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DU

MÊME AUTEURE, CHEZ HUGO ROMAN :


Série Fight for Love
T1 Real
T2 Mine
T3 Remy
T4 Ripped
T5 Rogue
T6 Legend
Titre de l’édition originale : Manwhore
© 2015, Katy Evans

La présente édition a été publiée en accord avec l’éditeur américain :


© 2015, Gallery Books, Simon & Schuster, Inc., New York.

Photo de couverture :
© Shutterstock

Collection dirigée par Hugues de Saint Vincent


Ouvrage dirigé par Audrey Messiaen

© Hugo Roman
Département de Hugo Publishing
34-36, rue La Pérouse
75116 Paris
www.hugoetcie.fr

ISBN : 9782755631319

Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo.


SOMMAIRE
Titre

Du même auteure, chez Hugo Roman :

Copyright

Chapitre 1 - LE JOB RÊVÉ

Chapitre 2 - NOUVELLES RECHERCHES

Chapitre 3 - MESSAGE

Chapitre 4 - LUNDI

Chapitre 5 - LA CHEMISE

Chapitre 6 - EN BOÎTE

Chapitre 7 - RÊVE

Chapitre 8 - CONVOQUÉE

Chapitre 9 - YACHT

Chapitre 10 - DORMIR À LA BELLE ÉTOILE

Chapitre 11 - BUREAUX

Chapitre 12 - JEUDI
Chapitre 13 - INAUGURATION D’INTERFACE

Chapitre 14 - APRÈS LA FÊTE

Chapitre 15 - RELOOKING

Chapitre 16 - TUNNEL

Chapitre 17 - NUIT

Chapitre 18 - TOURBILLON

Chapitre 19 - MATIN

Chapitre 20 - CE SOIR…

Chapitre 21 - LA LIAISON

Chapitre 22 - EXCITATION, EXTASE ET MISE À NU

Chapitre 23 - LE STATUT

Chapitre 24 - LES MÈRES ONT TOUJOURS RAISON

Chapitre 25 - BESOIN D’UN SAINT

Chapitre 26 - AMIES ET FANTASMES

Chapitre 27 - SUR LE FIL

Chapitre 28 - CONFIANCE ET LOYAUTÉ

Chapitre 29 - RECHERCHE

Chapitre 30 - APRÈS L’ORAGE

Chapitre 31 - QUATRE

REMERCIEMENTS

SUR L’AUTEURE
CHAPITRE 1

LE JOB RÊVÉ

Ce matin-là, quand je suis entrée dans le bureau d’Helen, j’étais persuadée


qu’elle allait me virer. Bien sûr, ce n’est pas le rôle de ma cheffe : dans une
entreprise, il incombe normalement au service des relations humaines de se
charger de la besogne, mais chez nous, ce dernier a été supprimé. Il faut dire que
la survie de Edge, le magazine pour lequel je travaille depuis la fin de mes
études et que j’adore, ne tient plus qu’à un fil.
Après avoir fait à peine trois pas dans son antre qui croule sous des piles de
revues, les nôtres et ceux de nos concurrents, je sens mon petit déjeuner me
peser d’un coup sur l’estomac.
Sans même lever les yeux du dossier qu’elle tient à la main, Helen me
désigne la chaise, en face d’elle.
– Assieds-toi, Rachel.
J’obtempère en silence, prête à débiter tous les arguments imaginables : « Je
vais me surpasser, je te le promets, laisse-moi écrire plus d’articles, deux par
semaine au lieu d’un. Je peux même travailler gratuitement jusqu’à ce qu’on
retombe sur nos pieds. »
Euh… Non, en fait, je ne peux pas me permettre de bosser sans être
rémunérée, j’ai un loyer à payer, je rembourse encore mon prêt étudiant, et ma
mère adorée a des problèmes de santé et n’est pas assurée. Mais j’aime aussi
mon job et j’y tiens ! Je n’ai jamais voulu être ailleurs que là où je suis
aujourd’hui, alors même que mon sort repose entre les mains de ma cheffe.
C’est donc assis en face d’Helen, la peur chevillée au ventre, la respiration
altérée face au pressentiment d’une catastrophe, que j’attends qu’elle daigne
enfin me regarder. Et je me demande, quand nos yeux se croisent, si le prochain
article que je vais rédiger sera aussi le dernier.
Les histoires, c’est ma passion. Je suis fascinée par la façon dont elles
déterminent nos vies, dont elles affectent des gens qui n’ont même pas
conscience de notre existence. Par la manière dont elles peuvent nous influencer,
même si elles ne nous concernent pas directement.
Les premiers récits qui marquèrent mon esprit furent ceux que ma mère et
ma grand-mère me racontèrent sur mon père : ils m’apportaient ce que je n’avais
pas dans la vraie vie, en l’occurrence une figure paternelle. Je les classais par
groupe, mémorisais les anecdotes. Où il avait emmené ma mère dîner lors de
leur premier rendez-vous (un restaurant japonais), si son rire était joyeux (il
l’était), quelle était sa boisson préférée (le Dr Pepper). J’ai grandi dans l’amour
des histoires, j’ai baigné dans des faits et des détails qui m’ont permis de me
fabriquer des souvenirs de mon père ; ils m’ont accompagnée toute ma vie
jusque-là.
Mes tantes me traitaient de grande rêveuse quand j’affirmais que les mots
formeraient le socle de ma carrière. Contrairement à elles, ma mère citait alors
celle de Picasso :
– Selon elle, si son fils était entré dans l’armée, il aurait atteint le grade de
général. S’il s’était fait moine, il aurait fini pape. À la place, il a choisi le métier
de peintre et est devenu Picasso. Tu m’inspires exactement les mêmes pensées,
Rachel. Donc, fais ce que tu aimes.
– Je le ferais d’un cœur plus léger si tu appliquais ces paroles à ta propre vie,
lui répliquais-je toujours, si triste pour elle.
– Ce que j’aime, c’est prendre soin de toi, arguait-elle.
C’est une merveilleuse peintre, mais personne ne s’en aperçoit, à part moi et
une minuscule galerie qui a fait faillite peu de mois après son ouverture. Ma
mère a donc repris un job normal et le Picasso qui sommeillait en elle s’est
éteint.
Elle s’est tant sacrifiée pour payer mes études et me donner bien plus encore.
Étant de nature timide, je n’ai jamais été très encouragée par mes professeurs.
Aucun ne pensait que j’avais les épaules assez solides pour devenir journaliste,
alors je me suis raccrochée à la seule chose que je possédais : la motivation de
ma mère et l’indéfectible foi qu’elle avait en moi.
Aujourd’hui, cela fait presque deux ans que je travaille pour Edge, et la
direction a commencé à réduire les effectifs depuis trois mois ; mes collègues et
moi vivons dans la peur d’être les prochains sur la liste. Tout le monde, moi y
compris, donne 110 % de sa personne, mais pour une entreprise qui bat de l’aile,
cela ne suffit visiblement pas. On a l’impression que rien ne pourra sauver Edge,
à part un énorme investissement qui ne semble pas venir ou des histoires encore
plus palpitantes que celles que nous écrivons. Seulement, nous sommes déjà
excellents en la matière.
Helen va ouvrir la bouche maintenant, et je redoute qu’elle ne prononce les
mots fatals : « Nous devons nous séparer de toi. » Pourtant, j’ai déjà une idée
pour mon prochain article, un papier qui aura du nerf, qui fera parler de nous, et
me permettra de conserver mon poste quelque temps encore.
– J’ai pensé à toi, Rachel, m’annonce-t-elle. Est-ce que tu vois quelqu’un en
ce moment ?
– Euh… Est-ce que je vois quelqu’un ? Non.
– Excellent ! C’est justement ce que je voulais entendre.
Elle repousse son dossier sur le côté et sort un magazine du placard, qu’elle
pose sur le bureau, devant moi.
– Voilà, continue-t-elle, j’ai un sujet à te proposer, mais cela suppose que tu
sois un peu flexible sur tes principes. Je t’assure qu’à la fin, ça sera gratifiant !
Elle brandit alors un vieil exemplaire de Edge, un petit sourire contrit aux
lèvres.
– C’était notre premier numéro. Il remonte à quinze ans.
– Oh, trop cool ! dis-je. J’adore.
– Je sais que tu es sincère, tu as toujours été intéressée par nos débuts. Et
c’est pour ça que tu me plais, Rachel, dit-elle sans la moindre chaleur dans la
voix.
De toute évidence, c’est un constat, rien de plus.
– Comme tu le sais, Edge n’a pas froid aux yeux. Depuis toutes ces années,
nous n’hésitons pas à bousculer les règles, à nous aventurer là où nos
concurrents n’osent pas aller. Et toi, tu es la seule à avoir gardé ce côté
transgressif. Notre marque de fabrique, c’est notre ton tranchant, et pour ça, tu es
particulièrement douée : tes commentaires sont toujours incisifs, cash, même
quand les gens ne partagent pas ton avis, ils le respectent pour son honnêteté. Et
c’est pour cette raison que c’est toi, et non Victoria, que j’ai convoquée dans
mon bureau.
Du menton, elle désigne alors le box de ma grande rivale, où celle-ci doit
être en train de s’affairer.
Vicky. C’est le seul autre bourreau de travail chez Edge, et je sais bien
d’ailleurs qu’elle espère toujours en faire plus que moi. Cela dit, je n’ai pas envie
de créer une inimitié entre nous : je sens bien qu’elle est toujours dans la
compétition, mais ce n’est franchement pas mon truc. Elle a toujours l’air ravi
quand Helen est mécontente de ce que j’ai rendu, et il m’arrive parfois d’être
bloquée devant mon écran blanc parce que je me demande ce que Victoria va
pondre.
– Comme tu le vois, je suis prête à froisser quelques personnes. Si nous
voulons rester dans la course, il est évident que nous devons prendre un tournant
radical, pour qu’on parle de nous. Tu es partante ?
– Carrément. Si on peut donner un nouvel élan à Edge, je…
– On n’assure plus, on est devenu peureux, me coupe-t-elle, petite moue à
l’appui. On ne pense qu’à notre petit confort, on a la frousse d’appuyer sur le
moindre bouton au cas où tout exploserait. Résultat : on s’étiole. Mais il faut
écrire sur des sujets qui nous font peur, justement, qui nous fascinent ! Et rien ne
captive plus notre ville que les célibataires milliardaires. Tu vois de qui je parle ?
– Des play-boys ?
Elle fait une petite grimace.
– Du pire d’entre eux, répond-elle.
Et elle sort un autre magazine. « Saint, lui ? Plutôt impie, non ? », peut-on
lire sur la couverture.
Je murmure :
– Malcolm Saint.
– Qui d’autre ?
L’homme qui me rend mon regard a un visage parfaitement bien
proportionné, de belles lèvres, des yeux vert bouteille. Sans parler de son sourire
polisson qui semble être un aveu : il aime causer le désordre, tout en feignant
d’être innocent. Je reviens à ses prunelles… Elles paraissent impénétrables,
comme glacées. Oui, ce regard vert me paraît aussi coupant que des tessons de
verre.
Nerveuse, j’admets :
– J’ai entendu parler de lui, bien sûr. Il faudrait vivre en recluse pour habiter
Chicago et ne pas le connaître.
La rumeur veut qu’il soit impitoyable. Un vrai salaud. Et tellement dévoré
par l’ambition, qu’à côté de lui, Midas était un petit joueur ! Oui, on dit de Saint
qu’il ne s’arrêtera que lorsqu’il possédera le monde.
– Selon Victoria, tu es trop jeune et tu n’as pas assez d’expérience pour
qu’on te confie un projet si risqué. Seulement voilà : tu es célibataire, pas elle.
– Helen, tu sais à quel point j’adore écrire sur des sujets tendances, tu sais
aussi que je rêve de rédiger de grands articles sur la vie privé de personnes
célèbres. Je ne raterai pas cette occasion, je t’assure. Quel genre d’histoire
attends-tu ?
– Des révélations.
Elle sourit d’un air entendu.
– Je veux un récit qui dévoile des détails croustillants sur sa vie en répondant
à ces quatre questions : comment fait-il pour toujours conserver son sang-froid,
et tout contrôler ? Quel pacte a-t-il passé avec son père ? Quel rôle jouent toutes
ces femmes dans sa vie ? Et pourquoi toutes ses entreprises, quelle qu’en soit
l’activité, sont-elles systématiquement marquées au sceau du chiffre 4 ?
Cependant…
Elle frappe alors son bureau du plat de la main pour dramatiser ses propos.
– Pour t’approcher de la cible…
Elle hésite, puis reprend :
– Bon, autant jouer franc jeu avec toi, Rachel : tu ne dois reculer devant rien
pour le cerner au plus près. Mens : des petits mensonges blancs qui ne coûtent
rien. Introduis-toi dans son univers. Saint n’est pas facile d’accès, c’est bien pour
ça que tout le monde s’interroge sur ses secrets.
Je l’écoute depuis le début très attentivement, curieuse de ce qu’elle va me
dire, mais là je me crispe. Mentir, des petits mensonges blancs. J’avoue, il
m’arrive parfois de m’arranger avec la vérité, je suis humaine. J’ai fait des
choses bien et d’autres moins bien, mais en général, je préfère m’en tenir à ce
qui est permis, car voyez-vous, je tiens à mon sommeil. Seulement là, c’est
vraiment une occasion en or, celle dont je rêve depuis que j’ai quitté la fac.
– Il se peut que Saint te fasse des avances, poursuit Helen, prépare-toi
psychologiquement à cette idée. Et joue un peu le jeu toi aussi. Tu en es
capable ?
– Oui, je pense, dis-je avec une assurance feinte.
Le problème, c’est que je ne sais pas si une autre opportunité comme celle-ci
se présentera. Je n’écrirai jamais d’article sur des sujets qui m’intéressent si je ne
fournis pas un plus gros effort pour me faire remarquer. Or, m’attaquer à un
personnage qui fascine autant le public fera forcément entendre ma voix et cela,
c’est ce que je souhaite de toutes mes forces.
– Tu crois que tu peux le faire ? Sinon…
Elle regarde vers l’extérieur. Non ! Pas question que cette histoire revienne à
Victoria, je ne pourrais pas avaler la pilule, elle serait bien trop amère.
– Je le ferai ! Je meurs d’envie de me mettre une bonne histoire sous la dent,
dis-je avec tout mon aplomb.
– Cela dit, on peut toujours attendre et voir si un autre sujet ne te convient
pas mieux, Rachel.
C’est elle qui joue l’avocat du diable, maintenant !
– Non, je prends. Il est à moi !
– OK ! Surtout, n’oublie pas, Saint est l’enfant chéri de Chicago, il fait partie
de l’ADN de la ville. Donc, à traiter avec le plus grand soin.
Je lui certifie de nouveau :
– Il est exactement l’histoire que j’ai envie de raconter.
– Parfait, c’est ce que je voulais entendre.
Elle se met à rire.
– Rachel, tu es magnifique, tu le sais. Et puis tu es adorable, drôle, tu bosses
dur, tu te donnes toujours à fond. Seulement, tu es encore un peu naïve. Je sais
que ça fait deux ans que tu travailles pour nous, et même avant de passer ton
diplôme, tu as fait des stages ici. Mais tu es encore une toute jeune fille qui joue
dans la cour des grands. Tu dois savoir qu’il existe des protocoles particuliers à
observer dans cette ville, surtout avec les riches.
– Je sais qu’il faut toujours s’efforcer de les satisfaire.
– En tout cas, souviens-toi bien que Saint serait en mesure de nous faire
couler, s’il le veut. Donc, il ne doit rien voir venir, juste découvrir son portrait
dans les kiosques un beau matin.
Je marmonne :
– Il ne m’attrapera pas.
– Parfait Rachel, mais je veux des révélations intimes. Tous les détails.
Comme si j’avais enfilé ses chaussures et que j’effectuais son parcours
quotidien. Ça ressemble à quoi d’être lui ? C’est ce que tu dois raconter à toute
la ville.
Elle m’adresse un joyeux sourire et ranime son ordinateur en agitant sa
souris.
– J’ai hâte de tout savoir. Et maintenant, Rachel, au boulot ! Trouve
l’histoire dans l’histoire et écris-la !
Merde alors, Livingston ! Tu l’as ton histoire !
Je suis complètement ahurie et excitée. Si euphorique que je me dirige vers
la porte d’un pas fébrile, ressentant le besoin urgent de me mettre au travail.
– Rachel ! s’exclame Helen.
J’ai déjà la main sur la poignée de la porte en verre. Aurait-elle changé
d’avis ? Je sens mon estomac se nouer instantanément. Mais elle hoche juste la
tête.
– Je crois en toi, ajoute-t-elle.
Je reste clouée sur place, intimidée d’avoir enfin gagné sa confiance.
Seulement… je ne pensais pas que cela s’accompagnerait de cette chape énorme
qui vient de me tomber sur les épaules : la peur d’échouer !
– Merci de me donner ma chance, Helen, dis-je dans un murmure.
– Oh… une dernière chose ! En général, Saint refuse les interviews à la
presse. Mais il y a déjà eu des exceptions, et je crois savoir de quelle façon tu
pourras l’aborder : par les réseaux sociaux. Il a beau ne pas aimer les médias,
c’est un homme d’affaires, il saura nous utiliser à son avantage.
Je hoche la tête avec confiance, bien que je sente de nouveau une horde de
doutes m’assaillir. Une fois sortie du bureau, je pousse un long soupir nerveux.
OK, Livingston, concentre-toi, et fonce !

J’ai trouvé tant d’informations sur Saint que je m’envoie des liens à ma
propre adresse pour continuer les recherches chez moi, ce soir. J’appelle son
bureau et tombe sur une assistante, à qui je demande, sans me démonter, un
rendez-vous avec Saint. Elle m’assure qu’elle me rappellera. Je croise les doigts.
– Merci, lui dis-je. Je suis disponible à tout moment. Ma cheffe a très envie
de publier un article sur le dernier projet de monsieur Saint.
Après ce coup de fil, je décrète que ma journée est finie, et rentre chez moi.
J’habite près de chez Blomber Chocolate Company, dans le Fulton River
District, et tous les matins, quand je me réveille, une fantastique odeur de
chocolat flotte dans l’air. Mon immeuble s’élève sur quatre étages, à deux pas du
centre-ville.
Parfois, je n’arrive moi-même pas à croire que je vis mon rêve, ou du moins
en partie. Je voulais le porte-documents, le smartphone, les talons et le tailleur :
finalement je ne me plains pas trop que cela ne soit pas le cas. Je souhaitais aussi
avoir assez d’argent pour acheter à ma mère la voiture de ses rêves, et son propre
appartement, pour qu’elle ne soit pas menacée d’expulsion parce qu’elle n’a pas
payé son loyer… Allons, pourquoi est-ce que j’emploie le passé ? Ce sont
toujours des choses que je désire et je parviendrai à mes fins !
Évidemment, le marché de l’emploi est dur. Avant même de passer mon
diplôme, je travaillais en free-lance et n’avais pas de revenu fixe. Or, il est
délicat de vivre de son inspiration, celle-ci n’est pas toujours au rendez-vous, et
les idées manquent parfois. J’ai alors répondu à une annonce du Chicago
Tribune : Edge recherchait des chroniqueurs hebdomadaires pour divers sujets
tels que la mode, le sexe, les rencontres, les innovations, les conseils déco et
même les petites découvertes fantaisistes pour embellir le quotidien. Ses locaux
– deux étages dans un vieil immeuble en centre-ville – n’étaient pas tout à fait
l’environnement de travail que j’avais imaginé, mais je m’y suis habituée.
Le niveau supérieur est saturé de journalistes derrière leur écran. Il y a du
parquet au sol, les bureaux sont habillés de couleurs vives et de coussins en
satin, et vibrent au son des téléphones et des conversations. Enfin, pour être
honnête, moi qui m’étais imaginée porter des tailleurs pour aller au travail, je
rédige mes articles vêtue d’un T-shirt trop grand mais très tendance, et d’une
paire de chaussettes sur lesquelles il est écrit : « J’y crois », au niveau des orteils.
C’est un magazine complètement fou, aussi fou que les papiers qu’il publie, et
j’adore !
Seulement, les blogeurs nous font une concurrence déloyale et on doit
réduire nos tirages. Par conséquent, Edge a besoin de se distinguer de la masse
des publications, et je suis bien résolue à prouver à ma cheffe que je suis celle
qu’il faut pour y parvenir…
La porte de mon trois-pièces à peine poussée, j’appelle ma colocataire.
– Gina !
– On est là, répond-elle.
« Là », c’est dans sa chambre, et le « on » signifie avec Wynn. Ce sont mes
deux meilleures amies. Wynn est rousse, couverte de taches de rousseur et toute
douce ; son physique tranche avec celui de la brune et sensuelle Gina. En taille,
Gina et moi sommes les plus grandes, tandis que Wynn ressemble à un elfe.
Gina et moi faisons toujours appel à la logique quand la troisième de notre bande
s’en remet à son feeling. Moi, je suis celle qui est avant tout préoccupée par sa
carrière, Wynn celle qui nous materne, et Gina une vraie bombe qui n’a pas
encore compris qu’elle pourrait remplacer ses godes par des hommes (si elle le
voulait). Mais elle ne le veut pas. Pas vraiment.
Laissant tomber mon sac près de la porte, je repère tout de suite leur énorme
pique-nique par terre – elles sont passées chez le traiteur chinois – et nous nous
installons devant un vieil épisode de Sex and the City. Nous mangeons en
silence, en regardant l’écran d’un œil distrait, surtout moi, et je finis par lâcher :
– Je tiens mon papier !
– Quoi ?
Elles arrêtent de manger. Je hoche la tête.
– On m’a confié un article de fond. Il fera peut-être trois, quatre, qui sait
même cinq pages ! Ça dépendra des informations que je pourrais récolter.
– Rachel ! s’écrient-elles à l’unisson.
Puis elles se jettent sur moi pour me serrer dans leurs bras.
– Hé, les filles, attention, c’est censé être un câlin, pas une attaque ! Merde,
vous avez renversé du riz !
Elles se mettent à rire, puis me libèrent, et Wynn va chercher l’aspirateur de
table.
– Et c’est quoi ton sujet ? demanda-t-elle.
– Malcolm Saint.
– Quoi ? s’écrient-elle de nouveau.
– Et tu dois écrire quoi sur lui, au juste ? enchaîne Wynn.
– Euh, c’est presque confidentiel…
Elles ouvrent de grands yeux brillants d’excitation.
– Je dois le rencontrer.
– Comment ?
– J’essaie d’avoir un entretien à propos d’Interface.
– Ah…!
– Mais je vais faire aussi des recherches en secret. Je vais… le dénuder pour
découvrir ses trésors cachés, dis-je pour les taquiner.
– Rachel !
Gina me donne un coup de coude, sachant que je suis normalement plutôt
pudique. Wynn secoue la tête.
– Ce type est chaud !
– Qu’est-ce que vous en savez toutes les deux ? questionne alors Gina.
Je sors mon portable.
– J’ai regardé sa page Instagram, il a plus de quatre millions de like !
On se précipite sur d’autres réseaux sociaux, notamment sur son compte
Twitter. Ce que j’y lis ne m’étonne nullement… D’un ton songeur, je décrète :
– Son assistance ne me donnera pas de rendez-vous, elle a dû écrire mon
nom tout en bas de la liste. Je me demande si je n’aurais pas plus de chance en
passant par les réseaux sociaux…
– Bon, il faut que tu te crées un profil où tu aies l’air à la fois sexy et
brillante, au cas où Saint lui-même le verrait, décrète Wynn.
– Pas question !
– Allez, Rachel, ne fais pas l’enfant, insiste-t-elle. Celle-là, elle est pas mal.
En tout cas, tu es super attirante, là-dessus.
Et elle désigne une photo de mon album Facebook, où je porte une jupe
crayon et un corsage dont les trois boutons au niveau de ma poitrine semblent
sur le point d’exploser.
– Je déteste ce chemisier.
– Parce qu’il montre tes atouts. Allez, on prend celle-ci !
Docile, je change ma photo de profil et lui envoie un message.

Bonjour Monsieur Saint, c’est Rachel Livingston, de Edge. J’adorerais que


vous m’accordiez un entretien personnel pour discuter de votre nouvelle
étoile montante, Interface. J’ai également fait une démarche en ce sens
auprès de votre assistance. Je suis disponible à tout moment…

J’ajoute mes coordonnées et envoie le tout.


– Il n’y a plus qu’à croiser les doigts, dis-je, l’estomac noué.
– Et les orteils.
Plus tard dans la soirée, une fois Wynn rentrée chez elle et Gina couchée, je
m’installe confortablement sur mon oreiller, mon ordinateur portable sur les
genoux, tout en mâchouillant des Fruit Roll-Up.
– Lecture intéressante, dis-je en regardant une photo de Saint.
Je veille jusqu’à minuit, fascinée par ce que je découvre : j’ai quasiment
déterré tous les ragots possibles sur lui. Malcolm Kyle Logan Preston Saint.
Vingt-sept ans. Issu d’une vieille famille de notables si fortunée et connue à
Chicago que sa naissance lui a valu la une des journaux. À l’âge de cinq ans, il
fut hospitalisé pour une méningite, et tout le monde était sur des charbons
ardents se demandant s’il allait s’en sortir.
À six ans, il était déjà ceinture noire de karaté, et le week-end, il volait
d’État en État avec sa mondaine de mère dans un des jets de son père. À treize, il
avait déjà embrassé la plupart des filles de son collège. À quinze, c’était le plus
grand play-boy du monde et le menteur le plus suave. Et à dix-huit, c’était un
parfait salaud, forcément ! À vingt ans, il perd sa mère, mais trop occupé à skier
dans les Alpes suisses, il n’arrive pas à l’heure à son enterrement.
À vingt-et-un ans, lui et ses deux meilleurs amis, Callan Carmichael et
Tahoe Roth, étaient devenus les « fonds de placement » les plus célèbres de
notre génération.
Il possède quatre Bugatti, et des propriétés un peu partout dans le monde.
Des voitures de luxe, des douzaines de montres en or, y compris un calendrier
perpétuel en or rose qu’il a acquis à une vente aux enchères pour 2,3 millions de
dollars. Bref, c’est un collectionneur : d’entreprises, de jouets, et apparemment
de femmes aussi.
Malcolm est un enfant unique, et après qu’il a hérité des millions de sa mère
et montré une troublante aptitude pour les affaires durant les mois qui ont suivi,
il est devenu non seulement milliardaire, mais aussi le symbole absolu du
pouvoir. Oh, pas le pouvoir politique ! Mais le bon vieux pouvoir, meilleur ami
de la fortune. Saint n’a aucun lien avec les transactions louches de la machine
politicienne qui sévit à Chicago, mais il peut actionner certains leviers, s’il en a
envie. Tous les hommes politiques le savent – voilà pourquoi il est préférable
pour eux d’être en bons termes avec lui.
Saint ne soutient pas n’importe qui. Toutefois, l’opinion publique sait bien
qu’il se moque de ce que l’on pense de lui : il n’apporte son appui qu’à ceux
qu’il envisage de contrôler. Donc, implicitement, toute personne qu’il encourage
n’a plus à craindre d’être attaquée par quelqu’un d’autre. Il est le champion des
outsiders. Grâce à son héritage substantiel, Saint est devenu un homme d’affaires
dès son plus jeune âge, finançant les projets techniques de ses camarades issus
des universités les plus prestigieuses ; nombre d’entre eux ayant réussi, cela lui a
permis de devenir plus riche que son père de quelques centaines de millions de
dollars. Il poursuit aujourd’hui ses opérations d’investissement fructueuses
depuis les locaux de M4 ; ainsi nommée d’après l’initiale de son prénom et de
son chiffre préféré, il s’agit d’une société qu’il a créée tout jeune, quand
plusieurs de ses entreprises finirent sur la liste du Nasdaq – l’une d’elle valait
quelques milliards, rien que ça !

Dernière une du Enquirer :


Malcolm Saint : notre bad boy préféré révèle :
Avec combien de femmes il a couché. Pourquoi le mariage ne l’intéresse
pas. Et comment il est devenu le célibataire le plus torride (et le plus
coureur) des États-Unis ! Et plus encore !

Twitter :
@MalcolmSaint j’aurais préféré ne jamais croiser ton regard !
#mangetamerdeetmeurs.
Espèce d’enfoiré @MalcolmSaint tu as baisé ma petite amie, tu n’es qu’un
enfoiré.
Encore un verre gratuit ? @MalcolmSaint qui paie un verre au Blue Bar.

Mur de Facebook :
Salut Mal, tu te souviens de moi ? Je t’ai donné mon numéro la semaine
dernière. Rappelle-moi ou envoie-moi un texto.
Saint, on prend un verre, le week-end prochain ? Je suis en ville avec ma
femme (ce n’est pas moi qui l’ai incitée à venir, elle t’a assez léché les
bottes.) Envoie-moi un message pour qu’on réserve une place.
Tu es beau sur les photos de ton yacht, Saint. Tu as encore un peu de place ?
Mes amies et moi, on adorerait refaire la fête avec toi ! :)
Bises

Waouh ! Tu es une perle rare, murmurais-je en refermant mon ordinateur


vers minuit. Je parie que la moitié de ces infos sur Internet sont exagérées et
fausses, et c’est pourquoi, bien sûr, je dois effectuer des recherches plus
approfondies – récolter des données de sources fiables. Je souris et regarde
l’heure… Zut ! Trop tard pour que j’annonce à ma mère que je le tiens enfin
mon article !
CHAPITRE 2

NOUVELLES RECHERCHES

Twitter :
@MalcolmSaint suis-moi sur Twitter, SVP !
@MalcolmSaint pour lancer la première balle au match des Cubs

Mon compte personnel :


VIDE

J’ai déjà un dossier de dix centimètres d’épaisseur sur Malcolm Saint, mais
aucun appel de son assistante.
Qui plus est, mes projets de sortie avec ma mère sont tombés à l’eau. On
était censées aller apporter notre soutien à l’association Halte à la Violence dans
notre quartier, mais elle m’a appelée pour décommander, car son boss vient de
lui demander de remplacer une collègue au pied levé.
– Désolée, ma chérie. Tu ne pourrais pas demander à une des filles de
t’accompagner ?

– Ne t’inquiète pas, maman, c’est ce que je vais faire. À propos, tu prends
bien tes doses d’insuline, hein ?
Je sais qu’elle suit son traitement, mais je ne peux m’empêcher de lui poser
la question à chaque fois que je l’appelle. Ça m’obsède. En fait, je m’inquiète
bien trop pour elle, et de leur côté, Gina et Wynn se tracassent parce que ça me
rend moi-même malade. Je veux vraiment épargner suffisamment pour lui
assurer un logement confortable et de la nourriture saine, ainsi que de bons
soins. Elle m’a tant donné que je tiens absolument à lui rendre la pareille, afin
qu’elle puisse prendre sa retraite et se consacrer enfin aux activités qui lui
plaisent. Tout le monde a le droit de faire ce qu’il aime. L’amour qu’elle me
porte et son désir de me donner la meilleure vie possible l’ont empêchée de
mener la vie qu’elle voulait. Aussi, je veux qu’à son tour elle puisse réaliser ses
rêves. Grâce à cet article, de nombreuses autres opportunités pourraient se
présenter, une porte ouvrant sur beaucoup d’autres.
Je clique sur le lien Malcolm Saint comme une forcenée quand Gina sort
enfin d’un pas léger de sa chambre, dans sa tenue la plus confortable. Je lui
rappelle alors :
– Je t’ai dit qu’il fallait mettre des vêtements qui ne craignaient rien, et
surtout pas la peinture. C’est pas ton jean préféré, ça ?
– Merde, c’est vrai ! Pourquoi j’ai oublié dès que je l’ai vu dans mon
placard ?
Elle retourne dans sa chambre en martelant bruyamment le sol, cette fois. À
11 h, à l’angle du parc, près des courts de basket, Gina et moi – ainsi que
plusieurs dizaines de personnes – arrivons enfin au rassemblement, impatientes
de plonger les mains dans la peinture pour créer une fresque murale.
– Nous avons tous perdu quelqu’un, lors de cette funeste rixe. Un être cher,
un ami, notre épicier, rappelle l’une des organisatrices.
Moi, j’ai perdu mon père et j’avais deux mois. Tout ce que je sais de lui,
c’est ma mère qui me l’a dit : c’était un homme ambitieux, qui travaillait dur et
nourrissait de grands rêves. Il lui avait juré que je ne travaillerais jamais… Il
était obsédé par l’idée de nous construire une vie idéale. Seulement voilà : il a
suffi d’une arme, et rien ne s’est passé comme prévu.
Je n’ai même pas pu emporter le souvenir de ses yeux, gris comme les miens
apparemment. Je n’ai jamais entendu sa voix, n’ai jamais su si, le matin, il était
grognon comme le père de Gina, ou tout gentil comme celui de Wynn. Je me
rappelle des voisins nous apportant des gâteaux quand j’étais petite. De leurs
filles jouant avec moi. Je me revois en compagnie d’autres enfants dont certains
avaient eux aussi perdu un proche d’une mort violente.
Aujourd’hui, vingt-trois ans après la mort de mon père, chaque fois qu’une
tragédie se produit, je souhaite de toutes mes forces que ce soit la dernière. Je ne
veux pas que l’on banalise la violence, mais qu’elle s’arrête.
On critique les méthodes que notre association emploie pour plaider en
faveur d’une ville plus sécurisée – certains estiment que nous sommes trop
passifs, d’autres que notre action est vaine – mais je crois pour ma part que
même les voix les moins féroces ont le droit d’être entendues et peuvent l’être.
Conformément aux instructions de notre organisatrice, je verse une bonne dose
de peinture rouge sur mon plateau en plastique, puis plaque ma main dessus : ma
paume et mes doigts en deviennent imprégnés.
– Avec nos mains, nous allons créer une immense peinture murale, un
symbole fort pour que la violence cesse dans les rues, dans nos communautés,
dans notre ville, dans le voisinage, poursuit l’organisatrice.
À cet instant, je sens mon téléphone vibrer dans la poche arrière de mon
pantalon.
– Et c’est parti ! ajoute la femme d’une voix forte. Un, deux, trois…
À trois, j’applique ma main contre le mur, tout comme Gina.
Une fois que nous avons laissé notre empreinte, nous courons vers la
fontaine pour nous laver les mains. Mon amie se penche brusquement au-dessus
de moi et je pousse des petits cris en essayant de me dégager.
– Hé, tu me mets de la peinture partout ! dis-je en riant.
Puis je me sèche les mains et lui laisse la place. Pendant qu’elle se frotte les
paumes, je sors mon téléphone. Et là, mon estomac se contracte violemment…
Yes ! J’ai eu une réponse concernant ma demande de rendez-vous !
CHAPITRE 3

MESSAGE

Malcolm Saint –
Mademoiselle Livingston,
C’est Dean, l’attaché de presse de monsieur Saint.
Nous avons un créneau de dix minutes à 12 h aujourd’hui.

Donc, je reçois une réponse là maintenant, un samedi, à… 11 h 18, pour être


précise.
– Tu le crois, ça ? J’ai décroché mon rendez-vous ! dis-je, toute excitée, à
Gina.
Mais au lieu de taper sa paume dans la mienne – elle sait pourtant
pertinemment que c’était la nouvelle que j’attendais avec la plus grande
impatience – elle me toise de la tête aux pieds… Et je comprends le malaise.
– Merde ! Je ne peux pas le voir dans cette salopette !
J’en suffoque !
– Prends ma ceinture !
– T’es sérieuse ? J’aurais l’air carrément ridicule.
Mais elle la passe déjà autour de ma taille et la noue.
– Rachel, écoute-moi bien : il n’y a pas de boutique dans les parages, et tu
n’as pas le temps de rentrer te changer.
On échange des regards paniqués tout en évaluant ma tenue… Quelques
instants plus tard, je porte toujours une salopette en jean mais avec un débardeur
par-dessus, une ceinture rouge, et quelques éclaboussures de peinture de même
couleur… Je maugrée :
– J’ai l’air d’une traînée, un jour de ménage.
– Tu as de la peinture sur la joue, me dit Gina en essayant de l’enlever.
Je pousse un grognement et murmure à l’univers : « La prochaine fois que tu
réalises un de mes rêves, peux-tu faire en sorte que j’aie une tenue de
circonstance ? » Comme si elle avait lu dans mes pensées, Gina essaie de me
dérider.
– Allez, tout le monde sait qu’il ne faut pas se fier aux apparences ! Au
moins, tu es habillée.

J’essaie de mettre mes cheveux d’un côté, puis de l’autre, mais ça ne change
rien. Assise à l’arrière d’un taxi, je rumine cette situation ridicule, et ose à peine
m’adosser à la banquette car je crains que Gina ne m’ait mis de la peinture dans
le dos. Et soudain, je sens que je colle au siège en vinyle… Pitié ! C’est affreux,
j’en ai mal au ventre. Je demande au conducteur de baisser le miroir passager, et
j’y scrute mon reflet… Je marmonne alors entre mes dents :
– Mais c’est pas vrai, c’est pas vrai…
J’ai l’air de quoi avec mes longs cheveux blonds en pétard et de la peinture
sur la joue qu’on pourrait prendre pour du sang ? C’est vraiment ainsi que je vais
rencontrer le célèbre Malcolm Saint ? Et si la perspective me terrifie déjà à
l’arrière d’un taxi, que vais-je ressentir quand je vais entrer dans les bureaux de
M4 ?
Des bureaux se dessinent à présent à l’horizon avec leurs fenêtres miroir
d’une hauteur presque aussi imposante que la Sears Tower (enfin, il paraît qu’il
faut dire la Willis Tower à présent). Quelques minutes plus tard, je foule le
marbre du hall, puis scrute les structures en acier de l’ascenseur en verre qui me
conduit à un deuxième hall au premier étage, et duquel je vois monter et
descendre d’autres petites cages en verre.
J’ai une boule au ventre comme si je venais d’entrer dans une discothèque
épouvantablement bruyante alors qu’un calme religieux règne autour de moi.
J’ai l’impression d’être une livreuse de ballons qui aurait oublié sa marchandise
quand je franchis la double porte et m’avance vers la réception.
Oh non ! Rien ne va plus : tout le monde me regarde ! Je n’y arriverai
jamais, ce n’est pas possible… On respire, Livingston ! Si ! Tu vas y arriver.
Relevant le menton, je marche vaillamment vers la réception et débite d’une
traite :
– Je suis Rachel Livingston, j’ai rendez-vous avec Malcolm Saint.
La réceptionniste me dévisage, inspecte ma carte d’identité, puis fronce
légèrement les sourcils. Avec mon mètre soixante-dix, je peux m’enorgueillir
d’une taille au-dessus de la moyenne et pourtant, je me sens devenir de plus en
plus petite sous son regard scrutateur.
– Dernier étage, dit-elle enfin en jetant un ultime coup d’œil à mes
Converse.
Ouf, j’ai passé la première épreuve !
Je me dirige vers l’ascenseur avec toute la fierté qu’il me reste. Il monte
tranquillement au dernier étage, déversant à chaque niveau un flot de
personnages en costumes noirs et chemises blanches, jusqu’à ce que je me
retrouve seule à l’intérieur. Un nœud me serre alors la gorge… Je suis certaine
que jamais Victoria ne se serait fait surprendre dans une telle tenue, pas même si
on l’avait payée pour. Seulement, je ne suis pas Victoria…
Le tintement de l’ascenseur résonne, et j’en sors d’un pas presque solennel.
Il y a quatre tables de travail, deux à gauche, deux à droite, et une immense
double porte en verre dépoli qui mène, je n’en doute pas un instant, à son
repaire. Cette porte semble conduire à une forteresse de verre, ostensible et
sournoise : on la dirait accessible, tout en étant hors de portée du monde.
Une femme contourne son bureau et m’indique un siège dans la section de
gauche.
La remerciant dans ma barbe, je m’assieds sur le rebord de la chaise et
attends quelques secondes, en observant les quatre assistantes – toutes vives et
séduisantes – qui ne cessent de prendre des appels. Elles travaillent de manière
parfaitement synchrone.
Un ascenseur s’ouvre et l’apparition d’un homme imposant, à l’apparence
saisissante, fait tressauter la femme en moi : une carrure d’au moins un mètre,
des cheveux noirs de jais, un costume de designer flambant neuf, une chemise
immaculée et un pas à faire accélérer l’univers. Il sort de l’ascenseur suivi d’une
masse d’individus, prend le dossier que lui tend l’un des sous-fifres puis, après
avoir émis un ordre qui a le pouvoir de disperser ses suiveurs à la vitesse de
l’éclair, s’élance droit devant lui. Il passe devant moi avec la force d’un ouragan
pour disparaître dans sa cage de verre ; j’en ai le tournis tandis que je tente
désespérément de m’accrocher à la vue de ses mèches noires et de ses épaules
carrées. C’est le mâle le plus puissant que j’aie jamais vu à Chicago.
Pendant quelques secondes, le monde a paru tourner plus vite, dix secondes
ont semblé vouloir se bousculer en une seule, celle durant laquelle il est passé
devant moi. À la vitesse de la lumière.
Une de ses assistantes bondit sur ses pieds pour gagner à son tour la pièce de
verre dans laquelle il s’est éclipsé, alors que les trois autres regardent la paroi
vitrée d’un air nostalgique, comme si elles regrettaient que l’éclair ne les ai pas
touchées. Et soudain, c’est moi qui suis frappée par une illumination. Ce
cyclone, c’était Malcolm Saint ! Oui, l’ouragan, c’est Saint, je me le répète
intérieurement comme pour m’en convaincre.
Des tremblements de peur me parcourent alors tout entière… Je jette un
coup d’œil à mes chaussures. Pas de miracle, ce sont toujours des Converse,
elles ne se sont pas transformées en chaussons de vair 1. Et zut !
Je remarque que l’assistante a laissé la porte entrouverte et ne peux
m’empêcher de me pencher en avant pour entendre ce qu’elle dit.
– Votre rendez-vous de 12 h est arrivé. Vous avez dix minutes.
Mon cœur cogne si fort que je n’entends pas la réponse.
– Euh, encore une petite précision, Monsieur Saint : cette… journaliste… est
accoutrée de façon peu conventionnelle.
Là encore, je ne distingue pas ce qu’il réplique, mais elle enchaîne :
– De Edge, un magazine à bas tirage, mais Dean pense qu’il est important
d’utiliser tous les médias possibles pour faire de la publicité au nouveau
Facebook.
J’entends un vague murmure rauque inintelligible qui me donne la chair de
poule, puis à nouveau la voix de l’assistante :
– Rachel Livingston.
Je frissonne carrément de la tête aux pieds lorsque le timbre profond et
toujours aussi inaudible s’élève une nouvelle fois. Moi qui ne frissonne jamais,
même quand je me les gèle. C’est nerveux ou quoi ?
– Oui, monsieur Saint, dit-elle encore.
Et elle sort de son bureau, manifestement troublée. Et merde, dire que la
suivante, c’est moi ! Moi qui ai l’air d’arriver tout droit d’un chantier.
L’assistante me désigne alors la porte du bureau.
– Monsieur Saint n’a pas une seconde à lui aujourd’hui, aussi faites bon
usage des dix minutes qu’il vous accorde, me conseille-t-elle en se rasseyant.
Je veux répondre, mais n’arrive à articuler qu’un « merci » d’une voix
enrouée. J’entre dans le repaire… Des cotes boursières affichées sur des dizaines
d’écrans tapissent tout un pan de la pièce. Il n’y a aucune plante, rien que de la
technologie et un sol en pierre, ainsi que beaucoup d’espace, comme si cet
homme redoutait d’en manquer.
Les fenêtres offrent un vaste panorama sur Chicago, mais je ne peux
l’admirer car, avec l’intensité d’un ouragan dompté par la magie d’un costume
Armani, Saint s’avance vers moi en dégageant une force de propulsion quasi
extraterrestre.
Waouh ! Ce visage, ce charisme, ces épaules, ces yeux… Son regard brillant,
vivant, d’un vert profond, rappelle les rivières mouvantes, mais des tessons de
glace scintillent aussi dans leurs profondeurs, et je ne sais pourquoi, j’ai
l’impression qu’elles ont envie que je les réchauffe…
– Mademoiselle Livingston.
Il me tend la main et c’est quand je glisse mes doigts dans sa main chaude
que je me rends compte que je peux à peine respirer. Je hoche la tête, déglutis,
arbore bien vite un sourire stupide puis retire ma main de la sienne, avant de le
scruter avec un respect grandissant. Après quoi, il se rassoit et s’adosse
confortablement à son siège, prenant une pose faussement décontractée, alors
que tout son être bouillonne d’énergie.
– Monsieur Saint, parviens-je enfin à articuler.
Et plus que jamais je suis consciente de ma mise absolument déplacée au
sein de cet espace de luxe sans la moindre aspérité. Lui aussi me regarde
fixement, un peu perplexe, mais impassible. Je suis sûre que c’est la première
fois qu’il voit une femme en salopette et en Converse. J’ai vraiment tout foiré !
Il regarde sa montre, et je sursaute quand il prend la parole.
– L’heure tourne, Mademoiselle Livingston, par conséquent, vous feriez
mieux de me dire ce qui vous amène.
Il me désigne un siège en face de lui. Puis-je tout de même dire que sa voix
est à elle seule une sacrée expérience ? Tout comme sa présence. Pas étonnant
que les gens en parlent sur le Net… à tous ceux qui veulent bien les lire ! Ses
mâchoires sont lisses et carrées, ses sourcils deux traits sombres au-dessus de ses
yeux plutôt enfoncés et sertis de cils épais. Quant à sa bouche, elle est
incontestablement sensuelle, légèrement relevée aux commissures. Le genre de
lèvres que Gina estime « comestibles ».
– Merci d’avoir accepté de me rencontrer, monsieur Saint, dis-je.
– Saint suffira.
Et il se cale contre son fauteuil. Une bouffée d’adrénaline parcourt mes
veines et je n’ai pas d’autre choix que de prendre place en face de lui, tout en me
concentrant sur le moindre de mes mouvements. J’essaie de ne pas m’adosser au
siège afin de ne pas le maculer de peinture. Un peu rigide, je sors mon téléphone
où j’ai consigné des notes dans le taxi.
– Je souhaiterais avant tout vous poser quelques questions sur la création de
votre nouveau réseau social, bien sûr, le premier à être en mesure de rivaliser
avec Facebook…
Je m’aperçois alors malgré moi qu’il est distrait par ma tenue, et je sens son
regard courir sur moi. Mon accoutrement le répugne-t-il ? Pourtant, la chaleur
qui émane de ses yeux semble me transpercer au point que je dois redoubler
d’efforts pour ne pas me tortiller sur mon siège.
Il change alors de position sur son siège et passe la main sur son visage.
Retient-il un sourire ? Son menton ne bouge-t-il pas un peu ? Mais si ! Il est en
train de se moquer de moi ! Parce que je suis rigide comme un mannequin de
cire, nerveuse et que je me demande, affolée, si j’ai de la peinture sur moi.
Au prix d’un immense effort, totalement mortifiée, je poursuis :
– Vous savez bien sûr que les investisseurs se sont non seulement demandé
si cela allait rester entre des mains privées…
Je m’interromps car il se lève sans prévenir et se dirige vers le fond de son
bureau d’un pas assuré. Le trouble me gagne quand il revient vers moi en
tenant… une chemise d’homme !
– Tenez, mettez ça !
Pitié ! C’est l’une de ses chemises ?
– Oh non, c’est inutile !
Il est tout près de moi et m’observe avec un regain de curiosité.
– J’insiste, dit-il un vague sourire aux lèvres.
Mon cœur bat à toute allure dans ma poitrine, mais je m’obstine.
– Non, vraiment.
– Vous serez plus à l’aise, dit-il d’un air entendu.
Je sens une onde de chaleur m’envahir. Il se contente de sourire, et je vois
une lueur traverser ses yeux.
Je me lève pour passer la chemise, ouvre les boutons d’une main tremblante
puis enfile les manches. Après quoi, j’entreprends de la reboutonner tandis qu’il
retourne derrière son bureau, d’un pas plus lent cette fois, presque semblable à
celui d’un prédateur… Et je sais bien que, quand il se retournera, il me dévorera
des yeux !
Plus j’essaie de faire vite, moins mes doigts veulent m’obéir. La chemise
m’arrive à mi-cuisse, une chemise qu’il a touchée, qui a épousé son torse, moulé
sa peau… Soudain, je suis sensible au moindre de ses gestes, à la façon dont il
positionne ce corps masculin le plus convoité de Chicago.
– OK, dis-je promptement.
Et je regrette aussitôt ce petit mot, car il n’est pas vraiment de mise. Rien
n’est « OK » ! Je me sens rougir jusqu’à la pointe des oreilles, et ses yeux
brillent à présent de façon impitoyable ; il a conscience de ma gêne.
– Elle vous va mieux qu’à moi, m’assure-t-il.
– Vous me taquinez, n’est-ce pas ? dis-je dans un souffle.
Je m’adosse au siège. Sa chemise sent le savon, et son col amidonné s’étale
de façon lâche autour de mon cou. Mes genoux sont en coton. Bon sang ! Je ne
me serais pas sentie plus vulnérable si je m’étais présentée toute nue devant lui.
– Bien, vous êtes donc parvenu à me rendre présentable, dis-je en riant.
Puis je me mords la langue pour ma familiarité. Bon, tu les poses tes
questions, Rachel ? Et tant que tu y es, retrouve ton objectivité !
À cet instant, son téléphone sonne. Il ne prend pas l’appel et je me rends
compte qu’il sourit à cause de mon commentaire. Les commissures de ses lèvres
se relèvent de façon sensuelle, et ses dents, parfaitement blanches et bien
alignées, forment un formidable contraste avec son teint bronzé.
Quel sourire ! À se pâmer ! Je sens mon estomac se contracter brutalement.
– Allez-y, c’est à vous, s’impatiente-t-il.
Le téléphone sonne de nouveau. Il regarde l’écran, plisse les yeux.
– Vous pouvez répondre, dis-je.
Car j’ai vraiment besoin qu’il se concentre sur autre chose que moi pendant
quelques secondes. Qu’est-ce qui m’arrive ? Je porte sa chemise, putain ! Il finit
par murmurer :
– Excusez-moi.
Et il s’empare de son portable, pivotant légèrement sur sa chaise.
Je pousse un soupir et lis de nouveau mes questions, tout en levant de temps
à autre les yeux vers lui pour observer son profil. Rien qu’en écoutant
attentivement son répondeur, il absorbe tout l’oxygène de la pièce, toute sa
personne respire la classe, l’argent et le pouvoir.
Il paraît qu’un jour il a sauté du toit de son bureau. On le dit effronté et
audacieux à la fois en affaires et en dehors. Je n’ai pas cru ce que j’ai lu sur lui
hier soir, mais maintenant, je ne suis plus si certaine que ce soient des
mensonges.
Il porte son costume comme une seconde peau. Lui arrive-t-il de dormir
avec ? Sous la chemise blanche, j’aperçois une masse de muscles
impressionnants… Aucune des photos ne rend justice à l’effet qu’il produit sur
les autres. Non, aucune. Ce visage est si remarquable qu’on en foncerait droit
dans le mur sans s’en rendre compte, et je ne parle même pas de son corps, mais
je comprends mieux à présent pourquoi son lit est le lieu le plus convoité de la
ville.
Sa communication terminée, il se retourne. Nos regards se croisent quelques
instants.
– Voulez-vous bien continuer, mademoiselle Livingston ? m’encourage-t-il
alors, en montrant mon téléphone.
– Je vous amuse, dis-je brusquement.
Haussant un sourcil, il semble méditer sur ma remarque l’espace d’une
seconde, puis pianote sur son bureau.
– Vous m’intriguez, oui. Vous peignez ?
– Il se trouve que j’étais dans un parc ce matin, où les gens de mon quartier
se rassemblent parfois : nous essayons de nous mobiliser contre la violence des
rues, les bagarres entre gangs et la vente de drogue.
– Ah bon ? dit-il d’un ton impassible.
Au fond, je ne suis même pas certaine que mon accoutrement l’intrigue,
peut-être ne veut-il tout simplement pas répondre à la moindre de mes questions.
Pourtant, je dois lui arracher le plus d’informations possibles ! J’ouvre la
bouche, m’apprêtant à recourir à un peu de flatterie pour l’amadouer, quand
l’une de ses assistantes nous interrompt.
– Monsieur Saint, un appel de Chine, annonce-t-elle en passant la tête dans
l’entrebâillement de la porte. La voiture est prête.
Il se lève et ses muscles ondulent sous sa chemise tandis qu’il enfile son
impeccable veste noire. Il saisit alors la casquette des Chicago Cubs qui se
trouve sur son bureau, la considère un instant et sa mâchoire tressaute
imperceptiblement, comme si soudain quelque chose l’agaçait.
Ne voulant pas abuser de son temps, je me force à me mettre debout. Il
relève la tête pour me décocher un ultime regard.
– Ce fut intéressant, Rachel, m’assène-t-il.
Un horrible sentiment de perte me foudroie sur place, et devient plus pesant
à chaque pas qui le rapproche de la porte. Ce n’est pas possible… c’est tout ?
– Monsieur Saint, pourriez-vous me recevoir de…?
Mais il a déjà franchi le seuil de son bureau, et son assistante lui tend deux
Post-il jaunes qu’il déchiffre rapidement, tête légèrement penchée. Son dos est
extrêmement tonique, un triangle inversé partant des épaules pour se prolonger
jusqu’à la taille est nettement perceptible sous sa veste. Une autre assistante
s’empresse d’appeler l’ascenseur, cependant qu’une troisième trottine à ses côtés
pour lui remettre une balle.
Subitement, ça fait tilt dans mon esprit : le match de baseball, bien sûr ! Soit
il va demander aux joueurs de la lui signer, soit il va la lancer à Wrigley Field.
Je laisse mon regard courir sur ses assistantes. Deux sont en train de taper
sur leur clavier, une attend près de l’ascenseur et l’autre court toujours à ses
côtés, on a l’impression qu’elle flotte. Toutes ont les yeux braqués sur lui quand
il pénètre dans l’ascenseur. On dirait que tout le monde retient son souffle
jusqu’à ce qu’il disparaisse. Même moi.
Dès que les portes de l’ascenseur se referment, les deux autres assistantes
reprennent place derrière leur bureau, et c’est la première fois que je vois des
personnes si avides de se remettre au travail. Excepté moi, s’entend.
Un sourire aux lèvres, je m’approche de celle qui m’a fait entrer dans son
bureau. CATHERINE H. ULYSSES, indique la plaque posée près de son ordinateur.
Je lance :
– Il fait de l’effet, n’est-ce pas ?
Est-ce qu’il couche avec l’une de vous, les filles ? Ça, c’est ce que j’aimerais
vraiment savoir.
Elle fronce un peu les sourcils. Protectrice, en plus de ça ?
– En quoi puis-je vous aider ? me demande-t-elle.
– J’aimerais prendre un nouveau rendez-vous avec monsieur Saint. Nous
n’avons pas eu le temps de terminer. Il me faudrait au moins une heure, voire
deux, si ce n’est pas trop demander.
Elle me répond qu’elle me tiendra au courant, puis toutes les quatre me
dévisagent, se rendant soudain compte que je porte sa chemise. Je soupire
intérieurement : elles n’ont pas l’air d’apprécier ! Bon… ses assistantes me
haïssent, et il m’a probablement bannie de M4 pour toujours. Bien joué !
Dans le taxi qui me ramène chez moi, immensément déçue, je me rejoue la
scène encore et encore, essayant de tirer le meilleur parti de ce bref échange.
Mais il me faut un bon moment pour m’arracher à ma confusion, et tirer la
substantifique moelle de cet entretien.
J’écris…

Ponctuel
Respecté par son personnel : bon boss ?
Même quand il est assis devant vous, on a l’impression que son cerveau travaille constamment, comme s’il était en mode
automatique (À quoi pense-t-il ? À son prochain investissement ?)
Son regard… est le plus profond que j’aie jamais vu (est-ce que ça veut dire qu’il voit clair dans le jeu d’autrui ?)
Il m’a donné sa chemise.

Je penche la tête pour inspecter la chemise en question, les boutons, le


revers. C’est un geste inattendu, ça ! I-nat-ten-du. Mais c’est tout lui. Calme,
posé, maître de son énergie débordante, et ayant à coup sûr un secret intéressant
profondément enfoui en lui.
Je remonte les manches de la chemise jusqu’aux coudes, et écris ces
dernières réflexions. Parfois, mes articles commencent par une liste de mots… À
la fin, je retiens cinq points. Donc, c’est tout ce que j’ai tiré de cet entretien ?
Cinq petites choses avec bien peu d’arguments pour les étayer, un curieux nœud
au creux de l’estomac, et un butin de guerre, tout de même : une chemise qui
sent incroyablement bon.
Quand Gina rentre du travail, elle proteste.
– Qu’est-ce qu’une chemise d’homme fait ici ? C’est un lieu féminin sacré.
– Il était gêné pour moi, alors il m’a donné sa chemise.
Je suis assise devant mon écran blanc, et je ne suis pas vraiment en transe.
D’habitude, j’adore les écrans blancs, ils représentent ma cour de récréation.
Mais une cour avec un seul sujet et sans informations avec lesquelles jouer me
donne plutôt envie de bougonner. J’ai acheté un sachet de bretzels au yaourt que
j’ai posé à côté de moi, mais cela ne contribue pas à améliorer mon humeur.
– Il t’a donné une épaisseur supplémentaire, au lieu de t’en retirer une ? Et
on le traite de coureur ?
– Mais enfin, Gina, on était dans son bureau ! Il a le sens de la déontologie.
Il ne mélange visiblement par les affaires et le plaisir.
Gina vient piocher dans mon sachet de bretzels.
– Saint vit pour le plaisir, il est le tsar du plaisir… Pourquoi tu fronces les
sourcils ?
Je pousse un grognement, je referme mon ordinateur et je m’affale sur le lit.
– Il faut que je lui rende cette chemise et la tache de peinture dessus ne
partira pas.
– Pourquoi veux-tu la lui rendre ?
– Parce que ! Je n’ai jamais… Bref, tu sais de quoi je parle. Aucun type ne
m’a jamais rien offert. Cela me met mal à l’aise.
– Tu n’as pas eu de père qui te couvrait de cadeaux, et ça se voit, rétorque
mon amie. Ni de frère, ni même de petit ami généreux, d’ailleurs. Pourtant, il
faut que tu apprennes à accepter les cadeaux quand ils se présentent. Fais
confiance à quelqu’un qui sait de quoi elle parle, ça n’arrive pas souvent.
– Hors de question que je garde cette chemise. Qu’est-ce que ça voudrait
dire sur moi ?
Je secoue la tête. Elle prend une autre bouchée de bretzel et enlève ses
chaussures.
– C’est un milliardaire, Rachel, il en a sans doute une vingtaine dans son
placard qui porte encore l’étiquette. Tu envisageais quoi, au juste ? Passer à son
bureau et lui rendre en main propre ? On t’a remis un badge de visiteur
permanent à M4, ou quoi ?
– Non…
Et je tends le bras pour prendre mon téléphone sur mon bureau. J’ouvre ma
boîte e-mail et lui montre le message que j’ai reçu.

Malcolm Saint
Mademoiselle Livingstone, c’est encore Dean.
Monsieur Saint peut vous recevoir lundi. Si cela ne vous dérange pas que l’on glisse un entretien entre
deux de ses autres obligations, il peut vous voir à 15 h.

– Waouh ! s’écrie-t-elle en me donnant une bourrade affectueuse dans


l’épaule. Bravo, Rachel !
Je lui adresse un sourire tranquille et regarde de nouveau la chemise
accrochée sur un cintre à ma porte. L’enthousiasme de Gina est communicatif…
On dit que quand on veut vraiment quelque chose, il faut se visualiser en
train de l’obtenir et que ça arrive. Eh bien, c’est la première fois de ma vie que je
désire quelque chose si ardemment que ça prend finalement forme.
Il m’accorde un deuxième entretien, ce n’est pas rien ! Il a certes d’autres
obligations, mais il souhaite me revoir, en dépit du fiasco que fut notre première
entrevue… Je sens tout à coup un mélange d’excitation et d’inspiration me
gagner. Lundi, c’est dans la poche !

1. . Disney a fait erreur, les escarpins de Cendrillon ne sont pas en verre (techniquement impossible)
mais en vair, fourrure à base de petit-gris (écureuil).
CHAPITRE 4

LUNDI

Une Rolls Royce noir métallisé est garée au beau milieu de l’allée qui mène
chez M4, le soleil miroitant sur son toit. Dès que je sors du taxi, un chauffeur en
uniforme s’approche.
– Mademoiselle Livingston ?
Je hoche la tête sans mot dire.
Il touche sa casquette du bout des doigts et m’ouvre promptement la portière
de la Rolls. Je repère immédiatement Saint à l’intérieur, en train de donner des
ordres impatients au téléphone. Aïe, ça craint ! Il n’a pas l’air de bonne humeur
aujourd’hui. Cela dit, il ne crie pas ; encore qu’il ne soit pas le genre d’homme à
devoir hausser le ton pour qu’on l’écoute. Sa voix est telle que je me la rappelle,
mais les propos qu’il tient sont plus acérés, autoritaires. Je prends une large
inspiration quand je comprends que je suis censée me glisser dans la voiture,
près de lui. Bordel…

Faisant fi de mes jambes flageolantes, je m’engouffre à l’intérieur et le
chauffeur referme tout de suite la portière derrière moi. L’habitacle semble
rétrécir d’un coup, j’ai l’impression que Saint occupe brusquement tout l’espace
avec sa grande carcasse étalée de façon pas franchement élégante sur la
banquette, en face de moi. Il porte une chemise blanche dont les boutons ouverts
laissent voir sa peau. Sa veste, bien pliée, est posée sur quelques dossiers et un
iPad, à côté de lui.
– Ne vous excusez pas, agissez ! grogne-t-il d’un ton impatient à l’adresse de
son interlocuteur.
Il met fin à la conversation, puis prend le suivant.
– Santori, je vous écoute.
Se frottant le menton, il me regarde d’un air pensif alors qu’il écoute son
correspondant. Je me prépare pour notre petit tour en voiture, laquelle vient de
prendre sa place dans le trafic. Soucieuse d’éviter le moindre bruit susceptible de
le distraire, je sors doucement mon téléphone et tape quelques notes. Affaires ?
Achète ou vend ? Noms : il s’agit de prénoms ou de noms de famille ?
Simultanément, je l’observe avec la plus grande discrétion. Et je constate
que, lorsqu’il arrête de parler pour écouter la personne à l’autre bout de la ligne,
ses yeux se promènent sur mon corps, lentement.
Assaillie par une onde de chaleur, je baisse rapidement les paupières vers
mon écran de téléphone… L’intensité qui émane de cet homme ! Sans compter
ce soupçon d’arrogance à faire perdre la tête.
Il a attiré des légions de femmes dans son lit, c’est à la fois un défi et un gros
lot, d’après mes recherches. Mais après avoir écumé Internet hier soir, je n’ai
rien trouvé sur ses affaires concernant M4, son nom n’est nulle part associé à
cette entreprise. Saint ne mélange pas les affaires et le plaisir. C’est ce que j’ai
écrit en conclusion.
Calée à présent à l’arrière de la Rolls Royce noire, je me rends compte que
cet homme compartimente sa vie avec soin. Assis en face de moi, il s’offre
impassiblement à ma vue tout en menant de multiples transactions. Il est
vraiment magnifique, même quand il fronce les sourcils et il semble d’ailleurs
prendre un air songeur alors même que…
Qu’il me regarde effrontément.
– En affaires, un non n’est pas une réponse, dit-il d’un ton bas et rauque,
dans son portable. C’est une invitation à la négociation.
Je détourne les yeux vers la vitre, un sourire aux lèvres en entendant la
légère frustration dans sa voix. Il continue à marmonner dans son téléphone.
Depuis que je suis montée dans la Rolls, il n’a pas cessé un seul instant de
parler, je n’ai donc pas pu poser la moindre question. Oh, je ne m’en plains pas !
Cela m’offre un panorama exclusif sur le labyrinthe de son cerveau et de sa
personnalité.
Et moi qui pensais être un bourreau de travail ! Il m’est impossible de
décrire la façon dont Saint mène ses affaires, tout en faisant une chose aussi
passive que rouler à l’arrière d’une Rolls. Passive ? Je ne crois pas que ce mot
figure dans son dictionnaire personnel. Il est en train de s’assurer que tout se
passe comme il le veut et je vais faire la même chose.
Bien malgré moi, je me retrouve plongée au cœur d’une guerre d’enchères.
Je sens l’adrénaline courir dans mes veines pendant qu’il énumère des chiffres,
ou plus exactement les crache comme autant de coups de mitraillettes. Achète-t-
il une société ? Une œuvre d’art chez Sotheby’s ? J’écris le nom de son
interlocutrice : Christine. Et les chiffres qu’il égrène. Il a monté l’enchère de
100 000 dollars et celle-ci se termine au-dessus de deux millions. Il murmure
alors :
– Bien.
Je présume qu’il a obtenu ce qu’il voulait à en juger par le sourire
éblouissant et très troublant qu’il affiche. Du coup, je manque presque la brèche
où m’engouffrer quand, enfin, le silence se fait et que résonne le bruit mat de son
téléphone qui heurte la banquette.
Je m’arrache bien vite au spectacle des rues de Chicago qui défilent derrière
la vitre, un curieux nœud chevillé au ventre, comme la dernière fois, sauf qu’en
l’occurrence, la raison en est l’exact contraire : il m’accorde enfin toute son
attention ! Une bouffée de chaleur m’étreint au niveau du cou à l’idée qu’il va
enfin s’adresser à moi. Je lui demande :
– La lune vous appartient-elle, à présent ?
Il prend une bouteille d’eau dans le minibar, l’ouvre et en avale une gorgée.
– Pas encore.
Il sourit, puis fronce les sourcils et prend une deuxième bouteille qu’il me
tend.
– Tenez.
Après quoi, il s’étire, inclinant son cou d’un côté, de l’autre, avant de tapoter
l’accoudoir des doigts. Son attitude me perturbe. Quelque chose ne va pas ?
Aujourd’hui, je ne porte pas de salopette. Je suis vêtue de… Et
instantanément, je passe ma tenue en revue car son regard me rend nerveuse. Un
pantalon noir, un corsage blanc, une petite veste de la même couleur et un
bandeau noir pour retenir mes cheveux. J’ai l’apparence irréprochable d’une
femme qui est prête à discuter affaires, non ?
– Je peux vous poser quelques questions, maintenant ?
– Allez-y !
Quand je sors mon calepin, il avale une gorgée d’eau, les yeux toujours
braqués sur moi. Ma concentration mise à mal, je lève et baisse la tête, pour
regarder alternativement mes notes et la personne que j’interviewe, comme une
vraie pro.
– Quand est née l’idée d’Interface ?
– Lorsque le système de Facebook a merdé.
– Vous avez donc tiré profit de ses faiblesses ?
Durant une fraction de seconde, une lueur approbatrice brille dans ses
prunelles, auréolées d’un noir étrangement euphorisant.
– La faiblesse des uns profite aux autres, c’est bien connu. Leur système
peut être largement amélioré. Un meilleur accès, des chargements rapides, des
activités plus intéressantes. Et il se trouve que je dispose de l’équipe la plus
douée de tout le continent pour pallier ces carences.
– Combien de collaborateurs actuellement à bord ?
– Quatre mille.
– N’est-ce pas un chiffre un peu élevé pour une start-up ?
– Étant donné que nous avons déjà atteint notre premier objectif, non.
Je souris et feuillette mon calepin, histoire d’échapper à l’intensité de son
regard. Quand je relève la tête, il boit une nouvelle gorgée d’eau, les yeux
toujours braqués sur moi.
Je reprends :
– Vous savez naturellement que vous êtes l’homme le plus convoité de la
ville ? Cela vous surprend-il ?
– Le plus convoité, répète-t-il presque amusé par le concept. Et par qui ?
Il écarte un peu plus les jambes et se cale confortablement contre la
banquette, une main posée sur le genou tandis qu’il glisse sa bouteille dans le
porte-gobelet sur le côté et darde à présent sur moi un regard empli de curiosité.
Il a une main immense, me dis-je. Digne d’un basketteur ou d’un pianiste. Je
précise alors :
– Les médias, vos fans, même les investisseurs.
Il paraît méditer sur mes propos, et encore une fois ne répond pas.
– Vous avez grandi sous l’œil de l’opinion publique. Je ne pense pas que
cela puisse amuser qui que ce soit. Ne vous arrive-t-il pas d’être fatigué ?
Il étire les doigts sur son genou et sa main semble encore plus grande. Puis il
se met à tapoter son pouce contre sa jambe ; ses yeux en revanche demeurent
immobiles, toujours attachés aux miens, même quand il reprend sa bouteille.
– Je n’ai rien connu d’autre.
La façon dont il me fixe me déconcentre terriblement. Soutenant malgré tout
son regard, j’enchaîne d’un ton le plus professionnel possible :
– Tous vos actes de rébellion… Était-ce pour prouver que l’on ne peut pas
vous contrôler ? Pour que les gens vous aiment encore plus ?
Une seconde s’écoule, deux. Et le petit sourire renaît sur sa bouche.
– Les gens n’éprouvent aucune affection pour moi, mademoiselle
Livingston. Je les intéresse pour quatre choses, et quatre uniquement : ils veulent
que je les aide, être moi, m’imiter ou encore me tuer.
Surprise par son franc-parler, je laisse fuser un bref rire, puis rougis quand
son regard s’assombrit. J’enchaîne bien vite :
– Oublions les questions personnelles, c’est Interface qui m’intéresse et
l’esprit qui l’anime. C’est sur cette nouvelle société que je veux écrire.
La voiture ralentit en approchant d’une allée. Je scrute rapidement notre
environnement : nous sommes visiblement dans un centre d’affaires high tech et
je me rends soudain compte que nous avons probablement atteint notre
destination. Noooon ! Déjà ? Je tourne la tête vers lui, mais il ne semble pas du
tout partager mon anxiété.
– J’ai l’impression que nous sommes arrivés et j’ai encore tant de questions
impertinentes à vous poser, dis-je d’un ton taquin.
Il me sourit, un sourire sincère qui lui retire tout à coup quelques années, et
le rend en même temps plus accessible.
– Vous savez quoi ?
Il se penche vers moi, arborant une expression espiègle.
– Dites-moi quelque chose sur vous, et je vous livrerai à mon tour une
information.
Sans l’ombre d’une hésitation, je saute sur l’occasion :
– Je suis fille unique.
– Je suis fils unique.
On se regarde de la même façon qu’à son bureau, la dernière fois, quand j’ai
enfilé sa chemise…
Et subitement, j’ai envie qu’il me fournisse mille et une réponses comme
celle-ci. Personnelles. Précises. Sans hésitation, je demande :
– Je vous en donne une autre, en échange d’une des vôtres ?
– On dirait que j’ai affaire à une vraie négociatrice !
Il s’adosse au siège et je savoure son rire, profond et chaud.
– Alors, c’est oui ? renchéris-je en riant moi aussi.
– Voyez-vous, mademoiselle Livingston, pour mener des négociations, il
faut que vous déteniez quelque chose que l’autre désire.
Je le scrute quelques secondes : il me provoque ou quoi ? Son regard est
sombre, mais il affiche toujours un beau sourire. Ah, ces yeux ! J’ai l’impression
que je ne m’en lasserai jamais. J’y vois tourbillonner l’énergie qui l’anime. C’est
un homme indubitablement lié à la couleur noire. Noir comme ses cheveux. Noir
comme le péché. Noir comme tout ce qui tourbillonne autour de lui. Une aura
magnétique. Irrésistible. Toujours impassible à l’arrière de la Rolls, il me jauge,
et je ne sais même pas comment réagir, que lui répondre. C’est un homme
influent qui a l’habitude que tout se déroule conformément à ses attentes. C’est
aussi un joueur qui obtient toujours qui il veut. Il voulait une info sur moi, et
stupidement, je suis tombée dans le piège et en ai de surcroît proposé une
deuxième. Mais il n’en souhaitait qu’une. Pas deux.
– Je vais y réfléchir, Rachel, déclare-t-il devant mon silence.
Et comme pour adoucir sa réponse brutale, je vois ses yeux sombres devenir
liquides. Et merde ! C’est comme s’il m’avait giflée.
– Décidément, j’ai le chic pour rater mes interviews avec vous.
Je ne sais même pas pourquoi je murmure, mais il me semble que parler plus
fort rendrait sourd une personne à l’esprit aussi vif que le sien. Je baisse la tête
pour masquer la rougeur que je sens se répandre sur mes joues. Quand je risque
un œil, je constate qu’il me surveille en silence.
Troublée, je tourne vivement le visage vers la vitre, puis expire discrètement,
au moment où la voiture se gare devant l’entrée de l’immeuble. Il y a de nouveau
de la tension dans l’air, après mon stupide faux pas. Sans attendre, son chauffeur
sort de la voiture, et l’équipe des relations publiques de Saint accourt
précipitamment, comme un essaim. Il surfe sur son smartphone, compose un
numéro et dit d’une voix basse :
– Salut ! Bats le rappel pour vendredi. Allons décompresser à l’Ice Box.
Envoie des invitations par e-mail à la liste habituelle.
Il jette un coup d’œil par la vitre, attendant un signal du chauffeur.
J’aimerais encore lui poser des questions sur Interface, mais je l’ai déjà perdu. Je
suis complètement consternée quand il descend de sa voiture et m’indique que
son chauffeur sera ravi de me déposer où je veux. Je parviens à articuler :
– Merci pour le temps que vous m’avez accordé, monsieur Saint.
Il me semble entendre « prenez-soin de vous », mais je n’en suis pas sûre,
car son équipe lui bondit à cet instant littéralement dessus et il disparaît. Sans la
bouteille vide qui atteste de sa présence, on pourrait croire qu’il n’était qu’un
mirage.
Sur le trajet de retour, je médite sur ce qui m’entoure – maintenant qu’il
n’est plus là pour me distraire. Le calme et la beauté de l’intérieur de la Rolls me
rappellent que ceci n’est pas mon monde. Je considère sa bouteille vide…
Pourquoi cette bouteille m’obsède tant ? Je l’ignore. Me faisant violence, j’en
détourne les yeux pour noter mes impressions dans mon téléphone, via un e-mail
que je me destine.
Insatiable et exigeant en affaires/extrêmement ambitieux. Vraiment… brutal
(ce type n’enrobe pas ses propos), n’hésite jamais à lâcher une bombe qui va
faire le plus mal possible (cela dit, ça me plaît que ses réponses soient
spontanées et qu’il improvise). Pourquoi Chicago est-elle si obsédée par sa
personnalité ? Il est authentique, aucun doute là-dessus.

J’essaie de penser à autre chose, mais n’arrive à me concentrer sur rien,


aucune question, aucune réponse. Patience, me dis-je. Aucune histoire ne s’écrit
en un jour. Aucun secret ne se dévoile en une heure.
Ce soir, alors que je cherche mon tee-shirt au logo de mon ancienne
université de Northwestern pour dormir, je repère sa chemise dans mon placard
et m’absorbe dans sa contemplation… Instinctivement, je fais courir mes doigts
dessus. Il est clair que cette chemise a coûté une fortune et elle semble
subitement occuper plus d’espace qu’elle ne le devrait. Je scrute chaque bouton,
admire les poignets parfaitement repliés, et souris en les effleurant ; alors je
fronce les sourcils car je sens revenir ce fameux nœud au creux de mon estomac.
Et tout à coup, je sais comment le revoir.
CHAPITRE 5

LA CHEMISE

Monsieur Saint,
J’aimerais vous rendre votre chemise.
En outre, si vous éprouvez au fond de vous l’envie de me livrer encore quelques informations au sujet
d’Interface, je vous en serai infiniment reconnaissante.
Dans l’attente de votre réponse,
Rachel Livingston, de Edge.

Mademoiselle Livingston,
Monsieur Saint doit se rendre à un événement caritatif mardi après-midi. Si vous venez dans nos
bureaux à 17 h, il pourra vous voir.
Dean.
P.S. : Il vous fait dire de garder la chemise.

