Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Photo de couverture :
© Shutterstock
© Hugo Roman
Département de Hugo Publishing
34-36, rue La Pérouse
75116 Paris
www.hugoetcie.fr
ISBN : 9782755631319
Copyright
Chapitre 3 - MESSAGE
Chapitre 4 - LUNDI
Chapitre 5 - LA CHEMISE
Chapitre 6 - EN BOÎTE
Chapitre 7 - RÊVE
Chapitre 8 - CONVOQUÉE
Chapitre 9 - YACHT
Chapitre 11 - BUREAUX
Chapitre 12 - JEUDI
Chapitre 13 - INAUGURATION D’INTERFACE
Chapitre 15 - RELOOKING
Chapitre 16 - TUNNEL
Chapitre 17 - NUIT
Chapitre 18 - TOURBILLON
Chapitre 19 - MATIN
Chapitre 20 - CE SOIR…
Chapitre 21 - LA LIAISON
Chapitre 23 - LE STATUT
Chapitre 29 - RECHERCHE
Chapitre 31 - QUATRE
REMERCIEMENTS
SUR L’AUTEURE
CHAPITRE 1
LE JOB RÊVÉ
Twitter :
@MalcolmSaint j’aurais préféré ne jamais croiser ton regard !
#mangetamerdeetmeurs.
Espèce d’enfoiré @MalcolmSaint tu as baisé ma petite amie, tu n’es qu’un
enfoiré.
Encore un verre gratuit ? @MalcolmSaint qui paie un verre au Blue Bar.
Mur de Facebook :
Salut Mal, tu te souviens de moi ? Je t’ai donné mon numéro la semaine
dernière. Rappelle-moi ou envoie-moi un texto.
Saint, on prend un verre, le week-end prochain ? Je suis en ville avec ma
femme (ce n’est pas moi qui l’ai incitée à venir, elle t’a assez léché les
bottes.) Envoie-moi un message pour qu’on réserve une place.
Tu es beau sur les photos de ton yacht, Saint. Tu as encore un peu de place ?
Mes amies et moi, on adorerait refaire la fête avec toi ! :)
Bises
NOUVELLES RECHERCHES
Twitter :
@MalcolmSaint suis-moi sur Twitter, SVP !
@MalcolmSaint pour lancer la première balle au match des Cubs
J’ai déjà un dossier de dix centimètres d’épaisseur sur Malcolm Saint, mais
aucun appel de son assistante.
Qui plus est, mes projets de sortie avec ma mère sont tombés à l’eau. On
était censées aller apporter notre soutien à l’association Halte à la Violence dans
notre quartier, mais elle m’a appelée pour décommander, car son boss vient de
lui demander de remplacer une collègue au pied levé.
– Désolée, ma chérie. Tu ne pourrais pas demander à une des filles de
t’accompagner ?
– Ne t’inquiète pas, maman, c’est ce que je vais faire. À propos, tu prends
bien tes doses d’insuline, hein ?
Je sais qu’elle suit son traitement, mais je ne peux m’empêcher de lui poser
la question à chaque fois que je l’appelle. Ça m’obsède. En fait, je m’inquiète
bien trop pour elle, et de leur côté, Gina et Wynn se tracassent parce que ça me
rend moi-même malade. Je veux vraiment épargner suffisamment pour lui
assurer un logement confortable et de la nourriture saine, ainsi que de bons
soins. Elle m’a tant donné que je tiens absolument à lui rendre la pareille, afin
qu’elle puisse prendre sa retraite et se consacrer enfin aux activités qui lui
plaisent. Tout le monde a le droit de faire ce qu’il aime. L’amour qu’elle me
porte et son désir de me donner la meilleure vie possible l’ont empêchée de
mener la vie qu’elle voulait. Aussi, je veux qu’à son tour elle puisse réaliser ses
rêves. Grâce à cet article, de nombreuses autres opportunités pourraient se
présenter, une porte ouvrant sur beaucoup d’autres.
Je clique sur le lien Malcolm Saint comme une forcenée quand Gina sort
enfin d’un pas léger de sa chambre, dans sa tenue la plus confortable. Je lui
rappelle alors :
– Je t’ai dit qu’il fallait mettre des vêtements qui ne craignaient rien, et
surtout pas la peinture. C’est pas ton jean préféré, ça ?
– Merde, c’est vrai ! Pourquoi j’ai oublié dès que je l’ai vu dans mon
placard ?
Elle retourne dans sa chambre en martelant bruyamment le sol, cette fois. À
11 h, à l’angle du parc, près des courts de basket, Gina et moi – ainsi que
plusieurs dizaines de personnes – arrivons enfin au rassemblement, impatientes
de plonger les mains dans la peinture pour créer une fresque murale.
– Nous avons tous perdu quelqu’un, lors de cette funeste rixe. Un être cher,
un ami, notre épicier, rappelle l’une des organisatrices.
Moi, j’ai perdu mon père et j’avais deux mois. Tout ce que je sais de lui,
c’est ma mère qui me l’a dit : c’était un homme ambitieux, qui travaillait dur et
nourrissait de grands rêves. Il lui avait juré que je ne travaillerais jamais… Il
était obsédé par l’idée de nous construire une vie idéale. Seulement voilà : il a
suffi d’une arme, et rien ne s’est passé comme prévu.
Je n’ai même pas pu emporter le souvenir de ses yeux, gris comme les miens
apparemment. Je n’ai jamais entendu sa voix, n’ai jamais su si, le matin, il était
grognon comme le père de Gina, ou tout gentil comme celui de Wynn. Je me
rappelle des voisins nous apportant des gâteaux quand j’étais petite. De leurs
filles jouant avec moi. Je me revois en compagnie d’autres enfants dont certains
avaient eux aussi perdu un proche d’une mort violente.
Aujourd’hui, vingt-trois ans après la mort de mon père, chaque fois qu’une
tragédie se produit, je souhaite de toutes mes forces que ce soit la dernière. Je ne
veux pas que l’on banalise la violence, mais qu’elle s’arrête.
On critique les méthodes que notre association emploie pour plaider en
faveur d’une ville plus sécurisée – certains estiment que nous sommes trop
passifs, d’autres que notre action est vaine – mais je crois pour ma part que
même les voix les moins féroces ont le droit d’être entendues et peuvent l’être.
Conformément aux instructions de notre organisatrice, je verse une bonne dose
de peinture rouge sur mon plateau en plastique, puis plaque ma main dessus : ma
paume et mes doigts en deviennent imprégnés.
– Avec nos mains, nous allons créer une immense peinture murale, un
symbole fort pour que la violence cesse dans les rues, dans nos communautés,
dans notre ville, dans le voisinage, poursuit l’organisatrice.
À cet instant, je sens mon téléphone vibrer dans la poche arrière de mon
pantalon.
– Et c’est parti ! ajoute la femme d’une voix forte. Un, deux, trois…
À trois, j’applique ma main contre le mur, tout comme Gina.
Une fois que nous avons laissé notre empreinte, nous courons vers la
fontaine pour nous laver les mains. Mon amie se penche brusquement au-dessus
de moi et je pousse des petits cris en essayant de me dégager.
– Hé, tu me mets de la peinture partout ! dis-je en riant.
Puis je me sèche les mains et lui laisse la place. Pendant qu’elle se frotte les
paumes, je sors mon téléphone. Et là, mon estomac se contracte violemment…
Yes ! J’ai eu une réponse concernant ma demande de rendez-vous !
CHAPITRE 3
MESSAGE
Malcolm Saint –
Mademoiselle Livingston,
C’est Dean, l’attaché de presse de monsieur Saint.
Nous avons un créneau de dix minutes à 12 h aujourd’hui.
Ponctuel
Respecté par son personnel : bon boss ?
Même quand il est assis devant vous, on a l’impression que son cerveau travaille constamment, comme s’il était en mode
automatique (À quoi pense-t-il ? À son prochain investissement ?)
Son regard… est le plus profond que j’aie jamais vu (est-ce que ça veut dire qu’il voit clair dans le jeu d’autrui ?)
Il m’a donné sa chemise.
Malcolm Saint
Mademoiselle Livingstone, c’est encore Dean.
Monsieur Saint peut vous recevoir lundi. Si cela ne vous dérange pas que l’on glisse un entretien entre
deux de ses autres obligations, il peut vous voir à 15 h.
1. . Disney a fait erreur, les escarpins de Cendrillon ne sont pas en verre (techniquement impossible)
mais en vair, fourrure à base de petit-gris (écureuil).
CHAPITRE 4
LUNDI
Une Rolls Royce noir métallisé est garée au beau milieu de l’allée qui mène
chez M4, le soleil miroitant sur son toit. Dès que je sors du taxi, un chauffeur en
uniforme s’approche.
– Mademoiselle Livingston ?
Je hoche la tête sans mot dire.
