Vous êtes sur la page 1sur 170

À Émilien.

Même si tu n’es pas plus là, tu nous accompagnes


chaque jour.
Merci à Émie, Ariane, Frédérique, Fiona, Chloé,
Myriam, Noémie, Carolane, Kelly-Anne et Maude de
l’école secondaire Fernand-Seguin pour m’avoir aidée à
trouver plein d’idées géniales pour écrire ce livre.

Grosses bises, les filles! XXX


28 juin

— Non! Je n’ai pas envie d’y aller. Arrête de m’achaler avec ça!
L’été est à peine commencé et Lili a déjà des projets par-dessus la tête.
Là, elle veut qu’on s’inscrive à la maison des jeunes, mais moi, ça ne me dit
rien du tout.
On dirait que ma sœur ne connaît pas la signification du mot «relaxer».
Après dix mois d’école et surtout de montagnes russes émotives, j’aurais
vraiment envie de me la couler douce. Au moins quelques jours. Il n’y a
que deux choses que je veux absolument faire cet été: me lever tard et lire
beaucoup.
Je suis une lève-tôt dans l’âme, mais depuis la fin des classes, j’ai goûté
au plaisir de la grasse matinée. Je dis bien «goûté» et non «savouré», vu que
je n’ai pu en profiter que deux ou trois matins. Les autres jours, j’ai été
réveillée par Violette la petite gripette qui décide régulièrement de faire des
vocalises à cinq heures trente et je ne me rendors pas toujours. Quand je
pense à maman, et à papa aussi, qui se lèvent deux ou trois fois par nuit
pour elle, je suis découragée. Comment font-ils? Je sais que maman prend
parfois Violette dans son lit, et qu’ensuite elle dort beaucoup mieux. En fait,
toute la maisonnée dort mieux! Par chance, j’ai le sommeil assez profond, à
l’opposé de Lili qui bougonne qu’elle se fait réveiller à chaque heure. Nous
sommes, comme dans presque tous les domaines, de vrais contraires
ambulants!
En fait, si je veux me lever tard, c’est surtout pour rattraper les heures de
la nuit où je lis. C’est plus fort que moi, lorsque j’aime un livre, je le
dévore. Quand j’ai école, je m’oblige à fermer mon livre avant minuit, car
je sais que mon réveil sonne le lendemain et je dois être attentive en classe
pour avoir de bonnes notes. Mais l’été, c’est différent. J’ai lu jusqu’à deux
heures trente du matin avant-hier. Je voulais VRAIMENT terminer mon
livre. Les mots vacillaient devant mes yeux, mes paupières se fermaient
toutes seules, mais je voulais continuer. Et je n’ai pas été déçue!
Je suis maintenant en deuil de mon roman. Aujourd’hui, je suis allée
fouiner à la bibliothèque, mais rien ne m’a accrochée. Ma relation avec les
livres est très intense. Avec les gens, je suis timide et renfermée, mais
j’ouvre totalement mon esprit aux personnages des romans que je lis. Ma
sœur me trouve bizarre.
Ah! Une autre chose que je veux faire cet été: des nouvelles recettes!
Justement, nous sommes allées cueillir des fraises hier et j’aimerais bien
trouver un dessert à préparer avec une partie de ces bons petits fruits
rouges. J’ai commencé à fouiner un peu sur Internet et j’hésite entre un
shortcake, une tarte (le classique!) ou un gâteau aux fraises et au chocolat.
Depuis quelques jours, maman ronchonne si je fais fonctionner le four («Il
fait trente degrés dehors, Clara, on n’est pas pour réchauffer la maison en
plus!»), alors je ne sais pas si elle va vouloir… Je pourrais peut-être faire
une limonade ou des sucettes glacées, mais ce n’est pas comme un vrai bon
dessert… Il faudrait que je négocie une entente pour l’été avec maman,
puisque je ne vais pas arrêter de cuisiner parce qu’il fait chaud! Papa est
impliqué dans le syndicat à son travail, je pourrais lui demander des trucs
pour mes pourparlers.
Lili veut donc qu’on aille à la maison des jeunes. Avant qu’elle ne m’en
parle, je ne savais même pas ce que c’était.
— Tu sais, la bâtisse en brique rouge rue Phaneuf, à côté du parc? C’est
là. C’est écrit “Le Hameau” en haut de la porte.
— Il y a tout le temps trois ou quatre rebelles qui fument dans le
stationnement. On dirait un repaire de bandits.
— Voyons donc! Ce sont des ados comme toi et moi. Il y en a peut-être
des plus marginaux que d’autres, mais il faut de tous les genres pour faire
un monde! Il n’y a personne qui va te mordre. Je serais là pour te protéger si
tu as peur.
— Gna, gna, gna. Je n’ai pas besoin d’un garde du corps.
— Est-ce que ça te rassurerait si je te disais que Romy y est allée
quelques fois? Élodie, Gabrielle et Justine qui sont en danse-études y vont
régulièrement. Je suis sûre que tu y rencontrerais des élèves de ton école.
Je me plains pour la forme, mais j’ignore pourquoi je m’acharne à tenir
tête à Lili sur ce point. Je n’ai pas envie d’aller à la maison des jeunes, mais
je sais que je vais finir par la suivre quand même. En fait, j’avais capitulé
intérieurement à la minute où elle m’en a parlé. Je suis un peu chiffe molle,
mais surtout, je sais que dans une semaine, je vais sûrement tourner en rond
dans la maison en cherchant à m’occuper malgré ma résolution de faire la
paresseuse.
J’ai aussi envie de passer plus de temps avec ma sœur. On ne s’est pas
vues beaucoup cette année. En tout cas, pas autant que lorsque nous étions
au primaire. Le primaire… ça me paraît tellement loin maintenant. On dirait
que c’était dans une autre vie. Il faut que je profite du fait que Lili n’a plus
de chum pour faire des activités avec elle, car je ne sais pas si ça va durer.
Avec ma sœur, on peut s’attendre à tout. Et elle est capable de tomber
amoureuse en clignant des yeux! Je sais, je sais, j’exagère, mais à peine. Si
un nouveau garçon entre dans sa vie, je peux dire adieu aux vacances avec
elle. Je ne comprends pas Lili sur ce point (et ce n’est pas le seul). Pourquoi
l’amour prend-il autant de place dans sa vie? Cette année, on aurait dit que
toute son existence tournait autour de son chum… Il y avait la danse aussi,
mais tout le temps et l’énergie qu’il lui restait, c’était pour penser à
Grégory, voir Grégory, parler à Grégory ou parler de Grégory à Romy! La
nuit, je suis convaincue qu’elle rêvait à lui!
Si je suis aussi critique, c’est peut-être parce que je n’ai jamais vécu le
grand amour… C’est un sentiment qui me paraît tellement abstrait! Je ne
sais même pas comment on se sent quand on aime un garçon. Lili m’a déjà
dit que c’était enivrant, mais ce n’est pas une description super précise. La
définition du dictionnaire ne m’aide pas plus: «Sentiment, attachement
intense qui lie deux êtres, basé à la fois sur la tendresse et l’attirance
physique.» Je n’ai jamais ressenti cela pour un garçon. Ni pour une fille,
d’ailleurs.
Je dois cependant reconnaître que l’histoire de mon admirateur secret me
titille l’esprit. J’ai beaucoup réfléchi aux sentiments amoureux depuis que
cet inconnu m’a retourné mon cahier de poésie. Son message me hante. Je
l’ai tellement lu que je le connais par cœur.

C’est moi qui avais ton cahier de poésie. Quand je l’ai trouvé,
j’ai voulu te le remettre, mais lorsque j’ai lu tes poèmes, j’en ai
été incapable. Tes mots m’ont trop touché. Je t’ai lue et relue
plusieurs fois. Tu m’as séduit, tu as chamboulé mon cœur.
Maintenant que l’année scolaire achève, je dois me résigner à
te rendre ton cahier. J’attends avec impatience de lire tes
prochains poèmes dans le journal étudiant.
D’un admirateur secret

Comment une personne qui ne me connaît pas peut-elle être aussi


touchée par mes poèmes? C’est sûr que ce gars-là doit savoir qui je suis.
Mais qui peut-il bien être? Je ne parle pratiquement à aucun garçon. Il y a
bien François et Étienne qui étaient assis près de moi dans les cours de
sciences et de français, avec qui j’ai eu quelques discussions à la fin de
l’année, mais c’était tout à fait anodin. Je suis si réservée, on ne peut pas me
trouver intéressante.
Il reste que je suis intriguée. Je trouve ça tellement bizarre de me sentir
observée de la sorte! Au début, j’ai carrément paniqué de savoir qu’on était
entré dans mon intimité et, d’une certaine façon, qu’on m’épiait encore.
Mais à force d’y penser, ma perception s’est transformée un peu. J’en ai été
la première surprise. Ce que m’a écrit cet admirateur secret est très
respectueux. Il n’a pas cherché à rire de moi, à me dénigrer ou à partager
avec la planète entière ce qu’il avait lu dans mon cahier. Lui aussi m’a
ouvert son cœur et, surtout, il m’a redonné mon cahier d’écriture auquel je
tenais tant. Il savait que c’était important pour moi.
Je devrais être fâchée contre lui, mais je n’y arrive pas. Je crois que le
mystère donne un éclairage particulier à toute cette situation. J’essaie de ne
pas accorder trop d’importance à cette personne et à ce qu’elle m’a écrit,
mais dans un coin de mon cerveau, ça me fait un petit velours. Je me sens
spéciale.
C’est la première fois que des compliments me touchent à ce point. Cet
inconnu n’attend rien en retour, même pas des remerciements. En fait, tout
ce qu’il attend, c’est un autre poème. Juste pour ça, je crois que je vais
continuer à faire partie du journal étudiant l’an prochain. Estelle m’a dit que
le journal prendrait un tournant plus techno, mais elle ne m’a pas donné de
détails. Tant que je garde mon nom de plume, la forme qu’il aura m’importe
peu.
Je n’ai pas envie que mon admirateur secret se dévoile, cependant. En ne
sachant pas qui il est, je peux presque oublier que c’est un véritable être
humain. J’imagine qu’il est un personnage inventé. Si ce garçon se
retrouvait devant moi, c’est sûr que je fondrais comme un cornet de crème
glacée au soleil. Je ne serais pas capable de le regarder dans les yeux en
sachant qu’il connaît mes secrets. Que pourrais-je raconter à cet inconnu,
après tout? Il aime seulement ce que je dis dans mes poèmes.
Je suis convaincue que si mon admirateur avait voulu me révéler son
identité, il l’aurait fait avant. Il aurait signé le mot qu’il m’a donné ou il
m’aurait rendu mon cahier en personne. Si ça se trouve, je ne saurai jamais
qui il est et c’est parfait ainsi.
2 juillet

Je savais que je réussirais à convaincre ma sœur de venir à la maison des


jeunes. C’est très rare qu’elle ne se rende pas à mes arguments. Quand je
tiens à quelque chose, je sais être convaincante. Une fois que je me suis
bien expliquée, Clara oublie souvent sa peur et profite mieux de la vie. Ce
n’est pas sa faute, elle est comme ça: anxieuse et timide. Je dois l’aider à
s’ouvrir aux autres. De toute façon, j’aime me rendre utile. Et j’aime être
avec elle. Ma sœur a aussi une bonne influence sur moi. C’est l’une des
seules personnes qui réussit à me ramener les pieds sur terre!
Nous sommes donc en chemin pour visiter la maison des jeunes pour la
première fois. Maman voulait venir avec nous pour voir les lieux (c’est son
instinct de mère poule qui ressort), mais je lui ai dit que ça me gênerait trop.
Avoir sa mère comme chaperon, ce n’est pas un excellent moyen de faire
une bonne première impression. Déjà qu’on se fait remarquer par tout le
monde dès qu’on met les pieds dans un endroit public («Hey! Des
jumelles!»), pas besoin d’en rajouter.
Nous nous y rendons à vélo. L’endroit est situé à un peu plus d’un
kilomètre de la maison. Nous y sommes très rapidement.
Lorsque nous arrivons, je suis soulagée de constater qu’il n’y a aucun
fumeur dans le stationnement. Ça aurait rendu Clara mal à l’aise, sans que
je sache pourquoi. D’accord, ça sent mauvais, mais il me semble qu’on a
juste à passer un peu plus loin et le problème est réglé.
— Tu es sûre que tu veux vraiment y aller? me demande ma sœur alors
que nous attachons nos bicyclettes.
Je mets la main sur son épaule pour la rassurer.
— Allez, on n’est pas venues ici pour rebrousser chemin à la dernière
minute. Ça va bien se passer.
Je tire légèrement sur sa manche et elle me suit à contrecœur. À
l’intérieur, il n’y a pas foule. C’est peut-être parce que nous ne sommes
qu’au début de l’après-midi… Un garçon est devant l’ordinateur, trois filles
discutent bien confortablement assises dans des fauteuils et deux autres
garçons jouent au billard en compagnie d’une jeune femme aux cheveux
rouges. Lorsqu’elle remarque notre présence, elle vient à notre rencontre.
— Bonjour, bonjour! Je m’appelle Charline, je suis l’une des animatrices
de la maison des jeunes. Je me trompe ou c’est la première fois que vous
mettez les pieds ici?
— Oui, c’est notre première fois.
— Super! Comment vous appelez-vous?
— Moi, c’est Lili et voici ma sœur Clara.
— Des jumelles, c’est génial! Il y a Xavier et Émile Tremblay qui sont
jumeaux aussi, et qui viennent à l’occasion, mais ce ne sont pas de vrais
jumeaux même s’ils se ressemblent pas mal. Suivez-moi, je vais vous
emmener faire un petit tour du propriétaire!
Clara reste un peu à l’écart, comme d’habitude. Je ne vais pas la prendre
par la main, quand même!
Le Hameau est en fait un très grand local divisé en trois pièces: une
immense cuisine (avec une cuisinière et un frigo, comme dans une vraie
maison), une sorte de salle à manger avec une table qui peut accueillir au
moins vingt personnes, et une salle de jeux avec une table de billard, un
babyfoot, des ordis, une télé, une armoire remplie de jeux de société et de
gros fauteuils. Comme nous passons à côté de la table de billard, un des
joueurs lève la tête.
— Hey, Clara! C’est cool de te voir ici!
Je jurerais que ma sœur rougit des orteils à la racine des cheveux.
— Allô, François, couine-t-elle.
Qui est ce garçon? Ma sœur ne m’en a jamais parlé. C’est un beau mec,
en plus! Celui avec qui il joue fait plus jeune.
— Tu as une sœur jumelle? Wahoo! Je ne savais pas ça!
On ne s’en sort jamais. Je crois que toute ma vie, j’aurai l’impression que
nous sommes des animaux de cirque… Je décide de prendre les devants, car
timide comme elle est, je ne sais même pas si Clara va penser à me
présenter.
— Salut, moi, c’est Lili. Tu vas à l’école de ma sœur?
— Oui, on était dans le même groupe cette année.
— François, c’est à ton tour, intervient l’autre joueur.
— Et le fatigant avec qui je joue, c’est Luis.
— Salut! lance celui-ci.
— Luis va au collège aussi. Il était dans un autre groupe. Il y avait juste
des élèves d’exception dans le groupe 12, hein, Clara?
Ma sœur se force à sourire, mais je vois bien qu’elle est hyper mal à
l’aise. François reprend la queue de billard qu’il avait appuyée à la table.
— Le devoir m’appelle! À plus!
Charline continue de nous expliquer les activités qui sont proposées
pendant l’été. Elle nous remet même une feuille avec la liste des sorties et
des animations spéciales, et les heures d’ouverture.
— Regarde, Clara! Samedi après-midi, il y a un atelier de cuisine!
— Ah oui?
Pour la première fois depuis que nous avons mis les pieds ici, les yeux de
ma sœur s’éclairent.
— Et cette semaine, il y a une pâtissière qui vient nous montrer comment
décorer un gâteau avec du fondant. Ça risque d’être super intéressant, ajoute
Charline d’un ton entraînant. Et la pâtissière est une vraie pro.
Elle nous fait un clin d’œil.
— Je le sais… c’est ma belle-sœur!
— Merci pour la visite, lui dis-je.
— Vous êtes les bienvenues en tout temps, les filles. Revenez quand vous
voulez!
En sortant, je remarque que Clara lance un regard discret vers la table de
billard, mais elle passe la porte en vitesse sans saluer son ami.

Avant de rentrer à la maison, nous décidons de nous arrêter à la crémerie


pour acheter un cornet. En été, il n’y a rien de meilleur qu’une crème glacée
molle à la vanille trempée dans le chocolat. Même si Clara est intolérante
au lactose, avec trois petites pilules magiques, elle peut en manger sans
avoir mal au ventre par la suite!
Clara préfère la crème glacée enrobée de petits bonbons multicolores,
même si maman lui a dit la semaine dernière que ce n’était plus de son âge.
Y a-t-il vraiment des aliments pour les enfants et d’autres pour les adultes?
Mon grand-père est sûrement le plus grand mangeur de réglisse aux cerises
que je connais et il a la tête toute blanche.
Nous dégustons notre collation tout en marchant à côté de notre vélo. Il
fait très chaud, alors il faut prendre garde que rien ne coule sur nos doigts.
Je demande à ma sœur:
— Et puis, franchement, qu’est-ce que tu en as pensé?
— Je ne suis pas convaincue que je vais m’y plaire. À la maison, on a
presque tout ce qu’ils ont là-bas.
— On ne va pas là pour jouer à l’ordi, quand même! On y va pour
rencontrer des gens, avoir du plaisir.
— Je n’ai pas besoin d’aller ailleurs pour ça. Je n’ai qu’à prendre le
téléphone et appeler Clémentine. Ou Estelle.
— Ah! Clara! C’est de la mauvaise volonté de ta part. On passe un
accord, OK? On y va quatre fois et si tu n’aimes pas ça, je ne t’embêterai
plus pour y retourner.
Ma sœur réfléchit quelques instants. Elle lèche un côté de son tourbillon
de crème glacée qui commence à fondre dangereusement.
— D’accord, j’accepte ta proposition.
— Au fait, c’était qui ce garçon? François…
— Personne.
Tiens, tiens!… Tout à coup, j’ai hâte d’en apprendre plus!

Mon oncle Olivier m’avait demandé de garder Marius pendant une


semaine à la fin du mois d’août, mais il m’a rappelée pour annuler parce
qu’il enverra plutôt mon cousin chez ma grand-mère. En fait, Marius ne
mettra même pas les pieds dans la maison de ma grand-mère puisqu’ils
partiront en roulotte quelque part au Québec ou aux États-Unis. La roulotte
est la résidence d’été de mes grands-parents. Ils ont tout là-dedans, même
l’air conditionné. C’est une vraie maison sur roues.
Je n’irai donc pas à Gatineau cet été, ce qui veut dire que je ne verrai pas
Frédéric. En fait, ça m’arrange. Je ne suis pas prête à m’engager dans une
nouvelle relation et, de toute façon, les amours à distance, ce n’est jamais
une bonne idée. Frédéric est un garçon qui possède plusieurs belles qualités,
mais mon cœur ne tolérerait pas un autre grand bouleversement.
J’ai hésité plusieurs jours avant de répondre au message qu’il m’avait
envoyé sur Facebook. Je ne voulais surtout pas lui donner de faux espoirs.
Finalement, la semaine dernière, je lui ai écrit ceci:

Allô, Frédéric!
Comme tu le sais peut-être déjà, je ne garderai pas mon cousin
cet été. On ne se reverra donc pas tout de suite. Je préfère être
franche avec toi, je veux qu’on reste des amis, pas plus. Je sais
qu’il aurait pu se passer quelque chose cet hiver, mais j’ai
beaucoup réfléchi et ce n’est pas ce que je souhaite. Je viens de
sortir d’une relation et ça ne s’est pas super bien terminé. J’ai
décidé de mettre mon cœur sur «pause» pour un temps. Sans
compter que le meilleur ami de mon ex m’a fait une déclaration
d’amour inattendue. Mais pourquoi je te raconte ça?…
Je ne sais pas si tu as envie de m’écrire, mais ça me ferait
vraiment plaisir de te lire.
Ton amie,
Lili

Je me disais que je l’avais peut-être déçu ou fâché. Mais le lendemain,


j’avais déjà une réponse.

Salut, miss Claquettes!


Je ne cacherai pas que j’aurais aimé reprendre là où nous nous
sommes laissés cet hiver, mais je respecte ton choix. Un gars
s’essaie! :) Et si je ne me fais pas une blonde, je serais heureux
de gagner une amie! Je te laisse, les jumeaux viennent
d’envahir ma chambre!
XXX
Fred

Depuis, on s’est écrit deux ou trois autres fois. On jase de tout et de rien.
Il m’a envoyé une photo de son chien qui a sauté dans la piscine, et moi,
une de Violette. Il n’en revenait pas qu’Enzo ait menti à Grégory pendant
des semaines, voire des mois sur ses sentiments à mon égard. J’y pense, je
ne sais même pas si Grégory est au courant… En tout cas, ce n’est pas moi
qui lui dirai. Ce n’est plus de mes affaires. C’est une bonne chose que
l’école soit finie, au moins je suis sûre de ne croiser ni l’un ni l’autre dans
un couloir jusqu’au retour des vacances.
D’ailleurs, j’ai fini par dire à Romy toute la vérité quelques jours avant la
fin des cours. Je n’étais plus capable de garder le secret. Dès qu’elle me
parlait d’Enzo, qu’elle aimait tant, mon cœur se serrait. Sur le coup, elle a
pleuré un bon moment et ensuite, elle m’a boudée deux longues journées.
Elle dînait ailleurs, ne voulait pas s’asseoir avec moi dans l’autobus, ne me
regardait même pas. J’ai eu si peur qu’elle ne veuille plus être mon amie!
Elle me reprochait de lui avoir menti pendant trois semaines. Je savais
qu’elle avait raison, que c’était ma faute, mais je n’arrivais pas à imaginer
qu’elle mette une croix sur presque un an d’amitié. J’ai dû pleurer toutes les
larmes de mon corps. Encore plus que lorsque j’ai quitté Grégory.
Clara a essayé de me remonter le moral tant bien que mal. Elle a même
appelé Romy (mais je ne l’ai su qu’après). Connaissant ma sœur, ça a dû lui
demander toutes ses miettes de courage. Un matin, Romy est venue me
rejoindre à mon casier et sans avoir dit un mot, nous sommes tombées dans
les bras l’une de l’autre en chialant comme des bébés. Nous avons ensuite
eu une longue discussion où nous avons fait le tour de la question (et où j’ai
dû m’excuser une bonne dizaine de fois). Mais maintenant, tout est revenu
comme avant.
Fiou!
5 juillet

Je n’avais jamais travaillé avec du fondant avant aujourd’hui. C’est une


sorte de pâte très sucrée qui est malléable et dont on peut faire toutes sortes
de formes. La pâtissière qui anime l’atelier à la maison des jeunes nous a
montré des photos de ses plus belles créations: une montgolfière, un bateau
de pirates, un château de princesse et un gâteau en forme de dentier…
qu’elle a fait pour l’anniversaire d’un dentiste!
Nous sommes plusieurs à participer à cet atelier de décoration de
gâteaux: une quinzaine de filles et deux garçons. On dirait qu’un des
garçons est le chum de l’une des filles et que l’autre est son grand ami. Il ne
devait pas avoir envie d’être tout seul de sa gang, celui-là! Même si elle
n’est pas une passionnée de cuisine, Lili est présente et j’ai aussi invité
Clémentine. Au fond, je suis comme ce garçon: je veux être bien entourée.
La pâtissière, qui s’appelle Marine (c’est charmant comme nom, je ne
l’avais jamais entendu avant), nous a donné à tous un morceau de fondant et
la première étape est de le colorer. Nous mettons des gants de plastique,
Marine dépose un peu de colorant en gel sur notre fondant et nous
pétrissons! Clémentine se fatigue rapidement.
— Je pensais que c’était un atelier de pâtisserie, pas un défi sportif. J’ai
déjà les bras morts.
— Moi aussi! se plaint ma sœur.
C’est vrai que ce n’est pas facile. Ça prend du temps avant que la couleur
soit bien uniforme. Il faut saupoudrer de sucre en poudre notre surface de
travail pour éviter que ça colle. Charline, l’animatrice que nous avons
rencontrée plus tôt cette semaine, passe entre les tables et nous encourage
ou fait des blagues. Son chandail est plein de sucre en poudre.
Une fois notre fondant prêt, c’est le temps de l’abaisser. Nous nous
passons les rouleaux à pâtisserie, car il n’y en a pas assez pour nous tous.
Marine nous distribue des cupcakes glacés de crème au beurre qu’elle a
préalablement préparés, et nous montre comment les recouvrir de fondant.
Ensuite, à l’aide d’emporte-pièces, de petits moules en silicone et de
rouleaux à texturer, nous laissons aller notre imagination.
Je décide de faire une fine torsade pour border mon petit gâteau. J’essaie
aussi de façonner une fleur que je veux déposer sur le dessus, mais je ne
sais pas comment m’y prendre.
Marine me voit faire et s’approche.
— On voit que tu aimes ça! Je vais te montrer comment confectionner
une rose, ce n’est pas très difficile.
Je suis attentivement chacun de ses gestes et je les reproduis pour
fabriquer une très jolie rose.
— Superbe! Si tu étais plus vieille, je t’engagerais à la pâtisserie!
plaisante-t-elle.
Mes joues s’empourprent immédiatement. Quel beau compliment!
— Vous devriez goûter à ses gâteaux ou ses biscuits! Ils sont toujours
décadents, lance ma sœur fièrement.
— Et ses cupcakes sont tout simplement wow! ajoute mon amie.
— Sait-on jamais, peut-être que tu travailleras bel et bien en pâtisserie un
jour!
Sur ce, Marine s’éloigne pour aller aider d’autres personnes beaucoup
moins avancées que moi. Clémentine me donne une tape dans le dos.
— Tu vois, Clara, tu impressionnes même une professionnelle. Elle doit
trouver que tu as du talent.
— C’est juste une fleur, quand même.
— Non, non. Regarde, ton fondant est beaucoup plus lisse que le mien.
Et ta torsade est très jolie et bien régulière. Ton cupcake est superbe.
Maintenant, j’ai envie d’aller fouiller sur Internet afin d’apprendre de
nouvelles techniques pour travailler le fondant. Marine nous a dit qu’elle le
préparait elle-même avec des guimauves. Il faut que j’essaie ça!
Lorsque j’ai fini de décorer mon petit gâteau, je nettoie mon espace de
travail. Le cupcake de ma sœur fait pitié, alors je lui donne un coup de
main, pour son plus grand bonheur.
— Une chance que tu es là. Tu sauves ma réputation! Me demander de
faire de la cuisine, c’est le meilleur moyen pour que tout le monde me
trouve complètement nulle et rie de moi.
— Ben non! Il y en a des pires que toi, blague Clémentine. Regarde
derrière moi.
Lili et moi nous retournons et regardons subtilement la réalisation de la
fille qui s’active sur la table derrière mon amie. Hou là là! C’est un vrai
désastre! Le fondant n’a pas une couleur régulière, il est découpé croche et
dépasse d’un côté du gâteau. Ce gâteau ressemble franchement à un champ
de mines en zone de guerre: un enfant de six ans aurait fait mieux!
Ma sœur se retient pour ne pas pouffer de rire. Je lui donne un coup de
coude dans les côtes pour qu’elle ne se fasse pas remarquer.
Sur les entrefaites, Charline fait irruption près de notre trio. On dirait que
cette fille a des ressorts dans les jambes quand elle marche. Elle dégage une
très belle énergie.
— Wahoo! Super beau ton cupcake, me dit-elle.
Je rougis instantanément. Encore. Ce n’est pas ma faute, les compliments
me font toujours cet effet.
— Peux-tu me rappeler ton nom?
— Clara.
— Ah oui, Clara! Comme l’amie d’Heidi dans l’histoire du même nom.
Je vais m’en souvenir, maintenant. Clara, j’ai entendu ta sœur et ton amie
dire que tu faisais des fichus bons gâteaux.
Oh non, oh non. Je n’aime pas la tournure que prend la conversation…
— Est-ce que tu aurais envie d’animer une activité de cuisine la semaine
prochaine? Tu pourrais montrer aux autres comment confectionner un
gâteau ou des cupcakes. Les ados sauront alors comment les préparer ET les
décorer! À voir l’engouement pour l’atelier d’aujourd’hui, je suis sûre que
plein de personnes souhaiteraient être présentes.
Comme je suis sur le point de décliner son invitation, Lili prend les
devants.
— C’est sûr que ça lui ferait plaisir, n’est-ce pas sœurette? Et moi, je me
propose pour être ton assistante!
Ah! Je ne supporte pas quand Lili décide à ma place. Si elle a envie de
montrer à un groupe comment cuisiner un gâteau au chocolat, qu’elle le
fasse, mais qu’elle ne me l’impose pas. Je déteste parler à des inconnus.
J’imagine ce que ça doit être quand il y en a dix ou quinze devant soi!
— N… non… Je ne pense pas que…
— Mais oui, Clara! ajoute Clémentine. Tu vas être super bonne!
Charline bat des mains.
— Parfait! Alors, c’est réglé! Il faudrait juste que tu viennes me voir
mercredi au plus tard avec la recette que tu veux réaliser pour que je fasse
des photocopies et que j’achète les ingrédients nécessaires.
Charline s’éloigne et je reste seule avec ma sœur et Clémentine. Je bous.
Des larmes de colère me montent aux yeux tellement je suis fâchée. Ont-
elles pensé une seule seconde à moi avant de répondre à l’animatrice? Ont-
elles réalisé que je ne dormirais pas de la nuit à l’idée d’être obligée de
donner ce cours? Elles me connaissent mieux que quiconque, pourtant!
Ma sœur comprend qu’il y a quelque chose qui ne va pas et s’efforce de
me rassurer.
— Tu vas voir, Clara, tout va bien aller. Il faut que tu sortes un peu de ta
zone de confort. On va être là pour toi et…
— Non! Ça ne va PAS bien aller! Je n’ai aucune envie d’animer cette
activité. J’ai déjà les genoux qui tremblent!
Je laisse mon cupcake décoré sur la table et je fais mine de partir.
Clémentine tente de me retenir le bras, mais je me déprends.
— Laissez-moi!
Je sors en coup de vent de la maison des jeunes et je vais me cacher dans
le parc pour pleurer. C’est vrai que mes genoux tremblent. À quoi ont-elles
pensé? Je me sens coincée, un peu comme si j’étais dans un labyrinthe et
que je ne trouvais pas la sortie. Qu’est-ce que je vais faire?
Je demeure seule sur un banc un bon moment. Je renifle un peu. Je n’ai
pas de mouchoirs. C’est super chic. Une chance qu’il n’y a personne autour.
Je regarde les feuilles des arbres qui bougent au gré du vent. Il y a une
tourterelle qui chante sa triste mélodie quelque part. Et tout à coup, je vois
un héron passer au loin dans le ciel. J’adore ces oiseaux. Il y en a beaucoup
par ici. Peu à peu, je me calme.
Je regarde ma montre. Il faudrait que j’y retourne. Ma sœur et
Clémentine vont s’inquiéter… si elles ne sont pas déjà parties. Elles doivent
savoir que je ne suis pas rentrée à la maison, car mon vélo est encore
accroché au support devant le Hameau. C’est ma sœur qui a la clé du
cadenas, alors je ne peux pas aller très, très loin.
Je contourne le bâtiment et j’arrive à la porte en même temps que
quelqu’un d’autre: Étienne Simard. Merdouille!
Par réflexe, j’essuie mes yeux, même si je sais qu’ils sont maintenant
secs. J’espère que mon nez n’est pas trop rouge, je n’ai pas envie qu’il
sache que j’ai pleuré.
— Salut, Clara!
— Allô, Étienne.
— François m’a donné rendez-vous à quatre heures. Il est censé venir
avec Luis. Je ne savais pas que tu fréquentais aussi le Hameau.
Son attitude change lorsqu’il regarde mon visage d’un peu plus près. Ah
non!
— Ça va?
— Oui, oui…
Ma voix est un peu enrouée et elle n’est pas aussi assurée que je le
voudrais. J’ai beau me forcer, je ne suis pas capable d’avoir l’air super
méga contente.
— On dirait que tu as pleuré. Tu ne sembles pas en grande forme. Tu
veux qu’on parle?
Je ne suis pas pour me remettre à pleurer, je ne suis pas pour me remettre
à pleurer, JE NE SUIS PAS POUR ME REMETTRE À PLEURER! Mes
yeux brûlent, je me retiens de toutes mes forces pour qu’aucune larme ne
coule, mais je ne sais pas si je vais y arriver. Étienne doit sentir que je suis
sur le point de flancher. Il paraît aussi mal à l’aise que moi.
— Et si on marchait dans le parc quelques minutes?
Je ne me vois pas me sauver pour la deuxième fois de la journée, alors je
décide de le suivre. J’essaie de ne pas penser pour éviter de devenir trop
émotive. Nous marchons en silence. Les enfants du camp de jour viennent
d’arriver au parc et c’est beaucoup moins tranquille que tantôt. Impossible
d’entendre encore la tourterelle. Sentant mon malaise, Étienne décide de me
changer un peu les idées.
— Est-ce que tu viens souvent à la maison des jeunes? Je ne t’avais
jamais vue ici.
— C’est la première fois. En fait, c’est la deuxième… Mais quand je suis
passée cette semaine, c’était juste pour visiter. Aujourd’hui, j’étais là pour
l’activité de décoration de gâteaux.
— Ah oui, j’ai vu ça à l’horaire. Pas trop mon genre de truc. J’aime
mieux manger les gâteaux que les décorer! Mais c’est vrai, je me souviens!
La pâtisserie, c’est ton dada. Les cupcakes que tu m’as apportés au
printemps, quand je t’ai aidée à trouver que tu étais intolérante au lactose,
étaient délicieux.
Encore des éloges! Se sont-ils tous passé le mot? Si mes joues prennent
une légère teinte rosée, au moins, on ne remarquera plus autant mon nez
rouge et brillant.
— Tu as une bonne mémoire. Oui, j’aime beaucoup cuisiner.
Est-ce que j’oserais lui confier ce qui me tracasse à ce point? Et si je lui
disais ce qui ne va pas… Ce n’est pas dans mes habitudes de m’épancher,
mais il est si gentil… On dirait vraiment qu’il veut m’aider. Je respire
profondément.
— C’est un peu ça le problème.
Ça y est, je l’ai dit. Je ne peux plus retourner en arrière.
— Qu’est-ce que tu veux dire?
Il arrête de marcher et m’invite à m’asseoir sur le banc où j’étais un peu
plus tôt. Drôle de coïncidence.
— Charline, l’animatrice, a su que j’étais bonne pour préparer des
desserts et elle m’a demandé de donner un petit cours la semaine prochaine.
Il siffle.
— Tu as dû l’impressionner rare!
— Comment? Elle n’a goûté à rien de ce que j’ai cuisiné.
— Elle doit avoir du pif. En tout cas moi, comme je viens de te le dire,
j’ai a-do-ré tes cupcakes.
— Je suis nulle pour parler aux gens. Je déteste ça.
Il sourit, frondeur.
— Tu me parles bien, là!
— Oui, mais ce n’est pas pareil. C’est sûrement parce que j’ai fait une
crise à ma sœur et à Clémentine, et que je n’ai plus personne à qui me
plaindre…
— J’endosse le rôle de bouche-trou avec plaisir.
Ah non, j’espère que je ne l’ai pas offusqué… Je tâche de me reprendre.
— Ce n’est pas ce que je disais.
— Hey, relaxe! Il n’y a aucun problème. Mais si j’étais à ta place, j’y
repenserais. Tu as beaucoup à apprendre aux autres.
Pourquoi tous ceux à qui je parle aujourd’hui ont-ils autant confiance en
moi? Suis-je la seule à ne pas croire que je serais bonne pour donner cet
atelier?
— J’ai peur.
C’est ça, le vrai problème. Je suis paralysée. Je ne vois pas au-delà de
cette foutue peur.
— Qu’est-ce qui pourrait t’arriver de grave ce jour-là? Franchement, y a-
t-il des risques de cataclysme nucléaire? Ta recette pourrait être mauvaise, il
pourrait te manquer un ingrédient, tu pourrais bégayer, avoir une extinction
de voix, c’est possible qu’il n’y ait qu’une seule personne présente, ou que
tu brûles ton dessert… Et alors? Est-ce que ce serait si terrible?
Vu sous cet angle, c’est vrai que ça paraît moins inquiétant. Mais quand
même, je suis loin d’être convaincue.
À l’entrée du parc, je vois ma sœur qui semble me chercher. Il y a déjà un
bon bout de temps que je suis partie, elle doit s’inquiéter.
— Je dois m’en aller. Merci de m’avoir écoutée.
— De rien. Ça m’a fait plaisir. Moi aussi, il faut que j’y aille. François
doit m’attendre et il n’est pas du genre patient.
Alors que nous marchons vers la maison des jeunes, une pensée me
traverse l’esprit.
Et si c’était lui mon admirateur secret?
7 juillet

