Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
1
Ma haine
2
Je choisis plus
3
Ian
4
Expérimentons !
5
Divergence de point de vue
6
Ma décision
7
Entre amour et amitiés
8
2402KM
9
Le déni
10
La colère
11
Marchandage
12
La dépression
Laurène Bel
À cœur de mafia
L’indignée
Tome 2
DU MÊME AUTEUR
ISBN : 978-2-37764-277-9
Née en Provence, Laurène Bel y vit toujours. Aujourd’hui, elle est en 4ème
année d’école de commerce.
Si, au début, les chapitres sont courts, Laurène est encouragée par les lecteurs
de fanfiction.net. La rencontre virtuelle avec sa bêta va ensuite booster son
écriture.
18
2 21
3 38
4 65
5 81
6 103
7 123
8 142
9 178
10 200
11 224
12 238
À nos merveilleuses années,
au sommet du monde
1
Ma haine
Kate
Never say goodbye, because saying goodbye
means going away and going away means forgetting{1}.
J. M. Barrie
Le père de Daniel. George Barish. Oh bon sang ! C’est cet homme qui a
massacré mon frère, le meilleur ami de son propre fils. C’est lui qui a détruit
mon père, fait souffrir ma mère et a changé ma famille. C’est à cause de cette
pourriture que j’ai grandi enfermée et dans le secret depuis toujours. Il était
responsable de tout ça ! Sans lui, j’aurais eu une enfance normale, mon père et
moi aurions été proches. Jamais il ne se serait fait enlever. Il aurait su garder la
tête sur les épaules dans le cadre de son travail...
Ma haine est grande, très grande envers cet homme ! Je veux qu’il meure ! Je
veux qu’il paye pour tout ça, pour toutes les vies qu’il a prises. Pour Ian, pour
mon père, pour Daniel et surtout pour moi-même. Il mérite de payer, de
disparaître. La rage au ventre, je sens mes membres se contracter et ma mâchoire
se crisper. Il faut que ça sorte, il faut que ma colère s’exprime.
À ces mots, mon sang ne fait qu’un tour. Je dois agir, je dois exterminer cette
pourriture. D’un geste vif, je soulève la veste en cuir de mon patron, tire l’arme
qui dépasse de sa ceinture, et, sans réfléchir, je cours jusqu’à son père en laissant
échapper un cri de rage. Une fois à bout de bras, je tends le flingue pour le
pointer contre sa poitrine. Sans que je n’ai le temps de faire quoi que ce soit de
plus, il saisit mon poignet avec une vitesse hallucinante et le tord brusquement.
Il me fait si mal que je ne peux retenir le pistolet. L’arme s’écroule bruyamment
au sol et il me fait tourner sur moi-même, le bras tordu dans mon dos.
— Ahhh ! hurlé-je de douleur tandis qu’il saisit le deuxième et fait plier mes
genoux avec un violent coup de pied.
Une fois mes genoux au sol, il pousse le reste de mon buste par terre, toujours
en maintenant fermement mes bras dans mon dos, jusqu’à ce que mon buste à
son tour vienne s’écraser sur le gravier. Je n’ai pas le temps d’essayer de me
relever, il a déjà appuyé son pied sur ma nuque. Je gémis douloureusement en
tentant de me défaire de sa prise. En vain…
Il explose d’un rire à vous glacer le sang. Je me débats vainement, tandis que
Daniel semble se retenir d’intervenir physiquement.
— C’est un joli petit agneau que nous avons là. N’essaie pas de jouer les
tigres avec moi, je te prie.
— Lâche-la ou…
— Lâche-la immédiatement. Elle est avec moi, George ! réplique Daniel d’un
air sombre en avançant vers nous.
— Non ! C’est une Maslow, bordel ! Son père a buté ton oncle ! Ça devrait
quand même te faire quelque chose, non ?
— Oui, et toi, son frère ! Tu t’es vengé, les comptes ont été réglés !
— Peu importe, tu as déjà de la chance qu’elle n’ait pas une balle entre les
deux yeux à l’heure qu’il est. Même si les comptes ont été réglés, un Maslow
n’aura jamais sa place chez les Barish, tu entends ! Tu vas vite fait te débarrasser
de cette pute, ou je te jure que je le ferai, avertit George, toujours en colère et en
exerçant de plus en plus de pression sur ma nuque.
Ils parlent tous les deux de moi comme si je n’étais pas là. Pire encore, Daniel
parle de moi comme si j’étais sa chose, sa propriété, juste un agent dont il
détenait la vie. Elle est loin notre après-midi idyllique... Et notre petit conflit
dans Central Park me semble ridicule à côté de celui-ci. La partie rationnelle de
mon esprit tente de me convaincre qu’il s’exprime ainsi parce qu’aux yeux de
son père je ne dois guère être traitée différemment des autres. Il ne peut montrer
son affection ou ses faiblesses. Il doit prouver qu’il est le chef et qu’il nous
contrôle tous. Cependant, mon cœur ne peut s’empêcher de se sentir blessé, trahi
et humilié par ses mots excessifs.
Tous ces hurlements ont dû réveiller les membres du clan et je les imagine
déjà, leur flingue à la main, attendant simplement la confirmation de leur chef
pour le pointer sur ce salaud.
Daniel fixe son père d’un air interdit. Son silence est parlant : « lâche-la sinon
oui, il y aura un problème ».
George semble prendre conscience que son fils est sérieux et qu’il ira jusqu’au
bout s’il y est forcé.
— Bien, lâche froidement George, comme tu veux, fiston.
— Après tout, c’est toi le chef, rajoute son père avant de faire demi-tour pour
retourner vers son véhicule.
De dos, George ne voit pas son fils se précipiter sur lui. De la même manière
qu’il l’a fait pour moi, il frappe l’arrière de ses genoux avec son pied pour le
faire s’agenouiller au sol.
Tout se passe très vite puisqu’une fois mon agresseur au sol, l’homme de main
de Daniel inflige quelques violents coups de crosse au visage de George.
J’entends mon bourreau s’écrouler au sol, pas très loin de moi. Daniel imite alors
les gestes de son paternel en lui infligeant des coups de pieds dans l’estomac.
Comme moi, je l’entends gémir et tousser jusqu’à en perdre haleine.
Soudain, Daniel s’éloigne sans un regard pour moi. Il s’arrête cependant sous
le porche, près de Peter, et me désigne d’un mouvement de tête.
— Occupe-toi d’elle. Ne la lâche pas tant qu’elle ne s’est pas endormie, lâche
froidement notre patron, comme s’il s’agissait d’une formalité.
Ça fait encore plus mal. La douleur physique n’est rien à côté de la souffrance
émotionnelle que ses actions me font ressentir. Soit il m’en veut, soit encore une
fois, il ne souhaite pas faire de différence devant ses hommes. Mais comment
peut-il être si sincère et si proche de moi un instant, puis si froid et distant
l’instant d’après ? M’apprécie-t-il autant qu’il l’a dit cette après-midi ? Comment
peut-il me laisser là ? Dans ce moment où, particulièrement, j’ai besoin de lui.
Je sens un torrent de larmes brûler mes joues tout en fixant le ciel, le regard
vide. Je sens à peine Peter me soulever avec sa tendresse habituelle et me porter
jusqu’à ma salle de bain où il me dépose gentiment sur le sol.
Je ne veux pas qu’il me quitte, j’ai besoin qu’il reste à mes côtés. Il est la
seule présence que je peux supporter dans de telles circonstances.
— Reste tranquille, Kate, me calme mon ami en appuyant doucement sur mes
épaules, ça risque d’être un peu douloureux pendant quelques jours. Dis-moi
plutôt comment s’est passé ton rendez-vous avec Daniel ?
— Bien sûr, ricane-t-il, je sais tout. D’ailleurs, tout le monde est au courant.
On vit tous dans la même maison, je te rappelle et les nouvelles vont vite. On la
joue discret parce que Daniel ne voudrait pas qu’on se mêle de sa vie privée. Il
croit qu’on ne voit pas la différence entre la manière dont il nous traite et la
manière dont il te traite, mais il se trompe. Heureusement, ça ne dérange
personne. La plupart sont contents de voir que notre patron montre un peu
d’affection envers une femme, ça n’est jamais arrivé.
Je suis soulagée qu’il ne soit pas en colère. Je note mentalement que si Daniel
n’a jamais eu d’attachement sérieux avec une femme, il est naturel qu’il ne sache
pas comment s’y prendre. Nous ne sommes pas si différents sur ce point-là.
— Bien sûr. Je te rappelle qu’on vit tous dans la même maison et que les
rumeurs vont vite. Alors, raconte !
Il me sourit.
— C’était bien. Très bien même ! Elle est vraiment géniale comme fille :
gentille, pleine de vie, drôle et créative quand on apprend à la connaître... J’ai
très envie qu’on remette ça, sourit-il, rêveur.
Au moins une personne qui a passé une bonne soirée… Je ne pensais pas que
Haley réussirait à l’envoûter dès le premier rendez-vous. Mais après tout, elle a
réussi à gagner mon amitié dès notre première rencontre, alors ce n’est pas si
surprenant, finalement.
**
Le lendemain, je n’ai toujours pas de nouvelles de Daniel. Cette fois c’est sûr,
il m’en veut. Tant mieux : moi aussi ! Il n’a pas été foutu de me défendre et
d’être là pour moi. La seule chose qui me remonte le moral est la présence de
mes amis dans la maison qui, les uns après les autres, sont venus me changer les
idées et prendre de mes nouvelles.
Ma mère a appelé également. Elle désire me voir. Après son enlèvement, elle
n’a pas eu de mes nouvelles. J’avais refusé, toujours fâchée contre elle. Je suis
néanmoins rassurée de l’avoir au téléphone et d’apprendre qu’elle n’a rien subi
de grave.
Dans l’après-midi, j’ai rendez-vous avec Adriel et Harry, les hommes de mon
père, dans une de leur maison dans le Queens afin de régler quelques détails
techniques et d’élaborer un plan pour sauver Andrei. Je souhaite aussi
secrètement leur parler de mon projet d’éliminer George Barish.
Le soir venu, je vais rejoindre Haley à la villa pour profiter d’elle. En effet,
elle passe sa dernière soirée avec nous, puisque dès demain elle décolle pour
Paris. Elle commence son rêve : travailler dans le monde de la mode. La styliste
Lou Venitie lui a offert un poste en France pour travailler à ses côtés. Elle le
mérite amplement et je suis ravie pour elle, bien qu’un peu triste de la voir partir.
J’en profite pour la serrer dans mes bras et réalise à quel point je suis contente
de l’avoir connue et d’avoir pu l’aider. Elle est vraiment formidable, attachante
et d’une générosité sans faille. Avant que je ne puisse lui répondre, c’est avec
surprise que je vois George et Daniel arriver dans la pièce principale. Qu’est-ce
qu’il fait là ? Il n’a pas compris qu’il n’est plus le bienvenu ici ? Et surtout que
fait-il avec Daniel après ce qu’il s’est passé ? Même si sa présence ici me déplaît
au plus haut point, je ne peux m’empêcher de me sentir satisfaite en constatant
les dégâts occasionnés sur son visage. Ces hématomes sont bien la preuve que
Daniel sait frapper !
Étrangement, son attention à lui n’est pas tournée vers moi. George scrute
Haley, comme s’il essayait de mettre un nom sur un visage. Les sourcils froncés,
il la regarde avancer vers lui avec stupeur. C’est quand je vois le visage de mon
patron se décomposer que je comprends. Et avant même que l’un de nous ne
puisse réagir, George commet l’irréparable.
Haley n’est pas au courant de ses liens de sang avec Daniel. Elle qui a
toujours rêvé d’une famille, c’est de la pire des façons qu’elle apprend qui elle
est.
Sans succès.
Il est hors de question qu’il lui mente à présent. Il ne peut pas le lui cacher
plus longtemps. Il ne le réalise peut-être pas, mais il vit dans le mensonge et il
l’impose à sa propre sœur. Elle ne devait pas l’apprendre de la sorte, mais je ne
le laisserai pas lui mentir plus longtemps. Haley vaut mieux que ça. De plus, elle
est désormais au courant de la véritable identité de son patron alors pourquoi le
lui cacher plus longtemps ? Par lâcheté, certainement. Je ne le tolère pas.
Elle compte sur moi pour être honnête avec elle et je ne vais pas la décevoir.
— Ne t’en mêle pas, toi non plus, tu en as bien assez fait. Je te demanderais de
nous laisser à présent, j’ai des problèmes internes à régler, dit-il d’un calme
austère, les dents serrées en me fixant d’une sévérité que je ne connais que trop
bien.
— Les secrets nous détruisent, Daniel, je suis bien placée pour le savoir. Je ne
te laisserai pas infliger ça plus longtemps à ta sœur, expliqué-je pour briser le
silence.
— Ce n’est pas à moi de le faire. Je suis désolée de ne pas te l’avoir dit, mais
j’ai voulu respecter son secret. Désormais, tu connais sa véritable identité et que
tu le veuilles ou non, tu es impliquée dans cette mafia. Il n’y a donc plus aucune
raison que tu restes dans l’ignorance. Désolée Daniel... Je vais vous laisser entre
vous à présent.
Sans attendre leur réponse, je me dirige vers mon bureau. Daniel m’interpelle
en partant :
— Nous avons également des choses à régler tous les deux. Je n’oublierai pas
de passer te voir, ne t’inquiète pas.
Je choisis plus
Kate
L’amour n’est ni raisonnable, ni raisonné.
C’est une évidence, une intuition.
Anne Bernard
Les heures passent. Il doit bien être 4 heures du matin et toujours impossible
de trouver le sommeil. Je m’inquiète profondément pour Haley. Comment a-t-
elle pris la nouvelle ? Est-ce qu’elle m’en veut de le lui avoir caché ? Compte-t-
elle toujours partir malgré cette révélation ? Comment Peter va-t-il réagir en
apprenant qu’elle est la sœur de son patron ? C’en est trop ! Je ne suis pas prête
de m’endormir, alors autant obtenir mes réponses immédiatement.
La porte s’ouvre et je vois apparaître dans mon champ de vision des pieds.
Elle fait vraiment preuve de beaucoup de recul et d’une grande maturité face à
la situation.
— Comment ça ?
— Est-ce que Daniel a accepté son rôle de frère ? Il compte garder contact
avec toi ou est-ce qu’il s’est plutôt fermé ?
Je ne sais pas quoi lui dire. Je suis simplement contente qu’elle apprenne la
vérité même si cela la perturbe.
— Il s’est ensuite excusé de ne m’avoir rien dit auparavant. Il sait que ça n’a
pas dû être facile pour moi.
— C’est fou quand on y pense. Depuis le début, tu trouves que Daniel est trop
gentil envers moi. Tu pensais même que nous avions une relation parce qu’il se
montrait moins froid et plus protecteur avec moi. Ça aurait dû me mettre la puce
à l’oreille... Comment en as-tu eu la confirmation ? demande mon amie.
— J’ai d’abord trouvé une photo dans le portefeuille de Daniel qui le montrait
lui à côté d’un bébé. J’ai ensuite eu des doutes te concernant en voyant son
attitude protectrice envers toi. Surtout lors de notre altercation avec Scott. Il a
rendu son arme pour te protéger, parce qu’il avait vraiment peur de te perdre, me
rappelé-je. Ce n’était pas normal pour un homme de sa trempe. À la suite de ça,
nous nous sommes affrontés au poker. Celui qui perdait devait répondre à la
question de l’autre.
— Il m’a promis qu’il m’appellerait quand je serai à Paris. Il a aussi dit que
maintenant il ne pouvait plus faire comme si de rien n’était. Tu sais, je crois
vraiment qu’il n’arrive pas à exprimer ce qu’il ressent. C’est un homme plein de
contradiction. D’abord il ne veut pas m’avouer notre lien de parenté, puis
finalement il veut apprendre à me connaître en tant que sœur et garder contact
avec moi.
Moi aussi, je suis choquée ! Daniel lui a annoncé qu’il voulait construire une
vraie relation. Il tient vraiment plus à elle que je ne le pensais s’il a réussi à lui
ouvrir son cœur de la sorte.
— C’est juste que j’ai traversé pire. Dans le fond, il s’agit quand même là
d’une bonne nouvelle…
À presque 5 heures du matin, je rejoins mon lit, rassurée de voir que mon
amie tient le coup. Je dois avouer que je suis très surprise de la manière dont
Daniel s’est ouvert à sa sœur. C’est évident qu’il tient à elle même s’il ne sait pas
s’y prendre. Sinon pourquoi aurait-il continué de lui cacher qui il était même
après qu’elle ait découvert les activités illégales du groupe ?
C’est plus apaisée et sereine que je m’endors, bien que consciente que,
demain, Daniel m’attendra de pied ferme et se montrera beaucoup moins
accueillant avec moi.
— On ne vous attendez plus, Katerina ! Déjà que vous êtes en retard, vous
auriez au moins pu faire l’effort de mettre des vêtements dignes de ce nom, me
provoque publiquement Daniel.
— Même un chien est plus présentable. Vos parents ne vous ont-ils pas appris
à vous apprêter ?
Comment ose-t-il ?! Connard est le seul mot qui me vient à l’esprit. Comment
peut-il me rabaisser de la sorte et en plus de cela évoquer mes parents ? Ça ne va
pas se passer comme ça, je ne vais pas baisser les yeux et m’asseoir gentiment.
Je déglutis péniblement pour encaisser ses mots puis force un sourire sarcastique
sur mes lèvres.
Sans crier gare, je tire sur mon pantalon qui glisse jusqu’au sol. Je me retrouve
seulement couverte par une culotte devant au moins une quinzaine de personnes.
La première chose que je vois est l’incrédulité dans les yeux de Daniel. Il est
totalement choqué.
Tiens, prends ça !
Toi qui tiens tant au respect, là tu es servi. Jason et Peter bondissent de leur
chaise en grondant en chœur :
— Kate !
Mes deux amis arrivent vers moi et me tirent rapidement hors de la pièce. Ils
marchent d’une part et d’autre de moi tout en maintenant fermement chacun un
de mes bras.
— Sortez, messieurs, je vous prie, exige posément notre patron, les bras
croisés derrière le dos.
Ses gestes sont étrangement lents et ses pas vers moi particulièrement
menaçants. Tel un prédateur vers sa proie, sa démarche est féline et son regard
noir me fait immédiatement réaliser ce que je viens de faire. Une fois arrivé à ma
hauteur, il me balance mon bas de pantalon au visage, qu’il a vraisemblablement
récupéré dans la salle à manger. Je compte m’habiller, mais ma colère est
tellement forte que quand il me l’ordonne, je ne peux me résigner à lui faire ce
plaisir.
— Je pourrais faire bien pire, ne me tente pas, prévient-il tout aussi raide et
contracté que moi.
Ses mots me font trembler d’effroi. Je l’en crois parfaitement capable. Mais je
ne cède pas.
— Mais à quoi est-ce que tu joues putain, Kate ? rage-t-il, ses prunelles dans
les miennes.
— Alors c’est Kate maintenant ? ragé-je. Devant les autres c’est Katerina, et
en privé, c’est Kate ? Quoi que tu veuilles, il va falloir l’assumer, je ne compte
pas m’aplatir devant tes hommes pour qu’ils te respectent, c’est clair ? grondé-je
à mon tour.
— Je ne te demande pas ça, mais là tu vas beaucoup trop loin, tu dépasses les
bornes. D’abord hier avec mon père, ensuite avec Haley et maintenant devant
mes hommes !
— Avec ton père ?! C’est moi qui suis en tort avec ton père ? Bon sang,
Daniel, je me fais tabasser devant toi et tu t’en vas sans même t’assurer que je
vais bien. Et le lendemain je te vois sortir de ton bureau avec ce même homme.
C’est normal ça ? crié-je, verte de rage en me rappelant son comportement
lamentable.
— Il a tué mon frère ! Il est la cause de tous mes problèmes. Aurais-tu réagi
différemment si ça avait été ton cas, Daniel ? demandé-je en pointant un doigt
vers lui.
— Ce n’est certainement pas une raison valable pour prendre mon arme sans
prévenir et t’en prendre à lui. Il aurait pu te tuer, tu t’en rends compte ?
— Ça suffit maintenant, Kate. S’il n’y avait que ça ! Il a fallu que tu répliques
avec Haley aussi. Tu ne pouvais pas attendre que mon père parte ou d’en
discuter avec moi. Et maintenant, tu me défies ouvertement devant mes
employés. Pour qui te prends-tu, bon sang ?! s’écrie-t-il cette fois-ci.
— Ah, grogné-je quand ma joue râpe contre le mur. Et tu voulais que je fasse
quoi ? Que j’accepte que tu continues à mentir à mon amie. Ok, c’est vrai,
j’aurais pu t’en parler…
J’ai beau gesticuler, mais plus je bouge, plus il écrase son corps contre le
mien. Ça me pousse encore plus dans mes retranchements. Je ne veux pas qu’il
me touche.
— D’ailleurs, je suis désolé pour ce qu’il t’a fait, admet-il en baissant les yeux
et en posant délicatement sa main sur mon ventre comme s’il voulait effacer
l’hématome sous mon débardeur.
J’en frissonne.
— Tu dois faire un choix, Daniel. Soit je suis ton employée, soit je suis plus.
Si je suis simplement un agent pour toi, alors je me soumettrai, comme tout le
monde ici. Si je suis plus, alors j’agirai comme tel. Tu ne m’empêcheras pas
d’être qui je suis et de donner mon avis, décrété-je doucement, me décontractant
progressivement sous son toucher.
Son front est désormais presque collé au mien. Je hoche la tête en signe
d’assentiment, grisée par sa proximité.
Comme hypnotisée par ses mots et ses gestes, je l’observe incliner la tête et
effleurer délicatement mes lèvres. Je ne peux lui résister plus longtemps et fonds
comme neige au soleil dans ses bras. À l’instant où sa bouche se pose sur la
mienne, un feu brûlant saisit le creux de mon ventre et se propage dans toutes les
fibres de mon corps. Un désir ardent me consume. Je me laisse surprendre par la
douceur de ses lèvres qui, sensuellement, capturent les miennes.
Malheureusement, j’y suis forcée, pour pouvoir respirer. D’une lenteur fébrile,
nous détachons nos lèvres l’un de l’autre et Daniel appuie son front contre le
mien tandis que nos paupières s’ouvrent et se rencontrent. Le vert de ses yeux
est encore plus captivant de près.
Soudain, il passe un bras derrière mes genoux, l’autre derrière mon dos et me
soulève contre lui. Il sort de mon bureau et prend l’escalier. Je pensais qu’il allait
me déposer dans ma chambre, mais au lieu de ça, il continue jusqu’au dernier
étage et ouvre la porte de la sienne. Il me pose ensuite au sol, face à sa baie
vitrée où l’on peut observer l’étendue de New York. Daniel enroule ses bras
autour de ma taille et niche sa tête dans le creux de mon cou qu’il parsème de
baisers avec une tendresse que je ne lui connaissais pas.
Je me retourne vers lui et fixe ses yeux envoûtants. Il a l’air si serein pour une
fois, et parfaitement à l’aise. Rien à voir avec le Daniel Barish froid et placide
que tout le monde connaît.
