à savoir
Isaac, tu l'as rencontré. Et il s'avère qu'il me plaît...
Je baisse la tête, honteuse, comme une petite fille qui viendrait de faire une bêtise. Ou la chieuse qui
termine le dernier schocko-bon du paquet. Liam semble déconcerté. Je pensais qu'il dirait au moins
quelque chose, mais il se contente d'avaler une mini saucisse et se rapprocher de moi sur le canapé.
- Je crois que je ne lui plais pas. On a passé une bonne soirée là-bas, sans doute la meilleure de mon
existence. Malheureusement, pour lui ce n'était qu'un moment comme un autre.
- Ça n'explique pas ce qu'Ély vient faire là-dedans ajoute-t-il, avec impatience.
- Comment t'admettre ça sans passer pour une idiote ? Tu me connais, je n'ai rien révélé
explicitement à Ély et elle a pour ainsi dire... couché avec lui ?
Je deviens rouge écarlate et mon sang ne fait qu'un tour. La colère que j'ai réussie à évacuer ces
derniers jours remonte en moi comme une tempête prête à éclater. Pourtant, je suis certaine que si j'étais à
la place de Liam, je ne verrais rien. Mon visage est fermé et ne transmet aucune émotion. Il ne peut donc
en aucun cas, savoir ce qui se trame à l'intérieur. D'un sens, tant mieux pour lui. L'orage commet toujours
quelques dégâts.
Liam hoche la tête et pose une main sur mon épaule. Je le trouve bien tactile tout à coup, mais ne fais
aucune remarque. Nous avons toujours été proches et ce n'est pas son attitude qui me dérange, au
contraire. Si les frissons qui envahissent désormais mes bras pouvaient disparaître, j'apprécierais. Je ne
peux me résoudre à penser à lui en ces termes. Je ne dois pas oublier Alice.
- Je suis désolé, Trésor. Il ne faut pas que tu en veuilles à Ély pour son geste déplacé. Je suis certain
qu'elle n'aurait jamais agi de la sorte si elle avait eu connaissance de ton attirance pour ce garçon. Il faut
que tu partages ce secret, que tu te confies. Elle comprendra. Je peux même en discuter avec elle, sinon
elle va se demander pourquoi tu t'éloignes du jour au lendemain. Par contre, je peux te demander quelque
chose ?
- Oui, tout ce que tu veux, tu le sais.
Je lui ai déjà ouvert mon cœur, je ne suis plus à ça près.
- Tu crois que je fais une erreur en acceptant de vivre avec Alice ? Sincèrement.
En cet instant, j'aimerais le rassurer, l'encourager pour sauter le cap. Le premier de nous trois à
s'engager presque officiellement, ce serait un signe de plus que nous vieillissons. Mais si j'écoute cette
petite voix au fond de moi, j'ai la sensation profonde qu'il fonce droit dans le mur. Je n'agis pas par
jalousie, pas cette fois du moins, il doit seulement comprendre de lui-même qu'aller si vite est précipité.
- Je pense que c'est une bêtise que ça se fasse aussi rapidement.
Simple, franc, direct. Je n'aurais pas pu être plus claire. Je le laisse ruminer ses idées le temps de
mettre le film dans le lecteur et je sursaute lorsqu'on frappe de nouveau à la porte. Je jette un regard
d'incompréhension à Liam qui, lui aussi, semble surpris. Je suis premièrement soulagée de savoir qu'il n'a
pas invité Alice une deuxième fois. Par contre, lorsque j'ouvre la dite porte, je me décompose
instantanément.
Chapitre 16

J'ai les yeux écarquillés. Je dois probablement ressembler à une folle furieuse. Mon look laisse à
désirer et savoir que je parlais de lui il y a cinq minutes à peine me rend extrêmement nerveuse. Isaac se
tient devant ma porte, la posture toujours aussi assurée et son éternelle veste en cuir sur le dos. Je
constate également qu'il tient une bouteille de vin à la main.
- Sa-salut, j'articule.
Je me souviens désormais que je lui avais dit de venir ce soir. Bien entendu, il fallait que, pour une
fois, je ne sois pas seule. Si j'ai piqué une crise à Liam l'autre soir parce qu'il était accompagné, ce n'est
pas pour envahir notre tête-à-tête de la sorte.
- Tu me laisses sur le pas de la porte ou j'ai le droit d'entrer ?
Je m'écarte malgré moi, ne sachant pas quoi dire. J'ai l'impression de vivre un mauvais rêve, ou
d'être la tête de turc d'une caméra cachée. Il n'a jamais répondu à mes deux messages et je me souviens
bien lui avoir demandé de prévenir s'il voulait finalement passer ici ce soir. Un seul post-it de sa part
quand il s'est présenté à la maison d'édition m'aurait suffi mais là, je suis complètement perdue.
Je referme la porte, puis reste un long moment debout à contempler les salutations d'Isaac et Liam.
Mon ami semble agacé par sa présence, alors je lui demande de m'accompagner dans la salle de bain. Il
mérite des explications et j'ai besoin de lui prouver que je ne me joue pas de lui.
- Je suis tellement désolée. Je lui ai proposé de me rendre visite lundi dernier et je n'ai pas eu de
nouvelles depuis. Je pensais qu'il ne viendrait pas. Pour être honnête, j'avais totalement oublié.
- Peut-être attend-il de s'expliquer avec toi. S'il sait qu'Ély t'a parlé de leur partie de jambes en l'air,
il a sans aucun doute envie de discuter. Je peux vous laisser un moment, si tu veux.
Sa dernière remarque sonne faux. Je sens bien qu'il se sent piégé par la situation, et moi aussi. Il s'est
pointé comme un intrus envahissant, ne réfléchissant même pas aux conséquences. Dire que je ne suis pas
ravie de le voir serait mentir, mais je n'aurais pas été contre un coup de fil, surtout depuis que je sais. Je
supplie Liam de ne pas abandonner notre soirée, juste de me laisser quelques minutes comme je viens de
le faire avec lui pour bavarder. Il accepte aussitôt et m'embrasse sur la joue. À quelques millimètres près,
il atteignait ma bouche. Je suis toute chose quand je sors de la pièce. Je dois avoir les joues rougies
d'embarras et je sens mon corps trembler légèrement. Isaac me regarde, puis fixe Liam à son tour, l'air
mauvais.
- Isaac, tu peux venir une seconde, s'il te plaît ?
Mon ami soupire fortement, puis s'affaisse dans le canapé. C'est la dernière scène que j'aperçois
avant de fermer la porte de ma salle d'eau.
- Tu ne m'as pas salué poliment, fait-il remarquer en observant chaque détail autour de lui.
Je vérifie mentalement que ma boîte de tampons se trouve bien planquée dans le placard et repose
mes yeux sur l'objet de mes fantasmes. En ce jour, je le hais autant qu'il m'attire physiquement.
- Et comment voulais-tu que je t'accueille ? Je n'écarte pas les cuisses à tout va comme Ély, et je
pense qu'il n'y a que ce genre de « bonjour » qui t'intéresse.
Son rictus le trahit, il ne m'en veut pas. Un bon point pour moi.
- Tu te trompes, je suis assez traditionnel comme garçon. Deux bises font l'affaire. Mais vas-tu enfin
m'expliquer pourquoi tu me séquestres dans ta salle de bain ? J'ai cru comprendre que tu aimais y rester
des heures, cependant, c'est un peu étroit pour avoir une discussion, tu ne trouves pas ?
Je me sens rougir encore plus, comme si c'était possible. Son effluve de musc mélangé à de l'herbe
coupée envahit l'espace et ma tête commence à vaciller. Si je n'étais pas censée faire la gueule, je crois
que j'en mouillerais ma culotte.
- D'ailleurs, poursuit-il, que fait cet idiot chez toi ?
- Cet « idiot » comme tu l'appelles est mon meilleur ami. D’ailleurs, tu le saurais si Candice ne
t'avait pas broyé la bouche alors qu'on discutait tous les deux.
Je suis provocante et il s'amuse de la situation. Son sourire en coin me le prouve une nouvelle fois. Il
se délecte de ma jalousie. Mais attendez, je ne suis pas envieuse, n'est-ce pas ? Non, je me contente
d'observer. À chaque fois que je le vois, une femme lui tourne autour, constat épuisant. Lui-même doit être
exténué à la fin de la journée. Après tout, je ne fais que relater une vérité. Je ne convoite personne.
Surtout pas sa petite amie au corps parfait qui le tripote à loisir.
- Oh, tu sais sortir les griffes, Sainte Vierge, ça me plaît. Je voulais te prévenir, mais je trouvais ça
plus drôle de ne pas le faire. Je pensais que tu serais seule, mais tant que l'autre ne l'ouvre pas trop, tout
va bien. Quel est le programme de la soirée ?
- Regarder un film, rien d'extraordinaire. On a choisi Edward aux mains d'argent.
- Allons-y !
Il me devance et ouvre la porte pour sortir de mes sept mètres carrés étouffants à souhait. Je
l'entends prononcer une phrase à Liam sans rien y comprendre. Je m'asperge le visage d'eau et, malgré
moi, je me recoiffe un peu et me parfume. Je suis presque déçue qu'il ne m'ait rien avoué au sujet de sa
nuit avec Ély, mais ça sortira peut-être un peu plus tard dans la soirée. Je les rejoins avant que ça ne
tourne au vinaigre et apporte mes nombreuses réalisations : feuilletés au saumon, verrines tomates-
mozzarella, crevettes flambées et j'en passe.
Quand je pose les assiettes sur la table basse, un ultimatum m'arrive en pleine figure : où dois-je
m’asseoir ? Ou plutôt, à côté de qui ? Les deux hommes en face de moi m'observent avec des yeux de
merlan frit et la bouche pleine. La vision me fait glousser et j'opte pour la facilité, je me glisse entre eux
deux.
- Alors, tu bosses dans quoi, attends... c'est quoi ton nom déjà ? Lilian ?
- Liam. Je suis critique de cinéma. Enfin, je débute. Et toi, tu écris, parait-il. Depuis combien de
temps ?
Mon regard passe de l'un à l'autre, comme si j'étais un chaton devant un match de tennis. Je les laisse
discuter entre hommes et apprendre à se connaître, sans réellement leur prêter attention. En attendant, je
dévore tout ce qui passe sous ma main et n'attends qu'une seule chose, que ce foutu film démarre.
- Et sinon, ça fait combien d'années que tu rêves de sauter Joy ?
Ma mini saucisse m'étouffe - quelle ironie - et je tousse à n'en plus finir. Isaac éclate de rire. Son air
arrogant ne tarde pas à réapparaitre sur son visage. Si ça se trouve, il n'avait jamais totalement disparu et
c'est moi qui ne le voyais plus. Ne dit-on pas que l'amour rend aveugle ? L'attirance ou les sentiments...
Même combat !
Liam ne sait plus où se mettre et je le comprends. Mon très cher auteur joue au grossier personnage,
se moquant de la situation et de moi, par la même occasion. C'est donc son unique but ce soir : m'agacer.
Si sa présence pourrit notre soirée, je préfère le virer avant que ça n'aille trop loin.
- Isaac, s'il te plaît. Ne m'oblige pas à te faire sortir d'ici.
- Je n'ai rien dit de mal ! Il est crispé depuis que je suis arrivé et ses yeux crient qu'il veut te prendre
sur le canapé, je n'y peux rien s'il n'a pas les couilles de te l'admettre.
- Tu es un grand malade, ma parole. Je suis en couple, je te signale !
- Alors pourquoi as-tu ta main posée sur sa cuisse depuis quinze foutues minutes ?
Je sursaute. Isaac vient de monter sévèrement le ton et je sens que Liam a autant la frousse que moi.
Il disjoncte ce soir. Il n'a plus rien avoir avec l'homme que j'ai fréquenté ces dernières semaines et je
n'aime pas cette version de lui enfouie un peu trop profondément.
- Je n'avais... je n'avais... pas ma main. Et quel est le problème, après tout ?
Liam manque d'assurance. Ça se sent. Un aveugle pourrait le voir. Isaac fait une bonne tête de plus
que lui et il n'aime pas le conflit, il l'a toujours banni de sa vie. Quand, au collège, les autres s'amusaient
à critiquer ses façons d'agir, il préférait largement ne rien répondre plutôt qu'entrer dans des querelles
interminables. Déjà à l'époque, il était plus mature que la plupart des gens que je côtoie aujourd'hui.
Alors qu'Isaac s'apprête à ouvrir la bouche, je pose mes paumes sur son torse afin de l'apaiser. Il
s'arrête net. Je l'emporte par la main dans la salle de bain où nous avons apparemment élu domicile, et
tente de le calmer avant de le virer de chez moi. Pourtant, l'idée qu'il soit ici me plaît beaucoup et je rêve
de continuer cette soirée entourée des deux personnes que j'aime le plus au monde. Quoi ? Je viens de
dire quoi, là ? L'aimer ? Est-ce que j'aime Isaac ? Je laisse le débat de côté avant de paniquer et entame
la discussion.
- Pourquoi agis-tu comme ça ? Tu te pointes sans prévenir et tu es impoli avec Liam. Je ne te
comprends vraiment pas. Tu as fait d'un truc anodin, une montagne de ressentiments. Et si tu joues au
jaloux pour une main sur une cuisse, que devrais-je dire de ton pénis dans la chatte de ma meilleure amie
?
C'est définitif, j'ai crié la dernière phrase. Que le voisin d'immeuble qui n'a pas entendu lève la main
! Je suis hors de moi. Il se comporte comme si nous étions en couple, le mec possessif, alors qu'il
s'envoie toutes les pétasses de la ville. Je crois halluciner.
- Je t'avais dit que c'était un abruti, je le taquine un peu et il s'énerve. Au fait, tu aimes mon jeu
d'acteur ?
Il se tord de rire et je ne peux m'empêcher de le frapper avec ma brosse à cheveux. Je sors de la
pièce, vexée et explique tout à Liam le plus vite possible. Quinze secondes chrono. Nous enclenchons le
film lorsqu'Isaac revient s'asseoir à mes côtés, mine de rien.
Mes doigts se perdent dans les cheveux de Liam - j'ai toujours été folle de ses petites boucles
brunes. Sa main caresse mon épaule dénudée ou me masse le cou. Plusieurs fois, je me recolle contre lui,
instinctivement, sous l’œil curieux de l'arrogant. J'oublie presque sa présence ainsi que sa blague stupide.
Pendant que Johnny Depp tombe lentement amoureux de la jeune blonde vénitienne qui joue sa
partenaire, je jette un œil curieux à Isaac. Serait-il possible que moi aussi, je sois tombée amoureuse de
lui ? Ces papillons qui s'envolent dans mon bas-ventre dès qu'il m'approche auraient-ils véritablement de
l'importance ? J'étudie son nez fin et la façon dont son sourire vient habiter son visage de temps à autre.
Quand il sent que je le fixe depuis un moment, il plonge ses iris dans les miens et je détourne le regard.
Sa fossette creuse sa joue.
La tension qui flottait dans cet appartement il y a une heure à peine s’est envolée. Liam n'a pas la
rancune facile, néanmoins un petit quelque chose dans son attitude me fait penser qu'il n'aime pas Isaac.
Le film touche à sa fin et je m'étire doucement.
- Je vais y aller, Trésor. Je dois voir Alice pour discuter de ce que tu sais.
Je souris à peine, cependant, intérieurement, je danse la polka. Il aime cette fille, mais il ne faut pas
qu'il en perde la raison. Et s'installer avec elle au tout début de leur relation me semble louche. Soit elle a
besoin de fric pour payer son logement, soit c'est une criminelle recherchée dans de nombreux pays, qui
va découper mon Liam en petits morceaux. Peu importe la vérité, je refuse que tout cela arrive.
Il m'enlace, embrasse mon front avec délicatesse. Une poignée de main à Isaac bien loin d'être
chaleureuse et le voilà dehors.
- Tu ne mentais pas, joli cœur. Ta cuisine est délicieuse. La prochaine fois, je veux que ce soit un
vrai dîner. Une entrée, un plat et un dessert. Rien que toi et moi.
J'hésite à lui sortir ce que je retiens depuis que je l'ai découvert sur mon palier, mais ma bouche a
trop besoin de l'ouvrir, de le dire, pour se taire.
- Je ne te ferai pas à manger. Je t'en veux pour Ély... On travaille ensemble. Tu savais très bien que
c'était mon amie.
- Et quoi, tu vas me balancer les recommandations habituelles ? Si je lui brise le cœur, tu me castres
? Tu n'oserais pas Sainte Vierge, on le sait tous les deux.
Il soupire et reprend.
- Je suis désolé, ok ? Peut-être bien que c'était une mauvaise idée. Mais ne m'en veux pas d'être un
homme qui a des besoins. De plus, je croyais que tu ne voulais plus travailler avec moi, je me trompe ?
- Tu as raison, mais je n'ai pas le choix. Surtout que, depuis cet article de presse, nous avons signé
trois nouveaux contrats. Mon boss veut absolument que ce soit toi et moi...
Son corps s'approche du mien dangereusement et mon ventre se noue. J'ai peur de ce qu'il peut faire.
Cet être est incontrôlable. Je perds tous mes moyens et, par sa faute, je démolis la façade que j'ai
construite en tant d'années, pierre par pierre. Je ne dois pas lui montrer qu'il m'attire, que je l'aime ? Je
pense à tout ce qui existe de déprimant, de moche, ou d'affreux pour garder mon sang froid - la guerre en
Syrie, les salsifis -, toutefois sa proximité me donne des sueurs froides.
- Ce sera donc toi et moi contre le monde, Joy Cohen. Je te dois un dîner. Je passe te chercher la
semaine prochaine, sois prête. Et n'amène pas ton chien de garde.
Il ouvre la porte, prêt à sortir avant de prononcer tout bas : « je suis content qu'il ne soit que ton
putain de pote ». Mais ses mots sont tellement inaudibles, que je me demande si je ne les ai pas rêvés.
Chapitre 17

Le serveur attend que je passe ma commande, pourtant je reste complètement indécise. Les œufs ou
les tomates ? La viande ou le poisson ? Ma famille m'encourage à me lancer, mais toutes leurs œillades
n'aident en rien. Ma grand-mère, impatiente, affirme au jeune homme que je prendrais la salade et le
bœuf. Par peur de se faire réprimander, il court en cuisine. Plus lâche, tu meurs.
Avant d'arriver au restaurant j'ai eu le droit aux remarques de ma mère qui insistait pour que je
repasse chez moi afin de me changer. Si les jupes m'épaississent, il semblerait que "les robes te donnent
l'air d'un boudin, ma chérie". De toute mon existence passée et présente, jamais ma maternelle ne m'aura
trouvée jolie. Je trouve ça triste. Grégory a bien essayé de la contredire mais rien à faire. Quand elle a
une idée en tête, cette têtue ne lâche jamais l'affaire.
Il n'y a que mon cousin qui m'ait décidée à venir ce midi. Mon père est exténué par sa semaine et
semble sur le point de s'endormir à tout moment. Mes oncles ont déjà un bon coup dans le nez. Ma grand-
mère se comporte en harpie, profitant de son anniversaire pour être exécrable sans qu'on ne puisse rien
lui dire. Maman, fidèle à elle-même critique tout ce qui l'entoure et mes cousines enchaînent les bêtises.
Si cela ne tenait qu'à moi, j'aurais fui avant de dire bonjour. Grâce à Greg, j'arrive presque à rester de
marbre face à cette agitation. L'entrée arrive et je fais la moue en la découvrant. Suis-je si grosse que ça ?
J'ai l'impression que cette assiette a été faite pour un enfant de quatre ans qui n'a pas envie de manger. Je
n'hésite pas à le communiquer à mes voisins de table qui explosent de rire.
- Sinon Joy, ma chérie, as-tu trouvé un fiancé ? Je suis vieille tu sais, j'aimerais assister à ton
mariage avant de mourir.
- Maman, s'il te plaît. Regarde-la. Ce n'est pas avec ce genre de tenue qu'elle arrivera à séduire un
homme de sa génération, ajoute ma mère.
Je la fixe avec dédain. Mon envie de l'étrangler devient excessive. Grégory presse ma cuisse de sa
main libre, me priant de me détendre. Plus facile à dire qu'à faire. Comment rester stoïque face à ces
propos blessants ? S'ils venaient d'une autre personne, je ne dis pas, mais quand ils sortent de la bouche
de ma propre génitrice, ils laissent des traces.
- Non mamie, je suis toujours célibataire. Inutile de penser au mariage. Demande plutôt à Greg. Sa
vie sera probablement plus trépidante à raconter que la mienne.
Les discussions reprennent et s'éternisent toujours sur la même chose. Quand elles n'évoquent pas la
situation politique actuelle, ce sont des commérages sur les voisins, ou des gens que nous ne fréquentons
plus depuis des années. Quel intérêt ? Le déjeuner dure en longueur. Le plat ne m'a pas du tout rassasiée.
Manger dans un restaurant étoilé, pourquoi pas, mais si c'est pour n'avoir que deux fourchettes de purée,
je préfère aller chez Mc Donald's. Les Big Mac sont copieux et pas chers.
Mon cousin me propose de l'accompagner dehors le temps qu'il fume une cigarette et je jubile en
levant les bras en l'air. Si seulement il savait à quel point je suis heureuse d'aller respirer un peu de
goudron à cet instant précis. Je donnerais tout, je dis bien tout, même ma virginité, pour m'échapper de
cette table entourée de fous furieux.
- Tu vas me dire ce qui ne tourne pas rond ? T'es complètement ailleurs. Je sais bien que tu
n'apprécies pas les repas de famille Joy, mais là ça dépasse l'entendement. Tu restes dans ton coin, tu
regardes ton portable. Attends-tu quelque chose ?
- J'ai eu une semaine éprouvante et j'aurais préféré occuper mon dimanche différemment.
- Tu ne fais jamais rien de tes dimanches, ne me mens pas. Je te connais trop bien. Raconte au moins,
je te sens prête à imploser.
Je réfléchis quelques secondes à cette possibilité. Mon cousin ne joue aucun rôle dans cette drôle
d'histoire. Il sera donc probablement plus aisé de lui expliquer ce qui me pèse sur la conscience. Surtout
qu'il ne connait pas Isaac. Je le regarde tirer une nouvelle taff pour s'approcher davantage du cancer du
poumon et me jette à l'eau. Pour apprendre à nager, il faut bien sauter un jour. Je lui raconte tout. Depuis
notre rencontre jusqu’à aujourd’hui, en passant par notre escapade à Bruxelles. Mes sentiments la
première fois que je l'ai vu, et comment ils ont évolué. Ély qui est venue me vanter ses mérites question
sexe... Il a la politesse de se taire pendant que je déballe l'ensemble de ce que j'ai sur le cœur et je
retiens quelques sanglots pour ne pas m'enlaidir. Ce serait faire trop plaisir à ma mère.
- Si je comprends bien, il te plaît. Mais tu n'as pas le droit d'en vouloir ni à Ély, ni à lui pour leur
rapprochement. Tu connais El, tu es au courant qu'elle agit toujours de cette façon. Si depuis le départ elle
le voulait dans son lit, elle l'aurait eu, tôt ou tard. Tu dois lui parler et lui raconter ce que tu viens de
m'avouer. Je sais que tu n'aimes pas te confier, mais si tu te continues de te taire, tu finiras dépressive,
Joy.
J'acquiesce. Il a entièrement raison. Je culpabilise presque de ne pas avoir répondu aux messages
d'Ély cette semaine. Quand elle a eu fini de me cracher son bonheur à la figure, dans mon bureau, l'autre
jour, j'ai appelé ma ligne professionnelle avec mon portable pour la faire fuir. C'était immature, mais je
n'avais pas le cran de la regarder en face. Maintenant que la colère est passée, je pense pouvoir la
retrouver pour vider mon sac. Je serre Greg dans mes bras et lui pose une ultime question :
- Comment dois-je me comporter avec Isaac ?
- Reste naturelle et laisse le temps au temps. Ne lui dis rien dans l'immédiat, cela risquerait de le
faire fuir. Surtout si, comme tu me le décris, il est comme moi, sans attache. Vous n'avez même pas couché
ensemble, Joy. Imagine ce qu'il ressentirait si tu lui exposais tes sentiments, de but en blanc. Enfin, moi, je
partirais en courant plutôt que de lui demander sa main, si tu vois où je veux en venir. Alors, laisse-le
t'inviter à dîner la semaine prochaine et apprenez à vous connaître. Soyez amis avant d'aller trop vite.
- Merci.
C'est tout ce que j'arrive à articuler. J'ai lu beaucoup de livres dans ma vie. Sans doute plus de cinq-
cents. Cependant, le comportement masculin reste un mystère. Dans la plupart de mes ouvrages préférés,
soit les hommes sont épris de leurs belles depuis le premier regard, soit ça ne vient pas. Mais jamais je
n'ai eu l'opportunité de lire quelque chose qui ressemblait à mon histoire, avec un mec qui aime
papillonner plus que raisonnable et qui semble jaloux quand je suis avec un autre. J'ai le pressentiment
que cette fois, les romans ne m'aideront pas, et qu'il faudra que j'agisse réellement, quitte à me casser la
gueule pour obtenir ma réponse.

Le déjeuner se termine en milieu d'après-midi et je décide de passer chez Ély. De toute façon, je n'ai
plus rien à perdre. Elle aime sortir, mais le dimanche, c'est sacré. Elle passe ses journées devant des
émissions de télé-réalité d'une niaiserie monumentale. Je l'ai déjà prévenue que ça allait lui ramollir le
cerveau. La réponse adéquate qu'elle a trouvée à m'adresser était un majeur levé en l'air. Je souris malgré
moi en y repensant. J'aime son sens de l'humour un peu décalé.
Je ne prends pas la peine de rentrer me changer et m'y rends directement. Ma petite robe rouge
s'avère inadaptée pour cette température extérieure. Le mois d'avril est frais cette année, et ne pas avoir
mis de collants me donne la chair de poule malgré la marche rapide. Quand j'entre dans le hall de
l'immeuble, je me colle au radiateur. Je me contorsionne pour faire en sorte que toute ma peau nue soit
chauffée. Un des voisins d'Ély entre quelques instants plus tard et me sonde comme si j'étais une voleuse
de courrier. Je lui tire la langue dès qu'il a le dos tourné et me retiens de lui sortir des vacheries. Mes
mains à nouveau utilisables, je monte au troisième étage. La cage d'escalier délabrée rappelle les HLM
des quartiers alentours. Pourtant, le logement d'Ély est encore plus beau et plus spacieux que le mien. Je
frappe à la porte, néanmoins personne ne vient m'ouvrir. Alors j'essaie de sonner, mais rien non plus.
Mon appel reste également sans réponse, je décide donc de faire demi-tour. On ne pourra pas dire que je
suis de mauvaise foi.
Je décide de me balader dans la capitale avant de rentrer. Le soleil décline et les couleurs qui
emplissent le ciel flamboient. J'ai beau être introvertie, j'aime cette ville plus que tout au monde, malgré
la population malpolie, les trottoirs bondés, la nourriture trop chère et les librairies étriquées. À croire
que j'aime me noyer dans l'agitation parisienne. Je passe inaperçue. Je me fonds dans la masse. J'ai
envisagé d'habiter en banlieue à la fin de mes études, faute de moyens, mais rien que l'imaginer deux
secondes m'angoissait terriblement. Paris, je t'aime, comme disent les touristes qui viennent y poser le
pied.
Je m'installe dans un petit café à l'enseigne douteuse sur la place Pigalle pour avaler un expresso.
J'ai presque envie de faire marche arrière quand je m'aperçois que les employés sont à moitié nus et que
de la musique électronique joue à tue-tête. J'ai probablement choisi le mauvais endroit pour retrouver un
peu de sérénité. La serveuse qui me sert me fait un clin d’œil en partant et je ne sais pas comment je dois
l’interpréter. Suis-je dans un bar gay ? Un club échangiste ? Oh mon Dieu, est-ce qu'elle m'a draguée ?
Je me lève, laisse la monnaie sur la table et tente de filer en douce, mal à l'aise. Il y a soudain, à ce
moment précis, quelque chose qui attire mon regard vers le fond de la salle, beaucoup plus sombre. Je
laisse ma curiosité me guider. La serveuse croisée un peu plus tôt me lance un sourire en coin et je
commence à hésiter. Où ai-je atterri, sérieusement ? J'avance de quelques pas supplémentaires et mon
cœur tambourine au rythme de la musique. Ce que je vois me fige sur place et me donne envie de vomir.
Des couples se bécotent sur un canapé rouge vif en cuir. Sans aucune gêne, ils se tripotent comme s'ils
étaient dans une chambre d'hôtel. Je sens le haut le cœur arriver quand deux paires d'yeux se posent sur
moi. Ély et Isaac.
Je prends mes jambes à mon cou, les idées pas claires. Je manque de me faire renverser par une
voiture qui klaxonne à outrance. J'entends le conducteur m'insulter violemment, ou du moins je crois
l'entendre. Je cours partout et nulle part à la fois. Je tourne sur des rues qui me sont inconnues et rentre
dans un lampadaire de plein fouet. Je pensais pouvoir pardonner à mon amie, mais la seule envie qui
bouillonne en moi est de lui arracher ses cheveux qu'elle aime tant. À la pince à épiler. Et lui, il ose
m'inviter à dîner, il pourra toujours m'attendre, jamais je ne viendrai ! J'ai cru pouvoir me fier à lui. Le
discours de Greg tout à l'heure m'a presque fait croire qu'il regrettait ses actes. Sa façon de me parler, de
me regarder... Ça aussi, c'était un jeu ?
Je me roule en boule sur le trottoir. J'aimerais être chez moi, j'aurais préféré ne jamais entrer dans ce
fichu bar. Les passants me regardent en souriant, se moquant parfois. Je n'en prends pas cas. Je remonte
mon mur en béton à vitesse grand V. Plus rien ne peut m'atteindre. Je ne les laisserai pas me détruire,
m'entraîner au fond du gouffre. Mon téléphone vibre. Il ne s'arrête plus, mais je n'ai pas fini de revêtir
mon armure. Je ne répondrai pas maintenant, le désastre serait énorme. Pour eux comme pour moi.
Je prends la direction de mon appartement quand je suis prête à tout affronter. Je laisse un message
vocal à Liam en lui expliquant que j'ai eu la déception de ma vie, qu'Ély et Isaac se tripotaient sur un
canapé miteux, dans un bar craignos. Depuis tout à l'heure, je n'ai pas versé une seule larme. Un miracle.
Je suis consciente que ça ne fait que retarder la douleur, mais j'ai mis mes émotions sont sur OFF pour
quelques jours. Je refuse de souffrir de plus belle.
La première fois que ça m'est arrivé, j'étais à l'école primaire. Mes camarades venaient de passer
des semaines entières à me traiter de tous les noms, parce que je m'isolais. Mes parents ont été
convoqués, les maîtres et maîtresses ne comprenaient pas mon comportement. Je n'avais pas les mots
pour l'expliquer à mon entourage à l'époque, mais j'allais bien. Je me sentais beaucoup mieux depuis que
je m'étais repliée sur moi-même. C'était comme si un bouclier me protégeait de toutes les critiques, tout
ce qui faisait mal. Aujourd'hui, c'est la même chose, j'ai besoin de ne plus rien ressentir.
À mon arrivée chez moi, Isaac et Ély m'attendent sur le palier. Je leur souris, sans un mot, et
m'enferme avant qu'ils n'entrent. Je pousse Freddy Mercury à fond sur ma chaîne hi-fi et file sous le jet
brûlant de la douche pour éviter d'entendre ces coups insupportables contre ma porte d'entrée. L'eau coule
et je sens mon humanité s'envoler pour laisser place au robot sans sentiment que j'ai créé il y a quinze
ans.
Chapitre 18

Je crois comprendre pourquoi ces deux-là s'attirent : ils sont aussi chiants l'un que l'autre. À la sortie
de ma douche, j'ai regardé par le judas pour m'apercevoir qu'ils n'abandonneraient pas tant que je n'aurais
pas ouvert. J'ai laissé du temps s'écouler avant d'affronter l'inévitable. Me servant un thé pour tenter de
décontracter mes muscles. J'ai peur de me confronter à leur jugement. Lorsque j'entends Ély clamer : «
Moi, je m'en vais », j'ouvre la porte. Elle ne m'a jamais vue à ce point renfermée dans mon introversion,
mais je n'ai pas le choix. Si je baisse la garde, je tomberai six pieds sous terre. Et j'ai bien peur de ne
jamais réussir à me relever.
- Enfin, mais tu es vraiment cinglée, toi. Tu nous as fait peur. Tu t'es pratiquement jetée sous les
roues de ce taxi. Qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez toi, Joy ?
Mon amie me crie dessus. Elle me rouspète comme si j'étais une enfant. Mais tout ce qu'elle me dit
ne m'atteint pas. J'ai juste envie qu'elle comprenne qu'en ce moment, je la hais. Que la voir sur ses genoux
dans ce bar étrange m'a secouée parce que oui, je suis doucement en train de tomber amoureuse d'Isaac.
S'il y a une chose dont je suis certaine, c'est bien celle-ci. Je l'aime, mais je ne peux pas lui avouer mes
sentiments. J'en rêve la nuit, pourtant je dois me contenir : il n'en pince pas pour moi et me fera souffrir
dès qu'il en aura l'occasion. Il a déjà commencé d'ailleurs.
J'entends des bruits sourds autour de moi. Je les vois s'asseoir sur une chaise pour l'un, sur mon
canapé pour l'autre. Celle qui était mon amie et qui endosse désormais le rôle de traîtresse, gesticule en
hurlant presque. Les mots qu'elle prononce n'arrivent cependant pas jusqu'à mes oreilles. Je ne capte
absolument rien. Je me contente de sourire. Puis quand elle s'arrête enfin de brailler comme un veau, je la
regarde droit dans les yeux.
- Je suis au courant de ce qui ne va pas chez moi. En ce qui te concerne, en revanche, je sais juste
que si tu étais moins salope, tu arriverais peut-être à envisager un futur. Écarter les cuisses dès que tu
croises quelqu'un qui te plaît va finir par te mettre en cloque avant d'avoir joui. Tu sais quoi, Ély ? Je ne
sais même plus pourquoi je suis amie avec toi.
Elle me fixe, stupéfaite. Je peux lire son expression choquée sur son visage. Ses sourcils sont
froncés et sa main passe dans ses cheveux plus vite qu'à la normale. Ses cils papillonnent non pour
séduire - pour une fois - mais par peur. Ses joues se teintent d'une couleur que je ne lui connaissais pas.
La fille sûre d'elle et indépendante vient de se faire humilier face à celui qu'elle convoite. Je jubile. C'est
malsain, mais je n'ai jamais eu aussi mal là, au creux de ma poitrine que quand je les ai découverts tous
les deux.
- Et toi, Isaac. Tu m'as affirmé qu'Ély ne t'intéressait pas. Alors que secrètement, tu la baises dans
mon dos. Que veux-tu que j'en pense, sincèrement ? Tu es un salaud, un point c'est tout. Vous auriez pu
m'admettre que vous aviez des sentiments l'un envers l'autre. Je passe pour la débile et fragile petite Joy à
qui on doit tout cacher pour ne pas la blesser. Mais je m'en fous complètement. Faites ce que vous voulez
et ne me mêlez plus à ça.
- Parce que tu parles de sentiments, seulement qu'en sais-tu ? Cette nana est un pauvre passe-temps,
comme les autres. Tu m'as foutu la trouille de ma vie tout à l'heure et maintenant tu joues l'incomprise
mais Joy, il serait temps que tu te réveilles. Arrête de fuir et affronte la vérité en face ! Tu as un putain de
problème.
Isaac s'isole dans la salle de bain - à croire que pour lui aussi, cette pièce symbolise la paix-, et me
laisse avec Ély. Les larmes aux yeux, elle est bouche bée. Bientôt, elle gobera les mouches ! Je pense
qu'elle va lever la main sur moi, mais elle renonce. Mon ex-amie reprend son sac, son manteau puis s'en
va, exécutant une sortie théâtrale. Bon vent ! Je pense à ce que Liam dirait de tout ça et avale une autre
gorgée de thé vert. Ce n'est pas le moment de penser, mais d'agir. Je dois faire sortir Isaac d'ici pour me
retrouver seule et réfléchir à cette situation.
Quand j'ouvre la porte, il est accroupi sur le sol, la tête entre les mains. Si j'étais dans un meilleur
jour je relèverais que l'émotion qu'il dégage est bouleversante. Que ses traits n'ont jamais été aussi graves
et son expression si neutre.
- Sors d'ici et va la rejoindre, elle doit t'attendre.
Il me regarde, commence à rire et se relève. Comme la dernière fois où il s'est retrouvé ici, il se
rapproche de moi. Mon dos se retrouve collé contre le mur et son visage à quelques centimètres du mien
seulement. Je peux sentir sa colère rien qu'à regarder son cou. Sa chaîne saute en même temps que son
rythme cardiaque, soit à un rythme fou. Sa veine ressort et ses mâchoires sont contractées au possible. Il
doit se retenir de m'imposer ses pensées salaces ou m'insulter pour ce que j'ai fait à Ély. Il ne bouge pas
et le temps passe. Je le défie du regard. Il finit par soupirer.
- J'ai vraiment eu les boules tout à l'heure. Pourquoi es-tu partie comme ça ? Si tu m'avais laissé le
temps de t'expliquer, je t'aurais tout dit.
Je dois taire mon cœur qui s'emballe à son tour et mon ventre qui papillonne presque face à ce
discours avant de répondre. Sinon, je pense être capable de m'effondrer lamentablement devant lui. J'ai
tellement mal...
- Laisse-moi, s'il te plaît.
Cette phrase signifie simplement : "Reste et prends-moi dans tes bras. Rassure-moi, dis-moi qu'elle
n'est rien pour toi et que tu fais un peu plus que m'apprécier. Si tu savais comme ça me consume de
t'aimer, Isaac. Je souffre à chaque seconde quand tu es près de moi. Et sentir ton souffle chaud contre mon
cou n'arrange rien."
- Pas tant que tu ne te seras pas confiée. Pourquoi être partie comme une sauvage ?
Sa main vient caresser ma joue droite avec tendresse. Il n'est plus en colère, il fait preuve d'une
patience inespérée. Il repousse une de mes mèches encore trempées derrière mon oreille. J'ai envie qu'il
m'embrasse, maintenant. Ce serait mon premier vrai baiser. Car il est évident que je ne compte pas celui
d'Aymeric au lycée, c'était plus une bise ratée qu'autre chose. Contre lui, je fonds. Je pourrais rester dans
cette position pour toujours, sans voir passer les heures. Ni les minutes. Encore moins les secondes. Je
me sens protégée. Bien plus qu'avec cette armure qui se fait la malle quand je fixe ses yeux un peu trop
bleus. Il répète sa question une troisième fois, tout près de mon oreille et fait trembler mon corps comme
jamais. Je suis tétanisée, incapable du moindre mouvement. L'adrénaline se diffuse dans mes veines à une
vitesse hallucinante.
- Je... En fait, je...
- Joy, bordel, que s'est-il passé ? Et toi, pourquoi tu la touches ?
Isaac s'éloigne comme si je l'avais brûlé et Liam vient de débarquer de nulle part. Mon bras est
attrapé sans que je n'y puisse rien et la chaleur ressentie jusqu'à présent s'efface instantanément. Près du
frigidaire, Liam m'examine. Il ose même m'interroger au sujet du brun ténébreux qui admire désormais
mes cadres photos.
- Il ne m'a rien fait, je t'assure. J'ai surpris Ély sur ses genoux dans un bar. C'était du pur hasard, je
suis rentrée dans la première enseigne lumineuse trouvée et je suis tombée dans un drôle d'endroit. J'ai
voulu partir dès que j'ai pu, mais un je ne sais quoi m'a attirée et appelée à aller voir au fond de la salle.
Ils étaient là, tous les deux. Et tu sais. Je suis partie, je me suis repliée sur moi-même et je les ai
affrontés, à contre cœur. Ils m'attendaient.
Mon meilleur ami me serre dans ses bras. La chaleur apparaît à nouveau. Ce n'est pas la même
intensité qu'un peu plus tôt, mais cela demeure l'odeur de mon Liam avec ses boucles qui me chatouillent
le visage et ses mains qui se posent partout. J'embrasse sa joue avec ardeur et il ne peut s'empêcher de
sourire un peu. Isaac, qui a observé toute la scène, baisse les yeux quand il croise mes iris azur.
- Je vais y aller, souffle-t-il à mon encontre. Occupe-toi d'elle. Joy, écoute tes messages, s'il te plaît.
Puis, il est dehors. Liam essaye de mettre en évidence toute la douleur, la souffrance nichée dans
mon âme. Il m'a vue dans des états pires que celui-ci, notamment lorsque j'ai vécu le premier décès dans
ma famille. Cette soirée me semble interminable. Il tente par tous les moyens de me faire réagir,
manifester ma colère et éloigner cette façade froide et hautaine qui ne fait que masquer la vérité. À vingt-
et-une heures, je meurs de faim. Le déjeuner était trop léger et lorsque mon estomac n'est pas plein, je
n'arrive pas à penser comme il faut. Ça a toujours été le cas.
- Allez Joy, reviens Trésor. On commandera une pizza après, je te promets. Accorde-moi un dernier
essai. Quand tu entends le nom des personnes que je te liste, tu me balances ce qui te vient à l'esprit sans
réfléchir, d'accord ? Grégory.
- Mon cousin. Coureur de jupons. Dangereux. Cigarette. Câlin. Famille. Amour.
- Ély.
- Fêtes. Sexe. Traître.
- Voilà, c'est bien, ça commence à venir. Il faut que tu te lâches. Laisse la haine et la peine t'envahir.
Tu n'avanceras pas et ce sera encore plus destructeur si tu refoules tes émotions. Une vraie bombe à
retardement. Mieux vaut affronter les choses au fur et à mesure, car cela fait encore plus mal quand on
attend que le vase déborde.
- Isaac.
- Je… je crois que je l'aime.
Et je me mets à pleurer comme une dégénérée. Je m'étouffe avec mes larmes. Je n'arrive plus à
m'exprimer correctement. Liam commande une grande pizza avec extra fromage et un énorme pot de
glace. Lui aussi, je l'aime. Tellement. J'ai envie de lui en vouloir pour son comportement récent, mais je
n'y arrive pas. Il ne veut que mon bien.
Lorsque je recouvre mon calme, il m'explique comment a réagi Alice lors de son annonce. Furieuse
au départ, elle a accepté sa décision. Il m'avoue que leur relation a changé depuis, et qu'il ne sait plus où
il en est. La solution me paraît évidente pour lui alors que pour moi, je n'en trouve aucune. Aucune issue
ne me semble possible. Comment est-il humainement possible d'avoir des sentiments pour deux êtres
diamétralement opposés ? Un homme hautain, détestable et mon meilleur ami, en couple ?
- Je peux rester dormir ici, avec toi ? Je n'ai pas le courage de rentrer à la maison à cette heure-ci.
J'attrape mon portable à la volée qui m'annonce plusieurs messages et appels manqués datant du
début de soirée. Les découvrir me ramène à la réalité qui n'est pas aussi belle que j'aurais pu l'espérer.
L'heure indique qu'il est plus de deux heures du matin et savoir que demain, je devrais lire des histoires à
l'eau de rose toute la journée me déprime totalement. J'accepte la proposition de Liam et prépare son côté
du lit. Nous nous chamaillons et il finit par s'endormir rapidement, sa tête dans mon cou et ses bras
enserrant ma taille. Je suis tellement satisfaite que moi aussi, je tombe dans les bras de Morphée.

Une lumière me réveille quelques heures plus tard. Le jour. Je saisis mon téléphone et m'aperçois
horrifiée que je suis en retard. Pourtant, je n'ai pas la moindre envie de bouger d'ici. Dans son sommeil
Liam s'est encore plus rapproché de moi et j'adore les sensations que cela me procure. Je profite de cet
instant de faiblesse de sa part pour observer la perfection de son visage ainsi que son léger sourire.
Quand il émerge, il me serre fort contre lui et je commence à sentir quelque chose de dur contre ma
cuisse.
- Euh Liam, je crois que ta... est en train de se réveiller, elle aussi.
Il rougit et enfouit sa tête sous l'oreiller avant de me le balancer sans ménagement. J'éclate de rire et
réalise que nos chamailleries me manquent bien plus que je ne l'aurais cru. Près d'un mois sans le voir, et
je suis perdue. Heureusement qu'il revient toujours, malgré mes déboires et mes sautes d'humeur. Dans un
élan de joie, je m'agenouille sur le lit et me positionne face à mon ami qui fait de même. Je passe mes
mains derrière son cou et l'observe à nouveau. Sa beauté m'éblouit. Il me plaît à sa façon. Ses yeux
noisette se perdent dans les miens à leur tour et quand l'atmosphère autour de nous change brusquement, je
sens sa bouche s'écraser contre la mienne avec véhémence.
Chapitre 19

Des lèvres douces caressent les miennes avec ardeur. Une langue chaude qui a un goût de cannelle
s'immisce dans ma bouche passionnément. Je ne sais plus comment je m'appelle, ni où je me trouve. La
seule chose que je sens, ce sont ses deux mains partout sur moi. Liam m'embrasse encore et encore,
désespéré. Il va même jusqu'à s'allonger au-dessus de moi sur le lit, et je le laisse faire. Je devrais le
repousser, il a quelqu'un dans son cœur et j'en ai un autre dans la tête, mais j'en suis totalement incapable.
Ce dont j'ai rêvé depuis des années arrive enfin, je ne peux que m'en réjouir.
Quand nos souffles s'épuisent, il s'étend à mes côtés et ses doigts courent toujours sur mes hanches.
Si je n'avais pas envie d'aller travailler hier soir, là c'est encore pire. Je suis presque tentée de leur
téléphoner pour leur annoncer que j'ai une gastro et profiter de Liam.
Nous nous toisons en silence car nous savons pertinemment tous les deux que lorsque l'un d'entre
nous ouvrira la bouche, il se morfondra en excuses et la magie sera morte. Je souris, conséquence logique
aux événements qui se sont déroulés ces cinq dernières minutes et commence à glousser comme une
écolière. Je viens de vivre mon premier vrai baiser et c'est avec celui qui m'a vue grandir. J'ai passé des
années entières collée à lui sans que rien ne se passe. Pourtant, ce n'était pas faute d'avoir envie. Et
désormais, nous nous embrassons alors que j'ai des sentiments naissants pour un odieux personnage qui
sort avec une ignoble pétasse.
- Pourquoi ris-tu ? Tu m'en veux ?
- Oh non, absolument pas. Je suis juste en train de penser que... Bon maintenant que c'est fait, je peux
te l'avouer. En soit, j'en ai toujours rêvé.
Les yeux de Liam s'écarquillent. Il doit probablement être en train d'analyser le sens de chacun de
mes mots. Il s'assoit dans le lit, récupère ses quelques vêtements qui traînent par terre et me jauge.
- Depuis que ton Isaac m'a ouvert les yeux l'autre jour, j'ai réfléchi et émis une hypothèse. Peut-être
qu'il fallait qu'on essaye tous les deux. Vraisemblablement, si je n'ai personne et que toi non plus depuis
tant de temps, c'est parce que nous sommes destinés à être ensemble. Qu'en dis-tu ?
- Tu sais Liam, je regrette tout de même une chose. Que ce ne soit pas arrivé quelques semaines plus
tôt. Au fond, cela m'aurait facilité la tâche, j'admets, à demi-mot. Est-ce qu'on peut se voir dans la
semaine ? Je suis super en retard pour le boulot.
Il hoche la tête, me demande l'heure et commence, lui aussi, à courir partout. Je l'entends jurer en se
cognant un doigt de pied contre la commode et j'éclate de rire. Avant son départ, je ne sais plus comment
agir. Suis-je en couple avec lui ou était-ce un simple bisou ? Je ressens un petit pincement au cœur en
voyant qu'il s'apprête à partir et me demande sincèrement de quelle façon il va me saluer. Cela parlera
pour lui.
- Je ne voulais pas te surprendre ni t'effrayer, Trésor. Il fallait que je tente le coup. Je ne suis pas
amoureux d'Alice comme je l'espérais et au moins, t'embrasser m'a fait réaliser certaines choses. Mais je
sais que de ton côté, c'est plus compliqué. J'aimerais que tu réfléchisses à tout ça. Retrouvons-nous
vendredi, d'accord ?
Je le vois hésiter, fixer mon visage. Il opte finalement pour un baiser chaste sur mes lèvres, et un peu
plus long sur mon front. J'ai toujours adoré ses marques d'affection, mais maintenant que j'ai goûté à sa
bouche, je ne pense pas pouvoir m'en passer. C'était fabuleux. Et à peine passe-t-il la porte que je
sautille. J'ai embrassé un garçon pour la première fois ! Les papillons ont volé dans mon ventre, tout mon
corps tremblait, résonnait. Je caresse ma peau en m'observant dans le miroir. Suis-je différente ?
Probablement. Mes yeux pétillent plus que d'habitude semble-t-il.
C'est donc avec vingt bonnes minutes de retard, mais un grand sourire plaqué sur mon visage que je
fais mon entrée dans nos locaux. Par chance, Monsieur Badouk brille de son absence, ce qui laisse
présager une bonne journée. Je consulte mes e-mails et effectivement, aucune urgence, ni demande
loufoque à régler. Je peux alors me plonger dans la lecture des manuscrits qui attendent dans l'entrée. Je
m'empare d'une bonne partie de la pile et commence à les feuilleter.
À onze heures, je m'autorise même à regarder mon téléphone. Puis, soudain, les mots d'Isaac me
reviennent en tête « écoute tes messages ». Je lis les textos, qui, pour la plupart sont sans importance, et
lance ma boîte vocale.
- Vous avez sept nouveaux messages, m'indique la voix monotone.

Cinq proviennent d'Ély, un de Greg pour s'assurer que je suis bien rentrée, et un dernier d'Isaac,
datant de cette nuit. Il a pris le soin de m'appeler après ma comédie et mes réactions excessives ? Cet
homme aime sans doute la torture. Je remarque qu'il avait prévu de me téléphoner avant même être parti
de chez moi. Je trouve ça prévoyant et plutôt mignon.

Joy, c'est moi. J'aimerais que tu m'écoutes jusqu'au bout avant de raccrocher.

Il hoquette et a la voix pâteuse. C'est certain, il était ivre à ce moment-là.

Je sais que je peux être un connard, mais quand on était en Belgique tous les deux, tu as rencontré
le vrai Isaac. Je me suis beaucoup amusé avec toi, malgré le fait que tu sois restée peu de temps avec
moi. Je t'apprécie énormément et je n'ai pas envie que mes actes aient mis à mal notre relation
professionnelle. Ély n'y est pour rien, je te le promets. S'il te plaît, considère mes propos avant de
péter un plomb mais nous nous sommes croisés quand je sortais de soirée, j'avais un coup dans le nez
et je l'ai invitée à me suivre. Si tu dois en vouloir à quelqu'un, je suis le seul responsable, mais je
t'assure que je n'ai pas fait de mal à ton amie, elle était plutôt consentante, en fait. Bref, tout ça pour
te dire que j'ai vraiment cru que t'allais y rester. Lorsque je suis sorti de ce putain de bar et que cette
scène se jouait devant moi, sans que je n'y puisse rien, j'ai flippé. Parce que Joy, ce que j'essaye de te
dire, c'est que je t'aime bien. Je te considère comme une amie. Et j'adorerais que tu gardes ce statut,
surtout si on doit travailler tous les deux pendant des semaines voire des mois. Ce soir, mes
colocataires ne seront pas à la maison et j'aimerais bien qu'on essaye d'oublier toute cette merde
autour d'un repas. Je te promets de ne pas cuisiner, Sainte Vierge. Si ça te tente, envoie-moi un
message et je te donnerai l'adresse. Ah et je reprécise au cas où, cette invitation n'est valable que pour
toi, tu peux laisser Liam à la maison et la rousse aussi. Ciao.

Je m'essuie les yeux. Il m'est impossible de rester de marbre quand Isaac me parle de la sorte. Je
réécoute le message plusieurs fois, presque jusqu'à le connaître par cœur, et même s'il prétend que je suis
une amie, et uniquement une amie, je me rends compte que, pour l'instant, ça me va. Greg a été formel, je
dois laisser les choses se dérouler toutes seules et ne rien bousculer. Surtout depuis que Liam m'a
embrassée, je ne peux pas nier que la balance a grandement penché en sa faveur.
Je lui envoie un texto court mais précis :

[J'ai bien écouté ton message, merci. À quelle heure dois-je venir ce soir ?]

Il me répond dans la minute. Savoir qu'il gardait son portable pour attendre ma réponse m'enchante
plus que ça ne le devrait.
[Pour vingt heures. Arrêt de métro La Muette et je te jure que ce n'est pas une blague.]

Je ris franchement. Je suis déjà excitée par sa proposition et envisage plusieurs scénarios, comme
toujours. Il y a le premier où nous nous engueulons pour une chose stupide. L'autre où je lui saute dessus
et lui fais l'amour sauvagement. C'est peut-être le plus agréable mais le moins crédible, jamais je ne
franchirai cette limite. Puis, il y a le plus probable, celui où tout se passe bien et nous faisons
connaissance.
Plongée dans mes pensées, je saute le déjeuner. Je décide de travailler sans m'arrêter pour pouvoir
partir le plus tôt possible. J'aimerais m'offrir une nouvelle tenue et l'occasion vient de se présenter, un
rendez-vous avec Isaac.
Il est à peine dix-sept heures lorsque je pars à la conquête de ce qui me siéra le mieux. La vendeuse
m'incite à essayer des robes, des jupes et des combinaisons. J'opte pour la combi-pantalon ivoire. Elle
me donne bonne mine et bien accessoirisée, elle fera son effet. Je sélectionne un collier doré, avec un
gros signe de l'infini, et une manchette assortie. Au vu de ma passion pour les chaussures à talons, je
devrais trouver aisément ce qu'il me faut dans mon dressing, je rentre donc rapidement me préparer.
Je prends une douche pour me débarrasser de toute trace éventuelle du bisou de ce matin. Je ne sais
pas pourquoi je veux le cacher à Isaac, mais je me sens gênée. Ensuite, je m'amuse à friser mes pointes
pour changer un peu de look. Je me maquille davantage que d'ordinaire. Un smoky eyes et un rouge à
lèvres vif. J'enfile ma tenue, mes accessoires et pars, avec quelques minutes de retard seulement,
rejoindre la station de métro parisienne.
De nombreux hommes me suivent du regard et je souris en pensant secrètement que les mâles sont
terriblement primaires. Ils s'arrêtent au physique d'une femme sans apprendre à la connaître. Et il suffit de
revêtir des vêtements aguicheurs, qui mettent un cul en valeur ou découvre la poitrine pour qu'ils se
retournent dans la rue, de même que des chiens devant des os.
Je marche vite et, comme guidée par un aimant, je sens que je m'approche de la destination voulue. À
mon arrivée sur place, il se tient debout, contre le muret. Une cigarette à la main, il crache la fumée. Sa
veste en cuir sur le dos me fait frémir. Il est encore plus beau que dans mon souvenir. Comment en moins
de vingt-quatre heures, on peut s'embellir autant ? Je reste quelques secondes à l'admirer discrètement. Je
l'aperçois sortir son portable de sa poche pour regarder l'heure et lever les yeux au ciel. Je souris encore.
Tout cela lui ressemble tellement.
- Je suis en retard, je sais, mais j'ai une bonne excuse.
Il me reluque de la tête aux pieds avant de déglutir. Déjà, je le ne laisse pas indifférent ni le dégoûte,
c'est plutôt bon signe. Aucune remarque désobligeante ne sort non plus, un exploit. Il embrasse mes joues
et, inconsciemment je repense à ce matin, à Liam. Je ne regrette rien, mais les idées s'embrouillent dans
ma tête. Mon cœur vacille d'un sens, puis d'un autre, sans jamais trouver la position adéquate.
- On y va ? J'habite à deux rues et j'aimerais éviter d'attraper la mort.
Il prend le soin de glisser sa main dans le bas de mon dos et jamais, le jour où je l'ai rencontré, je
l'aurais cru capable d'un tel acte de galanterie. Nous marchons en silence et j'appréhende. Que vais-je
trouver chez lui ? J'étais obnubilée par les retrouvailles, mais je n'ai pas pensé une seule seconde à son
appartement. Il m'a dit avoir des colocataires : combien ? Habite-t-il avec une femme ? Peut-être même
qu'elle est jolie et qu'il couche avec.
L'immeuble haussmannien dans lequel il me fait entrer m'impressionne. La façade resplendit. J'avais
vu quelques annonces lorsque je cherchais mon appartement mais bien sûr, les prix étaient trop excessifs
pour moi. Je comprends mieux pourquoi il n'habite pas seul dans un tel bien. Le loyer doit coûter les yeux
de la tête.
Je le suis sagement dans l'ascenseur et retiens ma respiration. Être si proche de lui me donne des
vertiges. Comme dans Cinquante nuances de Grey, je rêverais qu'il me saute dessus pour m'embrasser.
Son regard entendu m'amène à penser qu'il a aussi des idées en tête. Je donnerais beaucoup pour
connaître la raison de son sourire vicieux en ce moment.
Il ouvre la porte de son logement et m'invite à quitter mon manteau. Il détaille mon corps avec plus
d'attention. Ses yeux se baladent sur chacune de mes courbes. C'est tellement désarçonnant que mes joues
rougissent immédiatement. J'étudie les lieux en quelques œillades et laisse mes doigts traîner sur
différents bibelots.
- Je te l'ai promis, je n'ai pas cuisiné ce soir. Mais par contre, j'ai pris soin de dresser votre table,
Mademoiselle Cohen.
Avec fierté, il m'indique la table basse sur laquelle il a disposé deux bougies, deux assiettes et des
verres à vin. Je m'installe sur le canapé et il prend ses aises à côté de moi avant de lâcher :
- Ce soir, nous allons faire comme si nous ne nous étions jamais rencontrés. Je ne suis pas un auteur
arrogant, et tu n'es pas une Sainte Vierge. Nous sommes juste Joy et Isaac. Nous allons discuter pour
repartir sur de bonnes bases. Tu marches ?
Il me tend sa main pour que je la serre et je ne peux qu'acquiescer. J'ai envie de tout connaître de lui
et oublier les événements de ces dernières semaines.
Chapitre 20

