Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Visuel : © Shutterstock
L’édition originale de cet ouvrage a paru chez Penguin Random House Grupo Editorial, S.A.U.,
sous le titre :
A través de ti
ISBN : 978-2-01-716964-2
Titre
Copyright
Prologue
3. Surprise !
4. Tu es l'exception
9. Je crée un espace
11. Si je me trompe ?
29. Agis avec naturel, Claudia. Fais semblant d'avoir perdu la mémoire
Chapitre final
Épilogue
Chapitre bonus
Prologue
4 juillet
4 juillet
Cinq ans plus tard
CLAUDIA
CLAUDIA
ARTEMIS
Après avoir raccompagné tous les convives, mes parents, Cristina et moi
nous asseyons dans le salon.
— Tu es une jeune femme très intéressante, Cristina, j’en suis ravie…
Ma mère continue à enchaîner les compliments, tandis que je savoure une
gorgée de whisky. Les yeux de ma mère pétillent tandis qu’elle discute avec
ma fiancée. Il est évident que Cristina correspond aux attentes de mes
parents. Mon père signale qu’il est fatigué et s’en va.
— Il est l’heure de se coucher.
Ma mère se tourne vers Cristina.
— Je vais demander à Claudia de te préparer une chambre d’amis.
Elle se lève, mais je la retiens doucement par le poignet.
— C’est pas nécessaire, Cristina va dormir avec moi.
Ma petite amie rougit et baisse les yeux. Un sourire narquois étire mes
lèvres quand je pense à toutes les choses qu’elle m’a laissé lui faire. Elle n’a
rien d’une innocente.
L’expression de ma mère est chargée de reproches.
— Artemis…
— Nous sommes des adultes maintenant, maman, tu n’es la gardienne de
la chasteté de personne.
Je lâche son poignet et je me lève pour aller demander à Claudia de nous
apporter des serviettes supplémentaires et quelques snacks dans ma
chambre.
Ma mère veut protester, mais je sais qu’elle n’osera pas intervenir en
présence de Cristina.
Je pose mon verre de whisky sur la table à côté du canapé, je glisse les
mains dans mes poches et je me dirige vers la cuisine. Quand j’arrive sur le
seuil, je la vois et je me fige. Claudia termine de tout remettre en ordre et de
nettoyer. Elle me tourne le dos, et je me permets de l’examiner en détail
pour la première fois de la soirée. Son corps semble beaucoup plus mature,
ses courbes sont plus prononcées qu’avant. La robe qu’elle porte moule sa
silhouette comme une seconde peau et ses cheveux roux flamboyants sont
attachés en une queue-de-cheval haute. Elle n’est plus la jeune fille de
quinze ans à qui j’ai innocemment déclaré ma flamme ; c’est une femme
qui serait superbe nue dans mon lit, une femme que j’aimerais baiser avec
force. Je secoue la tête, chassant ces stupides pensées lubriques, et je me
décide à parler :
— Fatiguée ?
Elle se raidit avant de se tourner vers moi. Un instant durant, elle me fixe
de ses yeux emplis de feu, mais j’y lis autre chose… De la peur ? Du désir ?
Je ne sais pas, l’atmosphère change, et une tension que je n’avais jamais
ressentie auparavant s’installe entre nous.
Sa voix est douce mais coupante :
— Non.
J’ai envie de lui demander comment va sa mère, comment ça se passe à
l’université, mais en réalité je m’en fiche. Ce n’est plus mon amie
d’enfance, c’est juste une employée de maison, et je veux qu’il n’y ait pas
le moindre doute à ses yeux.
— Non ? Je pense que vous devriez dire Non, monsieur. Ou as-tu oublié
comment t’adresser aux hommes de cette maison ?
Son regard se durcit, et je sens qu’elle a envie de répliquer, mais elle se
retient.
— Non, monsieur.
Elle appuie sur le dernier mot avec colère. Claudia a toujours été aussi
sauvage et intense que le feu de ses cheveux. Ce n’est jamais facile pour
elle de courber l’échine, et c’est pour cette raison que j’ai envie de l’y
forcer.
Je lui ordonne froidement :
— Apporte des serviettes et des snacks dans ma chambre.
Elle acquiesce d’un signe de tête et je m’en vais.
4. Tu es l’exception
CLAUDIA
Quelques jours ont passé et je n’ai pas croisé l’aîné des frères Hidalgo. Il
est peut-être pris par son travail ou par je ne sais quoi, mais je suis contente
d’avoir la paix. Même s’il ne m’intimide pas, je suis mal à l’aise en sa
présence. Nous ne nous sommes pas vus depuis des années, il faudra du
temps pour que je m’habitue à nouveau à lui. Malheureusement, cette petite
pause de plénitude prend fin un samedi matin.
Je me suis levée comme d’habitude et j’ai aidé ma mère à aller aux
toilettes et à s’habiller. Après m’être tressé les cheveux, parce que c’est plus
facile de travailler sans avoir à me soucier d’eux, je la laisse dans la
chambre pour aller préparer le petit déjeuner. Je bâille et j’étire les bras en
entrant dans la cuisine, puis je sursaute quand je remarque une silhouette
assise.
— Oh mon Dieu !
Artemis est installé à la table, bras croisés, dans un costume noir
impeccable. Il porte une cravate bleu foncé. Les rayons de soleil qui passent
par la fenêtre se reflètent dans ses cheveux, mettant en valeur les mèches
blondes presque imperceptibles. Son visage sans expression et ses yeux
froids me mettent mal à l’aise.
C’est la première fois que je le vois dans la cuisine depuis la soirée.
— Bonjour, monsieur.
Il ne me salue pas en retour.
— J’attends le petit déjeuner depuis vingt minutes.
— Il est sept heures du matin. Je ne sers pas le petit déjeuner avant sept
heures trente, les jours où Ares et Apollo partent à l’école ou s’ils se lèvent
tôt le week-end.
— Eh bien, je te suggère d’adapter ton emploi du temps à mes besoins.
Sa réponse m’énerve.
— Tu n’as pas à me parler comme ça.
— Je te parle comme je veux.
La lueur dans ses yeux me met au défi de le contredire, de ne pas me
taire.
Pas de bêtises, hein. La voix de ma mère résonne dans ma tête, et j’essaie
de me contrôler, de ravaler le millier de mots qui ont envie de sortir. Je me
mords littéralement la langue.
— D’ailleurs, tant qu’on est à mettre les points sur les i, ajoute-t-il en
indiquant des vêtements que je n’avais pas remarqués sur la table, à partir
de maintenant tu porteras un uniforme.
C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase.
— Pardon ?
— Tu m’as parfaitement entendu.
Il me tend l’uniforme.
— C’est important que tu te rappelles ta place dans cette maison, mes
frères t’ont accordé beaucoup de libertés.
Je laisse échapper un rire sarcastique.
— Tu es un fameux connard.
Il hausse un sourcil, mais ne semble pas surpris par mon insulte.
— Comment m’as-tu appelé ?
— Tu. Es. Un. Fameux. Connard. Artemis.
Je prononce chaque mot en marquant une pause.
Je le regarde serrer la mâchoire, se lever et s’appuyer des deux mains sur
la table.
— Excuse-toi tout de suite.
Je secoue la tête.
— Non.
Je parais plus forte que je ne le suis en réalité.
Lâchement, je recule et me dépêche de sortir de la cuisine, mais il est
plus rapide et me rattrape par le bras. Il me serre, me tire et me coince entre
le mur et lui.
— Tu ne bouges pas d’ici.
Nous n’avons jamais été aussi proches, je sens l’odeur puissante et
masculine de son eau de toilette et de son shampoing.
— Lâche-moi.
Je garde les yeux rivés sur sa cravate.
Il soulève mon menton pour me forcer à le regarder.
— Tu as oublié quelle est ta place…
Il me fixe droit dans les yeux.
— Tu n’es qu’une employée de maison. Me manquer de respect comme
ça pourrait te coûter ton travail. Je ne suis pas comme mes frères, et encore
moins comme mon père. Continue à te comporter comme ça et je
n’hésiterai pas une seconde à te jeter dehors.
— Tu n’es pas mon patron.
J’essaie de dégager mon visage de sa poigne de fer.
— Mon patron, c’est Juan Hidalgo.
— Crois-moi quand je te dis que, si je veux te mettre à la porte, je le
ferai, Claudia.
C’est la première fois qu’il m’appelle par mon prénom, mais ça ne me
fait pas plaisir de l’entendre dans des circonstances pareilles.
— Je suis ton patron, maintenant.
Ses yeux se posent sur mes lèvres pendant une brève seconde.
— Le toit au-dessus de ta tête, ton avenir, ta stabilité, tout est entre mes
mains… Alors tu as intérêt à ravaler tes grossièretés et à m’obéir.
Il me relâche, se rassied à la table, prend le journal et se met à le lire. Je
serre les poings et j’attrape mon uniforme à contrecœur.
Je le déteste.
Je n’aurais jamais cru qu’il deviendrait si froid, si con. L’Artemis avec
qui j’ai grandi a toujours été calme, peu expressif mais chaleureux. Il ne
m’aurait jamais traitée de cette façon.
Ma silhouette dans le miroir de la salle de bains me dérange au plus haut
point : cet uniforme ressemble à un déguisement d’Halloween. On ne porte
plus ce genre de truc de nos jours. Je me demande au passage comment ce
connard connaissait ma taille.
Quand je reviens à la cuisine, Artemis n’est plus seul, Apollo est avec lui
et j’ai horriblement honte.
— Monsieur ?
Je marque une pause.
— J’ai enfilé mon uniforme. Je peux retourner travailler ?
Artemis continue de lire sans me regarder.
— Du moment que tu connais ta place, tu peux retourner au travail.
Je pince les lèvres, me forçant à énoncer :
— Je suis une simple employée de maison, monsieur.
— Bien.
Il met le journal de côté, prend sa tasse de thé et la vide sur la table.
— Nettoie, alors.
— Artemis.
La voix douce d’Apollo m’apaise, mais Artemis le foudroie du regard.
Je sais qu’il me teste, qu’il veut que j’échoue afin de disposer d’une
excuse pour me renvoyer. Je n’aurais jamais imaginé qu’il me détestait à ce
point. J’ai sous-estimé son aversion pour moi. J’ai les larmes aux yeux,
mais je me retiens de pleurer. Je ne lui donnerai pas la satisfaction de me
voir m’effondrer. Je cherche un torchon en silence. La colère dans la voix
d’Apollo me surprend :
— Artemis !
Personne ne m’a jamais traitée de la sorte, pas même la maîtresse de
maison, qui ne m’aime pas.
— À vos ordres, monsieur.
Apollo veut intervenir, mais Artemis réplique d’un ton irrité :
— Si tu t’en mêles, je raconte à notre père que tu t’es bourré la gueule.
C’est juste une servante, elle n’en vaut pas la peine, Apollo.
Ses paroles me font énormément de peine, mais je continue à essuyer.
Une main attrape mon bras pour m’arrêter, les yeux chaleureux d’Apollo se
posent sur moi.
— Ça suffit.
Je me dégage parce que je ne veux pas qu’il ait des problèmes avec son
frère.
— Monsieur m’a ordonné de nettoyer, je dois le faire.
Apollo secoue la tête et prend à nouveau mon bras.
— Monsieur en a assez.
Surgi de nulle part, Artemis apparaît brusquement à nos côtés et saisit le
poignet d’Apollo.
— Ne la touche pas.
Apollo et moi fronçons les sourcils, surpris par cette intervention.
— Va dans ta chambre, Apollo, lui ordonne son grand frère.
— Seulement si tu la laisses tranquille.
Artemis soupire avec lassitude.
— Peu importe. Disparaissez de ma vue, tous les deux.
Je ne réfléchis pas à deux fois et je m’en vais. Je préparerai le petit
déjeuner plus tard. J’ai bien compris qu’Artemis Hidalgo est de retour et
qu’il ne ressemble plus au garçon chaleureux aux côtés duquel j’ai grandi. Il
ne reste qu’une coquille indifférente, qui me méprise au plus haut point.
5. Je t’ai dit d’oublier ce prénom
ARTEMIS
Après avoir tiré un coup rapide avec Cristina au bureau, je m’écarte et elle
rabaisse sa jupe, la respiration courte. Je remets mon caleçon en place et je
remonte mon pantalon, pendant qu’elle se passe la main sur le visage.
— Waouh, tu es vraiment fougueux, aujourd’hui.
Je ne dis rien et je vais dans la petite salle de bains privée qui jouxte mon
bureau. Je me lave, j’arrange ma cravate, puis je retourne m’installer à ma
table de travail.
— Qu’est-ce que tu fais ici ? je lui demande, parce qu’elle sait que je
n’aime pas qu’elle vienne me rendre visite au travail.
Elle sourit en haussant un sourcil.
— C’est maintenant que tu me poses la question ?
Je me suis jeté sur elle alors qu’elle avait à peine franchi le seuil, sans la
laisser parler, sans la saluer, sans prononcer un mot. J’avais besoin de sexe,
j’avais besoin de me détendre.
Elle s’assied de l’autre côté du bureau.
— Je voulais juste te voir, on ne s’est pas croisés depuis des jours.
— J’ai eu beaucoup de boulot.
Elle le sait et, une des raisons pour lesquelles notre couple fonctionne,
c’est que Cristina comprend tout : elle n’exige rien, ne se plaint jamais…
Elle sait comment je suis et elle s’y est adaptée.
— Je sais, tu me manques, c’est tout, soupire-t-elle.
Je l’observe et elle baisse les yeux pour tenter de masquer sa tristesse.
— Tu veux qu’on aille dîner au restaurant ce soir ?
Elle se redresse en souriant jusqu’aux oreilles.
— Oh oui, avec plaisir.
Je lui souris en retour.
— D’accord, je vais réserver quelque part.
Elle se lève, fait le tour de la table, se penche vers moi et m’embrasse
rapidement sur la bouche.
— À ce soir, alors.
Je la regarde se diriger vers la porte et saluer Hannah, la responsable des
achats de l’entreprise, qui entre dans mon bureau au moment où elle en sort.
Hannah m’adresse un sourire amical et pose un dossier sur mon bureau.
— Bonjour, monsieur.
— Bonjour, j’espère que ce sont de bonnes nouvelles.
— Oui, le bulldozer fonctionne parfaitement. Vous trouverez les rapports
sur les réparations, les pièces, le coût de la main-d’œuvre… Si vous avez
des questions, n’hésitez pas à me les poser.
Je laisse échapper un long soupir de soulagement, le bulldozer est l’un
des engins les plus coûteux de notre flotte.
— Eh bien, merci beaucoup.
Elle me sourit à nouveau gentiment et s’éloigne. M’investir
personnellement dans le moindre problème de l’entreprise va à l’encontre
des recommandations formulées par mon médecin pour combattre le stress.
D’après lui, je devrais faire davantage confiance à mes employés et leur
déléguer plus de responsabilités. J’ai essayé, mais je n’y arrive pas. Je me
sens trop responsable de cette entreprise, mon père m’a fait confiance et je
ne peux pas le décevoir.
Je me passe la main sur le visage, m’enfonçant dans mon fauteuil. Je
ferme les yeux et je me masse les tempes. Je suis épuisé, mes nuits blanches
font des ravages.
— Quel spectacle démotivant.
La voix d’Alex me fait sursauter et, quand j’ouvre les paupières, il est
assis en face de moi, bras croisés.
— Ne le prends pas mal, mais tu as vraiment une sale gueule.
Alex est mon meilleur ami, on s’est rencontrés à l’université. On était
dans la même faculté, mais il s’est spécialisé dans la finance. Quand j’ai
repris la boîte, je l’ai engagé, c’est l’une des rares personnes en qui j’ai
pleinement confiance. Mes épaules se détendent.
— Qu’est-ce que tu fais là ?
Il affiche un sourire radieux qui illumine son visage. Alex est quelqu’un
de très joyeux.
— Toujours aussi charmant. Je ne peux pas rendre visite à mon meilleur
pote ?
— Je bosse.
— Ah bon ? Parce que tu as plutôt l’air d’être à deux doigts de crever
d’épuisement.
— Non, ça va.
— Je n’irai pas à ton enterrement, si tu meurs comme ça.
Je lui lance un regard fatigué.
— Ça va, je te dis.
— Mais oui, c’est ça.
Alex croise les mains sur sa nuque et s’installe confortablement dans le
fauteuil.
— J’ai croisé Cristina dans le couloir, je croyais que tu ne mélangeais pas
travail et plaisir.
Je l’observe avec méfiance.
— Qu’est-ce que tu insinues ?
— On voyait bien qu’elle venait de se faire baiser.
— Ne parle pas d’elle comme ça.
Il retire ses mains de derrière de sa tête et les lève en signe d’apaisement.
— Désolé, monsieur le gentleman. T’es de mauvais poil, aujourd’hui.
Il marque une pause, comme s’il réfléchissait, et ajoute :
— En fait, tu l’es tout le temps.
Je ne dis rien et il se contente de me regarder attentivement ; s’il y a
quelqu’un qui me connaît bien, c’est Alex.
— T’es plus fermé que d’habitude. Qu’est-ce qui t’arrive ?
— Rien.
— Si on s’épargnait la conversation où je te demande ce qui ne va pas et
où tu nies pour… finir par cracher le morceau.
— Je pense avoir été trop dur avec quelqu’un.
— Non.
Il lève un doigt.
— Tu ne le crois pas, corrige-t-il. Si la culpabilité te ronge, c’est parce
que tu as été trop dur avec quelqu’un. Avec qui ?
Je me détourne et m’enfonce davantage dans mon fauteuil. Alex hausse
un sourcil.
— Ne me dis pas que…
— Alex.
— Je connais ce regard ; c’était Claudia, c’est ça ?
Je ne sais pas comment il se souvient encore d’elle.
— Je t’ai dit d’oublier ce prénom.
Il lève les yeux au ciel.
— Difficile d’oublier le prénom que mon meilleur ami prononçait chaque
fois qu’il était saoul pendant sa première année de fac.
— J’ai tourné la page.
Il acquiesce.
— Bien sûr, bien sûr. Et alors ? Qu’est-ce que tu lui as fait ?
Mon esprit se remémore la scène, je la revois essuyer le thé devant moi,
cette vision me hante. Je ne comprends pas pourquoi je ressens une telle
colère quand je suis avec elle.
— Tu vas me frapper, si je te le dis.
Alex ouvre la bouche, stupéfait.
— Waouh, à ce point-là ?
L’expression de Claudia me hante à nouveau, mais je ne dis rien. Alex
m’observe avec le plus grand sérieux : toute trace d’espièglerie a quitté son
visage.
— Artemis, tu dois tirer un trait sur cette histoire. Ça fait des années, tu
ne peux pas garder de la rancune pour quelque chose qui s’est passé il y a si
longtemps.
— Je n’ai pas de rancœur, je ne ressens plus rien pour elle.
— Tu peux mentir à qui tu veux, à toi-même si ça te chante, mais je sais
que ce n’est pas vrai. Cette colère, cette absence de contrôle, ça vient
forcément de quelque part.
— Ça suffit, tais-toi.
— Excuse-toi auprès d’elle, passe à autre chose et essaie d’avoir une
relation civilisée.
Je ne lui réponds pas et je quitte la pièce pour aller effectuer une visite de
routine de l’entreprise.
Après le dîner avec Cristina, je la dépose chez elle et je rentre chez moi.
Je desserre ma cravate en passant la porte. Je me passe la main sur la nuque
pour essayer d’apaiser ma tension. Des bruits proviennent de la cuisine,
vers laquelle je me dirige pour boire un coup d’eau. Je n’y ai pas mis les
pieds depuis le matin où j’ai remis Claudia à sa place. Depuis notre
altercation, je suis rongé par le remords. Et cet uniforme… Je n’imaginais
pas qu’il lui irait si bien.
Le son de sa voix parvient à mes oreilles. Elle chante ? Sans faire de
bruit, je m’arrête dans l’encadrement de la porte pour l’observer. Elle
prépare quelque chose et chante en se servant d’une cuillère comme micro.
Un sourire involontaire se dessine sur mes lèvres. Sa voix sonne juste et
me rappelle des souvenirs d’enfance.
— Tu as un rêve ? lui avais-je demandé par curiosité.
Elle avait secoué la tête.
— Non, les gens comme moi ne peuvent pas se permettre d’avoir des
rêves.
J’avais froncé les sourcils.
— Pourquoi ?
— Parce qu’on perd notre temps à espérer quelque chose qu’on ne
pourra jamais obtenir.
J’avais pris une gorgée de mon soda.
— Tu es très pessimiste, tu le sais, non ?
— Et toi, tu es très taiseux, tu le sais, non ?
Ça m’avait fait sourire.
— Pas avec toi.
— Je sais, mais avec les autres, si. Tu dois te faire d’autres amis.
— Ça te pose problème d’être ma seule amie ?
Elle avait souri en replaçant une mèche de cheveux derrière son oreille.
— Non, ça ne me dérange pas.
Nous étions restés sans rien dire, assis sur le bord de la piscine, les pieds
dans l’eau. Claudia s’était mise à fredonner une chanson et je m’étais
souvenu qu’elle adorait chanter.
— Je sais ce que c’est ton rêve.
Elle avait remué ses pieds dans l’eau.
— Vas-y.
— Tu aimes chanter, tu ne voudrais pas devenir une star de la chanson ?
Elle avait baissé les yeux, perdue dans l’eau cristalline.
— Ce serait…
— De quoi tu as peur ? L’admettre ne te fera pas de mal.
Elle s’était mordu les lèvres, mais avait fini par se tourner vers moi avec
une lueur dans le regard.
— Oui, ça pourrait être mon rêve, mais si tu le répètes à quelqu’un, je
dirai que tu mens.
Elle avait soupiré avant de sourire.
— J’aimerais bien être chanteuse.
Je me demande si elle a toujours ce rêve. Mais qu’est-ce que ça peut te
foutre, Artemis ?
Je me racle la gorge pour la prévenir ma présence. Elle se fige, me jette
un coup d’œil rapide et baisse la cuillère pour la fourrer dans le lave-
vaisselle. Quand elle se tourne vers moi, je suis surpris par son expression
agacée.
Je pensais qu’elle serait gênée, mais on dirait que ce n’est pas ce qui la
préoccupe en ce moment. Je l’irrite, et c’est bien normal.
— Je peux vous offrir quelque chose, monsieur ?
Son ton glacial me désarçonne.
Elle n’est pas contrariée, elle est furieuse.
Tout son langage corporel indique qu’il suffirait d’un mot de travers de
ma part pour qu’elle craque et m’insulte. C’est ça le problème avec
Claudia : je ne l’intimide pas le moins du monde. Elle m’obéit et se mord la
langue parce qu’elle y est obligée pour préserver sa place, pas parce qu’elle
a peur de moi. C’est un concept nouveau pour moi. Même mes frères me
craignent. Tout le monde, mais pas elle.
— Je veux du thé, je réponds en m’asseyant à la table.
Elle m’adresse un regard si froid qu’il me fait presque baisser la tête.
— S’il te plaît, j’ajoute un peu mal à l’aise.
Elle soupire et le prépare en silence. Je l’observe. Sa tresse rousse en
forme d’épi révèle parfaitement les traits de son visage, bien que je
n’aperçoive que son profil. Elle se masse l’épaule en faisant une petite
grimace de fatigue. On dirait que la journée a été longue. On est deux dans
ce cas.
Le souvenir qui m’est revenu quelques instants plus tôt ravive ma
culpabilité au sujet de la scène du thé renversé. Le sentiment est
désagréable, il ne m’est pas familier. Je ne suis pas du genre à regretter mes
actes.
Je passe distraitement un doigt sur le bord de la table. Une tasse de thé
apparaît dans mon champ de vision et je lève les yeux. Claudia est en face
de moi. Son regard polaire me met mal à l’aise.
— Votre thé, monsieur.
Il n’y a ni respect ni admiration dans sa voix, juste du dégoût.
— Merci.
Elle se retourne pour continuer à travailler.
Je prends une gorgée et je garde la tasse à la main, sans cesser de
l’observer.
Les minutes passent et je me concentre sur la boisson chaude, sans
pouvoir oublier que j’ai mal agi. Comme si elle sentait mon regard, elle se
tourne vers moi avec une expression déterminée, une main sur la hanche.
— Si tu dois t’excuser, fais-le.
— Quoi ?
C’est la première fois qu’elle me parle avec autant de désinvolture et je
suis surpris de constater que ça ne me dérange pas. Elle doit lire la
confusion sur mon visage, comme si j’avais dit tout haut ce que je pensais
tout bas.
— Laisse tomber.
Elle se dirige vers la porte et, avant qu’elle ne la franchisse, les mots
quittent mes lèvres :
— Je suis désolé.
Elle se raidit mais ne se retourne pas, et je lui en suis reconnaissant. Ça
me permet de continuer plus facilement :
— Je suis désolé pour l’autre matin. Je suis allé trop loin, je me suis
comporté comme un salaud, ça ne se reproduira plus.
Je n’attends pas de réponse, je connais Claudia, des excuses n’apaiseront
pas aussi facilement sa colère. Tu la connais ? Tu veux dire que tu la
connaissais, tu ne sais rien d’elle. Et je ne veux rien savoir, d’ailleurs.
— Tu es désolé ?
Elle se tourne vers moi. Ses yeux lancent des éclairs.
— Tu me traites comme de la merde, tu m’humilies devant ton frère, puis
tu t’excuses ?
Je me lève.
— Claudia…
Elle s’approche de la table d’un pas rapide, prend le thé et le vide sur la
surface. Puis elle se retourne, attrape un torchon et me le lance ; je parviens
tout juste à l’attraper.
— Essuyez, monsieur.
Ses yeux noirs brillent de fureur, j’avoue qu’ils me font un peu peur.
— Et si tu me traites encore comme ça, je balancerai un coup de pied
dans la partie la plus tendre de ton anatomie. Excuses acceptées.
L’avoir en face de moi me permet d’observer son visage en détail. Elle a
de légers cernes sous les yeux, mais elle est toujours aussi jolie. J’essuie la
table en silence et elle me regarde, les bras croisés.
— Je me suis excusé et j’ai nettoyé. On est quittes, je commente d’un ton
indifférent.
Elle pince les lèvres.
— OK. Essayons d’avoir une relation courtoise. Je suis l’employée de
cette maison, tu es le fils du patron, point final.
Je suis juste le fils du patron ? C’est tout ce que j’ai jamais été pour toi ?
Bon, alors, tu n’es qu’une bonne et rien de plus.
— Je suis d’accord.
Elle me jette un dernier coup d’œil prudent et s’en va.
Elle me laisse seul avec le souvenir de la distance qu’elle a toujours mise
entre nous, si immense que, même quand Claudia se trouve devant moi, je
ne parviens pas à sentir sa présence.
6. Qu’est-ce que tu fiches,
Apollo ?
CLAUDIA
ARTEMIS
Un coup.
Et un autre.
Et un autre.
Mes poings serrés, recouverts de bandes de tissu, entrent en contact avec
le sac de sable, que je frappe encore et encore, de plus en plus fort. La sueur
ruisselle le long de mon cou, descend jusqu’à ma poitrine, mes
abdominaux. Mes biceps se tendent chaque fois que j’attaque le sac. Mais
mon esprit est ailleurs.
— Je…
Claudia s’est éloignée de moi après m’avoir enlacé, mal à l’aise. Ses
yeux gonflés de larmes m’évitaient.
— Je suis désolée, je…
— Tu n’as pas à t’excuser, lui ai-je assuré en souriant chaleureusement.
Elle s’est raclé la gorge, sans me regarder.
— Je dois y aller.
Je frappe le sac de boxe à plusieurs reprises, me rappelant combien ses
épaules se sont crispées et sa posture s’est tendue dès qu’elle s’est ressaisie.
Je me rappelle surtout comme c’était bon de la tenir dans mes bras. Son
odeur m’est encore familière et ça m’exaspère. Elle ne devrait pas
m’intéresser de cette façon, elle appartient au passé.
En plus, j’ai une petite amie.
— Claudia !
Je l’ai rappelée avant qu’elle ne parte, mais elle m’a adressé un sourire
aimable.
— Merci pour…
Elle s’est tue.
— Merci.
Et elle est rentrée dans la maison, mettant fin à notre interaction, la nuit
dernière.
Pourquoi est-elle si mal à l’aise avec moi ? Elle se comporte comme si
nous étions des inconnus. Même si nous ne sommes plus aussi proches
qu’avant, notre histoire nous unit. Mes poings se serrent plus fort pour
asséner des coups plus violents encore. Le sac tangue sous chaque impact.
Je repense au moment où je suis entré dans la chambre d’Apollo, elle avait
l’air si détendue, tellement à l’aise avec lui… Depuis quand sont-ils si
proches tous les deux ? Pourquoi est-elle si paisible avec lui et si tendue
avec moi ?
Je dois cesser de penser à elle.
Je m’accorde une pause. J’attrape le sac de frappe et j’y appuie le front.
Ma respiration est haletante à cause de l’exercice prolongé, tout mon corps
est couvert de sueur. Je ne porte qu’un short. Je prends une serviette, je me
sèche un peu et je la passe autour de mon cou pour sortir de la petite salle
de sport de la maison. Je m’apprête à monter à l’étage, mais je m’arrête :
j’ai changé d’avis. J’ai envie de taquiner un peu Claudia. Elle l’a bien
mérité, elle qui a occupé toutes mes pensées ce matin.
En entrant dans la cuisine, je me dirige droit vers le frigo, je sors une
bouteille d’eau et je me prépare à la boire. Claudia finit de laver une
casserole et, quand elle se tourne pour l’essuyer, elle m’aperçoit.
— Oh.
Elle laisse tomber la casserole, surprise.
— Je ne vous avais pas vu, monsieur.
Elle se remet à me vouvoyer et à m’appeler monsieur ? Mais pour quelle
raison ?
Elle ramasse la casserole sur le sol et, quand elle se relève, ses yeux
s’attardent sur mon torse et mes abdos. Ses joues s’enflamment. Un sourire
arrogant se dessine sur mes lèvres, mais je ne dis rien. Elle passe devant
moi en observant mes muscles à la dérobée. Je sais que je suis séduisant. Je
ne me vante pas, c’est un fait et je me donne beaucoup de mal pour
entretenir ma silhouette. J’aime faire du sport et manger le plus sainement
possible… quand j’ai le temps, bien sûr. Mes frères et moi sommes très
semblables, de ce point de vue-là. Ares a toujours été très porté sur le sport
et Apollo utilise notre salle de temps en temps. Claudia passe à nouveau
devant moi après avoir rangé la casserole essuyée dans l’armoire.