— D’accord, accepté-je.
Moi aussi, je veux le toucher. Sans plus y réfléchir, je soulève son tee-shirt et
découvre son torse, ses épaules, son ventre ferme… Mais je suis gênée dans mes
mouvements, et lui aussi à l’évidence puisqu’il décide de me débarrasser de mon
haut et du sien. On se retrouve alors peau contre peau. Vraiment, cette fois.
Son regard s’attarde sur mon corps, il descend de mes lèvres à ma gorge, puis
jusqu’à ma poitrine. Ses yeux se voilent d’une nuance plus sombre, plus
sauvage. Ses émotions semblent prendre le dessus et il me fait me mettre sur le
dos pour se retrouver au-dessus de moi.
— Pas quand c’est moi qui le fais. Tu es trop belle pour que je laisse les autres
en profiter, ricane-t-il en embrassant ma gorge.
— Tu ne m’arrêtes pas ?
Il a raison, mais ces instants sont tellement rares. À chaque fois que je le sens
détendu et naturel avec moi, j’ai peur que ce soit la dernière fois.
Nous soupirons tous les deux pour reprendre le dessus sur nos émotions. Il
m’embrasse légèrement et appuie son front contre le mien histoire de prolonger
un peu plus ce moment.
Plus tard dans la soirée, on se met alors à parler de tout et de rien. De choses
stupides et banales. Il aborde vaguement le sujet de Haley et celui de son père. Il
me fait quelques blagues douteuses et, finalement, il se perd dans ses réflexions
avant de rejoindre les bras de Morphée. Moi ? Je reste là, à le fixer. Le sommeil
n’est pas près de m’emporter. Cela fait à peine quelques heures qu’il m’a quittée.
Je préfère le regarder de toute façon, croire que tant que je ne m’endors pas, ce
moment durera toujours.
Au bout d’une demi-heure à tourner en rond, je décide qu’essayer de dormir
est une perte de temps. Avec regret, je quitte les bras chauds de Daniel pour aller
travailler.
— Dites-moi qui vous êtes ou je crie et je vous jure que vous ne ressortirez
pas d’ici vivant, menacé-je une main sur la porte en commençant à penser qu’il
était fou.
Ian
Toi le frère que je n’ai jamais eu,
Sais-tu si tu avais vécu
Ce que nous aurions fait ensemble.
Maxime Le Forestier
— Allô
— C’est Ian, Maria ! Il va mourir. Mon mari a voulu le tuer. Il faut que vous
m’aidiez, débite-t-elle ahurie. George a ordonné à ses hommes de mutiler le
corps et de le déposer dans le coffre d’une voiture devant chez les Maslow. Je
l’ai entendu Maria, je vous en prie !
— Madre mia {2} ! Ian est mort, s’agita à son tour la gouvernante.
— Il a pris une balle dans la poitrine, mais je crois avoir senti son pouls, ce
n’est peut-être pas trop tard ! Aidez-moi, Ian va mourir si on ne fait rien !
— Si mon époux l’apprend, je suis une femme morte. Je ne peux agir à son
encontre, et puis ses hommes le préviendront immédiatement, crie presque
Éléonore.
— Dios mio{3} ! Il faut trouver un autre corps pour berner ses hommes alors !
**
Kate
Après son récit, le prétendu Ian s’avance vers moi qui me tiens toujours
debout près de la porte. Une fois devant moi, il reprend :
— Comme tu l’auras compris, c’est Éléonore Barish qui a trouvé mon corps
au bord de la mort.
— Maria avait un frère qui bossait pour George. En général, il se tapait le sale
travail : il nettoyait les traces et cachait les corps. Il lui a donc été facile de
remplacer le mien par un autre qui était tellement mutilé que personne n’aurait
pu reconnaître son identité. Les membres du clan Barish n’y virent que du feu
puisque c’était une mission qui avait été confiée au frère de Maria et que
personne d’autre n’avait eu l’occasion de voir. Pour le coup, nous avons eu
beaucoup de chance que ce dernier ait accepté de le faire. Seuls mes vêtements
et la couleur de mes cheveux pouvaient faire penser à moi. Éléonore et Maria se
sont empressées de me faire transférer dans un hôpital spécialisé pour me sauver.
J’y suis resté dix mois. Éléonore a payé pour tous mes frais médicaux, elle a pris
énormément de risques pour moi, soupire-t-il, reconnaissant.
— Ça ne peut être vrai…, murmuré-je, abasourdie, en réalisant que j’avais
peut-être mon grand frère sous les yeux.
C’était un peu gros, trop gros même. Comment mon frère mort peut-il être
comme par magie sous mes yeux aujourd’hui, bien vivant ?
Mais d’un autre côté, son histoire tient tellement la route. Il connaît beaucoup
de détails sur ma vie, de la relation entre les deux clans à l’existence de notre
gouvernante, Maria…
Je rive mes yeux aux siens et le regarde, vraiment. Il est assez grand, une
carrure assez imposante. Des yeux et une chevelure marron foncé. Exactement
comme les miens. Sa peau est claire, laiteuse, un peu comme la mienne. Ce n’est
pas possible… Ce ne peut pas être lui. Et je crains pourtant de commencer à le
croire... Bouleversée par notre ressemblance et son histoire, mes yeux
s’accrochent aux siens, de manière tout aussi intense et fébrile que son regard.
— Je suis tellement heureux de te voir, Kate. Tu es encore plus jolie que sur
les photos que Maria m’envoyait avant de venir me rejoindre quelques années
plus tard. Elle n’avait jamais un mot méchant à ton encontre. Elle te décrivait
comme un ange.
Ça fait beaucoup en une soirée. J’ai encore du mal à accepter que mon frère ne
soit pas mort et voilà qu’il m’annonce que nous allons sauver notre père.
— George croyait qu’il avait obtenu vengeance. S’il savait que j’étais en vie,
il s’en serait pris à la famille différemment : soit en te tuant ou en tuant maman.
Pour le bien de tous, il fallait que je reste mort, explique-t-il.
— Où étais-tu cette nuit avant de rentrer dans ton bureau ? Je suis allée dans ta
chambre en croyant te trouver dans ton lit, mais tu n’y étais pas…
Je me mets à rougir sans savoir quoi répondre. Je ne peux pas lui avouer que
j’étais dans celui de Daniel. Où voulait-il en venir de toute façon ? Ce n’était pas
vraiment important. En constatant ma gêne, son sourire s’élargit.
— Mais comment sais-tu tout ça ? Tu viens juste de revenir et tu sais déjà que
Daniel serait soi-disant prêt à me protéger ?! douté-je.
Ainsi donc il sait pour Daniel et moi. Encore une fois, c’est trop gros. J’ai du
mal à croire tout ça sans remettre en question sa parole, bien que je dois avouer
que son histoire est bien ficelée. De plus, en le regardant de près, je peux voir
notre ressemblance. Et au fond de moi, je peux sentir qu’il ne ment pas. Il est
sincère.
Soudain des bruits de pas se font entendre et une voix s’élève avant que la
porte du bureau ne s’ouvre.
— Wow ! On se calme. Je ne lui veux aucun mal, rassure Ian en levant les
mains en l’air en signe de bonne foi, sans toutefois reculer.
— Lâche ton arme, Daniel. Je ne crois pas qu’il nous fera quoi que ce soit,
éclairé-je.
Mon patron souffle puis braque son attention sur l’inconnu pour le fixer avec
minutie. Au bout de quelques secondes, sa bouche s’ouvre légèrement et c’est
déstabilisé qu’il inspire de stupeur. Les muscles de son visage se relâchent alors,
avant qu’il n’abaisse doucement son arme.
— Ian ? lance-t-il, abasourdi.
Cette fois, c’est officiel. Si Daniel le reconnaît, alors c’est bien mon frère.
Mon grand frère…
C’est ainsi que nous nous retrouvons tous les trois sur les canapés de mon
bureau à écouter toute l’histoire de Ian, encore une fois.
— Tu n’as qu’à appeler ta mère si tu as encore des doutes, affirme Ian après
lui avoir conté son histoire.
Ian sort alors son téléphone, sélectionne un contact et met l’appareil à son
oreille. Au bout de quelques secondes, son interlocuteur répond et mon frère
lâche tout simplement :
Daniel semble aussi abasourdi que moi. Carla le connaît, elle ne perd pas de
temps et s’explique :
— J’ai connu Ian quand je bossais chez les Russel. Il avait tenté de
m’approcher à de nombreuses reprises, mais je fuyais généralement les hommes
au risque que César me le fasse payer. Puis, un jour, après une énième dispute,
Ian m’a trouvé blessée et inconsciente. Il s’est occupé de moi jusqu’à mon réveil
et c’est là qu’il m’a tout raconté. Il savait que je ne dirais rien si ses actions
pouvaient mettre fin au cauchemar que je vivais. Il m’a donc aidée à m’enfuir,
pour que César et la mafia ne puissent plus me nuire. Je ne savais pas qu’il
s’agissait de ton frère à ce moment-là... Ce n’est qu’après que j’ai fait le lien,
quand Andrei l’a évoqué dans l’enregistrement qu’il m’a demandé de t’envoyer.
Suite à cette découverte, j’en ai discuté avec Ian et il m’a avoué son secret.
Depuis, nous n’avons cessé de nous contacter pour que je puisse l’informer de ce
qu’il se passait ici
— Attendez ! s’exclame Daniel. Qu’est-ce que Ian foutait chez les Russel ? Si
tu me dis que tu travailles pour eux, je jure que… s’emballe-t-il.
— Non, je ne travaille pas pour eux, l’interrompt mon frère. Enfin si,
seulement officiellement…
— Infiltré depuis maintenant quatre ans. Carla était une femme battue et elle
était la personne idéale pour m’aider à trouver une faille dans l’organisation et
mettre en lumière tous leurs crimes. Elle rêvait plus que tout de pouvoir la
détruire pour retrouver sa liberté. Démanteler les Russel. C’était mon premier
but. Jusqu’à ce que je croise un visage familier être traîné au cachot.
— Ne t’inquiète pas, je ne suis pas là pour détruire ton clan. Tout cela est
devenu une affaire bien trop personnelle pour moi. Je veux juste mettre fin au
règne des Russel pour sauver mon père, mais je ne toucherai pas au tien. Je ne
m’en mêlerai pas. Tu as sauvé ma sœur et pour cela je t’en serai éternellement
reconnaissant. Même des années après, tu m’as été d’une certaine façon fidèle en
t’occupant d’elle, annonce-t-il en hochant légèrement la tête en guise de merci
solennel.
— Je ne l’ai croisé que deux fois. Il est enfermé dans les sous-sols. Il se fait
tabasser et torturer régulièrement. Mais les Russel veulent mettre la main sur
l’héritière avant de l’achever pour exterminer le clan Maslow. C’est comme ça
que j’ai su où tu étais.
C’est trop pour moi. Je ne supporte pas d’entendre ça. Je déteste toutes ces
histoires de mafia, sans respect pour la vie et la dignité humaine. Comment
peuvent-ils agir de la sorte… ?
— Alors, il faut y aller sans plus tarder. Comme ça, une fois là-bas, on libère
papa et on s’enfuit, les pressé-je.
— Comme si j’étais à tes ordres. Je prends mes propres décisions, lui rappelé-
je.
— Il est hors de question que tu partes là-bas sans plan. Crois-tu que vous
allez exterminer un siège de mafieux à deux ?
— C’est mon père. On n’a pas d’autre choix, je ne laisserai pas passer cette
chance !
— Katerina, ça suffit ! avertit le chef avec une fermeté qui ne laissait pas
place à la discussion.
— Hmm hmm…
Le raclement de gorge forcé de Ian nous oblige à tourner la tête vers lui et
Carla. Je m’empourpre un peu en me rappelant que nous avons des spectateurs.
— On n’est pas obligés de décider quoi que ce soit pour le moment. Il est tard.
On devrait plutôt aller dormir pour y réfléchir à tête reposée demain, propose
Ian. En tout cas, ce qui est sûr, c’est que je n’enverrai pas ma petite sœur là-bas
sans plan, alors rassure-toi Daniel. Je vais à un hôtel pas loin d’ici, je reviendrai
demain.
Il se lève et avance vers nous pour tendre la main à Daniel qui la serre
doucement en opinant de la tête. Mon frère s’approche ensuite de moi et dépose
affectueusement un baiser sur mon front avant de me murmurer :
Je le salue dans le vague puis nous sortons tous de mon bureau. Carla
s’occupe de le raccompagner tandis que Daniel et moi grimpons les escaliers
pour rejoindre nos chambres, encore sous le choc de ces révélations. Je suis en
train de me diriger vers ma chambre quand il me rattrape par le bras et me tire
vers lui
Je le suis jusqu’à sa chambre où nous nous réinstallons dans son lit. Il m’attire
à lui de sorte que ma tête vienne se poser sur son torse et qu’il puisse enlacer
mon dos de son bras.
— Comment ça « tout ça » ?
Je me sens rougir, et, bien sûr, il l’a fait exprès. Il approche soudain son visage
du mien et dépose délicatement sa bouche sur la mienne pour un léger baiser
avant de souffler :
Je réalise alors qu’il fait référence à notre pseudo accrochage de tout à l’heure.
J’acquiesce simplement de la tête pour lui signifier ma compréhension, encore
secouée par cette douceur toujours surréaliste pour moi et l’étreinte passionnée
que nous venons de partager.
**
— Bien dormi ?
— Je ne veux pas qu’il sache que j’ai dormi avec toi. Il pourrait croire que...
enfin même si ce ne sont pas ses affaires, il penserait tout de suite qu’on a…,
m’embrouillé-je en me redressant doucement contre la tête du lit en émergeant.
— Oui, oui, je sais, ricane-t-il, c’est pour ça que j’ai préféré le dissuader
subtilement de venir te réveiller, mais il est intenable…
— Est-ce qu’on doit se comporter comme un employeur et une employée
devant les autres ? questionné-je, incertaine.
Cette fois, c’est lui qui ne trouvait pas ses mots pour parler de notre relation.
— Comme une personne qui est plus qu’un simple membre du clan, l’aidé-je
en ironisant narquoisement à mon tour.
— J’ai compris, pas de manque de respect. Est-ce que ça signifie qu’il y aura
d’autres tête-à-tête ? demandé-je en l’espérant sincèrement.
Nous nous dévisageons à présent. Ces beaux yeux verts pétillent d’une lueur
intense troublante et les traits de son visage ne m’ont jamais paru aussi
séduisants qu’en cet instant. J’ai envie de… de l’embrasser follement. Le puis-
je ? Est-ce que ce n’est pas trop tôt pour recommencer ? Enfin bon ! Ce n’est pas
comme si j’avais dormi dans ses bras, dans son lit et qu’il avait dit « plus », et
que j’avais dit « plus » moi aussi, que…
Son regard est désormais orienté sur ma bouche et ses yeux se sont assombris.
Ses paroles font accélérer ma respiration, devenue soudainement erratique.
Timidement et dans l’attente, j’approche alors mon visage du sien en enlaçant
son cou de mon bras pour le forcer à incliner son visage vers le mien. Quand ses
lèvres ne sont plus qu’à quelques centimètres des miennes, je ne peux
m’empêcher de lui susurrer :
Ces mots sont libérateurs. Au diable les « nous ne devrions pas si tôt », les
« c’est un mafieux », et tous mes autres questionnements internes. J’en ai envie.
Et pour une fois dans ma vie, je veux laisser mes envies dicter ma conduite sans
laisser mes craintes influencer mon comportement. C’est peut-être de la folie,
mais c’est sans doute la plus délicieuse qui soit.
Je réduis à néant la distance entre nos lèvres. Tout semble s’estomper autour
de nous, seul le plaisir d’avoir cédé à cette délicieuse tentation est présent. Il
enlace ma taille de ses grands bras, et progressivement, il approfondit le baiser.
Je me sens toute petite, là, comme ça, mais aussi protégée et à l’abri. Lorsque je
sens sa langue caresser la mienne, des papillons volent de partout à l’intérieur de
moi. Nous nous élançons dans un ballet des plus sensuels. Je ne peux
m’empêcher de passer ma main dans ses cheveux décoiffés pour maintenir sa
tête au plus près de la mienne, tandis qu’il commence à lentement faire glisser
ses mains sur mes hanches pour me rapprocher davantage et écraser nos corps
l’un contre l’autre.
Nos souffles se font courts et bientôt le baiser doit prendre fin, même si ni lui
ni moi ne semblons en avoir envie. De fait, il se jette de nouveau sur moi pour
recouvrir ma mâchoire de tendres et légers baisers passionnés avant d’entamer
une lente descente vers mon cou que je m’empresse de lui offrir. Je frissonne
face à l’ardeur de ses baisers et sens la frénésie s’emparer de nous.
**
— Non, désolée…
— J’aurais bien aimé assister à la suite, moi ! D’ailleurs je ne suis pas le seul,
ricane-t-il.
— Bien sûr qu’elle sait, je ne peux rien lui cacher. De toute façon, je ne dors
ici que trois fois par semaine. Le reste du temps, je suis chez elle.
Il a l’air très amoureux. C’est pourtant rare qu’il parle avec autant de sérieux,
elle doit vraiment compter.
— Ah ah ! Je me disais bien que ton sourire était trop beau pour être vrai !
Elle a dû pas mal l’arranger, me moqué-je.
— Allô ?
— Salut, Kate !
Elle me raconte plus en détail son travail et les responsabilités qu’on lui a
confiées jusqu’à présent. Elle en a fait du chemin... Après les foyers, la rue, elle
est devenue assistante de direction, et maintenant la voilà qui réalise son rêve.
— Et toi, comment ça va ? Daniel n’a pas été trop dur avec toi après mon
départ ? s’enquiert mon amie.
— Il m’a appelée hier pour savoir comment s’étaient passés mes premiers
jours ici. C’était assez gênant, on ne savait pas trop quoi se dire, mais j’étais
contente qu’il le fasse et il m’a semblé que lui aussi.
Daniel ne m’en a pas parlé, mais après tout c’est sa relation avec sa sœur et il
est grand temps qu’il s’y implique.
— Bien sûr ! Prends bien soin de toi et ne te laisse pas embêter par Daniel. Et
garde un œil sur Peter pour moi, s’il te plaît, conclut Haley.
Après notre conversation, je pars m’enfermer dans mon bureau pour travailler
un peu ? Au bout de quelques heures, Carla vient m’interrompre :
Elle me griffonne son numéro sur un bout de papier qui traîne là et je lui
envoie un message pour confirmer. Nous avons besoin de nous parler en privé et
je m’attends à ce genre de proposition.
— Vous êtes sûr qu’il est bien celui qu’il prétend être, au moins ? lance-t-il,
préoccupé qu’il ait pu nous duper.
— J’ai un peu de mal à réaliser, mais ça va. Je crois que je suis contente,
tenté-je de le convaincre.
Arrivant à un feu rouge, il pivote légèrement vers moi et, de sa main, tourne
mon visage vers le sien.
— Eh, écoute un peu. Je veux la vraie version. Pas celle que tu as dû sortir aux
autres. Ton frère que tu n’as jamais connu revient d’entre les morts pour te dire
qu’il est infiltré chez les Russel et va t’aider à sauver votre père, ça ne peut pas
seulement te rendre « contente ».
— C’est juste que je ne sais pas comment réagir. Je ne le connais pas. C’est un
parfait inconnu pour moi. Mais je peux voir qu’il me ressemble et qu’il est
honnête. Cependant, je ne veux pas me faire d’illusion... Je ne crois plus trop aux
liens familiaux. Lui aussi finira par m’abandonner ou me trahir.
— Tout le monde n’est pas comme ton père et ta mère Kate. Laisse-lui peut-
être l’occasion de te le prouver. Après tout, il met son job et sa vie en danger
pour t’aider... S’il te propose une porte de sortie, si vous pouvez sauver votre
père et s’il peut t’offrir une vie meilleure, ça sera certainement la meilleure
option pour toi, murmure-t-il en reprenant la route
— En tout cas, je suis content que tu puisses compter sur lui. J’ai hâte que tu
me le présentes, sourit-il plus légèrement pour changer de sujet.
— Enchanté, dit lan en lui tendant la main, est-ce que tu restes avec nous ce
soir ?
— Non, rassure mon ami en lui serrant poliment la main, je voulais juste voir
qui tu étais et vérifier qu’elle resterait entre de bonnes mains.
— Peter ! grondé-je.
J’ai vraiment l’impression d’avoir 4 ans parfois avec lui. Il est surprotecteur !
— Non, ça va, assure mon frère, je comprends, c’est normal. Je préfère savoir
que tu as ce genre de personne autour de toi, de toute façon, affirme-t-il,
compréhensif.
— Oui je sais, mais au moins je sais que je peux compter sur lui, ne puis-je
m’empêcher de le défendre.
— On y va ?
— Tu vas finir par la connaître par cœur cette carte, ricane doucement ce
dernier, qui a compris mon manège
— Ce n’est pas grave si tu ne sais pas quoi dire, Kate. Je n’ai qu’à parler ou te
questionner, me réconforte-t-il.
Comme mon regard reste figé sur la carte, il approche son bras et se permit de
tirer doucement la carte de mes mains.
— Ça va aller, je te le promets.
Je le laisse doucement m’enlever la carte des mains. Mon regard est figé dans
le vide comme si la carte n’avait pas bougé et comme si mes mains la tenaient
toujours.
Je ne dis rien.
— Elle me manque, lui confié-je doucement, sortant peu à peu de mon état de
transe.
— Que faisais-tu dans la vie ? Avant d’entrer, dans le clan Barish, cela
s’entend ?
— J’ai été recrutée par le gouvernement, moi aussi, souris-je en pensant que
deux enfants d’une des plus grandes mafias des États-Unis travaillaient tous les
deux pour servir le pays et faire appliquer les lois. Quelle ironie ! Je travaillais
principalement pour garantir la sécurité informatique du pays, enfin, ça c’était
jusqu’à ce que je passe du mauvais côté de la barrière…
— Je crois qu’ils préféraient me savoir dans le clan des « gentils » plutôt que
dans le leur. Quand tu es mort, ils ont décidé de m’élever dans le secret. Ils ne
voulaient pas me mêler à tout cela.
— Maria m’a dit que tu avais grandi dans l’ignorance, en effet. Mais comment
ont-ils pu te protéger sans te mettre au courant ? me questionne-t-il.
— Ça n’a pas été facile. Je ne pouvais pas sortir, ni aller à l’école, ni avoir
vraiment d’ami... Et je ne savais même pas pourquoi puisqu’ils refusaient de me
le dire. C’était sûrement ça le pire... Nous vivions dans le mensonge. Finalement,
ma vraie vie a seulement commencé il y a quelques mois quand j’ai fui la
maison, me rappelé-je, un peu triste.
— Je suis désolé que tu aies dû endurer tout ça, me dit-il avec compassion.
J’aurais voulu autre chose pour toi…
— Pas facile, plaisante-t-il, là je peux en rigoler, mais c’était sans doute les
pires années de ma vie. J’ai failli mourir et je suis resté des mois à l’hôpital avec
pour seule compagnie Maria et plus rarement Éléonore, alors que mes parents
me croyaient mort et qu’on m’interdisait de les contacter. Une fois guéri, j’ai dû
ensuite partir pour le Mexique. Ce n’était pas facile au début, mais la famille de
Maria est devenue la mienne. J’ai peut-être été arraché de mes repères, mais ma
vie est devenue... normale. Oui, c’est ça, normale, reconnaît Ian d’un air
convaincu. Plus de mafia, plus de garde du corps, plus de danger.