Isaac

La créature brune assise sur mon canapé s'esclaffe une fois de plus. Je l'observe se resservir dans la
boîte en carton avec appétit. Elle semble de bonne humeur et m'apparaît presque détendue. Je découvre
une nouvelle Joy ce soir. Une facette que j'ai hâte de mieux connaître.
Ce dîner n'était qu'un prétexte pour m'excuser de l'avoir blessée. Si son visage ne transmettait aucune
émotion l'autre jour, ses yeux criaient qu'elle souffrait de la situation. Mais si son amie avait fermé sa
grande gueule aussi, rien de tout cela ne serait arrivé. Je dois admettre qu'Ély suce bien et qu'on passe du
bon temps ensemble, mais rien ne vaut le sourire qui illumine son visage en ce moment même. Joy est
devenue, en peu de temps, quelqu'un dont je ne peux plus me passer. Elle m'intrigue, me fascine. Je n'ai
pas encore saisi pourquoi elle s'isole du monde extérieur mais ça viendra, j'en suis convaincu.
- Est-ce que tu veux d'autres crevettes ? Bon sang, je n'arrive pas à croire que je puisse aimer ça,
s'étonne-t-elle.
- Non merci, fais-toi plaisir.
Nos échanges se sont adoucis. Je ne sais pas depuis quand, je ne l'ai remarqué que ce soir.
Finalement, travailler ensemble n'est pas aussi terrible que j'aurais pu l'imaginer. Je l'incite à parler plus
que moi je me dévoile, mais je ne m'en soucie guère. Je ressens le besoin inexplicable d'obtenir des
réponses à des questions inédites.
- Et tu me disais que tu avais emménagé toute seule à dix-huit ans ? Pourquoi avoir quitté tes parents
si tôt s'ils habitent Paris, eux aussi ?
Je sens qu'elle se lasse doucement de mon interrogatoire. Pourtant, j'ai réellement envie de mieux la
cerner. Ély n'a jamais évoqué une quelconque anecdote au sujet de son amie. Parler d’elle avant de me
lécher les boules m'aurait probablement coupé l'envie de baiser, mais au moins, j'en saurais plus sur cet
intrigant personnage. Car si elles sont proches aujourd'hui, je suis presque sûr de ne pas me tromper en
disant que ça a dû être long, avant que Joy lui accorde ne serait-ce qu'un peu de confiance.
Elle soupire, joue avec son collier et je sens que je l'ai emmenée sur une pente glissante. Alors que
je m'apprêtais à changer de question, elle recule ses petites épaules et commence à balbutier.
- En fait, je ne me suis jamais très bien entendue avec ma mère. J'avais besoin d'espace pour ne pas
étouffer.
J'acquiesce et assimile chacune des pièces du puzzle qu'elle vient de m'offrir sur un plateau. Elle vit
seule depuis sa majorité, se passionne pour les livres depuis son plus jeune âge et s'est liée d'amitié avec
Liam au collège. Ce qui m'énerve le plus là-dedans c'est que je sais qu'il voudrait plus que ça. Nous les
mecs, on devine toujours quand l'un d'entre nous veut aller plus loin avec une nana. Et la dernière fois,
j'ai senti que c'était chasse gardée. Ils ne sont qu'amis mais il la garde au cas où, en deuxième option. Ça
me rend complètement fou ! Joy ne doit pas être un putain d'objet dont on se sert quand on en a envie.
Encore moins un second choix.
- Et toi, pourquoi es-tu en colocation ?
Tout son corps vient de se tourner vers moi. La vision qu'elle m'offre sur ses seins ne m'aide pas à
me concentrer pour répondre. Il ne manquerait plus qu'elle se lève pour que j'aperçoive son cul d'enfer. Je
la prendrais alors directement sur le canapé. Joy est une belle femme et son statut de vierge m'excite.
Ayden et Arthur trouveraient ça glauque ou se foutraient de sa gueule, moi j'aime savoir qu'elle attend le
bon. Cette expectation prouve sa sagesse.
- Les loyers sont chers et je n'aime pas être seul trop longtemps. J'adore voir du monde. Ah et pour
bouffer, tout simplement. Si j'avais mon propre appartement, je serais probablement en train de dépérir.
Je suis une catastrophe aux fourneaux. On a su s'organiser. Arthur cuisine, Ayden fait la vaisselle et je
passe l'aspirateur. Le bon filon, en somme.
- Toi, jouer la fée du ménage ? Excuse-moi, mais j'ai du mal à le croire.
Le vin lui est monté aux joues et ses yeux pétillent. Je me retiens vraiment pour ne pas lui sauter
dessus. Si elle était une fille levée dans un bar, tout aurait été plus simple, alors que là je dois travailler
avec elle. Self control, Isaac.
- Je sais manier le « balai » comme personne.
Et soudain elle s'empourpre, puis avale une grande lampée de rouge. J'explose de rire en faisant
référence au sous-entendu lubrique et débarrasse la table. J'essaye de me rappeler la dernière fois où j'ai
pris le temps de dîner avec une femme avant de la sauter mais rien à faire, je ne m'en souviens pas. Je
dois vraiment changer mes habitudes si je veux envisager de me caser un jour. Je ne pourrais pas être un
connard briseur de cœurs toute ma vie.
- Tu sais, je n'imaginais pas que tu étais le genre de mec à mettre des bougies sur la table, et ouvrir
la bouteille en avance. Merci, j'apprécie.
Sa voix tremble légèrement mais ses yeux gris bleutés me confirment qu'elle est sincère.
La première fois que je l'ai vue dans ce hall d’accueil, j'ai d'abord pensé que j'avais affaire à une
folle. Elle m'observait sans jamais ouvrir la bouche ou juste pour m'engueuler. J'ai pris un plaisir vicieux
à la pousser à bout. Et un soir, Arthur m'a conseillé d'arrêter de jouer au con. Je m'étais déjà fait jeter de
plusieurs entretiens à cause de mon assurance envahissante. Alors, j'ai pris mon courage à deux mains
afin d'ôter le masque. Je suis doué à ce jeu-là, mais à ce que j'ai pu voir, Joy l'est davantage.
Je lui sers un café et me rends compte que la soirée touche déjà à sa fin. Merde, j'apprécie vraiment
sa compagnie. Elle est charmante et elle peut être drôle quand elle s'y met. Son manque d'expérience la
rend encore plus intéressante.
- Au fait, tu ne m'as jamais répondu. Pourquoi es-tu partie si rapidement quand tu nous as vus, Ély et
moi ? Ça te gêne ?
J'attends la vraie réponse. Aucune de celles que j'ai pues obtenir jusque-là me satisfait. Je veux être
certain que je ne me fais pas d'illusion et que je ne suis pas à côté de la plaque. Je la regarde hausser les
sourcils, hésiter. Ses mains caressent nerveusement ses cuisses.
Si tu savais ce que je pourrais faire à tes cuisses, putain...
Ma queue commence à prendre possession de mon cerveau et je sens que je peux déraper à tout
moment. Elle est trop bandante et j'ai envie de me vider les couilles.
Elle allait me répondre, sa bouche était entrouverte, mais encore une fois nous sommes interrompus.
Ayden entre dans le salon et me lance un clin d’œil entendu. Il se dirige droit vers Joy et la mate sans
aucune retenue. J'ai horreur de ça, il sait pourtant que je ne suis pas partageur.
- Salut, moi c'est Ayden et tu es... ?
- Joy. Joy Cohen.
Ça y est, elle recommence avec ses monosyllabes. J'ai passé des heures à la travailler au corps, faire
en sorte qu'elle se détende et il a fallu que mon foutu colocataire rentre un peu trop tôt. Fais chier !
- Tu es celle avec qui Isaac bosse c'est ça ?
Elle hoche la tête. Voilà qu'on a retrouvé la muette. Je la sens prête à prendre ses jambes à son cou.
Joy manque d'assurance et me communique son mal-être en plongeant son regard dans le mien.
- Elle allait partir, justement, je tranche d'un ton sec.
Surprise, peut-être un peu vexée que j'écourte les présentations à ce point, elle ne dit plus un mot
devant mon ami. Elle attrape son manteau et descend les escaliers à une vitesse fulgurante. Comment
arrive-t-elle à marcher avec ces échasses sans se casser la cheville ? Je tente de la retenir, néanmoins je
sais d'avance que mon plan va échouer.
- Laisse-moi te raccompagner chez toi.
- Non merci, je vais continuer à pied. Va retrouver ton colocataire.
- Joy, attends s'il te plaît.
Je la rattrape par le bras et la tire un peu plus près de moi. Je me concentre sur ce que je dois dire
pour ne pas laisser ma bite guider mes actes. Les nanas sont toutes les mêmes, elles attendent les fleurs et
les chocolats. Ce qu'elles aiment par-dessus tout, ce sont les conneries du type : « j'ai passé la meilleure
soirée de ma vie en ta compagnie », même si cette dernière était tout bonnement affreuse. J'opte pour le
discours le plus soft et le plus court possible. Joy ne doit pas se sentir agressée ou elle fuira sans
demander son reste.
- Merci d'être venue.
La froideur qu'exprimait son regard il y a quelques minutes à peine semble s'être dissipée. La femme
joyeuse et joueuse est de retour. Comment peut-elle changer si vite de comportement ? Toute cette histoire
me semble insensée. À part être lunatique, je ne vois aucune autre option. Elle me lance un signe de la
main et s'éloigne doucement. Je reste comme un con en l'observant traverser la route. Fou ou stupide,
allez savoir, je refuse de la laisser filer comme ça, surtout après ce soir. Je commence à courir en sa
direction et quand je l'aperçois parmi la foule je crie son nom. Elle me fusille du regard, comme si j'étais
le plus gros abruti de la Terre d'attirer les regards vers nous, mais je m'en fous. Je scrute les passants, de
moins en moins nombreux, et la rapproche du mur. Elle se laisse diriger, comme toutes les autres fois. Le
froid est si intense que de la buée sort de ma bouche. Je fais probablement une erreur, cependant si je
n'agis pas, ce sera pire. J'aurais eu l'impression de louper le coche.
Je pose mes lèvres dans son cou et je sens tout son être trembler. C'est donc vrai, elle n'a aucune
expérience. Je respire l'odeur de ses cheveux et joue avec quelques mèches pendant que je continue mon
assaut langoureux. Je l'embrasse sur la mâchoire inférieure, derrière l'oreille. Elle manque de se liquéfier
dans mes bras à chaque seconde qui passe et s’éternise entre nous. Et moi putain, je bande comme un ado.
Ce ne sont même pas des préliminaires que je suis déjà en rut. Je me recule de quelques centimètres pour
lui laisser de l'air et la contemple une seconde. Elle fixe ma bouche avec attention. Je crois voir
apparaître le désir naître au fond de ses yeux. Ma queue se tend encore plus dans mon pantalon et je sais
que malgré toutes les guerres qui explosent dans mon cerveau, je vais l'embrasser ce soir. Je m'approche
à nouveau et elle est terrifiée. Je pose mes lèvres sur son menton. Comme elle sent bon... Je ne manque
pas de me frotter un peu à son entrejambe et l'entends gémir. Bordel, c'est peut-être la première fois
qu'elle halète et je suis le seul responsable. Elle tremble toujours comme une feuille et après de longues
minutes de torture, je cède. J'entame une danse sensuelle avec sa bouche pulpeuse. Doucement au début,
puis elle prend le rythme. Ses bras sont ballants contre son corps, mais je ressens tout le plaisir qu'elle
prend grâce à la chaleur qu'elle émane. Je passe la main dans ses cheveux et mordille sa lèvre inférieure.
Ses yeux sont clos quand je m'écarte.
- Je voulais te dire que j'étais vraiment content que tu sois venue. Bonne nuit, Joy.
Elle me grogne un "ouais", se racle la gorge et s'en va, la démarche mal assurée. Je profite de mon
garde à vous pour fumer une clope. Pas la peine de me montrer aussi enjoué face à tout le monde. Je vais
sans doute passer ma nuit à me demander si j'ai bien fait ou pas, vers quoi notre relation va maintenant
évoluer, mais il fallait que j'agisse. Quand je l'ai vue arriver avec ce petit sourire en coin et ses jambes
longues à n'en plus finir, j'ai compris que j'étais foutu. Si toutes les femelles qui ont un beau corps me
plaisent habituellement, elle possède ce petit truc irrésistible qui m'empêche de garder les idées claires.
Vraiment, j'éprouve le sentiment inexplicable que dans tous les cas, je devais le faire.
En rentrant, Ayden est assis sur le canapé et me jauge un peu trop longtemps à mon goût.
- Alors, tu te l'es tapée ? Sinon, je suis volontaire. Je ne sais pas comment tu peux réussir à travailler
avec ÇA toute la journée à côté sans la sauter.
- Ta gueule, Ayden.
Il se marre et je m'enferme dans ma chambre. Ce soir-là, je me branle deux fois, mais je n'arrive
toujours pas à me la sortir de la tête. Je repense à son cul moulé dans cet ensemble ivoire, son décolleté
indécent et sa bouche sur la mienne sans parvenir à dormir. Et ce n'est qu'à l'aurore que je comprends ce
qu'il m'arrive.
Je suis indéniablement attiré par Joy.
Chapitre 21

Ma bouche picote et j'ai beau frotter mon visage ou me pincer les avant-bras, cette sensation ne se
dissipe pas. Je m'analyse dans le miroir, confuse. Mon index frôle une nouvelle fois cette lèvre inférieure.
Je suis prise de frissons à ce contact. La femme qui m'observe se comporte différemment de celle d'hier.
Elle est ressortie de cette journée grandie. Plus heureuse aussi.
Ce matin même, mon meilleur ami faisait ce dont je rêvais depuis des années, il m'embrassait. Il m'a
également avoué à demi-mots qu'il aimerait essayer quelque chose avec moi. Et si j'étais finalement prête
à vivre une histoire d'amour, moi aussi ? Si je ne fantasmais plus ? J'ai peur de mal me comporter, de
blesser mon partenaire. Ceci explique sans doute pourquoi je n'ai jamais vraiment cherché à me caser. Du
moins, jusqu'à aujourd'hui. Après tout, quel homme supporterait une femme qui a besoin d'autant
d'indépendance ? Au bout de quelques mois, il se lasserait probablement. Mais Liam est différent. Il me
connaît par cœur et agit toujours dans mon intérêt.
Puis, bien sûr, il y a ma soirée avec Isaac. Je ne m'attendais pas à ce que tout se passe si bien. Je me
rappelle encore de ce rêve fait quelques jours après ma rencontre avec lui. Je souhaitais qu'il me touche,
goûte ma peau. La fiction est devenue réalité et, en quelques secondes, les sensations se sont décuplées.
J'ai enfin compris ce que signifiait le mot désir. Sentir sa virilité palpiter contre mon bas ventre me
donnait envie d'aller plus loin. Je n'ai pas agi et je regrette presque de ne pas avoir profité davantage de
l'instant magique qu'il m'a offert.
Je m'assois sur mon lit et sors une tablette de chocolat de ma table de chevet. J'avale carré par carré,
essayant de remettre mes idées en place. L'excitation me gagne et mon cerveau tourne à plein régime.
Après l'envoûtement, il faut penser aux conséquences. « Toute magie a un prix », dit Rumpelstiltskin dans
Once Upon a Time. Il a raison.
Liam ou Isaac ? Isaac ou Liam ? Je dois parler aux deux de ce qui s'est passé avec l'autre. Sans ça, je
vais finir par perdre la tête. Et Ély, la seule personne capable de m'aider à y voir clair dans cette situation
refuse de me parler. Bien ma veine. La traiter de salope n'était peut-être pas l'idée du siècle, en fin de
compte. Ça m'aurait été utile de ne pas avoir de langue pour une fois.
Je tente de me ressaisir, d'enclencher un film pour me changer les idées mais dès que mes paupières
se ferment ne serait-ce qu'un peu, les visages des deux personnes qui occupent une place primordiale
dans mon cœur m'apparaissent tour à tour.
Et voilà que désormais, je culpabilise. J'aurais dû faire comprendre à Liam qu'Isaac me plaît plus
que je le lui ai laissé croire, et à Isaac que Liam m'avait embrassée ce matin. L'un des deux aurait sans
doute influencé ma décision en prononçant la phrase de trop ou en s'énervant plus que nécessaire. Mais
là, impossible de trancher.
Quand, aux aurores, le sommeil semble arriver, je suis soudain prise d'une idée lumineuse. Ma mère
me disait toujours : "Si tu n'arrives pas à choisir, fais des listes. Des pour, des contre. Tu pourras ensuite
résoudre tous tes problèmes".
J'attrape un morceau de papier qui traîne, un crayon et réalise mon tableau à la hâte. Je souris
intérieurement car mon attitude ressemble étrangement à celle d'une adolescente qui choisit sa robe pour
la fête de fin d'année, mais tant pis, je commence à écrire.
Isaac, POUR : Il est beau, avec lui, je ressens des choses insolites, son humour particulier me
charme.
Isaac, CONTRE : Son arrogance, baise tout ce qui bouge, Ély l'aime bien.
Liam, POUR : Nous sommes meilleurs amis depuis longtemps, j'ai toujours rêvé d'être avec lui,
notre passion pour le cinéma nous rassemble.
Liam, CONTRE : Je ne veux pas briser notre amitié, il me connaît trop bien, il a un cœur d'artichaut.
Un, deux, trois défauts. Pourquoi faut-il qu'ils soient ex-aequo ? La frustration me tord le ventre. Mon
réveil sonne et je n'ai pas fermé l'œil. Aujourd'hui sera un autre jour. Je vais saisir le taureau par les
couilles ! Ou ne serait-ce pas plutôt par les cornes ? Je m'en fiche, je m'autorise cet écart.
Je prends la douche la plus rapide de toute mon existence, enfile un tailleur pantalon que je n'avais
encore jamais porté, me maquille très légèrement et choisis ma paire de talons porte-bonheur. J'ai vingt
minutes d'avance, mais il faut que je passe quelque part avant d'aller au travail. Je trottine jusqu'à son
appartement et arrive dans le hall, totalement essoufflée. On dirait que le chocolat de la veille pèse sur
mon arrière-train.
Je frappe comme une folle furieuse, sonne plusieurs fois. Je tends l'oreille et perçois un fond
musical. Je sais qu'elle est là. Au bout de cinq longues minutes d'attente, Ély ouvre la porte avant de me la
claquer au nez. J'avais légèrement oublié à quel point elle pouvait se montrer rancunière. Bon, il va
falloir attaquer autrement et mettre les petits plats dans les grands. Malgré le mur qui nous sépare, je sors
mon baratin.
- Ély, tu ne veux pas me voir, très bien, je le comprends. J'aurais dû t'avouer mon attirance pour Isaac
dès le départ. J'en suis désolée. Oui, il me plaît et j'ai peut-être bien envie de tenter quelque chose avec
lui, d'accord ? Et savoir que tu as couché avec mon auteur me rend hargneuse. Je peux te pardonner, mais
pour ça, il faut que tu m'ouvres. Nous devons parler, s'il te plaît.
- Va-t’en ! La « salope » aimerait que tu dégages de son palier pour qu'elle puisse partir bosser !
- Je ne bougerai pas d'un seul cil tant que tu ne m'auras pas écoutée entièrement. J'ai été stupide, je
dois me racheter. Et si tu me laisses entrer, tu découvriras que je t'ai apporté les muffins que tu adores,
ceux aux myrtilles !
J'entends la radio s'éteindre, une chaise crisser contre le sol, suivie de ronchonnements. La
connaissant, elle doit être en train de se demander comment se débarrasser de moi de manière efficace.
Mais elle me surprend en sortant et se confrontant à mon regard.
- Qu'est-ce que tu veux ?
- Tu plaisantes ? Je viens m'excuser et tu le sais tout aussi bien que moi. Mes mots ont dépassé ma
pensée. J'ai déconné, terriblement merdé.
- Donc tu l'aimes vraiment bien, hein ? Dans ce cas-là, on va avoir un problème, Joy.
Je la dévisage, incrédule. Je ne comprends pas pourquoi son ton cassant me fiche autant la trouille.
Ély boude facilement, pendant de très longues périodes. Pourtant, elle ne s'est jamais montrée aussi froide
avec moi.
- Joy, au début mettre Isaac dans mon lit était un défi, une distraction comme une autre, mais les
choses ont pris de l'ampleur. C'est de ma faute si tu nous as vus, cet après-midi-là. Je lui ai envoyé un
message. J'avais envie de le revoir et il m'a envoyée chier. J'ai dû insister... Enfin, je dois t'admettre qu'il
me plaît beaucoup et que je suis d'ores et déjà très attachée à lui.
Son discours brille de sincérité. Une larme dévale le long de sa joue. Et je sens mon estomac se
comprimer.
Encore
et
encore.
La balance semble pencher du côté de Liam à vitesse grand V, mais mon inconscient me murmure de
me méfier de ces belles paroles. J'ai besoin de plus que ces aveux larmoyants pour m'assurer de ce que je
désire, de qui je veux. Isaac ne peut pas être mis sur la touche si facilement. Impossible de stopper mes
sentiments du jour au lendemain parce qu'Ély l'aime. Et quand bien même je le voudrais, je ne le pourrais
pas, je le vois tellement souvent...
- Je ne sais pas quoi te dire, Ély. J'aurais dû vider mon sac bien avant, nous n'en serions certainement
pas là aujourd'hui.
- Tu m'étonnes ! Et bien, il n'y a que deux solutions possibles. Soit on l'oublie toutes les deux, soit
c'est à celle qui remportera le gros lot.
Son sourire vicieux parle pour elle. La situation m'échappe et la conversation vire au vinaigre. Je
sens que je ne suis plus son amie, mais une vulgaire concurrente qu'elle rêve d'évincer à la première
occasion. Comme dans ces émissions type Koh-Lanta où le but est d'écraser tous les autres pour brandir
le totem. Ély veut voler le totem ! Et elle sait ce qu'elle fait en me proposant ce marché, elle me prouve
que je n'ai aucune chance.
- Qu'attends-tu, alors ? Veux-tu vraiment qu'on oublie toute notre amitié pour un mec ? Qu'on efface
tous ces moments vécus avec Liam pour une partie de jambes en l'air ?
Le palier me donne l'impression de rétrécir de seconde en seconde. Je joue ma relation avec ma
meilleure amie devant sa foutue porte d'entrée, des muffins en main. La journée prend une drôle de
tournure. Moi qui pensais arranger mes problèmes, à commencer par celui-ci, je crois que je me suis
fourrée le doigt dans l'œil. Je commence à étouffer, mon foulard me gratte et les yeux de la rousse
incendiaire face à moi reflètent tellement de tristesse que je flippe.
- Pas la peine de se décider maintenant, d'accord ? Ce serait bien qu'on prenne notre temps, chacune
de notre côté et qu'on mette les choses au clair plus tard. On pourrait se voir dans plusieurs jours et...
- Ce n'est pas nécessaire, me coupe-t-elle. Je sais ce que je veux, cela se résume à cinq petites
lettres : Isaac. Et tu ne te mettras pas au milieu de mon chemin. J'ai fait des efforts surhumains pour être
ton amie, Joy. J'ai laissé passer des crasses inimaginables, des choses que tu m'as dites, immondes, bien
au-delà du supportable. Aujourd'hui, tu dois savoir ce que je pense réellement. Je n'ai jamais eu beaucoup
d'amies filles parce que je n'aime pas déblatérer sur les nouveautés en mode ou produits de beauté. Avec
toi, c'était différent. À l'université, ça se passait plutôt bien et depuis, tu as changé. Tu es devenue une
sale peste qui ne se préoccupe que d'elle-même. Une égoïste de premier rang. Tu te sers de nos séances
ciné du vendredi pour te plaindre, non ? Si Liam s'en fiche, moi j'en ai ma claque de tout ça. Tu souhaites
qu'on s'occupe de ta petite personne, princesse Joy. Même Greg a du mal à te supporter, parfois. Si tu
envisages un avenir plus gai que rester seule, entourée de chats, remets-toi en question.
Sa crinière rouge feu se précipite dans les escaliers. Je suis sous le choc, les petits gâteaux toujours
serrés contre ma poitrine. Je sens une larme tomber sur ma main, puis plusieurs. Je m'assois sur le
paillasson d'Ély pendant que ma répartie légendaire semble s'être faite la malle. Je ne prends pas mon
téléphone pour l'insulter ni lui rendre la pareille, je me contente de relever une information capitale : elle
ne m'a jamais appréciée. Elle me trouve insupportable et ce, depuis des mois, des années peut-être. Si
pendant tout ce temps elle jouait un rôle, on peut lui décerner l'Oscar 2017, parce que, chapeau, son
numéro était parfait.
Le voisin sort, me lance un regard curieux et je lui offre les muffins, car je n'en ai plus besoin
maintenant. J'envoie un texto à Monsieur Badouk pour le prévenir de mes quelques minutes de retard et je
me pince pour reprendre constance. Je regagne la maison d'édition, en pestant contre cette sorcière qui
prétendait être ma meilleure amie. Celle à qui je me suis confiée plus d'une fois. Cela ne m'aide pas à
m'ouvrir aux autres. Je ne crois déjà pas en l'être humain et, au vu de la situation, ce n'est pas prêt de
s'arranger.
Installée à mon bureau, je divague. Ma fatigue me rattrape et je deviens exécrable. J'envoie bouler
tous ceux qui m'appellent ou viennent m'ennuyer pour des âneries. Au déjeuner, je décide de regarder mon
portable au cas où Ély s'excuserait, mais rien, c'était malheureusement bien réel. Je viens de perdre mon
unique amie. Je laisse mes doigts vagabonder dans mon répertoire et clique sur la seule personne à qui
j'ai - étrangement - envie de parler : Isaac.
- Joy, ça me fait plaisir que tu appelles. Tu vas bien ?
- Salut, je ne dirais pas que je vais « bien », mais je m'en contente. Je peux t'embêter un peu ou tu es
pressé ?
- Non, non, j'ai tout mon temps, que t'arrives-tu, Sainte Vierge ?
Même son surnom ne me fait pas sourire, c'est pour dire à quel point je ne suis pas dans mon assiette.
Je lui détaille la confrontation de ce matin, espérant qu'il prenne mon parti. Je l'entends soupirer à
plusieurs reprises, sans jamais m'interrompre pour autant. À la fin de ma révélation, un silence gênant
s'installe.
- Je comprends mieux pourquoi elle voulait me voir ce matin.
Et en une seule phrase, il réussit à m'anéantir. Car je sais très bien ce qui se cache sous ces quelques
mots. Si elle est passée chez lui, elle ne l'a pas uniquement salué. Impossible ! Je m'éloigne du combiné
en vitesse, comme s'il m'avait brûlée et j'envisage sérieusement de partir hiberner pour le reste de cette
saleté de journée.
Chapitre 22

Quoi de plus relaxant qu'un bain ? Un bain avec des bougies, du chocolat et un bon roman. Mais que
fait-on quand on n'a pas de baignoire ? Mes muscles sont tendus et mériteraient un massage. Ma tête est
sur le point d'exploser tant mon cœur bat dans mes tympans. Je n'ai pas mangé de repas digne de ce nom
depuis vingt-quatre heures et je meurs de faim. Soit, tout va mal ce soir.
Je me plonge sous le jet brûlant de la douche et finis par m'assoir sous celui-ci. Une première larme
coule. Puis une deuxième. La troisième ne tarde pas, et des dizaines d'autres viennent souiller mon visage.
J'aimerais aller mieux. J'ai pourtant tout essayé, mais aucune méthode ne semble fonctionner. J'ai même
envisagé des trucs débiles comme l'hypnose ou la prise d'huiles essentielles. Je dors de moins en moins.
Le manque de sommeil est trahi par mes grands cernes. Puis, bien sûr, je travaille trop. Excuse pitoyable
pour éviter de penser et devoir rester toute seule ici.
Depuis deux jours, je ne me reconnais plus. L'entente de mon prénom me fait presque sourire.
Joy. Je suis censée exprimer la joie. Mes parents ont choisi de m'appeler ainsi parce qu'après maints
essais, ma mère est enfin tombée enceinte. Et pour eux, cela a été merveilleux. Ils ont vu ce signe comme
un cadeau du ciel et, au choix de mon prénom, ils n'ont pas hésité une seconde, je serais leur joie au
quotidien, leur porte bonheur, leur Joy.
Je croyais avoir changé ces derniers temps. Mon reflet dans le miroir était celui d'une femme
épanouie, bien loin de l'image renvoyée l'année dernière. Mais depuis la révélation d'Ély, je suis
inconsolable. Personne n'a pris de mes nouvelles. Ni Isaac à qui j'ai raccroché au nez. Ni Liam, surchargé
par son travail cette semaine. Ni Greg, qui semble avoir oublié mon existence. Il se rappelle de moi
uniquement quand ça l'arrange. Je suis entièrement seule. Moi et mes livres. Les mots trop souvent
prononcés par mes proches me reviennent en mémoire : je vais pourrir seule. Peut-être que ça commence
aujourd'hui en fin de compte.
La fin de la semaine et le week-end ne sont pas meilleurs. Liam propose de me rendre visite pour
discuter et je lui propose de repousser ça au week-end prochain. Je n'ai pas la force de questionner mes
sentiments en ce moment. Le samedi matin, je vais travailler pour m'obliger à oublier tous les événements
passés. L'après-midi, j'enchaîne les films déprimants et pleure jusqu'à en perdre ma voix. Le dimanche, je
ne réponds pas à l'appel de ma mère qui m'invite à l'heure du thé, je préfère zapper et regarder Tellement
Vrai, Super Nanny ou Confessions Intimes. J'aime savoir qu'il y a pire situation que la mienne. En
quelque sorte, c'est rassurant.
Le lundi suivant, Monsieur Badouk s'inquiète tellement pour moi qu'il me demande de prendre
rendez-vous chez le médecin, ce qui ne m'enchante guère. Pourtant, à ma grande surprise, je l'écoute. Je
suppose que mon corps malmené me l'implore, inconsciemment.
- Mademoiselle Cohen, qu'est-ce qui vous amène ?
- Mon patron a voulu que je vienne consulter. Je ne dors quasiment pas depuis quelques temps, je ne
mange presque plus et impossible de trouver la motivation de me lever le matin.
- Vous êtes donc épuisée, vous dormez peu... Rencontrez-vous des problèmes au travail, ou dans
votre vie personnelle ? Y'a-t-il eu un événement qui pourrait expliquer votre état ?
Je le vois gratter son menton, comme s'il venait de sortir la chose la plus brillante de l'univers. Son
crayon en l'air, il s'apprête à griffonner son cahier au moindre mot que je vais sortir.
- En fait, oui. Une contrariété dans ma vie privée. Pensez-vous réellement que cela ait un lien avec
mon état actuel ? Ce ne serait pas plutôt les conséquences du manque de sommeil ?
Il rit, ce qui me met hors de moi et je commence à bouillir ardemment.
- Mademoiselle Cohen, vous avez tous les signes d'une déprime. Ce n'est pas un simple somnifère
qui règlera votre problème. Je pense qu'il vous faut une cure d'antidépresseurs et chasser toutes ces
mauvaises ondes de votre vie. Je vais vous fournir un arrêt de trois jours.
- Soixante-douze heures ? je m'étrangle. Inconcevable ! Vous savez, je dois rester disponible pour
nos auteurs sept jours sur sept...
- Et je vous donne un objectif, tranche-t-il : faire quelque chose qui vous fasse sourire, vous rende
heureuse, une fois par jour. On se revoit à ce moment-là et si vous avez réussi ce que je vous demande,
vous pourrez reprendre le travail. Dans le cas contraire, votre arrêt sera prolongé.
J'écarquille les yeux. Une déprime ? Ça existe vraiment ce truc ? Je croyais pouvoir m'en sortir en
regardant mes films préférés, m'épaulant de mes héros de romans et mes chansons favorites. J'ai vraiment
été négligente, sur ce coup. Quand j'y pense, c'est vrai que je me sens triste constamment. Je viens de
perdre une amie. Malgré tout, la situation m'affecte. Certes, je la déteste pour ses actes et ses gestes,
cependant, elle reste Ély, mon alter ego extravertie.
En sortant du cabinet médical, je passe à la maison d'édition pour tamponner mon arrêt de travail.
Mon supérieur est déçu, mais ravi de constater que j'ai suivi ses conseils. Je passe également un coup de
fil à Liam pour le lui annoncer et il semble aussi dubitatif que moi.
- Pourquoi il t'a mis en arrêt ? C'est grave ? Que se passe-t-il ? Je te sens tellement distante ces
derniers temps... Je m'inquiète, Joy, finit-il par avouer en soupirant.
- Tu me laisses quelques petites heures et je te raconte tout, je te le promets.
Sachant bien que je ne lui offre pas la possibilité de choisir, il accepte et je jure, sur la tête de
Quasimodo, de lui laisser un message plus tard, quand je sais qu'il ne pourra pas décrocher. Sur le
chemin du retour, je m'arrête à l'épicerie du coin pour m'acheter un pack de bières et des dizaines de
cochonneries. Il y a quelque temps, jamais je n'aurais osé, ne serait-ce que toucher ces bouteilles. Alors
qu’aujourd'hui j'ai la sensation que l'alcool, les oursons à la guimauve et les petits cachets blancs sont les
seules choses qui puissent me soulager.
Je m'installe sur le canapé en rentrant et allume la télévision. J'enclenche un nouvel épisode de
Dexter et commence à boire ma Guinness au goulot. Très vite, la tension de mes muscles s'estompe. Je me
sens bien plus légère. Puis, l'anxiété qui m'habitait devient amusement. Je commence à rire de la situation.
Je ne connais rien d'aussi libérateur. Avec les médicaments dans l'addition, je plane au-dessus de mes
problèmes. J'avale ce liquide ambré une nouvelle fois et jette la première canette à mes pieds. Le monde
tangue, la Terre tourne autour du soleil. Je me gave à n'en plus finir et prends conscience que je ne suis
pas seule dans cette épreuve. Si je le veux vraiment, je peux me faire aider pour aller mieux. Je laisse la
bière se dissiper tranquillement dans tout mon corps et semble trouver de nombreuses solutions à mes
soucis.
Ély ne veut plus être mon amie, très bien, j'en trouverai une autre qui me correspondra plus. Il ne faut
jamais rester sur un échec. Liam m'a embrassée. Je l'aime depuis toujours. Je veux essayer d'avoir un
rencard, ou plus avec lui. Isaac m'attire, mais son côté coureur de jupons me fout la trouille. Néanmoins,
je peux toujours le garder en tant qu'ami avec lequel je peux flirter de temps à autre, il n'y a pas de mal à
ça. Puis, Grégory me court sur le haricot, je l'envoie valser et, la prochaine fois qu'il aura besoin d'un
service, je ne serai pas là. Je ne suis pas la bonne poire qu'on appelle quand ça nous arrange : trop bonne,
trop conne, comme dit le proverbe ! Non pas que je sois spécialement bonne, mais conne, ça, c'est sûr !
À 17h30, quand je suis certaine que Liam est au cinéma, je dégaine mon téléphone. Je relis une
dernière fois le discours rédigé sur ma page Word pendant l'heure précédente, tout en espérant que ça ne
le fasse pas fuir à toutes jambes. Liam sait parfois se montrer immature.

Liam,
Je pense que tu n'as eu aucune nouvelle d'Ély depuis quelques jours, sinon tu serais au courant de
toute l'histoire. Tu sais que j'ai un petit béguin pour Isaac et qu'elle a couché avec lui, non ? Bref,
sous le coup de la colère, j'ai pris son geste pour de la trahison et je lui ai balancé des vacheries
vraiment insupportables. Alors, quand je me suis calmée, la première chose que j'ai faite, c’est d'aller
la voir pour m'excuser. Là-bas, je n'ai pas trouvé notre Ély mais une autre version d'elle, une que nous
ne connaissons pas. Seulement un clone méchant et égoïste. Elle s'est amusée à me lancer le défi de
gagner Isaac. Et elle a mis son plan à l'exécution le jour même. Aujourd'hui, je viens de comprendre
que je ne veux rien de tout ça. Je refuse de courir après un mec pour un jeu débile. J'aspire à être avec
quelqu'un avec qui je me sente bien tout le temps. Quelqu'un qui saura me traiter comme je pense le
mériter et qui comprendra ce que signifie vraiment être introvertie.
Liam, j'aimerais te proposer un rencard. Si ça ne colle pas, on arrête. Je ne sais pas ce
qu'annonce une relation sérieuse, ni même ce que ça implique vraiment. Pourtant j'ai envie d'essayer.
Avec toi. Samedi prochain, je te propose d'aller au cinéma. Rien que tous les deux. Nous pourrons
manger avant ou après, peu importe. J'aimerais faire comme si c'était la première fois qu'on se
rencontrait et oublier tout ce qu'on a pu traverser ensemble. Liam, s'il te plaît, dis-moi que tu n'as pas
changé d'avis. Envoie-moi un message, j'aurais trop honte pour te répondre, tu me connais, je suis
déjà rouge tomate en ce moment... Je t'embrasse, mon schtroumpf.

Je raccroche ce maudit téléphone et sens mon cœur battre plus vite. Et s'il ne voulait plus de moi ?
Qu'il me détestait d'avoir déclaré la guerre à Ély ? Il m'a déjà vue dans le pire des états, il ne supportera
probablement pas de vivre cela au quotidien. Bon sang, pourquoi l’ai-je invité à un rencard ? Et si ça
faisait tout foirer ? Les autres bouteilles de bières me narguent sur la table basse et j'en vide une seconde.
Au moins, le médecin sera fier de moi. En proposant à Liam de sortir en tête-à-tête samedi soir, je me
suis enfin sentie vivante.
Pas rassurée, mais vivante.

***

- Joy, on va établir le programme pour le reste du trimestre. Tu veux bien te joindre à nous ?
Monsieur Badouk est venu me chercher dans mon bureau et interrompt ma lecture pleine de suspens.
Je suis presque sûre que le héros va mourir à la fin, mais l'auteur est si imprévisible que je me trompe
peut-être. D’ailleurs, j'espère vraiment me tromper. La reprise du travail ce matin, m'enchante totalement.
Je me sens définitivement mieux dans ma peau. Durant mes trois journées de break, mes occupations se
sont résumées à dormir, nettoyer mon appartement, et aller sur des forums de discussions. J'ai rencontré
une fille sympathique avec qui le feeling passe plutôt bien. Elle habite à l'autre bout du pays, et pourtant,
je me sens plus proche d'elle que je ne l'ai jamais été de quiconque. Nous parlons sans cesse et ne pas
l'avoir vu physiquement au premier abord facilite grandement les choses. Du moins, pour moi. C'est à elle
que je me confie désormais. Je lui ai tout déballé. Elle m'a bien sûr conseillée de foncer avec Liam et de
reporter cette tenue mise avec Isaac, la combinaison. Pour ça aussi, je l'ai écoutée. Je l'ai déposée au
pressing pour qu'elle soit prête samedi.
Je rentre dans la salle de réunion et mon cœur s'arrête de battre quelques secondes lorsque je
m'aperçois qu'Isaac est assis dans les derniers rangs. Cette pièce ressemble presque à une classe de
collège quand on l'agence de la sorte, et je comprends enfin ce que signifiait le « programme du trimestre
». Ils veulent caler les salons du livre avec les auteurs. Génial ! Je suis surexcitée...
Je m'installe face à l'assemblée, en compagnie de mes collègues et nous sont présentés tous les
événements auxquels nous allons participer. Isaac devra se présenter à deux dates parisiennes dans les
prochains mois. Il poursuivra avec une tournée de dédicaces cet été, juste après la sortie officielle de son
roman. J'espère ne pas avoir à l'accompagner, mais je n'ose pas poser la question face à tous nos
collaborateurs. Ce serait me ridiculiser et je n'ai pas besoin de ça. La première fois que je les ai
rencontrés, je venais de me tâcher avec mon café et, en allant aux toilettes pour me nettoyer, des feuilles
de papier wc se sont collées sous mon escarpin. Parfois, ils se moquent encore.
À la fin de la réunion, bien que je déteste ça, je feins de traîner, de discutailler de la pluie et du beau
temps avec mon voisin de table. Je joue la comédie pour ne pas tomber nez à nez avec Isaac, toutefois, il
semble avoir compris mon manège et garde les yeux rivés sur moi. J'aimerais trouver un moyen d'éviter
cette confrontation mais à moins qu'un magicien me fasse disparaître, je ne vois aucune échappatoire. Je
pousse légèrement mon interlocuteur, le laissant en plan quand il commence à m'énoncer la couleur et la
forme du premier caca de son fils - oui, des gens parlent vraiment de ce genre de truc - et me dirige droit
vers Isaac. Quitte à l'affronter, autant gagner le bras de fer.
Chapitre 23

Je rejoins mon bureau et j'entends qu'il me suit. Nous n'échangeons pas un mot bien que je sente son
regard lourd de sens contre mon dos. Je prends position sur ma chaise, tandis qu’il s'installe face à moi.
J'enfile mes gants de boxe mentaux et m'apprête à me protéger de toute attaque. Il peut me jouer son plus
grand numéro avec ses yeux bleus, je ne succomberai pas.
- Salut.
- Salut, je répète.
- On va passer pas mal de temps ensemble, on dirait.
Il pointe du doigt son carnet posé sur ses cuisses. Mon regard suit le même chemin et, en sentant la
chaleur me monter aux joues, je reprends la contemplation de son visage presque parfait. Pourquoi fallait-
il que je commence à fixer son pénis ? Des images de notre soirée chez lui me reviennent sous forme de
flashs et j'ai déjà hâte de le voir partir pour respirer à nouveau. Cet homme face à moi me fait certes un
effet de dingue, mais il se tape ma meilleure amie tous les quatre matins. Difficile de savoir sur quel pied
danser.
- Tu sors avec Ély ? je lâche, sans filtrer mes pensées.
- Tu me connais mieux que ça, tu sais très bien que je ne fréquente personne.
Chaque petit objet présent sur mon bureau semble avoir un intérêt soudain pour lui. L'agrafeuse. Un
stylo. Oh, mon rouleau de scotch... On dirait qu'il veut me confier quelque chose et qu'il se retient. Tant
pis pour lui, je considère ça comme un acte manqué. Ne voulant pas m'étendre sur un sujet fâcheux, je
commence à parler travail. Rien ne peut me perdre si l'on discute des futures sorties à prévoir.
- Pour le salon du livre à Paris, nous nous retrouverons sur place. Nous n'aurons pas à nous
supporter durant le trajet en taxi.
- Mais qu'est-ce qu'il te prend à la fin, putain ? On passe une bonne soirée, enfin c'est ce que j'ai cru.
Je t'embrasse, tu te barres. Tu me rappelles le lendemain et me raccroche à la gueule. Tu veux quoi, Joy ?
Me pousser à bout ? Que je passe mon temps à penser à toi ? Parce que si c'est le cas, bravo, tu as gagné
championne... C'est déjà fait.
Abasourdie. Choquée peut-être. Je ne saurais absolument pas décrire mon état actuel. Mes jambes
tremblent et je regrette presque d'avoir vidé mon pack de bières. J'aurais grandement besoin d'un
remontant. Isaac se balance sur sa chaise et bien qu'en apparence calme, je le sens hargneux. Il m'en veut.
Le comble ! Il se tape Ély et il fait la gueule. On aura tout vu !
- J'ai raccroché ce téléphone parce que, comme tu le sais, le matin même j'ai eu une altercation avec
Ély. Tu n'es pas le genre de mec à accueillir une fille pour qu'elle te pleure sur l'épaule, n'est-ce pas ? Je
sais que tu as baisé avec elle, Isaac.
Il se lève et s'approche de moi tellement rapidement que je n'ai pas le temps de bouger de mon siège.
- Quand bien même je l'ai baisée comme tu dis, en quoi ça devrait te gêner, Joy ? Hein ? Et
d'ailleurs, quel genre de mec je suis ? Développe. Cela m’intéresse.
- Le genre qui se tape tout ce qui bouge, qui aime les coups d'un soir et qui me chauffe pour s'amuser,
je hurle presque mes derniers mots.
- Tu n'as vraiment rien compris, ma parole. Joy, j'en avais envie. Je ne joue pas avec toi. Et tu sais,
pour tout te dire, j'aimerais recommencer. Je ne vois pas ce que tu me reproches. Tu m'as déjà vu avec
quelqu'un d'autre ? Non ! Je n'ai couché qu'une fois avec Ély et, au fond de toi, tu le sais très bien. Elle est
passée l'autre matin mais jamais je n'aurais osé la toucher après ce qu'elle venait de me raconter. Je l'ai
foutue à la porte Sainte Vierge, je t'assure.
Ses yeux bleus sont devenus plus clairs. Mon épine dorsale se couvre de frissons et sa révélation
m'incite à lui sauter au cou. Une fois encore, sans poser de question, je me suis enfoncée dans ma
connerie. Les films que je m'invente au quotidien me perdront un jour. Il a donc repoussé Ély... Je jubile
tellement que je m'entends applaudir dans mon for intérieur.
Je reprends néanmoins ma casquette professionnelle et il le détecte immédiatement car il sort la pile
de documents qu'il vient de recevoir. Nous nous organisons pour les deux salons à venir, travaillons sur
des moyens de défense de son livre et Isaac me fait éclater de rire à plusieurs reprises. Premier vrai signe
d'amusement depuis quatre jours.
- Je ne peux pas changer de gueule, ce n'est pas de ma faute si je suis beau gosse et que j'attire toutes
les gonzesses, je n'ai rien demandé à ma mère !
- Arrête un peu, tu n'arriveras plus à passer les portes, bientôt. Sérieusement, je pense qu'il faut
miser sur la discrétion avant la publication de C'est quoi l'amour ? Comme ça, quand ton ouvrage sortira,
tu pourras exposer le personnage qui va avec. Les médias vont adorer...
- Joy ?
- Puis tu vois, le côté arrogant, les femmes en raffolent. Elles voudront toutes t'approcher et au
passage, achèteront un exemplaire. C'est bien le but, non ? Qu'il soit lu ?
- Joy, s'il te plait.
Alors que je marche en long et en large dans ce bureau pour lui exposer mes idées, il attrape un de
mes poignets et me tire si fort que j'atterris sur ses genoux. J'essaye de me relever, mais il maintient
fermement mes cuisses. Il touche mes cheveux, je crois même qu'il en inspire l'odeur. Qui fait ça hormis
les serials killers ? C'est flippant, non ? Ses lèvres commencent à titiller le lobe de mon oreille et je ne
réfrène pas le gémissement qui sort de ma bouche.
- J'aime travailler avec toi.
- Mmmh.
- J'en pince pour tes mèches brunes. Ton sourire. Et tu sens si bon.
- Mmmh.
Il continue l'exploration de mon cou, ma mâchoire. J'entends son doux rire remplir la pièce. Pourtant,
un je-ne-sais-quoi me ramène à la réalité. Mais qu'est-ce que je suis en train de faire, bordel ? Ça ne me
ressemble pas ! Mon bureau a une porte en verre teinté. On ne peut pas percevoir les détails comme dans
une fenêtre, cependant, on aperçoit très clairement les formes se dessiner. Et si mon patron passait dans le
couloir maintenant ? Ou qu'un de mes collègues entrait sans frapper ? Je commence à penser à Liam et
cette fois c'en est trop, je dois arrêter son manège.
- Isaac, je suis désolée, mais je ne peux pas batifoler avec toi. Nous faisons équipe et si je relis mon
contrat de travail, je suis certaine d'y trouver un aléa prohibant toute relation, de quelque nature que ce
soit, avec l'un de nos auteurs.
Il soupire et repousse ses mains de mon corps. Il n'est pas en colère comme j'aurais pensé qu'il le
serait. Il semble juste sincèrement déçu, presque blessé. Sa main droite frôle sa bouche et je tressaille.
Ce simple geste déclenche en moi un spasme incontrôlé. Pourquoi faut-il que je sois si faible quand il se
trouve à mes côtés ? J'avais promis que je ne flancherais pas et dès qu'il pose un seul doigt sur ma peau,
il me tripote à volonté. Quelle attitude puérile !
- Ne t'excuse pas, je n'aurais pas dû me laisser emporter. Je pensais que c'était ce que tu voulais. Tu
sais, j'aimerais réussir à lire en toi comme j'arrive à le faire avec n'importe quelle autre. Tu es
mystérieuse, Joy. Tellement différente.
Son pouce dessine le contour de mes lèvres et il se trouve désormais debout, près de moi, penché
au-dessus de mon visage. Je me retiens difficilement de plonger dans ses yeux azur et reste focalisée sur
son menton. C'est bien le menton, aucun risque de divaguer. Puis, tout le monde a un menton, non ? Sauf
qu'évidemment ses joues arborent cette barbe de trois jours qui appellent à la caresse, aux baisers.
J'inspire et me secoue intérieurement. Allez Joy, un peu de volonté. Tu as envie de chocolat, mais ne te
laisse pas tenter, tes réserves sont assez abondantes.
- En fait, je ne suis pas si étrange que cela, juste ce qu'on appelle être introvertie.
- Tu avais commencé à m'en parler en Belgique, je m’en souviens.
- D'ailleurs, je me pose une question, tu t'appelles véritablement Lincoln ?
J'ai lu plusieurs livres de psychologie tout au long de ma vie. Pour éviter un sujet, rien de tel que
dévier vers un autre, efficacité garantie. Et je l'admets, je suis assez curieuse. Ce nom de famille ne court
pas les rues en France. Alors qu'aux USA il y a des Lincoln à la pelle, dans l'hexagone, on croule plutôt
sous les Dupont, Martin, et compagnie.
- Non, je l'utilise uniquement pour mon pseudonyme. Je m'appelle bien Isaac, mais mon vrai nom de
famille est Coste. Isaac Coste. Je trouvais que Lincoln sonnait bien.
Nous terminons la conversation comme si rien ne venait de se passer, que je l'avais simplement
imaginé. Je lui dis au revoir et quand je m'installe à nouveau dans mon siège, je ferme les yeux quelques
secondes. Se sentir désirée, flirter avec lui... Je pourrais bien m'y habituer, après tout. Isaac me surprend
davantage chaque jour. Il me prouve que j'ai eu tort de le juger sur sa couverture. Habituellement, j'ouvre
le livre pour en découvrir l'intérieur. Il a été l'exception à la règle. Pour moi, il représentait parfaitement
l'auteur détraqué qui couchait à tout va pour se distraire. Finalement, son altruisme m'impressionne. Et
j'adore ça.
J'apprécie chaque moment passé en sa compagnie. Il me bouleverse, me met au défi. La sonnerie de
mon téléphone professionnel retentit et je redescends de mon nuage en deux secondes à peine.
- Avez-vous réussi à vous mettre d'accord avec Monsieur Lincoln ?
La voix de Monsieur Badouk transperce le combiné et je souris malgré moi. « Je m'appelle Isaac
Coste », a-t-il admis. Je réagis probablement de façon excessive, mais avoir cette information en ma
possession me donne l’impression d’être plus proche de lui. Cet aveu prouve qu'il me fait confiance.
- Oui, tout est réglé. Dans trois semaines, nous nous retrouverons directement sur place. Un camion
livrera les ouvrages la veille et j'irai sur les lieux pour la mise en place du stand.
- Bien, il me semble que vous soyez prête, Joy. Et félicitations pour votre entente qui semblait
pourtant bien compromise lors de nos premières réunions.
Il raccroche et me laisse étudier la situation. Je repense à cette rencontre épouvantable, la façon dont
les choses ont évolué. Je ne sais pas ce qu’il s'est passé avant la Belgique, mais il y a forcément eu un
événement déclencheur pour que son comportement change à ce point. Un jour viendra, j'oserai lui poser
la question. Il me sera impossible de rester dans l'ignorance toute ma vie. Cela pique bien trop ma
curiosité.

En rentrant chez moi, je tombe nez à nez avec ma porte ouverte. Je commence à prendre peur : ai-je
oublié de la verrouiller ce matin en partant ? Je suis plutôt parano depuis que mes parents se sont fait
cambrioler quand j'étais jeune, mais, après tout, c'est possible. Probable. Éventuel. En pénétrant à
l'intérieur, je récupère mon parapluie et m'en sers comme une arme. Si quelqu'un se trouve à l'intérieur, je
pourrai toujours lui refaire le portrait ou lui arracher un œil. Mais quand j'arrive au milieu du salon, je
comprends que je m'étais bien trompée face aux intentions de mon pseudo-cambrioleur.
Chapitre 24

Des pétales de roses rouges sont disposés partout dans mon appartement. Je peux sentir l'odeur du
gâteau au chocolat à des kilomètres. Les bougies, parfaitement disposées donnent un air romantique à la
pièce. Il y a aussi des petits mots partout. Sur le frigidaire, le four, le canapé. Je les attrape tous avant
même de vérifier leur provenance. Je préfère avoir la surprise à la fin. J'effleure les boutons de roses un
par un, les yeux pétillants. On ne m'a jamais rien concocté de la sorte et ça me fait du bien, je crois. Ne
plus être la fille bizarre, mais celle dont on s'occupe et se soucie.
Les post-it en main, je m'assois sur le canapé et les découvre, impatiente.

Joy, ce soir je te propose de ne pas cuisiner du tout.


Dans ce frigo, tu trouveras le plat principal.
Réchauffe les crevettes thaï 2 minutes au micro-ondes.
Le dessert est dans le four, allume-le dix minutes avant de le manger.
Un de tes films préférés se trouve dans le lecteur, tu n'as qu'à allumer ta télévision et appuyer sur
Play.
Ah, et tu as quelqu'un que tu adores qui t'attend dans ta pièce préférée...

À la lecture de ce message, je me précipite jusqu'à ma chambre, où, cette fois, la porte est fermée. Je
ne sais pas ce que je vais y trouver. Tout a été tapé à l'ordinateur, impossible d'identifier l'écriture de
ladite personne. Je prendre une grande lampée d'air et pose ma main sur la poignée. De l'autre côté,
j'entends une respiration s'accélérer. Jamais, je n'aurais cru pouvoir me sentir si stressée par une surprise.
Et si la personne qui se trouvait derrière ces murs me décevait ? Et si c'était Ély qui faisait une jolie mise
en scène pour finalement glisser de la mort aux rats dans mon dessert ? À trois, j'ouvre.
Un.
Deux.
Trois.
Liam, assis au bord de mon lit, porte un pantalon de costume et une chemise claire. Ses doux yeux
noisette me scrutent avec une telle intensité que j'en suis toute chose. Ma première réaction est de
l'enlacer. La seconde, de passer ma main dans ses cheveux un peu trop longs et le serrer toujours plus fort
contre ma poitrine. Jamais je n'ai obtenu autant d'attention de la part de quelqu'un. Et j'avoue que les
derniers jours ont été si durs à vivre que, relâcher ainsi la pression me met en joie. Liam se tait et attend
que je prenne la parole, je le comprends dans son regard. Dans un besoin primitif, j'ose faire le premier
pas. Je l'embrasse à pleine bouche, laissant mes émotions me submerger. L'électricité flotte dans l'air.
Douce sensation d'apesanteur. L'adrénaline pulse dans tout mon être en réponse à cet instant de folie. Mon
bas-ventre se remplit de papillons et mon sexe se consume. Je le désire follement. Il semble surpris au
début, mais se laisse rapidement emporter par ma fougue. Il finit allongé sur moi, à même le sol.
- Bonsoir, belle étrangère. J'espère que tu as apprécié la surprise, mais on dirait que oui.
Je niche mon visage dans son cou, espérant avoir rêvé les dernières minutes, mais non je suis bel et
bien passée à l'acte. J'ai pris les devants. Mon corps s'en souviendra probablement toute sa vie. Mon
cœur aussi.
- Comment es-tu entré chez moi ?
- Le double des clés de Grégory, que crois-tu ? Mes sources sont fiables. Puis, les derniers temps ont
été difficiles j'avais envie que pour une fois, tu te relaxes. Ce soir, tu n'auras rien à faire, juste profiter du
repas et de moi. Si tu le veux bien...
- Évidemment que j'accepte, mon schtroumpf.
Il m'attrape par la main et m'entraîne sur le canapé. Il s'agite en cuisine en courant à droite et à
gauche. La situation m'amuse. Si on m'avait dit qu'un jour Liam cuisinerait pour moi, rien que pour le
plaisir, et que je lui sauterais dessus en retour, j'aurais éclaté de rire. Moi, Joy Cohen, oser franchir le
cap et embrasser mon meilleur ami ? À des moments, je me dis que c'est la meilleure des choses qui
puisse m'arriver, et à d'autres, je panique totalement. Quel sera le dénouement de cette histoire ? Serons-
nous toujours amis si ça devait ne pas fonctionner ? Et Isaac. Je vais devoir lui annoncer que je sors avec
Liam. Que nous formons un couple, pour de vrai. Quelque chose me signale qu'il n'appréciera pas
tellement...
- Trésor, j'espère que tu ne m'en voudras pas si le plat manque de saveurs. J'ai inventé la recette pour
les crevettes. Première fois que je cuisine thaï.
Je hoche la tête et suis servie comme une reine. Je pourrais apprécier tout ça. Liam m'attendant le
soir avec le dîner en train de mijoter. Dormir avec lui. Lui faire l'amour... L'aimer pour le reste de ma vie.
Je crois que c'est ce à quoi j'étais destinée. Une vie bien rangée, une maison de banlieue et un félin ou
deux.
En goûtant à son plat, je commence à me sentir nostalgique. J'essaye de ne rien laisser paraître mais
Liam ne détache pas ses yeux de moi, attendant probablement une réaction positive ou des remerciements.
Pourtant, la seule chose à laquelle je pense désormais est à ma soirée avec Isaac. Très mauvaise idée. Je
m'aventure sur une pente glissante. J'avais mangé la même chose. Ce n'était pas confectionné de ses
mains, mais les saveurs semblent identiques. Je dois parler à Liam. Immédiatement. Je ne peux pas lui
cacher plus longtemps. Si nous entamons une relation sérieuse, nous nous devons d'être honnêtes l'un
envers l'autre. Malheureusement, avant que j'ouvre la bouche, de peur de me dégonfler, il prend la parole.
- Tu ne vas pas apprécier ce que je vais te dire, mais j'ai vu Ély aujourd'hui.
Ma fourchette se pose dans mon assiette bruyamment et j'attends la suite. J'avale difficilement la
bouchée qui a désormais un goût de carton, et me retourne vers lui, avide d'informations.
- Elle regrette vraiment de t'avoir balancé toutes ces choses, tu sais ?
- Si elle s'en voulait à ce point, c'est auprès de moi qu'elle viendrait s'excuser, elle ne jouerait pas au
facteur. Elle a été odieuse, elle n'a pas le droit d'être triste maintenant.
- Accepterais-tu de discuter avec elle ? Elle a proposé que nous allions la retrouver, un soir de la
semaine prochaine, dans son bar. Tu lui manques, Joy.
Alors, elle me le prouve d'une drôle de façon... M'insulter, me détruire, pièce après pièce... Laissez-
moi rire. Je suis allée lui demander pardon alors qu'elle sait pertinemment que je ne le fais jamais. J'ai
apporté ses muffins favoris et elle m'a craché son venin à la figure. Selon moi, ce n'est pas le rôle d'une
amie. Nous avons trop de différences pour réussir à nous accorder. Point barre. Malgré tout, je dois
admettre qu'elle a été présente pendant mes pires périodes, et l'abandonner si simplement serait lâche.
- J'accepte la proposition, uniquement si tu viens avec moi. Et si on ne reste pas longtemps. Ce sera
un dernier essai. Si ça ne fonctionne pas, je laisse tomber. J'en ai assez de me battre pour des choses qui
n'en valent pas la peine.
- Tu voulais me dire un truc au fait ? Avant que je te parle d'Ély, tu étais drôlement pensive.
Mes muscles se retendent. Je suis obligée de lui avouer, n'est-ce pas ? Je pèse le pour et le contre
illico presto dans ma tête. Je refuse de lui mentir davantage. Il doit savoir qu'Isaac m'a embrassée et qu'il
a flirté avec moi, aujourd'hui. En revanche, je lui épargnerai les détails. Je dois juste être précise et
concise. J'inspire, j'expire, ferme les yeux et lâche ma bombe.
- J'ai dîné avec Isaac l'autre soir et nous nous sommes... bécotés. Je l'ai revu au bureau tout à l'heure.
Il m'a, en quelque sorte... fait du gringue.
Mon ami se crispe. Son visage s'agrémente d'une nouvelle teinte de rouge. Ses doigts se serrent et
une goutte de sueur perle sur sa tempe. J'observe la scène comme si elle se passait au ralenti ou qu'elle
était filmée en très gros plan. Il bout en silence et je ressens son envie d'hurler. L'arrogant ne lui a jamais
fait bonne impression et, maintenant, je lui annonce qu'il a posé sa bouche sur la mienne. J'attends qu'il
s'exprime, sans bouger d'un poil et continue à scruter ses réactions trahies par son visage.
- Lequel de vous deux a embrassé l'autre ?
- Quoi ?
- C'est lui qui t'a lavé les amygdales ou c'est toi qui as agi d'abord ? redemande-t-il en haussant le
ton.
- Il a fait le premier pas. C'était de son initiative, je t'assure. Tu me connais assez pour savoir que je
n'aurais jamais osé. Surtout avec lui.
- Et il a posé ses lèvres sur les tiennes, comme ça ?
Liam m'embrasse et je fonds dans ses bras. Bien que son baiser soit intentionnel et réalisé sous le
coup de la colère, il est plus doux que jamais.
- Il t'a touchée de cette façon ?
Il m'invite à m'assoir sur lui, à califourchon, et empoigne ma chute de reins. Sa main droite
s'aventure jusqu'à mon décolleté qu'il caresse du bout des doigts. Mes yeux s'enflamment et je retiens mes
gémissements en mordillant ma langue. Ses gestes se font brusques, presque trop, et quand il s'approche
dangereusement de mon sexe, je dis stop. La hargne parle pour lui. Il s'est laissé gagner par la rage qu'il
ressent envers Isaac, je le sais. Je m'oppose à ce qu'on me touche là, pour la première fois, dans de telles
conditions.
- Putain, Joy, excuse-moi. Je ne voulais pas aller si loin. Tu sais, je n'aime pas ce type. On dirait
qu'il te manipule ou joue un jeu sordide avec toi.
- Je travaille avec lui, ça s'arrête là.
- Et pourtant il t'embrasse, t'invite à dîner. Il rêve de te mettre dans son lit. Je ne lui ferais pas
confiance à ta place. Il est dangereux.
Ce que ne diraient pas les hommes sous le signe de la jalousie... Je choisis de ne pas suivre son
conseil. Je suis la seule à connaître Isaac dans son intégralité. Avec ses bons et ses mauvais côtés. Lui
aussi a une façade, un masque sous lequel il se cache. Et cette facette de sa personnalité, je ne la connais
que trop bien, puisque j'ai la même. Inutile de se méfier de lui, il a juste ses petits secrets, comme nous
tous.
Je décide qu'il est temps de lancer le film avant de gâcher la soirée. J'appuie sur play et reconnais
Charlie et la Chocolaterie avec Johnny Depp. Je lâche un baiser sur la joue de Liam et me blottis contre
lui. Très vite, je tue le silence.
- On sort toujours ensemble samedi ?
- Bien sûr, Trésor. On ne change pas nos plans. J'avais juste envie de te voir avant. Et tu sais, j'ai un
petit quelque chose à fêter avec toi. Le journal Libération m'a proposé de publier une critique par mois.
C'est géant, non ?
Je le scrute, les yeux écarquillés. Pourquoi n'en-a-t-il pas parlé plus tôt ? Mon ami aura son nom
dans l'un des quotidiens les plus lus du pays. Les choses évoluent, nous grandissons et nous nous posons.
Parfois, j'ai encore ce sentiment de n'avoir que dix-huit ans, d'être à peine assez âgée pour faire telle ou
telle chose. Mais j'ai vingt-quatre ans, je peux commencer mes repas par le dessert, lire toute la nuit et
boire des litres de cafés sans remord.
- Félicitations, Liam, c'est vraiment fantastique. J'achèterai chaque numéro où tu seras publié, je veux
garder ça dans mes archives personnelles.
Il glousse. Mon portable vibre et je découvre avec bonheur le compte-rendu de la journée de
Morgane, ma rencontre internet. Elle m'avoue s'être disputée avec son petit-ami et avoir le moral dans les
chaussettes. Je prends le temps de répondre en ayant toujours un œil sur le film, et lui raconte la surprise
de Liam en détail. Je lui admets mon coup de cœur pour cette soirée spéciale et admets enfin ce que je
pensais depuis quelques heures : « Je crois que ce soir, sera ma grande première dans le monde du sexe
».
Mon téléphone glisse sur le canapé et Liam comprend mon envie quand je le regarde fixement. Il
m'embrasse. Ce qui était doux tout à l'heure devient empressé. Je ne ressens plus les mêmes sensations
dans mon ventre, juste le besoin de le posséder tout entier. Il enlève sa chemise et, pour la première fois,
je vois mon ami d'un œil différent. Viril et sexy.
Chapitre 25

Le cou en vrac et un mal de crâne lancinant, j'observe la pièce autour de moi. Je suis encore sur le
canapé, Liam sous moi. Il ne porte que son boxer et moi, ma culotte. À cette vision, je deviens rouge
écarlate. Je me souviens des moindres détails de cette soirée endiablée. Je sens encore ses mains sur mon
ventre, sa bouche sur mes cuisses... Je me lève et marche sur la pointe des pieds jusqu'à la salle de bain.
Je n'ai finalement pas couché avec lui hier, mais c'est tout comme. Du moins, pour moi. Nous nous
sommes frottés l'un à l'autre, nous sommes touchés. Il m'a offert mon premier orgasme et je l'ai masturbé,
jusqu'à ce que son foutre s'étale sur mes doigts. Comme toute jeune femme qui se respecte - enfin, je
crois-, j'avais déjà lu des articles là-dessus, effectué des recherches. Pour autant, je ne suis pas sûre que
ça lui ait vraiment plu. On aurait dit qu'il aimait ça, au vu des gémissements qu'il lâchait dans mon cou,
mais je n'ai pas osé le lui demander de but en blanc. Ce matin, notre relation est différente. Je sens déjà
qu'elle a changé. J'oscille entre la honte et la joie : bon sang, qu'est-ce qu'on a fait ?
Je passe par ma chambre et enfile un peignoir douillet. Ma quasi nudité commence à me gêner. À
mon retour dans le salon, je prends le temps d'observer Liam qui dort toujours sur le canapé et espère
simplement ne pas avoir foutu en l'air notre amitié. Je ne m'en relèverais pas.
Le réveil n'a pas encore sonné, ce qui signifie que j'ai tout mon temps avant d'aller au travail. Alors,
j'enclenche la machine à café et ressors le gâteau au chocolat. J'entreprends même de confectionner une
salade de fruits. La bonne humeur chasse mes pensées négatives et me donne envie de prendre des
initiatives. La différence entre hier et aujourd'hui, c'est que tout me paraît plus beau, plus coloré.
M'apercevant que Liam dort encore, je décide d'aller prendre ma douche. Je chantonne, sifflote. Je
me sens guillerette. La pseudo-déprime semble bien loin maintenant. À croire que c'était une autre
personne, mon double maléfique, sans doute. Je choisis une robe rose, pour faire écho au printemps qui
arrive tranquillement. Quand j'arrive dans la cuisine quasiment trente minutes plus tard, Liam est assis sur
un des tabourets du bar. Son regard fatigué se perd dans la contemplation de sa tasse à café. Malgré cela,
ses traits sont détendus. Il esquisse même un semblant de sourire. Tout son être respire la sérénité.
- Bonjour, Trésor. Bien dormi ?
- Ton corps ressemble à un matelas un peu trop dur, mais ça va.
Mes yeux ont du mal à croiser les siens. Je ne sais pas de quelle façon agir. Dois-je l'embrasser ?
Faire comme si rien ne s'était passé ? Non, ce serait trop cruel et il penserait que je me suis servie de lui.
J'opte pour un baiser sur la joue et il me suffit de l'admirer un quart de seconde pour me rendre compte
qu'il est vraiment heureux.
- Tu te sens bien avec ce qu'on a fait hier soir, aucun regret ? Parce que moi, je n'en ai pas.
Je secoue la tête énergiquement. Comment peut-il croire que je regrette ? Je pensais avoir été claire
là-dessus quand mes hanches se sont mises à remuer contre mon gré. Que mes halètements ont déchiré
mes lèvres. Ou encore lorsque le raz-de-marée m'a ensevelie. Je n'avais jamais ressenti de telles
sensations. Celles de planer en même temps que d'être accrochée au sol. D'avoir ses idées concentrées en
un seul point. Vouloir une seule chose : la jouissance.
- Je ne vais pas tarder à partir, mon schtroumpf. Comme j'ai manqué plusieurs jours de travail, une
tonne de manuscrits m'attend. Ce matin, je serai tranquille dans les bureaux et je pourrai avancer. Tu fais
comme chez toi, d'accord ?
J'enfile ma paire d'escarpins, attrape mon sac, mon manteau et m'apprête à sortir quand un bras
musclé me retient.
- Tu ne t'enfuirais pas sans m'avoir souhaité une bonne journée ? Ce serait honteux !
Il adopte une mine offusquée et je ne peux m'empêcher de sourire. Il est vraiment craquant. Je ne
comprends pas comment j'ai pu contenir mes sentiments si longtemps. Il m'embrasse, doucement au début
et j'intensifie notre baiser en m'agrippant à ses cheveux. Ce que j'aime ses longues mèches brunes !
Beaucoup se sont moqués de lui et de ses bouclettes plus jeune alors que moi, je les ai toujours adorées.
Je descends l'escalier, enjouée. Je ne pourrais l'être plus que ce matin. Je viens de passer le meilleur
moment de ma vie, et savoir que c'était avec Liam me rassure. Car, depuis ma rencontre avec Isaac, j'ai
imaginé, même rêvé plusieurs fois qu'il serait le premier à me toucher. À me faire jouir. Mais son tableau
de chasse gigantesque et son expérience évidente m'auraient franchement mise mal à l'aise.
Mon vendredi se déroule au mieux. J'arrive à rattraper le retard pris en début de semaine et avancer
un projet en suspens depuis plus de deux mois. J'accepte l'invitation de mes collègues quant à déjeuner à
l'extérieur et, pour la première fois depuis un moment, j'arrive à discuter presque ouvertement. Beaucoup
me posent des questions sur mon absence et je réponds simplement que c'était un coup de froid. J'ai beau
m'ouvrir un peu, ce n'est pas une raison pour étaler mes soucis personnels. Liam m'envoie des messages
trop mignons tout au long de l'après-midi et Morgane m'informe qu'elle s'est réconciliée sous les draps
avec son chéri. Quand je rentre à l'appartement le soir, je suis repue. Le soleil de la journée c'était moi, et
j'ai réussi à briller comme je l'ai toujours souhaité.
La soirée se passe tout aussi bien. Je me prépare des tapas espagnoles, souvenir de Bruxelles et
d'Isaac, puis m'installe devant la télévision. Je m'endors à même le canapé après avoir tenté, en vain, de
reproduire les gestes de Liam qui m'ont fait tant de bien. J'avais envie de revivre ces sensations
fabuleuses, mais rien à faire, je n'arrive pas à lâcher prise quand c'est ma main qui s'aventure sous ma
ceinture.
Zzzzz. Zzzzz.
Est-ce mon imagination ou cette vibration existe réellement ? Bon sang, je recherche le coupable et
le trouve sous mes pieds. La luminosité est si forte que je suis obligée de plisser les yeux pour voir
quelque chose. J'ai de nombreux appels manqués de Grégory malgré l'heure tardive, et je pense
comprendre ce qu'il souhaite. Je rappelle même si ça ne m'enchante pas.
- Greg, pourquoi m’as-tu téléphoné ?
- J'ai besoin que tu viennes me chercher si tu ne veux pas que je prenne le volant. J'ai failli le faire,
tu sais. Mais qu'est-ce que tu foutais pour ne pas répondre ?
- Il est 3h45 du matin. Les gens normaux dorment à cette heure-ci, tu sais. Je ne suis pas en boîte tous
les vendredis soirs, Monsieur. Où te trouves-tu ?
- Le bar d'Ély. Dépêche.
Je ronchonne. Mon cousin sait se montrer indélicat dans certaines situations, notamment quand sa
patience s'amenuise. Il n'aime pas attendre. Mais qu'est-ce que j'y peux s'il décide de se saouler sans en
assumer les conséquences ? Il serait temps qu'il prenne de nouvelles responsabilités. Et bien évidemment,
il faut qu'il se trouve là où je n'ai absolument pas envie d'être. Je lisse ma robe, me recoiffe et sors ma
voiture du garage. Elle ne sert pas souvent, mais elle s'avère utile dans ce genre de situation.
J'arrive sur place en douze minutes chrono et le retrouve adossé au mur. Il est dans un piteux état, une
fois de plus. Si je ne l'aidais pas à marcher, il tomberait probablement par terre. Quelle inconscience de
se mettre dans des états pareils ! Je ne comprends pas pourquoi les gens trouvent ça si intéressant.
- Tu peux me ramener chez mes vieux, s'il te plaît ?
- Alors tu m'appelles en pleine nuit sans te soucier si je suis occupée ou non ? Et en plus, tu me
demandes de te conduire à l'autre bout de la ville, mais tu te fous de moi ? Finalement, je n'aurais même
pas dû venir. J'ai vécu une semaine horrible, tu n'as même pas demandé de mes nouvelles. J'ai eu ma
première aventure avec un garçon et tu t'en moques comme de l'an quarante. Tu préfères aller dans ce bar
avec cette traitresse qui me servait de meilleure amie ! Alors tu sais quoi, Greg ? Je vais te ramener chez
moi, tu dormiras sur le canapé que ça te plaise ou non. Quand tu auras compris qu'on ne boit pas si on
prend la voiture, on en reparlera.
Je laisse mon cousin, stoïque et complètement éméché s'installer sur le siège passager. Il est plus âgé
que moi, mais a parfois des réactions d'adolescents, comme ce soir. Je conduis, essayant de ne pas
m'énerver et l'observe décuver à côté. Ses yeux vitreux ne me disent rien qui vaille. Alors, je me mets à
prier pour qu'il ne vomisse pas.
- Joy, tu viens de m'avouer que tu as eu ta première aventure avec un mec ou je rêve ?
Je rougis de toutes parts. J'ai réagi au quart de tour, laissant tout sortir cependant, vu le taux d'alcool
dans son sang, je n'aurais jamais imaginé qu'il se souviendrait de quelque chose. Je monte le son de la
radio, mais il le baisse. Il me regarde victorieusement et attend que je parle. Je garde le silence jusqu'à ce
que l’on arrive dans le garage et cette fois, je n'ai plus le choix, il me coince.
- On ne partira pas d'ici tant que tu n'auras rien dit à Greg ! C'était qui ? Quand ? Comment ? Quelle
position ?
- Je t'en prie, je n'ai pas besoin de parler de ma vie sexuelle avec toi.
Je le devance, faisant mine d'être agacée, pourtant, au fond, son comportement m'amuse. Je me
souviens la première fois où il s'est pointé avec une fille. Je l'ai harcelé pendant des semaines pour
savoir s'il avait couché avec elle. Je voulais connaître ses sensations, ses ressentis... Greg est comme
mon frère et il me faut ses conseils avisés. Il a beau être un chieur né et me faire sortir de mes gonds
comme ce soir, il reste le membre de la famille que j'affectionne le plus.
Il monte les marches avec difficulté, et quand nous sommes arrivés en haut, il relance l'hameçon. À
priori, il veut en découdre. Il a décidé que je passerais à la casserole ce soir et tant qu'il n'aura pas ses
infos, il ne dormira pas. Je déverrouille la porte, puis pars chercher une couverture et un oreiller dans ma
chambre. En revenant dans le salon, il attend toujours sa réponse.
- C'était Liam, d'accord ? Hier soir.
- Et bien, il vous en aura fallu du temps, hein ! On peut dire que vous n'êtes pas tellement des
rapides... Si je poireautais, attends, ça fait quoi, douze ans que tu le connais ? Imagine si je me tapais une
nana par décennie, je deviendrais fou.
Il éclate de rire. Sous l'ampoule de la salle à manger, j'entrevois ses yeux rouges et embrumés. Ses
mains tremblent légèrement et ses jambes ne sont absolument pas stables. Les ravages de l'alcool, il
paraît. Je l'invite à s'installer dans le canapé pendant que je passe une tenue plus confortable pour dormir
et, quand je reviens pour lui souhaiter bonne nuit, il scrute son téléphone portable avec attention.
- Greg, pourquoi étais-tu dans le bar où travaille Ély ce soir ?
- Elle m'a raconté pour vous. Elle ne va pas vraiment bien depuis ce qu’il s'est passé. Tu devrais lui
accorder une autre chance, ça arrive à tout le monde de merder. Puis, j'avoue, j'avais envie de baiser.
Je lui donne un coup de coussin dans le nez et celui-ci dégénère en bataille de polochon. Cela fait
déjà deux fois que l’on me dit que je dois me rabibocher avec Ély. Je devrais sans doute le faire. Après
tout, sans elle, je n'aurais jamais pu surpasser la pire épreuve de ma vie. Pendant ma troisième année de
licence à l'université, mon père s'est retrouvé à l'hôpital à cause d'une entaille géante sur le bras. Le
diagnostic paraissait compromis. Il a été placé en coma artificiel pour qu'il ne souffre pas trop.
Seulement, plus les jours passaient et plus je pensais que je ne retrouverais jamais mon papa. Greg était à
l'étranger à l'époque et Liam en stage à Lyon. Ély me rendait visite chaque soir dans ma petite chambre
miteuse pour essayer de me divertir. Quand il s'est finalement réveillé, au bout de dix jours, j'ai réalisé la
place qu'elle prenait dans ma vie.
- Je dois la retrouver la semaine prochaine pour discuter. Ça te dirait de te joindre à nous ? Je crois
que ça faciliterait la tâche si tu nous accompagnais. Ély t'apprécie beaucoup. Tu pourrais tempérer, au cas
où...
- Ouais, pas de problème. D'ailleurs avec Liam, vous êtes une espèce de couple maintenant ?
demande-t-il, sincèrement intéressé.
- Je n'en sais fichtrement rien. On sort demain soir, j'espère qu'on pourra mettre la situation au clair.
Allez, dors l'alcoolique. Il est temps. Et ne compte pas sur moi pour que je fasse ton café demain matin,
j'irai courir.
Il hoche la tête et je pars retrouver le confort de mon lit. Sur mon portable, un nouveau message
d'Isaac plutôt intriguant m'attend. Et bien que mon cerveau me recommande de ne pas répondre, mon cœur
l'emporte.