— Un gâteau au fromage?
— Non. Trop long à préparer, trop cher, trop d’ingrédients.
— Un shortcake aux fraises?
— Non.
— Des cupcakes au citron?
— Hum… Non, ce n’est pas tout le monde qui aime le citron.
— Au chocolat, d’abord?
— Je suis un peu fatiguée de faire cette recette, même si tu l’aimes
beaucoup. J’ai envie de quelque chose de différent.
— Ah! Tu es compliquée, Clara!
— J’accepte de donner le cours samedi prochain, mais je veux faire une
recette que j’aime VRAIMENT. Sois patiente.
Clara continue de feuilleter les copies des recettes qu’elle a trouvées sur
Internet au fil des mois. Les pages sont maculées de taches de beurre, de
poudre de cacao ou de jus de fraises. Elles ont du vécu, ces recettes!
Après la «crise» qu’elle a faite samedi dernier, je fais attention de ne pas
la contrarier et je prends mon mal en patience. Je sais que j’ai dépassé les
limites… Clémentine s’en voulait autant que moi. Je ne sais pas ce qui l’a
fait changer d’avis, mais je suis très fière d’elle.
— J’ai trouvé! On fera un gâteau fondant à l’orange.
Je me souviens vaguement de ce dessert. Il me semble que c’était bon.
Presque tout ce que fait ma sœur est délicieux!
Clara retape la recette à l’ordinateur avec une jolie police de caractère,
puis l’envoie par courriel à Clémentine qui a offert de l’illustrer. En
éternelle inquiète, Clara l’appelle pour être certaine qu’elle a bien reçu son
message.
— Tu l’as?
— Oui, oui, ton message est arrivé à bon port.
— Super! Est-ce que tu vas avoir le temps de faire ton dessin d’ici la fin
de l’après-midi? Je ne voudrais pas trop tarder avant de donner la recette à
Charline.
— Je m’y mets dès que je raccroche le téléphone.
— Parfait. Et est-ce que ta mère a accepté que tu soupes ici?
— J’avais peur qu’elle refuse, mais elle a dit oui. Fiou!
— Yé! À tantôt, alors! Bye!
— Oui, à plus tard.
Ce soir, un film est présenté en plein air dans le parc derrière la maison
des jeunes et nous en profiterons pour aller remettre la recette à
l’animatrice. Clémentine sera là et j’ai aussi invité Louka, car je ne l’ai pas
vu depuis le début de l’été. Il a l’air de s’ennuyer ferme. Son grand frère
travaille dans la cour à bois de la quincaillerie et il est seul à la maison
pendant tout le mois de juillet. J’aurais bien aimé que Romy soit aussi des
nôtres, mais elle est en camping avec sa famille. On se reprendra plus tard,
il y a des représentations une fois par semaine tout l’été!

Nous sortons les chaises de parterre du coffre de la voiture. «N’accrochez


pas la portière!» nous avertit papa par la fenêtre. On dit souvent que les gars
chouchoutent leur auto, eh bien c’est un concept qui s’applique très bien à
mon père. C’est loin d’être une auto de l’année que nous avons, mais il en
prend soin comme maman prend soin de Violette. Il la lave délicatement, la
polit… C’est quelque chose que je n’ai jamais compris!
Clémentine est responsable du «sac à cochonneries». Nous avons fait un
arrêt au dépanneur en chemin et papa nous a acheté des cannettes de
boissons gazeuses, un gros sac de chips et deux sacs de jujubes. La grosse
vie sale, quoi!
Louka est déjà arrivé et nous a réservé une place.
— Ce soir, si on a le malheur de voir Jessenia, on l’ignore! dit-il
d’emblée. On ne la laissera pas nous gâcher une autre soirée cinéma!
— Louka, je n’avais pas besoin que tu me rappelles des mauvais
souvenirs.
— Oups! Nous n’en reparlons plus pendant le reste de la soirée, promis
juré!
Clémentine et Clara placent leur chaise à côté des nôtres et s’éclipsent
pour aller remettre la recette à Charline. Il ne leur faudra que quelques
minutes pour se rendre à la maison des jeunes et revenir. De toute façon, il
ne fait pas encore tout à fait noir.
Louka et moi en profitons pour jaser un peu. Nous nous sommes
rapprochés depuis que je fais partie du même groupe de danse que lui. C’est
un garçon au grand cœur. Il m’a beaucoup aidée, surtout avec les claquettes.
— J’ai appris une grande nouvelle aujourd’hui. Ma mère a rencontré
Mika à l’épicerie. Elles ont parlé un bon moment et sais-tu quoi? Mika est
enceinte! Ce n’est même pas sûr qu’elle nous enseigne cet automne.
Mika, c’est notre prof de ballet jazz. Je l’aime bien, même si nous avons
eu un petit accrochage au début de l’année. Je suis contente pour elle, mais
je serais déçue si elle n’était pas là en septembre. C’est une super bonne
prof!
Les gens continuent d’affluer au parc. Si ça dure, il va falloir que certains
s’assoient sur des branches d’arbre. En plus, l’écran est loin d’être aussi
gros qu’au ciné-parc!
Soudain, quelqu’un me donne une petite tape sur l’épaule. Clara est-elle
déjà revenue? Je me tourne et oh!… Ce n’est pas ma sœur. C’est Grégory.
Mon ex.
— Salut, me fait-il en esquissant un sourire.
Je n’ai pas trop le choix de lui répondre.
— Salut.
— Tu vas bien?
— Oui…
Je n’ai même pas le goût de lui demander comment il va, lui. En fait, je
n’ai qu’une seule envie: qu’il s’en aille. C’est trop douloureux de le voir.
Même si je le déteste, il est encore aussi beau et quand je le regarde, plein
de souvenirs me reviennent en mémoire. Certains sont très agréables,
d’autres beaucoup moins. Notre rupture est trop récente pour que je puisse
avoir une discussion normale avec lui.
Grégory sent que je suis mal à l’aise. À côté de moi, Louka doit l’être
tout autant. Ça n’a jamais été l’amour fou entre ces deux-là… Grégory
regarde vers le sol comme s’il cherchait quelque chose à dire.
— Je vais y aller. Mes amis m’attendent.
Il me fait un petit signe de la main et repart. Je ne sais pas avec qui il est
venu et à dire vrai, je m’en moque. Il ne fait plus partie de ma vie.
Louka me regarde et me sourit.
— On ne pense plus à lui, d’accord? On est là pour avoir du plaisir!
Mon ami a bien raison.
Clara et Clémentine reviennent juste à temps pour le début du film. Ma
sœur a l’air de bonne humeur et ça me soulage de la voir ainsi. Si elle
pouvait toujours mordre dans la vie comme elle mord dans ses gâteaux!
12 juillet

Une dizaine de personnes sont présentes pour le cours de cuisine, presque


toutes les mêmes que la semaine dernière. Clémentine est venue aussi pour
encourager Clara. J’ai déniché dans le fond d’un tiroir de cuisine un tablier
rigolo (on y lit: «Non, ce tablier n’est pas blanc. Il est tombé dans la
farine») et une toque de chef que je me suis fait un plaisir de porter pour
l’occasion. Je ne sais même pas pourquoi on avait ça à la maison… Clara
m’a dit au moins huit fois que j’avais l’air complètement folle, mais moi, ça
me fait rigoler. Ainsi, personne ne pourra nous confondre, elle devrait être
contente!
Deux amis GARÇONS de Clara sont venus la voir avant le début du
cours: François et Étienne. Et Luis aussi, mais lui, d’après ce que j’ai
compris, Clara ne le connaît pas vraiment. Je suis surprise que ma sœur leur
adresse la parole. Étrangement, j’ai l’impression qu’elle ne m’a jamais rien
dit d’eux. Nous avons bien vu François et Luis lorsque nous avons visité le
Hameau la première fois, mais j’ai oublié de lui en reparler ensuite. Je crois
avoir déjà croisé Étienne, mais je n’arrive plus à me souvenir à quel
moment… Je vais tirer les vers du nez à Clara quand nous serons de retour
à la maison. C’est une petite cachotière, ma sœur!
Ces trois-là voulaient seulement prendre un morceau de gâteau lorsqu’il
serait prêt. Ma sœur semblait hésiter, alors je suis intervenue.
— Si vous ne mettez pas la main à la pâte, vous ne goûtez pas. C’est un
préalable et c’est non négociable!
Les garçons ont pris un air faussement piteux.
— Oui, mais on est super poches.
— Je ferais brûler une casserole d’eau!
— Eh bien, allez à l’épicerie, il y en a une au coin de la rue. Vous y
trouverez des étagères remplies de petits gâteaux!
Finalement, c’est à contrecœur qu’ils ont pris place à une table en faisant
bondir le taux de participation masculine d’un seul coup!
L’atelier se passe super bien. Clara marmonne un peu, mais ça ne semble
gêner personne puisque tout le monde peut suivre la recette sur sa feuille.
Lorsque vient le temps de zester l’orange, François s’arrange
malheureusement pour se râper aussi une partie du doigt. Aïe, aïe, aïe! Un
animateur arrive rapidement à la rescousse avec la trousse de premiers
soins. Croyez-le ou non, Clara est tellement concentrée qu’elle ne se rend
compte de rien. Tant mieux, car elle serait du genre à croire que c’est sa
faute.
Pendant que les premiers gâteaux sont au four (on n’a pas réussi à tous
les mettre en même temps), nous en profitons pour faire la vaisselle à la
chaîne. Une personne lave, plusieurs autres essuient et une dernière range
les ustensiles et les bols dans les armoires. D’habitude, je dé-tes-te faire la
vaisselle, mais là, c’est plutôt amusant. J’ai décrété que Clara était
dispensée de cette corvée, elle nous regarde donc bien tranquillement en
buvant un verre d’eau. Ce n’est qu’à ce moment qu’elle remarque le
bandage sur le doigt de François.
— Qu’est-ce que tu t’es fait?
— Juste un petit accident. J’ai pris ma peau pour la peau de l’orange.
Clara s’étouffe presque. Luis me regarde en me faisant un clin d’œil.
— Je vous l’avais bien dit, la cuisine, ce n’est pas une affaire d’hommes!
— Pff! Si j’étais ta mère, je te laisserais préparer tes repas pendant une
semaine!
Étienne se flatte la panse et regarde par la fenêtre du four.
— Bon, quand est-ce qu’il est prêt, ce gâteau-là? Clara, ça te dirait de
laisser l’estropié et le macho près du four et de venir jouer une partie de
billard avec moi?
— Euh… C’est que je ne sais pas vraiment jouer.
— Ce n’est pas grave, je vais te montrer. Je suis un vrai pro du billard.
— Comme il est modeste! commente François. Ce qu’il ne dit pas, c’est
que je l’ai battu à plate couture la dernière fois qu’on a joué.
— Même pas vrai!
— Tu veux que je te prouve que je suis le meilleur? On peut régler la
question tout de suite. Le gagnant emportera le gâteau chez lui! Pari tenu?
— Je viens d’offrir à Clara de lui apprendre à…
— Ce n’est pas grave, intervient ma sœur. Je vais vous regarder. C’est
beaucoup plus amusant.
La partie des garçons se déroule de manière assez expéditive. Après trois
coups à peine, Étienne empoche la boule noire par inadvertance, concédant
la victoire à un François qui explose de joie. Il monte sur une table basse et
se frappe la poitrine comme Tarzan. Ma sœur est si mal à l’aise qu’elle a
l’air de vouloir se dissimuler derrière les coussins du divan. Elle félicite
rapidement François et retourne jaser avec Clémentine un peu plus loin.
Lorsque le gâteau des garçons sort du four, François n’accepte même pas
qu’Étienne y goûte.
— Tu as perdu, tu n’as le droit à rien! Tant pis pour les ratés! Je n’en
donne qu’à Luis.
Étienne lui tire la langue et se met à rire. Il n’a pas l’air vexé de l’attitude
de son ami. Je crois qu’ils aiment bien s’agacer tous les deux!
Pendant que François fait le paon autour des tables pour vanter son talent
exceptionnel au billard, j’en profite pour donner en douce une belle tranche
du gâteau que j’ai fait à Étienne.
— Hou! C’est chaud, dit-il avant de souffler sur son morceau et d’en
prendre une grosse bouchée. Mmm! Délicieux! Ça donne envie d’apprendre
à cuisiner!
Dommage que ma sœur n’ait pas entendu ce beau compliment… Mais je
vais me faire un plaisir de le lui répéter tantôt.
Avant de rentrer à la maison, j’ai envie de faire une partie de ce jeu vidéo
où on doit suivre la chorégraphie de danse d’un personnage à l’écran. À la
maison, nous n’avons ni Wii, ni Xbox, ni PlayStation. En plus, je ne joue
qu’occasionnellement à des jeux sur l’ordinateur.
Je mets le disque dans la console et je demande à la cantonade si
quelqu’un d’autre aimerait jouer avec moi. C’est sûrement plus amusant à
deux, mais je doute que ma sœur ait envie de se donner en spectacle devant
tout le monde, surtout qu’elle danse comme un pied (ce n’est pas moi qui le
dis, c’est elle)!
— Moi, ça me tente.
Une fille qui a participé au cours de cuisine s’avance. C’est une très belle
blonde dont les pointes des cheveux sont teintes en rose pâle. Elle porte des
shorts en jeans déchirés et un t-shirt ample dont le col très large lui dénude
une épaule. Elle finit son morceau de gâteau et essuie rapidement sa
bouche.
— Je n’ai pas pu m’empêcher d’y goûter tout de suite. C’est bon! Je
pense que tu devrais enlever ta toque, par contre, elle risque de tomber
pendant que tu danses.
Je m’esclaffe. Ma toque! Je l’avais complètement oubliée, celle-là! Je la
retire et je la lance à ma sœur qui est en grande discussion avec Clémentine.
Je ne sais pas de quoi elles parlent, mais ça semble palpitant.
Ma partenaire et moi choisissons une chanson et démarrons le jeu. Les
mouvements sont assez faciles et je n’ai pas trop de difficulté à suivre. Ma
partenaire aussi a l’air de bien s’en sortir. À la fin de la chanson, elle prend
la télécommande.
— Passons aux choses sérieuses, déclare-t-elle en me faisant un clin
d’œil.
La deuxième chorégraphie est un cran plus ardue et je dois bouger plus
rapidement. J’aime ça! J’étais habituée à danser tous les jours pendant la
dernière année scolaire, mais là, ça faisait plus de deux semaines que je
n’avais presque pas bougé et ça me manquait.
Nous enfilons les chansons les unes après les autres et nous nous
donnons à fond toutes les deux, si bien que nous finissons par être tout en
sueur. Je regarde l’horloge, il y a plus de trente minutes que nous jouons. Je
n’ai pas vu le temps passer!
— En tout cas, tu as le rythme dans le sang! En passant, je m’appelle
Anaëlle.
— Et moi Lili, mais tu le sais déjà, je l’ai dit au début du cours. Toi aussi,
tu es pas mal bonne. Est-ce que tu joues souvent à ce jeu?
— Quelques fois par semaine. C’est un de mes préférés.
— Et est-ce que tu danses aussi dans la vraie vie?
— Je suis des cours de hip-hop depuis deux ans, mais je baigne là-dedans
depuis beaucoup plus longtemps.
— Génial! C’est un style que je connais peu, mais j’aimerais ça essayer
un jour.
— Si ça te dit, une prochaine fois, je te montrerai des vidéos que j’aime
bien sur YouTube, mais là, je dois y aller. J’ai dit à ma mère que je serais de
retour à cinq heures et j’ai encore une quinzaine de minutes de vélo devant
moi! Ciao!
Anaëlle est très gentille. J’espère la revoir bientôt.
25 juillet

Je ne pensais pas avoir autant de plaisir à la maison des jeunes. Lili avait
raison (encore!): nous faisons toutes sortes d’activités intéressantes et ça
nous permet de sortir de la maison. Chez moi, j’ai toujours peur de réveiller
Violette pendant sa sieste. Si j’ai envie de lire, il n’y a pas de problème, je
ne fais pas de bruit, quand je recherche des recettes sur le Net non plus,
mais il est impossible d’inviter Clémentine si ma sœur dort. Elle a beaucoup
de difficulté à rester discrète, même si je le lui rappelle souvent. Les parents
de Clémentine travaillent et ne veulent pas qu’elle invite d’amis lorsqu’ils
ne sont pas là, alors la maison des jeunes est l’endroit le plus commode
pour se voir. Là-bas, on peut parler aussi fort qu’on le veut sans avoir peur
de déranger qui que ce soit. Et on est «surveillées», ce qui rassure nos
parents.
Charline est l’animatrice que je préfère, mais elle n’est pas là tous les
jours. Ils sont quatre animateurs en tout. Habituellement, il y en a seulement
un sur place, parfois deux. Ça change tout le temps. Certains jours,
Clémentine apporte ses crayons et son carnet de croquis et je la regarde
dessiner. Elle a un talent fou! Un après-midi, on a créé une bande dessinée
ensemble: j’écrivais les textes et elle réalisait les dessins. Nous avons eu
plein de beaux commentaires. Plus tard, Clémentine aimerait être graphiste
ou illustratrice de livres pour enfants. Je suis certaine qu’elle va réaliser son
rêve!
Maman est contente qu’on sorte un peu. Lili organise plein d’activités,
elle voit ses amies, elle fait toutes sortes de trucs, mais moi, je suis
beaucoup plus tranquille. Je crois que maman avait peur que je tourne en
rond dans la maison tout l’été.
Estelle est venue deux ou trois fois avec nous au Hameau, mais elle ne
s’y plaît pas tellement. Elle trouve qu’il y a trop de monde. Estelle préfère
passer du temps chez sa tante plutôt que d’aller à la maison des jeunes.
C’est vrai que c’est un peu intimidant d’être avec autant de personnes dans
la même pièce, mais nous arrivons presque toujours à trouver un petit coin
isolé pour jaser. Sinon, nous allons dans le parc derrière la maison des
jeunes. Avec ma sœur dans les parages et Clémentine, je me sens en
sécurité et je fais preuve d’une assurance qui m’étonne moi-même. Je suis
loin d’être devenue suuuuper extravertie, mais je ne marche plus la queue
entre les jambes.
J’avoue que je discute souvent avec François, Étienne et Luis qui sont
aussi des habitués. Luis vient moins régulièrement que les deux autres,
cependant. Étienne ne m’a jamais reparlé de la discussion que nous avons
eue dans le parc il y a quelques semaines, mais depuis, on dirait que nous
partageons ce secret.
Et puis, François et Étienne me font rire à s’agacer autant. Je ne savais
pas qu’ils s’entendaient aussi bien.
— Nous non plus… a pouffé François lorsque je leur ai fait la remarque.
Étienne l’a interrompu.
— En fait, on se parlait de temps en temps durant les cours de français et
de sciences parce qu’on était assis tout près.
— À la soirée d’essayage des costumes d’école, à la mi-juin, nous étions
dans la file l’un derrière l’autre avec nos parents, poursuit François. Il y
avait foule et nous avons attendu une heure pour payer. On en a profité pour
jaser… et faire des blagues! On s’est découvert une passion commune pour
le billard, les barres de chocolat Mars et les films de kung-fu!
Je n’ai pas osé leur dire que je ne savais pas ce qu’étaient les films de
kung-fu, mais je vais aller voir sur le Net pour ne pas passer pour une
nounoune la prochaine fois qu’ils en parleront. Déjà que je ne sais pas jouer
au billard… Étienne m’a réitéré son offre de me montrer, mais j’avais peur
qu’il rie de moi, alors j’ai refusé.
Justement, cet après-midi, ni Étienne, ni François, ni Luis ne sont à la
maison des jeunes. J’en profite pour demander à Romy, l’amie de ma sœur,
de m’apprendre. Je sais qu’elle a une table de billard chez elle, alors elle
doit savoir comment ça se joue!
— Je peux te dire les règles, mais je suis nulle à ce jeu. J’empoche
toujours la noire avant le temps!
Anaëlle, la nouvelle amie de Lili, s’immisce dans la conversation. Elle se
joint souvent à nous, ces dernières semaines.
— Je me débrouille pas si mal.
C’est une fille qui m’intimide un peu, sans que je comprenne exactement
pourquoi. Elle a l’air très sûre d’elle, encore plus que Lili. On dirait qu’elle
est beaucoup plus mature que nous, alors qu’elle a notre âge.
— Euh… OK.
Anaëlle me tend une queue de billard et entreprend de m’expliquer les
grandes lignes du jeu. (Le nom de cette baguette est trop drôle. Chaque fois,
j’essaie d’imaginer la taille de l’animal qui pourrait avoir une queue aussi
longue!) Ça ne semble pas trop difficile en théorie, mais en pratique, c’est
moins évident. La bille n’arrête pas de glisser quand j’essaie de la frapper.
— Mets un peu de bleu sur le bout de ta baguette, ça va aider. Lève ton
pouce et appuie bien la queue dessus.
Quand Anaëlle joue, ça semble simple, mais moi, j’ai de la difficulté à
faire entrer une bille dans le trou. Une fois sur deux, c’est une des siennes
que j’empoche!
— Tu peux essayer de faire une boucle avec tes doigts pour y glisser la
queue. Il y a des personnes qui préfèrent jouer ainsi.
Après deux parties, j’ai atteint mon quota pour la journée. Je me sens
nulle, hyper nulle. Anaëlle a beau me donner toutes sortes de trucs, je suis
pourrie.
Comme je rends les armes, Charline me fait signe qu’elle désire me voir.
Lili est déjà avec elle, bien affalée sur un sofa. Avant d’aller les rejoindre, je
me tourne vers Anaëlle.
— Merci pour la leçon, même si je suis une très mauvaise élève.
— Il n’y a pas de quoi. Avec un peu d’entraînement, c’est sûr que ton jeu
s’améliorera. Et un dernier conseil: si tu comptes jouer avec des gars, je te
suggère de ne pas mettre un chandail aussi décolleté, sinon ils vont avoir
une vue imprenable sur ton soutien-gorge mauve!
Oh, misère! Je sens mon cœur s’emballer et mes joues s’enflammer à la
seconde où je l’entends. Pourquoi ne me l’a-t-elle pas dit avant?
Pendant les douze pas qui me séparent du sofa où Charline et ma sœur
sont assises, j’essaie de me calmer du mieux que je peux. Ce n’est pas la fin
du monde si Anaëlle a vu mon soutien-gorge. Je vois le sien souvent. Elle
aime beaucoup porter de petites camisoles, des blouses semi-transparentes
ou des t-shirts échancrés. Je devrais être contente qu’elle m’ait donné une
aussi judicieuse recommandation. Mais j’ai honte quand même.
Je m’assois aux côtés de ma sœur et je lui prends la main. Ma paume est
un peu moite.
— Qu’est-ce qu’il y a? marmonne-t-elle.
— Rien, rien.
Elle me regarde droit dans les yeux, sachant très bien que quelque chose
me turlupine. Je soupire tout en portant instinctivement ma main à la
poitrine.
— Je te le dirai à la maison. Ce n’est pas grave.
Lili pince les lèvres. Elle doit se satisfaire de ma réponse, je ne lui
révélerai rien de plus dans l’immédiat. Pas devant Charline, c’est sûr. Je
suis déjà assez mal à l’aise comme ça.
— Clara, dit justement celle-ci, ta sœur et moi avons eu une super idée.
Oh, oh… Je regarde Lili en fronçant les sourcils. J’ai tendance à me
méfier des idées de ma sœur. Celle-ci lit sur mon visage comme dans un
livre ouvert.
— Ne t’inquiète pas, voyons! réagit-elle en serrant ma main plus fort.
— Dans deux semaines, il y aura l’épluchette du député. L’événement a
lieu chaque année dans le parc derrière la maison des jeunes, explique
Charline.
Je sais très bien de quelle épluchette il s’agit. Nous y allions souvent
quand on était petites. Il y a toujours d’énormes jeux gonflables pour les
enfants, des maquillages et parfois même une tyrolienne (j’avais peur d’y
monter, mais la plupart du temps, Lili réussissait à m’y traîner).
— Il y a du maïs et des hot-dogs distribués gratuitement. La maison des
jeunes a un kiosque sur place pour vendre des sacs de chips et des cannettes
de boissons gazeuses. Nous nous servons de cette occasion pour financer
une partie de nos activités. Habituellement, ça fonctionne plutôt bien.
Mais où veut-elle en venir? Et en quoi cela me concerne-t-il?
Lili poursuit:
— Nous avons pensé que tu pourrais faire des cupcakes que l’on vendrait
ce jour-là. Le Hameau paierait pour les ingrédients et les moules en papier.
Tu pourrais les préparer ici le matin même. Avec mon aide, bien sûr!
Lili sourit exagérément. Pour m’amadouer.
Confectionner des cupcakes pour les vendre? Je ne suis pas sûre d’aimer
cette idée. C’est rare que les personnes qui ne sont pas de ma famille ou de
mes amis mangent les desserts que je fais. Il y a bien eu le petit atelier de
cuisine que j’ai donné ici l’autre jour, mais c’était une exception. Pourquoi
ma sœur m’embarque-t-elle toujours dans ses folles idées? Elle a le don de
me déstabiliser. Surtout ces dernières semaines! Je prends deux grandes
inspirations en fixant un morceau de guirlande qui est toujours attaché au
plafond à l’autre bout de la pièce. Lili baisse la voix.
— Ça va bien aller, Clara. Et ça rendra un fier service à la maison des
jeunes.
Charline n’a pas l’air de saisir à quel point cette demande m’ébranle. Elle
doit croire que je veux juste me faire supplier un peu. Mais ce que je désire
le plus au monde, c’est ne pas me faire remarquer, me fondre dans la masse,
rester dans ma routine confortable.
— D’accord, murmuré-je, même si je n’en ai pas du tout envie.
Lili me serre dans ses bras.
— Je suis fière de toi, me chuchote-t-elle à l’oreille.
Fière! Et moi, suis-je fière de ce que je fais, ou de ce que je m’apprête à
faire? Je suis surtout très contrariée. La fierté ne fait pas vraiment partie de
mon vocabulaire ni de ma personnalité… Comme nous sommes différentes,
ma sœur et moi!
— Combien de cupcakes devrai-je faire?
— Si je tiens compte du nombre de boissons gazeuses et de sacs de chips
que nous avons vendus ces dernières années, je dirais qu’il en faudrait au
moins une centaine. Cent cinquante peut-être. Et nous prévoirons des
petites boîtes de carton si les gens veulent en acheter plusieurs pour les
emporter chez eux.
Cent cinquante! Ouf! C’est tout un défi qui m’attend. Serai-je capable de
le relever?
3 août

Frédéric m’a écrit ce matin. Son message, somme toute banal, m’a mise
un peu à l’envers malgré moi.

Bonjour miss Claquettes,


Fait-il aussi chaud chez toi que chez moi? Je n’ai qu’à
prononcer le mot «canicule» et je suis tout en sueur! Avez-vous
l’air conditionné? Je ne sais pas comment je vivrais sans. Nous
avons une piscine à la maison, mais parfois, je me rends aussi
à celle qui est située dans le parc en face de chez nous. J’aime
plonger du tremplin, ce que je ne peux pas faire à la maison
(nous n’avons pas de tremplin et notre piscine n’est pas
creusée). Je t’écris pour te dire que j’y ai justement rencontré
une fille. Sais-tu comment elle s’appelle? Tu ne le devineras
jamais. Summer! Ça veut dire été en anglais. Elle est
anglophone, mais elle parle très bien français. Elle a un accent
chantant que j’adore! Je pense que je suis amoureux. Elle est
tellement douce, tellement souriante. C’est un rayon de soleil!
Depuis une semaine, on est inséparables. Je ne pensais pas
vivre quelque chose d’aussi fort avec une fille.
Et toi, aucun garçon en vue?
Summer a un frère! Ha! Ha!
Fred
Je suis heureuse pour Frédéric. Je sais qu’il a eu de la peine quand je l’ai
repoussé… ou plutôt, quand je me suis sauvée. Son message me rappelle
comment je me sentais avec Grégory. Au début. Lunettes roses, papillons
dans l’estomac. C’était il y a si longtemps. Après, ça a été les montagnes
russes. Vais-je encore pouvoir me fier à un garçon? J’ai été tellement déçue!
Ça arrivera un jour ou l’autre, mais comment vais-je faire pour ne pas me
demander tout le temps s’il ne me ment pas? J’oublierai sûrement… En fait,
non, je n’oublierai pas, mais je finirai bien par faire de nouveau confiance
au fil du temps.
Même si ma vie amoureuse est d’un calme plat, il faut voir le côté positif
des choses. J’ai des amis super et une sœur que j’aime de tout mon cœur.
Mine de rien, on retourne à l’école dans moins d’un mois. Déjà! J’ai hâte de
recommencer la danse, mais pas les autres cours. Je ne m’ennuie pas du tout
de l’anglais ou des maths… J’espère que j’aurai des profs sympathiques, au
moins. Ça, c’est toujours une loterie… Ce sera agréable de retrouver toutes
les filles de danse-études et Louka. On se croise moins souvent l’été. Il n’y
a que Romy que je vois plusieurs fois par semaine. Et je parle pas mal aussi
avec Anaëlle que j’ai connue à la maison des jeunes. Mais Romy est et sera
toujours ma meilleure amie. Elle et moi sommes tout le temps sur la même
longueur d’onde. La «mésaventure Enzo» est loin et nous ne nous
laisserons plus reprendre de sitôt.
Je côtoie plusieurs garçons à la maison des jeunes, mais aucun ne
m’intéresse particulièrement. Il y en a de très gentils, mais ce ne sont que
des amis, rien de plus. Romy non plus ne m’a parlé d’aucun gars depuis le
début de l’été. Elle aussi reste prudente. Il n’y a pas urgence à se trouver un
chum, après tout.