– Il accepte de me revoir ! Je le crois pas ! Il accepte de me revoir et cette


fois, je ne peux pas me permettre le moindre faux pas. Il faut que je lui pose les
bonnes questions, que je sois dans ses petits papiers pour qu’il accepte peut-être
une nouvelle entrevue… Gina, il est impératif que je porte les bons vêtements.
Aide-moi à les choisir !
– OK… Quel message tu veux faire passer ?
– Eh bien…
Mon regard se pose sur une jupe blanche et un corsage également blanc, à la
fois pur et féminin. Mais Gina secoue la tête.
– Non, il faut quelque chose de plus fort que cette tenue qui semble dire :
« Voilà, je suis là, et je vais faire un bon job. »
Elle désigne alors une jupe grise, une petite veste cintrée de même couleur et
des escarpins rouges.
– Entendu ! dis-je. Et je mettrai aussi de la lingerie fine pour me sentir en
confiance.

Le mardi, j’informe Helen que j’ai une interview et que je quitterai le bureau
plus tôt.
– Tu y vas dans cette tenue ? me demande-t-elle en pointant du doigt les
vêtements que Gina et moi avons choisis.
Je hoche la tête. Elle fronce immédiatement les sourcils.
– Ça fait un peu… secrétaire. Tu ne peux pas porter quelque chose de plus
audacieux ? Il faut piquer son intérêt sexuel !
– J’ouvrirai un ou deux boutons de plus pour avoir un beau décolleté, dis-je,
conciliante.
– Je sais qu’il organise une grande fête à l’Ice Box, ce week-end. Tu as des
infos à ce sujet ?
Non, mais il y a fait allusion dans la voiture. Je lui assure aussitôt :
– Je vais essayer de m’incruster.
J’arrive plus tôt que prévu à M4, fonce à son étage et demande si je peux le
voir avant que nous partions. Je précise :
– Juste cinq minutes pour lui rendre ça.
Et je tends la chemise lavée à sec, suspendue à un cintre et enveloppée dans
le plastique du pressing. Une des assistantes décroche son téléphone, murmure
quelques mots dans le combiné et hoche la tête avant de me prier de prendre un
siège.
Je m’exécute et, une fois assise, porte la main à mon col pour en défaire
discrètement un bouton de plus. Puis un deuxième. Je sens un léger courant d’air
caresser ma peau, entre mes seins.
Je pousse un profond soupir, histoire d’évacuer ma nervosité. Dois-je en
reboutonner un ? Je me pose au moins dix fois la question, mais j’oublie tout dès
que je suis dans son bureau, et que je le vois debout derrière sa table de travail,
en bras de chemise.
Un mètre quatre-vingt-dix de virilité brute à l’élégance rare, cravate noire,
rasé de près. Je n’ai jamais vu mon père habillé pour partir au travail, ou un
frère. C’est dans doute pour cette raison que Malcolm Saint dans sa chemise
d’un blanc immaculé, sans veste, me trouble et me fascine tant.
Je n’arrive pas à détourner les yeux ! Quand il croise mon regard, il le
soutient, impassible. Au secours ! Ce qu’il me perturbe ! Non, je ne suis pas
dupe de l’attrait qu’il exerce sur moi. En fait, à chaque rencontre, c’est comme si
je prenais un coup de poing dans le ventre. D’une force à chaque fois plus
grande.
Il fronce les sourcils, l’air curieux.
– Pourquoi teniez-vous à me voir avant l’heure fixée ?
Il n’a pas remarqué mon paquet ? L’air de rien, il prend sa veste accrochée à
la chaise puis, planté devant moi, écarte un peu les jambes sans cesser de me
scruter. Je sens mes jambes fléchir.
Je crois qu’il n’a même pas jeté un coup d’œil à mon décolleté et pourtant,
jamais je ne me suis sentie aussi nue. Je m’éclaircis la gorge.
– Monsieur Saint…
Et le silence s’étire entre nous pendant qu’il enfile sa veste.
– Rachel, dit-il alors, un petit sourire mystérieux aux lèvres.
J’aimerais tant savoir ce qu’il pense en cet instant précis ! Puisant dans mon
courage, je m’avance vers son bureau bien rangé et brandis la chemise au-
dessus.
– Il me semble qu’elle vous appartient. Excusez-moi de ne pas vous l’avoir
rendue avant. J’ai dû la faire laver deux fois à sec, car la peinture n’avait pas
complètement disparu.
Il considère la chemise… On dirait que ça l’amuse de la revoir.
– J’avais demandé à Dean de vous dire de la garder, déclare-t-il enfin.
– Ça me semblait déplacé.
Il se penche sur son ordinateur, appuie sur quelques touches, puis le ferme.
– Pourquoi ?
Il finit par prendre le cintre et ce faisant, ses doigts effleurent les miens – des
doigts longs et chauds… et d’un pas décidé se dirige vers l’immense placard à
l’autre bout de son bureau afin de l’y accrocher. J’en profite pour reboutonner
subrepticement les deux boutons de mon chemisier et reprends ma respiration.
– N’avez-vous encore jamais reçu de cadeaux d’un homme, Rachel ? me
demande-t-il.
Décidément, il est bien trop perspicace et observateur pour moi.
– Eh bien, en fait, je… Non, pas vraiment…
– Pas même des fleurs ?
Tout en ouvrant la porte de son placard, il me lance un long regard. Pourquoi
me demande-t-il cela ? Je ne vois pas du tout en quoi la réponse peut l’intéresser.
Je parviens toutefois à articuler :
– Non.
Il remet la chemise dans le placard, parmi des dizaines d’autres, mais à la
lueur qui brille dans ses yeux quand il se retourne, je comprends que
l’information l’intéresse. Devant sa réaction, et sans comprendre moi-même ce
qui m’arrive, je poursuis d’un ton bougon :
– Maintenant que vous êtes au courant, j’imagine que vous allez vous
moquer de moi.
Il hausse un sourcil étonné.
– Moi ? Me moquer de vous ?
– Oui, je pense que ça vous amuse. D’ailleurs, vos yeux rieurs le prouvent.
Et je pointe un doigt accusateur vers lui tandis qu’il revient vers sa table de
travail, arborant le plus beau sourire que je lui aie jamais vu.
– Peut-être parce que j’aime vous voir rougir.
Et bien sûr, je m’empourpre de plus belle. Subitement, je ne trouve plus son
regard aussi glacial, d’ailleurs quand il me regarde, je sens ma température
intérieure monter.
– Parlez-moi de votre père, dit-il alors que nous sortons de son bureau.
J’ai envie de lui répondre avec humour et légèreté, mais je ne parviens pas à
trouver une réponse amusante et détachée. Pas sur mon père. Devant l’ascenseur,
je finis par murmurer :
– Il est parti avant d’avoir le temps de me faire des cadeaux.
L’appareil arrive et il me fait signe d’entrer. Au moment où je passe devant
lui, il baisse son visage vers moi et son souffle chaud effleure mon oreille quand
il dit :
– Je ne voulais pas vous mettre mal à l’aise, Rachel.
Une fois que nous sommes entrés dans l’ascenseur, je constate que toutes ses
assistantes et les personnes présentes à l’étage sont sur le qui-vive, attendant ce
que Saint va faire. Et elles ne sont pas les seules. Je lui chuchote alors :
– Ce n’est pas le cas.
Pur mensonge ! Il n’a pas besoin d’en faire tant pour me mettre mal à l’aise.
Mais en quoi ma vie privée l’intéresse-t-elle, d’abord ? M’estime-t-il trop jeune,
pas assez expérimentée pour mener un entretien comme le mérite un homme de
son rang ?
– Monsieur Saint ! s’écrie soudain une des assistantes.
Et elle se rue vers l’ascenseur juste avant que les portes ne se referment.
– Oui, Cathy ?
S’engouffrant dedans, elle ouvre un dossier et lui indique un paragraphe au
moment où l’appareil entame sa descente.
– Parfait, dit-il.
– Très bien. Et ça ?
Ce petit échange me donne l’occasion de humer la fragrance qui flotte autour
de lui : un après-rasage discret et raffiné, aux notes boisées. Mon regard est attiré
par ses lèvres alors qu’il répond aux questions de son assistante. Subitement, je
me rends compte qu’elles sont tournées vers moi, ces lèvres : il vient de me
surprendre en train de le mater !
Résultat : je suis rouge écarlate quand nous arrivons en bas.
– Merci, Cathy, dit-il à son assistante.
– Je vous en prie, monsieur Saint.
Cathy. Elle a au moins dix ans de plus que lui, voire quinze, mais il est
évident qu’elle est amoureuse de lui. Depuis combien de temps est-elle son
assistante ? Il faudra que je me renseigne.
– Tout va bien ? me demande Saint une fois dans la voiture.
Et il me tend une bouteille d’eau. Il est de nouveau assis en face de moi, et
sa silhouette imposante remplit presque à elle seule toute la banquette en cuir
beige. Il a l’air détendu. Sa chevelure noire et soyeuse, coupée court sur les côtés
mais avec un peu plus de volume sur le dessus, est aujourd’hui soigneusement
domptée et ramenée en arrière, ce qui dégage son front lisse et souligne ses traits
parfaitement ciselés. Le vert de ses yeux n’est jamais le même d’un jour à
l’autre. C’est peut-être pour ça que je n’arrive pas à en détourner les miens. Je
réponds enfin à sa question.
– Oui, et merci d’accepter de me revoir.
Je sors mes fiches, car cette fois, pas question que je me plante ! Il avale un
peu d’eau et je me lance. Rapidement, j’apprends que : Interface proposera des
gif et des vidéos de Tumblr, ainsi que YouTube ; le site aura de grosses capacités
en termes de partage de fichiers ; le nombre de ses abonnés dépasse les
estimations initiales de 160 % par jour.
– Donc Interface est la trente-cinquième société que vous créez ex nihilo ?
– Trente-cinquième… trente-sixième… Ce chiffre ne veut rien dire. J’ai
toujours le sentiment que c’est la première.
Lorsque nous arrivons à destination, je découvre le lieu de l’événement : un
immense jardin, à l’arrière d’une superbe demeure, où sont dressées plusieurs
dizaines de tables recouvertes de nappes blanches ; un podium a également été
installé et le tout est parsemé de magnifiques bouquets de fleurs. Une imposante
marquise protège les tables du soleil et de la pluie, et il se dégage de l’ensemble
une impression de beauté et d’élégance.
SAUVEZ UN ANIMAL, proclame en lettres bleu foncé la grande bannière
accrochée au-dessus de l’estrade. Quand Saint s’arrête à un stand pour prendre
une carte d’accès à la vente aux enchères, je le regarde d’un air confus.
– Je croyais que vous alliez faire un discours, aujourd’hui, dis-je en le
suivant entre les tables.
– C’est mon bras droit qui s’en charge, m’apprend-il.
– Saint ! l’interpelle alors un homme, un appareil photo à la main. Et moi qui
pensais que vous refusiez le contact avec les journalistes.
Le nom de ce type m’échappe, mais je me souviens soudain qu’il a travaillé
quelques jours chez Edge. Il est grand, blond, jeune et me dévisage avec envie.
Me prenant par le bras, Saint ne lui prête pas la moindre attention, mais
marmonne entre ses dents d’un ton menaçant, quand nous passons devant lui :
– Mêlez-vous de vos affaires, Gregg.
– Mais mes affaires, c’est vous !
Curieuse de sa réaction, je jette un coup d’œil à Saint. Son visage est
impénétrable : de toute évidence, l’importun est déjà sorti de ses pensées. Il doit
être tellement habitué à voir les journalistes gesticuler autour de lui qu’il nous
compare sans doute à des mouches se battant pour attirer son attention. Mais il
nous communique aussi parfois des informations, à nous, la presse ; il lui est
déjà arrivé une fois de se montrer agressif envers un journaliste. Jusqu’où celui-
ci a-t-il bien pu repousser les limites pour qu’il sorte de ses gonds ?
Je constate qu’il ignore quasi tout le monde, à l’exception de brefs saluts
distribués avec parcimonie, le message qui émane de toute sa personne pouvant
se résumer à : « Je n’en ai rien à foutre. » Les gens, eux, semblent incapables de
résister au magnétisme qui émane de lui. Ils lui sautent dessus dès qu’ils le
repèrent, comme s’il les aimantait. Et que dire des coups d’œil vénéneux dont
me gratifient les femmes avant de tourner un regard énamouré vers lui !
Saint me désigne une place à une table, tout près du podium. Près de chaque
assiette est disposé un minuscule catalogue répertoriant les animaux sauvages les
plus adorables que j’aie jamais vus.
– Qu’en dites-vous ? s’enquiert-il alors que je le feuillette.
– Vous vous intéressez à la sauvegarde des animaux ?
Il hoche la tête.
– Difficile de choisir lequel sauver, poursuis-je.
– Ils appartenaient à un cirque. Ils seront euthanasiés s’ils ne trouvent pas un
foyer et à cet effet, ils demandent un sponsor qui versera l’argent nécessaire pour
leur entretien au sein d’un zoo.
– Comme c’est triste !
Je parcours la liste des animaux et m’arrête tout à coup.
– L’éléphant, m’écrie-je alors. Selon moi, c’est un des animaux les plus
nobles. Ils sont si sociables entre eux, à la fois forts et gentils.
– C’est ça, votre argument ? demande-t-il pas du tout amusé.
Ma fierté est piquée. Je me défends :
– Non, je m’échauffais juste ! Les éléphants sont des grigris : si vous en
sauvez un aujourd’hui, je parie qu’il vous rendra la pareille un jour.
– Impossible, personne ne peut me sauver, mademoiselle Livingston, mais
prenons l’éléphant.
Et il me tend la carte pour que je fasse les enchères ! Là-dessus, il s’assied,
sort son téléphone et répond à ses mails pendant que je lève le bâton. Je
commence à angoisser dès que les prix montent.
– Saint…
– Continuez à renchérir jusqu’à ce qu’il soit à vous.
Je rectifie.
– À vous.
Il hausse les épaules.
– Si ça peut vous rassurer.
Nous sauvons l’éléphante nommée Rosie, et maintenant elle a une maison
pour la vie. Après quoi, il me prend le bâton et renchérit sur d’autres animaux
dans le but évident de faire monter les prix pour ruiner les autres participants.
Évidemment, il n’annonce pas ses intentions secrètes, mais je m’en rends
compte au quatrième animal : il pousse l’assemblée dans ses derniers
retranchements et se retire du jeu au dernier moment.
On dirait que le monde est sa cour de récréation. Je suis impressionnée et en
même temps un peu effrayée. Saint pourrait causer la perte du magazine…
J’espère bien ne jamais être la cible de sa férocité. Lors du trajet retour, il parle
au téléphone dans une langue étrangère, et je m’efforce de dompter le trouble
qu’éveille en moi sa voix caressant ces sons inconnus. En attendant je prends des
notes :
Il ne fait pas de quartier. Il a fait monter les enchères autant que possible sans rien acheter. Pourquoi ? Il défie ses pairs et ceux-
ci n’apprécient pas. Combien d’ennemis a-t-il ?

Je commence à rougir quand je pense à la façon dont il aime me taquiner,


puis je pousse un soupir et le regarde parler à une autre personne. Je suis presque
certain que c’est Tahoe Roth. Avec ses amis, il est différent. Plus à l’aise, moins
crispé.

Il est déterminé et implacable – complètement insatiable.

Quand nous le déposons à l’entrée de M4, où l’une de ses Bugatti l’attend,


ainsi que son chauffeur, clés à la main, il me souhaite une bonne soirée et je le
remercie pour cette journée, torturée à l’idée que ce soit peut-être la dernière
interview qu’il m’ait accordée.
Une fois à la maison, ne tenant pas en place, je tente de trouver un moyen de
le revoir. Mais, n’aurais-je pas l’air désespéré si je lui demande une autre
entrevue ? Je vais laisser passer quelques jours.
J’ouvre mon compte Interface, cherche la vente aux enchères et trouve une
superbe photo de notre éléphante. Je décide de la publier, en ajoutant la légende :
« Tu sais vraiment comment parler à une fille, mon héros ! » Puis je rédige un
message personnel à son intention :

Monsieur Saint, je suis non seulement ravie d’en avoir appris davantage sur Interface, mais je passerai
aussi une meilleure nuit, sachant que Rosie peut s’endormir tranquillement comme moi.

Je regarde mon texte : est-ce que je ne vais pas trop loin ? Bon, je le
provoque un peu, mais c’est de bonne guerre, non ? Je demande à Gina ce
qu’elle en pense.
– Qu’est-ce qu’une éléphante a à voir là-dedans ?
OK, lui seul peut comprendre, c’est bon signe. Rassemblant tout mon
courage, je poste le message. Puis je me mords la lèvre… J’ai vraiment fait ça ?
Je ne suis même pas certaine qu’il va en rire, ni dans quel état d’esprit il sera. En
attendant une réponse, je passe mes e-mails en revue. Comme rien ne vient, je
me replonge dans la lecture des notes que j’ai prises, essayant de deviner entre
les lignes ce qu’il a tu…
Des heures plus tard, toujours pas de réponse. En général, ma chambre est un
endroit paisible mais pas ce soir ; je me tourne et me retourne toute la nuit dans
mon lit.
CHAPITRE 6

EN BOÎTE

Plongée dans la plus grande confusion, je regarde fixement le plafond de


notre appartement.
Mue par un élan d’excitation, j’ai peut-être franchi la ligne rouge. Je n’ai
reçu aucune réponse ni de lui, ni de Dean, ni de personne. Et maintenant, je ne
sais plus quoi faire, mais je n’ai en revanche pas oublié que ce soir, il donne une
fête à l’Ice Box. Il est impératif que je trouve un moyen d’entrer dans cette
boîte ! Sa vie est parfaitement compartimentée : travail d’un côté, plaisir de
l’autre. S’il est connu pour travailler avec acharnement, il a aussi une réputation
de fêtard invétéré ; il n’est d’ailleurs pas exclu qu’il consacre plus d’énergie à ce
domaine qu’au travail.
Les médias adorent mettre en avant son image de dragueur, et peut-on les en
blâmer ? Il a vraiment un physique exceptionnel et pour avoir marché à ses côtés
lors de la vente aux enchères, j’ai bien vu les regards féminins de toute
l’assemblée se poser sur lui. Par conséquent, est-il raisonnable de jeter la pierre à
ce beau jeune homme s’il prend ce que chacune est de toute façon prête à lui
offrir ?
Saint estime peut-être n’avoir donné que des miettes à mon magazine, mais
sa modeste contribution à Edge dépasse largement ce qu’ont obtenu de lui tous
les autres journaux, dernièrement. Il m’a accordé plus de temps que des
personnes n’ayant même pas la moitié de son influence ont refusé à un magazine
qui, comme le nôtre, lutte pour sa survie.
Ce n’est pas un tendre, cela se voit ; néanmoins, je suis certaine qu’il n’est
pas un patron injuste. Interface et tout le groupe M4 constituent des exemples de
projets ambitieux, mais sans que cela soit mu par une cupidité aveugle. Rien
qu’à ses appels, je peux déduire qu’il est un remarquable homme d’affaires –
tout comme il est, à ce qu’il paraît, un remarquable amant.
Saisissant le téléphone fixe, j’appelle Valentine, un de mes collaborateurs
chargé des relations publiques et qui connaît tout le monde ou, à défaut, est assez
renseigné sur chacun pour pouvoir le prétendre.
– Peux-tu me faire entrer à la fête que donne Malcolm Saint à l’Ice Box, ce
soir ?
– Je peux te donner accès à tous les endroits que tu veux, mais la vraie
question est : qu’est-ce que j’y gagne en retour ?
– Vas te faire voir !
– Ah, voilà la Rachel râleuse que j’aime ! Je te rappelle sous peu.
Et de fait, quelques minutes plus tard…
– Tu es sur la liste, m’annonce-t-il.
– Avec Gina, on est bien d’accord ?
– Eh, cocotte, je suis un faiseur de pluie, pas de miracle ! Il y a une place
pour toi. Et maintenant, tu m’es redevable.
– Je te revaudrai ça, t’inquiète, dis-je d’un ton joyeux.
Une joie que ne partage pas vraiment Gina quand je lui annonce la nouvelle.
– Comment ça, je ne peux pas y aller avec toi ? se révolte-t-elle. Wynn a un
rendez-vous vendredi, je vais me retrouver toute seule !
– Désolée, Gina, dis-je en me demandant déjà ce que je vais mettre pour
aller à cette soirée. Tu veux que je dise à Valentine de passer te chercher pour
sortir ?
– Ah non ! bougonne-t-elle. Je ne lui fais pas confiance. Il me rappelle le
méchant qui n’arrête pas de raconter des ragots sur les uns et les autres dans
Game of Thrones.
Finalement, elle sort son téléphone.
– OK, je vais lui envoyer un SMS, j’ai soif de potins. On pourra peut-être
aller prendre un verre, une fois que tu seras partie à ta fête.

Le vendredi soir, je suis encore en peignoir, tout juste sortie de la douche,
Gina et Wynn essayant toujours de me trouver la tenue parfaite, quand on toque
à la porte. Wynn bondit sur ses pieds, va vérifier ses boucles dans la salle de
bains avant de traverser le salon en courant.
D’un geste empressé, elle ouvre grand la porte et se retrouve nez à nez avec
Emmett, son dernier petit ami en date, chef cuisinier dans un restaurant branché.
Il se saisit des extrémités de l’écharpe de Wynn pour l’attirer vers lui.
Grand et blond, il l’embrasse sur la bouche, et lui donne un long baiser,
comme au cinéma, et je m’attends presque à entendre résonner les violons d’une
minute à l’autre. Je n’ai jamais connu ce genre de scène avec un homme, mais il
est vrai qu’on ne m’a jamais fait voler dans les airs à l’instar de Wynn quand
j’étais enfant, pas plus que je n’ai reçu chaque soir un baiser sur le front, comme
Gina.
De nous trois, c’est Wynn la plus douce. Elle veut se marier, et est très douée
pour jouer de sa féminité afin de parvenir à ses fins. Et quel est son plus grand
rêve, je vous le donne en mille ? Trouver l’homme idéal ! Bon, ce n’est pas du
tout le mien. J’ai grandi en fantasmant sur la présence d’un père et tous mes
désirs en matière d’homme se sont depuis longtemps taris.
Gina les observe elle aussi d’un air perplexe et dès que Wynn referme la
porte derrière eux, nous nous regardons toutes les deux d’un air entendu. « Est-
ce parce qu’on n’a pas eu une enfance parfaite qu’on ne perçoit pas le côté
formidable de cette histoire ? », s’interroge-t-on en silence.
Gina est la plus cynique de notre trio. Elle est sortie avec un certain Paul
quand nous étions à la fac. Il avait un si beau prénom, si modeste, qu’on n’aurait
jamais imaginé qu’il mentait comme un arracheur de dents quand il jurait à une
fille qu’il l’aimait. Elle ne pouvait absolument pas deviner qu’il tenait le même
discours à une autre, et que ce premier amour allait lui donner envie de rester
célibataire pour le restant de ses jours.
Elle et moi sommes en réalité mariées à nos métiers, et nous entendons bien
que les choses restent ainsi. Gina travaille dans un grand magasin, et ne vit que
pour les tarifs préférentiels dont elle bénéficie en tant qu’employée. Quant à moi,
seules mes colonnes donnent un sens à mon existence.
– Tu as l’air nerveuse, me dit Gina alors que j’applique du fard à joue. Eh,
détends-toi, Rachel ! C’est juste un homme, même s’il est un milliardaire.
– Arrête ! Ça ne me rassure pas du tout. Les boîtes, c’est déjà pas mon truc,
et voilà que je supplie pour qu’on me laisse entrer à l’Ice Box.
– Personne ne percevra ton malaise. Joue ton rôle, c’est tout.
Nous nous tournons vers les trois tenues que nous avons présélectionnées.
Comme il m’a vue jusque-là en salopette et en tailleur, je dois lui faire
passer un tout autre message, ce soir. Ses fêtes sont connues pour être plutôt
libertines, donc pas question d’avoir l’air trop sérieuse. Il faut que je me fonde
dans la masse et m’habille comme les personnes qui ont l’habitude de faire la
fête avec lui. Je dois être séduisante, branchée, brillante pour qu’il oublie la
journaliste ennuyeuse qui veut écrire sur Interface.
– Bon, on résume, dis-je. Option 1 : une ravissante jupe blanche avec un top
blanc tout fin. Option 2 : une robe rouge très étroite qui m’arrive aux genoux.
Option 3 : un fourreau noir.
– Les hommes adorent les femmes en blanc, décrète Gina. Le démon en eux
ne peut pas leur résister, et Saint est le plus diabolique de tous. Mais ils craquent
aussi pour le rouge.
– Et le noir est une valeur sûre, renchéris-je. Je ne veux pas avoir l’air de
lancer à la cantonade : « Je n’ai pas couché depuis un certain temps » avec
l’option 1. Ou encore : « Venez par ici » avec l’option 2. Non, je veux juste en
être et dire : « Voilà, je suis là ».
Elle hoche la tête, approuvant mes propos. Je vais donc dans la salle de
bains, enfile mes dessous noirs et la robe assortie, et en ressors pieds nus avant
de me glisser dans mes escarpins.
Gina laisse tomber le magazine qu’elle tient à la main tandis que je
contemple mon image dans le miroir à l’intérieur de mon placard. Je suis grande
et mince, j’ai une petite poitrine, mais ferme et fière, le teint couleur pêche avec
une chevelure blonde platine qui me vient des origines scandinaves de ma mère.
On me complimente souvent pour la ligne de mes épaules et mon cou, que cette
robe échancrée met en valeur, ce qui accentue par ailleurs la finesse de ma taille
et mes hanches. Quant à la couleur noire, elle offre un contraste remarquable
avec ma peau et mes cheveux qui brillent comme de l’or très clair, et fait
ressortir mes yeux gris constellés d’éclats bleus. Enfin, cette robe épouse toutes
mes formes comme il se doit.
– On dirait que tu vas défiler sur un podium, m’assure Gina.
– Je reconnais que ça n’a rien à voir avec le look que j’avais pour notre
premier rendez-vous.…
Je me sèche les cheveux, les coiffe… Voilà, j’ai fini ! Je pousse un long
soupir en croisant mon regard dans le miroir.
– Prête ou non, c’est l’heure !
– Mais bien sûr que tu es prête ! hurle Gina pour m’encourager.
J’éclate de rire et me tourne vers elle : comme je regrette qu’elle ne puisse
pas m’accompagner ! C’est ma sœur de cœur. Je lui ai tenu la main quand Paul
l’a brisée. Je lui passais les Kleenex, lui ai juré que je resterais avec elle jusqu’à
la fin de mes jours et que je ne laisserais aucun homme me piétiner le cœur. Je
lui ai promis qu’on serait célibataires et heureuses, car quelle femme a besoin
d’un homme ? Et on a toutes les deux mangé des glaces en répétant ce mantra en
boucle. C’est pourquoi ce soir, en me rendant dans cette boîte, j’ai l’impression
d’être un ange sans ses ailes.
– File ! me dit-elle avec cet enthousiasme qui lui est si particulier.
Je déglutis, prends mon sac à main et me répète en silence pour mieux m’en
convaincre : « Je peux le faire. » Et même, je veux le faire. Et quand – pas si,
mais quand – j’écrirai mon article, j’étoufferai le moindre doute en moi, certaine
d’être capable de tout donner quand c’est nécessaire.

Ce soir, je ne ressemble absolument pas à la fille que Saint a rencontrée dans
son bureau, et pourtant je ne me sens en rien différente. J’ai les nerfs à vif au
moment où je donne mon nom à l’entrée de l’Ice Box et que l’on me désigne la
porte. D’autant plus que je suis mal à l’aise dans cette robe beaucoup trop
moulante pour moi.
Alors que chez M4 on se serait cru au musée, ce club représente le summum
de la décadence. Des sculptures en glace ont été posées sur des piédestaux tout
autour de la salle, des cages enfermant des danseuses aux corps peints sont
suspendues au plafond et des rais de lumière bleue et blanche traversent la pièce
d’un mur à l’autre.
De la lumière stroboscopique m’accompagne quand je me fraie un chemin
dans la foule. La basse martèle lourdement l’air lorsque Mr Probz se met à
chanter Waves pour la foule déchaînée sur la piste de danse. Des verres remplis
de cocktails déclinant toute la palette des couleurs circulent sur des plateaux en
argent ; avec leur décoration, fruits, olives, volutes fluo, ils ont l’air de véritables
œuvres d’art. Ce n’est pas une boîte « normale » pour la jeunesse huppée, c’est
le rendez-vous des golden boys : tout le monde est absolument magnifique et
porte des tenues fantastiques.
– Je l’ai vu !!! J’le crois pas !!! Quand il m’a dit bonjour, j’ai failli
m’évanouir !!!
Ma nervosité monte encore d’un degré car je sais pertinemment de qui
parlent ces groupies. M’efforçant de respirer, je m’enfonce un peu plus dans les
entrailles de l’Ice Box, et regrette encore une fois amèrement l’absence de Gina.
L’endroit est plein à craquer de femmes ; certaines sont visiblement en chasse,
d’autres accompagnées, certaines avec des amies. J’inspire et expire lentement,
et me répète que tout va bien se passer. C’est juste une discothèque. Après tout,
je peux m’amuser, cela fait une éternité que je ne suis pas allée en boîte et
surtout pas dans un endroit comme celui-ci. Mais je suis avant tout journaliste,
donc avec un peu de chance, je peux faire bien plus que danser.
Après avoir inspecté les alentours et repéré les meilleurs endroits d’où
observer discrètement les autres, je monte au dernier étage : c’est ici que j’aurai
la meilleure vue sur la foule en transe, en bas.
Et tout à coup, mon cœur manque un battement… Je viens d’apercevoir sa
tête brune, et le poids brûlant d’une folle détermination me tombe dessus. Je le
jure, c’est bien la première fois qu’une personne me rend aussi nerveuse. Il est
assis, bras écartés derrière lui, un verre posé sur la table et discute avec ses amis
tandis que deux femmes s’efforcent d’attirer son attention. La lumière éclaire de
temps à autre certains angles de son visage avec une force particulière : je n’ai
jamais vu une beauté aussi ravageuse.
Littéralement liquéfiée, j’essaye de respirer normalement. Je dois décider si
je veux qu’il remarque ma présence ou pas. Je me dirige vers l’escalier afin de
gagner les toilettes, en bas. Là aussi, il y a foule, et je dois jouer des coudes pour
m’approcher de l’immense miroir accroché au-dessus d’une série de lavabos
flottants. Un groupe est occupé à se pomponner, et j’observe notre reflet à toutes
dans le miroir. À ma droite, une femme fait la moue afin d’inspecter ses lèvres
peintes en rouge et à ma gauche, son amie se penche vers la glace, la bouche
fardée de rose. Et moi ? me dis-je en me scrutant attentivement. Eh bien, j’ai un
air extravagant, en parfaite osmose avec ce lieu, et qui n’a rien à voir avec la
jeune fille en salopette. Va-t-il me reconnaître ?
– Tu vas à l’after ? demande Bouche Rouge à Bouche Rose.
– Aucune idée.
– Regarde un peu ce que j’ai !
Et Bouche Rouge agite un carton dans l’air. Des cris résonnent dans toute la
pièce et elle glisse bien vite son sésame dans son soutien-gorge.
– C’est le mien, précise-t-elle.
Je demande :
– Donc il y a un after ?
– Oui, chez Saint, me confirme quelqu’un.
– Comment t’es-tu procuré cette invitation ?
– Une centaine sera distribuée au cours de la soirée.
Je me demande alors si je vais résister à l’envie de lui voler le carton qu’elle
vient de glisser entre ses seins. Après tout, c’est juste du papier, ce ne serait pas
un drame.
– Ma chérie, me dit-elle d’un ton sec, oublie ! Cela fait des années que
j’attends cette invitation. Bouge-toi les fesses si tu en veux une. Seuls les plus
beaux postérieurs sont récompensés.
– Merci du tuyau, dis-je.
Puis je me retourne pour contempler mon derrière dans le miroir… Gina me
dit toujours que j’ai un beau cul, bien rebondi et qui attire le regard. Mais Saint
partagera-t-il cet avis ?
Je soupire et m’appuie contre le mur, puis repère les graffitis sur une porte
de cabine ouverte. Je plisse les yeux pour les déchiffrer…
Malcolm sera le père de mon bébé.
J’ai sucé Saint.
Tahoe m’a tringlée ici même.
Callan lèche comme un homme des cavernes.

Je reviens dans le bruit et la fureur, et recherche le meilleur endroit pour
espionner Saint… Il est toujours harponné par les deux femmes. Je sens mon
estomac se serrer sans raison, et j’en éprouve un certain agacement. Une des
blondes prend le verre que lui tend le serveur, en lèche le rebord et ajoute du sel.
Saint recule un peu, la considère avec une désinvolture mêlée d’ennui, puis
relève les coins des lèvres, comme si finalement cela l’amusait. Je suis tellement
concentrée sur ce que j’observe – ressentant à la fois de la fascination et un peu
de dégoût – que je ne me rends pas compte qu’un vigile est en train de
s’approcher de moi… jusqu’à ce qu’il se plante devant moi. Il m’indique alors le
fond de la salle, là d’où les meilleurs amis de Saint sont en train de me mater.
Quant à ce dernier, il ne regarde même pas dans ma direction, non, il est bien
trop occupé à ses petits plaisirs avec ses blondes, même s’il arbore toujours un
sourire qui frise presque la lassitude. Il faudrait peut-être qu’elle ôte son haut
pour l’exciter !
Les trois hommes se fondent parfaitement dans le décor luxueux qui les
entoure, mais seul un d’entre eux me captive, Malcolm. Malcolm et ses regards
sombres, son air ténébreux, sur ce visage où jouent les ombres, tel Hadès tapi
dans un coin de l’Enfer. Soudain, il éclate de rire, une des blondes a visiblement
fait quelque chose qui l’amuse. Du coup, il pivote légèrement, ses yeux tombent
sur moi et s’arrêtent net.
L’impact de son regard déclenche en moi une bouffée d’adrénaline ; je
voudrais détourner la tête, mais impossible, je suis comme piégée. Est-ce le fruit
de mon imagination ? En tout cas, j’aurais juré qu’il a sursauté. M’a-t-il
reconnue ? Est-ce ce que je le souhaite ?
Et tout à coup, l’air est si lourd que j’ai du mal à respirer. Mes poumons
deviennent des rocs… Je ne peux vraiment plus respirer. Des yeux, il balaie
rapidement mon corps et mon estomac se contracte de nouveau ; puis son regard
se fait plus lent, me parcourant de la tête aux pieds, et j’ai l’impression que ma
robe me moule bien trop les hanches, le ventre, les seins, les fesses… Waouh !
Je me fais violence pour suivre le vigile, et à chaque pas je sens mon cœur
s’accélérer. Dans son costume noir, sans cravate, le premier bouton de sa
chemise ouverte et les cheveux en désordre, Saint incarne la décadence du luxe
et le péché. Oui, il est le péché en personne et je me fais soudain l’effet d’une…
d’une vierge intégrale !
Quand le vigile et moi arrivons à sa hauteur, il tend les jambes, le regard
toujours fixé sur moi, me barrant visiblement le passage.
Mon « compagnon » s’éclaircit la voix.
– Monsieur Saint, les messieurs là-bas l’ont appelée.
Un sourire aux lèvres, mais le regard aussi lointain qu’impénétrable, il me
laisse passer.
– La voici, messieurs, déclara le vigile à l’attention de ses amis à quelques
mètres.
Ces derniers me considèrent longuement d’un œil plein de convoitise.
– Tahoe, dit le blond.
– Callan, renchérit celui à la chevelure cuivrée.
C’est alors que Saint donne une petite tape sur les fesses de ses blondes et
les renvoie. S’avançant vers nous, il me prend par le bras d’un geste presque
possessif, ce qui me procure un étrange sentiment de confort – sans doute parce
que je ne connais personne d’autre que lui dans cette boîte. Il m’attire sur la
banquette la plus proche et je prends place à côté de lui.
Penchant la tête vers moi, il murmure :
– Malcolm.
Sa voix profonde résonne en moi comme le grondement du tonnerre. Un
frisson me parcourt et je réponds d’une petite voix :
– Rachel.
Il hausse les sourcils et me scrute avec attention. Son visage semble alors me
demander : qu’est-ce que tu fous là, Rachel ? Je ne sais comment enchaîner,
quand Tahoe lève son verre et le vide cul sec avant de décréter de sa voix texane
traînante, débordante de charme :
– Tu devrais être au lit, à cette heure-ci.
Je prends soudainement conscience de la proximité du corps de Saint près du
mien. Il occupe quasiment tout l’espace sur la banquette et a étendu le bras
derrière moi, sur le dossier.
Je lance à Tahoe :
– Comme on dit, il n’y a pas d’heure pour les braves.
Et je lui adresse mon plus grand sourire, tandis que mon cœur bat à toute
allure parce que je sens Saint si près de moi. Tout contre moi. Son odeur
m’envahit. Oui, parmi toutes les fragrances qui flottent dans cette boîte, c’est la
sienne qui s’est immiscée dans mes poumons, et s’y introduit chaque fois que
j’inspire. Il émane de lui une vitalité qui m’attire comme un aimant. Sa présence
si proche me trouble, et en même temps, m’apaise.
– Ici, il y a un dress code, reprend Callan sur le ton de la plaisanterie. Donc,
Saint a dû laisser sa queue et ses cornes à l’entrée.
À cet instant, un serveur dépose un verre devant moi.
– Ah, je vois, fis-je.
Je tire sur ma robe et ajoute :
– Moi-même j’ai dû y laisser la moitié de ma robe.
– Vraiment ? renchérit Tahoe d’un ton aguicheur.
– T !
Une seule lettre de Malcolm qui sonne comme un rappel à l’ordre.
– Oui, Saint ? demanda l’interpelé en se tournant vers lui, un sourcil relevé.
– Chasse gardée !
Je m’en étrangle avec ma boisson. Alors Saint me prend calmement mon
verre des mains et le pose sur une table basse.
– Ça va ? demande-t-il en inclinant la tête.
Il me dévisage sans la moindre gêne, tandis que je tousse encore en me
tenant la gorge. Je me remets enfin, ferme les yeux et hoche la tête. Mais quand
je rouvre les paupières, il me scrute avec une telle intensité que j’ai l’impression
que son regard me pénètre jusqu’à la moelle.
– Tu viens d’arriver, Rachel ? reprend-il.
Et, attendant ma réponse, il allonge le bras pour saisir mon verre et me le
redonner. Son poignet est solide, fort, sa peau douce et bronzée, quand je prends
prudemment le verre qu’il me tend. Nos doigts s’effleurent.
Tahoe fourre la main dans la poche de sa veste et en sort quelque chose.
– Saint ! Je peux ?
Je retiens un soubresaut d’excitation : c’est le carton, le fameux sésame dont
parlaient les filles, dans les toilettes.
– Impossible. Ce n’est pas son truc, murmura-t-il.
– Allez, laisse-moi lui donner. C’est de la bombe, cette fille, insiste Tahoe de
sa voix enjôleuse.
Je suis si incrédule que je n’arrive même plus à respirer. Malcolm se lève
lentement et je le suis, perplexe.
– Comment ça, ce n’est pas mon truc ?
Il me semble que j’échappe aux lois de la gravité quand il est si proche de
moi. J’ai le vertige, je suis confuse et curieusement offusquée. C’est la première
fois depuis qu’on s’est rencontrés que j’ai l’impression qu’il va perdre son sang-
froid avec moi. Il approche alors sa bouche de mon oreille.
– Fais-moi confiance quand je te dis que ce n’est pas ton truc. Rentre chez
toi, murmure-t-il.
Puis il me lance un regard lourd de menaces et s’éloigne, se mêlant dans la
foule. Tahoe et Callan se tournent vers moi, interloqués.
– Alors ça, c’est une première, marmonne Tahoe.
Et il disparaît lui aussi. Une vague d’humiliation et de confusion me
submerge. Et le pire, c’est que lorsque je sors, un homme s’avance vers moi :
c’est le chauffeur qui m’a ramenée la veille !
– Mademoiselle Livingston, ce sera un plaisir pour moi de vous reconduire,
dit-il.
À cet instant, je le vois remettre son portable dans sa poche : OK, Saint vient
juste de l’appeler. C’est une vraie baraque, la tête chauve, sans la moindre
expression. Une seconde plus tard, il m’ouvre la portière de la Rolls. Sérieux ?
Saint l’a appelé pour lui ordonner de me raccompagner chez moi ? Consciente
que l’on commence à me scruter d’un œil curieux parce que je suis
raccompagnée par le chauffeur de Saint, je m’y engouffre rapidement et le
remercie.
La voiture sent le neuf et le luxe, comme lui. Une bouteille de vin et de l’eau
sont visiblement à ma disposition, une musique d’ambiance sort des baffles et la
température est idéale. Je nage dans un monde parfait. Médusée, je lisse ma robe
et inspecte mon propre corps. Qu’est-ce qui m’arrive ? J’ai l’impression qu’il
vient de me couper l’herbe sous le pied et me rappelle alors qui il est : une
personne à la fois exceptionnelle et sans merci.
Mes oreilles et mes joues me brûlent. Je m’adosse à la banquette et plaque
mon front contre la vitre. On se concentre, Livingston ! Je pousse un soupir et
sors mon téléphone pour prendre des notes sur ce que j’ai vu ce soir, mais
finalement je renonce. C’est au-dessus de mes forces pour l’instant. Je me laisse
donc emporter par cette Rolls, en me demandant pourquoi je me sens si
vulnérable.
À 23 h 55, je pénètre sur la pointe des pieds dans mon appartement, faisant
la grimace quand la porte grince un peu plus fort que d’habitude. Je vais
directement dans la cuisine pour me servir un verre d’eau et Gina m’y rejoint
aussitôt de son pas traînant, les cheveux en bataille.
– Salut, dis-je d’un ton penaud.
Elle fronce les sourcils. J’enchaîne :
– Désolée de t’avoir réveillée, retourne te coucher.
– Comment c’était, ta fête ?
– Bien.
C’est tout ce que j’arrive à articuler. Dans un suprême effort, j’ajoute :
– Je te raconterai demain.
Elle se frotte les paupières.
– Aïe… Il est trop tard ou trop tôt. Mouais… On a regardé Game of Thrones.
Et elle repart du même pas vers sa chambre pendant que je regagne la
mienne. Je me démaquille, enlève ma robe. Et quand je saisis mon tee-shirt de la
Northwestern, j’avise l’espace vide où j’avais accroché sa chemise avant de lui
redonner… Je devrais me réjouir qu’elle ne soit plus là, mais étrangement, son
absence rajoute à ma douleur, car j’ai l’impression à présent d’avoir inventé les
moments où il a été sympa avec moi. Je claque la porte du placard en la
refermant, puis je me glisse dans mon lit avec un caleçon de garçon en guise de
bas de pyjama. Je prends alors mon calepin, me forçant à écrire au moins un
mot, car si j’ai un blanc ce soir, je n’atteindrai jamais mon but.
J’écris :
Possessif

Puis je vais sur Google pour vérifier quelque chose, car je ne peux tout
simplement pas croire qu’il ait dit que… Chasse gardée : revendication/droits.
Sourcils froncés, je m’appuie contre ma tête de lit et fixe le plafond. Eh bien
quoi, Livingston ? Il n’a pas apprécié de te voir à sa fête et ça t’étonne ? Tu es
une journaliste, ma grande ! Tu croyais qu’il allait t’accueillir à bras ouverts ?
Tu comprends ce que ça veut dire ? Cela signifie juste que tu dois creuser plus
profondément !
CHAPITRE 7

RÊVE

Son corps est pressé contre le mien – un corps bien dur, jusque dans ses
moindres parcelles. Ça me plaît, oh oui, ça me plaît tant que je gémis et me
cambre contre lui. Je lui murmure :
– S’il te plaît… Vas-y, je t’en prie.
De ses lèvres, il capture les miennes et me donne un baiser insensé. Il prend
mes seins, puis en caresse les pointes avec sa paume. Ma tête est littéralement
engloutie par les oreillers, le poids de son corps enfonçant le mien dans le
matelas.
Je suis presque à la torture ! Il y a si longtemps que je n’ai pas fait l’amour,
et jamais je n’ai éprouvé de telles sensations… Il m’embrasse de nouveau, avec
une faim dévastatrice. Il enserre un de mes seins dans sa main, en aspire la
pointe. Je m’étire lascivement sous lui, écartant les jambes sous ses hanches pour
qu’il puisse me pénétrer, aussi profondément que possible… S’il te plaît, s’il te
plaît, s’il te plaît ! Moi qui ne supplie jamais personne, je ne peux plus m’arrêter.
Je mordille avec passion ses lèvres pleines et fais courir mes doigts dans son
dos. Il procure les mêmes impressions sous la couette et en dehors : fort,
inflexible. Mais son corps est si chaud ! Une vraie fournaise. Et tout à coup, une
question me taraude : si j’ouvre les yeux, est-ce que je vais me heurter à un
regard de glace ou à un champ vert en feu ? Je t’en prie, il me faut du feu, désire-
moi ! S’il te plaît, encore, encore… Oh oui ! Il me donne un coup de rein
divinement puissant, sa chair brûlante s’enfouit plus loin en moi, et il se met à
aller et venir au-dessus de moi et…
Je me réveille en sueur, me tortillant sur mon lit, à un doigt de l’orgasme, la
respiration haletante. Je retiens un grognement et roule sur le côté : il est 1 h 08
du matin ! Il doit être à l’after maintenant, et prendre son pied à trois. Non,
quatre, son chiffre fétiche. J’enrage !
Sérieusement, Livingston, ça va bien ? Je suis toute tremblante, je n’arrive
pas à me calmer, j’étais vraiment sur le point de jouir…
Poussant un nouveau grognement de frustration, je glisse ma main entre mes
cuisses, là où ça brûle. Non, Livingston, me prévient une petite voix intérieure,
mais j’ai la fièvre au corps… Je ferme les yeux et commence à caresser mon
sexe, tout en pensant à un acteur vraiment torride. Mais, à mesure que le plaisir
monte en moi, ce sont ses prunelles d’un vert banquise qui me regardent
fixement. Je me mords la lèvre… à défaut de croquer les siennes ! Enfiévrée,
j’imagine que c’est sa main qui s’active entre mes cuisses, mais ça ne me suffit
pas : je veux tous ses doigts en moi, qu’il m’écrase de son poids. Je me
concentre… J’aime ce qu’il me fait, et je vais m’efforcer de ne pas crier son nom
quand je vais jouir. Non, je ne le hurlerai pas car ce n’est pas lui qui me caresse
lentement, doucement, m’excite avec ses doigts, m’étreint, bouge en moi, et…
– Saiiiint…!
Après un orgasme stupéfiant, je reste allongée un certain temps sur mon lit,
ahurie. Puis choquée. Je suis vraiment une obsédée.
J’allume la lumière et vais me laver les mains. M’aspergeant ensuite le
visage d’eau, je maudis le reflet que je vois dans la glace. En soupirant, je
reviens dans ma chambre, j’ouvre mon ordinateur, et me mets à rechercher de
nouveaux liens sur lui, poussée par le besoin compulsif de me replonger dans le
travail. Cependant, je ne peux m’empêcher de penser qu’en ce moment il doit
s’envoyer en l’air, conformément à sa réputation. Je m’attèle alors aux réseaux
sociaux plus personnels tout en me persuadant que je suis juste mue par l’article
révélation que je dois écrire sur lui.
Sa page Instagram grouille de photos bourrées d’adrénaline. Saint skiant sur
des pentes enneigées, tel un diamant noir, laissant une marque en forme d’éclair
dans son sillage. Saint sautant en parachute d’un avion, s’élançant vers le monde
qui ressemble à une petite tache floue au-dessous de lui. Mais il n’y a rien,
absolument rien, sur l’after auquel il a refusé que j’assiste.
CHAPITRE 8

CONVOQUÉE

Le dimanche après-midi, assise dans un fauteuil près de la fenêtre du salon,


Gina m’assène :
– Saint est un démon. Tu peux être sûre qu’il y aura eu du grabuge après sa
petite fête privée. Hé, tu m’entends ?
– Euh…
Je suis en train de surfer sur Internet, tentant désespérément de glaner des
infos sur l’after.
– Rachel ? Rachel Livingston ! Hé, Chasse gardée ! Je peux te surnommer
comme ça, maintenant ?
Elle claque des doigts pour attirer mon attention et me faire lever le nez de
mon écran. Elle ne recule devant rien, même pas à me mettre en boîte avec sa
chasse gardée.
– Waouh ! s’écrie-t-elle soudain. Il y a une voiture, sous nos fenêtres. Une
voiture de gros riche. Là, devant notre humble immeuble. Hé, tu imprimes ?
Allô, ici la Terre…
– Comment ça une « voiture de gros riche » ?
Je bondis du sofa et cours vers la fenêtre. J’écarte alors le rideau en
voilage… Il y a bel et bien une Rolls-Royce en bas, celle qui m’a ramenée à la
maison vendredi. C’est quoi ce délire ? Je prends mon portable et mon cœur
s’arrête de battre quand je lis le nom qui s’affiche dans ma boîte mail.
J’aimerais te voir aujourd’hui. Une voiture attend devant chez toi. M

J’le crois pas ! Malcolm en personne m’envoie un message ? Je m’élance


hors de la pièce.
– Hé, ma chérie, où tu vas ? beugle Gina dans mon dos.
Je suis si nerveuse que je me suis refermée comme une huître et suis
incapable d’articuler le moindre mot pour lui répondre. J’enfile un jean blanc qui
me moule bien les fesses, passe un top minuscule et glisse les pieds dans des
sandales aux talons vertigineux. Puis je m’asperge de parfum et lui crie :
– Je te raconte plus tard. Ne m’attends pas !
Quelques secondes après, une pochette à la main, je pénètre dans
l’ascenseur. Quand je me retrouve sur le trottoir, je constate que des gens
prennent la Rolls en photo.
Dès que le chauffeur m’aperçoit, il vient prestement m’ouvrir la portière. Je
m’engouffre bien vite à l’arrière avant qu’on ne me photographie, mais le
souvenir de la dernière fois où je me suis retrouvée sur cette banquette vient jeter
une ombre au tableau, je m’y sens mal à l’aise. En tout cas, aujourd’hui, je suis
dans ma zone de confort pour ce qui est des vêtements. J’ai une tenue branchée
et sexy, sans être en mode « séduction revendiquée ». Plus déterminée que
jamais, je suis en quête d’informations et aucune paire d’yeux verts ne me
distraira de mon but.
Je demande au chauffeur :
– Où va-t-on ?
– À DuSable Harbor, me répond-il.
Et il démarre. Alors les questions commencent aussi à fuser dans mon
cerveau. Putain, qu’est-ce que Saint me veut encore, au juste ? Pourquoi veut-il
me rencontrer au port ? Je ne me suis pas remise de notre dernière rencontre,
mais il m’est impossible de laisser mes sentiments personnels se mettre en
travers de mon article.
La voiture freine nerveusement sur le parking, près du yacht le plus luxueux
du port. Il est assez fin pour trouver sa place parmi les autres bateaux, mais
suffisamment imposant pour s’en distinguer. D’un blanc immaculé, il miroite
sous le soleil. Son nom, The Toy, est griffonné en bleu foncé près de la proue.
On m’ouvre sans attendre la portière, avant même que j’aie le temps de me
remettre de la surprise. En sortant, j’aperçois un homme à la chevelure brune sur
le pont, et les battements de mon cœur s’accélèrent… à l’instant même où je
ralentis le pas. Je m’oblige à avancer, une partie de moi-même se demandant si
c’est bien moi qui me dirige vers son yacht, et vers l’homme qui m’y attend.
Mon monde vacille légèrement et j’ai l’impression, quand je monte à bord, que
l’on ne m’a pas placée au bon endroit de l’échiquier.
– Monsieur Saint, dis-je en guise de salut.
Il s’avance vers moi, dans un caleçon de bain large et une chemise ouverte
qui laisse voir des abdominaux si bien dessinés que je pourrais les retracer du
doigt. Ses jambes sont parfaitement musclées et le vent joue dans ses cheveux.
S’il est vrai qu’il porte fort bien le costume et que c’est une tenue qui sied
admirablement à son corps d’Adonis, ce look-ci, décontracté, très sexy et qui
pourtant en impose, me rappelle instantanément mon rêve. Mais pourquoi ai-je
fait ce fichu rêve ? Sous le soleil, Saint est encore plus beau que dans mon
souvenir. Sa nuque est bronzée, vigoureuse, et sa pomme d’Adam troublante
quand il me rend mon salut de sa voix profonde :
– Rachel.
Je rougis comme une tomate.
– J’attends des amis, ajoute-t-il. J’ai pensé que tu aimerais te joindre à nous.
OK, il me tutoie…
– Et qu’est-ce qui vous fait penser ça ?
Il fait un pas dans ma direction, envahissant presque mon espace vital. J’ai
envie de hurler. Ce type est la puissance incarnée ! Mais je me contrôle.
– J’ai l’impression que tu n’as pas apprécié la façon dont les choses se sont
terminées, la dernière fois.
Et il me scrute de ses yeux auxquels rien ne semble échapper. Je voudrais ne
plus être frustrée par cette soirée, mais on ne peut pas se refaire…
– J’avoue que je n’ai pas apprécié la « chasse gardée ». Et ni l’aplomb avec
lequel j’ai été congédiée.
Son visage demeure impassible. Tout comme ma fureur ne faiblit pas. Et
c’est sans doute mue par ce sentiment que je lui rends son tutoiement.
– Pourquoi m’as-tu convoquée ? Pour me rappeler où est ma place ?
Imaginais-tu que j’allais me mettre à genoux devant toi et implorer ton pardon
pour t’avoir contrarié ?
– Pas du tout. En revanche, j’ai une question.
Et son regard déjà très intense accomplit un prodige : il le devient encore
plus.
– Pourquoi étais-tu à l’Ice Box, vendredi ?
– Un ami m’a invitée.
Il se rapproche encore de moi.
– La vérité, Rachel ! m’ordonne-il d’un ton où affleure la menace.
Je me sens rougir, et bien sûr, il s’en aperçoit. D’un ton soudain plus suave,
il poursuit :
– Dis-moi juste que tu avais envie de me voir, et je vais me rattraper pour ma
conduite.
– Vraiment ? Et comment ? En m’invitant à prendre un café ? Quelque chose
me dit cependant que ce n’est pas exactement la méthode qu’utilise Malcolm
Saint pour se faire pardonner ses erreurs.
– Tu aimes le café ?
– Oui, avec deux sucres.
– C’est noté.
Il me scrute avec attention et un sourire enjôleur se dessine sur ses lèvres.
– Reste. Je vais te présenter mes amis.
Son sourire est furtif, mais si ensorceleur que je sens mon ventre se
réchauffer, comme si je venais d’avaler une cuillère de miel chaud. Je ne
m’explique pas comment ses yeux peuvent être à la fois si perturbants et
réconfortants.
– Saint ! Mon homme !
Le cri du cœur vient de tout près. Et l’instant d’après, Callan, Tahoe et une
poignée de filles bondissent sur le yacht. Je pousse un léger soupir tremblotant et
m’écarte un peu de Malcolm pendant qu’ils le saluent.
– Rachel, dit-il alors en me regardant.
Et il me présente à ses amis.
CHAPITRE 9

YACHT

C’est à cause de Saint que je suis en train de sécher sur mon article ! Saint
assis sur sa chaise longue. Saint qui fait du wakeboard. Saint qui hèle d’autres
personnes, sur le yacht qui croise le nôtre.
– Salut, Saint ! Eh, t’as entendu ça ? Les Cubs ont été battus.
– C’est faux, mec ! Archifaux !
Puis il se met à discuter avec ses amis.
On se regarde d’un œil aussi étonné que tranquille, lui et moi. Il y a un
placard rempli de slips de bains et de bikinis et je me retrouve dans un deux-
pièces blanc minuscule, en train de jauger les autres femmes qui plongent dans le
lac.
J’ai mis une grosse couche d’écran total, assez pour bronzer un peu sans
rougir. Ma peau me pique sous la chaleur du soleil, je sens l’air du Michigan qui
la caresse, le vent qui joue avec mes cheveux, les légères oscillations du yacht
qui glisse sur les eaux. Le moteur ronronne gentiment, agissant presque comme
une berceuse. Mais je suis trop consciente de ce qui m’entoure pour
m’endormir : je ne veux rien manquer ! Comme ses appels professionnels, cette
façon qu’il a de se détendre tout en gardant un pied dans le monde des affaires.
Il s’est baigné tout au long de la journée. L’eau est froide pourtant, je le sais,
je l’ai goûtée, et une seule fois m’a suffi. Il plonge toutes les demi-heures et nage
un peu, avec ou sans ses amis. Moi, je suis allongée sur mon transat, ravie de
profiter des rayons du soleil, mais lui il est toujours en mouvement. On dirait
qu’il ne se détend jamais. Il émane de tout son être une force impressionnante :
pas étonnant qu’il soit toujours actif…
Dans mon petit bikini blanc, je m’approche soudain du buffet, affamée, et
ses amis, Tahoe et Callan, se joignent alors à moi.
Je ne les fuis pas, car je préfère éviter un tête-à-tête avec Saint : comme j’ai
l’impression que nous sommes parvenus à une trêve, lui et moi, je souhaiterais
qu’elle perdure un peu. Elle est passagère, bien sûr, car à vrai dire je ne suis pas
tout à fait dans mon élément, dans son espace avec la société qu’il côtoie.
L’intérêt qui brille dans ses yeux, chaque fois que je vérifie s’il me regarde
et que je constate que c’est le cas, me rend très nerveuse. Je ne l’ai jamais été
autant de ma vie !
Tout à coup, il m’effleure du bras, et je m’écarte d’instinct pour ne pas sentir
la chaleur qui irradie de lui. Je suis bouleversée et je ne sais pas pourquoi.
Finalement, il se dirige vers l’autre bout du yacht, et disparaît dans une des
cabines – pour ses affaires, disent ses amis – jusqu’à ce que deux femmes
viennent l’inciter à en sortir. Il resurgit des profondeurs du bateau et s’écroule
sur une banquette, un bras sur le dossier. Je sens son regard posé sur moi,
semblable à une caresse.
J’essaie de m’intéresser à ce que racontent ses amis. Mais du coin de l’œil, je
surveille les nanas qui l’encadrent et sont visiblement prêtes à tout pour attirer
son attention.
Nous sommes tous assis à présent sur le pont principal tandis que Malcolm
vide lentement un verre de vin. Puis un autre. La conversation finit par s’orienter
sur des histoires de beuveries, des anecdotes qui sont arrivées aux uns et aux
autres, puis sur les filles qui traquaient Malcolm, quand il était plus jeune.
– Son vieux se demandait toujours avec qui il allait se pointer à la maison,
depuis Kalina, explique Callan.
– Tu avais vraiment ramené cette fille entièrement nue chez tes parents ?
questionne une de ses petites poules de luxe en affichant une moue jalouse.
Il ébauche un sourire.
– C’était une artiste, elle s’était peint des vêtements à même le corps. Je
trouvais ça assez réussi, je dois dire.
Je sens un sourire naître sur mes lèvres, et à cet instant, il croise mon regard.
Le sien disparaît, pour laisser place à un air songeur.
– On a regretté que tu ne viennes pas à l’after, me dit Tahoe.
– J’imagine.
Je jette un coup d’œil en direction de Saint qui est en train de se prélasser,
distant. Je me rends compte qu’une fille a une grappe de raisins dans la main et
qu’elle essaie de lui mettre quelques grains dans la bouche. Il me regarde de
nouveau, m’observe en fait. Je ne détourne pas la tête quand il ouvre la bouche
d’un air absent puis se met à mastiquer le grain de raisin qu’on y a déposé, sans
me lâcher une seule seconde des yeux.
– Encore un, lui murmure la fille contre l’oreille.
Je vois les muscles de ses mâchoires se contracter tandis qu’il mâche
consciencieusement. Je pense alors à ce qu’il a dans la bouche. Quelque chose
de frais, de juteux… Il plisse subitement les paupières comme s’il lisait dans mes
pensées, et tout mon corps vibre d’émotions que je serais bien incapable de
définir. Encore une fois, mes joues me brûlent comme si le soleil s’était tout à
coup rapproché de la Terre.
Quand la nuit tombe, Saint devient plus ténébreux. On dirait que le danger
rôde, une odeur primitive flotte dans l’air… Le nœud dans ma gorge est
insupportable lorsqu’il s’approche de moi, j’ai l’impression d’être complètement
à sa merci ! Dans un effort désespéré, je me tourne vers ses amis et demande :
– Qu’est-ce que vous faites lors de ces fêtes qui vous valent votre célébrité ?
– Moi, je me baigne à poil, dit Tahoe, sourire ironique à l’appui. Callan lui a
généralement toujours trop bu pour se rappeler quoi que ce soit.
ET SAINT ?
– Il nous arrive de bien nous amuser, Saint et moi, fanfaronne alors une des
nanas qui papillonnent autour de lui.
Mes joues sont encore écarlates. Ne le regarde pas, ne le regarde pas.
– La dernière fois, on lui a joué un petit spectacle en privé, renchérit une
deuxième.
Et le ton suave qu’elle prend déclenche en moi une montée de bile. Encore
que ce sont des informations en or. Du genre à bien pimenter mon article de fond
sur lui… Cependant, je n’arrive pas à trouver la force nécessaire en moi pour
rester là à écouter la suite ; menacée par une forte nausée, je bondis sur mes
pieds, et demande si je peux me reposer un peu, dans une cabine.
Puis, sans attendre l’autorisation de quiconque, je contourne tout ce petit
monde, en évitant les regards, surtout le sien, et je m’élance finalement vers le
pont supérieur, où j’avale une grande bouffée d’air. Près de la proue, je me
contente de m’appuyer contre le bastingage et de contempler le lac. L’horizon.
Un croissant de lune. Je sors mon téléphone pour prendre des notes. Ouf, je
commence à mieux respirer en écrivant. Je retrouve mon intégrité. Mais pas ma
concentration ! Je range mon portable et sonde de nouveau le Michigan.
Quelques minutes plus tard, des feux d’artifice explosent dans le ciel. Alors
tout le groupe lève les yeux au ciel et pousse des petits cris d’admiration. Il faut
dire que le spectacle est grandiose. J’inspire profondément et prends plaisir à
voir ces fusées lumineuses partir de la Navy Pier et s’épanouir telles des fleurs
voluptueuses tout là-haut, sur le dôme de la nuit. Tout est parfait sur le lac, la
nuit est merveilleuse. J’adore ces endroits calmes et chauds, où rien ne se
déplace, où tout est à sa place ! J’aimerais rester ici pour toujours… Curieux,
tout de même, de découvrir un tel lieu au moment où votre monde vous échappe.
Je tape un mot dans mon téléphone pour étouffer la sensation vraiment
singulière qui monte en moi.

Infini.

Une bourrasque de vent me soulève les cheveux et je me fais un chignon bas


avant de rejoindre les autres. À cet instant, mon regard tombe sur lui. Ça alors !
Il est assis tout près de la proue, sa chemise moule légèrement le torse, et l’écran
de son téléphone éclaire son visage. Je ne l’avais pas entendu approcher.
Pourquoi n’est-il pas descendu dans sa cabine pour travailler ? Et pourquoi ai-je
encore ce fichu nœud dans la gorge ?
– Conquérir le monde est visiblement une activité à plein temps, murmuré-
je.
Il se lève avec lenteur, et sa chemise s’ouvre, me dévoilant de nouveau son
torse lisse et musclé. Il me semble plus grand et encore plus carré quand il se
rapproche de moi. Et tout d’un coup, la température monte, à moins que ça ne
vienne de moi, car j’ai de nouveau rougi. Il est si beau. La plus belle personne
que je connaisse.
J’ajoute en chuchotant :
– Désolée, je ne voulais pas te déconcentrer. Je te laisse.
– Reste.
Son ton brusque me paralyse et je sens les rougeurs se répandre sur tout mon
corps sous son regard de braise. Et j’ai carrément l’impression de prendre feu
quand il me dit dans un souffle :
– Je veux te faire rougir d’ici…
Il me touche le front, puis jette un bref coup d’œil vers le sol…
– Jusqu’aux orteils.
Sur ces mots, il m’adresse un sourire amusé, et il est si proche de moi que
son corps me protège de la brise. Pourtant, j’ai l’impression que c’est lui
l’ouragan et moi le lac, d’apparence calme, mais renfermant mille et un secrets.
– Pourquoi ne m’as-tu pas regardé une seule fois, alors que j’étais assis là,
tout près de toi ? murmure-t-il d’une voix rauque.
Puis il fait courir ses doigts sur ma joue. Je sens se former au fond de mon
ventre une boule à la fois chaude et douloureuse.
– Saint. Non.
Il lève son téléphone et me montre une photo sur l’écran.
– J’aime cette photo de toi. Tu as l’air douce et songeuse. On voit la belle
courbe de ton menton, le bout de ton oreille d’elfe, qui dépasse de tes cheveux.
– Tu as pris une photo de moi ?
– Comme tu vois.
Il passe son pouce sur l’écran et un frisson me parcourt. J’ai presque senti sa
caresse.
– Efface-la, dis-je, choquée.
– Négocie. Tu me donnes quoi en échange ?
– Saint ! Arrête. Supprime-la. Je n’ai pas envie d’être dans ta galerie de
photos. Ce n’est pas pour ça que tu m’intéresses.
Il me sourit et cherche mon regard.
– Allez, viens t’asseoir avec moi, dit-il d’un ton conciliant.
Ces paroles à peine prononcées, il se dirige vers une banquette et s’y affale
au beau milieu. Waouh ! Il attend donc que je le suive ? Prenant une profonde
aspiration, je me fais violence et l’y rejoins. Je m’assois sur le bord tandis qu’il
continue à en occuper le centre. Nous nous observons, moi sourcils froncés, lui
l’air amusé, puis nous tournons la tête pour contempler les derniers feux
d’artifice, au loin.
– Tu es furieuse contre moi parce que j’ai demandé à mon chauffeur de te
raccompagner chez toi l’autre soir ? me demande-t-il d’un ton dur.
Je réplique :
– C’est toi qui le dis, pas moi.
Il émet un bref rire, rauque et viril, particulièrement déroutant. J’ai
l’impression que son immense corps aspire l’espace autour de lui, un peu comme
un vortex.
– J’aurais consenti à ce que tu viennes à l’after si tu avais accepté mon
cadeau, reprend-il en passant un pouce songeur sur sa barbe naissante. Un
homme aussi a sa fierté, Rachel. Tu as pensé à ce que j’ai pu ressentir quand tu
m’as rapporté ma chemise ?
Le pauvre ! Une fille sur un million refuse un présent de sa part et ça le
perturbe ?
– Eh bien ? insiste-t-il d’une voix basse et insistante.
– Pardon ?
– Pourquoi me l’as-tu rapportée alors que je t’avais dit de la garder ?
Personne ne me rend mes cadeaux. Tu me trouves repoussant ?
Je me mets à regarder d’un air concentré les tendons de son cou car je ne
veux pas qu’il puisse deviner, dans mon regard, que ce n’est pas du tout le cas.
– Je préfère ne pas accepter les présents des hommes ou d’inconnus, dis-je
en plissant légèrement les yeux. Et si tu continues à te moquer, je rentre chez
moi.
Il se penche en avant.
– Tu sais, Rosie, elle ne m’a pas rendu sèchement mon cadeau, elle ! Elle
m’a dit que j’étais son héros et ça m’a beaucoup plu.
Il me provoque. Et je dois dire que j’avais plus d’humour avant qu’il ne
grille mes neurones.
– Oh, vraiment ? Il est en effet assez rare qu’un éléphant vous remercie,
donc je comprends que tu aies apprécié. Et je suppose que toi, on t’a toujours
couvert de cadeaux.
Il m’adresse un sourire contrit et se penche vers moi.
– Exact. Je n’ai jamais manqué de rien.
– De rien du tout, vraiment ?
Il hoche la tête.
– Je ne te crois pas, dis-je.
– Que pourrais-je vouloir que je n’aie déjà ?
Il se met à rire doucement et poursuit :
– J’ai tout, Rachel. Du moins j’avais tout jusque-là…
Sur ces mots, il effleure ma joue, et tous mes nerfs se tendent. Soudain, j’ai
la gorge complètement nouée. Son regard devient sombre et déterminé : aucun
homme comblé sur toute la ligne ne peut être possédé par une telle faim, me dis-
je.
Le silence se fait et j’ai l’impression que la brise est tout à coup plus forte ;
oui, l’atmosphère a changé entre nous. À quoi joue-t-il, au juste ? Il m’a
photographiée à mon insu, à un moment où j’étais vulnérable : j’ai l’air en effet
un peu perdue sur cette image. Je ne supporte pas qu’il me voie comme ça.
Il considère de nouveau ma photo, l’air sérieux.
– J’admets que je me suis comporté de façon un peu spéciale avec toi, mais
j’aimerais que tu me donnes une chance de me rattraper, déclare-t-il d’un ton
sincère.
Puis il lève les yeux vers le ciel où toute trace de couleur a disparu. Quand il
les braque de nouveau sur moi, je ne porte pas les miens sur lui, redoutant
d’affronter ses prunelles aussi vertes qu’inquisitrices.
– Merci de m’avoir invitée sur ton yacht… C’était très agréable, dis-je.
Ma voix rauque me surprend, c’est la première fois que je prends ce ton-là.
D’un coup, j’éprouve une faim immense… J’ai envie qu’il se remette à me
taquiner, me faire sourire et que passe dans ses yeux la fameuse lueur qui me
rend à la fois furieuse et me donne des ailes. Je meurs d’envie de savoir pourquoi
il m’a désignée comme sa « chasse gardée » et pourquoi il tenait tant à ce que je
conserve sa chemise. Il m’adresse un sourire aimable puis me désigne du doigt.
– Désormais, Rachel, ce sera donnant-donnant, entre nous. Tu peux me
poser une question, j’y répondrai, mais moi aussi je t’en poserai une.
– Vraiment ? dis-je ragaillardie.
Il hoche la tête avec indulgence et c’est à mon tour de le désigner de la
main :
– Pose ta question le premier.
– Très bien…
Il se penche en avant et ses muscles se tendent sous sa chemise ouverte.
– Pourquoi n’as-tu pas baissé les yeux vers moi, tout à l’heure ?
– Que veux-tu dire ?
– Pourquoi ne m’as-tu pas regardé une seule fois ? Même maintenant,
d’ailleurs, tu évites mon regard.
Je cherche une réponse, mais avant que je n’ouvre la bouche, il murmure
d’un ton presque menaçant :
– Je veux la vérité, Rachel.
Je rougis. C’est incroyable, il réclame toujours la vérité. Ne fait-il donc
confiance à personne ?
– Tu avais vu juste, ce n’est pas mon monde, dis-je en hochant les épaules.
Tu sais bien déchiffrer les autres, je t’assure.
– Toi aussi, je t’assure, dit-il en écho.
Il attend. Je suppose que c’est mon tour. J’ai envie de lui poser des questions
personnelles, de lui demander par exemple pourquoi je ne pouvais pas venir à
l’after, mais je ne dois pas oublier mon article. Donc je me concentre sur lui.
– Une question que chacun se pose : crois-tu qu’elle existe, la femme qui
incarnera tous tes désirs ?
Je surveille sa réaction, mais il ne laisse rien paraître.
– Est-ce vraiment ce que tout le monde a envie de savoir ? réplique-t-il.
– Tu réponds par une question.
– Parce que tu ne poses pas les bonnes.
Je fronce les sourcils et prends une grappe de raisins sur le plateau que le
personnel a posé sur une petite table, près de nous.
– Ce n’est pas comme ça qu’on s’y prend, commente-t-il tout à coup.
Je me rappelle alors la façon dont les deux filles lui ont fait manger du raisin.
– Pardon ? Je ne fais pas partie de ton harem, moi, dis-je en riant. Tiens,
voilà une grappe si tu en veux.
Et je lui en lance une qui rebondit sur son torse et tombe par terre. Je
sursaute lorsque sa cuisse frôle la mienne au moment où il tend le bras pour en
prendre une autre, sur le plateau.
– On m’a appris à ne pas jouer avec la nourriture, Mademoiselle.
Sans prévenir, il me saisit par le cou, ce qui déclenche une vague de chaleur
en moi.
– Mais qu’est-ce que tu…
– Chut !
Il se penche vers moi, et mon corps est alors soumis à un véritable court-
circuit… L’odeur de son savon me submerge lorsqu’il approche le raisin de ma
bouche, les pupilles si dilatées que je ne vois plus qu’elles.
– Ouvre la bouche, m’ordonne-t-il.
Une onde électrique me traverse quand les raisins caressent mes lèvres… Je
cède d’instinct à la sensualité à laquelle il m’invite et, la respiration saccadée,
entrouvre les lèvres pour qu’il y glisse quelques grains. Une fois que je les ai
avalés, je constate que son sourire a disparu.
Je me sens toute tremblante quand il incline la tête sur le côté et… me donne
un baiser à la commissure des lèvres. Un long frisson me parcourt de la tête aux
pieds.
Frisson qui s’intensifie au moment où il me saisit le menton et me force à
soutenir son regard vert, si vert, qui reflète à la fois la prudence et la convoitise.
Non, tout ça n’est pas réel ! Il ne peut pas me désirer avec une telle urgence !
J’ai peur qu’il m’embrasse. Et redoute en même temps de le souhaiter. Il
émane de lui une odeur encore plus séduisante que dans mon rêve, et je le désire
tant, si fort… Il respire plus vite, luttant visiblement pour reprendre le contrôle
de lui-même. J’ai envie qu’il perde sa bataille intérieure. Non, non, dans un
sursaut de lucidité, je change d’avis car la seule qui ait quelque chose à y perdre,
c’est moi !
– Miam, dis-je en me redressant. C’est bien meilleur quand c’est toi qui me
les donnes. Comme ça, j’avale aussi tes microbes !
Face à ma boutade, un petit sourire illumine ses traits, tel un soleil.
– Saint ! appelle à cet instant un de ses amis.
Il ne répond pas.
– Vous êtes prêts pour un plongeon à poil ?
C’est Tahoe qui vient de surgir à côté de nous, sur le pont supérieur.
– Rachel et moi, on discute un peu, mais allez-y, lance-t-il sans se retourner.
Puis il reprend toute la place sur la banquette, et se met à jouer avec une
mèche de mes cheveux. Je suis moyennement à l’aise.
– Avoue que tu en as envie !
J’éclate de rire.
– Si tu te joins à moi, oui !
Il brandit alors la photo qu’il a prise de moi et poursuit d’une voix plus
basse :
– Si je la supprime… tu acceptes que je te reconduise chez toi ?
– Ce ne serait pas la première fois.
– Jusque-là, c’est mon chauffeur qui s’en est chargé, pas moi, rectifie-t-il,
déterminé. Cela représente une grosse différence, Rachel, je te le garantis.
Mon sourire disparaît devant son air de prédateur qui me séduit autant qu’il
me terrifie. J’objecte :
– Je dois rentrer chez moi de bonne heure. Or, j’imagine que tu as envie de
t’attarder ici avec tes amis.
– Si c’était le cas, je ne t’aurais pas fait cette proposition.
Il laisse son pouce planer sur son écran, au-dessus de la corbeille qui permet
d’effacer la photo, un regard impatient braqué sur moi.
– Alors, Rachel ? insiste-t-il.
– Supprime-la et je vais y réfléchir.
Je vois les muscles de sa mâchoire tressauter face au défi que je viens de lui
lancer puis, avec lenteur, il appuie sur l’icône.
– Voilà, dit-il.
Et dans la pénombre, j’aperçois une lueur passer telle une comète dans ses
prunelles.
– Maintenant, je te raccompagne chez toi ! ajoute-t-il.
Je commence à paniquer. Mon appartement, c’est mon havre. Or, je
l’imagine déjà à l’intérieur, en train de scruter tous mes objets personnels de
fille… Qu’est-ce qu’il cherche, au juste ? Si j’avais déjà l’impression que sa
chemise envahissait mon espace et mes pensées, qu’est-ce que ce sera s’il vient
en personne ? Pourtant, je hoche la tête, désireuse de ne pas fermer toutes les
portes, mais je précise :
– Entendu, seulement pas ce soir.
Et soudain, il me faut prendre de la distance avec lui, avec ses yeux et la
façon dont mon corps brûle en sa présence car mon cœur bat comme un oiseau
fou, et chaque parcelle de ma peau est prête à s’enflammer sous son sourire, son
regard, son odeur…
Sans dire un mot, je rejoins les autres sur l’autre pont, puis je plonge dans
l’eau, me gardant bien d’enlever mon bikini. Waouh ! Qu’elle est froide ! Je me
mets à nager de toutes mes forces, en soufflant bruyamment. Tahoe vient me
rejoindre, et me regarde, un sourire grivois aux lèvres.
– Tiens, tiens, tiens…
– Ça suffit, T !
En entendant cette voix, je lève la tête. Saint est appuyé sur le bastingage et
m’observe, un petit sourire aux lèvres.