Il touche sa casquette du bout des doigts et m’ouvre promptement la portière
de la Rolls. Je repère immédiatement Saint à l’intérieur, en train de donner des
ordres impatients au téléphone. Aïe, ça craint ! Il n’a pas l’air de bonne humeur
aujourd’hui. Cela dit, il ne crie pas ; encore qu’il ne soit pas le genre d’homme à
devoir hausser le ton pour qu’on l’écoute. Sa voix est telle que je me la rappelle,
mais les propos qu’il tient sont plus acérés, autoritaires. Je prends une large
inspiration quand je comprends que je suis censée me glisser dans la voiture,
près de lui. Bordel…
Faisant fi de mes jambes flageolantes, je m’engouffre à l’intérieur et le
chauffeur referme tout de suite la portière derrière moi. L’habitacle semble
rétrécir d’un coup, j’ai l’impression que Saint occupe brusquement tout l’espace
avec sa grande carcasse étalée de façon pas franchement élégante sur la
banquette, en face de moi. Il porte une chemise blanche dont les boutons ouverts
laissent voir sa peau. Sa veste, bien pliée, est posée sur quelques dossiers et un
iPad, à côté de lui.
– Ne vous excusez pas, agissez ! grogne-t-il d’un ton impatient à l’adresse de
son interlocuteur.
Il met fin à la conversation, puis prend le suivant.
– Santori, je vous écoute.
Se frottant le menton, il me regarde d’un air pensif alors qu’il écoute son
correspondant. Je me prépare pour notre petit tour en voiture, laquelle vient de
prendre sa place dans le trafic. Soucieuse d’éviter le moindre bruit susceptible de
le distraire, je sors doucement mon téléphone et tape quelques notes. Affaires ?
Achète ou vend ? Noms : il s’agit de prénoms ou de noms de famille ?
Simultanément, je l’observe avec la plus grande discrétion. Et je constate
que, lorsqu’il arrête de parler pour écouter la personne à l’autre bout de la ligne,
ses yeux se promènent sur mon corps, lentement.
Assaillie par une onde de chaleur, je baisse rapidement les paupières vers
mon écran de téléphone… L’intensité qui émane de cet homme ! Sans compter
ce soupçon d’arrogance à faire perdre la tête.
Il a attiré des légions de femmes dans son lit, c’est à la fois un défi et un gros
lot, d’après mes recherches. Mais après avoir écumé Internet hier soir, je n’ai
rien trouvé sur ses affaires concernant M4, son nom n’est nulle part associé à
cette entreprise. Saint ne mélange pas les affaires et le plaisir. C’est ce que j’ai
écrit en conclusion.
Calée à présent à l’arrière de la Rolls Royce noire, je me rends compte que
cet homme compartimente sa vie avec soin. Assis en face de moi, il s’offre
impassiblement à ma vue tout en menant de multiples transactions. Il est
vraiment magnifique, même quand il fronce les sourcils et il semble d’ailleurs
prendre un air songeur alors même que…
Qu’il me regarde effrontément.
– En affaires, un non n’est pas une réponse, dit-il d’un ton bas et rauque,
dans son portable. C’est une invitation à la négociation.
Je détourne les yeux vers la vitre, un sourire aux lèvres en entendant la
légère frustration dans sa voix. Il continue à marmonner dans son téléphone.
Depuis que je suis montée dans la Rolls, il n’a pas cessé un seul instant de
parler, je n’ai donc pas pu poser la moindre question. Oh, je ne m’en plains pas !
Cela m’offre un panorama exclusif sur le labyrinthe de son cerveau et de sa
personnalité.
Et moi qui pensais être un bourreau de travail ! Il m’est impossible de
décrire la façon dont Saint mène ses affaires, tout en faisant une chose aussi
passive que rouler à l’arrière d’une Rolls. Passive ? Je ne crois pas que ce mot
figure dans son dictionnaire personnel. Il est en train de s’assurer que tout se
passe comme il le veut et je vais faire la même chose.
Bien malgré moi, je me retrouve plongée au cœur d’une guerre d’enchères.
Je sens l’adrénaline courir dans mes veines pendant qu’il énumère des chiffres,
ou plus exactement les crache comme autant de coups de mitraillettes. Achète-t-
il une société ? Une œuvre d’art chez Sotheby’s ? J’écris le nom de son
interlocutrice : Christine. Et les chiffres qu’il égrène. Il a monté l’enchère de
100 000 dollars et celle-ci se termine au-dessus de deux millions. Il murmure
alors :
– Bien.
Je présume qu’il a obtenu ce qu’il voulait à en juger par le sourire
éblouissant et très troublant qu’il affiche. Du coup, je manque presque la brèche
où m’engouffrer quand, enfin, le silence se fait et que résonne le bruit mat de son
téléphone qui heurte la banquette.
Je m’arrache bien vite au spectacle des rues de Chicago qui défilent derrière
la vitre, un curieux nœud chevillé au ventre, comme la dernière fois, sauf qu’en
l’occurrence, la raison en est l’exact contraire : il m’accorde enfin toute son
attention ! Une bouffée de chaleur m’étreint au niveau du cou à l’idée qu’il va
enfin s’adresser à moi. Je lui demande :
– La lune vous appartient-elle, à présent ?
Il prend une bouteille d’eau dans le minibar, l’ouvre et en avale une gorgée.
– Pas encore.
Il sourit, puis fronce les sourcils et prend une deuxième bouteille qu’il me
tend.
– Tenez.
Après quoi, il s’étire, inclinant son cou d’un côté, de l’autre, avant de tapoter
l’accoudoir des doigts. Son attitude me perturbe. Quelque chose ne va pas ?
Aujourd’hui, je ne porte pas de salopette. Je suis vêtue de… Et
instantanément, je passe ma tenue en revue car son regard me rend nerveuse. Un
pantalon noir, un corsage blanc, une petite veste de la même couleur et un
bandeau noir pour retenir mes cheveux. J’ai l’apparence irréprochable d’une
femme qui est prête à discuter affaires, non ?
– Je peux vous poser quelques questions, maintenant ?
– Allez-y !
Quand je sors mon calepin, il avale une gorgée d’eau, les yeux toujours
braqués sur moi. Ma concentration mise à mal, je lève et baisse la tête, pour
regarder alternativement mes notes et la personne que j’interviewe, comme une
vraie pro.
– Quand est née l’idée d’Interface ?
– Lorsque le système de Facebook a merdé.
– Vous avez donc tiré profit de ses faiblesses ?
Durant une fraction de seconde, une lueur approbatrice brille dans ses
prunelles, auréolées d’un noir étrangement euphorisant.
– La faiblesse des uns profite aux autres, c’est bien connu. Leur système
peut être largement amélioré. Un meilleur accès, des chargements rapides, des
activités plus intéressantes. Et il se trouve que je dispose de l’équipe la plus
douée de tout le continent pour pallier ces carences.
– Combien de collaborateurs actuellement à bord ?
– Quatre mille.
– N’est-ce pas un chiffre un peu élevé pour une start-up ?
– Étant donné que nous avons déjà atteint notre premier objectif, non.
Je souris et feuillette mon calepin, histoire d’échapper à l’intensité de son
regard. Quand je relève la tête, il boit une nouvelle gorgée d’eau, les yeux
toujours braqués sur moi.
Je reprends :
– Vous savez naturellement que vous êtes l’homme le plus convoité de la
ville ? Cela vous surprend-il ?
– Le plus convoité, répète-t-il presque amusé par le concept. Et par qui ?
Il écarte un peu plus les jambes et se cale confortablement contre la
banquette, une main posée sur le genou tandis qu’il glisse sa bouteille dans le
porte-gobelet sur le côté et darde à présent sur moi un regard empli de curiosité.
Il a une main immense, me dis-je. Digne d’un basketteur ou d’un pianiste. Je
précise alors :
– Les médias, vos fans, même les investisseurs.
Il paraît méditer sur mes propos, et encore une fois ne répond pas.
– Vous avez grandi sous l’œil de l’opinion publique. Je ne pense pas que
cela puisse amuser qui que ce soit. Ne vous arrive-t-il pas d’être fatigué ?
Il étire les doigts sur son genou et sa main semble encore plus grande. Puis il
se met à tapoter son pouce contre sa jambe ; ses yeux en revanche demeurent
immobiles, toujours attachés aux miens, même quand il reprend sa bouteille.
– Je n’ai rien connu d’autre.
La façon dont il me fixe me déconcentre terriblement. Soutenant malgré tout
son regard, j’enchaîne d’un ton le plus professionnel possible :
– Tous vos actes de rébellion… Était-ce pour prouver que l’on ne peut pas
vous contrôler ? Pour que les gens vous aiment encore plus ?
Une seconde s’écoule, deux. Et le petit sourire renaît sur sa bouche.
– Les gens n’éprouvent aucune affection pour moi, mademoiselle
Livingston. Je les intéresse pour quatre choses, et quatre uniquement : ils veulent
que je les aide, être moi, m’imiter ou encore me tuer.
Surprise par son franc-parler, je laisse fuser un bref rire, puis rougis quand
son regard s’assombrit. J’enchaîne bien vite :
– Oublions les questions personnelles, c’est Interface qui m’intéresse et
l’esprit qui l’anime. C’est sur cette nouvelle société que je veux écrire.
La voiture ralentit en approchant d’une allée. Je scrute rapidement notre
environnement : nous sommes visiblement dans un centre d’affaires high tech et
je me rends soudain compte que nous avons probablement atteint notre
destination. Noooon ! Déjà ? Je tourne la tête vers lui, mais il ne semble pas du
tout partager mon anxiété.