— Vous avez faim, monsieur ?
Je profite qu’elle a le dos tourné pour l’observer.
— Oui.
Ses cheveux sont à nouveau relevés en tresses, ce qui me permet
d’admirer sa nuque. Quelques mèches rousses rebelles se sont échappées de
sa coiffure et forment un contraste parfait avec sa peau.
Claudia se tourne pour me regarder, et je me concentre immédiatement
sur la fenêtre de la cuisine.
— Qu’est-ce que vous voulez manger ?
— Une salade de fruits, ce sera parfait.
Elle acquiesce.
— D’accord.
Je m’assieds à la table de la cuisine et elle s’installe en face de moi. Je la
regarde tout préparer, j’admire l’agilité avec laquelle elle découpe les fruits,
la délicatesse avec laquelle ses doigts les caressent, la façon dont elle se
mord la lèvre lorsque le couteau tranche la chair tendre… Les petites taches
de rousseur sur ses pommettes passent presque toujours inaperçues, mais
dans la lumière du jour elles sont soudain très visibles.
Pourquoi est-elle si belle ? Qu’a-t-elle de plus que les autres femmes
avec qui je suis sorti ? Honnêtement, j’aimerais connaître la réponse. Nos
regards se croisent et ses yeux noirs me font oublier la relation
professionnelle que nous avons désormais. Avant que je puisse réfléchir à
ce que je vais dire, les mots m’échappent :
— Comment tu vas ?
— Bien.
Elle me tend l’assiette de fruits et je constate qu’elle n’a pas mis de
fraises dans la salade. Je souris presque en constatant qu’elle se souvient
encore de mes allergies.
— Tu as un talent fou pour couper les fruits.
Je ne sais même pas pourquoi je dis ça, pourquoi je continue à essayer
d’entamer la conversation avec elle. Comme elle ne répond pas, j’enfourne
un morceau de melon et je le mâche lentement sans la quitter des yeux une
seconde. Elle s’affaire dans la cuisine. Pourquoi ne rebondit-elle pas quand
je lui propose de discuter ? C’est frustrant, d’habitude je ne dois pas
consentir autant d’efforts. Ce sont plutôt les autres qui se donnent un mal de
chien pour initier une interaction avec moi, qui essaient de surmonter mes
défenses. Avec elle, c’est le contraire. Ça me déconcerte. Je me demande si
elle se comporte différemment avec Apollo. Après la scène à laquelle j’ai
assisté, je me dis que c’est le cas.
Il faut que j’arrête de penser à ça.
Je suis sur le point de me lever et de partir quand quelque chose sur le sol
attire l’attention de Claudia. Son expression froide disparaît, remplacée par
de l’adoration pure, et elle sourit jusqu’aux oreilles. Cette attitude me laisse
sans voix, mon cœur s’emballe comme un imbécile.
Je veux qu’elle me regarde comme ça. Je cherche ce qui l’intéresse tant :
un chiot blanc tout poilu vient à sa rencontre, entré dans la maison par la
porte de la cuisine.
Claudia s’agenouille devant lui. Le chiot pose ses pattes sur elle et lui
lèche les mains pendant qu’elle le caresse.
— Bonjour, mon mignon.
Elle lui sourit, de l’amour plein les yeux. D’où sort ce chiot ?
Claudia semble se souvenir de ma présence et se relève d’un coup en
reprenant son expression impénétrable. Elle se dirige vers l’évier pour se
laver les mains. Le petit chien la suit, collé à ses basques.
— Je ne savais pas qu’on avait un chien.
C’est reparti, j’essaie de la faire parler. Je ne sais pas ce qui m’arrive ce
matin. Claudia jette à peine un coup d’œil dans ma direction.
— Il appartient à Apollo. Il recueille des petits chiens abandonnés. Il
travaille comme bénévole à la fourrière.
Apollo…
La voix de Claudia s’adoucit quand elle mentionne mon frère et, sans que
je sache pourquoi, ça m’agace. Je me remets à manger les fruits qu’elle a
préparés.
— Waouh, il a un cœur d’or.
— En effet.
— Je croyais que tu n’aimais plus les chiens.
Je me souviens que, lorsque nous étions encore enfants, mon père avait
décidé d’avoir un chiot, qu’on avait appelé Fluffy. Malheureusement,
quelques mois plus tard, il avait eu une infection que le vétérinaire n’avait
pas pu soigner et il était mort. Claudia et moi étions dévastés, nous avions
même organisé ses funérailles. Par la suite, les chiens étaient devenus un
sujet sensible pour nous deux. Claudia me regarde avec empathie et je
devine qu’elle pense à la même chose que moi.
— Je n’oublierai jamais Fluffy, dit-elle.
Un sourire triste apparaît sur son visage avant qu’elle ajoute :
— Mais je ne sais pas, c’est impossible de ne pas s’attacher aux chiots
qu’Apollo ramène. Ils sont tellement adorables. Ils ont tellement besoin
d’amour.
Le petit chien quitte Claudia, fait le tour de la table et apparaît à mes
côtés. Il colle son corps poilu contre mes pieds et me chatouille.
Je ne sais pas comment réagir : je n’ai pas eu le moindre contact avec un
chien depuis Fluffy. Mais je fronce les sourcils lorsque je vois le chiot lever
la patte gauche pour essayer d’uriner sur mon pied gauche.
— Ah !
Je me lève d’un bond et je m’éloigne juste à temps pour qu’il ne m’urine
pas dessus. C’est quoi ce bordel ?
Le rire de Claudia résonne dans la cuisine. Elle rit tellement fort qu’elle
doit se tenir le ventre et a du mal à reprendre sa respiration. Je fusille du
regard la petite boule de poils qui s’approche de moi.
— Non ! Recule ! Méchant chien !
Je n’arrive pas à croire que je bats en retraite devant un petit animal qui
n’arrive même pas à la hauteur de mes genoux. Claudia est toute rouge à
force de s’esclaffer et, pendant une seconde, j’oublie le chien et je la
regarde rire. Mon Dieu, que ce son m’a manqué. Quand elle croise mon
regard, elle s’arrête. Elle essaie de se contrôler en pinçant les lèvres.
— Doggy !
Elle appelle le chiot pour qu’il s’éloigne de moi.
— Viens, Doggy !
Il la suit et elle le conduit hors de la cuisine ; elle ferme la porte de
derrière une fois qu’il est dehors. Elle se tourne vers moi en continuant à
pincer les lèvres pour contenir son rire. Son air amusé fait plaisir à voir.
— Ça te fait marrer, hein ?
— Non, monsieur.
Un petit rire lui échappe. C’est la première fois qu’elle m’appelle
monsieur sans prononcer le mot avec mépris. Son ton est juste un peu
moqueur.
Sans réfléchir à ce que je fais, je contourne la table pour me rapprocher
d’elle.
— Si, ça te fait marrer. Tu l’as entraîné à faire ça ?
Elle rit un peu et essaie de retrouver son calme, en reculant.
— Bien sûr que non.
Je ne m’arrête que lorsqu’elle ne peut plus reculer. Elle se retrouve dos
au mur. Son rire s’éteint et son expression devient nerveuse. Elle est
coincée. Je pose les mains de chaque côté de son visage pour l’enfermer,
comme si elle était en cage. Elle lève les mains pour me repousser, mais
change d’avis quand elle se rend compte que je suis torse nu et qu’elle
serait en contact direct avec ma peau.
— Qu’est-ce que tu fabriques ?
Je hausse un sourcil.
— Qu’est-ce qui est arrivé à monsieur et vous ?
Elle s’humecte les lèvres.
— Je n’aime pas m’adresser à toi comme ça.
— Pourquoi ?
Elle plante ses yeux dans les miens. Elle ne semble ni hésitante ni
intimidée.
— Tu es trop jeune pour être un monsieur.
— M’appeler monsieur n’a rien à voir avec mon âge.
— Je sais. Pour toi, c’est un terme respectueux pour désigner le patron.
Elle lève les yeux au ciel.
— Et, comme je te l’ai déjà dit, tu n’es pas mon patron.
— Ah non ?
Elle lève le menton d’un air de défi.
— Non.
Je me penche encore plus, nos visages sont si proches que je distingue
tous les détails de sa peau.
— Si je ne suis pas ton patron, qu’est-ce que je suis, alors ?
Elle hésite. Ses lèvres sont à ma portée, il suffirait que je me baisse un
peu pour les goûter, pour les sentir entrer en contact avec les miennes.
Pendant une brève seconde, elle me laisse entrevoir sa vulnérabilité. Elle
semble moins confiante ou maîtresse de la situation que d’habitude. Elle
paraît indécise et, je ne sais pas pourquoi, ça me plaît. J’ai envie qu’elle
perde le contrôle comme je le fais quand je suis avec elle. Quand je suis en
sa présence, il m’arrive de ne plus savoir ce que je dis ou fais. Nos
respirations s’emballent et la chaleur de nos corps se devient palpable.
Claudia me regarde dans le blanc des yeux pour répondre :
— Je te l’ai déjà dit, tu es simplement le fils de mon patron.
Je sens cependant que la conviction a disparu dans sa voix, elle ne
semble plus aussi sûre que la première fois qu’elle me l’a dit. Elle repousse
un de mes bras et s’échappe. Avant qu’elle ne puisse s’éloigner davantage,
je la suis et j’attrape son poignet, la tirant pour la coincer entre mon corps et
la table de la cuisine.
— Rien de plus, hein ?
Je saisis son menton.
— Je suis juste le fils du patron, Claudia ? Je ne te crois pas.
— Je me fous de ce que tu crois.
Elle écarte son visage.
— Alors pourquoi tu me fuis tout le temps ? De quoi as-tu si peur ?
Je ne sais pas d’où sortent ces questions, mais je les pose en plaquant son
bassin contre la table. Nos regards sont plongés l’un dans l’autre, je veux
sonder le sien, découvrir ce qui s’y cache…
Avant, je connaissais son côté vulnérable, mais, depuis qu’elle m’exclut
et ne me montre que son côté froid, je sens que je souhaite autre chose.
— Je n’ai peur de rien et je ne te fuis pas.
— Menteuse.
Elle pince les lèvres. Son regard s’abaisse et se concentre sur mon torse.
— Tu n’es rien pour moi, Artemis.
— Regarde-moi dans les yeux et répète ça.
Elle me dévisage et hésite ; nous sommes si proches que, chaque fois
qu’elle inspire, ses seins effleurent mon torse nu.
— Tu…
Elle ne parvient pas à finir sa phrase.
Comme s’il était mû d’une volonté propre, mon pouce effleure ses lèvres.
Elle les entrouvre et sa respiration s’accélère.
Bon sang, je meurs d’envie de l’embrasser.
La seule chose qui m’arrête, c’est Cristina. Elle compte pour moi, et je ne
veux pas lui être infidèle. Ce ne serait pas juste. Ce que je fais est déjà assez
grave. Je ne veux pas être comme ma mère.
Claudia m’observe en silence, dans l’expectative, comme si elle ne savait
pas ce qui allait se passer ou ce qu’elle voudrait qu’il se passe. Moi, je sais
ce que je veux, c’est ce qui m’exaspère et me déstabilise. Je déteste sentir
que la situation m’échappe.
Je ne sais pas comment j’arrive à me détacher d’elle et à sortir de la
cuisine avant de me laisser aller et de regretter mes actes. Je vais devoir
prendre plus de précautions : j’ai été stupide de croire qu’elle ne m’attirait
plus.
J’ai peut-être besoin de passer à l’acte pour arriver à l’oublier. Le fait que
cette relation me soit interdite déclenche sans doute en moi l’envie de
relever le défi ou un truc du genre. Une chose est certaine : je ne pourrai pas
tourner la page sans avoir couché avec elle, sans avoir savouré ses
gémissements, ses râles, ses soupirs d’excitation.
J’obtiens toujours ce que je veux et, ce fameux 4 juillet, Claudia a fait
figure d’exception. Mais ça ne peut plus durer. Claudia est comme les
autres, elle ne peut pas me résister.
8. C’est tellement facile de te faire plaisir
CLAUDIA
CLAUDIA
L’Insomnia est un club très classe, les décorations sont somptueuses, les
fauteuils modernes, et un immense bar s’étend sur toute la longueur. Aussi
sophistiqué que son idiot de propriétaire.
Bien qu’il y ait beaucoup de monde, il y a assez de place pour se déplacer
sans cogner personne, ce que je trouve très agréable ; c’est un truc que je
déteste dans les boîtes, me sentir écrasée par la foule.
Gin me hurle à l’oreille :
— C’est génial, c’est le club le plus branché de la ville ! J’arrive pas à y
croire.
Sa joie est contagieuse, je lui souris alors que nous nous dirigeons vers le
bar. Mon amie montre nos tickets au barman et nous commande deux
verres.
— C’est bon, Claudia. Il n’est pas là.
Artemis a reçu cette boîte en cadeau pour ses vingt et un ans. Il en a
confié la gestion à une personne de confiance en attendant de terminer ses
études, mais, comme il a fini par rejoindre l’entreprise de son père, il n’a
jamais eu le temps de s’en occuper personnellement. C’est ce qu’Apollo
m’a expliqué. Je ne pense même pas qu’Artemis fréquente ce club. Quand
nous recevons nos boissons, Gin me fait trinquer avec elle avant de goûter.
C’est un cocktail fruité, le goût de l’alcool est fort mais supportable.
— Qu’est-ce que c’est ?
— C’est un Orgasme.
— Tu te fous de moi !
— Non, répond Gin, les yeux fixés sur quelque chose derrière moi. Oh
mon Dieu !
Oh non, faites qu’elle ne dise pas que c’est Artemis.
— C’est lui !
Je me retourne pour voir de qui il s’agit et je découvre un grand blond au
visage enfantin, avec de magnifiques yeux verts. Il est beau, bien qu’il ne
soit pas du tout mon genre. Il avance un peu et je remarque qu’un autre mec
le suit. Oh, il est encore plus grand, il a les cheveux noirs et des yeux noirs
intimidants. Il a des traits bien dessinés et virils : ses cheveux en pagaille
sont particulièrement craquants. Lui, en revanche, c’est mon type de mec.
Il faut que je mette les choses au point avec mon amie.
— Gin, lequel des deux te plaît ?
Faites que ce soit le blond, faites que ce soit le blond. Gin se mordille la
lèvre.
— Le blond, c’est lui qui m’a offert les tickets.
Quel soulagement ! Le blond semble reconnaître Gin et s’approche de
nous en nous adressant un signe de la main. Elle me le présente.
— Claudia, Victor ; Victor, Claudia.
Je lui serre la main.
— Enchantée.
Gin et Victor se lancent dans une conversation, pendant que je suis du
coin de l’œil le type aux cheveux noirs qui passe à côté de nous. Il ne me
remarque même pas. Je ne sais pas ce que je m’imaginais : on dirait un
mannequin. Je ne vois même pas comment il s’intéresserait à moi, avec un
physique pareil. Au cours de la discussion avec Victor, il nous apprend que
c’est lui qui gère le club. Il a été engagé par Artemis. Il nous emmène dans
la zone VIP, un espace plus intime, à l’étage. Même si on y entend toujours
la musique, on n’a plus besoin de crier pour communiquer et les boissons
sont servies à table. Victor essaie d’impressionner Gin et, d’après les joues
rouges de mon amie, il fait mouche. Je prends l’excuse d’aller aux toilettes
et je me lève pour les laisser seuls. Je serpente entre les tables VIP et je me
retrouve devant un passage dont l’ouverture est seulement fermée par des
rideaux.
Qu’est-ce que c’est ?
Curieuse, je franchis la tenture et je découvre une série de box drapés
d’étoffe rouge, où les gens viennent pour faire je ne sais quoi à la lumière
des bougies. J’ai bien l’impression d’entendre des gémissements et je me
retourne pour rebrousser chemin, mais je me retrouve face à Yeux noirs.
— Tu es perdue ?
Il est encore plus séduisant de près.
— Non.
Il me déshabille du regard sans la moindre honte, avant de s’arrêter sur
mon visage.
— Tu as un don.
Je fronce les sourcils.
— Pardon ?
— Comment fais-tu pour être aussi éblouissante dans une tenue aussi
simple ?
C’est quoi ce bordel ? C’est un compliment ou pas ?
— Merci.
— Excuse-moi, je ne voulais pas insulter tes vêtements, je voulais
juste… dire que tu es très jolie.
Et toi, tu es plus que beau, t’es incroyable.
C’est pour ça que je n’aime pas boire, l’alcool fait ressortir mon côté
hormonal-sexuel-désinhibé, même si je n’ai avalé que trois gorgées du
cocktail. Yeux noirs m’adresse un sourire en coin qui a dû faire craquer une
montagne de filles.
— Je peux t’offrir un verre ?
Ça me rend dingue que le visage d’Artemis m’apparaisse pile à ce
moment-là. Il n’a aucune importance pour moi, et je suis sûre que c’est
réciproque. En plus, il a une petite amie. Il doit être en train de passer du
bon temps avec elle. Alors pourquoi est-ce que je le laisse affecter ma vie
privée ? Notre relation est strictement professionnelle, il l’a bien précisé.
— Avec plaisir.
Je suis l’éphèbe aux yeux noirs hors de ce salon, où les couples s’en
donnent à cœur joie.
Quand nous arrivons à la table, Gin est trop occupée pour remarquer
notre présence parce qu’elle a la langue de Victor au fond de la bouche.
Yeux noirs me lance un regard amusé et je hausse les épaules.
Il me tend la main.
— Viens, on sera mieux à une autre table.
Les boissons s’enchaînent et, même si Yeux Noirs me recommande d’y
aller mollo et de boire plus lentement, je ne suis pas son conseil parce que,
après tout ce temps, l’alcool fait du bien à mon organisme. Plus je bois, plus
je pense à l’idiot qui possède ce club.
À quoi est-ce qu’il joue ?
Un jour, il m’embrasse presque et, le lendemain, il me dit qu’il veut une
relation strictement professionnelle ?
Pour qui est-ce qu’il se prend ? Qui a prétendu que je cherchais autre
chose qu’une relation professionnelle ? Comment il se la pète !
Arrête, Claudia. Tu as un gars qui ressemble à un mannequin en face de
toi, arrête de penser à l’autre iceberg. Mais il est juste… tellement…
tellement… Argh !
Je m’apprête à prendre une nouvelle gorgée de tequila, quand Yeux noirs
arrête ma main en plein vol.
— Hé, attends, du calme.
Je bois un coup quand même.
— Je vais très bien.
— Je ne crois pas, tu as l’air nerveuse. Je n’ai rien contre le fait de se
saouler par dépit, mais je pense que tu devrais ralentir.
— Par dépit ?
— Ben oui, tu sais, se saouler parce qu’on enrage contre un truc. Un de
mes amis le fait tout le temps.
— J’aimerais bien le rencontrer, on doit avoir beaucoup de points
communs.
— Je ne te souhaite pas de le rencontrer, il n’a pas bon caractère.
Il prend ma main doucement et se rapproche de moi sur le canapé en L
où nous sommes installés.
— Si tu veux te changer les idées, j’ai d’autres propositions.
Il réussit à capter toute mon attention, je me mords la lèvre et je souris.
— Comme quoi ?
Il me caresse la joue de sa main libre. Son visage est si proche du mien
que je sens son souffle sur mes lèvres. Waouh, il est tellement beau !
— Je pense que tu connais la réponse.
Au moment où nous allons nous embrasser, Gin nous interrompt :
— Claudia !
Nous tournons tous les deux la tête. Mon amie est à côté de nous, les
mains sur les hanches.
— Je peux te parler une seconde ?
Yeux noirs me force à le regarder à nouveau.
— Tu t’appelles Claudia ?
Gin lâche un petit rire moqueur.
— Ils ne se sont même pas présentés ! Claudia, Alex ; Alex, Claudia.
Alex me dévisage avec horreur et me lâche comme si j’étais une chose
répugnante.
— Merde…
— Qu’est-ce qui se passe ?
Il se prend la tête dans les mains.
— Ne me dis pas que tu bosses chez les Hidalgo. Tu es cette Claudia-là ?
— On s’est déjà rencontrés ?
— Merde !
Il se lève.
— Je dois aller aux toilettes, je reviens tout de suite.
Il part sans rien m’expliquer. Gin en profite pour s’asseoir à côté de moi.
— Je ne voulais pas vous interrompre, mais Victor veut m’emmener chez
lui. Je ne veux pas te laisser en plan, on peut te déposer chez toi ou te laisser
de l’argent pour un taxi.
— Non, ça va, tu peux y aller, je lui assure. Je savais que ça risquait
d’arriver, en venant ici.
Gin fourre des billets dans ma paume et la referme.
— Arrête de boire et envoie-moi un message quand tu arrives à bon port.
Elle m’embrasse sur la tempe et s’en va. Je reste seule sur le canapé,
devant la petite table sur laquelle reposent un assortiment de verres et une
bouteille de tequila à moitié pleine. Je me retrouve seule… comme
d’habitude.
N’est-ce pas ce que j’ai toujours voulu ?
J’ai fait tellement d’efforts pour préserver cette solitude ! Je me sens plus
en sécurité quand je m’isole. Je ne supporte pas d’être vulnérable, peut-être
à cause de tout ce que j’ai subi dans mon enfance ou peut-être simplement
parce que c’est mon choix. Je refuse d’être le genre de personne qui fait
peser sur ses parents les défauts de sa personnalité. Oui, l’enfance joue
beaucoup dans notre construction, mais, au final, nous sommes des êtres
humains capables de décider de nos propres actions. Je suis peut-être
simplement comme ça sans raison.
J’admire les gens qui n’ont aucun problème pour affronter leurs
émotions, qui sont prêts à prendre des risques, qui exposent leur
vulnérabilité sans la moindre hésitation. Je pense à Raquel, notre voisine, la
fille qui a un crush pour Ares. On peut lire toutes ses émotions sur son
visage et dans ses actes. Je repense au moment où Ares m’a demandé de la
faire sortir de sa chambre après avoir passé la nuit avec elle. C’était il y a
quelques jours déjà, mais le souvenir me hante encore. Lorsque j’ai gravi
les escaliers, je l’ai trouvée là, les joues baignées de larmes. Je n’ai même
pas eu à lui expliquer quoi que ce soit, elle a juste hoché la tête, comme si
elle avait entendu tout ce qu’Ares avait dit. La peine qui se lisait dans ses
yeux m’a retourné l’estomac.
Comment fait-elle pour être blessée et se relever chaque fois ? À mes
yeux, elle est bien plus courageuse que moi. Elle ne se cache pas derrière
des murs de protection, elle vit pleinement chaque émotion qu’elle ressent.
Mais elle est blessée…
Les blessures font probablement partie de la vie. Je suis peut-être en
sécurité dans la vie que j’ai choisie, mais je sens qu’il me manque quelque
chose. Est-ce que j’ai envie qu’on me fasse de la peine ou est-ce que je
souhaite juste que quelque chose de différent m’arrive ? Peut-être que la
monotonie de ma vie quotidienne me fatigue, que je suis lassée de mes
aventures amoureuses, qui ne sont jamais que des coucheries sans
lendemain.
Je me verse un autre shot de tequila, je l’avale d’un trait et je repose le
petit verre sur la table. Où est passé Alex ? J’ai besoin d’une dose
d’aventure sans sentiments, sans attaches, sans promesses pour l’avenir et
sans mensonges… Juste une alchimie vibrante entre deux personnes qui
s’apprécient physiquement. Waouh, parfois mes pensées me stupéfient moi-
même, je suis tellement superficielle. Je m’apprête à vider mon troisième
shot de tequila quand je commence à me demander si Alex va revenir.
J’avais l’impression que ça se passait bien entre nous. Qu’est-ce qui s’est
passé ? Comment est-ce qu’il a su que je travaillais pour les Hidalgo ?
Je penche la tête en arrière pour vider mon verre, et l’alcool me brûle la
gorge puis l’estomac. Quand je baisse la tête, je distingue à peine l’ombre
de quelqu’un sur le canapé qui est en face du mien. Je pose mon verre sur la
table, prête à affronter Alex. Mais, quand je lève les yeux, ce n’est pas Alex
que je découvre, c’est Artemis Hidalgo. Je manque de m’étouffer avec ma
salive.
Il est assis confortablement, les deux bras tendus sur le dossier, ce qui fait
que son costume noir s’ouvre, révélant la chemise bleu foncé qu’il porte en
dessous avec une cravate noire.
Ses cheveux semblent noirs dans cet éclairage, alors qu’ils sont bruns,
comme ses yeux. Comme d’habitude, ce visage dessiné par les dieux est
parfaitement impassible. Sa barbe légère lui donne l’air si sexy que c’en est
presque insupportable.
Qu’est-ce que tu fais ici ?
J’ai envie de lui demander, mais je ne veux pas passer pour une débile :
ce club lui appartient, il peut venir ici quand ça lui chante. Un serveur
s’approche.
— Monsieur, nous avons fait sortir tout le monde, que voulez-vous
boire ?
La voix d’Artemis est rauque et fait battre mon cœur plus vite :
— Comme d’habitude et une autre de ceci.
Il montre la bouteille de tequila, qui est vide à présent.
— Tout de suite, monsieur.
Faire sortir tout le monde ? Je regarde enfin autour de moi. Il n’y a plus
personne sur la piste, la musique retentit toujours, le DJ est à sa place mais
le club est vide. Quand est-ce que… ? J’étais trop occupée à boire par dépit,
comme dirait Alex. Artemis m’examine sans le moindre scrupule. Ses yeux
sont magnifiques, je les ai toujours trouvés doux malgré la froideur de son
visage.
Le serveur revient, tend à Artemis un whisky et la bouteille de tequila.
— Personne ne doit monter ici à moins que je n’appelle, ordonne le
propriétaire du club.
Je déglutis, mal à l’aise.
— Bien, monsieur.
Le serveur disparaît aussi vite qu’il peut.
Artemis se penche pour poser la bouteille devant moi.
— Voilà, continue à boire.
— Qu’est-ce que tu fais ?
Artemis prend une gorgée de whisky avant de poser à nouveau les mains
sur le dossier du canapé.
— Je crée un espace.
Sa réponse me coupe le souffle et me replonge dans des souvenirs.
Je regarde l’homme assis en face de moi et, bien que ce doux sourire ait
disparu, je sens dans ses yeux qu’il est disposé à m’écouter.
— Je croyais que tu voulais une relation strictement professionnelle, je
lui rappelle en me servant un verre.
— On ne peut pas toujours avoir ce qu’on veut.
Ses yeux ne quittent pas les miens.
Je ne dis rien, et je vide mon verre d’un trait.
— Je n’ai pas besoin d’espace, on n’est plus des ados.
Mes paroles lui arrachent un léger sourire.
— Tu sais aussi bien que moi que ça ne peut faire que du bien, un espace
pour se défouler.
— Et pourquoi tu serais dans mon espace ? Toi qui changes d’avis
comme de chemise d’un jour à l’autre.
— C’est parfaitement vrai, admet-il, mais je sais que tu en as besoin. Le
club est vide, tu as tout l’alcool que tu veux à ta disposition. Qu’est-ce que
tu voudrais de plus ? Dis-toi que je suis juste un inconnu que tu viens de
rencontrer et qui ne se souviendra pas demain de ce que tu dis ce soir.
Comme si je pouvais faire ça.
Artemis semble interpréter mon silence et hausse un sourcil.
— Sauf si c’est moi que tu as sur le cœur ; dans ce cas, je comprendrais
que tu ne veuilles pas m’en parler.
Bingo.
— Arrête.
Artemis baisse les bras du dossier, place les mains jointes entre ses
jambes et pose les coudes sur ses genoux.
— Arrêter quoi ?
— Ça…
Je fais un geste entre lui et moi.
— Arrête d’être gentil avec moi.
— Pourquoi ?
L’intensité de son regard est irrésistible.
— Tu as peur que je détruise les murailles que tu as édifiées autour de
toi ? Je les ai déjà fait tomber, Claudia, et si j’en ai envie, je peux
recommencer.
— On sait comment tout ça a fini la dernière fois, je lui rappelle en
repensant à ce 4 juillet.
Artemis ne semble pas prendre ombrage de ma remarque.
— Je ne suis plus un ado qui manque de confiance et abandonne face aux
premières difficultés. Je suis un homme qui sait ce qu’il veut et qui est prêt
à tout pour l’obtenir.
Que veut-il dire par là ? Je serre mes mains sur mes genoux.
— Tu as aussi une petite amie, je souligne en sentant mon cœur battre à
tout rompre.
L’atmosphère est pesante, alourdie sans que je sache par quoi. De la
tension sexuelle, parce qu’il est plus que baisable dans ce costume ouvert,
juste en face de moi ? Je secoue la tête. Non, je ne peux pas penser comme
ça, c’est l’alcool qui parle. Je me lève, déterminée à quitter les lieux. Dans
un état pareil, je ne peux me permettre d’être seule avec lui, encore moins
depuis qu’il a évoqué l’espace qu’il avait créé pour moi quand on était ados
pour me saper le moral. Je tourne les talons et il m’interpelle :
— Le fait que j’aie une petite amie est le seul obstacle qui t’empêche
d’être à moi ?
Mon cœur menace d’exploser dans ma poitrine. Je n’ose pas le regarder.
Je sens la chaleur sur mon visage, je suis probablement rouge… Qu’est-ce
que c’est que cette question ? Je me tourne vers lui. Il est toujours assis,
aussi calme, malgré la question qu’il vient de poser.
— Je ne suis pas un objet qui peut appartenir à qui que ce soit. Ni à toi ni
à un autre.
Il se lève et contourne la table pour me faire face.
— Je ne voulais pas te vexer. Laisse-moi le formuler autrement.
Il marque une pause, et je recule.
— La raison pour laquelle tu ne veux pas me laisser t’approcher, pour
laquelle tu ne me laisses pas…
Il tend la main pour me caresser le visage, mais je me retire.
— … te toucher ou te montrer comme je peux te baiser, c’est parce que
j’ai une copine ?
La crudité de ses propos me sidère.
— Peut-être que tu ne m’intéresses pas de cette façon.
— Tu mens.