Ce soir-là, je m’assois à mon bureau pour prendre compulsivement des
notes.
Bon, concentre-toi sur les faits, Livingston ! Je pousse un soupir et j’essaie
de chasser les grappes de raisin de mon cerveau. Ainsi que ces prunelles vertes,
aussi emplies de questions qu’exigeantes. J’ai accepté qu’un jour il me
raccompagne à la maison. Je ne comprends pas pourquoi je dis oui à tout !

C’est un solitaire. Il semble détaché du groupe. Toujours un pas d’avance, ailleurs.


Il a l’habitude que les femmes s’agglutinent autour de lui. (Parce qu’il a des vues sur elles ? Parce qu’il a besoin d’un bruit de
fond ? Il ne paraît jamais attiré par l’une d’elles en particulier, mais il les regarde faire leur show, ça a l’air de l’amuser !)

Je vais me brosser les dents et me mets au lit. Une fois sous les couvertures,
je cherche le sommeil. Mais des images reviennent me hanter… Comme le
moment où il m’a donné des grains de raisin et que son torse vigoureux effleurait
le mien, que son souffle me caressait le visage. Et puis son odeur qui envahissait
tout mon être quand le vent soufflait d’une certaine façon, et sa voix qui se
détachait de tous les autres bruits.
J’essaie de repousser ces sensations, ces images, mais c’est peine perdue,
elles m’obsèdent de plus belle. Pitié, je ne veux plus y penser ! JE NE VEUX
PLUS. Mais pour écrire un bon article, je ne peux pratiquer aucune censure.
Impossible de choisir ce qui me convient et rejeter ce qui me dérange. Je
reprends mon calepin et j’écris un premier mot.
Électrique

Il électrifie l’air.
Puis je rajoute deux ou trois phrases.
Dévorant

Par sa présence, il éclipse tout le reste.


Entêté

Il est impossible de négocier avec lui.


IL ADORE ME TAQUINER !!!!

Il n’a pas arrêté de me chambrer avec la photo, les raisins, la chemise et


même Rosie dont il prétend être le héros…

Je repose mon calepin, éteins ma lampe, mais dans l’obscurité de la
chambre, je le revois en train de me regarder, du bastingage, quand je nageais
dans l’eau. Et je sens encore ses doigts effleurer mes épaules, lorsque je suis
remontée sur le yacht et qu’il m’attendait avec une serviette toute chaude qu’il a
enroulée autour de mon corps.
CHAPITRE 10

DORMIR À LA BELLE
ÉTOILE

Pendant les vingt-quatre heures qui suivent, je passe mon temps à surfer sur
le Net et à cliquer sur toutes les nouvelles photos de Saint qui ont été postées
dernièrement. Je découvre aussi des clichés moins récents de filles en bikinis
jouant au mini-golf chez lui. Et des photos de lui sortant d’un hélicoptère
accompagné d’une pilote ne portant rien d’autre qu’un short minuscule.
– Ça me contrarie, toutes ces photos, parce que la plupart de ces filles
viennent à lui alors qu’il ne demande rien, dis-je à Gina.
– Arrête ! Saint a une réputation de sale dragueur, point ! Ce doit être parce
que, enfant, on ne lui a pas accordé assez d’attention.
– Mais pas du tout ! C’est juste un homme riche et les femmes se jettent à
ses pieds. J’ai vu des vidéos qui lui sont dédiées, sur YouTube. On y voit des
filles se déshabiller pour lui, d’autres qui lavent leur voiture et lui proposent de
venir chez lui laver la sienne. Tiens, regarde…
Et je lance la vidéo d’une nana sans soutien-gorge qui mouille son tee-shirt
et dit en souriant à l’objectif :
– Saint, je peux laver ta voiture tous les jours si tu veux, et m’occuper aussi
de tes tuyaux.
On éclate de rire.
– Apparemment, il collectionne les voitures. Tiens, sur cette photo, on dirait
qu’il en a une trentaine. Et que des prestigieuses. Il a mille et un jouets, cet
homme. Tu ne crois pas que ça en dit long ?
– C’est-à-dire ? demande Gina.
– Quand on a tout, on n’en a jamais assez.
– Honnêtement, comment pourrait-on se mettre à sa place ? On a déjà eu du
mal à payer le loyer ce mois-ci.
– Arrête, sois un peu sérieuse. Si rien ne le satisfait jamais, c’est qu’il ressent
un grand vide dans sa vie. Je l’ai vu travailler, Gina : c’est comme s’il était
obsédé par ce qu’il fait. Comme si son travail l’aidait à oublier autre chose.
– Quoi ?
– Bon, laisse tomber.
Elle éclate de rire.
– Ce que tu es subtile, Rachel ! Quelle philosophe ! Envoie-lui ta facture, ça
lui épargnera une thérapie.
Je continue à cliquer sur des liens et trouve une vidéo où on le voit en
compagnie de son père ; elle a été prise lorsque ce dernier a refusé d’exaucer le
dernier vœu de sa femme, à savoir donner à Saint un siège au conseil
d’administration de sa société.
En réponse à un journaliste qui lui demande pourquoi Malcolm n’est pas
autorisé à entrer dans les affaires familiales, son père déclare :
– La seule chose qui joue en sa faveur, c’est son nom.
À ses côtés, Malcolm ne réagit pas, un léger sourire ironique aux lèvres,
faisant preuve d’un remarquable sang-froid. Cette vidéo est de toute évidence un
plaidoyer en sa faveur. Toutefois, cela ne l’a-t-il pas affecté d’une façon ou
d’une autre ?
– Quel connard, son père ! dit Gina plus tard dans l’après-midi, alors que je
me repasse la vidéo.
Je me concentre cette fois-ci sur l’expression de Saint : il ne dévoile rien de
ce qu’il ressent comme s’il s’attendait à la rebuffade et s’y était préparé.
– Pas étonnant que Saint soit un salaud. Il a de qui tenir, poursuivit-elle.
– Ce n’est pas un salaud.
– Pardon ?
Je répète d’un ton posé :
– Ce n’est pas un salaud.
– Tu m’as l’air bien susceptible !
– Pas du tout. C’est juste un fait.
– OK, tu as une dent contre moi parce que tu n’aimes pas ce qu’il y a dans le
réfrigérateur, même si cette semaine, c’était ton tour de faire les courses. Mais
laisse-moi te dire une chose, Rachel : tu es si obsédée par tes recherches que tu
as oublié et que c’est moi qui me suis tapé la corvée. Tu as des cernes sous les
yeux, un gros R comme révélation collé sur le front et un X sur ton petit cul en
feu quand tu penses à Saint. Avoue que tu le kiffes !
– Pas du tout.
– Ça me rassure parce que ce papier, c’est l’opportunité que tu as attendue
toute ta vie. Regarde toutes ces photos de gonzesses. Elles lui mettent carrément
leurs seins sous le nez ! Et c’est ce mec que tu veux ?
Je continue à regarder la vidéo de YouTube et quand Gina sort de la pièce, je
marmonne :
– Si, il me plaît.
J’en sursaute presque. Non, il ne peut pas t’avoir séduite, Rachel ! Tu es une
personne pleine de bon sens, éprise de vérité.
Perplexe, je sors mon sac de couchage du placard car ce soir, je dors à la
belle étoile dans le parc, dans le cadre de mon activisme au sein du comité
d’Halte à la violence.
Mes amies pensent que ce genre d’action ne règlera rien, mais moi, ça me
fait du bien d’y participer. En plus, j’aime dormir à la belle étoile, cela me
calme. Il faut se concentrer sur autre chose que ses petits problèmes pour les
oublier. D’ailleurs, quels problèmes ? J’avais une vie cool, enfin j’ai une vie
cool, c’est toujours le cas.
Moi, j’ai été élevée dans la sérénité, on ne m’a jamais dit : « Tu ne vaux rien,
la seule chose qui joue en ta faveur, c’est ton nom. » Ma mère m’a donné tant
d’amour que voilà où cela m’a conduit : à m’attaquer à des sujets qui sont trop
gros pour moi, parce que je suis assez folle pour croire que je peux y arriver. Je
suis tellement reconnaissante à celle à qui je dois tout, que j’éprouve le besoin
urgent de l’entendre.
– Allô, maman ?
– Bonjour, ma chérie. Qu’est-ce que tu fais ? Tu te prépares pour aller
camper ?
– Oui, je voulais juste savoir comment toi tu allais. Tu as besoin de quelque
chose ?
Je sais toujours quand ma mère va bien ou quand elle fait semblant.
Aujourd’hui, je suis soulagée, car elle a l’air sincèrement joyeuse.
– Tout roule, Rachel, et aux dernières nouvelles, c’est toujours moi qui joue
le rôle de mère dans cette relation, dit-elle pour me taquiner. Et toi, ma petite
fille, comment vas-tu ?
– Bien.
J’entends son CD préféré de Cat Stevens en arrière-fond.
– Je t’enverrai un texto du travail, demain. Tu n’oublies pas de prendre ton
insuline, d’accord ?
J’attends sa réponse, puis lui dis tendrement :
– Je t’aime, maman.
– Rachel ! Une seconde… Quelque chose ne va pas ?
J’hésite.
– Pourquoi tu me dis ça ?
Pitié, ma voix me trahit, maintenant ? J’ai l’habitude de lui dire que je
l’aime, donc ce ne sont pas mes propos qui l’ont étonnée.
– Tout va bien, je t’assure, je suis en pleine forme. J’écris un nouvel article,
je t’en parlerai bientôt.
Silence.
– Tu es sûre ?
Et merde, elle soupçonne vraiment quelque chose. Je lui assure en riant :
– Mais oui ! Je t’aime, et on se voit bientôt.
Puis je raccroche et pousse un soupir. Même si ma mère a joué les
inquisitrices, cet échange m’a fait du bien. J’avais besoin de me rappeler qu’elle
est la personne que j’aime le plus au monde et que mon rêve est de lui offrir une
belle maison, une voiture confortable, des soins hospitaliers si nécessaire, bref,
la sécurité. Je ne peux pas lui rendre mon père, mais je voudrais compenser en
lui achetant tout ce que je peux, tout ce qu’il lui aurait offert s’il avait vécu. De
cette façon, j’ai l’impression d’honorer sa mémoire, où qu’il soit. Ma mère est
diabétique et sous contrôle médical depuis des années, aussi l’idée que sa santé
dégénère est une préoccupation constante, et je sais qu’elle y pense aussi, même
si elle refuse de l’admettre.
Le parc n’est pas vraiment bondé. De nombreuses personnes ne participent
pas à cet événement, préférant par exemple les marches que Halte à la violence
organise par ailleurs. Mais moi, ça me plaît assez de dormir à la belle étoile, avec
des livres, mon iPod et de quoi grignoter. Je repère quelques visages familiers,
puis cherche un coin tranquille sous un arbre.
Une fois que je l’ai trouvé, je déplie mon sac de couchage, salue un jeune
couple que je connais de vue, et lève les yeux pour admirer les frondaisons de
l’arbre qui se détachent sur le ciel, au-dessus de ma tête. J’arrive rarement à
fermer l’œil plus de deux heures d’affilée, quand je dors dans le parc, mais je
m’oblige à participer à ces rassemblements car je ne veux pas être dépendante de
mon confort au point que cela m’empêche de lutter en faveur d’un monde
meilleur.
Après avoir mangé quelques cerises et écouté de la musique, j’enlève mes
écouteurs, tapote mon oreiller et me laisse happer par le sommeil. Je rêve que je
suis dans une forêt où je cours vêtue d’une chemise d’homme, et quand Gina,
Helen et ma mère m’appellent, je n’arrive pas à sortir des bois pour les rejoindre.
Je me réveille en sursaut et en sueur, le souffle court ; je regarde tout autour de
moi, sans comprendre où je suis… Ah oui ! Je campe à la belle étoile dans le
parc. Encore tremblante, je sors mon portable et lis le message qui m’a réveillée.

Puisque je ne peux pas encore te ramener chez toi, laisse-moi au moins passer te chercher et
t’emmener quelque part.
Je suis incapable de détacher mes yeux du texto, et mon cœur se met à battre
la chamade : le numéro est inconnu, mais je sais que c’est Saint, qui d’autre cela
pourrait-il être ? Je repense à lui, à ses chemises, à ses regards, à ses secrets. Puis
je revois son yacht, le raisin, les éclats de glace dans ses iris et cette façon si
curieuse de me scruter, comme s’il voulait que je fasse fondre les mystérieux
glaçons qui constellent ses yeux. Je médite alors sur mon agitation et mon
impossibilité à me concentrer sur autre chose en sa présence… À cet instant, je
repense à mon article et m’efforce de m’accrocher à cet objectif, mon seul
souhait. Poussant un soupir, je réponds :
Je n’aurais rien contre le fait de visiter les locaux d’Interface.
Marché conclu !

Je me mords la lèvre en ressentant comme des petits papillons dans mon


ventre. Je sais que c’est la nervosité et le stress liés à mon article, mais jamais ils
n’ont été si actifs ! Sur une impulsion, j’envoie un nouveau texto :
Tu ne dors pas ?
Pas quand je n’en ai pas envie.

Je rougis. Il me drague ou quoi ? Il pourrait être un formidable petit copain


s’il se contentait d’une seule femme, au lieu de donner un peu de lui à toutes.
Et toi, Rachel, pourquoi tu ne dors pas ?
Ton SMS m’a réveillée.
Dans ce cas, fais de beaux rêves, Rachel.

Je ferme les yeux et revois son visage sur YouTube, son visage quand il m’a
repérée à l’Ice Box, son visage tout près de moi, si énigmatique… J’ai
l’impression qu’il refuse que les autres voient ou sachent qui il est réellement ou
ce qu’il attend vraiment d’eux.
Même chose pour toi – si tu veux rêver, bien sûr.

Ah, c’est stupide ce que je viens de lui écrire ! Quelle gourde ! Je range mon
téléphone comme si c’était un alligator que j’avais rencontré dans la forêt où
m’avaient emportée mes rêves. Inutile de dire qu’après ça, impossible de
retrouver le sommeil…
CHAPITRE 11

BUREAUX

Mon obsession grandissante, cette fascination tortueuse qui ne peut mener


nulle part, aura au moins été bénéfique à mon inspiration. La soif d’informations
que je ressens transparaît dans l’écriture de tous mes articles, même ceux qui ne
portent pas sur Saint. Je suis comme une gloutonne qui a envie d’une chose
précise mais engloutit tout ce qui lui tombe sous la main en attendant.
– Cet article est grandiose, me dit Helen. Quel punch ! J’ai hâte de voir ce
que tu vas nous pondre sur Saint. À propos, c’en est où, la chasse gardée ?
Je pousse une exclamation de surprise.
– Pardon ?
Elle me sourit et pianote sur le calepin ouvert à côté de mon ordinateur. Le
mot y est souligné plusieurs fois, et la page un peu froissée.
CHASSE GARDÉE.

Elle s’assoit sur le rebord de mon bureau, et je sens que Victoria va tomber
de sa chaise à force de tendre l’oreille pour entendre notre conversation.
– Oh, ça ? C’est rien, dis-je.
Et je referme mon calepin. Ça ne s’arrange pas ! Je viens de griffonner
« chasse gardée » sans m’en rendre compte.
– Comment ça, rien ? se récrie Helen.
Et elle se retourne.
– Hé, Victoria, viens par là !
Cette dernière, qui n’en attendait pas tant, se lève et s’approche d’un pas
aussi décontracté que possible.
– Helen ? dit-elle. Ah ! Salut, Rachel.
Elle est aux anges !
– Mets Rachel en contact avec ta styliste, celle qui te fait toujours un look
d’enfer. Avec ce visage-là…
Elle me soulève le menton.
– … il est impossible que Saint résiste très longtemps à la tentation de la
draguer. Merci, Vicky.
Et sur ces mots, elle s’éclipse.
La présence de Victoria me donne soudain l’impression d’avoir à peine
progressé. J’aurais tant aimé répondre autre chose à Helen, ce qui m’aurait évité
de voir Victoria jubiler au-dessus de moi, appuyée sur la demi-cloison. Je
l’entends déjà dire que je suis incapable d’écrire un article sans son aide. Que je
ne peux pas attirer un mec sans son aide.
– Ce ne sera pas nécessaire, je t’assure, lui dis-je.
– Ne sois pas absurde ! Je sais ce qu’il te faut. Si tu permets que je
l’emprunte quelques secondes…
Et sans hésitation, elle saisit mon téléphone fixe, compose un numéro et se
met à fredonner en attendant que l’on décroche. J’enregistre alors rapidement
mes données et ferme mes dossiers, car rien ne me rend plus nerveuse qu’une
personne qui essaie de jeter un œil furtif sur mon écran.
Je suis assise à mon bureau, rongée par le sentiment d’être une vraie
looseuse quand un message de Dean s’affiche sur mon portable :
M. Saint aimerait vous faire visiter les locaux d’Interface. Faites-moi savoir si cela vous intéresse. Il est
impatient de vous revoir.

Je replie les orteils pour contrôler ma joie et sens mon visage s’empourprer.
Je réponds aussitôt :
Je suis moi aussi impatiente de le voir.

Mais qu’est-ce qui me prend ? « Le voir ? » C’est un rendez-vous


professionnel, c’est tout ! Cela dit, comment vais-je réagir quand je vais me
retrouver devant lui ?
Je parcours ma galerie de photos à la recherche de Saint. Son profil est
parfait… Soit dit en passant, c’est le seul mec dont j’ai une photo sur mon
téléphone. En fait, je l’ai récupérée d’un post où une fille l’avait tagué et je ne
sais pas pourquoi, elle est restée dans mon portable… Bon, j’avoue, je n’ai pas
été capable de l’effacer.
Étant donné que Saint a supprimé ma photo, à ma demande, il serait
équitable que je l’imite, mais une partie de moi se réjouit de pouvoir le
contempler à son insu. D’ailleurs, cette photo, je suis à peu près certaine qu’elle
a été prise sur le yacht, le jour où j’y étais, et je sais aussi ce qu’il fixe au loin :
moi ! Et quelque chose dans son expression impénétrable semble réclamer que je
la déchiffre, justement.
Victoria repose bruyamment le combiné et je reviens à la réalité…
– C’est fait, annonce-t-elle. Tu as rendez-vous vendredi prochain. Tu vas lui
donner du fil à retordre !
Puis elle me tapote le haut du crâne et repart, alors que je lis le nouveau
message de Dean :
Parfait. Nous passerons vous prendre chez vous jeudi à 16 h.
CHAPITRE 12

JEUDI

Jeudi. À 16 h 01, je sors de mon immeuble et m’écrie :


– Je vous tiens la porte, madame Sheppard !
Notre voisine du troisième (qui fait chaque dimanche des cakes au café à se
damner) rentre d’une promenade avec son chien en laisse et son chat sous le
bras.
– Merci, Rachel. Vous êtes ravissante avec vos cheveux détachés.
Son minou ronronne comme s’il approuvait, mais en réalité, c’est parce
qu’elle le caresse derrière l’oreille.
– Vous me rappelez une actrice blonde à la peau claire dont j’ai oublié le
nom. Qui vous a maquillé ? Ça fait si naturel !
– Gina, dis-je en bloquant la porte. Elle travaille au rayon cosmétique d’un
grand magasin, et nous essayons des looks différents sur moi.
– Ah, très bien ! La prochaine fois que je vais au bal et dois porter une belle
robe, j’irai la voir.

Son chien aboie à mes chevilles et je tressaille légèrement, masquant
rapidement ma réaction par un sourire. Elle s’éloigne et je sors enfin. Une fois
dehors, je me fige.
Au lieu de la Rolls, c’est une des Bugatti de Saint, noire et brillante, garée
devant moi.
Adossé au capot, son propriétaire me regarde… et me sourit. Oui, c’est bien
à moi qu’il sourit en s’avançant lentement.
– Bonjour, dit-il.
Et j’oublie tout. Même le fait que je suis censée bosser aujourd’hui. Jusqu’à
mon nom. Je sens mon estomac se contracter, ma gorge se nouer… Je parviens à
répondre :
– Bonjour.
J’admire, subjuguée, son costume noir quand il m’ouvre la portière passager.
Mais qu’est-ce qu’il m’arrive ? Il me tend la main, je la considère avec
hésitation puis y glisse la mienne. Il me serre légèrement les doigts alors que je
prends place à l’avant, et la sensation de ce contact perdure bien longtemps après
qu’il m’ait lâché la main et ait fermé la portière.
Le voici à mes côtés, et quand sa portière claque à son tour, nous nous
retrouvons enfermés dans un petit espace, le plus petit depuis que nous nous
connaissons. Son parfum m’enveloppe tout entière, odeur où se mêle celle du
cuir des banquettes ; mes poumons se contractent douloureusement à chaque
inspiration.
Tout à l’heure, lorsque je me préparais en vue de ce rendez-vous, je ne
cessais de me dire que je n’avais pas besoin d’avoir l’air parfaite, puisqu’il ne se
passerait rien de toute façon. Et pourtant, j’ai mis un temps fou à trouver une
tenue, soucieuse de lui plaire…
Dean m’avait envoyé un message pour me recommander de porter des
vêtements confortables car une partie des locaux est encore en construction.
Finalement, j’ai choisi un jean délavé, un pull assez lâche que j’adore et des
boots chaudes et confortables car je déteste avoir froid aux pieds. Je suis une fan
des chaussettes bien épaisses et toutes douces, et de UGG, bien sûr. Et qu’il
apprécie ou non, qu’est-ce que ça peut faire ? Encore une fois, il ne se passera
rien. Je fais mon travail de journaliste et lui… eh bien, il se montre affable. Bon,
au-delà de ce que j’avais imaginé lors de notre premier rendez-vous, j’admets.
– J’espère qu’aujourd’hui, ma tenue convient, dis-je à voix basse.
Il me jauge de la tête aux pieds et, quand il me sourit, ce ne sont plus juste
mes pieds qui sont au chaud, mais tout mon corps. Posant la main sur le dossier
de mon siège, il me regarde bien en face :
– Elle me plaît presque autant que celle que tu portais lors de notre première
rencontre.
Je plaque mes mains sur mon visage et éclate de rire.
– Je sais que tu ne le penses pas du tout !
Au moment où je laisse retomber mes bras le long de mon corps, je me
heurte à l’impact de son regard. Personne ne m’a encore regardée de cette façon,
avec cet éclat de malice dans les yeux, cette lueur sensuelle, et cette profondeur
ténébreuse où semblent gronder les promesses les plus exquises. Quand il me
taquine ainsi, c’est tout mon être qui s’enflamme et les sensations que j’éprouve
ne peuvent s’expliquer que par des collisions de particules emplies d’une énergie
toute particulière et produisant une alchimie qui me perturbe au-delà du
supportable.
Sans prendre la peine de s’étendre sur le sujet et de me rassurer davantage
sur mon apparence, il met le moteur en marche, vérifie ses rétroviseurs et
démarre dans un grincement de pneus. Je me retrouve collée à mon siège, le
souffle court.
– Il faut conduire cette voiture comme si on venait de la voler, me confie-t-il
alors.
Et fort de ce commentaire, il prend un virage à une vitesse bien peu
raisonnable avant de rire, amusé.
– Tout va bien, Rachel ?
Sur cette question, un sourire aux lèvres, il m’étreint le genou. Je lève les
yeux vers lui, et les picotements d’adrénaline et de désir qui montent en moi se
transforment en des cloches carillonnantes dans ma tête. Je lui rends son sourire :
– Tu es diabolique, tu sais.
Il ralentit, retrouve une vitesse normale, puis me lance un coup d’œil en biais
avant de demander sur un ton de velours :
– Plus diabolique que saint ?
– Même si tu t’achetais une auréole, tu ne serais jamais un saint.
Il relève les coins des lèvres, mais son sourire n’atteint pas ses yeux… Et, de
nouveau, il regarde droit devant lui. Depuis que je l’ai rencontré, l’air qui vibre
entre nous est différent de celui qui m’entoure quand je ne suis pas avec lui. Plus
dense, plus électrique, chacun de ses regards, sourires ou paroles déclenchant des
ondulations dans l’atmosphère. Et en cet instant précis, dans cette voiture
fleurant le cuir et l’after-shave, je sens sa présence à chaque inspiration, chaque
pensée. À chacun de ses mouvements, quand il tourne le volant ou passe une
vitesse. À chacun des miens, que je rassemble mes cheveux dans mon dos ou
essuie mes mains sur mon pull.
Lorsque nous arrivons sur le parking d’Interface, il glisse sa Bugatti dans le
premier espace libre et, au moment où il retire sa veste pour la placer sur le siège
arrière, je m’ordonne d’oublier sur-le-champ les délicieux baisers qu’il m’a
donnés en rêve. Hélas ! À la vue de ses muscles ondoyant sous le tissu de sa
chemise blanche en coton, le tremblement de mes genoux s’accentue… Et cela
ne s’arrange pas quand il retire sa cravate et que je vois ses biceps à l’œuvre.
Cesse de l’admirer Rachel ! Mais l’attraction qu’il exerce sur moi est viscérale,
nichée au cœur de mon être. Aussi, je le contemple sans plus lutter, alors qu’une
mèche lui tombe sur le front et qu’il passe ses doigts dedans pour la replacer.
J’ai la sensation qu’une boule d’excitation me pèse sur l’estomac quand je le
suis dans l’ascenseur, en route pour le dernier étage. Et sa voix à la texture
nuancée court telle une plume le long de ma colonne vertébrale lorsqu’il me
demande :
– Veux-tu que l’on parle d’Interface maintenant ?
Je me fais alors violence pour détacher mes yeux de sa bouche sensuelle et,
relevant les paupières, je constate que les siens sont braqués sur moi. Son regard
est bien trop enthousiaste et carnassier pour être supportable et pourtant, je ne
parviens pas à m’en libérer, il m’hypnotise.
– Je ne sais pas.
– Tu ne veux pas qu’on parle d’Interface ?
Sa voix est soudain plus râpeuse et son sourire se charge d’une sensualité
absolue.
Je me mords la lèvre, ne sachant que dire. Il fait un pas de plus vers moi,
l’air interrogateur… et presque impatient. Mon cœur se met à tambouriner
comme un fou dans ma poitrine. Je sens que quelque chose va se produire.
L’ouragan Malcolm Saint va me renverser. J’ai rêvé de lui, de nous. De nos
membres s’emmêlant, de nos peaux se touchant, de sa bouche effleurant le coin
de mes lèvres…
La nervosité étreint tout mon corps quand il se rapproche encore de moi. Sa
silhouette est si imposante ! C’est alors qu’il plaque son bras contre la paroi de
l’ascenseur, derrière moi, les yeux brillants. Il est si près que j’aperçois les éclats
de glace dans ses iris, des éclats que j’avais pourtant vu fondre, quelque temps
auparavant, en d’autres lieux.
– Salut, murmure-t-il en faisant courir son pouce le long de ma joue, le
sourire aux lèvres.
Il sent le savon au santal, et sa proximité m’excite au plus au point. Je
chuchote en écho :
– Salut.
J’ai essayé d’adopter un ton désinvolte, mais le résultat est déplorable. Il est
trop proche de moi pour que mes idées soient claires. Il prend ma main dans la
sienne qui est toute chaude, et croise nos doigts.
– Demande-moi tout ce que tu veux, Rachel, dit-il.
De son pouce, il effleure cette fois le mien, ce qui m’électrise tout entière.
Tout à coup, de sa main libre, il tend les doigts vers les fiches que je tiens, les
écarte et lit sur la première :
– Implacable.
D’instinct, je serre bien vite les fiches contre moi et un petit sourire éclaire
ses traits. Fébrile, je les range dans mon sac à main, sous son regard qui ne cille
pas. Livingston, tu es carrément déconcentrée ! Que faire, que dire ? Le tour que
prend la situation n’est pas bon pour Edge, pour ma carrière. Pour l’article. Et
merde !
– Tu penses toujours que je suis implacable ? demande-t-il d’un air amusé.
Complètement affolée, je cherche une réponse, pendant qu’il m’observe
d’un air neutre.
– Je suis bien pire que ça, tranche-t-il alors dans un chuchotement.
À cet instant, l’ascenseur s’arrête.
– Nous y sommes, déclare Saint.
Et nous sortons. Du marbre à perte de vue s’étend devant nous, la lumière
pénètre par des dizaines de fenêtres. Le long d’un mur, sont alignés des pots de
peinture, dont l’odeur se mêle à celle du plâtre et du plastique. Des câbles sortent
des murs. C’est un chef-d’œuvre en progrès, un immeuble avant-gardiste destiné
à des gens qui le sont tout autant.
– Viens par ici, me dit Saint, je veux te montrer quelque chose.
Sous son regard, j’obtempère et il me fait entrer dans une immense salle de
conférences que je scrute attentivement.
– C’est beau, dis-je.
Je me rends soudain compte qu’il a toujours les yeux rivés sur moi. On dirait
qu’il attend quelque chose de moi, impatiemment, et depuis longtemps.
Consciente que je rougis, je m’avance vers les œuvres d’art qui tapissent le mur,
à sa gauche. Les taches de couleur m’éblouissent tout d’abord, puis avec un peu
de concentration, j’en comprends, sidérée, le motif… Sur ce mur se déploie
l’immense peinture murale que Gina et moi avons réalisée au parc, avec des
dizaines d’autres personnes, presque une centaine en fait. Abasourdie, je
m’approche davantage, scrute les empreintes, en quête de celle de Gina, de la
mienne… Tout à coup, je les identifie !
– Eh bien, qu’en penses-tu ?
Je tourne la tête vers lui, incapable de croire ce que je vois. Sur une
impulsion, je pose la main sur mon empreinte, doigt sur doigt. Comment a-t-il
su…? Et subitement, la mémoire me revient : lors de notre premier rendez-vous,
j’étais couverte de peinture rouge et lui avais alors expliqué où je me trouvais
juste avant de venir. Waouh ! Je contemple la peinture, toujours aussi incrédule,
recule un peu…
Je me souviens m’être trouvée dans sa Rolls tandis qu’il participait à des
enchères. Je me souviens tout ce qu’il a réglé en l’espace de quelques minutes.
Et je ne parviens pas à croire que, au milieu de toutes ses affaires, ses
conversations, le million de choses qu’il doit gérer, lors d’une de nos rencontres,
il s’occupait de ce qui compte le plus au monde pour moi.
– Tu vois, j’ai réparé une injustice, dit-il dans mon dos. Interface a contribué
à la cause en laquelle tu crois tant… Et ça, tu ne peux pas me le redonner.
Je me mets à rire et pivote sur mes talons. Je sens mes jambes faiblir de plus
en plus…
– J’ai vraiment blessé ton ego en te rendant la chemise ?
– Oui, mortellement, affirme-t-il sans le moindre sourire.
L’attirance qu’il exerce sur moi est plus forte que jamais. Ses yeux plus verts
que jamais aussi. J’admets, le ventre noué :
– Les gains réalisés sur ces œuvres sont reversés aux familles des victimes.
Ce sont ces donations qui ont aidé ma mère, à la mort de mon père. Tu as fait un
geste immensément généreux, merci pour ton aide.
Son regard devient soudain liquide, comme si ce qu’il recherchait, c’était
juste ce maigre remerciement. Il sourit et hoche la tête. Brusquement, je me
rends compte que ça ne suffit pas. Non ! Il a fait preuve d’une générosité
extraordinaire, il mérite mieux. Sur une impulsion, je m’approche de lui, mes
UGG glissant sans bruit sur le marbre. Puis je me hisse sur la pointe des pieds,
vise sa joue et y dépose un baiser. Mais il bouge la tête au même instant, celui-ci
atterrit sur le coin de sa bouche.
Stupéfaite, je recule, en poussant sans le vouloir une petite exclamation. Ses
yeux s’assombrissent… mais miroitent de plaisir. Comme s’il avait gentiment
accepté mon merci, mais était prêt à prendre n’importe quoi d’autre. Je me rends
alors compte de plusieurs choses. D’abord, il m’a enlacée par la taille pour
m’empêcher de reculer. Il a posé ses mains sur mes hanches et je frissonne sous
son contact. Je remarque aussi son regard non équivoque, déterminé comme
celui d’un chasseur qui n’a pas l’intention de lâcher sa proie… Son odeur me
donne le vertige, et la vitesse à laquelle mon corps réagit me perturbe. Je ne
pensais pas que l’on pouvait éprouver si rapidement et avec une telle force un
désir surgi de nulle part.
– Enlace-moi, me chuchote-t-il d’une voix rauque, dans mon oreille.
Je sens mon estomac se contracter de surprise, et c’est comme si une nuée de
petits papillons venait de se répandre dans tout mon corps. De ses mains
chaudes, il m’attire contre lui.
– Enlace-moi, répète-t-il.
Tout en observant ma réaction, il me prend les poignets et noue mes mains
derrière sa nuque.
Puis il incline le visage… La délicieuse torture de l’attente me submerge,
celle de vouloir et de ne pas vouloir à la fois.
– Je n’arrive plus à respirer, dis-je dans un murmure.
Et je penche un peu la tête en arrière. Ses paupières s’alourdissent, je vois
l’ombre de ses cils se refléter sur ses pommettes quand il approche sa bouche à
un souffle de la mienne.
– C’est l’effet recherché, chuchote-t-il.
Et quand il embrasse le coin de ma bouche, tout mon corps se tend à ce
contact. Il recule légèrement – oh ! Très peu, comme s’il ne supportait pas que
l’on s’éloigne l’un de l’autre – et me regarde. Je suis visiblement un jouet tout
neuf et précieux pour lui, avec lequel il souhaite s’amuser autant que possible…
En fait, il n’est pas encore certain de vouloir jouer tout de suite avec moi et se
demande visiblement s’il ne doit pas patienter encore un peu… Et moi, qu’est-ce
que je veux ?
Tout mon corps brûle intérieurement. Mes neurones ne fonctionnent plus.
J’ai tellement envie de lui que je suis prête à tout risquer. Je veux oublier les
nombreuses raisons qui me crient que ce n’est pas une bonne idée car peu
importe que ce soit bien ou pas, ce qui compte, c’est que j’obéisse au désir de
mon corps. Et l’objet de ma convoitise m’observe avec un air sans équivoque :
mes désirs vont être comblés. La peur me saisit subitement, et pourtant, je relève
la tête, lui offrant mes lèvres entrouvertes, dans une témérité absolue. Je
murmure :
– Embrasse-moi encore.
Ses yeux étincellent, et un éclat à la fois viril et savoureux y scintille quand
j’humecte mes lèvres avec ma langue, déhanchement à l’appui.
– Saint, embrasse-moi encore…
Il obtempère et me donne un second baiser, tout proche du centre de ma
bouche. Je meurs d’envie de goûter vraiment à la sienne, mais voici qu’il se met
à me taquiner, à jouer avec ses demi-baisers et mon désir. Et ça marche puisque
je n’ai jamais éprouvé un semblable supplice : tout mon corps palpite, tremble,
se consume…
– Ça te plaît ?
Je hoche la tête, la respiration lourde.
– Encore !
Je vois ses pupilles se dilater, ses paupières s’alourdir, et je demeure
abasourdie, m’efforçant de respirer coûte que coûte. Il incline alors ma tête,
adoptant l’angle qui lui convient le mieux…
L’air entre nous est chaud ; je ressens de petites brûlures là où nos jambes se
touchent, et le bout de mes seins est écrasé contre son torse chaud et vigoureux.
Au moment où il capture fougueusement mes lèvres, il y allume un incendie.
Puis sa langue ardente se fait impérieuse… Et les flammes du désir crépitent
littéralement en moi lorsqu’elle prend possession de ma bouche tandis qu’il me
serre contre lui.
– Et ça, tu aimes aussi ? demande-t-il à voix basse.
Puis il emmêle de nouveau sa langue à la mienne avant d’enfouir sa main
dans mes cheveux à l’arrière de ma tête pour me donner un baiser encore plus
profond. Un flot de sensations m’assaille, et quand il incline sa tête davantage,
j’ouvre généreusement ma bouche pour qu’il continue à enrouler sa langue à la
mienne et à me procurer cette impression aussi savoureuse qu’indescriptible.
– Oui, dis-je d’une voix suave, le souffle court.
Le toucher de sa main fébrile sur mes bras, sur mes vêtements, est aussi
décadent que délicieux. Nous continuons à nous embrasser, puis peu à peu ses
lèvres se font moins impétueuses et il bat progressivement en retrait…
De sa bouche, il effleure une dernière fois la mienne, écho d’une
merveilleuse ivresse.
Lorsque nous nous écartons enfin l’un de l’autre, ma bouche fourmille et je
constate que lui aussi est troublé : des ombres mouvantes passent dans le vert
profond de ses prunelles, des éclats cuivrés y scintillent. Il n’y a plus une trace
de glace.
Il balaye une mèche qui me tombe sur le front, et ses doigts s’attardent alors
un bref instant sur ma peau, quelques secondes imprégnées pourtant du parfum
de l’éternité. Je cligne des paupières et dénoue à regret les mains de sa nuque
avant de laisser retomber mes bras le long de mon corps, agitée, mais les yeux
résolument posés sur son beau visage rayonnant de virilité.
– Je… Cela ne doit pas arriver.
– Mais c’est arrivé, Rachel. C’est en train de se produire.
Et de son regard lourd, aux cils épais, il inspecte son œuvre : mes lèvres
probablement gonflées, humides. J’agrippe soudain ses épaules, nerveuse.
– Saint…
Et merde ! Je ne sais même pas ce que je veux dire. Il est le genre d’homme
sur lequel une femme fantasme en tant qu’amant, pas en tant qu’ami, et en
l’occurrence, il me désire. Aussi, quand il penche de nouveau la tête vers moi, je
me hisse sur la pointe des pieds et nos lèvres se touchent. Et pour la deuxième
fois, nous nous savourons, nous nous découvrons… Comme mes orteils
fatiguent et que mon corps tremble, je veux accélérer le rythme, mais il me force
à ralentir. Ayant parfaitement la situation sous contrôle, il se délecte de moi et
n’entend pas qu’on le bouscule. Ma bouche est son terrain d’exploration et ça
tombe bien, puisque je veux qu’on m’explore comme il est en train de le faire.
Soudain, il s’écarte et je ravale un léger cri de protestation. Il plonge alors
ses yeux dans les miens, puis les baisse vers ma bouche, recommence,
s’attardant chaque fois un peu plus longuement. Je suis à l’agonie, et sur une
impulsion, je dépose un baiser dans son cou. Il émet un léger grognement, et
empoignant mes cheveux, me redresse et plante fiévreusement ses lèvres sur les
miennes… Le contact est si électrique que je m’écarte, en poussant cette fois un
petit cri.
Nos regards se croisent. Oh oui, ce jeu-là lui plaît ! On s’embrasse, pour
s’arrêter brutalement. Le sourire qu’il m’adresse me le prouve. Mais moi, ça ne
m’amuse pas car je suis quasi en transe, mue par un désir qui me donne envie de
me frotter à lui comme un chat, de lui déchirer la chemise. J’ai envie de le
dévorer vivant !
Lit-il dans mes pensées ? Car de ses mains, il prend mon visage en coupe et
m’oblige à me contrôler. Les yeux rivés aux miens, il avance sa bouche vers la
mienne, pour la savourer de nouveau tranquillement. Et encore une fois, son
baiser m’enivre, me fait fondre. Le frottement de sa barbe naissante contre ma
joue, sa langue impétueuse, tout est si fort, que j’en pousse un long gémissement
qui m’effraie presque moi-même. Il redresse la tête, me regarde.
Éperdue de désir, je regarde fixement sa bouche. Chaque fois qu’il la
détache de la mienne, il revient à l’assaut de manière plus impérieuse. Et entre
ces va-et-vient, l’empreinte de ses lèvres reste sur la mienne comme si elles ne
les quittaient pas. Pour l’instant, c’est des yeux qu’il les dévore… Et puis il
resserre tout à coup son étreinte, et ses lèvres m’attaquent de nouveau. Je me
raidis pour faire face à l’assaut, craignant que l’ouragan ne m’emporte plus loin
que je ne le voudrais. J’essaie alors de me dégager, mais sa bouche épouse
parfaitement la mienne, implacable… Portée par le souffle de l’excitation, je lui
cède…
Il m’embrasse à pleine bouche, et mon monde chavire, j’ai la tête qui tourne,
je ne comprends plus ce qui m’arrive. Je m’accroche à lui, lui qui m’enlace si
étroitement que mes seins en sont douloureux. Je lui rends son baiser avec la
frénésie du désespoir comme si c’était la dernière fois qu’il m’embrassait avec
tant de fièvre, comme si je voulais ne faire de lui qu’une bouchée.
C’est Malcolm Saint ! me dis-je subitement dans un éclair de lucidité. En
d’autres termes, mon article rêvé et le salut de Edge, et j’aurais dû dès le début le
repousser ! Et soudain, je suis au désespoir. J’essaie de comprendre ce qui a
déclenché chez moi une telle soif, mais sa bouche s’applique toujours à
consommer la mienne, et je suis plus assoiffée que jamais ! Brusquement, il
s’écarte et plonge le visage dans mon cou. Je tourne la tête et me mets à
mordiller son lobe, tout en enfouissant ma main dans ses cheveux. Je ne me suis
jamais sentie aussi intime avec un homme. Il pousse un grognement sous mes
caresses, et ce son érotique combiné à ses petits baisers me rend folle… Et
pourtant, je ne me sens pas encore rassasiée, j’ai envie de sentir encore sa
bouche sur la mienne, envie à en avoir mal.
Elles fusionnent de nouveau, comme s’il éprouvait le même manque que
moi. Il grogne, je gémis, et nous nous embrassons avec passion. Rien ne m’a
jamais autant excitée que ce baiser…
Mais, Rachel, tu te crois où, là ? me crie soudain la voix de la raison. Tu te
prends pour qui, sérieux ? Elizabeth Bennett ? Jane Eyre ? Reviens sur terre !
Dans un effort surhumain, je pose mon front sur le sien, toute tremblante, la
respiration hachée…
– Nous ne pouvons pas recommencer, lui dis-je. Quelqu’un peut-il… Peux-
tu m’appeler un taxi ?
Il ne dit pas non, se contente de me jauger, de haut en bas, et inversement.
Son regard lourd s’attarde ensuite sur ma bouche.
– Je te reconduis. Donne-moi juste dix minutes pour décompresser.
– Non, je prends un taxi. Moi aussi je dois décompresser. Je ne peux plus te
voir… sauf pour nos rendez-vous professionnels.
Il est si sexy, si beau, et tout à coup si accessible. C’est insupportable. Je me
saisis de mon sac et me dirige vers la porte.
– On se retrouve en bas dans dix minutes, décrète-t-il d’une voix lourde de
désir. Laisse-moi juste me calmer.
Mais si je te revois dehors, je serai celle qui a vendu son âme pour un
article. Je secoue la tête.
– Je dois partir ! dis-je.
Et je me précipite vers l’ascenseur sans me retourner alors qu’il s’élance
derrière moi.
– Rachel… Allons prendre un verre demain.
J’appuie sur le bouton de l’appareil qui arrive sans délai.
– Je ne peux pas, Saint…
Et je m’engouffre à l’intérieur.
– Malcolm ! corrige-t-il d’un ton bourru.
Sur le trajet du retour, je suis comme assommée.
Malcolm. Je suis incapable de prononcer ce prénom, cela me semble trop
intime, même après ce que nous venons de vivre. Mais qu’avons-nous fait, au
juste ? Il m’a touchée, m’a embrassée le coin des lèvres, puis à pleine bouche, à
en perdre haleine, m’a enlacé, et il était si fort, si grand, si solide, si puissant et je
me suis sentie si faible, liquide, vulnérable. J’avais tant envie qu’il m’en donne
plus encore, qu’il me fasse des choses qui nourriraient à la fois mon désir et ma
frustration. Oui, j’avais l’impression de m’envoler tout en me noyant dans un
océan de désirs.
Nous n’avons pas couché ensemble, mais c’est tout comme : je l’ai
littéralement laissé me dévorer ! J’expire bruyamment et me concentre sur les
immeubles devant moi, sur les gens qui marchent sur les trottoirs. Ressaisis-toi,
Livingston ! Reprends le contrôle de tes hormones ! Et sers-toi de cette
expérience pour nourrir ton article. Saint est un défi pour toi, tu es un mystère
pour lui et bientôt, tu auras tout ce dont tu as besoin, tout ce que le monde veut
savoir. J’essaie de m’encourager pendant tout le trajet de retour : hélas, ça ne
marche pas. C’est sans doute le meilleur travail que l’on m’ait proposé depuis le
début de ma carrière, seulement, j’y ai déjà laissé un peu de moi-même. Aussi, je
n’ose pas penser à tout ce que j’aurai perdu une fois l’article terminé.
Pourtant je me sens tout excitée et je sais pourquoi : c’est parce que Saint a
envie de moi. C’est une évidence, son corps vibrait, ses paupières étaient lourdes
et j’ai clairement senti à quel point il me désirait quand il a pressé son corps
contre le mien. Mais c’est un vrai play-boy qui instrumentalise les autres et je ne
peux pas l’imiter. J’ai une morale, je dois maintenir des barrières, des scènes
comme celles-ci ne doivent plus se reproduire. Tant que je dresserai des murs
entre nous, tout se passera bien. Il le faut !

Le lendemain soir, alors que nous sirotons des cocktails, Gina est choquée
par ce que nous raconte Wynn.
– Je vous jure, il est entré dans la boutique et m’a demandé de poser pour lui,
dit cette dernière.
– Tu peux m’expliquer, Rachel, pourquoi Wynn qui a un petit ami se fait
draguer par un autre type ? Et elle n’a rien fait pour l’encourager, à part lui
demander s’il cherchait une huile en particulier ou une bougie dans sa boutique.
J’avale une gorgée d’alcool, incapable de me concentrer. Mon esprit n’est
pas là, il est resté dans la salle de conférences d’Interface.
– Rachel ? Sérieux, pourquoi Wynn attire tous les hommes qui la croisent ?
Cela dit, je n’en cherche pas un à tout prix, mais ce serait pas mal si l’un d’entre
eux avait envie de moi, tu vois ?
J’entends à peine ce qu’elle dit, complètement perdue dans mes pensées. Je
n’en reviens toujours pas ! Il m’a donné un de ces baisers… Et je lui ai rendu la
pareille. Même si ce n’est pas le cas, c’est comme si on s’était envoyés en l’air.
– Bon, il était beau gosse, au moins ? demanda Gina à Wynn.
– Ça oui, mais je sors avec Emmett… Donc, c’est impossible !
OK, ce mec sait embrasser, mais c’est un Don Juan, donc forcément, il sait
s’y prendre. D’ailleurs, ça ne signifie pas qu’on va recommencer. C’est plutôt le
contraire… Je ne dois absolument pas accepter que ça se reproduise.
– Mais enfin, Rachel, tu nous écoutes ?
Devant l’air stupéfait de mes amies, je tente de me concentrer sur le sujet
dont il est question. Donc, il s’agit de Wynn et de sa capacité à attirer les
hommes alors qu’elle sort déjà avec quelqu’un.
– Ceux qui sont aimés attirent, je suppose. Tout comme les gens riches
deviennent toujours plus riches, et les pauvres toujours plus pauvres, non ?
Donnez cent dollars à un pauvre et il revient avec un jean de designer, donnez la
même somme à un riche, et il revient avec dix mille dollars.
– Donnez mille dollars à Saint et il revient avec un million, dit alors Gina,
ayant sans doute deviné la cause de mon air absent.
J’approuve :
– Ça, il sait s’y prendre.
– Et tu as l’air d’en savoir long sur le sujet, renchérit Wynn d’un ton plein de
sous-entendus.
Pas question que je divulgue le plus sombre secret de ma carrière ! J’avale
une gorgée de cocktail.
– Garde le silence si tu veux, poursuit Wynn, mais ton air rêveur ne trompe
personne, tu sais. Apparemment, il a su s’y prendre avec toi.
Je botte en touche.
– Il est bien connu que ça porte la poisse de parler de ses rêves, dis-je en
haussant les épaules. Mais en l’occurrence, les rêves resteront au chaud, car il ne
se passera rien. Enfin, les filles, c’est ridicule de penser que je pourrais renoncer
à une énorme opportunité de carrière juste pour un flirt avec un coureur de
jupons. Non ?
– Tu as trouvé quelque chose de croustillant ?
Je demande en haussant un sourcil :
– Tu veux dire à part lui ?
Elles se mettent à rire, tandis que mon cœur se tord de douleur. D’ailleurs,
tout mon corps est douloureux, mais à des endroits inappropriés : j’ignorais en
effet que les seins pouvaient l’être en dehors du cadre des menstruations. Et
même mon entrejambe n’échappe pas à la malédiction qui semble s’être abattue
sur moi. Bref, je le désire, je me languis de lui.
– Bon, je file moi, annonce Wynn en regardant sa montre.
Et elle saisit son manteau posé sur le dos de sa chaise.
– Mais enfin, Wynn ! C’est notre soirée entre filles, on ne te voit plus, se
plaint Gina.
– Parce que je sors avec Emmett et que les relations doivent être entretenues,
comme les plantes, précise-t-elle avec une grimace espiègle.
– Eh bien moi, j’ai une relation sérieuse avec Chris Hemsworth, seulement,
il ne le sait pas encore, déclare Gina d’un ton pince-sans-rire.
Et sur cette déclaration, elle tire la langue et aspire une gorgée de cocktail
avec sa paille.
– Vous deux, vraiment ! Parfois, j’avoue, je ne vous comprends pas,
s’exclame Wynn.
Mains plaquées sur les hanches, elle nous jauge en prenant un air désespéré.
– Quoi ? Qu’est-ce que tu nous reproches ? demande Gina.
– Eh bien, tu n’en as pas envie, toi ? De trouver cette personne ? Parce que,
en fait, la moitié des gens l’ont trouvée, et l’autre moitié est en quête. D’autres
l’ont perdue, mais en tout cas, c’est une chose dont on ne peut pas faire
abstraction.
– On dirait que tu parles de la grippe, marmonne Gina.
Wynn secoue la tête.
– Non, juste de l’âme sœur. Vous pouvez penser ce que vous voulez de moi,
mais j’y vais. Et vous, espèce de lâches, vous feriez bien de vous jeter à l’eau et
de trouver un type qui vous aimera à la folie et à qui vous donnerez également de
l’amour en retour. De quoi avez-vous peur, au juste ? De devoir payer deux
cocktails de plus quand nous nous retrouvons ?
Comme aucune de nous ne répond, elle ajoute :
– OK, ce soir, c’est pour moi.
– Quoi ? Les mecs ou les boissons ? demande Gina.
À cet instant, Wynn laisse tomber l’addition sur la table et s’en va. Gina se
tourne vers moi.
– Je pense qu’elle a dit à Emmett qu’elle l’aime et qu’il n’a pas répondu.
Comme ce doit être humiliant d’avouer à un homme qu’on est follement
éprise de lui et qu’il ne vous assure pas sur-le-champ que lui aussi, me dis-je en
remuant mon cocktail avec ma paille. Et pendant le reste de la soirée, Gina et
moi discutons de tout, sauf de cette obsession masculine qui me hante.

Mon tee-shirt me semble bien fin quand je me mets au lit, et j’ai
l’impression qu’en dessous, ma peau est très sensible. Aussi, quand je me
réveille au milieu de la nuit, en sueur et en gémissant, je ne suis pas du tout
surprise de mon rêve.
Mon sang court à toute vitesse dans mes veines, tel de la lave, au point que
chaque partie de mon corps en tremble. J’aimerais tant être capable de canaliser
mon désir, pour me concentrer sur des aspects plus concrets, ou même
fantasques, de mon sujet, en tout cas des informations que personne ne connaît,
et dont je ne parlerais pas forcément dans mon article, mais qu’il m’est
néanmoins nécessaire de découvrir pour assouvir mon besoin d’en savoir plus
sur lui. En même temps, je sens bien que je suis motivée par un autre désir,
incontrôlable, irraisonné, imprévu et inopportun. Un désir qui vient de loin, pas
de mon intellect, mais d’une nécessité plus impétueuse et primaire, et qui n’a
jamais été comblée jusque-là.
« Oh, Rachel, qu’est-ce qui t’arrive ? », me dis-je en glissant malgré moi ma
main entre mes cuisses. Pendant un moment, j’ai encore l’espoir de gagner, de
ne pas me laisser envahir par des pensées indécentes, jusqu’à ce que je me
rappelle la façon dont il embrasse, la fièvre insatiable qui nous a étreint tous les
deux… Alors j’enfouis mes doigts un peu plus profondément dans mon intimité,
tout en hurlant en silence le nom de Saint.
CHAPITRE 13

INAUGURATION
D’INTERFACE

Accompagne-moi à l’inauguration d’Interface ce soir. M.S.


En tant que journaliste, bien sûr ?
Nous en discuterons à ton arrivée.
J’aimerais réellement y assister à ce titre. Merci de m’offrir cette nouvelle opportunité.

– Tu es vraiment canon en argenté, déclare Gina d’un ton approbateur.


Comme j’étais en train de tournoyer devant elle dans l’attente de son verdict,
je m’arrête net. Elle continue à hocher la tête, visiblement satisfaite du résultat et
ajoute :
– Tu es à tomber, Rachel. Tu ne lui laisses aucune chance.
– Je ne sais pas trop… La robe de Wynn est peut-être un peu trop sexy…
Et je regarde de plus près dans le miroir en pied de mon placard mon corps
moulé dans ce long fourreau argenté avant de préciser :
– Moi non plus, je n’aurais aucune chance de lui résister.
Puis je me mets à rire et je sens mon visage s’empourprer. Je me rappelle
notre baiser torride, la volonté qu’il nous a fallu pour y mettre fin… Je me
demande alors comment il va réagir quand il me verra dans cette robe. Son
étoffe est lisse et brillante, vraiment chic. Elle évoque une sirène, caresse mes
courbes comme le feraient les lèvres d’un homme, ses mains.
– Comment ça ? réplique Gina. C’est un play-boy, Rachel ! Ohé, on se
réveille ! Tu n’aimes pas ce genre d’homme, tu as oublié ? Toi et moi, on est des
filles intelligentes, on mérite mieux.
Ressentant le besoin urgent d’inspecter mes pieds, je cherche ensuite ma
pochette et la glisse sous mon bras.
– Il faut que j’y aille.
– Rachel ! s’écrie Gina. Concentre-toi sur ton article. Tu es divine ce soir,
mais laisse ton corps de côté, tout comme ton cœur et ta féminité. Emporte juste
ton cerveau, rien de plus !
Je me mords la lèvre et hoche la tête, regrettant de ne pas ressentir une plus
grande confiance en moi. J’aurais besoin d’un vaccin pour m’immuniser contre
Saint !
Je demande à Gina :
– Et toi, que fais-tu ce soir ?
– Je vais voir un film en avant-première avec Wynn et Emmett.
– Très bien. Amusez-vous bien !
La soirée est fraîche et une fine pluie tombe quand je me glisse dans la Rolls
sous le parapluie que le chauffeur a ouvert pour moi ; mon cœur se met à battre
plus fort orsque je hume l’odeur du cuir à l’intérieur, car je l’associe
immédiatement à Saint. Je ressens des petits picotements dans tout le corps…
Quand la Rolls prend sa place dans la circulation, je m’ordonne la plus grande
prudence pour affronter la soirée. Je vais nier que nous nous sommes embrassés,
et particulièrement ma part de responsabilité dans… dans ce qui de toute façon
ne s’est pas produit. Soudain, je me rends compte que je n’ai jamais eu le
courage de m’adresser à son chauffeur, aussi je m’éclaircis la voix et me lance :
– Comment s’est passée votre journée, Monsieur ?
– Bien, mademoiselle Livingston.
– En fait, nous n’avons jamais été présentés officiellement l’un à l’autre.
– Je m’appelle Otis.
– Ravi de vous connaître, Otis. Depuis combien de temps travaillez-vous
pour M. Saint ?
Je m’efforce de me remettre en mode professionnel.
– Désolé, Mademoiselle, mais je n’ai pas le droit de le dire.
Je laisse fuser un petit rire et j’insiste :
– Allez !
Mais il n’en dit pas plus.
– Vous avez l’habitude de transporter ses petites amies dans Chicago ?
Il secoue la tête.
– Répondez au moins à une question.
– Très bien, donc non.
– Vous, vous conduisez juste les hommes d’affaires ?
– Non, c’est Claude qui s’en charge.
Je roule des yeux.
– Bien sûr ! dis-je. Il a plusieurs chauffeurs.
Il approuve d’un hochement de tête.
– Dans ce cas, qui conduisez-vous habituellement ?
– Saint, répondit-il.
– Et qui le transporte ce soir à l’inauguration ?
– Lui-même.
Un sourire me monte aux lèvres.
– Le connaissez-vous depuis longtemps ?
Il hésite.
– Je sais que j’avais dit une question, mais pouvez-vous m’en accorder au
moins une deuxième ? Votre patron est si évasif.
– Je le connais depuis ses quatorze ans, et Monsieur Noël m’avait employé
au départ pour que je le surveille, et lui évite les ennuis.
Cette révélation me coupe le souffle.
– Oh, je sais ce que vous allez dire ! enchaîne le chauffeur. Que je n’ai pas
été à la hauteur, n’est-ce pas ?
– Je n’ai pas dit ça ! Tout le monde sait que votre patron a un sacré
tempérament et je ne crois pas que quiconque aurait pu le contrôler.
– Plus on essayait, et plus il devenait incontrôlable, dit-il avant d’ajouter
d’un ton fataliste : j’ai trop parlé.
Il me lance alors un coup d’œil dans le rétroviseur.
– Mais il vous fait confiance… et moi, je me fie à son jugement.
– Pourquoi dites-vous qu’il me fait confiance ?
Il hausse les épaules.
– Sans doute parce que je le connais depuis plus d’une décennie. Vous êtes
la première de ses petites amies que je transporte.
Je rougis.
– Je ne suis pas sa petite amie.
Et ne le serai jamais !
Il m’adresse un sourire entendu, et comme nous venons d’arriver, vient
m’ouvrir la portière. Après avoir traversé un somptueux lobby, je me retrouve
dans un environnement de luxe absolu. Des fontaines d’eau en marbre. Des
chandeliers en cristal. Pour ne citer que des « détails »…
Me sentant gagnée à chaque pas par une nervosité croissante, je me dirige
vers l’entrée réservée aux médias, où j’attends mon tour pour donner mon nom.
– Bonjour, je suis Rachel Livingston, de Edge, dis-je.
– Bonsoir, Rachel, me répond affablement mon interlocutrice. Attendez une
seconde, je vous cherche sur ma liste. Euh… voyons voir. Vous n’êtes pas
inscrite sous la lettre L. Vous n’auriez pas un deuxième nom sous lequel on vous
aurait enregistrée ?
Comme je secoue la tête, elle se dirige vers sa collègue. Elles échangent des
murmures, comparent leurs listes et subitement, le visage de la femme à qui j’ai
parlé s’éclaire : elle vient visiblement d’avoir une illumination. Elle revient d’un
pas rapide vers moi avec un grand sourire.
– Oh, le mystère est éclairci ! C’est vous qui accompagnez monsieur Saint,
dit-elle d’un ton excité.
Puis elle désigne l’entrée des invités. Pitié ! Mon ventre se contracte de plus
belle. Arborant un sourire artificiel pour lui montrer combien je suis « ravie » –
enfin, ne le suis-je pas un peu, tout de même ? –, je traverse un grand hall et me
laisse guider par la musique en passant devant des colonnes qui s’élancent vers
le ciel et sous des plafonds en voûte. Je me fraie un chemin dans la foule
éclectique de ses amis et employés. Soudain, je surprends le regard des femmes
posé sur moi : il est clair que, d’emblée, elles estiment que je suis une rivale
supplémentaire dans leur course pour attirer l’attention de Saint.
Les hommes aussi me regardent, mais d’un air appréciateur. J’ai conscience
d’avoir de beaux cheveux et de longues jambes, ainsi que des yeux intéressants.
Soit, je ne suis pas une blonde plantureuse, mais j’ai de belles fesses. Ah, le
voici ! J’en trébuche presque quand je le repère près de la fontaine à chocolat.
Il me tourne le dos. Quelle carrure impressionnante ! Ma bouche devient
toute sèche… Je reconnais le dessin de ses muscles sous sa veste, et apprécie la
façon dont son pantalon de costume noir épouse ceux de ses cuisses. Quel
corps ! La quintessence de la virilité.
Callan signale ma présence à Saint, et je me sens aimantée par ce dernier
lorsqu’il se retourne. Son regard croise immédiatement le mien et ne le lâche
pas, alors que je m’approche de lui d’un pas incertain. Je vois son torse se
gonfler nettement chaque fois qu’il inspire. Pour ma part, je ne peux plus
respirer.
Il porte une cravate noire et un costume aussi sombre que ses intentions. Il
ne sourit pas, et serre les mâchoires quand il voit les yeux des autres hommes
posés sur moi. Constatant qu’il est entouré de femmes, je ressens un vif élan de
jalousie. Il dépose un baiser sur ma joue, c’est tout. Mais je m’en fiche, et me
répète que je ne souhaite pas nouer une relation intime avec lui ; ce qui
m’intéresse, c’est établir un lien qui m’aidera à avancer dans la rédaction de mon
article.
C’est juste un homme – un play-boy, un séducteur, un vrai salaud, il faut
bien le dire – et mon job consiste à rassembler assez d’informations sur lui afin
d’écrire un article coup-de-poing.
Peu importe s’il est flanqué de deux autres femmes. Évidemment, elles ne
sont pas accrochées à son bras, mais je peux jurer à leur morne expression que
c’était bien le cas avant que je n’arrive. Il a couché avec elles, j’en suis certaine,
mais qu’est-ce que cela peut-il bien me faire, hein ? Que les femmes aillent se
vanter de leurs exploits, affirment le comprendre et connaître le réel Malcolm
Saint, peu m’importe ! Tout ce qui compte, c’est mon papier… n’est-ce pas ?
Il ne s’agit pas de moi, mais d’un article sur un homme. Et pourtant, je
ressens une possessivité douloureuse qui ne m’est absolument pas coutumière,
quand je m’arrête devant lui. Il me regarde droit dans les yeux, et vice versa.
– Tu croyais t’en tirer en passant par l’entrée des médias ? me demande-t-il,
le sourire aux lèvres.
Il m’avait donc à l’œil ! Je rétorque en haussant un sourcil :
– Tu as trouvé ça drôle de faire courir les hôtesses dans tous les sens avant
qu’elles ne se rendent compte que mon nom figurait à côté du tien ?
Il éclate de rire, manifestement très amusé, puis se tourne vers le petit
groupe qui gravite autour de lui.
– Pardonnez-moi, leur dit-il.
Il passe alors son bras sous le mien et, sous le regard courroucé des femmes,
m’entraîne à l’écart.
– Quelle robe… ! me murmure-t-il à l’oreille.
Son regard me déstabilise autant que sa remarque. Mais avec un sourire
indéfectible, il me conduit à une table où ont déjà pris place Callan et Tahoe,
chacun accompagné d’une fille super canon. Il tire une chaise à mon intention et
s’assoit juste à côté de moi, tandis que la salle continue à se remplir.
Je balaie l’endroit des yeux et demande :
– Tous les employés d’Interface ont-ils été invités ?
Il hoche la tête et me scrute avec attention.
– Il y a plusieurs salles pour accueillir tout le monde. Celle-ci est réservée
aux directeurs et aux membres du conseil d’administration.
Je me contente d’un sourire, et il étend le bras derrière ma chaise, puis se
penche vers moi. La musique classique s’évanouit et je n’entends plus que sa
voix, tout contre mon oreille :
– Pourquoi insistes-tu pour te ranger parmi les journalistes ?
– Parce que j’en suis une ! Je ne peux pas différer plus longtemps l’écriture
de mon article sur Interface, le magazine a besoin de ma contribution.
– Il n’est en revanche pas nécessaire que tu présentes un badge de presse
pour attirer mon attention. Ni pour m’interviewer.
Je suis si troublée, peu habituée à recevoir les avances d’un homme comme
Saint, que je cherche une échappatoire du côté des piques que s’envoient ses
deux amis.
– Tu ne te sers plus dans le panier des autres, Carmichael ? J’ai du mal à le
croire.
– Je n’ai pas changé, tu sais.
– Ah bon ? J’ai pourtant eu l’impression que ma dernière conquête ne t’a pas
emballé, renchérit Tahoe sur un ton traînant.
– Je te l’accorde, vieux.
– Saint, tu as une suggestion pour plus tard ? demande soudain Tahoe en
tournant la tête vers lui.
Ce geste déclenche un jeu de dominos, puisque Saint se rapproche de moi, et
que je m’écarte légèrement en me raidissant. Ce dernier avale une gorgée de son
cocktail, et esquisse un sourire.
– Je suis partant pour toute proposition.
– Parfait, parce que tu sais ce que nous devrions faire, commence Tahoe.
– Cette phrase augure toujours le pire, alors bien sûr que je vous suis !
rétorque Saint.
– Dans ce cas, je propose un petit saut dans la piscine du dernier étage.
Saint se met à rire et braque les yeux sur moi, m’offrant toute son attention.
Pour y échapper, je lui glisse à oreille d’un ton provocateur :
– Je crois que je préfère tes amis à toi.
Ses yeux, sous les lumières chaudes, deviennent presque liquides.
– Vraiment ? questionne-t-il avec le plus grand calme.
– Oui, vraiment.
Silence. Mon cœur se met à battre plus fort et il glisse une de mes mèches
derrière mon oreille. Celle-ci se met à me brûler quand une femme déclare en se
penchant vers nous :
– Saint, j’ai laissé mes chaussures chez toi, l’autre jour. On peut parler du
gala de charité pour lequel je comptais sur ta…?
– Lundi, à M4, l’interrompt-il sans lever la voix, ni détourner ses yeux des
miens.
L’intruse me lance un regard purement haineux et disparaît sur-le-champ. Je
me demande s’il couche vraiment avec toutes ces femmes, si…
– Au moins, je sais ce qu’elles veulent. Soit mon lit, soit mon portefeuille.
Ou les deux, dit-il comme lisant dans mes pensées.
Puis il relève le coin des lèvres de façon adorable, ainsi qu’il en a le secret,
et m’étudie. Et toi, qu’attends-tu de moi ? semblent me demander ses yeux.
– Tu devrais t’allier à Saint, de temps à autre, reprend Tahoe à l’attention de
Callan. Il te botterait le cul et vous vous amuseriez bien, tous les deux.
Et je sens soudain la main du péché incarné, à côté de moi, glisser sous la
table, en quête de la mienne. Il frôle mon pouce quand il la touche et c’est alors
que la voix d’un homme âgé s’élève du podium.
– Mesdames et messieurs, merci d’être venus ce soir, nous sommes ravis de
vous recevoir pour l’inauguration d’une entreprise exceptionnelle, il s’agit bien
sûr d’Interface. Je sais que vous êtes tous excités à l’idée de participer à ce projet
novateur, comme je le suis moi-même. Et ce soir, nous avons la chance de
compter parmi nous le génie qui se cache derrière toute cette entreprise, homme
connu pour son mordant, son esprit innovant et son incroyable amour de la vie.
J’ai nommé Malcolm Kyle Preston Logan Saint !
– Je reviens, me murmure-t-il.
Et son souffle chaud me balaie l’oreille. Je rougis comme une tomate quand
il pose ses mains sur mes épaules, ou plus exactement sous mes cheveux tout en
se levant. La sensation de leur empreinte perdure, et lorsqu’il se dirige vers le
podium, je regarde droit devant moi, incapable de supporter toutes les têtes
tournées vers moi, tandis que mon corps s’embrase et que je sens mon
entrejambe devenir humide… C’en est trop ! Je ne peux pas passer cette soirée
avec lui, faire comme si j’étais sa petite amie. Impossible de poursuivre cette
comédie, elle m’épuise !
Par conséquent, je me lève discrètement au moment où il salue l’assemblée
de sa voix autoritaire.
– Bonsoir à vous tous, et merci, Roger.
Je m’éclipse et me dirige vers les tables destinées à la presse, où j’aperçois
Cathy, son assistante.
– Oh, bonsoir, Cathy ! Vous vous souvenez de moi ? On s’est vus à…
– Bien sûr, mademoiselle Livingston, dit-elle en s’avançant vers moi. Votre
table vous convient-elle ?
– Tout à fait, c’est la meilleure, n’est-ce pas ? Et c’est aussi pour cette raison
que je ne peux y rester. Je fais partie de la presse, voyez-vous, je crois donc qu’il
y a eu un malentendu. Monsieur Saint est très occupé et…
À ma grande surprise, son visage s’illumine quand je prononce ce nom.
– Je comprends, répond-t-elle d’un ton calme, je me disais bien qu’une fille
convenable comme vous serait inquiète pour sa réputation.
– Non, je veux dire… Enfin, oui, c’est exactement pour cela que j’ai besoin
d’un badge. Je ne veux pas renvoyer une fausse impression.
– Et surtout pas à monsieur Saint, n’est-ce pas ?
Et elle me gratifie d’un regard entendu. J’en rougis.
– Je peux vous remettre autant de badges que vous voulez, mademoiselle
Livingston, poursuit-elle, mais s’il tient à votre présence auprès de lui, il viendra
vous chercher où que vous soyez pour vous y ramener. Il ne vous lâchera pas,
vous savez. Quand il s’agit d’obtenir ce qu’il souhaite, il a la patience d’un saint.
Et toi tu es amoureuse de lui, dis-je en silence, mais je me garde bien
d’ouvrir la bouche, trop reconnaissante qu’elle m’imprime un badge. À la place,
je m’enquiers :
– Vous aimez travailler pour lui ?
– C’est mon premier job, il est le seul à m’avoir donné ma chance, dit-elle en
me tendant le badge.
Je retourne alors sans me presser dans la salle principale et quand j’entends
sa voix dans le microphone, je sens crépiter des étincelles électriques dans mon
dos. Puis une salve d’applaudissements s’ensuit, tout le monde l’acclamant avec
ferveur.
Debout au fond de la salle, j’essaie d’accrocher mon badge quand je me
rends compte que des dizaines de têtes sont tournées dans ma direction. Et que
Saint n’est plus sur l’estrade !
Et pour cause… De son torse imposant, il se fraie un chemin à travers la
foule, fonçant droit sur moi.
– C’est bon ? demande-t-il.
Il ne semble pas en colère, ni agacé, mais presque.
– Je… Oui.
Et je m’efforce toujours d’attacher le badge à ma robe ! Il me saisit
d’autorité le poignet.
– J’adore tes oreilles, mais on dirait qu’elles n’entendent pas très bien,
murmure-t-il d’un ton amusé. Tu n’as pas besoin de ça.
Et sur ces mots, il m’arrache le badge des mains.
– Mais enfin…
– Saint ! appelle soudain une voix toute proche.
C’est un journaliste qui veut le photographier, mais il le repousse d’un geste
de la main. Après quoi, il met mon badge dans la poche de sa veste, puis passe
de nouveau son bras sous le mien.
– Viens, souffle-t-il.
Et il me conduit à l’autre bout de la salle, vers une double porte qui mène à
une terrasse, donnant elle-même sur un terrain de golf. Il sort avec moi, et
j’arrive enfin à détacher mon bras du sien.
– On ne devrait pas rester ici. Tout le monde nous a vus.
– Et alors ? demande-t-il en levant un sourcil.
Je reste sans voix… Ses yeux brillent, et il a l’air savoureux. Entièrement
comestible… Il laisse courir son regard sur moi. Il irradie de lui une vitalité qui
m’attire comme un aimant. Cette pensée me perturbe. Soudain, il prend la
parole.
– Tu m’en veux parce que je souhaite passer quelques minutes en tête-à-tête
avec toi, Rachel ? me demande-t-il d’une voix de velours.
J’ai regardé des centaines de photos de lui, mais c’est la première fois que je
vois le visage qu’il m’offre alors : il n’est fait pour aucun appareil photo,
personne ne devrait le voir, pas même moi, d’ailleurs. Il n’est qu’émotion pure,
organique, sans filtre.
Il me serre subitement la main pour m’empêcher de reculer et m’attire contre
lui, un sourire aux lèvres parce que je lui résiste un peu.
– Viens là, me dit-il d’une voix enjôleuse.
Et il parvient à ses fins : je me retrouve en effet tout contre lui.
Instantanément, j’ai envie de lui caresser la joue, de faire courir ma langue sur
son torse puis de remonter jusqu’à sa bouche qui sourit toujours. Je donnerais
tout l’or du monde pour savoir ce qu’il pense. Pourquoi il arbore un si grand
sourire. Il est des sourires qui vous donnent tout simplement envie de les rendre,
mais celui-là déclenche en moi l’impulsion violente de l’embrasser.
C’est Saint qui le premier avance le visage, effleurant brièvement le mien de
sa main.
– Tu es magnifique, murmure-t-il.
Et du pouce, il caresse mes lèvres. Involontairement, je frissonne.
– J’ai envie de dévorer ta bouche… bien plus longtemps que la dernière fois,
ajoute-t-il.
– Non, pas de baiser, dis-je dans un souffle.
Et je savoure pendant quelques instants la sensation que me procure la
proximité de cet homme. Il passe la main dans mes cheveux… C’est aussi doux
qu’enivrant. Je demeure immobile, d’ailleurs lui non plus ne bouge pas.
De toute évidence, il sait à quel point il me trouble. Mais lui aussi semble
troublé. Son corps rigide vibre de tension. Oui, nous sommes tous deux
bouleversés. Ma robe très échancrée lui donnant accès à mon dos, du bout des
doigts, il effleure ma peau, et tout mon corps frémit sous sa caresse brûlante.
Nous sommes dans une alcôve saturée de vibrations intenses et mutuelles…
Et soudain, je m’écris :
– Non, je ne peux pas faire ça, c’est impossible !
Puis j’essaie de me dégager de son étreinte.
– Redonne-moi mon badge, s’il te plaît.
– Pour quoi faire ? demande-t-il sur le ton d’une gentille réprimande.
– J’en ai besoin. Je suis… Ce n’est pas…
– Non, répond-il avec douceur.
– Je me sens nue, sans ce badge.
Il me sourit.
– C’est toujours non.
Je pousse un soupir et me détourne de lui. À la dérobée, je lui lance un coup
d’œil, et je vois qu’il me regarde avec le plus grand amusement.
– Je peux te poser quelques questions ? dis-je alors.
Et d’une main rapide, le prenant par surprise, je sors le badge de sa poche. Il
se met à rire, mais je m’éloigne rapidement de lui. Retrouvant son calme, il me
rattrape en un rien de temps sans même accélérer le pas.
– Tu veux que l’on parle d’Interface ? renchérit-il.
J’ai comme l’impression que cette question est devenue un code pour
quelque chose d’autre. Je réponds néanmoins d’un ton sérieux :
– Tout à fait.
Et j’accroche mon badge à ma robe.
Il me regarde.
– Je t’écoute.
Il a l’air sincèrement content d’être interviewé, aussi je pousse un soupir de
soulagement.
– Quels sont tes objectifs, avec Interface ?
Il glisse une mèche derrière mon oreille en répondant :
– Pour être numéro un sur un marché, il faut laisser ses rivaux loin derrière
soi.
Je perçois sans ambiguïté son ambition, sa détermination et leurs
répercussions qui résonnent de plus en plus fort en moi.
– Est-ce que tu…
Je m’interromps : il est en train de m’effleurer la joue du dos de sa main.
– Tu n’arrêtes jamais de travailler, n’est-ce pas ? me demande-t-il en
fronçant un peu les sourcils. En un sens, tu es comme moi.
À mon tour, je plisse le front.
– Tu réponds par une question.
– Mais tu ne m’en as pas posé !
– Bon sang, Saint, pourquoi aimes-tu me taquiner à ce point ?
Il se met à rire et s’approche si près de moi que je sens l’odeur de son savon
sur sa peau. Il me soulève le menton.
– Pourquoi est-ce que tu rougis à chaque fois ?
– J’ai la peau très blanche, presque transparente. Je rougis facilement.
– Je ne te vois rougir que lorsque tu es avec moi.
Son regard est à la fois réconfortant et troublant, froid et chaleureux,
impénétrable tout en semblant me déshabiller.
– Penses-tu à moi, Rachel ?
– Au travail, oui. Je pense à toi au bureau, si c’est ce que tu veux savoir.
– Moi aussi je pense à toi au bureau… Et au lit aussi.
– Saint, un membre de la commission voudrait vous parler ! Bonsoir,
mademoiselle Livingston. Je suis Dean.
Et moi, je suis morte de honte de faire la connaissance de son chargé des
relations publiques dans l’état d’excitation où je me trouve ! Je lui tends
néanmoins la main et tente de donner le change.
– Dean ! Oh, bien sûr ! Ravie de vous rencontrer.
Malcolm me reprend mon badge.
– Le temps imparti aux journalistes est terminé, m’informe-t-il.
Il me lance alors un regard d’où tout éclat de glace a disparu. Oui, on dirait
qu’il a deux boules de feu à la place des yeux.
– Prenez soin d’elle, Dean.
– Je n’y manquerai pas.
Et Saint rentre dans la salle. Dean et moi lui emboîtons le pas. Je demande à
ce dernier depuis combien de temps il travaille pour M4, comment s’est déroulé
son embauche. Nous parlons ensuite de son métier, et je lui confie à quel point je
suis impressionnée par Interface, lorsque tout à coup, j’aperçois un visage
familier, à l’autre bout de la pièce. Je me fige. Ce nez aquilin, ses longs cheveux
noirs… Victoria !
Celle-ci ouvre de grands yeux, et pointe le doigt vers moi, l’air absolument
épouvanté. Puis elle se rue dans ma direction.
– Rachel ?
Parfait… croiser une collègue de Edge en qui je n’ai aucune confiance et qui
fait l’étonnée alors qu’elle sait parfaitement la raison de ma présence ici ! Je ne
me suis jamais sentie aussi humiliée. Reprenant toutefois vite contenance, je me
lève pour la saluer. Elle joue les parfaites innocentes, et semble ravie quand je
parviens à lui présenter Dean d’un ton des plus indifférents.
– Dean, ça alors ! Et vous êtes le chargé des relations publiques de Saint ?
Le moment est venu d’intervenir…
– Victoria, tu veux bien m’accompagner ? Si vous voulez bien nous excuser,
Dean…
Je m’efforce de paraître aussi calme que possible, et glisse telle une sirène
vers les toilettes, en regardant droit devant moi tandis que Victoria trotte d’un air
suffisant à mes côtés. Ce que sa démarche est vulgaire !
– Saint te dévore littéralement des yeux, dit-elle dès que nous atteignons
l’espace réservé aux dames. Pourquoi n’es-tu pas à ses côtés, en train de
bavarder avec lui ?
Je m’assure que toutes les cabines sont vides, puis j’ouvre le robinet.
– Ce n’est pas ce que tu crois.
– Vraiment ? Dans ce cas, pourquoi avoir mis une robe qui ne demande qu’à
être enlevée et…
– Chuuut !
Je vérifie une nouvelle fois que les cabines sont vides. Elle m’imite.
– Ne t’inquiète pas, je ne dirai rien. Helen me tuerait, si elle savait.
Je me frotte les tempes, et soupire.
– Tu peux m’expliquer ce que tu fais là, exactement ?
– Quand j’ai appris que tu n’étais pas sur la liste des journalistes accrédités,
j’ai appelé quelques-uns de mes contacts. Je veux avoir tous les détails
croustillants.
– Les détails croustillants sur quoi, au juste ? C’est mon… Bref, je suis
présente à cette soirée, et tout est sous contrôle.
Elle m’adresse un regard dubitatif.
– Dans ce cas, parfait.
Puis elle se lave consciencieusement les mains, et prend une éternité pour les
essuyer. Enfin, elle se remaquille.
– Je te conseille de sortir vite fait d’ici et d’user de tous tes atouts féminins !
reprend-t-elle. Tu es une belle femme et, au cas où tu ne l’aurais pas remarqué,
tout le reste de la gent féminine dans cette salle lui lance des regards aguicheurs.
Sur ces mots, elle quitte la pièce. Je reste là, à me contempler dans le miroir.
Je suis d’une pâleur spectrale, je me sens physiquement très mal, certaine que si
je sors, Saint lira en moi comme dans un livre ouvert. Il comprendra ce que je
veux de lui, c’est-à-dire tout, y compris ses secrets. Et, bien sûr, il comprendra
que notre baiser était une erreur. C’était une expérience si intime et si peu
professionnelle de ma part, eu égard à ma mission.
Toutes mes incertitudes refaisant surface, j’appelle un taxi de mon portable.
J’attends quelques minutes encore, avant de me glisser hors des toilettes, et
m’approche ensuite des hôtesses chargées de s’occuper des journalistes.
Je demande à l’une d’elles :
– Pourrez-vous dire à monsieur Saint que la journaliste dont il a le badge de
presse dans la poche a dû partir car elle ne se sentait pas bien ?
Je suis soulagée quand elle accepte.
Le taxi m’attend à quelques mètres de l’entrée. Je m’engouffre à l’intérieur,
contrariée d’avoir sali le bas de ma robe en marchant dans des flaques d’eau que
je n’avais pas vues. Une fois arrivée à destination, je remercie le chauffeur, puis
retrouve enfin mon appartement où je retire bien vite mon fourreau et mes
escarpins pour me glisser dans mon tee-shirt Northwestern. Après quoi, je
m’assieds sur mon lit, prostrée, incapable de la moindre pensée.
Je ne me serais jamais crue capable de faire du mal à qui que ce soit, j’ai
toujours pensé être une fille convenable. Mais le fait de voir Victoria aujourd’hui
dans un endroit où je travaillais et ne travaillais pas à la fois m’a ouvert les yeux
sur moi-même, sur ma conduite.
Je suis une hypocrite, une menteuse.
Je me rappelle cette question à laquelle des petites brutes me forçaient à
répondre, enfant : si tu étais obligé de tuer un de tes parents, tu choisirais ton
père ou ta mère ? Parfois, dans la vie, il faut prendre des décisions si difficiles
qu’on préférait renoncer et se sacrifier. En l’occurrence, cela signifierait
entraîner Edge dans la chute.
J’entrouvre la porte de Gina : elle n’est pas encore rentrée. Je retourne dans
mon lit, me remet en chien de fusil et allume la télévision pour me distraire. Je
tombe sur une émission d’informations locales.
« Ce soir, à l’inauguration d’Interface, Malcolm Saint a tenu un discours… »
Le simple fait de le voir à la télé me retourne l’estomac, comme si je
dévalais des montagnes russes. Et tout à coup, je suffoque : je nous vois à
l’écran, Saint et moi, au moment où il m’a pris la main pour m’entraîner vers la
terrasse. CE N’EST PAS POSSIBLE ! La caméra revient sur le commentateur :
« Le départ prématuré d’une jeune femme invitée à la soirée a causé
beaucoup de remous dans la presse. Ces images que vous pouvez voir sur
l’écran ont en effet suscité de nombreuses spéculations : Saint a-t-il des vues sur
elle ? On sait qu’elle travaille pour un petit magazine local mais ne le
représentait pas ce soir. C’est la première fois que Saint est lié à une journaliste
et nous suivrons avec grand intérêt l’évolution de la situation. »
« Absolument », approuve le deuxième commentateur.
Sous le choc, j’éteins la télévision et lance la télécommande à travers la
pièce avant de recouvrir mon visage de mes mains. J’inspire, j’expire, une fois,
deux fois… et brusquement, mon portable vibre. C’est Helen.
Tu passes aux infos. Vicky m’a envoyé un texto. Il serait donc complètement accro ? Je suis impressionnée.