[Est-ce que tu dors ?I.]

Je poursuis la conversation.

[Non, j'ai dû aller chercher mon cousin dans un bar, il était ivre. Que se passe-t-il ?]
[Ça te dit qu'on prenne un petit déjeuner ensemble, demain matin ?]
[Je vais courir, mais, après, si tu veux.]
[Dis-moi quand et où tu cours, je t'accompagnerai et on prendra quelque chose sur le chemin.
Besoin de te parler. Envie de te voir...]

Je relis son SMS plusieurs fois. Il a envie de me voir ? Je fonds alors que je ne devrais pas. Liam
mérite d'être tenu au courant de cet échange de textos. Cependant, la seule chose que j'arrive à faire avant
de m'enfoncer dans un profond sommeil, c'est de lui adresser une énième réponse.

[10h, devant Le café de Sacha. Bonne nuit, l'arrogant.]


Chapitre 26

Isaac

« Tu me plais et j'ai envie de sortir avec toi, rien à foutre de ce que dit ton contrat. » Non, trop
direct, elle va partir en courant. Si je tentais quelque chose de plus doux, que les femmes adorent, type : «
tu resplendis aujourd'hui, ça te dirait qu'on dîne ensemble un de ces soirs ? » C'est ringard, bordel !
Je donne un coup de poing au lavabo, ce qui me vaut une réflexion de la part de mes colocataires. Je
fixe mon reflet dans le miroir, las de toute cette merde. Ça me bouffe le cerveau de penser à une fille à ce
point. Il fallait qu'une tordue à la langue un peu trop pendue croise mon chemin pour que je devienne un
petit chien. J'ai envie de la voir, lui parler. Pire, j'attends ses messages et coups de fil. Quelle personne
suis-je devenue en la rencontrant ? Je me reconnais de moins en moins.
Cette nuit, l'idée de courir à ses côtés me semblait excellente. J'allais enfin la revoir, tout serait
parfait. Puis, j'ai réalisé que son petit cul moulé dans un jogging me narguerait pendant au moins une
heure. Que la voir transpirer me donnerait tant la trique que j’imaginerais sa sueur sur mes draps, ses
soupirs dans mon oreille et ses putains de cuisses écartées. Tout ça pour moi. Rien que pour ma personne.
Pour autant, si je ne veux pas passer pour le connard du siècle, il faut que je me rende à ce rendez-vous.
J'en suis l'instigateur. Ayden cogne contre la porte de la salle de bain depuis cinq minutes, me hurlant de
me dépêcher. Je dois être présentable et entretenir mon visage afin de lui plaire un minimum et ça, ça ne
prend pas un quart d'heure.
- Ta gueule, Ayden, il y a des matins où tu prends des douches tellement longues que je me demande
si tu ne t’astiques pas le manche sous l'eau chaude. Je ne dis rien, donc tu te détends, je lâche, en ouvrant
la porte.
Mon pote grommelle dans son coin tandis que je pars m'habiller dans ma chambre. Je sors le jogging
de compétition, celui qui sert à amadouer les filles quand je vais à la salle de sport et descends les
marches quatre à quatre quand je suis habillé.
Habituellement, le stress, je ne connais pas. Enfin si, de temps en temps, mais je ne le montre pas. À
la place, j'agis comme un merdeux. Là, planté tout seul au milieu du trottoir en face du Café de Sacha, tout
le monde me dévisage. J'ai la sensation que tous ces gens savent que la peur me noue le ventre. Je suis
terrifié à l'idée de la voir débarquer. J'imagine la tenue qu'elle pourrait porter, ce qu'elle va me dire. Je
n'ai toujours pas trouvé les bons mots à lui avouer mais tant pis, ça sortira au moment voulu, et surtout tel
que je le penserai sincèrement.
À 9h59 précisément, je jette un œil à droite, puis à gauche, à sa recherche. Le coin est tranquille,
mais la population parisienne tourne déjà à plein régime. Certains ont un panier dans la main, signe qu'ils
reviennent du marché, d'autres se baladent... Les observer m'amuse. Je me prends même à sourire
quelques fois. Lorsque j'ai l'impression que mon attente frôle le quart d'heure, je sors rageusement mon
téléphone de ma poche. Je sais que la ponctualité et elle ne font pas bon ménage, mais si elle ne veut pas
avoir ma mort sur la conscience, elle ferait mieux de se magner. Mon cœur tambourine sans que je ne
puisse rien y faire. Ma gorge ne cesse de s'assécher. Et je frissonne dès qu'une brune m'approche d'un peu
trop près. Si avoir des sentiments pour quelqu'un ressemble à ça au quotidien, je m'en passerai. Comment
osent-ils tous dire que c'est agréable ? Pitoyable serait plus adéquat !
Ce ne doit pas être ma journée puisqu'au moment précis où elle apparaît au loin, je me prends une
claque monumentale. Je détourne la tête et me retrouve face à une des filles que j'ai dû baiser il y a
quelques mois. Impossible de me souvenir de son prénom et la garce a de la poigne, je jongle.
- Tu m'avais promis que tu me rappellerais, j'attends toujours.
- Et tu pourras patienter encore longtemps parce que tu ne m'intéresses pas du tout. En fait, je ne me
souviens même pas de ton nom. On s'est croisé où, déjà ?
Vexée, elle repart dans la direction opposée. Joy qui a assisté à toute la scène s'approche
dangereusement et je commence à perdre constance. Sa proximité me déconcerte. Et surtout, elle est
magnifique. Ses longs cheveux bruns sont attachés en une queue de cheval parfaite. Elle n'arbore aucun
maquillage mais elle n'en a pas besoin, elle rayonne déjà.
- Je dois te saluer comme elle ou une simple bise suffit ? Parce que si tu veux une claque, dis-le-moi,
je peux te la donner. Il faut juste que je chauffe un peu ma main...
Je ne peux m'empêcher de sourire. Soit elle parle trop, soit pas assez. Elle n'a pas de juste milieu et
j'adore cette facette de sa personnalité. Elle se cache derrière un masque. Je sais qu'elle a souffert de
quelque chose, ou qu'elle souffre encore. Je le découvrirai un jour, je me le suis promis. Puis, quand Joy
pétille de bonheur, elle jacte à n'en plus finir. Ou alors peut-être que je lui fais cet effet ? Au fond, mon
ego espère que oui.
- Une bise ou un baiser, mais les baffes, non merci, j'ai eu ma dose.
Elle rougit immédiatement et je sens ma queue se contracter. Elle se comporte comme une petite
chose fragile et innocente en apparence, mais quand on creuse, on se rend compte que la délicatesse ne
lui colle pas à la peau. Joy est un char d'assaut qui écrase tout sur son passage quand on la blesse ou
qu'on l'attriste. Il suffit de se remémorer la façon dont elle a parlé à Ély devant moi la dernière fois. Je ne
la reconnaissais pas. J'avais l'impression qu'elle était habitée par une espère de force maléfique.
J'opte finalement pour un délicat baiser que je laisse trainer en longueur sur sa joue. Elle chancelle
au point de manquer de se faire écraser par une poussette. Je la rattrape vivement et la colle un peu plus
près de moi. Pire idée du siècle. Alerte, alerte. J'ai la gaule. Le jogging est certes confortable, néanmoins,
il ne cache quasiment rien... Je la serre contre mon cœur jusqu'à ce que j'arrive à me contrôler.
Simplissime, il me suffit de repenser à ma grand-tante Michelle, à ses longs manteaux en peau de mouton,
son odeur constante de friture, et son menton qui pique puis, je retombe direct. Mieux qu'un soufflé.
Silencieusement, nous commençons à courir l'un à côté de l'autre. Je ne suis pas certain que ce petit
tour matinal me libère l'esprit, car la savoir à côté de moi me perturbe plus que de raison. Son parfum
chatouille mes narines et j'aperçois ses seins bouger en rythme sous son t-shirt. Très déconcertant. Nous
adoptons une cadence commune et, au vu de l'allure à laquelle elle court, je comprends qu'elle s'exerce
souvent. Je n'ose pas entamer la discussion, la sentir si proche me gêne. Voilà que je deviens presque
timide. Cette constatation me fait sourire et c'est elle qui brise cet instant de paix. Fort heureusement
d'ailleurs, puisqu'il commençait à devenir pesant.
- Je croyais que tu voulais me voir pour me dire quelque chose, alors pourquoi tu ne parles pas ? Je
n'ai pas pris la peine d'apporter mon iPod mais vu ce silence, j'aurais peut-être dû.
- M’as-tu entendu prononcer quoi que ce soit qui aurait pu te mettre sur la voie que j'avais quelque
chose à t'annoncer ? Je devais être vraiment pété, hier soir.
Elle lève les yeux au ciel, presque offusquée. Je mens mal. Je pense qu'elle réalise que je lui raconte
des cracks, pourtant elle ne m'adresse aucune remarque désobligeante. Nous courons encore dix minutes
avant de décider de faire demi-tour. Elle tient le rythme, à peine fatiguée. Je me retiens pour ne pas
respirer comme un phoque. J'ai l'habitude de m'entraîner en salle, mais je ne me concentre jamais sur la
cardio. Disons que j'en abuse déjà... en chambre. Je regrette presque de l’avoir retrouvée, ici.
- As-tu hâte de commencer les salons du livre ?
- Je ne sais pas. Je n'y pense pas trop. Tant que mon roman ne sera pas sorti en librairies ou grandes
surfaces, je ne réaliserai pas.
J'ai prononcé ces mots dans un effort surhumain. Mes poumons me brûlent et un point de côté ne
tarde pas à poindre. Le café de Sacha me semble être à des kilomètres et le mental n'étant pas là, je
m'arrête net. Il me faut de l'air, je suffoque. Je ressens également le besoin de vider mon sac pour me
libérer d'un poids, mais je ne trouve toujours pas comment.
Je rejoins un banc en grimaçant et Joy éclate de rire en me voyant. Elle me mime un papi avec sa
canne et l'envie de lui donner une fessée cinglante me traverse l'esprit en un quart de seconde. Finalement,
elle vient s'installer près de moi et ne manque pas d'étirer chacun de ses muscles. Bras en l'air, jambes
tendues... Je jure que je tente de ne pas la dévisager, ni d'analyser chacune de ses courbes sexy,
cependant, lorsque son t-shirt se soulève légèrement, impossible de résister à la tentation.
Nous avons les yeux rivés sur la Seine et, alors que je me sens prêt à lui avouer mes sentiments, elle
ouvre la bouche. Je ronchonne dans ma barbe et réprime un juron.
- Ce serait bien qu'on arrête de se voir en dehors du contexte professionnel. Je ne sais pas ce que tu
veux me prouver en m'invitant à dîner ou m'accompagnant comme ce matin, mais je refuse d'être le dindon
de la farce. Et j'ai quelque chose à te confier...
Elle blêmit légèrement. Son sourire s'estompe, une ligne droite et fine le remplace. L'intensité de son
regard me prouve qu'elle est on ne peut plus sérieuse. Malgré tout, j'arrive à déceler une part de
mensonge dans ses gestes. Je suis presque sûr qu'elle m'aime bien et qu'elle voudrait me voir davantage.
En fait, je lui plais vraiment et la situation l'effraie.
- Liam et moi, on sort ensemble, maintenant.
À mon tour, je change de couleur. Je deviens même vert de jalousie. Sur le coup, j'encaisse, puis très
vite, je réagis. Je me lève de ce foutu banc et donne un coup de pied dans le caillou face à moi. Je la fais
sursauter, mais je n'en ai plus rien à foutre. Elle m'a autorisé à l'approcher, je commence à tomber
amoureux, ou peut-être est-ce déjà trop tard, et maintenant elle me ridiculise en m'avouant qu'elle couche
avec cette couille molle qui lui sert d'ami ? L'eau déborde du vase. Il faut que j'hurle, que je gueule.
- Tu m'as laissé t'embrasser, flirter avec toi pour me jeter comme un putain de mouchoir ? Tu veux
savoir ce que j'avais à te dire ? Je voulais essayer... des choses avec toi. Bordel, j'étais prêt à te payer un
foutu resto et même t'offrir des fleurs s'il le fallait. Quand ?
- Quand, quoi ? prononce-t-elle tout bas, terrorisée par mon excès de colère.
- Depuis quand dure ce petit manège ? Depuis quand te sers-tu de moi ? Ou plutôt devrais-je dire,
depuis quand te fous-tu de ma gueule ?
Je l'observe reposer son masque sur son visage à vitesse grand V, mais elle devrait savoir que ce
genre de choses ne marche pas avec moi. Je connais ces stratagèmes par cœur, je les utilise moi aussi.
- Je... Je ne savais pas Isaac, je suis désolée. Je ne voulais pas te blesser.
- Me blesser ? Mais tu n'es qu'un défi à mes yeux Joy, tout ce que je veux c'est la même chose
qu'avec les autres : te mettre dans mon lit. Ça te plairait que je te prenne contre la même porte que ta
copine, la rouquine ?
Soudainement, ma deuxième joue se fait agresser. Dans un seul geste, elle me montre toute la haine
qui pulse dans ses veines. Et je dévoile mon masque à moi, celui du connard arrogant qui obtient tout ce
qu'il veut. Elle m'abandonne à mon triste sort et repart en petites foulées.
La voilà la vérité sur l'amour. L'un aime l'autre trop fortement, et le deuxième pas assez. Il y a
toujours un déséquilibre dans la balance. Je commence déjà à m'en vouloir de lui avoir balancé des
cruautés pareilles, mais je ne dois pas céder. Il ne faut pas que je prenne mon téléphone pour l'appeler et
m'excuser. Ni la suivre. L'unique chose à faire désormais est de rentrer chez moi et mettre fin à toute cette
merde en l'oubliant. Elle ne veut pas de moi, très bien, j'en aurai une autre.
Chapitre 27

J'ai rarement eu aussi honte de ma vie. Isaac vient de me passer un savon face à des dizaines
d'étrangers. Lui, ne semblait pas plus attristé par la situation que ça. Au contraire, il s'amusait à me dire
ce que je craignais le plus depuis des semaines, je ne suis qu'une pièce dans un jeu sordide. Quand
j'arrive enfin devant ma porte, je sens mes yeux s’embuer : je vais pleurer.
Il a été ailleurs toute la matinée. Il restait silencieux à côté de moi, me jetant des coups d'œil furtifs
de temps à autre. Quel comportement étrange pour quelqu'un comme lui, qui a toujours quelque chose
d'intéressant à dire. J'étais stressée à l'idée de le revoir, terrorisée même, puis finalement voilà qu'il me
balance d'énormes grossièretés au visage. J'essaye de me consoler, me promettre que tout se passera bien.
Que rester calme et professionnelle résoudra tous mes soucis, cependant, je n'y arrive pas et me jette sur
la tablette de chocolat cachée dans le placard.
Je crache ma colère par tous mes pores, espérant qu'elle me quitte au plus vite. Ce soir, Liam a
annulé notre rendez-vous pour m'accompagner voir Ély au plus vite. « On doit résoudre les problèmes les
uns après les autres » m'a-t-il dit. Il n'a pas tort, pourtant, j'ai un mauvais pressentiment. Grégory sera là
lui aussi, histoire de m'encourager un peu. Je dois positiver, mais impossible d’y parvenir, de lâcher
prise. Ce jogging ne m'a pas détendue, il m'a rendue encore plus nerveuse. Je n'ai pas envie de revoir Ély
pour qu'elle me blesse davantage, je veux rester seule et manger des cochonneries.
Je traîne sur le canapé sans aucun objectif. Je finis par m'endormir vers midi devant les dessins
animés visionnés sur Gulli. Deux heures plus tard, mon appétit me réveille. Bien que j'aie englouti la
moitié de ma tablette Milka et des pleines poignées de dragibus, j'ai faim. Je grignote, dans le silence,
ressassant les mots blessants d'Isaac. J'hésite à lui téléphoner et me dis que finalement non, tant pis pour
lui. Je dois me focaliser sur mon travail et ma relation naissante avec Liam. Isaac n'est qu'une distraction
au milieu de tout ça. Un divertissement qui occupe une grande part de ma matière grise et cela doit
changer. N'est-ce pas ?
À dix-huit heures, j'envisage enfin de bouger de mon sofa. Je me prépare doucement pour aller
retrouver Liam au restaurant. J'enfile la combinaison ivoire, peins mes lèvres en rouge et m'applique à
maquiller mes yeux. J'attache mes cheveux en une jolie tresse et enfile mes talons rouges. Avec une
pochette lie de vin, l'ensemble est parfait.
Je retrouve mon ami, ou mon petit ami devrais-je plutôt dire (je ne me fais toujours pas à l’idée de
l'appeler comme ça, est-ce que ce sera plus facile avec le temps ?) en bas de mon immeuble et j'ai un
mouvement de recul. Il me semblait l'avoir vu dans tous les accoutrements possibles, mais son jean taille
basse et délavé combiné avec la chemise blanche cintrée me laisse bouche bée. Il n'hésite pas à me
complimenter avant d'approcher sa bouche de la mienne. J'essaye de me relaxer pour profiter au
maximum mais malgré tout, je suis sur les nerfs.
- Excuse-moi, mon schtroumpf. Toutefois, la revoir ne m'aide pas à me détendre. Je tente de me
concentrer pour ne pas lui arracher les cheveux.
- Tout va bien se passer, je serai là et ton cousin, aussi. On va passer une bonne soirée, je te le
promets.
- Ça, on verra bien. En attendant zou, une table nous attend !
J'entends le petit rire rauque de Liam derrière moi et il accélère le pas pour se retrouver à mon
niveau. Sa main attrape la mienne et non initié, mon cœur atterrit dans mon estomac. J'aime ce geste autant
qu'il me trouble. Il ressent mon léger malaise et s'agrippe encore plus fort à moi, comme pour me
rassurer. Nous nous rendons dans un petit italien cosy et peu cher. J'apprécie l'idée. Vivre seule a un
désavantage : la nourriture. Ne sachant jamais trop quoi cuisiner, je mange toujours les mêmes choses. On
en revient souvent aux pâtes et aux quiches.
Je commande un risotto tandis que mon interlocuteur opte pour une assiette de pâtes Carbonara. Je ne
dis pas un mot et observe les gens autour de nous. Les couples me font sourire intérieurement. Est-ce
qu'on ressemble à ça, nous aussi ? Un peu plus loin, deux personnes âgées dînent en tête à tête. Je devine
qu'ils sont mariés depuis longtemps lorsque la femme retire tendrement quelque chose du coin de la
bouche de son époux. Ce geste affectueux me chamboule presque. Ah l'amour...
- Pourquoi souris-tu ?
- Être là avec toi..., j'adore ça. Même si je vois les choses différemment, désormais.
- Et comment les vois-tu ? demande Liam, sérieusement intéressé.
- Maintenant, on est plus que des amis, c'est étrange et, pour être honnête, ça m'effraie. Comment agir
? De quel sujet parler ? Je ne connais pas tout ça. Suis-je censée te faire du pied ou te tripoter sous la
table, par exemple ?
Il éclate de rire si fort que deux tablées auprès de nous se retournent. Je hausse les épaules, confuse.
Un peu honteuse aussi, il faut l'avouer. Mais ce doux son angélique m'apaise un peu. Voir mon assiette
arriver aussi. J'ai l'estomac noué, mais il n'y a pas besoin d'avoir beaucoup d'appétit pour manger un
risotto.
- Je crois surtout que tu te prends trop la tête. Reste toi-même. La Joy que je connais me plaît, tu n'as
rien besoin de faire ou de dire en plus. Je t'assure, tu es parfaite.
Je ne l'écoute que d'une oreille, atteignant l'orgasme gustatif au même moment. Comment les italiens
font-ils pour cuisiner aussi bien ? Ce que j'ai dans mon assiette est si bon que j'ai presque envie d'en
commander une deuxième et de sauter le dessert. Le reste du repas, nous échangeons sur des banalités.
Avec le temps, j'ai appris à connaître toute sa famille et lui la mienne. Lorsque j'y repense, c'était presque
évident que ça se termine comme ça, qu'on soit ensemble un jour. On avait tout d'un couple sans le sexe et
les baisers langoureux. Nous étions très proches - trop proches nous expliquaient les gens -, pour que ce
soit innocent. Ils savaient déjà tous.
Quand vient l'heure de payer l'addition, la pression monte encore d'un cran. Je vais revoir Ély dans
peu de temps et j'ai peur que l'une de nous deux s'emporte, faisant souffrir l'autre encore plus. Comme à
mon habitude, je m'imagine des scénarios différents. L'indifférence, la colère, ou le regret. De toute façon,
seules ces trois options appartiennent au champ des possibles.
Liam, en homme attentionné, me propose d'aller prendre l'air avant de rejoindre le bar. Un vendeur
de roses nous aborde, et mon schtroumpf m'en offre une pour mon plus grand plaisir. Nous nous asseyons
sur un banc, face au canal St Martin et restons silencieux. Sous la pleine lune, le temps semble s'arrêter.
J'aime la nuit plus que le jour. Ça a toujours été le cas, je crois. Le ciel scintille de milliards de diamants
et surtout, nous sommes libres de tout. On peut faire des folies à la pelle, personne ne nous voit. Seule
cette immensité nous juge. Ce sentiment me bouleverse davantage ce soir. J'ai la sensation qu'on me
regarde, qu'on a envie de me remettre un message, mais rien ne vient jamais. Bien sûr, les cieux sont
muets. Ils nous scrutent, mais ne parlent pas.
Je meurs de froid, cependant ne dis rien. Je ne veux pas partir d'ici. Car quand on s'en ira, il faudra
affronter la vérité en face et je ne suis pas prête à remuer mes soucis. Ély a été la cause de ma déprime.
Sensation terrible que je rêve d'oublier à jamais. Pourtant, je sais que je dois bouger. Liam me scrute,
peut-être même qu'il a parlé, je ne sais pas, je n'ai pas entendu, trop absorbée par mon observation des
étoiles. Je prends mon courage à deux mains, pars chercher la force au plus profond de mon âme, et me
lève sous les yeux ébahis du beau brun à bouclettes.
- C'est le moment. Maintenant, ou jamais.
Il préfère ne rien dire et me tendre un écouteur. Sa playlist et la mienne se ressemblent vraiment
beaucoup. Seulement, je ne le remarque vraiment que ce soir. Queen et les Beatles enchaînent les plus
grands tubes de l'humanité tandis que nous nous approchons dangereusement du lieu maudit. Quand
j'aperçois la vieille enseigne bleue clignoter, la bile grimpe dans ma gorge. Nous y sommes. Mon
téléphone vibre dans mon sac. Grégory m'informe de son arrivée. Je suis encore plus stressée. Mon
avenir amical se joue dans un bar, le lieu que je déteste le plus. C'est sale, odorant et bruyant. Les chaises
sont abîmées par le nombre de paires de fesses qu'elles ont rencontrées depuis des années, les cacahuètes
sont rances, pleines d'urine et les verres dépareillés. Comment apprécier un tel endroit ?
J'entre, non sans mal, suivie de près par Liam qui ne me lâche jamais. J'apprécie son aide car, sans
lui, je me serais barrée vite fait. La voix de Sam Smith résonne contre les murs étriqués de ce pub miteux.
J'en viens à me demander pourquoi Ély travaille ici. Les hommes d'âge murs attablés sont habités d'un
regard quasi vicieux. Puis, en avançant un peu plus, je découvre une seconde salle, à l’intérieur de
laquelle des bandes d'amis jouent au billard ou au flipper. Deux atmosphères diamétralement opposées.
Nous nous installons dans un coin, déjà occupé par Grégory. Il sirote je ne sais quoi en gardant les yeux
fixés sur son téléphone.
- Vous voilà, je me demandais si vous alliez venir, finalement. Liam, enchanté de savoir que tu sors
enfin avec ma cousine.
Celui-ci rougit quelque peu, faisant semblant de desserrer une cravate imaginaire. Je m'assois à côté
de mon bienfaiteur et en face de Greg. Entourée des deux hommes de ma vie, je me sens protégée comme
jamais et ai désormais presque hâte qu'Ély arrive pour être débarrassée de ce trac mal placé.
- Je n'ai pas aperçu El', mais elle est peut-être encore derrière en train de se changer. Vous prenez
quelque chose ?
- Et toi, tu bois quoi ? j'interroge mon cousin du regard.
- Une piña colada. C'est à la noix de coco. Goûte si tu veux.
J'attrape la paille, par curiosité. Ce cocktail blanchâtre à l'aspect visqueux me fait presque penser au
sperme de Liam étalé sur mes doigts. La texture s'en rapproche, en tous cas. Cependant, je tais mes
souvenirs salaces, de peur de glisser sur une mauvaise pente. Ne jamais parler de sexe avec Grégory
quand il y a du monde alentour, sans quoi tout le bar connaîtra les préliminaires réalisés avec mon petit
copain sur le canapé. Il criera aussi certainement ses exploits extraordinaires - ou dégoûtants -, de quoi
rameuter les curieux, soit les plus en manque, à notre table. Je commande un coca light et Liam, un mojito.
J'aurais dû choisir une vodka pure pour me détendre, mais je me connais, je risquerais alors de tomber de
sommeil vingt minutes plus tard. Et ce n'est pas le but de la soirée.
Nous nous esclaffons quand Greg nous raconte des anecdotes de travail, et j'en oublie presque où
nous sommes et l'objectif à atteindre. Mon verre quasiment vide, je comprends, au regard de mon cousin,
que quelque chose se trame derrière moi, mais n'ose pas bouger. Je me doute donc qu'elle se rapproche.
Pourtant, je n'ai aucune envie de me retourner. C'est à elle de venir me parler. Les efforts, j'en ai
largement faits pour deux en allant la trouver ce matin-là.
Deux mains se posent sur ma chaise et je ferme les yeux. Il y a quelque chose d'anormal, un je ne sais
quoi qui ne tourne pas rond. Ély arrive près de moi et s'assois en soupirant, la mine déconfite. Je la
regarde avec difficulté. Elle m'écœure. Les deux garçons l'observent aussi, attendant un mot ou un geste
de sa part, toutefois ça ne vient jamais. Elle se penche seulement vers mon oreille et me chuchote tout bas
« J'ai gagné, Joy ».
Je hausse les sourcils, je ne comprends rien. Elle a gagné ? À l'Euro millions ? Au loto ? Puis, c'est
seulement en reconnaissant son parfum que je comprends. Il s'assoit à côté de mon cousin, face à Liam.
Ce dernier serre les poings et empoigne ma cuisse avec ardeur. Signe de possessivité digne d'un primate
mais, cette fois, rien ne sort. Nous courions ensemble ce matin, et il débarque avec Ély ? Dites-moi que je
cauchemarde, que je vais me réveiller. Non, je ne peux pas tomber plus bas. Impossible.
- Les gars, vous connaissez Isaac, il travaille avec Joy. On sort ensemble.
Elle sautille comme une enfant, me narguant en jouant la comédie. Je ne manque pas de remarquer
son rictus satisfait et, quand je plonge enfin mes yeux dans ceux d'Isaac pour tenter d'y déceler quelque
chose, les poignards viennent agresser mon cœur par à-coups.
Chapitre 28

J'hésite encore. Dois-je montrer que leur cinéma me fait mal au point où j'ai envie de les gifler tous
les deux ? Ou alors attend-on de moi que je feigne l'indifférence avec ma « poker face » ? Je ne sais pas
sur quel pied danser, tout ce dont je suis sûre est la douleur lancinante qui broie mes organes en miettes.
Je me suis attachée à cet homme. Plus que j'aurais voulu le croire, en fin de compte. En peu de
temps, je me suis sentie désirée, importante, belle et différente. Et surtout, diablement attirée par lui. Des
images de mon bureau ou de ce baiser contre le mur reviennent m'achever sur place. Y repenser rend la
chose encore plus pénible. Je me trouve six pieds sous terre, ce soir. Je ne devrais probablement pas le
prendre aussi mal, j'ai Liam désormais. Mais comme si l'amour était simple... Ça se saurait dans le cas
contraire. On n'en ferait pas des tonnes de romans. Un autre regard échangé et je saisis tout. Soudain, tout
s'éclaire. J'aime Liam, mais je suis tombée amoureuse d'Isaac et ça, c'est bien pire, puisque la nuance
entre les deux équivaut à la muraille de Chine.
Ma bouche reste entrouverte bien trop longtemps. Ély jubile à mes côtés, saisissant chacune de mes
faiblesses comme un gain sournois. Elle savait qu'elle arriverait à le faire céder. Je me demande tout de
même comment elle s'y est prise pour élaborer ce plan tordu. Quand bien même, le mal résonne dans ma
poitrine, et je hurle en silence.
Grégory est blanc comme un linge, lui aussi. Apparemment, il n'y a pas qu'à moi que cette nouvelle
fait l'effet d'une bombe. Je me racle la gorge et m'apprête à parler, mais Isaac m'en empêche. L'arrogant
s'impose, ce soir, face à mes amis et au bras d'Ély. Il ne pouvait pas choisir un timing pire que celui-ci.
- Je ne savais pas que tu viendrais, Greg, commente Isaac.
Et là encore arrive une surprise. Ils se connaissent ces deux-là ? Comment ? Pourquoi ? J'aime les
cadeaux à mon anniversaire ou à Noël, mais là je suis trop gâtée, deux d'un coup, ce n'est pas raisonnable
pour mon petit cœur. J'observe mon cousin en silence, terriblement honteuse de lui avoir avoué mes
sentiments pour quelqu'un qu'il connaissait et en colère, bien évidemment, qu'il ne m'ait rien dit. D'un
simple regard, il comprend aisément toute la peine qu'il vient de m'infliger.
- Ça fait longtemps que je ne t'ai pas vu. C'était quand notre week-end en Belgique, Joy ? Il y a un
mois et demi environ ? Ouais, bien depuis ce moment-là. Tu foutais quoi ?
Mon cousin se liquéfie sur place, véritablement mal à l'aise. Ély sourit comme jamais et Liam lutte
pour ne rien dire ou ne pas mal agir. Il essaye de me détendre, me calmer en caressant ma cuisse ou ma
nuque, mais cela a le don de m'agacer. Je repousse sa main et décide de sortir de table pour rentrer chez
moi. Je ne veux pas en entendre plus, je ne peux pas encaisser davantage.
La rousse à côté de moi me retient vivement par les poignets, me faisant me rasseoir.
- Dis-le lui, Greg, ou c'est moi qui le fera et tu sais que je ne serai pas tendre.
Mon sang se glace. Mon organe vital bat encore plus vite, encore plus fort. La tête commence à me
tourner et je regrette de ne pas avoir commandé d'alcool en grande proportion. Je m'attends au pire. Je
sais que ce que j'ai découvert n'était rien comparé à ce qui va m’arriver sous peu. Une bourrasque avant
la tempête. Lorgnant le verre de Liam, je l'avale d'un seul coup. J'ai épuisé toutes mes forces pour la
soirée et s'ils veulent que je rentre chez moi sans faire d'attaque, ils doivent me laisser avaler du courage
liquide.
Le temps semble s'éterniser. Les gens alentour ne font pas attention à ce qu’il se trame. Ils ne savent
pas que je suis en train d'être humiliée, rabaissée. On me cache des choses, on me fait mal, on me blesse
délibérément. Je ne comprends pas comment les êtres humains peuvent encore être capables de tant de
méchanceté. Bien que je sois entourée des gens que j'aime et qui sont censés m’aimer et me respecter en
retour, je passe la pire soirée de ma vie. Avant, mon numéro un était le soir où j'ai appris que mon père
avait eu son accident mais là, cela dépasse l'entendement. Je ne me suis jamais sentie aussi mal.
Grégory la ferme, les yeux baissés, bouffis. Il semble avoir pris dix ans d'un seul coup. Ély, toujours
aussi guillerette commence alors à prendre la parole.
- Tu vas rire, Joy, mais avant que vous partiez en Belgique tous les deux, Grég est venu au bar. Ce
soir-là, il n'y avait pas beaucoup de monde, c'était un vendredi soir très calme, et j'ai tout de suite repéré
un brun assez charmant attablé avec deux copains. Habitée d'un pressentiment, je suis allée sur internet.
Tu venais de me donner le nom de ton nouvel auteur, et il correspondait parfaitement à ta description.
Arrogant, espiègle, sûr de lui... Alors, mes doigts ont tapé son nom sur mon portable, un peu par hasard :
Isaac Lincoln. Et c'était bien lui, face à nous. Comme je m'ennuyais, j'ai commencé à boire des shots avec
Greg et là, il s'est mis à parler de toi, du fait qu'il s'inquiétait que sa pauvre petite Joy ne soit jamais
passée à l'action, à vingt-quatre ans passés.
Elle reprend sa respiration et je ne bronche pas, les joues rougies et les larmes menaçantes.
- Il ne savait pas que tu devais partir avec lui le lendemain, alors je le lui ai annoncé et il a eu une
idée... fabuleuse.
Je tente de capter le regard de Grégory qui se mure dans le silence, la tête entre les mains. Il regrette,
je remarque qu'il se sent mal. Liam a la mâchoire posée sur la table tant il ne croit pas ce qu'il entend. Je
ne reconnais plus du tout Ély. Puis, avant de me replier sur moi-même, j'observe Isaac. Ses yeux viennent
rencontrer les miens, hésitants. Je n’y lis pas toute la haine que je devrais percevoir. Il semble tout
simplement désolé pour moi, lui aussi.
- Tu vois, il croyait que si Isaac te draguait, tu ne résisterais pas. J'ai parié que jamais tu ne
coucherais avec lui, alors que Greg, au contraire, en était persuadé. Nous avons appelé votre hôtel et
nous nous sommes organisés pour qu'il n'y ait qu'une seule chambre. Adorable, Isaac a accepté de jouer le
jeu le temps du week-end. Le pauvre est rentré bredouille. T'as un souci avec ton entrejambe, Joy, ou quoi
?
Elle rit à gorge déployée, attirant l'attention du patron derrière le comptoir. Elle reprend nos verres
et continue à travailler, comme si elle ne venait pas de m'avouer la pire des vacheries. Tout ce que j'ai
vécu avec lui n'était donc qu'un leurre. J'ai sympathisé avec un faux jeton, embrassé un pantin. Tout ça
pour une partie de jambes en l'air. Depuis le départ, il n'y a eu qu'Ély pour lui. Et tout ce qu'il m'a avoué,
ses crises de jalousies envers Liam ? Ça comptait pour du beurre, ça aussi ?
Grégory me prend la main et se morfond en excuses, me jurant qu'il ne s'en souvient presque plus. Tu
parles. La seule personne de ma famille qui ne me foutait pas les frissons dans le dos, c'était lui.
Maintenant, je ne peux même plus le regarder en face. Il me dégoûte, autant que ma mère. J'attrape son
verre et lui balance à la figure. Attitude puérile vis à vis de ce qu'on vient de m'avouer, mais j'en ai
besoin. La soif de vengeance m'appelle, j'ai envie de lui faire aussi mal que moi, je souffre.
Une fois de plus, je fais ce que je sais faire de mieux. Je me cache. Derrière ce masque trop long et
trop lourd pour moi. Il me pèse de plus en plus, et pourtant, je n'ai que cette solution-là. J'essuie les
larmes restées dans le coin de mes yeux et pars rageusement au petit coin. Liam commence à me suivre,
mais je lui indique que non, ce n'est pas le moment. Je ne veux pas savoir ce qui se passe à table, si les
trois hommes s'engueulent ou se battent, je n'en ai plus rien à faire. Qu'ils aillent tous au diable ! À cause
d'eux, je me retrouve assise par terre dans ces toilettes peu ragoutantes. Qu'ai-je fait de mal pour mériter
ça ? Suis-je vraiment insupportable au point de mériter tant de douleur ? Je me redresse pour analyser
mes traits dans le miroir. Je m'observe, longtemps. Puis, je me retourne. Il est là.
- Va-t’en, tu n'as plus à jouer avec moi, tu ne me dois rien.
- Joy, je suis désolé que tu aies dû subir tout ça. Je commence à bien te connaître, je sais que tu
essayes de refouler ce que tu ressens, mais tu risques de t'en mordre les doigts plus tard.
Ils commencent sérieusement à m'énerver, lui et ses manières. Il aime d'Ély depuis le départ et me
court après quand je m'éclipse. Il s'est joué de moi et a posé sa bouche sur la mienne, ses mains sur mes
hanches. Je ne veux plus rien avoir à faire avec lui. Je veux l'oublier, tout oublier.
- Que crois-tu que je ressens, franchement ? Je suis heureuse d'apprendre qu'on se moque de moi
depuis le début. Ravie de savoir que tu n'as pas été sincère une seule seconde et que tu devais te forcer
pour m'inviter. Désolée de t'avoir infligé ça, je devais être un gros fardeau à porter, un vrai boulet. Va te
faire foutre Isaac. Si tu veux Ély, tu l'as, tu es avec elle maintenant, alors casse-toi et ne m'approche plus
jamais. Je veillerai personnellement à ce qu'on t'accorde un nouvel interlocuteur à la maison d'édition.
Je me rends compte qu'il essaye de se contenir, mais il n'y arrive pas. Comme ce matin, il faut qu'il
cogne dans quelque chose. Il frappe violemment une des portes des toilettes, faisant sursauter la femme
qui voulait entrer et repart aussi vite qu’elle est venue. Lui reste face à moi, les yeux fous. Il s'approche et
je ne bouge pas, je n'en ai que faire de sa proximité. S'il veut m'impressionner de la sorte, il se met le
doigt dans l'œil. Quand il est assez proche, je lui assène une claque si forte que sa mâchoire en vient à
craquer. Il ne ronchonne pas ni ne fait aucune remarque, ce que j'apprécie. À ce stade du jeu, il n'en a plus
le droit.
- J'aimerais tellement réussir à te confier des choses... Toutes ces merdes qui me bouffent le cerveau.
Mais quand tu me regardes comme ça, je n'y arrive pas.
- On n'a plus rien à se dire, Isaac. C'est terminé tout ça.
J'exécute un geste vague de la main, soudain morte de fatigue. Voilà, rien de plus simple, je n'en peux
plus. Il m'a usée jusqu'à l'os. Même si au fond je m'en doutais, je savais que quelque chose clochait.
Pourquoi s'être rapproché de moi pendant ce séjour alors qu'avant ça, il ne pouvait pas m'encadrer ? Je
me suis jetée dans la gueule du loup la tête la première et avant que je ne réalise ce qui m'arrivait
vraiment, il m'a bouffée toute crue.
Je tente de repartir d'ici, j'ai besoin de rentrer chez moi, seule. Il me faut quelques heures en solitaire
pour remettre mes idées au clair. Enfin surtout pour réaliser ce qu’il vient de se passer. Je dois accepter
que le cauchemar soit réel. Malheureusement. Après leurs conneries, je subis.
- Ne pars pas, s'il te plaît. Ély a raconté de la merde tout à l'heure. Je ne sors pas avec elle. Je
voulais qu'elle te mente pour que tu sois jalouse, tu sais, par rapport à ce matin. La seule façon de te faire
rager était de te faire croire que nous étions ensemble.
- Arrête, je t'en supplie, tais-toi, je lâche, en chuchotant.
Je me demande même si je ne l'ai pas pensé, car il ne réagit pas et continue en s'approchant encore.
- Bordel, que tu peux être bornée, tu n'as rien compris. Si je t'ai suivie, ce n'est certainement pas
pour te rendre plus malheureuse que tu ne l’es déjà, bien au contraire. Je déteste te voir avec ce mec, il ne
te correspond pas. Il te touche, te regarde, et ça me tue parce que... Putain, tu vas vraiment me tirer les
vers du nez, en fait. Je m'excuse pour ce stupide pari, ça n'avait rien de sérieux. J'ai cru que ce serait
facile. Mais en Belgique, j'ai rencontré une autre partie de toi et je l'ai adorée. Regarde-moi, s'il te plaît.
Il passe ses doigts sur mon menton et je me retiens de le mordre. Ce qu'il me confesse m'embrouille
encore plus l'esprit. Qui croire, quoi faire ? Je suis perdue, j'ai mal aux côtes et je manque d'air. Il me faut
ma solitude, tout de suite ou je sens que je vais prononcer des insultes que je regretterai plus tard. Peut-
être même agir de façon horrible.
- Je t'aime, Joy Cohen, et je me hais déjà assez pour ça.
Ces mots sont ceux de trop. Il plaisante, il ne peut que blaguer après ses révélations matinales et ce
qu’il s'est passé ce soir. Je n'arrive pas à réfléchir. Je dois partir, immédiatement. Je le gifle une
deuxième fois - histoire d'équilibrer les choses - et prends le large dès que possible. Ély est derrière le
comptoir, comme si rien ne s'était passé, Greg et Liam s'engueulent à la table, et je profite de ce moment
de vulnérabilité de mes proches pour m'enfuir à toutes jambes. Je ne rentre pas chez moi, je sais qu'on
viendrait m'y déranger. Non, je fais une chose stupide, impulsive. Je me dirige vers la gare la plus
proche, et monte dans un train pour Marseille. Personne ne pourra savoir où je me trouve et enfin, j'aurai
la paix.
Je m'installe sur mon siège et, constatant que personne n'a acheté le billet face à moi, je prends mes
aises. Je m'allonge de tout mon long, essayant d'évacuer la pression. Dès que je ferme les yeux, les
propos d'Ély me reviennent en pleine face. Je les entends encore, encore, et encore. Mon téléphone vibre
plusieurs fois et, par réflexe, je l'éteins. Tant pis, je contacterai Liam demain, afin de lui expliquer la
situation. Il comprendra. Ils m'ont tous détruite et pour me reconstruire, j'ai besoin d'être entièrement
seule. Enfin, en espérant qu'il ne soit pas trop tard…
PARTIE 2
Chapitre 1

Mais tout ne se passe pas comme dans mes romans préférés, je déchante vite. En arrivant à
Marseille, je me rends compte que je n'ai pas pris ni ma carte bancaire, ni davantage de monnaie. Il ne me
reste qu'un seul chèque. Je dois l'utiliser à bon escient. Je décide de me payer l'hôtel avec, ma priorité
numéro une, et quelques heures plus tard, je ne peux m'empêcher de pleurer sur ce lit miteux. Ou chouiner,
le mot serait probablement plus approprié. Je regrette d'être partie sur un coup de tête. Je ne connais pas
cette ville et ça m'effraie. Je fais l'autruche, repoussant mes problèmes à plus tard, mais il faudra bien que
je rentre à un moment ou à un autre. Et que je les affronte, tous. Puis, je ne pense pas que Monsieur
Badouk apprécierait franchement l'excuse : « ma meilleure amie est une connasse et je suis partie à l'autre
bout du pays pour lui échapper. »
Je tente de rallumer mon téléphone maintenant que je suis calmée, et finalement cela empire la
situation. Liam a essayé de me contacter un nombre incalculable de fois. Il en va de même pour ma mère,
mon cousin et... Isaac. Étrangement, ce dernier a aussi tenté de me joindre. Comment peut-il croire que je
vais lui répondre, franchement ? La veille, pendant notre jogging, il m’a repoussée sèchement en me
faisant comprendre qu'il se servait de moi pour son jeu stupide. Ensuite, j’ai appris qu'il avait été de
mèche avec Ély pour une histoire digne d'un scénario de téléfilm et enfin, il m’a avoué son amour. Cet
homme mérite d'être interné, Liam avait raison, je dois me méfier de lui.
J'écoute les messages vocaux un à un, bien qu'ils me brisent le cœur et réalise un peu trop tard, que
partir sans prévenir était sans doute une mauvaise idée. Mieux vaut tard que jamais, non ?
Il fait jour désormais. Pourtant les appels ne cessent pas. Mon portable vibre encore une fois,
signalant un appel de Liam. J'hésite à le prendre, peureuse. Vu ma fatigue, j'ignore si je supporterais de
me faire remonter les bretelles par qui que ce soit. J'ouvre le rideau de ma chambre et la vue donne sur
une grande place. Je ne sais pas où je suis. J'ai marché comme une forcenée en sortant du wagon, et je me
suis retrouvée ici. Un pur hasard.
Je décide de sortir prendre l'air, puis les odeurs de viennoiseries me ramènent à mon état. Je ne
ressemble à rien. Mes yeux sont gonflés à force d'avoir trop pleuré et mon maquillage a coulé. Je
ressemble à un panda. Ou plutôt une fille qui ne sait pas se maquiller. Les pandas sont trop mignons pour
que je m'y compare. Et plus que tout, je meurs de faim. J'ai bien trop bu hier soir. Je n'ai rien avalé pour
éponger, et ce matin mon estomac crie famine. Je passe devant la boulangerie et renifle l'odeur avec
convoitise. Je pourrais manger un bœuf ! Je fouille à nouveau ma pochette et découvre qu'il me reste un
euro. Un seul euro pour rentrer chez moi. Comme si c'était possible. Personne n'acceptera que je monte
dans sa voiture, encore moins dans le train. Je suis coincée ici. Comme une idiote je n'ai pas réfléchi aux
conséquences de mes actes. Retourner à Paris semble donc compromis.
Mon pain au chocolat avalé, je décide de prendre l'énième appel de Liam. Il ne m'a rien fait, et c'est
bien le seul, d'ailleurs. Il ne mérite pas de rester sans réponse de ma part.
- Où es-tu ? Est-ce que tout va bien ? Joy, s'il te plaît, dis-moi où tu te caches et je viens te chercher.
Je comprends que tu veuilles te vider la tête après ce que tu as appris. On part tous les deux quelques
jours, loin de tout ça, mais dis-moi à quel endroit tu te trouves. Je n'en peux plus de m'inquiéter pour toi.
Tu n'imagines pas la nuit horrible que je viens de passer.
Immédiatement, je culpabilise et me laisse choir sur un banc quelques mètres plus loin. Mais
pourquoi ai-je eu une idée aussi saugrenue ? Je ne pouvais pas rentrer chez moi, tout simplement ? Oui,
j'aurais probablement été dérangée par l'un d'entre eux, mais sans riposte de ma part, ils seraient partis.
Qu'est-ce que je fous ? Et comment puis-je envisager rentrer ? Vais-je pouvoir manger d'ici là ? Mon
Dieu, il va falloir que je fasse la grève de la faim ! C'est à cet instant précis que la panique vient
remplacer la culpabilité.
- Liam, je crois que j'ai fait une connerie.
Le soupir au bout du fil n'augure rien de bon. Je sens qu'il se contient de lancer des propos
médisants. Mais plus intrigant encore, j'entends d'autres voix autour de lui. À moins qu'il soit dans la rue,
il n'est pas seul.
- Ça, on le sait tous. On a passé la pire nuit de notre vie, ici. Reviens maintenant, s'il te plaît. Ou, au
moins, dis-moi où tu es. Je peux venir seul si tu veux.
- Tu dis « on ». Qui se trouve avec toi ? je demande, plus hargneusement que je l'aurais voulu.
- Grégory, tes parents... Et Isaac traîne dans le coin. Il n'a pas voulu décamper bien qu'on lui ait dit
de partir plusieurs fois et que ton père lui ait refait le portrait.
- Attends quoi, j'ai manqué quelque chose, papa a frappé Isaac ?
Mon cœur manque un battement. Entendre son nom me blesse. C'est comme une prise de sang. Vous
savez, la petite aiguille qui vient vicieusement transpercer votre peau. Là, c'est pareil, mais en mille fois
pire.
- Tu me connais, je ne sais pas garder les secrets trop longtemps et j'ai pété un câble vers quatre
heures du matin. On était tous sur les nerfs, alors ton père lui a mis une patate. C'est bien la seule chose
distrayante qui se soit passée en ton absence. On a été à la gendarmerie, et comme tu es majeure, ils nous
ont dit d'attendre avant de signaler ta disparition. Bordel, où te planques-tu ?
Avant même que je ne puisse répondre, j'entends Liam hurler après quelqu'un qui tente de lui
arracher le téléphone. Et puis, soudain, je reconnais une voix, la sienne. C'est la dernière personne sur
Terre que j'ai envie de voir en ce moment. Alors l'entendre, n'en parlons pas. Inutile de remuer le couteau
dans la plaie. J'agis comme une enfant, je ne réponds pas quand il me parle. Je refuse catégoriquement de
lui adresser un seul mot.
- Joy s'il te plaît, j'ai besoin de savoir que tout va bien. Je me fiche de savoir où tu es, contrairement
à bouclettes-man, mais je veux juste t'entendre me dire que tu te sens bien.
Il accepte mon silence et je l'entends s'éloigner des autres voix. Il doit marcher, peut-être même
courir si j'en crois sa respiration forte.
- Je m'inquiète, bordel ! Si tu as fait ça à cause de moi, je t'assure que je regrette. On va s'expliquer,
se dire les choses. On en a besoin tous les deux. Dis-moi juste que tu vas bien.
Étrangement, l'entendre me parler m'apaise. Je me surprends à fermer les yeux et savourer sa voix
rocailleuse légèrement imparfaite. Ce son, je l'adore. Je me déteste de répondre, je suis faible, mais
savoir qu'il m'a attendue toute la nuit, qu'il a même encaissé les coups de mon père me décroche un
sourire. Lui, Isaac Coste, s'est battu avec mon paternel. J'aurais payé cher pour voir ça.
- Et toi, tu n'as pas de coquard ?
- Oh bon sang, Dieu merci, tu es vivante. Toujours aussi chiante, Sainte Vierge, mais waouh, je suis
soulagé de t'entendre.
- Je vais bien, cependant... je crois que j'ai merdé. Et il me faut de l'aide, j'avoue, honteuse.
J'entends qu'il s'arrête net, les cailloux ne roulent plus sous ses pieds à chaque pas. Il paraît
sincèrement inquiet. Il aurait beau être le meilleur acteur de la planète, je sais qu'il ne pourrait pas
feindre une telle angoisse. C'est que je dois compter au moins un peu pour lui, non ? Bon maintenant
cerveau, ferme-là, j'ai besoin d'un peu de courage pour me lancer à l'eau.
- J'imagine que je suis un petit peu… à Marseille.
- Qu'est-ce c'est que ce bordel, putain ? Mais comment, quand ?
- On s'en moque. Je n'ai plus un rond et je suis coincée ici.
Des voix s'approchent à nouveau du combiné, me laissant imaginer qu'Isaac a fait demi-tour ou que
tout le monde s'est mis à le suivre à la trace. En tout cas, je n'obtiens pas de réponse de sa part, et en
guise de fond sonore, j'ai le bonheur d'entendre ma mère dire à quel point je ne suis pas nette. Merci
maman, mais tu en es en partie responsable...
L'appel tourne court, puisque la tonalité s'enclenche. Ils s'inquiètent et me raccrochent au nez ? Très
bien, faisons avec. J'essaye de ne pas céder à la panique, ce serait me rendre ridicule en public.
Malheureusement pour moi, je suis Joy Cohen, et malchanceuse est mon deuxième prénom. Je commence
à suffoquer, détournant l'attention de quelques passants. Et soudain je hoquette, à la recherche de plus
d'air. Je ne rentrerai jamais chez moi. Je vais devoir vivre sous un pont ici, toute ma vie. Ou me
prostituer, au choix. Peut-être même les deux. Rien que d'y penser, la tête me tourne. Je m'allonge sur le
banc et, cette fois, une jeune femme s'approche de moi prudemment.
- Mademoiselle, vous allez bien ? Je suis infirmière et vous semblez être en mauvaise posture.
Je secoue la tête pour lui prouver que non, je ne vais pas bien, et je la vois brandir son téléphone
pour composer le 18. Il ne manquait plus que ça. Je suis fauchée et fais mon intéressante. Joy, bouge-toi,
sérieusement, il est temps de te remettre en question. La foule s'entasse autour de moi et bien que
j'essaye de reprendre mon souffle, je n'y arrive pas. Je sens mon téléphone vibrer dans ma main : Isaac,
mais impossible de répondre. J'entends brièvement la femme maugréer de me laisser de l'air jusqu'à ce
que les sapeurs-pompiers arrivent.
Les soldats du feu font fantasmer tout le monde, n'est-ce pas ? Le calendrier dénudé, l'uniforme et la
magie de la lance. Pour autant, pour la première fois, je rencontre des hommes véritablement laids.
Sincèrement. J'essaye de ne pas les imaginer nus, prenant des poses endiablées devant le photographe,
mais c'est plus fort que moi. Quand le vieux vicieux attrape mon mollet, je lui administre un coup de pied
bien placé. Son collègue, paniqué, tente de se tenir à distance. Avec un peu de bonne volonté, ils arrivent
à rétablir mon souffle rapide grâce à un médicament et un sac en papier. Vieux vicieux quitte la place, en
me jetant un regard noir, après s'être assuré que tout allait mieux.
Cette humiliation publique m'a permis de réfléchir. Soit quelqu'un vient me chercher, soit on me
prend en stop. Cependant, cette option arrivera vraiment en dernier recours. Je ne suis pas assez
téméraire pour voyager seule, à la merci des automobilistes.
J'appelle Liam moi-même et arrête les enfantillages. Nous sommes déjà dimanche, il est plus de
quatorze heures et je refuse de manquer le travail demain. Monsieur Badouk a confiance, mais je ne peux
pas abuser. J'ai déjà dérogé à mes responsabilités ces derniers temps. À cause d'Isaac, notamment.
Depuis qu'on se fréquente, il m'a apporté le meilleur, comme le pire. À croire que cet être a tout du
parfait ange démoniaque.
- Hier soir, bornée et en dépitée, j'ai pris un train pour Marseille. Là, j'y suis toujours, mais il ne me
reste plus suffisamment d'argent pour le trajet retour. Alors pitié, que quelqu'un vienne me chercher... Je
ne veux pas mourir de faim, ni devenir SDF.
Je raccroche presque aussitôt. J'ai été en rogne, puis j'ai pleuré. Maintenant la colère semble
reprendre le dessus. Après, je risque de pleurnicher encore. C'est un cycle infernal qui se reproduit sans
cesse dans ma vie. Le mécontentement contre quelqu'un, quelque chose, et ensuite viennent les pleurs.
Puis, après une semaine où tout va bien, l'irritation revient. Je devrais vraiment voir un spécialiste pour
essayer de calmer ce côté lunatique. Peut-être que l’on pourrait m'aider. Ça ne guérirait en rien
l'introversion, mais ça m'épaulerait.
Je retourne à l'hôtel, espérant que quelqu'un viendra bien me récupérer aujourd'hui. Une preuve
d'amour est tout ce dont j'ai besoin actuellement.
Je laisse passer deux heures, puis retourne à la gare. J'observe les trajets en provenance de Paris.
Plusieurs trains passent, toutefois, je n'aperçois personne. Si bien que le jour commence à décliner et que
je me retrouve de plus en plus seule ici. L'air glacial s'immisce de temps en temps, me faisant frissonner.
Je ne suis pas sûre que ce soit de froid ou de peur, mais le résultat est là, je me sens abandonnée et je
tremble. Je n'ai plus eu de coup de fil depuis des heures, alors j'espère. Encore et encore. Quand on
annonce le dernier train arrivant de la capitale, je n'y crois plus.
Jusqu'à ce que ce visage que je reconnaîtrais entre mille fasse son apparition.
Chapitre 2

Je n'ai pas le temps de réagir que je ne touche déjà plus terre. Il me serre un peu trop fort et son
parfum chatouille mes narines. C'est probablement mon odeur préférée, après celle du gâteau au chocolat.
Mon père commence par me faire la morale. Puis très vite, en se rendant compte de ma mauvaise humeur,
il laisse tomber.
- J'ai pris le dernier train pour venir te voir. Tu ne me croiras peut-être pas, mais nous voulions tous
venir te chercher. Je suis celui qui a gagné la partie d’Uno, ajoute-t-il, un sourire en coin.
Tous venir me chercher ? Je préfère ne pas poser de questions et tais mes pulsions. Je ne dois pas
penser à lui, maintenant. Pourquoi commencé-je même à y songer ? Bon sang, mais arrête ça tout de
suite.
Mon père m'explique que nous devons passer la nuit ici avant de faire le trajet en sens inverse,
demain matin à l'aube. Avec un peu de chance, si le train n'a pas de retard, je serai pile à l'heure au
travail. Nous trouvons un hôtel un peu moins hostile pour dormir et je dîne en tête à tête avec mon
paternel. Celui-ci m'observe gravement et parle uniquement lorsque c'est nécessaire.
- Pourquoi avoir frappé Isaac, papa ?
Ma question le déroute, seuls ses yeux le trahissent. Son visage ne bouge pas d'un millimètre. J'ai
l'impression de le regarder pour la première fois, ce soir. Il me ressemble bien plus que je ne le pensais.
Voilà ce qui explique pourquoi il me comprend et m'épaule à ce point quand les membres de ma famille
disent que je suis trop « froide » avec eux. Nous sommes pareils.
- Je n'aurais pas dû. J'étais stressé et ce petit con haussait le ton avec Liam. J'ai très bien compris le
rôle qu'il a joué dans ta fuite et je me suis emballé. Désolé, chérie.
- Ne t'excuse pas, tu as bien fait. Même s'il est loin d'être le seul coupable...
- Un jour, tu me raconteras cette histoire ?
- Probablement pas.
Je me braque. Non, je n'ai aucune envie que mon père sache l'humiliation qu'ils m'ont fait subir. Je
pense qu'au même titre que moi, Grégory le décevrait beaucoup et jamais plus nos liens seraient aussi
cordiaux qu'ils le sont actuellement. Je me détends quand il commence à changer de sujet. Il me raconte
des anecdotes de leur nuit et je ne peux me retenir de rire à certains moments. Mes proches sont tous aussi
fous que moi, peut-être même plus, finalement.
- Si tu avais vu la scène, tu te serais fendue la poire. C'était digne d'un mauvais téléfilm. Liam
scindait qu'il voulait être celui qui viendrait te chercher, Isaac serrait les poings sans lâcher le morceau,
un vrai prédateur, Grégory prétendait avoir déjà pris son billet pour venir et moi, je ne demandais qu'à
retrouver ma petite fille saine et sauve.
Je souris mais, malgré moi, une question franchit mes lèvres :
- Et maman ?
- Tu la connais, soupire-t-il, elle a mal pris le fait que tu sois partie. Pour elle, c'était une idiotie de
ta part. Ce qui n'est pas tout à fait faux, jeune fille. Tu nous as flanqué la peur de notre vie. Ne
recommence plus jamais ça !
Je secoue la tête et m'arrête là. J'ose lui prendre la main en guise de réponse. Il comprend au fond de
lui que je suis en train de le lui promettre. Non, je ne ferai plus quelque chose d'aussi irréfléchi. Tout du
moins, pas sans avoir vérifié la présence de monnaie dans mon sac, car la journée a été longue sans
nourriture !
***

Le train en direction de Paris est annoncé, voie 2.