Je ne dis rien et il m’attrape par la taille, me serrant contre son corps, ses
yeux plongés dans les miens.
— Je n’ai plus de petite amie, Claudia.
10. Qu’est-ce que tu veux,
Artemis ?
CLAUDIA
— C’est dangereux.
Je sens la chaleur du corps d’Artemis contre le mien, son bras autour de
ma taille fait vibrer ma peau, réveille des sensations que je ne devrais pas
ressentir avec lui. Il est si près que je peux admirer ses traits masculins et
les poils impeccablement coupés de sa barbe légère. Je ne peux
m’empêcher d’imaginer l’effet qu’aurait sa barbe si elle frôlait ma peau
nue.
Ce ne sont pourtant pas mes pensées lubriques qui rendent la situation
dangereuse, mais la détermination dans les yeux d’Artemis.
Il domine la situation pour la première fois, et je lis l’assurance dans son
expression. Si je ne réagis pas adroitement, ça pourrait dégénérer de mille
façons différentes. J’essaie en vain de le repousser, mais il ne fait que me
serrer plus fort, me collant contre lui.
— Pourquoi est-ce que tu me fuis en permanence ?
Je déglutis, sentant l’intensité de son regard.
— Je ne te fuis pas.
Les extrémités de ses lèvres se soulèvent légèrement, formant un sourire
narquois que je ne lui avais jamais vu auparavant. Il a l’air
merveilleusement sensuel et très sûr de lui.
Éloigne-toi de lui, Claudia.
Ma conscience me met en garde, mais c’est si bon d’être serrée dans ses
bras. Je me sens en sécurité contre son corps musclé et puissant. Je dois
reprendre le dessus. Quand je perds le contrôle, je me sens vulnérable et
c’est un sentiment que je déteste.
Artemis manipule facilement son entourage, mais pas moi, jamais. Je me
détends dans ses bras et il semble le remarquer, incapable de cacher la
surprise dans ses yeux. Je passe les bras autour de son cou.
— Tu crois que tu seras capable de gérer ?
Artemis me regarde avec surprise.
— Qu’est-ce que tu racontes ?
Je lui adresse un sourire confiant.
— Si tu parviens à m’avoir, tu penses que tu seras capable de gérer ?
Artemis lève un sourcil.
— Oh, sans problème, crois-moi.
Je me mords la lèvre inférieure en approchant mon visage du sien.
— Tu es certain ?
Il déglutit mais ne s’éloigne pas, son nez frôle le mien.
— Laisse-moi te le prouver.
L’espace entre nos lèvres est infime, un léger mouvement de sa part ou de
la mienne suffirait pour qu’elles se touchent. Comme il est juste un peu plus
grand que moi, je me hisse sur la pointe des pieds pour m’approcher de sa
bouche. Nos respirations se mêlent. Nos regards se croisent, chargés de
toute l’électricité qui grésille entre nous.
J’ai envie de l’embrasser.
Cette pensée me surprend, car j’essayais seulement de reprendre la
situation en main. Je ne voulais pas prendre d’initiative, mais le sentir si
près, son odeur, son souffle, sa chaleur, le désir dans ses yeux… ça affecte
ma capacité de raisonnement.
— Tu vas m’allumer toute la nuit ? murmure-t-il contre ma bouche.
— Peut-être.
Il s’humecte les lèvres.
— Claudia.
Pendant une seconde, je me noie dans son regard.
— Artemis.
Avant de pouvoir céder à mes désirs, je profite de sa distraction pour le
prendre au dépourvu et le repousser, m’écartant aussitôt.
— Je dois y aller.
Il ne semble pas surpris par le tour que je lui ai joué et passe la main dans
sa barbe.
— Tu peux t’enfuir autant que tu veux, certaines choses sont inévitables,
Claudia.
Je croise les bras.
— Comme quoi ?
— Toi et moi.
Je fais comme si je n’avais pas entendu.
— Il est tard, vraiment, il faut que je rentre.
— Je te ramène.
Je ne sais pas pourquoi ça me fait sourire, son insistance est incroyable.
— Non merci.
— Je n’accepterai pas de refus. On va au même endroit tous les deux.
Il ne me laisse pas le loisir de m’opposer à sa proposition, il me prend la
main et me tire pour que je le suive. Nous descendons les escaliers de la
zone VIP et passons le long du bar, où les barmans et le personnel de
nettoyage sont rassemblés, en train de discuter.
Quand ils nous voient, ils se dispersent rapidement. Je devine qu’ils
parlaient de nous, ça se devine à leurs visages. Artemis s’adresse à celui qui
semble être le chef :
— Je pars, vous pouvez rouvrir ou fermer. Voyez avec Victor, c’est lui
qui décidera.
— Bien, monsieur. Passez une bonne soirée.
Je lui souris simplement en suivant Artemis, qui n’a pas lâché ma main.
En sortant, nous nous dirigeons vers sa voiture bleu foncé. Il n’est pas du
genre à aimer les modèles de sport ou extravagants, il les préfère classiques
et élégants. Il me lâche pour m’ouvrir la portière passager.
Le trajet jusqu’à la maison est chargé de tension. Au début, nous
n’échangeons pas un mot. Je jette plusieurs coups d’œil furtifs vers
l’homme qui conduit à côté, une main sur le volant et l’autre sur le
changement de vitesse. Je ne sais pas pourquoi je trouve ce spectacle si
sensuel.
— Comment ça se passe, la fac ?
Je ne m’attendais pas à cette question, mais je suis soulagée qu’il rompe
le silence.
— Il ne me reste plus qu’un an.
— Tu as toujours les mêmes problèmes pour lire ?
Je pince les lèvres, gênée.
— Je fais de mon mieux.
Il sourit, et je remarque que ma respiration s’accélère.
— Tu continues à t’endormir après avoir lu quelques lignes à peine ?
Oui.
— Bien sûr que non.
Il ne dit rien, et j’arrête de le fixer comme une idiote pour me concentrer
sur ce que je vois par la vitre. Les maisons, les immeubles et les arbres
défilent à vive allure. Avec tout l’alcool que j’ai absorbé, ce travelling me
donne le tournis ; je préfère me concentrer à nouveau sur Artemis. La
montre qu’il porte au poignet de sa main posée sur le volant brille sous la
lumière de chaque réverbère. Tout en lui est organisé avec soin, propre et
bien entretenu. Au premier contact, il est intimidant. Il paraît inaccessible et
froid. Ceux qui le connaissent mal n’ont jamais aperçu son côté débordant
de bonté, celui qui faisait surface quand il devait défendre ses frères contre
les moqueries à l’école, surtout après l’épisode avec sa mère, ou lorsqu’il
s’interposait entre son père et Ares pour empêcher son frère d’être battu.
Artemis a fait bien des choses dont je suis la seule à avoir été témoin.
Pourquoi est-ce si facile pour moi de le comprendre ?
Est-ce pour ça qu’il continue à attendre autre chose de moi ? Je ne suis
pas idiote, je vois clairement que, même s’il n’est plus l’adolescent qui m’a
demandée de devenir sa petite amie sous le feu d’artifice, il a toujours cette
chaleur dans ses yeux quand il me regarde.
Qu’est-ce que tu veux, Artemis ? Une partie de jambes en l’air ou
quelque chose de plus ? C’est parce que tu n’as jamais réussi à m’avoir que
tu es incapable de tourner la page ?
Une petite voix en moi me murmure qu’une fois qu’il m’aura eue dans
son lit, il partira ; que c’est juste l’adrénaline à l’idée d’obtenir ce qu’il ne
peut pas avoir qui le pousse. C’est une des raisons pour lesquelles je garde
mes distances, mais pas la principale.
Artemis me jette un coup d’œil rapide.
— Qu’est-ce qui te préoccupe ?
Je me concentre sur la route devant nous.
— Je pensais être peu bavard, mais tu m’as toujours battu à ce jeu-là.
Quand nous arrivons à la maison, je descends aussi vite que je peux et je
cours dans ma chambre pour voir comment va ma mère. Elle dort
paisiblement. Je laisse échapper un soupir de soulagement et je me dirige
vers la cuisine. À ma grande surprise, Artemis est là, debout, les mains
appuyées contre la table derrière lui. Il ne porte plus sa veste de costume,
juste sa chemise et sa cravate dénouée.
— Comment va ta mère ?
Je passe devant lui pour prendre une bouteille d’eau dans le frigo.
— Bien.
Je ne sais pas pourquoi je me sens si nerveuse ni pourquoi mon cœur bat
à nouveau comme un fou.
Ce sont les hormones, Claudia, c’est tout. C’est un homme très attirant et
tu le désires, c’est normal.
La tension entre nous est à son comble, comme si elle avait augmenté
tranquillement de minute en minute pendant toute la nuit. Le voir là, avec
ces vêtements élégants sur son corps musclé, ce regard chargé de mille
promesses indécentes…
— De quoi as-tu si peur, Claudia ?
De ressentir quelque chose d’autre… D’être vulnérable… De ne pas être
à la hauteur d’un type comme toi… D’être utilisée puis jetée, comme ma
mère… De perdre l’indépendance émotionnelle que j’ai eu tant de mal à
construire. D’être détournée des objectifs que je veux atteindre dans ma vie.
J’ai peur de beaucoup de choses, Artemis Hidalgo.
J’aimerais qu’il soit un bête mec avec qui je peux avoir une relation
physique sans complications comme tous les autres, mais notre histoire
remonte à trop longtemps, nous partageons trop de souvenirs. Après avoir
avalé une gorgée d’eau, je le regarde droit dans les yeux. Il faut d’urgence
que j’apaise la tension. Je prends une voix détendue :
— Journée chargée au travail ?
Il croise les bras.
— Tous les jours sont chargés à mon boulot.
— Ça doit être difficile de diriger une entreprise.
Il soupire.
— J’ai l’habitude.
Je ne sais pas pourquoi je prends le temps de lui parler, je pense que c’est
l’alcool, je devrais déjà être au lit.
— Tu dessines toujours ?
Un sourire triste apparaît sur ses lèvres.
— Oui.
— Tu as dépassé le stade des Pokémon ? je le taquine, en me rappelant
l’époque où, enfant, il était obsédé par ces dessins.
Il me lance un regard irrité.
— C’était il y a longtemps.
Je ne peux m’empêcher de sourire. Ça m’amuse de l’agacer.
— Mais oui, bien sûr.
— Je peux te montrer mes croquis quand tu veux, j’ai beaucoup
progressé, affirme-t-il avec assurance.
— J’en suis sûre, tu as toujours appris vite.
Il lève un sourcil.
— C’est un compliment ?
— Pourquoi es-tu si étonné ? J’ai toujours beaucoup aimé tes dessins, en
fait, tu…
Je me tais parce que je ne sais pas si je dois dire ça.
— Je quoi ?
— Je pense que tu aurais pu être un grand artiste.
L’amusement disparaît de son visage, remplacé par une ombre de
tristesse qui fait peine à voir.
— On ne peut pas toujours être ce qu’on veut.
— Je suis désolée, je…
— Tu n’as pas à t’excuser.
Il m’adresse un sourire sûr de lui, mais la tristesse n’a pas quitté ses
yeux.
— Je suis satisfait de ce que je suis et de ce que je fais aujourd’hui.
Même s’il l’affirme avec détermination, je sais que ce n’est pas la vérité.
Être à la tête de la société Hidalgo n’était pas son rêve d’enfant. Je le vois
tout à coup sous un jour différent, il a l’air si seul, si… malheureux. Je
n’avais jamais pensé que le pouvoir ne l’intéressait pas, en réalité, que
c’était une simple obligation pour lui. Je me souviens de ses sourires et de
l’enthousiasme avec lequel il me parlait de ses croquis quand il était plus
jeune. En cet instant, il paraît vulnérable : on dirait qu’il a un immense
besoin d’affection. Avant de pouvoir le regretter, je pose la bouteille sur la
table et je m’approche de lui. Il me regarde avec surprise et décroise les
bras. Je le serre contre moi et je pose une joue contre sa poitrine.
— Tu as fait du bon travail.
Il lui faut quelques secondes pour réagir, mais finalement il m’entoure de
ses bras. Le parfum discret de son eau de toilette est apaisant. J’entends et
je sens les battements de son cœur contre mon oreille.
J’ai l’impression d’avoir fait le bon choix, même si ce n’est peut-être pas
le cas. Cette étreinte est merveilleuse, je profite de chaque seconde sans
savoir combien de temps s’écoule. Quand nous nous écartons, j’ai toujours
les mains sur ses hanches et nous sommes très proches. Les émotions
dansent dans nos yeux. Artemis se penche, ses lèvres frôlent les miennes et
je retire mon visage aussi vite que possible. Je fais un pas en arrière et je me
prépare à partir, mais d’un geste rapide il attrape mon poignet et me tire
vers lui.
De sa main libre, il saisit mon visage et colle ses lèvres contre les
miennes. Un feu d’artifice de sensations troublantes explose aussitôt en
moi. Je réponds à son baiser avec une rapidité qui me surprend. Ce n’est pas
un doux échange, c’est un baiser agressif nourri d’années de désir
inassouvi. Nos lèvres se dévorent avec passion et avidité, j’entremêle les
doigts dans ses cheveux pour le tirer plus près de moi tandis qu’il s’agrippe
à ma taille. Nos respirations se font haletantes et nos mouvements
maladroits, car nous sommes perdus dans l’instant présent. Je n’ai jamais
été embrassée comme ça, je n’ai jamais rien senti d’aussi fort. Sa barbe me
pique de temps en temps agréablement le visage.
Artemis me presse contre lui, mes seins le frôlent, et, même si nous
sommes habillés, je sens son corps avec une intensité qui me donne le
tournis. Ses lèvres douces et humides me dévorent. Il a le goût du whisky,
sa langue effleure mes lèvres pour me titiller avant de m’embrasser à
nouveau avec force.
Je suis incapable d’arrêter.
Quand ses mains glissent de ma taille à mes fesses et qu’il les serre d’un
geste plein de désir, je gémis. Je sens son sexe dur contre mon estomac. J’ai
tellement envie de lui que cette sensation me donne le vertige. Il me porte
jusqu’à la table de la cuisine, sans détacher ses lèvres des miennes, et se
positionne entre mes jambes. Je suis complètement enivrée par les
sensations, chacune de mes terminaisons nerveuses est électrifiée. Artemis
glisse les mains sous mon pull, me caresse le dos et les hanches. Ses doigts
déclenchent une chaleur délicieuse à chaque endroit qu’ils touchent.
Nous nous écartons un peu pour reprendre notre souffle, puis nous nous
embrassons à nouveau avec le même besoin et le même désir. Ses mains
remontent jusqu’à mes seins, qu’elles pressent doucement ; ses pouces
s’introduisent dans mon soutien-gorge pour effleurer mes tétons, ce qui me
fait à nouveau gémir. Je me rapproche instinctivement de lui et je frotte
mon entrejambe contre son érection. Je sais que je joue avec le feu, mais
comment pourrais-je m’arrêter maintenant ? Artemis déboutonne mon
pantalon et y glisse une main avant que je puisse réagir. Au moment où ses
doigts effleurent mon intimité, j’étouffe un gémissement de plaisir.
— T’es vachement mouillée, grogne-t-il contre mes lèvres. Merde,
qu’est-ce que tu es sexy !
Je suis si excitée que je sens que ses mouvements habiles ne tarderont pas
à me faire jouir. Sa langue envahit ma bouche pendant que son doigt me
pénètre. Le plaisir me rend folle. Je m’agrippe à ses épaules, et il interrompt
notre baiser tout en accélérant les mouvements entre mes jambes.
— Ouvre les yeux, Claudia.
Je n’avais même pas réalisé que je les avais fermés. J’obéis, et nos
regards se croisent.
— Je veux que tu me regardes quand tu jouis, je veux sentir tes
gémissements contre mes lèvres, je veux que tu frémisses dans mes bras, je
veux tout de toi.
Ses mots m’excitent et déclenchent mon orgasme.
J’essaie de faire taire mes gémissements en me mordant les lèvres, mais
je n’y arrive pas. Ses yeux bruns me dévisagent avec une intensité telle
qu’ils amplifient délicieusement les sensations. Je marmonne un tas
d’obscénités alors que plusieurs vagues de plaisir me soulèvent, me laissant
en extase. Après avoir joui, je n’hésite pas une seconde. Je défais sa cravate
et je déboutonne rapidement sa chemise, mettant à nu ce torse que je n’ai
pas admiré depuis trop longtemps, et auquel je n’ai pas cessé de penser
depuis le matin où je l’ai croisé après la gym.
Le grincement de la porte d’entrée et un bruit de pas nous coupent net
dans notre élan. Je repousse Artemis, mais je n’ai pas le temps de me
rhabiller complètement. Artemis, lui, a tourné le dos à l’entrée pour essayer
d’ajuster sa chemise. Ma respiration est haletante. Qui est-ce qui peut bien
venir ici à cette heure ? Il est minuit passé.
Ares entre dans la cuisine. Il se passe une main dans les cheveux, titube
un peu. Il est bourré ? Quand il nous aperçoit, il a l’air de se demander ce
qu’on fabrique ici.
— Salut, qu’est-ce que vous faites encore debout ?
Je déglutis. Ma poitrine se soulève et s’abaisse trop vite.
— On… discutait, c’est tout.
Artemis se tourne vers nous. Sa chemise est boutonnée, mais sa cravate
pend n’importe comment.
— Tu as encore bu, remarque-t-il en s’adressant à Ares.
Sa voix a retrouvé sa froideur habituelle. Ares nous adresse un sourire
penaud.
— Un peu.
Ses yeux se posent sur moi.
— Tu es toute rouge, tu as trop chaud ?
J’échange un regard complice avec Artemis, qui dissimule un sourire.
— Oui, le chauffage est trop fort.
Ares s’assied maladroitement à la table.
— Je dois être complètement bourré, parce que je n’ai ni chaud ni froid.
Je descends de la table et j’en profite pour boutonner mon pantalon.
— Je pense qu’il est temps d’aller au lit, dis-je.
Ares se couvre le visage avec une main et laisse échapper un long soupir.
Je jette un coup d’œil à Artemis, ce qui est une grosse erreur, car il tire la
langue pour goûter ses doigts et me chuchote :
— J’aime ton goût.
Paniquée, je me tourne vers Ares, mais il a toujours la figure cachée par
ses doigts.
— Ares, viens, je t’emmène au lit.
Quand il découvre son visage, il affiche une moue boudeuse.
— Je ne suis pas un bébé.
Ignorant ses récriminations, je l’entraîne hors de la cuisine pour le
conduire dans sa chambre. Avant de franchir le seuil de la pièce, je tourne la
tête vers Artemis, qui m’adresse un petit signe de la main avec un air
satisfait et arrogant.
— Bonne nuit, sexy.
Je m’en vais avec un sourire amusé.
11. Si je me trompe ?
CLAUDIA
Ares n’est pas très bavard quand il est sobre, mais quand il boit, alors là,
impossible de le faire taire. Il bafouille en pointant un doigt dans ma
direction :
— Tu m’écoutes, Clauuu ?
— Oui, ça fait trois fois que tu me répètes la même chose.
Il soupire comme s’il était en train de se dégonfler.
— Je ne sais pas ce qui m’arrive, je deviens fou.
Aïe, Ares.
— Ares, il est déjà quatre heures du matin, tu peux aller te coucher ?
Il secoue la tête.
— Je dois la voir.
— Il est quatre heures du matin. Elle doit être en train de dormir, alors au
lit, maintenant.
Je ne peux pas partir et le laisser, parce qu’il n’a qu’une idée en tête :
aller chez Raquel. S’il débarque chez elle à cette heure-ci, qui sait quelle
catastrophe il peut déclencher.
— Je veux juste la voir une seconde, Clau, s’il te plaît.
— Attends demain matin et je te promets que je t’accompagnerai moi-
même. Mais maintenant, s’il te plaît, couche-toi.
Ares s’écroule sur son lit et se couvre les yeux avec son avant-bras.
— Je ne sais pas comment gérer mes sentiments, Clau.
— Tu es amoureux, idiot.
Quelques minutes passent en silence, et Ares, déjà à moitié endormi,
retire le bras de son visage pour s’installer dans son lit. Je lui enlève ses
chaussures et déboutonne sa chemise. Après avoir remonté le drap, je le
regarde dormir un moment. Il a l’air si vulnérable et innocent, avec ses
cheveux noirs en bataille. Je suis contente qu’il ait enfin trouvé quelqu’un
qui lui fasse battre le cœur à cent à l’heure et le sorte de ce cercle vicieux de
coucheries sans sentiments. Sur la pointe des pieds, je sors de sa chambre.
Je ne veux pas repenser à la séance torride avec Artemis dans la cuisine,
mon esprit n’a pas encore assimilé ce qui s’est passé. Je m’endors
accompagnée par le souvenir de nos baisers, de ses mains sur mes seins et
de ses doigts dans… Je me mordille la lèvre en me remémorant ce délicieux
orgasme.
Je suis nerveuse.
Je refuse de l’admettre et je fais tout pour prétendre le contraire, mais je
suis stressée à l’idée de revoir Artemis après ce qui s’est passé hier soir. Je
ne regrette ni nos baisers ni ses caresses qui m’ont conduite au septième
ciel. Je ne sais pas comment réagir quand je me retrouverai face à lui. Je
choisis finalement de me laisser porter : quoi qu’il se passe entre nous, je
laisserai couler. J’en ai assez de lutter en permanence contre l’inéluctable.
Nous avions peut-être juste besoin d’une nuit torride pour être capables de
passer à autre chose et laisser s’éteindre l’attirance que nous ressentions
l’un pour l’autre.
Mais qu’est-ce qui se passera si mes sentiments sont encore plus forts
quand je vais le revoir ? Je mettrai le pied sur un territoire inexploré et
dangereux. Avec n’importe qui d’autre, j’hésiterais avant de m’y aventurer,
mais c’est d’Artemis qu’il est question. Avec lui, je me suis toujours sentie
en sécurité, il ne me ferait jamais de mal. Mais qu’est-ce qu’il se passera si
je me trompe ?
Peu importe, je suis prête à prendre le risque. Je ne peux pas passer toute
ma vie dans ma zone de confort. Raah, je ne sais même plus quoi penser ;
ce qui s’est passé me perturbe. J’attache mes cheveux en un chignon
désordonné tandis que je me dirige vers la cuisine pour préparer le petit
déjeuner. Je manque de mourir d’une crise cardiaque quand je trouve Ares
assis à la table. On dirait qu’il n’a pas fermé l’œil de la nuit, il porte les
mêmes vêtements qu’hier soir et il a d’énormes cernes.
— Bonjour ?
Je le salue d’un ton interrogateur parce qu’on dirait vraiment qu’il dort
les paupières ouvertes.
Il me jette un coup d’œil rapide et se remet à fixer le vide.
— Il faut que je mange quelque chose pour arriver à dormir.
— Tu as passé toute la nuit éveillé ? Quand je t’ai laissé à quatre heures,
je croyais que tu dormais !
— Je me suis réveillé à l’aube, confesse-t-il. Quand le soleil s’est levé, je
suis allé la voir.
Oh…
Je devine à son expression que ça ne s’est pas très bien passé.
— Et… ? Ça a été ?
Il soupire.
— Je ne la comprends vraiment pas, Clau. Elle… Je ne la comprends pas.
— Tu lui as dit ce que tu ressentais ?
Il acquiesce.
— Oui.
— Et ?
Je me sens maladroite de le bombarder de questions comme ça, mais je
veux savoir ce qui s’est passé. La curiosité me ronge. Il me sourit.
— Elle a ri.
Aïe.
J’interromps la séance de questions, parce que je devine qu’il n’a pas
envie d’en parler. Je le connais et je sais que, quand il est disposé à se
confier, il le fait sans hésiter.
Je lui sers le petit déjeuner. Il mange d’un air absent, l’esprit ailleurs.
Avant d’aller au lit, il me serre dans ses bras et dépose un baiser sur ma
tempe.
— Merci, Clau, de t’occuper de moi.
— De rien.
Je lui souris en le regardant partir.
— Repose-toi, Ares.
Après avoir apporté le petit déjeuner à ma mère, je reprends mon travail
dans la cuisine. Comme nous sommes dimanche, il n’y a pas grand-chose à
faire, si ce n’est préparer quelques assiettes pour le petit déjeuner au cas où
l’un des hommes de la maison voudrait manger ici. Mes yeux cherchent de
temps en temps la porte, j’espère voir Artemis la franchir : il est l’un des
premiers à descendre le week-end. Je voudrais le voir pour arrêter de
stresser. Je mets la machine à expresso en marche et, quand je m’y attends
le moins, Artemis Hidalgo entre dans la cuisine. Il est torse nu, en short,
légèrement en sueur. J’en déduis qu’il vient d’achever sa séance de gym. Je
me fige devant la machine en l’observant du coin de l’œil.
Il s’assied à la table et me fixe.
— Bonjour, sexy.
Un sourire menace de m’échapper, mais je me retiens et me tourne vers
lui.
— Bonjour, monsieur.
Je dis monsieur juste pour l’embêter, et Artemis m’adresse un sourire
charmant qui fait battre mon cœur plus fort. Ses yeux ont un éclat taquin
que je n’avais jamais vu. Je lui demande poliment :
— Que voulez-vous pour le petit déjeuner ?
Il hausse un sourcil.
— Tu figures sur le menu ?
Sa plaisanterie accélère ma respiration et la tension sexuelle entre nous
s’intensifie.
— Je ne pense pas.
Il soupire.
— Dommage.
Artemis se lève et fait le tour de la table. Il se déplace comme un
prédateur prêt à fondre sur sa proie. Il se poste devant moi et je peux
admirer les muscles bien dessinés de ses biceps, de ses pectoraux et de ses
abdos.
Waouh, qu’il est séduisant !
— Tu m’as vraiment perturbé hier soir, Claudia.
Je prends un air faussement contrit.
— Ah bon ?
Il se passe la langue sur les lèvres.
— Tu as occupé mes pensées toute la nuit.
Il fait un pas de plus vers moi, me coince contre le plan de travail,
entoure ma taille de ses bras et pose les mains sur le meuble derrière moi
pour me prendre au piège. Malgré ma résolution de me laisser porter par la
situation, j’ai un peu peur de me retrouver si près de lui et je dois maîtriser
l’envie de m’enfuir.
— Je te pardonne de m’avoir laissé dans un état pareil à une condition,
propose-t-il en effleurant ma lèvre du doigt. Embrasse-moi.
J’hésite une seconde, mais il me fixe avec une intensité telle que tous
mes doutes se dissipent. Je lui attrape la nuque et je le tire vers moi pour
m’exécuter. Nos lèvres se rencontrent et la délicieuse explosion de
sensations redémarre. Le baiser est d’abord lent, nos bouches se frôlent à
peine, puis nos mouvements deviennent passionnés, nos lèvres s’explorent
avec force et bougent à l’unisson. Je pourrais me noyer dans ses baisers
sans problème, il sait ce qu’il fait, il est très doué. Je ne suis jamais sortie
avec un gars qui embrassait aussi bien. Artemis sait comment bouger ses
lèvres, sa langue, et même à quel moment mordre délicatement mes lèvres
pour me rendre folle. Je lâche sa nuque pour caresser son torse, son ventre
plat. Je sens chacun de ses muscles sous mes doigts. Nos respirations sont
saccadées.
Il faut que je m’écarte avant de perdre complètement le contrôle. C’est
une chose de faire ça en pleine nuit, mais là, nous sommes en début de
journée. Si ses parents ou un des garçons entrent, ça va déclencher un
drame. Je me glisse hors de ses bras.
— J’ai besoin d’air.
Il me sourit avec arrogance en attrapant mon poignet.
— Tu veux venir dans ma chambre ?
La proposition est claire. Je ne le prends pas mal : nous sommes tous les
deux des adultes avec une indéniable attirance sexuelle l’un pour l’autre.
Je me dégage.
— Tu es bien impatient…
Il rit et lève les mains en l’air. On dirait un mannequin sorti tout droit
d’une publicité.
— L’offre est valable jusqu’à ce que tu en aies envie.
— Hum, Artemis Hidalgo qui s’offre sans condition… Ce n’est pas bon
pour ta réputation d’iceberg inaccessible.
Il hausse un sourcil.
— Iceberg ?
— Oui, tu es aussi froid qu’un iceberg.
— C’est vrai, hier soir, tu m’as rendu aussi dur qu’un iceberg.
La chaleur me monte aux joues et je lui tourne le dos pour faire semblant
de chercher quelque chose dans le frigo.
— Qu’est-ce que tu veux pour le petit déjeuner ?
— Puisque tu n’es pas au menu, commence-t-il, comme d’habitude : des
fruits.
Je les sors et me mets à les peler et les découper sur la table. Artemis se
tient derrière moi, son souffle m’effleure la nuque. Il passe les mains le long
de ma taille avant de les placer sur les miennes.
— Comment peux-tu être aussi sexy en faisant des gestes aussi simples ?
Je sens son corps contre mon dos, son short n’est pas une barrière
suffisante, je sens… tout.
Ses lèvres trouvent le lobe de mon oreille.
— Viens dans ma chambre, sexy.
Ses mains remontent vers mes seins et les caressent lentement par-dessus
mon uniforme. Ma poitrine monte et descend trop vite parce qu’il sait où
me toucher, où me lécher pour me faire fondre.
— Tu sais que tu ne le regretteras pas. La nuit dernière n’était qu’un
avant-goût de ce que je peux te faire ressentir.
Je m’éclaircis la gorge :
— Quelqu’un pourrait arriver, arrête.
Ma voix est plus rauque que d’habitude.
Il se baisse pour passer sa langue dans mon cou, et mes jambes tremblent.
Il s’approche de mon oreille pour chuchoter :
— Je parie que tu es déjà mouillée.
Il va me tuer avec ses caresses, sa langue et ses paroles.
Je ne veux pas perdre le contrôle, pourtant je suis à deux doigts de courir
avec lui dans sa chambre et de le laisser faire ce qu’il veut de moi. J’écarte
ses mains de ma poitrine, je me tourne vers lui et je le repousse.
— Ça suffit, dis-je, à bout de souffle.
Artemis me décoche un sourire narquois en levant les mains pour se
rendre.
— D’accord.
Il s’assied de l’autre côté de la table.
Je finis de préparer les fruits, pendant que ma respiration revient peu à
peu à la normale. Je lui donne l’assiette.