J’ai un haut-le-corps, comme si j’allais vomir… Me détestant pour ma


duplicité répugnante, je saisis un coussin et enfouis ma tête dedans. Je ne
réponds pas à Helen mais à la place, supprime son message. Puis je me
raccroche à mon ancre, la seule qui m’empêche de sombrer :
Je t’aime, maman.
CHAPITRE 14

APRÈS LA FÊTE

Sans doute ma mère dort-elle car elle n’a pas répondu. Je me sens vraiment
comme une moins que rien… Et c’est ce que je suis d’ailleurs. Je tire mon tee-
shirt sur mes genoux et encercle mes jambes avec mes bras, puis y enfouis mon
visage. Je suis dans cette position depuis un certain temps quand on sonne, en
bas. Je ne veux pas répondre, je ne répondrai pas.
Mais au troisième coup, je cède et vais décrocher l’interphone, dans la
cuisine.
– Oui ?
– C’est moi.
Malcolm.
Affolée, je balaie des yeux l’appartement que je partage avec Gina. Nous
habitons dans des anciens ateliers transformés en logements. Les portes de nos
chambres sont toutes deux distribuées par un petit vestibule, l’une à droite,
l’autre à gauche. Des étagères en bois et des colonnes en métal séparent la
cuisine du salon. Comme il y a un trou dans le mur entre la salle à manger et le
garde-manger, nous avons opté pour la solution la moins chère et placé un
immense tableau blanc devant, côté salle à manger, sur lequel nous écrivons ce
qui nous passe par la tête quand nous avons un peu trop bu, ou juste sur une
impulsion. Au départ, c’était censé être mon tableau à idées, mais les filles l’ont
détourné de son but initial.
Voilà, c’est la maison. Ma maison. Que va-t-il en penser ?
Cet appartement, en réalité, c’est ma fierté, mon havre de paix et il va
pénétrer dans mon territoire et l’envahir. Mes amies et moi parlons souvent des
hommes, mais aucun n’a encore franchi le seuil sacré de l’appartement. Jamais.
Il est le tout premier. Je suis nerveuse à l’idée qu’il voie mon chez-moi, ma zone
de sécurité, mon orgueil et ma joie, car ses yeux en ont tant vu ! Bien plus que
les miens. Ce que je trouve joli doit être banal et sans intérêt pour lui. Je
murmure dans l’interphone :
– Entre.
Puis je lui ouvre, avant de bondir vers ma chambre pour enfiler un legging et
changer mon tee-shirt contre une tunique longue. Je vérifie alors rapidement
mon reflet dans le miroir de la salle de bains.
Je soupire devant mes paupières gonflées, me passe de l’eau sur le visage,
puis vais ouvrir la porte… Il est déjà sur le palier, adossé au mur. Une main dans
la poche, il contemple le bout de ses chaussures, sourcils froncés.
Lentement, il lève les yeux vers moi. J’ai soudain l’impression que mes
jambes sont paralysées, comme si le sang n’y circulait plus. Il n’a sans doute
aucune idée de l’effort surhumain que je fournis lorsque je m’écarte de
l’encadrement de la porte et lui fais signe d’entrer. Il est si beau – mais il l’est
toujours – et je suis si bouleversée que j’en trébuche sur le tapis.
– Tu veux un café ?
Il regarde autour de lui en hochant la tête. Sa cravate desserrée pend autour
de son cou, et quelques boutons de sa chemise sont défaits. Ses cheveux
ondulent au niveau de son cou et, quand il passe la main dedans, tout en
continuant à inspecter mon appartement, toutes ses boucles se dressent sur le
dessus de sa tête, noires et brillantes. Je dois me retenir de les toucher. À la
place, je vais vite préparer deux tasses de café que je pose quelques instants plus
tard sur la table basse. Je m’assois sur le canapé et il choisit de loger sa longue
silhouette dans mon fauteuil préféré, celui où je m’installe pour lire et écrire. Je
suis un peu inquiète à l’idée que je ne pourrai désormais plus y prendre place
sans penser à lui.
– Désolée d’être partie, dis-je dans un soupir.
Puis je pousse vers lui la tasse de café et retire précipitamment ma main
avant qu’il ne s’en saisisse.
– On m’a dit que tu ne te sentais pas bien.
Il se penche en avant, sans prendre la tasse de café. En fait, même mon
appartement ne l’intéresse pas, il n’émet aucun commentaire, rien ne retient son
attention… sauf moi.
Sous son regard inquisiteur, je baisse les yeux et pousse de nouveau un
soupir.
– Exact…
– Quelqu’un t’a fait du mal, Rachel ?
– Peut-être…
Je relève la tête : son ton protecteur me surprend ! C’est la première fois
qu’un homme se montre si attentif envers moi, et cela me plaît tellement que,
bras croisés, je lui souris, à la fois amusée et heureuse.
– Et tu serais capable de la blesser pour moi ?
– « La » ?
– En fait, « la », c’est moi. C’est de moi dont je parle, je suis celle qui me
suis fait du mal.
Je resserre les bras car à le voir chez moi, mes pensées s’égarent… Oui, mon
esprit est ailleurs à présent, au dernier étage des locaux d’Interface. Je n’arrive
pas à croire que j’ai embrassé cette bouche et qu’il m’a donné un long, très long
baiser.
Il émet un petit rire, se passe de nouveau la main dans les cheveux.
– Dans ce cas, non, je ne lui mettrai pas mon poing sur la figure.
Un ange passe. Son regard lourd est braqué sur moi. « Embrasse-la alors »,
susurre une petite voix effrontée en moi. Je me rabroue aussitôt en silence, et
pose la main sur ma joue, pensive.
Saint semble plus que perplexe.
– C’est un truc de fille ? demande-t-il alors.
Je relève la tête : ce ton à la fois confus et amusé, venant d’un homme si
mystérieux et dur, est adorablement inattendu.
– Non, c’est un « truc » qui m’est propre, dis-je. J’ai vu quelqu’un ce soir…
C’est une fille qui travaille pour le même journal que moi. Elle est toujours là où
il faut, tout ce qu’elle écrit est fantastique. Ses sujets, ses métaphores, ses
comparaisons !
Son rire emplit la pièce – un rire chaleureux et merveilleux – et il se cale
dans son siège : l’incarnation de l’homme d’affaires qui se détend.
– Personnellement, je suis fan de ton travail, Rachel.
Mon… Quoi ! ?
– Tu présentes toujours tes sujets avec une honnêteté rafraîchissante.
– Tu as lu mes articles ?
Je suis certaine que ma voix et mon regard trahissent ma profonde stupeur.
Tant pis ! De nouveau, il sourit, mais en fronçant les sourcils cette fois.
– Tu crois que j’accorde des interviews à n’importe qui ?
– Sérieux ?
Il hoche la tête et je baisse les yeux.
– Je pensais que c’étaient mes seins qui t’intéressaient.
Cette fois, de l’humour scintille dans ses yeux et nous nous regardons
pendant un long moment… Nos sourires finissent par disparaître.
– J’ai lu tes articles avant de t’accorder un entretien, finit-il par dire.
– J’ai dû vraiment te décevoir, lors notre première entrevue, non ? C’était le
pire fiasco de ma carrière.
Encore une fois, nous nous scrutons. J’attends qu’il reprenne la parole.
– Je me suis dit que tu étais charmante.
Je rougis. Il n’est pas réputé pour distribuer des compliments, ou être
flatteur ; il est connu en revanche pour sa brutalité et sa franchise qui mettent
souvent les gens mal à l’aise. Et mal à l’aise, je le suis à présent, parce qu’il me
regarde avec une intensité nouvelle, et quand il reprend la parole, la fille qui
sommeille au fond de moi est euphorique.
– C’était un vrai plaisir de te voir sortir de mon bureau avec ma chemise. Et
tous mes employés qui t’ont vue dedans ont compris que je te désirais. Tous,
sauf moi, on dirait.
Je retiens mon souffle.
– Oh…! finis-je par dire.
– Je l’ignorai alors, précise-t-il sans ciller.
À cet instant, je ressens pour lui un désir si total, si puissant que je ne peux
penser à rien d’autre qu’à lui et au fait qu’il m’est inaccessible. Je suis soudain
très sensible à la distance qui nous sépare, quelques mètres à peine. J’allume une
lampe, pour rendre la pièce plus vivante et la lumière semble tout à coup faire
l’amour aux différents angles de son visage.
– Pourquoi es-tu venu chez moi, Saint ? Si c’est par rapport à ce qui s’est
passé à Interface, sache que j’ai commis une erreur.
– Dans ce cas, faisons-en une autre. Encore plus grande.
J’émets un rire nerveux.
– Qu’est-ce que ça veut dire ? Je suis un défi pour toi, maintenant ?
Il relève le coin des lèvres.
– Un défi, c’est quelque chose dont on ne veut plus, une fois qu’on l’a
relevé. Par conséquent, je ne peux pas savoir si c’est ce que tu représentes pour
moi tant que je ne t’ai pas fait mienne.
Je ne saurais dire combien ce petit mot « mienne » me semble sexy,
prononcé par l’homme que je désire. Je voudrais l’entendre le répéter encore et
encore, tout près de mon oreille, tout près de moi. Livingston, >ça suffit !
Ressaisis-toi. Mais comment le pourrais-je ? La tension est à couper au couteau
entre nous, et j’hume son odeur à chaque inspiration ; chacune me rappelle
combien mon corps est tendu, palpite et me fait mal à cause de lui.
Il me regarde fixement, comme s’il voulait lire dans mes pensées.
– Donc, cette amie…
– Elle s’appelle Victoria, elle a mon âge, mais elle a déjà publié des
nouvelles ainsi que des manuels à l’intention des enfants sur l’éducation
sexuelle. Le succès semble venir à elle sans effort. Je ne pourrai jamais être à sa
hauteur.
– Au contraire, il faut l’utiliser. On donne le meilleur de soi-même quand
quelqu’un veut nous battre. J’étais…
Il s’interrompt en riant, visiblement amusé par ses « exploits ».
– Bon, reprend-il en se penchant en avant, disons que j’ai beaucoup déçu
mon père.
Il s’exprime en toute décontraction et me scrute, en quête d’une réaction.
– Je ne sais pas comment tout cela a commencé au juste… À ma naissance
ou plutôt un peu après, quand je suis tombé malade. Mon père ne m’a jamais
pardonné cette faiblesse. Il a demandé un test ADN : certain que ma mère avait
eu une liaison, il voulait prouver que je n’étais pas son fils. Or, il se trouve que je
suis devenu plus grand, plus rapide et plus fort que je ne l’aurais sans doute été
parce que le seul homme à qui je voulais prouver quelque chose m’avait sous-
estimé.
– Il était dur ?
– Dur comme un roc. Quoi que l’on fasse, rien ne lui convenait jamais.
– Est-ce pour cette raison que tu n’es jamais satisfait, et toujours en quête
d’autre chose ?
– Non, ce n’est pas à cause de lui, c’est parce que j’ai l’impression que ça ne
suffit jamais. Je ne m’arrête jamais, sauf si je veux que quelqu’un me rattrape.
– Donc toi aussi tu es dur comme un roc.
Il se met à rire et secoue la tête, tout en se passant la main dans les cheveux.
– Ça va mieux, maintenant ? demande-t-il.
Je hoche la tête et murmure :
– Oui, merci.
– Pourquoi ?
– Ta présence ici m’arrache à un affreux enfer.
À ces mots, il se lève… Mon cœur s’arrête littéralement de battre quand il
s’agenouille près de moi et, lorsqu’il m’attire contre lui, j’ai soudain
l’impression d’être toute molle.
– Viens là, dit-il.
Il me tient dans ses bras pendant quelques instants, contre son torse
vigoureux, ses épaules carrées ; je sens toute la chaleur qui émane de son être,
j’entends ses battements de cœur… Tout à coup, je me rends compte que j’ai
posé mes lèvres contre sa gorge. Il m’enlace ensuite par la taille et
m’emprisonne contre son corps. Il me caresse alors le cou tandis que je fais
glisser ma main sur son torse. Il baisse les yeux vers moi et je me heurte à
l’impact de son regard. Ma respiration devient saccadée. À cet instant, il
m’embrasse le coin de la bouche, mes paupières s’alourdissent de plaisir et je
n’ose plus bouger un muscle quand il recule un peu la tête pour me regarder,
s’assurant sans doute de mon consentement.
Il desserre légèrement son étreinte quand je lui rends son baiser, comme s’il
me donnait un peu d’espace, pour que je m’habitue à lui. Tout est dur en lui. Sa
mâchoire, son torse, ses bras, ses mains, mais ses lèvres, en revanche, sont
brûlantes et douces, et sa langue me fait fondre.
Nous nous allongeons sur le canapé et je le laisse m’embrasser parce qu’il
me procure une sensation merveilleuse que je n’ai jamais éprouvée jusque-là.
J’ouvre grand la bouche pour savourer chaque minute, chaque seconde de ses
lèvres sur les miennes. Je pourrais l’embrasser pendant des heures, c’est un
sentiment de perfection totale. Stupéfiant.
Il s’écarte tout à coup de moi et, du bout du pouce, caresse ma lèvre.
Tant de sensations m’assaillent que je ne peux plus penser. Je respire
bruyamment, regarde ses cheveux en bataille, ses paupières alourdies, ses lèvres
légèrement gonflées… tandis qu’il me scrute comme un tigre observe sa proie !
Nous changeons de position et je m’assieds sur ses genoux. Je le chevauche. Il
embrasse mes joues, je m’accroche à ses biceps impressionnants. Puis il prend
de nouveau ma bouche, après s’être assuré que c’est ce que je souhaite, et d’une
main ouvre ma tunique… Dans la foulée, il plaque les lèvres sur mon décolleté.
Je contemple sa chevelure brune, tout en appréciant le contact de sa bouche
chaude sur ma peau. Il pose ensuite ses lèvres entre mes seins, remonte jusqu’à
ma joue. Il me titille avec sa langue, sa bouche… Et je regarde le plafond,
essayant de retenir ces sublimes sensations. J’ai l’impression d’être séparée de
mon corps, et je suis presque certaine que si quelqu’un me parlait, je ne
l’entendrais sans doute pas. Tout ce que je veux, c’est qu’il n’arrête jamais.
Il revient à ma bouche, et me donne un autre baiser, bien plus tendre. Je noue
instantanément les bras autour de son cou et sent ses mains, grandes et chaudes,
posées sur mes cuisses ; je me raccroche à cette sensation, car sans cela, je
flotterais déjà sur un nuage très loin d’ici… Et je frôle l’extase quand il murmure
d’une voix brûlante :
– Je n’ai pas cessé de penser à cet instant. Tu es encore plus savoureuse que
je l’imaginais…
Je l’embrasse alors de tout mon cœur. Lui aussi est exquis, à m’embrasser
tour à tour avec douceur et fougue. L’odeur de son after-shave m’enveloppe
toute entière, la chaleur qui émane de son corps me réchauffe et ses lèvres
m’affolent complètement.
– Continue, dis-je dans un souffle.
Et je roule des hanches pour être encore plus près de lui, sentir sa peau sur la
mienne.
Mon corps tremble. Il lève la tête et embrasse le rebord de ma bouche, la
titille. Un petit grognement lui échappe. De toute évidence, il apprécie lui
aussi…
– Ne t’arrête pas, le supplie-je.
– Je ne m’arrêterai pas avant demain, renchérit-il.
Après quoi, il enserre mon visage dans ses paumes et je plonge mes yeux
dans les siens : ils sont d’un vert étincelant et reflètent une lueur indescriptible. Il
me regarde comme si j’étais une déesse. Je lis un désir si fort dans ses yeux, une
telle tendresse que ma gorge se serre. Je crains de n’être pas prête pour de si
fortes sensations. J’ai peur, je suis nerveuse…
– Mais qu’est-ce que…
La lumière du plafonnier se déverse soudain sur nous, et je me redresse bien
vite, confuse, recouvrant mes joues toutes rouges de mes mains.
Gina cligne des yeux. Saint ferme les siens, puis les rouvre. Il a l’air à la fois
brûlant, viril, furieux… et débraillé. Je reboutonne bien vite sa chemise, jalouse
à l’idée que Gina puisse apercevoir son torse, ses abdos que je viens de palper
avec une telle frénésie.
– J’espère que ce que je vois n’est pas réellement ce qui se passe ! décrète-t-
elle, mains sur les hanches.
Je lui assure tout de suite :
– Non, pas du tout !
Puis je lève les yeux vers Saint qui est en train de me jauger, l’air
complètement ahuri. Ses cheveux en broussaille le rendent adorable, mais il
arbore une expression agacée.
– Ta colocataire, je présume, dit-il dans un souffle, comme s’il se rappelait à
l’instant que j’en avais une.
Extrêmement embarrassée, je l’aide à se mettre debout – ce qui n’est pas une
mince affaire – et le conduis vers la porte. Je marmonne :
– C’était une erreur… sans nom. Je ne sais pas ce qui m’a pris.
Il darde sur moi des yeux comme la nuit, et sa voix est lourde de désir quand
il déclare :
– Je sais ce qui t’a pris. La même chose qu’à moi.
– Non !
J’appelle l’ascenseur, puis le pousse vivement à l’intérieur.
– Au revoir, Saint.
– Je t’appelle Rachel, murmure-t-il en m’effleurant le visage.
Et il m’embrasse à pleine bouche ! Cet homme est le diable en personne.
J’en gémis… et me libère de son étreinte juste avant que les portes de
l’ascenseur ne se referment.
Bon sang ! Qu’est-ce que j’ai fait ? Je rentre dans l’appartement.
– Ça veut dire quoi ça ? questionne aussitôt Gina.
– Je lui disais au revoir.
– Écoute-moi bien, Rachel : je suis Gina, ta meilleure amie et je peux
t’assurer que tu mens. Qu’est-ce que vous étiez en train de faire sur le canapé ?
Vous…
– Bon, j’ai un peu bu à cette soirée, et puis il y a eu ce… ce truc entre nous.
Je… Désolée, je n’arrive plus à penser.
– Très bien… Bon, toi et moi, on sait que ce type, c’est Lucifer en personne,
d’accord ? Un vrai salaud ! Et ni toi ni moi ne couchons avec des connards
comme lui. Et on les ramène encore moins chez nous !
Je hoche docilement la tête, comme une petite fille que l’on gronde, et me
dirige vers ma chambre. Une fois seule, je m’essuie la bouche avec le dos de ma
main, puis me brosse les dents et regarde mon visage dans le miroir.
À quoi je joue, au juste ? Nous nous sommes confiés l’un à l’autre, tout à
l’heure. Pourquoi ne lui ai-je pas dit que je rédigeais un article de fond à son
sujet ? Décidément, rien ne s’est passé comme prévu. J’étais censée livrer des
révélations sur lui ; or, c’est lui qui m’a forcée à me dévoiler.
Je n’arrive pas à trouver le sommeil. Je revois le visage frustré de Saint
quand Gina est rentrée. Agacée, je finis par rallumer ma lampe de chevet et sors
mon portable.
Je suis désolée que l’on se soit dit au revoir de cette façon.
Cependant, avant d’envoyer le message, je me ravise et tente de l’appeler…
Va-t-il prendre la communication ? Oui, puisque sa voix résonne soudain à mes
oreilles.
– Allô ?
– Je suis désolée pour la façon dont on s’est dit au revoir.
J’entends un sourire dans sa voix quand il me répond :
– Si c’était le prix à payer pour que tu m’appelles…
Je ris, avant de me ressaisir et de me recroqueviller dans mon lit, le
téléphone contre mon oreille. Je murmure d’une petite voix timide :
– Tu es différent de tous les hommes que j’ai connus.
– C’est parce que tu portes l’étiquette « Attention fragile ! À manipuler avec
soin ».
– N’importe quoi ! Je ne suis pas fragile.
– Tu es si fragile que tu t’es enfermée dans une boîte pour qu’on ne te brise
pas, insiste-t-il.
Je rétorque, vaguement irritée :
– Je vis dans une zone sécurisée, c’est tout.
– Mais rien n’arrive, dans une zone sécurisée.
– Justement : on y contrôle tout, c’est prévisible et… sûr.
Un long silence s’étend entre nous. Puis Saint me dit :
– Quand tu sortiras de ta boîte, je serai là.
CHAPITRE 15

RELOOKING

Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Je ne veux pas être en insécurité. C’est le
dernier but de mon existence. La témérité, ce n’est vraiment pas mon truc.
Je consacre mon vendredi à un article qu’Helen me réclame dans les plus
brefs délais. Je n’arrive pas à me concentrer, en même temps je n’arrête pas de
penser, et je suis happée par mes propres peurs et confusions. Je m’ordonne de
rester détachée et de garder en tête la récompense, comme toute journaliste
raisonnable le ferait. Et raisonnable, je le suis ! Du moins l’étais-je pendant les
vingt-trois années de ma vie qui ont précédé ma rencontre avec Malcolm Saint.
Je suis en train de taper avec rage sur mon clavier quand mon portable vibre.
Je jette un bref coup d’œil sur l’écran, et crois avoir une crise cardiaque en
voyant s’afficher le nom sous lequel je l’ai enregistré dans mes contacts : MAL.
Tu me rejoins au Tunnel ce soir ?

Dois-je m’inquiéter pour mon cœur ? On dirait qu’il fait un salto dans ma
poitrine. Je suis devenue sa petite amie, sa ridicule petite amie. Le Tunnel est
une boîte branchée, connue pour ses salles sombres et sinueuses, sa musique
bruyante. Personne n’en sort sobre et indemne. Rachel, tu ne peux pas aller avec
Saint au Tunnel, sauf si tu es certaine de contrôler ta libido ; or, tu n’as pas
prouvé que tu étais très douée en la matière, jusque-là.
– Prête ?
Je retourne immédiatement mon téléphone quand Victoria se penche par-
dessus mon box.
Je répète sans comprendre :
– Prête ? Prête pour quoi ?
– Tu as oublié ? C’est ton jour beauté, aujourd’hui. Cela fait partie de ton
travail.
– Je… Ah oui, c’est vrai ! Comment ai-je pu oublier ? Le cliché du
relooking : une fille normale va chez le coiffeur, rencontre un type, et tralala,
dis-je en rassemblant mes affaires.
– Exactement.
Elle se met à rire. Je referme le dossier sur lequel je travaillais, ainsi que
quelques liens renvoyant à ce qu’il a fait cette semaine. Sur toutes les photos, des
filles posent avec lui, bien sûr, mais à sa décharge, il a l’air de s’en moquer. On
n’a pas l’impression qu’il s’amuse, encore que ce soit difficile à évaluer.
Après quoi, j’emboîte le pas à Victoria qui se dirige vers l’ascenseur, et nous
nous rendons au spa. Pédicure, manucure, un rafraîchissement de coupe, tout est
prévu !
– Je te conseille des mèches, ma chérie, me dit-elle.
– Je suis blond platine, Vicky, mes cheveux ne peuvent pas être plus clairs.
– Des mèches légèrement plus foncées donneront de la lumière à ta couleur
naturelle.
– Non, je refuse d’être esclave des colorations avant mes premiers cheveux
gris. C’est un truc que j’ai appris de ma mère.
– Ce que Saint aime, ce sont les femmes faciles, il n’est pas habitué à
séduire, on vient toujours à lui, et ça lui convient. Néanmoins… Bon, j’avoue, il
semble vraiment accroché à toi, Rachel.
Mon portable vibre, et devant le nom qui s’affiche, je tressaille. MAL.
Rougissant rien qu’en pensant à lui, je regarde mes orteils qu’une esthéticienne
est en train de recouvrir d’une belle couche de vernis rose.
– Après les orteils, le maillot à la cire, m’annonce Victoria assise à côté de
moi.
Ne pourrait-elle donc pas parler un peu plus fort ? Ainsi, non seulement
toutes les clientes du spa mais aussi le monde entier l’entendrait. Je me penche
vers elle et réponds à voix basse :
– Non merci.
– Tu plaisantes ? Pas question de refuser !
Je me mets à rire.
– Tout va bien de ce côté-ci, je te rassure.
– Très bien, dit-elle en rongeant son frein.
Elle repose le magazine qu’elle était en train de lire et m’annonce d’un ton
supérieur :
– Les types comme Saint aiment les belles Brésiliennes.
Là-dessus, elle m’adresse un sourire entendu. Puis elle s’empare d’une
nouvelle revue, tout en continuant avec la voix d’une experte :
– Les séducteurs aiment toutes les femmes, c’est d’ailleurs ce qui fait leur
charme. Et comme ce sont des spécimens parfaits, on ne peut pas s’empêcher
d’être attirées par eux.
Elle sourit de nouveau.
– Tu sais, ton côté terre-à-terre, ta gentille férocité, j’ai bien vu que ça
l’attirait. Cette attirance te rend plus douce et gentille, et lui il en devient bien
plus enflammé, vigoureux et ambitieux. Saint s’amuse mais c’est un dur. Et tous
ceux qui font affaire avec lui le savent.
Mon téléphone sonne, cette fois, c’est un appel. MAL. La force et le feu,
donc. Je veux répondre, entendre sa voix. Et je déplore aussi de le vouloir ! Je le
jure, si le nœud qui me serre la gorge se rétrécit encore, je vais imploser. Je
regarde mon téléphone, sans prendre la communication, quand un message
s’affiche.
Qu’est-ce qu’un homme doit faire pour que tu dises oui ?

Je me mords la joue intérieure, et fixe mon portable pendant une éternité.


Oui ! Oui ! OUI ! NON. Nous ne pouvons pas. NON. Je repense à mon travail,
et conclus que ce sera un oui, mais corrélé à un non émotionnel et physique.
Forte de ce calcul, je réponds :
Je te rejoindrai là-bas.
Ma main tremble quand je repose mon téléphone et j’essaie de revenir au
présent. Le spa, le relooking, Victoria. Oh oui, Victoria ! Son attitude est
vraiment très intéressante… Je la scrute, perplexe, puis décrète :
– Je commence à croire que tu veux vraiment que je réussisse.
Je suis honnête avec elle parce qu’elle m’a vraiment étonnée de façon
positive aujourd’hui.
– Bien sûr que je le souhaite, pourquoi voudrais-je le contraire ? J’adore mon
job à Edge. Où irais-je, sinon ?
Je la regarde sans comprendre…
– Nous sommes à bout de souffle, et personne ne veut nous racheter ! Nos
tirages se réduisent à vue d’œil. Et nous allons tous finir par perdre notre boulot.
Elle secoue la tête en soupirant.
– Et ça, je ne le souhaite absolument pas ! Ce qui m’importe, c’est d’être
bien vue par ma direction, et pour être honnête, je ne sais pas comment
j’aborderais Saint si c’était moi qui avais hérité du sujet.
– Oh, ce mec, on ne peut pas l’avoir, tu sais ! dis-je.
Et je me mets à rire, même si au fond de moi, je suis triste. Le fait qu’il soit
si éloigné des autres doit lui rendre plus difficile la sensation d’être chez lui
quelque part. Ou auprès de quelqu’un. Il me semble qu’il n’appartiendra jamais à
personne.
– Comment ça, on ne peut pas l’avoir ?
– On ne peut saisir que des fragments de lui. Même concernant sa
biographie. Alors les femmes, les amies, les affaires… Il se disperse beaucoup, il
a de multiples centres d’intérêt, mais rien ne lui tient vraiment à cœur, tout son
feu, il le garde pour lui. Il ne donne qu’un bref aperçu de sa splendeur.
– Eh bien, dit-elle en s’éventant avec les mains, je constate que tu le connais
déjà bien mieux que moi.
Peu avant 20 h, je rentre chez moi, me rappelant la promesse que j’ai faite à
Victoria : ce soir, je porterai une robe.
– Fais en sorte de ne pas trop lui en dévoiler. Les femmes adorent enlever
leur haut pour lui, mais peut-être qu’il préfère s’interroger sur ce qu’elles portent
en dessous, m’a-t-elle dit.
– Il ne verra rien, donc il peut toujours rêver, ai-je répondu avec
détachement.
Et je suis surprise que ma langue n’ait pas pris feu sur l’instant, car je ne suis
absolument pas dupe. Je suis si nerveuse que je ne parviens à me concentrer sur
rien ; je commence dix choses à la fois, et n’en finis aucune.
Je ne l’ai pas revu depuis qu’il m’a donné un baiser à pleine bouche, sur le
seuil de mon ascenseur. Quand Gina rentre à la maison, j’ai sorti plusieurs
tenues que j’ai étalées sur mon lit. Auparavant, je lui avais envoyé un texto qui
disait :
Mal est au Tunnel, ce soir, et nous y allons aussi.

Et alors que je me demande quoi mettre depuis plusieurs heures, à peine


arrivée, elle prend les choses en mains.
– Pourquoi es-tu encore en sous-vêtements ? Habille-toi ! Je te conseille de
mettre ton haut à rayures blanc et bleu, avec le logo « Mon petit ami est un
marin » parce que tu veux faire croire que tu es prise, non ? Et que tu n’as pas
envie de faire trop d’efforts.
– Pas d’efforts ? Mais qu’est-ce que tu racontes ? J’ai passé quatre heures
dans un spa. J’ai payé un relooking !
– Mets quand même ce top. S’il te kiffe vraiment, il va détester.
Je le sors de mon placard,… Pourquoi pas ? Pourtant, j’ai promis à Victoria
que je porterais une robe. Bah, une minijupe avec ce haut, ça peut aussi le faire !
Ainsi, il pourra admirer à quel point mes jambes sont lisses et soyeuses. Ah
bon ? Et pourquoi veux-tu lui montrer tes jambes, Rachel ? Je demande à Gina,
avec une moue faussement dubitative :
– Avec cette jupe, tu crois que c’est une bonne idée ?
Et je l’enfile.
– Génial ! approuve-t-elle sans hésitation. Tout se passe donc comme que tu
le souhaitais, n’est-ce pas ?
– Euh, je ne sais pas trop… Je voulais juste continuer à mener l’enquête, pas
me retrouver quasi dans le rôle de sa petite amie.
– Rassure-toi, Saint n’a jamais de petites amies. Juste des aventures.
Bon sang, ce que j’aimerais pourtant qu’il bave d’admiration devant moi !
Oh oui, juste une soirée, la seule soirée de son existence ! Pourtant, je sens de
nouveau les doutes m’assaillir. Je me tourne vers Gina.
– Tu crois que je peux ? Je marche sur une corde raide…
– Rachel, n’oublie pas qu’il t’utilise et que toi aussi. Il ne s’agit pas d’une
gentille petite relation entre un homme et une femme, et ce ne sera jamais le cas.
Fais ton boulot et ne t’engage à rien.
– Entendu, dis-je en hochant bien vite la tête, histoire qu’elle ne répète pas le
mot « utiliser ». J’essaie de déglutir, mais un nœud de la taille d’un citron me
serre la gorge, aussi amer que son zeste. Sans plus me poser de question, je
prends mon sac, et me répète que je peux le faire, que je vais le faire, et que ça
m’importe plus que de me le faire.
CHAPITRE 16

TUNNEL

– OK, on se mêle à la foule. N’oubliez pas qu’il faut aussi retrouver Emmett,
les filles.
Wynn, Gina et moi nous mettons à parcourir les salles labyrinthiques du
Tunnel, respirant à pleins poumons les effluves d’argile émanant des parois, de
sueur, de parfums et d’alcool. Des lumières éblouissantes et de la musique à
plein volume nous saisissent lorsque nous nous dirigeons vers le cœur du
Tunnel, le « cratère ». Wynn ouvre la marche tandis que je la referme, tournant
sans arrêt la tête, telle une girouette, en quête d’un homme bien précis.
– Je suis sûre qu’il est par là, dit Gina.
Et elle désigne une pièce sur la droite. Celle-ci est remplie au maximum de
sa capacité, si bien que je me retrouve bien vite arrêtée dans ma progression par
un mur de robes pailletées et d’épaules dorées.
– Pourquoi ici ?
– Tu atterris, oui ? Il n’y a pas de fumée sans feu. Et là où il y a Saint, il y a
des filles.
Fronçant les sourcils, je parviens à me faufiler… Mon cœur sursaute car il
est là, juste sous mes yeux, celui qui contrôle mes hormones ! Callan et Tahoe
semblent juste charmants à côté de Saint qui exsude d’érotisme. Une femme est
assise sur les genoux de chacun de ses amis tandis qu’une créature blonde
discute avec Malcolm, visiblement hypnotisée par lui.
Les battements de la musique ne faiblissent pas, les corps se heurtent et se
bousculent et je profite de ce moment pour observer Saint sans qu’il ne me voie.
Bronzé, les cheveux légèrement dressés sur le dessus du crâne, il a remonté les
manches de sa chemise jusqu’aux coudes, comme il est de coutume pour les
hommes dans les discothèques où règne une vraie fournaise. Les papillons
voltigent dans mon ventre.
Malcolm éclate soudain de rire et tourne la tête en même temps, inspectant la
salle, l’air de rien. Je vois alors ses épaules se contracter, et mon cœur manque
un battement : il vient de me repérer. Dès lors, mal à l’aise, je deviens l’objet de
son regard inquisiteur. Il hausse un sourcil et encore une fois, son fameux sourire
en coin éclaire son visage. Tu vas rester là toute la soirée ? semble-t-il me
demander.
Puis il pose son verre sur une petite table et s’avance vers moi. Mon cœur
cogne plus fort à chacun de ses pas… Il me jauge de pied en cap, aucun détail ne
paraissant échapper à son œil de lynx.
– Rachel, dit-il.
Et il m’attire dans ses bras vigoureux avant de me donner un petit baiser sur
la joue. C’est incroyable ! Comment ce simple effleurement peut-il déclencher
une telle excitation en moi ? J’essaie vaillamment de reprendre ma respiration
tandis qu’il m’entraîne déjà par la main vers sa table. Je sais que je suis une fille,
cela figure sur mon extrait de naissance, mais je n’ai jamais eu la sensation de
l’être à ce point jusqu’à cet instant où, de sa poigne énergique, il a saisi ma main
fragile et minuscule.
Callan et Tahoe me saluent à travers le rideau sonore de la musique.
– Salut, Rachel !
– Tiens, Rachel ! Bonsoir.
Je me glisse dans le box et Malcolm s’assied tout contre moi, sa chemise le
moulant tant que je me sens presque à l’étroit pour lui.
Il me commande une boisson, puis s’adosse à son siège, aussi décontracté
que je suis tendue. Quelque chose a changé depuis qu’il est venu chez moi : il
semble attentif à mon confort, désireux de ne pas me brusquer. Il paraît plus
ouvert en ma présence et je le suis également. Il existe désormais une réelle
intimité entre nous, elle est si palpable que chaque parcelle de mon corps
réclame une plus grande proximité avec le sien, au moins égale à celle que nous
avons connue chez moi.
Il étire le bras derrière moi, ses amis continuent à badiner entre eux, et à
peloter les nanas un peu louches juchées sur leurs genoux.
– Comment s’est passée ta semaine, Rachel ?
À la question de Saint, une onde d’excitation me traverse tout entière car je
distingue un réel intérêt dans ses yeux.
– Bien. J’ai bien travaillé, ma mère est en forme… Bref, je ne veux pas
t’ennuyer avec mes petites histoires.
Puis je lui souris. Il y a une éternité qu’une personne n’avait semblé aussi
intéressée par ma semaine. Je le questionne à mon tour sur son voyage à Londres
– j’ai lu dans les journaux qu’il y avait effectué un séjour de quarante-huit heures
– et il me répond que c’était « bien », puis revient à moi.
– Tu écris sur quoi, en ce moment ?
De nombreuses personnes lui tapent amicalement dans le dos ou l’appellent
par son prénom, mais il ne leur prête pas attention, uniquement concentré sur
moi. Troublée par sa présence et redoutant de me trahir, j’élude :
– J’ai fait des recherches pour mon article de la semaine prochaine.
Et, les yeux fixés sur son bras qui descend le long du siège, derrière moi, je
pense : « Et mon sujet, c’est toi. » Soudain, j’éprouve une vive contraction au
creux du ventre. Hé ! C’est quoi ça ? Est-ce parce que cet homme me déstabilise
que la langue fourchue de la culpabilité me pique à ce point ? Ou bien parce que
je ne supporte pas quand il devient sérieux et cesse de me taquiner ? À moins
qu’il ne veuille vraiment savoir, pour des raisons que je ne m’explique pas, ce
qui me motive ? C’est peut-être juste, au fond, à cause de la nervosité qu’il
déclenche chez moi ou des questions qu’il me pose.
Je prends une profonde inspiration, consciente qu’il me surveille de ses yeux
verts et profonds comme des forêts, recélant tous les secrets d’un joueur qui
n’abat ses cartes que lorsqu’il est certain d’avoir gagné la partie. Des yeux rusés,
intéressés, masculins. Il faut que je me contrôle, il ne doit pas lire en moi comme
dans un livre alors qu’il me donne si peu de lui en retour. Mais comment rester
muette quand il me questionne ? Je regarde tout à coup dans la direction de la
piste de danse, puis me lève lentement et lui tends la main.
– Viens danser avec moi, lui dis-je.
Je suis vraiment lasse : ça me rend malade de toujours m’interroger à son
sujet, de m’angoisser, de le désirer pour finalement lutter contre ce désir. C’est
pourquoi je n’ai soudain qu’une envie : danser. M’amuser tout simplement, être
pendant une heure une fille accompagnée d’un garçon. Il hausse un sourcil, sans
mot dire, puis m’imite. Il se redresse lentement, comme un serpent qui se
déploie. Je ris et le tire par la main pour l’entraîner dans la salle attenante, là où
on danse.
Je sens sa main bien ferme dans la mienne et il me suit tel un animal sauvage
qui fait le paresseux et cède aux caprices de sa proie avant de se jeter sur elle.
Une fois sur la piste, il plaque ses mains sur mes hanches… Mon corps
s’embrase quand, redressant la tête, je vois un sourire diabolique au coin de ses
lèvres.
Il m’observe tandis que j’ondule lascivement sous ses mains, me servant de
lui comme d’une barre de pole dance. Une barre… que j’ai envie d’embrasser,
car c’est un homme et que je suis une femme normale, humaine. Il se met à
caresser mes hanches, les yeux brillant d’un feu démoniaque. D’autorité, je lui
prends la main et la place sur ma nuque, pour qu’il s’approche de moi. Je suis
incapable de penser, j’ai la tête vide. Je veux le voir nu, en sueur, hors de son
élément, effacer de son visage ce petit sourire amusé, et assister à son abandon…
Je le provoque :
– C’est le mieux que tu puisses faire ?
Aussitôt, il m’attire tout contre lui, j’en pousse presque un cri de surprise ;
les mains de nouveau plaquées sur mes hanches, il se met à me faire bouger.
Tout autour de nous, les gens sautent au son de la musique, se bousculent, mais
Malcolm danse, imperturbable, comme si son corps était une extension du mien.
Il me presse soudain contre lui sans le moindre effort, et je sens le frottement de
sa barbe naissante sur ma nuque alors qu’il fait glisser la masse de mes cheveux
d’un seul côté, puis fait courir sa main aux doigts bagués d’argent dans mon cou.
Je suis époustouflée par la sensualité de ses gestes, par ses muscles souples et
vigoureux à la fois, simultanément en sécurité et excitée, et cette sensation me
grise. Il m’enivre, cette soirée m’enivre, j’approche des zones fort dangereuses,
trop sans doute, mais ne peux contrôler mes mains. Une partie de moi-même est
déchaînée. Ses lèvres sont faites pour embrasser, ses mains pour caresser, et sa
chevelure épaisse existe juste pour que les femmes y enfouissent leurs doigts
pendant qu’il pétrit leurs corps, sans retenue. Ses yeux semblent offrir des cimes
dans le ciel, tout en invitant à des fêtes en enfer, et le tout me rend folle.
Je promène mes doigts sur sa chemise, palpe ses épaules carrées, me
délectant du roulement de ses muscles en dessous. Je suis mue par une force qui
me dépasse, j’en ai bien conscience et le déplore !
La chanson se termine et il me prend la main pour me reconduire à la table.
Des gouttes de sueur perlent littéralement entre mes seins, des dizaines d’yeux
sont braqués sur nous. Toutes les femmes me surveillent, me toisent des pieds à
la tête, et à leur expression, il est clair qu’elles veulent m’écorcher vive. J’en
grimace presque. Dans le box, Callan raconte des anecdotes concernant Saint et
des filles de la haute société.
– Mais Saint a étouffé ces rumeurs dans l’œuf.
– Étouffé, répète fièrement Tahoe, en serrant le poing.
Sans leur prêter attention, Malcolm reprend la position qu’il occupait
initialement, son bras sur le dossier derrière moi, la tête penchée dans ma
direction si bien que je sens son souffle derrière mon oreille.
– Hé, regarde-moi ! murmure-t-il.
Et sans plus de préliminaires, il glisse la main sur ma cuisse, ce qui pulvérise
mes pensées… Sa caresse met en feu tout mon corps, allume mon désir. Je ne
sais pas s’il s’est formé en quelques minutes, heures, jours ou semaines, ou bien
s’il est là depuis toujours, mais il ne s’est jamais imposé à moi avec une telle
puissance avant Saint. Dominée par mes pulsions, je m’appuie contre lui. Il pose
alors son bras sur mes épaules, sous mes cheveux, et un long frisson me
parcourt… Ses amis continuent à parler et lui me chuchote à l’oreille :
– Tu es très jolie, ce soir.
Mes joues sont écarlates, et mon ventre semble abriter un serpent qui se tord
en tous sens. La musique techno s’arrête brusquement, et Kiss You Slow d’Andy
Grammer résonne soudain dans le Tunnel. Saint prend mon visage en coupe et,
paupières à demi closes, dépose un baiser au coin de mes lèvres. L’air passant
sur ma peau me fait subitement l’effet d’une flamme. Il m’étreint plus
étroitement contre lui, puis me caresse la joue de sa main qui porte quatre bagues
en argent, les yeux rivés sur elles.
– Tu es la fille la plus sexy du Tunnel ce soir, murmure-t-il.
De son pouce, il effleure ma bouche avec une sensualité achevée. Et là, dans
ses yeux magnifiques, je vois se refléter un désir sauvage, comme celui qui
m’habite et qui me noue la gorge en ce moment précis, au point que je me mets à
lui mordiller le pouce. Bien sûr, je ne devrais pas, mais c’est plus fort que moi.
Et puis cette chanson ne parle-t-elle pas d’un lent baiser… Kiss You Slow…
Pendant quelques instants, je scrute les environs et vois ses amis en train de
tripoter leurs petites dévergondées. Comme Saint, finalement. Je pense à Gina et
Wynn, quelque part dans le labyrinthe de cette boîte, aux gens qui dansent, à
ceux qui nous regardent. Et à ma vie qui est en train de changer, alors qu’il
scrute mon visage et que la mobilité de ses yeux verts m’évoque un
kaléidoscope : il semble lui aussi lutter contre des émotions confuses. Quand il
m’enlace par la taille et m’attire sur ses genoux, j’obtempère, docile, et
m’accroche à son cou comme à une bouée de sauvetage.
– Tu en as envie ? demanda-t-il en passant la main sous ma jupe.
Une main toute chaude qui se met à caresser l’intérieur de ma cuisse. Le
cœur cognant violemment dans ma poitrine, je m’agrippe un peu plus à lui. Sa
nuque est large, dure et je penche la tête pour me remplir les poumons de son
parfum. Puis je chuchote d’un ton effronté contre son oreille :
– Je suis avec le plus bel homme.
– Eh, petit cachotier ! le hèle alors Tahoe, de son siège. On sait où vous allez
finir, Rachel et toi !
Et il lève son verre dans notre direction tandis que sa nana essaie de rajuster
sa robe. Saint retire sa main de dessous ma jupe, mais me serre la cuisse. Puis il
plonge ses yeux dans les miens pour que j’y lise tous les regrets qu’il ressent.
– Je suis occupé, T, grommèle-t-il.
Et il lui décoche un regard plus que furieux. Je retiens mon souffle, me
souviens des photos et rumeurs qui circulent sur nous deux, et mettent
sérieusement mon job en péril. Retrouvant quelques neurones, je lui dis :
– Pas ici.
Franchement, Rachel, s’envoyer en l’air dans une boîte ? Avec Saint ?
Malcolm me saisit de nouveau par la taille, mais pour m’aider cette fois à
descendre de ses genoux.
– Hé, tu lui plais vraiment ! s’exclame Tahoe à mon adresse.
Et il agite ses sourcils au moment où Malcolm appelle le serveur. Il lui
murmure quelques mots, ce dernier s’éclipse, pour revenir bientôt en hochant la
tête.
– Suivez-moi, monsieur Saint, dit-il.
Celui-ci saisit sa veste, sur le banc, puis me prend par le bras.
– Viens avec moi, Rachel, me murmure-t-il à l’oreille.
On nous conduit dans un salon privé, meublé d’un canapé et d’une table
surmontée de bougies électriques. Un seau à vin, deux verres à pied, un vase où
s’épanouit une tulipe ainsi que quelques photophores y sont également disposés.
La musique résonne ici de façon assourdie, bien plus intime.
– Vous avez besoin de quelque chose, monsieur Saint ? s’enquit le serveur.
Malcolm lui glisse alors une poignée de billets dans les mains, et le jeune
homme en pâlit.
– Merci, ça ira, répond Saint.
Dans la foulée, il m’attire vers le canapé. Le serveur referme tout doucement
la porte, et j’ai l’impression que mon cœur fait le même petit clic que celui que
l’on entend alors. Je peux à peine tenir sur mes jambes, mais heureusement,
Saint m’invite à m’asseoir et se tourne vers moi. Quel regard ! J’ai du mal à le
soutenir, et mon cœur bat violemment, dans ma poitrine, dans mon cerveau,
entre mes cuisses douloureuses.
– Malcolm…
Il semble avoir une idée bien précise en tête quand nous nous installons sur
le canapé et qu’il enfouit la tête dans mon cou. Poussant un petit gémissement, je
glisse les mains dans ses cheveux épais et soyeux… Le désir coule dans mes
veines. Je frissonne lorsque ses lèvres se posent sur mon pouls.
De la pointe de la langue, il se met à lécher la peau tendre de mon cou et
mon corps tremble tout entier quand il prend un de mes seins en coupe et le serre
gentiment…
– Ça te plaît ?
Il s’écarte un peu de moi, me sourit, et quand je hoche la tête, incapable de
parler, il me donne un baiser sur la bouche. Il fait preuve d’une grande douceur,
d’une trop grande douceur… En une minute, je suis complètement enivrée…
Saturée de désir, ivre de Malcolm, je ne suis que sensations. Il m’embrasse les
lobes, me caresse, m’effleure les coins des lèvres.
Tout à coup, il glisse la main sous ma jupe.
– Qu’est-ce que tu portes dessous ? demanda-t-il d’une voix rauque.
– Quelque chose, dis-je d’une voix tremblante d’excitation.
– Quelque chose que tu veux me montrer ? s’enquit-il avec un petit sourire.
Impuissante sous son regard inquisiteur, je le laisse relever ma jupe… Je ne
peux plus respirer, ne veux d’ailleurs plus vivre après la façon dont il darde sur
moi ses yeux pénétrants.
– Malcolm…
Ma voix est à la fois suppliante, nerveuse et sexy.
– Chuuut ! dit-il doucement, absorbé par la contemplation de ma minuscule
culotte en dentelle transparente. Je ne vais pas te faire de mal. Je veux juste te
regarder.
– Juste me regarder ?
Je ne sais pas si j’ai envie qu’il réponde oui ou non…
– Et te caresser, ajoute-t-il.
Il m’attire sur une de ses cuisses, tout en laissant ses doigts courir derrière
mon genou… Et cette simple caresse éveille à cet endroit des milliers de petits
picotements. Je pousse un léger gémissement. Alors il relève mes cheveux et
enfouis son visage dans ma nuque, me donnant de frénétiques coups de langue.
Je gémis de plus belle…
J’aurais cru qu’il se serait rué sur l’endroit le plus brûlant, le plus humide de
mon corps, mais Saint n’est jamais là où on l’attend. La bouche pressée contre
ma tempe, il continue à pianoter sensuellement sur ma jambe, puis de ses pouces
il effleure l’intérieur de mes cuisses. Ma respiration devient hachée et mes seins,
gorgés de désir, se dressent sous mon haut en soie, contre lui.
J’incline la nuque en arrière et respire plusieurs fois : son after-shave pénètre
mes poumons, me donnant le vertige… Je crois même que je viens de murmurer
son nom. À cet instant, il glisse les doigts le long de ma culotte. Plus
précisément sous ma culotte.
– Dis-moi que tu as envie de sentir mes doigts ici, murmure-t-il.
Et je perçois son sourire contre ma tempe, un sourire exprimant une
satisfaction bien masculine car je suis déjà toute humide. Je ferme les yeux et
noue les bras autour de son cou, nous imaginant nus, bougeant en cadence.
D’une main, il continue de me caresser et glisse l’autre sous mon top. J’ai
conscience qu’il se retient et un orgasme puissant monte en moi. La situation est
sur le point de m’échapper…
– S… euh, Malcolm… ralentis un peu…
Il obtempère et nous nous écartons un instant l’un de l’autre, la respiration
saccadée. Mes yeux n’arrivent plus à s’adapter, je le vois flou. Et dire que je suis
censée expliquer dans mon article ce flou qui l’entoure, pas le vivre !
– Donne-moi ta main, murmure-t-il.
Il la retourne et commence à en caresser la paume. À ce moment, je me
rappelle que nous avons quarante mille terminaisons nerveuses à cet endroit. Et
quand il titille mes premières phalanges, une onde électrique me traverse.
Je regarde, littéralement hypnotisée, la façon dont il emmêle ses doigts aux
miens tout en continuant à en masser la base, par petits cercles. Tout mon corps
s’embrase quand il plaque sa bouche à l’intérieur de mon coude et se met à
lécher ma peau du bout de la langue… Son souffle chaud est comme un sirocco
et les sensations qu’il me procure semblables à celles d’une drogue, une drogue
que j’aimerais qu’il ne cesse jamais de m’injecter.
Doucement, il soulève mon top et le coince dans mon soutien-gorge. J’ai
déjà lu que le plexus solaire formait un groupe nerveux puissant, mais je ne l’ai
encore jamais expérimenté. Il commence à me caresser au-dessous des seins,
remonte, puis me fait basculer sur le canapé afin de pouvoir embrasser mon
nombril. Quand je pousse un petit gémissement, il ralentit… Alors mes abdos se
détendent et tout le sang afflue entre mes jambes. Je suis en feu, dans l’attente
insupportable qu’il me touche enfin ici… Il en est tout proche et, en même
temps, encore loin. À présent, il me caresse le buste, titille mon nombril avec sa
langue, puis l’enfonce à l’intérieur, elle est toute chaude et humide… Cet
homme fait naître comme par magie des dizaines de zones érogènes, qui n’ont
encore jamais été stimulées. Il rend vivant le moindre millimètre de mon corps !
M’excite mentalement, physiquement, émotionnellement… Sur une impulsion,
je le lui avoue :
– Tu ne peux pas savoir à quel point tu m’excites.
Puis j’empoigne ses cheveux. Relevant la tête, il baisse mon soutien-gorge,
se saisit d’un de mes seins et l’aspire goulûment.
– Je te veux dans mon lit, ce soir, Rachel.
Là-dessus, il lève les yeux vers moi, le cercle doré qui entoure ses pupilles
vertes brillant avec intensité. Tout en lui me pousse à accepter… Comme les
réactions qu’il m’inspire !
– Je veux que tu te tordes sous moi, haletante, toute mouillée…
Et il reprend dans sa bouche la pointe déjà toute dure de mon mamelon. Je
bascule sur le canapé, écarte les jambes, essayant de l’attirer sur moi. Mais c’est
sa main qu’il descend entre mes cuisses… Je m’agrippe si fort à ses épaules que
je sens ses muscles se contracter tandis qu’il déplace doucement ma culotte sur
le côté avant de glisser un doigt en moi…
Ce petit geste déclenche une cascade de plaisir qui ruisselle sur tout mon
corps. Je me cambre, poussant un cri extatique… Et, alors qu’il ne me quitte pas
des yeux, un petit sourire aux lèvres, je distingue nettement que le masque de
sang-froid qu’il arbore en permanence est en train de se fissurer.
– Pour moi, Rachel… Laisse-toi aller pour moi.
De son pouce, il effleure mon clitoris, son doigt habile toujours en moi.
Bientôt, sous son regard viril qui me transperce, sa voix qui m’enjôle, l’orgasme
me saisit, et je me tortille en gémissant, incapable de me contrôler, de lui dire
que j’ai aussi envie qu’il se laisse aller pour moi… Encore haletante, j’essaie de
reprendre mon souffle. Il redresse son corps imposant, me décoche un petit
sourire puis rabat ma jupe et rajuste mon haut avant de me murmurer à l’oreille :
– Je rêvais de te faire jouir depuis que tu t’es incrustée à la fête que je
donnais à l’Ice Box.
Il me provoque, je reconnais ce ton, maintenant. Je réponds du tac au tac :
– Mes amies m’avaient pourtant prévenue. Je vais pouvoir leur confirmer
que tu es bien le salaud qu’on prétend.
– Qui prétend ça ?
– Tes anciennes petites amies.
– Je n’en ai pas.
– Tes anciennes maîtresses alors, peu importe comment tu les appelles.
– J’ai aussi mon mot à dire, tu sais.
– Vraiment ? Et quoi donc ?
– Qu’il se peut que je sois innocent.
Et il me sourit. Je me mets à rire. J’ai envie de l’embrasser fiévreusement, de
lui rendre les caresses qu’il vient de me donner. Oui, mais après ? Je lance :
– Tu t’amuses bien avec moi ?
– En fait, c’est moi qui essaie de faire en sorte que tu t’amuses avec moi.
Je pose une main joueuse sur sa cuisse.
– Tu fais tourner mon monde plus vite.
– J’aimerais carrément le renverser, dit-il d’une voix de velours.
Encore une fois, je laisse fuser un rire. Tout en lui pétille de malice, ses
yeux, son sourire. Malice et péché, voilà ce qui le résume.
– Et comment comptes-tu t’y prendre ?
– À toi de me le dire…
Il balaie mon corps du regard.
– Moi ? Vraiment ?
– C’est la première fois que j’ai envie de bouleverser aussi fort le monde
d’une femme.
Ces paroles me glacent… Tout cela devient trop dangereux !
Il se penche en avant et, au lieu de faire ce que j’attends de lui, c’est-à-dire
détendre l’atmosphère parce qu’il voit bien qu’il m’a choquée, il me lance un
regard dépourvu de tout amusement.
– Je préfère te prévenir, dit-il en prenant mon visage en coupe. Je m’accorde
tout ce dont j’ai envie. Me priver de ce que je désire, ce n’est pas ma tasse de
thé. Pas plus que de priver ceux qui m’entourent de ce dont ils ont envie. Je suis
à toi si tu veux de moi, Rachel.
Sur ces mots, il me considère tranquillement. J’objecte, comme par réflexe :
– Toi et moi n’allons pas ensemble ! Je rêve d’un havre calme et chaleureux,
avec une vue magnifique et tout ce dont j’ai envie. Alors, j’arrêterai de bouger et
resterai là, dans ce coin de paradis. Or toi, tu ne te tiendras jamais tranquille.
Ses yeux s’assombrissent et il ne répond pas. Du doigt, il me caresse la joue,
et me scrute intensément comme s’il attendait quelque chose de moi. Non, je
rectifie : comme s’il attendait tout de moi. Ou peut-être n’importe quoi, au
fond… Les impressions sont tellement fluctuantes.
– Et moi, je pense que nous allons très bien ensemble, finit-il par murmurer.
Soudain, la porte du salon privé s’ouvre et ma meilleure amie se matérialise
sur le palier.
– Voilà qui ne me surprend pas ! s’exclame-t-elle d’un ton irrité.
Je pousse un grognement et me lève sur-le-champ, tout en tentant d’effacer
les signes de mon abandon : mes cheveux décoiffés, mon rouge à lèvre à demi
mangé, mes vêtements froissés. Qui plus est, je rougis jusqu’aux racines des
cheveux, ce qui amuse clairement Malcolm. Putain, je dois vraiment avoir l’air
ridicule ! Bon, il est impératif que je donne le change devant Gina, aussi, je me
tourne vers lui et lance :
– Et ne crois pas que ce soit gratuit, je veux d’autres interviews !
– Hé ! s’écrie-t-il, confus. Mais tu m’as promis de passer la soirée avec moi !
Je ne bouge pas, les yeux braqués sur lui tandis que Gina me tire par la main.
– Désolée, dis-je enfin. Il faut que j’y aille.
Il bondit aussitôt sur ses pieds, prend sa veste et regarde Gina, sans oser
visiblement défier sa détermination de Gorgone. Préférant louvoyer, il propose :
– Et si je la ramenais à la maison ?
– Et si je disais « non » ? rétorque-t-elle en battant des cils.
– À propos, je m’appelle Malcolm.
– Je sais, je t’ai déjà vu chez moi, tu as oublié ? Je vois aussi régulièrement
ton visage dans les journaux et bien que tu sois la tentation incarnée, sache que
je suis totalement immunisée contre toi. Et maintenant, dis au revoir à Rachel.
Sur ces mots, elle me saisit énergiquement le bras. Il tente alors :
– Tu ne veux vraiment pas passer la soirée avec moi, Rachel ?
Son visage est de nouveau impénétrable, encore qu’on peut y détecter une
trace d’agacement.
– Non, désolée, je dois dormir à la belle étoile dans deux jours pour le
mouvement Halte à la violence, donc il faut que je me repose. Salut ! dis-je d’un
air gêné.
Puis j’emboîte le pas à Gina, parfaitement consciente qu’il me suit du regard.
Et merde, tout va de travers ! Je passe les mains sur mon visage brûlant alors que
mon amie m’entraîne vers la sortie, par un des longs tunnels qui servent de
corridors. En réponse à l’énorme point d’interrogation que je lis sur son front, je
marmonne :
– Il ne s’est rien passé.
– Bon, écoute bien ce que je vais te dire ! réplique-t-elle d’un ton sévère.
Saint est vraiment synonyme d’ennuis. Pour ton boulot, pour ton cœur. Tu ne
pouvais pas choisir un type pire que lui, sans compter ses deux acolytes. Et
inutile de me raconter qu’il ne s’est rien passé, Rachel, tu es rouge comme une
carotte.
– Une carotte ? Mais qu’est-ce que tu racontes ? Je suis orange ou quoi ?
Et j’ouvre de grands yeux, affolée.
– Rachel, tu ne l’as apparemment pas encore compris, aussi je vais te le dire
sans ambiguïté : tu n’as aucun avenir avec lui. Et ce fichu Tahoe qui n’a pas
arrêté de me suivre de son regard lubrique pendant que je te cherchais.
– Mais je ne suis pas orange quand je rougis !
– Je te jure que ses intentions étaient univoques et je ne m’en suis pas encore
remise.
– C’est à cause des lumières du Tunnel que tu me vois orange. Je t’en prie,
dis-moi juste que tu voulais dire rouge comme une cerise.
– Bon, tu es rouge, ça te va ? Et détends-toi parce que dans quelques jours,
Saint aura déjà oublié ton nom quand il se réveillera entouré de quatre gonzesses
à poils.
Gina ou comment vous faire redescendre de votre nuage… Je lui rétorque :
– Si Saint est synonyme d’ennuis, que dire de Tahoe ? Je ne veux pas qu’il
se joue de toi.
– En l’occurrence, c’est toi qui m’inquiètes. Je refuse que tu sois le jouet
d’un salaud, tu m’entends bien ? Franchement, cette idée d’écrire un article sur
lui me déplaît de plus en plus.
Elle me prend par les épaules et me fait pivoter vers elle.
– Dis-moi qu’il ne t’attire pas, s’il te plaît !
– Je…
Que dire ? Je ne veux pas la blesser, ni lui mentir, je suis moi-même
incapable de savoir ce que je vais faire. J’élude :
– Ce sont mes hormones qui l’aiment bien.
Devant sa grimace, je nuance encore :
– Enfin, un peu.
– Oh non ! dit-elle en secouant vigoureusement la tête. Non, Rachel !
Trop tard ! J’ai joui dans ses bras en boîte ! Ce soir, en me mettant au lit, je
sens encore son odeur sur ma peau. Je l’entends encore m’inviter à rester avec
lui et de fait, je meurs d’envie de savoir l’effet que ça fait de me retrouver
allongée près de lui, entièrement nue. Des centaines de questions flottent dans
ma tête, et une seule est douloureuse, celle qui se trouve entre mes cuisses. J’ai
envie de lui envoyer un texto, de lui écrire que j’ai passé une charmante soirée
en sa compagnie. Mais aurais-je vraiment le cran de m’ouvrir ainsi à lui ? S’il
menait une autre vie, je le ferais sans doute. S’il était un mec normal. Si mon job
comptait moins qu’un partenaire. Je soupire… En gros, dans une autre vie peut-
être aurais-je trouvé ce courage.

