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MÊME PAS EN RÊVE

JENNIFER SUCEVIC
Même pas en rêve
Copyright© 2018 par Jennifer Sucevic
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y compris la photocopie, l’enregistrement ou autres méthodes électroniques ou
mécaniques, sans la permission écrite de l’éditeur, à l’exception de brèves
citations dans le cadre de critiques littéraires et autres usages à but non
commercial autorisés par la loi sur le droit d’auteur.

Ce livre est une œuvre de fiction. Tous les noms, les personnages, les lieux et les
incidents décrits sont le produit de l’imagination de l’auteur. Toute ressemblance
avec des personnes existantes ou ayant existé, des choses, des lieux ou des
événements réels, serait purement fortuite.

Couverture par Mary Ruth Baloy de MR Creations


Traduit de l’anglais par Valentin Translation
TA B L E D E S M AT I È R E S

1. Chapitre premier
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 28
Chapitre 29
Chapitre 30
Chapitre 31
Chapitre 32
Chapitre 33
Chapitre 34
Chapitre 35
Chapitre 36
Chapitre 37
Chapitre 38
Chapitre 39
Chapitre 40
Chapitre 41
Chapitre 42
Chapitre 43
Épilogue
Maintenant ou jamais

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A propos de l'auteur
CHAPITRE PREMIER

DAISY

L ogan écarte une mèche de cheveux de mon visage.


— J’ai passé un bon moment ce soir, dit-il.
Sa voix rauque fait dévaler un frisson de désir le long de
mon dos. J’aime cette sensation. Celle que tu ressens
lorsque tu sors avec quelqu’un de nouveau et que ça
matche vraiment. Quand tu te dis : oui, ça pourrait
déboucher sur quelque chose.
C’est exactement ce que je ressens en ce moment, avec
cette petite voix dans ma tête qui me crie ding, ding, c’est
dans la poche.
— Moi aussi, murmuré-je avant d’enfoncer la clé dans la
serrure de l’appartement.
Ça va peut-être paraître vieux jeu, mais le temps s’arrête
alors qu’on se regarde dans le blanc des yeux. Ai-je
mentionné que Logan a des yeux particulièrement
charmants ? Ils sont profonds et expressifs. J’ai l’impression
que je m’y perds.
Ses yeux sont la première chose que j’ai remarquée.
La seconde ?
Qu’il est mignon.
Les garçons mignons ont toujours été ma faiblesse. Il est
beau comme un étudiant de fac américaine typique, avec
des cheveux blonds parfaitement coiffés et une carrure
athlétique sans être musclée à l’extrême. Ce look me fait
craquer ! À ne pas confondre cependant avec le look
d’étudiant bourgeois.
Il y a une distinction subtile entre les deux.
Au prix d’un certain effort, je mouche mon excitation
grandissante. Je ne voudrais pas brûler les étapes. C’est
seulement la troisième fois qu’on sort ensemble, mais
jusqu’ici, ça semble extrêmement prometteur. Mieux
encore, j’ai l’impression qu’on est sur la même page.
Il me plaît et cet intérêt semble mutuel.
Je croise les doigts pour que mes colocs aient vidé les
lieux pour la soirée. Si j’étais du genre à parier, je dirais que
les chances sont en ma faveur. Après tout, il est près de
22 heures un vendredi soir. Toux ceux qui ont une vie
sociale à l’université de Brinmore savent que c’est l’heure
idéale pour faire la fiesta.
C’est la seule raison pour laquelle j’ai tenté le coup et
invité Logan à rentrer. J’ai envie de passer du temps seule
avec lui, afin qu’on puisse avoir l’occasion de mieux se
connaître. Puisqu’il réside dans la maison des Pi Kappa, aller
chez lui était impossible. J’ai beaucoup de défauts, mais pas
la stupidité.
Pour le moment, on ira chez moi ou bien on se pelotera
dans sa Ford Escape. Mais voilà, comme je n’habite qu’à
quelques pâtés de maisons du campus, la police patrouille
régulièrement la zone. Je n’ai vraiment pas envie de me
choper une amende pour attentat à la pudeur.
Hmm, non merci.
J’ouvre la porte et je me retiens de faire un geste de
victoire quand seul le silence nous répond. Toutefois, ayant
envie de la jouer cool, je me retiens. Au lieu de ça, je me
tourne vers Logan avec un grand sourire qu’il me rend
aussitôt.
Vous voyez ? Nous sommes sur la même longueur
d’onde.
J’appuie sur l’interrupteur du couloir et désigne le salon.
— Mets-toi à l’aise. Tu veux quelque chose à boire ?
Je me dirige vers la cuisine qui est séparée de la pièce à
vivre par un comptoir. Trois tabourets sont calés sous le
plateau en imitation granit.
— Oui, volontiers.
Adorablement, il fourre les mains dans les poches de son
pantalon chino et observe l’appartement.
Je ne peux pas m’empêcher de m’immobiliser pour
l’observer. Il est vraiment mignon. Je suis tentée de faire
une petite danse de la pluie dans la cuisine, mais j’ai peur
qu’il me surprenne. En attendant, je devrai me contenter
d’une gigue mentale.
— C’est joli, comme appart, dit-il.
— Merci. On a emménagé il y a juste quelques semaines.
Notre appartement a trois chambres et deux salles de
bains. J’ai eu la chance de réquisitionner la chambre
principale, alors j’ai une salle de bains privée juste pour moi.
Le salon a une petite salle à manger attenante. Si la cuisine
n’est pas spacieuse, elle est ouverte sur la zone de vie
principale, ce qui la fait paraître plus grande. C’est parfait
pour nous trois.
Je sors deux bouteilles d’eau du réfrigérateur et retourne
vers l’endroit où Logan s’est installé sur le canapé. Il est
grand. Probablement près d’un mètre quatre-vingts. Il a
étiré les jambes devant lui. Je lui tends une bouteille en
plastique et m’assieds à côté de lui. Près, mais pas trop.
Il tourne le bouchon et avale une grande goulée avant de
se pencher en avant pour la poser sur la table basse. Puis il
se détend sur le canapé et étend un bras sur le dossier. Ses
doigts frôlent mon épaule et il affiche un sourire sexy.
Je le lui rends alors que mon regard tombe sur ses lèvres.
On s’est bécotés plusieurs fois et Logan embrasse bien.
Je suis quasiment certaine que je lui donne le feu vert
pour se pencher et me donner un autre baiser.
Du moins, je l’espère.
Logan pose l’autre main sur ma joue et le bras qu’il a
passé autour de mes épaules me plaque contre lui.
— Tu es si jolie, murmure-t-il alors qu’il s’apprête à
m’assener le coup de grâce.
L’anticipation inonde mon système. Hormis Logan, pas
grand-chose à signaler. J’ai passé la majeure partie de mon
été avec ma mère…
Il vaut mieux que j’arrête d’y penser. Songer à ma mère
va casser l’ambiance, alors je ne vais pas m’appesantir
dessus. Toutes mes pensées sont braquées sur Logan et ses
lèvres attirantes qui descendent très lentement vers les
miennes.
Je m’apprête à fermer les paupières quand un cliquetis
audible brise le silence et la pièce s’illumine. Logan et moi
nous séparons d’un bond comme des adolescents coupables
qui viennent de se faire surprendre en train de fricoter dans
le sous-sol par leurs parents. Mon cœur battant est coincé
quelque part dans ma gorge.
Qu’est-ce que…
Je cligne des paupières, braque mon attention sur la
silhouette musclée appuyée au mur, les bras croisés devant
son torse large, et je pousse un soupir exaspéré.
Merde.
J’aurais dû m’y attendre.
Ce putain de Carter Prescott ! Aussi connu pour être la
pire épine dans mon pied.
Qu’est-ce qu’il fout ici ?
Il est censé être dehors, à se bourrer la gueule avec Noah
au sein de son fan club. Je les avais entendus discuter de
leurs projets en début d’après-midi.
Si je les ai espionnés ?
Allons, vous n’y pensez pas…
Ce que je faisais est un petit quelque chose appelé
« reconnaissance du terrain ». Je pousse un soupir irrité…
Pour le bien que ça m’a fait ! C’est précisément la situation
que j’avais espéré éviter.
Je cligne des paupières et réalise avec une autre onde de
choc que Carter ne porte pas le moindre vêtement.
Comment ne l’ai-je pas remarqué ? Il est appuyé au mur
d’un air décontracté, seulement vêtu d’un slip montant à
motifs rouge et noir en forme de légumes.
Qu’est-ce… qu’il… fait ???
Je pourrais mourir sur place. Pitié ! Que quelqu’un me tire
une balle pour abréger mes souffrances avant que la
situation n’empire.
Trop tard.
À côté de moi, Logan se raidit. Et pas comme je l’avais
espéré.
Avant que j’aie eu la chance d’envoyer chier Carter, il
entre dans la pièce et se laisse tomber sur l’immense
fauteuil inclinable très moche pile en face de nous. Je
déteste cette horreur et me suis opposée à l’avoir dans
l’appartement.
C’était deux contre une.
Ne se rendant pas compte – et pour être honnête, il s’en
fiche – que je suis à deux doigts de péter une durite, Carter
pointe le menton en direction de Logan.
— Hé, que se passe-t-il ? clapoté-je d’une voix énervée.
Carter est parfaitement nonchalant, comme s’il n’était
pas en train de se pavaner à moitié nu et d’interrompre mon
rencard.
Le pauvre Logan ne sait pas comment interpréter la
situation.
— Ahhh…
Sa voix meurt et il ouvre de grands yeux comme si
Carter était un horrible accident de voiture dont il ne
parviendrait pas à détourner l’attention.
Je ressens à peu près la même chose.
Je parle de corps éparpillés sur le trottoir et de plusieurs
morts.
Vous pouvez parier que lorsque je mettrai les mains sur
Carter, il va en faire partie.
Il s’assied, les jambes écartées. Malheureusement, il
offre à Logan et moi une vue imprenable sur son paquet
super impressionnant.
Merde. Je viens vraiment de penser ça ?
Logan détourne le regard et marmonne du coin des
lèvres :
— C’est qui, ce type et qu’est-ce qu’il fait dans ton
appartement ?
Voulant minimiser la situation, je désigne Carter d’un
geste vague comme si tout était parfaitement normal.
— Oh… lui ?
Je pousse un ricanement artificiel.
— C’est juste un de mes colocs.
Les sourcils de Logan font une montée en flèche sur son
front alors qu’il écarquille les yeux. Dans d’autres
circonstances, son expression aurait été comique.
Malheureusement, pas aujourd’hui. Mes perspectives pour
la soirée sont officiellement gâchées. Un sourire moqueur
s’empare des lèvres de Carter comme s’il était parvenu à la
même conclusion.
Grrr.
Logan m’adresse un regard confus.
— Tu habites avec un mec ?
Je me mordille la lèvre inférieure, me creusant le cerveau
pour chercher une explication plausible qui apaiserait la
situation et nous permettrait de reprendre à zéro. Mais mon
esprit reste vide. Je n’entends que le son des criquets.
— En fait, elle vit avec deux mecs, précise Carter.
Ça n’arrange pas les choses.
Le choc déforme le visage de Logan.
— C’est vrai ?
La chaleur envahit mes joues et j’éclaircis ma gorge
soudainement sèche.
— Euh, oui.
— Vous deux, vous êtes…
Logan plisse les yeux et fait jouer un index entre nous.
— … en couple ? Parce que je refuse de me retrouver
coincé dans un truc zarbi.
— Quoi ? Non !
Je pousse un ricanement aigu et nerveux qui est
ridiculement sonore dans le silence de l’appartement avant
de babiller :
— Nous ne sommes pas en couple ! Pas du tout !
J’attends que Carter intervienne et ouvre sa grande
bouche, mais il garde le silence. Je vais l’étrangler à mains
nues. C’est la seule pensée qui me permet de survivre à cet
instant.
— J’habite avec mon cousin, marmonné-je. Et son pote.
Logan jette un regard sceptique en direction de Carter,
mais puisqu’il est affalé, les jambes écartées et la virilité
affichée fièrement en vitrine, mon rencard détourne
rapidement les yeux.
— Je t’en prie, dis-moi que c’est lui, ton cousin, plaide
Logan.
— Non.
Dès que je marmonne ce mot, je sais que même si la
soirée s’avérait prometteuse, tout est fini.
Comme pour confirmer mes réflexions silencieuses,
Logan se redresse et se tourne brusquement vers moi.
— Désolé, Daisy. Ce qui se passe ici est un peu trop
compliqué pour moi.
Il carre les épaules.
Ai-je mentionné que Logan a des épaules magnifiques.
Larges et sculptées.
Oui…
— Je me barre, dit-il.
Sa mâchoire crispée me dit que ça ne vaut pas la peine
de protester.
Sans adresser un autre regard à Carter, Logan se dirige
droit vers la porte comme s’il venait de découvrir que je suis
une serial killer qui compte faire des abat-jour avec sa peau.
Je ne prends pas la peine de le raccompagner. Je préfère
fusiller du regard Carter, qui est assis nonchalamment en
face de moi.
Si je centre mon attention sur lui suffisamment fort, il
partira en cendres.
Mais je n’ai pas cette chance.
La porte de l’appartement se referme avec un bruit sourd
qui fait naître un écho.
Carter gratte sa barbe de cinq heures.
— C’est bizarre. Pourquoi tu crois qu’il s’est cassé si
vite ?
Un sourire danse au coin de ses lèvres et je grince des
dents. J’invoque tout ce que j’ai pour me retenir de prendre
la lampe sur la table du fond et la jeter dans sa direction.
— Oui, je lui crache. Son départ est vraiment la chose la
plus bizarre de la soirée.
Je me tapote le menton à plusieurs reprises.
— Mais que tu te pavanes en slip avec l’aubergine en
vitrine ne l’était pas ?
Ses épaules tressautent d’une joie silencieuse puis il
s’éclaircit la gorge pour me réprimander.
— J’espère que tu parles de mon imprimé légumes et pas
de…
— Qu’est-ce que tu fais ici, d’ailleurs ? lancé-je.
Je n’en tolérerai guère plus avant d’exploser et
j’approche de ma limite. Je ne comprendrai jamais pourquoi
Carter prend un malin plaisir à me faire tourner en
bourrique. C’est enrageant.
— Euh, je vis ici.
Il arque un sourcil comme si j’étais lente à la détente.
— Tu t’en souviens ?
— Impossible d’oublier, dis-je en croisant les bras et en
fronçant les sourcils. Pourquoi tu n’es pas dehors avec
Noah ?
Si Noah est mon cousin, il est aussi l’ami et le coéquipier
de Carter. C’est comme ça que je me suis retrouvée dans
cette coloc.
Pense un peu, Daze, ça sera génial. La dernière année
sera géniale.
Euh… Pas vraiment.
Carter hausse les épaules, l’air parfaitement détendu
alors qu’il se prélasse dans un slip super serré qui ne laisse
absolument rien à l’imagination.
— Je n’avais pas envie.
J’émets un son moqueur. Ouais, c’est ça…
— Depuis quand ?
Je connais Carter depuis trois ans. A-t-il déjà refusé de
faire la fête, d’aller dans un bar et de ramener une fille à la
maison pour un coup d’un soir ?
Bon, d’accord… On ne peut pas dire qu’il la force. Des
nuées de femmes se jettent constamment sur lui. Ses
cheveux courts sombres, ses yeux gris perçants et sa
carrure athlétique due à des années de pratique du foot et
de la crosse font l’effet d’une drogue sur les étudiantes. Et
le fait qu’il s’apprête à rejoindre la ligue nationale de foot ne
fait que décupler son coefficient séduction.
Enfin, pour les autres filles.
Pas pour moi.
Pendant quelques secondes, Carter étudie ses ongles
coupés à ras comme s’ils le passionnaient.
— J’avais peut-être envie de passer la soirée à la maison,
à me détendre dans mon Calvin Klein.
Il braque les yeux vers moi.
Quand nos regards se croisent, une sorte d’étincelle me
parcourt soudainement. Je serre les dents pour repousser
cet assaut, souhaitant désespérément ignorer la pulsion
sexuelle que je ressens pour lui. Elle couve sous la surface
depuis la première année et ne s’est toujours pas dissipée.
Je me suis répété à maintes reprises que ce n’est pas grave
d’être attirée par quelqu’un qu’on peut à peine supporter,
mais secrètement, cela me contrarie profondément parce
que je ne veux pas le ressentir. Carter m’insupporte. Ma
réaction à lui est toujours instantanée et viscérale.
Pour la centième fois, je maudis mon cousin Noah. Sans
lui, je ne serais pas forcée de partager mon espace avec
Carter. Pourtant, je ne peux rien y faire pour le moment. Je
suis coincée par mon bail et l’année scolaire vient à peine
de commencer. J’ai huit longs mois en perspective…
Pour ne pas le tuer.
À mains nues.
On va voir si je peux y survivre.
Je tapote du pied le plancher en bois et plisse le front.
Ses yeux pétillent d’hilarité alors qu’il se décolle de son
siège et étire les bras au-dessus de sa tête. Tous ses
muscles ondulent et se contractent. Ma bouche se dessèche
et je me force à détourner le regard. Malheureusement, j’ai
été trop lente et j’entrevois une quantité délectable de chair
sculpturale.
Arg ! Est-il vraiment obligé d’être aussi beau ?
Carter n’est même pas mon type – vraiment pas –, mais
un désir palpitant a déjà élu résidence dans mon ventre.
C’est frustrant.
— Je crois que je vais m’habiller, dit-il.
Je lève brusquement la tête.
— Quoi ?
Il hausse les épaules et un petit sourire s’attarde au coin
de ses lèvres.
— J’ai changé d’avis. Je vais y aller après tout.
Son petit sourire moqueur redouble d’intensité.
— Visiblement, tes projets pour la soirée sont tombés à
l’eau. Tu veux venir ?
Cette fois, je ne me contiens pas. Je m’empare de la
télécommande high-tech noire posée sur la table basse et la
lui jette à la tête.
Sans rompre le contact visuel, il l’attrape en plein vol.
— Je prends ça pour un non.
Je pousse un grondement de frustration alors qu’il repose
la télécommande sur le fauteuil inclinable et se retire dans
sa chambre.
Putain !
Je savais qu’il était là pour une bonne raison. Il n’était
pas fatigué et n’avait pas envie de passer une soirée
détente à la maison. Il patientait dans l’appartement, prêt à
bondir. Et je suis tombée dans son piège.
Je secoue la tête et enfonce le visage dans mes mains.
Respire profondément, me dis-je. Il faut que je respire
profondément, sans quoi je vais commettre un crime et me
retrouver en taule pour assassinat.
Je vis ici depuis moins d’un mois et je vois déjà que
l’année sera longue.
CHAPITRE 2

CARTER

B rinmore University – ou BU, comme on préfère l’appeler


– est connue dans tout le pays pour trois choses.
La première est le football. BU en remontre à l’université
d’Alabama en ce qui concerne le nombre de championnats
de ligue-conférence et de joueurs qui rejoignent la ligue
nationale tous les ans. Et si tu ne joues pas, tu feras mieux
d’être fan, parce que tu seras immergé dans le monde du
foot vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Même hors
saison, tout le monde parle des espoirs de l’année
prochaine, des lycéens qui sont recrutés, de ceux qui
passent pros, des blessés et de ceux qui reviennent.
La seconde est le niveau d’études. BU est une université
de premier ordre. Une des meilleures du pays. Décroche un
diplôme dans cette fac et tu auras un futur prometteur.
C’est un fait établi que les anciens élèves de BU se
protègent mutuellement.
Et la troisième ? Les fêtes. BU s’inscrit régulièrement au
top cinq des universités de fêtards, avec un immense
réseau de fraternités et sororités. Croyez-moi, le corps
étudiant prend cet honneur au sérieux. Il se passe toujours
quelque chose. Si vous voulez sortir tous les soirs de la
semaine, vous pouvez. Cela dit, je vous le déconseille
fortement. C’est la meilleure façon de se faire virer.
Est-ce vraiment surprenant que les étudiants viennent ici
en masse pour leur parcours universitaire ? BU possède ce
trio gagnant rare.
Les études, le football et les fêtes.
Et pas nécessairement dans cet ordre.
Même si j’ai été recruté par certaines des universités les
plus élitistes des États-Unis, mon inscription à BU était
courue d’avance. Elle se situe juste dans les environs, à
seulement quarante-cinq minutes en voiture de chez moi.
C’était une condition importante. J’écarte rapidement cette
pensée. Je ne veux vraiment pas songer à chez moi. Pas
besoin de me gâcher l’humeur en un vendredi soir aussi
parfait.
Je préfère fendre la foule à la recherche de Noah. Quand
je passe devant eux, les gens me donnent des bourrades
dans le dos et me crient des salutations.
— Tu étais super à l’entraînement, Prescott !
— J’ai hâte qu’on fasse le premier match à domicile !
— On va botter le cul de l’Alabama cette saison !
Des mains féminines se tendent vers moi pour me
caresser les bras. L’invitation est évidente. Des sourires
sexy et engageants sont braqués dans ma direction. D’aussi
loin que remontent mes souvenirs, ça a toujours été comme
ça. Dès que j’ai intégré l’équipe universitaire en tant que
junior en première année de lycée, des filles plus âgées se
sont intéressées à moi. Cette année-là, notre école a
remporté le championnat et soudain, tout le monde m’a
prêté attention. Après ça, impossible d’aller quelque part
sans être reconnu. Je n’ai cessé de recevoir des propositions
pour des camps d’été super sélect, et mes perspectives
pour rejoindre une université de première division ont
décuplé.
Pourtant, même si ce niveau d’adoration est agréable, il
n’y a rien de nouveau. Ce n’est qu’un des avantages à être
un athlète de haut niveau dans cette fac. On ne va pas se
mentir, c’est super. J’en ai tiré profit régulièrement au fil des
années. Si des filles sont toutes disposées à écarter les
jambes pour moi, qui suis-je pour les repousser ?
Dans des circonstances normales, je serais en train de
faire l’inventaire de ce qu’on me propose, avec l’assurance
de prendre mon pied à la fin de la soirée.
Au moins une fois.
Probablement deux.
Mais ce soir, je ne pense pas que ce sera le cas. J’ai une
fille en particulier à l’esprit. Quelqu’un qui ne devrait
d’ailleurs pas y être. Si j’avais un peu de jugeote, je
trouverais une fille consentante et oublierais tout de ma
coloc.
Je peux avoir toutes les filles que je veux sur le campus.
Et croyez-moi, je ne me suis pas gêné.
À part pour une.
Daisy Thompson m’est strictement interdite. C’est un fait
qu’on ne peut pas contourner. Je ne vais même pas essayer.
— Hé, qu’est-ce qui t’a retenu ?
En bon ami, Noah me tend une bouteille de bière glacée.
— On t’attend depuis plus d’une heure. Tasha et Ava te
cherchaient.
Il m’adresse un sourire chafouin. Tout le monde sait
parfaitement que ces deux filles sont à prendre en duo.
J’ai déjà donné.
Plusieurs fois, même.
Généralement, ce genre d’informations piquerait mon
intérêt. Mais pas ce soir. Je ne ressens même pas un
pincement sous la ceinture, ce qui ne fait que renforcer mes
soupçons.
Je tourne le bouchon et avale une goulée afin de gagner
un peu de temps.
— J’avais quelque chose à faire.
S’il trouve ma réponse évasive, il n’émet pas le moindre
commentaire.
Je ne peux quand même pas dire à Noah que je faisais
tourner sa cousine en bourrique. Figurativement, pas
littéralement. Il le prendrait trop mal. Il me casserait
probablement la figure.
J’avais l’intuition que Daisy partait retrouver un clown et
je n’avais pas tort. Dès qu’elle est sortie de sa chambre
vêtue d’une jupe courte et d’un haut moulant, avec ses
cheveux ondulés comme en été et un maquillage parfait,
j’ai compris la situation.
Je me retiens de grimacer.
Non, hors de question que ça arrive.
Je m’en suis assuré.
Si elle n’apprécie pas le fait que je lui ai rendu un service
en la débarrassant de ce loser, tant pis pour elle.
Je voyais exactement ce que ce mec avait à l’esprit. C’est
ce qu’il passe dans le mien tous les jours. On ne peut pas
être en présence de Daisy sans avoir ces pensées illicites
qui vous rongent le cerveau. Cette fille est le péché incarné.
Désolé, mec. Pas ce soir.
Pour l’un comme pour l’autre.
Je porte la bouteille à mes lèvres afin de dissimuler mon
sourire. Quand je me suis enfin éclipsé de l’appartement,
j’ai cru que Daisy allait péter une durite. Je ne devrais
probablement pas l’embêter comme ça, mais c’est si facile
de lui faire prendre la mouche !
Est-ce totalement pervers d’admettre que j’en tire une
certaine satisfaction ?
D’accord… Disons plutôt un plaisir immense. J’essaye de
ne pas examiner les raisons de trop près. J’ai peur des
conclusions que j’en tirerais.
En ce qui concerne sa cousine, Noah a une politique
stricte de non-fraternisation. Il est comme un chien sauvage
qui garde un os bien juteux.
Et qui pourrait le lui reprocher ?
Cette fille est magnifique. Elle a de longs cheveux
couleur miel et de grands yeux bleu vert qui font battre mon
cœur douloureusement à chaque fois qu’elle me fusille du
regard. Ce qui est souvent. Elle est petite et n’arrive qu’au
milieu de mon torse. Je dirais qu’elle fait un peu moins d’un
mètre soixante. Elle a des courbes ravissantes et ses seins
peuvent remplir une main.
Enfin, ce n’est pas quelque chose que je découvrirai un
jour.
Ce qui ne m’empêche pas de me branler en pensant à
elle.
Noah me trancherait la tête – et l’autre extrémité – s’il
avait vent des images cochonnes de sa cousine qui me
trottent dans la tête. Putain, rien que de penser à Daisy
suffit à me faire bander.
Je ne sais pas ce qu’il m’a pris quand j’ai accepté qu’on
vive ensemble. Au plus profond de moi, j’ai su que c’était
une mauvaise idée dès que Noah avait abordé le sujet au
printemps dernier. On a emménagé il y a moins d’un mois et
j’ai déjà eu le plaisir de la voir se balader quasiment tous les
jours en mini short de pyjama qui n’est basiquement qu’une
culotte, ainsi qu’en débardeurs fins qui s’étirent sur ses
seins généreux et me mettent l’eau à la bouche.
Ces images qui inondent mon cerveau me tirent un
grommellement. Le besoin de m’ajuster le paquet se fait
méchamment sentir.
Noah me coule un regard.
— Qu’en dis-tu ?
— Hein ?
La chaleur me monte aux joues en pensant à son cul
parfait moulé dans un short minuscule. Dieu merci, la pièce
est plongée dans la pénombre.
— Oh… rien.
J’avale une autre gorgée pour essayer d’éteindre les
flammes qui me dévorent de l’intérieur.
Noah observe cette fête hors campus bondée. Je crois
que la moitié de la fac a fait le déplacement. La plupart des
gars de l’équipe sont venus pour évacuer la tension. La
saison débute la semaine prochaine et l’entraîneur ne va
pas nous lâcher du lest pendant les deux prochains mois.
La plupart de ces étudiants n’ont jamais touché un
ballon, mais quand on ramène une coupe à la fin de la
saison, c’est une victoire pour tout le monde. Pas seulement
pour les athlètes qui composent l’équipe de foot, mais pour
l’ensemble du corps étudiant. On gagne ensemble et on
perd ensemble. Alors, un vendredi soir, avant le début de la
saison, on fait la fête tous ensemble.
Enfin, peut-être pas tous ensemble.
Noah me donne un coup de coude et répète :
— Daisy est rentrée avant que tu partes ?
Je dois me retirer la tête du cul et me reprendre.
— Hmm… Oui, je crois.
Il avale une gorgée de bière.
— Et elle n’a pas voulu t’accompagner ?
— Non.
Je m’éclaircis la gorge et essaye de penser à la
télécommande avec laquelle elle a essayé de m’assommer.
Elle a des biceps, c’est certain.
— J’ai cru comprendre qu’elle était rentrée pour aller se
coucher.
— Hmm, marmonne-t-il. Son rencard a dû mal se passer.
— Oui, je crois que c’est fichu.
On ne va pas tourner autour du pot. C’est complètement
fichu. Avec mon aide, bien sûr ; ne me remerciez pas. Mais
je garde cette partie pour moi.
Noah secoue la tête.
— Elle change de mec aussi souvent que de culotte.
Ça me fait rire.
D’accord, j’ai contribué à lui casser son plan, mais il a
raison. Daisy les collectionne. Elle a l’habitude de passer
d’un mec à l’autre comme une abeille dans un champ de
fleurs sauvages, amorçant des relations qui tournent court
au bout de quelques semaines. C’est amusant d’y assister
depuis le banc de touche. Mais la dernière chose que je
veux est qu’elle s’implique dans quelque chose de sérieux.
Je crois que ça me tuerait.
Je passe une main sur mon visage, ayant besoin de
purger de mon cerveau une bonne fois pour toutes de tout
ce qui concerne Daisy Thompson. Tirer mon coup ferait
probablement l’affaire.
Pendant un moment.
Heureusement, il y a largement assez d’options à cette
fête pour que je fasse mon choix.
J’accroche un regard, décoche un sourire et une fille se
dirige vers moi. Je me rends compte trop tard qu’elle
ressemble trait pour trait à Daisy, avec la même couleur de
cheveux et une silhouette généreuse.
Il me suffit de penser à coucher avec Daisy pour que mon
érection ramollie se mette au garde-à-vous.
Quelle vie de merde !
CHAPITRE 3

DAISY

—B onjour, Tante Marnie ! appelé-je en franchissant la


porte d’entrée, Noah et Carter sur mes talons.
Tante Marnie, la mère de Noah, se tient près de
l’immense îlot en granit noir au centre de la cuisine. Elle
porte une jolie robe d’été et ses longs cheveux blonds sont
rassemblés en une queue-de-cheval. C’est sa coiffure
préférée. Elle est facile et pratique, des qualités qui lui
ressemblent.
Elle lève les yeux et un sourire chaleureux illumine son
visage.
— Bonjour, ma chérie !
Une grande cuillère en bois à la main, elle touille une
salade de macaronis pour le barbecue de la fête du Travail
que mon oncle et elle organisent. Tout le quartier est invité,
ainsi que les coéquipiers de Noah et de Carter qui vont
débarquer en masse.
Vu leur piscine qui déchire tout, il y a toujours une
abondance de beaux mecs à zieuter. C’est probablement un
des seuls avantages à avoir un cousin qui joue en première
division de football. Ces mecs s’entraînent toute l’année
comme si leur vie en dépendait et ils ont la musculature
pour le prouver.
Carter m’emboutit et grommelle contre les gens qui
marchent lentement, me faisant me hérisser d’irritation.
Normalement, je lui aurais renvoyé une remarque tout aussi
désobligeante, mais je ne lui dis rien parce que je suis
toujours en colère qu’il ait gâché mon rencard avec Logan.
J’essaye de ne pas trop penser à l’autre soir de peur
d’être assaillie par des images de Carter seulement vêtu de
son slip montant moulant qui met en valeur son torse
musclé. Ça me tue d’admettre qu’il a un corps fantastique.
À chaque mouvement, tous ses muscles parfaitement
dessinés se détachent en relief.
Férue d’art et de dessin, je suis bien placée pour
apprécier sa… forme.
Je chasse cette pensée avant de me mettre à baver sur
lui.
Mettre un pied dans cette maison suffit à apaiser mes
nerfs en pelote. Je ne me suis jamais sentie autant chez moi
dans ma propre maison. J’ai tant de souvenirs agréables des
fois où je me suis calée sur un tabouret pour me confier à
Tante Marnie pendant qu’elle préparait le repas à la fin de la
journée. Je pouvais toujours lui parler de n’importe quel
problème.
J’ai de la chance que les parents de Noah m’aient ouvert
leur porte après le divorce de mes parents, quand j’avais
quatorze ans. Ça s’est passé durant l’été qui précédait la
seconde. Quand mes parents ont décidé de divorcer, ça n’a
choqué personne. Tous ceux qui les connaissaient l’avaient
vu venir comme une collision ferroviaire au ralenti. Je crois
que j’étais la seule raison pour laquelle maman et papa ont
tenu aussi longtemps. C’est nul de divorcer, mais d’un
certain côté, ça a été un soulagement pour tout le monde.
Finies, les sessions de cris et de hurlements entrecoupées
par des plages de silences malaisants qui duraient pendant
des journées entières.
Une fois la décision prise, leur mariage s’est écroulé
comme un château de cartes. En quelques mois, ils avaient
signé les papiers et mon père avait tout plaqué pour
s’installer au Texas. Sept ans plus tard, il y est toujours.
Seulement maintenant, il est marié, avec deux gosses qui
sont mes demi-frères. Je ne les ai guère vus, alors j’ai du
mal à les considérer comme ma famille. Les rares fois où je
suis allée leur rendre visite, c’était maladroit, comme si je
vivais avec des inconnus. La dernière fois, j’ai changé de
billet d’avion pour revenir une semaine en avance. Je n’y
suis plus retournée depuis. Tous les deux mois, Papa et moi
discutons au téléphone. Parfois, on s’envoie des textos,
mais l’intimité qu’on possédait autrefois n’existe plus depuis
longtemps.
Et ma mère… Je ne sais pas comment la décrire sauf
pour dire qu’elle en est présentement à son quatrième
mariage et qu’elle bourlingue partout en Europe. Frederique,
son mari possède des propriétés partout dans le monde,
alors je ne sais jamais où ils sont d’une semaine sur l’autre.
J’aime ma mère, mais elle est un peu folle. La dernière
fois qu’elle est venue, j’ai entendu Tonton Craig marmonner
discrètement qu’elle était légèrement excentrique. C’est un
euphémisme ! Dans le monde de Lydia Bellamy, les maris
sont superflus et les mariages ne durent jamais.
Tous les étés, pendant deux mois, je boucle mes valises
et prends un avion vers son domicile du moment. L’année
dernière, c’était Monte-Carlo. L’été d’avant, Londres. Et
l’année précédente, la Toscane.
Je sais… ouin, ouin, je m’apitoie sur mon sort.
Je ne vais pas me plaindre. Le paysage est toujours
magique et elle m’emmène faire du shopping. Elle m’achète
tout ce que je veux. On déjeune et on passe nos journées au
spa. Je reviens toujours à la fac en me sentant reposée et
dorlotée.
Et si notre relation est plus superficielle qu’intime,
j’essaye de ne pas trop y penser. Quand elle me traite
davantage comme une copine qu’elle vient de rencontrer
sur un yacht dans le Sud de la France et me confie des
détails que je n’ai pas envie de connaître sur les hommes de
sa vie, je laisse ses paroles entrer par une oreille et sortir
par l’autre avant qu’elles ne puissent causer des dommages
permanents.
Ça fait deux ans qu’elle est avec Frederique. Je me doute
que leur relation atteindra vite sa date d’expiration. Si
j’appréciais vraiment ses deuxième et troisième époux, je
ne vais pas m’attacher. Dès que je commence à baisser la
garde, ils sont sur le départ et elle trouve un endroit où
l’herbe est plus verte.
Ou des hommes avec des comptes en banque plus
importants.
Je n’arrive pas à croire que Marnie et ma mère soient
parentes – sœurs, qui plus est. Elles ne pourraient pas être
plus différentes. Contrairement à ma mère, celle de Noah
est terre à terre et raisonnable. Elle a une licence
d’infirmière et travaille aux urgences de l’hôpital local. Ma
mère est diplômée d’un institut de mode et a bossé pendant
plusieurs années dans une Maison très connue avant de
décider que la vie professionnelle n’était pas faite pour elle.
Durant les dernières vacances d’été, j’ai convaincu Noah
de passer deux semaines avec moi à Monte-Carlo. Au bout
de trois jours en présence du tourbillon qui me sert de mère,
il m’a dit carrément que Lydia est – je cite – « folle à lier ».
Impossible de nier, il a raison.
Elle est complètement barrée.
— Salut, Tante Marn.
La voix profonde de Carter résonne dans la cuisine
spacieuse.
Elle lui adresse un sourire affectueux.
Marn.
Ce surnom me fait grincer des dents. Ça me dérange de
voir que la mère de Noah a Carter à la bonne.
Cela dit, tout chez Carter Prescott me dérange
terriblement.
— Elle n’est pas ta tante, lui lancé-je, incapable d’ignorer
sa présence irritante après ses bouffonneries de l’autre nuit.
Tu n’as aucune forme de parenté, quelle qu’elle soit, avec
ces gens-là.
Si ma tante n’était pas là, je montrerais les crocs.
Vous voyez ?
C’est ce que Carter me fait. Il me transforme en une
chienne féroce. Non seulement je suis en colère contre lui,
mais maintenant, je m’en veux de l’avoir autorisé à me
mettre en rogne.
Surprise par mon exclamation, ma tante me décoche un
regard acéré et désapprobateur.
— Daisy, ce n’est pas très gentil. Carter est pratiquement
un membre de la famille.
Son ton me fait grimacer. Qu’elle m’adresse des
reproches est déjà assez embarrassant, mais le faire devant
Carter est encore pire et me fait bouillonner alors que je
manigance sa mort en silence. Tante Marnie a une étrange
affinité pour cet imbécile. Personnellement, je n’arrive pas à
comprendre pourquoi.
— Il est comme un frère pour Noah, répond-elle en
adressant un clin d’œil à Carter.
— Beurk, dit Noah en plissant les narines. C’est
dégoûtant, Maman. Ne dis plus jamais un truc comme ça.
Je grommelle à mi-voix et évite de tourner les yeux vers
Carter. Me mettre en colère le fait probablement sourire de
joie.
Quel connard !
Tante Marnie sait que Carter et moi ne nous entendons
pas. J’ai rouspété après lui à de multiples reprises.
Multipliées à l’infini.
Noah et Carter se sont rencontrés pendant un match de
foot avant la première année et sont restés proches. Si Noah
a des capacités sur le terrain, il n’est pas assez bon pour
passer pro. Ça lui plaît, mais il ne vit pas pour ça comme le
font d’autres membres de l’équipe. Noah a déjà passé son
LSAT et peaufine ses dossiers de candidature pour entrer en
fac de droit.
D’un autre côté, Carter ne vit que pour le football. C’est
sa passion. Son point focal. Lui et moi ne parlons pas de son
futur, mais j’entends les rumeurs qui courent sur le campus.
La plupart des mecs qui visent la Ligue Nationale ne laissent
jamais filer une occasion de se vanter de leurs perspectives
d’avenir. Mais Carter n’est pas pareil. Il est prudent et
réservé. Il ne discute pas de sa famille et ne se vante pas de
ses projets après l’université. Je vis avec lui, certes, mais je
ne sais quasiment rien sur lui. Chose qui me convient
parfaitement.
Heureusement, Tante Marnie ne rajoute rien. Je n’ai
vraiment pas envie de me faire gronder devant Carter. Il
prendrait probablement un siège, se goinfrerait de popcorn
et profiterait du spectacle.
Nous nous retournons tous les quatre vers les portes-
fenêtres en entendant les voix fortes et joyeuses qui
émanent de l’arrière-cour. Il est encore tôt, mais il y a déjà
près de quarante personnes sur le patio qui profitent de la
piscine. Je souris en voyant Tonton Craig retourner des
steaks hachés et des hot dogs sur le grill. Il a sorti son
tablier bleu au logo Superman et rit avec un des voisins tout
en avalant une gorgée de bière à la bouteille. Si l’intégralité
de l’équipe de foot se pointe comme l’année dernière, il
devra rester au grill tout l’après-midi.
Apercevant quelques coéquipiers, Noah et Carter sortent
par la baie vitrée.
— Mettez bien de la crème solaire ! leur crie Tante
Marnie.
Quand je me retourne vers elle, elle désigne deux flacons
jaunes posés sur une table près de la porte.
— La sécurité avant tout.
Ne suivant pas les garçons à l’extérieur, je reste dans la
cuisine et donne à ma tante un baiser sur la joue. J’aime
passer du temps avec elle. Parfois, cette idée me rend
coupable, mais c’est la mère que j’aurais aimé avoir.
Je désigne le festin devant nous.
— Je peux t’aider pour quoi que ce soit ?
D’un air critique, elle passe en revue les plats de salades
et de pâtes disposés sur l’îlot en granit. Au lieu
d’embaucher un traiteur comme la plupart des femmes qui
travaillent, elle choisit toujours de préparer elle-même la
nourriture pour les fêtes. Visiblement, elle a l’intention de
nourrir un bataillon. Ou bien l’équipe de foot de BU. Ils ne
sont peut-être pas une armée, mais ils mangent
certainement autant.
— Bien sûr. Dans environ un quart d’heure, tu pourras
porter tout ça sur la table installée dans le jardin.
Je hoche la tête.
— C’est d’accord.
À présent que la nourriture est prête, ma tante se lave
les mains et s’essuie avec un torchon en me regardant.
— Comment ça va, en général ?
Elle plisse les yeux en me regardant.
— Tout va bien ?
Au lieu de répondre de but en blanc, je me force à
inspirer puis à expirer calmement.
— Oui, ça va.
À présent que Carter a rejoint la fête, l’agitation qui vibre
dans mon système se dissipe graduellement. Oui, ses
pitreries de l’autre soir m’ont irritée, mais mon malaise est
dû à quelque chose de plus profond. Carter possède
l’étrange capacité de me mettre les nerfs à vif. C’est
constant et donc épuisant.
À en juger par son regard pénétrant, Tante Marnie ne me
croit pas.
— Les cours se passent bien ?
— Jusque-là, oui.
J’étudie l’art graphique. À présent que j’ai passé tous les
modules de mon tronc commun obligatoire, j’ai pu remplir
mon emploi du temps de cours d’art. J’ai ajouté un cours de
sociologie – que j’adore – parce que ce sujet m’intéresse.
Malheureusement, Carter s’est retrouvé dans la même
section. C’est la première fois qu’on a un cours en commun.
Je ne sais même pas ce qu’il étudie et pourtant, on s’est
retrouvés coincés ensemble en cours de « Soc 210 –
Problèmes sociaux contemporains ».
Me dévisageant toujours, elle raccroche son torchon et
essaye de me faire cracher la vérité.
— Et vivre avec Noah et Carter se passe bien ?
Je n’irais pas jusque-là.
Mais je ne peux pas le lui dire.
Pour gagner du temps, je chipe un bâtonnet de carotte
sur l’immense plateau de légumes et le grignote en
haussant les épaules.
— Ça va.
Encore une fois, mon esprit revient au cinéma que Carter
m’a fait vendredi soir. Il a eu la présence d’esprit de
s’éclipser pour le reste de la soirée, sans quoi je n’aurais
pas été responsable de mes actes.
Je peux dire adieu à d’autres rendez-vous avec Logan. Je
lui ai envoyé un texto hier pour voir si on pouvait se revoir
et discuter de mon mode de vie dans les détails afin de
mettre un terme à toutes ses idées fausses.
Il ne m’a pas répondu. Je suis donc quasiment certaine
que mes hypothèses initiales sont justes.
Et vous savez qui est responsable ?
Ce con de Carter Prescott.
Tante Marnie s’appuie au comptoir et croise les bras.
— Comment t’entends-tu avec Carter ?
— Aussi bien que d’ordinaire, dis-je avec une gaieté
forcée.
Ce n’est pas exactement un mensonge.
Elle soupire et demande gentiment :
— Tu as déjà songé à ne pas te montrer aussi dure avec
lui ?
Je plisse le front et me redresse de toute ma hauteur.
Ne pas me montrer aussi dure avec lui ?
Ce mec est un connard fini. Et je pèse mes mots.
— Pourquoi ferais-je une chose pareille ?
Si elle savait ne serait-ce qu’un dixième de ce que Carter
m’avait dit ou fait, elle se retiendrait d’émettre des
suggestions.
Tante Marnie hausse ses épaules fines et une étrange
lueur passe dans ses yeux.
— As-tu songé que si tu apprenais à mieux connaître
Carter, si tu lui donnais une autre chance, vous pourriez
trouver un terrain d’entente ?
J’en reste bouche bée.
— Je peux dire avec une sincérité absolue que je n’ai
jamais envisagé une telle possibilité.
Je préférerais lui flanquer un bon coup sur la tête. Je suis
seulement désolée qu’il ait de bons réflexes et qu’il ait
attrapé la télécommande que je lui ai balancée l’autre soir
avant qu’elle ne le frappe en plein front.
Ça aurait été satisfaisant, non ?
Marnie et ma mère ont peut-être plus de choses en
commun que ce que j’avais cru. Elle doit être légitimement
folle pour proposer cette idée. J’en ai appris assez de Carter
Prescott pour savoir que je n’ai pas envie d’en découvrir
davantage.
Lui accorder une autre chance ?
Jamais !
Vendredi soir n’était pas la première fois qu’il gâchait un
de mes rencards. Ce mec adore me faire rager. C’est son
passe-temps favori. En plus, c’est un connard arrogant,
séducteur et joueur de foot qui aime jouer des poings. Je ne
l’ai jamais vu amorcer une altercation physique, mais j’ai vu
le résultat sur son visage le lendemain matin.
Je regarde par la fenêtre juste à temps pour voir Carter
retirer son T-shirt à motif graphique et le jeter sur une des
chaises longues disposées sur le patio en béton. Tous ses
muscles embrassés par le soleil se contractent alors qu’il
plonge la tête la première dans les eaux claires de la
piscine.
Ma bouche se dessèche et mon cœur s’accélère.
— Daisy ?
La voix de Tante Marnie a l’air de voyager dans un tunnel
de millions de kilomètres alors qu’elle agite une main
devant mon visage.
— La Terre à Daisy.
Je rougis d’embarras alors que je détourne le regard de
l’endroit où se tenait Carter. Je n’ai absolument pas envie de
le regarder remonter à la surface. Je risquerais d’avoir un
mini-orgasme ici, au beau milieu de la cuisine.
Je ravale un grognement et tente de me reprendre.
Je n’apprécie même pas ce type !
Non, sérieusement… Non !
Manifestement, mon corps n’a pas reçu le mémo. Il va
falloir que je bosse dessus.
— Ah oui ? dis-je en essayant de rester calme même si
j’ai l’impression d’avoir une bouffée de chaleur et que mes
jambes tremblent.
Cette attirance non désirée qui m’envahit me donne
envie de me coller des baffes.
— Tu devrais peut-être, dit Tante Marnie qui reprend le fil
de notre conversation, essayer de voir ce qu’il se passe
vraiment.
Hmm… Non merci. Je refuse catégoriquement cette
proposition.
Son sourcil arqué me fait comprendre que mon
expression maussade est éloquente.
— Tu sais…
Elle s’interrompt et garde les yeux braqués sur quelqu’un
ou quelque chose hors de la fenêtre de la cuisine. Elle se
mord la lèvre avec une hésitation qui est rare chez elle.
J’incline la tête et attends qu’elle poursuive.
Elle me regarde à nouveau.
— Je sais que Carter semble…
— Présomptueux ? Arrogant ? Prétentieux ?
Et c’est juste au débotté. Donnez-moi quelques secondes
de plus et je trouverai une flopée infinie de qualificatifs peu
flatteurs.
— Non.
Elle plisse les lèvres et son regard se radoucit
— Ce n’est pas ce que je m’apprêtais à dire.
— Euh, dis-je avec un regard perplexe. C’est ce que moi,
je pensais.
— Ce que j’allais dire, répète-t-elle en m’ignorant, est
que Carter donne l’impression d’être un mec plein
d’assurance, mais…
— Tu sais que c’est un autre mot pour arrogant, n’est-ce
pas ?
Cette fois, elle m’adresse un regard froid. Un regard qui
me dit que je l’ai suffisamment poussée dans ses
retranchements. Je ferme rapidement la bouche et la laisse
poursuivre sans plus d’interruptions.
— Parfois, les gens ressentent le besoin de se forger une
façade afin de dissimuler ce qu’il se passe réellement
derrière.
Sa vague explication de la situation me fait froncer les
sourcils. Suggère-t-elle que Carter a des raisons d’agir
comme il le fait ? Des raisons qui ne tiennent pas au fait
qu’il est un connard ?
— Tu n’as jamais pensé que le Carter que tu as appris à
connaître n’est pas vraiment qui il est ?
— Pas une seule seconde, soufflé-je en secouant la tête.
Carter est exactement le mec contrariant auquel je m’étais
attendue. Je le connais depuis des années et il ne m’a
jamais démontré le contraire une seule fois.
Elle fait le tour du comptoir, observe les saladiers et les
plats puis ajoute quelques dernières petites touches au
passage.
— Tu sais, Daze, parfois, on voit juste ce qu’on veut voir.
On ne prend pas le temps de gratter sous la surface ou de
creuser plus profondément. Parfois, tu dois juste être
patiente et donner le temps aux gens de révéler qui ils sont
vraiment.
Elle m’adresse un autre regard pénétrant dont l’intensité
me fait me flétrir.
— Peux-tu honnêtement me dire que tu l’as fait ?
Je hausse les épaules pour toute réponse. J’ai donné à
Carter suffisamment d’occasions de prouver qu’il n’est pas
un connard… en vain.
L’affection que Tante Marnie a pour Carter est
sérieusement mal placée. Il lui en met peut-être plein les
yeux, mais pas à moi. J’aime ma tante et généralement, je
suis immédiatement ses conseils. Mais sur ce sujet-là ?
Hum…
— Donne-lui juste une autre chance, m’encourage-t-elle
en posant ses yeux noisette sur moi. Ça ne peut pas faire de
mal, n’est-ce pas ?
En fait, si. Mais je ne vais pas protester.
— Je ne sais pas, marmonné-je en regardant par la
fenêtre.
Mon regard se pose sur lui avec la précision d’un missile
balistique.
Un courant électrique me traverse quand je me rends
compte qu’il me rend mon regard.
CHAPITRE 4

DAISY

L a fête a commencé il y a deux heures et tout le monde


passe un bon moment. Il y a plein de nourriture
délicieuse et le temps est parfait. En regardant un groupe
qui patauge dans la piscine, j’aperçois du coin de l’œil une
chevelure caramel. Olivia me fait signe et traverse la foule.
Contente de la voir, je lui rends son salut.
Olivia est la première véritable amie que je me suis faite
à BU. Avant que Noah m’ait convaincue d’adopter notre
mode de vie actuel, Olivia et moi avions prévu de vivre
ensemble.
Il va sans dire, c’est une décision que je regrette.
Elle s’installe sur la chaise longue qui jouxte la mienne et
s’étire. Olivia a des jambes interminables.
— Désolée, je suis en retard. J’avais espéré arriver plus
tôt, mais j’ai dû rester un service de plus quand une des
filles ne s’est pas présentée.
Olivia est serveuse dans un resto à deux pâtés de
maisons du campus. Elle y travaille depuis quelques
semaines et les pourboires sont bons. Je n’ai rencontré les
parents d’Olivia que quelques fois, mais d’après ce qu’elle
m’en dit, ils contrôlent tout. Ce travail à temps partiel est la
façon qu’a trouvée Olivia pour avoir une certaine liberté
financière.
— Tant pis pour toi.
Je hausse les épaules et désigne la piscine.
— Tu as raté un spectacle magnifique.
Elle sourit et tend le cou pour mieux y voir.
— On dirait un vrai shooting photo d’artistes.
C’est la quatrième fois qu’Olivia assiste au barbecue
familial annuel des Walker pour la fête du Travail. Notre
amour commun pour les footballeurs torrides et à moitié
nus nous a rapprochées et depuis, nous sommes meilleures
amies. Je soupçonne que c’est durant la première fête de la
première année qu’elle est tombée follement amoureuse de
Noah.
Les yeux dissimulés derrière des lunettes d’aviateur,
Olivia prend le temps d’apprécier les plastiques masculines
à différents degrés de nudité.
Le programme d’aujourd’hui : soleil et abdos.
Parfois, on vit notre meilleure vie.
— Tu t’es enfin installée ? demandé-je.
Olivia a eu la chance de décrocher un stage en Californie
cet été. On s’est parlé et revues plusieurs fois depuis son
retour, mais on a été trop occupées pour avoir une vraie
discussion.
Oubliant les garçons, elle tourne la tête vers moi.
— Presque.
Avec son boulot au resto, on n’a pas trop le temps de se
dire grand-chose. Je sais que bosser ne lui fait rien, mais ça
fait beaucoup en plus de ses cours.
— J’aurais aimé que tu puisses me rendre visite en
Californie pendant les vacances. C’était si fascinant. Tu
aurais aimé, Daze.
Elle secoue la tête alors qu’un léger sourire danse sur ses
lèvres.
— Ils ont des plages couvertes de phoques.
J’aurais vraiment adoré passer du temps en Californie
avec Olivia, mais je n’ai pas pu. Je passe la majeure partie
de mes étés avec ma mère. C’est le compromis qu’on a
instauré avant que maman n’accepte de me laisser vivre
avec ma tante et mon oncle après le divorce. C’est la seule
fois où peut passer du temps ensemble, toutes les deux.
Aussi instable qu’elle soit, je l’aime.
L’attention d’Olivia est attirée par quelque chose ou
plutôt quelqu’un. Je n’ai pas besoin de tourner la tête pour
savoir qui elle regarde. Une partie de moi espérait qu’Olivia
trouve un mec en Californie afin de la guérir de son crush
pour mon cousin.
S’ils se mettaient ensemble, je serais la personne la plus
heureuse du monde, mais Noah ne sait même pas qu’Olivia
existe. Il la traite pareil que moi, c’est-à-dire comme une
petite sœur qui a besoin d’être surveillée et protégée. J’ai
beau la pousser continuellement à agir, Olivia refuse
d’exprimer ses sentiments.
Je devine que ça a à voir avec la copine de Noah.
Présentement, Ashley se pavane devant l’équipe de foot
dans un bikini minuscule qui ne laisse quasiment rien à
l’imagination. Ashley pourrait être mannequin et elle est
super mince.
Côté silhouette, je suis tout le contraire. J’ai des seins,
des hanches et un certain bagage à l’arrière. J’ai appris à
accepter la possibilité constante que, lorsque je porte un
maillot de bain, mes seins puissent faire une apparition
inattendue à n’importe quel moment.
Alors je tente le sort et cours le risque.
J’aurais moins de mal à gérer la jalousie que j’éprouve
pour son corps et faire amie-amie avec Ashley si elle n’était
pas une telle garce. C’est le genre de filles qui aime
décocher des compliments à double tranchant. Pour une
raison quelconque, c’est toujours moi qui me les reçois.
La plupart du temps, je l’écoute d’une oreille tout en
priant pour que Noah reprenne ses esprits et casse avec
elle. Mais ça n’est pas encore arrivé.
Apparemment, c’est vrai que l’amour rend aveugle.
Cela dit, ce n’est pas obligé qu’il rende aussi sourd et
stupide.
Une heure plus tard, Olivia est moi sommes étendues sur
des chaises longues, à boire de la limonade glacée faite
maison par Tante Marnie. Le soleil brille fort et le ciel est
quasiment sans nuages, et on a retiré nos shorts et nos T-
shirts pour profiter de quelques rayons. On s’est tartinées
de crème solaire protection maximale.
En fin de compte, la journée a été parfaite.
Laissez-moi reformuler. La journée aurait été
parfaitement glorieuse sans la présence d’une certaine
personne qui a constamment attiré mon attention quand je
m’y attendais le moins. Je ne peux poser les yeux nulle part
sans que Carter ne se retrouve dans ma ligne de mire.
Aussi difficile que ce soit de l’admettre, ses bras musclés
et son torse large me troublent.
— C’est mon imagination, dit Olivia en interrompant mes
pensées, ou bien Carter a-t-il réussi à devenir encore plus
torride pendant mon absence ?
Ayant l’impression d’avoir été surprise à mater, je
détourne brusquement les yeux de lui et décoche à Olivia
un regard amer.
— C’est vraiment ton imagination.
Elle a raison. Carter est plus chaud que jamais, comme le
prouve toute l’attention féminine qu’il attire cet après-midi.
Son corps est encore plus finement sculpté qu’avant.
Apparemment, il a passé l’été tout entier à faire de la
gonflette.
Les yeux d’Olivia sont toujours braqués sur lui.
— Je sais que vous ne pouvez pas vous saquer…
— C’est un euphémisme inégalé, marmonné-je d’un ton
fâché.
Ma colère se dirige plus contre moi que contre lui. Ça
m’énerve de ressentir quoi que ce soit pour ce type qui est
un vrai con arrogant.
Je dois être accro à la punition. Le divorce de mes
parents m’a peut-être plus blessée psychologiquement que
je veux bien l’admettre. Sans quoi, pourquoi me forcerais-je
à subir autant de torture personnelle en l’admirant
secrètement ?
Sa voix n’est plus qu’un murmure sonore.
— Il y a une énorme tension sexuelle entre vous deux.
Elle fait glisser les lunettes le long de son nez et me
regarde par-dessus les montures.
— Tu es certaine qu’il ne se passe rien maintenant que
vous vivez ensemble ?
Je gonfle les joues et plaque un doigt entre mes lèvres en
faisant semblant de vomir.
— Beurk. Je viens de vomir dans ma bouche, dis-je en
plissant le front. Comment peux-tu me dire une chose
pareille ?
— Je crois que tu protestes un peu trop, réplique-t-elle
avec une pointe d’humour.
Je fais pff et lève les yeux au ciel même si elle ne peut
pas le voir à travers mes verres teintés.
— Bonjour, mesdemoiselles, nous interrompt une voix
masculine profonde.
On tourne la tête en même temps. Je mets la main sur
les yeux pour voir qui a osé sortir du groupe. Tous les
membres de l’équipe de foot de BU savent que je suis la
cousine de Noah et donc, hors limites. La plupart des mecs
me traitent comme leur petite sœur. Ça me convient
parfaitement. Je n’aimerais pas causer le moindre problème
entre Noah et ses amis.
Je me creuse la cervelle, mais je ne reconnais pas ce
type, ce qui veut dire qu’il est probablement un première
année ou un transfert. Derrière mes lunettes, mes yeux
peuvent parcourir son corps à loisir. Et il est vraiment
attirant !
Il me tend une main.
— Je ne crois pas qu’on ait été présentés. Je m’appelle
Tanner.
Je souris et imite son geste. Ses doigts se referment
autour des miens et les serrent. La poignée de main est
ferme, mais pas écrasante. C’est la pression parfaite. Je me
demande ce qu’il sait faire d’autre avec ses mains.
— Je suis Daisy.
Je hoche la tête vers ma fidèle acolyte.
— Et voici Olivia.
Je pince les lèvres afin de masquer mon amusement
quand Olivia lève la tête et bombe la poitrine. Vu qu’elle est
quasiment inexistante, ça ne fait guère de différence, mais
elle a le mérite d’essayer.
— Ravi de vous rencontrer toutes les deux.
Tanner sourit, révélant de magnifiques dents blanches. Il
est beau, façon surfeur.
— Pareil, dit Olivia qui est plus rapide que moi.
Je retire ma main de celle de Tanner. Ses yeux sont
dissimulés par une paire de lunettes d’aviateur qui
ressemble beaucoup à celles d’Olivia, mais je vois bien qu’il
la mate.
Ils seraient parfaits ensemble, non ?
Olivia doit tourner la page Noah vu que je ne pense pas
qu’il ait l’intention de rompre avec Ashley dans un futur
proche. Je lui ai dit plein de fois que ce n’est pas sain de se
morfondre pour quelqu’un qui ne vous voit pas sous le
même jour. Je n’essaye pas d’être dure, juste honnête.
Après tout, c’est notre dernière année et je n’aimerais pas
qu’elle la gâche pour mon cousin qui ne comprend rien.
Et Tanner, avec ses longs cheveux blonds, son corps de
rêve et sa beauté bronzée, représenterait une distraction
parfaite.
D’ailleurs… J’ai peut-être un peu le béguin pour lui, moi
aussi. Il a ce côté mignon qui me fait craquer.
Je m’éclaircis la gorge.
— Alors, Tanner, je ne t’ai jamais croisé. Tu viens d’arriver
à BU ?
— Oui.
Il se déplace et ses muscles se contractent sous le soleil
de l’après-midi.
— Je viens d’être transféré.
Ai-je mentionné qu’il est torse nu ?
Il faut que je garde les idées claires si j’ai envie de les
rapprocher, tous les deux.
— Tu es en première année ? demandé-je.
La plupart des gens n’effectuent pas de transfert en
dernière année. S’il est en troisième année, leur différence
d’âge est négligeable. Autrement, ce serait douteux.
— Deuxième année, confirme-t-il.
— Ah.
Il doit avoir dix-neuf ou vingt ans.
— D’où as-tu été transféré ? demandé-je pour tenter de
poursuivre la conversation.
Tu peux me remercier, Olivia.
— Cal State.
Je réprime un éclat de rire. Non seulement il ressemble à
un mec de Californie, mais en plus, c’en est un.
— Vraiment ? Quelle coïncidence ! Olivia vient de passer
l’été à La Jolla.
Il se tourne vers elle avec plus d’intérêt.
— J’adore La Jolla. Qu’est-ce que tu y faisais ?
Je n’ai pas fait grand-chose, mais je suis tentée de me
taper sur l’épaule. Il vient de Californie. Olivia adore la
Californie. Voilà ! Ils sont faits l’un pour l’autre.
Olivia, qui a tendance à être timide, continue de parler
de l’institut océanographique où elle a effectué son stage.
Tanner hoche la tête quand il faut et il semble sincèrement
intéressé par ce qu’elle dit. Son corps est tourné vers elle,
un signe d’intérêt immanquable. Dans une minute environ,
je trouverai une excuse pour les quitter afin de leur laisser
l’occasion de mieux se connaître.
Si le design graphique ne marche pas pour moi après la
fac, je devrai peut-être songer à une carrière
d’entremetteuse. Je suis très douée. Enfin, tant que ça n’a
rien à voir avec ma propre vie. Là, je suis un désastre.
Je reprends mon verre posé sur la table entre les chaises
longues et j’avale le reste de ma limonade avant de me
lever. Le ciment me brûle la plante des pieds, alors j’enfile
rapidement mes sandales.
— Oh, j’ai fini ma limonade, dis-je en secouant mon
verre. Je vais me resservir.
Je les regarde successivement. Ils ont l’air adorables,
tous les deux.
— Je peux vous rapporter quelque chose ?
Ils n’arrêtent même pas de se dévorer du regard en me
répondant « non » et « ça va ».
Avec un grand sourire sur le visage, je traverse le patio
bondé. Je ne peux pas m’empêcher de jeter un regard
rapide par-dessus mon épaule pour m’assurer que Tanner et
Olivia s’entendent toujours bien. Oui. Pas de problèmes de
ce côté-là. Tanner s’est assis sur ma chaise longue. Avec un
soupir, je me retourne et entre en collision avec un corps
solide comme l’acier.
En soi, ça ne m’indique pas vraiment contre qui je me
suis cognée parce que cet endroit regorge de corps
masculins durs comme de la pierre. Pourtant, je sais
exactement qui c’est. Appelez cela de l’intuition ou bien un
pressentiment. J’aimerais pouvoir ignorer Carter Prescott,
mais c’est impossible.
Je recule d’un pas et il tend immédiatement les bras pour
m’éviter de vaciller. Ses doigts s’enroulent autour de mes
bras, brûlant ma chair déjà chauffée à blanc. Un courant
électrique me traverse, faisant se redresser les poils de ma
nuque. Je resserre la mâchoire et lutte contre la réaction
naturelle de mon corps envers le sien.
Comme il ne me lâche pas immédiatement, je le fusille
du regard.
— Je peux t’aider ?
Me reprochant de l’avoir laissé me contrarier, mon ton
s’est fait mesquin.
— J’en doute.
Sa réplique sarcastique dissipe l’attraction qui frémissait
sous ma peau.
— Alors tu devrais peut-être me lâcher.
Il lâche mes bras. La chaleur de son contact se refroidit
instantanément. Malgré ses lunettes sombres, je sais qu’il
m’observe. Ça fait darder mes mamelons. Mes joues se
réchauffent en songeant à l’effet visuel que mes seins
doivent à présent produire. Ça ne fait qu’accroître mon
agitation et je lance :
— Je ne peux aller nulle part sans que tu te dresses en
travers de ma route.
Au lieu de faire un pas en arrière comme je l’aurais
voulu, il s’approche et envahit mon espace personnel.
— Ce doit être une heureuse coïncidence.
— Fais-moi confiance, il n’y a pas de quoi être heureuse,
lui répliqué-je.
Nos conversations évoquent toujours une joute verbale.
C’est étrangement sexuel.
J’essaye de garder les yeux braqués sur son visage, mais
je suis douloureusement consciente que son seul vêtement
est un bermuda de bain aux motifs colorés qui repose très
bas sur sa taille. La chaleur de son corps presque nu me
frappe en vagues puissantes et enivrantes. Malgré mon
animosité envers lui, mon corps réagit instantanément à sa
masculinité. Je ne veux pas qu’il croie qu’il a eu le dessus
sur moi, mais j’ai besoin de battre en retraite pour me
reprendre.
Quand il ne bouge pas, je le contourne.
Je pousse un soupir de soulagement en m’écartant de
deux pas. J’ai miraculeusement réussi à contrôler ma colère
et à étouffer cette conversation dans l’œuf avant qu’elle ne
puisse partir en vrille. Je suis fière de moi.
— Ton maillot a l’air…
Au son de sa voix, je me tourne brusquement vers lui.
— Mon maillot a l’air quoi ?
— Il a l’air un peu trop…
Il s’interrompt et me dévisage à nouveau des pieds à la
tête.
— Petit.
Agissant sur l’instant, je franchis la distance entre nous.
Mon visage n’est plus qu’à quelques petits centimètres du
sien.
— Comment oses-tu ?
Ma première impulsion est de couvrir mon corps avec
mes mains, mais je résiste à l’impulsion et les garde
plaquées contre moi parce que je refuse de lui faire voir qu’il
me met mal à l’aise.
— Il n’y a rien à reprocher à mon bikini. Il est exactement
à la bonne taille.
Ses yeux s’attardent sur mes seins.
Il faut que je m’éloigne avant de lui faire du mal.
Est-ce que quelqu’un s’en rendrait compte si je le noyais
dans la piscine ?
Probablement les groupies qui se sont accrochées à lui
pendant tout l’après-midi.
— Tu devrais peut-être te couvrir.
Il désigne du menton le groupe de mecs dans l’eau qui
s’envoient un ballon de beach-volley par-dessus le filet.
— Ils sont tous en train de te mater.
Je me tourne vers eux en plissant les yeux et fusille à
nouveau Carter du regard.
— Le seul qui me mate, dis-je en enfonçant un doigt dans
ses pecs, c’est toi !
Il émet un reniflement moqueur. Comme s’il n’avait pas
suffisamment blessé ma fierté, il achève le boulot en
disant :
— Tu es la dernière fille que je materais.
J’en reste bouche bée. L’envie de gifler son visage
arrogant me démange les paumes. Si mon verre n’était pas
vide, je lui en aurais jeté le contenu au visage. J’inspire
profondément puis vide lentement mes poumons. Mais ma
colère ne s’apaise pas.
— Eh bien, merci d’avoir clarifié la situation, craché-je en
me détournant, drapée dans les vestiges de ma dignité.
Si je ne m’éloigne pas de lui, je vais exploser ou bien
éclater en sanglots. Et je ne souhaite ni l’un ni l’autre. Je
refuse de lui donner la satisfaction de voir qu’il a le pouvoir
de me blesser.
Je m’éloigne en invoquant tout ce que j’ai pour garder la
tête haute.
Heureusement, j’y parviens.
Que Carter Prescott aille se faire voir.
Lui et ses remarques idiotes.
CHAPITRE 5

CARTER

E h bien, cette conversation ne s’est pas déroulée


comme prévu. Je ne sais pas comment ça a dégénéré
aussi vite. Honnêtement, je voulais juste encourager Daisy à
couvrir son petit corps délectable, mais je n’ai fait que
l’énerver. Et à présent, pour me faire la nique, elle se balade
dans un bikini minuscule qui lui couvre à peine les seins.
C’est super énervant.
Je passe une main sur son visage et la retire couverte de
sueur. Il fait chaud comme dans un four. J’ai besoin de
replonger dans la piscine, mais ce serait fâcheux, vu que j’ai
une érection de tous les diables.
Je plisse les yeux en regardant la fille responsable de
mon état présent.
Daisy doit sentir mon regard lui vriller le dos parce
qu’elle jette un œil par-dessus son épaule, croise mon
regard et plisse le front. Malgré ses lunettes de soleil, je
sens la brûlure de son regard comme une attaque physique.
C’est comme ça depuis qu’on s’est rencontrés. L’attraction a
été instantanée. Au moment où j’ai posé les yeux sur elle, je
n’ai pas pu détourner le regard. Je n’en avais même pas
envie.
C’est la lose. Je ne batifolerai jamais avec la cousine de
Noah ! Il me couperait les bourses et les ferait griller au feu
de bois. Tel que je le connais, il chanterait probablement
aussi des chansons de camp.
Je change maladroitement de position alors que cette
image assombrit mes pensées. Mais ça ne suffit pas à tuer
mon gourdin.
Je ne peux pas reprocher à Noah de vouloir protéger
Daisy d’hommes tels que moi. Moi aussi, j’ai envie de la
protéger de types comme moi. Ça me rend barjo quand je
surprends d’autres mecs qui la matent.
Comme je ne détourne pas le regard, l’air sombre de
Daisy s’intensifie. Incapable de résister, je lève la bouteille
d’eau que je tiens à la main afin de porter un toast
silencieux. Son corps se tend alors qu’elle se tourne à
nouveau tout en continuant de discuter avec quelques
coéquipiers.
Je déteste la façon dont ils la matent : comme si elle était
un steak juteux et qu’ils n’avaient pas mangé de la viande
rouge depuis des années. Avec ce petit bikini rose et noir, je
ne peux pas reprocher à ces mecs de saliver. Moi aussi, je
suis là, à baver comme un parfait hypocrite.
Cessant de mater ses fesses appétissantes, je cherche
Noah du regard.
Où est-ce qu’il se cache, putain ?
Il devrait être là, à jouer des poings et à mettre un terme
à ces conneries. Je suis tenté d’y mettre fin moi-même, mais
j’ai les poings liés.
Daisy n’est pas ma cousine.
Ni ma copine.
Dès que cette pensée rugit dans mon cerveau, Noah se
matérialise, surgi de nulle part, et il se laisse tomber sur la
chaise à côté de moi. Il m’adresse un sourire paresseux et
s’étire comme s’il s’apprêtait à prendre racine pendant
plusieurs heures. Avec cette chaleur, je ne peux pas le lui
reprocher. Au moins, on peut être reconnaissants de ne pas
faire des allers-retours sur le terrain.
— Il fait super chaud, commence-t-il.
— Ouais.
C’est pour ça qu’on est aussi potes et qu’on a matché
dès le premier jour au camp d’entraînement : c’est comme
si on était télépathes. Dieu merci, Noah ne sait absolument
pas ce que je pense de sa cousine, parce que je n’aimerais
vraiment pas qu’il le découvre.
Daisy a beau être en dernière année comme Noah – elle
a même quelques mois de plus que lui –, il la traite comme
la petite sœur qu’il n’a jamais eue.
Noah se cale sur les coudes quand quelque chose de
l’autre côté de la piscine attire son attention.
Je jette un regard dans cette direction, espérant qu’il
remarque les mecs qui draguent Daisy.
Au lieu de ça, je reconnais Tanner, un des joueurs qui
viennent d’être transférés. Il est assis à côté d’Olivia, l’amie
de Daisy. Il affiche un grand sourire et Olivia jette la tête en
arrière et pousse un éclat de rire sonore, ce qui est étrange
parce que normalement, elle est discrète. Ses cheveux brun
doré sont rassemblés au sommet de sa tête en un chignon
décoiffé. Elle porte un bikini qui ressemble beaucoup à celui
de Daisy, mais qui est complètement différent sur Olivia,
très mince et avec moins de courbes. Daisy, d’un autre
côté…
Non, mieux vaut ne pas y penser pour le moment.
De toute façon, Noah ne s’en serait pas rendu compte.
Parfois, je crois que Noah ressent quelque chose pour
Olivia, mais il ne m’en a jamais parlé. Il sort avec Ashley et
même s’il y a des mecs dans l’équipe qui aiment avoir une
copine et une maîtresse, Noah n’est pas comme ça. Ceci dit,
c’est l’occasion rêvée de mettre ma théorie à l’épreuve.
— Visiblement, Olivia s’est fait un nouvel ami, cet après-
midi, commenté-je d’un ton détaché.
Tant que Tanner ne fait pas trop ami-ami avec Daisy, peu
m’importe. D’ailleurs, je préfère ça. Je n’aimerais pas être
forcé de le détruire à l’entraînement. Ça a l’air d’être un chic
type.
Je ne reçois qu’un grognement en retour. Je suis
légèrement déçu que Noah n’ait pas mordu à l’hameçon.
Quoique, ça vaut probablement mieux, car Ashley,
accompagnée par quelques copines, vient nous rejoindre à
l’ombre.
— Hé, bébé, le salue-t-elle en posant son cul osseux sur
les genoux de Noah.
Une des amies d’Ashley m’adresse un sourire aguicheur.
Vu que j’ai besoin d’une distraction, je décide que cette fille
fera l’affaire et je lui rends un lent sourire. Elle le prend
comme un feu vert et vient se coller à moi.
Atout supplémentaire : elle ne ressemble absolument pas
à Daisy.
CHAPITRE 6