— Avant, tu détestais les fruits.
Il prend un morceau de banane.
— C’est sain et, à la fac, je n’avais pas vraiment le temps de préparer des
repas complets.
— Tu ne cuisinerais pas, même si tu avais le temps.
Il fronce les sourcils.
— Qu’est-ce que ça veut dire ?
— Que tu ne pourrais pas cuisiner si ta vie en dépendait.
Il rit.
— Tu crois ?
Je croise les bras.
— Je le sais.
— Pour ton information, j’ai pris un cours de cuisine parmi les cours à
option de l’université et j’ai eu la meilleure note. Il n’y a rien que mon
cerveau ne puisse accomplir.
Son arrogance ne me dérange pas, c’est un trait de la personnalité des
Hidalgo auquel je me suis habituée.
— Ah oui ? N’empêche, tu ne pourras jamais me battre aux jeux vidéo.
Le sourire arrogant disparaît de son visage.
— Les jeux vidéo, c’est futile, ça n’a aucun intérêt.
— Mais oui, c’est ça, je continue, amusée. Tu ne pourrais pas me battre à
des jeux de société non plus.
Artemis plisse les yeux.
— Ben oui, je viens de te le dire, les jeux, c’est puéril.
— J’ai dû t’aider pour tes cours de biologie au lycée, parce que tu
détestais les lois de Mendel.
Il ouvre la bouche pour protester, mais je ne lui en laisse pas le temps.
— Les principes de l’hérédité sont futiles aussi, c’est ça ?
Artemis mâche un morceau de fruit sans rien dire. Mon sourire
triomphant s’efface dès que Mme Hidalgo entre dans la cuisine.
— Bonjour, mon fils.
Elle passe devant Artemis, qui continue à manger en silence.
Je m’empresse de lui servir le petit déjeuner comme elle l’aime et lui
tends le journal.
— Merci, fait-elle avant d’examiner Artemis. Je t’ai dit que c’était
inapproprié de se promener dans la maison torse nu.
— Je ne le fais que les week-ends après la musculation.
— Je sais que tes frères et toi considérez Claudia comme une sœur, mais
c’est une fille, tout de même. Tu ne peux pas te balader devant une fille
dans cette tenue, tu pourrais la mettre mal à l’aise.
Je serre les lèvres pour ne pas rire. Oh, madame, si vous saviez.
— D’accord, je ferai plus attention, mère, acquiesce Artemis en
terminant son repas. Je vais prendre une douche.
Avant de quitter la pièce, il m’adresse un dernier regard espiègle.
12. Bonjour, iceberg
CLAUDIA
ARTEMIS
Dans la salle de réunion, chacun me présente des données, des chiffres, des
graphiques et des propositions pour réagir à tout cela. Les directeurs de tous
les départements de la société sont présents, assis autour de la grande table
en U que je préside. Je joue avec mon stylo en les écoutant d’une oreille,
mais mon esprit est ailleurs.
Les yeux noirs, les cheveux roux.
Claudia.
Je n’arrive toujours pas à croire que je l’ai embrassée, après tant d’années
d’attente et de désir. Je n’ai pas été déçu. Ses lèvres douces se sont si
facilement moulées aux miennes ! J’ai le vertige en pensant à tout ce qu’elle
m’a fait ressentir avec un seul baiser. Je suis incapable de penser à autre
chose qu’à son joli visage empourpré, les yeux troublés par le désir, à ses
petits gémissements, à la frénésie avec laquelle elle a déboutonné ma
chemise.
Elle est si belle.
Je serre les lèvres en me rappelant comme elle était mouillée. Elle me
désirait autant que je la désirais, et ça m’a rendu fou. Si Ares n’avait pas
débarqué pile au mauvais moment, je l’aurais pénétrée là dans la cuisine. Je
repousse ces pensées : ce serait une mauvaise idée d’avoir une érection en
pleine réunion.
— Qu’en pensez-vous, monsieur ? me demande Ryan, un chef de projet.
Je lève les yeux et je le remarque pour la première fois depuis le début de
sa présentation, qui a duré dix minutes. Heureusement, il suffit que
j’entende une information une fois pour la retenir, même si je n’ai pas
observé l’orateur. C’est peut-être grâce à cette faculté que l’université a été
un jeu d’enfant pour moi.
— C’est une proposition intelligente, mais pourquoi voulez-vous faire
appel à des entrepreneurs d’un autre État ?
— Ils sont moins chers, monsieur, m’explique Ryan.
— Alex.
Je me tourne vers mon meilleur ami, qui, en cet instant, n’est que le
directeur financier de la boîte que je dirige.
— Combien économiserait-on en faisant appel à des entrepreneurs d’un
autre État ?
Il jette un coup d’œil à ses notes, il sait toujours ce que j’attends sans que
j’aie besoin de le préciser.
— Pas grand-chose. Les employés des entrepreneurs devront faire un
long déplacement, trouver un logement pendant la durée du chantier. Sans
parler de leur motivation, étant donné qu’ils ne se nourriront probablement
pas correctement et que leur foyer leur manquera.
— Exactement.
Je pose mon stylo.
— Nous avons des entrepreneurs très efficaces ici. Si nous pouvons créer
de l’emploi local, je pense que les conditions de travail seront optimales.
Les ouvriers auront un sentiment d’appartenance, car ils travailleront dans
leur propre ville, à construire des bâtiments et des maisons sur le territoire
où ils ont choisi de vivre.
Ryan baisse la tête.
— Je comprends, monsieur, je cherchais juste à nous faire économiser de
l’argent.
— Je sais, mais comme l’a dit Alex, le gain serait marginal, et je pense
que nous aurons de meilleurs résultats en créant des emplois locaux.
Sasha, le responsable des ressources humaines, intervient :
— Je peux vous assurer que nous avons déjà fait appel à des
entrepreneurs locaux et qu’ils ont d’excellents ouvriers.
La porte de la salle s’ouvre et, lorsque mon père entre, tout le monde se
lève sauf moi. Nos employés ont énormément de respect pour Juan Hidalgo.
Beaucoup le voient comme un exemple à suivre. Il a fondé cette entreprise
colossale à partir de rien et a bâti un empire qui compte désormais six
succursales à travers le pays, avec des projets dans plusieurs États. Je
l’admire aussi, mais peut-être pas pour les mêmes raisons. Je sais tout ce
qu’il a dû sacrifier pour en arriver là, je sais à quel point ses débuts ont été
difficiles, la sueur, les larmes, tout ce qu’il a dû traverser.
— Bonjour, asseyez-vous, je vous en prie, déclare mon père avec un
sourire. Je vous ai déjà dit que vous ne deviez pas vous lever.
Il donne une petite tape sur l’épaule d’un des chefs de service et
poursuit :
— Je suis désolé de vous avoir interrompus.
— Nous avions terminé, le rassure poliment Alex.
— Oh.
Les yeux de mon père se posent enfin sur moi.
— Dans ce cas, puis-je emprunter votre directeur quelques minutes ?
Tout le monde quitte rapidement la salle de réunion. Mon père s’assied
en face de moi, à l’autre bout de la longue table.
— Je pensais que tu allais t’absenter quelques semaines, dis-je en me
mettant à l’aise.
— Je pars cet après-midi, répond-il en tambourinant des doigts sur la
table avec impatience.
Je sais pourquoi il est là.
— Je vais aller droit au but, car notre temps à tous les deux est précieux.
Je lui fais signe de continuer.
— J’ai reçu un coup de fil de Jaysen ce matin. Il m’a dit qu’il envisageait
de ne pas renouveler notre contrat.
— Je suis au courant.
— Je n’aime pas les surprises, Artemis, surtout quand elles concernent
notre entreprise. Nous avions un accord : je t’ai laissé choisir la fille, et
maintenant j’apprends que tu as rompu avec elle.
Je laisse échapper un soupir bruyant.
— Cela ne me semble pas être une bonne idée de mélanger ma vie privée
avec les affaires de la société Hidalgo.
— Ce n’est pas ce que tu m’as dit quand nous en avons discuté il y a plus
d’un an. Tu étais d’accord, tu es sorti avec elle pendant tout ce temps, et
maintenant tu changes d’avis comme ça ? L’impulsivité, ce n’est jamais bon
pour les affaires.
La veine de son front palpite, il est en colère. Je choisis mes mots avec
soin :
— Nous pouvons fusionner avec une autre entreprise de mobilier, pour
nos projets, mais…
— Ça suffit ! m’interrompt-il en élevant la voix. Changer de fournisseur
alors que les chantiers sont lancés n’a aucun sens. Tu sais combien d’argent
ça va coûter ? On ne parle pas de centaines de dollars, mais de millions.
Jaysen & Associates est le meilleur fabricant de meubles du pays, le rapport
qualité-prix est imbattable et des tas d’entreprises n’attendent que notre
désistement pour s’associer avec eux. Tu n’as pas encore compris que c’est
nous qui avons besoin d’eux, et pas l’inverse ?
Je me passe les mains sur le visage.
— Père…
— Non, ce n’est pas en tant que père que je m’adresse à toi, mais en tant
que P-DG de la société Hidalgo. Tu as conclu un marché, tu dois tenir
parole et ne rien faire qui mette à mal notre entreprise. C’est toi le directeur,
ça doit être ta priorité.
Un sourire sarcastique se forme sur mes lèvres.
— Tu ne m’as même pas demandé pourquoi.
Mon père fronce les sourcils.
— Qu’est-ce que tu racontes ?
— Tu ne m’as même pas demandé pourquoi j’avais changé d’avis. Ça n’a
aucune importance, c’est ça ?
La froideur dans sa voix est incroyable.
— En effet, c’est l’entreprise qui compte.
Évidemment.
Une partie de moi a envie de se rebeller, de tenir tête à mon père, de
m’opposer à ses ordres, mais il a raison : j’ai donné ma parole. À l’époque,
Cristina me plaisait et cela ne m’avait paru ni une mauvaise affaire ni un
engagement difficile à tenir. Ça me semblait aller de soi.
Mon père se lève.
— Cristina passera tout à l’heure, règle cette histoire.
J’acquiesce et il quitte la salle de réunion. Dès qu’il est parti, je frappe du
poing sur la table pour évacuer ma frustration et je dénoue un peu ma
cravate.
Qu’est-ce que tu fabriques, Artemis ?
Je me frotte le visage. Je suis incapable de répondre. Claudia ne cesse de
hanter mes pensées. Elle m’a enfin laissé l’embrasser, la caresser, et
maintenant je devrais la repousser à nouveau ? Peut-être sommes-nous
destinés à surmonter des milliers d’obstacles. Elle me plaît énormément,
c’est vrai, mais ma priorité, c’est l’entreprise, la maintenir à flot à tout prix.
Rien ne peut se mettre en travers de mon chemin vers le succès, pas même
Claudia.
Alors pourquoi est-ce que je me sens aussi mal ? Je ne veux pas qu’elle
imagine que j’ai joué avec elle, mais comment lui expliquer la situation
sans passer pour un salaud ? Je t’ai embrassée, mais maintenant je retourne
auprès de ma petite amie. Je ne peux pas lui demander de m’attendre ou
d’être ma maîtresse, elle ne mérite pas ça.
Quand je retourne à mon bureau, je ne suis pas surpris d’y trouver
Cristina. Elle porte une jupe noire moulante et un joli chemisier blanc, avec
des chaussures à talons rouges et un sac à main assorti. Ses longs cheveux
roux sont tirés en une queue-de-cheval haute.
Elle me sourit.
— Je suis désolée.
Je sais qu’elle est sincère, elle est prise au piège de la situation,
exactement comme moi.
— Ce n’est rien, c’est la règle du jeu.
— Je veux que tu saches que j’ai tenté de raisonner mon père par tous les
moyens, je…
Je la coupe en souriant.
— Arrête. Tu n’as pas à te justifier. Je te connais, je sais que tu as tout
essayé. Nos parents ne sont pas très ouverts au changement.
— À qui le dis-tu ! Ils sont tellement archaïques. Ils se croient à l’époque
victorienne, quand les parents choisissaient les partenaires de leurs enfants ?
Je corrige :
— Nous ne sommes pas leurs enfants.
Je peux être tout à fait franc avec elle, nous nous comprenons. Je
m’adosse au bureau, les bras croisés.
— Nous sommes juste des biens qu’ils utilisent comme ça les arrange.
Pour l’instant, nous représentons simplement un accord financier et une
belle campagne de pub pour leurs entreprises.
Cristina s’approche de moi et passe les mains autour de mon cou.
L’odeur de son parfum à la rose prend mes narines d’assaut.
— Je suis contente que ce soit toi, déclare-t-elle en plongeant ses yeux
dans les miens. Je ne pense pas que je pourrais le supporter si c’était
quelqu’un d’autre.
Je lui caresse la joue.
— Moi non plus.
Je passe un doigt sur ses lèvres.
— Tu m’as manqué, je chuchote en posant un bras autour de sa taille.
Elle affiche un sourire moqueur.
— Waouh, Artemis Hidalgo qui fait preuve de tendresse ! On devrait
rompre plus souvent.
— De un à dix, ça t’a manqué à quel point que je te baise ? je lui
demande d’un air malicieux.
Elle se mord la lèvre.
— Onze.
Je m’abandonne à elle et je l’embrasse. Je pense que j’ai sous-estimé ce
que Cristina représente pour moi. Nous avons passé plus d’un an ensemble
et nous nous comprenons très bien, car nous venons de familles semblables.
Je mentirais si je prétendais ne sortir avec elle que parce que mon père le
souhaite. C’est aussi parce que je l’apprécie, que je me sens bien avec elle
et que le sexe est génial entre nous. Elle était vierge quand je l’ai
rencontrée, l’initier m’a permis de la modeler facilement à mon goût et de
découvrir ce qu’elle aime.
Lorsqu’elle s’écarte, je me sens à nouveau coupable en pensant à
Claudia, mais je me rappelle sévèrement à l’ordre : c’est mon monde, c’est
ainsi que ça fonctionne, il n’y a pas de place pour des variables aussi
changeantes que les sentiments. Ma relation avec ma fiancée me suffit. Elle
convient à tout le monde. Puis Cristina m’attire physiquement, c’est
exactement ce qu’il me faut : une situation où j’ai un contrôle absolu, sans
surprises ni risques.
— Tu as faim ? me demande-t-elle en reculant d’un pas. Ça fait combien
de temps que tu n’as pas dormi ?
— Ça va.
Je contourne mon bureau pour retourner à mon fauteuil.
— Tu n’es pas obligé de tout faire tout seul, insiste-t-elle. Tu sais que tu
peux me demander de l’aide, non ?
— Je t’ai déjà assez embêtée avec les plans que tu passes en revue
chaque semaine. Merci pour tes rapports d’ailleurs, ils sont très pertinents.
Elle est sur le point de protester, mais je continue :
— Tu ne travailles pas pour moi, tu es ma fiancée.
Je me connecte à l’intranet pour vérifier deux ou trois choses.
— J’aimerais beaucoup travailler pour toi, répond-elle avec un soupir en
s’asseyant sur le bureau à côté de moi et en croisant les jambes.
Je fais pivoter vers elle ma chaise de bureau.
— C’est difficile de te donner un poste chez nous alors que tu es
directrice d’une entreprise aussi importante que la mienne.
Elle lève les yeux au ciel.
— Exactement, tu es bien placé pour savoir le poids des responsabilités
que ça implique. Si je commets la moindre erreur, des dizaines de personnes
pourraient perdre leur emploi. Des gens qui ont des familles, des enfants à
charge.
Son regard s’attarde sur le paysage derrière la vitre.
— J’aimerais être une employée et que mon seul souci soit de bien
accomplir mon travail et de gagner de quoi vivre. N’être responsable que de
moi-même, pas de centaines d’individus.
— Je suis sûr que, si un salarié t’entendait dire ça, il te traiterait
d’ingrate.
— Heureusement, tu n’es pas un salarié.
Elle me prend la main.
— Tu me comprends.
Je hoche la tête parce qu’elle a raison. Cristina et moi nous comprenons
si bien que je me sens parfaitement à l’aise à ses côtés. Bien-être et
compréhension, c’est tout ce dont j’ai besoin.
— Je vais chercher à manger, m’annonce-t-elle.
— Comment est-ce que tu parviens à avoir autant de temps libre ?
Elle m’adresse un clin d’œil et quitte le bureau. Je me noie sous les
rapports, mes paupières sont lourdes ; ce projet est crucial, je le passe en
revue dans les moindres détails, encore et encore. Si tout se passe bien, les
bénéfices pour la société Hidalgo seront énormes.
Mon assistante m’appelle et je mets le haut-parleur.
— Oui ?
— Monsieur, une jeune femme à la réception veut monter vous voir. Elle
s’appelle Claudia, elle dit qu’elle vient vous apporter à manger, sur ordre de
votre mère.
Je suis pris par surprise et mon cœur se met à battre un peu plus vite que
d’habitude. Je n’ai pas vu Claudia depuis plusieurs jours ; j’ai fait exprès de
l’éviter.
— Faites-la monter ici.
— Entendu.
Je ne parviens plus à me concentrer, mes yeux voyagent sans cesse vers
la porte. J’attends son arrivée avec impatience. Je fais tourner nerveusement
mon stylo entre mes doigts. Quand j’entends un coup léger frappé à la
porte, mon geste se fige.
— Entrez.
Claudia pénètre dans mon bureau. Elle porte un jean qui lui moule
parfaitement les hanches et un chemisier bleu qui met son teint en valeur.
Elle est belle dans toutes les tenues. Ses yeux noirs se posent sur les miens,
et je ne peux m’empêcher d’éprouver un sentiment de soulagement.
— Salut, sexy.
— Bonjour, iceberg.
Notre échange me fait sourire, et je me lève.
— Juste à temps, je suis affamé.
Elle commence à sortir le contenu du sac et à disposer la nourriture sur la
table basse devant le grand canapé. Avant qu’elle n’ait l’occasion de finir de
servir, je m’assieds à côté d’elle et je commence à tout dévorer.
Elle m’étudie.
— La semaine est difficile ?
— Tu n’as pas idée.
Je m’allonge sur le canapé après avoir fini le repas. J’adore sentir les
plats faits maison remplir mon estomac. Je ferme les paupières et je profite
de ce moment parce que je sais que c’est peut-être le dernier que je passe
avec elle. Claudia pose sa main sur la mienne, la chaleur de sa peau est
tellement agréable que j’ouvre les paupières pour la regarder.
— Je…
Elle ne termine pas sa phrase, mais je devine à son expression ce qu’elle
voulait dire. C’est la première fois que je parviens à lire ce qu’elle ressent
sur son visage, et ça m’émeut. Je lui souris et tourne ma main pour
entrelacer nos doigts.
— Tu m’as manqué aussi, sexy.
En entendant la porte s’ouvrir, elle lâche ma main comme si elle allait se
brûler. Mon cœur tressaille : ce moment magique est arrivé à son terme.
Claudia se retourne pour voir qui vient d’entrer. Cristina apparaît sur le
seuil, aussi élégante que d’habitude, un sac de nourriture dans une main.
Je n’avais pas oublié que Cristina allait revenir d’une minute à l’autre et
je n’ai pas envie d’expliquer quoi que ce soit à Claudia, je préfère qu’elle
comprenne la situation par elle-même.
Déteste-moi, Claudia.
Repousse-moi.
Recommence à te fermer. C’est mieux.
Je suis un lâche, je le sais, mais je ne suis pas doué avec les mots et, en
plus, je ne crois pas que je pourrais lui avouer en face que je suis à nouveau
en couple avec Cristina. Ma fiancée adresse à Claudia un sourire amical.
— Oh, j’arrive trop tard, on dirait. Tu as déjà mangé ?
L’expression de Claudia se met à changer, la tristesse déforme ses traits.
Je me détourne pour ne pas devoir faire face à sa réaction. Cristina se
penche pour me donner un baiser rapide et, quand elle se retire, je maintiens
les yeux rivés sur elle de peur de croiser le regard de celle qui est assise à
côté de moi. Cristina reprend la parole :
— Tu dois être Claudia. Enchantée. Je suis Cristina, la fiancée d’Artemis.
Cristina sait pertinemment qui est Claudia, ma mère lui en a parlé
plusieurs fois quand elles ont discuté du personnel de la maison.
— Ça va ? lui demande gentiment Cristina.
En entendant cette question, je me force à jeter un coup d’œil à Claudia.
Je le regrette instantanément. Son chagrin me fait l’effet d’un coup de poing
dans le ventre. Je vois qu’elle s’efforce de rester calme.
Je suis une merde.
Je réalise que j’ai géré cette situation de la pire des façons qui soit.
Claudia se remet debout d’un bond.
— Je… je dois y aller.
Je sens ses yeux posés sur moi, mais je suis incapable de la regarder.
Je ne peux pas te voir comme ça, Claudia, ça me fait trop de peine.
— Passez un bon après-midi, nous lance-t-elle avant de sortir de mon
bureau, laissant un silence assourdissant derrière elle.
Je me répète en boucle : C’est mieux comme ça, Artemis, en essayant de
chasser de ma tête le visage dévasté de Claudia. Il faut qu’elle me déteste et
qu’elle s’éloigne de moi, parce que je suis incapable de le faire.
Cristina m’examine.
— C’était quoi, ça ?
Je me lève pour aller à mon bureau.
— Rien.
Elle croise les bras.
— Ça n’avait pas l’air d’être rien.
Il n’y a aucun reproche dans sa voix, juste de la curiosité.
— Quand on s’engage avec quelqu’un, l’honnêteté, c’est un minimum,
non ?
— Il n’y a rien entre elle et moi, je t’assure. Du moins, plus maintenant.
Elle comprend tout de suite ce que ces mots signifient.
— C’est à cause d’elle tu avais rompu avec moi ?
Sa question ne me surprend pas, Cristina est très perspicace et sait
comment lire les gens, je n’ai pas besoin de mentir.
— Oui.
Cristina lâche un petit rire.
— Tu as un faible pour les rousses, on dirait, hein ?
Je ne réponds pas. Elle s’allonge sur le canapé.
— Elle est très jolie.
Claudia est plus que jolie.
J’examine Cristina de près.
— Pas de scène de jalousie ?
— La jalousie n’a pas sa place dans le genre de relation que nous avons,
toi et moi.
— De quel genre de relation est-ce que tu parles ?
Cristina hausse les épaules.
— D’une relation où le sexe et les intérêts font alliance.
— Depuis quand es-tu devenue si froide et calculatrice ?
— Depuis que tu l’es aussi.
Elle s’assied et ajoute :
— C’est la seule façon de survivre dans notre monde, Artemis.
— Et moi qui pensais que tu étais follement amoureuse de moi !
Elle pouffe de rire.
— Dans tes rêves.
Nous gardons le silence pendant quelques minutes, et je lutte toujours
contre l’envie pressante de courir après Claudia et de lui expliquer que je ne
l’ai pas utilisée, que j’avais rompu avec Cristina quand je l’ai embrassée, de
lui faire comprendre que je ne suis pas un salaud qui l’a menée en bateau à
coups de mensonges pour arriver à ses fins. Malheureusement, je ne peux
pas, j’ai un rôle à jouer dans ma famille et dans cette entreprise. Et elle ne
fait pas partie de ce monde.
14. Ils sont grands,
maintenant,
ils vont s’en sortir
CLAUDIA
CLAUDIA
ARTEMIS
— Artemis ! Artemis !
La voix pressante d’Ares m’inquiète.
Je mets mon jeu vidéo sur pause au moment où il fait irruption dans ma
chambre, les yeux rouges et les joues trempées de larmes.
— Qu’est-ce qu’il y a ?
Mon cerveau s’emballe et imagine les scénarios les plus catastrophiques.
Ares sanglote de façon tellement inconsolable qu’il a du mal à parler. Je
prends son visage dans mes mains.
— Qu’est-ce qu’il y a, Ares ? Raconte-moi.
— J’ai… eu… une bonne note.
Il s’essuie le visage avec le dos de la main.
— Et je suis allé la montrer à maman…
Son visage se raidit de douleur.
— Elle… Il y a un homme là-bas… Elle et lui, ils… Ce n’est pas papa.
Je fronce les sourcils. Je ne suis pas sûr de comprendre.
— Qu’est-ce que tu essaies de me dire ?
— Maman… elle fait des choses dans son lit avec un homme qui n’est
pas… papa.
Mon sang se glace quand je réalise ce qui se passe.
Et, comme si la vie voulait me l’expliquer encore plus clairement, notre
mère ouvre la porte en serrant un drap blanc contre son corps nu.
— Ares, viens ici tout de suite !
Son ton est sévère, mais j’y décèle de la peur. Ses yeux scrutent mon
visage pour tenter de deviner si Ares m’a déjà mis au courant.
La colère me brouille les idées.
Je me lève brusquement et je repousse mon frère pour me diriger vers
elle.
Ma mère est surprise par mon emportement et fait un pas en arrière. Ce
n’est pas elle, ma cible. Je passe devant elle, dans le couloir.
— Où est-il ?
Ma mère secoue la tête.
— Artemis…
Elle essaie de me retenir par le poignet, mais je me débats pour me
libérer. Je me précipite dans sa chambre et j’ouvre la porte d’un coup de
pied. J’ai envie de détruire tout ce qui se trouve sur mon chemin. Mes yeux
se posent sur l’inconnu, qui a fini de reboutonner sa chemise.
Il ne me faut pas longtemps pour me jeter sur lui et le frapper au visage,
encore et encore. La rage contracte mes muscles. Même si je ne suis qu’un
adolescent, je suis plus grand que lui et la colère me donne l’impression
d’être tout-puissant, sans limites. Ma mère nous rejoint et me hurle
d’arrêter. Des mains essaient de m’agripper, mais je ne peux pas me retenir.
— Artemis, ça suffit !
La voix de ma mère semble aussi lointaine que les souvenirs d’elle
souriant à mon père, affirmant que nous serions toujours ensemble, que
nous resterions à tout jamais une famille unie.
Menteuse.
Hypocrite.
Les mots qui me viennent à l’esprit sont des insultes que je n’oserais
jamais prononcer devant ma mère, mais que je laisse ricocher dans ma tête.
Des gémissements d’impuissance s’échappent de mes lèvres tandis que je
frappe l’homme en dessous de moi. Le sang éclabousse son visage, mes
articulations me font mal et me brûlent, mais je suis incapable d’arrêter.
Je ne veux pas le faire.
Une main chaude se pose sur ma joue et j’ai l’intention de l’ignorer
quand j’entends sa voix.
— Artemis.
Je me fige, le poing en l’air, et je lève les yeux. Claudia est à genoux
devant moi, ses cheveux roux indisciplinés encadrent son visage. Sa main
descend de ma joue et attrape mon poignet. Je respire si fort que mes
épaules se soulèvent et s’abaissent de façon incontrôlable.
— Ça suffit.
Non, ça ne suffit pas.
Elle passe ses doigts dans les miens.
— C’est fini, c’est fini, viens.
Je secoue la tête, et elle m’adresse un sourire dévasté.
— S’il te plaît.
Je me lève à contrecœur. J’ai failli frapper à nouveau l’inconnu lorsque
ma mère s’est précipitée à son secours, s’agenouillant à côté de son amant
qui gémissait de douleur. Je sors de la pièce avant d’avoir un mort sur la
conscience. Claudia me suit en silence. Dans le couloir, je tourne la tête
vers ma chambre, où j’ai laissé Ares. Claudia semble deviner l’objet de
mon inquiétude.
— Ma mère s’occupe de lui, elle lui a préparé une tisane apaisante et le
distrait. Tu ferais mieux de te calmer avant d’aller le voir et… tu ferais
mieux de nettoyer tes blessures.
Comme je ne comprends pas de quelles blessures elle parle, je suis son
regard et je remarque que mes articulations saignent. Elles ne me faisaient
pas mal avant que je les voie.
L’effet de l’adrénaline ? Ou de la colère ?
Sans rien dire, je m’éloigne de la scène et je descends les escaliers, suivi
par Claudia.
Même si je ne l’ai jamais dit à personne, je lui suis reconnaissant de
m’avoir suivi ce jour-là.
Vachement reconnaissant.
Je la regarde en train de me bander la main avec mille précautions.
Comment pourrais-je arrêter de t’aimer, Claudia ? Comment pourrais-je
alors que tu as été là pour moi chaque fois que j’ai eu besoin de toi ? Alors
que nous avons tant de souvenirs ensemble ?
Je sens qu’on m’observe. Quand je lève la tête, Apollo se tient dans
l’embrasure de la porte. Il serre une poche de glace contre sa joue.
Maintenant que ma colère est retombée, je m’en veux de l’avoir frappé. Je
n’avais jamais levé la main sur mon petit frère avant. J’ouvre la bouche
pour m’excuser, mais je réalise qu’il ne me regarde pas. Il fixe Claudia et il
a l’air… blessé ? J’assemble mentalement les pièces du puzzle. Peut-être
que ça le dérange qu’elle soit là à s’occuper de moi et pas de lui. Apollo
baisse la tête et s’en va. Je me retourne vers Claudia, déjà occupée à ranger
le matériel qu’elle vient d’utiliser pour me désinfecter et soigner ma main.
— Essaie de ne pas trop bouger les doigts et change le bandage demain,
m’ordonne-t-elle en se levant.
— Merci.
Elle acquiesce et me sourit avant de partir.
— Bonne nuit, Artemis.
— Bonne nuit, Claudia.
Je la regarde s’éloigner et, même si je l’ai laissée sortir de ma chambre ce
soir, je sais que je ne serai jamais capable de la laisser sortir de ma vie.
Comment pourrais-je ? Pas elle.
17. Claudia, je t’attendais
CLAUDIA
CLAUDIA
Les jours passent et j’ai hâte que grand-père rentre à la maison. Je suis
tellement contente qu’il vienne vivre ici. Non seulement j’aurai l’occasion
de m’occuper de lui, mais il aura des contacts avec ses petits-enfants, je sais
qu’il en a besoin, même s’il ne le dit pas. Le soleil de fin de journée brille à
travers la fenêtre de la cuisine, donnant une teinte orange aux ustensiles et
aux surfaces. Je me penche pour jeter un coup d’œil au jardin, où les chiots
d’Apollo sont en train de jouer. Ils sont tellement adorables ! Je n’ai pas
revu Artemis, je pense qu’il rentre toujours aussi tard du travail et part aussi
tôt. Il parvient à m’éviter et cela me convient à merveille. Après ce qui s’est
passé avec Apollo, nous avons besoin tous les trois de garder nos distances.
