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Prologue
1. Carpe Diem
2. Paria un jour, paria toujours ?
3. Chercher une aiguille dans une botte de foin
4. L’antre du prédateur
5. Du strip au strip-tease, il n’y a qu’un pas
6. Réfléchir avant d’agir ? C’est surfait
7. Les hallucinations ne posent pas de strips
8. Le faux pas de trop
9. La curiosité est un vilain défaut
10. Prise au piège
11. Docteur Charlie
12. Le retour de Red Fion
13. Saleté de joueur !
14. Vilains petits secrets
15. Croquer la pomme à pleines dents
16. Frères de cœur
17. L’heure de vérité
18. Exercice de respiration
19. Vole, Red Falcon
20. À deux doigts du drame
21. Questions - réponses
22. Invités surprises
23. Les règles du jeu
24. L’art de soigner les bleus à l’âme
25. Infiltration ennemie
26. Qu’il s’étouffe avec son collier !
27. Le bonbon de la discorde
28. Le calme avant la tempête
29. Pris en flag
30. Le véritable adversaire
31. Règle numéro deux : ne jamais se retrouver seule
32. Confessions intimes
33. Le passé finit toujours par nous rattraper
34. Réunion d’urgence
35. Il n’y a que la vérité qui blesse
36. Retour au point de départ
37. C’est dans l’adversité qu’on se révèle
Épilogue
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© Aurore Payelle, 2023
© Éditions Plumes du Web, 2023
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ISBN : 978-2-38151-139-9
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À ceux qui se sentent mieux dans la solitude de leur chambre que dans la
foule,
À ceux qui ont passé tant de temps à se préoccuper de ce que pensent les
autres qu’ils en ont oublié d’exister pour eux-mêmes.
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Prologue
Weston
Trois semaines plus tôt
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1.
Carpe Diem
Charlie
Mon téléphone vibre entre mes mains pour la quatrième fois en l’espace
de quelques minutes.
Manille : T’as intérêt à te magner, sinon je viens te chercher par la
peau des fesses. Où que tu sois.
Assise sur les toilettes de l’université, couvercle baissé, je fixe sans
entrain le message menaçant de ma colocataire. Je la connais par cœur et je
sais qu’elle ne plaisante pas. Quand elle affirme quelque chose, elle le fait.
Manille serait bien capable de traverser la ville pour me forcer à quitter
cette cabine.
Je jette un coup d’œil à ma montre en grimaçant. Ouaip, je suis on ne
peut plus à la bourre. J’avais promis que je la rejoindrais au bar pour
qu’elle me présente ses copines, mais c’est plus fort que moi, je n’arrive pas
à me convaincre de bouger d’ici. Chassez le naturel, il revient au galop !
Cela doit bien faire vingt minutes que je me suis enfermée là, à essayer de
me raisonner. Il n’y a rien à faire. La vérité, c’est que je n’ai aucune envie
de me rendre à cette stupide soirée. Pour preuve, les cours sont terminés
depuis un moment et je ne suis même pas rentrée me changer. Cette longue
et difficile première semaine passée à l’U-Dub{2} n’a fait que confirmer ce
que je savais déjà : je ne suis pas prête à retrouver une vie sociale normale.
Tout ce dont j’ai envie, en cet instant, c’est de rejoindre mon lit.
Je pousse un soupir interminable, puis je finis par décoller mon derrière
devenu douloureux de son trône. De toute façon, si je ne me pointe pas là-
bas, mon frère, Bill, l’apprendra et ça chauffera pour mon matricule. Il a été
clair avec moi, si je ne fais aucun effort d’adaptation et que je continue de
m’isoler, il me renverra illico chez mes parents. Et retourner à Denver, il
n’en est pas question.
J’inspire un grand coup, puis je tape un court message à l’attention de
Manille, lui signifiant mon arrivée prochaine. J’entre le nom du bar où elle
se trouve sur mon GPS. La ville de Seattle ressemble à s’y méprendre à un
véritable labyrinthe. Ça ne fait que quelques jours que j’ai atterri ici. Mis à
part mon frère et sa copine – alias ma nouvelle coloc –, je ne connais
personne. Si ce n’est peut-être le gérant de la supérette qui commence à
avoir l’habitude de me voir débarquer à toute heure pour me ravitailler en
cette drogue délicieusement nommée cappuccino au chocolat blanc.
Je rejoins la sortie de l’immeuble d’un pas las. Par chance, notre lieu de
rendez-vous ne se trouve qu’à trois rues, pile à mi-chemin entre mon
appartement et mon amphi. J’entame ma troisième année d’études
d’infirmière. Enfin, pour être plus exacte, je redouble ma troisième année.
Après l’échec de ma scolarité à Denver, il devenait vital de repartir sur des
bases… plus saines. Face aux difficultés que je rencontrais là-bas, mon
frère a réussi à convaincre mes parents de me laisser le rejoindre à Seattle.
Sur le coup, j’avais trouvé l’idée extrêmement attrayante, mais après ces
cinq jours passés dans la grisaille locale… je n’en suis plus aussi persuadée.
Dehors, le temps est à la pluie, pour ne pas changer. Je rabats la capuche
de mon sweat sur mes cheveux châtains tout en frissonnant. Je peux
reprocher beaucoup de choses à Denver, mais au moins, il y faisait beau la
plupart du temps. L’humidité, ce n’est pas vraiment mon truc.
Mon sac de cours sur l’épaule, je hâte le pas, bien décidée à en finir avec
cette horrible journée. Je n’ai rien contre les gens, mais moins il y en a dans
un même endroit, mieux je me porte. Considérons cette soirée comme une
simple formalité… Plus vite je prouverai à Manille que je fais des efforts de
sociabilisation, plus vite je pourrai rentrer me mettre au chaud.
Après dix bonnes minutes de marche, je finis par apercevoir l’enseigne
aux couleurs de l’Irlande dont Manille m’a parlé. Il paraît que c’est le
quartier général de l’équipe de hockey universitaire, les Huskies. Mon frère
y joue en tant qu’attaquant depuis quatre ans, il en est même devenu le
capitaine.
Arrivée devant la porte, je ne réfléchis pas. Je la pousse d’un coup sec et
m’engouffre à l’intérieur en retenant mon souffle. Si je prends le temps de
peser le pour et le contre, je rebrousserai chemin. Mon pouls s’agite
quelque peu. Un décompte commence alors dans mon esprit comme un
réflexe détestable ancré au plus profond de mon crâne. Je tente de chasser
les chiffres qui s’imposent dans mes pensées, sans y parvenir.
Un. Deux. Trois. Quatre. Cinq.
Encore vêtue de ma capuche parsemée de fines gouttelettes d’eau, je
traverse l’allée principale sous la lumière tamisée des ampoules. Je fouille
les environs d’un coup d’œil rapide. Une vague de soulagement m’envahit
quand je découvre ma future belle-sœur attablée avec ses copines.
Six.
Rassurée, je m’arrête de compter. Je m’empresse de rejoindre Manille et
ses yeux s’ouvrent comme deux billes lorsqu’ils se posent sur mon visage.
Mon estomac exécute un looping douloureux. Aïe, j’ai une allure si
pitoyable ?
— Sa-salut, bégayé-je en essayant de ne pas paraître déstabilisée par le
regard qu’elle me jette.
Les deux autres filles, maquillées et apprêtées pour la soirée qui doit
suivre, me reluquent d’un air étrange. Elles doivent me prendre pour une
extraterrestre dans mon pull aux manches trop longues et mon short en jean.
Manille sourit tout en me dévisageant sans savoir quoi dire. Visiblement,
elle ne s’attendait pas à me voir débarquer avec des yeux rouges, des
paupières enflées et mon sac de cours sur le dos.
— Hem, se racle-t-elle la gorge. Tu as fini plus tard que prévu, on dirait.
J’acquiesce en silence, elle poursuit.
— Bien… les filles, c’est Charlie, la sœur de Bill. Charlie, voici Aimy et
Brittany.
Je les salue brièvement avant de détailler les alentours avec attention.
Après un inventaire minutieux et aussi discret que possible, j’ai remarqué
deux portes, trois fenêtres ainsi qu’un couloir. Par chance, il n’y a aucun
client suspect. En même temps, il n’y a pas grand monde dans la salle. Je
m’attendais à tomber sur une bande de hockeyeurs aux visages peinturlurés
de deux gros traits noirs au niveau des pommettes, mais force est de
constater que les Huskies ne sont pas présents. Je n’ai rien contre eux,
cependant les rares coéquipiers de mon frère que j’ai eu l’occasion de
rencontrer ces dernières années avaient l’air d’avoir reçu de trop nombreux
palets sur le casque. « Des filles, du sexe et des matchs ». Ce leitmotiv
résume assez bien les attentes des sportifs en général.
— Charlie, tout va bien ?
J’esquisse un sourire factice et tâche de me reconcentrer sur la
conversation. Manille se retourne vers ses amies pour leur adresser un rictus
gêné, puis elle me fixe à nouveau. Je crois qu’elle tente de me faire passer
un message. Ses deux grosses billes noisette font l’aller-retour entre mon
crâne et mon visage un bon moment avant que je ne comprenne. Je retire
ma capuche en me retenant de lever les yeux au ciel. Venir dans ce bar m’a
déjà demandé beaucoup de courage et, désormais, je suis à deux doigts de
repartir en courant. Encore plus quand ses copines me jaugent de cette
façon.
— Alors, Charlie… commence prudemment Aimy, la rousse qui se tient
à ma droite, tu te plais bien, ici ?
— J’ai un peu de mal à me faire au climat, répliqué-je, une grimace aux
lèvres. Mais la ville a l’air sympa.
— Tu verras, d’ici quelques semaines, tu ne voudras plus jamais quitter
Seattle, me lance-t-elle sur un ton amical pendant que sa voisine de tablée
plisse les paupières.
— J’ai déjà entendu Bill parler de toi, intervient la blonde aux cheveux
ondulés. Tu es la petite sœur prodige qui a sauté une classe. Tu es en
médecine, c’est ça ? C’est drôle, je t’imaginais avec une paire de lunettes
d’intello.
Pardon ?
Ma salive fait fausse route. Cette fille ne manque pas de culot. De un, je ne
suis pas en médecine et de deux, « prodige » n’est pas le mot que j’aurais
utilisé pour me qualifier. Si un jour je l’ai été, j’ai maintenant bien du mal à
garder un niveau satisfaisant en cours. Mes parents auraient tellement aimé
que Brittany dise vrai. Malheureusement pour eux, leur parfaite petite Charlie
est morte en même temps que les neuf autres étudiants de son ancienne
université et elle ne reviendra jamais. Malgré tous leurs efforts.
— Charlie ?
Perdue dans mes souvenirs, il me faut un moment pour réagir lorsque
Manille m’appelle. Je sursaute et elle vient à ma rescousse en enroulant son
bras autour de mes épaules. Heureusement que la copine de Bill me connaît
bien, sinon je ne sais pas comment je ferais pour ne pas passer pour une
folle dingue auprès de ses amies.
— Ma nouvelle coloc a réussi l’exploit de choper un rhume en moins de
sept jours à Seattle. Je vais l’aider à avoir meilleure mine avant qu’on
débarque chez Frank.
Elle m’attrape par le bras et m’entraîne en direction des toilettes, tout en
chuchotant à mon oreille.
— T’es sûre que ça va ?
— Oui, pourquoi ?
— Parce que tu as une tête de déterrée. Et puis, ça fait des plombes qu’on
t’attend. Les filles voulaient partir sans toi. Qu’est-ce qu’il t’est arrivé ? Je
m’inquiétais.
— Rien de bien grave. J’étais à la bibliothèque.
— Les cours débutent à peine. Personne ne perd son temps à étudier la
semaine de la rentrée.
— Moi si, éludé-je.
— Et la vérité, sinon ?
— Je n’avais pas envie de sortir, sifflé-je.
— Pourquoi est-ce que je ne suis pas surprise ? Bon, le principal, c’est
que tu sois venue. Je sais que ça te demande beaucoup d’efforts, mais je te
promets que ça va bien se passer. On connaît toutes les personnes présentes
à la soirée.
Je hausse les épaules pendant qu’elle referme la porte des toilettes
derrière nous.
— Je suis là uniquement parce que c’est ce que Bill attend de moi.
— C’est déjà une belle avancée. Bon, à nous, maintenant.
Dos au mur, les bras croisés sur la poitrine, j’observe Manille qui fouille
dans son sac pour en sortir suffisamment de fond de teint pour repeindre
une pièce entière.
— Heureusement que j’ai toujours un peu de maquillage avec moi,
déclare-t-elle avec fierté.
— D’ailleurs, en parlant de Bill, où est-il ?
La brune qui se trouve être fiancée à mon crétin de frère secoue la tête.
— Il participe à un entraînement surprise avec les nouveaux de l’équipe. Il
nous rejoindra chez Frank dans la soirée. Bill se donne à fond, en ce moment,
en prévision des sélections. Je crois qu’il a de bonnes chances d’être recruté
en ligue pro à la fin de l’année. L’université, c’est bientôt terminé, tu t’en
rends compte ?
— Mouais, parle pour toi, maugréé-je. J’ai l’impression qu’il me reste
une éternité avant de terminer mes études.
— Allez, ne fais pas cette tête. On a encore plusieurs mois à passer
ensemble, je vais bien m’occuper de toi. On va commencer par camoufler ces
vilaines rougeurs, approche.
Je m’exécute sans broncher. Je me hisse près du lavabo tandis que
Manille papillonne des cils. Je connais ce sourire et il n’annonce rien de
bon.
— Bill n’arrivera que tard dans la soirée… Tu sais ce que ça signifie ?
— Vas-y, fais-moi rêver.
— Ça veut dire que je vais pouvoir te présenter plein de monde. Des
filles… comme des mecs !
Je retiens une grimace en rejetant ma tête en arrière. Aïe, c’est
exactement ce que je craignais. J’imaginais mes premiers jours à Seattle en
mode hibernation et films projetés sur le mur, à écumer le catalogue des
Disney. Pas en mode gueule de bois et paillettes.
— Ah… cool, déclaré-je sans entrain.
— Tu verras, les Huskies sont super sympas. On va passer un bon
moment.
— Si tu le dis.
— Charlie… murmure-t-elle en m’adressant un sourire attendri. Je sais
que tu n’as pas envie de sortir, mais tu ne crois pas qu’il est temps que tu
recommences à vivre ? À notre âge, on devrait s’éclater et profiter de
chaque instant. Tu ne peux pas gâcher ta vie à te méfier de tout. Carpe
Diem ! Le passé est le passé. Ce qui est arrivé à Denver, c’était là-bas. Pas
ici.
J’acquiesce malgré moi. Même si en mon for intérieur, je sais qu’elle dit
vrai, mon cerveau a du mal à accepter que j’avance. Quitter Denver était
nécessaire pour ma santé, mentale comme physique. Cependant, je ne suis
pas certaine que cette nouvelle vie à Seattle soit celle dont j’ai rêvé. À quoi
bon se forcer à entrer dans un moule, à côtoyer des gens qu’on m’impose,
alors que je n’ai qu’une envie, prendre mes jambes à mon cou ?
— Je ne sais pas trop…
— Écoute, je te propose qu’on fasse un tour à la soirée. Si ça ne te plaît
pas, tu n’auras qu’à rentrer. C’est à dix minutes à pied de l’appart et tu as
les clés.
Les mains coincées entre mes cuisses, je hoche la tête tout en fixant les
fines lignes rosées sur mes poignets. Si les cicatrices sur la peau
s’estompent avec le temps, celles qui demeurent invisibles ne guérissent
jamais réellement.
— Allez, Charlie. Tu n’as qu’une vie. Profites-en.
Une vie… C’est ironique quand j’y pense. Comment appeler cet état
intermédiaire dans lequel j’évolue depuis le drame de Denver ? Les pensées
confuses, je laisse Manille terminer son travail. Tourner la page n’a rien
d’évident. J’ai passé des mois à essayer d’oublier, en vain.
— Charlie, gronde-t-elle. Arrête de ressasser. Je te connais comme si je
t’avais faite. Si je ne t’oblige pas à sortir, tu vas rester enfermée dans ta
grotte. Ce qu’il te faut, c’est de la nouveauté… ainsi qu’une bonne dose de
Martini.
— Du Martini, vraiment ? répliqué-je, un sourire en coin.
— Ouaip. Et puis tu verras, ce sera l’occasion idéale de rencontrer du
monde. Des gens de confiance.
— Je pourrais aussi les rencontrer plus tard. Genre dans une ou deux
semaines. Ce n’est pas pressé. Et puis là, je suis un peu fati…
Mon interlocutrice se marre avant d’apposer sa touche finale, un fin trait
d’eye-liner.
— Tu peux bien me raconter tout ce que tu veux, tu sais que je ne
changerai pas d’avis. Je suis têtue comme…
— … une mule. Bill le répète sans arrêt, me moqué-je gentiment.
J’attends qu’elle repose ses accessoires avant d’oser un regard en
direction du miroir.
— Le résultat est pas mal, mais tout ce maquillage était obligatoire ?
— Pour quelqu’un qui se pointe à une fête en sweat à capuche,
absolument. Comment tu comptes attirer des mecs dans tes filets, sinon ?
— J’en sais rien, avec de la conversation, par exemple ?
— Oh, Charlie, la conversation, ça ne fonctionne pas. Avant de t’adresser
la parole, rappelle-toi que les hommes sont dotés d’yeux.
— Et d’un cerveau, j’ose espérer.
— Si tu veux parler de celui qu’ils ont entre les jambes…
Elle lâche un rire graveleux qui me fait sourire.
— De toute façon, tu perds ton temps. Je ne suis pas venue ici pour me
trouver quelqu’un.
— Ouais, je sais. Mais t’as besoin de te changer les idées et je compte
bien t’y aider.
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2.
Paria un jour,
paria toujours ?
Weston
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3.
Chercher une aiguille
dans une botte de foin
Charlie
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4.
L’antre du prédateur
Charlie
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5.
Du strip au strip-tease,
il n’y a qu’un pas
Charlie
J’acquiesce malgré moi tandis que Weston retourne sur ses pas. Ce
dernier tire la table jusqu’à nous et me présente son nécessaire de soins,
posé juste à côté du couteau. La présence de cet objet me glace le sang. Je
l’ignore de mon mieux en me saisissant de la bouteille d’alcool à 70° d’une
main tremblante. J’en verse un peu sur mes doigts pour les désinfecter, puis
j’arrache un morceau de coton du sachet. J’en fais une petite boule et je
m’immobilise devant les yeux bleus de West braqués sur moi.
— Pas encore remise de tes émotions, à ce que je vois.
Je remue la tête pendant qu’il repousse l’arme blanche vers moi.
— Si ça te rassure, prends-la. Je te l’ai dit, elle ne t’est pas destinée. Je ne
te ferai rien. Je me protège juste des visiteurs indésirables.
Les mains crispées sur les genoux, je relève finalement le nez pour
l’affronter. L’angoisse dans mon ventre s’est transformée en un nœud
étrange. J’ai la bouche sèche, le cœur qui bat fort. Ses yeux d’un bleu foncé
peu commun cherchent les miens. Quand ils les trouvent, je me perds dans
les abysses profonds que j’y rencontre. Les eaux agitées qu’ils renfermaient
ont cédé leur place au calme serein d’un océan mystérieux.
— C’est peut-être toi qui as besoin de soins ?
Weston attrape délicatement mes doigts transis de peur. Il récupère le
coton qui s’y cache pour l’imbiber d’alcool avant de me le rendre. Son
index s’attarde sur mon poignet le temps de palper mon pouls.
— Ça va passer. L’adrénaline ne met que quelques minutes à
redescendre, mais ça, tu dois le savoir, non ?
Je confirme ses propos d’un mouvement lent de la tête et je prends
conscience qu’il a raison. L’adrénaline génère une augmentation de la
fréquence cardiaque ainsi qu’une hausse de la pression artérielle. Elle donne
à mon corps l’impression qu’il pourrait soulever des montagnes.
Rassérénée, je repousse doucement sa paume. Je me désinfecte à
nouveau les mains avant de nettoyer sa pommette. La faible luminosité de
la pièce m’oblige à me pencher vers lui pour mieux voir. D’une main, je
dégage les quelques mèches brunes qui lui tombent sur le front, de l’autre,
je m’applique à être la plus professionnelle possible. J’ignore les battements
erratiques de mon cœur alors que son souffle réchauffe ma joue. Les
picotements de l’alcool lui soutirent quelques grimaces, cependant il ne
bronche pas.
— Tu es infirmière ? m’interroge-t-il à voix basse.
— Plus ou moins.
— Plus ou moins ? Ce n’est pas une réponse, ça, murmure-t-il.
— Je suis seulement en troisième année.
— Oh, je vois. Laisse-moi deviner… Parcours scolaire impeccable, famille
aisée, sororité et tout ce qui s’ensuit ? Tu es la fille modèle dont rêvent tous
les parents, tu ne quittes jamais le droit chemin et tu passes ton temps plongée
dans les bouquins.
Mon ventre se serre et mon visage se ferme aussitôt. Weston ne peut être
plus proche et plus éloigné de la vérité à la fois. Ce qu’il décrit est l’exact
reflet de ma vie, ou du moins, ce qu’elle était il y a quelques mois encore.
— Les apparences sont souvent trompeuses. Je redouble, je ne dois pas
être si parfaite que ça.
Il fronce les sourcils, puis me dévisage comme s’il n’en croyait pas un
mot. Il fait la moue, réfléchit, puis en vient à la conclusion que c’est un
mensonge.
— Tu dis ça pour me prouver que j’ai tort. Je suis sûr que tu es une fille
brillante.
Je rigole en acquiesçant. Il n’est peut-être pas si bête, lui non plus.
— OK, Weston. Je t’accorde un point.
— Juste West.
— West, répété-je. Je redouble parce que j’ai raté trop de cours. Je n’ai
pas passé les examens.
— Et il y a une raison à ça ?
— Le monde n’est pas aussi rose que tu le penses.
— Tu marques un point.
Il rit et je me surprends à l’imiter. Mes yeux descendent jusqu’à sa
bouche entrouverte, ce que ses iris saphir remarquent. Il m’observe, les
dents plantées dans sa lèvre. Je recommence à désinfecter sa plaie pour ne
pas lui montrer à quel point son regard me trouble.
Weston ne peut avoir plus raison. Il y a encore quelques mois, je ne
sortais pas, je ne séchais pas les cours. Je n’ai jamais été en dehors des
clous. Et un jour, un drame est venu chambouler ma vie comme un
bulldozer qui détruit tout sur son passage. Irréversible et dévastateur. Dès
lors, la Charlie que j’étais n’a jamais totalement réussi à se relever.
Je place le strip sur la joue de Weston, puis je récupère sa main posée sur
sa cuisse pour y poursuivre les soins. Il frémit légèrement à ce contact
imprévu, mais me laisse faire. J’arrache un nouveau morceau de coton et
entreprends de désinfecter les éraflures présentes sur ses phalanges.
— Il devait être bien costaud, ce sac de frappe.
— Il y avait même plusieurs sacs de frappe, si tu veux tout savoir, avoue-
t-il à demi-mot.
— Et ça t’arrive souvent de… t’entraîner avec autant de sacs ?
La commissure de ses lèvres se soulève, mais il ne relève pas mes
propos. Son regard se voile et je cherche rapidement quoi dire pour relancer
la conversation.
— Je connais peu de gens qui ont des strips dans leurs tiroirs.
— J’en déduis que tu connais peu de mecs comme moi.
— Pas faux. Tu marques un autre point.
Je resserre ma prise sur sa main, rendue humide par le désinfectant qui
glisse entre mes paumes. Ses doigts s’accrochent aux miens, faisant rater un
battement à mon cœur.
— Comment est-ce que tu t’es retrouvée forcée à venir chez Frank, ce
soir ? m’interroge-t-il.
— Frank ? C’est qui ?
— Le mec à qui appartient cette maison.
— Ah ! Ma coloc m’a obligée à sortir. Il paraît que je suis censée
apprendre à m’amuser et à lâcher prise.
— Et est-ce que tu y arrives ?
Je hausse les épaules.
— Je dois encore travailler sur certains points, déclaré-je en riant. J’ai…
du mal à me sentir en sécurité dans des endroits inconnus.
— J’ai cru comprendre. Tu paniques souvent comme ça ?
Une grimace vient recouvrir mon sourire.
— Plus que je le voudrais.
— Désolé pour tout à l’heure, mon but n’était pas de t’effrayer.
— T’en fais pas. Je vais m’en remettre.
— Il n’y a rien de tel qu’une bonne montée d’adrénaline pour se sentir
vivant, plaisante-t-il.
Je lève les yeux au ciel sans pouvoir m’empêcher de rire.
— T’es expert dans le domaine ? rétorqué-je, amusée.
C’est à son tour de décocher un sourire malicieux.
— Je suis sportif de haut niveau. Je connais bien cette sensation.
Je repense à la crosse de hockey coincée et l’évidence me frappe de plein
fouet.
— Tu fais partie des Huskies ? lui demandé-je.
Il acquiesce d’un signe de la tête et je m’en trouve tout de suite soulagée.
Mon frère et lui sont coéquipiers. Weston est donc un ami, pas un tueur en
série.
— Du coup, tu passes l’année à Seattle ? reprend-il.
— Oui, enfin je ne sais pas trop. C’est ce qui est prévu, mais c’est
possible que je rentre chez mes parents si je ne me plais pas ici.
— Tu viens d’arriver. Ce serait bien… dommage.
Intriguée par sa manière si particulière de prononcer la fin de sa phrase,
je relève le nez vers lui. Mon souffle est suspendu à son dernier mot,
comme s’il se répercutait en moi. Il sonne à la fois peiné et… suave. Je dois
être folle pour attribuer à trois petites syllabes ce genre de connotation.
West maintient mon regard et l’envie me prend de creuser le sujet.
— Et pourquoi ce serait dommage ?
Il rit, cherche une réponse pendant que je retrousse sa manche à la
recherche d’une égratignure qui m’aurait échappé. Mes doigts courent sur
sa peau, puis s’immobilisent. Je suspends mon geste quand je découvre sous
le tissu des lettres tatouées sur son avant-bras. J’incline la tête pour mieux
déchiffrer ce qui y est inscrit.