Je me demande à qui appartient cette voix si agaçante. Si elle parle comme ça au quotidien, son
entourage doit en avoir mal aux oreilles. Je les plains sincèrement. Je me marre toute seule en pensant à
tout ça. Mon père m'observe, interrogateur, mais ne soulève pas. Lui aussi a les mêmes manies.
Avec de la chance, un miracle ou peut-être que le petit Jésus a bien voulu m'aider cette fois, mais
nous arrivons à l'heure. Je saute dans une rame de métro pour rejoindre le travail. Première étape avant
ma mort. Il y a tellement de monde qu'un étudiant se retrouve collé à ma poitrine. Je sens que son corps
réagit à notre proximité et essaye de me dégager le plus possible. Malheureusement, le nouvel individu
qui entre à la station suivante me rapproche davantage de lui. Le jeune homme a probablement la trique
de sa vie ! Plus j'approche de mon but, moins je me sens bien. La tête me tourne et j'ai l'impression que
tout le monde me touche. Vivement que je sorte de là !
Je cours presque jusqu'à mon bureau pour échapper aux deux hommes qui me suivent - ou du moins
qui me donnent l'impression qu'ils me suivent -, ils doivent travailler dans la même rue que moi. Cette
hypothèse est plus probable. J'entre en trombe dans la maison d'édition. Manon me salue et je ne lui
réponds rien en retour, trop absorbée par ce voyage olé olé en métro. Je trotte jusqu'à mon bureau. Enfin,
un peu de paix. J'en ai besoin.
ARRRRRG.
Ou peut-être était-ce plutôt un OOOOH. Je ne sais pas. Ce son est sorti de ma bouche tout seul en
apercevant Isaac assis sur mon siège. Il fourrage quelques fois dans sa chevelure mal peignée et ses yeux
azur se posent instinctivement dans les miens. Je n'ai pas encore décidé si je vais le frapper ou l'enlacer,
j'hésite toujours. Alors le temps que je prenne enfin une décision, je reste sur le pas de la porte, comme
une imbécile.
Lui s'approche doucement, méfiant. J'opte pour le câlin, on verra le reste plus tard, et le laisse
m'étreindre chaleureusement. Je me sens fébrile tout à coup. J'ai l'impression que je ne l'ai pas vu ni
touché depuis des semaines. Pourtant, il y a moins de quarante-huit heures, ce même homme me faisait
pleurer à chaudes larmes.
- Je suis content que tu sois là.
Une seule phrase et mon cœur me picote. Drôle de sensation. Ce n'est pas la première fois que je
ressens ce fourmillement, mais il demeure étrange.
- Tu crois que tu arriveras à me pardonner tout ça ?
À mon tour de le fixer sans relâche. Le pourrai-je ? Probablement. Le voudrai-je ? Ça, c'est une
autre histoire. Je hausse les épaules, incapable de faire mieux. Cependant, pour une fois je suis franche :
je n'en sais fichtrement rien.
- Tu n'as pas trop mal ?
J'effleure sa joue, rougie par la colère excessive de mon père et le sens frissonner. Ou peut-être se
crisper, je ne m'y connais pas tellement en la matière. Si ça se trouve, je le dégoûte et il n'attend qu'une
chose, que je le lâche. Malgré mes questionnements intérieurs, je n'y arrive pas. Un je-ne-sais-quoi me
demande de laisser ma main ici, pendant quelques secondes de plus.
- Ce n'est pas grand-chose. J'ai envie de te demander si toi tu vas bien, mais je doute que tu me
répondes, je me trompe ?
Les mots d'Ély ainsi que son rire glacial me reviennent en mémoire et je prends soudain la mouche
de façon inexpliquée. Je ne peux plus prétendre le contraire, il m'a trahie. J'agis comme une idiote. Passer
l'éponge si vite serait intolérable.
- Que fais-tu là ? Tu viens t'assurer que je travaille toujours pour toi ?
Il lève les yeux au ciel avant de s'asseoir. J'allume mon ordinateur, oubliant presque sa présence. Je
dis bien presque, parce que son parfum capiteux alarme tous mes sens et le savoir si proche me donne le
tournis. Lorsque je sens qu'il me scrute, mes joues rougissent malgré moi.
Je m'apprête à écouter sa réponse quand Liam déboule dans mon bureau. Depuis quand peut-on
entrer ici sans prévenir ? Celui-ci s'approche à grandes enjambées en me murmurant que mon père l'a
prévenu. Le traître ! Ce n'est pas le bon moment pour me retrouver face à eux. Il ne manquerait plus que
Grégory débarque pour faire le remake de samedi soir et ce serait le pompon.
Il embrasse le sommet de mon crâne, toujours sous l'œil curieux d'Isaac et opte finalement pour un
baiser délicat sur mes lèvres. Je n'ose pas regarder le brun ténébreux qui se tient à quelques pas derrière,
mais rien qu'à entendre sa respiration saccadée, ça ne me dit rien qui vaille.
Liam serre la main d'Isaac, non sans lui administrer un léger coup de coude et, faisant comme si de
rien n’était, je commence à vaquer à mes occupations. Que dirait mon boss s'il entrait maintenant ? Ce
n'est pas le lieu pour une réunion de famille et encore moins une câlins party.
- Donc, tu ne m'avais pas menti, murmure Isaac.
L’espace de quelques secondes, je me demande ce à quoi il fait allusion, puis je me souviens l'avoir
informé de la situation lorsque nous sommes sortis courir. Avant qu'il m'humilie. Une première fois. Je
n'ose pas répondre et encore moins le regarder. Je déverrouille ma boîte mail et me lance dans un tri
ultra-intéressant. Je divague, essayant de penser à autre chose, mais les voix qui s'élèvent me ramènent à
la réalité.
- Je ne vois pas pourquoi tu es venu ce matin, sincèrement. Si c'est pour la blesser gratuitement, tu
l'as déjà fait, félicitations. Elle n'a pas besoin de toi ici, scande Liam.
- Parce que tu crois que tu es le seul à pouvoir la voir ? Quel rôle joues-tu au juste, son chien de
garde ? Ne me prends pas pour un blaireau mec, je sais que tout ce qui t'anime rime avec jalousie. Il suffit
que tu te compares à moi pour pleurer dans les jupons de ta mère.
Enfin, je lève les yeux. Non, ils n'oseraient pas me faire ça, pas aujourd'hui. Je suis médusée face au
spectacle que ces deux bruns me donnent. Ils s'agitent, se tournent autour tels deux fauves près à se battre
pour la femelle. Est-ce à quoi je suis réduite, simuler la lionne à engrosser ? Ils se défient du regard et
attendent probablement que je réagisse. Mais que souhaitent-ils de ma part ? Je ne veux pas m'attirer les
foudres de mon patron en perdant notre contrat avec Isaac et encore moins me brûler les ailes en risquant
de vexer Liam.
- Non, je ne désire pas uniquement la baiser, hurle Isaac sous le coup de l'énervement.
Il attrape Liam par le col et l'enserre contre la porte. Cette fois c'en est trop, je ne peux pas les
laisser se chercher des noises dans mon bureau. Qu'on me foute la paix dix minutes dans ma foutue vie !
- De toute façon, t'as raté ton coup, puisque c'est moi qui l'ai mise dans mon lit ! clame Liam, entre
deux suffocations.
- Non, mais ça suffit vous deux, oui ? Vous vous croyez où ? Certainement pas sur un ring de boxe, en
tout cas ! Et c'est quoi cette façon de parler de moi comme si je n'étais pas là ? Je ne suis pas sourde et
encore moins faite de pierre. Ce que vous dites m'atteint, et vos conneries, j'en ai plus qu'assez. Si vous
voulez me voir sortir du paysage, je peux repartir quelque part, pour plus longtemps. Je refuse qu'on parle
de moi comme un morceau de chair insensible. Putain, vous me sortez par les yeux tous les deux.
Déguerpissez, et vite.
Je râle, soupire et pose les poings sur mes hanches. Je ne comprends pas pourquoi Isaac continue de
feindre son attirance pour moi, je suis totalement désappointée par sa façon d'agir. Quant à Liam, il me
déçoit. Je ne le connaissais pas si impulsif. Lui qui, d’ordinaire, est doux et compréhensif pourrait faire
preuve d’un peu plus de courtoisie et ne pas répondre aux perches tendues par l'arrogant.
Liam m'explique qu'il m'appellera plus tard et sort à la hâte. Par contre pour Isaac, c'est une autre
paire de manches. Il ne bouge pas d'un poil et part même s'asseoir sur mon bureau. De mieux en mieux !
Excédée, je m'approche de lui et le tire par le bras.
- Va-t’en, je dois travailler.
- Non.
- Comment ça, « non » ? Tu n'as pas ton mot à dire à ce que je sache.
- Je ne sortirai pas d'ici avant que tu aies accepté de dîner avec moi. On a des choses à se dire, tous
les deux. Viens à la maison, demain soir. S'il te plaît.
Même si je déteste le chantage, je cède. Têtu et buté, il ne partira jamais avant d'avoir eu ce qu'il
veut, à savoir un « oui » de ma part. Je réponds par l'affirmative tout en sachant pertinemment que je mens
et que je n'irai pas. Si mon père m'a appris quelque chose sur les hommes, c'est bien de ne jamais céder à
leurs caprices, aussi gentils soient-ils.
Chapitre 3

Je suis nerveuse. C'est la première fois que je pose un lapin à quelqu'un. Je devrais être chez Isaac
en ce moment. Il doit probablement m'attendre. Et si finalement, j'y allais quand même ? Non, ce serait
mal, il mérite que je le fasse patienter un peu. Après son coup bas, impossible de faire comme si rien ne
s'était passé. J'ai un peu de fierté, tout de même.
Pop-corn et paquets de fraises Tagada sont mes meilleurs alliés, ce soir. J'enclenche mon film, quasi
déprimée sans savoir pourquoi. La peur qu'il m'en veuille, sans doute. Pourtant, j'aurais dû tourner la
page il y a un moment. Mais non, tout revient toujours à lui et j'en ai plus qu'assez, il faut que ça change.
Rêver d'Isaac chaque nuit, penser à lui le jour... Stop ! Je dois me ressaisir et me focaliser sur Liam.
Voilà, uniquement sur Liam.
Les heures passent, les minutes défilent et les secondes s'éternisent. Je me demande même à un
moment si je ne suis pas devenue l'héroïne de ce film débile où une même journée se répète en boucle.
Pourquoi n'appelle-t-il pas ? Aurait-il oublié ? Serait-il passé à autre chose ? C'est emplie de doutes, que
je tente de m'endormir.

***

Nous sommes samedi et il pleut. J'adore la pluie, vraiment. Mais pas quand j'ai mes sacs de courses
dans les mains et que mon talon se casse. Non, là je déteste ces maudites gouttes d'eau qui tombent du
ciel. Je me hâte dans les escaliers, pressée de me réchauffer et d'enlever mes vêtements. Je jette les
provisions dans la cuisine et pars enfiler une tenue plus confortable. Malheureusement, comme toujours,
c'est ce moment précis que choisit ma sonnette pour retentir. Je suis en culotte-soutien-gorge et il
semblerait que mon interlocuteur soit pressé. Je ronchonne en enfilant une robe de chambre.
- Salut Trésor, je te dérange ?
Je vire au rouge dans la seconde. Liam me déshabille du regard et déglutit difficilement. En me
rendant compte de la situation, je panique. L'accueillir presque nue, bien ma veine. Il va penser que je lui
envoie un message du genre « prends-moi tout de suite ». Alors que je ne suis pas certaine d'être prête
pour le grand plongeon. Il s'approche furtivement et m'embrasse langoureusement. Nous gémissions en
parfaite symbiose. C'est doux, délicat et réconfortant. Un peu comme lui, finalement.
Puis, un peu trop vite à mon goût, je sens deux mains desserrer ma ceinture et ôter mon peignoir. Je
frissonne. Ce devrait être le grand moment, nous avons déjà tenté bien des choses tous les deux mais, je
ne sais pas, j'ai comme un blocage. Je réponds à ses baisers, l'excitation monte doucement pour moi
aussi, pourtant je me demande si je le veux vraiment. Son membre bandé contre mon bas ventre me fait
clairement comprendre qu'il veut passer à l'acte. Alors, sur le coup, je trouve malin de lâcher :
- J'ai entendu dire que le sexe pouvait tuer. On devrait presque envoyer des messages d'adieux à nos
proches avant de faire l'amour. Tu y crois à cette théorie ? Motif de la mort : orgasme trop puissant. Triste
constatation.
Il éclate de rire et embrasse mon front, toujours pas décidé à me lâcher. Bon cette fois, c'est sûr, si je
ne sors pas de ses bras illico, je vais passer à la casserole.
- Joy, ne te mets pas la pression, je sais que tu stresses, mais si tu n'en as pas envie ça ne fait rien. Je
ne t'en voudrais jamais pour ça. On peut juste s'amuser un peu, comme la dernière fois. Tu es vraiment
très belle et je n'ai pas pu résister.
Suite à ses mots qui se veulent rassurants, je me laisse aller. Il ne me veut que du bien après tout.
Pourquoi refuserais-je ? Je l'invite à me suivre dans la chambre et il commence à glisser ses doigts sous
ma culotte. Je me cache avec l'oreiller, mal à l'aise, tandis qu'il rit doucement. En quelques secondes, la
magie opère déjà. Ses doigts sont méthodiques, il sait ce qu'il fait, ça se sent. Il insère son index en moi et
je grimace. Avoir quelque chose là me perturbe. Cela a un goût d'interdit. Son pouce caresse mon clitoris
tandis que son index, rejoint par son majeur, continuent leur danse endiablée. Mon corps commence à me
gratter, me brûler même. Mon vagin se consume, oscille entre pincement et plaisir. L'air s'amenuise dans
mes poumons. J'ai trop chaud mais aussi, trop froid. Je veux qu'il aille plus vite, plus fort. Quand mon
souhait s'exécute, je mets moins d'une minute avant de jouir. Waouh, tout s'est amplifié avec ses doigts.
Je prends un long moment avant de me ressaisir et, lorsque mon monde ne vacille plus, je retire le
pantalon beige de Liam d'un coup vif et attrape son sexe des deux mains. Je l'entends grogner et, plus que
jamais, il observe chacun de mes gestes, m'analyse. Je me sens vraiment sexy et ce, pour la première fois
de ma vie. Je laisse lentement glisser ma paume contre son prépuce qui m'accompagne. Haut, bas, haut,
bas. Opération relativement simple. Je m'amuse à accélérer le rythme avant de ralentir et j'ose même
quelques coups de langues ici et là qui le propulsent au septième ciel. La preuve de son orgasme s'étale
sur ma poitrine, dans mes cheveux. Je souris, fière de ma réussite.
Nous nous nettoyons en silence, non sans avoir des étoiles plein les yeux tous les deux. Puis, une fois
encore, nous commençons à nous embrasser. Il m'accompagne sous la douche et je suis à deux doigts de
craquer - remarquez l'ironie du double doigté - pour lui sauter dessus. Je lui savonne le dos et
inversement, Dieu que c'est bon. Il s'attaque à mon crâne à coup de shampooing et je suis en pleine extase.
Ses papouilles évaporent toutes mes tensions. En s'habillant dans ma chambre, Liam me propose de
passer le reste de l'après-midi à mes côtés, chose que j'accepte, un grand sourire de bonheur plaqué sur
mes lèvres.
- Que dirais-tu de faire des cookies ? J'ai acheté tout ce qu'il faut tout à l'heure et... Et merde, mes
courses !
Je cours ranger mes sacs dans le frigo sous le regard amusé de mon petit ami.
- Tu ne changeras, jamais. Enfin, tu me diras, c'est pour ça que je t'aime.
Je t'aime. Il m'aime. Si je paniquais tout à l'heure, là, le raz-de-marée vient d'entrer en collision
avec mon cœur. Pourquoi fallait-il qu'il gâche tout avec ces trois petits mots ? Isaac me les a prononcés
aussi. Je m'en souviens, maintenant. Je devrais lui répondre que moi aussi je l'aime, mais ça ne vient pas
parce que je refuse de mentir. Je veux garder cette révélation pour la bonne personne, quand je serai sûre
de moi à 100 %.
Il ne semble pas se douter une seule seconde qu'à l'intérieur de mon esprit je suis hystérique, et il
continue de sortir les ingrédients pour la confection des gâteaux un par un. Je le détaille derrière le bar.
Cet homme m'aime, je peux l'affronter. Il reste mon meilleur ami après tout, il comprendra si je ne
réplique pas.
- Où ranges-tu ta farine ? Je ne la trouve nulle part.
Comme si j'en avais quelque chose à foutre d'un mélange de blé, en cet instant... Liam m'aime, on a
un sacré problème. Est-ce que moi, je suis amoureuse ? Peut-être. À vrai dire, je n'en sais rien. Oui,
probablement. Dans la logique des choses.
- Laisse tomber, je m'en occupe. Regarde l'horaire pour la séance de ciné, d'accord ?
Il hausse les épaules, trouvant mon changement de sujet probablement louche, puis se dirige sur le
canapé. J'attrape mon portable au vol pour vérifier mes messages. Mon cœur manque un battement quand
je remarque qu'Isaac a essayé de me contacter plusieurs fois. Précautionneusement, j'écoute le message
vocal qu'il m'a laissé, tâchant de ne rien laisser transparaître.

Salut euh, comment elle s'appelle déjà ? Joy, ah oui, Joy ! Oui, salut Joy, c'est Ayden, le
colocataire d'Isaac, je ne sais pas si tu te souviens de moi mais sache que tu es vraiment mignonne. Ça
te dirait qu'on... ? Aïe, mais tu m'as fait mal, abruti ! En fait, je t'appelle pour savoir si tu pouvais
venir à l'appartement quand tu auras ce message, on a un souci avec Isaac, je crois que ce serait bien
que tu passes. Bon, a+. Ah et viens avec cette combinaison qui te fait un cul d'enfer... T'es con ou quoi,
tu m'as cassé le nez !

Je reste, quelques instants, figée par les informations qui m'ont été donné. Isaac, un souci ? Pourquoi
n'appelle-t-il pas lui-même ? Il ne m'a jamais recontactée depuis mercredi, jour où je lui ai fait faux bond,
j'ai du mal à croire que ce soit moi qu'il veuille voir dans ces conditions. Mais au fond de mon âme, dans
mes tripes, je sens qu'il s'est bel et bien passé quelque chose. J'essaye de rappeler : le néant. Je tombe sur
la messagerie.
- Quelque chose ne va pas ? Tu as une drôle de tête. Ce sont les cookies qui te donnent du fil à
retordre ? m'interroge Liam.
Son sourire m'éblouit. Je crois qu'il ne se rend pas compte de son charisme naturel. Pour autant, je
suis certaine d'une chose, je dois aller voir ce qui se trame chez Isaac. J'hésite à jouer la franchise ou
mentir, cependant j'opte rapidement pour la seconde option, Liam ne comprendrait pas.
- Je viens d'avoir un appel de ma mère. Figure-toi que ma grand-mère a fait un léger malaise, alors
t'imagines, elle est dans tous ses états, la pauvre ! Elle aimerait que je passe pour la rassurer. On peut
remettre le ciné à plus tard ? je demande, honteuse de le trahir en le regardant droit dans les yeux.
- Oh, j'espère qu'elle va bien. Cours-y et salue-la de ma part. Ne t'inquiète pas pour la séance, de
toute façon, je n'aurais pas été très distrayant, je dois écrire une critique, donc prendre des notes et me
concentrer.
Il se lève brusquement, vient m'enlacer et me chuchote qu'il espère que tout se passera bien.
J'aimerais lui répondre « moi aussi », mais comme je ne sais pas dans quoi je m'embarque, et que ça a un
rapport avec Isaac, je m'attends au pire. Je le laisse partir et range une partie de la maison. Je me refais
une beauté, change de tenue et passe quelque chose de plus approprié pour sortir. Je tente de rappeler
avant de partir et cette fois, Ayden décroche.
- Allô ?
- Ayden ? Joy, à l'appareil. Je n'ai pas vraiment compris ton message vocal. Que se passe-t-il ?
- Je crois qu'il faudrait mieux que tu viennes le constater par toi-même. Il ne demande qu'à te voir, et
j'avoue qu'on commence à perdre patience, ici. J'avais filé rencard à une beauté rencontrée sur Internet et
ce con me fout mes plans à l'eau, qu'il peut être égoïste parfois. Bref, tu te dépêches ?
- Je pars tout de suite.
À peine raccroché, je marche à grandes enjambées vers la station de métro. Je m'inquiète. De
nombreux scénarios tournent dans mon esprit. Veut-il vraiment de moi ou est-ce un plan tordu pour mieux
me blesser plus tard ? La plaie qu'il a façonnée dans mon cœur saigne encore et je doute de tout le
concernant, maintenant.
Les arrêts s'enchaînent trop lentement, je ne peux m'empêcher de me poser des milliers de questions.
J'ai peur et honte d'avoir menti à mon copain pour rejoindre quelqu'un qui m'apprécie à peine. Nous
sommes en contact pour le boulot alors, pourquoi voudrait-il rencontrer sa chargée de communication à
une heure pareille ? Puis soudain, une révélation me transperce. Et s'il disait vrai quand il m'a avoué qu'il
m'aimait ? Et si j'étais en tort depuis le début en croyant qu'il plaisantait ?
La Muette.
Je ne peux m'empêcher de sourire un peu en descendant, enfin. Je me retourne et observe le mur.
Celui contre lequel il m'a embrassée. Sans m'en rendre compte, je rougis. J'avance de quelques mètres et
me heurte de plein fouet à Ayden, le regard fou. Je lui demande une nouvelle fois ce qu’il se passe, mais
il se mure dans le silence. Il se contente de m'attraper la main pour que j'avance plus vite. Quand nous
passons la porte d'entrée, je me rends compte que je tremble de tout mon être et, à ce moment précis, j'en
oublie presque comment je m'appelle. Je ne veux qu'une chose, voir Isaac.
Chapitre 4

Isaac

Quand j'ai reçu le coup de fil de mon père, j'ai compris qu'il se passait quelque chose de pas net. On
ne se parle jamais, tous les deux. Cela reste cordial pendant les repas de famille, et on s’arrête là. C'est
de sa faute si je suis aussi buté aujourd'hui. Il a préféré se barrer avec sa maîtresse quand j'avais douze
ans et n'est revenu que plus tard, quand il a appris que Maman était malade. Jamais, je ne lui pardonnerai
de nous avoir abandonnés.
Après une bonne heure de transports en commun, j'arrive devant l'appartement familial. Rien n'a
changé dans ce quartier. Il paraît figé dans le temps. Je monte les escaliers, la boule au ventre. Je
m'attends au pire. Moi qui ai passé mon adolescence à me forger un masque d'acier, celui-ci semble se
fissurer de secondes en secondes.
- Elle s'en va fiston, il faut que tu viennes lui dire au revoir.
Et pour la première fois depuis des années, je pleure. Ma mère s'est battue contre plusieurs cancers,
et à chaque fois qu'elle était en rémission, on en découvrait un nouveau. Les salariés de l'hôpital
l'appelaient la survivante. Mais aujourd'hui, son corps en a assez de ces poisons injectés, il se rend. Il
veut se reposer. Pour l'éternité.
Dans la chambre, je la découvre allongée sur le lit. Plus maigre que jamais, son teint est pâle, quasi
jaunâtre. Pourtant, elle semble apaisée, son visage ressemble à celui qu'elle arbore lorsqu'elle dort
paisiblement. Je laisse les larmes couler, et m'approche de son corps frêle. J'agrippe sa main, puis
embrasse son front. Je l'aime ma mère. Elle n'a pas le droit de partir comme ça, elle doit me voir
amoureux, me marier, avoir des enfants. Je refuse qu'elle me quitte avant.
- Maman, je suis là, maintenant. Je t'aime tellement. Reste encore un peu, je t'en supplie.
- Elle vous entend, m'explique une infirmière sortie de je ne sais où. Elle s'éloigne simplement de la
rive peu à peu et même si cela vous semble inconcevable, vous devez la laisser traverser. Elle en a
besoin pour se libérer, pour son bien.
- Pour son bien ? Vous vous foutez de ma gueule ? Elle est en train de mourir, putain ! Comment cela
peut-il être positif ? Et comment arrivez-vous à rester aussi insensible, bordel ? Faites votre putain de job
et maintenez-la en vie !
Je suis déchaîné, je ne me reconnais plus. Mes pensées se bousculent par centaines. Je vomis avant
d'arriver dans les toilettes, recrachant toute la nourriture ingurgitée ces dernières vingt-quatre heures. Je
me laisse tomber sur le sol, mes jambes me lâchent et je cogne contre tout ce que je peux. Il me faut près
de quinze minutes pour reprendre constance. Lorsque j'y parviens, je retourne au chevet de ma mère,
priant intérieurement pour qu'elle soit réveillée, prête à me dire que je suis mal coiffé et que mon look
laisse à désirer. J'ai besoin qu'elle me revienne, ma maman...
Immobile, ma mère ne bronche pas. J'attrape à nouveau sa main et lui confie tous mes doutes, mes
sentiments et mes rancœurs. Mon père et l'infirmière nous laissent seuls quelques instants. La réalité me
frappe de plein fouet : je suis en train de dire adieu à ma mère, c'est probablement la dernière fois que je
la vois, vivante. J'enregistre les traits de son visage, respire l'odeur de ses cheveux. Je lui ressemble
tellement.
- J'aurais aimé te la présenter. J'aurais peut-être dû, d'ailleurs. Maman, je suis tombé amoureux d'une
fille. Tu verrais, elle est tellement belle. Elle s'appelle Joy et on travaille ensemble pour mon livre. Elle
ne sait pas encore ce que je ressens pour elle, enfin je ne pense pas qu'elle l’ait compris quand je le lui ai
dit. Lorsqu'elle est là, je suis heureux, Maman. Pourquoi je n'arrive pas à la sortir de mon esprit plus
d'une heure ? Pourquoi je déteste ce garçon qui l'appelle Trésor ? J'aimerais que tu m'aides, mais je te
promets que je n'abandonnerais pas. Je te promets de m'essayer au bonheur et de me laisser un peu aller.
Je ne te décevrais pas, Maman, je te le jure.
Soudain, ses yeux s'entrouvrent et sa main serre la mienne. Sous le choc, j'appelle mon père qui
accoure à ses côtés lui aussi. Elle nous murmure un « je vous aime », tourne la tête à droite, à gauche,
essayant probablement d'enregistrer les moindres traits de nos visages meurtris et ravagés. Puis, son
regard plongé dans le mien, elle cesse de respirer d'un seul coup. Son cœur s'arrête. Sa poigne me libère
et elle s'envole. Elle part, me quitte. À jamais.
Non, ça ne peut pas se dérouler comme ça. J'entame un massage cardiaque comme je l'ai appris
pendant ma formation de premiers secours. Mon père me somme de m'arrêter, mais je n'y arrive pas.
L'infirmière tente de me calmer, m'attrape le bras pour me faire reculer et une fois assis dans un fauteuil,
elle sort de la chambre pour nous laisser, seuls avec ma mère. Les pompes funèbres viendront plus tard,
dans quelques heures, quand je saurai à qui faire appel. Des sociétés se faisant de l’argent sur la mort et
le chagrin des gens, il y en a tant. Cela ne devrait pas être difficile à trouver.
Puis, je laisse mon esprit retourner à ce qu’il y a vraiment d’important. Son corps inerte, planté là,
au milieu de ce lit. Je hurle, extériorise la douleur dans les bras de ce père absent, qui nous a tant fait
souffrir autrefois. Avant de quitter la pièce, je ne peux résister à faire ce que j'attends depuis des années.
Mon poing part s'écraser sur sa mâchoire avec vigueur.
- Celui-là, c'est pour nous avoir jetés comme des lépreux, je lâche, avant de sortir en trombe.
Ma mère est morte. J'ai du mal à y croire. J'avais promis que je mangerais avec eux dimanche
dernier mais je ne suis pas venu, j'attendais des nouvelles de Joy. Je regrette tellement. Est-ce qu'elle
allait bien ? Sentait-elle qu'elle allait partir ? L'avait-elle dit à mon père ? Je ne veux plus y penser pour
le moment. J'entre dans un bar, cogne un abruti sans nom qui essaye de tripoter une fille dans un coin et
finis par me faire jeter dehors. Alors, je me dirige vers le café d'en face et commande ce qu'ils ont de
plus fort. Le serveur à la sale gueule me tend un shot de liquide ambré que j'avale cul sec. Je réitère
l'opération pour les six suivants, et j'enchaîne les verres jusqu'à ne plus pouvoir marcher.
- Waouh, tu as vraiment une sale tête mec, tu vas bien ? me souffle Ayden quand je rentre à
l'appartement.
Je ris et pleure en même temps. Il comprend immédiatement que quelque chose ne tourne pas rond. Je
ne verse jamais une seule larme pour quoi que ce soit.
- Appelle Joy et dis-lui de se pointer ici, s'il te plaît.
Je lui tends mon portable en chancelant et il s'exécute sans dire un mot. Arthur nous rejoint sur le
canapé et propose de regarder un porno pour me changer les idées. Comme si j'avais besoin de voir des
chiennes en chaleur et des boules en gros plan... Je m'en branle aujourd'hui.
Les gars essayent de me faire parler plusieurs fois, mais lorsque je commence à balancer tout ce qui
passe sous ma main, ils laissent tomber. J'entends mon portable sonner, Ayden qui répond et attrape une
Heineken dans le frigo quand mes colocataires ont le dos tourné.
- On ne t'a jamais appris que la bière mélangée à autre chose rend malade ? Lâche ça mon pote,
tiens, bois du coca si tu veux, je vais faire les pâtes carbonara que tu kiffes, d'accord ?
Arthur part s'affairer en cuisine et j'observe ce qui se passe sans vraiment y prêter attention. Une
coquille vide, voilà ce que je suis. Je tente de me lever pour rejoindre ma piaule, mais comme je manque
de me casser la gueule à plusieurs reprises, j'attends assis à même le sol. Je ne sais pas pourquoi je
patiente, pourtant je le fais.
- Mec, tiens, prends une assiette. Ayden, il a vraiment l'air mal en point, on dirait qu'il ne nous entend
même pas... Je flippe !
J'essaye d'articuler quelque chose, j'aimerais leur avouer que ma mère est morte, ils la connaissaient
et méritent donc de savoir. Mais non, rien ne sort. Une heure plus tard, ou peut-être moins, j'entends de
nouveaux pas dans l'appartement. Je lève les yeux vers le nouvel arrivant et y croise les deux grandes
prunelles bleues de Joy. Mon état doit la préoccuper, je le vois dans ses iris. Elle s'approche, se met à
genoux devant moi et pose sa main sur ma joue.
- Eh, je suis là, tout va bien se passer, chuchote-t-elle.
J'ai envie d'elle, ici et maintenant, pour décharger ma colère, mon angoisse, puis la remercier d'être
là parce que putain, j'ai l'impression qu'un ange vient d'arriver. Elle ne sourit pas, se tait. Elle se contente
de s'asseoir à côté de moi dans le couloir et jouer avec mes doigts. Et là, je tombe amoureux pour la
seconde fois.
Ayden et Arthur m'aident à me porter jusqu'à mon pieu où ils me font tomber. Je garde la main de Joy
dans la mienne, puis quand elle tente de s'écarter, je la serre un peu plus fort. Je me doute que je ne suis
pas de bonne compagnie, mais j'ai besoin d'elle pour remonter la pente. Elle s'installe sur le rebord du lit,
aussi loin de moi que possible. Hors de question que j'en reste là. Je l'attrape par la taille dans un élan de
force surhumaine et la blottis contre mon corps. Je colle mon torse à sa poitrine et entrelace nos jambes.
Une fois seuls et le calme revenu, les sanglots rejaillissent. Ses mains s'aventurent maladroitement dans
mes cheveux pour essayer de me calmer.
- Ma mère est morte, j'arrive à articuler.
Ses mouvements se stoppent net et je jurerais qu'elle déglutit. Son cœur, quant à lui, commence à
battre plus vite, je le sens contre mes pectoraux.
- Je suis tellement désolée, Isaac. Mes condoléances.
J'embrasse sa joue, son front et son menton. Au fond de moi, j'espère déraper sur sa bouche, mais je
n'ai pas besoin de créer d'histoires supplémentaires ni qu'elle me prenne en pitié. Je refuse qu'elle soit
douce avec moi uniquement parce que je vais mal.
Mon pouce glisse sous son pull et je le pose sur son ventre chaud. Elle se contracte d'abord, puis je
la sens se détendre petit à petit. Joy est belle, je le constate même dans le noir. Au bout d'un moment, elle
brise le silence :
- J'ai eu peur pour toi, Isaac. Tellement peur.
Ses petits doigts glacés soulèvent mon tee-shirt avec précaution et elle s'amuse à suivre la ligne fine
de mes abdominaux. Je la veux tellement fort en cet instant que ça me fait mal. Elle doit probablement
sentir ma queue durcir contre sa cuisse, mais elle ne fait aucun commentaire. Nous restons dans
l'obscurité, allongés sur mon lit, blottis l'un contre l'autre. Je finis par m'endormir grâce à ses massages
crâniens et trouve un semblant de soulagement.
Le lendemain, au réveil, j'ai la gueule de bois de ma vie et encore la gerbe. Après avoir rendu mon
petit dej' hier, il m'a été impossible d'avaler quelconque aliment solide. Je sens que l'alcool ingurgité
aurait bien besoin d'être épongé d'une façon ou d'une autre. Je m'assois dans le lit et réalise que je suis
seul. Joy a dû fuir au petit matin. Je sais qu'elle est restée dormir avec moi, j'ai senti son corps se presser
contre le mien toute la nuit. Je me lève donc du pied gauche, avec la vive impression que la seule
personne capable de me remonter le moral, s'est faite la malle. Génial !
La lumière de l'appartement m'aveugle. Merde, j'ai vraiment abusé hier. Sur la table, il y a des pains
au chocolat, une salade de fruits et des crêpes. J'hallucine ou mes colocataires m'ont confectionné leur
petit-déjeuner d'après l'amour ? Je devais vraiment être pitoyable pour qu'ils soient si tendres avec moi.
Je reste debout, le regard dans le vide quand, tout à coup, je réalise avoir oublié l'inoubliable : contacter
les pompes funèbres. J'envoie valser la chaise à proximité de ma main, en colère contre moi-même. Mon
paternel a probablement déjà dû prendre les choses en main. Connard, toujours là quand il ne faut pas...
Je m'installe à contre cœur et fixe la nourriture sans la toucher. Je n'ai pas faim. Je sais que je dois
manger, mais je suis tout bonnement incapable d'avaler le moindre met posé devant moi. Mon estomac se
tord de douleur et mon corps douloureux me rappelle constamment l'horrible nouvelle. Je m'apprête à
quitter la pièce quand une magnifique chevelure brune ouvre la porte d'entrée. Les cheveux mouillés et
sans maquillage, elle est à tomber à la renverse.
- Salut, dit-elle en rougissant. Tu as mangé quelque chose ?
- Salut. Non, je n'ai pas tellement faim. Mais attends, tu as cuisiné pour moi ?
Elle hoche la tête et inspecte mon torse. C'est à ce moment que je comprends que je ne suis qu'en
boxer face à la femme de tous mes fantasmes.
- Je fais un effort si tu déjeunes avec moi. D'accord, Sainte Vierge ?
- Marché conclu, l'arrogant !
Chapitre 5

- Quel est ton programme du jour ? je demande à Isaac une fois le repas englouti.
- Rien de prévu, mais j'aimerais que tu restes avec moi.
Ses yeux éteints et remplis de tristesse me font succomber. Évidemment que je vais rester avec lui. Il
vient de perdre sa mère, bon sang. Avant hier soir, je n'étais même pas sûre qu'il avait des parents, car
jamais nous n'en parlions. Maintenant, c'est clair comme de l'eau de roche. S'il ne les évoquait pas, c'était
pour se protéger. Je meurs d'envie de lui poser des questions, d'apprendre vraiment à le connaître, mais
me tais. Du moins, pour l'instant.
- D'accord, je ne bouge pas.
Il semble satisfait de ma réponse. J'avoue que moi aussi, je ne m'imagine pas être autre part qu'ici.
Cette nuit a été belle malgré l'événement tragique qui l'a fait sangloter durant plusieurs heures. J'étais
contre lui, entourée d'un de ses bras forts et puissants, me sentant protégée comme rarement. Son souffle
me chauffait la nuque et ses mains se baladaient sur mon ventre innocemment. J'ai adoré ça. Un peu trop,
d'ailleurs.
Ayden et Arthur émergent à leur tour et ne font aucun commentaire sur ma présence ici, ni sur l'état
d'Isaac hier soir. Ils se contentent d'avaler la moitié des préparations restantes. C'est la première fois que
ça m'arrive, mais je me sens bien dans cet appartement, même si je suis entourée d’hommes sexy. Parce
qu'il faut être honnête, ces trois-là pourraient poser pour GQ. J'imagine Isaac se pavaner torse nu et me
surprends à sourire niaisement. Tu débloques, ma vieille !
Les deux garçons vaquent à leurs occupations tandis que je propose mon aide pour préparer le
déjeuner. Isaac parle peu pour l'instant, toutefois je préfère que ce soit lui qui s'ouvre à moi. Il sait que
lorsqu'il l'aura décidé, je serai là. Nous nous contentons du calme une partie de la matinée, jusqu'à ce que
je sente deux mains se poser sur mon ventre et un torse chaud appuyé contre mon dos. Je soupire en
fermant les yeux. J'aime son contact, ses câlins doux et possessifs.
- Merci d'être restée, car je sais que je ne suis pas très marrant. Je crois que j'ai envie de tout te
raconter. Enfin, si toi tu le veux, bien sûr. On pourrait se poser des questions chacun notre tour afin
d'apprendre à mieux se connaître ? Parce ce que pour l'instant, nous nous sommes surtout criés dessus,
admet-il en souriant.
Je suis hésitante. Je ne veux pas le perturber mais, en même temps, s'il le propose de lui-même, je
devrais accepter la main tendue, non ? J'essaye d'effacer mon angoisse quant à parler de ma famille, de
mon passé, mais on doit passer par là lorsqu’on devient amis. On se confie. Si ça n'avait pas été
aujourd'hui, cela aurait été pendant notre tournée des salons du livre en duo, au mois de juillet, c'est
certain.
- Commence, demande-moi ce que tu veux et je te répondrai. Promis. Enfin, n'abuse pas non plus,
j'ajoute en levant les yeux au ciel.
- Pourquoi es-tu en conflit permanent avec ta mère ?
Aïe. La première question fait déjà mal. Je mets ma fierté ainsi que ma rancœur de côté et respire un
bon coup.
- Je crois qu'elle ne m'a jamais aimée. En fait, c'est quasiment une certitude. À l'école primaire, j'ai
commencé à me renfermer sur moi-même et elle a trouvé ça étrange. Alors qu'elle rêvait qu'on soit les
deux meilleures amies du monde à l'adolescence, je préférais rester dans ma chambre avec mon casque
vissé sur les oreilles. Je n'avais qu'un seul ami, Liam. Je n'aimais pas particulièrement le shopping et
refusais de me rendre aux soirées. Elle souffre d'avoir donné la vie à un Alien, je le sais. Je suis loin
d'être la fille qu'elle avait idéalisée. Je passe plus de temps à la décevoir que le contraire.
Le dire tout haut me comprime le cœur. J'aurais tellement aimé qu'elle m'aime comme les autres
mamans, qu'elle m'accepte comme je suis. J'ai beau être un peu déjantée, je ne suis pas si terrible, si ?
J'avale une grande lampée d'air, secoue la tête pour prendre mon courage à deux mains et interroge Isaac
avant même qu'il ait le temps de rétorquer quoi que ce soit.
- À moi. Parle-moi de toi... et de ton passé.
- Question vague qui n'en est pas une d'ailleurs, mais comme je suis adorable, je vais te répondre.
Il prend le temps de passer la main dans ses cheveux et me conduis jusqu'à sa chambre. Il m'invite à
prendre place à côté de lui en tapotant la couette et je m'y allonge. Nos deux visages sont très proches l'un
de l'autre et je me demande comment je vais pouvoir ne serait-ce qu'écouter ce qu'il va me raconter. Mon
cœur bat tellement fort dans ma poitrine que ça créé des interférences dans mon cerveau.
- Mes parents se sont rencontrés alors qu'ils étaient encore au lycée. Ils sont tombés amoureux et ont
emménagé tous les deux à l'obtention de leur baccalauréat. Ils étaient fous l'un de l'autre, et un jour, ma
mère est tombée enceinte. Nous étions la famille parfaite, baignant dans l'amour et la joie tous les trois.
Jusqu'à mes dix ans, environ. Après, ça a changé. Ma mère commençait à avoir des problèmes de santé et
mon père découchait de plus en plus souvent. Moins de deux ans plus tard, il nous quittait pour s'installer
avec sa maîtresse. Le matin, même, maman venait d'apprendre qu'elle avait un cancer du sein. On a pleuré
tous les deux et je ne comprenais pas. J'étais en colère tout le temps, même au collège. Maman s'est
beaucoup occupée de moi. Elle m'a aimé, choyé. Puis un soir, quand j'ai appris que le cancer du sein était
guéri mais qu'elle en avait un plus gros ailleurs, plus difficile à combattre, j'ai appelé mon père. Il a
accusé le coup et est revenu à la maison. Je frôlais la majorité et je ne l'avais pas vu depuis mes douze
ans. Un refus catégorique de la part du petit garçon rancunier que j'étais. Puis, il faut admettre qu'il n'a
pas vraiment tenté de me contacter non plus... Alors, pour se rattraper, il m'a signé des chèques. Des tas.
Et je me suis installé ici avec Ayden et Arthur.
- Et alors, ta mère n'a pas pu vaincre ce cancer ?
- Oh que si, elle l'a surmonté. Elle en a eu plusieurs autres, ensuite. La gorge, les poumons... Tous ont
guéri. Sauf le dernier, au cerveau. Il s'est généralisé, précise-t-il, la voix mal assurée.
- Je suis tellement désolée, je me doute que tu étais proche d'elle.
Il ne fait qu'acquiescer, ne pouvant probablement pas à en dire davantage. Nous restons quelques
minutes dans un silence aussi relaxant qu'inconfortable avant qu'il reprenne les rênes de son jeu.
- Que lui trouves-tu, franchement ?
- À qui, Liam ?
À son regard, je comprends qu'il ne lâchera pas si facilement. Il hoche la tête et je me contente de
répondre.
- Il est gentil, incroyablement doux et surtout, nous sommes amis. Il me connaît par cœur. On a grandi
tous les deux, je pense tout simplement que c'était le moment d'essayer de se mettre en couple. On se
ressemble plus que tu peux l'imaginer.
- Tu sais, ça me surprend que tu ressortes toujours le même discours à son sujet. Pourquoi ne me dis-
tu pas ce qu'il te fait ressentir quand il s'approche de toi, qu'il t'embrasse ? L'aimes-tu ?
Sa question m'embarrasse. Je deviens faible et j'ai horreur de ça. Je détourne la conversation
rapidement et aussi délicatement que je puisse le faire. Enfin, de la façon la moins catastrophique
possible, devrais-je plutôt dire.
- Je croyais que c'était chacun son tour les questions, tu as déjà oublié ? Ou peut-être que tu as tout
simplement changé les règles sans me prévenir mais tu sais que ça ne se fait pas, de jouer sans prendre en
compte la partie adverse ? Je veux que tu me parles de ton livre, pourquoi tu as choisi le thème de
l'amour alors qu'apparemment, tu n'en as pas grand-chose à faire...
- C'est mon jeu et ce sont mes règles, alors j'agis comme bon me semble. Je te demandais juste si tu
l'aimais avant de pouvoir t'embrasser.
Et
Puis
Je
Meurs.
Mes yeux se mettent à observer sa bouche charnue qui m’appelle. Si j'ai envie qu'il m'embrasse ?
Oui, évidemment. J'aimerais me prouver que la fois contre le mur était torride de par la situation et non
pas à cause du personnage. J'analyse ses mimiques, de sa fossette qui se creuse quand il sourit, à cette
façon de toucher sa lèvre inférieure avec son pouce. Je me retiens fortement pour ne pas céder à mes
pulsions. Je recule, le laissant pantelant.
- Qu'est-ce que tu fais, au juste ?
- Je vais m'en aller, tes colocataires ne vont plus tarder, et il commence à être tard. Je vais vous
laisser entre mecs, ça vaudra mieux.
- Tu m'as promis que tu resterais avec moi aujourd'hui, alors honore ta promesse.
Cette phrase sonne plus comme un ordre qu'une question. Je hausse les sourcils, puis les épaules
attendant qu'il s'excuse, mais il ne le fait pas. Je me redresse et enfile ma paire de chaussures. Je ne peux
pas rester une minute de plus dans cet espace confiné avec lui. La proximité d'Isaac me tue et je sens que
je vais déraper si je ne pars pas dès maintenant.
Je retourne dans la cuisine et continue ma julienne de légumes, restée sur la desserte. Je me passe un
peu d'eau sur les joues et la nuque puis souffle plusieurs fois afin de me calmer. Malheureusement, il me
rejoint rapidement, m'empêchant de remettre mes idées en place. Il me domine de quelques centimètres et
se colle plus que permis contre moi. Il m'est tout simplement impossible de bouger, le dos collé au lavabo
et la poitrine au torse d'Isaac.
- S'il te plaît, laisse-moi juste faire ça. J'en ai besoin, Joy. Un seul baiser.
Ses deux grandes mains viennent encadrer mon visage et sa bouche s'écrase contre la mienne, tout en
douceur. Il me la dévore avec passion, comme si j'étais unique pour lui, sa première et sa dernière
conquête. À plusieurs reprises, il tire ma lèvre inférieure avec ses dents. Puis au bout de quelques
instants, nos langues commencent à danser ensemble. J'en profite pour attraper ses cheveux que j'adore et
jouer avec quelques mèches rebelles. Cette fois-ci, je permets à mes mains de devenir baladeuses. Elles
explorent, tâtent le terrain. Et quel terrain ! Ses épaules, son dos et ses fesses. Il ne se gêne pas pour en
faire de même.
Et ce qui était d'une tendresse infinie se transforme en préliminaires bestiaux. Il m'assoit sur le
rebord de l'évier et colle son bassin contre le mien. Quand je sens son membre dur contre mon pubis, je
me liquéfie. Ma langue tourne autour de la sienne sans relâche, je donne tout dans ce baiser, je me
remettrai en question plus tard. Son sexe vient se frotter au mien et je ne sais pas ce qu'il me prend mais,
dans un instant de folie, je laisse la paume de ma main l'attraper, l'exciter, à travers son jean. Il grogne et
je gémis. Je ne me rendais même pas compte que je haletais depuis le départ. Quelques-uns de ses doigts
s'aventurent sous la baleine de mon soutien-gorge et je quitte sa bouche pour suçoter son cou. Les
palpitations de mon cœur sont concentrées au Sud. Là où Liam m'a touchée. Là même où j'ai accueilli ses
doigts. Pourtant, en ce moment, je m'en fiche. L'homme arrogant dont je suis tombée amoureuse malgré
moi m'embrasse d’une façon inédite et c'est encore meilleur que du chocolat Milka.
- J'ai envie de toi, Joy Cohen, souffle-t-il, alors qu'il mordille le lobe de mon oreille.
Oh oui, moi aussi, Isaac Coste, plus que tu peux le croire. Sauf que j'ai un petit ami, et qu'il n'est pas
dans cette pièce actuellement.
Chapitre 6

La porte claque dans l'appartement et nous sursautons. D'instinct, je cours à l'autre bout de la pièce.
J'ai les joues brûlantes, les cheveux mal coiffés et la bouche gonflée. Aucun doute là-dessus, je viens
d'être embrassée. Isaac attrape le torchon et le place devant la bosse de son pantalon, juste à temps pour
qu'Ayden ne remarque rien. Ou presque.
- Vous faites à manger ? Enfin une bonne nouvelle, aujourd'hui !
Il attrape une orange au passage et file allumer la télévision. J'observe Isaac, silencieuse, et celui-ci
s'approche à nouveau de moi, ne manquant pas de fermer la porte discrètement au passage. Il m'embrasse
encore, plus délicatement cette fois. Mon être tout entier ne répond plus de rien. Je tremble comme une
feuille et j'ai envie de lui, j'ai véritablement et indéniablement envie de faire l'amour avec cet homme sur
la table de cette cuisine.
- Merci, souffle-t-il contre ma bouche avant de s'enfuir.
Je suis frustrée. Ravie, mais pas totalement. J'en voulais plus, même si je sais que ça aurait tout
compliqué. L'après-midi passe rapidement. Nous jouons tous les quatre à des jeux vidéo aussi débiles
que variés et j'en profite pour me rapprocher d'Isaac sur le canapé. Quand il ne s’y attend pas, mes doigts
glissent sur sa cuisse, son pouce frôle ma nuque... Tant de gestes anodins qui ne le sont finalement pas.
Qu'est-ce que Liam penserait de tout ça ? Et si c'était l'inverse, que croirais-je d'une fille qui le tripote et
l'embrasse désespérément ?
- Joy, c'est ton tour ! Pourquoi tu n'es même pas partie ? Tu vas nous faire perdre des points !
- Désolée, j'étais perdue dans mes pensées. On ne peut pas recommencer ? Cette fois c'est la bonne,
j'en suis sûre.
D'autres heures filent et la sonnerie de mon téléphone me ramène à la réalité. La pendule affiche déjà
plus de vingt heures et je suis encore ici. Isaac se crispe quand mon écran affiche le nom de Liam, mais il
se tait devant ses colocataires. Je n'ai pas vraiment envie de partir, je me sentais bien avec eux, mais
toute bonne chose a une fin. Je me lève sans cérémonie tandis qu'ils continuent leur partie de football sur
la console. Ayden et Arthur me gratifient d'un « salut » relativement sonore, et Isaac m'accompagne sur le
pas de la porte.
- Je te l'ai déjà dit mais merci d'être restée avec moi, la nuit dernière et aujourd'hui. Ça signifie
beaucoup. Je risque de passer quelques jours chez ma grand-mère, elle aura besoin de soutien, je
suppose. On dit qu’il n’y a rien de pire que de voir partir son enfant. Je te rappelle dès mon retour,
d'accord ?
Il se penche vers moi et mon estomac se contracte déjà, prêt pour le raz-de-marée qui va l'envahir.
J'attends, pourtant, rien ne vient. Je crois entendre un léger soupir de sa part et il se contente d'embrasser
mon front. Je suis déçue, presque triste. Allez savoir pourquoi. Je descends les escaliers et me détourne
pour imprimer l'expression son visage. Car j'ai l'effroyable sentiment que je ne vais pas le revoir de
sitôt…

Deux semaines plus tard

J'ai repris ma vie d'avant. Mes livres, mes vendredis et samedis soirs avec Liam. Isaac est inscrit
aux abonnés absents. Mes messages et appels sont restés sans réponses. Rien. Le néant. Alors, je patiente,
il refera sans doute surface au moment où je ne m'y attendrai pas. Puis, de toute façon, il devra bien
revenir à la maison d'édition pour peaufiner notre planning de l'été.
Le lundi qui suit, je fête mon anniversaire. Nous sommes déjà le six juin et je m'en réjouis d'avance.
Je sais que mes collègues sont au courant. Je devine qu'il se trame quelque chose. Mais, j'ai préféré faire
semblant de ne rien voir, histoire de les rendre heureux.
Guillerette et enjouée, je passe par la boulangerie acheter des viennoiseries pour toute l'équipe. Bien
qu'il fasse encore un peu frais, le soleil brille et les oiseaux chantent. Une vraie belle journée pour mon
quart de siècle. À mon arrivée, les bureaux sont calmes. Je suis une des premières à être arrivée, comme
toujours. J'installe pains au chocolat, croissants et brioche dans la salle de pause avec un écriteau «
servez-vous ». J'allume tranquillement mon ordinateur, constatant avec joie qu'aucun e-mail dérangeant ne
m'attend, puis je vagabonde sur les réseaux sociaux. En ce jour unique, je n'ai réellement pas envie de
travailler, plutôt de m'amuser.
Tour à tour, mes collègues viennent me souhaiter mon anniversaire, ce qui me réjouit encore plus.
Même Gérard Badouk prend la peine de s'arrêter quelques instants, incroyable mais vrai !
- Joyeux anniversaire, Joy. Et merci de faire partie de notre équipe, l'entreprise a de la chance de
vous compter parmi elle.
Je n'ai pas le temps d'ouvrir la bouche pour le remercier qu'il est déjà parti. Plus rapide que Buzz
l'éclair, celui-ci.
Le midi, je suis invitée au restaurant par Manon, Eugénie et Béatrice. Toutes trois m'offrent une carte
cadeau pour mon magasin favori et je jubile. FNAC, je viens te dévaliser, tiens-toi prête !
Le soir venu, je ne me fais pas prier. Si je ne compte habituellement pas mes heures, aujourd'hui, je
décampe avant même dix-sept heures. Je m'offre une glace et flâne dans les rues parisiennes. J'adore la
sensation du vent qui me décoiffe. Puis soudain, je commence à penser. Pourquoi Isaac ne m’appelle-t-il
pas ? Lui est-il arrivé quelque chose ? L'un de ses colocataires m'en aurait probablement parlé, je leur ai
donné mon numéro pour qu'ils puissent me prévenir s'il n'allait pas mieux. Et Liam, pourquoi ne m'a-t-il
pas envoyé de message comme à son habitude ? En y réfléchissant, cela me paraît même très étrange.
Je fais un détour par le magasin tant convoité et en ressors les bras chargés et la carte entièrement
débitée. Il n'aura pas fallu attendre longtemps pour que je me fasse plaisir. Je rentre chez moi un sourire
aux lèvres avant de m'étaler, comme une crêpe, sur le canapé.
Au bout de quelques instants seulement, quelqu'un frappe à la porte. Liam porte un bouquet de roses
rouges immense et un costume gris clair. Mes pupilles se dilatent d'excitation à cette vision. Bon Dieu
qu'il est beau...
- Bon anniversaire, Trésor. Passe une robe de soirée, et apprête-toi à ne pas dormir de la nuit parce
qu'on sort !
- Tu sais, j'ai presque cru que tu m'avais oubliée. Je me suis dit, évidemment, on se met ensemble et
il zappe le plus beau jour de l'année, cet homme mérite d'être dressé ! j'ajoute, en éclatant de rire.
Je cours dans mon dressing à l'affût d'une tenue spéciale. Peu importe où il a prévu de m'emmener, je
dois être la plus belle ce soir. Si lui est en costume, ce doit être un restaurant chic ou quelque chose dans
le genre. Je choisis une robe patineuse bleu électrique qui sublime ma silhouette. Je cours dans la salle de
bain que je ferme à clé derrière moi, je n'ai pas ni envie ni besoin que Liam me scrute en train de me
raser les jambes, ça n'a rien de glamour. Je me remaquille, coiffe mes cheveux à la va-vite, ne rajoutant
qu'un serre-tête excentrique, et rejoins mon petit ami qui a désormais pris place sur le canapé. Mais à ce
que je constate, il n'est plus seul. Grégory, ses amis avec qui nous sommes sortis il y a quelques
semaines, mes parents, trois autres de mes cousins, Isaac, ses colocataires, mes collègues et deux autres
inconnues me crient « surprise » en chœur et se jettent sur moi.
Il faudrait que je réagisse, je le sais. Pourtant mon corps le refuse. Je suis littéralement sous le choc.
Après deux semaines d'absence, mon arrogant favori est dans mon salon, les traits tirés. Je n'ai qu'une
envie, aller l'engueuler, voire le gifler un bon coup. Avant que j'obtempère, deux bras doux m'en
empêchent. Liam colle mon dos à son torse et embrasse mon cou.
- Vingt-cinq ans, il fallait bien faire quelque chose de spécial, non ? Alors profite, Trésor.
Il m'embrasse, mais mes yeux ne se ferment pas. Ils le fixent, lui. Celui qui m'a embrassée pour
mieux me délaisser. Celui qui m'a fait ressentir les plus belles choses de ma vie pour venir... attendez,
quoi ? Je pousse doucement Liam sur le côté et observe ses doigts entrelacés à la grande blonde à côté. Il
se fout de ma gueule, c'est un sketch, ou quoi ? Je me redresse, comme un suricate, et épie la greluche qui
ose se frotter à lui. Bordel, je crois que je vais vomir. Mon estomac se contracte violemment et mon
rythme cardiaque augmente dangereusement. Je suis proche de la syncope lorsque ma mère vient me
saluer.
- Ma chérie, je dois avouer que tu as fait un effort sur ta tenue aujourd'hui. Joyeux anniversaire.
Ma maternelle m'embrasse à peine, laissant mon père m'enlacer joyeusement. Puis, tout le monde y
passe. Je crains le moment où j'arriverais face à Isaac plus que les autres. Je fais le tour de la salle et
termine par lui. Je suis glaciale et ne lui accorde pas un regard. Il me chuchote un « il faut qu'on parle »
avant que je me détourne, sans porter attention à ce qu’il pourrait rajouter.
Liam a réservé le restaurant pour nous tous avant de finir dans un karaoké pour ceux qui veulent.
Bien que je déteste me montrer en public, je trouve cela hilarant de chanter devant les autres. Et mieux
encore, d'écouter les casseroles brailler sur du Johnny Hallyday. Je suis en bout de table, entourée par
Grégory et ma mère. Isaac est à mon exact opposé et j'en suis ravie, je ne le vois pas bien. J'aperçois
juste une blonde platine le tenir par le cou ou lui donner la becquée. Dégueu !
De temps à autre, nos regards se croisent par accident et je suis toujours la première à baisser les
yeux, la mine indéchiffrable. Je lui en veux. Il m'a manqué, je me suis fait un sang d'encre pour lui, alors
que pendant tout ce temps, il batifolait avec Barbie. Le repas convivial, du moins pour les autres, se
termine lorsqu'on apporte un énorme gâteau au chocolat sur la table. Je souffle mes bougies sous un
tonnerre d'applaudissements. Le reste des convives nous observe, quelques-uns s'amusent de la situation.
Je me retiens de hurler quand je m'aperçois que la blonde l'embrasse et soudain me vient une idée.
Stupide, immature, peu importe comment la définir, mais je m'approche de Liam, m'assois sur ses genoux
et le remercie. Je laisse mes lèvres jouer avec les siennes. Je sais pertinemment qu'il me regarde, je le
sens, alors j'intensifie les choses. C'est le raclement de gorge de mon père qui me fait revenir à la réalité.
J'offre un sourire timide à l'assemblée - vengeur à Isaac - et retourne à ma place pour déguster mon
dessert.
- Deux banquettes nous ont été réservées pour le karaoké, alors ceux qui le souhaitent, n'hésitez pas à
nous suivre, clame Liam.
Mes parents me saluent, préférant rentrer, et il en va de même pour mon cousin et ses amis. Je passe
par les toilettes avant de sortir d'ici afin de me rafraîchir et retoucher mon maquillage. Malheureusement
pour moi, la créature blonde a eu la même idée.
- Joy, tu t'appelles bien comme ça ? Joyeux anniversaire. C'est cool de la part de ton petit ami de
nous avoir invités. Oh excuse-moi, je suis malpolie, je ne me suis pas présentée, Crystal.
- Tu sors avec Isaac, Crys-tal ?
J'articule son prénom avec ironie. Qui se nomme Crystal, franchement ? C'est le prénom d'une garce.
La bimbo ne semble même pas l'avoir remarqué, ou alors elle respire la gentillesse - ce dont je doute
énormément - pour le souligner. Au fond de moi, je préfère valider la première option. M'imaginer qu'elle
peut être sympathique avec lui me révulse. Elle hoche la tête, tout en se remaquillant la bouche.
- Depuis peu, oui. J'ai toujours été folle amoureuse de lui, tu sais. Comme il était de retour chez sa
grand-mère, il fallait que je tente ma chance. Je t'avouerais même que le défi n'a pas été trop compliqué.
Je suis heureuse, maintenant. Je crois que c'est l'homme de ma vie, tu comprends ? Avoir envie de
l'embrasser tout le temps, faire l'amour toute la nuit... Ah, soupire-t-elle, enfin, tu ne dois probablement
pas savoir.
- Tu as raison, je n'aime pas les salopards arrogants.
Et je quitte cette pièce de façon théâtrale, n'attendant pas de réaction de la part de Barbie.
Chapitre 7

Nous nous garons sur le parking en face du bar. Il semblerait que beaucoup aient eu la même idée
quant à leur occupation du lundi soir, puisque l'endroit est bondé. Deux canapés en cuir beige portent la
mention « réservé » sur leur dossier et j'imagine que ce sera notre repère pour les heures à venir. Je
m'assois entre Liam et Ayden et ce dernier n'arrête pas de me chambrer. Les sous-entendus sur ma
présence chez eux l'autre week-end sortent de sa bouche à vitesse grand V, et je remercie le lieu d'être si
fréquenté. Liam ne peut pas l'entendre.
Le serveur plutôt agréable à regarder vient prendre nos commandes et nous invite à consulter la liste
des titres à interpréter. J'essaye de me défiler pour mon anniversaire, mais Ayden ne semble pas du même
avis.
- Je déteste chanter, même sous la douche, alors si moi j'ose grimper sur scène, tu le fais aussi. Hors
de question qu'on doive se ridiculiser et pas toi.
La tablette passe d'une main à l'autre et nous cochons tous une chanson. Il y a de la variété française,
du rock et de la pop anglo-saxonne. En bref, un choix monstre. Je fais défiler les titres sous mes yeux et je
trouve exactement ce qu'il me faut. Des paroles qui s'adressent au grand brun aux yeux azur en face de
moi. Je pose une seconde option sur le célèbre You Can't Always Get What You Want des Rolling Stones
et tends l'appareil à mon voisin.
Les cocktails arrivent, l'ambiance demeure plutôt détendue, même si Ayden se montre un peu trop
tactile au goût de Liam. Je n'arrête pas de rire de ses anecdotes, toutes plus horribles les unes que les
autres. Il évoque son métier, coach sportif, et nous raconte des histoires qu'il a pu avoir avec certaines
clientes. La plus drôle est sans aucun doute lorsqu'une Valérie a pris contact avec lui. Au téléphone, sa
voix paraissait plutôt bandante, si je reprends les mots du petit blond à côté de moi, pourtant le lendemain
matin, la femme sexy s'avérait être un homme bien poilu.
Mon fou rire s'arrête net lorsque le micro annonce l'arrivée du premier chanteur sur scène. Une
assistante vient prévenir Crystal qu'après, c'est son tour, et Barbie file en coulisse. Liam choisit ce
moment pour prendre un appel, bien ma veine. Et me voilà en train de jouer à celui-qui-baissera-les-
yeux-le-premier avec Isaac. Je gagne haut la main, car ses colocataires décident de partir en chasse et
l'interrompent pour lui demander du feu. Nous sommes désormais sept autour de la table, et, dorénavant,
d'autres nous abandonnent pour se dégourdir les jambes. Nous voilà plus que trois.
- Tu peux dégager deux minutes, s'il te plaît ? demande Isaac à ma grande cousine qui semble déjà
être dans les vapes.
Elle s'exécute sentant la menace poindre et m'abandonne là à mon triste sort. Lâche !
- Bon, on a seulement quelques minutes, alors laisse-moi t'expliquer, s'il te plaît.
- Tu n'as pas le droit de réapparaître après deux semaines de silence. C'est injuste. J'ai attendu de tes
nouvelles chaque jour. Alors non, maintenant je refuse de t'écouter. Je veux profiter de mon anniversaire,
avec mes proches. Et tiens, regarde, ta copine te chante sa sérénade.
Crystal brille sur scène et braille I Will Always Love You. Elle fixe Isaac fixement et lui lance de
nombreux clins d'œil. Lui, imperturbable retourne à ses explications, donc moi.
- Putain de femme têtue ! Je veux juste t'expliquer pourquoi je ne suis pas seul ce soir pour éviter de
passer pour un connard. La dernière fois que nous nous sommes vus, je t'embrassais et là, on
m'accompagne. Tu dois trouver ça un peu étrange.
- Étrange n'est pas le mot. Mais à mes yeux, tu passes pour un sacré connard !
Venimeuse dans mes propos, je ne peux m'en empêcher. Attaquer me soulage. Tant pis si je passe
pour une rageuse ou la jalouse du siècle. Je veux qu'il comprenne que je n'accepte pas son comportement.
Il a beau être sexy à en mourir, ça ne fait pas tout.
- Joy, s'il te plaît. Je te le dis quand même et tu en feras ce que tu voudras. Je suis allé chez ma
grand-mère pour organiser l'enterrement. J'ai passé quatre jours avec elle et mon père avant que les
obsèques aient lieu. Un soir, durant une balade dans le bourg, j'ai croisé Crystal qui promenait son chien.
On a discuté, elle m'a avoué que je lui plaisais et qu'elle avait toujours voulu tenter quelque chose avec
moi sans jamais oser. Puis, nous avons tenté le coup. Tu es avec ton Liam, que voulais-tu que je fasse ?
J'espérais éviter de rendre la situation bizarre ou tendue. Je ne regrette rien concernant ce qu'il s'est passé
la dernière fois, sache-le.
- Tu m'as vue, Doudou ? Tu as aimé ? Je ne l'ai chantée rien que pour toi.
Il continue de me dévisager quelques instants avant qu'elle ne commence à lui dévorer la bouche. La
vision m'écœure tellement que je préfère m'éloigner. Je ne devrais pas me sentir si triste, pourtant je le
suis. Plus le temps passe, plus je dois admettre que j'aime autant Isaac que Liam. Je rêverais d'avoir des
sentiments uniquement pour l'un ou pour l'autre, mais à mon grand dam, la simplicité n'est pas mon fort.
J'ai envie d'embrasser les deux, de m'amuser avec les deux. Et pour ça, je me déteste.
- Mademoiselle Cohen ? Venez, ça va être votre tour après ce jeune homme.
Arthur tente tant bien que mal de suivre les paroles sur l'écran et j'éclate de rire tandis qu'il grimace.
Heureusement qu'Ayden et lui sont ici ce soir, ils ont toujours le mot pour rire et c'est exactement ce dont
j'ai besoin pour me vider la tête.
La chanson s'achève et il n'attend aucune réaction de la part des gens présents avant de s'enfuir. Le
présentateur remarque son empressement et le commente, ce qui fait rire tout le monde. Je prends place,
lorsqu'on m'y invite.
Au départ, je l'avoue, je me sens terriblement mal à l'aise. Des paires d'yeux m'observent avec
curiosité et je prie intérieurement pour ne pas me tromper ni dans le rythme, ni dans les paroles, bien que
ça ne semble pas être un véritable problème pour certains. La musique démarre et le spot se braque sur
moi. Je reprends confiance. Les visages deviennent des formes sombres. Des ombres. Malgré cela, je
sens le regard perçant d'Isaac dirigé vers la scène. Je me laisse aller au gré de la chanson de Shakira et
Beyoncé, Beautiful Liar. Quand le refrain retentit, je ne peux m'empêcher de regarder dans la direction
de notre coin VIP. J'espère qu'il me contemple encore et que Liam ne se rend pas compte de mon odieux
petit manège. J'ose même me déhancher pendant l'interlude musical, ce qui me vaut quelques sifflements
pervers et autres mots obscènes de la part de l'assemblée. J'avoue que je m'en moque, je veux tout
simplement faire passer mon message : « Tu es peut-être un beau parleur, Isaac, un menteur, mais je ne
pleurerai pas pour toi. »
Je retourne à la table et m'aperçois que seuls l'arrogant, sa garce de copine, Ayden et Arthur sont
présents. Je suis soulagée. Cela m'aurait contrariée de devoir raconter d'autres mensonges à mon petit
ami.
- Waouh, Jo ! Je ne savais pas que tu étais aussi sexy. Bordel, tu concurrences Beyoncé, là !
s'exclame Ayden, tout en passant un bras sur mes épaules. Puis, il ajoute :
- Si tu étais venue seule ce soir, je te ramènerais dare-dare à la maison.
- Qu'ai-je manqué d'intéressant ? demande Liam avant de m'expliquer que son boss lui sommait de ne
pas venir travailler le lendemain matin, la majorité de l'équipe étant absente.
- Mon gars, félicitations, tu as tiré le gros lot. Ta nana, c'est une vraie chaudière.
- Ta gueule Ayden, maintenant ça suffit, scande une voix que je ne connais que trop bien.
J'avale le reste de mon cocktail rose d'une traite et prétends écouter ce que la personne chante, alors
que je m'en contrefiche. Je ne veux pas que ma soirée d'anniversaire soit gâchée par une connerie, elle
l'est déjà en partie à cause de Crystal. La voir accrochée à Isaac comme une huître à son rocher fait pitié.
- Doudou, tu viens danser, s'il te plaît ? J'adore cette chanson.
Tu parles d'un Doudou, Isaac n'a rien d'un Doudou ! Qu'elle m'agace cette fille ! Plus le temps passe,
et moins je la supporte. Dans une autre vie, où je serais extravertie comme Ély, j'attraperais cette fille par
les cheveux et lui cracherais ses quatre vérités au visage.
- Non, c'est à mon tour de chanter.
Isaac se lève d'un bond, rejoignant les coulisses. Je l'observe depuis la passerelle. Il passe derrière
le rideau noir, à gauche, comme je l'ai fait précédemment et j'attends. Je meurs d'envie d'entendre sa voix,
de savoir ce qu'il va interpréter. Quand la vieille dame termine enfin, il se poste sur scène. Liam me
demande ce que je veux boire, mais je laisse ma réponse en suspens, incapable de détacher mes yeux de
cette créature enivrante. Et à ma plus grande surprise, c'est une chanson française qu'il a choisie. Du
Bruel, si je ne me trompe pas. La mélodie, douce et lente, s'oppose au personnage qu'il représente. Je
laisse les paroles m'atteindre et les larmes me montent aux yeux.