Je passe la main sur la table. Je repense parfois à cette nuit avec Artemis
ici même : je revois ses yeux plongés dans les miens, je sens son souffle sur
mes lèvres, je repense à quel point c’était délicieux de l’embrasser, sa barbe
légère qui me picotait la peau, ses mains expertes qui parcouraient mon
corps…
Pourquoi a-t-il fallu que tu fiches tout en l’air, Artemis ?
Ce qui me fait le plus mal, c’est qu’il ait trompé sa petite amie, ça ne lui
ressemble pas. Surtout après ce qui s’est passé avec sa mère, je n’aurais
jamais cru qu’il serait un jour capable d’être infidèle. Je suis très déçue.
La raison pour laquelle tu ne veux pas être à moi, c’est parce que j’ai
une copine ?
Je n’ai plus de petite amie, Claudia.
Menteur.
Quelqu’un se racle la gorge, interrompant le flot de mes pensées.
Apollo apparaît dans l’encadrement de la porte et reste là, l’épaule
appuyée contre le chambranle. Il porte un jean et une veste rouge assortie à
ses baskets. Ses cheveux bruns sont en désordre, comme si quelqu’un avait
passé les mains dedans pour les décoiffer.
— Bonjour, murmure-t-il, les yeux rivés sur moi.
— Bonjour.
Je le salue en m’adossant contre la table.
Il détache son épaule de l’encadrement de la porte et enfonce ses mains
dans les poches de son jean.
— Tôt ou tard, nous devrons parler de ce qui s’est passé, Claudia.
— Apollo…
Il avance d’un pas dans la cuisine.
— Claudia, je…
Je lève la main.
— Non, arrête.
Il fronce les sourcils.
— Tu ne veux pas me laisser parler ?
— Non.
Je secoue la tête.
— Je sais ce que tu vas dire, et je ne veux pas que tu le dises parce que,
une fois que ce sera fait, il n’y aura pas de retour en arrière possible, et je ne
veux pas que ça se passe.
Ses épaules s’affaissent, comme s’il abandonnait la partie.
— Qu’est-ce que tu veux, alors ?
— Je veux Apollo, le gentil garçon qui est comme un frère pour moi.
Son visage s’assombrit. Je poursuis :
— Tu es l’une des personnes les plus importantes de ma vie, ne prenons
pas ce risque, s’il te plaît.
— C’est à cause de lui, c’est ça ?
Je sais qu’il parle d’Artemis. Je m’humecte les lèvres, mal à l’aise.
— Non.
— Ne me mens pas, Claudia.
Je me passe les doigts dans les cheveux, ne sachant pas quoi dire. Il
s’approche de moi à grands pas, attrape ma taille avec un bras et utilise sa
main libre pour tenir mon visage.
— Je ne suis pas ton frère, Claudia.
Il est si près que je vois en détail ses yeux bruns et ses lèvres finement
ourlées. Il me rappelle Artemis quand il avait son âge.
Il s’éclaircit la gorge.
— Je sais, mais…
Il me serre contre lui, m’enveloppant de cette odeur qui m’est si
familière.
— Mais je respecterai ta décision.
Il dépose un baiser sur ma tempe.
— Je ne veux pas m’imposer ni te mettre la pression, je ne suis pas ce
genre de garçon.
Je le sais. Quand il s’écarte, il me regarde droit dans les yeux.
— Je serai toujours là pour toi.
Il m’embrasse sur le front et fait un pas en arrière.
Je lui adresse un sourire sincère.
— Et moi pour toi.
Il recule. Ses yeux ne quittent pas les miens jusqu’à ce qu’il tourne les
talons. Même s’il a l’air abattu, je sais qu’il va s’en remettre. Je le connais,
je sais ce qu’il croit ressentir pour moi, mais il confond l’affection qu’il a
développée au cours des années avec de l’attirance. Sa mère ne s’est jamais
occupée de lui. Je suis la première figure féminine positive qu’il a croisée
dans sa vie, et il pense que le sentiment de sécurité et de bien-être qu’il
ressent quand il est avec moi est de l’amour, mais ce n’est pas ça. Je
n’aurais pas dû accepter ce qui s’est passé dans la buanderie, mais ce qui est
fait est fait. La meilleure décision à prendre, à présent, c’est de le laisser
partir et d’espérer qu’il rencontre quelqu’un qui lui montrera ce qu’est
vraiment l’amour.
Bonne chance, Apollo.
Je pousse un gros soupir et vais dans ma chambre. Ma mère est assise
près de la fenêtre et serre une tasse de thé à deux mains. Ses cheveux roux
sont striés de mèches blanches. Je lui ai proposé de les teindre, mais elle
refuse, disant qu’elle assumera ses cheveux blancs avec fierté.
— Tu ne vas pas à l’université, aujourd’hui ? me demande-t-elle alors
que je m’allonge sur le lit en me couvrant les yeux avec l’avant-bras.
Comme je ne réponds pas, elle insiste :
— Tu es fatiguée ?
Oui.
Je feins un sourire et je me redresse pour lui faire croire que je suis pleine
d’énergie.
— Bien sûr que non, je voulais juste dramatiser un peu, maman.
Elle me sourit.
— Comment s’est passée ta présentation hier ?
Je lève le pouce.
— Génial, ta fille est très intelligente.
Cette nouvelle semble lui faire plaisir, et la voir sourire me remplit de
joie. Oui, elle a commis beaucoup d’erreurs et, avec ses errements, j’ai eu
une enfance très difficile, mais je ne lui tournerai jamais le dos. C’est si
facile de se focaliser uniquement sur les erreurs que les gens ont commises.
Mais, quand je la regarde, je vois une femme qui a mal choisi l’homme
avec qui elle a eu une fille, un type qui la battait et l’a laissée à la rue avec
un bébé dans les bras. Je vois la femme qui s’est privée de manger tant de
fois pour me nourrir, qui a vendu son corps pour mettre un toit au-dessus de
nos têtes, qui est tombée dans la drogue pour éviter de devoir affronter la
réalité de vendre son corps toutes les nuits. Je vois la femme qui a redressé
le cap au moment où on lui a présenté cette opportunité de travail. Je vois la
femme qui a tremblé, pleuré et souffert de symptômes de manque pendant
son sevrage, mais qui n’a jamais replongé. Dès que la chance s’est
présentée, elle a tout donné pour prendre un nouveau départ, et ne serait-ce
que pour ça, elle a droit à mon respect éternel.
Dans la vie, il faut bien plus de force et de volonté pour revenir dans le
droit chemin que pour le suivre quand on ne l’a jamais quitté. Cela ne me
pose donc aucun problème d’être forte à sa place aujourd’hui. Je me penche
et je pose un baiser sur son front.
— Je vais me préparer pour la fac.
— Prends soin de toi, ma fille. Que Dieu te bénisse.
— Amen, maman.
— Je déteste ma vie.
Gin a la tête posée sur la table pendant que je bois une gorgée d’eau. Elle
se redresse sur sa chaise et me lance un regard triste.
— Je ne retomberai plus jamais amoureuse.
Cela n’a pas marché avec le bel homme qui nous a invitées au club
d’Artemis l’autre soir. Si j’ai bien compris, après avoir passé plusieurs nuits
avec elle, il s’est montré de plus en plus froid, et, il y a deux jours, il lui a
expliqué qu’il ne voulait pas d’une relation sérieuse pour le moment. Mon
amie grimace.
— Dis-moi la vérité, tu trouves que j’ai été trop facile ? Que j’ai écarté
les jambes trop tôt ?
— Gin.
— Je le savais, j’aurais dû me faire désirer.
— Gin, je reprends d’un ton grave. Pourquoi tu fais ça ? Pourquoi tu
cherches toujours à endosser la responsabilité ? Ce mec est un connard. Tu
es parfaite, il ne sait pas ce qu’il perd, fin de l’histoire.
— Je pensais avoir rencontré l’homme de ma vie.
— C’est ce que tu disais déjà du précédent.
— Je sais, je sais. Mais, Clau…
Elle baisse la voix et murmure :
— C’est un dieu au lit.
Je lève les yeux au ciel.
— Le meilleur sexe de ma triste vie.
— Et ça suffit pour faire de lui ton grand amour ?
— Évidemment !
— L’amour, c’est bien plus que le sexe, imbécile.
— Bien sûr. Claudia, l’experte en amour, a tranché. De toute façon, tu es
son pendant féminin : tu te tapes les mecs, puis tu les jettes.
— Je suis claire avec eux. D’ailleurs, aucun d’eux ne s’est jamais plaint.
Elle hausse un sourcil.
— Et Daniel ?
— C’est l’exception.
Je n’en reviens pas qu’il continue à m’appeler.
— Je voudrais pouvoir faire comme toi. Mais je suis incapable de faire
l’amour sans m’impliquer émotionnellement. Je tombe amoureuse, Clau, je
tombe amoureuse.
Je hausse les épaules.
— Nan, tu n’es pas tombée amoureuse, Gin. Tu n’as pas passé assez de
temps avec ces types pour savoir si c’était de l’amour ou une simple
attirance physique.
— Tu ne crois pas au coup de foudre, à l’amour au premier regard.
— Dans ton cas, c’est plutôt le coup de foudre au premier rapport sexuel.
— Très drôle.
Elle soupire.
— Bref, je crois que je vais accepter de faire l’amour avec lui de temps
en temps.
— Sérieux, Gin ?
— Clau, c’est le meilleur amant que j’ai jamais eu, je t’assure. Il fait un
mouvement avec ses hanches… et waouh, ça touche mon point G !
Je grimace.
— Trop d’informations, merci.
Gin pose les yeux sur quelqu’un derrière moi et a l’air surprise.
— Quand on parle du loup…
Je me tourne pour voir de qui il s’agit. Daniel se dirige vers nous.
— Oh non.
— Je suis curieuse, Clau. Qu’est-ce que tu lui as fait pour qu’il soit
obsédé à ce point ?
Des images de Daniel, de nos corps en sueur, dans diverses positions
dans une chambre d’hôtel, me reviennent en tête.
La question, Gin, c’est plutôt : qu’est-ce que nous n’avons pas fait ?
— Je dois y aller.
— Clau, non.
Je me lève et je cours comme si ma vie en dépendait, laissant mon amie
seule dans la cafétéria de l’université. J’entends Daniel m’appeler, mais je
m’enfuis en empruntant des couloirs que je connais par cœur. Qu’est-ce
qu’il fait ici ? Il est au lycée, pas à la fac. Pfff, il ne me lâche pas.
Je bâille, et je pose la main sur ma bouche en montant dans le bus qui me
ramènera à la maison. La journée a été longue. Les magasins et les arbres
défilent derrière la vitre. Mon esprit agité repense à l’imbécile en costume
chic que je n’ai pas vu depuis plusieurs jours. Il a tellement grandi, il a mûri
physiquement. Il ne reste plus rien du garçon au visage enfantin avec lequel
j’ai grandi. Je ferme les yeux et je vois le visage d’Artemis près du mien. Je
dois arrêter de penser à lui, ça n’en vaut pas la peine. Je m’endors en
pensant à lui. Des baisers passionnés et des mots doux peuplent mes rêves,
mais ce ne sont que des rêves.
Parce que, entre Artemis et moi, tout a fini avant d’avoir commencé.
19. C’est celui qui le dit qui l’est
CLAUDIA
Quand j’arrive à la maison, je suis épuisée, le trajet a été plus long que je
ne l’imaginais et je suis encore submergée par la nostalgie à cause du
souvenir de ma première nuit chez les Hidalgo. J’ouvre la porte d’entrée et,
après l’avoir refermée derrière moi, je m’adosse au battant. Le couloir est
plongé dans l’obscurité. La seule lumière provient de la cheminée du salon.
Le crépitement du bois résonne dans le silence.
J’entre et, avant de le voir, je devine sa présence. Nos yeux se croisent, la
lueur du feu se reflète dans ses pupilles. Il porte un costume, comme
d’habitude, mais il a posé sa veste sur le canapé, dénoué sa cravate, et sa
chemise blanche entrouverte laisse entrevoir une partie de son torse. Il vient
de rentrer du travail ? Comment est-ce possible, il est presque minuit.
Il ne dit pas un mot, il se contente de m’observer. Je ne sais pas pourquoi,
je ne perçois jamais la froideur dont se plaignent tant Ares et Apollo.
Suis-je la seule à le considérer comme ça ?
Suis-je la seule que tu autorises à voir à travers toi, Artemis ?
J’ai l’impression de bien le connaître. Je suis convaincue qu’il est
incapable d’être infidèle comme sa mère, qu’il y a autre chose derrière cette
histoire de fiancée. Est-ce que je me fais des illusions ? Est-ce que je refuse
de voir la réalité en face ? Ça fait cinq ans que je ne le fréquente plus aussi
régulièrement, peut-être qu’il a changé et qu’il n’est plus le gentil garçon
dont je suis tombée amoureuse à l’époque. Alors, pourquoi ai-je
l’impression qu’il n’a pas changé quand il est avec moi ? Il baisse la tête et
se lève, puis il ramasse sa veste et me tourne le dos pour se diriger vers les
escaliers.
— Artemis.
Ma propre voix me surprend. Qu’est-ce que je fabrique ? Il se tourne vers
moi, mais ne bouge pas. Il reste figé. Je m’approche de lui. Comme il
surveille chacun de mes pas avec méfiance, je m’arrête en laissant une
bonne distance entre nous.
— Dis-moi la vérité, Artemis.
Il fronce les sourcils.
— Je te donne une chance d’être honnête avec moi.
— Qu’est-ce que tu racontes ? lâche-t-il d’un ton indifférent.
— Tu le sais très bien.
Il ne répond pas et je jette les bras en l’air, exaspérée.
— Laisse tomber, je ne sais pas ce qui m’a pris.
Je m’éloigne, convaincue d’être une imbécile qui voit des signaux là où il
n’y en a pas. Je suis sur le point d’arriver dans le couloir qui mène à ma
chambre quand deux bras m’enveloppent par-derrière. Artemis me serre
contre lui, sa poitrine est collée contre mon dos. Il pose son front sur mon
épaule et murmure :
— Je ne t’ai pas menti, je n’ai pas joué avec toi, je ne me le permettrais
jamais, Claudia.
Je me tais parce que je suis certaine qu’il va s’expliquer sans que je doive
lui poser de questions. Je sais aussi qu’il est incapable d’être en face de moi
pour le faire.
— C’est la stricte vérité, j’avais rompu avec ma petite amie quand je suis
venu te voir à cette soirée, dans ma boîte. Quand je t’ai embrassée, j’étais
libre, tu n’étais pas « l’autre femme », je ne t’aurais jamais mise dans une
situation pareille.
— Mais tu t’es remis avec elle.
Il ne répond pas.
— Pourquoi tu m’as embrassée, si tu voulais te remettre avec elle ?
— Parce que je ne voulais pas le faire. Je voulais…
Je me tourne vers lui et je prends son visage à deux mains pour le forcer
à me regarder. C’est une mauvaise idée, l’avoir devant moi si près est une
tentation terrible.
— Qu’est-ce que tu voulais ?
La sincérité de son regard est bouleversante.
— Je voulais être avec toi.
— Je ne te comprends pas, Artemis.
Il appuie son front contre le mien, son souffle effleure mes lèvres.
— Je veux juste que tu saches que je n’ai pas joué avec toi. Ce n’était pas
mon intention.
Je le fixe droit dans les yeux.
— Qu’est-ce que tu veux, maintenant ?
Il ferme les paupières et se mordille la lèvre, comme s’il hésitait. Je le
lâche et je recule.
— Tu veux rester avec elle.
Il ne dit rien. Son silence est éloquent. Je me force à sourire.
— C’est bon, j’ai compris, merci d’avoir clarifié la situation pour que
nous puissions avoir des rapports cordiaux et pour que je n’ai pas envie de
t’étriper chaque fois que je te croise.
Je lui adresse un signe de la main.
— Bonne nuit, Artemis.
Je le laisse en plan, les épaules affaissées comme s’il avait été terrassé
par un poids qui le dépasse avant même que la bataille n’ait commencé.
20. C’était une mauvaise idée
ARTEMIS
ARTEMIS
ARTEMIS
CLAUDIA
ARTEMIS
CLAUDIA
En rentrant à la maison, je suis sur les genoux. Je suis allée à la fac après
le travail, et j’avais sous-estimé mon stage. C’est incroyable comme
quelques heures de boulot ont pu me lessiver. Je ne suis pas surprise de
trouver le salon vide quand j’y entre. Je me dirige vers la cuisine parce que
je meurs de faim. Je franchis le seuil en bâillant, couvrant ma bouche d’une
main, et je manque de m’étouffer.
Artemis est là.
C’est la première fois que nous nous sommes seuls depuis qu’il m’a fait
cette déclaration qui ne cesse de me hanter. Ce n’est pas tant sa présence qui
me surprend, mais le tablier qu’il porte par-dessus sa chemise blanche. Sa
veste de costume et sa cravate sont posées sur une chaise et il mitonne
quelque chose qui sent délicieusement bon. Il me tourne le dos et ne s’est
pas encore aperçu de ma présence. Je prends appui contre le chambranle
pour admirer la scène.
— Tu vas rester combien de temps comme ça à me mater ?
Sa voix me prend au dépourvu. Comment a-t-il su que j’étais là ? Comme
s’il devinait la question que je m’apprête à lui poser, une cuillère à la main,
il désigne mon ombre sur le mur à côté de lui. Merde.
— C’est une scène inhabituelle.
Il se tourne vers moi et mon cœur se réchauffe. Ce visage… cette barbe
légère, tout en lui est si viril, si sexy. Même avec un tablier, il est
incroyablement sexy, putain. Mais c’est son expression chaleureuse qui
achève de me faire fondre. C’est un tel contraste avec celle que j’ai aperçue
cet après-midi au bureau, il est tellement différent avec moi.
— J’ai presque fini, installe-toi.
Il me montre la table.
Je hausse un sourcil.
— Tu cuisines pour moi ?
— Ça t’étonne ? Qui t’a fait tes premiers sandwichs quand tu es venue
vivre avec nous ? Qui t’a appris à faire des crêpes ? Qui…
— C’est bon, j’ai compris.
Il sourit et ça me donne envie de prendre son visage dans mes mains et
d’embrasser ses lèvres si appétissantes.
Calme-toi, Claudia.
Je m’assieds, je le regarde terminer sa préparation et servir deux assiettes.
— Tu as l’air épuisée, commente-t-il.
— En effet, j’ai eu une longue journée.
J’ai envie de lui parler de mon stage, je n’ai pas l’habitude de lui cacher
quoi que ce soit en dehors de ce que sa sorcière de mère m’a fait subir. Il
pose les assiettes sur la table et tout a l’air délicieux.
— Waouh. Niveau esthétique, c’est digne d’un chef.
— Et attends de goûter.
Il s’assied à côté de moi et m’embrasse la main. La sensation de ses
lèvres sur ma peau me donne des frissons dans tout le corps. Il me regarde
droit dans les yeux sans me lâcher.
— Je suis désolé d’avoir été absent ces derniers jours, je suis très occupé
par un nouveau projet, j’ai même dormi quelques fois au bureau.
— T’inquiète, tu n’as pas à te justifier.
— Si ! Je ne peux pas t’annoncer que je vais te conquérir, disparaître et
revenir comme si de rien n’était, tu mérites mieux que ça.
L’avoir si près de moi n’est pas la meilleure façon de contrôler mon envie
de l’embrasser. Mon désir, mes fantasmes se sont accumulés depuis des
semaines. Je m’éclaircis la gorge et je dégage ma main.
— Il est temps de goûter à ce que tu m’as mitonné, voyons voir.
Il m’observe avec une impatience non dissimulée, pendant que je prends
ma première bouchée. Pour le taquiner, je grimace de dégoût.
— Qu’est-ce qu’il y a ? demande-t-il, alarmé.
Je mâche en souriant et, après avoir avalé, je lui avoue :
— C’est délicieux, c’était juste pour t’embêter.
Il plisse les yeux et, d’un geste rapide, colle un baiser sur ma joue.
— Hé !
L’idiot me sourit.
— C’était juste pour t’embêter.
La chaleur me monte aux joues et je détourne les yeux pour continuer à
manger. Après avoir terminé mon repas, qui était divin, j’entreprends de
faire la vaisselle. Artemis reste à table, face à moi, et nous discutons de son
travail. Je m’abstiens évidemment de mentionner que j’ai commencé mon
stage dans son entreprise aujourd’hui.
— Ça doit être difficile de gérer une si grosse boîte, je lance en
remplissant un verre d’eau savonneuse.
— Tu es l’une des rares personnes à dire ça, répond-il en se passant la
main sur le visage. La plupart des gens pensent que c’est cool d’être
directeur, que je suis juste assis dans un grand bureau à regarder par la
fenêtre.
— Tu dois être sexy dans ton bureau.
Il se mordille la lèvre.
— Tu flirtes avec moi, Claudia ?
Je hausse les épaules.
— Peut-être.
— Tu connais l’expression jouer avec le feu, non ?
Je termine la vaisselle et je me sèche les mains à l’aide d’un torchon.
— Qu’est-ce que j’ai à craindre, alors que c’est moi le volcan ? je
rétorque en montrant mes cheveux.
Artemis rit, il se lève et fait le tour de la table sans cesser un instant de
me fixer.
— Tu es le feu… murmure-t-il.
J’avale ma salive avec difficulté.
Quand il se tient devant moi, je dois lever la tête pour le regarder. Mon
cœur s’affole complètement et je tente de contrôler ma respiration. Waouh,
quelle est cette tension soudaine dans l’air ? Je n’ai jamais rien ressenti de
pareil. Artemis se passe la langue sur les lèvres en me dévisageant. Il pose
une main sur ma joue et la caresse.
— Tu m’as manqué.
J’ai envie de lui répondre qu’il m’a manqué aussi, mais, comme les mots
s’étranglent dans ma gorge, je place ma paume contre sa barbe légère et je
lui souris. Ses yeux bruns semblent noirs dans l’éclairage artificiel de la
cuisine. C’est incroyable comme ses traits ont mûri, il a l’air d’un homme
maintenant. Une partie de moi se méfie encore : je ne veux pas être
vulnérable à nouveau. Je n’ai pas oublié le mal qu’il m’a fait il y a quelques
mois, quand j’ai appris qu’il était fiancé, mais je sais qu’il est sincère à
présent. Il baisse les yeux vers mes lèvres, je sais qu’il veut m’embrasser,
mais, après tout ce que nous avons traversé, il ne sait pas si j’en ai envie.
— Tu es si belle, murmure-t-il en faisant glisser son pouce le long de mes
pommettes.
— Je sais.
Il lève un sourcil.
— Très bien.
Il baisse la main et recule, rompant tout contact entre nous.
— Demain, après tes cours, je viendrai te chercher à l’université pour
t’emmener dîner.
— Hum, je vais y réfléchir.
— Tu vas y réfléchir ?
— D’accord, j’accepte, mais seulement parce que ton repas était
délicieux.
— Bien. Je ne sais pas si je dois être clair sur ce point, mais c’est un
rendez-vous amoureux, d’accord ?
— D’accord.
Il m’adresse un signe de la main.
— Bonne nuit, Claudia.
— Bonne nuit, Artemis.
Il tourne les talons après m’avoir souri une dernière fois, mais je le
rattrape, le saisis par le poignet, le retourne et l’agrippe par le col de la
chemise pour l’embrasser. Il répond immédiatement, aussi avide de mes
baisers que moi des siens. Nos lèvres humides se frôlent. Ce simple baiser
me chauffe de la tête aux pieds et je sais qu’il ressent la même explosion,
car il gémit contre ma bouche. J’incline la tête sur le côté pour l’embrasser
plus goulûment, savourant chaque seconde.
Ça suffit, Claudia, si tu ne veux pas finir par baiser sur la table.
Je m’écarte, mais il attrape ma taille pour me serrer contre lui et
m’embrasser à nouveau. Je pose le pouce sur ses lèvres pour l’arrêter et je
secoue la tête.
— Ce n’est pas toi qui contrôles la situation, dis-je en me libérant de ses
bras. C’est moi.
Et j’abandonne Artemis dans la cuisine, la respiration lourde, ivre de
désir. Après tout ce qu’il m’a fait subir, quoi qu’il arrive entre nous à partir
de maintenant, ça se passera parce que je l’aurai décidé.
Après tout, je suis le feu.
26. Tu me fais souffrir
CLAUDIA
Je suis stressée.
Je joue avec mes mains en attendant Artemis devant la fac.
C’est la première fois que je suis dans un état pareil avant un rendez-
vous, mais Artemis n’est pas n’importe quel homme. Ma réaction ne devrait
pas m’étonner : c’était mon premier amour, mon seul amour, et c’est notre
premier rendez-vous officiel.
Mal à l’aise, j’arrange l’ourlet de ma robe à fleurs, qui m’arrive à peine
aux genoux, et mon décolleté. Mes cheveux sont lâchés et encadrent mon
visage. Je suis contente que l’été soit déjà de retour : maintenant, je peux
porter de jolis vêtements sans avoir à ajouter une veste, un bonnet ou
d’autres accessoires qui couvrent ma tenue. Je m’humecte les lèvres en me
rappelant le baiser d’hier soir, la respiration rapide d’Artemis, la tension
accumulée dans son corps. Pour être honnête, je ne pense pas qu’on puisse
se retrouver seuls quelque part sans se dévorer. Si nous n’allons pas dans un
lieu public, la soirée va prendre une tournure très… sensuelle. Voire plus.
Ce n’est pas facile de se contrôler, après tant d’années d’affection et de
désir accumulés. Ça n’aide pas non plus qu’Artemis soit si sexy, qu’il ait ce
corps si musclé, ce visage si séduisant. Je suis troublée rien que de penser à
lui. Je prends une profonde inspiration et je guide mon esprit vers des
pensées pures et calmes. Du moins j’essaie de le faire, mais c’est peine
perdue. Mon cœur palpite quand je vois son élégante voiture noire se ranger
à ma hauteur.
Je m’apprête à m’approcher de la portière, mais il sort avant que j’en aie
le temps. Il porte un costume et une cravate noirs. Sa tenue est assortie à
son véhicule, aussi élégants et sombres l’un que l’autre. Ses yeux se posent
sur moi et je feins d’être détendue, comme si ça ne me faisait aucun effet de
le trouver aussi hot.
Il m’ouvre la portière en souriant.
— Bonsoir.
— Bonsoir, je réponds en souriant aussi, et je monte dans la voiture.
L’intérieur est noir, avec quelques touches bleu foncé qui forment un
contraste raffiné. La climatisation me refroidit le visage et m’envoie l’odeur
de son eau de toilette, mélangée à celle de son corps. Je boucle ma ceinture
de sécurité pendant qu’Artemis s’installe au volant.
— Jolie voiture, je commente.
— C’est maintenant que tu le dis ? Ce n’est pas la première fois que tu
montes dedans, pourtant, commente-t-il en démarrant.
Je sais qu’il fait allusion à la soirée que nous avons passée dans son bar,
quand il m’a ramenée à la maison, et où nous aurions souillé la table de la
cuisine si Ares ne nous avait pas interrompus… ou plutôt ne m’avait pas
sauvée d’une nouvelle humiliation, étant donné qu’Artemis s’était remis
avec sa petite amie juste après.
N’y pense pas, Claudia. Ne gâche pas ta soirée avant qu’elle commence.
Profite de l’instant présent. Il faut que je change de sujet.
— Comment s’est passée ta journée au bureau ?
Je sais qu’il est plongé dans un nouveau projet. L’équipe de marketing
n’arrêtait pas d’en parler hier, de l’importance que cela revêtait pour
l’entreprise de conclure cette affaire. Les collègues évoquaient un contrat
d’un million de dollars : si l’entreprise le décrochait, nous allions devoir
travailler très dur pour le promouvoir et préparer des stratégies marketing.
Artemis se passe la main dans la nuque.
— C’était… intense, mais gérable.
— Je n’aurais jamais imaginé que tu t’intéresserais à la gestion
d’entreprise, tu n’en as jamais parlé quand nous étions plus jeunes.
— Parce que ça ne m’intéressait pas.
Sa réponse m’attriste. Même si je me doutais qu’il n’avait pas étudié
l’administration des affaires par choix, je pensais qu’avec le temps il avait
appris à apprécier son poste. Je l’observe, une main sur le volant, l’autre qui
se masse la nuque. Sa fatigue se devine à sa posture. Artemis est tout jeune
et il a déjà de si lourdes responsabilités sur les épaules, dans un domaine qui
ne l’a jamais intéressé, en plus.
Comment supportes-tu depuis des années de faire quelque chose que tu
n’aimes pas, Artemis ? Tu as dû beaucoup souffrir. Est-ce que tu te sens
frustré ?
S’il a eu des moments difficiles, il a bien réussi à les cacher, il ne s’est
jamais plaint, il n’a jamais dit de mal de son père, ni même de sa mère après
son infidélité. J’admire sa capacité à tout supporter seul, à tout encaisser
sans blesser les gens qui lui ont donné la vie.
Combien de choses as-tu endurées seul, Artemis ? J’ai de la peine pour
toi.
Sentant sans doute que je l’observe, il jette un rapide coup d’œil vers
moi.
— Qu’est-ce qu’il y a ?
— Rien.
Il faudra que nous en discutions un jour, mais je ne veux pas aborder un
sujet aussi triste ce soir.
— Où est-ce qu’on va ?
— D’abord dîner, ensuite où tu veux.
Dans ton lit ? Claudia, bon sang, retiens-toi !
— Où est-ce qu’on va manger ? je demande en regardant avec curiosité
les rues, les maisons et les arbres qui défilent derrière la vitre.
Nous nous éloignons de la zone universitaire, mais nous ne roulons pas
vers le centre-ville.
— Tu verras.
Quand il ralentit, ma poitrine se serre alors que je reconnais chaque
bâtiment, chaque restaurant, comme si la rue avait été figée dans le temps.
Artemis se range le long du trottoir et je n’attends pas qu’il m’ouvre la
portière, je m’empresse de sortir et je vais me poster devant la vitrine.
Celle du restaurant grec où j’ai vu les Hidalgo pour la première fois.