DAISY

G ardant un œil sur la porte de la chambre de Carter


alors que je suis perchée sur le comptoir de la cuisine,
je me goinfre d’un immense bol de céréales. Ce n’est pas
exactement le petit déjeuner des champions, mais je m’en
fiche.
J’ai besoin de sucre, et vite.
Ma dispute de la veille avec Carter me fait encore
bouillonner les sangs. D’abord, il m’a dit que j’étais la
dernière personne qu’il aurait matée. Puis il a eu l’audace
de me lancer que mon bikini était trop petit. Chaque fois
que j’y pense, j’ai envie de lui jeter quelque chose à la
figure.
Après cette conversation, je l’ai évité pendant le reste de
la journée, ce qui n’a pas été facile, vu que nous étions
coincés ensemble à la même fête. Assez souvent, j’ai senti
la chaleur de son regard sur moi. Il m’a fallu tout mon self-
control pour ne pas montrer les crocs et le mordre. Carter
possède la capacité de me transformer en chien enragé.
Je déteste voir qu’il possède autant de pouvoir sur moi.
Je n’aurais pas dû être surprise que le roi des coups d’un
soir ait ramené une fille à la maison à la fin de la soirée. Et
ce n’était même pas la fille qui s’est accrochée à lui comme
une moule à son rocher pendant la majeure partie de
l’après-midi.
Bah.
Peu importe.
Je n’en ai rien à fiche, après tout.
D’ailleurs, la situation tombe à pic. Comme Carter
s’apprête à le découvrir, on se prend toujours des retours de
karma. Je ne vais pas m’énerver : je vais me venger.
Ce qu’il s’est passé hier est la goutte d’eau qui a fait
déborder le vase. J’ai eu du mal, mais je n’ai pas laissé cet
incident me gâcher la journée. Au lieu de ça, j’ai fait ce que
j’aurais dû faire depuis le début et j’ai ignoré ce connard
arrogant.
Alors que des projets de vengeance font la gigue dans
ma tête, je souris d’un air mauvais tout en avalant une
cuillerée de céréales au beurre de cacahuètes, attendant
patiemment mon heure. Je n’ai pas à attendre longtemps.
Dix minutes plus tard, la porte de la chambre s’ouvre et la
fille qu’il a ramenée après la fête sort d’un pas guilleret.
Enfin… Elle est un peu écornée. La moitié de son
maquillage coule sous ses yeux, lui donnant une apparence
de raton laveur, et on dirait que des oiseaux ont construit
un nid dans ses longs cheveux sombres.
Bon d’accord, c’est un mensonge. Ses cheveux sont
décoiffés d’une façon qui évoque des ébats récents, et elle a
dans les yeux cette lueur ensommeillée et aguichante qui
dit clairement hé, je suis prête pour un second round. Ou
bien serait-ce le troisième ou le quatrième ?
Connasse.
Vous voyez ce que ce mec me fait ?
En quelques secondes, je me suis tournée contre mon
propre sexe.
Torse nu, Carter la suit de près comme s’il n’avait pas la
moindre hâte de quitter la chambre. Il s’étire, faisant jouer
ses bras au-dessus de sa tête. Tout en moi se contracte
d’excitation. Mon regard dévore sa poitrine musclée puis je
tourne la tête. Un tourbillon de poils noirs descend le long
de ses abdos vers le V sculpté qui pointe sous le short de
sport qu’il a à peine pris le temps d’enfiler pour l’occasion.
Si le tissu glissait plus bas, ce serait indécent.
J’écarte rapidement cette pensée.
N’ayant pas remarqué ma présence, ils s’arrêtent dans le
salon. Elle se tourne, plaque les paumes contre ses
pectoraux sculptés et lève les yeux vers lui.
— J’ai vraiment passé un bon moment hier soir, roucoule-
t-elle.
— Oui, c’était vraiment fun, répond Carter.
C’est moi ou bien sa voix profonde a l’âpreté du papier
de verre ? Sa tonalité râpeuse fait une descente fulgurante
dans mon ventre avant d’exploser comme des feux
d’artifice. Je serre les cuisses pour empêcher le désir de se
transformer en quelque chose de plus.
Je suis en rogne contre cet homme, me rappelé-je
rudement. Pas attirée par lui.
Bon, d’accord… Il m’attire. Pour l’amour de Dieu, je ne
suis qu’un être humain. Faible, qui plus est. Ne pas vouloir le
trouver désirable devrait compter pour quelque chose, mais
visiblement pas.
Miss Coup d’un Soir se colle contre lui tout en
ronronnant :
— Les Sigma Tau font une super fête ce soir si tu veux
qu’on se retrouve pour prolonger la soirée.
Je les regarde et change légèrement de position.
Observer une scène entre Carter et une de ses nombreuses
conquêtes me donne l’impression d’être une voyeuse.
— Je verrai, répond-il d’un ton évasif. Je t’y croiserai peut-
être.
Je suis certaine que Carter ne souhaite pas s’engager.
Ce mec est vraiment un pro !
Cette fille ne s’en rend pas compte, mais je m’apprête à
lui rendre un immense service en révélant qu’il est un
séducteur en série.
Enclenchant mon plan, je saute du comptoir. En
entendant mes pieds toucher terre, ils se tournent tous les
deux et me voient dans la cuisine. Les yeux de Carter
pétillent d’intérêt.
Entrant dans la peau de mon personnage, je colle les
mains sur les hanches et pénètre dans le salon d’un pas
lourd. Ils restent figés. Miss Coup d’un Soir ouvre des yeux
surpris et l’expression de Carter se remplit de curiosité. Il
me connaît depuis suffisamment longtemps pour deviner
que je mijote quelque chose. Je croyais qu’il allait essayer
de calmer le jeu en se hâtant de me présenter, mais il garde
le silence.
Un petit sourire joue au coin de ses lèvres.
Faites-moi confiance, ça va être un réel plaisir d’effacer
son sourire suffisant.
— Quoi ? dis-je avec une indignation feinte et d’une voix
qui contient juste une note de pleurnicherie. Tu sors
encore ? Ça fait quatre soirs d’affilée.
Prise au dépourvu, Miss Coup d’un Soir nous regarde
successivement.
— Je suis désolée, mais qui es-tu ?
Plaquant une main sur ma poitrine, je répète :
— Qui je suis ?
Je pousse un rire strident auquel j’ajoute le montant
parfait d’amertume, puis je braque un pouce en direction de
Carter.
— Ton chéri a oublié de te dire qu’il vit avec sa copine ?
Elle en reste estomaquée.
— Sa copine ?
Elle désigne Carter du doigt comme si je faisais erreur.
— Tu es sa copine ?
Je cligne des paupières pour faire monter mes larmes.
— Malheureusement, dis-je d’une voix tremblante. Cela
dit, pour être honnête, il n’est pas un très bon copain.
Je secoue tristement la tête et essuie une larme qui n’a
pas encore coulé.
— Il n’arrive pas à garder sa queue dans son pantalon,
reniflé-je. Je te conseille de te faire tester tout de suite. Le
mois dernier, il est revenu avec une sale maladie. Je ne
veux pas entrer dans les détails, mais ça suintait.
Miss Coup d’un Soir se plaque les mains sur la bouche et
ses yeux se remplissent de colère.
— C’est vrai ? Vous vivez ensemble ?
Elle ne mentionne pas la possible MST à laquelle j’ai fait
allusion.
Alors qu’elle fusille Carter du regard, j’adresse à ce
dernier un immense sourire et je fais danser mes sourcils.
Son regard gris ne me quitte pas.
— Oui, on vit ensemble.
Même si Miss Coup d’un Soir ne pose pas la question, il
ajoute :
— Et je n’ai pas de maladie.
Je suis à deux doigts d’éclater de rire, mais j’arrive à me
retenir.
Cerise sur le gâteau, je me mets de profil et je bombe le
ventre, posant la main sur le renflement exagéré.
— Tu sors tout le temps et tu nous laisses seuls à la
maison, moi et notre enfant à naître.
La fille paraît indignée et elle écarquille tant les yeux
qu’ils ont l’air d’être à deux doigts de lui tomber de la tête.
— Quoi ? crie-t-elle. Tu es enceinte ?
Je l’ignore et je braque sur Carter des yeux qui brillent de
larmes.
— Tu ne comprends pas le mal que ça me fait quand tu
ramènes un coup du soir à la maison pour me l’agiter sous
le nez ? m’écrié-je.
Je me frotte le ventre avant d’ajouter :
— Et Junior ? Il va bien finir par avoir besoin de son père.
Tu ne peux pas continuer à te comporter comme si on
n’existait pas.
Quand Carter ouvre enfin la bouche pour dénier mes
accusations, Miss Coup d’un Soir se retourne et lui assène
une bonne gifle. Le claquement qui résonne sature
l’atmosphère déjà électrisée.
— Tu sais quoi ? Tu es un vrai connard, dit-elle en se
hérissant d’indignation. Comment peux-tu faire ça à la mère
de ton enfant à naître ?
Choquée, je plaque une main sur ma bouche.
D’accord, je m’étais attendue à de la colère, mais pas à
de la violence.
— Et tu peux faire une croix sur nos retrouvailles de ce
soir ! rage-t-elle. Ou un tout autre soir, d’ailleurs ! D’ailleurs,
je ne veux plus jamais te revoir, Carter Prescott !
Elle se tourne vers moi et dit d’une voix plus douce :
— Je vais te donner le numéro du cabinet de mon père. Il
est avocat et poursuit les pères démissionnaires.
Elle fusille Carter du regard comme s’il était la lie de la
société tout en farfouillant dans son sac à main avant d’en
tirer un ticket froissé et un stylo. Elle griffonne quelque
chose dessus et me le fourre entre les mains.
— J’ai la sensation que tu vas en avoir besoin. Dis-lui
simplement que tu es une amie de Jackie.
Je suis un peu surprise de voir que cette plaisanterie a
échappé à mon contrôle.
Je devrais régler la chose et lui dire que ce n’était qu’une
plaisanterie. Mais je n’ai pas le temps, car elle sort de
l’appartement en trombe et claque la porte derrière elle.
J’oscille d’un pied sur l’autre et regarde Carter à
contrecœur. Si l’atmosphère était déjà électrique, à présent,
elle craquette. Son expression stoïque donne l’impression
d’avoir été sculptée dans la pierre. Tous les muscles de mon
corps se contractent alors que j’inspire, attendant qu’il
perde son calme.
Je brandis le bout de papier que Miss Coup d’un Soir m’a
fourré dans les mains.
— Je… vais jeter ça.
Je m’éclaircis la gorge.
— Je ne vais pas en avoir besoin.
Les lèvres pincées, Carter se rapproche jusqu’à ce que
nos orteils se touchent. Il me fusille du regard. Ses iris ont
adopté une teinte argentée frappante qui m’empêche de
détourner le regard.
Mon instinct de survie me pousse à m’écarter d’un pas
rapide. Je cherche sur son visage le moindre indice qui
m’éclairerait sur ses pensées, mais son expression est
fermée. La marque rouge de la gifle s’est répandue sur sa
joue mangée de barbe, laissant l’empreinte d’une main.
Alors que je continue de battre en retraite, Carter
s’avance jusqu’à ce que mon dos touche le mur de brique
du salon et qu’il ne me reste nulle part où aller. Il place une
main de chaque côté de mon visage, m’emprisonnant. Mon
cœur bat douloureusement dans ma poitrine alors que son
visage se rapproche. Mon souffle reste coincé dans mes
poumons. Je ne sais pas si c’est sa proximité ou bien sa
colère à peine contenue. Je le connais depuis des années,
mais il ne m’a jamais fait peur une seule fois. Pourtant, j’ai
peur maintenant. Je crains à moitié qu’il serre les mains
autour de mon cou et ne m’étrangle.
Je ne pourrais pas le lui reprocher.
Pas totalement.
Cette fois, j’ai franchi la limite.
D’un bon kilomètre.
Je devrais m’excuser. Ça ne changera rien pour la fille qui
vient de se casser, mais ça dissipera peut-être un peu de la
fureur qui brûle dans son regard. Le fait qu’il ne s’est pas
mis en colère m’inquiète. Je crains plus son silence que le
fait de me faire botter le cul.
Ma langue vient humecter mes lèvres desséchées. Les
nerfs dansent sur ma peau quand ses yeux suivent le
mouvement.
— Écoute, Carter…
Il secoue la tête juste une fois.
Je ravale douloureusement la grosse boule qui s’est logée
dans ma gorge alors qu’il baisse les yeux vers le côté de
mon visage. Mes cuisses se contractent quand je sens son
souffle chaud frôler mon oreille.
— Tu veux jouer ? gronde-t-il alors que sa joue
légèrement râpeuse glisse contre ma peau plus douce. Alors
on va jouer. Prépare-toi, Thompson.
Mes genoux se ramollissent et menacent de céder. Je les
raffermis et reste debout.
Il se détourne et garde les yeux braqués sur les miens.
— Que se passe-t-il ? se moque-t-il. Où est disparue toute
ta bravade ?
Il sourit d’un air moqueur et retourne dans sa chambre,
Une fois que la porte se referme, je souffle et me
demande dans quoi je me suis fourrée. Je suis embarrassée
d’admettre que l’intérieur de ma culotte est brûlant. S’il
avait continué à me toucher une seconde de plus, j’aurais
probablement…
Remplie d’horreur, je repousse cette pensée là où je ne
peux pas l’inspecter de trop près. Clairement, il faut que
j’évite Carter jusqu’à ce que tout ceci retombe.
Ça ne devrait pas être trop difficile, n’est-ce pas ?
CHAPITRE 7

CARTER

A lors que je passe les portes du petit amphithéâtre de


sociologie, je marque un temps d’arrêt et observe les
gradins jusqu’à ce que je repère l’arrière de la tête de Daisy.
Même avec ses cheveux longs rassemblés en chignon,
j’aurais reconnu cette teinte de blond naturel n’importe où.
Ces derniers jours, elle a été absente de l’appartement.
Le foot m’a accaparé, alors il est possible qu’on se soit
simplement ratés, mais j’en doute.
Daisy paraît croire que je lui en veux pour la connerie de
l’autre jour.
Je ne vais pas la détromper.
Cela dit, non !
C’est d’ailleurs tout le contraire.
Je ne l’admettrais jamais devant Daisy, mais elle m’a
rendu un fier service en me débarrassant de cette fille aussi
rapidement. Je n’avais aucune envie de la retrouver plus
tard dans la soirée. La seule raison pour laquelle j’avais
ramené Jackie à la maison était pour ne plus penser à ma
délectable petite colocataire. Ça a été un échec cuisant !
Je secoue la tête et ravale un sourire.
Cette fille…
Daisy a une épine dorsale en acier et des couilles en
bronze. J’aimerais dire que ces qualités ne sont pas
attirantes, mais je mentirais. Et je ne suis certainement pas
le seul à le penser.
Une fois que mes yeux se posent sur elle, ils ne dévient
pas. C’est tel un faucon braqué sur sa proie que je
m’approche de mon siège en plein milieu de la pièce.
Mon regard parcourt la mince colonne de son cou. Il est
long et gracieux comme celui d’un cygne…
Je m’immobilise. Cette pensée est assez troublante pour
me faire réfléchir.
Le mieux serait d’éviter cette fille comme la peste et ne
pas continuer de me laisser prendre au piège. Mais avec
Daisy, je ne peux pas me retenir. Je n’en ai pas envie, mais
je suis attiré par elle contre mon gré. Je n’arrive pas à me
souvenir d’un moment où je n’ai pas ressenti cela.
Faire l’objet de sa colère est bien plus sûr que d’être
amis. Je ne pense pas être capable de gérer ce genre
d’intimité. Ça me ferait basculer. Vivre en coloc a été une
immense erreur. Je n’aurais jamais dû accepter, mais j’ai
cédé parce qu’une partie de moi voulait qu’on se rapproche
avant que nos chemins se séparent à la fin de l’année. Qui
sait si on se reverra après…
Si j’avais un cerveau, je partirais m’asseoir à l’autre bout
de la pièce. Du coin de l’œil, je vois deux filles qui me font
signe et cherchent à attirer mon attention. Je devrais
vraiment m’asseoir près d’elles et m’abreuver de leur
adoration. J’ai besoin d’éviter Daisy dans un futur proche.
Alors peut-être parviendrais-je à surmonter l’attirance
indésirable que je ressens pour elle.
Une fois ma décision prise, je me tourne vers…
Attendez une minute… Que se passe-t-il là-bas ?
Je plisse les paupières en voyant le type qui s’est posé à
côté de Daisy. Pour la première fois depuis que je suis entré
dans la pièce, je me rends compte qu’elle s’est tournée vers
moi sur son siège. J’ai vu ce connard l’observer à plusieurs
reprises depuis le début du semestre. Apparemment, c’est
aujourd’hui qu’il va passer à l’acte.
Non, pas en ma présence ! Je ne pense plus à rien. D’un
pas déterminé, je descends les marches. Les gens me
saluent au passage, mais je les ignore. Je ne parviens à me
concentrer que sur la fille qui a été le fléau de mon
existence depuis que Noah nous a présentés. J’avais su
alors qu’elle serait un problème avec ses courbes et son
attitude, et je n’avais pas tort.
C’est vraiment nul de désirer quelqu’un qu’on ne peut
pas avoir.
Vous savez ce qui est encore pire ?
La regarder se mettre en couple avec une série infinie de
connards. Elle est déjà sortie quelques fois depuis qu’on a
emménagé. Pouvez-vous me reprocher d’avoir pété un
câble et d’avoir délibérément gâché ses chances de tirer un
coup ?
Repenser à l’air choqué de ce type quand je suis sorti de
la chambre en slibard me tire un grand sourire.
En un mot, c’était impayable.
Je m’arrête devant sa rangée et me laisse glisser sur
quelques sièges jusqu’à ce que je parvienne à sa hauteur.
Sentant ma présence, elle tourne la tête jusqu’à ce que nos
yeux se rencontrent. Le sourire aguichant qu’elle affichait se
décompose.
On a beau suivre le même cours trois fois par semaine,
on ne s’assied jamais ensemble. Par un accord tacite, on
s’ignore mutuellement. Mais pas aujourd’hui.
Certainement pas !
Je désigne du menton le mec à côté d’elle.
— Debout.
Pour toute réponse, il plisse les yeux et arque un sourcil,
se demandant s’il doit protester.
Ne te gêne pas, mon gars, mais je n’irai nulle part.
Après un moment d’indécision, il doit bien se rendre
compte qu’il ne remportera pas la bataille. La queue entre
les jambes, il récupère ses affaires et file vers le fond de la
salle. Les joues écarlates, il ne jette même pas un regard en
direction de Daisy alors qu’il s’enfuit, tout penaud.
C’est bien. Il est plus intelligent qu’il en a l’air.
Je braque mon attention sur Daisy.
— Qu’est-ce tu fous ? me siffle-t-elle, les yeux brillants de
colère.
Je lui adresse un sourire lent alors que je pose mon sac à
terre et me glisse dans le siège à côté d’elle.
— Que veux-tu dire ? demandé-je d’un ton innocent.
— Tu as fait fuir ce type, assène-t-elle.
Dans son irritation, je l’entends presque grincer des
dents.
Ah… Ce son est une douce symphonie à mes oreilles.
Je regarde par-dessus mon épaule et vois que le mec qui
s’est taillé nous regarde d’un air contrarié. C’est mesquin de
ma part, mais je lui souris et lui adresse un signe du
menton.
Je hausse le ton pour que tout le monde puisse nous
entendre.
— Allons, quel genre de petit ami laisserait la future mère
de son enfant s’asseoir avec un autre type ?
Je passe le bras sur le dossier de la chaise.
Pendant un instant, son visage perd toutes ses couleurs.
Puis ses joues deviennent rouges comme une tomate. J’ai
terriblement envie de le lui faire remarquer, mais je me
retiens. Je doute qu’elle apprécie la comparaison.
— Je ne suis pas, murmure-t-elle en regardant autour
d’elle ses camarades qui nous observent avec un intérêt
non dissimulé, la future mère de ton enfant.
— Vraiment ? dis-je en me grattant le menton. N’est-ce
pas ce que tu as dit à ma nouvelle amie l’autre jour ?
Alors je fais quelque chose que je brûle de faire depuis
des années. Je pose la main sur le bas de son ventre et
écarte les doigts. Ce contact me remplit de chaleur et ma
queue réagit.
— Qu’on doit penser au petit Junior ?
Un sifflement s’échappe de ses lèvres alors qu’elle
décolle un à un mes doigts de son ventre et se retourne sur
son siège, les yeux braqués droit devant elle.
Je ravale un éclat de rire. Non, je refuse qu’elle
m’ignore !
Je jette un œil vers l’avant de la salle. La Dr Stein est en
pleine conversation avec un autre étudiant. Tirant parti de
la situation, je me tourne vers nos camarades qui sont assis
derrière nous.
— Voici ma copine, Daisy, leur dis-je à voix haute.
Daisy se retourne et me fusille du regard. Elle secoue
énergiquement la tête.
— Il plaisante. Je ne suis pas sa copine.
Elle me jette un second regard noir comme si elle avait
envie de m’étrangler.
— Je ne le connais même pas.
— Allons, ma chérie, lui dis-je d’un air sirupeux. Est-ce
une manière de parler au père de ton...
Elle plaque une main sur ma bouche et dit à mi-voix :
— Je te préviens, Carter ! Ferme-la !
Je souris sous ses doigts.
— Quel est le problème ? J’essaye simplement de bien
agir envers la mère de mon futur bébé et notre petit…
Elle abat son autre main sur la première.
— Je jure devant Dieu, si tu dis un seul mot de plus, je te
tue.
Mes épaules tressautent d’un rire silencieux.
Dangereusement près de perdre patience, Daisy grogne :
— Je te déteste.
J’arrache ses deux mains de mon visage.
— Ce n’est pas ce que tu disais ce matin quand je te
faisais prendre ton pied.
Toute la rangée derrière nous ricane et le visage de Daisy
s’empourpre alors qu’elle s’affaisse sur son siège et enfonce
son visage dans ses mains. Elle renifle comme si elle était
en train de pleurer. Après une bonne minute de silence, le
regret me transperce.
Je devrais peut-être m’excuser et dire à tout le monde
derrière nous que je plaisantais.
Il n’y a pas vraiment de mal, n’est-ce pas ?
Doucement, je pose une main sur l’épaule de Daisy afin
d’attirer son attention. Dès que je le fais, elle se retourne
pour me faire face. Ses doigts se referment sur le rebord de
son pupitre au point que ses jointures blanchissent.
Elle s’approche assez pour que je sente son souffle sur
mes lèvres et elle me lance dans un grognement :
— Dors avec un œil ouvert, Prescott. Parce que je vais
me venger. Ce n’est pas une menace. C’est une promesse.
Je me force à ricaner, mais le son meurt rapidement sur
mes lèvres.
Merde !
CHAPITRE 8

DAISY

—T u es certaine que c’est une bonne idée ? demande


Olivia qui s’est installée de l’autre côté du
comptoir où je suis en train d’ajouter des œufs et de l’huile
à la préparation pour brownies.
C’est une bonne idée ?
Sans question, c’est la meilleure idée que j’aie jamais
eue !
— Oui, m’exclamé-je en appuyant sur le i.
Olivia n’a exprimé aucune inquiétude, mais je vois à sa
nervosité qu’elle n’est pas entièrement convaincue par mon
plan. Peu m’importe. J’ai pris ma décision et je vais
continuer. Si Carter croit qu’il a eu le dernier mot, il se
trompe.
Olivia se mordille la lèvre inférieure. J’ai peur que si elle
continue, elle finisse par se faire saigner. Je soupire,
parfaitement consciente de ce qu’elle tente de me
communiquer sans mot dire. Elle pense que je suis trop
dure.
Dans des circonstances normales, j’apprécie le fait
qu’Olivia et moi nous complétions. Je suis plutôt du genre à
sauter sans regarder tandis qu’elle préfère regarder des
deux côtés avant de traverser la rue, avec un dernier regard
juste pour être certaine. Et j’admets volontiers qu’elle m’a
épargné des ennuis à de multiples reprises.
Ça devrait peut-être suffire à me faire réfléchir aux
ramifications de ce que je suis en train de faire, mais je m’y
refuse. En ce qui me concerne, c’est en avant toute.
Je bouillonne rien qu’en pensant à Carter qui a débarqué,
a chassé Ben de son siège et a déclaré à qui voulait
l’entendre que non seulement on était ensemble, mais que
j’étais aussi la mère de son bébé.
Puis, comme si ça ne m’avait pas suffisamment détruite,
ce connard a dit qu’il m’avait fait jouir.
Devant tous ces gens.
Je serre les dents et touille la mixture avec des
mouvements violents.
Au bout de quelques minutes, Olivia désigne le saladier.
— Euh, attention, tu vas ôter tous les grumeaux.
Je cesse de touiller comme une malade et je la regarde
en arquant un sourcil.
— Je me fiche de savoir s’il y a des grumeaux.
— Oui, murmure-t-elle avec un soupir, les épaules
affaissées. C’est ce que je me disais, en effet.
Une fois que je suis satisfaite de mon mélange, j’ouvre la
boîte de laxatifs. Ils ressemblent à de petits carrés de
chocolat. Je sors les vingt-quatre comprimés de leur
emballage, les casse en morceaux plus petits et les rajoute.
— Oh, mon Dieu ! murmure Olivia qui secoue la tête en
plissant le front. Dis-moi que tu ne vas pas ajouter toute la
boîte.
— Toute la boîte, confirmé-je d’une voix plate en ajoutant
les derniers morceaux.
Ses yeux s’écarquillent et se remplissent d’inquiétude.
— Tu sais l’effet que ce genre de stimulant a sur le
système.
J’affiche un sourire sinistre.
— Ou plutôt, je sais exactement ce que c’est censé faire.
Une fois que les laxatifs feront effet, Carter va se chier
dessus pendant des journées entières.
— Ça va être un véritable désastre.
Olivia se passe une main sur le visage.
— Tu t’en rends compte, n’est-ce pas ?
Je hausse les épaules et touille le mélange.
— Tu en fais toute une histoire. Ce sont des laxatifs. Ça
ne va pas le tuer. En ce qui me concerne, il a de la chance
que je ne fasse pas pire.
— Je ne suis pas d’accord, marmonne-t-elle.
Je graisse un moule en Teflon et j’y verse l’épaisse pâte
chocolatée, l’étalant bien jusqu’à ce que les quatre coins
soient remplis. Puis je racle l’intérieur du saladier en verre
jusqu’à ce qu’il soit propre.
Je pousse un ricanement de joie.
— Je ne voudrais pas en perdre un gramme, n’est-ce
pas ?
Olivia ne prononce pas un mot. Oui, je comprends sa
condamnation silencieuse. Heureusement pour moi, je n’ai
aucun mal à passer outre.
Je pose le moule dans le four, sur la grille du milieu, et
enclenche la minuterie avant de retourner au comptoir pour
débarrasser le saladier en verre et la spatule. Un sourire
goguenard aux lèvres, je coule un regard à Olivia.
— Je te proposerais volontiers de lécher la spatule, mais
je ne te le recommande pas.
Après une seconde de silence, j’ajoute :
— À moins que tu te sentes constipée.
La façon dont elle secoue la tête et lève brusquement
une main comme pour m’envoyer bouler est presque
comique.
— Non merci.
Je hausse les épaules et pose le saladier et les ustensiles
dans l’évier. Je les nettoie et viens m’asseoir à côté d’elle de
l’autre côté du comptoir.
— Je sens tes yeux qui me jugent.
Elle soupire et plisse le visage comme si elle résolvait un
problème de maths compliqué.
— Que se passe-t-il entre vous deux ?
Je fronce les sourcils et retire une poussière imaginaire
de mon haut.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
Penser à Carter suffit à me remplir d’irritation. Ça a
toujours été comme ça et ça ne changera jamais.
Elle me regarde avec l’air de dire oh, je t’en prie, tu ne
trompes personne.
— Que se passe-t-il entre Carter et toi ?
Olivia lève les yeux au ciel.
— Pourquoi êtes-vous toujours à couteaux tirés ? Vous ne
pouvez vraiment pas vous entendre ?
Non, apparemment, ce n’est pas possible. Et Dieu sait
que j’ai essayé. Rien ne fonctionne.
— C’est un connard prétentieux qui a besoin d’être remis
à sa place. Et ceci, dis-je en désignant le four du menton, va
faire l’affaire.
Un coude calé sur le comptoir, elle fait glisser les doigts
dans ses cheveux et m’adresse un regard pénétrant.
— Vous vous comportez comme des gamins, tous les
deux. Ce n’est pas fatigant de gaspiller autant de temps et
d’énergie à vous prendre le bec ?
Sa critique me met sur la défensive et je croise les bras.
— Non, pas du tout. En plus, ça me permet de canaliser
mes énergies créatives d’une façon constructive.
Elle boit une gorgée à la bouteille.
— Tu réalises que ça ne va qu’aggraver les choses ?
— Ce que je sais, je la corrige, c’est qu’une fois que
Carter se sera chié dessus – et j’espère que ce sera sur le
terrain de foot devant toute l’équipe –, il se rendra compte
qu’il fera mieux de ne plus s’en prendre à moi.
Elle hausse les sourcils.
— Tu penses sérieusement que ça va se passer comme
ça ?
— Ouais. Qu’est-ce qui pourrait mal tourner ? Ce plan est
parfait.
— Que s’est-il passé entre vous ? demande Olivia.
Comment tout ceci a-t-il commencé ?
Je repense à la première année. Même si les parents de
Noah habitent assez près pour qu’on fasse le trajet jusqu’à
la fac, Marnie et Craig ont pensé que c’était important pour
nous de vivre sur le campus afin de faire pleinement
l’expérience de la vie étudiante. Noah était le coloc de
Carter et je passais le voir tout le temps.
Au début, je n’ai eu aucun problème avec Carter. Quand
on s’est rencontrés, je l’ai trouvé plutôt beau. Bon, très
bien… Je l’ai trouvé super chaud.
Voilà… Je l’admets.
J’étais éprise de lui comme toutes les petites connes de
première année sur le campus.
Puis il a ouvert sa grande gueule, a dit quelque chose de
complètement con, et le désir qui courait dans mes veines a
disparu. Après ça, à chaque fois qu’on s’est vus, il a fait tout
son possible pour se comporter comme un connard. En plus,
c’est un séducteur de première qui couchait avec une fille
différente tous les week-ends. L’une après l’autre. Ce mec
est comme un manège de foire qui n’arrête pas de
distribuer des tickets.
C’est dégueulasse !
Et vous savez ce que j’ai remarqué, aussi ?
Je suis la seule qu’il traite ainsi. La population féminine
de BU n’en a jamais assez de lui. Carter Prescott a un
immense fan-club sur le campus. Il attire l’attention quoi
qu’il fasse. Ses perspectives d’entrée dans la Ligue
Nationale n’ont fait que le rendre plus désirable. Et il attire
l’attention comme si ça lui était dû.
C’est vraiment contrariant.
Non. Il est contrariant.
Vous voyez ce qu’il me fait ? Penser à lui ne serait-ce que
pendant quelques minutes me fait saliver. Je n’aime pas
celle que je deviens quand je suis en sa présence.
— Je crois qu’il te plaît, dit Olivia.
Ce commentaire m’arrache à mes pensées et j’ai
l’impression de m’être pris une gifle puissance maximum.
— Quoi ? me récrié-je d’un ton incrédule. Tu n’as rien
entendu de ce que je viens de te dire ? Il n’y a rien que
j’apprécie chez Carter Prescott.
Ajoutant une emphase nécessaire, je répète :
— Rien !
D’accord… Ses biceps ne sont pas trop moches.
Je ne peux pas m’empêcher de le regarder quand il porte
un T-shirt sans manches. Ce n’est pas un gros bœuf injecté
aux stéroïdes et à la musculature exagérée. Il est élancé.
Mais ce qui me remue le plus est la façon dont ses biceps se
contractent et se gonflent quand il bouge les bras.
Me rendant compte que je commence à saliver, j’écarte
ces pensées. À part ses biceps, il n’y a rien d’appréciable
chez Carter. Comme je ne développe pas, Olivia hausse un
sourcil, mais ne dit rien.
Ai-je déjà mentionné que si elle se spécialise dans
l’océanographie, elle a choisi psychologie en option ?
Elle suit quelques cours de psycho et voilà qu’elle se
prend pour Sigmund Freud ?
Je ne pense pas, non. Dans des circonstances normales,
je suis disposée à la rassurer. Je la laisserais même
disséquer le divorce de mes parents et le comportement
loufoque de ma mère. Mais là ?
Pas question.
La question de Carter Prescott n’est pas ouverte à la
discussion. Qu’elle l’interprète comme elle veut ! On peut
continuer à se regarder en chiens de faïence jusqu’à ce
qu’elle se rende compte que je ne vais pas céder à ses
tactiques de guerre psychologique.
Allons.
J’ai suivi une thérapie. Ma tante a pensé que ce serait
une bonne idée pour m’aider à gérer certains de mes
sentiments après la disparition de mes deux parents. Elle
craignait que je souffre de troubles de l’abandon.
Honnêtement, mes parents m’ont fait une faveur en
partant.
Alors, utiliser le silence pour me forcer à parler ?
Non, ça ne va pas fonctionner.
Poussant un soupir exaspéré, Olivia demande :
— Tu en es certaine ?
— Oui, absolument.
Elle pianote sur le comptoir du bout des doigts et plisse
les paupières.
— Tu veux mon opinion professionnelle sur la question ?
J’émets un ricanement étranglé.
— Tu n’es absolument pas pro.
— Je m’en rapproche.
— Non.
Je secoue la tête.
— Je ne pense pas.
Elle m’interrompt en disant :
— Eh bien, je vais te donner mon opinion que tu la
veuilles ou pas.
C’est une de ces situations où je dois acquiescer tout en
faisant semblant d’être d’accord avec ses sages conseils,
avant d’entamer une nouvelle conversation qui n’a rien à
voir avec Carter.
— Je pense que la raison pour laquelle le comportement
de Carter te dérange est parce qu’au fond, il te plaît.
D’ailleurs, je te soupçonne d’avoir eu des sentiments pour
lui depuis la première année.
Après avoir lâché cette bombe, Olivia recule pour mieux
m’étudier.
— Sans quoi, tu l’ignorerais, lui et ses conneries, mais tu
ne le fais pas. Tous ses propos et ses actes te font tourner
en bourrique. Le grand classique.
— Désolé de casser ton plan, ma vieille, mais tu te
trompes du tout au tout.
Un nœud d’anxiété me serre le ventre.
Le sourire qui s’empare de son visage me fait grincer des
dents.
Je secoue la tête.
— Il ne me plaît pas, Olivia.
Elle a réussi à me mettre en colère.
— Il est la dernière personne que je regarderais.
— Hum. Continue.
Je déteste quand elle essaye de jouer à la psy sur moi.
— Pourquoi est-ce que j’aimerais quelqu’un dont le seul
but dans l’existence est de me contrarier ? Est-ce que ça a
du sens ? Tu sais à quel point ce serait masochiste ?
Comme elle ne dit rien, la sueur perle sur mon front alors
que, mal à l’aise, je change de position.
— En plus, il me déteste.
J’ai l’impression de parler à tort et à travers.
— Tu vois comment il me traite.
— En fait, je ne pense absolument pas qu’il te déteste.
Je m’humecte les lèvres. Je préférerais qu’on change de
sujet.
— Si, bien sûr, insisté-je.
Il l’a prouvé des centaines de fois. Il faudrait que je sois
idiote pour ne pas m’en rendre compte. Olivia ne fait jamais
attention à toutes les petites piques qu’il me lance ou à la
façon dont il me provoque toujours pour que je réagisse.
J’ouvre la bouche afin de lister la première dizaine
d’exemples qui me viennent en tête quand elle dit :
— Il te regarde.
Tous les mots qui s’apprêtaient à s’échapper de mes
lèvres sont remplacés par :
— Hein ?
— Il te regarde, répète-t-elle plus lentement. Quand tu ne
le vois pas.
L’agitation qui se rassemblait dans mon ventre se
dissout. Elle est remplacée par une bouffée de chaleur. Je la
réprime rapidement et lève les yeux au ciel parce que ce
qu’elle dit n’est pas vrai.
— C’est probablement parce qu’il est occupé à
manigancer son prochain plan diabolique pour me pousser à
bout. Je ne serais pas surprise s’il a une tanière cachée
remplie de plein d’équipements high-tech.
Un petit sourire joue au coin de ses lèvres alors qu’elle
secoue la tête.
— Je ne pense pas que ce soit la raison.
J’ai peur de poser la question.
— Je te l’ai déjà dit, dit-elle. Il y a énormément de tension
sexuelle entre vous deux.
Pauvre Olivia ! Le manque de sexe la fait délirer ou un
truc du genre. Rester vierge trop longtemps peut vous
rendre folle ?
Je vais chercher sur Google.
— Désolée, Jean Piaget, tu as tort sur ça aussi. Il n’y a
absolument pas de tension sexuelle entre nous. Pas du tout.
C’est peut-être un léger mensonge. Il y a bien une
énergie non désirée qui vibre entre nous, mais elle est
complètement unilatérale. Et si je pouvais la faire
disparaître, je n’hésiterais pas. En un clin d’œil. Carter est la
dernière personne par qui j’ai envie d’être attirée. C’est
comme une blague cruelle.
— Tu dois admettre qu’il est super chaud, ajoute Olivia
d’un air chafouin.
Oh, pour l’amour de Dieu !
— Il est pas mal, mens-je. Si tu es sensible à son type de
beauté. Ce que je ne suis pas, marmonné-je à mi-voix.
— Certainement, qui n’aime pas les mecs grands,
ténébreux et beaux ?
Son regard se fait rêveur.
— Sans parler de tous ses muscles.
Je réprime la jalousie qui lutte pour remonter à la surface.
Heureusement, Olivia se libère de ces pensées avant que
je sois contrainte à un geste drastique, comme de lui
donner des baffes.
— Pardon, où en étais-je ?
Je lui adresse un regard noir.
— Tu parlais des muscles de Carter et tu bavais dessus
comme la plupart des filles sur le campus.
Je pose les mains sur mes hanches tout en fronçant les
sourcils.
— Tu me déçois vraiment, Olivia. Je pensais que tu savais
mieux te contrôler.
— Qu’est-ce que tu veux que je te dise ?
Elle hausse les épaules.
— Les mecs chauds me font craquer.
Que je l’admette ou pas, ce mec est super chaud et je ne
suis pas la seule à le penser.
— Eh bien, je te préviens que sa chambre est dotée
d’une porte tournante.
Et ça, mes amis, n’est pas un simple commérage. J’y ai
assisté de mes propres yeux.
Elle éclate de rire.
— Je ne coucherai jamais avec Carter et tu le sais.
Je le sais très bien. Elle préfère…
Je vais m’abstenir de mentionner Noah. Il faut qu’elle
tourne la page et passe à autre chose.
Le minuteur du four bipe, m’évitant de creuser
davantage cette discussion. Je saute de mon tabouret et
retourne vers la cuisinière.
— Les brownies sont prêts !
Je prends des maniques, ouvre la porte du four et en
retire le moule. Le parfum d’un délice fondant imprègne
l’atmosphère alors que je le pose sur la cuisinière pour le
faire refroidir.
— Hmm.
Je me penche pour mieux sentir.
— Ils ont l’air délicieux et sentent bon.
— Ils sentent la mort. Ta mort, souligne Olivia.
Elle est d’une nature excessivement prudente. Moi, pas
vraiment.
— Oui, oui.
Je fais un geste dans sa direction.
— Allons, on ferait mieux d’aller à la bibliothèque pour
étudier un peu avant qu’il ne soit trop tard.
Olivia saute à bas de sa chaise et prend son sac à dos.
Alors qu’elle le glisse sur une épaule, elle demande :
— Je ne peux rien te dire pour te convaincre de ne pas le
faire ?
— Rien du tout, dis-je en secouant la tête.
On est amies depuis suffisamment longtemps pour
qu’elle reconnaisse une bataille perdue quand elle en voit
une. Au lieu d’argumenter, elle pousse un long soupir et se
dirige d’un pas lourd vers la porte de l’appartement.
— J’avais peur que tu dises ça.
— Tu t’inquiètes trop. Ce sont des brownies aux laxatifs.
Ce n’est pas grave.
Je prends ma sacoche dans le hall d’entrée.
— Et puis, je ne vois pas ce qui pourrait mal tourner.
— Les dernières paroles les plus célèbres du monde,
grommelle-t-elle alors que je claque la porte derrière nous.
Olivia a besoin de se détendre un peu.
C’est juste une plaisanterie sans conséquences. Ça va
être hilarant.
Enfin, je sais que je vais me marrer.
Carter, pas trop.
CHAPITRE 9

DAISY

I l est plus de 18 heures quand je rentre à l’appartement.


Olivia et moi sommes restées terrées à la bibliothèque
plus longtemps que prévu. Puis, en rentrant, on s’est
arrêtées pour acheter des sandwiches dans une boutique
sur le campus. À présent que j’ai le ventre plein, je peux
étudier pendant encore plusieurs heures pour mon exam de
demain.
Je ne suis pas une de ces personnes capables de
débarquer à un exam sans avoir regardé les cours et m’en
sortir magiquement avec la note maximale. Je ne fonctionne
pas comme ça. Si je veux avoir des résultats, je dois fournir
des efforts.
Carter, d’un autre côté, a une mémoire photographique.
C’est une des nombreuses choses chez ce type qui me rend
folle. Je l’ai rarement vu étudier et il a une moyenne
presque parfaite. Je le sais parce qu’il est sur la liste
d’honneur tous les semestres.
Dès que j’ouvre la porte de notre appartement, l’odeur
des brownies me frappe de plein fouet. C’est incroyable,
mais je les avais oubliés. Pour la première fois depuis que
j’ai préparé ce dessert dans l’après-midi, je regrette presque
de le faire manger à Carter.
J’en veux à Olivia de m’avoir mis des doutes en tête.
Ne sachant pas quoi faire, j’hésite dans le vestibule avant
de poser mon sac. Je devrais peut-être jeter le plat à la
poubelle et repenser ma stratégie. Si j’ai encore envie de le
faire, je pourrai toujours préparer une autre fournée.
Mon besoin de revanche m’a peut-être fait aller trop loin.
Arg.
J’aurais dû écouter Olivia. Je déteste quand elle a raison !
Ma décision prise, j’entre dans la cuisine et me dirige vers la
cuisinière où j’ai laissé le moule refroidir. Désirant rendre les
brownies super tentants, j’avais acheté un pot de glaçage
au chocolat que j’ai laissé sur le comptoir.
Je ralentis le pas en me rendant compte que le glaçage a
été ouvert. L’aluminium qui le recouvrait est roulé en boule
sur le comptoir. Je regarde successivement le glaçage et le
dessert et mon cœur se serre. Un tiers des brownies a déjà
disparu. Des miettes s’accrochent au couteau en inox qui
repose contre le métal sombre.
Je suis arrivée trop tard.
Involontairement, mon plan s’est enclenché et je ne peux
rien y faire.
— Daisy ?
Je lève brusquement la tête en entendant la voix de mon
cousin. En passant la tête par l’ouverture de la cuisine, je
vois Noah et sa copine qui se prélassent sur le canapé du
salon et regardent la télé.
Oh, non.
Je n’ai pas besoin de réfléchir très longtemps.
— Salut, me récrié-je.
Que suis-je censée faire, maintenant ?
Lui dire ?
Ou bien attendre et voir ce qu’il se passe ?
Je n’ai même pas besoin d’avoir mangé ces brownies
pour avoir la nausée.
— Hé, c’est toi qui as fait ces brownies ?
Le bras de Noah est passé autour d’Ashley qui est lovée
contre lui.
Qu’est-ce que je fais ?
Qu’est-ce que je fais ?
Qu’est-ce que je fais ?
Calme-toi et respire.
— Euh, ouais.
Je tousse pour déloger la nervosité dans ma voix.
— Pourquoi ?
Je m’en veux de ne pas avoir écouté Olivia.
— Parce qu’ils sont vraiment délicieux, dit-il avec un
grand sourire. J’espère que tu ne les gardais pas pour une
occasion spéciale.
Oh, mon Dieu !
Souhaitant pouvoir revenir en arrière, je coule un regard
au moule.
Ce n’est peut-être pas aussi mauvais que ce que je
pensais. Il en manque un peu plus du tiers. Je regarde Noah
et Ashley et essaye de m’en sortir en rationalisant la
situation. Ils ont probablement partagé le dessert. S’ils en
ont mangé chacun une grosse part, quels dégâts les laxatifs
pourront faire à leurs systèmes ? Ça va leur nettoyer les
intestins, c’est certain, mais pas les tuer.
Pas vrai ?
Pas vrai ?
Ça va aller. Ce n’est pas très important. Pas besoin de
leur parler de l’ingrédient secret. Je me rassure à la pensée
qu’ils n’ont peut-être pas fini leurs parts. Qui finit son
dessert, de toute façon ?
Ou plutôt… moi, mais quand même…
Je parie que si je jette un œil à la poubelle, j’en trouverai
une bonne portion.
Le nœud dans mon ventre se desserre.
— Non, je ne les avais pas préparés pour une occasion
particulière.
Vous savez quoi, aussi ?
Aujourd’hui, j’ai appris une leçon importante. Et cette
leçon est qu’il faut réfléchir avant de faire quelque chose
d’aussi drastique que de préparer des brownies aux laxatifs.
Je suis certaine qu’Olivia sera très fière quand je lui ferai
part de mon épiphanie.
Mais d’abord, j’ai besoin de poser une petite question.
— Alors, vous… avez aimé le dessert ? Tous les deux ?
Ashley plisse le nez et me regarde comme si je venais de
lui demander de tuer un sac de chiots. Son visage fin se fait
encore plus pincé qu’à l’ordinaire.
Hum.
Serait-ce vraiment mal si elle subissait un cacathon dans
les toilettes ?
Peut-être pas.
— Tu plaisantes ? Je ne mangerais jamais ces
cochonneries.
Elle plisse la lèvre supérieure d’un air dédaigneux.
— As-tu la moindre idée du nombre de calories sans la
moindre valeur nutritionnelle et de grammes de graisse
saturée qu’un truc comme ça contient ? Ce serait comme de
s’injecter du poison.
Normalement, je lèverais les yeux au ciel et m’en irais,
mais je ne peux pas le faire compte tenu des circonstances.
Parce que si Ashley n’a pas mangé de brownies, ça veut dire
que…
Bouche bée, je regarde Noah avec horreur.
— Tu as mangé un tiers du plat à toi tout seul ?
Ma voix est choquée.
Je vous en prie, dites-moi que Carter était là et que lui
aussi s’est servi du dessert.
Noah tapote son ventre plat.
— Oui. Je t’ai dit qu’ils étaient délicieux ? Presque aussi
bons que ceux de maman.
Je doute que l’ingrédient de Tante Marnie soit des laxatifs
parfum chocolat.
— Oui, j’admets d’une voix qui se brise sur cette unique
syllabe. Tu me l’as dit.
Je me tords les mains en essayant de trouver un plan.
Enfin, un autre plan. Après ça, il n’y a pas d’autres plans. Je
renonce officiellement à faire des plans.
Devrais-je faire preuve de transparence et admettre que
j’ai trafiqué les brownies… ou bien garder le silence ? J’en
débats en silence tout en me mordillant la lèvre inférieure.
Je veux dire… C’est possible que ce stimulant n’ait pas le
moindre effet sur Noah. Il doit bien peser plus de cent kilos.
Plus probablement vingt-deux ou même vingt-trois.
Je plisse les yeux et l’observe avec plus d’attention. Oui,
je confirme qu’il a pris quelques kilos. Ça devrait jouer en
ma faveur.
Au moment précis où cette pensée me traverse l’esprit,
Noah s’agite sur le canapé. Il fronce les sourcils, pose une
main sur son bas-ventre et le frotte.
— Je crois que j’ai exagéré avec les brownies.
Ashley retire la tête de sa poitrine.
— Je t’avais dit de ne pas en manger autant. Ton ventre
gargouille. C’est un peu dégoûtant, bébé, dit-elle en
fronçant les narines.
Il la serre à nouveau contre lui et lui frotte l’épaule.
— Ça va. Ne t’inquiète pas. Je t’avais parlé de la fois où
j’ai démoli une tarte fraises-rhubarbe entière en moins de
dix minutes ? Si ça ne me rend pas malade, rien ne peut le
faire. J’ai un ventre d’acier.
Il m’adresse un coup d’œil.
— Tu t’en souviens, Daze ? Maman était vraiment en
colère ! sourit-il en secouant la tête.
J’acquiesce alors que ce souvenir me revient.
— Oui. C’était en seconde. J’ai bien cru que Tante Marnie
allait lui tordre le cou. Elle avait cueilli la rhubarbe et les
fraises dans son jardin et avait préparé la tarte
spécialement pour une fête.
Il sourit et ils recommencent à regarder la télé.
Je désigne la cuisine avec le pouce même s’ils ne me
prêtent pas la moindre attention.
— Je… Euh… je vais…
Je ne prends pas la peine de finir la phrase. Au lieu de ça,
je retourne me cacher dans la cuisine.
Je suis tentée de prendre mon sac et de me casser pour
le reste de la soirée, mais je ne peux pas faire ça à Noah. Il
faut que je vérifie qu’il aille bien. Ce qu’il s’est passé est ma
faute. Même s’il ne s’en rend pas encore compte.
— Hé, Daze, tu veux bien aller me sortir un soda au
gingembre du frigo ? demande-t-il. J’ai un peu mal au
ventre.
— Euh, oui, je lui réponds. Pas de problème.
Je prends une bouteille de soda et retourne au salon.
C’est mon imagination ou bien Noah a l’air blafard ?
Peut-être un peu en sueur ?
Et il s’agite comme s’il était assis sur des aiguilles et
essayait de trouver une position confortable.
— Ça va ? dis-je en lui passant la bouteille.
Il se tourne vers Ashley et dit :
— Bébé, tu voudrais bien bouger et me donner un peu
d’espace ?
Ashley s’écarte de quelques dizaines de centimètres et
Noah redresse le dos. Les coudes sur les genoux, il dévisse
le bouchon du soda au gingembre et en avale une petite
gorgée.
— Je dois avoir mangé quelque chose qui me reste sur
l’estomac.
Le ventre de Noah laisse échapper un long gargouillis de
détresse.
— Je me sens super mal.
Ashley croise les bras.
— Ce sont les brownies. Je t’avais dit de ne pas autant en
manger. Ton corps se rebelle contre tout ce sucre.
Son regard passe de son téléphone à lui.
— On est censés retrouver Katie et Harper au ciné dans
une heure.
— Ça va aller, lui assure-t-il.
Mais il est loin d’avoir l’air bien.
La porte de l’appartement s’ouvre et Carter entre, un
grand sac sur l’épaule. Il s’arrête dans le salon et nous
regarde successivement.
— Que se passe-t-il ?
— Oh… Hum…, bégayé-je en étudiant les rainures du
plancher.
— Noah ne se sent pas bien, dit Ashley.
Carter observe son ami de plus près.
— Ça va, vieux ?
Il fait quelques pas en direction de Noah.
— Je peux faire quelque chose ?
Mon cousin passe une main sur son visage et secoue la
tête.
— Non. J’ai le ventre un peu retourné.
Ses intestins grondent un peu plus fort qu’avant.
Carter laisse tomber son sac et va dans la cuisine. Il
prend un verre dans le placard, le remplit au robinet et boit
à grandes gorgées.
— Hé ? Qui a préparé des brownies ?
Arg !
Les brownies !
Je sprinte jusqu’à la cuisine. Quand je tourne à l’angle,
Carter a le couteau posé en équilibre sur le plat et il
s’apprête à l’enfoncer dans le dessert. J’attrape un coin pour
le retirer brusquement du comptoir, hors de sa portée.
— Hé ! dit-il avec un froncement de sourcils. J’allais m’en
couper une part.
— Non, certainement pas ! Je vais les jeter, babillé-je. Ils
ne sont pas bons.
Je brandis le couteau en l’air en ouvrant le placard sous
l’évier où se trouve la poubelle. J’y jette le tout, moule y
compris.
Carter ouvre de grands yeux et me regarde comme si
j’étais complètement folle.
— Qu’est-ce qui ne va pas chez toi ?
Noah n’est pas le seul à suer à grosses gouttes. De la
sueur perle à l’arrière de mon haut et dans la rainure entre
mes seins. Mes paumes sont tellement moites que je les
essuie sur mon jean.
— Rien, grommelé-je en regardant par-dessus mon
épaule.
Carter repose le couteau et s’appuie sur le comptoir
avant de croiser les bras.
— Tu as préféré jeter ces brownies plutôt que de me
laisser en manger ?
La colère – ainsi que quelque chose qui ressemble à de la
douleur – emplit sa voix.
— Non, bien sûr que non, lancé-je.
Mon haut trempé colle à mon dos alors que je me
balance d’un pied sur l’autre.
Il incline la tête et son regard m’épingle
douloureusement.
— Alors pourquoi tu as fait ça ?
— Parce que…
Ne trouvant pas quoi dire, je le regarde d’un air
impuissant tandis que mes pensées tourbillonnent
follement. Je suis profondément dans la merde. Je m’y noie
carrément.
Carter arque un sourcil. Après quelques secondes de
silence, il dit d’une voix traînante :
— Parce que quoi ?
— Parce que, je répète, Noah en a mangé et maintenant,
il ne se sent pas bien.
Je m’éclaircis la gorge et poursuis par une demi-vérité.
— Ils n’étaient peut-être pas bons.
J’ai un coup de génie et je me redresse de toute ma
taille.
— Il a peut-être une intoxication alimentaire, tu sais ?
Comme une salmonellose ou un truc comme ça.
Non. C’est bien trop spécifique. J’ai besoin de garder un
peu de flou. Je ne suis vraiment pas douée pour le
mensonge. Je ferais une horrible criminelle. J’ai la vérité sur
le bout de la langue. À tout moment, elle va se libérer et
mettre un terme à mes souffrances.
— Quoi ? crie Noah depuis l’autre pièce. Tu crois que j’ai
une salmonellose ?
— Je ne sais pas, marmonné-je.
Quel imbroglio de mensonges et de tromperies ! À
chaque fois que j’ouvre la bouche, ça ne fait qu’empirer.
— Qui sait ? C’est possible, non ?
— Je ne pense pas, l’interrompt Ashley. D’après mes
cours de nutrition, on doit consommer des œufs ou bien du
poulet pour attraper une salmonellose.
Je la fusille du regard depuis la cuisine. Elle ne m’aide
pas. Ça lui ressemble bien de mettre des barrages
involontaires à mes mensonges !
Noah se plie en deux et se balance d’avant en arrière.
— Oh, mon Dieu. Je ne me sens vraiment pas bien.
Il fait un bond du canapé jusqu’à la salle de bains dont il
claque la porte.
Carter et moi avançons dans le salon pour regarder la
porte fermée de la salle de bains. Noah pousse un
gémissement. Une seconde plus tard, une explosion
résonne contre les murs. Je me mords la lèvre. J’espère
qu’au moins, il a réussi à parvenir jusqu’aux toilettes.
Ashley se redresse d’un bond et prend son sac à main.
— Je ne pense pas que Noah sera en mesure de voir le
film. Dites-lui que s’il se sent mieux, il pourra nous retrouver
plus tard au ciné.
Même si je suis responsable de tout ceci, je ne peux pas
m’empêcher de la regarder d’un air sombre.
— Tu ne vas pas rester pour t’occuper de ton petit ami ?
— J’aimerais bien, mais j’ai des engagements que je ne
peux pas annuler.
Elle jette un coup d’œil à la salle de bains et hausse les
épaules.
— En plus, je ne pense pas que Noah ait envie que je rate
le film. Ça fait des semaines que je meurs d’envie de le voir.
Elle tourne les talons, se dirige vers la porte d’entrée et
s’en va sans même un au revoir.
Je m’apprête à lui balancer quelque chose de cinglant
quand Noah pousse un grognement.
— Daisy, appelle ma mère, gémit-il. Je crois que je
meurs !
Je coule un regard à Carter qui m’observe en plissant les
paupières. Je peux quasiment voir les rouages tourner dans
sa tête.
— Qu’est-ce que tu as fait, putain ? grogne-t-il en
grimaçant alors que Noah gémit.
Pour éviter d’avouer, je cours vers mon téléphone.
CHAPITRE 10

CARTER

D aisy et moi montons la garde derrière la porte de la


salle de bains. Les sons qui proviennent de l’intérieur…
Je fais la grimace.
À cette vitesse, Noah va perdre au moins deux kilos et
demi. Peut-être plus.
Je me frotte le visage d’une main incrédule. Ce qui est en
train de se produire aurait très bien pu m’arriver à moi. Si
j’étais rentré à la maison plus tôt, c’est moi qui serais en
train de me vider les boyaux. Une autre vague de colère me
traverse alors que je me tourne vers Daisy avec un regard
noir.
— Je n’arrive pas à croire que tu aies ajouté des laxatifs
aux brownies ! Et tu allais vraiment me laisser les manger si
Noah n’y avait pas fait un sort en premier !
Je secoue la tête.
— Qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez toi ?
Pour une fois dans sa vie, Daisy a le bon sens de baisser
les yeux et de garder la bouche fermée.
— Je n’aurais pas dû faire ça, admet-elle à voix basse
après presque une minute de silence, une rougeur coupable
s’emparant de son teint laiteux.
Je lève les mains au ciel.
— Qu’est-ce qui t’a pris ?
— La vengeance, marmonne-t-elle à voix basse avant de
s’éclaircir la gorge. J’avais envie de prendre ma revanche
parce que tu as dit à tout le monde en cours que j’étais la
mère de ton enfant.
Elle soupire et ajoute :
— En plus de toutes les autres choses que tu as faites
dernièrement.
— Apparemment, ça s’est retourné contre toi, n’est-ce
pas ? lui lancé-je.
Noah laisse échapper une autre série de flatulences
accompagnées par un grognement guttural. Après un
moment de précieux silence, il gémit :
— Maman n’est pas encore arrivée ?
Daisy se rapproche de la porte.
— Elle sera là dans une minute, Noah. Elle devait passer
à la pharmacie et acheter des trucs pour apaiser ton ventre.
Elle se couvre le nez et la bouche avec la main et
s’éloigne de la salle de bains de quelques pas.
Elle ne mentionne pas la puanteur, mais elle est
immanquable. Je ne sais pas qui a eu l’idée géniale de coller
les toilettes au salon, mais c’est une très mauvaise
planification de la part de l’architecte.
— Tu devrais peut-être allumer une bougie là-dedans,
suggère-t-elle.
— Je me fiche d’allumer une putain de bougie ! lâche
Noah. J’ai peur que mes intestins soient en train de me
tomber du cul !
Daisy a un mouvement de recul.
Quelqu’un toque à la porte de l’appartement et je m’y
précipite, certain que c’est la mère de Noah. Dieu merci, elle
est là. Je suis complètement inutile dans ce genre de
situation.
— Salut, mon chéri.
Marnie m’embrasse la joue et entre dans le salon où
Daisy fait les cent pas.
— Bonjour, mon bébé, dit-elle en prenant rapidement sa
nièce dans ses bras.
Elle toque doucement à la porte de la salle de bains et
demande gentiment :
— Comment ça va, Noah ? Tu vas bien ?
— Non, grogne-t-il, je ne vais pas bien ! Daisy a essayé
de me tuer avec des brownies !
Daisy ouvre de grands yeux et ses cheveux volent dans
tous les sens alors qu’elle secoue la tête.
— Non.
Elle déglutit comme si elle essayait d’avaler une bouchée
de biscuits salés.
— Vraiment.
Je ressens une bouffée de pitié que j’étouffe rapidement
parce qu’elle ne le mérite pas. Elle n’a que ce qu’elle
mérite.
— Des brownies ?
Marnie fronce les sourcils et se tourne vers sa nièce.
— De quoi parle-t-il, Daze ? Tu ne cuisines même pas.
Daisy ouvre la bouche pour expliquer, mais Noah la coiffe
au poteau en hurlant :
— Elle a préparé des brownies cet après-midi et y a
ajouté des laxatifs !
Une autre explosion provient de la salle de bains puis il
tire la chasse pour la centième fois.
— Noah n’était pas censé les manger, murmure Daisy en
détournant le regard.
Comme si ça allait arranger les choses.
Je croise les bras et fronce les sourcils, toujours incapable
de croire qu’elle ait pu faire une chose pareille.
Apparemment, Marnie est d’accord, car elle incline la
tête tout en fusillant Daisy du regard.
— À qui étaient-ils destinés ?
Elle maîtrise parfaitement le regard courroucé d’un
parent. Il faudrait qu’on l’appelle pour des interrogatoires. Je
ne connais pas beaucoup de gens capables de supporter un
de ses regards désapprobateurs sans révéler tous les
secrets qu’ils possèdent. Je suis même prêt à en confesser
un des miens et elle ne me regarde même pas.
Daisy aspire sa lèvre inférieure dans sa bouche et la
mordille. Mon regard est attiré par le mouvement et quelque
chose se réveille dans mon ventre. Ou plutôt un peu plus
bas.
In-croy-a-ble !
Ce n’est vraiment pas le moment.
Marnie écarquille les yeux puis reste bouche bée quand
elle se rend compte que ce dessert m’était destiné.
— Tu as préparé des brownies aux laxatifs pour… Carter ?
Avant que Daisy ne puisse fournir la moindre explication,
Marnie lève une main et l’interrompt.
— Tu sais quoi ? Je n’ai pas envie d’entendre la moindre
de tes excuses pour le moment. Il faut qu’on s’occupe de
choses plus urgentes.
Elle désigne le canapé.
— Allez vous asseoir. Je m’occuperai de vous plus tard.
Attendez un peu…
Pourquoi suis-je inclus ?
Je n’ai rien fait de mal. C’est moi la victime de cette
situation.
D’autres explosions résonnent à l’intérieur de la salle de
bains.
Bon, peut-être pas la victime en soi. Mais j’étais la
victime désignée. Ça devrait compter pour quelque chose.
Je carre les épaules, prêt à me défendre.
— Hmm, laissez-moi simplement dire…
La mère de Noah se tourne vers moi plus vite que je
l’avais anticipé et me prend de court.
— Non, ne dis rien, dit-elle en brandissant l’index vers le
canapé. Assieds-toi.
— Bon, d’accord.
Voulant l’apaiser, je lève les mains en signe de reddition.
— Je m’assieds.
Elle m’adresse un regard exaspéré un peu comme celui
qu’elle a adressé à Daisy puis se retourne vers la salle de
bains.
— Noah, dit-elle doucement, j’ai acheté du papier
toilette…
— Dieu merci, grogne-t-il.
— Et de la Gatorade pour reconstituer tes électrolytes,
avec un médicament contre la diarrhée qui apaisera tes
crampes d’estomac.
Elle s’interrompt.
— Je vais ouvrir la porte et placer un sac à l’intérieur,
d’accord ?
— Oui, gémit Noah.
Marnie ouvre la porte et vacille.
— Par tous les saints ! L’odeur est vraiment forte.
Elle tourne la tête et pose le sac de courses par terre à
l’intérieur de la petite pièce sans fenêtre avant de vite
reclaquer la porte. Elle titube en arrière sur quelques pas et
inspire profondément avant d’expirer.
Elle plisse les yeux et braque à nouveau le regard sur
nous. Elle pose les mains sur les hanches et dit d’un ton
sérieux :
— Quelque problème que vous ayez tous les deux, vous
devez le régler maintenant avant que quelqu’un ne soit
blessé.
Je redresse le dos. Daisy aussi.
— Je suis blessé ! crie Noah depuis la salle de bains. Je
n’ai plus de côlon !
Daisy s’affaisse et baisse la tête.
— Je suis désolée, Tante Marnie. C’est entièrement de ma
faute. Ce que j’ai fait était immature et irresponsable. Je n’ai
pas pensé aux répercussions.
— Non, visiblement pas.
Marnie tourne les yeux vers moi en arquant un sourcil
blond.
Apparemment, je ne vais pas m’en sortir impunément. Je
ne vais même pas essayer de protester pour m’en sortir
parce qu’au fond, je sais que je suis partiellement en tort.
— C’est ma faute aussi, dis-je. J’ai commencé.
Quand j’ai gâché son rencard, je ne m’étais pas attendu
à ce que la situation échappe autant à mon contrôle. Tout ce
que j’ai fait dernièrement pour la faire tourner en bourrique
me revient brutalement et je me rends compte que c’est
probablement plus ma faute que la sienne. J’ai agacé Daisy
depuis le jour de notre rencontre. Généralement, elle me
répond seulement par une légère agressivité.
Manifestement, cette fois, ce n’était pas le cas.
Daisy me coule un regard légèrement en coin.
— Je vous aime tous les deux, dit Tante Marnie en
pointant le menton vers la salle de bains. Noah aussi. Mais
vous devez trouver le moyen de coexister paisiblement sans
vous comporter comme un duo d’enfants capricieux.
Les joues écarlates, Daisy hoche la tête.
— On va le faire. C’est promis.
— Oui, ajouté-je. On va mieux se comporter à partir de
maintenant.
Mon besoin de repousser Daisy est ce qui a déclenché les
hostilités et qui a fini par faire de notre relation ce qu’elle
est devenue. J’ai fait tout mon possible pour la maintenir à
distance. Je crois qu’à l’avenir, ce sera à moi de rectifier la
situation. Il nous reste huit mois avant que nos chemins se
séparent.
Je dois quand même être capable de bien me comporter
durant tout ce temps !
CHAPITRE 11

CARTER

—M ec, cet entraînement est vraiment nul à chier.


Noah se laisse tomber sur le banc parallèle à
nos casiers.
— Tu rentres à l’appartement après ?
La plupart de nos coéquipiers sont en train de se plaindre
de l’entraînement épuisant que vient de nous imposer le
coach, mais pas moi. J’adore les sprints et les exercices. J’ai
envie qu’à la fin, mes muscles crient de douleur. Je veux
être si fatigué que lorsque je me laisse tomber sur le lit,
complètement épuisé, je ne m’appesantisse pas sur la fille
qui dort à quelques mètres de moi, à l’autre bout du couloir.
Ou sur le débardeur moulant et le short avec lesquels
elle aime me tourmenter.
Je chasse ces pensées et secoue la tête avant qu’elles ne
puissent faire des dégâts supplémentaires.
— Je ne peux pas.
Je me concentre sur l’intérieur de mon casier en métal.
— Il faut que je passe chez mes parents.
Noah ne dit rien pendant un long moment puis
demande :
— Tu veux que je vienne avec toi ?
— Non, marmonné-je. Ça ne ferait qu’envenimer les
choses.
J’ai les épaules crispées rien qu’en songeant à ce que je
dois faire.
Il retire un T-shirt de son casier et l’enfile par-dessus sa
tête.
— Tu es certain que tu ne veux pas un peu de
compagnie ?
Fier de ne pas être une mauviette qui évite de prendre
les problèmes de front, je me tourne et soutiens son regard
soucieux.
— Oui, ça va aller.
— Tu sais que je peux t’accompagner, répète-t-il d’une
voix plus basse. Ça ne me dérange pas.
Détendre mes muscles et faire ralentir mon rythme
cardiaque demande un effort concerté.
— J’apprécie, mais ce n’est pas nécessaire.
Je déteste passer à la maison et Noah le sait
parfaitement. Il est une des rares personnes à qui je fais
assez confiance pour dire la vérité. C’est précisément pour
ça que Daisy est hors limite. La dernière chose que je
voudrais est détruire mon amitié avec Noah. Il est comme
un frère pour moi. Ses parents sont comme ma famille.
Et on ne plaisante pas avec la famille.
Point barre.
Il faut simplement que je garde mes distances par
rapport à Daisy. Autrement, je ne survivrai pas à cette
année d’études en un seul morceau. Toutefois, je ne peux
pas continuer à la repousser ou à me comporter comme un
connard. C’est épuisant et je n’en ai plus la force.
Particulièrement pas alors que j’ai juste envie de la serrer
fort contre moi.
Ces derniers jours ont été cordiaux entre nous. Ce matin,
on a discuté du temps exceptionnellement chaud qu’on a en
ce moment.
Oui… Le temps.
C’était la conversation la plus guindée à laquelle j’aie
jamais été forcé de participer. Au bout d’un moment, j’ai
commencé à raconter des bêtises sur l’importance de rester
hydraté. Daisy m’a interrompu en disant qu’elle devait
retrouver Olivia, et elle a quitté l’appartement en courant
comme si elle avait le feu aux fesses. Elle avait vraiment eu
hâte de s’enfuir. Je ne sais pas si j’ai déjà vu une femme
essayer d’échapper à ma compagnie aussi rapidement.
Daisy est la première.
Ça fait mal à l’ego.
Je ne sais pas ce qui est pire. Des interactions
maladroites comme celles-ci ou bien les piques qu’on
s’envoyait. Je déteste l’admettre, mais en fait, j’apprécie
nos joutes verbales. Daisy a la langue bien pendue et un
sens de l’humour sarcastique.
Alors qu’elle occupe mes pensées, Noah et moi sortons
du vestiaire pour nous rendre au parking du stade où l’on
s’entraîne.
Noah me donne une claque sur l’épaule et se glisse au
volant de sa Jeep Wrangler.
— Si tu as besoin, appelle. D’accord ?
Je hoche la tête, même si je n’ai aucune intention de le
faire. Je ne veux pas que quelqu’un d’autre voie ma famille
dans ses pires moments. Ça ne ferait que décupler
l’humiliation.
Alors que ces pensées me tourbillonnent dans la tête, je
me glisse sur le siège en cuir de ma Mustang et j’enclenche
le moteur. Le ronronnement profond qu’il émet en revenant
à la vie est comme de la musique à mes oreilles, mais ce
n’est pas suffisant pour apaiser mon humeur qui
s’assombrit.
Je me sens toujours mal quand je rentre à la maison.
Quand j’étais enfant, je m’accrochais à l’idée que tout
s’arrangerait une fois que je me serais échappé de la
maison. Mais au final, ça ne s’était pas passé ainsi. Parfois,
je devais me rappeler que je n’étais plus ce gamin efflanqué
de onze ans.
Le trajet vers chez moi prend à peu près quarante-cinq
minutes. Chaque kilomètre que mes pneus avalent me tend
les nerfs encore davantage. Le temps que j’arrive à la
guérite et qu’un homme en uniforme me fasse entrer, un
poids désagréable pèse au fond de mon estomac.
Le lotissement sécurisé où habitent mes parents est
riche, avec de vastes pelouses bien entretenues. Leur
immense manoir en brique et en pierre est implanté sur
deux arpents de terrain. Il est plus grand que ceux qui
l’entourent parce que mon père est le développeur qui a
construit cette subdivision de monstruosités.
Avec un peu de chance, papa ne sera pas encore là. Il
doit travailler au moins soixante heures par semaine, alors il
est plausible qu’il se trouve encore sur un chantier. Si c’est
le cas, je peux entrer en douce avant qu’il se rende compte
de ma présence. Papa n’est peut-être pas à la maison, mais
il y a des caméras de sécurité partout sur la propriété, alors
il saura à quel moment exact je m’engagerai dans l’allée.
Je me gare devant la maison et gravis les escaliers au
trot. Je me glisse à l’intérieur sans prendre la peine de
sonner. La porte se referme et le silence résonne à travers
tout le rez-de-chaussée. Le silence de mort me rappelle
qu’en grandissant, je n’ai jamais connu beaucoup de rires
ou de joie dans cette maison.
Sur ce point-là, rien n’a changé.
Je trouve maman dans la cuisine. Elle prépare le dîner.
Dès qu’elle m’aperçoit, son visage s’illumine de plaisir.
— Carter ! Tu ne m’avais pas dit que tu allais passer.
Elle fait le tour de l’immense îlot de cuisine et passe ses
bras élancés autour de moi, m’étreignant comme si elle
n’allait jamais me lâcher. Je la serre fort contre moi. Nous
sommes comme deux survivants qui s’accrochent l’un à
l’autre pendant une tempête. Même si aucun d’entre nous
ne l’admet, nous savons tous les deux pourquoi je ne
préviens pas avant de passer.
— C’était une décision prise sur le vif, dis-je, comme
toujours. Je voulais voir comment tu allais.
Même si je déteste venir ici, je voulais vérifier de mes
propres yeux qu’elle va bien. C’est la raison pour laquelle
j’ai choisi une fac toute proche.
— Je vais bien, répond-elle avec un sourire rayonnant.
Parfois, je suis impressionné qu’elle y parvienne, qu’elle
réussisse à faire comme si tout allait bien, comme si sa vie
était parfaite. C’est époustouflant.
Alors qu’on s’écarte, je la parcours du regard. Maman a
l’air d’avoir perdu quelques kilos depuis la dernière fois que
je l’ai vue. Elle fait un peu plus d’un mètre cinquante et elle
a toujours été fine, mais à présent, elle est frêle. Délicate.
Ses cheveux sombres sont rassemblés sur sa nuque en une
queue-de-cheval basse. Son maquillage est parfait. Pieds
nus, elle porte une robe d’été à manches courtes. Elle a l’air
d’être prête à sortir, mais je sais qu’elle n’ira nulle part. Mon
père exige qu’elle se prépare et s’habille d’une certaine
façon. Même lorsqu’elle est à la maison.
Je serre les dents.
Mon père est obsédé par le contrôle. Il l’a toujours été.
Je me suis échappé. On peut dire ça. Même si j’ai
encouragé maman à partir, je doute qu’elle le fasse un jour.
Je ne sais pas comment elle fait pour supporter ses
conneries constantes. Quand je suis parti à dix-huit ans, je
me suis promis que je ne reviendrai jamais. Du moins à part
pour prendre des nouvelles de ma mère.
Ses yeux vert bouteille se posent sur moi alors qu’elle
continue de préparer les steaks sur le comptoir.
— Aimerais-tu te joindre à nous pour dîner ? demande-t-
elle avec une note d’espoir dans la voix même si elle sait
que c’est une mauvaise idée.
Je secoue la tête.
— Désolé, je ne peux pas. Je viens de finir l’entraînement
et j’ai un devoir à rendre à la fin de la semaine.
Ce n’est pas un mensonge. Je dois le rendre vendredi,
mais j’ai quasiment fini. J’ai juste besoin d’ajouter la
bibliographie.
Elle a une lueur de déception dans les yeux.
Ayant envie de me rattraper, je dis :
— Et si on déjeunait ensemble la semaine prochaine ? Tu
peux passer à BU et on trouvera un restaurant près du
campus.
Son visage s’éclaire puis se renfrogne lentement quand
elle songe immédiatement à ce que dira papa. Elle se
demandait s’il lui permettrait de me retrouver pour le
déjeuner.
Je serre les mains alors que l’envie de frapper quelque
chose me traverse.
Ses épaules s’affaissent et elle baisse les yeux vers les
steaks qu’elle assaisonne avec du sel et du poivre.
— Je vais vérifier mon calendrier et je te recontacterai.
Traduction : je devrai demander à ton père la permission
de quitter les lieux.
Je m’apprête à lui lancer qu’elle est adulte et qu’elle n’a
pas besoin de son consentement, mais je ne dis rien. Je
parviens à me contenir. C’est la dernière personne contre
laquelle j’ai envie d’exploser.
C’est une situation frustrante. J’aime ma mère plus que
tout, mais ce comportement et la façon dont papa l’a
conditionnée… C’est difficile à voir.
Et c’est encore plus difficile à avaler.
Une fois que j’ai repris un contrôle d’acier sur mes
émotions, je hausse les épaules comme si ce n’était pas
important.
— Tiens-moi au courant de ta décision.
— Comptes-y, dit-elle avec un petit sourire.
Dès que ces paroles quittent sa bouche, la porte du
garage s’ouvre. Elle est en état d’alerte absolue et cesse de
respirer.
— Ça va, Maman, dis-je d’un ton apaisant à travers mes
dents serrées.
Elle hoche la tête, mais ses yeux parcourent l’immense
cuisine avec ses étendues sans fin de comptoirs en marbre
blanc et ses équipements en acier inoxydable, s’assurant
que tout soit en place. Même si elle est en train de préparer
le dîner, tout est parfait et propre. Essuyé et poli. Dès
qu’elle utilise une épice, elle la repose dans le placard. Dès
qu’elle a fini avec un plat ou une poêle, elle les nettoie et
les repose sur l’étagère.
Comment peut-on vivre comme ça ?
Ça me donne envie de tout casser juste pour mettre mon
père en rogne.
La porte d’arrière claque et ma mère sursaute quand le
son résonne à travers le rez-de-chaussée. Ses mains sont
secouées par un léger tremblement alors qu’elle les passe
sur le tissu soyeux de sa robe, s’assurant qu’elle soit bien
en place.
Des pas lourds s’abattent avec un claquement sourd qui
résonne sur les carreaux de marbre du couloir.
Je carre les épaules et me redresse de toute ma taille.
C’est ridicule d’être contraint de me rappeler que je ne suis
plus le même gamin que mon père avait l’habitude de
mener à la baguette et d’intimider.
Parce que c’est exactement ce qu’il est. Ce qu’il a
toujours été. Une sale brute qui a besoin d’être remise à sa
place. Sauf que je ne peux pas le faire parce qu’il s’en
prendra à ma mère dès que je serai parti. Alors, je suis forcé
de me mordre constamment la langue et de réprimer toutes
mes émotions vers un endroit où elles sont libres de couver.
Papa émerge du couloir. Dès que nos regards se
rencontrent, il pile net. Il fait semblant d’être surpris de me
trouver ici, mais je sais que ce n’est pas le cas. Il ne me dit
pas un seul mot en guise de salut.
Moi non plus.
Ça fait longtemps que notre relation a dépassé le stade
des politesses. On ne fait semblant d’être la famille parfaite
que lorsqu’on fait une apparition en public. Mais ici, dans
l’intimité de notre propre maison, il ne fait pas semblant. Et
je joue ce jeu pendant bien trop longtemps pour ne pas
comprendre les règles. Il se sert du silence comme d’un
marteau. C’est une question d’intimidation.
M’ignorant, mon père entre dans la cuisine et se rend
directement à l’endroit où ma mère se tient devant l’îlot.
Elle n’a pas bougé d’un iota. Son malaise palpable
émane d’elle en épaisses vagues lourdes et suffocantes. Elle
est comme un oiseau en cage qui s’est lassé de battre ses
ailes rognées contre sa cage dorée.
Papa l’entoure et envahit son espace personnel. Il
inspecte les steaks en faisant tout un cinéma.
— Tu les as achetés chez le boucher ?
— Bien entendu, dit-elle doucement. Ce sont des
côtelettes, tes préférées.
Il émet un son guttural évasif comme si elles étaient
quelque peu insuffisantes, et j’ai envie de coller mon poing
dans le nez de ce connard. On sait tous les trois que c’est sa
pièce de viande préférée, mais il aime jouer avec elle. Il
savoure la peur qui émane d’elle alors qu’elle attend son
approbation en silence comme un corniaud à ses pieds, à
peine toléré.
Une vague de colère me traverse et je serre les poings.
Je ne comprends pas pourquoi maman reste et tolère ces
conneries. J’aimerais qu’elle fasse ses valises et s’en aille.
Mais elle refuse. Elle me fournit toutes sortes d’excuses
pour lesquelles elle ne peut pas partir.
Une fois que j’aurai rejoint la Ligue Nationale et que je
commencerai à gagner un salaire, je me casserai. Il n’y aura
pas d’excuses à fournir. Elle ne peut pas aimer ce connard !
Cette possibilité me fait frissonner. Je préférerais ne jamais
le revoir.
Papa plaque le corps de ma mère contre le comptoir et
me regarde dans les yeux. Il serre les dents en me
regardant.
— Sympa de ta part de passer à l’improviste.
Je hausse les épaules, puisque je ne peux rien dire ou
faire qui n’enflammera pas sa colère. Je recommence à
respirer quand il s’écarte d’elle.
Mon père retire sa veste d’un coup d’épaule et la pose
avec précaution sur le haut dossier d’une chaise.
— J’ai besoin que tu ailles porter ce costume au pressing.
J’en ai besoin pour lundi.
Maman hoche la tête.
— Alice ! lance-t-il. Tu m’as entendu ?
Les yeux grands ouverts, elle lève brusquement la tête.
— Pardon. C’est la première chose que je ferai demain
matin.
Il pince fort les lèvres. Il n’en faut pas beaucoup pour le
mettre en colère. C’est comme un baril de poudre qui attend
d’avoir l’occasion d’exploser. Très tôt, j’ai appris à jauger
son humeur et à adapter mon comportement. J’ai passé
mon enfance tout entière à marcher sur des coquilles
d’œufs en sa présence.
— Tu veux que j’aille le déposer en partant, Maman ? lui
proposé-je. Je passe devant le pressing.
C’est un peu plus loin, mais elle n’a pas besoin de le
savoir.
Avant qu’elle ait le temps de réagir, papa crache :
— Elle s’en occupera demain matin.
Il coule le regard vers la grosse Rolex en argent qui
entoure son poignet.
— Peut-être après dîner, si elle finit de le préparer.
Je serre les dents et je compte jusqu’à dix en silence.
J’invoque tout ce que j’ai pour ne pas libérer ma fureur
devant son traitement abusif. Si je ne sors pas d’ici, je vais
perdre le contrôle. Et je ne veux pas faire ça. Je suis passé
pour voir maman et c’est exactement ce que j’ai fait.
— Bon, dis-je d’une voix pincée. J’y vais.
Sans réfléchir, j’ajoute :
— Dis-moi si c’est bon pour la semaine prochaine.
Dès que la dernière phrase s’échappe de ma bouche, j’ai
envie de la ravaler. Mon manque de prudence me fait
grimacer. Ça ne sert à rien d’espérer qu’il n’ait pas entendu.
Son corps s’immobilise alors que ses yeux brun foncé se
durcissent et passent de l’un à l’autre avec intérêt.
— Que se passe-t-il la semaine prochaine ?
Comme personne ne répond, il rugit :
— Alice ?
Maman a un mouvement de recul.
— Oh… Euh… Carter a suggéré qu’on se retrouve pour
déjeuner.
— Non.
Ce mot tombe de ses lèvres comme deux tonnes de
briques.
Je plisse les paupières.
— Pourquoi ?
Argumenter est inutile, mais je ne peux pas m’en
empêcher. Son besoin de contrôler les moindres
mouvements de ma mère m’irrite.
— Pourquoi ne pourrait-on pas se retrouver pour déjeuner
ensemble ?
Pour la première fois depuis qu’il est entré dans la
cuisine, mon père affiche un léger sourire.
Il aime me refuser une chose dont j’ai envie. Il n’a plus
autant d’opportunités de me pourrir la vie à présent que j’ai
une bourse d’études à cent pour cent pour jouer au foot à
l’université. Il ne me peut pas me manipuler par l’argent
comme autrefois ou me faire traverser une série infinie
d’obstacles juste pour me dire non au dernier moment.
Il croise ses bras aux muscles épais devant sa poitrine et
son sourire s’élargit.
Putain, je le déteste ! C’est un connard fini.
— Parce que c’est que j’ai dit, répond-il en articulant
chaque parole. Voilà pourquoi.
La fureur pénètre la moindre fibre de mon être.
— Elle est adulte, lui rappelé-je d’une voix ferme. Si elle
veut me retrouver pour le déjeuner, elle a le droit.
Il arque un sourcil.
— Ah oui ?
— Oui.
Je serre et desserre les poings contre mes flancs.
Il me transperce du regard en disant :
— Alice, en aucune circonstance tu n’iras déjeuner avec
Carter la semaine prochaine. Tu vas me désobéir ?
Les épaules affaissées, ma mère regarde les steaks et
n’ose pas lever les yeux.
— Non.
Ce simple mot exprime à quel point elle est brisée et à
bout.
Un sourire triomphant illumine le visage suffisant de
papa.
— Va-t-il y avoir d’autres discussions sur le sujet, Alice ?
— Non.
Putain !
Il faut que je me casse tout de suite, sans quoi, je vais
perdre mon calme, et je m’étais promis que ça n’arriverait
pas. Jamais. Je ne veux pas le laisser me provoquer et
devenir quelqu’un que je ne suis pas.
Quelqu’un comme lui.
— Tu es un vrai connard, marmonné-je à mi-voix en
quittant la cuisine.
Je ne lui ai pas tourné le dos depuis plus de dix secondes
qu’il gronde :
— Qu’est-ce que tu as dit, putain ?
Je mets une seconde à me rendre compte que sa voix est
bien plus proche qu’avant. Je tourne les talons juste à temps
pour qu’il me repousse le torse des deux mains. Cette
attaque était inattendue et je fais quelques pas en arrière
avant de me reprendre. Des années de conditionnement
prennent le dessus quand je lui fais face.
Une laideur danse dans ses yeux. Il se délecte de la
situation. Il aime me provoquer pour me faire réagir alors
que j’essaye très fort de lui refuser cette satisfaction. Pour
lui, ça ne fait que rendre ces moments plus agréables.
J’inspire et je réprime ma colère parce qu’il s’en nourrit
comme un monstre qui se tapit dans le noir. Il faut que je
me tire avant que la situation ne s’envenime.
Parce qu’elle va le faire.
C’est ainsi que Philip Prescott fonctionne.
Il me repousse à nouveau rudement.
— Tu crois que tu es devenu un grand costaud
maintenant ? Dis-moi ça en face, espèce de petite merde !
Il me pousse à nouveau et parvient à me faire reculer
d’un pas.
— Prononce ces putains de mots !
Reste calme.
Ne lui donne pas ce qu’il veut.
— J’ai dit que tu étais un connard, dis-je en serrant les
dents.
La fureur mélangée à de la haine passe sur mon visage
quand il me donne un coup. Je me baisse et bloque son
uppercut. Il grogne et frappe avec l’autre poing. Cette fois,
je ne suis pas assez rapide et il m’atteint à l’œil. La douleur
explose derrière ma paupière.
Maman pousse un cri alors que je le repousse.
Même si je fais la même taille que mon père, je suis plus
musclé et plus fort. Je fais de la muscu tous les jours. Pas
seulement pour le foot, mais parce que je refuse de me
laisser intimider.
Malgré mon envie de me défendre, de le frapper aussi, je
ne le fais pas. Il s’en prendrait à ma mère dès que j’aurais
quitté la maison. Tout satisfaisant que ce serait de riposter,
je refuse de lui faire subir ça.
— Casse-toi de ma baraque ! hurle papa.
— Volontiers.
J’adresse un regard à maman et me dirige vers la sortie.
Ma respiration est saccadée. Mon cœur bat
douloureusement dans ma poitrine et résonne dans mes
oreilles.
Alors que je tourne la poignée de la porte, papa me crie :
— Et ne reviens pas. Tu n’es plus le bienvenu dans cette
maison.
Je referme la porte derrière moi sans réagir.
Je suis certain qu’il essaye de me foutre en rogne pour
que je revienne et qu’on ait une seconde confrontation,
mais je refuse de le faire. Je ne suis plus une marionnette
qu’il peut contrôler.
Une fois que je me glisse derrière le volant de ma
voiture, j’allume le moteur et le laisse tourner. Je suis tenté
de quitter l’allée à toute vitesse, mais je ne cède pas à la
tentation. Mon agression contenue se déchaîne dans mes
veines alors que je donne un coup de poing dans le volant.
Une fois.
Deux fois.
Trois fois.
La douleur se répand dans mes paumes et mes doigts.
La douleur physique est suffisante pour amenuiser mon
angoisse mentale. Alors seulement suis-je capable de me
reprendre et de m’éloigner.
Mais au lieu de me diriger vers l’appartement, je passe
par le centre athlétique.
J’ai besoin de soulever des poids.
J’ai besoin de canaliser mon énergie ailleurs que dans
l’altercation qui vient de se produire.
CHAPITRE 12