– J’ai l’impression que nous sommes arrivés et j’ai encore tant de questions
impertinentes à vous poser, dis-je d’un ton taquin.
Il me sourit, un sourire sincère qui lui retire tout à coup quelques années, et
le rend en même temps plus accessible.
– Vous savez quoi ?
Il se penche vers moi, arborant une expression espiègle.
– Dites-moi quelque chose sur vous, et je vous livrerai à mon tour une
information.
Sans l’ombre d’une hésitation, je saute sur l’occasion :
– Je suis fille unique.
– Je suis fils unique.
On se regarde de la même façon qu’à son bureau, la dernière fois, quand j’ai
enfilé sa chemise…
Et subitement, j’ai envie qu’il me fournisse mille et une réponses comme
celle-ci. Personnelles. Précises. Sans hésitation, je demande :
– Je vous en donne une autre, en échange d’une des vôtres ?
– On dirait que j’ai affaire à une vraie négociatrice !
Il s’adosse au siège et je savoure son rire, profond et chaud.
– Alors, c’est oui ? renchéris-je en riant moi aussi.
– Voyez-vous, mademoiselle Livingston, pour mener des négociations, il
faut que vous déteniez quelque chose que l’autre désire.
Je le scrute quelques secondes : il me provoque ou quoi ? Son regard est
sombre, mais il affiche toujours un beau sourire. Ah, ces yeux ! J’ai l’impression
que je ne m’en lasserai jamais. J’y vois tourbillonner l’énergie qui l’anime. C’est
un homme indubitablement lié à la couleur noire. Noir comme ses cheveux. Noir
comme le péché. Noir comme tout ce qui tourbillonne autour de lui. Une aura
magnétique. Irrésistible. Toujours impassible à l’arrière de la Rolls, il me jauge,
et je ne sais même pas comment réagir, que lui répondre. C’est un homme
influent qui a l’habitude que tout se déroule conformément à ses attentes. C’est
aussi un joueur qui obtient toujours qui il veut. Il voulait une info sur moi, et
stupidement, je suis tombée dans le piège et en ai de surcroît proposé une
deuxième. Mais il n’en souhaitait qu’une. Pas deux.
– Je vais y réfléchir, Rachel, déclare-t-il devant mon silence.
Et comme pour adoucir sa réponse brutale, je vois ses yeux sombres devenir
liquides. Et merde ! C’est comme s’il m’avait giflée.
– Décidément, j’ai le chic pour rater mes interviews avec vous.
Je ne sais même pas pourquoi je murmure, mais il me semble que parler plus
fort rendrait sourd une personne à l’esprit aussi vif que le sien. Je baisse la tête
pour masquer la rougeur que je sens se répandre sur mes joues. Quand je risque
un œil, je constate qu’il me surveille en silence.
Troublée, je tourne vivement le visage vers la vitre, puis expire discrètement,
au moment où la voiture se gare devant l’entrée de l’immeuble. Il y a de nouveau
de la tension dans l’air, après mon stupide faux pas. Sans attendre, son chauffeur
sort de la voiture, et l’équipe des relations publiques de Saint accourt
précipitamment, comme un essaim. Il surfe sur son smartphone, compose un
numéro et dit d’une voix basse :
– Salut ! Bats le rappel pour vendredi. Allons décompresser à l’Ice Box.
Envoie des invitations par e-mail à la liste habituelle.
Il jette un coup d’œil par la vitre, attendant un signal du chauffeur.
J’aimerais encore lui poser des questions sur Interface, mais je l’ai déjà perdu. Je
suis complètement consternée quand il descend de sa voiture et m’indique que
son chauffeur sera ravi de me déposer où je veux. Je parviens à articuler :
– Merci pour le temps que vous m’avez accordé, monsieur Saint.
Il me semble entendre « prenez-soin de vous », mais je n’en suis pas sûre,
car son équipe lui bondit à cet instant littéralement dessus et il disparaît. Sans la
bouteille vide qui atteste de sa présence, on pourrait croire qu’il n’était qu’un
mirage.
Sur le trajet de retour, je médite sur ce qui m’entoure – maintenant qu’il
n’est plus là pour me distraire. Le calme et la beauté de l’intérieur de la Rolls me
rappellent que ceci n’est pas mon monde. Je considère sa bouteille vide…
Pourquoi cette bouteille m’obsède tant ? Je l’ignore. Me faisant violence, j’en
détourne les yeux pour noter mes impressions dans mon téléphone, via un e-mail
que je me destine.
Insatiable et exigeant en affaires/extrêmement ambitieux. Vraiment… brutal
(ce type n’enrobe pas ses propos), n’hésite jamais à lâcher une bombe qui va
faire le plus mal possible (cela dit, ça me plaît que ses réponses soient
spontanées et qu’il improvise). Pourquoi Chicago est-elle si obsédée par sa
personnalité ? Il est authentique, aucun doute là-dessus.
LA CHEMISE
Monsieur Saint,
J’aimerais vous rendre votre chemise.
En outre, si vous éprouvez au fond de vous l’envie de me livrer encore quelques informations au sujet
d’Interface, je vous en serai infiniment reconnaissante.
Dans l’attente de votre réponse,
Rachel Livingston, de Edge.
Mademoiselle Livingston,
Monsieur Saint doit se rendre à un événement caritatif mardi après-midi. Si vous venez dans nos
bureaux à 17 h, il pourra vous voir.
Dean.
P.S. : Il vous fait dire de garder la chemise.
Monsieur Saint, je suis non seulement ravie d’en avoir appris davantage sur Interface, mais je passerai
aussi une meilleure nuit, sachant que Rosie peut s’endormir tranquillement comme moi.
Je regarde mon texte : est-ce que je ne vais pas trop loin ? Bon, je le
provoque un peu, mais c’est de bonne guerre, non ? Je demande à Gina ce
qu’elle en pense.
– Qu’est-ce qu’une éléphante a à voir là-dedans ?
OK, lui seul peut comprendre, c’est bon signe. Rassemblant tout mon
courage, je poste le message. Puis je me mords la lèvre… J’ai vraiment fait ça ?
Je ne suis même pas certaine qu’il va en rire, ni dans quel état d’esprit il sera. En
attendant une réponse, je passe mes e-mails en revue. Comme rien ne vient, je
me replonge dans la lecture des notes que j’ai prises, essayant de deviner entre
les lignes ce qu’il a tu…
Des heures plus tard, toujours pas de réponse. En général, ma chambre est un
endroit paisible mais pas ce soir ; je me tourne et me retourne toute la nuit dans
mon lit.
CHAPITRE 6
EN BOÎTE
Puis je vais sur Google pour vérifier quelque chose, car je ne peux tout
simplement pas croire qu’il ait dit que… Chasse gardée : revendication/droits.
Sourcils froncés, je m’appuie contre ma tête de lit et fixe le plafond. Eh bien
quoi, Livingston ? Il n’a pas apprécié de te voir à sa fête et ça t’étonne ? Tu es
une journaliste, ma grande ! Tu croyais qu’il allait t’accueillir à bras ouverts ?
Tu comprends ce que ça veut dire ? Cela signifie juste que tu dois creuser plus
profondément !
CHAPITRE 7
RÊVE
Son corps est pressé contre le mien – un corps bien dur, jusque dans ses
moindres parcelles. Ça me plaît, oh oui, ça me plaît tant que je gémis et me
cambre contre lui. Je lui murmure :
– S’il te plaît… Vas-y, je t’en prie.
De ses lèvres, il capture les miennes et me donne un baiser insensé. Il prend
mes seins, puis en caresse les pointes avec sa paume. Ma tête est littéralement
engloutie par les oreillers, le poids de son corps enfonçant le mien dans le
matelas.
Je suis presque à la torture ! Il y a si longtemps que je n’ai pas fait l’amour,
et jamais je n’ai éprouvé de telles sensations… Il m’embrasse de nouveau, avec
une faim dévastatrice. Il enserre un de mes seins dans sa main, en aspire la
pointe. Je m’étire lascivement sous lui, écartant les jambes sous ses hanches pour
qu’il puisse me pénétrer, aussi profondément que possible… S’il te plaît, s’il te
plaît, s’il te plaît ! Moi qui ne supplie jamais personne, je ne peux plus m’arrêter.
Je mordille avec passion ses lèvres pleines et fais courir mes doigts dans son
dos. Il procure les mêmes impressions sous la couette et en dehors : fort,
inflexible. Mais son corps est si chaud ! Une vraie fournaise. Et tout à coup, une
question me taraude : si j’ouvre les yeux, est-ce que je vais me heurter à un
regard de glace ou à un champ vert en feu ? Je t’en prie, il me faut du feu, désire-
moi ! S’il te plaît, encore, encore… Oh oui ! Il me donne un coup de rein
divinement puissant, sa chair brûlante s’enfouit plus loin en moi, et il se met à
aller et venir au-dessus de moi et…
Je me réveille en sueur, me tortillant sur mon lit, à un doigt de l’orgasme, la
respiration haletante. Je retiens un grognement et roule sur le côté : il est 1 h 08
du matin ! Il doit être à l’after maintenant, et prendre son pied à trois. Non,
quatre, son chiffre fétiche. J’enrage !