— L’enfer, c’est les autres{3}, lit Weston.
Mon pouls s’emballe. Ces mots sont exactement les derniers que j’ai
écrits dans mon journal intime, il y a de ça trois mois. Quand j’étais au plus
mal. Quand je refusais encore de mettre un pied dehors.
Par cette seule phrase, j’ai l’impression de le connaître et ça me
chamboule. Troublée par cette coïncidence inexplicable, je fixe longuement
le tracé fin et harmonieux des lettres. La main de Weston saisit avec
précaution mon poignet. Mon épiderme se pare de milliers de frissons. Il
récupère le coton que je tiens pour le poser sur la table. Des papillons dans
le ventre, je suis son geste des yeux jusqu’à croiser son regard.
Une espèce de magnétisme émane de son corps lorsqu’il me touche,
semblable à un champ de force entre deux aimants. Quand ses doigts se
mettent à pianoter sur mon avant-bras, je perçois l’énergie invisible qui pèse
sur ma peau. Mes muscles se contractent en réaction à cette alchimie
étrange qui nous lie. Cette tension n’a rien de comparable à la peur. Elle est
l’inverse de la logique. Elle est le besoin urgent, viscéral et complètement
déraisonnable.
Les battements de mon cœur se répercutent si fort en moi que j’ai la
sensation que Weston peut les entendre. Il tire plus fort sur mon bras pour
réduire la distance entre nous. Stupéfaite, je le laisse faire. Telle une poupée
de chiffon qui n’a plus le contrôle d’elle-même, je suis à sa merci. Et je
veux l’être. Il m’attire à lui et nous nous retrouvons à mi-chemin entre nos
deux chaises. Ses yeux lâchent les miens pour s’aventurer sur mes lèvres.
Dans ses iris torturés, je découvre une envie folle, semblable en tout point à
la mienne.
Son visage se rapproche jusqu’à s’enfouir dans mes cheveux châtains.
Ma respiration s’entrecoupe d’un hoquet de surprise lorsque je sens sa
bouche entrer en contact avec mon cou. La chaleur de son baiser réchauffe
mes sens enivrés. Il agrippe ma nuque avec douceur et fermeté, puis fait
basculer ma tête sur le côté. La bretelle de mon débardeur glisse sur mon
épaule. Au lieu de me rhabiller, j’offre à ses yeux avides une vue dégagée
sur ma poitrine. Sa deuxième paume s’aventure sur mes côtes pendant que
ses lèvres remontent à la recherche des miennes avant de s’y écraser sans
aucune préméditation.
Rapidement, notre baiser s’intensifie, ne nous laissant que trop peu de
temps pour respirer. J’ignore ce que je fais ici, ses mains sur ma taille,
prêtes à m’entraîner sur ses draps, et je m’en fiche. Rien ne compte en cet
instant, si ce n’est la chaleur grandissante au creux de mon ventre. J’appose
mes paumes sur les joues de Weston pour le maintenir près de moi. Il
s’empare de ma bouche avant de la ravager d’un baiser sauvage à m’en
donner le tournis. Je gesticule pour retirer mon pull pendant qu’il jette son
sweat-shirt au loin, dans un mouvement pressé et désordonné. Sans perdre
davantage de temps, je l’aide à se débarrasser des couches de vêtements
superflues, ne laissant plus qu’un boxer dont le renflement est bien visible.
Il frissonne au passage de ma paume sur sa ceinture d’Apollon et je
descends encore. Sous mes caresses, son regard bleu se fait fiévreux.
Affamé.
En réponse, ses mains se chargent d’ôter mon short et mon t-shirt. Elles
glissent sur mon ventre jusqu’à se frayer un chemin sous ma culotte. Je me
tends au contact de ses doigts experts et, quelques secondes plus tard, je ne
suis déjà plus que respiration hachée et sensations débridées. Le corps en
ébullition, je laisse son index s’introduire entre mes cuisses. Pendant ce
temps, sa langue pleine de fougue, elle, malmène la mienne dans un combat
dont je ne connais pas encore les règles.
Weston se relève. Je m’accroche à son dos, y plante mes ongles, en le
suppliant de continuer pendant qu’il me pose sur le matelas. Il raffermit sa
prise sur mes fesses, me force à me rapprocher de lui. Il s’arrête un instant,
récupère son portefeuille et en extrait un petit carré d’aluminium qu’il
découpe d’un coup de dents.
Weston rampe au-dessus de moi. Il accentue la pression de son bassin
contre le mien et, à mesure que l’étau de ses bras se resserre autour de moi,
je me sens vivante. Prisonnière de son corps, nos souffles haletants
s’entremêlent. De toute ma vie, j’ai connu nombre de prisons dorées, mais
je n’en ai rencontré aucune de ce genre. Une cage de laquelle je n’ai pas
envie de m’enfuir.
Sans cérémonie, Weston s’invite entre mes cuisses. Je frissonne de plus
belle, prête à me consumer. Je m’accroche fort à ses épaules et bientôt, ses
va-et-vient répétitifs ont raison de ma lucidité. Mes pensées s’embrouillent,
des sentiments contradictoires se fracassent dans ma poitrine. Je renverse la
tête en arrière, ivre de plaisir, pendant qu’il suçote mes lèvres. Alors que la
fête bat son plein à l’étage inférieur, que la musique inonde la propriété, je
laisse l’obscurité nous avaler. Je ferme les paupières pour ne songer à rien
d’autre qu’au moment présent.
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6.
Réfléchir avant d’agir ?
C’est surfait
Charlie
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7.
Les hallucinations
ne posent pas de strips
Weston
Le soleil vient réchauffer mes paupières closes. J’ignore l’heure qu’il est,
mais d’après l’intensité des rayons qui pénètrent par ma fenêtre, j’imagine
que la matinée est déjà bien avancée. D’un grognement primitif et sonore,
j’attrape la première chose qui me passe sous la main et la fous sur mon front.
Quelle que soit l’heure, il est bien trop tôt pour se lever et mon alarme n’a pas
encore sonné. Engourdi par le sommeil, je tente de replonger dans les bras de
Morphée où m’attend une belle nana aux yeux en amande. J’ai la trique de
bon matin et je suis certain que cette fille aux cheveux caramel y est pour
quelque chose. Au prix d’un grand effort, je parviens à me remémorer nos
derniers instants ensemble. Je tire sur le drap pour recouvrir mon corps juste
avant de me rouler en boule, prêt à poursuivre nos ébats imaginaires. Je lâche
un gémissement d’aise, puis je m’immobilise, les sourcils froncés. Un étrange
parfum se dégage du tissu collé à mon visage. Je le hume longuement pour
tenter d’en reconnaître les effluves. C’est sucré, vanillé, légèrement fleuri…
Putain.
Je me redresse aussitôt et jette au loin ce pull qui n’est assurément pas le
mien. Avec la plus grande prudence, je m’agenouille sur le bord du lit pour
observer le vêtement bleu marine qui gît près de la table. Je le reconnais
sans le moindre doute. Mes méninges se remettent en marche en même
temps que mes yeux s’écarquillent. Merde, Charlie n’était pas un rêve.
Cette révélation me percute comme un palet reçu en pleine tête. Je me sens
tout à coup ridicule. Comment ai-je pu oublier ça ? Je balaie ma chambre
d’un regard inquiet et constate avec étonnement qu’il n’y a personne
d’autre. Par acquit de conscience, je soulève même le drap pour être sûr
avant de me laisser retomber sur le matelas.
Mes doigts glissent le long de ma pommette, jusqu’à effleurer le strip
posé là, hier soir. Je retiens une grimace au passage. Les mecs d’Indy ne
m’ont pas loupé. J’ai la joue qui tire à m’en faire pleurer l’œil, j’espère que
ça n’a pas viré au coquard.
Une chose est certaine, ce pansement et ce pull sont la preuve que je n’ai
rien imaginé.
Le front plissé, j’essaie d’analyser la situation avec le peu de lucidité que
mon cerveau m’accorde durant sa phase de réveil. Je me remémore ma fin
de soirée et je peine à retenir un rire lorsque le visage mort de trouille de
cette fille sortie de nulle part me revient. Dire qu’elle a réellement cru que
j’allais la séquestrer… Je rêve. Je sais ce qu’on raconte sur moi, mais quand
même ! Je passe une main dans les mèches qui tombent devant mes yeux
pour les rabattre en arrière, puis je me frotte le crâne. N’empêche, je l’ai
échappé belle. Cette soirée aurait pu virer au drame si je n’avais pas
empêché Charlie de s’enfuir de ma chambre. Elle se serait sauvée en hurlant
que je comptais la buter. Avec les soupçons qui pèsent sur moi
actuellement, ça aurait été la cerise sur le gâteau. Heureusement pour moi,
la nuit s’est terminée en beauté. C’était complètement imprévu, mais le
dénouement était magistral !
Je détaille la place laissée vide à ma droite. Deux sentiments
contradictoires se battent en duel dans ma poitrine. L’orgueil et la joie
luttent pour savoir qui triomphera. D’un côté, ma fierté est piquée à vif.
Aucune de mes conquêtes ne s’est jamais barrée en douce. De l’autre, je
dois reconnaître que cette nuit était mémorable. Ça fait un bail que je n’ai
pas passé une soirée sans ressasser mes problèmes. Hier, ils se sont tous
envolés d’un coup de baguette magique.
J’ignore si je recroiserai cette fille un jour. Tout ce que je sais de Charlie,
c’est qu’elle vient d’arriver à Seattle. Elle doit sûrement étudier à l’U-Dub,
comme moi, étant donné qu’elle m’a dit être en troisième année d’études
d’infirmière. Néanmoins, un campus, c’est grand. Rien ne me dit que je
retomberai sur elle et, vu qu’elle s’est barrée sans un mot, je ne suis pas
certain qu’elle ait envie d’être retrouvée.
Mon drap enroulé négligemment autour de la taille, je me décide enfin à
quitter le lit. Inutile de me recoucher. Je suis bien réveillé et, désormais, je
me sens même contrarié. Je foule le parquet de ma chambre d’un pas lourd
pour atteindre mon armoire. J’enfile un t-shirt noir, ainsi qu’un jogging gris,
et je me dirige vers la porte. En chemin, je ramasse le pull de Charlie que je
repose soigneusement sur le dos de la chaise. Du coin de l’œil, je remarque
un truc étrange sur la table. Un message au stylo rouge. Sur le moment, ma
première pensée va aux mecs de l’université de Seattle, mais l’écriture aux
lettres arrondies me rassure quelque peu. Les brutes ne mettent pas de petits
« o » à la place des points sur les « i ».
« À moins que tu ne tiennes à mourir dans d’atroces souffrances, ne parle
à personne de cette nuit.
La fille flippée d’hier ».
Mes sourcils s’arquent malgré moi et j’éclate de rire. C’est une blague ? Je
ne vois pas ce que ça peut être d’autre. Je retourne la feuille à la recherche
d’une note complémentaire ou d’un numéro de téléphone, cependant je ne
trouve rien. J’observe la face vierge une longue minute, comme si elle allait
tout à coup me révéler une vérité que j’ignore, mais j’ai beau chercher, il n’y
a aucune trace d’encre rouge. Je fouille les papiers à proximité, vérifie sur
mes convocations et autres rapports des flics. Mon sourire s’évanouit seconde
après seconde. Il n’y a pas de message caché. C’est le seul mot que Charlie a
laissé avant de se volatiliser. Sympa.
Amer, je finis par reposer la feuille là où je l’ai trouvée et je file me
passer un peu d’eau sur le visage pour me remettre les idées en place. Je
décide d’oublier cette nana d’un soir pour me concentrer sur le programme
du jour, activité bien plus importante. On a beau être dimanche, quand on
est un athlète, c’est à temps plein. En plus, c’est la semaine de la rentrée, et
qui dit rentrée dit reprise du sport et du club. Officiellement, je suis encore
suspendu pour deux semaines, ce qui ne m’empêche pas d’assister aux
entraînements. Le hockey, c’est ma passion, ma vie. Je jure que cette fois, je
ferai ce qu’il faut pour que l’année se déroule au mieux. Même si pour y
parvenir, je dois supporter les ragots qui courent à mon sujet.
Mon portable se met à sonner. J’éteins l’alarme qui m’informe qu’il est
bientôt temps que je parte, puis je traverse le couloir. De nombreux gobelets
jonchent le sol. Je les ramasse, les empile en un tas propre avant d’entrer
dans la salle de bains. J’en ressors aussitôt en claquant la porte derrière moi.
Fait chier, soupiré-je avant de m’élancer vers l’étage inférieur.
Je cherche le propriétaire des lieux de pièce en pièce et je finis par le
trouver dans le jardin. Grand, musclé, brun, mais légèrement dégarni sur les
tempes, Frank déambule en short et tongs au milieu des sacs-poubelle. À
ses yeux cernés et aux traces de marqueurs dans son dos en forme de
smiley, j’en déduis que la nuit a été courte.
— Putain, Frank, le hélé-je. Y a un de tes potes qui a repeint les murs de
la salle de bains, râlé-je.
— Naaan, tu déconnes ?
— Est-ce que j’ai l’air de plaisanter ? Ça sent la mort, là-haut.
— Merde. J’irai jeter des seaux d’eau tout à l’heure. Tu voulais te
doucher ?
— Non, t’inquiète. J’en prendrai une dans les vestiaires. J’ai
entraînement, l’informé-je, les mâchoires serrées.
— Oh merde, le premier entraînement du semestre… J’avais
complètement zappé. Attends, je file me changer et on y va ensemble.
— T’en fais pas, je vais me débrouiller comme un grand. Il faut bien que
j’affronte tout ça, à un moment ou à un autre, de toute façon. Et puis, je
crois que t’as du pain sur la planche. Je t’aiderai à ranger à mon retour. Si je
reviens un jour.
— Dis pas de conneries. Pourquoi ce ne serait pas le cas ?
En réponse, je lui jette un regard qui en dit long sur mon état d’esprit.
— Je te l’ai déjà dit, j’ai discuté avec tes coéquipiers, m’assure-t-il. La
plupart sont prêts à faire abstraction de ce qu’il s’est passé avec Marc. Ils te
laissent le bénéfice du doute.
— C’est trop généreux de leur part.
— C’est mieux que rien. Estime-toi heureux qu’ils t’adressent la parole.
Je marmonne quelque chose dans ma barbe, puis tourne le dos à mon
pote. L’expérience m’a prouvé qu’il valait mieux ne rien dire plutôt que
d’aggraver mon cas. Je me retiens de lui répondre et je me baisse
rapidement pour ramasser quelques détritus à mes pieds. Je les balance dans
la benne située à quelques mètres de là pendant que Frank, tout sourire,
place ses deux mains sur ses hanches. Il admire les dégâts autour de lui tout
en hochant la tête avec une certaine fierté.
— Quel bordel ! Ça, c’est ce que j’appelle une putain de belle soirée.
Son enthousiasme fait plaisir à voir. Au moins, il n’a pas l’air démoralisé
par les heures de ménage qui l’attendent. Je détaille à mon tour les
cannettes disséminées ici et là dans les escaliers menant à la piscine. Un rire
lascif filtre de mes lèvres malgré moi quand je repense à la fille à la
capuche que j’observais depuis ma fenêtre.
— Rien qu’à la tronche que tu fais, je peux confirmer que t’as profité de
ma petite fête, toi aussi. Je me trompe ? me lance-t-il, joyeux. Elle était
mignonne ?
— Je ne vois pas de quoi tu parles, éludé-je, le sourire aux lèvres.
— Je te connais, Weston Parker. Pas la peine de prétendre le contraire.
Alors, elle était comment ?
Je lui adresse un sourire mystérieux pendant qu’il tente de grappiller des
informations.
— Du genre évanescente. Elle s’est barrée avant que je me réveille.
— Aïe. T’es sûr qu’elle a existé, au moins ? T’avais peut-être trop bu.
Je pointe le pansement sur ma joue.
— Les hallucinations ne posent pas de strips.
— Pas faux.
— Bon, faut que j’y aille ou je vais être à la bourre.
— Courage. Appelle, si t’as besoin.
Je lui confirme que je le ferai avant de retourner à l’intérieur pour finir de
me préparer. Je récupère mon sac d’entraînement, puis je rejoins ma moto.
Le trajet entre la villa de Frank et l’université ne dure même pas dix
minutes. Lorsque j’arrive enfin devant la patinoire, plusieurs voitures sont
déjà garées sur le parking. Les mains rendues moites par l’anxiété, je retire
mes gants de protection afin de les balancer dans le coffre de ma bécane
avec mon casque. Le stress commence lentement à me nouer l’estomac,
mais je force mes traits à demeurer impassibles. D’ici, je peux sentir des
regards hostiles peser sur moi. Ce n’est pas le moment de montrer que toute
cette histoire m’atteint.
Ils ne savent rien, West. Ça va le faire. Ce sont juste des rumeurs. C’est
tout ce qu’ils ont contre toi.
La tête haute, j’entre dans les vestiaires. Je salue d’un bonjour général
mes quelques coéquipiers présents. Sur les bancs opposés, Jo, Steeve et
Preston discutent dans un coin. Ils relèvent à peine les yeux vers moi, ce qui
n’est pas pour me déplaire. Je préfère de loin l’indifférence aux conflits. La
respiration en suspens, je passe devant un nouveau joueur. Je lui jette un
regard prudent, ne sachant pas ce qu’on lui a raconté à mon sujet. Je lui
tends la main pour voir dans quel camp il se range et ce dernier me rend
mon geste.
— Weston, déclaré-je simplement, en guise de salutations.
— Geo-Georges, bégaie-t-il.
— Bienvenue chez les Huskies.
Il me remercie et je l’entends chuchoter un « putain, c’est Red Falcon »
qui me soutire un sourire. En voilà au moins un qui n’est pas au courant de
ma suspension au sein de l’équipe. Rassuré, je rejoins mon casier d’un pas
plus léger. Celui de Bill, notre capitaine et – accessoirement – mon meilleur
ami jusqu’à il y a peu, est entrouvert. J’en déduis qu’il est déjà arrivé, lui
aussi. Je ne l’ai pas revu depuis l’incident avec Marc. Bill m’évite et je me
suis évertué à faire de même.
Tandis que je me perds dans mes pensées, mon regard se floute
légèrement et je ne reviens à moi que lorsqu’une silhouette assombrit ma
vision.
— Si tu te poses la question, la réponse est oui, m’informe une voix sur
ma droite.
Les nerfs à fleur de peau, je sursaute presque. Je hausse un sourcil curieux
en direction de Yann, un défenseur de l’équipe. Le blond, un grand sourire
aux lèvres, vient appuyer son épaule sur le mur près de moi. Les paupières
plissées, je mets un moment à réagir, ne sachant pas trop s’il s’agit d’un piège
ou non.
— De quoi tu parles ?
— De mon fessier. Si tu te demandes si c’est le plus beau du monde, la
réponse est oui.
— T’es con, Yann.
— Quoi, c’est pas ce que tu regardais à l’instant ? Tu avais l’air si
concentré, s’indigne-t-il en ricanant.
— T’as croisé Bill ? le coupé-je.
— Ouaip. Il est déjà sur la glace.
— Il est de bonne ou de mauvaise humeur ?
J’essaie de tâter un peu le terrain, histoire de savoir à quoi m’en tenir, et
Yann se met à grimacer.
— Pff… Difficile à dire. Il est toujours ultra-tendu les jours de rentrée. Je
te suggère de te faire discret.
— Merci du conseil, marmonné-je.
Il m’assène une petite tape amicale sur l’épaule avant de s’éloigner pour
revêtir son plastron de protection. Pour ma part, je me contente de jeter mes
affaires dans le casier avec nonchalance. Privé de glace, ça signifie aussi
interdiction de porter les couleurs de l’équipe. Ma punition doit durer un mois
complet, à moins que Marc ne se réveille dans les deux prochaines semaines
et apporte un témoignage qui corroborerait le mien.
Trente jours sans frôler la glace… c’est dur.
Je ne l’admettrai devant personne, mais cette sanction me pèse
énormément. Je quitte les vestiaires pour les tribunes de l’équipe. Le coach a
tenu à poursuivre les séances pendant le summer break, mais le premier
entraînement officiel de l’année scolaire a une saveur particulière. Les portes
sont exceptionnellement ouvertes aux curieux. J’évite de jeter un œil aux
familles et amis présents dans les gradins. Inutile de perdre mon temps. À
l’instar des deux années précédentes, personne n’a fait le déplacement pour
moi. Je me dirige directement vers le banc des joueurs. Je lance un bonjour
discret aux coéquipiers que je n’ai pas encore croisés et m’assieds à
l’extrémité de la planche.
Les conversations s’essoufflent sur mon passage, mais je fais comme si
de rien n’était. J’écrase nerveusement ma bouteille d’eau entre mes paumes,
le regard rivé sur le blanc immaculé de la glace.
J’ai envie d’une clope. Je crois que ça m’apaiserait.
Je pousse un long soupir, renverse la tête en arrière en broyant le
plastique entre mes doigts. Je m’enjoins au calme jusqu’à ce que Yann
débarque, une dizaine de minutes plus tard. Il se laisse tomber près de moi,
ses patins à la main. Après avoir échangé quelques plaisanteries avec les
Huskies présents, l’attention se détourne peu à peu de ma personne.
L’ambiance semble même s’alléger. J’ose un regard furtif à mes coéquipiers
pour vérifier qui est absent ou non. Nous sommes censés être dix-huit
joueurs au total, deux viennent de rejoindre notre université durant l’été et
deux autres manquent à l’appel. Marc, qui est encore à l’hôpital et Bill,
notre capitaine.
J’avale une grosse gorgée d’eau pour avoir l’air occupé tandis que les
chuchotements se poursuivent près de moi. Je ne sais pas de quoi ils parlent,
mais ce ne serait pas étonnant que ça me concerne. Je suis leur sujet de
prédilection, ces derniers temps.
— Ah, voilà enfin le coach, me murmure Yann en se penchant vers moi.
Il va encore nous faire un speech de rentrée ennuyant.
Ma tête pivote instinctivement vers le quarantenaire en question qui
s’entretient avec un grand blond d’une carrure similaire à la mienne. Mon
estomac fait un tour sur lui-même quand ils se mettent à marcher dans notre
direction. Bill salue quelques personnes dans les gradins. Nous fréquentons
la même bande de potes depuis deux ans, alors je ne peux pas m’empêcher
de jeter un œil aux tribunes. Je reconnais aussitôt Manille à sa longue
tignasse ondulée, mais j’ai du mal à voir qui est la nana à ses côtés. La
bouche pleine d’eau, je me penche un peu plus pour détailler la fille à la
silhouette masquée sous des vêtements trop amples pour elle. La jeune
femme tourne la tête dans ma direction et je m’étrangle.
Des cheveux châtains, des yeux en amande, un pull à capuche…
Putain de merde.
C’est Charlie.
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8.
Le faux pas de trop
Weston
Les yeux écarquillés, je retiens avec difficulté l’eau présente dans mes
joues. Une petite quantité fuite entre mes lèvres avant que je n’avale le tout
d’une seule et douloureuse gorgée. Incapable de bouger tant je suis
stupéfait, je reste vaillamment caché derrière mon coéquipier.
Putain, je ne sais même pas pourquoi je me planque. Ce n’est pas comme
si j’étais censé avoir honte, si ?
Alors que je cherche une réponse à ma question existentielle, Yann me
lance un regard étonné. Mon visage tendu et livide le fait marrer. Il semble
convaincu que le stress causé par l’apparition de Bill me submerge et je ne
fais rien pour le contredire. Je ne compte pas admettre devant lui qu’une nana
vient de me ficher la peur de ma vie. Il ne manquerait plus que Yann en parle
à tout le monde pour que ce qu’il reste de ma réputation soit ruiné.
— T’inquiète pas, West. Je t’assure que Bill ne te fera pas chier,
aujourd’hui.
En pleine crise de tachycardie, je hoche la tête en essuyant le mince filet
d’eau sur ma mâchoire. J’attends que mon voisin de banc se reconcentre sur
autre chose pour me pencher en avant avec la plus grande discrétion. L’air
innocent, je fais semblant de m’étirer, puis j’en profite pour me retourner en
direction des gradins. D’une œillade aussi brève que furtive, je tente
d’apercevoir Charlie une nouvelle fois, mais le destin est contre moi.
Impossible de distinguer autre chose que des cheveux châtains qui s’agitent
derrière Manille. À mieux y regarder, à part une paire de jambes à la peau
blanche, je ne vois rien qui ressemble de près ou de loin à la fille avec qui
j’ai couché. Après tout, qu’est-ce que Charlie ficherait à la patinoire ?
Je pousse un soupir de soulagement. J’ai tellement peu l’habitude qu’une
de mes conquêtes se barre en pleine nuit que j’ai l’impression d’avoir
merdé quelque part. Et si je n’avais pas assuré ?
Pff… c’est trop d’émotions en une matinée. Je suis clairement à cran. Sur
le moment, il m’a paru évident que c’était elle, mais je ne suis plus sûr de
rien.
Je reporte mon attention sur notre coach, qui s’apprête à se lancer dans
son traditionnel discours de début de saison. Les doigts crispés, j’attends
qu’il pose des mots sur la situation que vit l’équipe. L’entretien que j’ai eu
avec lui après l’agression de Marc me file la chair de poule rien qu’en y
repensant. Il a été clair avec moi et ses menaces ont été sans équivoque.
Encore un faux pas et je dégage des Huskies.
Je refuse que ça arrive.
Si j’ai quitté l’université de Seattle pour l’U-Dub, c’est pour le hockey.
C’est une véritable bénédiction d’avoir été transféré ici, et me faire virer de
l’équipe reviendrait à un retour à la case départ.
Vêtu de son t-shirt blanc et violet, Malcolm s’approche de nous. Il
détaille les joueurs un à un de son regard perçant et mon anxiété grimpe
d’un cran.
— Bon, les gars… Les longs discours ne sont pas mon fort. Je sais à quel
point vous avez envie de fouler la glace, alors je ne vais pas m’éterniser.
L’année dernière, notre équipe est passée tout près de la victoire. Un
minuscule point nous a fait manquer la coupe. C’est frustrant et difficile à
admettre, mais prenons cette nouvelle saison comme une occasion à saisir.