Je souris, contente que l’un de nous ait pu apprécier une enfance normale.
— Il m’aurait déjà fallu rassembler des preuves... Je ne veux pas le tuer pour
la simple et bonne raison qu’après une adolescence difficile, pleine de rage, de
violence et de rancœur, je ne veux pas être comme ça. Je ne voulais pas être un
meurtrier et un justicier. Je voulais simplement aider à mettre un terme à tout ça
et défendre les innocents des dangers de ce monde pour que personne ne puisse
subir ce que j’ai vécu. C’est pour ça que j’ai choisi ce métier.
Je suis émue suite à son discours. Je me plains, mais lui a vécu l’enfer en
comparaison... Et malgré tout, il semble être devenu quelqu’un de bien.
4
Expérimentons !
Kate
So what we go out ?
That’s how it’s supposed to be
Living young and wild and free{4}.
Wiz Khalifa & Snoop Dogg
Il se marre.
— Je savais que t’étais coriace. Allez, descends-nous ça, ricane-t-il.
J’éclate de rire.
— Eh bien, pas vraiment non. Je n’en ai pas eu l’occasion avec la vie que j’ai
eue jusqu’à présent.
— Oui, ça va. Mais ce n’est pas facile tous les jours. Il a un fort caractère. Il
est têtu et très autoritaire, mais plus j’apprends à le connaître, plus…, déclaré-je
avant de buter sur la fin.
J’acquiesce, reconnaissante.
Je veux savoir qui il a vraiment été avant de devenir celui qu’il est
aujourd’hui. Ian explose soudain de rire et interpelle le serveur pour qu’il nous
serve la même chose. Il se concentre de nouveau sur moi, un sourire pendu aux
lèvres.
— Il était complètement fou ! Un vrai barge ! Il était toujours le premier à
faire des conneries. Et le pire c’est qu’il m’entraînait dedans avec lui, avoue-t-il,
le regard nostalgique. J’aurais aimé vivre mon adolescence à ses côtés, on aurait
bien déconné
— Une fois, il avait décidé que nous devions écrire une lettre, « comme les
grands » dit-il. Moi je comptais aller prendre une feuille et un stylo et, je m’en
rappelle très bien, il a dit : « non, nous n’allons pas faire comme tout le monde,
nous allons faire les choses en grand ».
— On a pris des marqueurs et écrit tout et n’importe quoi sur les murs du
couloir de tout l’étage de sa maison.
— Il disait qu’il ne fallait pas faire comme les autres. Il visait toujours plus
haut. Quand je pensais à lui en grandissant, je me disais toujours qu’il finirait par
changer le monde, c’était un révolutionnaire ! Il était né pour accomplir quelque
chose de grand
— Une fois, il avait décidé qu’il voulait jouer au policier et au voleur. Il était
le flic, et moi le bandit. On rigolait bien, puis il a fini par m’attraper et le sale
gosse qu’il était avait volé des menottes dans les affaires de son père. Il avait
alors eu la bonne idée de m’attacher à un poteau dans le fond de son jardin. Sauf
que le petit con n’avait pas pensé aux clefs, et quand je lui ai demandé d’aller
prévenir sa mère, il a haussé les épaules et m’a calmement expliqué qu’après
tout, j’étais un voleur et que « les voleurs méritaient d’être punis », alors il m’a
laissé là « pour que je réfléchisse à ma faute ». Un vrai barge, je te dis, souffle-t-
il les larmes aux yeux. Il avait sûrement entendu cette réplique de la bouche de
son père, mais ce fou avait pris le jeu trop au sérieux. Il m’y a laissé deux heures.
— Il a quand même fini par appeler ses parents, c’est déjà ça, m’esclaffé-je.
— Tu rigoles ! C’est sa mère qui m’a trouvée. Il m’a dit plus tard, de la
manière la plus innocente qui soit : « Ah oui, c’est vrai, je t’avais complètement
oublié. ». Et je suis à peu près sûr que sa réplique suivante était : « Tu viens, on
va goûter ? J’ai faim ».
C’est tout bonnement incroyable que Daniel puisse être ce petit garçon
spontané et enjoué.
— Oui…, affirmé-je, c’est le moins qu’on puisse dire, mais j’aurais aimé
connaître ce Daniel-là, souris-je en regardant mon voisin.
Nos verres sont de nouveau vides et cette fois c’est moi qui passe commande.
— Quel genre de grand frère fait boire sa petite sœur ? me moqué-je, feignant
d’être offusquée.
— Le genre de frère qui veut que tu t’amuses ! Allez, à trois, on descend nos
verres !
Il me prend soudain par les épaules et abaisse sa tête vers la mienne pour
encrer son regard dans le mien.
— Je ne suis pas un homme, Ian, énoncé-je d’un regard franc, je suis une
femme. Une vraie !
— Quel est la deuxième étape ? gloussé-je, tout excitée par le jeu qui nous
attend.
— On va aller danser.
C’est un défi de taille, mais après tout, il me faut juste vaincre ma timidité. Je
peux le faire !
— Entendu !
— Excusez-moi, murmuré-je.
Personne ne me répond. La musique est bien plus forte que ma voix et je n’ose
pas m’approcher plus près. Je vais retenter ma chance quand une voix
m’interrompt :
— Il va falloir parler un peu plus fort si tu veux avoir une chance de te faire
entendre.
— D’habitude, les filles ne sont pas aussi entreprenantes, non ? Ce n’est pas
que ça me dérange, mais…
— Oh, bien sûr que non ! C’est un défi, le coupé-je. D’ailleurs, mon frère a
précisé que si le gars tentait quoi que ce soit, il le démolirait.
— Tu sais comment refroidir un homme, toi ! Mais bon, puisque que c’est un
défi, allons-y, et après tout, qui suis-je pour refuser une danse à une jolie fille,
blague-t-il.
Cet homme semble plutôt gentil. Je suis contente d’être tombée sur lui. Cela
me met un peu à l’aise. Juste à ce moment-là, la musique Hips don’t lie de
Shakira débute. Génial, une musique sexy et enivrante ! Je peux le faire, je peux
le faire, ne cessé-je de me répéter intérieurement.
Nous rejoignons la piste, et très vite nous nous laissons emporter par la
musique. Au fur et à mesure, sûrement grâce aux effets de l’alcool, je parviens à
me dérider et à lâcher prise. Mes mouvements sont de plus en plus amples, de
plus en plus sexy et ma timidité s’évapore. En le constatant, je me mets à écarter
les bras, lever la tête vers le plafond et tourner sur moi-même en riant aux éclats.
Je me sens libre, je me sens vivre.
L’inconnu doit certainement me prendre pour une folle, mais il se met aussi à
rire avec moi en me voyant faire. Expérimenter est définitivement ce qu’il me
fallait. La fin de la musique arrive trop tôt et l’inconnu saisit ma main avant d’y
déposer un baiser.
— Plaisir partagé... ?
Je repère mon frère assis au bar qui nous guette de loin et quand nos yeux se
croisent, il m’applaudit en mimant une petite révérence. On s’approche et je fais
rapidement les présentations. Nous finissons par sympathiser tous les trois.
— Est-ce que ça vous direz de vous joindre à nous ? Je suis venu avec
quelques amis, propose Adam.
Nous sommes en train de hurler à pleins poumons sur la piste de danse les
paroles de We are young de Fun. Je sens alors mon téléphone vibrer dans la
poche de mon jean. Je le sors et ma vision trouble m’oblige à fermer un œil pour
parvenir à lire ce qu’il y a sur l’écran. Trois appels manqués de Daniel et deux de
Peter. Oups ! Mais bon sang, il est déjà 1 heure du matin ! Soudain, mon
portable m’est arraché des mains par mon frère.
— Ah, c’est tes deux mamans qui t’embêtent ! remarque Ian, laisse-moi leur
répondre.
Une dizaine de minutes plus tard, Adam est en train de me faire tourner sur
moi-même quand je croise le regard de Daniel. Peut-être est-ce dû à la lumière,
mais son regard me semble s’être assombri. Il porte une chemise bleu clair qui
moule son torse à la perfection, ainsi qu’un jean bleu foncé. Un sourire en coin
orne son visage, et ça ne me dit rien qui vaille. Il s’avance vers moi tel un
prédateur, mais j’ai à peine le temps de le regarder qu’Adam m’a fait de nouveau
pivoter vers lui.
— Tu sens bon... Même quand ton odeur est mélangée à celle de l’alcool,
murmure-t-il à mon oreille.
La musique, l’alcool, ses mains, son corps et ses mots m’enivrent. J’en
frissonne. Le sentir contre moi de cette manière est une des choses les plus
agréables que j’ai pu expérimenter de ma vie. Je sens tout son corps se presser et
gesticuler contre le mien, alors que j’accompagne ses mouvements, nos corps se
moulant l’un dans l’autre. Je prends finalement l’initiative de me tourner pour
pouvoir me perdre dans le vert émeraude de ses yeux.
— Assez pour faire ça, balbutié-je avant de déposer un léger et doux baiser
sur ses lèvres avant de me reculer.
Après une ou deux chansons de plus à danser l’un contre l’autre, nous
retournons voir mon frère et je constate que Daniel est venu accompagné de
Peter, mais aussi de Jason et de Carla.
— Ah, vous êtes là les amis ?! Super soirée, hein ? m’écrié-je, étourdie, un
sourire béat sur le visage.
— Eh bien Kate ! T’es bien plus drôle bourrée que sobre. Je te préfère comme
ça, réalise Jason, amusé.
Je passe mon temps à rire et à exécuter des chorégraphies toutes plus ridicules
les unes que les autres sur la piste avec Carla. Peter et Jason me rattrapent
rapidement niveau taux d’alcoolémie tandis que Daniel passe son temps avec
mon frère. Vers 4 heures du matin, nous décidons qu’il est l’heure de rentrer.
En sortant du bar, nous chantons tous à tue-tête Not afraid de Eminem. Même
Daniel semble se laisser aller. C’est très revigorant de le voir ainsi.
Heureusement que seuls ses amis d’enfance Peter et Jason sont présents. Je suis
sûre qu’il n’aurait jamais agi de cette façon si d’autres membres de son clan
avaient été présents.
Comme nous sommes à deux pas, nous acceptons. Chacun rit et chahute en
entrant dans le parc. Jason ne cesse de déblatérer au sujet de l’affection nouvelle
de Peter pour la belle Haley. Il ne s’en offusque pas, mais Daniel n’apprécie
guère que l’on parle de sa sœur et de l’effet qu’elle produit sur un de ses
hommes.
Bien sûr, Jason, toujours fidèle à lui-même, a passé la soirée à nous taquiner,
mais il semblerait que l’alcool émiette encore plus que d’habitude la patience de
notre patron.
Tout le monde éclate de rire et il nous faut au moins cinq bonnes minutes pour
nous en remettre. Daniel se contente seulement de hausser les épaules et je crois
voir en lui, quelques secondes, l’ombre du petit garçon déjanté qu’il était
autrefois.
— Tu cours dans Central Park parce que tu n’arrives pas à dormir, hein ? me
répondit ce dernier, devinant probablement pourquoi je me suis mise à courir
— Oui. Un jour, je me suis fait kidnapper par une mafia, lui rappelé-je en
souriant, l’air de rien.
— Une méchante, méchante mafia qui n’a fait que te causer des soucis,
ricane-t-il.
— Peut-être pas que des soucis, lâché-je avec un petit sourire tendre.
— As-tu passé une bonne soirée ? m’interroge-t-il pour aborder un sujet plus
léger.
— Bien sûr ! J’ai adoré. J’aime être dans cet état d’euphorie, d’allégresse, et
j’adore te voir comme ça également ! C’est vrai, quoi, on n’est pas obligés d’être
toujours aussi sérieux. On a tous les deux la vingtaine. On devrait faire plus de
choses de notre âge.
— C’est vrai, nous n’avons pas à être tout le temps la fille qui doit sauver son
père et le gars qui dirige une organisation criminelle, reconnaît Daniel
sérieusement.
— Tu dis ça, mais tu sais très bien que demain matin nous redeviendrons ces
deux personnes…, avoué-je, sceptique.
— Stop ! crie-t-il.
Je m’arrête quelques mètres plus loin pour le regarder et il avance vers moi. Il
s’empare de mes deux mains et me scrute intensément.
— Je vais te faire une promesse, Kate. Et tu vas m’en faire une aussi, annonce
Daniel sérieusement.
— Quand ton père sera sain et sauf, et si tu le souhaites, on va partir tous les
deux le temps qu’il faudra : une semaine, un mois, ou peut-être un an. Tu
arrêteras d’être la fille à la recherche d’elle-même, celle qui doit sauver son père.
Et moi, de mon côté, je cesserai d’être le chef du clan Barish. On vivra comme
deux personnes d’une vingtaine d’années sont supposées le faire, m’explique-t-il
tendrement en déposant finalement sa main sur ma joue, de manière insouciante.
— Tu es sûr que c’est la raison ? Daniel… Toi, c’est ton choix d’être ce que tu
es. La mafia, c’est ta vie. Ta passion. Pourquoi serais-tu prêt à sacrifier ça pour
une semaine, un mois, ou même une année avec moi ?
Il ferme brièvement ses paupières puis les ouvre de nouveau avec une
farouche détermination dans le regard. Daniel se penche vers moi et appuie son
front contre le mien. Il prend mon visage en coupe et caresse mes joues de ses
pouces avec un léger tremblement.
— Parce qu’il se peut que j’aie finalement trouvé une nouvelle passion, Kate.
5
Divergence
de point de vue
Kate
J’ai reconnu le bonheur
au bruit qu’il a fait en partant.
Jacques Prévert
Après cette soirée, la vie reprend son cours : le travail, les missions et les
entraînements.
Néanmoins, j’ai la nette impression que les liens entre Carla, Peter, Jason,
Daniel, Ian et moi se sont resserrés depuis ce fameux jour. Je les trouve plus
souriants, plus souvent ensemble, même si d’un autre côté, j’ai été pas mal
absente, ces derniers temps.
En effet, je me suis concentrée sur mes entraînements avec Peter et sur les
nombreux rendez-vous avec le clan Maslow. Ils ont eu besoin de moi pour me
parler de plusieurs problèmes et ils souhaitent que je prenne des décisions
importantes pour eux. Je revois Harry et Adriel qui font le déplacement de
Seattle jusqu’à leur bureau de New York spécialement pour me voir.
À l’occasion, je leur ai présenté mon frère. J’ai longtemps hésité a leur avouer
qu’il n’était finalement pas mort, mais c’est le clan de mon père. Celui de ma
famille. Et par extension, celui de Ian. Il est un Maslow au même titre que moi,
et, de fait, je savais qu’ils l’intégreraient et le protégeraient. Même si au départ
ils ont eu du mal à nous croire, un test ADN a pu prouver ses dires. C’est donc
officiel !
Lors de nos rencontres, nous tentons tant bien que mal d’établir un plan de
sauvetage pour récupérer Andrei. Malheureusement, la seule solution
envisageable consiste à me faire entrer dans le quartier général des Russel avec
mon frère, en faisant croire qu’il m’a enlevée. Andrei va avoir besoin de
quelqu’un pour l’aider à sortir d’ici. Physiquement parlant, je veux dire. D’après
mon frère, il n’a pas la force de marcher tout seul, et je suis la seule à pouvoir
rester enfermée avec lui. L’idée est donc simple : Ian m’emmène chez les Russel,
de préférence de nuit. Ensuite, il m’enferme dans la même pièce que mon père,
située au sous-sol, en oubliant de m’attacher, et j’en profite pour défaire les liens
d’Andrei. Pendant ce temps, Ian fait intervenir ses collègues armés de la police.
D’après lui, il ont bien assez de preuve maintenant pour procéder aux
arrestations des plus grands membres du clan Russel. Pendant ce temps-là, mon
frère vient nous rejoindre pour nous faire sortir par un accès souterrain dont
l’entrée se trouve près de la cellule de mon père.
Bon… Je reconnais ne pas être très confiante non plus à l’idée de pénétrer le
QG des Russel sans arme ni protection, mais je me rassure en me disant que
Peter a intensifié mes entraînements et que je parviens de plus en plus à le
surprendre sur le ring. Ainsi, mon frère, notre « clan familial » et moi, nous nous
sommes mis d’accord. Il ne me reste plus qu’à en informer les Barish...
En dehors de ce souci, même si j’ai été occupée ces derniers jours, j’ai eu
quelques opportunités de sortie avec Daniel. Nous sommes allés au cinéma, nous
avons partagé le ring à de multiples reprises et, tous les matins, nous allons
courir ensemble dans Central Park. La séance de footing se termine
généralement par un caramel macchiato pris au Starbucks du coin que nous
sirotons en nous prélassant sur la pelouse du parc.
Plus on se voit, plus j’apprécie sa compagnie. Non, en fait, plus je le vois, plus
je développe une sorte d’addiction… On rigole beaucoup, on apprend à se
connaître davantage et on s’apprivoise l’un l’autre. Je découvre peu à peu
l’homme qu’il est. Daniel est plein de vie, intelligent, subtil, drôle, tendre, et
même un peu rêveur. Je comprends presque pourquoi mon frère l’a qualifié de
« révolutionnaire ». Daniel a une vision différente de la vie. Il refuse de travailler
pour gagner sa vie. Il veut vivre de ses passions, c’est pour cela qu’il s’est assuré
d’avoir les moyens de vivre aisément jusqu’à la fin de ses jours. Désormais, son
entreprise est gérée par ses employés, n’étant pour lui qu’une couverture, et la
mafia n’est pas un travail, c’est quelque chose qu’il aime faire, tout simplement.
Il m’a même confié que, s’il en venait à vouloir faire autre chose de sa vie, il
n’hésiterait pas à abandonner tout ce qu’il a construit. Bien entendu, ce n’est pas
d’actualité. Il expliquait simplement que même s’il est aujourd’hui passionné par
ce qu’il fait, il n’est pas impossible qu’avec les années et les événements, il
passe à autre chose... Soit parce qu’il a trouvé un autre projet plus stimulant, ou
tout simplement parce qu’il évolue.
— Tu abandonnerais l’œuvre de ta vie, et tous ces gens qui comptent sur toi ?
lui ai-je demandé, étonnée.
— Je désignerais un remplaçant. Mes hommes n’ont pas besoin de moi. Ils ont
simplement besoin d’un bon leader, ce que j’incarne pour eux. Mais, même si je
quitte tout, cela ne signifie pas nécessairement que je les laisse tomber. Certains
sont de très bons amis et ils pourront éternellement compter sur moi. Je me
porterai garant pour eux et je les défendrai de ma vie, a rétorqué Daniel.
Je repense à ce qu’il m’a dit dans Central Park après la fameuse soirée. Il m’a
promis qu’il pourrait tout quitter pour moi, pour que nous vivions normalement,
au moins un temps, en tout cas. Et pourquoi ? Parce qu’il s’est trouvé une autre
passion plus importante que celle qu’il a pour son métier : moi. C’est ce qu’il a
insinué en tout cas. Je ne sais pas comment l’interpréter et je m’interroge encore
sur le sujet…
Je commence à sérieusement saisir l’ampleur de son affection pour moi et je
peux déjà affirmer que je l’ai dans la peau… Alors, comment vais-je pouvoir lui
annoncer mon plan pour sauver Andrei ? Il va mal réagir, c’est couru d’avance.
Ce soir, il m’a donné rendez-vous dans un club privé. Il a réservé une salle
fermée où les serveurs viennent nous servir pendant que nous dînons en toute
intimité. Il y a à notre disposition un jacuzzi, un canapé d’angle, une table, un
billard et un vidéoprojecteur.
Contre la baie vitrée, dans l’angle de la pièce, se trouve le fameux jacuzzi. Les
murs de la pièce sont en bois ancien, sauf le mur entourant la porte d’entrée en
briques rouge foncé. L’ensemble donne à l’endroit un caractère rustique et
chaleureux. Dans un coin, un canapé en toile beige est installé, ainsi qu’une table
déjà dressée. L’éclairage est tamisé et magnifié par des bougies qui embaument
la salle et rajoutent davantage de charme au lieu. Sans oublier le magnifique
billard au milieu de la salle qui me donne déjà envie de faire une partie.
Nous nous installons à table et rapidement l’apéritif nous est servi. Quelques
minutes plus tard, nos commandes sont prises.
— Pas des plus agréables. J’avais rendez-vous avec un client important qui
s’est montré difficile pendant la négociation…, avoue-t-il en soupirant.
Pour qu’il en parle à Daniel, il devait vraiment le penser. Cela va peut-être les
rassurer quand ils apprendront mon projet pour sauver Andrei. En y repensant, je
ressens une pointe de culpabilité. Il faut vraiment que je lui en parle, je ne peux
pas le lui cacher plus longtemps.
— Tant mieux, j’en suis ravie. Il m’en fait voir de toutes les couleurs tous les
jours, ricané-je.
— Je l’ai appelé ce matin, avoue-t-il, incertain, elle va bien. Elle m’a dit
qu’elle allait représenter la marque Venitie à un défilé ici même, dans dix jours.
— Elle prévoit de nous envoyer les places par mail, me rassure-t-il, souriant.
— Es-tu ravi de lui parler ou est-ce que la situation te semble gênante ? osé-je.
— Broken strings.
Il approuve d’un signe de tête et comme nous avons terminé nos plats, il me
tend la main en chantonnant le début des paroles de la chanson.
C’est baigné dans la musique que nous admirons avec émotion ce spectacle
haut en couleur. Derrière moi, Daniel est collé à mon dos et m’enlace tendrement
la taille.
— Ma belle, c’est pas une nana de ton gabarit qui va m’apprendre à me servir
d’une queue ! ricane-t-il à son tour le regard malicieux en se saisissant de ladite
queue.
Le sous-entendu me fait rougir, et, bien sûr, cela provoque son rire.
— Ta défaite au poker ne t’a pas suffi, mon beau, provoqué-je à mon tour en
reprenant son surnom et en me saisissant d’un instrument identique au sien.
Nous nous confrontons du regard, nos cannes en main, bien décidés à ne pas
céder tout en sachant que nous plaisantons. Il faut dire que son insolence titille
comme il faut ma fierté.
Il retire le triangle et commence par tirer dans les boules pour toutes les
répartir sur la table. Je prête soudain plus particulièrement attention à la manière
dont il est habillé. Il porte un jean noir très ajusté et un tee-shirt blanc à manche
longue qui moule ses muscles à la perfection, surtout quand il se penche sur la
table pour tirer une boule. Je peux voir ses biceps se contracter de la manière la
plus délicieuse qui soit. Je mordille ma lèvre inférieure pour masquer un soupir.
Daniel se positionne de nouveau et tire.
— En voilà une, annonce-t-il satisfait quand une première boule entre dans le
trou qu’il avait visé avec précision.
— Bien, prends encore un peu d’avance. Ça risque d’être trop facile, sinon.
— Et de deux ! s’écrie-t-il.