Violette ressemble maintenant à un petit bouddha. Elle a quatre plis de


cuisse, mais surtout de grosses joues qu’on a envie de croquer. Elle adore
quand je fais des pets sur son ventre. Elle rit tellement! Ça fait du bien de la
voir de bonne humeur le jour, parce que la nuit… ouf! Cette petite
demoiselle est loin d’être un ange! Maman dit qu’elle ne dort que quelques
heures par nuit. Lorsque Violette est dans son parc, maman me laisse
parfois la surveiller et elle en profite pour faire un somme. C’est presque
comme si je gardais ma sœur. Par contre, c’est un peu dégueu, car elle bave
plus qu’un chien boxer. Elle cherche à tout mettre dans sa bouche et dès que
je la prends, je me retrouve avec le chandail à moitié mouillé. Il paraît
qu’elle est en train de faire ses dents.

Papa tombe en vacances vendredi à seize heures. «Je ne travaillerai pas


une seconde de plus!» répète-t-il presque tous les jours. Pas question qu’il
fasse des heures supplémentaires ce jour-là. Samedi, c’est l’épluchette et
dimanche, nous partons en camping au Parc national de la Mauricie. Papa
nous a dit qu’il y a des chutes super chouettes là-bas. On va se baigner dans
le lac et faire du canot. Ce qui est le plus amusant quand on fait du bateau,
c’est de chavirer! Chaque fois, Clara se retrouve au bord des larmes, mais
moi, ça me fait bien rigoler!
Après le camping, papa a prévu effectuer un peu de rénovations dans la
maison (encore!), mais il nous a dit qu’on fera plusieurs activités en famille
comme aller aux glissades d’eau, à la Ronde ou au ciné-parc. J’aime
beaucoup aller au ciné-parc, mais papa ne veut jamais rester pour le
deuxième film, il dit qu’il finit trop tard.
J’ai hâte. Ça va me faire du bien de changer d’air. J’aime fréquenter le
Hameau, mais j’ai envie d’être dépaysée. L’an dernier, nous sommes allés à
Cape Cod et c’était tout simplement wow! J’espère pouvoir dire la même
chose à la fin de l’été.
9 août

Je suis à la maison des jeunes depuis sept heures ce matin. Lili, Romy,
Clémentine et même Estelle sont venues pour m’assister. Personne ne se
tourne les pouces. Nous faisons cinq différentes sortes de cupcakes:
chocolat noir, framboises, citron, thé vert et noix de coco. J’ai aussi trois
saveurs de glaçage: vanille, érable et chocolat blanc.
Je découvre que posséder un esprit mathématique est indispensable
lorsqu’on fait de la pâtisserie à grande échelle. Premièrement, il faut être
bon en calcul mental, car il a fallu que je double et même que je triple les
quantités d’ingrédients de mes recettes. Deuxièmement, on doit optimiser
ses gestes pour réussir à tout faire dans les temps. Être doué en géométrie
est aussi nécessaire pour faire entrer le maximum de moules dans le four.
Cette semaine, pendant que je me creusais la tête avec les recettes (et que
je m’angoissais), je me suis demandé pourquoi Charline avait voulu que ce
soit moi, et non Marine, qui prépare ces cupcakes. C’est une vraie
pâtissière, elle, après tout! Quand j’ai fait part de ma réflexion à ma sœur,
elle m’a dit que Charline préférait sûrement que quelqu’un qui fréquente le
Hameau s’en occupe, pour montrer à la population de la ville les talents des
ados d’ici. Je pense surtout que ma sœur a dû encore vanter mes talents
auprès de Charline. Elle réussirait à vendre de la glace à un Inuit, celle-là!
Malgré l’air conditionné, il fait chaud ici, ce qui est normal puisque le
four fonctionne sans cesse depuis deux heures. Heureusement, j’ai empêché
Lili de faire une grosse gaffe, alors qu’elle allait mettre une demi-tasse de
bicarbonate de soude dans la recette de cupcakes aux framboises plutôt
qu’une demi-cuillère à thé! Je l’ai arrêtée juste à temps. Depuis, elle lave la
vaisselle et met les moules en papier dans les moules en métal. Du coup,
c’est beaucoup moins grave si elle fait une erreur! Elle s’est aussi
improvisée meneuse de claques («Go, go, go, les filles! On lâche pas! Vous
êtes bonnes!»), mais en fait, c’est un rôle qu’elle joue presque tout le temps.
Estelle a l’air très contente de nous voir. Elle l’a dit au moins quatre fois
depuis qu’elle est arrivée. Elle semble en forme. Finalement, le divorce de
ses parents est une des meilleures choses qui lui soient arrivées cette année.
Mais son père s’est fait une blonde et Estelle va très peu souvent chez lui…
— Il invente toujours des excuses pour ne pas me voir. Il doit travailler le
samedi… Karina − c’est sa blonde − l’a invité une fin de semaine au spa…
Il repeint le salon de son condo… Il n’a jamais le temps de s’occuper de
moi. Bah, ça ne me dérange pas trop. Je suis bien chez ma mère. Nous
avons notre petite routine, maintenant. On va souvent chez ma tante et je
m’entends bien avec mes cousines.
Elle me reparle du journal étudiant, mais je l’arrête. Je n’ai pas envie d’y
penser pour le moment. Je ne lui mentionne pas les poèmes que j’ai écrits
cet été. J’ai diminué la cadence, mais j’ai tout de même eu de l’inspiration:
j’en ai composé un sur les hérons et un autre sur mon admirateur secret. Ah
oui, un sur les feux d’artifice aussi. Mais ce n’est pas le temps d’en discuter.
Toutes nos minutes sont comptées.
Je n’aurais peut-être pas dû, mais j’ai décidé de mettre des fleurs en
fondant sur certains cupcakes qu’on vendra cinquante sous de plus. À part
les roses que Marine m’a appris à faire, je sais maintenant confectionner des
marguerites et des tulipes. C’est tout un travail de précision, mais ça vaut la
peine. Ce sera magnifique. En attendant de mettre les fleurs sur les petits
gâteaux, je les dépose délicatement dans les compartiments d’un carton à
œufs pour ne pas qu’elles se touchent.
Je montre à Romy, qui est la plus habile, comment se servir de la douille
pour garnir de glaçage les premiers cupcakes. Elle se débrouille bien.
La porte du local s’ouvre. Il est censé n’y avoir personne d’autre que
nous ici, car la maison des jeunes est habituellement fermée à cette heure.
— Salut, les filles!
Je lève la tête. Ce sont Étienne et François. Que font-ils ici? Je le leur
demande.
— Tu n’as pas envie qu’on te donne un coup de main? me répond
François avec un grand sourire.
— On s’en sort très bien, merci.
Étienne met la main sur l’épaule de François.
— Nous ne sommes pas là pour vous embêter, ne t’inquiète pas. Charline
nous a dit de passer de bonne heure pour commencer à installer le kiosque.
Il faut transporter jusqu’au parc des tables, la caisse enregistreuse, les
glacières et monter le chapiteau.
Pendant qu’Étienne parle, François jette un coup d’œil aux cupcakes,
humant leur parfum sucré. Il fait mine de vouloir toucher à l’un d’entre eux
quand ma sœur surgit à ses côtés et lui donne un coup sec de cuillère sur les
doigts.
— Pas touche!
Je souris. Bien fait pour lui! Je me tourne vers Étienne qui me fait un clin
d’œil. Ma respiration s’arrête un quart de seconde.
— Nous allons vous laisser travailler. À plus tard!
Tandis qu’ils s’éloignent vers le petit bureau des animateurs où est
Charline, je reste songeuse. Je trouve Étienne parfois un peu étrange. Non,
étrange n’est pas le mot juste… J’ai l’impression qu’il y a plein de choses
qu’il ne dit pas à voix haute, qu’il garde pour lui. Au début, je croyais qu’il
était taciturne, mais il est plutôt énigmatique. Oui, c’est ça. À bien y penser,
je dois l’être aussi pour plusieurs personnes. On se ressemble donc sur ce
point.
Je me secoue. Je dois cesser de réfléchir à toutes ces choses si je ne veux
pas prendre du retard. Allez, hop! Au boulot!
9 août

Les cupcakes de ma sœur sont magnifiques. Nous sommes restées en


extase à les regarder une bonne minute lorsqu’ils ont tous été terminés. Il y
a cent soixante de ces merveilles et je suis certaine qu’ils vont s’envoler
comme des petits pains chauds!
— Je savais que tu y arriverais, ai-je dit à Clara en la serrant dans mes
bras.
— Tu es bonne, car moi, je n’étais sûre de rien du tout.
Ma sœur est toujours tellement optimiste…
Je mets six cupcakes de côté dans le frigo pour les apporter à nos parents
à la fin de l’après-midi. En prenant bien soin de ne rien laisser tomber, nous
transportons nos précieux gâteaux au kiosque de la maison des jeunes.
À l’entrée du parc, de gros haut-parleurs crachent des chansons d’une
autre époque. Par chance, ils sont assez loin de nous, donc la musique qui
grésille ne nous casse pas trop les oreilles. Je ne sais pas qui est le DJ, mais
il n’est pas très professionnel. Il n’entend pas qu’il y a autant de friture que
de musique!
Il est près de midi. La fête bat déjà son plein. De bon cœur, des gens
épluchent les épis de maïs et jettent la «barbe» et les feuilles dans de
grosses poubelles. Il doit bien y en avoir quelques centaines à préparer.
D’immenses marmites remplies d’eau sont déjà sur le feu. Du coin de l’œil,
je vois un homme habillé un peu plus chic que les autres qui serre des
mains. Sûrement le député. Plusieurs familles sont déjà installées un peu
partout avec leurs chaises pliantes. Je sens les regards nous suivre lorsque
nous passons. J’entends aussi des petites voix aiguës autour de nous.
«Maman! J’en veux! J’en veux! Maman!» C’est bon signe!
Le chapiteau du Hameau est assez spacieux. Nous sommes une dizaine
de personnes à y travailler. Ma sœur, Romy, Clémentine et moi sommes
responsables de la vente des cupcakes et les autres s’occupent des boissons
gazeuses et des chips. Estelle n’est plus des nôtres, elle a préféré rentrer. Je
la trouve pas mal «casseuse de party» celle-là… mais bon, Clara l’aime
bien.
François et Étienne sont là, tout en sueur d’avoir trimballé les poteaux du
chapiteau, les boîtes de boissons gazeuses, les glacières, les sacs de glace…
Il y a d’autres ados un peu plus âgés que nous que je connais seulement de
vue. Anaëlle aussi est venue. Elle porte des shorts hyper courts. Les garçons
n’arrêtent pas de regarder ses fesses et ses cuisses, mais elle n’a pas l’air
mal à l’aise de toute cette attention, au contraire. Charline est bien
évidemment présente ainsi qu’un autre animateur que tout le monde appelle
Lolo. Je ne connais pas son vrai nom, peut-être est-ce Laurent. Ou Loïc…
François semble être un gai luron. Après avoir voulu enfoncer son doigt
dans le glaçage d’un cupcake tantôt, il continue de blaguer.
— Les filles, je ferais tout pour goûter un de vos cupcakes. Clara! Lili!
Ayez pitié! Nous avons travaillé fort ce matin!
— Nous aussi, tu sauras. Il n’y a de traitement de faveur pour personne,
répond Clémentine en se postant devant l’un des plateaux de peur qu’il n’en
dérobe un dès que nous aurons tourné le dos.
Il se met à genoux, fait semblant de pleurer, tente le chantage, les
flatteries, demande à Étienne de plaider en sa faveur… Il ne manque pas
d’imagination!
Les gens commencent à se presser devant le kiosque de la maison des
jeunes. Ils tiennent souvent un ou deux épis de maïs dans une petite assiette
en carton détrempée de beurre. Il se vend d’abord beaucoup de chips et de
boissons gazeuses, mais, peu à peu, les cupcakes sortent. On se marche sur
les pieds à l’intérieur du stand.
C’est Charline qui est responsable de l’argent et elle est vite débordée.
Nous aurions besoin d’avoir deux caisses enregistreuses, mais nous n’en
avons qu’une seule.
— Tiens, voici deux dollars pour un cupcake, Charline!
— Charline! J’ai besoin de rendre la monnaie sur dix dollars. C’est pour
deux sacs de chips et une cannette de Pepsi.
— Charline, le monsieur a seulement un billet de cinquante dollars. Est-
ce qu’on l’accepte?
C’est une vraie cacophonie. Charline doit avoir le cerveau complètement
saturé!
En voulant prendre des sacs de chips pour les poser sur la table, Étienne
en fait tomber quelques-uns sur le sol.
— Laisse, je vais les ramasser, lui dis-je.
Comme je me penche, je vois la main de quelqu’un prendre un billet dans
la caisse et le fourrer dans la poche de ses shorts. Je n’ai même pas besoin
de me relever pour savoir de qui il s’agit: Anaëlle!
Je me redresse et je vois que Charline est occupée à compter la monnaie
d’une fillette. Elle a laissé ouvert le tiroir de la caisse quelques instants. Je
n’en reviens pas qu’Anaëlle ait pigé dans la caisse impunément. Tout le
monde est absorbé, personne d’autre que moi n’a semblé remarquer le vol,
même si nous sommes plusieurs dans le kiosque.
Anaëlle fait comme si de rien n’était. Ai-je bien vu? J’en doute
presque… Non, elle a vraiment dérobé de l’argent, je ne peux m’être
trompée. Et moi qui m’entendais bien avec elle! Que dois-je faire? La
dénoncer à Charline et à Lolo? Ils n’auront pas le temps de gérer ça en
plus… Et je n’ai aucune preuve. Elle pourrait très bien dire qu’elle avait
déjà cet argent. Je ne sais même pas si elle a pris un billet de cinq, dix ou
vingt dollars. Ce serait ma parole contre la sienne. J’ose à peine imaginer la
réaction d’Anaëlle. Elle ne se laisserait pas accuser sans réagir. C’est une
fille qui a du caractère, ça risque d’être explosif.
Romy me secoue le bras.
— Hé! Oh! Lili, sors de la lune.
Ce n’est pas le moment de perdre mon temps, on a trop besoin de moi. Je
suis si ébranlée par ce que je viens de voir que j’ai de la difficulté à me
concentrer. Il faut que je prenne sur moi avant de laisser tomber un cupcake
dans le gazon.
Charline vient me voir en coup de vent.
— Lili, on manque de chips. Pourrais-tu aller à la maison des jeunes
chercher deux autres boîtes? Elles sont dans le bureau des animateurs, tu les
repéreras facilement.
Elle me donne la clé de la porte et retourne s’occuper de la caisse.
— J’y vais avec toi, propose Anaëlle. De toute façon, je dois passer par
les cabinets. Pas envie d’aller dans les toilettes chimiques qu’il y a ici.
Pouah!
Merdouille! Clara se tourne vers moi avant que je quitte le kiosque. Elle
a senti que quelque chose me tracasse. Je vois ses lèvres former en silence
la phrase «Qu’est-ce qui se passe?», mais je ne peux lui répondre devant
tout le monde. Elle me regarde m’éloigner, l’air inquiète.
La poche des shorts d’Anaëlle est comme un aimant pour mes yeux.
J’essaie de voir si je n’y remarquerais pas le renflement du billet de banque
qu’elle a volé, mais bien entendu, je ne distingue rien du tout. Nous restons
silencieuses pendant le trajet.
Je récupère les boîtes pendant qu’Anaëlle va au petit coin. Elles sont
volumineuses, mais très légères. Anaëlle revient, le sourire aux lèvres. Elle
doit être fière de son coup. Elle pense que personne ne l’a vue. Je meurs
d’envie de la mettre au pied du mur. Du coup, il me revient en tête tout ce
qui s’est passé l’automne dernier avec les AA, les filles de danse-études qui
m’intimidaient. J’ai essayé de régler les choses moi-même et ça a été
désastreux. Mais c’est plus fort que moi, je suis incapable d’ignorer le geste
d’Anaëlle. Sans que je le prémédite vraiment, les paroles sortent toutes
seules de ma bouche.
— Je t’ai vue voler dans la caisse tantôt.
Anaëlle ouvre la bouche et écarquille les yeux. Elle ne s’attendait pas du
tout à ce que je lui dise ça. Elle s’apprête à me répondre puis se ravise. Son
visage se ferme et elle expire bruyamment par le nez tout en pinçant ses
lèvres. Elle a l’air très fâchée. Puis, sans que je m’y attende, elle change
complètement d’attitude et je vois tout son corps se relâcher. La colère
laisse place à la provocation.
— Je pense que ça ne servirait à rien que je le nie, si tu m’as vue. Qu’est-
ce que tu comptes faire?
— Je pourrais te retourner la question.
Elle me lance un sourire narquois.
— Tu sais, c’est ta parole contre la mienne.
Je savais qu’elle allait me sortir ça. J’ai pensé exactement la même chose
un peu plus tôt.
— Peut-être, mais quand Charline et Lolo compteront l’argent de la
caisse, ils verront bien que ça ne balance pas.
— Quelqu’un pourrait avoir fait une erreur. Ma sœur est caissière à
l’épicerie et c’est très rare que la caisse balance à la cenne près.
Je sens qu’on peut discuter longtemps. J’étais sûre que ça ne serait pas
simple…
— Si tu ne remets pas l’argent, je te dénonce à Charline.
Elle a l’air peinée par ce que je viens de dire.
— Je pensais qu’on s’entendait bien toutes les deux…
— Je le croyais aussi, mais je n’approuve pas ton geste. C’est du vol et ce
n’est pas correct.
Anaëlle ne semble pas savoir quoi faire. Et franchement, je doute un peu
de ce que je vais faire moi-même. Vais-je avoir le courage d’aller voir
Charline comme je viens de le dire? Je n’en sais rien…
Anaëlle sort un billet de vingt dollars de sa poche et le lance rageusement
sur le sol.
— Tiens, le voilà!
Et elle s’enfuit en courant. Je ramasse le billet et j’essaie de la rattraper.
Je m’arrête sur le pas de la porte en voyant qu’elle ne retourne pas au
kiosque dans le parc. Je regarde l’argent dans ma main. Qu’est-ce que je
fais avec ça, maintenant? Je range le billet dans ma poche et je retourne à la
fête avec les boîtes de chips.
Je crois que je viens de perdre une amie… Au fond, je ne sais pas si
Anaëlle était déjà une amie, mais elle aurait pu en devenir une. Maintenant,
c’est foutu. Tout ça pour vingt malheureux dollars. C’est dommage. Je suis
déçue et un peu fâchée aussi.
Je ne comprends pas pourquoi elle a volé cet argent. Ses parents sont-ils
pauvres? Mange-t-elle à sa faim? A-t-elle besoin de s’acheter quelque chose
ou voulait-elle seulement se payer un peu de luxe? Peut-être a-t-elle pris le
billet sur l’impulsion du moment parce qu’elle en avait l’occasion…
De retour au stand, je ne sais toujours pas comment remettre l’argent.
Est-ce que je dis à Charline que c’est Anaëlle qui l’a pris ou est-ce que je la
couvre? Finalement, je ne la dénonce pas. Je fais semblant d’avoir trouvé le
billet par terre et je le donne à Charline.
— Merci! Je ne m’en étais pas du tout rendu compte! Je suis contente
que tu l’aies vu. On voit bien que tu es honnête.
Cette dernière phrase me blesse comme un poignard. Oui, j’ai remis
l’argent, mais je n’ai pas dit la vérité à Charline et je me sens terriblement
coupable. Maintenant, il est trop tard. J’aurais dû y penser avant.
J’ai hâte que la journée soit terminée, j’ai juste envie de retourner à la
maison.
10 août

Papa conduit, Lili dort, Violette gazouille et maman fredonne une vieille
chanson de Jean Ferrat. «Le vent dans tes cheveux blonds / Le soleil à
l’horizon / Quelques mots d’une chanson / Que c’est beau, c’est beau la
vie!» Elle doit être profondément de bonne humeur pour chanter ainsi,
parce que ce n’est pas le genre de choses qui arrive tous les jours!
Papa met sa main sur la cuisse de maman. Ils ont l’air de jeunes
amoureux. C’est chouette de les voir ainsi.
Je crois que maman est contente de sortir de la maison et partir en
vacances, même si ce n’est que pour quatre jours. Il y a quelque temps, elle
nous disait qu’elle aimait bien être à la maison avec Violette, mais qu’elle
trouvait ça difficile de ne pas voir d’autres personnes comme lorsqu’elle
travaillait. Elle va dîner avec des copines à l’occasion, mais aucune d’elles
n’a de jeunes enfants. Maman est une femme d’action qui adore son travail,
alors ce n’est pas facile d’arrêter du jour au lendemain. Le fait qu’elle ait
appris sa grossesse à plus de quatre mois n’a pas dû aider non plus! Ses
yeux brillent quand quelqu’un du bureau l’appelle pour lui poser une
question. Elle est super enthousiaste, prend des nouvelles de ses collègues
et parle en long et en large des projets en cours. La semaine dernière, elle a
discuté une heure au téléphone. Maman m’a même permis de donner les
céréales à Violette pendant ce temps-là. J’étais tout excitée, c’était la
première fois!
Les émotions de maman sont souvent en dents de scie et j’ai parfois de la
difficulté à la suivre. Certains jours, elle est hyper contente et le lendemain,
elle est impatiente ou complètement découragée. J’ai l’impression que les
nuits de Violette l’influencent beaucoup. Parfois, ma sœur dort neuf heures
d’affilée, mais d’autres nuits, elle se réveille toutes les deux heures. C’est
compliqué et ça demande beaucoup d’énergie, un bébé!
— Qu’est-ce que tu en penses, toi, Violette? lui chuchoté-je à l’oreille.
Ma petite sœur bave en guise de réponse et attrape mon doigt pour le
fourrer dans sa bouche. Aïe! La coquine commence à avoir des petites dents
et ça pince!
Je regarde par la fenêtre le paysage défiler. Des arbres, des arbres, des
arbres… J’ai hâte de voir le camping. J’espère que l’eau du lac sera assez
chaude pour qu’on puisse se baigner.
Ce sera agréable de nous retrouver en famille. Ce matin, Lili était encore
ébranlée de ce qui s’est passé hier avec Anaëlle, mais je suis convaincue
qu’elle va être capable de mettre cette histoire de côté pour profiter des
prochains jours. Nous allons tellement nous amuser qu’elle n’aura pas le
choix de savourer ces beaux moments!
30 août

Les vacances sont bel et bien terminées. Nous sommes retournées à


l’école hier matin, en nous traînant un peu les pieds. Il faut que je me
réhabitue à me lever de bonne heure et surtout à ne pas lire jusque tard dans
la nuit.
C’est drôle, quand l’autobus m’a déposée devant le collège hier, il m’a
paru moins imposant que l’année dernière. Et j’étais presque contente
d’enfiler mon costume. Il fait un peu partie de mon identité, maintenant.
J’aime voir mes cahiers et mes crayons tout neufs dans mon sac, mais c’est
déprimant de penser qu’il reste encore cent soixante-dix-neuf jours de
classe avant l’été prochain…
J’ai beaucoup aimé mon été. Finalement, je me suis plu à la maison des
jeunes. J’ai pu passer plus de temps avec ma sœur et Clémentine, et je me
suis bien entendue avec Romy. J’ai enfin appris à jouer au billard, même si
je suis encore trèèèèès mauvaise. Étienne et François, avec qui j’ai joué
deux ou trois fois, n’ont jamais ri de moi, à mon grand soulagement. Au
contraire! Il y avait une sorte de compétition entre les deux pour savoir
lequel me donnerait les meilleurs trucs. Ils sont toujours en concurrence, ces
deux-là! Je ne pensais pas devenir amie avec des garçons. Quant à Luis, je
ne sais presque rien de lui encore.
François est exubérant et blagueur tandis qu’Étienne, même s’il a un bon
sens de l’humour, est plus réservé. On se comprend souvent sans même se
parler. François est encore dans mon groupe cette année, mais pas Étienne.
En fait, Étienne et moi sommes ensemble seulement dans l’option musique,
mais on n’a pas vraiment l’occasion de parler.
Estelle est toujours dans mes cours, mais pas Clémentine, à mon grand
malheur. J’ai à peine dormi la nuit dernière tellement cela m’a bouleversée.
Elle a passé une heure à essayer de me consoler, sans trop de succès.
— Nous allons nous voir tous les matins, aux pauses, aux dîners… On
continuera de se parler au téléphone plusieurs soirs par semaine et on
s’écrira plein de petits mots. Je te ferai des dessins rigolos, tu me montreras
tes poèmes comme avant… Ne t’inquiète pas.
Mais je m’inquiète quand même, comme toujours. À l’école, Clémentine
est mon phare. Moi, je suis un bateau à la dérive. Estelle aussi est un bateau.
C’est difficile de me fier à elle pour repérer le bon chemin. À deux heures
du matin, j’ai justement rédigé un poème en m’inspirant de cette image…
Je pensais qu’écrire m’aiderait à trouver le sommeil, mais ça n’a pas été très
concluant.
J’aurais dû supplier maman pour qu’elle fasse une demande à la direction
du collège afin que je sois dans le même groupe que Clémentine. Elle aurait
peut-être accepté. Mais maintenant, il est trop tard et c’est ma faute.
1er septembre

Estelle a commencé l’année en lion. Ça fait déjà deux jours qu’elle me


parle du journal étudiant. À partir de cette année, le journal continuera
d’être vendu en format papier, mais il sera aussi disponible sur le Net. Ce
sont des élèves de cinquième secondaire de l’an dernier, dans l’option
informatique, qui ont mis sur pied la plateforme. Estelle m’a presque traînée
de force à midi au local d’informatique pour me la montrer. Chaque
journaliste aura sa page le présentant, tous les articles seront disponibles
pour consultation, et il y aura même une section où les élèves de l’école
pourront écrire des commentaires.
— Ce sera un journal 2.0! Tu imagines! Il y a très peu d’écoles au
Québec qui ont ce privilège.
Je ne sais pas ce que signifie 2.0, mais je ne lui ai pas dit de peur d’avoir
l’air stupide. J’ai tout de suite mis au clair qu’il n’y aura aucune photo de
moi sur la page de Noisettine et qu’aucune information susceptible de
m’identifier ne sera fournie. Je ne veux même pas qu’on divulgue que je
suis une élève de deuxième secondaire. Par chance, mon amie n’y voit pas
d’inconvénient. Elle se doute bien que si elle refuse, je cesserai d’écrire
pour le journal.
— Et que dirais-tu de publier un poème toutes les deux ou trois semaines
plutôt que chaque mois? Est-ce que tu serais capable? Le rédacteur du
journal voudrait qu’on alimente régulièrement le site en articles et en photos
de tous genres pour que les élèves le consultent souvent.
— Je ne crois pas qu’il y aura de problème.
— Super! Est-ce que tu pourrais m’envoyer ton premier texte dès la
semaine prochaine? On a hâte d’inaugurer la version Web, mais on n’a pas
encore beaucoup de contenu. Quand le journal sera en ligne, le directeur de
l’école l’annoncera à l’interphone. C’est cool, n’est-ce pas?
Je ne suis pas aussi enthousiaste qu’Estelle au sujet du journal 2.0. Mon
usage d’Internet est assez limité. À part pour envoyer des courriels à Lili ou
à Clémentine (rarement à Estelle), ou pour chercher des recettes, je n’y vais
que lorsque j’ai de l’information à trouver pour des travaux scolaires.
Je ne suis pas une ado branchée et, à vrai dire, je ne m’en porte pas plus
mal. Ma sœur a insisté pour que j’aie un profil Facebook, mais ça ne me dit
rien. Je ne parle à personne (ou presque) dans la vraie vie, je n’irai pas
étaler mes sentiments sur le Net pour une foule de «faux» amis. Lili a
essayé de me convaincre que c’était plus facile de s’ouvrir sur Internet
parce qu’on ne voit pas les autres et qu’ils ne nous voient pas, mais elle n’a
pas réussi à me persuader.
Quel sera le sujet de mon premier poème pour le journal? J’ai encore le
temps d’y réfléchir. La rentrée me fait vivre tellement d’émotions que je
suis sûre de ne pas manquer d’inspiration!
3 septembre

Il y a quelques jours, lorsque j’ai su que nous n’allions pas faire de ballet
jazz cette année, j’ai eu envie d’exploser.
— Hein? Ça ne se peut pas, voyons!
Tout le groupe était aussi sous le choc que moi. C’est mon style de danse
préféré et celui de la majorité des filles aussi.
Madame Loiseau, la directrice de l’école de danse, faisait tout son
possible pour nous calmer, mais c’était un vrai brouhaha dans le local. Ça se
comprend, plus de cinquante élèves qui chahutent tous ensemble, ça
dérange pas à peu près! Finalement, Élise, notre prof de claquettes, a réussi
à capter l’attention de tout le monde.
— S’il n’y a pas de ballet jazz, c’est que Mika est en retrait préventif en
raison de sa grossesse.
Plusieurs ont soupiré un «Ooooooh!» mélodieux. Ça paraît qu’on est
majoritairement des filles!
Comme le silence était presque revenu, madame Loiseau a pu poursuivre:
— J’ai pris la décision de ne pas offrir de cours de ballet jazz cette année
pour la bonne raison que j’ai trouvé un très bon professeur pour remplacer
Mika, mais sa spécialité est le… hip-hop. Ce sera donc le hip-hop qui vous
sera enseigné à la place du ballet jazz. Vous pourrez vous familiariser avec
ce style de danse et je suis sûre que vous aurez beaucoup de plaisir.
Emmanuel est un excellent danseur. Vous ne serez pas déçus.
J’ai écarquillé les yeux. Un gars? Nous allions avoir un prof gars? Pour
vrai? Cool! Mais pourquoi n’était-il pas là? Je ne devais pas être la seule à
me poser la question, car madame Loiseau a ajouté quelques secondes plus
tard qu’Emmanuel avait des engagements à l’extérieur de la province et que
nous pourrions le rencontrer dans quelques jours. Tout à coup, j’ai pensé à
Anaëlle. Au début de l’été, une des premières fois qu’on s’est vues, elle m’a
dit qu’elle faisait du hip-hop. Après ce qui s’est passé à l’épluchette de blé
d’Inde, on ne s’est plus reparlé. C’est dommage. Elle aurait pu me montrer
des trucs intéressants pour que je prenne un peu d’avance sur les autres.

C’est donc cet après-midi que nous rencontrons le fameux Emmanuel


pour la première fois. Romy est folle comme un balai.
— Relaxe! C’est un prof, rien de plus!
— Oui, mais il est peut-être beau, sexy. Imagine! Suivre le cours d’un
prof qui est un méchant pétard, c’est pas mal plus intéressant.
— Pas sûre… À te voir saliver comme tu le fais, ce serait plus dérangeant
qu’autre chose!
Les filles se dépêchent pour se changer. Il y a de la fébrilité dans l’air.
Même Louka a l’air impatient de faire sa connaissance. Il n’a jamais eu un
homme comme professeur de danse, bien qu’il suive des cours depuis qu’il
est tout petit.
— Les filles n’ont pas le monopole de cette discipline, qu’il me dit.
Presque tout le monde pense qu’il n’y a que les filles qui aiment danser,
mais c’est faux.
— Je n’ai jamais affirmé le contraire. Des Louka comme toi, même s’il y
en avait mille, ça ne me dérangerait pas!
La première chose que je pense en voyant notre prof de hip-hop, c’est
wow! Je garde le silence, car ma mâchoire tombe en entrant dans la pièce.
C’est lui, notre prof? Pincez-moi quelqu’un! Je rêve! On dirait un acteur
d’Hollywood!
Il doit avoir autour de vingt-cinq ans. Il est assez grand, athlétique sans
être hyper musclé. Ses cheveux bruns sont très courts, il a une barbe de
deux ou trois jours… Et ses yeux! Ses yeux sont très foncés, noirs ou bruns,
je ne sais pas, et son regard est perçant. On dirait qu’il est capable
d’analyser les gens d’un simple coup d’œil. Il a l’air tellement sérieux…
Je me demande ce qu’il pense de nous. Il doit se dire qu’on est juste une
gang de petites filles. Il a deux fois notre âge, quand même. On a beau être
en pâmoison devant lui, il ne faut pas se faire d’illusion: il est là pour nous
enseigner à danser, pas plus.
— Bonjour gang, je m’appelle Emmanuel Bouliane. Je danse le hip-hop
depuis que je suis petit et ça fait quatre ans que je l’enseigne. J’ai participé
à plusieurs compétitions au Canada et aux États-Unis. Cette année, je vais
vous montrer les bases du hip-hop. On verra différents styles comme le
locking, le popping, le krumping et le breakdance. Nous danserons sur de la
musique hip-hop, évidemment, mais aussi sur du funk et du R&B.
Son regard se fait un peu plus sévère.
— J’ai la réputation d’être un prof exigeant, ce qui est vrai. Mes cours
sont construits selon deux principes auxquels je tiens plus que tout: respect
et efforts. Des questions?
D’accord, il est beau, mais il est brusque. Je m’attendais à ce qu’il soit
doux, mais c’est tout le contraire. J’ai intérêt à mettre les bouchées doubles
dans ce cours si je ne veux pas qu’il me prenne en grippe.
Et qu’est-ce que le locking, le popping, le krumping? J’ai l’impression
que c’est du chinois! Je sais, je sais, ce sont des mots anglais, mais je n’y
comprends rien. Je m’encourage en me disant que je ne dois pas être la
seule ignorante du groupe, car toutes mes amies ont l’air aussi déroutées
que moi.
15 septembre

Au rez-de-chaussée, maman berce Violette qui pleure à fendre l’âme.