C’est le moment de briller, de prouver à tout le monde de quoi nous sommes
capables. C’est à notre tour de monter sur la première marche du podium. Je
connais votre potentiel. Avec du travail et de la rigueur, cette fois-ci, il n’y a
aucun doute, la victoire sera nôtre.
Une salve d’applaudissements retentit dans les gradins tandis qu’une
pointe de culpabilité me fait frémir. Dans cette pièce, seule une personne est
consciente que si nous avons perdu le tournoi inter-universités, c’est
uniquement ma faute. J’avais le palet au bout de ma crosse durant les
dernières minutes de jeu. J’avais le pouvoir de changer le score, pourtant, je
ne l’ai pas fait. J’ai refusé de marquer.
Si Red Falcon avait tiré dans les buts, peut-être que Marc ne se trouverait
pas dans le coma…
— Cette année, notre belle équipe gagne deux nouveaux membres : Liam
et Georges, qui nous arrivent tout droit de Dallas et Portland. J’espère que
vous les accueillerez comme il se doit. Je compte sur vous pour leur
montrer comment se comportent les Huskies sur la glace. Ici, nous chassons
en meute. Avec hargne, rapidité et intelligence. Personne ne reste à l’écart.
Nous protégeons les nôtres, envers et contre tout. Ce que je veux, c’est une
équipe soudée. Pas de dispute, pas de bagarre.
Un silence lourd s’abat sur la patinoire en même temps qu’une chape de
plomb se met à peser sur mes épaules. Inutile de tourner la tête pour deviner
qu’on me fixe. Je perçois aisément l’hostilité qui flotte dans l’air.
Faussement calme, je m’oblige à inspirer en douceur, les yeux rivés sur les
jambes du coach pendant que mes ongles s’enfoncent dans ma peau. Je me
doute de ce que Malcolm va dire. Du moins, j’ai conscience du sujet qu’il
s’apprête à aborder. Reste à savoir sur quel ton il le fera et dans quel camp il
se placera.
La respiration en suspens, j’attends que le couperet tombe.
— Bon, je ne vais pas tourner autour du pot. Nous avons une foule de
choses à faire, inutile de perdre de précieuses minutes d’entraînement.
Néanmoins, j’ai conscience que cela inquiète autant les joueurs que leur
famille, alors je n’évoquerai ce sujet épineux que cette seule et unique fois.
Ensuite, le dossier sera clos.
Malcolm est le genre d’homme qui excelle en tactique, mais qui peine à
trouver les mots justes pour s’adresser aux autres. Il arpente la glace de long
en large face aux gradins.
— Comme vous avez pu le constater, vous n’êtes que dix-sept à
commencer l’entraînement aujourd’hui. Marc, l’un de nos centres, est
actuellement dans le coma et ce, depuis trois semaines. Il a été victime d’une
terrible agression à la sortie d’un bar. Je connais les rumeurs qui courent sur
le campus et je vous prierai de bien vouloir faire abstraction des « on-dit ». À
ce jour, personne – et j’insiste bien sur ce mot – n’a été accusé de quoi que ce
soit. Aucun joueur ici présent n’a été mis en examen ou reconnu coupable de
coups et blessures sur un de ses coéquipiers. La police poursuit ses
investigations et la suspension temporaire de l’un des Huskies n’a aucun lien
direct avec cette enquête.
Je me retiens de rire jaune. N’importe quoi. C’est fou ce que le coach est
prêt à inventer pour que la rentrée se passe au mieux. Si ce n’est pas un
mensonge volontaire, c’est un mensonge par omission. Tout le monde, sur ce
banc, connaît aussi bien les faits que moi. Les flics m’ont arrêté sur le parking
aux côtés de Marc, inconscient. Aux dernières nouvelles, j’ai eu les menottes
aux poignets. Alors, prétendre que je ne suis pas mêlé à cette pagaille est bien
loin de la vérité.
Le coach fait son possible pour ne pas jeter de l’huile sur le brasier
existant, ce dont je lui suis reconnaissant. Pour une fois que quelqu’un prend
ma défense, je ne vais pas me plaindre. Je suis le premier à vouloir oublier
toute cette merde.
— Je vous demanderai donc de ne pas tirer de conclusion hâtive de cette
histoire et de rester unis, poursuit Malcolm. Le défi de cette nouvelle saison
sera de resserrer les liens entre nous et d’apprendre à nous faire confiance.
Une meute fait passer l’intérêt du groupe avant le sien, je compte sur vous
pour faire de même.
Notre coach recule alors pour laisser la place au capitaine des Huskies. Je
relève le menton vers l’homme qui s’approche. Grand, blond, des yeux d’un
marron profond, Bill s’avance vers le banc, casque sous le bras. Bien qu’il
prenne le temps d’examiner chacun des joueurs, je sens qu’il s’efforce de ne
pas tourner la tête vers moi. Les dents plantées dans ma lèvre inférieure que
je mâchouille nerveusement, je le fixe sans broncher. Même si j’ai des
remords, je lui ai déjà fait part de tout ce que j’avais sur le cœur à propos de
sa loyauté envers « son meilleur ami ». S’il n’arrive pas à me regarder droit
dans les yeux, ce n’est pas mon cas.
— Je me présente pour les familles des nouveaux Huskies. Je suis Bill, le
capitaine de l’équipe. Georges et Liam, nous aurons l’occasion de faire plus
ample connaissance au fil des semaines et des entraînements à venir. Mon
objectif est simple, vous motiver et vous soutenir. Si le rôle de Malcolm est
de vous pousser à bout, considérez que le mien est d’éviter que vous ne
craquiez psychologiquement. Ce qui arrivera fatalement, ne soyez pas
étonnés. Et ce jour-là, vous pourrez compter sur moi pour vous mettre un bon
coup de pied aux fesses. On en a tous besoin de temps en temps.
Quelques rires résonnent près de moi. Comme d’habitude, Bill fait son
petit effet. Il a toujours été le plus sociable de notre paire et je suis
constamment surpris de la facilité avec laquelle il parvient à s’exprimer en
public.
— Les Huskies, c’est avant tout une équipe qui se serre les coudes. Ces
dernières semaines ont été rudes, mais il est temps de faire table rase du passé
et d’aller de l’avant. Cette année, il n’est pas question que nos adversaires
tiennent notre trophée entre leurs mains.
Des applaudissements éclatent dans les tribunes. Je les imite poliment et
Yann, un grand sourire aux lèvres, m’assène un coup d’épaule.
— J’avais raison, Bill est prêt à repartir sur de bonnes bases. Ça s’annonce
bien, me chuchote-t-il.
Perplexe, j’acquiesce sans relever ses propos. Honnêtement, je préfère me
montrer prudent. Je suis le type de garçon terre à terre qui ne croit aux
miracles que s’ils se produisent devant ses yeux.
Les joueurs quittent le banc un à un, frappant à tour de rôle dans le gant de
Bill. Privé de la possibilité de patiner, je ne bouge pas de mon siège quand
vient mon tour. Malcolm donne quelques consignes que je n’entends pas aux
autres, qui s’élancent déjà vers les buts, puis il s’approche de moi. Les mains
au fond des poches, il me jauge du regard.
— Qu’est-ce que tu attends, Weston ?
Je ne comprends pas son insinuation et finis par hausser les épaules.
Qu’est-ce qu’il croit que j’attends, ce con ? Ce n’est pas comme si on m’avait
laissé le choix. Le doyen de l’université et lui ont décidé que j’avais
obligation d’assister aux entraînements sans fouler la glace. Je n’ai pas eu
voix au chapitre, alors pourquoi est-ce qu’il me pose la question ?
— T’as rien de mieux à faire que de glander sur ton banc ? poursuit-il. Tu
crois que c’est en restant assis là qu’on va gagner nos matchs ?
Il élève le ton. Conscient des regards des spectateurs sur nous, je chuchote
en réponse. Je n’ai pas envie de donner plus de grain à moudre à tous les
étudiants réunis ici ainsi qu’à leurs parents.
— Mais, je n’ai pas le droit de…
Malcolm lève la main pour m’interrompre.
— Je sais pertinemment ce que tu as le droit de faire ou non. Tu es interdit
de patinoire, mais il existe d’autres moyens de s’entraîner, non ? Tu files me
faire cinq tours de parking au pas de course et tu reviens me voir quand tu as
terminé.
Surpris, j’arque un sourcil. Il est vraiment en train de me dire que je dois
aller m’échauffer dehors, sous la flotte, pendant que tout le monde est réuni
ici ? Est-ce que je dois le prendre comme une punition ou un signe qu’il est
prêt à passer l’éponge sur mes conneries ?
— Bon, c’est pour aujourd’hui ou pour demain, West ?
Je bondis sur mes deux pieds, une moue reconnaissante dessinée sur le
visage. Ça fait des semaines que Malcolm ne m’a pas appelé par mon
diminutif. Ce simple geste de sa part a pour effet de me motiver comme
jamais.
— Merci, coach.
Il hoche la tête, puis me tourne le dos alors que je longe la surface de jeu
en direction du hall principal. En chemin, je remarque qu’un Husky tente de
me rattraper. Je ralentis jusqu’à ce que le numéro 44 me rejoigne en bord de
piste. Je ne cille pas quand Bill remonte la visière de protection de son
masque pour me parler, mais je ne peux m’empêcher d’être surpris.
— J’ai réussi à convaincre le coach de t’autoriser à commencer
l’entraînement en avance.
Je le toise d’un regard incertain. J’ai envie de croire à une tentative de
réconciliation de sa part, cependant je le connais bien. Bill est le genre de gars
positif et joyeux et, à cet instant, ses traits demeurent neutres quand il
s’adresse à moi. C’est comme s’il s’efforçait de conserver un masque
d’impassibilité.
— Vraiment ? répliqué-je avec nonchalance.
— Un merci suffira, riposte-t-il aussitôt.
— Merci. Autre chose, capitaine ?
J’appuie volontairement sur le dernier mot, sachant qu’il a toujours détesté
que je l’appelle ainsi. En réponse, il secoue la tête, commence à repartir avant
d’opérer un rapide demi-tour.
— En fait, non. Je n’ai pas fini. Que ce soit clair, West. Je vais t’avoir à
l’œil à partir de maintenant. Tes conneries, c’est terminé. J’ai risqué gros par
ta faute.
Les mâchoires crispées, je me retiens de crier. Me prendre la tête avec lui,
devant autant de monde, ne m’aidera pas à regagner la confiance de mon
équipe. Bill m’envoie un regard chargé d’éclairs qui me fait soupirer.
— Je me suis déjà expliqué, Bill. Qu’est-ce que tu attends de moi ?
— À ton avis ? Je ne veux plus risquer ma carrière par ta faute. Cesse de ne
penser qu’à toi et mets-toi un peu à la place des autres pour une fois dans ta
putain de vie.
Je me passe la langue sur les lèvres. L’amertume suinte par chacun de mes
pores. Je n’y crois pas… il a osé le dire, finalement.
— Quand est-ce que tu comprendras que je n’avais pas le choix, hein ?
Bill s’immobilise avant de lever le nez vers le public.
— Ce n’est pas le moment d’en parler. On pourrait nous entendre. En plus,
Manille est juste derrière.
Sa voix se fait plus basse pendant que ses iris marron glissent sur les
gradins. Je l’imite et tourne la tête afin d’apercevoir sa copine dont les yeux
curieux sont rivés sur nous. Elle ne se trouve qu’à une dizaine de mètres de
moi. D’ici, je peux aisément observer la jeune femme que je n’arrivais pas à
bien distinguer tout à l’heure. Ses iris d’un marron similaire à ceux de Bill se
posent sur moi avant de s’écarquiller. Elle se fige et je fais de même en me
tournant d’un mouvement brusque vers le capitaine des Huskies.
Je n’avais pas fait le rapprochement, mais ils ont les mêmes yeux fauves,
les mêmes fossettes creusées sur les joues…
Impossible.
Non.
Non.
Non…
Choqué par ma découverte, je relève la tête vers Bill qui me dévisage sans
comprendre le cheminement de mes pensées. J’entrouvre la bouche, peine à
trouver les mots, puis finis par poser la question qui me brûle les lèvres.
— La fille, à côté de Manille…
Il devine la fin de ma phrase avant même que je ne la prononce et sa
réponse est pire qu’un uppercut dans le ventre.
— C’est ma sœur, Lili. Elle vient tout juste d’arriver à Seattle.
Mon cœur loupe un battement.
— Pour la sécurité de Manille et la sienne, arrête de foutre la merde partout
où tu passes ou alors reste loin de nous.
Sonné, je recule. Mon sang frappe fort contre mes tympans. Je confirme
d’un hochement de tête que j’ai bien compris ses paroles et je rejoins le
parking d’un pas vacillant. Lorsque la réalité me rattrape, il est déjà trop tard
pour faire comme si je n’avais pas entendu. J’inspire une énorme goulée
d’air, cependant rien ne fait disparaître la boule grandissant au creux de mon
ventre.
Charlie est Lili. La Lili dont Bill me parle depuis deux ans.
J’ai couché avec sa sœur.
Je suis un homme mort.
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9.
La curiosité
est un vilain défaut
Charlie
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10.
Prise au piège
Charlie
Le rythme de mes pas est calé sur celui de l’homme devant moi. Prudente
et à la fois excitée par ce jeu de détective improvisé, je sautille plus que je ne
marche. Une fine pluie tombe du ciel et, pour une fois, je me contrefiche de la
météo. Je ne cherche pas d’excuse pour rentrer, je n’en ressens même pas
l’envie. Bill serait fier de me voir prendre l’air sans qu’il m’y oblige.
Quoique…
Mon cœur bat fort dans ma poitrine. Flirter avec les limites imposées par
mon frère a quelque chose de terriblement séduisant. Est-ce que je me sens
coupable ? Non. Il n’est pas là pour assister à ce que je suis en train de faire.
Ce qu’il ignore ne peut pas le blesser.
Une petite voix dans ma tête me conseille de faire demi-tour avant de le
regretter, mais le démon que j’ai décidé d’écouter n’en a rien à carrer. Tout
ce qu’il désire, c’est découvrir les vilains secrets que garde Weston. Que
cache son regard soucieux et effronté ? On raconte tant de choses à son sujet
que je m’y perds. Violent ? Dangereux ? Je n’y crois pas un instant.
Pourtant, il n’y a qu’à voir comme il était sur la défensive à la fête de
Frank pour comprendre qu’il y a anguille sous roche. Quel genre de
cadavres ce joueur des Huskies planque-t-il dans ses placards ? Enfin…
façon de parler. J’espère qu’il n’a tué personne. J’ai déjà affronté un
meurtrier, une fois, et je n’ai aucune envie de réitérer l’expérience.
Weston avance, j’avance. Il ralentit, je ralentis. Guettant le moindre de
ses mouvements, je l’imite à la perfection. Notre petit jeu dure de longues
minutes. Je le suis à travers des rues étrangères, éclairées par les
lampadaires, sans connaître notre destination. Il pourrait tout aussi bien me
conduire dans un guet-apens que je n’y verrais que du feu. Je suis un peu
stressée à l’idée d’arriver dans un lieu que je n’ai jamais fréquenté, mais je
me rassure en me disant que je suis dehors et pas très loin de chez moi.
Je me tiens en retrait afin que Weston ne se rende compte de rien. À
bonne distance de lui, il ne semble pas m’avoir remarquée. Il se contente de
poursuivre sa route, une main plongée dans la poche de son jean. Cette
longue marche m’aura au moins permis de détailler sa silhouette élancée et
bien bâtie. J’en avais déjà eu un avant-goût, l’autre soir, mais le cadre était
différent. Entre la lumière tamisée, l’ambiance pesante et mes pensées
troublées, je n’ai pas songé à profiter de la vue.
Weston s’arrête soudain. Prise de court, j’ai le temps de faire trois pas
avant de réagir. Je saute sur le côté, file me planquer derrière un mur. Le
brun saisit son téléphone, le regarde, puis recommence à marcher sans me
repérer. Soulagée, je repars à sa suite en manquant d’éclater de rire. J’aurais
eu l’air fine s’il m’avait aperçue. À vrai dire, je n’aurais même pas su quoi
lui dire. Je ne faisais déjà pas la maligne au pub lorsque je me suis
retrouvée face à lui. Notre échange était un peu étrange, enfin peut-on
réellement parler de discussion ? Ça ressemblait plutôt à de la provocation.
Le hockeyeur tourne à l’angle. J’accélère pour ne pas le perdre de vue et
mes pieds s’immobilisent d’eux-mêmes. Weston s’apprête à entrer dans un
bâtiment. Soudain nerveuse, j’observe les alentours. Nous nous trouvons
devant un bar dont les néons rouges colorent la rue d’une teinte angoissante.
Il règne une certaine agitation par ici, comme si tous les soûlards du coin
avaient choisi de se rassembler à cet endroit exact. La clientèle est loin
d’être la même que dans l’irish pub. Mal à l’aise, je recule pour ne pas
rester en plein milieu de l’allée. Des hommes peu recommandables traînent
dans le quartier et je commence à regretter d’avoir voulu jouer à la détective
en solo. Je sais bien de quoi j’ai l’air d’un point de vue extérieur. Une fille
seule qui erre dans les rues, à une heure tardive, vêtue du chemisier
décolleté que sa colocataire l’a forcée à enfiler.
Weston finit par pousser la lourde porte en verre face à lui,
m’abandonnant à mon propre sort. L’ambiance pesante et louche du lieu
m’impressionne, mais je ne peux pas laisser la peur dicter chacun de mes
actes, non ? Ce n’est qu’un bar, rien de plus. Bill ne cesse de me répéter
qu’on ne tombe pas nez à nez avec des criminels tous les quatre matins… Il
a sûrement raison.
Ou peut-être pas.
Je n’en sais rien.
Il serait plus prudent que je rentre, pourtant je décide d’écouter la voix du
diablotin qui s’époumone dans ma tête. Au lieu de prendre mes jambes à
mon cou, je me rapproche davantage. Je tente de voir ce qu’il se passe par
les fenêtres de l’établissement. Les projecteurs sont tellement nombreux à
l’intérieur qu’il m’est difficile d’apercevoir autre chose que des silhouettes
en contre-jour.
Pesant le pour et le contre, j’hésite à rebrousser chemin. Ce coin craint,
cependant je ne peux pas me résoudre à partir. Je n’ai pas fait tout ce
chemin pour laisser tomber au premier obstacle. Qui sait ce que Weston
fout là-dedans ?
J’agite la tête pour chasser l’angoisse de mes pensées et, sans plus
réfléchir, j’abaisse la poignée. L’odeur âcre des fumigènes me prend à la
gorge dès le palier franchi. Il règne dans cette pièce un parfum oppressant
de cigarette mêlée à des substances illicites. Aveuglée par les jeux de
lumière, j’avance à tâtons. Weston se trouve forcément dans le coin. Mon
pouls accélère alors que je tente de repérer les différentes issues autour de
moi. Deux fenêtres, une porte… Les sens aux aguets, je longe plusieurs
tables, jusqu’à remonter au centre de la piste où une main se saisit de mon
poignet. Je me retourne aussitôt pour fusiller du regard celui qui a osé me
toucher. Un homme d’une trentaine d’années me sourit à pleines dents.
J’arrache mon bras de sa prise avant qu’il ne commence à chuchoter à mon
oreille.
— T’es perdue, ma jolie ? Viens boire un verre avec nous, marmonne-t-il,
la bouche pâteuse.
Je refuse poliment, m’éloigne d’un pas, ce qui n’arrête pas l’ivrogne pour
autant. Il réduit la distance entre nous, m’attrape à nouveau par la manche de
mon chemisier. Exaspérée, je repousse son torse avec plus de vigueur, mais
mon geste n’a d’autre effet que de le faire rire. Sans prévenir, sa deuxième
paume vient se caler le long de mes reins et je réalise que je suis dans la
merde. Quand un homme se montre aussi insistant, ça sent mauvais. Je lui
assène un coup de coude en lui ordonnant de me laisser tranquille, ce qui ne
lui fait ni chaud ni froid. Mes paroles glissent sur lui comme le whisky au
fond de son gosier d’alcoolique.
— Allez, un seul verre !
— Lâche-moi !
Il approche sa bouche à l’haleine imprégnée d’alcool de mon lobe et je
me mets à hurler. Du moins, j’essaie. Ma voix reste bloquée dans ma gorge.
Alors qu’il me chuchote des insanités à l’oreille, un décompte débute dans
mes pensées. Tétanisée, mon corps se fige malgré moi.
Un. Deux. Trois. Quatre.
Je voudrais disparaître loin d’ici. Me fondre dans le décor.
Les bras de l’inconnu se resserrent sur ma taille. Il commence à se frotter
à moi.
Autour, personne ne me prête attention. Un gros fracas résonne tout près et
je ne réagis pas. Les danseurs s’écartent de nous mais je ne suis déjà plus là. Je
suis retournée là-bas, à Denver.
— Charlie !
Une voix me sort de ma torpeur. Pétrifiée, je parviens malgré tout à
rouvrir les paupières.
Un homme bondit dans ma direction. Entre les fumigènes et les
projecteurs, je n’aperçois qu’un t-shirt noir qui approche à vive allure. Trop
vite pour que je réalise ce qu’il se passe. En une fraction de seconde, je suis
arrachée des doigts de l’ivrogne pour me retrouver rabattue contre un torse
familier. « L’enfer, c’est les autres ». Le tatouage de Weston apparaît devant
mes yeux au moment où son bras entre dans mon champ de vision. Sa
paume se pose sur mon épaule pour me maintenir contre lui, en sécurité,
tandis que son adversaire refuse de lâcher prise.
— Vire ta main de sa hanche ou je t’explose la gueule contre le comptoir,
siffle West, furieux.
Ma peau se pare de frissons lorsque sa voix se met à tonner près de ma
nuque. Je peux sentir son cœur bondir férocement dans sa cage thoracique
collée à mon dos. Le pochtron cligne des yeux avant d’éclater d’un rire
gras. Il n’a pas l’air de vouloir laisser tomber. Son autre main, encore
agrippée à mon poignet, tire plus fort, m’arrachant un cri de douleur.
— Mais je ne fais rien de mal. J’invite juste cette demoiselle à boire un
verre. C’est pas un crime.
Derrière lui, ses ivrognes de copains que je n’avais pas remarqués
confirment d’un même mouvement. Weston, lui, s’impatiente. Il réitère sa
demande, avec plus de virulence.
— Je pense avoir été clair. Tu la lâches. Tout de suite.
Comme son interlocuteur n’obtempère pas, le hockeyeur décoche un
coup en direction du bras accroché au mien. Profitant de l’effet de surprise,
j’arrache mon poignet de son étau. D’un mouvement d’épaule, Weston me
force à me placer derrière lui pendant qu’il se positionne entre mon
agresseur et moi. Protégée par son dos, je me cache du trentenaire ivre.
Voyant qu’il ne gagnera pas, ce dernier finit par abandonner et retourne
docilement dans son coin.
Weston pivote sur ses talons. Le regard réprobateur, il détaille mes traits
sans prononcer un mot, mais la colère gronde en lui. Dans le plus grand des
silences, il m’oblige à reculer jusqu’au bar avant de m’indiquer un tabouret
libre. Je remue la tête.
— Je ferais mieux d’y al…
Sans me laisser le temps de finir ma phrase, ses mains agrippent ma
taille. Il me soulève du sol pour m’asseoir de force près du comptoir.
— Tu ne bouges pas de là, articule-t-il en découpant chaque syllabe.
J’accepte sans broncher pendant qu’il me fixe, comme s’il essayait de lire
en moi sans y parvenir.
— Ça va ? s’enquiert-il finalement.
— Je… oui. J’ai juste été surprise.
— Ce que j’ai vu à l’instant, c’était bien plus que de la surprise. C’était
de la terreur.
Coupable, j’abaisse le regard sur mes genoux et Weston se détourne de
moi. Un barman le rejoint. Il discute avec lui tout en me désignant du
menton.
— C’est toujours la même chose avec ces gars. Un verre de trop et ça
part en baston. Comment va la fille ? lui demande-t-il.
Le joueur des Huskies m’observe à nouveau pour vérifier. Je me sens
déboussolée, carrément honteuse, j’ai mal au poignet, mais je devrais
survivre.
— Ça a l’air d’aller, affirme West.
— Tu la connais ?
Ses iris bleus rencontrent les miens avant de s’assombrir.
— Ouais. C’est… la petite sœur d’un pote.
« Petite sœur » ressemble à une insulte dans sa bouche. Vexée par sa
façon de me présenter, je me renfrogne sur mon siège.
— Bon… raccompagne-la et reviens bosser après. Les clients sont agités
ce soir. J’ai besoin d’aide.
Il acquiesce, puis fait un pas dans ma direction. Sa main glisse dans mon
dos pour me pousser à descendre.
— Tu… tu travailles ici ? l’interrogé-je d’une voix fluette.
— Ouais. Qu’est-ce que tu crois que je fous là, à ton avis ?
Penaude, je hausse les épaules. Je ne sais pas ce que mon imagination
s’attendait à trouver dans ce bar, mais la réalité en est bien loin. Weston
passe récupérer ses affaires à l’arrière du comptoir, puis il m’entraîne vers
la porte d’entrée. Je marche d’un pas lent, promenant mon regard sur la
décoration. Manille racontait que Weston devait travailler depuis la
suspension de sa bourse, mais je ne le voyais pas dans un lieu aussi sordide.
— Charlie, active-toi. Je n’ai pas toute la nuit. Tu as entendu mon patron.
Je dois revenir bosser après, gronde-t-il.
J’obtempère dans un silence coupable. West me mène sur le parking
privatif du bar, là où sa moto est garée. Bien que je n’y connaisse rien,
l’engin semble puissant rien qu’à sa forme bien dessinée. Le jeune homme
fouille dans le coffre situé sous le siège en cuir et en extrait des gants ainsi
qu’un casque. Il se place à une dizaine de centimètres de moi. Il me dépasse
d’une bonne tête, ce qui m’oblige à lever le menton pour soutenir son regard.