DAISY

M a relation actuelle avec Carter peut se résumer en un


mot.
Empruntée.
On est passés de l’envoi constant de piques et de
méchancetés à cette formalité bizarre. C’est comme si on
était des inconnus. Des inconnus qui malheureusement,
vivent ensemble et sont forcés d’interagir à l’occasion.
Je redoute le moment où Noah s’en va et nous laisse tous
les deux seuls dans l’appartement. Au bout de quelques
minutes, je trouve une excuse pour aller me cacher dans ma
chambre. J’y passe bien trop de temps… ce qui a mené à la
réalisation que j’ai besoin de plus d’œuvres d’art sur les
murs. Cet endroit est ennuyeux. J’ai créé un nouveau
tableau Pinterest avec des idées.
Je vais peut-être aller dormir chez Olivia pendant
quelques jours parce que j’ai besoin de faire un break pour
m’épargner cette cordialité forcée. Peut-être qu’alors tout
pourra redevenir normal. Enfin, pas vraiment normal. Je ne
pense pas qu’on puisse reprendre notre vie d’avant, mais on
a besoin de quelque chose de mieux que ces interactions
douloureuses.
Je glisse la clé dans la serrure et ouvre la porte. J’incline
la tête sur le côté pour capter le moindre bruit. Un bruit qui
m’alerterait que je ne suis plus seule. Mais il n’y a rien. Mes
muscles mettent une seconde ou deux à se détendre. Les
lumières sont éteintes, ce qui est un autre signe indicateur
que personne n’est là. Je n’ai jamais été aussi
reconnaissante de rentrer dans un appartement vide de
toute ma vie. Et c’est peu dire.
Avec un soupir de soulagement, je laisse tomber mon sac
sur la table et réfléchis à ce que je vais fourrer dans le
micro-ondes pour le dîner. Le lundi est ma plus grosse
journée. J’ai eu trois cours, puis je suis allée à la
bibliothèque pour bosser sur un devoir que je dois rendre la
semaine prochaine. Au lieu d’aller m’acheter à déjeuner, j’ai
sauté le repas pour engloutir la barre de céréales que j’avais
jetée dans mon sac ce matin avant de partir.
La faim fait gronder mon ventre quand je m’imagine de
la nourriture.
Alors que j’allume la lumière de la cuisine, un
mouvement à l’autre coin du salon attire mon attention et je
me fige. Les poils de ma nuque se redressent. Mon cœur
vient se loger quelque part au milieu de ma gorge alors que
je tourne davantage la tête dans cette direction. Alors
seulement, je réalise que je ne suis pas seule.
Une silhouette sombre est assise sur le fauteuil inclinable
près de la fenêtre.
Mes réflexes s’emballent et je m’apprête à courir jusqu’à
la porte de l’appartement quand j’entends :
— Hé !
Je le reconnais immédiatement.
Carter.
Je reconnaîtrais cette voix profonde n’importe où.
J’abats une main sur ma poitrine afin de calmer mon
cœur battant alors que mon corps soulagé se ratatine.
Pendant une minute, j’ai cru que quelqu’un avait pénétré de
force dans l’appart. La seule manœuvre d’autodéfense que
je connais est celle où tu hurles à pleins poumons tout en
battant sauvagement des poings. Ce n’est pas exactement
une technique imparable ni même recommandée.
La semaine dernière, Olivia a mentionné qu’elle s’est
inscrite à un cours d’autodéfense proposé par l’université,
ce que j’avais immédiatement jugé comme une perte de
temps. Vu ce qu’il vient de se passer, je vais fortement
songer à la rejoindre.
— Merde ! Tu as failli me filer une crise cardiaque,
l’accusé-je.
C’est tout à fait le genre de Carter d’essayer de me faire
mourir de peur. Bon, ce n’est pas entièrement vrai. Avant
l’épisode du laxatif, je ne l’en aurais pas cru capable.
Mais maintenant ?
Je ne sais plus où nous en sommes.
— Désolé, dit-il en se tournant sur sa chaise. Je ne savais
pas que quelqu’un serait déjà rentré.
Irritée de lui avoir permis de me faire sursauter, je
grommelle :
— Tu aurais pu dire quelque chose quand je suis entrée,
comme un être humain normal.
On dirait un monstre qui se tapit dans l’ombre. Je suis à
peine capable de discerner ses traits.
Puisqu’il n’a pas bougé du fauteuil, je gravite vers le
salon et allume l’interrupteur.
— Qu’est-ce que tu fais dans le noir, d’ailleurs ?
Il dissimule ses yeux derrière sa main.
— Carter ? lui lancé-je. Qu’est-ce que tu fais dans le
noir ?
Sa main s’écarte lentement de son visage et je hoquette
en voyant le bleu autour de son œil gauche.
— Qu’est-ce qui t’est arrivé ?
Je m’approche de lui afin d’inspecter les dégâts.
Toujours aussi succinct, il énonce l’évidence.
— Je me suis pris un coup de poing.
— Oui, murmuré-je avec irritation. Je vois ça.
Sans réfléchir, je m’approche, place mes mains des deux
côtés de son visage et lui incline la tête en arrière afin de
mieux observer les dégâts.
— Tu vas avoir un sacré œil au beurre noir demain matin,
murmuré-je.
— Ouais.
Je le regarde droit dans les yeux.
— Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
Les muscles contractés, il hausse les épaules.
— Je me suis battu.
Je secoue la tête, exaspérée de voir que tout est si
difficile avec lui alors que je veux simplement une réponse
directe.
— À qui t’es-tu frotté cette fois ?
Probablement au copain jaloux d’une fille. Cette pensée
m’alourdit le ventre comme une pierre pesante.
— Personne de ta connaissance.
Je fronce les sourcils.
— Tu te bats tout le temps, le grondé-je. Il y a peut-être
un peu de vrai quand les gens disent que le football
provoque la violence.
Il soutient mon regard et un frisson me descend le long
de l’échine. C’est déroutant d’avoir ses yeux braqués sur les
miens. Je ne sais pas ce qui lui est passé par la tête. Tout
d’un coup, je prends conscience de l’intimité avec laquelle
j’ai recueilli ses joues mangées par la barbe entre les
paumes de mes mains. L’odeur de son après-rasage me
chatouille les narines.
J’ai toujours pensé que ses yeux étaient bleu-gris, mais
ce n’est pas du tout le cas. Des taches argentées dansent
dans ses iris d’acier. Normalement, je fais mon maximum
pour me tenir éloignée de Carter. Sinon, des petites
étincelles d’attirance naissent entre nous.
Comme présentement.
Carter s’éclaircit la gorge, rompant l’étrange charme qui
était tombé sur moi. J’écarte mes mains de son visage
comme si j’avais été brulée puis je m’éloigne rapidement.
Mais ce n’est pas suffisant. Je sens toujours la chaleur de
son corps.
Ayant besoin de plus d’espace, je me creuse les
méninges pour trouver une excuse et je m’exclame :
— Je vais chercher des glaçons et de l’ibuprofène pour
les gonflements.
Je me retire vers la sécurité de la cuisine.
J’ai besoin d’un moment pour rassembler mes pensées et
calmer les nerfs qui font picoter la surface de ma peau.
L’attirance que je ressens pour Carter défie toute logique et
j’aimerais qu’elle disparaisse.
Soulagée d’avoir quelque chose pour m’occuper les
mains, je remplis un sac à sandwich de glaçons et
l’enveloppe dans un torchon fin. Puis je sors une bouteille
d’eau du réfrigérateur et passe par la salle de bains pour
récupérer quelques antidouleurs qui devraient apaiser
l’inflammation.
Ne voulant pas que nos doigts se croisent, je lui tends
délicatement l’ibuprofène et l’eau. Il avale les cachets en
une seule goulée avide. Je lui donne le sac de glaçons qu’il
presse prudemment sur son œil gauche. Un sifflement
s’échappe de ses lèvres alors qu’il se rassied et son œil
valide se referme.
Puisqu’il ferme les deux yeux, je suis libre de le regarder
autant que je veux. Mon regard passe sur son corps musclé
étendu sur le fauteuil inclinable. Les émotions confuses que
j’ai ressenties il y a cinq minutes envahissent mon ventre, le
faisant trembler de quelque chose qui ressemble
étrangement à du désir. Une partie de moi veut tendre la
main et passer à nouveau mes doigts sur son visage. Je
serre les poings. J’ai besoin de sortir de là avant de faire
quelque chose de stupide et de me prendre la honte.
Brisant le silence, je laisse échapper :
— Tu as besoin d’autre chose ?
— Non, marmonne-t-il. Merci pour les glaçons et les
cachets.
— Ce n’est rien.
Encore une fois, je me demande comment il s’est
retrouvé avec un œil au beurre noir. Ce n’est pas la
première fois que je l’ai vu avec une ecchymose sur le
visage. Je fronce les sourcils en me rendant compte qu’en
fait, je n’ai jamais vu Carter perdre son calme.
Parce que ça doit arriver, non ?
Quelle autre explication existe-t-il ?
— Tu ne m’as toujours pas dit comment c’est arrivé.
J’oscille d’un pied sur l’autre en me mordant la lèvre. Je
regrette d’avoir ouvert la bouche.
Il ne prend pas la peine de soutenir mon regard.
— Non.
La finalité de ces paroles me prend à rebrousse-poil.
Alors que l’irritation envahit mon système, le désir se
dissipe. La distance qui existe entre nous n’est pas
seulement physique, mais aussi émotionnelle. Et il faut que
ça reste exactement comme ça.
Je croise les bras et le fusille du regard.
— Alors tu ne vas pas me le dire ?
Je m’interromps pendant quelques secondes.
— Qu’est-ce que tu as fait ? Tu as frappé la copine de
quelqu’un ?
Il lève la tête, ouvre son œil valide et se concentre
intensément sur moi.
— Touché. C’est exactement ce qu’il s’est passé.
Il y a une lueur terne dans ses yeux gris.
Une lueur qui fait dévaler des frissons le long de mon
dos.
Ayant besoin de le tenir à distance, je soupire et retourne
vers ma chambre à coucher.
CHAPITRE 13

DAISY

P our tante Marnie, c’est une tradition depuis le premier


semestre de la première année d’organiser des dîners
de famille deux fois par mois. Parfois, on arrive à se voir
plus souvent. D’autres fois, on a de la chance si on arrive à
se retrouver une fois par mois. La saison du football est
toujours un défi parce que l’emploi du temps de Noah est
occupé par les entraînements, les visionnages de matchs,
les sessions d’études et les matchs. Mais on ne laisse jamais
s’écouler plus d’un mois sans trouver le temps.
Ça me plaît.
J’aime faire partie de leur famille unie.
Et puisque Carter a été le coloc de Noah depuis tout ce
temps, il a été invité depuis le début. Ma tante et mon oncle
ont immédiatement apprécié Carter. Ils l’ont pleinement
intégré et l’ont traité comme un membre de la famille.
Au début, ça me faisait grincer des dents. À présent, je
ne sais pas ce que je ressens. Notre relation a changé au
cours des deux dernières semaines. On ne se déchire plus.
Alors que Noah, Carter et moi entrons dans sa maison,
mon téléphone se met à vibrer. Je le retire de ma poche et
vois que c’est un texto de ma tante. Au lieu d’ouvrir le
message, je rempoche le téléphone. À présent que je suis
là, je peux lui parler en personne.
Sa voix riante et babillarde ne pénètre pas la brume de
mon esprit avant que je ne sois entrée dans la cuisine et
qu’il ne soit trop tard. Mon regard se pose sur elle et je pile
net, essayant de reconnaître qui est cette femme assise
dans la maison de Tante Marnie.
Qu’est-ce que…
— Mon bébé ! s’écrie ma mère comme si j’étais sourde et
qu’on ne s’était pas vues depuis des années.
Elle bondit hors de sa chaise, se précipitant en avant et
m’engloutissant dans ses bras. Je manque de suffoquer
dans l’épais nuage de Chanel qui l’entoure. La subtilité n’a
jamais été le point fort de ma mère.
Toujours en état de choc, je jette un regard éberlué à ma
tante au-dessus de l’épaule de ma mère. J’espère
désespérément qu’elle va me dire que c’est un mauvais
rêve. Son expression compatissante me révèle que ce n’est
pas le cas. Je réalise alors que le texto qu’elle vient de
m’envoyer était un avertissement pour que je me prépare.
Gardant les mains sur mes épaules, ma mère se penche
en arrière pour m’observer des pieds à la tête. Un sourire
ravi s’empare de son visage botoxé.
— Tu es surprise ?
Surprise ?
Surprise, ce n’est rien de le dire.
— Choquée.
Comme si on venait de me donner un coup de poing à
l’improviste. J’aime ma mère, vraiment, mais elle est dure à
gérer. Dire qu’elle est ingérable est un euphémisme. J’ai
besoin de me préparer mentalement à chaque fois que je
me retrouve en sa présence pendant un certain temps.
Sinon, nos visites finissent toujours par partir en vrille et ce
n’est pas marrant, pour l’une comme pour l’autre.
Elle joint les mains comme un enfant le matin de Noël.
— Oh, super ! Tu sais à quel point j’apprécie les bonnes
surprises.
— Mission accomplie, dis-je d’un ton amer en essayant
toujours d’intégrer sa présence dans la cuisine de Tante
Marnie.
Elle devrait être en Europe. Pas ici. C’est comme de
croiser un animal exotique dans les rues d’une ville.
Inattendu et pas franchement bienvenu.
Insensible à mon tourment intérieur, elle passe un bras
dans le mien et m’entraîne vers la table pour m’asseoir. Elle
prend immédiatement mon visage dans ses mains tout en
m’observant longuement. Son expression devient sérieuse.
— Oh, mon pauvre bébé, entonne-t-elle d’une voix
dramatique.
Je suis tentée de lever les yeux au ciel, mais je me
retiens. Je sais ce qui va arriver. Maman a tendance à suivre
le script. C’est donc plus facile de jouer nos rôles.
Elle tourne le visage d’un côté et de l’autre, étudiant mon
teint d’un œil critique.
— Tu as l’air fatiguée, Daisy. Tu te reposes assez ?
Je ne suis en sa présence que depuis quelques minutes
et elle commence déjà à me taper sur le système.
Je plisse les sourcils.
— Oui, Maman, grommelé-je, embarrassée qu’elle
braque son attention sur moi devant tout le monde. Je vais
bien.
— Ça fait combien de temps que je ne t’ai pas vue ?
Elle me lance la question sans me donner le temps de
répondre.
— Un mois et demi ?
— Ouais. J’ai pris un avion pour les États-Unis il y a un
peu plus de six semaines.
— Ton visage est enflé.
Elle plisse les paupières.
— Parle-moi de ta consommation de sel.
— Maman, grogné-je.
Dans la langue des mères, enflée signifie que j’ai pris du
poids. C’est dommage qu’Ashley ne soit pas là. Elles se
seraient entendues comme larrons en foire.
— Dieu merci, je suis arrivée juste à temps pour une
intervention. On a besoin d’une journée au spa de toute
urgence. Un enveloppement aux algues serait parfaitement
adapté à notre situation.
Elle braque le regard vers sa sœur.
— Tu es infirmière, Marnie. N’es-tu pas d’accord avec ce
diagnostic clinique ?
Ma tante secoue la tête.
— Je ne pense pas vraiment que…
Maman la faire taire d’un geste.
— Bien sûr que si. On doit prendre soin de son corps. Un
bon traitement détox aux algues te rafraîchira et
t’hydratera. Il ne se passe pas une semaine sans que j’en
fasse un.
Elle se rapproche et m’adresse un murmure conspirateur.
— Parfois, quand le stress m’affecte vraiment, je prends
le temps de faire un deuxième enveloppement.
Je l’observe en silence pendant un moment avant de
secouer la tête.
— Maman, je suis cinq modules ce semestre, je n’ai pas
le temps pour ça.
Et même si je l’avais, ce n’est pas ce que je choisirais de
faire pendant mon temps libre. La perspective d’être
couverte d’algues me dégoûte. En plus, je n’aime pas
l’odeur. Elle me donne envie de vomir.
— S’il te plaît, renifle-t-elle comme si j’avais dit quelque
chose de ridicule. On a toujours le temps de se pomponner.
C’est important de prendre soin de toi, Daisy. Si je t’ai
enseigné quelque chose, c’est bien ça.
Elle a raison. C’est sa règle d’or.
Maman adresse à sa sœur un regard observateur.
— Tu devrais nous rejoindre, Marnie. Tu as l’air un peu
hagarde autour des yeux. Je suis certaine que c’est à cause
de tes horaires super chargés à l’hôpital. Être avec tous
ces…
Elle s’interrompt.
— … patients malades ne te fait aucun bien.
Tante Marnie pince les lèvres et secoue la tête. Comme
moi, elle est habituée à ce comportement.
Je vois le moment exact où maman repère la présence de
Carter. Son corps se redresse et ses traits se raidissent. Elle
a l’air d’un chien de chasse qui vient de flairer une proie.
Franchement, je suis surprise que ça ait pris si longtemps.
Même si Noah et Carter sont amis depuis des années, il a
eu la chance de n’avoir jamais croisé la route de Lydia
Bellamy. Manifestement, c’est sur le point de changer. Je
suis particulièrement consciente que maman s’apprête à me
faire mourir d’embarras, mais je suis soulagée que son
attention soit accaparée par autre chose afin de me donner
le temps de récupérer mentalement.
Et quand on pense que j’avais hâte de venir ici ce soir et
de passer du temps avec Tante Marnie et Tonton Craig ! De
toute évidence, ce projet vient de voler en éclats. Cette
soirée ne va vraiment pas être agréable.
— Oh, bonjour, Monsieur Bel Homme Grand et
Ténébreux, ronronne ma mère.
Je grimace et me renfonce sur mon siège.
— Je ne pense pas avoir eu le plaisir de faire votre
connaissance.
D’un geste délicat, elle tend une main pour que Carter la
serre.
Ou l’embrasse.
Ou peu importe.
Je m’attends presque à ce qu’elle murmure enchantée
d’une voix rauque.
Carter s’avance et Noah se hâte de faire les
présentations. Lydia parcourt du regard son corps musclé
avec un intérêt embarrassant. Je suis tentée de faire
remarquer que Carter a l’âge d’être son neveu. Sans parler
de mon âge, mais je doute que ça fasse une différence.
Au lieu de cela, je demande :
— Frederique est avec toi ?
Au nom de son mari, Maman détourne à contrecœur le
regard du corps masculin alléchant qui se dresse devant
elle.
— Oh, non. Je suis ici seule. Freddy est bien trop occupé
par un voyage de dernière minute. Je le retrouve à Dubaï la
semaine prochaine.
— Ça signifie que tu vas rester dans les parages jusque-
là ? demande Tante Marnie d’une voix dénuée
d’enthousiasme.
— Oui !
Encore une fois, maman tape dans ses mains avec
enthousiasme.
— Ce ne sera pas amusant ?
— Ça l’aurait été, dit sa sœur prudemment.
Malheureusement, je dois travailler et Daisy est occupée par
ses cours, ajoute ma tante en me regardant avant d’ajouter
plus gentiment : si tu m’avais prévenue à l’avance, j’aurais
pu poser des vacances.
Les sourcils parfaitement épilés de ma mère se plissent
d’un air confus.
— Mais ça aurait gâché la surprise.
On se regarde en silence.
Tante Marnie hausse les épaules comme pour dire bon,
j’aurai essayé. Je comprends parfaitement. Le monde de
Lydia tourne autour de… eh bien… Lydia. Le reste du monde
est une planète éloignée de son système solaire. C’est
comme ça d’aussi loin que remontent mes souvenirs. Au fil
des années, j’ai appris à accepter ma mère pour ce qu’elle
est. Sans quoi, nos interactions ne feraient que provoquer
ma colère et ma frustration.
Nous ne poursuivons pas la conversation parce que
Tonton Craig entre par la porte de derrière, sa mallette à la
main. En le voyant piler net quand il aperçoit ma mère, je
me mordille la lèvre inférieure afin de dissimuler mon
amusement.
Maman lui adresse son sourire le plus charmeur.
— Surprise !
Il l’observe pendant un long moment avant de se
retourner vers sa femme. Mon oncle sait très bien donner le
change, mais je sais que les visites de ma mère ne lui
plaisent pas. Certes, elle est parfois une « plaie
perturbatrice » – dixit Tonton Craig à sa dernière visite. Les
épaules de Tante Marnie tressautent d’une hilarité non
dissimulée alors qu’elle se retourne vers la cuisinière pour
jeter un œil au dîner.
Soixante minutes plus tard, je planifie ma fuite. Maman a
tendance à me rendre claustrophobe. Alors que tout le
monde est en pleine discussion après le dîner, je m’éclipse
par la porte de derrière. Le soleil vient de disparaître à
l’horizon alors que je m’installe sur une chaise longue près
de la piscine et étire mes jambes devant moi. Je ferme les
yeux et prends une inspiration sifflante avant d’expirer. Je
fais un effort conscient pour dénouer la tension dans mes
muscles contractés.
Dieu merci, maman a réservé une suite dans un hôtel du
coin et ne dort pas à la maison. Je crois que si c’était le cas,
Tonton Craig ferait probablement ses valises et quitterait les
lieux. La dernière fois où Lydia est restée chez eux, elle a
mené Tonton Craig à la baguette. Au bout du quatrième
jour, il était à deux doigts de lui tordre le cou.
Juste alors que je commence à me détendre sur le
coussin moelleux, j’entends le son des portes-fenêtres qui
s’ouvrent et se referment. Je garde les paupières fermées,
voulant bloquer la réalité pendant un moment de plus. Je
soupçonne Tante Marnie d’avoir remarqué mon absence et
d’être venue voir si ça va… et probablement fumer une
clope en douce. Elle a arrêté il y a des années, mais Lydia a
tendance à la rendre folle. Elle garde une réserve secrète
cachée dans le garage pour les urgences. Une visite de
Lydia compte absolument comme une urgence.
Quand Tante Marnie se laisse tomber sur la chaise longue
près de la mienne, je tourne la tête et ouvre les paupières.
Je découvre alors que ce n’est pas du tout ma tante.
C’est Carter.
La surprise de le voir à quelques pieds de l’endroit où je
suis étendue me cloue le bec. On n’est pas du genre à
chercher du réconfort l’un auprès de l’autre. Jamais. Son
geste est sans précédent.
Il est assis face à moi. Ses genoux sont écartés et il pose
les mains dessus d’un geste décontracté. Ne sachant pas
quoi dire, je garde le silence et attends qu’il entame la
conversation. Après tout ce qu’il s’est passé entre nous au
cours des dernières semaines, je ne sais plus comment me
comporter en sa présence.
Apparemment, je ne suis pas la seule à me sentir mal à
l’aise, parce que Carter s’éclaircit la gorge et change de
position.
— Ta mère se demande où tu as disparu.
Je pousse un lent soupir en songeant à retourner me
cacher à l’intérieur. Je croyais qu’elle mettrait plus de temps
à remarquer mon absence. J’aime être avec ma tante et
mon oncle. Je n’ai jamais songé à fuir leur présence. Que je
ressente une telle chose pour ma propre mère me rend
coupable. Je devrais être ravie qu’elle ait pris le temps de
venir me rendre visite. Au lieu de ça, je lui en veux de me
faire perdre mon temps, ce qui ne fait que décupler ma
culpabilité. Je ne suis pas encore prête à rentrer, mais je ne
semble pas avoir le choix.
Alors que je me rassieds, il dit :
— Ne t’inquiète pas, je lui ai dit que tu étais aux toilettes.
Une salmonellose à cause d’un plat de brownies avariés. Ça
devrait te permettre de gagner du temps.
J’en reste bouche bée.
Carter plaisante-t-il vraiment à propos de l’incident des
brownies qui ne devra plus jamais être mentionné en
présence de Noah ? Parce que sur le moment, il n’a
vraiment pas trouvé la chose amusante.
Je grimace en songeant aux conséquences des brownies
aux laxatifs.
Ce pauvre Noah…
Ce dessert au chocolat a fait des ravages sur lui. Qui
aurait cru qu’il possède un système si sensible ? Après coup,
il n’a pas été bien pendant des journées entières. Dieu
merci, il m’a pardonné. Il a fallu que je m’excuse cinquante
fois et lui adresse des regards de petit chiot triste pour qu’il
m’adresse à nouveau la parole.
Je souris malgré moi et Carter m’imite. Le regard
pénétrant qu’il m’adresse fait palpiter mon ventre. Je ne sais
même pas si on a déjà échangé un sourire. Généralement,
je suis trop occupée à lui bouffer le nez ou à le fusiller du
regard.
Partager ce moment avec lui est surréaliste.
On devient tous les deux silencieux. Étrangement, ce
n’est ni étouffant ni malaisant. Carter baisse les yeux vers
ses mains avant de me transpercer du regard. Malgré moi,
un courant électrique traverse mon corps.
— Alors, c’est ta mère ?
Je m’affale à nouveau sur la chaise longue et ferme les
yeux. Ses paroles me provoquent une myriade d’émotions.
— Oui, c’est bien elle.
Elle est une catastrophe en devenir. Magnifique, bien
mise… mais une catastrophe quand même. La plupart des
enfants, à un moment donné, souhaitent ressembler à leurs
parents en grandissant. Pas moi. Je ne veux pas avoir la
moindre ressemblance avec elle. La pensée de me
transformer en Lydia est terrifiante. J’ai suivi suffisamment
de cours de psychologie à l’université. Je connais bien le
débat sur l’inné et l’acquis.
Dans mon cas, j’espère que l’acquis surmontera l’inné.
Ne me voyant rien rajouter, il reprend le fil de notre
conversation.
— Elle a l’air…
Il laisse sa phrase en suspens comme s’il cherchait un
adjectif positif pour décrire la femme qu’il vient de
rencontrer.
— … intéressante.
J’éclate de rire. Carter ne sait pas à quel point Lydia peut
être intéressante.
— C’est un euphémisme.
Un sourire lent lui fend le visage alors que ses yeux
adoptent une lueur pétillante. Mon cœur vacille l’espace de
quelques battements. C’est légèrement déconcertant de
voir tout ce charme braqué entièrement sur moi. Je suis
tentée de rougir et de jouer avec le bout de mes cheveux,
mais je résiste à l’impulsion. Difficilement… Ce mec est
précisément celui qui fait tomber toutes les filles.
— J’essayais d’être poli.
Laissez-moi rire.
— Depuis quand ?
La politesse n’a jamais fait partie de son vocabulaire
durant toutes ses interactions avec moi. Mon attirance
s’amenuise, me permettant de respirer plus facilement.
Carter soupire. Son regard inflexible reste braqué sur le
mien jusqu’à ce que je me retrouve emprisonnée.
— Je ne veux plus qu’on se batte, Daisy.
Sa voix basse se fait plus profonde.
— La situation n’aurait jamais dû s’envenimer à un tel
niveau.
Je hoche la tête, d’accord. Il a raison. Je n’aurais pas dû.
— Faisons une trêve. On ne va plus se battre ni se faire
des blagues. Il nous reste moins d’un an à passer sous le
même toit. Puis on décrochera notre diplôme et on
poursuivra nos vies.
Sa voix s’adoucit et se fait presque incertaine.
— On peut arriver à s’entendre pendant huit mois sans
essayer de s’empoisonner mutuellement, non ?
— Je n’ai pas essayé de t’empoisonner, dis-je
rapidement, mais d’une voix qui manque de conviction.
Comment en est-on arrivés là ? Je n’ai jamais eu de
problèmes avec qui que ce soit. Je m’entends bien avec tout
le monde. Carter a toujours été l’exception. Je secoue la tête
en essayant de comprendre.
— Je n’ai jamais compris pourquoi tu as un problème
avec moi.
Son regard se pose constamment sur quelque chose à
l’autre bout du jardin. Le temps se ralentit et je me
demande s’il va prendre la peine de me fournir une réponse.
En existe-t-il une ?
Je ne vois pas laquelle.
— Il n’y a jamais eu de problème.
Évitant de me regarder dans les yeux, il garde le regard
braqué vers l’horizon.
Je me sens déçue et je pousse un petit rire. Pendant un
moment, j’ai eu l’impression qu’on faisait des progrès.
Apparemment pas.
— Oh, allez, me moqué-je. Tu ne m’as jamais appréciée.
Tu as toujours été un connard.
Ce souvenir fait se retrousser ma lèvre supérieure, en
plus de la confusion et de la douleur qui ont rapidement
suivi.
— Tu ne m’a jamais donné la moindre chance.
Ma nervosité s’accroît avec le silence de Carter et je me
demande s’il va enfin me révéler la véritable raison de son
comportement.
Ayant l’air profondément gêné par cette conversation
forcée, il change de position sur la chaise longue. Son
regard parcourt le jardin, ne se posant jamais sur moi.
— Je n’ai jamais été comme ça.
Je me redresse brusquement et fais basculer mes jambes
de l’autre côté pour lui faire face. Nos genoux
s’entrechoquent. Cette fois, le contact ne me fait rien.
Comment peut-il mentir sans rien montrer ?
Cette conversation est probablement la plus longue
qu’on ait eue sans qu’on commence à s’envoyer des
insultes. Je devrais compter cela comme une victoire et
passer à autre chose. Il n’y a pas cinq minutes, Carter m’a
proposé une trêve.
J’ai besoin de passer à autre chose. Pour ma propre santé
mentale.
Mais je ne peux pas.
Je veux une explication. J’ai beau détester l’admettre, ce
comportement m’a toujours contrariée. C’est comme une
écharde douloureuse que je n’ai jamais été capable de
déloger de sous ma peau. Elle s’envenime depuis des
années.
Comment pourrais-je l’ignorer ?
Je remplis mes poumons d’air pour tenter d’apaiser
toutes les émotions qui font rage en moi.
— Ça a toujours été comme ça et tu le sais.
Il marmonne à mi-voix quelque chose d’inintelligible.
Je me penche vers lui pour qu’on se rapproche. Je veux
simplement qu’il me regarde dans les yeux et me dise la
vérité. Quoi que ce soit, je peux y faire face. Alors
seulement, on pourra avancer en faisant table rase du
passé.
— Je suis désolée, je n’ai pas entendu. Qu’est-ce que tu
as dit ?
Il lève les yeux et son regard gris me transperce.
L’émotion qui passe dans son regard me coupe le souffle. Je
ne suis pas habituée à en voir autant chez lui.
Parfois, j’ai l’impression que Carter a construit une
muraille autour de lui. Du moins en ce qui me concerne.
Cela dit, avec d’autres personnes – particulièrement les
filles –, il est décontracté et même sociable. Pour une raison
quelconque, il m’a toujours traitée différemment.
— Je n’ai jamais eu l’intention de te faire cette
impression-là, dit-il d’une voix douloureusement incertaine.
On ne peut pas oublier et passer à autre chose ?
J’ai beau avoir envie de creuser pour trouver des
réponses, je doute qu’il soit honnête avec moi. Je devrais
peut-être tourner la page et enterrer la hache de guerre.
— Oui, je crois qu’on peut.
Il hoche la tête et le soulagement transforme son visage.
— Merci.
Il sourit. Je baisse inconsciemment les yeux vers ses
lèvres à la courbe pulpeuse. Une bouffée de désir soudaine
s’empare de mon corps avant de se rassembler dans mon
ventre.
Qu’est-ce qui me prend ?
Je fais un effort pour me libérer de l’étrange brouillard
mental qui s’est abattu sur moi. Je me redresse d’un bond,
ayant besoin de mettre un peu de distance entre nous.
Ce mouvement soudain pousse Carter à se redresser lui
aussi. Je ne me serais pas attendue à ce qu’un homme aussi
immense se meuve de façon aussi fluide. On se tient
pratiquement pied à pied.
Une voix diabolique dans ma tête m’encourage à faire
courir les mains sur le T-shirt imprimé qui moule sa poitrine
et ses bras. Le tissu embrasse ses biceps arrondis et
bronzés.
Son corps est-il bronzé de partout ?
Cette pensée me rend la bouche cotonneuse.
Dans ma hâte de m’en aller, je fais un pas en arrière.
C’est alors que mes mollets se cognent à l’arrière de la
chaise longue et que je perds l’équilibre. Carter écarquille
les yeux alors que je fais des moulinets avec les bras. Il se
lance en avant et m’attrape, me collant contre sa poitrine.
Mais c’est trop tard. Je tombe en l’entraînant avec moi. Il
enroule les bras autour de moi, me collant contre sa grosse
carcasse alors qu’on s’affale sur la chaise longue. Je me
prépare au choc. Il grogne quand on atterrit, mais je ne
ressens rien. Le corps de Carter a absorbé la majeure partie
de notre chute. On reste allongés ensemble, le souffle court.
Mes seins se retrouvent écrasés contre sa poitrine dure
comme de l’acier.
— Ça va ?
Un frisson danse le long de mon dos quand son souffle
chaud me caresse l’oreille. Il n’en faut pas davantage pour
que mes mamelons durcissent. Je prononce une prière
silencieuse, espérant qu’il ne les sente pas darder à travers
le tissu de mon haut.
— Ouais.
Je fais un effort conscient pour ôter toute sensualité de
ma voix.
— Désolée.
Je sais que je suis en difficulté quand je dois lutter contre
l’impulsion de me lover contre sa force. Au lieu de le faire, je
repousse le haut de son corps, essayant de me séparer de
lui le plus rapidement possible. Nos membres se mêlent. J’ai
la chair de poule quand mon mollet glisse sur les poils frisés
de sa jambe.
Je devrais rentrer. Ma voix est épaisse et imprécise.
— Ma mère…
Carter reprend ses esprits et me lâche immédiatement
comme si je l’avais brûlé sur tout le corps.
Je m’écarte à la hâte et remplis mes poumons d’air frais.
Son odeur m’entoure et s’accroche à ma peau, me donnant
le vertige, éveillant mon désir. Une fois que je trouve
l’équilibre, je lève une main que je passe nerveusement sur
mon haut et mon short.
Carter roule sur le dos et lève les yeux vers moi avec
assez de chaleur pour calciner le duvet de mes bras. Je
cligne des paupières effarées et cette expression disparaît,
me faisant me demander si elle a bel et bien existé.
Comme je ne bouge pas, il gronde :
— Retourne à l’intérieur, Daisy. Je te rejoins dans
quelques minutes.
Une partie de moi aimerait rester et comprendre ce qu’il
vient de se passer, mais je ne sais absolument pas
comment le faire. Au lieu de cela, je hoche la tête et
m’enfuis vers la maison.
Qui aurait pu penser que la présence de ma mère me
rassure ?
Apparemment, il y a une première fois pour tout.
CHAPITRE 14

CARTER

U n bras passé en travers de mes yeux, j’essaye de


réprimer les pensées qui envahissent mon cerveau.
Mais c’est impossible. Je n’arrête pas de me repasser ce qui
est arrivé avec Daisy plus tôt dans la soirée.
Songer à son regard quand elle a baissé les yeux vers ma
bouche fait renaître ma queue. La tentation de sentir son
corps souple écrasé sous le mien ne fait qu’aggraver les
choses. J’ai passé les trois dernières années à la tenir à
bonne distance et maintenant, j’ai réussi à réduire toutes
mes bonnes intentions à néant avec une seule décision
stupide. J’ai ouvert la porte et il n’y a rien que je puisse faire
pour la refermer.
Je continue à me dire que la seule raison pour laquelle
j’ai envie de Daisy est qu’elle est la seule fille que je ne
peux pas avoir. Au fond de moi, je sais que c’est un
mensonge. Mes sentiments pour elle me terrifient. Une
trêve n’était peut-être pas une très bonne idée. S’il n’y a
aucune barrière entre nous, comment suis-je censé la tenir
à distance ? Particulièrement alors que je désire simplement
la serrer contre moi.
Frustré par mes pensées qui n’arrêtent pas de tourner en
rond, je repousse les couvertures et fais basculer les jambes
sur le côté du lit avant de me redresser. J’ai besoin de me
débarrasser de ces sentiments étranges qui se sont abattus
sur moi et de reléguer Daisy à sa place, dans un coin distant
de mon esprit… où je la garde depuis la première année…
où elle est en sécurité.
Il est plus de minuit quand je traverse l’appartement
silencieux vers la cuisine. Je me passe une main sur le
visage, conscient que j’ai besoin de dormir un peu. Demain,
on a un match important contre le Tennessee. Il faudra que
j’aie l’esprit clair quand j’entrerai sur le terrain. Je ne peux
pas permettre à cette fille de s’infiltrer dans mon esprit et
de casser mon trip. Mon futur dépend des matches que
j’effectue cette saison et de l’image que je présente pour
entrer dans la Ligue.
Je dois garder les idées claires.
Si je la joue fine, ça ne sera qu’un phénomène sans
importance. Il n’y a aucune raison pour que notre trêve
doive changer quoi que ce soit entre nous. Daisy et moi
pouvons revenir à la façon dont les choses ont toujours été.
Oublions de mentionner que je l’ai tellement enquiquinée
qu’elle a essayé de me faire me chier dessus.
Vous voyez ? Maintenant, je me sens mieux. C’est
faisable. Il n’y a aucune raison de paniquer. J’ai simplement
besoin de prendre mes distances par rapport à elle. De
rester réservé. Détaché. Je l’ai déjà fait. Je survivrai aux huit
prochains mois.
Ça ne va pas être un problème.
Je prends un verre dans le placard et le remplis au
robinet avant d’en avaler la moitié et de le reposer dans
l’évier. Collant mes paumes sur le comptoir, je bascule la
tête en arrière et prends une inspiration profonde et
purifiante.
Tout va bien se passer.
Une fois que c’est réglé, je me tourne, prêt à retourner
dans ma chambre et – si j’ai de la chance – ne pas
m’attarder sur la beauté blonde qui dort un peu plus loin
dans le couloir. Cette pensée me fait gémir et ma queue se
réveille avant que je puisse chasser Daisy de mes pensées.
Songer à elle suffit à me faire bander.
Je pousse un juron étouffé.
— Pardon ?
Le son de sa voix me fait piler net. Même s’il fait sombre
dans la cuisine, je vois sa silhouette se détacher dans
l’encadrement de la porte. Mon regard affamé dévore son
fin débardeur qui moule ses courbes et son short minuscule
qui dénude ses jambes.
Tout ce dont je viens de me convaincre me sort de la
tête.
Pourquoi est-ce que je me racontais des histoires ?
Encore maintenant, l’envie de la prendre dans mes bras
palpite à travers moi à un rythme régulier. Je n’ai jamais
désiré personne comme je la désire. Je referme les poings
contre moi pour m’empêcher de prendre une autre décision
désastreuse.
Je dois invoquer tout ce que j’ai à l’intérieur afin de
conserver une voix détendue.
— Je n’ai rien dit.
— Oh. J’ai cru avoir entendu quelque chose.
Sa voix est profonde et ensommeillée. Elle me touche
directement dans la…
— Non, dis-je en secouant la tête. Je n’ai rien dit.
Je me demande si elle est capable de faire quelque chose
qui ne m’exciterait pas.
Malheureusement, je ne pense pas.
Elle plisse le front, mais ne proteste pas. Ce doit être la
première fois. Apparemment, on est passés à l’étape
supérieure.
Oui, je suis vraiment dans la mouise. Et pas vraiment
dans le bon sens. Toutes mes bonnes intentions
disparaissent.
— Il est tard. Qu’est-ce que tu fais debout ?
J’ai envie de rester ici et m’abreuver de sa beauté, avec
ses cheveux décoiffés qui tombent sur ses épaules nues.
— Je n’arrivais pas à dormir.
Quand elle change de position, le mouvement fait
rebondir ses seins.
Mon regard redescend. Je retiens mon souffle quand ses
mamelons se durcissent comme des petites pointes.
Détourne le regard, gros con !
Mais je ne peux pas. Ce spectacle m’hypnotise.
De toute évidence, elle a remarqué mon regard
prédateur, alors elle s’éclaircit la gorge et croise les bras
devant ses seins pour m’empêcher de voir. Un grognement
vrombit dans ma gorge et je le ravale rapidement.
Sérieusement ? Qu’est-ce qui ne va pas chez moi ?
Je joue avec le feu et je ne peux pas me permettre de me
faire brûler. J’ai besoin de sortir de là avant de franchir une
ligne. Avant que je fasse quelque chose dont je ne pourrais
pas revenir.
Je me force à détourner les yeux.
— Je te vois demain matin.
— D’accord.
Alors que je m’apprête à m’écarter, elle dit :
— Carter ?
Je m’arrête et soutiens son regard à contrecœur.
— Oui ?
Elle inspire sa lèvre inférieure pulpeuse dans sa bouche
avant de la mordiller entre ses dents. Le désir me parcourt,
essayant de se libérer. Je suis à deux doigts d’enrouler les
bras autour de son corps et de mordiller moi-même sa lèvre
inférieure si sexy. Mais je ne le fais pas. Miraculeusement,
j’arrive à me contenir.
Difficilement.
Quand elle n’ajoute rien de plus, le désespoir me saisit
enfin et je me braque sans en avoir l’intention.
— Quoi, Daisy ?
Le ton rude de ma voix lui fait écarquiller les yeux et elle
fait rapidement un pas en arrière avant de secouer la tête.
— Rien.
Avant que je puisse m’excuser de me comporter comme
un connard, elle quitte la cuisine. Je ferme les yeux parce
que l’envie de la poursuivre bat follement à travers moi.
Mais je ne peux pas.
Je ne peux que la laisser partir.
CHAPITRE 15

DAISY

N oah toque à la porte de ma chambre et l’ouvre juste


assez pour coller la tête à l’intérieur.
— La nourriture est là.
— Je te rejoins dans une minute, dis-je sans détourner le
regard du livre que je suis en train de lire. J’ai juste besoin
de finir cette section.
— Ne mets pas trop longtemps ou ton burger va refroidir.
Sa voix sévère me fait lever les yeux. Je lui adresse un
grand sourire.
— D’accord, Papa.
— Pas de problème, ma chérie. Mais quoi que tu fasses,
ne m’appelle pas daddy.
Noah affiche un sourire coquin.
— Ce serait une expérience terrifiante pour tous les
deux.
— Beurk ! C’est dégueulasse !
Je prends un oreiller sur mon lit et le lui jette. Il claque la
porte en ricanant.
Je mets au moins dix minutes de plus à surligner le
passage que j’étais en train de lire. Je vais avoir un contrôle
de sociologie, mais ce n’est pas la raison pour laquelle je
traîne des pieds.
Carter.
J’ai fait tout mon possible pour l’éviter depuis l’incident
chez ma tante. Tout a changé entre nous et je n’ai pas
encore la maîtrise totale de la situation. Avant, quand je le
voyais, l’attirance avait toujours été là, à vrombir sous la
surface, mais elle était toujours profondément enfouie sous
l’exaspération et l’irritation. Retirez l’animosité et que reste-
t-il ?
Oui… Juste de l’attirance. Celle qui palpite
indésirablement dans votre système avant de s’installer
inconfortablement dans votre ventre, faisant toutes sortes
de choses déconcertantes à vos sens. Vous faisant désirer
des choses auxquelles vous ne devriez vraiment pas songer.
C’est plus sûr de me cacher dans ma chambre.
— Daisy ! hurle Noah à pleins poumons. Ramène tes
fesses.
Je souffle et referme brusquement mon manuel.
Apparemment, avec M. Grande Gueule dans le salon,
l’esquive est impossible. Je crois que je vais devoir me
rabattre sur le plan B, qui est de me goinfrer rapidement
avant de retourner me cacher dans ma chambre.
Je carre les épaules comme si je partais en guerre et me
dirige vers la petite salle à manger attenante au salon. On a
un comptoir de cuisine avec trois tabourets sur lesquels on
mange généralement nos repas. Comme Ashley se joint à
nous, il n’y a pas assez de sièges. Alors les sacs de
nourriture sont étalés sur la table.
Carter, Ashley et Noah ont déjà commencé leur repas. Je
prends mon temps pour prendre une bouteille d’eau dans le
frigidaire avant de me laisser tomber sur le seul siège de
libre entre Noah et Carter.
Je ne peux m’empêcher de regarder Carter. L’attirance
qui vibre entre nous n’a fait que s’accroître au cours des
dernières journées. J’ai beau faire essayer de l’ignorer, ça
me semble une tâche herculéenne.
Normalement, j’ai hâte de dévorer un hamburger de
Devon’s, le meilleur resto à burgers de la ville, mais avec
Carter assis à côté de moi, je suis une boule de nerfs
tremblante. J’ai beau avoir super faim, mon appétit a
disparu. J’aurais déjà dû avoir dévoré la moitié de mon
sandwich. Ils sont vraiment délicieux ! Mais présentement,
je ne pense même pas être capable d’avaler la moindre
bouchée. Ce qui est dommage. Je regarde sombrement ma
nourriture en me demandant si je ne pourrais pas feindre
des maux d’estomac pour pouvoir me casser d’ici.
Rien de tout ceci n’a de sens. Je connais Carter depuis
des années. J’ai toujours ressenti une légère attirance en sa
présence, mais jamais comme ça. Ça me donne l’impression
qu’on m’a frappé sur le crâne avec une massue.
À plusieurs reprises.
Pour gagner du temps, je jette un œil à l’intérieur du
sandwich. C’est bourré de tout le nécessaire, hormis les
oignons. Je ne supporte pas les oignons.
Noah lève les yeux au ciel.
— Ton dégoût des oignons est quasiment pathologique.
Je hausse les épaules.
— Chacun son truc.
Encore une fois, je suis frappée par l’odeur délicieuse.
C’est presque un soulagement quand mon appétit se
réveille. Ce truc… ce qui se passe avec Carter, ce n’est pas
très intéressant. Avec un peu de temps, ça passera. Il faut
simplement que je continue d’ignorer les sentiments qui
essayent de prendre racine. Au lieu de m’attarder sur
Carter, je le chasse de ma tête et avale une grosse bouchée
de mon hamburger. Même si je n’en ai pas vraiment envie,
j’arrive à engloutir la moitié de mon sandwich.
Du coin de l’œil, je regarde Carter. Après l’autre jour, on
en est revenus à s’éviter comme la peste. Je ne sais pas
trop comment l’interpréter, l’expression étrange qui
assombrit son visage. Il faut que j’arrête de me tourmenter
et que je l’ignore.
Je m’éclaircis la gorge et braque mon attention sur
Ashley qui – surprise ! – a commandé une salade.
Sans les croûtons.
Ou la sauce.
Mais qui voudrait s’étouffer sur de la laitue sans l’un ou
l’autre ? Ce sont les croûtons et la sauce qui rendent la
salade comestible.
Sans eux, pourquoi s’embêter ?
À moins qu’Ashley ne s’empiffre quand personne ne la
regarde, je ne sais pas comment elle fait pour se sustenter.
Quand j’y pense, je crois que je ne l’ai jamais vue mettre
autre chose qu’un légume dans sa bouche. Je crois que je
viens de résoudre le mystère. J’ai compris pourquoi elle est
toujours sur les nerfs.
Elle meurt de faim. Il faut que quelqu’un la force à
manger un hamburger, des frites et un milk shake.
M’imaginer plaquer Ashley à terre et lui fourrer de la
bouffe dans la bouche n’aurait probablement pas dû me
donner autant de plaisir, mais pourtant…
Pour me punir de mes pensées mesquines, je repousse
cette image. Je ne l’apprécie peut-être pas, mais elle est la
copine de Noah et ils sont en couple depuis six mois. J’ai
perdu l’espoir de les voir rompre.
— Comment tu trouves ta salade, Ashley ?
Elle y a à peine touché.
Les filles qui ne mangent pas… Je ne les comprendrai
jamais.
Quand j’ai faim, je mange. La plupart du temps, j’essaye
de faire des choix sains. La seule raison pour laquelle je
traîne mon cul hors du lit à 7 heures du mat’ deux fois par
semaine pour aller courir cinq kilomètres est parce que
j’aime engloutir un hamburger de temps en temps, et c’est
un plaisir dont je n’ai pas envie de me priver.
Les yeux de la copine de Noah s’abattent sur mon
hamburger avec un étrange mélange de répulsion et de
désir alors que je le reporte à mes lèvres.
— Fantastique.
Cette réponse me fait l’effet d’une exagération, mais
bon…
Lentement, elle plante sa fourchette dans un concombre.
— Tu as de la chance de ne pas avoir à te préoccuper de
ton poids.
Hein ? Qu’est-ce qu’elle veut dire par là ?
Je fronce les sourcils.
— Je fais attention à ce que je mange. La plupart du
temps.
— Ouais, bien sûr, lance Noah. Tu y fais attention juste
avant de te le fourrer dans la bouche.
Je le fais taire d’un regard.
— Tu es très drôle.
Ignorant mon cousin, je me retourne vers sa copine.
— Dans la vie, il faut trouver l’équilibre et c’est ce que
j’essaye de faire.
Ashley mâche méthodiquement sa tranche de
concombre avant de déglutir. C’est un processus laborieux.
— C’est ce que j’aime chez toi.
J’ouvre de grands yeux.
Merde, je l’ai bien entendue ? Elle avait presque l’air de
me faire un compliment. Je ne l’aurais jamais cru si je ne
l’avais pas entendu de mes propres oreilles. Je suis tentée
de lui demander de répéter ce qu’elle vient de dire juste
pour regarder à nouveau ces paroles sortir de ses lèvres.
J’ai l’impression que mon monde tout entier se retourne.
D’abord Carter, puis Ashley ?
Et si j’avais mal jugé la copine de Noah ?
— Ouah, merci !
D’un ton taquin, j’ajoute :
— Je devrais peut-être songer à me lancer dans le
mannequinat. Je plaisante, bien entendu. Je ne suis pas
super mince. Et ça ne me dérange pas.
Me sentant plus à l’aise, je prends une autre bouchée de
mon hamburger.
Elle hoche la tête avec enthousiasme.
— Les mannequins grande taille sont devenus de plus en
plus populaires. Si tu es intéressée, je pourrai te donner les
coordonnées de mon agent.
Elle me dévisage d’un œil critique.
— Je crois que tu te débrouillerais très bien dans ce
secteur.
Qu’est-ce qu’elle vient de me dire ?
Je commets l’erreur d’inspirer profondément, ce qui
coince une bouchée de hamburger dans ma gorge. Je ne
peux plus respirer. Je m’étrangle. Les yeux effarés, je
sombre dans un état de panique le plus total.
Je vais mourir.
Tuée par une bouchée de viande.
Ma vie entière défile devant mes yeux.
J’abats un poing sur la table puis sur ma poitrine, mais ça
ne sert à rien. Trois paires d’yeux me regardent avec horreur
avant que Carter n’entre en mouvement et bondisse de sa
chaise. Ce geste la projette en arrière. Tout à coup, il me
soulève de mon siège. Il enroule les bras autour de ma
poitrine et referme un poing qu’il appuie fort contre ma
cage thoracique. Il répète le geste jusqu’à ce que la
nourriture coincée dans ma gorge se libère et tombe sur la
table.
Mes jambes cèdent et je m’affale dans les bras de Carter.
Ils s’enroulent autour de moi alors qu’une vague d’émotions
s’abat sur ma personne. C’est stupide de dire ça, mais
Carter vient de me sauver la vie. J’aurais pu mourir en
m’étouffant sur un burger sans oignons de Devon's
qu’Ashley serait restée sans rien faire à tripatouiller sa
salade. Les larmes envahissent mes yeux avant de dévaler
le long de mes joues.
Carter plaque sa bouche contre mon oreille.
— Ça va ?
Incapable de parler, je hoche la tête.
Diminuant d’intensité, sa voix ressemble plutôt à un
murmure urgent. Il me transperce au plus profond du cœur.
— Je n’aurais jamais permis qu’il t’arrive quoi que ce soit,
Daisy. Jamais.
Je prends une inspiration tremblante. Le mec que j’ai
essayé d’empoisonner avec des laxatifs vient de me sauver
la vie. Ironique, mais pourtant vrai.
Je tourne le visage jusqu’à ce que mes lèvres frôlent le
côté de sa joue.
— Merci.
Au lieu de trouver sa proximité déconcertante, je veux
fermer les yeux et me plaquer davantage contre lui.
Qu’est-ce qui ne va pas chez moi ?
Pourquoi est-ce que je ne lutte pas contre cette
attirance ?
— Tu n’as pas à me remercier, dit-il d’une voix bourrue
alors que ses bras se resserrent autour de moi jusqu’à ce
que leur chaleur traverse le coton de mon haut.
Je me rends compte que je n’ai pas envie qu’il me lâche.
— Je pensais ce que j’ai dit. Je n’aurais jamais permis
qu’il t’arrive quoi que ce soit.
Ne sachant pas quoi répondre, je hoche la tête sans rien
dire.
Et en une seconde, tout change à nouveau entre nous.
CHAPITRE 16

CARTER

L e réveil sonne et je tombe du lit. Ça fait une demi-heure


que je suis étendu en songeant à Daisy. J’ai besoin de
brûler un peu de l’excès d’énergie qui palpite dans mon
corps. J’ai entraînement de foot trois heures par jour, cinq
jours par semaine, et je fais de la muscu deux fois par
semaine parce que j’essaye de rester hors de l’appart quand
je sais qu’elle s’y trouve. On aurait pu croire que toute cette
activité physique aurait suffi à évaporer les bouffées de
désir torride qui explosent en moi quand je pense à elle…
mais non.
Je ne pense qu’à elle.
Dans un ultime effort, je vais aller courir dans l’espoir
que sept kilomètres suffisent à étouffer mon désir croissant.
Vous savez ce dont j’ai besoin ?
De baiser.
J’ai besoin d’enfoncer ma queue dans une fille et
d’oublier tout de Daisy Thompson. Oublier ses longs
cheveux blonds et ses yeux bleu océan pétillants, ainsi que
ses courbes délicieuses sur lesquelles j’ai envie de poser les
mains.
Mouais… Ça n’aide pas.
Par chance, aujourd’hui est jeudi. Et dans cette ville,
c’est le début du week-end.
J’enfile un short de sport ainsi qu’un débardeur. Je lace
mes baskets, prends mon téléphone et mes écouteurs, et je
suis prêt à partir. Alors que je sors de ma chambre,
j’entends quelqu’un d’autre qui se déplace dans
l’appartement. Je m’arrête en titubant quand Daisy émerge
à l’angle de la cuisine. Elle interrompt son mouvement alors
que nos regards s’entrechoquent. Elle a l’air aussi
désarçonnée par ma présence que je le suis par la sienne.
Mes yeux parcourent sa tenue. Ce que je découvre ne me
rend pas heureux. Je serre les dents en avisant son short qui
est bien trop court. Cette fille sait comment se mettre en
valeur. Je ne vais même pas parler du débardeur athlétique
qui moule ses seins à la perfection.
Elle a une queue-de-cheval et des baskets aux pieds. Elle
tient son téléphone à la main et ses écouteurs roses sont
déjà en place. Apparemment, on a eu la même idée, même
si je doute qu’elle essaye de me faire sortir de son système
comme j’essaye de la faire sortir du mien.
Daisy retire un écouteur.
— Tu vas courir ? demande-t-elle en fronçant les sourcils.
Je comprends sa confusion. Normalement, je ne suis pas
debout aussi tôt, mais j’ai une journée remplie devant moi
et c’est le seul moment où je peux caler un jogging.
— Ouais.
Elle hoche la tête et se balance d’un pied sur l’autre.
— Moi aussi.
On ne se dit plus rien. Au lieu de ça, on sort pour aller
vers les escaliers qui descendent jusqu’au hall. Dieu merci,
d’ailleurs, parce que rester seul avec Daisy dans l’espace
étroit d’un ascenseur serait dangereux. Particulièrement
avec sa tenue légère.
Le désir de la toucher palpite à travers moi alors qu’on
pénètre dans la cage d’escalier. Daisy me précède et je lui
emboîte le pas. Mais ce n’est pas pour regarder son cul qui
ondule plaisamment d’avant en arrière dans son short
minuscule.
Très bien, peut-être que si.
Je pourrais m’habituer à ce spectacle.
Je grimace.
C’est contre-productif…
Il vaut probablement mieux qu’on se sépare. Elle peut
partir de son côté tandis que j’irai dans la direction opposée.
Tant que je n’aurai pas un meilleur contrôle sur les
sentiments qu’elle éveille en moi, je n’ai pas envie de
passer plus de temps que nécessaire avec elle.
Particulièrement seul. C’était bien plus facile quand je
pouvais la faire rager et qu’elle me rendait la pareille.
Ça nous permettait de contrôler notre relation. On ne
s’approchait pas de trop près. J’étais capable de réprimer
mes sentiments pour elle. Présentement, tout échappe à
mon contrôle. Si je n’y prends pas garde, ça va être une
véritable catastrophe, chose que je refuse catégoriquement.
À part pour la situation avec mes parents, le reste de ma vie
est contrôlé et bien rangé.
Alors qu’on s’apprête à se séparer, je vois deux mecs qui
ont eu la même idée que nous en train de s’étirer près du
trottoir. Ils lèvent tous les deux la tête en apercevant la fille
à côté de moi. Ce n’est pas surprenant. Quel mec au sang
chaud ne remarquerait pas Daisy ? Il faudrait être mort pour
ne pas se retourner sur son passage.
Apparemment, ils se connaissent tous parce qu’ils
l’appellent tous les deux par son prénom et lui font signe de
les rejoindre.
Juste alors qu’elle s’apprête à s’écarter de moi, je
referme les doigts autour de son bras. Pas trop fort, juste
pour la garder à mes côtés.
Sa queue-de-cheval bat l’air quand elle me regarde d’un
air interrogateur.
— Allons de ce côté-là.
Je pointe le menton dans la direction opposée à celle des
connards qui la dévisagent toujours.
Désolée, les garçons, ça ne va arriver aujourd’hui.
Ou un autre jour.
Pas avec cette fille.
— On n’a pas besoin de courir ensemble, Carter.
Elle fronce les sourcils.
— Je ne ferais que te ralentir.
Je secoue la tête.
— C’est bon. Je ne suis pas pressée.
Elle aspire sa lèvre inférieure dans sa bouche et la
mordille d’un air pensif comme si elle hésitait à accepter ma
proposition. Je suis tenté de prendre sa lèvre inférieure
pulpeuse entre mes dents. Merde ! Ce n’était pas comme ça
que mon jogging était censé se passer.
— Tu es certain ? demande-t-elle.
Si j’en suis certain ?
Oui, bien sûr.
Hors de question qu’elle coure avec ces deux crétins. Pas
en ma présence. En plus, cette lèvre qu’elle se mordille me
fait bander à demi. Il faut qu’on se mette en mouvement
avant que je monte le mât.
Putain ! Qu’est-ce qui ne va pas chez moi ?
Pourquoi est-ce que je n’arrive pas à me contrôler en
présence de cette fille ?
— Oui, dis-je en pinçant les lèvres. Allons-y.
Si elle proteste, je prendrai une décision et je la jetterai
sur mon épaule. Je lui donnerai peut-être aussi une ou deux
bonnes fessées sur ses fesses délicieuses. Cette image me
fait grogner, parce qu’elle n’aide pas à gérer mon érection.
Heureusement – ou peut-être pas – elle me suit sans
protestation. Pas besoin d’épaulé-jeté ou de fessée.
On met nos écouteurs et on se lance dans un jogging
facile. Juste un petit quelque chose pour détendre mes
muscles. Je mets ma musique à fond et j’essaye de me
perdre dans ma playlist de rock alternatif et le battement
régulier de mes chaussures alors qu’on continue de
descendre la rue bordée d’arbres. Au lieu de me perdre, j’ai
trop conscience de sa présence à mon côté. La façon dont
ses seins rebondissent sous son haut moulant, celle dont
son épaisse queue-de-cheval bat l’air d’avant en arrière, le
balancement de ses bras alors qu’elle essaye de garder le
rythme.
Daisy a une bonne foulée. Avec sa carrure, je ne l’aurais
jamais prise pour une coureuse naturelle. Au bout d’un
kilomètre et demi, elle est toujours régulière et ne montre
aucun signe de fatigue. Je reste lent. Ça ne me fait rien. Ça
me plaît. C’est relaxant.
On fait un autre kilomètre et demi et on finit dans un
parc près du campus.
Je retire mes écouteurs.
— Combien de kilomètres cours-tu généralement ?
Elle est légèrement essoufflée. L’effort lui a fait rougir les
joues. Ses yeux sont pétillants et brillants. C’est l’effet des
endorphines.
Est-ce ce à quoi Daisy ressemble après une session de
sexe particulièrement moite ?
Merde. Je ne peux pas me permettre de m’appesantir sur
cette question. Ce n’est pas quelque chose que je
découvrirais un jour.
Elle se plie en deux et touche ses orteils, me présentant
son derrière.
— Cinq.
Je grogne et je me force à détourner le regard.
— Ça irait si on en fait six et demi ?
Elle se redresse et hoche la tête avant d’essuyer son
front avec son avant-bras. Respirant toujours fort, elle fait
un grand cercle, les mains calées sur les hanches.
Je déglutis.
J’ai besoin de penser à quelque chose d’autre que le
sexe, mais je n’ai rien. Je suis en train de l’imaginer nue.
— Tu veux marcher encore un peu ? demandé-je.
— Non, on peut courir. Je suis en forme. Je peux le faire.
Je lève les mains devant moi en un geste de capitulation,
parce que je n’ai vraiment pas envie d’avoir un autre
accrochage avec elle.
— Je n’ai jamais dit que tu l’étais, mais ça va finir par
faire plus que quatre kilomètres et demi. Je n’ai pas envie
que tu te fasses mal en essayant de rester à ma hauteur. On
peut ralentir.
— Ça va, dit-elle en aspirant une autre goulée d’air. Ça
va. Rentrons.
Malgré moi, sa détermination m’impressionne. Je n’ai pas
besoin d’apprécier autre chose chez cette fille. Il y en a déjà
trop.
— D’accord.
Je hausse les épaules.
— Comme tu veux.
Elle brandit un index.
— Et ne te retiens pas pour moi. Je peux rester à ta
hauteur, Carter.
Je hausse un sourcil.
— C’est vrai ?
Un sourire s’empare de son visage.
— Quoi que tu fasses, je peux faire mieux.
Je lui décoche un sourire satisfait.
— Tu en es sûre ?
— Ouais ! lâche-t-elle en partant au pas de course,
regardant par-dessus son épaule.
Je dois aimer la punition, car j’observe ses fesses
pendant une douzaine de foulées avant de la suivre.
Pendant le premier kilomètre et demi, je la laisse rester en
tête, même si je me rapproche de plus en plus. Elle a
allongé le pas et balance les bras plus vite, essayant
d’atteindre son maximum.
Je me pousse plus que lors de notre jogging dans le parc,
mais alors, j’opérais à environ cinquante pour cent. Même
maintenant, je ne me pousse pas à mon maximum. Je me
retiens et garde le contrôle. Quand on arrive à environ cinq
cents mètres de l’appartement, j’accélère le mouvement et
la rattrape.
Les yeux braqués droit devant elle, Daisy essaye de se
forcer encore un peu plus. Ses muscles vont lui faire
terriblement mal demain. Je n’ai aucun mal à admirer son
esprit de compétition.
Quand l’immeuble se rapproche, je m’avance à sa
hauteur. Je pourrais la dépasser à n’importe quel moment.
J’aurais pu prendre la tête et la laisser manger ma poussière
dès la première minute de cette course impromptue, mais
ce n’est pas drôle.
Son visage est déterminé. Elle serre les dents, plisse les
paupières et respire fort.
Alors qu’on atteint le trottoir qui mène à l’immeuble, elle
accélère légèrement devant moi. Parce que c’est inattendu,
je garde le tempo.
Avec un vivat sonore, Daisy lève les bras en l’air et crie :
— J’ai gagné !
Puis elle s’écroule sur la pelouse du devant. L’effort fait
tanguer sa poitrine. Elle inspire de grandes goulées d’air
comme si elle en avait été privée pendant des heures.
— Tu as vu ?
Elle souffle et parvient à peine à parler.
— J’ai gagné. Je t’ai battu.
Je lui adresse un large sourire.
— Oui, en conviens-je sans problème. Tu as réussi.
Elle plisse les paupières et se lamente :
— Tu m’as laissé gagner, n’est-ce pas ?
Je secoue la tête.
— Non, tu as gagné de manière équitable.
— Super ! Je n’arrive pas à marcher, j’ai l’impression que
mes jambes vont se décrocher.
Je tends une main.
— Allez.
Au bout d’une minute ou deux, elle lève le bras. J’enroule
les doigts autour de son poignet et tire dessus. Elle est
comme un poids mort. Je pèse quand même une bonne
cinquantaine de kilos de plus qu’elle. À peu près. Je pourrais
probablement la soulever à bout de bras, alors la faire se
redresser n’est pas un problème.
Le mouvement fait grogner Daisy.
Prenant une décision rapide, je fais exactement ce que
j’étais tenté de faire plus tôt et je la soulève dans mes bras,
la jetant sur mon épaule tout en me dirigeant vers le hall
d’entrée.
— Carter ! Qu’est-ce que tu fais ?
Elle me donne une claque sur le revers de la main, mais
elle est si épuisée que c’est quasiment sans force.
— Repose-moi tout de suite !
Puisqu’il est environ 8 heures du matin, la plupart des
gens sortent de l’immeuble pour aller en cours. Un groupe
de filles nous regardent et éclatent de rire en pouffant.
— Bonjour, Carter ! me crient certaines d’entre elles en
nous adressant des gestes enthousiastes.
Une main fermement positionnée sur l’arrière des cuisses
de Daisy, je leur fais signe de l’autre comme si je ne portais
pas une fille sur mon épaule, les fesses en l’air, tel un
homme des cavernes.
— Je te jure devant Dieu, rugit Daisy qui a retrouvé sa
respiration, que tu vas me le payer.
Je lui donne une bonne claque sur les fesses. Elle pousse
un glapissement et les filles qui nous regardent écarquillent
les yeux. Ils sont peut-être aussi un peu rêveurs, mais je ne
vais pas trop y réfléchir.
— Certainement pas, lui rappelais-je. On a fait une trêve.
— Tu m’as frappé le cul, murmure-t-elle.
Bien sûr que oui. Je lui donne une autre claque avant
d’ouvrir la porte et d’entrer dans le vestibule.
CHAPITRE 17

DAISY

O livia et moi arrivons à la fête en nous tenant le bras.