Elle souffre d’une otite. Les antibiotiques que le médecin lui a prescrits
aujourd’hui n’agissent pas encore. Pauvre petite puce, ça me brise le cœur
de l’entendre. J’essaie de me concentrer sur mes devoirs, mais c’est très
difficile.
— As-tu du chocolat? me demande Lili qui vient de passer de mon côté
de la chambre.
— Il doit sûrement m’en rester deux ou trois carrés dans mon tiroir.
Donne-m’en un en passant, ça ne me fera pas de tort.
Elle soulève les feuilles de papier qui s’amoncèlent dans mon bureau et
me tend un morceau de ce petit bonheur sucré. Mmm! Ça fait du bien!
— Toi aussi tu es à l’envers d’entendre Violette pleurer?
Je hoche la tête.
— Elle hurlait déjà ce matin quand on est parties pour l’école. Maman
devrait se mettre des bouchons, ça n’a pas de bon sens.
Au moment où je prononce ces paroles, les pleurs se calment. J’espère
que Violette s’est endormie. À moins que maman ne l’ait cachée dans le
garde-manger pour avoir une pause!
Lili n’a pas l’air d’avoir le moral. Il y a autre chose que Violette qui la
dérange.
— Qu’est-ce qui se passe?
— Je ne peux rien te cacher, à toi… C’est Frédéric. Tu sais, le gars de
Gatineau. Il m’a écrit tantôt.
— Il t’a fait une autre déclaration d’amour?
— Au contraire. Il me parle de son histoire avec une fille qui s’appelle
Summer. Il est super gentil, mais j’ai l’impression qu’il tourne le fer dans la
plaie. Comme pour me dire: tu n’as pas voulu de moi, regarde comme je
suis heureux maintenant et pas toi.
— Es-tu si malheureuse que ça de ne pas sortir avec lui?
— Non, mais ça me fait tout de même un petit pincement. Il a une
blonde, il l’aime, elle l’aime, et moi je suis toute seule comme un pou.
— Les poux ne sont jamais seuls, tu sais bien.
— Aaah! Tu comprends ce que je veux dire. Je suis toute seule comme…
comme… toi, tiens!
— C’est gentil pour moi encore!
— Je blague.
— Ouin… Il me semblait que tu ne voulais pas avoir de chum tout de
suite.
— C’est vrai… Mais je suis tristounette. J’ai le droit, non? As-tu d’autres
choses à grignoter quelque part? J’ai le goût de manger mes émotions.
— Non, désolée, ma réserve est à sec.
— Bon… Je vais aller de mon côté. J’ai deux chapitres de roman à lire
pour demain et je n’ai lu que trois pages.
Lili se traîne les pieds jusqu’à son lit pendant que je retourne à mes
exercices de mathématiques, mais je n’arrive toujours pas à me concentrer.
J’ai aussi un roman policier de Jean Lemieux qui m’attend, mais,
bizarrement, je n’ai pas envie de lire non plus. On dirait que rien ne me
tente…
Je vais m’asseoir à mon bureau et j’allume l’ordinateur. Je me demande
si le site du journal étudiant est opérationnel. Il devait l’être hier matin,
mais il y a eu un bogue informatique.
Tiens, je suis capable d’y accéder. J’ai hâte de voir mon poème à l’écran.
J’ai envoyé à Estelle celui que j’avais écrit un peu plus tôt cet été sur les
feux d’artifice. Je le trouve rapidement. Je relis mon texte. Aucune faute de
frappe, c’est déjà un bon début. La mise en pages est simple et épurée, la
police de caractère est jolie. Quelqu’un a ajouté une photo d’un feu
d’artifice à gauche du poème. Bof… Je n’en vois pas vraiment l’utilité,
mais ce n’est pas quelque chose qui me dérange non plus.
Au bas de la page, il y a un petit formulaire pour écrire un commentaire.
Il y en a déjà trois. Le premier, c’est celui de Clémentine. Quel beau poème!
On croirait entendre les feux éclater! C’est une petite vite, celle-là! Le
deuxième est signé Li2: C’est le plus beau poème que j’aie jamais lu! Je
sourcille. Lili m’écrit parfois des petits mots qu’elle signe ainsi. Elle fait ça
depuis que notre prof nous a parlé des exposants en sixième année. Est-ce
que c’est vraiment elle qui m’a laissé un message? Comment a-t-elle appris
l’existence du site puisque je ne lui en ai pas parlé?
Je m’étire pour regarder ma sœur. Elle tient son livre d’une main et bâille
en mettant son autre main devant sa bouche. Sa lecture a l’air très
passionnante…
— Lili, est-ce que Clémentine t’aurait écrit ce soir, par hasard?
Elle lève les yeux de sa page et acquiesce en souriant. Je le savais!
— Elle t’a envoyé le lien avec mon poème, c’est ça?
Elle hoche de nouveau la tête. Pas de doute, Li2 est ma sœur.
— Tu ne trouves pas que tu as un peu exagéré? Le plus beau poème que
tu as lu? Tu aurais pu faire mieux.
— Tu veux que les gens te lisent ou non?
— Bah, ça m’importe peu à vrai dire. Je…
J’allais ajouter quelque chose, mais je m’arrête net. Je viens de lire le
troisième et dernier commentaire. Heureux de te retrouver. Ton A. S.
A. S.: Admirateur Secret.
Tout à coup, je sens mon cœur qui bat plus fort dans ma poitrine. Je suis
tout énervée. Je n’en reviens pas que ce garçon apprécie autant mes
poèmes. L’été s’est écoulé et son intérêt est resté le même.
Lili passe derrière moi pour aller à la salle de bain. Elle s’étire pour
regarder par-dessus mon épaule. Elle est drôle, ma sœur! Comme si j’avais
quelque chose à lui cacher. Elle lit la phrase qui est à l’écran et se tourne
vers moi.
— Je comprends maintenant pourquoi tu es bouche bée.
— Toi aussi, tu penses que c’est lui?
— A. S.! Il me semble que c’est clair. À moins qu’il y ait un Antoine
Sicotte, un Antony Saint-Germain ou un Adam Santerre à ton école.
Connais-tu un garçon qui a ces initiales?
— Non, je ne pense pas.
— Il est évident que ce gars t’a écrit quelque chose que toi seule peux
comprendre.
J’éteins l’ordinateur et je me prépare à aller au lit. Je continue de penser à
ce garçon inconnu. Il y avait plusieurs semaines que je l’avais relégué dans
un coin obscur de mon cerveau, mais avec ce petit mot, il vient de repasser
au premier plan.
Au salon, Violette recommence à pleurer. Je sens que la nuit va être
longue…
17 septembre

Avec le début des classes, nous ne sommes pas retournées au Hameau


depuis près de deux semaines. Cet après-midi, il y a un tournoi de
volleyball organisé au parc et Lili tient mordicus à y être. Il devait avoir lieu
au mois d’août, mais cette journée-là, il y a eu un gros orage. Ma sœur n’est
pas particulièrement bonne dans ce sport, mais dès qu’elle a l’occasion de
bouger, elle exulte.
On dirait que tous les jeunes de la ville se sont donné rendez-vous ici ce
samedi. Deux filets ont été dressés dans le parc. Les animateurs de la
maison des jeunes prennent les inscriptions et forment les équipes.
Dans la ligne pour donner mon nom, je craque.
— Lili, je ne me sens pas bien du tout. Je vais plutôt aller m’asseoir là-
bas et vous regarder de loin.
— Ah, non! Reste!
Lili essaie de me ramener dans la file, mais je me contorsionne pour ne
pas qu’elle m’agrippe et je m’éloigne pendant qu’elle me tire la langue.
Je m’assois sous un arbre, à l’écart des autres. Je suis bien mieux toute
seule. C’est juste dommage que je n’aie pas mon iPod avec moi. Je suis
nulle au volleyball, comme dans presque tous les sports, d’ailleurs. Je n’ai
pas envie d’être la risée de tous.
Ça me fait penser… Lili et moi nous sommes épilées pour la première
fois il y a quelques semaines, avant de partir en camping. Jusque-là, maman
ne voulait pas. Souvent, je n’arrive pas à comprendre ses décisions. Qu’est-
ce que ça lui fait qu’on enlève notre poil aux jambes? C’est notre affaire,
après tout. Finalement, après de longues discussions, elle nous a laissé le
choix entre la crème dépilatoire et le rasoir. Comme nous ne savions pas
quelle méthode était la plus facile, nous avons décidé d’essayer les deux.
Lili s’est rasée et moi, j’ai mis la crème qui pue. Le rasage est plus rapide,
mais lorsque le poil repousse, ça pique et c’est désagréable au toucher. On
dirait du papier de verre. J’ai de loin préféré la crème dépilatoire et c’est ce
que je compte utiliser à l’avenir, même si ça sent le rat mort.
Aujourd’hui, il fait chaud comme en juillet. Tout le monde porte des
shorts, moi comprise. Je suis justement en train de me dire que je serais due
pour m’épiler quand quelqu’un me surprend dans mon dos.
— Tu ne vas pas jouer?
C’est Luis. Je replie mes jambes sous moi pour ne pas qu’il remarque
mes petites repousses. Il s’assoit à côté de moi. Que me veut-il? Luis et moi
n’avons jamais vraiment parlé ensemble. Nous nous sommes un peu
côtoyés cet été à cause de François et d’Étienne, mais c’est tout. Luis est
très petit physiquement et il a encore un visage enfantin. On dirait qu’il
manque de confiance en lui. Il se tient avec François et Étienne, mais la
relation qu’il entretient avec ces deux-là ne semble pas véritablement intime
et complice. C’est comme s’il restait avec eux parce qu’il n’a aucun autre
ami. C’est triste pour lui. Et ça doit aussi être un peu agaçant pour les gars.
— Et toi, tu y vas?
— Je ne raterais ça pour rien au monde. Étienne et François font la ligne
pour nous inscrire. Moi, j’avais besoin de remplir ma bouteille d’eau.
Il prend une gorgée. Je sens son regard sur moi. Il me met mal à l’aise
sans que je comprenne bien pourquoi.
— Donc, tu ne joues pas?
C’est vrai, je n’ai pas répondu à sa question…
— J’ai un peu mal au genou, lui dis-je en grimaçant.
Gros mensonge. Je n’ai aucun problème de genou. Clémentine, elle, en a
un. C’est la raison pour laquelle elle n’est pas là aujourd’hui. Je suis mal à
l’aise d’avoir menti, mais je ne veux pas expliquer à Luis pourquoi je n’ai
pas envie de rejoindre les autres. Ce n’est pas de ses affaires, de toute façon.
Étienne et François arrivent d’un pas vif. Les cheveux roux d’Étienne
brillent au soleil. Ils sont de la même couleur que les carottes, mais je
n’oserais jamais le lui dire, de peur que ça le fâche.
— Salut, Clara!
— Salut, les gars.
J’espère ne pas avoir à répéter mon histoire de genou. Quand je raconte
un mensonge, j’ai toujours peur de m’emmêler les pinceaux.
— Luis, tu es dans l’équipe des rouges, Frank dans les jaunes et moi dans
les verts, explique Étienne.
Luis fait la moue.
— On n’est pas ensemble?
— Ce sont les animateurs qui décident. J’ai essayé de dire à Lolo qu’on
voulait faire partie de la même équipe, mais il n’a rien voulu entendre.
— Tu aurais dû faire les yeux doux à Charline à la place, le taquine
François.
Étienne hausse les épaules.
— Ce n’est pas si grave, après tout. Ça va me permettre de vous battre!
— Pff! On verra bien!
Un animateur posté près des filets lance un bref coup de sifflet. La
compétition va bientôt commencer. Les trois garçons repartent, en
continuant de s’agacer. Ils n’arrêtent jamais!
26 septembre

J’aime le hip-hop, mais pas notre prof. Oui, il a des yeux à tomber par
terre, une allure de star, mais il est si sévère que c’en est désagréable. Il me
semblait que c’était une danse cool, libre, désinvolte, mais avec Emmanuel,
c’est tout le contraire.
Je ne comprends pas pourquoi je n’ai pas développé une aversion pour le
hip-hop. Considérant que jusqu’à présent, les cours ont toujours été très
pénibles, je devrais déjà en avoir fait une indigestion… mais ce n’est pas le
cas. J’aime comment mon corps bouge quand je danse. J’aime le rythme, la
musique. J’ai beau me faire rabrouer trois, quatre fois par après-midi, je
donne tout ce que j’ai dans le ventre pour montrer à mon prof qu’il n’a pas
besoin de me traiter comme il le fait. Il est tout le temps sur mon dos! Je ne
suis jamais assez bonne, mes mouvements ne sont jamais assez précis, assez
rapides. Il voudrait qu’on soit des pros, alors qu’on est seulement des jeunes
de treize ans qui s’initient à cette danse.
Élise et Sandrine sont beaucoup moins intransigeantes. Mika aussi. Et
même si je suis loin d’être une première de classe en claquettes, Élise est
super gentille avec moi et m’encourage à persévérer.
Louka n’est pas là cet après-midi et je me sens un peu seule. Je me
demande pourquoi il est absent. Il allait pourtant bien, hier. Louka ne raffole
pas du hip-hop. Je crois que ça ne va pas bien avec sa personnalité. Il est
loin d’avoir un faible pour les grosses espadrilles, les jeans amples ou les
pantalons de coton ouaté. Il est beaucoup plus propret! Oui, il a de la
difficulté à suivre, mais le prof l’ignore presque. Ça me fâche encore plus!
Dans le vestiaire, les filles discutent justement d’Emmanuel. Certaines en
sont encore complètement gagas, ce que je ne comprends pas. Je ne fais pas
attention à ce qu’elles disent et je continue de me changer en pensant à
Louka. Je vais lui téléphoner lorsque je serai de retour à la maison. De toute
façon, c’est moi qui ai ramassé ses travaux à l’école, il faut que je l’informe
des devoirs à faire.
Romy me sort de ma bulle en me tapant sur l’épaule.
— T’as entendu?
— Euh non… J’étais un peu dans la lune.
— Stella vient de dire qu’Anaëlle, la fille avec qui on parlait parfois à la
maison des jeunes cet été, c’est la sœur d’Emmanuel.
Eh ben! Ils ne se ressemblent pourtant pas du tout. C’est vrai qu’Anaëlle
m’a dit qu’elle faisait du hip-hop aussi, mais je n’ai pas soupçonné qu’ils
étaient de la même famille. Je ne sais pas si elle a parlé de moi à son frère…
Pourquoi l’aurait-elle fait, de toute façon? Qu’aurait-elle pu lui dire? Que je
l’ai surprise à voler de l’argent dans la caisse à l’épluchette? Pas besoin de
m’en faire avec cette histoire…

J’ai tenté de joindre Louka tantôt, mais il n’y avait pas de réponse. Je
réessaie, à tout hasard. Il doit être chez son père, car il était avec sa mère la
semaine dernière. J’appellerai chez sa mère si ça ne répond pas.
— ¿Hola? répond une voix d’homme.
C’est vrai, ils parlent souvent espagnol chez Louka! Son père est
d’origine chilienne, il me semble. Mais il parle très bien français. Louka n’a
pas d’accent en français et son frère Elias non plus. Leur mère est née ici et
elle est francophone.
— Bonjour, est-ce que je pourrais parler à Louka, s’il vous plaît?
— Juste un instant.
Il s’écoule plusieurs secondes avant que mon ami prenne le téléphone.
— Allô?
Juste à entendre sa voix rauque, je sens que quelque chose cloche.
— Louka, c’est Lili. Est-ce que ça va?
J’ai à peine le temps de terminer ma phrase qu’il se met à pleurer.
Voyons, mais que se passe-t-il? Je ne l’ai jamais vu comme ça. Il doit s’être
passé quelque chose de vraiment grave. Louka pleure maintenant à chaudes
larmes et semble incapable de s’arrêter. Je ne sais pas quoi lui dire…
J’attends qu’il se calme.
Finalement, ses sanglots s’espacent.
— C’est ma belle-mère, Marie-Julie. Elle a eu un accident d’auto.
— Est-ce qu’elle est à l’hôpital?
Louka se remet à pleurer de plus belle.
— Elle est morte, hoquète-t-il enfin.
Oh non! Je sens une bouffée de tristesse m’envahir. Tout mon visage
devient chaud, j’ai de la difficulté à respirer. J’ai croisé la belle-mère de
Louka quelques fois. Je sais que mon ami s’entendait bien avec elle. Ses
parents ont divorcé quand il était tout petit et Marie-Julie était en couple
avec son père depuis cinq ou six ans.
— Je suis tellement désolée, Louka. Toutes mes condoléances. Est-ce…
est-ce que je peux faire quelque chose pour toi? N’importe quoi.
— Non, il n’y a rien à faire. Elle n’est plus là.
Je me sens cruche. Je voudrais effacer la peine de mon ami, mais je me
doute bien que c’est impossible.
— Il va y avoir un avis dans le journal demain avec les détails pour le
salon funéraire. Peux-tu le dire aux autres? Mais vous n’êtes pas obligés de
venir.
— C’est sûr que je vais être là.
Silence. Une seconde. Deux secondes. Trois secondes.
— Louka, si tu as envie de parler, je suis là.
— Oui, je sais. Merci. Je vais raccrocher.
— Je comprends… Je te fais un gros câlin.
— Bye.
J’ai le cœur gros. Mes gestes sont automatiques, mon cerveau est ailleurs.
Je répète les paroles de mon ami dans ma tête, mais je n’arrive pas à y
croire. Sa belle-mère est morte. Pour vrai. Pas comme dans les jeux
auxquels on jouait quand on était petits: «Bang! Bang! T’es mort sinon je
joue plus.» Elle n’était pas vieille, pas malade et tout d’un coup, pouf! C’est
fini…
Par chance, ce n’était pas sa mère. Je chasse cette idée de mon esprit et je
grimace de culpabilité. Ce n’était pas sa mère, mais cette personne faisait
partie de sa vie depuis des années. Ils vivaient sous le même toit,
mangeaient à la même table… C’est tellement triste! Louka doit être
complètement dévasté. Son père et son frère aussi.
Je reprends le téléphone. Le combiné me semble lourd, si lourd. Je
commence à composer le numéro de Romy quand je me ravise. J’ai une
enclume dans la poitrine et un étau autour de la tête. Je le lui dirai demain.
Et puis, non. Louka est aussi son ami, elle a le droit de savoir. Mais je sens
que si je parle à Romy tout de suite, je vais me mettre à pleurer. Mes yeux
picotent déjà. Je suis mieux d’attendre un peu. Je l’appellerai après le
souper. J’ai besoin d’aller voir ma mère et la serrer très, très fort.
2 octobre

La dernière semaine a été l’une des plus éprouvantes que j’aie jamais
vécues. Je n’arrêtais pas de penser à Louka. Aujourd’hui encore, j’ai le
vague à l’âme. Je me réveille la nuit, l’estomac tout à l’envers.
Tout d’abord, il y a eu le salon funéraire. J’ai demandé à ma mère de
m’accompagner, car je n’aurais pas été capable toute seule. Clara n’est pas
venue, cependant. Quand j’ai vu Louka, le visage blême, des cernes sous les
yeux, qui tenait la main de son grand frère Elias comme on s’accroche à une
bouée, j’ai fondu en larmes. Quelle belle folle! Je ne connaissais presque
pas Marie-Julie, qu’est-ce que j’avais à pleurer comme ça? Mais j’étais
incapable d’arrêter mes larmes de couler. Quand Louka m’a repérée, il est
venu vers moi et on s’est pris dans les bras en sanglotant.
— Chaque fois qu’entre quelqu’un que je connais, je me mets à pleurer,
m’a-t-il dit en reniflant lorsque nous nous sommes calmés. C’est plus fort
que moi.
J’ai alors compris pourquoi il y avait autant de boîtes de mouchoirs dans
cet endroit…
J’ai finalement su comment sa belle-mère était morte. Des gens que je ne
connaissais pas en parlaient au salon et je les ai entendus. Elle se serait
endormie au volant. Elle était infirmière et venait de faire deux quarts de
travail de suite.
Francisco, le père de Louka, a lu un très beau texte pendant la cérémonie.
C’est une lettre qu’il lui avait écrite pour leur cinquième anniversaire de vie
commune. Ils devaient se marier l’année prochaine… C’est trop triste!
Avant notre départ, toutes les filles du groupe de danse se sont
approchées pour entourer Louka et lui montrer qu’elles le soutenaient.
Depuis, pas de nouvelles. Il n’est pas venu à l’école de la semaine. Son
absence laisse un grand vide. C’est difficile de se concentrer. Il me manque.
Je lui ai téléphoné deux fois, mais il ne m’a parlé que quelques secondes.

Je suis tombée nez à nez avec Enzo, hier matin, à la polyvalente. J’ai
essayé de faire comme si je ne l’avais pas vu, mais il s’est planté devant
moi et je n’ai pas eu le choix de lui parler.
— Je suis pressée, Enzo. Je ne veux pas être en retard à mon cours.
— Attends une minute. Je ne t’ai pas croisée depuis le mois de juin. Tu te
sauves de moi ou quoi?
Je l’ai fixé droit dans les yeux.
— Oui.
Il a paru décontenancé par la franchise de ma réponse.
— Mais ce n’est pas de ça que je veux te parler, a-t-il réagi en faisant
mine de balayer le passé de la main.
— OK, vas-y, mais dépêche-toi.
— J’ai appris pour la belle-mère de Louka.
Tiens, les nouvelles vont vite…
— Je voudrais juste que tu lui transmettes mes condoléances. Je ne le
connais pas beaucoup, mais il vit quelque chose de tellement triste…
— Effectivement…
— C’est tout.
Il m’a regardée très intensément. Je sentais qu’il avait envie d’ajouter
quelque chose de plus, mais il s’est abstenu.
Tout en courant pour arriver à l’heure à mon cours, j’ai pensé que je
n’avais peut-être pas été correcte avec lui. Enzo est un garçon gentil, après
tout. Avais-je été trop abrupte? Mais en voyant Romy, je me suis souvenue
qu’il lui a laissé croire qu’il s’intéressait à elle pendant des mois, et je suis
arrivée à la conclusion que je n’avais rien à me reprocher.
5 octobre

Le cours de hip-hop est encore plus pénible depuis que Louka a perdu sa
belle-mère. Mon ami n’est pas encore revenu à l’école et j’ai de la difficulté
à me motiver. À certains moments, j’ai l’impression qu’Emmanuel a un
cœur de pierre pour nous traiter comme il le fait.
Cet après-midi, j’ai craqué. C’en était trop. Cela faisait un nombre
incalculable de fois qu’on reproduisait les mouvements qu’il nous
demandait, et il n’était jamais content. Il n’y avait RIEN de positif dans ses
commentaires. Je l’aurais accepté s’il nous avait parlé d’une manière
civilisée, mais il haussait la voix et s’impatientait pour des détails. C’est là
que j’ai osé dire:
— Emmanuel, est-ce qu’on peut passer à autre chose, alors? Personne ici
n’a l’air de saisir ce que tu attends de nous et on est fatigués de se faire crier
par la tête.
Toute la classe a retenu son souffle. Emmanuel a mis les mains sur les
hanches et a froncé les sourcils.
— Parfois, je me demande pourquoi vous êtes dans le groupe enrichi.
Des débutants seraient meilleurs que vous!
J’ai eu envie de répondre qu’en hip-hop, nous étions vraiment des
débutants, et que si nous avions un prof compétent, on comprendrait
mieux… Mais j’ai préféré tourner ma langue sept fois avant de parler. Clara
aurait été fière de moi. J’ai plutôt expliqué:
— Nous avons du mal à nous concentrer. Nous pensons beaucoup à
Louka. C’est notre ami.
Les autres filles ont acquiescé.
— Je vais te dire une chose. Mon grand-père est mort il y a trois ans.
Crise cardiaque en plein milieu d’un souper de famille. Deux jours après,
j’avais une compétition à New York. J’y suis allé quand même. J’avais beau
avoir le cœur brisé, j’ai donné tout ce que j’avais dans le ventre. Ce jour-là,
j’ai gagné la médaille d’argent. Si je m’étais apitoyé sur mon sort comme tu
le fais, comme vous le faites tous, ce ne serait jamais arrivé.
Après une telle histoire, difficile de se plaindre. J’ai regardé l’horloge et
lorsque j’ai vu qu’il ne restait que quelques minutes au cours, je me suis dit:
«Allez, un petit coup de cœur!» et je me suis forcée à me concentrer.
En sortant du cours, j’étais découragée. Encore plus que les autres jours.
J’ai souhaité secrètement que notre prof ne puisse plus nous enseigner pour
le reste de l’année, mais je suis sûre que ça n’arrivera pas.
14 octobre

Mon admirateur secret a encore frappé.


Le premier journal papier est sorti à midi, en même temps que l’édition
en ligne. Mon poème racontait une promenade à la montagne.
Nous sommes allés aux pommes il y a deux semaines avec nos parents,
dans un verger situé au pied d’une montagne. Après avoir cueilli deux
tonnes de fruits rouges et juteux, on a fait un pique-nique et Violette s’est
endormie pendant qu’on mangeait. Papa et maman en ont profité pour se
prélasser au soleil, alors que Lili et moi avons décidé d’explorer le sentier
qui parcourt la montagne. Nous ne sommes pas allées au sommet (loin de
là!), mais nous avons marché une bonne demi-heure dans la nature. J’ai
adoré ça. C’était si beau! Les arbres étaient jaunes, rouges et orange, ça
sentait bon l’humus. On voyait parfois un écureuil, qui se hâtait de faire des
réserves pour l’hiver, traverser le chemin.
De retour à la maison, j’ai d’abord préparé un succulent gâteau aux
pommes (mmm!) et lorsqu’il était au four, j’ai écrit le poème qui est paru
dans le journal.
Je crois que mon admirateur secret aime autant la nature que moi. Cette
nuit, dans mes rêves, j’irai marcher avec toi dans les bois. Ce sera
lumineux et magique comme chaque fois que je te lis. A. S. Bizarrement,
quand j’ai vu ce commentaire sur le site du journal, je n’ai pas pensé à ce
que les autres diraient. D’habitude, j’ai peur qu’on me juge, qu’on me
remarque, mais là, la première pensée qui m’est passée par la tête, c’est
qu’il m’avait écrit. À moi. Juste à moi.
Ce garçon me fait vivre des émotions que je ne soupçonnais même pas.
Je ne me reconnais plus. Je me sens toute drôle en lisant ces messages qui
me sont destinés. Je reçois ces mots comme un cadeau. J’ai l’impression
que c’est Noël! Comme il m’a écrit la première fois que mon poème a été
mis en ligne, je souhaitais très fort qu’il récidive. Et là, je suis comblée.
— Encore un petit message? me demande Clémentine assise à côté de
moi au local d’informatique.
— Comment tu le sais?
— À la couleur de tes joues.
C’est vrai, elles sont toutes chaudes.
Clémentine s’étire et lit le message de mon admirateur en hochant la tête.
Elle se laisse retomber sur sa chaise en sifflant.
— Wow! Tu es vraiment VRAIMENT sûre que tu ne veux pas savoir qui
c’est?
— Non. Je serais bien trop gênée de lui parler.
— Si ça se trouve, c’est une personne que tu connais déjà.
— Je préfère ne pas y penser.
Je viens de dire un gros mensonge à mon amie. En fait, je me demande
très souvent si je connais cet amoureux des mots. Ça me hante même
parfois la nuit! Depuis quelques semaines, je rêve de lui à l’occasion. Je ne
vois pas son visage, mais je sais que c’est mon admirateur. Nous marchons
ensemble dans les corridors de l’école. Sa main dans la mienne est douce et
ferme. Il sent bon. À ses côtés, je me sens si bien, si légère! Je me réveille
le cœur tout à l’envers quand j’ai rêvé de lui, car chaque fois, j’ai
l’impression de l’avoir perdu.
Je n’aurais jamais cru cela il y a quelques semaines, mais je pense que je
commence à comprendre ce que signifie «tomber en amour». Ça y est, je
l’ai dit. C’est plus fort que moi, je n’ai pas de contrôle sur les sentiments
qui se frayent un chemin dans mon cœur. Je ne connais rien, ou presque, de
cet inconnu, mais tout ce qu’il me dit me touche, me perturbe. J’ai mal dans
la poitrine quand j’y pense trop. Une douleur lancinante, pointue, que rien
n’apaise. En fait, oui, il y a deux choses qui me soulagent: lire ou écrire.
Plongée dans un bon roman, je m’oublie et je deviens une autre. Et quand
j’écris, je me sens libérée d’un poids comme si le surplus de mes émotions
coulait telle l’encre de mon stylo.
J’ai déjà hâte à son prochain message… J’espère bien qu’il me réécrira.
Je n’ai confié mes sentiments à personne. Ni à ma sœur ni à Clémentine.
J’ai envie de garder ce secret pour moi toute seule encore quelque temps.
J’ai l’impression que lorsque je parlerai aux autres de ce que je ressens pour
ce garçon, je le perdrai un peu. Présentement, ma «relation» avec lui est
plus… exclusive.
C’est stupide. Oui, ce que je viens de dire est tout à fait stupide. Il n’y a
rien d’exclusif dans ce qui se passe en ce moment. D’abord, nous n’avons
aucune relation. Je ne sais même pas qui il est! Ensuite, il m’écrit au vu et
au su de toute l’école, alors pour l’intimité et l’exclusivité, on repassera…
Toute cette histoire me fait perdre la tête.
18 octobre

Il est trois heures et trois minutes du matin. Je viens d’être réveillée en


sursaut par les pleurs déchaînés de Violette et voilà que c’est moi qui pleure
comme une fontaine.
Il y a quelques instants, j’étais avec lui. Avec mon inconnu. Cette fois,
nous étions en forêt. Des rayons de soleil perçaient à travers les branches
d’arbres, projetant des taches de lumière au sol. Il faisait frais. Mon
compagnon m’avait prêté sa veste, comme font les gars romantiques dans
les films, car je frissonnais un peu. J’étais au septième ciel.
Lorsque j’ai ouvert les yeux, bien malgré moi, et que mon rêve s’est
évanoui, mon cœur s’est brisé en mille miettes. Les larmes inondent
maintenant mon visage. Je serre mes bras autour de mon corps en me
balançant d’avant à arrière dans mon lit. J’ai mal, tellement mal.
— Clara? C’est toi qui pleures?
Zut! Lili est réveillée. Je ne crois pas que ce soit parce qu’elle m’a
entendue. Elle aussi doit avoir été tirée du sommeil par Violette. Elle traîne
ses pieds vers mon côté de chambre pendant que j’essuie rapidement mes
joues avec la manche de mon pyjama. J’essaie de renifler en silence.
— Qu’est-ce qui se passe? me demande-t-elle d’une voix empâtée.
Je me retiens depuis trop longtemps. Malgré mon intention de ne rien
dire, je déballe tout ce que je ressens.
— Oh! Je te comprends tellement! chuchote-t-elle à mon oreille, alors
que je pleure sur son épaule. Il y a un an, je vivais exactement la même
chose.
— Non! dis-je plus fort que je ne l’aurais voulu.
— Chut! Maman va nous entendre.
Je baisse le ton.
— Ce n’est pas pareil. Je ne sais même pas qui m’écrit. Et même si je le
connaissais, je n’oserais jamais faire les premiers pas comme toi. Il ne sait
pas qui je suis. Mes poèmes, ce n’est pas moi.
— Je sais bien… Je voulais seulement dire qu’il y a un an, moi aussi,
j’étais folle amoureuse d’un garçon.
Elle soupire et n’ajoute rien, mais je sais tout à fait ce qu’elle pense: «Et
regarde comment ça a fini avec Grégory…»
Lili demeure silencieuse un instant.
— Pourquoi n’essaierais-tu pas d’apprendre qui est ce garçon?
— Non, non, non et non.
— Attends, tu pourrais tenter de découvrir son identité sans qu’il
l’apprenne. Si tu savais qui est ton admirateur secret, tu pourrais l’observer
en douce, et tu déciderais ensuite ce que tu fais.
— Je ne suis pas du tout convaincue que c’est une bonne idée.
— Penses-y, tu y verrais plus clair. Je peux t’aider, si tu veux!
Pour ce genre de choses, je sais très bien que je peux compter sur ma
sœur, elle n’a même pas besoin de me le dire.
Lili va chercher son oreiller et se couche dans mon lit. Elle a les pieds
froids, mais je me sens déjà mieux depuis qu’elle est près de moi.
Ce n’est pas le temps de réfléchir à l’idée de ma sœur (quoique j’y avais
déjà songé moi aussi, Lili n’a pas le monopole des bonnes idées). Je sens
que le sommeil m’engourdit les neurones. En espérant qu’il en soit de
même pour Violette.
18 octobre (l’après-midi)

Je ne suis pas prête à penser à ce que Lili m’a recommandé de faire. Je


suis encore trop mêlée. Pour m’occuper l’esprit, en ce dimanche après-midi
tout gris, j’ai décidé de retranscrire toutes les recettes que j’aime à
l’ordinateur. Je prends souvent mes idées de desserts sur Internet, mais je
finis par changer les proportions de certains ingrédients ou les adapter selon
ce que nous avons dans le frigo. Et mes feuilles sont toutes barbouillées,
tachées, malpropres. Comme je suis incapable de mettre de l’ordre dans
mes idées pour l’instant, je le fais dans mes recettes.
J’ai même pensé prendre en photo les gâteaux, les tartes et les pâtisseries
que je préparerai à l’avenir pour illustrer chacune de mes réalisations. En
fait, je suis en train de me faire un vrai de vrai livre de recettes. C’est le
genre de petit projet que j’aime beaucoup. Ce qui est long, c’est de traduire
celles qui sont en anglais. Même en utilisant un logiciel de traduction
gratuit sur Internet, c’est loin d’être parfait.
Il y a déjà une heure que je travaille à l’ordinateur quand Lili entre dans
notre chambre, une pomme à la main.
— Clara, il faut que je passe à la maison des jeunes donner notre feuille
d’inscription pour le party d’Halloween à Charline. Est-ce que tu veux venir
avec moi?
— Non, je suis occupée…
— Allez, viens donc, ça fait longtemps que tu n’as pas fait un tour au
Hameau… Je n’ai pas envie d’y aller seule sous la pluie. Si on y va toutes
les deux, papa va sûrement accepter de nous reconduire. S’il te plaît! S’il te
plaît!
Elle se met à genoux et joint les mains en signe de prière. Elle me fait
même le coup des yeux piteux. Entre elle et un petit chiot malheureux, il
n’y a pas beaucoup de différence! Je regarde la pile de feuilles devant moi.
Je pourrais en apporter quelques-unes pour travailler à la maison des jeunes
et me servir de l’un des ordinateurs qui sont mis à notre disposition. C’est
très rare qu’ils soient tous utilisés. Lili me dit qu’elle veut juste déposer un
formulaire, mais je la connais. Elle va vouloir rester là une bonne partie de
l’après-midi, c’est sûr!
— OK, j’arrive. Laisse-moi deux minutes pour mettre mes trucs dans
mon sac.