Sérieusement, Livingston, ça va bien ? Je suis toute tremblante, je n’arrive
pas à me calmer, j’étais vraiment sur le point de jouir…
Poussant un nouveau grognement de frustration, je glisse ma main entre mes
cuisses, là où ça brûle. Non, Livingston, me prévient une petite voix intérieure,
mais j’ai la fièvre au corps… Je ferme les yeux et commence à caresser mon
sexe, tout en pensant à un acteur vraiment torride. Mais, à mesure que le plaisir
monte en moi, ce sont ses prunelles d’un vert banquise qui me regardent
fixement. Je me mords la lèvre… à défaut de croquer les siennes ! Enfiévrée,
j’imagine que c’est sa main qui s’active entre mes cuisses, mais ça ne me suffit
pas : je veux tous ses doigts en moi, qu’il m’écrase de son poids. Je me
concentre… J’aime ce qu’il me fait, et je vais m’efforcer de ne pas crier son nom
quand je vais jouir. Non, je ne le hurlerai pas car ce n’est pas lui qui me caresse
lentement, doucement, m’excite avec ses doigts, m’étreint, bouge en moi, et…
– Saiiiint…!
Après un orgasme stupéfiant, je reste allongée un certain temps sur mon lit,
ahurie. Puis choquée. Je suis vraiment une obsédée.
J’allume la lumière et vais me laver les mains. M’aspergeant ensuite le
visage d’eau, je maudis le reflet que je vois dans la glace. En soupirant, je
reviens dans ma chambre, j’ouvre mon ordinateur, et me mets à rechercher de
nouveaux liens sur lui, poussée par le besoin compulsif de me replonger dans le
travail. Cependant, je ne peux m’empêcher de penser qu’en ce moment il doit
s’envoyer en l’air, conformément à sa réputation. Je m’attèle alors aux réseaux
sociaux plus personnels tout en me persuadant que je suis juste mue par l’article
révélation que je dois écrire sur lui.
Sa page Instagram grouille de photos bourrées d’adrénaline. Saint skiant sur
des pentes enneigées, tel un diamant noir, laissant une marque en forme d’éclair
dans son sillage. Saint sautant en parachute d’un avion, s’élançant vers le monde
qui ressemble à une petite tache floue au-dessous de lui. Mais il n’y a rien,
absolument rien, sur l’after auquel il a refusé que j’assiste.
CHAPITRE 8
CONVOQUÉE
YACHT
C’est à cause de Saint que je suis en train de sécher sur mon article ! Saint
assis sur sa chaise longue. Saint qui fait du wakeboard. Saint qui hèle d’autres
personnes, sur le yacht qui croise le nôtre.
– Salut, Saint ! Eh, t’as entendu ça ? Les Cubs ont été battus.
– C’est faux, mec ! Archifaux !
Puis il se met à discuter avec ses amis.
On se regarde d’un œil aussi étonné que tranquille, lui et moi. Il y a un
placard rempli de slips de bains et de bikinis et je me retrouve dans un deux-
pièces blanc minuscule, en train de jauger les autres femmes qui plongent dans le
lac.
J’ai mis une grosse couche d’écran total, assez pour bronzer un peu sans
rougir. Ma peau me pique sous la chaleur du soleil, je sens l’air du Michigan qui
la caresse, le vent qui joue avec mes cheveux, les légères oscillations du yacht
qui glisse sur les eaux. Le moteur ronronne gentiment, agissant presque comme
une berceuse. Mais je suis trop consciente de ce qui m’entoure pour
m’endormir : je ne veux rien manquer ! Comme ses appels professionnels, cette
façon qu’il a de se détendre tout en gardant un pied dans le monde des affaires.
Il s’est baigné tout au long de la journée. L’eau est froide pourtant, je le sais,
je l’ai goûtée, et une seule fois m’a suffi. Il plonge toutes les demi-heures et nage
un peu, avec ou sans ses amis. Moi, je suis allongée sur mon transat, ravie de
profiter des rayons du soleil, mais lui il est toujours en mouvement. On dirait
qu’il ne se détend jamais. Il émane de tout son être une force impressionnante :
pas étonnant qu’il soit toujours actif…
Dans mon petit bikini blanc, je m’approche soudain du buffet, affamée, et
ses amis, Tahoe et Callan, se joignent alors à moi.
Je ne les fuis pas, car je préfère éviter un tête-à-tête avec Saint : comme j’ai
l’impression que nous sommes parvenus à une trêve, lui et moi, je souhaiterais
qu’elle perdure un peu. Elle est passagère, bien sûr, car à vrai dire je ne suis pas
tout à fait dans mon élément, dans son espace avec la société qu’il côtoie.
L’intérêt qui brille dans ses yeux, chaque fois que je vérifie s’il me regarde
et que je constate que c’est le cas, me rend très nerveuse. Je ne l’ai jamais été
autant de ma vie !
Tout à coup, il m’effleure du bras, et je m’écarte d’instinct pour ne pas sentir
la chaleur qui irradie de lui. Je suis bouleversée et je ne sais pas pourquoi.
Finalement, il se dirige vers l’autre bout du yacht, et disparaît dans une des
cabines – pour ses affaires, disent ses amis – jusqu’à ce que deux femmes
viennent l’inciter à en sortir. Il resurgit des profondeurs du bateau et s’écroule
sur une banquette, un bras sur le dossier. Je sens son regard posé sur moi,
semblable à une caresse.
J’essaie de m’intéresser à ce que racontent ses amis. Mais du coin de l’œil, je
surveille les nanas qui l’encadrent et sont visiblement prêtes à tout pour attirer
son attention.
Nous sommes tous assis à présent sur le pont principal tandis que Malcolm
vide lentement un verre de vin. Puis un autre. La conversation finit par s’orienter
sur des histoires de beuveries, des anecdotes qui sont arrivées aux uns et aux
autres, puis sur les filles qui traquaient Malcolm, quand il était plus jeune.
– Son vieux se demandait toujours avec qui il allait se pointer à la maison,
depuis Kalina, explique Callan.
– Tu avais vraiment ramené cette fille entièrement nue chez tes parents ?
questionne une de ses petites poules de luxe en affichant une moue jalouse.
Il ébauche un sourire.
– C’était une artiste, elle s’était peint des vêtements à même le corps. Je
trouvais ça assez réussi, je dois dire.
Je sens un sourire naître sur mes lèvres, et à cet instant, il croise mon regard.
Le sien disparaît, pour laisser place à un air songeur.
– On a regretté que tu ne viennes pas à l’after, me dit Tahoe.
– J’imagine.
Je jette un coup d’œil en direction de Saint qui est en train de se prélasser,
distant. Je me rends compte qu’une fille a une grappe de raisins dans la main et
qu’elle essaie de lui mettre quelques grains dans la bouche. Il me regarde de
nouveau, m’observe en fait. Je ne détourne pas la tête quand il ouvre la bouche
d’un air absent puis se met à mastiquer le grain de raisin qu’on y a déposé, sans
me lâcher une seule seconde des yeux.
– Encore un, lui murmure la fille contre l’oreille.
Je vois les muscles de ses mâchoires se contracter tandis qu’il mâche
consciencieusement. Je pense alors à ce qu’il a dans la bouche. Quelque chose
de frais, de juteux… Il plisse subitement les paupières comme s’il lisait dans mes
pensées, et tout mon corps vibre d’émotions que je serais bien incapable de
définir. Encore une fois, mes joues me brûlent comme si le soleil s’était tout à
coup rapproché de la Terre.
Quand la nuit tombe, Saint devient plus ténébreux. On dirait que le danger
rôde, une odeur primitive flotte dans l’air… Le nœud dans ma gorge est
insupportable lorsqu’il s’approche de moi, j’ai l’impression d’être complètement
à sa merci ! Dans un effort désespéré, je me tourne vers ses amis et demande :
– Qu’est-ce que vous faites lors de ces fêtes qui vous valent votre célébrité ?
– Moi, je me baigne à poil, dit Tahoe, sourire ironique à l’appui. Callan lui a
généralement toujours trop bu pour se rappeler quoi que ce soit.
ET SAINT ?
– Il nous arrive de bien nous amuser, Saint et moi, fanfaronne alors une des
nanas qui papillonnent autour de lui.
Mes joues sont encore écarlates. Ne le regarde pas, ne le regarde pas.
– La dernière fois, on lui a joué un petit spectacle en privé, renchérit une
deuxième.
Et le ton suave qu’elle prend déclenche en moi une montée de bile. Encore
que ce sont des informations en or. Du genre à bien pimenter mon article de fond
sur lui… Cependant, je n’arrive pas à trouver la force nécessaire en moi pour
rester là à écouter la suite ; menacée par une forte nausée, je bondis sur mes
pieds, et demande si je peux me reposer un peu, dans une cabine.
Puis, sans attendre l’autorisation de quiconque, je contourne tout ce petit
monde, en évitant les regards, surtout le sien, et je m’élance finalement vers le
pont supérieur, où j’avale une grande bouffée d’air. Près de la proue, je me
contente de m’appuyer contre le bastingage et de contempler le lac. L’horizon.
Un croissant de lune. Je sors mon téléphone pour prendre des notes. Ouf, je
commence à mieux respirer en écrivant. Je retrouve mon intégrité. Mais pas ma
concentration ! Je range mon portable et sonde de nouveau le Michigan.