L’université a joué son quatrième match de la
saison et a gagné. Ça veut dire qu’il est temps de faire la
fête. Le fait que c’était serré et que le match aurait pu
basculer signifie simplement que les étudiants vont
débouler en masse.
Puisqu’on parle de « serré »…
J’ai honte d’admettre que je passe une bonne partie de
mon temps à observer les fesses de Carter dans son
pantalon moulant. Quoi qu’on dise sur lui, il a de
magnifiques… atouts.
Cela va sans dire, je ne devrais ni regarder ni penser à
l’arrière-train de Carter. Particulièrement pendant un match
de foot. Je suis ici pour soutenir Noah et j’aime sincèrement
le foot. J’ai grandi en regardant Noah jouer. Je ne suis pas
comme Olivia, qui reste assise dans les gradins et ne
comprend pas ce qu’il se passe.
Mais je ne parviens quand même pas à détourner les
yeux de Carter.
Il faut que je me défasse de ces pensées. Avec un excès
de force, si besoin est. Je ne peux pas me permettre de
m’égarer sur ce chemin. Carter et moi avons trouvé un
équilibre et je ne veux pas faire de vagues.
Le plan pour ce soir est de boire quelques verres et de
peloter un mec mignon. Et pas forcément dans cet ordre
non plus. J’ai besoin de quelqu’un qui m’aide à me faire
oublier un certain footballeur aux cheveux sombres.
Ça ne devrait pas être trop difficile, non ?
Il n’y a pas de pénurie de mecs chauds à BU. C’est un
des avantages d’être inscrite dans une fac qui contient à
peu près dix mille étudiants. Les terrains de chasse sont
toujours abondants.
Alors qu’Olivia et moi nous dirigeons vers la porte, nous
sommes accueillies par une véritable montagne qui semble
dénuée de cou. Je crois que ce type serait capable de
soulever une Mini en développé couché. La plupart des filles
seraient intimidées par sa carrure. Pas moi. Au fond, Owen
est un gros nounours gentil. Bonus : il se débrouille bien en
cuisine et prépare les meilleures lasagnes que j’aie jamais
mangées. Et ce n’est pas peu dire parce que Tante Marnie
est une cuisinière phénoménale.
— Salut, Owen !
Je le salue d’un geste de la main.
Il joue bien le rôle du videur. Dès qu’il me voit, son visage
s’illumine.
— Hé, ma jolie. Comment tu vas ?
Owen est dans l’équipe de foot et très efficace dans son
boulot. J’ai entendu dire qu’il va sauter sa dernière année et
rejoindre la Ligue Nationale ce printemps. Si ça arrive, il y
aura un immense trou à combler parmi les défenseurs.
— Super. Mais pas autant que toi. Tu as fait un super
placage pendant le premier quart-temps. L’autre mec ne
sait pas ce qui lui est tombé dessus, dis-je avec un éclat de
rire.
— Il ne sait probablement toujours pas ce qui lui est
tombé dessus.
Owen sourit et enroule les bras autour de mon corps
pour me donner un immense câlin.
— C’est vrai. Il faut étouffer le poussin dans l’œuf dès le
début. Tu vois de quoi je parle ?
— Ouais.
Owen est le champion en titre des placages. C’est un des
meilleurs joueurs offensifs que la première division a à offrir.
C’est probablement la raison pour laquelle il cherche à
passer pro en avance au lieu de rester une année de plus. Je
ne peux pas le lui reprocher.
Après m’avoir lâchée, Owen regarde autour de lui.
— Où est ton cousin ? Je ne l’ai pas vu depuis le match.
— Il passe le week-end hors de la ville. Une fête de
famille pour Ashley, précisé-je en haussant les épaules.
Je suis toujours en colère contre elle à cause du
commentaire sur le mannequinat grande taille. Cette meuf
peut bien embrasser mes fesses XXL.
Avec des mouvements exagérés, le linebacker fait
osciller son immense carcasse de droite à gauche tout en
battant l’air des bras.
— Il va rater une fête mémorable ce soir. Ça va tout
casser !
Il est peut-être un joueur de foot génial et un cuisinier
acceptable, mais ses pas de danse laissent vraiment à
désirer.
J’éclate de rire.
— Tu sais quoi ? Je vais boire quelques verres pour Noah
pour compenser.
Owen secoue la tête et ricane en braquant un doigt épais
dans ma direction.
— Vas-y, ma jolie, mais ne bois pas trop. Walker aura
mon cul sur un plateau s’il t’arrive quoi que ce soit.
Je lève les yeux au ciel parce qu’on sait tous les deux que
ce n’est pas une menace en l’air. Certes, j’ai vingt et un ans,
mais Noah me traite comme si j’étais à la crèche et aussi
fragile qu’un oisillon. C’est frustrant.
— Eh bien, ce qu’il ne sait pas…
Je n’achève pas ma phrase, espérant qu’Owen soit
d’accord. Puis je désigne Olivia qui se tient à mes côtés.
Il faut vraiment que je la fasse se détendre. Elle a autant
besoin d’un homme que moi. Peut-être même encore plus.
— Et je ne suis pas seule. Ma meilleure amie est ici avec
moi. On veille l’une sur l’autre.
Je fais un geste vague.
— Alors je ne m’inquiète pas. Tout va bien.
Il arque un sourcil sombre et observe attentivement
Olivia.
— On dirait que je vais devoir garder un œil sur vous
deux, petites innocentes.
Il braque un pouce vers la fête qui se déroule à
l’intérieur.
— Entrez, les filles, avant que je change d’avis.
Quand on passe rapidement devant lui, il crie :
— Deux verres chacune, maximum !
Je lui adresse un geste de la main par-dessus mon
épaule.
— Oui, oui, lui accordé-je sans la moindre intention de
suivre ses instructions.
Noah est parti pour la nuit et je suis une femme libre. Je
peux faire tout ce que je veux.
Les possibilités sont infinies alors que j’observe la folie
qui m’entoure. La musique fait trembler les murs alors que
les basses vibrent au plus profond de mes os. Une lumière
clignote au-dessus de moi. Les gens dansent en levant les
bras. Les rires et les bavardages fusent de partout.
L’ambiance est festive et exubérante. Les verres en
plastique rouge sont l’accessoire standard de la soirée, vu
que tout le monde en a un.
Je hoche la tête, satisfaite par ce qui m’entoure. Je n’ai
pas vu une telle animation depuis le début du premier
semestre. J’ai besoin d’une distraction et ça fera
parfaitement l’affaire. Je prends la main d’Olivia et l’entraîne
vers la cuisine à la recherche de rafraîchissements liquides.
Je suis venue ici une tonne de fois avec Noah. Un groupe
de footballeurs habitent dans cette maison et je les connais
tous.
Alors qu’on zigzague vers la cuisine, je vois le footballeur
de première année en charge du fût de bière. Je joue des
coudes pour rejoindre le début de la file et lui adresse un
large sourire.
— Salut, Dylan. On peut avoir deux verres ?
Il détourne les yeux du gobelet qu’il est en train de
remplir et m’adresse un large sourire.
Dylan est beau, avec des yeux vert clair, des cheveux
brun foncé et un sourire détendu qui illumine son visage.
C’est un séducteur et il flirte comme pas deux. À chaque
fois que je le vois, il a le bras autour d’une fille différente.
— Tout ce que tu veux, ma belle.
Il remplit deux verres en plastique et me les tend.
— Merci, Dylan !
Puis on s’en va, traversant la foule.
J’avale une grande gorgée, vidant la moitié de mon verre.
Olivia porte délicatement son verre en plastique rouge à ses
lèvres comme si elle prenait le thé avec la reine
d’Angleterre. Je doute qu’elle en boive plus d’un demi-verre.
Mais c’est bien de la voir se détendre.
Elle en a besoin.
Moi aussi.
Je dois mettre fin à ce qui se passe dans ma tête
concernant Carter et tourner la page.
CHAPITRE 18

CARTER

J e bois une grande gorgée de bière alors qu’une brune


aux griffes violettes fait courir ses mains sur ma poitrine.
Elle est magnifique et visiblement intéressée, mais elle ne
me fait absolument rien.
Rien ne se réveille en dessous de ma ceinture.
Je suis venu ici avec l’intention de me trouver un coup
d’un soir. Il faut que je me mouille la queue et évince Daisy
de ma tête, où elle squatte, de peur de péter un plomb.
Vous savez ce qui est le pire ?
Daisy n’a pas la moindre idée de ce qu’elle me fait ou de
ce que je ressens pour elle. Dieu merci, elle ne s’en rend
pas compte. Et il faut que ça reste comme ça.
Je croise le regard d’Owen et le salue d’un mouvement
du menton.
— Ça va, mon vieux ?
Owen est un chic type. Si je restais une saison de plus,
j’aurais peur qu’il se fasse recruter. Il fait la différence et sait
jouer en équipe. Il va nous manquer.
— À peu près. Il regarde autour de lui, à la recherche de
quelqu’un.
Il est peut-être bâti comme un géant, mais il arrive à
scorer. Il a deux championnats sous la ceinture et il passera
pro à la fin de l’année. Un mec dans cette position n’est
jamais en rade de sexe. Tout le monde veut un peu de sa
personne. Même si c’est juste pour la nuit.
— Tu as vu la petite cousine de Walker dans les parages ?
demande-t-il.
J’ai très envie de lui dire que Daisy n’est pas la petite
cousine de Noah, mais ça n’a aucune importance.
— Non.
Tout en moi s’immobilise alors que j’aboie :
— Pourquoi ?
— Elle est arrivée il y a une heure et je ne l’ai pas revue
depuis. J’essaye de rendre un service à Walker en gardant
un œil sur elle, dit-elle en grimaçant. Tu sais comme il est
protecteur avec elle.
Putain de merde !
Je n’avais aucune idée que Daisy avait l’intention de
venir ce soir. J’aurais peut-être dû y penser, parce qu’on
dirait que toute l’université vient faire la tête. C’est un
véritable chaos avec des gens qui dansent, boivent et
s’adonnent à des jeux qui les forcent à se déshabiller. Ce
soir, tout est permis.
Je me passe une main sur le visage quand une fille qui ne
porte rien de plus qu’un soutif minuscule et un string passe
devant moi, un shot dans chaque main.
Je n’aime pas savoir Daisy seule. Au fil des heures, ces
fêtes ont tendance à partir complètement en couille et je
n’ai pas envie de me retrouver mêlé à quoi que ce soit.
Particulièrement si Noah n’est pas là pour jouer des poings.
Les mecs savent parfaitement qu’il ne faut pas toucher à sa
cousine, mais ce soir, ce n’est pas seulement l’équipe qui
fait la fête.
Je regarde autour de moi et ne reconnais pas la moitié de
ces gens. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je ne lui en
ai pas parlé. Mon plan était de trouver quelqu’un à ramener
à la maison et de tout oublier à propos de Daisy Thompson.
De toute évidence, il vient de voler en éclats.
Bien sûr…
Je zieute la fille qui s’est enroulée autour de moi comme
un python.
Tous mes efforts pour éveiller le moindre intérêt pour elle
restent vains.
Daisy ne me laisse jamais le temps de respirer.
— Elle est là toute seule ? demandé-je.
Owen secoue la tête.
— Non. Elle est venue avec une amie.
Il m’adresse un sourire satisfait.
— Super mignonne.
Il doit parler d’Olivia. Généralement, elles sont quasiment
siamoises. Dieu merci pour Olivia. Elle a tendance à être la
voix de la raison alors que Daisy l’entraîne d’une mauvaise
idée à l’autre. Je n’ai pas envie de songer aux problèmes
que s’attirerait Daisy si elle avait une amie qui lui
ressemblait davantage.
— Je vais la retrouver, dit-il. Et m’assurer qu’elle va bien.
Owen regarde la fille qui s’accroche à moi et se gratte le
menton alors qu’un sourire moqueur s’installe sur ses traits.
— Non, je vais régler la situation. C’est bon. Tu as l’air
d’avoir les mains pleines. Amuse-toi.
Il lève le menton et m’adresse un autre sourire.
— Tu le mérites.
La fille – dont je ne me souviens même pas du prénom –
choisit ce moment précis pour s’étirer et me murmurer à
l’oreille toutes les façons inventives dont elle sait sucer une
queue.
Une autre fois, ça aurait titillé mon intérêt, mais pas ce
soir. Pas si Daisy est là et qu’elle circule et va certainement
s’attirer des problèmes. Une fille torride toute seule et un
groupe d’ivrognes en rut qui veulent fêter une victoire ne
forment jamais une bonne combinaison.
Plus j’y pense, plus j’ai envie de décoller cette fille de
moi et de trouver Daisy. Puis je la sortirai d’ici même si je
dois encore la jeter sur mon épaule. Le souvenir de la
sensation de ma main qui est entrée en contact avec ses
fesses me traverse comme un éclair.
Je ne vais pas mentir, fesser cet arrière-train ferme me
donne une érection de tous les diables.
Oui, il va falloir qu’à présent, j’évite le derrière de Daisy.
Je jette un regard à la fille collée contre moi.
— Je ne pense pas que ça va arriver ce soir.
Elle n’imprime toujours pas que j’ai perdu tout intérêt.
Même ses propositions créatives ne suffisent pas à me
titiller.
Elle boude et me regarde avec des yeux de chiot avant
de ronronner d’une voix sexy :
— Tu en es certain ? J’ai envie de t’aider à célébrer ta
victoire ce soir.
— J’apprécie, dis-je avec plus de patience que j’en
ressens, mais pas ce soir. J’ai quelques petites choses à
régler.
— Peut-être plus tard ? dit-elle en enroulant des mèches
de cheveux autour de son index. Je peux attendre, si tu
veux.
Ouah. Cette fille est acharnée. Pour ce qu’elle en sait, je
pars peut-être baiser une autre fille. Mais vous savez quoi ?
Je crois qu’elle s’en fiche. Comme j’ai cherché la victoire cet
après-midi sur le terrain, elle cherche la victoire entre les
draps.
Je secoue la tête.
— Désolé, pas ce soir.
Ou n’importe quel autre.
Honnêtement, je ne ressentais déjà pas beaucoup
d’intérêt dès le départ, quand elle m’est tombée dessus. Je
cherchais quelqu’un – n’importe qui – pour m’éviter de
penser à Daisy.
Son visage se défait devant mon refus.
Je pointe le menton vers la montagne de muscles à côté
de moi.
— Tu connais Owen Banks, n’est-ce pas ? Le numéro
trente-trois ?
La lueur d’intérêt dans ses yeux me laisse un goût amer
dans la bouche. Je ne devrais pas être surpris qu’elle
m’utilise de la même façon que j’allais l’utiliser. Et ça ne
devrait pas me contrarier non plus. Depuis quand baiser une
fille à une fête ou la ramener chez moi pour deux heures
d’amusement sans engagement ne me suffit-il plus ?
Autrefois, ça me détendait. Mais ce n’est plus le cas.
Daisy s’est frayé un terrier dans ma tête et je n’ai pas
l’impression de pouvoir y faire quoi que ce soit. Plus j’essaye
de la déloger, plus l’étau se resserre.
La fille qui s’est plaquée contre moi adresse un regard
faussement timide au défenseur ainsi qu’un petit geste de
la main.
— Hé, Owen.
Elle mordille sa lèvre inférieure pulpeuse et bat des
paupières.
— Tu as été super aujourd’hui.
Je suis tenté de lever les yeux au ciel. Il me fait une
faveur en m’en débarrassant.
Owen affiche un grand sourire. Peu lui importe qu’elle lui
fasse du baratin. Il a l’habitude des conneries. Il connaît le
score et accepte de jouer le jeu. C’est bien pour lui.
Autrefois, j’étais comme ça. Je ne sais pas ce qu’il s’est
passé pour que ça change.
Ou peut-être que si, mais je ne suis pas près de
l’admettre.
Déjà, la fille avec laquelle j’avais songé à coucher
enfonce ses ongles violets dans la poitrine d’Owen. Je suis
presque impressionné par sa rapidité. Je leur dirais
volontiers au revoir, mais je crois qu’ils s’en fichent, l’un
comme l’autre. Ça me convient parfaitement. Je saute sur
l’occasion de m’éclipser.
Alors que je me faufile à travers la foule, les gens me
tapent sur l’épaule, me saluent et me disent que j’ai bien
joué. Quelques-uns me font signe de rejoindre leur groupe,
mais je leur adresse un signe et continue d’avancer. Je n’ai
qu’une seule chose en tête et c’est Daisy.
Je parcours le rez-de-chaussée de la maison. Plus elle
reste insaisissable, plus je me sens agité. Je parle avec
plusieurs personnes, je pose des questions et on me dit
qu’on l’a vue dans une pièce ou dans une autre. Un mec
hausse les épaules et suggère qu’elle est peut-être à
l’étage.
Elle n’a pas intérêt.
L’idée qu’elle puisse s’envoyer en l’air avec un mec
lambda suffit à me faire péter un fusible.
Je suis à deux doigts de m’engouffrer dans l’escalier
quand je l’aperçois. L’air s’échappe de mes poumons alors
que je pivote dans sa direction. Le soulagement qui
m’envahit ne dure pas longtemps parce qu’un type la colle
de trop près. Il caresse une mèche de ses cheveux entre ses
doigts.
Je le connais. C’est un étudiant typique à la con.
Allons. Sors de là.
Je regarde autour de moi.
Où est passée Olivia ? Elle était censée garder un œil sur
Daisy. Elle ne sait pas que c’est son travail ?
Mais je ne la vois nulle part.
Super !
Les yeux de Daisy restent braqués sur l’étudiant
connard. Elle affiche un léger sourire et elle a une lueur
dans les yeux.
Je me redresse de toute ma taille.
C’est une plaisanterie ?
Je suis à quelques pieds de là et arrive en force quand
Daisy jette un œil dans ma direction et que nos regards se
croisent.
CHAPITRE 19

DAISY

O h, putain, qu’est-ce qui retient Olivia ?


Ça fait un bon quart d’heure qu’elle est partie.
Quand elle est allée aux toilettes, j’aurais dû l’accompagner.
Au lieu de ça, j’ai décidé de parler avec ce type. Il est
séduisant d’une façon un peu bourge. Il me rappelle un peu
Logan. Le seul problème est qu’il a ouvert la bouche et c’est
parti en couille depuis. Il n’arrête pas de déblatérer sur sa
fraternité et sur le fait qu’ils ont les fêtes les plus épiques de
BU.
C’est chiant.
Si ça continue, je vais avoir besoin d’une transfusion de
Red Bull pour tenir toute la nuit.
J’ai besoin de trouver le moyen de m’extraire de cette
situation. Battre lentement en retraite n’est pas une option
parce qu’il joue avec mes cheveux. C’est comme s’il me
tenait en laisse avec l’intention de me tenir captive.
Alors que je m’apprête à me libérer les cheveux,
j’aperçois Carter.
Il se dirige vers nous d’un pas rapide. La foule s’écarte
pour le laisser passer. Il porte un T-shirt marron qui s’étire
sur son torse et lui serre les biceps.
Ma bouche se sèche en le voyant.
Il fronce le sourcil comme s’il était contrarié. Toute
attirance que j’ai senti vibrer à travers mon corps se dissipe
parce qu’il probablement en colère que je sois en train de
faire la fête alors qu’il se sent obligé de faire du baby-
sitting.
Ce n’est pas nécessaire, mon pote.
Je suis une grande fille. Je peux me débrouiller. Ne l’ai-je
pas déjà prouvé ?
Kevin, le bourge qui porte un polo rose pâle et un short
bleu marine orné de petits palmiers brodés, a changé de
sujet et parle maintenant du diplôme de business sur lequel
il bosse et me dit que son oncle possède la société
d’investissements dans laquelle il sera employé une fois ses
études finies. Il est tellement occupé à parler de son salaire
à six chiffres qu’il ne réalise pas que nous ne sommes plus
seuls.
Normalement, je ne suis jamais contente de voir Carter à
une fête.
Mais c’est un soulagement quand il glisse un bras autour
de mon corps et me serre contre lui. L’odeur de son après-
rasage m’assaille, me donnant envie de fermer les yeux et
d’inspirer profondément son odeur. J’invoque toutes mes
forces pour réprimer cette impulsion.
On reste silencieux tous les deux jusqu’à ce que Kevin se
rende compte qu’on n’est plus seuls. Confus, le sosie de
Logan cligne des paupières.
— Ahhh… dit-il d’une voix traînante.
Carter salue le bourge d’un geste du menton.
— Hé, ça va ?
J’ai particulièrement conscience de la proximité du pouce
de Carter de la courbe de mon sein. La chaleur de ses doigts
brûle ma chair à travers mon haut.
— Euh, j’avais une conversation avec…
La voix de Kevin meurt alors qu’il me regarde dans les
yeux pour me demander de l’aide.
Tu peux toujours rêver, mon pote.
S’il n’arrive pas à se souvenir de mon prénom, je ne vais
pas certainement pas lui éviter de passer encore plus pour
un connard que ce que j’avais initialement présumé.
Refusant de se laisser stopper par un détail insignifiant,
Kevin s’éclaircit la gorge et se précipite en avant.
— Bon, peu importe… Si ça ne te fait rien, on était en
train d’apprendre à se connaître.
Sauf qu’il ne se souvient pas de mon nom.
Carter lève les mains pour retirer mes cheveux des
doigts de Kevin.
— Tu vas devoir arrêter et passer à autre chose.
À ce moment précis, on peut quasiment voir que ce que
Kevin avait cru qu’il allait arriver ce soir ne va pas se passer.
L’expression de son visage est presque comique.
Il plisse les yeux et observe Carter de plus près.
— On se connaît ?
Carter hausse les épaules et sa prise sur moi se resserre.
— Je ne sais pas.
Le sosie blond de Logan hoche la tête et brandit un index
vers lui.
— Oui, je te connais.
Il sourit d’un air moqueur.
— Tu as essayé d’intégrer la fraternité l’année dernière et
on t’a refusé.
Je laisse échapper un rire en secouant la tête.
— Je ne crois pas. C’est Carter Prescott.
Le regard de Kevin reste vitreux.
— Tu sais, Carter Prescott, la star de BU ?
Quand son expression reste vide, je désigne les environs
d’un geste.
— Carter Prescott, la raison pour laquelle on fait la fête ?
Kevin comprend enfin à qui il a à faire.
— Tu es certain de ne pas avoir prêté serment l’année
dernière ?
— Certain, dit Carter d’un ton sec.
— Euh, dit Kevin en se grattant le menton. Et tu ne veux
pas nous rejoindre cette année ? On a des fêtes super.
Il lève le poing et pousse un vivat.
L’expression de Carter reste vide.
— J’y réfléchis et je te recontacte.
Kevin lui donne une bourrade sur l’épaule.
— D’accord, vieux.
Ce mec ne m’adresse pas le moindre signe alors qu’il se
fond dans la foule.
Carter secoue la tête.
— Tu as des goûts horribles en matière de mecs.
Je ne peux pas m’empêcher de ricaner. Il a raison.
J’affiche un air faussement contrarié. La posture de Carter
m’indique qu’il s’attend à de la colère. Dans des
circonstances normales, c’est exactement ce qu’il aurait eu.
— Merci, lui dis-je plutôt.
— De quoi ?
— D’être intervenu avant que je meure d’ennui.
— Que je comprenne bien… dit-il en haussant les
sourcils. Tu me remercies de m’être interposé ?
— Ouais, dis-je avec un lent sourire.
— Euh… Et moi qui pensais que ça t’irriterait que j’aie
fait fuir un clown supplémentaire.
— Pas cette fois.
À l’avenir, il faudra que je me rappelle de rester à l’écart
des étudiants de fraternité.
— Eh bien, je crois qu’il y a une première fois pour tout,
dit-il.
— C’est ce que je pensais.
Parce que son bras est toujours autour de mes épaules et
l’impulsion de me plaquer contre sa force palpite à travers
moi, je sors de son étreinte pour imposer une certaine
distance entre nous. Mais l’odeur propre de son après-
rasage continue de s’enrouler autour de moi.
Je m’écarte de deux autres pas.
— Eh bien, merci d’avoir aidé une amie.
Je brandis un pouce par-dessus mon épaule tout en
m’écartant.
— Je devrais aller chercher Olivia. Elle a disparu et on est
censées se protéger mutuellement.
— Elle est dans la cuisine et discute avec Beerman.
— Beerman ? je répète.
Jamais entendu parler de ce mec.
— Tanner Beerman, clarifie Carter.
Ahhh, Tanner.
Carter tend un index dans ma direction. Son expression
contrariée revient en force.
— Ton cousin ne veut pas que tu fricotes avec ses
coéquipiers.
Hein ? D’où ça sort ?
Je me redresse de toute ma taille – c’est-à-dire trente
centimètres de moins que Carter – et je croise les bras.
— Pourquoi tu me dis ça ? Tanner ne m’intéresse pas.
Son expression se radoucit.
— Ah non ?
— Non.
— Il y a un petit truc entre Tanner et Olivia, expliqué-je.
Ils se sont échangé des textos. J’ai essayé de
l’encourager à faire le premier pas, mais ce n’est pas le
style d’Olivia.
— Pour quel genre d’amie tu me prends ? Les copines
passent avant les pines, plaisanté-je.
— Oh.
Ses épaules perdent un peu de leur rigidité alors qu’il
oscille d’un pied sur l’autre.
J’ai vraiment besoin de m’éloigner de lui, alors je souris
et dis :
— Si on a fini de mettre les choses au clair, je vais y aller.
Et j’espère bien trouver un autre coup d’un soir. Un mec
qui ne soit pas aussi imbu de lui-même.
Juste alors que je me tourne, prête à m’échapper dans la
foule, des doigts s’enroulent autour de mon bras et me
tiennent en place. Je fronce les sourcils.
— Qu’est-ce que tu fais ?
— Je reste collé à toi comme de la glu, Thompson.
Il affiche un sourire en coin.
— Je te suivrai où que tu ailles.
Il fait danser un doigt entre nous.
— Ne t’inquiète pas d’avoir été abandonnée. Tu as un
nouveau et meilleur acolyte. Je ne te quitterai pas d’un pas.
Je pousse un soupir.
— Quoi ? Certainement pas ! Je vais retrouver ma pote
tout de suite. On est plus heureux à deux qu’à trois.
Il hausse les épaules.
— On sait tous les deux que Noah aurait envie que je
garde un œil sur toi.
— Arrête un peu, dis-je en levant les yeux au ciel. Je me
débrouille parfaitement bien toute seule.
— Non. Ce soir, toi et moi, on va rester ensemble.
— Mais…
Il secoue la tête.
— Pas de si, de et ou de mais.
Ça fout le bordel dans mes projets.
Mon expression doit trahir mes pensées, parce qu’il
plisse les yeux.
— Ça va être un problème pour toi ?
— Non, soupiré-je. Pas du tout.
Puis je grommelle :
— Ce n’est vraiment pas nécessaire. J’ai vingt et un ans.
Je n’ai pas besoin de babysitter.
Il laisse courir les yeux sur la fête et dit d’une voix
crispée :
— Fais-moi confiance, c’est complètement nécessaire.
À en juger par l’inclinaison obstinée de son menton et la
détermination dans ses yeux, je vois que protester ne me
mènera nulle part.
— Très bien, marmonné-je.
Carter a de la chance que je sois d’humeur à faire la fête.
Particulièrement maintenant que je suis débarrassée de
Kevin.
La première chose qu’on fait est de chercher Olivia.
Comme Carter l’avait dit, elle est dans la cuisine avec
Tanner. Ils sont en pleine conversation. Comme le jour du
barbecue de la fête du Travail, ils se sont rapprochés et se
sourient.
J’observe Olivia sans bouger pendant quelques secondes.
Je n’aimerais pas interrompre ce qu’il se passe entre eux.
L’objectif d’Olivia pour cette année est de coucher. Enfin, ce
n’est pas vraiment son objectif. C’est le mien. Je ne sais
absolument pas comment elle a fait pour se raccrocher à sa
virginité. Je crois qu’elle attendait Noah, mais tant qu’Ashley
sera là, il ne se passera rien.
Tanner sera peut-être le mec. Il n’a pas besoin d’être là
pour toujours. Si vous voulez mon avis, Monsieur Tout de
Suite suffit amplement.
Quand je lui ai suggéré en première année qu’elle devrait
sélectionner un mec mignon au hasard pour passer à l’acte,
elle m’a regardée avec horreur et m’a dit qu’elle voulait que
sa première fois soit spéciale.
Clairement, elle a lu trop de romances.
Sans quoi, elle aurait su que les premières fois n’ont rien
de spécial. Ce sont de simples désagréments dont on a
besoin de se débarrasser par l’entremise de l’alcool. Même
après ça, il faut encore plusieurs fois avant d’entrevoir ce
qui est si spécial.
Mais chacun son truc, non ?
La virginité d’Olivia la concerne, après tout. Du moins
est-ce ce qu’elle me dit à chaque fois que je mentionne le
sujet.
Ma décision prise, je me retourne vers Carter qui me
talonne de si près que lorsque je me retourne, mes seins
frôlent sa poitrine. Je suis vraiment gênée que mes
mamelons entrent en alerte absolue. Je fais un pas en
arrière et il pose les mains sur mes épaules pour me
stabiliser.
Il hausse un sourcil.
Je réprime la chaleur qui s’empare de moi et secoue mon
verre vide.
— On devrait peut-être se resservir ?
Il fronce les sourcils et regarde mon verre.
— Tu en as déjà bu combien ?
— Largement pas assez pour pouvoir te supporter le
reste de la soirée, marmonné-je.
— Très bien. Tu peux en avoir un de plus.
Je lève les yeux au ciel.
— Euh, merci, Papa.
Qui a fait de Carter ma babysitter ?
Ce niveau d’attention est pire que celui de mon cousin.
Généralement, à un moment de la soirée, Ashley accapare
Noah et je suis libre de faire ce que je veux. J’ai comme
l’impression que ça n’arrivera pas avec Carter. Il va prendre
son rôle de protecteur bien trop au sérieux.
Au lieu de nous disputer, on se dirige vers le bar de
fortune de l’autre côté de la pièce où le fût est installé.
J’observe la table, avec tous les alcools forts imaginables, et
j’adresse un regard en coin à Carter.
— Je suis d’humeur à boire un shot, déclaré-je.
Comme je m’y attendais, il pousse un grognement.
— Pas de shots.
Carter ne boit pas beaucoup. Il s’en tient à la bière et
n’en prend jamais plus d’une ou deux.
— Un shot, dis-je d’une voix caressante.
— Les shots ne sont jamais une bonne idée.
Normalement, je serais d’accord avec cette évaluation,
mais je ne suis pas disposée à accepter quoi que Carter ait
à dire. Il a réussi à bousiller tout le plaisir de ma soirée. Ça
va être vraiment difficile de trouver un coup si je me le
traîne comme un boulet. Enfin, c’est possible… mais ça
serait bizarre. Et j’ai la sensation que Carter va finir par faire
fuir tous les mecs qui s’approcheront de trop près.
Dylan gère toujours le bar.
Une fois que Carter attire son attention, il me regarde.
— Qu’est-ce que tu veux ?
J’étudie la sélection et je pince les lèvres.
— Un Fireball.
Carter hoche la tête et lève un index.
— Un Fireball.
— Deux, je l’interromps.
Il me répond d’un froncement de sourcils.
— Tu ne vas pas prendre deux shots.
— Un pour toi et un pour moi, dis-je en le regardant
comme s’il était idiot.
— Je déteste les shots, grommelle-t-il.
— Je sais, dis-je en souriant. C’est pour ça que je veux
que tu le fasses.
S’il va me causer problème, je serai ravie de lui rendre la
pareille. Cela dit, c’est le genre de logique qui m’attire
généralement des problèmes.
— Très bien.
Cette perspective n’a pas l’air de le ravir.
— Deux Fireball. Mais c’est tout ! Pas plus !
— Oui, comme tu veux.
Je n’ai pas l’intention de m’arrêter à un seul, mais j’ai
assez de jugeote pour garder cette information pour moi.
Pour le moment.
Une fois que Dylan remplit nos verres, on prend chacun
le sien. Je lève le mien et attends que Carter fasse pareil.
— Et si on portait un toast ?
Carter lève les yeux au ciel.
— Oui, pourquoi pas.
Oh, ma belle, c’est juste le début. Accroche ta ceinture,
ça va secouer.
Je lève mon verre en l’air et m’éclaircis la gorge.
— On boit pour ceux qui nous aiment, ceux qui ne nous
aiment pas, on boit pour ceux qui nous baisent et que les
autres aillent se faire foutre !
Ses lèvres tressautent.
— Tu ne peux pas juste dire « cul sec », non ?
Je lui adresse un grand sourire.
— Touché !
On trinque avec nos gobelets en plastique et on
s’enquille l’alcool cul sec. Je plisse le visage quand le liquide
me brûle la gorge.
— Délicieux ! clapoté-je.
Dans l’autre pièce, des vivats attirent mon attention.
Je tends le cou pour voir ce qu’il se passe.
— Ouais, beer pong ! J’adore ce jeu. Viens, jouons !
Carter ne va pas me gâcher le plaisir. S’il veut rester sur
la touche et regarder, ça me convient parfaitement. Tant
qu’il ne reste pas dans mes pattes…
— Sérieux ?
— Ouais, dis-je en lui coulant un regard en coin. Sens-toi
libre de partir quand tu voudras. Personne ne te force à
rester collé à moi.
Il secoue la tête.
— Tu peux toujours rêver, Thompson.
Je hausse les épaules et me dirige droit vers la table.
Carter me suit, ne me laissant pas le précéder de plus de
quelques pas. Puisque je reconnais quelques joueurs, je leur
dis que je défie le gagnant, mais que j’ai besoin d’un
partenaire.
Un mec se redresse d’un bond.
— Je serai ton…
— Rassieds-toi, dit Carter qui enroule un bras autour de
moi. Elle a un partenaire.
Une nouvelle partie commence et très vite, Carter et moi
prenons la tête. Cela dit, on ne cesse d’enchaîner les verres.
C’est le but du jeu, n’est-ce pas ?
Je me concentre et je jette la petite balle blanche dans le
verre en plastique. Elle y pénètre directement en frôlant à
peine le rebord. Je me tourne vers Carter, sautille
joyeusement sur place et lève la main pour toper.
Un petit sourire joue au coin de ses lèvres tandis qu’il
secoue la tête.
— Qu’est-ce que tu fais ? Tu fais des nuits blanches et tu
t’entraînes dans ta chambre ?
— Non. Je sais bien viser, c’est tout.
— Oui, je m’en souviens.
Son sourire se fait taquin.
— Tu as failli me dégommer avec la télécommande.
Ce n’était pas drôle sur le moment, mais maintenant,
c’est amusant. Je peux en rire sans avoir envie de lui tordre
le cou.
Olivia m’a envoyé un texto il y a trente minutes pour me
faire savoir que Tanner et elle partaient manger quelque
part. Elle décline ma proposition de les accompagner. Je n’ai
rencontré Tanner que quelques fois, mais il a l’air d’être un
chic type.
C’est bien de voir qu’elle tourne la page sur mon cousin.
Si Noah est trop aveugle pour voir ce qui est pile sous son
nez, il ne la mérite pas. C’est peut-être Ashley qu’il mérite
et que Dieu nous vienne en aide si c’est le cas.
Il est plus d’1 heure du matin quand Carter suggère
d’aller se coucher. À cette heure, je suis fatiguée et
pompette. Je ne l’admettrai pas devant Carter, mais je me
suis bien amusée. Jouer au beer pong était amusant. Et –
autre surprise ! – on forme une bonne équipe.
Je sais.
Qui l’aurait cru, n’est-ce pas ?
CHAPITRE 20

CARTER

Q uand j’enfonce la clé dans la serrure de l’appartement,


je réalise brutalement que Noah ne rentrera pas avant
demain soir. Ashley l’a traîné à un mariage ou une fête
d’anniversaire. Franchement, je n’avais pas prêté trop
attention aux détails, j’étais juste soulagé de n’être pas
impliqué.
J’allume la lumière dans le salon alors que Daisy passe
devant moi. Mes yeux se posent sur ses fesses et encore
une fois, je prends conscience qu’on est seuls. Seuls. Je
détourne le regard et me dirige vers la cuisine pour me
servir un verre d’eau et éteindre le feu qui brûle à l’intérieur
de moi. Je suis légèrement pompette et j’ai besoin de
dessouler.
Daisy aussi est bourrée. Plus que moi. Elle sourit et
fredonne une chanson à mi-voix. Je n’arrive pas à
reconnaître quoi, probablement parce qu’elle ne sonne pas
juste. Le chant ne compte pas au nombre de ses multiples
talents.
Quand elle effectue une ligne droite vers la chambre à
coucher, mes muscles se détendent et je pousse un soupir
de soulagement. La meilleure chose que je puisse faire est
d’aller directement me coucher et de rester loin d’elle
jusqu’au retour de Noah.
— Bonne nuit !
Je fais rouler mes épaules, essayant de libérer un peu de
la tension qui s’y est accumulée pendant les deux dernières
heures que j’ai passé avec elle. Même si j’ai adoré cette
soirée, ça me tue. J’ai envie que Daisy soit à moi et c’est
impossible. Il est vital pour moi de garder mes distances.
C’est nul !
Elle jette un regard par-dessus son épaule.
— Je ne prévoyais pas d’aller déjà me coucher. Je vais
enfiler mon pyjama.
Oh.
Putain, non !
Il ne vaut mieux pas !
Ma queue trouve que c’est une idée géniale, parce que je
sais exactement en quoi consiste son pyjama. Daisy pousse
la porte de sa chambre pour la refermer, mais elle ne s’est
pas claquée. Un espace d’une vingtaine de centimètres me
laisse entrevoir l’intérieur de la pièce.
Aussi tenté que je sois de m’y diriger, je reste dans la
cuisine, comme de droit. Je préfère avaler un verre d’eau et
faire les cent pas. Passer la moindre minute supplémentaire
avec Daisy est une idée désastreuse.
Ça ne déboulerait sur rien de bien.
Pas.
Une.
Seule.
Chose.
Dès qu’elle reviendra, je lui dirai que je ne tiens plus
debout et j’irai me coucher. Ce n’est pas un mensonge. Je
suis fatigué. Passer trois heures sur le terrain sous un soleil
de plomb a tendance à te vider de ton énergie. Ma décision
prise, je fais volte-face quand je l’entends entrer à pas de
loup dans le salon. J’ouvre la bouche, mais le seul son qui
s’en échappe est un grognement.
Daisy porte un débardeur rose fluo qui moule les courbes
de ses seins. Comme si ça ne suffisait pas, elle porte un
mini short noir qui me fait durcir la queue chaque fois que je
la vois dedans.
Je n’ai qu’à fermer les yeux et à m’imaginer ce putain de
short pour avoir le gourdin.
Elle a les cheveux lâchés sur les épaules et ses yeux
pétillent comme la mer des Caraïbes.
Merde. Merde. Merde.
Je suis vraiment dans la merde. Si elle essaye de me
mettre à genoux, elle se débrouille très bien. Je détourne les
yeux parce que la regarder est comme d’observer le soleil
en face.
C’est éblouissant. Vertigineux.
Je dois m’éloigner d’elle avant de faire quelque chose de
stupide.
Ignorant tout de mon conflit intérieur, elle se laisse
tomber sur le sofa, prend la télécommande et allume la
télévision.
— Tu veux regarder un film ?
Non !
Ab-so-lu-ment pas.
— Oui, dis-je.
J’aimerais plutôt lui tordre le cou.
Elle m’adresse un grand sourire et je suis stupéfait parce
que je peux compter sur les doigts d’une main le nombre de
fois où Daisy m’a adressé un sourire sincère. En comptant
cette fois, ce serait la première fois.
— Qu’est-ce que tu veux regarder ? demanda-t-elle.
Je hausse les épaules et gravite vers elle.
— Peu m’importe. Choisis, toi.
— D’accord, dit-elle d’une voix chantante. Tu t’en
souviendras quand tu te retrouveras en plein milieu d’une
comédie romantique et que tu auras envie de te tirer une
balle.
Je m’installe sur le canapé en laissant trente centimètres
d’écart entre nous.
C’est suffisant, non ?
Daisy fait défiler plusieurs films jusqu’à ce qu’elle trouve
celui qu’elle veut. On regarde la bande annonce et elle
m’interroge d’un haussement de sourcils. Je hoche la tête et
elle enclenche le film. Au bout de vingt minutes, mes
muscles se détendent graduellement et je me relaxe, me
perdant dans l’humour de la comédie romantique qu’on est
en train de regarder.
Ce n’est pas si mal.
Qu’est-ce que je redoutais autant ?
Je fréquente cette fille depuis la première année et il ne
s’est rien passé parce que je ne l’ai pas autorisé. Et c’est là
l’élément-clé. Tant que je garde cela à l’esprit, tout ira bien.
Le désir ne disparaîtra peut-être jamais, mais ça ne veut pas
dire que je doive passer à l’acte.
Parce que je suis distrait par la fille à côté de moi – son
apparence quand elle rit, la fraîcheur de son parfum floral,
les regards qu’elle m’adresse pour voir si je ris aussi –, je
mets environ quarante minutes avant de me rendre compte
que les personnages principaux du film se plaisent, mais se
disputent constamment et se repoussent.
Oh, putain ! Sérieusement ?
Je change de position sur le canapé et coule à Daisy un
regard en coin, espérant qu’elle n’ait pas relevé la similarité
avec notre situation. Cela dit, ce n’est pas elle qui me
repousse. Elle réagit au fait que je sois un connard. Il y a
une différence.
Je me passe une main sur le visage, ayant besoin que ce
film se termine afin de pouvoir me retirer dans ma chambre
pour les vingt-quatre heures qui viennent. Le temps qu’on
arrive au générique de fin, je suis une véritable boule de
nerfs. Naturellement, les personnages principaux se mettent
ensemble et règlent leurs problèmes avant de vivre heureux
pour toujours.
Je contiens un reniflement moqueur.
Si seulement tout était aussi simple ! Certains problèmes
sont insurmontables. Ils ne peuvent pas être résolus en une
heure et demie. La vie est compliquée et ce n’est pas juste.
Parfois, malgré le désir qu’on ressent pour quelqu’un, ça
n’arrivera pas.
C’est une de ces occasions.
Je prends la télécommande et éteins la télévision. Je
regarde Daisy, prêt à laisser cette nuit derrière moi. L’écran
de télé reste noir, mais elle continue à le regarder. Elle
plisse le front comme si elle essayait de résoudre un
problème dans sa tête.
Je ne vais pas mentir, c’est un peu déconcertant.
— Bon… dis-je en désignant ma chambre avec le pouce.
Je vais me coucher.
J’ai hâte de m’éloigner d’elle.
— Je suis vraiment épuisé, j’ajoute, au cas où elle ne
m’aurait pas entendu la première fois.
Elle me regarde dans les yeux.
— Je sais qu’on s’est mis d’accord pour oublier le passé
et tourner la page, mais je ne peux pas. Je veux savoir quel
problème tu avais avec moi.
Elle marque un petit temps d’arrêt.
— J’ai besoin de savoir.
— Quoi ?
J’éclate de rire, mais le son est étranglé et aigu.
— Je t’ai dit que ça n’avait rien à voir avec toi. C’était
juste moi. D’accord ? Bon ! dis-je sans attendre de réponse.
Je suis content que ça soit réglé. On peut aller se coucher.
Daisy secoue la tête et le pli qui barre son front
s’approfondit. Elle m’épingle du regard et je n’arrive plus à
bouger ou à respirer.
— Allez, Carter. Sois honnête avec moi.
Elle tourne son corps vers le mien.
— Quoi que ce soit, je ne me mettrai pas en colère.
Je ferme les yeux et prends une inspiration sifflante, mais
ça n’aide absolument pas à me calmer.
— Il n’y a rien à dire.
— Ça n’a aucun sens, insiste-t-elle. Je ne comprends pas
pourquoi on ne peut pas en parler comme des adultes.
Putain, elle est comme un de ces petits chiens bruyants
avec un os.
Arrête, ma belle !
Passe à autre chose !
— Arrête ! lui lancé-je.
— Je ne peux pas.
Elle carre les épaules et me fusille du regard.
— Il doit y avoir une raison pour laquelle tu m’as traitée
comme de la merde. Je veux savoir ce que c’était.
Je pince fort les lèvres.
— Tu t’es toujours comporté comme un vrai con.
Pourquoi ?
Elle secoue la tête et ses cheveux rebondissent sur ses
épaules.
Je suis tenté de tendre la main et de…
Sa langue sort humecter ses lèvres, un geste qui manque
me tuer.
— Je t’en prie, dis-le-moi.
Ses yeux se voilent.
— Ton comportement… Il m’a toujours dérangé.
— Je…
Je ne peux rien dire qui lui fasse comprendre sans trop en
révéler sur moi-même, et je ne peux pas le faire. J’ai besoin
que les barrières entre nous restent fermement en place.
Parce que sans elles…
Je ne veux même pas penser à ce qu’il pourrait se passer.
Les dégâts qui seraient infligés.
— Je suis un connard avec tout le monde, marmonné-je.
— Ce n’est pas vrai.
Elle hausse le ton.
— Tu es gentil avec les filles avec lesquelles tu couches.
Ce n’est pas une conversation que je souhaite avoir avec
elle. Elle ne réalise pas le genre de boîte de Pandore qu’elle
essaye d’ouvrir.
Je me redresse d’un bond.
— Cette discussion ne sert à rien. Je vais me coucher.
Elle reste bouche bée alors que je me précipite vers ma
chambre. J’ai besoin d’un peu de distance pour pouvoir
reprendre le contrôle sur mes émotions. Je ne me laisserai
pas forcer à admettre quelque chose qui ne nous fera aucun
bien, à l’un comme à l’autre.
— Je ne t’aurais jamais pris pour une mauviette, s’écrie-t-
elle.
Je me tourne vers elle. La colère et le désir envahissent
mon système.
— Pardon ?
Elle quitte le canapé d’un bond. Elle s’approche de moi
sans me quitter des yeux.
— Tu m’as parfaitement entendue.
Plus elle se rapproche, plus elle incline la tête en arrière
pour soutenir mon regard.
— Tu es une mauviette, Carter Prescott. Je ne comprends
pas pourquoi tu ne peux simplement pas être honnête avec
moi. C’est quoi ton problème ?
Je serre les poings pour réprimer le besoin de tendre les
mains pour m’emparer d’elle, pour coller son corps au mien.
Mais je ne peux pas faire ça.
Elle n’est pas à moi.
Daisy ne sera jamais à moi.
Ses pensées me traversent comme une lame de rasoir.
La douleur rayonne dans tout mon corps.
Pourquoi ne peut-elle pas lâcher l’affaire ?
Ne se rend-elle pas compte que je ne tiens plus qu’à un
fil ?
Devant mon silence, elle me réplique :
— Tu as passé toutes ces années à me faire réagir et à
me contrarier. Il doit bien y avoir une raison.
Je ne sais pas pourquoi je m’attendais à autre chose.
C’est Daisy Thompson tout craché. C’est une des qualités
que j’admire le plus chez elle. Quand cette fille veut quelque
chose, elle ne s’arrêtera à rien avant de l’obtenir.
Ça s’appelle de la ténacité et c’est super excitant. Sauf
dans le cas présent, alors qu’elle s’efforce de me pousser à
bout.
Elle fait un autre pas vers moi, mais je ne cède pas. Alors
qu’elle tend le bras pour me toucher, je lui saisis la main
avant qu’on n’entre en contact. Mes doigts s’enroulent
autour de son poignet pour le maintenir en place. Je ne
pense pas pouvoir tolérer de sentir ses doigts effleurer ma
peau.
— Dis-moi la vérité, m’implore-t-elle. N’est-ce pas ce que
je mérite ?
Mon cœur titube.
Malgré mon envie de lui donner ce qu’elle demande, je
ne peux pas :
— Il n’y a rien à dire. Il n’y a jamais rien eu.
Je hausse les épaules.
— Tu as trop bu.
Daisy éclate de rire et secoue la tête.
— Allez, Carter. Tu sais que je ne suis pas saoule. J’étais
peut-être un peu pompette tout à l’heure à la fête, mais pas
cette fois.
Elle se rapproche, mais je ne lui lâche pas le poignet.
— Va te coucher, l’imploré-je. Et on pourra oublier que
cette conversation est arrivée. D’accord ?
Une fois que je m’écroulerai, je ne pourrai pas revenir en
arrière.
Elle fait un autre pas en avant jusqu’à ce que ses seins
se retrouvent pressés contre ma poitrine.
— Est-ce ce que tu veux ?
Elle lève l’autre main pour me prendre la joue.
— Oublier ?
Certainement pas.
Je secoue la tête en baissant les yeux vers sa bouche.
Elle mordille sa lèvre inférieure. Combien de fois ai-je rêvé
de faire ça ?
Trop pour les compter.
— Merde, marmonné-je.
Les murs que j’ai construits autour de moi s’écroulent
plus facilement que j’aurais pu le prédire. Que ce soit une
bonne idée ou pas ne compte plus, parce que ça va arriver.
On ne peut plus rien arrêter.
Mon bras s’enroule autour d’elle, l’attirant assez pour
qu’elle sente mon érection contre son ventre.
— C’est ce que tu veux ? dis-je d’une voix râpeuse, mon
ultime tentative pour la faire fuir.
Une partie de moi prie pour qu’elle secoue la tête et me
dise non. Alors, je pourrai partir et on fera semblant que
tout ceci n’était qu’une bêtise due à l’ivresse. Je devrais
peut-être la prendre au mot. Daisy libère brusquement son
poignet de ma main et je me demande si j’ai enfin poussé le
bouchon trop loin et si elle va reprendre ses esprits.
Ce devrait être un soulagement. Un désastre évité de
justesse. Mais non ! La déception m’envahit, manquant de
m’engloutir entièrement.
Au lieu de se libérer, elle place son autre main sur le côté
de mon visage, se hisse sur la pointe des pieds et plaque
ses lèvres contre les miennes. Elle ne ferme pas les yeux,
mais ne cesse de me regarder durant tout ce temps.
Ça suffit pour me faire perdre la partie.
Mes mains descendent sur ses fesses et je la soulève.
Ses jambes s’enroulent autour de ma taille. Son sexe palpite
contre ma verge. Ce contact la fait gémir et elle colle sa
bouche à la mienne. Nos langues se mêlent, battent en
retraite puis s’enfoncent.
Je ne me rends pas compte qu’on est dans ma chambre
ou que j’ai refermé la porte avant de l’avoir étendue sur
mon lit. L’impensable est arrivé. Ma maîtrise d’acier s’est
évaporée. J’explore ses yeux remplis de désir, conscient
qu’on ne peut plus revenir en arrière.
Plus maintenant.
— Il faut que tu sois absolument certaine que tu en aies
envie, lancé-je.
Ces mots rudes pèsent dans l’atmosphère entre nous
alors que j’attends de voir ce qu’elle va faire.
CHAPITRE 21

DAISY

J ’ai envie d’éclater de rire, mais je ne pense pas être


capable de produire ce son. C’est une vérité peu connue
que je viens à peine d’admettre à moi-même. Je désire
Carter Prescott. Je l’ai désiré depuis que j’ai posé les yeux
sur lui pour la première fois, même si j’ai soutenu le
contraire.
— J’en ai envie, Carter, murmuré-je.
Le désir se réveille dans ses yeux avant d’être étouffé.
— C’est ta dernière chance d’arrêter, dit-il d’un ton
bourru. On pourra oublier que c’est arrivé.
Je m’appuie sur les coudes.
Oublier que ça s’est passé ?
Je lève les doigts et les fais courir sur mes lèvres. La
pression de sa bouche contre elle les fait picoter.
Oublier ce baiser ?
— Je ne vais nulle part.
J’ai peur de l’admettre, mais je ne veux pas me retenir.
— J’ai envie de toi.
Le doute et le désir luttent sur son visage. Il se débat
contre ce qu’on désire tous les deux. Il est tout près de
céder.
Il faut que je place la barre plus haut.
Sans me donner le temps de songer aux ramifications de
mes actes, je me rassieds, saisis l’ourlet de mon débardeur
et le fais passer sur ma tête avant de le jeter à terre. La
chair de poule danse le long de ma peau quand il me
parcourt du regard. Il serre les dents et referme les poings. Il
ne quitte pas l’extrémité du lit alors que je m’allonge sur le
matelas.
Un grognement vrombit dans sa poitrine quand je saisis
mes seins et les masse. Je fais courir le bout de mes doigts
contre les côtés et fais des cercles autour des mamelons
jusqu’à ce qu’ils dardent.
— Merde ! siffle-t-il en s’arrachant son T-shirt.
Il remonte alors le long de mon corps jusqu’à ce que tous
ses muscles puissants frôlent mes courbes plus douces. Il
s’installe entre mes cuisses et son poids m’enfonce dans
mon matelas. J’enroule mes jambes autour de sa taille,
serrant son corps près du mien. Sa verge presse sur mon
intimité. Mes seins sont comprimés contre les muscles bien
dessinés de sa poitrine.
L’anticipation m’envahit alors que sa bouche s’écrase sur
la mienne. Il n’y a rien de doux dans cette caresse. J’ai envie
qu’il me dévore et c’est exactement ce qu’il fait. Dès que
mes lèvres s’écartent, sa langue s’enfonce à l’intérieur et
lutte contre la mienne. Il me prive de mon oxygène jusqu’à
ce que j’aie l’impression qu’on flotte au fond de l’océan. J’ai
seulement conscience de la sensation de sa bouche contre
la mienne.
Putain… Ce baiser ! Il est interminable.
Je hoquette quand il roule sur lui-même et que je me
retrouve enroulée autour de lui. Mes paumes aplaties sur sa
poitrine, je me redresse pour pouvoir m’installer à
califourchon sur lui. Je gémis alors que ses pouces calleux
jouent avec mes mamelons. Ses mains sont grandes et
fortes, mais pourtant douces. Ses caresses diffèrent du
baiser qu’on vient de partager. Il y a une révérence dans les
profondeurs argentées de ses prunelles qui me fait me
sentir désirée.
Je tourne quasiment de l’œil quand il ondule des hanches
et que son érection se frotte à moi. Le désir se rassemble
dans mon ventre. Je ne me souviens pas de la dernière fois
où j’ai été aussi excitée. Il prend la lourdeur de mes seins
dans ses paumes, comme s’il apprenait leur contour.
— Tu es belle, murmure-t-il. Plus que je l’aurais rêvé.
Mes paupières se referment doucement.
Ne tolérant pas cette douce torture une seconde de plus,
ses mains glissent sur ma cage thoracique. Des ondes de
choc se répercutent à travers mon corps alors qu’il saisit
mes hanches, les maintenant en place alors qu’il donne des
coups de reins. Ses mouvements sont mesurés, comme si
on avait tout le temps du monde. Mon short de pyjama est
déjà moite d’excitation.
— Ça te plaît ? dit-il d’une voix râpeuse.
— Beaucoup. Je voudrais que ça ne se termine jamais.
Sa main parcourt le V entre mes cuisses et frôle mon
intimité. Une autre volée de feux d’artifice explose dans
mon sexe. Je gémis quand son pouce s’installe contre le
tissu moite qui recouvre mon clitoris et qu’il me caresse à
petits cercles. Je me cambre et me soulève pour qu’il puisse
me caresser plus en profondeur.
— J’ai besoin de sentir ta chatte, rugit-il.
J’ouvre brusquement les paupières alors que la pression
contre mon clitoris disparaît et que je pousse un
gémissement de protestation. Carter saisit une poignée de
tissu et fait descendre ma culotte jusqu’à ce que je sois
exposée. Des éclairs traversent mon corps quand il
recommence à me caresser.
— Je veux te l’enlever, marmonne-t-il en faisant
descendre le tissu sur mes hanches jusqu’à ce que
l’élastique soit étiré au maximum et ne puisse plus bouger
sur mes cuisses.
Prenant les choses en main, je me redresse. Au même
moment, il fait descendre le tissu sur mes jambes. Je lève
un pied, puis l’autre. Il tire sur le pantalon de pyjama et le
jette sur le côté. Alors que je m’abaisse, ses mains
s’enroulent autour de mes hanches et interrompent mon
mouvement. Je lui jette un coup d’œil, mais ses yeux sont
braqués sur le V entre mes jambes.
— Nue, siffle-t-il.
La façon dont il contemple mon intimité dénudée fait
s’accélérer mon pouls. Le désir tourbillonne comme une
volute de fumée dans mon ventre.
— J’ai besoin de goûter.
Il me manœuvre jusqu’à ce que ma intimité se retrouve
au-dessus de sa bouche.
Je frissonne quand je sens son souffle sur moi. Mes
cuisses s’écartent pour lui donner accès à ma chair sensible.
J’ai envie de fermer les yeux et me délecter du plaisir de son
contact, mais je ne peux pas. Je suis captivée par la façon
dont il se concentre sur moi. Avec des caresses assurées qui
me coupent la respiration, il mordille la lèvre inférieure avec
sa langue.
J’écarte les genoux, m’ouvrant davantage au-dessus de
lui. Mon corps est tendu d’anticipation. Tous mes muscles
sont rigides. Mon sexe palpite de désir. J’ai envie de le sentir
profondément enfoncé dans mon corps.
— Carter, je t’en prie, dis-je en gémissant. J’en veux plus.
— Plus de quoi ? gronde-t-il contre moi.
Il lève la tête et couvre mon clitoris avec ses lèvres. Un
cri se rassemble dans ma gorge alors qu’il glisse ses mains
sur mes hanches jusqu’à l’intérieur de mes cuisses et
découvre mon intimité. Je dois me retenir de toutes mes
forces pour ne pas me frotter contre lui. Quand il me
mordille le clitoris, tirant légèrement dessus, je perds le
contrôle. Le cri logé en moi se libère. Il sourit et
recommence.
— Je t’en prie, l’imploré-je. J’ai envie de te sentir en moi.
Je n’ai jamais désiré personne autant que Carter. C’est
comme si tout le reste avait disparu et qu’il ne restait que le
présent.
Rien d’autre ne compte.
Il lâche mon clitoris et enfonce profondément sa langue
en moi. Il répète son geste jusqu’à ce que je pleure de désir.
Encore quelques respirations et je vais trouver mon plaisir.
— C’est ce que tu voulais ? gronde-t-il contre ma peau
détrempée.
Incapable de former une phrase cohérente, je gémis sous
le poids du chaos qu’il a créé en moi.
— Tu as le goût du miel.
Il fait glisser sa langue du bas de ma fente jusqu’au
sommet.
Quand il atteint mon clitoris, il aspire la petite boule de
nerfs dans sa bouche et tire encore doucement dessus. Je
ne peux empêcher mes hanches de bouger contre lui.
— Je pourrais te dévorer toute la nuit, murmure-t-il.
Cette pensée me fait tourner la tête.
Carter écarte ma vulve avec ses pouces et en parcourt à
nouveau les contours, faisant courir dessus le plat de sa
langue.
Une fois.
Deux fois.
Trois fois.
Alors que je suis à deux doigts d’exploser, il s’enfonce
profondément. Ses doigts massent l’intérieur de mes
cuisses alors qu’il recommence à mordiller mon clitoris. Mon
corps se contracte alors que l’orgasme qui tourbillonnait au
creux de mon ventre explose et se brise en un million de
morceaux. Quand je jouis, ses mains se resserrent sur mes
hanches, me maintenant en place. Son nom tombe de mes
lèvres en un chant respectueux. Je ne pense pas avoir déjà
autant joui de toute ma vie. C’est comme une expérience de
voyage hors de mon corps.
Le temps que je reprenne connaissance, les mains de
Carter se sont radoucies. Il me donne des caresses tendres
qui submergent mes sens. Mon sexe est délicieusement
sensible, mais je rechigne à m’écarter. Mon esprit est
toujours embué par le plaisir. Je me force à ouvrir les
paupières et baisse les yeux vers Carter qui est toujours
enfoncé entre mes cuisses.
L’excitation brille fort dans son regard.
J’ai peut-être joui, mais pas lui.
Ses doigts se referment autour de mes hanches et
disparaissent. Alors que je m’apprête à glisser le long de
son corps, il me claque les fesses avec sa paume. Ce
contact inattendu me fait glapir. Il y a un éclair de douleur
avant que le plaisir n’éclose en moi.
Je viens de jouir et je devrais être repue. Mais mon désir
se rassemble déjà dans mon sexe.
Il a un grand sourire.
— Je t’ai déjà dit que j’adore tes fesses ?
J’explose de rire.
— Je crois me rappeler que tu l’as déjà mentionné.
On a passé tant de temps à se détester ! Je ne pensais
pas qu’il apprécie quoi que ce soit chez moi.
Avant qu’il ne puisse me donner une autre tape, je
redescends sur son corps jusqu’à ce que ma chaleur moite
se retrouve collée à sa poitrine. Il se cambre et grogne alors
que je plaque ma bouche contre la sienne. Le désir
tourbillonne en moi quand il s’ouvre et que je sens mon
goût sur ses lèvres. Nos langues se mêlent avant que je
puisse m’écarter.
Mon Dieu, il est magnifiquement fait ! Ses muscles
ressortent en relief.
Comment quelqu’un peut-il être aussi solide qu’un roc ?
J’ai envie d’explorer chaque centimètre de sa personne.
M’abaissant, je marque un temps d’arrêt devant son
short kaki et l’immense érection qu’il recouvre. Puis je la
caresse son sexe avec ma main. C’est mon imagination ou
bien il est plus grand que ce que je pensais ? Je me mordille
la lèvre inférieure alors que je le déboutonne rapidement,
ayant hâte de le découvrir. Je tire sur le tissu épais et
dévoile un caleçon noir qui moule ses hanches et ses
cuisses.
Sa queue se gonfle sous mon regard.
Je lève les yeux.
— Tu n’étais pas d’humeur pour les aubergines,
aujourd’hui ?
Il comprend la référence et affiche un sourire sexy.
— Pas besoin de promouvoir la marchandise quand il y a
une queue géante à l’intérieur.
— Une queue géante, ricané-je. J’ai toujours pensé que tu
étais un bâtard prétentieux. Maintenant, j’en suis certaine.
— Je ne veux pas me vanter, mais…
Il fait danser ses sourcils.
— Je n’ai jamais reçu que des compliments sur mon
paquet.
— Vraiment ?
Je ris et écarquille les yeux.
Il est si arrogant !
— C’est à moi de juger si tu es impressionnant ou pas.
As-tu déjà pensé que ces filles n’avaient vu que des petites
bites, alors tu as l’air bien doté par comparaison ?
Son ricanement se change en grognement alors que je
libère son érection. Je ravale ma surprise, ne voulant pas
flatter son ego déjà surdimensionné. Apparemment, toutes
les rumeurs murmurées sur le campus à propos de Carter
sont vraies. Il est réellement immense.
— Impressionnée ? demande-t-il d’un ton hautain.
— Bah, dis-je en haussant les épaules. J’ai vu plus gros.
C’est un mensonge éhonté.
Je n’ai jamais rien vu de cette taille-là. Et juste pour être
claire, j’ai vu ma part de bites au fil des années. C’est celle-
ci que je choisirais entre mille.
Carter Prescott a un joli gourdin.
Qui saurait résister à son attrait alors qu’il se dresse
aussi fièrement ?
Hum… pas moi !
Ai-je aussi mentionné que je viens de confirmer une
autre rumeur secrète ?
Ses boules et la base de sa verge sont dénuées de poils.
Je n’ai jamais rien vu de la sorte. Enfin, si (grâce à des gifs
coquins sur Tumblr), mais jamais en vrai. Je fais courir mes
doigts du bout de sa verge jusqu’à ses bourses lisses.
— Tu aimes les hommes entretenus ? demande-t-il d’une
voix tendue.
— J’adore.
C’est comme de recevoir un nouveau jouet pour Noël. J’ai
envie de jouer avec pendant des heures. Je me rapproche,
fais courir ma langue sur sa fente et perçois un bon goût
salé.
Carter grogne et je le refais.
Puisque les dames passent en premier, mon excitation a
déjà eu l’occasion de s’émousser. Carter n’a pas cette
chance. Il a l’air d’être à deux doigts d’exploser. Je n’ai
jamais caché que je voulais le torturer. Mon heure est
venue.
Cela dit, je n’aurais jamais imaginé que ce soit sur le plan
sexuel.
Je ne possède peut-être pas la vaste expérience de
Carter, mais j’ai quelques astuces en réserve.
On va voir quelle dose de plaisir il peut tolérer.
Je relève le défi.
CHAPITRE 22

CARTER

M erde !
Je sais que c’est mal, mais je ne pense pas que
quoi que ce soit ait déjà été aussi bien. La façon dont sa
langue lèche mon gland est un nirvana absolu. Elle donne
de lents coups de langue. Regarder la langue de Daisy
danser sur ma queue est la chose la plus excitante du
monde. Je tourne de l’œil quand elle me lèche de haut en
bas avant de laper mes boules épilées.
Bordel !
C’est incroyable !
Ahhhhh !
Les vagues de plaisir qui me traversent sont presque
suffocantes. Je ne sais pas comment je vais supporter plus
de quelques minutes de cette douce torture et elle ne m’a
même pas encore sucé. Je ne savais pas ce que Daisy
penserait de mon épilation sous la ceinture, mais vu sa
manière de me caresser, elle a l’air d’être fan.
Ce qui m’a mis sur la voie d’un entretien impeccable ?
Un pari stupide que j’avais perdu en deuxième année.
Vous savez quoi ? C’est la meilleure chose qui me soit
jamais arrivée. À ma coucherie suivante, j’ai été
agréablement surpris par la réaction qu’ont provoquée mes
valseuses. Sans la jungle de poils, elles reçoivent largement
plus de préliminaires.
Alors j’ai continué de les maintenir ainsi.
Est-ce que c’est un peu casse-couilles ?
Oui, ça prend du temps. Mais ça en vaut vraiment la
peine.
Et puisque j’apprécie les pubis parfaitement épilés, je
comprends parfaitement.
Je ne demanderais jamais à une fille de faire quelque
chose à laquelle je me refuserais personnellement.
Je vous en prie, les filles.
Agenouillée entre mes jambes, Daisy braque son
attention sur une bourse avant de passer lentement à
l’autre. Je ferme les yeux et profite de sa langue
talentueuse.
— J’aime qu’elles soient lisses, murmure-t-elle avec
admiration, confirmant mes soupçons.
— Je suis content que ça te plaise.
Parce que Dieu sait que j’adore ce qu’elle est en train de
faire. Je manque d’avaler ma langue quand elle suce un
testicule dans sa bouche avant de le libérer.
Bordel !
Qui est cette fille et où a-t-elle appris à faire ça ?
Une meilleure question : va-t-elle le refaire ?
Je suis au bord du précipice et cette petite manœuvre
m’entraîne plus près de l’explosion. Elle prodigue à l’autre la
même attention et sa langue remonte le long de ma verge.
Sa langue tourbillonne autour du gland palpitant.
L’aplatissant, elle en caresse le dessous délicat.
Mes doigts s’enfoncent dans sa chevelure. J’ai passé des
années à me demander quelle texture ils auraient. C’est
plus génial que ce que je m’étais imaginé.
Il y a des fois où tu veux quelque chose si fort que tu te
l’exagères jusqu’à ce qu’en faire l’expérience s’avère être
une déception.
Juste pour être clair, ce n’est pas une de ces situations.
Absolument pas.
Être avec Daisy est tellement mieux que ce que je
m’étais imaginé. On parle d’années d’un désir refoulé qui
fait rage comme une bête à l’intérieur de moi. Je ne sais pas
si un train de marchandises lancé à pleine vitesse saurait le
retenir.
Particulièrement quand Daisy aspire ma queue dans sa
bouche.
Putain !
Je ferme les paupières et me cambre sur le lit. Tous mes
muscles se contractent alors qu’elle monte et descend sur
mon érection. Chaque fois que je disparais à l’intérieur de sa
bouche, elle me prend plus profondément qu’avant.
Un orgasme naissant fait se contracter mes bourses.
Elle enroule les doigts autour de la base de ma verge et
l’étrangle. Mes hanches ondulent avec son mouvement. La
succion de sa bouche est la meilleure sensation de la terre
entière. Je ne sais pas si c’est parce qu’elle est douée pour
sucer ou bien si c’est parce que c’est elle, Daisy, la fille sur
laquelle j’ai passé des années à fantasmer.
Ça doit être ça. Ce que je ressens a tout à voir avec elle.
Mes doigts s’enfoncent dans ses cheveux. Ne voulant pas
jouir dans sa bouche, je l’écarte.
— Je vais jouir.
Je l’encourage à reculer, mais elle ne bouge pas.
— Daisy, il faut que tu…
Oh, merde.
Trop tard.
Quand sa bouche se resserre autour de ma queue, je
perds les pédales. Je dois être à moitié dans sa gorge.
J’entonne son nom alors que mes muscles se contractent
et qu’un orgasme s’empare de mon corps. Elle ne desserre
pas son emprise. Ses lèvres refermées autour de ma queue
alors que je déverse ma semence me font l’effet d’une
révélation. Mes bourses sont vides, mais Daisy continue
d’aspirer la moindre goutte de ma verge.
J’ai légèrement le vertige après cette expérience. Je me
force à ouvrir les yeux et rassemble sa chevelure dans mes
mains pour voir ses lèvres se déplacer contre ma chair
turgescente.
— Merde, Daisy, marmonné-je d’une voix lente. C’était
génial.
Mon corps tout entier est vidé et détendu. Si je n’y
prends pas garde, je risque de sombrer dans le coma. Avec
une dernière succion, elle libère ma verge qui se ramollit et
la frotte avec son nez, déposant un baiser à l’endroit où le
gland aurait dû se trouver.
Mais ce n’est pas le cas.
Parce que j’ai l’impression qu’il a explosé.
Je glisse les mains sous ses bras et la soulève pour
pouvoir l’embrasser. Nos langues se mêlent alors que je la
cale en travers de ma poitrine. Il y a quelque chose de
réconfortant dans le poids qui est pressé contre moi,
m’ancrant dans la terre.
C’est une pensée à la con. Elle devrait m’effrayer. Je me
prépare et attends que la panique s’installe, mais ça
n’arrive pas. Je resserre les bras autour de Daisy et la
maintiens en place.
Nous restons tous les deux silencieux. On digère peut-
être ce qu’il vient de se passer.
Pour une fois, les mots ne semblent pas nécessaires.
CHAPITRE 23