Il y a beaucoup de monde à la maison des jeunes. J’ai l’impression


qu’avec la pluie, plusieurs se tournaient les pouces chez eux et ils ont
décidé de venir ici pour passer le temps. Un petit groupe est rassemblé près
de la télé pour faire du karaoké, un tournoi de billard semble être en cours à
l’autre extrémité de la pièce et six personnes sont attablées autour d’un jeu
de Monopoly. Parmi celles-ci, je distingue Anaëlle et Étienne.
Ma sœur est allée trouver Charline dans le bureau des animateurs. Je
crois qu’elle n’a pas encore remarqué la présence d’Anaëlle. Quand elle
saura qu’elle est là, elle va certainement s’arranger pour s’en tenir loin. J’ai
vu deux filles de danse-études au karaoké, Lili va peut-être aller les trouver.
Le karaoké, c’est tellement son genre, en plus!
Je passe entre les tables pour me rendre aux ordinateurs quand Étienne
lève la tête. Il semble surpris de me voir.
— Hey, Clara! Viens ici une minute!
— Comment sais-tu que je suis Clara? Je pourrais aussi être Lili.
Il sourcille.
— Ouin… C’est vrai, je n’y avais pas pensé. Je suis tellement habitué à
te voir à l’école! C’est bien toi?
Je lui réponds en souriant.
— Eh oui!
Je me demande bien ce qu’il me veut…
— Est-ce que tu peux prendre ma place au jeu quelques instants? Il faut
que je téléphone à la maison pour dire de venir me chercher plus tard que
prévu. Je ne fais pas confiance à mes partenaires. J’aurais trop peur qu’ils
me piquent des sous si je les laissais sans surveillance.
Il leur fait un clin d’œil et se lève pour me laisser la place. Je m’assois en
déposant mon sac à mes pieds. La partie se poursuit et je joue un premier
tour à la place d’Étienne. Du coin de l’œil, je le vois parler au téléphone. Il
n’a pas l’air très, très content et semble discuter ferme avec son
interlocuteur (sûrement son père ou sa mère).
— Ça fait longtemps qu’on ne vous a pas vues ici, les jumelles, me dit
Anaëlle qui est assise à ma droite.
Je me sens rougir un peu. Pourquoi suis-je si mal à l’aise? Cette fille ne
m’a rien fait. Elle n’a rien fait à ma sœur non plus. Elle a juste volé de
l’argent et Lili l’a vue faire.
— On était pas mal occupées avec la rentrée… Tu dois savoir ce que
c’est.
— Ouais…
C’est encore mon tour de jouer (ou plutôt celui d’Étienne). Je me
retrouve en prison. Anaëlle joue rapidement et se tourne encore vers moi,
insistante.
— J’aimerais parler à ta sœur. Elle a l’air de se sauver de moi depuis…
«… depuis qu’elle t’a surprise à piger dans la caisse», pensé-je.
— … cet été, poursuit-elle. Dis-lui qu’elle vienne me voir, OK?
— Je vais lui faire le message.
— Bon, c’est arrangé, lance Étienne, qui revient en coup de vent.
Je me lève pour lui rendre sa chaise.
— Tu n’as pas besoin de partir, tu sais. On peut te faire une place.
— Non, je vais vous laisser, j’ai du travail, dis-je en montrant mon sac.
Étienne paraît surpris.
— Tu ne vas pas faire des devoirs?
Il est curieux, lui…
— Euh non.
— De quel travail parles-tu, alors?
Je ne m’attendais pas à ce qu’il me pose cette question. Est-ce que je vais
avoir l’air stupide si je lui raconte ce qu’il en est? Avoir été plus vive
d’esprit, je lui aurais dit que j’allais faire un devoir d’histoire ou de
sciences. On n’est plus dans la même classe, alors ça aurait pu être
plausible. Je soupire.
— Je suis en train de faire un livre avec mes meilleures recettes.
— Ah! Cool! s’exclame Anaëlle qui a suivi notre conversation.
— C’est vrai, tu es super bonne en popote, toi, ajoute Étienne.
Alerte rouge! Alerte rouge! Le sang me monte aux joues. Les
compliments me font toujours le même effet. C’est le temps de m’éclipser.
— Bon, je me sauve. Bonne fin de partie!
Je me faufile jusqu’au seul ordinateur libre. Pendant que je sors mes
feuilles, je cherche Lili des yeux. Comme je le pensais, elle a rejoint ses
copines de danse-études. J’essaie de me souvenir de leurs noms, mais je n’y
parviens pas. Ma sœur a tellement d’amies! Souvent, quand elle me parle de
l’une ou de l’autre, je hoche la tête pour faire comme si je savais de qui il
s’agit, mais en réalité, je n’en ai aucune idée. Elle socialise avec tous ceux
qu’elle rencontre, ça finit par faire beaucoup de monde! Mais il n’y a que
Romy et Louka avec qui elle est intime.
Mexican hot chocolate cupcakes. J’aime bien cette recette. On dirait que
ma feuille est un vieux chiffon. De la farine qui y était collée tombe sur mes
genoux. C’est l’une de mes premières recettes. Tout à coup, j’entends une
voix toute proche de mon oreille.
— As-tu besoin d’aide?
— Aaaah!
Il y a longtemps que je n’ai pas eu aussi peur! Je ne m’attendais pas du
tout à être surprise ainsi. Mon cœur bat la chamade.
— Étienne! J’ai failli faire un infarctus!
— Je vois bien. Ça va? Pas besoin d’appeler le 911? blague-t-il.
Je prends deux ou trois secondes pour me calmer. Puis, je m’efforce de
sourire à ce joyeux farceur même si je n’ai pas particulièrement envie de
rigoler.
— Je vais m’en remettre. Et non, je n’ai pas besoin d’aide, je m’en sors
très bien toute seule.
— D’accord.
Étienne retrouve son sérieux. Il jette un coup d’œil sur la feuille que je
tiens à la main.
— Si jamais tu as besoin d’un goûteur pour tes mexican hot chocolate
cupcakes, je me porte volontaire.
— Je retiens ton offre, merci.
J’agite la main en guise d’au revoir et je me tourne pour lui montrer que
la discussion est close.
Je parviens à travailler malgré le brouhaha qui règne tout autour de moi.
Quand je suis concentrée, rien ne peut me déranger. Au début de l’été,
j’étais impressionnée par le Hameau, par toutes ces nouvelles personnes,
mais je m’y suis habituée au fil des semaines. Et Lili n’est jamais loin.
Justement, ma sœurette revient vers moi.
— Je pense qu’on peut partir, si tu es d’accord. Il faudrait que j’aille
terminer mon devoir de français à la maison si je ne veux pas hériter d’une
retenue. J’appelle papa?
Je confirme d’un signe de tête.
— Je range mes affaires et je suis prête. Au fait, Anaëlle m’a dit qu’elle
voulait te parler.
— Elle est vraiment bizarre, cette fille. Mais je n’ai pas envie de discuter
avec elle pour l’instant. Je n’ai toujours pas digéré ce qu’elle a fait cet été.
Nous attendons dehors, à l’entrée du Hameau. Sous la corniche du toit,
nous sommes à l’abri de la pluie. Papa devrait arriver d’une minute à
l’autre.
— Devine ce que m’a demandé Charline quand j’étais dans son bureau
tantôt.
— Quoi? Ne me dis pas qu’elle veut que je refasse cent cinquante
cupcakes?
— Presque! Elle voulait savoir si tu souhaitais redonner un petit cours de
cuisine un samedi…
Soudain, j’ai peur.
— Qu’est-ce que tu lui as répondu?
Elle me regarde, l’air entendu, et me fait un clin d’œil.
— J’ai compris ma leçon. Je lui ai dit qu’elle serait mieux de te le
demander directement, mais qu’elle ne devrait pas se faire d’illusion, que
j’avais l’impression que tu n’en aurais pas tellement envie.
Je souris.
Fiou! Pour une fois, je suis fière de la réponse de ma sœur!
20 octobre

Je ne sais plus quoi penser de Louka. Théoriquement, il est de retour à


l’école depuis dix jours, mais il s’absente sans cesse. Et ses parents ne sont
pas au courant. En fait, ils le sont maintenant, car la secrétaire de l’école a
appelé chez lui… Le matin, il ne se présente pas à tous ses cours. Il est
même arrivé qu’il ne soit pas là de toute la journée. Mais la plupart du
temps, il vient suivre un cours ou deux, et disparaît ensuite dans la brume.
Cette semaine, il est venu seulement mardi à l’école de danse. D’après ce
que j’ai compris des courtes conversations que nous avons eues, il retourne
chez lui et dort tout l’après-midi ou flâne au centre commercial.
Le midi, quand il ne fait pas l’école buissonnière, Louka refuse de dîner
avec nous. Il mange seul à sa table sans jamais jeter un regard autour de lui.
Je ne sais pas comment réagir. Louka n’a aucun ami dont il soit proche.
Entre filles, on est à l’aise, on se dit plein de petits secrets. Peut-être que
c’est pareil entre garçons. S’il avait un ami à qui se confier, ça pourrait être
plus facile pour lui. Il y a seulement un autre gars en danse-études, Jérôme,
mais Louka et lui ne se parlent guère en dehors des cours. C’est dommage.
Il est très ami avec Romy et moi, mais c’est tout. Il a toujours été un peu
indépendant, mais présentement, c’est pire que pire. Il vit en ermite. On
dirait que quelque chose s’est brisé en lui. Il doit être tellement triste.
Hier après-midi, j’avais une question à poser à madame Loiseau, la
propriétaire de l’école de danse, et en me rendant à son bureau, j’ai surpris
sa conversation avec Emmanuel.
— Vous devez sévir. Il ne s’est présenté à aucun de mes cours depuis
deux semaines, grondait ce dernier.
— Il faut lui laisser du temps, il vit un deuil…
— Oui, mais pendant ce temps-là, il prend du retard, il n’apprend aucun
mouvement, aucune chorégraphie.
— Emmanuel, il est tout à fait compréhensible que la danse ne soit pas
dans ses priorités…
Le prof l’a interrompue.
— Si la danse ne fait plus partie de ses priorités, qu’il lâche le
programme. Il le réintégrera l’an prochain, c’est tout.
— Je vais y penser, mais je ne crois pas que ce soit la voie à suivre…
— Je vous le dis, s’il sèche encore mes cours, il aura zéro au bulletin et je
lui interdirai d’entrer dans le local jusqu’à Noël. Quand vous m’avez
engagé, vous m’avez dit que je pourrais enseigner à ma façon, eh bien, c’est
ce que je ferai.
Et il a quitté le bureau de la directrice. Quand il a remarqué que j’étais
dans le couloir et que j’avais sûrement entendu ce qui venait de se dire, il
s’est figé un instant et m’a lancé: «Tu feras le message à ton ami.» Il est
reparti sans que j’aie eu le temps de réagir. De toute façon, qu’aurais-je pu
répondre? Avec Emmanuel, ce que j’ai de mieux à faire, c’est de me faire
oublier.

Ce soir, je n’ai pas de devoir, alors j’ai demandé à maman d’aller faire un
tour chez Louka pour lui donner différentes feuilles que j’avais récupérées
pour lui. À vélo, il me faut moins de dix minutes pour me rendre chez lui.
J’ai enfilé un coton ouaté et un coupe-vent, mais j’aurais dû apporter une
tuque ou un bandeau, car j’ai vraiment froid aux oreilles. Une chance que
j’ai un chandail à capuchon, ça dépanne! J’ai sûrement l’air d’une belle
tarte, mais l’important, c’est que je n’attrape pas la grippe!
Il n’y a pas de voiture dans l’entrée de la maison de Louka. Je sais qu’il
est censé être chez son père cette semaine. J’espère qu’il est là. J’ai décidé
de ne pas appeler avant de me présenter, de peur qu’il ne refuse que je
vienne. Là, s’il est chez lui, il n’aura pas le choix de me laisser entrer. Je
vois de la lumière filtrer à travers les rideaux du salon, c’est bon signe. Je
sonne.
C’est son frère Elias qui ouvre. Il semble surpris de me voir.
— Bonjour, est-ce que Louka est là?
— Euh… oui. Il est dans sa chambre.
— Est-ce que je pourrais le voir? Je ne resterai pas longtemps. Je viens
lui apporter des travaux d’école.
Elias grogne.
— Ouais, j’ai su qu’il avait pas mal foxé l’école dernièrement. Deux fois,
je suis revenu du cégep de bonne heure et il était déjà à la maison.
— Il n’a pas l’air super bien…
Il me regarde droit dans les yeux.
— Personne ne va super bien dans cette maison. C’est difficile pour tout
le monde.
Tout à coup, je me sens hyper mal à l’aise. Qui suis-je pour venir
déranger cette famille dans son intimité? Puis, je me souviens de la
conversation que j’ai entendue à l’école de danse. Louka est mon ami. Je
dois faire tout ce que je peux pour l’aider.
— J’aimerais essayer de lui parler.
— Bonne chance. Tu sais où est sa chambre, laisse tomber Elias, d’une
voix un peu lasse, en me pointant le corridor.
Je me force à sourire et je me dirige vers la chambre de mon ami. Je
frappe doucement à sa porte. J’entends de la musique en sourdine de l’autre
côté. C’est une mélodie mélancolique que je ne connais pas, mais c’est
beau.
— Va-t’en! Je ne veux voir personne! crie tout à coup Louka.
Oups… Il doit sûrement penser que c’est son frère, car il ne m’a jamais
parlé sur ce ton. J’ignorais que Louka pouvait être aussi agressif.
— Louka, c’est moi, Lili. Est-ce que je peux entrer?
Quelques instants plus tard, Louka m’ouvre la porte. Il semble aussi
embarrassé que je le suis.
— Je m’excuse. Je ne savais pas que c’était toi. Je croyais que c’était
Elias. Je trouvais ça bizarre, aussi, qu’il cogne avant d’entrer.
Je suis venue seulement deux ou trois fois chez Louka. Nous nous
voyons à l’école, parfois chez moi, sinon au parc, à la maison des jeunes ou
au centre commercial. Sa chambre était beaucoup plus en ordre les
dernières fois. Des vêtements jonchent le sol, il y a des livres épars à côté
de son lit, des assiettes sales empilées sur son bureau. Ouf! Même moi, qui
ne suis pas très ordonnée de nature, je suis découragée par l’état des lieux.
— J’ai pris ça pour toi, lui dis-je en sortant les feuilles de mon sac.
— Merci.
Il les prend et les dépose sur sa table de travail sans même y jeter un coup
d’œil.
— Je préférerais que tu t’en ailles, Lili. Je n’ai pas vraiment la tête à
avoir une grande discussion.
J’enlève les trucs qui encombrent sa chaise et je m’assois. Il ne se
débarrassera pas de moi aussi facilement.
— Je sais. Ce n’est pas grave. C’est moi qui vais parler. T’auras juste à
m’écouter.
Il ne répond pas, alors je continue.
— Je m’inquiète pour toi, Louka. Je ne suis pas toute seule, les autres
aussi. Tu ne viens presque plus à l’école, tu te fermes comme une huître.
J’ai surpris une conversation entre Emmanuel et madame Loiseau, hier. Il
veut que tu sois expulsé du programme danse-études.
— Je m’en fous, réplique mon ami la tête toujours baissée.
Je soupire, un peu découragée.
— OK, peut-être que tu t’en fous en ce moment, mais quand tu vas aller
mieux, tu le regretteras.
Mon ami reste de glace. Je ne sais pas ce qu’il est mieux de faire. Le
réconforter, le rassurer ou lui secouer les puces?
— Estelle, l’amie de ma sœur, a vu une psychologue quand ses parents se
sont séparés. Peut-être que ça te ferait du bien à toi aussi?
C’est au tour de Louka de soupirer.
— Je vois déjà celle de l’école. La directrice et mon père m’obligent. Pff!
Je l’ai vue aujourd’hui et je n’ai pas ouvert la bouche pendant une heure! Je
n’ai rien trouvé à lui dire. Personne ne comprend. Personne ne peut
comprendre.
Il se cache le visage entre les mains et éclate en sanglots. Il pleure en
silence, comme s’il avait honte et tout son corps est secoué par des spasmes.
— Je l’aimais, Marie-Julie. Elle était ma deuxième mère. Et c’est
seulement maintenant que je le réalise. Depuis qu’elle est partie, tout a
changé. Mon père n’est plus le même, Elias non plus. Toute ma vie s’est
effondrée.
Je me lève et je me fais une petite place à côté de lui. Souvent, j’aperçois
des filles pleurer, mais un garçon, ça n’arrive presque jamais. On dirait que
c’est pire. J’ai le cœur brisé de voir Louka dans cet état. Je glisse
doucement mon bras autour de ses épaules. Louka et moi ne nous touchons
pas, habituellement. Entre filles, on se serre, on s’enlace, on lisse nos
cheveux, on se fait la bise… De tels contacts sont quasi impossibles quand
on n’est pas du même sexe, à part entre amoureux. C’est un peu bête: les
gars ont autant besoin d’affection que les filles.
Le premier réflexe de Louka est d’abord de me repousser, mais je
resserre mon étreinte et il finit par se laisser aller. Je flatte son dos, un peu
comme maman quand elle console Violette. Ouf, qu’est-ce que je vais bien
pouvoir faire pour lui?
En revenant à la maison, je me dis que je suis sensiblement devant le
même dilemme qu’avant de voir Louka. Comment aider quelqu’un qui ne
veut pas?
Pendant le souper, je reste silencieuse. Maman raconte en détail à papa le
film larmoyant qu’elle a vu à la télévision cet après-midi pendant que
Violette – ô miracle! – faisait la sieste. Installée dans sa chaise haute, ma
petite sœur se contorsionne et met son pied dans sa bouche en écoutant
maman. Ça me fait sourire. Clara aussi a l’air préoccupée.
Lorsque nous montons dans notre chambre, je lui demande ce qui ne va
pas, mais elle change vite de sujet.
— Rien de grave. Et toi?
Je lui explique un peu ce qui se passe avec Louka et elle est aussi
embêtée que moi.
— Je ne connais rien aux garçons, tu le sais bien…
Tout à coup, j’ai une idée. Si c’est une question de sexe, j’ai peut-être une
solution. Et si j’écrivais à Frédéric? C’est un garçon, lui. Il est possible qu’il
puisse me conseiller et me donner de bons trucs pour remonter le moral de
mon ami.
Je lui écris un long message sur Facebook en lui présentant la situation
du mieux que je peux. J’espère qu’il me répondra. À mon plus grand
bonheur, quinze minutes plus tard, sa réponse arrive dans ma boîte de
réception. C’est un rapide!

Bonjour Lili,
J’ai lu ton message, mais pour être franc, je n’ai pas la tête à
ça pour le moment. Summer m’a laissé. J’ai le cœur brisé.
J’espère que tu comprendras.
Fred

Zut de zut! Bien sûr, je dis ça pour lui. Je lui réécris quelques mots pour
essayer de le réconforter, mais je me sens maladroite, alors je ne m’étends
pas trop. J’éteins mon ordinateur, encore plus découragée que je ne l’étais
tantôt. Finalement, Frédéric réagit de la même façon que Louka. Il se
renferme, il s’isole. Quand une fille se fait laisser, c’est tellement différent!
Elle en parle à tout le monde, elle fait une rétrospective en long et en large
de sa relation, elle trouve au moins vingt-cinq qualificatifs pour décrire
l’amour qu’elle a vécu avec ce garçon − fabuleux, intense, magique, pur,
sincère, sans borne, idéal −, et lorsque ça finit mal, les mots passent à un
autre extrême: banal, fade, trompeur, égoïste, impossible, monotone,
insignifiant, faux, alouette! Elle s’épanche, se confie, se répète… Il faudrait
que je trouve un garçon qui m’aiderait à comprendre, car toute seule, je sens
que je vais tourner longtemps en rond dans mon aquarium. Qui pourrais-je
aller voir?
— Les filles, c’est l’extinction des feux! dit papa en passant la tête par la
porte de notre chambre.
Pourquoi n’y avais-je pas pensé avant? Je n’ai qu’à demander son
opinion à mon père!
21 octobre

Vive les samedis matins! C’est le moment dont on rêve toute la semaine.
Pas de réveille-matin, pas d’école, deux jours de congé devant soi: le
bonheur. Vers huit heures, j’ai entendu maman quitter la maison, mais j’ai
réussi à me rendormir jusqu’à neuf heures. Clara semble réveillée depuis un
bon bout de temps. Elle est enfouie sous ses couvertures et lit son roman.
Parfois, la fin de semaine, il lui arrive de sauter le déjeuner tant elle est
plongée dans sa lecture.
Au salon, papa lit le journal en jetant un coup d’œil à Violette qui est
couchée sur son tapis de sol au milieu de ses jouets.
— Bien dormi, ma grande?
— Assez. Maman est sortie?
— Oui, elle est allée s’entraîner et faire l’épicerie.
Maman a commencé à aller au gym la semaine dernière. Ça faisait des
jours qu’on l’entendait se plaindre qu’elle n’arriverait jamais à perdre les
kilos qu’elle avait pris pendant sa grossesse. Papa avait beau lui répéter
qu’il n’y avait pas d’urgence, qu’il l’aimait ainsi, elle a décidé de prendre le
taureau par les cornes et elle s’est abonnée au gym. Personnellement, je
détesterais passer une heure ou deux à suer sur un tapis roulant, mais
maman dit qu’elle aime ça. On verra bien si elle tient le coup plus de deux
mois! Je ne comprends pas pourquoi elle ne va pas courir dehors, c’est
beaucoup plus divertissant. Au moins, on peut regarder le paysage, les
maisons, les gens… Enfin, elle peut bien faire ce qu’elle veut.
— Ah! J’ai oublié de lui dire de racheter des biscuits à la confiture. On a
fini la boîte, hier.
Papa hausse les épaules.
— Tu demanderas à ta sœur d’en préparer. Elle peut sûrement trouver
une recette en deux temps trois mouvements.
C’est vrai! Je n’y avais pas pensé.
Je prends une banane et un verre de lait au chocolat à la cuisine (maman
n’est pas là, ça paraît!), et je reviens au salon.
— Papa, j’aurais une question à te poser.
— Mmm…
Il ne lève pas les yeux de son journal, absorbé par un article de la section
«Affaires».
— Papa, c’est important!
Il me sourit, comme pour s’excuser, et referme son journal.
— Je t’écoute.
— J’ai un conseil à te demander. C’est à propos de Louka.
— Ton ami qui a perdu sa belle-mère, c’est ça?
— Oui. Depuis, il est super malheureux. Il ne vient plus à l’école, il se
renferme sur lui-même. Je voudrais l’aider, mais je ne sais pas comment.
Toi, tu as déjà été un garçon de treize ans. Si ça t’était arrivé, qu’est-ce que
tu aurais aimé qu’on fasse pour te remonter le moral?
Papa se cale dans le fauteuil et se gratte la tempe. Je lui pose tout un
problème.
— Premièrement, j’aimerais que tu sois là pour moi. Qu’on soit une fille
ou un garçon, avoir un ami sur lequel on peut compter, c’est important.
Propose-lui de faire des choses qu’il aime. Ça fait toujours du bien.
— Avant, il aimait danser, mais là, il ne veut plus.
— C’est sûr qu’au début, c’est difficile de reprendre le dessus. Le décès
d’une personne qui nous est chère, ça déséquilibre une vie… J’étais adulte
quand mon père est mort, mais il m’a fallu des mois pour m’en remettre.
Tout me paraissait fade et sans saveur.
Papa a déjà vécu le deuil d’une personne qu’il aimait. J’ai un pincement
dans la poitrine quand j’y pense. Je n’ai presque pas connu mon grand-père
Jacques. Clara et moi étions toutes petites quand il est mort, mais juste en
imaginant perdre mon père ou ma mère, j’ai envie de me rouler en petite
boule.
— Tu peux tenter de lui changer les idées en faisant une activité spéciale
avec lui, quelque chose qu’il n’a jamais essayé. L’important, c’est de
l’amener à oublier sans peine, sans le forcer. Tout ce que tu entreprends doit
être empreint d’un grand respect. Ton ami est en train de se reconstruire.
C’est une étape délicate de sa vie…
Il est tellement gentil, mon papa! Je savais qu’il pourrait bien me
conseiller. Ce ne sera pas simple, mais je vais trouver un moyen de
redonner le sourire à mon ami. Il le mérite bien.
28 octobre

Depuis que cet inconnu est entré dans ma vie, je traverse plein de
remous. De l’extérieur, rien ou presque ne paraît, mais à l’intérieur, c’est
une vraie tempête. J’ai essayé d’écrire un poème là-dessus, mais finalement,
je n’en ai pas été capable. Présentement, je suis trop collée à ce problème.
Je dis problème, car c’en est devenu un. Je me l’avoue maintenant très
franchement, j’aime ce garçon! Oui, moi, Clara Perrier, je suis amoureuse!
Et ça fait mal!
Au début, quand mon admirateur secret a commencé à m’envoyer des
messages, je les prenais à la légère. J’étais simplement intriguée.
Maintenant, j’aimerais savoir qui il est. Non pas pour lui parler de vive voix
ou lui dire ce que je ressens (je n’en serais jamais capable), mais pour
connaître au moins son identité.
Hier soir, j’en ai parlé à Lili qui était tout excitée. Elle est engagée à fond
dans son projet «Sauvons Louka», mais elle est toujours partante pour
s’impliquer dans ma vie. Et elle est tellement contente que j’aie suivi ses
recommandations! Ce ne sont pas des blagues, cela figure en haut de la liste
de ses passe-temps préférés! Ou c’est peut-être seulement une «déformation
professionnelle» de sœur jumelle…
— Comment pourrais-je faire pour l’identifier? Sans qu’il le sache,
évidemment.
— Hou là là! C’est une mission super géniale, mais je ne vois vraiment
pas…
On s’est creusé la tête la moitié de la soirée, sans succès. Ma sœur avait
de bonnes idées, mais elles ne respectaient pas mon critère numéro 1, soit:
mon admirateur secret NE doit PAS être au courant.
— On n’y arrivera pas, Clara. Faut demander à quelqu’un d’autre de
nous donner un coup de main. Je ne vais pas à la même école que toi, en
plus… Parles-en à Clémentine, à Estelle.
— Tant qu’à y être, je devrais me promener avec une pancarte où on
pourrait lire: Qui est mon admirateur secret?
— Voyons Clara, elles ne vont pas te dénoncer. Aucune n’a révélé que
Noisettine, c’était toi.
— Hum… Je suppose, oui. Mais j’hésite à leur en parler. Tu me
connais…
— Clara, je vais te paraître un peu raide, mais si tu ne veux pas d’aide, tu
vas continuer de te morfondre pendant des semaines, peut-être des mois.
Moi, ça ne me dérange pas.
— Je suis gênée.
— Tu dois passer par-dessus ta gêne. Ce sont tes amies. Elles vont se
faire un plaisir de te rendre service. Et les histoires d’amour des autres, c’est
toujours palpitant.
— Justement, je ne veux pas devenir une attraction.
— Clara! Est-ce que tu t’écoutes quand tu parles? Je te le répète, ce sont
tes AMIES, pas de pures inconnues!
Une chance que ma sœur me brasse les puces. Je sais que mon cerveau ne
fonctionne pas comme le sien. Et je sais que je suis une poule mouillée, une
éternelle indécise. Je suis faite comme ça, je n’y peux rien. Mais j’ai pilé
sur ma peur et j’ai décidé de me lancer.
Il faut que j’avoue que j’ai eu beaucoup de difficulté à m’endormir hier
soir. J’étais trop énervée. J’ai ressorti ma boîte à peurs de ma garde-robe.
C’est une boîte que je me suis fabriquée et chaque fois que je suis
confrontée à quelque chose qui m’angoisse, je l’écris sur un bout de papier
et je le mets dans ma boîte. C’est pour y enfermer ma peur, pour qu’elle ne
m’affecte plus. Dans le noir, j’ai griffonné ce qui me torturait l’esprit et j’ai
glissé ma feuille dans la fente. Le bruit feutré ne m’a pas apaisée et je me
suis endormie, l’esprit torturé.
Maintenant, impossible de faire marche arrière. Clémentine et Estelle
seront au courant dans quelques secondes. Je leur en parle pendant le dîner.
Les deux réagissent comme je l’avais imaginé: Clémentine est en émoi et
Estelle est tout en retenue. Je ne suis pas capable de les regarder dans les
yeux quand je leur raconte. Il y a des mois qu’on se côtoie tous les jours,
mais quand vient le temps d’exprimer mes émotions, je fonds encore.
— On va t’aider, hein, Estelle? s’exclame Clémentine d’emblée. Qu’est-
ce que tu veux qu’on fasse?
— À vrai dire, je ne le sais pas moi-même. J’ignore comment m’y
prendre. Pour vous donner une idée, même Lili se sent démunie.
Cela n’a pas l’air d’inquiéter mon amie outre mesure.
— Tu vas voir, on va y arriver. C’est comme une devinette, mais pour les
grands.
Estelle, qui est restée songeuse jusque-là, lève l’index pour nous montrer
qu’elle veut parler.
— J’ai peut-être une solution. Il pourrait être possible qu’on le retrouve
avec son adresse IP…
Estelle s’y connaît assez bien dans les ordinateurs et son frère est un pro
de l’informatique. Moi, je suis un gros zéro, ou presque. J’ai déjà
vaguement entendu parler d’adresse IP, mais je n’ai aucune idée de ce que
c’est. Estelle essaie de m’expliquer.
— Chaque ordinateur a une adresse IP qui lui est propre. Si on retrouve
celle de ton inconnu, on peut savoir d’où il envoie ses messages.
— Oui, mais comment on trouve ça, une adresse IP?
— Euh… Je ne suis pas sûre. Faudrait que je demande à Charles-
Édouard. Je peux l’appeler ce soir si tu veux. Mais je ne sais pas s’il
travaille.
C’est un début. Et c’est mieux que rien, après tout. Je suis remplie
d’espoir. J’espère que le frère d’Estelle pourra m’aider.
Aujourd’hui, un autre de mes poèmes devait paraître sur le site Internet
du journal, mais la personne responsable n’a pas eu le temps de le mettre en
ligne. Estelle m’a dit qu’ils avaient eu beaucoup de difficulté avec des
photos… Je suis déçue, car aucun nouveau poème, ça signifie aucun
commentaire de mon admirateur secret. Estelle dit que tout devrait être
réglé d’une journée à l’autre, alors ce n’est que partie remise. Mais ça
m’attriste tout de même.
Il reste quinze minutes avant que nos cours recommencent. Nous sommes
dans le local d’informatique et nous attendons Clémentine qui finalise et
imprime son travail d’éthique et culture religieuse. Je décide d’aller re-re-
relire les petits mots que mon admirateur m’a transmis jusqu’à maintenant,
histoire d’ensoleiller mon après-midi. Quelle surprise j’ai quand je constate
qu’il m’a encore écrit! Il a rédigé un nouveau commentaire il y a quelques
minutes à peine, sous mon dernier poème!