Il vient de rater son coup. Sa fierté va avoir du mal à s’en remettre. C’est à
mon tour de jouer. Je vais lentement rejoindre l’endroit où il se situait tandis que
lui s’avance pour rejoindre ma place, à l’opposé. Quand nous nous croisons, nos
corps se frôlent insidieusement. Nos regards s’accrochent un bref moment, rien
qu’un instant. Assez cependant pour y déceler la lueur de malice qui nous habite.
Ce petit jeu entre nous est loin de me faire rire. Au contraire, il fait naître des
fourmillements dans mon bas-ventre qui me rendent fiévreuse. J’ai envie de
toucher ses muscles, ceux que j’ai vus se contracter sur la canne. Mais je me fais
violence. Je ne veux pas céder, je dois d’abord gagner.
Concentre-toi !
— Tut, tut, tut, tire cette boule Kate, chuchote-t-il alors qu’il me penche un
peu plus sur la table.
Je le sens s’écraser contre mon dos. De cette façon, je peux apprécier son
corps épouser les courbes du mien.
Ses gestes et ses mots déclenchent une avalanche de frissons dans mon corps
tout entier. Je le veux. Je veux me retourner, l’embrasser farouchement et le
toucher jusqu’à plus de raison. Là, maintenant. Au diable le jeu ! Je tente alors
de me défaire de son emprise, mais il me stoppe encore.
Je fais mon possible pour me concentrer sur la bouche… Euh, sur la boule !
Oui, je me concentre sur la boule et prends une inspiration tandis qu’il continue
à me prodiguer ses caresses et à me hanter avec ses baisers.
Bam !
— Ce n’est pas grave, lâche-t-il en nous relevant brusquement, parce que j’ai
terriblement aimé te voir essayer.
Daniel me tourne vers lui et saisit brutalement mon cou pour plaquer ses
lèvres sur les miennes.
Cet homme va me tuer, mais, mon dieu, qu’est-ce que je le veux ! Je le désire.
Alors que mon appétit sexuel s’accroît, une pointe de culpabilité vient
apparaître. Andrei. Le clan Russel. Je devais lui dire… Si je veux que tout cela
continue, je ne peux pas lui cacher plus longtemps mon plan. Je ne souhaite pas
bâtir quoi que ce soit ou aller plus loin tant qu’il restera des non-dits et des
cachotteries entre nous.
Je le serre davantage contre moi, aussi bien avec mes bras qu’avec mes
jambes. Immédiatement, Daniel réagit et me fait allonger entièrement sur la
table. Il y grimpe pour me surplomber sans cesser ses fougueux baisers. C’en est
trop. Je veux plus, il veut plus... Notre relation progresse et je ne peux pas lui
cacher plus longtemps mes intentions.
Un peu de courage !
— Daniel, tenté-je, plus fort cette fois en plaquant mes deux mains sur ses
larges épaules afin de le freiner.
Et comme ça, en une seconde, l’atmosphère se glace. Ok, autant aller droit au
but…
— C’est à propos de mon père, lui avoué-je, les mains moites, en m’appuyant
sur la table de billard pour me stabiliser.
— Mais encore ?
— Je sais déjà que pour que tu pratiques une telle langue de bois et que tu
m’arrêtes de la sorte, c’est que ce que tu vas m’annoncer ne va pas me plaire,
raille-t-il d’un air agacé en levant les yeux au ciel.
— Bien, alors continue. Tu as pris une décision avec TON frère et TON clan
sans me demander mon avis. Quelle est-elle, dis-moi ?
— Oui, j’ai pris une décision avec MON frère et le clan de MON père sans te
concerter puisque de toute façon, tu n’aurais pas cherché à agir dans l’intérêt
d’Andrei, m’énervé-je.
Outch ! Ça fait mal... Et pas qu’un peu. Quand je pense qu’il y a quelques
minutes, nous étions sur le point de…
Il voit ma mine déçue et soudain beaucoup plus triste qu’en colère. Mais je
m’empresse de chasser cette peine. Si c’est vraiment ce qu’il pense, alors soit. Je
ne peux pas me permettre de lui montrer mes failles si visiblement nous ne
ressentons pas la même chose l’un pour l’autre. Il faut croire que je me suis
trompée sur lui. J’ai peut-être trop pris mes désirs pour des réalités…
— Eh bien, ça ne se passera pas ainsi. Notre décision est prise et je vais aller
sauver mon père. Ian va me faire entrer chez les Russel en tant que prisonnière.
Il m’enfermera dans le sous-sol où est enfermé Andrei.
— J’ai dit non, Kate, tu entends, s’indigne Daniel en pointant son doigt vers
moi. Tu vas être mignonne et faire exactement ce que je te dis. Tu n’iras pas ! Tu
vas rester sagement à la maison et tu vas me laisser gérer cette situation ! Ian et
moi trouverons une autre solution.
Percuté de plein fouet par mes remarques, Daniel a reculé de quelques pas au
fur et à mesure de mon avancée vers lui. Je peux lire la rage et la désapprobation
sur son visage. D’ailleurs, il me le fait bien ressentir quand il vient agripper
subitement mes épaules pour me secouer. En furie, il s’explique :
— Te rends-tu compte du danger que tu cours ? Qui te dit que les Russel ne
t’exploseront pas la tête à la minute où tu franchiras leur porte ? Ils pourraient
même être au courant pour Ian ! Ces hommes t’emmèneront peut-être dans leur
chambre pour t’infliger les pires sévices, avant de te laisser pour morte ! éclate-t-
il en se penchant vers moi, ce qui m’oblige à poser mon dos sur la table. Le
supporteras-tu, Katerina ?
Son visage est à quelques centimètres du mien et ses deux mains encadrent
mon visage.
Son cri laisse place au silence. Seul le bruit de nos respirations erratiques
résonne. En le scrutant, en constatant la fureur qui a teint ses yeux en noir, je ne
peux m’empêcher de le comprendre. Malgré ses dires, une partie de moi
continue de croire qu’il souhaite me protéger parce que je suis plus… Et non pas
parce qu’il me protège en tant que simple membre du clan Barish. Mais je suis
déterminée à le faire. Il doit se faire une raison, à présent.
D’une extrême tendresse, j’approche ma main de son visage pour lui effleurer
la joue.
Je fais une pause pour lui laisser le temps d’assimiler tout ça. Un sanglot
m’échappe.
— Eh bien moi tu vois, je n’ai jamais eu tout ça. Mon père ne m’a jamais lu
d’histoires. Il ne me prenait jamais dans ses bras et il ne pansait pas mes
blessures.
— Mais ce n’est peut-être pas trop tard. En tout cas, je veux y croire, lui
annoncé-je, plus assurée. Pouvoir le sauver et lui dire tout ce que je ressens… Je
veux lui expliquer pourquoi je lui en veux tant et pourquoi il n’a pas été un bon
père pour moi ! Et je veux aussi lui dire que son fils est en vie et qu’il a une
chance ! Une chance de pouvoir rattraper toutes ses erreurs et d’être enfin le père
que je mérite, que nous méritons. Alors, s’il te plaît, Daniel, je t’en supplie, ne
me prive pas de la seule occasion que j’ai de le faire. Tu sais très bien que c’est
la seule option que l’on a aujourd’hui. Si trouver une autre solution veut dire
perdre encore plus de temps, alors je refuse.
Je suis à bout de souffle, encore une fois. À bout de tout. C’est un trop-plein
d’émotion.
Le regard de Daniel finit par s’adoucir suite à mon récit et je peux voir toute la
sympathie qu’il y a dans ses yeux.
Qu’il en soit ainsi, alors... Nous nous comprenons, mais nous avons des
intérêts divergents et incompatibles dans cette histoire. Nous ne pouvons rien y
faire.
Je me dirige vers mon sac afin de partir, mais Daniel est plus rapide et me
bloque désormais la sortie.
— Arrête Kate, tu ne feras pas le poids au corps à corps avec moi et tu le sais,
m’avertit Daniel.
— Lâche-moi !
Connard est le seul mot qui me vient à l’esprit. Il me blesse en disant cela, et il
le sait… Mon seul moyen pour sortir de là est donc la ruse.
Fébrilement, je rejoins la rue et je réussis à héler un taxi sur son passage avant
de m’y engouffrer.
C’en est fini. Moi, Katerina Maslow, quitte officiellement le clan Barish et
m’affirme comme leader de mon clan. Je vais récupérer la place qui me revient
de droit. Je vais accepter mon héritage en tant que chef du clan Maslow.
6
Ma décision
Daniel
La pire décision de toutes
est celle que l’on n’a pas prise.
Zig Ziglar
Comment a-elle osé faire une chose pareille ? D’abord me cacher son plan et
ensuite me frapper pour fuir !
Mais pour qui se prend-elle, au juste ? Elle croit qu’elle peut juste me cogner
dessus et s’en tirer comme ça ? Elle veut aller sauver son père et se mettre en
danger ? Grand bien lui fasse ! J’en ai assez de la voir traîner dans mes pattes. Il
est temps qu’elle retrouve « son » clan, comme elle le clame si bien ! ragé-je en
cognant une nouvelle fois de mes poings la baie vitrée qui tremble.
— Bonjour, monsieur Barish, je voulais savoir avec qui vous vous rendrez au
gala de charité du Metropolitan Museum of Art samedi ? J’ai besoin de vous
inscrire sur les listes, m’informe ma nouvelle assistante
— Bien, monsieur.
**
Kate
Les jours passent et s’enchaînent. Je séjourne dans un joli hôtel assez simple
dans le sud de Brooklyn près de Coney Island. Je passe le plus clair de mon
temps dans les bureaux des Maslow. Leur QG est situé à Seattle, mais depuis que
le plan de sauvetage d’Andrei a été mis en place, beaucoup d’hommes haut
placés de l’organisation ont fait le déplacement pour l’organiser. Nous passons
donc nos journées à revoir en détail notre stratégie. En plus des membres
importants du clan Maslow, Ian est là, ainsi que Adriel et Harry, le bras droit de
mon père.
— Mon dieu, Kate ! Enfin tu réponds ! Tu n’as pas idée d’à quel point j’étais
inquiète pour toi ! s’affole mon amie en hurlant presque dans le haut-parleur du
téléphone.
— Kate…
— Haley ?
— Oui, je suis là, réplique la brune avant de marquer une nouvelle pause.
C’est juste que… « ton » clan ? Kate, je ne te reconnais pas là ?
— Oui, et bien ?
— Je n’aime toujours pas ce milieu, Haley. C’est juste que j’en ai besoin pour
sauver mon père, je n’ai pas le choix. Et j’appelle MON clan celui qui m’épaule,
m’encourage et me soutient dans mes décisions, ce que les Barish n’ont pas
réussi à faire jusqu’à présent.
— On réagit comme ça parce qu’on tient à toi, c’est tout. Et pour ton frère…
Pourquoi tu ne m’en as pas parlé ? Qu’est-ce qu’il se passe dans ta tête, ma
belle ?
— Je ne pensais pas à mal. Je ne t’ai rien dit pour Ian parce que la dernière
fois que je t’ai eu au téléphone je voulais qu’on se concentre sur toi. Tu venais
d’arriver à Paris et je souhaitais savoir comment ça se passait pour toi sans
t’ennuyer avec mes problèmes.
Je ne sais quoi répondre. La vérité c’est que, malgré les apparences, je suis
complètement perdue et paniquée. J’ai peur. Oui, peur, parce je viens de lâcher
les seules personnes que j’aime pour sauver Andrei au péril de ma vie et parce
que je suis désormais entourée de parfaits inconnus. Le clan Maslow est
adorable avec moi. Je n’ai même pas besoin d’imposer mon autorité, on me
traite déjà presque comme une reine. Mais je ne connais pas ces gens. Ce n’est
pas ma famille même si j’en porte le nom. Ma famille depuis plusieurs mois
c’est celle des Barish. Mais comme je viens de le dire à Haley, j’ai besoin
d’exécuter mon plan, et les Maslow sont les seuls prêts à m’aider.
— Non, c’est Peter. Il m’a dit que vous aviez passé une soirée tous ensemble
et qu’il t’avait vue danser avec Daniel.
— Je t’écoute ?
Je n’ai pas du tout envie de les revoir, mais elle me prend par les sentiments et
elle le sait.
Ce n’est d’ailleurs pas la seule interrogation qui m’obsède : que fait-il ? Qu’a-
t-il pensé de mon départ ? Du coup que je lui ai infligé ? M’en veut-il ? Me
cherche-t-il ? Est-ce que je lui manque ?
Je ne me sens pas bien. Vraiment pas bien. J’ai mal au cœur, la tête qui tourne
et un sentiment étrange de manque qui m’enserre les entrailles.
— Kate… Kate ?
— Oui, oui, on en a fini, confirmé-je à la hâte, consciente que tous les regards
sont braqués sur moi.
Tous les hommes s’éclipsent en silence tandis que je reste assise sur ma
chaise, le regard absent.
Il secoue la tête.
— Non je suis sérieux, dis-moi ce qui ne va pas. Tu es toute renfermée sur toi-
même depuis que tu es là. Tu ne parles à personne à part quand c’est pour le
travail. Et même là, tu n’es pas toute à fait présente. Tu sembles être ailleurs. Tu
peux me parler, tu le sais ça ? Si les Barish te manquent, si tu veux changer
d’avis, je peux l’entendre et le comprendre. Je n’aime pas te voir comme ça.
C’est touchant de voir que mon frère se soucie à ce point de mon bien-être,
mais je ne veux pas en discuter. Si je commençais à mettre des mots sur ce que je
ressentais, c’en serait fini. J’allais automatiquement m’effondrer. Or, je dois faire
abstraction de tout ça. Mon clan compte sur moi. Mon frère aussi… Et mon père
a plus que jamais besoin de mon sang-froid.
— Ce n’est pas facile pour moi, mais ne t’inquiète pas. On va aller jusqu’au
bout et dans quelque temps tout reviendra à la normale.
Je ne sais pas si mes mots sont censés convaincre mon frère ou moi-même.
— Seulement Haley.
— Un peu.
— Pourquoi pas.
C’est vrai, ça fait un moment que je ne suis pas sortie. Et puis Adriel a l’air
d’être quelqu’un de sympa. Je finis par accepter et c’est en silence que nous
rejoignons l’habitacle de sa voiture.
— Mais je peux quand même reconnaître des belles fleurs quand j’en vois, lui
dis-je en tentant de montrer un peu d’engouement.
Les yeux perdus dans l’immensité que le paysage nous offre, il soupire :
— La mafia, c’est souvent une histoire de famille. On n’y entre pas par
hasard. Mes parents travaillaient pour ton père. Comme tu t’en doutes, ça a mal
tourné. Ma mère s’est fait enlever par une mafia russe. J’avais 20 ans. Mon père
et le clan Maslow préconisaient la patience. Selon eux, si on agissait trop vite,
nous y perdrions tous la vie et ma mère également.
— Comme tu t’en doutes, ce n’est pas une histoire qui finit bien puisqu’on est
ici aujourd’hui.
Il secoue la tête.
— C’est à moi-même que j’en veux. Je ne dis pas que ma solution l’aurait
sauvée. Mais j’ai refusé de prendre le risque, pour mes proches. Parce que j’étais
trop faible pour m’opposer à eux, et j’avais peur de les perdre aussi. Je m’en
veux de ne pas avoir tout tenté pour ma mère. Peut-être que je ne l’aurais pas
sauvé, mais ça m’aurait évité de penser tous les jours en me réveillant : « Et si
mon plan l’avait sauvé ? »
Je réfléchis quelques minutes à son histoire. Adriel s’en veut parce qu’il a été
plus facile d’obéir à ses proches plutôt que de mettre son plan à exécution. Sa
situation ressemble tellement à la mienne, mais contrairement à lui, j’ai encore le
choix de suivre mon instinct.
— Non, ce que je veux dire c’est que tu sais déjà que j’ai choisi de mettre mon
plan à exécution, même si ça m’a forcée à rentrer en opposition avec mes amis.
— Parce que je vois à quel point ta décision te rend malheureuse. Je vois aussi
à quel point tu doutes chaque jour. Je veux juste que tu saches que tu prends la
bonne décision. La bonne solution ne signifie pas que tu vas réussir à sauver
Andrei. La bonne solution c’est simplement celle qui sera la tienne. Pas celle de
tes proches. Si tu cèdes, Kate, toute ta vie tu te poseras cette fameuse question :
« Et si je l’avais fait ? ». Tes proches n’ont pas le même objectif que toi. Ils
veulent te protéger toi. Mais toi, Ian et moi, on sait ce que c’est que de perdre un
parent et on sait ce que c’est d’être prêt à tout pour le ramener.
Il a raison. Je dois choisir l’option qui m’aidera à mieux dormir la nuit au cas
où les choses tourneraient mal. Et si mes proches tiennent à moi, ils
comprendront… C’est dur de m’opposer à eux, mais je comprends désormais
que j’ai fait le bon choix.
Après notre escapade à la mer, Adriel nous conduit dans un bowling. Il dit que
ça nous fera du bien. Il n’a pas tort d’ailleurs. Nous prenons le temps
d’apprendre à nous connaître un peu mieux et nous rions beaucoup. Il gagne, et
ce haut la main, mais il a la courtoisie de ne pas s’en vanter. Je lui parle de ma
vie, de Peter, de Haley, de Carla et de tous les autres en prenant soin de ne pas
mentionner mon ancien patron. Il m’en raconte plus sur mon père, le clan
Maslow et sa famille.
— Je t’en prie. On devrait remettre ça. Tiens, d’ailleurs, je vais devoir aller
représenter le clan à un gala de charité demain. Harry et moi avons pensé que ça
serait pas mal que tu m’accompagnes.
— C’est toi qui es en charge des sorties officielles ? Ça ne devrait pas être
Harry ?
Après tout que Daniel soit là où pas, ma décision est prise et je ne céderai pas.
Je lève les yeux au ciel bien qu’un demi-sourire s’affiche sur mon visage à ce
compliment.
— Très bien mon ami ! J’espérais vraiment vous voir ce soir ! Oh, mais qui
est la délicieuse créature à votre bras ?
Il me tend la main en me dévorant du regard.
— Des vacances que vous avez passées dans la maison de monsieur Barish si
je ne me trompe pas… Ou plutôt, devrais-je dire dans son lit, d’après les
rumeurs.
Mon sourire disparaît aussitôt. Qui est cet homme provocateur et indiscret qui
se permet presque de m’insulter ? Son regard se fait effronté et malicieux tandis
que les traits de mon visage se durcissent considérablement. S’il me cherche, il
va me trouver. Qu’insinue-t-il exactement ? Que j’ai couché avec Daniel ?
Décidément, bien des rumeurs ont fuité…
— Pourquoi est-ce que vous me dites ça ? dit-il en perdant un peu son sourire.
Cette fois-ci, c’est son visage qui s’assombrit et qui se fait plus menaçant.
— Je n’ai que faire de qui vous êtes, monsieur. Je sais qui je suis et cela me
suffit amplement, rétorqué-je la tête haute.
— Et qui êtes-vous ?
Je lui souris encore une fois avant de m’approcher de lui jusqu’à lui chuchoter.
Bien sûr, cette histoire de tireur d’élite est complètement fausse, mais ça a au
moins eu le mérite de le faire douter.
— Désolé pour ça, j’ignorai qu’il réagirait de la sorte, s’excuse le brun à mes
côtés.
— Nous entretenons des relations cordiales, sans être amicales. C’est notre
partenaire serbe. Depuis le départ de ton père, on se sait plus très bien qui sont
nos amis et nos ennemis.
— En tant que Maslow, les gens s’attendent à ce que tu fasses tes preuves. Et
tu t’en sors plutôt pas mal, me complimente-t-il en m’entraînant vers le buffet.
Que lui as-tu dit ?
Je lui souris.
Je finis par laisser Adriel discuter avec une demoiselle pour aller observer un
merveilleux tableau. Mon moment de calme est interrompu par une voix
féminine derrière moi.
— Je ne suis pas une grande fan de peinture, mais je dois avouer que celle-ci a
quelque chose de spécial, réponds-je sans me retourner.
— L’auteur a dit de ses œuvres que seuls les gens spéciaux seraient les
apprécier.
Je pense que l’individu va s’éloigner, mais aucun bruit de pas ne résonne alors
je me retourne.
— Excusez-moi, Katerina, je ne vous avais pas reconnue, mais c’est très clair
maintenant, lance-t-elle chaleureusement. Je suis plus que ravie d’enfin vous
rencontrer.
— J’organise l’événement.
— Disons que j’ai bien connu votre famille... Et vous ressemblez à votre père.
7
Entre amour
et amitiés
Kate
Il n’y a pas d’amour ni d’amitié qui croisent le chemin
de notre destination sans laisser de marque pour toujours.
François Mocuriac
Elle semble innocente et gentille. Mais elle en sait plus que ce qu’elle en dit et
cela me pousse à la méfiance. La dame s’approche doucement de moi et pose sa
main sur mon épaule. Je sursaute, légèrement surprise.
Sans perdre plus de temps, je pars rejoindre Adriel aussi vite que possible sans
que cela ne paraisse suspect. La musique bat son plein dans la salle principale et
je repère facilement mon partenaire près du bar, seul.
Je ris.
— Quel séducteur !
— J’ai la plus belle créature de la soirée à mon bras, il faut bien que j’en
profite, ricane-t-il en nous positionnant sur la piste de danse pour commencer un
slow.
Bon, il faut avouer que la plupart ne sont plus toutes jeunes, mais il doit bien y
avoir une jolie blonde peroxydée dans cette soirée. Il y en a toujours.
Il s’agit effectivement d’une jeune et belle blonde, au corps sculpté, avec des
jambes à n’en plus finir et une poitrine aussi fausse que la longueur de ses
ongles. Elle porte une robe dorée sublime, très moulante, qui s’arrête au-dessus
de ses genoux. Elle marche seule autour du buffet, elle semble chercher
quelqu’un.
— Elle n’est pas mal, admet Adriel, mais pas assez naturelle et trop blonde
pour paraître intelligente, se moque mon ami.
Je lui frappe doucement l’épaule par principe, mais rigole avec lui.
— Sois gentil !
La blonde s’accroche au bras de Daniel en lui adressant son plus beau sourire
digne d’une pub Colgate, avant qu’il ne la conduise sur la piste de danse.
— Kate ?
— Kate ?!
Je reporte soudain mon attention sur Adriel qui a haussé le ton pour attirer
mon attention.
— Eh merde ! fait-il en suivant mon regard. J’espérais qu’il ne serait pas là.
J’étais préparée à ce qu’il soit là... Mais pas à le voir se pavaner avec une jolie
blonde à son bras. C’est qui celle-là ? Son ex, peut-être ? J’ai cru qu’il ne
m’avait pas contactée parce qu’il m’en voulait, mais peut-être qu’il est
simplement indifférent, finalement… Ou pire encore, peut-être est-il heureux de
mon départ puisqu’il peut passer du temps avec sa blonde, désormais…
Je tente en vain de rester concentrée sur notre danse, mais mon regard ne peut
s’empêcher de dévier vers le couple. Je suis blessée. J’avais initialement prévu
de me montrer forte si jamais je venais à le croiser parce que je suis fière de mes
choix et je les assume. Mais je n’avais pas envisagé ce scénario. Je dois le voir,
lui parler... J’ai besoin de savoir ce qu’il pense.