Ses yeux effleurent mes joues, descendent sur mon décolleté avant
d’atteindre finalement mon bras. Il me soulève le poignet avec douceur,
puis le fait tourner entre ses doigts. Une trace rouge est apparue sur mon
épiderme, là où l’ivrogne m’a attrapée. West pousse un court soupir en
l’apercevant et je me mets à frissonner. Il pleut plus fort qu’en début de
soirée. Mon chemisier humide se colle à ma peau sous l’effet des gouttes de
plus en plus nombreuses. Le visage toujours fermé, West place sa veste sur
mes épaules.
— Tu es déjà montée sur une moto ? murmure-t-il d’une voix devenue
étonnamment calme.
Je secoue la tête. Mes parents m’auraient tuée s’ils m’avaient vue
grimper sur ce genre de véhicule. C’est à peine s’ils étaient d’accord pour
que je passe le permis voiture.
Doucement, ses mains se faufilent le long de mon chemisier. Il se saisit
de sa veste pour me forcer à y passer les bras. J’en profite pour observer son
visage penché vers moi. La plaie que j’avais soignée est guérie. Il ne porte
plus mon strip.
Il remarque que je le fixe et ses iris se heurtent aux miens. Il se tient si
près de moi que nos souffles se mélangent. Je tente de ne pas paraître
troublée, mais plus je le regarde, plus les images de nos ébats ressurgissent
dans ma mémoire. Je déglutis avec difficulté. Je dois reconnaître que West
est doté d’un charisme écrasant. Je me sens si petite face à sa carrure
imposante. Mon cœur manque un battement et je me trouve stupide. J’ai cru
qu’il allait…
C’est ridicule.
Weston soulève son casque dans les airs pour le placer sur ma tête. Il
vérifie que la protection est bien placée avant d’ajuster les lanières qui
pendent sous mon menton.
West enjambe la moto le premier. Il me fait signe de monter et j’obéis
tant bien que mal.
— Tu n’as pas de casque, murmuré-je.
— Tu en as plus besoin que moi. Accroche-toi.
Je cherche une prise quelque part, mais je ne trouve rien. Il y a bien une
barre située derrière moi, mais je suis quasiment sûre de tomber si je m’y
tiens. West pousse un soupir quand il constate que je n’ai toujours pas fait
ce qu’il me demande. Il secoue la tête et une de ses mains gantées passe
dans son dos. Il se saisit de mon bras pour l’enrouler autour de sa taille.
— Où est-ce que tu habites ?
— Vers Ravenna Park, déclaré-je d’une voix peu assurée.
— Comme Manille ?
— Avec Manille. C’est ma colocataire.
Sans un autre mot, il démarre en trombe. Pour ne pas partir en arrière, je
noue mes mains autour de son ventre et je me colle à son dos pour me
protéger du vent. Un parfum musqué mêlé à l’odeur du tabac froid se dégage
de ses vêtements. D’ordinaire, je déteste la cigarette, mais sur Weston, le
mélange a quelque chose d’enivrant… Comme un délicieux goût de danger et
d’interdit.
Ma joue posée contre ses omoplates, je ferme les yeux. Le paysage défile
bien trop vite pour moi. Mon estomac se contracte chaque fois que le
moteur rugit. Heureusement, le trajet ne dure pas plus de quelques minutes.
Lorsque la moto s’arrête, nous sommes déjà à l’angle de ma rue, à une
centaine de mètres de mon appartement.
West m’aide à descendre, me retire mon casque avant de briser le silence.
— Je pense que tu peux rentrer toute seule à partir d’ici.
Je lui confirme que je devrais y arriver sans encombre, il poursuit :
— Charlie… J’aimerais comprendre un truc. Pourquoi tu m’as suivi ?
Mes yeux s’écarquillent malgré moi.
— Tu le savais ?
West me jette un regard blasé en inclinant la tête.
— Tu me prends pour qui ? Évidemment. Comment est-ce que tu crois
que je t’ai repérée sur la piste ?
Je décide de jouer la franchise. Après tout, je n’ai rien à perdre.
— J’étais juste curieuse… de ce qu’on dit sur toi.
Un rire amer s’échappe de sa bouche.
— Et qu’est-ce qu’on dit sur moi, hein ? Je serai ravi d’apprendre quelle
merde on raconte à mon sujet. Laisse-moi deviner, c’est Bill qui crache sur
mon dos ?
— Bill ? m’étonné-je. Pourquoi est-ce qu’il ferait ça ?
Weston replace son casque sur son crâne tandis que sa langue lèche
furieusement sa lèvre inférieure. Je retire sa veste de mes épaules pour la lui
rendre et il repousse ma main.
— Garde-la. Ça vous fera un nouveau ragot à raconter sur moi. Et s’il te
plaît, arrête de me suivre.
Il marque une pause, visse ses iris sombres dans les miens.
— Tu sais, je me suis longuement demandé pourquoi tu t’étais barrée en
pleine nuit. Maintenant, je comprends mieux.
Il s’approche de mon oreille. La surface froide et lisse de son casque
s’écrase sur ma joue sans douceur.
— Le recours à la fuite, ça doit être de famille. Tel frère, telle sœur.
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11.
Docteur Charlie
Charlie
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12.
Le retour de Red Fion
Weston
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13.
Saleté de joueur !
Charlie
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14.
Vilains petits secrets
Charlie
Charlie
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16.
Frères de cœur
Charlie
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17.
L’heure de vérité
Weston
Allongé sur mon lit, les bras croisés sous le crâne, je m’efforce de
réfléchir à autre chose. Me prendre la tête avec les paroles de Bill ne
m’aidera pas. Il n’y a rien de pire que de ressasser. Pourtant, je n’arrive pas
à chasser ces idées noires de mes pensées. Après tout ce temps, je devrais
être habitué à la peine, à la déception qui coule à travers mes veines. J’ai
l’impression que c’est désormais tout ce que j’incarne aux yeux des autres :
du dépit et de la désillusion. En tout cas, c’est le reflet que me renvoient
leurs regards. Il n’y a que Charlie qui ne m’a jamais vu de cette manière,
mais ça ne saurait tarder, avec la présence de Bill dans les parages.
Des cris à l’extérieur de la villa me forcent à relever la tête. Même avec
les fenêtres fermées, j’entends les piaillements des invités de Frank et ça me
fait chier. Je ne suis pas d’humeur à supporter leur bonheur alors que je dois
me sortir de la merde tout seul.
Je me recouche, paupières closes, pour m’endormir. Après une longue
sieste, le barbecue sera terminé et je pourrai prétendre que cette dispute n’a
jamais eu lieu. Je roule sur le flanc droit, puis sur le gauche sans réussir à
trouver une position confortable et… bordel, ce que ces cris me gavent !
Énervé, je me rassieds sur le bord du lit. Je me saisis du paquet qui traîne
sur la table basse depuis une semaine et j’en retire une cigarette que
j’allume. À la première bouffée, la fumée âcre m’arrache une grimace
d’écœurement. Même les clopes ont un goût de merde, aujourd’hui. Depuis
que les entraînements ont repris, j’ai décidé de réduire drastiquement ma
consommation de nicotine. Je n’ai plus retouché à ces saletés depuis des
jours, mais dès que l’angoisse réapparaît, mes doigts en attrapent une par
réflexe. Tout le monde le sait, fumer quand on est un sportif, c’est contre-
productif, mais le stress l’est tout autant.
Je cesse soudain de bouger. Quelque chose a changé dans les éclats de
voix qui retentissent à l’extérieur. Ce qui ressemblait à des effusions de joie
s’est transformé en autre chose. Je n’entends plus l’espèce de brouhaha qui
régnait dans le jardin il y a encore cinq minutes. Je fixe la fenêtre et finis
par me lever, au risque de le regretter. J’atteins les rideaux que j’écarte juste
assez pour jeter un coup d’œil au barbecue. L’équipe est rassemblée près de
la grande table verte dressée pour l’occasion. Tout le monde est là, Bill y
compris. Ce dernier paraît étonnamment joyeux, ce qui, je l’avoue,
m’agace. Après notre altercation, je pensais qu’il lui faudrait davantage de
temps pour se remettre. Notre amitié, ou du moins ce qu’il en reste, ne doit
pas avoir tant de valeur que ça à ses yeux.
Un nuage de condensation se forme sur la vitre pendant que j’épie la
scène. J’examine chacun des membres des Huskies. Un détail attire mon
attention, j’efface la buée pour mieux voir.
Certains joueurs se précipitent vers leur voiture. Qu’est-ce qu’ils
foutent ?
Mon pouls s’agite.
Pourquoi est-ce qu’ils se barrent ? Et si j’avais gâché la fête, après ma
prise de tête avec Bill ?
Non, ça ne peut pas être le cas. Bill revêt un si grand sourire que c’est
forcément autre chose.
Je presse ma joue contre la fenêtre. Le comportement des joueurs autour
est tout aussi étrange. Jimmy se barre en compagnie de Yann et Steeve.
Seuls Georges et Liam sont encore assis sur les transats. Dans un coin
excentré, Manille discute avec Charlie de manière animée. Cette dernière
paraît nettement moins heureuse que les autres. Son visage est soucieux. Ce
qu’il se passe en ce moment même dans les jardins semble l’inquiéter
profondément. Comme si elle avait capté ma présence, son regard remonte
jusqu’à moi et je me planque derrière le rideau, tel un ado pris en flagrant
délit. Quand je vérifie si elle est toujours là, Frank et Emma l’ont rejointe.
Manille lui dit quelque chose, une main posée sur son épaule, puis s’éloigne
en compagnie de Bill. En moins de dix minutes, dans le jardin, il ne reste
plus que les invités qui ne sont pas membres des Huskies ainsi que les deux
nouveaux joueurs.
Je marche jusqu’à mon lit en réfléchissant. Perplexe, je récupère mon
téléphone perdu sous les draps et j’ouvre l’application avec laquelle notre
équipe échange régulièrement. Guettant une explication, je fixe l’écran avec
l’espoir que quelqu’un me balance une information. C’est Yann qui
m’apporte une partie de la réponse au bout de cinq longues minutes.
Yann : C’est la meilleure nouvelle de l’année ! De ce que je sais, il est
réveillé depuis deux jours.
Mon sang s’arrête de circuler, mon cœur cesse de battre. Tout se fige en
moi en l’espace d’une fraction de seconde.
Il est réveillé ? Est-ce que Yann parle bien de qui je crois ?
Alors que mon cerveau essaie d’appréhender la nouvelle, quelqu’un
frappe à ma porte. Je ne réagis pas. J’en suis incapable. Les mains
tremblantes, je ne parviens même pas à empêcher mon téléphone de me
glisser des doigts.
On tambourine plus fort contre la cloison. Je ne réponds toujours pas.
Putain… si Marc est réellement réveillé, alors peut-être qu’il pourra enfin
m’éclairer sur ce qu’il s’est passé cette fameuse nuit. À vrai dire, je n’en ai
pratiquement aucun souvenir. Tout ce dont je me rappelle, c’est qu’on
buvait un coup à l’irish pub. Marc voulait discuter avec moi en tête à tête et
nous sommes sortis. Ensuite, c’est le trou noir. J’ai ouvert les yeux sur ce
foutu parking, le corps inerte de mon coéquipier devant moi. Les analyses
de sang ont révélé que nous avions tous les deux ingurgité une bonne dose
de GHB, la drogue du violeur. J’ignore comment elle s’est retrouvée là,
j’ignore même si c’est moi qui ai infligé ça à Marc. Je me connais, sous le
coup de l’impulsivité, j’en aurais été capable. Une semaine auparavant, je
lui avais déjà mis une droite devant plusieurs témoins, alors un coup sur la
tête qui tourne mal, j’imagine que ce n’est pas impossible.
Je n’en sais rien. Ce qui est certain, c’est que je suis mêlé à cette histoire
d’une manière ou d’une autre. Si Marc s’était abstenu de foutre son nez
dans mes affaires, il n’aurait jamais terminé dans cet état.
Quoi qu’il en soit, il semble que l’heure de la vérité ait sonné. Pour le
meilleur ou pour le pire.
— Weston, je sais que t’es dans ta chambre, murmure une voix dans le
couloir.
Les paroles de Charlie me sortent de ma torpeur. Sans même m’en rendre
compte, j’engloutis déjà la distance entre mon lit et la porte. Une main prête
à déverrouiller la serrure, je résiste néanmoins à l’envie d’abaisser la
poignée. Dans l’état actuel des choses, lui parler face à face serait une
mauvaise idée. À quoi cela pourrait-il bien servir ? Nous faire du mal de
cette façon ne nous mènera nulle part.
— Weston, répète-t-elle. Ouvre-moi.
Je m’adosse à la porte, colle mon crâne contre le bois.
— Qu’est-ce que tu veux, Charlie ?
— Je-je voulais savoir comment tu te sens.
J’entrouvre la bouche pour répondre que tout va à la perfection, mais pas
un mot n’accepte de franchir mes lèvres. Pour une fois dans ma vie, je n’ai
pas envie de mentir. Pas à elle, en tout cas. Alors, je garde le silence.
— J’imagine que tu as appris la nouvelle ? Pour Marc ? m’interroge-t-
elle.
Je me redresse et déverrouille finalement la porte. Même si je m’efforce
de rester loin de Charlie, elle vient de valider mon hypothèse.
— Il est vraiment réveillé ?
Elle hoche la tête.
— Tu as d’autres infos ?
— Yann a eu la mère de Marc au téléphone il y a une vingtaine de
minutes. Apparemment, il a repris conscience avant-hier, mais elle ne l’a
annoncé à l’équipe qu’aujourd’hui. Il a passé les quarante-huit heures de
surveillance sans problème, alors il a enfin le droit de recevoir de la visite.
Bill et les autres sont partis là-bas.
— Ils sont allés le voir à l’hôpital ?
— Oui. Ils ont l’autorisation d’entrer dans sa chambre deux par deux,
mais pas longtemps pour ne pas le fatiguer.
— Tu sais s’il peut parler ? Enfin, est-ce qu’il est en état de…
— Je crois. Je n’ai pas voulu interférer, donc je n’ai pas posé de
questions.
Je réfléchis en même temps que j’opine de la tête. L’hôpital ne se trouve
qu’à quinze minutes au nord d’ici. Les premiers Huskies doivent déjà être
arrivés.
— Comme Bill est parti, je me suis dit que je…
— Ton frère n’est plus là, du coup tu t’es dit que tu ne risquais pas le
courroux des dieux à m’approcher ? la coupé-je.
— Tu sais que ça n’a rien à voir. Tout le monde est préoccupé par l’état
de Marc, mais personne n’a l’air de se mettre à ta place.
Par un étrange réflexe, je réduis l’écart qui nous sépare et je le regrette
aussitôt. La tension entre nos corps réapparaît dans la seconde. Cette
alchimie indéfinissable entre Charlie et moi me prend aux tripes et je
grimace malgré moi. Résister à l’approcher me demande un énorme self-
control. Cependant, je n’avancerai pas davantage. Je ne le ferai plus jamais.
Il faut qu’elle comprenne que ce petit jeu entre nous est terminé.
— C’est sympa de ta part, Lili.
Le surnom qu’utilise son frère me brûle les lèvres. Charlie cille,
légèrement déstabilisée, pourtant elle ne bouge pas de mon palier. Pendant
deux ans, Bill me parlait de Lili. À aucun moment je n’ai pensé qu’il
s’agissait d’un diminutif et je n’ai jamais jugé nécessaire de poser la
question. Dans ma tête, Lili était encore une enfant et c’est exactement ce
que je dois me forcer à visualiser quand je la regarde. Cette fille, devant
moi, est la petite sœur de Bill, pas cette nana diablement attirante que mon
corps réclame en vain.
— Personne ne peut se mettre à ma place et tu veux savoir pourquoi ?
Parce que personne ne sait rien de rien. Tout le monde croit avoir les
éléments nécessaires pour comprendre ce que je vis, mais c’est loin d’être le
cas. Pour eux, je suis seulement le méchant Weston, tourmenté par ses
remords.
J’incline la tête pour scruter ses yeux noisette.
— Et toi, Lili, tu finiras aussi par penser pareil à un moment ou à un
autre.
— Tu n’as toujours pas saisi que je me contrefiche de tout ça ? Pas la
peine de jouer au mec insensible. J’ai bien vu à quel point ta dispute avec
Bill t’a affecté, tout à l’heure.
Le menton haussé, je la fixe sans un mot, sans un sourire. J’ai décidé de
cadenasser au plus profond de moi mes émotions, et elle comprend
instinctivement qu’elle n’obtiendra rien de plus de moi qu’un visage
impassible.
Seconde après seconde, son aplomb s’étiole, ses iris se voilent. Elle
secoue la tête, regrettant sans aucun doute d’avoir perdu son temps avec un
mec tel que moi.
— Bill me tuerait s’il savait que je suis revenue te parler. Je ne devrais
pas être ici, souffle-t-elle entre le rire et les larmes. Pourtant, je suis bel et
bien devant toi.
Je m’oblige à ne pas réagir. Je retiens la main qui rêve de glisser dans ses
cheveux, je refoule l’idée de la tenir contre moi et je muselle plus fort
encore cette stupide envie de l’attirer dans mon lit. Bill a été clair et, au
fond, il a sûrement raison. Je n’ai pas le droit de mêler sa sœur à mes
emmerdes.
— Je ne peux pas t’obliger à tout me dire, West, murmure-t-elle. Je ne
suis même pas certaine de vouloir connaître en détail ce qu’il s’est passé
entre Bill et toi, mais je peux t’assurer que je ne t’ai jamais trouvé méchant,
dangereux ou je ne sais quoi.
— À part la fois où tu es entrée dans ma chambre, déclaré-je doucement,
incapable de me taire.
— Ça n’a duré qu’une minute, se défend-elle.
— Une très longue minute, alors.
Un timide sourire réchauffe ses pommettes.
— Écoute, je ne te confierai rien sur le différend entre ton frère et moi.
Tout ce que je peux te dire, c’est que les gens ne gardent en mémoire que
nos échecs. Ils ne se rappellent que des jours où nous avons merdé. Nos
motivations, ils n’en ont rien à cirer. Je trouve ça injuste. L’intention devrait
toujours valoir plus que le résultat lui-même, mais personne n’en tient
jamais compte.
Dans ma chambre, mon téléphone se met à sonner. Je fais signe à Charlie
de patienter, puis je récupère mon portable. Un message de Bill s’affiche
sur mon écran, chose qui n’était plus arrivée depuis une éternité.
Bill : La police est venue interroger Marc, hier. Il se souvient de ce
qu’il s’est passé.
Je tape en vitesse :
Moi : ???
Puis je relève le nez vers Charlie qui attend sagement dans l’encadrement
de la porte. Un nouveau SMS me parvient dans la seconde.
Bill : J’essaie d’en savoir plus.
— Les nouvelles sont bonnes ? me lance-t-elle, curieuse et inquiète à la
fois.
Je hausse les épaules, l’air détaché. Les battements anarchiques de mon
cœur me font presque mal. Je tâche de paraître calme, mais en mon for
intérieur, je suis terrifié. J’ignore de quoi Marc se souvient exactement, j’ai
peur d’entendre sa version des faits. À vrai dire, je ne me rappelle pas
grand-chose. Et si j’apprenais que j’ai vraiment merdé ? Si je lui ai fait du
mal sans le vouloir ? Si tel est le cas, je peux dire adieu pour de bon aux
Huskies, à l’université et… à Charlie.
— Difficile de se prononcer pour l’instant, mais on le saura bientôt. Bill
me tient au courant.
— Mon frère t’envoie des messages ? s’étonne-t-elle.
— On dirait bien.
— Donc…
— Donc je vais bien, assuré-je. Tu peux redescendre avec la conscience
tranquille. Je vais rester gentiment dans ma chambre.
Elle acquiesce, hésite à partir, puis tourne les talons. J’attends qu’elle
disparaisse de ma vue et je referme la porte avec un semblant de sourire qui
s’efface dès que je me retrouve seul. D’un moment à l’autre, mon avenir peut
changer radicalement.
Mon portable sonne à nouveau.
Bill : Retrouve-moi au parc dans 30 min.
Sans réfléchir davantage, je cours chercher mon blouson ainsi que mes
clés de moto. Je descends les escaliers à la hâte et sors par la porte de
derrière sans que personne me voie. Je démarre en trombe pour rejoindre
Ravenna Park, un peu plus au nord. Je me gare à l’arrache, me précipite
jusqu’à la table de pique-nique sur laquelle Bill et moi avions l’habitude de
nous retrouver. Comme je m’y attendais, il n’est pas encore là. Je scrute
l’écran de mon téléphone dans l’attente de nouvelles avant de me mettre à
marcher de long en large.
Mon cœur bat à cent à l’heure. Plus je songe aux révélations de Marc,
plus je panique. Je n’ai pas envie de quitter l’université de Washington. Ma
vie est ici, désormais. La journée suivant l’agression de Marc, le doyen m’a
convoqué à la sortie du commissariat. Il connaît bien mon dossier scolaire.
Il sait qu’avant d’arriver à l’U-Dub, je m’étais déjà fait arrêter plusieurs fois
pour bagarre, vol et autres délits mineurs. La bande avec laquelle je traînais
lorsque j’étais à l’université de Seattle n’était qu’un groupe d’étudiants en
perdition, des délinquants en devenir. Et pourtant, j’ai été accepté dans cet
établissement, j’ai rejoint les Huskies. Le coach et lui ont cru en moi.
Alors, quand ils ont appris que j’avais de nouveau été arrêté pour une
possible agression sur l’un de mes coéquipiers, ils ont pensé à une punition
pour me rappeler que j’étais sur un siège éjectable. La police n’avait aucun
élément contre moi, si ce n’est la faible dose de drogue contenue dans mon
sang. Pourtant, il fallait un motif à ma sanction. J’ai donc été suspendu pour
prise de stupéfiants. Ce qui est on ne peut plus ridicule parce que je n’ai
jamais touché à cette merde.
Je finis par m’asseoir sur la table derrière moi, la tête enfouie entre mes
bras. Les minutes défilent lentement, mais mon angoisse ne se dissipe pas.
Au bout d’une éternité, Bill me rejoint enfin. Il s’installe près de moi, le
regard dirigé vers le feuillage des arbres.
— Les flics sont venus interroger Marc, hier après-midi, m’indique Bill
avec un calme impressionnant.
Mes entrailles se contractent douloureusement.
— Il va bien ? soufflé-je d’une voix étranglée par l’émotion.
— Aussi bien qu’on puisse aller après plusieurs semaines de coma. Il va
devoir passer du temps en rééducation, il a perdu en masse musculaire. Il ne
reprendra pas le hockey de sitôt, mais il va s’en sortir.
Je meurs d’envie de questionner Bill sur l’interrogatoire qu’a passé Marc,
pourtant je n’y arrive pas. Au lieu de cela, je me contente de fixer le banc
sous mes pieds, le crâne coincé entre mes mains.
Bill pousse un long soupir qui me soutire un frisson. La totalité de ma
colonne vertébrale se crispe.
— Marc a assuré aux détectives qu’il n’avait aucun souvenir de toi en
train de l’agresser. Il a raconté que vous avez été accosté par des mecs et
que vous vous êtes fait tabasser.
Il marque une pause avant de conclure.
— Sa version colle parfaitement avec la tienne.
Mes poumons se vident de leur air. Les ongles enfoncés dans ma peau, je
refoule les larmes qui me brûlent les yeux. Putain… ça fait un bien fou
d’entendre que je ne suis pas le connard que tout le monde décrit. À force,
j’ai presque fini par y croire. Après des semaines à avoir porté injustement le
chapeau, la vérité éclate enfin. Je n’ai pas blessé Marc. Je ne suis pas
responsable de son état.
— Le seul élément nouveau, c’est que Marc est persuadé d’avoir reconnu
un étudiant de notre université dans le lot. Le problème, c’est qu’il est
incapable de le décrire.
— Un mec de l’U-Dub, il en est certain ?
— Va savoir… Après un tel coup sur la tête, difficile de dire s’il ne
confond pas.
Le cœur plus léger, je me redresse. Bill se tend. Même sans le voir, je
l’entends bouger et se raidir.
— West… Je suis désolé pour ce que tu traverses, soupire-t-il enfin. Je
t’ai toujours défendu quand les autres te croyaient coupable. J’ai fait ce que
j’ai pu pour que les Huskies ne te tournent pas le dos, mais ça n’efface pas
ce que tu as fait avant. On sait tous les deux pourquoi Marc s’est fait
agresser et j’ai peur que ça recommence.
Il s’arrête un instant, détaille mon visage inquiet.
— Même si tu prétends que tu as tout arrangé, ils ont menacé de s’en
prendre à Manille. Ils ont essayé de faire taire Marc… Je ne veux plus que
quelqu’un soit mêlé à nos merdes. Crois-moi, ça me cause beaucoup de
peine, mais je ferai ce qu’il faut pour ne plus mettre personne en danger.
— En attendant, c’est moi le grand méchant.
— Si c’est la solution pour que personne d’autre ne soit blessé, alors oui.
— Tu sais ce que ça fait de fuir la foule à longueur de journée, de peur de
les entendre cracher sur ton dos ? Je passe mon temps enfermé dans ma
piaule. Mais ça, tu t’en fous, hein ?
— Non, contrairement à ce que tu penses, je ne m’en fiche pas. Trouve-
moi une seule solution pour que les choses s’arrangent, une seule garantie
que les problèmes soient derrière nous, et tout reviendra à la normale.
— Aucun retour en arrière n’est possible…
— Moi, je garde l’espoir que si. En attendant, s’il te plaît… Reste loin de
Manille et de Charlie.
Il assène une tape amicale sur mon épaule, puis disparaît derrière les
arbres. Je renverse la tête en arrière, fixe le ciel duveteux en repensant à ses
paroles.
Si j’avais la moindre idée de comment arranger les choses, ça fait
longtemps que je l’aurais fait.
OceanofPDF.com
18.
Exercice de respiration
Weston
Les gradins sont pleins à craquer. Depuis les vestiaires, je ne peux pas les
voir, mais je les entends. Je perçois ce grondement sourd, ces acclamations
accompagnées d’applaudissements au rythme de la chanson We Will Rock
You. Quand ils s’y mettent tous ensemble, les spectateurs font trembler le sol
et les secousses se propagent sur des dizaines de mètres, jusqu’à mes pieds.