Le lundi matin commence au même rythme que celui d’une tortue. Lever.
Café. Boulot. Mails. Retravailler ce que j’ai déjà écrit. Répondre aux questions
d’Helen sur ce qui s’est passé. Puis Victoria débarque, yeux écarquillés.
– Ça a marché, non ? J’ai entendu dire qu’on avait vu une blonde platine sur
les genoux de Saint.
– Chuuut ! dis-je en riant.
Et je lui fais signe d’approcher.
Mais tout à coup, je n’ai plus aucune envie de lui parler de Saint. Parfois,
quand je travaille sur un article, je ne veux rien dire à personne : je le protège,
attendant qu’il mûrisse en moi. Ensuite, je me mets au clavier et tout sort d’un
coup. Avec cet homme, toutefois, c’est différent. Je ne peux supporter de le
partager. Pas même avec mes amies. Je ne comprends pas pourquoi je tiens à
mettre ce cordon de sécurité autour de nous, puisque personne ne peut
comprendre qui il est ni l’avoir. Ni ses nanas, et a fortiori pas mes amies.
– J’ai eu de la chance, mais il ne s’est rien passé, dis-je. Tu connais les mecs.
Ils aiment bien flirter.
– Dans ce cas, drague-le toi aussi. Et mets le paquet.
Elle me fait un clin d’œil et s’éclipse. Et merde ! Je pousse un soupir et
m’écroule dans mon fauteuil. C’est alors que Valentine débarque avec le même
petit refrain.
– Une blonde platine, donc ? Les gens se posent des questions sur les
réseaux sociaux. Pour ma part, je n’en connais qu’une. Comme tu as l’air douée,
tu ne veux pas me donner quelques tuyaux pour mon rendez-vous de ce soir ?
– Ah bon, tu as un rendez-vous ? Waouh ! Y a de l’amour dans l’air. Garçon
ou fille ?
– Fille. Je l’invite chez un Chinois qui cuisine bien gras pour voir si elle
aime s’empiffrer. Je déteste les partenaires qui se contentent de grignoter. Rien
ne m’excite plus qu’une bonne vivante.
Impassible, je continue mes recherches sur Internet.
– Tu savais que les manchots étaient monogames ?
– Oui, j’ai longtemps fait partie de cette tribu, mais je me suis révolté.
D’ailleurs, je n’ai plus l’intention d’être prisonnier des rendez-vous traditionnels
et tu devrais m’imiter. Oh, mais attends une seconde… Toi, tu as toujours
affirmé que tu n’as envie de sortir avec personne, non ?
Je lui adresse un petit sourire suffisant.
– Ce n’est pas parce que toi, tu n’as pas su me faire changer d’avis, que
personne n’en est capable.
– Tu vois. Tu SORS avec lui.
– Mais non ! NON ! S’il te plaît, tais-toi ! Bon, sors d’ici et… va méditer.
Allez, hop, à ton bureau !
Et toute la journée, je dois répondre gentiment aux questions qu’on me pose,
prétendant que lors de ma soirée au Tunnel mon petit monde n’a pas subi la
moindre secousse… Alors qu’il a été si fortement ébranlé qu’il s’est retourné.
CHAPITRE 17

NUIT

Ce lundi soir, je dors de nouveau à la belle étoile. Je pense toujours à ce qui


s’est produit au Tunnel tout en surfant sur mon portable, en quête de nouveaux
articles sur Saint. Il ne s’est pas trop montré, ces derniers temps. Pas de
commérages sur d’éventuels after depuis celui dont il m’a refusé l’accès.
Je remarque tout à coup un groupe de cinq hommes qui vont et viennent
dans le parc, et sont en train de monter une immense tente, alors que tout le
monde est emmitouflé dans son sac de couchage, et grignote des barres en
chocolat, des cerises ou des marshmallows. Je regarde plus attentivement…
Qu’est-ce qui se passe, au juste ? Je me tourne vers Rio, la fille qui se trouve à
côté de moi et qui participe souvent à nos actions nocturnes et lui demande :
– Hé, tu sais à qui est cette tente ?
Elle se retourne et considère à son tour le curieux chapiteau.
– Aucune idée, mais en tout cas, celui qui est dedans veut faire une
déclaration.
Je me mets à rire. Les hommes n’étant pas revenus depuis dix minutes, je
suppose qu’ils ont terminé et me glisse dans mon sac de couchage, à côté de Rio.
Le soleil se couche, tout le monde semble se poser. Je sors alors mes écouteurs
afin de me détendre avec un peu de musique, et reprendre des forces pour
continuer ma chasse à vous-savez-qui. Allongée sur le dos, je suis la descente du
soleil vers l’horizon, à travers les feuillages des arbres, que soulève de temps à
autre une bourrasque de vent, lequel me caresse au passage la peau et les
cheveux.
Je respire profondément, appréciant la sensation de l’herbe sous mon sac de
couchage plutôt fin. Je l’ai depuis des années. Il date de ma première soirée
pyjama quand j’étais en cinquième, et je l’utilise encore pour ces nuits à la belle
étoile, si bien qu’au fil des années, il a perdu de son gonflant ; je refuse
néanmoins de m’en séparer.
Rio me tape subitement sur l’épaule et je me redresse un peu pour prendre
un marshmallow dans le paquet qu’elle me tend, lorsque j’aperçois une
silhouette sombre dans mon champ périphérique. Je tourne un peu la tête… Ça
alors ! Malcolm émerge de sa voiture, un sac de couchage jeté négligemment sur
l’épaule ! Mon cœur fait un immense bond dans ma poitrine… Je jette un coup
d’œil à Rio, et constate que tout le monde a les yeux braqués sur lui, chacun
parlant à son voisin à voix basse. Génial…
Rio écarquille les yeux.
– Ce n’était pas tout à fait le genre de sucrerie que je comptais me mettre
sous la dent, ce soir, commente-t-elle.
Je déglutis avec difficulté et me concentre sur la mastication de mon
marshmallow. Malcolm se dirige vers sa tente, admire le travail de ses employés
et pose son sac de couchage par terre. Après quoi, il scrute les gens assemblés
dans le parc, cherchant manifestement quelqu’un, et bien sûr, mon cœur s’affole
de nouveau. Tout le monde essaie de faire comme si de rien n’était, mais je vois
bien que l’attention de tous est monopolisé par l’homme d’un mètre quatre-
vingt-dix vêtu d’un pantalon noir et d’une chemise blanche qui se tient tout près
de l’immense tente, capable de contenir une dizaine de personnes. Comme Rio,
chaque participant affiche une expression de grande surprise et spécule
probablement sur la personne que cet homme recherche.
Une jeune femme d’un blond vénitien s’approche soudain de lui.
– Saint ? Qu’est-ce que tu fais là ? demande-t-elle.
Et sa poitrine se met à monter et descendre un peu plus vite. Il pose les yeux
sur elle, s’efforçant visiblement de retrouver la mémoire.
– Tammy, l’informe-t-elle avec un rire nerveux. De l’Ice Box, tu te
souviens ? Tu y étais avec tes amis, et moi avec les miens…
– Ah oui, c’est vrai ! dit-il d’un ton impassible.
Puis il lève la main… pour lui dire tranquillement au revoir !
– Ravi de t’avoir revue.
Elle le regarde s’éloigner, bouche bée, et il se dirige… droit, tout droit vers
moi ! Pitié ! Depuis quand m’a-t-il repérée ? Je m’entends murmurer à Rio :
– Je reviens tout de suite…
… À moins que ce ne soit à moi que je m’adresse ! Je sors de mon duvet et
vais à sa rencontre, suivie par de nombreuses paires d’yeux. Je sens l’herbe et les
feuilles qui grincent sous mes pieds tandis que j’avance courageusement vers
lui ; il me sourit et, encore une fois, je me sens rougir. Arrivée à sa hauteur, je lui
demande en riant :
– Tu ne crois pas que tu n’es pas tout à fait dans ton élément, Saint ?
Malgré tout, je constate qu’il a l’air parfaitement à l’aise en bras de chemise
dans ce parc, entouré de pacifistes. Il m’adresse un petit sourire suffisant tout en
me jaugeant.
– C’est toi que je cherchais.
– Comment savais-tu que j’étais ici ?
En posant cette question, je me souviens de mes confidences au Tunnel.
Alors, l’idée qu’il s’en soit souvenu et soit venu pour me voir ce soir me met
soudain du baume au cœur. Seulement pourquoi est-il là ? Je désigne sa tente.
– Belle petite maison, dis-je.
Il se met à rire.
– Maison ?
– Tout à fait ! Tu peux faire entrer au moins dix personnes à l’intérieur.
– Je n’en prévoyais que deux, dit-il d’une voix grave.
Je hausse un sourcil.
– Deux ?
– Oui, toi et moi.
J’en manque de souffle.
– C’est-à-dire que… Je dors avec Rio sous le chêne.
Et je pointe le doigt vers mon sac de couchage. Il fronce les sourcils.
– Où est ta tente ?
– Je n’en ai pas, mon sac de couchage est tout ce dont j’ai besoin.
Il me dévisage comme si j’étais folle et j’éclate de rire.
– Tu ressens vraiment le besoin impérieux d’être le centre de toutes les
attentions ? Tout le monde dort à la belle étoile, ce soir.
– Je me fiche des autres, c’est toi qui m’intéresse.
Il pose sur moi son regard vert et ajoute :
– Donc, tu dors dans ma tente !
Et avant que je ne puisse protester, il me saisit la main et m’entraîne vers
celle-ci.
– Une seconde, je dois prendre mon sac de couchage.
– Inutile, j’ai apporté ce qu’il faut, me lance-t-il par-dessus son épaule,
tandis que je traîne des pieds, derrière lui.
– Il me faut au moins mes affaires !
– OK, dépêche-toi !
Quelques instants plus tard, nous entrons dans la tente et je constate qu’elle
n’est pas conçue pour dix personnes, mais vingt ! Elle mesure au moins deux
mètres de hauteur, enfin, sans doute un peu moins, car Malcolm doit légèrement
se baisser pour tenir. Un immense sac de couchage est déployé sur un matelas
pneumatique. Je ne peux m’empêcher de rire.
– Qu’est-ce qui t’amuse ? questionne-t-il en me souriant.
Et devant son air incrédule et charmant à la fois, je sens mon rire redoubler.
– Rien.
Je m’assieds sur le matelas et tapote à côté de moi pour l’inviter à prendre
place lui aussi. Il obtempère : la proximité de son grand corps me réchauffe d’un
coup. On ne se touche pas, mais sa main est tout près de la mienne. Du coin de
l’œil, je vois son profil, ses mâchoires carrées, ses lèvres affolantes, et ses cils
noirs et touffus. Il est tellement beau, je ne vois même pas comment c’est
biologiquement possible.
Mais tout à coup, je pense à la blonde aux longues jambes qui est venue le
saluer… A-t-il couché avec elle ? Je murmure malgré moi :
– Je parie qu’elle était douée au lit.
Il voit tout à fait de qui je parle.
– Je ne fais jamais de commentaire sur ce genre de choses, rétorque-t-il.
– Tu te contentes d’agir ?
– Tout à fait.
Quel provocateur ! Et moi, je n’ai qu’une obsession, qu’un désir : lui. En
tout cas, s’il s’abstient de tout commentaire sur ses relations, d’autres ne s’en
privent pas puisqu’on raconte qu’il consomme parfois quatre femmes par jour.
Oh, je ne le juge pas ! Il émane de lui une énergie sexuelle tangible. De tout son
corps. Sur une impulsion, je lui demande :
– Est-ce vrai ce qu’on dit, que tu ne couches pas plus de quatre fois avec une
femme parce que c’est ton chiffre préféré ?
– Je mange aussi les bébés, renchérit-il.
– Malcolm !
– Dis-moi, est-ce que tu gaspilles toute ton énergie à penser à moi ?
Je cligne des paupières. Il insiste.
– Eh bien ?
– Non… Pour tout te dire, je suis toujours épuisée quand j’ai passé plus de
deux minutes à tenter de te comprendre.
– Dans ce cas, ne cherche plus à me comprendre, me suggère-t-il.
J’ouvre un sachet de marshmallows, tandis qu’il s’allonge, les yeux toujours
rivés à moi. Je prends un marshmallow et le lui glisse dans la main. Puis j’en
enfourne un. Je précise :
– Ça se mange.
Il se met à rire parce que ma voix est étouffée par l’énorme bouchée de
guimauve que je suis en train de mastiquer. J’éclate de rire moi aussi et il se
décide à manger le marshmallow que je lui ai donné. Mon regard se concentre
immédiatement sur sa bouche. Et le désir me saisit comme un train lancé à toute
vitesse. Non, je ne dois pas réagir à notre proximité…
À l’extérieur, le bruit des voix s’est presque éteint et il fait déjà nuit. On
entend le vent souffler dans les branchages. Je me mets à bâiller.
– Tu es fatiguée ?
Je m’allonge alors sur le côté, lui fais face, et me heurte à l’intensité de ses
yeux, comme s’il était suspendu à ma réponse.
– Oui… Je pense qu’il est temps que je dorme.
Je lance un coup d’œil au sac de couchage, puis vers lui. On dirait
brusquement que l’atmosphère a changé. Je m’éclaircis la voix, engloutis une
autre guimauve. Suis-je censée me mettre en pyjama, ou bien juste me glisser
dans le sac de couchage et me laisser happer par le sommeil ? Mais lui, a-t-il
envie de dormir ?
Je cesse de me poser toute question quand Malcolm déboutonne sa chemise
et la jette à travers la tente… Je me retrouve face à son torse bronzé et musclé,
où se dessinent fièrement ses abdos.
Il ôte ensuite ses chaussures puis son pantalon. Les muscles de son dos
roulent sous sa peau quand il se retourne pour se couler dans le sac de couchage.
La température de la nuit est déjà assez élevée, mais à la vue de Malcolm Saint à
moitié nu, c’est comme si j’avais été précipitée dans un sauna.
Il me désigne le sac de couchage : visiblement, il souhaite que je le rejoigne
sous le duvet. Et quand je me rends vraiment compte de ce qu’il me demande,
mon cœur se met à cogner dans ma poitrine, tandis que mon estomac se
contracte d’excitation. À moins que ce ne soit de peur. Ou d’angoisse. Il m’avait
pourtant prévenue que la tente était pour nous deux… Seulement voilà : j’ai juste
l’impression d’être la suivante dans une file d’attente infinie, la prochaine qui va
dévaler avec lui les montagnes russes. En même temps, j’ai envie d’en être…
Mais à la réflexion, je préfèrerais rester un peu plus longtemps dans la file. Sauf
que l’amateur de montagnes russes a croisé les mains derrière la tête et me
regarde d’un air pénétrant. Une bouffée d’adrénaline se répand dans tout mon
corps…
Je respire profondément, dénoue ma robe dos nu et la fais doucement glisser
le long de mon corps, pour me retrouver bientôt en soutien-gorge et culotte.
Alors je me penche et prends un long tee-shirt en coton dans mon sac. Et bien
sûr, Malcolm ne m’a pas quittée des yeux ! Je m’avance vers lui à présent,
l’herbe craquant gentiment sous mes pieds.
Il ouvre le sac de couchage, je m’allonge à l’intérieur, m’assurant qu’une
distance suffisante nous sépare. Je découvre, à la fois ravie et surprise, que le
matelas est très confortable ; je me mets à fixer le plafond. Quelques murmures
de l’extérieur parviennent jusqu’à moi, ainsi que les chants des criquets, le
bruissement des feuilles agitées par le vent. Je sens aussi la proximité du corps
de Malcolm, sa chaleur, son odeur… Je ne tourne pas les yeux vers lui, car alors
tout pourrait arriver. Nous sommes entourés par une vingtaine de personnes,
mais dans notre tente, notre petite bulle, il n’y a que lui et moi. Personne d’autre.
Et cette pensée me terrifie.
Au même instant, je sens Malcolm bouger… Il plaque la main sur mon
ventre, avant de s’égarer jusqu’à ma hanche. Puis il m’attire à lui, dos contre son
torse. Je suis dans de beaux draps, c’est le cas de le dire, complètement collée à
lui. Enfin, plus exactement, c’est lui qui est collé à moi.
Je me concentre sur ma respiration et ma position. Il a posé le menton sur le
haut de ma tête et son torse se gonfle à chaque inspiration. Je sens sa chaleur à
travers mon tee-shirt… Son visage est si près du mien, que si je me retourne, nos
bouches s’effleureront. Nerveuse, je pose mon bras sur le sien, et il en profite
pour emmêler nos doigts.
Tout ce que j’entends à présent, ce sont les battements de mon cœur.
Pourquoi me fait-il un tel effet ? Saisie par mille et une sensations, je me
pelotonne un peu plus étroitement contre lui. Il faut croire que j’ai envie de
tenter le diable… J’essaie de me rassurer et de me convaincre que je cherche
juste un peu de chaleur, même si la nuit n’est pas très fraîche. Au diable mes
efforts ! Il enfouit le nez dans mes cheveux et, sans relâcher son étreinte, me
donne un baiser sur le crâne. Ce que j’éprouve alors est indescriptible, des
papillons tourbillonnent dans mon ventre, ma gorge se noue… J’ai envie de me
retourner, de le prendre dans mes bras et de l’embrasser à en perdre haleine car
son torse contre mon dos me rend tout simplement folle. Il referme
complètement ses bras vigoureux autour de moi et un sentiment de sécurité
inconnu m’étreint brusquement.

J’ouvre brusquement les yeux en entendant des voix à l’extérieur. Je perçois
de l’agitation, des rires, et la lumière du soleil qui perce à travers le plafond de la
tente. La tente de Malcolm ! Malcolm Saint est actuellement allongé à côté de
moi. Et merde !
J’ai le bras posé sur toute la largeur de son torse, la tête nichée dans le creux
de son épaule. Une de mes jambes est coincée entre les siennes. Mais qu’est-ce
qui m’arrive, bon sang ? Je suis vraiment dans le pétrin !
Et soudain, je sens combien il est musclé. OK…
Mon cœur bat si fort que j’ai l’impression qu’il va sortir de ma poitrine.
Doucement, j’entreprends de me détacher de Malcolm ; il bouge un peu et
resserre son étreinte autour de moi. Puis il pousse un petit grognement et
descend le bras plus bas sur mes hanches. Je tente de le repousser, mais sa main
atterrit finalement sur mes fesses. Sa paume est si grande qu’elle les recouvre
quasi entièrement ! Bon, il est impératif que je contrôle ma panique, tout comme
les émotions qui bouillonnent en moi… Je parviens à m’allonger sur le dos.
Malcolm bouge de nouveau et m’attire contre lui. Je ne peux retenir une petite
exclamation de surprise. Donc ce salaud était réveillé ? Il plonge le visage entre
mes seins.
– Malcolm ! m’écrie-je dans un chuchotement.
Il demeure silencieux.
– Malcolm, n’importe qui peut entrer dans la tente. Ôte ta tête de là !
Il se met à rire et se redresse enfin, puis me scrute d’un air tranquille. Le
souffle me manque. Quelle beauté, ce mec ! Ce regard lascif, ces cheveux
ébouriffés, ce corps délicieusement chaud tout contre le mien. Mon estomac se
contracte… Il penche de nouveau la tête vers moi.
– Ne m’en veux pas, me murmure-t-il dans le cou.
Son timbre est plus grave le matin, et je pousse un gémissement silencieux
devant mon impuissance, car toute ma colère a disparu. Il a ouvert les yeux et
me sourit. Je ne réponds pas, sachant que ma voix va me trahir.
Il lève un œil vers moi. J’essaie de froncer les sourcils, mais je n’ai pas
l’impression que ça marche très bien à voir le petit sourire arrogant qui naît sur
sa bouche. Il revient entre mes seins, avant de glisser un peu plus bas. Il plante
alors un baiser sur mon ventre, et remonte tout de suite pour m’en donner un
autre dans la nuque.
– Tu es furieuse contre moi ? demande-t-il.
Je ne vois pas de quoi il parle.
– Pardon ?
Il dépose cette fois un baiser sur mon épaule, puis me saisissant la main,
plaque ses lèvres sur mon poignet. Au bout d’un moment, il se met à jouer avec
mes doigts.
– Est-ce que tu m’en veux ? insiste-t-il en rejetant mes cheveux en arrière.
Et ce geste attentionné éveille soudain en moi un désir éperdu.
– Oui, je t’en veux, finis-je par répondre. Je t’en veux parce que… Qu’est-ce
que tu fais là, au juste ? Je ne coucherai pas avec toi, tu sais.
Il rit.
– Je ne peux pas coucher avec toi, redis-je, et il ne se passera rien entre nous.
Ses yeux deviennent vert liquide et il fait glisser son pouce tout le long de
mon bras.
– Mais si Rachel, je te le promets.
– Et moi, je te promets que non !
Le sourire qui brillait dans son regard s’éteint, et il ne dit plus rien, se
contentant de m’observer attentivement au point que j’en entendrais presque ses
pensées tourner dans son cerveau… Son envie de faire tomber les murs entre
nous est manifeste.
– Y a-t-il un homme dans ta vie ?
– Non !
– Dans ce cas, je ne vois pas le problème.
– Ah bon ! Eh bien, le problème…
Je pointe du doigt la fermeture Éclair de la tente.
– Tammy et toutes ces nanas… Je ne veux pas être comme elles.
– Dans ce cas, ne leur ressemble pas, me murmure-t-il contre l’oreille.
Quand il me propose de me déposer chez moi pour que je puisse me changer
avant d’aller au bureau, j’accepte et durant le trajet, le ton n’est pas à la
badinerie.
– Viens là que je t’embrasse, me demande-t-il, alors que je suis assise en
face de lui, à l’arrière de la Rolls.
Je me sens vulnérable, écorchée vive. Il sait pertinemment que je le désire, et
à en juger la lueur de détermination tapie au fond de ses yeux, il ne me lâchera
pas tant qu’il ne m’aura pas possédée. Je frissonne.
– Rachel, commence-t-il lorsque nous arrivons près de chez moi.
– Nous ne pouvons pas continuer comme ça.
– Rachel, je suis prêt à tout pour que tu te retrouves dans mon lit, m’assure-t-
il les yeux brûlants de désir.
Je frémis bien malgré moi face à cette promesse, et mobilise toute ma force
de caractère pour ne pas bondir vers lui, l’enlacer et le laisser m’embrasser
jusqu’à ce que toute pensée me déserte, comme toujours avec lui. Aussi, au
moment où la Rolls s’arrête au pied de mon immeuble, je murmure :
– Merci, Saint.
– Malcolm, chuchote-t-il quand je descends.
Je marque une pause et tourne la tête vers lui. Et j’ai l’impression de lui
donner un baiser lorsque je concède :
– Malcolm.
Il fixe mes lèvres comme s’il allait vraiment m’embrasser. On dirait que son
prénom sur mes lèvres a agi à l’instar d’une caresse sur une partie bien précise
de son corps… Mais qu’est-ce qui m’arrive ? Stupéfaite, je tourne les talons et
me rue vers l’escalier.

Mardi, il m’invite à dîner.
Mon cœur fait des bonds. Il te veut Rachel, il te poursuit avec détermination.
Assez ! C’est ridicule. Je ne peux pas me permettre d’être de nouveau vue en
public en sa compagnie par d’autres journalistes, car on comprendra ce que je
mijote : un article de fond sur lui. Et puis je redoute un rendez-vous avec lui qui
n’aurait pas lieu dans le cadre professionnel ; il me suffit de repenser à ce qui
s’est passé la dernière fois !
Je lui réponds que je suis occupée, et reçois aussitôt un texto lapidaire :
OK
Je me demande s’il ressent vraiment ce calme qu’il affiche face à mon refus,
ou s’il en éprouve une certaine frustration. D’ailleurs, la mienne est telle que je
demande à Gina et Wynn d’avoir la gentillesse de m’accompagner dans notre
restaurant japonais préféré, pour un dîner-thérapie entre filles. Il me faut une
échappatoire, il est urgent que je cesse de penser à lui.
Quand on se retrouve, je comprends qu’elles ont appris, par le bon vieux
téléphone arabe ou Internet, que sais-je, que Saint se trouvait au rassemblement
de Halte à la violence ; elles n’arrivent pas à croire qu’il me pourchasse encore
après ma fuite au Tunnel.
– Donc, si j’ai bien capté, déclare Gina avec des yeux incrédules, ce type, ce
play-boy qui te connaît à peine, a fait ce que Wynn et moi avons toujours
refusé ? Il a campé au parc avec toi ?
– N’aie pas l’air aussi choquée ! Tu étais avec moi pour la peinture murale,
vous m’avez toujours soutenue !
– Lui, il veut te baiser, ça, c’est une motivation puissante ! renchérit-elle.
– Tu crois ? Sérieux, il peut avoir qui il veut quand il veut. Son corps est fait
pour ça.
Je rougis et ajoute :
– Et il arrive toujours à ses fins.
– Il faut que tu l’oublies, et vite ! décrète Wynn. Sors, amuse-toi, et prends
ton pied toi aussi.
Mouais… Je suis épuisée, fatiguée…
– Je n’ai pas vraiment la tête à ça.
– Après quelques cocktails, tu te sentiras mieux, m’assure Gina.
– Tu es inquiète parce qu’il te plaît, c’est ça ? suggère Wynn.
J’élude :
– Mais il n’y a rien entre nous, je vous assure ! Je suis juste un peu
déstabilisée parce qu’en fait, ce n’est pas vraiment un salaud. Il est plutôt cool.
– Je te comprends, renchérit aussitôt Wynn. Ça met les nerfs à rude épreuve
et en même temps, c’est très excitant de sentir son cœur battre si fort, au début,
quand on se demande ce que pense l’autre.
– Ce qu’il pense, tu peux me croire, c’est facile à deviner, assure vivement
Gina. Il veut fourrer son sexe dans ta bouche, point !
Wynn prend un air détaché pour tout commentaire et enchaîne :
– Rachel, quand tu dis que tu es inquiète, ça signifie que le fait qu’il te désire
t’effraie, ou bien que tu as peur de ne pas être aussi forte que tu le crois pour lui
résister ?
– Mais je lui résiste ! Sinon, sous sa tente, j’aurais arraché ses vêtements et
l’aurais dévoré sur place.
– Rachel ! s’écrie Wynn en fronçant les sourcils. Plus tu refouleras ton désir,
plus il t’obsèdera ! Fais-toi ce mec, et tu retrouveras toute ta tête pour écrire
l’article. Il passera à autre chose et toi, tu auras plein d’infos.
Je marmonne :
– Tu as sans doute raison.
– Oui, tu y verras plus clair ainsi !
La pensée de coucher avec Malcolm réveille une vraie tempête en moi.
– J’ai l’impression que c’est une zone trop dangereuse pour moi.
– C’est une mission suicide, oui, et ça ne me plaît pas du tout, commente
Gina.
– Il est bien plus périlleux de prolonger une attente au dénouement
inéluctable, observe alors Wynn. Jette-toi à l’eau et écris ton article.
Donc, je dois coucher avec Malcolm… Cette perspective me trouble. En
général, c’est Gina qui revendique les aventures sans attache. Curieux, comme
les expériences qui ont affecté mon entourage marquent profondément ma
propre vie amoureuse. En fait, depuis tout ce qu’elle a subi avec Paul, je suis
réticente à l’idée d’avoir une relation, durable ou pas, avec un homme. Et
maintenant, je suis prête à me jeter dans la gueule du loup ? C’est un peu comme
se réveiller d’un somme et se retrouver précipitée dans le plus profond des
abîmes ! Bon, j’ai un boulot à accomplir, et je compte le mener à bien sans céder
à cet homme pour comprendre qui il est.
Ma vie a été consacrée aux études, au travail, à ma mère, à mon super job, à
Gina et à Wynn. Avec ces deux-là, on est amies depuis la primaire, on est allées
au lycée ensemble, et on a même survécu à la fac, quand Wynn est partie étudier
ailleurs : on se retrouvait tous les Noël, pour Thanksgiving et pendant les
vacances d’été afin de rattraper le temps perdu.
Nous avons toutes « vécu » le traumatisme lié à Paul. Il était si gentil, et si
amoureux de Gina. Je fantasmais sur une rencontre avec mon propre Paul. Il
était le modèle auquel Wynn et moi aspirions. Jusqu’à son coup de traître qui a
brisé le cœur de notre meilleure amie ; après quoi, il nous a fallu nous battre
pour lui redonner le goût de vivre. Wynn est finalement la seule qui s’en soit
vraiment remise, elle croit toujours qu’il existe des hommes bons, comme
Emmett. Pour ma part, je redoute tant l’amour qu’éviter les peines de cœur est
devenu mon obsession. Ce qui m’a également détournée du sexe, de sorte que je
me suis concentrée sur le travail.
Oui, désormais, sans être misandres, Gina et moi tenons les hommes à
distance. Et tout va bien pour nous, car nous agissons en pleine conscience :
nous sommes dans le placard des filles intelligentes, où se retrouvent toutes
celles qui ne veulent pas souffrir, vous me suivez ?
C’est clair, Emmett fait naître des doutes, et chaque fois que Wynn arrive les
joues roses et l’œil brillant, ça nous déprime un peu d’avoir choisi ce mode de
vie, mais il suffit qu’on s’imagine rencontrer un autre Paul pour que cela nous
renforce dans nos positions : ce qui compte dans nos vies, ce sont nos carrières,
nos mères et nos amies.
Or, voilà que je ne suis plus sûre de rien… L’anatomie de Saint ne cesse de
me hanter. Au fond, j’ai peut-être choisi le mauvais métier, j’aurais dû être
médecin. Bref, ce mec m’attire, j’ai vraiment envie de coucher avec lui, qu’on se
dise : « C’était bien, merci, au revoir » ; et puis d’écrire là-dessus…
– Rachel est bien silencieuse, elle doit penser à un nouveau plan, décrète
Gina d’un air inquiet.
Je secoue la tête.
– Ne couche pas avec lui, Rachel. Pas lui ! poursuit-elle.
Je la regarde et hoche la tête. Le problème, quand on est amies aussi proches
que Wynn, Gina et moi, c’est qu’on veut toujours décider pour la vie des deux
autres. La réaction actuelle de Wynn et Gina en est la parfaite illustration !
D’ailleurs, elles sont prêtes à me pousser dans les bras de n’importe quel homme
pour régler l’affaire puisque Wynn déclare tout à coup :
– Écoute, si Saint ne convient pas, je peux te présenter le cousin d’Emmett,
c’est vraiment le mec idéal. Si tu es attirée par Saint, c’est…
– C’est parce que c’est Saint, complète Gina d’un ton bougon.
– Tout à fait ! insiste Wynn. Seulement, tu es accaparée par ton travail
depuis bien trop longtemps. Il ne faut jamais plonger dans les extrêmes, que ce
soit pour les régimes, le sexe ou l’abstinence.
Je mets soudain le holà :
– Bon, les filles, ça suffit, d’accord ? Je n’ai pas envie de sortir avec un
homme en ce moment, vous imprimez ? Il faut d’abord que je me sente en
confiance professionnellement, après on verra. Eh, ne prenez pas cet air désolé !
Tout ira bien pour moi dès l’instant où j’aurai fini cet article.
Et bien malgré moi, j’imagine sa peau contre la mienne, son sexe en moi, sa
bouche partout sur mon corps, j’entends ses grognements et j’aimerais que les
choses soient différentes afin de pouvoir être avec lui. Mais je ne peux pas
renoncer à un article qui va faire décoller ma carrière !
De toute façon, Saint n’est pas un homme capable de se donner tout entier, et
je ne suis pas le genre de femme à se transformer radicalement pour vivre le
grand amour. Cela dit, je peux peut-être passer une nuit avec lui, non ? Juste une
nuit…
CHAPITRE 18

TOURBILLON

Tard ce soir-là, je fais encore des recherches jusqu’à minuit, tant je me sens
fébrile. J’éprouve le besoin de rédiger cet article le plus vite possible car, en
dépit de ce que j’ai affirmé à mes amies, je crains de tomber amoureuse de lui.
Et je me surprends à rêver devant ses photos sur Internet… Mais qu’est-ce qui
m’arrive ?
Sur YouTube, je tombe sur une vidéo où son père fulmine contre lui : « Saint
a eu beaucoup de chance, il est astucieux, il a reçu l’héritage de sa mère, mais il
n’a pas la moindre idée de la façon dont on gère une société qui vaut plus d’un
milliard. »
Je marmonne alors :
– Il me semble qu’il a prouvé que tu avais tort, non ?
C’est un bel homme, d’environ cinquante-cinq ans. Malcolm ne lui
ressemble pas, à l’exception de sa carrure virile. Sa beauté exceptionnelle et son
sourire à se damner lui viennent de sa mère.

Je me lance aussitôt dans des recherches sur elle et la cause de sa mort. Je
trouve plusieurs infos. Catherine H. Ulysses, l’une des assistantes de Malcolm,
celle qui est amoureuse de lui – j’en mettrais ma main au feu –, était donc à
l’enterrement, tout près du jeune Malcolm, ce qui me confirme qu’elle le connaît
depuis un certain temps. Puis je tombe sur un renseignement intéressant…
Juliette, la mère de Saint, adorait visiblement les animaux et chaque année
octroyait d’importantes donations aux sociétés qui les protègent. Et je découvre
que le jour où Saint a sauvé Rosie, c’était celui de l’anniversaire de sa mère.
Tiens, tiens… Je remonte le fil du temps. Chaque année depuis de sa mort, il
sauve ou adopte un animal, et se rend ensuite sur sa tombe (ainsi que le révèle la
présence de son véhicule près du cimetière).
Je sens mon cœur se serrer. Je l’ai vu ce jour-là, peut-être était-il aussi triste
que moi je le suis, pour l’anniversaire de la mort de mon père. Je me souviens
que nous l’avons déposé à M4 où sa voiture l’attendait. Je n’aurais jamais
imaginé qu’il allait se rendre au cimetière, et je le regrette. Ce qui renforce ma
motivation d’en découvrir davantage sur lui. J’aurais pu être à ses côtés, ce soir-
là, l’emmener quelque part où il se serait amusé et… Et quoi, Rachel ?
Commettre l’acte le plus insensé de ta vie en couchant avec lui, alors que tu as
un précieux article à rédiger ? Clairement déchirée, je clique encore sur quelques
liens, surtout ceux qui concernent ses parents.
J’entends soudain Gina s’étrangler avec les céréales qu’elle tenait à manger
pour éponger les cocktails qu’elle a bus tout à l’heure, lorsqu’on frappe à la
porte. Curieux… Je perçois quelques bribes de l’échange : « … appartement
3C… morte… » Mon sang se fige dans mes veines, je me rue hors de ma
chambre, au moment où Gina referme la porte de notre appartement : je la vois
enfouir son visage dans ses mains et éclater en larmes.
– Gina !
– C’est madame Sheppard, parvient-elle à articuler.
Je la revois alors tout sourire, il y a quelques jours, en train de promener ses
animaux et en une seconde, je me transforme moi aussi en fontaine. J’ai redouté
toute ma vie la scène que je suis en train de vivre ! Oui, la peur d’une perte
immense et inattendue m’habite depuis la mort de mon père, avant même que je
n’en sois consciente. C’est un sentiment de vulnérabilité totale. Subitement,
votre monde se met à tourner et il vous est impossible de reprendre pied.
Lindsey Sheppard était notre voisine de palier, elle a été tuée par balle par un
groupe de jeunes gens qui circulaient à bord d’une voiture, il y a une heure. À
son arrivée à l’hôpital, elle n’avait pas survécu. Gina et moi sommes si
choquées, qu’après avoir pleuré toutes les larmes de notre corps pendant dix
minutes, étroitement enlacées, nous allumons la télévision et regardons les
nouvelles. Je renifle, elle renifle, nous reniflons en chœur. J’appelle ma mère
pour lui demander comment elle accuse le choc, et elle me pose la même
question. Je lui mens et dis que ça va.
– Quand viendra donc le jour où l’on n’apprendra plus des nouvelles aussi
affreuses ? soupire Gina d’un ton las en éteignant la télévision.
Elle ouvre mon ordinateur et s’assied à côté de moi afin que nous puissions
suivre en ligne les informations sur ce terrible évènement. Mais nous
n’apprenons rien de plus, elle renonce, et va dans la cuisine.
Je découvre alors que j’ai une tonne d’alertes liées aux mots-clés que j’ai
entrés : Malcolm Saint. Sur une impulsion, je clique sur quelques-uns et tombe
sur des blogs qui colportent des ragots. J’ouvre une vidéo. Après une publicité
de quinze secondes, le visage de Saint s’affiche sur l’écran et je sens une douleur
lancinante m’étreindre… Il est en costume noir, cravate noire, cheveux plaqués
en arrière, fendant la foule. Il a l’air inaccessible, ailleurs.
Ces clips ont été pris la veille, pendant qu’il assistait à une soirée dans le
cadre de son travail. « Et le requin de la finance était parfaitement seul »,
commente une voix off. « Les spéculations vont pourtant bon train sur le Net :
aurait-il pour la première fois de sa vie une relation sérieuse avec une
journaliste ? »
– Il était peut-être seul à cette soirée d’affaires, mais je peux t’assurer qu’en
ce moment, il ne l’est pas, décrète Gina.
Et elle se sert de l’eau pour avaler un somnifère. Comme ma petite attirance
semble devenir plus sérieuse, ces paroles ne me font pas de bien du tout. En fait,
avec ce qui est arrivé à madame Sheppard ce soir, je suis vraiment malheureuse.
– Gina, ne me laisse pas, lui dis-je en la rattrapant par le bras. Reste, sinon,
je ne vais pas pouvoir dormir.
– Oh, ma pauvre chérie !
Elle me tapote gentiment la tête et ajoute :
– Allez, bonne nuit, maintenant.
Je renifle un peu et repense encore à la dernière fois où j’ai vu madame
Sheppard. C’était lorsque je me rendais aux locaux d’Interface, elle promenait
son chien et son chat… Elle avait été très gentille avec moi, comme toujours.
J’ai de la peine pour ces pauvres animaux, désormais seuls. Et je suis vraiment
triste que la ville de Chicago ait perdu madame Sheppard. Toujours perdue dans
mes pensées, je regarde les nouvelles télévisées, où il est alors question des
investissements de M4 dans le domaine pharmaceutique.
Je me rends compte que Saint est une séduisante tête-brûlée et que je suis
son trésor, un bourreau de travail effrayé qui porte son cœur en bandoulière,
toujours vulnérable. Quand tu sortiras de ta boîte, je t’attendrai… Oh, Rachel,
mais que t’arrive-t-il ?
Je fonce vers la salle de bains, plus précisément sous la douche, et m’attache
les cheveux pour ne pas les mouiller. La culpabilité est un sentiment si
insidieux ! Il m’accable toujours quand quelqu’un meurt de cette façon.
Coupable de ne pas avoir fait plus, d’être encore en vie. Nous recourons à tant de
mécanismes de défense pour nous en sortir. La colère, le déni, les larmes… Mon
mécanisme à moi, c’est l’action. J’y ai souvent recouru jusque-là dans ma vie
pour combattre les peurs et engourdir ma peine. Je n’avais jamais imaginé que ce
réflexe de survie me conduirait à un homme – et encore moins cet homme-là.
Je choisis mes sous-vêtements en pensant à lui. Du blanc, car je sais qu’il a
de l’expérience, et moi si peu : par conséquent, je veux qu’il soit prudent avec
moi. Ma robe ? Là encore, c’est lui qui guide ma main, et bien sûr des
chaussures noires. À chacune de mes respirations, il est dans mes pensées.
Maintenant, je me peigne, des coups de brosse vigoureux, jusqu’à ce que mes
cheveux soient bien brillants et retombent tout lisses dans mon dos. Puis, mes
clés à la main, je m’observe attentivement dans le miroir : qui est donc cette
personne avide de sexe et désespérément folle qui me fixe en retour ?
Je sais que Saint possède plusieurs biens à Chicago, mais ce dont je suis
certaine, c’est qu’il réside en ce moment dans un appartement de grand standing
au sommet d’un gratte-ciel en verre miroir, lequel surplombe le lac Michigan et
l’avenue du même nom. Je griffonne sur un Post-it à l’attention de Gina – « Je
suis sortie » – juste au cas où elle se réveillerait et s’inquièterait, puis je file dans
le hall de l’immeuble et, à l’extérieur, hèle un taxi.
Il est peut-être encore à la collecte de fonds, me dis-je soudain. Et s’il ne
rentrait pas directement chez lui ? Ou pire, s’il rentrait accompagné… Pourtant,
aucun de ces arguments ne semble vraiment pénétrer les brumes de mon cerveau
quand je saute dans le taxi. J’ai l’impression de me trouver au bout d’un
élastique tendu à l’extrême, prête à prendre mon envol sans savoir où je vais
atterrir.
Je veux le voir. J’essaie de me convaincre que c’est tout ce que je souhaite.
Je ne suis pas ivre.
Je suis en complète possession de toutes mes facultés mentales, et en même
temps, c’est comme si je les avais perdues… À l’arrière du taxi, je regarde
défiler les immeubles menaçants, les fenêtres brillantes, les rues encombrées, la
gorge nouée en pensant à Saint, à l’appartement luxueux où il vit actuellement,
pendant la rénovation d’un autre, encore plus impressionnant.
Mes talons claquent sur le marbre quand je traverse d’un pas d’automate le
hall de son immeuble et me dirige vers le gardien, me demandant ce que Mal va
penser de mon initiative.
– Bonsoir ! dis-je d’un ton assuré. Rachel Livingston pour monsieur Saint. Il
ne m’attend pas.
Le gardien m’assure de ne pas m’inquiéter et compose son numéro.
Visiblement, il le connaît par cœur. Il lui annonce ma visite, puis me dit :
– Montez ! C’est au dernier étage.
Un groom introduit une clé dans l’ascenseur, j’imagine que c’est pour
sécuriser l’accès au dernier étage ; il ressort pour me laisser entrer. Putain ! Mais
qu’est-ce que je suis en train de faire ? Pourvu qu’il ne me prenne pas pour une
traînée… En fait, il serait préférable qu’il se trouve en ce moment avec une fille,
ce qui me permettrait de rentrer directement chez moi et d’oublier que je suis
venue… Et si l’ascenseur se bloquait brusquement jusqu’à ce que je retrouve
mes esprits ? Et que je ne me remette jamais de cette frayeur, de ce sentiment de
claustrophobie afin de ne jamais revenir… ?
Mais l’univers n’entend aucune de mes supplications. L’ascenseur s’ouvre
directement dans l’appartement, j’entends de la musique… Et merde, ce n’était
pas ainsi que j’envisageais mon arrivée !
Consciente que je devrais prendre mes jambes à mon cou, je me force
cependant à mettre un pied devant l’autre. Le luxe minimaliste, et néanmoins
digne d’un palais, qui me happe dès mon arrivée me transporte immédiatement
dans un autre monde…
Sa veste est posée sur le dos d’un long canapé moderne en forme de L. En
arrière-fond, je reconnais un air de Chopin, du moins je crois. Un verre de vin
vide est posé sur la table basse. Aurait-il de la visite ? Finalement, tes vœux ont
peut-être été entendus, Rachel, il n’est pas seul chez lui. Qui sait s’il n’a pas
organisé une partie à quatre ? Le concierge aura vu en toi la quatrième
personne… Cette pensée m’est soudain insupportable et j’ai vraiment envie de
pleurer. Je porte une ravissante petite robe noire, mais mon visage reflète
assurément une grande tristesse. En tout cas, ce n’est pas un mélange détonnant
pour séduire un homme à femmes et j’envisage sérieusement de m’éclipser
quand il surgit du corridor, en reboutonnant sa chemise blanche. Qu’il est
beau… Il a l’air distrait, les cheveux en désordre. Il est pieds nus et tellement
sexy. Je remarque subitement son ordinateur ouvert sur la table, à côté de la
bouteille de vin. Était-il en train de travailler ?
– Quelque chose ne va pas, Rachel ? me demande-t-il en me jaugeant de la
tête aux pieds.
Et soudain, je me sens extrêmement vulnérable… Incapable de faire face à la
mort violente de madame Sheppard, qui ravive tant de traumatismes en moi, je
me suis habillée pour séduire un homme, cet homme-là, à cause de qui j’ai une
boule dans la gorge et le cœur douloureux…
– Tu es seul ? Je te dérange ?
Je fais appel à tout mon courage, consciente de mon désir éperdu de le
toucher, de l’embrasser. Il plisse les yeux.
– Qu’est-ce qui se passe ?
– Une de mes voisines d’immeuble est morte, touchée par balle ce soir, dis-
je en me frictionnant les bras, brusquement frigorifiée. Elle était divorcée et
vivait avec un chat et un chien. Elle était très belle. Solitaire et merveilleuse.
Il passe une main nerveuse dans ses cheveux, puis laisse son bras retomber.
– Je suis désolé, dit-il, viens là.
Oh oui, comme j’ai envie qu’il m’enlace ! Un pas, deux, trois, quatre, cinq et
je me glisse dans ses bras, l’enlaçant par la taille ; il me serre étroitement contre
lui et pose la main derrière ma tête.
Oh non ! Depuis quand suis-je devenue une fille comme ça ? Une fille qui a
besoin d’être cajolée par un homme qui hante en permanence ses pensées ?
Chaque fois que je voyais Wynn dans les bras de son père, ou dans ceux de ses
petits amis par la suite, je l’enviais réellement, mais j’ignorais à quel point
jusqu’à ce que Saint me berce doucement contre lui. Il me tient contre lui
comme l’autre jour, chez moi, mais j’étais alors bien trop pétrifiée pour
apprécier.
Je pose mon visage contre son torse… Ce qu’il sent bon !
– Je suis désolé, murmure-t-il d’une voix rauque.
Puis il prend mon visage entre ses mains et plonge son regard compatissant
dans le mien : j’y vois une fièvre mêlée de tendresse. Il me donne un petit baiser
presque fraternel au coin de la bouche. Un baiser pour me consoler, me
réconforter. Et tout à coup, je sens mon corps se réveiller au contact de ses
délicieuses caresses que lui seul sait me donner. Les battements de mon cœur
s’accélèrent, mon pouls se met à battre de façon assourdissante dans mes tempes.
C’est une sensation incroyable, formidable, que celle où l’on passe en une
seconde de l’humeur la plus sombre à l’excitation la plus vive, d’un sentiment de
peur à celui où l’on est capable de tout. En l’occurrence de hurler, de bondir, de
l’embrasser.
L’empoignant par la chemise, je lui demande :
– Tu veux toujours coucher avec moi ?
Il fronce les sourcils.
– Maintenant ? Tu plaisantes, j’espère ?
Je serre les dents puis, saisissant un coussin sur le canapé, lui jette au visage.
– Et toi, tu plaisantes ?
J’ai hurlé. Son visage devient aussi dur que du granit, puis il se dirige vers
un angle du salon, et tapote un code sur un clavier. S’emparant d’un combiné
sans fil, il dit :
– Pas de visiteurs.
Il le repose et revient d’un pas résolu vers moi.
– Je suis peut-être un salaud, Rachel, mais je ne vais pas profiter de toi dans
l’état où tu es.
– Mais puisque c’est moi qui te le demande !
– Regarde-toi, enfin ! Si tu voyais ta tête, tu comprendrais que la dernière
chose dont tu aies besoin, c’est de coucher avec un homme ce soir.
Il émet un rire dérisoire, jure dans sa barbe, puis me prend dans ses bras et
me soulève le menton.
– Saint, je t’en supplie…
– Pourquoi es-tu venue au juste, ce soir ?
– Je te l’ai dit.
– Donc, c’est pour le sexe ? demanda-t-il d’une voix rauque.
Et de son pouce, il me caresse la joue. Je déglutis avec difficulté, et presse de
nouveau le visage contre son torse avant de marmonner :
– Ne peux-tu donc rien faire contre la violence qui sévit à Chicago ?
Ce que je me sens bien dans ses bras ! J’ajoute promptement :
– Tu es si puissant… Tant de gens se réveillent un beau matin, avec un vide
immense, une perte irréparable. Toi, tu as la faculté de faire bouger les lignes !
On t’écoutera si tu parles de la violence qui sévit à Chicago, tu attireras
l’attention des gens.
Il me considère un instant et me saisit la main.
– Viens.
Il m’entraîne dans un corridor qui ouvre sur de nombreuses portes, et en
pousse une qui révèle une chambre immense et moderne, au mobilier foncé et au
tissu clair.
– Mets-toi à l’aise, me dit-il.
Et il me tend une chemise d’homme qu’il vient de sortir de son placard avant
de disparaître dans une salle de bains de la taille d’un spa, refermant une porte
coulissante derrière lui. Les battements de mon cœur s’accélèrent quand je saisis
la chemise et, sur une impulsion, je la porte à mon nez… J’entends la douche
couler : que j’aimerais avoir l’audace de me déshabiller et le rejoindre !
Mais à la place, je hume à pleins poumons sa chemise, enlève ma robe et,
après m’être demandé une seconde si je retirais aussi mes sous-vêtements, je
n’en fais finalement rien et m’en félicite quelques secondes après. Une fois que
j’ai enfilé sa chemise, l’intimité qu’elle me procure me trouble terriblement et
ravive en moi un désir violent.
Tout mon corps me picote à son contact. Je n’avais pas compris à quel point
sa fichue chemise me manquait ! Espérant encore au fond de moi le faire
changer d’avis, je lisse mes cheveux, essuie mes larmes et me glisse dans son
lit… Son matelas, aussi immense que confortable, me donne tout de suite la
sensation de flotter sur un champ de nuages.
Lorsque Malcolm sort de la salle de bains, une vague de chaleur se répand
en moi. Il porte seulement un bas de pyjama, et ses cheveux sont mouillés. Un
vrai miracle… Il s’allonge à côté de moi et je me blottis sans réfléchir contre lui.
L’odeur de son savon m’envahit quand il me serre étroitement. Subitement, je
voudrais qu’il grogne et halète, sentir tout le poids de son corps sur moi, un
corps fiévreux…
Je suis dans son lit ! C’est comme un rêve devenu réalité, après toutes ces
nuits passées à fantasmer sur lui. J’incline la tête en arrière pour avoir un peu de
recul. Il baisse les yeux vers moi, puis sourit.
– Rachel Livingston, si tu savais ce que j’ai en tête, je t’assure que tu ne te
sentirais pas tranquille en ma présence.
Non, il ne peut pas imaginer ce dont j’ai envie, la force désespérée de mon
désir. Deviner qu’il m’obsède en permanence… Mais l’intensité de son regard
me mystifie et l’air semble tout à coup électrique. Il m’est vraiment difficile
d’être étendue près de lui et de me contenter de le scruter alors qu’il éveille en
moi des envies insensées. Il ne bouge pas, me tient toujours sagement dans ses
bras, le visage tout près du mien, tandis qu’il me regarde avec un air déterminé.
– Parle-moi de tes projets, me dit-il.
Et, bien que je perçoive du désir dans sa voix, j’entends aussi de la sincérité
dans sa question. Je rétorque néanmoins :
– Pourquoi tiens-tu à discuter ? Nous pouvons tout à faire recourir à un autre
langage…
Mais quand il me décoche un coup d’œil contrit, je soupire, enfouis le visage
dans son torse et ajoute :
– Jamais, dans ma vie, je n’ai eu l’impression d’être en sécurité. Mais toi, le
mouvement ne te fait pas peur, tu es toujours dans l’action…
Un silence s’ensuit et, l’air pensif, je reprends :
– Pourquoi ? Pourquoi es-tu toujours en quête de quelque chose ?
Il émet un rire sec.
– Je ne sais pas. Sans doute parce que je veux toujours quelque chose.
– Même des femmes ?
Il ne réagit pas puis, pressant doucement ses lèvres contre ma tempe,
murmure :
– Oui, parfois.
Je me sens fondre, mais un élan de jalousie me traverse aussitôt. J’essaie de
le surmonter.
– Tant de monde gravite autour de toi, Malcolm, que je suis surprise de te
trouver seul chez toi, ce soir.
Il hésite, effleure de nouveau mes tempes, puis se repositionne dans le lit, si
bien que je me retrouve presque juchée sur lui… Il se met à me caresser le dos,
par-dessus sa chemise.
– Les gens avec qui je sortais jusque-là ne m’amusent plus vraiment,
chuchote-t-il contre mon oreille.
Et je me liquéfie littéralement. Que va-t-il rester de moi demain matin, au
réveil ? Effleurant son téton de mes lèvres, je murmure en retour :
– Pourquoi t’entoures-tu toujours de si nombreuses personnes ?
– À cause de la méningite que j’ai eue, enfant. Je t’ai dit que mon père ne
supportait pas que je sois malade. Or, à cinq ans, je me suis retrouvé à l’hôpital
avec une méningite. Ma mère venait me voir chaque jour une heure, avant son
cours de tennis, et en dehors de cette visite, le temps s’étirait très lentement. Si
lentement que je regardais les minutes s’égrener une à une. J’attendais que ma
perfusion se vide pour qu’enfin quelqu’un vienne et la remplace.
Il ressentait donc une immense solitude, dans une clinique privée. Comme à
l’isolement dans une cellule. Je l’observe : aujourd’hui, il est grand, puissant,
bien entouré. Et pourtant toujours étreint par un sentiment de solitude. Fermant
les paupières, je titille son téton du bout de la langue, l’aspire, l’embrasse. Je
sens qu’il se tend, et quand il empoigne mes cheveux, prêt à me repousser,
j’arrête et lève vers lui un regard fiévreux.
– Dans le cadre de Halte à la violence, je rends parfois visite aux familles
des victimes, et certaines sont vraiment solitaires. Les gens ne se rendent pas
compte qu’à défaut de faire des dons financiers, ils se rendraient utiles en offrant
un peu de leur temps.
Il me sourit de nouveau d’un air contrit, mais le désir que je vois naître dans
les profondeurs de ses prunelles est d’un tout autre ordre.
– Viens là, Rachel.
Il m’attire tout contre lui et plonge la main dans mes cheveux.
– Je suis vraiment désolé pour ta voisine.
Sa proximité m’embrouille les pensées, tout comme son odeur masculine
unique, son savon, son shampooing, son après-rasage. C’est un mélange puissant
qui agit comme un aphrodisiaque sur mes sens. Je ferme les paupières et laisse
glisser mes doigts sur son torse… Une caresse légère, je ne veux pas être
insistante, mais c’est plus fort que moi. Tout comme je ne peux empêcher mon
cœur de battre à toute vitesse, bouleversée par ses confidences. Mais également
éperdue de désir.
Je brûle d’envie de faire courir mes doigts sur sa mâchoire. De presser mes
lèvres sur les siennes, je ne suis que désir… Saint incarne le dynamisme, le
mouvement. C’est un homme qui va toujours de l’avant, qui en veut toujours
plus. Il a l’énergie de celui qui veut posséder le monde, et je veux trouver ma
place dans cet élan ! Grave erreur, j’en suis consciente…
Saint est un éternel séducteur, aucune femme ne saura apaiser l’appétence
qui le dévore, la soif du toujours plus. Assez, Rachel ! L’amour, c’est pour les
romantiques, toi, tu es journaliste, non ? Pourtant, pour la première fois de ma
vie, je me retrouve dans le lit d’un homme et ne peux m’empêcher de vouloir,
pour une nuit, être une autre…
CHAPITRE 19

MATIN

Au réveil, il a les traits reposés, les cheveux emmêlés, et une barbe


naissante. Il me regarde quand j’ouvre les yeux, et je rougis. J’ai si bien dormi
dans son lit ! Je me sens apaisée et relaxée.
– Salut !
Il passe gentiment la main dans mes cheveux et je tends la nuque comme
pour me rapprocher de lui. Bon sang ! Ce que j’ai besoin de ses caresses, c’en est
vraiment inquiétant ! Je porte toujours sa chemise, et l’idée que lui aussi l’ait
mise me réchauffe le cœur. Je dois réellement lutter pour maîtriser mes
réactions. Nous sommes dans son lit, tous deux peu vêtus et nous nous
dévisageons à présent avec fièvre, agités. Les éclats de glace dans ses yeux ont
laissé place à une chaleur diffuse et mon propre désir lui répond. Mes cheveux
me caressent sensuellement les reins… Assez !
– Je vais préparer le petit déjeuner, dis-je.

Toujours vêtue de sa chemise, je fonce vers la cuisine. Après quelques
tâtonnements, je mets la machine à café en marche, et fais griller des toasts.
Quand Saint me rejoint, il a déjà enfilé un pantalon et une chemise blanche ; il
accroche sa veste au dos d’une chaise. Ses cheveux sont encore mouillés et
retombent sur son front, il a l’air décidé et le teint bien bronzé.
Je perçois une intimité entre nous lorsque je m’assieds autour de la table
pour déjeuner. Saint prend place à son tour, et lit les nouvelles sur son iPad. Je
ne veux pas enlever sa chemise, elle me manque dans mon armoire, je ne m’en
étais encore pas rendue compte à ce point.
– Cela ne t’ennuie pas si j’emporte ta chemise ? Je la donnerai au pressing et
te la rendrai ensuite.
– Non, garde-la.
Il repose son iPad et se penche en avant, sa propre chemise épousant ses
muscles de manière alléchante. Il pose alors sa large paume sur ma joue,
repousse mes cheveux sur le côté et m’embrasse avec une douceur presque
douloureuse.
– Rachel…
Mais, avant que j’aie le temps de lui rendre son baiser, il prend mon visage
en coupe et plonge ses yeux vert glacé dans les miens, touchant directement mon
âme.
– Je ne suis pas vraiment l’homme que l’on vient voir pour obtenir du
réconfort, poursuit-il. Cela dit, je trouve touchant que tu sois venue chez moi
hier soir.
Je me rends compte que, ce matin, il est comme à vif. On dirait qu’il brûle
de l’intérieur. Je croque une bouchée de pain à la confiture de framboise et passe
le bout de ma langue sur le coin de mes lèvres : à cet instant, je prends
conscience que la nuit a dû être une épreuve pour lui…
– Tu n’as pas bien dormi, n’est-ce pas ?
Il m’attire d’autorité à lui, et son souffle chaud me caresse l’oreille quand je
me retrouve sur ses genoux. Je m’y sens si bien… Pourtant, je ne peux
m’empêcher de trembler.
– Il y a longtemps qu’une femme n’a pas dormi dans mon lit, me dit-il. Mais
pour toi, j’ai fait une exception.
Sur ces mots, ses paupières s’alourdissent, et je me mords la lèvre, anxieuse.
Et lorsqu’il baisse les yeux vers ma poitrine, mon corps se réjouit de retrouver
ses attentions familières.
– Saint…
Il pose la main sur le dos de mon crâne, puis sa bouche bâillonne la
mienne…
– Tu m’obsèdes, marmonne-t-il.
Il a le goût du dentifrice et du café quand il titille mes lèvres pour que je les
entrouvre. Soudain, je ne contrôle plus mes mains qui s’enfouissent, fébriles,
dans ses cheveux. Je murmure en me cambrant contre lui :
– Saint…
Il pousse un grognement et me repositionne au-dessus de lui, de façon que je
le chevauche, les mains plaquées sur mes fesses. Si nous n’étions pas habillés, il
serait en moi… À la place, c’est sa langue qui fait l’amour à ma bouche, sans
relâche, avec fièvre, possessive. Je sens son ardeur, chaque coup de langue est
plus profond que le précédent et m’entraîne dans un tourbillon vertigineux, qui
converge vers un seul point, Malcolm Saint, l’homme qui accélère le cours de
ma vie, de mes pensées toutes tournées vers lui : avec qui est-il, qu’aime-t-il, qui
aime-t-il…?
Et il continue à presser sa bouche avide contre la mienne. Me mouvant en
cadence sur lui, je sens avec délice son érection tendre le tissu de son pantalon,
si impressionnante que j’en tomberais presque à la renverse. Je le désire, j’ai
besoin qu’il soit en moi ! Un grognement remonte de son torse quand il plante
ses mains sur mes hanches, pour rapprocher mon entrejambe encore plus
étroitement de son sexe. Il est dur comme un roc, sa respiration bruyante,
irrégulière…
– Reviens ce soir, j’enverrai mon chauffeur te prendre. Nous irons dîner et…
– Non, pas de dîner !
– Pourquoi ?
Parce que je ne supporte pas l’idée d’être juste une conquête de plus sur la
liste trop longue de tes nanas ! Posant la main sur sa joue fraîchement rasée et
bien lisse, je murmure contre son oreille, complètement excitée :
– Parce que tu sais ce que je veux.
Et je m’arc-boute un peu plus contre lui, contre ce qui semble si bon…
J’ajoute alors :
– Parce que ce que je veux, c’est toi.
CHAPITRE 20

CE SOIR…

Je suis assise à mon bureau, en train d’écrire, quand mon regard se heurte
tout à coup à une composition florale qui dissimule le livreur qui la porte.
– C’est pour vous, me dit ce dernier, de derrière une forêt d’orchidées.
Je me fige, choquée puis, les yeux plissés, balaie l’espace autour de moi…
Quelqu’un, à Edge, a-t-il décidé de me jouer un tour ? Je n’en ai pas
l’impression, car tous tapent tranquillement sur leur clavier, quelques-uns se
tournant toutefois vers moi d’un air curieux.
Me rendant compte que le pauvre livreur va s’effondrer sous le poids de son
fardeau, je fais un peu de place sur ma table de travail, afin qu’il l’y dépose, puis
plonge dans la contemplation des plus belles orchidées qu’il m’ait été donné de
voir… Je repère alors une carte nichée entre ces magnifiques fleurs blanches et
bleues. Je m’en empare et me mets à trembler si fort que je m’écroule sur ma
chaise…
« Il ne me semblait pas juste que tu passes une autre journée sans savourer le
luxe d’un cadeau offert par un homme qui pense à toi. M.S. »
Je secoue la tête et repose la carte. Sandy, une de mes collègues, s’arrête à
ma hauteur en voyant le bouquet.
– Waouh ! s’écrie-t-elle. Un homme veut conquérir ton cœur, Rachel.
À cet instant, Valentine se penche dans mon box.
– Crois-moi, il vise plus bas, dit-il.
Victoria et Helen veulent immédiatement savoir ce qui se passe. J’élude :
– Désolée, j’ai beaucoup de travail.
Je veux que la soirée soit vraiment à nous, que personne n’en sache rien, que
ce soit juste lui et moi. Consciente qu’il s’agit d’un moment volé au temps, je me
sens tout à coup l’âme d’une pécheresse. Cela dit, j’ai vraiment hâte de revoir
Mal. Mon corps en est tout douloureux. Je lui envoie un texto :
Merci
Remercie-moi en personne ce soir.
Il sait, nous savons tous les deux très bien ce qui va se passer ce soir. Que je
suis impatiente de le retrouver, comme j’ai hâte que cette journée se termine ! Je
n’arrive pas à avaler la moindre bouchée au déjeuner et il ne quitte pas mes
pensées une seule seconde.
D’ailleurs, tout le monde semble parier qu’il est l’expéditeur de ces
merveilleuses orchidées. On s’extasie sur la fraîcheur de la composition florale,
sur son originalité, son harmonie, et certains spéculent même sur son coût.
Victoria vient elle aussi jeter un coup d’œil dans mon box et essaie de lire la
carte. Je la lui reprends vivement et la fourre dans mon sac à main.
– Eh bien ! Tu ne veux vraiment pas qu’on sache.
Elle fronce les sourcils puis émet un petit rire avant de caresser d’un air
songeur les pétales d’une petite orchidée fuchsia.
– C’est de la première qualité, m’assure-t-elle, un sourire entendu aux lèvres.
– Je travaille, Vicky.
– Ah bon ? Pourtant, tu n’as pas l’air si occupée que ça.
Elle croise les bras, et s’assied sur le rebord de mon bureau.
– Tu fixais un point devant toi, entre ces fleurs-ci, quand je suis entrée, dit-
elle en les désignant.
Je renchéris avec détachement :
– Je peux t’être utile en quoi que ce soit ?
– Oui. Dis-moi, Saint a-t-il pour habitude d’envoyer des fleurs à toutes les
femmes qu’il séduit ?
Elle pose son doigt sur le coin de sa bouche, fait mine de réfléchir, et
reprend :
– C’est une première, il me semble. C’est quoi ton secret ?
Elle m’adresse un petit sourire malicieux et ajoute :
– Tu sais bien t’y prendre avec lui, n’est-ce pas ?
Je pense à l’emprise qu’il a sur moi… À celle de ses baisers, de ses caresses.
Impossible de dormir, de respirer, bref, de continuer à vivre sans l’avoir senti au
moins une fois en moi. Et je ne peux m’empêcher de penser que c’est moi qui
vais être prise au piège, et non l’inverse. J’ai l’impression d’être tombée sur la
tête, de me noyer dans l’air que je respire. Mais je me lève et invite gentiment
Vicky à sortir de mon box en lui remettant, l’air de rien, quelques dossiers :
– Secret de fabrique, lui dis-je. Et maintenant, file, tu voles l’air frais et
fleuri qui m’entoure. Si tu as envie de fleurs, bouge-toi pour qu’on t’en livre.
Elle s’en va enfin, et je peux de nouveau admirer mes orchidées.
Majestueuses, elles me dérobent sans complexe mon oxygène et ça me plaît.
Alors je me fais une promesse : ce soir, je serai aussi belle et sentirai aussi bon
qu’elles, pour lui.

Je me bichonne avec soin. Je choisis une culotte en dentelle rose, ornée d’un
petit nœud papillon sur le devant, en accord avec celui de mon soutien-gorge.
J’enfile une jupe évasée qui tournoie un peu quand je marche, assortie à un haut
ivoire à bretelles d’où dépassent délicatement celles de mon soutien-gorge. J’ai
l’air de hurler « j’ai envie de toi ! » à pleins poumons.
Il m’envoie un texto pour m’annoncer qu’il vient d’arriver en bas de
l’immeuble.
Gina n’est pas encore rentrée du travail, donc je lui laisse un mot comme
lorsque je passe la nuit à la belle étoile avec ceux de Halte à la violence :
Je ne dors pas ici ce soir. Bisous. R.
Une éternité et un battement de cœur plus tard, je monte dans la Rolls noire,
où il est assis à l’arrière. S’est-il fait encore plus chic pour moi ? Il est si beau
dans son pantalon noir et sa chemise de même couleur, dont il a retroussé les
manches jusqu’aux coudes. Elle n’est pas boutonnée jusqu’au col de sorte qu’à
la vue de sa peau bronzée, mon pouls s’affole… Dans l’intimité de l’habitacle au
verre fumé, il me murmure :
– Le chauffeur ne peut ni nous entendre, ni nous voir.
Et quand il glisse la main sous mon top pour caresser mon dos, je me rends
compte à quel point j’attendais ce moment. Je me rapproche de lui. Il dépose un
baiser au coin de mes lèvres. Un frisson me parcourt. Il effleure l’autre coin. Sa
bouche est chaude et ferme, un délice.
Je pose alors la main sur sa cuisse musclée, sans savoir jusqu’où j’aurai le
courage de remonter. Sous l’étoffe, sa peau semble brûlante et ses yeux sont
aussi verts que sombres. Je chuchote :
– Où allons-nous ?
– Chez moi, répond-il de la même façon.
Puis il me donne un léger baiser sur la bouche avant de reculer pour me
regarder. J’essaie de mettre un peu de distance entre nous, afin de rester
maîtresse de moi-même.
– Viens plus près.
Il glisse la main autour de ma taille, et m’attire contre lui. Ma température
intérieure augmente dangereusement et j’enfouis la tête dans son cou. Il ne réagit
pas. Je remonte avec lenteur l’ourlet de sa chemise et il passe de nouveau la
main sous mon top.
Soudain, je me retrouve perchée sur l’une de ses cuisses. De la langue, je
titille alors ses lèvres. Il me presse contre lui, et je sens son érection entre mes
cuisses.
– Tu me fais tellement bander, dit-il d’une voix râpeuse.
De petits frissons de plaisir parcourent mon corps, c’est si bon de le sentir
palpiter pour moi, tout contre mon sexe. Je voulais savoir à quoi le sien
ressemblait ? Maintenant, je le sais ! Il est énorme, parfait, dur comme du
marbre, son désir semblable à une chose vivante qui veut me dévorer. Par
contraste, ses lèvres sont douces, pareilles aux ailes d’un papillon,
incroyablement légères.
– Je veux te savourer sans attendre, ici, murmure-t-il. Te transporter toute la
nuit. Tu es une vraie enchanteresse.
Son murmure m’enivre littéralement, tout comme son regard transperçant, et
ses mains pressées… Pour toute réponse, je me contente de me mordre la lèvre,
retenant un grand sourire de satisfaction. Je soutiens son regard quelques instants
avant de baisser les yeux vers sa bouche. Il incline la tête en arrière et tout à
coup, l’idée de ne pas pouvoir le goûter m’est intolérable. Sentiment visiblement
partagé… Mus par un même mouvement, nous nous embrassons. D’abord un
simple effleurement, mais notre respiration est déjà haletante. Il promène de
nouveau ses doigts dans mon dos.
– Tu me veux comment ? Doux ? Fougueux ?
Et il rive son regard au mien comme si j’étais une déesse.
– Fougueux. Non. Doux. Doux, puis fougueux.
Je suis si excitée et nerveuse ! Il nous sert du vin, et nous le buvons en nous
dévorant des yeux. Quand je repose mon verre, il m’attire contre lui afin de
savourer ma bouche parfumée à l’excellent vin que je viens de boire. Il me sourit
lorsque nous arrivons devant chez lui et, une fois dans le hall, je sens qu’on nous
observe de tous côtés d’un air entendu.
D’autorité, Saint me prend la main et m’entraîne vers les ascenseurs. Je lui
demande alors :
– Combien de femmes as-tu déjà amenées chez toi ?
Il attire systématiquement l’attention, je ne crois pas que je pourrai m’y
habituer un jour.
– Il y a longtemps que cela ne m’est pas arrivé, répond-il quand les portes se
referment. Pas depuis la première fois que je t’ai vue.
Je me mets à rire.
– Tu n’es pas obligé de me dire ça, tu sais.
– Pourquoi te mentirais-je ?
Il me plaque contre la paroi de l’ascenseur et me compresse les seins avec
son torse.
– C’est bien toi qui est ici, non ?
Il passe la main dans mes cheveux et j’ai la soudaine impression d’être très
précieuse, sous son regard pétillant et connaisseur.
– Et je sais que tu as l’intention de dire oui à tous mes désirs, ajoute-t-il
contre mon oreille.
– Tu n’as vraiment amené personne chez toi depuis notre première
rencontre ?
On dirait que je ne sais plus parler, juste chuchoter. Mon corps est si tendu
de désir que je dois fournir un effort pour rester droite, me retenir d’explorer son
corps de la main ou du bout de la langue. L’attirance qu’il exerce sur moi se
situe aux antipodes de la raison. Il secoue la tête, son regard vissé au mien alors
qu’il admet être célibataire depuis ce qui représente sans doute, à ses yeux, un
temps record. Cette pensée me trouble et je baisse les paupières, comme saisie
par un accès de timidité.
– Et lors de cet after où tu n’as pas voulu que j’aille, tu n’as pas eu droit à un
spectacle… particulier ?
Sur cette question, je passe le doigt sur les boutons de sa chemise. Pourquoi
me rend-il aussi timorée ? Je crains qu’il ne perçoive ma jalousie, pourtant, je me
devais de lui demander. J’ai l’impression que l’ascenseur est notre cocon, et que
rien ne peut se mettre entre nous maintenant, qu’il n’existe rien en dehors de cet
espace.
Son cou est si masculin, me dis-je, en le contemplant. J’en apprécie les
solides tendons et le mouvement de sa pomme d’Adam quand il répond de sa
voix chaude. Je sens aussi sa respiration sur ma tempe, qui fait légèrement
bouger mes cheveux.
– À l’Ice Box, ce soir-là, je voulais me distraire, vraiment m’éclater. Et tout
à coup tu as surgi, celle que je cherchais précisément à oublier, et je ne pouvais
plus imaginer m’amuser avec une autre, après t’avoir vue ce soir-là, aussi belle
et sensuelle.
L’ascenseur vient d’arriver. Je rougis quand il me prend par la main et
m’entraîne à l’extérieur, le corps vibrant de plaisir après ce qu’il vient de dire.
Il a appelé ses amis pour leur donner rendez-vous à l’Ice Box quand nous
étions dans la Rolls, lors de notre deuxième interview. Il était donc déjà attiré par
moi… De mon côté, j’étais fascinée par l’eau qu’il buvait, désirant presque finir
ce qu’il en restait une fois qu’il fut descendu de la voiture, ne comprenant pas ce
qui m’arrivait.
Je suis contente d’être renseignée, il n’était pas obligé de me le dire, mais il
l’a fait. Je demande alors dans un murmure :
– Et ça t’arrive souvent ? Je veux dire, de te rabattre sur une autre femme
pour remplacer celle que tu ne peux avoir ?
Il penche la tête en arrière et se met à rire, tout en serrant ma main.
– Rachel, sache que je ne me calme jamais… Ni en affaires, ni pour ce qui
est du plaisir. Tu vas être l’exception qui confirme la règle, car tu es journaliste.
Or, je ne mélange jamais affaires et plaisir.
– Moi non plus je ne mélangeais pas, avant…
Pensive, je m’écarte un peu de lui et regarde Chicago qui s’étend derrière
l’immense baie, les milliers de petites lumières scintillantes qui s’éveillent, une
fois le soleil couché.
– Tu jouis d’un panorama incroyable. Une vue du monde si différente…
D’ici et de ton bureau aussi.
– J’aime surtout la vue en ce moment, dit-il dans mon dos.
J’aspire profondément et savoure les nuées de papillons dans mon ventre, la
sensation de mes jambes en coton. Sa voix m’évoque l’écorce d’un arbre à
présent, rugueuse, ferme, solide en dessous et fermement enracinée. Quand, de
sa langue, il se met à titiller mon lobe, j’ai l’impression d’être toute légère, et
m’appuie contre lui.
Sentant soudain sa formidable érection contre mes reins, j’entrouvre la
bouche pour reprendre mon souffle. Oh, comme j’ai envie de lui ! Il tourne
gentiment mon visage vers lui, puis glisse une main sur mes seins.
– Je suis si excitée que l’on peut se passer des préliminaires, dis-je dans un
souffle.
À ces mots, il se fige… Euh, ce n’était pas la réaction que j’attendais. Ai-je
commis une erreur ? Je lui lance un coup d’œil. Il relève le coin de la bouche et
une curieuse lueur traverse ses yeux.
– Je prends mon temps, Rachel.
Pitié ! Je suis si humide, mon sexe est si gonflé que je me demande même si
je vais pouvoir faire l’amour.
– Saint ! Ne sois pas cruel ! J’ai envie de toi, je…
– Moi aussi, j’ai envie de toi.
Et il me donne un bref baiser sur la bouche avant de se diriger vers le bar et
de nous rapporter à chacun un verre de vin.
Puis il s’assoit sur le canapé et me regarde. Cet homme a vraiment le don de
me déstabiliser, de me transformer en une fontaine de désirs.
– Viens près de moi, dit-il en me tendant un verre. Je veux savoir si mon
cadeau t’a plu.
– J’ai suffisamment bu dans la voiture. Pas toi ?
Il avale calmement une gorgée. Je fronce les sourcils.
Brusquement, j’ai envie de renoncer au jeu du chat et de la souris, et de
rentrer chez moi, mais quelque chose dans son regard m’en dissuade. Il est si
viril, si concentré… que cela renforce encore mon désir ! Tout ce qui émane de
lui, son énergie, sa puissance masculine, son envie de me dominer, prend le pas
sur ma fierté. Je n’ai jamais été attirée par un mec aussi exaspérant et aussi sexy
que lui. D’ailleurs, j’ai pour principe d’éviter les hommes. Mais en l’occurrence,
je serais prête à me battre à mains nues avec une femme, là, sur-le-champ, si elle
venait revendiquer des droits sur lui.
Prenant une grande inspiration, je lève les bras, retire mon top, le laisse
tomber par terre… et me retiens alors de cacher ma poitrine ! Mais qu’est-ce qui
me prend ? Je fais un strip-tease comme une pute, maintenant ? Devant Saint ?
– Tu peux aussi exécuter une petite danse, pour compléter le numéro.
– Va te faire foutre, dis-je dans un murmure.
– Je préfèrerais que ce soit toi qui le fasse.
Et sur cette provocation, il avale un peu de vin, l’œil rivé à moi, un sourire
aux lèvres. Il est si viril que la testostérone vibre dans la pièce autour de nous.
J’ai envie de lui arracher sa chemise, je veux être imprudente, sauvage avec lui.
Et d’une façon paradoxale, au sein de cette témérité, il me procure aussi un
sentiment de sécurité.
– Au cas où tu l’aurais oublié, je suis prête à coucher avec toi, lui dis-je tout
à coup, surmontant ma timidité.
Il sourit doucement, et repose son verre de la même façon. Je commence à
hurler.
– Saint ! Je te déteste ! Je me jette à tes pieds ! Au moins, ne…
Il me tire par la main, et presse sa bouche contre la mienne.
– Chuuut ! J’adore te voir dans cet état.
Il mêle alors sa langue à la mienne, plaque les mains sur mes fesses, puis me
savoure avec avidité, bruyamment, ce qui me procure une sensation délicieuse,
excitante, inconnue jusqu’ici.
– Tu me désires, je le sais, dis-je dans un murmure.
Il me soulève, comme si je pesais le poids d’une plume, et j’enroule mes
jambes autour de sa taille tandis qu’il m’emporte dans sa chambre. Dans un
même mouvement, il me dépose sur son lit et j’ai l’impression de plonger dans
un monde de douceurs… Puis il se dresse au-dessus de moi, le souffle aussi
saccadé que le mien, le regard vert volcanique. Tout le désir enfoui depuis des
semaines au fond de moi menace d’exploser.
– Malcolm, dis-je d’un ton suppliant.
À genoux sur le rebord du lit, je déboutonne fébrilement sa chemise qui
glisse sur ses épaules, fais courir mes doigts sur ses abdos, son torse plat, y
presse mes lèvres tout en défaisant sa ceinture. Alors il m’empoigne les cheveux,
me forçant à reculer et c’est les mains nouées autour de son cou que je bascule
sur le lit, l’entraînant avec moi.
Il me donne un baiser avant de laisser sa bouche redescendre vers la partie
inférieure de mon corps pendant qu’il caresse le haut. Il se met à titiller ma
poitrine, dégrafant d’un geste habile mon soutien-gorge. Son souffle, pareil à une
douce brise, court sur ma peau, sa langue humide et chaude m’électrise…
– Quelle dextérité ! On voit que tu as de la pratique, lui dis-je.
Je sens son sourire contre moi quand, de son pouce, il caresse la pointe de
mes seins. Puis il redevient sérieux, moi aussi, et le rythme de notre respiration
s’accélère à mesure que l’air devient de plus en plus brûlant entre nous. Ma tête
bascule sur l’oreiller tandis qu’il mordille et aspire mes seins, l’un après l’autre
et que des vagues de plaisir m’inondent successivement.
– Chasse gardée, dit-il en promenant sa langue jusqu’à mon nombril.
Je me mets à rire et, sans transition, il fait rouler ma culotte sur mes
cuisses… Je vois ses yeux s’assombrir au moment où ils se posent sur les plis
froissés et frémissants de mon sexe. J’essaie de graver son désir à l’état brut dans
mon esprit.
– Détends-toi, me dit-il cependant que j’essaie de refermer les cuisses.
Et il y glisse la main.
– Détends-toi, répète-t-il.
C’est alors que je sens un de ses doigts me pénétrer… C’est si bon que je me
cambre et laisse échapper un petit grognement.
– Ne sois pas timide avec moi, je veux juste te contempler, t’entendre dans
l’abandon.
Et ses chuchotements, pendant qu’il explore mon corps, me font doublement
frissonner de plaisir. Il me sourit, et continue à me prodiguer de douces caresses
à l’endroit le plus brûlant de mon être.
– Tu es si belle. J’ai hâte d’être en toi, dit-il encore.
Et tandis qu’il s’applique plus particulièrement à exciter mon clitoris, je
commence à remuer les hanches. Puis, me mordant la lèvre, je laisse dériver mon
regard vers le renflement de son entrejambe. Le désir que j’éprouve pour lui en
est presque insupportable. J’ai envie de sortir son sexe de son caleçon, d’ouvrir
la bouche et de l’avaler tout entier. Je veux l’entendre grogner pour moi, et qu’il
ne m’oublie plus jamais.
Mais pour l’instant, c’est lui, le puissant Saint, qui a le contrôle de la
situation et moi qui suis saisie par toutes les sensations qu’il me procure. Ses
yeux sont d’un vert avec lequel aucune prairie ne peut rivaliser. Il embrasse
encore mes seins, les pince, les aspire. Mon clitoris a de nouveau droit à toute
son attention, et bourdonne de plaisir… Je jouis rapidement dans sa main.
– Que tu es belle quand tu te laisses aller pour moi, dit-il d’une voix râpeuse.
Si belle… Tu sais que tu l’es, n’est-ce pas ?
Je me contente d’un sourire mystérieux. Quand il commence à déboutonner
son pantalon, j’ai envie de l’encourager par des « Vite, s’il te plaît », mais ce
n’est pas très original. Aussi me tais-je, me contentant de supplications
silencieuses. Après toutes ces nuits de frustration, je sais que nous vivons enfin
un moment volé au temps, éphémère, d’où cette urgence qui m’étreint.
Son pantalon glisse à terre dans un silence religieux. Il est si musclé qu’il
doit s’entraîner tous les jours en salle, si bronzé aussi, en dépit du temps qu’il
passe devant ses écrans. Et soudain, son sexe jaillit devant moi et le souffle
dévastateur du désir balaie tout mon être… Il dépasse tout ce que j’ai pu
imaginer. Je me mords la lèvre tandis que je laisse mes yeux glisser sur toute sa
longueur, sur son gland brillant…
Je ne peux plus attendre ! Je veux sentir chaque centimètre de son membre
puissant en moi ! Tout à coup, je rougis, ce qui fait naître un sourire sur ses
lèvres. Il redouble d’exquises caresses, à l’intérieur, à l’extérieur de ma chair en
feu… Je suis à nouveau sur le point de jouir…
– Ce que tu es sensible, Rachel. Un regard, et tu es déjà toute mouillée.
Et ce disant, il se place gentiment entre mes jambes. J’agrippe ses bras,
ondoyant déjà sous lui pendant qu’il ouvre un étui de préservatif. Quelques
instants plus tard, il m’attrape par les hanches, et je goûte avec délice notre
premier contact intime, en douceur, par palier… Je pousse un petit cri, et il
plaque mes mains contre le matelas en s’enfouissant un peu plus en moi. Des
ondes de volupté courent en moi… Je me cambre, avide de le sentir tout entier.
Il cède à mon encouragement et je noue aussitôt mes chevilles dans le creux de
ses reins. Il est enfin complètement en moi, le sexe palpitant. J’empoigne ses
cheveux.
Soudain, il se retire un peu, et un grognement nous échappe à tous les deux.
Il replonge alors immédiatement en moi, ses yeux fiévreux rivés aux miens. Puis
il se met à aller et venir, et un immense bonheur me submerge, celui d’être unie
à lui. Nous ondulons en cadence, au doux bruissement des draps froissés sous
nos corps, souffles et bouches emmêlés…
– Saint, ralentis un peu…
Chaque nouveau coup de reins me comble un peu plus, j’enfonce mes ongles
dans ses épaules musclées. Je crie, je le supplie, je ris, je pleure… Je ne sais que
penser, que dire. C’est comme un rêve, à moins que ce ne soit un cauchemar, si
je pense aux conséquences. Mais il m’attire indéniablement, comme un
flamboyant péché… Je suis effrayée, et en même temps, incapable de lui
résister, affamée ; je lui mords le cou, m’agrippe à lui. Saint, Saint, Saint. J’ai
l’impression que je ne serai jamais rassasiée, je veux qu’il me livre tous ses
secrets, connaître aussi le nom de ses maîtresses, ses peurs, ses rêves, ce qu’il a
au fond du cœur… Et je veux surtout qu’il jouisse pour moi, en moi… Nos corps
bougent à toute vitesse à présent, mes seins en sont secoués, et son corps
puissant et précis joue tel un archet sur le mien.
– Encore ? me souffle-t-il.
Je hoche vivement la tête et il m’emporte plus loin, toujours plus loin… De
temps à autre, il penche la tête pour mordiller mes seins, les caresser de sa
langue… Et c’est ainsi que nous nous retrouvons au cœur d’une avalanche de
désirs ravageurs. Lui aussi semble insatiable, à chalouper au-dessus de moi avec
toujours plus de vigueur.
– Encore, Rachel ? parvient-il à articuler.
– Saint, s’il te plaît, dis-je à mon tour, haletante.
Et au moment où je sens son pouce caresser mon clitoris, je ferme les yeux,
happée par un orgasme aussi fulgurant que la foudre. Je m’envole, m’envole
toujours plus haut vers les cimes de l’indicible tout en m’accrochant à lui… Et je
l’entends grogner à son tour contre mes cheveux quand il me rejoint dans les
volutes du plaisir, et qu’il laisse retomber son corps sur le mien.
Quelques minutes plus tard, alors que nous sommes allongés l’un près de
l’autre, mes pensées tournent à toute vitesse dans mon cerveau. Je suis
complètement obsédée par cet homme, accro, abasourdie. Je veux savoir avec
combien de filles il est sorti, être celle qui le marquera à vie. Et naturellement
recommencer, palper son corps encore et encore, lui faire toutes sortes de choses
indécentes avec le mien. Et vice versa. Dans un murmure, je lui demande :
– Qu’est-ce que tu préfères ? Les fellations ? La levrette ? Dis-moi, Saint.
Il colle sa bouche contre mon oreille :
– Tu veux savoir ce que j’aime ? Eh bien je vais te le montrer tout de suite.
Je reviens…
Sa voix est rauque, pleine de promesses, et il me donne un dernier baiser
avant de disparaître dans la salle de bains. Quel corps ! Et quel beau cul musclé !
Je me redresse sur le lit, en l’attendant, et observe alors sa chambre à laquelle je
n’ai pas prêté grande attention jusque-là. Le mobilier est minimaliste… Est-ce le
reflet de sa personnalité ? De ses émotions ? Oui, le tout est un peu froid, comme
ces éclats dans ses yeux.
Aucune photo au mur, pas même une de sa mère ou bien de ses amis. En
revanche, il y a des posters de voitures de course, des Ferrari vintage. Sans doute
le résultat d’une enfance où il a été plus entouré de jouets que de personnes.
– Tu devrais t’acheter une couverture en fausse fourrure, dis-je en élevant un
peu la voix afin qu’il m’entende.
Quelque chose qui réchauffe cet univers légèrement aseptisé… Et sur cette
pensée, je remonte le drap sur mes seins, car j’ai soudain froid. Subitement, il se
matérialise sur le seuil et ressemble à un homme qui a besoin de faire l’amour
trop souvent. Non parce qu’il est sexy, mais parce qu’il possède une énergie
bouillonnante… Nos ébats l’ont calmé, mais il a encore faim de moi, je le vois
bien. J’aime son regard aux paupières alourdies quand il s’avance vers moi et me
sourit en le laissant courir sur mes épaules.
– C’était bon, Rachel, dit-il, la voix lourde de sous-entendus.
Je rougis.
– Je suis certain que ton goût l’est tout autant, ajoute-t-il.
Il ne veut quand même pas dire que… Mais à la façon dont il fixe mon
entrejambe, je me sens fondre sous les draps. Ses yeux liquides et sombres
reflètent un mélange de tendresse et de besoin, et son sexe est… Oh ! Comme
mue par un réflexe de survie, je me redresse pour remettre ma culotte, mais il
pose fermement la main sur mon bras.
– De quoi as-tu peur ? Ce ne sera pas différent de mes doigts. Sauf que ce
sera ma langue.
– Pourquoi en as-tu envie ? Pourquoi les hommes aiment-ils ça ?
Il se met à rire, et me fait basculer sur le lit.
– Tu n’auras plus besoin de te poser de telles questions quand j’aurai fini.
Je me sens si nerveuse à l’idée de ce qu’il va faire que j’ai du mal à respirer.
– Promets-moi d’arrêter si je te le demande.
– Ça ne te traversera même pas l’esprit, je te le garantis, dit-il en caressant
l’intérieur de mes cuisses.
– Promets !
– Ne me fais pas promettre.
– Pourquoi ?
– Parce que je ne tiens jamais mes promesses et que celle-ci me poussera
juste à vouloir la briser…
Il ajoute alors d’un ton plus bas et pressant :
– Ouvre les cuisses, Rachel.
Et, sans attendre que j’obtempère, il le fait à ma place. Il se penche sur moi,
plaque les mains sur mes cuisses et humecte ses lèvres avec sa langue tout en me
fixant. Je ne crois pas qu’il se rende compte de l’effet qu’il produit sur moi !
– Oh non ! dis-je avec un rire nerveux, quand il enfouit sa tête entre mes
jambes.
Et je l’empoigne par les cheveux.
– C’est trop intime. Je ne peux pas.
Il me caresse les hanches, lève vers moi un regard brillant mais sans sourire,
un regard qui me défie.
– Laisse-moi te goûter, redit-il d’une voix sensuelle.
Je parviens à me calmer quand il presse sa bouche sur mon ventre, mon
nombril. Puis il continue dans la même direction.
– Malcolm !
Je proteste, mais il me donne un premier coup de langue. Tendue, je suis
prête à lui tirer les cheveux pour l’arrêter.
– Et si mon goût te déplaît ?
Mais déjà, il fait courir le bout de sa langue sur ma chair brûlante, mon
clitoris… et je ne comprends plus ce qui m’arrive, c’est le chaos total des sens !
– J’adore, dit-il.
Et il se met à me savourer avec méthode, lentement, yeux fermés, ses cils
semblables à deux demi-lunes. Peu à peu, je me détends et caresse ses épaules,
poussant des petits gémissements quand sa langue se fait plus entreprenante…
Comme si c’était ma bouche qu’il embrassait.
– Tu es vraiment très doué ! parviens-je à dire.
Et tout à coup, je ne peux plus articuler un seul mot… Quand il joint le
pouce à ses caresses buccales, je me mords la lèvre et le plafond devient flou à
mesure que le plaisir monte… Je m’accroche à la tête du lit et jouis bruyamment,
en me tordant contre sa bouche.
Waouh ! J’en suis encore toute étourdie. Et haletante ! Mais lui il continue à
embrasser mon sexe, avant de remonter lentement sa bouche le long de mon
corps, jusqu’à mes seins… Puis il accélère le cours des événements, se redresse,
enfile un préservatif et me pénètre. Cet homme est décidément fait pour l’amour.
Je suis complètement à sa merci, nageant dans le plaisir le plus total tandis que,
m’agrippant par les hanches, il me susurre des choses aussi sexy que cochonnes
à l’oreille.