Quelques minutes plus tard, des feux d’artifice explosent dans le ciel. Alors
tout le groupe lève les yeux au ciel et pousse des petits cris d’admiration. Il faut
dire que le spectacle est grandiose. J’inspire profondément et prends plaisir à
voir ces fusées lumineuses partir de la Navy Pier et s’épanouir telles des fleurs
voluptueuses tout là-haut, sur le dôme de la nuit. Tout est parfait sur le lac, la
nuit est merveilleuse. J’adore ces endroits calmes et chauds, où rien ne se
déplace, où tout est à sa place ! J’aimerais rester ici pour toujours… Curieux,
tout de même, de découvrir un tel lieu au moment où votre monde vous échappe.
Je tape un mot dans mon téléphone pour étouffer la sensation vraiment
singulière qui monte en moi.
Infini.
Je vais me brosser les dents et me mets au lit. Une fois sous les couvertures,
je cherche le sommeil. Mais des images reviennent me hanter… Comme le
moment où il m’a donné des grains de raisin et que son torse vigoureux effleurait
le mien, que son souffle me caressait le visage. Et puis son odeur qui envahissait
tout mon être quand le vent soufflait d’une certaine façon, et sa voix qui se
détachait de tous les autres bruits.
J’essaie de repousser ces sensations, ces images, mais c’est peine perdue,
elles m’obsèdent de plus belle. Pitié, je ne veux plus y penser ! JE NE VEUX
PLUS. Mais pour écrire un bon article, je ne peux pratiquer aucune censure.
Impossible de choisir ce qui me convient et rejeter ce qui me dérange. Je
reprends mon calepin et j’écris un premier mot.
Électrique
Il électrifie l’air.
Puis je rajoute deux ou trois phrases.
Dévorant
DORMIR À LA BELLE
ÉTOILE
Pendant les vingt-quatre heures qui suivent, je passe mon temps à surfer sur
le Net et à cliquer sur toutes les nouvelles photos de Saint qui ont été postées
dernièrement. Je découvre aussi des clichés moins récents de filles en bikinis
jouant au mini-golf chez lui. Et des photos de lui sortant d’un hélicoptère
accompagné d’une pilote ne portant rien d’autre qu’un short minuscule.
– Ça me contrarie, toutes ces photos, parce que la plupart de ces filles
viennent à lui alors qu’il ne demande rien, dis-je à Gina.
– Arrête ! Saint a une réputation de sale dragueur, point ! Ce doit être parce
que, enfant, on ne lui a pas accordé assez d’attention.
– Mais pas du tout ! C’est juste un homme riche et les femmes se jettent à
ses pieds. J’ai vu des vidéos qui lui sont dédiées, sur YouTube. On y voit des
filles se déshabiller pour lui, d’autres qui lavent leur voiture et lui proposent de
venir chez lui laver la sienne. Tiens, regarde…
Et je lance la vidéo d’une nana sans soutien-gorge qui mouille son tee-shirt
et dit en souriant à l’objectif :
– Saint, je peux laver ta voiture tous les jours si tu veux, et m’occuper aussi
de tes tuyaux.
On éclate de rire.
– Apparemment, il collectionne les voitures. Tiens, sur cette photo, on dirait
qu’il en a une trentaine. Et que des prestigieuses. Il a mille et un jouets, cet
homme. Tu ne crois pas que ça en dit long ?
– C’est-à-dire ? demande Gina.
– Quand on a tout, on n’en a jamais assez.
– Honnêtement, comment pourrait-on se mettre à sa place ? On a déjà eu du
mal à payer le loyer ce mois-ci.
– Arrête, sois un peu sérieuse. Si rien ne le satisfait jamais, c’est qu’il ressent
un grand vide dans sa vie. Je l’ai vu travailler, Gina : c’est comme s’il était
obsédé par ce qu’il fait. Comme si son travail l’aidait à oublier autre chose.
– Quoi ?
– Bon, laisse tomber.
Elle éclate de rire.
– Ce que tu es subtile, Rachel ! Quelle philosophe ! Envoie-lui ta facture, ça
lui épargnera une thérapie.
Je continue à cliquer sur des liens et trouve une vidéo où on le voit en
compagnie de son père ; elle a été prise lorsque ce dernier a refusé d’exaucer le
dernier vœu de sa femme, à savoir donner à Saint un siège au conseil
d’administration de sa société.
En réponse à un journaliste qui lui demande pourquoi Malcolm n’est pas
autorisé à entrer dans les affaires familiales, son père déclare :
– La seule chose qui joue en sa faveur, c’est son nom.
À ses côtés, Malcolm ne réagit pas, un léger sourire ironique aux lèvres,
faisant preuve d’un remarquable sang-froid. Cette vidéo est de toute évidence un
plaidoyer en sa faveur. Toutefois, cela ne l’a-t-il pas affecté d’une façon ou
d’une autre ?
– Quel connard, son père ! dit Gina plus tard dans l’après-midi, alors que je
me repasse la vidéo.
Je me concentre cette fois-ci sur l’expression de Saint : il ne dévoile rien de
ce qu’il ressent comme s’il s’attendait à la rebuffade et s’y était préparé.
– Pas étonnant que Saint soit un salaud. Il a de qui tenir, poursuivit-elle.
– Ce n’est pas un salaud.
– Pardon ?
Je répète d’un ton posé :
– Ce n’est pas un salaud.
– Tu m’as l’air bien susceptible !
– Pas du tout. C’est juste un fait.
– OK, tu as une dent contre moi parce que tu n’aimes pas ce qu’il y a dans le
réfrigérateur, même si cette semaine, c’était ton tour de faire les courses. Mais
laisse-moi te dire une chose, Rachel : tu es si obsédée par tes recherches que tu
as oublié et que c’est moi qui me suis tapé la corvée. Tu as des cernes sous les
yeux, un gros R comme révélation collé sur le front et un X sur ton petit cul en
feu quand tu penses à Saint. Avoue que tu le kiffes !
– Pas du tout.
– Ça me rassure parce que ce papier, c’est l’opportunité que tu as attendue
toute ta vie. Regarde toutes ces photos de gonzesses. Elles lui mettent carrément
leurs seins sous le nez ! Et c’est ce mec que tu veux ?
Je continue à regarder la vidéo de YouTube et quand Gina sort de la pièce, je
marmonne :
– Si, il me plaît.
J’en sursaute presque. Non, il ne peut pas t’avoir séduite, Rachel ! Tu es une
personne pleine de bon sens, éprise de vérité.
Perplexe, je sors mon sac de couchage du placard car ce soir, je dors à la
belle étoile dans le parc, dans le cadre de mon activisme au sein du comité
d’Halte à la violence.
Mes amies pensent que ce genre d’action ne règlera rien, mais moi, ça me
fait du bien d’y participer. En plus, j’aime dormir à la belle étoile, cela me
calme. Il faut se concentrer sur autre chose que ses petits problèmes pour les
oublier. D’ailleurs, quels problèmes ? J’avais une vie cool, enfin j’ai une vie
cool, c’est toujours le cas.
Moi, j’ai été élevée dans la sérénité, on ne m’a jamais dit : « Tu ne vaux rien,
la seule chose qui joue en ta faveur, c’est ton nom. » Ma mère m’a donné tant
d’amour que voilà où cela m’a conduit : à m’attaquer à des sujets qui sont trop
gros pour moi, parce que je suis assez folle pour croire que je peux y arriver. Je
suis tellement reconnaissante à celle à qui je dois tout, que j’éprouve le besoin
urgent de l’entendre.
– Allô, maman ?
– Bonjour, ma chérie. Qu’est-ce que tu fais ? Tu te prépares pour aller
camper ?
– Oui, je voulais juste savoir comment toi tu allais. Tu as besoin de quelque
chose ?
Je sais toujours quand ma mère va bien ou quand elle fait semblant.
Aujourd’hui, je suis soulagée, car elle a l’air sincèrement joyeuse.
– Tout roule, Rachel, et aux dernières nouvelles, c’est toujours moi qui joue
le rôle de mère dans cette relation, dit-elle pour me taquiner. Et toi, ma petite
fille, comment vas-tu ?
– Bien.
J’entends son CD préféré de Cat Stevens en arrière-fond.
– Je t’enverrai un texto du travail, demain. Tu n’oublies pas de prendre ton
insuline, d’accord ?
J’attends sa réponse, puis lui dis tendrement :
– Je t’aime, maman.
– Rachel ! Une seconde… Quelque chose ne va pas ?
J’hésite.
– Pourquoi tu me dis ça ?
Pitié, ma voix me trahit, maintenant ? J’ai l’habitude de lui dire que je
l’aime, donc ce ne sont pas mes propos qui l’ont étonnée.
– Tout va bien, je t’assure, je suis en pleine forme. J’écris un nouvel article,
je t’en parlerai bientôt.
Silence.
– Tu es sûre ?
Et merde, elle soupçonne vraiment quelque chose. Je lui assure en riant :
– Mais oui ! Je t’aime, et on se voit bientôt.