— Tu en es sûre ?
Il hausse un sourcil.
J’ignore s’il m’a vue, mais une fois à proximité du couple, je demande :
**
Daniel
C’était certainement la soirée la plus ennuyante au monde. Toujours les
mêmes personnes arrogantes, les mêmes sourires hypocrites... Synthia est une
assistante très compétente, mais dans la vie de tous les jours... Mon Dieu, cette
femme est un vrai moulin à paroles, que quelqu’un la fasse taire ! Surtout quand
on réalise toutes les bêtises qu’elle débite à la minute.
Une voix douce et respectueuse attire mon attention. Une voix trop familière
pour moi…
Peu importe, j’ai accepté et Synthia se recule déjà pour sortir de la piste de
danse alors que Kate me regarde et attend. Je lui tends la main, le visage dénué
d’émotion. Le sien tente de l’être également, mais j’y décèle de l’appréhension,
de la tension et une pointe de chagrin.
Néanmoins, elle finit par saisir ma main et poser la sienne sur mon épaule
tandis que la mienne vient se glisser dans le creux de sa hanche.
— Je veux savoir ce qui se passera après ? Une fois que j’aurais sauvé mon
père…
**
Kate
J’ai lâché la question qui me terrorisait le plus. Va-t-il pouvoir me pardonner ?
Les choses pourront-elles un jour redevenir comme avant ? Vais-je pouvoir
retrouver l’homme qui compte tant pour moi ?
Il hausse simplement les épaules, indifférent. Il ne peut pas tout ruiner comme
ça. On revient de si loin... Je ne vais pas le laisser tout détruire comme ça.
Il n’a pas le droit de me faire ça. Pas après toute l’importance et la confiance
que je lui ai accordées. J’ai fait l’erreur de lui donner une partie de mon cœur et
voilà qu’il le brise sans scrupule.
Je ne peux pas croire ce qu’il m’a dit. Comment a-t-il pu lâcher ces mots si
durs à mon égard tout en restant aussi sec et flegmatique alors que j’étais là,
presque à le supplier de me pardonner, d’accepter mes choix et de ne pas
m’abandonner.
Les larmes tracent de brûlants sillons sur mes joues, mes sanglots perturbent
le silence nocturne. Je sens la peine me déchirer l’estomac.
Pour la énième fois, mon téléphone se met à sonner et je finis finalement par
envoyer un message à Adriel pour le rassurer et le prévenir que j’ai déjà rejoint
l’hôtel après que mon entretien avec Daniel s’est mal passé. Je vais pour
remettre mon téléphone à sa place quand soudain un appel entrant s’affiche.
Peter. Lui aussi essaie de me joindre continuellement. Mais pourquoi
maintenant, à 1 heure du matin ?
Après l’avoir ignoré pendant des jours, j’en ai soudain plus la force. Peu
importe les réflexions qu’il fera, j’ai juste besoin d’entendre la voix familière de
mon ami.
— Kate ?
Il semble ne pas y croire.
— Enfin tu décroches ! Tu ne sais pas à quel point j’étais inquiet pour toi ! Tu
vas bien ?
— Kate, je te jure qu’à ce stade je veux juste te voir et m’assurer que tu vas
bien. J’étais en colère au début parce que je te trouvais inconsciente de prendre
tous ces risques. Et même si je n’aime pas ça, je peux te comprendre. Daniel est
peut-être trop têtu pour le voir, mais pas moi. Tu me manques, laisse-moi être là
pour toi.
— J’arrive.
Quand il voit mon visage dévasté par les larmes et ma robe mouillée par
l’humidité de l’herbe, mon ami perd son sourire.
Il m’enlace immédiatement dans ses bras forts. J’avais oublié à quel point
l’odeur de Peter était réconfortante.
— J’avais peur que tu me forces à venir, j’avais peur de t’entendre toi aussi
me sermonner et je ne voulais surtout pas voir que mon meilleur ami ne me
soutenait pas non plus dans mes décisions, réussis-je à marmonner entre mes
larmes.
— Je suis désolé si c’est l’impression que je t’ai donnée. C’est vrai qu’au
début j’avais du mal à comprendre parce que je tiens à toi et je ne veux pas qu’il
t’arrive malheur. Mais je te jure que si c’est vraiment ce que tu veux, je suis avec
toi. Je ne te forcerai à rien, mais laisse-moi être là pour toi.
— Je ne peux pas être l’ami qui te soutient dans tes décisions si tu ne m’en
laisses pas l’opportunité. Tu dois avoir foi en moi.
— Toi aussi !
— Qu’y a-t-il, Kate ? s’enquiert mon ami une fois assis, nos cafés brûlants
entre les mains.
Alors je lui raconte tout : ma version des faits de ma dispute avec Daniel, mon
plan pour sauver Andrei, mon intégration au clan Maslow, la soirée de ce soir et
ce que Daniel m’a dit.
— Quel con ! marmonne Peter, en plissant le front. Je ne peux pas croire qu’il
réagit de la sorte.
— Comment ça ?
— Parce qu’il tient autant à toi que toi à lui, ça crève les yeux. Crois-tu qu’il
ferait tous ces efforts pour que tu restes en vie et en sécurité, sinon ? Cette
situation a pris de telles proportions, c’est pas croyable…
Peter m’a donné matière à réfléchir. La peine est toujours présente, mais
l’espoir revient.
Ma colère vient du fait que j’ai réalisé l’odieux chantage que Daniel a tenté de
me faire. Il a profité de mon affection pour lui pour essayer de me convaincre de
changer d’avis. Alors, oui, peut-être ne me pardonnera-t-il pas après le sauvetage
d’Andrei, ou peut-être le fera-t-il. Mais ce qui est certain, à présent, c’est qu’il
n’a dit cela que pour m’influencer. Et je lui en veux une fois de plus de profiter
de ma naïveté. Peut-être s’agit-il d’une déformation professionnelle, mais Daniel
est un manipulateur né. Il arrive toujours à ses fins. Ce n’est pas pour rien qu’il
est le chef d’un des plus grands clans des États-Unis d’Amérique.
Concernant mon père, nous avons fixé la date de son sauvetage et cela aura
lieu dans quatre jours. Je suis partagée entre appréhension et impatience.
Pour l’événement, j’ai choisi de porter une robe sobre, blanche à col rond qui
s’arrête juste au-dessus du genou. Je l’ai accessoirisée d’un blazer noir et d’une
paire d’escarpins de la même couleur. Peter m’a aimablement proposé de
m’accompagner. Haley nous a apparemment réservé deux places à l’écart de
celles du groupe. C’est donc un peu rassurée que je retrouve Peter dans mon taxi
en début d’après-midi.
Il porte un jean noir, un polo blanc avec une veste de costume. Un look chic et
décontracté qui lui va à la perfection.
— T’es pas mal non plus, relève-t-il, mais si je te touche, ce n’est pas les
foudres que je risque, mais plutôt une balle dans la tête.
Je le regarde d’un air exaspéré.
— Kate ? m’interpelle-t-elle.
— Oui ?
— C’est la dernière fois, d’accord ? Je te pardonne une fois, pas deux. Je peux
comprendre que tu te sois égarée, mais ne refais pas la même erreur.
— Oh désolé, je n’ai rien vu ! m’écrié-je en posant une main sur mes yeux.
J’ai entraperçu Peter allongé sur Haley sur le canapé en train de l’embrasser
de manière plutôt suggestive. Dieu merci, ils portaient encore tous leurs
vêtements.
Carla et moi nous retrouvons dans un bar autour d’une bière. Je craignais que
l’ambiance soit tendue, mais elle semble m’avoir réellement pardonné et sait
détendre l’atmosphère.
On aurait dit une jeune adolescente. Étonnant pour une personne aussi
caractérielle qu’elle.
— Toi, tu lui as tapé dans l’œil dès qu’il t’a vue en tout cas. Est-ce qu’il s’est
passé quelque chose entre vous ?
— Nous sommes sortis tous les deux quelques fois et il m’a embrassée il y a
quelques jours…
Sur ces mots, nous dégustons nos plats dans la bonne humeur et la joie de se
retrouver. À la fin du repas, je fais mes adieux à Carla en m’excusant encore une
fois pour mon comportement passé et lui promets de l’appeler régulièrement.
8
2402KM
Kate
La mort est paisible, simple.
C’est beaucoup plus difficile de vivre.
Stephenie Meyer
La tension monte d’un cran. Tous les Maslow ainsi réunis autour de la table en
salle de réunion semblent prendre conscience qu’il s’agit là de la plus importante
de leur mission. Ça passe ou ça casse. Ils ressentent sûrement tous une certaine
frustration de ne pas être directement au cœur de l’action. Seuls Ian et moi allons
pénétrer dans le domaine des Russel, les deux seuls héritiers du nom.
Nous peaufinons les derniers détails du plan. D’après Adriel, je devrai faire
semblant d’être évanouie et avoir les mains liées quand Ian me fera pénétrer
dans la maison. Ainsi, si quelqu’un nous surprend, ça n’aura l’air à leurs yeux
que d’un kidnapping. Les Russel seront heureux de constater que Ian est parvenu
à enlever l’héritière Maslow chez les Barish. Et, pour simuler cette scène, je ne
peux paraître consciente. Ils se doutent bien que je n’aurais jamais accepté de
suivre Ian de mon plein gré.
Papa… Je vais le revoir. Cette idée est devenue une vraie obsession. Je la
veux, ma deuxième chance. Viscéralement. Il représente la lumière au bout du
tunnel. Peut-être qu’après, tout rentrera dans l’ordre. J’aurai un semblant de
famille, un foyer. On repartira sur des bases de franchise et d’honnêteté. Il faut
que le plan fonctionne !
Le silence qui règne dans la salle me donne des frissons. Je peux presque voir
les pires scénarios qu’imaginent les hommes autour de moi. Tout le monde
cogite dans son coin. Seulement quelques mots sont échangés de temps en
temps. Au bout d’un moment, j’en ai assez et j’estime que je dois m’exprimer. Je
me lève brusquement.
— Assez avec les détails ! On a déjà tout imaginé, tout prévu. Si tout le
monde s’en tient au plan, tout se passera bien. Maintenant, préparez-vous. On
prend l’avion pour Los Angeles ce soir, expliqué-je en m’adressant plus
précisément à ceux qui nous accompagnent.
Je ramasse mon portable sur la table et me dirige vers la porte. Je sors sans
plus de cérémonie en claquant la porte. Je ne supporte plus cette atmosphère. Ça
n’aide personne.
J’ai donné rendez-vous à mes amis dans Prospect Park pour un pique-nique
cette après-midi. Ça sera mon dernier moment avec eux avant mon départ et je
tiens à le rendre agréable. Bien sûr, Daniel ne sera pas de la partie, mais j’ai
désormais le soutien, ou du moins l’acceptation, de Carla, de Haley, de Peter et
de Jason.
Je me dis pour m’encourager que la prochaine fois que je les verrai je leur
présenterai mon père. L’homme qui m’a donné la vie, l’homme qui m’en a privé
et celui qui semble enclin à me la rendre. Approuverait-il ? Je doute qu’il soit
satisfait de savoir que mes amis font partie d’une mafia. Après tout, il a passé sa
vie à essayer de m’en éloigner. Mais je reste persuadée que lui plus qu’un autre
saura voir au-delà des apparences. Il fréquente ce milieu depuis assez longtemps
pour savoir que tous les gens mafieux ne sont pas forcément mauvais. J’ai
tellement envie de partager ça avec lui. Lui parler d’à quel point Adriel est
intelligent et de la loyauté dont Harry a fait preuve, ou même de l’accueil que
m’ont réservé ses hommes. Cela ne signifie pas que j’approuve ses activités,
seulement que j’ai été agréablement surprise de découvrir les valeurs d’une
mafia, autant avec les Barish qu’avec les Maslow. Ce sont bien plus que de
simples criminels.
Arrivée à Prospect Park, je retrouve mes amis installés sous l’ombre d’un
arbre. Haley est assise entre les jambes de Peter et Carla est tout près de Jason.
Leur visage n’exprime ni rancœur ni inquiétude, seulement un sourire
chaleureux et accueillant. C’est exactement ce qu’il me faut.
Ils sont tous installés sur des couvertures et, comme eux, j’étale la mienne au
sol et pose ma glacière au centre.
— On se calme, les hommes des cavernes, gronde Carla en tapant sur la main
de son voisin qui cherchait déjà un sandwich.
Elle semble triste à cette idée. En même temps, elle est en train de démarrer
une relation avec Peter et la distance ainsi que le décalage horaire ne vont pas
aider.
— Non, ce n’est pas que mon travail. Certaines sont celles que j’ai dessinées.
Deux d’entre elles étaient des créations que Lou Venitie avait repérées dans mon
carnet. Ce sont mes premières créations en tant que professionnelle et c’était
merveilleux de voir mes croquis prendre vie et obtenir l’appréciation de vrais
experts !
— Bien sûr, les gens avec qui je travaille y ont apporté leur savoir-faire et
leurs conseils. Quant aux autres modèles de cette collection, ils sont signés Lou
Venitie, mais j’ai travaillé sur tous sans exception : que ça soit sur des détails, la
matière choisie, les couleurs…
— Je dois dire que je suis un peu jalouse, ça doit être génial de travailler au
milieu de robes, de chaussures et de ne parler que de ça tous les jours, avoue
Carla.
— Oh que oui ! Surtout que tout le monde est passionné ! Bon, c’est comme
partout, il y a parfois des conflits, de la pression à gérer, un rythme à tenir. Mais
je n’ai pas à me plaindre. Toi aussi tu pourrais trouver un boulot là-dedans si ça
te plaît.
Son aveu m’interpelle et je tourne la tête vers elle avec un étonnement non
dissimulé.
— Qu’est-ce que tu veux dire, Carla ?
Elle hausse encore une fois les épaules, comme si c’était un fait évident.
— J’ai passé trop de temps à vivre dans l’illégalité pour me contenter d’un job
pour monsieur et madame tout le monde.
C’est un argument étrange, moi qui n’aspire justement qu’à une vie normale.
— Ce n’est pas pour tout le monde. Comme je n’ai connu que ça, je ne sais
pas vivre autrement.
La bonne humeur refait son apparition et les blagues vont bon train. Même
Carla a laissé ses mauvaises pensées de côté pour profiter du moment présent.
J’ai le pouvoir.
— Ok, j’ai apporté des fruits. Je t’épluche celui que tu veux, propose-t-il.
Il tend la main vers mon sandwich et m’offre son regard de chien battu.
Il soupire.
— Très bien !
C’est à contrecœur que je fais mes au revoir à mes amis, en espérant que ça ne
soit pas des adieux.
— Jason a raison, confirme Haley, je suis sûre que tu vas nous revenir en un
seul morceau, et avec ton père qui plus est.
— Merci, Haley.
Je lui suis reconnaissante pour ces paroles rassurantes. Elle est la première à
m’enlacer et à embrasser ma joue.
— Bien sûr !
— S’il t’arrive quelque chose, je jure que je te le ferai payer dans une autre
vie !
C’est étrange cette relation qui s’est installée entre Carla et moi. Bien
différente de celle que j’entretiens avec Haley. Carla ne me laisse pas le droit à
l’erreur. Elle ne permet à personne de lui faire du mal ou de la décevoir. Je sais
que je ne dois pas me louper avec elle. Rien de surprenant quand on connaît son
histoire… Elle s’est laissée faire pendant des années et, désormais, elle a décidé
de laisser ce vieux travers de côté pour devenir plus forte, plus affirmée.
Nous nous éloignons sous le regard attentif de nos amis alors que je me
retourne sur le chemin pour leur faire un signe de la main.
— Prête pour L. A. ? s’enquiert Peter, une fois seuls.
— Je ne suis pas sûre d’avoir le temps de visiter… Mais j’ai hâte d’y être et
d’en finir avec tout ça, oui.
— Tu angoisses ?
Je hoche la tête.
— Promets-le-moi ! insiste-t-il
— C’est promis.
Je m’emmitoufle aussi fort que possible dans le creux de ses bras, profitant du
réconfort qu’il m’offre.
Il me sourit chaleureusement.
Je secoue la tête.
— Tu angoisses ?
— Je peux compter sur toi, pas vrai ? Tu feras ce qu’il faut pour nous le
ramener ?
Je ne sais pas pourquoi j’ai posé cette question. J’ai juste besoin qu’il me
confirme sa détermination.
Je retiens un instant sa main et son regard pour tenter d’y lire ce que ses lèvres
refusent de me dire. Je ne parviens pas à mettre le doigt dessus.
**
Nous avons posé nos affaires dans un appartement loué pour l’occasion,
l’endroit idéal pour se rafraîchir et manger un peu avant la nuit. Nous avons
emmené dix hommes avec nous, et l’espace n’est pas assez grand pour nous
permettre de tous dormir ici, mais nous ne sommes pas là pour ça.
Vers 2 heures du matin, Ian et moi montons à bord d’une voiture de location,
lui au volant et moi à l’arrière, les poings liés par des menottes dont les clefs se
trouvent dans la poche de mon jean.
En arrivant près du quartier général des Russel, dans la banlieue de Los
Angeles, Ian m’informe qu’il est temps pour moi de m’allonger et de fermer les
yeux. Je m’exécute.
Privée d’un de mes sens, je comprends que l’heure est venue en sentant la
voiture s’immobiliser et le son du moteur cesser. Les battements de mon cœur
redoublent et l’adrénaline monte d’un cran.
Ian fait claquer sa portière avant d’ouvrir la mienne alors que je lutte contre
moi-même pour ne pas ouvrir les yeux. Je suis totalement à sa merci. Tout
repose sur mon frère, à présent. Il me fait glisser sur la banquette jusqu’à pouvoir
m’attraper et me balancer sur son épaule.
Comme je n’entends que les bruits de pas de Ian, je présume que personne
n’est là. Ouf !
Nous semblons effectivement être dans un sous-sol. Nous nous trouvons dans
un grand couloir avec plusieurs portes, à droite comme à gauche, avec à une
extrémité l’escalier, et de l’autre une porte qui, selon les dires de mon frère, est
celle qui nous permettra de trouver la sortie.
Ian me fait signe de libérer mes poignets en silence tandis qu’il s’avance vers
l’une des portes pour en taper le code. 1804LS, ne puis-je m’empêcher de
retenir. On ne sait jamais…
Je m’affaire sur les menottes pendant que Ian entrouvre à peine la porte, pas
assez cependant pour me permettre de le voir.
Il ne lutte même pas et bascule sur le dos dans une quinte de toux.
J’encadre son visage de mes mains en constatant qu’il ne répond pas et que
ses yeux demeurent fermés.
Il tousse de nouveau et je fais un bref état des lieux de ses blessures en lui
enlevant ses menottes avec les clefs qui m’ont aidé à défaire les miennes. Celle
de son épaule est la plus grave. On dirait qu’une lame y a été enfoncée. Ça ne
saigne pas beaucoup, mais ça semble infecté. Il a aussi beaucoup d’hématomes,
de coupures au visage, et les lèvres fendues à force d’accumuler les coups.
Je le secoue un peu plus fort à présent, inquiète qu’il ne soit pas en état de
marcher. Ian ne va plus tarder à redescendre et il nous faudra faire vite. La police
va envahir les lieux et nous devons être partis avant leur descente au sous-sol.
Je m’en saisis à toute vitesse avant de revenir vers lui et de lui soulever
doucement la tête pour qu’il se désaltère. Ça l’aidera à faire le trajet. Il se laisse
guider, semblant savourer ce moment.
— Papa, écoute-moi bien… Je vais avoir besoin que tu rassembles toutes tes
forces et que tu marches…
Je réalise que des larmes coulent de mes yeux en les voyant s’échouer sur le
buste de mon père. J’ai tellement peur qu’on échoue. Je sais au fond de moi que
Ian aurait déjà dû revenir et j’ignore volontairement le bruit que je commence à
entendre à l’étage. Il faut qu’on déguerpisse d’ici au plus vite. Sa vie en dépend.
Sur ces paroles, je fais passer son bras par-dessus mes épaules. Je me redresse
doucement, entraînant son corps avec le mien.
J’espère vraiment que Ian ne tardera plus à arriver. Je ne suis vraiment pas
certaine de pouvoir tenir la cadence longtemps. Je remarque rapidement que la
cheville droite de Andrei est inutilisable et qu’il semble manquer quelques
orteils à ses pieds nus. Je retiens à peine un haut-le-cœur. J’ai envie de
m’effondrer tant cette vision me déchire. Je ne peux concevoir qu’on ait pu
autant blesser un homme, le charcuter comme s’il n’était rien d’autre qu’un
vulgaire bout de viande.
J’écarte rapidement ces pensées négatives et fais le vide dans mon cerveau.
Nous devons survivre. Je dois sauver mon père. Je serre la mâchoire et enlace
avec force sa taille pour l’aider à soutenir autant que possible son poids. Nous
nous dirigeons alors vers la porte qui donne sur le passage sous-terrain. Andrei
ne cesse de murmurer à mon oreille des propos incohérents. Il divague
complètement.
Une fois face à la porte, je constate avec effroi que je ne peux absolument pas
l’ouvrir sans Ian. Il faut un code pour la déverrouiller et, malheureusement, ce
n’est pas le même que celui de la cellule d’Andrei.
La police est déjà là, j’en suis sûre, mais Ian, lui, ne l’est toujours pas…
Je laisse mon père s’appuyer contre le mur pour qu’il puisse se reposer et que
je reprenne mon souffle.
Il me faut une solution. Je ne peux pas attendre Ian plus longtemps. Je crois
que j’ai compris avant même de franchir le seuil de cette maison qu’il ne
m’aiderait pas. Ça n’a jamais été son combat.
Je suis en train de devenir folle, entre le bruit de bagarre à l’étage, ceux des
sirènes de police et les murmures incohérents d’Andrei. Je ne sais plus où donner
de la tête. Je ne peux pas penser clairement.
C’est la première fois que j’entends aussi distinctement sa voix depuis que je
l’ai trouvé dans sa cellule. Cela attire mon attention.
— 2402KM
— Hein ?
Il s’exécute et, même si son poids me fait mal, c’est la manière la plus rapide
pour se déplacer. Plus qu’un kilomètre à faire et nous serons sortis d’affaire pour
de bon. Je tente de trottiner, mais, quelques mètres plus tard, je suis forcée de
m’interrompre. C’est bien trop difficile de supporter son poids à ce rythme.
Ainsi, je me contente d’une marche rapide en respirant doucement par à-coups
pour reprendre mon souffle. Cette déambulation me semble interminable.
— Oui, soufflé-je d’une voix qui paraît à présent autant fatiguée que la sienne.
Il acquiesce et, comme au début, j’enroule son bras autour de mes épaules
pour le soulager un peu et j’entoure le mien autour de sa taille.
Je prie pour que ça soit Ian qui vient d’emprunter la porte du souterrain pour
nous rejoindre.
— Papa, je t’en prie. Plus vite ! le supplié-je alors que la terreur me gagne.