Vite, je tombe
Est-ce que tu seras en bas ? Est-ce que tu m'attendras ?
Pour m'emmener là où je n'sais pas,
Pour me ramener vers toi ?
Alors, vite, je tombe comme un pantin sans fil,
Notre histoire qui défile,
Je cherche ta main dans les nuages,
Pour pas tourner la page.

Avant de m'en rendre vraiment compte, je pleure. Sa voix est parfaite, il chante vraiment bien, cet
arrogant. Y'a-t-il vraiment quelque chose qu'il ne sache pas faire correctement ? Le titre terminé, il
remonte l'escalier et nous retrouve. Crystal se jette à son cou et je ressens le besoin inexplicable de
parler avec lui. Maintenant. Ici. J'attrape sa main, geste qui surprend tout le monde, même moi, et me
dirige vers la sortie à grandes enjambées.
- Cette chanson était-elle pour moi ou j'ai rêvé ? Il faut que tu sois honnête maintenant, j'en ai marre
de jouer au chat et à la souris avec toi. Tu m'embrasses, tu veux coucher avec moi, et deux semaines plus
tard, tu te balades avec cette... Barbie. Je t'ai écouté tout à l'heure, mais je ne comprends pas. Elle se
comporte en diva, et son prénom, merde elle s'appelle Crystal !
Si au début de ma tirade, il était interloqué, désormais, il rit. Il allume une cigarette et le seul le petit
bout luisant me prouve qu'il se tient à mes côtés. Il fait plus noir que dans le cul d'une vache ici. Ils ne
connaissent pas les lampadaires ?
- Quelle mauvaise foi, tu agis de la même façon. En quoi ça te gêne que je sois avec elle ? Tu as
quelqu'un, toi aussi. À moins qu'il ne te satisfasse pas sur certains plans...
- Comment veux-tu que je le sache, moi ? Je suis encore vierge, abruti.
Sa mâchoire s'ouvre à plusieurs reprises, définitivement sous le choc.
- Vous êtes ensemble depuis des semaines et il n'y a rien eu ? Mais je ne comprends pas, je veux
dire, il est quoi, homo ?
Je lui assène un coup sur l'avant-bras et apprécie sa proximité. Je lui en veux énormément d'être venu
accompagné sans m'avoir donné aucune nouvelle, mais son retour me rassure, malgré tout. La
conversation prend un autre tournant le temps que ce petit morceau de goudron se consume.
- C'est Liam qui t'a invité ce soir ?
- Oui, il a demandé à tes collègues et ton cousin qui tu voudrais convier et apparemment, j'étais dans
la liste. Du moins, j'espère que je le suis. D'ailleurs, j'ai quelque chose pour toi. Viens une seconde.
Je l'accompagne jusqu'à sa voiture, quelques mètres plus loin et il sort un paquet cadeau d'une
sacoche. Je ne me fais pas prier pour l'ouvrir et y découvre le coffret DVD de la dernière saison de
Scandal, accompagné d'un petit mot. Je scrute son visage avant de le lire, il a les joues rougies.
Je ne suis peut-être pas Fitz, mais tu es mon Olivia. Bon visionnage, Joy.(1)
- Joyeux anniversaire, joli cœur, est la dernière chose que j'entends sortir de sa bouche avant de
l'enlacer tendrement.

(1) Pour les non-initiés, dans la série, Fitz est le président des Etats-Unis et Olivia Pope est sa
conseillère en communication de crise. Ils s'aiment depuis longtemps sans jamais vraiment se l'avouer.
L'un ne peut pas se passer de l'autre.
Chapitre 8

Mon nez plonge dans son cou et l'odeur de son parfum me rend nauséeuse. L'alcool ingurgité plus tôt
était probablement trop fort pour moi. Je chancelle. Isaac s'en rend compte et m'étreins avant que je ne
puisse rencontrer le sol. Je l'en remercie. Je n'ose pas imaginer la honte que j'aurais pu avoir si ça avait
été le cas.
- Je crois qu'il est temps de rentrer pour toi, viens, je te raccompagne à l'intérieur.
En retrouvant notre coin VIP, je me laisse choir sur le canapé immaculé. Je suis à bout de forces,
mentalement épuisée. Voir la sale tête de Crystal ne m'aide pas à rester éveillée, bien au contraire. Je me
retiens pour ne pas lui vomir dessus. Liam pose immédiatement sa main sur ma cuisse et me demande, en
chuchotant, ce qu'il s'est passé à l'extérieur. Je ne le connais que trop bien, cette phrase sous-entend : «
Est-ce que ça va bien ? T'a-t-il touchée ? Embrassée ? » Si seulement...
Je suggère à Liam de rentrer, mais il ne réagit pas. Il refuse donc de m'écouter pour mon anniversaire
? Bien. Cette soirée vire au cauchemar. Je m'endors presque sur place, jusqu'à ce qu'un seau d'eau glacé
me soit jeté en pleine figure. Cette fois, je ne dors plus du tout, je hurle à pleins poumons.
- Qui est l'abruti qui a fait une chose pareille ? Hein ?
La plupart d'entre eux éclate de rire, Crystal me scrute avec dégoût et Liam se retient de sourire en se
mordant la lèvre inférieure. J'analyse les indices laissés à ma disposition pour tenter de trouver le
coupable, et à son air malicieux, je comprends.
- Ayden, viens par-là ! Tu ne vas pas t'en sortir comme ça. Par ta faute, je ne ressemble plus à rien
maintenant. Tu auras ma mort sur la conscience si j'attrape une pneumonie en sortant dehors !
J'entreprends de lui courir après dans le couloir menant jusqu'aux toilettes, tâche qui échoue
lamentablement, parce que je reste moi, bien entendu. Je me prends les pieds dans un sac à main et finis
la tête à même le sol. Mais la guerre ne s'arrête pas pour autant. Je feins un traité de paix en lui tendant la
main, il se prend au jeu et, quand il est assez près, je saisis un verre au vol, puis lui verse un liquide
inconnu dans la nuque.
Il me porte sur son épaule afin de me ramener au canapé. Je suis toujours dégoulinante, commençant
même à grelotter. Il prend place à côté de moi et me pince les côtes. Je couine. Il me chatouille le ventre
jusqu'à ce que mes éclats de rires résonnent dans tout l'étage. Ma mâchoire me lance tant je ris en pleurant
comme une hystérique.
- Voilà ce que c'est de s'en prendre à quelqu'un de plus fort que toi. Et puis comme ça, j'aurais eu ma
vengeance pour Mario Kart, tu ne l'as pas volée, je te rappelle, s'exclame Ayden pile au moment où la
musique cesse.
Merde, merde, non. Pourquoi maintenant ? Liam me dévisage et hausse les sourcils, réfléchissant
probablement à ce qui vient d'être dit et, sachant que je suis fautive, je rougis de toutes parts. Mes joues,
mais aussi mon décolleté et mes bras se mettent à rosir. Je pourrais avoir un néon clignotant indiqué «
coupable » sur le front que ça ferait le même effet. Il sait que je lui ai caché quelque chose.
- Tu as joué à des jeux vidéos aussi débiles que ça, toi ? C'était quand ? demande Liam à Ayden sans
même s'occuper de moi.
- Je ne m'en rappelle plus vraiment, il y a deux semaines un truc comme ça, quand elle a passé le
week-end à la maison.
Mon cœur commence à battre en suivant une autre mesure, bien plus rapide cette fois. Je jurerais de
pouvoir sentir mes veines se remplir de leur sang. Ma tête me brûle. J'ai envie de m'enfuir, mais
impossible de sortir d'ici sans me vautrer. La question à un million franchit les lèvres de mon petit ami et
tout le monde semble s'être soudainement tourné vers moi. « C'est vrai ? Ta grand-mère a donc été
rebaptisée ? »
Je commence à paniquer. Non, en fait, je ne commence pas. Je panique tout court. Mes yeux font le
tour de la pièce une bonne vingtaine de fois avant que je décide de répliquer. Liam bouillonne de colère
et Isaac semble complètement éteint.
- Oui, je t'ai menti. Mais c'était vraiment une urgence, je t'assure. Isaac a eu problème familial et ses
colocataires n'ont pas trouvé d'autre solution que de m'appeler, histoire que je vienne pour lui changer les
idées. Je ne suis pas sans cœur, je l'ai aidé.
Les présents s'intéressent grandement à la conversation. Il ne manque plus que le popcorn pour que
certains soient pleinement satisfaits.
- Si c'en est un, Joy. Et tu veux que je t’en donne la raison ?
Sans me laisser le temps de répondre, il reprend :
- Parce que tu m'as menti. On était ensemble et tu m'as expliqué que ta grand-mère venait d'avoir un
malaise alors qu'en fait, tu es allée le retrouver, lui ? Je t'avoue que je ne comprends plus rien. Cette
attitude ne ressemble pas à la Joy que je connais.
Ses yeux m'analysent tristement. Je me sens mal, vraiment. Il ne mérite pas de souffrir autant, et moi
non plus d'ailleurs. Pourtant mon cœur se déchire lorsque je regarde Isaac et Crystal collés l'un à l'autre.
Bon sang cerveau, arrête de penser à lui, je t'en supplie. Je réfléchis vite et constate qu'effectivement,
j'ai changé. Je suis plus heureuse, mais rencontrer Isaac a modifié ma façon d'agir. S'il n'avait pas été là,
je serais probablement encore amie avec Ély, par exemple.
- Est-ce qu'on peut aller dans un endroit moins fréquenté, s'il te plaît ? je murmure.
- Pas la peine puisque tout le monde ici semble au courant. Raconte-moi plutôt pourquoi tu as quitté
ton petit ami pour passer un week-end avec un type qui te met hors de toi la plupart du temps ? Je ne te
suis pas, sur ce coup.
- Il allait mal, d'accord ? J'ai voulu l’aider parce que malgré tout ce qu’il s'est passé je l'apprécie.
Content ? Que tu es agaçant quand tu t'y mets, vraiment insupportable.
Je lève les yeux au ciel et bois d'une traite le verre qui se trouve devant moi. Je ne sais pas à qui il
appartient mais je m'en fiche.
- L'hôpital ne se fout-il pas un peu de la charité ? Franchement, tu ne peux pas te payer le luxe d'être
en colère. Tu m'as menti. Tu as passé deux jours entiers avec Isaac. Et où as-tu dormi ? Oh, je vois, il t'a
baisée, non ?
Je me retrouve debout sans rien n'y comprendre et ma main part. Elle claque sa joue plus fortement
que je ne l'aurais voulu. J'ai certes menti, mais je refuse d'être traitée de salope devant tous mes proches.
J'ose à peine imaginer la scène si mes parents étaient restés. Ma mère en aurait profité pour m'accabler,
m'enfoncer la tête sous l'eau jusqu'à ce que je ne puisse plus respirer.
- Mec, s'ils avaient baisé, je peux te dire qu'on les aurait entendus. À l'appartement, les cloisons sont
aussi fines que du papier à cigarette, admet Arthur, pas peu fier de sa blague.
Liam attrape le col d'Isaac qui préfère attendre son tour avant de répliquer. Ma soirée d'anniversaire
tourne au désastre. Difficile d'écrire plus mauvais scénario. Ou si, peut-être trouver son mec en train
d'être sucé par une autre sur le canapé. Si, là ce serait encore pire.
- Je te préviens, ne la touche pas, ne l'approche même pas. Tu n'as pas intérêt à lui faire quoi que ce
soit ou je prendrai des mesures aussi efficaces que nécessaires.
Mes collègues sont terrifiées, Manon sanglote. Crystal s'accroche à Isaac pour le retenir mais celui-
ci bout, il n'en peut plus. Ses iris prennent une autre teinte, plus froide que d'habitude et je sens que je ne
suis pas au bout de mes peines. Pourvu qu'il se taise, c'est tout ce que je te demande, petit Jésus. Je sais
que je n'ai pas toujours été tendre avec toi, notamment quand je t'insulte, mais excuse-moi et aies pitié,
pour mon vingt-cinquième anniversaire.
- Tu n'as aucun droit de véto sur elle, d'accord ? Elle fait ce qui lui plaît. Heureusement, d’ailleurs !
Si elle veut venir me voir ou si on se programme un déjeuner, tu la fermes. Mais écoute-moi bien,
merdeux. Tu ferais mieux de t'occuper un peu plus d'elle plutôt que de t'inquiéter si moi, je l'ai baisée.
Quoi, t'as peur de la concurrence ?
Ils parlent de moi comme si je n'étais pas là, c'est terrible. Les mots s'enchaînent si vite que je n'ose
pas m'interposer. Qu'ils arrêtent à la fin ! Ils ne vont tout de même pas se battre en plein milieu du bar.
Surtout pas pour moi ! J'ai juste besoin d'une minute de calme et tout va bien se passer. Je ferme les yeux,
ralentis ma respiration et... j'entends un verre qui se casse, suivi d'un couinement pathétique.
Crystal crie. Elle tire le cuir d'Isaac de toutes ses forces pour calmer ses ardeurs. Ses joues
maculées de larmes détruisent à peine son maquillage excessif. Ses yeux sombres rencontrent les miens et
la cruauté que j'y lis me désarme. Cette nana me hait autant qu'elle me débecte.
- Au moins tu sais qu'elle me fait de l'effet, ta copine. Sinon je ne l'aurais pas embrassée
sauvagement contre un mur. Ça te tente que je te montre comment je m'y suis pris, peut-être ?
- Ose et je t'explose. Tu n'as même pas idée à quel point je me suis efforcé de te supporter jusqu'à
aujourd'hui. Je n'ai plus aucun scrupule. Je peux t'arracher les yeux, je m'en fous. Parce que tu connais la
différence ? Avant, Joy était mon amie, maintenant elle est bien plus que ça, et je l'aime, bordel.
Ils heurtent violemment la table basse et je n'ai d'autre choix que de laisser Ayden et Arthur les
séparer. Je suis trop faible, de toute manière. Crystal, choquée par ce qu'elle vient d'entendre, me traite de
« garce » d'avoir touché à son copain. Sur les nerfs et surtout au bout du rouleau, je l'attrape par les
cheveux et la traîne sur quelques mètres. J'hésite à la pousser dans les escaliers, mais ça m'attirerait trop
d'ennuis. Je la laisse donc se cogner contre le mur, c'est plus simple.
Elle hurle des choses incompréhensibles tandis que je suis partagée entre lui cracher ses quatre
vérités ou retrouver les deux idiots qui semblent encore en pleine lutte. Le destin décide pour moi.
Crystal m'attaque à la gorge et serre avec ses deux mains comme une furie. J'essaye de rappliquer, donner
un coup de pied, mais elle est trop loin. Ses mains enserrent mon cou comme un étau et l'air passe de
moins en moins bien. Je suffoque, essayant d'hurler à l'aide, mais nous sommes trop loin du groupe, ils
n'entendent rien. Son sourire s'agrandit plus le temps passe et, par miracle, - merci petit Jésus-, Isaac
arrive à temps pour nous séparer.
Je me tiens le cou, inspirant de grandes lampées d'air. Cette fille est malade, tout simplement. On me
demande si je vais bien, je suis incapable de répondre. Si ses mains sont parties, j'ai encore la sensation
qu'on m'étrangle. Liam, ou peut-être Ayden, je ne sais plus, me porte jusqu'au canapé et ils commencent
tous à s'inquiéter. En fond de tâche, j'entends ce qui me semble être une dispute, mais je n'en prends pas
cas. Je me concentre sur l'oxygène dont ont besoin mes poumons pour que je respire.
- Trésor, tu vas bien ? Je suis tellement désolé. J'étais en colère, l'alcool n'a pas aidé. Respire
tranquillement d'accord, je vais te chercher de l'eau. Ne bouge pas.
Je cherche Isaac du regard et Ayden répond à ma question silencieuse :
- Il est parti avec Crystal. Je suis désolé, Joy.
Comble de l'ironie, une équipe de serveurs choisit ce moment précis pour arriver avec un macaron
géant sur un plateau encore plus impressionnant. Des bougies éternelles habillent le gâteau et le personnel
entonne les premières notes de « Joyeux Anniversaire ». Ayden et Liam les repousse vivement, leur
expliquant sans doute que je n'ai pas le cœur à la fête. Le dessert trône désormais sur notre table, en me
narguant. Je fixe les flammes vacillantes et fais un vœu : avoir une vie normale, sans drames, sans
problèmes de cœur.
La soirée poursuit son cours, dans une drôle d'ambiance. Et quand j'arrive enfin dans mon lit, seule,
Liam préférant rentrer chez lui pour me laisser un peu d'espace, je me murmure à moi-même :
- Joyeux anniversaire, Joy. Demain sera un autre jour.
Chapitre 9

Pourquoi la lumière brille-t-elle si fort, bon sang ? Je recherche le coupable et m'aperçois que mes
volets ne sont pas fermés. Bordel, ça me brûle les rétines. Je me dirige dans la salle de bain en titubant et
sursaute face à mon reflet. C'est quoi cette énorme ecchymose autour de mon cou ? Puis, petit à petit, des
souvenirs de la soirée me reviennent. Et quelle virée de merde. Anniversaire pourri !
Je fonce sous la douche, me maquille à outrance mais mon cou reste bleu. Je me vois dans
l'obligation d'opter pour un foulard relativement épais afin de cacher mes blessures. Je me rends à la
maison d'édition fatiguée et d'une humeur de chien. Moi qui, habituellement, adore le six juin, là, je l'ai
détesté. Ne pourrait-on pas recommencer cette journée ? Je ferais les choses autrement. Je profiterais de
mes vingt-cinq ans pour ne pas rentrer chez moi le soir, me vider la tête et dresser le bilan de ma vie. Le
bon, comme le mauvais. Puis, je m'entourerais uniquement des bonnes personnes. Mon père... Juste, mon
papa. Car il est le seul à ne jamais m'avoir déçue.
J'enchaîne les cafés et les réponses désagréables au téléphone. Au fond, je m'en fous, je ne
rencontrerai jamais ces personnes. Monsieur Badouk m'invite à le rejoindre pour rencontrer un nouvel
auteur et, bien évidemment, mon esprit dérive vers Isaac. Il était assis là, à la même place il y a quelques
semaines à peine avant de devenir un des piliers de mon existence. Puisqu'aujourd'hui, quoi qu'il ait pu
faire, il l'est, indéniablement.
- Pourquoi notre maison d'édition, en particulier ?
Je n'écoute que d'une oreille la réponse du trentenaire.
- Et bien, il me semble que mon histoire corresponde parfaitement à votre ligne éditoriale, les
romances. Je vous avoue que je suis vraiment ravi que vous m'ayez recontacté.
- Si vous êtes ici, c'est parce que ma collègue et chargée de communication, Joy Cohen, a apprécié
votre ouvrage.
Il vient de me lancer une perche pour ouvrir la bouche ou je rêve ? Je somnole sur la table, la honte !
Il ne manquerait plus que je me mette à ronfler et laisse la bave couler sur mon menton. Je respire un bon
coup, me pince la cuisse sous la table pour me redonner un peu d'énergie avant de lui rétorquer :
- Oui, vraiment. Vous êtes un des rares auteurs qui ait réussi à me captiver jusqu'au bout. Vous m'avez
tenue en haleine à chaque chapitre. J'ai rarement vu autant de suspens dans un roman d'amour et c'est bien
dommage, parce que sans ça, il n'y a aucune dynamique. Puis tuer votre personnage principal... Bien joué
!
Le châtain me toise, amusé, et je repars dans ma bulle. Je les laisse gérer les derniers papiers, et à
ce que je comprends, je serai également chargée de lui, désormais. Nous aurons plusieurs séances de
dédicaces dès le mois d'octobre à Paris. Je lui tends ma main pour le saluer, mais il se penche pour
m'embrasser la joue. Très bizarre. Je me laisse néanmoins faire pour ne pas le vexer dès le premier jour.
Je n'ai pas envie qu'il aille voir ailleurs, il a trop de talent pour ça.
En rentrant dans mon bureau, mon calendrier me nargue. Dans exactement dix-huit jours, je partirai
sur la route avec Isaac pendant plus de deux mois. Même si la plupart du temps, les rencontres se feront
le week-end, je sais que je ne serai plus beaucoup sur Paris, ni même ici. J'aurai d'autres choses à gérer.
Je m'affaire à la tâche que j'ai repoussée pendant des jours, la réservation des hôtels.
J'ai presque envie de rire de la situation. Si seulement il avait pu ne pas me plaire. Ne pas avoir
cette aura sexuelle si puissante et dévastatrice. Ni des yeux si tentateurs. Pourquoi faut-il que je doive
m’occuper professionnellement parlant d'un mec pareil ? Ma faiblesse m'effraie. Et si je craquais malgré
tous mes efforts ? Malgré Liam et malgré Crystal ?
Ma journée terminée, je décide de m'aventurer au centre commercial. Ma paie vient de tomber et
pour une fois, je veux me faire plaisir. Hors de question que je mange une seule fois des pâtes ou du riz
cette semaine, ni que je reparte sans deux ou trois tenues qui me redonneront le sourire.
Je flâne le long des magasins, observe la devanture des boutiques les plus onéreuses et entre dans
mes enseignes favorites. J'essaye plusieurs jeans, n'en ayant que très peu dans mon armoire, et choisis de
repartir avec deux slims colorés et bien entendu, autant de tops qui vont avec. L'un ne va pas sans l'autre.
Je trouve également trois robes très professionnelles, juste un brin sexy, et craque pour une nouvelle paire
de chaussures. Quand la vendeuse à la caisse m'annonce le prix, je ris jaune, mais j'assume.
Je prends un smoothie en sortant et m'assois quelques instants pour reposer mes pieds. Faire du
shopping en talons hauts, c'est une véritable torture. Je sirote mon mélange fruité et reconnais la tête
blonde qui entre dans le centre culturel. Sa présence me hérisse les poils. Si elle se trouve ici, Isaac ne
doit pas être bien loin. Je tente de fuir en me faisant la plus discrète possible, malheureusement, l'arrogant
lorgne les Smartphones dernière génération à moins de deux mètres de moi. Je prétends ne rien avoir
remarqué et prends le chemin opposé.
- Joy ? j'entends crier dans mon dos.
J'avance encore plus vite, mes paquets à la main. Et cette fois, je me retrouve nez à nez avec Crystal.
La blonde me surplombe de quelques centimètres, merci aux chaussures de Drag Queen, et ne me salue
pas. Elle joue la copine jalouse, ça crève les yeux. Je me demande si elle sait pour cet été. Viendra-t-elle
m'arracher la tête ou m'empoisonner dans mon sommeil quand elle l'apprendra ? J'espère que non...
- Que fais-tu là ? On dirait que tu es comme la gastro toi, tu sors de tous les côtés quand on t'y attend
le moins, ironise Crystal, un large sourire aux lèvres.
- Merci pour la métaphore, je suis très touchée, j'ajoute hypocritement.
Avant même de le voir, je sens sa présence derrière moi. Il ne dit rien pendant quelques instants, si
bien que je me demande s'il se tient encore là ou s'il n'a pas tourné les talons.
- Salut, pourquoi es-tu ici ?
- Entre la pizzeria et le glacier ? Ou par ici, tu entends peut-être le centre commercial ? Parce que
comme tu le vois, j'ai des paquets dans les mains, donc ça veut dire que je me suis acheté des choses. Et
toi, euh vous, pardon ?
Je me racle la gorge, très gênée. La blonde plantureuse qui nous fixe ne m'aide en rien à me calmer.
Si j'ai ce foulard ridicule autour du cou alors qu'il fait plus de vingt degrés, c'est de sa faute. J'ose enfin
dévisager Isaac et sa façon de m'observer me laisse de marbre, je suis comme statufiée sur place. Il
semble triste et heureux à la fois. Je n'ai jamais rien vu de tel. Ses yeux pétillent, mais arborent une teinte
grisâtre inédite. Je me retiens de parler ou lancer une remarque à ce sujet, ce serait plutôt déplacé, et
préfère l'écouter parler.
- Rien de spécial, on s'ennuyait et...
- D'ailleurs, moi, c'est maintenant que je meurs d'ennui. Tu viens, Doudou ? J'aimerais me trouver de
la lingerie pour toi, ajoute-t-elle en se dandinant d'un pied à l'autre, vicieusement.
Sa mesquinerie me tue. Ne voit-il donc rien ? Elle le tire fortement par le bras et je reste la mine
déconfite. Notre pseudo-relation ressemblera à ça, désormais ? Avant que j'aie le temps de bouger, je
sens un étranger s'enrouler autour de mon index. Mon regard se penche vers cet inconnu délicat et je
rencontre le doigt d'Isaac enroulé autour du mien. Je ne sais pas vraiment ce que ça signifie pour lui,
seulement avec ce simple contact, il réussit à refaire partir mon cœur blessé par sa façon d'agir hier soir.
J'ai l'impression d'entendre un « désolé » franchir ses lèvres mais vu le brouhaha ambiant, je n'en suis pas
sûre. Je les observe s'éloigner tous les deux, main dans la main. Et mon organe vital récemment réparé
vole en éclats. Je souffre le martyr. Comment peut-il fréquenter une pimbêche pareille, lui qui se vantait
ne sortir avec personne ? Je ne les quitte pas du regard, attendant qu'ils deviennent des fourmis dans mon
horizon dévasté.
En rentrant à la maison, j'aperçois un post-it collé à ma porte.

Appelle-moi, il faut qu'on discute, Liam.

J'ai légèrement la frousse en lisant ses mots. Il faut qu'on parle dans quel sens ? Celui où il évoque
les événements d'hier, ou celui où il veut rompre avec moi ? Je passe la porte, pose mes affaires, coupe
les étiquettes des vêtements et lance une machine de linge. Je m'assois sur le canapé, pas rassurée, je
l'avoue. Je me demande ce qu'il veut me dire. Ma main attrape le téléphone plusieurs fois avant de le
reposer. Bon allez, maintenant ou jamais. Je compose le numéro et il répond à la première sonnerie,
comme s'il m'attendait depuis des lustres.
- Salut Joy. Euh... ça va ton cou ? demande-t-il, hésitant.
- Ignoble, ça me lance de temps en temps, j'admets en grinçant des dents. Puis, je dois porter un
foulard et avec cette chaleur, ça me démange !
- Putain ! Désolé, je mets les pieds dans le plat en plus, quel con... Excuse-moi, Trésor. Cette soirée
n'était pas vraiment réussie, hein ?
- On peut dire ça... Mais merci d'avoir tout organisé, Liam. Ça a dû te prendre des heures de
contacter tout le monde. J'apprécie vraiment ton geste.
Je l'entends soupirer et ma respiration se coupe. Est-ce le moment où il va admettre que je ne lui
suffis pas et que je suis une petite amie déplorable ? Cela n'aura pas été tellement long avant qu'il me
repousse. Voilà, j'en étais sûre, vivre en couple, ne me convient pas.
- Je veux m'excuser pour ce qui s'est passé hier. Si je ne m'en étais pas pris à Isaac, sa blondasse ne
t'aurait pas agressée. J'ai été stupide. Mais si tu savais à quel point je n'aime pas ce mec et sa façon
d'agir. Et que dire de ses copains ? Cet Ayden craint aussi. Enfin, je me tais. J'ai agi comme un con, et si
tu m'as menti, tu avais probablement une bonne raison de le faire. Je te connais, je sais que ta générosité
te tuera. Si on t'a appelée à l'aide, tu n'as pas pu résister. Je me trompe, Wonder Woman ?
Enfin, je respire. Liam ne voulait pas rompre, mais s'excuser. Et au fond, je trouve ça adorable de sa
part. Pourquoi ne représente-t-il pas le centre de mon univers ? Il est tellement parfait, alors pourquoi je
craque quand même devant les yeux trop bleus de l'arrogant ?
- Je te dois des excuses, moi aussi. Tu méritais que je sois honnête avec toi. J'ai été stupide de te
cacher une énormité pareille et surtout, d'inventer une histoire à propos de ma grand-mère. Pardonne-moi,
mon schtroumpf.
- Est-ce que je peux quand même te demander un truc ?
J'acquiesce en émettant un petit bruit à travers le combiné.
- Y'a-t-il eu quelque chose entre vous deux, ce week-end-là ?
Mon estomac se serre à cette pensée. Devrais-je tout avouer à Liam ? Il serait furax d'apprendre que
sa copine l'a trompé. Pire encore, de savoir que j'ai désiré Isaac comme jamais je n'ai eu envie de lui.
Que nous avons dormi l'un contre l'autre et que cette nuit m'a chamboulée pour toujours. Définitivement
non, je suis forcée de me taire. Je dois mettre ces agissements sur le compte de l'erreur humaine.
- Non, il n'y a rien eu.
Je le sens se détendre au téléphone et le ton de sa voix lorsqu'il achève la conversation me brise
davantage. Nous décidons de nous voir plus souvent d'ici mon départ et je me dis que ça ne pourra me
faire que du bien, de passer du temps avec lui. Peut-être que j'oublierai Isaac, peut-être que notre relation
deviendra purement cordiale et professionnelle. On peut l'envisager, l'espérer. Néanmoins, un je-ne-sais-
quoi retentit dans toute mon âme et me crie que je ne veux pas l'abandonner. Je m'y refuse. Parce que
l'arrogant est ancré dans mes veines, autant que le cheesecake et le chocolat.
Chapitre 10

Isaac

- Hors de question que tu ailles faire cette tournée avec elle ou alors, je vous accompagne.
- Crystal, putain, tu commences à me casser les couilles, je te dis que je vais travailler. Je serai de
retour dans dix jours, ce n'est pas la mort, si ?
- Deux cent quarante heures pendant lesquelles elle risque de te sauter dessus à tout moment ? Je
n'aurais jamais l'esprit tranquille de te savoir avec elle. Tu as dit à cette soirée qu'elle te plaisait. Je te
connais, ta réputation te précède, Isaac. Je viens aussi, que tu le veuilles ou non.
Je lève les yeux au ciel. Comme si j'avais envie qu'elle m'accompagne et surtout, comme si elle le
pouvait. On parle de boulot, pas d'une colonie de vacances. Elle peut être chouette quand il faut, mais dès
qu'une autre femme me regarde, elle pète un câble. Putain d'insupportable ! Mes colocataires ne peuvent
plus la voir, et moi, pour être honnête, à part la sauter, je n'en ai pas grand-chose à faire.
Je commence à préparer mon sac, notre grand départ est prévu dans trois jours, et je mentirais si je
disais que je ne suis pas anxieux. Pendant dix jours, nous allons nous retrouver tous les deux, presque tout
le temps. Je n'ai pas envie de gâcher ces moments avec elle. Durant les trois dernières semaines, je ne l'ai
croisée qu'une fois, dans ce magasin de merde où Crystal m'avait traîné. Je risque d'être comme un fou
quand je vais la revoir. Ma Joy...
Ce matin, marque la sortie officielle de mon livre. Je ne peux m'empêcher de penser à ma mère.
J'espère qu'elle serait fière de voir que je suis arrivé au bout de mon projet. Quelques minutes avant
l’ouverture, j’arrive devant la FNAC, pressé comme un enfant. Afin d’avoir un peu de paix et de profiter
de mon moment, je n'ai pas dit à Crystal où j'allais. Je veux savourer le fait de voir mon nom de plume
écrit en gros sur la couverture, en tête de rayon. Je veux toucher chaque exemplaire et humer l'odeur du
livre neuf.
Plus que quelques instants avant le grand moment. Je suis tellement excité que mes mains tremblent.
J'ose jeter un coup d'œil aux autres personnes venues en avance et crois rêver quand je la vois elle, dans
son petit manteau crème. Les yeux rivés sur son téléphone, elle s'exclue du reste du monde. J'hésite à aller
la saluer puis merde, on n'a qu'une vie. Je m'avance vers ma proie et elle sursaute quand je pose ma main
sur son avant-bras.
- Bordel, tu m'as fait peur, murmure-t-elle, avant d'ajouter :
- Que fais-tu là ?
- Sans doute la même chose que toi. J'attends l'ouverture pour aller acheter mon livre, pardi ! Et toi,
quel roman vises-tu ?
Elle éclate de rire - doux son qui réchauffe mon cœur - et range son téléphone dans sa poche pour ne
se concentrer que sur moi.
- Tu sais qu'on en a plein à la maison d'édition qui n'attendent que toi ? Tu peux te servir comme tu
veux dans les cartons. Et moi... ? Oh un truc sur le romantisme.
Je hausse un sourcil, interrogateur.
- Bon, d'accord, mais surtout tu ne dis rien à personne. J'ai écrit des notes comme si c'était un
vendeur d'ici qui l'avait fait. Tu sais, pour dire que ton livre est le meilleur de l'Univers, qu'il faut acheter
celui-là et pas un autre. Je voulais juste te donner un coup de pouce.
Elle mordille sa lèvre inférieure et rougit comme une gamine. Je ne me retiens pas de l'enlacer et
putain, quand elle me rend mon câlin, je me laisse aller. Elle m'a manqué. Pas permis comme elle m'a
manqué. Je respire l'odeur de ses cheveux et remarque soudain que quelque chose a changé.
- Tu les as coupés, non ?
- J'ai juste taillé les pointes, ça se voit à peine, répond-t-elle, incrédule.
- Crois-moi que si, on le remarque, et tu es très belle.
Je me rends compte de ce que je viens de dire, sans filtrer mes pensées. Tant pis, je suis sincère. La
revoir après tant de temps me donne envie de l'embrasser, la déshabiller et lui faire l'amour au rayon
DVD. Je ne sais pas si elle est toujours en couple avec ce mec, ni même si elle se sent bien avec lui, je
rêve simplement d'un elle et moi, de moi en elle.
Nous suivons le mouvement quand les quelques présents entrent dans le bâtiment et je monte
immédiatement à la section livres, talonné par Joy. Elle se doutait probablement que j'allais la mater dans
les escalators, alors elle a préféré monter derrière moi. Judicieux ! Je cherche le rayon « romans français
», sans y trouver un seul exemplaire. Un peu déçu, je continue mon exploration. Et quand je ne m'y attends
plus, je le vois là, sa couverture bleue sur l'étagère. Il est rangé dans les nouveautés et il y en a partout. Je
prends une photo souvenir et m'apparaît une idée brillante.
- Joy, tu peux venir s'il te plaît ? Je crois que je les ai trouvés !
Elle ouvre grand la bouche, les yeux écarquillés et brillants comme jamais. Elle s'approche pour les
toucher du bout des doigts, elle aussi.
- Je n'arrive pas à croire qu'il soit vraiment là. C'est la consécration, ton œuvre Isaac, tu y crois toi ?
Waouh, je ne savais pas que ce serait si jouissif de le voir en face de moi sur un présentoir !
- Alors, viens immortaliser ce moment avec moi, joli cœur.
Je la tire par le bras et nous posons devant le livre, ensemble, sous toutes les coutures. Je prends
plusieurs photos, dont quelques-unes où on grimace, et la dernière, ma préférée, est celle où nous nous
déshabillons du regard l'un l'autre. Je lui envoie immédiatement et grogne en réalisant que Crystal risque
de fouiller mon portable quand je serai sous la douche. Je dois transférer ces clichés autre part si je veux
les garder. Les conserver pour toujours.
- Sinon, ça va bien avec ta copine ? ose-t-elle demander.
- Tu sais, on fait aller. On n'a pas la même vision du couple ou de la vie en général, donc c'est
parfois compliqué de s'entendre. Toi et Liam, vous êtes toujours ensemble ?
Elle se contente de hocher la tête, ce qui me tue littéralement. J'aimerais l'entendre dire qu'elle
respire le bonheur ou au contraire qu'elle pense à rompre avec lui, mais pas un silence de mort qui
signifie des centaines de choses. Après, j'interprète ça de dizaines de façons différentes et je n'en dors
plus.
Je prends plusieurs exemplaires pour mes archives personnelles et Joy repart avec quelques romans
sous le bras. « Pour la route », me dit-elle avant de les déposer sur le tapis de caisse. En sortant, je me
demande si je dois l'attendre ou même lui proposer de faire quelque chose. Elle déclinera peut-être
l'invitation, mais au moins j'aurais tenté. Je n'ai pas le temps de prendre ma décision finale qu'elle
m'observe déjà du haut des marches.
- Est-ce que Mademoiselle Cohen me ferait l'honneur de venir prendre un café avec moi, pauvre
auteur déjanté ?
Je feins une moue triste, quasi irrésistible, et obtiens au moins un rire sincère de sa part. Elle accepte
volontiers, mais se promet de ne pas rester trop longtemps, à cause du travail. Je ne sais d'ailleurs pas
comment elle va s'organiser durant les prochains jours. Bossera-t-elle tout le temps ? Aurons-nous des
moments libres pour nous amuser un peu... ensemble ? Pourrais-je l'inviter au restaurant, par exemple ?
Je me pose de trop nombreuses questions.
Nous nous rendons dans un coffee shop bien connu des américains et je lui prends, en plus de nos
deux latte, un cheesecake qui semblait lui faire de l'œil.
- Je t'ai dit que je n'avais pas faim, pourquoi as-tu commandé pour moi ?
- Tu n'as peut-être pas beaucoup d'appétit, mais tu louchais sur la part comme si tu étais en manque
de sucre. Pardon de m'inquiéter pour ta santé.
- Mouais, ou alors dis plutôt que tu t'inquiètes pour mon cul. C'est là que va se nicher cette saleté,
clame-t-elle en pointant le dessert du doigt.
Dès que nous nous installons, elle le dévore quand même en ronchonnant. Je trouve ça hilarant et ne
m'en cache pas. J'avale mon café le plus lentement possible pour rester davantage de temps avec elle. Joy
n'est pas dupe, elle me lance un regard noir pour que j'accélère.
- Et sinon, comment ça va se passer à partir de jeudi ? Je veux dire, je sais qu'on se retrouve à la
gare, mais après ? Quel est le programme ? Dois-tu travailler tous les jours ? Aurai-je un peu de temps
libre ? Pourrons-nous visiter les villes dans lesquelles nous nous rendons ?
Elle s'éclaircit la voix et reprend son ton professionnel. Tu peux toujours essayer, chérie ; ça ne
marche pas avec moi. Toi et moi, on sera toujours plus que des collègues, que tu le veuilles ou non.
- Jeudi, on arrivera en fin de journée à l'hôtel. Ensuite, nous sommes libres jusqu'au lendemain matin.
Moi, je devrai aller installer les livres et rencontrer le patron de la librairie. Vendredi après-midi, temps
libre pour tous les deux, avant d’enchaîner samedi sur ta première séance de dédicaces. Elle sera
découpée en deux temps. Deux heures le matin, et autant l'après-midi. En fait, on aura toujours des
moments pour se détendre, ou pour sortir si telle est ta question de départ. Moi, j’en profiterai pour faire
mes rapports de ventes et le bilan de chaque rencontre avec tes fans, et toi tu pourras vaquer à tes
occupations.
Bien, j'adore cette réponse précise. Au fond de moi, je jubile. Je vais pouvoir profiter d'elle un peu
tous les jours. Nous sortons du café et je lui fais une bise en laissant volontairement traîner mes lèvres sur
sa joue. Elle cligne des yeux plusieurs fois, rougit, et s'enfuit dans la direction opposée de la mienne.
Quelle femme ! Je secoue la tête pour reprendre mes esprits et, le cœur plus léger, rentre à l'appartement.
- Une heure que je te cherche. Soixante minutes que j'essaye de t'appeler. Je croyais qu'il t'était
arrivé quelque chose, espèce de salaud. Où étais-tu si tôt, d'abord ? hurle Crystal avant que j'aie eu le
temps d'enlever ma veste.
Je meurs d’envie de lui faire comprendre qu'elle me gonfle, que je n'ai aucun compte à lui rendre,
mais je suis bien trop heureux d'avoir revu Joy pour entamer une dispute dans l'immédiat. Alors, je la
laisse se calmer en me criant dessus. Je lui montre mon livre et elle me saute finalement au cou, comme si
tout était déjà oublié. Cette fille est un peu timbrée, pour être honnête. Bipolaire ou lunatique, je n'arrive
pas à me décider sur le syndrome qui la frappe.
- Doudou, c'est vraiment trop bien ! Je vais le commencer dès ce soir. Et je te préviens d'avance, je
veux une dédicace personnalisée !
Elle ondule des hanches, aguicheuse, et ses mains se dirigent tout droit vers ma queue. Je ne bronche
absolument pas. Si elle la veut, qu'elle la prenne.
- Mais commençons par fêter ça.
Elle me conduit dans la chambre et fait sauter le bouton de mon jean. Elle se met à genoux devant
moi. J'ai l'impression d'être un putain de Dieu qu'on admire, j'en profite. Elle vire mon boxer et
commence à sucer mon membre. Je grogne et la tiens fortement par les cheveux. Je fixe sa langue rouler
autour de mon sexe et sens ce dernier palpiter, devenir encore plus dur, plus gros. Je me concentre sur
autre chose pour faire durer le plaisir le plus longtemps possible, et quand elle me prend au fond de sa
gorge, je me laisse aller et jouis en silence.
Je l'attrape par la taille et la pose sur le lit pour la pénétrer. Crystal aime le sexe, un des rares points
communs que nous ayons, d'ailleurs. Peut-être que c'est pour ça que je ne l'ai pas encore larguée. Elle
aime prendre des initiatives et n'a pas peur de tester de nouvelles positions. Je commence à entrer en elle,
doucement, et bordel, mon échine frissonne de plaisir. Doux, chaud, humide, comme les Tropiques. Le
pied d'enfer. Je commence à me mouvoir quand j'entends des voix dans le salon. J'évite d'être bruyant et
demande à Crystal d'en faire de même.
Le tempo s'accélère et elle mord l'oreiller malicieusement, ce qui me pousse à la fouiller toujours
plus loin. Putain de merde.
- Isaac ? Isaac ? gueule Arthur à travers ma porte.
- Fous-moi la paix mec, on baise !
Je l'entends se racler la gorge exagérément. Il a peut-être une invitée. J'imagine la tête de la fille et je
commence à sourire. Je continue mes coups de butoir sans relâche, voulant me libérer de la pression qui
m'habite. Dans trois foutus jours, je partirai commencer un nouveau tournant de ma vie. Je risque de
devenir rapidement célèbre, ce qui me stresse plus que je ne me l’étais imaginé. Baiser m’aide à évacuer
mes angoisses donc, Arthur ou non dans les parages, personne ne m’empêchera d’extérioriser mes peurs à
coups de queue.
- À vrai dire, c'est quelqu'un pour toi. Bon, on t'attend dans le salon.
Les pas s'éloignent et je me vide de mon foutre en Crystal. Celle-ci ne tarde pas à jouir en murmurant
mon nom. À cet instant, je me sens ultra puissant. Un vrai superman. Je me rhabille en vitesse tandis
qu'elle prend tout son temps. Je sors de la chambre en essayant de dompter à nouveau ma tignasse et me
retrouve nez à nez avec Joy assise sur le canapé, le visage impassible et les yeux me lançant des millions
d'éclairs.
Fais chier ! Le sourire arrogant qui traînait jusqu'ici sur mon visage se tire en vitesse, pour être
remplacé par une moue sincèrement attristé. Mon cœur remonte jusque dans ma bouche et je mords ma
langue pour éviter de gerber à ses pieds. Je me dégoûte moi-même.
Chapitre 11

Je devrais aller au travail, je le sais, mais j'ai l'envie irrépressible de passer un peu plus de temps
avec lui. Tant pis, je trouverai bien une excuse. Je grimpe dans le métro et marche ensuite jusqu'à son
appartement. Je frappe une fois. Puis une deuxième, plus fort, pour que l'on vienne m'ouvrir. Arthur
apparaît dans le chambranle de la porte en tenue débraillée, je suppose qu'il vient à peine d'enfiler son
tee-shirt, celui-ci étant à l'envers.
- Salut Joy, tu viens voir Isaac, je suppose ? Ils sont dans sa chambre avec Crystal.
Première douche froide. Mon sourire disparaît immédiatement. Je garde tout de même espoir qu'ils
ne font pas ce que je pense. Ils ne le font pas, hein ? Arthur me propose un café, que j'accepte volontiers,
et part frapper à la porte d'Isaac pour le prévenir de ma présence. J'entends ce dernier hurler deux mots.
Deux mots qui me donnent mal au ventre et à l'âme. « On baise ». Sérieusement, pourquoi suis-je là ? Je
commence à réaliser qu’en décidant de venir ici, j'ai eu la pire idée du siècle.
- Il ne va pas tarder, s'excuse Arthur, un tantinet gêné. Et sinon, tu vas mieux que la dernière fois, toi
?
- Oui, je fais aller. Je suis un peu stressée de partir, mais je pense que je vais adorer. J'espère aussi
que l’on prendra un peu le soleil dans le sud.
- Il n'y a pas de raison.
Je n'ai rien de plus à lui dire et lui non plus. On se regarde, se sourit, puis on attend. Sadomasochiste
que je suis, je tends l'oreille en espérant entendre quelque chose mais non, tout est étrangement silencieux.
Arthur me sert mon café et là je perçois des bruits provenir de la chambre. Et dire que j'ai dormi avec lui
dans ce lit...
Désormais, je discerne le son de pas, signe qu'il s'approche. Je reste figée sur le canapé, essayant de
fissurer le masque afin de montrer un tant soit peu d'émotions sur mon visage. Je me crispe tout entière. Je
me sens vexée, honteuse, et pire encore, en colère contre lui. Quand enfin, il arrive dans le salon, je le
sonde, tentant de capter son regard. J'aimerais y sentir des regrets ou y voir des excuses. Non, je
remarque juste sa tignasse d'après baise et ses joues rougies par l'effort. Je le déteste.
Crystal ne tarde pas à arriver, vêtue uniquement d'un tee-shirt. Le sien. Voilà ma seconde douche
froide. La façon dont elle me sonde veut tout dire : elle a gagné, j'ai perdu.
Échec et mat, Joy.
J'avale le fond de tasse tellement rapidement que je me brûle. Pourtant la douleur me semble presque
agréable comparé au tableau qui se dresse devant moi. Je suis de trop et tous me le font sentir. Je
remercie Arthur pour le café, l'enlace légèrement, et attrape mon trench coat resté sur le porte-manteau.
Isaac bredouille quelque chose, visiblement très embarrassé que je sois là. Refusant d’en entendre
davantage, je sors de l'appartement sans me retourner.
Dès que je ferme la porte, je me laisse aller sur le palier, m'adossant au mur. J'ai le cœur qui va
exploser dans ma poitrine. Mes tympans battent la mesure, ce qui laisse entrevoir l'arrivée d'une migraine
monstre. Je suis tellement stupide. Comment aurais-je pu penser le contraire ? On parle d'Isaac, là. Un
coureur de jupons, un amoureux des femmes. Évidemment qu'il n'allait pas rester seul. Je me hais d'avoir,
ne serait-ce qu'un court instant, espéré qu'il ait pu m'attendre moi. Non, je suis celle qu'on câline quand on
est triste, pas la femme qu'on trouve sexy, ni qu'on aime véritablement.
Je reste ici plusieurs minutes, sans trop savoir quoi faire. Au fond, j'espère peut-être qu'il va me
suivre, chercher à prendre contact, mais rien ne vient. J'entends des voix qui haussent le ton,
probablement Crystal qui se demande ce que je foutais là. Cela me donne enfin le courage de m’éloigner.
C'est malsain d'écouter aux portes, de toute façon. Arrivée au pied de l'immeuble, je prends une grande
bouffée d'oxygène. Je laisse le vent et le soleil fouetter mon visage jusqu'à ce qu'un grand corps
apparaisse et s'installe à mes côtés.
- Pour entrer, il faut se tourner dans l'autre sens, brunette.
J'ouvre un œil et y découvre un Ayden tout transpirant. Il revient certainement d'une séance de travail
matinale. Sa présence m'apaise un peu. Il faut dire que ce gaillard châtain est le genre de personne qui, de
par le simple fait d'être là, met du baume au cœur de tout le monde.
- J'en sors, figure-toi. J'ai d'ailleurs l'impression que je n'étais pas la bienvenue. Allez, je dois aller
travailler, maintenant. À bientôt.
J'avance de quelques pas, et son grand bras musclé me rattrape.
- Viens déjeuner avec moi, s'il te plaît. Je ne veux pas te draguer ou ce genre de merde, juste
discuter. En plus, je sais que tu es chasse gardée. Tu as deux lions au cul, je ne suis pas stupide au point
de risquer de me faire bouffer. Et encore moins suicidaire.
Je lui tends une de mes cartes de visite et, tandis que je m'éloigne, lui lance un « 12h30, et ne sois
pas en retard ». Son sourire, synonyme de victoire resplendit. J'espère qu'il le dira à Isaac. Enfin, j'en
suis sûre, il n'a pas sa langue dans sa poche, mais j'aimerais être une petite souris pour observer la scène.
Quelque chose me dit que ce serait intéressant.
Ma matinée vire au drame quand je remarque qu'il n'y a plus de café. Qui a osé finir le paquet sans
en racheter derrière ? Quelle négligence ! Franchement, qui pourrait faire un truc aussi mesquin ? On ne
peut pas vivre sans caféine. Je me mets à réfléchir posément et me rends compte que je suis la seule
coupable. Je me revois encore jeter le paquet à la poubelle, hier après-midi. Bon, je n'ai rien dit, ce n'est
pas mesquin, juste un peu vilain. Je retourne à mon bureau en soupirant et attends impatiemment l'heure du
déjeuner pour me vider la tête.
À 12h29, Manon m'appelle et me prévient que quelqu'un me demande à l'accueil. Je trépigne
d'impatience, oubliant presque l'incident de ce matin. Je rejoins le hall et reste discrète tant qu'il me
tourne le dos. Ayden est vraiment beau garçon. De taille moyenne, les cheveux dorés, et les yeux si foncés
qu'on croirait qu'ils sont noirs. Ses muscles saillants se dessinent parfaitement sous sa chemise moulante,
ce qui le rend encore plus alléchant. J'observe sa chute de reins et son postérieur quand il se retourne
brusquement.
- Il fallait me prévenir que c'était ton moment « grand matage en public » ! Je sais que tu es folle de
mon corps mais tout de même, ça me gêne.
Je hausse les yeux au ciel avec un sourire en coin. Je suis sincèrement heureuse qu'il soit entré dans
ma vie, au bon moment. Il brille de par sa beauté et sa gentillesse, mais il sait surtout remonter le moral
de ses troupes lorsqu'elles sont au plus bas. Je comprends pourquoi il est devenu coach sportif, ça en
devient évident quand on le côtoie un peu. Il a cette motivation sans faille qui fait que quoi qu'il arrive, il
ne lâchera jamais.
- Merci de m'avoir proposé de déjeuner en dehors du bureau. J'avais besoin de changer d'air.
- Avec plaisir, beauté. Tu sais, je voulais te le proposer le soir de ton anniversaire, mais ça ne s'est
pas vraiment bien terminé. Bon, je crois que l’on a des choses à se dire, tous les deux.
- Ah oui, quoi ? Je n'ai rien de plus à avouer que je suis folle de ton corps, je plaisante, en lui
agrippant l'avant-bras.
Il éclate de rire et, en cet instant, je me sens véritablement bien. J'aime Liam, de tout mon cœur, mais
être avec lui ne m'est plus aussi simple qu'avant. Je me pose toujours des questions en sa compagnie. Est-
ce que cela lui plairait que je sois avenante ? Devrais-je le toucher ou l'embrasser davantage ? Ma tenue
s'accommode-t-elle à la situation ? Quant à Grégory, j'ai du mal à rester seule avec lui depuis ses
mensonges. Isaac, n'en parlons pas, il suffit qu'il soit dans un secteur d'un kilomètre carré pour qu'il
embrouille ma vision des choses et trouble ma limite entre le bien et le mal. Il n'y a qu'avec Ayden que
mon esprit se repose un peu.
Nous optons pour un restaurant libanais. Les clients sont très nombreux et les tables serrées les unes
contre les autres. Avoir une discussion dans un tel lieu ne va pas être simple. Mon acolyte salue le patron
et semble manigancer quelque chose avec lui derrière le comptoir. Très rapidement, il kidnappe ma main
et m'emmène plus loin, derrière les cuisines. Ce contact ne me dérange pas. Il n'y a aucune ambigüité, et
ça aussi, j'apprécie. Nous serons toujours amis, rien de plus.
- Avoir des connaissances, ça aide. Maintenant que nous sommes tous les deux au calme, il faut qu'on
parle.
- Si on était en couple, je jurerais que tu veux rompre avec moi, j'avoue, un brin, apeurée.
- Joy, j'aimerais discuter d'Isaac. Il n'a pas eu une enfance facile et je le connais par cœur. Je sais
quand ça va, ou quand il rentre dans une sale phase. Sa vie a toujours ressemblé à un yoyo. Mais putain,
son sourire étincelle quand tu es là, il suffit de repenser à l'autre dimanche. La veille, il cassait tout, se
renfermait dans son mutisme, puis tu arrives, et il s'ouvre comme une fleur. Il nous a dit pour sa mère, à
peine tu as franchi la porte. Tu le rends meilleur.
Je reste muette face à son monologue. Son ami s'inquiète pour lui, mais dit-il réellement la vérité
pour autant ? Lui qui baisait Crystal il n'y a pas quatre heures... Encore piquée dans mon ego, je renchéris
:
- Raconte ça à Barbie. C'est elle qui lui fait du bien, pas moi. Pour ma part, je me contente juste
d'être là s'il en a besoin.
- J'ai cru comprendre qu'il y avait eu un problème ce matin quand je les ai entendus se hurler dessus.
Tu me racontes ?
- Tu sais, Ayden, je peux l'annoncer ouvertement, Isaac a bouleversé mon quotidien. Littéralement.
J'ai changé mes habitudes, et j'ai compris qu'il fallait profiter de la vie plutôt que la laisser filer devant
nos yeux. J'ai appris à me lâcher, et éviter le regard des autres quand je chante ou danse. Mais il est aussi
celui qui m'a le plus blessée dernièrement. Es-tu au courant du pari ?
Il secoue la tête. Réponse négative, donc. Je laisse le serveur poser nos assiettes devant nous avant
de continuer.
- Ély, mon ancienne meilleure amie - longue histoire, je te la raconterai un autre jour - a parié avec
mon cousin et Isaac. Ce dernier devait me mettre dans son lit. Et tu sais quoi ? Le pire, c'est que j'ai failli
succomber. Nous nous sommes embrassés, et j'ai adoré ça. Sincèrement. Je n'ai jamais rien vécu de tel.
Le week-end dont tu parles, on a recommencé. C'était encore plus intense. Parfois, j'ai encore la sensation
de sa bouche sur la mienne. Et, il ne me donne plus de nouvelles. Puis, il revient deux semaines après, à
mon anniversaire, avec une poupée Barbie de bas étage. Évidemment que je réagis mal. Enfin, qui l'aurait
bien pris, franchement ? Il m'offre un coffret DVD accompagné d'un message plus qu'explicite, se bat
contre mon petit ami... Comme tu le dis, il joue au yoyo constamment, en se rapprochant de moi,
m'attrapant la main, avant de mieux me fuir et m'ignorer. Puis ce matin, je le surprends au plumard avec
Crystal quand je viens chez vous ? Non, je t'avoue que j'en peux plus. J'ai hésité à décliner le voyage
tellement ça me perturbe.
En face de moi, quand je relève les yeux, je découvre un Ayden choqué. Il mange en silence, mâchant
exagérément chaque bouchée et son éternel sourire n'est plus. Il pose soudain couteau et fourchette sur le
rebord de son assiette et reprend son sérieux.
- Je sais que tu es en couple avec Liam et que tu l'aimes probablement énormément, mais Joy, tu en
pinces pour Isaac. Et pas qu'un peu ! Tu es jalouse de sa copine, tu sembles apprécier vos moments en
tête à tête, voire même plus encore. Est-ce que tu l'aimes ?
Pourquoi les restaurants sont-ils toujours les lieux où l’on aborde les sujets les plus controversés ?
Je me rappelle de la question d'Ély, la même que celle-ci, dans un Buffalo Grill.
- Oui, Ayden. Je ne devrais pas, je ne voudrais pas mais oui, je...
Enfin. Ce qui me terrorise depuis si longtemps ose sortir haut et fort. J'aime Isaac et je suis
misérable de le savoir avec une autre pendant que moi, je convole avec Liam.
- Alors, tu sais ce qui te reste à faire, brunette. Tu vas passer dix jours à ses côtés, exprime-lui ce
que tu ressens, d'une façon ou d'une autre. Je sais que tu as quelqu'un et que Crystal vous accompagne. Ce
ne sera pas simple, mais il faut que tu lui avoues, sinon tu ne seras jamais pleinement heureuse.
- Pardon, tu peux répéter ?
La conversation semi-dramatique prend un nouveau tournant et je sens la moutarde me monter au nez.
Dites-moi que je rêve. On ne peut pas chambouler tous les plans à la dernière minute et, surtout non, je
refuse de la supporter tous les jours. Savoir qu'elle dormira dans ses bras me tue. Je ne veux pas être la
troisième roue du carrosse. Merde, pourvu que j’aie mal compris.
- Quoi, tu ne savais pas qu'elle venait avec vous ?
- Non, Isaac ne m'a rien dit.
Le blond en face de moi grimace quelque peu, paie l'addition et me raccompagne au travail. C'est
donc très remontée que je me rends dans le bureau de Monsieur Badouk pour lui exposer les changements
de plans. Tu veux jouer à ça Garce, rira bien qui rira la dernière...
Chapitre 12