Il faut que je m’en aille !
Saint a l’air si délectable, étendu nonchalamment sur son lit pendant que je
rassemble mes vêtements, que le voir m’est à peine tolérable. Une fois rhabillée,
je regagne vivement la porte. Ni lui ni moi n’avons envie d’affronter ce qui vient
de se passer entre nous, c’est clair. Et surtout pas lui. Ne m’a-t-il pas confié, une
fois, qu’il ne supportait pas de dormir avec ses conquêtes ? Évidemment, j’ai
déjà dormi dans son lit, mais le contexte était tout autre. Je ne pourrais souffrir
de lire des regrets dans ses yeux parce que moi, je n’en ai aucun !
J’ai bien perçu l’immense mur qu’il a érigé entre nous juste après l’orgasme.
Il a hurlé mon nom comme un cri de guerre, puis le plus grand silence est
retombé dans sa chambre. Ensuite, quand il est revenu au lit sans préservatif, il
ne m’a ni touchée ni regardée, et a pris son téléphone.
J’ai hâte à présent de rentrer chez moi, et de repenser à ce qui vient de se
passer seule dans mon lit. Ou essayer d’oublier. Il croise alors les bras derrière la
tête et pose les yeux sur moi. C’était son chauffeur qu’il appelait pour lui
demander de venir me chercher.
– Au revoir, Mal.
– Envoie-moi un message quand tu es arrivée, Rachel, dit-il avant que les
portes de l’ascenseur ne se referment.
– Entendu.
Une fois dans ma chambre, je lui écris :
Je suis à la maison.
J’ai encore ton odeur sur moi.
Puis je souris et me glisse sous les draps, repensant à son magnifique corps.
Moi aussi j’ai envie de le goûter !
CHAPITRE 21

LA LIAISON

Mur de Facebook :
Saint, j’ai vu des photos de toi avec une nouvelle nana sur The Toy. Je suis
sûr que les paris sont ouverts pour savoir si elle va passer le week-end.

Twitter :
Salut @MacolmSaint, tu as perdu mon numéro ? C’est Deenah, de l’Ice Box.
Appelle-moi.
Suis-moi @MacolmSaint.

Instagram :
Qui c’est cette meuf sur The Toy, Saint ? La dernière gourmandise en date ?

Après ces recherches, je repose mon téléphone, tout agitée dans mon lit. J’ai
envie de lui. Le matin se glisse entre les persiennes, et zèbre faiblement mon
deuxième oreiller. Je l’imagine à côté de moi, le drap lui recouvrant à peine les
hanches, si près de moi que je pourrais blottir ma tête dans le creux de son
épaule, comme hier.
C’est ça ! Tu peux rêver…
Bah, peu importe si on ne recouche jamais ensemble ! D’ailleurs, il a
immédiatement retrouvé sa froideur légendaire, après nos ébats. Pourtant, hier
soir, c’était comme un rêve devenu réalité. Un rêve fantastique. Je devrais sans
doute éprouver des remords car jamais nous n’aurions dû franchir le pas, mais je
n’en ressens aucun. Au contraire, je me délecte de mes souvenirs… Si seulement
je pouvais emprisonner toutes ces sensations dans un petit flacon que je
rouvrirais chaque fois qu’il est loin de moi. Il a tant confiance en lui, en son
corps. Il m’a follement excitée, m’a fait hurler de plaisir. Quelle maîtrise ! Sa
langue a provoqué des miracles en série.
Je me sens vraiment bien. Je pourrais rester au lit toute la journée à revivre
ma soirée, mais je dois me battre contre les lois de l’attraction et me détacher de
mon matelas ! Je parviens enfin à me lever, me brosse les dents et me dirige vers
la cuisine. Gina m’y rejoint bientôt. Je sais parfaitement que mon audace d’hier
relève quasiment du tabou et surtout qu’elle était très risquée. La preuve : je ne
dis pas à ma meilleure amie que j’ai couché avec Saint.
Nous discutons de choses et d’autres, et quand Wynn vient nous rendre
visite, je ne m’ouvre pas davantage. Nous commentons la glace que nous
sommes en train de savourer, Nuits blanches à Seattle, que nous nous repassons
pour la énième fois, le jeu de Meg Ryan et de Tom Hanks, bref, rien de
transcendant.
Car le fait que j’ai couché avec un type après une traversée du désert de trois
ans – et que je n’ai fait l’amour qu’avec deux types auparavant, sans que cela ait
été une expérience inoubliable – ne mérite même pas qu’on en parle, n’est-ce
pas ? Bon sang ! S’envoyer en l’air avec Malcolm Saint, c’est un 10 sur l’échelle
de Richter ; pour annoncer l’événement, il est permis de réveiller ses meilleures
amies au milieu de la nuit ! On a le droit de crier, de hurler encore, de rêver toute
la journée : Et s’il m’aimait vraiment ? Et si on recommençait ? Que se passera-
t-il, alors ? Mais parce que c’est lui et que je suis moi, et que les choses sont
passablement compliquées, je ne peux pas. Impossible de partager mes
impressions avec mes amies, ni avec lui, ni demander l’avis ou les conseils de
quiconque sur cette situation des plus épineuses.
– Qu’est-ce que tu as ? me demande subitement Gina.
– Rien, il faut que j’écrive, dis-je sans conviction.
Et j’ouvre mon ordinateur, me contentant de faire sembler de taper, l’œil rivé
à mon portable… Et tout à coup, je me jette à l’eau ! Au diable la morale, la
déontologie ou que sais-je. Je prends une grande inspiration, expire
profondément puis saisis mon téléphone :
On se voit ce soir ?
On se voit ce soir, avait-il répondu. Et à présent, nous revenons d’une soirée
chez Tahoe.
Je n’arrive toujours pas à croire combien j’étais excitée en voyant la réaction
de Saint quand les White Sox ont gagné : c’était orgasmique. D’ailleurs, pour
Callan et Tahoe aussi. Ils se sont tous mis à hurler dans l’appartement, ce dernier
a couru dans tous les sens comme un fou, en se frappant le torse. Callan a ouvert
une bouteille de champagne et nous en a tous aspergés. Et Malcolm m’a fait
terriblement salivée quand il a enlevé sa chemise, avant de la rouler en boule et
de la jeter contre l’écran de la télévision en poussant un : « Putain, oui ! »
– Et si on allait chercher tes amies, Rachel ? a soudain proposé Tahoe.
– Non, merci. Pas touche à mes copines.
– En fait, on aimerait une liberté sous caution, a renchéri Malcolm en me
lançant un regard appuyé.
– OK… On peut faire un saut chez toi plus tard ? a demandé Tahoe.
– Plus tard, OK.
Je ne sais pas pourquoi, mais je tremble déjà comme une feuille à l’idée de
ce qui m’attend.
Quinze minutes plus tard, nous sommes dans sa chambre, nous roulons sur
le lit, en nous embrassant à pleine bouche. Nus tous les deux, et il joue avec mes
seins. Soudain, il s’assied et m’entraîne dans son geste ; j’enroule alors mes
jambes autour de sa taille. Quand je sens la puissance de son érection contre moi,
je chavire. Je lui donne des baisers sur les joues, les lèvres et l’entend pousser un
petit grognement. Il a vraiment envie de moi… Je suis si mouillée que j’en suis
presque gênée quand il commence à me caresser le sexe. Je me défends :
– Ça ne veut rien dire, tu sais.
– Non, rien du tout, m’assure-t-il d’un ton rieur en écartant mon sexe en feu.
Puis il devient sérieux quand je me frotte contre lui, titillant mon intimité
avec son membre dur, jusqu’à ce qu’il me murmure à l’oreille :
– Un homme serait capable de tuer pour vivre un moment pareil.
Et me saisissant par les hanches, il me pénètre jusqu’à la garde. Nos regards
se croisent, pour ne plus se quitter. Je me lèche les lèvres, et il laisse courir ses
yeux de mâle sur tout mon corps. Puis il me caresse les fesses, l’intérieur des
jambes, les chevilles. Ma poitrine se soulève et s’affaisse rapidement. Il
s’allonge sur le dos et, une main agrippant ma hanche, excite de l’autre mon
clitoris.
– Regarde-toi… murmure-t-il d’une voix lascive.
Puis il relève la tête pour lécher un de mes mamelons. C’est si délicieux que
je renverse ma tête en arrière. Je viens de perdre le contrôle…
– Malcolm, dis-je dans un gémissement.
Et je m’agrippe à ses épaules. C’est alors que nous entendons une porte qui
s’ouvre. Je m’immobilise une seconde, mais il est en moi et je ne veux plus
m’arrêter ! Il se redresse, me retenant prisonnière.
– Pas de souci, ce sont les garçons, dit-il au bout de quelques secondes. Ils
n’entreront pas dans ma chambre.
Puis il prend mon autre sein dans sa bouche. Je penche une nouvelle fois la
tête en arrière tandis qu’un plaisir indicible m’envahit…
On entend à nouveau du bruit.
– Mm…
Je le savoure, sentant chacune de ses palpitations en moi.
– Saint ! hurlent soudain ses amis.
Il lève la tête.
– Occupé.
Les goujats ! Je ne peux pas continuer dans de telles conditions !
Brusquement, je me détache de lui.
– Non, viens là, dit-il.
Et il m’enlace de nouveau.
– Mais ils vont entrer dans la chambre d’un moment à l’autre !
Je parviens à me libérer et commence à rassembler mes vêtements épars.
– Et alors ?
Quand je remets mon soutien-gorge et mon string, il semble presque
contrarié.
– Je ne veux pas être ta nouvelle pute pour tout le monde. Ça suffit déjà que
je le sois à tes yeux et aux miens.
Et j’enfile dans la foulée mon haut et ma jupe. Il saute dans son jean, encore
dur, son regard distant à présent. Puis il s’avance vers moi et m’enlace.
– Ne t’inquiète pas, je vais me débarrasser d’eux.
Je ferme les paupières. Il est si persuasif, si tentant…
– C’est bon, finis-je par murmurer, frissonnant sous ses caresses.
On sort en silence de sa chambre, il me prépare un café, puis va chercher une
bouteille de vin.
– Salut, les gars !
Ils se tapent dans la main, mais il leur adresse un regard lourd de sens, du
genre : « Qu’est-ce que vous foutez là ? »
– Tiens, salut Rachel ! s’écrie Tahoe en remuant les sourcils.
Sur ces mots, il se laisse tomber dans le grand canapé en cuir, imité par
Callan.
– Tu sais, Rachel, enchaîne-t-il, les gens me posent des questions sur toi.
Surtout les vieilles connaissances de Saint.
– J’imagine. J’ai vu qu’une de ses amies mène une véritable inquisition sur
Instagram, Facebook et Twitter, depuis l’inauguration d’Interface.
– Callan a carrément fait l’objet d’un interrogatoire, précise Tahoe.
– Comme tu es une bête de sexe, les nanas ont presque peur de toi, renchérit
Callan en lançant un coup d’œil à Malcolm. Il n’était pas encore pubère, qu’il
avait déjà tout compris.
J’éclate de rire. Puis ses deux amis me regardent comme s’ils attendaient des
explications. Que je ne donne pas. Et je crois qu’ils n’osent pas interroger Saint.
Et voilà qu’ils commencent à discuter entre eux du match des White Sox !
OK… Prenant mon mal en patience, je me recroqueville sur l’immense canapé,
et cale un petit coussin derrière mon dos. Mal est assis en face de moi, peut-être
parce que je lui ai dit que je ne voulais pas qu’ils me confondent avec une
traînée. Je lui souris, reconnaissante. Il me rend mon sourire et avale une gorgée
de vin. Je sais que je devrais rentrer – même si tout mon corps proteste à cette
pensée – mais j’entends soudain Tahoe dire tout naturellement à Malcolm :
– Ses deux copines vont venir.
Je repose ma tasse de café.
– Pardon ?
– Oui, c’est moi qui les ai invitées, précise Tahoe.
– Toi ? Mais tu ne les connais même pas !
– La délicieuse Gina ? questionne-t-il en souriant. Tu vois bien que si ! Tu es
la chasse gardée de Saint, il a donc ton numéro de fixe.
Je lance un regard furieux à ce dernier qui ne cille pas. Et de fait, un quart
d’heure plus tard, Gina et Wynn débarquent chez Malcolm, dans des tenues qui
en jettent. Devant le luxe de l’appartement de Mal, elles en restent bouche bée,
tellement que j’en suis embarrassée pour elles.
– Alors les filles, qu’avez-vous en tête ? demande soudain Tahoe. On vous
entendait discuter d’ici.
– Euh…
Wynn hésite et poursuit :
– On parlait de la vie amoureuse de Rachel. On se rappelait à quel point elle
était heureuse sans homme.
– Vraiment ? renchérit Tahoe. Elle est vierge, ou quoi ?
Un lourd silence se fait, puis Malcolm commence :
– Les gars, Rachel et moi, on…
Je l’arrête d’un regard noir.
Un ange passe.
– Rachel et toi, vous… ? l’encourage Tahoe.
Il hausse un sourcil interrogateur.
– Rachel et toi, vous… ? répète Gina en écho.
Malcolm me regarde toujours, comme s’il venait de comprendre que je n’ai
rien dit à mes amies. Et je me demande comment il va le prendre !
– Vous couchez ensemble, c’est ça ? J’en mettrai ma main au feu ! décrète
Wynn.
– On peut faire pareil, toi et moi, si tu veux, lui propose aussitôt Tahoe.
– Ce n’est rien, on s’est vus deux fois, c’est tout, dis-je rapidement pour
calmer mes amies.
Elles me fixent sans comprendre, puis tournent la tête vers Malcolm…
– Juste deux fois, vieux ? dit Tahoe en riant. On dirait bien qu’il n’y aura
même pas de troisième.
– La ferme ! Je contrôle la situation.
Malcolm vient alors s’asseoir à côté de moi et me donne un tendre baiser sur
la tempe. J’en rougis jusqu’à la racine des cheveux… et il m’adresse un sourire
amusé. Cette fois, je suis démasquée.
– Deux fois ? reprend Gina, le premier choc passé. Et tu n’as même pas jugé
bon d’en parler à tes meilleures amies ?
Saint se dirige vers la cave, un espace frais fait de parois de verre, au fond du
bar, et en sort une deuxième bouteille de vin. Il prend aussi des verres, sans
cesser de m’observer avec curiosité.
– Cela ne m’a pas paru important, dis-je enfin, gênée.
Gina fronce les sourcils.
– Alors que ça l’était, non ?
Elle considère Malcolm, puis moi. Je proteste :
– Je t’assure que non.
Callan donne un petit coup de coude à Saint, dans les côtes.
– Ça, c’est pas bon, mec.
– Espèce de chien ! commente Tahoe. (C’est son injure préférée, je ne
comprends pas ce que ces pauvres animaux lui ont fait.) En fait, tous les deux,
vous baisez depuis le début. Et d’ailleurs, c’est sans doute ce que vous faisiez
quand on est arrivés !
Malcolm évalue rapidement ma réaction et dit à voix basse :
– On se calme, Rachel est une… dame.
– Et alors ? Je suis certain que vous allez vous jeter l’un sur l’autre dès qu’on
sera repartis ! renchérit Tahoe.
– Laisse tomber, T, l’avertit Malcolm d’un ton traînant.
Il ne regarde que moi, comme s’il attendait que je lui donne une indication
sur ce qu’il doit faire, mais je suis incapable de penser.
– Eh bien moi, je parie mon dernier coupé sport : si tu séduis cette dame, il
est à toi ! insiste pourtant Tahoe. Sinon, tu me donnes une de tes Bugatti.
Saint repose son verre et je guette, choquée, sa réaction. Nos amis aussi sont
suspendus à sa réponse.
– OK, alors prépare-toi à me voir conduire ta chère voiture, finit-il par dire
en me lançant un regard défiant.
Les gars poussent un cri de victoire et mon sang s’affole dans mes veines, je
me sens à la fois excitée et humiliée. Malcolm semble d’un calme olympien, et
affiche même un air supérieur en se versant un verre de vin qu’il se met à siroter
tranquillement. On dirait que son monde est rentré dans l’ordre et qu’encore une
fois il le domine. Retrouvant un semblant de raison, j’explose :
– Tu n’as quand même pas parier ta voiture que…
Comme il hoche la tête, je laisse ma phrase en suspens et me saisis de mon
sac à main.
– Ça suffit, maintenant, nous partons ! reprends-je. Merci pour la soirée,
Mal.
Et je me dirige vers l’ascenseur.
– Reviens par là, Livingston ! Tout le monde peut s’en aller sauf toi…
Et il se plante devant moi pour m’empêcher d’avancer.
– Tu n’as pas entendu ce que je viens de dire à mes potes ? me demande-t-il
gentiment.
De toute évidence, il ne comprend pas pourquoi je ne suis pas subjuguée
qu’il m’ait proclamée sienne devant ses amis, sans même me demander mon
avis !
– Si, tout à fait, et c’est précisément pour cela que je m’en vais.
Et je reprends ma marche d’un pas décidé vers l’ascenseur où, une fois à
l’intérieur, je m’appuie contre la paroi du fond, lui lançant un dernier regard :
son expression est impénétrable, son visage fermé.

Les filles me suivent rapidement.
– Rachel, tu es dans le pétrin, tu as déjà promis ton article à Helen.
– Je sais, Wynn !
Je secoue la tête, car mes deux amies semblent inquiètes et je viens juste de
me rendre compte à quel point j’ai été imprudente. Je me mets à aller et venir,
contrariée par la façon dont je viens de le quitter.
Comment ces puissants hommes d’affaires peuvent-ils tomber si bas, se
comporter comme des salauds ? Et malgré tout, j’aime beaucoup l’un d’entre
eux. Impitoyable Saint, trop ambitieux pour son propre bien. Qui ne supporte pas
de perdre. Oui, ce garçon-là me plaît ! J’avais envie de passer la soirée avec lui
et je sais qu’il le voulait aussi, avant que ces deux idiots d’amis ne débarquent et
ne gâchent tout.
– Tu as vraiment couché avec lui ? insiste Gina.
Elle se tourne vers Wynn.
– Ce n’est pas vraiment le moment là, non ?
Je ne laisse pas cette dernière répondre.
– Depuis le temps que vous me mettez la pression pour que je couche avec
quelqu’un. Voilà, je l’ai fait avec Saint.
– Qui est aussi le sujet de ton prochain article, commente ma coloc.
– Merci de me le rappeler, Gina ! J’avoue, j’ai eu un moment de faiblesse,
enfin… disons plusieurs. Il est différent de ce que je pensais, il m’a
complètement séduite.
Je fronce les sourcils et ajoute :
– De toute façon, tout est réglo, il est célibataire, que je sache !
Elles restent d’abord silencieuses, puis Gina reprend à voix basse :
– Tu as couché avec lui et tu ne m’as rien dit ? Je suis vraiment blessée,
Rachel.
– Mais qu’est-ce que je pouvais te dire, hein ? Que moi aussi j’étais tombée
dans les bras du célèbre tombeur Malcolm Saint ?
– Non, mais est-ce que tu réalises, là ? Tu t’es envoyée en l’air avec lui et tu
ne nous as rien dit !
Gina n’en démord pas. Je pousse un grognement quand nous arrivons au rez-
de-chaussée, et je m’aperçois alors que je n’ai aucune envie de sortir de
l’ascenseur : tout ce que je veux, c’est revenir sur mes pas.
– Je remonte, dis-je.
Mes amies m’encerclent.
– Rachel, je suis ravie que tu aies enfin baisé, mais je te rappelle qu’il ne voit
jamais une fille plus de trois fois, commence Wynn.
Je rectifie aussitôt :
– Quatre. C’est son chiffre fétiche.
– Écoute, ce n’est pas pour t’embêter que je dis ça, intervient Gina, mais
parce que tu es ma meilleure amie et que je t’aime. Tu ne sors pas souvent avec
des hommes, ça ne t’intéresse jamais, mais je te préviens : je ne veux pas que tu
sois dans l’état où j’étais quand Paul m’a quittée, je ne le souhaiterais même pas
à mon pire ennemi ! Je me suis sentie si sale, si inutile, si petite, si moche et si
bête de l’avoir autant aimé.
On se regarde mutuellement quelques instants.
– Évidemment, si tu t’entêtes, je serai là pour te passer les Kleenex, comme
tu l’as fait pour moi. Mais j’espère que tu sais qu’en acceptant qu’il te brise le
cœur, c’est aussi le mien que tu blesses.
Je sens les yeux me piquer. Qui ne rêve pas d’avoir des amies aussi loyales
que les miennes ? On s’enlace, je leur assure que je contrôle la situation et
j’appuie sur le bouton qui mène au dernier étage.
Quelques instants après, je pénètre dans le salon. Tout mon corps se met à
vibrer quand Saint lève les yeux de ses cartes – il semblerait qu’ils aient
commencé une partie de poker – et les pose sur moi. D’un coup, il laisse tomber
ses cartes et se lève, un éclat purement primaire dans les yeux. Je le sens au plus
profond de mon être. Je murmure d’une voix rauque :
– Messieurs…
Et je tourne la tête vers Tahoe et Callan pour ajouter :
– Si vous voulez bien laisser vos clés de voiture au concierge…
Saint m’adresse alors un sourire diabolique que je n’oublierai jamais. Une
région bien particulière de mon corps demande grâce quand Malcolm renchérit :
– Tout de suite !
Je tremble d’excitation lorsqu’il me désigne du menton la direction de sa
chambre, tout en surveillant le départ de ses amis. Après quoi, il tape le code de
l’alarme afin que plus personne ne vienne nous déranger. Tous mes sens sont en
alerte quand il me rejoint dans la chambre et fonce droit sur moi.
Il ne dit rien, se contente de me regarder, puis m’enlace par la taille, et je me
retrouve tout contre lui. Il effleure doucement ma bouche avec la sienne, toute
chaude, et possessive quand il capture mes lèvres. Tout est si parfait que je
l’entends ravaler un petit grognement. Le baiser s’intensifie peu à peu,
s’accélère… Bientôt, je commence à haleter et fais courir mes doigts sur les
boutons de sa chemise.
Mais il continue à m’embrasser à pleine bouche, un baiser sincère qui se
fraie un chemin jusqu’à mon âme. Puis il prend mes seins en coupes, les caresse
en en pressant la pointe de son pouce, et je sais qu’après lui aucun autre ne
pourra rivaliser… Je murmure contre sa magnifique bouche :
– Combien de femmes as-tu embrassées ?
Je suis jalouse de toutes celles qui lui tournent autour, qui demandent sans
cesse de ses nouvelles. Mais il se contente de regarder avec insistance mes lèvres
gonflées et toutes rouges, alors je recule vers le lit… Combien de femmes
demandent de ses nouvelles ? Je me mords la lèvre, mon désir est presque
insoutenable. Certaines d’entre elles ont-elles éprouvé le même désir que moi
quand je l’ai rencontré, à savoir lui arracher sauvagement sa chemise ? Je brûle
de le sentir, le toucher, le goûter. Je suis certaine que ces femmes se sont bien
plus délectées de lui que je n’oserai jamais le faire. Je parie que…
– Viens là.
Il me prend la main et m’immobilise. Le souffle me manque quand, de son
regard vert flamboyant, il m’inspecte lascivement… D’abord mes cheveux,
ensuite mes yeux, ma bouche et enfin nos mains jointes.
– De quelles femmes parles-tu ?
Et toujours l’effleurement de ce pouce qui me rend folle ! M’attirant contre
lui, il pose un baiser sur mon front.
– Qui aurais-je embrassé ? Où ?
Il me taquine de sa voix rauque.
– Rien, dis-je.
Et j’éclate de rire avant d’enfouir mon visage contre son torse. Ce qu’il sent
bon ! Des fragrances de savon, de menthe, et d’autres notes viriles se mélangent
divinement. Nos doigts sont toujours entremêlés… De sa main libre, il prend ma
joue et embrasse le bout de mon nez.
– Et si on parlait de toi ? souffle-t-il.
Sur ces mots, il plonge le visage dans mon cou, y déversant une pluie de
doux baisers.
– Non, réponds-je de la même façon.
Ma poitrine monte et s’affaisse à toute vitesse, je tremble de partout, je veux
juste qu’il continue à m’étreindre, m’embrasser…
– Combien d’hommes ont embrassé ton beau visage ? me demande-t-il.
Et son sourire s’évanouit, ses yeux brûlant d’une intensité provocante quand
il fait glisser la bague en argent qu’il porte au pouce sur mes lèvres.
J’écarte légèrement la tête.
– Deux… Et toi ?
– Mais aucun n’a joui ici, n’est-ce pas ?
Et, d’un geste fluide, il introduit son pouce dans ma bouche.
– Non…
Je sors sa chemise de son pantalon et ajoute :
– Mais je le veux, avec toi.
En un rien de temps, il ôte sa chemise sans même la déboutonner si bien que
ses cheveux sont tout ébouriffés quand il la jette par terre, le rendant encore plus
sexy, comme s’il sortait du lit. Et cette expression le rend plus intéressant à mes
yeux, car plus accessible. Toujours puissant mais humain. Si humain que je sens
toute la chaleur qui émane de lui. Je palpe son torse, ses pectoraux si parfaits,
j’aspire un de ses tétons entre mes lèvres, puis caresse ses biceps.
Me soulevant le menton, il s’empare de ma bouche et je la lui abandonne
sans protester, pour qu’il en fasse ce qu’il veut. Son baiser enflamme alors tout
mon corps, ses lèvres sont semblables à un feu qui se propage sur moi… Il joue
avec nos langues, puis m’embrasse le cou, les seins. Je les sens lourds, et le désir
qui remonte de mon sexe me torture littéralement…
Il plaque un baiser entre mes seins, avant de jeter son dévolu sur l’un d’eux.
Sa langue qui glisse sur la pointe me fait frissonner, m’excite terriblement, mais
je ne bouge pas d’un pouce, car je ne veux pas qu’il arrête. De nouveau, il
capture ma bouche et je noue mes mains autour de son cou, m’offrant sans
retenue à lui tandis qu’il glisse les mains sous mon haut.
Nous sommes enlacés l’un contre l’autre, et il me pousse doucement vers le
lit, m’y fait basculer. Puis, allongé tout près de moi sur un coude, il laisse son
regard courir sur mon corps. Ce qu’il est beau… Je lève les yeux vers ses
paupières alanguies, sa bouche synonyme de plaisir. Alors je tends la mienne
vers lui, et commence à le savourer. Il se penche sur moi, en prenant garde de ne
pas m’écraser. Il a le goût du paradis…
Son sexe est fait pour l’amour, me dis-je, en le caressant sur toute sa
longueur. Si dur. Et soudain sa main est entre mes jambes…
– Tu en as envie ? demande-t-il.
– Oui, dis-je en remuant les hanches pour l’encourager.
– Tu sens bon, me murmure-t-il contre l’oreille.
La lancinante musique du désir bourdonne dans nos oreilles. J’ai l’odeur
d’une femme qui a envie qu’on la prenne, nos odeurs se mêlent pour former un
cocktail enivrant…
J’aspire une large bouffée d’air, et son parfum me remplit les poumons,
comme s’il était en moi. Sur une impulsion, j’enfouis la main dans ses cheveux
et ouvre les cuisses pour qu’il puisse accéder à la partie de mon corps où j’ai le
plus besoin de lui. Il plaque les mains sur mes fesses afin de me remonter un peu
sur le matelas puis capture ma bouche sans urgence… OK, il a décidé de prendre
son temps, toute la nuit s’il le faut, jusqu’à ce qu’il soit rassasié de moi. Et
encore une fois, ça sera un doux supplice ! Il incline la tête en arrière et
m’observe, tout en me caressant la nuque, son pouce s’attardant à l’endroit où
bat mon pouls.
– Dis-moi ce dont tu as envie, Rachel, dit-il à voix basse. Tu veux qu’on le
fasse maintenant ?
Sans me quitter des yeux, il glisse la main sur ma poitrine, puis dégrafe mon
soutien-gorge, me l’enlève.
– Tu es si sensible à mes caresses.
Sur ces mots, il ouvre le bouton de ma jupe, et la fait glisser sur mes jambes.
Sans hâte. Alors que c’est toute fébrile que je m’efforce de déboutonner son
pantalon.
– Je veux te voir nu, Saint, dis-je d’une voix suppliante et tremblante.
Et quelques secondes plus tard, quand sa peau chaude et si douce touche la
mienne, c’est un moment de pur délice… Mais j’en veux encore plus ! Je caresse
son dos musclé, ses fesses qui le sont tout autant, tente de le repositionner au-
dessus de moi. De sa langue ardente, il lèche mes seins… Je gémis, les poumons
saturés de son odeur, le goût de sa bouche encore sur la mienne. Je ne réponds
plus de rien.
Je frémis au contact de ses doigts dans les plis brûlants de ma chair.
– Oh oui…!
Mon murmure l’encourage, et je les sens bientôt en moi… Il les retire
presque aussitôt. Le désir renaît de plus belle entre mes cuisses, je me cambre
contre lui. Il me laisse là, pantelante, tremblante, noyée dans mon désir. Il se met
à mordiller ma bouche et je ronronne gentiment quand il se place au-dessus de
moi.
– Mal… Mal…
Mes pensées se dispersent lorsqu’il introduit sa langue dans mon oreille. Cet
homme transformerait une sainte en la pire des pécheresses ! Il contemple mes
seins, et je gémis quand, la seconde d’après, il les dévore passionnément tout en
caressant mon sexe de ses doigts experts. D’abord l’extérieur, puis sur toute la
longueur, son pouce sur mon clitoris et quand il introduit un de ses doigts, je suis
au bord de la jouissance…
Tremblante de désir, j’attire son visage à moi, et l’embrasse à en perdre
haleine, suce sa langue. Il gémit quand je le laisse glisser la longueur de son sexe
entre mes lèvres. Mais, malgré son désir grandissant, il me savoure, masse mon
clitoris avec le bout de sa queue. J’en veux plus, je veux qu’il jouisse en moi !
Non, ce serait bien trop imprudent de l’encourager à aller plus loin., Je le
regarde enfiler un préservatif, essoufflée. Il ne prête pas attention à ses
mouvements, ne cesse de me regarder, sa poitrine se soulevant au rythme de sa
respiration saccadée.
Impatiente, j’ouvre les cuisses et il se rallonge sur moi. D’un geste rapide, il
lève et place ma jambe au creux de ses reins… J’enfouis mes ongles dans ses
muscles quand, sans me lâcher des yeux, il me pénètre dans un long mouvement
fluide. Son corps tremble et mon cœur manque un battement quand il se retire,
pour me pénétrer à nouveau, sa queue recouverte de mon excitation. Je ne peux
ni penser, ni parler, juste savourer le moment, sa bouche et ses yeux sur moi,
toujours… J’ondule sous lui, je halète, je gémis dans un abandon total.
Il glisse la main entre nous, trouve mon clitoris… Sa respiration est hachée,
sa détermination d’acier, et son pouce caresse le point le plus sensible de mon
corps. Il s’enfouit en moi aussi profondément que possible, guettant la réaction
de mon sexe, prêt à savourer les secousses de mon plaisir.
Et je viens… Un orgasme puissant, violent me soulève comme une lame de
fond. Il se déchaîne alors au-dessus de moi, désireux de prolonger ma jouissance
aussi longtemps que possible. Je m’agite, me cambre, cherche sa bouche. Nous
échangeons un baiser torride et à chaque coup de reins, je le sens se rapprocher
un peu plus de son orgasme, ce moment où il lâchera prise, abandonnant
l’incroyable énergie qui l’habite…
Je profite encore des dernières vagues de mon orgasme lorsque son corps se
tend, et je sens les soubresauts de sa queue au moment où il explose en moi. Il
prend alors mon visage entre ses mains, ralentit le rythme… Nous nous
embrassons lentement, mais avec passion, tandis que nos corps se détendent.
– Waouh ! dis-je, cherchant à reprendre mon souffle.
– Comme tu dis…
Il émet un petit rire et un éclair de satisfaction purement masculine passe
dans son regard. Il semble content de ma sincérité. Ou peut-être simplement
d’avoir fait l’amour avec moi.
Il s’allonge sur le dos, fixe le plafond. D’instinct, je me presse contre lui et il
m’enlace d’un bras, l’autre replié derrière la tête. Il baisse le visage vers moi,
soufflant sur une mèche de cheveux qui me barre le front.
– Je peux recommencer dans quelques minutes… Tu en as envie ?
– Oui.
Je suis épuisée, mais qu’est-ce que ça peut faire ? Ou plutôt, qu’est-ce qui
m’arrive ? Qu’est-ce que je suis en train de faire ? QU’EST-CE QUE TU FOUS,
RACHEL ?
– Une dernière fois et je m’en vais, dis-je.
Et je roule pour me retrouver à califourchon sur lui. Cet homme est
merveilleux… Que j’aimerais le garder, si c’était possible !

De multiples orgasmes plus tard…
– Pourquoi n’as-tu pas parlé de moi à tes amies ? me demande Malcolm.
Je suis en train de me rhabiller. J’hésite. Il n’a pas l’air contrarié, mais je ne
peux pas dire non plus qu’il semble content. Il paraît un peu renfermé, les
paupières encore lourdes de notre marathon sexuel.
– Pour les mêmes raisons que je ne tenais pas à ce que tes amis soient au
courant.
– Quelles raisons ?
– Nous nous sommes juste bien amusés. Ça ne signifie rien.
Je remonte la fermeture éclair de ma jupe et demande :
– Tu es en colère ?
– Non, juste curieux.
Je lui lance un regard étonné.
– Tu as peut-être l’habitude de parader avec tes maîtresses et elles aiment
sans doute se vanter de leurs prouesses en ta compagnie. Mais ça n’est pas mon
cas.
– Tu ne penses pas qu’on a passé l’âge de jouer à cache-cache, Rachel ?
– Et toi, tu ne penses pas que tu as passé l’âge de parier sur les femmes que
tu peux avoir ?
Ses lèvres s’étirent, mais son sourire n’atteint pas ses yeux. Je renchéris :
– Tu ne peux pas supporter l’idée qu’ils sachent que tu me veux et que tu
pourrais ne pas m’avoir ?
– Exact.
– Pourquoi ?
– Parce que je ne veux pas qu’ils empiètent sur ma chasse gardée.
– Je ne te comprends pas, Malcolm. Tu vois, c’est pour cela que je ne veux
pas de relation. Cela me tuerait, vraiment, d’essayer de saisir mon partenaire.
– Et moi, tu ne crois pas que ça me tue, d’essayer de te comprendre ?
Je cligne des paupières. Et, alors qu’il vient de dire une chose énorme, que
mon cœur s’est tout à coup figé entre un espoir étrange et une peur tangible, il
poursuit, comme si de rien n’était :
– Tu vois, en général, les filles aiment que le reste du monde sache qu’elles
ont fini dans mon lit. Certaines, même, affirment que c’est le cas, alors que je ne
les connais même pas. Tu es la première à avoir été dans mon lit sans le vouloir.
Je redresse la tête, frappée par sa mauvaise foi.
– Si c’était le cas, je ne serais pas chez toi, dis-je dans un murmure. Or, j’y
suis en dépit du fait que… du fait que je ne devrais pas.
Sur ces mots, je lève les yeux vers lui, consciente que je suis pathétique. Je
ne devrais pas être ici, Saint ! Il me regarde d’un air perplexe, ce regard qui
essaie de me comprendre. J’enfile mon top, tout aussi confuse. Ce n’est pas le
genre de conversation qu’on devrait avoir après une nuit sans lendemain. Enfin,
ce n’est pas vraiment ce qu’il est. Qui est-il, au juste ?
– Je ne veux pas être une autre de plus sur ta liste. Rien que de penser à
toutes les filles avec qui tu as couché, ça me donne envie de… de m’inscrire à un
cours de pole-dance.
Il se met à rire.
– Pourquoi ?
– Sans doute parce que je suis rasoir, enfin normale, quoi ! Et toi… tu es
toi !
Et je suis accro.
Il est 3 h passées. On est tous les deux débraillés et censés être détendus
après toutes ces heures à s’envoyer en l’air comme des fous. Et pourtant, je vois
clairement la tension qui crispe son visage. J’ai soudain envie de sauter de
nouveau dans le lit et de l’en délivrer, mais je commence à avoir peur de devenir
dépendante. À avoir peur de lui. Je me tiens près de la porte et m’apprête à lui
dire au revoir quand je constate qu’il a enfilé un caleçon noir et passe son
pantalon.
– À cette heure-ci, il n’est pas prudent de circuler la nuit par ici, marmonne-
t-il.
– Ce n’est pas prudent ici tout court, dis-je sur le même ton.
Torse nu, sans chaussures, il me donne encore des frissons alors que ses
mains ont exploré les moindres recoins de mon corps pendant une bonne partie
de la nuit. Il m’accompagne jusqu’à l’ascenseur et attend que l’appareil arrive.
Au tintement, il tourne mon visage vers lui… Je le laisse m’embrasser et noue
mes bras pendant quelques instants autour de son cou pour lui rendre son baiser.
Mais comme il ne semble pas avoir l’intention d’arrêter, je me détache de lui et
monte dans l’ascenseur.
– Salut.
Le regard intime qu’il pose à ce moment-là sur moi me trouble, et il ne me
quitte pas des yeux jusqu’à ce que les portes se ferment. Jamais je n’aurais cru
qu’un homme pourrait me regarder de cette façon ! Dès que je sors de son
immeuble, son chauffeur sort de la Rolls.
– Mademoiselle Rachel, dit-il en ouvrant la portière.
Mal ! Encore une fois, il a tout prévu. Je lève les yeux vers le haut de la
tour : pas l’ombre de sa silhouette derrière ses fenêtres. Une brusque envie de
hurler me saisit, mais je me rappelle à temps qu’il est 3 h du matin ! Dépitée, je
me glisse à l’arrière de la voiture… C’est alors que j’entends le chauffeur
derrière moi :
– Bonsoir, monsieur Saint, ou plutôt bonjour.
En l’espace d’un instant, ce dernier se matérialise devant la portière. Mon
cœur fait un bond immense.
– Viens, Rachel, dit-il.
Et il me prend par le bras pour m’entraîner hors de la Rolls.
– Mais… qu’est-ce que tu fais, au juste ?
– Ce que j’aurais dû faire plus tôt.
Une fois dehors, je refuse de bouger, mais il me saisit la main et m’attire
contre lui. Je murmure :
– Tu as perdu la tête.
– Exact, approuve-t-il.
Puis il hausse un sourcil.
– Tu viens, ou je dois te porter ?
– C’est bon, dis-je, consciente du regard sidéré d’Otis.
– Dans ce cas, suis-moi.
Et il enlace ses doigts aux miens, avant de se diriger d’un pas déterminé vers
l’immeuble. Nous voici de nouveau dans l’ascenseur ! Quand les portes
s’ouvrent, en haut, et que plus personne ne peut nous voir, il me soulève de
terre… et me jette sur son épaule !
– Saint ! Malcolm Saint ! Repose-moi tout de suite !
– Hé, patience ! Je vais te reposer, dit-il alors.
Je m’immobilise, ne sachant plus trop sur quelle planète je suis.
– Tu ne peux pas faire ça ! dis-je quand il me fait tomber sur son lit.
Serais-je entrée dans la quatrième dimension ?
– Tu vois bien que si ! Tu dors ici, tu passes la nuit avec moi, point final.
Et sans transition, il me retire mon haut, l’air très sérieux.
J’ai bien conscience que je devrais me révolter, que je ne devrais pas passer
autant de temps avec lui – et aimer ça –, la preuve, je n’arrive plus à penser
correctement, à penser tout court d’ailleurs… Ce qui ne m’empêche pas de
déboutonner sa chemise à la vitesse de l’éclair et de l’attirer contre moi,
soupirant d’aise quand il déploie son corps sur le mien.

Twitter :
@MalcolmSaint as-tu vraiment une petite amie ? #suistriste #disnonstp

Je repose mon téléphone et me retourne dans le lit pour contempler l’homme


qui dort à côté de moi depuis deux heures.
Je lui effleure la joue, pose mon regard sur sa bouche sexy, complètement
immobile dans son sommeil. Finalement, je suis restée dans son lit après qu’on a
fait plusieurs fois l’amour avec passion. Toute ma vie, ma peur d’être rejetée et
blessée par un homme m’a conduite à me concentrer uniquement sur ce que je
suis en mesure de contrôler, en l’occurrence mes études et ma carrière. Sur
l’assouvissement de mes désirs aussi, mais en respectant les limites que me
dictait ma raison. Seulement, après ce qui s’est passé cette nuit, avec cet homme,
les limites que je me suis fixées deviennent floues.
Le désir qu’il éprouve pour moi me coupe le souffle. Sans réfléchir, je
touche son visage, en trace les contours, frôle sa barbe naissante, si troublante.
Ses lèvres sont pleines et fermes, d’un rose fascinant. Encore une fois, mon
pouls s’accélère et les miennes me picotent, envieuses de mes doigts qui les
effleurent. Alors sans réfléchir, je me penche vers lui. Tu fais tourner mon
monde si vite, si fort. Ce sont les mots qui résonnent en boucle dans mon cerveau
quand je presse ma bouche contre la sienne aussi doucement que possible pour
ne pas le réveiller. Et je me sens bêtement fondre… Oh, Malcolm, qu’as-tu fait
de moi ?
Je me blottis contre lui, continuant à le contempler. Je n’aurais jamais cru le
voir un jour endormi, après l’amour. J’ai admiré ses sourires, les éclats amusés
qui traversent ses yeux quand il se moque gentiment de moi, et ceux plus
protecteurs qui s’y allument quand ses amis me chambrent. Jamais je n’aurais
cru vivre tout ça avec un homme comme lui.
J’aime qu’il soit concentré et logique, et qu’avec ses amis, il ressemble
parfois à un adolescent – un immense et très bel ado qui se divertit avec des
jouets très onéreux et puissants. J’aime l’interviewer, je suis avide de la moindre
information qu’il me concède. J’aime faire un tout petit peu partie de sa vie, et
pouvoir l’admirer dans son lit, nu et endormi. Et je me rends compte que je suis
bien plus attachée à lui que je n’aurais cru.
Aussi quand il m’enlace et que sa bouche capture la mienne, que sa langue
se fraie un chemin et que mille frissons de plaisir me parcourent le corps, la
seule chose que je puisse faire, que je veuille faire, c’est le laisser m’emporter…
CHAPITRE 22

EXCITATION, EXTASE
ET MISE À NU

Saint et moi passons le dimanche en compagnie des garçons, à regarder un


autre match des White Sox.
Au départ, j’avais vraiment l’intention de prendre des notes sur mon
téléphone, pour compléter mon dossier, mais je préfère finalement me détendre,
décompresser.
Je commence à me sentir bien avec eux – ils sont comme les grands frères
bruyants que je n’ai pas eus. Ils ont tombé la veste, desserré leur cravate, comme
s’ils revenaient d’un rendez-vous professionnel.
Le commentateur vient d’annoncer un but ou un essai, que sais-je, et ils sont
tous agglutinés devant l’écran. Je m’assois près de Malcolm qui porte un tee-
shirt en coton bleu et un jean délavé. Il a l’air à la fois décontracté et souverain,
sur son canapé. Callan et Tahoe échangent des commentaires sur les joueurs,
mais Malcolm ne quitte pas l’écran des yeux, sirotant de temps à autre un peu de
vin. Et je me félicite d’être avec des hommes qui ne boivent pas de la bière en
commentant le sport à la télé, mais plutôt du pinot noir.
Un jour dans la vie de Malcolm Saint. Je ris intérieurement et tente de me
concentrer sur le match, mais en réalité, je suis obsédée par le bras de Malcolm,
dans mon dos. Comme j’ai envie de me coller à lui ! Mais je laisse un peu
d’espace entre nous, histoire de me calmer.
Et à cet instant, bien sûr, Malcolm m’enlace par la taille et m’attire
gentiment contre lui… Nos cuisses se touchent à présent.
– C’est mieux, me dit-il d’un air satisfait.
Puis il se cale contre le canapé, et continue à suivre le match en buvant son
vin.
Tahoe laisse alors échapper un petit rire moqueur, mais Malcolm le foudroie
du regard et me presse un peu plus contre lui. Ah, les hommes ! Je me mords
l’intérieur de la joue pour ne pas éclater de rire. Soudain, je constate que
Malcom a les yeux braqués sur ma bouche, qui affiche un sourire contrôlé.
Furtivement, il effleure mes lèvres du pouce, puis se penche pour
m’embrasser. Choquée de cette démonstration devant ses potes, je tourne la tête
et ses lèvres rencontrent ma joue.
– Putain, c’est une première ! marmonne Callan.
Immédiatement, je demande :
– Quoi ?
Il désigne Malcolm.
– Le king qui se prend un râteau.
– Je ne l’ai pas repoussé, dis-je sur la défensive.
Et je me sens rougir. Je tourne la tête vers Malcom qui fronce légèrement les
sourcils. Je suis sûre qu’il se promet de botter le cul de Callan plus tard.
– Ah si ! insiste ce dernier. Il faudra te faire pardonner.
Et il me décoche un clin d’œil. Malcolm se tend imperceptiblement à côté de
moi.
– J’ai manqué quelque chose ? s’enquit Tahoe, les yeux rivés à l’écran.
– Non, rien, c’est juste que notre petit gars, là…
– PUTAIN, VAS-Y ! hurle tout à coup Tahoe en tapant dans ses mains.
Allez, allez !
Il semblerait qu’un joueur soit sur le point de réaliser un exploit… Callan et
Malcolm regardent de nouveau l’écran et laissent subitement éclater leur joie. La
voix profonde de Malcom emplit mes oreilles, et d’instinct, je me rapproche de
lui.
Il me résume ce qui vient de se passer et je hoche la tête ; en réalité, c’est
juste son timbre qui m’intéresse. Je me retiens de lui monter dessus. Il dépose un
baiser sur ma tempe et se concentre de nouveau sur le match. C’en est trop.
J’essaie de me dégager de son étreinte mais il résiste. Et merde !
C’est bien la première fois que je m’intéresse autant au base-ball… Je suis si
détendue que je pourrais m’endormir, si Malcolm ne cessait de me rappeler notre
proximité. Parfois par un baiser, ou sa main qui effleure ma cuisse, son pouce
qui caresse l’intérieur de mon poignet. Et je me sens progressivement fondre. Ce
sont des petits riens, mais ils me font tourner la tête, détruisent tous les murs que
j’ai érigés autour de moi.
Je m’étais pourtant promis que je résisterais, mais à la fin du match, j’ai posé
la tête sur son torse et de son bras, il me tient contre lui. Callan et Tahoe nous
regardent d’un air tantôt médusé, comme si nous étions des dinosaures ou des
animaux en voie d’extinction, tantôt craintif, comme si le tableau que nous
offrons allait disparaître d’un instant à l’autre. Et moi, j’ai l’impression que je
joue avec le feu. Plus je me blottis contre lui et ai envie de rester dans le creux
de ses bras, plus j’ai conscience que je vais finir par m’y brûler les ailes.
Au bout d’un moment je me lève pour aller respirer un peu d’air frais,
j’étouffe à force de penser au fait que je ne devrais pas être là. Dans un ultime
effort, je me réfugie dans la cuisine, et c’est comme quitter un lit confortable un
dimanche matin, Malcolm étant mon matelas personnel. Dès lors, sa chaleur, ses
bras et le son de sa voix tout contre mon oreille me manquent ; je me rappelle le
mouvement de ses abdos sous ma tête, son estomac dur comme un roc, et je
frissonne…
Quand je reviens au salon, je laisse un bon mètre entre nous, espérant lui
envoyer un message clair, mais il ne semble pas y prêter attention et me regarde
comme si je faisais quelque chose de drôle puis, étirant le bras, me fait de
nouveau glisser vers lui, là où est ma place selon lui, c’est-à-dire contre son
torse. Et nous restons dans cette position jusqu’à la fin du match. À un moment,
Tahoe se lève et me donne une tape sur le genou, apparemment parce que je me
suis endormie.
Lui et Callan se moquent gentiment de moi, mais Malcolm leur enjoint de la
fermer, sans perdre une miette du match. Je me suis vraiment assoupie ! J’enrage
de me sentir si bien près de lui, si vulnérable. Oui, je suis furieuse de constater
que je suis désormais comme amputée d’une partie de moi-même quand je ne
suis pas dans ses bras. Et je peste contre la culpabilité que tout cela fait naître en
moi et qui commence à me ronger.
– Est-ce que tes parents savent que tu es ici ? s’enquit alors Tahoe, avant de
lancer à la cantonade : il faudrait que le patron du bar vérifie la carte d’identité
de cette jeune fille !
Je le fusille du regard.
– Pourquoi est-ce que tu insistes toujours sur mon âge ?
– T !
L’intéressé sourit.
– Oui, Saint ?
– Fous-lui la paix.
Pour me donner une contenance, j’enroule mes cheveux en un chignon bas,
me sentant soudain très féminine sous la protection de Saint. L’alchimie sexuelle
qui existe entre nous est indéniable. Plus j’essaie d’en faire abstraction, plus elle
m’envahit. Tahoe éclate de rire et s’apprête à me donner une bourrade amicale.
– Ne la touche pas, Roth ! ordonne Saint.
Tahoe se redresse.
– Putain, mec, pourquoi tu devrais toutes les avoir ?
– Tu peux choisir celle que tu veux.
– Dans ce cas…
– Sauf celle-ci, précise Malcolm sans même me regarder pour vérifier ma
réaction. Je ne te le redirai pas.
Là-dessus il se lève et s’éloigne pour se resservir du vin. Tahoe fait une
petite grimace tandis que Callan se penche pour dire à voix basse :
– Il est d’une humeur massacrante.
– Pourquoi ?
– Son vieux organise une commémoration pour sa mère demain. Et si Saint a
un point faible, c’est bien celui-là.
– Sa mère ? Ou son père ?
– Les deux combinés, précise Callan.
Je n’ai pas le temps d’en apprendre davantage car Saint revient et, semblable
à une torpille, reprend sa place à côté de moi, m’enlace et me caresse la joue. Je
rougis de la tête aux pieds.
– J’aime quand tu relèves tes cheveux, dit-il.
– Merci.
Il me sourit et continue de me caresser. Je laisse échapper un discret soupir :
je n’arrive pas à croire qu’il puisse réveiller mon désir aussi facilement. Et
qu’aucune partie de mon corps ne soit épargnée ! Tous mes sens sont en éveil.
– Arrête de l’embobiner, Saint, ou son oreille va finir par tomber, reprend
Tahoe.
Le visage de Malcolm s’assombrit et j’interviens pour temporiser :
– Tu crois ? Il ne parle pas beaucoup, mais ce qu’il dit est toujours très
excitant… De toute façon, pas besoin de s’inquiéter, je suis émotionnellement
indisponible.
Et je roule des yeux d’un air faussement tragique.
– Oh, tu peux compter sur lui pour ouvrir tous les verrous qui le conduiront
jusqu’à toi !
Je réplique :
– Je ne suis pas un coffre-fort normal.
Malcolm demeure silencieux. Alors je me penche vers lui et chuchote à son
oreille, tout en passant le doigt sur son torse :
– J’ai envie que tu t’amuses, Malcolm.
Ce qui me vaut un froncement de sourcils.
– Qui a dit que je ne m’amusais pas ?
– Je sais encore faire la différence entre une personne qui se tait parce
qu’elle est détendue, et une qui garde le silence car elle est en colère.
Il me saisit par le menton.
– Je ne suis pas en colère contre toi.
Oui, j’imagine, mais il n’empêche que j’ai envie de voir ses yeux sourire.
Mieux, je veux lécher ses blessures, même si j’ignore de quelle nature elles sont.
Qu’est-ce qui peut atteindre un homme aussi construit et aussi fort que lui ? Je
médite toujours sur ces questions lorsqu’il me reconduit chez moi, ce soir-là.
– Je ne suis pas libre demain, m’annonce-t-il en me raccompagnant jusqu’à
la porte de mon immeuble. On se voit une autre fois ?
J’avais beau m’y attendre, ces paroles ne sont pas agréables à entendre. Nous
avons chacun nos vies et qu’avons-nous partagé, en fait ? Une nuit sans
lendemain… prolongée jusqu’au lendemain ?
– Bien sûr. Bonne nuit, dis-je à voix basse.
Et avant d’entrer, je m’adosse à la porte, attendant qu’il m’embrasse. Quand
il glisse ses mains dans ma nuque, je me hisse instantanément sur la pointe des
pieds et agrippe ses épaules. Ses baisers sont devenus ma drogue… Une minute
s’écoule, puis deux, puis trois, et il finit par se détacher de moi.
– Je dois y aller, dit-il en me regardant droit dans les yeux.
J’éprouve la terrible envie de le rappeler car je l’ai senti à cran, comme s’il
ne se faisait pas confiance, ou ne maîtrisait pas la situation, ce qui est inédit chez
lui… Au moment où il s’engouffre dans sa voiture, je m’écrie :
– Saint !
Est-ce que je lui demande de passer la nuit chez moi ? Mais la question est
vite réglée car il ne m’entend pas, démarre, et je rentre dans mon immeuble, le
cœur battant la chamade. Hé, tu allais vraiment lui demander de dormir chez toi,
Livingston ? Aucun homme n’a passé la nuit ici, et Gina aurait été complètement
flippée. Il était préférable qu’il s’en aille, non ? Allons, pourquoi cette morosité
subite ? Tu t’attendais vraiment à ce qu’il t’invite demain à la commémoration
organisée pour sa mère ? Hé, Rachel, on se réveille ! Pourtant, l’espace d’un
instant, j’ai vraiment cru qu’il allait le faire.
Le lendemain, je me déteste car je me fais l’effet d’une voyeuse en suivant
l’événement via Internet et en contemplant sa tristesse sur les images qui défilent
sur l’écran. Il y a clairement de la tension dans l’air, entre son père et lui. Il
s’agit donc d’une cérémonie donnée en l’honneur de sa mère décédée d’une
leucémie : Monsieur Saint senior organise un gala tous les ans afin de récolter
des fonds pour une association portant le nom de sa femme.
« Comme nous pouvons le voir, Noel et Malcolm Saint ne se parlent
toujours pas… »
Je referme vivement mon ordinateur et me force à me consacrer à une
activité plus constructive. En désespoir de cause, je me mets à feuilleter les
magazines de mode de Gina.
– Ne touche pas aux pages cornées, m’avertit-elle de derrière son écran.
Allongée sur le canapé, elle est en train d’écouter de la musique. Je parcours
des yeux une page au coin plié… Pourquoi a-t-elle marqué cette page ? Pour le
sac à main branché, les chaussures jaunes ? Je continue à feuilleter la revue
quand un message s’affiche sur mon portable.
Tu es occupée ?
Mon cœur fait un tel bond dans ma poitrine que j’en oublie la règle cardinale
des textos : ne jamais répondre tout de suite à cette question ! Évidemment, je lui
réponds instantanément que non. J’attends alors la suite de l’échange, le pouls
battant violemment, et repense à son connard de père.
Je passe te chercher ?
Où va-t-on ?
N’importe où.
Donne-moi 5 min.
Je bondis sur mes pieds pour aller me changer.
– Oh non ! gémit Gina.
J’enfile des dessous sexy en dentelle blanche rien que pour lui, puis une
minijupe que j’adore et un haut échancré. Je sais que Saint ne se livre jamais ;
derrière le masque, il est juste question de sa nature rebelle, rien de plus. Or, le
fait qu’il m’ait envoyé un texto alors même qu’il vient de vivre des moments
difficiles, a réveillé mon instinct protecteur, celui que je réserve exclusivement à
ma mère, Gina et Wynn. Je ne tiens plus en place quand je vois la Rolls derrière
la fenêtre.
– À demain, dis-je à Gina.
– Rachel ! crie-t-elle dans mon dos.
Mais je fais mine de n’avoir rien entendu. De toute façon, je ne peux pas
perdre une seconde, j’ai tellement hâte de le retrouver ! Il n’y a qu’un endroit où
je veux être à Chicago, c’est près de lui.
Je monte dans la Rolls et suis d’abord surprise par la pénombre dans laquelle
il baigne. Peu à peu, mes yeux s’y habituent et je distingue alors quelques éclats
de lumière sur son visage. Que cet homme est beau ! me dis-je pour la énième
fois. Avec ses iris vert émeraude et son air mystérieux, il est à se damner.
Soudain, son regard s’anime quand il le pose sur moi.
– Tu es adorable, me dit-il. Si désirable.
Et la chaleur inattendue que j’entends dans sa voix me trouble
profondément. On dirait que ma présence lui fait du bien.
– Merci, dis-je avec un petit sourire sensuel.
J’apprécie ses paroles, mais Saint est un homme d’action et ce soir, je veux
être à la hauteur. Subrepticement, j’écarte le tissu de ma tunique pour dévoiler
un peu mon épaule et ajoute :
– Ça tombe bien, car je suis aussi comestible.
– Dans ce cas, je vais te goûter…
Surprise par la force de ma propre faim, je me penche un peu plus vers lui :
son visage est dévoré par un désir tangible ! Je chuchote d’une voix lascive :
– Où ? Ici ?
Et je passe le doigt sur mon épaule.
– Oui, ici ! Je vais goûter ton cou, tes épaules, ton bras.
Je ne trouve pas les mots pour décrire combien j’aime sa voix quand elle est
aussi chargée de désir. Mais qu’importe puisque je n’ai plus de souffle. Tel un
être vivant qui va nous dévorer sur son passage, le désir rebondit entre nous…
– Quoi d’autre ?
Je suis presque pantelante, je peine à cacher mon excitation.
– Je te prendrai d’abord sans ménagement, puis avec douceur prévient-il
alors. Montre-moi ton autre épaule, Rachel.
J’obtempère. La Rolls descend à présent une rue à vive allure, et moi, j’ai
l’impression que l’univers entier se trouve dans la voiture et me regarde. Mon
sang siffle joyeusement dans mes veines tandis que je fais glisser le tissu sur
mon épaule, autant que le permet l’échancrure de ma tunique. Chaque jour,
l’attirance qu’il exerce sur moi s’intensifie, il la sublime à un point que je
n’aurais jamais cru possible. Je connais son visage par cœur maintenant, ses
différents angles, chacun de ses sourires…
– Je vais faire courir ma langue sur la courbe de ton cou, sucer là où ton
pouls bat violemment, dit Monsieur Univers. Découvre-toi davantage.
– Ce que tu es exigeant… Quelque chose dans ta vie sera-t-il un jour
suffisant, Malcolm Saint ?
Il secoue très lentement la tête, comme s’il m’avertissait d’un danger, puis
répond d’une voix légèrement amusée :
– Rien ne sera jamais suffisant et cette devise s’applique tout
particulièrement à toi. Allez, montre m’en plus, ma belle.
Je tire un peu plus sur ma tunique, même si mon décolleté est maintenant si
dégagé qu’il peut voir le renflement de ma poitrine, sous la dentelle blanche. Il
pousse un petit grognement appréciateur. Je rougis et me raidis en même temps.
– Ravie que tu m’aies appelée ce soir, big boss, dis-je.
Il émet un petit rire, et les vibrations de sa voix effleurent de nouveau ma
peau :
– Ravi que tu te sois libérée.
Inclinant un peu la tête, je le regarde… L’énergie bouillonnante qui habite la
Rolls l’encercle à présent, sa soif, son désir, sa frustration sont nettement
perceptibles.
– La journée fut difficile ?
– Oui, mais ça s’améliore, souffle-t-il.
Et je ne sens aucune retenue en lui quand il tend le bras vers moi. Il
embrasse d’abord ma bouche avec fougue, trace ensuite un sillon brûlant sur
mon épaule dénudée…
– Elle est définitivement en voie d’amélioration, ajoute-t-il. Que faisais-tu de
ta soirée, avant que je t’appelle ?, dit-il en recouvrant mon visage de légers
baisers.
– Euh… Laisse-moi réfléchir… La vraie réponse ? Ou celle que tu veux
entendre ?
Je fais alors courir mes doigts sur sa mâchoire aussi carrée que rassurante, et
j’apprécie qu’il me laisse le toucher comme ça.
– Les deux, murmure-t-il de sa voix si sensuelle.
Il continue à me caresser l’épaule, puis glisse son pouce sur mon décolleté…
– Je travaillais, dis-je, mais un œil rivé à mon portable, attendant que tu
m’envoies un texto pour m’inviter quelque part.
– N’importe où ?
– Exactement.
Sur une impulsion, j’embrasse le coin de sa bouche et poursuis :
– On est sur la même longueur d’ondes, maintenant, non ? Car j’ai vraiment
envie de me jeter sur toi…
Il resserre son étreinte et coule une main sous ma tunique, dans mon dos.
– Rachel… Je ne voulais pas que tu me voies quand je n’étais pas au
meilleur de ma forme.
– Pourquoi ? J’ai aussi envie de te réconforter et de te donner tout ce que tu
veux, même quand tu es comme ça.
Il pose sa bouche torride sur mon épaule.
– C’est toi que je veux.