Je ravale mes larmes en entendant des bruits de pas de course se rapprocher
rapidement de nous. J’essaie d’augmenter notre allure. J’entends Andrei grincer
des dents.
— Je ne veux pas te perdre, hurlé-je d’un air déterminé, tu entends. J’ai besoin
de toi !
— Maslow !
Cette voix m’est inconnue, mais je comprends qu’il s’agit d’un Russel… La
luminosité est faible et nous ne voyons quasiment rien, alors impossible de dire
si le Russel se trouve à portée de vue ou non. Comme je viens d’entendre la
porte du passage claquer un peu plus tôt, je suppose qu’il vient simplement d’y
entrer, mais comme le moindre bruit résonne, on pourrait croire qu’il est tout
près.
Nous n’avons pas le temps de faire un pas de plus quand la détonation d’un
revolver nous assourdit les oreilles. Le corps d’Andrei est projeté à l’avant. Un
frisson d’effroi me parcourt l’échine en le voyant s’écrouler au sol.
— NON !
— Papa !
Ma voix se brise en sanglots déchirants, ainsi que mon cœur et mes espoirs.
Il prend ma main dans la sienne. Je la serre fort, consciente que les pas de
l’assaillant de mon père ne sont plus qu’à quelques mètres.
Les Russel ont voulu me capturer pour que mon père me voie souffrir, et c’est
ce qui se passe. Ils ne me tueront pas avant le dernier souffle d’Andrei, mais,
après, mon heure viendra…
Je vis à présent mes dernières secondes. Je ferme les yeux pour me préparer à
rejoindre mon père, où qu’il soit.
Quand je réalise que la détonation vient de derrière moi, j’ouvre les paupières.
J’ai à peine le temps de voir mon adversaire s’écrouler à terre, je me sens être
saisie vigoureusement à la taille par deux bras forts. Mon dos entre en collision
avec un torse qui dans son élan me projette en avant avant de me rattraper pour
m’empêcher de chuter.
— Dépêche-toi, ma puce !
Je me retourne pour découvrir Daniel, essoufflé et pressé. Je comprends qu’il
m’a sauvé la vie en arrivant par la sortie du tunnel et en prenant mon ennemi par
surprise.
Avant même que je ne puisse réagir, Daniel me tire le bras pour m’entraîner
vers la sortie.
Je me précipite de nouveau vers son corps et encadre son visage de mes mains
afin d’admirer ses traits si familiers, si abîmés. J’ai devant moi un homme que je
n’ai jamais vraiment connu et on vient de me priver de la seule occasion que
j’avais de le connaître un jour.
Je ne réagis pas.
Il est désormais derrière moi. Il enlace ma taille et enfouit son visage dans
mon cou.
— C’est fini, il faut partir maintenant. On ne peut pas perdre plus de temps.
Des bruits de pas se rapprochent.
Je le sens lutter contre lui-même pour ne pas me mettre sur son dos et sortir à
toute allure d’ici.
Il ne me laisse pas l’occasion de répliquer quand les bruits de pas se font plus
vigoureux et il me force à me remettre debout. Il prend ma main et m’entraîne en
courant loin de mon père.
— Papa ! gémis-je de douleur alors que je vois son corps s’éloigner de mon
champ de vision.
La lumière du tunnel se fait plus nette et, au plafond, se trouve une trappe
ouverte. Daniel me soulève et, lorsque je tends les bras, ils sont immédiatement
saisis par ceux des membres du clan Barish. Je ne comprends pas. Où sont les
Maslow ? Une fois debout, Derek attrape mon bras et me guide jusqu’à une
voiture.
Une fois dans la voiture, je vois Daniel émerger de la trappe alors que Derek
retourne vers lui. Il l’interroge du regard et Daniel secoue la tête, reconnaissant
silencieusement le décès d’Andrei et l’absence de mon frère. Tous les hommes
se précipitent ensuite dans les voitures. Derek au volant de celle dans laquelle je
me trouve et Daniel sur la banquette arrière à mes côtés.
Que se passe-t-il ?
Bon sang... Non seulement le plan a échoué, mais en plus de ça le clan de mon
père a plongé… Je réalise que le plan de Ian n’a jamais été de sauver Andrei. Il
voulait simplement se venger, faire son boulot de flic et arrêter tout le monde…
Après tout, la mafia en général a ruiné sa vie. Comment ai-je pu être aussi
naïve ? Ça me saute aux yeux à présent.
— C’est-à-dire ?
— Je vais le…
Il soupire.
C’est ainsi que je le sens. Comme une gifle en pleine figure. Je sens son
amour. Je le sens si fort, si puissant, si réconfortant. Sauf que je ne l’accepterai
pas. Je dois quitter ce monde, et le plus vite possible. La vie de mafieux vient de
tuer mon père, je refuse de me laisser aimer, ou pire, d’aimer un homme qui
choisit cette vie de son plein gré. Cela finira par le tuer également. Et si je ne le
fuis pas au plus vite, elle me tuera aussi.
Encore une fois, je ne peux résister à l’idée de plonger mes prunelles dans les
siennes, attristée par ce constat : Daniel et moi sommes incompatibles.
Son sourire s’efface, mais à ce moment précis cela ne m’importe que trop
peu…
**
Daniel
Plus tôt dans la journée
Peter m’a dit qu’il sortait pique-niquer avec Jason, Carla et ma sœur. Je ne
suis pas dupe, j’ai bien conscience qu’ils vont rejoindre Kate. Ce sera
certainement le dernier moment qu’ils partageront avant son départ pour Los
Angeles.
Ma colère contre elle due à sa décision ne s’est pas apaisée. Mais plus le
temps passe, plus elle est remplacée par de l’appréhension. Mon estomac se noue
à l’idée que ce soir elle se jette dans la gueule du loup...
— Agréable.
Je sais qu’il l’a vue, et il sait que je sais. Inutile de faire semblant plus
longtemps.
— Elle a peur, mais elle garde les idées claires, dit-il honnêtement.
— Qu’en penses-tu ?
Difficile pour moi de le reconnaître, mais j’ai besoin de conseils, pas de mon
maître d’armes, mais d’un ami.
— Je crois qu’il faut respecter ses choix et la soutenir autant que possible.
Je me retrouve encore à faire les cent pas dans mon bureau en passant
nerveusement ma main dans mes cheveux.
Il ne relève pas et m’observe, le buste guindé et les mains derrière le dos tel
un vrai soldat.
— Kate est une Barish. Même si elle est l’héritière des Maslow, elle est
devenue une Barish le jour où tu as décidé de la faire entrer dans cette maison.
Notre place est à ses côtés, conclut-il, ses yeux droits dans les miens. Ses
combats sont les nôtres.
Notre place est à ses côtés. Ma place est à ses côtés. Je ne peux pas rester
derrière et la laisser courir les risques, seule. Il faut que je couvre ses arrières. Je
n’ai de toute façon plus la force de rester à l’écart...
Peter nous a briefés sur les détails du plan, notamment les horaires. Nous
avions décidé d’aller attendre Kate à la sortie du sous-terrain, là où elle doit
rejoindre les Maslow. Nous pourrons ainsi intervenir en cas de problème. C’est
la meilleure manière de rentrer dans la maison discrètement.
Peter, assis à ses côtés, se retourne vers moi et fronce les sourcils. Lui non
plus ne comprend pas.
— Ce n’est pas chez les Russel que la police devait intervenir ? m’enquiers-je,
incertain.
Je suis confus... Qu’est-ce que les flics font là ? J’ai peut-être mal compris…
Le plan était pourtant clair. Kate et son frère devaient être en train de rentrer
dans la villa et la police, pas loin derrière eux, prête à intervenir une fois que Ian
aurait désactivé l’alarme.
Derek avance davantage avant de garer la voiture un peu plus loin, entre les
arbres.
Nous ne sommes pas très loin, juste assez pour ne pas se faire repérer.
Nous sommes suivis par une autre voiture, un mini van où se trouvent cinq
hommes prêts à intervenir en cas de besoin. Je leur signifie qu’ils doivent rester
garés là jusqu’à nouvel ordre.
Impossible !
Pourquoi ne l’ai-je pas vu avant ! J’étais tellement ravi qu’il revienne dans ma
vie et celle de sa sœur, de savoir qu’il n’était pas mort… que je me suis laissé
berner. Quel abruti !
— Il a voulu profiter de l’occasion pour faire tomber deux clans plutôt qu’un,
on dirait. Et grâce à Kate, il a pu infiltrer les Maslow pour récolter les preuves
nécessaires pour les faire inculper…
Je ne peux en être sûr, mais c’est la seule hypothèse qui me paraît cohérente.
— Peut-être va-t-il faire de même avec le nôtre. Il nous a côtoyés d’assez près
pour trouver des preuves. Il est venu à la villa et il est ami avec Carla depuis
longtemps… Peut-être l’a-t-il fait parler ? s’inquiète à juste titre Derek.
S’il a vendu les Russel et son propre clan, il n’y a aucune raison qu’il nous
préserve.
Derek part, nous laissant Peter et moi impuissants face à la scène qui se
déroule sous nos yeux.
Ce ne sont pas nos amis, loin de là, même. Le clan Maslow est très mal dirigé
depuis quelques années et beaucoup de monde souhaite les voir périr. Moi y
compris. Enfin ça, c’était jusqu’à Kate. C’est son héritage et, d’une certaine
manière, sa seule famille et je sais qu’elle aurait voulu que j’intervienne. Mais
nous ne sommes pas capables de nous mesurer à la police, pas lorsqu’on est
seulement dix et pas sans un plan solide.
Les pauvres sont si surpris qu’ils ne luttent même pas. Je vois Harry se faire
embarquer et Adriel tenter de prendre la fuite, avant de se faire rattraper par
d’autres agents. Ils sont cernés. Ils ne verront jamais Kate et son père s’en sortir.
S’ils s’en sortent, cela va sans dire…
— On attend qu’elle dégage et on prend leur place. Ian n’a pas dû non plus
vraiment prévoir de faire sortir Kate et Andrei de là. Il va s’en doute falloir aller
les chercher, expliqué-je en tentant de garder mon sang-froid tandis que la peur
gagne du terrain.
**
Elle semble perdue, mais elle parle rationnellement. Presque comme un robot.
C’est déjà bien, compte tenu de ce qu’elle vient de vivre. Je ne l’ai jamais vue
aussi désemparée, aussi fragile. C’est en la voyant s’accrocher au cadavre de son
père que j’ai compris pourquoi elle s’était entêtée à poursuivre ce stupide plan.
Elle n’a tout simplement pas pu s’en empêcher. C’était son cœur qui parlait et il
était désespéré.
— C’est-à-dire ?
— Il devait venir déverrouiller la porte du passage sous-terrain pour nous
permettre de sortir, mais il n’est jamais venu. Nous avons dû improviser.
Je le savais ! Je savais qu’il n’avait pas prévu de les faire sortir. J’aurais dû
aller les chercher plus tôt !
— Je vais le…
Je ne m’attendais pas à ça, mais elle émet un rire sans joie avant de regarder à
nouveau la vitre.
Elle finit par se pencher légèrement vers moi et me fait enfin l’honneur de
plonger ses prunelles dans les miennes. Bien que déterminées, je remarque
instantanément qu’elles ont perdu de leur éclat.
La douleur lisible sur son visage se reflète alors sur le mien. Je n’aurais jamais
cru pouvoir être brisé par quelques petits mots.
Après cela, je n’ai plus osé poser mes mains sur elle. J’en crevais d’envie,
mais elle semblait si absente, enfermée dans sa bulle. Elle ne semblait pas triste,
juste ailleurs, imperméable au monde, à moi et même à Peter.
Elle nous a très vite annoncé son départ pour Seattle au QG des Maslow pour
récupérer les données informatiques, cacher les preuves et récupérer ce qu’il y
avait dans le coffre secret.
J’ai voulu l’accompagner, mais elle m’a formellement fait comprendre que je
n’étais pas le bienvenue. Ni Haley ni Peter d’ailleurs.
À son retour, elle nous a seulement précisés s’être faite interrogée par la police
sur place. Selon ses dires, ils ne la soupçonnaient pas.
On a essayé de lui parler, mais elle demeurait évasive, voire froide. J’étais
complètement pris au dépourvu et je ne savais comment gérer cette Kate-là. Si
elle était triste j’aurais au moins pu tenter de la consoler, mais elle se contentait
de se renfermer sur elle-même. Je ne savais pas ce dont elle avait besoin, mais en
cet instant, ce n’était clairement pas de nous.
Elle est rapidement revenue à la maison, ce qui m’a rassuré. J’ai eu peur
qu’elle décide de rester à Seattle ; après tout, c’est de là qu’elle venait.
À peine rentrée, elle s’est enfermée dans sa chambre sans adresser la parole à
quiconque. Je suis décidé à la confronter, à la faire sortir de ses gonds, pour au
moins obtenir une réaction, un signe de vie...
— Kate ?
Je me rends dans la salle de bain adjacente pour voir si elle s’y trouve.
Personne…
Je suis sur le point de sortir de la pièce, mais mon attention est attirée par un
morceau de papier posé sur le lit.
Je m’approche doucement, les battements de mon cœur accélèrent à chacun de
mes pas. Il n’annoncera rien de bon, je le sais d’avance.
J’ai besoin d’air, besoin d’oublier, besoin de tout changer… Ne m’en voulez
pas. Merci pour tout.
Kate
Bordel de merde !
Où est-elle partie ?!
— Est-ce que quelqu’un l’a vue partir ? renchérit Peter en s’adressant à notre
assemblée.
— Carla, trace sa carte de crédit et son téléphone, braillé-je. Je vous veux tous
à sa recherche. Elle peut être partout. Dans son ancienne maison à Seattle, au
QG des Maslow, dans son ancien appartement ici, à New York, peut-être même
dans Central Park ou encore à Los Angeles !
J’ai confiance en Carla. Je sais qu’elle tient à Kate et fera tout pour la
retrouver. D’après ses dires et nos recherches, elle ignorait tout des motivations
cachées de Ian. Cela ne voulait pas dire qu’elle était innocente, mais jusqu’à
présent, rien ne nous avait permis d’affirmer le contraire.
Tous s’agitent dans tous les sens alors que je saisis mon portable pour essayer
de la joindre. Pas de réponse, évidemment. Merde ! Je serre mon téléphone si
fort que j’entends le plastique craquer.
Encore une fois, j’ai un mauvais pressentiment ; elle ne reviendra pas. Jamais.
Si je ne lui mets pas la main dessus au plus vite, jamais plus je ne la reverrai.
Je ne sais pas ce dont elle a besoin, mais le message est clair, elle ne le trouve
plus parmi nous…
9
Le déni
Kate
L’esprit oublie toutes les souffrances
quand le chagrin a des compagnons
et que l’amitié le console.
William Shakespeare
On dit que le premier réflexe face à une situation compliquée est la fuite. Je ne
peux que confirmer cette théorie. Ne pouvant affronter ce qui s’était déroulé sous
mes yeux quelques jours auparavant, j’optais, moi aussi, pour cette solution.
À la fin de mon service, je troque mon dos nu noir à paillettes et mon short de
la même couleur pour une tenue plus conventionnelle. Je sais que je lui plais,
mais je lui ai clairement signifié dès le début qu’il n’obtiendrait rien de plus que
mon amitié. Il m’a répondu qu’il voulait relever le défi et qu’il était convaincu
qu’il finirait par m’avoir. Et s’il échouait, il aurait quand même passé du bon
temps à essayer. Ce sont ses mots, pas les miens ! Je me remémore encore notre
première rencontre, il y a de cela déjà trois semaines.
Je suis en train de travailler dans mon uniforme trop brillant et très ajusté
selon mes goûts quand il m’aborde pour la première fois. Je l’ai déjà vu souvent
ici, assez pour savoir que c’est un très bon joueur. Il gagne presque toujours et je
sais qu’il a beaucoup de choses à m’apprendre.
Après mon service, j’ai pris l’habitude de jouer aux côtés de certains clients
avec lesquels j’ai sympathisé pendant mes heures de travail. Tout en espérant
obtenir mes faveurs, et avec le champagne qui coule à flots, ils me révèlent
certaines de leurs astuces de jeu autour des tables de blackjack.
Je lui souris.
Je ricane.
— Ce n’est pas pour vous vexer, mais vous devez avoir deux fois mon âge.
— C’est juste, mais vous ne m’avez pas l’air du genre à vous laisser
impressionner par un homme mûr. Qui plus est, les hommes plus âgés ont
toujours quelques petites choses à nous apprendre.
Il hausse les sourcils de manière suggestive.
Mes propos sont volontairement ambigus. Le pauvre homme ignore que seule
son expertise en matière de jeux m’intéresse.
— En fait, c’est dans un autre domaine que j’ai besoin de votre savoir. Et si on
faisait un poker à la place ? proposé-je, prête à lui révéler mes intentions.
**
Daniel
Trois semaines. Trois putains de semaines.
Nous avons été partout. Nous avons fouillé chaque lieu, chaque parc, chaque
foutu quartier qu’elle aimait fréquenter. Rien !
Les derniers résultats de Carla ont montré qu’elle s’était débarrassée de son
téléphone à l’aéroport. Et sa carte bleue n’a pas été utilisée une seule fois. J’ai
activé tout mon réseau sur l’ensemble du territoire américain et même sur une
partie du Canada. Elle n’est nulle part.
Ma colère ne s’atténue pas, elle s’intensifie. Je passe mon temps à aboyer des
ordres à droite et à gauche, à refuser d’accorder le moindre jour de repos, à
prendre des mauvaises décisions. Les tensions augmentent au sein du clan. Les
bagarres deviennent fréquentes et je sens que mes décisions sont discutées.
Personne n’ose le faire de manière directe, mais j’entends les bruits de couloir et
je vois les regards méfiants de mes hommes les plus proches.
— Et alors ? le coupé-je.
— Ils sont nombreux et on a… comme cet accord tacite entre nous qui
consiste à ne pas se mêler des affaires de chacun.
Rien d’officiel, mais nous savons tout comme les Russes qu’un conflit entre
nous occasionnerait de nombreuses pertes de deux côtés.
— Loin de moi l’idée de vous contredire, poursuit John, mais si on veut éviter
la guerre, il vaut peut-être mieux lui donner un avertissement avant d’employer
des mesures trop radicales, non ?
— Tout le monde est d’accord avec ça ? demandé-je en regardant les hommes
attablés autour de moi de part et d’autre de la table.
Les autres restent bouche bée. Jamais je ne l’ai rabaissé de la sorte devant
tous. Mais il a clairement dépassé les limites.
— Je le veux hors circuit avant demain, lancé-je d’un ton sans appel.
**
Kate
Ce soir n’est pas différent des autres, je finis mon service et vais rejoindre
Ryan à l’entrée du casino pour fumer une cigarette avant d’entamer notre soirée.
Quand il me voit arriver, ses lèvres s’étirent en un sourire radieux.
Je ne suis pas une fumeuse, mais, avec lui, je fume. Je n’ai aucune raison de le
faire, ni aucun manque à combler en le faisant, mais j’en ai envie, alors je le fais.
C’est aussi simple que ça.
Je hausse les épaules, ne sachant quoi répondre. Comment lui expliquer que
c’est tellement agréable pour moi de savoir que certaines personnes ont des
journées normales, remplies de réunions, clients, paperasses, chiffre d’affaires…
On m’avait habituée au sang, aux complots et aux armes. J’ai fini par croire que
c’était normal. Que c’était banal. C’est tellement bon d’entendre le récit d’une
journée réalisée légalement, qui ne heurte pas mes principes et mon éthique.
Alors, oui, je suis fascinée par le quotidien barbant et normal de Ryan. J’aspire à
créer un semblant de normalité dans la mienne, en suivant son modèle.
Ryan me laisse m’installer à table et reste debout à mes côtés. Il ne dit rien, il
observe comme souvent. Il me fait part de ses commentaires plus tard, en privé.
Nous ne jouons jamais ensemble. Il dit qu’il ne faut pas mêler argent et amitié.
Ça n’a pas vraiment de sens pour moi, mais tous les grands joueurs sont un peu
superstitieux dans le milieu.
Pour rentrer sur une table ici, et à cette heure tardive, il faut au moins
commencer avec 7 000 dollars. Ça n’a semblé être un problème pour personne.
Je repars deux heures plus tard avec 12 000 dollars. Pas mal. Ryan a l’air
satisfait, même si je l’ai vu être sceptique à certains moments. Je m’arrête là
pour ce soir, car je sens les effets de l’alcool prendre doucement le dessus sur
mon corps. Ryan refuse de jouer, il fait quelques parties de roulette électronique
avant de me conduire dans le salon privé du casino, pour entamer le verre
suivant. Ce soir, c’est champagne.
— Vas-tu enfin me dire d’où tu sors tout cet argent ? Et pourquoi donc as-tu
besoin de travailler si tu en as autant ? s’acharne-t-il à me demander pour la
énième fois pendant que nous nous relaxons dans les fauteuils du salon.
L’argent que je joue n’est pas le mien. C’est celui du clan Maslow, celui que
j’ai trouvé dans le coffre-fort de mon ancienne maison. J’ai effacé tous les
dossiers informatiques de manière définitive et désormais je blanchis l’argent. Je
ne peux pas simplement encaisser l’argent sur mon compte, mais, en les jouant
au casino, je ne laisse aucune trace.
Nous trinquons.
Cela attire mon attention. Que va-t-il bien pouvoir me proposer ? Une lueur de
défi traverse son regard. Il me teste. Je me redresse et le regarde avec un poil
d’arrogance.
— Dis toujours.
J’aperçois un sourire en coin se dessiner sur ses traits. Il est satisfait d’avoir
réussi à me provoquer. Sans un mot, il sort un petit pochon transparent de sa
poche avant de me l’envoyer. Je remarque immédiatement la couleur et l’odeur
du cannabis avant de rattraper le pochon au vol et de l’examiner avec minutie.
— En es-tu capable, petite Kate ? chantonne-t-il, les yeux braqués sur moi.
Il sait que j’expérimente avec lui. Je lui ai confié que je n’avais jamais vécu
ma jeunesse non plus, et que je compte bien me rattraper maintenant. C’est pour
cela qu’il m’appelle souvent « petite Kate ». Il m’a néanmoins fait la promesse
de m’aider à atteindre cet objectif. Nous venons à présent d’arriver à une
nouvelle étape.
Une heure plus tard, nous sommes en train de danser dans l’une des boîtes de
nuit les plus populaires du coin, complètement sous l’effet des drogues. C’est
assez différent de l’alcool, mais la sensation n’en est pas pour autant déplaisante.
Bien au contraire. Je me sens tellement légère, comme si rien n’avait
d’importance. Tout devient grisant et joyeux. Je suis excitée à l’idée de voir du
monde, de boire un verre, en entendant une musique… Un rien me rend
heureuse.
C’était comme ça chaque soir, nous repoussions les limites un peu plus loin à
chaque fois. Le rythme alcool, drogue et jeux devenait un rituel. J’ai conscience
qu’il s’agit là de paradis artificiels, mais j’ai besoin de ces artifices pour le
moment. Ils m’aident à dormir la nuit.
Les jours passent et se déroulent de la même manière. Chaque soir apporte son
lot de nouveautés. Nous allons toujours plus loin. Nous nous lançons des défis.