Isaac

Durant la nuit du mercredi au jeudi, je ne ferme pas l’œil. Crystal veut qu'on baise pour fêter notre
départ et je ne me fais pas prier. Plus je la touche et moins j'en ai envie, pourtant je ne la jette toujours
pas. Comme si elle était mon ancre en attendant que Joy revienne vers moi. Parfois, j'avoue, je pense à
elle juste avant de jouir. Mais quand j'ouvre les yeux, le résultat reste toujours le même. Ce n'est pas ma
brune à la peau pâle que j'y trouve, mais bel et bien une blonde frisée trop bien gaulée pour que ce soit
naturel.
Après notre affaire, je réfléchis. Je ne suis pas spécialement stressé, mais ce voyage signe le début
d'une nouvelle aventure. Et la nouveauté me terrifie toujours un peu. J'essaye d'imaginer les lieux dans
lesquels je vais résider, les gens que je vais rencontrer. Drôle de sensation. Vendredi, je ne pourrai pas
appeler ma mère pour lui raconter comment s'est déroulée ma première séance de dédicaces. J'espère
qu'elle me voit d'où elle règne, et surtout, qu'elle me soutient.
Quand le réveil sonne le lendemain matin, je viens à peine de fermer les yeux. Fais chier ! Crystal
s'étire et enroule tout naturellement ses bras autour de mon torse, un sourire aux lèvres.
- C'est le grand jour, murmure-t-elle à mon oreille.
Je me lève d'un bond et commence à courir un peu partout. J'attrape une valise à la volée, que je
remplis de plusieurs tenues mises de côté depuis deux jours.
- Tu sais, on a encore le temps, le train n'est qu'à quatorze heures. Tu ne veux pas revenir te
recoucher un peu, Doudou ?
Je ronchonne. J'aimerais lui faire bouffer son putain de Doudou. Je commence même à haïr celui qui
a inventé ce mot ridicule. Je l'ignore complètement et file en cuisine pour le petit-déjeuner. Ayden et
Arthur sont assis autour de la table et aucun ne parle, la tête dans le pâté, comme dirait mon paternel.
- Les mecs, bordel, qui est le coupable ?
Je sonde mes deux potes du regard, l'air mauvais. Mine de rien, je suis sur les nerfs. Depuis que je
sais que Crystal nous accompagne, rien ne va plus dans ma tête. Tous mes plans pour me rapprocher de
Joy se sont effondrés un à un et ça me fout en rogne.
- Qu'est-ce tu veux que ch'te dise ? me répond Arthur la bouche pleine.
- Tu as terminé mes Chocapic, t'abuses !
Il hausse les épaules et ricane dans sa barbe. Je suis à fleur de peau, ce matin. Inquiet parce qu'il a
bouffé mes céréales, sérieux ? Si je n'étais aussi préoccupé, je crois que je rirais de moi-même tant la
situation vaudevillesque m'échappe. Crystal débarque en petite tenue et mes colocataires en profitent pour
se rincer l'œil. Ils ont bien raison, je ferais pareil à leur place. Elle s'assoit sur mes genoux et attrape une
tranche de brioche dans le sachet. N'a-t-elle pas autre part où aller ? Foutue sangsue.
Je profite de la douche pour me prélasser un peu et chasser toutes mes pensées négatives. Tout va
bien se passer. Oui, l'auto-persuasion, ça marche toujours. À treize heures, je salue mes meilleurs potes et
Ayden demande à me parler un instant en privé. Je me laisse faire, bien qu'étonné.
- Tu n'as pas intérêt à merder avec Joy parce que ta pouffiasse vient avec toi. Ami ou pas, je te
démonte si j'apprends que quelque chose se passe mal, est-ce que tu captes ?
- Depuis quand t’occupes-tu du bien-être de Joy, toi ? je crache, haineux.
Ou peut-être que je suis un peu jaloux aussi. Probablement, même. Lorsque la veille, il m'a informé
qu'il allait déjeuner en tête à tête avec elle, la bile m'a brulé la gorge. J'ai eu envie de l'étrangler de mes
mains quand j'ai vu son sourire satisfait se peindre sur sa gueule. Et le soir venu, je lui ai demandé
comment ça s'était passé, il n'a rien voulu me dire. Je l'ai questionné afin de savoir si elle avait parlé de
moi, il n'a pas répondu non plus.
- Depuis que j'ai vraiment appris à la connaître. Hier. Elle m'a avoué des trucs, et je t'assure que si tu
te comportes bien... Bref, laisse tomber. Essaye juste de passer un peu de temps avec elle au moins,
d'accord ? Puis, ne va pas me faire croire que tu es amoureux de Crystal parce que je n'y crois pas une
seconde. Il suffit de te regarder pour le comprendre.
- Donc, elle t'a parlé de moi.
- Tout ce que je peux te dire, c'est de faire attention à tes paroles et à tes actes. Surtout avec Doudou
à ton cul.
Je lui serre la main et nous prenons la route pour la gare. Je tente de chasser Crystal de mon voyage,
tant bien que mal. Je lui raconte qu'elle va s'ennuyer, que la plupart du temps ce sera Joy et moi, mais elle
s'en fout. À priori « Je suis agréable à regarder quoi que je fasse ». Mais bien sûr. Nous arrivons trente
minutes à l'avance et je souris intérieurement en pensant que mon joli cœur ne pourra pas me lancer de
pique quant à mon retard.
J'ai le temps d'acheter un café, un muffin, une part de cheesecake pour Joy - essayons de poser les
armes au plus vite - et quelques magazines avant que notre train soit annoncé voie une. J'aperçois ma
belle brune sur le quai, une valise immense et un sac tout aussi gros sur l'épaule. Comment un petit bout
de femme pareil, peut-il porter la moitié de sa maison sur le dos ? Je me dirige vers elle comme une
furie, nonobstant Crystal qui tente de suivre la marche. Puis soudain, je m'arrête net. Liam arrive derrière
elle, la prend par la taille et embrasse son cou. Et là, mes jambes semblent me lâcher.
- Faites attention ! hurle un grand bonhomme qui me rentre dedans de plein fouet.
Je lui réponds par une levée de majeur polie et élégante. Crystal est la première à saluer le couple
mal assorti et je secoue la tête pour reprendre mon chemin. J'ai probablement l'air d'un con, arrêté au
plein milieu de cette fosse de gens pressés. Liam ne me lâche pas des yeux une seule seconde. Je peux
parier que je suis au moins mort quatre fois dans sa tête en l'espace d'une minute. Je me penche pour faire
la bise à Joy et cette dernière, surprise, tourne la tête au même moment. Je me retrouve en train
d'embrasser la commissure de ses lèvres. Je savoure ce contact interdit autant que possible et c'est elle
qui rompt notre échange.
- Mon schtroumpf, je t'appelle quand j'arrive, promis.
Elle passe ses bras autour de son cou et ce connard l'embrasse en la pelotant. Il me nargue. Je serre
poings et mâchoires pour éviter de le cogner. Quand il ne devient qu'une forme dans l'horizon, Joy se
tourne vers moi et plante ses yeux dans les miens. Bleu sur bleu.
- Crystal, comme tu n'étais pas de la partie quand j'ai réservé les places, nous serons séparés
pendant le trajet. J'ai deux places en première classe et une en seconde. Isaac, ce serait bien qu'on puisse
discuter stratégie, voilà pourquoi nous ferons cette partie du voyage, ensemble. Ordre de Monsieur
Badouk.
Son ton assuré demeure professionnel. Tout ce que je déteste. Je préfère lorsqu'elle bredouille et que
ses joues rougissent quand je la touche où il faut au moment opportun.
- Bien sûr, pas de souci, j'affirme sans broncher.
- Et moi ? s'offusque Crystal. Tu vas me laisser sur le carreau à la première occasion ? Ce n'est pas
très galant, même pour toi, Isaac.
- Je t'avais prévenue que tout ça c'était du travail. On ne part pas en putain de vacances !
Elle attrape le ticket que Joy lui tend, vexée au possible, et part à la recherche de son wagon. J'aide
ma jolie brune à placer ses gros sacs dans le compartiment réservé et nous nous installons face à face.
C'est sans aucun doute une des premières fois où je voyage dans un espace si vide. Autour de nous, il n'y
a personne. Seul un vieil homme qui somnole. Pour autant, je ne prends pas la peine de prévenir Crystal
de ce changement de plan. Elle gâcherait notre moment privilégié.
J'ouvre mon sac à dos et lui offre le gâteau acheté un peu plus tôt. Ses yeux s'arrondissent et sa
bouche forme un « O » presque parfait. Elle me chuchote un « merci » et l'avale tout rond. Je mâchouille
mon muffin aux cranberries et aucun de nous ne parle. Je n'ose pas briser ce moment de sérénité, de peur
qu'il n'en existe plus d'autres durant les prochains jours.
- J'ai oublié de te prévenir, au fait. Samedi soir, on nous invite à un gala. L'hôtel où nous serons
donne une réception et ils aimeraient que tu sois un des invités d'honneur. Tu pourras le dire à Barbie, je
suis sûre qu'elle va adorer l'idée.
La rancœur et la tristesse font écho dans sa voix. Elle est clairement déçue que je sois venu
accompagné. Si tu savais que moi aussi, putain. J'ai essayé de la dissuader, mais le deuxième prénom de
Crystal s'avère être « bornée ». Il faut juste que ces mots sortent de ma bouche. Cependant, mon cerveau
gère la chose autrement et la devance :
- Je sais que tu vu Ayden, hier.
Quoi ? Mais quel con ! Pourquoi je joue le mec jaloux alors que je ne suis pas seul ? Je suis tordu et
mes deux hémisphères le sont tout autant. Allez mon gars, tu lui as bien admis que tu l'aimais, ça ne peut
pas être pire.
- Il m'a conseillé de bien me comporter avec toi, sinon je perdrai mes jambes. Tu m'expliques ?
Elle rit tout en secouant la tête. Elle aussi, restera silencieuse. Bordel, pourquoi ne disent-ils rien
alors que ça me concerne ? Je devrais être le premier qu'on informe, pas le dernier. Je crie à l'injustice !
- Je n'ai pas envie de travailler, avoue-t-elle. J'ai passé une sale nuit, je pensais trop à notre départ
imminent. Je suis fatiguée de la situation, Isaac, et je ne sais pas comment arranger les choses. J'aimerais
te proposer d'être mon ami, mais je ne crois pas être capable de me limiter à ce statut.
Je me repositionne sur mon siège, pour être certain que je ne suis pas en train de rêver. J'ai envie de
l'attraper par la taille pour la soulever en l'air tellement mon cœur bat fort, mais ce serait plutôt malvenu.
Une question me brûle les lèvres, pourtant je ne la pose pas. Je préfère garder ma curiosité pour moi et
savourer ce qu'elle me donne. Cette petite révélation me suffit pour l'instant.
- Je te connais. Je suis persuadé que tout est au point depuis des jours, si ce n'est des semaines. On
peut faire ce qu'on veut. On a quatre heures pour regarder un film, lire, discuter. C'est toi qui vois, joli
cœur.
Quand elle commence à me regarder avec ses yeux de merlan frit, je sens immédiatement ma queue
se tendre. La dernière fois que je l'ai embrassée, touchée, je n'en avais pas eu assez. Je rêve d'un plus
avec Joy. De toujours plus. Je me suis toujours battu contre les sentiments pour essayer de me protéger, au
final, je n'ai rien gagné, seulement tout perdu. C'est grâce à elle que je le comprends enfin.
- Un film. J'ai envie que l'on regarde un film.
J'observe les alentours et lui pointe les sièges d'en face du menton. Elle se lève avant que j'ouvre la
bouche et s'installe près de la fenêtre. D'un commun accord, nous choisissons le dernier Woody Allen.
Les contrôleurs passent vérifier nos billets pendant le générique et nous souhaitent un bon voyage. La tête
de Joy se pose naturellement sur mon épaule et, profitant de cette approche de sa part, je passe mon bras
autour d'elle. Je la serre plus que nécessaire pour me prouver qu'elle est là et qu'elle y restera.
Deux heures trente plus tard, elle relève sa petite tête vers moi.
- J'ai lutté, je t'assure, mais je me suis endormie après leur première rencontre. J'espère que c'était
bien.
Je hoche la tête et repousse une de ses mèches folles derrière son oreille. Je la sens frémir à mon
simple contact. Je me délecte de sa réaction, et saute sur l'occasion pour aller plus loin. Au Diable nos
partenaires et Ayden.
- J'aurais tellement aimé que tout se passe autrement, je prononce tout bas, mon front contre le sien.
Si tu n'avais pas Liam. Si je n'avais pas Crystal. Et si nous ne travaillions pas l'un avec l'autre. Être juste
Joy et Isaac.
Son souffle devient erratique. Elle déglutit avec difficulté, mais trouve malgré tout la force de
prononcer ces deux petits mots :
- Embrasse-moi.
Chapitre 13

Son front demeure collé au mien. J'attends qu'il fasse le premier pas. J'en rêve, même. Mon entrevue
avec Ayden hier midi a conforté mon idée : il m'aime bien. « Je t'aime, Joy Cohen » m'avait-il avoué.
J'espère qu'il le ressent toujours...
L'autre soir, j'ai demandé à Liam comment ça se passerait entre nous si on décidait de rompre. Bien
que surpris, il m'a admis que la situation serait sans doute plus tendue, mais que nous étions faits pour
être amis et que ça ne changerait jamais. Pourvu qu'il ait raison. Je crois qu'il est suspicieux désormais.
Depuis mon questionnement, il ne cesse d'amplifier ses baisers, d'accentuer ses caresses, comme s'il
ressentait que je lui échappe petit à petit. Il se tait, mais son corps parle pour lui. Mon interrogation
l'inquiète d'autant plus que je viens de partir sur les routes avec Isaac.
Ces dix jours en quasi tête à tête seront décisifs. La prochaine fois que nous quittons la capitale pour
une séance de dédicaces, le week-end s'annonce ultra serré. Impossible d'avoir du temps libre pour
profiter l'un de l'autre. Je tenterai le coup une seule fois. S'il refuse de se rapprocher de moi ou si ses
sentiments ont évolué, j'accepterai. Ce sera difficile, mais je considérerai ça comme une épreuve dans
mon aventure avec Liam. Dit comme ça, c'est moche, mais au moins, je suis honnête avec moi-même.
Ses lèvres se rapprochent des miennes, sans pour autant me toucher. Elles me frôlent, tout au plus.
Qu'il s'avance, merde, je n'en peux plus de sentir mon palpitant s'affoler. J'ai la nausée tellement mon
estomac est compressé. Je veux ce baiser. Allez Isaac, fais-le. La chanson « Embrasse-la » de la Petite
Sirène que j'affectionnais tant autrefois vient envahir mon esprit. J'imagine même le petit crabe Sébastien
chanter autour de nous.
Je ferme les yeux, attendant qu'il se décide. Sa bouche part s'écraser sur ma mâchoire, dans mon cou,
mais elle ignore mes lèvres. J'en déduis que la réponse est plutôt claire : il ne veut pas de moi. Je
grimace et feins un sourire. Et dire que je lui ai demandé de sauter le cap. J'aurais dû me douter qu'il n'y
avait que moi à ressentir cette électricité entre nous. C'était trop beau. Je vais de déception en déception
avec lui, pourquoi changer ?
Il scrute mon visage, attendant probablement une réaction et fixe ses prunelles dans les miennes.
- Je ne peux pas, Joy. Je suis désolé, soupire-t-il.
Et l'Awards du plus gros lâche de l'année revient à... J'oscille entre colère et soulagement. Au
moins, je n'ai pas trompé Liam. Mais il vient de manquer son unique chance avec moi, sans le savoir.
- C'est bon, laisse tomber, plus la peine d'en parler, je me suis emballée. Je vais aller me chercher
quelque chose à boire, tu veux un truc ?
Je comptabilise la monnaie que contient mon portefeuille, gauche comme pas deux. Je jure à
plusieurs reprises, probablement rouge de honte.
- Laisse-moi t'expliquer pourquoi, au moins.
Je me retourne vivement vers lui, en mordant l'intérieur de ma joue pour me retenir de pleurer. Il est
soudain très sérieux. Il se poste debout, devant moi, et m'arrache mon porte-monnaie des mains. J'évite de
croiser son regard mais bien entendu, il ne l'entend pas de cette façon. Il tire mon menton vers le haut,
bloquant son geste une fois que nos iris se rencontrent.
- Je ne peux pas parce que je sais que je n'arriverai pas à m'arrêter. On a déjà failli déraper une fois,
là c'est différent, nous sommes dans un putain de train. Je ne peux pas contrôler mes actes quand tu me
regardes comme ça.
- Et comment je te contemple ? je lui demande, curieuse.
Il tente de m'imiter, les yeux brillants d'admiration et j'éclate de rire. Je choisis ce moment pour lui
reparler d'un sujet houleux. S'il est de bonne humeur et enclin à rigoler, je dois m'y mettre dès maintenant.
- Tu l'aimes vraiment bien Crystal ? Tu sais, quand je suis revenue sur mes pas l'autre jour, c'était
pour passer du temps avec toi. Puis, lorsque j'ai su que tu couchais avec elle, je me suis sentie mal. Tu
m'as manqué, Isaac.
Ses yeux se ferment une nanoseconde et il hausse les épaules. Cela n'augure rien de bon, alors, de
peur de la réponse, je m'assois. On ne sait jamais. Les contrôleurs repassent dans le sens inverse et il
attend que nous soyons seuls pour me répondre. Il jette un regard vers le vieil endormi quelques places
plus loin et m'enlace fortement.
- Je l'ai rencontrée par hasard, quand j'étais chez ma grand-mère, comme tu le sais déjà. Mais pour
être honnête avec toi, non je ne la considère pas comme ma petite amie. C'est une simple distraction. Je
suis désolé que tu aies eu à subir cette situation merdique, je t'assure, et ça me rend fou rien que de
t'imaginer avec Liam, donc je comprends.
Que penser de cette révélation en demi-teinte ? Il ne me rassure pas, ne me dit pas qu'il m'aime
encore ou qu'il envisage de rompre avec Crystal. Pour l'instant, je m'en contente. Je vais chercher deux
cafés et croise le regard haineux de la blonde dans son wagon. Lorsque je repasse, gobelets en main, elle
tente de me faire un croche-patte mais, raté, je suis passée au-dessus.
- Eh, Joy, m'interpelle-t-elle.
De nombreux yeux se dirigent vers moi et je sens la panique grimper en flèche. Je me poste à côté
d'elle pour éviter un scandale et attends qu'elle daigne renchérir intelligemment.
- Je vois clair dans ton manège, mais sache que ton plan ne fonctionnera jamais. Isaac est avec moi,
ma vieille. Il va falloir t'y faire. Si je le veux, je l'appelle et il vient me baiser dans les toilettes, juste là.
Penses-y.
Je déglutis fortement et reprends mon chemin. Il ne ferait pas ça, hein ? En arrivant devant lui, mon
cœur bat un peu trop vite. Comment peut-il me perturber autant ? Il me remercie vivement pour le café et
fronce les sourcils à l'arrivée d'un message sur son téléphone.
- Excuse-moi, je reviens.
Le voir partir me rend malade. Littéralement. Pour un peu, je vais vomir le cheesecake dans les
toilettes. Ça devient une habitude... Elle avait raison. D'un claquement de doigts, elle peut l'appeler et
agir comme bon lui semble avec lui. Moi, j'en suis encore à lui demander de m'embrasser, chose qu'il
refuse, en plus. Isaac n'a plus cette mentalité-là. Il baise, prend tout ce qu'on lui offre. Il ne se contente
pas d'un foutu baiser de lycéenne. Je ne sais pas si je serai capable d'assumer tout ça un jour.
Isaac ne regagne pas sa place jusqu'à ce qu'on annonce notre arrivée en gare. Et quand il réapparaît
dans le wagon, je me retiens de le gifler. Connard !
Je me tais tout le long du trajet jusqu'à l'hôtel. Puis, en entrant dans le hall, je me rappelle de mon
sale coup. Ély et son plan tordu datant de la Belgique m'ont rendu service. Un simple appel à la réception
m'a permis de décommander la deuxième chambre. Je me suis pour autant assurée d'avoir une suite assez
grande pour ne pas les voir s'ils dorment ensemble, dans le même lit. Alors, je rentre dans mon
personnage de femme d'affaires en criant sur le réceptionniste, pour ne rien laisser transparaître.
Nous sommes conduits jusqu'à la chambre et quand la porte s'ouvre, Crystal rugit de colère.
- Avoue que tu l'as fait exprès ! Ou alors tu avais prévu de dormir avec lui pendant le séjour, peut-
être ? Il n'y aucune intimité possible ici, et il est bien hors de question que je partage nos moments câlins
avec toi. À moins que tu sois une adepte du voyeurisme, sale garce.
Dans mon for intérieur, je me roule par terre tellement je ris. En réalité, je reste droite et
parfaitement stoïque. Je pose mon sac sur le canapé-lit, imaginant que ce sera ma punition pour avoir
manipulé mes acolytes, et m'y allonge quelques instants. Finalement, je vais avoir du mal à la supporter
autant de jours sans l'étrangler.
Ce soir, nous avons du temps libre et j'espère sincèrement qu'ils vont décamper. J'imagine le pire
quand à ce qui a pu se passer dans le train. Il est tout de même parti près d'une heure... J'étale mes
plannings sur la table et sors mon argumentaire pour défendre l'œuvre d'Isaac, C'est quoi l'amour ? Je
tente d'apprendre certaines lignes rédigées tandis que Barbie annonce qu'elle part sous la douche,
emportant le beau brun avec elle. Je retiens mes pleurs.
Je profite d'être seule un instant pour appeler Liam et le rassurer quant à notre trajet. Il se réjouit
d'avoir des nouvelles mais son ton dépréciateur ne passe pas inaperçu. Je raccroche rapidement en
prétextant une surdose de travail. J'entreprends alors d'enfiler une tenue plus confortable tant que je le
peux. J'ôte mon slim ainsi que mon t-shirt et opte pour une robe légère. Quand je suis de dos, deux mains
se posent sur mes hanches. Je suis tellement surprise que je pousse un léger cri strident.
- Tu sais que tu es très belle dans cette tenue ? me chuchote une voix grave à l'oreille.
Si je n'étais pas en colère contre lui, je fondrais sur place. Ses mains immenses sont chaudes et
douces. Son souffle brûle contre ma nuque. Je tente de me cacher avec le bout de tissu, placé devant moi,
mais c'est peine perdue. Isaac le fait valser sans difficulté. Je baisse les yeux, honteuse de me retrouver
en soutien-gorge et en boxer en dentelle devant lui.
- Regarde ce que tu me fais, joli cœur.
Il attrape ma main et la positionne sur son membre aussi dur qu'un morceau d'acier. Mon Dieu ! Ma
bouche s'assèche fortement et je dois lutter, ne pas oublier qu'il a probablement sauté Crystal dans les
toilettes du TGV il y a moins de trois heures.
- Je..., je veux m'habiller, s'il te plaît.
- Tu rêves. C'est ta punition pour avoir changé les plans. Tu t'es trahie toute seule, Joy. Tu m'as
montré les foutus papiers pour la réservation des chambres, la dernière fois que nous avons évoqué ce
voyage. Enfin, moi je suis content que tu l'aies fait, ajoute-t-il, un sourire vicieux sur la figure.
- Elle ne va pas tarder à sortir, Isaac. Arrête.
- Tu sais quoi ? On a profité du voyage pour remettre les points sur les i. Elle me fout la paix et me
laisse travailler, même si c'est avec toi. Alors je m'en branle. Laisse-moi t'admirer encore une seconde,
putain, j'en ai tellement rêvé de ce corps.
Ses mains se baladent sur ma chute de reins, à l'arrière de mes cuisses et remontent jusqu'à ma
poitrine. Je suis en feu à chaque endroit qu'il touche. J'ai la chair de poule. Je me mords la lèvre
fortement pour retenir mes gémissements. Il s'approche encore un peu plus, puis bascule son bassin contre
le mien afin de me faire sentir sa virilité. Je suffoque. J'ai envie de l'embrasser et ne plus jamais
m'arrêter. Je l'aime. Je suis follement amoureuse de cet homme, alors je vais me battre pour lui s'il le faut.
Il tend l'oreille pour s'assurer que l'eau coule toujours, et s'assoit sur le canapé en m'invitant à
m'installer sur lui, en califourchon. Nos deux corps sont collés, unis. Je sens que je dérape, mes principes
avec. Il me fait totalement perdre la tête. Je manque de défaillir quand je sens son sexe palpiter contre le
mien. Je veux garder cette position pour toujours tant elle est agréable. Son parfum dans mes narines, ses
cheveux qui chatouillent mon visage, et son membre qui me prouve que je lui plais encore.
- J'en ai marre de me cacher, Joy. Si ce que tu m'as demandé dans le train vaut toujours, dis-le-moi,
parce que j'en peux plus, putain. Je rêve de toi, je te vois partout. Je te veux, Joy Cohen. Plus que je n'ai
jamais voulu personne.
Pas un seul instant je pense à Crystal qui est à quelques mètres seulement. Je m'en contre fous. Pour
unique réponse, je grogne et bouge mon bassin en rythme avec le sien. Je me lâche. Vraiment. Je laisse
parler mon corps avant mon esprit pour une des premières fois de ma vie. J'embrasse Isaac. Mes mains
sont partout et nulle part à la fois. Je lui agrippe les cheveux, lui mords la lèvre inférieure. Je me sens
habitée, possédée. Mais surtout, je me sens vivante.
Notre échange langoureux dure encore quelques minutes avant de se stopper net à l'entente de pas
dans la salle de bain. Je ré-agrafe mon soutien-gorge, enfile ma robe et Isaac, avant de s'éloigner, pose un
dernier baiser sur mon épaule. Je meurs de chaud, j'ai envie de faire l'amour mais ça, personne ne le
saura jamais. Car tout ce qui vient de se passer restera notre petit secret.
Chapitre 14

Le lendemain matin, je suis la première à me réveiller. Crystal s'accroche à Isaac comme une
sangsue dans le lit et malgré moi, ça me fait rire. Je descends au rez-de-chaussée pour avaler un petit-
déjeuner avant ma rencontre avec le libraire. Je dois m'assurer qu'il ne regrettera pas son choix et sera
pleinement satisfait du déroulement de la séance de dédicaces. Une fois mes pains au chocolat avalés, je
remonte dans la chambre où Barbie dort toujours. Isaac lui, se trouve sur le balcon et fume une cigarette.
Je l'espionne à loisir. Dieu qu'il me plaît !
Je termine de me préparer et vais rejoindre le bel âtre qui prend l'air. Ma décision est prise. À mon
retour, je quitte Liam. Je ne peux plus rester dans cette situation et constamment jouer les girouettes. Je
l'aime, j'en suis sûre, mais beaucoup moins qu'Isaac. Liam représente la relation confortable et paisible.
Isaac, le feu, la passion. Le risque aussi, mais peu importe, j'ai changé et je sais dorénavant que ça vaut le
coup.
- Salut, l'arrogant. Tu as bien dormi ?
Son visage s'illumine et il m'invite à m'asseoir à côté de lui, sur la balancelle. La fumée qui sort de
ses narines le rend indéniablement plus sexy qu'à la normale et il m'est impossible de m'arracher à cette
vision. Si mes plans tombent à l'eau, je veux avoir cet instant gravé pour toujours dans ma mémoire : ses
cheveux qui brillent avec le lever du soleil, ses yeux bleus encore endormis et ce vieux short de sport qui
semble deux fois trop grand pour lui.
- Ma nuit aurait été meilleure si je n'avais pas eu quelqu'un qui s'accrochait à ma jambe comme un
koala à son arbre, mais ça va. Tu te rends quelque part ? m'interroge-t-il, une pointe de curiosité mêlée à
de la déception faisant écho dans sa voix.
- J'ai rendez-vous avec le libraire dans trente minutes. Vous pouvez aller prendre vos petits
déjeuners en bas et vous balader en attendant. Je ne serai pas de retour avant midi.
Il se racle la gorge et écrase son mégot dans le cendrier.
- Je peux venir avec toi ?
- Tu es sûr ? Je veux dire, tu veux vraiment laisser Crystal ici, toute seule ?
- De toute façon, je n'avais aucune foutue envie qu'elle vienne, pourquoi devrais-je être collé à ses
baskets chaque seconde de la journée ? Si tu acceptes d'aller me chercher un pain au chocolat et un café,
je pars avec toi, joli cœur.
Isaac se lève d'un bond et j'en fais de même. Son pouce caresse ma joue. Je ne me prive pas de
fermer les yeux pour savourer ce contact. Il lâche un soupir presque inaudible et avant qu'il ne parte, je le
retiens par le bras. Je me hisse sur la pointe des pieds, et pose ma bouche sur la sienne, doucement,
comme si j'avais peur qu'il soit fait de coton. Il ne cherche pas à amplifier les choses, il réagit à peine.
J'ai l'impression qu'il a du mal à y croire. J'avoue que moi aussi. Auparavant, jamais je n'aurais eu ce
type de comportement. Il me sourit à pleines dents, puis s'éloigne.
Tandis que je suis seule, j'en profite pour rêvasser. Je touche mes lèvres du bout des doigts et
m'extasie en sautant sur la balancelle. Si quelqu'un me voit, sur le balcon, il doit me prendre pour une
cinglée mais je m'en fiche, je suis heureuse. Et amoureuse.
- Où vas-tu ? lâche Crystal dans mon dos.
- Je descends vous chercher vos petits déjeuners.
- Non merci, je ne veux pas que tu essayes de mettre de la mort aux rats dans mon café. J'irai moi-
même. Peux-tu nous laisser une demi-heure tous les deux ?
- Et « s'il te plaît », c'est fait pour les chiens ? Je ne peux pas, il doit venir avec moi au rendez-vous
de ce matin, je vous file un coup de main, par gentillesse. Mais apparemment, tu ne sais pas ce que cela
signifie.
Elle grogne et se rallonge sur le lit, ne ressentant aucune gêne d'être à moitié nue devant moi. Je
commande le petit-déjeuner d'Isaac, n'omettant pas de lui prendre un muffin aux cranberries, comme hier
dans le train et la dernière fois, à l'aéroport. Je me doute que c'est sa douceur préférée et j'ai envie de lui
faire plaisir.
Quand je remonte, Crystal est allongée sur lui, en string, sur le lit. Elle me somme de m'en aller,
chose que je refuse. Elle passe alors aux menaces : me casser le nez, achever mon étranglement... Isaac
hausse les épaules, sa façon de s'excuser silencieusement et s'habille en vitesse. Ses yeux sont emplis de
surprise quand il découvre le petit gâteau aux baies et il le dévore en un rien de temps. Crystal l'embrasse
pour lui dire au revoir. Elle tripote son membre, à travers son pantalon, histoire de marquer son territoire.
Ses baisers deviennent de plus en plus voraces et j'ai la désagréable impression d'assister à des
préliminaires. Garce ! Elle se venge pour la chambre et évince sa concurrence, moi. Je saisis la première
opportunité pour indiquer à Isaac que nous devons partir. Sa main s'enroule naturellement autour de la
mienne dans le couloir et je sens mes joues rosir délicieusement.

***

C'est le grand jour. Isaac est stressé, et que dire de moi ? Je suis une vraie pile électrique. J'ai peur
qu'il n'y ait personne et je refuse qu'il soit déçu. Le libraire nous a cependant assuré que ça irait car ses
livres sont partis comme des petits pains.
La veille, nous ne sommes rentrés qu'à quinze heures à l'hôtel. Nous avons déjeuné dans une crêperie
sur le port sans nous préoccuper du temps qui passait. Dans la chambre, à notre retour, se trouvait
seulement trouvé un mot, « je suis partie », posé sur le lit. Au lieu de profiter du soleil, nous sommes
restés dans l'hôtel afin de bénéficier des services offerts. Massages et hammam. Le soir venu, nous nous
sommes contentés de grignoter des pizzas, sur le lit en commentant des émissions de télévision débiles.
J'étais dans ses bras et nous nous touchions sans arrêt. J'ai adoré ça. Crystal a rejoint Isaac dans le lit aux
alentours de deux heures du matin, dans un état pitoyable, prête à lui sauter dessus, alors il est venu se
glisser à mes côtés, quelques instants plus tard.
Je me tourne et observe mon acolyte collé à moi. Ses yeux sont grands ouverts et sa main gauche
s'amuse avec mes cheveux.
- Tu crois que ça va bien se passer ? Et s'ils ne m'aiment pas ? Si finalement ça me saoule de devoir
faire des signatures à la pelle et de lancer des sourires hypocrites ?
- S'ils ne t'aiment pas, c'est leur problème, tu ne vas pas changer pour eux. Si ça t'énerve ? Et bien, je
trouverai une combine pour que tu fasses plusieurs pauses. Tu sais, il n'y a rien de sorcier, et je serai là.
Je te promets que tu en redemanderas.
Au bout d'un long moment silencieux, il me demande :
- Est-ce que ma mère peut me voir d'où elle se trouve, d'après toi ?
Mon cœur se comprime à l'idée qu'il soit si triste. Perdre un proche s'avère déjà difficile, mais alors
perdre sa maternelle, ça doit être carrément l'horreur. Enfin, sauf quand on a la mienne. Là, on parle plutôt
de bénédiction.
- Non seulement elle te voit, mais elle croit fort en toi, Isaac.
Je sens tout son être se crisper et décide de l'embêter pour qu'il ne soit pas morose toute la journée.
Je commence à chatouiller ses côtes et il ne peut se retenir de rire plus longtemps. Il agrippe mes bras,
puis d'un seul mouvement, me fait cesser cet assaut. Injustice ! Tout simplement parce que Monsieur a
plus de forces que moi. Et la situation s'inverse. Il s'installe au-dessus de moi et me torture. Je crains un
instant le fait qu'on puisse réveiller Crystal, puis je me rappelle que vu son état d'hier, elle doit en tenir
une bonne. Elle n'émergera pas de sitôt.
- Ar...Ar... Pipi... Arrête ! Pitié !
Je me tords de rire et tente de lui échapper en me tortillant sous lui puis, soudain, il s'arrête net.
- Merci, je commençais à avoir mal au ventre. Mais il paraît que rire est aussi bon que de manger du
steak. Cela permet de vivre plus longtemps aussi et...
Il me fait taire par un baiser. L'atmosphère se charge d'une électricité que nous connaissons bien. Sa
langue tente de s'insérer dans ma bouche, je me laisse aller. J'attrape ses cheveux que j'aime tant et tire
dessus délicatement. Nos bassins se rapprochent instinctivement. La tension monte encore d'un cran. Je
passe mes mains sous son tee-shirt et caresse son dos musclé. Je l'incite à se coller encore plus à moi,
quitte à fusionner. Il grogne, puis s'en prend au lobe de mon oreille.
- J'ai envie de toi, chuchote-t-il.
Il jette un œil en arrière, s'assurant que Crystal dort toujours et retire sa couche de vêtements
superflue. Pas la peine de préciser que mes organes se font la malle un à un. Mon cœur se retrouve dans
ma bouche et mon estomac dans mes pieds. Je suis nerveuse, terrorisée même. Est-ce là mon grand
moment ? Avec la belle au bois dormant dans le lit ?
- Laisse-moi te faire du bien, s'il te plaît.
Je hoche la tête, la boule dans ma gorge m'empêchant d'articuler le moindre mot. J'admire son corps
avec envie. Je l'ai déjà vu dans cette tenue mais là, c'est différent. Différent parce qu'il se tient au-dessus
de moi, à moitié nu et qu'il veut me « faire du bien ».
Il embrasse mes bras, mes mains, puis dézippe ma robe sur le côté. Il arrache mon soutien-gorge à sa
suite. Il lorgne mes seins pendant de longues minutes, ce qui commence à me mettre mal à l'aise. Puis, sa
bouche se pose sur un de mes tétons. Il tire dessus, délicatement. J'étouffe mes gémissements avec
l'oreiller. Les sensations que ça me procure là me coupent le souffle. Il descend et lèche mon ventre.
Impossible de rester tranquille, j’ondule des hanches tant c'est délicieux. Tout à coup je comprends où il
veut en venir et le repousse légèrement.
- Isaac, tu es sûr que... ? Je veux dire, je n'ai jamais...
Il ne répond pas et continue la folle expédition de mon corps. Il retire ma culotte d'un geste vif et
passe sa langue sur sa lèvre inférieure, tel un prédateur. Je suis gênée et j'ai envie de me cacher sous le lit
mais il me tient si fortement que je ne le peux pas.
- Laisse-toi aller, joli cœur.
Lorsque sa langue rencontre mon clitoris, je crois que je ne réponds plus de rien. J'ai seulement
envie de perdre pied tout de suite. Un vrai délice ! Entrevoir sa tête glisser entre mes cuisses m'excite
plus que tout. Je mords l'oreiller de toutes mes forces, pour faire le moins de bruit possible mais cela
devient très compliqué. Sentir sa bouche jouer avec mon intimité humide, et l'entendre pousser des petits
grognements à tout va... oh putain, c'en est trop. Je jouis en murmurant son nom dans la paume de ma main,
ébahie par cette explosion de sensations inédite. Mon palpitant s'arrête quelques secondes avant de
reprendre la mesure. Ma colonne vertébrale me picote. Mes jambes se liquéfient, se transformant en gelée
à la framboise. Je tremble de tout mon soul tandis qu'il sourit, apparemment très fier de lui.
Il se redresse et m'embrasse goulument. Je ne sais pas si je dois lui rendre la pareille. J'en ai envie,
évidemment, mais je n'ai jamais réalisé de fellation et lui qui a connu tant de partenaires risque de me
trouver ridicule. Je jette un œil vers le réveil, vers le lit où Crystal n'a pas bougé d'un poil et je me lance.
Tant pis. Je n'en mourrai pas.
- Isaac, j'aimerais t'offrir quelque chose, moi aussi.
Pendant un instant, il paraît surpris, puis se laisse faire. J'attrape alors son boxer et le glisse
lentement sur ses cuisses. Et quelles cuisses ! À la vue de son membre, je déglutis. Tout ça dans ma
bouche, vraiment ? Je commence à envisager des scénarios d'étouffement certain, puis m'y attaque.
Advienne que pourra. Je vois ça comme une mission. Voilà. Je lèche son sexe de bas en haut et m'attarde
sur son gland. Heureusement que j'ai vu des vidéos là-dessus, je pense secrètement. Lorsque j'ai léché un
peu partout, je commence à l'engloutir tout entier.
- Nom de Dieu, Joy, es-tu certaine d'être vierge ?
Je le prends jusqu'au fond de ma gorge et fais tournoyer ma langue tout autour. Ses doigts serrent le
drap. Quand je sors les dents, il explose et son foutre gicle dans ma bouche. Je n'ose plus bouger, de peur
que Crystal se soit réveillée. Puis, à mon grand étonnement, c'est lui qui me hisse jusqu'à sa bouche.
- C'était la meilleure pipe de toute ma vie, Sainte Vierge. Alors merci, Joy Cohen, je te dois un
orgasme, dit-il avant de s'aventurer dans la salle de bain.
Quant à moi, je reste complètement médusée sur le lit et me remémore chaque détail de ce qu'il vient
de se passer.
Chapitre 15

À dix heures pile, le libraire ouvre les portes de sa boutique. Plusieurs jeunes femmes font le pied
de grue pour la signature. Je suis soulagée de voir du monde dès la première séance de dédicaces.
Monsieur Badouk m'a expliqué que, parfois, il fallait attendre au moins six mois après la sortie du livre
pour envisager une rencontre avec le public. Le stress !
Isaac est assis à sa table et prend le temps de discuter avec chacune d'entre elles. Elles sont
relativement correctes et pour la plupart, courtoises. Lorsque je vois la file d'attente s'agrandir, j'incite
mon arrogant favori à accélérer le tempo. Ne jamais se laisser rattraper, règle numéro une. Il prend
beaucoup de plaisir à trouver des formulations différentes pour les autographes, chose que les lectrices
apprécient.
Deux heures plus tard, des groupies s'extasient devant lui, et j'admets que je deviens un peu jalouse.
Elles l'étouffent presque tandis qu'ils discutent, se rapprochant de seconde en seconde. Il se laisse même
tripoter les bras et le torse. Ils se prennent en photo tous les trois et je préviens les deux midinettes
qu'Isaac doit partir, enragée. Mon sang ne fait qu'un tour mais je me contiens, histoire de rester
professionnelle. J'avoue que pour une première, je n'ai pas à me plaindre, c'était vraiment bien. J'ai hâte
de voir ce qu'il en sera cet après-midi.
- Putain, mais t'as vu le monde ? Waouh, je suis épaté. Et j'ai même pu débattre avec certains fans. Tu
avais raison joli cœur, j'ai adoré ça.
Il me soulève par les hanches tandis que je ris niaisement. Femme faible ! J'avoue, je trouve ça
craquant. Il embrasse mon front et attrape ma main pour aller manger. Mais c'est la douche froide lorsque
je remarque que Crystal l'attend dehors. Bon sang, elle ne lâchera jamais l'affaire ? Elle porte une mini-
jupe blanche et un top noir. En somme, elle a plus de peau à l'air qu'autre chose. Quand Isaac apparaît, il
se décompose lui aussi.
- Surprise, Doudou ! Je viens te chercher pour déjeuner.
Je retire ma main de celle d'Isaac et lui fais signe de regarder son téléphone. Pour éviter de se quitter
en silence, je tiens bon d'ajouter :
- On se retrouve à 14h30. Ici.
Je me retiens de l'embrasser et je jure que j'ai vu la même chose dans son regard. Pourtant, il la
choisit, elle, encore, et me laisse seule. Tant pis, je vais profiter de ma pause pour acheter ma tenue de
soirée. Je veux que Crystal crève de jalousie et surtout, qu'Isaac ne puisse pas me résister.
Je flâne dans les boutiques Perpignanaises jusqu'à trouver l'endroit parfait. En vitrine, je repère la
tenue. J'ai toujours entendu des rumeurs sur les robes de mariées. Comme quoi la future épouse, en
essayant plusieurs modèles, a un coup de cœur pour l'un d'entre eux et sait que c'est le bon. Moi aussi, j'ai
ce pressentiment en voyant cette merveille. Je laisse mes doigts glisser sur le tissu et la vendeuse qui
arrive derrière moi me fait sursauter.
- Bonjour, Mademoiselle. Voulez-vous l'essayer ?
- Oui, s'il vous plaît. Vous auriez une paire de chaussures et des accessoires pour aller avec ?
Elle me répond par l'affirmative et, pendant que je pars en cabine, se démène pour trouver de quoi
me sublimer. Je lui demande également si elle connaît un coiffeur qui pourrait faire de moi la reine d'un
soir et, adorable, elle prend le rendez-vous tandis que je continue mes essayages. Quand tout est enfilé, je
suis sous le choc. J'adore la vision que le miroir m'offre. Waouh, je suis définitivement belle.
J'imagine la réaction d'Isaac face à ce décolleté plongeant, j'espère qu'il appréciera également le mi-
cuisses que m'offre cette beauté. En tout cas, je me trouve parfaite. Je repars, mon sac sous le bras tout en
ne manquant pas de laisser un bon pourboire à la vendeuse, elle le mérite. J'achète un Panini Nutella au
passage et arrive à la librairie avec quelques minutes de retard seulement.
- Tiens, Crystal ! Justement, je voulais te poser une question. Tu portes quoi ce soir ?
- Une petite robe noire. C'est un cocktail pompeux, comment veux-tu que je m'habille ? Je ne ferai
pas d'efforts pour boire un mousseux dégueulasse entourée de faux-jetons.
- Parfait.
Elle hausse les sourcils, incrédule, et embrasse une nouvelle fois Isaac sous mon nez. Je ne
comprends pas qu'il continue de flirter avec elle. Il m'a dit ne plus vouloir faire semblant et s'intéresser à
moi. Qu'est-ce qui l'empêche de la larguer, maintenant ? Il faudra que je lui en touche deux mots, ce soir.
En attendant, quand elle part enfin me fusillant du regard au passage, je le laisse se concentrer, il en a
besoin.
Tout l'après-midi, le flux des visiteurs est continu. Isaac prend son temps et ça ne désemplit jamais.
Je gère le comptage de mon côté, et joue le jeu dès qu'on me demande de prendre des photos. Même moi,
j'adore ce que je fais. Et dire qu’en octobre, je recommencerai avec un autre qu'Isaac. Ce sera étrange,
qu'il ne soit plus continuellement avec moi. Je m'habitue vite à sa présence. Trop vite. Je risque d'en
souffrir à notre retour à Paris.
- Alors comme ça, tu as fait du shopping ? me questionne-t-il pendant sa pause clope.
- Pour le gala de ce soir. Tu as ton costume ou tu veux qu'on y aille après ?
L'idée de l'observer essayer des costards devant moi rend mes mains moites d'impatience. Imaginer
ses fesses moulées dans un pantalon sombre et lui refaire son nœud de cravate... J'en bave d'avance.
Pourvu qu'il ne soit pas équipé. J'adorerais l'accompagner.
- Je l'ai acheté ce midi, un costume bleu marine, un truc sobre et classique. Tu penses que ça va aller
?
Je hoche la tête, un peu déçue, il faut l'admettre. Je fantasmais déjà. Il continue la séance de
dédicaces pendant une bonne heure. Mon téléphone sonne quelques minutes avant la fin. Je décide de
prendre l'appel, il s'en sort très bien tout seul. Ses yeux me lancent des points d'interrogation par dizaines
tandis que je m'éloigne.
- Allô ?
- Joy ? C'est Liam. Comment vas-tu, Trésor ?
- En fait, tout roule. Isaac a réalisé un très bon chiffre aujourd'hui, et ce n'était que le premier jour,
alors imagine la suite ! Tout se passe bien, il fait un temps magnifique et ce midi j'ai profité de ma pause
pour aller m'acheter une robe pour ce soir.
- Fais-moi rêver, elle est comment ?
- Je te ferai une photo ce soir, ce sera mieux que de l'imaginer.
J'entends qu'il soupire à l'autre bout du fil. Si je ne le connaissais pas si bien, j'ignorerais qu'il me
cache quelque chose, ou qu'un truc ne tourne pas rond.
- Il faudra qu'on parle quand tu rentreras, Joy.
Le ton dramatique qu'il ajoute à la phrase me serre l'estomac. J'ai un peu peur, je l'avoue. Je pressens
quelque chose, mais ça ne me rend pas malade comme je devrais l'être. Je ne peux qu'affirmer. Oui, moi
aussi, j'ai des choses à lui dire. Je dois lui avouer pour Isaac.
- Je suis d'accord...
- Bref, raconte-moi. À quoi ressemble ta chambre d'hôtel ?
Et la conversation continue pendant de nombreuses minutes. Nous parlons de tout et de rien, comme
à chaque fois que l’on se voit. Il me stipule que le film qu'il devait critiquer cette semaine était terrible. Il
m'a fait jurer d'aller le voir avec lui pour rigoler un peu, dès mon retour. Avant de raccrocher, je ne peux
pas résister, trop curieuse.
- Sinon, ce dont tu veux discuter, c'est grave ?
- Pas maintenant Trésor, je préfère le faire face à face. Mais non, ce n'est pas grave, je te le promets.
J'abrège l'appel et lui souhaite une bonne fin d'après-midi. Je sursaute en retrouvant Isaac derrière
moi. Qu'est-ce qu'ils ont tous à me terroriser, aujourd'hui ?
- C'était qui ?
Il est sérieux ? Je ne peux m'empêcher de rire un peu. Il joue les mâles dominant alors qu'il embrasse
Barbie devant moi ? Je sais qu'ils n'ont pas baisé dans le train, ni depuis qu'on est arrivé ici mais, tout de
même, il y a des limites. Et être jaloux quand je reçois un appel m'énerve tout autant que ça m'amuse.
- Tu le sais très bien, alors pourquoi tu me demandes ?
Ses pupilles se dilatent à l'extrême. Il m'attrape par les hanches et pose ses mains au creux de mes
reins. Il veut marquer son territoire et me prouver qu'il m'aime bien. Je commence à le cerner. Je sais
qu'il agit plus qu'il ne parle. Comme moi. Je comprends que son « je t'aime » était sincère mais qu'il ne le
redira pas de sitôt. C'est un homme qui cache ce qu'il pense et se contente de faire ses preuves. Il
m'embrasse sauvagement et me laisse pantelante quand le libraire arrive en notre direction. Traître !
Je le remercie vivement et il n'hésite pas à me complimenter pour mon professionnalisme. Une fierté
pour moi, qui débute dans le milieu. Nous quittons les lieux vers 17h30 et je laisse Isaac se débrouiller
pour rentrer. Je stresse un peu de le savoir seul avec Crystal, mais je n'ai pas le choix, le coiffeur
m'attend. Je profite de mon moment de détente comme il se doit et ose demander à l'esthéticienne d'à côté
si elle a le temps de me recevoir. Cette cinquantenaire rondouillarde est charmante et bien que ce soit
entre deux rendez-vous, elle accepte. J'opte pour un maquillage frais, mais sexy. Je veux qu'Isaac
succombe en faisant face à cette femme fatale, qu'il ne résiste pas et veuille passer la soirée à
m'embrasser.
Je rentre dans la chambre à dix-neuf heures et Crystal semble avoir disparu. Isaac, allongé sur le lit,
se goinfre de chips devant un match de basket. L'occasion rêvée pour aller me préparer dans la salle de
bain sans qu'il ne fasse attention à moi. Il me regarde à peine, et quand je lui demande où se trouve
Barbie, il m'articule un petit « sushi shop ».
Je cours dans la pièce et referme immédiatement à clé derrière moi. Je prends une douche non sans
mal, car je ne dois pas abîmer ni le maquillage, ni la coiffure. Quand c'est chose faite, j'enfile la robe. Le
rendu semble encore meilleur avec le chignon et le rouge à lèvre rouge vif. Je me prends en photo devant
le miroir, sans ambiguïté, et envoie un message à Liam, comme promis un peu plus tôt dans la journée.
Mon SMS trouve réponse en moins de deux secondes.

[Quand tu rentres à la maison, mets cette robe, je veux avoir le plaisir de l'enlever moi-même... Ne
t'approche pas trop du grand méchant loup, ce soir.]

Mon sourire resplendit. Je me plais vraiment. Je perçois la voix stridente de Crystal, ce qui signifie
que la pimbêche est de retour. Puis je sors, comme si de rien n'était. Je marche jusqu'au canapé, récupère
la pochette achetée un peu plus tôt, chausse les escarpins bordeaux, le bracelet et les boucles d'oreilles.
Me voilà fin prête. Je ne jette pas un regard à Isaac, même si je sais que lui me guette depuis tout à
l'heure. Je lance un « à plus tard » et sors en trombe.
Je me dirige vers le bar de l'hôtel, foulant les longs couloirs moquettés. Lorsque j'arrive sur place, je
m'installe sur un tabouret en cuir et m'adosse au comptoir en merisier. Je scrute l'aquarium géant et me
prends à imiter les poissons les plus amusants. Puis, pour faire passer le temps, je commande un plateau
de fruits avec une limonade. Le lieu est vraiment somptueux, mêlant vintage et moderne. J'entrevois les
décorations quand les serveurs entrent et sortent de la grande salle. J'ai déjà hâte d'y poser le pied. Je
joue avec mon téléphone, jusqu'à ce qu'un grand brun vienne s'installer face à moi.
- Bonjour, Mademoiselle. Puis-je vous offrir un verre ? Je vous observe depuis tout à l'heure et je
dois vous avouer que je vous trouve vraiment charmante.
- Avec plaisir. Comment vous appelez-vous ?
Après tout, moi aussi, j'ai le droit d'avoir quelqu'un à mon bras. Ce n'est pas parce que je suis ici
pour le travail que je dois tenir la chandelle toute la soirée. Puis, connaissant Isaac, je sais qu'il crèvera
de jalousie quand il descendra et me trouvera avec lui. Cet homme a du charme, néanmoins, je devine
aisément avec ses petites ridules au niveau des yeux, qu'il est plus âgé que moi.
- Antoine, je m'appelle Antoine.
- Enchantée, Antoine.
Je lui lance un regard charmeur et entreprends de m'amuser un peu avec le destin. S'il m'a offert un
Antoine sur un plateau d'argent, c'est pour enfin conquérir Isaac. Une bonne fois pour toute.
Chapitre 16

Il s'avère qu'Antoine est un homme tout à fait charmant. Il a trente-cinq ans et travaille dans la
finance. Je ne me serais certainement pas retournée sur lui dans la rue, mais je dois avouer qu'il possède
un véritable sex-appeal. Ses yeux verts et ses cheveux coupés très courts y sont pour quelque chose.
Nous faisons connaissance pendant que nous sommes au calme car, d'ici une demi-heure, du monde
grouillera de toutes parts. Il me fait rire plus d'une fois, si bien que j'en oublie presque que j'ai laissé
Crystal-la-nymphomane avec Isaac. Ce sera l'épreuve du feu. S'il couche avec elle, c'est qu'il se moque
de moi, qu'il me désire juste pour mon corps, alors que je le veux pour son cœur. Dans ce cas-là,
j'arrêterai tout.
- Vous êtes très agréable, Joy. Pouvez-vous me promettre de me réserver votre première danse ? Je
dois aller me préparer.
J'observe la main qu'il me tend et la serre vivement en lui assurant que je n'y manquerai pas. Quelle
idiote ! J'ai pensé qu'il était prêt, dans son costume beige. Mais vu l'intitulé de son boulot, il doit
s'habiller comme ça quotidiennement. Je reste assise quelques minutes supplémentaires, et quand les
portes de la grande salle s'ouvrent, je suis une des premières à y pénétrer.
J'avais raison. Tout est grand, magnifique, et les lustres en cristal donnent une atmosphère plus riche
à la pièce. Je m'installe près de la table des petits fours - endroit stratégique - puis attends le retour de
mon nouvel ami avec impatience.
Moins d'une heure plus tard, le lieu s'avère bondé. Je ne reconnais ni Isaac, ni Antoine. J'attrape un
verre au passage pour paraître moins cruche, et pars à la recherche de l'un d'entre eux. Quand j'arrive au
niveau de la porte, Monsieur-je-travaille-dans-la-finance débarque, tout sourire, un bracelet de fleurs à la
main.
- J'espère que vous aimez les roses, Joy. Celles-ci s'accordaient tellement bien avec votre tenue que
je n'ai pas pu résister en passant devant la boutique.
Il me le passe autour du poignet et je le remercie vigoureusement.
- Une limonade pour la demoiselle, un gin tonic pour moi, s'il vous plaît.
- Comment savez-vous ce que je buvais tout à l'heure ? je lui demande, interloquée.
- Ce n'était pas si difficile à deviner. Le verre que vous aviez en main portrait l'inscription «
limonade ». Je suis peut-être bon en mathématiques, mais pas devin pour autant.
J'éclate de rire et c'est ce moment qu'il choisit pour poser sa main sur mon avant-bras. Le même que
choisissent Crystal et Isaac pour entrer en scène. Mon cœur commence à tambouriner dans ma poitrine.
J'ai peur de ce qu'ils ont fait, de ce qu'ils se sont dits pendant que je n'étais pas là. Les yeux bleus d'Isaac
se bloquent dans les miens suffisamment longtemps pour me perturber.
- Joy ? Je vous demandais si vous vouliez danser maintenant ou attendre un peu ?
- Maintenant. C'est bien si on y va tout de suite.
Sentant toujours le regard d'Isaac braqué sur moi, j'en profite pour mettre mon numéro en route. Les
mains d'Antoine dans mon dos nu, nos deux corps serrés et un sourire sur nos visages, il va être jaloux,
c'est certain. Je veux qu'il se rende compte d'à côté de quoi il passe s'il ne me préfère pas. Je veux qu'il
voie que je peux être séduisante, et bien qu'un peu gauche, désirée par d'autres hommes.
La valse laisse lentement place au slow et je reste dans les bras d'Antoine. Je sais que je ne le
reverrai jamais après ça. C'est une sécurité, un gage de confiance. Si je dis ou fais quelque chose de
travers, je ne serai même pas obligée d'assumer. Tout en continuant notre danse, j'aperçois Isaac du coin
de l'œil qui se dirige d'un pas décidé vers nous.
- Je peux vous l'emprunter une minute ?
Il n'attend pas la réponse d'Antoine et me tire vivement par le bras. Il est vraiment en rogne,
mâchoire et poings serrés. Je prends le temps de le détailler et je dois admettre que je ne l'ai jamais vu
aussi sexy que ce soir. Son costume bleu marine parfaitement taillé lui sied à ravir et la couleur s'accorde
avec ses yeux.
- Qu'est-ce que tu fous ? Pourquoi danses-tu avec ce vieux type ? Quel âge a-t-il, d'abord ?
Je ravale mon sourire. J'ai réussi à avoir ce que je voulais, finalement. Isaac bouillonne de jalousie.
Dans ma tête, je chantonne et sautille comme une gamine.
- Il s'appelle Antoine et je l'ai rencontré tout à l'heure, quand j'étais au bar. Il m'a invitée à passer la
soirée en sa compagnie, alors j'ai accepté. Que voulais-tu que je fasse ? T’attendre ? À quoi bon ? Tu n'es
pas seul.
J'ai crié la fin un peu trop fort. Les couples tout autour nous dévisagent. Un serveur s'est arrêté en
plein milieu de son service pour nous écouter parler. Ne voulant pas attirer davantage les regards sur
nous, nous décidons de nous écarter du reste du groupe. Je lance un signe de la main à Antoine, lui
stipulant que tout va bien mais, malgré tout, il continue de nous scruter.
- Je ne suis peut-être pas seul mais je lui ai balancé ses quatre vérités. Crystal se casse dès demain
matin. Elle prend le premier train.
- Qu... quoi ?
Sa révélation me fait l'effet d'une gifle. Ou peut-être même d'un coup de poing. Il l'a congédiée, pour
moi ? Les doutes que j'ai eus, sont-ils alors infondés ? Il me choisit, moi ?
- Elle a commencé à me sauter dessus à peine tu avais fermé la porte, alors je lui ai dit que je ne
voulais plus d'elle. Elle m'a tapé un scandale, tu imagines bien le truc, puis elle s'est reprise en affirmant
qu'elle allait partir en chasse ce soir. Crystal m'aime bien, mais sa stupidité a des limites, elle sent bien
que ce n'est pas réciproque. Nous avons regardé les billets de train et elle en a acheté un. Elle quitte la
ville. Le reste du voyage ne se fera rien que tous les deux, joli cœur.
Ne contrôlant plus rien, je laisse exploser ma joie et lui saute au cou. Il me rend mon étreinte et
embrasse mon front avant de m'avouer à quel point je suis « bandante », ce soir. Nous restons finalement
ensemble le reste de la soirée et, lorsqu'il entend une chanson d'Ed Sheeran, il m'attire sur la piste.
- Tu ne peux pas te défiler. Tu as dansé avec le gros coincé, tu peux bien faire un effort pour moi
aussi !
Il a raison, impossible de dire non. Surtout quand il me contemple avec ses yeux de chiot craquant.
Je le laisse me guider et rougis fortement à la compréhension des paroles de la chanson.
« Tout ce que je veux c'est le goût que tes lèvres délivrent. Mon, mon, mon, mon, oh donne-moi de
l'amour. »
Isaac semble traduire en instantanée, lui aussi. Il baisse les yeux immédiatement et j'aperçois ses
joues rosir. Isaac joue au timide, c'est presque trop beau pour être vrai. Si j'avais un appareil photo,
j'immortaliserais le moment. Ses mains se baladent dans mon dos et j'ai envie de lui admettre que je suis
folle de lui, que je l'aime. Pourtant, les trois petits mots, les sept lettres, ne passent jamais la barrière de
mes lèvres. La danse s'achève, et je ne le lui ai rien avoué.
Je reste seule quelques minutes, le temps qu'il aille fumer sa cigarette et en profite pour m'asseoir.
Mes pieds me font mal dans ces chaussures neuves. J'apprécie donc d'avoir un instant de répit. J'observe
la foule et remarque Crystal un peu plus loin. Elle s'amuse avec un homme. Je ne peux m'empêcher de la
traiter mentalement de trainée. Si elle aimait sincèrement Isaac, comment pourrait-elle passer à autre
chose si vite ? Sa façon de se déhancher ne tromperait personne, le message est clair. Elle reste là pour le
sexe et rien d'autre.
Pour la troisième fois de la journée, une main se pose sur mon épaule et je sursaute. Antoine se
trouve à côté de moi, la mine triste. Je réalise que si Isaac revient, il ne comprendra pas la situation. Ou
l'analysera précipitamment et sortira de ses gonds. La rivalité entre ces deux mâles frapperait quiconque
s'approche un peu trop près.
- Je suis déçu que vous m'ayez faussé compagnie, Joy. J'avoue que j'espérais terminer la soirée avec
vous. Avec un peu de chance, je vous aurais même eue pour la nuit.
Sa langue passe sur sa lèvre inférieure et ce geste me débecte. Comment ai-je pu croire qu'il était
différent ? Je suis idiote. M'aborder au bar aurait dû me mettre la puce à l'oreille mais non, rien. Nada.
J'ai cru qu'il avait de bonnes intentions et qu'il pourrait me distraire quelques temps. Il représentait le filet
parfait dans lequel Isaac allait tomber, rien de plus. Mais quand il m'exprime enfin ce qu'il attendait
secrètement, je recule à la hâte.
- Je me suis réconciliée avec mon petit ami. Je suis désolée si je vous ai fait croire certaines choses,
ce n'était pas mon intention.
Sa main s'accroche à mon coude et il caresse mon bras avec son pouce. Je tente de m'éloigner de lui,
mais sa poigne est trop forte. Impossible de bouger. Aux alentours, les gens doivent nous prendre pour un
couple, si bien qu'ils n'agissent pas. Je sais qu'Isaac ne va pas tarder, il est parti il y a déjà cinq minutes.
Il va m'aider, me sortir de ce pétrin dans lequel je me suis fourrée. J'ai flirté avec un empressé, bien ma
veine.
- Antoine, s'il vous plaît, lâchez-moi.
- Tu m'as chauffé toute la soirée et tu comptes te barrer comme ça ? Tu sais comment on appelle les
filles de ton genre ? Des allumeuses. Toi, tu en es une belle d'allumeuse. J'ai même dépensé dix euros
pour te payer cette connerie.
Il arrache le bracelet et continue de me peloter. Les larmes menacent, je ne sais pas quoi faire. Je
n'ose pas crier car il y a trop de monde alentour, on me prendrait pour une folle. Je reste muette comme
une carpe jusqu'à ce que j'entrevoie Isaac arriver. Il me cherche du regard et quand il m'aperçoit, il
accourt. Je le supplie d'un simple coup d'œil de m'emmener loin de lui et de ne pas provoquer de bagarre.
Cependant, il m'ignore et son poing part s'écraser dans la figure d'Antoine en moins de temps qu'il n'en
faut pour le dire.
Le trentenaire riposte d'un crochet du droit qu'Isaac esquive sans grand mal. Les gens s'écartent et les
plus curieux sortent leurs téléphones pour filmer la scène. Je reste choquée devant cette altercation,
jusqu'à ce qu'Antoine reprenne le dessus et assène Isaac de plusieurs coups sur le visage.
- Arrêtez ! je hurle.
Personne ne me répond. Ces enfantillages ne cessent pas. Mon arrogant méconnaissable profite
même de cet instant de faiblesse de son adversaire pour lui sauter sur le dos. Il attrape une bouteille vide
au vol et manque de commettre une faute irréparable.
- Isaac, s'il te plaît, je crie, plus fort que la fois précédente.
Il s'arrête net, le regard fou et le visage abîmé. Je prends son visage en coupe et observe
attentivement chaque blessure. Ce n'est rien de bien méchant, mais il faut désinfecter rapidement. Il aura
les marques lundi, lors de la prochaine séance de dédicaces. Ce n'est pas la meilleure pub du monde pour
un auteur en devenir mais, au moins, il a été là pour moi.
Antoine geint encore par terre et nous en profitons pour quitter les lieux. J'attrape sa main pour le
conduire jusqu'à l'ascenseur et je sens la température descendre de quelques degrés. Il bout de colère.
Quand j'y pense, moi aussi, je m'en veux. Si je n'avais pas répondu à cet homme lorsqu'il m'a tendu la
perche, nous n'en serions pas là. Il jure à côté de moi et je prie intérieurement pour qu'il attende qu'on soit
dans la chambre pour s'expliquer. Malheureusement, il s'emporte.
- J'aurais dû l'achever sur place, ce con. Qu'est-ce qu'il t'a pris de te dégoter un mec pareil pour me
rendre jaloux ? Tu ne sais pas que je crève déjà de douleur dès que je te vois avec bouclettes man ?
Son ton supérieur m'énerve, je ne peux pas rester là à me faire réprimander comme une enfant. Je
dois riposter.
- Et toi quand tu traînais avec Crystal ? On venait de faire de... de prendre notre pied, et toi tu
l'embrasses sous mon nez ! Je ne devrais rien dire, peut-être ? Alors oui, j'ai merdé, ce n'était pas la
bonne solution, mais j'avais besoin que tu réagisses, Isaac !
Nous arrivons dans la chambre que je déverrouille le plus vite possible. Personne n'a besoin
d'entendre nos disputes. Ce serait plutôt malvenu de se faire virer de l'hôtel par l'agent de sécurité parce
qu'on dérange. J’imagine déjà la tête de Monsieur Badouk...
- Que je réagisse ? Tu es sérieuse, là ? Putain, je la foutais à la porte pendant que tu flirtais avec un
mec !
- Je buvais bien un café avec Arthur pendant que tu la baisais ! C'est pire et tu le sais.
Il déglutit et, avant que j'aie le temps de réagir, ses lèvres s'écrasent sur les miennes.
Chapitre 17