Pas de poème de Noisettine aujourd’hui? Comme c’est


dommage! Je me faisais un plaisir de te lire. Reviens vite. À
très bientôt, je l’espère. A. S.
J’éteins l’ordinateur et je regarde autour de moi, discrètement. Et s’il était
là, quelque part dans cette pièce?
— Et puis, ton livre de recettes, est-ce que ça avance? me demande
Estelle qui ne se doute aucunement des émotions qui m’agitent.
Il me faut quelques secondes avant de comprendre ce que mon amie vient
de me dire. Je me secoue un peu pour me sortir de mes rêveries.
— Euh… oui. Mais c’est beaucoup plus de travail que ce que j’avais
évalué au départ.
Je sors une liasse de feuilles de mon sac. Jusqu’à présent, j’ai une
vingtaine de pages pour autant de recettes. J’ai complété environ la moitié
du livre, peut-être même un peu plus. Il y a certains gâteaux ou cupcakes
que j’ai refaits pour être bien certaine du résultat après les modifications
que j’avais apportées, et d’autres parce que je ne les avais pas préparés
depuis plus d’un an.
Estelle feuillette mon document. Elle a l’air impressionnée par mon
travail. J’ai porté une attention toute particulière à la mise en pages. J’ai
choisi une police de caractères distincte pour le nom de chaque recette, le
texte est aéré, les sources sont indiquées au bas des pages et une belle
bordure encadre le texte.
— Tout ce qui manque, ce sont des photos!
— Ouais… Je sais…
Pour les recettes que j’ai refaites récemment, j’ai pris des photos, mais je
ne suis pas une super pro. Maman possède un bon appareil qu’elle accepte
de nous prêter à l’occasion, mais je ne sais jamais comment cadrer mes
photos et je ne choisis pas le bon éclairage. Elles me semblent toujours un
peu ternes et mes desserts ne sont pas aussi appétissants que dans la réalité.
— Quand ton livre sera fini, est-ce que tu voudras m’en donner une
copie?
À côté de moi, Clémentine s’esclaffe. Elle se penche vers Estelle et
baisse la voix.
— Je lui ai demandé la même chose!
C’est vrai. Dès que j’ai parlé à Clémentine de mon projet, elle m’a dit
qu’elle voulait en avoir un exemplaire. J’ai trouvé sa demande un peu drôle,
car elle ne popote jamais, ou presque.
— Je sais, mais ça me permettra d’apprendre, m’a-t-elle répondu quand
je lui ai fait la remarque. Quoi de mieux que de suivre les recettes des
maîtres pour se former?
J’ai souri. Je suis tellement loin d’être un maître!
Il n’y a pas qu’Estelle et Clémentine qui m’ont demandé mon livre de
recettes. Même Lili le veut!
Estelle me regarde en attendant que je lui réponde.
— Je ne dis pas non, mais je n’ai aucune idée quand j’aurai fini.
Comme la première étape se termine bientôt, nous avons plusieurs
examens et travaux à remettre. J’ai moins de temps à consacrer à mon livre.
Dans quelques semaines, ce devrait être plus facile.
— Super! s’exclame Estelle. J’avais bien aimé cuisiner avec toi ce
printemps. Est-ce que la mousse au chocolat que nous avions préparée
figurera dans le livre?
— Oui, oui, ça devrait.
Je grimace intérieurement en repensant à cette journée. Tout s’était bien
passé jusqu’à ce que je sois malade. C’est à la suite de cet événement qu’on
a trouvé que je suis intolérante au lactose. Une chance que le lait et la crème
sans lactose existent, ainsi que mes petites pilules magiques, sinon la
gourmande que je suis aurait été très malheureuse.
La cloche retentit partout dans l’école. En sortant du local
d’informatique, je me tourne une dernière fois pour observer les autres
élèves. Mon cœur s’arrête lorsque je vois Luis se lever. J’essaie de me
convaincre que ce n’est qu’une coïncidence. La preuve, il est dans le même
groupe que Clémentine et il doit avoir, lui aussi, un travail à remettre en
éthique et culture religieuse. Il ne peut pas être mon admirateur, je ne le
connaissais même pas l’année dernière!
30 octobre

J’ai passé un contrat avec Louka. Il doit venir à l’école tous les jours, en
échange de quoi je ne lui demande jamais comment il va, je ne l’achale pas
pour qu’il me fasse la conversation, et quand on peut se mettre en équipe
(dans les cours où nous sommes ensemble), c’est moi qui fais le travail et il
copie mes réponses. Je sais que ça peut paraître exagéré, mais ça ne me
dérange pas. Il faut qu’il reprenne la routine. De toute façon, il n’a pas le
choix.
D’après ce que j’ai compris, ses parents étaient vraiment fâchés qu’il ait
fait l’école buissonnière à plusieurs reprises. Sa mère a même dit à son père
qu’elle pourrait redemander la garde exclusive de Louka s’il n’était pas
capable de l’encadrer correctement. Je trouve qu’elle y va un peu fort.
Francisco vient de perdre son amoureuse des cinq dernières années, il est
correct qu’il ne soit pas dans son état habituel. Et à ce que je sache, Louka
séchait aussi l’école les semaines où il était chez sa mère. Pourquoi est-ce
que les parents séparés sont toujours à couteaux tirés? Il doit sûrement y en
avoir qui s’entendent bien, mais je ne les connais pas. C’est triste.
J’ai fixé un petit calendrier dans le casier de Louka et chaque jour où il
est présent à l’école, j’y appose un autocollant, comme on le fait pour les
enfants. Il avait l’air un peu découragé de mon idée au début, mais il ne s’y
est pas opposé. Si je peux le faire sourire, j’aurai gagné mon pari! Quand
j’ai accompagné maman à la pharmacie pour acheter des couches (c’est fou
comme c’est cher pour quelque chose qui se retrouve à la poubelle après
quelques heures!), je lui ai demandé d’acheter aussi des autocollants de
superhéros. Elle a levé les yeux au ciel, mais elle a accepté sans rechigner.
Louka vient donc à l’école tous les jours, ou presque. Il n’est pas très
bavard et ses yeux se remplissent parfois de larmes sans raison, mais il est
là. Deux ou trois fois, il a demandé, ou plutôt j’ai demandé qu’il puisse ne
pas participer au cours de ballet classique ou de claquettes, et les profs ont
accepté de bon cœur. Pour celui d’Emmanuel, on n’a rien tenté. On savait
tous les deux que ça ne donnerait rien.
Je pédale autant qu’avant dans ce cours de hip-hop. Emmanuel n’est
jamais content, je me sens super nulle. C’est drôle, l’année dernière, les
claquettes étaient mon talon d’Achille et cette année, c’est le hip-hop.
J’essaie de me dire que bientôt, j’épaterai tout le groupe. Mais je n’en suis
pas convaincue. C’est difficile de l’être puisque le prof n’a jamais rien de
positif à me dire.
Hier, il s’est passé quelque chose de très particulier dans ce cours.
Emmanuel a invité sa sœur Anaëlle pour nous faire la démonstration d’une
chorégraphie qu’ils ont présentée récemment à un concours.
Quand je l’ai vue arriver dans le vestiaire, j’étais bouche bée. Je ne
m’attendais tellement pas à la trouver à cet endroit! Ça a dû paraître dans
mon visage, car Romy m’a immédiatement demandé si j’avais vu un
fantôme. «Chut!» lui ai-je chuchoté. Je me suis dit qu’Anaëlle ne
remarquerait peut-être pas tout de suite ma présence, mais il ne lui a fallu
que deux ou trois secondes pour me repérer. Elle ne me fait pas peur, mais
son comportement m’a tellement déçue que je préfère me tenir loin.
Elle s’avançait vers moi en souriant quand Justine et Élodie, deux filles
de mon groupe, l’ont accostée. Elles l’ont probablement connue à la maison
des jeunes. J’en ai profité pour ramasser mes espadrilles en vitesse et me
rendre dans le local de danse. Je suis allée m’asseoir avec Louka qui était
déjà là et j’ai serré sa main en guise d’encouragement.
Emmanuel a laissé sa sœur se présenter.
— Bonjour, je m’appelle Anaëlle Bouliane, j’ai treize ans et je fréquente
l’école secondaire anglophone St. James. Je suis bien contente de manquer
mes cours cet après-midi pour venir vous voir! blague-t-elle. C’est mon
frère qui m’a initiée au hip-hop il y a quelques années. Je le voyais répéter
dans le sous-sol de la maison et j’ai décidé de l’imiter. Depuis, je suis des
cours dans une école de danse et je participe parfois à des compétitions avec
lui ou d’autres élèves de mon groupe.
Même si j’ai un certain malaise vis-à-vis Anaëlle, je dois avouer que la
démonstration qu’elle a faite avec son frère était époustouflante. Mais
pourquoi cette fille n’est-elle pas en danse-études? C’est une vraie pro du
hip-hop, en tout cas. Ses mouvements étaient précis, fluides, on aurait dit
qu’elle ne faisait aucun effort pour exécuter la chorégraphie. Je sais
parfaitement que lorsque ça a l’air aussi facile, c’est qu’on a tellement
travaillé que les mouvements sont devenus automatiques, naturels.
Après leur prestation, Emmanuel s’est adressé à tout le groupe.
— Vous avez vu? C’est ça que j’attends de vous.
Plus facile à dire qu’à faire… J’ai encore beaucoup de croûtes à manger
avant d’arriver au même genre de résultat. Si je me fie aux commentaires
d’Emmanuel, je suis l’une des plus mauvaises élèves du groupe. Louka fait
sûrement aussi partie de ce palmarès.
Tout à coup, je me suis mise à m’ennuyer de Mika. J’avais hâte qu’elle
revienne. Mais ça n’est pas demain la veille, elle n’a même pas encore
accouché!
Perdue dans mes pensées, j’ai soudain remarqué qu’Anaëlle était juste
devant moi. Zut, je n’avais aucun moyen de me défiler, cette fois.
— J’ai quelque chose à te dire, mais tu te sauves tout le temps.
— Effectivement, je n’ai plus trop envie qu’on soit amies après ce qui
s’est passé cet été.
— J’ai très bien compris ça, je ne suis pas aveugle ou imbécile. Est-ce
qu’on peut passer à autre chose?
— Qu’est-ce que tu veux?
Elle a regardé discrètement son frère un peu plus loin dans le local.
— Je ne peux pas t’en parler tout de suite. Est-ce que tu viens au party
d’Halloween du Hameau?
— Ça devrait…
— D’accord, je te retrouverai là-bas.
Emmanuel a tapé dans ses mains.
— OK, on va maintenant commencer le cours.
Il a fait signe à sa sœur qu’elle pouvait partir.
— À bientôt alors, m’a-t-elle lancé en s’éloignant.
— Oui, c’est ça…
Que voulait-elle tant me dire?
31 octobre

Aujourd’hui, c’est l’Halloween. Avant, c’était ma fête préférée. L’année


dernière, à cette même date, j’embrassais Grégory et nous commencions à
sortir ensemble. J’avais des papillons dans l’estomac, des étoiles dans les
yeux. Je suis nostalgique. Toute la journée, à l’école, j’ai eu peur de le
croiser. J’ai cru discerner sa silhouette lorsque je suis sortie de l’autobus ce
matin, mais j’ai détourné la tête pour être bien certaine de ne pas surprendre
son regard.
Ce matin, j’ai encore pris du plaisir à enfiler mon costume, mais moins
que les années précédentes. Peut-être est-ce parce que je vieillis… Je ne sais
pas trop. Cette fois, j’ai opté pour un accoutrement plutôt conventionnel. Je
suis déguisée en sorcière: un chapeau pointu, une fausse verrue sur le nez,
un balai, des cheveux verts. Il n’y a rien de moins original que ce
personnage. Même Clara était étonnée de mon choix. Cette année, elle a
décidé de se déguiser en infirmière. Un sarrau et un stéthoscope autour du
cou et le tour est joué. Toute la journée, j’ai regardé les autres élèves se
promener dans l’école, affublés de déguisements spéciaux et je me trouvais
nulle.
Ma sœur et Romy m’accompagnent au party de la maison des jeunes.
Spécialement pour l’occasion, Clara a fait un plateau de cupcakes décorés
de toiles d’araignée.
— Le fondant fait vraiment toute la différence. Regarde comme ils sont
beaux! me fait-elle remarquer en souriant.
C’est vrai, ses cupcakes sont étonnants. On dirait de petites figurines
pour enfants. Tout le monde sera mal à l’aise de croquer dans ces mini
œuvres d’art. C’est parfait ainsi, ça m’en fera plus pour moi!
J’ai tenté de convaincre Louka de venir avec nous ce soir, mais il a
refusé. À un certain moment, je croyais qu’il allait flancher, mais
finalement, il a décidé de rester chez lui. C’est dommage, mais je ne peux
pas lui tordre un bras. «Je mettrai un autocollant de plus dans ton calendrier
si tu viens!» ai-je plaisanté. Il a esquissé un demi-sourire.
— Bien essayé, Lili.
Je n’avais rien à perdre…
Nous arrivons à la maison des jeunes à dix-neuf heures trente. Je voulais
y être un peu plus tôt, mais il est arrivé un petit accident à la maison qui
nous a retardées. Maman a fait brûler le souper. Ce n’est pas des blagues, je
pensais que le feu était pris quelque part quand j’ai entendu le détecteur
retentir et que j’ai vu la boucane qui avait envahi le rez-de-chaussée. La
sauce à spaghetti a débordé de la casserole et comme maman était occupée
à changer la couche de Violette, elle ne s’en est pas aperçue tout de suite. Il
y a eu plus de peur que de mal, mais elle a dû jeter tout le contenu de la
casserole, car la sauce avait brûlé dans le fond, en plus du dégât sur la
plaque de la cuisinière. Papa, qui rentrait justement du travail, est arrivé en
même temps que moi dans la cuisine. «Je voulais mettre le feu au
minimum, mais je me suis trompée et je l’ai mis au plus fort», a expliqué
maman. Papa l’a serrée dans ses bras pendant qu’elle sanglotait. Moi, j’ai
pris Violette et j’ai essayé de lui changer les idées en faisant des grimaces.
Ensuite, maman est allée se coucher et papa nous a fait des croque-
monsieurs. Il est venu nous conduire avec Violette qui s’est endormie dans
la voiture.
La maison des jeunes est déjà bien pleine lorsque nous entrons. Clara va
porter le plateau de cupcakes sur la grande table où se trouvent déjà
quelques bols de chips et des bouteilles de boissons gazeuses.
— Merci Clara! Tes cupcakes sont superbes, comme toujours, déclare
quelqu’un dans notre dos.
Je me retourne et je tombe nez à nez avec Charline qui est déguisée en
voiture! Elle a bricolé une grande boîte de carton qu’elle a accrochée à ses
épaules à l’aide de cordes. Elle y a peint des portières, des phares et un
pare-brise. C’est un peu enfantin, mais c’est tout de même rigolo.
— Cool, ton déguisement! lui dis-je. Tu es une artiste qui s’ignore.
Elle prend un air faussement offusqué.
— Ne ris pas. Je l’ai fait avec mon neveu.
Clara va rejoindre son amie Clémentine qui vient d’arriver… déguisée en
clémentine! Elle, c’est vraiment une fille qui a le cœur à la fête!
Des petits concours d’habiletés sont organisés par les animateurs et je
décide de participer au jeu de poches. Contre toute attente, je me rends en
finale. J’affronte François, un des gars qui va à l’école de ma sœur. C’est lui
qui gagne, mais l’animateur m’annonce que je ne repartirai pas les mains
vides. Un prix de consolation, c’est toujours chouette! Il s’approche et me
tend… une poignée de caramels durs. Mon expression change
complètement. Une autre chose qui me rappelle Grégory! Quand je sortais
avec lui, je m’étais fait la réflexion que l’amour ressemblait à un caramel
dur. C’est bon au goût, mais ça colle aux dents et ça devient désagréable.
Quel triste hasard.
— Merci, mais tu peux les donner à quelqu’un d’autre. Je n’aime pas
tellement ces bonbons, marmonné-je en m’éloignant.
Je décide d’aller prendre un peu l’air dehors pour me changer les idées.
Le ciel est dégagé. Je regarde les étoiles. Le spectacle me fascine autant que
lorsque j’étais enfant.
Je sens sa présence avant même qu’elle n’ouvre la bouche.
— Je te retrouve enfin!
C’est Anaëlle. Il fallait bien que je m’y attende.
— Bon, de quoi voulais-tu TANT me parler?
— De mon frère.
Ah ben! Si je m’attendais à ça…
— Qu’est-ce qu’il a, ton frère? Il s’est plaint que j’étais la pire de ses
élèves?
— Non, au contraire.
— Attends. Pourrais-tu m’expliquer? Je ne suis pas sûre de te suivre.
— Je sais à quel point il peut être sévère et intransigeant. Mais je t’assure
qu’il n’agit comme ça qu’avec ceux en qui il croit vraiment. Il se fout qu’on
l’aime ou pas, il veut aller chercher le meilleur de ceux qui ont du talent.
Je suis bouche bée. Ce que dit Anaëlle a du sens, mais elle pourrait très
bien me mentir. L’honnêteté n’est pas une de ses grandes qualités, comme
j’ai pu le constater cet été.
— Je ne devrais peut-être pas te croire.
Elle sourit.
— Je connais très bien mon frère. Je l’ai entendu dire à un de ses copains
qu’il trouvait que tu avais du potentiel. “Lili, une petite brune qui a du
front”, il n’y en a pas des tonnes, quand même. Je te gage qu’il t’a même
fait le coup de la mort de mon grand-père.
Comment peut-elle savoir ça? Anaëlle regarde ma réaction et se met à
rire.
— Il te l’a fait, hein? C’est son arme secrète. Et je vais te faire une
confidence, la dernière fois qu’il a vu notre grand-père, il avait quatre ans.
Et moi, je ne l’ai jamais connu puisqu’il a déménagé en Allemagne et a
coupé les liens avec toute sa famille au Québec. Alors oui, quand il est
mort, mon frère est quand même allé à sa compétition!
Je n’en reviens pas. Alors, mon prof ne trouve pas que je suis un gros
zéro! Et moi qui étais certaine qu’il me détestait. En fait, il me déteste peut-
être, mais il croit que j’ai du talent. Je demeure tout de même un peu
suspicieuse.
— Mais pourquoi me dis-tu cela au juste?
— Je t’en devais une. Ce qui est arrivé cet été m’a beaucoup fait
réfléchir. Je sais que tu n’as rien dit à Charline. Il m’arrivait de voler
quelques dollars à mes parents ou à des amis sans aucune raison, mais
depuis le mois d’août, j’ai gardé mes mains dans mes poches. Bref, je sais
que mon frère peut être désagréable et je ne voudrais pas qu’il te dégoûte du
hip-hop.
En fin de compte, Anaëlle n’est pas aussi mauvaise que je le croyais.
Tout à coup, ma soirée s’annonce beaucoup plus joyeuse que ce que j’avais
envisagé au départ. Je lui propose en souriant:
— J’entends de la bonne musique à l’intérieur. Est-ce que ça te tente
qu’on aille danser?
8 novembre

Charles-Édouard a trouvé l’adresse IP de mon admirateur secret, mais


malheureusement, ça n’a donné aucun résultat concret. Nous savons
seulement que les messages sont envoyés de Terrebonne, qui est à plus de
cinquante kilomètres d’ici. Par hasard, nous avons essayé de voir quel genre
de renseignements on obtenait quand on entrait l’adresse IP d’un ordinateur
du local informatique de l’école et, à notre grand étonnement, la même
réponse est apparue! J’ignore ce qui se passe à Terrebonne, mais je sais
pertinemment que le collège n’y est pas! Retour à la case départ. Je suppose
que mon admirateur est un élève de l’école, mais je n’ai aucune autre
information en poche.
Mon poème a été publié sur le site du journal étudiant et dès le
lendemain, mon admirateur m’avait écrit. Quelques mots tout simples qui
m’ont encore remué les tripes. Pourquoi est-ce que je suis incapable de me
détacher de ses mots? J’ai essayé, en vain.
De plus en plus, je me demande si François ne serait pas mon admirateur
secret. Il n’a jamais fait d’allusion à propos de la poésie ou du journal
étudiant, mais son comportement à mon égard est un peu suspect. Il veut
trop être mon ami. Encore aujourd’hui, il a voulu faire le travail de sciences
avec moi et je n’ai pas osé refuser. Je n’ai jamais ressenti d’affinité
particulière avec lui, au contraire d’Étienne que je trouve plus sympathique.
François en fait souvent trop, comme s’il avait quelque chose à prouver, et
voulait impressionner les autres.
— Et si c’était lui le gars qui t’écrit? hasarde Clémentine en dévisageant
François.
— Non!
Oups! J’ai parlé un peu fort. Tous ceux qui sont assis autour de nous dans
la cafétéria se retournent. Merdouille! Je baisse le ton.
— Je n’ai pas envie que ce soit lui. Je ne suis pas amoureuse de François.
Pas du tout.
— Peut-être, mais il y a quand même une possibilité que…
Elle croque dans sa branche de céleri et attend que je réagisse.
— Si c’est lui, j’arrête d’écrire des poèmes pour le journal étudiant. Sans
blague. Je ne veux pas l’encourager, je ne suis pas du tout intéressée.
Mais comment savoir? L’après-midi passe et je ne peux m’empêcher de
regarder François d’un autre œil. Dans l’autobus, j’oublie presque de me
lever à mon arrêt tellement je suis perdue dans mes pensées.
Vers vingt heures, je suis sur le point de prendre ma douche quand le
téléphone sonne. Je laisse Lili répondre, car on l’appelle beaucoup plus
souvent. Ma sœur frappe à la porte de la salle de bain.
— Clara, c’est pour toi. C’est Clémentine!
Je noue ma serviette autour de moi et je me dirige vers notre chambre.
— Allô, me dit-elle. J’ai pensé à ce que tu m’as dit à propos de François.
Il faut savoir si c’est lui ou non. On va changer notre tactique. On va y aller
par élimination. Il faudrait peut-être que tu te rapproches un peu de lui. Il se
trahira peut-être…
Je plisse le nez de découragement.
— Clémentine, je n’aime pas François. Comme ami, ça passe toujours,
mais je n’ai aucune envie de devenir plus intime avec lui. Je ne veux pas lui
donner de fausses idées.
— Je savais que tu ne voudrais pas… Estelle pensait la même chose que
moi, mais je me suis dit que je t’en parlerais quand même. Si c’était bel et
bien François, ton admirateur secret, tu le verrais peut-être autrement.
Décidément, mes amies s’investissent à fond dans cette histoire! Elle
poursuit:
— Sinon, on a eu une autre idée.
J’ai presque peur de ce qu’elle va me dire. À quoi ont-elles pensé? Je
laisse retomber mes épaules. Ça ne vaut pas la peine de stresser, elles ne
veulent que mon bien, après tout.
— Estelle ou moi, on pourrait l’espionner. D’ici quelques jours, un autre
de tes poèmes sera publié sur le site du journal. Ton admirateur secret te
laisse toujours un message le jour même. Il l’écrira peut-être encore à partir
d’un ordinateur d’un des deux locaux d’informatique, ou avec un iPod, ou
un cellulaire. Si on voit François écrire un message, on saura que c’est lui.
De prime abord, l’idée n’est pas mauvaise.
— Et s’il vous repérait? Vous n’êtes pas des espionnes professionnelles,
après tout.
— Bah, on inventera quelque chose, n’importe quoi. On a le droit de se
promener dans l’école comme on veut! Toi, tu continueras à agir comme si
de rien n’était.
Je frissonne sous ma petite serviette qui n’arrête pas de se défaire. Je me
demande bien comment font les filles dans les films pour être capables de
vaquer à leurs occupations normales et se promener dans la maison avec
une serviette nouée au-dessus de leur poitrine!
— Je ne dis pas non. Là, il faut que je te laisse, je m’en allais dans la
douche et je commence à avoir froid aux jambes. On s’en reparle demain,
OK?
— D’accord! Je suis sûre que ça va fonctionner! C’est excitant!
11 novembre

Mon poème est en ligne sur le Web depuis ce matin. C’est la première
chose que j’ai vérifiée en arrivant à l’école. Je crois que notre plan pourrait
fonctionner. Estelle et Clémentine alternent leur période d’espionnage pour
éviter d’éveiller les soupçons. Moi, je ne change rien à mes habitudes.
Après le dîner, je vais aller à la bibliothèque et si l’une ou l’autre a du
nouveau, elles viendront me rejoindre. Si nous découvrons que François est
mon admirateur secret, ma vie pourrait changer du tout au tout. Toutes mes
illusions vont tomber. Je ne peux pas croire que je pourrais être amoureuse
d’un garçon qui m’écrit des messages, alors que je ne ressens aucune
attirance pour lui dans la vraie vie!
J’ai eu beaucoup de difficulté à déjeuner ce matin, et à midi, ma lasagne
ne me semble pas aussi appétissante que d’habitude. C’est un de mes plats
préférés, mais les émotions me coupent l’appétit. Une chance que ça ne
m’arrive pas souvent, car je serais maigre comme un clou.
En route vers la bibliothèque, je suis perdue dans mes pensées. Je crois
entendre mon nom, alors je me retourne.
— Clara!
C’est Étienne accompagné de Luis.
— Clara, ça fait trois fois que je répète ton nom.
— Ah oui? Désolée. Je pensais à autre chose.
Luis sourit. Il s’apprête à ajouter quelque chose, mais Étienne est plus
rapide que lui.
— J’ai bien vu ça! Tu es sûre que ça va?
Il semble inquiet. Est-ce que j’ai l’air d’aller si mal que ça? Quand je me
suis regardée dans la glace tantôt en allant aux toilettes, j’ai trouvé que
j’avais peut-être des cernes un peu plus prononcés que d’habitude (c’est ce
qui arrive quand on ne dort pas), mais je ne pensais pas être aussi mal en
point.
— Tout va bien!
Je souris, mais je n’ai pas l’impression de le convaincre. J’ai toujours été
une piètre menteuse.
— OK, à plus alors!
Je continue mon chemin, encore plus songeuse que tantôt. Et si c’était
Étienne, mon admirateur? Il est toujours gentil avec moi, mais, au contraire
de François, son attitude est humble et franche. Il est honnête, respectueux,
comme mon mystérieux inconnu. Mais je ne peux pas courir après deux
lièvres à la fois. Il faut procéder par élimination. Si ce n’est pas François, on
avisera.
Je dessine des fleurs dans la marge de mon cahier jusqu’à treize heures.
Je ne peux me concentrer sur quoi que ce soit. Je suis bien trop énervée!
Une chance que les gros examens de la première étape sont terminés, car je
n’ai pas la tête à étudier en ce moment. Je tiens à avoir de bonnes notes à
l’école, mais mon cœur et mon cerveau ne s’entendent pas toujours…
Je ne quitte pas la porte de la bibliothèque des yeux. La cloche retentit
partout dans l’école. Ni Estelle ni Clémentine ne sont venues me voir. Je
prends mon classeur et ma trousse, et me dirige vers mon local de sciences
d’un pas hésitant. Alors que je mets le pied sur la première marche de
l’escalier, Clémentine arrive en courant, hors d’haleine. Elle s’appuie contre
le mur et prend quelques instants pour récupérer son souffle.
— Ce n’est pas lui, on en a la confirmation! Ton admirateur t’a bel et
bien laissé un message, mais François n’a pas touché à un clavier ou à un
écran de toute la période du dîner! Je vais être en retard à mon cours. On
s’en reparle à la récré.
Ouf! Ce n’est pas François! Je suis soulagée! Mais est-ce que c’est
Étienne? Je frissonne un peu. Suis-je vraiment prête à le savoir? Soudain, je
doute. Je ne sais pas comment je me sentirais si j’apprenais que c’est lui. Je
l’aime bien (plus que François, c’est sûr), mais est-ce que je l’aime un peu
plus que ça? Je crois qu’il faut que j’y songe sérieusement.
13 novembre

Avec Louka, nous sommes allés au paintball hier après-midi. Papa a eu


plusieurs billets gratuits par un collègue qui connaît le propriétaire du
terrain. J’ai même invité Elias, le frère de mon ami. Il était surpris, mais
surtout super content de se joindre à nous. La journée a été très animée et
j’en suis ressortie avec plein d’ecchymoses. Ça pince quand on reçoit des
balles! Aïe! Aïe! Aïe! Si Clara était venue avec nous, elle n’aurait pas du
tout aimé. Elle a préféré rester à la maison pour avancer son livre. Je crois
que Louka s’est bien amusé. Je l’ai vu sourire à plusieurs reprises, ce qui
n’arrive pas souvent ces derniers temps. C’est positif!
À notre retour, en voyant Clara retranscrire à l’ordinateur la recette de ses
fameux cupcakes érable et noix, je me suis dit que ce serait une bonne idée
d’en préparer pour Louka et sa famille. Louka m’a justement dit dans la
voiture que son père était super nul pour faire la cuisine et qu’ils
mangeaient constamment des plats tout préparés en épicerie ou congelés.
Clara a bien aimé bien mon idée.
— Je vais lui en faire une grosse fournée tantôt et tu pourras les lui
apporter à l’école. Maman est en train de faire un potage aux légumes pour
souper, alors vaut mieux ne pas traîner dans ses pattes pour l’instant.

J’ai essayé de suivre les conseils de papa avec Louka, mais je commence
à manquer un peu d’imagination. Je n’aurais jamais cru dire ça, moi qui ai
habituellement des idées à revendre. Et changer les idées d’une personne
déprimée, ça demande beaucoup d’énergie. Je voudrais tellement qu’il soit
plus heureux, qu’il reprenne goût à la vie…
— Lili, depuis des semaines, je suis sérieusement en train de me
demander si tu n’es pas amoureuse de Louka.
Romy et moi sommes sorties pour marcher un peu pendant la récréation
parce qu’il fait super chaud pour une journée de novembre. Le thermomètre
chatouille la quinzaine de degrés et j’ai décidé de faire ma dévergondée et
de ne pas mettre mon manteau.
Moi, amoureuse de Louka? Ben voyons!
— Romy, je croyais que tu me connaissais mieux que ça. Louka est mon
ami, il n’y a rien de plus entre nous. J’ai répété la même chose à Grégory au
printemps. Pourquoi est-ce que dès qu’un garçon et une fille passent du
temps ensemble, tout le monde pense qu’ils sont amoureux?
— Tu ne le lâches pas d’une semelle. Tu parles en son nom aux profs de
danse, tu es toujours en train de lui demander si tu peux faire quelque chose
pour lui, sans compter les petits autocollants. Tu exagères.
— Sa belle-mère est morte, Romy!
Mon amie roule les yeux vers le ciel.
— Moi aussi, je trouve que c’est super triste, que des malheurs comme
celui-là ne devraient jamais arriver, mais je te le répète, tu en fais trop.
Laisse-lui un peu plus d’air!
Tout à coup, Romy semble mal à l’aise. Elle vient de penser à quelque
chose dont elle n’a pas envie de parler. Je m’impatiente un peu.
— Quoi?
— Ben… Je ne suis pas toute seule à me demander la vraie nature de ta
relation avec Louka. Il y a d’autres filles qui sont venues me poser la
question pas plus tard que ce matin.
Bon, manquait plus que ça! Il y en a qui commèrent sur mon compte,
maintenant! Je sais que je ne suis pas parfaite. C’est peut-être vrai que j’en
fais trop, mais il n’existe pas de «manuel de l’amie d’un garçon dont la
belle-mère vient de mourir», car c’est sûr que j’en aurais acheté un
exemplaire tout de suite! Je veux faciliter les choses à Louka, c’est tout.
Pour qu’il reprenne goût à la vie. Qu’est-ce qu’il y a de mal là-dedans?
14 novembre

— Louka, est-ce que tu penses que j’en fais trop?


J’ai décidé de prendre le taureau par les cornes et de poser à mon ami la
question qui me turlupine depuis deux jours. Romy a semé le doute dans
mon esprit. Puisque nous avons un remplaçant en maths et que c’est une
période libre, nous avons amplement le temps de parler.
Louka paraît d’abord mal à l’aise, puis il soupire, comme s’il était sur le
point de m’avouer quelque chose de grave. Ah non! Il hésite, puis se lance.
— Un peu.
— Mais pourquoi tu ne me l’as pas dit?
— Je ne sais pas… C’est sûr que j’apprécie ce que tu fais pour moi. Ça
m’aide beaucoup, mais je ne suis pas invalide non plus.
Je mets ma tête entre mes mains. Si j’étais ma sœur, je suis sûre que je
pleurerais! J’essaie de contenir mes émotions, ça ne mènerait à rien que je
craque. Voyant que ce qu’il vient de me dire m’a ébranlée, Louka se
reprend.
— Me changer les idées en allant au paintball, en m’apportant des
cupcakes ou en me donnant les notes des cours que j’ai manqués, c’est
super. Mais les autocollants de superhéros, c’était rigolo le premier jour,
mais c’est devenu un peu agaçant. Je n’ai plus quatre ans. OK, je ne suis
pas très concentré, mais je suis aussi capable de faire mes travaux dans les
cours. Pas besoin de tout faire à ma place.
Il a sûrement raison. Le message ne peut pas être plus clair. Je baisse la
tête.
— Je m’excuse, Louka.
— Non, non, ne t’excuse pas. Tu t’investissais tellement que je n’ai pas
osé t’en parler. De toute façon, je n’aurais pas eu la force de le faire.
Aujourd’hui, je vais un peu mieux. J’ai les idées moins noires qu’il y a un
mois et demi et c’est aussi grâce à toi. Merci d’être là, Lili.
C’est plus fort que moi, j’agrippe ses épaules et je le serre très fort dans
mes bras. Je ne lui en veux pas, au contraire. C’était une bonne idée de tout
me dire.

C’est vraiment cool que ma sœur fasse un livre de recettes. Du coup, elle
prépare encore plus de desserts que d’habitude. Et comme maman va au
gym et surveille tout ce qu’elle mange, il y en a plus pour le reste de la
famille. Papa a glissé un petit morceau de gâteau à la vanille dans la bouche
de Violette tantôt (sans que maman le voie, évidemment!) et elle a eu l’air
d’apprécier. En fait, elle a tellement aimé ça qu’elle criait pour en ravoir.
Bientôt, je sens qu’il y aura une nouvelle gourmande dans la famille
Perrier!
Une tranche de gâteau à la main, je me fais la réflexion que Frédéric ne
m’a jamais réécrit après le courriel où il m’annonçait sa séparation avec
Summer. Summer qui n’a duré que le temps d’un été… Mauvais jeu de
mots, je sais.