CARTER

J e me réveille reposé, comme si j’avais dormi pendant


vingt-quatre heures. C’est comme si mon esprit s’était
éteint et avait arrêté de s’inquiéter pour mon avenir, ma
mère et tout ce qui me ronge dans les ténèbres. Je ne me
souviens pas de la dernière fois où je me suis réveillé avec
autant d’énergie. L’impulsion de me débarrasser des draps,
de prendre un short de sport et d’aller courir sept kilomètres
chante dans mon sang.
Je m’étire, prêt à attaquer la journée.
En plein mouvement, je me rends compte que je ne suis
pas seul. Un corps chaud est lové à côté de moi. Alors que
ma queue se réveille, intéressée, l’identité de celle avec
laquelle j’ai couché hier soir s’abat sur moi comme une
tonne de briques.
Daisy.
Après des années d’un désir contenu, j’ai enfin pu goûter
à son sexe délicieux. Puis elle m’a rendu la pareille avec la
meilleure pipe de toute ma vie.
Merde.
Qu’est-ce que j’ai fait, putain ?
Non, sérieusement.
Qu’est-ce que je viens de faire ?
Je me passe une main sur le visage. Les derniers vestiges
du sommeil disparaissent et je suis totalement éveillé. Je
pousse un juron étouffé.
À voix basse.
Je n’ai pas envie de la réveiller. Du moins pas encore. Pas
avant que je trouve comment je vais m’extirper de cette
situation. Je n’arrive pas à croire que j’ai laissé cela arriver.
Je m’en suis toujours tenu à un certain standard vis-à-vis de
Daisy. Une ligne que j’ai refusé de franchir, quelle que soit la
tentation. La nuit dernière, je n’ai pas simplement posé un
orteil au-delà de la ligne, je l’ai démolie.
La ligne ?
Quelle ligne ? Il n’y a pas de ligne, putain !
Plus maintenant.
J’ai dit un gros mot ?
Eh bien… Je vais le répéter.
Putain !
Mon regard se pose sur Daisy. Un de ses bras est passé
en travers de mon corps et une de ses jambes est enroulée
autour d’une des miennes. Ses seins sont écrasés contre
mes côtes et la chaleur de son sexe brûle ma cuisse.
Normalement, je ne peux pas supporter ces conneries de
câlins. Je veux un peu d’espace après le plumard, tant
physiquement qu’émotionnellement. Je cherche le plaisir,
pas une relation. Et je suis toujours franc à ce propos.
D’accord, la fille peut rester toute la nuit. Je ne vais pas
l’éjecter immédiatement. Contrairement à ce que pense
Daisy, je ne suis pas un connard à ce point. En plus, je suis
toujours d’accord pour remettre le couvert. Parfois même
une troisième fois, si c’est particulièrement bon et qu’on a
assez de capotes à disposition. Mais je n’ai pas la moindre
envie de faire semblant que baiser est quelque chose de
plus.
Mais ça…
Ça semble déjà différent. Au lieu d’être en panique, j’ai
envie de l’étreindre plus fort. Plus que ça, ça me plaît.
J’aime la sensation de son corps contre le mien.
J’aime la façon dont elle est à sa place contre moi.
C’est comme si on était faits l’un pour l’autre.
Cela dit, ça ne pourra jamais se reproduire.
Jamais.
Dieu merci, on s’est arrêtés avant de coucher ensemble.
Toutefois, ce qu’on a fait cette nuit était déjà pas mal
comme ça.
Non. Ce n’est pas vrai. C’était vraiment génial, mais ça
ne devra plus se reproduire.
Pourquoi ? Parce que je me rends compte que c’est la
dernière fois que je la tiens dans mes bras, que je profite de
la chaleur de son corps plaqué contre le mien. Les
mouvements houleux de sa poitrine quand elle respire fort
m’apaisent. Elle est comme une drogue. Une drogue dont je
ne me lasserai jamais.
Peu importe qu’elle comprenne mes excuses pour la
repousser. C’est ce qui vaut mieux pour tous les deux. Si j’ai
de la chance, elle se réveillera et sera horrifiée après ce
qu’il s’est passé et se rendra compte que c’est une erreur
qui ne devra jamais se reproduire.
Si cette pensée me provoque un petit pincement de
tristesse, je le repousse.
Les vingt minutes suivantes sont autant le paradis que
l’enfer parce que je ne cesse d’hésiter.
Si j’en veux plus ?
Bien entendu.
Existe-t-il un moyen pour que ça marche ?
Non.
C’est presque une bénédiction quand Daisy remue et
s’étire contre moi. Ma demi-érection se transforme en un
véritable gourdin. Elle est super torride et je la désire depuis
le premier jour. Ma queue a envie de retourner dans cette
moiteur si spéciale. Mais ça n’arrivera jamais.
Ça ne peut pas arriver.
Ses paupières s’ouvrent et ses yeux percent les miens,
tranchant jusqu’au plus profond de mon être. Je sais que je
suis vraiment dans la mouise quand ses lèvres affichent un
sourire sexy et que mon souffle reste coincé dans ma gorge.
Sa chevelure est une masse emmêlée sur ma poitrine. Le
désir d’enrouler leur longueur épaisse autour de ma main
fait palpiter mon corps.
Mais je ne le fais pas.
Vous êtes fous ?
Je ne peux pas la toucher encore plus.
Le visage de Noah se matérialise dans mon esprit. Je
grimace et me dis qu’il sera vraiment en colère s’il découvre
que je l’ai touchée. La culpabilité inonde mon corps,
manquant de me noyer. Noah et moi sommes proches
depuis le camp de football avant la première année. Si j’ai
un cercle intime, il en fait partie. Le reste des mecs ? Je les
apprécie. On est tous potes. Mais je ne leur révélerais
jamais aucune information personnelle.
Le fait que j’ai posé les mains partout sur sa cousine me
dérange vraiment. Daisy a toujours été hors limite. Noah ne
veut pas que ses amis regardent dans sa direction. Il
m’accorde une confiance implicite et je l’ai trahie.
Puis il y a ses parents, Craig et Marnie. Je doute que nous
voir ensemble les ravisse. Particulièrement vu ce qu’ils
savent sur ma famille. C’est-à-dire tout. Ils voudront
protéger leur nièce contre quelqu’un comme moi. Quelqu’un
qui a une propension à la violence.
On ne peut pas dénier que ça me court dans les veines.
Qui pourrait leur reprocher de vouloir garantir la sécurité
de leur nièce ?
Daisy mérite ce qu’il y a de mieux dans la vie et ce n’est
pas moi. Ça ne sera jamais moi.
On aurait pu croire que ces horribles pensées auraient
suffi à éteindre les flammes qui brûlent à l’intérieur de moi.
Mais non.
— Bonjour, murmure-t-elle d’une voix rauque.
Si ma queue n’était pas déjà durcie par sa présence nue
collée contre moi, son ton sensuel fait l’affaire. Je suis dur
comme l’acier et je ne peux absolument rien y faire.
Eh bien, il y a…
Mais ça n’arrivera pas.
Je m’éclaircis la gorge.
— Bonjour.
Inutile de prolonger l’inévitable.
— Tu as bien dormi ? demande-t-elle en s’étirant contre
moi comme un chat satisfait.
Je réprime un grognement et elle sourit.
— Oui.
Je ne vais certainement pas lui dire que j’ai super bien
dormi avec elle entre mes bras.
— Et toi ?
Certes, j’espère – et je m’attends peut-être à – un
cocktail de culpabilité et de regrets, mais ce n’est pas ce
que je reçois.
— J’ai bien dormi, merci beaucoup.
Une lueur sexy pénètre dans ses yeux. Je ne remarque
pas que ses doigts ont fait un détour vers mon entrejambe
avant qu’ils ne soient enroulés autour de ma verge.
— Cela dit, j’ai beaucoup pensé à ça.
Ma gorge se dessèche alors que je ravale mon excitation
croissante. Tout ce qui a besoin d’être exprimé quitte mon
esprit. Je cambre le dos alors qu’elle me caresse la queue,
faisant monter et descendre sa main le long de mon
érection.
Ce serait embarrassant de me jouir dessus à cause d’une
simple branlette, non ? Je ne me souviens pas de la dernière
fois où ça s’est passé. En seconde, peut-être ?
— Est-ce que je t’ai dit hier soir, dit-elle sur le ton de la
conversation comme si on parlait de la météo, que j’aime
tes boules épilées ?
— Ahhh…
Oui, elle l’a mentionné.
Au moins une dizaine de fois.
Je continue de le faire parce qu’une bonne épilation
remporte généralement un franc succès.
Mais le fait que Daisy apprécie…
Merde.
Elle desserre les doigts et les fait descendre jusqu’à la
base de ma queue pour jouer avec mes bourses. Même si
j’aime qu’elle me caresse la verge, ceci me plaît aussi. C’est
une sensation géniale.
D’une façon différente.
C’est plus relaxant.
Relaxant, mais sexy.
Pas relaxant du genre « j’ai envie de dormir ».
Il y a une différence.
Une voix intérieure ne cesse de me demander ce que je
suis en train de faire. Mais elle est si distante que je
distingue à peine les mots dans le vacarme du sang qui se
précipite à travers mon système. Clairement, ce genre de
préliminaires ne peut mener qu’à une chose, et c’est moi en
elle. Cette image suffirait à me faire jouir. Il faut que je
pense à autre chose. Il faut que je pense à Noah et la colère
qu’il va ressentir.
Ouais… Ce n’est pas assez pour faire dégonfler l’érection
que je me tape grâce aux doigts talentueux de Daisy.
Alors je sors le grand jeu.
Craig et Marnie.
Mais ça ne suffit pas non plus.
— Tu as une capote ? demande-t-elle en refermant une
main autour de ma verge.
Cette fille…
Qu’elle sache précisément ce qui va m’entraîner au bord
de la folie est un peu déconcertant. Mais sans capote, on ne
peut pas coucher. Pas de sexe sans capote. C’est la règle
d’or.
Elle referme le poing jusqu’à ce qu’elle me serre d’une
poigne de fer et me branle plus vite.
Putain, c’est génial !
La sueur perle sur mon front. J’essaye de me retenir,
mais ça ne marche pas.
— Carter ? Tu as une capote ? demande-t-elle.
Putain !
Si elle pouvait s’arrêter de me tripoter pendant ne serait-
ce qu’une minute, je serais peut-être capable d’invoquer
assez de bande passante pour avoir les idées claires, mais
elle ne m’accorde pas une seule seconde de répit.
— Oui.
Voilà, je viens de m’effondrer comme un château de
cartes tout moisi. J’aurais aimé dire que je me déçois, mais
je ne pense qu’à la façon dont elle me caresse la queue,
alors que je suis à deux doigts d’exploser, et à mon envie
d’être en elle quand ça arrivera.
Cette dernière pensée m’achève.
— Le tiroir de la table de chevet, dis-je entre mes dents.
Daisy roule sur le côté pour prendre un préservatif. J’aime
être prêt. Un peu comme un scout. Se servant d’une main et
de ses dents – ce qui est super sexy –, elle déchire
l’emballage, rabat le drap et chevauche mes cuisses.
Son unique but est de prendre le contrôle et je ne peux
pas dire que ça ne m’excite pas.
Qu’est-ce que je raconte, putain ?
Tout ce que fait cette fille est excitant.
D’un geste presque adulateur, elle fait courir ses doigts
de haut en bas sur mon érection.
— Putain, tu es énorme ! murmure-t-elle.
Ce n’est vraiment pas le genre de discussion qui va aider
à faire dégonfler la bête. Au contraire, je me durcis encore
davantage. C’est presque comme si ma verge se
rengorgeait sous ses compliments. Un long grognement sort
de mes lèvres alors qu’elle continue de caresser mon sexe.
J’ai besoin de dire quelque chose.
Quelle sorte de connard couche avec une fille puis lui dit
ensuite que ça ne pourra plus jamais arriver ?
Je ne peux pas faire ça à Daisy. Malgré mon envie de
plonger dans ce sexe parfait. J’ai été un gros con par le
passé, mais je ne suis pas un connard.
Il y a une différence.
Coucher avec elle puis mettre un terme à tout ça ne me
causera que plus de douleur.
Je serre les paupières et inspire profondément. Il faut que
je reprenne le contrôle de mes émotions. Personne ne m’a
jamais fait perdre mon calme. Personne ne me force à
ressentir quelque chose dont je n’ai pas envie. Grâce à mon
père, j’ai appris depuis mon plus jeune âge comment gérer
des émotions non désirées. Et c’est en les ravalant et les
enfonçant si profond qu’elles ne reverront plus jamais la
lumière du jour.
Mais Daisy a fait exploser toutes mes stratégies
d’adaptation. Et ça ne me plaît pas. Pas du tout. J’ai vu ce à
quoi peut ressembler une perte de contrôle. C’est
dangereux. Entrouvre un peu la porte et soudain, tous les
monstres que tu as gardé enfermés s’échappent.
Cette pensée suffit à faire ce que Noah et ses parents ont
été incapables d’accomplir. Quand je rouvre les yeux, tout le
désir qui bouillonne dans mon système se dissout.
Daisy est assise à califourchon sur mes cuisses alors que
son regard reste braqué sur ma queue.
Ma queue à présent ramollie.
Au moins, penser à mon père sert à quelque chose.
Elle fronce les sourcils en observant mes parties.
Je souffle et ôte toute émotion de ma voix.
— Ça ne peut pas arriver, Daisy.
Les battements de mon cœur ralentissent. Le sang qui
rugit dans mes veines et – plus visiblement – dans ma
queue, se dissipe. Enfin… Enfin, je récupère un certain
contrôle. Nous avons encore le temps de battre en retraite.
— Ce qu’on a fait hier soir n’aurait jamais dû arriver. On
le sait tous les deux.
Vu que je suis le connard dans cette situation, je lui
fournis une issue facile.
— Tu avais bu et j’ai profité de toi.
Daisy recule comme si je l’avais frappée sur la tête. Le
sex-appeal alangui qui avait embrumé ses yeux disparaît.
— Profité de moi ? répète-t-elle. Tu es fou ?
Pas du tout. Je m’éclaircis la gorge.
— Je n’aurais pas dû permettre à la situation d’aussi mal
tourner.
Daisy hoche la tête comme si elle s’apprêtait à être
d’accord, ce qui est la première indication que cette
conversation est à deux doigts de partir en live.
— Oh, dit-elle avec de grands yeux et des sourcils
arqués. Alors tu as permis à ceci d’arriver ?
— Hum…
Je n’ai jamais affirmé être intuitif en ce qui concerne le
beau sexe, mais ça ressemble étrangement à un piège.
— Non ?
Elle plisse les paupières et je me félicite d’avoir eu
raison. Si je peux en tirer quelque chose de positif, c’est que
mes instincts sont toujours aiguisés. Simplement pas assez
pour éviter de goûter à l’intimité de Daisy.
— Ce que nous avons fait a été consensuel, dit-elle en
me fusillant du regard. J’en avais envie.
Comment puis-je combattre ce genre d’honnêteté ?
Je ne peux pas, alors je passe au plan B.
— Noah serait furax s’il l’apprenait, dis-je.
Daisy hausse les épaules.
— Je ne dis pas le contraire, mais ma vie sexuelle ne
regarde pas Noah. Et inversement.
Elle incline la tête de côté.
— Tu vois comment ça marche ?
Elle n’aide pas.
Je m’humecte les lèvres et réessaye.
— Il ne veut pas que tu couches avec ses amis. Et il n’a
certainement pas envie que tu sois avec moi.
— Je me fiche de ce que veut Noah, crache-t-elle. La
seule chose qui compte c’est ce qu’on veut, toi et moi.
Merde. Ça ne se déroule pas comme je l’avais anticipé.
Je lui dis un gros mensonge.
— Je n’en ai pas envie, Daisy.
Un éclair de douleur passe sur son visage. J’ai beau avoir
envie de ravaler le mensonge, je ne peux pas. J’ai besoin
qu’on fasse ça. Dans le silence de la pièce, sa respiration
houleuse remplit mes oreilles comme le grondement de
l’océan.
— On habite ensemble. Qu’on couche ensemble ne ferait
que compliquer les choses, avoué-je. Ce n’est pas ce que je
veux. Et toi ?
— Ouah. D’accord, soupire-t-elle. Je ne m’attendais pas à
ce que tu me dises ça.
Elle marque un temps d’arrêt et ajoute :
— Pas après la nuit dernière.
— On a bu un peu trop, tous les deux, l’interrompis-je. On
s’est laissé un peu emporter.
Elle pince les lèvres et son regard se raffermit.
— Ce n’est pas vrai et tu le sais.
J’ouvre la bouche et elle lève une main pour me faire
taire.
— Je ne vais pas te laisser donner une mauvaise
interprétation de ce qu’il s’est passé, me lance-t-elle. Si tu
as des regrets, aie l’honnêteté de l’admettre.
— J’ai des regrets.
Je retiens mon souffle, m’attendant à me prendre un
coup dans les parties, mais rien ne vient. Au lieu de ça, elle
fait danser ses doigts sur mes bourses.
Selon mon expérience, la plupart des filles ne tolèrent
pas très bien le rejet.
S’attend-elle à ce que je baisse la garde et l’attaque
comme un ninja ?
Je dis ça alors que je suis allongé ici, nu, la queue à l’air.
Je ne sais pas à quel point je peux me permettre de baisser
la garde. J’attends sa réaction, tendu au maximum. Mais elle
ne fait que caresser ma chair sensible et jouer avec mes
boules avant de me frotter la verge en remontant. Ce qui –
sans surprise – me fait durcir en quelques secondes.
Apparemment, ma queue a abandonné notre plan.
— Daisy, grogné-je.
Elle lève les yeux vers mon visage.
— Oui ?
— Qu’est-ce que tu fais ?
Elle serre un poing autour de mon érection tout en se
servant de l’autre pour jouer avec mes bourses. À ce point-
là, la mission a été complètement avortée. Je suis en
accélération maximale.
— Tu es un mec intelligent, Carter, murmure-t-elle. Je
pensais que ça serait évident.
— On ne peut pas le faire, marmonné-je d’un ton de
protestation.
Ça ne sert à rien.
— Tu n’aimes pas ?
Ses doigts si talentueux sont infatigables.
— Si, bien sûr. Si tu continues, avoué-je, je vais jouir de
partout.
Sa main est toujours enroulée autour de mon érection
épaisse quand elle se penche et dépose un baiser sur mon
gland. Je serre fort les paupières. Si elle me fait une autre
pipe, je suis perdu. Mes paupières s’ouvrent brusquement
alors que toute la chaleur qui m’entoure disparaît et que
Daisy bondit hors du lit, nue. Je plisse des sourcils confus.
Un sourire diabolique aux lèvres, elle m’adresse un petit
signe de la main.
— Merci pour la nuit dernière, Carter.
Puis elle disparaît et se glisse hors de la pièce.
Je laisse tomber ma tête sur l’oreiller et regarde le
plafond avant de pousser un soupir. Ma queue palpitante est
dure comme de la pierre. Apparemment, elle ne va pas
goûter à ce délice unique, après tout.
Ça vaut mieux.
Ou plutôt… Ce sont des conneries et ma queue le sait
parfaitement.
CHAPITRE 24

DAISY

J e laisse tomber ma sacoche sur le sol près de la table


qu’Olivia a investie à la bibliothèque et je m’installe sur
la chaise en face d’elle. À part un texto rapide qui me fait
savoir qu’elle est bien rentrée à la maison, on n’a pas parlé
de la nuit dernière. J’ai hâte de savoir s’il s’est passé
quelque chose avec Tanner.
Je prie pour elle que oui.
Fidèle à elle-même, ses livres sont étalés sur la table en
piles propres et rangées. Olivia a toujours été studieuse. Je
la soupçonne d’avoir canalisé toutes ses frustrations
sexuelles dans ses cours.
Comme elle n’entre pas immédiatement dans les détails,
j’ouvre grand les bras.
— Alors ? Ne me laisse pas dans le suspense. Parle-moi
de la nuit dernière !
Quelques personnes se tournent pour me faire taire.
Je fronce les sourcils et leur adresse le même geste.
Arrêtez un peu.
Il est midi, un dimanche, et ces gens sont déjà terrés à la
bibliothèque. Clairement, ils n’ont pas de vie.
Sauf moi, bien sûr.
J’ai juste traîné mes fesses jusqu’ici pour retrouver ma
meilleure amie. Olivia m’a informée qu’à l’avenir, elle
camperait ici. Elle est obsédée par ses notes. Seule la note
maximale lui conviendra.
À ce que j’en ai compris au fil des années, les parents
d’Olivia sont plutôt stricts. Ils n’étaient pas contents du
cursus qu’elle a choisi, mais je suis fière qu’elle se soit
accrochée et n’ait pas cédé à leurs pressions. J’aurais plutôt
pensé qu’elle chercherait à entrer en école de médecine,
comme son père.
Son stage d’été en Californie lui a fait du bien. Elle a pu
arrêter de vivre sous la coupe de ses parents.
Malheureusement, elle n’a pas trouvé de mec sympa pour
lui faire perdre sa virginité. C’est pour ça qu’elle s’est
plongée dans ses études et a fait de la bibliothèque sa
deuxième maison. Olivia est vraiment crispée et j’ai bien
peur que si elle ne couche pas très vite, elle entre en
combustion. Et je n’aimerais pas que ça arrive.
Ce qui me ramène à son rencard impromptu de la nuit
dernière.
— Alors, Tanner t’aurait-il déflorée, par hasard ?
demandé-je.
Ses joues s’empourprent et je souris. C’est si facile de
l’embarrasser ! Je ne devrais probablement pas prendre un
malin plaisir à la tourmenter, mais c’est amusant.
Et c’est pour ça que les amies existent, non ?
Probablement pas, mais bon… Olivia ne m’a jamais
quittée. On est amies pour la vie, baby !
Elle regarde autour d’elle pour voir si quelqu’un m’a
entendue dire le mot virginité avant de grommeler :
— Je te déteste. Tu le sais, n’est-ce pas ?
Je me cale contre le dossier de mon siège, me balançant
dangereusement sur deux pieds.
— Allons… Tu m’adores.
Elle secoue la tête.
— Peut-être autrefois, mais plus maintenant.
— Je crois qu’on sait toutes les deux que j’aurais pu être
bien plus vulgaire. Par exemple, j’aurais pu dire quelque
chose comme… Est-ce qu’il a cueilli ta fleur ? Est-ce que
vous avez caché la saucisse ? Ou pourquoi pas...
— Oh, mon Dieu !
Elle enfonce le visage dans ses mains et marmonne :
— Arrête. Je vais te dire tout ce que tu veux savoir,
d’accord ? Mais arrête de parler.
Je ricane.
— Tu me facilites vraiment la tâche ! C’est presque
amusant de te taquiner.
— Je ne mentais pas tout à l’heure.
Elle lève le visage de ses mains et me fusille du regard.
— Je te déteste vraiment.
Un sourire aux lèvres, je me penche en avant et pose les
coudes sur la table. Je cale le menton sur mes poings.
— Alors, qu’est-ce que vous avez fait si vous n’avez rien
fait ?
Elle pousse un soupir.
— Sérieusement, tu n’as qu’une seule idée en tête.
— Quand ça concerne ta virginité, oui.
Parfois, je pense que je suis plus investie qu’elle dans ce
processus, ce qui est étrange. Mais la triste vérité est que si
je ne prends pas l’initiative, Olivia ne fera pas l’effort.
Sans moi, elle n’aurait pas fait l’expérience de la moitié
des choses qu’elle a vécues à la fac. Comme la fête
d’Halloween de l’année dernière quand je l’ai déguisée en
diable sexy. Elle ne pouvait pas se pencher sans montrer sa
culotte. Ou bien quand je nous ai trouvé de fausses cartes
d’identité en première année, pour qu’on puisse faire le tour
des bars et des boîtes de nuit. Ou quand on a postulé à
Alpha Sigma Tau en deuxième année. On a été acceptées
puis on a décidé qu’on était plus heureuses dans une
sororité de deux personnes. Ou quand je nous ai inscrites
pour jouer au ballon canadien d’intérieur…
Ouais, c’était le bon temps.
Et vous savez qui Olivia peut remercier pour toutes ces
expériences de vie étudiante enrichissantes ?
Oui, c’est exact.
Moi.
Quoi qu’il arrive, Olivia perdra sa virginité avant la fin de
la dernière année. Hors de question que je la laisse entrer
dans le monde à l’âge de vingt-deux ans avec son hymen
encore intact.
Ça n’arrivera pas, impossible !
Détournant le regard, Olivia jette un œil au manuel de
biologie marine ouvert devant elle.
— Bon, on est allés au restau sur Maine Street, celui qui
sert le petit déjeuner toute la soirée. J’ai commandé des
galettes de pommes de terre et du pain perdu à la banane…
Je lève les yeux au ciel.
Olivia aime tant le petit déjeuner qu’elle en ferait
volontiers tous ses repas. D’ailleurs, elle pourrait le faire à
présent qu’elle vit seule, mais heureusement, elle s’en
abstient.
Ce que je discerne déjà est que si le point culminant de
cette histoire est le pain perdu à la banane et les galettes
de pommes de terre, elle n’a pas eu la moindre occasion de
perdre sa virginité.
C’est décevant, non ?
Alors que je pousse un bâillement exagéré, elle fronce les
sourcils.
Une main en l’air, je fais tourner mon poignet en cercle.
— Tu pourrais avancer jusqu’au moment croustillant ?
L’air offensé, elle confirme mes soupçons.
— Euh, le petit déjeuner était la meilleure partie.
— Pas de baiser ? Pas de câlins ?
Comme elle se contente de me regarder, je monte d’un
cran.
— Un frôlement accidentel du sein ? Est-ce que ça s’est
au moins produit ?
Elle trouve apparemment mes questions offensantes, car
elle redresse le dos sur sa chaise comme si quelqu’un venait
de lui enfoncer une poutre dans les fesses.
— Bien sûr que non ! C’est la première fois qu’on sort
ensemble.
Elle replie les mains devant elle et dit d’un ton sec :
— Quand il m’a embrassée pour me dire au revoir devant
mon appartement, je lui ai dit que je n’étais pas ce genre de
fille et que j’avais besoin d’aller lentement côté relations
physiques.
Je plisse les yeux, essayant de décider si elle me fait
marcher.
— Non, ne me dis pas que tu as dit ça !
— Bien sûr que oui.
— Alors… Le plan était de ne plus jamais le revoir ? Parce
que dire un truc comme ça suffirait.
— Alors je ne le reverrai plus.
Elle hausse les épaules.
— Je ne vais pas me laisser contraindre à quelque chose
pour laquelle je ne suis pas prête.
Je laisse tomber mon menton contre ma poitrine et
pousse un soupir.
— Tu as conscience d’avoir vingt-deux ans, n’est-ce pas ?
— Ouais.
Prenant un air philosophique, elle dit :
— Quand le bon moment sera venu, ça arrivera.
— Ou alors tu vas mourir vierge, marmonné-je en levant
les mains au ciel. Ce n’est pas très grave.
— Ce qu’on n’a jamais eu ne peut pas nous manquer,
réplique-t-elle.
— Eh bien, je ne peux pas le nier, n’est-ce pas ? Et je ne
vais même pas essayer.
Olivia sourit quand elle se rend compte qu’elle a réussi à
s’extirper de notre conversation inconfortable.
— Et toi ? Je dois dire que j’étais choquée de voir que
Carter et toi vous entendiez si bien. Je m’attendais à un
carnage et à des larmes à la fête d’hier soir. Imagine-toi ma
surprise quand je n’en ai rien vu.
Elle va péter un câble quand je lui raconterai ce qui s’est
passé avec le mec que j’ai toujours considéré comme mon
plus grand ennemi.
J’affiche un sourire mutin.
— Contrairement à toi, ma belle, j’ai connu un peu
d’action.
Elle écarquille les yeux.
— Tu as couché avec quelqu’un de la fête ?
— Oui, bien sûr, dis-je en souriant et en battant des
paupières. Absolument.
Son corps migre vers le mien en travers de la table.
— Qui ? Le blond de la fraternité ?
— Non ! dis-je en levant les yeux au ciel. Certainement
pas.
Je suis tentée de faire un petit roulement de tambour sur
la table avec mes mains, mais je crois que les autres me
referaient taire. Je me penche en avant jusqu’à ce que nos
fronts se touchent presque.
— Tu es prête ?
Elle hoche la tête.
Sans plus tergiverser, je lâche son nom comme une
bombe.
— Carter.
— Carter qui ?
Elle cligne des paupières et plisse le visage.
— Il y a un autre Carter sur le campus ? demande-t-elle
sans me donner le temps de répondre. Qu’est-ce que je
dis ? Il doit bien en exister un.
Je claque les paumes sur la table d’un geste exaspéré.
— Il n’y a qu’un seul Carter à BU et c’est Carter Prescott.
On nous refait chut, mais cette fois, je n’y prête pas
attention. La façon dont Olivia écarquille les yeux et reste
bouche bée vaut bien leur condamnation. Apparemment, il
est probable que son cerveau ait implosé à cause de la
surcharge d’informations.
Olivia secoue la tête comme pour s’éclaircir les idées.
— Je suis désolée. Tu viens de me dire que tu as couché
avec Carter Prescott ? Le receveur de choc de l’université ?
Le mec qui va se faire signer par la Ligue Nationale ? Ton
coloc et le meilleur ami de ton cousin ? Celui que tu
détestes depuis des années ? Celui à qui tu as essayé de
faire avaler des laxatifs ?
Elle marque un petit temps d’arrêt.
— On parle bien de ce Carter Prescott ?
— Ouais.
Je croise les bras devant moi puis les tends comme le
ferait un arbitre qui signalerait une faute.
— Sur tous les fronts.
Elle inspire profondément en hochant la tête.
— Et vous étiez bien beurrés, tous les deux ?
— J’étais un peu pompette, j’admets, mais je crois que lui
n’était absolument pas saoul.
— J’y crois pas !
Elle baisse la voix.
— C’est un scénario du genre mante religieuse ? Tu as
couché avec lui avant de lui arracher la tête et de le tuer ?
Parce que c’est ce qu’elles font.
— Quoi ? dis-je en plissant le front. Non, absolument
pas ! Le fait que tu saches quelque chose comme ça
m’inquiète… sur plusieurs plans.
Vexée, elle carre les épaules.
— Ce n’est pas inquiétant, c’est la nature. Au lycée,
j’allais dormir chez des copines et on restait debout toute la
nuit pour regarder Nat Geo. Tu ne t’imagines pas toutes les
choses intéressantes qu’on a apprises.
Je tends le bras en travers de la table pour lui tapoter la
main.
— Oh, ma belle, c’est vraiment triste. Je commence à
comprendre pourquoi tu es toujours vierge.
— Tu es obsédée par ma virginité, proteste-t-elle en
levant les yeux au ciel. Il faut que tu te trouves un nouveau
hobby.
— J’en ai un, l’informé-je. Te faire perdre ta virginité est
mon hobby.
Elle grommelle quelque chose à voix basse et s’éclaircit
la gorge.
— Est-ce qu’on peut revenir au fait que tu ais couché
avec Monsieur Super Sexy, Carter Prescott ?
Je renifle et pianote du bout des doigts sur la table.
— Ce n’est pas moi qui ai changé de conversation en
parlant des mantes religieuses, n’est-ce pas ?
— Touché, admet-elle. Je t’en prie, continue.
Je ne peux m’empêcher de sourire.
— Carter est super sexy, non ?
L’image de son corps musclé s’impose à mon esprit.
— Euh, oui.
Ses joues deviennent roses.
— Il est vraiment sexy.
Son regard se fait un peu rêveur.
— Et ces yeux gris magnifiques…
Elle achève sa phrase par un soupir.
— Pour info, on a fait des trucs, mais on n’a pas couché
ensemble. Si fricoter signifie faire tout sauf le P dans le V,
alors c’est exactement ce qu’on a fait.
Elle hoche la tête.
— Tu as repris tes esprits et mis le holà sur le coït ?
— Le coït, ricané-je comme une écolière qui vient
d’entendre la maîtresse dire le mot boules. Non, c’est lui.
— Quoi ?
Elle écarquille les yeux et son front se plisse.
— Eh bien, les événements prennent une tournure
surprenante. Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
Elle a raison. C’était totalement inattendu.
Je suis toujours énervée. Sans dire excitée.
— Je ne sais pas.
Au lieu d’admettre la vérité, je hausse les épaules.
— Il m’a raconté des conneries sur le fait qu’il a profité
de mon ébriété et quand je lui ai dit que c’était n’importe
quoi, il a dit que Noah serait en colère.
— Une déclaration véritable.
Olivia hoche la tête.
— Alors, qu’est-ce qu’il se passe maintenant ? C’était
juste un coup d’un soir ?
— Je ne sais pas.
Ayant besoin de quelque chose sur quoi concentrer notre
attention, je prends un crayon sur la table et le fais tourner
entre mes doigts comme un bâton de majorette.
— Je ne suis pas certaine de ce que ça signifie.
Je ne mentionne pas que sous toute la colère que je
ressens envers Carter couve quelque chose de plus. Olivia
en avait parlé il y a quelques semaines et j’avais
immédiatement réfuté sa théorie, mais elle contenait une
certaine vérité. Ce n’est qu’à présent que je me résous à
l’accepter.
Il faut être stupide pour tomber pour un mec comme
Carter, non ?
C’était plus une question rhétorique.
Comme si elle lisait dans mes pensées, elle dit :
— Tu ferais mieux de lâcher l’affaire et de faire semblant
que ça ne s’est jamais produit. Vous devez être capables de
vivre ensemble.
Elle m’adresse un regard plein de sens qui fait se
retourner mon petit déjeuner dans mon ventre.
— Et Carter ne sort avec personne. Il – elle regarde
autour de nous et baisse la voix – couche. Beaucoup.
Elle a raison. C’est Carter tout craché.
Une fois et c’est tout.
Monsieur baise-la et quitte-la.
Songer à Carter qui ramènerait des filles à l’appart me
donne la nausée. Tout ce que j’ai fait hier soir et ce matin
me frappe comme une tonne de briques. J’ai batifolé avec le
meilleur ami de mon cousin. Et je ne sais pas ce que ça
signifie. Pour Carter, ça ne signifie rien.
Me reprochant de n’avoir pas songé aux répercussions, je
pose le front contre la table. Une fois encore, j’ai sauté sans
regarder et Olivia n’était pas là pour me protéger de moi-
même.
Ma meilleure amie tend la main et me frotte l’épaule.
— Être vierge n’est pas si mal à présent, n’est-ce pas ?
Je renifle d’un ton moqueur.
Je ne sais pas quoi répondre.
CHAPITRE 25

CARTER

J e suis sur le canapé et je zappe d’une chaîne de sport à


l’autre quand Daisy entre joyeusement dans
l’appartement. Tous les nerfs de mon corps sont en état
d’alerte maximale. Daisy est parfois imprévisible. Elle l’a
toujours été.
Est-ce une partie de sa séduction ?
Probablement.
Après m’avoir caressé quasiment jusqu’à l’orgasme puis
m’avoir laissé en suspens, elle a sauté dans la douche et a
disparu pour le reste de la journée. Après son départ, je me
suis occupé de mes besoins. Ce qui veut dire que je me suis
branlé.
Deux fois.
Je suis profondément dans la merde !
Voici ce qui doit arriver : on oublie que la nuit dernière
s’est produite pour que notre relation puisse revenir à ce
qu’elle était avant. Qu’on se déteste serait préférable, mais
je ne pense pas que ce soit possible.
Daisy et moi avons besoin de trouver un équilibre. Une
situation où elle ne me méprise pas et je ne la pousse pas à
bout, mais aussi où on ne s’arrache pas nos vêtements.
Plus facile à dire qu’à faire. Particulièrement alors que j’ai
toujours son goût dans la bouche.
Sans parler de mes lèvres et de ma langue.
Ai-je déjà mentionné que je suis profondément dans la
merde ?
Oui, je m’y noie carrément sans être certain de pouvoir
faire quoi que ce soit pour me sauver.
Du coin de l’œil, je la regarde entrer dans la cuisine
comme si elle n’avait pas le moindre problème au monde.
Son attitude nonchalante ne fait que me précipiter plus près
du rebord parce que je sais exactement de quoi elle est
capable. Je ne suis pas trop masculiniste pour admettre
qu’elle me fait terriblement peur. Elle ferait peur à n’importe
quel imbécile.
Je devrais dire quelque chose, non ?
Mais quoi ?
Comment puis-je aplanir les choses entre nous ?
Présenter d’autres excuses ferait probablement l’affaire.
Des excuses sont toujours les bienvenues.
— Alors, euh, tu as une minute pour parler ? demandé-je.
Encore une fois, aussi détendue que possible, elle entre
dans le salon et s’assied en face de moi sur le fauteuil
inclinable.
— Bien sûr. Qu’y a-t-il ?
Elle est tranquille, calme et maîtrisée. Et ça me
déstabilise complètement. La sueur perle sur mon front
alors que je me penche en avant et pose les coudes sur mes
genoux. Je serre les mains fort devant moi.
Il faut qu’on reparle de tout ça avant que Noah rentre.
S’il reste la moindre tension entre nous, Noah aura des
soupçons. Je fais ce qui est bien pour tous les deux. Peu
importe que je désire Daisy. Elle est hors de ma portée.
L’avoir goûtée un peu hier soir était une vraie
bouffonnerie de ma part.
Parce que maintenant, je sais ce qui me manque.
Je l’ai touchée et embrassée. Je sais quel son elle fait
quand elle jouit.
Merde !
Je ne peux pas y penser, sans quoi on terminera là où on
a commencé : c’est-à-dire elle allongée sur le lit et moi
entre ses cuisses.
Je m’éclaircis la gorge, ayant hâte qu’on en finisse.
— Je pensais qu’on pouvait parler d’hier soir.
Et de ce matin.
Elle ne change pas d’expression.
— Hier soir ?
Elle a l’air de s’ennuyer et ça s’entend aussi dans sa
voix. Je ne sais pas à quoi je m’attendais, mais pas ce
désintérêt. C’est comme si elle ne savait pas de quoi je
parle, ce qui est étrange. Je lui adresse un regard pénétrant
qui lui dit, allons, arrête tes conneries. Mais je ne reçois que
ce regard vide pour toute réponse.
Même si nous sommes seuls, je baisse la voix.
— Euh… sur le fait qu’on a fricoté ensemble ?
— Que peut-on en dire ? On s’est embrassés, on a fait
des trucs, mais c’est tout.
Elle hausse les épaules et se détend sur son fauteuil,
croise les jambes et tape du pied.
— Ce n’était pas très important.
— Oh. D’accord.
Je ne sais pas comment faire. Je suis perdu. Mais je ne
peux pas m’empêcher de la regarder comme un idiot.
Particulièrement alors qu’elle hausse les sourcils en une
question silencieuse.
— Je… voulais m’assurer qu’on était sur la même
longueur d’onde, marmonné-je.
Pour la première fois depuis qu’elle est entrée, Daisy
m’adresse un sourire froid en se redressant de son fauteuil.
— Ne t’inquiète pas, Carter, c’est bon. J’ai déjà oublié ce
qu’il s’est passé. De l’eau a coulé sous les ponts.
— D’accord, eh bien… Super, marmonné-je.
Elle fait quelques pas vers le couloir.
— Y a-t-il autre chose ?
— Heu, non.
Une étrange sensation grandit au creux de mon ventre.
C’est comme si quelque chose sonnait faux, mais je ne sais
pas quoi.
— C’était tout.
Je suis tenté de lui demander si elle est certaine qu’on
est sur la même longueur d’onde. Mais je me suis déjà trop
permis de passer pour un con avec elle. La meilleure chose
à faire est de mettre tout ceci derrière nous et de passer à
autre chose.
Alors… C’est bon.
— Très bien, me dit-elle par-dessus son épaule. Je dois
me préparer.
Je relève la tête.
— Oh ?
Elle vient de rentrer il n’y a pas cinq minutes. Où veut-
elle aller ?
Daisy se dirige vers sa chambre et referme la porte avant
que je puisse l’interroger. Je me concentre sur la télévision,
mais ne me demandez pas ce que je regarde, parce que je
ne pourrais pas vous dire. Je tends l’oreille pour repérer le
moindre son qui provient de la chambre de Daisy. Je me cale
sur le canapé et zappe sur une autre chaîne. On a un
abonnement de sport super deluxe, alors je peux choisir
parmi un million de chaînes.
Qu’est-ce que j’en ai à faire de savoir ce que fait Daisy ?
Je zappe sur une autre chaîne.
Je ne m’en suis jamais préoccupé avant.
Je brandis la télécommande et zappe.
Enfin, ce n’est pas entièrement vrai.
J’avoue, ça me fait quelque chose.
C’est juste que je n’en ai pas envie.
Est-ce que ça fait la moindre différence ?
Je me dis que non.
Clic.
Je fronce les sourcils quand je vois un couple qui
s’embrasse à l’écran.
Qu’est-ce que je regarde, putain ?
Clic.
Putain !
Je me passe la main dans les cheveux avec plus
d’agitation que lorsqu’elle est entrée.
Comment est-ce possible ?
J’avais peur qu’elle soit blessée ou énervée, mais ça n’a
pas été le cas. Elle se fiche comme d’une guigne de ce qui
s’est passé entre nous. Elle était complètement nonchalante
à propos de la situation. Et ça me casse les couilles. Ce qui
est ridicule. C’est précisément le résultat que j’espérais
obtenir.
Et pourtant…
Le temps que Daisy ouvre la porte de sa chambre et
ressorte, je bouillonne pratiquement. J’ai quasiment l’écume
aux lèvres.
Qu’est-ce qu’elle m’a fait, putain ?
Je suis fier d’être capable de rester détaché de la plupart
des situations. Particulièrement celles qui impliquent des
filles. Pourtant, Daisy a réussi à presser un bouton à
l’intérieur de moi. Elle a complètement bousillé mes
habitudes.
Ce que je m’apprêtais à dire meurt sur mes lèvres alors
que je la dévore du regard.
Une jupe courte qui dévoile trop ses jambes. Un haut
moulant qui serre ses courbes.
Des courbes que j’ai dévorées des mains hier soir et des
talons qui lui donnent plus de hauteur.
Je plisse les yeux, car je sais exactement ce que cette
tenue signifie.
Pourquoi porte-t-elle une de ses tenues de rendez-vous
amoureux ? J’en ai vu suffisamment de variations pour
reconnaître une tenue qui implique qu’elle espère coucher.
Je redresse le dos alors que ma voix se fait plus acérée.
— Tu as dit que tu allais où, déjà ?
Elle m’adresse un regard comme si elle tolérait à peine
ma présence.
Sérieusement ?
Ça me prend tout ce que j’ai pour ne pas sauter du
canapé et lui rappeler exactement dans les bras de qui elle
a passé la nuit. Je m’en abstiens. Par miracle, j’arrive à
garder la tête froide.
— Je n’ai rien dit.
Elle prend son sac sur la table.
Je serre les dents et je compte jusqu’à dix, essayant de
maîtriser ma colère. Je sais parfaitement que je ne devrais
pas me préoccuper de l’endroit où elle va, de ce qu’elle fait
ou de qui elle fréquente.
— Tu sors avec quelqu’un ? dis-je en me félicitant de
garder un ton neutre.
— Ouais.
Sa froideur est comme des ongles qui racleraient
lentement sur un tableau noir. Je devrais plutôt me réjouir
qu’elle tourne la page aussi vite au lieu de m’appesantir
dessus.
— Et tu portes ça ? Je plisse le front.
Daisy regarde sa tenue.
— C’était mon idée. Pourquoi ? Quelque chose ne va
pas ?
Je fais un effort conscient pour desserrer les dents.
— Tu ne penses pas que cette jupe est un peu trop
courte ?
Elle lisse le bout de tissu minuscule avec une main.
Elle plisse à peine le front en réfléchissant à ma question.
— Non. Elle est à mi-cuisse, ce qui est une longueur
parfaitement acceptable.
— Tu ne peux même pas te pencher sans montrer ta
culotte, fais-je remarquer.
Cette pensée suffit à me mettre en rage.
— Ne t’inquiète pas, dit-elle d’un ton sirupeux en
sautillant vers la porte. Je n’en porte pas.
Je pousse un sifflement alors que la porte de
l’appartement claque.
Oh, non, certainement pas !
Mais oui… oui, certainement.
Merde !
CHAPITRE 26

DAISY

À mon retour, l’appartement est plongé dans la


pénombre. Je souris en me souvenant de l’irritation sur
le visage de Carter quand je lui ai parlé de ce qu’il se
passait. Même si je n’ai pas vu sa tête quand je lui ai
balancé que je ne portais pas de culotte, je me la représente
parfaitement.
Carter veut faire semblant qu’on n’a jamais rien fait ?
Très bien.
On peut être deux à jouer à ce jeu-là.
Je ne peux pas vous dire à quel point c’est satisfaisant de
lui avoir fait perdre l’équilibre. Carter Prescott a l’habitude
d’être poursuivi par les femmes de la BU. Il a l’habitude de
posséder tout le pouvoir. Eh bien, ça ne va pas se passer
avec moi.
En me dirigeant vers ma chambre, je retire mes talons et
regarde dans le couloir. Les portes de Carter et de Noah
sont fermées. Je devine que mon cousin est revenu de son
voyage avec Ashley. Une fois dans ma chambre, je referme
la porte et jette mon sac et mes chaussures à talons dans le
coin. Je ne mentais pas en disant à Carter que j’avais un
rencard.
C’était vrai.
Avec Alex.
Il s’est arrêté près de la table où Olivia et moi avons
étudié tout l’après-midi et on a discuté pendant près de dix
minutes avant de me demander si j’avais envie qu’on se
revoie. Ma première idée a été de dire non. Puis j’ai pensé…
Pourquoi ne pas sortir ?
Ce matin, Carter a exprimé très clairement que notre
relation physique avait été une erreur. Alors, je n’ai pas la
moindre raison de ne pas sortir avec un mec mignon qui a
du potentiel. Pas vrai ?
Exactement.
Au final, on est allés dîner et voir un film. C’était détendu
et sans chichi. Alex a le profil que je recherche
généralement. Grand, athlétique et beau. Valeur ajoutée : il
a des fossettes. Il s’est comporté en parfait gentleman et
n’a pas essayé de me tripoter. Ce que j’ai vraiment apprécié
est son sens de l’humour. Je n’aurais pas pu demander un
homme plus parfait.
Ou un premier rendez-vous.
Et pourtant, ça n’a pas fonctionné.
Un certain footballeur brun a dominé la majeure partie de
mes pensées, ce qui était profondément irritant. Carter est
la dernière personne sur laquelle j’ai envie de me
morfondre. Particulièrement puisque je ne suis rien d’autre
qu’une regrettable décision de sa part.
Eh bien, qu’il aille se faire foutre.
J’allume la lampe de chevet et retire mon haut. En même
temps, un mouvement au coin de mon angle de vision attire
mon attention et je manque de faire un bond. Je plaque une
main sur ma bouche afin d’étouffer un cri quand mon regard
se pose sur l’homme étendu sur la couverture.
Carter redresse le dos et fait basculer les jambes sur le
côté du lit.
— Calme-toi, c’est juste moi.
— Qu’est-ce que tu fais ici ? murmuré-je alors que mon
cœur bat follement dans ma poitrine.
Qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez ce type ?
Il essaye de me filer une crise cardiaque, ou quoi ?
Il ignore ma question.
— Avec qui étais-tu ?
Oh…
On en revient à ça.
Bien entendu…
Je croise les bras et affiche un regard noir alors que
l’adrénaline de mon corps se dissipe.
— Personne de ta connaissance.
Avant qu’il ne m’adresse d’autres questions, j’ajoute :
— Et, plus important encore, ça ne te regarde pas.
Carter se redresse, me dépassant de toute sa taille.
— Que fais-tu, Daisy ?
Il plisse les yeux.
— C’est un jeu auquel tu joues ?
J’en reste bouche bée.
Un jeu ?
Sérieusement ?
— Excuse-moi ? Tu as très bien clarifié tes sentiments ce
matin. Que pensais-tu qu’il allait se passer quand tu m’as
dit que tu n’étais pas intéressé ? Que j’allais rester ici à
pleurer sur mon sort ? Peut-être à me morfondre sur toi ?
Je secoue la tête et pince les lèvres avant d’ajouter :
— Tu me connais mieux que ça.
Il glisse les deux mains dans ses cheveux et se détourne,
me présentant son dos.
— Merde, marmonne-t-il. Pourquoi es-tu forcée de rendre
les choses si difficiles ?
— Je ne fais rien.
Il se retourne à nouveau. Son grand corps se meut avec
la grâce fluide d’un athlète, mais c’est la façon dont ses
yeux pétillent de chaleur qui me retient captive.
— Si, bien sûr.
Son regard tombe sur mes lèvres et il secoue la tête.
— Ça ne peut pas arriver, Daisy. On en a discuté.
J’en ai marre de cette conversation. Je ne veux pas
continuer à ressasser la même chose. Ça ne nous fait pas de
bien, à l’un comme à l’autre.
— D’accord.
Je hausse les épaules.
— Je ne sais pas pourquoi tu as ressenti le besoin de
venir me le clarifier, mais j’ai compris. Le message est très
bien passé.
Je tourne le dos et dégrafe mon soutien-gorge. Une
bouffée de gratification me traverse quand il émet un son
étranglé. Je lance un regard par-dessus mon épaule.
— Si c’est tout ce que tu es venu me dire, sens-toi libre
de partir.
Il m’observe avec une expression torturée sur le visage.
Je ne sais pas pourquoi j’insiste tant pour le repousser. Je
n’arrive apparemment pas à m’en empêcher. Je défais le
bouton de ma jupe dont j’ouvre la fermeture avant de la
faire descendre sur mes cuisses. Puis je me penche en
avant pour lui offrir mes fesses en spectacle.
Ainsi que le string qui les recouvre.
Contrairement à ce que j’ai dit plus tôt, je ne suis pas
sortie sans culotte.
Allons, pour qui me prenez-vous ?
Je garde un truc comme ça pour le cinquième ou sixième
rendez-vous.
Carter pousse une exhalaison sifflante.
J’ai beau avoir envie de me tourner et de me vanter,
j’ouvre le tiroir supérieur de ma commode et en tire un
débardeur confortable qui a connu de meilleurs jours ainsi
qu’un short de pyjama qui couvre à peine mes fesses.
— Pourquoi fais-tu ça ? grogne-t-il.
— Quoi ?
Je marque un temps d’arrêt.
— Tu veux aller dormir ?
Je jette un autre regard détaché par-dessus mon épaule
et croise le sien.
— Parce que je n’ai pas beaucoup dormi hier soir et je
suis fatiguée.
— C’est vraiment une mauvaise idée.
C’est le désespoir dans sa voix qui me fait me tourner
vers lui. Ses yeux parcourent mon corps. À part mon string,
je suis nue. Même si je suis tentée de me couvrir, je ne le
fais pas. Je garde mes mains contre moi en le laissant se
délecter du spectacle.
— C’est ce que tu n’arrêtes pas de dire, je réponds
calmement.
La chaleur de son regard me brûle la chair. Je n’ai jamais
ressenti une telle chose.
— Putain, Daisy… Qu’est-ce que tu essayes de me faire ?
Je fais un pas vers lui. Puis un autre. Je me déplace
prudemment comme si je m’approchais d’un animal
peureux. Un animal qui pourrait s’enfuir à n’importe quel
moment.
— Je ne suis pas venue te chercher, lui rappelé-je. Tu
m’attendais dans ma chambre,
Il arrache le regard de mon corps et j’en ressens
instantanément la perte.
— Je n’aurais pas dû, marmonne-t-il. C’était une très
mauvaise décision de ma part.
Ouah.
Je désigne la porte. Je ne vais pas harceler qui que ce soit
pour obtenir son temps ou son attention. Je l’ai déjà trop
souvent fait avec mes parents. Au final, ça ne marche
jamais.
Carter peut avoir toutes les filles qu’il veut et il ne s’en
prive pas. J’ai vu le scénario se dérouler des centaines de
fois. Il n’a qu’à remuer l’index et elles se jettent toutes sur
lui. Mais pas moi. Je n’ai pas la moindre envie d’être une
groupie qui pourchasse les joueurs pour avoir leurs maillots.
— Alors, tu devrais partir avant de prendre d’autres
décisions que tu regretterais.
J’ai du mal à effacer la douleur dans ma voix.
Carter prend une inspiration sifflante et hoche la tête.
— Tu as raison.
Je ressens une vague de déception. Son regard reste
braqué sur le mien. J’ai l’impression qu’on est pris dans un
rapport de force silencieux. Je m’attends à ce qu’il se dirige
vers la porte, mais ce n’est pas ce qui arrive.
Au lieu de ça, il réduit la distance entre nous en deux pas
et me tire brusquement contre lui avant d’enrouler les bras
autour de mon corps. La façon dont son érection s’enfonce
dans mon ventre fait dévaler des frissons le long de mon
échine. La chaleur se concentre dans mon intimité et mes
genoux faiblissent tandis que j’inspire son odeur. Sa senteur
est un mélange de masculinité et de soleil estival. Quelque
chose qui n’appartient qu’à lui.
— Je n’aime pas ce que tu me fais, grogne-t-il.
Sa bouche descend sur la mienne sans vraiment entrer
en contact.
— Je n’aime pas ce que tu me fais ressentir, ajoute-t-il.
J’écarte les lèvres, espérant que les siennes descendent.
Un profond soupir m’échappe.
— Qu’est-ce que je vais faire de toi, Daisy ?
J’ai plusieurs idées intéressantes qui valent le coup d’être
explorées, mais j’ai la sensation qu’elles seraient classées
en tant qu’erreurs.
— Tu sais à quel point j’ai envie de te baiser ? demande-
t-il.
Ma respiration s’interrompt et le manque d’oxygène me
donne le vertige.
Ses lèvres s’écrasent sur les miennes. Ayant besoin de
sentir le glissement de sa langue, je m’ouvre volontiers. Il
pénètre dans ma bouche et je perds pied. Je ne sais pas
pendant combien de temps on reste enlacés, nos mains
explorant nos corps. Nos bouches sont collées par le besoin.
Carter nous fait avancer jusqu’à ce que l’arrière de ses
genoux touche le matelas et qu’il se laisse tomber sur le lit.
Avec un petit grognement, je me retrouve étalée sur lui.
— Aussi stupide que ça puisse paraître, je ne peux pas
empêcher que ça arrive, marmonne-t-il entre des baisers
avides.
J’émets une sorte d’agrément.
C’est stupide, mais peu m’importe.
Il faut qu’il retire son haut et son short. Je veux qu’il soit
nu pour pouvoir sentir sa force masculine rude contre moi. Y
penser suffit à détremper le petit bout de tissu entre mes
cuisses. Carter nous fait rouler jusqu’à ce que son poids me
presse contre le matelas. Je referme les jambes autour de sa
taille, me tortillant contre sa longueur épaisse.
Il halète fort alors qu’il pose son front contre le mien.
— J’ai juste envie de baiser avec toi.
— Alors fais-le, dis-je pour l’encourager. Baise-moi.
— Tu en es certaine ?
Il serre les dents.
— J’en ai envie, Carter. N’ai-je pas été suffisamment
claire ? Ce n’est pas moi qui ai des regrets, lui rappelé-je.
C’est toi.
— Je sais, grogne-t-il.
Entendre s’écrouler ses murailles est un véritable plaisir.
Je jette un œil à mon sac posé sur le sol près de mes
chaussures.
— Il y a un préservatif dans mon sac.
Il me donne un coup de reins avant de rouler sur le côté
et se laisser retomber sur le dos avant de jeter un bras
musclé devant ses yeux. Une partie de moi s’attend à ce
qu’il bondisse hors du lit et s’enfuie vers la porte.
Je titube jusqu’à mon sac et en fouille le contenu à la
recherche du préservatif que je garde toujours sur moi. Je
prends toujours mes précautions. Je préfère être prête plutôt
que de me retrouver coincée, l’esprit embrouillé.
Une fois que j’ai l’emballage dans la main, je grimpe sur
le lit et sur Carter. Il est torse nu. Le short de sport qui le
couvre descend très bas sur ses hanches, découvrant le V
sexy qui se perd en dessous. Prenant le contrôle de la
situation, je m’empare de l’élastique et le fais descendre sur
sa taille.
Une petite excitation me parcourt quand je me rends
compte qu’il est complètement nu sous son short. Pas de
caleçon à l’horizon. Il se cambre et je fais glisser le tissu le
long de ses hanches avant de le jeter à terre.
Je prends un moment pour admirer la perfection absolue
qu’est Carter Prescott. Son corps me fascine. De la courbe
de ses biceps à ses épaules musclées. Sa poitrine ciselée,
sa taille fine et ses puissantes cuisses…
Et puis il y a son épilation… C’est tellement sexy ! Je fais
courir les doigts sur ses boules et le long de l’arête épaisse
de sa verge. Tout est doux. Je pourrais y jouer pendant des
heures.
Mais je ne le fais pas.
Je préfère déchirer l’emballage et en retirer la capote. Il
n’y a rien de sexy dans les préservatifs. Cela dit, il n’y a rien
de sexy dans les MST non plus.
Je caresse l’érection de Carter à quelques reprises encore
et la revêt du latex. Je sais que je l’ai déjà dit, mais il est
tellement grand ! Ce n’est pas que j’ai peur qu’il me déchire
en deux – ce serait ridicule –, mais ça va être serré.
Une fois que le préservatif atteint la base, je
m’agenouille au-dessus de lui, alignant le sommet de son
érection sous mon intimité avant de m’abaisser lentement.
Sa largeur qui étire mes muscles internes me dérobe un
gémissement.
Certes, il y a un pincement de douleur, mais qui ne
parvient pas à émousser le plaisir qui rayonne à travers moi
quand je l’accueille dans mon corps.
Quand il m’a pénétrée à moitié, Carter grogne.
— Putain, c’est super bon !
Il ne bouge pas, me permettant de donner le rythme.
Une fois que je suis assise sur lui, nos corps joints, je
redresse le dos. J’ai couché avec bon nombre de mecs, mais
c’est vraiment différent.
Le sexe de Carter palpite à l’intérieur de ma chaleur. Je le
sens même à travers le latex. Il roule des hanches tout en
soutenant mon regard. C’est un mouvement doux.
Quand son érection s’enfonce encore d’un centimètre,
ma tête bascule en arrière et je gémis. La façon dont nos
peaux moites glissent l’une contre l’autre est étourdissante.
Le plaisir se répand dans mon corps tout entier. C’est
comme jeter un galet dans une étendue d’eau immobile et
regarder les ondulations se propager.
Carter se mord la lèvre et accélère l’allure. Il retire à
nouveau sa queue avant de donner un autre coup de reins.
Il pose les mains sur mes hanches afin de me maintenir en
place. À chaque mouvement, il me rapproche davantage de
l’explosion.
J’ai beau avoir envie que ça dure – ne serait-ce que cinq
minutes de plus –, ça n’arrivera jamais. À l’instant où cette
pensée s’infiltre dans mon esprit, mon corps explose. Mes
muscles internes se contractent autour de sa verge. Carter
serre les dents et cambre le dos. Il jouit avec un
grognement.
Repue et vidée de mes forces, je m’écroule sur lui,
épuisée. Le côté de mon visage repose sur sa poitrine. Je
ferme les yeux et écoute les battements de son cœur. Je ne
comprends pas pourquoi je trouve ce son réconfortant et
quand il passe les bras autour de mon corps et me serre
contre lui, j’entrevois une autre vérité.
— Ça ne va pas être un coup d’un soir, n’est-ce pas ?
murmuré-je.
— Non, soupire-t-il. Je ne pense pas.
— Bien, dis-je avec une bouffée de soulagement.
Ça ne fait que commencer. Je n’ai pas envie que ça se
termine déjà.
CHAPITRE 27

CARTER

—C ’était quoi, cette façon de jouer ? grommelé-je en


sautant de ma chaise et en levant les bras en l’air.
Je coule un regard à Noah, qui est assis à côté d’Ashley.
Daisy est perchée sur le canapé à côté d’eux.
Je désigne le grand écran de télé d’un geste de la main
avant de me laisser tomber sur mon fauteuil inclinable
préféré où je me suis posé en sentinelle pour le match.
— Vous avez vu ?
Noah secoue la tête et marmonne quelque chose à mi-
voix en regardant la série de passes qui a donné la balle à
l’autre équipe. C’est dimanche après-midi et on s’est
installés dans l’appartement pour voir le match du
Tennessee. C’est notre tradition durant la saison du foot. Je
suis sur mon « fauteuil de jour de match » parce qu’il me
portera chance.
Si je suis superstitieux ?
Bien entendu.
Mais je porte aussi les chaussettes et le caleçon qui me
portent chance. Pour l’occasion, je les porte même à
l’envers.
C’est la mi-temps et les Titans mènent de sept points,
mais avec ce revirement de partie, qui pourrait prédire ce
qu’il va se passer ? Normalement, je suis concentré sur le
jeu à cent pour cent, mais Daisy porte un haut moulant bleu
marine en V avec un T argenté estampillé sur le devant.
C’est super sexy. Comme si j’avais besoin d’une excuse
supplémentaire pour lui mater les seins !
Et son minuscule short blanc…
À chaque fois qu’elle se redresse pour prendre un en-cas
à la cuisine, mes yeux sont attirés par l’ondulation
rythmique de ses hanches. Je change de position pour
essayer de dissimuler discrètement l’érection que je me
tape depuis une heure et demie. Elle m’a toujours fait cet
effet-là, mais à présent que j’ai eu un avant-goût d’elle,
c’est encore plus intense. Il ne se passe pas un seul moment
sans que j’aie envie de poser mes mains sur elle. Tu sais
que c’est mauvais quand en plein milieu d’un entraînement
de trois heures, quand tu es couvert de sueur, tout d’un
coup, tu es frappé par le souvenir d’être enfoncé jusqu’aux
bourses dans sa chaleur torride.
C’est là que tout ton entraînement part en vrille.
Pour le moment, on s’est mis d’accord pour tenir notre
relation secrète. C’est juste du sexe. Beaucoup ! Nous
n’avons pas essayé de coller une étiquette dessus, l’un
comme l’autre.
Selon mon expérience, la plupart des filles veulent
t’épingler. Certes, au début, elles te disent qu’elles ne
veulent qu’un plan cul. Mais tu te rends vite compte qu’une
fois le fait accompli, elles ne croient pas forcément ces
conneries qu’elles t’ont fait avaler.
J’ai déjà donné. Je fais de mon mieux pour éliminer les
filles collantes. Mais certaines sont plus douées pour le
cacher que d’autres. En ce qui me concerne, c’est un coup
de dés.
C’est ce à quoi je m’étais attendu avec Daisy.
Et pourtant, elle n’a pas dit une seule fois qu’elle voulait
spécifier ce que c’était. Mais Daisy n’est pas comme les
filles que je ramène généralement à la maison. Alors, je ne
sais pas pourquoi j’avais pensé qu’elle le serait, sur ce
point.
C’est probablement mieux si tout ça reste informel. Trop
de choses se dressent entre nous. Je ne peux pas être avec
quelqu’un en ce moment.
Particulièrement elle.
Je regarde mon meilleur pote. Il ne voit pas ce qui se
déroule sous son nez. Je grimace en songeant à ce qu’il
ferait s’il découvrait notre secret. S’il voulait me casser la
figure, je ne pourrais pas le lui reprocher. Je n’aurais jamais
dû poser les mains sur Daisy, point barre, mais il est trop
tard pour les regrets.
Alors, que nous soyons tous ensemble au même endroit
en même temps est quelque peu stressant.
À moins d’être seuls à l’appartement, Daisy et moi
devons faire semblant que nous ne sommes que des amis.
La semaine dernière, en allant en cours, j’ai failli tendre la
main et lui saisir les doigts. L’impulsion était là et pendant
un moment, j’ai oublié que je ne pouvais pas le faire. Si
quelqu’un nous surprenait à nous tenir la main ou bien avec
mon bras autour de ses épaules, la nouvelle se répandrait
sur le campus comme une traînée de poudre.
Noah l’apprendrait tôt ou tard. Il est la seule personne à
qui je ne voudrais pas faire du mal. Ce mec a toujours été là
pour moi. Sa famille est comme la mienne.
J’arrache le regard de Noah et me concentre à nouveau
sur la partie. Cela dit, je n’ai aucune idée de ce qu’il se
passe. Encore une fois, Daisy domine toutes mes pensées.
Apparemment, ce ne sont pas seulement mes
chaussettes et mes sous-vêtements qui ont été retournés.
Je sursaute alors que Daisy se redresse d’un bond et lève
les mains au ciel.
— Oh, allez ! C’était quoi, ce truc ? Il avait clairement la
balle quand on l’a poussé hors des lignes !
Un autre truc à savoir…
Cette fille aime le foot.
Elle adore, même.
Elle comprend les nuances les plus fines du jeu. Daisy ne
fait pas semblant d’aimer le foot parce que j’y joue. Elle
aurait regardé le match même si Noah et moi n’avions pas
été à la maison pour le regarder avec elle. Et ceci, mes
amis, est probablement la chose la plus sexy du lot.
Ce qui est précisément la raison pour laquelle je suis
dans la mouise jusqu’au cou. Il n’y a pas une seule chose
que je n’apprécie pas chez elle. Croyez-moi, j’ai essayé de
me creuser les méninges pour trouver quelque chose à quoi
me raccrocher.
Mais je ne peux pas. Elle est parfaite.
La sonnerie retentit et je regarde Daisy se redresser
gracieusement du canapé pour aller à la porte d’un pas
énergique.
Son cul est magnifique !
Sans parler de ces adorables chaussettes bleu marine
avec un T argenté qu’elle a remontées jusqu’à ses genoux.
J’entends une voix masculine profonde suivie par un rire.
Putain, quoi ?
Elle lui adresse quelques plaisanteries que je suis à peine
en mesure de déchiffrer même si mes oreilles se sont
habituées au son de sa voix. Je suis à deux secondes de filer
mettre un terme au flirt qui se produit quand elle revient
avec trois cartons à pizzas, des gressins et une salade.
Nos regards s’accrochent. Ce qu’elle découvre dans le
mien suffit à la faire piler net alors qu’elle ouvre de grands
yeux alarmés.
Merde !
Je détourne le regard et me frotte la nuque, là où la
tension s’est rassemblée. J’aimerais le reprocher au jeu,
mais ça n’a rien à voir et je le sais.
Qu’est-ce que je fais, putain ?
Une meilleure question serait : et qu’est-ce que je vais
pouvoir y faire ?
Parce que cette situation ne peut pas continuer
indéfiniment. Ça échappe déjà à tout contrôle. J’avais
secrètement espéré que j’allais me lasser de coucher avec
Daisy.
Sans vouloir passer pour un connard, je baise
généralement une ou deux fois avec quelqu’un avant de me
lasser. Ça fait deux semaines et au lieu de ressentir ça, je ne
peux pas me passer d’elle. Plus j’en ai, plus j’en veux. Je
suis insatiable.
Daisy pose les cartons sur le comptoir qui sépare la
cuisine du salon. Elle ne me regarde plus, mais je vois bien
qu’elle a été affectée par ce qu’elle a vu sur mon visage.
Les doigts de Daisy dansent alors qu’elle prend les assiettes
et les serviettes.
Toujours prêt pour son prochain repas, Noah se redresse
du canapé dès qu’elle a tout déposé. Il ouvre le premier
carton et se sert quatre parts. Ashley s’approche et le
regarde fixement.
Noah brandit l’assiette surchargée vers elle.
— Tiens, tu en veux ?
Elle plisse le visage de dégoût.
— Tu sais que je ne mange pas de glucides et de gras.
Elle jette un regard noir à la pizza.
— Beurk, ça nage quasiment dans l’huile. Mes artères se
bouchent rien qu’à te regarder.
Noah se fourre une part dans la bouche. Apparemment, il
ne pense pas la même chose parce qu’il se met à l’engloutir
tout entière comme s’il n’avait rien mangé depuis plusieurs
mois. L’air légèrement dégoûtée, Ashley le regarde avec
horreur.
Entre deux bouchées, il dit :
— Oui, je sais, bébé. C’était une blague. Relaxe. Ta
nourriture de lapin est sur le comptoir.
Il prend la deuxième part.
— Un peu de glucides ne te feraient pas de mal.
Elle prend un air sombre et se dirige vers le comptoir où
une salade attend son inspection. Elle n’ouvre pas la boîte
en plastique transparent, mais se contente d’y jeter un œil.
— Pourquoi est-ce qu’il y a des croûtons ? Tu n’as pas
demandé qu’on les serve séparément ?
Noah inspire profondément puis souffle comme s’il
essayait d’invoquer sa patience. C’est un meilleur homme
que moi, c’est certain. Personnellement, j’aurais jeté
l’éponge depuis longtemps. D’ailleurs, je ne me serais pas
retrouvé dans cette situation, point barre.
— Tu m’as entendu au téléphone, bébé. J’ai demandé
qu’on les retire.
Il lève les yeux au ciel.
— Sincèrement, ce n’est pas très grave. Ce sont juste des
croûtons. Retire-les.
Je jette un regard à Daisy en haussant un sourcil. Elle ne
l’a jamais admis devant moi, mais je crois qu’elle n’apprécie
pas la copine de Noah. En ce qui me concerne, Ashley est
une méga chieuse.
Daisy me rend mon regard et prend une assiette avant
de s’installer à table pour regarder le spectacle. Je veux
parler de la scène dramatique qui va se dérouler et pas du
match de foot. C’est comme un horrible accident de voiture
qu’on ne parvient pas à quitter du regard.
Ashley souffle et elle retourne dans le canapé d’où elle
fusille du regard l’écran de télévision. Noah me regarde
avec un froncement de sourcils comme s’il ne comprenait
pas ce qui vient de se passer. Je hausse les épaules et
secoue la tête.
D’accord, je comprends ce qu’il se passe et refuse
catégoriquement d’y toucher. J’en ai assez de mes propres
merdes pour m’impliquer avec ses problèmes.
Noah étudie sa copine. On peut presque voir les rouages
tourner dans sa tête alors qu’il essaye de résoudre cette
énigme.
— Alors… Tu ne vas pas manger ta salade parce qu’elle
contient quelques croûtons ? demande-t-il.
Ashley secoue sèchement la tête.
— J’ai commandé sans croûtons et ils se sont gourés.
Même si je les retirais, il y aurait quand même des miettes
mélangées à la laitue.
Je me décale en mangeant ma pizza en silence. Je suis
sincèrement curieux de voir comment Noah va la jouer.
Parce que je ne vois que deux solutions possibles.
Il hausse les épaules, clairement pas dérangé par son
caprice.
— Comme tu veux.
Ce n’est absolument pas ce que j’avais envisagé. Ce à
quoi on assiste aujourd’hui, mesdames et messieurs, est
absolument sans précédent. Je ne suis pas le seul qui le
pense parce que Daisy tente d’étouffer un toussotement. Il
n’y a pas très longtemps, Noah aurait pris ses clés et se
serait précipité dehors pour accomplir ses moindres désirs.
Les temps changent !
Ashley en reste bouche bée quand elle s’en rend compte.
— Alors… ?
Elle assène ce mot comme une bombe atomique. L’onde
de choc se fait sentir sur des kilomètres.
Noah se fourre une autre énorme bouchée dans la
bouche. Une fois qu’il l’a avalée, il dit :
— Alors, quoi ?
Elle croisa les bras.
— Tu ne vas pas rapporter cette salade et m’en chercher
une autre ?
Sa voix exprime de multiples couches d’incrédulité.
Les sourcils de Noah traversent son front à toute vitesse
et il lui adresse un regard qui signifie tu es folle avant de
secouer la tête.
— Euh, non. Je n’avais pas prévu.
Il désigne la salade encore intouchée sur le comptoir.
— Enlève les croûtons ou bien ne la mange pas. C’est toi
qui vois. Et le match recommence, alors…
Sa voix meurt comme s’il n’y avait pas besoin d’autres
explications.
Ce qui n’est pas le cas.
Ce sont les Titans, putain !
Cela me prend tout ce que j’ai pour ne pas me redresser
et l’applaudir d’avoir enfin développé une paire de couilles.
Pas besoin de jeter le moindre regard à Daisy pour savoir
qu’elle a envie de l’encourager.
Les joues d’Ashley deviennent rouges.
— Tu ne vas sérieusement pas sortir me chercher une
autre salade ?
Son assiette à la main, Noah s’installe sur le canapé à
côté d’elle. Il garde les yeux braqués sur la télévision. Le
troisième quart-temps s’apprête à commencer et la partie
est serrée. Ce qui est précisément pourquoi Daisy était
contrariée à la fin du deuxième quart-temps.
Putain, j’aime cette fille !
J’inspire profondément.
Non… Je n’aime pas Daisy. Mais elle me plaît. Beaucoup.
Cette situation est bien pire que ce que j’avais cru au
début.
— Non, dit Noah. Prends une part de pizza. Ça t’aidera
probablement à te sentir mieux.
Ce n’est pas comme si j’affirmais comprendre le
fonctionnement interne du cerveau féminin, mais même
moi, je sais quand me taire.
La situation va de mal en pis.
Cela dit, ce n’est pas ma situation, alors je ne vais pas la
laisser me gâcher le repas. Je prends une autre part de pizza
et m’installe sur le fauteuil près de Daisy. Je lui adresse un
autre regard incrédule. Elle a un léger sourire aux coins des
lèvres, mais ne dit pas un mot. Notre attention se divise
entre le match et la scène entre Noah et Ashley.
Je n’ai pas besoin d’ajouter quoi que ce soit à la liste
croissante des choses que j’apprécie chez Daisy, mais elle
aime bien manger. Elle ne laisse pas la faim lui retourner le
cerveau comme quelqu’un d’autre qu’on ne nommera pas.
Oui, je sais… Je l’entends parfois se plaindre de son
poids, mais elle mange quand elle a faim et fait du sport
deux fois par semaine pour rattraper le coup. Daisy ne fera
jamais une taille zéro et je ne le lui souhaite pas. J’aime ses
courbes. Elles sont terriblement sexy.
Je me secoue pour me débarrasser de ces pensées. Cette
situation d’être amis avec avantages ne peut pas durer
éternellement. Elle n’aurait pas dû durer aussi longtemps.
Ashley émet un son guttural étranglé et quitte le canapé
d’un bond. Elle se tourne vers Noah, les mains plantées sur
ses hanches non existantes.
— Si tu m’ignores, alors je m’en vais ! siffle-t-elle avant
de marquer une pause dramatique.
Les yeux de Noah s’écartent du match pour la regarder.
Comme il ne répond pas, Ashley pince les lèvres.
— Et je ne reviendrai pas !
Il regarde à nouveau la partie.
— Je t’enverrai un texto dans quelques heures quand tu
auras eu l’opportunité de te calmer.
Elle répond par un cri perçant que je ne déchiffre pas, et
elle fait tout un cinéma en prenant son sac avant de
traverser rapidement l’appartement.
— C’est pas la peine !
On grimace tous quand la porte claque. Je regarde Daisy
pour la énième fois en dix minutes.
Même si Noah ne détourne pas les yeux de l’écran, il dit :
— Je vous ai vus échanger des regards. C’est quoi, ces
conneries ?
Cette question me fait m’étrangler sur ma part de pizza.
Noah regarde sa cousine avant de me clouer sur place avec
un regard pénétrant.
Daisy hausse les épaules.
— Quoi ? On ne peut pas faire une trêve pendant deux
heures pour profiter du match des Titans ?
— Ça fait plutôt plusieurs semaines, mais je ne vais pas
tenir le compte…
Les yeux de Noah se rétrécissent et il nous regarde
successivement.
Je cherche toujours à avaler le mélange de fromage et de
croûte qui est douloureusement logé dans mon œsophage.
— C’est agréable d’être avec vous quand vous ne vous
bouffez pas le nez, admet-il.
— On a tourné la page.
Daisy affiche un sourire doucereux et me regarde.
— Pas vrai, Carter ?
Merde ! Pourquoi me met-elle sur la sellette comme ça ?
Incapable de parler, je hoche la tête.
Ses yeux pétillent de malice.
— D’ailleurs, Carter venait de dire qu’on devrait passer
plus de temps ensemble maintenant qu’on s’entend si bien.
Noah se tourne vers moi avec intérêt.
— C’est vrai ? demande-t-il en secouant la tête. Je
n’aurais jamais cru que ce jour viendrait. Les poules doivent
avoir des dents.
— Non, dit Daisy d’un ton détaché. Il a fini par se rendre
compte que j’étais une personne géniale.
La boule de pizza logée dans ma gorge parvient enfin à
franchir ma trachée. Je prends ma Gatorade et l’avale à
grandes goulées afin de gagner du temps. Je sue à grosses
gouttes.
— Oui, c’est vrai. Daisy est géniale.
— Il a mis trois ans à s’en rendre compte. Mieux vaut
tard que jamais, dit-elle avec un clin d’œil.
Cette fille est incroyable.
Je me force à lui adresser un sourire pincé. Daisy va me
le payer quand je mettrai la main sur elle ce soir. Et elle va
payer cher. Très fort. Putain, je ne peux pas passer cinq
minutes sans songer à être à l’intérieur d’elle.
Je m’apprête à réagir quand un texto fait biper mon
téléphone. Reconnaissant de cette distraction, je regarde
mon portable.
C’est ma mère. Les muscles de mon ventre se
contractent douloureusement. La pizza que je viens
d’engouffrer menace de se révolter alors que je quitte
brusquement la table, mon assiette encore à demi pleine à
la main.
— Il faut que je file.
Je jette un œil à Noah. Je sais qu’il comprendra sans que
j’en dise plus. Il se crispe et toute taquinerie se dissipe. Il ne
pose pas de question. Il se contente de hocher le menton.
Je ne peux pas expliquer toutes ces conneries alors que
Daisy est là. C’est la dernière personne à qui j’ai envie de
parler de ma famille.
Sentant le changement abrupt dans l’atmosphère, Daisy
fronce brusquement les sourcils.
— Attends. Tu pars maintenant ? demande-t-elle en
désignant la télé. Mais le match n’est pas encore fini.
Comme je garde le silence, elle s’humecte les lèvres et
ajoute :
— Et c’est serré. On n’a que trois points d’avance.
J’ai beau avoir envie de rester avec Noah et elle, c’est
impossible. Incapable de soutenir son regard inquisiteur, je
détourne les yeux.
— Oui, désolé. On se reverra tous les deux un autre jour.
Je mets mon assiette en carton à la poubelle puis je
prends les clés de ma voiture avant de me diriger vers la
porte.
Arrivé dans le couloir, je m’arrête et m’appuie contre le
mur avant de fermer les paupières. Peut-être que pendant
un moment, j’étais capable de faire semblant que ces autres
conneries n’existaient pas. C’est pourtant le cas. Elles ne
vont aller nulle part. Ce qu’il se passe entre Daisy et moi
doit cesser. Je ne peux pas risquer mon amitié avec Noah et
je n’ai vraiment pas envie qu’elle découvre ma situation de
famille.
Je n’ai pas besoin de cette humiliation.
La meilleure chose à faire à ce niveau-là est de
m’éloigner.
Je ne sais pas si j’ai la force d’arrêter les dégâts.
CHAPITRE 28

DAISY

P erdue, je regarde Carter se diriger vers la porte sans se


retourner. Tout ceci moins de deux minutes après avoir
reçu un texto.
De qui venait-il ?
Je ne l’ai jamais vu bondir de la sorte. Je regarde mon
cousin et essaye de lire ses pensées, mais son regard reste
braqué sur l’écran de télévision.
Regarder le foot ensemble un dimanche après-midi est
notre truc. On le fait depuis la première année. Même quand
je ne supportais pas d’être dans la même pièce que Carter,
on le faisait quand même.
Noah ne trouve-t-il pas le comportement de Carter
étrange ? Nous étions en plein milieu du match et il s’est
cassé, mais Noah n’a pas émis le moindre commentaire.
Je m’éclaircis la gorge et désigne avec le pouce la porte
de l’appartement.
— C’est quoi, l’histoire ?
Noah me regarde puis recommence à regarder l’écran.
— Comment je pourrais le savoir ?
Je me mordille la lèvre, ne voulant pas poser la question.
Je suis capable de la retenir pendant environ deux
minutes avant de parvenir à s’échapper.
— Tu crois que c’était un texto de qui ?
— J’en sais rien.
Il hausse les épaules.
Je suis tentée de lui jeter quelque chose à la tête. C’est
comme d’essayer de faire parler un muet. En fait, ce serait
peut-être plus facile.
Je regarde l’écran de télé tout en battant du pied. Mais le
match ne retient plus mon intérêt. Une explication possible
s’infiltre dans mon cerveau. Une fois qu’elle est là,
impossible de la déloger.
Carter doit voir quelqu’un. Ce n’est peut-être pas une
véritable copine, parce que je ne l’ai jamais vu être sérieux
avec qui que ce soit. Mais il est entièrement possible qu’il
voie quelqu’un par ailleurs.
Je veux dire… Ce n’est pas comme si on avait pris le
temps de définir notre relation – eh oui, j’utilise ce terme au
sens large –, mais je ne vais certainement pas coucher avec
un mec qui baise avec d’autres filles. De toute évidence, je
ne l’ai pas clarifié dès le début.
Quoi d’autre aurait pu le faire bondir de la sorte ?
Mon esprit reste désespérément vide.
— Est-ce que Carter voit quelqu’un ? laissé-je échapper.
C’est pour ça qu’il s’est cassé ?
— Certainement pas.
Noah renifle d’un air moqueur comme si j’avais posé la
question la plus stupide du monde.
— Pourquoi il ferait un truc comme ça juste avant
d’intégrer la Ligue Nationale ? Il n’a absolument pas envie
de se laisser mettre la corde au cou, et qui pourrait le lui
reprocher ? Je ne connais personne d’autre qui se tape
autant de meufs.
Ses mots me font l’effet d’un coup de poing dans le
ventre. Une douleur encore inconnue explose dans tout mon
corps. Mon souffle reste coincé dans ma gorge alors que je
regarde la télévision sans la voir.
— Carter est un tombeur, poursuit-il sans remarquer mon
angoisse mentale. Il l’a toujours été. Ça n’est pas près de
changer.
Noah avale une gorgée d’eau.
Mes yeux restent braqués sur l’action à l’écran, mais je
serais parfaitement incapable de dire si les Titans ont
conservé l’avantage.
Je mets un moment à me rendre compte que si je n’avais
pas des sentiments pour Carter, je ne serais pas aussi
contrariée. Noah ne me dit rien que je ne sache déjà. Carter
est un tombeur. Je l’ai toujours connu comme un coureur.
J’ai vu un certain nombre de filles émerger de sa chambre
au petit matin, l’air très contentes.
Pourquoi ai-je pensé que coucher avec lui était une
bonne idée ?
— Daisy ?
Je cligne des paupières et me concentre sur mon cousin
qui me regarde en plissant les paupières.
— Oui ?
Je fais un effort conscient pour effacer la tristesse de
mon visage. La dernière chose dont j’ai besoin est que Noah
flaire la vérité.
Il braque son attention sur moi.
— Que se passe-t-il ?
Il y a quelques minutes, c’était précisément ce que je
voulais. À présent, pas tant que ça.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
Je ravale la boule que j’ai dans la gorge et réprime toutes
mes émotions là où je n’aurai plus à y prêter attention.
— Tu fais une drôle de tête.
Il s’interrompt comme s’il observait mon expression avec
plus d’attention. Noah me connaît mieux que personne.
— Un peu comme si tu allais vomir.
Je secoue la tête et plaque une main sur mon ventre.
— La pizza ne descend pas, c’est tout. J’ai trop mangé.
Il grogne.
Je retiens mon souffle et attends de voir s’il va me poser
d’autres questions. Au bout d’environ trente secondes
d’inspection, son regard revient sur le jeu. On a demandé un
temps mort et la chaîne diffuse une publicité.
— Je peux te poser une question sérieuse ?
Il baisse la voix alors qu’il s’agite sur le canapé.
— Et je veux que tu sois honnête avec moi.
J’adresse une prière rapide en espérant que cela n’ait
rien à voir avec mes dissimulations. Je déteste mentir à
Noah, mais ça ne sert à rien d’avouer alors que je risque de
mettre un terme à ma relation avec Carter.
Mes muscles se tendent.
— Bien sûr.
— Tu aimes bien Ashley ?
L’air s’échappe de mes poumons jusqu’à ce que j’aie le
vertige. Je m’attendais tant au pire que je laisse presque
échapper un gargouillis de rire soulagé. Je le ravale
immédiatement.
Noah affiche une expression solennelle qui entre en
contradiction avec son comportement habituel.
— Hum, dis-je pour gagner du temps et mettre de l’ordre
dans mes idées.
Bien sûr, je n’aime pas Ashley. Elle n’a rien fait pour que
je l’apprécie. D’ailleurs, c’est le contraire. Cela dit, je n’ai
pas forcément envie de le faire savoir.
Au lieu de répondre à la question, j’esquive.
— Pourquoi tu me poses la question ?
— Je ne sais pas, dit-il en haussant les épaules. Je me
posais simplement la question.
Il se concentre à nouveau sur la partie. L’heure tourne. Je
suis surprise quand il dit :
— Tu n’as pas l’air super fan.
Je me mordille la lèvre et me demande comment gérer la
situation.
— Mon opinion t’importe ?
— Un peu, oui.
— Pourquoi ?
Mes paroles suivantes m’arrachent les lèvres.
— Au final, c’est ce que tu ressens pour elle qui compte.
— Oui, je sais, soupire-t-il. Tu l’as probablement
remarqué, mais Ashley possède quelques traits irritants qui
commencent à me taper sur le système.
Je manque de m’étrangler.
Euh, mon pote, je l’avais remarqué dès le premier jour.
C’est juste que je n’ai rien dit.
— À quels traits fais-tu référence en particulier ?
demandé-je.
Je pourrais en réciter au moins cinq sans réfléchir.
Probablement plus.
Il se rassied et pose les coudes sur ses genoux.
— Eh bien, tu as vu ce qu’il vient de se passer, non ?
Oui, j’aurais eu du mal à ne pas le voir.
— Elle a l’air d’être tatillonne côté nourriture, dis-je avec
d’immenses précautions.
— Ce n’est même pas ça. C’est plutôt qu’elle s’attend à
ce que j’obéisse à ses ordres dans la minute.
Il marque un temps d’arrêt.
— Tu sais, ça ne m’aurait rien fait de sortir pour aller
échanger sa salade, mais son attitude m’a fait chier.
Noah est un super petit ami. Et je ne dis pas ça
seulement parce que c’est mon cousin et que je l’aime plus
que tout. Il est sorti avec d’autres filles avant Ashley et les a
toujours bien traitées. Ce n’est pas un de ces connards qui
cherchent à coucher avec le plus de filles possible. Il est fait
pour les relations. Je ne peux pas lui reprocher de vouloir
qu’on lui parle avec respect.
Malheureusement, Ashley ne le traite pas comme il
l’aurait voulu.
— Mais j’admets que ça a toujours été comme ça. Quand
vous vous êtes mis ensemble, tu as passé beaucoup de
temps à passer tous ses caprices, alors…
Je hausse les épaules comme si le reste était évident.
— Tu as raison. J’étais comme ça.
Noah pince les lèvres.
— Mais j’en ai assez qu’elle attende autant de choses de
moi sans rien me donner en retour. Je crois que j’ai mis un
moment à me rendre compte à quel point elle peut être
égocentrique. Maintenant que je le vois, ça me dérange
vraiment.
Ça fait probablement de moi une mauvaise personne,
mais d’un certain côté, j’ai envie de bondir de ma chaise
pour faire la danse de la victoire et célébrer le fait que Noah
a enfin ouvert les yeux sur le comportement de sa copine.
Aussi difficile que cela puisse être, je me retiens. Il est peut-
être contrarié qu’Ashley soit partie en claquant la porte,
mais ça ne signifie pas qu’ils vont rompre dans un futur
proche. Pour le moment, j’ai besoin de rester neutre. Si
j’exprime mon véritable ressenti et qu’ils règlent leurs
problèmes, je vais passer pour la méchante qui n’a jamais
voulu qu’ils se mettent ensemble.
Malgré mon envie quasi irrépressible de lui dire de
larguer Ashley et ses fesses inexistantes, je lui dis plutôt :
— Je crois que tu as besoin de parler à Ashley et de
mettre tout ça sur la table.
Je suis tentée de me tapoter sur l’épaule pour avoir géré
cette conversation de façon aussi mature.
Olivia serait très fière.
— Oui, peut-être.
Il se passe une main sur le visage.
— Mais d’abord, je vais lui donner un peu de temps pour
se calmer.
Sa voix se durcit.
— Si les choses ne changent pas, ça ne va pas
fonctionner entre nous. J’ai trop de choses à faire, avec mon
entrée en fac de droit. La dernière chose que je veux c’est
d’être freiné par toutes ces conneries immatures.
Alors qu’il lâche cette bombe, on entend un tonnerre
d’applaudissements à la télévision.
Noah et moi tournons brusquement la tête vers l’écran.
Pendant qu’on regardait ailleurs, les Titans ont marqué un
touchdown. Le sérieux de notre conversation est oublié
alors qu’on affiche de grands sourires et qu’on fait des
bonds en battant l’air du poing.
CHAPITRE 29