— Les Huskies vous traqueront, hurlent-ils à l’unisson.
De gros coups de tambours sont frappés par les supporters des Ducks. De
leur côté aussi, ils ne se privent pas de faire du bruit. Leurs fans ont roulé
des miles pour encourager leur équipe et ils comptent bien nous prouver
qu’ils sont venus en nombre. Dommage pour eux, nous sommes peu
impressionnables, d’autant que nous les avons déjà vaincus deux fois de
suite. J’ai aperçu quelques-uns de leurs joueurs lorsqu’ils sont descendus du
bus. Cette année, ils ont plus que jamais envie d’en découdre avec nous.
Notre coach nous a conseillé de nous méfier d’eux. Étant donné leur pauvre
vitesse de frappe, ils ont tendance à bloquer leurs adversaires par tous les
moyens possibles, ce qui engendre un bon nombre de chutes et de
plaquages contre la vitre de protection. On ne sort jamais totalement
indemne de ce type de match. Charlie va avoir du boulot, aujourd’hui.
Inconsciemment, mon regard glisse vers la stagiaire, accompagnée par le
docteur Amanda. À part pour nous saluer, nous n’avons pas échangé un mot
de la semaine. Je l’évite autant que possible, comme Bill me l’a demandé,
et elle s’évertue à garder ses distances. Je ne prétends pas que la situation
me plaît, loin de là, je ferai cependant ce qui est le mieux pour elle.
Habillée d’une veste blanche et violette aux couleurs de l’U-Dub qui
recouvre une robe noire, Charlie aide Liam à se strapper{5} la cuisse.
J’examine son visage sérieux, puis me détourne d’elle. Inquiet, je balaie la
pièce du regard, détaille chacun de mes coéquipiers occupés pour la plupart
à taper{6} leur crosse pour que le palet y adhère plus facilement.
Personne ne parle. En pleine concentration, ils sont tous plongés dans
leur propre monde. Pour ma part, je ne tiens pas en place. Je rêve d’une
clope, ce qui est formellement interdit avant un match. J’ai l’estomac si
contracté que je me sens à deux doigts de gerber. Je pars m’isoler une
minute dans les toilettes pour ne pas montrer mon angoisse aux autres. Ils
sont déjà tellement stressés par le match à jouer que je refuse de leur donner
une raison supplémentaire de l’être. La pression est toujours forte lors du
premier affrontement de l’année. C’est le moment d’envoyer un
avertissement à nos futurs adversaires, de leur faire comprendre qu’ils
doivent nous craindre. Je ne veux pas déconcentrer les Huskies avec mes
soucis.
C’est mon problème. Il va falloir que je trouve un moyen de régler ça et,
dans l’immédiat, j’ignore comment je vais m’y prendre.
J’abaisse l’abattant des toilettes afin de m’asseoir dessus. D’une main
tremblante, je récupère au fond de ma poche l’objet à l’origine de toutes
mes angoisses. Je déplie soigneusement le petit bout de papier que j’ai
découvert dans mon casier, il y a une quinzaine de minutes. La dernière fois
que j’en ai reçu un, j’ai menti à Charlie. Je ne reçois que rarement ce genre
de message. Les seuls jours où j’en ai retrouvé dans mes affaires, c’était peu
avant l’incident avec Marc. L’agression de mon coéquipier découle
directement de mon non-respect des instructions qui s’y trouvaient.
Pff… Je ne comprends pas ce que ce mot fiche ici et ça me prend la tête.
J’ai questionné l’ensemble des membres de mon équipe et ils n’ont aperçu
aucune personne extérieure aux Huskies entrer dans la pièce, ce qui est
clairement impossible. Ce papier n’était pas là quand j’ai ouvert mon casier
en arrivant. On l’a déposé bien plus tard. Il n’est pas apparu par magie.
J’ai toujours cru que les mecs de mon ancienne université étaient
responsables de tous mes problèmes, de toutes ces menaces, pourtant avec
dix-sept joueurs dans les vestiaires, quelqu’un aurait dû voir un étranger se
pointer.
Une phrase que Bill m’a dite le week-end dernier, au parc, tourne en
boucle dans mes pensées. Le jour de son attaque, Marc s’est souvenu de la
présence d’un gars de l’U-Dub sur les lieux. Avec ces deux éléments en
tête, je n’arrête pas de songer à la possibilité de m’être trompé depuis le
début. Et si les avertissements ne provenaient pas de mes anciennes
fréquentations, mais de personnes bien plus proches ?
Je me prends le visage entre les mains et souffle un bon coup. Je ne peux
pas me laisser déstabiliser juste avant un match d’une telle importance.
Malcolm a accepté que je joue au poste d’attaquant titulaire, je refuse de le
décevoir. Je ne veux pas les décevoir, pourtant je vais être obligé de le faire
parce que je ne peux pas gagner ce match. Je n’en ai pas le droit, c’est
marqué devant mes yeux, sur ce fichu bout de papier : « Défaite pour les
Huskies, sinon tu sais ce qu’il se passera ».
Dans les vestiaires, le coach nous appelle. La boule au ventre, je range le
mot et sors des toilettes, la mine sombre. Je déteste me faire manipuler de
cette manière.
— Bon, les gars, c’est l’heure d’y aller. Je vous ai déjà dit le fond de ma
pensée, tout à l’heure. Je n’ajouterai rien de plus. Sachez seulement qu’on a
la capacité de gagner, alors donnez tout sur le terrain, d’accord ?
Les joueurs se lèvent à tour de rôle pour se diriger vers le hall. Chez les
Huskies, les jours de match, on frappe dans la main du coach les uns après
les autres en quittant des vestiaires. Je me positionne à la fin de la file
indienne et attends mon tour, le cœur lourd. En mon for intérieur, tout est
confus, incertain, et plus j’approche de la sortie, plus l’angoisse se propage
dans mes veines.
— West, ça va ? T’as l’air pâle, me fait remarquer le coach.
Mon regard effectue des allers-retours entre lui, la porte et mes
coéquipiers, et je finis par me persuader que je fais le bon choix. Ça fait
quelques minutes que cette idée me trotte dans la tête. Prononcer ces
quelques mots me brise le cœur, mais je ne vois pas d’autres solutions. Si
Red Falcon n’est pas sur le terrain, il ne portera pas la poisse aux Huskies.
— Je ne jouerai pas.
Je ne reconnais pas ma voix. Je n’ai même pas l’impression que je suis
celui qui la souffle. Comme à l’extérieur de mon propre corps, j’évolue
dans un monde parallèle où rien n’a de sens. Du bourdonnement
assourdissant en provenance des gradins qui me vrille les tympans à
l’expression déçue du coach, je ne capte plus que des images floues.
— Le stress avant match, c’est plutôt bon signe en général, tente-t-il de
me convaincre. Une fois sur la glace, ça va passer.
— Pas cette fois. Je n’y arriverai pas.
Malcolm me connaît bien. Il sait que je ne refuse jamais de jouer, même
malade. Si je lui dis que je ne peux pas, je ne mens pas. Il pousse un soupir,
se frotte le crâne, puis hèle un des nouveaux de l’équipe.
— Liam, tu prends la place d’ailier droit pour le début du match, lui
explique-t-il avant de se tourner vers moi. Weston ne se sent pas au mieux
de sa forme.
Ce dernier accepte avant de m’adresser un coup d’œil furtif.
— Ça va, mec ?
Je lui retourne son regard avec une pointe d’insolence, me retenant de
l’envoyer balader. Est-ce que j’ai l’air d’aller bien ? Putain, je suis en train
de saboter ma saison pour que l’agression de Marc ne se répète pas. Alors
non. Je vais tout sauf bien.
— Ouais, j’ai mangé un truc qui ne passe pas, déclaré-je finalement afin
d’éviter toute mauvaise ambiance.
Loin d’être convaincu par mon mensonge, Liam hoche néanmoins la tête
et me laisse seul avec notre coach.
— Tu restes sur le côté le temps de te reprendre, OK ? L’équipe compte
sur toi, Weston. Ne nous lâche pas.
Je le remercie avant de rejoindre la patinoire à mon tour. Quand je
m’assieds près des joueurs sur le banc, je suis conscient des regards étonnés
qu’on me jette. Personne ne comprend ce que je fiche ici, alors que je
devrais me trouver sur la glace. Honteux, je m’oblige à fixer l’étendue
blanche devant moi. Perdu dans la confusion de mes pensées, je n’ose
même pas observer le lancement du match. Je n’écoute ni les annonces du
commentateur ni les effusions de joie ou de rage. Lever les yeux me fait
trop mal au cœur. Les minutes s’égrènent sans que je prête attention à ce
qu’il se passe sur le terrain. Tout ce que je retiens lors de la fin de la
première partie du jeu, c’est que les deux équipes sont à égalité : 1-1.
Muet, je trace dans les vestiaires pendant la pause consacrée au nettoyage
et à la vérification de la glace. Je me laisse tomber sur le siège près de ma
rangée de casiers. Bill débarque une minute après. En sueur, il s’assied à
côté de moi, sa bouteille d’eau à la main.
— Tu nous fais quoi, là ? lâche-t-il soudain.
— Pense ce que tu veux de moi, je m’en fous. Je n’entrerai pas sur la
patinoire.
— Pourquoi ?
— Parce que.
— De quoi t’as peur, Weston ? On en a joué des matchs, tous les deux, et
je ne t’ai jamais vu dans un tel état. T’es malade ou alors c’est le retour sur
la glace qui te fait cet effet ?
— Va savoir.
— Tu veux en parler ? souffle-t-il d’un air concerné. Tu peux tout me
dire…
— Ah ouais ?
— Malgré la situation, je suis là si t’en as besoin.
Je lui fais signe que j’ai compris et je m’éloigne, coupant court à notre
conversation. Je n’ai pas le droit de lui ajouter ce poids sur les épaules.
Peut-être que je lui en parlerai plus tard, mais pas maintenant. Pas un jour
de match.
Le coach m’intercepte avant que je ne rejoigne les toilettes. Il m’attire à
l’écart.
— Tu te sens mieux ? Liam n’a pas assez d’entraînement. On va se faire
bouffer par les Ducks si tu ne reprends pas ton poste. Tu crois que tu vas
pouvoir jouer ?
— Pas encore.
Son regard gris se durcit. Il souffle fort, esquisse quelques pas autour de
moi, puis plante son index dans mon plastron de protection.
— Je retourne dans la patinoire avec le reste des Huskies. Je t’accorde
dix minutes supplémentaires pour te calmer, après je te sors d’ici par la
peau des fesses. Compris ?
— Compris, coach.
Je reprends ma place près de mon casier et me laisse tomber sur le banc.
J’enfouis ma tête entre mes mains pour ne pas voir mes coéquipiers repartir
et, au bout de trois minutes, le bruit de la porte qui s’ouvre me fait me
redresser brusquement. Charlie, hésitante, se tient à l’entrée des vestiaires.
Je l’étudie avec curiosité pendant qu’elle se triture nerveusement les doigts.
— Le-le coach m’a demandé de vérifier comment tu allais.
— Eh bien voilà, tu m’as vu. Tu peux retourner lui dire que je ne suis
toujours pas décidé à jouer.
— Est-ce que tu as mal quelque part ? Tu veux que je demande à
Amanda de t’examiner ? Ou alors, c’est le stress ?
— Le stress ? lâché-je, amer. J’aurais préféré que ce soit ça.
— Si ce n’est pas ça, qu’est-ce que c’est ? chuchote-t-elle en approchant.
Son regard cherche à accrocher le mien. Je m’empresse de fixer le sol
entre mes jambes. Je suis incapable de répondre à Charlie que ces gens,
dans les gradins, attendent de moi quelque chose que je ne peux pas leur
donner. J’en ai ras le bol de décevoir tous ceux qui comptent sur moi alors,
non, je n’irai pas sur ce terrain. Je ne saboterai pas volontairement ce
match, c’est au-dessus de mes forces.
Les yeux baissés, j’aperçois ses deux pieds qui s’immobilisent à quelques
centimètres des miens. Ses mains chaudes approchent de mes joues, s’y
déposent avec douceur. Elles encadrent mon visage et m’obligent à relever
la tête vers elle.
— Weston, chuchote-t-elle. Pourquoi est-ce que tu refuses de participer
au match ? Je t’ai vu des dizaines de fois à l’entraînement. Tu es l’un des
meilleurs joueurs que j’ai jamais rencontrés. Tu es largement à la hauteur.
— Tu ne comprends pas…
Je secoue la tête, le front plissé. Charlie ne se doute pas un instant de ce
qui est en jeu. Si je ne respecte pas ce qui est marqué sur le mot, elle
pourrait très bien en faire les frais.
— Je ne peux pas… Je ne peux pas, répété-je inlassablement en fermant
les yeux.
— Bien sûr que tu peux. Il ne tient qu’à toi de le vouloir.
— C’est justement ça, le problème. J’aimerais vraiment aller jouer…
Son pouce caresse ma joue avec tendresse, comme si elle percevait ma
peine. En réponse à mes paroles, elle se penche vers moi et ses lèvres se
posent sur les miennes. Surpris, je rouvre les paupières sans la repousser
pour autant. Ses doigts glissent le long de mon cou jusqu’à se loger derrière
ma nuque. Je la laisse faire. Je n’ai pas le courage de lutter contre Charlie.
Plus encore, je n’en ai pas la moindre envie.
Ma bouche s’entrouvre pour autoriser sa langue timide à y entrer. En
l’espace d’un instant, une vague de chaleur gagne mon corps et mon
humeur change. Mes bras se referment autour de sa taille pour la retenir
près de moi. Alors que notre baiser devient incontrôlable, je l’attire au plus
près et la force à se hisser sur mes genoux. Elle place ses jambes sur le
banc, de part et d’autre des miennes, et vient s’accroupir sur mes cuisses. Sa
robe remonte avec indécence jusqu’à rendre visible sa culotte à travers son
collant. Je suis de la pulpe de l’index les courbes voluptueuses de ses fesses
avant d’atteindre la peau nue de son dos. Son épiderme se couvre de
frissons tandis qu’un soupir d’aise se forme dans sa bouche. Je longe
l’élastique de ses bas et en fais le tour. En réaction, les muscles de son bas-
ventre se contractent quand je l’effleure et elle resserre ses cuisses autour de
moi. Si je ne portais pas mon équipement au complet, coquille de protection
comprise, je lui aurais déjà retiré ses vêtements. Mes doigts poursuivent
leur investigation jusqu’à ce que Charlie me rappelle à l’ordre.
— West, gronde-t-elle contre ma joue.
Mes dents en profitent pour se refermer sur sa lèvre inférieure que je
titille doucement. Je la lâche finalement pour faire courir ma bouche le long
de sa mâchoire et je niche ma tête au creux de son cou, tout près de son
oreille.
— Weston, quelqu’un pourrait nous surprendre.
— Il n’y a que nous, mon ange, susurré-je en lapant son lobe. Toute
l’équipe est concentrée sur le match. Personne ne viendra.
Je suçote sa peau avant qu’elle ne se décolle légèrement.
— Oublier tes problèmes en ma compagnie ne les fera pas disparaître. Je
suis venue te chercher et je compte bien te ramener avec moi. À moins que tu
préfères que Malcolm s’en charge ?
Un grondement s’échappe de ma gorge. Je ne suis toujours pas décidé à
jouer, mais Charlie n’en démord pas.
— Maintenant, on va rejoindre la patinoire tous les deux et tu vas entrer
sur la glace.
— Je ne peux…
— Si, tu peux. Arrête de te soucier des autres. Arrête de répondre à leurs
attentes. Je ne sais pas ce que tu as, mais ce qu’ils pensent n’a aucune
importance. C’est ta vie, ton match. Ton choix. Ne laisse personne décider
pour toi. Qu’est-ce que Weston Parker a envie de faire ? Est-ce qu’il veut
gagner ce match ?
— Bien sûr, répliqué-je, telle une évidence.
— Alors, fais-le, West. Rends-toi ce service, fais-le pour toi. Pas pour eux.
Et si le résultat déplaît à quelqu’un, qu’il aille se faire voir.
— Ça a l’air si simple quand c’est toi qui le dis.
— Parce que ça l’est, tout comme la question que tu dois te poser.
Qu’est-ce que tu veux, au fond de toi ?
Je relève la tête vers elle, plonge dans ses yeux noisette. La réponse est
aussi limpide que de l’eau de roche et elle m’arrive avec tant d’aisance que
j’en suis moi-même étonné.
— Toi.
C’est elle que je veux. Je la désire elle, tout entière, et personne d’autre.
Elle est ce phare dont j’ai besoin pour trouver ma voie dans le brouillard.
Son sourire s’agrandit, mais elle force ses lèvres à ne pas s’étirer.
— Si je n’avais pas un match à gagner, je jure que je te prendrais sur ce
banc, lui soufflé-je.
Je l’embrasse à nouveau tandis qu’une lueur lascive s’éveille au fond de
ses prunelles. La manière dont elle me regarde déclenche un véritable
tsunami d’émotions en moi. La prise de conscience qui en découle est aussi
déstabilisante que le message caché dans ma poche. Désormais, je peux
l’avouer. Je suis loin d’être rassasié de Charlie et je réalise que je m’apprête
de nouveau à tromper la confiance de mon meilleur ami. Je n’ai pas la
moindre envie de me tenir à l’écart de sa sœur. Pire que ça, je comprends
que je n’y arriverai pas.
Mes mains serrent ses hanches pendant que mes lèvres repartent à
l’assaut des siennes. Un délicieux son dont je ne me lasse pas s’échappe de
sa gorge, preuve qu’elle apprécie autant que moi notre étreinte. Après une
longue minute à l’embrasser, Charlie, la bouche rougie par nos baisers,
recule jusqu’à être hors de ma portée en gloussant.
— Je pense que t’es calmé, maintenant. Va leur montrer ce que tu sais
faire. Il est temps que Red Falcon revienne.
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19.
Vole, Red Falcon
Charlie
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20.
À deux doigts du drame
Charlie
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21.
Questions - réponses
Charlie
— Passez une bonne soirée, les filles. Envoyez-moi un message dès que
vous arrivez à l’hôtel. Je vous aurais bien accompagnées, mais il y a trop
d’embouteillages. Ça n’avance pas du tout. J’ai peur que vous ne soyez en
retard. Vous irez plus vite à pied.
— T’inquiète. On gère, déclare Emma, sûre d’elle.
Les joues fardées de rose, des strass pour rehausser son regard et les cils
couverts d’un mascara vert pomme, la nièce de Frank n’a qu’une hâte :
sortir de cette voiture au plus vite. Depuis qu’elle a aperçu le toit du
WAMU Theater, à deux rues d’ici, elle trépigne d’impatience. Son oncle
rigole avant de se tourner vers moi.
— Prends soin d’Emma, Charlie. J’ai déjà prévenu la réception que vous
étiez en route. Et garde un œil sur ce crétin de Weston. Il serait capable de
s’attirer des problèmes même à un concert pour gamines.
— Compte sur moi, soufflé-je en ouvrant la porte.
— C’est pas un concert pour gamines, s’indigne la fillette tandis que la
voiture derrière nous se met à nous klaxonner allégrement.
— Ouais, pardon. J’ai rien dit. Bon, filez avant d’être en retard. Charlie,
tu as mon numéro s’il y a un problème.
Emma adresse un signe de la main à Frank et dès que nous sortons du
véhicule avec nos valisettes, elle m’attrape le bras pour que je la suive.
— J’ai vérifié sur Google Maps, dans la voiture. C’est par là qu’il faut
aller. J’ai même appris par cœur l’itinéraire entre l’hôtel et le WAMU Theater
pour être sûre de ne pas perdre de temps.
Impressionnée, je hoche la tête, puis je plisse les yeux.
— Rappelle-moi quel âge tu as, déjà ? Dix-huit ans ?
Elle glousse tout en trottinant à mes côtés. Sans les tresses et son visage
juvénile encore rond, on pourrait la prendre pour une ado à l’entendre
parler. Emma est l’une de ces petites filles très avancées pour leur âge. Je ne
sais pas si c’est le fait de se retrouver régulièrement sans ses parents qui l’a
forcée à mûrir aussi vite, mais elle me surprend à chacune de nos
rencontres. Hier encore, quand je suis passée la voir chez Frank, elle
m’impressionnait par son indépendance.
Sa mère et son père travaillent avec les plus grands hôtels du pays, ce qui
les amène à voyager régulièrement. C’est grâce à eux que nous avons eu des
chambres gratuites pour la nuit, ils connaissent toute l’équipe du Silver Cloud
Hotel. En ce moment, ils refont la décoration d’un nouvel établissement en
Californie. Quand ils s’absentent, ils confient la prunelle de leurs yeux à Frank,
son oncle, pour le plus grand bonheur des Huskies. De ce que j’en sais,
Weston connaît bien les parents d’Emma. Ils ont l’habitude que l’ailier des
Huskies l’emmène au cinéma ou à la fête foraine.
— Regarde, l’hôtel doit se trouver à l’angle à droite, c’est marqué là !
s’exclame la petite en pointant du doigt un panneau en hauteur.
J’acquiesce et nous poursuivons notre route sur un trottoir bondé. Il y a fort
à parier que les trois quarts des passants que nous croisons se rendent au
concert, eux aussi. Depuis la fusillade à laquelle j’ai assisté à Denver, je ne
suis pas à l’aise quand il y a autant de monde autour de moi. Lieu inconnu,
étrangers… voilà le parfait cocktail pour que je sois sur le point de faire une
crise d’angoisse. Pour Bill, cette soirée représente une épreuve à affronter sur
le chemin de la guérison. Facile à dire.
Frank a appris à me faire confiance. Ce n’est pas évident de confier sa
nièce à une nana rencontrée il y a à peine quelques semaines. Il n’est pas
question que je manque à mon devoir. Il compte sur moi pour veiller sur
elle. J’ai promis de faire de mon mieux et je compte bien y parvenir. Je
prends une grande inspiration avant de jeter un coup d’œil discret aux gens
qui nous entourent. Mis à part le mec un peu flippant équipé d’un bonnet et
de lunettes sombres, tous les autres portent des vêtements amples aux
couleurs flashy, comme Billie Eilish.
La nuit tombe sur Seattle. Il est presque vingt heures et Weston doit nous
rejoindre à l’hôtel d’ici une quinzaine de minutes. Il travaillait à l’irish pub,
ce soir. Par chance, il a réussi à modifier son planning. Il rattrapera ses
heures la semaine prochaine.
— Reste près de moi, murmuré-je à l’attention de la fillette qui se faufile
entre les badauds. Il y a beaucoup de monde.
— Roh, ça va. On est presque arrivées.
Têtue et trop pressée, Emma n’écoute rien. Je peste alors que je la perds
de vue pendant deux longues secondes. J’aperçois finalement un bout de
son pantalon qui dépasse derrière des passants. J’accélère et une impression
bizarre me trouble. Traînant ma valisette derrière moi, je finis par rattraper
la fillette par le poignet pour l’obliger à rester à proximité de moi. Soudain
tendue, je jette un coup d’œil par-dessus mon épaule. Il y a tellement de
monde que je ne sais pas bien ce que je cherche. Une petite voix à
l’intérieur de mon crâne me chuchote d’agir avec prudence. La dernière fois
que mon intuition m’a mise en garde, elle m’a sauvé la vie…
Je balaie les alentours du regard. J’ai la sensation d’être observée, voire
suivie, ce qui est complètement ridicule. Vu le nombre de personnes dans
cette rue, il y a forcément des gens qui marchent dans la même direction
que nous. Ça ne signifie pas pour autant que quelqu’un le fasse
volontairement. C’est ma mauvaise expérience qui me rend parano, rien de
plus.
Je secoue la tête et chasse rapidement cette impression idiote devant
l’immense sourire d’Emma lorsque nous atteignons notre but. Waouh ! Les
parents d’Emma ne rigolaient pas quand ils disaient que leur fille aurait
droit au grand luxe. Un quatre étoiles… rien que ça. Je me retiens de
glousser en détaillant la devanture du Silver Cloud Hotel. Elle est
magnifique, mais je n’ai pas le temps de m’ébahir. Nous devons déposer
rapidement nos bagages pour être à l’heure au concert.
J’ai à peine levé le nez vers les étages que la petite m’entraîne à sa suite.
Nous franchissons les portes d’entrée. Je n’ai même pas besoin de sortir
mon téléphone pour présenter la confirmation de réservation à l’hôtesse
d’accueil. Elle reconnaît aussitôt Emma et, en une poignée de minutes, j’ai
déjà récupéré notre clé ainsi que celle de Weston. La suite qu’Emma et moi
partagerons se trouve pile en face de la chambre du hockeyeur. Un groom
nous guide dans les couloirs et je déverrouille la porte. Emma se précipite à
l’intérieur la première pour s’attribuer la plus belle des chambres. Celle
qu’elle a choisie, sur la droite, a une vue imprenable sur la baie. On y
aperçoit même des bateaux, toutes lumières allumées, flotter sur l’eau. Je
connais mal Seattle, mais ce panorama est à couper le souffle. Je rejoins
mon lit à gauche du salon, puis je me penche par la fenêtre pour admirer
l’extérieur de mon côté. La vue donne directement sur le WAMU Theater, à
quelques pas d’ici.
— Emma, il y a déjà une file immense devant la salle, l’informé-je tandis
qu’elle déboule à toute vitesse.
Ses yeux s’écarquillent lorsqu’elle aperçoit la foule de plusieurs
centaines de personnes.
— On est en retard ? On devrait y aller, non ? Weston n’a qu’à nous
rejoindre à l’intérieur.
Je lui souris tendrement avant de refermer la fenêtre.
— Impossible. De une, West n’a pas son ticket, c’est moi qui l’ai. De
deux, il ne nous retrouvera jamais avec tout ce monde. En plus, il ne va pas
tarder. Il s’est dépêché pour toi, la moindre des choses serait de l’attendre.
On devrait aller l’accueillir en bas, qu’est-ce que tu en penses ?
Elle opine du chef, déjà prête à redescendre, et je consens à la suivre
encore une fois.
Mon téléphone se met à vibrer au même moment. Je le regarde
brièvement.
— Weston vient d’arriver. Tu vois qu’il est ponctuel !