« N’importe où », devient finalement The Toy. Loin des yeux indiscrets et du
public – à mon grand soulagement et plaisir – j’ai l’impression d’avoir pénétré
un autre monde. Le yacht est amarré, et l’équipe n’est pas à bord ce soir : il n’y a
donc que Malcolm et moi, assis dans le silence sur le pont supérieur, tous deux
en sueur après nos étreintes d’abord fougueuses puis plus tendres.
Il porte un pantalon noir, mais n’a pas remis sa chemise, car c’est moi qui
l’ai enfilée. Il est perdu dans ses pensées, les ressasse, et jamais je n’ai eu autant
envie de protéger un homme.
– M4, dis-je dans un murmure, blottie étroitement contre lui. Tu fais souvent
les choses par quatre. Pourquoi ?
D’ailleurs, c’est la quatrième fois que nous passons du temps ensemble,
non ? Est-ce la dernière ? Il pousse un soupir et avale une gorgée de vin. Nous
regardons tous deux Chicago qui s’étend devant nous…
– Je suis impulsif, répond-il.
Il fixe un point dans le lointain, pensif. J’enchevêtre mes doigts aux siens.
Quand il reprend la parole, sa voix est encore plus grave, et on y entend presque
des regrets.
– C’était pire quand j’étais plus jeune. J’ai toujours eu du mal à me maîtriser,
ça me demandait de gros efforts. Les nourrices se succédaient, aucune ne
parvenait à me contrôler. Plus elles étaient strictes, plus je me rebellais. Ma
mère, elle, était la patience incarnée. J’imagine que c’était ce qui lui permettait
de supporter mon père. Elle était bien plus compréhensive qu’elle n’aurait dû,
d’ailleurs. Quand je m’énervais, elle me disait toujours de compter jusqu’à trois,
mais ça ne marchait pas. Alors un jour, elle m’a pris à part, inquiète car mon
père avait lui aussi un fort caractère, et elle craignait le pire pour moi, parce que
je ne cessais de le provoquer. Elle m’a donc conseillé de compter jusqu’à quatre
quand je sentais la colère monter en moi. J’ai suivi ses recommandations, et ai
finalement appliqué cette règle de quatre à tous les domaines. Si on me demande
trois minutes, j’en accorde quatre. Je fais les choses par quatre.
– Même les parties de jambe en l’air ?
Il hausse un sourcil.
– Pas avec toi. Toi, j’aime te consacrer tout mon temps.
Il promène sa main dans mon dos, sous sa chemise que j’ai fait mienne… Je
frissonne, en proie à une vive émotion. Et en même temps, je me sens déjà
rongée par la culpabilité devant l’information extrêmement intime qu’il vient de
me livrer : que vais-je en faire ? Tiraillée par des émotions que je ne comprends
pas, je m’écarte un peu de lui. Alors il se redresse et déboutonne la chemise que
je porte. De nouveau, le désir me saisit, toujours aussi intense. Je me liquéfie
littéralement… Je ne proteste pas, ne bouge pas. Deux boutons, trois, quatre…
Tout me corps tremble d’impatience.
Et pourtant, désireuse de le provoquer un peu, et d’évacuer la tension qui se
forme au creux de mon estomac, je parviens à murmurer :
– Prends tout ton temps avec moi, ça ne m’ennuie pas du tout.
Quatre boutons, cinq, et six ! Les pans de la chemise s’ouvrent et il
m’embrasse ma gorge, puis entre les seins, au milieu du ventre, et pose enfin sa
bouche sur mon sexe. Quatre baisers, et il enfouit son visage entre mes cuisses.
– Je ne m’ennuie pas le moins du monde avec toi, Rachel.
J’avais été si timide la première fois. Mais ce soir, quand, de sa langue, il se
met à titiller mon clitoris, je pousse un petit gémissement et m’offre à lui en me
cambrant de façon lascive. Dans un murmure, je parviens à articuler :
– Malcolm, Malcolm, Malcolm…

– Hum…
C’est le son qui sort de ma bouche quand, une heure plus tard, il me réveille
alors que je m’étais assoupie dans la cabine.
– Je ne sais pas quelle oreille je préfère, en fait, déclare-t-il tout contre
l’objet de sa délicieuse attention.
Je m’étire en souriant, et il baisse les yeux vers moi.
– J’adore ton yacht, c’est si paisible ici, dis-je en laissant courir mes doigts
sur sa poitrine.
– C’est pour cela que je n’y viens jamais seul, c’est trop calme. Je m’entends
presque penser.
Il fronce les sourcils et se lève pour se rhabiller. Rêveuse, je roule sur le côté
et admire son corps fascinant tandis qu’il enfile son pantalon.
– Est-ce que tu es heureuse, chez Edge ?
Cette question m’arrache à ma contemplation et je m’assieds brusquement ;
je serre le drap autour de moi tout en tâtant le lit, en quête de mes sous-
vêtements.
– Pourquoi tu me demandes ça ?
– Selon certaines rumeurs, ton magazine va bientôt fermer.
Il boutonne lentement sa chemise, surveillant ma réaction.
– J’espère que non ! J’aime vraiment travailler là-bas.
Ayant enfin mis la main sur mon soutien-gorge et ma culotte, je lâche le
drap pour les enfiler rapidement. Je reprends, un rien inquiète :
– Pourquoi ? Tu as l’intention de te lancer dans la presse ?
Il demeure impassible, rentre sa chemise dans son pantalon et boucle sa
ceinture : voilà, il est redevenu Malcolm Saint sous mes yeux.
– Non, Edge ne m’intéresse pas, cet investissement ne rapporterait rien.
Donner un second souffle à une entreprise qui n’en a plus, ça ne me passionne
pas, j’avoue.
Il me considère quelques instants, puis ajoute :
– Et toi, tu n’as pas envie de posséder ta propre entreprise ?
– Non, ce qui m’intéresse, c’est l’écriture. Mon objectif est de bien gagner
ma vie pour écrire plus. Toujours plus.
Il sourit.
– Si tu savais comme cela m’excite d’imaginer ces petites mains en train de
taper de grandes idées !
Son commentaire me réchauffe : il pense donc à moi… Il me regarde
m’habiller.
– Donc, tu resterais à Edge même si d’autres opportunités se présentaient ?
demande-t-il.
Sa question me prend par surprise, et me met mal à l’aise. Je réponds
prudemment :
– Sans doute… En gros, mon idéal, c’est de me sentir en sécurité dans ma
carrière et sans doute aussi dans ma vie. Je veux que ma mère le soit également,
et si je pouvais faire en sorte que Chicago soit une ville moins dangereuse, j’en
serais comblée. C’est là-dessus que j’ai envie d’écrire. Mais ce genre de
journalisme requiert du temps et de l’argent. Si Edge avait plus de moyens, j’en
aurais aussi, et je pourrais réaliser mon rêve. Ce magazine m’a donné ma chance,
je lui suis en quelque sorte redevable.
Il s’assied au bord du lit, le regard intense.
– Que ferais-tu par exemple pour la ville ? Quelle est ton idée, au juste ?
Il repousse quelques mèches de mon front.
– Je ne sais pas exactement… Le changement n’est possible que si beaucoup
de personnes se mobilisent, à moins que l’on soit très puissant.
Il relève un coin de sa bouche et je vois dans ses yeux une lueur de prédateur
qui ne me laisse jamais indifférente.
– Tu couches avec un homme très puissant, tu sais.
Je me mords la lèvre.
– Oui, c’est vrai…
Puis je mets à rire en rougissant. Il prend alors mon visage dans ses mains et
je tourne légèrement la tête pour appuyer sa caresse.
– Tu n’es pas comme je t’imaginais, dis-je. Et pourtant, j’ai une sacrée
imagination.
– C’est parce que tu es bienveillante. Je me suis construit sur des choses
affreuses.
– Tu dis n’importe quoi. Nous sommes tous faits de bonnes et mauvaises
choses.
Mon ton léger ne le déride pas.
– Tu crois ? renchérit-il en me scrutant attentivement. Que vois-tu en moi ?
Je plisse le front.
– Que veux-tu dire ?
– J’ai un caractère difficile, certains me trouvent intransigeant. Je
n’entretiens aucune relation, et je compte bien continuer. Tu ne veux pas de mon
argent, tu ne veux pas faire la fête avec moi, du moins pas comme les autres en
rêvent. Tu as bien failli ne pas coucher avec moi. Et pourtant, tu as fini par venir
vers moi comme si tu recherchais une protection, et j’ai eu envie d’être cet
homme-là pour toi.
Je le regarde sans mot dire. Il dit toujours que je l’étonne et en l’occurrence,
là, il me considère d’un air tout aussi confus que le mien.
– Malcolm…
Et je m’arrête car je ne sais pas quoi dire. Il voit juste mais au final, il
pensera que tout était mensonge. Et cette idée m’est insupportable !
– Quand la leucémie de ma mère a été diagnostiquée…
Il fait une pause.
– J’ai promis que je serais toujours là pour elle, à ses côtés. On lui a donné
deux ans à vivre, elle est partie un an et demi après…
De nouveau, il s’arrête, mais continue de me regarder.
– Alors qu’il ne lui restait que quelques heures à vivre, mon père a refusé
qu’on m’avertisse. Il voulait me punir, car je me trouvais à l’étranger pour fêter
l’anniversaire de Tahoe.
Je me sens devenir livide.
– Donc tu vois, je ne suis pas doué pour tenir mes promesses. Cependant, je
veux servir ta cause comme si c’était la mienne.
– Je suis désolée. Je… Quand mon père est décédé, j’étais bien trop jeune
pour comprendre ce qui se passait. Mais il m’arrive pourtant de faire des
cauchemars sur la façon dont il est mort, tout seul.
Nous échangeons un regard.
– Ma mère a poussé son dernier souffle en me réclamant.
Sur ces mots, il se lève, tendu, et se dirige vers ses portables posés sur la
table de chevet.
Je murmure :
– Elle savait que tu l’aimais.
– Vraiment ?
– Les femmes savent ce genre de choses. Ma mère dit toujours qu’elle a su
que mon père l’aimait avant que lui-même ne s’en aperçoive. Elle le sentait. Ton
sexe n’est pas versé dans ces subtilités-là, les hommes ont besoin que l’amour
les frappe violemment pour le comprendre. Parfois, il arrive pourtant à
s’immiscer même si toutes les fenêtres et les portes lui sont fermées.
Il a toujours les yeux rivés à moi. J’ajoute :
– Tout le monde porte un amour naturel à ses parents.
– Eh bien, moi, je me suis détaché de cet amour. À quoi sert d’aimer ? La
vérité, la loyauté, ce sont des valeurs qui durent, elles, et que je préfère.
Je reste sans voix, et ne sais ce qui me surprend le plus : ses paroles ou le ton
détaché avec lequel il les a prononcées. Je n’arrive pas à me remettre de ce qu’il
a dit. Comment ne peut-il pas croire en l’amour ? Je baisse légèrement le visage
pour qu’il n’y lise pas la tendre émotion qui, j’en suis certaine, s’y reflète. Car
mon cœur en est subitement rempli.
Allons, nous avons bien d’autres choses en commun, Saint et moi. À
commencer par notre amour du travail. Nous travaillons énormément, tout en
nous accordant ça et là quelques divertissements. Nous sommes tous les deux
fiers, pleins de secrets. Moi aussi je pensais ne pas croire en l’amour, du moins
pas au sens romantique où Wynn l’entend. Aussi, pourquoi ai-je soudain
l’impression que je suis en train de changer ? Je finis de m’habiller, incapable de
le regarder.
Après les propos qu’il a tenus sur la vérité et la loyauté, songeuse, je reste
silencieuse. Pourquoi suis-je avec lui ? Que va devenir cette liaison ? Je n’ai pas
réfléchi à ce que je faisais, trop contente d’être avec lui, naïve et insouciante. Or,
Malcolm a réveillé la femme en moi, et je suis particulièrement consciente de
l’effet qu’il a désormais sur moi quand il me reconduit à mon appartement.
Je devrais être rassasiée, satisfaite et heureuse. Or, je constate que je n’ai
aucune envie de lui dire au revoir, et quand il demande à Otis de l’attendre alors
qu’il me raccompagne jusqu’au seuil de ma porte, je panique à l’idée qu’il va me
quitter. Puisque je ne dis pas la vérité, et ne suis pas loyale, il me laissera bientôt
tomber.
Voulant le délester d’une éventuelle culpabilité, je lui dis :
– Je dois travailler demain.
– Moi aussi, renchérit-il.
Et il attend que j’ouvre la porte. Il enfouit alors sa tête dans mon cou, me
mordille, tout en me caressant l’épaule. Je frissonne et, sur une impulsion,
chuchote :
– Tu veux entrer ?
– Oui.
Mon cœur se met à cogner violemment dans ma poitrine, et une onde de
chaleur me submerge. Dans un sursaut de lucidité, je mets le doigt sur ma
bouche : il ne faut pas que Gina nous entende ! Une fois la porte refermée, je le
regarde: il est grand, beau et si désirable.
– Assieds-toi, dis-je en lui désignant le lit.
Uniquement mue par mes hormones, je nous vois déjà rouler dessus…
Il commence à déboutonner sa chemise, tandis que je m’affaire à me
déshabiller pour enfiler mon tee-shirt avec un logo de chat sauvage. Il sourit en
me voyant dedans et j’ai tout à coup l’impression d’être l’étudiante la plus sexy
du campus.
En un geste fluide, je saute sur ses genoux et l’aide à déboutonner sa
chemise. Il en profite pour passer les mains sous mes fesses…
– Malcolm, je n’ai pas de préservatifs…
Il me donne un long et lent baiser.
– Ne t’inquiète pas, j’ai ce qu’il faut.
En moins d’une minute, nous sommes complètement nus et je le fais
basculer sur mon lit, ravie qu’il me laisse le chevaucher. Je caresse son torse
imposant, le regard rivé au sien pendant que je me déhanche sur lui. Je
l’accueille en moi, et mes seins sont lourds de désir, avides de caresses… Il
redresse la tête pour les aspirer, titiller avec sa langue mes tétons sensibles. Nous
sommes tous les deux assis, nos visages à la même hauteur, bougeant en
cadence, courant vers la jouissance… Il me donne des coups de reins déchaînés,
et soudain, il jouit avec fracas, et le plaisir m’inonde quasi simultanément.
Nous sommes à présent pantelants, et il a l’air à la fois confus et
reconnaissant. À cet instant, je sens que les murs qu’il érige s’effondrent quand
nous faisons l’amour, petit à petit. Car c’est ce qui arrive toujours. Quand des
étrangers couchent ensemble, ils finissent systématiquement par donner plus que
prévu. Réconfortée par cette idée, je me recroqueville contre son immense
silhouette.
Sortant de ma torpeur, je lui dis :
– J’aime être avec toi, comme ça…
– C’est vrai ? demanda-t-il d’un ton tendre et moqueur à la fois.
Je hoche la tête, et il se tapote alors le torse.
– Viens par ici.
Je me hisse sur lui, et me presse contre son corps. Il émane de tout son être
le parfum de la sécurité. De la force. Comme sa chemise qui occupe désormais
ma garde-robe. Mais il sent aussi le sexe et je perçois en lui une joie découlant
du lien qui nous unit. Je ressasse ces sensations, mais je ne les consignerai pas.
Elles sont trop personnelles, et je sais qu’elles ne me quitteront plus car elles
resteront gravées dans ma chair, même si elles désertaient mon cerveau.
– Ne bouge pas, dit-il soudain en prenant son téléphone.
Il envoie un texto et ajoute :
– Ça ne te gêne pas si je passe la nuit ici ?
Je souris en secouant la tête.
– Tu as dit à Otis que tu étais ici ?
– Oui, confirme-t-il. Bon, tu es bien certaine que je peux rester ? Car on ne
va pas beaucoup dormir…
– Qui penserait à dormir avec toi dans son lit ?
Je lui adresse de nouveau un large sourire et mon matelas grince quand il
s’allonge sur le côté pour regarder sa main qui me caresse, remontant de mon
ventre à mes seins. Je suis du regard mes doigts qui grimpent jusqu’à son cou,
son visage… et lui murmure à l’oreille :
– Aide-moi à rester silencieuse. Il ne faut pas qu’on fasse de bruit.
Il me fait rouler sous lui, puis du pouce, écarte mes lèvres et me le donne à
sucer pour éviter que je crie. Je lis un désir à l’état pur dans ses yeux. Et tout à
coup, je ressens la piqûre de la jalousie en pensant qu’il puisse agir de la même
façon avec une autre… J’en enfonce mes ongles dans ses épaules, et me cambre
pour être encore plus proche de lui. D’une voix rauque, je murmure :
– Allez, dis-moi ce qui te fait bander, dis-moi des choses cochonnes.
– Te les dire ? rétorque-t-il d’une voix tranquille. Je vais plutôt te les
montrer.
Et d’une main énergique, il saisit la base de son érection qu’il introduit en
moi, juste le bout. Ses prunelles brillent à la lumière du chevet quand il
poursuit :
– C’est assez cochon pour toi ?
Le désir qui enrobe sa voix m’excite terriblement.
– Dis-moi, Rachel ? Comment me veux-tu ? Plus dur ?
Il se laisse glisser lentement en moi, s’arrête au milieu. Il hisse alors mes
jambes sur ses épaules et je m’ouvre comme une fleur, exposant complètement
mon sexe à sa vue. Il me pénètre jusqu’à la garde et je l’accueille dans un long
gémissement érotique…
En feu, mon corps palpite au rythme du sien et nous chevauchons tous deux
vers le plaisir.
Je laisse peu à peu mes jambes retomber sur les côtés pour qu’il puisse me
prendre aussi profondément que possible. Les mouvements de ses hanches et la
puissance de ses bras l’enfoncent tellement loin en moi qu’il crée un délicieux
frottement contre mon clitoris.
Il ralentit soudain le rythme en une délicieuse torture. Mes sens sont en
immersion totale au milieu de sa chaleur, sa respiration, le poids de son corps, et
je ne veux pas que ça s’arrête…
Il me donne soudain de puissants coups de reins, me baisant violemment,
dans le contrôle le plus absolu, de légers grognements lui échappant peu à peu
jusqu’à ce qu’il n’ait plus le choix et qu’il enfouisse son visage dans mes
cheveux pour les étouffer. Nous ondulons au même rythme, c’est-à-dire avec
une frénésie inouïe, et c’est si bon que je n’hésite pas à laisser hurler les ressorts
de mon lit de jeune fille bien rangée.

Se réveiller aux côtés d’un homme qui vous regarde dormir est une
expérience réellement intense, qui crée un lien invisible mais très intime. Ce
n’est pas la première fois que ça m’arrive avec lui, mais là, je ne sursaute pas, au
contraire, je sens une tranquille chaleur naître dans mon ventre, et je lui souris.
– Bonjour, dis-je.
– Bonjour.
Du pouce, il effleure mes lèvres et je savoure la caresse.
– Mm, dis-je tout en admirant son beau visage au réveil.
Nous avons atteint le chiffre 4 en matière de sexe, et je me demande si cela
signe la fin de nos ébats. Ce matin, il me regarde avec un certain respect, comme
pour me dire qu’il a apprécié toutes les facettes de moi-même que je l’ai laissé
voir hier. Impossible de ne pas lire « Je sais que tu aimes ça » dans ses yeux.
D’un ton indolent, il me questionne sur mon travail, sur le sujet qui m’occupe
actuellement. C’est la deuxième fois qu’il me le demande, la première, c’était au
Tunnel. Les battements de mon cœur s’accélèrent un peu, mais il est bien trop
détendu après notre folle nuit pour le remarquer. J’oriente la conversation vers
lui, avec un sourire.
– Et toi, tu as du travail, il me semble, non ? Que fais-tu encore dans mon
lit ?
– Je bande.
J’éclate de rire. Un bref sourire éclaire ses traits et, passant le doigt sous mon
menton, il m’incline la tête en arrière :
– C’était vraiment bon, cette nuit.
Sur cette déclaration, il m’embrasse, se contentant de presser ses lèvres
contre les miennes et c’est aussi intense que s’il plongeait sa langue dans ma
bouche. Je compte jusqu’à dix, puis je commence à m’agiter sous lui.
– Sois un gentil garçon et attends-moi là. Je ne veux pas que Gina ait une
crise cardiaque.
Je repousse les draps, enfile un peignoir et vais à la cuisine faire du café. Je
passe ensuite dans la salle de bains pour me brosser les dents, me laver le visage
et me demande alors si je dois me maquiller. J’inspecte mon reflet dans le
miroir. Mon visage est frais, ma peau pâle, mes cernes perceptibles. Mais dans
mes iris brille une flamme et les coins de ma bouche remontent malgré moi. Je
saisis le rouge à lèvres, puis m’arrête dans mon geste. De toute façon, cette
relation ne mènera nulle part, non ? Ce n’est pas comme si je voulais qu’il tombe
amoureux de moi, c’était juste pour le séduire, le piéger. Je repose ce que j’ai
dans la main et secoue la tête, m’agaçant moi-même.
Quelques instants plus tard, je reviens dans la chambre avec deux tasses de
café. En grande forme, Mal est étendu sur le lit… Quel homme ! J’ai envie de
graver chaque détail dans mon cerveau : la couette à ses pieds, son bras musclé
derrière la tête, l’autre tendu sous l’oreiller que j’occupais. Je ne les partagerai
avec personne, ni avec Gina et Wynn, pas même avec la journaliste qui
sommeille en moi.
– C’est du café ? demande-t-il.
Et il se redresse, un sourire aux lèvres, ses muscles serpentant sous sa peau.
Je lui rends automatiquement son sourire, et me sens soudain vulnérable, réelle,
humaine… Je ne comprends pas pourquoi j’ai décidé de m’ouvrir à un type
comme lui, mais il est clair que je n’ai pas encore érigé les murs nécessaires
entre nous. Et je ne veux pas qu’il reconstruise tout de suite les siens.
Je décrète :
– Tu dois choisir ! Le café ou moi ?
Et je hausse un sourcil. Un rire rauque lui échappe quand il passe la main
dans ses cheveux, et je m’extasie une fois de plus devant sa beauté lorsqu’il
secoue la tête en faisant un bruit sceptique avec la bouche.
– Tu ne sais pas ce que je vais prendre, vraiment ?
– Ça dépend de ta faim… Mais tu as raison, je sais. Tu veux les deux.
Un sourire malicieux éclaire son visage tandis qu’il tapote sur le matelas
pour m’indiquer de le rejoindre. J’obtempère et lui tends une tasse. Nous buvons
notre café en silence. Mais avant que j’aie fini le mien, il me prend la tasse des
mains, et la pose sur la table de chevet. Dans un geste fluide et déterminé, il me
pousse sur le lit, et en un instant, il est sur moi ; je me retrouve prisonnière de ses
bras vigoureux… C’est alors qu’il me retire mes chaussettes et ses doigts
effleurent la plante de mes pieds. Je ne peux retenir un rire nerveux.
– Tu es chatouilleuse, Rachel ?
Il semble amusé et j’adore la façon dont il prononce mon prénom, en traînant
sur la deuxième syllabe. Je hoche la tête, de plus en plus essoufflée. Il plaque ses
lèvres sur les miennes, de façon d’abord possessive puis plus douce, et encore
une fois je lui cède. J’adore la façon dont il tempère ses ardeurs quand il sent que
ma résistance s’évanouit, et je craque complètement au moment où il prend mon
lobe entre ses lèvres.
– Tu es une mangeuse d’hommes, Rachel. Cela dit, je suis un peu déçu que
nous n’ayons pas cassé ton lit.
Sur ces mots, il se lève et s’habille.
– Samedi, ça te va ? me dit-il.
– Pardon ?
– Tu es libre samedi ?
– Je… Euh… Oui, je crois. Pour casser mon lit ?
Il émet un rire lascif, complètement détendu ce matin, la tension de la veille
ayant complètement disparu.
– Je viendrai te chercher à midi, d’accord ? Habille-toi de façon confortable.
– Où irons-nous ?
– Tu verras bien.
Aussitôt, des petits papillons s’agitent dans mon ventre, suivis d’un élan
d’espoir… et je me rappelle subitement que je ne dois pas céder à de telles
folies ! Je ne suis plus une étudiante naïve, je ne peux pas tomber amoureuse
d’un homme comme lui. Surtout pas comme lui. Le moment et les circonstances
ne peuvent être plus défavorables ! Je ne pourrais faire pire que de m’éprendre
d’un homme aussi insaisissable que lui. Par conséquent, j’arbore un air navré et
m’exclame :
– Oh, désolée, Mal ! Je viens juste de me rappeler que je suis prise samedi.
Il me regarde, puis hoche lentement la tête.
– Dans ce cas, je t’appelle.
– En fait, je suis prise toute la semaine.
Je mens car j’ai besoin de mettre de l’espace entre nous, et surtout il est
impératif que je repasse en mode travail ! Il s’arrête un instant sur le seuil de ma
porte et j’ai déjà l’impression qu’il me manque, comme si la distance entre nous
était bien trop grande. Mais c’est pas vrai, qu’est-ce qui m’arrive ?
Une minute plus tard, il part pour le bureau, du moins j’imagine, et je reste à
fixer le vide, incapable de me préparer pour le travail. Prenant mon portable, je
vérifie fébrilement que je n’ai pas reçu de message, me demandant déjà quand il
m’en enverra… Une vraie droguée, en somme ! N’y tenant plus, j’écris :
Je me suis arrangée, on peut se voir samedi.
Et là-dessus j’entre dans la douche, pour me précipiter quelques minutes plus
tard sur mon téléphone, enveloppée dans un drap de bain…
Parfait.
Voilà un message lapidaire, si typique de lui. J’enroule une petite serviette
autour de mes cheveux mouillés, et tape :
Tu sais, j’adore les mots. Tu pourrais m’en écrire quelques-uns de plus.
Sois gentille.
Ahahah !!! OK.
J’ai passé un très bon moment.
Moi aussi. Et tu me manques déjà.
J’le crois pas ! J’ai vraiment écrit ça ? Cette fois, je panique vraiment, mais
avant qu’il ne réponde ou s’y sente obligé, je lui envoie dans la foulée un autre
texto :
OK, je dois me mettre au travail. Bises.
Posant mon portable, je prends mon calepin, essaie d’écrire… et me retrouve
en train de griffonner son nom !
Malcolm Saint
CHAPITRE 23

LE STATUT

Il a changé de statut ! Sur Interface, Facebook, et d’autres médias sociaux.


Une alerte à la bombe aurait dû se déclencher, un tremblement de terre ou que
sais-je encore. Car si ma « traque » m’a appris une chose, c’est qu’il ne l’avait
jamais fait auparavant. Dans une relation, je veux dire. Étant donné que le mien
dit toujours « célibataire », peut-être ne parle-t-il même pas de moi…
C’est le week-end, et nous sommes samedi, pour être exact. J’envoie un
texto à Gina :
TU AS VU ?
Elle ne répond pas. Je l’appelle.
– Tu as vu ?
– Euh…
– Où es-tu ?
– Rachel, je dors. Je suis dans la pièce d’à côté.
– Seule ?
– Bien sûr, que je suis seule ! répond Gina.
– J’arrive.
Mon ordinateur sous le bras, je traverse le corridor et quelques secondes plus
tard, je m’étends à côté d’elle et lui montre. Elle lit, fronce les sourcils comme si
elle ne comprenait pas l’urgence, puis ouvre soudain grand la bouche.
– Waouh ! dit-elle sans grand enthousiasme.
– C’est tout ce que ça t’inspire ?
– Deux fois Waouh, alors ! reprend-elle d’un ton morne.
Elle lève les yeux vers moi, puis explose :
– Génial, il vient de franchir une étape ! Et tu sais quoi ? Ça me fait vraiment
penser à Paul…
Elle paraît soudain agitée, mal à l’aise. Je comprends sa réaction, et il est
vrai que d’emblée, on peut croire que ce changement de statut est idiot, mais elle
ne connaît pas Malcolm comme je le connais. Elle ne sait pas à quel point il est
humain, ni ce qui le rend si humain.
Pas plus qu’elle ne connaît le sourire vraiment sincère de Malcolm, celui qui
me fait fondre, et l’autre, complètement différent mais si bienveillant, quand je
l’amuse.
– Et cela ne te rend pas furieuse ? ajoute-t-elle.
– Je… Eh bien… Je…
– Rachel, ma petite Rachel, ne fais pas ta Wynn.
– Mais Wynn est adorable, elle a toujours un petit ami, et tu sais pourquoi ?
Parce qu’elle pense qu’elle le mérite et que c’est possible.
Sur ces mots, je sors mon téléphone, folle d’excitation.
– Je vais lui envoyer un texto.
– Pour lui dire quoi ? Il doit être au lit avec la fille avec qui il sort.
– Dans ce cas, je vais l’appeler.
Je le cherche dans mes contacts, impatiente d’entendre son bref : « Salut ».
Ce qui ne tarde pas. J’enchaîne :
– Je voulais qu’on sorte ensemble ce soir, mais comme je vois que tu n’es
plus célibataire, j’aimerais savoir si c’était encore possible pour toi.
Il se met à rire. Ah, ce rire ! Une nuée de petits papillons me traversent.
– Où es-tu ?
– Sur le green, avec mes potes.
– Quand as-tu changé ton statut ?
– Pardon ?
– Sur Facebook.
– Je n’ai rien changé. Ce doit être une de mes assistantes qui s’en est chargé.
– Oh…
Il rit de nouveau et je me sens vraiment conne.
– Tu es déçue, Rachel ?
– Non, je ne m’attendais pas à ce que tu deviennes monogame.
J’essaie de le provoquer un peu, mais en fait, je cherche juste à être rassurée,
comme toute fille à ma place. J’ai besoin de l’entendre définir la nature exacte de
notre « relation ». Il se contente de répondre.
– Je le suis. Grâce à toi.
– Pardon ? À t’entendre, on croirait que je suis une grande séductrice.
Mon cœur s’affole alors que je prononce ces mots…
– Tahoe est en train de faire l’andouille avec ma voiturette. Je te rappelle.
– Fait chier, Tahoe, dis-je en marmonnant.
Et je raccroche.
– Quel fouteur de merde ce Tahoe, commente Gina.
– Comme toi.
Je lève un œil malicieux vers elle et ajoute :
– Tu peux avouer qu’il te plaît, tu sais.
– Non mais, ça va pas ?!
– Reconnais que tu fantasmes sur lui.
– Sûrement pas. C’est un rustre.
– Il te trouve charmante, en tout cas.
– Qu’est-ce que tu racontes ?
– Oui, il m’a demandé le nom de ma « délicieuse amie ».
– Espèce de menteuse !
Je ne réponds pas, me contentant de fixer mon statut de célibataire. Gina
s’assied, estomaquée par ma confidence. Mais elle se ressaisit et enchaîne :
– Je suis vraiment désolée pour toi, Rachel, car avec Saint, tu as foncé les
yeux grands ouverts. Et les cuisses aussi, d’ailleurs.
Je me tourne vivement vers elle et déclare :
– Le seul fait d’éprouver des sentiments pour lui me donne l’impression de
te trahir et de me trahir, vu qu’on a toujours dit qu’une relation avec un mec était
exclue.
– Mouais… Mais maintenant, Rachel, tu dois faire un choix : ton travail ou
cet homme.
– Sûrement pas ! Car si je le choisis lui, il s’envolerait avant même que j’aie
le temps de le retenir.
Gina fait la grimace.
– Alors prie pour qu’il mette rapidement un terme à la relation !
– C’est douloureux de souhaiter une chose qu’on ne veut pas.
– Dans ce cas, prends l’initiative de la rupture, et oublie-le.
Je soupire.
– Rachel, il a vraiment dit ça ? reprend-elle au bout de quelques secondes.
– Qui ? Tahoe ?
– Non, son chien… Ben oui, Tahoe ! Enfin…Tahoe et sa bite.
– Je confirme, mais je ne veux pas qu’il s’approche de toi.
Gina plisse le front.
– J’espère en tout cas ne pas le croiser le mois prochain, car c’est celui où
Paul et moi avons rompu, et je suis toujours très vulnérable à cette période de
l’année.
Je pousse à nouveau un soupir et m’écroule sur le lit de tout mon long, en
me frottant le visage.
– Gina ! Que nous arrive-t-il ?
– Les hommes. Les séducteurs. Les salauds. Voilà ce qui nous arrive !
Cette fois, nous soupirons en chœur, puis elle me regarde d’un air dubitatif.
– Saint et toi, donc… Tu crois que vous pourriez avoir une véritable
relation ?
– Un véritable désastre, oui.
– Arrête… Ce mec, il est constamment agité, excité, et toi tu pourrais le
dompter, j’en suis sûre. Et ce serait absolument mémorable s’il ne fout pas tout
en l’air avant. À moins que tu ne t’en charges, d’ailleurs.
– Et c’est toi, Gina, qui dit ça ? Les bras m’en tombent.
– Je pensais juste à voix haute. Il faut réfléchir à la question tout de même !
Il faut voir au-delà de votre alchimie sexuelle.
– Rassure-toi, j’ai réfléchi à ce que ce serait de faire partie de sa vie, et pas
seulement d’être dans son lit, comme c’est le cas actuellement. Cela dit, c’est
moi qui aie donné ce tour-là à notre relation, parce que je ne voulais pas être vue
en public avec lui. Mais ça ne marcherait jamais entre nous. Ce mec est
indomptable, G.
Et s’il acceptait de rester avec moi, je connais d’avance le scénario. Aussi, je
poursuis :
– Sans compter que je me méfierais toujours des autres femmes, et ne
cesserais de le surveiller, de peur qu’il me trompe. Je ne pourrais jamais lui faire
confiance.
– Alors profite de ce que tu as, Rachel, me conseille Gina.
Puis elle me tapote la tête et dit d’un ton solennel :
– Tu as ma bénédiction, mon enfant.
– Tu le penses vraiment, Gina ?
Elle me sourit.
– Je préfèrerais que tu ne sois pas avec lui, mais maintenant, tu es allée trop
loin pour faire machine arrière. Et puis tu peux tout à fait prétendre que c’est fini
entre vous, mais continuer à le voir en secret. Je préfère savoir, je suis ton amie,
et je suis là pour te soutenir.
– Merci, dis-je.
Et j’ai l’impression qu’un énorme poids vient de s’envoler… pour me
retrouver sans transition sur des montagnes russes, et dans l’incapacité de hurler.
Je regarde le plafond et bientôt je souris malgré moi.
Donc, son assistante a changé son statut sur les réseaux sociaux… Cathy,
peut-être ? Oh, comme j’aimerais prendre un café avec elle, prochainement !
J’en apprendrais beaucoup sur son boss, c’est sûr. Je saisis mon portable et écris
à Malcolm :
Mes mains seraient très occupées si tu étais près de moi.
Ma mère répond :
Bonjour, ma chérie. Que veux-tu dire ?

Merde ! Je textote rapidement à Malcolm :


Je viens d’envoyer un texto cochon à ma mère !
Puis je réponds à cette dernière :
Oui, maman, j’ai très envie de te masser le cou. J’ai appris une nouvelle technique !
Mal m’écrit :
Renvoie-le moi.
Je ne suis plus d’humeur. À toi de deviner ce qu’il contenait ;)
Le lendemain, je suis complètement épuisée de la randonnée que j’ai faite
avec Malcolm. Soit dit en passant, j’ai dormi chez lui. Appuyée sur un coude, je
fais l’inventaire de sa beauté :
Des traits ciselés, pareils à une statue grecque. Un LIKE.
Une bouche malicieuse. Un LIKE.
Des mamelons foncés et magnifiques. Un LIKE.
En fait, je le LIKE sur toute la ligne.
Je pousse un soupir et me blottis dans ses bras. Ça aussi, je le LIKE un peu
trop.

Deux jours plus tard, il vient me chercher chez moi, dans sa Rolls. Otis
m’ouvre la portière. Saint vient juste d’atterrir, il revient d’une conférence ultra
importante à New York. On dirait un dieu super sexy, avec des cheveux noirs
magnifiques. Mal en costume, c’est quelque chose !
Soudain, je me laisse glisser de la banquette pour me caler entre ses cuisses,
sur le plancher de la Rolls, lui souriant quand il arrête tout à coup de parler au
téléphone. Car oui, il est accroché à son portable, il parle affaires. Étonnant,
non ?
Je frotte ma joue contre son pantalon et remonte la main jusqu’à son
entrejambe.
– Oui, Charles, poursuit-il.
Ses yeux mystérieux m’attirent irrésistiblement. Un petit sourire malicieux
aux lèvres, je presse mon autre joue contre sa deuxième jambe, puis mes lèvres,
et remonte… jusqu’à son érection. Il est dur comme un roc sous ma bouche
quand j’effleure le tissu de son pantalon. Sa voix devient plus prudente, et ça
m’excite terriblement…
–… vente à court terme…, dit-il.
Et lorsque je lève les yeux vers lui pour voir s’il apprécie ce que je lui fais,
ses yeux brillent comme deux pierres volcaniques.
Le son de ma respiration résonne dans le silence pendant que Malcolm laisse
le fameux Charles parler, et tout à coup, zip… J’ouvre son pantalon et défais sa
ceinture, sans le lâcher des yeux. Ses paupières se sont alourdies, et son regard
se teinte de notes tendres et chaleureuses quand je sors son sexe… Il est lisse et
doux comme du velours, mais aussi dur à souhait. Si puissant, si vital, si prêt.
Du bout de la langue, je me mets à le lécher, du bas vers le haut. Je le prends
ensuite dans ma bouche, et fais glisser ma langue sur sa chair, exerce des petites
pressions, le savoure, avant de recouvrir son gland avec mes lèvres. Il est
délicieux. Son sexe est fait pour les caresses buccales, pour l’amour, et rien ne
m’empêchera de penser qu’il a été conçu pour moi.
Il enfouit ses doigts dans ma chevelure tandis que son pénis enfle encore…
Je l’aspire tellement profondément que je le sens dans ma gorge.
– Ça me semble parfait, dit-il à son correspondant.
Et tout en parlant, il rejette mes cheveux dans mon dos. Il veut voir mon
visage pendant que je le suce. Le désir est partagé. Les yeux rivés sur lui, je
continue à le déguster, me noyant dans le plaisir de l’instant… Il resserre sa
main sur mes cheveux. Je m’applique de plus belle, désireuse de lui procurer une
fellation inoubliable ; moi-même, j’aime me rappeler les plaisirs qu’il m’a
donnés en enfouissant la tête entre mes cuisses.
Je contemple son membre… Il est énorme, tendu et j’ai hâte qu’il me
comble. Mais pour le moment, je suis dédiée à son plaisir, et j’ai très envie qu’il
jouisse dans ma bouche. Je sens mon propre sexe palpiter d’excitation quand je
l’entends dire à Charles de le tenir au courant. Après quoi, il raccroche et pose
son téléphone.
– Rachel, murmure-t-il alors d’une voix lourde, où perce l’approbation.
Il prend mon visage en coupe, et quand il me sourit, une onde de chaleur
m’envahit… Il glisse ses doigts dans mon décolleté, se penche pour embrasser
mes lèvres.
– Tu aimes ce que tu fais ? demande-t-il.
Je hoche la tête et murmure en caressant ses cuisses :
– Je veux savoir quel goût tu as…
Pour toute réponse, il plaque ses mains des deux côtés de son corps,
m’incitant à continuer : je tressaute de joie. Je remonte ma main le long de son
érection, en embrasse le bout humide et tout mon corps se tend lorsque j’entends
avec délice sa respiration accélérer, en même temps qu’il agrippe ma tête. Puis il
se met à me murmurer des mots encourageants, tout en se cambrant pour
s’enfoncer plus loin. Il est en train de perdre le contrôle.
– Oui, Rachel, comme ça… Putain que c’est bon ! Tu aimes ça ?
Je me rends à peine compte que de mes mains, je palpe éperdument son
torse, son cou, l’agrippe, tant je suis concentrée sur ma bouche afin de lui
procurer un plaisir égal à celui qu’il me donne… Soudain, il murmure d’une
voix râpeuse :
– Je veux jouir avec toi, Rachel !
À cet instant, prenant mon visage dans ses mains, il me soulève pour que je
m’assoie à côté de lui. Je déboutonne mon jean en un temps record, il le fait
glisser sur mes jambes puis, de sa bouche affamée, trace un sillon qui va de mon
ventre à mes seins, entraînant mon haut dans sa course. Il baisse alors mon
soutien-gorge, délivrant mes tétons. Je gémis doucement et m’arc-boute contre
lui.
– Oh oui ! dis-je.
Et j’enfonce mes ongles dans son dos. Il capture ma bouche avec fièvre…
Comment gérer toute cette passion ? me dis-je presque désemparée. Car les
sentiments, nous en partageons, forcément, ils sont palpables, je les perçois sous
mes mains, mes lèvres. Il mordille à présent mes seins, puis agrippe mes cuisses
pour les ouvrir. Je retiens ma respiration quand il penche la tête… Et soudain, je
sens la pointe de sa langue sur ma chatte.
Il me réduit à un être bouillonnant de plaisir… Je suis à deux doigts de
l’orgasme et lui, il prend le temps d’enfiler tranquillement un préservatif…
Son corps recouvre ensuite le mien, et la seconde suivante, nous sommes
unis l’un à l’autre, chacun poussant un grognement de satisfaction… Mais la
torture continue. Il plonge et replonge doucement en moi, jusqu’à ce que je sois
incapable de retenir plus longtemps le plaisir qui me secoue tout entière… Je fais
courir ma bouche sur son cou, ses joues, reprends ses lèvres…
Je n’ose mettre un mot sur ce que je ressens à ce moment-là. Ça m’effraie,
j’ai tellement peur de souffrir, de le faire souffrir. Je ravale un cri quand je
commence à jouir, le corps tremblant d’un plaisir indicible, tandis que la petite
musique du doute ne me quitte pas.
Mes yeux se troublent… Je l’entends grogner bruyamment lorsque
l’orgasme le saisit à son tour, le sens jouir en moi. J’en profite pour essuyer une
larme puis l’embrasse… partout où je peux.

Saint m’invite à dîner dans un restaurant select où il est très difficile
d’obtenir une place. Malgré la délicate attention, je n’ai guère envie de me
retrouver dans un lieu bondé. Et c’est ainsi que nous nous retrouvons à la Navy
Pier… après la fermeture ! Nous marchons le long de la jetée, où les gens en
général se bousculent mais qui, en l’occurrence, nous appartient ce soir. D’un
côté sont alignées les boutiques et autres petites échoppes, de l’autre s’étend le
lac.
Intriguée, je lui demande:
– Comment as-tu fait ?
– Otis connaît l’un des gardes, avoue-t-il en riant.
– On monte dans la grande roue ?
Bientôt, nous nous retrouvons sur une banquette protégée du vent, et il veut
savoir si j’en ai déjà fait un tour, plus jeune.
– Parfois, avec ma mère, dis-je. Et toi ?
– Ma mère serait morte de peur si je lui avais demandé de monter avec moi !
Je ris avec lui, le regarde, songeuse, puis déclare :
– Tu sais que tu es aussi beau en jean qu’en costume.
Je pose la main sur sa chemise d’une blancheur immaculée et je poursuis :
– J’adore tes chemises. Elles me donnent envie d’y laisser la trace de mon
rouge à lèvres.
Son rire profond résonne subitement dans la nuit et je plaque mes lèvres sur
son col.
– Tu as vraiment un petit côté rebelle, Rachel, murmure-t-il.
Et le regard admiratif qu’il pose sur moi me remplit de chaleur.
– C’est toi qui le fais ressortir, dis-je d’un ton accusateur.
Puis je m’écarte de lui, pour contempler mon œuvre, et je vous jure qu’il a
l’air encore plus puissant, plus inaccessible et plus beau avec mon rouge à lèvres
sur son col. Et un peu plus à moi…

Il me « convoque » à M4, précisant, sur le mode de la provocation, qu’il est
disponible. N’ai-je pas envie de discuter d’Interface avec lui ?
J’arrive à l’heure prévue, et il m’accueille sur le seuil, les manches
retroussées comme s’il était plongé dans le travail, les cheveux légèrement
décoiffés. D’une voix presque lasse, il prie Cathy de nous laisser, avant de me
demander :
– Comment vas-tu, Rachel ?
– Bien, maintenant que je te vois.
Et nous nous embrassons… Soudain, les papiers volent de son bureau :
d’une main experte, il vient de débarrasser sa table de travail pour m’y faire
basculer, comme si j’étais son affaire la plus pressante. Et il commence tout de
suite par la conclure…

Dans l’après-midi, je lui envoie un texto, l’interrogeant sur ses projets pour
le soir. Et tout à coup, il surgit dans les locaux d’Edge. J’écarquille les yeux,
certaine que mon cœur va sortir de ma cage thoracique. Puis je regarde autour de
moi, inquiète de savoir si Helen l’a remarqué. Au teint tout pâle de cette
dernière, je comprends que oui. Je me précipite vers elle.
– Helen, est-ce que je peux…?
– Vas-y ! me dit-elle.
Je saisis au vol mon sac à main dans mon box et m’avance vers Malcolm. Il
me sourit, surtout quand il voit que j’ai pris mon sac.
– Salut ! dis-je.
– J’espère que ce sac signifie que tu viens avec moi…
Ses yeux scintillent, et tout le bureau fond avec moi. Même Valentine.
– Bye, Rachel ! me lance celui-ci d’un ton surexcité.
– Au revoir, Valentine !
Sur ces mots, je glisse mon bras sous celui de Malcolm.
– C’est un ami ? me demande-t-il en lançant un bref coup d’œil à Valentine.
Ça alors ! Serait-il jaloux ? Je hoche la tête et précise :
– Et il est fan de toi.
Il hausse un sourcil.
– Il n’est pas hétéro ?
– Plutôt bi.
Il éclate de rire, et je sens mes jambes faiblir. Vite, je l’attrape par le cou et
plaque mes lèvres sur les siennes dans l’ascenseur, pour avaler ce rire. Je
murmure :
– J’aime t’entendre rire.
Il ne répond pas, se contentant de me sourire, les yeux remplis de tendresse.

Je regarde mon écran d’ordinateur. Tous les liens sur lesquels je clique
évoquent une possible relation entre Mal et… MOI. Les spéculations vont bon
train. Les gens sont davantage intéressés par notre présumée relation que par tout
le reste de ses précédentes conquêtes. Son compte Twitter est saturé de questions
sur sa petite amie. Ça me stresse un peu, me demandant dans quel pétrin je me
suis fourrée, quand je reçois soudain un tweet de Tahoe.
Passe la soirée avec mes potes sauf si @RacheLiv la petite amie de
@MalcolmSaint y voit une objection.

Et merde !!!
Une douzaine de tweets arrivent dans les secondes qui suivent :
Je leur donne une semaine.
Même s’il le voulait, Saint ne pourrait pas être monogame, il a besoin de
plus.
Elle n’est pas assez belle.
C’est donc vrai ? Et moi qui pensais que c’était un coup de pub.
Saint a réellement une petite amie ?
Des heures plus tard, je constate que Tahoe a supprimé son tweet : je
mettrais ma main au feu que c’est Malcolm qui l’y a obligé. Plus tard dans la
semaine, Saint me propose de sortir avec lui en ville.
– Non, tes réseaux sociaux explosent déjà à cause de nous.
Nous finissons au Toy, et décidons de faire un tour de bateau sur le lac, dans
l’après-midi. Il consacre la première heure à travailler, c’est-à-dire à passer des
coups de fil. De mon transat, je demande :
– Combien de temps passes-tu au téléphone, au juste ? Avec qui parles-tu ?
J’essaie de lui arracher son portable, mais il lève le bras pour le mettre hors
de ma portée.
– Tu vois la blonde, sur le yacht, là-bas ?
Ma question est destinée à le distraire afin de m’emparer de son téléphone,
mais ça ne marche pas. Comme il porte des lunettes miroir, je ne peux pas voir
où se pose son regard, mais il se penche en arrière, un bras sur le bastingage. Cet
homme attire même le soleil ! Il est tout doré, ses cheveux chatoient et mon
propre reflet dans ses lunettes, en bikini bleu, semble me regarder. D’une voix
rauque, il me répond :
– Je la vois, oui, elle est en face de moi.
– Les blondes, c’est bien ton style, non ?
Et je désigne de nouveau la femme dont je parle, sur le pont d’un autre
yacht. Vêtue d’un maillot de bain à rayures bleues et blanches, elle a le visage
tourné dans notre direction.
J’insiste :
– Je t’assure qu’elle est très belle, et c’est vraiment ton style de femme.
– Je n’ai pas de « style de femme », tu sais.
– Ah bon ? Je ne suis pas ton style ?
– Tu es la première de ce type-là, alors.
Je me mets à rire.
– Et toi, tu es le seul dans ton genre ! Malheureusement, il n’y en a aucun
autre comme toi. Tiens, voilà sa copine. Pas mal non plus ! Malcolm, regarde-
les !
Il s’assied et m’attire sur ses genoux.
– Ce que j’aimais chez les femmes a un peu perdu de son attrait.
– C’est-à-dire ?
Et je lui retire ses lunettes. Ses yeux brillent sous le soleil, et tout au fond j’y
vois des secrets enfouis ; mon estomac se contracte, tandis que ma respiration
s’accélère, surtout quand son souffle se mêle au mien…
– Je leur vois désormais à toutes des défauts.
Il secoue la tête, sa peau qu’on dirait saupoudrée d’or scintillant sous le
soleil.
– Un vrai gâchis ! ajoute-il.
– Quoi ?
– Elles ne ressemblent pas à la blonde que je désire.
Un nœud me serre la gorge…
– Car elles ne sont pas toi, Rachel, précise-t-il.
Il me saisit le menton, m’obligeant à lever les yeux vers lui.
– Pourquoi insistes-tu pour que je les mate ? Tu aimes l’amour à trois ?
J’éclate de rire, et repousse sa main.
– Malcolm !
– Réponds ! insiste-t-il en riant, sans me lâcher pour autant.
– Non ! Je ne partagerais jamais mon homme !
Il émet un rire rauque, puis il reprend ses lunettes pour les mettre sur mon
nez. Je ris et prends la pose. Il rit lui aussi et je frissonne quand il les enlève et
les replie dans sa main.
– Je dois te paraître bien rasoir, à vouloir garder mon homme pour moi.
– Je ne conteste pas.
– Que je suis rasoir ?
– Non, la deuxième partie.
– Tu es déjà devenu monogame à cause d’une fille ?
– Je le deviendrai pour celle qui sera mienne.
Il s’allonge sur le transat.
– Je n’ai jamais estimé avoir des droits sur une fille, en tant que petite amie.
Elles appartiennent au domaine public, en quelque sorte.
Et sur ses mots, un sourire aux lèvres, il pose ses lunettes près de son
portable, puis me décoche un regard brûlant, profond, comme celui que je vois
constamment dans mes rêves.
– Mais il y a cette fille… Ma chasse gardée.
– Je ne vois pas de qui tu parles, mais si elle avait un peu de jugeote, elle
prendrait ses jambes à son cou. Ce n’est pas très excitant, Malcolm, d’être la
propriété d’un homme.
– Viens là. Tu sais bien que je parle de toi.
D’un geste habile, il m’enlace.
– Justement ! Je ne t’appartiens pas, nous avions dit que nous couchions
juste ensemble et…
Il m’attire si fermement contre lui que je pousse un petit cri.
– Pourquoi me contredis-tu tout le temps sur ça ?
Il sourit et fronce les sourcils simultanément, puis me force à m’asseoir sur
ses genoux. Alors il plonge son regard dans le mien, soudain très sérieux.
– Je suis très doué pour les nuits sans lendemain, commence-t-il. Baiser sans
attaches, c’est mon passe-temps préféré. Donc, si quelqu’un peut faire la
différence entre une aventure et une vraie relation, c’est bien moi.
Mon Dieu… Je me sens fondre… Je pose les mains sur ses joues.
– Ta destinée est d’accomplir de grandes choses. Tout le monde le sait.
– Je sais que tu as envie d’être avec moi, murmure-t-il. Je le vois à la façon
dont tu rougis, dont tu arrêtes de respirer quand j’arrive, et cela me plaît.
Il me considère avec une telle sincérité que j’en suis effrayée. J’ai si peur
que je me mets à trembler dans ses bras, sur ses genoux.
– Je ne suis pas ta petite amie, Saint, et je suis sans doute la seule fille autour
de toi qui ne veuille pas l’être. Je crois que tu souffres du syndrome qui pousse
les gens à désirer ce qu’ils ne peuvent avoir.
Ses yeux sont remplis de tendresse, comme s’il comprenait la bataille qui se
joue en moi. Comme s’il savait d’instinct que j’allais la perdre. Mais il se montre
impitoyable.
– Je ne crois pas, Rachel. Car tu es là où j’ai envie que tu sois.
– Sur ton yacht ? dis-je en roulant des yeux.
– Non, près de moi.
À ces mots, je sens mon estomac se contracter et je deviens toute rouge.
– Tu te moques de moi.
– Tu rougis.
– C’est un coup de soleil. Je bronze là. Tu sais, sur ton gros yacht. Tu ne
peux plus me faire rougir, Mal.
Il tire alors sur le haut de mon maillot de bain qui s’ouvre.
– Malcolm !
– Non, ce n’est pas un coup de soleil, dit-il en regardant fixement ma
poitrine, car tu es rouge sur tout le corps.
Et avant que j’aie le temps de répondre, on s’embrasse à pleine bouche,
lentement, pendant une minute ou une heure, je ne sais plus… Mais il est invité à
dîner et il nous faut regagner la terre ferme.
– Tu es certaine que tu ne veux pas venir ? demande-t-il en ébouriffant mes
cheveux.
– Et être le festin des paparazzi ? Non merci.
Je ne le quitte pas des yeux quand il renfile ses vêtements, déplorant qu’il
m’empêche de mater son corps d’Apollon. Mais il est magnifique aussi en
costume. En boutonnant sa chemise, il me demande :
– Cela t’ennuie qu’ils soient après toi ?
Je hausse les épaules alors que je me faufile dans mon jean serré.
– Comment fais-tu pour vivre avec leur présence continuelle ?
– Je n’ai pas le choix. Et tu les intéresses parce qu’ils ne te connaissent pas.
Est-ce inconfortable, Rachel ?
J’ai fini de me battre avec mon jean et réponds :
– Un peu… Pas mon jean, bien sûr, mais ces crétins qui te suivent partout, et
me traquent aussi maintenant.
Il se met à rire, puis secoue la tête et passe la main dans ses cheveux.
– Dans ce cas, je vais m’en occuper.
– Non, tu agirais contre tes intérêts !
– Ça, ce n’est pas près d’arriver, m’assure-t-il vivement.
Et il met un pied à terre.
Ce soir-là, je reçois plusieurs textos d’Helen.
Rachel, j’ai besoin d’un article, cette semaine.
Rappelle-moi quand tu peux.
J’espère que tout va comme tu veux.
C’est affreux, j’ai un blocage, je n’arrive plus à taper une ligne. J’ai une
brique dans le crâne à la place du cerveau. C’est le silence absolu. Rien. J’ouvre
ma boîte pleine de fiches, de notes, puis reviens à ma liste de liens Internet.
Toujours rien.
Je suis si agitée que je ne peux rien écrire, voilà mon problème ! Et ma
deadline qui se rapproche à toute vitesse… Je pensais que les choses se seraient
calmées du côté de Saint, mais c’est tout le contraire ! Où cela va-t-il nous
mener, à part droit dans le mur ?
Histoire de me changer les idées, je clique sur de nouveaux liens. Un article
en ligne s’affiche.
Chasser le naturel, il revient au galop – Saint retrouve ses anciennes
habitudes après une présumée séparation avec sa petite amie.

Je vois alors une photo de lui, tout fier dans son costume avec, à l’arrière-
plan, la bannière de l’événement auquel il assiste… Et à ses côtés, une blonde
qui me ressemble et le regarde d’un air énamouré ! Je me sens blêmir et pose
mon doigt sur son visage. Il semble si détaché et distant. Je ne peux pas croire
que c’est le même homme qui me taquinait il y a quelques heures encore.
De ma chambre, impuissante, je fixe la créature accrochée à son bras,
autrement dit à l’endroit le plus convoité de Chicago ! Quelle femme ne
s’enorgueillirait-elle pas de parader aux côtés de Saint ? Toi, Rachel, car là n’est
pas ta place ! La tienne est à Edge, pour ton propre salut, et non dans le monde
tumultueux de Malcolm Saint. Refermant brusquement mon ordi, je vais au salon
où il n’y a pas de place pour la jalousie ni tout autre sentiment d’ailleurs. Ce qui
est d’actualité, c’est que je surmonte mon blocage. Me montrer possessive
envers un homme qui, depuis des années, a clairement prouvé qu’il était
inaccessible, ce n’est absolument pas ce dont j’ai besoin en ce moment !
Il est en revanche impératif que mon cerveau se repose un peu afin que mon
inspiration revienne. Et que je me concentre sur mon projet, en laissant de côté le
sexe et Mal. Je m’assieds près de Gina et lui demande :
– Que regardes-tu ?
– Moulin Rouge, dit-elle en reniflant.
– Oh non, je ne peux pas voir ce film dans mon état !
Et je tape du point sur l’accoudoir du canapé, avant de retourner dans ma
chambre, hantée par les paroles de la chanson Come What May. Advienne que
pourra, effectivement…
Je me recroqueville sur mon lit, téléphone en main, hésitante. Non, ne lui
envoie pas de texto, Rachel ! Il est avec une autre fille, ce qui te donne
l’opportunité rêvée pour cesser de le voir et te remettre directement au travail.
À minuit, je ne dors toujours pas, et un texto de Mal s’affiche soudain sur mon
écran.
Je peux passer ?

Je fronce les sourcils, mais ne réponds pas. Je garde toutefois mon portable à
la main. Il vibre.
Mal s’affiche en gros sur l’écran. Le cœur battant, je m’assieds, puis réponds
de façon aussi détachée que possible.
– Salut, je pensais que tu étais occupé ce soir.
– Pour toi, je me suis libéré, dit-il d’une voix chargée de désir. Je peux
passer ?
J’ai envie de lui, une envie qui me dévore. Rien qu’à l’entendre au
téléphone, mon sang accélère sa course dans mes veines, tant je suis excitée.
– Je suis au lit.
– Tu as de la chance.
– Tu as passé une bonne soirée ?
Et elle va devenir ta nouvelle favorite ?
– C’était bien.
– Ah…
– J’ai mis un terme aux rumeurs nous concernant, donc tes confrères
devraient te laisser tranquille pendant quelque temps.
– Oh…
Je suis à la fois surprise et ravie : ce serait donc l’explication de la créature
blonde à côté de lui ? J’ajoute alors :
– Je dois donc te remercier…
– Peut-être que désormais tu viendras avec moi à l’une de ces réceptions.
– Je ne peux pas, tu le sais bien, dis-je, m’enfonçant confortablement dans
mon lit. Mais raconte-moi plutôt comment s’est passée la soirée. Et dis-moi ce
que j’ai manqué.
Pelotonnée sous la couverture, j’attends que sa voix opère des merveilles sur
moi.
– La routine. Sauf que j’ai rendu visite à un de mes employés qui était dans
le coma et qui, au réveil, s’est mis à parler plusieurs langues.
J’éclate de rire et lui assure :
– C’est incroyable ! J’adore entendre des choses aussi inexplicables que
fascinantes.
– Je savais que ça t’intéresserait, dit-il, manifestement content de lui.
J’entends alors une portière claquer. Vient-il juste d’arriver chez lui ?
– Et desquelles s’agit-il ? Des langues, je veux dire.
– Allemand, français, russe.
Il se tait, puis j’entends le tintement de l’ascenseur.
– Tu sais, Rachel, reprend-il d’une voix enjôleuse, tu te serais bien amusée,
ce soir. J’aurais pris soin de toi.
– Oh, je n’en doute pas ! En plus, j’adore les langues étrangères. Un homme
qui parle allemand… Sexy.
– Je pourrais te susurrer des mots en allemand, cette nuit.
Je me mets à rire, puis redeviens sérieuse… J’entend des bruits de pas, une
porte s’ouvrir et je l’imagine dans sa chambre. Soudain, je regrette amèrement
de ne pas être près de lui.
– Ce n’est pas possible, dis-je dans un souffle.
Nouveau craquement. Vient-il de s’allonger sur son lit ?
– Si ça l’est, seulement, tu as peur, murmure-t-il.
– Pas toi ? Tout cela ne t’inquiète donc pas ?
– Pas du tout, je dirais plutôt que je suis fasciné par notre relation.
Je suis de nouveau toute timide. Saint est tellement perspicace. Ressent-il la
même chose que moi ? Quand il reprend la parole, sa voix à la fois rassurante et
mielleuse me surprend presque :
– Étant donné que je ne m’attendais pas à m’attacher à toi, et encore moins à
ce que ça dure plus d’une semaine, je ne vais pas renoncer, Rachel.
Mon corps est en feu. Je me mets à fixer le plafond, ne sachant où tout cela
nous mènera si je lui avoue à quel point il est devenu une drogue pour moi…
Tout mon corps est dépendant de lui. Je le sens en moi, à des endroits que je ne
peux pas tatouer. Là où personne ne s’est jamais aventuré.
– Donc, si je comprends bien, je suis un défi.
– Peut-être, dit-il la voix râpeuse. Le défi de ma vie.
J’éclate de rire.
– Arrête de te moquer de moi.
Mais lui ne rit pas, et nous restons silencieux au téléphone, si bien que j’ai
l’impression d’entendre son cœur battre… Sa respiration ralentit.
– Bonne nuit, Saint.
– Malcolm, corrige-t-il.
– Malcolm.
Il émet un bref rire.
– Bonne nuit, Rachel. Pense à moi.
Et merde ! Que veut-il de moi ? Et moi, qu’est-ce que j’attends de lui ? Il
faut que je parle à quelqu’un qui ne me rappellera pas dans quelle galère je me
suis mise.
CHAPITRE 24

LES MÈRES
ONT TOUJOURS RAISON

Il faut que je voie ma mère. Déjà, pour vérifier qu’elle va bien, qu’elle n’a
pas perdu ni pris du poids à cause de son diabète. Ensuite, parce que je sais
qu’elle saura me conseiller et m’aider à trouver une issue positive à cette fichue
pagaille. Je demande à Gina et Wynn de m’accompagner, j’ai besoin de passer
du temps entre filles, en général après, je me sens merveilleusement bien.
Une fois chez ma mère, on se met dans l’ambiance : thé, petits gâteaux,
potins. Nous parlons de la boutique d’aromathérapie de Wynn, de son fiancé
Emmett, nous écoutons les anecdotes de Gina liées au magasin, et je suis ravie
d’entendre que ma mère a trouvé du temps pour se remettre à la peinture ; je leur
confie moi-même quelques-uns des sujets que j’aborde dans mes articles.
Ma mère a l’air en pleine forme. Elle jure que son insuline est stable, qu’elle
n’a pas eu de pic de glycémie récemment, ni de chute. Elle se réjouit de pouvoir
passer du temps avec les filles et de leurs histoires. Elle n’arrête pas de sourire et
ses yeux brillent, pleins de bienveillance.
– Donc maintenant, elle va le descendre ! conclut Wynn au sujet de mon
article sur Saint.
Ma mère m’adresse un regard surpris, puis se met à rire :
– Allons, ces jeunes gens ne sont certainement pas aussi diaboliques que
vous me les décrivez. Ce sont juste des garçons. Malcolm Saint est une sorte de
héros depuis sa naissance car il est bien, lui, le fils d’un homme maléfique.
– Je n’ai pas dit que Saint était diabolique, dis-je rapidement. Cet article…
Bref, c’est mon job, c’est comme l’ouverture du rideau au théâtre, révéler des
informations nouvelles sur le sujet préféré des gens. Je ne vais pas écrire que
Saint est diabolique !
Sur la défensive je poursuis :
– Je ne suis pas mauvaise, Maman, je fais juste mon job !
– Et que vas-tu écrire ? Que c’est un séducteur ? Peut-être que ces filles ont
envie qu’il profite d’elles. Et je les comprends. Tu sais, ton père…
– Stop !
Elle ouvre alors de grands yeux.
– Mon article doit faire des révélations, et tu sais pourquoi ? Car si je ne me
conforme pas aux exigences de ma cheffe, je serai virée et je ne sais pas
comment je m’en remettrai. Et même si je ne suis pas renvoyée, Edge est sur le
point de déposer le bilan, et des dizaines de personnes vont se retrouver sur la
touche. Or, avec cet article, je renfloue les caisses du magazine, et en plus, je
serai en mesure de t’acheter une maison où tu pourras peindre pour le restant de
tes jours. Donc, je rédigerai mon article car je suis professionnelle, Edge prendra
un nouveau départ, j’aurai sauvé mon job, je serai même montée en grade, et
l’argent coulera à flots. Saint donnera encore des fêtes sur son yacht avec ses
traînées et il n’en aura rien à foutre.
À ces mots, ma voix se brise et je sens les larmes monter. Gina et Wynn, qui
feuilletaient des magazines, lèvent la tête vers moi et reposent leurs revues.
– Rachel, je ne veux pas que tu m’offres une maison, me dit ma mère avec
tendresse en posant la boîte à thé sur la table.
J’essuie furtivement une larme.
– Mais tu en auras une, tu le mérites, Maman !
– Rachel, ton père t’a-t-il manqué ? As-tu terriblement souffert de son
absence ?
Et sur ces mots, elle vient s’asseoir tout près de moi et me prend la main.
– Mais non, Maman, pas du tout, je t’avais toi !
Et je cligne des yeux car c’est la première fois qu’elle me pose de telles
questions.
– Dans ce cas, pourquoi es-tu si déterminée à faire quelque chose qui ne te
ressemble pas ? demande-t-elle de ce ton si compatissant qui la caractérise.
Une autre larme m’échappe. Je retire vivement ma main de celles de ma
mère et l’essuie, consciente que Wynn et Gina sont subitement devenues
silencieuses et que je respire plus vite, car je m’efforce de retenir mes sanglots
en reniflant.
– N’est-ce pas le propre de la vie, Maman ? Faire des choix difficiles ? Toi-
même, tu as dû renoncer à ta passion pour trouver un emploi. Cette décision t’a
brisé le cœur, mais tu n’avais pas le choix. Je me trompe ?
– Bon, ce jeune homme, qu’éprouve-t-il pour toi ?
– Il n’est pas amoureux, Maman. Ce n’est pas Papa, tu sais. Ce ne fut pas le
coup de foudre entre nous, ni la rencontre de deux âmes faites l’une pour l’autre.
Il ne veut pas vivre avec moi comme Papa le souhaitait pour vous deux. La
première fois qu’il m’a vue, il ne s’est pas dit : « C’est mon âme sœur, la femme
avec qui je veux passer le reste de ma vie, même si je la connais à peine. »
Je m’interromps brusquement, car ma gorge est toute nouée, et ma poitrine
me brûle. Je parviens néanmoins à poursuivre d’une petite voix :
– Je suis un défi pour lui. Ce n’est pas le genre d’homme qui ressent de
l’amour pour une femme, il n’est pas comme ça… Lui et moi…
J’ai l’impression qu’on m’a passé un nœud coulant autour de la gorge, mes
yeux me brûlent affreusement.
– Nous ne tiendrions pas trois mois. Et alors, comme Papa, pouf, il
disparaîtrait, et il n’y aurait plus que toi et moi, Maman, comme toujours.?Je ne
crois pas être en mesure d’entendre une réponse, quelle qu’elle soit, qu’elle ait
pour but de me consoler, me rassurer, ou pire me blesser. Les trois femmes qui
m’entourent et me sont si chères, me regardent avec des yeux épouvantés
comme si des vers me sortaient de la tête – parce que je suis le Diable. D’un
bond, je me lève et je vais m’enfermer dans mon ancienne chambre. Je
m’assieds sur une chaise en face du tableau que ma mère est en train de peindre,
et je tente de reprendre ma respiration, tandis que les larmes roulent sur mes
joues. Je ne sais même pas pourquoi je pleure. Ce ne devrait pas être aussi
douloureux, je n’aurais jamais cru que cela le serait. Mais ma mère et mes amies
semblent penser que j’ai commis une grave erreur.
Poussant un gémissement, je m’allonge sur le sol, là où se trouvait mon lit
d’enfant et scrute le plafond… C’est ce que je faisais quand j’étais une petite
fille qui voulait un papa, avait des rêves, désirait se démarquer, écrire parce que
l’écriture change tout… Elle crée quelque chose à partir de rien.
Oui, je restais étendue ici, enfant, avant de faire la connaissance de Gina,
avant qu’elle ne rencontre Paul, et je me demandais si je tomberai un jour aussi
amoureuse d’un homme que ma mère de mon père. Elle l’a aimé avant qu’il
n’ait l’occasion de la décevoir ou de lui briser le cœur. Pour ma mère, les
hommes sont fondamentalement bons, le yang de ce monde, le complément
parfait de votre yin. Et j’étais moi-même une fille qui se demandait qui serait son
yang. Ce qu’il ferait. À quoi il ressemblerait. À quel point il m’aimerait.
Jamais je n’aurais imaginé qu’il aurait des yeux d’un vert chatoyant, des
dizaines de sourires ; un homme qui me lance des défis, me provoque, aussi
parfait qu’imparfait, et me donne envie de connaître jusqu’à la moindre de ses
pensées.
Ma petite amie… J’ai vraiment eu tout faux avec lui ! En le repoussant, je
n’ai fait que l’attirer davantage. Et en lui cédant, je me suis condamnée aux
chagrins. Mon erreur n’a pas été d’accepter d’écrire un article sur lui, mais de
me mettre à nu afin de l’approcher de plus près… Si près que désormais, j’ai
l’impression qu’il s’est immiscé dans mon âme. Oui, j’ai eu tort d’accepter sa
chemise, d’aller dans son club, sur son yacht, d’avoir répondu à ses baisers, de
m’être rendue chez lui et de l’avoir supplié de me faire l’amour alors que je
m’étais promis que ça n’arriverait jamais !
Il faut que je mette un terme à tout cela, mais la raison m’a abandonnée. Et
la perspective de la rupture – que je dois provoquer – renforce mon désir d’être
avec lui. C’est insensé !
Sur une impulsion, je sors mon portable et l’appelle. Évidemment, je tombe
sur son répondeur… Il est sans doute en train de baiser une autre nana, me dis-je,
amère. Je laisse un message :
– Salut, c’est moi. Je voulais… Bref, rien. Rappelle-moi. Ou pas. Bye.
Je raccroche, puis essuie mes larmes et tente de me ressaisir. Je dois
m’accrocher à mon objectif, à cet article, ce dossier qui me permettrait de me
faire un nom, d’avancer dans ma carrière, prouver que Saint est bien réel et non
une légende. D’ailleurs, je peux peut-être ouvrir les yeux de quelques filles et
leur éviter des peines de cœur. Elles se rendront ainsi compte que Saint ne les
aime pas, et que personne ne les aimera à part elles-mêmes, ce qui est déjà assez
compliqué. Et leurs amies, si elles les choisissent avec discernement, ainsi que
leur famille, si elles ont de la chance. C’est ainsi que je compte rédiger mon
article, du point de vue d’une petite fille qui a grandi en rêvant de vivre auprès
d’un homme aimant, avant de tomber dans la position inverse, c’est-à-dire
vouloir se prouver qu’elle n’avait besoin d’aucun homme. Oh ! Je sais qu’il y a
de nombreuses autres filles comme moi, celles qui ne rencontrent pas l’élu de
leur cœur à sept, treize ou quinze ans, ou celles dont l’âme sœur n’est même pas
née. Donc, comment le croiser une fois adulte ? Et puis, on s’en fout, on n’a pas
besoin de lui !
Il me rappelle.
– Salut, tu vas bien ? demande-t-il.
– Je…
Sa voix m’apaise instantanément, jamais je ne me suis sentie aussi
étroitement liée à un homme. D’ailleurs, si j’entends de l’inquiétude dans sa
voix, nul doute qu’il entend ma tristesse et ma frustration, non ? J’essuie le coin
de mes yeux. Je déteste mais déteste vraiment pleurer.
– Oui, ça va. Je voulais juste te parler.
Je m’éclaircis la voix, agacée qu’elle tremblote un peu. Un silence s’ensuit.
Allez, Rachel, raccroche ! Dis-lui au revoir. Tu crois qu’il a envie de s’occuper
d’un bébé qui pleure au téléphone ?
– Où es-tu ? demande-t-il.
– Pour l’instant, chez ma mère. Mais je vais rentrer chez moi.
– Otis viendra te chercher, j’ai envie qu’on passe l’après-midi ensemble.
D’une voix soudain timide, je réponds :
– J’adorerais, Malcolm…
Je laisse ma phrase en suspens. Il ne répond d’abord pas, comme s’il était
surpris par ma vulnérabilité. Et puis il me prend par surprise, et me dit d’une
voix basse et tendre :
– Moi aussi. À tout à l’heure.
Je coupe la communication et regarde mon téléphone, mon cœur cognant
douloureusement dans ma poitrine. Suis-je amoureuse de lui ? Pourquoi suis-je
brûlante de désir et si confuse ? On dirait que mon cerveau me montre la voie de
la raison, mais que le reste de moi-même refuse d’y aller si cela signifie le
perdre.
Je jette un coup d’œil au tableau de ma mère et suis frappée par sa beauté.
Ça ne ressemble à rien de ce qu’elle a peint jusqu’ici, comme si toutes ces
années où elle ne pouvait pas peindre ont mûri en elle, créant une force qui, une
fois libérée, a jailli pour prendre possession de la toile.
Tout comme cette relation avec Saint est en train de prendre possession de
moi.
CHAPITRE 25

BESOIN D’UN SAINT

Deux heures plus tard, j’atteins les quais et quand je le vois sur le pont du
Toy, en train de m’attendre, j’aspire une grande bouffée d’air… Je porte une
robe jaune toute simple – je n’avais pas prévu de le voir aujourd’hui – et ne
cesse de la lisser car, d’une étoffe légère, elle remonte à cause du vent. Mes
cheveux volètent eux aussi, quand je monte à bord, et le polo blanc de Saint se
retrouve plaqué contre son torse, à chaque bourrasque.
Il me tend les bras, m’aide à monter sur le pont, puis me guide vers la partie
supérieure. On ne se dit même pas bonjour, c’est inutile. Je ne m’étais pas
encore rendu compte qu’on est à ce point sur la même longueur d’ondes que,
comme avec ma mère et mes meilleures amies, on connaît intuitivement les
besoins de l’autre : il suffit d’un coup d’œil pour se comprendre. Ainsi, gardant
mes doigts fermement mêlés aux siens, il m’entraîne vers le canapé du deuxième
pont. Je me sens soudain bien fragile, j’ai l’impression que je vais me briser s’il
renforce son étreinte. Je m’assieds donc bien vite sur la chaise longue en face de
la banquette, tandis que le yacht se dirige vers le large.
– Tu veux en parler ? me demande Malcolm.
Il a pris place en face de moi, et me touche gentiment les cheveux. Son
regard semble voir à travers mes défenses.
C’est un vrai dieu du sexe. Un play-boy et un joueur. Mais personne ne voit,
au-delà des apparences, son humour, sa réserve, sa gentillesse. Au fond, c’est un
tendre. Avec moi, il est adorable, tout comme il l’est avec ses amis ; il ne refuse
jamais les demandes d’associations caritatives. S’il ne veut plus coucher avec
moi, il restera tout de même un homme que je serai fière de compter parmi mes
amis. Oui, j’ai beaucoup de respect pour lui. Et j’éprouve aussi une immense
jalousie à l’idée de devoir céder ma place à d’autres et cela me tue !
Je murmure :
– En fait, je vis une de ces journées où ma famille, c’est-à-dire ma mère et
mes amies, et moi, ça n’est pas une réussite !
Son air compatissant est presque insupportable alors que je me déteste pour
ce que je suis en train de faire, pour le choix que j’ai fait.
– Malcolm…
Je ne peux m’empêcher de gémir son prénom sous l’émotion. Il m’attire à
lui.
– Si ça peut te rassurer, ma famille et moi, ça n’a jamais été une réussite !
dit-il en me plaçant sur une de ses cuisses.
Tiens, je suis surprise qu’il revienne de lui-même sur le sujet. Il te tend une
perche pour que tu t’ouvres à lui, me souffle une petite voix.
– J’avais l’impression que quelque chose clochait chez moi, j’y pensais tout
le temps, poursuit-il. Mais ce que pense ta famille n’a pas d’importance. Qu’est-
ce que tu penses, toi ?
Que je crains, voilà ce que je pense ! Et j’ai envie de pleurer. Je regarde sa
main posée sur ma hanche, et pose la mienne dessus pour l’y maintenir,
affreusement consciente que, lorsque l’article sortira, il ne mettra plus jamais
cette main si imposante et rassurante sur mon corps…
Est-ce que je peux vraiment lui faire ça ? Nous faire ça ?
– Nous n’étions jamais d’accord sur rien, reprend-il.
Il glisse une mèche derrière les oreilles. Puis il empoigne mes cheveux au
niveau de mon cou, nous forçant à nous regarder.
– Rien de ce que je faisais n’était suffisant. Je n’étais pas digne du nom que
je portais.
– Alors tu as décidé de lui donner une tout autre réputation ?
Ses yeux brillent d’un vert plus vif.
– Pas vraiment, j’ai juste suivi ma propre voie, en essayant d’être heureux
sans me soucier des conséquences.
Puis il m’étudie quelques instants, comme s’il se demandait pourquoi je ne
suis pas heureuse. Non, je rectifie : il me dévore des yeux comme s’il
s’interrogeait sur la meilleure façon de me rendre heureuse.
– La plupart du temps, je suis heureuse, tu sais, lui dis-je. Seulement, j’ai
aussi l’impression d’attendre quelque chose et je vis avec ce petit manque depuis
toujours.
– Je connais bien cette sensation, commente-t-il en hochant la tête.
J’essaie de le taquiner :
– Et moi qui pensais que tous les jouets que tu possédais te comblaient
entièrement. Comme tes blondes.
– Non, pas les jouets.
Sur ces mots, il se met à rire, et me saisit le bras au moment où je me lève. Il
me retient sur ses genoux où je n’atterris pas vraiment en douceur…
– Juste une blonde, précise-t-il.
Il me veut.
Sa queue est si dure que je la sens palpiter contre mes fesses, et une onde de
chaleur me gagne lorsqu’il enfouit ses doigts dans ma chevelure. Il murmure
contre mon oreille :
– Tu es tendue, tu as besoin d’être aimée.
– Et toi, tu ne rates jamais une occasion !
Il éclate de rire, mais nos sourires s’effacent quand nos regards se croisent.
– J’ai vu, tu sais, de quelle façon tu as mis fin à la rumeur qui nous entoure,
finis-je par dire.
Il ne répond pas, comme s’il attendait que je lui pose une question. Oh, elle
me brûle la langue, cette question, mais je n’arrive pas à la prononcer. Ce serait
si hypocrite de ma part de lui demander s’il a couché avec elle alors que, dans le
même temps, je ne veux pas que notre relation devienne sérieuse.
– Il ne s’est rien passé, tranche-t-il.
OK, je n’ai même pas eu besoin de lui tirer les vers du nez, il voit dans mes
yeux les sentiments que j’éprouve pour lui. J’ai conscience que je suis en train
de tomber, une chute vertigineuse. Je joue avec le feu, mon cœur est en jeu et
j’attends qu’il soit brisé. Mais même la peur ne peut m’arrêter.
– Tu aurais pu, tu sais, dis-je d’un ton aussi désinvolte que possible.
– Oui, je sais.
Je vois une lueur briller dans ses yeux, comme si je l’amusais. Le cœur
battant, je noue les mains autour de son cou, et chuchote :
– Je suis contente qu’il ne se soit rien passé.
Et je déverse une pluie de baisers lents et passionnés dans son cou, tout en
tirant sa chemise hors de son pantalon.
– Et il ne se passera rien, affirme-t-il d’une voix râpeuse.
Pour un homme qui ne fait jamais de promesse, cela y ressemble fortement
et je ne peux m’empêcher de le croire alors que je palpe ses abdos. Caresser tous
ses muscles m’excite tellement, me détend… Un frisson me parcourt. Il le
remarque et me sourit.
– Malcolm…
Et un désir puissant prend possession de mon corps. Cet homme est à moi, à
moi… Il me laisse l’embrasser, puis enfouit son visage dans mes cheveux, dans
lesquels il emmêle ensuite ses mains sur toute la longueur. Je glisse les miennes
sous sa chemise, et la remonte pour embrasser son ventre, jusqu’à ses délicieux
tétons… Je me mets à lécher son torse tandis qu’il relève ma robe jusqu’à ma
taille. D’une main, il s’empare alors de ma culotte et je me lève pour lui faciliter
la tâche. Il en profite pour baisser son short et sortir son sexe.
Je tremble de désir quand il enfile un préservatif… Puis je le chevauche, et
ma robe retombe sur nous si bien que, des autres yachts ou bateaux qui nous
croisent, personne ne peut deviner ce que nous faisons.
Il est tellement gros, je gémis à chaque fois qu’il s’enfonce en moi… Mais il
aime ça, il aime me faire gémir. Tout comme il aime me faire l’amour.
Doucement, nos corps s’unissent, nos bouches se cherchent, le plaisir monte.
Nos vêtements nous séparent, mais nos chairs sont unies, et je m’agrippe
fiévreusement à lui, remuant mes hanches pour le sentir encore plus
profondément en moi. Il me murmure des mots torrides à l’oreille et je hoche la
tête sans trop savoir à quoi j’acquiesce.
Nous nous dirigeons vers la cabine après un repas délicieux. Il s’étend nu, et
je crois que dormir à ses côtés est devenu mon addiction numéro un. Une fois
sous les draps, je pose ma tête sur son torse et écoute son cœur battre tout en
enroulant ma jambe autour de sa cuisse. J’éprouve tout à coup un sentiment
absolu de sécurité…
– Ça va mieux ? demande-t-il contre mon oreille.
– Bien mieux.
Je commence enfin à me détendre et repense à la question de Gina : avons-
nous un avenir ensemble ? Une histoire ressemblant vaguement à une relation
amoureuse est-elle envisageable ? Non, je refuse d’y croire, même en faisant
abstraction de l’article… Mais c’est dur de m’en convaincre alors qu’il me
caresse le dos et que nous nageons dans le calme et le confort, comme si nous
avions fait ça des milliers de fois et que des milliers d’autres nous attendaient.
Je suis épuisée, et en même temps, je n’arrive pas à dormir. Je n’arrête pas
de me tourner et de me retourner, d’instaurer toutes les limites possibles, mais
ma lutte contre moi-même est vaine. J’ai beau penser à toutes les aventures de
Malcolm pour m’immuniser contre lui, rien n’y fait. Je suis trop faible face à lui.
Ces défauts ne m’empêchent pas de m’attacher, on dirait même qu’ils m’attirent
encore plus. Je suis liée à lui, irrémédiablement.
Et mon article… Que vais-je révéler, maintenant ? J’avais la ferme intention
de démasquer une légende et voilà qu’elle repose sur moi, magnifique et en
sueur, insatiable et irrésistible. Et c’est la première fois de ma vie que j’ai envie
de rester quelque part, en l’occurrence dans ses bras.