DAISY

J e me réveille en sursaut quand un corps musclé se glisse


sous les draps. J’ouvre brusquement les paupières et
découvre le visage de Carter au-dessus de moi.
— Salut, dit-il d’une voix bourrue.
Le son de sa voix réveille quelque chose de profond à
l’intérieur de moi avant de se répercuter à travers mon
corps. Je tends la main pour le toucher avant de me
rappeler que j’ai passé l’après-midi à traîner à l’appart,
attendant qu’il revienne pour qu’on puisse parler.
Mais il n’est jamais venu. C’est la première fois que le
revois depuis.
Ma main retombe sur le matelas.
Si j’aurais pu lui envoyer un texto pour m’assurer que
tout allait bien ?
Oui, mais c’était hors de question.
Quoi qu’on en dise, Carter et moi ne sommes pas
ensemble. Ce n’est pas mon mec. Je ne suis pas sa copine. Il
ne me doit aucune explication. La situation entre nous est
informelle et ni l’un ni l’autre n’avons insisté pour qu’il fasse
plus que se glisser dans ma chambre la nuit pour baiser.
Non seulement cette pensée me blesse au cœur, mais
elle solidifie tout à l’intérieur de moi. Même s’il vient de me
réveiller d’un profond sommeil, les questions fusent dans
mon esprit comme un essaim d’abeilles énervées.
Il enfonce le visage dans le creux de mon cou avant que
je puisse en poser la moindre. Son souffle chaud caresse ma
peau et envoie des ondes de choc de désir à travers mon
corps. Toutes mes questions et inquiétudes s’évaporent
quand Carter inspire mon odeur.
Ce petit mouvement est ma kryptonite.
D’autres mecs ont fait la même chose par le passé et ça
ne m’a jamais affectée comme ça le fait avec Carter. Tout en
lui me semble différent.
Il me retire mon pyjama. Ce n’est que lorsqu’il plaque
son corps contre le mien que je me rends compte qu’il est
nu. Une voix distante crie dans ma tête. Elle exige qu’on
parle de ce qu’il s’est passé cet après-midi, que je lui dise
que je ne peux plus continuer ainsi. Je ne suis pas une
groupie anonyme qu’il peut baiser quand l’envie le prend. Si
ça continue, certaines règles devront être mises en place.
Premièrement, plus d’autres filles.
Seulement moi.
Quand il aligne son corps contre le mien, il devient de
plus en plus difficile de me raccrocher à des pensées
rationnelles.
Qu’allais-je dire ?
Il baisse le visage vers ma clavicule et plaque des baisers
le long de ma poitrine. Quasiment fiévreuse, sa langue sort
pour taquiner mon mamelon avant de le sucer avec avidité.
Désirant me rapprocher, je gémis et cambre le dos. Ça fait
moins de deux minutes qu’il m’a tirée d’un profond sommeil
et mon sexe palpite déjà de désir.
Il passe à l’autre pointe dardée, la couvrant d’attentions
avant de faire descendre une ligne de chaleur le long de
mon corps. Quand il atteint mon pubis, il cale les épaules
entre mes cuisses. Je me soulève afin de pouvoir voir ses
cheveux sombres. Une autre vague de désir m’envahit alors
que j’écarte les jambes davantage.
Nos regards se croisent et je suis incapable de détourner
la tête quand il pose les lèvres sur mon clitoris. Un
grognement m’échappe lorsqu’il entre en contact. J’ai envie
de fermer les yeux et de me noyer dans le plaisir qui me
traverse, mais je ne le fais pas. Quand il aspire cette petite
boule de nerfs dans sa bouche, je suis à deux doigts
d’exploser.
Personne ne m’a jamais amenée plus vite jusqu’à
l’orgasme. Si Carter est doué sur le terrain de foot, il l’est
tout autant au lit. Encore une fois, la question de savoir où il
est parti dans l’après-midi s’impose à mon cerveau.
Cette fois, la voix est plus forte. Plus insistante.
J’enfonce les doigts dans ses cheveux ébouriffés. Dieu
sait que je ne peux pas avoir cette conversation alors qu’il a
le visage entre mes cuisses. Dès que je tente de le
repousser, il enfonce un doigt en moi et continue de
mordiller.
Le plan était peut-être de le repousser, mais je finis par
l’attirer plus près jusqu’à ce que j’explose. Mes orteils se
replient et je cambre le dos alors qu’un orgasme traverse
mon corps tout entier. Je me mords la lèvre pour me retenir
de crier son nom alors qu’il lèche et embrasse ma chair
sensible. J’aimerais que cette sensation euphorique dure un
peu plus longtemps, mais ce n’est pas le cas. Toutes mes
inquiétudes s’abattent sur moi avec la force d’un mur de
briques.
Oh mon Dieu, qu’est-ce que j’ai fait ?
J’ai envie de m’auto-botter le cul pour lui avoir cédé aussi
facilement.
Ayant besoin de distance, je desserre ma prise sur ses
cheveux et repousse ses épaules. Il y a cinq minutes, je
trouvais qu’il n’aurait pas pu être trop proche de moi. À
présent, j’ai envie de le repousser aussi loin que possible.
Après son comportement de cet après-midi, je me sens
vulnérable et exposée.
Je suis aussi vraiment stupide de lui permettre de se
servir de mon corps. Je ne suis pas différente des autres
filles avec lesquelles couche Carter. C’est presque risible de
m’être crue aux commandes de la situation alors qu’il est
évident que c’est moi qui me suis laissé berner.
Carter remonte le long de mon corps et essaye de
plaquer les lèvres sur les miennes, mais j’interromps son
mouvement en posant les paumes contre sa poitrine.
Surpris, il fronce les sourcils.
— Où étais-tu parti ? lancé-je telle une petite amie
jalouse.
Nous savons tous les deux que je n’ai pas de véritable
prise sur lui, mais s’il couche avec une autre fille en douce,
je mérite de le savoir. Je cesse de respirer tout en songeant
à la possibilité d’être la maîtresse. Un nœud douloureux
s’installe au creux de mon ventre alors que je le repousse
de toute mes forces.
— De quoi tu…
— Tu baises avec quelqu’un d’autre ?
Je grimace quand les paroles de Noah tourbillonnent
vicieusement dans ma tête.
Carter est le joueur de l’équipe de foot qui se tape le plus
de filles. J’imagine toutes les félicitations que lui vaut cet
honneur.
On ne peut pas traverser le campus d’un bout à l’autre
sans entendre les filles parler de ses exploits sexuels.
Pourquoi Carter se contenterait-il d’une fille quand il peut en
avoir une différente tous les soirs de la semaine ?
La nausée me tord le ventre avec une ardeur qui me
donne l’impression que je vais vomir. Le désir est remplacé
par un air sombre alors qu’il fait un pas en arrière. Je retire
les mains de sa poitrine.
— Tu es sérieuse ? demande-t-il.
— Autant qu’une crise cardiaque, grondé-je en le faisant
descendre de moi pour éviter qu’on se touche.
Si j’ai enfin compris quelque chose au cours des
dernières semaines, c’est que j’ai besoin d’avoir l’esprit clair
quand je discute avec Carter. À la seconde où il pose les
mains sur moi, je suis perdue.
— Pourquoi me demanderais-tu une chose pareille ?
Il s’écroule sur le lit à côté de moi et s’appuie sur ses
coudes.
— Je dors dans ton lit tous les soirs.
C’est vrai.
— Que suis-je censée croire ? Tu reçois un texto au milieu
du match et tu prends tes jambes à ton cou comme si tu
avais le feu aux fesses.
Je plisse les paupières, cherchant le moindre signe de
mensonge.
— Tu ne trouves pas ça suspect ? Parce que moi, si.
Ayant besoin de voir l’expression de son visage, je tends
le bras et allume la lampe de chevet. Une lumière douce
illumine la pièce. Je retiens mon souffle en voyant
l’ecchymose violacée qui s’étend sur sa joue. Notre
discussion oubliée, je m’agenouille sur le lit, parcourant la
distance entre nous jusqu’à ce que je puisse prendre ses
joues entre les paumes de mes mains. Je lui incline le visage
afin de pouvoir inspecter les dégâts.
Son regard solennel reste braqué sur le mien.
D’abord, un coquard, puis ça ?
Dans quoi Carter est-il impliqué ?
Un fight club underground ?
Est-ce que ça existe, chez nous ?
Pourquoi ferait-il une chose pareille ?
Carter n’a pas besoin de cet argent. D’après tout ce que
j’ai entendu dire, ses parents sont super riches. Et je ne
parle pas simplement d’être à l’aise. Son père est un
développeur en propriétés commerciales qui bosse dans
tout le pays.
En plus, Carter est en plein milieu de sa dernière saison à
BU et il rejoindra la Ligue Nationale au printemps. Il ne peut
pas se permettre d’être blessé. Son futur et ses
perspectives financières dépendent de son acceptation au
sein d’une équipe.
Rien de tout ceci n’a de sens.
La dernière fois qu’il est rentré avec des signes évidents
de bagarre, je l’ai accusé d’avoir fricoté avec la copine d’un
autre mec. Il n’avait pas dénié cette allégation.
— Qu’est-il arrivé à ton visage ? demandé-je d’une voix
pincée.
S’il est impliqué avec une autre fille, c’est fini entre nous.
Je refuse d’être la maîtresse de qui que ce soit.
Carter courbe les épaules et détourne le regard. Je me
mords la langue et attends une explication. Son silence ne
fait que confirmer le fait que je n’approuverai pas ses actes.
J’écarte mes mains de son visage.
— Tu devrais y aller.
Son regard accroche rapidement le mien. Il s’humecte les
lèvres et ouvre sa bouche, mais rien n’en sort. Tout en moi
se flétrit de déception. Ayant besoin de distance, je
m’écarte davantage avant de retirer le drap du lit et de
l’enrouler autour de mon corps nu.
— Je suis sérieuse. Tu dois y aller.
Malgré mon envie de crier ou de lui lancer des trucs au
visage, je garde le contrôle sur mes émotions.
— D’où ça, sors ? J’avais juste envie de me glisser dans
ton lit et de te toucher.
Il pince les lèvres et secoue la tête.
— Tu me vires sans raison.
— Je t’ai demandé d’expliquer ta disparition et tu ne
veux rien me dire.
Je désigne sa joue enflée.
— Je t’ai demandé comment tu t’es fait ce bleu et encore
une fois, tu refuses de me le dire.
Je dois agir rapidement, comme si j’arrachais un
pansement.
— Si tu veux être avec d’autres filles, c’est très bien.
Mais ne t’attends pas à pouvoir te glisser dans mon lit et
m’avoir aussi.
Cette pensée est si répugnante que la bile me remonte
dans la bouche.
Carter lève une main pour se masser la tempe.
— Attends, tu penses que je couche avec d’autres filles ?
dit-il en ouvrant de grands yeux. Pourquoi croirais-tu une
chose pareille ?
— Explique-moi pourquoi tu t’es enfui tout à l’heure ?
Je marque un temps d’arrêt et ajoute :
— Ah, oui, tu ne vas pas me le dire.
— Daisy, je n’ai été avec personne depuis qu’on…
— Baise ! finis-je pour lui.
— Non ! lâche-t-il d’un air sombre. On ne baise pas.
— C’est exactement ce qu’on fait. Pourquoi le nier ?
— Écoute, je n’ai pas couché avec une autre fille depuis
qu’on s’est mis ensemble.
Il ne détourne pas le regard.
— Que tu veuilles le croire ou pas, c’est la vérité.
Étrangement, sans que je m’en rende compte, cette
relation avec Carter est devenue bien plus que ce qu’elle
était censée être.
Ses mots apaisent un peu la tension dans ma poitrine,
mais ils n’expliquent pas où il est parti et pourquoi.
J’attends, espérant qu’il s’exonère, mais il ne fait rien.
— Alors, tu vas me laisser sans la moindre explication ?
dis-je d’un ton incrédule.
— Je suis désolé. Il est arrivé quelque chose dont j’ai dû
m’occuper.
Carter se rapproche de moi jusqu’à ce qu’il parvienne à
marier ses doigts aux miens, puis il me rapproche de lui.
Une fois que je suis près de lui, il enroule les bras autour de
moi et me plaque contre son corps.
— Je ne peux pas en parler, mais je te promets que ça
n’a rien à voir avec une autre fille.
Sa voix descend d’une octave, devenant si basse qu’elle
a l’air d’avoir été éraillée par du papier de verre.
— Il n’y a personne d’autre. Juste toi.
Je ressens un léger frisson alors que je me détends
contre Carter.
J’ai profondément envie de le croire.
Je ne sais pas si je peux.
CHAPITRE 30

DAISY

—A lors, dis-je en inclinant la tête et en plissant les


paupières. Alors tu ne vas pas me dire où tu vas ?
Carter me transperce d’un regard et secoue la tête. Un
sourire s’accroche à ses lèvres. De temps en temps, nos
regards se croisent et se soutiennent, des étincelles de désir
y prennent vie puis il détourne les yeux pour les rebraquer
sur la route.
C’est une première fois pour nous. On ne sort jamais
ensemble en public.
Bon… On va en cours ensemble et on s’assied l’un à côté
de l’autre, mais il y a toujours une distance entre nous. Tout
dans notre attitude crie friend zone. Ce qui explique
pourquoi les filles continuent de l’aborder. Elles jouent avec
leurs cheveux et battent des cils. Elles plaquent les mains
sur sa poitrine ou font courir leurs doigts le long de son
biceps. J’ai beau me tenir à côté de lui, c’est comme si je
portais une cape d’invisibilité. Malgré mon envie de montrer
les dents et de leur dire de se casser, je ne peux pas.
Que puis-je dire ?
Que c’est mon toy-boy secret et qu’elles éloignent leurs
sales pattes de mon mec ?
Certainement pas !
Cela dit, Carter ne les encourage pas. Il est poli, mais
sans plus.
Ça doit être nul d’être aussi torride et talentueux. Oui,
cette pensée me fait marrer à chaque fois.
Pauvre Carter…
Ouah !
Je sais parfaitement que si ça s’était passé deux mois
auparavant, ça ne m’aurait absolument pas dérangée.
J’aurais levé les yeux au ciel et me serais raillée de ces
idiotes qui en pincent pour un type qui a juste envie d’être
entre leurs cuisses pour une nuit.
Et maintenant…
Mieux vaut ne pas m’y attarder.
Nous n’avons pas encore défini ce qu’il se passe entre
nous et c’est dangereux. Tous mes efforts pour rester
distante et détachée sont vains. Le fait que j’aie envie de
leur arracher les yeux me révèle tout ce que j’ai besoin de
savoir sur la situation.
Et rien de tout cela n’est bon.
— Tu verras, dit-il en s’immisçant dans mes pensées.
Ce qui vaut mieux. C’est notre première sortie ensemble.
Elle devrait être légère et décontractée. Pas embourbée
dans les complications.
Je regarde par la vitre passager alors qu’on laisse la ville
derrière nous. Des habitations situées au milieu de jardins
de la taille d’un timbre-poste dans des pâtés de maisons
urbains cèdent la place à des champs et des étendues
boisées qui parsèment le paysage idyllique. Les arbres sont
en train de changer de couleur et le ciel est bleu barbeau.
Des nuages blancs qui ressemblent à de la barbe à papa
défilent.
Je ferme les yeux et braque la tête vers le soleil. J’aime le
sentir caresser mes joues.
Ma tante et mon oncle habitent à la pointe sud de la ville.
On voyage vers le nord sur une route de campagne à deux
voies. Au bout d’une vingtaine de kilomètres, on arrive dans
une petite ville. On la traverse en quelques minutes avant
d’accélérer, poursuivant notre route vers le nord.
Mon ventre se serre quand je me rends compte que peu
importe notre destination : on n’aura pas à s’inquiéter d’être
vus ensemble. Je n’en ai pas parlé à Carter, mais notre
discrétion commence à me gêner. Je n’aime pas faire des
secrets à Noah. Mais plus que tout, je n’ai pas envie d’être
le petit secret honteux de quelqu’un.
Peut-être qu’au début, c’était amusant et excitant.
Mais à présent…
Ça semble juste déplacé.
Au fond de moi, je sais qu’il faut que je mette un terme à
cette aventure. Car ce n’est rien de plus, maintenant ou à
l’avenir. Je ne nous imagine pas chevaucher ensemble vers
le soleil couchant. Cette pensée me rend légèrement triste
et je coule un regard à Carter. Mon ventre palpite quand
mon regard se pose sur lui. Je suis choquée de me rendre
compte que j’apprécie Carter en tant que personne. Il est
drôle et gentil. Sans parler de son intelligence !
Il est même si intelligent que c’en est irritant.
Cerise sur le gâteau !
Mais le fait qu’il m’emmène à plus d’une heure du
campus pour qu’on puisse être ensemble sans craindre
d’être surpris atténue toute la joie que je ressens à l’idée
qu’on sorte ensemble.
J’arrache mon regard de son profil et regarde par la
fenêtre. Je suis si perdue dans mes pensées et les décisions
que je vais être forcée de prendre que je ne me rends pas
compte qu’il a garé la voiture et s’est tourné vers moi.
— On est arrivés, dit-il en tendant le bras pour défaire ma
ceinture.
— Oh.
Je cligne des paupières pour reprendre mes esprits et
remarque qu’on s’est arrêtés dans un parking. Au loin, un
lac miroite. Une forêt épaisse en entoure la majeure partie
et il y a une plage de sable à droite. Des pins élevés
pointent vers le ciel.
— C’est beau.
Je reste assise sans bouger alors que mon regard scanne
l’horizon.
— Où sommes-nous ?
— Au parc naturel de Caledonia, répond-il en souriant.
La façon dont son expression se radoucit retient mon
attention. Des vagues de bonheur émanent de lui. Non
seulement je peux voir le changement dans son attitude,
mais je peux le sentir aussi. Je ne l’ai jamais vu aussi jovial.
— Tu es prête ?
Carter ouvre le coffre avant de sortir de la Mustang. Il fait
le tour de la voiture, en tire un panier et une couverture puis
referme le coffre.
Mon esprit enregistre ce que je vois, mais je demande
quand même d’une voix rauque et lente :
— Qu’est-ce que c’est ?
Il regarde le panier dans sa main comme s’il le voyait
pour la première fois.
— Laisse-moi deviner, sourit-il alors que ses yeux se
plissent malicieusement. Je dirais que c’est un panier de
pique-nique.
Combien de fois ai-je vu ce côté enjoué de Carter ?
Pas beaucoup. Il est généralement plus réservé et
contenu.
— Oui, je vois ça, dis-je avec un sourire. Je me demande
simplement pourquoi tu l’as.
Il m’adresse un sourire en coin.
— J’ai pensé qu’on aurait pu déjeuner ici puisqu’on n’a
pas cours cet après-midi.
Carter Prescott m’a préparé un pique-nique ?
Qu’est-ce qu’il se passe ici ?
Un geste comme ça me paraît presque… romantique.
Je ravale la boule d’émotions logée au milieu de ma
gorge alors qu’il me tend la main pour que je la prenne. Les
doigts enlacés, on parcourt vingt mètres vers le lac. Le parc
est étonnamment désert même si la journée est magnifique.
À part quelques bateaux sur le lac, on a l’endroit pour nous
tous seuls.
Il pose le panier et étale la couverture sur la berge
herbeuse à environ dix mètres de la rive. Une fois qu’il l’a
lissée, on s’installe tous les deux dessus.
— Tu as faim ? demande-t-il en ouvrant le panier pour en
sortir le contenu.
— Je meurs de faim, j’admets.
Il en tire des assiettes, des serviettes, un saladier de
fruits, deux sandwiches, plusieurs paquets de chips et de
l’eau.
— Ouah, ça a l’air super.
Mon esprit fait des cabrioles, incapable de croire qu’il se
soit autant investi là-dedans.
En silence, on déballe nos sandwiches et on mord
dedans. Mon regard parcourt le paysage. Cet endroit est
magnifique et paisible, mais ça n’empêche pas mes
pensées précédentes de tourbillonner dans mon esprit. La
dernière fois que j’ai posé des questions et exigé des
réponses, il a refusé de les donner. Je ne peux pas lui gâcher
son moment ni l’effort qu’il a fourni pour organiser tout ça,
mais je sens qu’une autre conversation se prépare entre
nous.
Une fois qu’on a englouti nos déjeuners, Carter s’étire sur
la couverture. Il plie les bras derrière lui et pose la tête sur
ses mains jointes. Son regard capture le mien sans effort.
— Viens ici, murmure-t-il.
Il n’a pas besoin de me le demander deux fois. Je
m’approche et pose la tête sur sa poitrine, inspirant son
odeur avant de fermer les yeux et de fondre contre sa
chaleur. Quelque part, en cet instant, tout semble parfait. Je
ne me mens pas en me disant que tout est vraiment parfait.
Je sais très bien que ce n’est pas le cas. Il demeure bien trop
de questions et d’incertitudes. Mais pour le moment, alors
que le soleil brille sur mon visage, que le vent glisse sur ma
peau chaude et que mon ventre est repu par le déjeuner
que Carter avait emporté, je me sens satisfaite.
Quand sa voix me réveille brusquement, je me rends
compte que je m’étais endormie.
— Quand j’avais besoin de m’éloigner de la maison pour
m’éclaircir les idées, c’est là que je venais. Encore
maintenant, quand je suis à la fac et que j’ai besoin de faire
une pause, je prends la voiture pour venir passer un
moment ici.
Il marque un temps d’arrêt.
— Je n’ai pas toujours l’intention de venir au parc, mais
c’est ici que je finis. Il y a quelque chose de tranquille dans
le lac et la forêt.
Alors que je digère ses paroles, je réalise à quel point cet
endroit est spécial pour lui et mon cœur se brise.
— Merci de me le faire partager.
Il regarde les nuages en forme de barbe à papa qui
défilent au-dessus de nous.
— Je n’ai jamais amené personne ici.
Il me coule un regard rapide avant de détourner
brusquement les yeux.
— Je n’en ai jamais eu envie.
Au lieu de rester lovée au creux de son bras, je roule vers
lui jusqu’à ce que je me retrouve enroulée autour de sa
poitrine.
— Mais tu voulais m’emmener ?
Mon regard se braque sur le sien et je scrute ses
prunelles.
— Oui, murmure-t-il.
Nous avons beau être les deux seules personnes dans le
parc, on parle à voix basse comme si on se racontait des
secrets.
— Pourquoi ?
Mon cœur accélère le rythme et je ressens ses
battements rapides contre ma cage thoracique. Ce qu’il
s’apprête à dire me semble important.
Le regard de Carter glisse vers le mien et il hausse les
épaules, étudiant le ciel comme s’il contenait toutes les
réponses.
— Tu me plais, Daisy.
Il marque un temps d’arrêt avant d’admettre :
— Beaucoup.
J’arrête de respirer.
— Tu me plais aussi, confessé-je avant de perdre pied.
Admettre mes sentiments est à la fois effrayant et
excitant. Cette relation était censée être basée strictement
sur le sexe, mais ce n’est plus ce que je ressens. Je me
mentais peut-être depuis le début et c’était toujours
davantage que ce que je m’étais autorisée à croire.
— Je crois qu’on devrait le dire à Noah, dit-il.
Ses paroles me réduisent au silence. Carter ne sort
jamais avec une fille. Il la baise et passe à la suivante.
Alors, qu’est-ce que ça veut dire ?
— C’est vraiment ce que tu veux ? demandé-je.
Il roule sur le côté et je me retrouve dans ses bras. Nos
visages sont si proches que lorsque son souffle chaud
caresse mes lèvres, ça me donne le vertige… Ou ce sont
peut-être les mots inattendus qui sortent de sa bouche.
— J’en ai marre de cacher ça. Quand on traverse le
campus, j’ai envie de te prendre la main. Je veux que les
gens sachent qu’on est ensemble.
Il marque un temps d’arrêt.
— Tu en as envie aussi, non ?
Un sourire s’empare de mon visage alors que je hoche la
tête. Cette relation est sortie de nulle part, mais j’en ai
envie plus que tout.
— C’est bien.
Son expression se radoucit et il sourit avant de déposer
un léger baiser sur mes lèvres.
— Tu es à moi, Daisy Thompson.
Je ne sais pas pendant combien de temps on reste
allongés dans les bras l’un de l’autre, à discuter et à
regarder les nuages qui passent au-dessus de nous. Je ne
pense pas avoir déjà été aussi satisfaite de toute ma vie.
Même si j’ai hâte d’annoncer la nouvelle à Noah, je n’ai pas
envie de faire exploser la bulle fragile qu’on s’est créée.
Ça me semble presque fou que Carter ressente la même
chose que moi. Il veut être avec moi autant que je veux être
avec lui. Cette pensée me remplit de tant de bonheur que
j’ai envie de rire et de hurler. Au lieu de ça, je glisse la main
sous son haut et fais glisser les doigts sur les contours
bosselés de sa poitrine. Dès que je le fais, le désir se
rassemble entre mes jambes.
— Hum, c’est bon, bébé, grogne-t-il.
Je regarde autour de moi et remarque que le parc est
toujours vide. Il doit être au moins 15 heures et nous
n’avons pas vu la moindre personne depuis notre arrivée.
Une autre vague de désir s’abat sur moi à la pensée d’avoir
la queue magnifique de Carter enfoncée au plus profond de
moi.
Encore une fois, je lève la tête et regarde autour de moi,
scrutant l’endroit pour chercher le moindre signe de vie.
Il n’y en a pas.
Alors, qu’est-ce qui m’empêche d’être spontanée et de
prendre ce que je veux ?
Ma décision prise, je me mets en équilibre sur mes mains
et mes genoux et je grimpe sur lui.
Il cligne des paupières pour en chasser le sommeil et ses
yeux pétillent de chaleur. Il affiche un sourire surpris.
— Heu, qu’est-ce que tu crois que tu fais ?
J’arque un sourcil et frotte mon sexe contre son érection
qui se durcit.
— Ce n’est pas évident ?
Il arrache son regard du mien et scrute le parc.
L’incertitude lutte contre le désir.
— Je ne sais pas si c’est une bonne idée.
On vit juste une fois, non ?
Je retire mon T-shirt et le jette à terre avant de passer les
bras derrière mon dos pour dégrafer mon soutien-gorge. Le
tissu soyeux glisse le long de mes bras. Il y a quelque chose
de coquin dans la sensation des rayons de soleil qui
s’abattent sur ma peau nue. L’air chaud qui souffle dessus
fait durcir mes mamelons. Ayant envie de le taquiner, je
tends les bras au-dessus de ma tête et cambre le dos pour
que mes seins ressortent.
— Tu penses toujours que ce n’est pas une bonne idée ?
lui demandé-je sournoisement.
Son regard torride se pose sur ma poitrine alors qu’il lève
la main et pince mes mamelons avec ses pouces. Je ferme
les yeux alors que ma tête bascule en arrière.
— Tu me tues, Daisy, dit-il d’une voix rauque.
Mes doigts frôlent la fermeture de mon short. Je suis
prête à passer au niveau supérieur quand une voix acérée
brise le silence du parc et gâche le moment.
— Hé ! Qu’est-ce que vous faites là tous les deux !
J’ouvre brusquement les paupières et m’empare de mes
seins, essayant de les dissimuler au regard de celui qui
s’approche de nous à grands pas depuis l’autre bout du
parc.
Oh, mon Dieu !
Je vois qu’il porte un uniforme de Ranger beige. Ce n’est
peut-être pas un agent de police, mais c’est quand même
mauvais pour nous. Reprenant vie, je roule sur moi-même et
atterris sur la couverture avec un petit hoquet.
— Si vous n’êtes pas habillés et loin d’ici dans
exactement deux minutes, crie l’homme en se rapprochant,
je vous colle une amende à tous les deux pour attentat à la
pudeur.
Je saisis mon haut et le fais passer par-dessus ma tête
plus vite que lorsque je l’ai retiré. C’est un des moments les
plus humiliants de mon existence. Heureusement, je n’ai
pas eu le temps de dévêtir Carter.
Il s’empresse de tout remettre pêle-mêle dans le panier
de pique-nique.
Je m’en fiche. Je suis prête à tout abandonner. C’est un
petit prix à payer pour ne pas recevoir de sévères
remontrances ou bien une amende.
Je me lève d’un bond et pique un sprint vers la voiture.
Malheureusement, je suis forcée de passer au pas de course
devant le Ranger. On ne peut pas l’éviter. Je détourne les
yeux et prie pour que Carter me suive de près. Il faut que je
me tire d’ici avant de me consumer d’embarras.
— Vous avez vraiment du culot, ma petite dame ! s’écrie-
t-il.
Je grimace.
Dès que j’atteins le véhicule, Carter le déverrouille à
distance. Je saisis la poignée et plonge la tête la première
sur le siège passager. L’air parfaitement à l’aise, Carter se
glisse du côté conducteur. Je lui jette un regard et il sourit
en faisant tourner mon soutien-gorge sur son index.
— J’ai pensé que tu ne voudrais pas laisser la moindre
preuve, taquine-t-il.
Mon visage s’enflamme alors que je lui arrache mon
sous-vêtement et m’écroule sur mon siège.
— Démarre.
Il ricane et allume le moteur.
CHAPITRE 31

CARTER

Q uand je sors du parc, un texto fait sonner mon


portable. Je ne prends pas la peine de vérifier. Je ne
suis pas prêt à affronter l’hideuse réalité. Je préfère regarder
Daisy. Elle est toujours affaissée sur son siège, une main lui
dissimulant le visage.
Je ris et elle baisse la main assez longtemps pour me
fusiller du regard.
— Il n’y a rien de drôle à propos de ce qu’il vient de se
passer. Je n’ai jamais été aussi humiliée de ma vie,
grommelle-t-elle.
— Allons, s’il était tombé sur nous cinq minutes plus tard,
je pense que ce moment n’aurait pas été aussi terrible.
Daisy grogne et enfonce son visage dans ses deux
mains.
— Je ne serai plus jamais capable de montrer mon visage
dans les parages.
— Je doute que ce soit ton visage dont il se souvienne.
Ce commentaire me vaut une claque sur la poitrine.
— Aïe, dis-je en riant et en frottant l’endroit avec mes
doigts.
Ça ne fait pas plus mal que ça. Je me prends des coups
bien pires sur le terrain tous les jours, mais j’ai la sensation
qu’elle m’en redonnera un autre si elle pense que je n’ai pas
été suffisamment puni.
— Je t’en tiens pour responsable, déclare-t-elle.
Je sens un sourire coquin illuminer mon visage.
— J’aimerais savoir comment tu es arrivée à cette
conclusion, puisque ce n’était pas mon idée de commencer
à me déshabiller.
Le pli de son front s’intensifie. S’il était possible de
m’abattre sur place d’un seul regard, il aurait suffi. Vous
savez quoi, elle est adorable quand elle s’emporte comme
ça. Je suis tenté d’arrêter la voiture sur le côté de la route
pour la prendre dans mes bras. J’aimerais en faire bien plus,
mais de toute évidence, vu ce qu’il vient de se produire, je
ne vais pas courir le risque de nous faire arrêter pour
pelotage. En plus, je suis certain que ce Ranger zélé a cassé
l’ambiance.
— Tu es bien trop sexy, marmonne-t-elle.
Hum, excusez-moi ?
Je relève la tête.
— Tu me trouves sexy ?
Je ne parviens pas à retenir un sourire idiot.
— Ben oui ! réplique-t-elle en levant les yeux au ciel.
Toutes les étudiantes de BU te trouvent sexy.
Le sourire s’estompe.
— Je me fiche de savoir ce que pensent les autres. Juste
toi.
Je soutiens son regard pendant un moment.
— Tu t’en rends compte, n’est-ce pas ?
Elle hausse les épaules, l’air incertain.
— Juste toi.
Je tends la main et lui saisis les doigts, les pressant entre
les miens.
Elle baisse les yeux vers nos mains jointes.
— Je suis certaine que tu as conscience de toutes les
options à ta disposition.
— Je n’ai pas besoin d’options, je répète. Juste toi.
Pendant des années, j’ai prié pour avoir ce genre de
proximité physique et émotionnelle avec Daisy. Et
maintenant, je l’ai. Plus les jours passent, plus elle est
importante pour moi. La dernière chose que je veux est
qu’elle doute de mes sentiments.
Pour la première fois depuis qu’on a quitté le parc, elle
sourit.
— Merci.
— Pour quoi ?
— Pour le pique-nique, dit-elle doucement. C’est une des
choses les plus gentilles qu’on ait jamais faites pour moi.
— Je suis content que ça t’ait plu.
Une bouffée de plaisir m’envahit et explose comme des
feux d’artifice. Je ne suis peut-être pas prêt à lui dire
exactement ce que je ressens, mais ça ne signifie pas que
les émotions ne sont pas là, à croître inconfortablement
dans ma poitrine.
Une rougeur me réchauffe les joues.
— Eh bien, oui, à un certain point.
Je hausse les épaules et pousse un soupir exagéré.
— Ce n’est pas ma faute si tu me trouves tellement
irrésistible que tu as essayé de me sauter dessus en public.
Elle plisse le visage.
— Je ne veux plus jamais en parler, grogne-t-elle en
braquant un index dans ma direction. Je suis sérieuse,
Carter. N’aborde plus jamais le sujet ! En ce qui me
concerne, ça n’est jamais arrivé.
— Oh, c’est arrivé, bébé, ricané-je. Tu aurais dû voir ta
tête quand ce mec nous a crié après. Ces jolis tétés
sautillaient partout.
Elle me donne un autre coup et je ris plus fort. Je reçois
un autre texto que j’ignore. Quand mon portable vibre une
troisième fois, mon cœur se serre.
Elle se tend et ses yeux se plissent.
— On dirait que quelqu’un cherche à te contacter.
C’est nul que Daisy ne me fasse pas confiance.
— Qui que ce soit, ça peut attendre.
J’ai juste envie d’un peu plus de temps avec elle.
Le doute qui assombrit son visage met plusieurs minutes
à se dissiper.
Après quelques secondes de silence, elle demande :
— C’est sérieux ? Tu veux en parler à Noah ? Parce qu’on
n’est pas obligés de dire quoi que ce soit si tu n’es pas prêt.
Je lui coule un regard, mais elle s’est détournée et
regarde par la vitre côté passager. À l’improviste, je ressens
une bouffée d’envie et de désir. Ce que je ressens pour
Daisy n’est pas simplement physique. Il y a beaucoup de
couches inattendues. Des couches qui attendent d’être
explorées. J’ai passé des années à essayer de tenir cette
fille à bonne distance. Ça n’a pas fonctionné et je ne peux
plus résister. J’ai envie d’elle. Et je refuse de cacher cette
relation comme si j’en avais honte. Je veux que tout le
monde sache que Daisy Thompson est avec moi.
— J’ai envie que ça ne soit plus caché, dis-je. Tu mérites
mieux que de vivre dans la clandestinité.
Elle sourit alors qu’elle prend une inspiration tremblante
et expire à nouveau.
— D’accord.
Un silence confortable s’installe sur nous. Je garde ses
doigts mêlés aux miens, ne voulant pas les lâcher. Ce
sentiment aussi est nouveau, mais je ne le changerais pour
rien au monde.
Mon téléphone sonne, me tirant de mes pensées. Je peux
ignorer quelques textos. Mais pas un appel téléphonique. Je
crains presque de regarder l’écran.
Un regard confirme mes soupçons et fait dégringoler
mon cœur.
Je prends l’appel.
— Salut.
Même si je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour
garder une voix décontractée, elle reste tendue à l’extrême.
L’anxiété bouillonne sous la surface, prête à sortir à
n’importe quel moment. Mes yeux restent braqués sur la
longue route de campagne.
— Que se passe-t-il ? demandé-je.
À l’autre bout du fil, ma mère est en pleurs. Les mots
sont si emmêlés que je n’arrive pas en discerner le moindre,
mais les déchiffrer n’est pas nécessaire. Je sais où est le
problème.
— Calme-toi et dis-moi ce qu’il s’est passé.
Je décoche à Daisy un regard malaisant, incapable de
faire semblant qu’elle n’est pas assise à côté de moi,
capable d’entendre mes moindres paroles.
Elle garde les yeux braqués sur moi. La chaleur de son
regard perce un trou dans ma chair. Mes épaules
s’affaissent. On ne peut pas éviter l’inévitable.
— J’arrive dès que je peux, soupiré-je avant de
raccrocher.
Je me mordille la lèvre inférieure et passe mes options en
revue. Il faut que je rentre tout de suite, mais je ne veux pas
emmener Daisy avec moi. L’imaginer dans la même pièce
que mon père me rend malade. Je voudrais la déposer sur le
campus puis retourner chez mes parents, mais ça me
prendra une heure et demie de plus.
Merde !
Qu’est-ce que je suis censé faire ?
J’ose un autre regard dans sa direction. Daisy est
redevenue silencieuse. Je m’attends à me faire bombarder
de questions, mais elle n’en pose pas la moindre. Je m’agite,
mal à l’aise, conscient que j’ai besoin de dire quelque chose.
Pas la vérité, mais quelque chose qui expliquera ce qu’elle a
entendu de mon côté de la conversation. Je suis soulagé
qu’elle ne me harcèle pas de questions, mais son silence est
déroutant.
— Pardon pour cette interruption, me forcé-je à dire.
— C’est bon, Carter, mais on dirait qu’il y a un problème.
Sa voix se relève à la fin de la phrase, la transformant en
question.
Je souffle et me raccroche à sa déclaration vague comme
à une bouée de sauvetage.
— Oui, répété-je avec soulagement. Un problème.
Mon père est assurément un problème.
Je serre le volant si fort que mes jointures blanchissent.
Qu’est-ce qu’il fait à la maison, putain ?
Il n’est pas censé être là.
Maman a fait une demande de divorce et d’injonction
restrictive. On lui a livré les papiers la semaine dernière, ce
qui l’a mis dans une rage noire. J’ai accompagné ma mère
moi-même au poste de police local pour demander
l’injonction. C’est un connard qui doit disparaître de nos
vies.
Alors que les pneus dévorent le trottoir et nous
rapprochent de la fac, Daisy reste silencieuse. De temps en
temps, je sens le poids de son regard sur moi. Quand elle
tend le bras et mêle ses doigts aux miens, j’invoque tout ce
que j’ai en moi pour réprimer la vérité. Je dois la maintenir
aussi éloignée que possible de cette situation anormale qui
m’embarrasse. Je suis gêné par cette situation. Embarrassé
que ce soit là d’où je viens.
Que c’est ce que je suis.
Plus que ça, je déteste savoir qu’il existe une chance que
je devienne comme mon père. Ça me rend malade de savoir
que le même ADN qui fait de Philip Prescott un monstre
court aussi dans mes veines.
Ce sont ces pensées qui m’empêchent de dormir la nuit.
C’est la raison pour laquelle je maintiens une maîtrise aussi
stricte sur ma colère, pour laquelle je ne me permets pas de
perdre le contrôle. Sur le terrain de foot, la rage n’est pas
l’élément moteur. C’est plutôt le travail en équipe et la
stratégie. Tout dans le jeu est une question de précision et
de contrôle.
Si le football tournait autour de la violence, je ne jouerais
pas.
La sonnerie soudaine de mon portable déchire le silence
et nous fait sursauter tous les deux.
Je ne pensais pas que c’était possible, mais mon cœur se
serre encore davantage. Je n’ai pas à regarder l’écran pour
savoir que c’est maman et qu’elle a peur parce que papa
est à la maison et refuse de partir.
J’inspire profondément et j’appuie sur le bouton vert. La
voix frénétique de Mère me fait comprendre que je n’ai pas
le temps de déposer Daisy et de revenir à la maison de mes
parents. Ça prendrait trop de temps. Si j’y vais directement,
je pourrai y être dans moins de dix minutes.
Au final, il n’y a pas de décision à prendre.
— Ça ne te fait rien si on s’arrête chez mes parents ? Ça
ne prendra pas longtemps, ajouté-je en espérant que ce soit
la vérité.
Je la regarde alors qu’elle essaye de reconstituer le
puzzle devant elle. Encore une fois, je me prépare à des
questions, mais elle me surprend en restant silencieuse. Elle
ne sait pas à quel point je lui suis reconnaissant de son
silence. J’appuie sur l’accélérateur et la Mustang file plus
vite.
Moins de huit minutes plus tard, on s’engage dans l’allée.
— C’est là que tu vis ?
Le choc et l’émerveillement s’immiscent dans sa voix
alors que, bouche bée, elle regarde la maison.
— Ouais.
Je suis tenté de lui dire que les apparences sont
trompeuses, mais la plupart des gens ne le croient pas. Ils
voient un immense manoir et les voitures de luxe alignées
dans le garage cinq places, et ils supposent que votre vie
est parfaite. Mais il n’y a pas assez d’argent sur la terre
entière pour rendre la situation avec mon père supportable.
Je coupe le moteur et me tourne vers Daisy.
— Je veux que tu attendes dans la voiture, d’accord ?
Je lis la peine dans ses yeux.
— Tu… ne veux pas que j’entre ?
Je déteste la faire douter de nous ou de mes sentiments
pour elle. Toutefois, je secoue la tête. Je ne peux pas
l’emmener avec moi. Je ne sais pas dans quelle merde je
vais atterrir et j’ai envie de l’en éloigner le plus possible.
— Je t’en prie, dis-je alors que le désespoir remplit ma
voix. Reste assise ici et attends-moi.
Avec un peu de chance, je serai capable de faire
entendre raison à mon père et de le convaincre de partir
avant qu’on soit forcés de l’éjecter physiquement de la
propriété pour avoir violé son injonction restrictive. Je
grimace en pensant que ça peut arriver sous le regard de
Daisy.
Les yeux braqués sur la structure en pierre, elle
murmure :
— Tu ne veux pas que je rencontre ta famille ?
— Ce devra être une autre fois.
Je me force à rester calme même si j’ai hâte d’entrer
pour régler la situation.
— Ce n’est pas le bon moment.
Elle hausse sèchement les épaules et cède.
— D’accord.
Je pousse un grand soupir.
— Ne quitte pas la voiture.
Je suis soulagé de voir Daisy hocher brusquement la tête.
Au moins, je n’aurai pas à m’inquiéter pour elle dans une
situation où je n’ai pas le moindre contrôle sur quoi que ce
soit. En lui jetant un dernier regard, je cours vers la maison
et me glisse à travers la porte d’entrée. Instantanément, la
voix puissante de mon père résonne à travers tout le rez-de-
chaussée.
Comment est-il entré ici, d’ailleurs ?
La première chose qu’on a faite après lui avoir envoyé les
papiers a été d’appeler un serrurier pour changer les
serrures. On a également renforcé le système de sécurité.
Je suis les voix sonores qui proviennent de la cuisine. Je
mets quelques secondes à réaliser que papa a la voix
pâteuse. Quand il a bu, il n’est pas du genre à se
transformer en un ivrogne revêche. C’est un connard tout le
temps ; l’ivresse le rend juste dix fois pire.
— Sale pute ! hurle-t-il.
J’entre dans la cuisine et sursaute en entendant le son du
verre brisé.
— Comment oses-tu me chasser de ma propre maison ?
La maison que j’ai achetée et payée ?
Il se bat la poitrine avec le poing.
— Moi !
Maman me regarde avec de grands yeux. Elle n’a jamais
aimé les confrontations. Être contrôlée et exploitée depuis
vingt ans n’a fait qu’empirer les choses. C’est une coquille
vide de la femme qu’elle était autrefois.
Ça me brise le cœur de la voir ainsi. Réduite à l’état de
souris alors qu’elle était un lion. Demander le divorce est le
premier pas pour récupérer sa vie. Je ne lui permettrai pas
de l’aspirer à nouveau dans sa dysfonction abusive.
Papa suit la direction du regard de maman et se tourne
brusquement vers moi. Ses joues sont rouges et ses yeux
bouillonnent de rage.
— Toi ! dit-il en brandissant un index dans ma direction.
Sale petite merde ingrate ! C’est ta faute, n’est-ce pas ?
C’est toi qui l’as convaincue.
— Elle mérite mieux que toi, dis-je.
Ses lèvres lui découvrent les dents en un grondement
sauvage alors qu’il émet un rugissement bas et se jette vers
moi. Je me prépare au choc. Cinq pas lui suffisent à
parcourir la distance entre nous. Ses mains entrent en
collision avec mon torse et je recule d’un pas.
— J’aurais dû te botter le cul il y a longtemps, me nargue-
t-il en soulignant ce sentiment en me repoussant. Tu te crois
vraiment spécial juste parce que tu as été recruté par la
Ligue Nationale ? Eh bien, laisse-moi te détromper : tu n’es
rien ! Et tu seras toujours rien !
Il jette un regard colérique à sa femme.
— Comme ta connasse de mère.
La laideur de ses paroles me fait voir rouge. Je me fiche
de ce qu’il dit sur moi. Il peut me traiter de tous les noms.
Il l’a déjà fait.
Mais l’insulter elle, ainsi ?
— J’aimerais voir quelle équipe va te choisir avec deux
bras cassés.
Alors qu’il crache ces mots, il se jette en avant et agrippe
mon bras gauche, le tordant violemment.
Qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez ce type ?
La plupart des pères seraient fiers que leurs enfants
aient les mêmes perspectives que moi.
Mais pas lui.
Avant qu’il ne puisse faire de véritables dégâts, je me
contorsionne et lui échappe. Normalement, je déteste quand
il se bourre la gueule, mais pas cette fois. Ça me permet de
lui échapper plus facilement. Il vacille et titube quand je le
repousse.
— Sale petit con !
De la salive vole de sa bouche alors qu’il donne un coup
de poing. Je l’esquive et le mouvement de son bras le fait
tituber sur le côté.
Je suis si concentré sur mon père, à anticiper ses gestes,
que j’entends à peine le cri de surprise. Je détourne les yeux
de l’homme qui s’agite en face de moi et je vois Daisy, figée
sur place dans l’encadrement de la porte. Ses yeux sont
écarquillés d’horreur et elle plaque les deux mains sur sa
bouche en regardant la scène. Tout le sang a déserté son
visage.
Au moment où nos regards se croisent, tout autour de
moi cesse d’exister.
Je ne veux pas qu’elle se retrouve en présence de cet
humain pitoyable. Alors que je fais un pas dans sa direction,
le poing de mon père entre en contact avec ma mâchoire.
L’impact me fait reculer d’un pas.
Daisy et maman poussent un cri ensemble.
Malgré mon envie d’éloigner Daisy de la situation, je ne
peux pas. Au lieu de donner un coup de poing à mon père,
je franchis la distance entre nous et passe les bras autour
de son corps pour l’étreindre. Ce serait satisfaisant de lui
casser la figure, mais je refuse de m’abaisser à son niveau.
Je ne vaudrais pas mieux que lui.
Et je ne suis pas mon père.
Avec un calme de façade, je croise le regard de ma mère.
— Appelle la police.
Elle se glace. Je déteste la voir réfléchir. Après tout ce
que mon père lui a fait subir, elle ne devrait pas.
— Maman, lui lancé-je. Appelle la police et dis-leur que
ton mari, Philip Prescott, a violé son injonction restrictive.
Elle hoche la tête et se met immédiatement en
mouvement.
Mon ordre renouvelle l’énergie de papa. Il crie et fulmine,
se débattant comme un animal pris au piège. Mais il est
saoul et ses mouvements imprécis ne font pas le poids face
à moi. Malgré mon envie d’oublier que Daisy est là, je suis
profondément conscient de sa présence. Je ne pense pas
avoir déjà été aussi humilié de toute ma vie.
Je n’arrive pas à me forcer à la regarder.
Je m’apprête à lui ordonner de retourner à la voiture
quand j’aperçois un mouvement du coin de l’œil. Je tourne
la tête et vois Daisy poser une main sur le bras de maman
et l’étreindre doucement.
Mon cœur se fend en deux quand ma mère s’accroche à
Daisy.
Les mots perchés sur mes lèvres meurent quand je vois
s’étreindre les deux femmes qui signifient tout pour moi.
CHAPITRE 32

DAISY

C ’est en silence qu’on retourne au campus.


L’atmosphère est alourdie par l’émotion et des mots
non prononcés. J’ai beau avoir envie de discuter de ce à
quoi je viens d’assister, je ne sais pas comment aborder le
sujet. Et Carter n’a pas dit un mot. Ses yeux restent braqués
sur la route devant lui. Tout dans son attitude est fermé.
Mon cerveau tourne à plein régime, essayant de trouver
quelque chose qui apaisera la situation. Malheureusement,
je reste sans voix.
Aucune de mes paroles n’arrangera la situation.
Du coin de l’œil, je regarde sa main qui repose sur ma
cuisse. De temps en temps, il replie les doigts. Il y a tant
d’agitation contenue dans ce mouvement ! J’ai l’impression
que mon cœur est prêt à exploser d’une émotion non
exprimée. J’ai envie qu’il sache qu’il n’est pas seul. Qu’il
m’a, moi… Mais il y a un gouffre béant entre nous. Il semble
insurmontable.
Même si ça me paraît être un risque, je tends la main et
mêle mes doigts aux siens. Carter me regarde directement
dans les yeux. Tant de choses sont communiquées sans
qu’on prononce le moindre mot. Il serre mes doigts et un
peu de cette distance se dissipe.
Quand nos regards se croisent, je suis frappée par une
prise de conscience qui me coupe le souffle. Toutes les fois
où j’ai vu Carter avec un œil au beurre noir, un bleu sur la
joue ou une lèvre fendue reviennent me frapper de plein
fouet. Il n’était pas impliqué dans une bagarre dans un club
underground ou avait fricoté avec la copine d’un autre mec.
Son propre père posait les mains sur lui.
Je cligne des paupières pour repousser l’humidité qui
s’est rassemblée dans mes yeux alors que mon esprit passe
en revue toutes les fois où je l’ai regardé, ai vu les dégâts et
ai secoué la tête d’un air dégoûté en me disant qu’il n’était
rien de plus qu’un con impétueux.
Comment ai-je pu être aussi aveugle ?
Pourquoi n’ai-je pas posé plus de questions ?
C’est la raison pour laquelle Carter protège tant son
intimité et maintient ses distances avec tout le monde.
C’est un des visages les plus reconnaissables de BU. Le
football universitaire l’a placé sous le feu des projecteurs.
Partout où il va, les gens veulent lui parler. Ils veulent frôler
la célébrité. Carter ira loin, dans des endroits dont la plupart
d’entre nous ne peuvent que rêver, et tout le monde en
veut sa part.
Sa part de lui.
Ils veulent connaître Carter Prescott, le footballeur, le
mec destiné à la Ligue Nationale, mais ce n’est pas ce qu’il
se passe. Ils ne voient que ce que Carter les autorise à voir :
un athlète séduisant qui se targue de prouesses tant sur le
terrain qu’en dehors. Un mec qui va finir major de promo et
qui vient d’une famille riche et privilégiée.
Il ne les laisse pas entrevoir ce qui se cache derrière ce
masque soigneusement élaboré.
Je connais Carter depuis des années, c’est le meilleur ami
de Noah et pourtant, je n’en savais rien. Je ne me suis
jamais doutée de rien. Je suis tombée dans le même piège
que tout le monde. C’est une pensée troublante qui me
démange l’inconscient. Je n’ai pas tenté une seule fois de
gratter sous la surface. Je me suis contentée de croire la
version superficielle qui m’a été présentée et j’ai
promptement jugé qu’il ne méritait ni mon temps ni mon
énergie.
Carter me serre les doigts, me ramenant au présent.
— Hé, tu vas bien ?
Le son de sa voix résonne comme un coup de feu dans le
silence.
Le rire bouillonne dans ma gorge, exigeant d’être libéré.
La question me semble absurde. C’est moi qui devrais lui
demander s’il va bien. Pas le contraire.
— Je vais bien.
Nos regards s’entrechoquent. Tant d’émotions
tourbillonnent dans ses yeux gris ! Bien plus que ce qu’il
m’a habituée à voir.
— Et toi ?
Il prend une inspiration sifflante avant de souffler
lentement. Sa poitrine se soulève puis retombe.
— Ça va.
Il s’agite sur son siège et sa voix se fait plus basse.
— Je suis désolé que tu aies assisté à ça.
Une vague rougeur s’empare de ses joues et mon cœur
se serre. Ça me tue que Carter soit embarrassé par une
chose pareille.
Il devient silencieux et je vois à la façon dont il serre les
dents qu’il est perdu dans le tourbillon de ses pensées. Je
serre ses doigts plus fort pour le ramener vers moi. Je ne
veux pas qu’il pense ça.
— Tu n’as pas à être embarrassé par quoi que ce soit.
Comme il reste silencieux, je continue.
— Rien de ceci n’est ta faute.
Je me mordille la lèvre avant de m’exclamer :
— Ton père est un connard. C’est lui qui devrait être
embarrassé.
— Il ne l’est pas.
Sa voix est plate, dénuée de la moindre émotion.
— J’espère qu’à présent que la police est intervenue, il
prendra l’ordonnance de protection au sérieux. Ma mère a
demandé le divorce et il est plutôt furax, ajoute-t-il en
m’adressant un regard rapide.
Je hoche la tête. C’est ce que j’avais compris de la
conversation qui s’était déroulée après l’arrivée des
autorités. Le fait que ce soit la réalité que vit Carter me
dépasse. Une avalanche de culpabilité manque de
m’engloutir vivante. Je ne vaux pas mieux que la masse des
étudiants de BU. Je n’ai vu que ce qu’il voulait que je voie. Je
n’ai jamais pris la peine de creuser plus profondément ou de
remettre en question les petites choses qui n’avaient aucun
sens.
Je m’éclaircis la gorge.
— Désolée, dis-je d’une voix grinçante.
Il fronce les sourcils.
— De quoi ?
Mes émotions violentes luttent pour se libérer. Je secoue
la tête, ne sachant pas si je peux poser des mots adéquats
sur mes paroles. Je ne m’étais encore jamais rendu compte
que Carter était aussi fort. Il faut l’être pour gérer une telle
situation.
— De n’avoir pas vu l’homme que tu es vraiment.
Il reste silencieux pendant si longtemps que je me
demande s’il m’a entendue.
— Je n’avais pas envie que tu le découvres un jour.
— Pourquoi ? Tu pensais que je t’aurais jugé ?
Ça me fait mal qu’il puisse penser une chose pareille.
— J’aurais peut-être pu faire quelque chose pour t’aider.
Quoi, exactement ? Je ne sais pas. Mais je déteste l’idée
qu’il puisse traverser ceci seul sans avoir personne sur qui
s’appuyer.
Sa main gauche se resserre sur le volant.
— Parce que j’avais honte.
— Carter…
Je lutte contre les larmes qui me montent aux yeux. Je ne
veux pas qu’il pense que j’ai pitié de lui. Quelque part, je
sais que ce n’est pas ce qu’il voudrait.
Il jette un œil dans le rétro avant de faire ralentir la
Mustang et de l’arrêter sur le côté de la route. Les roues
projettent du gravier quand il coupe le moteur. Il déboucle
sa ceinture de sécurité et tourne son corps vers le mien
avant de glisser une main dans mes cheveux.
— J’ai passé tout ce temps à te repousser parce que je ne
voulais surtout pas que ce genre de laideur te touche.
Il baisse la voix.
— Tout ce que je voulais était te protéger, Daisy.
Il s’interrompt pendant quelques secondes.
— Même de moi, s’il y avait besoin.
Mon cœur se brise en un million de morceaux acérés.
— Ne dis pas ça.
— Tu mérites bien mieux que moi.
Il lève l’autre main pour me prendre la joue. Une
solennité féroce naît dans ses yeux.
— Sache simplement que quoi que j’aie pu dire ou faire,
ce n’était pas pour te faire du mal. J’avais besoin de te
garder à bonne distance et c’était la seule façon. Je suis
désolé.
Il secoue la tête et ses lèvres prennent un pli amer.
— Malgré tous mes efforts, je n’ai pas pu rester loin de
toi. Je désirais vraiment être en ta compagnie.
— La seule chose dont j’ai besoin d’être protégée, admis-
je, est ma propre stupidité. J’aurais dû voir ce qui était
devant moi pendant tout ce temps.
Mon regard accroche le sien.
— C’est moi qui ne te mérite pas. Pas le contraire.
Je ravale l’émotion croissante qui menace de se libérer.
— Tu te trompes sur ce point, mais je ne vais pas
protester.
Il sourit alors qu’il caresse tendrement le côté de mon
visage.
— Rien de cela n’a plus d’importance.
Mon cœur se serre. Je ne voulais pas qu’il me repousse.
Je ne pense pas que je pourrais le supporter. Plus
maintenant, alors que j’en sais autant.
Au lieu de cela, il dit :
— Parce que tu es à moi, à présent.
Le souffle coupé, je m’abandonne à son contact. Quand
ses lèvres se posent sur les miennes, je m’ouvre, ayant
besoin de ce contact, besoin de réaffirmer que c’est
vraiment en train d’arriver. Il est à moi et je suis à lui.
Quand il s’écarte, il a une lueur déterminée dans les
yeux.
— Cassons-nous. On a une autre chose à faire avant que
je puisse emmener ton joli petit cul au lit.
Ah oui…
Je souffle.
Quelque part, au milieu de tout ceci, j’ai oublié mon
cousin.
CHAPITRE 33

CARTER

Ç a a été une des expériences les plus étranges de ma


vie.
Comment pourrait-on décrire autrement une période de
douze heures pendant laquelle on connaît autant l’extase
que le désespoir ?
Durant toute cette épreuve, Daisy est restée
indéfectiblement à mon côté. Quelque part, ça a rendu le
pire un peu plus facile à supporter. La situation avec ma
famille a toujours été un secret honteux que j’ai fait tout
mon possible pour cacher. Avoir Daisy pour témoin
silencieux alors que je maîtrisais mon père… C’est au-delà
de tout ce que j’aurais pu imaginer. Les blessures de
l’humiliation resteront à jamais marquées dans mon âme. Et
pourtant, à présent qu’elle connaît la vérité, c’est comme si
on avait ôté un poids écrasant de mes épaules.
Au bout de toutes ces années, je peux enfin inspirer
profondément. Je garde fermement la main de Daisy dans la
mienne alors qu’on prend l’ascenseur vers le deuxième
étage. Aujourd’hui marque un tournant et je veux régler tout
le reste. Je veux que tout le monde sache que Daisy est à
moi.
Et ça veut dire annoncer la nouvelle à Noah.
Je carre les épaules et me prépare mentalement à la
tempête qui va s’abattre sur nous. Noah ne va pas être
content. Il s’est donné pour mission de protéger Daisy des
mecs comme moi.
J’ai du mal à nous imaginer dans des camps opposés. Ça
n’est jamais arrivé. On s’est toujours protégés. S’il y a une
personne sur laquelle je peux compter, c’est bien Noah
Walker.
Et vice versa.
Même si la pensée de nuire à notre amitié me fait du
mal, je ne peux rien y faire. Après avoir désiré Daisy
pendant des années, elle est enfin à moi et je ne peux pas
la laisser filer.
Je ne la laisserai pas filer.
Pas même pour Noah.
Quand on atteint la porte de l’appartement, je prends
Daisy dans mes bras et lui donne un léger baiser. Elle
s’ouvre immédiatement et ma langue se faufile dans sa
bouche. Tout ce qui s’agite en moi s’apaise. Je n’aurais
jamais imaginé que quiconque ou quoi que ce soit puisse en
être capable, mais elle le fait. Elle est un baume à mon âme.
Après quelques moments, je me retire. Mon regard reste
braqué sur le sien, à la recherche du moindre signe de
doute.
— Tu es prête ? Parce qu’une fois qu’on aura révélé la
vérité, on ne pourra pas revenir en arrière.
Je marque une pause et lui donne le temps de revenir sur
sa décision. À présent que celle-ci a été prise, je suis prêt à
passer à autre chose, mais il faut que Daisy soit aussi
certaine de ses sentiments que je le suis moi-même.
Comme elle ne répond pas immédiatement, la nervosité se
réveille au creux de mon ventre. Ma gorge se contracte et il
devient plus difficile de respirer.
A-t-elle changé d’avis ?
Peut-être qu’à présent qu’elle a bien vu d’où je viens, elle
ne voudra rien avoir à faire avec moi.
Pourrais-je vraiment le lui reprocher ?
Certainement pas.
Mais ça ne signifie pas que ça ne va pas me tuer.
— Daisy ?
J’invoque tout ce que j’ai pour empêcher la peur de
s’infiltrer dans ma voix.
Elle me regarde brusquement dans les yeux. Seule y
pétille une détermination d’acier. Le soulagement qui
m’envahit suffit à faire faiblir mes genoux.
— Je suis prête, Carter.
Elle fronce les sourcils.
— Mais l’es-tu, toi ?
Elle incline la tête et m’étudie avec attention.
— Ce n’est pas moi qui étais pétrie de doute, me
rappelle-t-elle. Tu l’étais.
Je l’attire vers moi jusqu’à ce qu’on soit collés ensemble,
puis je lui dépose un baiser sur le crâne.
— Tu as raison. Je l’étais, mais comme toujours, tu as
réduit à néant tout ce que j’avais prévu.
Elle ricane et me donne une claque en travers de la
poitrine.
— Je t’en prie. Je suis la meilleure chose qui te soit jamais
arrivée.
— Tu l’es.
Je redeviens sérieux, ayant envie d’en finir.
— Allons dire à ton cousin ce qu’il se passe, pour qu’il
puisse essayer de comprendre.
— D’accord.
Alors qu’on échange un dernier regard, je déverrouille
l’appartement et garde la porte ouverte. Noah s’assied à
table alors qu’il pianote sur son ordinateur. On voit qu’il est
en mode étudiant sérieux, parce que ses lunettes à la
monture noire sont perchées sur son nez. Il lève les yeux
puis reste braqué sur nous quand il nous voit. Un pli barre
son front et il plisse les paupières.
L’après-midi a bien commencé puis a mal tourné.
Quelque part, Daisy et moi en sommes sortis plus forts.
Même si on a caché notre relation à Noah, je crois qu’il a
senti le changement, lui aussi. Il se cale contre le dossier de
sa chaise et croise les bras.
— Où étiez-vous, tous les deux ? crache-t-il.
Je l’ai entendu prendre ce ton avec plein de mecs dans
l’équipe, mais jamais avec moi.
Daisy pile net. Elle se fige et me transperce du regard
comme pour me demander si je suis certain de vouloir le
faire. Je manque de secouer la tête d’un geste exaspéré.
Comment peut-elle douter de moi après tout ce qu’on a
traversé aujourd’hui ?
Je prends la main de Daisy et passe mes doigts dans les
siens, nous unissant dans une démonstration de solidarité.
Noah inspire profondément.
— Putain, quoi ?
— Daisy et moi sommes ensemble.
Je me prépare aux répercussions, conscient que j’ai brisé
le bro code.
Son silence se prolonge et ma nervosité se décuple.
J’avais déjà les nerfs à vif après avoir dû gérer mes parents,
mais Daisy en vaut la peine. Je me redresse de toute ma
taille alors que ma résolution se renforce.
Au lieu de perdre son calme, Noah se claque la cuisse et
brandit un index dans ma direction.
— Putain de merde ! Pendant un moment, tu as failli me
faire marcher.
J’adresse un regard en coin à Daisy.
Elle hausse les épaules comme pour dire je ne sais pas
quoi en penser non plus.
— Mec, je suis sérieux.
Je m’éclaircis la gorge.
— Daisy et moi sommes ensemble.
Cette phrase le fait éclater de rire. Il essuie ses yeux
mouillés.
— Bien tenté ! Vous tolérez à peine d’être dans la même
pièce, tous les deux. Vous vous détestez ! achève-t-il en
poussant un hurlement de rire.
Ça n’a jamais été vrai. C’était plus de l’auto-préservation
qu’autre chose et j’en regrette la moindre minute.
Alors que Noah ne se reprend pas, ma patience arrive à
bout. Je m’étais attendu à de la colère, pas à de l’incrédulité
pure et dure. Putain, l’idée qu’on soit ensemble n’est pas si
incroyable !
— Les choses ont changé, mon pote, dis-je en serrant les
dents. Ce n’est pas une blague. Daisy et moi sommes
ensemble et je voulais que tu sois le premier à savoir.
Je ne sais pas si c’est mon expression ou le sérieux de
ma voix, mais d’un coup, Noah se raidit. Son rire s’estompe
alors qu’il me regarde avec des yeux écarquillés.
— Qu’est-ce que tu me dis, putain !
Ça, c’est plus la réaction que j’attendais.
Il se relève.
Noah est un colosse. Grand, les épaules larges. Il peut
facilement soulever son propre poids en salle de muscu. Je
ne veux pas que cette conversation se termine sur une
dispute, mais je suis prêt à gérer sa colère si ça arrive.
Ignorant Daisy, il me demande :
— Tu es sérieux ?
Je hoche la tête.
— Oui.
— Et ça dure depuis combien de temps, exactement ?
— Deux semaines, j’admets.
Au moins, maintenant, rien n’est plus secret. S’il y a un
côté positif à cette situation, c’est bien ça.
— Je ne comprends pas, marmonne-t-il en secouant la
tête. Tu oublies que c’est celle qui a préparé des brownies
aux laxatifs pour que tu te chopes la chiasse ?
— Non, je n’ai pas oublié.
Noah ne sait pas ce que je ressens depuis toujours pour
Daisy. Il ne réalise pas que j’ai passé des années à la mettre
en rogne afin qu’elle me déteste et garde ses distances.
— Et maintenant, tous les deux, vous êtes… ?
Son visage se plisse de dégoût et il a un mouvement de
recul.
— Un couple ?
Ignorant la question, je réponds :
— Nous n’avions pas l’intention de te mentir.
Je regarde Daisy, ne voulant pas mettre des paroles dans
sa bouche.
— On a besoin de temps pour comprendre ce qu’il se
passe entre nous.
Noah secoue la tête, comme pour se l’éclaircir.
— Alors, vous deux, vous avez… Quoi ? Vous avez baisé
en douce dans mon dos pendant des semaines ?
Daisy hoquette alors que son visage devient pâle.
— Ça ne te regarde absolument pas, aboyé-je alors que
mes doigts se referment autour des siens.
— Certainement que oui ! rugit Noah en serrant les
poings contre lui.
Il a l’air d’être à deux doigts de perdre la tête et une
partie de moi ne peut pas le lui reprocher. Mais je ne vais
pas rester sans rien faire et écouter Noah manquer de
respect à Daisy. Peu m’importe qu’elle soit sa cousine ou
pas.
— Ma relation avec Daisy est privée et ne te regarde pas,
lui dis-je.
Cette déclaration ne fait que l’énerver davantage. Il serre
les dents en crachant :
— Il faut qu’on ait une conversation en privé.
CHAPITRE 34

DAISY

—O ui, d’accord.
Carter hoche la tête et me serre à nouveau les
doigts avant de les lâcher.
— Où tu veux qu’on aille ?
— Pas toi, lance Noah en tendant un doigt dans ma
direction. J’ai envie de m’entretenir avec elle.
— Quoi ?
Carter fronce les sourcils en m’adressant un regard
surpris.
Cette demande me désarçonne tout autant que lui.
— Moi ? dis-je en plaçant une main sur ma poitrine pour
clarifier. Tu veux me parler ?
Le visage de Noah se rembrunit. Je ne me souviens pas
de la dernière fois où je l’ai vu aussi en colère. Il a l’air à
deux doigts de péter un plomb.
— Oui, à toi.
Il désigne ma chambre d’un geste du menton.
— Allons-y.
Je croise le regard de Carter et secoue la tête, confuse.
— Hmm, d’accord.
Ce n’est pas ainsi que j’imaginais que la conversation
allait se passer. Noah file vers ma chambre et je le suis
avant de refermer la porte. Je savais qu’il allait se mettre en
rogne. Mon cousin s’est toujours foutu les nerfs en boule
quand ses amis ou ses coéquipiers me regardaient en
douce. Alors, je m’attendais à cette réaction. Cela dit,
j’avais pensé qu’il voudrait s’en prendre à Carter, pas à moi.
Mais c’est peut-être pour le mieux. Je peux peut-être
désamorcer la situation avant qu’elle ne continue de nous
échapper. La dernière chose que je veux est que Carter et
Noah soient en désaccord.
— Je suis désolée de te l’avoir dissimulé, dis-je. On n’a
jamais…
— Carter et toi ne serez jamais ensemble et c’est mon
dernier mot.
Il croise les bras et me fusille du regard.
Que je sois avec n’importe lequel des amis de Noah
plomberait déjà bien l’ambiance, mais c’est le fait que ce
soit avec son meilleur ami qui est encore pire.
Je m’humecte les lèvres et réessaye.
— Noah, laisse-moi t’expliquer.
Refusant d’écouter, il secoue la tête.
— Il n’y a rien à expliquer, parce que tu vas casser avec
lui tout de suite, avant que ça aille plus loin.
Surprise, je cligne des paupières en entendant son ton.
— Écoute, tu as tous les droits d’être en colère.
— Tu as raison, je le suis, crache-t-il.
Je tords les doigts devant moi.
— Mais je ne veux pas que tu sois en colère contre
Carter. Il n’a rien fait de mal. C’était entièrement de ma
faute, j’admets.
Noah fronce les sourcils et serre les poings contre lui.
— Je n’ai jamais pensé le contraire, Daisy.
Je fronce les sourcils.
— Quoi... Quoi ?
— Carter ne t’aurait jamais séduite.
On ne peut pas nier que Noah est en colère que Carter et
moi soyons ensemble, mais cette colère ne semble pas
dirigée vers son ami. Elle est dirigée vers…
— Attends un peu.
Je me redresse de toute ma taille et plaque une main sur
ma poitrine pour la seconde fois.
— Tu es en colère contre moi ?
Noah lève les yeux au ciel.
— Oui.
Il désigne la porte d’un geste de la main.
— Qu’est-ce que tu fais ?
Je suis dans la quatrième dimension ? Parce que je ne
comprends rien à ce qu’il dit.
Je secoue la tête afin de m’éclaircir les idées avant de
marmonner :
— Je ne comprends pas.
— Carter n’est pas comme les autres mecs avec lesquels
tu fricotes.
Je pousse un soupir frustré.
— Ce n’est pas ce qui se passe entre nous.
Ce que Carter et moi avons est beaucoup plus que ça.
Cette relation est peut-être récente, mais je vois déjà que
mes sentiments pour lui sont profonds. Ils l’ont peut-être
toujours été et j’étais simplement trop entêtée pour m’en
rendre compte.
Il pince les lèvres.
— Tu vas juste le détruire, Daisy.
Cette accusation me laisse bouche bée et je murmure :
— Comment peux-tu dire une chose pareille ?
Il hausse brusquement les épaules.
— Soyons honnêtes, tu as de mauvais antécédents
question mecs. Tu les enchaînes aussi souvent que la
plupart des gens changent de caleçon. Carter n’en a pas
besoin. Particulièrement pas maintenant.
Ses mots aspirent tout l’air de mes poumons et
m’empêchent de respirer.
— Noah…
Comment notre conversation a-t-elle pu dérailler à ce
point ?
Une lueur de protection féroce brille dans ses yeux. J’ai
déjà vu ce regard une centaine de fois, mais il a toujours été
pour moi et jamais contre moi.
— Je ne veux pas que tu lui retournes le cerveau,
marmonne-t-il.
Ses mots me transpercent comme une lame de rasoir. Ce
qui ne fait qu’empirer les choses est qu’ils viennent de mon
cousin. La seule personne sur laquelle je peux compter pour
me soutenir.
— Tu penses vraiment que je ferais une chose pareille ?
Il ignore la question et dit plutôt :
— Si tu tiens vraiment à lui, tu vas mettre un terme à la
situation avant que ça n’aille plus loin.
— D’où ça sort, tout ça ?
Ma voix meurt alors que je me rends compte que Noah
n’essaye pas de me protéger de son ami.
Noah essaye de protéger Carter de moi.
Dès que cette pensée prend racine, sa motivation me
frappe comme un mur de briques.
Il sait.
Noah le savait depuis le début et n’en avait jamais
soufflé mot. Je repense à l’étrange regard qu’ils ont échangé
quand Carter est parti au milieu du match de foot. Pour la
énième fois de la journée, j’ai l’impression d’être une idiote
de n’avoir pas réalisé quelque chose qui aurait dû me
sembler clair depuis longtemps. Toutes les pièces du puzzle
se trouvaient sous mes yeux, mais je n’ai jamais pris la
peine de les assembler.
— Tu es courant pour sa famille, n’est-ce pas ? murmuré-
je.
— Bien sûr, dit-il en retroussant la lèvre. On est amis
depuis des années.
Il cligne des paupières alors que son expression se
change en incrédulité.
— Attends un peu… Il t’en a parlé ?
La journée a été pleine de révélations. Leur poids presse
sur mes épaules, m’empêchant de continuer à rester
debout. Je me dirige vers le rebord du lit et me laisse
tomber dessus, les yeux braqués sur mes mains jointes.
— Il m’a emmenée dans un parc pour faire un pique-
nique cet après-midi.
Surpris, Noah a un mouvement de recul.
— Pardon… Il a fait quoi ?
Je lève les yeux et croise son regard effaré. J’affiche un
petit sourire.
— Carter a préparé un déjeuner et m’a emmenée au
parc.
Dans une tout autre situation, j’aurais adoré désarçonner
mon cousin. Noah se laisse tomber à côté de moi et le
matelas s’enfonce sous son poids. Je le regarde en dessous
alors qu’il articule un unique mot.
Ouah.
Un ricanement m’échappe et meurt sur mes lèvres. Au
lieu de garder le contact visuel, on regarde droit devant
nous alors que je l’informe de ce qu’il s’est passé cet après-
midi avec les parents de Carter.
— Il faut que tu sois certaine, Daisy.
Il se passe une main dans les cheveux.
— Certaine que c’est ce que tu veux.
Ses yeux bleus restent braqués sur les miens.
— Ce que Carter ressent pour toi n’est pas une passade.
Le plaisir explose dans ma poitrine.
— Comment le sais-tu ?
— Je le sais, c’est tout, marmonne-t-il. Il ne laisse pas
entrer grand monde dans sa vie. Quoi que tu fasses, ne le
traite pas mal.
— Noah…
Je ne sais pas quoi lui répondre.
— Je suis sérieux, lâche-t-il. Carter a assez de soucis
comme ça. Je n’ai pas envie qu’il se confie pour que tu le
largues comme une crotte dans quelques semaines.
— Je ne vais pas le faire, dis-je doucement.
— J’espère bien.
Un sourire flotte sur ses lèvres, mais il ne contient pas le
moindre humour.
— Je détesterais avoir à te botter le cul et crois-moi, j’en
serais capable.
Il hausse un sourcil.
— Cousine ou pas.
— Ah oui ? Essaye un peu, dis-je d’une voix étranglée.
Noah passe un bras autour de mes épaules et m’attire
près de lui. Je suis soulagée de sentir la camaraderie
s’infiltrer à nouveau dans notre échange.
— La dernière fois où tu as essayé quelque chose, c’est
moi qui en suis sortie victorieuse.
Noah lève les yeux au ciel et rouspète :
— Oui, c’est parce que tu fais des coups bas… Comme
une fille.
— Je t’en prie…
Il a raison. J’ai recours à des coups bas si c’est nécessaire
pour gagner. Et contre un homme qui fait presque cinquante
kilos de plus que moi, bien sûr que je vais utiliser tous les
avantages à ma disposition !
Je ne suis pas une idiote.
— Tu m’as saisi les bourses et tu as serré, grommelle-t-il.
Je cligne innocemment des paupières.
— Oh ? C’est ça à quoi je me raccrochais ? Elles étaient si
petites que je n’en étais pas certaine.
Il secoue la tête.
— J’espère que Carter sait dans quoi il se fourre.
Un sourire s’empare de mon visage.
— Après le fiasco des brownies, je vais me perdre en
conjectures et dire que oui.
— Tu es un véritable danger, Daisy Thompson.
Avec un mouvement rapide comme l’éclair, il me saisit la
tête et enfonce les jointures de ses doigts dans mes
cheveux avant de les frotter d’avant en arrière.
Arg !
Je déteste ça ! Noah ne me l’a plus fait depuis des
années. Pas depuis la dernière fois que je lui ai agrippé les
noisettes.
— Je ne pourrais pas être plus fier, rit-il.
CHAPITRE 35