Emma bondit sur ses pieds et je l’imite. Honnêtement, j’ignore qui de
nous deux est la plus pressée de retrouver Weston. Emma qui attend son
fidèle ami pour aller à son concert, ou moi qui ne cesse de repenser aux
promesses sensuelles qu’il m’a faites à propos de cette soirée. Rien qu’en y
songeant, mon bas-ventre se contracte délicieusement.
Aujourd’hui, il n’y a ni Husky ni Bill dans les parages. Juste lui, moi et…
Rah ! Fait chier.
— Emma ! Attends-moi ! Je n’ai même pas encore fermé la porte ! la
hélé-je tandis qu’elle disparaît dans la cage d’escalier.
Je pousse un soupir en récupérant ma clé, puis m’empresse de descendre
les huit étages jusqu’au hall. Heureusement que je sais qu’elle connaît bien
les lieux… Dans mes rêves érotiques avec l’attaquant des Huskies, je n’ai
jamais envisagé que cette fillette, du haut de ses huit ans, serait un obstacle
d’envergure. Personne ne la pense aussi têtue quand elle papillonne de son
regard innocent !
Lorsque j’atteins enfin l’entrée de l’hôtel, je retrouve Emma dans les bras
de Weston. Ce dernier lui ébouriffe les cheveux, la mine attendrie. Je les
rejoins en poussant un long soupir et je désigne le petit diablotin du bout de
l’index.
— J’en connais une qui n’écoute personne, aujourd’hui, grondé-je.
West incline légèrement la tête sur le côté et son sourire s’étire en
m’apercevant.
— Un sweat à capuche ? me lance-t-il, amusé. Est-ce que c’est une tenue
à la mode chez les fans de Billie ?
— Pourquoi ? Tu as quelque chose contre ? riposté-je. Il n’y a rien de
plus agréable à porter.
Il rigole à voix basse, plisse les paupières en me dévisageant.
— Est-ce que je t’ai dit que j’avais une passion pour ce genre de
vêtement ? me taquine-t-il. J’en ai déjà un bleu en ma possession, mais je ne
suis pas contre le fait d’agrandir ma collection.
Je me retiens de rire et ne relève pas son insinuation. Emma s’impatiente,
ce n’est clairement pas le moment de flirter avec Weston. Je m’oblige à me
concentrer sur autre chose que les beaux yeux de mon interlocuteur et leur
fais signe qu’il est temps d’y aller. Si je m’écoutais, je passerais le reste de
ma soirée à mater le fessier musclé de Weston, moulé à la perfection dans
son jean. Comme quoi, patiner plusieurs heures par semaine… ça a du bon.
Le visage d’Emma perd toute trace de joie lorsqu’elle aperçoit
l’extrémité de la file d’attente.
— On va devoir faire la queue pendant des heures, se lamente la fan
numéro 1 de Billie Eilish.
Je me hisse sur la pointe des pieds afin d’avoir une vue d’ensemble
pendant que Weston se met à ricaner.
— Oh, allez, Emma. Tu ne vas pas bouder si près du but. Même si on
reste ici pendant trente minutes, ce n’est rien à côté de l’heure trente de
bonheur qui t’attend.
— Une heure trente de torture pour toi, tu veux dire, se moque-t-elle.
Je hausse un sourcil dans la direction de Weston.
— Tiens, c’est bien vrai, ça, réalisé-je enfin. Frank a dit qu’il ne
supportait pas ce genre de musique, mais toi, tu apprécies Billie Eilish ?
À sa grimace, j’en déduis que cette artiste ne fait pas vraiment partie de
sa playlist habituelle.
— Pourquoi t’es venu si tu n’aimes pas ?
— Parce que cette petite tête blonde me l’a demandé, et ses parents
m’ont obligé à accepter sous peine de représailles, plaisante-t-il. Mais je
ferai ce sacrifice une seule et unique fois. Faut pas abuser non plus.
Il offre un sourire sincère à Emma qui le lui rend avec naturel. Il y a une
complicité forte entre ces deux-là. Je me retrouve à les observer longuement
pour tenter de comprendre leur relation avant de me rendre compte que ça
fait deux bonnes minutes que je fixe West, ce qui ne lui a pas échappé. L’air
amusé par ma façon de le regarder, il finit par plisser le front.
— Qu’est-ce qu’il y a ? m’interroge-t-il.
— Non, rien.
— Sérieusement, qu’est-ce que tu as ?
Sa voix est douce, à peine joueuse, ce qui ressemble peu au hockeyeur
que j’ai l’habitude de côtoyer.
— Je me disais seulement que je ne connaissais pas grand-chose de toi, à
commencer par tes goûts musicaux.
— C’est simple, intervient Emma, il n’aime rien. Il déteste tout ce que
Frank et moi lui avons fait écouter.
— J’ai des goûts bien précis, ça n’a rien à voir, se défend-il.
— Quoi, par exemple ? lui demandé-je.
— Je ne sais pas moi, Muse ou encore System of a Down.
— Oh… tu es plutôt ancienne école.
Nous avançons de quelques pas, signe que les portes de la salle sont enfin
ouvertes. Une goutte de sueur froide dévale mon dos et me fait frissonner.
D’ici une poignée de minutes, je me retrouverai coincée au milieu de la
foule, sans possibilité de m’enfuir si les choses tournaient mal. Ma main se
resserre autour de la barrière qui guide la file. Je m’enjoins au calme
pendant qu’Emma pousse un cri de joie trop aigu pour mes tympans
sensibles. En tout cas, sa bonne humeur fait plaisir à voir, elle est
communicative. Il n’y a qu’à regarder Weston pour le constater. Je ne l’ai
jamais connu si détendu et souriant. L’homme à mes côtés est à l’opposé de
celui que j’avais rencontré chez Frank. Il capture mon regard alors que je
l’épie une nouvelle fois et, prise en flagrant délit, je me retiens de détourner
la tête. J’aurais l’air d’autant plus coupable si je le faisais.
Comme s’il percevait mon inquiétude, il se rapproche.
— Et donc… qu’est-ce que tu aimerais savoir d’autre, Charlie ?
Demande-moi n’importe quoi et je te répondrai.
— Tout ? Vraiment ? T’es sûr de toi ?
— Absolument.
Sa façon de s’humecter les lèvres entre deux phrases soufflées a le don de
me rendre dingue. Je promène mon regard sur lui pour réfléchir sans que
ses yeux perçants viennent parasiter mes pensées déjà éparses.
— Hmm… Quelle est ta couleur favorite ?
— Oh, c’est simple, c’est le bleu ! s’écrie Emma, ravie de pouvoir
répondre à sa place.
À peine sa phrase prononcée, la petite pivote sur ses talons pour
surveiller l’avancée de la file.
— Elle était facile. Tous mes amis le savent. Question suivante ?
— Ton plat préféré ?
— La pizza ananas, déclare-t-il, un rictus fier sur les lèvres.
Choquée, je le dévisage avec dégoût.
— T’es sérieux ?
— Non, se marre-t-il. La pizza végétarienne.
Je fronce les sourcils, puis je comprends qu’il se fiche de moi une
nouvelle fois.
— T’es pas drôle, Parker. Tu avais dit que tu répondrais à toutes mes
questions.
— Je n’ai jamais dit que ce serait la vérité. Tu sais… je viens de remarquer
un truc de dingue. Tes expressions sont facilement identifiables. Tiens, là, je
peux voir que t’es blasée. C’est marrant.
— Quel génie tu es, répliqué-je sur un ton sarcastique.
— Vas-y, pose-moi une dernière question. J’y répondrai franchement.
Dépitée, je secoue la tête. Il rit dans sa barbe pendant que nous
approchons des portes du WAMU Theater. Je sors nos billets tout en levant
les yeux au ciel.
— Non.
— Allez, c’est ta dernière chance, Croft, me lance-t-il en me bousculant
d’un coup d’épaule pour me faire réagir. Je ne dirai que la vérité, rien que la
vérité.
— Questionne-le sur sa copine, me souffle Emma un peu trop fort. Il
refuse de me dire quoi que ce soit sur elle.
Je croise le regard effronté de Weston qui se demande si je vais oser. La
lueur franche dans ses iris océan me met clairement au défi de le faire. Les
mots me brûlent les lèvres, menacent de s’échapper, mais je résiste et les
retiens prisonniers. Il est hors de question que je l’interroge sur ce sujet
épineux. Je ne veux pas connaître la réponse, car il y a une chance sur deux
pour qu’elle ne me convienne pas. Je n’ai pas envie de me gâcher la soirée
alors qu’elle s’annonce déjà éprouvante. Au lieu de participer à ce jeu
stupide, je tends nos billets au mec posté à l’entrée d’une main tremblante.
Nos places se trouvent près de l’allée centrale, à une vingtaine de mètres
de l’estrade. Nous nous installons le long des barrières de sécurité qui vont
du fond de la salle à la scène, de manière à ce que la petite Emma ne soit
pas écrasée par les fans trop excités. Guidée par ce réflexe détestable qui
me pourrit la vie, j’énumère les sorties visibles, la boule au ventre, et je
commence à compter. Le bras rassurant de Weston se glisse derrière ma
taille au moment où il se place près de moi.
— Si tu n’as pas de question, moi j’en ai une.
La gorge serrée, je ne lui réponds pas, mais je l’invite à poursuivre d’un
geste.
— Qu’est-ce qui t’effraie à ce point ?
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22.
Invités surprises
Charlie
Devant nous, Emma a son attention fixée sur la scène encore déserte.
Quelques techniciens effectuent les derniers tests son avant l’arrivée de
l’artiste. Je balaie les alentours d’un regard inquiet jusqu’à croiser les iris
bleus posés sur moi.
Un puissant coup de caisse claire retentit dans la salle. Je me couvre les
oreilles en rentrant la tête entre mes épaules, comme on le fait lorsqu’une
détonation d’arme à feu résonne à proximité. Weston articule quelque
chose, pourtant je suis incapable de répondre. Tétanisée, je lutte pour que ce
stupide décompte s’arrête dans ma tête, mais il n’y a rien à faire. C’est juste
plus fort que moi.
Un. Deux. Trois.
— Charlie ?
Je perçois sa voix, perdue quelque part dans le brouillard qui m’entoure.
Quatre. Cinq. Six. Sept. Ses mains se posent sur mes épaules tandis qu’il
m’appelle une nouvelle fois.
Huit. Neuf.
Les yeux de Weston s’ouvrent en grand quand il comprend.
Dix.
— Ça n’a rien à voir avec une phobie sociale, hein ?
Je remue la tête lorsque je parviens à reprendre le contrôle de mon corps.
— Ça dure depuis longtemps ?
— Depuis mai, soufflé-je.
West jette un coup d’œil à Emma afin de vérifier qu’elle n’écoute pas,
puis il poursuit son interrogatoire.
— Qu’est-ce qui s’est passé ?
— Une fusillade, à Denver, lâché-je simplement.
Il fronce légèrement les sourcils, rabat mon corps contre le sien avec
douceur.
— Bill m’a parlé d’un drame à ton université, peu avant qu’on se dispute,
lui et moi, mais je n’aurais jamais pensé que tu l’avais vécu de près… Ça
explique bien des choses, chuchote-t-il en embrassant ma tempe. Tu n’es
pas toute seule, Charlie. S’il se passe quoi que ce soit, je suis là.
Reconnaissante, je lui adresse un sourire timide. Emma pousse un
hurlement strident alors que les lumières s’éteignent. La foule impatiente
s’agite et Weston se place en rempart entre Emma et moi, et le reste des
spectateurs.
Les premières minutes du concert se déroulent dans la joie et le calme, ce
qui aide fortement à diminuer mon stress. Je parviens presque à profiter de
l’ambiance. Même si je fais mon possible pour ne pas jeter des regards
curieux à Weston, je ne peux m’empêcher de remarquer à quel point il est
attaché à la nièce de Frank. Il se comporte avec elle comme un véritable
grand frère. Il prend ce rôle très à cœur. Je me demande s’il a des frères et
sœurs. Il ne m’a jamais parlé de sa famille. J’ignore s’il s’entend avec ses
parents, s’il leur rend visite de temps en temps. Je me rends compte que
j’aimerais en savoir plus à son sujet. Beaucoup plus. Et quand je commence
à avoir ce genre de pensées à propos d’un garçon, ça n’augure rien de bon.
Bill va me détester. Il n’était déjà pas ravi d’apprendre que Weston nous
accompagnerait, mais j’ai omis de mentionner que Frank ne serait pas de la
partie… Et puis, ce n’est pas comme si nous étions en tête à tête. Il y a cette
blondinette, dont les yeux pétillants sont rivés à la scène.
Emma se tient à un mètre devant nous. J’observe rapidement le spectacle,
mais mon attention est vite détournée par la silhouette massive du
hockeyeur, à quelques centimètres de moi. Je souris malgré moi et Weston
penche la tête dans ma direction. Pensant qu’il souhaite me parler, je me
rapproche de lui afin de mieux l’entendre. Or, sa bouche ne s’arrête pas près
de mon oreille. Un hoquet de surprise s’échappe de ma gorge alors qu’il
continue sa route jusqu’à atteindre mes lèvres. Il me faut un instant pour
réaliser que c’est déjà terminé.
Je contiens un soupir de frustration. Weston a décidé de titiller mes nerfs
et il sait parfaitement s’y prendre. Fier de son petit effet, il réitère
l’expérience le long de ma nuque dès qu’Emma a le dos tourné.
— West, soufflé-je d’un ton réprobateur.
— Tu es trop tendue. Je t’aide à profiter du moment…
Plus les minutes s’écoulent, moins je parviens à prétendre que je ne suis
pas raide dingue de ce type. Quand sa bouche s’égare sur mon lobe, quand
il enfouit son visage dans mes cheveux pour humer mon parfum, mon cœur
s’emballe et je ne suis pas sûre qu’il mesure l’ampleur du tsunami qu’il crée
en mon for intérieur. Ce ne sont plus de simples papillons qu’il réveille,
c’est mon âme tout entière qu’il ébranle.
— La suite après le concert, mon ange, souffle-t-il avant de se concentrer
sur la surveillance d’Emma.
Des frissons se répandent sur mon corps en même temps que la chaleur
se propage dans mon ventre. Mon Dieu… j’ai beau apprécier l’artiste sur la
scène, quatre-vingt-dix minutes ne m’ont jamais paru aussi longues de toute
ma vie. Je tente de profiter des chansons, mais l’homme qui ne cesse
d’effleurer ma peau représente le seul et unique intérêt de ma soirée.
Pardon Billie, mais face à Weston, je crains que personne ne soit à la
hauteur.
Une main possessive posée sur ma hanche et l’autre placée en protection
d’Emma, l’ailier des Huskies joue la défense, ce soir, et il me tarde qu’il
passe à l’attaque.
Lorsque nous quittons le WAMU Theater à la fin du concert, je ne suis
plus qu’une boule en tension, prête à imploser. Je fais mon possible pour ne
pas paraître troublée, mais j’ai le plus grand mal à conserver mon calme
près de Weston. Prétendre que je ne ressens rien et rester de marbre en sa
présence, comme une fichue statue, devient de plus en plus compliqué.
Les fans amassés dans les couloirs nous empêchent d’avancer et nous
perdons près de trente minutes à essayer de nous faufiler dans la foule
compacte. Je comprends mieux pourquoi Frank insistait pour que nous
dormions à l’hôtel au lieu de rentrer en voiture. Il est plus de vingt-deux
heures et la petite Emma montre des signes de fatigue. Nous décidons de
faire un rapide détour. Au lieu de marcher tout droit, en direction du sud,
nous contournons le pâté de maisons pour rejoindre l’hôtel par un second
accès. La pluie s’est invitée à notre promenade nocturne. Weston décide de
la porter sur son dos le temps de rentrer, mais rapidement, l’ambiance bon
enfant se transforme. Alors que nous laissons derrière nous les chants des
fans qui refont le concert, l’atmosphère s’alourdit. J’ai une impression
désagréable de… déjà-vu. Comme tout à l’heure en arrivant près du Silver
Cloud Hotel, je m’arrête une seconde pour regarder par-dessus mon épaule.
Il n’y a pas grand monde dans cette rue-là, si ce n’est les deux mecs qui
nous suivent et celui qui vient en face.
— Ça va Charlie ? Qu’est-ce que tu fais ? me demande Weston en
ralentissant à son tour.
Comme je ne réponds rien, il se met à me chambrer.
— Tu veux que je te porte, toi aussi ?
Weston fait le pitre, mais je ne l’écoute pas. Une sensation familière
commence peu à peu à enfler dans ma poitrine. Je perçois les alertes de mon
cerveau qui me conseille de partir d’ici au plus vite. Je sais reconnaître
quand on est pris au piège. Et là, je me sens faite comme un rat.
— Allez, viens. La température baisse et j’ai peur qu’Emma tombe malade
avec la flotte. Frank va me tuer si elle prend froid.
Je recule dans sa direction sans geste brusque. Mon cœur se fracasse dans
ma poitrine, pourtant je ne me presse pas. Face à la mort, rien ne sert de
courir.
— West, murmuré-je, la voix soudain éraillée. Il y a deux hommes
cagoulés qui nous suivent.
— Quoi ?
— Je-je reconnais les vêtements de celui qui arrive derrière toi. Je l’ai vu
avant le concert.
— T’es sûre de toi ?
Il relève la tête. La fin de sa phrase se brise dans sa gorge lorsqu’il
comprend que je dis vrai. Weston ne cille pas. Il ne bouge même plus,
pourtant son attitude change du tout au tout.
— Putain… Je suis désolé pour ça, Charlie.
— Désolé pour quoi ?
Mais il ne me répond pas. Il se contente de reposer Emma aussi
doucement que possible sur le sol. Il caresse ma joue du dos de son doigt,
les traits inquiets et tendus au possible.
Mon corps se crispe. Je connais ce regard. Je l’ai déjà aperçu dans les
yeux terrifiés des étudiants pris au piège dans l’amphithéâtre avec moi.
Quelque part, au milieu de l’épouvante, il y a une forme de résignation. Une
sorte d’acceptation de son sort.
Les trois hommes ralentissent. L’un d’eux sort une crosse de hockey de
derrière son dos. Je frémis de la tête aux pieds quand je réalise qu’ils sont
venus exprès pour affronter Weston.
— Alors, Red Falcon, on se balade ?
Ce dernier ne réagit pas à leur provocation. Il tourne la tête vers moi et je
peux découvrir dans ses yeux toute l’angoisse qui y règne.
— Quand je te le dirai, enfuis-toi avec Emma. Compris ?
Je refuse en remuant la tête. Je n’ai pas envie d’abandonner Weston ici.
Pas comme ça. Pas alors qu’ils sont trois, armés, contre lui.
— Si, tu vas le faire.
Je ferme les yeux, serre fort la main de la fillette rendue muette par la
stupéfaction. Dans mon esprit, un décompte commence sans que je le
veuille.
Un. Deux. Trois. Quatre.
Weston fait un pas en avant pour se positionner entre les hommes et nous
et le premier coup de crosse part. J’entends l’arme se fracasser sur l’épaule
de Weston alors qu’il hurle :
— Charlie, cours !
Cinq. Six. Sept. Huit.
Incapable de bouger, je tremble de la tête aux pieds. Des larmes de
terreur roulent sur mes joues lorsqu’un deuxième coup fait vibrer l’air.
— Putain… Charlie, cours ! Emmène Emma loin d’ici.
Neuf.
Dix.
Et cette fois-ci, j’obéis sans un regard en arrière. Je m’élance dans la nuit,
le ventre noué par la peur et les sanglots coincés dans ma gorge, avec pour
seul mot à la bouche, le prénom de Weston.
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23.
Les règles du jeu
Weston
Le souffle coupé par le coup de crosse balancé à toute vitesse dans mon
ventre, je suffoque. J’ai les côtes en feu, si bien que je suis forcé de cracher
mes poumons pour pouvoir respirer. Une vive brûlure irradie dans ma
poitrine. J’inspire à la hâte une grosse bouffée d’oxygène avant de
m’étouffer et l’air siffle en pénétrant mes bronches.
Putain.
À quatre pattes sur le sol, les mains douloureusement vissées au goudron
rugueux, je relève la tête avec prudence vers mes assaillants. Celui qui
paraît être le donneur d’ordres se tient fièrement à trois mètres de moi. S’ils
n’étaient pas trois, je lui éclaterais déjà la gueule à l’heure qu’il est.
— Tu connais la règle, Red Falcon. Chaque fois que tu désobéis, tu es
puni.
Il adresse un signe de la tête à l’un de ses complices et la crosse s’élève à
nouveau au-dessus de mon corps. Je roule sur le flanc afin d’éviter de me la
prendre en plein crâne et le coup frôle de justesse ma veste. Je crois l’avoir
échappé belle, mais le bâton revient dans ma direction. Je serre les dents,
encaisse le choc dans mon flanc gauche.
— Qu’est-ce que vous me voulez ? soufflé-je entre deux expirations
difficiles.
— Que tu suives nos instructions. Le deal était clair.
Je secoue vivement la tête avant de réussir à m’accroupir.
— Le deal était surtout terminé ! On avait passé un accord pour trois
matchs et j’ai tenu parole.
— Tu devrais savoir qu’une fois que tu as mis le doigt dans l’engrenage,
ça ne s’arrête jamais.
— Qu’est-ce que vous voulez que je fasse de plus ? Je ne vais pas obéir
toute ma vie à vos stupides instructions.
— Ça ne te déplaisait pas, pourtant, au début.
— On avait un accord, hurlé-je. Trente pour cent pour moi, le reste pour
vous. J’ai respecté ma parole, maintenant fichez-moi la paix.
— Ce serait trop facile de t’autoriser à te barrer comme ça.
— C’est quoi, votre problème ? Vous voulez plus de fric ? S’il faut que je
rembourse Indy, je le ferai. Laissez-moi juste un peu de temps pour
rassembler l’argent.
Les hommes cagoulés échangent quelques regards entre eux avant
d’éclater de rire. J’ai beau détailler leurs carrures et leurs voix, je ne
reconnais aucun de ces mecs. Est-ce qu’ils sont nouveaux dans la bande ?
Celui qui se tient derrière moi prépare sa crosse pour le prochain coup. Je le
garde à l’œil tandis que le leader du groupe reprend ses intimidations.
— Indy se fout de ton fric. Elle veut juste que tu suives les instructions.
Ce n’est pas compliqué à piger.
Je tique. Elle ? Indy est un mec de mon ancienne université, pas une fille.
C’est un prénom mixte, mais si ces gars viennent de sa part, ils sont
forcément au courant.
À moins qu’ils bluffent ?
Mes yeux s’écarquillent lorsque je comprends que ces trois hommes
n’ont probablement aucun rapport avec mon ancienne bande. Je décide de
vérifier si ma supposition est vraie en les testant, et ils foncent droit dans le
panneau.
— Indy acceptera peut-être ma proposition si je double le montant. C’est
une femme intelligente.
— Et où est-ce que tu vas trouver l’argent, Red Falcon ? Aux dernières
nouvelles, tu as fait appel à elle parce que tu manquais de thune, justement.
Ne me fais pas croire que t’es devenu plein aux as entre-temps. Indy se
contrefout de ton fric, de toute façon. Elle veut seulement que tu obéisses.
Si elle te demande de perdre un match, tu le fais. Un point c’est tout.
— Ah ouais ?
Je réfléchis à la hâte tout en les gardant à l’œil. Même s’ils ne savent pas
qui est Indy, ils ont l’air très au courant du deal que j’ai passé avec lui. Ils
ont même connaissance de mes problèmes de fric, pourtant ce n’est pas un
détail que je crie sur les toits. Un déclic s’opère soudain dans mes pensées.
Cette histoire de paris était un accord secret entre Bill, la bande avec
laquelle je traînais quand j’étais à l’université de Seattle et moi. Marc, lui, a
compris tout seul ce qui se tramait en nous voyant saboter notre jeu.
Si les trois hommes face à moi ont appris l’existence de ce pacte, c’est
que ça a fuité quelque part. Visiblement, ce n’est pas Indy qui m’a balancé,
vu qu’ils sont persuadés qu’il s’agit d’une femme.
Peu à peu, des liens entre les messages de menace reçus dans les
vestiaires et les paroles de Marc se tissent. Ce dernier est certain d’avoir vu
un étudiant de l’U-Dub l’agresser avant de tomber dans le coma. De plus, il
semblerait que la personne qui a déposé ces mots dans mon casier avant le
match soit un proche des Huskies, étant donné qu’aucun inconnu n’a accès
aux vestiaires. Tous ces éléments me font dire que les trois hommes face à
moi ne viennent pas de mon ancienne université comme je le croyais. Ce
sont peut-être même des gens que je fréquente tous les jours.
Sentant la rage bouillir dans mes veines, je serre les poings. Indy ne me
balancerait jamais parce qu’il sait très bien qu’il coulerait avec moi. Bill ne
me ferait jamais ça et Marc était dans le coma.
Mais alors qui sont ces mecs ? J’ignore d’où ils sortent et comment ils
ont eu accès à toutes ces informations.
L’homme derrière moi me pousse du bout de sa basket pour me faire
perdre mes appuis. Je conserve le silence, mais ma patience touche à sa fin.
Viendra un moment où je riposterai, quitte à finir à l’hosto ou en taule.
C’est le problème avec moi. Quand je suis lancé, je suis incapable de
changer de trajectoire. On ne me surnomme pas Red Falcon pour rien. Or, il
ne faut pas que je perde le contrôle. Je dois réfléchir. Qu’ils me frappent
s’ils le veulent, j’encaisserai. Tout ce qui m’intéresse, c’est trouver
comment tirer avantage de la situation. Je dois arriver à en démasquer au
moins un. Et pour ce faire, je n’ai pas d’autre solution que de me battre avec
eux.
Pff… J’imaginais une fin de soirée bien différente.
Je ferme les yeux une fraction de seconde et le visage de Charlie s’invite
derrière mes paupières. Je réprime un frisson d’angoisse. Je ne sais même
pas si Emma et elle sont rentrées à l’hôtel. Peut-être qu’il n’y avait pas que
trois hommes dans cette ruelle et qu’elles se retrouvent dans la merde par
ma faute.