Puis je raccroche et pousse un soupir. Même si ma mère a joué les
inquisitrices, cet échange m’a fait du bien. J’avais besoin de me rappeler qu’elle
est la personne que j’aime le plus au monde et que mon rêve est de lui offrir une
belle maison, une voiture confortable, des soins hospitaliers si nécessaire, bref,
la sécurité. Je ne peux pas lui rendre mon père, mais je voudrais compenser en
lui achetant tout ce que je peux, tout ce qu’il lui aurait offert s’il avait vécu. De
cette façon, j’ai l’impression d’honorer sa mémoire, où qu’il soit. Ma mère est
diabétique et sous contrôle médical depuis des années, aussi l’idée que sa santé
dégénère est une préoccupation constante, et je sais qu’elle y pense aussi, même
si elle refuse de l’admettre.
Le parc n’est pas vraiment bondé. De nombreuses personnes ne participent
pas à cet événement, préférant par exemple les marches que Halte à la violence
organise par ailleurs. Mais moi, ça me plaît assez de dormir à la belle étoile, avec
des livres, mon iPod et de quoi grignoter. Je repère quelques visages familiers,
puis cherche un coin tranquille sous un arbre.
Une fois que je l’ai trouvé, je déplie mon sac de couchage, salue un jeune
couple que je connais de vue, et lève les yeux pour admirer les frondaisons de
l’arbre qui se détachent sur le ciel, au-dessus de ma tête. J’arrive rarement à
fermer l’œil plus de deux heures d’affilée, quand je dors dans le parc, mais je
m’oblige à participer à ces rassemblements car je ne veux pas être dépendante de
mon confort au point que cela m’empêche de lutter en faveur d’un monde
meilleur.
Après avoir mangé quelques cerises et écouté de la musique, j’enlève mes
écouteurs, tapote mon oreiller et me laisse happer par le sommeil. Je rêve que je
suis dans une forêt où je cours vêtue d’une chemise d’homme, et quand Gina,
Helen et ma mère m’appellent, je n’arrive pas à sortir des bois pour les rejoindre.
Je me réveille en sursaut et en sueur, le souffle court ; je regarde tout autour de
moi, sans comprendre où je suis… Ah oui ! Je campe à la belle étoile dans le
parc. Encore tremblante, je sors mon portable et lis le message qui m’a réveillée.
Puisque je ne peux pas encore te ramener chez toi, laisse-moi au moins passer te chercher et
t’emmener quelque part.
Je suis incapable de détacher mes yeux du texto, et mon cœur se met à battre
la chamade : le numéro est inconnu, mais je sais que c’est Saint, qui d’autre cela
pourrait-il être ? Je repense à lui, à ses chemises, à ses regards, à ses secrets. Puis
je revois son yacht, le raisin, les éclats de glace dans ses iris et cette façon si
curieuse de me scruter, comme s’il voulait que je fasse fondre les mystérieux
glaçons qui constellent ses yeux. Je médite alors sur mon agitation et mon
impossibilité à me concentrer sur autre chose en sa présence… À cet instant, je
repense à mon article et m’efforce de m’accrocher à cet objectif, mon seul
souhait. Poussant un soupir, je réponds :
Je n’aurais rien contre le fait de visiter les locaux d’Interface.
Marché conclu !
Je ferme les yeux et revois son visage sur YouTube, son visage quand il m’a
repérée à l’Ice Box, son visage tout près de moi, si énigmatique… J’ai
l’impression qu’il refuse que les autres voient ou sachent qui il est réellement ou
ce qu’il attend vraiment d’eux.
Même chose pour toi – si tu veux rêver, bien sûr.
Ah, c’est stupide ce que je viens de lui écrire ! Quelle gourde ! Je range mon
téléphone comme si c’était un alligator que j’avais rencontré dans la forêt où
m’avaient emportée mes rêves. Inutile de dire qu’après ça, impossible de
retrouver le sommeil…
CHAPITRE 11
BUREAUX
Je replie les orteils pour contrôler ma joie et sens mon visage s’empourprer.
Je réponds aussitôt :
Je suis moi aussi impatiente de le voir.
JEUDI
INAUGURATION
D’INTERFACE
APRÈS LA FÊTE
Sans doute ma mère dort-elle car elle n’a pas répondu. Je me sens vraiment
comme une moins que rien… Et c’est ce que je suis d’ailleurs. Je tire mon tee-
shirt sur mes genoux et encercle mes jambes avec mes bras, puis y enfouis mon
visage. Je suis dans cette position depuis un certain temps quand on sonne, en
bas. Je ne veux pas répondre, je ne répondrai pas.
Mais au troisième coup, je cède et vais décrocher l’interphone, dans la
cuisine.
– Oui ?
– C’est moi.
Malcolm.
Affolée, je balaie des yeux l’appartement que je partage avec Gina. Nous
habitons dans des anciens ateliers transformés en logements. Les portes de nos
chambres sont toutes deux distribuées par un petit vestibule, l’une à droite,
l’autre à gauche. Des étagères en bois et des colonnes en métal séparent la
cuisine du salon. Comme il y a un trou dans le mur entre la salle à manger et le
garde-manger, nous avons opté pour la solution la moins chère et placé un
immense tableau blanc devant, côté salle à manger, sur lequel nous écrivons ce
qui nous passe par la tête quand nous avons un peu trop bu, ou juste sur une
impulsion. Au départ, c’était censé être mon tableau à idées, mais les filles l’ont
détourné de son but initial.
Voilà, c’est la maison. Ma maison. Que va-t-il en penser ?
Cet appartement, en réalité, c’est ma fierté, mon havre de paix et il va
pénétrer dans mon territoire et l’envahir. Mes amies et moi parlons souvent des
hommes, mais aucun n’a encore franchi le seuil sacré de l’appartement. Jamais.
Il est le tout premier. Je suis nerveuse à l’idée qu’il voie mon chez-moi, ma zone
de sécurité, mon orgueil et ma joie, car ses yeux en ont tant vu ! Bien plus que
les miens. Ce que je trouve joli doit être banal et sans intérêt pour lui. Je
murmure dans l’interphone :
– Entre.
Puis je lui ouvre, avant de bondir vers ma chambre pour enfiler un legging et
changer mon tee-shirt contre une tunique longue. Je vérifie alors rapidement
mon reflet dans le miroir de la salle de bains.
Je soupire devant mes paupières gonflées, me passe de l’eau sur le visage,
puis vais ouvrir la porte… Il est déjà sur le palier, adossé au mur. Une main dans
la poche, il contemple le bout de ses chaussures, sourcils froncés.
Lentement, il lève les yeux vers moi. J’ai soudain l’impression que mes
jambes sont paralysées, comme si le sang n’y circulait plus. Il n’a sans doute
aucune idée de l’effort surhumain que je fournis lorsque je m’écarte de
l’encadrement de la porte et lui fais signe d’entrer. Il est si beau – mais il l’est
toujours – et je suis si bouleversée que j’en trébuche sur le tapis.
– Tu veux un café ?
Il regarde autour de lui en hochant la tête. Sa cravate desserrée pend autour
de son cou, et quelques boutons de sa chemise sont défaits. Ses cheveux
ondulent au niveau de son cou et, quand il passe la main dedans, tout en
continuant à inspecter mon appartement, toutes ses boucles se dressent sur le
dessus de sa tête, noires et brillantes. Je dois me retenir de les toucher. À la
place, je vais vite préparer deux tasses de café que je pose quelques instants plus
tard sur la table basse. Je m’assois sur le canapé et il choisit de loger sa longue
silhouette dans mon fauteuil préféré, celui où je m’installe pour lire et écrire. Je
suis un peu inquiète à l’idée que je ne pourrai désormais plus y prendre place
sans penser à lui.
– Désolée d’être partie, dis-je dans un soupir.
Puis je pousse vers lui la tasse de café et retire précipitamment ma main
avant qu’il ne s’en saisisse.
– On m’a dit que tu ne te sentais pas bien.
Il se penche en avant, sans prendre la tasse de café. En fait, même mon
appartement ne l’intéresse pas, il n’émet aucun commentaire, rien ne retient son
attention… sauf moi.
Sous son regard inquisiteur, je baisse les yeux et pousse de nouveau un
soupir.
– Exact…
– Quelqu’un t’a fait du mal, Rachel ?
– Peut-être…
Je relève la tête : son ton protecteur me surprend ! C’est la première fois
qu’un homme se montre si attentif envers moi, et cela me plaît tellement que,
bras croisés, je lui souris, à la fois amusée et heureuse.
– Et tu serais capable de la blesser pour moi ?
– « La » ?
– En fait, « la », c’est moi. C’est de moi dont je parle, je suis celle qui me
suis fait du mal.
Je resserre les bras car à le voir chez moi, mes pensées s’égarent… Oui, mon
esprit est ailleurs à présent, au dernier étage des locaux d’Interface. Je n’arrive
pas à croire que j’ai embrassé cette bouche et qu’il m’a donné un long, très long
baiser.
Il émet un petit rire, se passe de nouveau la main dans les cheveux.
– Dans ce cas, non, je ne lui mettrai pas mon poing sur la figure.
Un ange passe. Son regard lourd est braqué sur moi. « Embrasse-la alors »,
susurre une petite voix effrontée en moi. Je me rabroue aussitôt en silence, et
pose la main sur ma joue, pensive.
Saint semble plus que perplexe.