Allô, allô, la Terre appelle Frédéric! Est-ce que tu es toujours


en orbite?
Je m’inquiète un peu, je n’ai plus eu de tes nouvelles depuis
trois semaines. Comment tu vas? Tu peux tout me dire. Fais-
moi signe quand tu auras deux minutes, s’il te plaît.
Ex-miss Claquettes dorénavant miss Hip-Hop (Il paraît que
j’ai du talent, même si le prof me critique devant toute la
classe. Si tu veux en savoir plus, tu dois me réécrire! Na!)
Je me demande s’il le fera… Je laisse l’ordinateur allumé sans trop
espérer qu’il me réponde. Vaut mieux me changer les idées, car je pourrais
attendre longtemps après lui. Je vais m’étendre sur le lit de ma sœur qui est
plongée dans un roman. Elle lit une grosse brique d’au moins quatre cents
pages. Jamais je ne serais capable de m’attaquer à ce genre de livre par
plaisir. Faudrait qu’un ninja menace de me décapiter pour que j’ose le faire.
J’ai bien un devoir d’univers social à terminer, mais je me sens paresseuse.
Je le ferai demain matin, dans l’autobus.
Clara ne remarque même pas que je suis à côté d’elle. Un morceau de
satellite spatial me tomberait sur la tête qu’elle n’en serait même pas
consciente. Je prends une bande dessinée Les Nombrils sur sa table de nuit
et je tourne la première page. Clara me regarde avec de grands yeux.
— Tu lis, toi?
— J’ai le droit, non? Il y a plein d’images dans ce livre-là et l’histoire est
facile à comprendre. C’est en plein pour moi.
— C’est juste que ça ne t’arrive pas souvent…
— N’aie pas peur, ça ne deviendra pas une habitude!
Nous lisons en silence pendant une trentaine de minutes. La maison est
inhabituellement calme. Violette doit s’être endormie. Il lui arrive parfois
de tomber de sommeil dans sa chaise haute tandis que papa ou maman la
fait manger. C’est trop mignon!
Je referme mon livre en bâillant.
— Assez pour moi. J’ai fait ma B.A. du mois. Au fait, Clara, sais-tu
quoi? J’ai eu la troisième meilleure note de la classe en sciences. J’étais tout
énervée! Et j’ai réussi mon examen d’anglais que je croyais avoir échoué.
C’est cool, hein?
Ma sœur émet un semblant de grognement. Elle est décourageante!
— Si ça ne t’intéresse pas plus que ça, je vais aller voir si Frédéric m’a
répondu.
Je ne me fais pas d’illusion, mais ce serait une belle surprise.
Yé! Il m’a écrit! Je m’empresse de lire son message.

Yo, miss Hip-Hop!


Mea culpa. Je sais que je n’ai pas été très jasant la dernière
fois. J’ai vécu un coup dur, mais c’est derrière moi. Summer et
moi, on a eu une bonne discussion qui m’a beaucoup aidé à me
remettre les idées en place. Summer a été honnête. Je sais que
ce n’était pas son intention de me faire de la peine. L’amour, ça
ne se commande pas, hein? Et j’ai pu perfectionner mon
anglais. Faut voir le bon côté des choses!
C’est peut-être trop tard pour la question que tu m’as posée
dans ton dernier message, mais je vais te répondre quand
même, au cas où… Je ne sais pas exactement quel genre de
gars est Louka, mais moi, quand je n’ai pas le moral, j’ai
besoin qu’on me fiche un peu la paix. Il faut que je me retrouve
seul pour digérer ce qui ne va pas. Pas besoin de faire des
pieds et des mains pour moi, on doit juste me laisser tranquille.
Et quand j’ai ruminé assez longtemps, je me reconnecte avec la
réalité comme si de rien n’était. C’est la manière dont mon
cerveau fonctionne.
Et c’est quoi l’histoire du hip-hop? As-tu une vidéo d’une de
tes chorégraphies sur YouTube? J’aimerais bien te voir en
pleine action!
À+
Fred

Eh bien! À croire qu’ils se sont tous passé le mot! Peut-être mon attitude
avec Louka aurait-elle été un peu différente si j’avais lu avant ce que
Frédéric vient de m’écrire. Je ne peux plus rien y changer maintenant. Ce
qui est fait est fait. J’ai tenté quelque chose et je me suis trompée. La
prochaine fois, je ne répéterai pas la même erreur, même si je me croise les
doigts et les orteils pour qu’une telle épreuve n’arrive plus jamais à une
personne que j’aime.
18 novembre

Ce soir, il y a une représentation gratuite d’un film à la maison des


jeunes. Les tables ont été poussées le long du mur et tout le monde a
apporté des coussins pour s’asseoir ou s’étendre sur le plancher, car il n’y a
pas assez de place sur les sofas. Une odeur de pop corn flotte dans la pièce.
J’ai très bien mangé pour souper, mais tout à coup, j’ai encore faim.
Nous sommes assises à côté d’Anaëlle. Lili s’est tout de suite dirigée vers
elle lorsqu’elle l’a vue. Elles se sont réconciliées. Ce ne sont pas de grandes
amies, mais elles ont beaucoup jasé les deux dernières fois que nous
sommes venues au Hameau. Clémentine n’est pas encore arrivée, mais elle
ne devrait plus tarder. Elle m’a avertie qu’elle serait ici à la toute dernière
minute, car elle a un rendez-vous chez le dentiste.
Ma sœur et Anaëlle s’amusent comme des petites folles à imiter une
actrice connue. Elles connaissent plein de ses répliques! Presque toutes les
personnes autour les regardent et rigolent autant qu’elles. Je reste un peu à
l’écart, car ce n’est pas du tout mon genre. Je regrette de ne pas avoir
apporté mon roman. Lili m’a dit que j’aurais l’air d’une nerd finie, alors j’ai
choisi de le laisser dans ma chambre. Je sais qu’elle ne m’a pas dit ça
méchamment. Elle est parfois très directe, c’est dans sa personnalité. Mais
je n’ai pas envie de passer pour une super rejet.
Le film commence dans une dizaine de minutes. J’ai encore le temps de
faire le plein de pop corn et de boisson gazeuse. Je ne suis pas toute seule à
avoir eu cette idée. Lolo, l’animateur du centre, ne fournit pas! Mon sac à la
main, je m’apprête à aller me rasseoir lorsque Luis surgit devant moi. Je
suis un peu gênée. Il n’a pas l’air mauvais, mais il m’intimide quand même.
Comme toutes les personnes que je ne connais pas beaucoup.
— Est-ce que tu as déjà vu le film, toi? me demande-t-il.
— Non.
Si ce n’était que de moi, je retournerais à ma place immédiatement, mais
je sais que ça ne se fait pas. Je m’oblige à trouver quelque chose à lui dire.
— Et toi? lui demandé-je à mon tour, tout en faisant des efforts pour
sourire.
— Oui, je suis allé le voir au cinéma cet été avec mes parents. Il est
génial, c’est pour ça que j’ai envie de le revoir.
— Super. J’espère que je vais l’aimer autant que toi.
Qu’est-ce que je pourrais ajouter d’autre?
— Est-ce qu’Étienne et François sont là?
— Non, ils avaient déjà quelque chose de prévu ce soir.
C’est dommage pour lui. Ce n’est pas un garçon qui semble avoir
beaucoup d’amis. Les quelques fois où je l’ai croisé dans le corridor, il était
presque toujours seul. Un jour, il y avait même des grands qui le niaisaient à
cause de sa taille. Ils l’appelaient le nain, le minus, et personne ne prenait sa
défense. C’est un prof qui est finalement intervenu pour que les autres le
laissent tranquille. Maintenant, je lui fais un petit sourire quand je le
rencontre quelque part, mais nous entamons rarement de vraies
conversations.
Luis poursuit:
— S’ils avaient su que tu étais là, ils seraient sûrement venus, ils parlent
tellement souvent de toi! Ils vont être déçus.
Euh… Est-ce que j’ai bien entendu? Soudain, Luis change d’air. Il
semble mal à l’aise, comme s’il avait trop parlé. Il se balance sur un pied et
sur l’autre en détournant le regard. Et moi, je suis figée sur place.
Charline allume et éteint les lumières deux ou trois fois.
— Le film commence dans deux minutes! Last call! Deux minutes!
— Je vais aller m’asseoir, je suis là-bas, me dit Luis en pointant un gros
coussin vert.
— OK. Bon film.
Je suis un peu sonnée. Je vais rejoindre ma sœur qui fait encore toutes
sortes de simagrées avec Anaëlle. Je pense qu’elle n’a même pas remarqué
que je m’étais levée. Mes joues sont brûlantes et j’ai l’impression que mes
oreilles bourdonnent.
Charline éteint les lumières. On entend des «Chut!» et des fous rires fuser
un peu partout à travers la pièce. Clémentine arrive enfin à côté de moi, tout
essoufflée.
— Je t’ai manquée? me demande-t-elle en souriant.
Elle me pique une poignée de pop corn, les yeux rivés sur l’écran où
défile maintenant le générique d’ouverture.
— Clémentine, il faut que je te parle. C’est important.
— Ça ne peut pas attendre après le film? J’ai vraiment envie de le
regarder. J’ai vu la bande-annonce sur Internet, il a…
Je lui coupe la parole, un peu excédée.
— Non, ça ne peut pas attendre.
Clémentine a l’air étonnée. Il ne m’arrive pas souvent d’être aussi
brusque. Au même moment, Lili me tape sur l’épaule.
— Clara, baisse le ton, il y a plein de monde autour de toi.
C’est drôle qu’elle me dise ça. D’habitude, c’est plutôt mon genre de
réplique. Clémentine se rapproche pour que je puisse lui parler à l’oreille.
Je baisse le ton et je lui répète mot pour mot ce que Luis m’a dit quelques
instants plus tôt. Clémentine ouvre la bouche d’étonnement.
— Il y a donc bel et bien un des garçons, ou peut-être même les deux, qui
apprécient tout particulièrement ta compagnie…
— C’est la réflexion que je me suis faite moi aussi. Il est probable qu’un
des deux soit mon admirateur secret.
Clémentine poursuit:
— Et comme ce n’est pas François, puisque nous en avons eu la preuve
l’autre jour, ce ne peut être qu’Étienne!
— Il ne faut pas sauter aux conclusions trop vite. On n’est encore sûres
de rien.
Nous tournons nos yeux vers l’écran quelques instants. Deux hommes
sont engagés dans une course folle au volant de voitures de luxe. C’est
drôle, il me semble que plein de films débutent ainsi. Clémentine revient
vers moi.
— C’est super excitant, mais est-ce qu’on peut en reparler tantôt? De
toute façon, ce n’est pas l’idéal de discuter pendant un film.
Je soupire intérieurement. Je sais, nous sommes venues ici pour regarder
le film, mais je sais aussi pertinemment que je serai incapable d’y prêter
attention maintenant que j’ai appris qu’Étienne et François parlent souvent
de moi…
23 novembre

À midi, nous reprenons le même petit jeu qu’il y a deux semaines pour
découvrir si Étienne est bel et bien mon admirateur secret.
Je suis nerveuse à la puissance dix. La dernière fois, lorsque mes amies
ont espionné François, j’étais énervée, car je ne voulais pas que ce soit lui.
Cette fois, c’est très différent. J’aime bien Étienne. En fait, ça ne me
dérangerait pas que mon admirateur et Étienne soient une seule et même
personne. Je m’étonne moi-même! C’est un des rares garçons en qui j’ai
confiance. Je crois même que c’est le seul. Il a un beau petit look avec ses
cheveux roux frisés. Il se démarque des autres.
Je fais des efforts considérables pour ne pas trop y penser. Je n’ai pas
envie d’être déçue. De toute façon, comme je l’ai répété à Estelle et
Clémentine, je n’avouerai pas à mon admirateur secret que je connais son
identité. Ce sera une information que je garderai pour moi. J’imagine que la
situation ne sera pas nécessairement facile à vivre, mais c’est celle avec
laquelle je suis le plus à l’aise.
Le poème que j’ai écrit pour le journal étudiant d’aujourd’hui est très
spécial. C’est un poème qui parle d’amour. J’en ai déjà écrit quelques-uns
auparavant, mais je n’ai jamais voulu les donner à lire à ma sœur ou à
Clémentine. Je les ai gardés pour moi seule, car je les trouvais beaucoup
trop intimes. Ils sont cachés sous mon matelas pour que personne ne les
trouve. Ce sera donc la première fois qu’un de mes poèmes d’amour sera lu
par d’autres. J’ai rédigé plusieurs versions avant de le faire parvenir à
Estelle. D’ailleurs, j’ai hésité jusqu’à la dernière minute. Était-ce une bonne
décision? Est-ce que j’en révélais trop sur moi? Est-ce que j’allais le
regretter? Puis, j’ai retenu mon souffle, j’ai fermé les yeux et j’ai pesé sur le
bouton «Envoyer». Je crois que c’est l’un de mes poèmes les plus réussis,
mais j’ai peur d’être allée trop loin. Il est trop tard pour revenir en arrière,
maintenant.
Pendant que Clémentine et Estelle jouent aux agents secrets, j’ai décidé
d’aller marcher dehors. C’est très rare que j’aie ce genre d’envie. Je dois
être dans un état vraiment particulier pour choisir le froid de novembre
plutôt que l’odeur douceâtre des vieux livres de la bibliothèque.
Ce matin, j’ai emprunté les gants de ma sœur, car je ne retrouvais pas les
miens. Je sais qu’elle déteste les porter. Pourtant, ils sont très jolis avec
leurs zébrures roses et noires. Ils s’agencent tout à fait avec mon manteau
noir, alors je pense que je vais les lui emprunter à long terme. J’ai hâte qu’il
neige. Le paysage est morne à ce temps-ci de l’année avec les arbres
dépouillés et le ciel tout gris.
Mes pas sont silencieux. Je marche rapidement pour me tenir au chaud.
Je regarde tout autour de moi en m’obligeant à ne pas penser à ce qui se
passe derrière les murs de l’école. J’y réussis assez bien, mais pour y
parvenir, je révise mentalement toutes mes tables de multiplication et je
récite trois fois la fable Le Corbeau et le Renard de La Fontaine. Je l’ai
apprise en sixième année (et je n’ai jamais été capable de la réciter devant
la classe, d’ailleurs!).
Dix minutes avant que la cloche annonce la fin de l’heure du repas, je
rentre à l’intérieur, à demi frigorifiée. Estelle et Clémentine m’attendent à
mon casier. Elles ont l’air un peu débinées. Ça me fait peur…
— T’étais où? On t’a cherchée dans la moitié de l’école!
— Dehors. J’avais besoin de prendre un peu l’air. Qu’est-ce qui se passe?
Est-ce que c’est Étienne?
— Non, ce n’est pas lui. On l’a suivi pendant quarante-cinq minutes et il
n’a approché aucun cellulaire, iPod ou ordinateur, laisse tomber Estelle.
Mes deux amies se regardent, comme si elles hésitaient à poursuivre.
— Pourtant, ton admirateur secret t’a laissé un message, dit Clémentine
en me tendant son iPod où s’affiche le site du journal étudiant.

Bonjour Noisettine. Ceci est mon dernier message. Même si


c’est une décision qui me brise le cœur, je ne peux poursuivre
plus longtemps. Continue de nous faire rêver avec tes mots. Tu
as beaucoup de talent. A. S.
Les larmes brouillent ma vue. Pourquoi ne veut-il plus m’écrire? Qu’est-
ce que je lui ai fait? Est-ce à cause de mon poème? A-t-il découvert qu’on
essayait de deviner son identité? Il ne peut pas m’abandonner ainsi! Pas
maintenant!
Clémentine me frotte le dos pendant que je sanglote sur son épaule.
Estelle me regarde, l’air piteux. J’aimerais tellement être dans ma chambre,
enfouie sous mes couvertures. Il y a trop de personnes autour de moi, je ne
veux pas que tout le monde me voie pleurer. Alors, je me redresse, puis
retiens mes larmes.
J’essaie de me calmer. Ce soir, je serai toute seule et je laisserai aller ma
peine. Pour l’instant, je dois essayer de me contrôler. Ce n’est pas facile,
mais il faut que j’y arrive.
Vivre une peine d’amour alors qu’on ne sait même pas de qui on est
amoureux, est-ce possible?
25 novembre

Clara n’a pas le moral depuis une semaine. C’est son histoire
d’admirateur secret qui la met à l’envers. Plusieurs fois, je l’ai vue aller lire
les petits messages de son inconnu sur le site du journal étudiant, même si
je sais qu’elle les a imprimés et qu’ils sont dans son agenda. Je crois qu’elle
espère qu’il changera d’idée et qu’il continuera de commenter ses poèmes.
Je ne l’ai pas vue avec un crayon ou un livre à la main depuis plusieurs
jours et elle ne touche plus à son livre de recettes non plus. Elle n’est pas
dans son état normal.
Pour ma part, je ne sais plus sur quel pied danser. Ma conversation avec
Louka et le message que m’a écrit Frédéric m’ont beaucoup fait réfléchir.
Selon eux, j’aurais tendance à trop m’imposer. En plus, Clara m’a reproché
d’avoir pris des décisions à sa place cet été. J’ai parfois de la difficulté à
déterminer jusqu’où je peux aller… Est-ce que Clara me le dirait si je
faisais quelque chose qui la rendait mal à l’aise? Je veux aider les autres et
non être un problème supplémentaire pour eux.
Tout en naviguant distraitement sur Facebook, je regarde ma sœur du
coin de l’œil. Elle est étendue sur son lit et fixe le plafond. Je n’aime pas la
voir ainsi.
J’ai toujours été capable de la réconforter par le passé. Je ne sais peut-
être pas comment m’y prendre avec les garçons, mais Clara est ma sœur,
après tout! D’accord, je me suis trompée avec Louka, mais il ne faut pas
non plus que je remette tout en question. De toute façon, je devrais le sentir
si Clara a des réticences.
Je sors de notre chambre et je descends au rez-de-chaussée. Maman est
(encore!) allée s’entraîner et papa donne le bain à Violette. Ma petite sœur
adore l’eau et roucoule de plaisir. C’est trop mignon.
J’ouvre le garde-manger à la recherche d’une sucrerie quelconque, mais
je ne vois rien d’intéressant. Qu’est-ce que Clara aimerait? Tout à coup, j’ai
une idée. Je remplis un gros bol à soupe de crème glacée et j’y jette une
poignée de granolas. J’ajoute des morceaux de chocolat et je fais chauffer
au four à micro-ondes deux grosses cuillères de beurre d’arachide que je
verse dessus. Le résultat n’est pas particulièrement esthétique, mais je suis
sûre que ce sera bon. Évidemment, ce ne sera pas aussi goûteux que les
desserts de Clara, mais peut-être arriverai-je à lui redonner le sourire. Je
fourre deux cuillères dans les poches arrière de mon jeans et je remonte.
— Tadam! annoncé-je en entrant dans notre chambre.
Clara sort de sa contemplation silencieuse.
— Qu’est-ce que c’est?
— Une invention culinaire de mon cru. Un sundae déjeuner!
— Lili, il est presque huit heures du soir…
— Oui, mais regarde comme il a l’air appétissant. Il a été préparé avec
amour et plein d’ingrédients que tu aimes.
Elle hausse les épaules. Je lui tends une cuillère et nous nous attaquons à
cette montagne de crème glacée et ses garnitures. Au début, Clara n’a pas
l’air d’avoir particulièrement d’appétit, mais elle finit par manger plus que
sa part.
— Et puis, est-ce que ma recette mériterait de figurer dans ton livre? lui
demandé-je en léchant ma cuillère.
— Peut-être, mais ça aurait été meilleur avec du coulis au chocolat. Ou
au caramel.
— Effectivement.
— Et ça manque de fruits. Tu aurais pu ajouter des bleuets, des fraises ou
des fruits séchés… des canneberges, peut-être.
— Bah! Moi, les canneberges me font trop penser à la dinde de Noël!
Elle rit. Yé! C’est signe qu’elle se sent un peu mieux. Elle prend alors un
air très grave et me regarde droit dans les yeux.
— Lili, qu’est-ce que je vais faire?
Et elle éclate en sanglots. J’ai parlé trop vite. Elle ne va pas mieux.
27 novembre

Je suis debout devant le bureau de la secrétaire de l’école, car je dois lui


poser une question à propos d’un formulaire qu’on nous a remis plus tôt
cette semaine. C’est long! Il y a encore deux personnes devant moi, dont
une qui semble avoir un problème assez compliqué. Je m’ennuie un peu,
mais au moins, ça me permet de manquer une partie de mon cours de
maths, alors je ne me plains pas.
Soudain, quelqu’un que je n’avais pas du tout envie de voir surgit
derrière moi. Enzo. Le seul et unique Enzo. J’ai réussi à l’éviter assez bien
depuis le début de l’année (à part lorsqu’il m’a présenté ses condoléances
pour la belle-mère de Louka), ce n’est pas aujourd’hui que je vais entamer
une grande conversation avec lui.
— Allô, la belle Lili! Comment tu vas? Il y a longtemps que je ne t’ai pas
vue!
«Peut-être parce que justement, j’ai tout fait pour rester loin!» pensé-je.
Mais je retiens mes paroles.
— Est-ce que ça te dirait d’aller au cinéma la fin de semaine prochaine?
On pourrait aussi se rendre ailleurs si tu préfères, histoire de rattraper le
temps perdu.
Je ne dis rien. Je lui tourne le dos et je fais semblant de l’ignorer même si
j’aimerais bien lui dire ses quatre vérités. Malheureusement pour moi, Enzo
n’a pas l’air découragé par mon silence.
— Allez, Lili, on ferait comme dans le bon vieux temps. On avait du
plaisir ensemble, non? Tu pourrais même emmener Romy, si tu y tiens.
Romy? Voyons, est-il en train de rire de moi?
J’éclate:
— J’te dis que tu as du front tout le tour de la tête, toi! Tu n’as vraiment
rien compris, hein? Tu lui as brisé le cœur, à Romy! Et tu ne m’as jamais
intéressée. Si tu penses le contraire, tu fabules. Tu étais le meilleur ami de
mon chum, un point c’est tout. Je ne veux rien savoir de toi, compris?
— Mademoiselle, pourriez-vous baisser le ton! m’avertit la secrétaire de
l’intérieur de son bureau.
— Désolée, madame.
À mon grand soulagement, Enzo tourne les talons et s’en va. Fiou! Après
ce que je viens de lui dire, il devrait me laisser tranquille.
Romy n’en reviendra pas lorsque je lui raconterai ce qui vient de se
passer!

J’ai changé d’attitude avec Emmanuel. Maintenant que je sais qu’il


trouve que j’ai du talent, je suis moins susceptible, je l’écoute plus. Il a dû
sentir que l’énergie que je dégageais n’était plus la même, car il semble être
moins sur mon cas. Il est encore hyper sévère, mais je ne me sens plus
attaquée comme au début de l’année.
Hier, j’ai été très flattée lorsque madame Loiseau, la directrice de l’école
de danse, m’a dit que je pouvais faire un duo pour le spectacle de Noël.
«J’ai interrogé tes professeurs et les trois m’ont confirmé que tu redoublais
d’efforts et que tu te démarquais des autres cette année. Avec qui voudrais-
tu danser?» m’a-t-elle demandé. Je n’ai même pas pris le temps de réfléchir
que je prononçais déjà le nom de Louka. J’aurais adoré danser avec Romy,
mais je crois sérieusement que l’expérience pourrait être plus bénéfique
pour Louka. Et si c’était le petit coup de pouce qu’il lui manquait pour
renouer avec sa passion? Deux ou trois secondes plus tard, j’ai eu un petit
doute.
— Mais j’aimerais lui en parler avant. Pourrais-je vous donner ma
réponse demain après-midi?
— Il n’y a pas de problème.
Elle a fait mine d’hésiter avant de poursuivre.
— Compte tenu de la situation, c’est une très bonne idée de lui demander
s’il est intéressé.

Le lendemain, dans l’autobus qui nous conduit de la polyvalente à l’école


de danse, je m’assois sur le même banc que Louka pour lui parler. Comme
je sais que nous n’avons que quelques minutes devant nous, je vais droit au
but.
— Louka, est-ce que tu aurais envie de faire un duo avec moi au
spectacle de Noël?
Il semble étonné. Il ne s’attendait pas à cette question. Il pensait sûrement
que j’allais lui parler de la coiffure du prof de maths ou des nouveaux
souliers de Justine qui font du bruit quand elle marche et qui nous ont tapé
sur les nerfs toute la matinée!
Je lui souris. Il faut dire que je ne suis pas peu fière de moi. L’année
dernière à cette même date, j’étais encore dans le groupe B!
— Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée, laisse-t-il tomber en
fixant le sol.
— Pourquoi? Tu es un super bon danseur!
— J’étais un bon danseur. Depuis… depuis tu sais quand, je me traîne les
pieds…
— Ne dis pas ça. Tu as vécu une mauvaise passe et tu as perdu la
passion, mais là, je te donne une chance de renouer avec elle!
— D’autres seraient bien meilleurs que moi. Élodie ou Jérôme, par
exemple. Ils épatent toute la classe, ces temps-ci.
— Madame Loiseau m’a justement dit qu’ils feraient un duo, eux aussi.
C’est avec toi que j’ai envie de danser, tu comprends? Dis oui, j’aimerais
tellement ça!
Il me regarde, perplexe. Il ne peut pas refuser, on travaille si bien
ensemble! Au printemps, il m’a aidée en claquettes et on avait toujours
beaucoup de plaisir lorsqu’on répétait. Même si on est très différents, il y a
une chimie indéniable quand on danse tous les deux.
— Je suis désolé.
Ah non! Je ne comprends pas. Habituellement, je sais être convaincante.
Mais peut-être mes techniques ne fonctionnent-elles qu’avec Clara…
— Mais Louka, je t’ai dit que…
— S’il te plaît, Lili. Respecte ma décision. Je n’ai pas envie de faire un
duo. Je n’en ai pas l’énergie.
Je ferme la bouche et je garde mes commentaires pour moi, même si ça
me frustre un peu. Je suis déçue.
L’autobus s’immobilise devant l’école de danse. Louka se lève et se
dépêche de sortir, les yeux rivés au sol. Je suis sûre qu’il doit être hyper mal
à l’aise d’avoir refusé. Je sens bien qu’il est torturé à l’intérieur. Je suis
embêtée. Qu’est-ce que je vais faire? Je me faisais une telle joie de danser
avec lui! Et que vais-je dire à madame Loiseau, maintenant?
— Tu viens? claironne gaiement Romy qui arrive du fond de l’autobus,
toute souriante.
— Oui, oui, j’arrive.
Je tire mon sac de sous le banc, songeuse. Une idée est en train de germer
dans mon esprit. Je regarde ma montre. Si je me dépêche, j’ai le temps d’en
parler aux autres filles dans le vestiaire avant que les cours ne débutent.
28 novembre

Je ne présenterai pas un duo au spectacle de Noël, mais un numéro avec


un groupe restreint. Nous serons six. Six amies de Louka. Si Louka ne va
pas à la danse, la danse ira jusqu’à Louka. Madame Loiseau n’était pas très
convaincue au début, mais j’ai réussi à la persuader (fiou!) et elle a accepté
qu’on répète dans les locaux de l’école de danse en fin de journée. Louka ne
doit pas savoir qu’on fait un numéro juste pour lui, ce sera une surprise.
La musique s’est imposée tout naturellement à moi lorsque j’ai eu l’idée
de danser pour Louka. Nous danserons sur Burn d’Ellie Goulding. Ce n’est
pas une chanteuse très connue, mais j’aime beaucoup cette mélodie. Quand
je l’entends, j’ai envie de danser, de lever les mains au ciel et de
tourbillonner. Nous l’avons écoutée quelques fois, Louka et moi, sur son
iPod dans l’autobus. J’ai demandé à papa de m’aider à traduire les paroles il
y a quelques semaines, et depuis je l’aime encore plus. Le texte parle de la
connexion entre deux personnes, du fait qu’elles partagent tout. Leur lien
est si fort que ça se voit de l’espace. C’est exactement le genre de chanson
qu’il me faut pour toucher le cœur de Louka.
Si la chanson a été facile à trouver, pour la chorégraphie, c’est une autre
paire de manches… Je crois que je danse bien, mais je ne suis pas une pro
des chorégraphies. Bien sûr, j’improvise quand je danse toute seule sur mon
lit, mais à six, les choses sont un peu plus compliquées.
Ce soir, c’est notre première répétition. J’ai quelques idées en tête, mais
les filles ne semblent pas être tout à fait d’accord avec moi quand je leur en
fais part. Élodie affirme avoir un meilleur plan, Maria essaye de prendre le
contrôle et Romy se plaint que c’est trop difficile. Somme toute, c’est un
joyeux capharnaüm. J’ai les oreilles qui bourdonnent et pendant un instant,
je regrette presque d’avoir persuadé mes amies de danser avec moi.
— Les filles! Il faut arrêter de se disputer! On va y aller une étape à la
fois. J’ai pensé commencer comme ça…
C’est alors que, du coin de l’œil, je vois Emmanuel entrer dans le local.
«Ah non! Il va nous dire qu’on fait trop de bruit ou nous reprocher
n’importe quelle niaiserie!» pensé-je en grimaçant.
— Qu’est-ce que vous faites toutes ici? s’informe-t-il d’un ton un peu
raide.
Tout le monde se fige, alors je réponds, même si je suis à peu près
convaincue que je me ferai chicaner.
— Nous répétons une chorégraphie que nous allons présenter au
spectacle.
— Vous six?
— Oui. J’ai pensé faire un numéro spécial pour Louka, vu qu’il a vécu
quelque chose de difficile cet automne. Nous allons mélanger du ballet jazz
et un peu de hip-hop.
Il me dévisage d’un air étrange. A-t-il vraiment besoin d’informations
supplémentaires pour comprendre? Ça ne m’étonnerait tellement pas! Le
bien-être de ses élèves, c’est quelque chose qui lui passe six pieds par-
dessus la tête!
— Ah bon… laisse-t-il enfin tomber.
Il regarde les filles du groupe et s’approche de moi.
— Petit conseil, la prochaine fois que tu veux faire une prestation de
groupe, crée et répète ta chorégraphie toute seule avant de l’enseigner aux
autres, c’est beaucoup plus facile.
J’étais justement en train de me faire le même genre de réflexion.
— Merci, je vais essayer de m’en souvenir.
Avant de partir, il se retourne pour me dire une dernière chose.
— Tu es une bûcheuse et tu as toute une tête de cochon. Tu vas sûrement
y arriver.
Quand je suis assurée qu’il est sorti, je pouffe de rire.
— Vous l’avez entendu? Je pense qu’il vient de me faire un compliment!
Wow! Quelle mouche l’a piqué?
— Tu trouves qu’il t’a fait un compliment, toi? fait remarquer Romy.
Je hausse les épaules.
— Il ne m’a jamais rien dit de positif, alors c’est mieux que rien!
— En tout cas, je ne me tannerai jamais de le regarder! Il a beau être un
prof, il est trop craquant, soupire Justine.
Ma relation avec Emmanuel est tellement tendue qu’on dirait que je ne
remarque même plus qu’il a un physique à couper le souffle.
— Bon, ce n’est pas que je n’aime pas parler de notre prof de hip-hop,
mais on a une danse à faire. Il faut commencer à répéter dès ce soir. On va
donc inventer une chorégraphie ensemble sans se chamailler, d’accord?
C’est drôle, à partir de là, tout se déroule comme sur des roulettes et une
heure plus tard, on a déjà un bon bout de fait!
30 novembre

J’ai tellement de difficulté à trouver de l’inspiration pour mes poèmes


depuis une semaine! Ma muse m’a quittée. Elle s’est sauvée par une petite
porte bien cachée, sans faire de bruit. Souvent, lorsque j’écrivais, je pensais
à mon admirateur secret. Je voulais l’épater, l’étonner, le séduire.
Maintenant, je me demande pour qui j’écris. J’y trouve beaucoup moins de
satisfaction. Les mots me pèsent.
J’ai promis d’écrire un poème tous les quinze jours pour le journal, mais
vais-je pouvoir honorer mon engagement? Pour le prochain numéro, je crois
que je donnerai à Estelle un poème que j’ai écrit au printemps dernier, mais
je n’ai aucune idée comment je vais m’y prendre durant le reste de l’année.
Je ne peux pas lui refiler de «vieux» poèmes pendant des mois, je vais finir
par en manquer!
Avec le temps, je pense que les idées et l’envie d’écrire vont sûrement
revenir. Je l’espère, en tout cas. Et si l’amour est un sentiment exaltant,
planant, je trouve que l’atterrissage sur terre est pas mal abrupt.
Je fais de gros efforts pour ne pas ennuyer mes amies avec mes histoires.
Je ne veux pas étaler mon chagrin comme du beurre d’arachide sur une
rôtie. Clémentine et Estelle n’ont pas à subir les aléas de ma vie
sentimentale.
— Tu peux tout nous dire, m’a répété Clémentine pour la énième fois
aujourd’hui. C’est fait pour ça, les amies!
Je sais. Mais je ne me sens pas à l’aise de leur en parler, d’en reparler et
d’en re-reparler tout le temps. On fait rapidement le tour de la question et je
ne veux tellement pas les ennuyer! Ça m’apprendra aussi de m’éprendre
d’un fantôme…