Je tourne vite fait la tête pour tenter d’apercevoir l’extrémité de l’allée,
cependant je ne distingue personne.
— Pas la peine de chercher un moyen de t’enfuir, Weston. On ne te
laissera pas t’échapper.
Si seulement je pouvais avoir la confirmation qu’elles sont en lieu sûr, je
me sentirais déjà plus serein. Au fond de ma poche, j’attrape mon téléphone
et je le déverrouille à l’aveugle grâce au bouton sur le côté. Je le sors
prudemment pour le poser sur le goudron, en sécurité entre mes jambes.
J’ignore les divers messages qui sont arrivés durant le concert et j’active
l’enregistrement vidéo. Si je peux ramener une quelconque preuve du
chantage que je subis depuis trois mois, peut-être que…
— Qu’est-ce que tu fous ? m’interrompt l’homme face à moi. Tu veux
appeler ta mère au secours ? Où est passé le courage légendaire de Red
Falcon, hein ?
Un coup de crosse me force à reculer et d’un coup de pied, il éloigne le
téléphone de moi.
— C’est toi qui parles de courage alors que vous êtes à trois contre un ?
Vous n’êtes rien de plus qu’une bande de mauviettes. Vous savez vous
battre à plusieurs, mais seuls, vous ne faites pas le poids.
— Un combat ? C’est une punition, pas une baston, mon grand.
— Une punition pour ne pas avoir respecté un accord que je n’ai pas
passé ? N’importe quoi. Ce n’est ni plus ni moins que du harcèlement et du
racket.
— La ferme. Tu fais ce qu’on te dit, un point c’est tout. À moins que tu
aies envie de finir comme Marc.
— Il n’avait aucun lien avec cette histoire. Pourquoi est-ce que vous vous
en êtes pris à lui ?
— Parce que cet idiot s’est mêlé de ce qui ne le regardait pas.
Je me relève, souriant.
— Il vous a vus, hein ? C’est pour ça que vous l’avez attaqué.
Mon interlocuteur n’apprécie visiblement pas le rictus sur mes lèvres. Il
fait signe à son acolyte de frapper et cette fois-ci, je n’ai pas le temps
d’esquiver. Je reçois la partie coudée de la crosse directement entre les
omoplates et je suis projeté d’un bon mètre en avant.
— Je te rappelle les règles, Weston Parker. Je parle, tu écoutes.
Putain. Je. Vais. Les. Éclater.
Bien décidé à ne pas lui obéir, je résiste. Je me redresse tant bien que mal
au moment où un coup atteint mon bras. La rage au ventre, je me tiens prêt.
Il arme à nouveau sa crosse et je me retourne avant l’impact pour la lui
arracher. Trop surpris par mon geste, il papillonne du regard sans réagir. Le
manche lui glisse des mains. Le troisième mec, jusque-là inactif, avance à
son tour. Tous les deux se jettent sur moi alors que je balaie l’air avec le
bâton. S’il y a bien un domaine dans lequel j’excelle, c’est dans le
maniement d’une crosse.
— On ne laissera pas notre petite poule aux œufs d’or s’enfuir, argue le
chef. Faites en sorte qu’il se souvienne de cette soirée.
Un coup de pied vient percuter mon tibia. Au moment où mon genou
flanche, j’atteins l’un des deux mecs au ventre. Je fais tournoyer le manche
et j’assomme presque son binôme. Il roule sur le côté en gémissant, ses
deux mains enroulées autour de son crâne, puis il s’éloigne de moi. Son
copain, lui, est nettement moins froussard. Je me prends son poing en plein
dans l’arcade. Sous l’effet du choc, je titube. J’ai les oreilles qui sifflent, la
vision trouble. Durant les secondes qui suivent, je frappe au hasard devant
moi, jusqu’à ce que mes coups fassent mouche. Je rouvre un œil avec
précaution, constate que les deux autres gars ont disparu. Il ne reste que ce
type, moi et ma fureur.
J’avance d’un pas sûr dans sa direction. Il recule jusqu’à heurter le mur
derrière lui. Soudain, je le vois plonger sa main dans la poche pour en sortir
un couteau.
— Tu veux faire un deal avec moi ? sifflé-je. Tu me poses ça gentiment
sur le côté et je me contente de te retirer ta cagoule. Sinon…
Je me rapproche davantage, faisant vrombir l’air avec la crosse. Son arme
brandie devant lui, il ne répond rien.
— Tant pis. C’est ton choix. Ça me va aussi.
Je me redresse de toute ma hauteur, le surplombant de quelques
centimètres. Mes muscles se tendent alors que la partie coudée du bâton
s’écrase contre ses côtes. Au bruit sourd qui s’échappe de sa bouche, j’en
déduis que j’ai bien visé. J’élève mon arme une nouvelle fois. Il balance de
lui-même son couteau sur le sol et je l’imite. Je l’attrape par le col de sa
veste, mais ce con a un sursaut de lucidité et tente encore de se défendre. Il
me pousse et je joue de mon poids pour résister.
Des sirènes de police résonnent entre les murs de la ruelle. Je croise
brièvement le regard du mec en face de moi. Il est terrifié à l’idée de se
faire choper et je suis du même avis que lui. Si on m’arrête, le hockey, c’est
terminé pour moi. Après tout le mal que je me suis donné pour m’en sortir,
il n’en est pas question.
L’homme se débat pour se libérer. J’essaie de lui arracher sa cagoule dans
un geste désespéré. Mes doigts s’enfoncent dans la chair de son visage
pendant que je tire aussi fort que possible sur les mailles du tissu. Nous
basculons sur le sol avant de rouler sur deux mètres. Je ne lâche pas ma
prise. La joue de mon agresseur est quasiment découverte. Je peux y voir le
sang de ma griffure qui commence à rougir sa peau, telle une balafre. J’y
suis presque. J’arrache sa cagoule si fort qu’elle me reste dans les mains. En
réaction, mon adversaire me balance un coup de pied directement dans le
crâne. Je prends appui sur le goudron pour me redresser et le temps de me
relever, mon assaillant est déjà en train de prendre la fuite.
Et merde.
Les gyrophares des flics commencent à colorer les murs à l’extrémité de
la rue. Je cours pour récupérer mon téléphone et je fonce aussi vite que
possible en direction de l’hôtel. J’essuie rapidement mon visage à l’aide de
ma manche en espérant avoir l’air présentable et je rabats la capuche de ma
veste sur ma tête. Arrivé devant le portier, je brandis ma clé dans sa
direction. Ce dernier m’adresse un regard curieux, mais ne commente pas
mon apparence. Je rejoins l’ascenseur et pendant qu’il monte au huitième
étage, je visionne l’enregistrement de la vidéo. On n’y voit rien que des
silhouettes qui s’agitent, mais on entend clairement notre discussion.
Quelqu’un affirme publiquement que je ne suis pas le responsable de
l’attaque de Marc. Ce n’est pas grand-chose, sachant que j’ai déjà été
innocenté, mais c’est toujours ça de pris.
J’essuie à nouveau le filet de sang qui coule le long de ma tempe, puis
j’observe mon reflet dans la vitre de mon portable. Alors que je détaille les
dégâts, le nom de Charlie apparaît sur l’écran. J’écoute son message vocal.
Sa voix est si tremblante que mon cœur se serre.
— Weston ? T’es où ? Dis-moi que tu vas bien… Je t’en prie, dis-moi que
tu vas bien.
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24.
L’art de soigner
les bleus à l’âme
Weston
La chambre numéro 804 n’est plus qu’à quelques pas. Je fourre mon
téléphone dans ma poche sans prendre le temps de lire les divers messages
reçus. Une seule information m’intéresse à l’heure actuelle, et je
l’obtiendrai plus rapidement par moi-même. Si Emma et Charlie sont bien
arrivées à l’hôtel comme je l’espère, je pourrai lui répondre de vive voix.
J’engloutis les mètres qui me séparent de l’extrémité du couloir, puis je
cherche le numéro correspondant à ma clé. 805, c’est ma chambre, mais je
ne m’y arrête pas. Je suis loin d’être présentable et je m’en contrefous. Je
suis bien trop préoccupé pour prendre le temps de me nettoyer ou de me
poser. J’avais une seule et unique mission, ce soir : veiller à la sécurité
d’Emma et de Charlie, et je ne suis pas certain d’avoir réussi. La voix
étranglée de Charlie flotte encore dans mes pensées. Elle paraissait si
terrifiée que j’en ai les doigts tremblants.
Arrivé devant la petite pancarte dorée indiquant 804, je frappe à la porte. Je
retiens mon souffle en fixant la paroi immobile. Inquiet du silence qui règne,
je tends l’oreille. Pas un bruit ne vient briser la tranquillité de la nuit. Je
tambourine plus fort malgré mes bras endoloris par les coups que j’ai reçus.
Cette fois-ci quelqu’un accourt, et la porte s’ouvre à la volée. Je lâche le plus
long soupir de ma vie quand Charlie apparaît dans l’embrasure.
Putain, ce que j’ai flippé ! J’ai cru qu’il n’y avait personne.
Je ferme les yeux, renverse la tête en arrière pendant que mon cœur
bondit dans ma poitrine.
— West, qu’est-ce qu’ils t’ont fait ? murmure Charlie.
Sa voix est exactement la même que dans son message. L’émotion la
rend hésitante et faible, presque étranglée. Je rouvre les paupières pour
observer la jeune femme qui se tient face à moi. Ses yeux sont rouges,
larmoyants. Elle a noué ses cheveux en un chignon dont les mèches couleur
caramel tombent négligemment sur ses épaules.
— Weston ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
J’entends ses paroles, pourtant je ne réagis pas. Je ne vois que ses lèvres
pleines, roses et rassurantes qui formulent des mots que je ne saisis pas. Un
besoin inexplicable jaillit au fond de mes entrailles, occultant toute pensée
rationnelle. Au milieu du brouillard dans lequel j’évolue, il n’y a qu’elle. Son
corps, sa bouche. Ma boussole dans toute cette merde, mon rempart contre la
folie. N’écoutant que mon instinct, je tends ma paume vers son visage. Je
m’approche d’elle. Ses yeux inquiets s’entrouvrent de stupéfaction, mais elle
ne me repousse pas. Au contraire, elle me rejoint à mi-chemin, là où nos
lèvres se retrouvent enfin.
Nos bouches se fracassent l’une contre l’autre pendant que mes mains
s’arriment à sa nuque. Rien que de pouvoir la toucher, je me sens revivre. Je
l’embrasse avec une passion que je ne me connaissais pas et elle me rend
mon baiser avant de s’écarter en douceur.
— Tu as l’air complètement choqué, chuchote-t-elle comme si elle avait
peur de me blesser en haussant le ton.
Je remue tristement la tête. Je ne peux pas lui dire la vérité. C’est
impossible. Que penserait-elle de moi, quelle vision aurait-elle de son frère,
si elle apprenait ce que nous avons fait ? Lui avouer quel connard j’ai été la
poussera à me détester pour de bon et je refuse que ça arrive. Je refuse
qu’elle s’éloigne de moi alors qu’elle est l’unique personne au monde à me
regarder différemment. Pour les autres, je suis coupable, quoi que je fasse,
quoi que je dise. Charlie est la seule à ne pas me juger. Je le vois dans le
reflet de ses prunelles. Elle a toujours nié les rumeurs qui couraient à mon
sujet. Elle m’apprécie pour celui que je suis et ça, ça la rend exceptionnelle
à tous les niveaux.
— West… répète-t-elle d’une voix plus douce, mais plus ferme.
Sa paume court délicatement le long de ma mâchoire. De la pulpe du
pouce, elle effleure avec précaution les éraflures qui rougissent ma joue. La
chaleur de sa peau réchauffe peu à peu la mienne et j’ai l’impression de
respirer à nouveau.
— Entre. Je vais nettoyer tes plaies.
Charlie me guide jusqu’au canapé en me prenant la main et je la laisse
faire sans broncher. Mon regard se perd un instant sur les lumières de la
ville visibles à travers la vitre, puis sur le reste du salon privatif. Trois
portes desservent la pièce et j’imagine qu’Emma se trouve dans l’une des
chambres cachées derrière.
— Comment va la petite ?
Charlie hausse les épaules, un sourire triste sur les lèvres.
— Elle était terrifiée, tout comme moi. J’ai eu du mal à calmer ses
sanglots, mais j’ai réussi à l’endormir en lui assurant que j’avais eu de tes
nouvelles et que tu allais bien.
Je hoche la tête, le regard perdu dans le vide.
— Tu as prévenu Frank ? demandé-je.
— Non. Personne. Mais j’y ai pensé. Je me suis laissé trente minutes
avant de le faire. Tu es arrivé à la vingt-neuvième.
— De justesse, alors, soufflé-je tandis qu’un léger rire m’échappe.
— Ces hommes, dans la rue… ils t’ont appelé Red Falcon. Est-ce que ce
sont les mêmes qui déposent les menaces dans ton casier ?
— Ouaip.
— Comment est-ce qu’ils ont su où te trouver ?
Je fronce les sourcils lorsque je réalise que je n’en ai aucune foutue idée.
Les seuls qui étaient au courant pour le concert sont les joueurs des Huskies
et quelques personnes de leur entourage. J’ignore comment les mecs dans la
ruelle s’y sont pris pour le découvrir.
— Je n’en sais rien, déclaré-je avec la plus grande honnêteté.
— Attends-moi là, je vais chercher quelque chose pour désinfecter tout
ça.
J’acquiesce, puis elle s’éloigne en direction de la salle de bains. J’en
profite pour aller voir comment se porte Emma de mes propres yeux. Cette
petite a été l’une des premières à m’accueillir à bras ouverts lorsque j’ai
rejoint les Huskies, il y a un peu plus de deux ans. Que je vienne d’une
équipe adverse ne lui faisait ni froid ni chaud, contrairement à mes
coéquipiers qui ont eu plus de difficultés à m’intégrer au groupe. Il a fallu
plusieurs mois pour que je fasse partie intégrante de la bande et, pendant
tout ce temps, mes seuls amis étaient Bill et Frank. La jeune Emma est vite
devenue une source de bonheur pour moi. Si j’avais eu la chance d’avoir
une petite sœur, j’aurais aimé qu’elle soit comme elle.
Je pousse la porte sans un bruit et découvre sa silhouette roulée en boule
sous la couette. Sa respiration est encore marquée par quelques sanglots, mais
elle dort. Demain, quand elle constatera que je vais bien, elle retrouvera le
sourire. J’en suis sûr.
Charlie vient s’appuyer contre le mur près de moi. Elle incline la tête,
m’observe en silence. Je détaille ses traits tirés et je réalise que cette
inquiétude, cette angoisse qui lui noue l’estomac, elle m’est dédiée. Cette
femme se soucie réellement de ce qui peut bien m’arriver.
— Tu m’aides à désinfecter tout ça ? Quelqu’un m’a dit un jour que je
risquais une cellulite infectieuse avec une simple plaie, lui lancé-je sur le
ton de la plaisanterie.
— Tu t’en souviens encore ?
— Évidemment.
Son visage s’illumine quelque peu. Elle rejoint sa chambre en souriant et
me fait signe de la suivre. Je m’assieds à ses côtés, sur son lit, avant qu’elle
ne commence à examiner les dégâts sur mes joues. Quelques cotons de
démaquillage sont posés sur ses genoux. Elle en arrache une petite boule
duveteuse qu’elle asperge de spray antibactérien pour les mains, seul
désinfectant présent dans la pièce. Elle entreprend de nettoyer avec douceur
les éraflures qui parsèment mon front. Je lui laisse le champ libre pendant
que mes yeux s’égarent sur sa peau diaphane. Son parfum fruité et sucré
m’enivre. Ses cheveux viennent frôler mes épaules et sa délicieuse odeur se
répand autour de moi, me faisant doucement oublier ce que je fais là.
Charlie se met à genoux sur le matelas afin d’atteindre le sommet de mon
crâne. D’une main, elle prend appui sur mon corps et un grognement de
douleur fuite de ma gorge. Elle cesse tout mouvement et, inquiète, me
dévisage. J’élève un sourcil.
— C’est juste un bleu, lâché-je pour la rassurer. Rien de grave.
— Retire tes vêtements.
— C’est vraiment ce que tu veux ?
Un sourire salace remplace mon rictus pendant qu’un pli sévère se forme
sur son front.
— Retire. Tes. Vêtements, ordonne-t-elle.
Je pousse un soupir et, finalement, obtempère. Pas la peine de lutter
contre Charlie. L’expérience a prouvé qu’elle est bien plus têtue que moi. Je
gesticule pour me débarrasser de ma veste ainsi que de mon sweat en
retenant une grimace. J’ai mal, certes, mais quand on est hockeyeur, on sait
encaisser les chocs. Surtout lors des matchs violents.
— Contente ?
Mais Charlie ne répond rien. Ses iris s’assombrissent quand elle
remarque la dizaine d’hématomes qui recouvre mes côtes et mon dos.
— Juste un bleu ? Tu te fiches de moi ? Ils t’ont roué de coups !
Je lui attrape le poignet au moment où elle s’apprête à les effleurer pour
l’en empêcher.
— J’ai dit que ce n’était rien, grondé-je.
— Mais…
Je tire doucement sur son bras, l’attire sur mes cuisses pour qu’elle s’y
asseye. D’une main, je capture son visage, de l’autre je dessine de petits
ronds dans le bas de son dos.
— Ce sont juste des bleus, Charlie.
— Ils auraient pu te tuer.
— Mais ils ne l’ont pas fait.
Elle hoche faiblement la tête, puis poursuit la désinfection de mon front à
contrecœur. La colère gagne son regard, ce qui me fait sourire. Cette femme
s’inquiète pour moi et ça a le don de me rendre heureux. J’attends qu’elle
s’apaise en caressant sa peau.
Peu à peu, son agitation laisse place à une autre sorte de tension. Je suis
avec intérêt les courbes de ses seins situés à quelques centimètres de moi.
Une sensation grisante se propage dans mon corps. Une chaleur agréable
gagne mon entrejambe et rapidement, une bosse naît dans mon caleçon,
juste là où les fesses de Charlie sont posées. Au bout d’une courte seconde,
elle plante ses dents dans sa lèvre inférieure et son regard croise le mien. Je
visse mes iris aux siens. Je sais qu’elle sait, et je ne fais strictement rien
pour repousser au loin les idées lubriques qui germent dans mes pensées.
J’ai envie de la baiser, fort. De la presser contre mon corps, de la ressentir
de toutes les manières possibles, de l’air que j’inspire au goût de son
humidité sur ma langue.
J’ai besoin d’oublier cette soirée de merde, j’ai besoin de me perdre loin
de tous ces problèmes qui me pourrissent la vie, et plus encore, j’ai besoin
d’elle.
Sans lui laisser le temps de réagir, mes bras se referment autour de sa taille.
Mes lèvres partent à la recherche des siennes avant de les heurter avec
violence. Sa bouche s’entrouvre pour autoriser ma langue impétueuse à
entrer, et je resserre ma prise sur son corps. J’approfondis notre baiser jusqu’à
ce que le manque d’oxygène me brûle les poumons et que la nécessité de
respirer devienne une priorité. Le souffle saccadé, ma belle Charlie en
redemande. J’obéis à son ordre silencieux. La boule de coton tombe sur le
matelas quand ses mains se mettent à glisser dans mes cheveux, et mes lèvres
repartent à l’assaut des siennes.
Je lui retire son pull à capuche, puis fais descendre les bretelles de son
débardeur sur ses épaules pour lui suçoter le cou. Il n’y a pas une once de
timidité dans nos échanges. Ce stade a déjà été dépassé entre nous et nous
savons désormais ce que nos corps réclament avec tant d’impatience et de
véhémence. Charlie se presse contre moi comme si elle lisait dans mes
pensées. Ses fesses rebondies appuient de manière répétée sur
l’excroissance qui s’est allongée sous mon jean, et ses doigts finissent par
se frayer un chemin sous l’élastique de mon caleçon. Ma tête retombe en
arrière alors qu’un soupir de plaisir se forme dans ma bouche. Il n’y a pas
de torture plus délicieuse, de supplice plus divin, que ce que le corps de
Charlie est capable d’infliger au mien.
Je pourrais mourir de ses mains que j’en serais heureux.
Je malmène sa peau, l’aspire sans douceur, pendant que ses doigts
montent et redescendent en rythme le long de ma queue enflée à son
maximum. Un geste de sa part suffit à me faire oublier tous mes problèmes.
La folie s’empare de chacun de mes neurones, me déconnectant
progressivement de la réalité. Charlie s’écarte de mes genoux, un sourire
malicieux sur les lèvres. Béat, j’admire son corps qui se penche en avant,
son crâne qui s’abaisse pour rejoindre mon entrejambe.
Je m’oblige à juguler mon impatience, à contrôler ma fébrilité. Entre ses
mains expertes, je perds la tête. Chaque nouveau coup de langue qu’elle
m’assène me rapproche un peu plus près du gouffre du plaisir, mais il n’est
pas encore temps de sauter. Pas tout de suite, pas sans elle. Je me laisse aller
aux mouvements de ses doigts puis, quand je le décide, je lui repousse
l’épaule. Surprise, elle me questionne du regard et je lui souris.
— Je n’en ai pas fini avec toi, mon ange, lui soufflé-je pour la rassurer.
Viens.
Je me débarrasse de mon jean et de mon calbut à l’aide de mes jambes,
puis lui agrippe les hanches. Je la hisse contre moi en me levant de son
matelas. Une vive douleur me vrille les côtes, mais je l’ignore. J’ai plus
intéressant à faire que de me concentrer là-dessus. Je porte Charlie jusqu’à
sa salle de bains privative et je l’installe sur le rebord du lavabo. Placé entre
ses cuisses, j’ai tout le loisir de la contempler. Le regard qu’elle pose sur
moi est brûlant, fébrile. Elle suit avec attention le mouvement de mes mains
qui caressent son épiderme. Je défais l’attache de son soutien-gorge, le lui
retire en prenant soin de titiller ses tétons dressés, puis je descends encore.
Je fais glisser son jean sur ses jambes et j’embrasse sa culotte. Un
gémissement fuite de ses lèvres quand la peau rugueuse de mes joues vient
se frotter à son ventre. Si ses muscles se contractent au passage de ma
bouche, ce n’est rien en comparaison du moment où ma langue rencontre
son intimité.
Les doigts de Charlie se referment avec vigueur sur les contours du lavabo
pendant que je la libère de la dernière barrière de tissu érigée entre nos corps.
Je me relève, enfouis ma tête dans son cou tandis que nos sexes entrent en
contact l’un avec l’autre. Je joue avec ses sensations, lui soutirant quelques
plaintes de frustration. J’effleure son intimité humide, je m’y frotte
allégrement avec l’extrémité de mon gland. Charlie déglutit avec difficulté,
tente de reprendre sa respiration et je fais de même.
Dans un éclat de lucidité, je réalise que toutes mes affaires sont encore
dans le coffre de ma moto. Je n’ai pas la moindre capote avec moi. Charlie en
a peut-être, elle, mais vu la position de nos corps, à deux doigts de
s’emboîter, je n’ai pas envie de la laisser s’éloigner. J’approche de son oreille
que je mordille au passage.
— Tu prends la pilule ? lui chuchoté-je.
D’un hochement de la tête, elle m’indique que oui.
— Tu veux ? On n’est pas obligés… commencé-je avant qu’elle ne
m’embrasse à pleine bouche.
J’interprète ça comme un accord de sa part. Le nœud qui venait de se
former dans mon ventre se desserre aussitôt. Je me jette sur ses lèvres avec
une avidité qui m’est peu familière et elle me rend mon baiser. D’un simple
mouvement du bassin, je m’immisce entre ses cuisses. Chaque partie de son
corps se contracte. J’y vais d’abord avec douceur, puis j’augmente la
cadence.
La bouche entrouverte, Charlie souffle fort. J’aime la voir ainsi,
pantelante et suspendue à mon cou, ses ongles enfoncés dans ma chair. Je
savoure l’intensité et la beauté du moment pendant qu’elle gémit contre ma
peau.
Putain. Jamais je ne serai rassasié de son corps. Jamais. Il m’en faudra
toujours plus.
— West…
Elle m’exhorte à accélérer le rythme et je prends un malin plaisir à la
contrarier. Je me retire pour la mener dans la douche. Un jet tiède sort en
cascade du pommeau. Je le place en hauteur avant de reprendre nos ébats
où nous les avions laissés. Je décolle l’une de ses jambes du sol en tenant
fermement sa cuisse dans ma main et je m’insère une nouvelle fois en elle.
Ses lèvres caressent mon lobe, son souffle erratique fait frissonner ma
peau malgré l’eau chaude qui ruisselle sur nos corps. Après seulement
quelques va-et-vient, je suis une véritable boule de nerfs. Le désir grimpe
en flèche, si bien que je ne suis pas sûr de réussir à garder le contrôle bien
longtemps. Seconde après seconde, coup de reins après coup de reins, le
plaisir enfle en nous. Quand sa poitrine s’écrase contre mon torse, quand
ses dents se referment sur ma peau, quand son regard capture le mien, il n’y
a plus rien qui compte. Son corps et le mien réunis n’en forment plus qu’un.
— West.
— Pas encore, mon ange. Pas encore.
— West, susurre-t-elle avec plus de vigueur à mon oreille.
Elle répète mon prénom comme une litanie et sa prière a raison de ma
résistance.
La jouissance est telle qu’elle nous emporte tous les deux dans une même
vague. Mon orgasme est violent, brut, puissant. Terrassé, je laisse retomber
ma tête contre celle de Charlie, nichée au creux de mon cou. Elle n’émet
plus aucun bruit, si ce n’est celui de sa respiration hachée. Ses doigts se
relâchent progressivement et elle relève son visage vers moi. Elle est juste
magnifique. Ses joues rougies par la chaleur suffocante qui règne dans la
cabine de douche lui donnent un air fragile et sauvage, avec les mèches
folles qui lui barrent le front, ce qui lui correspond totalement.
Je m’émerveille de l’emprise que ce petit bout de femme a sur moi.
J’ignore si Charlie en a conscience, mais il lui suffirait de claquer des doigts
pour que je me prosterne à ses pieds. Je ne suis pas certain qu’elle réalise à
quel point elle a tout pouvoir sur mon être. Je sens qu’elle est en train de tout
bouleverser et j’aime sa façon si unique de transformer mon monde. Je le
sais, il n’y a qu’à elle que je me donnerais de cette façon. Entier… et sans
capote.