DAISY

—R eviens un peu en arrière et reprends depuis le


début, exige Olivia au milieu du vacarme du stade.
Je veux tous les détails au ralenti pour que je puisse les
savourer plus pleinement. En plus, je veux m’assurer que tu
n’en oublies pas.
— Ce n’est pas nécessaire, ricané-je. Tu sais absolument
tout.
— C’est peu probable.
Elle souffle et me claque la cuisse.
— Je n’arrive pas à croire que tu me cachais quelque
chose comme ça !
Elle marque un temps d’arrêt.
— C’est énorme.
Même si on est assises à la dixième rangée de la section
étudiante, au milieu d’une foule dense, elle parvient à
écarter les bras, manquant de près le mec assis à côté
d’elle.
— Plus qu’immense. Super immense.
— Ouais, grimacé-je. Je sais.
J’aurais probablement dû informer Olivia de ce qu’il se
passait avec Carter, mais comment aurais-je pu le faire
alors que je ne le savais pas moi-même ? Olivia et moi nous
sommes toujours confiées l’une à l’autre. On a plongé dans
notre amitié la première semaine de la première année et
depuis, on n’est jamais remontées à la surface. Ne voulant
pas la voir en colère ou blessée par mon manque de
transparence, je passe un bras dans le sien et l’attire près
de moi.
— Je suis désolée. Je n’avais pas envie de dire quoi que
ce soit avant de savoir si c’était plus que…
Je marque un temps d’arrêt, essayant de trouver un
terme adéquat pour décrire ce que Carter et moi avons
vécu.
— Plus qu’une situation d’amis avec avantages.
Elle s’étrangle sur un ricanement.
— Quand avez-vous jamais été amis ?
Touché.
— Alors, une situation d’ennemis avec avantages ?
répliqué-je.
— Oui, on va dire ça.
Olivia redresse légèrement le dos et m’adresse un regard
entendu.
— Tu vois, je ne me trompais pas quand je disais que tu
lui plaisais.
Elle me pousse l’épaule et hausse les sourcils.
— Et qu’il te plaisait.
Les raisons qu’avait Carter pour me tenir à distance font
la gigue dans ma tête.
— Apparemment, lui accordé-je.
Olivia semble légèrement contrariée par ma confession,
mais rien de plus. Et même ceci est fugace. Elle n’a jamais
été capable de rester en colère contre moi.
— Tu sais que je vis par procuration à travers toi, dit-elle.
Je lève les yeux au ciel.
— Arrête un peu, tu me forces à censurer toutes les
parties intéressantes.
— Je préfère la romance, pas les détails graphiques. Tu
sais à quel point c’est difficile de regarder certains de ces
mecs en face quand tu m’as imité les sons qu’ils font quand
ils…
Elle n’achève pas sa phrase et hausse les sourcils au lieu
de dire le mot jouissent.
Je me mords la lèvre afin de réprimer le rire qui remonte
dans ma gorge alors que je lui adresse un signe de la main.
— Oh, je n’ai jamais fait ça.
En fait, si.
Une fois.
Non, deux.
Mais vous auriez dû les entendre. Je ne peux même pas y
penser sans ricaner.
— Oui, tu l’as fait. Deux fois. Il y a deux mecs que je dois
éviter sur le campus. Et l’un d’eux s’est retrouvé dans mon
cours de statistiques le semestre dernier et a essayé de me
parler. Tu sais à quel point c’était embarrassant ?
Pauvre Olivia ! Je ne peux que me l’imaginer.
— D’accord, je l’ai fait, mais ça ne compte pas, parce que
cette fois, je ne vais pas entrer dans les détails, ajouté-je
d’une voix guindée.
— Eh bien, eh bien, eh bien, chantonne Olivia avec un
sourire. Les événements prennent une tournure
intéressante.
Je lui donne un coup d’épaule alors que mon visage se
réchauffe. C’est la première fois que j’ai envie de garder les
détails intimes pour moi.
Olivia me regarde attentivement et elle écarquille les
yeux.
— Oh, mon Dieu, tu rougis ! Je ne pensais pas que c’était
possible.
— Je ne rougis pas, grommelé-je.
J’aimerais bien qu’elle arrête de me scruter et d’en faire
toute une histoire.
— Si, bien sûr.
Elle fait un gros bruit de baiser.
— Ah, c’est mignon !
— Oh, arrête, marmonné-je.
Des années de taquineries impitoyables me retombent
dessus. Olivia tient enfin sa revanche.
Mon amie ricane. Visiblement, elle s’amuse de notre
changement de situation.
— J’essaye toujours d’intégrer le fait que Carter et toi
êtes ensemble.
Nous sommes deux. Cette relation tout entière m’a prise
par surprise, quoique de la meilleure des façons. Quand
Carter a décidé de cesser de garder la situation secrète, il
ne plaisantait pas. Une fois qu’il en a parlé à Noah, les
vannes se sont ouvertes. Il a fait clairement comprendre à
tout le monde que je suis sa copine, ce qui signifie que
quand on traverse le campus, il me tient la main. Ça signifie
aussi que quand on est en cours, il se cale à côté de moi, un
bras passé autour de mes épaules.
Je n’aurais jamais cru que Carter apprécie les
démonstrations physiques. Je repense soudain au fait qu’il
m’a embrassée devant une petite foule il y a deux jours. Les
sifflets et les applaudissements qui ont suivi ont été
tonitruants. C’est comme s’il voulait que tout le monde
sache que je suis à lui et qu’il est à moi.
Je ne peux pas dire que ça ne me plaît pas.
— Hé ho, je cherche Daisy Thompson, crie une voix aux
abords du terrain de foot.
Olivia et moi nous tournons pour regarder, mais on ne dit
rien, l’une comme l’autre.
— Où es-tu, Daisy Thompson ? crie-t-il à nouveau.
Pressentant qu’il va se passer quelque chose, les
étudiants qui nous entourent deviennent silencieux. Ils
tendent le cou pour regarder le mec sur le terrain. Je mets
ma main en casquette pour essayer de voir qui c’est et
pourquoi il crie mon nom.
Manifestement, il fait partie de l’équipe parce qu’il est en
tenue. Je connais une bonne partie des joueurs, mais je n’ai
pas rencontré tout le monde. Je suis plus amie avec les
mecs plus vieux qui sont proches de Noah et Carter.
Quand il hurle mon nom pour la troisième fois, encore
plus fort qu’avant, je fais un grand geste de la main.
— Ici ! Je suis là.
Apparemment, il n’allait pas partir avant que je me sois
manifestée.
Quand ses yeux se posent sur moi, il me décoche un
sourire à fossettes.
Olivia me donne un coup de coude dans les côtes et se
rapproche.
— Il est mignon.
— C’est un bébé, marmonné-je du coin des lèvres. Je suis
certaine qu’il a du duvet sur les joues.
Elle hausse les épaules.
— Il est quand même adorable.
— Alors tu devrais te lancer.
Mon regard reste braqué sur le mec.
— Tu peux peut-être lui offrir une sucette et il te
raccompagnera chez toi.
Elle s’étrangle sur un rire et me donne un coup de coude
dans les côtes.
— Tu es une personne horrible.
— C’est vrai, en conviens-je, mais c’est pour ça que tu
m’apprécies.
— Ah oui, je n’en suis pas certaine.
Elle plisse les yeux comme si elle y réfléchissait.
Puisque le mec sur le terrain n’a pas bougé, je m’éclaircis
la gorge plus fort pour qu’il puisse m’entendre.
— Tu as besoin d’aide pour quoi que ce soit ?
Cela dit, je ne verrais pas comment.
— J’ai une livraison spéciale pour toi.
— Oh ?
Je coule un regard à Olivia.
Elle fait danser ses sourcils et hausse les épaules.
Alors seulement, je remarque qu’il tient quelque chose
dans ses mains. Il jette le bras en arrière et me lance. Un
sac en plastique noir vole vers moi et je l’attrape facilement.
Je me rappelle que c’est un quarterback remplaçant.
Jackson. Un première année.
— Qu’est-ce que c’est ? crié-je.
— Ouvre-le et tu verras, m’encourage-t-il avec un sourire.
Olivia a raison ; il est adorable. Certes, c’est un
remplaçant et aussi un première année, mais il a des fans
sur le campus. Et pas seulement des jeunettes.
Apparemment, Jackson réveille la cougar chez certaines des
filles de BU.
Je défais les poignées en plastique et regarde à l’intérieur
avant d’en sortir un épais carré de tissu soigneusement plié.
Je le lève pour mieux l’observer.
C’est un maillot.
Sur l’avant se détache le numéro 42. Je le retourne et
vois le nom Prescott imprimé au dos en lettres capitales
blanches. Son numéro est en-dessous.
Je lève la tête. Jackson a disparu et Carter se tient à
présent à sa place. Un grand sourire s’empare de son visage
séduisant.
— Hé, désolé, crie-t-il. Je ne savais pas si j’allais avoir le
temps de te donner le maillot.
Il jette un œil vers le tunnel où l’attend un des
entraîneurs assistants. Le mec désigne sa montre et la
tapote à deux reprises. Carter hoche la tête et le coach se
retourne vers son porte-documents.
— Tu m’offres un maillot ?
Sa considération fait s’emballer mon cœur.
— Je ne vais pas laisser ma copine se balader avec le
numéro d’un autre mec, non ? ricane-t-il.
Depuis la première année, je porte le maillot de Noah
pour lui témoigner mon soutien.
— C’est mon cousin, lui crié-je avec un sourire. Je ne
pense pas que tu aies la moindre inquiétude de ce côté-là.
Il incline la tête sur le côté et plisse les yeux.
Il est super sexy dans son maillot et son pantalon blanc
serré qui moule ses cuisses musclées. L’épais rembourrage
rend ses épaules impossiblement larges et lui affine la taille.
Et le maquillage noir sous ses yeux…
Je presse mes cuisses l’une contre l’autre afin
d’amoindrir la douleur qui palpite entre elles. La pensée de
devoir attendre au moins quatre heures avant de pouvoir
poser les mains sur lui me fait grogner.
— Du calme, ma fille, murmure Olivia d’une voix qui
pétille d’hilarité.
Je l’ai déjà dit, mais elle se délecte de la situation.
Carter secoue la tête et croise les bras.
— Tu protestes, Thompson ?
Je retire le maillot de Noah et révèle une camisole rose.
Puis j’enfile celui de Carter et lisse le tissu. Ce modèle
féminin moule parfaitement mes courbes.
J’écarte les bras afin qu’il m’inspecte et je crie :
— Qu’est-ce que tu en penses, Prescott ?
Il fait courir sur moi un regard plein de chaleur.
— Tu es torride.
Il cligne de l’œil en courant à reculons.
— Je te vois après le match.
Il m’adresse un dernier geste de la main avant d’être
englouti par le tunnel.
— C’était la chose la plus attendrissante du moment,
déclare Olivia.
Je ne veux pas me vanter, mais elle a raison.
C’était totalement vrai.
Et ça suffit à me faire tomber encore plus pour Carter.
CHAPITRE 36

CARTER

—B ien joué, Prescott !


— Mec, t’as tout déchiré aujourd’hui !
Des mains me claquent sur l’épaule alors que je traverse
la foule à la recherche de Daisy. Elle est restée après le
match pour me féliciter puis elle est partie avec Olivia après
m’avoir dit qu’elle nous retrouverait plus tard.
Je suis surpris d’avoir tenu aussi longtemps sans Daisy et
à présent, je veux juste être avec elle.
Et l’avoir vue porter mon maillot cet après-midi ?
C’était super sexy.
Je suis certain qu’elle a enfilé quelque chose de plus
adapté à la fête, mais je fantasme à l’idée de la voir vêtue
de mon maillot et rien d’autre. Y songer suffit à me faire
bander.
Le plan pour la soirée est simple. Je la retrouve, on
s’attarde une heure ou deux pour boire un peu, puis on
rentre direct à la maison où je la déshabillerai
immédiatement. Je lui demanderai peut-être de renfiler ce
maillot.
Je m’arrête pour observer la foule, mais je n’aperçois sa
tête blonde nulle part. J’allais sortir mon portable pour la
retrouver quand une paire de mains féminines se balade sur
ma poitrine. Je tourne brusquement la tête, espérant que
Daisy se soit matérialisée.
Pas de chance. Mon sourire s’estompe alors que la
déception s’installe.
— Salut, Carter. C’était un match génial cet après-midi.
Vanessa, une fille que j’ai croisée sur le campus,
m’adresse un sourire faussement timide sans cesser de faire
danser ses doigts sur mon biceps.
— Et toi en particulier, tu étais…
Elle marque un temps d’arrêt pour chercher un adjectif
différent, mais elle est apparemment incapable d’en trouver
un à la volée.
— … vraiment génial.
— Heu, merci, dis-je.
Je sais ce que recherche Vanessa.
Et ça ne se produira pas.
J’espère qu’elle comprend le message silencieux que je
lui adresse : je ne suis pas intéressé. J’ai assez d’expérience
pour savoir comment cette situation va se dérouler.
— Tu ne trouves pas que Carter était génial aujourd’hui,
Cassy ?
Quoi ? Je ne m’attendais pas à ce retournement de
situation.
Je cligne des paupières quand une autre fille, en tous
points identique à Vanessa, s’enroule autour de mon autre
bras comme un python. À en juger par la façon dont elle me
regarde, elle a faim et veut me dévorer tout entier. La
seconde fille plaque ses bras contre mon bras nu. Sentir ses
mamelons dardés à travers son haut me fait reculer.
Même si je n’ai rien fait pour inviter ce comportement,
cette situation sonne faux. Les seuls tétons qui
m’intéressent sont ceux de quelqu’un d’autre.
— Si génial, ronronne-t-elle en battant des cils.
Je ne vais pas mentir ; ces filles sont magnifiques. Elles
ressemblent à des poupées gonflables avec leurs cheveux
blonds et leurs lèvres pulpeuses. Leurs seins sont gros et
fermes. Ils pourraient étouffer quelqu’un en quelques
minutes. Je déteste l’admettre, mais avant Daisy, j’aurais pu
glisser mon bras autour de chacune d’elles et on aurait
trouvé un endroit privé pour nous amuser pendant une
heure ou deux.
L’érection que je me suis tapée rien qu’en songeant à ma
copine flétrit alors qu’elles me caressent ensemble.
Vanessa se rapproche. La façon dont son gloss rose à
paillettes fait briller ses lèvres est un peu déconcertante.
— Alors, dit-elle avec un regard conspirateur à Cassy, on
espérait pouvoir te féliciter en privé d’avoir été aussi…
— Génial ?
Je grimace quand le mot me tombe de la bouche.
Oui, dites-le… Je suis un connard.
Et vous savez quoi ?
Je m’en fiche. Mon sarcasme lui passe au-dessus de la
tête.
Au lieu de s’offenser, son sourire s’élargit et elle plaque
ses mamelons contre moi. Je suis flanqué des deux côtés
par des nibards. Ce n’est pas la première fois que ça arrive
mais c’est la première fois que je cherche à m’échapper.
— Absolument ! Tu es toujours génial sur le terrain, dit
Vanessa qui m’adresse un regard à la dérobée, mais j’ai
entendu dire que tu es encore plus génial au lit et on a
envie de le découvrir par nous-mêmes.
Elles continuent de me caresser la poitrine et il faut que
ça s’arrête.
Avec douceur, j’écarte de moi leurs mains qui
s’accrochent. Elles ne doivent pas peser plus de cinquante
kilos toutes mouillées, mais vous savez quoi, elles sont plus
fortes qu’elles en donnent l’impression. Je fais un effort pour
les écarter.
— Ça a l’air très amusant, dis-je avec un grognement en
écartant leurs mains de moi, mais j’ai un autre engagement
ce soir.
— Quelqu’un t’a mis le grappin dessus en premier ?
boude Vanessa.
— On serait ravies de vous rejoindre, dit son amie. Plus
on est de fous, plus on rit, non ?
Elles se plaquent contre moi comme si leur douce chair
souple allait me faire changer d’avis.
Merde… Qu’est-ce qu’elles croient ?
Que deux paires de seins voluptueux peuvent convaincre
un homme de faire tout ce qu’elles veulent ?
D’accord, très bien… La plupart du temps, c’est
exactement ce qu’il se passe.
Cela va sans dire, la plupart des hommes aiment les
nichons. Point barre. Les femmes le savent et s’en servent
contre nous à la moindre occasion.
— Je ne crois pas. Je ne pense pas que ma copine
apprécie, mais merci pour cette proposition, j’ajoute,
espérant ne pas les avoir froissées.
Ou mises en colère.
Je retiens mon souffle, attendant de voir où ça va nous
mener.
Vanessa bat des cils.
— Tu es certain qu’elle n’aimerait pas se joindre à nous ?
Essayer d’imaginer Daisy accepter cette situation est
hilarant. Je souris malgré moi.
— Non, elle n’aime pas partager.
Elles font encore plus la moue.
— Dommage.
Ça me donne assez de temps pour m’extraire de leurs
griffes avides.
— Eh bien, mesdemoiselles, j’ai été ravie de vous
rencontrer, mais il faut que j’y aille.
— D’accord, disent-elles à l’unisson.
Je me suis éloigné de quelques pas quand l’une d’elles
s’écrie :
— Si ça change, tu sais où nous trouver. On ne va nulle
part.
Je leur adresse un geste de la main par-dessus mon
épaule, ne prenant pas la peine de me tourner pour croiser
leurs regards.
Ça ne se produira jamais.
J’aperçois Noah de l’autre côté de la pièce. Il discute avec
plusieurs mecs de l’équipe. Puisqu’on est plus en sécurité
en groupe, je les rejoins. Les requins encerclent toujours le
bateau après une victoire. La dernière chose dont j’aie
besoin est de me retrouver dans une situation précaire. Ce
n’est pas qu’elle soit jalouse, mais je sais ce que je
ressentirais si des mecs s’accrochaient à elle.
Tout le monde parle toujours du jeu au milieu du
troisième quart-temps qui a inversé la tendance en notre
faveur. Dès qu’on a marqué ce touchdown, l’autre équipe a
perdu sa motivation et on a été capable d’augmenter notre
avance. Au bout d’environ dix minutes, quelques-uns des
mecs vont dans la cuisine pour se resservir. Noah et moi
restons en retrait.
— Où est Ashley ? demandé-je.
Normalement, ces deux-là sont collés l’un à l’autre. Cela
dit, maintenant que j’y pense, je ne l’ai pas vue traîner à
l’appartement ces derniers temps. J’ai été tellement
accaparé par Daisy que si une bombe explosait, je ne le
remarquerais pas.
Il hausse les épaules et avale une gorgée de bière. Je
n’obtiens pas de réponse immédiate, ce qui est étrange. De
toute évidence, il ne veut pas en discuter, chose que je
respecte.
Alors, passons à autre chose…
— On a fait un break, marmonne-t-il.
— Oh. Désolé de l’apprendre.
Son regard se fait acéré et il redresse l’échine.
— Vraiment ?
Quelque chose me dit d’agir prudemment et j’ai la
sagesse de suivre mon instinct.
— Bien sûr. Je n’ai pas de problème avec Ashley.
Je regarde autour de moi, à la recherche de Daisy. Où est-
elle, putain ?
— Si ça te contrarie, alors je suis désolé.
Ses épaules s’affaissent et il hoche sèchement la tête
avant de prendre un autre verre.
— Merci, dit-il. Je lui ai dit qu’on avait besoin d’espace.
Il marque un temps d’arrêt.
— Tu ne l’as peut-être pas remarqué, mais parfois, elle
est un peu casse-couilles.
J’avale ma bière de travers et je crachote. Je me frappe la
poitrine à plusieurs reprises alors que mes yeux se
remplissent de larmes. Je me refuse catégoriquement à
émettre un commentaire. Il est possible qu’ils se remettent
ensemble dans quelques jours.
— Non, je n’avais pas remarqué.
Il hoche la tête.
— Oui, Ashley a des moments comme ça. Je ne dis pas
que c’est une mauvaise personne ou quoi que ce soit, mais
je ne suis pas certain qu’on aille bien ensemble.
Il plisse les yeux.
— Toute cette histoire avec la salade… C’étaient des
conneries, non ?
A-t-il sérieusement besoin d’une confirmation ?
— Euh, oui. C’était vraiment merdique.
En plus, je n’aime pas la façon dont elle traite Daisy.
Tu sais quoi, ma fille ? Adoucir des paroles méchantes par
un sourire ne les rend pas moins méchantes.
— Oui, c’est ce que j’ai pensé aussi.
On retombe dans le silence jusqu’à ce que Noah
s’éclaircisse la gorge.
— Alors, Daisy et toi ?
Cette conversation va de mal en pis. Nous n’avons pas
parlé de la situation avec Daisy. Je veux dire… qu’est-ce
qu’on pourrait dire ?
On est des mecs. On ne va pas s’asseoir et avoir un
moment à la Dr Phil pour se confier et parler de nos
sentiments en utilisant des phrases à la première personne.
Quand tu baises ma cousine, je ressens…
Rien que d’y penser me donne la nausée, mais le fait
demeure que Noah est un bon ami. Le meilleur, d’ailleurs. Je
ne veux pas que ma relation avec sa cousine se dresse
entre nous. Alors, je crois que s’il a besoin d’en parler et de
trouver une résolution, c’est ce qu’on va faire.
Ici et maintenant.
Au milieu de la fête.
Mon regard accroche le sien.
— Ouais.
J’oscille d’un pied sur l’autre. J’aimerais être n’importe où
sauf ici.
— Ça ne te dérange pas, non ?
— Ça compterait si c’était le cas ? demande-t-il d’une
voix traînante en arquant un sourcil.
Ignorant la question, je dis plutôt :
— Je n’avais pas la moindre intention que ça se produise.
J’ai toujours gardé mes distances. Tu le sais, n’est-ce pas ?
— Oui, grommelle-t-il, l’air aussi mal à l’aise que moi. Je
le sais.
— Mais elle me plaît.
Même si la fête fait rage autour de nous et que personne
ne nous accorde la moindre attention, je baisse la voix.
— Je ne lui ferai jamais de mal.
— Je le sais aussi, soupire-t-il en détournant le regard
pendant un instant. Je ne vais pas mentir, c’est un peu
bizarre de vous voir ensemble.
Il plisse le visage et effectue plusieurs cercles avec la
main.
— Comme ça.
Je grimace et réfléchis à sa perspective face à la
situation.
— Oui, c’est ce que je pensais.
Ce qui est précisément pourquoi je suis terriblement
choqué quand il admet :
— Mais si Daisy doit être avec quelqu’un, je suis content
que ce soit avec toi.
— Merci.
Quelque chose se détend dans ma poitrine.
— Ça compte vraiment.
En vérité, ça compte plus que tout.
On va peut-être avoir notre moment à la Dr Phil après
tout.
Noah se redresse de toute sa taille et braque un index
vers moi.
— Si tu lui brises le cœur, je te détruis.
Ou peut-être pas… Je ne peux pas lui reprocher de la
soutenir. Je ne me serais pas attendu à moins de la part de
Noah.
— Je ferai attention à elle, dis-je.
Il avale une autre gorgée à sa bouteille.
— Je crois que je n’en demande pas plus.
J’exprime une vérité, même si ce n’est pas une chose à
laquelle j’ai envie de penser.
— Tu sais que c’est elle qui finira par me briser le cœur,
n’est-ce pas ?
— Tu le savais dès le début, mon pote.
Il hausse les épaules et incline la bouteille vers moi.
— En toute connaissance de cause.
Il a raison. Je le savais.
— On est cool ?
Parce que j’ai besoin qu’on soit cool. J’ai besoin d’avoir
Noah à mes côtés comme il l’a toujours été.
Il sourit.
— Oui, on est cool.
Je hoche la tête. J’ai l’impression qu’on vient de m’ôter
un poids immense de mes épaules.
— Hé, dit Noah en tendant le cou. Je viens de voir Daisy
et sa fidèle acolyte.
Je suis son regard et scanne la pièce. Dès que mes yeux
se posent sur elle, tout le reste disparaît. Comment est-il
possible que cette fille en soit venue à signifier autant pour
moi en si peu de temps ?
C’est fou. Et pourtant, je ne voudrais pas qu’il en soit
autrement.
Ma vision est tellement concentrée sur Daisy que je ne
remarque pas ce qu’il se passe avant que Noah émette un
commentaire sur le type qui est en train de lui parler.
CHAPITRE 37

DAISY

D ès qu’Olivia et moi avons passé la porte, un mec est


venu se coller à moi et je n’ai pas été capable de me
débarrasser de lui. Il ne comprend pas que je ne suis pas
intéressée. Je crois que c’est parce qu’il est ivre.
Arg.
Même si j’étais libre comme le vent, les mecs saouls ne
m’intéresseraient jamais.
D’abord, ils ont tendance à se croire hilarants, comme si
tout ce qui sort de leur bouche était le summum de la
comédie. D’expérience, je peux vous dire que ce n’est pas
le cas. Loin de là. La moitié du temps, on ne comprend pas
la moitié de ce qu’ils baragouinent.
Ensuite, ils ont généralement les mains trop baladeuses
pour moi. Je ne suis pas une fille qui aime être tripotée. À
moins d’avoir donné le feu vert. Alors j’aime ça. Sans quoi,
oubliez. Je suis capable de vous donner un coup de poing.
Et finalement, on n’arrive jamais à les éconduire
poliment. Si on n’est pas intéressée, ils prennent la mouche
et finissent par vous traiter de connasse ou de gouine.
Ce n’est pas très aguichant.
Je cherche Noah du regard. Où est-il quand j’ai besoin de
lui ?
Le reste du temps, il me colle et fait fuir les mecs. Quand
j’ai vraiment besoin de son aide, il reste introuvable.
Typique !
Je hausse les sourcils et adresse à Olivia un regard
exaspéré, mais ses yeux sont braqués sur un point derrière
mon épaule.
Quand je me tourne pour voir ce qui a attiré son
attention, elle marmonne :
— Il arrive.
Avant que je puisse cligner des paupières, un bras
masculin puissant serpente autour de mon corps et me
serre contre lui. L’odeur masculine de Carter me frappe d’un
coup. Je lève les yeux vers lui, mais il ne me regarde pas. Il
fusille du regard ce mec qui n’accepte pas un « non »
comme réponse. Je tourne les yeux vers le mec ivre,
espérant qu’il renonce et trouve quelqu’un d’autre à
harceler.
À présent que Carter est là, je veux juste continuer ma
soirée.
Je suis toujours excitée par le maillot qu’il m’a donné plus
tôt dans l’après-midi. Pour être honnête, je n’ai pas
vraiment envie de rester à cette soirée, mais je me suis dit
que Carter aurait envie de faire la fête avec son équipe. Ça
ne fait pas longtemps qu’on est ensemble. Je ne veux pas
être la copine qui a envie de rester à la maison devant
Netflix un samedi soir.
Quoique, Netflix me tenterait bien.
— Eh, mec, dit Monsieur Pompette d’une voix traînante.
J’étais au milieu d’un truc.
Du moins, je crois que c’est ce qu’il dit. Difficile d’en être
certaine.
Carter secoue la tête.
— Je ne crois pas. Il faut que tu passes à autre chose. Elle
n’est pas intéressée.
Le regard flou de Monsieur Pompette passe de l’un à
l’autre.
— Elle a envie de moi. On allait monter à l’étage.
Le pas incertain, il fait quelques pas titubants vers moi et
je grimace.
— N’est-ce pas ? demande-t-il.
— Non, désolée. Je n’avais pas prévu ça ce soir.
— Ah oui, raille-t-il. Pourquoi tu ne dirais pas à ton gigolo
de se casser pour que je te montre l’anaconda que je cache
dans mon pantalon ?
Je ressens une poussée d’hilarité. Je ne peux pas m’en
empêcher.
Un anaconda ?
Je ne crois pas.
— C’est tentant, mens-je. Mais je vais refuser.
J’étais peut-être irritée il y a quelques minutes, mais à
présent que Carter est ici, je n’ai pas à m’inquiéter de quoi
que ce soit.
— Mec, dit mon cousin. Casse-toi.
Je braque les yeux vers Noah, n’ayant pas réalisé qu’il se
tenait derrière moi. Les yeux d’Olivia passent de Noah à
Monsieur Pompette puis à Carter. Elle n’aime pas les
confrontations. Cela dit, je ne pense pas qu’Olivia doive
s’inquiéter pour quoi que ce soit. La plupart des mecs
battent en retraite quand Carter ou Noah entrent en scène.
Ils sont bien connus sur le campus et la plupart des gens
n’ont pas envie de leur voler dans les plumes. J’ai donné à
ce type largement assez de mon temps. S’il ne comprend
pas qu’il dérange, c’est son problème. Pas le mien.
Je coule un regard implorant à Carter.
— Tu veux partir ?
Ses muscles se détendent alors qu’il hoche la tête et
affiche un léger sourire.
— Oui.
Quand on se tourne pour partir, des doigts s’enroulent
dans mes cheveux et me tirent brusquement en arrière sur
quelques pas. Mon cuir chevelu me brûle et je pousse un cri
de surprise. Je porte une main vers l’arrière de ma tête,
voulant déloger son poing.
Que se passe-t-il ?
— Hé, je n’avais pas fini de te parler ! hurle le mec ivre.
Je cligne des paupières et le chaos éclate. Noah dégage
la main de ce mec de ma tête. J’ai l’impression qu’on m’a
arraché une poignée de cheveux à la racine et l’arrière de
ma tête est en feu. Je titube alors que Carter prend le mec
de front et le fait reculer d’un pas.
— Qu’est-ce que tu crois que tu fais ? rugit Carter.
Olivia et moi nous retrouvons poussées derrière Carter et
Noah. Je ne vois pas ce qu’il se passe, mais les
conversations autour de nous s’interrompent alors que les
gens se tournent pour regarder. Olivia ouvre de grands yeux
et en reste bouche bée. Voulant inspecter les dégâts, je
touche l’arrière de ma tête. Il est douloureux.
— Je te l’ai dit, mon pote, dit le mec d’une voix traînante.
Cette connasse est avec moi !
Oh, putain.
Carter avance vers lui et lance son pas en arrière.
Je lui attrape le biceps et crie :
— Carter, non !
Il cligne des paupières et se concentre sur moi avant de
prendre une inspiration sifflante. Son bras retombe contre
lui au ralenti. Noah crie à d’autres mecs de mettre Monsieur
Pompette dehors avant qu’il ne se fasse botter le cul. Carter
reste silencieux. Il a l’air abasourdi. Quand je tends la main
vers lui, il grimace et bat en retraite d’un pas. Il se passe
une main sur le visage et regarde autour de lui comme s’il
venait de reprendre ses esprits.
Je n’ai jamais vu Carter aussi secoué. Mon cœur se serre.
J’ai envie de le réconforter, mais il ne m’y autorise pas.
— Carter, dis-je doucement pour essayer d’attirer son
attention.
Je ne sais pas ce qui lui passe par la tête ni pourquoi il se
comporte ainsi.
Comme il ne réagit pas, j’essaye de l’attirer à nouveau
vers moi. Cette fois, il lève les mains pour m’intimer l’ordre
d’arrêter.
— Je suis désolé, dit-il d’une voix rauque. Je dois me
casser d’ici.
Ses yeux parcourent les environs à la recherche d’une
issue.
Je suis frappée par la réalisation qu’il est troublé par ce
qu’il s’est passé avec ce connard ivre.
— Oui, bien sûr, en conviens-je. Allons-y.
Je n’avais même pas eu envie de venir. On peut rentrer à
l’appartement et nous détendre pour le reste de la soirée.
Peut-être regarder Netflix et nous pelotonner l’un contre
l’autre.
— Non, dit-il en secouant la tête. Je veux rester seul.
— Quoi ?
Une vague de douleur s’abat sur moi.
— Mais…
— Je suis désolé, lâche-t-il en passant les deux mains à
travers ses cheveux.
L’attention que nous nous sommes attirée quand le mec
ivre m’a attrapée par les cheveux s’est dissipée.
Notamment parce que personne ne s’est battu. Tout le
monde poursuit sa soirée et j’ai envie de faire la même
chose.
— J’ai besoin d’être seul, d’accord ? dit Carter.
Alors que j’essaye de formuler une réponse, il marmonne
qu’il me verra demain puis traverse la foule. Avant que j’aie
eu le temps de songer à le suivre, il est déjà sorti.
CHAPITRE 38

CARTER

J e suis assis sur la rive et je regarde l’étendue du lac. Il


n’y a pas beaucoup de vent ce soir, alors l’eau est calme
et sereine, ce qui entre en contraste direct avec tout ce qui
fait rage en moi. Ça fait plus d’une heure que je me suis
cassé de cette fête et la panique qui court dans mes veines
m’empêche de respirer. Je jette le brin d’herbe abîmé que
j’ai fait tourner entre mes doigts.
Si je pensais qu’un peu de temps et de distance allaient
me rassurer sur ce qu’il s’est passé – presque passé –, je me
suis trompé. La boule qui a élu résidence au creux de mon
ventre continue de se serrer.
J’arrache un autre brin d’herbe alors que la situation
repasse en continu dans ma tête. Je me reproche
amèrement d’avoir laissé cela arriver. Savoir que j’ai failli
frapper quelqu’un suffit à chasser l’air de mes poumons.
Quelques secondes de plus et je collais mon poing dans le
visage de ce connard. Si Daisy n’avait pas attiré mon
attention, je l’aurais fait sans y songer à deux fois.
La façon dont il l’a attrapée, a tiré sa tête en arrière…
J’ai perdu le contrôle.
Ma colère est passée de zéro à cent en moins de deux
secondes. Ça n’arrive jamais. Parce que je ne le permets
pas. Hors d’un terrain de foot, je n’ai jamais frappé qui que
ce soit.
Une sueur froide perle sur mon front alors que je me
passe une main sur le visage.
Je refuse d’avoir la moindre ressemblance avec mon
père. Je refuse de permettre à mes émotions de me
submerger.
Avoir tant de rage qui court dans mes veines…
Ce n’est pas moi.
Tout dans ma vie est contrôlé. Mes sentiments sont
toujours contenus. Mais présentement, ce n’est pas le cas.
Daisy me fait ressentir des choses dont je n’avais encore
jamais fait l’expérience. Avec elle, je ne me maîtrise ou ne
me contiens pas.
Le bruit ténu d’un moteur gagne en intensité. Le parc est
fermé après 21 heures et il est plus de 22 heures. La
dernière chose dont j’ai besoin est de croiser un autre
Ranger. Je me concentre sur le clair de lune qui se reflète
sur la surface lisse du lac et j’espère que la personne va
poursuivre sa route et me laissera tranquille.
Quand quelqu’un s’installe à côté de moi, j’inspire avant
de souffler à nouveau. Sans regarder dans sa direction, je
sais que c’est Daisy.
Le fait qu’elle sache où me trouver…
L’émotion s’épanouit dans ma poitrine et je l’étouffe
rapidement.
Tout en moi entre en état d’alerte absolue alors que je
m’attends à ce qu’elle me bombarde de questions. Mais elle
ne le fait pas. Au lieu de ça, elle reste assise en silence à
côté de moi. Les uns après les autres, mes muscles se
détendent. Autour de nous, les criquets chantent une
symphonie, mais Daisy ne prononce toujours pas le moindre
mot. Du coin de l’œil, je la vois plaquer ses genoux contre
sa poitrine et poser le menton dessus.
— Ce qu’il s’est passé n’est pas ta faute, Carter,
murmure-t-elle.
J’arrache un autre brin d’herbe et hausse les épaules.
Elle a tort. C’était entièrement de ma faute.
Contrairement à mon père, j’assume la responsabilité de
mes actes. Je ne retourne pas la situation et ne braque pas
des doigts accusateurs comme il le fait. Avec Philip Prescott,
la faute repose toujours sur quelqu’un d’autre qui l’aurait
forcé à réagir.
Je ne suis pas ce genre d’homme. Je ne serai jamais ce
genre d’homme.
— J’admets que j’ai perdu le contrôle. Que tu veuilles le
croire ou pas, ce qu’il s’est passé est ma faute.
Prête à argumenter, Daisy secoue la tête.
— Mais ce mec…
— Non ! l’interrompis-je en me battant la poitrine avec le
poing. C’est ma faute si j’ai perdu le contrôle. Pas la sienne.
Ne le comprend-elle pas ?
Si je m’excuse pour avoir perdu le contrôle et en être
venu aux mains, alors je dois excuser mon père pour toutes
les fois où il a fait la même chose. Je m’y refuse.
— Il y avait d’autres façons de gérer la situation et j’ai
choisi de ne pas le faire.
Je suis embarrassé de dire que je ne les ai même pas
considérées.
— Ce soir, j’étais le fils de mon père.
Le dégoût me ronge le ventre.
Daisy pâlit sous le clair de lune.
C’est bien. Elle devrait être dégoûtée par ce qui couve au
plus profond de moi. J’ai toujours pensé que je pouvais
garder le contrôle de mes réactions. Me rendre compte que
je ne peux pas est une pilule amère à avaler.
— Tu ne vas quand même pas croire une chose pareille ?
Sa voix se fait plus basse.
— Tu ne ressembles absolument pas à ton père.
Je suis frustré par son manque de compréhension. Il est
évident qu’elle souhaite passer cet incident sous le tapis et
faire semblant qu’il n’est jamais arrivé.
Non, je ne peux pas le tolérer.
— J’ai toujours vécu ma vie selon un ensemble de règles
strictes. Et ce soir, je les ai toutes oubliées. Elles
n’existaient même pas, lancé-je.
En un clin d’œil, ma vie a tant échappé à mon contrôle
que je la reconnais à peine.
— Qui suis-je si je ne parviens pas à me contrôler ?
demandé-je. Qu’est-ce qui me rend différent de mon père ?
— Ce mec ne t’a pas vraiment donné le choix, réplique-t-
elle.
Elle le croit peut-être, mais pas moi.
Je secoue la tête.
— Il y a toujours un choix.
Le désespoir me ronge de l’intérieur.
— Et dire le contraire est le refus de prendre mes
responsabilités.
— Oh, Carter… murmure-t-elle.
Quand elle tend le bras pour me toucher, je m’écarte
brusquement. La dernière chose dont j’ai envie est du
réconfort de Daisy. Je ne le mérite pas. Ses yeux se
remplissent par des larmes non versées alors qu’elle retire
sa main et revient l’enrouler autour de ses genoux.
— Je ne sais pas comment aplanir les choses, admet-elle
d’une voix épaissie par l’émotion.
Pour la première fois depuis qu’elle s’est assise, je tourne
la tête et soutiens son regard.
— Tu ne peux rien y faire. Ce qu’il s’est passé ce soir…
dis-je en secouant la tête alors que le dégoût s’abat sur
moi… ça ne peut pas se reproduire. Je ne perds pas le
contrôle comme ça.
La bile me remonte dans la bouche parce que je sais
exactement ce qu’il se passe quand ça arrive.
J’arrache mon regard du sien et observe l’obscurité. Cet
endroit a toujours été un baume pour moi. J’ai toujours été
capable de reprendre le contrôle, mais pas cette fois.
Je suis irrécupérable.
— Tu ne ressembles absolument pas à ton père, gronde-t-
elle.
Mais voilà, comment peut-on être différents si on est
aussi prompts à la violence ? Si j’ai automatiquement
recours à mes poings ?
— On est plus similaires que je veux bien le croire.
Cette pensée me rend malade.
— Non, tu ne l’es pas ! gronde-t-elle. Tu ne lui ressembles
absolument pas ! Pourquoi ne peux-tu pas le voir ?
Cette conversation ne mènera nulle part. Daisy ne le
comprend pas et elle ne le fera jamais. J’ai fait tout ce qui
est en mon pouvoir pour être tout le contraire de mon père.
Me rendre compte après une unique erreur que ce n’est pas
le cas est un vrai coup de pied au cul.
Tout l’air s’enfuit de mes poumons et soudain, je ne
parviens pas à respirer. La seule fille que je désire plus que
tout, celle qui n’a jamais été loin de mes pensées, est la
seule personne que je ne peux pas avoir. Avec elle, toutes
mes émotions sont projetées à la surface et je ne peux rien
retenir. Rien n’est contenu. Avant aujourd’hui, je n’avais pas
compris le danger de ce genre d’intensité.
Ma relation avec Daisy vient de débuter et regardez-
moi…
Regardez ce dont je suis capable.
Ce que je suis devenu.
— Je ne peux pas le faire.
Les mots coulent de mes lèvres avant que je puisse en
interrompre le flot. Même s’ils sont à deux doigts de me
tuer, j’y trouve un certain soulagement et c’est ce à quoi je
me raccroche.
— Je suis désolé.
Elle écarquille les yeux et murmure :
— Tu es sérieux ?
— Ouais, dis-je d’une voix râpeuse. Je ne peux pas
continuer.
Daisy en reste bouche bée.
— Carter, je t’en prie. Songes-y…
— Non, craché-je en secouant la tête. C’est comme ça et
pas autrement. Je suis désolé.
Elle prend une inspiration sifflante. Pendant un moment,
j’ai l’impression qu’elle va protester. Mon corps se tend alors
que j’attends son attaque.
Mais elle referme la bouche et hoche brusquement la
tête.
— Si c’est ce que tu veux.
Ce que je veux ?
Non. Ce n’est pas du tout ce que je veux, mais c’est ce
dont j’ai besoin. Et je suis assez intelligent pour comprendre
la différence.
— Ça l’est.
CHAPITRE 39

DAISY

U ne semaine s’est écoulée depuis la fête. J’avais espéré


qu’au bout de quelques jours, Carter se calmerait et se
rendrait compte que ce n’est pas sa faute s’il a perdu le
contrôle. Puis on pourrait s’asseoir et discuter de la
situation, mais rien ne s’est passé comme prévu.
Je ne l’aurais pas cru possible, mais Carter a disparu de
ma vie. Il ne dort plus à l’appartement. Quand j’ai interrogé
Noah, il m’a informé que Carter squatte dans une des
maisons qu’un groupe de footballeurs loue hors du campus.
J’ai du mal à comprendre tout ce qui s’est passé. C’est
comme si en un clin d’œil, notre relation s’était désagrégée.
Non seulement Carter ne vit plus ici, mais il évite toute
interaction avec moi. Il ne passe que lorsque je ne suis pas
à la maison.
J’ai jeté un œil dans sa chambre et ses livres ne sont plus
empilés proprement sur son bureau. Son sac de sport n’est
plus dans le coin. Sa brosse à dents et d’autres articles
personnels ont été retirés du comptoir de la salle de bains.
Exaspérée par la situation, j’ai cédé et je lui ai envoyé un
texto, mais il ne m’a pas encore répondu.
J’ai été officiellement ghostée. Il est toujours dans les
parages, mais il ne fait plus partie de ma vie.
Je suis au bout du rouleau. Je ne sais pas quoi faire.
Enfin, ce n’est pas entièrement vrai.
Si Carter veut que je le laisse partir, quel autre choix me
reste-t-il ?
Je suis toujours appuyée contre l’encadrement de la
porte de Carter quand j’entends une clé tourner dans la
serrure. Mon cœur bondit dans l’espoir que ce soit lui, qu’il
ait eu assez de temps pour organiser tout ce qui lui trotte
dans la tête.
Mais non…
Noah entre dans l’appartement et pile net quand il me
voit près de la porte de Carter. Le rouge me monte aux
joues quand nos regards se croisent. Je suis embarrassée
d’avoir été surprise dans une posture si pathétique. Ce mec
m’a clairement larguée et j’ai encore envie de le récupérer.
Normalement, quand mes relations se délitent, c’est le
contraire et je suis parfaitement disposée à tourner la page.
Apparemment, il y a une première fois pour tout. C’est peut-
être pour ça que c’est si douloureux. Cela dit, je ne pense
pas que ce soit la raison.
Noah s’éclaircit la gorge et jette son sac à dos sur la
petite table.
— Ça va ?
J’acquiesce.
La façon dont il fronce les sourcils me dit qu’il ne me croit
pas.
— On fait la paire, n’est-ce pas ? marmonne-t-il.
Une paire de pauvres losers… Je ne suis plus avec Carter
et Noah a cassé avec Ashley. Je m’étais toujours imaginé
que je savourerais le moment où Noah et Ashley se
sépareraient, mais je n’arrive pas à me forcer à ressentir la
moindre joie.
Je renifle d’un air moqueur et m’écarte de la porte de
Carter. Un jour, je vais devoir accepter le fait que notre
relation est finie et que je ne peux que tourner la page.
Toutefois, c’est plus facile à dire qu’à faire.
Sans lever les yeux, Noah parcourt une pile de courrier
sur la table.
— Tu lui as parlé ?
Il ne précise pas de qui il parle, mais il n’en a pas besoin.
Carter domine nos pensées à tous les deux. J’ai peut-être
perdu mon petit ami, mais Noah a perdu son meilleur ami.
— Non.
Je secoue la tête.
— Il refuse de répondre à mes textos.
Je me mords la lèvre, refusant de poser la question. Si
j’avais un peu plus de jugement, je changerais de sujet et
tournerais la page. Du moins, je ferais semblant de le faire.
Dans la vie, il faut toujours faire semblant, non ?
— Et toi ?
Cette question m’échappe avant que je puisse la retenir.
Il se balance d’un pied sur l’autre et évite de me
regarder.
— Je l’ai vu à l’entraînement de foot.
Ah oui. C’est vrai.
Il lève la tête et hausse les épaules.
— Et j’étais là l’autre jour quand il est passé pour
récupérer d’autres affaires à lui.
La douleur explose dans ma poitrine comme un coup de
feu. Je ne m’imagine honnêtement pas comment je vais
survivre à ça.
— Alors il ne va plus vivre ici ?
— Je ne sais pas, Daze. Je lui ai dit qu’il n’avait pas
besoin de rester ici.
Noah retrousse les lèvres.
— Il dort sur le canapé d’Owen et il a tout plein de
monde qui va et vient à toutes les heures du jour et de la
nuit.
— Il me déteste à ce point ?
Cette pensée est si douloureuse que je ne tiens plus
debout que par miracle.
— Il ne te déteste pas. C’est juste que…
Noah secoue la tête.
— Je ne sais pas ce qu’il fout. C’est comme si quelque
chose s’était brisé en lui. Il s’est mis dans la tête qu’il est
juste comme son père et rien ne pourrait être plus loin de la
vérité. J’ai essayé de lui faire entendre raison, mais il refuse
de m’écouter.
— Il ne veut pas me parler, Noah.
Mes épaules s’affaissent.
— Il ne veut rien avoir à faire avec moi.
— Je sais, dit-il. Je crois qu’il a juste besoin de temps pour
réfléchir.
— J’espère que tu as raison.
Ne voulant pas que mon cousin voie les larmes dans mes
yeux, je me détourne.
Je suis prête à donner de l’espace à Carter, mais ma
tolérance a des limites. Bientôt, je serai forcée d’admettre la
défaite et de m’en aller.
Je crains que le temps me soit compté.
CHAPITRE 40

DAISY

J e me glisse sur mon siège en cours de socio alors que


sur l’estrade, la Dr Stein feuillette une poignée de
documents. Je cherche Carter du regard, mais je ne le vois
pas. La semaine dernière, il est entré en douce à la dernière
minute puis s’est éclipsé discrètement dès la fin du cours.
Puisque c’était évident qu’il n’était pas disposé à parler, je
lui ai donné de l’espace. Mais à présent, c’est la deuxième
semaine et rien n’a changé. Il dort toujours chez les
footballeurs. La seule fois où il passe à l’appart est quand il
sait que je ne suis pas là.
A-t-il vraiment besoin d’aller aussi loin pour m’éviter ?
Eh bien, j’en ai assez de laisser Carter bouder sur le
campus et m’éviter.
Cinq minutes après le début du cours, j’observe encore
discrètement la pièce et découvre que Carter s’est installé
sur la dernière rangée près de la porte. Pendant le reste du
cours, je me sens bouillonner. Un mélange d’émotions me
traverse. Je suis triste qu’on en soit arrivés là ; Carter me
manque vraiment. Ça fait des années qu’il fait partie de ma
vie. Certes, il me contrariait profondément, mais il était
toujours là. Puis on s’est mis ensemble et notre relation a
changé. C’est devenu plus que ce que j’aurais cru possible
et maintenant…
Maintenant, je n’ai plus rien.
Un vide a été créé en son absence. Un vide impossible à
remplir.
Je prête à peine attention au cours et c’est le moment
que choisit la Dr Stein pour me poser une question. Ma
journée ne fait qu’empirer alors que je cherche à expliquer.
Plus j’essaye de me raccrocher aux branches, plus la Dr
Stein fronce les sourcils.
Le temps que j’aie fini mes élucubrations, j’ai envie de
me fondre dans mon siège et de disparaître.
Cinq minutes avant la fin du cours, je range mes affaires
et attends impatiemment qu’elle nous laisse partir. Au
moment où la prof nous signale que c’est fini, je bondis hors
de mon siège, prête à voler hors de la pièce afin d’attraper
Carter avant qu’il disparaisse. Pas besoin d’être fin limier
pour comprendre qu’il a l’intention de me laisser en plan.
Encore une fois.
— Daisy, vous voulez bien rester pendant quelques
minutes, s’il vous plaît ?
Tout en moi se désagrège en entendant la voix de la Dr
Stein. Carter se retourne et son regard gris accroche le
mien. Son visage se remplit de tristesse alors qu’il se glisse
hors de l’amphithéâtre.
Je suis si frustrée que je suis tentée de lâcher une bordée
de jurons. Je me retiens et plaque un sourire sur mon visage
alors que je me tourne et descends les marches vers
l’estrade.
— Qu’y a-t-il ?
La professeure rassemble quelques papiers et les range
dans une mallette rouge bordeaux sophistiquée.
— Comment allez-vous, Daisy ?
Je souris davantage et lui adresse un mensonge éhonté.
— Bien. Pourquoi ?
Elle hausse les épaules et pose les coudes sur son
bureau comme si elle s’installait pour une longue
discussion. Tout espoir de rattraper Carter disparaît.
Son regard noisette perce le mien.
— Vous êtes une de mes meilleures étudiantes et j’ai
remarqué que dernièrement, vous avez été distraite. Vous
avez des problèmes avec des questions auxquelles
d’habitude, vous auriez su facilement répondre.
Embarrassée, je détourne les yeux un instant puis me
force à la regarder en face.
— Oui… Je suis désolée.
Mes épaules s’affaissent alors que j’admets :
— Il se passe quelque chose, mais j’essaye de rectifier le
tir.
— Désolée d’apprendre que vous avez des soucis.
Son regard se radoucit.
— J’espère que vous savez que ma porte est toujours
ouverte, et que vous pouvez venir me parler de n’importe
quel problème.
— Je sais. Merci.
Je me force à sourire et remonte mon sac un petit peu
plus haut sur mon épaule, croisant les doigts pour qu’elle ne
veuille pas discuter d’autre chose.
Au lieu de me laisser partir, elle baisse la voix.
— Normalement, je n’aurais pas à mentionner quoi que
ce soit, mais j’ai l’impression qu’on a développé une relation
personnelle depuis votre arrivée à BU.
Elle me scrute pour chercher confirmation.
— J’ai tort ?
Absolument pas. La Dr Stein est au niveau de quelques-
uns de mes professeurs d’arts graphiques favoris.
Je secoue la tête, lui signalant de continuer.
— Carter Prescott et vous…
Elle s’interrompt comme si elle ne trouvait pas les mots
justes.
— Aviez-vous une relation, tous les deux ?
Je cligne des paupières, surprise qu’elle mentionne
Carter.
— Oui, on se voyait.
Son regard reste inébranlable alors qu’elle baisse le
menton.
— Mais ce n’est plus le cas ?
— Non, j’admets à voix basse. Nous…
Quoi ?
Nous avons cassé ?
Pas techniquement.
On fait une pause ?
On peut dire ça. Sauf que Carter refuse de me parler.
Dans l’attente d’une réponse, la Dr Stein hausse les
sourcils.
Mes épaules s’affaissent.
— Oui, je crois qu’on a rompu.
Jusqu’ici, je n’avais pas voulu accepter que c’était
réellement fini. Je me suis forcée à croire que Carter
reviendrait quand il serait prêt, mais ce n’est pas ce qu’il
s’est passé. Il s’est cassé comme s’il avait les chiens de
l’enfer à ses trousses. Clairement, ce n’est pas le signe de
quelqu’un qui veut travailler sur nos problèmes.
Cette prise de conscience me fait monter le rouge aux
joues.
— Je suis désolée de l’apprendre, dit-elle.
Pour la première fois, j’accueille la douleur de notre
séparation alors qu’elle envahit mon système. Je ne l’avais
pas encore fait. Pas complètement. J’avais été trop occupée
à me mentir.
Euh, je suis une telle idiote.
Je m’éclaircis la gorge.
— Oui, moi aussi.
— Les séparations sont douloureuses.
Elle affiche un sourire retenu.
— J’aimerais pouvoir vous dire que ça devient plus facile
avec l’âge, mais ce n’est pas vrai.
Je ne m’imagine pas qu’avoir le cœur brisé devienne plus
facile.
— Daisy ?
Je lève brusquement les yeux vers elle.
— Oui ?
— Aussi difficile que ce soit, je refuse que vous ratiez
votre dernière année. Pas pour un garçon. Je sais que ça
peut sembler froid et insensible, mais j’ai vu à quel point
vous étiez déconnectée cette semaine. Et si je le vois dans
mon cours, je suis prête à parier que vos autres professeurs
s’en rendent compte aussi.
Je souffle lentement tandis que je digère ses paroles. Ce
n’est pas insensible ; c’est exactement ce que j’ai besoin
d’entendre. Je lui suis reconnaissante d’avoir remarqué que
quelque chose n’allait pas et d’avoir pris le temps de me
raisonner. Ce ne sont pas tous les profs qui le feraient.
— Je vous connais depuis la première année et je sais
que vous avez bossé très dur pour réussir. Ne laissez pas
une chose comme ça gâcher vos accomplissements.
J’ai été si accaparée par la situation avec Carter que mon
travail en a souffert, et je ne peux pas permettre que ça
continue. Mes études sont trop importantes pour ne pas les
prendre au sérieux.
Je hoche la tête. Pour la première fois depuis notre
rupture, j’ai l’impression qu’un peu de la brume qui entoure
mon esprit s’est dissipée. Maintenant, je pourrai peut-être
retrouver ma route.
Elle tend le bras et serre mon épaule.
— Rappelez-vous que je suis là si vous avez besoin de
parler.
— Merci.
Je marque un temps d’arrêt pour reprendre mes esprits.
— J’apprécie le fait que vous ayez voulu me parler.
Son sourire s’élargit.
— Je vous en prie, Daisy.
Je quitte la salle à toute vitesse et décider d’envoyer un
texto à Olivia pour voir si elle envie qu’on se retrouve pour
déjeuner. Juste alors que je m’apprête à descendre les
marches de pierre, mes yeux croisent une paire d’yeux gris
foncé. Je pile net et arrête de respirer.
Je ne croyais pas qu’il allait m’attendre. Carter m’adresse
un salut de la main hésitant que je lui rends avant de me
diriger vers lui. La brise se lève et l’odeur de son après-
rasage me frappe. La tristesse investit mon ventre.
Carter se balance d’un pied sur l’autre. Il a l’air aussi mal
à l’aise que moi. Il détourne le regard pendant un instant
avant de me regarder à nouveau. J’ai terriblement envie de
franchir la distance entre nous, mais ce n’est pas juste
physique, c’est également émotionnel.
Le soleil de l’automne lui fait plisser les paupières.
— Tu as quelques minutes pour parler ?
— Bien sûr.
Ça fait deux semaines que j’ai juste envie d’avoir une
conversation avec lui et à présent que j’en ai l’opportunité,
je ne sais pas quoi dire.
— Merci.
Ses épaules se contractent alors qu’il désigne quelques
tables de pique-nique disposées sur le terre-plein herbeux.
— On va s’asseoir là ?
Je hoche la tête et on avance d’un même pas. Cette
interaction est déjà douloureuse et maladroite. Tant de fois,
je me rappelle qu’il a tendu la main pour me saisir les
doigts, m’adressant un sourire en coin adorable.
Il ne le fait pas. Il garde les poings serrés fort contre lui. Il
ne me regarde pas une seule fois alors qu’on se dirige vers
la table qui est la plus éloignée du chemin et des autres
étudiants qui sont en train de travailler ou de déjeuner.
Je pose mon sac sur le banc alors qu’on s’assoit l’un en
face de l’autre.
Il s’éclaircit la gorge.
— Comment ça va depuis ?
Ce dialogue forcé pue du cul. Ça n’a jamais été comme
ça entre nous. Même lorsqu’on s’envoyait des piques.
— Super, dis-je.
Je refuse absolument de lui dire la vérité. Ça n’est pas
bien allé du tout ! J’ai l’impression d’être une grosse
loseuse. Toute cette conversation avec la Dr Stein me l’a
bien fait comprendre. Je lui en suis reconnaissante. À
présent, je peux m’arrêter de pourchasser un mec qui ne
veut pas de moi.
Me prenant au mot, il hoche la tête et détourne le regard.
Je me force à demander :
— Et toi ?
Il hausse les épaules.
— J’ai connu mieux.
Il réprime la lueur d’émotion qui passe sur son visage.
J’ai envie de voir s’il va développer, mais il ne le fait pas.
Je commence à me demander pourquoi il m’a fait venir ici.
Il regarde ses mains qu’il tord sous la table.
— Je suis désolé pour ce qu’il s’est passé. Ce n’était
absolument pas ta faute. C’était la mienne.
— Et qu’est-ce qui est ta faute, exactement ?
Il secoue la tête.
— Tout.
Je me penche en avant et pose les coudes sur la table.
— Tu parles du fait que tu as failli frapper ce mec ?
Il a un mouvement de recul.
— Juste… tout. Clairement, je ne peux pas m’impliquer
dans une relation. Je le savais dès le début et j’ai ignoré
mon instinct.
La façon dont ses yeux m’implorent pour que je le
comprenne manque de briser mon cœur en deux. Mais il a
besoin d’entendre la vérité, qu’il le veuille ou non.
— Ce qu’il s’est passé n’est pas ta faute, dis-je. Ce mec
ne voulait pas me laisser tranquille. Je lui ai dit poliment – et
plus d’une fois – que je n’étais pas intéressée. Il aurait dû
s’en aller et il ne l’a pas fait.
— J’ai failli le frapper.
Sa voix se brise et il baisse à nouveau le regard vers ses
poings serrés.
— Je sais.
Je tends les mains et les pose sur les siennes. Je suis
surprise quand il ne les écarte pas. La connexion physique
est agréable.
— Quand je l’ai vu te tirer les cheveux…
Il secoue la tête comme s’il n’avait pas envie de revivre
ce souvenir.
— J’ai perdu le contrôle, dit-il d’une voix râpeuse.
— Personne ne peut te le reprocher.
Ne voulant pas m’empêtrer dans les souvenirs, je serre
ses doigts.
— Je me le reproche.
Il déglutit et son visage perd un peu de son éclat bronzé.
— Donner un coup de poing parce que je suis en colère
est exactement la façon dont mon père aurait réagi.
— Tu t’es retenu de le faire, Carter. C’est une chose que
ton père n’aurait jamais fait, lui rappelé-je.
Il se mord la lèvre alors que l’espoir et le doute
s’emparent de son visage. Pendant un moment, je me
demande si on fait peut-être des progrès, mais ce qu’il dit
ensuite me prouve que j’ai eu particulièrement tort.
— Je ne peux pas être avec quelqu’un en ce moment. Il
me regarde dans les yeux, me perçant jusqu’au cœur. Je ne
peux pas être avec toi.
Ce qu’il me dit réduit tous mes espoirs en lambeaux. Ma
première impulsion est de le raisonner, mais je pourrais
parler jusqu’à plus soif sans qu’il change d’avis. Carter
pense que son père et lui sont taillés dans le même bois.
Rien de ce que je pourrais dire n’y changerait quoi que ce
soit.
Ça me rend triste, parce que rien ne saurait être plus
éloigné de la vérité.
Il y a une cruauté chez Philip Prescott que Carter ne
pourrait jamais posséder. Je n’ai pas seulement le cœur
brisé pour moi-même, mais également pour Carter, car il se
prive de quelque chose de merveilleux. Il ne veut pas
s’ouvrir et tenter le coup.
Je comprends mieux à présent les années qu’il a passées
à coucher avec tout ce qui bouge et à éviter les relations.
Encore une fois, j’avais pensé qu’il était comme beaucoup
de mecs sur le campus, qu’il voulait coucher avec le plus de
filles possible, mais ce n’est pas le cas. Ses problèmes sont
bien plus profonds que cela.
Peut-être trop pour que je les affronte toute seule.
— D’accord, dis-je.
— D’accord ?
Il écarquille les yeux.
— Qu’est-ce que tu veux que je te dise ?
Je hausse les épaules alors qu’un calme s’abat sur moi,
chose que je pensais impossible.
— Tu veux que je proteste ? Que j’essaye de te
convaincre qu’on serait mieux ensemble ?
Il secoue lentement la tête.
— Non.
Ce simple mot contient une profonde tristesse.
Carter se tord les mains jusqu’à ce qu’il puisse prendre
les miennes. Le poing qui me comprime le cœur depuis les
deux dernières semaines se desserre.
Juste un petit peu.
Juste suffisant pour que je recommence à respirer.
Ce n’est pas comme ça que je voulais que notre relation
se termine, mais c’est pour le mieux.
— Tu comptes pour moi, Carter. Plus que n’importe qui.
Je garde le regard braqué sur lui, souhaitant qu’il accepte
la sincérité de mes paroles.
— J’espère que tu t’en rends compte.
Avant que je puisse formuler une réponse, j’ajoute :
— Mais je ne vais pas t’implorer d’être avec moi.
Gardant nos mains unies, je m’approche de lui jusqu’à
plaquer mes lèvres sur les siennes. Il s’ouvre volontiers, me
surprenant à nouveau. Ma langue se glisse à l’intérieur de la
bouche et danse.
C’est un adieu.
Quand je m’écarte, la tristesse qui emplit son regard me
dit qu’il le comprend aussi.
CHAPITRE 41

CARTER

J e suis étendu sur le banc de muscu et je lève la barre


avant de l’abaisser à nouveau vers ma poitrine. Tout ce
que Daisy a dit l’autre jour me trotte dans la tête. Une partie
de moi est soulagée qu’elle accepte la situation, mais il y a
une autre partie de moi qui déteste ça et qui ne veut pas la
laisser filer.
Mais que puis-je y faire ?
Il faut que ça se passe comme ça. Et pourtant, je ne
parviens pas à me la sortir de la tête. Elle est super
insistante. Ça a toujours été le problème avec Daisy. À un
moment donné, je dois admettre le fait que les émotions qui
remuent en moi ne vont pas disparaître du jour au
lendemain, malgré tous mes souhaits. Elle a toujours
beaucoup compté pour moi, ce qui est précisément la raison
pour laquelle je dois faire attention.
Je ne peux pas m’écarter d’un pas et m’attendre à ce que
ça soit suffisant.
J’ai besoin d’en faire dix.
Peut-être vingt.
Contrarié de m’être laissé entraîner dans une autre
obsession pour Daisy, je recentre mon attention et
lentement, le poids qui pesait sur ma poitrine se dissipe. À
la vingtième répétition, je replace la barre sur les portants
et essuie la sueur de mon front avec mon avant-bras. Mes
muscles sont fatigués, ce qui est exactement ce que je
veux. Je suis ici pour arrêter de penser à ma beauté blonde,
mais ça ne marche pas. Peu importe où je vais ou ce que je
fais, elle est là. Peut-être pas physiquement, mais
mentalement.
C’est terriblement frustrant.
Comment puis-je tourner la page si je n’arrive pas à me
la sortir de la tête ?
La porte de la salle de muscu s’ouvre et Noah entre. Il
me voit sur le banc et marque un temps d’arrêt. On
s’adresse silencieusement un salut du menton.
Je déteste que les choses soient bizarres entre nous.
Non seulement j’ai bousillé ma relation avec Daisy, mais
j’aurai aussi tout bousillé avec Noah. Même si elle dit qu’on
est cool, je n’arrive pas à me forcer à retourner vivre à
l’appartement. C’est une question de sevrage. Je ne peux
pas courir le risque de retomber.
Si j’ai une faiblesse, c’est Daisy. J’ai beau lui avoir dit
qu’on ne peut pas être ensemble, ça ne veut pas dire que je
ne la désire pas. La vérité est que je la désire si fort que
c’est comme une douleur physique. Elle me ronge de
l’intérieur. Je ne sais pas quoi en faire.
Noah met ses écouteurs et commence son set. Je
reprends ce que je faisais et pousse plus fort. On s’exerce
en silence pendant environ trente minutes avant qu’il ne
s’arrête et engloutisse une bouteille d’eau.
Encore une fois, son regard erre vers moi.
Ça craint vraiment. Ça n’a jamais été comme ça entre
nous. Tout comme ma relation avec Daisy, je ne sais pas
comment réparer celle-ci non plus. Alors que je pensais qu’il
allait reprendre l’entraînement, Noah retire ses écouteurs et
les laisse tomber sur le banc. Il cale les coudes sur ses
genoux écartés.
— Tu vas revenir à l’appartement ? demande-t-il.
Conscient qu’il ne va pas apprécier ma réponse, je
hausse les épaules et réponds par un mensonge.
— Oui, un jour.
Il prend sa bouteille d’eau et avale une autre gorgée.
— Daze dit que vous avez discuté et que vous êtes cool.
Je n’irais pas jusque-là, mais ça se passe plutôt bien
compte tenu des circonstances.
— Oui, on est cool.
Il incline la tête.
— Tu nous as manqué au dîner l’autre soir. Maman
voulait savoir où tu étais.
Je grimace involontairement.
Si Noah essaye de me faire me sentir coupable, il fait du
bon boulot.
Marnie m’a envoyé un texto la semaine dernière pour me
faire savoir qu’ils se retrouvaient pour un dîner de famille.
Comme le lâche que je suis, je lui ai envoyé un texto de
dernière minute avec une excuse à la con. Les parents de
Noah savent pour ma relation avec Daisy. Ils savent aussi
qu’on a cassé. Je devine que Daisy ou Noah leur ont
expliqué les détails sordides.
Comment suis-je censé m’asseoir en face d’eux alors que
tout a été révélé ?
Je n’ai pas pu le faire. L’humiliation est trop difficile à
supporter.
Franchement, je suis surpris qu’ils souhaitent encore
m’accueillir. N’ai-je pas déjà prouvé que je ne vaux pas
mieux que mon père ?
Craig et Marnie n’ont certainement pas envie que je sois
avec leur nièce. Ils sont probablement ravis qu’on ait cassé.
Qui peut leur reprocher de vouloir protéger Daisy ?
Je détourne le regard alors que la chaleur me monte aux
joues.
— J’ai eu un empêchement de dernière minute.
Nous sommes amis depuis suffisamment longtemps pour
que Noah se rende compte que je lui raconte des conneries.
C’est confirmé quand il secoue la tête et renifle d’un air
moqueur :
— Quand es-tu devenu une telle mauviette ?
Me tourne brusquement la tête.
— Pardon ?
— Tu m’as très bien entendu, dit-il d’un ton bourru.
J’aimerais savoir quand tu es devenu une telle mauviette ?
Pris au dépourvu, je ne dis rien.
— Je te connais depuis la première année et tu as
toujours pris les choses de front.
Noah fend l’air avec la main.
— Toute cette merde avec tes parents… Tu n’as
certainement pas eu envie de gérer ça, mais tu l’as fait. Tu
as toujours été là pour subir la majeure partie des abus de
ton père comme un punching-ball.
Je sens mon visage devenir très pâle et se vider de son
sang jusqu’à me donner le vertige. Noah connaît peut-être
les problèmes de ma famille, mais ce n’est pas quelque
chose dont on peut discuter ouvertement.
Alors ça…
Ça ne me plaît pas. J’ai une boule désagréable dans le
ventre et des sueurs froides.
— Et pourtant, avec Daisy, tu t’enfuis aussi vite que tu le
peux, la queue entre les jambes.
Ma gorge se contracte et j’ai du mal à respirer. Son
évaluation de la situation est exacte. Mais ça ne veut pas
dire que je vais l’admettre. Je peux à peine l’admettre en
secret, alors encore moins devant lui.
Je m’éclaircis la gorge.
— Ce n’est pas ce que je fais.
Garder une voix posée me demande un effort
extraordinaire.
— Arrête de mentir, lâche Noah. D’abord, tu évites Daisy,
et maintenant, mes parents ? Tu ne vas pas revenir à
l’appartement. Et ensuite ?
Il pince les lèvres et son regard se fait rude.
— Tu vas m’éviter aussi ?
Je passe rapidement la main à travers mes cheveux et
détourne le regard.
Que pourrais-je lui répliquer ?
Il a raison sur tous les points et on le sait tous les deux.
— Ce n’est pas aussi simple, dis-je d’une voix râpeuse.
— Qui a dit que ça devrait l’être ?
Il marque un temps d’arrêt.
— Je sais ce que tu ressens à propos de Daisy.
À contrecœur, je lève les yeux vers lui.
— Je me rends également compte que tu as toujours eu
ces sentiments pour elle, continue-t-il.
Je secoue la tête alors que je profère d’autres
mensonges.
— Non. Je…
— À qui essayes-tu de mentir ?
Il pointe une main sur sa poitrine et hausse les sourcils.
— Moi ? dit-il en secouant la tête avec un sourire
suffisant. Non, j’ai toujours lu en toi comme dans un livre
ouvert.
Comme je ne dis rien, il continue.
— Tu sais, quand maman a mentionné ton intérêt pour
Daisy en première année, je n’ai pas vu de quoi elle parlait,
mais en t’observant pendant un moment, je me suis rendu
compte qu’elle avait raison. Tu contrariais Daisy et
l’énervais pour l’éloigner de toi, mais ça n’a pas marché,
n’est-ce pas ?
J’ai la tête qui tourne.
Marnie savait ce que je ressentais depuis tout ce temps ?
Noah aussi ?
— Pourquoi est-ce que tu n’as rien dit ? marmonné-je en
me sentant comme un imbécile.
Noah hausse les épaules.
— Je ne voulais pas m’en mêler. En plus, j’avais peur que
Daisy te retourne le cerveau avant de passer à sa prochaine
victime innocente, mais tu sais quoi ? C’est toi qui as tout
gâché, pas elle.
Noah n’édulcore pas son explication.
— Elle mérite mieux que moi.
Je lève la voix alors que la panique s’installe et j’ouvre
grand les bras.
— Tu sais ce qui a failli arriver. Si Daisy ne m’avait pas
arrêté…
Je n’achève pas ma phrase alors que je m’étrangle sur la
peur qui remonte dans ma gorge.
— Qui sait ce que j’aurais fait ? Ce dont je suis capable.
Noah retrousse la lèvre et il renifle :
— Après ce que ce mec a fait à Daisy, il mérite toute
punition que tu aurais pu lui infliger. Il était saoul et s’est
comporté comme un connard !
Son expression devient sérieuse.
— J’ai entendu dire qu’il avait déjà fait ce genre de
conneries, dit-il en croisant les bras. Je pense que la
prochaine fois, il y réfléchira à deux fois avant de malmener
une femme. La façon dont tu as géré la situation ne me
dérange pas.
Il me fusille du regard et répète :
— Absolument pas.
Une noirceur pesante me ronge les entrailles, menaçant
de m’engloutir entièrement.
— Tu n’as pas la même tendance à la violence que moi.
Il brandit un index dans sa direction.
— Ce sont des conneries et tu le sais parfaitement !
Je bascule la tête en avant et observe le tapis en
caoutchouc entre mes pieds.
— Vraiment ?
— Tu cherches la moindre excuse pour t’en tirer et c’est
celle que tu as trouvée. Tu ferais mieux d’ouvrir les yeux et
de voir ce que tu vas perdre avant qu’il ne soit trop tard.
Une partie de moi, pleine d’espérance, a envie de croire
à ses propos.
Mais j’ai ressassé ce scénario dans ma tête pendant trop
d’années pour l’abandonner aussi facilement.
— J’aurais gâché ma relation avec Daisy de toute façon. Il
vaut mieux pour tous les deux que ça se termine tout de
suite.
Le dégoût s’empare de son visage et il secoue la tête.
— Tu sais quoi ? Tu as peut-être raison à ce sujet. Après
tout, tu ne la mérites peut-être pas.
Sur ce, Noah sort de la salle de sport, me laissant seul
pour ruminer mes pensées.
CHAPITRE 42