Je suis envahie de sensations en tous genres, parmi lesquelles je
reconnais la nostalgie. Je me rappelle avec une précision incroyable la faim
qui me tenaillait ce jour-là, l’odeur de nourriture, la peur que m’inspiraient
les hommes qui cherchaient ma mère. L’image des Hidalgo attablés est
gravée dans ma mémoire : comme un tableau classique de la famille
heureuse.
Artemis apparaît à côté de moi et nous restons quelques minutes comme
ça sans rien dire, perdus dans nos souvenirs. C’est lui qui rompt le silence
au bout d’un moment :
— Je me suis dit que nous devrions reprendre là où tout a commencé.
Je me tourne vers lui. Il m’examine comme si ma réaction était la chose
la plus importante au monde. Comme je ne dis rien, il poursuit :
— Si ça ne te paraît pas être une bonne idée, on peut aller ailleurs, c’est
juste que je pensais qu’aucun restaurant, si luxueux soit-il, ne pourrait avoir
autant de signification que celui-ci, où je t’ai vue pour la première fois. Et
ce n’est peut-être pas le meilleur souvenir, mais c’est le jour où ta vie a
changé en bien et où tu es entrée dans la mienne…
Je ne sais pas quoi répondre. Il a parfaitement raison, cet endroit a
énormément de signification pour moi et je ne l’associe pas à des
sentiments négatifs, c’est le point de départ de ma nouvelle vie.
— J’adore, dis-je en prenant sa main, ce qui semble le surprendre.
Il s’éclaircit la gorge et rougit. J’ai bien vu ? Artemis Hidalgo vient de
piquer un fard ?
— Bon, allons-y.
Le restaurant est bien conservé, j’ai l’impression que l’ambiance
chaleureuse est la même que ce fameux soir. Les clients sont principalement
des hommes en costume et des femmes très élégantes. Même si nous ne
sommes pas dans le plus beau quartier de la ville, cet établissement semble
avoir su maintenir une atmosphère qui plaît à une clientèle distinguée.
Nous suivons la serveuse, qui nous conduit devant la grande baie vitrée à
la table que les Hidalgo occupaient il y a tant d’années. Je pose les yeux sur
la vitre et j’ai presque l’impression de me voir de l’autre côté, enfant, en
train de loucher sur la nourriture.
— À quoi penses-tu ? me demande Artemis.
Il est assis en face de moi, l’éclairage tamisé se reflète sur son visage.
— À rien, je suis juste plongée dans mes souvenirs.
Je m’efforce de sourire.
— Ton père s’est montré très généreux ce jour-là, il nous a sauvé la vie, à
ma mère et à moi.
— Oui, c’est l’image de mon père que je continue à garder.
C’est à cause de lui que tu as repris la société, pas vrai ?
— Ce n’est pas une simple image de lui, je pense que c’est sa vraie
nature, tout au fond. Sois patient. Ton grand-père a encore foi en lui.
— Tu es très proche de grand-père, commente-t-il sans cacher sa
curiosité.
— Comment ne pas l’être ? C’est un amour.
— C’est ton Hidalgo préféré ?
— En réalité, oui, mais ne le dis pas à Ares. Je lui ai promis qu’il serait
toujours mon chouchou, mais… après grand-père.
Artemis me sourit.
— Ça ne me fait pas super plaisir d’être ton troisième Hidalgo préféré.
— Qui a dit que tu étais troisième ? Après Ares, il y a Apollo.
Le sourire d’Artemis s’efface et il serre les poings sur la table. Apollo est
toujours un sujet sensible pour lui, hein ? Il devrait tourner la page. Ses
yeux brillent d’une lueur indéchiffrable. Je prends une gorgée de mon verre
d’eau.
— On verra qui sera ton Hidalgo préféré quand je t’aurai baisée et que je
t’aurai offert le meilleur orgasme de ta vie.
Je m’étrangle avec mon eau et je tousse en me tapotant la poitrine.
Comment peut-il dire ça aussi tranquillement ici ? Artemis m’adresse un
sourire narquois, limite diabolique, et je le fusille du regard.
— Tu es bien présomptueux.
— Je suis juste un homme qui sait ce qu’il fait.
Il soulève son verre à moitié plein et le fait tourner doucement en humant
le vin.
— Je peux te faire mouiller sans te toucher.
La température dans le restaurant grimpe d’un coup.
— Ah bon ?
Je retire mon pied de ma sandale et je tends la jambe pour le remonter le
long de sa cuisse, m’arrêtant tout près de son entrejambe. Artemis se crispe.
Je ne m’y attendais pas. Je lui adresse un sourire innocent.
— Et moi je peux te donner une érection gênante ici, ne l’oublie pas.
— Tu n’aimes pas céder le contrôle, hein ?
— Tu devras le mériter.
— C’est un défi ?
Nous nous fixons avec une intensité qui augmente encore la tension
électrique dans l’air. La serveuse apparaît avec un sourire aimable et nous
demande si nous sommes prêts à commander, mettant fin à ce moment. Je
repose mon pied à terre et je redeviens sage.
La soirée s’annonce longue.
27. Mon silence est éloquent
CLAUDIA
ARTEMIS
Je suis réveillé par la sonnerie de mon portable, j’appuie sur mes yeux
avec le pouce et l’index avant de les ouvrir. L’obscurité a déjà envahi la
pièce. Combien de temps est-ce que j’ai dormi ? Je tends la main et j’attrape
mon téléphone, qui sonne avec insistance. Je finis de me réveiller quand je
vois le nom de Claudia sur l’écran.
C’est la première fois qu’elle m’appelle.
— Allô ?
— Iceberrrrrrrg !
Elle crie dans mon oreille et je suis obligé d’écarter le portable.
— Claudia ?
J’entends des rires féminins, des chuchotements et de la musique bizarre
en arrière-plan.
— Iceberg, je crois…
Elle chuchote comme si c’était un secret d’État.
— … que je suis bourrée.
Elle éclate de rire.
— Claudia, où es-tu ?
— Détends-toi un peu, lâche-toi, Artemis. T’en as pas marre d’être
touuuut le temps tendu ?
— Claudia, je répète avec sévérité. Où es-tu ?
— Dans…
Elle met beaucoup de temps à compléter la phrase.
— … la rue.
— Quelle rue ?
— La rue du centre où y a tous les bars.
Une autre fille fait un commentaire derrière elle et Claudia rit.
— J’ai essayé d’entrer dans ton club, mais on m’a dit que c’était juste
pour les VIP. Je te déteste, pourquoi t’as une boîte de nuit si tu ne laisses
pas les gens entrer ? Méchant Artemis.
Je me lève et j’attrape ma veste de costume.
— J’arrive, ne bouge pas.
Elle lâche un long Pfffff.
— Même si je reste immobile, tout bouge.
Je ne l’ai jamais vue saoule. D’habitude, elle se contrôle.
— Reste là. Claudia, je…
Elle me raccroche au nez. Je n’ai jamais quitté le bâtiment aussi vite de
toute ma vie.
J’appelle immédiatement le chef de la sécurité du bar.
— Monsieur ?
— Passez-moi le videur.
— Tout de suite.
— Ici Peter, monsieur, me dit-il quelques secondes plus tard.
— Peter, une fille aux cheveux roux a essayé d’entrer dans le club il y a
quelques minutes. Vous l’avez vue ?
Je monte dans la voiture.
— Oui, monsieur, mais ils n’avaient pas de ticket, donc…
— Je sais. Vous la voyez maintenant ? Elle est toujours dans la rue du
bar. Est-ce que vous pouvez la trouver et l’emmener dans mon club, s’il
vous plaît ? Je suis en route.
— Je vais essayer, monsieur, mais il y a beaucoup de monde dehors.
— Faites de votre mieux, merci.
Je conduis aussi vite que je peux, en respectant les limites de vitesse. La
rue de mon bar n’est pas très loin, mais la circulation est incroyablement
dense à cette heure. Je sais que je surréagis peut-être, que Claudia est
capable de veiller sur elle-même, mais je ne peux m’empêcher d’être
inquiet. Je tiens tellement à elle !
Je me gare devant le bar et je repère immédiatement Peter, qui devine la
question que je vais lui poser et me répond instantanément :
— Ils sont à l’intérieur, monsieur, dans le salon VIP.
Je laisse échapper un soupir de soulagement. Je rentre dans mon club, qui
est plein comme d’habitude, et je monte les escaliers pour accéder à la zone
VIP. Quand je vois Claudia, mes épaules se détendent instantanément. Ouf,
elle va bien, elle est en sécurité. Elle est entre deux types qui me paraissent
familiers et il y a une fille avec eux. Où est-ce que je les ai déjà vus ?
— Iceberg ! crie Claudia quand elle remarque ma présence.
Je m’approche du groupe, qui essaie de se donner un air sérieux.
— Tu es venu !
Toujours, idiote.
Les yeux de Claudia pétillent, et elle me lance un sourire tellement
adorable que j’ai envie de la séquestrer, de l’isoler du monde et de l’obliger
à sourire comme ça rien que pour moi. La fille qui est avec eux se lève et
titube jusqu’à moi.
— Je crois que Claudia a trop bu.
— Ah oui, tu crois ?
Les deux mecs se lèvent à leur tour.
— Bon, il est arrivé, le prince des neiges dont tu nous as parlé toute la
soirée. Nous, on y va. Viens, Gin, elle est entre de bonnes mains.
— Tu veilleras sur elle ? me demande Gin.
Je hoche la tête. Elle me tapote le dos.
— Gentil garçon.
Ils s’en vont et je reporte mon attention sur la rousse fin saoule assise non
loin de là. Claudia se couvre la bouche en riant.
— Tu vas me gronder ?
Je m’assieds à côté d’elle.
— Tu n’as pas idée de ce qui t’attend.
— Je mérite une fessée ? demande-t-elle en rougissant.
— Tu veux une fessée ?
— De toi, je veux tout.
En entendant sa réponse, je sens la chaleur monter dans mon cou puis
descendre le long de ma poitrine jusqu’à mon ventre. Je secoue la tête, elle
est bourrée.
— Rentrons à la maison.
Elle prend mes joues dans ses mains.
— Tu es tellement beau.
Je ne peux retenir un sourire.
— Merci.
Elle fait courir son index sur les contours de mon visage, puis sur mes
lèvres et mon nez.
— Juste t’avoir à côté de moi comme ça suffit à m’exciter.
Elle se penche pour m’embrasser et je me lève, l’entraînant avec moi.
— Viens, lui dis-je avant qu’elle ne me fasse bander au beau milieu du
bar.
Je l’attrape par la taille et je descends les escaliers avec elle. Elle
trébuche plusieurs fois, mais je la soutiens et ne la lâche pas un instant.
Dans la voiture, j’attache sa ceinture avant de m’installer au volant et de
démarrer. Claudia soupire.
— Je suis heureuse.
Je jette un rapide coup d’œil dans sa direction. Ça me remplit de joie
d’entendre ça ! Elle se lance dans une grande conversation en agitant les
mains.
— Je contrôle toujours tout, je ne bois jamais plus d’un verre ou deux qui
me rendent un peu pompette, mais je n’avais jamais été saoule.
Aujourd’hui… J’ai décidé de tout envoyer péter. Ce matin, je me suis
réveillée à côté de l’homme que j’aime depuis toujours, j’ai eu une journée
épanouissante au boulot, ma cheffe m’a félicitée devant tout le monde, alors
pourquoi ne pas me bourrer la gueule ? J’ai aussi le droit de perdre le
contrôle.
Je le sais.
— C’est épuisant, admet-elle dans un murmure. Tout maîtriser est
tellement… fatigant. J’ai vingt ans, pas quarante, et j’ai toujours vécu avec
prudence, mais je…
Sa voix se brise.
— … j’en ai marre.
Elle laisse échapper un rire triste.
— Alors je me suis bourré la gueule aujourd’hui et, si je me suis
ridiculisée, je m’en fous. J’ai bien le droit. Une fois dans ma vie, c’est rien,
non ?
— Ce n’est rien, je confirme en tendant la main pour prendre la sienne.
Tu peux faire ce que tu veux, je veillerai sur toi, tu n’es plus seule
maintenant, Claudia, tu peux laisser un peu de ce poids reposer sur mes
épaules.
— T’es trop chou.
Elle me pince la joue avant de se redresser sur son siège.
Quand nous arriverons à la maison, je doute qu’elle puisse marcher sans
faire trop de bruit. Elle risque de réveiller toute la maisonnée, surtout sa
mère, et ce n’est pas une bonne idée.
Lorsque nous sortons de la voiture, je la porte dans mes bras et elle
continue à glousser.
— Un vrai gentleman.
Elle enfouit son visage dans mon cou.
— Tu sens super bon.
J’emprunte le couloir qui mène à la chambre d’amis, parce que je ne
pense pas qu’elle veuille passer la nuit avec sa mère dans un état pareil.
— Non.
Elle attrape ma chemise.
— Je veux dormir avec toi, s’il te plaît, j’adore me réveiller à côté de toi.
Merde, cette femme va faire fondre mon cœur.
— Je te promets de ne pas te séduire, murmure-t-elle.
Je ne peux m’empêcher de sourire. Je l’emmène dans ma chambre et
l’allonge sur mon lit, en la couvrant avec les draps.
Elle se rassied, elle est agitée, et je sais qu’elle va avoir du mal à
s’endormir. J’enlève ma veste, ma chemise et mon pantalon, puis je fais le
tour du lit pour me glisser à côté d’elle sous les draps. Claudia fixe mes
abdos sans broncher.
— Mes yeux sont ici, Claudia.
Elle se mord la lèvre.
— Je peux te dire un secret ?
— Bien sûr.
— J’adore ta bite.
Je m’étouffe avec ma propre salive, je tousse et je me frappe la poitrine.
Je ne sais pas quoi dire et Claudia se couvre le visage avec l’oreiller. Je
retire l’oreiller.
— Dis-m’en plus.
Elle secoue la tête. La situation est plus drôle que ce à quoi je
m’attendais, c’est comme si l’alcool supprimait tous les filtres et le contrôle
qu’elle s’impose habituellement. Elle s’approche de moi, passe les bras
autour de mon torse et enfouit le visage dans mon cou.
— Tu as toujours été l’homme de ma vie, Artemis, toujours, chuchote-t-
elle.
Sa voix contre ma peau me chatouille.
— Si elle n’avait pas été là, nous serions ensemble depuis longtemps.
Je fronce les sourcils. Elle ? Qui ? Cristina ?
— Ce fameux 4 juillet, j’étais si heureuse à tes côtés, je voulais que ce
soit la première d’une longue série de fêtes nationales qu’on passerait
ensemble.
Claudia m’a rejeté ce soir-là. Qu’est-ce qu’elle raconte ? Ça me rappelle
une chose qui m’intrigue depuis quelque temps.
— Tu as toujours le petit cochon que je t’ai offert à la foire ce jour-là, je
commence en me rappelant l’avoir vu sur sa table de chevet. Pourquoi ?
— Parce que je voulais être avec toi, idiot, j’ai toujours voulu être avec
toi.
— Mais ce jour-là, tu m’as… repoussé.
C’est douloureux de le dire.
Elle bâille alors que j’attends une explication.
— Claudia ?
— Je ne t’ai pas rejeté parce que je le voulais, mais parce que j’y étais
obligée.
Je me penche vers elle et je saisis son visage entre mes mains pour la
forcer à me regarder.
— De quoi tu parles ?
Elle a les yeux mi-clos.
— Ta mère, susurre-t-elle. Elle m’a menacée, elle m’a dit que, si je ne te
repoussais pas et que je ne m’éloignais pas de toi, elle nous jetterait à la rue,
ma mère et moi.
Mon sang bouillonne dans mes veines et je serre la mâchoire.
— Je ne voulais pas que ça arrive, Artemis, ma mère et moi, nous ne
pouvions pas nous retrouver à nouveau à la rue. Tu comprends, hein ?
Je l’attire vers moi et je la serre dans mes bras. Bien sûr que je
comprends, sa mère est tout pour elle, je ne lui en voudrai jamais de l’avoir
choisie à ma place. Je suis furieux, mais pas contre elle, contre le fait
qu’elle ait dû choisir. L’idée que ma mère l’ait placée dans cette situation
me révulse. Et tout prend un sens : j’ai toujours senti que Claudia m’aimait
autant que je l’aimais. C’est pour cette raison que son rejet ce soir-là
m’avait tellement choqué, je ne comprenais pas comment j’avais pu me
tromper à ce point. Ça me semblait si évident que je lui plaisais. Et elle me
plaisait vraiment aussi. C’est l’intervention de ma mère qui est à l’origine
de tout ce gâchis.
Combien de choses vas-tu encore saboter, mère ? Est-ce que tes enfants
comptent pour toi ? Demain, tu vas m’entendre.
Claudia soupire et s’endort dans mes bras. Je l’embrasse doucement sur
la tempe. Nous devons être destinés à être ensemble parce que, malgré les
innombrables obstacles, elle se trouve ici dans mes bras, comme elle le
devrait.
29. Agis avec naturel,
Claudia. Fais semblant d’avoir perdu
la mémoire
CLAUDIA
CLAUDIA
ARTEMIS
Claudia n’a pas réagi. Elle ne m’a pas répondu qu’elle m’aimait en retour
quand je lui ai fait ma déclaration, et son silence m’a fait réaliser à quel
point c’était important pour moi qu’elle le dise. Je revois avec une précision
incroyable la surprise sur son visage, ses lèvres qui se sont entrouvertes…
mais rien n’est sorti de sa bouche, et, à ce moment précis, Apollo a frappé à
la porte pour la prévenir que sa mère la réclamait. Elle est partie comme ça,
pouf, juste après ma déclaration d’amour.
Je fais tournoyer le stylo entre mes doigts, je suis dans mon bureau mais
je rejoue la scène en boucle dans ma tête. D’un côté, je suis content de
penser à ça et pas à la dispute avec ma mère.
Je me passe la main sur la figure en caressant ma barbe naissante, et je
soupire en jetant un coup d’œil aux papiers empilés. J’ai tant de choses à
régler avant de quitter l’entreprise ! Ce serait si simple s’il suffisait que
j’arrête de venir du jour au lendemain et que tout prenne fin, mais, en tant
que directeur, j’ai énormément de responsabilités et, si je ne veux pas que la
société Hidalgo pâtisse de mon départ, je dois prendre le temps de le
préparer correctement.
Même si je n’ai jamais rêvé d’occuper ce poste, je ne veux pas causer de
tort à mon père et, depuis le temps que je travaille ici, j’ai développé un
attachement et j’ai beaucoup de respect pour cette boîte. C’est une des
premières que mon père a créées à la sueur de son front. Ça lui a coûté
beaucoup de sacrifices et de dévouement. Grâce à cette entreprise, mes
frères et moi n’avons jamais manqué de rien et avons pu mener une vie
confortable. Je respecte la société Hidalgo et je la respecterai toujours. Je
décroche mon téléphone et j’appuie sur le bouton pour joindre mon
assistant. John répond rapidement.
— Monsieur ?
— Appelez le directeur financier et faites-le venir dans mon bureau.
— Bien, monsieur, tout de suite.
Ça ne me fait pas spécialement plaisir de convoquer Alex, il est agaçant
et j’aurai un mal fou à le faire partir, mais il faut qu’on parle tous les deux
et que je le mette au courant de l’avancée de plusieurs dossiers. Une dizaine
de minutes plus tard, je suis en train de saisir une nouvelle feuille sur la pile
de paperasse devant moi quand Alex entre, en ajustant sa cravate rouge
comme si elle était trop serrée.
— Monsieur Hidalgo, commence-t-il d’un ton moqueur.
— Ne m’appelle pas comme ça.
— Pourquoi ? Parce que ça te vieillit ?
Il s’assied de l’autre côté du bureau et finit par dénouer sa cravate.
— Pourquoi tu m’as fait venir ?
— Comment vont les préparatifs pour reprendre mon poste ?
Alex soupire.
— Artemis.
Je pose les papiers et j’appuie les coudes sur le bureau pour le fixer.
— Qu’est-ce qu’il y a ?
Alex pince les lèvres.
— Écoute, j’apprécie que tu aies suggéré mon nom à ton père pour
reprendre le place de directeur, mais en vérité je ne crois pas que je vais
pouvoir accepter.
— Pourquoi ? Le poste ne t’intéresse pas ?
— Bien sûr que si. Tu es bien placé pour savoir qu’il n’y a pas de
meilleur rôle à jouer dans cette entreprise et ce serait un honneur, mais je…
je ne sais pas si je suis à la hauteur.
Je remarque son hésitation, son manque d’assurance. Alex est issu d’une
famille modeste. Nous nous sommes rencontrés à la fac, et ses études
étaient financées par une bourse qui l’obligeait à avoir des notes parfaites.
Par la suite, il a fait plusieurs stages où son travail était remarquable : les
lettres de recommandation pleuvaient. Il a effectué quelques stages chez
nous avant d’être engagé en CDI et de gravir les échelons jusqu’au poste de
directeur financier. Il gagne bien sa vie, aujourd’hui. Je me souviens encore
de ses larmes de joie lorsqu’il a pu acheter une voiture pour sa mère, qui a
travaillé dur toute sa vie mais n’a jamais pu s’en offrir une. Je l’ai toujours
admiré, mais je ne le lui ai jamais fait savoir. Je pense que personne ne lui a
jamais dit que c’était un modèle pour les autres et, à mon avis, c’est pour ça
qu’il doute de sa légitimité.
— Alex, dis-je d’un ton grave, tu crois que je t’ai recommandé à mon
père parce que tu es mon ami ? Tu crois que je ne suis pas capable de faire
la différence entre mes relations professionnelles et personnelles ? Tu
imagines que je serais prêt à mettre l’entreprise de mon père en danger par
amitié ?
Alex ne répond pas.
— Si je t’ai recommandé, c’est parce que tu réponds plus que largement
aux exigences du poste, parce que je n’ai jamais rencontré personne de plus
bosseur et de plus dévoué que toi. Parce que tu as gravi les échelons de
cette entreprise grâce à ton excellent travail. Parce que tu le mérites, Alex.
Ce n’est pas une promotion obtenue par relations, c’est une promotion
largement méritée.
Ses yeux rougissent légèrement mais il me sourit pour le cacher, en
plaisantant comme d’habitude :
— Tu flirtes avec moi, Artemis ?
Je réponds par un sourire.
— Ne doute jamais de toi, d’accord ? Tu vas être le directeur de cette
boîte, putain. Tu dois fêter ça !
— Bien, monsieur.
— Maintenant, au boulot.
Nous commençons à passer en revue la paperasse sur mon bureau : les
acquisitions, les projets potentiels, les contrats, le recours à des entreprises
extérieures, et ainsi de suite. La journée passe et nous finissons par nous
installer sur le canapé, en étalant les documents sur la table basse. Nous
avons déjà enlevé nos cravates et nos vestes, nous sommes juste en chemise
blanche et pantalon noir. Un coup à la porte nous interrompt en pleine
discussion. Je crie à la personne d’entrer. C’est la secrétaire d’Alex. En
l’examinant de plus près, je me rends compte qu’elle a l’air très jeune,
malgré sa tenue stricte : un tailleur rose dont la jupe descend jusqu’aux
genoux, un chemisier blanc immaculé. Ses cheveux tombent en ondulant
autour de son visage. Elle tient un sac à la main.
Elle s’éclaircit la gorge.
— E… excusez-moi, commence-t-elle nerveusement.
Elle me salue respectueusement.
— Monsieur.
Je lui souris pour tenter de la rassurer ; j’avais oublié à quel point tout le
monde a peur de moi, ici.
Alex continue à consulter ses papiers sans la regarder.
— Qu’est-ce qu’il y a ?
La jeune femme serre le sac devant elle.
— Je… je suis sortie pour déjeuner, et… j’ai pensé, eh bien, je vous ai
apporté de quoi vous nourrir. Quand j’ai appelé l’assistant de M. Hidalgo, il
m’a informé que vous n’aviez pas mangé, alors je me suis dit… J’espère ne
pas vous déranger.
Je me redresse sur le canapé.
— Comment vous appelez-vous ?
— Chimmy, je veux dire Chantal, c’est juste que mes amis m’appellent…
C’est Chantal, monsieur.
Elle est adorable, elle me rappelle la petite amie d’Ares.
— Ravi de vous rencontrer, Chantal.
Alex lui répond sans poser les yeux sur elle :
— Chantal, posez tout ça sur la table et vous pouvez y aller.
La déception se lit sur le visage de la jeune femme.
— Bien, monsieur.
Je lance un regard froid à mon meilleur ami, mais je souris à Chantal
quand je la vois poser notre repas sur la table.
— Merci beaucoup, Chantal, merci d’avoir pensé à nous, c’est très gentil
de votre part.
Je suis sincère. Sa déception disparaît et son visage s’illumine.
— Je vous en prie, monsieur, bon appétit.
— Mais qu’est-ce qu’il y a, réagit Alex quand je le foudroie du regard.
— Je pensais que, de nous deux, c’était moi qui étais froid.
— Qu’est-ce que j’ai encore fait ?
— Pourquoi tu la traites comme ça ?
Quelle ironie, je me retrouve à demander à Alex pour quelle raison il est
froid avec une fille. J’ai l’impression qu’il joue mon rôle. C’est comme ça
que je me comportais avec Claudia à mon retour à la maison. Je le regrette
encore.
— Comment ça ?
Alex n’a pas l’air d’avoir remarqué quoi que ce soit.
— Elle nous a apporté le déjeuner alors qu’elle n’était pas censée le faire,
et tu ne l’as même pas regardée ni même remerciée.
— Elle sort avec quelqu’un.
— Ah ?
Alex soupire et pose les papiers sur la table.
— Chimmy est en couple.
— Chimmy ? Je croyais qu’il n’y avait que ses amis qui l’appelaient
comme ça.
— On était amis.
— Était ? Alex, je ne comprends rien.
— Ou on est amis, je ne sais même plus. Mais je ne sais pas, depuis
qu’elle a commencé à sortir avec ce connard, chaque fois que je la vois, ça
m’énerve.
Oh.
— Elle te plaît.
— Non, pas du tout.
— Oh si, tu es dingue d’elle.
— Non, Artemis, c’est juste que…
Il ouvre le sac qui contient nos déjeuners et sort le sien.
— Elle a toujours été amoureuse de moi, depuis qu’elle a été engagée
comme assistante. Je l’ai surprise plusieurs fois à discuter de ça avec
d’autres employées. Je n’y ai jamais vraiment prêté attention, tu sais que je
ne suis pas comme ça.
Je fronce les sourcils, tout ouïe.
— Elle était toujours là pour moi, même quand…
Il n’a pas besoin de préciser, je sais qu’il fait allusion à l’infidélité de sa
fiancée. Il poursuit :
— Je suppose que je me suis habitué à être tout pour elle.
— Et alors, qu’est-ce qui s’est passé ?
— Elle m’a déclaré sa flamme, je l’ai repoussée, on est restés amis, et
tout allait bien jusqu’à…
— Jusqu’à ce qu’elle sorte avec quelqu’un d’autre et que tu cesses d’être
tout pour elle.
— Exactement. Je crois que je ne suis pas amoureux, je suis juste égoïste.
— Alex.
— Quoi ?
— Pour la première fois, c’est à mon tour de te donner des conseils en
amour. Qui aurait cru ça ?
Je n’en reviens pas moi-même. Je déclare :
— Tu peux te mentir à toi-même, mais je pense que Chimmy te plaît. En
fait, je pense que c’est plus que ça, mais tu paniques parce que tu sais que tu
pourrais tomber amoureux et être à nouveau vulnérable.
— Tu délires.
— Peu importe, ce n’est pas correct de ta part de la traiter comme ça. Ne
fais pas comme moi, tu finiras par le regretter. Un jour, tu te souviendras de
lui avoir fait ça et, même si tu t’excuses, il sera trop tard pour revenir en
arrière.
Alex m’examine avec sérieux.
— À t’entendre, on dirait que ça t’est arrivé.
Je soupire en sortant le deuxième déjeuner du sac et en le déballant.
— Tout va bien ? s’inquiète-t-il.
Je ne sais pas si c’est à cause de la conversation qu’on vient d’avoir, mais
j’ose lui parler de ce qui m’est arrivé avec Claudia.
— Ça doit faire mal, commente Alex en prenant une bouchée, mais vois
le bon côté des choses, au moins elle est honnête, Artemis. Ce serait si
facile de mentir et de dire Je t’aime sans le penser, juste pour ne pas mettre
l’autre mal à l’aise. Elle ne l’a pas fait.
— Je croyais qu’on était sur la même longueur d’onde, elle et moi.
— Oh, après tout ce que vous avez traversé tous les deux, tu ne devrais
pas douter d’elle juste parce qu’elle ne t’a pas dit Je t’aime. Nous sommes
tous différents, nos sentiments se développent à leur propre rythme. Quand
le moment sera venu, elle aura besoin de te le dire aussi.
— Je l’espère.
Je marque une pause avant d’ajouter :
— Bon, mangeons vite et remettons-nous au travail.
ARTEMIS
Maîtrise-toi, Artemis.
Je me donne cet ordre en la voyant sur mon lit dans cet uniforme sur
lequel j’ai fantasmé si souvent. Elle se lève et me sourit, elle est tellement
sexy. Je serre les poings pour m’empêcher de me jeter sur elle comme un
sauvage. Claudia s’avance vers moi et s’arrête à un pas à peine, ses mains
se dirigent vers ma cravate et elle se mord la lèvre avant de reprendre la
parole :
— Vous êtes fatigué, monsieur ?
Je hoche la tête et son sourire s’élargit.
— Que puis-je faire pour vous détendre ?
Elle attrape ma cravate et me guide vers le lit, me poussant légèrement en
arrière pour que je bascule en position assise sur le bord du matelas. Elle est
face à moi. Mes yeux se promènent sur ses jambes nues et s’attardent sur
ses cuisses. Je tends la main pour les toucher, mais elle la repousse d’un
coup sec.
— Non, c’est moi qui décide, maintenant, monsieur.
— D’accord.
Elle enlève ma cravate, puis ma veste de costume, et se penche pour
déboutonner ma chemise. J’en profite pour admirer ses seins magnifiques.
Je ne sais pas ce que j’ai fait dans la vie pour mériter une femme pareille,
mais je ne me plains pas, je suis déjà en pleine érection alors qu’elle m’a à
peine enlevé quelques vêtements. La lenteur, la sensualité de chacun de ses
gestes me rendent fou. Je me délecte des moindres détails de son uniforme,
de sa peau, de sa silhouette.