Au début, je dois trouver quelqu’un et l’embrasser. Cela est une vraie étape. Je
n’ai jamais considéré le contact physique comme anodin et cela m’a été
inconfortable de transformer un baiser en un jeu. Mes seules expériences sur le
sujet ont été des expériences uniques et merveilleuses.
Mais voilà, à force de toujours pousser le bouchon un peu plus loin chaque
soir, nous nous retrouvons à carrément parier sur le nombre de personnes que
nous pouvons séduire avant de les laisser tomber. Bien sûr, je n’aurais jamais
imaginé être capable de faire une telle chose il y a quelques mois, mais c’est le
genre de folie qui me permet de déconnecter de la réalité, de la fuir... J’ai
conscience que c’est idiot, mais d’une certaine manière, ça me fait du bien.
Ce n’est pas le seul domaine dans lequel nous avons franchi la limite
moralement acceptable. Nous avons également commencé à tricher au jeu. Je lui
ai fait comprendre que je ne voulais plus recommencer. Certes, j’ai trouvé
l’expérience stimulante, mais il est hors de question que je fasse de nouveau
quelque chose d’illégal. Heureusement, il n’a pas insisté. Concernant la
marijuana, c’est la même chose. Je ne souhaite pas recommencer.
Nous rions trop fort. Il fait des blagues de mauvais goût et je critique
ouvertement les stratégies de mes adversaires, ce qui souvent provoque leur
défaite. Ça fait marrer Ryan. Mon attitude et celle de mon voisin semblent irriter
le croupier et nos adversaires.
— Monsieur, mademoiselle, je vous prie de vous calmer, s’il vous plaît, nous
demande le croupier.
Ryan tourne alors son regard vers moi, tout sourire, me demandant
silencieusement ce que je désire faire. Je réponds d’un large sourire et croise les
bras, manifestant ma volonté de ne pas bouger malgré la demande du croupier. Il
recule légèrement sa chaise et fait de même, les bras derrière sa tête.
Appartement, lui aussi s’amuse ici.
— Monsieur le croupier, êtes-vous idiot ? Vous n’avez pas d’alliance non plus,
pourtant je vous appelle « monsieur le croupier », alors faites-moi le plaisir de
faire de même ! baragouiné-je, incohérente.
Je sais très bien au fond de moi que ce comportement n’est pas rationnel ni
convenable. Je travaille tout de même ici et risque de perdre mon poste, mais il y
a en moi comme une flamme qui brûle, m’incendie des pieds à la tête, cette
même flamme qui brille dans le regard de mon partenaire. Celle de l’excitation.
Ces situations nous stimulent au plus haut point. On se sent vivants. On a
l’impression d’être au sommet !
— Madame, s’il vous plaît, nous sommes là pour jouer. Vous et votre ami ne
semblez pas en état de…
— Vous n’êtes qu’un macho retardé, doublé d’un goujat ! Vous croyez que je
ne vous ai pas vu mater mon décolleté ?
— Quoi ?! Il a maté ton décolleté ! s’agite Ryan, toute trace de bonne humeur
ayant déserté son visage.
Nous y voilà, c’est un de nos jeux préférés. Nous simulons des scènes. Parfois
dans la rue, dans les supermarchés ou encore au restaurant. Nous simulons un
conflit entre un homme et sa femme, une conversation entre un receleur et une
prostituée… On aime juste se faire remarquer, et l’alcool aide à me dérider. Il
vient à l’instant de rentrer dans la peau du petit ami jaloux. Nous allons rire ! Et
je dois dire que c’est un acteur très convaincant.
Ryan, toujours dans son rôle, se lève pour s’approcher du croupier et lui
demander, la mâchoire serrée :
Le croupier secoue la tête en essayant de garder son calme. Tout le monde est
mal à l’aise.
— Non, monsieur.
Une fois nos rires apaisés, il me propose de prendre la route pour aller dans un
autre casino.
— Je ne sais pas, j’aime trop cette musique. Je n’ai pas envie de m’arrêter !
Continuons à rouler.
(En pensant sans arrêt que je ne pourrais jamais vivre sans toi près de moi)
But then I spent so many nights thinkin’ how you did me wrong
(Mais depuis j’ai passé tant de nuits à penser à comment tu m’avais fait du
mal)
I just walked in to find you here with that sad look upon your face
(Je suis simplement rentrée et t’ai trouvé là avec cet air triste sur ton visage)
I should have changed that stupid lock, I should have made you leave your key
— J’ai trop bu ! J’ai besoin d’aller aux toilettes, souffle-t-il d’un air
conspirateur.
Il opine de la tête et arrête le moteur. Ryan descend et s’éloigne pour faire son
affaire. Au moment où je commence à avoir chaud à force de danser avec autant
de vigueur, je prends la décision de sortir de la voiture. Je vois alors mon acolyte
revenir vers moi.
Il m’ouvre la portière, mais j’ai toujours chaud et j’ai envie de lui foutre un
peu la frousse. Il n’y a qu’une personne soûle pour penser que courir dans un
cimetière peut être drôle !
— Non !
Je m’éloigne davantage.
Quelques lampadaires illuminent l’endroit, mais on peine à voir le sol. C’est
un miracle que je n’aie pas encore chuté. Plus on s’enfonce, moins on y voit.
Did you think I’d crumble, did you think I’d lay down and die
— Tu vas voir toi si je suis trop vieux ! T’as intérêt à courir plus vite que ça si
tu ne veux pas que je t’attrape, rétorque mon ami, me faisant redoubler d’effort.
J’aperçois entre les rayons lumineux une petite photo en noir et blanc et
j’accélère pour mieux voir. Je me sens intriguée.
Plus mes foulées me rapprochent de la tombe, plus le son de la mélodie et la
voix de Ryan s’éloignent pour laisser place au bruit assourdissant des battements
de mon cœur.
I will survive
J’étais soudain assez proche pour en discerner distinctement les traits. Puis un
nom… « Andrei Maslow »
I will survive
Je n’entends soudain plus la voix de Gloria, ni celle de Ryan. Et là, comme ça,
l’adrénaline quitte mon corps. Les souvenirs de ces derniers mois écoulés
affluent sans que je ne puisse rien faire pour les en empêcher. Andrei Maslow...
Cet homme n’est pas mon père, mais la simple vue de son nom me rappelle que
j’ai perdu le mien. Je reste figée.
C’est comme si j’avais été dans une bulle, oubliant tout et tout le monde. Mon
père y compris. Mais la vie vient de me rattraper. Il est parti, il est mort dans mes
bras. À ces pensées, une tristesse déchirante me noue l’estomac.
Je ravale mes sanglots avec difficulté pour me tourner vers mon ami. Il
remarque immédiatement les sillons de larmes qui creusent mes joues et mon
regard empli de douleur. Son visage se décompose à son tour et j’y vois le miroir
du mien.
Je hoche simplement la tête. Où ? Je ne sais pas, mais je ne peux plus rester là.
Il accuse le coup puis acquiesce silencieusement à son tour, compréhensif.
— Je vais te ramener.
Il ignore tout de ma vie, mais il doit se douter que mon comportement n’est ni
habituel ni normal et que je suis là, comme la plupart des gens ici, pour fuir mes
problèmes.
— Merci, Ryan, dis-je, sincèrement, une fois arrivée devant mon logement. À
un de ces jours.
Il est parti, et moi aussi. J’ai quitté mes amis et je n’ai plus de famille puisque
ma mère et mon frère m’ont trahie. Et mon père… est… mort.
Il ne peut pas ! Il ne peut pas m’abandonner ! Pas après tous ces efforts, pas
après avoir réalisé ses torts et voulu se racheter. Pourquoi n’a-t-il pas eu de
deuxième chance ? Je m’en veux tellement d’avoir laissé Ian intervenir. Il m’a
TRAHIE. Je n’aurais jamais dû lui faire confiance. Si j’avais écouté Daniel et
appliqué un autre plan, peut-être qu’Andrei serait toujours en vie...
La colère
Kate
Ce qui compte,
ce n’est pas la force des coups que tu donnes,
c’est le nombre de coups que tu encaisses
tout en continuant d’avancer.
Ce que t’arrives à endurer tout en marchant la tête haute.
Rocky Balboa
Une fois la frontière canadienne passée, j’ai posé mes valises dans la première
grande ville. Enfin, « valises » au sens figuré, puisque je voyage avec seulement
un sac à dos. Je ne souhaite pas m’encombrer. Je sais que, où que j’aille, je serai
seulement de passage.
Une fois l’énervement passé, j’ai souhaité aller la voir pour me confondre en
excuses, mais ma fierté m’en a empêché.
Comme je ne savais pas quoi faire, j’ai décidé de chercher un petit boulot pour
m’occuper et éviter de trop cogiter. Il ne faut pas que je reste sans rien faire ou je
vais littéralement mourir à petit feu. Je déteste mon père pour avoir été ce qu’il a
été, pour ne pas avoir réussi à vivre et à se battre suffisamment. Je lui en veux
pour ses mensonges et je me haïs pour l’avoir pardonné, et pour ne pas avoir pu
le sauver. Puis, plus que tout, je blâme mon frère pour sa trahison et je me
lamente d’avoir été assez stupide pour le croire.
Sans lâcher son regard, je retire ma veste en jean et la jette sur la machine de
musculation la plus proche, me laissant en débardeur et en legging.
Je n’ai peut-être pas le look d’une boxeuse, mais j’ai été formée par les
meilleurs. Je sais de quoi je parle. La demoiselle ne sait absolument pas à qui
elle s’adresse. Et au vu de mon état émotionnel, il vaut mieux pour elle qu’elle
ne me cherche pas trop.
Elle émet un rire moqueur, pas impressionnée par mon culot. Elle me lance
alors une paire de gants avant de monter sur le ring.
Il ne m’en faut pas plus pour la rejoindre et enfiler les gants. Nous nous
mettons en position en commençant à sautiller légèrement. Je vais lui montrer
qu’il ne faut pas se fier aux apparences. Qui croit-elle être au juste ?
Avide de violence, je lance les premiers coups. J’ai faim de blessures. Je veux
faire mal et je sens à peine la puissance de ses coups tant ma haine est grande.
Ça fait un bien fou de se défouler, de relâcher toute cette pression.
Le truc c’est que... je suis mauvaise. Très mauvaise. Peter aurait eu honte. Je
ne fais preuve d’aucune stratégie ; elle aurait pu être un foutu punching-ball que
ça aurait été pareil.
C’est ce qu’il me faut : évacuer. Et me vider l’esprit par un moyen plus sain
que l’alcool, la fête et les casinos.
— Bon, c’est pas mal. Je vais te montrer ce que je vaux maintenant, explique
la jeune femme.
Elle est rapide. Forte. Après quelques coups, je ne suis plus du tout en mesure
de l’esquiver et ma tête me tourne. C’est moi qu’elle traite d’arrogante ?
— Règle numéro deux, ne laisse pas ta colère prendre le contrôle.
Ses mots font jaillir de ma gorge un grognement de rage avant qu’un dernier
coup de poing au visage ne me fasse perdre l’équilibre. Mes jambes me lâchent.
Je m’écroule bruyamment au sol, incapable de bouger.
Sans rouvrir les paupières, toujours étendue au sol, je mets les mains sur mon
front pour tenter d’arrêter ma migraine. J’ai échoué. Je ne vais pas pouvoir entrer
dans ce club. Déçue et ma fierté blessée, j’ouvre finalement les yeux pour voir
mon adversaire debout au-dessus de moi, me fixant curieusement.
— Kate.
Mon seul défaut reste ma technique, selon Jane. La seule appréciation que je
souhaite obtenir est la sienne, mais je ne l’ai jamais. Elle ne me félicite jamais.
Ma coach trouve mon comportement dangereux. Je ne sais pas si c’est lié à ma
formation ou à mon état émotionnel. Effectivement, Peter et Daniel m’ont appris
à ne jamais abandonner un combat. C’était se battre ou mourir. Sauf que sur un
ring, ça ne se passe pas comme ça. Il y a des règles, comme aime me le rappeler
Jane. Personne ne meurt sur un ring. On ressort seulement blessé, et quand on a
tout donné, on abandonne la partie. Dans la mafia, le match ne s’arrête pas
quand on abandonne, il cesse seulement quand un des participants ne respire
plus.
— Kate, ce n’est pas un foutu punching-ball ! Frappe moins fort et plus
intelligemment ! Tu t’épuises pour rien là ! crie Jane pendant que je me bats avec
Clara, une autre fille du club. Et toi, Clara, ta seule option pour le moment c’est
d’esquiver et d’essayer de la bloquer.
Clara tente d’appliquer ses consignes, mais je réussis à l’attirer dans un des
quatre coins du ring et elle ne peut plus échapper à mes poings. Je ne me retiens
pas et frappe aussi vite que possible, espérant la faire s’écrouler.
Je vois rouge et perds une fois de plus le contrôle. Je ne vois plus la réalité qui
m’entoure, mais me laisse happer par ces horribles images qui tournent en
boucle dans ma tête. Au début, c’est seulement le décès de mon père, puis au fil
des semaines, des images des bons moments que j’ai partagés avec ma mère, Ian,
Peter, Haley et même Daniel. Comme si j’avais besoin de tout ça, comme si
j’avais besoin de me souvenir de tout ce que j’ai laissé derrière, de ce que j’ai
perdu. Cela ne fait qu’attiser ma haine, évidemment. Je tente par tous les moyens
de chasser ces souvenirs.
La colère n’est finalement qu’un moyen d’expression comme les autres qui
me permet d’évacuer un sentiment que j’ai appris à bien connaître désormais : la
culpabilité.
Coupable de ne pas avoir rassuré Peter alors que je sais à quel point il
s’inquiète pour moi, coupable d’avoir fui Daniel alors qu’il m’a sauvé la vie,
coupable d’avoir abandonné Carla, Haley, Jason et tous les autres. Coupable de
ne pas avoir sauvé Andrei, d’avoir cru en Ian…
Malgré les apparences, Jane s’est prise d’une certaine affection pour moi. Peu
importe ce que je fais ou dis, elle accepte toujours de m’entraîner. Je suis la seule
à pouvoir m’entraîner tous les soirs avec elle. J’ignore d’ailleurs pourquoi. Elle
n’est pas moins dure avec moi qu’avec les autres, au contraire. Mais d’après les
boxeurs du club, c’est justement ce qui leur fait dire que je suis sa préférée. Elle
passe donc ses soirées à m’entraîner et à me recadrer sans jamais féliciter mes
efforts et je passe le plus clair du mien à essayer de la satisfaire. Et bientôt la
volonté de me défouler devient la volonté de la de la rendre fière. Je ne sais pas
trop pourquoi, mais je la vois comme un modèle. Elle est bien dans ses baskets,
sûre d’elle et forte. Je veux être comme ça moi aussi.
Essoufflée, je rejoins les vestiaires en laissant Clara aux bons soins de Jane.
Une fois lavée et habillée, je me prépare à sortir du vestiaire quand cette dernière
fait irruption dans la pièce.
— Je sais, mais tu ne peux pas continuer à blesser les autres membres du club.
Clara va avoir besoin de sutures. Les pompiers sont venus la chercher.
— Mais merde Kate, qu’est-ce qu’il faut faire pour te sortir de cette colère !
s’écrie-t-elle, à bout de nerfs de me voir m’enfoncer dans ma fureur. J’ai tout
essayé avec toi, mais rien à faire. Tu ne t’arrêtes jamais. Tu vas finir par tuer
quelqu’un. Tes adversaires sont là pour se faire plaisir et progresser, pas pour
finir leur soirée à l’hôpital !
De nouveau, je ressens cette culpabilité. J’ai blessé quelqu’un simplement à
cause d’un excès de colère. Je peux entendre la déception et l’exaspération dans
chacune des paroles des Jane et je me sens impuissante. Je n’arrive pas à me
canaliser et à vrai dire, je fais déjà mon possible pour temporiser cette fureur.
Je laisse alors mon corps s’écrouler lentement contre la porte avant de relever
mes genoux et d’enfouir ma tête au creux de mes bras.
**
Daniel
Trois mois. Trois putains de mois qu’elle est partie.
Je n’ai jamais cru que le manque puisse rendre fou. Mais c’est pourtant ce qui
est en train de m’arriver. Je deviens littéralement fou. Une seconde, je
m’imagine l’étrangler, la suivante, je l’embrasse. Kate va finir me tuer. Son
absence va me tuer à petit feu.
Je n’ai pas cessé mes recherches. Je ne dors plus et n’autorise qu’un minimum
de repos à mes hommes. Tant qu’elle ne se sera pas parmi nous, personne ne
fermera l’œil. Je suis des plus déterminés, comme enragé. J’ai mis presque tout
notre business sur pause pour consacrer tout mon personnel à sa recherche. Elle
est mon unique priorité.
Tout le monde est épuisé et les conflits s’accumulent. Derek vient de refaire le
portrait de Caleb, juste parce qu’il a fini sa confiture, et nous venons de démarrer
un conflit important avec le clan des Russes. Nous avons tué un de leurs dealers,
apparemment ils n’ont pas apprécié. Cela ne fait qu’augmenter les tensions et
j’ai dû m’occuper de régler le compte de certains membres du clan qui
s’amusent à contredire mes décisions. L’un d’eux a même suggéré l’idée de
démissionner pour rejoindre un autre clan. Après avoir eu une « discussion »
plutôt musclée avec lui, je peux affirmer que désormais l’idée ne lui traversera
plus jamais l’esprit.
Sans demander son reste, il quitte la pièce alors que je prends sa place après
avoir enfilé les gants qu’il vient de retirer.
J’ai à peine le temps de finir ma phrase que j’abats aussi fort que possible mes
poings sur le visage angélique du petit nouveau.
Il tente tant bien que mal de me bloquer, mais je ne lui laisse aucun répit et
accélère tout en augmentant l’intensité de mes coups.
Il se plie en deux sous la violence de mon geste. J’en profite pour saisir sa tête
entre mes bras et la serrer contre ma poitrine. De cette manière, je peux atteindre
son ventre plus facilement avec mes jambes.
Je frappe si fort dans son estomac qu’il se met à tousser et n’a plus la force de
me repousser. C’est inutile d’essayer, je ne lui laisse aucune chance d’y arriver
de toute façon.
Je ne vois pas sa bouche, mais je sens l’odeur du sang qu’il crache sur mon tee-
shirt. Il ne va pas tarder à sombrer.
Je finis par saisir de nouveau sa tête pour le redresser et lui envoyer un coup
de tête qui, je l’espère, l’assommera. Je suis déchaîné.
Je n’y fais guère attention et me remets à enchaîner les uppercuts sur le visage
de mon opposant.
— Arrête ça, tu vas le tuer ! hurle Peter qui, sans que je ne m’en aperçoive,
nous a rejoints sur le ring.
Pris dans mon excès de violence, je me retourne pour lui asséner une belle
droite.
Il sait qu’il vaut mieux pour lui qu’il ne rende pas les coups.
— Tu sais très bien que tu n’as pas à t’interposer quand je corrige quelqu’un
ici ! lui répliqué-je sur le même ton.
— Je ne le fais pas parce que tu es toujours juste dans tes actions. Là, c’est
juste gratuit. Gratuit et cruel, rugit mon ami alors que nous nous rapprochons de
plus en plus, prêts à en découdre. Je ne sais pas ce qu’il t’arrive, mais en tant
qu’ami laisse-moi te dire que tu vas trop loin. Tout le monde le pense ici, mais
personne n’ose t’en parler. Tu nous parles comme à des moins que rien. Tu
passes ton temps à nous faire des reproches pour des fautes qui sont les tiennes.
— Ferme-la ! Tu n’as pas à me parler comme ça, Peter, n’oublie pas qui je
suis ! m’exclamé-je avec un ton menaçant.
Quel culot ! Pour qui se prend-il à parler pour les autres ? Et j’assume toujours
mes erreurs, il ne sait plus quoi inventer, le pauvre ! C’est lui qui divague
complètement !
Depuis le départ de Kate, il fait chier son monde. Moi y compris. Il faut que
ça cesse. Je n’ai pas que lui à gérer, surtout en ce moment…
— Tu ne vois rien d’autre que ton propre malheur ! Quel égoïste tu es ! rage-t-
il, alors que son visage est empreint de dédain. Ta famille ne va pas bien. On
s’inquiète tous pour toi ! On subit ton courroux et tes humeurs tous les jours. Tu
n’es pas le seul à qui elle manque !
Il me pousse soudain avec force jusqu’à m’envoyer contre les cordes du mur.
Trop choqué pour réagir, je ne fais rien et l’écoute poursuivre.
Nous nous fixons simplement, après cette révélation, tous deux essoufflés par
nos cris. Je n’ai jamais vu Peter dans une telle rage. Il est toujours mesuré et
méticuleux. Je dois dire que ça m’interpelle.
Je ne réagis pas.
— Kate est partie faire son deuil loin de nous, parce tu n’as pas su être là pour
elle. Tu n’as pas su prendre soin d’elle. Tu lui as fait croire que si elle exécutait
ce stupide plan, jamais elle ne te reverrait. Et tu lui as menti. Toi et moi on sait
que, quoi qu’elle fasse, tu lui pardonneras toujours. Mais tu as osé la briser en lui
faisant croire le contraire. Tu l’as prise par les sentiments pour la manipuler à tes
fins. Comme tu le fais toujours…, soupire-t-il plus doucement.
— Qu’est-ce que tu racontes, j’ai quand même fini par la rejoindre dans son
plan ! rétorqué-je, de mauvaise foi.
— C’est à cause de toi qu’on est privés d’elle, nous aussi. Alors, maintenant
tu vas te reprendre. Tu vas arrêter de la pourchasser. Où qu’elle soit, elle ne veut
pas de toi pour l’instant, crache-t-il. Et je ne te laisserai pas t’immiscer contre sa
volonté. Elle mérite mieux que ça, mieux que toi ! Alors, tu te débrouilles
comme tu veux, mais quand elle rentrera, elle a intérêt à avoir en face d’elle un
homme à la hauteur de l’estime qu’elle te porte. Cesse de la décevoir ! Et cesse
de nous décevoir tous, si tu ne veux pas nous perdre non plus !
En entendant ses mots, j’ai comme un déclic. Peter a raison. Je suis en train de
faire n’importe quoi là. Et il dit également vrai pour Kate... Je ne la mérite pas.
J’ai été un con avec elle. Et je suis actuellement en train de me transformer en
tout ce que je ne souhaite pas être : mon père.
**
Kate
Les jours passent, les semaines s’écoulent et je dois dire que je fais de réels
progrès. Pas au niveau du sport en lui-même, mais je tâche de garder ma colère
sous contrôle. Même Jane le dit. Je me suis inscrite à des cours de sophrologie et
j’ai appris à relâcher mes nerfs d’une manière plus pacifique : la respiration et la
communication. J’ai beaucoup de mal avec la dernière méthode, mais je dois
avouer que la respiration aide. Je me sens bien dans ce club, j’ai rencontré
quelques personnes sympas et, aux côtés de ma coach, j’ai l’impression d’avoir
un guide. Je ne veux pas perdre ça, alors j’ai dû prendre des mesures pour gérer
mes émotions. Et jusque-là, ça fonctionne plutôt bien. Je me bats de mieux en
mieux et, depuis Clara, je n’ai plus envoyé personne à l’hôpital. Même Connor
ne me fait plus aucune réflexion. Je fais mon petit bout de chemin tranquillement
grâce aux conseils bienveillants de Jane.