CARTER

Ç a fait plusieurs semaines que je campe dans la maison


des footballeurs et vis sur le canapé du salon. Et oui, il
est super dégoûtant. Je passe beaucoup de temps à me
retenir de penser aux fluides corporels qui sont incrustés
dans le tissu.
Si j’ai de la chance, je vais réussir à dormir pendant
quatre heures d’affilée cette nuit. Je ne l’ai pas admis
devant Noah, mais je commence à me lasser. Mon lit me
manque. Avoir Daisy dans mes bras me manque. C’est la
meilleure sensation au monde.
Cet endroit est pire qu’une maison d’étudiants. Il y a six
mecs qui vivent ici, mais je jure qu’il y a quatre fois plus de
personnes qui vont et viennent à toute heure de la journée.
On est en plein milieu de la saison et ces mecs boivent des
bières tous les soirs de la semaine.
Certes, je ne me prive pas pendant les week-ends, mais
je ne suis pas du genre à me bourrer la gueule. Perdre le
contrôle me laisse un mauvais goût dans la bouche. Si j’ai
besoin de me détendre, je préfère de loin trouver une fille
consentante à culbuter.
Du moins, c’est ce que je faisais par le passé.
Daisy et moi ne sommes peut-être pas ensemble, mais
toucher une autre fille me donne l’impression de la tromper.
La nuit dernière, j’ai été réveillé par une fille que je ne
connaissais pas, installée à califourchon sur ma taille. Nue.
Ce qui n’est pas cool. Juste parce que j’ai un pénis ne veut
pas dire que je ne peux pas choisir quand m’en servir. Je ne
suis pas un manège de carnaval sur lequel on peut faire des
tours.
Bon, d’accord… C’était peut-être le cas dans le passé,
mais plus maintenant.
À présent, je suis plutôt un moine.
Un coup brusque à la porte me tire de mes pensées. La
plupart des gens ne s’embarrassent pas d’une telle
formalité. Ils ouvrent juste la porte et rentrent. Alors je suis
curieux de savoir qui c’est. Owen doit penser la même
chose parce qu’il fronce brusquement les sourcils en
pénétrant d’un pas pesant dans le vestibule.
Il ouvre la porte et sa voix profonde grommelle :
— Je peux vous aider ?
Il y a un silence.
— Je l’espère.
À la seconde où j’entends cette fois, je me décolle du
canapé et vole jusqu’à la porte.
Merde.
Je referme les doigts sur la porte et l’ouvre brusquement
en entier.
— Salut.
Les yeux de Marnie Walker s’adoucissent quand elle me
voit. Je m’attendais à de la colère ou du dégoût, mais ce
n’est pas le cas. Elle prend un moment pour m’observer des
pieds à la tête comme si elle vérifiait que tout se trouve à la
bonne place.
Owen plisse les paupières, observe sa tenue médicale et
braque un doigt immense dans sa direction.
— Vous ne venez quand même pas de la part de la santé
publique ?
Marnie jette un œil derrière lui pour regarder à l’intérieur
de la maison. Ce qu’elle voit lui suffit à se faire une idée.
— Non, mais je comprends pourquoi tu t’inquiètes.
J’enfonce mon coude dans les côtes d’Owen, mais je
doute qu’il sente quoi que ce soit. Owen est un véritable
colosse. Il est fait de muscles recouverts de muscles
recouverts d’une autre couche de muscles. Vous voyez,
quand King Kong écarte les avions comme des mouches ?
C’est tout Owen.
— Gros, dis-je en levant les yeux au ciel, c’est Marnie
Walker, la mère de Noah.
Il se détend visiblement.
— Ah, oui.
Il se gratte le menton en souriant.
— Désolé madame Walker, C’est l’uniforme qui m’a pris
par surprise.
— Pas de souci, répond-elle gentiment. Ça arrive tout le
temps.
— Alors, vous cherchez Noah ? demande Owen en
plissant le front. Parce qu’il n’est pas là.
— Non. Je suis venue pour parler avec Carter.
Elle s’éclaircit la gorge et son regard tombe sur moi.
— Tu as quelques minutes pour parler ?
La joie que j’ai ressentie en la voyant s’écorne. Je crois
savoir de quoi Marnie a envie de parler. Elle veut peut-être
reconfirmer que Daisy et moi n’allons pas nous remettre
ensemble.
J’ai beau craindre cette conversation, je lui adresse un
bref hochement de tête.
— Bien sûr.
Je jette un œil au salon derrière moi et réfléchis à mes
options. Des canettes de bière jonchent la table basse.
Attendez une minute… Que se passe-t-il ?
Je plisse les yeux.
C’est un string sur la chaise.
Merde. C’est vraiment un string.
Non. Je ne peux pas l’inviter à entrer. En plus, je doute
fortement qu’elle accepte de s’asseoir quelque part. La
plupart du temps, j’ai moi-même envie de me doucher au
désinfectant dès le réveil.
Ma décision prise, je contourne Owen pour sortir sur le
perron.
— Il y a un parc à un pâté de maisons d’ici. Vous voulez y
aller ?
Elle sourit comme si elle comprenait pourquoi j’émets
cette suggestion.
— Oui, ça ira.
Je coule un regard à Owen. S’il pense que c’est étrange
que je parte avec la mère de Noah, il n’en dit rien. Ce qui
vaut mieux, d’ailleurs. Owen fait peut-être vingt-cinq kilos
de plus que moi, je lui botterai le cul s’il émet le moindre
commentaire négatif à propos de Marnie Walker.
Selon moi, cette femme est parfaite. Noah et Daisy ont
de la chance de l’avoir. Et avant toute cette histoire, j’avais
de la chance de l’avoir dans ma vie, moi aussi. Cette pensée
est comme un coup de poing dans le ventre.
J’enfonce les mains dans les poches de mon jean alors
qu’on descend dans la rue vers le petit parc voisin. Il ne
contient pas grand-chose, juste un toboggan, des
balançoires et des cages à poules.
Il nous fournit un peu d’intimité.
Il y a un banc de l’autre côté des équipements. Une fois
qu’on s’est installés, Marnie se tourne vers moi. La mère de
Noah ne tourne jamais autour du pot. Depuis que je la
connais, elle a toujours eu une approche très simple de la
vie. C’est parfois un peu déconcertant et bien trop direct.
La plupart du temps, j’apprécie.
Mais là, maintenant ?
Pas vraiment.
— Noah me dit que tu as quitté l’appartement, dit-elle.
Je hausse les épaules et regarde droit devant moi.
— Pas officiellement, marmonné-je.
— Y a-t-il une raison qui t’empêche de dormir chez toi ?
Elle s’interrompt pendant quelques secondes.
— L’endroit pour lequel tu payes un loyer ?
Je ne sais pas comment répondre à cette question, alors
je garde le silence. Je suis peut-être une mauviette, comme
Noah m’a accusé de l’être.
— Je crois que Daisy a quelque chose à voir avec ta
nouvelle résidence, poursuit-elle.
— Je… euh… Je pensais simplement que ce serait mieux
pour tout le monde si je n’étais pas là.
Je fais de mon mieux pour éviter son regard pénétrant.
— C’est ce que Daze t’a dit ? dit-elle d’une voix acérée.
Qu’elle préférait que tu partes ?
J’accroche son regard et hoche rapidement la tête.
— Bien sûr que non. Daisy ne dirait jamais une chose
pareille. Même quand elle me détestait, elle acceptait quand
même de vivre avec moi.
Marnie affiche un sourire satisfait.
— Je ne le pensais pas, non.
— C’est juste que…
Je ne sais pas comment lui expliquer la situation ou mes
peurs. Ma seule solution pour me contrôler est de me tenir à
distance de cette personne qui me fait ressentir trop de
choses, qui me fait perdre le contrôle. C’est la sensation la
plus effrayante du monde et je déteste ça.
— Daisy te plaît depuis longtemps, dit-elle.
Noah avait beau m’avoir dit que sa mère se doutait de
mes sentiments, je suis quand même surpris de l’entendre
dire.
— Quoi ?
— Tu penses que je n’avais rien remarqué durant toutes
ces années ?
Elle affiche un sourire suffisant.
— J’ai su ce que tu ressentais pour Daisy avant toi,
Carter.
— Noah m’a fait la remarque, oui, marmonné-je d’un air
embarrassé en regardant mes doigts.
Je les agite en silence pendant un moment puis Marnie
tend les bras pour interrompre mes mouvements.
Je lève la tête alors que je baisse la voix.
— Vous devez me croire quand je dis que je n’avais pas
l’intention que tout cela se produise.
— Je ne comprends pas, dit-elle en me scrutant. Qu’est-
ce que tu veux dire ?
— Je n’ai jamais eu l’intention de m’impliquer avec Daisy.
— Pourquoi pas ?
Elle fronce les sourcils et plisse le front.
— Daisy est une fille géniale. Elle est comme une fille
pour moi.
— Je sais, murmuré-je. Je suis désolé d’avoir permis à
mes sentiments de prendre le dessus sur ma raison. J’aurais
dû les contenir.
Marnie secoue la tête et sa queue-de-cheval blonde
remue d’avant en arrière.
— Carter, ça n’a aucun sens. Tu n’as aucune raison d’être
désolé pour quoi que ce soit.
Je ne sais pas pourquoi j’ai autant de mal à exprimer mes
sentiments. Frustré, je laisse échapper :
— On sait tous les deux que Daisy mérite mieux. Vous
pensiez que je n’allais jamais la convoiter et j’ai trahi cette
confiance.
Je me passe une main sur le visage.
— J’ai eu tort de penser que je serais bien pour elle. Je ne
le suis pas.
Elle se redresse et me donne une claque sur la cuisse. Je
grimace de surprise.
— Carter Prescott ! gronde-t-elle. C’est quoi, ces
conneries que tu me racontes ?
Son ton acéré me surprend. Certes, je m’étais attendu à
de la colère, mais pas à propos de ça. Je m’attendais à ce
qu’elle soit d’accord avec moi.
— Je… Quoi ? demandé-je en plissant le front.
Son expression se fait colérique alors qu’elle me saisit le
visage entre les doigts et le presse quasiment jusqu’à me
faire mal.
Très bien… J’ai mal. Si elle essaye d’attirer mon attention,
elle l’a.
— Écoute-moi attentivement, lance-t-elle. Tu
comprends ?
Elle hausse les sourcils en attendant que je réponde par
l’affirmative, ce que je fais avec un hochement de tête
rapide.
— Merci.
Elle tire mon visage vers le sien d’un geste douloureux.
— Je t’aime, Carter. Je t’aime autant que si tu étais à moi.
La première fois que mon fils t’a ramené chez nous, j’ai su
qu’il y avait quelque chose de spécial chez toi et j’avais
raison. Tu n’es peut-être pas un Walker de nom, mais tu l’es
de toutes les façons qui comptent. Tu fais partie de cette
famille et ça ne changera jamais.
Elle s’interrompt.
— Quoi qu’il arrive.
Mes yeux sont tout humides.
Mais ce ne sont pas des larmes… Plutôt des allergies.
— Je crois qu’on est d’accord pour dire que tu n’as pas eu
de chance avec ton père et il aurait été facile pour toi de
suivre son exemple et de devenir exactement comme lui,
mais ce n’est pas ce que tu as fait. Tu es cent fois l’homme
que Philip Prescott pourrait être.
Ses doigts s’enfoncent dans mes joues.
— Je t’ai vu mûrir au fil des années et je suis fière de
l’homme que tu es devenu. Mon fils est en sécurité avec toi.
Elle s’interrompt.
— Et plus encore, je sais que ma nièce est en sécurité
avec toi. On a de la chance de pouvoir te considérer comme
l’un des nôtres.
Son expression se radoucit.
— Et juste pour être claire, je n’ai jamais été plus
heureuse d’apprendre que Daisy et toi étiez enfin ensemble.
Elle sourit.
— Sais-tu depuis combien de temps j’attends que vous
arrêtiez de danser l’un autour de l’autre, tous les deux ?
Je secouerais volontiers la tête, mais elle continue de me
tenir fermement le visage.
— Mais…
— Tu n’es pas ton père.
La façon dont elle va directement au cœur du problème
me déstabilise.
— Comment pourrais-tu penser le contraire ? Tu es
l’homme le plus doux, le plus gentil et le plus prévenant que
je connaisse. Pourquoi ne voudrais-je pas que ma nièce soit
avec quelqu’un comme ça ?
Mes épaules s’affaissent parce que c’est impossible
d’argumenter avec cette femme et je le sais parfaitement.
Toutefois, j’ai du mal à accepter tout ce qu’elle a dit. Pas
après avoir passé des années à me soutenir exactement le
contraire.
— Daisy mérite d’être aimée comme tu l’aimes, ajoute-t-
elle.
— Qui a parlé d’amour ?
Je réponds à sa question en bluffant, mais mon visage
devient écarlate.
Clairement pas convaincue, elle lève les yeux au ciel et
demande directement :
— J’ai tort ?
Je souffle tout en cherchant mes mots. Les épaules
affaissées, j’abandonne la ruse et je grommelle :
— Non.
J’ai beau être embarrassé de l’admettre, je me force à
soutenir son regard, même si on sait tous les deux que
Daisy mérite mieux
Je n’ajoute pas que moi, mais on entend tous les deux
ces mots non prononcés.
Elle me tire brusquement vers elle et m’assène :
— Tu n’es pas comme lui, Carter. Tu ne pourrais jamais
être comme lui.
— Vous ne le savez pas…
— Si, je le sais, m’interrompt-elle rapidement, me
freinant dans mon élan.
— Vous le savez comment ?
Elle n’attend pas de réponse.
— Parce que je te connais. Ça fait des années que je te
regarde. Tu n’es pas capable de ce genre de violence
physique. Tu ne l’es pas ! Il faut que tu te le sortes de la tête
tout de suite.
Elle lâche mes joues et je masse l’endroit douloureux.
— Je sais ce qu’il s’est passé à cette fête, dit-elle. Noah
m’a raconté.
Je lui adresse un regard surpris.
— Je suis contente que tu aies été là pour protéger Daisy.
Ce n’est pas comme si elle ne savait pas se débrouiller,
ajouter Marnie. Mais certains hommes ont du mal à accepter
qu’on les repousse. Et visiblement, il était l’un d’entre eux.
Tout en moi se dégonfle.
— Je ne veux pas ressembler à mon père.
— Oh, mon chéri.
Des larmes brillent dans ses yeux.
— Pourquoi ne peux-tu pas te mettre dans la tête que tu
ne lui ressembles pas du tout ? Tu essayais simplement de
protéger Daisy et il n’y a rien de mal là-dedans.
— Ce n’est pas l’impression que j’ai eue.
Je détourne le regard.
— Vous ne savez pas à quel point tout ceci m’a rendu
malade ?
Elle affiche un léger sourire.
— Ça ne fait que prouver ce que je dis, Carter. Tu es un
homme merveilleux et tu mérites de connaître la joie avec
une femme qui te rendra heureux. Je t’ai regardé au fil des
années. Tu tiens toujours les gens à distance. Je n’ai pas
envie que, l’un comme l’autre, vous passiez à côté de toutes
les opportunités fantastiques que la vie a à vous offrir parce
que vous avez trop peur pour vous ouvrir et tenter votre
chance.
Je soupire profondément, conscient qu’elle a raison.
À propos de tout.
Je ne sais pas quoi y faire.
CHAPITRE 43

DAISY

Q uel est ce vieil adage ?


Ce n’est jamais facile de se remettre en selle après
une chute ?
C’est vrai.
Je regarde derrière moi et souris à… Merde, je ne me
souviens plus de son nom.
Je suis quasiment certaine que ça commence par la
lettre…
Adam !
Voilà.
On s’est rencontrés en faisant la queue au café du
campus et on a discuté. Le temps qu’on reçoive nos cafés, il
m’avait demandé si je voulais qu’on aille dîner ensemble.
Avant Carter, j’aurais accepté cette invitation sans réfléchir.
Il est mignon avec ses mèches châtaines et ses quelques
tatouages.
Qu’est-ce qu’il y a à jeter ?
Et pourtant, j’ai réfléchi avant de le retrouver. Croyez-le
ou non, c’est Olivia qui m’a poussée à accepter un rencard
avec lui. Et elle avait raison. Je n’ai aucune raison de rester
seule à la maison à me morfondre pour quelqu’un qui n’a
pas envie de moi.
Il est temps de passer à autre chose.
Et Adam est la personne parfaite pour le faire.
Je pense.
Il a émis quelques commentaires bizarres pendant notre
rencard, mais je les ai ignorés. À tout le moins, c’est un
bouche-trou. Quelqu’un sur qui m’entraîner.
J’enfonce la clé dans la serrure et ouvre la porte de
l’appartement. J’entre, Adam sur mes talons. Je fronce les
sourcils quand ses mains se posent sur mes hanches. Ce
n’est pas la première fois qu’il me touche ce soir. J’en fais
peut-être toute une histoire, mais ce contact me semble
trop intime pour un premier rendez-vous avec un inconnu.
Il faut qu’il prenne ses distances.
Je hâte le pas et esquive ses mains.
Normalement, j’espère que Noah ne sera pas là pour me
gâcher la soirée, mais ce n’est pas le cas cette fois. Plus on
s’avance dans l’appartement, plus je me rends compte que
j’ai commis une erreur tactique en termes de jugement.
Inviter Adam était une erreur. J’aurais dû clore la soirée
quand il m’a déposée.
L’appartement est plongé dans la pénombre, ce qui
signifie que Noah est sorti pour la soirée. Depuis qu’il a
cassé avec Ashley, il est devenu plus casanier. C’est
agréable. On a passé de super moments entre cousins. On
s’achète des pots de crème glacée et on se lamente sur
notre célibat devant un marathon Netflix.
Je vais à la cuisine pour mettre en peu de distance entre
nous puis j’allume la lumière.
— Je peux te servir à boire ?
— Bien sûr.
Il enfonce les mains dans les poches de son treillis et
observe l’appartement.
— Tu as de la vodka ?
Je contiens un reniflement moqueur. Mouais…
Certainement pas ! La dernière chose dont j’ai besoin est
d’avoir un autre connard bourré sur les bras.
Au lieu de cela, je dis :
— Non, on est à court. Tu veux de l’eau ou bien une
Gatorade ?
Il hausse les épaules et se positionne en plein milieu du
canapé.
— Une Gatorade, alors.
Il tapote la place à côté de lui en signe d’invitation.
— Pourquoi ne ramènes-tu pas ton petit cul sexy par ici ?
Petit cul sexy ?
Sérieusement ? Il me faut invoquer toute ma retenue
pour ne pas éclater de rire. Pauvre Adam. Il va être déçu par
le tournant que va prendre la soirée.
Je prends une bouteille d’eau pour moi et une Gatorade
pour mon invité indésirable puis je retourne au salon. Je lui
jette la bouteille en évitant le canapé, me dirigeant vers le
fauteuil inclinable de l’autre côté de la table basse. J’espère
qu’il va comprendre l’allusion et que mon petit cul sexy
n’est pas intéressé.
Apparemment, il ne comprend pas les normes sociales
parce qu’il me décoche sa version d’un regard enflammé.
Il tombe à plat.
Mes lèvres tremblent et je les pince pour essayer de ne
pas sourire.
— Tu es si loin !
Il me fait un signe de l’index.
— Viens t’asseoir ici.
Confirmation officielle : c’était une très mauvaise idée.
Qu’est-ce qui m’a pris, putain ?
Je me mords la lèvre, me demandant si je devrais lui
demander carrément de partir. Tentant de gagner du temps,
je dévisse le bouchon de ma bouteille d’eau et avale une
goulée.
Il baisse les yeux vers mes lèvres.
— Tu as l’air d’être une championne pour avaler.
J’aimerais confirmer de moi-même que c’est vrai.
Je m’étrangle sur mon eau et je crachote, aspergeant du
liquide de partout. J’essuie les gouttelettes sur ma bouche
et mon menton. Je n’arrive pas à croire qu’il vient de dire
une chose pareille.
Mes yeux se voilent de larmes alors que je demande
d’une voix rauque :
— Pardon, qu’est-ce que tu viens de dire ?
Il affiche un sourire lent.
Apparemment, je l’avais bien entendu.
Quel connard !
Très bien, ça suffit. Je vais bel et bien le foutre dehors.
Adam ouvre la bouche et je fais la grimace, me préparant
mentalement à ce qui va en sortir.
Mais il n’y a rien.
Il a fermé brusquement la bouche. Il écarquille les yeux
en regardant derrière moi.
Je m’apprête à me tourner afin de voir ce qui a retenu
son attention quand une voix profonde dit :
— Je crois que ce que ton rencard a voulu dire est qu’il
est temps que tu partes.
La voix se fait plus acérée.
— Pas vrai ?
Je bondis du fauteuil et me tourne. C’est Carter ! Le
premier choc est qu’il se trouve ici à l’appartement. La
seconde est qu’il porte seulement ce slip aux motifs
aubergines qui ne laisse rien à l’imagination.
Je me plaque une main sur la bouche en le dévorant du
regard. Oubliant tout d’Adam, je murmure :
— Qu’est-ce que tu fais ici ?
Carter hausse les épaules et s’appuie nonchalamment
contre le chambranle. Ce mouvement fait danser ses
muscles. Il n’en faut pas plus pour que ma culotte devienne
brûlante. Je suis comme un de ces chiens de Pavlov
superconditionnés. Quand il s’agit de Carter, je ne peux pas
m’en empêcher.
— J’avais espéré pouvoir discuter, murmure-t-il avec des
yeux radoucis.
Je désigne son corps quasiment nu.
— Dans cette tenue ?
Il me répond par un sourire en coin.
— Tu es une véritable guimauve quand je suis nu, alors
j’ai pensé que ça vaudrait le coup d’essayer.
Il désigne Adam d’un geste sec du menton.
— En plus, j’ai entendu qu’on avait un invité, dit-il en
haussant un sourcil. Alors, je me suis dit qu’une tenue
appropriée était requise.
Me rappelant brusquement que Carter et moi ne sommes
pas seuls, je me tourne vers Adam. Mon rencard d’un soir
fronce les sourcils et se redresse d’un bond. Il brandit un
index en direction de Carter.
— C’est qui ce mec ? demande-t-il en marquant un
temps d’arrêt. Et elles sont où, ses fringues ?
La dernière fois que ce scénario s’est déroulé, j’étais
super en colère. Cette fois, je ne pourrais pas être plus
contente.
Un léger sourire me monte au coin des lèvres.
— Oh, lui ? dis-je en clignant innocemment des
paupières. C’est un de mes colocs.
— En fait, je suis son mec.
J’écarquille les yeux et nos regards se croisent. Je ne
m’attendais pas à ce qu’il dise une chose pareille.
Il s’éclaircit la gorge, comme pris par une insécurité
soudaine.
— Si tu acceptes de me reprendre, bien sûr.
Je deviens une véritable flaque alors que je hausse la
tête. Il a raison. Sa nudité me change toujours en guimauve.
Certes, je pourrais jouer à un jeu et lui dire que j’ai besoin
de temps pour y réfléchir, mais je ne vais pas le faire. Le
rejet de Carter a beau être douloureux, je comprends ses
raisons pour me tenir à l’écart.
— Tu sais, dit un Adam mécontent. J’ai payé pour le dîner.
Je mérite une petite compensation en retour.
Est-ce qu’un coup de pied dans les bourses compte
comme compensation ? Parce que c’est exactement ce qu’il
va avoir s’il ne ferme pas la bouche.
Je pose les mains sur mes hanches.
— Pardon, mais tu as utilisé un bon de réduction de
50 %, lui rappelé-je.
Je n’avais rien dit sur le moment, mais quand même…
Ce n’est pas quelque chose qu’on fait pendant le premier
rendez-vous.
— Je mise sur la frugalité, bébé, se dit-il d’un ton
défensif.
Je lève les yeux au ciel. Non seulement il va se prendre
mon pied dans les bourses, mais il va se faire jeter dehors
aussi. Ce sera mon offre « deux pour le prix d’un ».
Carter se tapote les hanches comme s’il cherchait dans
ses poches inexistantes. Puis il fait la même chose avec ses
fesses. Je me mords la lèvre pour éviter de rire devant ses
gestes ridicules. Sans parler de torrides et sexy.
— Je crois que j’ai oublié mon portefeuille, dit-il.
Adam plisse les paupières.
— Eh bien, cette soirée était un coup dans l’eau.
Je hausse les épaules.
— Désolée de te décevoir.
Comme je ne rajoute rien, il pousse un grognement et file
vers la sortie. Il n’y a pas d’au revoir, juste la porte qui vibre
dans ses gonds quand il la claque. À présent qu’on se
retrouve seuls, Carter et moi nous regardons en silence.
L’air change autour de nous, se chargeant en électricité.
— Tu as des goûts de chiottes en matière de mecs,
murmure-t-il en s’écartant de la porte.
Mon cœur s’accélère alors qu’il se rapproche.
— J’espère que tu ne te comptes pas dans le lot ?
demandé-je.
— C’est encore à voir, mais j’espère bien.
Arrivé assez près, il tend le bras et me prend les joues
dans les paumes de ses mains. Son sourire faiblit alors qu’il
redevient sérieux.
— Je suis désolé, Daisy.
Ses lèvres frôlent les miennes.
Notre dernier baiser remonte à si longtemps ! J’ai
simplement envie de m’abandonner à cette douce caresse,
mais il ne me permet pas de le faire avant de me retirer.
— Je suis désolé de t’avoir repoussée, murmure-t-il en
caressant délicatement ma bouche. Tu mérites ce qu’il y a
de mieux et j’avais besoin de temps pour voir si je pouvais
représenter cela pour toi.
La sincérité de ses paroles me serre le cœur.
J’écarquille les yeux en secouant la tête.
— Comment as-tu pu penser que tu n’étais pas assez
bien ?
Il hausse brusquement les épaules.
— La perspective de ressembler à mon père de près ou
de loin me terrifie.
Il détourne le regard un instant avant de reposer les yeux
sur moi.
— Perdre le contrôle comme ça m’a fait flipper et j’avais
besoin de réfléchir à ce que je faisais.
Il se penche en avant jusqu’à ce que son front touche
doucement le mien et que son souffle me caresse les lèvres.
— Je n’avais aucune intention de te blesser ou de te
causer le moindre mal.
Mes doigts caressent sa barbe de cinq heures.
— Je sais, et je voulais t’accorder ce temps parce que tu
signifies tout pour moi.
Il me rapproche de lui jusqu’à ce que ses bras s’enroulent
autour de mon corps. Est-ce possible que tout me paraisse
tellement plus agréable quand je suis enveloppée dans ses
bras comme ça ?
Comme s’il lisait dans mes pensées, il murmure :
— Tu sais que je ne te laisserai jamais partir, n’est-ce
pas ?
Il plaque les lèvres contre mon front.
— Tu m’appartiens à présent.
Mon cœur déborde de bonheur. Je lève la tête afin de
pouvoir croiser son regard. Tant d’émotions tourbillonnent
dans ses yeux !
— C’est bien, parce que je m’apprêtais à te dire la même
chose, murmuré-je. Ne pense pas que je vais te laisser sortir
à nouveau de ma vie, parce que ça n’arrivera pas.
— Marché conclu, sourit-il. Je suis à toi et tu es à moi.
J’éclate de rire. J’aime ce qu’il me dit.
— Alors… Tu as envie d’observer mon calbut à
aubergines de plus près ?
Il m’adresse un clin d’œil.
— Je l’ai mis exprès pour toi.
Je glisse ma main dans son dos, le long de ses abdos,
jusqu’à l’élastique de son slip. Je passe un doigt sous le tissu
et l’écarte de son corps avant de le laisser claquer à
nouveau sur sa peau.
— Bah. Pas vraiment, dis-je en haussant les épaules.
Il hausse très haut les sourcils.
— Eh bien, apprends à être intéressée. Je t’informe que
c’est le seul slip que tu vas voir d’aussi près dans un avenir
proche.
Je lui souris tendrement.
— C’est une promesse ?
— Tu peux le dire, oui, rit-il avec des airs suffisants. Je
suis doté d’une menace de plus de vingt centimètres.
Je ne l’admettrai jamais devant lui, mais Carter Prescott a
toutes les raisons du monde d’être arrogant à propos de ce
qui se dissimule sous ces aubergines.
— Je t’en prie… m’étranglé-je en levant les yeux au ciel.
En un clin d’œil, il m’a soulevée sur ses épaules jusqu’à
ce que je me retrouve la tête en bas, les yeux braqués sur
son arrière-train de rêve.
— Carter ! m’écrié-je. Qu’est-ce que tu…
Sa grande paume s’abat sur mon derrière avec un
claquement et je pousse un glapissement. Le cri de surprise
se transforme en cri étouffé alors qu’il pince ma joue. Je
ressens une bouffée de chaleur qui inonde ma culotte.
— J’espère que tu vas respecter cette promesse, dis-je
d’une voix essoufflée.
Il masse la zone offensée et je me trémousse de désir.
— Bébé, grogne-t-il, tu sais bien que oui. Toute la nuit, au
besoin.
Sur ce, il nous emmène dans la chambre pour accomplir
sa promesse.
Et vous savez quoi ?
Je ne voudrais pas qu’il en aille autrement.
Je remercie le ciel pour les hommes arrogants qui savent
comment utiliser ce qu’ils cachent sous leurs aubergines.
É P I LO G U E

CARTER

T rois ans plus tard…

J E PASSE la tête dans le coin de la porte de la chambre d’amis


que Daisy a transformée en studio de design graphique.
Comme le reste de notre appart du centre-ville de Chicago,
la pièce est spacieuse. Les fenêtres à l’est donnent sur
l’immensité bleu foncé du lac Michigan. Chaque matin, des
faisceaux de lumière s’y déversent, en faisant un espace de
travail parfait. La pièce contient un meuble sophistiqué
moderne, un canapé confortable, des étagères et deux
ordinateurs. Un avec un moniteur géant plus un portable
que Daisy peut emporter avec elle pour ses rendez-vous
clientèle.
J’ai été recruté par Chicago et c’est notre maison depuis
deux ans et demi. L’énergie de cette ville nous plaît à tous
les deux. C’est l’endroit parfait pour entamer nos vies
ensemble. Les opportunités en design graphique sont
géniales pour Daisy. Elle a bossé pour une grande boîte
pendant deux ans avant de décider de se lancer en indé
avec une collègue.
— Le dîner est prêt, dis-je, ne voulant pas l’interrompre.
Je sais ce que c’est quand elle est concentrée sur un projet.
Elle est assise à son bureau, le nez sur un design. Je
distingue quelques taches de couleurs sur le moniteur, mais
rien de plus. Je suis plus distrait par elle que par ce qu’elle
crée.
Elle a l’air super sexy avec ses longs cheveux rassemblés
en un chignon lâche au sommet de sa tête et des lunettes à
monture noire perchées sur son nez. Et ne parlons même
pas du fait qu’elle porte des pantalons de yoga moulants
ainsi qu’un débardeur sans soutien-gorge.
Oui, je pourrais m’habituer sans problèmes au fait qu’elle
travaille à la maison. Particulièrement si c’est sa tenue de
tous les jours.
Je m’éclaircis la gorge et réprime l’excitation qui monte
en flèche dans mon jean.
Ce n’est pas facile. Pas avec cette fille. Penser à elle
suffit à réveiller mon érection. On pourrait croire que le fait
de vivre ensemble aurait atténué certaines de mes ardeurs,
mais c’est le contraire. Plus j’en ai, plus j’en veux. Je suis
accro.
M’éclaircissant la gorge, j’ajoute :
— J’ai préparé des tacos de poisson avec de la sauce à la
mangue.
Elle se tourne vers moi avec un sourire distrait sur le
visage. Je peux voir toutes les idées tourbillonner dans son
cerveau et c’est super sexy aussi.
Très bien. Qu’est-ce qui n’est pas sexy chez Daisy ?
Rien du tout.
— Hmm, ça a l’air délicieux. Merci d’avoir préparé le
dîner, bébé.
Elle pince les lèvres et m’adresse un baiser.
Nous sommes hors saison, alors je me suis fait la main
sur quelques nouvelles recettes.
Que puis-je dire ?
Je suis un homme multi talents.
En plus, maintenant qu’on a cette cuisine géniale, j’adore
y traîner pour essayer des nouvelles options équilibrées.
Daisy a travaillé d’arrache-pied afin de faire décoller son
nouveau business.
Je ferai tout ce que je peux pour la soutenir. Sans poser
de questions.
Elle referme son programme informatique, se redresse et
tend les bras au-dessus de sa tête. Ce mouvement fait
ressortir ses seins.
Je pousse un grognement tout en la parcourant du
regard.
— Bon sang, ma belle, qu’est-ce que tu essayes de me
faire ?
Un sourire coquin illumine son visage alors qu’elle cligne
des paupières d’un air innocent. Puis elle s’étire à nouveau,
cette fois avec un air chafouin.
Petite coquine.
— Je ne sais pas de quoi tu parles, rit-elle.
Je pars d’un rire étranglé.
Elle sait exactement l’effet qu’elle me fait.
Chaque fois.
Et j’aime ça. Comme je l’aime elle.
Et vous avez vu le diamant à sa main gauche ? Je vous
conseille de ne pas le regarder en face. C’est comme le
soleil : il vous brûlera la rétine. Bien sûr que je lui ai passé la
bague au doigt ! Daisy Thompson est la meilleure chose qui
me soit jamais arrivée. C’est la fille que j’ai cru ne jamais
pouvoir posséder sans cesser de la désirer.
Maintenant, elle est à moi.
Et comme je le lui avais dit il y a trois ans, je suis à elle.
Quoi qu’il se passe dans notre vie, ça ne changera pas.

Fin
Merci beaucoup d’avoir lu Même pas en rêve ! Envie d’en
savoir plus sur Daisy et Carter ? Inscrivez-vous à ma
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Envie de lire l’histoire de Mia et Beck ?


Achetez tout de suite Maintenant ou jamais !

Mia Stanbury est la fille à succès


par excellence. Intelligente, belle et
obstinée.
Elle a tout pour plaire. Alors, pas
étonnant qu’elle soit dans ma ligne de
mire d’aussi
loin que je m’en souvienne !
Et je veux parler de l’école
primaire…
D’accord, j’avoue que j’ai commis
quelques erreurs bêtes avec elle, mais
que
voulez-vous ? Je suis un mec.
Parfois, je ne réfléchis pas avec ma
tête. Disons que
c’est la faute de mon chromosome Y, rien de plus. Mais
maintenant, j’ai vieilli.
Et j’ai mûri.
Enfin, si on veut.
Pendant tout le lycée et même après, Mia m’a tenu à
distance. Si elle ne fondait
pas dans mes bras chaque fois que nous nous croisons,
je pourrais presque croire
que mon charme la laisse de marbre. Il s’avère que ce
n’est pas le cas. C’est notre
dernière année à Wesley avant que chacun de nous suive
son propre chemin. Moi
dans la ligue nationale de football américain, et elle en
fac de droit. Alors, c’est
maintenant ou jamais.
J’en ai assez de nos petits jeux, assez de me faire rejeter.
J’étais son premier, hors de question que je ne sois pas
son dernier.

Achetez tout de suite Maintenant ou jamais !

Tournez la page pour lire un extrait de Maintenant ou


jamais…
MAINTENANT OU JAMAIS

MIA

L’été avant la première année d’université

—R amène tes fesses ici ! s’exclame ma meilleure


amie depuis la fenêtre où elle s’est assise comme
une sentinelle. Tu dois voir ça !
Négatif, Ghost Rider. Je passe mon tour. Je n’ai aucune
envie d’espionner une cour pleine d’étudiants ivres qui font
la fête chez mon voisin. À contrecœur, je lève les yeux de
mes orteils que je suis en train de recouvrir d’un vernis rose
pâle. Coney Island Cotton Candy, pour être précise.
Quand nos regards se croisent, Alyssa me fait signe. Elle
est tellement surexcitée. Un peu comme un schnauzer.
— Tout le monde est là-bas !
— C’est faux, murmuré-je en peignant mon petit orteil
d’une main d’experte. Nous sommes ici, nous.
Et j’ai l’intention de le rester.
— Oui, c’est le problème.
Elle joint ses mains avant de les agiter devant moi.
— S’il te plaît ? supplie-t-elle. On ne peut pas y aller juste
un petit moment ? Juste un peu ? C’est tout ce que je
demande.
C’est tout ce qu’elle demande… ah !
Je sais que ce sont des conneries.
Alyssa sait très bien que je préférerais me manger le bras
plutôt que de m’incruster à une des soirées de Beck
Hollingsworth. Je ne lui avais pas dit, mais Beck m’avait
envoyé un message avec toutes les informations. Si elle
avait suspecté le fait qu’on avait été invitées, elle m’aurait
traînée sur la pelouse qui sépare nos propriétés dès l’arrivée
du premier invité dans l’allée.
Non, merci.
Il est évident, d’après l’agitation qui règne chez nos
voisins, que toute la classe de terminale est présente pour
fêter notre diplôme. Si nous ne vivions pas dans un cul-de-
sac tranquille, dans un lotissement fermé, j’espèrerais que
la police ferait une visite surprise et mettrait fin aux
festivités.
Sauf que personne ne veut déranger le père de Beck,
Archibald Hollingsworth. C’est un avocat hors de prix, qui a
énormément d’employés à son service. C’est l’un de ces
types trop bronzés au teint d’une pureté aveuglante que
l’on voit à la télévision. Il scande que, si on a un souci, il faut
les appeler et qu’il se bat pour le peuple. Ce type est
partout. Sur les panneaux d’affichage. Dans les publicités.
Dans les pubs des journaux et sur les magazines.
La police locale a eu affaire à Archibald plusieurs fois au
fil des ans parce que son fils est un aimant à problème.
Voyons voir, il y a eu la fois – ou les cinq fois – où il a été
arrêté pour avoir bu de l’alcool avant l’âge légal. À quinze
ans, Beck a emprunté la toute nouvelle Range Rover de ses
parents pour faire un peu de tout-terrain. Et la police est
intervenue quand il a mis de la super glu dans les serrures
des portes du lycée pour la première journée des pranas des
terminales.
Au lieu de conduire Beck au poste chaque fois qu’il était
interpelé, ils le déposaient devant sa porte sans prendre la
peine d’en informer Archibald. Beck tutoie un certain
nombre de personnes dans la police. Quelques-unes sont
même venues à sa fête de remise des diplômes, en juin.
Il n’est pas surprenant que Beck trouve toujours le
moyen de contourner les obstacles qui se dressent sur son
chemin. Ses parents. L’école. La loi. C’est aussi irritant
qu’impressionnant. Peut-être qu’un de ces jours, il utilisera
son pouvoir pour faire le bien, et non pour faire n’importe
quoi.
— Allez, Mia, supplie Alyssa tout en m’adressant un
regard de chien battu.
Double coup dur.
Ma meilleure amie sait que j’ai du mal à résister à ses
yeux de chien battu.
Je pose mes orteils sur le sol et marmonne :
— Je ne peux aller nulle part tant que mon vernis n’est
pas sec.
Je fais de mon mieux pour ne pas m’approcher de
Beckett Hollingsworth. Ce type me rend complètement
dingue.
Et c’est un euphémisme.
— Génial ! Alors… on part dans cinq minutes ?
Elle s’éloigne avant de plaquer son visage contre la vitre,
sa voix se faisant rêveuse.
— Je parie que Colton est déjà là.
Eurk.
Colton Montgomery est le bras droit de Beck, donc je ne
suis pas sûre de vouloir qu’elle ait raison.
Même si je l’ai prévenue, Alyssa craque pour Colton
depuis plus d’un an. Non seulement il est populaire, mais en
plus, c’est un joueur de football. J’insiste bien sur la partie
« joueur ». Si Alyssa était intelligente, elle se trouverait un
mec bien duquel tomber amoureuse, or elle est focalisée sur
le tombeur aux cheveux blonds et aux yeux bleus.
Colton a tout pour lui : un cerveau, des muscles et très
certainement un aller simple pour la NFL 1 après l’université.
Le seul problème, c’est qu’il est conscient de son
charme. Son ego est si imposant. C’est du moins ce qu’on
dit de lui.
Et ce n’est pas l’avis d’Alyssa puisqu’il refuse de coucher
avec elle. Je n’arrive pas à savoir si la situation est
amusante ou triste. Plus Colton garde Alyssa à distance,
plus elle est déterminée à le conquérir.
Lors de la dernière saison de football, Alyssa m’a traînée
à chaque match. Même ceux qui se jouaient à l’extérieur.
Ma plus grande crainte était que Beck suppose que j’étais là
pour le soutenir. Son fan-club est déjà légendaire sans que
je vienne grossir les rangs.
En ce qui concerne les femmes, Beckett fait passer
Colton pour un puceau. Il change de fille comme on change
de sous-vêtements. En parlant de culottes, les filles de notre
lycée sont toujours heureuses – je dirais même ravies – de
faire tomber les leurs pour lui.
C’est ridicule.
C’est un profiteur invétéré.
On devrait lui coller une étiquette de prévention sur son
front.
« Attention. Toxique pour les femmes. »
Mais vous savez quoi ?
Cela n’empêcherait pas ces filles sans cervelle d’écarter
les jambes pour lui. J’ai arrêté d’essayer de comprendre
pourquoi. D’accord, je sais qu’il est très séduisant. J’ai beau
tenter de prétendre que je suis immunisée à ses charmes,
mais ce n’est pas le cas. Je suis juste très douée pour
enfouir ce que je ressens pour que ça ne remonte jamais à
la surface. Si je ne le faisais pas, Beck me briserait le cœur
en un clin d’œil, et je n’ai aucune envie de figurer sur la liste
de ses conquêtes.
Si j’avais le choix, je préférerais regarder un film sur
Netflix plutôt que de me laisser embarquer à la fête de
Beck.
Ne vaut-il pas mieux s’asseoir en pyjama et se gaver de
pizzas que de regarder ses camarades de classe se saouler,
se draguer et vomir partout avant de faire un coma
éthylique ? Je ne prendrai pas la peine de poser la question
à Alyssa. Il n’y a aucune chance pour qu’elle choisisse
volontairement de rester à la maison si elle peut aller voir
son crush.
Vous voulez deviner ce que Colton fera quand j’essuierai
la bave du menton d’Alyssa ?
Vous l’avez deviné : il filtrera avec chaque personne
possédant un vagin s’il pense avoir une chance de finir avec
ce soir.
Honnêtement, c’est l’une des choses les plus
masochistes qu’Alyssa puisse faire. Je n’ai aucune idée de la
raison qui la pousse à s’infliger ce genre de supplice.
Visiblement, mon rôle de meilleure amie est de soutenir
sa décision de s’infliger une multitude d’angoisses. Je lui
donnerais une gifle si je pensais que ça pouvait la raisonner.
Ma prédiction pour la soirée est la suivante : Alyssa va
boire quelques verres, s’extasier devant Colton, puis se
transformer en une flaque de larmes pendant que ce salaud
embrassera d’autres filles devant elle. Ensuite, je la
traînerai jusqu’à la maison où elle finira par engloutir une
glace aux trois chocolats.
Mais c’est à ça que servent les amis, n’est-ce pas ?
Ne vous inquiétez pas, j’ai déjà accepté cela.
— Très bien, grommelé-je en espérant qu’elle comprenne
à quel point je suis réticente. Mais sache que je ne resterai
pas plus d’une heure. Alors, tu ferais mieux de faire bon
usage de ton temps, meuf.
Elle pivote pour me faire face, sautillant sur la pointe des
pieds en applaudissant d’excitation.
— Youpi !
Dès que j’accepte, elle se dirige vers mon placard qui fait
la moitié de ma chambre.
J’ai le genre de dressing dont la plupart des filles de mon
âge ne peuvent que rêver. Chaussures, sacs à main,
vêtements et bijoux. Tout est là et bien rangé.
— Je vais trouver quelque chose de sexy à mettre !
s’exclame-t-elle.
— Ce que tu as sur toi est très bien, soupiré-je en roulant
des yeux. C’est déjà assez pour moi, hein ?
Un grognement me répond des profondeurs de mon
dressing.
Pendant les dix minutes suivantes, j’assiste à un défilé de
mode improvisé. Au rythme où va Alyssa, nous ne sommes
pas près de nous rendre à la fête.
Prends ton temps, meuf. Je suis totalement partante pour
ça.
Après une douzaine d’essayages, Alyssa opte pour un
débardeur noir, tricoté, et une jupe blanche qui met en
valeur ses jambes bronzées. Alyssa suit des cours de danse
depuis qu’elle a trois ans. Elle est tonique, et ses muscles
sont développés et minces.
— Wouah, meuf, tu es sexy.
Je dis ça au cas où son crush n’apprécie pas l’effort.
Alyssa a besoin de passer à autre chose. Je pense qu’un
programme en douze étapes l’aiderait à se débarrasser de
son obsession pour Colton Montgomery.
— Je vivrais dans ton placard avec plaisir si tu me laissais
faire.
Elle sourit en faisant une pirouette.
— C’est mon paradis.
Un sourire sceptique étire mes lèvres.
Ma mère est une accro du shopping, et ses factures
Amex Black Card en témoignent. Elle achète des vêtements
comme si notre maison avait brûlé et que rien n’avait pu
être sauvé. Même si j’ai de la place, ma garde-robe est
pleine à craquer. Les trois quarts de ces vêtements n’ont
jamais vu la lumière du jour. Alyssa a de la chance que nous
fassions presque la même taille et qu’elle puisse emprunter
tout ce qu’elle souhaite.
Maintenant qu’elle est habillée et prête à rejoindre la
foule, ses yeux se plissent et elle me fixe avec insistance.
Sans un mot, elle pivote et se précipite dans mon dressing
avant de revenir quelques minutes plus tard.
— Voilà, déclare-t-elle en jetant deux vêtements au pied
de mon lit.
Je jette un coup d’œil au débardeur doré, brillant, et à la
jupe en jean foncé qui ressemble à une serviette pliée. La
jupe est très mignonne, mais je déconseille fortement de la
porter pour une mission commando, à moins de vouloir
montrer à tout le monde ce que vous avez dans le ventre.
Comme ce n’est pas dans mon style, l’étiquette pend
toujours de la poche. Je n’ai aucune idée de ce que pensait
ma mère en la prenant.
Ne sachant pas pourquoi elle me présente des
vêtements, je pointe la petite pile.
— C’est pour quoi ?
— Tu dois te changer.
Elle me lance un regard qui veut dire « eurk » avant
d’applaudir.
— Allez, allez !
Changer de tenue ne faisait pas partie du plan. J’étais à
l’aise avec l’idée d’y aller en pyjama. Ce n’est pas comme si
je cherchais un prétendant. Ou quoi que ce soit d’autre,
d’ailleurs.
Je secoue la tête et croise mes bras sur ma poitrine.
— Non, merci.
Son regard me détaille, et elle désigne mon T-shirt.
— C’est une tache de café sur ton sein ?
En fronçant les sourcils, je jette un coup d’œil à ma
poitrine et inspecte la tache sombre sur le tissu qui recouvre
mon sein droit. À mon avis, elle a raison. Un caramel
Macchiato, pour être exacte.
— Peut-être.
Elle pince les lèvres.
— Je refuse d’aller où que ce soit avec toi habillée
comme ça.
— Super !
Je m’étire avant de poser mes mains derrière ma tête.
— Quel genre de film te plairait ? Comédie romantique ?
Film d’horreur ? Thriller psychologique ? Film angoissant ?
Un sourire bienveillant étire mes lèvres.
— Tu peux choisir.
Alyssa tape du pied sur la moquette.
— Mia ! s’exclame-t-elle d’un ton pouvant faire exploser
les tympans.
Quelques chiens du voisinage hurlent en réponse.
— Tu as promis !
Promis ?
Non, je ne pense pas.
Je plisse le nez et pose un doigt sur mes lèvres.
— Je ne crois pas avoir promis quoi que ce soit. Accepté à
contrecœur ? Oui. On m’a forcée à capituler ? Certainement.
Mais promis ? Pas dans cette vie.
Lorsqu’elle se redresse, je gémis, sachant exactement ce
qui va se passer.
— Mia Evelyn Stanbury ! Dois-je te rappeler qui était là
quand… ?
Arf.
Nous arrivons au moment de la soirée où Alyssa énumère
tout ce qu’elle a fait pour moi jusqu’à ce que je cède. Et elle
commence par Harper Hastings. Une fille qui m’a harcelée
sans relâche en cinquième parce que Xander Rossi m’avait
invitée au cinéma à sa place. Après des mois de piques
mesquines de la part de Harper, Alyssa l’avait attendue
après l’école. Ma meilleure amie lui avait fait savoir que, si
elle n’arrêtait pas, elle ferait courir la rumeur qu’elle
bourrait ses soutiens-gorges. Cela devait être vrai, car
Harper avait immédiatement battu en retraite et je n’avais
plus jamais entendu parler d’elle.
— Oui, oui. Harper Hastings, marmonné-je, n’appréciant
pas la direction que prend cette conversation.
Alyssa croise les bras sur sa poitrine et un sourire
suffisant étire ses lèvres.
— Harper Hastings n’est que le début, mon amie,
m’apprend-elle en arquant les sourcils. Dois-je continuer ?
Nous nous regardons en silence avant que je ne
m’effondre comme un château de cartes.
— Très bien, je vais me changer.
Je me redresse avant de saisir la jupe et le haut et de les
lui montrer en les secouant.
— C’est seulement parce que je t’aime et que tu es ma
meilleure amie que j’accepte d’aller chez les voisins.
Un sourire angélique illumine son joli visage avant qu’elle
ne m’envoie un baiser.
— Je t’aime aussi. Maintenant, bouge-toi.
— Une heure, rappelé-je. C’est tout ce que tu as.
D’un air indifférent, elle fait un signe de sa main.
— Pas de problème, c’est bien assez pour que ma magie
fonctionne.
Ce qu’elle veut dire, c’est que c’est assez de temps pour
que Colton l’ignore tout en sortant avec une autre fille. Une
part de moi souhaiterait presque qu’il couche avec Alyssa.
Peut-être qu’alors les lunettes roses tomberaient et qu’elle
réaliserait à quel point ce type est un crétin.
D’un mouvement fluide, je retire le T-shirt taché de mon
corps et le remplace par le débardeur doré. Je délaisse
ensuite le short confortable dans lequel je me prélassais et
enfile le petit rectangle de tissu qui sert de jupe.
Je m’approche de mon miroir qui s’étend du sol au
plafond et fixe mon reflet avant d’essayer de descendre la
jupe plus bas sur mes cuisses, sauf que c’est inutile. Il n’y a
pas un centimètre de tissu en trop.
À quoi ma mère pensait en achetant ce vêtement ? Elle
s’est trompée et a pris dans le rayon pour enfants ?
Je me penche, touche mes orteils, avant de jeter un coup
d’œil par-dessus mon épaule. C’est exactement ce que je
pensais. Mon string est bien visible. En fait, on dirait que je
ne porte pas de sous-vêtements puisque le tissu est comme
du fil dentaire.
Formidable.
Sans parler du fait que c’est inconfortable.
— Il n’y a pas de deuxième option ?
Mon regard croise celui d’Alyssa dans le miroir.
— Une option où on ne voit pas mon cul ?
— J’ai bien peur que non. J’aime beaucoup le jeu des
devinettes pour savoir si tu portes des sous-vêtements ou
non, dit-elle en me faisant un clin d’œil. Joue bien tes cartes,
et peut-être que tu auras de la chance ce soir.
Je plisse les yeux et pince les lèvres.
— Crois-le ou non, je suis parfaitement satisfaite du fait
d’être malchanceuse.
— Ça, ma chère, c’est seulement parce que tu ne sais
pas ce que tu loupes.
— Des chagrins d’amour, des MST et la possibilité d’une
grossesse non désirée ?
Je papillonne des cils et souris.
— Tu as tout à fait raison.
En ignorant mon commentaire, elle me lance une paire
de sandales dorées avant de mettre des sandales en cuir
noir qui remontent le long de ses jambes, lui donnant un air
de déesse grecque. Elle est superbe. Mais encore une fois,
quand est-ce que ce n’est pas le cas ? Alyssa a de longs
cheveux blonds et des yeux bleu foncé. Sa peau a un éclat
naturel qui s’assombrit sous le soleil d’été.
Cela m’offusque presque que Colton refuse de baiser
mon amie.
Qu’est-ce qui ne va pas chez lui ?
— Prête à y aller ? demande-t-elle en vérifiant une
dernière fois son reflet dans le miroir.
J’enfile les sandales avant de me redresser.
— Autant que possible.
Cinq minutes plus tard, nous traversons la pelouse et
marchons sur le côté du manoir Hollingsworth. De cet
immense manoir. Inutile de dire qu’Archibald a fait de la
négociation un art lucratif.
À chaque pas, le bruit des rires d’ivrognes et les
pulsations de la musique s’amplifient, agressant nos
oreilles. Dès que la fête est en vue, je me demande
pourquoi j’ai laissé Alyssa m’y traîner.
C’est le chaos.
Même si Alyssa souhaiterait me convaincre du contraire,
je ne suis pas complètement nulle. J’aime faire la fête,
comme n’importe quelle fille. Mais Beck aime passer à la
vitesse supérieure. Il ne se contente pas d’une simple soirée
durant laquelle les gens s’installent et se détendent. Cette
fête est sur le point de devenir l’un de ces films pour
adolescents dans lequel l’enfer se déchaîne et dans lequel
le propriétaire se réveille nu le lendemain matin dans une
benne à ordures, à cinq états d’ici, avec une chèvre.
Sur la gauche, quelques personnes tiennent la tête d’un
type en bas pendant qu’il rend tout.
Des chants disant « bois, bois, bois » se répandent dans
l’air.
Je ne serais pas surprise si l’un de ces idiots ivres était
retrouvé dans la piscine demain matin.
On peut se demander pourquoi les parents de Beck le
laissent seul, sans surveillance. Il a peut-être dix-huit ans et
est techniquement un adulte, cependant, il a besoin de
quelqu’un de plus âgé pour le contrôler. Quelqu’un qui peut
le stopper quand il va trop loin.
Et ce n’est pas gagné. Son frère aîné, Ari, est à l’étranger
pour l’été.
Archibald et Caroline, ses parents, ont dû se rendre
compte que c’était inévitable. Chaque fois qu’ils quittent la
ville, Beck organise une grande soirée. Selon l’ampleur des
dégâts, il est puni quelques jours, voire quelques semaines.
Le menacer en lui disant qu’il y aura des conséquences –
voire l’application de ces conséquences – n’a aucun effet
dissuasif.
Croyez-le ou non, avant que nos parents ne quittent la
ville pour un long week-end à New York, Archie m’a
demandé de garder un œil sur son fils.
— Assure-toi qu’il n’y ait pas de mort, m’a-t-il dit.
Comme si j’avais un quelconque contrôle sur Beck.
Parce que, oui, Beck n’écoute personne, et moi encore
moins.
Qu’est-ce que je suis supposée faire exactement ?
La commère ?
Faire un facetime avec ses parents pour qu’ils puissent
voir en direct la déchéance qui va suivre comme au
Pandemonium ?
Même si cela me faisait plaisir, cela n’arrivera pas. Je suis
peut-être beaucoup de choses – une personne qui suit les
règles, bonne à tout faire si vous écoutez Beck –, mais il y a
des limites à ne pas franchir, et la délation en fait partie.
Ce sera encore une fois l’occasion pour Beck de s’en tirer
à bon compte. Je suppose que c’est la beauté d’être Beckett
Hollingsworth. Il se fout de tout ce qui n’est pas du football.
Ce sport néandertalien est sa vie.
Alors que Beck n’est qu’en seconde, il attire déjà
l’attention des entraîneurs de l’université Big Ten. Ils sont
impatients de l’inscrire sur leur liste. S’il avait pu aller
directement en ligue nationale de football après son
diplôme, il l’aurait fait. Or ce n’est pas possible. Les joueurs
ne peuvent participer qu’à partir de leur deuxième année
d’université. Le père de Beck est allé encore plus loin en
insistant pour qu’il attende sa seconde année, parce que, je
cite : « aucun de mes fils n’abandonnera l’université. »
Beck sera la preuve irréfutable que les compétences
permettent vraiment d’obtenir des diplômes.
Alors que mon regard se perd sur la foule d’yeux vitreux,
il se heurte à des iris verts et brillants. Un frisson parcourt
mes veines lorsque nos regards se croisent. Les muscles de
mon ventre se tordent.
Une fois que j’ai compris ce qu’il se passe, je tempère ma
réaction. Ma vie a été remplie de milliers de petits moments
comme celui-ci. Des moments que j’aime prétendre n’avoir
jamais existé.
Pour ce que j’en sais, cela peut être une mauvaise
digestion à cause des sushis que j’ai pris à la station-service
hier soir.
Il y a plein de possibilités, n’est-ce pas ?
Au lieu de détourner le regard, je le fixe et me renfrogne.
Ce que j’ai appris, c’est qu’il fallait faire preuve d’audace
dans ces situations plutôt que de tourner les talons et de
fuir. L’arc de cupidon parfait de la bouche de Beck se
soulève pour former un sourire complice avant qu’il ne
courbe le doigt.
Un rire étrange s’élève dans ma gorge.
Je ne pense pas, mon pote.
Je ne suis pas une de ces filles sans cervelle avec qui il
joue habituellement. J’ai un cerveau fonctionnel, et j’aime
l’utiliser pour prendre des décisions qui ne se retourneront
pas contre moi. Contrairement à Beck, j’ai un bon instinct de
conservation.
Je serre les lèvres avant de secouer négativement la tête.
Un sourire de prédateur s’étire sur son visage, lui
donnant un air séduisant. Avec ses cheveux noirs ébouriffés,
ses pommettes saillantes qui témoignent de son héritage
russe et ses sourcils épais, il est un danger pour toutes les
femmes. Je ne mentionnerai pas le fait que son corps
semble être taillé dans la pierre. Des épaules larges et une
taille fine complètent l’ensemble.
C’est presque un soulagement quand une fille en bikini
s’interpose entre nous, coupant notre connexion.
Maintenant, son regard perçant ne me retient plus, et je
peux expirer tout l’air de mes poumons.
Alyssa saisit ma main.
— Il est là, murmure-t-elle, excitée par le brouhaha des
voix et la musique. Oh mon Dieu, c’est un fantasme vivant.
Je scrute la foule de nouveaux diplômés du lycée avant
de trouver Colton.
Bien sûr, je l’admets, il est aussi sexy que Beck. Au lieu
d’avoir des cheveux courts et foncés, il a des cheveux blond
doré. Il est rasé de près, et ses mèches tombent sur son
visage, si bien qu’il les écarte constamment de ses yeux
bleus et brillants. Il est grand et musclé. Si je n’allais pas à
l’école avec lui depuis le primaire, je le soupçonnerais
d’avoir redoublé quelques classes. Même ses muscles sont
musclés.
Les filles tournent déjà autour de lui, se disputant son
attention. Ce type est comme une rock star qui choisit les
groupies avec lesquelles coucher avant la fin de la nuit.
— Il est passable, marmonné-je, voulant minimiser son
charme.
— Tu es tellement dans la merde que tu deviens aveugle.
Il est plus que passable, et tu le sais.
— Mmmh, rétorqué-je en fronçant le nez. C’est
dégueulasse.
— Concentre-toi !
Elle fait claquer ses doigts devant mon visage.
Je fournis un dernier effort pour la convaincre.
— Tu peux avoir mieux que Colton. Il sait exactement à
quel point il est sexy et en profite chaque fois qu’il en a
l’occasion. Trouve quelqu’un comme… commencé-je en me
mettant sur la pointe des pieds et en balayant la masse de
corps du regard avant de trouver le gars parfait pour Alyssa,
Landon Mathews. Non seulement il est beau, mais en plus il
est adorable.
L’expression d’Alyssa devient pensive alors qu’elle
détaille le grand type brun comme l’encre et aux yeux bleu-
vert et inhabituels. Il se tient debout avec un groupe de
joueurs de football, riant à ce que l’un d’entre eux vient de
dire.
— Il est vraiment canon, admet-elle.
Pendant un super moment, mon esprit s’emballe. Peut-
être qu’elle laissera tomber cette histoire avec Colton
Montgomery et ira vers quelqu’un de plus accessible.
Landon est un type bien. Il est aussi sexy que ses amis, sauf
que ce n’est pas un véritable connard.
Malheureusement, il n’est pas aussi populaire que Colton
ni Beck, car il a l’étiquette du « bon gars ».
Je veux dire, pourquoi sortir avec un gentil garçon quand
on peut avoir un type qui nous traite comme de la merde ?
Malheureusement, personne.
Sauf que… il semblerait y avoir beaucoup plus de vérité
dans cette affirmation que la plupart des femmes ne
souhaiteraient l’admettre sans être gênées. Qu’elles le
réalisent ou non, ces filles ont été conditionnées pour
désirer les abrutis inaccessibles.
C’est troublant à plusieurs niveaux.
— Et l’avantage, poursuivis-je, c’est qu’il sait que tu
existes !
— Hmm, excuse-moi, Colton sait que j’existe, grogne-t-
elle.
— En es-tu certaine ?
Elle se mord la lèvre alors que nous jetons un coup d’œil
à l’homme en question qui – ô surprise ! – est entouré d’une
ribambelle de filles peu vêtues et en compétition pour
obtenir son intérêt.
Oh, oh.
Alyssa a ce regard. Celui qui me dit de ne pas essayer de
la faire changer ses plans.
Et elle me le confirme lorsqu’elle dit :
— Souhaite-moi bonne chance, j’y vais.
Ça valait le coup d’essayer.
— Bonne chance.
L’une des meilleures qualités d’Alyssa est qu’elle
n’abandonne jamais. Cette fille peut être aussi tenace et
insistante qu’un terrier. Et parfois, aussi hargneuse.
Dans le cas présent, c’est plutôt un mauvais point.
Quand elle s’éloigne, je place mes mains autour de ma
bouche et crie :
— Peut-être que tu devrais enlever ta culotte pour lui
montrer ta chatte. Comme ça, il saurait que tu es une valeur
sûre.
Elle se retourne avec un sourire.
— Excellente idée.
Ma mâchoire se décroche quand elle retire sa culotte et
la jette dans ma direction.
— Bon sang, meuf ! Je plaisantais ! C’était du sarcasme.
Je jette un coup d’œil sur le tissu que je serre dans ma
main maintenant.
— Qu’est-ce que je suis censée faire de ça ?
Elle hausse les épaules.
— La garder en souvenir ?
Beurk.
— Je ne pense pas.
Je me dirige vers la poubelle et la jette. Quand je me
retourne, Alyssa est en train de se frayer un chemin à
travers la foule, se rapprochant de plus en plus de Colton et
de son harem.
Malgré tout, cela devrait être divertissant. Il me faut un
moment pour réaliser que je suis seule à une fête à laquelle
je ne voulais pas aller. Je sors mon téléphone de ma poche
arrière et y jette un coup d’œil.
Encore cinquante minutes environ.
Cette heure risque d’être la plus longue de ma vie. Peut-
être que je devrais rentrer et prendre un verre. Vu le nombre
d’idiots bourrés autour de moi, je suppose que l’alcool coule
à flots. Je me fraie un chemin à travers la foule et entre
dans la cuisine avant d’observer la scène.
Si la mère de Beck voyait tous ces gens poser leur cul sur
son meuble en marbre blanc et poli, elle aurait
probablement une attaque. Elle est un peu germaphobe. Il y
a une fille à moitié nue étendue sur l’îlot, un citron vert
entre les dents, alors qu’un footballeur se sert de la tequila
dans son nombril.
Je ne suis pas une maniaque de l’hygiène, mais cela ne
semble pas vraiment hygiénique.
Quelques personnes me saluent alors que je me dirige
vers le tonneau et que je me place dans la file d’attente. Je
suis en train de discuter avec une fille du cours de français
qui prend une teinte verte peu flatteuse et se précipite vers
les toilettes les plus proches, les mains plaquées sur sa
bouche. Elle abandonne toute idée de se resservir et se
dirige vers le couloir. J’espère vraiment qu’elle arrivera à
temps. Caroline sera furieuse si elle découvre que quelqu’un
a vomi sur ses sols en marbre.
Une fois que j’ai mon gobelet de bière en main, je me
dirige vers le patio pour voir les avancées d’Alyssa.
Suis-je une mauvaise amie d’espérer qu’elle ait échoué
et qu’elle jette l’éponge pour la nuit ? Probablement, mais je
peux faire avec.
Au lieu de trouver une Alyssa déprimée, qui pleurerait
dans un coin, je suis stupéfaite de découvrir qu’elle s’est
frayé un passage jusqu’au groupe. Qui sait ? Peut-être
qu’elle a une chance d’être choisie parmi les autres.
Cela pourrait changer la donne pour elle.
Je suppose que cela signifie que je suis coincée ici. Je
balaie du regard le patio, à la recherche d’un endroit où me
poser. La propriété des Hollingsworth fait environ un
hectare, comme la nôtre. L’espace autour de la piscine est
entouré d’une barrière en fer noir et de grands arbres
pointant vers le ciel nocturne. À l’arrière du portail, une
chaise longue inoccupée porte mon nom. Je vais y rester
quarante minutes avant de traîner le cul nu d’Alyssa jusqu’à
ma maison.
Avant que je n’aie pu faire trois pas, une voix grave
couvre le vacarme de la fête.
— Bien, bien, bien. Regardez qui a décidé de faire une
apparition ce soir.
Je me retourne, sachant pertinemment qui je vais
trouver.
Beck.
Même si c’est difficile, j’essaie de ne pas admettre à quel
point il est séduisant dans son short écossais qui descend
sur ses hanches, dévoilant les lignes de ses abdos qui
disparaissent sous la ceinture. Les muscles de ses bras et
de son torse suffisent à mettre la plupart des filles à
genoux.
Le mot clé dans cette phrase étant « la plupart ».
Mais je ne fais pas partie de ces filles idiotes.
— Venir ici ce soir n’était pas mon idée. J’ai été traînée
de force.
— Ouais. J’ai pensé que tu aurais mieux à faire que de
traîner avec une bande de connards défoncés.
Un point pour lui.
— Tu me connais trop bien.
La gorge sèche, je porte mon gobelet à mes lèvres. Avant
que je ne puisse boire une gorgée, il m’arrache la boisson
des mains et la porte à sa bouche. Je regarde sa gorge
bouger alors qu’il vide le contenu de mon verre.
— C’est impoli, non ?
Mes poings se calent sur mes hanches.
— Pourquoi tu as fait ça ?
Il hausse les épaules. Même s’il s’agit d’un léger
mouvement, ses muscles se contractent, et l’attirance naît
au plus profond de moi.
— Tu ne devrais pas boire.
— Pardon ?
Mes yeux s’écarquillent et un rire s’échappe de ma
bouche.
— Tu es sérieux, là ?
Je désigne la foule ivre qui nous entoure. Il n’est même
pas 23 heures, et les gens comatent déjà sur des chaises
longues.
— Regarde autour de toi, mec, tout le monde est bourré.
J’espère qu’il y a quelques conducteurs désignés dans ce
groupe, sinon Uber va se faire un sacré paquet d’argent ce
soir.
Dès que Beck sourit, je sais que sa réponse est
spécialement formulée pour m’énerver.
— C’est possible, mais tout le monde sait que tu es une
fille bien. Et les filles bien ne boivent pas. Je ne voudrais pas
que la société des bonnes filles révoque ton adhésion. Tu as
travaillé si dur pour l’obtenir.
Mes yeux se plissent jusqu’à devenir des fentes.
L’attirance qui s’est manifestée si rapidement s’éteint sous
l’effet de ses taquineries.
Je déteste qu’il me désigne ainsi. Et il le sait, et c’est
précisément la raison pour laquelle il continue. Beck n’aime
rien d’autre que de se glisser sous ma peau. Il est comme
une éruption cutanée dont je n’arrive pas à me débarrasser,
peu importe le nombre d’antibiotiques que j’utilise.
C’est irritant.
— Je ne suis pas une fille bien, grogné-je avant
d’enfoncer un doigt dans son torse ridiculement dur. Et tu
n’es pas mon chaperon. Je peux boire si je le veux.
D’une voix hautaine, je rappelle :
— C’est à moi qu’on demande de baby-sitter ton cul. Pas
l’inverse.
Il avance dans mon espace personnel.
Au lieu de reculer, je campe sur mes positions. Je refuse
de le laisser m’intimider.
— Tu dois me baby-sitter ? Hmm… J’aurais bien besoin
d’une baby-sitter ce soir.
Ses doigts tracent un chemin jusqu’au centre de ma
poitrine, s’attardant sur le creux entre mes seins.
— Devrions-nous aller ailleurs pour que tu puisses me
montrer tout ce que ton service inclut ?
Sa proximité a un drôle d’effet sur moi et trouble mon
jugement. Au lieu de le repousser, je suis tentée de me
rapprocher.
Mon corps bouge avant que ma raison ne me revienne en
pleine face, et je repousse sa main.
— Va en enfer.
— Tu vois ?
Il s’esclaffe comme si j’avais confirmé son point de vue.
— Une vraie bonne fille.
— Je ne suis pas aussi bien que tu le penses.
Les mots sortent de ma bouche avant que je ne puisse
les retenir. Pour être claire, il s’agit d’un mensonge. Je suis
bien une bonne fille. Probablement bien plus qu’il ne le
pense. Je dois l’être.
— C’est vrai ?
Il se rapproche de moi jusqu’à ce que la pointe de mes
seins frôle son torse nu.
— Chérie, je donnerais tout pour tester cette théorie,
mais nous savons tous les deux que tu seras toujours
Mia Stanbury, mademoiselle parfaite.
Et il sera toujours Beckett Hollingsworth. Le gars qui ne
contrôle pas ses impulsions et qui ne peut pas marcher dans
le couloir du lycée sans s’attirer d’ennuis. Le même qui ne
peut pas rester seul chez lui une nuit sans inviter une
centaine de ses amis les plus proches pour une soirée
imprévue.
Nous sommes des opposés dans tous les sens du terme.
— Tais-toi, Beck.
Je n’avais jamais rencontré quelqu’un qui ait le pouvoir
de m’exciter et de m’énerver en même temps. Si jamais il
usait de son charme, je serais grillée. Il est capable de faire
fondre la culotte d’une fille juste avec un regard bien
calculé. Je l’ai vu faire de mes propres yeux. Je refuse d’être
l’une de ces femmes ridicules. Je ne veux pas être utilisée et
jetée comme un kleenex usagé.
Je ne réalise pas que je suis perdue dans mes pensées
jusqu’à ce que ses doigts saisissent mon menton, le
soulevant pour que je sois obligée de croiser son regard
lumineux.
— Qu’est-ce qu’il y a ? La vérité blesse ?
— Il n’y a rien que tu puisses me dire pour me blesser.
Si seulement c’était vrai.
Son visage se rapproche jusqu’à ce qu’il remplisse mon
champ de vision, effaçant la fête.
Mon monde se rétrécit autour de nous jusqu’à ce qu’il n’y
ait que Beck. Mon souffle se bloque dans mes poumons et
brûle comme un feu avant de se propager au reste de mon
corps. À tout moment, je peux m’embraser.
Qu’est-ce que je fais ?
Je devrais m’éloigner, mais je suis incapable de faire
autre chose que de soutenir son regard et de fondre sous
son charme.
— Beck, bébé ! lance une voix féminine à travers le
vacarme de la fête. Par ici !
Même si elle continue à bêler comme un mouton, nos
regards restent accrochés pendant plusieurs longs
battements de cœur, et je me demande presque s’il va
l’ignorer. Or elle insiste, et répète son nom jusqu’à ce qu’il
rompe notre connexion et se retourne.
Dès que je suis libérée, l’air s’échappe de mes poumons
et mon corps s’affaisse de soulagement. Ou peut-être est-ce
de déception. J’étouffe mes émotions pour ne pas m’y
attarder davantage.
Que se serait-il passé si nous n’avions pas été
interrompus ?
Rien de bon.
C’est exactement pour ça que j’évite Beck à tout prix.
Même si nous sommes constamment en train de nous
envoyer des piques, il a une attirance électrique qui
bourdonne sous la surface. Aucun autre homme n’a jamais
provoqué ce genre d’émotions en moi. J’ai autant envie de
le gifler que de l’embrasser.
Le bon sens me revient en pleine face quand je me
concentre sur la blonde au corps de déesse qui se trouve à
vingt mètres de moi. Ava Simmons porte un minuscule bikini
qui laisse peu de place à l’imagination. Une fois qu’elle a
toute l’attention de Beck, elle tend la main et détache les
ficelles qui maintiennent les minuscules triangles en place.
Le tissu tombe sur le ciment à ses pieds. Elle laisse Beck –
et toutes les personnes dans le quartier – profiter de ses
seins avant de courir et de sauter dans la piscine.
Les gens applaudissent, et d’autres filles se débarrassent
de leur haut pour suivre Ava dans l’eau.
Un sourire se dessine sur le visage de Beck qui me jette
un coup d’œil. Une lueur de défi s’allume dans ses yeux
tandis qu’il penche sa tête vers la piscine. L’eau éclabousse
le bord du carrelage azur tandis que d’autres personnes
plongent.
Oh, mon Dieu, non.
Mon cœur bat la chamade, et je lève les mains en signe
de reddition.
— Désolée, je n’ai pas pris de maillot.
Son sourire devient prédateur.
— On dirait que tu n’en as pas besoin.
Ouais… ça n’arrivera pas.
— Aussi amusant que ça puisse sembler, je passe mon
tour, annoncé-je en agitant un bras en direction de la
piscine. Mais que ça ne t’empêche pas de te mêler à tes
invités. Ava attend.
Torse nu. Du coin de l’œil, je vois ses abdos bouger
comme des dispositifs de sécurité gonflables.
Quand son attention se porte sur les gens qui
s’éclaboussent, je le suis du regard. Il est tellement plus
facile de détourner les yeux que de soutenir l’intensité de
son regard. Même lorsque cette option consiste à regarder
une bande de filles aux seins nus que je connais depuis
l’école primaire. Je n’observe pas les gars qui traînent dans
le coin, cependant, je suis certaine que la plupart sont
sportifs.
Honnêtement, s’il n’y avait pas Alyssa, je me tirerais d’ici
avant que ça ne tourne à l’orgie.
Beck s’approche, et mon regard croise le sien.
— Tu es sûre que je ne peux pas te convaincre de nager ?
— Non, confirmé-je en secouant la tête.
— Dommage. Cela aurait largement prouvé le fait que tu
n’es pas la gentille fille que j’ai toujours cru que tu étais.
Avant que je ne puisse formuler une réplique acerbe, il
court et plonge la tête la première dans l’eau. J’aperçois le
tissu écossais alors qu’il disparaît sous la surface.
Un mélange entre le soulagement et la déception
s’insinue en moi jusqu’à ce que j’étouffe. C’est cette
dernière émotion que j’ai du mal à accepter.
Le souffle court, je me dirige vers l’une des nombreuses
chaises longues qui entourent la piscine et m’installe sur un
coussin moelleux. Je jette un coup d’œil autour de moi pour
trouver Alyssa, espérant qu’elle ait abandonné Colton pour
qu’on puisse rentrer. Il n’est pas trop tard pour sauver la
soirée avec une pizza et un film. Au lieu de ça, je la trouve
dans la piscine.
Seins nus.
En train de rouler une pelle à Colton.
Génial.
J’ai beau vouloir partir, je ne peux pas la laisser seule ici.
Dieu seul sait ce qui se passera si je le fais.
Avec un gémissement, je ferme les yeux et me prépare à
une longue nuit.

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A PROPOS DE L'AUTEUR

Jennifer Sucevic est une auteure de best-sellers au classement de USA Today qui
a publié dix-neuf romans « New Adult » et « Mature Young Adult ». Son œuvre a
été traduite en allemand, en néerlandais et en italien. Jen est titulaire d’une
licence en histoire et d’une maîtrise en psychologie de l’éducation, de
l’Université du Wisconsin-Milwaukee. Elle a commencé sa carrière en tant que
conseillère d’orientation dans un collège, un métier qu’elle a adoré. Elle vit dans
le Midwest avec son mari, ses quatre enfants et une ménagerie d’animaux. Si
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