- Tu n'aurais jamais dû essayer de me rendre jaloux, Joy. Parce que ça a trop bien marché.
Sa bouche et ses mains sont partout et je ne réalise pas immédiatement ce qui est en train de se
passer. Nous sommes seuls. Dans une chambre. Isaac et moi. J'ai envie de lui depuis la première fois où
il m'a embrassée contre ce mur, alors je le laisse arracher ma robe comme si elle ne m'avait pas coûté
près d'un mois de salaire. Je m'en fiche, je le veux.
Il tire doucement mes cheveux en arrière pour suçoter sur mon cou. Sa langue descend jusque sur
mes seins. Je ne suis qu'en culotte devant lui et ses yeux étincèlent. J'ai l'impression qu'il me regarde
comme si j'étais la femme la plus sexy sur Terre. J'adore ça. Je reprends confiance en moi. Je le
déshabille à mon tour, les mains tremblantes, pas entièrement rassurée malgré tout.
On y est enfin. J'en avais rêvé et ça arrive : je vais perdre ma virginité avec Isaac.
Quand il ne lui reste que son boxer, nous nous installons sur le lit. Il me domine. Nos bassins se
rencontrent pour ne former plus qu'un. Ses baisers sont délicats, les miens incontrôlés. Je laisse parler
mon corps et mon cœur, si bien que j'en oublie mon esprit qui me réprimande en ce moment. Je le désire
comme un verre d'eau en plein désert. Autant qu'un carré de chocolat à Noël. Depuis le début, c'est lui et
personne d'autre.
- On va y aller doucement, joli cœur. Je te le promets.
Ses lèvres frôlent ma clavicule avant de descendre beaucoup plus au Sud. Là où elles ont déjà été.
Là où elles m'ont fait hurler de plaisir. Je le laisse glisser ma culotte le long de mes cuisses et la jeter
plus loin. Sa langue s'aventure dans mon intimité. Mes pupilles se dilatent à ce contact. Ma bouche
s'entrouvre et l'envie de plus devient prépondérante. Je ne cesse de remuer dans ce lit gigantesque. Je
voudrais qu'il soit en moi, tout de suite.
À sa langue viennent s’ajouter un doigt, puis deux. Je grimace un peu, cette sensation inédite me
déstabilise, bouleverse mes sens. Mais le regard qu'il me lance me fait chavirer. Putain Isaac. Tu es
tellement doux. Je voudrais pouvoir enregistrer ce moment et le revivre pour toujours. Mes hanches
réagissent à chaque succion.
Je
Vais
Mourir.
- Isaac je vais... je vais...
- Laisse-toi aller, ma Joy.
Et je ne résiste plus. Je ne me retiens pas de gémir ni de prononcer son prénom encore et encore,
telle une litanie. Mon corps tremble de plaisir et l'adrénaline pulse dans mes veines. Je me sens
puissante, quasi indestructible. Je me prends à espérer que les chambres voisines l'entendent, elles aussi.
Les occupants sauront que c'est lui, cet homme merveilleux qui me donne du plaisir.
Les jambes molles, je m'attaque à son entrejambe, à mon tour. J'aimerais pouvoir lui donner un quart
de ce qu'il vient de m'offrir. Je retire son boxer à la hâte et attrape son membre déjà dur et immense. Bon
sang ! Comme la dernière fois, je commence à lécher du bas vers le haut. Il grogne à plusieurs reprises et
me guide, me conseille. Je suis ses instructions comme une bonne élève. Je veux qu'il se rappelle de cette
nuit plus que toute autre. Que ce soit tellement exceptionnel pour nous deux, qu'il ne m'oublie jamais.
J'avale son sexe goulument, patiemment. Quand il commence à s'agiter, je ralentis le tempo. Quitte à
le rendre fou. Nous avons toute la nuit et je compte bien profiter de chaque seconde. Je ne sais pas si ça
se reproduira un jour, alors mieux vaut ne pas fermer les yeux un seul instant. Je veux vivre cette soirée
comme si c'était la dernière. Intensément. Dangereusement.
- Il faut que tu t'arrêtes, bébé. Je rêve de jouir à l'intérieur de toi.
Je me sens rougir de toutes parts et Isaac s'en amuse. La lampe de chevet nous éclaire peu, mais je
distingue tout de même les expressions se succéder sur son visage. Du désir, de la satisfaction, du plaisir,
et je crois même apercevoir un peu d'amour, ou du moins de l'attachement. Mes yeux doivent crier que je
l'aime, mais je n'arrive pas à le lui dire. Pas ce soir. C'était beaucoup plus facile de l'avouer à Ayden
l'autre jour, bizarrement.
Isaac se positionne sur moi, m'écrasant de tout son poids. Sentir mon dos s'enfoncer dans le matelas
me fait tressaillir. Son sexe vient à la rencontre du mien. Des décharges électriques se répercutent dans
tout mon être. Je frissonne tant j'ai envie de lui. Il embrasse mon nombril et attrape un préservatif dans
son sac. J'évite de penser qu'il a probablement emporté cette boîte pour Crystal et fixe mes yeux dans les
siens.
Je l'observe enfiler le morceau de latex du coin de l'œil. Son geste est assuré, mais intrigant. Il
étincèle, dans la lumière de la lune. Comment ça se fait que moi, Joy Cohen, j'arrive à exciter ce corps
parfaitement sculpté avec mes courbettes et ma grande bouche ? J'ai du mal à comprendre pourquoi il me
préfère à sa poupée blonde mais tant mieux, j'en suis grandement satisfaite. La capote enserrant son
membre, il m'embrasse le cou et se réinstalle au-dessus de moi.
- Je rentre juste et je ne bouge pas, il faut que tu t'habitues, d'accord ?
- Oui, je murmure pour moi-même.
J'ai peur. Est-ce que ça va faire mal ou les romans disent vrai ? Cela sera-t-il romantique à en créer
des feux d'artifice, autour de nous ? J'espère ne pas m'être emballée ou avoir imaginé des choses
complètement fausses. Pour ma première fois, je ne souhaite que la perfection. Pas de douleur, juste une
surdose de bonheur.
Lorsqu'Isaac me pénètre doucement, je mords ma paume pour ne pas hurler. Merde, j'ai un mal de
chien, est-ce censé se passer comme ça ou ne suis-je pas normale ? Peut-être qu'il se trouve dans le
mauvais trou ? Possible, non ? Quelques secondes passent, puis une minute, et la douleur s'estompe. Je
ressens de nouvelles impulsions dans mon vagin, comme s'il avait faim. Faim d'Isaac.
- Tu vas bien ? Je peux commencer à bouger ?
Je me contente de hocher la tête en guise de réponse. Il ne se fait pas prier et commence par de
grands mouvements amples avec ses hanches. C'est aussi douloureux, mais moins que tout à l'heure. Sans
prévenir, il retire son membre entièrement et le remet. Je gémis. Ok, c'était quoi cette drôle de sensation ?
Il recommence plusieurs fois et le frottement de nos deux sexes s'accentue. Un léger pincement persiste
toujours, sinon, tout rime avec plaisir. Notre rythme s'accélère et je m'accorde à l'unisson avec celui qui
occupe toute dans la place dans mon cœur. Nous ne formons plus qu'un et c'est magique. Purement et
simplement magique.
Un peu d'élan suffit pour retourner la situation. Je suis désormais sur Isaac, ne sachant trop comment
bouger. Je mets tout de côté, mes sentiments, ma honte, et je laisse parler mon envie, mon bien-être.
Agrippées à mes hanches, ses mains m'incitent à rebondir sur lui, et les sensations sont encore plus
intenses. J'ai l'impression de le sentir partout, jusqu'au fond de mon ventre.
- Oh Joy, tu es tellement belle, susurre-t-il.
Mon envie de le faire jouir, pour moi, dans mon entièreté, devient pressante. Je bouge de plus en
plus vite. Et quand je m'y attends le moins, un tremblement de terre me ravage. Mes muscles se crispent.
Mollets, bras, vagin. Tout se contracte avant l'explosion suprême. La jouissance m'assaille. Plus rien
d'autre n'existe, à part nous. La sensation de flottement se prolonge encore et encore. Je m'entends gémir
fortement, prononcer le prénom d'Isaac plusieurs fois, mais je ne suis plus moi, je vole.
Quand j'ouvre les yeux, Isaac m'observe attentivement, comme pour imprimer chacun de mes traits.
Je le reluque ouvertement, sans aucune privation. Il change notre position une nouvelle fois et je me
retrouve en dessous. Je peux toucher son dos à loisir. J'adore son dos. Il est musclé, juste ce qu'il faut. Je
l'incite à s'approcher de moi toujours plus, et je sors les griffes tant ses coups de butoir sont délicieux.
Notre échange langoureux se prolonge encore de quelques minutes, jusqu'à ce que mon corps, ce
traître, réagisse une nouvelle fois. Les secousses recommencent avant le grand moment. C'est uniquement
quand mon orgasme arrive à son sommet qu'Isaac se laisse aller à son tour, en se déversant dans le latex,
l'air serein. Un sourire ne tarde pas à envahir son visage et ses iris azur flamboient, triomphants.
Je soupire d'aise, emplie d'un sentiment nouveau : la fierté. Je crois n'avoir jamais été aussi heureuse
et détendue de toute ma vie. Quand il se retire, je réprime un juron. Je me sens vide et vidée. En fait, je
suis éreintée.
- Alors, c'était comment, joli cœur ?
- Parce que des mots existent vraiment pour décrire ça ? Je n'en suis pas si sûre. À part waouh, et
merci peut-être. Enfin Isaac, je...
Je t'aime. J'ai envie que ça sorte. Mais mes lèvres restent scellées, je n'y arrive définitivement pas.
Je suis quasiment sûre de moi, c'est le bon depuis le début, mais je n'arrive pas à lui avouer ce que je
ressens. Et soudain, les mots de mon cousin me reviennent en tête, je ne dois pas l'effrayer avec mes
déclarations, de peur de tout gâcher.
- Fais chier, toujours au mauvais moment celui-ci, putain. Excuse-moi Joy.
Il enroule le drap autour de ses hanches et s'aventure dans la salle de bain. J'ai un pincement au
cœur, pourquoi part-il si abruptement après l'orgasme ? J'aurais voulu passer les prochaines heures dans
ses bras, à se papouiller l'un l'autre. Il faut croire que le destin en a décidé autrement lorsqu'il a fait
sonner son téléphone.
J'enfile une nuisette, celle que j'avais achetée avec lui en Belgique et rattrape ma culotte qui me
nargue sous le lit. Voilà, la magie s'est envolée. On arrive au bout du conte. Je m'apprête à reprendre
place dans le lit, cependant, quand je tente de m’asseoir, j'aperçois des traces rouges un peu partout. OH
MON DIEU. J'essaye d'arracher le drap housse le plus vite possible mais il est tellement pris dans les
coins que... Bon sang, je vais y arriver, si je tire plus fort ça va venir.
- Un peu d'aide pour la demoiselle en détresse ?
Son sourire en coin collé sur sa belle gueule, il me dévisage depuis le chambranle de la porte de la
salle de bain. J'esquisse un semblant de rictus moi aussi, sans succès, là je suis vraiment gênée. Je n'ai
qu'une envie, me cacher sous le lit, pour toujours.
- Il faut qu'on change ce drap avant de dormir, il est tâché.
- Et cela te gêne, un peu de sang ? Mais c'est naturel, Joy, s'exclame-t-il en riant et en s'approchant de
moi.
- Que vont penser les femmes de ménage ? Puis même, on ne va pas dormir là-dedans, beurk ! Non,
aide-moi à l'enlever, on va en demander un autre à la réception.
- Je t'interdis de toucher à quoi que ce soit, déjà qu'Ayden ne choisit pas son moment pour
téléphoner... D'ailleurs, il te passe le bonjour. On va faire comme si rien de tout ça ne s'était passé et
qu'on venait seulement de terminer, d'accord ? Allez, viens-là.
Il se rallonge dans le lit et m'ouvre ses bras. Je grimace, mais ne résiste pas bien longtemps face à
ses yeux bleus. Le silence nous entoure et je ferme les yeux, oubliant les traces sur ces draps souillés par
la perte de ma virginité. Mon dos appuie doucement contre son torse et ses doigts caressent distraitement
mon ventre. À chaque fois que nous sommes dans cette position, il le touche. J'imagine qu'il l'aime.
- Je peux te poser une question, Joy ?
- Essaie toujours.
- Que va-t-il se passer quand on rentrera à Paris ? Tu comptes tout avouer à Liam ou agir en bonne
petite copine et prétendre qu'il ne s'est rien passé ?
Liam. Un prénom. Quatre lettres qui m'anéantissent. Comment vais-je lui annoncer ? Je dois attendre
d'être rentrée, pour lui parler face à face, mais je viens de le tromper, je suis horrible. Et si ça se
reproduit, je le ferais cocu une seconde fois. Je ne sais pas, je ne peux pas. La culpabilité commence à me
ronger. Va-t-il pardonner mon geste ? Serons-nous toujours amis ? S'il veut couper les ponts, je
deviendrai quoi, moi ? Il m'est impossible de le perdre, pas Liam, mon meilleur ami de toujours.
- Je ne sais pas.
Chapitre 18

Le lendemain matin, la chambre est totalement vide quand je me réveille. J'essaye de contacter Isaac
à plusieurs reprises, pourtant je dois me rendre à l'évidence, il manque à l'appel. Alors, j'attends.
J'enclenche la télévision et reste allongée. Une heure plus tard, je demeure toujours seule. Je lui envoie un
texto auquel il ne répond jamais. Qu'ai-je fait pour qu'il parte sans rien me dire ? Mon cœur se serre à
l'idée qu'il me fuie après notre nuit, mais il faut que je garde la tête haute.
Je me prépare lentement, comme si j'espérais qu'il revienne avant que je sorte de la salle de bain.
Conneries, oui. Lorsque je commence à m'habiller, mon portable sonne. Mes espoirs renaissent... Avant
que je constate qu'il s'agit simplement de Liam. Son comportement puéril me déçoit, me vexe au plus haut
point. Pourquoi agir de la sorte ? Tant pis, j'encaisse.
- Bonjour Trésor, bien dormi ? Raconte-moi tout, quel est ton planning de la journée ?
La boule obstruant ma gorge me gêne pour parler. Ce ton si aimant, si joyeux me donne envie de
pleurer. Liam poireaute à Paris pendant que je couche avec un autre, comme une traînée. Mes agissements
me débectent. J'aimerais pouvoir lui vider mon sac, mais m'y atteler par téléphone serait d'une lâcheté
sans nom. Alors, je joue la comédie.
- Salut, mon schtroumpf ! Aujourd'hui, nous sommes plutôt tranquilles. Je pense que je vais aller me
balader un peu. Notre train est à dix-huit heures, je peux donc voir un peu de pays, je suppose. Et toi ?
- En fait, je t'appelle parce que j'ai quelque chose à t'avouer. Hier soir, Ély et moi avons dîné
ensemble.
- Quoi ? Pourquoi ?
Je n'en crois pas mes oreilles. Comment ose-t-il encore l'approcher ? Ne se souvient-il déjà plus de
sa trahison ? Je refuse d'entendre ce prénom une fois de plus. Je ne veux plus jamais la revoir. Cette sale
garce ne mérite pas mon attention, encore moins mon affection.
- Elle m'a téléphoné, il y a peu de temps. Elle voulait bavarder. J'ai laissé traîner. Puis, elle est
revenue à la charge. Je n'allais tout de même pas l'ignorer toute ma vie. Joy, je t'en prie, ne t'emballe pas.
On n'a pas parlé de toi, ni de cette soirée cauchemardesque. Ély a juste pris de mes nouvelles. Elle était
heureuse de nous savoir en couple officiellement. Heureuse pour nous.
Ne pas m'enflammer ? Il est marrant, lui. Plus facile à dire qu'à faire.
- Et toi, tu l'as crue ? Mais tu es complètement idiot ! On parle d'Ély la manipulatrice, Liam. Je suis
certaine que son but était d'aller à la pêche aux informations avant de préparer un autre de ses plans
machiavéliques.
Il soupire fortement et je tremble de rage. Savoir qu'ils se sont rencontrés dans mon dos sonne
comme une tromperie. Au fond, si ça se trouve, elle souhaitait s'assurer de la disponibilité d'Isaac, mais
jamais elle ne l'aura. De mon vivant, je me battrai bec et ongles s'il le faut pour qu'ils ne terminent pas
ensemble. Non, le destin ne peut pas leur prévoir un mariage, des bébés, ni une fin heureuse. Ce ne sont
pas eux, les héros de l'histoire.
- On en reparlera quand tu te seras calmée, mais sache qu'Ély ne m'a rien fait. Elle reste mon amie et
probablement que je la reverrai. Tu n'es pas là, Joy. Que veux-tu que je fasse ? Que je t'attende sagement,
assis sur le canapé ? Non, je continue à aller au cinéma et à voir des gens, je ne joue pas l'ermite.
Inspirer. Expirer. Inspirer. Expirer. Ne pas s'énerver et ne pas lui balancer ma bombe à la figure. Pas
aujourd'hui. Malheureusement pour mes nerfs déjà à fleur de peau, il ne s'arrête pas là.
- Isaac et toi êtes partis. Joy, je suis inquiet à chaque foutue seconde qui passe. Je vais devenir cinglé
avant que tu reviennes si je ne bouge pas. Rassure-moi. Dis-moi qu'il n'a rien tenté, que vous vous
entendez bien, mais que ça demeure cordial. Je veux le savoir s'il s'est passé quelque chose. Si c'était le
cas, tu me le signalerais, hein ?
Cette fois, la bile me monte à la gorge. Il s'en fait pour moi, il m'aime vraiment et je suis la plus
grande traîtresse de l'univers. Comment vais-je pouvoir affronter mon regard dans le miroir après ça ? Ou
même dormir sur mes deux oreilles ? Bon sang, il faut que ça s'arrête, qu'on rentre et que je balance tout à
Liam. Cela ne plus durer.
- Crystal et Isaac ont rompu. Elle est partie ce matin. Sinon, je te l'admets, j'ai hâte de regagner la
capitale. On travaille énormément, ici. Je me sens exténuée.
Franc, vrai, bref. Nous terminons par échanger des banalités et le goût amer envahissant ma bouche
ne me dit rien qui vaille. Je refuse de céder à une crise de panique, maintenant. J'ai autre chose de plus
important à faire que de respirer dans un sac en papier pour me détendre. Retrouver mon partenaire, par
exemple. S'expliquer, aussi. L'appel tourne court et je vérifie ma messagerie. Rien. Je l'appelle à
nouveau, mais il franchit le pas de la porte quand je m'apprête à lui laisser un message. J'opte pour
l'approche subtile.
- Salut, bien dormi ?
- Bonjour, joli cœur. Courte nuit, ajoute-t-il, un sourire en coin. J'avais totalement oublié que je
devais ramener Crystal à la gare et son train a eu du retard. Je suis désolé si tu t'es inquiétée.
Il embrasse mon épaule dénudée et laisse divaguer sa bouche jusqu'à mon cou. Je me sens revivre. Il
suffit de ses mains posées sur mes hanches et de son parfum dans mes narines pour retrouver un semblant
d'équilibre. En sa présence, et la sienne uniquement, je découvre le bonheur, la joie de vivre.
Nous établissons nos plans pour la journée et décidons d'aller visiter la vieille ville. Tout nous
semble naturel, spontané. Je ne calcule aucun de mes gestes, ni mes façons d'agir. Et j'admets que si la
vraie vie ressemble à ça, je regrette de ne pas l'avoir vécue plus tôt. Nous nous arrêtons dans un
restaurant chic pour déjeuner et je crois ne jamais avoir autant ri pendant un repas.
- Tu devais être une petite terreur quand tu étais jeune, je prononce difficilement, tant je me tords de
rire.
- Alors, j'ai menti. J'ai dit à ma mère que papa avait sans doute oublié de resserrer le frein à main. Il
s'est fait tellement engueuler, que je m'en rappelle encore. Et dire qu'à cause de mon envie de rentrer plus
tôt à la maison, la voiture a fini dans le lac. Maman n'a jamais douté de moi, elle aurait peut-être dû,
finalement. À ton tour, raconte-moi une de tes pires conneries.
- Je ne suis pas de ton niveau, je t'assure, mais je crois que celle-ci vaut le détour. Un jour, Grégory
m'a demandé ce que ça faisait d'être une fille. Je lui ai expliqué que c'était douloureux, parce qu'il fallait
toujours se faire belle. On devait avoir huit ans, peut-être neuf. Il a voulu que je lui prouve. J'ai été
chercher de la cire chaude à épiler dans la salle de bain, et je lui en ai étalé partout sur les jambes.
Ensuite, lorsque j'ai commencé à tirer, ça ne venait pas. Il a hurlé à s'en rompre les cordes vocales. Je
crois même qu'il pleurait. Maman s'agitait dans tous les sens. Greg a été prendre une douche, mais tout
n'est pas parti. Il a fallu vraiment lui arracher le peu de poils qu'il avait pour que ça s'en aille
définitivement. Plus jamais, il n'a voulu ressembler à une femme.
Le serveur apporte nos desserts. Des macarons pour moi et un fondant au chocolat pour Isaac. Nous
nous toisons et sa main vient délicatement s'entrelacer à la mienne. Je rougis, baisse les yeux. Ce contact
me rappelle la présence de ses doigts partout sur mon corps, hier soir. Je me demande si j'arriverai à ne
pas recommencer. Tout était si doux. Tellement tendre. Tout simplement parfait, parce que nous étions
ensemble.
Il me fixe avec une telle intensité que j'en frissonne. Il me dévore du regard. Je tente de me contrôler
jusqu'à ce que je n'en puisse plus. S'il continue, je crois que je vais lui sauter dessus. Et à partir de cet
instant-là, je ne serai plus responsable de mes actes.
- Qu'est-ce qu'il y a ? j'ose lui demander.
- Je repensais à hier soir.
Sa cuillère entre lentement dans sa bouche et je comprends ce à quoi il joue. Il me chauffe ? Très
bien, je peux entrer dans la partie, moi aussi. Sa langue lèche sa lèvre inférieure, geste qui se répercute
jusque dans mon sexe. Celui-ci s'avère déjà accro à Isaac. Pire, il est attentif à la moindre de ses attaques
et il me le fait savoir.
Je feins l'innocence et laisse ma jambe s'étendre contre son mollet. Mon pied glisse sous son jean
avant de remonter doucement sur sa cuisse. Il semble avaler sa bouchée de travers et je souris de toutes
mes dents. Pari réussi ! Les gens alentours doivent nous trouver étranges, mais pour une fois, je m'en
fiche. Je veille seulement à ne pas faire bouger la nappe. Mon pied s'approche dangereusement de son
membre et quand je sais que j'y suis, j'affirme ma prise. Isaac se fige, laissant tomber son couvert
bruyamment dans son assiette. Ses yeux bleus flamboient d'envie tandis que je continue mon assaut
malicieux.
Je mange mon macaron à la framboise comme si rien ne venait de se passer. Comme si je n'avais
jamais tenté de peloter Isaac dans ce restaurant bondé. Il termine son dessert avant moi et toute son
attention se focalise sur ma personne. Il mordille sa lèvre, inconscient de l'effet dévastateur que ce simple
geste me procure. Mon pied force désormais contre quelque chose de dur. Je rougis violemment. Moi, Joy
Cohen, je l'excite.
Nous nous murons dans le silence. Nous entrons dans la phase jeu dangereux. C'est au premier qui
craquera. Celui qui aura tellement envie de l'autre qu'il l'entraînera dans les toilettes. Ou même, qui lui
sautera dessus sur le carrelage, au milieu de tout le monde. Sa main s'aventure sous la table et il
entreprend de me masser la cheville, mais ce geste n'a rien de romantique, tous ses mouvements sont
calculés. Il veut que je perde. Ses doigts aussi doux que du coton remontent le long de mon mollet, je me
retiens de gémir tant il fait ça bien.
- Je n'attends plus que toi, susurre-t-il.
Ma bouche s'assèche et tous mes sens sont en alerte. J'avale mes macarons un à un, quitte à passer
pour une morfale. Voilà, il a gagné, puisque je suis complètement, intégralement, démesurément frustrée
quand il retire sa main. J'ai envie de le sentir en moi, m'explorer, me caresser. Nous n'attendons pas qu'un
serveur nous apporte l'addition, nous nous dirigeons immédiatement vers le comptoir. Nous frôlant sans
cesse, nous rejoignons l'hôtel à grandes enjambées. Je n'ai probablement jamais marché aussi vite de ma
vie.
Le trajet en ascenseur est interminable, je commence à bouillir. Quand le dernier occupant descend,
Isaac se jette sur mes lèvres et je rugis sans retenue. Mes mains s'abandonnent dans ses cheveux et je suis
certaine que lorsque l'on passera la porte de la chambre, nous ferons l'amour. Une seconde fois. Isaac et
moi.
Chapitre 19

Les rendez-vous s'enchaînent et, malgré tout, je sens que je me rapproche d'Isaac. J'ai baissé ma
garde la nuit où il m'a fait l'amour, et je ne l'ai jamais plus relevée par la suite. Je suis heureuse, bien dans
ma peau, mieux que jamais. Je serai même prête à affronter ma mère s'il le fallait. Elle ne me fait plus
peur, maintenant. Ély, non plus.
Isaac aussi est différent. Il n'arrête pas de me tanner bien évidemment, certaines choses ne changent
pas, mais je le sens plus attentif et plus protecteur. L'autre jour, quand nous nous sommes rendus à
Marseille, il a refusé que l'on emprunte la rue de l'hôtel où j'ai séjourné pendant mon aventure en
solitaire. Il m’a alors avoué qu’il ne voulait pas faire remonter des souvenirs douloureux. Cette petite
attention signifie beaucoup pour moi.
Il ne nous reste plus qu'une journée avant de rentrer et je suis terrifiée. Je n'ai pas envie de détruire
ce que nous avons construit, ni même lui lâcher la main une seule seconde. Pourtant, il va le falloir. Liam
m'attend et je lui dois des explications. Je n'ai pas encore pensé à ce que j'allais lui dire. J'avoue que je
repousse ce moment au maximum. Les instants partagés avec celui que j'ai tant détesté au départ me sont
trop chers pour que je les gâche de la sorte.
Actuellement, il se tient devant moi et signe des autographes à la chaîne. Le public est venu en
nombre et il veut pouvoir satisfaire tous les présents. Le livre se vend encore mieux que prévu. À
l'arrivée de l'été, un roman si facilement lisible représente un premier choix. Pour autant, on ne s'attendait
pas à un tel succès. Cette semaine, j’ai même dû relancer l'impression de plusieurs milliers
d'exemplaires. Monsieur Badouk brille tellement de fierté qu'il s'acharne à dégoter de nouvelles dates de
salons ou séance de dédicaces pour Isaac. Il paraît donc qu'en octobre, je ne m’occuperai pas du nouvel
auteur qu’on m’avait affecté, mais que je serai encore sur les routes avec lui. Non pas que ça me
déplaise, bien sûr. J'apprécie le fait de ne pas être à la maison. Enfin disons, que ça me dérange beaucoup
moins qu’avant. Et je dois admettre que j’apprécie de plus en plus cette nouvelle Joy. Plus mature, plus
forte, plus belle, plus sûre d’elle. Plus heureuse, tout simplement.
Ce soir, marque notre ultime soirée en tête à tête et nous comptons bien profiter de la chambre
d'hôtel une dernière fois. J'ai l'impression que nous n'avons fait que ça, ces derniers temps : finir au lit.
Mais comment résister à un tel bonheur ? Tromper une fois ou dix, quelle différence, au final ? C'est
horrible, de toute façon. Je me prends à sourire toute seule en imaginant la situation. Si on m'avait dit que
moi, Joy Cohen, j'allais avoir un copain que je tromperais avec un autre, je n'y aurais pas cru. Ou alors,
seulement si on m'avait payée très cher pour que ce soit le cas.
-Tu peux me donner de l'eau, Joy, s'il te plaît ?
J'apporte la bouteille à Isaac le plus vite possible et il me gratifie d'un clin d'œil. Je manque de me
liquéfier sur place. Je comprends ses lectrices. Si j'avais un homme aussi sexy en face de moi sans rien
connaître de sa vie privée, je crois que je tenterais ma chance, moi aussi.
J'ai changé, durant ce voyage. Je commence à m'ouvrir un peu plus aux autres. Je n'ai jamais reconnu
à Isaac que je l'aimais, mais quotidiennement, je lui prouve avec des petites phrases lancées de-ci delà.
J'espère qu'il saisit mes perches. Il ne m'a jamais rien redit de plus, si ce n'est des « tu es belle », « j'aime
ta peau, ta bouche ». Le jour où je lui avouerai enfin, cela représentera une page tournée vers une
nouvelle vie, j'en suis sûre. Le moment où je dirai « je t'aime » sera pour moi, ma victoire contre cette
façon d'être qui me pourrit la vie. Ma putain d'introversion.
Après une demi-heure de rab, Isaac accepte encore de faire quelques selfies avec ses admiratrices.
Je n'aime pas la façon dont elles le touchent, mais ce qu'il y en dessous cette chemise bleue m'appartient,
désormais. C'est sur ce torse parfaitement dessiné que je me suis endormie hier soir.
- Isaac, il faut qu'on y aille.
- J'arrive, me mime-t-il avec sa bouche tout en posant pour une autre photo.
Les filles ronchonnent quand il part, mais sont tout de même heureuses de l'avoir rencontré. En
tendant l'oreille j'entends un « t'as vu comment il m'a regardée » et j'éclate de rire. Et dire qu'il y a
quelques semaines, c'était moi qui devenais rouge écarlate quand je croisais son regard... Les choses sont
bien différentes, aujourd'hui.
Sans crier gare, ses lèvres s'écrasent contre les miennes. Nous attendons que le libraire ferme
boutique pour dresser le bilan. Mais, étant donné qu'il commence juste à annoncer la clôture des portes au
micro, nous avons le temps. Nos langues dansent ensemble et très vite, le baiser innocent devient
passionné. Je suçote sa lèvre inférieure. Il gémit. Il tripote mes seins. Je ronronne. Pourquoi je le veux
tout le temps ? J'en redemande encore et encore en me disant que je ne me lasserai jamais de lui.
- Ah, ça m'avait manqué. Tu sais que c'est vraiment dur de ne pas t'embrasser toute la journée ?
Pendant que je signe à la chaîne, j'ai le temps de penser à tout et à rien. Et crois-moi, revivre mentalement
notre performance d'hier soir m'a fait tenir le coup tout l'après-midi.
- Et si quelqu'un nous entend, on aurait l'air de quoi ? Une nymphomane et un addict au sexe ? Mais
je suis assez d'accord pour hier soir, je susurre, contre son oreille.
La veille, une idée nous a traversé l'esprit. Nous avons rejoué la scène de notre rencontre. Moi,
allongée sur la méridienne, et Isaac qui franchit la porte. Sauf qu'après, rien ne s'est passé comme la
première fois. Nous avons commencé à nous déshabiller l'un l'autre et avons enchaîné les positions. Lui
sur moi, moi sur lui, à l'endroit et même à l'envers. Bon sang, c'était scandaleusement exquis.
- Il fait quoi, le Lyonnais ? S'il n'arrive pas dans les cinq minutes, je ne resterai pas sage. J'ai envie
de te toucher et te câliner, je m'en fous qu'on ne soit pas dans notre chambre.
Encore un détail qu'il a fallu que j'arrange après notre départ de Perpignan. J'ai annulé une chambre
dans chacun des hôtels. Un calvaire, mais aujourd'hui, ça vaut vraiment le coup. J'ai du mal à imaginer me
réveiller sans lui tant je m'y suis habituée les sept derniers jours. Il m'apporte toujours mon petit déjeuner
au lit et nous dînons devant la télé quand nous ne sortons pas. Notre douche, nous la prenons à deux
systématiquement. Nous nous brossons les dents côte à côte. En fait, nous sommes en train de devenir un
couple même si nous n'en parlons jamais.
- Tu as encore fait des ravages, aujourd'hui et j'ai oublié de te dire, ajouté-je en sautillant, la presse
nous a contactés. Tu as une interview pour L'Express prévue la semaine prochaine. C'est trop génial, non
?
Il me serre dans ses bras et me soulève, par chance, sans aucune difficulté. J'aurais eu un peu honte
s'il m'avait portée, puis lâchée en s'apercevant que je n'étais pas un poids plume mais plutôt, une belle
baleine.
- Je ne sais pas comment je ferais si je ne t'avais pas rencontrée, ma Joy. C'est grâce à toi, tout ça.
Lors de chaque entretien, tu resplendis et tu vantes toujours mes mérites, quitte à te rendre ridicule. Je ne
te l'ai encore jamais avoué, mais merci pour tout ça. Cela représente ton œuvre, au même titre que la
mienne.
Je lui adresse mon plus beau sourire. Il se révèle formidable, ce mec. J'ignore ce que j'ai boutiqué
pour ne pas le remarquer plus tôt. J'étais probablement trop aveuglée par Liam à ce moment-là. J'avais la
perle rare, peut-être même le bon devant moi, sans le voir. Truc de dingue ! Il m'aurait suffi d'ouvrir
davantage les yeux au lieu d'agir en Madame-je-m'enferme-dans-mes-bouquins, pour vivre tout ça encore
plus tôt. Mais avec des si, on refait le monde, n'est-ce pas ?
- On bouge, ce soir ? je lui demande, après un silence apaisant.
- Pour notre dernière soirée ? Disons que je t'ai prévu deux ou trois petites choses intéressantes. Dès
qu’on part d’ici, je te laisse faire les boutiques. Une seule règle, ce doit être blanc. Pour le reste, ce sera
une surprise, Mademoiselle Cohen. Inutile de me demander, vous ne saurez rien avant vingt heures.
- J'ai hâte d'y être, bébé.
Mes yeux s'arrondissent de surprise. Le filtre entre mon cerveau et ma bouche vient de déguerpir
sans demander son reste.
- Oh excuse-moi, Isaac. J'espère que tu ne m'en veux pas, enfin... Je n'aurais pas dû te surnommer de
cette façon.
Lui qui ne « sort avec personne » habituellement risque de flipper à mort, maintenant. Bravo, Joy
!
-Tu parles bien trop, joli cœur. Laisse-moi savourer ce que je viens d'entendre. Alors comme ça, je
suis ton bébé ?
Je hoche la tête, un peu honteuse.
- Tant mieux parce que toi, tu es le mien.
Je soupire d'aise. Comment réagir autrement face à tant de perfection ? Je suis amoureuse, voilà tout.
Et comme au début de toute nouvelle relation, c'est intense, on désire être avec l'autre tout le temps. Tout
partager.
À la fin de notre rendez-vous, je file en ville acheter une robe blanche très élégante. Elle possède sa
touche de sexy grâce à sa fermeture Eclair, à l'avant. Il suffirait à Isaac de l'ouvrir pour me déballer
comme un cadeau. Je suis certaine qu'il va adorer cette idée. Je déserte les lieux, mon sac à la main, prête
à retourner à l'hôtel, jusqu'à ce qu'un bandeau me soit enfilé sur les yeux. On me mordille le lobe de
l'oreille mais aucun son ne sort de la bouche de mon assaillant. Je reconnais tout de même Isaac à l'odeur
de son parfum. Si avant, j'aurais eu la peur de ma vie, je suis maintenant prête à le suivre, quitte à aller au
Diable. Je lui accorde mon entière confiance.
L'air devient de plus en plus frais. Je réalise que les rayons du soleil ne chauffent plus mon visage.
Isaac doit remarquer que je frissonne car il m'entoure de ses bras, comme pour me protéger. J'entends du
bruit, puis un mélange de senteurs vient chatouiller mes narines. Quelque chose de sucré, de la barbe à
papa peut-être, ou des churros, je n'en suis pas sûre. En tous cas, cela m'ouvre l'appétit. Je me fiche d'être
dévisagée par les passants, car j'arbore un masque noir, on peut me juger, ça m'est égal. Je me trouve avec
l'homme arrogant qui fait vibrer mon âme, et tout va bien.
Nous marchons encore sur quelques mètres et soudain, nous nous arrêtons. Au premier abord, je
pense qu'il va me rendre la vue, mais, non je reste aveugle. Nous entrons quelque part. Mes pas résonnent
désormais. Le bruit s'intensifie. J'ai la vague impression d'être dans un restaurant tant il y a de messes
basses échangées. J'ignore si le groupe joue la musique en direct, en tous cas si c'est le cas, ils sont
excellents. J'entends des rires, des verres qui tintent, pour autant, je ne sais absolument pas où nous nous
trouvons. Quand je ne m'y attends plus, deux mains détachent lentement le bandeau. Je me retourne vers
Isaac et il m'embrasse, langoureusement. Je détaille son visage et réalise à quel point il m'a ensorcelée.
Je me consume intégralement pour lui, à chaque baiser, chaque caresse.
- Voilà la première partie de ta surprise. Une soirée blanche, où les seuls invités sont des gens de
renom. Il y a d'autres auteurs, des chanteurs, et peut-être même quelques acteurs. Enfin, ça ne change rien,
reste avec moi ce soir, ne me laisse pas tomber pour un sosie de Georges Clooney, d'accord ?
Je ris, insouciante et libérée d'un poids. Je suis entourée de gens célèbres, en très bonne compagnie
et j'ai accès à des petits fours qui ont l'air délicieux. Que demande le peuple ? Je traîne Isaac vers le
buffet et remplis mon assiette à ras bord. Dans ce genre d'endroit, il paraît que la nourriture égale celle
des grands restaurants. C'est au tour d'Isaac de se moquer. Il embrasse ma tempe et m'observe manger
goulument en sirotant son verre.
Une fois le repas englouti, je le tire par la main et l'entraîne vers la piste de danse. Un flashback de
notre soirée en Belgique me revient en pleine figure. J'osais à peine remuer. J'avais peur de bouger mon
corps devant des gens. Ridicule, non ? Ce soir, je vais changer la donne et lui prouver que je ne suis plus
la même personne que lorsque nous nous sommes rencontrés. Ce soir, je vais le faire tomber amoureux de
moi. Inconditionnellement.
- Cette fois, c'est moi qui mène, je lui chuchote, avant de m'agripper à son cou.
Chapitre 20

Isaac

Ma peau frémit sous ses petits doigts froids. Elle est aguicheuse, ce soir. Plus belle que jamais.
Savoir que demain nous reprendrons le cours de nos vies me rend dingue. J'ai commencé à prendre des
habitudes avec elle. Comme nos nuits ou nos réveils. Je crois que ça va être dur de s'en détacher. Je la
regarde dans les yeux et, dans cet unique échange, je lis tout ce qu'elle ressent pour moi. Bordel, ça m'en
fout des frissons.
Je la laisse s'amuser et me mener à sa guise. Je m'en fiche d'être ridicule. Ici ou ailleurs, peu importe
après tout. Tant que nous sommes ensemble. Je fais bonne figure ce soir mais au fond, je suis mort de
trouille. Et si demain, en revoyant son Liam, elle oubliait tout ce qui venait de se passer entre nous ? Et si
elle se vengeait du plan tordu organisé par Ély ? On se caresse, on demeure tendres l'un envers l'autre
certes, mais nous n'avons toujours pas exprimé nos sentiments réciproques.
Le pire, surtout, c'est qu'elle m'a changé. Transformé en un homme plus mature. L'endroit grouille de
filles à moitié nues. Pourtant, je n'ai aucune envie de les mater, de les draguer. Cette brunette qui s'agite
devant moi en levant les bras au ciel les surpasse toutes. On a baisé une bonne dizaine de fois, ou plus, et
je ne suis encore pas rassasié. Le plus fou ? J'en redemande. Encore et encore. Je ne me lasse pas de ses
doigts sur moi, de ses gémissements, ni même de cette façon qu'elle a de tirer sur mes cheveux quand elle
jouit. Puis, je l'admets, cela me rend particulièrement fier de savoir que je resterai son premier, quoi qu'il
advienne.
Le rythme redescend autour de nous et la musique se calme. Je remercie le DJ de me permettre de
souffler un peu. J'aime cette fille, mais clairement, la danse et elle ne font pas bon ménage. Elle n'a eu de
cesse de m'écraser les pieds, tout au long de la chanson. La douce voix de Francis Cabrel nous enrobe tel
un cocon et nous dansons. Enfin, nous tournons en rond serait plus précis. Je profite d'un moment de
faiblesse de la part de Joy pour poser mes lèvres dans son cou. Je sens tout son être se contracter.
Satisfait par sa réaction, je continue. Je lui lèche le lobe de l'oreille et embrasse sa mâchoire.
- Isaac, arrête s'il te plaît, nous sommes en public.
- Et alors, tu as honte de m'embrasser ? Parce que pour moi, c'est tout le contraire. J'adore ça, je
peux montrer à tout le monde que tu es à moi.
Elle rosit comme j'adore et nous abandonnons la piste. Pendant qu'elle dévore les petits choux à
l'emmental vitesse grand V, je vérifie mon portable qui vibre dans ma poche. Ayden. Depuis que je lui ai
expliqué la situation, entre Joy et moi, il n'arrête pas de me pourrir la vie, comme un grand frère. Est-ce
que je l'ai touchée ? Est-ce que je lui ai fait mal ? Je ne les savais pas si proches. Puis merde après tout,
c'est ma soirée, je ne réponds pas.
- Tu ne prends pas l'appel ? Et s'il s'agit d'une urgence ?
- Oh non, ne t'inquiète pas, rien à voir. Ayden qui me harcèle, une fois de plus.
- Il a essayé de m'appeler, moi aussi, dit-elle, en vérifiant son iPhone. Laisse-moi lui répondre, ce
sera court, je te le promets.
Et voilà comment je me retrouve tout seul, comme un con, près du buffet. Je demande au barman de
me servir un autre verre et rêvasse. En quelques minutes à peine, une rousse plantureuse se poste à mes
côtés. Je l'ignore complètement, attitude qu'elle n'approuve pas puisqu'elle continue ses manigances. Sa
main se pose sur la mienne et, cette fois, c'en est trop. Rien que ce toucher me débecte. Je ne trahirai pas
Joy de cette façon. Je ne la trahirai pas tout court.
- Tu ne serais pas l'auteur de ce roman à succès, C'est quoi l'amour ? En tout cas, tu lui ressembles
vachement. J'ai une chambre dans l'hôtel, ça te tente de m'accompagner ?
Entreprenante. J'aurais adoré ça, avant. Maintenant, je trouve ça presque malsain. Je ne connais pas
son nom, ni ce qu'elle fait dans la vie. Puis, elle ne me plaît pas. Alors pourquoi je ne trouve rien à
répliquer ? Je sens mes hémisphères débattre entre eux lorsque Joy débarque au loin. Elle fonce droit sur
moi et, alors que je pense qu'elle va m'en coller une, elle s'adresse à la rouquine.
- Si tu voulais un autographe, il fallait venir à la librairie cet après-midi. Et si tu cherches à te taper
mon petit copain, je te conseille de prendre une douche froide. Il paraît que ça soulage.
Je reste abasourdi face à cette altercation. Est-ce vraiment Joy qui vient de dire ça ? Je la vois
s'ouvrir de jour en jour, et ce que j'apprends à connaître me plaît de plus en plus. En fait, cette nana me
rend barjot. Quoi qu'elle dise ou quoi qu'elle fasse, je la trouve bandante à souhait. C'était déjà le cas à
notre première rencontre. Elle m'avait fait de l'effet... Pour autant, je suis bien trop orgueilleux pour le
reconnaître. Non ça, ça reste mon secret. Je l'enterrerai avec moi.
La rousse s'en va, sans un mot et Joy s'assoit sur son tabouret en sirotant un verre rose avec une
paille. Jamais, je n’aurais pu me douter que cette fille est celle qui m’a accompagné en Belgique. Depuis
ce premier déplacement en commun, elle a changé du tout au tout. Si Ély était toujours son amie, elle
serait fière d'elle, j'en suis sûr. Nous discutons encore quelques minutes et vient l'heure de continuer ma
surprise. Parce que non, cette soirée blanche ne constitue pas la partie la plus intéressante de mon plan.
Je ressors le masque de ma poche intérieure et elle ronchonne.
- Suis-je vraiment obligée de porter ça ? Je veux dire, je suis moitié ivre, de toute façon. Je ne verrai
rien jusqu'à ce que l’on arrive. S'il te plaît... bébé ?
Je savoure ce surnom. Je l'ai entendu trop de fois par des femmes qui ne m'intéressaient pas. Trop de
fois, il a été synonyme d'une baise contre une porte ou sur un bout de canapé dégueulasse. Mais quand
c'est Joy qui le prononce, avec tout l'amour ou du moins, l'attirance, que peut contenir son petit corps, il
prend une toute autre signification. Et là, je l'aime ce bébé.
Je ne l'écoute pas et la prive de la vue. La surprise n'en sera que plus grande. Je la guide un peu plus
loin dans la ville, ma main posée dans le creux de ses reins. Un matin, je suis allé me balader à l'aube. Et
j'ai remarqué cette grande roue qui surplombait la ville. Je savais qu'à un moment donné, j'y viendrais.
J'ai enfin trouvé l'occasion. Quand nous arrivons à hauteur de l'attraction, je lance un signe à l'homme
avec qui j'ai tout arrangé. Il comprend et souris immédiatement en apercevant Joy. Celle-ci s'impatiente et
je suppose que le silence ne l'aide pas à se détendre. Je l'invite à entrer dans une des grandes cases en
verre. Je retire le bandeau, uniquement lorsque la porte se ferme.
- J'espère que tu n'as pas le vertige, joli cœur, parce que ce soir, je t'envoie au septième ciel.
D'accord, cette remarque craint un peu, mais si j'ajoute mon petit sourire en coin et que je pose mes
doigts juste là, sur la naissance de ses fesses, ça va marcher. Elle examine les alentours et devient livide.
Là j'avoue, je commence à paniquer. Et si elle avait peur du vide ? Après tout, je n'y ai même pas songé...
- Joy, ça va ? Tu es toute pâle...
- Je me venge ! Je ne voulais pas que tu me bandes les yeux et tu l'as fait quand même !
Elle se penche vers moi et pose ses douces lèvres contre les miennes.
- Et maintenant, je te remercie pour la super idée. Je la voyais surplomber au loin, mais je n'étais pas
sûre qu'on puisse y aller. Vous avez visé juste ce soir, Monsieur Coste.
Je me contente de rire et nous entamons notre montée dans les nuages. Les passants se transforment
en fourmis. La chose qui me saute aux yeux est la lumière des immeubles qui resplendit. Joy sourit à
pleine dents et s'extasie devant le moindre détail. Je l'observe, j'ancre ce visage pâle et si parfait dans ma
mémoire, juste au cas où. Je regrette tellement de ne pas avoir eu le temps de la présenter à ma mère. Elle
l'aurait aimée à la folie, j'en suis convaincu. Puis, son cœur se serait réchauffé de me connaître heureux et
amoureux. Dans les tréfonds de mon âme, je soupçonne même que son départ s'est précipité. Car elle
savait que j'étais passé à autre chose, et qu'enfin, je laissais sortir les quelques pauvres sentiments qui
rendent les humains si faibles : l'amour. Les mamans sont au courant de tout.
Lorsque la machine s'arrête, je sais ce que cela signifie. Nous avons désormais trente minutes. Je me
rapproche de Joy et elle s'intimide. Je crois qu'elle comprend ce qui lui arrive. Le septième ciel n'était
pas une blague, en fin de compte. Je m'attends vraiment à ce qu'elle se souvienne de ce moment toute sa
vie. Puis, j'espère ne pas avoir payé ce type aussi cher pour rien...
Nos bouches ne forment plus qu'une et, très vite, ce sont nos corps qui fusionnent. Moi en elle et le
feu explose dans mon bas ventre, des frissons s'étendent le long de mon échine. À chaque endroit que ses
doigts touchent, je deviens brûlant de désir. Je ne suis pas doux, mais elle non plus. Celle que j'ai
dépucelée, qui ne savait pas s'y prendre, a bien évolué. Aujourd'hui, elle donne des coups de reins pour
atteindre l'orgasme plus rapidement. Je titille son petit bouton de nerfs avec patience et, lorsqu'elle se
resserre contre ma queue, je sais que les tremblements ne sont pas loin. J'accélère le tempo jusqu'à ce que
ses mains tirent mes cheveux le plus fort possible. Et c'est grâce à ça que je me laisse aller au plaisir.
- Joy ?
- Oui ?
- J'avais juste envie de te le dire aujourd'hui parce que même s’il se passe quoi que ce soit demain,
ça ne changera rien. Et parce que je voulais que tu le saches.
J'attrape ses mains une fois que nous sommes rhabillés et je la regarde dans les yeux. Bleus sur
bleus. J'ai sans doute plus le trac que le jour du bac ou du permis, mais il y a des moments dans la vie où
il faut se jeter à l'eau. Ce moment, c'est maintenant.
- Je t'aime. Je t'aime encore plus que quand je te l'ai dit dans ce bar minable. En fait, je crois que je
t'aime depuis que je t'ai vu allongée sur cette méridienne. Parce que pour la première fois de ma vie, j'ai
été désarmé rien qu'en contemplant une femme. Et que cette femme, c'était toi. Quand je t'ai parlé, j'ai eu
un coup au cœur, parce que tu as osé me défier. Tu étais différente des autres. Je t'aime, Joy Cohen,
comme je n'ai jamais aimé personne.
Je tente de débusquer quelque chose dans ses grands yeux paniqués, mais rien ne vient. Je n’y décèle
aucune émotion. Elle remet son masque. Oh non, pas maintenant. Pas après tout ça. Ce n'est pas ce
qu'aiment les femmes ? Des déclarations à l'eau de rose ? Si elle travaille dans une maison d'édition qui
publie des romances, elle doit aimer l'amour, non ? Alors pourquoi ai-je l'impression que je viens de tout
gâcher ?
- Isaac, je ne sais pas quoi te dire, je suis désolée. Je... Enfin... Tu me surprends. Je ne m'y attendais
pas.
Je commence à souffler, mais je ne dois pas m'énerver, ça n'arrangera rien. La machine redémarre et
je me sens presque soulagé de pouvoir bientôt sortir d'ici. Je suis déçu de sa non-répartie. Elle aurait dû
m'embrasser, pleurer, peu importe, certainement pas me balancer qu'elle est désolée. Je ne voulais pas
obtenir une telle réaction, suite à mon aveu. Je réalise pourquoi j'ai tenté de refouler ces sentiments, ces
histoires d'amour. Parce que ça fait mal, putain. Ça me broie de l'intérieur.
Nous sortons d'ici à la va vite et j'inspire fortement. Elle agrippe ma main en tremblant et je laisse
tomber la dernière partie de la surprise, je n'en ai plus envie. Elle loupe la balade en barque, tant pis
pour elle. Je suis trop vexé pour y aller et faire comme si la situation ne m'avait pas affecté. Nous
rentrons à l'hôtel, puis je m'enferme dans la salle de bain. Je me dirige immédiatement vers le jet
bouillant de la douche. J'ai besoin de ne plus penser, de retrouver mon sang froid. Je ne veux pas la
brusquer, ni qu'elle s'enfuit. Je veux juste qu'elle s'endorme dans mes bras, comme les jours précédents.
Lorsque je retourne dans la chambre, elle dort, allongée sur le ventre. Enfin, je pense plutôt qu'elle
fait semblant mais je la laisse tranquille. Je me contente de l'observer et de lui embrasser les cheveux,
parce que je l'aime et que je ne voudrais plus jamais la quitter.
Chapitre 21

J'ai pleuré sur mon oreiller toute la nuit, en silence. Isaac m'a serrée contre lui et s'est endormi. Moi,
je n'ai pas pu. Hier soir, il m'a déclaré sa flamme. Il m'aime. Isaac m'aime, tout va bien, sauf que je n'ai
rien répondu. Je suis restée muette face à l'évocation de ses sentiments. Je me sens idiote, coupable.
Puis, cette culpabilité me ronge d’autant plus que j’ai parfaitement conscience que ce matin, nous
repartons pour Paris. Je dois confronter Liam, afin de rompre avec lui. J'ai peur de perdre mon ami, parce
que sans lui, il faut l’avouer, je ne suis pas grand-chose. Je ne veux pas qu'il pense que je l'ai utilisé pour
m'amuser, ce n'est pas le cas. J'ai ouvert les yeux trop tard, tout simplement. J'ai réalisé, à une semaine
près, que je l'aimais plus comme un frère qu'un amant. Aujourd'hui, il n'y en a qu'un dans mon cœur et
malheureusement pour moi, je l'ai déçu.
J'éteins le réveil avant que la sonnerie ne s'enclenche et je pars prendre ma douche pour me relaxer.
Sous le jet d'eau glacé, je pleure. J'ai besoin de me débarrasser de toute cette peine et de la honte que je
ressens. Je reste dix, peut-être quinze minute là-dessous, sans bouger. Puis, un bruit de l'autre côté de la
porte me fait réagir. Isaac est réveillé. Je dois aller lui parler. M'expliquer. M'excuser.
Je me sèche rapidement et rejoins le beau brun déjà apprêté. Je laisse tomber ma serviette devant lui,
il m'a vue nue tellement de fois que cela ne pose plus de problème, puis enfile le slim rouge et le top
blanc qui sont restés au fond de ma valise. Comme pour répercuter mon humeur maussade, la pluie cogne
contre les carreaux.
- Bonjour, Isaac. Je suis désolée pour hier, j'aurais dû réagir, te répondre quelque chose. Excuse-
moi. Je m'en veux tellement.
Je m'assois sur ses genoux et l'enlace le plus fortement possible. Je ne le laisse pas rétorquer quoi
que ce soit et essaie de lui révéler ce que je ressens, moi aussi. Je t'aime. Sept lettres et trois mots. Cela
ne devrait pas être si compliqué, j'ai déjà eu à formuler des choses plus longues. Mais non, ça ne vient
pas.
- Ce n'est pas grave, je comprends. On a encore un peu de temps ou pas, joli cœur ?
- Il faut qu'on soit à la gare dans une heure.
En espérant que mon sous-entendu lui fasse plaisir et lui donne des idées salaces... Je souhaite
profiter de chaque instant restant à ses côtés, de peur qu'il n'en existe plus. Cette fin de voyage sonne
comme un adieu et, intérieurement, je suis effondrée. Et si Paris nous détruisait ?
Isaac me sourit quasi tristement et se penche sur mon visage. J'examine tous les détails que son corps
m’offre. Son grain de beauté, sous son pectoral droit. Cette fine ligne de poils, menant toute femme
normalement constituée jusqu'au paradis. La fine cicatrice, sur son épaule. Et son regard. Celui qu'il
adopte dès que je me trouve dans la même pièce que lui. Il caresse mes hanches et mon ventre à outrance,
avant de m'allumer, pour un dernier round. Même si j'espère que notre alchimie ne restera pas bloquée ici
et qu'elle nous accompagnera, jusque dans la capitale. Dans notre quotidien. D'une simple poussée, il me
pénètre et nous faisons l'amour lentement. Douce conclusion d'un long chapitre de romance.
Cependant, très vite, la réalité reprend son cours. L'heure a sonné et nous devons partir. Après avoir
réglé toutes les formalités auprès du maître d'hôtel, regagné la gare à reculons, n'échangeant que quelques
malheureux sourires, nous nous dépêchons de repérer notre voie pour ne pas rater notre train. Nous
grimpons à l'intérieur de justesse. Je suis tellement fatiguée après cette nuit blanche - et notre longue
étreinte- qu'à peine sommes-nous installés, je m'endors.
***