Après m’avoir débarrassé de mes chaussures et de mon pantalon, elle me
laisse en caleçon, ramasse mes habits et les dépose sur une chaise à côté du
lit en se penchant exprès pour me laisser voir la petite culotte noire qu’elle
porte sous cette jupe courte. Je vais exploser, je le sens.
— Claudia…
Je ne sais pas si elle devine le désespoir dans ma voix, mais j’essaie tout
de même. Elle se redresse et s’arrête à nouveau devant moi.
— Qu’est-ce que vous désirez ?
— Toi.
— Oh, monsieur veut me toucher ?
Elle prend ma main et la guide vers ses seins. Elle m’autorise à les
caresser pendant une seconde merveilleuse, avant de l’écarter. Je pousse un
gémissement de protestation, et elle abaisse ma main entre ses jambes. À
travers ses collants, je sens comme elle est mouillée.
Un soupir s’échappe de mes lèvres.
— Monsieur veut-il me baiser ?
Avant que j’aie le temps de répondre, elle écarte ma main et repousse
mon torse pour m’allonger de force sur le dos. Elle s’assied à califourchon
sur moi. Je meurs d’envie de la caresser, de la dévorer de la tête aux pieds,
mais, comme c’est elle qui commande, je me retiens… même si je ne sais
pas combien de temps je vais pouvoir tenir. Elle se penche sur moi et
plonge ses yeux dans les miens avant de descendre jusqu’à ma bouche et de
m’embrasser. Je gémis en répondant à son baiser avec désespoir et désir.
J’ai faim d’elle, j’ai envie de son corps. Nos respirations s’accélèrent et
résonnent dans la pièce tandis que nous continuons à nous embrasser avec
passion, avec fougue. C’est le genre de baiser qui ne peut se produire que
dans l’intimité de la chambre : en public, le spectacle serait indécent.
Claudia commence à se frotter contre moi. J’étouffe un gémissement en
sentant son entrejambe aller et venir contre moi. Lorsque je fais mine de la
toucher, elle abaisse mes mains et met fin à notre étreinte pour me dire d’un
ton sévère :
— Non, monsieur.
— Je vais craquer.
Elle se redresse, s’assied sur moi et passe les mains sur mes pectoraux
avant de descendre le long de mes abdos.
— Vous êtes très sexy, Artemis Hidalgo.
— Merci, toi tu es bien plus sexy que moi et je suis à deux doigts de
perdre le contrôle et de te baiser comme un fou.
— Quel dommage que ce soit moi qui commande, n’est-ce pas,
monsieur ?
Lorsqu’elle défait les boutons de son corsage, j’arrête de respirer.
— Il fait si chaud ici, commente-t-elle.
Avec chaque bouton qu’elle défait, elle dévoile en peu plus la courbe de
ses seins.
Après le corsage, elle ouvre le chemisier de son uniforme, révélant ses
seins magnifiques dans un soutien-gorge noir qui met sa peau en valeur.
Elle est splendide et elle en joue, la confiance avec laquelle elle exhibe son
corps m’excite terriblement. Dans ses gestes et ses expressions, il n’y a ni
doute ni hésitation, juste de la puissance et de la confiance à l’état pur.
Elle prend mes mains et les pose sur ses seins, me laissant les presser
légèrement pour faire encore monter mon désir. Je sais que cette torture
lente, même si elle est difficile à supporter, rendra encore plus explosif le
moment où je pourrai enfin la posséder. Elle ne cesse pas de bouger sur
moi, pendant que je masse ses seins. Elle se mordille la lèvre en gémissant
doucement. Je sens la chaleur de son sexe, et j’imagine sans peine à quel
point elle est mouillée et comme ce sera bon de la pénétrer.
— Vous êtes tellement dur, monsieur.
Sa voix chargée de désir expédie de la chaleur dans tout mon corps.
Mon membre durcit encore plus lorsqu’elle baisse les bretelles de son
soutien-gorge et expose entièrement sa généreuse poitrine. Au moment où
mes paumes sont enfin en contact direct avec ses seins, je ne peux retenir un
gémissement. Mes pouces attaquent ses tétons, qui durcissent dès que je les
frôle. Claudia rejette la tête en arrière et gémit un peu plus bruyamment,
tandis que ses mouvements sur moi s’accélèrent au point de devenir
incontrôlables.
— Claudia, je ne pense pas pouvoir tenir, je…
Elle pose son doigt sur mes lèvres.
— Silence !
Elle retire mes mains de ses seins et se lève. Elle enlève ses sous-
vêtements mais garde sa jupe, et attrape l’élastique de mon caleçon pour me
déshabiller. Elle s’assied à nouveau sur moi. Le contact de nos peaux
chaudes m’oblige à m’accrocher à ses hanches pour maîtriser mes pulsions.
— Ah, Claudia.
Elle se remet à se frotter contre moi, d’avant en arrière, et je serre ses
hanches plus fort. Je meurs d’envie de la pénétrer, ça me rend fou de ne pas
avoir le contrôle.
— Je veux que vous veniez en moi, monsieur, me susurre-t-elle en se
soulevant légèrement.
J’arrête de respirer, en la regardant guider mon sexe vers l’entrée du sien.
— Ah, soupire-t-elle.
Je ferme les yeux, la sentant enfin complètement. Son entrejambe est
chaud, doux et trempé. La sensation me laisse sans voix.
J’ai l’impression d’être au paradis.
Claudia ondule lentement, me tentant, augmentant mon désir, provoquant
mille sensations. Ses gémissements suivent le rythme de ses mouvements
sur mon pénis. La torture qu’elle m’a fait subir a laissé des traces et j’ai
l’impression que je vais déjà jouir, mais je me retiens de toutes mes forces.
— Rhoo, c’est incroyable, je murmure entre deux gémissements.
Claudia se penche davantage sur moi. Ses seins sont dangereusement
proches de mon visage et je n’hésite pas à les lécher, les embrasser, les
sucer. À en juger par ses frissons, elle adore ça.
— Oh oui, Artemis.
Elle a perdu le contrôle, elle accélère son mouvement, le bruit de nos
sexes qui se frottent l’un à l’autre résonne dans la chambre, mêlé à celui de
nos halètements sauvages.
— Je vais… Oh, lâche-t-elle.
Je sens qu’elle est proche de l’orgasme et je l’embrasse. Je descends mes
mains jusqu’à ses fesses et je les serre en remontant mes hanches,
m’enfouissant plus profondément en elle. Claudia gémit dans ma bouche,
frémissant, frissonnant. L’orgasme la transporte, son sexe palpite contre
mon membre, je sens qu’elle est de plus en plus mouillée et je sais que je ne
pourrai pas tenir plus longtemps. Elle bouge avec encore plus de férocité, le
son de nos corps qui se cognent devient plus terrible encore.
— Oh, Claudia, je vais jouir si tu continues à bouger comme ça.
Je suis sincère, je doute de ma capacité à me retenir plus longtemps.
— Vas-y, je veux te sentir arriver.
Ses mots et son ton sexy me rendent dingue.
— Je veux te sentir jouir en moi, Artemis.
Il ne m’en faut pas plus. Je serre ses fesses en gémissant, et je laisse enfin
jaillir l’orgasme. Claudia se laisse tomber sur moi. Nos respirations sont
saccadées et je sens les battements affolés de son cœur se mélanger à ceux
du mien. Elle s’éloigne de moi et s’écroule sur le matelas. Nous fixons le
plafond. C’était tellement intense que nous sommes incapables de parler.
Ma main prend la sienne et je la serre doucement. Je n’arrive pas à trouver
un compliment qui soit à la hauteur du moment incroyable qu’on vient de
vivre.
C’est Claudia qui rompt le silence :
— Je pense que je vais prendre le contrôle plus souvent.
Je tourne la tête vers elle.
— Quand tu veux.
Elle lève les yeux vers moi en souriant, la douce lueur jaune des bougies
danse sur sa peau nue et je ressens le besoin de lui dire à nouveau.
Je t’aime…
Mais je me retiens, je ne veux pas la mettre pour la deuxième fois dans
une position inconfortable, je ne voudrais surtout pas qu’elle soit mal à
l’aise. La voir là, nue à côté de moi, tandis qu’un sourire sincère illumine
tout son visage, me fait réaliser combien je l’aime. J’aime tout d’elle. Ce
qui est né sous la forme d’une affection protectrice quand on était petits
s’est transformé en attraction à l’adolescence, a continué à grandir pour
devenir la passion que je ressens maintenant. Un sentiment si écrasant, si
puissant, qu’il me terrifie.
— À quoi penses-tu ? me demande-t-elle en me caressant la joue.
Que tu comptes énormément pour moi, que je t’aime, que j’ai envie de le
crier de mille façons, que l’intensité de mes sentiments pour toi me fait
peur.
— À ton avis ?
Je me cache derrière un sourire suggestif.
Elle rit et je l’admire comme un amoureux fou.
— Monsieur a apprécié la surprise, alors, conclut-elle avec un clin d’œil.
— Appelle-moi encore monsieur et je te baise une deuxième fois.
— Hou, j’ai peur ! plaisante-t-elle.
Et je grimpe sur elle.
Nos corps nus et chauds s’accueillent tout naturellement et s’emboîtent
sans difficulté.
— Tu devrais avoir peur de moi, dis-je avant de l’embrasser doucement,
de savourer ses lèvres, de les titiller lentement.
Claudia prend ma lèvre inférieure entre ses dents, puis sourit.
— Je suis terrifiée.
Je continue à l’embrasser, nos bouches se dévorent avec fougue. Sa
respiration s’accélère. Je me maintiens d’une main sur le matelas, tandis
que de l’autre je caresse ses seins.
— Artemis.
Elle gémit contre ma bouche et je sais que je la tiens.
— Écarte tes jambes pour ton maître, je lui ordonne pour la taquiner.
Elle obéit et s’offre à nouveau à moi avec ferveur. Et même si elle ne m’a
pas dit qu’elle m’aimait, je sens son amour dans chaque baiser, dans chaque
caresse, dans chaque regard, et c’est plus que suffisant.
33. J’ai fait une connerie
CLAUDIA
CLAUDIA
Je t’aime.
Pourquoi est-ce que je n’arrive pas à prononcer ces mots simples ?
Pourquoi ils s’étranglent dans ma gorge chaque fois que je tente de les
laisser sortir ? Qu’est-ce qui me retient ? Je sonde mon esprit, mon cœur, à
la recherche d’une raison, d’une explication logique, je voudrais tant
comprendre. Je ne l’aime pas ? Non, ce n’est pas ça, Artemis est l’amour de
ma vie, il a toujours eu une place à part dans mon cœur, même pendant les
années où j’ai refusé de l’admettre. Alors pourquoi ?
Je t’aime, s’il te plaît, pardonne-moi, Martha. J’étais saoul, je ne le ferai
plus, je te le promets au nom de notre amour, je t’aime.
Les paroles de mon père, quand il avait frappé ma mère, étaient toujours
ponctuées de Je t’aime. Comme j’étais très jeune et que les coups
revenaient souvent, j’ai compris que ces Je t’aime n’étaient que des
mensonges. On ne fait pas de mal à ceux qu’on aime. Lorsque nous avons
fui mon père et que nous nous sommes retrouvées à la rue, dormant dans
des caravanes abandonnées et autres lieux délabrés, ma mère rencontrait
régulièrement des types louches qui lui promettaient un monde meilleur ou
bien plus encore, à condition qu’elle accepte de faire le trottoir et de leur
verser un pourcentage. À nouveau, j’ai entendu la ritournelle Je t’aime,
Martha. Des mensonges éhontés, une fois de plus. J’ai fini par conclure que
cette formule toute faite était un outil dont les gens se servaient pour
justifier leurs actes abominables, pour manipuler les autres et les maintenir
sous leur emprise, prêts à encaisser le coup suivant.
Peut-être que, dans mon subconscient, cette phrase a encore un goût
amer. Même si ce ne sont que des mots, lorsque je tente de les prononcer, ils
déclenchent en moi une sensation désagréable. C’est contradictoire parce
que, quand Artemis me fixe avec ses yeux bruns remplis d’amour et qu’il
dit ces trois mots, je suis envahie d’une chaleur qui me submerge.
Est-ce que je suis fichue pour de bon et que je ne pourrai jamais lui
répondre par un Je t’aime aussi sincère que le sien ? Un Je t’aime qui ne
soit pas associé aux scènes les plus sombres de mon passé, un Je t’aime
pur ? Je ne veux pas prononcer cette formule juste parce qu’il le faut. J’ai
sans doute besoin de temps, c’est tout.
— Claudia ?
Kelly, ma collègue stagiaire, m’interpelle.
— Tu m’écoutes ?
— Oui, bien sûr.
Elle fronce les sourcils, mais laisse passer mon mensonge.
— Je te disais qu’André a adoré ta proposition marketing pour le
prochain projet.
— C’est vrai ? je m’exclame, la main sur la poitrine.
André est le bras droit de Mme Marks, ma supérieure. J’ai passé
plusieurs soirées à évaluer le marché sous différents angles et à mettre au
point la stratégie parfaite pour promouvoir un nouveau complexe
d’appartements que la société Hidalgo va construire dans les prochains
mois.
— Oui, je suis jalouse, ajoute-t-elle. Je suis sûr qu’ils vont le choisir à la
réunion de cet après-midi. Ils nous permettent d’y assister pour qu’on
écoute et qu’on apprenne.
— Il faut que je me prépare, je déclare en me levant pour aller aux
toilettes me rafraîchir un peu.
S’ils choisissent ma proposition, ils voudront me poser des questions, je
dois être le plus présentable possible et j’ai des cernes terribles. Mais je ne
regrette pas d’avoir travaillé tard si leur choix se porte sur mon projet : ce
sera le premier dossier dont je serai responsable.
Je me regarde dans le miroir et je m’encourage :
— Tu peux le faire !
Le travail acharné porte ses fruits.
Quand je sors des toilettes, je me fige en voyant Alex. Putain, c’est pas
vrai ! C’est le mec que j’ai failli embrasser dans le bar d’Artemis et qui a
disparu avant que quoi que ce soit ne se passe. Il est vêtu d’un costume bleu
clair et, contrairement à tous les employés, il ne porte pas le badge
d’identification de l’entreprise, ce qui ne peut signifier qu’une chose : il est
à la tête d’un département. La coïncidence est trop forte. Je tourne les talons
pour me réfugier dans les toilettes, quand la voix d’André m’oblige à
renoncer à ma stratégie :
— Claudia !
Je pince les lèvres et je me tourne à contrecœur vers lui, vers Alex, qui
n’a pas du tout l’air surpris de me voir là et m’adresse un petit signe. Je lui
souris en m’approchant.
— Le directeur financier a décidé de nous rendre visite aujourd’hui.
Monsieur, je vous présente…
— Nous nous sommes déjà rencontrés, n’est-ce pas, Claudia ?
Son ton enjoué ne m’échappe pas. André nous regarde bizarrement et ne
peut s’empêcher de demander :
— Comment vous connaissez-vous ?
Je soupire, mal à l’aise.
Eh bien, vous voyez, André, on a failli s’embrasser en boîte, mais il a
disparu avant qu’il ne se passe quoi que ce soit.
— Nous nous sommes déjà croisés, répond Alex.
— André !
Mme Marks appelle son bras droit depuis son bureau et celui-ci s’excuse
puis s’éloigne en courant, nous laissant seuls. Alors que je m’apprête à
remettre Alex à sa place, il me devance.
— Détends-toi, Artemis est mon meilleur ami.
Je ne m’attendais pas à ça.
— Quoi ?
Il me sourit.
— Ce soir-là à l’Insomnia, quand j’ai réalisé que tu étais la bonne que
mon meilleur pote a fréquentée toute sa vie, je me suis éclipsé et je l’ai
appelé pour qu’il vienne te chercher.
Je garde le silence, le temps de digérer ces informations. Je comprends
mieux maintenant comment Artemis a pu surgir de nulle part au bon
moment.
— Je suis content que ton amie nous ait interrompus et ait prononcé ton
nom. Artemis ne m’aurait probablement pas pardonné s’il s’était passé quoi
que ce soit entre nous.
Eh bien ! Le monde est petit et il adore me fourrer dans des situations
étranges. Quoique, après tout, c’est le bar d’Artemis, il n’y a rien
d’étonnant à ce que son meilleur ami le fréquente.
— Je propose qu’on recommence à zéro. Ravi de te rencontrer, Claudia,
moi c’est Alex.
— Enchantée.
Je lui souris, mais mon sourire s’efface aussitôt car je viens de réaliser
une chose terrible : si Alex sait que je travaille ici et qu’il est le meilleur
ami d’Artemis… ça veut dire qu’il est au courant aussi ? J’espère
sincèrement que non.
— Qu’est-ce qu’il y a ? Tu es toute pâle.
— Artemis sait que je travaille ici ?
Alex semble surpris par la question pendant une seconde, puis son air
coupable me donne la réponse.
— Il n’interviendra pas, m’assure-t-il avec un sourire. Il l’a promis.
Ce petit menteur, il était au courant depuis le début et il a fait semblant de
rien… Oh, Artemis Hidalgo.
— Bon, je te laisse travailler. Ravi d’avoir pu te rencontrer, Claudia.
Il me dit au revoir et je pousse un long soupir.
CLAUDIA
ARTEMIS
Quoi ?
Cette question tourne en boucle dans ma tête alors que je souris, car ma
première réaction est de croire que Claudia me fait une blague.
— Très drôle, je lui réponds en secouant la tête. Si tu crois que je vais
marcher… Tu croyais que j’allais gober ton mensonge comme la fois où tu
as été opérée de l’appendicite et où tu m’as affirmé qu’on t’avait prescrit de
manger des quantités monstreuses de crème glacée ? Je me souviens de t’en
avoir apporté tous les jours pendant une semaine avant de réaliser que tu
m’avais menti.
Ce souvenir la fait sourire légèrement, mais son expression reste
préoccupée. Elle replace une mèche de cheveux derrière son oreille et
baisse les yeux vers ses mains, serrées sur ses genoux.
— Allez, arrête, lui dis-je en riant. Tu joues super bien la comédie.
— Artemis…
Sa voix est à peine un murmure.
— Ne plaisante pas avec un sujet aussi important, Claudia.
Elle relève la tête pour me fixer dans le blanc des yeux. Son sérieux
balaie mes derniers doutes : ce n’est pas une blague. Mon sourire s’efface
lentement, ma poitrine se comprime.
— Je ne plaisante pas.
Son ton est sec, elle est sur la défensive.
J’ouvre la bouche mais je la referme aussitôt, ne sachant pas quoi dire.
Mon Quoi ? de tout à l’heure résonne à nouveau dans mon esprit,
reflétant mon incrédulité, ma surprise : je n’ai rien vu venir. Je voudrais lui
parler, apaiser l’angoisse qui se lit sur son visage, mais je ne sais pas quoi
dire.
Elle est enceinte…
Je sais que la possibilité existe, puisque nous avons eu des rapports
sexuels non protégés, je ne suis pas un imbécile, mais je croyais qu’elle
prenait la pilule. Claudia a toujours été si méticuleuse et attentive à tout
qu’une grossesse non planifiée ne lui ressemble pas. La nouvelle me prend
complètement au dépourvu.
Dis quelque chose, Artemis.
Claudia se mordille nerveusement la lèvre. Tout dans son langage
corporel exprime la tension.
— Je suis désolée, se justifie-t-elle avec un sourire triste, j’ai dû oublier
de prendre ma pilule un jour. C’est ma faute, tu m’as fait confiance, tu n’as
pas…
— Arrête.
Elle me dévisage d’un air perplexe.
— Arrête de parler, parce que je sais que je ne vais pas aimer ce que tu
vas dire. Je te connais et je sais ce que tu penses.
Elle se tait et m’observe avec méfiance. Je me lève et je passe lentement
la main sur ma nuque.
— Nous sommes tous les deux des adultes qui savent ce qu’ils font.
Même si tu prends la pilule, nous savions qu’il y avait un risque que tu
tombes enceinte si nous avions des rapports sexuels sans préservatif.
Elle ne dit toujours rien et détourne les yeux. C’est la première fois que je
la vois si abattue, si vulnérable.
Elle a peur. Cette situation est probablement aussi inattendue pour elle
que pour moi. Mes yeux tombent sur son ventre, et soudain mon cœur sourit
et j’oublie ma surprise.
Claudia est enceinte, mon fils ou ma fille grandit en elle, je vais être
papa. Moi ? Être père ? Ce n’est pas possible, je suis trop à côté de mes
pompes. Je viens à peine de renouer les liens avec mon propre père après
des années. Avoir un bébé n’était pas dans mes plans à court terme, mais si
c’est avec elle, elle que j’ai toujours aimée, ça ne peut être qu’une bonne
chose. J’ai toujours considéré que Claudia était la femme de ma vie.
— Claudia.
Elle me regarde et je lui adresse un sourire sincère.
— Tout ira bien, je lui promets en la serrant contre moi.
La chaleur dans ma poitrine rayonne dans tout mon corps, mes émotions
se bousculent tandis que j’essaie d’assimiler la nouvelle.
— Même si cette grossesse n’était pas prévue, je suis ravi à l’idée de
devenir papa.
Je prends son visage entre mes mains.
— Pour moi, ça a toujours été et ce sera toujours toi, Claudia.
Ses yeux se remplissent de larmes, mais elle les retient parce qu’elle
n’aime pas pleurer, je le sais. Elle tente toujours de conserver cette force qui
la caractérise. Mais elle doit comprendre que c’est normal d’être vulnérable,
que c’est normal d’avoir peur.
— Je…
Sa voix se brise :
— J’avais tellement de projets, je voulais progresser dans ma carrière. Je
voulais prendre le temps d’être quelqu’un avant d’avoir un bébé, me confie-
t-elle, parce que… je ne veux jamais qu’un enfant subisse ce que j’ai dû
subir.
Sa confession me brise le cœur.
— Et ça n’arrivera pas, Claudia, tu n’es pas seule.
Elle ferme les paupières et deux larmes épaisses roulent sur ses joues.
— Hé, regarde-moi.
Elle ouvre ses yeux embués.
— Tu n’es pas seule, je suis là, à tes côtés, comme toujours.
— J’ai tellement peur, Artemis, avoue-t-elle, les lèvres tremblantes. Je ne
m’attendais pas à ça. C’est un bébé, c’est une vie, quelqu’un que je pourrais
détruire si je m’y prends mal… L’accouchement m’a toujours terrifiée et…
Je tente de la calmer.
— Hé hé, une étape à la fois, OK ? Une chose à la fois.
J’essuie ses larmes avec mes doigts.
— Je suis là et tout va bien se passer. Je vais prendre soin de toi et de
notre bébé, Claudia, tu me fais confiance ?
Elle acquiesce.
— Alors, crois-moi quand je te dis que tout va bien se passer et que je
serai là à chaque étape, parce que je t’aime comme je n’aurais jamais cru
possible d’aimer quelqu’un et que je suis sûr que j’aimerai ce bébé encore
plus.
— Et si on s’y prend mal ? Et si on n’est pas de bons parents ?
Elle exprime toutes ses craintes et ça me fait plaisir de savoir qu’elle peut
s’ouvrir à moi comme ça.
— Et si quelque chose se passe mal ? poursuit-elle. Moi qui ai connu tant
de traumatismes, qui ai tant de peurs, comment est-ce que je pourrais être
responsable d’un autre être humain ? Moi qui ne suis même pas capable de
dire Je t’aime sans que mon estomac se retourne en repensant à tous ces
hommes qui ont craché ces mots à ma mère sans les penser.
Je me penche vers elle et l’embrasse délicatement. Ses lèvres ont un goût
salé à cause des larmes. Je m’écarte et je lui souris.
— Je peux le dire pour nous deux : je t’aime, Claudia.
Je la regarde dans les yeux et j’ajoute :
— Et je sais que tu m’aimes aussi, idiote.
Un léger sourire courbe ses lèvres à travers ses larmes.
— C’est celui qui le dit qui l’est.
Je lui souris en retour et je l’embrasse sur le front avant de l’enlacer. Elle
enfouit son visage dans ma poitrine.
— Tout va bien se passer, Claudia, je lui promets à nouveau, car je sais
qu’elle a besoin de l’entendre.
— Je n’arrive toujours pas à y croire, murmure-t-elle contre mon torse.
— Moi non plus, j’admets.
— Promets-moi qu’on ne va pas tout faire foirer, que, quoi qu’il arrive à
notre relation, ce bébé sera toujours notre priorité. Promets-moi que son
bien-être passera avant tout le reste.
Je comprends son inquiétude, nous avons tous les deux eu de mauvaises
expériences avec nos parents : elle avec son père violent, qui les a laissées à
la rue, et moi avec ma mère qui n’arrêtait pas de tromper mon père, et avec
mon père qui n’a jamais eu le courage de la quitter. Je repose mon menton
sur la tête de Claudia.
— Tu es toi et je suis moi, Claudia. Nous ne sommes pas nos parents.
Elle soupire, et moi aussi.
— Considérons les erreurs de nos parents comme un exemple à ne pas
suivre. Je ne dis pas que nous serons parfaits, mais grâce à ce bébé nous
serons la meilleure version de nous-mêmes.
— Je t’ai tellement fait fondre qu’on a accidentellement créé un… mini-
iceberg.
Sa plaisanterie me fait sourire. Et me montre que, si elle blague, c’est
qu’elle s’est détendue.
— Ou un mini-volcan.
Nous nous séparons et elle essuie ses larmes en laissant échapper une
grosse bouffée d’air.
— Je te déteste.
Je hausse un sourcil.
— Pourquoi ?
Elle me donne un léger coup de poing dans le bras.
— Il a fallu que tu me mettes enceinte.
— Pardon ? Je ne t’ai pas entendue te plaindre quand c’est arrivé. En tout
cas, tes gémissements n’étaient pas négatifs.
Elle s’affale sur le lit, le regard fixé sur le plafond, et je m’assieds à côté
d’elle.
— Repose-toi, demain est un autre jour.
— Demain, je serai toujours enceinte.
— Je sais.
Elle tourne son visage vers moi et me tend le bras.
— Je ne suis pas seule.
— Tu n’es pas seule, je confirme en embrassant le dos de sa main.
Repose-toi.
Elle ferme les yeux et je veille sur elle jusqu’à ce que sa poitrine se
soulève et s’abaisse à un rythme régulier qui m’indique qu’elle dort pour de
bon.
J’embrasse à nouveau sa main et je quitte la chambre en me massant la
nuque. À ma grande surprise, j’aperçois Apollo au bout du couloir de la
clinique en train de vérifier les numéros sur les portes, sans doute à la
recherche de la chambre de Claudia. Comment a-t-il appris qu’elle était
ici ?
Quand il me voit, il se précipite vers moi, l’air inquiet. Quant à moi, je
suis encore un peu désorienté. Il m’appelle :
— Artemis ! Comment va Claudia ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
— Tu vas être tonton.
Les mots sortent de ma bouche sans aucun filtre ni contrôle. Merde,
qu’est-ce qui m’a pris ? Claudia va me tuer. Apollo se fige et reste un
instant bouche bée.
— Quoi ?
Je me racle la gorge, mais je ne peux rien dire de plus. Le visage
d’Apollo s’illumine.
— Je vais devenir oncle ?
Son sourire est sincère.
— Tu ne te fous pas de ma gueule, hein ? Non, c’est pas ton genre, de
faire des blagues.
Une seconde plus tard, il ajoute :
— C’est vrai ?
Je me passe la main dans les cheveux.
— Oh merde. Si Claudia te pose la question, je ne t’ai rien dit.
— J’arrive pas à y croire. Félicitations, Artemis.
Il me serre dans ses bras.
Son enthousiasme est communicatif et, lorsque nous nous écartons, son
sourire s’élargit encore.
— Honnêtement, je croyais que ce serait Ares qui serait le premier à
avoir un enfant.
Je fronce les sourcils.
— Oh, allez, on sait tous les deux combien de conquêtes ce sauvage a
eues, ajoute-t-il avant de jeter un coup d’œil à la porte de la chambre.
Comment elle va ?
— Sous le choc et un peu effrayée. Et je la comprends, ce n’était pas…
prévu.
— Les meilleures choses arrivent sans crier gare.
— Je suis d’accord dans ce cas-là, mais toi, tu as à peine terminé le lycée.
Pas de grossesse imprévue pour toi pour le moment !
— Comme si je faisais l’amour, murmure-t-il.
Je ne le crois pas un instant. Il ajoute :
— Je peux la voir ?
— Elle se repose, la journée a été dure.
— J’imagine.
Apollo se prend la tête dans les mains.
— J’y crois pas, je vais être tonton. Je parie que je serai son oncle
préféré.
— J’ai des appels manqués de la maison, tu as essayé de me joindre ?
— Non, c’est grand-père, il est super inquiet, je vais lui téléphoner pour
lui dire que Claudia va bien.
— Apollo, tu ne dois dire à personne qu’elle est enceinte. Je dois voir
avec elle comment elle veut annoncer la nouvelle, je n’ai pas fait exprès de
te le dire.
— Y a beaucoup de choses que tu fais par accident, ces derniers temps,
non ? ironise-t-il.
Je le foudroie du regard.
— Oups, c’est trop tôt pour en rire ?
Je ne réponds pas et retourne dans la chambre pour veiller sur Claudia
pendant son sommeil. Je n’ai jamais eu aussi peur que quand elle s’est
effondrée dans mes bras devant le siège de la boîte. Je ne la quitterai plus
d’une semelle pendant un moment, et maintenant que je sais qu’elle est
enceinte, mon envie de la protéger est décuplée.
— Artemis, tu exagères.
Claudia croise les bras. Elle refuse que je l’aide à marcher en sortant de
la voiture à son retour de l’hôpital. Les rayons du soleil matinal frappent ses
cheveux roux en bataille et font ressortir les taches de rousseur minuscules
qui parsèment ses pommettes.
— Je suis parfaitement capable de marcher, m’informe-t-elle en passant
devant moi.
Je referme la portière en soupirant.
Dès qu’elle franchit le seuil de la maison, sa mère et mon grand-père
l’accueillent et la serrent dans leurs bras. Elle leur assure qu’elle va bien.