Ce soir est un grand soir. C’est la finale. Si je gagne ce match, nous aurons
accès au championnat national. Inutile de préciser que tout le monde est sur les
nerfs au club. Moi la première. L’enjeu est important pour les mois à venir. Et
plus que tout, je veux faire en sorte que Jane soit fière d’avoir fait de moi son
poulain.
C’est un grand sujet de débat dans le milieu de la boxe. Certains pensent que
les Américains n’ont pas leur place ici. Elle en fait apparemment partie.
Personnellement, je ne me sens pas vraiment touchée par le sujet. La compétition
est importante pour le club, pas pour moi.
— La ferme ! coupé-je en lui infligeant le coup le plus cinglant qui ait été
distribué depuis le début de ce combat.
Elle saisit mon visage transpirant entre ses mains pour accrocher mon regard.
— J’ai vu juste, n’est-ce pas ? T’es toute seule ici. Seule au monde, reprend-
elle de plus belle. On parle de ta famille dans les journaux, t’es au courant ?
Je me fous de cette fille. j’ai juste peur que mes nerfs prennent le dessus. Et
pour éviter ça, il faut qu’elle la boucle, et tout de suite !
— Je n’ai pas peur d’une petite Américaine. Ta place n’est pas ici, retourne
chez ton père ! crache mon adversaire, pleine de haine. Ah non, excuse-moi !
J’avais oublié, lance-t-elle en feignant le regret.
— Il est mort !
Cette fois, je ne rétorque pas, mais je peux sentir mes pupilles s’agrandir et se
focaliser sur elle. Elle vient, sans le savoir, de réveiller un volcan d’émotions
chez moi. Je vais la détruire. Je sais d’avance que c’est moi qui vais perdre ce
soir. Pas le combat, non, je vais gagner ce match. Mais je m’apprête à perdre
quelque chose de bien plus cher à mon cœur.
Quant à cette fille, elle l’ignore encore, mais elle s’apprête à manger le sol.
Une fois à terre, je la frapperai si fort que sa propre mère n’arrivera pas à la
reconnaître.
Et en effet, après ça, elle n’est plus en mesure de dire un mot de plus. Je ne lui
laisse désormais aucun répit. J’enchaîne les coups : uppercuts, crochets, coups
directs, circulaires… Toute trace d’autodiscipline disparue, je déchaîne toute ma
colère, comme un ouragan, et j’emploie toute mon énergie à détruire, à mettre en
miettes, à exterminer la vermine raciste que j’ai devant moi. Je me rends à peine
compte que mon adversaire chute et que l’arbitre compte. Rapidement, il siffle la
fin du match. Je me retrouve de nouveau dans une espèce de transe, ne voyant et
n’entendant rien, si ce n’est les provocations de la femme sous mon corps. Je
fixe simplement ses yeux terrorisés quand elle lit dans le mien que je ne
m’arrêterai pas. Je me nourris de sa peur. Son visage s’efface peu à peu et
comme à chaque fois que je suis dans cet état-là, c’est celui du cadavre de mon
père que je vois. Je sens son sang et m’imagine tenter de compresser ses
blessures. À chaque fois, j’échoue, et ma colère redouble.
Je reviens à la réalité lorsque je sens des mains écarter mon corps de celui de
ma victime.
Une phrase que, déjà, j’ai l’impression d’avoir entendue trop souvent.
Où est Jane ? Comment ai-je pu aller aussi loin ? Devant autant de personnes,
en plus... J’avais fait du si bon travail jusque-là. Là, c’est sûr, je vais être
disqualifiée. Adieu les nationales, et la réputation du club va en prendre un coup.
C’est le cœur lourd, et éreintée, que je me change. Une fois prête à partir, je
me dirige vers la porte, mais elle ne m’attend pas pour s’ouvrir. Connor fait son
apparition dans la pièce, le visage fermé, et comme à son habitude, les yeux
remplis de reproches. Une fois face à moi, il me scrute un moment alors que ma
respiration devient erratique. Je sais ce qu’il m’attend.
— Ne me faites pas ça, je vous en prie. J’ai besoin d’être ici. Ne faites pas ça
à Jane, vous savez qu’elle aime m’entraîner, tenté-je lamentablement.
— Justement, c’est pour elle que je fais ça. Pourquoi crois-tu que tu es encore
là ? Ça aurait été n’importe qui d’autre avec ton comportement, il ne serait pas
resté plus d’une semaine. Jane a un faible pour toi parce qu’elle te comprend.
— Elle était comme toi avant. C’était une mauvaise boxeuse parce qu’elle ne
se battait pas pour les bonnes raisons. Un bon boxeur ne se bat pas pour faire
mal. Moi et Jane n’avons cessé de te le répéter. Elle a fini par le comprendre et
elle voulait t’aider à le réaliser aussi. Mais comme tu ne veux rien entendre,
maintenant tu vas reprendre ta vie et tu vas la laisser reprendre la sienne. Je ne te
laisserai pas plus longtemps ruiner la réputation de mon club et celle de ma fille.
Tu n’as rien d’autre à apprendre ici de toute façon. Tes réponses sont ailleurs,
petite.
Il a raison. Je ne peux pas continuer à faire ça à Jane. J’ai tout essayé pour me
calmer. Il me faut me rendre à l’évidence. J’ai besoin d’autre chose. Je suis
arrivée au bout de mon périple canadien.
Il ne me faut que quelques heures pour rassembler mes affaires, quitter mon
logement et me remettre en route. En route pour je ne sais où...
11
Marchandage
Daniel
Mais, en fait,
personne d’autre que toi ne peut te sauver.
Te sauver de toi-même.
Love letters to the dead
Juste Daniel. C’est dur d’être juste Daniel sans Kate. Elle a été mon ancre.
Mais en son absence, je redeviens l’homme autoritaire et froid que tous semblent
détester.
Je dois lutter pour ne pas succomber à ma colère et, pour cela, j’ai décidé de
prendre un peu de recul par rapport au travail.
Ma mère a été très étonnée hier lorsque j’ai accepté son invitation à déjeuner.
Elle est en ville pendant une semaine pour organiser un énième gala de charité.
C’est drôle de constater à quel point ma mère essaie de faire le bien autour
d’elle, alors que son mari et son fils ont épousé la criminalité depuis leur plus
jeune âge. C’est comme si elle voulait faire amende honorable pour nos péchés.
Comme elle vit à Chicago avec mon père, je ne la vois pas souvent, mais elle
se déplace beaucoup grâce à son implication dans de nombreuses associations,
notamment sur New York. À chaque fois qu’elle est en ville, je trouve une
excuse pour ne pas la rencontrer. J’en ai envie, mais le boulot me retient
constamment et je suppose qu’elle a arrêté d’essayer de me convaincre depuis un
moment.
Seulement hier, j’ai accepté, à sa plus grande surprise. Ce n’est pas une
mauvaise idée de me rapprocher d’une personne extérieure au clan. Je pourrais
lui parler d’autre chose que du travail et me vider un peu l’esprit.
Je vais la rejoindre chez Per se, un des meilleurs restaurants de la ville, qui
propose une cuisine française et américaine avec une vue imprenable sur Central
Park. J’emmène souvent mes clients étrangers dîner ici, que ce soit des
partenaires légaux ou illégaux. Je souhaite pouvoir me consacrer pleinement aux
activités du clan Barish, mais malheureusement, ma couverture demeure capitale
et elle me permet de gagner beaucoup d’argent. Je veille donc à m’y investir un
maximum pour faire en sorte que les affaires restent florissantes de ce côté-là
également. Je ne me plains pas, le secteur du transport maritime se porte bien, je
peux donc déléguer un maximum. Mais quand il s’agit de conclure des contrats
importants ou de recevoir des partenaires étrangers, je me charge des
négociations et les reçois toujours avec le plus grand soin. Ils en ressortent
toujours impressionnés.
On s’assoit alors qu’un serveur arrive déjà pour nous donner les cartes. On
commande nos boissons et ma mère me fixe toujours avec son tendre sourire.
— Une mère n’a-t-elle pas le droit de se réjouir de voir son garçon après six
mois ?
Six mois ? Ça faisait tant que ça ?
Son regard se fait plus insistant, comme si elle me déchiffrait. Je finis par
soupirer et secouer la tête.
Je me retrouve à frotter un peu mes mains moites sur mon pantalon. Cette
conversation me rend nerveux.
— C’était génial. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un comme elle avant, ne
puis-je m’empêcher de reconnaître, un léger sourire au coin des lèvres.
— J’ai tout foutu en l’air et elle est partie du jour au lendemain. Et depuis, je
ne peux penser à rien d’autre. J’essaie de la retrouver. En vain. Je suis tellement
obnubilé par elle, et inquiet, que ma mauvaise humeur se répercute sur mon
travail.
J’acquiesce. C’est exactement ça. Je deviens ce que j’ai passé ma vie à fuir.
— Tu n’es pas comme lui. Vous avez le même tempérament, certes, mais tu
t’es toujours tenu à respecter un code de conduite. Tu as une certaine éthique.
C’est ce qui fait de toi un homme bien, m’assure ma mère en attrapant ma main
sur la table.
Lorsque Ian a pointé le bout de son nez dans nos vies, j’ai fait confirmer sa
version des faits par Éléonore. Elle a effectivement reconnu lui avoir sauvé la vie
avec l’aide de l’ancienne nourrice des Maslow. J’ai évidemment omis de lui
parler de la relation particulière que j’entretiens avec Kate.
— Bien sûr.
Un mince sourire fait son apparition et le serveur vient nous servir nos plats à
ce moment-là, interrompant la conversation.
— Oh, Daniel, la fille d’Andrei Maslow…, soupire ma mère, désolée. Ton
père m’avait dit qu’elle était chez toi et que vous aviez l’air proches, mais
j’ignorais que c’était sérieux. Tu n’as jamais été du genre à te poser.
— Je ne sais pas comment elle s’y est prise, mais elle m’a changé. Elle m’a
ouvert les yeux en me montrant qu’il y avait mieux dans la vie que le travail. J’ai
appris à mieux connaître mes hommes, à les apprécier et à m’amuser. Je me suis
rendu compte que je m’étais enfermé dans les affaires et que j’avais
complètement oublié de vivre.
— Maman, grogné-je.
— Oh, arrête ça, veux-tu ! Toi et ton père pensez toujours que votre sensibilité
et vos sentiments vont faire de vous des hommes faibles. C’est ridicule,
s’exclame-t-elle en levant les yeux au ciel. Aimer fait simplement de toi un
homme, Daniel.
**
Kate
20 juin 2017, Alaska, USA
Je rends les clefs de mon logement en payant par avance deux mois de préavis
que j’aurais dû respecter. Je repars précipitamment sur les routes du nord,
direction l’Alaska. J’ai besoin de calme et de tranquillité pour réfléchir. Quoi de
mieux que cet État ?
J’ai fait du chemin depuis mon départ de New York. Tout d’abord, j’ai
expérimenté les plus grandes folies de ce monde à Vegas, puis je suis parvenue à
retrouver un brin de normalité à Vancouver en reprenant une bonne hygiène de
vie et de meilleures habitudes. Ma colère s’est finalement dissipée après mon
entretien avec Connor. J’ai compris que ce sentiment d’injustice m’empêchait
d’avancer et qu’il venait de me coûter ma nouvelle vie.
Blottie sur mon canapé, emmitouflée dans une couette bien chaude, je prends
mon courage à deux mains et vais récupérer un livre dans la bibliothèque. Un
geste si anodin pour certains, mais tellement difficile pour moi qui n’en ai plus
ouvert un depuis longtemps maintenant. La lecture a toujours été le moyen pour
moi d’ouvrir mon cœur et mon esprit. C’était la seule manière pour moi de
ressentir des émotions autrefois, mais ayant passé ces derniers mois à tenter de
les limiter, j’ai dû mettre un terme à cette activité.
C’est avec hésitation que je me mets à caresser les couvertures des livres
rangés sur l’étagère de la bibliothèque du salon. Mon regard s’arrête sur un
classique de William Golding, Sa Majesté des mouches. Je m’en empare avant
de me repositionner au coin du feu. Doucement, je me replonge dans ce bouquin
que j’ai lu il y a bien longtemps et c’est naturellement que je laisse l’histoire
m’emporter de nouveau.
Je finis par en conclure qu’il y a des hommes bons et des mauvais. Il y a aussi
des gens qui sont devenus bons, d’autres qui sont devenus mauvais. Des gens qui
croient être bons, mais qui font de mauvaises choses, d’autres qui croient être
mauvais, mais qui font de bonnes choses. Mon père était de ceux qui étaient
bons, mais faisaient de mauvaises choses. Il a voulu changer la donne. Ce
dernier a souhaité avoir une deuxième chance, mais des hommes mauvais l’en
ont empêché. C’est tellement injuste… Je n’ai pas mérité une telle perte.
Si seulement je nous avais libérés plus tôt. Si seulement je n’avais pas cru en
Ian. Si j’avais fait confiance à Daniel. Si…
Je regarde autour de moi et fronce les sourcils, me demandant ce que je fais là,
seule, au milieu de nulle part. J’ai des amis qui m’attendent, qui s’inquiètent
pour moi et qui m’aiment. J’ai coupé les ponts du jour au lendemain, et
pourquoi ? Je ne sais même plus... Que doivent-ils penser ? Ils me haïssent
sûrement, se sentent trahis… Et Daniel ?! Oh, mon dieu ! Daniel a dû devenir
fou.
Les larmes toujours abondantes sur mes joues me font suffoquer au fur et à
mesure que je me remémore leurs visages et les moments que nous avons
partagés ensemble. Je me vois rire sur le divan et lancer un coussin au visage de
Derek alors qu’il me taquine. Je revois mes premiers entraînements avec Peter, la
manière dont ce lien si fort s’est tissé entre nous. Le jour où j’ai tiré sur Scott
pour sauver Haley. Le jour où Carla m’a contactée quand elle était encore chez
les Russel et les blagues de Jason qui parvenait toujours à me faire rougir de
honte... Carla, Jason, Peter, Derek, Haley, Daniel... Toutes ces personnes dont
j’ai besoin…
Daniel et moi nous baladions sur la plage lors de notre tout premier rendez-
vous… Alors que j’étais allongée sur lui sur le sable, c’était la première fois que
nous nous laissions aller à notre affection réciproque.
— Rien, dit-il, replaçant une de mes mèches derrière mon oreille avec
tendresse. C’est juste que tu es magnifique.
— Là, maintenant, c’est peut-être la dernière fois que je vois une chose aussi
belle.
Il secoua légèrement la tête, le regard empli d’une tristesse que je ne lui
connaissais pas.
— Le pire dans tout ça, c’est que je crois que c’est la toute première fois que
je vois une telle beauté, confessa-t-il.
À cet instant, mon cœur s’emballa, et les pensées que j’avais eu la toute
première fois que je l’avais vu me revinrent en mémoire.
Ses cheveux décoiffés lui donnaient un air sauvage, ravageur, et ses yeux verts
semblaient transpercer mon âme. Ce n’était pas un vert banal, ou même un joli
vert. Non, c’était le genre de vert émeraude, un vert profond, plein de secret et
d’élégance, le genre de vert hypnotisant, le genre de vert que vous pourriez
admirer toute la sainte journée.
Ses iris me perçaient à jour comme s’il lisait en moi à livre ouvert, comme si
j’étais transparente. J’avais aussi l’étrange sensation que nous nous connaissions
finalement mieux que personne, que nous étions amenés depuis tout ce temps à
nous rencontrer. Si ce n’était pas déjà le cas, dans une autre vie…
La dépression
Daniel
I’m not giving up. I’m letting go{5}…
Auteur inconnu
— Cette Victoria est une vraie pipelette ! Elle colporte des ragots sur tout le
monde, mais heureusement Lou est une patronne exceptionnelle et elle arrive à
la remettre en place avec quelques sous-entendus bien placés !
Je sors de mes songes en même temps que Haley finit son histoire à travers
mon écran d’ordinateur. Elle adore parler de son travail. C’est sa passion et,
même si parfois ça m’ennuie, j’aime la voir si enjouée.
Elle joue les innocentes, mais je sais que Peter lui raconte tout. Elle sait les
tensions qu’il y a entre lui et moi ainsi qu’au sein du groupe. Malgré la distance,
ils ont réussi à se rapprocher. Il va la voir aussi souvent que possible et je l’y
autorise à chaque fois. Après tout, il sort avec ma sœur et ça la rend heureuse de
le voir… Alors, si je peux leur faciliter un peu la tâche…
Haley vient dès qu’elle le peut également, même si elle ne peut pas se
déplacer autant qu’elle le veut à cause de son travail.
— Il a dit que vous vous étiez disputés parce que tu étais insupportable depuis
le départ de Kate. Et je le crois, puisque la dernière fois que je suis venue, les
tensions étaient déjà palpables. Selon lui, ça a empiré.
— J’espère. Je n’arrive pas à rien depuis son départ, et je suis en train de tout
foirer…, lui confessé-je. Moi qui étais si fier d’avoir bâti plus une famille qu’un
clan, je perds tout aujourd’hui : l’estime de mes hommes, leur confiance... tout.
— Je crois que tu devrais faire une pause, prendre des vacances, suggère-t-
elle.
— Il faut parfois apprendre à lâcher prise, se recentrer sur soi, pour que tout le
reste s’arrange. Je vais pouvoir venir d’ici dix jours. J’ai quelques rendez-vous
d’affaires lundi et mardi prochain sur New York. Ensuite, je pourrai prendre
quelques jours de repos jusqu’au week-end, propose ma sœur.
Ce n’est pas une si mauvaise idée de m’écarter un peu des affaires quelque
temps. Bien sûr, il faudra que je m’organise et que je délègue davantage, mais
c’est possible. Je ne me sens plus apprécié ni respecté et je ne suis plus aussi
efficace dans mon travail. Je crée plus de problèmes que je n’en résous. Ainsi,
c’est pour toutes ces raisons que je finis par accepter la proposition de ma sœur,
qui semble heureuse de pouvoir passer du temps avec moi.
Les jours suivants, je les passe à organiser mes vacances. J’ai convoqué Peter,
Caleb, Jason et Derek et j’ai divisé les dossiers entre eux. Ils géreront le clan
pendant mon absence. Ils ont semblé surpris et inquiets quand je leur ai annoncé
ces « vacances ». Je les ai choisis, eux, car ils ont toute ma confiance et ce sont
mes hommes les plus proches. Ils sont tous devenus des amis avant le départ de
Kate. Elle nous a rapprochés, mais son départ a tout effacé en un claquement de
doigts.
**
Kate
Vendredi 30 juin 2017, Texas, USA
Je n’ai même pas la force de conduire pour rejoindre les États-Unis, j’ai
préféré prendre l’avion. À peine sortie de l’appareil et même s’il n’est que
10 heures du matin, je sens déjà la chaleur texane faire rougir mes joues. Il ne
me faut que quelques secondes pour le repérer dans la foule à notre arrivée. Il
n’a pas changé. Ça me rassure.
Je marche jusqu’à lui, le pas lent, alors que nos regards ne se lâchent pas. J’y
lis un certain soulagement. Une fois face à face, j’examine chacun de ses traits
rassurants. Le revoir, c’est comme rentrer un peu à la maison. Je sais que rien ne
peut m’arriver à ses côtés. Il m’aidera à aller mieux.
Il ne m’en faut pas plus pour qu’un sanglot me fasse tressaillir et pour que
mes yeux se remplissent de larmes.
— Peter, sangloté-je dans ses bras, le serrant aussi fort que possible
— Chut, ça va aller. Je suis là. Je vais bien m’occuper de toi, me console mon
ami en me caressant le dos. Allons-nous-en d’ici.
— Il faut que tu manges un peu, répète Peter, las d’attendre que je touche à
mon assiette.
Nous venons d’arriver dans un Ranch en plein milieu des Terres du Texas.
C’est là où Peter passait ses vacances quand il était jeune. Le domaine appartient
à sa famille depuis plusieurs générations. Jason et lui en avaient hérité au décès
de leur parent. Nous venons de finir notre déjeuner – enfin seulement le sien – et
je viens de lui raconter tout mon périple dans les grandes lignes.
Je suis exténuée, exténuée de pleurer, mais, pour lui, je force un sourire sur
mes lèvres et accepte en simulant l’enthousiasme.
On rejoint alors les écuries tandis que mon guide continue à me questionner
sur mon absence.
— Je ne vais pas pouvoir rester là très longtemps. Daniel va finir par se poser
des questions. Il ne mettra pas longtemps à comprendre. J’ai pris ma journée
aujourd’hui en prétextant vouloir prendre un long week-end de repos. Mais je
dois repartir dimanche soir pour ne pas éveiller ses soupçons.
— J’en suis consciente. Ça nous laisse trois jours, c’est déjà bien !
— Bien sûr ! Tu pourras rester ici le temps qu’il te faudra. Profite du soleil et
de la nature. Ça te fera du bien.
— Tu es partie plus de cinq mois, Kate. On ne t’a pas attendu pour vivre,
explique-t-il un peu sèchement.
Je recule un peu, surprise et blessée par le venin qui transpire de ses mots. Je
vois sur son visage qu’il regrette déjà ses paroles. Je les mérite pourtant.
— Je serai toujours là pour toi, corrige-t-il. Mais, oui, je t’en veux... un peu.
On a vécu l’enfer. Tout le monde est soucieux. Daniel n’est plus le même. Haley
ne parle que de toi et Carla veut te faire la peau.
Leur bien-être m’a à peine traversé l’esprit pendant tout mon périple. J’ai été
égoïste, mais je n’ai pas eu la force de faire les choses autrement.
Pendant notre balade, nous parlons de tout et de rien… Des personnes qui
entretiennent le ranch pendant son absence, des races et des prénoms des
chevaux. Il voit bien que je ne suis pas en état d’aborder des sujets plus sérieux.
Malheureusement, c’est pire une fois qu’il part. N’ayant plus personne pour
me distraire, je m’enfonce progressivement dans le chagrin. Je lutte contre mon
esprit pour qu’il me laisse dormir chaque soir et contre mon organisme pour
qu’il cesse de rejeter la moindre nourriture que j’ingurgite. Au fil des jours, je
vois bientôt mes joues se creuser et mes yeux se cerner. Je ne suis plus que
l’ombre de moi-même. Seule au monde, triste et sans réelle perspective.
C’est le coup de fil de Peter qui me remet en route, une semaine après son
départ.
Je n’ai même plus l’énergie pour ressentir quoi que ce soit. Je sais juste qu’il
faut que je m’en aille.
À suivre…
{1}
« Ne dis jamais au revoir, car dire au revoir signifie s’en aller et s’en aller signifie oublier. »
{2}
« Mon dieu », en espagnol dans le texte.
{3}
« Mon dieu », en espagnol dans le texte.
{4}
« Alors quoi, on sort ? C’est comme ça que ça doit se passer. Vivre jeune, sauvage et libre »
{5}
« Je n’abandonne pas, je laisse tomber. »