Après le marathon de sexe qui a duré une bonne partie de la nuit, nous
somnolons tandis que The Toy glisse doucement sur les eaux. Ma peau picote
sous la chaleur du soleil, le vent joue dans mes cheveux, et les douces
oscillations du yacht me bercent, tout comme le doux ronronnement du moteur,
me replongeant presque dans le sommeil.
Saint vient de raccrocher, après une conversation professionnelle, et se
rallonge à côté de moi.
Le soleil est à son zénith et l’ombre du yacht frémit sur les eaux. Je m’étire
et m’allonge sur le ventre, puis détache le haut de mon bikini pour ne pas avoir
de trace de bronzage. Malcolm pose immédiatement la main dans mon dos.
– Je vais bronzer avec la marque de ta main, dis-je en riant.
Son téléphone sonne de nouveau ; il se lève et se met à arpenter le pont tout
en parlant. Je vois un sourire éclairer son visage, il passe la main dans sa
chevelure sensuellement décoiffée…
– C’est vrai ? Génial !
Je suis complètement sous son charme, accro à lui, j’adore le regarder
travailler, tout en me demandant de quoi il parle. Quand je suis avec cet homme,
je ne pense à rien d’autre que lui. Le portable toujours collé à l’oreille, il me jette
un coup d’œil puis, du doigt, me fait signe de m’approcher. Ce qu’il peut être
autoritaire ! Je fronce les sourcils, mais obtempère, rattachant d’abord mon haut.
Il raccroche et me dit :
– Je veux te montrer quelque chose.
Puis il passe son doigt sous l’élastique de mon maillot de bain pour être
certain que je le suis. Nous nous rendons sur le pont supérieur où nous attendent
une corbeille de fruits et de la lotion solaire, ainsi que son ordinateur et d’autres
gadgets high tech.
Il allume le premier, tape quelques mots de passe. Je m’assieds sur une de
ses jambes. Il clique sur un lien et une rue vide s’affiche à l’écran.
– Qu’est-ce que c’est ?
– Quelque chose qui va te plaire, je crois. Tu vas voir…
Plusieurs vues s’affichent, l’entrée d’une épicerie, un coin de rue…
– Halte à la violence incite à la surveillance citoyenne, dit-il.
Je ressens un grand coup au cœur.
– Je sais.
– Ce sont des images de surveillance prises par satellite. C’est moi qui ai
financé l’entreprise. D’autres satellites suivront.
Je suis abasourdie et plaque ma main sur ma bouche… Malcolm paraît
amusé par ma réaction.
– Tu n’as rien à dire ?
Je le fixe, médusée : cet homme est un vrai mystère, toujours en train de me
surprendre, me taquiner, m’agacer, me séduire. Bref, il m’enchante.
– Cela me rapproche de cette lune que selon toi je convoiterais, non ?
Je suis toujours aussi surprise, incapable de répondre. Un sourire aux lèvres,
il me caresse la joue.
– Tu fais ressortir en moi des qualités que je ne pensais pas posséder,
Rachel, ajoute-t-il.
Sa voix est grave, pleine de respect, tout comme son regard, reconnaissant.
– On dit que je suis téméraire, qu’on ne peut pas se fier à moi, que je ne sers
que mes propres intérêts. Mon père m’estimait toujours capable du pire et ma
mère redoutait constamment qu’il m’arrive le pire. Les gens me regardent
comme si je pouvais décrocher la lune, mais dans tes yeux, j’ai l’impression que
c’est déjà le cas. Comme si tout ce que j’ai besoin de faire, c’est d’exister pour te
rendre heureuse.
Il retrace alors la forme de mon lobe avec son pouce, puis me sourit d’un air
comblé.
– Et ça me plaît, Rachel.
– Je me sens si vivante avec toi, dis-je sans réfléchir. Avec toi, tout est
meilleur, plus grand.
– Ah, Rachel !
Il incline la tête en arrière et se met à rire en se frottant le menton, à la fois
sexy et plein d’humour.
– Tes paroles me font le plus grand bien mais pas au sens où tu les entendais,
sans doute.
– Parce que tu es arrogant, et que rien ne te suffit jamais, tu veux toujours
qu’on t’admire plus, qu’on te respecte plus, et… j’adore. Oh oui, Malcom,
j’adore ça !
Et je me sens rougir car j’ai failli dire « Je t’adore » ! Alors pour éviter tout
malentendu, je répète :
– Vraiment, j’adore ça.
Il me prend par le menton et tourne mon visage vers lui, ses yeux braqués
sur ma bouche.
– Parfait. Ma petite amie veut changer le monde et moi le posséder.
– Pourquoi insistes-tu pour m’appeler ta petite amie ?
Nos regards se croisent et cette timidité qu’il a le don de faire naître en moi
resurgit d’un coup. Il hausse un sourcil.
– Pourquoi désirons-nous certaines choses ?
– Parce qu’elles nous donnent du plaisir, de la satisfaction, nous rendent
heureux.
– Donc quand est-ce que je pourrai t’appeler ma petite amie ?
Quel entêté ! Son « quand » me fait rire.
Dans le monde de Saint, rien n’est impossible. Il sait que ça va arriver, il s’y
applique consciencieusement, juste curieux de savoir combien de temps il devra
attendre. Et j’ai soudain envie de hurler « Maintenant ». Mais je ne peux pas.
– Nous en reparlerons plus tard.
Il prend mon visage dans une de ses mains.
– La semaine prochaine.
Je suis toute nouée, au niveau de la gorge, du ventre…
– Il me faut plus d’une semaine, Malcolm, pour baisser ma garde.
Et ce disant, la contraction de sa mâchoire et la tempête que je vois dans ses
yeux me font vibrer de l’intérieur. Lui résister est une vraie torture ! J’ajoute
dans un souffle :
– Sauras-tu m’attendre ?
– Mais je t’attends Rachel, m’assure-t-il d’un ton calme.
Comme s’il n’avait aucun doute sur le fait qu’il patientera le temps qu’il
faudra. Puis se penchant vers moi, il me donne le plus tendre des baisers au coin
de la bouche. Je soupire intérieurement, mais il ne m’entend pas, ne le remarque
même pas. Il se concentre de nouveau sur son ordinateur, vérifiant le programme
et tapant des mots de passe de ses beaux doigts de pianiste. Je me rends alors
compte qu’il pianote aussi vite que moi sur les touches, ses doigts y courent
comme le vent. Son odeur emplit mes poumons, je la hume pleinement et le
désir monte en moi, cependant que mon cœur chante joyeusement.
Je chuchote :
– Mal, j’ai encore envie de toi.
Il pose aussitôt la main sur mon sexe, et commence à me caresser.
– C’était bien le but, chuchote-t-il en me mordillant l’oreille.
Je proteste :
– Je suis toute mouillée, Saint ! Laisse-moi me préparer, me faire jolie pour
toi, tellement jolie que je vais donner un tout nouveau sens à ton « type de
fille ».
Mais quand je me lève, il me tire sur le bras pour que je me rassoie comme si
c’était idiot et il se met à rire.
– Arrête…
– Non, je suis sérieuse, dis-je en riant moi aussi. Je reviens tout de suite.
Et je me dirige vers la salle de bains pour me rafraîchir. J’en profite aussi
pour regarder mes messages.
Wynn : Nous sommes inquiètes, Rachel ! Rappelle-nous !
Gina : Rachel, où es-tu ? Tout va bien ? On s’inquiète.

Je leur réponds à toutes les deux :


Physiquement, tout baigne, mais dans les ennuis jusqu’au cou.

Quand je reviens, Saint s’est remis au lit, bras croisés derrière la tête, le drap
remonté jusqu’à la taille. Je vois ses vêtements à côté du lit, il est donc déjà nu…
Un impérieux désir me saisit, tout mon corps le réclame.
La chaleur qui coule dans mes veines me rend fébrile, mais je commence
malgré tout un petit strip-tease en tirant lentement sur les lacets de mon maillot
de bain… Je fais durer le moment, malgré la torture que je m’inflige, et chaque
parcelle de ma peau tremble sous son regard tumultueux : je me sens désirée,
sexy, possédée.
CHAPITRE 26

AMIES ET FANTASMES

Gina et Wynn sont inquiètes parce que j’ai pété les plombs hier, chez ma
mère.
Après que Malcolm m’a reconduite à la maison, je demande à Gina de
m’accorder une demi-heure, le temps de prendre une douche et de me changer.
Une fois sous le jet, je rêve les yeux ouverts à ce que je viens de vivre avec Mal
en me frottant le corps, m’attardant sur mon sexe, encore sensible.
Quand j’en sors, je retrouve Gina visiblement soucieuse.
– Qu’est-ce qui se passe, au juste ? me demande- t-elle alors que nous allons
rejoindre Wynn pour passer le reste de l’après-midi ensemble. Tu es restée tout
ce temps-là avec Saint ?
J’admets que oui. Elle reprend aussitôt :
– Et donc ? Tu as rompu ? Tu as appelé Helen ? Qu’est-ce qui se passe ? Tu
sais, j’ai bien réfléchi, et je ne crois pas qu’il soit judicieux de sacrifier ta
carrière pour un homme. Surtout un homme comme Saint. S’il te brise le cœur,
tu ne pourras pas dire que tu ne l’avais pas vu venir, Rachel !
Je fais un peu la sourde oreille tandis qu’elle continue à me faire la morale,
et d’ailleurs je rumine intérieurement, étudiant la situation sous tous les angles
pour trouver une solution.
Devant mon absence de réaction, Gina change de stratégie et commence
soudain à me faire une liste de tous les avantages du célibat. Cherche-t-elle à me
réconforter parce que, de toute évidence, Saint et moi n’allons nulle part ? Ou
redoute-t-elle que je subisse les mêmes pressions que Saint de la part de
l’opinion publique et que je m’expose à une inquisition semblable à celle qu’il
subit au quotidien ? Non. En fait, elle est en mode protecteur et veut que je mette
un terme à cette relation. Le plus vite possible.
Lorsque nous retrouvons Wynn dans notre café habituel, dans notre box
préféré, Gina déclare :
– Moi, j’ai l’intention de passer ma vie à manger des gâteaux sans être jugée,
à me peindre les ongles avec des couleurs bizarres et à dépenser mon argent
comme je l’entends, et tant pis si j’ai des dettes ! C’est la seule façon de vivre
qui m’intéresse et elle n’est pas sans risque.
– Effectivement, cela comporte de gros risques, rétorque Wynn d’un ton
sarcastique. Se faire les ongles, manger des gâteaux et dépenser son argent… Le
vrai risque, c’est de sortir enfin de cette apathie dans laquelle t’a plongée ta
rupture avec ce salaud de Paul. Le seul qui vous touche, Rachel et toi, c’est votre
coiffeur.
– Pour info, notre cerveau, lui, travaille à plein régime. D’ailleurs, il vient de
jouer un sale tour à Rachel puisqu’elle est amoureuse d’un mec qui se tape tout
ce qui bouge, et qui sait ? Peut-être sommes-nous aussi dans son viseur !
– Gina ! dis-je d’un ton indigné.
– Tu peux me dire qui tu te tapes, Gina ? insiste alors Wynn d’un ton
provocateur.
– Mon gode !
– Génial ! renchérit Wynn sur le même ton.
Gina plisse les yeux.
– Il m’a brisé le cœur, tu comprends ça ? Évidemment, toi, tu es celle qui
laisse tomber ses petits amis. Tu te défoules un peu, tu décompresses et après
bye bye. Moi quand j’aime, c’est de tout mon cœur. Et lui justement, il me l’a
volé. Il m’a tout pris, ses chemises dans lesquelles je dormais, ma confiance. Il a
même emporté la machine à café !
J’essaie d’intervenir :
– Calmez-vous les filles.
Mais Gina se lève et déclare :
– Je pensais qu’on ne se jugeait pas les unes les autres. Donc je vais aller me
faire masser et continuer à mener ma vie parfaite, que ça vous plaise ou non !
Et sur ces mots, elle s’en va.
– Wynn, tu y as été fort !
– Je ne juge pas, Rachel ! Mais moi au moins, j’assume, contrairement à
vous.
– Nous aussi. Seulement, où est le problème si on préfère y aller en
douceur ?
– En douceur… ? C’est ça ! À d’autres ! Vous vous cachez derrière vos
principes et restez bien au chaud dans votre zone de confort.
– Je suis amoureuse, Wynn.
Ça y est, je l’ai dit. J’ai enfin verbalisé ce que je ressens, et subitement, ça
rend tout plus réel. Et ça fait mal. Toutes ces histoires de chemises et de machine
à café m’ont fait réaliser que je dors dans la chemise de Saint et que je ferais tout
pour m’endormir plus souvent dans ses bras, pour porter toutes ses chemises. Je
ne partage pas sa machine à café, mais je suis prête à tenter l’impossible pour me
réveiller à ses côtés et prendre tranquillement mon petit déjeuner avec lui, tout
en admirant ses cheveux décoiffés.
Je répète doucement :
– Je suis amoureuse de Saint.
Wynn me fixe d’un air à la fois inquiet et confus, en écarquillant ses grands
yeux bleus. Une mèche rousse lui est tombée sur le front depuis quelques
minutes, et tout à coup, elle la rejette en arrière pour pouvoir me regarder.
J’insiste :
– Je suis tombée complètement amoureuse de lui. Irrémédiablement. Et je te
conseille de réserver ta place au premier rang, car il va y avoir du sang.
Wynn pousse un soupir, puis me saisit la main.
– Écoute, ce n’est jamais le bon moment pour tomber amoureuse, d’où le
mot « tomber ». C’est un accident. Ça arrive sans prévenir. Ensuite, il faut prier
pour ne pas être seule, quand on atterrit.
– Wynn, je ne savais même pas que j’avais envie qu’on m’adule comme ça !
Même sans maquillage, quand je suis complètement nue. Je n’ai jamais souhaité
qu’un homme me touche de cette façon, jamais fantasmé sur la chaleur d’un
corps, ni sur sa vigueur. Je menais une vie de recluse et tout à coup, il débarque,
fort et puissant, et me fait goûter à quelque chose qui ressemble à l’éternité… Je
pensais savoir ce que je voulais. Puis je l’ai rencontré et je ne sais plus rien.
– Tu veux autre chose, et c’est très bien, me dit Wynn, comme si c’était
aussi simple que de changer de couleur de vernis !
– Non, ce n’est pas très bien. Tu te rends comptes de qui je te parle ? Je me
lance un défi impossible à relever. Les hommes comme lui ne changent pas,
voilà !
– Désolée, mais je ne suis pas d’accord. Au contraire, les gens ne cessent de
se transformer, c’est la loi de l’évolution, nous devons nous adapter pour
survivre. Pour le meilleur.
– Qui pense que c’est pour le meilleur ?
– Lui. Parce que s’il veut être avec toi, c’est qu’il veut aussi devenir un mec
bien. Tu peux lui donner un objectif, et lui la sécurité. Tu seras la fille qui le met
au défi de devenir meilleur, et je t’assure qu’un homme intelligent sait apprécier
ce genre de challenge, même s’il ne le sait pas avant de la rencontrer. Et Saint est
un homme intelligent, Rachel. Tu crois qu’il ne sait pas que 99 % de son
entourage attend quelque chose de lui ? Mais toi, non. Tu es différente. OK, tu
ne sais pas cuisiner, mais tout homme aurait de la chance de t’avoir à ses côtés.
Elle marque une pause et ajoute :
– Il sait que tu l’aimes ?
Je secoue la tête et réponds à voix basse :
– Non, pas encore.
Et j’ai l’impression que mon estomac va exploser tant il se tord rien qu’à la
pensée de lui avouer mon amour, mais c’est surtout la peur qui l’emporte.
– Comme tu l’as dit, je crains de me retrouver toute seule face à mes
sentiments.
– Est-ce qu’il voit d’autres femmes ?
J’attends que la serveuse pose la corbeille de focaccia sur la table, ainsi
qu’un flacon d’huile d’olive, et réponds :
– Je n’ai jamais demandé l’exclusivité, mais… Non, je ne pense pas qu’il
couche avec d’autres femmes… Lui et moi on s’envoie beaucoup en l’air, Wynn.
Vraiment beaucoup.
Je vois une lueur s’allumer dans ses yeux.
– Pour un animal volage comme lui, c’est énorme ! Il ne couche qu’avec
toi ?
Je me sens rougir car toute cette conversation sur le sexe me renvoie à
l’ivresse totale que j’éprouve quand il est en moi.
– Laisse tes principes de côté et fie-toi à tes émotions, poursuit-elle. Les
grandes histoires d’amour ne se planifient pas, elles arrivent, c’est tout.
– Oui, c’est ça, même si c’est complètement fou, j’ai envie d’être avec lui. Je
veux vraiment me lancer.
– Il me semble que tu en prends la direction ! Continue, au lieu de mener une
guerre que tu pourrais perdre.
– Ce n’est pas aussi simple, Wynn.
Je m’adosse à ma chaise en soupirant.
– Je ne sais pas comment Helen réagira quand je lui annoncerai que je ne
fais pas l’article. Edge est sur le point de déposer le bilan. Supposons que Saint
veuille vraiment changer et avoir une vraie relation avec moi, cela voudra dire
que j’aurai fait passer mon propre bonheur avant celui des autres ? Cela me tue.
– Edge va de toute façon mourir…
– Non !
Je nie de façon instinctive, en secouant vigoureusement la tête.
– Cet article aurait redonné vie au magazine…
– Et toi, Rachel ?
Elle me regarde comme si, à ses yeux, mon bien-être passait avant celui des
dizaines d’employés de Edge.
– Qu’en est-il de mon amie Rachel dans tout ça ? insiste-t-elle.
CHAPITRE 27

SUR LE FIL

La réponse à la question de Wynn m’échappe… Mais le lendemain matin,


j’ai une certitude : nous sommes capables de certaines choses, et d’autres non. Il
y a des vitesses qu’on ne peut dépasser, et des situations compliquées qu’on ne
peut résoudre. Nous avons tous des limites et j’ai finalement pris conscience des
miennes.
J’ai grandi avec des histoires d’amour, les aimant d’ailleurs parfois plus que
les personnages. Ou l’inverse, grâce à leurs histoires. Mais aujourd’hui, j’aime
un homme plus qu’une histoire, plus que son histoire.
Aussi, au moment où j’entre dans le bureau d’Helen, je suis convaincue
qu’elle va me virer. Pour de bon, cette fois. D’autant plus qu’aujourd’hui, je
n’arrive pas à regarder quiconque dans les yeux. Valentine est à son bureau, il
étudie des images stockées sur son disque dur. Victoria n’est pas à son poste,
apparemment absente, et j’en suis presque soulagée. Je n’aurais pas à sentir son
regard sur moi alors que je dois faire face à mon échec. Ou plutôt que je choisis
l’échec.
Helen lève la tête de son écran, le regard fatigué derrière ses lunettes. Ses
cheveux sont encore plus mal coiffés que d’ordinaire. Elle transpire le stress, et
son bureau aussi d’ailleurs. Je m’assieds en face d’elle. Elle ne me salue même
pas. À mon avis, elle sait déjà… Je me lance :
– À propos de l’article sur Malcolm…
– Malcolm ? m’interrompt-elle, l’air complètement perdue.
Elle retire ses lunettes et se pince l’arête du nez avant de pousser un gros
soupir.
– Rachel, j’ai été très patiente avec toi. Tu m’as demandé un délai et…
– Il est vraiment différent de ce que nous pensons.
– Ah bon ? Eh bien, vois-tu, je ne crois pas !
Elle me regarde avec dureté.
– Au contraire, il est tout à fait comme nous l’imaginions. Et je crois aussi
que, comme des centaines de femmes avant toi, tu es tombée dans son piège. Tu
t’imagines que, sous le riche bad boy, se cache un homme bon et qu’il changera,
si une femme lui donne l’opportunité de le faire, n’est-ce pas ?
– Il n’a pas besoin de changer. Les médias utilisent son image à leur
avantage, mais il n’est pas celui que nous pensons.
– Oh, et toi tu le connais parce que… quoi au juste ? Tu as couché avec lui ?
Tu l’as accompagné à deux ou trois cocktails ? Quelques semaines ? Et tu
estimes que ça suffit pour connaître un homme ?
– On peut juger un homme sur un acte. Juste un. La notion de temps n’a rien
à voir là dedans.
– Tu t’es bien fait avoir ! constate-t-elle d’un ton sarcastique avant de
pousser un soupir. La réponse est non, Rachel. Tu me dois un article. Ton travail
a souffert de tes fréquentations ces derniers temps. J’ai besoin de ce texte, et je le
veux pour demain sur mon bureau.
– Je ne peux pas écrire cet article… Je ne l’ai même pas commencé. Je suis
physiquement malade chaque fois que je m’assieds devant mon ordinateur.
– Ça suffit, Rachel, ponds-moi cet article ! Ce n’est pas l’homme d’une seule
femme. Il a de si nombreuses occasions de trahir ses partenaires, et de mal se
conduire, en toute impunité. Il a toujours une blonde au cas où, qui s’en fiche pas
mal s’il va voir ailleurs. Qui l’encourage même à se taper d’autres femmes.
– Il est trop intelligent pour s’en contenter. Il peut s’amuser avec une bimbo,
mais il ne sera pas heureux avec elle. Il a besoin d’une vraie relation.
Je termine dans un murmure.
– Ce dont il a besoin, ce n’est pas ton problème ; toi, en revanche, ce dont toi
tu as besoin, c’est ton job. Le débat est clos.
Je tremble. Démissionne, démissionne ! me hurle une petite voix.
– Helen, je pensais que cet article me donnerait la possibilité d’écrire sur un
sujet qui intéresse les lecteurs, et que plus tard, ma voix compterait et que je
pourrais m’exprimer sur d’autres thèmes. Il s’agissait aussi de régler des
problèmes plus personnels liés à mon père. Je me sentais sous-estimée, j’avais
besoin de prouver quelque chose. Je suis certaine que j’en suis capable, mais je
n’en ai plus envie.
Je marque une pause et poursuis.
– J’ai rencontré un homme puissant et pris conscience que ce n’est pas parce
qu’on a la possibilité de faire quelque chose, qu’on doit le faire. Saint pourrait
réaliser des millions de choses sans se préoccuper des autres ; or, il utilise son
pouvoir pour les inciter précisément à entrer en action. Je l’ai vu à l’œuvre, ce
n’est pas le méchant de l’histoire. Il donne autant qu’il reçoit. Il se sert des autres
autant que les autres se servent de lui. C’est ce que j’appelle donnant-donnant.
Ce n’est pas un saint, mais il n’est pas non plus le Diable.
– Bien, très bien, il ne te reste plus qu’à l’écrire.
– Helen, je te présente ma démission, dis-je alors dans un souffle.
Elle me regarde en soupirant.
– Non, Rachel, tu ne peux pas démissionner.
– Si, et tu m’en vois désolée.
– Et moi, je te dis que ce n’est pas possible.
– Pourquoi ?
– Parce que Victoria vient de présenter sa démission.
– Helen, je suis navrée mais…
– Et tu le seras encore plus si tu quittes le navire maintenant. Victoria est
partie chez la concurrence. Ils préparent un article sur la petite amie de Saint qui
travaillerait secrètement pour un magazine people afin d’exposer sa vie privée et
tous ses secrets au grand jour.
– QUOI ?
Je suis complètement figée.
– Donc tu vois, si tu démissionnes maintenant, tous tes collègues se
retrouveront au chômage, car ce sera le coup de grâce pour Edge. Tu ne veux
quand même pas vivre avec ça sur la conscience, Rachel ? À vingt-trois ans, tu
te sens capable de porter cette culpabilité sur tes épaules ? Écoute, je te demande
une chose, juste une : fais ton boulot.
– Helen…
– Tu croyais qu’il te suffirait de faire machine arrière pour que tout s’efface
comme par magie ? Eh bien, tu t’es trompée ! Ton petit ami saura ce que tu
mijotais dès la semaine prochaine. Si tu pensais sauver ta relation en sacrifiant
Edge, c’est raté…
Elle soupire et ajoute en se remettant au travail :
– Conclusion : tu t’es trompée sur toute la ligne, Rachel. Victoria se servira
de tout ce à quoi elle a pu avoir accès dans nos fichiers, puisque l’équipe de
surveillance l’a surprise en train de photocopier des documents sur ton bureau.
Tu voulais qu’on entende ta voix ? On va l’entendre. Je veux ton article dans ma
boîte mails lundi afin qu’on cale notre impression sur celle de la concurrence.
Pour sauver Edge, il nous faut cet article.
Ce qui résonne dans ma tête, quand je rassemble mes notes que Victoria a
peut-être photocopiées et que je quitte les locaux de Edge, c’est ma propre voix
avouant à Malcolm que ce n’était pas Interface le sujet de mon article, mais lui.

Une fois dans la rue, je marche sans but précis. Chaque fois que j’ouvre la
page de mes contacts, je me contente de fixer son nom, Mal, sans appuyer sur la
touche d’appel. Et je ne sais combien de fois je l’ai regardé… Le vent brûle mes
yeux, mes doigts sont presque engourdis sur mon téléphone. J’avance… sans
savoir où je vais.
Je fixe de nouveau le nom de Mal et m’aperçois que c’est le dernier contact
que j’ai appelé. L’après-midi a à peine commencé et il a des centaines de choses
à faire à M4 avant de s’envoler pour New York. Et pourtant, je me décide enfin à
l’appeler. J’ignore ce que je vais lui dire, mais il faut que j’entende sa voix.
Maintenant.
Quand il me répond, j’ai l’impression que ses lèvres touchent son téléphone,
comme s’il était avec d’autres personnes et voulait être discret.
– Salut, dit-il.
Pitié ! Pourquoi sa voix m’émeut-elle à ce point ? Je ferme les paupières,
tandis que je me noie dans un flot de sensations. Je n’ai jamais connu un homme
comme lui, il est une expérience à lui tout seul. Quelle ironie qu’il soit réputé
pour son côté lapidaire et silencieux… Mais c’est précisément cela qui fascine
tout le monde ; si Saint est parcimonieux avec les mots, on parle en revanche
bien trop de lui.
Et maintenant, Victoria va écrire sur nous deux.
Je réponds d’un ton bas et hâtif :
– Salut, je sais que tu es occupé. Je voulais juste entendre ta voix.
Je m’interromps pour m’appuyer contre un lampadaire et me sens rougir
comme une tomate en baissant la tête. Je parviens toutefois à ajouter :
– À quelle heure tu prends l’avion ?
– Dès que j’ai fini ici. Dans deux heures maximum.
Il attend une seconde, sans doute pour que je lui explique la raison de mon
appel.
– Il s’est passé quelque chose au travail ? s’enquit-il.
– Non, je voulais juste entendre ta voix, redis-je. Ça devient une habitude, tu
vois…
– Je ne m’en plains pas, murmure-t-il d’une voix rauque. Hélas, on m’attend.
– Je ne te retiens pas. Rejoins ton monde et décroche la lune, dis-je un
sourire dans la voix.
Franchement, Rachel, ce n’est vraiment pas le bon moment. Dis-lui juste au
revoir et demande-lui quand tu peux le voir !
– Préviens-moi quand tu es de retour, d’accord ? J’aimerais qu’on parle.
– Pas de problème.
– Bye, Mal.
– Bye.
Il me faut une bonne minute pour reprendre mes esprits, puis je regarde
autour de moi et, bien que je sache parfaitement où je me trouve, je suis perdue.
Je suis perdue et je ne sais pas comment rentrer chez moi.
Je suis au lit, et n’arrive pas à trouver le sommeil, quand mon portable vibre
sur ma table de chevet. Tiens, c’est un numéro inconnu. Comme il est presque
minuit, j’hésite à répondre, mais finalement, j’accepte et alors je l’entends, cette
voix si traînante et rauque, comme une volute de fumée. Sur un arrière-fond de
moteurs !
– Mais… tu es dans l’avion ?
– Tout à fait, répondit-il d’un ton satisfait.
– Ah oui, bien sûr, il y a le téléphone dans ton jet. Et quoi encore ? Des
hôtesses toutes nues ?
– Non, je t’assure qu’elles ont une tenue tout à fait convenable.
– Mais toi en revanche…, dis-je pour plaisanter.
Sa voix résonne comme une promesse dans la pénombre de ma chambre. Sa
voix, son rire léger comme l’air… Tout cela me remplit de plaisir et je ne peux
que sourire. J’ajoute cependant :
– Je suis ravie que tu t’amuses.
– Moi aussi.
Cette fois, c’est moi qui me mets à rire. Mais lui ne rit plus.
– On avait dit une semaine, n’est-ce pas ? demande-t-il.
– Une semaine pour…
De quoi parle-t-il ? Mais tout à coup, je me rappelle notre conversation, à
bord du Toy, sur lui… et moi. Et je sais pertinemment de quoi il parle.
– Oh, ça !
Et je rougis de la tête au pied avant d’admettre :
– Oui, c’est ce qu’on a dit.
– Et pourquoi pas maintenant ?
Je suis si surprise que j’ai la sensation qu’un courant magnétique parcourt
mon corps. J’essaie de me reprendre, car je ne dois pas réagir ainsi, mais c’est
plus fort que moi. Je ne peux pas maîtriser l’effet qu’il a sur moi…
– Qu’as-tu fait de ta patience légendaire ? dis-je dans un sursaut.
– Et pourquoi pas maintenant, Rachel ? insiste-t-il.
D’un coup, le poids de ma culpabilité, de mes incertitudes et de la peur
s’abat sur moi. Je secoue la tête dans le noir, tentant de parler…
– Je ne suis bonne à rien.
Voilà, c’est tout ce que je parviens à dire.
– Sois ma bonne à rien, alors.
Un rire dur m’échappe malgré moi, et je redoute qu’il ne se transforme en
sanglots. Je prends une profonde inspiration et cligne des paupières.
– Quand pourra-t-on reparler de tout ça ?
– Dès mon retour à Chicago. Samedi. Viens à la maison.
Je hoche la tête, même s’il ne peut pas me voir.
– J’ai besoin de te voir, dis-je.
Et je me mets à rire pour masquer les tremblements de ma voix, et les larmes
qui s’apprêtent à couler.
Je répète :
– J’ai vraiment besoin de te voir, Malcolm.
– Je t’envoie une photo.
Il se moque de moi ? Comme si je n’adorais pas ça…
– Saint !
Ouf, ma voix ne m’a pas trahie, même si je suis sur le point de m’effondrer.
J’entends son rire tout chaud contre mon oreille. Le pire, c’est que j’entends que
notre conversation lui plaît énormément. Tout comme il aime me provoquer. Je
ferme très fort les yeux, ils me brûlent à me faire mal. Et pourtant, j’ai encore
envie de profiter de sa voix…
– Ne raccroche pas tout de suite, dis-moi quelque chose… Tiens, ton nom !
Ton nom ridiculement long…
Il obtempère.
– Malcolm… Kyle… Preston… Logan… Saint.
C’est alors qu’il déclare d’un ton plus intense :
– Tu me manques, Rachel.
J’essuie furtivement une larme et déglutis… Dans un ultime effort sur moi-
même, j’articule :
– OK.
– C’est tout ?
Il rit, incrédule.
– Je t’aime.
Et voilà, l’émotion l’a emporté. Je répète :
– Je t’aime, Saint.
Et je raccroche avant qu’il ait le temps de répondre, puis enfouis mon visage
dans mes mains. Putain, qu’est-ce qui m’a pris ? Mais qu’est-ce qui m’a pris ?
Toute tremblante, je pose mon portable sur la table de nuit et le regarde quelques
minutes. Qu’est-ce que je viens de faire ?
Je m’écroule sur mon lit, mue par un mélange d’excitation, de peur et
d’incrédulité. Je viens de dire « Je t’aime » à un homme pour la première fois de
ma vie ! Comme ça, au téléphone. À Malcolm Saint.
Comme il a dû me trouver stupide. Pourquoi tu ne pouvais pas attendre qu’il
revienne de New York ? Pourquoi ? J’aurais tant aimé voir son visage, son
expression… J’imagine qu’il en est tombé de sa chaise. A-t-il été surpris ? Dans
le bon sens ? Ou pas tant que ça ? A-t-il ri ? Froncé les sourcils ? Haussé les
sourcils ? Et merde ! Pourquoi j’ai dit ça ?
Je suis allongée dans le noir, en mode stress total, blottie dans sa chemise en
guise de pyjama, et mon corps brûle de désir pour lui, ses yeux me hantent, je ne
cesse de repenser à la dernière fois que nous nous sommes vus et à tout ce que
nous avons vécu ensemble. Je suis aussi obsédée par la peur de le perdre, avant
d’être sa petite amie en titre.
« Chasse gardée… »
« Je suis fils unique… »
« Tu viens, ou dois-je te porter… »
Je suis assaillie par les souvenirs, par lui. Je me rappelle la façon dont il a
semblé arrêter de respirer lorsqu’il m’a aperçue à l’Ice Box. La façon dont il a
embrassé le coin de ma bouche, la première fois, puis le baiser passionné qui a
suivi. Je me souviens la fois où il a sauvé l’éléphante. Où il m’a sauvée moi. Où
il a mis des grains de raisin dans ma bouche. Où il m’a écarté les cuisses…
S’il te plaît, reviens à Chicago, et je t’expliquerai tout ! Je te dirai aussi
pourquoi je ne te mérite pas, et j’écouterai tes conseils, tes conseils avisés sur la
manière dont je peux regagner ta confiance. Car j’aurais dû te prévenir en
premier, te faire confiance pour m’aider puisque c’est ce que j’ai vu en toi : un
homme digne de confiance, et que jamais je ne m’étais fiée à un homme avant
toi. J’entends le bip de mon portable qui m’annonce un texto. C’est Mal.
Je prends ça pour un oui.
CHAPITRE 28

CONFIANCE ET LOYAUTÉ

– Debout, Livingston !
Gina ? Oh non ! J’enfouis la tête dans mon oreiller tandis qu’elle se met à
toquer à la porte. Je réponds d’une voix plaintive :
– Je vais te botter les fesses si tu continues !
– Tu n’auras pas le temps, je te le garantis. Tu seras bien trop occupée.
– Occupée à quoi ?
– Rachel, cette putain de porte est verrouillée !
– Et alors ?
– Alors ouvre-la !
Non, il ne vaut mieux pas. Ma vie est un véritable gâchis, un vrai de vrai, il
faut que je me ressaisisse et pour cela, je dois réfléchir. Oui, méditer est ma seule
échappatoire. Tout comme me souvenir plus précisément d’une certaine
conversation au téléphone qui remonte à deux ou trois jours… L’ai-je imaginée ?
Non, j’en suis certaine maintenant, c’est bien réel : je lui ai dit que je l’aimais.
– Raaaa-chel ! hurle Gina en tapant furieusement contre ma porte. Ouvre !
Viens voir ce qui t’attend !
– Non, je ne veux rien voir aujourd’hui, juste Saint à son retour de New
York. Donc il faut que je dorme pour me refaire une beauté. De toute façon, on
est samedi, donc on ne travaille pas.
Mais elle cogne toujours comme une furie ! Je me lève d’un bond, lui ouvre,
puis retourne sous ma couette toute chaude.
– Qu’est-ce qui se passe ?
Gina… et Wynn – tiens, elle aussi est là ? – s’affalent sur mon lit. Je suis
consciente du lourd silence qui règne soudain dans ma chambre lorsque Wynn
ouvre les rideaux et revient s’asseoir. Toutes deux me regardent fixement… d’un
air funeste. L’ombre de la peur se profile devant moi.
– Quoi ?
Leur expression déclenche une sirène d’alarme dans ma tête ! Me levant
d’un bond, je me jette sur mon portable, tape des mots-clés dans Google… Oh
non, non, non, non !
En l’espace de quelques secondes, des dizaines de résultats avec les mots
mise à nu, sous couverture, mensonges et trahison apparaissent, liant mon cher
Mal, mon sublime Mal à mon nom.
– Rachel, tu es sur tous les sites people ! se lamente Wynn.
Et ceux-ci déferlent…
– Va sur celui-là, me dit Gina en en désignant un.
Je tremble tellement que je peine à déplacer ma souris… Quand je vois la
signature de Victoria, je comprends qu’ils nous ont devancés : elle a sorti son
article sous forme numérique avant la publication papier ! Les larmes me
brouillent les yeux.
– La salope ! hurle Gina.
C’est alors que je déclare comme un automate, comme si une autre personne
s’exprimait à ma place :
– Elle fait ce qu’elle a à faire. Elle veut réussir, comme moi.
– C’est une belle garce, oui ! insiste Gina.
Je me concentre sur l’écran.

MENSONGE : la nouvelle petite amie de Malcolm Saint travaillait en


réalité pour la presse !
Si vous attendiez du croustillant sur l’une des « relations » les plus
inattendues impliquant notre célibataire préféré, vous allez être servis, quand
je vais vous dévoiler tous les dessous de l’affaire. Du moins ceux de la petite
amie de Malcolm Saint…

Je ne peux continuer ma lecture, tétanisée à l’idée que Malcolm va lui aussi


lire ces lignes accusatrices, clairement destinées à un public avide de ragots,
pendant que mon monde s’arrête de tourner. En l’espace de quelques secondes,
je me transforme en une vraie fontaine.
– C’est pas vrai, c’est pas vrai, il a déjà dû lire tout ça. Oh non !
– Rachel, calme-toi…
– Mais tu ne comprends donc pas ! La vérité et la loyauté sont ce qui compte
le plus pour lui ! Je… je ne peux pas.
Et j’enfouis le visage dans mes mains, je n’arrive plus à respirer.
– Je crois que je vais vomir…
– Rachel, me disent mes deux amies, m’enlaçant pour m’apaiser, mais rien
ne peut me réconforter.
Mon portable se met soudain à sonner. Je respire plusieurs fois,
profondément, ne répond pas, et quand il s’arrête, c’est le fixe qui prend le relais.
Gina va décrocher.
– C’est Helen, me dit-elle, le combiné à la main.
Comme je ne réagis pas, elle me le tend.
– Helen veut te parler.
– Non, ne la prends pas, me chuchote Wynn.
Gina recouvre le combiné.
– T’es pas bien, Wynn ? C’est sa cheffe !
Je sais ce qu’elle veut, ce qu’elle va dire. Mains tremblotantes, je saisis
l’appareil, et j’ai la désagréable impression que tout mon corps s’engourdit. Je
viens de décevoir tous ceux qui comptent dans ma vie !
– Tu as vu ? me demande Helen d’un ton dur.
Je suis incapable de répondre.
– Nous allons contre-attaquer, coûte que coûte. Mets-toi au travail !
J’ai à peine raccroché que le téléphone sonne de nouveau. C’est mon
portable cette fois, et Gina le brandit sous mes yeux, d’un air suppliant :
– C’est ta mère.
Je lui lance un regard angoissé. Que vais-je bien pouvoir lui dire ? Voyons
voir : que j’ai le cœur brisé et perdu la tête. Que j’ai aussi perdu l’homme que
j’aimais parce que je n’ai pas eu le courage d’être honnête quand il était encore
temps. Que j’ai laissé une de mes collègues me planter un poignard dans le dos.
Qu’il se pourrait, si je ne réagis pas rapidement, que je perde aussi mon travail.
Que je suis complètement perdue. Que je ne sais plus où est le bien, où est le
mal, qui je suis, ce que je veux…
– Oh, bonjour ma deuxième maman ! s’écrie finalement Gina en décrochant.
Oui, c’est Gina… Rachel ? Oh, elle est plongée dans l’écriture de l’article qui va
faire mordre la poussière à son ennemie… Bah, ce n’est qu’un blog, alors que
Rachel va imprimer son article, elle, et ça aura bien plus d’impact sous ce
format-là…
Et elle continue de noyer la panique de ma mère dans un océan d’optimisme
tandis que je me mets au travail. Je vais sur les réseaux sociaux, puis cherche des
images…
Je tombe sur une photo de lui prise à son arrivée à M4, ce matin, chaussé de
lunettes de soleil Aviator. On le voit faire un doigt d’honneur à un journaliste et
la légende indique en dessous : « Voici la réponse de Malcolm Saint à la
question que lui a posée notre reporter sur ce qu’il pensait de sa petite amie qui
préparait, à son insu, un dossier sur lui pour son magazine. »
Saint est de retour à Chicago. Il est revenu de son voyage d’affaires pour
affronter ça.
On l’a filé pour le harceler de questions.
@malcolmsaint tu mérites bien mieux que cette connasse !
– Je dois lui parler.
Sur cette déclaration, je me rue sur ma garde-robe pour enfiler un pantalon
noir et un corsage blanc afin d’avoir l’air le plus professionnel possible. Puis je
me fais une queue de cheval, et en dépit des réticences de Wynn et Gina, je saute
dans un taxi, direction M4.
Je traverse le magnifique hall. Les réceptionnistes alignées derrière le
comptoir ovale m’avaient paru impressionnantes lors de ma première visite ;
cette fois, il me semble qu’elles gardent une forteresse impénétrable… C’est
clair qu’elles sont au courant de tout, vu les regards assassins qu’elles me
lancent. Mon pouls bat à toute vitesse, je n’ose pas imaginer ce que je vais
ressentir quand je serai devant lui.
– Rachel Livingston pour monsieur Saint, s’il vous plaît.
Évidemment, elles ne se disputent pas pour répondre… Celle du milieu, avec
un chignon bas, dit enfin :
– Désolée, mais il vient de juste de rentrer d’un voyage d’affaires.
– Pas de problème, dis-je en affichant un calme olympien même si à
l’intérieur de moi-même, c’est le tumulte absolu. J’attendrai.
Et je me dirige vers les ascenseurs.
– Mademoiselle, s’écrie-t-elle. Personne n’est autorisé à monter sans
permission spécifique, aujourd’hui.
Je m’immobilise, stupéfaite.
– Oh…
Je remarque soudain que les ascenseurs sont à l’arrêt, alors que d’ordinaire,
ils ne cessent de monter et descendre.
– Dans ce cas, je patienterai ici, dis-je.
Et je reviens dans leur direction. Saint a-t-il annulé tous ses rendez-vous ?
L’anxiété me gagne…
– Dites-lui juste que Rachel Livingston souhaiterait vraiment le voir et que
c’est extrêmement important.
– Je vous le répète, monsieur Saint est très occupé.
– J’ai compris, je l’attendrai, dis-je d’un ton calme mais ferme.
Je me dirige vers les fauteuils alignés près de la fenêtre. Une fois sur mon
siège, je pense aux déferlements de commérage sur le Net… Je croise les
jambes, les décroise, regardant tour à tour les ascenseurs et les voitures, derrière
les vitres.
Je remarque soudain deux personnes sur le trottoir, qui prennent
discrètement des photos de l’immeuble. Elles aussi veulent donc des miettes du
gâteau ? Une bouffée de rage me submerge. Je me déteste pour mon impuissance
et pour avoir provoqué ce désastre. Quelques instants plus tard, la réceptionniste
s’approche de moi, flanquée d’un impressionnant garde du corps. Lentement, je
me lève.
– Je suis désolée, mais vous ne pouvez pas rester ici, me dit-elle. Monsieur
Saint est très occupé depuis qu’il est rentré.
Ses yeux scintillent de colère. Je tourne le regard vers l’armoire à glace, à
côté d’elle… Je n’arrive pas à croire qu’il m’ait envoyé un garde du corps pour
me mettre à la porte de M4. De guerre lasse, je murmure :
– Dites-lui que je suis venue.
Puis je me dirige vers la porte, faisant en sorte que mes cheveux recouvrent
bien mon visage pour que personne ne me reconnaisse. Je rentre directement à la
maison, où Gina et Wynn m’attendent sur le seuil.
– Alors ? s’enquiert Gina.
Et m’enlaçant par les épaules, elle m’entraîne vers le canapé. Je suis encore
en état de choc, je n’y crois pas. Il me faut un petit moment pour répondre.
– Il est retranché dans son bureau, je n’ai pas pu le voir. Ils… On m’a
escortée vers la sortie.
– Quoi ? s’étrangle Wynn, indignée.
– Tu nous avais bien dit que son staff lui était entièrement dévoué, non ?
renchérit Gina. Il est logique qu’ils soient surprotecteurs.
– Mais lui, savait-il au moins qu’elle était là ?
Et mes deux amies commencent alors à se disputer pour déterminer si Saint
a demandé ou non qu’on me jette dehors. Je me sens de plus en plus
impuissante, les yeux rivés à mon portable qui demeure implacablement
silencieux.
Sur une impulsion, je me réfugie dans ma chambre, l’appelle et laisse un
message sur son répondeur, tout en faisant les cent pas :
– Salut… Euh, pourrais-tu me rappeler, s’il te plaît ? J’ai besoin de te
parler…
J’hésite, incapable de rassembler mes pensées.
– Malcolm…
Ma voix se brise, je raccroche en larmes. Puis je m’essuie bien vite les yeux
et appuie de nouveau sur son numéro :
– Désolée, dis-je dans un murmure. Je voulais te dire que… Je ne sais pas…
Je voulais juste entendre ta voix.
Je coupe la communication… pour le rappeler derechef.
– Tu places la vérité et la loyauté au-dessus de tout, je le sais, et j’ai… j’ai
vraiment besoin de te parler, Malcolm, laisse-moi t’expliquer ce qui s’est passé.
Accorde-moi au moins ça.

Ça me tue. Je ne peux pas dormir. Ni manger. J’ai une énorme boule dans la
gorge, qui m’empêche même de respirer. J’attends toujours qu’il me réponde, je
brûle d’entendre sa voix. Soudain, je me rue dans la chambre de Gina :
– Tu crois que c’est terminé ?
Elle se redresse dans son lit.
– Tu m’as fait flipper grave ! J’ai cru que c’était un voleur.
– Il refuse de me parler, ne veut pas écouter ma version des faits, donc c’est
fini, non ? Mais je me fous de qui ? Sérieux, je n’étais même pas sa petite amie !
Je ne peux même pas dire que cette relation est finie, puisqu’elle n’a jamais
commencé.
Je ris tristement et lutte contre mes larmes, consciente de le désirer
désespérément.
– Je suis désolée pour toi, ma chérie, mais Saint est un homme puissant.
Quand Paul m’a trahie, je ne supportais plus l’idée de le voir, ni tout ce qui lui
avait appartenu. Il m’avait brisée. Et dans ton cas en plus… c’est public. Qu’est-
ce tu ressentirais, toi, si tu étais à sa place ? Laisse-lui le temps d’assimiler tout
ce qui s’est passé. Il cherche peut-être juste à comprendre.
Peut-être qu’il compte jusqu’à quatre, me dis-je alors. « J’ai un caractère
difficile… » Je m’efforce de positiver. Il finira bien par écouter mes
explications… Mais aussitôt, je pense que c’est impossible et la tristesse me
submerge à nouveau. L’instant d’après, je suis rongée par d’affreux regrets. Et
dire que j’ai connu avec lui de si beaux et rares moments… Il s’est ouvert
complètement à moi. Cette pensée me met d’autant plus au supplice. J’ai envie
de le tenir de nouveau dans mes bras, de le supplier de m’enlacer lui aussi.
– Rachel, que vas-tu faire ? Tu vas l’écrire cet article, ou pas ? me demande
Gina d’un air inquiet.
Mon portable à la main, j’en fixe l’écran pour la énième fois. Il est ouvert
sur la photo prise de lui ce matin. Un vrai milliardaire, ultra chic, mais qui fait
un doigt d’honneur au photographe. Et derrière lui, son immeuble en verre et en
acier sur lequel sa silhouette se détache merveilleusement bien… Ce qu’il est
beau dans son costume impeccable avec ses lunettes Aviator. Pas de
commentaire, précise encore la légende. Le doigt en dit suffisamment.
CHAPITRE 29

RECHERCHE

Quelques instants après, je me glisse dans ma chambre et demeure debout,


en tee-shirt et chaussettes, devant mon écran d’ordinateur. Je prends une
profonde inspiration, puis saisis la boîte à chaussures remplie de mes fiches, et
m’assieds en tailleur sur le tapis, à côté de mon lit. Je les relis
consciencieusement.
Vérité et loyauté, ai-je écrit sur l’une d’elles. Ce sont des qualités qu’il
apprécie chez ses amis, mais il se peut qu’il ne les ait jamais trouvées chez les
femmes qui lui courent après.
C’est tout ce que je peux écrire. Le reste de ce que j’ai appris m’appartient.
Mais ce sont là deux valeurs que Saint place au-dessus de tout, même de
l’amour. Et qu’il n’a pas trouvées en moi. Mes yeux tombent sur quelques mots
griffonnés au dos d’une fiche :
J’ai vraiment merdé.
Ils sont de circonstance !

Il était devant moi, me parlait de vérité et de loyauté, et moi j’étais captivée
par tout ce qui sortait de sa bouche, sachant que j’étais en train de tomber
amoureuse de lui, impuissante face à mes sentiments.
Et pourtant, je prenais des notes. Je l’étudiais comme un rat de laboratoire.
Comme s’il n’était pas humain. Comme s’il n’était pas doté de tout ce qui est le
propre des êtres humains : un cœur, un esprit, un corps, des hormones. Comme
s’il n’avait pas besoin d’air, d’eau, d’amour, qu’il était un divertissement à épier
pour amuser le monde.
Et qu’importe s’il est sorti avec mille et une femmes ! Qu’il soit l’obsession
de Chicago et la mienne à présent ! C’est avant tout un être humain, il a droit à
un peu d’intimité, lui aussi. Il est si secret, s’ouvre rarement aux autres car il se
sent toujours jugé et observé, je le sais…
Les larmes me montent aux yeux et soudain, j’attrape mes fiches et me mets
à les déchirer une à une. Après quoi je m’allonge, les morceaux éparpillés autour
de moi, et pleure en silence… Un bon moment. Je regarde ensuite autour de
moi… Merde, qu’est-ce que je viens de faire ?
Si je veux sauver le journal, il faut que j’écrive ! Je respire de façon
saccadée.
– Rachel ?
C’est Gina qui m’appelle.
Elle entrebâille la porte et passe sa tête, constate le désordre, mes fiches
déchirées. Puis elle me regarde : je suis comme le papier qui m’entoure, en
miettes.
– Oh, Rachel ! s’écrie-t-elle.
J’éclate en sanglots et parle à travers mes larmes :
– Je dois écrire mon article.
– Dis-lui la vérité, Rachel. Dis-lui la vérité, je t’en prie ! S’il te connaît, il
comprendra.
– Que dire ? Que je suis une menteuse ?
– Que tu l’aimes.
– Mais il n’en a rien à faire, de mon amour ! Ce qui compte, pour lui, c’est la
vérité et l’honnêteté, des qualités que je ne possède pas.
– Qu’est-ce que tu racontes ? Tu en as à revendre. Tu es loyale et honnête
avec tout le monde.
– Mais pas avec lui.
– Dès l’instant où tu lui parleras, où tu lui expliqueras, tu le seras. Il faut que
tu le lui prouves. Et alors tu pourras tout garder, lui et votre relation.
– Non, personne n’a tout, Gina. Personne.
– Mais nous l’espérons tous. N’est-ce pas pour cela que nous nous levons
chaque matin ? Nous voulons tout ! Donc, écris ton article. Et si tu le veux, vas
le chercher.
Je réfléchis à ses propos, puis murmure :
– Évidemment que je le veux.
Et je m’essuie le visage du dos de la main.
– Je sais, grâce à mille petits détails, que je ne trouverai jamais un homme
qui ait autant d’effet sur moi. Parfois, quand nous sommes ensemble, je me perds
en lui.
Je renifle.
– C’est le seul homme dont je rêve la nuit, et le seul auprès de qui j’ai envie
de me réveiller le matin. Tout le monde convoite sa notoriété, son argent, mais
moi, je ne l’aime pas par intérêt, mais parce ce qu’il est le seul auprès de qui j’ai
envie de me réveiller. Moi, je ne l’aime pas pour ce qu’il a, mais parce qu’il m’a,
moi…
– Oh, Rachel, ne pleure pas ! Je t’en prie. Peut-être que tout espoir n’est pas
perdu.
– Je ne vois pas comment… Il ne veut plus rien avoir à faire avec moi.
– Mais parce qu’il est profondément blessé ! Sans quoi, il ne porterait pas
ces fichues lunettes qui cachent ses yeux. Ils doivent refléter l’enfer qu’il endure.
Tu sais, moi-même, j’ai pitié de lui…
– Parce que je tiens le rôle de Paul, du menteur.
– Non, Paul s’est joué de moi, or toi, tu n’as jamais cherché à te jouer de ses
sentiments. Les tiens étaient sincères.
J’enfouis mon visage dans mes mains… Et je me souviens des mises en
garde d’Helen, dès le début. J’étais trop jeune, selon elle, pour jouer dans la cour
des grands. C’est pour ça que je n’avais pas su anticipé la suite des événements.
Elle avait raison, je n’étais pas prête à affronter tout cela… Je saisis alors le
Kleenex que me tend Gina, essuie mes larmes, rouvre mon ordinateur et me mets
à taper tout ce que j’ai sur le cœur.
Quand je reviens au bureau, Helen m’annonce que le serveur de Edge est
rempli de messages de haine à mon encontre, et elle me conseille de prendre une
semaine pour travailler de chez moi. Le jour de la publication, je ne sors pas de
mon lit. Je ne réponds pas au téléphone. Ma mère passe à la maison, mais c’est
finalement Gina qui lui fait la conversation, car je ne veux pas qu’elle me voie
dans cet état : je n’arrive plus à donner le change, et elle le sait bien. Avant de
partir, elle me dit qu’elle va peindre et me suggère de l’imiter. Elle me dit aussi
que je devrais sortir, faire vraiment ce que j’aime.
Mais ce que j’aime me déteste.

Twitter :
Tu as lu l’article de ta petite amie ? @malcolmsaint

Sur son Instagram :


Pas question que @malcolmsaint donne une seconde chance à cette salope !!

Et sur un forum de discussion féminin :


Rachel Livingston, notre héroïne ! Elle nous venge de tous les play-boys !
Vous voulez jouer avec nos cœurs ? Attention à ne pas tomber dans le piège
de votre propre faiblesse ! La vengeance est délicieuse.

Un peu plus tard dans la semaine, je trouve assez d’énergie pour sortir du lit
et me rendre au travail. Helen me convoque immédiatement dans son bureau.
Rendez-vous que je redoute : il faut dire qu’elle n’a pas vraiment apprécié mon
article. D’emblée, elle m’a dit :
– Ce n’est pas ce que je t’avais demandé.
– Exact.
Néanmoins, elle l’a accepté et publié. Mais aujourd’hui, elle paraît
sincèrement heureuse de me voir et déclare :
– Ton article fait le buzz !
– Je ne suis pas allée sur Internet, j’imagine que tu comprends.
– Oui. Mais je vais te faire un résumé.
Elle me fait signe de m’asseoir, mais je reste debout.
– Ton petit ami, poursuit-elle alors d’un ton presque joyeux, a effacé l’article
en ligne de Victoria et il ne peut être reposté sans répercussions légales.
À cet instant, elle m’adresse un regard où brillent le respect et l’admiration,
et ajoute en riant :
– Au cas où tu m’en voudrais pour l’expression « petit ami », sache que
Malcolm Saint a fait aussi détruire toutes les éditions imprimées de l’article en
question.
Sur ces mots, elle hoche la tête et me considère d’un air songeur. J’ouvre de
grands yeux.
– Quoi ?
– Ton petit ami a acquis les droits sur l’article de Victoria. Il ne peut donc
plus être publié sans son autorisation.
– Mais… comment est-ce possible ?
Elle hausse les épaules et s’adosse à son siège qui grince un peu.
– Visiblement, cet article ne lui a pas plu.
Et donc il l’a tout simplement annulé ? C’est incroyable… Mais dans ce cas,
pourquoi n’a-t-il pas agi de la même façon avec le mien ? Ne l’a-t-il pas lu ?
Mon cœur cogne comme un fou dans ma poitrine.
– On dirait qu’il ne te déteste pas tant que ça, commente-t-elle avec une
petite moue amusée.
Et soudain, elle semble enfin se rendre compte que je suis complètement
effondrée.
– Il se peut même qu’il t’aime bien, ajoute-t-elle gentiment. Je dois dire que
tu m’impressionnes, Rachel. Et je ne suis pas la seule. Tout le monde l’est.
D’ailleurs, Saint n’a pas été revu en compagnie… de ses blondes.
Elle tapote son bureau d’un air absent, les yeux plissés.
– Mais il fait du saut en parachute tous les jours, depuis… On pourrait croire
qu’il a envie de mettre sa vie en danger ou qu’il a besoin de faire le vide.
Je l’entends à peine, il faut que je sorte de son bureau, de Edge.
– Je peux encore travailler de chez moi aujourd’hui, Helen ?
Bien que je la sente réticente, elle me donne son accord. Je passe chercher
des dossiers dans mon box, je souffre jusqu’à la moelle des os. Saint fait du saut
en parachute. Saint a racheté l’article de Victoria. Saint pense que je l’ai trahi.
Cet après-midi-là, je m’arrête devant le seul exemplaire de Edge qui reste
chez mon kiosquier.
– Vous l’avez lu ? me dit ce dernier en riant. Cette journaliste est folle de ce
type.
Je relève la tête, prête à hurler, mais à la place, je regarde fixement la photo
de Saint qu’Helen a choisie pour la première de couverture. Ses yeux verts
semblent me fixer. Et oui, cet homme a raison. Je suis folle de lui, de son corps,
de tout. Il me manque affreusement. J’ai tant envie de l’embrasser. De le serrer
dans mes bras, entre mes cuisses. De le sentir en moi jusqu’à ce qu’un feu
d’artifice orgasmique nous soulève…
– C’est une femme intelligente, dis-je finalement, la voix lourde d’émotion.
Je vais vous acheter cet exemplaire.
Et je le prends juste pour la photo de Malcolm. Il a une cravate de couleur
vive, un col parfait, et ce regard lourd derrière ses cils épais, qui meurt d’envie
qu’on le réchauffe et me touche tellement. Et je pense à la façon merveilleuse
dont ses yeux savent me faire fondre.
Je m’assieds sur un banc, la revue à la main, et du bout des doigts, je caresse
ses yeux, me demandant pour la millième fois de la journée s’il a lu ce que j’ai
écrit sur lui.
CHAPITRE 30

APRÈS L’ORAGE

C’est fini.
Il n’y a eu ni averse ni tonnerre quand nous avons rompu. La rupture s’est
passée comme le début. Aucun éclair dans le ciel tranquille de ma vie pour
m’avertir que j’allais tomber amoureuse, que cet homme me mettrait au défi, me
rendrait folle de lui. Maintenant c’est terminé, mon article est écrit. Mission
accomplie.
Mes matins sont redevenus normaux. Je brunche de nouveau avec mes amies
le week-end et je rends visite à ma mère le dimanche. Mon monde est redevenu
ordinaire, presque le même, mais en un peu plus morne. Je redoute désormais de
lire les articles concernant Saint et de le voir en compagnie d’une autre. Ou de
trois autres.
De temps en temps, j’ai des crises de larmes. Quand je goûte du bon vin, par
exemple. Et qu’on ne vienne pas me parler d’éléphants… Mais la peur du pire
s’est dissipée. On craint de disparaître dans un gouffre, et soudain, on se met à
supplier l’univers de vous donner une raison pour la tristesse que vous ressentez.
Certains de mes collègues m’envient, incroyable !
– J’aurais bien aimé qu’Helen me demande d’écrire cet article, m’assure
Sandy.
Sans doute pour la promotion que cela m’a valu mais surtout…
– Parce que parader dans un yacht et être poursuivie des assiduités d’un
milliardaire, ça fait rêver, poursuit-elle.
– Avoue ! Le sexe avec lui, c’était phénoménal, non ? renchérit Valentine.
Je crois qu’ils essaient de me réconforter, mais c’est peine perdue. Je
continue toujours à surveiller son compte Twitter, c’est plus fort que moi, j’ai
besoin de savoir comment il va. Bien que les réseaux sociaux ne cessent de
parler de lui, Saint est resté pour sa part bien calme.
On l’a interrogé à mon sujet – des journalistes de la télévision ou du Net –
mais à chaque fois, il s’est abstenu du moindre commentaire. Il n’a pas
davantage répondu aux piques qui circulaient sur les réseaux sociaux. Tout
comme il m’ignore.
– Ça n’aurait pas duré de toute façon, me dit Gina quand elle se rend compte
de mon état. C’était juste une aventure. C’est un séducteur invétéré.
Peut-être, mais ça me tue de ne pas en être certaine. Je ne saurai jamais si
quand il disait que j’étais sa petite amie, il le pensait vraiment.
J’ai une tonne de mails dans ma boîte que je lui ai écrits mais pas envoyés, et
je n’ai guère le courage d’en faire quoi que ce soit puisque, de son point de vue,
je ne mérite pas qu’il m’accorde la moindre minute.

À : Malcolm Saint (brouillon)


Statut : non envoyé
J’ai mille et un mails de ce type que je ne t’enverrai pas. J’avais juste besoin
de t’écrire.
S’il te plaît, pardonne-moi.
Est-ce qu’il t’arrive encore de penser à moi ?
Ta bouche, tes yeux, tes mains, ton cœur sont des chasses gardées pour moi.
Même ton entêtement car je le mérite. Même ta colère. Je veux tout ça et
plus encore. Tu es ma chasse gardée. #jesuissiavidedetoiaussi !!!

Gina me dit que si elle a pu survivre, je le pourrai aussi, même avec un cœur
brisé.
– Ma chérie, je sais que ça fait mal. Quand j’ai découvert la trahison de Paul,
je voulais qu’une météorite me tombe dessus pour en finir.
– Moi, j’aimerais juste qu’il me donne une seconde chance.
Je regarde fixement la rue par la fenêtre, mais il n’y a plus de Rolls noir
métallisé qui m’attend le samedi matin pour m’emmener « n’importe où »…
C’est curieux, non, que je continue à attendre, que je me réveille chaque matin
dans l’attente et l’espoir ? Celui de recevoir un texto, un mail, un message,
d’apercevoir une voiture. Arrête de nourrir de faux espoirs, Rachel… Il aurait
déjà réagi s’il avait lu ton article. Au fond, il l’a peut-être lu et se fiche pas mal
de me dire ce qu’il en pense.
J’ai découvert énormément de choses sur lui pendant le temps où nous nous
sommes côtoyés, mais ce que je ne saurai jamais, c’est s’il aurait pu m’aimer.
Ou s’il est trop fier pour me pardonner. S’il cherche à apaiser la douleur de la
trahison avec d’autres femmes ou s’il s’est renfermé sur lui-même, comme moi.
Oui, j’ai compris des dizaines de choses sur lui, mais pas celles qui pourraient
m’apporter du réconfort aujourd’hui.
Nous avons sauvé une éléphante ensemble, il a soutenu mon projet sur la
sécurité à Chicago, mais le seul souvenir matériel que j’aie de ce temps passé
avec lui, c’est sa chemise.
Sa chemise, trophée sans prix rangé dans un plastique, dans une boîte, tout
au fond de mon placard, car je ne supporte plus sa vue. Et encore moins de la
porter. Mais parfois, mue par la nostalgie, je la sors de sa cachette, cet objet si
masculin, et je la serre contre moi, contre mes dessous en dentelle, et je hume
son odeur. Quelquefois, je cède, je m’apitoie sur mon sort en pensant à lui
pendant des heures. Alors je compte jusqu’à quatre, et au bout de quatre
secondes je me mets à respirer de nouveau.

Malcolm Saint dévoilé


Par R. Livingston

Je vais vous raconter une histoire. Une histoire qui m’a complètement
bouleversée. Une histoire qui m’a ramenée à la vie. Une histoire qui m’a fait
pleurer, rire, crier, sourire et de nouveau pleurer. Une histoire que je continue à
me raconter encore et encore pour en graver chaque sourire, chaque mot, chaque
pensée en moi. Une histoire que j’espère garder pour toujours au fond de moi.
Mon histoire commence par cet article. C’était un matin comme un autre, à
Edge. Mais ce matin-là m’offrit une immense opportunité : celle d’écrire un
article de fond sur Malcolm Kyle Logan Preston Saint. Pas besoin de vous
présenter ce play-boy milliardaire, séducteur adulé, source de nombreuses
spéculations. Cet article était censé m’ouvrir des portes, permettre à ma voix de
jeune journaliste avide de succès de se faire entendre.
J’ai plongé tête baissée afin de décrocher une interview avec Malcolm Saint
en vue de discuter d’Interface, cette incroyable plateforme qui va tuer Facebook,
et de l’écho favorable et immédiat qu’elle a trouvé. La ville étant obsédée par la
personnalité de Saint depuis des années, je m’estimais chanceuse de pouvoir
l’approcher.
J’étais si concentrée sur ma mission, à savoir le mettre à nu, que j’ai baissé
la garde et ne me suis pas rendu compte que chaque fois qu’il s’ouvrait à moi,
c’était en réalité lui qui me révélait à moi-même. Des choses que je n’avais
jamais désirées s’imposaient subitement à moi comme une urgence. J’étais
résolue à en découvrir le plus possible sur lui, sur le mystère qu’il représentait.
Pourquoi était-il si mystérieux ? Pourquoi ne semblait-il jamais satisfait ? J’ai
bientôt compris que ce n’était pas un homme qui parlait beaucoup mais qui
parlait juste. Un homme d’action. Et je me suis persuadée que toutes les
informations que je pouvais lui soutirer étaient pour cet article, mais en réalité,
j’étais à la recherche de moi-même. Je voulais tout connaître de lui, le respirer,
le vivre.
Mais le plus inattendu, c’est que Saint a commencé à me poursuivre avec
talent. Avec sincérité, sans réserve, inexorablement. Je ne pouvais croire que je
l’intéressais réellement. Jamais on ne m’avait courtisée de la sorte, suscité cette
curiosité chez moi. Jamais je ne m’étais sentie aussi étroitement liée à quelque
chose, à quelqu’un.
Je ne pensais pas que cela changerait mon histoire, pourtant ce fut bien le
cas. C’est souvent ce qui arrive, avec les histoires. Vous partez à la recherche
d’une chose, et vous revenez avec une autre. Je ne m’attendais pas à tomber
amoureuse, ni à perdre la tête ou tout bon sens pour les plus beaux yeux verts
qu’il m’ait été donné de croiser ; je n’imaginais pas un instant devenir folle de
désir. Mais j’ai fini par trouver une petite part de mon âme, une part qui au fond
n’est pas si petite que ça. Elle mesure plus d’un mètre quatre-vingt, a de larges
épaules, des mains deux fois plus grandes que les miennes, des yeux verts, des
cheveux noirs, et elle allie l’intelligence à la gentillesse, l’ambition à la
générosité, la puissance à l’érotisme. Au final, elle m’a consumée tout entière.
Je regrette d’avoir menti, à moi-même et à lui. Je regrette de ne pas avoir eu
l’expérience nécessaire pour identifier ce que je ressentais au moment où je
l’éprouvais. Je regrette de ne pas avoir davantage savouré chaque seconde passée
avec lui, ces secondes qui me sont plus précieuses que tout.
Cependant, je ne regrette pas cette histoire. Son histoire. Mon histoire. Notre
histoire. Je recommencerais juste pour quelques minutes avec lui. Je referais tout
avec lui. Je sauterais aveuglément dans le vide s’il y avait juste 0,01 % de
chance pour qu’il soit encore là, et qu’il m’attende pour me rattraper.
CHAPITRE 31

QUATRE

Samedi. Le quatrième depuis.


Il y a encore des douzaines de messages dans le brouillon de ma boîte mail
que je ne lui enverrai jamais.
Je vis toujours et plus que jamais dans le pays des « et si » et croyez-moi,
c’est vraiment un endroit où il ne fait pas bon vivre. Dans le code postal de
l’égarement, vous respirez les regrets à chaque inspiration, la tristesse imprègne
chaque espace où vous vous trouvez. Parmi tous les facteurs qui poussent les
gens à changer, le désespoir et le chagrin sont en haut de la liste. La tristesse
vous enlève toute responsabilité alors que la colère requiert action et pouvoir.
Mais comment pourrais-je être furieuse puisque je me suis moi-même mise dans
cette situation ?
J’ai passé des week-ends à la fenêtre de mon appartement, essayant de me
convaincre que je devais sortir, mais sans en avoir vraiment envie. Ne croyez pas
ceux qui prétendent que la vie reviendra à la normale après un ouragan. J’ai des
tonnes de fichiers avec des photos que je ne peux pas ouvrir. Un numéro que je
ne peux pas composer. Une chemise que je ne peux pas porter. Un nom que je ne
peux pas prononcer à voix haute. Le souvenir d’yeux qui me hanteront à jamais.
Je vis dans la crainte de ne jamais revoir ces yeux. Et de ce que je verrai en eux
si je les croise…
Helen s’est plainte que mon article ne correspondait pas à ses attentes. Elle
m’a dit que c’était « une lettre d’amour ouverte à Saint ». Mais nous savons tous
que les histoires sont ainsi. Elles changent. Comme les gens. Nous changeons
quand nous souffrons, quand nous prenons, quand nous donnons, quand nous
aimons. Quand vous perdez l’objet de votre amour, votre quotidien en est affecté
pour la vie ; il n’est plus possible de revenir à ce qui était. Il faut reconstruire des
murs plus solides, revoir ses attentes et attendre la lumière du soleil.
Il n’y a rien de tel qu’un lever de soleil sur Chicago, quand la lumière d’un
or orangé brille sur les fenêtres miroir des immeubles. J’ai regardé les levers et
couchers de soleils qui se déversaient sur chaque fenêtre. J’ai vu Gina sortir, les
voitures passer, sans me concentrer réellement sur leurs couleurs, juste sur le fait
qu’aucune ne lui appartenait.
Mon portable vibre à côté de moi.
Gina est sortie pour déjeuner avec Wynn, mais je n’arrive pas à trouver
l’énergie de me remettre au travail. Je dois commencer un nouvel article. Un
sujet intéressant. Sur les gens, la perte, l’espoir. Et… le pardon.
Je me versais du thé lorsque mon portable a vibré. Je vérifie le numéro : il ne
figure pas dans mes contacts. Je pose ma tasse et réponds.
– Mademoiselle Livingston, c’est Catherine Ulysses.
Je me fige. L’assistante de Saint.
– Vous m’entendez, Mademoiselle ?
Mon cœur, mon pauvre cœur va finir par sortir de ma poitrine !
– Oui, très bien.
– Il aimerait vous voir dans son bureau.
Je ferme les paupières.
– Dois-je lui dire que vous refusez ?
– NON ! À quelle heure ? J’y serai.
Les doigts tremblants, je note l’heure, puis me mets à gribouiller
nerveusement sur ma feuille, une fois la communication terminée. Je regarde
l’heure. La date. Le point d’interrogation. Le cœur. Et le nom de Malcolm que
j’ai écrit en dessous. Je vais finalement le revoir.
Je n’ai aucune idée de ce que je vais lui dire, par où je vais commencer, et ce
qui pourrait faire en sorte que ça marche. Je m’imagine en train de l’embrasser,
avoir le courage de lui dire que je l’aime. Je m’imagine en larmes aussi parce
que je viens de vivre le pire mois de mon existence. Je l’imagine dans toute sa
splendeur, et c’en est trop pour moi, tout mon être se noue comme une corde.
Son bureau.
M4.
Saint.

Je me brosse les dents, prends une douche, et me jette sur ma garde-robe.
J’ouvre les portes de mon placard en grand, espérant que LA tenue idéale va tout
de suite me sauter aux yeux, celle dans laquelle il ne pourra pas me dire non.
Mais je ne vois rien qui me convienne… Et tout à coup, je vois sa chemise. Celle
dans laquelle j’aimais dormir. Qui m’enveloppait comme si j’étais dans ses bras,
dans laquelle je faisais des rêves merveilleux, parfois même érotiques, et ce,
même quand je sortais à peine de son lit et que mon corps était saturé de l’amour
qu’il m’avait donné. Je la sors et la contemple. Comme elle m’a manqué, me dis-
je avec un pincement au cœur. Puis bien vite, je la cache de nouveau tout au fond
du placard. Je choisis finalement un pull à col roulé blanc, un jean de couleur
clair et mes bottes en peau retournée.
Malgré tout, je me sens nue, comme si tous mes murs s’étaient écroulés.
Vaillamment, je continue à me préparer, me brosse les cheveux, applique un
rouge à lèvres couleur pêche, et évalue mon reflet : mes yeux gris me renvoient
de plein fouet ma vulnérabilité. Parce que je vais lui dire la vérité, l’entière
vérité. Et j’accepterai tout ce qu’il me répondra car je l’ai mérité.
À M4, je prends l’ascenseur, tremblante. Toutes nos émotions complexes et
humaines sont enfermées à l’intérieur de nos corps, de nos esprits, de nos âmes
et de nos cœurs, me dis-je. Les humains du monde entier, ceux du passé et du
présent, et ceux du futur, oui, tous aimeraient éprouver ce que je ressens à
l’instant : je suis une fille remplie d’espoir, qui brûle de le revoir, et qui supplie
l’univers pour que l’homme de son cœur l’aime en retour. Ma gorge est si serrée
que je suis incapable de parler quand je sors de l’ascenseur. Ses quatre
assistantes lèvent la tête de leur écran.
– Je suis venue… pour voir…
– Une minute, me dit Catherine.
Et elle décroche son téléphone. J’attends, en me demandant s’il aura la
même odeur que dans mon souvenir, la même apparence. Me sourira-t-il ou
froncera-t-il les sourcils ? Me déteste-t-il pour toujours ? A-t-il pensé à moi
pendant cette séparation ? Lui ai-je manqué ? Peu importe tant qu’il accepte de
me voir, là, maintenant. C’est tout ce que je veux, le revoir, plonger mes yeux
dans les siens. Entendre sa voix.
Finalement, Catherine raccroche et me fait signe de la suivre, ouvre la porte
de son bureau et s’efface pour me laisser entrer.



À SUIVRE…
REMERCIEMENTS

Ce livre n’aurait pas pu voir le jour sans le soutien de mes fans, dont
l’amour, les encouragements et l’enthousiasme sans faille pour mon travail et
mes personnages alimentent quotidiennement mon envie d’écrire. Recevez tout
mon amour et ma gratitude !
Je voudrais aussi remercier les lectrices de mes brouillons. Amy, tu es la
lumière qui guide mon chemin. Dana, c’est toi qui m’as donné l’idée de
Chicago. CeCe, tu es là à tout instant. Ma chère sœur, tu m’inspires, mon amour.
Kati D., toujours si intelligente et brillante, rien n’est jamais « fini » avant que tu
ne l’aies relu. Monica Murphy, non seulement tu relis mes brouillons mais tu
connais le meilleur et le pire de moi-même. Jen Frederick, nous nous sommes
rencontrées lors de la parution en ligne de REAL et Undeclared, et sommes
devenues amies, merci pour cette amitié. Merci aussi à Lisa Desrochers et Angie
McKeon, des femmes vraiment talentueuses qui comptent parmi mes plus
proches amies auteures. À Paula, mon amie depuis l’adolescence, qui déjeune
avec moi pour discuter de livres chaque fois que je viens en ville. À Sylvia Day :
je t’admire depuis longtemps, merci pour ta lecture et ton incroyable critique.

À la géniale Kelli qui me prête son œil de lynx et à Anita S. qui m’aide à
relire et polir mes bébés, tout en veillant à respecter mon style. :)
Je voudrais aussi remercier les blogueuses qui m’ont soutenue dès mes
débuts, à la parution de REAL. Votre enthousiasme pour tous les romans qui ont
suivi, vos critiques et vos efforts pour me mettre en relation avec les lectrices,
ont donné à mes romans une résonance qu’ils n’auraient jamais eue sans vous.
Merci de tout cœur !
À mes assistantes, Lori et Gel, qui me permettent de garder la tête froide
quand je suis plongée dans les abîmes de l’écriture.
Merci à Amy Tannenbaum, je ne pouvais rêver d’un meilleur agent que toi :
tu me séduis, tu m’inspires et tu me surprends chaque jour avec tes talents de
super héroïne. Et merci à tout le monde chez Jane Rotrose : vous êtes parmi les
personnes les plus enthousiastes et douées que je connaisse.
Et à propos d’équipe fantastique, merci à mon éditeur dévoué, aussi spirituel
que perfectionniste, Adam Wilson, à sa merveilleuse assistante Trey, ainsi qu’à
l’inoubliable Lauren McKenna. À Jen Bergstrom, pour avoir cru en moi ; à
Kristin, qui est un génie de la publicité et au département artistique de la Gallery
Books, aux relecteurs, et à toutes les précieuses personnes qui ont œuvré pour
vous livrer au plus vite la meilleure version de ce roman. Merci aussi à Gregg
Sullivan, de Sullivan et Partners, d’avoir fait partie de l’aventure.
À mon groupe Facebook Real Series, constitué de lectrices profondément
dévouées et encourageantes, dont les commentaires me touchent sincèrement
chaque jour. À mes lectrices pour leurs e-mails, leurs tweets et le temps qu’elles
consacrent à la lecture de mes histoires. Comme vous, j’ai la gorge qui se noue
et des papillons dans le ventre quand je vois deux personnes tomber amoureuses.
Comme vous, je pleure, je souris, j’ai terriblement envie que ça aille plus loin et
aussi de hurler. C’est une très grande joie de savoir que mes romans vous
plaisent, comme moi quand je les découvre…
À ma merveilleuse famille, qui est patiente et aimante, même quand elle se
moque de moi lorsque je fredonne au rythme de mes doigts qui tapent sur le
clavier. Je vous aime de tout mon cœur.
À ma muse, aussi délicate qu’un papillon. J’ai cru, une fois, que je t’avais
perdue, que je ne pourrais plus jamais écrire. Mais tu es revenue, roman après
roman, encore et encore. Même si tu m’as démontré que j’avais eu tort sur ton
absence, je me réveille chaque jour en espérant que tu viendras bien à notre
rendez-vous car nos personnages nous attendent. Je ne te remercierai jamais
assez pour ce que tu me donnes. Tu m’apportes une joie que seules procurent les
plus belles choses de la vie.
Et enfin, gardons le meilleur pour la fin : merci à vous qui prenez en ce
moment même le temps de lire mon histoire.



Katy Evans
SUR L’AUTEURE

Katy Evans vit avec son mari, leurs deux enfants et leurs trois chiens
paresseux dans le sud du Texas. Elle adore faire des randonnées, lire, cuisiner
des gâteaux, et passer du temps en compagnie de ses amis et de sa famille. Pour
plus d’informations sur Katy Evans et ses prochaines parutions, rendez-vous sur
les sites ci-dessous. Elle aime tout particulièrement échanger avec ses lectrices.
www.katyevans.net
https://www.facebook.com/AuthorKatyEvans
https://twitter.com/authorkatyevans
katyevansauthor@gmail.com

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