Je dépose un rapide baiser sur son front avant de me décoller d’elle le
temps qu’elle se remette de ses émotions. Ses yeux brillent avec une
intensité que je ne leur ai jamais vue.
— Ça va ? m’enquiers-je.
— Oui. Toi ?
Je lui confirme que tout roule, puis elle se tourne pour récupérer le
pommeau de douche. Je décide de lui laisser un peu d’intimité. J’attrape
une serviette afin de me sécher, mais je n’arrête pas de repenser à ce que
nous venons de faire.
Ça ne s’était jamais produit, auparavant. De toutes les filles que j’ai
fréquentées, je n’ai jamais sauté l’étape du préservatif. C’était avec ou rien.
Or, près de Charlie, tout est plus intense. Je suis prêt à braver tous les
interdits, juste pour elle.
Une fois rhabillé, j’attends Charlie dans le salon. Lorsqu’elle a terminé,
elle prend appui sur le chambranle de sa porte. Vêtue de son pull et de sa
culotte, elle m’adresse un regard curieux.
— Qu’est-ce que tu fais ? me demande-t-elle.
— Je t’attendais pour te souhaiter bonne nuit.
— Pourquoi ? Tu ne restes pas ?
— Tu veux que je reste ?
Elle m’indique sa chambre de la main. Un sourire niais s’affiche sur ma
face alors que je bondis déjà sur mes pieds. Elle rigole en me voyant faire et
je la rejoins en deux enjambées avant de refermer la porte derrière nous.
J’ignore où nous allons, Charlie et moi. Peut-être qu’il n’y aura pas de
futur pour nous. Peut-être que ça s’arrêtera demain ou dans une semaine. Je
ne sais pas ce que nous réserve l’avenir, mais une chose est sûre, si on doit
s’éloigner l’un de l’autre, la sentence ne viendra pas de moi, parce que j’en
suis tout bonnement incapable. Quelque part en mon for intérieur, j’ai la
conviction qu’une telle décision me détruirait à petit feu et, moi, j’ai plus
que jamais envie de vivre.
OceanofPDF.com
25.
Infiltration ennemie
Weston
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26.
Qu’il s’étouffe
avec son collier !
Charlie
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27.
Le bonbon de la discorde
Charlie
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28.
Le calme avant la tempête
Weston
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29.
Pris en flag
Charlie
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30.
Le véritable adversaire
Weston
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31.
Règle numéro deux :
ne jamais se retrouver seule
Charlie
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32.
Confessions intimes
Weston
Charlie
Charlie
Assise dans les rangées les plus basses de l’amphi, je tâche de prendre des
notes sur la leçon du jour : la prise en charge des brûlures. Le cours de
physiopathologie a débuté depuis presque une heure trente, pourtant ma
feuille demeure en partie vierge. J’ai le plus grand mal à ne pas être distraite.
Le professeur Williams a d’ordinaire un don pour rendre intéressante la
moindre cellule du corps humain, mais aujourd’hui, je n’arrive pas à suivre.
Pour une fois, mon manque de concentration ne concerne ni Weston ni mon
frère. Nous sommes censés avoir une conversation tous ensemble à la fin des
cours. Je devrais angoisser à cette seule idée. Or, ce n’est pas ce qui me
dérange à l’heure actuelle.
Je me retourne une énième fois vers deux garçons assis deux rangées plus
haut. Ils ne cessent de me jeter des coups d’œil depuis le début de la
matinée, ce qui m’agace de plus en plus. Je ne leur ai jamais adressé la
parole alors il n’y a aucune raison logique à leurs regards appuyés. Qu’est-
ce qu’ils me veulent ?
Inquiète, je finis par attraper mon téléphone au fond de mon sac. À l’abri
de la vue du maître de conférences qui ne se trouve qu’à cinq mètres de
moi, j’observe le reflet de mon visage dans la vitre. Rien ne cloche. Il n’y a
pas de tache étrange, je n’ai pas de morceau de nourriture coincé entre les
dents, alors pourquoi est-ce que ces mecs me fixent de cette manière ?
Mon estomac exécute une espèce de looping désagréable tandis que je
m’intéresse à nouveau ce qu’il se passe dans mon dos.
Est-ce que Yann et Georges auraient déjà parlé du baiser dont ils ont été
témoins entre Weston et moi ? Même si c’était le cas, je doute que ces deux
étudiants soient les premiers à être mis au courant. Je ne les ai jamais vus
fréquenter l’équipe de hockey.
Je réajuste ma tenue, colle mon sac contre ma poitrine pourtant couverte
d’une veste. Je me sens nue sous leurs regards insistants, si bien que je
n’arrive plus à me départir de la sensation de leurs yeux sur mon corps.
L’angoisse gagne progressivement mes membres et je commence à me
triturer les doigts avec nervosité.
Leur manière appuyée de me dévisager me rappelle de mauvais
souvenirs… Ça me rappelle Denver.
Je décide d’envoyer un message à Weston pour savoir si ses cours sont
aussi pourris que les miens. Discuter avec lui me changera les idées.
Moi : Je passe une matinée de merde. Et toi ? Qu’est-ce que tu fais de
beau ?
West : Idem ici. J’essaie de ne pas tuer le mec qui me sert de binôme.
Je crois qu’il a oublié ses neurones chez lui. Si je m’en sors avec un C,
ce sera un miracle.
Moi : Tu sais que tu peux compter sur moi pour cacher son corps.
West : Je te tiens au courant si jamais il y a meurtre. J’aurai besoin
d’un alibi. Tu es partante ?
Moi : Toujours.
West : Tu déjeunes avec moi tout à l’heure ?
Je jette un coup d’œil à l’horloge accrochée au mur. Il est à peine 11 h 15
et West pense déjà à manger. Cet homme est un estomac sur pattes. J’ai pu
en avoir la preuve une fois de plus lors du petit déj’ de ce matin. Je me
retiens de ricaner en apercevant le regard du professeur dans ma direction.
Je lâche aussitôt mon téléphone qui tombe sur mes jambes, puis je fais
semblant de noter quelque chose sur mon cahier. Je gribouille quelques
mots à la va-vite pendant que mon portable se remet à vibrer sur mes
cuisses. Je m’empresse de le récupérer et je remarque que, cette fois-ci, le
message ne vient pas de Weston, mais d’un numéro inconnu. C’est étrange.
Personne, à part Manille, Bill, Weston et quelques rares fois Aimy, ne
m’envoie de SMS. Surprise, je clique dessus en haussant un sourcil curieux.
Il ne contient pas de texte. Seule une photo s’affiche. Une photo de moi.
Mon cœur cesse de battre un long instant. Les yeux exorbités, j’ordonne
à mon corps de bouger. Cependant, il ne réagit pas. Le temps se fige alors
que je détaille l’image partiellement pixélisée. Les doigts tremblants, je
parviens à cliquer sur la fenêtre pour l’agrandir, comme pour avoir la
confirmation que ce que je vois est bien réel. Je connais cette image par
cœur. Elle a si souvent défilé devant moi que je n’ai pas le moindre doute.
Je déglutis avec difficulté tandis qu’une larme dévale ma joue. Dans le
chaos de mes pensées, une seule question me parvient. Comment est-elle
arrivée là ? Je ne peux plus réfléchir et soudain, j’en viens à manquer d’air.
Un puissant vertige fait tournoyer l’amphithéâtre autour de moi.
L’étourdissement est si fort que j’en fais tomber ma trousse. Plusieurs têtes
pivotent dans ma direction et j’ai tout à coup l’impression de suffoquer.
Est-ce que tous les étudiants présents dans la pièce sont au courant ? Ils
savent, c’est certain, sinon ils ne me regarderaient pas avec ces sourires
moqueurs. Ils ont vu cette photo… ma photo.
Je bafouille quelques mots d’excuse à l’intention du professeur Williams,
puis je ramasse mes affaires à la hâte. Un épais brouillard est tombé sur
mon esprit, ne me laissant qu’une toute petite fenêtre de lucidité. Je remonte
l’escalier qui mène à la porte, manquant de rater une marche.
Ce que je redoutais tant est finalement arrivé. Je ne sais pas comment, je
ne sais pas quand, mais ça s’est bel et bien produit.
Je trace aussi vite que possible dans les couloirs, retenant les sanglots qui
menacent de s’échapper. Je dépasse le parvis du bâtiment sans m’arrêter. Au
contraire, j’accélère.
Courir.
C’est toujours ce que je fais lorsque tout va mal. C’est aussi ce que j’ai
fait à Denver le jour où le tueur de Denver s’est arrêté sous mes yeux.
J’ignore pourquoi je ressens ce besoin de fuir quand les choses tournent à la
catastrophe. Tout ce que je sais, c’est que je refuse d’affronter cette épreuve
une nouvelle fois. Je ne veux pas rester à attendre que tous les étudiants de
l’U-Dub me dévisagent avec un regard abject.
Je pensais qu’ici, à quatre heures d’avion de mon ancienne université, je
serais à l’abri du danger. J’espérais que j’aurais le droit de vivre ma vie,
sans être constamment harcelée, épiée, moquée… Mais j’avais tort.
Seattle n’est pas assez loin. Rien ne sera jamais assez loin.
Essoufflée, j’avale à grandes enjambées les mètres qui défilent. Les rues de
Seattle se succèdent les unes aux autres jusqu’à ce que, sans m’en rendre
compte, j’atteigne le lac de Washington derrière le quartier universitaire.
Je me laisse tomber sur la berge, incapable de respirer correctement. J’ai
l’impression de passer ma vie à échouer. Je voulais juste me fondre dans la
masse sans faire de vagues. Je rêvais d’un endroit où me sentir bien, d’un
endroit où j’aurais pu être moi, tout simplement. Je pensais avoir trouvé ma
place ici, mais j’avais tort. Je sais que je vais encore décevoir tout le monde
et rien qu’à cette pensée, j’en ai le cœur brisé.
J’avais un deal, avec mes parents, avec Bill. Ils acceptaient que je refasse
ma troisième année d’infirmière ici et, moi, j’essayais d’aller de l’avant.
Mais comment avancer quand le pire de son passé ne cesse de refaire
surface ?
Mon sac de cours sur l’épaule, je tente d’apaiser la brûlure dans ma
poitrine. Les quelques piétons qui marchent dans les environs doivent me
prendre pour une folle, ce que je suis peut-être, après tout. Je suis la folle de
Denver… Je suis folle de rage, de désespoir et paralysée par la peur que
l’histoire se répète.
Comment est-ce que mes photos ont pu réapparaître ici ?
J’entoure mes genoux de mes bras. D’un petit mouvement d’avant en
arrière, je berce mon âme tourmentée et me force à penser de manière
rationnelle. Et si c’était simplement une personne de Denver qui voulait me
faire une mauvaise blague ? Peut-être que ça n’a aucun rapport avec les
mecs de l’amphithéâtre ?
C’est impossible. De tels hasards n’existent pas. Il y a forcément un lien.
Je pousse un long soupir avant de frissonner. Mon Dieu… je ne serai
jamais capable de retourner à l’U-Dub. C’est bien au-delà de mes forces. Je
m’imagine déjà expliquer à Bill que je ne poserai plus les pieds à
l’université. Il m’interdira d’arrêter mes études et il s’énervera en me
racontant que ces photos ne sont pas une raison suffisante pour tout laisser
tomber.
Parce qu’ils savent toujours mieux que moi ce que je ressens, ils ne se
mettront pas à ma place.
Personne ne comprend ce que ça fait de vivre avec ces inquiétudes à
longueur de journée.
De craindre de sortir, de peur qu’un nouveau drame arrive.
De se sentir coincé entre le regard des autres et sa propre vision du
monde.
De ne jamais savoir si ces fichues images referont surface ni à quel
moment elles réapparaîtront.
J’ai longtemps cru que les étudiants de Denver oublieraient cet incident,
pourtant ça n’a jamais été le cas. Weston a raison. Les gens ne se
souviennent que du pire de nos actes. Je pourrais faire tous les efforts
possibles et imaginables, rien ne sera jamais suffisant pour effacer cet
événement des mémoires. J’aurai beau fuir à l’autre bout du monde, je ne
suis plus à l’abri nulle part.
La tête tournée vers le ciel, les paupières closes, j’avale une grosse
goulée d’air. J’ai les jambes qui tremblent, le ventre retourné. Il me faut une
bonne dizaine de minutes pour forcer mon cœur à retrouver un rythme
normal, puis une vingtaine de minutes supplémentaires pour avoir le
courage de regarder mon téléphone. Aucun nouveau message de l’inconnu
ne m’est parvenu. Il n’y a que le nom de Weston qui s’affiche, jusqu’à
emplir l’intégralité de l’écran.
Weston : Alors ? C’est oui ou non ?
Weston : Je vais finir par me vexer si ton cours est plus intéressant
que moi.
Weston : Tu déjeunes avec moi ?
Weston : Hé, Charlie. Tu reçois mes messages ?
Weston : Charlie ?
Weston : Si tu ne réponds pas, je jure que je me pointe à la sortie de
ton amphi.
Un texto arrive alors que je fais défiler la conversation.
Weston : Je suis devant ton amphi. Réponds ou je débarque en plein
cours.
Au lieu de lui écrire un message qui me prendrait trop d’énergie, je
décide de lui envoyer ma géolocalisation. Aussitôt le SMS délivré, West
m’indique qu’il arrive et, moins de dix minutes plus tard, le moteur de sa
moto résonne au bout de l’allée. Il se gare à quelques mètres de la berge,
puis vient s’asseoir près de moi dans le plus grand silence. Il n’a pas besoin
d’explications pour comprendre à quel point la situation est merdique. J’ai
tellement honte de ce qu’il se passe que je n’ose même pas le regarder.
Patient, West scrute la surface lisse du lac jusqu’à ce que sa proximité
m’apaise assez et que mes épaules se détendent. Il me dévisage de longues
minutes, analysant les traces humides laissées par les larmes sur mes joues.
Du bout de l’index, il en essuie quelques-unes avant de tendre sa main vers
ma nuque. Il agit avec prudence, comme s’il s’attendait à ce que je le
repousse, et il finit par m’attirer près de lui. Ses pieds se positionnent de
chaque côté de mes fesses, ses bras se referment autour de mon corps pour
former un bouclier rassurant dressé entre le reste du monde et moi. Là, dans
cette bulle hors du temps, loin de tout, je suis en sécurité.
Weston laisse glisser ses lèvres sur ma tempe. Il y dépose un baiser, avant
de murmurer d’une voix calme :
— Tu stresses pour tout à l’heure ?
Je remue la tête. À cet instant, la réaction de Bill est le dernier de mes
soucis.
— Le mec avec sa crosse est revenu ?
Je réitère mon geste. Je crois que j’aurais préféré cette éventualité. Il est
possible de lutter contre une personne réelle, mais face à des rumeurs, on ne
peut rien faire d’autre que subir.
— Alors qu’est-ce que tu as ?
Je m’arme de courage pour lui avouer la vérité. Weston est la seule
personne, hormis les membres de ma famille, en qui j’ai une confiance
absolue. Je sais que peu importe ce que je lui dirai, il restera à mes côtés.
— Tu te souviens de ce que je t’ai raconté, hier soir, sur ce qu’il m’est
arrivé à Denver ?
Ne comprenant pas où je veux en venir, il fronce les sourcils, mais
conserve le silence pour me laisser poursuivre. J’extirpe mon téléphone de
ma poche avant de le lui tendre.
— J’ai reçu ce message pendant mon cours.
À la vue de mon écran, le visage de Weston se vide de ses couleurs. Ses
mâchoires se crispent et ses doigts posés sur ma peau se contractent peu à
peu. Il me prend mon portable des mains, puis commence à pianoter dessus
à la recherche d’un coupable. Je l’interromps.
— C’est un numéro inconnu. Je ne sais pas qui me l’a envoyé.
— Tu as reçu des appels étranges ou d’autres messages de ce genre ?
— Non. Juste celui-là.
— Tu as une idée de qui aurait pu faire ça ?
— Tu veux la liste de tous les étudiants de Denver ? marmonné-je en
resserrant mes bras autour de mes genoux.
— C’est sûrement une mauvaise blague de quelqu’un que tu connaissais
avant.
— Et si ça venait d’ici ? De l’université de Washington ?
— Tu fréquentes peu de personnes à l’U-Dub. Tu n’as pas d’ennemis.
Personne n’est au courant de tes problèmes à Denver.
— Je ne sais pas… J’ai… J’ai…
Il arque un sourcil dans ma direction et me soulève le menton pour garder
le contact avec mes yeux.
— Tu quoi ?
— J’ai l’impression que des mecs de mon cours étaient au courant. Je me
fais peut-être des films.
Weston se redresse, soudain soucieux.
— Qu’est-ce qui te fait penser ça ?
— Ils n’arrêtaient pas de m’épier et de rire en me voyant…
La sonnerie du téléphone de Weston interrompt ma phrase. Je cesse de
parler pendant qu’il prend connaissance du message qu’il vient de recevoir.
En une fraction de seconde, la fureur prend possession de ses traits. Alors
qu’il retient de son mieux la colère qui enfle en lui, il se passe la langue sur
les lèvres, et se relève d’un bond. Il m’aide à me mettre debout sans même
décoller ses yeux de son écran.
— Monte sur la moto. Je te raccompagne chez toi. J’ai un truc urgent à
faire.
Le cœur cognant fort dans la poitrine, je demeure immobile. Mon
intuition me souffle que Weston ne me dit pas tout. Il se passe quelque
chose de grave et il n’a pas l’intention de m’en dire davantage.
— Qu’est-ce qu’il y a ? lui demandé-je d’une voix faible.
— Monte sur la moto.
— Non. Je veux savoir ce que tu viens de recevoir.
— S’il te plaît, Charlie. Il vaut mieux que tu ne le lises p…
Étant donné qu’il refuse de m’obéir, je lui arrache le téléphone des mains.
Il ne se laisse pas faire et s’y accroche comme une teigne avant de finalement
lâcher prise. Admettant sa défaite, il m’adresse un regard désolé tandis que je
fixe son portable. Sur son écran, la même photo que celle que j’ai reçue un
peu plus tôt est affichée en grand. Des centaines de questions s’immiscent
dans mes pensées alors que je peine à ouvrir la bouche. Les yeux embués de
larmes, un détail attire cependant mon attention… Cette fois-ci le message ne
provient pas d’un inconnu, mais d’un certain « Jimmerde » et il est
accompagné de ces quelques mots qui me donnent la nausée.
Jimmerde : Regarde ce que je viens de recevoir. Ça ne te donne pas
envie de te la faire ? Ah pardon. C’est déjà fait pour toi. Maintenant à
qui le tour ?
— C’est Jimmy qui t’a envoyé ce message ? bégayé-je, sidérée.
— Crois-moi, c’est un type mort. Je te ramène et je vais régler cette
histoire avec lui.
OceanofPDF.com
34.
Réunion d’urgence
Weston
OceanofPDF.com
35.
Il n’y a que la vérité
qui blesse
Bill
OceanofPDF.com
36.
Retour au point de départ
Weston
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37.
C’est dans l’adversité
qu’on se révèle
Charlie
OceanofPDF.com
Épilogue
Weston
Dix mois plus tard
La liesse qui enfle dans les gradins m’électrise. Patins aux pieds, je
remonte le couloir jusqu’à la glace. Le stress me fait trembler. Je
m’accroche à ma crosse pour ne rien laisser paraître. Un homme m’attend
au bout de l’allée, juste à côté du banc des joueurs. Je lui tends mon poing
serré et il me tape dans le gant. Son sourire s’agrandit malgré l’angoisse
visible sur ses traits.
— Pas trop nerveux, capitaine ? lui lancé-je, amusé.
Bill s’efforce d’étirer les commissures de ses lèvres, mais je sais bien
qu’il est au bout de sa vie. D’ailleurs, j’ai l’impression qu’il est sur le point
de gerber. C’est souvent l’effet que ça fait, un premier match dans une
nouvelle équipe.
— Putain, je flippe, marmonne-t-il.
— Allez, ça va le faire. On en a vu d’autres, tenté-je de le rassurer.
Il acquiesce, loin d’être soulagé, puis parcourt d’un regard pétillant
l’immense patinoire dans laquelle nous jouons pour la première fois.
J’admire les tribunes avec le même sourire de gamin émerveillé.
Finalement, nous y voilà, après des mois d’effort, des mois à espérer, des
mois de séparation. Nous y sommes parvenus.
Vêtus de notre équipement aux teintes bleues, identiques en tout point au
logo des Krakens affiché sur toutes les banderoles autour de nous, nous
attendons l’ordre d’entrer sur la glace.
Mon casque encore sous le bras, je cherche Charlie du regard. Je la trouve
deux rangées au-dessus de notre banc. Elle m’adresse un sourire rassurant qui
vaut tous les encouragements du monde.
Si, quand je l’ai rencontrée, j’étais au fond du gouffre, elle m’en a
extirpé. Honnêtement, les derniers mois passés à Seattle, avant que nous ne
quittions la ville ensemble, ont été les plus horribles de ma vie. Par
moments, je me pensais même maudit. Sans Charlie, je n’aurais jamais
découvert que les obstacles n’étaient pas une fatalité.
Elle m’a appris la plus belle leçon qui soit : tout ce qui est brisé peut être
reconstruit.
C’est un fait, je suis capable du pire, mais aussi du meilleur. Et Charlie
est clairement la meilleure partie de moi. Elle est une extension de mon âme
qui me rappelle que chaque fois qu’on touche le fond, il suffit d’une simple
impulsion pour remonter à la surface.
Tout ne sera jamais comme avant, c’est vrai, mais cela ne signifie pas
pour autant que l’avenir ne pourra pas être radieux.
Charlie, c’est le genre de fille qui sourit alors qu’elle tremble de peur. Il
n’y a qu’à regarder comment elle s’est battue pour retrouver une existence
normale. Elle s’est efforcée, avec tout le courage dont elle est dotée, de
vaincre ses frayeurs les unes après les autres et de leur botter les fesses,
pendant que moi, j’attendais que la foudre me tombe dessus.
En fait, je crois que tout n’est qu’une question de positionnement.
Comment est-ce qu’on voit les choses ? Est-ce qu’on veut aller de l’avant
ou est-ce qu’on se complaît dans notre malheur ?
C’est facile de baisser les bras en répétant que sa vie est pourrie, mais
affronter ses démons et se sortir de là requiert davantage de bravoure.
Il nous en a fallu du courage, à Charlie et à moi, pour quitter Seattle, après
que ses photos se sont répandues au sein de l’équipe de hockey de l’université
de Washington. Nous nous sommes installés dans un appart minuscule de
Sacramento pour le reste de l’année scolaire sans savoir ce qui nous attendait.
Tel que je l’avais prévu, le coach des Huskies a décidé que je n’étais plus
digne de confiance pour jouer sous ses ordres. Mon histoire l’a cependant
touché et il a accepté de passer quelques coups de fil.
Et voilà comment nous nous sommes envolés vers cette nouvelle
destination.
Charlie a finalement terminé brillamment ses études d’infirmière, bien
que son choix de déménager en cours de semestre n’ait pas plu à ses
parents. Je dois reconnaître que Bill, qui n’était pas hyper emballé par notre
couple au début, nous a été d’un grand soutien. J’ai cru que son père allait
m’égorger le jour où il a appris que je comptais emménager avec sa
précieuse fille. Sérieux, ce mec est un fou furieux — avec tout le respect
que j’ai pour lui. Il m’a coursé dans le jardin de leur maison de Denver avec
la crosse de hockey de son fils. Heureusement, il a fini par entendre raison
grâce à Bill, qui lui a vanté mes qualités. Puis, j’ai reçu un appel du coach
des Krakens… et nous sommes revenus à Seattle.
Bref. Il y a deux choses primordiales que j’ai apprises cette année.
De un : il ne faut jamais vexer papa Croft, même si c’est pour une stupide
partie de cartes à Thanksgiving.
De deux : j’aime Charlie à la folie tout comme les spaghettis bolognaise-
pesto qu’elle cuisine en petite culotte. Entre nous, j’apprécie surtout la
petite culotte. Le basilic, c’est pas trop mon truc.
Si je devais faire le bilan des derniers mois écoulés, je dirais qu’il me
suffit de lever les yeux vers la foule en délire pour conclure que la vie est
faite de surprises. De magnifiques et belles surprises.
Derrière chaque épreuve se cache peut-être la plus belle histoire d’amour
ou le plus beau match de son existence.
Un sourire béat à la figure, j’accueille notre coach en frappant ma crosse
sur le sol. Le reste de l’équipe m’imite avant que les arbitres ne nous fassent
signe d’entrer sur la glace. À l’instar des joueurs des Krakens, je glisse pour
rejoindre ma place et Bill me retient par le bras.
— Hé, West. Toi et moi contre le monde entier ?
Je tape mon poing dans le sien en hochant la tête.
— Comme toujours.
FIN
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ET
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Romantic Suspense
Mais surtout, lequel d’entre eux est responsable de ce qu’il s’est passé
cette nuit-là ?
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{1}
Red Falcon : faucon rouge en anglais.
{2}
L’université de Washington, surnommée U-Dub par ses étudiants, est une grande université
publique de recherche située dans l’État de Washington. Le campus principal se trouve à Seattle, et
ses deux autres campus sont situés à Tacoma et Bothell.
{3}
« L’enfer, c’est les autres » est une citation extraite de la pièce de théâtre Huis clos de Jean-
Paul Sartre.
{4}
Safe zone - littéralement : « zone sûre » (ou « zone de sécurité »)
{5}
Un strap est un bandage adhésif thérapeutique utilisé à la suite d’une blessure ou d’une
douleur.
{6}
Mettre du ruban adhésif sur certaines parties de la crosse pour y faire coller le palet.
{7}
Les Troubles Obsessionnels Compulsifs (TOC) se traduisent par des obsessions (pensées
dérangeantes, répétitives et incontrôlables), causant une forte anxiété. Celle-ci est atténuée par la
mise en place de comportements répétitifs, irraisonnés et incontrôlables (les compulsions).
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