Mais je croise le regard de mon père, qui se tient dans le couloir menant au
bureau. Apollo est à côté de lui, et ils ont tous les deux l’air aussi sérieux et
inquiet.
Qu’est-ce qui se passe ?
— Claudia, je suis content que tu ailles bien, commence mon père. Tu
nous as fait une sacrée frayeur.
Elle lui sourit.
— Je suis plus forte que j’en ai l’air.
Tout à coup, une personne que je ne m’attendais pas à voir descend les
escaliers. Ses cheveux noirs sont plus longs que la dernière fois qu’il était à
la maison. Je suis content de le revoir, mais qu’est-ce qu’il fait là ? C’est
alors que je me souviens que ce week-end est férié parce que c’est le
4 juillet, la fête nationale, et je réalise que ça fait pile un an que je suis de
retour à la maison. Mon frère nous sourit et se précipite pour embrasser
Claudia.
Ares.
— Je sais que tu étais surexcitée par mon retour, mais c’est un peu too
much de tomber dans les pommes, tu ne crois pas ?
— Imbécile.
Claudia lui décoche une tape sur l’épaule avant de le serrer à nouveau
dans ses bras.
— Ça ne fait pas longtemps, mais tu m’as beaucoup manqué.
Lorsqu’ils se séparent, Ares vient vers moi et je lève un sourcil.
— Ne compte pas sur moi pour un câlin.
Il pose la main sur sa poitrine.
— Toujours aussi froid.
— Tu n’es pas parti assez longtemps, Ares, non.
Il m’étreint quand même et je grimace.
— Arrête de te donner cet air glacial, me dit-il à l’oreille. Claudia et toi,
hein ? Tu as mis le temps, espèce d’idiot.
Apollo est incapable de tenir sa langue, il lui a déjà tout dit pour Claudia
et moi. J’espère qu’il ne lui a pas parlé du bébé, sinon je l’étripe juste après
m’être fait trucider par Claudia.
Je m’écarte.
— Ares et Artemis, on a besoin de vous dans le bureau un moment.
Le ton sinistre de mon père me rappelle le malaise que j’ai ressenti en
voyant leur expression à mon arrivée. Je cherche le regard d’Ares, mais il a
l’air aussi perdu que moi.
Notre père tourne les talons et s’éloigne dans le couloir. Apollo me sourit
avant de le suivre. Claudia fronce les sourcils et m’interroge du regard. Je
hausse les épaules : je n’ai aucune idée de ce qui se trame.
Ares et moi entrons dans le bureau et refermons la porte derrière nous. Je
suis encore plus interloqué de voir ma mère assise dans un des fauteuils.
Ses yeux sont bouffis et rouges mais secs, comme si elle avait déjà pleuré
toutes les larmes de son corps. Apollo et mon père lui font face. Ares et moi
échangeons un regard avant de nous installer dans le canapé.
— Qu’est-ce qu’il y a ? je demande en scrutant les visages pour trouver
des réponses.
— Nous vous avons réunis ici, en profitant de la visite d’Ares, pour que
vous puissiez tous les trois entendre ce que nous avons à vous dire,
commence papa. Nous comptions le faire hier soir, mais comme Artemis a
passé la nuit à l’hôpital… Voilà, votre mère et moi avons pris la décision de
nous séparer.
Quoi ?
— Nous avons déjà entamé la procédure de divorce.
Ma mère prend enfin la parole. C’est elle qui continue :
— Après le 4 juillet, je vais emménager dans la résidence secondaire que
j’ai achetée il y a un moment, près de ta rivière préférée, Apollo.
Elle lui sourit et les yeux d’Apollo rougissent. Les mains d’Ares sont
tellement crispées sur ses genoux que ses articulations sont blanches.
La peine que je ressens me prend par surprise. Je pensais que j’allais être
soulagé : une séparation est la solution que nous avons toujours voulue, ils
se sont déjà fait tant de mal. Mais maintenant ça se concrétise, ma poitrine
est comprimée et je devine à l’expression de mes frères qu’ils sont aussi
dévastés que moi. Quelles que soient les erreurs qu’ils aient commises, ce
sont nos parents. Nous les avons toujours connus ensemble, et nous avons
sans doute toujours eu l’espoir secret qu’ils se réconcilient, que nous
puissions continuer à former une famille. Ils attendent que l’un de nous
réagisse, mais, comme nous gardons le silence, ma mère pince les lèvres et
rassemble son courage.
— Je sais… que j’ai fait beaucoup d’erreurs…
Ses yeux se posent sur moi.
— … que mon égoïsme vous a fait beaucoup de mal, et je n’ai aucune
excuse. Je ne m’attends pas à ce que vous me compreniez. Je veux juste que
vous sachiez que je vous aimerai toujours, et que les portes de ma maison
vous seront ouvertes, que…
Sa voix se brise.
— … vous serez toujours mes enfants et que je serai toujours votre mère.
— Pfff, fait Ares, les yeux embués.
Il commente :
— Tu veux être notre mère, maintenant ?
Apollo baisse la tête, des larmes roulent sur ses joues et tombent de son
menton.
— Ares, j’interviens pour le calmer.
— Non.
Il secoue la tête.
— Après des années de toute cette merde, c’est maintenant que tu te
rends compte qu’on existe ?
Derrière ses paroles dures, je décèle sa tristesse. C’est sa façon de réagir :
il cache sa peine derrière des mots cruels. Les yeux déjà rouges de notre
mère se remplissent de larmes.
— Ne pleure pas, lui ordonne Ares, tu n’as pas le droit de fondre en
larmes, tu n’as pas le droit de…
Sa voix s’étrangle à cause des émotions qu’il tente de réprimer.
— Putain, qu’est-ce qui t’a pris si longtemps ? Si seulement tu avais
réalisé tout ça avant, si…
— On ne peut pas vivre avec des « si », Ares, je lui fais remarquer.
J’essaie de ramener son attention sur moi.
— Les erreurs commises, les gens qui ont été blessés… tout ça, c’est du
passé, on ne peut pas revenir en arrière.
Mon ton est plus froid que je ne le voudrais. C’est ma méthode de
protection : masquer mes sentiments derrière un écran de froideur. Un
sourire triste se dessine sur mes lèvres, car Ares et moi nous ressemblons
plus que je ne le pensais.
— C’est bon, Artemis, m’assure ma mère en séchant ses larmes. Il a le
droit de se défouler. Ares, mon fils, tu peux m’insulter, dis-moi ce que tu as
sur le cœur, je le mérite.
Ares ne dit plus rien, il enfouit son visage dans ses mains. Mon père
reprend la parole :
— Vous pourrez rendre visite à votre mère quand vous le voulez et elle
pourra venir vous voir ici quand elle en a envie. Votre mère et moi
comptons maintenir une relation courtoise, même si nos chemins se
séparent.
Je réponds au nom de mes frères, qui sont incapables de le faire :
— Nous comprenons. C’est bien que vous gériez la séparation d’une
manière aussi mature et pacifiste.
Maman se lève.
— Il faut que je commence à emballer mes affaires.
Mon cœur s’étrangle, mais je m’efforce de lui sourire.
— Je suis désolée, les enfants, j’espère sincèrement que vous trouverez
un jour la force de me pardonner.
Elle quitte le bureau et nous restons là, sans rien dire.
Ares, frustré, se masse le visage ; Apollo tente de contenir ses larmes et
mon père se contente de nous adresser un sourire triste.
— Je vous dois des excuses aussi, ce n’est pas entièrement la faute de
votre mère. C’est moi qui ai décidé de rester avec elle malgré tout ce qu’il
s’est passé. Je suis autant à blâmer qu’elle de ne pas être parti quand
j’aurais dû.
Je le rassure :
— Ce n’est rien, papa.
Ares se lève et s’en va sans un mot. Mon père s’assied à côté d’Apollo
pour le réconforter. Je dois sortir. Je quitte le bureau et je monte dans ma
chambre. Les personnes qui sont dans le salon me suivent des yeux, mais je
ne me retourne pas. Une fois dans ma chambre, je me laisse tomber sur le
lit. Je me passe la main sur le visage, puis dans les cheveux. L’image de ma
mère bouleversée me hante. La porte s’ouvre et Claudia entre. Elle
m’observe avec inquiétude avant de refermer derrière elle. Je détends mes
épaules. Je peux me laisser aller : avec elle, je n’ai pas besoin de dissimuler
quoi que ce soit.
Elle s’approche lentement et s’arrête devant moi.
— Ça va ?
Je la prends par les hanches et l’enlace, posant mon visage contre son
ventre. Son odeur m’apaise.
— Je vais être un bon père, je lui promets, parce c’est la vérité. Je vais
faire de mon mieux, Claudia, je te le jure. Pour que mon bébé n’ait pas à
traverser ce que j’ai vécu ni ce que sa mère a subi.
Claudia me caresse doucement la tête.
— Bien sûr que tu seras un bon père, Artemis.
Aimer cette femme et faire de mon mieux pour élever mon bébé sont mes
objectifs, maintenant et pour toujours, car je ne peux pas changer le passé
ou effacer les blessures, mais je peux contribuer à ce que notre avenir soit
différent.
37. Je me ronge les sangs
CLAUDIA
Les hôpitaux.
J’ai réussi à les éviter toute ma vie, sauf lors de mon opération de
l’appendicite et le jour où grand-père a eu son AVC. Maintenant que je suis
enceinte, je suis bien bien obligée de m’y rendre. Les rendez-vous chez la
gynécologue et les échographies vont faire partie de ma routine. Je me sens
malgré tout mieux préparée et plus calme que je ne m’y attendais. Artemis,
en revanche, c’est une autre histoire. Il fait les cent pas dans la salle
d’attente, se passe la main dans les cheveux, desserre sa cravate et
recommence juste après… Je finis par soupirer.
— Artemis, tu peux t’asseoir ? je lui demande gentiment avec un sourire.
Il s’arrête devant moi, sa poitrine se gonfle tandis qu’il prend une
profonde inspiration, puis il expire bruyamment. Ses beaux yeux bruns me
scrutent, comme s’il avait besoin de s’assurer que mon visage est apaisé
pour se calmer. Je ne comprends pas pourquoi il est si nerveux, peut-être
que le voir dans cet état me permet de rester sereine. On ne peut pas se
permettre d’être tous les deux sur les nerfs et, maintenant que j’y pense, j’ai
toujours mieux géré mes émotions que lui. Artemis se contente de les
dissimuler pour ne pas devoir les affronter ou les laisser devenir ingérables,
comme en cet instant.
— Je t’en prie, j’ajoute.
Il se laisse tomber sur la chaise à côté de moi.
— Comment est-ce que tu fais pour être aussi détendue ?
Je lui prends la main et je me tourne vers lui.
— C’est le premier rendez-vous. Ça va aller.
— C’est moi qui devrais te dire ça, et regarde-moi, je me ronge les sangs.
— Mais non.
Je lui caresse la joue. Ses lèvres m’attirent irrésistiblement dès que je
m’approche. Je l’embrasse. J’adore pouvoir le faire quand j’en ai envie. Je
n’ai plus besoin de me retenir, de cacher à quel point je l’aime, combien je
l’ai toujours aimé. Je suis libre d’attraper Artemis Hidalgo par la cravate et
de l’embrasser à pleine bouche. Quand nous nous écartons, il rouvre
lentement les yeux.
— Tu aurais dû utiliser tout de suite cette méthode-là pour me calmer.
— Ne t’y habitue pas.
— Claudia Martinez, lance une infirmière depuis le seuil d’une porte.
Nous nous levons et marchons vers le bureau de la docteure Diaz.
L’infirmière nous guide et nous franchissons une deuxième porte pour
entrer. La docteure Diaz, une femme d’une quarantaine d’années aux
cheveux noirs et aux yeux sombres, nous accueille avec chaleur. Ses yeux
s’attardent un peu plus longtemps sur l’homme qui m’accompagne. Je la
comprends : Artemis est dangereusement séduisant.
— Ravie de vous rencontrer.
Elle nous serre la main à tous les deux.
— Je suis Paula Diaz et je suis très heureuse que vous m’ayez choisie
pour cette étape importante de vos vies. Claudia, c’est ça ?
Je hoche la tête et la gynécologue porte à nouveau son attention sur
Artemis.
Il se présente d’un ton cordial :
— Artemis Hidalgo.
— Hidalgo ? répète-t-elle sans masquer sa surprise. De la société
Hidalgo ?
— Exactement.
— Oh. Asseyez-vous, s’il vous plaît.
Elle passe derrière son bureau et nous nous installons face à elle.
— Bien, commence-t-elle en examinant les documents que j’ai remplis,
tout d’abord, félicitations pour votre grossesse, Claudia. D’après les
informations que vous avez fournies, vous en êtes à huit semaines. Nous
allons effectuer un bilan sanguin, puisque j’ai vu dans votre dossier que
vous aviez été admise aux urgences pour une petite anémie il y a quelques
jours.
— Oui, elle a perdu connaissance, précise Artemis.
— Comment vous sentez-vous, Claudia ?
— Bien, j’ai juste des nausées de temps en temps.
Et mes seins sont douloureux, mais, comme je suppose que c’est normal,
je ne le mentionne pas.
— Nous allons nous assurer que vous n’avez pas de carences et réaliser
une échographie pour confirmer que tout est en ordre.
Elle se lève.
— Passons à côté, où nous pourrons faire les examens.
J’entre et je m’allonge sur la table à côté de l’appareil à ultrasons, qui est
relié à un écran assez large. Artemis s’assied à côté de moi et me serre la
main. La docteure Diaz enfile des gants, étale du gel sur mon bas-ventre, et
je prends une profonde inspiration. Je scrute l’écran avec impatience.
— Le voilà, annonce-t-elle.
J’échange un regard avec Artemis, parce que je ne vois que du gris et du
noir. La gynécologue nous sourit et nous indique un cercle microscopique.
Je plisse les yeux pour tenter de mieux voir tandis qu’elle agrandit l’image.
— Il est trop tôt pour l’examiner à l’échographie. Cependant, comme
vous avez fait de l’anémie, je veux m’assurer que tout se passe bien,
explique-t-elle en poursuivant ses vérifications.
Artemis fixe l’écran comme s’il était hypnotisé. Ça me fait sourire, mais
je me remets à observer l’image moi aussi.
— Voici le sac gestationnel et, à l’intérieur, on peut voir le petit embryon
qui est en train de se former.
Une étrange sensation envahit ma poitrine, et, pour la première fois
depuis que j’ai appris la nouvelle, je ressens un bonheur absolu. Je ne peux
pas aimer mon bébé si rapidement, ce n’est pas possible. Pourtant, c’est
comme si le voir changeait tout.
— Tu es un petit cercle, mon bébé.
— Bon, tout semble normal, conclut la docteure Diaz en retirant ses
gants.
Nous regagnons son bureau et nous nous asseyons.
— Je vous prendrai un rendez-vous demain pour les analyses de sang.
Pour l’instant, continuez à prendre les vitamines que le médecin vous a
prescrites et mangez équilibré, m’explique-t-elle avec un sourire. Je vous
reverrai dans deux semaines pour vérifier que tout se passe bien. Encore
une fois, félicitations, madame Hidalgo.
Mon sourire se fige avant de se former. Mme Hidalgo ? Artemis et moi
levons les mains et répondons en même temps.
— Nous ne…
— Nous ne…
Nous nous figeons tous les deux pour nous regarder. Je me sens rougir.
— Nous ne sommes pas mariés, je corrige avec un sourire crispé.
— Oh.
La docteure Diaz rougit à son tour.
— Je suis vraiment désolée, je n’aurais pas dû considérer cela comme
acquis.
Un silence gênant s’installe et je me lève dès qu’elle m’a remis le papier
pour le rendez-vous du lendemain. Nous nous empressons de sortir.
CLAUDIA
Au cinquième mois, mon ventre est visible et mon stage dans la société
Hidalgo a pris fin. Artemis a quitté son poste de directeur et l’a délégué à
son meilleur ami, Alex. Il est libre et peut se consacrer à ce qu’il souhaite. Il
supervise des entreprises qu’il a créées de sa propre initiative et je l’ai
convaincu de prendre des cours de dessin pour renouer avec sa passion.
Nous pouvons enfin aller chez la gynécologue pour connaître le sexe du
bébé. La docteure Diaz est très émue pour nous et, quand nous rentrons de
la consultation, toute la famille nous attend dans le salon. Grand-père, ma
mère, M. Hidalgo, Apollo et… Ares en appel vidéo, depuis la tablette posée
sur une table au milieu de la pièce.
— Alors ? me demande ma mère.
— C’est une fille !
Je l’annonce avec enthousiasme parce que je sais que, même si personne
n’a osé le dire à voix haute, tout le monde croisait les doigts pour que ce
soit une fille.
— Je le savais !
Grand-père sourit et fait un check à Apollo.
— Une fille Hidalgo !
— Youpiiiiii ! s’exclame Ares depuis la tablette. Apollo, tu me dois vingt
dollars.
Je me tourne vers Apollo.
— Vous avez parié ? Sérieux ?
Il hausse les épaules.
— C’était l’idée d’Ares.
Je m’approche de l’écran pour lui dire :
— T’es vraiment un imbécile.
Ares me sourit.
— Tu sais très bien que tu m’aimes.
Il m’adresse un clin d’œil et je me redresse en levant les yeux au ciel.
Maman me serre dans ses bras et le père d’Artemis s’approche de moi,
les mains dans les poches de son élégant pantalon.
— Tu entres dans l’histoire des Hidalgo. C’est la première fille de la
famille. Mes frères n’ont eu que des fils.
— Ma première arrière-petite-fille, intervient grand-père. Vous avez déjà
commencé à préparer sa chambre ?
— Ils l’installeront dans une de celles qui sont libres à l’étage, commence
à dire Juan Hidalgo. Ah, mais les escaliers poseront problème, non ?
Artemis et moi nous regardons.
— Nous… nous n’avons pas…
— Vous allez vivre ici, je suppose ? déclare grand-père d’un ton
interrogateur.
L’inquiétude se lit sur son visage.
— Cette maison est immense et, en plus, je pense que les grands-parents
aimeraient être près de leur petite-fille, ajoute-t-il en désignant ma mère et
mon beau-père.
— Nous n’en avons pas discuté, grand-père, répond Artemis.
Je me sens un peu mal à l’aise. Comment se fait-il que nous n’y ayons
pas encore réfléchi ?
Nous discutons encore avec les autres un moment avant de monter dans
la chambre d’Artemis. Je m’étire en bâillant, puis je m’assieds sur le lit. Je
suis épuisée ces derniers temps, alors que je ne fais plus rien. J’ai terminé
mon stage et les Hidalgo ont engagé une jeune femme pour s’occuper de la
maison parce que, évidemment, Artemis ne me laissait rien faire. Je ne me
plains plus qu’il me surprotège : je suis tellement fatiguée sans rien faire
que je ne peux pas imaginer dans quel état je serais si je m’occupais encore
du ménage, des repas et de tout le reste.
Artemis déboutonne sa chemise et l’enlève, et je reste pâmée
d’admiration devant lui. Les hormones me rendent insatiable ces derniers
temps. Il se penche, m’embrasse doucement et caresse mon visage. J’attrape
sa nuque et je le tire jusqu’à ce qu’il soit allongé sur moi.
— Encore ? murmure-t-il contre mes lèvres.
— Tu te plains ?
— Non, pas du tout.
4 juillet
Pour la première fois depuis des mois, Artemis et moi sommes seuls.
Hera est restée à la maison avec ses grands-parents, qui sont ravis de
s’occuper d’elle. Je pense que c’est la première fête nationale que nous
passons tous les deux depuis cette fameuse soirée où j’ai été forcée de
repousser Artemis à cause de sa mère.
Nous nous sommes rendus sur une belle plage isolée, à quelques heures
de route de chez nous. Nous sommes assis sur le sable, la lune magnifique
se détache sur le ciel sombre et se réfléchit à la surface de la mer. Quelques
personnes s’attardent sur la jetée. Le vent rejette mes cheveux en arrière. Je
regarde l’homme qui est à côté de moi.
— C’est un endroit magnifique, dis-je.
Je pose la tête sur son épaule et je réalise qu’il frissonne. Je me redresse.
— Tu as froid ?
— Non, pas du tout.
Je fronce les sourcils.
— Tu trembles.
Il me désigne la jetée sans me regarder. Des feux d’artifice viennent de
commencer, ils s’élèvent au-dessus des flots avant d’exploser en milliers de
couleurs. Le spectacle me laisse bouche bée, c’est d’une beauté à couper le
souffle. Je me lève pour me rapprocher instinctivement des fusées. C’est
tellement le genre d’Artemis de me préparer une surprise comme ça. Je
remarque qu’il me suit.
— C’est magnifique, je murmure en me tournant vers lui. J’adore,
c’est…
Je m’interromps quand je le vois poser un genou dans le sable, devant
moi. Je me couvre la bouche de surprise, car je ne m’attendais pas le moins
du monde à ça.
— Claudia, commence-t-il, je ne suis pas doué avec les mots, mais ce
soir, sous ce feu d’artifice, je vais faire de mon mieux. J’ai grandi avec toi,
tu as été mon amie, mon soutien et mon premier amour.
Je le revois tout à coup en train de me tirer la langue au cours d’une
dispute quand nous étions petits.
— Nous avons traversé beaucoup d’épreuves ensemble, poursuit-il.
Je me souviens de toutes les fois où il m’a aidée lorsque j’étais
somnambule ou que j’avais peur du noir, des fois où j’ai nettoyé ses
blessures quand il s’était battu, de la façon dont il me défendait dès qu’on se
moquait de moi à l’école, du calme dans ses yeux bruns alors qu’il me disait
Je crée un espace pour toi.
— Le chemin n’était pas facile et le parcours était semé d’embûches,
mais nous sommes ensemble depuis un peu plus d’un an et nous avons
accueilli notre précieuse Hera, déclare-t-il d’une voix chargée d’émotion. Je
n’ai aucun doute sur le fait que c’est avec toi que je veux passer le restant
de mes jours, avec toi que je veux fonder un foyer. Pour moi, ça a toujours
été toi.
De grosses larmes roulent sur mes joues.
— Et donc moi, iceberg, Superchat et homme éperdument amoureux, je
te pose une simple question aujourd’hui, le 4 juillet : veux-tu m’épouser ?
Il me tend un écrin ouvert sur une bague. Je retire la main de ma bouche
et je souris à travers une cascade de larmes.
— Oui, bien sûr que je veux.
Je me penche sur lui et je l’embrasse. Le feu d’artifice continue de
résonner dans le ciel nocturne et nous illumine. Quand je m’écarte, il glisse
la bague à mon doigt et m’embrasse. C’est un baiser plein d’émotion,
d’amour, de promesses. Il s’arrête et pose son front contre le mien.
Ses yeux plongent dans les miens.
— Tu ne me repousseras pas cette fois, hein ? plaisante-t-il.
Pour toute réponse, je caresse son visage, effleurant sa barbe légère, et je
l’embrasse avec fougue.
Épilogue
Mes lunettes noires me protègent du soleil implacable qui tape sur cette
plage de Caroline du Sud. J’aime sentir la chaleur des rayons sur ma peau.
Le son des vagues est tellement apaisant. Je suis allongée sur le sable pour
bronzer.
J’avais besoin de ces vacances. Gérer ma propre agence de publicité en
plus de toutes les fondations que j’ai créées avec l’aide d’Artemis m’épuise
et ne me laisse pas beaucoup de temps libre. Toutefois, je veille à passer le
plus de temps possible avec ma famille, en particulier avec mes enfants et
mon mari. Et les vacances d’été sont sacrées.
— Maman !
Hades, mon fils, court vers moi, des coquillages empilés dans ses petites
mains couvertes de sable. Ses cheveux roux mouillés collent autour de son
petit visage. La lumière du soleil rend ses yeux couleur de miel plus clairs
et les taches de rousseur sur ses pommettes ressortent.
— J’en ai trouvé plein, cette fois-ci ! s’exclame-t-il.
Sa grande sœur le rejoint, les bras croisés, avec une moue agacée.
Parfois, j’ai l’impression qu’elle se comporte comme une mini-adulte. Je
me soulève sur les coudes et je souris.
— Waouh, tu en as ramassé beaucoup.
Il aime collectionner des objets venant de chacun des lieux que nous
visitons. Sa chambre est remplie de souvenirs des pays où nous avons
séjourné.
— Il faut que tu choisisses ceux que tu préfères pour ta collection.
— Comme s’il n’avait pas déjà assez de trucs dans sa chambre,
commente sa sœur.
Je la regarde.
— Hera !
— C’est vrai, maman, on ne peut plus ouvrir complètement la porte.
— Tu exagères.
— Je lui ai demandé son avis, maman, et comme d’habitude elle râle,
déclare Hades d’un ton accusateur.
Je me demande de qui elle tient ça…
— C’est moi qui râle ?
Et une dispute commence. Je les calme et nous discutons une fois de plus
du respect et de la tolérance entre frère et sœur. Hera soupire.
— Je suis désolée, petite flamme.
Elle le surnomme comme ça à cause de la couleur de ses cheveux.
— C’est rien, répond-il, mais il fait la moue.
Il est tellement adorable quand il fait cette tête-là qu’il ferait fondre
n’importe qui, même sa sœur grincheuse. Hera se penche sur lui et lui
ébouriffe gentiment les cheveux.
— Je vais t’aider à choisir les plus beaux, promet-elle.
— Les plus beaux ?
Il cesse instantanément de bouder et la joie irradie sur son visage. Hades
est magnifique, ils le sont tous les deux, mes bébés, mes enfants. Ils
retournent au bord de l’eau et croisent leur père.
Mon mari vient de sortir de l’eau. Il se bonifie avec les années. Comment
parvient-il à être encore plus sexy avec l’âge ? Ce n’est pas normal. Il fait
encore de la musculation tous les jours. L’eau ruisselle sur ses pectoraux,
sur ses tablettes de chocolat et sur ses biceps musclés. Cette barbe légère
que j’aime tant recouvre toujours sa mâchoire ciselée. Il secoue la tête pour
chasser l’eau de ses cheveux avant d’y passer la main. Je me mordille la
lèvre en pensant que je vais lécher ces abdos plus tard, quand les enfants
seront endormis.
Artemis me rejoint, m’embrasse et s’assied à côté de moi.
— Quand tu me dévores des yeux avec cette expression, c’est évident
que tu penses au sexe, Claudia.
Je souris.
— Tu t’en plains ?
— Non, pas du tout.
Il approche sa bouche de mon oreille :
— En fait, je me disais que quand les petits seront couchés…
Nous avons le même objectif, comme toujours. À cause de nos
nombreuses responsabilités, de son entreprise, de la mienne, des enfants,
des fondations… parfois le temps passe sans que nous partagions des
instants d’intimité et nous ne nous en rendons pas compte jusqu’à ce que
nous soyons consumés par le désir de faire l’amour. Je suppose que c’est ça,
être adulte.
— Il est tard, on ferait bien de rentrer à l’hôtel et de se changer pour aller
voir le feu d’artifice, me rappelle Artemis en caressant mon dos nu.
Mon maillot de bain est un deux-pièces, je n’ai pas peur de montrer les
cicatrices de ma césarienne et de mon appendicite. Ni mes vergetures. Je
remercie ma mère de m’avoir appris à m’aimer telle que je suis.
Ma chère maman est décédée il y a quelques années. Elle a vécu
beaucoup plus longtemps que ce que les médecins avaient prédit, et je pense
que la naissance d’Hera puis celle d’Hades lui ont donné beaucoup de force.
Ses petits-enfants ont stimulé son envie de vivre jusqu’à ce qu’elle ne
puisse plus tenir. Je suis réconfortée de savoir qu’elle a profité de ses
dernières années avec ses descendants et qu’elle en était heureuse.
J’espère être une bonne mère comme toi, maman. Même si tu as commis
des erreurs, tu m’as donné énormément d’amour, tu m’as fait comprendre
l’importance de l’amour-propre et tu m’as appris à connaître ma valeur.
J’espère que je ne te décevrai pas.
— À quoi penses-tu ?
Artemis passe le bras par-dessus mon épaule pour me serrer contre lui.
— À maman.
Il m’embrasse sur le sommet de la tête et je chasse ma tristesse. Nous ne
sommes pas en vacances ici pour ça. La tradition de venir sur cette plage
pour célébrer le 4 juillet est née il y a cinq ans. Les Hidalgo viennent de tout
le pays pour se retrouver et passer du temps ensemble, au moins une fois
par an. C’était l’idée de grand-père, qui voulait rapprocher ses enfants et
leurs descendants. Ça a marché.
Nous appelons Hera et Hades et retournons à l’hôtel pour nous laver et
nous changer.
Nous avons du mal à empêcher notre fils de s’endormir dans le canapé
après le bain. La tradition veut que nous soyons tous là pour admirer le feu
d’artifice. Nous descendons sur la plage où le spectacle est organisé et nous
nous installons sur des chaises pliantes. Hades est sur mes genoux et Hera
se poste à côté de son père et l’enlace par-derrière pour s’appuyer sur lui.
Le feu d’artifice commence droit devant nous.
— Waouh ! s’émerveille Hades.
Il me regarde pour s’assurer que je ne rate pas ça.
— C’est impressionnant, hein ? lui dis-je.
Il hoche la tête avec enthousiasme.
Je me retourne pour admirer l’homme de ma vie et le reflet des
explosions colorées sur son beau visage. Comme s’il sentait que je
l’observe, il me regarde aussi, et à ce moment-là nous redevenons les
adolescents nerveux de ce 4 juillet, il y a tant d’années de cela.
Artemis prend ma main et la soulève pour l’embrasser.
— Joyeuse fête nationale, volcan, murmure-t-il.
— Joyeuse fête nationale, iceberg.
Je n’aurais jamais imaginé que ce soit possible d’être aussi heureux, que
nous puissions nous retrouver un jour et que les sentiments que nous avions
l’un pour l’autre soient intacts.
Je serre sa main, émue. Cette fois, je ne la lâcherai pas.
Quelles que soient les blessures et quel que soit le temps que ça
demande, nous avons tous la capacité d’aimer et d’être aimés. Et, même si
la vie nous fait parfois traverser des hauts et des bas, tôt ou tard, tu
trouveras la personne qui te tiendra la main dans les bons et les mauvais
moments, cette personne qui sera capable de voir à travers toi.
Chapitre bonus
ARES HIDALGO