Je suis réveillée par un brouhaha incroyable. J'entends un micro retentir, signalant que nous arrivons
bientôt à Paris. Quoi, déjà ? À côté de moi, Isaac demeure impassible. Je le connais, lui aussi tente de
masquer sa peine. Je me relève tellement vite que je me cogne violemment contre le plafond. Il éclate de
rire avant de me demander si je vais bien.
- Je pourrais aller mieux. Mais bon sang, pourquoi ne m'as-tu pas réveillée ? Je voulais profiter de
toi.
- Je ne vais pas mourir, Joy. On rentre juste chacun de notre côté. Puis, Ayden serait ravi de te voir.
Il a raison. Alors, pourquoi ai-je l'impression que tout s'achève ? Je me plante totalement. Cette
tension permanente entre nous n'a pas changé. Nous retrouvons juste notre routine. Nos proches. Puisque
je ne pourrai plus le faire avant quelques heures, je l'embrasse à notre entrée en gare. Il est aussi tendu
que moi, peut-être même plus encore. J'aimerais qu'il me parle et m'avoue ce qu'il a en tête mais il ne le
fera pas, j'en suis sûre.
Nous traînons tous les deux, essayant de sortir du wagon qui a abrité nos derniers moments le plus
tard possible. Pour autant, ça va vite, et les passants se retrouvent tous dehors en dix minutes chrono. Je
pose un pied à terre et commence à avancer, Isaac sur les talons. Lorsque j'aperçois la foule, mon ventre
se serre douloureusement. Et quand je vois Liam, beau comme un charme, je retiens mes larmes. Il me
serre dans ses bras, hume l'odeur de mon cou et répète à quel point je lui ai manqué. Un peu plus loin, je
remarque une discussion agitée entre Isaac et Ayden. Je m'en sers comme excuse pour ne pas avoir à
embrasser mon futur ex petit-ami sur la bouche, ce serait bien trop cruel de ma part.
- Et voilà ma brune préférée, s'exclame Ayden, dès que nous nous approchons de lui. Il ne t'a pas
trop martyrisée pendant le voyage ? Tu as su le mâter comme tu voulais ?
Une seconde plus tard, mes pieds ne touchent plus le sol. Il me fait virevolter. Ayden sait tout. Il
connait mes sentiments pour Isaac, ce qu'on a été pendant ce séjour... Je souhaiterais en parler avec lui,
néanmoins cela viendra bien assez vite.
- Il m'a donné du fil à retordre, mais ça va, je vais bien, j'ajoute, en souriant.
Nous échangeons quelques banalités jusqu'à ce que Liam demande :
- On rentre, Trésor ? J'ai envie de t'avoir pour moi tout seul pendant quelques heures. Et il faut qu'on
parle, déclare-t-il solennellement.
Je hoche la tête, sur le point de vomir tellement je me sens mal. J'observe Isaac quelques instants et,
dans cet échange silencieux, je lui crie à quel point je l'aime. Désormais, c'est une histoire de minutes
avant que Liam sache tout. Mon partenaire de voyage, mon bébé n'a qu'une seule chose à m'accorder : sa
confiance.
Dans la voiture, mon ami pose sa main sur ma cuisse et j'hésite à la retirer. Il faut que ça sorte, je
n'en peux plus d'attendre. Plus le temps passe, plus je le trahis. Je la repousse doucement et il hausse les
sourcils, interrogateur. Il soupire tandis que j'allume la radio. Isaac me manque déjà. Je me demande ce
qu'il fait en ce moment.
- Tu es complètement ailleurs. Serais-tu fatiguée ?
- Non, pas vraiment. Mais comme tu l'as dit, on doit discuter. J'ai juste hâte d'arriver chez moi.
Une fois sa voiture garée dans la rue, il m'aide à monter mes valises. C'est en silence que nous
rejoignons la porte. Enfin, il va savoir. Nous posons mes affaires dans ma chambre et je l'invite à
s'installer sur le canapé. Nous nous toisons quelques secondes, méfiants, avant de se jeter à l'eau.
- Vas-y, je t'en prie, lâchons-nous en chœur.
Nous rions et je le laisse prendre la parole. Je ne suis plus à deux minutes près de toute façon. Je
nous sers deux cafés serrés et me met à mon aise, prête à l'écouter.
- Joy, j'espère que tu ne vas pas m'en vouloir, mais il faut que je t'avoue quelque chose. Le jour où tu
es partie, Alice m'a recontacté, elle voulait me revoir. J'ai longuement hésité, toutefois j'ai craqué. Nous
nous sommes retrouvés avant-hier. Sauf que cette soirée n'était pas amicale. Loin de là. Elle avait préparé
un dîner aux chandelles. Elle voulait qu'on se remette ensemble. Et tu sais à quel point j'apprécie cette
fille...
Sa pause me permet de respirer. Je suis en stress, autant que si je n'avais pas fauté. Ridicule, non ?
Remarque, s'ils ont couché ensemble, ce sera sans doute plus facile pour moi de le larguer. Peut-être
même que ça se fera d'un commun accord. Je secoue la tête afin de ranger toutes mes craintes au placard.
Isaac doit être ma seule et unique pensée. Je n'agis rien que pour lui.
- Je l'ai embrassée, Joy. Je suis désolé, je ne m'y attendais pas du tout. Tu me manquais, elle était là.
Puis, je l'aime bien. J'ai eu comme un coup de foudre quand je l'ai rencontrée. Savoir qu'elle me désirait à
nouveau... Je ne sais pas, j'ai déconné.
- Le plus important, c'est de me l'avoir dit, Liam. Je ne t'en veux pas. J'ai quelque chose à t'avouer,
moi aussi.
Je pèse mes mots. Je dois être douce, mais pas trop. Je prends l'exemple de la bande de cire. Si on la
tire trop doucement, ça fait un mal de chien. Si on y va fort, on arrache la moitié de la peau avec, mais au
moins, on ne sent presque rien. Je dois donc être honnête et brève.
- J'aime Isaac et j'ai craqué pendant ce voyage. Nous avons couché ensemble. C'est avec lui que je
veux désormais être.
Là, c'était peut-être un peu trop franc... Mon ami s'arrête de sourire et perd toutes ses couleurs. Il
fourrage plusieurs fois dans ses cheveux. Tripote ses doigts et serre les poings. Ce n'est pas bon. Pas bon
du tout. Il faut que j'aille plus loin dans l'explication avant qu'il se mette en rogne.
- Il me plaît beaucoup, d'accord ? Je te promets que je ne me suis pas laissée avoir ou quoi que ce
soit, je l'ai fait parce que j'en mourrais d'envie. Je n'ai pas choisi de tomber amoureuse de lui, mais c'est
le cas. Je l'aime, Liam. Vraiment.
Je n'ose pas imaginer ce qu'il peut ressentir. Si mon copain - que j'aimais de tout mon cœur -
m'annonçait qu'il m'avait trompée avec une autre, je le dégagerais plus vite que l'éclair. Il déglutit, avale
son café d'une traite et ses yeux se baladent dans toute la pièce avant de se poser sur moi. Ils sont remplis
de larmes. Liam m'analyse, toujours en silence. J'ai peur de devoir répéter. Peut-être qu'il n'a pas entendu.
- Tu sais, Joy ? Avant que tu rencontres ce gars, j'aurais pu te confier ma vie. Oui, je te le dis, ma
vie. J'étais prêt à tout pour toi. Puis, il s'est pointé et tu as changé. Je suis ravi de constater que tu t'es
ouverte aux autres, mais toi qui critiquais Ély et ses manières d'agir, tu as fait la même chose. Vous êtes
quoi maintenant tous les deux, une espèce de couple ? C'est pour cette raison que tu n'appelais jamais et
ne me donnais plus de nouvelles ? J'ai vraiment essayé de comprendre ce qui te plaisait chez lui, je
t'assure. Puis, je t'ai avoué que je t'aimais et je ne prends pas ces mots à la légère. Je ne te demandais
qu'un peu de reconnaissance. Putain, j'ai été patient, tendre et je t'écoutais. Là, tu m'annonces que tu m'as
trompé et on dirait que tu t'en fous ? Je suis en colère évidemment, mais que veux-tu que je fasse ? Tu me
jettes de toute façon, je ne vais pas me morfondre. Sache juste une chose. Je vais enfin être honnête et bon
sang, moi aussi, je serai libéré de toute cette culpabilité de merde. Si je t'ai demandé de sortir avec moi,
c'est parce qu'Isaac te tournait autour et que j'étais jaloux. Je ne comprenais pas pourquoi je ressentais ce
genre de chose à ton égard, je voulais savoir pourquoi et voir où ça pouvait nous mener. C'est tout. Tu as
toujours été une amie pour moi. Avant d'être ensemble ces quelques semaines, je n'avais jamais eu aucun
sentiment de cette nature pour toi. Je regrette de ne pas avoir été plus loin avec Alice, finalement. Tu
aurais peut-être compris que je ne suis pas celui qui passe au second plan. Enfin, ne cherche pas à me
contacter, je reviendrai vers toi. Au revoir, Joy.
Et il claque la porte de mon appartement sans se retourner. Je ne sais pas trop comment réagir.
L'adrénaline pulse dans mes veines et je reste scotchée sur mon canapé pendant de nombreuses minutes.
Je me sens mi-triste, mi-soulagée. En fait, je crois que je ne réalise pas bien ce qu'il vient de passer. J'ai
rompu avec Liam. Je suis officiellement célibataire. Je peux aller retrouver Isaac, lui demander d'être
mon petit ami. Mon meilleur ami a quasiment une nouvelle copine et tout rentre dans l'ordre. Je sais qu'il
lui faudra du temps pour accepter, oublier toute cette histoire, mais il reviendra vers moi et tout repartira
comme avant.
Je décide de surprendre Isaac et me mets immédiatement en route. Peu importe si j'ai une dégaine
ignoble et si mon mascara a coulé. Je sors la voiture du garage pour aller plus vite et éviter de marcher.
En quinze minutes, je suis devant sa porte. Ce n'est pas lui, mais Ayden qui m'ouvre. Il me serre une
nouvelle fois dans ses bras.
- Bravo championne. Ta deuxième mission s'avère-t-elle réussie ? As-tu rompu avec bouclettes-man
?
- Oui, je viens le dire à Isaac. Il est là ?
- Entre, il s'agite derrière les fourneaux. Comme Arthur travaille, il prépare la bouffe pour ce soir.
Vas-y, fais comme chez toi. Je suis tellement content de te revoir !
Je souris, étrangement ravie d'entendre que je lui ai manqué. Je me dirige vers la porte de la cuisine,
encore fermée. Je pose ma main sur la poignée et...
Chapitre 22

Et une grande brune s'accroche à son cou. Mon sang ne fait qu'un tour. Choquée, j'envoie valser la
corbeille de fruits en verre qui trône habituellement sur le plan de travail. Ils se retournent tous les deux,
gênés, et la jeune femme s'écarte pour se recoiffer. J'ai les larmes aux yeux. Ma gorge me brûle tellement
que j'ai envie de l'arracher de mes mains. Je n'y crois pas, pas après tout ça. Pas après ma rupture avec
Liam. Il n'en a pas le droit. Je ressens le besoin irrépressible de m'enfuir, mais Ayden vient se poster dans
mon dos pour voir si tout se passe bien.
- Joy, ce n'est absolument pas ce que tu crois, clame Isaac.
- Et que suis-je en train de penser, à ton avis ? Que tu t'envoies en l'air pendant que je romps avec
Liam ? Tu ne changeras jamais, hein ? Toute notre histoire, c'était du bluff ?
Les pleurs menacent. Je me pince pour tenter de me calmer. Quand il s'approche de moi, je recule
instinctivement, me heurtant au grand torse de mon blond préféré.
- Je te présente ma sœur. Elle revient d'une année passée en Asie et je lui apprenais la nouvelle pour
Maman. Elle ne savait pas. Elle n'était pas là à l'enterrement.
Sa sœur ? Je ne me... Oh bordel, si, il me l'avait dit. Je me souviens vaguement de notre première
discussion sur nos familles respectives, en Belgique. Ses aveux sur sa sœur et ses parents... Mais il n'en
parle tellement jamais... Je ne sais même pas comment elle s'appelle. La hargne se transforme en honte et
je m'excuse de mon intrusion hâtive, puis des dégâts que j'ai commis.
- Ça ne fait rien, je peux comprendre que la situation portait à confusion. J'aurais réagi de la même
façon si j'avais retrouvé mon homme dans les bras d'une autre. Angela, enchantée.
Elle me tend sa longue main abimée et, bien qu'hésitante, je l'attrape. Je lui adresse le plus beau
sourire qui soit. Elle a l'air charmante. Et dire que je me suis inventé des scénarios affreux... Je dois
sincèrement apprendre à lui faire confiance. Il m'a pourtant prouvé qu'il tenait à moi, ces derniers jours. Il
me l'a réaffirmé, il m'aime. Cependant, j'ai tellement peu d'estime pour moi-même que je m'imagine
toujours le pire. Isaac nage dans le bonheur. Il ne cesse de répéter qu'il est ravi d'être entouré des deux
femmes de sa vie. Nous prenons un café sur la table basse et je me contente d'observer, d'écouter cette
nouvelle venue, cette Angela.
- Dernièrement, j'étais dans un village où nous n'avions pas de réseau. Les habitants n'ont pas encore
l'électricité ni l'eau courante, vous imaginez ? On a amélioré leur quotidien en soignant les enfants. Vous
auriez vu certains d'entre eux à l'agonie... ça m'a brisé le cœur. Je suis désolée de ne pas avoir été à tes
côtés pour Maman, Isaac. Tu voudras bien venir au cimetière avec moi ? On embarque ta petite amie et on
part quelques jours chez grand-mère, qu'en penses-tu ?
Ses deux prunelles vertes me sondent, comme si elle me posait une question implicite. Puis, je
contourne la table des yeux et j'aperçois qu'Ayden est complètement sous le charme de la brunette. Il boit
littéralement ses paroles. Son sourire et ses iris brillants le trahissent. Il ne se contente pas d'apprécier la
sœur d'Isaac. Quand nous serons tous les deux, je me promets d'en discuter avec lui. J'ai envie de savoir.
Et s'il l'aime secrètement, je l'aiderai dans sa démarche. Il m'a bien donné un coup de main avec Isaac.
- Je dois retourner au travail demain mais ce week-end, je peux venir vous rejoindre si vous voulez,
je m'exclame en faisant se retourner toutes les têtes vers moi.
Angela m'enlace et j'apprécie le fait qu'elle m'accepte si vite. Elle n'a même pas l'air surprise de
trouver son frère en couple, après tout ce temps. Elle m'interroge sur ma vie, mes passions et Isaac, puis,
tous deux organisent leur départ imminent. J'en profite pour inviter Ayden à sortir d'ici afin d'acheter de
quoi préparer un apéritif dînatoire et l'interroger au sujet de la brune. Je la connais seulement depuis
quelques heures, pourtant, j'ai l'impression que quelque chose de spécial les lie tous les deux.
- Angela, c'est qui pour toi ? Tu la regardes d’une façon particulière. Tu l'aimes bien, n'est-ce pas ?
Il se gratte l'arrière du crâne et soupire. Nous avançons encore sur une centaine de mètres avant qu'il
ne daigne renchérir. Il s'arrête net sur le trottoir et ouvre enfin la bouche.
- On a été en couple. Longtemps. Pendant toutes ses études de médecine, en fait. J'avais quatre ans de
moins qu'elle, pourtant on s'en foutait, on était amoureux. Elle a eu l'opportunité de partir, alors elle l'a
fait. Elle m'a demandé de ne pas l'attendre. J'ai rencontré d'autres filles depuis, cependant je n'ai jamais
ressenti la connexion que nous avions, elle et moi. Je crois qu'elle sort avec quelqu'un maintenant, mais je
ne peux pas m'en empêcher. Angela demeure... unique.
Je souris à m'en crisper les zygomatiques, heureuse d'en apprendre un peu plus sur lui et son passé.
J'ai toujours cru qu'Ayden et Isaac se ressemblaient dans leur façon d'agir. Qu'il collectionnait lui aussi
les coups d'un soir. Je me suis bien plantée. Il a un cœur, un vrai, et il chérit la même fille depuis des
années. Je trouve cela romantique à souhait et, au fond, j'espère vivre quelque chose d'aussi fort, un jour.
- Accompagne-moi, samedi. On part tôt et tu passes le week-end avec elle. S'il te plaît.
- J'ai un coaching, samedi matin. Je ne peux pas annuler, mais tu sais bien que j'aurais adoré. Bordel,
même si c'est pour une foutue nuit, j'ai envie de la retrouver. Ça m'a rendu fou de la voir franchir la porte,
ce matin. On parlait avant, on s'appelait au moins une fois par mois, puis depuis un moment, on avait
arrêté.
- Laisse-moi te rendre la pareille, Ayden. Tu m'as permis de m'écouter un peu. Tu as été le
déclencheur de tout ça, ce bonheur que je ressens à chaque fois que je suis avec Isaac et je ne pourrai
jamais te remercier comme il se doit... Je veux t'aider, s'il te plaît.
Il hoche la tête et nous terminons nos achats. Ce soir, nous nous amusons. Nous le méritons bien. Je
suis libre, Isaac a obtenu des chiffres records pour ses séances de dédicaces, sa sœur est de retour et
Ayden va pouvoir la reconquérir. Nous avons tous besoin de décompresser. Je regarde le contenu de notre
panier étalé sur le tapis de caisse. De quoi préparer des tapas, du rhum, de la limonade, de la menthe
pour nos mojitos, et des paquets de chips en grand nombre.
Lorsque nous retournons à l'appartement, je m'affaire en cuisine avec sa sœur pendant que les
hommes préparent le salon pour notre soirée jeux vidéo. Angela évoque son métier et me raconte
quelques anecdotes qui me font frémir. Puis, sans que je m'y attende, la question à un million franchit
enfin ses lèvres :
- Comment as-tu rencontré mon frère ?
Je lui dresse le résumé de notre histoire et elle rit à plusieurs reprises. Quand je lui avoue que je
viens juste de quitter officiellement mon petit ami, elle reprend son sérieux.
- Tu l'aimes vraiment mon frère, hein ? Tu ne fais pas ça pour mieux le briser, tu le jures ? Il n'a
jamais voulu se laisser aller en montrant ses sentiments. Il agit différemment avec toi, je le vois bien,
mais je ne veux pas que tu le blesses davantage. Sa vie ressemble déjà assez à un film d'horreur pour
qu'une femme lui fasse du mal.
- Je te le promets, Angela. Je ne lui ferai jamais de mal volontairement. J'ai été jusqu'à quitter mon
copain pour lui. Imagine... Mais tant qu'on est dans les révélations...
Je me racle la gorge et pars fermer la porte, sur la pointe des pieds.
- Ayden ?
Elle lève les yeux au ciel et rougit fortement. Je l'apprécie déjà. Tout dans sa façon d'être me
rappelle Isaac. Certaines mimiques, aussi. Ils jouent tous les deux les gros durs alors qu'en fait, ce sont de
vraies guimauves. Elle me chuchote le plus bas possible qu'elle aussi l'apprécie encore, mais qu'elle a
rencontré quelqu'un en Asie.
Je tâte le terrain en lui posant de nombreuses questions sur leur histoire, et si elle aime vraiment cet
Akio. Elle m'affirme qu'entre eux, la relation paraît tendue en ce moment parce qu'il savait qu'elle allait
revenir ici. C'est toujours le même problème avec les départs à l'étranger. On créé des liens et, quand on
doit partir, on a le cœur complètement brisé.
- Sinon, tu comptes rester longtemps, ici ? je demande innocemment.
- Un mois, ou peut-être plus. Tout dépendra de mon frère. J'ai trouvé une chambre pas très loin pour
pouvoir profiter de lui. Tu sais, quand on était jeunes, je m'occupais plus de lui que notre propre père. On
a tissé des liens forts, tous les deux.
En entendant sa réponse, je suis joie. Ayden a un mois pour la faire succomber. Un mois pour la
décider de rester ici. Je suis certaine qu'elle pourrait trouver un poste fixe dans un hôpital parisien. Ce ne
sont pas les besoins qui manquent ! Même si les situations s'avèrent moins exotiques, la pression et
l'adrénaline restent les mêmes.
Nous passons notre soirée à rire, jouer à action ou vérité et enchaîner les parties de Mario Kart. Je
tombe amoureuse de Yoshi, ce petit bonhomme vert et les attitudes d'Isaac se révèlent plus qu'honorables.
Il me propose toujours de manger quelque chose. Pose sa main sur mes hanches, mes épaules ou mon cou.
Il joue avec mes cheveux et je le surprends plusieurs fois en train de m'observer. Lorsque la nuit est bien
entamée, nous rejoignons chacun nos chambres et je m'arrange pour que, mine de rien, Ayden et Angela se
retrouvent seuls un instant.
Isaac entre dans la pièce à ma suite, puis pose délicatement ses lèvres sur les miennes dès que la
porte est fermée. Je le laisse me déshabiller comme il le souhaite, sans pudeur. Sa bouche dévie vers la
naissance de mes seins. Je gémis. Je suis toute à lui. Il est tout à moi. Sans aller plus loin, nous nous
embrassons doucement, langoureusement. Je m'installe sur lui une fois qu'il est allongé et nous nous
câlinons. En silence.
- Ça n'a pas été trop dur ce matin, joli cœur ?
- J'ai appris quelque chose. Il a revu Alice et ils se sont embrassés. Ah et oui, il s'est mis en couple
avec moi uniquement de peur que j'en pinçais pour toi. Il ne veut pas que je le contacte tout de suite, il a
besoin de temps.
- Reste à savoir si toi tu vas bien, malgré tout ça.
Je relève mon visage vers le sien pour le contempler dans la pénombre. Je dessine ses traits du bout
des doigts. Je frôle sa bouche, plusieurs fois. Je caresse son torse avant de laisser ma main posée sur son
cœur.
- Maintenant, je vais bien.
Il me serre contre lui et nous nous endormons lovés l'un contre l'autre. Je reste dans ses bras toute la
nuit, n'osant jamais bouger de peur de le réveiller. Je suis la première à me réveiller le lendemain matin.
Je prépare le petit-déjeuner pour tout le monde. Pancakes et salade de fruits. Je me déhanche sur de la
musique électro et commence à manger pour ne pas être en retard au travail. Je laisse un mot sur la table à
l'attention de mon bel endormi.

Bon petit-déjeuner et bonne journée, bébé. On se retrouve à vingt-heures chez moi, si ça te


branche.

Je retrouve le chemin de la maison d'édition après m'être changée et c'est un brin anxieuse que je
franchis la porte. Cela fait bien trop longtemps que je n'y ai pas mis les pieds. Dans les locaux, aucun
bruit. Dans mon bureau, une personne. Monsieur Badouk. Assis sur ma chaise, il me lorgne fixement. Il
n'a pas l'air content, mais alors, pas du tout. Il me tend un article de presse et quitte les lieux sans dire un
mot.
En le lisant, je comprends le problème. Quelqu'un nous a pris en photo, Isaac et moi, en train de nous
embrasser dans les rues lyonnaises et un foutu magazine féminin parle de nous. Je me rue dans le bureau
de Gérard pour lui donner un semblant d'explication, mais il ne me laisse pas m'exprimer.
- C'est lui ou votre travail, Joy. Vous ne pouvez pas concilier les deux et rester pleinement
concentrée. Je vous laisse deux jours pour faire votre choix. Vendredi matin, dès neuf heures, je vous
veux ici même pour m'annoncer la nouvelle. N'oubliez pas : Isaac Lincoln ou votre poste.
Je quitte la pièce, tremblante de peur et quand j'arrive dans mon bureau, je me laisse choir sur le sol
en pleurant toutes les larmes de mon corps.
Chapitre 23

Je passe la pire journée de mon existence. Lorsque je ne suis pas obligée de téléphoner, je pleure. Et
quand je ne pleure pas, je suffoque. Que dois-je préférer entre mon amour pour quelqu'un et le métier de
mes rêves ? Pourquoi ai-je toujours des choix si difficiles à faire dans ma vie ? Puis, comme si c'était le
moment, ma mère me téléphone pour prendre de mes nouvelles en me reprochant, une fois encore, que je
n'appelle jamais. Je la laisse me critiquer à loisir et ne prends pas la peine de trouver d'excuse comme
d'habitude.
Isaac m'envoie des SMS adorables tout l'après-midi, mais il sent immédiatement que quelque chose
ne tourne pas rond. Je lui interdis de venir ici, ça ne ferait qu'empirer la situation. J'en discuterai avec lui
ce soir et je lui expliquerai tout. J'en ai assez de prendre des décisions de cette ampleur toute seule. Pour
la première fois de ma vie, je suis bien accompagnée et je vais en profiter pour être soutenue.
J'entends les messes basses de mes collègues à mon passage. Manon, qui se montre si joviale
d'habitude, ne me décroche pas le moindre sourire. Je dirais même qu'elle tente de me fuir. Suis-je réduite
à être haïe par tous pour être tombée amoureuse de l'auteur que je défends ? Si nous fonctionnons si bien
en binôme, c'est justement grâce à l'amour qu'on se porte mutuellement. Ils ne peuvent pas nous reprocher
d'avoir été tellement efficaces que les manuscrits envoyés ont doublé de volume en deux semaines.
Le soir venu, je suis soulagée de quitter cette ambiance pesante, quasi malsaine. C'est d'ailleurs la
première fois que j'ai aussi hâte de retrouver mon appartement après une journée de travail. Quand je suis
enfin chez moi, porte close, j'augmente le son de ma chaîne hi-fi et me distrais en cuisinant. Il n'y a que ça
à faire en attendant Isaac. Pourquoi lui ai-je dis de venir si tard ? Quelle mauvaise idée !
J'aimerais me confier à Liam, mais il ne décrochera pas son téléphone. Ou s'il le fait, ça l'amusera. Il
sera ravi de voir la situation dégénérer. De constater qu'avec Isaac, ça ne dure pas. Je ne sais pas
pourquoi ces deux hommes se détestent à ce point. Il semblerait presque qu'ils soient constitués de façon
à ne pas s'entendre. À vingt heures pile, Isaac se trouve devant ma porte, le visage masqué derrière un
immense bouquet de pivoines. Je souhaiterais apprécier son geste, mais la journée pourrie que je viens de
passer et ce choix cornélien en suspens pèsent sur ma conscience. J'attrape les fleurs et l'enlace.
- Alors, quel est le problème ? Tu as été distante tout l'après-midi. Parle-moi.
Il attrape mon visage en coupe et je commence à sangloter. Je tremble de tout mon être. Je suis
frigorifiée. Complètement gelée et paniquée. Il embrasse ma mâchoire et me conduit sur le canapé. Mes
réactions le terrifient, je le vois dans ses yeux. Je hoquette à plusieurs reprises avant d'articuler quelque
chose de cohérent.
- Mon patron, il sait. Il sait pour nous. Il m'a demandé de choisir. Mon poste ou toi, Isaac. Tu te rends
compte ? Je ne veux perdre ni l'un ni l'autre. Je... je...
- Calme-toi Joy, je suis là. S'il refuse de comprendre que notre relation n'entache pas ton travail,
c'est qu'il est drôlement con. Il a bien vu les chiffres, les résultats, non ? Alors pourquoi te demander un
truc pareil ?
- Cette règle se trouve dans mon contrat de travail, Isaac. Je ne dois pas sortir avec un auteur sous
peine d'être renvoyée. Je suis tellement désolée.
Il me dévisage et s'éloigne comme si je l'avais brûlé. Il m'observe quelques instants et quand
j'avance ma main pour le toucher, il s'écarte un peu plus. Pas ça. Pas maintenant. S'il vous plaît ! Je sens
mon cœur se déchirer en deux. Lentement et vicieusement.
- Et tu n'as jamais pris la peine d'en parler avec moi ? Tu m'avais dit que ce serait sans doute mal
venu, mais pas que c'était pleinement défendu. Je ne veux pas que tu perdes ton boulot à cause de moi,
c'est hors de question, s'exclame-t-il, excédé.
- Je n'ai pas encore pris de décision. Des emplois, il y en a plein, alors que toi, tu es unique. Je t'en
supplie, ne te prononce pour moi. Laisse-moi réfléchir ce soir, cette nuit. Ça m'est tombé dessus à cause
d'un magazine de potins. Un paparazzi nous a photographiés en train de nous embrasser, à Lyon. Et dire
que cet unique cliché gâche tout...
Je pleure à m'en étouffer et Isaac ne reste pas insensible à mon désarroi. Il me serre dans ses bras en
embrassant le sommet de mon crâne, puis me berce quelque peu. Et comme je n'arrive pas à me calmer,
même après cinq bonnes minutes, il chantonne la chanson de Cabrel sur laquelle nous avons dansé, l'autre
soir. Je souris malgré moi. Nonobstant la situation merdique et mon corps qui me fait mal tant je suis
terrifiée. Nous avons surmonté tellement d'épreuves avant de se trouver l'un l'autre que ça ne peut pas se
terminer comme ça. Je l'interdis. Je me l’interdis.
Nous profitons de la soirée comme si je n'avais pas lâché de bombe nucléaire. J'essaye fortement de
me décontracter mais je n'y parviens jamais pleinement. Nous dégustons mon hachis Parmentier et tentons
de rire. Il me parle d'Angela, d'Ayden et du fait qu'il espère secrètement, lui aussi, que sa sœur restera un
peu plus longtemps que prévu. Ses iris azur me révèlent tout l'amour qu'il lui porte. C'est beau. J'avais le
même regard quand je parlais de Grégory avant ces trois dernières semaines, date depuis laquelle nous ne
nous sommes donné aucune nouvelle.
- Tu permets qu'on passe la nuit ensemble, joli cœur ? Je pars demain matin et tu vas beaucoup me
manquer.
Il embrasse la paume de ma main, geste qui réchauffe mon cœur. Je ne renchéris pas, me contentant
de poser mes lèvres sur les siennes. Je lèche et suçote son cou. Il grogne. Je déboutonne sa chemise,
caresse chaque parcelle de son corps. Je l'admire. Il n'y a pas d'autre mot pour décrire mon action. Il en
fait de même avec ma robe, puis la laisse tomber à mes pieds. Je termine de le déshabiller, aussi excitée
que la première fois. Je retire son boxer et lui annonce avec fierté :
- Isaac, depuis une semaine, je prends la pilule, tous les matins. J'ai consulté lorsque nous étions sur
Lyon et le médecin m'a affirmé qu'au bout de sept jours, je pouvais ôter les préservatifs sans aucun risque.
Alors, adieu au latex, enfin, si tu veux.
Il m'offre une mine réjouie. Je lui accorde toute ma confiance. Je sais qu'il a eu beaucoup de
partenaires, mais je demeure persuadée qu'il se protégeait à chaque fois. Son côté paranoïaque, sa peur
panique des enfants en sont une belle preuve. Il m'embrasse à nouveau et je me sens perdre pied. J'ai
envie de me vider la tête avec lui, en harmonie, tous les deux.
Après des préliminaires hâtifs, il se positionne devant moi.
- Tu es sûre de toi ?
Je hoche la tête. Oh oui, je le veux. Je n'attends que ça, le sentir peau contre peau. Quand il me
pénètre, j'observe son visage. Ses traits sont détendus, mais il paraît surpris. La sensation s'avère encore
plus délicieuse que toutes les autres fois. À en perdre la raison. Je risque de ne pas tarder à jouir.
- Oh putain, joli cœur, si j'avais su que sans capote c'était comme ça... Je t'aurais fait prendre la
pilule dès le premier jour, ronronne-t-il dans mon oreille.
Ses coups de butoir s'enchaînent et me font oublier petit à petit. Je crie, remue les hanches pour ne
jamais m'éloigner de lui trop longtemps. Isaac suce mon cou. Il pose la main sur mes fesses et s'enfonce,
toujours plus profondément. Nos gestes sont sûrs, accordés. Il me laisse jouir avant de prendre du plaisir
à son tour. J'apprécie sa galanterie. Je sens mon sexe se remplir de sa semence et je manque, de peu,
d'avoir un second orgasme. Nous ne pourrions pas être plus connectés qu'en cet instant. Je le regarde, les
yeux dans les yeux, puis l'embrasse, encore et encore. Cette nuit encore semble rimer avec adieu,
cependant, je me le refuse. Je ne peux pas le perdre, c'est aussi simple que ça.
Le lendemain matin, la réalité me rattrape et cette échéance approchante, aussi. Je soupire fortement
avant de tendre le bras. Le lit est froid. Vide. J'appelle Isaac, néanmoins, aucune réponse n'arrive à mes
oreilles. Je me lève rapidement, en prenant soin d'enfiler un peignoir, et je trouve un papier plié en quatre
posé sur la table de la cuisine. Je l'attrape puis le repose. Suis-je prête à découvrir ce qu'il contient ? Je
n'en suis pas si sûre, finalement.
Je trouve une once de courage après ma douche brûlante. Je déplie la feuille, enfile mes lunettes et le
lis.

Je n'ai pas osé te réveiller. C'était peut-être plus facile comme ça. Je pars chez ma grand-mère,
mais je pense que je ne reviendrai pas. Si ce n'est pour les salons et séances de dédicaces, bien
entendu. Je te facilite la tâche. Je choisis pour toi, Joy. Ne t'inquiète pas pour moi, je survivrai,
comme toujours. Merci d'avoir été là. Je t'ai laissée un petit quelque chose dans le tiroir de la
commode. En souvenir. Je t'aimais, je t'aime et je t'aimerai. Isaac.

Une goutte vient abîmer le maudit morceau de papier. Je le roule en boule et le lance par terre. Je ne
veux pas le voir. J'hésite un instant à le déchiqueter en petits morceaux, puis me ravise. Je me précipite
sur le meuble de l'entrée et il est là. Son livre. En guise de marque page, une photo de nous prise à la
FNAC le jour de sa sortie.
Je ne réalise pas tout de suite ce qu’il m'arrive. Je termine de me préparer et me rends au travail.
C'est seulement en remarquant le cadre récemment accroché au mur que je m'effondre. Isaac a pris la
poudre d'escampette. Il m'a quittée.
En passant devant mon bureau, Manon me jette un coup d'œil inquiet, cependant, elle ne s'attarde
pas. Je n'allume même pas mon ordinateur de la matinée. Je suis repliée en boule, sur mon siège et pleure
en silence, l'article de presse belge entre les mains. Je ne vais pas dire à Gérard que la solution est
trouvée, qu'il m'a laissée, ici. Cela serait trop jouissif pour lui. Alors j'attends. À ce stade, je m'en contre
fiche d'être renvoyée.
J'envoie un message à Grégory pour lui raconter mes dernières semaines. S'il ne daigne pas faire le
premier pas, je le ferai. Il me manque. Mon cousin me répond quasiment aussitôt en m'invitant à déjeuner
« puisqu'il se trouve dans le quartier ». Je ne suis pas enchantée qu'il me voie dans un tel état, mais soit. Il
a été témoin de bien pire.
Lorsque vient l'heure du repas, je n'ai pas bougé d'un poil. Mes genoux sont toujours repliés contre
ma poitrine et mes larmes coulent. Je vais finir par me déshydrater. Manon m'indique que Greg m'attend
sur le trottoir et je me dirige droit sur lui, le visage fermé. Mon maquillage a sûrement coulé, mais ça
m'est égal. Je dois sortir de là tout de suite. Et plus que tout, je dois rejoindre Isaac.
- Je suis désolé de ne pas t'avoir contactée plus tôt. Je savais que tu étais en voyage alors j'ai laissé
couler. Excuse-moi, ma Joy, pardonne-moi, chuchote-t-il en m'enlaçant.
Nous optons pour une crêperie et je ne mange pas. Rien ne me fait envie. J'ai plutôt la nausée, à vrai
dire. Grégory m'observe avec attention. J'ai l'impression d'être une dépressive en thérapie de groupe.
- S'il n'avait pas choisi pour toi, tu aurais pris quelle décision ?
Je lève le museau vers lui et attends quelques secondes avant de répondre. Mais au fond de moi, je
le sais déjà.
- J'aurais proposé à mon boss de ne plus m'occuper de lui personnellement et s'il n'avait pas accepté
l'offre, je démissionnais. Que voulais-tu que je fasse d'autre ? Je... je ne peux pas vivre sans lui.
- Et tu ne peux pas vivre sans lui comme tu dis parce que... ?
- Parce que je l'aime, Greg. Je suis folle amoureuse de ce mec. Depuis que je l'ai vu la première
fois, j'ai senti qu'il avait quelque chose de plus que les autres. Isaac est... Différent.
- Je ne vois qu'une solution, cousine.
Il me tend les clés de sa voiture et je comprends. Je rédige un e-mail à la va-vite pour Monsieur
Badouk, puis m'enfuis. Je dois retrouver Isaac pour le lui dire. Je dois lui avouer que je l'aime.
Chapitre 24

- Ayden, s'il te plaît, rappelle-moi dès que possible, c'est très urgent.
J'arrive sur l'autoroute. Je laisse un énième message à son colocataire pour obtenir l'adresse de sa
grand-mère. Je sais juste qu'elle habite dans les terres, vers Le Mans. Les kilomètres défilent et l'aiguille
demeure au plus haut sur le compteur. En arrivant sur place, je ne sais pas ce que je ferai, ni même ce que
je dirai. Pourtant, je m'en fiche. Je ne ressens aucun stress, juste de l'allégresse. Je vais retrouver Isaac et
enfin, il va savoir. Ce que je réprime depuis des mois, ce que je cache depuis des semaines. Je l'aime.
Encore plus que le chocolat.
Alors que je ne m'y attendais plus, Ayden me recontacte.
- Salut Joy, qu’y a-t-il ? Tu as un souci ? Oh, mon Dieu, un accident ? À quel hôpital t'ont-ils envoyée
?
Je ne peux m'empêcher de sourire. Il s'inquiète. Qui aurait cru qu'Ayden et moi serions si proches ?
Même moi, j'en aurais douté. Je suis ravie de m'être trompée. Il s'avère formidable. Aussi protecteur
qu'Isaac et avec autant d'humour que Liam.
- Tout se passe bien. J'ai juste été stupide... Je te raconterai. Peux-tu me donner l'adresse de sa
grand-mère, s'il te plaît ?
- Je ne l'ai pas sur moi mais, dès que je rentre à l'appartement, je t'envoie ça, promis. J'entends du
bruit, tu conduis en ce moment ?
- Il faut qu'il sache, Ayden. Je me sens prête. Mon patron m'a demandé de choisir. Mon poste ou lui.
J'ai décidé, je soupire.
Nous raccrochons et, en attendant de ses nouvelles, je fais le plein. Je m'achète un paquet de gâteaux
puisque plus je m'approche de mon but, plus la boule dans mon estomac disparaît. J'informe Grégory de
mon avancée par SMS et soudain, le portable vibre dans ma main. Ayden. Après avoir glané la précieuse
information, j'entre rapidement l'adresse dans le GPS et redémarre au quart de tour. Dans moins d'une
heure, je serai avec Isaac.
Le temps semble plus long qu'à son habitude. C'est toujours pareil. Quand on a envie de quelque
chose, cela passe moins vite. J'avale mes gâteaux un à un, écoute la radio et chante à tue-tête dès que
j'entends un titre que j'affectionne.
Une quarantaine de minutes plus tard, j'arrive dans un petit village. Les maisons, en pierres
apparentes, sont vraiment charmantes. Il y a de la verdure, aussi. Beaucoup de verdure. Je tourne un peu,
puis la voix agaçante de Madame GPS m'indique mon arrivée à destination. Pourtant, autour de moi, il n'y
a aucune bâtisse, pas même une vieille grange ou une étable. Je sors en trombe de la voiture. Je regarde à
droite, à gauche. Seul un chemin me fait face. Tant pis, quitte à paraître ridicule, je l'emprunte. On verra
bien où il me mène.
J'atterris dans une ferme immense, quelques centaines de mètres plus loin. Je gare la voiture sur le
bas-côté et scrute le nom sur la boîte aux lettres. Coste. Aucun doute, je suis au bon endroit. J'inspire une
grande bouffée d'air et me dirige vers la porte d'entrée. Maintenant que je suis là, plus question de
reculer. Advienne que pourra.
Je frappe un coup. Je n'entends aucun bruit. J'utilise donc la clochette au-dessus de ma tête et une
voix me somme de me rendre à l'arrière du logement. Le cœur qui bat à toute allure, les mains moites,
j'examine la dame âgée en train d'équeuter des haricots verts. À ses pieds, un chien se dore la pilule au
soleil.
- Qu'est-ce que tu fais là, ma petite ? Tu es perdue ?
- Bonjour, Madame Coste. Je suis une amie d'Isaac. Est-il ici ?
- Il est parti au village avec sa sœur, mais ils ne devraient pas tarder. Viens donc m'aider !
Je m'assois sur l'un des tabourets et attrape une poignée de haricots. Sa grand-mère lui ressemble
vraiment. Les yeux, surtout. Rondouillarde, elle semble chaleureuse et aimante. La situation, un brin
étrange, ne m'encourage pas à engager la conversation. Elle se lance la première.
- Alors comme ça, tu es une amie de mon petit-fils ? Tu habites Paris, toi aussi ?
Je n'ai pas le temps de répondre qu'un bruit de moteur ronronne dans le chemin. Je recommence à
stresser comme une folle. Il se trouve à quelques mètres de moi seulement. Je ressens déjà sa présence.
L'aura puissante qu'il dégage me chamboule... L'heure de se jeter à l'eau arrive à grand pas. Sauf que cette
fois, aucune bouée de sauvetage ne pourra m'aider. Ça passera ou ça cassera.
Sa voix rauque retentit entre les murs de la vieille maison. Je ferme les yeux à m'en fendre les
paupières pour mieux apprécier ce son mélodieux. Je ne rêve pas, il est bien là, tout près de moi. J'ose
entrer dans la cuisine, pièce adjacente à la terrasse et, lorsqu'il m'aperçoit sur le pas de la porte, il lâche
le pot de crème qu'il tenait fermement. Je sursaute, puis souris, heureuse de le revoir. Même si son départ
date seulement de ce matin.
- Joy, que fais-tu là ? Je croyais que tu devais nous rejoindre samedi ? demande Angela,
soudainement très curieuse.
- Surprise ? je réponds en haussant les épaules. Isaac, pouvons-nous discuter en privé, s'il te plaît ?
Étonné, il garde le silence et se contente de me tirer par la main. Nous montons des escaliers et
entrons dans ce que j'imagine être sa chambre. Tout est en bois sombre. Des lattes du parquet au lambris
du plafond. Certains trouveraient ça plutôt kitsch mais moi, j'adore ! Il m'invite à m'asseoir à ses côtés sur
le lit tandis qu'il retrouve l'usage de la parole.
- Pourquoi tu es venue, Joy ? Ne devrais-tu pas travailler, aujourd’hui ? Je ne veux pas que ton
patron te fasse la misère pour cet affront.
Puisqu'il faut bien commencer quelque part, j'y vais. J'inspire un grand coup, pose ma main sur mon
ventre et mordille ma lèvre. Show time !
- Isaac, s'il te plaît, ne me coupe pas. Je ne suis pas venue ici pour faire un caprice d'adolescente. Je
dois juste t'avouer que lorsque j'ai lu ton mot, tout à l'heure, je me suis effondrée. Partir sans rien dire ?
Non, je ne le mérite pas. Mais ce geste m'a fait prendre conscience d'une chose. Tu sais, quand nous
avons dansé dans ce bar à tapas à Bruxelles ? Il hoche la tête. C'est la première fois que j'ai ressenti ça.
La façon dont tu m'as regardée, celle dont tu m'as parlée... Depuis un moment déjà, j'ai des sentiments
pour toi. Des sentiments très forts. J'aurais voulu te le dire à la soirée organisée par l'hôtel. Une autre fois
aussi, lorsque nous faisions l'amour pour la première fois. Puis, évidemment, j'ai tellement eu envie de te
répondre quelque chose dans cette grande roue. J'ai peut-être été un peu longue à la détente mais là, je
suis sûre de moi. Je t'aime Isaac. Je t'aime tellement que mon cœur manque d'exploser quand tu te trouves
près de moi. Quand tu me touches, bordel, quand tu poses une main sur moi, je la ressens partout. Le sang
afflue plus vite dans mes veines. Lorsque tu m'embrasses, j'en ai mal au ventre. Parce que c'est toi, Isaac.
Parce que je suis raide dingue de ce que tu es. De ce que tu dis. De ce que tu fais.
Je me tais enfin, ma tirade achevée. Bouche bée et prunelles bleues brillantes, Isaac n'a pas bougé
d'un poil. Le silence dans la pièce demeure tel que je n'entends rien d’autre que nos respirations
haletantes. En bas, sa sœur fait tinter des verres ou des bouteilles. Les yeux dans les yeux, nous nous
défions. Il se lève, je m'approche un peu plus de lui et il me serre dans ses bras. Longtemps. Fortement.
Assez longtemps pour m'étourdir, en tout cas.
- Dois-je en conclure que tu as pris ta décision, joli cœur ?
- Comme je te l'ai déjà dit, des postes, il y en a plein. Toi, tu es unique. Donc oui, tu conclus bien,
bébé.
En quelques secondes, je suis projetée sur le lit. Sa bouche me dévore, tout comme ses mains. Il ne
cesse de me chuchoter qu'il m'aime, qu'il me veut, qu'il est heureux que je sois là. Je réponds à ses
baisers langoureux avec fièvre. Oh oui, moi aussi, j'en ai envie. Il enlève mon top en douceur et j'ôte son
tee-shirt. Nous n'allons pas plus loin, malgré son érection impressionnante et mes sens en éveil. Ce serait
irrespectueux pour le reste de sa famille qui s'affaire en cuisine.
Lorsque nous nous calmons enfin, je réalise que je viens de faire le meilleur choix de ma vie.
Demain, j'enverrai un e-mail expliquant ma démission à Monsieur Badouk. Je ne trouverai peut-être pas
de travail tout de suite, mais j'ai des économies qui pourront me permettre de vivre décemment quelques
mois. S'il me jette dehors, ce n'est pas un problème. Il s'occupera lui-même de la promo du livre d'Isaac.
Nous sommes tellement satisfaits de nos décisions respectives que nos conversations sont remplies
de non-dits. Je suis certaine qu'il s'en veut de me voir démissionner. Son abandon hâtif me reste en travers
de la gorge. Mais, on verra plus tard. Pour l'instant, on en profite. Il y a quelques mois, j'aurais été en
panique. Je n'ai pas de tenue de rechange pour les prochains jours, je sais à peine où je me trouve et je me
suis incrustée à une réunion de famille. Pourtant, en cette fin d'après-midi, je me sens sereine. Vivante.
- Alors Joy, tu restes avec nous pour dîner ? m'interroge Angela.
- Si cela ne vous dérange pas, oui, s'il vous plaît.
- Évidemment, nous ne sommes pas à un couvert près. Et mamie sera ravie de rencontrer
officiellement la petite amie d'Isaac. Une grande première pour elle, sache-le.
Je blêmis et je pense qu'elle s'en aperçoit puisqu'elle vient me tenir par les épaules et me chuchoter
:
- Mais, je ne te mets pas la pression. Elle est chouette, tu verras.
La soirée s'avère effectivement excellente. Après avoir passé l'interrogatoire de Jeanne Coste, tout a
roulé comme sur des roulettes. Nous avons ri, bu du vin rouge en abondance - même si je continue de
penser que cela reste une abomination - et Angela nous a annoncé une très bonne nouvelle. Elle séjourne à
Paris trois mois supplémentaires pour profiter de son frère. Je soupçonne également qu'elle veuille se
rapprocher d'Ayden, cependant je ne dis rien. Je me contente de le prévenir par texto sous la table. Il
m'envoie des smileys souriants à n'en plus finir et quand je préviens Grégory que tout se passe bien pour
moi, il en fait de même.
Je propose mon aide pour la vaisselle, toutefois on m'interdit d'y toucher. Alors, pendant qu'Isaac
fume dans le jardin, je monte à l'étage pour régler deux ou trois détails avant mon retour dans la capitale.
Mon portable en main, je compose le numéro de Liam que je connais par cœur. Il ne décroche pas.
Tant pis, je laisse un message. J'ai besoin de m'expliquer et de tout mettre au clair pour aller de l'avant.

« Bonsoir mon schtroumpf,


Je sais que tu voulais prendre un peu de recul, néanmoins, je n'arrive pas à rester sans nouvelles
de toi trop longtemps. J'aurais pu te dire tout ça de vive voix, mais j'ai besoin de vider mon sac ce soir,
tu me pardonneras. Je ne me suis jamais foutue de toi. Je n'aurais pas osé. J'ai été attirée par toi
pendant toute notre scolarité. Je t'ai vu enchaîner les copines, sans jamais broncher. Je crois que
l'annonce de l'emménagement avec Alice a été le coup de grâce. Je ne t'ai rien avoué parce que je
sentais bien que pour toi, ce n'était pas réciproque. Et tu me connais, dévoiler mes sentiments, ce n'est
pas mon fort. En étant très honnête, je pense que tu m'as demandé de sortir avec toi pour de mauvaises
raisons. De mon côté, j'ai accepté pour pire encore. Je regrette de t'avoir blessé. Je m'en veux
tellement... J'aimerais qu'on redevienne aussi complices qu'avant. Je tiens également à m'excuser
auprès d'Alice pour les méchancetés que je lui ai crachées à la figure. Elle est intègre, a un bon job...
Je suis sûre que tu seras heureux avec elle. Puis, je dois admettre qu'elle est vraiment belle. Enfin, tout
ça pour te dire que je ne souhaite que ton bonheur. Tu le mérites, Liam. Rappelle-moi ou envoie-moi un
message, juste pour me certifier que tu vas bien, s'il te plaît. On se verra quand tu voudras, mais en
attendant, trouve la force de me pardonner parce que je t'aime. Je t'aime, mon schtroumpf. »

Maintenant que ces trois petits mots sont sortis une fois, il semblerait qu'ils veuillent s'échapper à
nouveau. J'attends quelques instants pour voir s'il rappelle, mais rien. Il doit être occupé ou n’est tout
simplement pas encore prêt à répondre à ma main tendue. Je me charge de ma seconde mission, un sourire
pointant sur mes lèvres. Je n'ai jamais été aussi fière de toute ma vie. Isaac entre dans la chambre,
cependant je n'y prête pas attention.
- Allô, Maman. Oui, c'est Joy.
- Pour une fois que tu appelles, c'est au mauvais moment. Que veux-tu ? Fais vite, je suis vraiment
occupée.
- Je ne suis plus célibataire. J'ai rencontré un homme qui m'aime et me soutient plus que tu ne l'as
jamais fait. Parce que tu sais, Maman, je suis peut-être sous l'influence d'une putain d'introversion, mais
j'ai toujours été normale. Ce sont tes remarques lancées au quotidien qui m'ont conduite au fond du trou.
- Tu racontes n'importe quoi ! Qui est cet homme, je le connais ? Si tu as vraiment un copain autre
que tes princes charmants romanesques, je veux bien le rencontrer.
Isaac qui écoute la conversation depuis son début me prend le téléphone des mains et s'en donne à
cœur joie.
- Bonsoir, Madame Cohen. Ici Isaac Coste. Silence. Oui, l'écrivain du dernier roman à succès.
Silence. Tout à fait, nous serons là. Mais je vous préviens, n'osez pas lancer de remarque sur la tenue ni
le comportement de Joy quand nous viendrons ou nous ferons demi-tour. Silence. Bien. À vous aussi,
Madame Cohen.
Et il raccroche de façon théâtrale.
- Je sens que je ne vais pas m'entendre avec ma belle-mère. Tu m'en veux ?
- Je n'ai pas le droit de t'en vouloir pour ça. Enfin, tout ce que je retiens dans cette phrase, ce sont les
mots « belle-mère ». Es-tu prêt pour ce genre de relation avec moi ? Fidélité, disputes et les anglaises qui
débarquent chaque mois ?
- Je suis prêt si, toi aussi, tu l'es. Et surtout, si tu me redis ces petits mots de tout à l'heure.
- Pourquoi ? Regonfler ton ego, l'arrogant ?
- Moi, arrogant ? C'est la plus grosse blague du siècle ! À côté la découverte des poils dans le
caleçon de Justin Bieber paraît ridicule.
Il feint d'être blessé et j'éclate de rire. Sa moue charmeuse me fait toujours le même effet : je fonds
comme du chocolat au bain marie. Ou des chamallow sur le feu.
- Je t'aime, abruti !
- Je t'aime, Sainte-Vierge. D'ailleurs, tu t'es améliorée pour les fringues. Le petit string bleu que tu
portes sous ton jean va finir par terre dans trois...
Il me fixe intensément.
- Deux.
Il mordille sa lèvre inférieure et arrache mon pantalon.
- Un.
Isaac se poste au-dessus de moi, puis mon sous-vêtement en dentelle vole dans les airs.
- Zéro, joli cœur.
Epilogue (partie 1)

Isaac

Huit mois plus tard...

Je passe les barrières de la sécurité sans grand mal. Cette fois, je n'ai pas reçu de culotte sur la tête
ni de soutien-gorge dans le nez. C'est une victoire ! Ma carrière n'a cessé de décoller, ces derniers temps.
Si bien que cela fait deux semaines que je n'ai pas vu Joy. On se parle tous les jours mais, ne pas pouvoir
la toucher, ni respirer son parfum fruité... Putain, quelle torture !
- L'aéroport, s'il vous plaît.
Je monte dans le premier taxi qui s'arrête, mon assistant sur les talons. Au fil du temps, il est devenu
plus que ça. Mon ami et celui à qui je confie tout. Notamment, mes craintes vis à vis ce que je m'apprête à
faire ce soir. Je suis nerveux, mais il est là pour m'apaiser. Il m'a même aidé à choisir la bague.
- Tu as encore reçu une demande d'entretien du producteur parisien. Je réponds quoi ?
- Qu'il se mette sa proposition où je pense. Et qu'il se l'enfonce bien profondément. Sérieusement,
j'ai écrit un livre. Je ne veux pas d'un foutu film là-dessus. Ils peuvent tous aller se brosser.
Cyril éclate de rire, puis nous débriefons sur la séance de dédicaces qui vient de s'achever. Le trajet
passe plus vite que prévu et je cours presque pour enregistrer mes bagages. J'ai hâte de revoir ma Joy.
Alors, plus vite nous aurons embarqué, plus vite je pourrais la retrouver et lui proposer de m'épouser.
Nous avons emménagé ensemble il y a quatre mois et, pour moi, c'est la suite logique des choses. En plus,
j'en ai envie. Il n'y a pas que les femmes qui rêvent du mariage, des pétales de roses dans la chambre et
d'une bouteille de champagne pour la lune de miel. Les hommes, aussi, trouvent ça romantique.
J'ai mis Ayden sur le coup. Il doit l'accompagner à l'aéroport et s'assurer que tous les écrans
passeront le message au bon moment. Puis, sans qu'elle le sache, j'ai fait venir tous ses proches pour
qu'ils profitent de l'instant. Liam, le premier. J'ai beau ne pas le porter dans mon cœur, je sais qu'il
compte pour Joy. J'espère juste qu'elle dira oui. Je me sentirais drôlement con si ce n'était pas le cas.
J'avale un petit comprimé blanc pour me détendre et j'enclenche un épisode de série sur ma tablette.
Dans moins de deux heures, je lui demanderai officiellement sa main. Bordel de merde, je vais me caser !
Pour toute la vie. J'ai aussi peur que j'ai hâte de me lancer.
Quand nous atterrissons, je suis mort de trouille. Cyril me rassure comme il peut en me jurant qu'elle
m'aime tellement, qu'elle ne refusera pas. Pourtant, j’éprouve toujours ce mal de bide qui me rappelle que
ce sera quitte ou double, comme au poker. Soit je raflerai la mise, soit je prendrai une belle défaite dans
les dents. Et la honte de ma vie, cela va sans dire. Je l'aperçois déjà au loin et mes muscles se détendent.
Je m'apprête à réaliser le truc le plus cinglé de toute ma vie, mais la voir face à moi me conforte dans
mon idée : c'est le bon moment.
Valise en main, je m'approche du portique. Ayden se tient près d'elle et ses yeux sont tellement
perdus dans les miens qu'elle ne remarque pas que toute sa famille s'installe dans son dos. Je m'arrête à
quelques mètres et le grand show commence. Cyril me débarrasse, mon genou se pose à terre, puis je sors
l'écrin de la poche de mon jean. Je n'ai pas besoin de ma feuille de notes. Je l'ai lue tellement de fois, que
j’en connais chaque mot par cœur.
- Joy, je t'ai rencontrée au mauvais moment. Sans doute au mauvais endroit, aussi. Pourtant, malgré
tous les obstacles que nous avons traversés, nous sommes là aujourd'hui, l'un devant l'autre. Tu me rends
heureux. J'aime voir ton visage quand je me réveille le matin. Même quand tu as mal dormi et que tu
t'énerves pour un rien. J'adore entendre le son de ta voix lorsque je suis à l'autre bout du pays. Plus le
temps passe et plus j'en suis certain : tu es la bonne. Pourquoi attendre plus longtemps ? Je me sens prêt.
Prêt à te demander ta main.
Tous les écrans s'allument en même temps avec LA question fatidique. Celle qu'une femme ne devrait
entendre qu'une seule fois dans une vie.
- Voudrais-tu me faire l'honneur de devenir ma femme, Joy Cohen ? Pour toujours et à jamais ?
Elle rougit immédiatement quand elle remarque que nous ne sommes pas seuls. Puis, elle se met à
pleurer en apercevant les larmes de son père et celles de son cousin. Elle replante ses yeux magnifiques
dans les miens et, tremblante, elle s'approche de moi. Son poing rencontre mon torse et elle rit bêtement.
- Évidemment que c'est oui. Pour toujours et à jamais, mon arrogant préféré.
Sachant pertinemment que personne d'autre n'a entendu ses propos, je hurle à l'assemblée :
- Elle a dit oui !
Chaque visage se marque d'un sourire et tous se mettent à applaudir. Inconnus compris. Parce
qu'aujourd'hui rime avec jour de fête. Joy Cohen va devenir mon épouse. Je lui passe l'anneau doré à
l'annulaire et lui rappelle à quel point je l'aime, puis combien elle demeure importante pour moi.
Je salue nos familles, nos amis. Main dans la main avec ma fiancée. Entre deux accolades, je prends
quelques secondes pour contempler ce tableau parfait. À ce moment précis, j'ai le déclic. Je comprends
enfin ce que signifie vraiment aimer. Et je suis en train de le vivre, tout simplement. Puisque l'amour n'est
pas une fin en soi, simplement le sentiment qui surpasse tous les autres. Celui que je ressens quand je la
regarde. Quand je la touche. Quand je l'embrasse.
- Cyril, tu peux appeler le boss, dis-lui que j'ai trouvé le titre de mon prochain roman.
- Développe !
- Je l'aime. Il s'intitulera, Je l'aime.
Epilogue (partie 2)

Joy

Un an et demi plus tard...

- Greg, vérifie une dernière fois que les alliances sont bien dans ta poche, s'il te plaît.
- Cousine, tu sais que je t'adore, mais il faut te détendre. Tout est prêt depuis des mois, rien ne risque
d'arriver, je t'assure !
Je l'observe tâter son costume une nouvelle fois et m'analyse dans le miroir. Et si la robe ne lui
plaisait pas ? Et s'il trouvait mon chignon ou mon maquillage affreux ? Bon sang, quelle drôle d'idée que
le mariage. Quand il m'a demandé ma main à l'aéroport, je n'ai pas réfléchi aux préparatifs. Seulement
voilà, après des mois de dur labeur, à hésiter entre les nappes crème et ivoire, nous y sommes.
Isaac et moi nous entendons à merveille. Qui aurait cru cela possible, il y a presque deux ans ?
Après avoir emménagé tous les deux dans mon appartement, les semaines ont filé sans que l'on s'en rende
compte. Désormais, je suis prête à me faire passer la bague au doigt par l'homme que j'aime à la folie.
Un coup retentit contre la porte et, paniquée, je fonce ouvrir aussi rapidement que mes talons le
permettent.
- Que tu es belle, Joy ! siffle Ayden, talonné d'Angela, subjuguée. Tu vas lui filer la trique, à mon
pote.
J'éclate de rire. Un bref moment de détente avant le grand saut.
- Merci, mais j'en doute. Il semblait encore plus stressé que moi, hier soir. Alors, popol doit
probablement être au repos. Que penses-tu de la robe, au fait ? Elle me va bien ? Et la coiffure, pas trop
chargée ?
- Tu ressembles à une déesse ! Respire, il va adorer.
Angela acquiesce. Je les enlace avant l'entrée fracassante de ma maternelle. Elle ne réalise toujours
pas que je m'apprête à me marier. Ses yeux embués la trahissent : elle est émue et fière de moi. Pour la
première fois de ma vie. Elle embrasse mes joues, me somme de me tourner sur moi-même pour me
regarder et une première larme coule. Je me mords la langue pour éviter de succomber. Hors de question
que je ruine mon mascara, si près du but ultime.
Grégory nous prévient que l'heure approche et tous décampent pour regagner la mairie, me laissant
seule face à mon reflet. Je suis sur le point d'épouser Isaac, devenir Madame Coste. Bon sang ! Mon
estomac se contracte, puis remonte aux bords de mes lèvres. Chancelante, je rejoins le rez-de-chaussée
où mon père patiente. Lorsqu'il me voit, il sanglote et me serre contre lui.
- Ma petite fille... Tu resplendis, regarde-toi. Je t'aime, Joy. Je ne veux que ton bonheur.
Gênée et déjà prête à verser toutes les larmes de mon corps, je me contente de lui rendre son
étreinte. Nous grimpons dans la voiture louée pour l'occasion et nous dirigeons droit vers mon âme-sœur.
Dix minutes plus tard, nous y sommes. Les invités tentent, tant bien que mal, de m'apercevoir dans le
véhicule, mais je reste cachée. Mon cœur s'affole. Mes mains deviennent aussi glissantes que du savon.
Mon décolleté dévoile de nombreuses petites plaques rouges. Et mes jambes s'agitent, sans que je ne
puisse les contrer.
- On y va ? m'interroge mon père, aussi anxieux que moi.
- Surtout, ne me laisse pas tomber, je murmure.
- Je te le promets.
Il m'ouvre la porte et nous foulons l'allée centrale. Je ferme les yeux une nanoseconde afin de
retrouver une once de calme. Quand je franchis la porte, papa me lâche et Isaac le remplace. Beau comme
un Dieu. Ses iris bleues rencontrent les miens et tout l'amour que j'y lis me chamboule. Des
applaudissements se font entendre de toutes parts, pourtant, je me sens loin de tout. Il n'y a que lui et moi,
son costume bleu nuit et ma robe blanche. Une douce contradiction pour deux êtres que tout opposait.
Le maire attend que notre chanson se termine - I choose you de Ryann Darling- et entame la lecture
des lois dès que possible. J'attrape la main d'Isaac, tremblante de peur, face à l'assemblée qui me
dévisage. Il me chuchote un : « calme-toi, joli cœur, tu es stupéfiante » et un sourire se peint sur ma
figure.
- Quelqu'un souhaite-t-il prononcer quelques mots ? demande Monsieur le maire.
Liam hurle un « moi » inattendu et s'installe face à nous.
- Ma Joy, mon Trésor. Je sais que nous nous sommes plus ou moins perdus de vue ces derniers
temps. Cependant, je tiens à te souhaiter toute la joie du monde. Tu... tu le mérites tellement, reprend-il, la
voix chevrotante. Isaac, fais gaffe, vieux, tu ne choisis pas la femme la plus simple. Mais certainement la
plus loyale, la plus formidable et la plus aimante que je connaisse. Je vous adresse toutes mes
félicitations et surtout, tous mes vœux de bonheur.
J'essuie les larmes qui coulent sur ma joue et tout à coup, mon mari - ce mot sonne encore
bizarrement dans ma bouche- s'écarte de moi. Il attrape le micro et s'abaisse à ma hauteur, ne me lâchant
jamais du regard.
- Avant toi, je n'avais jamais envisagé l'avenir. Je vivais au jour le jour, poursuivais mon chemin.
Puis, le hasard ou plutôt la chance s’est mise sur nos deux chemins et nous a permis de nous rencontrer.
Jamais, je n'oublierai ce moment. Ni ton visage, ni ta tenue. Encore moins tes paroles. Je prenais un malin
plaisir à te déstabiliser. Nos vies se sont séparées pendant un moment, avant de nous retrouver, encore
plus intensément. Si je prends la parole devant tous nos proches aujourd'hui, c'est parce que je suis
littéralement fou de toi. Je veux qu'on réalise nos rêves ensemble, qu'on fonde une famille. Ne plus être
Joy et Isaac, mais Madame et Monsieur Coste. Et même si beaucoup de choses dans la vie sont
imprévisibles, je sais que nous serons ensemble. Pour toujours. Puis, comme le dit une chanson que tu
connais très bien : « parce que c'est toi, j'oserai tout affronter, et c'est à toi que je pourrai pardonner,
parce que c'est toi ».
L'assemblée tremble sous les acclamations, tandis que j'agrippe le cou d'Isaac afin de mieux
l'embrasser. Je profite du brouhaha ambiant pour lui murmurer la révélation qui comprime mon cœur.
- Je t'aime, mon mari.
Nos deux âmes se confondent dans ce baiser langoureux. Et, quoi qu'il advienne, notre futur sera
parfait. Parce que nous demeurerons unis.
L'extraverti et l'introvertie.
Pour toujours et à jamais.

FIN
Remerciements

Les mercis ne sont jamais faciles à prononcer. Tout comme les « je t'aime », ou encore les « au
revoir ». Cependant, aujourd'hui, je fais exception à la règle et casse ma coquille d'introvertie qui,
parfois, prend le dessus sur ma personnalité déjantée.
Alors, merci à mon mari, d'avoir supporté les longues heures de correction et mes délires grotesques
à propos de mes personnages.
À mes parents, qui m'ont encouragée et croient en moi depuis des années : merci infiniment, je vous
aime très faure.
À toi, ma Maty, mon rayon de soleil qui m'a poussée à écrire davantage. Merci pour ton soutien sans
faille dans cette folle aventure. Jusqu'aux étoiles.
À Océane, à qui Chris Wood croque la joue droite pour m'avoir inondée de commentaires sur
Wattpad.
À ma BB, merci d'avoir été ma muse pour certains chapitres et d'avoir joué le jeu en lisant tout mon
manuscrit.
À ma licorne, pour ses encouragements, nos délires et son Loan au Nutella.
À Stéphanie, ma formidable éditrice qui m'a donné envie de me surpasser. Merci pour ton travail, tes
précieux conseils et toute la bienveillance dont tu m'as gratifiée.
Merci aussi à tous mes beaux papillons sans qui, j'aurais été un peu perdue à mon entrée dans le
monde de l'édition. Mister Bean vous embrasse ! Un câlin d'amour à ma Dianette et ma Anna.
Puis, c'est une évidence, mais je remercie, du plus profond de mon cœur, toutes mes lectrices, sans
qui je n'en serai pas là aujourd'hui. Un clin d'oeil tout particulier à vous qui m'avez accompagnée durant
toutes ces semaines (de torture, parfois) : babou038, StephanieDupont6, alissonmoumou,
WhereIsMyTacos, Greys973, ChrisssKA, AlicePoisson3, Lolietoons, Angelle93, Keyofdream,
AstrangeDay, Lillyannha, Vallou59, aepompom, Infinisigne (un bisou à toi, Iris !), CrepusCesarus,
peps_2909, Fassanou, JbMadgcon1d, IsabelleArmand1, CharlotteJacquemond, -Cami1999, candymoi,
boutchoupitchou, Home65...
À vous, qui vous laisserez tenter par l'histoire de Joy et d'Isaac, j'espère que vous succomberez à
leur charme naturel bien que parfois, vous vous arracherez les cheveux... Promesse d'une auteure un peu
sadique !
Et, enfin, à tous ces introvertis qui ne demandent qu'à être compris. Vous n'êtes pas fous, encore
moins anormaux. Alors, vivez votre vie à fond, vous le méritez autant que les autres !
Les autres ouvrages disponibles chez Butterfly Editions :

Butterfly Edition Collection Dark Romance

Jolie Plume : Dirty Love - Chuter

Butterfly Edition Collection Red Romance

Juliette Mey : Up and Down

Juliette Mey : Celia

Kessilya : Gabriel

Suivez les Editions Butterfly sur les réseaux Sociaux

Facebook Twitter Google +

Vous aimerez peut-être aussi