Clémentine et Lili m’ont convaincue de les suivre à une soirée jeux de


société au Hameau. Habituellement, c’est le genre d’activité que j’aime
bien, mais ce soir, je n’ai pas la tête à jouer. En fait, je n’ai le goût de rien.
Mais je décide d’y aller quand même.
Lili et moi arrivons vers dix-neuf heures. Clémentine est censée nous
attendre à l’intérieur. Il fait froid comme au pôle Nord, ce soir. Dès que
nous descendons de la voiture, nous courons à l’intérieur pour ne pas être
congelées sur place. Nous arrivons en même temps qu’une autre fille
inscrite en danse-études. Je me serais attendue à ce que ma sœur entame
une longue conversation et qu’elle m’abandonne avec Clémentine, mais elle
la salue rapidement et reste avec moi. Depuis une semaine, Lili me couve
comme une mère poule et ne me lâche pas d’une semelle!
Clémentine nous attend à une table. Elle semble cacher quelque chose
dans son dos. Comme nous nous approchons, elle brandit une assiette
remplie de barres Nanaimo.
— C’est juste pour toi! Et elles sont sans lactose!
C’est la première fois qu’une de mes amies me fait un tel cadeau. Il y a
bien ma sœur qui m’a inventé un sundae, mais me cuisiner un dessert, ce
n’est jamais arrivé. Ma mère me préparait des gâteaux et des biscuits quand
j’étais petite, mais dès que j’ai eu la piqûre de la pâtisserie, elle m’a laissé le
champ libre. Ça me touche vraiment. Et même si je n’ai pas
particulièrement faim, je prends une barre que je croque à belles dents. Elle
est exactement comme je les aime, sucrée à souhait!
Clémentine rit en silence.
— Il faut que je t’avoue quelque chose. C’est ta recette!
— Ma recette? Comment l’as-tu eue?
Lili me regarde en souriant. Ah, ben! Les deux se sont acoquinées!
— Clara, ça t’apprendra à laisser ton livre de recettes en chantier sur le
bureau d’ordinateur! Je n’ai même pas eu à fouiller.
Je reprends une deuxième bouchée.
— Une chose est certaine, tu les as bien réussies.
— Parfait! Prends-en un deuxième morceau, alors!
Nous continuons de jaser pendant quelques minutes quand Luis arrive
derrière nous et pique une barre dans l’assiette de Clémentine.
— Mmm! Ça semble délicieux, qu’est-ce que c’est? demande-t-il.
— Hey! Ce n’est pas pour toi, s’exclame Clémentine en déplaçant
l’assiette… juste sous le nez de François!
Ce dernier en prend une pour lui et une autre pour Étienne qui émerge de
nulle part.
Lili se lève, un peu fâchée, et met ses deux poings sur les hanches. Je sais
qu’elle ne l’est pas réellement, car je vois poindre un début de sourire à la
commissure de ses lèvres, mais elle fait semblant d’être de mauvaise
humeur.
— Qui vous a permis de vous servir? Ce n’est pas pour vous, c’est pour
Clara!
Les trois garçons la regardent, amusés. Ma sœur ne les impressionne
nullement! Je ne peux m’empêcher de passer un commentaire.
— Fais attention, Lili, tu danses peut-être très bien, mais eux, ce sont des
fans de kung-fu!
François se met à rire. Il engouffre sa barre Nanaimo d’une seule
bouchée et prend une pose de combat, les bras dans les airs et les genoux
fléchis. De l’autre côté de la table, Étienne saute sur place pour l’imiter.
— Vous avez l’air de deux attardés, soupire Clémentine en levant les
yeux au ciel.
Lili n’est pas capable de garder son sérieux. Je vois bien qu’elle fait des
efforts incroyables pour ne pas pouffer de rire.
— Konichiwa! crie François en se déplaçant au ralenti.
— C’est du japonais, ça, idiot! fait remarquer ma sœur.
Étienne et François se déplacent tout autour de la table, au ralenti, en
faisant mine de se regarder comme des ennemis. Ils jouent très bien leur
rôle. Le petit jeu des garçons se poursuit encore deux ou trois minutes
jusqu’à ce que Lolo, l’animateur qui est présent aujourd’hui, leur rappelle
gentiment que c’est une soirée pour les jeux de société.
Sans qu’on les ait invités à notre table, ils prennent place à nos côtés pour
jouer à Carcassonne. Ils sont de bonne humeur et ça fait un bien fou à mon
moral. Je pensais que je serais déprimée toute la soirée et c’est tout le
contraire qui se passe. Même si je ne suis pas très loquace (de toute façon,
je ne le suis pas, même en temps normal), ils me font sourire et me
changent les idées.
— En passant, c’est en l’honneur de quoi ces belles petites bouchées?
demande Luis. C’est ta fête?
Clémentine me jette un coup d’œil avant de répondre.
— Est-ce qu’on doit nécessairement avoir besoin d’une occasion spéciale
pour offrir un cadeau à une amie? fait-elle remarquer en m’adressant un clin
d’œil.
— Non, mais ça aurait pu.
Sans que je m’y attende ou que je puisse même intervenir, Lili en rajoute.
— Ma sœur a eu une mauvaise nouvelle, il y a une semaine, alors on
s’est dit qu’elle mériterait une petite gâterie pour lui remonter le moral.
Zut! Pourquoi faut-il toujours qu’elle en dise autant? Je baisse les yeux,
mal à l’aise, et je fixe les miettes de chocolat étalées un peu partout sur la
table. Les garçons n’ont pas à savoir ces détails personnels. Ce n’est pas de
leurs affaires. J’étais toute contente d’être ici il y a quelques instants à peine
et là, je voudrais me téléporter à l’autre bout de la ville.
Clémentine me touche le bras.
— Viens, Clara, on va aller aux toilettes.
Je fronce les sourcils avant de comprendre qu’elle m’offre une perche
pour me sauver.
— On revient dans deux minutes.
Nous nous levons et nous quittons la table. Lili va sûrement être capable
d’occuper les fans de kung-fu et leur ami pendant quelques minutes.
La porte des toilettes fermée, Clémentine se tourne vers moi en agitant
les mains.
— As-tu vu?
— Si j’ai vu quoi?
— Les gars, voyons! Quand ta sœur a dit que tu avais eu une mauvaise
nouvelle il y a une semaine, Étienne et François se sont dévisagés. Tu ne les
as pas vus! François a failli dire quelque chose, mais Étienne lui a fait signe
de se taire.
Comme c’est bizarre… Pourquoi ont-ils agi de la sorte? Serait-il au
courant de…
Clémentine interrompt mes pensées.
— Clara, je le sais, tu penses à la même chose que moi.
Je ferme les yeux. Oui, je pense à la même chose qu’elle. Mais je n’ose le
dire à haute voix.
— Tu crois qu’ils auraient fait un lien entre ce qui m’a attristée la
semaine dernière et l’inconnu qui a annoncé qu’il cesserait d’écrire à
Noisettine?
— Et si c’était bien l’un des deux, ton admirateur secret? On pourrait
s’être trompées.
— Comment? Vous me disiez, Estelle et toi, que votre plan était
infaillible.
— On n’est pas des super pros de l’espionnage, quand même! Il faudrait
continuer de chercher. On pourrait…
Je l’arrête.
— Clémentine, mon admirateur a cessé de m’écrire. On n’a plus aucun
moyen de le retracer. Je sais que tu veux m’aider, mais c’est trop tard. Et
personne n’est au courant que Noisettine, c’est moi.
Clémentine me regarde d’un air piteux. Je sais qu’elle voudrait que je
cesse d’avoir du chagrin, et c’est ce que je souhaite aussi, mais il n’y a plus
d’espoir. Mon inconnu pourrait être Luis (ce qui m’étonnerait tout de même
beaucoup), François ou Étienne, mais ce n’est peut-être aussi aucun des
trois.
4 décembre

Papa retourne chez le médecin pour une deuxième vasectomie ce matin.


Lorsqu’il s’est levé, il a oublié de mettre sa tasse sous la cafetière tellement
il était énervé et il s’est fait quatre rôties alors qu’il voulait seulement en
mettre deux à griller. Bah, ce n’est pas grave, j’ai mangé les deux autres!
— Jacinthe, as-tu acheté des petits pois congelés? Il va m’en falloir
absolument.
— On n’a pas de petits pois, mais on a du maïs, c’est la même chose.
— Je suis sûr que c’est mieux les petits pois. On va aller en chercher à
l’épicerie en revenant, d’accord?
C’est drôle de le voir aussi anxieux pour une si petite opération. Il paraît
que le médecin coupe moins d’un centimètre de peau. En plus, il l’a déjà
subie il y a quelques années, il devrait savoir à quoi s’attendre.
Avant que nos parents partent, j’essaie de changer un peu les idées de
papa.
— Ne te fais pas avoir deux fois! Tu prendras la garantie prolongée!
Il sourit.
— Est-ce que tu vas payer quand même? Après tout, le premier médecin
a manqué son coup…
— Je vais en voir un autre. Celui qui m’a opéré cette fois-là a pris sa
retraite.
— Peut-être qu’il a été radié! Qui te dit qu’il avait coupé le bon tuyau? Il
y a peut-être des centaines de bébés nés des erreurs qu’il a faites!
Maman interrompt notre conversation.
— Violette est habillée, déjà bien installée dans son siège, il ne manque
que toi!
Je regarde mon père, l’air grave.
— Bonne chance, papa. Sois brave. Ne t’inquiète pas, je vais respecter
tes dernières volontés.
— Tu peux bien rire, grande coquine. Bonne journée à l’école.
Une fois nos parents partis, Clara me regarde d’un air soucieux.
— Tu crois que ça va aller?
— Ben voyons! Arrête de t’inquiéter pour rien. C’est sûr que ça se
passera bien. Papa va se promener avec un sac de petits pois ou de maïs sur
l’entrejambe pendant une journée ou deux, et après, il va être en pleine
forme.
Clara prend ma main et la serre. Je me rapproche d’elle et je frotte son
bras pour la rassurer. Elle s’angoisse toujours trop. Ah, Clara!

La matinée passe vite, car tous les élèves de deuxième secondaire


assistent à une pièce de théâtre à l’auditorium. Ça change des
mathématiques et du français…
Après le dîner, au début du cours de hip-hop, Emmanuel nous fait une
annonce inattendue.
— Les filles, il faut que je vous dise qu’après les vacances des fêtes, je ne
serai plus votre prof.
J’entends deux ou trois «Oh!» déçus dans la classe. Je reste silencieuse
en attendant la suite.
— On m’a demandé d’être danseur pour une émission de télévision.
C’est une chance qui ne se refuse pas, et comme les répétitions et les
enregistrements entrent en conflit avec l’horaire des cours que je donne ici,
j’ai remis ma démission à madame Loiseau la semaine dernière.
— Est-ce que tu sais si on aura un autre prof de hip-hop? demande
Justine.
— Aucune idée. Madame Loiseau m’a dit qu’elle cherchait un
remplaçant, mais je ne sais pas s’il vous enseignera le ballet jazz ou le hip-
hop. Elle vous tiendra sûrement au courant.
Je n’arrive pas à savoir si je suis contente ou non. Je n’aime pas la
personnalité ni l’attitude de ce prof, mais je suis tout de même heureuse
d’avoir appris les bases d’un nouveau style de danse. J’ai découvert que
j’aimais bien le hip-hop, alors si on retourne au ballet jazz après Noël, je
vais être un peu frustrée. Comme si j’avais mangé l’entrée et qu’on me
refusait le plat principal. Eh oui, Emmanuel est brusque et exigeant, mais je
dois avouer que j’ai tout de même appris plein de choses avec lui en trois
mois.
À la fin du cours, Emmanuel est posté près de la porte et nous regarde
sortir. Spontanément, je m’avance vers lui et lui lance:
— Tu es un bûcheur et tu as toute une tête de cochon. Tu iras loin.
Surpris, il me jette d’abord un regard médusé et se met ensuite à rire
comme jamais il ne l’avait fait devant nous.
— Merci! Allez, à demain!
6 décembre

Ce soir, nous répétons notre danse pour le spectacle de Noël. Après notre
dernier cours, au lieu de nous diriger vers le vestiaire, nous nous rendons en
douce dans un autre local, sans nous faire remarquer par Louka.
Même si toutes les filles ne sont pas encore arrivées (Romy et Justine
sont aux toilettes et une autre est allée remplir sa bouteille d’eau), je
branche mon iPod et je fais jouer la chanson Burn pour me mettre dans
l’ambiance. Mentalement, je revois notre chorégraphie en esquissant
rapidement les mouvements.
Jusqu’à présent, nos répétitions ont été très productives et nous avons
presque terminé de créer notre chorégraphie. J’ai travaillé quelques soirs à
la maison, seule, pour tester différents mouvements et je les ai soumis aux
filles. Elles ont été beaucoup plus positives qu’au début, à mon plus grand
soulagement.
— Lili, qu’est-ce que tu fais ici?
Ah non! C’est Louka! Pourquoi est-il là? Habituellement, il file tout de
suite après s’être changé! Il est dans l’embrasure de la porte, son sac à dos
sur l’épaule. Je me précipite vers la console de son pour baisser le volume,
mais il est trop tard, il a sans aucun doute reconnu la chanson.
Je marche vers lui en me demandant ce que je vais lui répondre.
— Je te cherchais. Qu’est-ce que vous faites? redemande Louka.
Qu’est-ce que je peux bien lui dire pour ne pas éveiller ses soupçons?
J’aurais dû faire plus attention, attendre d’être sûre qu’il était parti, fermer
la porte du local… Maintenant, je ne sais pas quoi inventer pour lui
expliquer ma présence ici.
Je lui adresse un sourire forcé.
— Nous répétons…
— Vous répétez quoi?
Et puis zut, je n’ai pas le choix!
— Écoute Louka, je ne peux pas te dire exactement ce que nous faisons.
Mais c’est un numéro surprise pour le spectacle de Noël.
Il regarde derrière moi. Les autres filles sont dans leurs petits souliers et
n’osent pas s’approcher.
— Mais tu n’étais pas censée faire un duo? Vous êtes plus que deux…
Pour empirer la situation, Romy et Justine reviennent justement des
toilettes à cet instant. Lorsqu’elles voient que je parle avec Louka, elles se
faufilent pour aller retrouver les autres dans le fond de la pièce. Je suis
hyper mal à l’aise.
— Oui… mais tu n’avais pas envie de le faire, alors j’ai changé de plan.
— Ah.
Il a l’air déçu. Je ne veux pas qu’il soit fâché contre moi ou qu’il pense
que je le remplace aussi facilement qu’on change de chaussettes. Je soupire
longuement en fermant les yeux. Je n’ai pas le choix, il faut que je lui dise
la vérité.
— OK, je vais te le dire. C’est une surprise pour toi, soufflé-je.
Il écarquille les yeux et passe sa main dans ses cheveux. Son corps
oscille tel un roseau au vent et il lui faut quelques instants avant de pouvoir
parler.
— Pour… moi?
Il a l’air très ému.
— Ne pleure pas, parce que je vais me mettre à brailler moi aussi. Oui,
c’est un numéro pour toi. Parce qu’on t’aime et qu’on veut te redonner le
sourire. Mais tu ne devais pas le savoir. Alors, fais semblant de n’être au
courant de rien et ne viens plus fouiner ici, d’accord?
Il acquiesce d’un hochement de tête, puis essuie son nez avec sa manche.
Avant de s’en aller, il me prend dans ses bras et m’étreint très fort. «Merci
Lili», me chuchote-t-il à l’oreille.
Je le regarde s’éloigner, un demi-sourire aux lèvres. J’ai confiance en
Louka. Ses plaies se cicatrisent et, peu à peu, je retrouve le garçon d’avant.
Il sait maintenant que nous préparons une chorégraphie qui lui est destinée,
mais au moins, il ne l’a pas vue.
Je suis fière de faire ça pour lui, car s’il m’arrivait un malheur, je serais
contente que mes amis pensent à moi. L’amitié, c’est l’un des grands
bonheurs de la vie.
8 décembre

Mon poème est en ligne depuis ce matin. Je n’ai même pas le goût d’aller
vérifier s’il reste des fautes. D’habitude, je le fais toujours, mais
aujourd’hui, je n’ai pas la tête à ça.
À midi, je suis toute seule avec Estelle. Clémentine est en récupération
de sciences. C’est bizarre, car les «récups» ont habituellement lieu le jour 4
et nous sommes le jour 2… Peut-être la prof en a-t-elle ajouté une nouvelle
à l’horaire en prévision de l’examen? Peu importe. Clémentine m’a dit
qu’elle avait toute une liste de questions à lui poser et qu’elle dînerait en
classe.
Comme nous sommes seulement toutes les deux, Estelle m’a proposé de
manger rapidement et d’aller lire à la bibliothèque. Je trouve ça tellement
stupide que les élèves de première, deuxième et troisième secondaire n’y
aient accès qu’un jour sur deux. Ça me dépasse! Au moins, aujourd’hui,
nous pouvons y aller. Je n’ai pas vraiment envie de lire, mais je suis sûre
qu’une fois plongée dans mon roman, je vais oublier tout le reste. Ce week-
end, j’ai décidé de m’attaquer aux Harry Potter. J’ai vu les films, mais je
n’ai jamais lu les livres. Un peu de magie me fait du bien. Ça me permet de
m’évader. Ah! Si d’un coup de baguette magique, je pouvais retrouver le
sourire…
Ce n’est jamais complètement silencieux dans la bibliothèque de l’école,
mais quand je lis, j’arrive à me couper du reste du monde et c’est
exactement ce qui arrive. Pendant une trentaine de minutes, Clara Perrier
cesse d’exister. Je me transforme en Harry Potter ou, encore mieux, en
Hermione Granger.
Je lève la tête pour regarder l’horloge. Encore quelques minutes avant
que la cloche sonne. Il faut que je pense à partir bientôt, car je dois aller
enfiler mes vêtements d’éducation physique. Bizarrement, je remarque
qu’Estelle, qui est assise à mes côtés, ne lit pas. Son roman est fermé sur la
table. Elle regarde la porte de la bibliothèque et paraît un peu nerveuse. Elle
gigote sur son siège comme un poisson qu’on sort de l’eau. Que surveille-t-
elle au juste?
Je tire sur la manche de son polo. Elle sursaute presque. Il se passe
vraiment quelque chose: Estelle est rarement dans cet état.
— Estelle, chuchoté-je. Tu ne lis pas? Pourquoi ne quittes-tu pas la porte
des yeux? Attends-tu quelqu’un?
— Oui.
Et elle pointe une personne du doigt. Je suis la direction qu’elle désigne
et je vois Clémentine qui entre en trombe et se dirige vers nous au pas de
course.
— On marche, mademoiselle! ordonne d’une voix sonore la technicienne
au comptoir du prêt.
Bravo pour le respect du silence! Clémentine passe à la marche rapide.
Elle ne paraît aucunement contrariée de s’être fait avertir. Au contraire, elle
rayonne! La récupération a-t-elle été aussi agréable que ça?
— Et puis? demande Estelle à la seconde où Clémentine arrive près de
nous.
Elle sourit à pleines dents. Et puis quoi? Clémentine ne répond même pas
à Estelle. Elle me regarde droit dans les yeux et je devine. Avant même
qu’elle n’ouvre la bouche, je sais ce qu’elle va me dire et mon cœur s’arrête
de battre. Elle prend mes mains dans les siennes et les serre comme un étau.
— Clara, je sais qui est ton admirateur secret.
Je retiens mon souffle. J’attends la suite. On dirait que le temps s’étire, se
distend.
— C’est Étienne.
Clémentine n’a pas le temps de me donner les explications que j’attends
depuis des mois, puisque la cloche sonne.

Je passe la période la plus longue de ma vie! Moi qui ne suis jamais très
vaillante durant le cours d’éducation physique, aujourd’hui je me dépense
au maximum. Je n’avais pas encore réalisé à quel point on pouvait se
défouler en faisant du sport. Dix fois, cent fois, mille fois, je répète dans ma
tête le nom d’Étienne. Je n’arrive pas à y croire: je connais enfin le nom de
mon admirateur secret. C’est irréel!
À la fin du cours, je me dépêche de me changer, de me rafraîchir le
visage avant d’aller attendre Clémentine à son casier. Elle arrive très
rapidement, elle aussi a hâte de me parler!
— À midi, je n’avais pas de récupération. En fait, je voulais suivre
François et Étienne.
— Clémentine!
— Chut! Écoute-moi, sinon je n’aurai pas le temps de tout te raconter
avant la cloche.
— OK, je ne vais plus t’interrompre.
— Comme c’est aujourd’hui que ton poème est publié sur le site du
journal, je me suis dit que ton admirateur aurait sûrement envie de te lire,
même s’il t’a dit qu’il ne t’écrirait plus. Pour épier leur conversation, j’ai
fait comme dans les films d’espionnage. Si tu m’avais vue, tu aurais été
fière de moi.
Je suis littéralement pendue à ses lèvres. On dirait une intrigue de
téléroman ou, mieux encore, de roman!
— Effectivement, les garçons sont allés lire ton poème sur le cellulaire
d’Étienne. Je ne l’ai pas vu sur l’écran, mais François en a lu des passages à
haute voix. Ils étaient dans la grande place, au rez-de-chaussée. Moi, je me
suis cachée derrière un gros pilier pour qu’ils ne me voient pas. Il n’y avait
pas tellement d’élèves autour, alors je les entendais bien. C’est là que j’ai
compris qu’ils parlaient de toi. François a demandé à Étienne pourquoi il
avait décidé de ne plus t’écrire. Il lui disait que rien ne l’empêchait de
continuer. Étienne s’est fâché un peu et il a haussé le ton, ce dont j’étais
bien contente, parce que je l’entendais encore mieux. J’ai aussi compris que
la dernière fois qu’on espionnait Étienne, il avait envoyé son commentaire à
partir des toilettes des garçons. C’est pour cette raison qu’on ne l’a pas vu
t’écrire. Quand il parlait de toi, il disait Clara et non Noisettine. Il savait
donc que vous étiez la même personne. Bref, Étienne lui a répondu que
cette histoire ne menait à rien. Qu’il ne voulait pas que tu connaisses son
identité. “Je ne pourrai jamais lui dire que je l’aime, alors il vaut mieux que
j’arrête de lui écrire. Et si je déchiffre bien son dernier poème, on dirait
qu’elle est amoureuse de quelqu’un d’autre”, a-t-il laissé tomber.
— Il a vraiment dit ça?
Clémentine a hoché la tête.
— Mais attends, ce n’est pas tout. À ce moment-là, François a tourné la
tête et il m’a vue. C’est vrai que je m’étais avancée un peu. Les gars savent
donc que j’ai tout entendu…
Cette dernière phrase aurait dû m’affoler, me faire perdre mon sang-froid,
mais je suis tellement dans un état second que je ne réagis même pas. Je
n’en reviens pas! Jamais je n’aurais pu songer à un tel scénario. Étienne
m’aime! Mon cœur bat comme la grosse caisse dans une fanfare.
Je retourne en classe, mais j’ai tellement la tête ailleurs qu’en entrant
dans le local, je me rends compte que j’ai oublié tous mes livres et je dois
retourner les chercher. J’entends les paroles de mon amie en boucle dans ma
tête. Tout a du sens. Étienne… C’est lui depuis le début. Étienne…
Étienne…
François me dévisage quand j’arrive (en retard!), mais il ne me parle pas.
Je ne retiens absolument rien de ce que le prof explique. En sortant de mon
cours, j’ai l’air d’un vrai zombie. Je passe très près de trébucher en
descendant les marches. Arrivée au rez-de-chaussée, je ne sais même plus
de quel côté aller pour me rendre à mon casier. Ma tête est ailleurs.
Étienne… Étienne… Étienne…
Je mets mes effets dans mon sac à dos et j’enfile mon manteau et mes
bottes. Je me dirige vers la sortie d’un pas lent. Ma tête est toujours dans les
nuages. Près des portes, il y a deux bancs en bois. Étienne est assis sur l’un
d’eux, son sac à ses pieds. Il doit attendre un ami, sûrement François ou
Luis.
Pour aller à l’extérieur, je n’ai pas le choix de passer devant ce banc.
J’hésite un instant. Est-ce que je rebrousse chemin? Il faut que je prenne
l’autobus, il part dans quelques minutes à peine. Je ne peux pas attendre
qu’Étienne se lève, car il sera peut-être trop tard et maman sera en furie si je
dois l’appeler pour qu’elle vienne me chercher.
Je respire profondément et je continue mon chemin. Mon intention est de
passer sans le regarder, en faisant mine de ne pas l’avoir remarqué (comme
si son manteau orange n’était pas assez voyant!). Mais rien ne se passe
comme prévu…
Quand j’arrive à sa hauteur, il lève les yeux vers moi et je me pétrifie. Je
suis magnétisée. Terriblement mal à l’aise. Incapable de faire un pas de
plus. Mon corps ne me répond plus.
Il passe la main dans ses cheveux et se lève pour me parler. Autour de
nous, les élèves se pressent pour ne pas rater leur autobus. Ils passent entre
nous deux en rigolant ou en regardant leur téléphone cellulaire. Étienne
semble vouloir me dire quelque chose, mais il n’arrive pas à trouver les
bons mots.
— Je… je… je voudrais…
Tout à coup, j’ai chaud. Ma tête tourne un peu. Je me rattache au regard
d’Étienne, à ses grands yeux bruns qui sont aussi tourmentés que les miens.
Je crois que ma sœur, à l’autre bout de la ville, perçoit comment je me
sens et me transmet son énergie. Une confiance née de je ne sais où jaillit en
moi. Ça ne m’est jamais arrivé, mais je déclare à haute voix ce que je pense
au moment même où je le pense. Sans filtre.
— Au fond de moi, je savais que c’était toi. Je voulais que ce soit toi.
Je n’ai jamais été aussi sincère. Je ne me doutais de rien avant
aujourd’hui, mais c’est la vérité et je le réalise maintenant.
Lorsque je me rends compte des paroles que je viens de prononcer, je
rougis jusqu’à la racine des cheveux et je me sauve sans demander mon
reste.
En montant dans l’autobus, mon cœur bat toujours la chamade. Je
n’arrive pas à croire que j’ai osé dire ça, mais peu importe! J’aime Étienne
et je sais maintenant qu’il m’aime aussi. Il n’y a rien d’autre qui compte. Je
suis au septième ciel!
INGRÉDIENTS

Pâte à shortcake
2 tasses de farine
2 c. à soupe de sucre
4 c. à thé de poudre à pâte
½ c. à thé de sel
¹/³ tasse de beurre froid
1 tasse de lait
Crème fouettée
2 tasses de crème à fouetter 35 % (bien froide)
¼ c. à thé de vanille
Sucre en poudre au goût (3 c. à soupe environ)
Fraises fraîches

PRÉPARATION
Préchauffer le four à 425 °F. Recouvrir de papier parchemin le fond de
deux moules à gâteau ronds de 20 centimètres (8 pouces) de diamètre.

Mélanger les ingrédients secs dans un grand bol. Y couper le beurre


avec deux couteaux ou un coupe-pâte jusqu’à ce que le tout soit friable
(un peu comme de la chapelure). Faire un puits au centre et y verser le
lait. Mélanger avec une fourchette jusqu’à ce que tout le liquide soit
absorbé. Faire deux boules de pâte séparées.
Dans les moules à gâteau, avec les doigts, abaisser chaque boule de
pâte pour qu’elle occupe presque toute la surface du moule. Faire cuire
au four pendant 10 à 12 minutes, jusqu’à ce que le dessus soit doré.
Laisser refroidir sur le comptoir.

Pendant ce temps, fouetter la crème. Y ajouter la vanille et le sucre en


poudre.

Laver, éponger et équeuter les fraises, et monter le shortcake: déposer


délicatement un cercle de pâte dans une grande assiette. Recouvrir de
la moitié de la crème fouettée et de la moitié des fraises. Déposer le
second cercle de pâte et couvrir du reste de crème fouettée et de
fraises.

La recette donne environ 8 portions. Le shortcake se conserve au frigo


au moins deux jours. Mais vous le mangerez avant, c’est sûr!
Rondeau, Sophie, 1977-
Cupcakes et claquettes T3 - Pincez-moi quelqu’un!.

Les Éditions Hurtubise bénéficient du soutien financier des institutions suivantes pour leurs
activités d’édition:
– Conseil des Arts du Canada;
– Gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC);
– Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC);
– Gouvernement du Québec par l’entremise du programme de crédit d’impôt pour l’édition
de livres.

Illustration de la couverture: Géraldine Charette


Graphisme: René St-Amand
Mise en pages: Martel en-tête
Copyright © 2014, Éditions Hurtubise inc.

ISBN 978-2-89723-321-1 (version imprimée)


ISBN 978-2-89723-322-8 (version numérique pdf)
ISBN 978-2-89723-323-5 (version numérique ePub)

Dépôt légal: 1er trimestre 2014


Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Bibliothèque et Archives Canada

Découvrez l'ensemble de nos titres disponibles en formats numériques.


www.vitrine.entrepotnumerique.com
À propos de l'auteure

Sophie Rondeau est l’auteure de plusieurs albums et de deux romans


pour adolescents. Elle est aussi enseignante au secondaire et mère de quatre
enfants! Auteure engagée auprès de la jeunesse depuis de nombreuses
années, elle aime particulièrement aller à la rencontre de son public dans les
écoles et bibliothèques.
De la même auteure

Série CUPCAKES ET CLAQUETTES


Tome 1, Loin de toi, roman, Montréal, Hurtubise, 2013.
Tome 2, L’amour est un caramel dur, roman, Montréal, Hurtubise, 2013.

Série DESTINATION MONSTROVILLE


Tome 1, Moche Café (coécrit avec Nadine Descheneaux), roman, Montréal,
Éditions Druide, 2013.

Série ADRIEN ROSSIGNOL


Tome 1, Une enquête tirée par les cheveux, roman, Montréal, Éditions de la
courte échelle, 2013.
Tome 2, Un Rossignol à l’opéra, roman, Montréal, Éditions de la courte
échelle, 2013.
Non, petits gourmands! (coécrit avec Nadine Descheneaux), album,
Montréal, Éditions du Renouveau pédagogique, 2012.
La Fée Chaussette, album, Montréal, Éditions Imagine, 2011.
La Collation de Barbo (coécrit avec Nadine Descheneaux), album,
Montréal, Éditions du Renouveau pédagogique, 2011.
Violette à bicyclette, roman, Gatineau, Éditions Vents d’Ouest, 2010.
Papa a peur des monstres, album, Montréal, Éditions Imagine, 2009.
Étienne-la-bougeotte, album, Montréal, Éditions du Renouveau
pédagogique, 2009.
Louka cent peurs, roman, Gatineau, Éditions Vents d’Ouest, 2009.
Simone la Démone cherche cœur de pirate, roman, Rosemère, Éditions
Pierre Tisseyre, 2009.
La deuxième vie d’Anaïs, roman, Gatineau, Éditions Vents d’Ouest, 2009.
Simone la Démone des sept mers, roman, Rosemère, Éditions Pierre
Tisseyre, 2008.
Ton nez, Justin!, album, Montréal, Éditions du Renouveau pédagogique,
2008.
La Course aux œufs, roman, Montréal, Éditions du Renouveau
pédagogique, 2007.
Quels drôles d’orteils! (coécrit avec Nadine Descheneaux), album,
Montréal, Éditions du Renouveau pédagogique, 2007.
Le père Noël ne viendra pas, album, Montréal, Éditions du Renouveau
pédagogique, 2006.
Le Serment d’Ysabeau, roman, Rosemère, Joey Cornu Éditeur, 2004.
À propos des Éditions Hurtubise

Fondées en 1960 par Claude Hurtubise, les Éditions Hurtubise, alors


Hurtubise HMH, ont développé parallèlement les secteurs littéraire et
scolaire. Aujourd’hui la ligne éditoriale de la maison indépendante, membre
du groupe HMH, est davantage littéraire, autant pour la jeunesse (12 ans et
plus) que pour les lecteurs adultes, auxquels ouvrages se greffent les livres
de référence de la collection Bescherelle. Le catalogue littéraire des
Éditions Hurtubise est l’un des plus prestigieux parmi les éditeurs
francophones du pays, tant en essais qu’en fiction, avec environ 800 titres
au catalogue.
Avec Leméac Éditeur, les Éditions Hurtubise sont également
propriétaires de la Bibliothèque québécoise, qui se consacre à l’édition et la
réédition au format poche de textes littéraires (fictions et essais); une
maison d’édition qui comprend aujourd’hui un catalogue de plus de 200
titres.
Par ailleurs, les Éditions Hurtubise sont également très actives sur le plan
international comme en fait foi les nombreuses cessions de droits d’une
douzaine de titres différents par an, qui permettent à nos auteurs québécois
de connaître un rayonnement accru et de rejoindre de nouveaux lecteurs.
Il est également important de noter que notre groupe, via la société
Distribution HMH, se charge lui-même de sa diffusion et de sa distribution
en librairie. Le travail pour la vente dans les grandes surfaces est quant à lui
assumé par la Socadis, partenaire important des Éditions Hurtubise depuis
plus de dix ans et avec lequel nous sommes en contact sur une base
quotidienne.
Découvrez l'ensemble de nos titres et les nouveautés
www.editionshurtubise.com
De la même collection

Hors collection - Hurtubise


Suivez-nous

Vous aimerez peut-être aussi