– C’est un truc de fille ? demande-t-il alors.
Je relève la tête : ce ton à la fois confus et amusé, venant d’un homme si
mystérieux et dur, est adorablement inattendu.
– Non, c’est un « truc » qui m’est propre, dis-je. J’ai vu quelqu’un ce soir…
C’est une fille qui travaille pour le même journal que moi. Elle est toujours là où
il faut, tout ce qu’elle écrit est fantastique. Ses sujets, ses métaphores, ses
comparaisons !
Son rire emplit la pièce – un rire chaleureux et merveilleux – et il se cale
dans son siège : l’incarnation de l’homme d’affaires qui se détend.
– Personnellement, je suis fan de ton travail, Rachel.
Mon… Quoi ! ?
– Tu présentes toujours tes sujets avec une honnêteté rafraîchissante.
– Tu as lu mes articles ?
Je suis certaine que ma voix et mon regard trahissent ma profonde stupeur.
Tant pis ! De nouveau, il sourit, mais en fronçant les sourcils cette fois.
– Tu crois que j’accorde des interviews à n’importe qui ?
– Sérieux ?
Il hoche la tête et je baisse les yeux.
– Je pensais que c’étaient mes seins qui t’intéressaient.
Cette fois, de l’humour scintille dans ses yeux et nous nous regardons
pendant un long moment… Nos sourires finissent par disparaître.
– J’ai lu tes articles avant de t’accorder un entretien, finit-il par dire.
– J’ai dû vraiment te décevoir, lors notre première entrevue, non ? C’était le
pire fiasco de ma carrière.
Encore une fois, nous nous scrutons. J’attends qu’il reprenne la parole.
– Je me suis dit que tu étais charmante.
Je rougis. Il n’est pas réputé pour distribuer des compliments, ou être
flatteur ; il est connu en revanche pour sa brutalité et sa franchise qui mettent
souvent les gens mal à l’aise. Et mal à l’aise, je le suis à présent, parce qu’il me
regarde avec une intensité nouvelle, et quand il reprend la parole, la fille qui
sommeille au fond de moi est euphorique.
– C’était un vrai plaisir de te voir sortir de mon bureau avec ma chemise. Et
tous mes employés qui t’ont vue dedans ont compris que je te désirais. Tous,
sauf moi, on dirait.
Je retiens mon souffle.
– Oh…! finis-je par dire.
– Je l’ignorai alors, précise-t-il sans ciller.
À cet instant, je ressens pour lui un désir si total, si puissant que je ne peux
penser à rien d’autre qu’à lui et au fait qu’il m’est inaccessible. Je suis soudain
très sensible à la distance qui nous sépare, quelques mètres à peine. J’allume une
lampe, pour rendre la pièce plus vivante et la lumière semble tout à coup faire
l’amour aux différents angles de son visage.
– Pourquoi es-tu venu chez moi, Saint ? Si c’est par rapport à ce qui s’est
passé à Interface, sache que j’ai commis une erreur.
– Dans ce cas, faisons-en une autre. Encore plus grande.
J’émets un rire nerveux.
– Qu’est-ce que ça veut dire ? Je suis un défi pour toi, maintenant ?
Il relève le coin des lèvres.
– Un défi, c’est quelque chose dont on ne veut plus, une fois qu’on l’a
relevé. Par conséquent, je ne peux pas savoir si c’est ce que tu représentes pour
moi tant que je ne t’ai pas fait mienne.
Je ne saurais dire combien ce petit mot « mienne » me semble sexy,
prononcé par l’homme que je désire. Je voudrais l’entendre le répéter encore et
encore, tout près de mon oreille, tout près de moi. Livingston, >ça suffit !
Ressaisis-toi. Mais comment le pourrais-je ? La tension est à couper au couteau
entre nous, et j’hume son odeur à chaque inspiration ; chacune me rappelle
combien mon corps est tendu, palpite et me fait mal à cause de lui.
Il me regarde fixement, comme s’il voulait lire dans mes pensées.
– Donc, cette amie…
– Elle s’appelle Victoria, elle a mon âge, mais elle a déjà publié des
nouvelles ainsi que des manuels à l’intention des enfants sur l’éducation
sexuelle. Le succès semble venir à elle sans effort. Je ne pourrai jamais être à sa
hauteur.
– Au contraire, il faut l’utiliser. On donne le meilleur de soi-même quand
quelqu’un veut nous battre. J’étais…
Il s’interrompt en riant, visiblement amusé par ses « exploits ».
– Bon, reprend-il en se penchant en avant, disons que j’ai beaucoup déçu
mon père.
Il s’exprime en toute décontraction et me scrute, en quête d’une réaction.
– Je ne sais pas comment tout cela a commencé au juste… À ma naissance
ou plutôt un peu après, quand je suis tombé malade. Mon père ne m’a jamais
pardonné cette faiblesse. Il a demandé un test ADN : certain que ma mère avait
eu une liaison, il voulait prouver que je n’étais pas son fils. Or, il se trouve que je
suis devenu plus grand, plus rapide et plus fort que je ne l’aurais sans doute été
parce que le seul homme à qui je voulais prouver quelque chose m’avait sous-
estimé.
– Il était dur ?
– Dur comme un roc. Quoi que l’on fasse, rien ne lui convenait jamais.
– Est-ce pour cette raison que tu n’es jamais satisfait, et toujours en quête
d’autre chose ?
– Non, ce n’est pas à cause de lui, c’est parce que j’ai l’impression que ça ne
suffit jamais. Je ne m’arrête jamais, sauf si je veux que quelqu’un me rattrape.
– Donc toi aussi tu es dur comme un roc.
Il se met à rire et secoue la tête, tout en se passant la main dans les cheveux.
– Ça va mieux, maintenant ? demande-t-il.
Je hoche la tête et murmure :
– Oui, merci.
– Pourquoi ?
– Ta présence ici m’arrache à un affreux enfer.
À ces mots, il se lève… Mon cœur s’arrête littéralement de battre quand il
s’agenouille près de moi et, lorsqu’il m’attire contre lui, j’ai soudain
l’impression d’être toute molle.
– Viens là, dit-il.
Il me tient dans ses bras pendant quelques instants, contre son torse
vigoureux, ses épaules carrées ; je sens toute la chaleur qui émane de son être,
j’entends ses battements de cœur… Tout à coup, je me rends compte que j’ai
posé mes lèvres contre sa gorge. Il m’enlace ensuite par la taille et
m’emprisonne contre son corps. Il me caresse alors le cou tandis que je fais
glisser ma main sur son torse. Il baisse les yeux vers moi et je me heurte à
l’impact de son regard. Ma respiration devient saccadée. À cet instant, il
m’embrasse le coin de la bouche, mes paupières s’alourdissent de plaisir et je
n’ose plus bouger un muscle quand il recule un peu la tête pour me regarder,
s’assurant sans doute de mon consentement.
Il desserre légèrement son étreinte quand je lui rends son baiser, comme s’il
me donnait un peu d’espace, pour que je m’habitue à lui. Tout est dur en lui. Sa
mâchoire, son torse, ses bras, ses mains, mais ses lèvres, en revanche, sont
brûlantes et douces, et sa langue me fait fondre.
Nous nous allongeons sur le canapé et je le laisse m’embrasser parce qu’il
me procure une sensation merveilleuse que je n’ai jamais éprouvée jusque-là.
J’ouvre grand la bouche pour savourer chaque minute, chaque seconde de ses
lèvres sur les miennes. Je pourrais l’embrasser pendant des heures, c’est un
sentiment de perfection totale. Stupéfiant.
Il s’écarte tout à coup de moi et, du bout du pouce, caresse ma lèvre.
Tant de sensations m’assaillent que je ne peux plus penser. Je respire
bruyamment, regarde ses cheveux en bataille, ses paupières alourdies, ses lèvres
légèrement gonflées… tandis qu’il me scrute comme un tigre observe sa proie !
Nous changeons de position et je m’assieds sur ses genoux. Je le chevauche. Il
embrasse mes joues, je m’accroche à ses biceps impressionnants. Puis il prend
de nouveau ma bouche, après s’être assuré que c’est ce que je souhaite, et d’une
main ouvre ma tunique… Dans la foulée, il plaque les lèvres sur mon décolleté.
Je contemple sa chevelure brune, tout en appréciant le contact de sa bouche
chaude sur ma peau. Il pose ensuite ses lèvres entre mes seins, remonte jusqu’à
ma joue. Il me titille avec sa langue, sa bouche… Et je regarde le plafond,
essayant de retenir ces sublimes sensations. J’ai l’impression d’être séparée de
mon corps, et je suis presque certaine que si quelqu’un me parlait, je ne
l’entendrais sans doute pas. Tout ce que je veux, c’est qu’il n’arrête jamais.
Il revient à ma bouche, et me donne un autre baiser, bien plus tendre. Je noue
instantanément les bras autour de son cou et sent ses mains, grandes et chaudes,
posées sur mes cuisses ; je me raccroche à cette sensation, car sans cela, je
flotterais déjà sur un nuage très loin d’ici… Et je frôle l’extase quand il murmure
d’une voix brûlante :
– Je n’ai pas cessé de penser à cet instant. Tu es encore plus savoureuse que
je l’imaginais…
Je l’embrasse alors de tout mon cœur. Lui aussi est exquis, à m’embrasser
tour à tour avec douceur et fougue. L’odeur de son after-shave m’enveloppe
toute entière, la chaleur qui émane de son corps me réchauffe et ses lèvres
m’affolent complètement.
– Continue, dis-je dans un souffle.
Et je roule des hanches pour être encore plus près de lui, sentir sa peau sur la
mienne.
Mon corps tremble. Il lève la tête et embrasse le rebord de ma bouche, la
titille. Un petit grognement lui échappe. De toute évidence, il apprécie lui
aussi…
– Ne t’arrête pas, le supplie-je.
– Je ne m’arrêterai pas avant demain, renchérit-il.
Après quoi, il enserre mon visage dans ses paumes et je plonge mes yeux
dans les siens : ils sont d’un vert étincelant et reflètent une lueur indescriptible. Il
me regarde comme si j’étais une déesse. Je lis un désir si fort dans ses yeux, une
telle tendresse que ma gorge se serre. Je crains de n’être pas prête pour de si
fortes sensations. J’ai peur, je suis nerveuse…
– Mais qu’est-ce que…
La lumière du plafonnier se déverse soudain sur nous, et je me redresse bien
vite, confuse, recouvrant mes joues toutes rouges de mes mains.
Gina cligne des yeux. Saint ferme les siens, puis les rouvre. Il a l’air à la fois
brûlant, viril, furieux… et débraillé. Je reboutonne bien vite sa chemise, jalouse
à l’idée que Gina puisse apercevoir son torse, ses abdos que je viens de palper
avec une telle frénésie.
– J’espère que ce que je vois n’est pas réellement ce qui se passe ! décrète-t-
elle, mains sur les hanches.
Je lui assure tout de suite :
– Non, pas du tout !
Puis je lève les yeux vers Saint qui est en train de me jauger, l’air
complètement ahuri. Ses cheveux en broussaille le rendent adorable, mais il
arbore une expression agacée.
– Ta colocataire, je présume, dit-il dans un souffle, comme s’il se rappelait à
l’instant que j’en avais une.
Extrêmement embarrassée, je l’aide à se mettre debout – ce qui n’est pas une
mince affaire – et le conduis vers la porte. Je marmonne :
– C’était une erreur… sans nom. Je ne sais pas ce qui m’a pris.
Il darde sur moi des yeux comme la nuit, et sa voix est lourde de désir quand
il déclare :
– Je sais ce qui t’a pris. La même chose qu’à moi.
– Non !
J’appelle l’ascenseur, puis le pousse vivement à l’intérieur.
– Au revoir, Saint.
– Je t’appelle Rachel, murmure-t-il en m’effleurant le visage.
Et il m’embrasse à pleine bouche ! Cet homme est le diable en personne.
J’en gémis… et me libère de son étreinte juste avant que les portes de
l’ascenseur ne se referment.
Bon sang ! Qu’est-ce que j’ai fait ? Je rentre dans l’appartement.
– Ça veut dire quoi ça ? questionne aussitôt Gina.
– Je lui disais au revoir.
– Écoute-moi bien, Rachel : je suis Gina, ta meilleure amie et je peux
t’assurer que tu mens. Qu’est-ce que vous étiez en train de faire sur le canapé ?
Vous…
– Bon, j’ai un peu bu à cette soirée, et puis il y a eu ce… ce truc entre nous.
Je… Désolée, je n’arrive plus à penser.
– Très bien… Bon, toi et moi, on sait que ce type, c’est Lucifer en personne,
d’accord ? Un vrai salaud ! Et ni toi ni moi ne couchons avec des connards
comme lui. Et on les ramène encore moins chez nous !
Je hoche docilement la tête, comme une petite fille que l’on gronde, et me
dirige vers ma chambre. Une fois seule, je m’essuie la bouche avec le dos de ma
main, puis me brosse les dents et regarde mon visage dans le miroir.
À quoi je joue, au juste ? Nous nous sommes confiés l’un à l’autre, tout à
l’heure. Pourquoi ne lui ai-je pas dit que je rédigeais un article de fond à son
sujet ? Décidément, rien ne s’est passé comme prévu. J’étais censée livrer des
révélations sur lui ; or, c’est lui qui m’a forcée à me dévoiler.
Je n’arrive pas à trouver le sommeil. Je revois le visage frustré de Saint
quand Gina est rentrée. Agacée, je finis par rallumer ma lampe de chevet et sors
mon portable.
Je suis désolée que l’on se soit dit au revoir de cette façon.
Cependant, avant d’envoyer le message, je me ravise et tente de l’appeler…
Va-t-il prendre la communication ? Oui, puisque sa voix résonne soudain à mes
oreilles.
– Allô ?
– Je suis désolée pour la façon dont on s’est dit au revoir.
J’entends un sourire dans sa voix quand il me répond :
– Si c’était le prix à payer pour que tu m’appelles…
Je ris, avant de me ressaisir et de me recroqueviller dans mon lit, le
téléphone contre mon oreille. Je murmure d’une petite voix timide :
– Tu es différent de tous les hommes que j’ai connus.
– C’est parce que tu portes l’étiquette « Attention fragile ! À manipuler avec
soin ».
– N’importe quoi ! Je ne suis pas fragile.
– Tu es si fragile que tu t’es enfermée dans une boîte pour qu’on ne te brise
pas, insiste-t-il.
Je rétorque, vaguement irritée :
– Je vis dans une zone sécurisée, c’est tout.
– Mais rien n’arrive, dans une zone sécurisée.
– Justement : on y contrôle tout, c’est prévisible et… sûr.
Un long silence s’étend entre nous. Puis Saint me dit :
– Quand tu sortiras de ta boîte, je serai là.
CHAPITRE 15
RELOOKING
Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Je ne veux pas être en insécurité. C’est le
dernier but de mon existence. La témérité, ce n’est vraiment pas mon truc.
Je consacre mon vendredi à un article qu’Helen me réclame dans les plus
brefs délais. Je n’arrive pas à me concentrer, en même temps je n’arrête pas de
penser, et je suis happée par mes propres peurs et confusions. Je m’ordonne de
rester détachée et de garder en tête la récompense, comme toute journaliste
raisonnable le ferait. Et raisonnable, je le suis ! Du moins l’étais-je pendant les
vingt-trois années de ma vie qui ont précédé ma rencontre avec Malcolm Saint.
Je suis en train de taper avec rage sur mon clavier quand mon portable vibre.
Je jette un bref coup d’œil sur l’écran, et crois avoir une crise cardiaque en
voyant s’afficher le nom sous lequel je l’ai enregistré dans mes contacts : MAL.
Tu me rejoins au Tunnel ce soir ?
Dois-je m’inquiéter pour mon cœur ? On dirait qu’il fait un salto dans ma
poitrine. Je suis devenue sa petite amie, sa ridicule petite amie. Le Tunnel est
une boîte branchée, connue pour ses salles sombres et sinueuses, sa musique
bruyante. Personne n’en sort sobre et indemne. Rachel, tu ne peux pas aller avec
Saint au Tunnel, sauf si tu es certaine de contrôler ta libido ; or, tu n’as pas
prouvé que tu étais très douée en la matière, jusque-là.
– Prête ?
Je retourne immédiatement mon téléphone quand Victoria se penche par-
dessus mon box.
Je répète sans comprendre :
– Prête ? Prête pour quoi ?
– Tu as oublié ? C’est ton jour beauté, aujourd’hui. Cela fait partie de ton
travail.
– Je… Ah oui, c’est vrai ! Comment ai-je pu oublier ? Le cliché du
relooking : une fille normale va chez le coiffeur, rencontre un type, et tralala,
dis-je en rassemblant mes affaires.
– Exactement.
Elle se met à rire. Je referme le dossier sur lequel je travaillais, ainsi que
quelques liens renvoyant à ce qu’il a fait cette semaine. Sur toutes les photos, des
filles posent avec lui, bien sûr, mais à sa décharge, il a l’air de s’en moquer. On
n’a pas l’impression qu’il s’amuse, encore que ce soit difficile à évaluer.
Après quoi, j’emboîte le pas à Victoria qui se dirige vers l’ascenseur, et nous
nous rendons au spa. Pédicure, manucure, un rafraîchissement de coupe, tout est
prévu !
– Je te conseille des mèches, ma chérie, me dit-elle.
– Je suis blond platine, Vicky, mes cheveux ne peuvent pas être plus clairs.
– Des mèches légèrement plus foncées donneront de la lumière à ta couleur
naturelle.
– Non, je refuse d’être esclave des colorations avant mes premiers cheveux
gris. C’est un truc que j’ai appris de ma mère.
– Ce que Saint aime, ce sont les femmes faciles, il n’est pas habitué à
séduire, on vient toujours à lui, et ça lui convient. Néanmoins… Bon, j’avoue, il
semble vraiment accroché à toi, Rachel.
Mon portable vibre, et devant le nom qui s’affiche, je tressaille. MAL.
Rougissant rien qu’en pensant à lui, je regarde mes orteils qu’une esthéticienne
est en train de recouvrir d’une belle couche de vernis rose.
– Après les orteils, le maillot à la cire, m’annonce Victoria assise à côté de
moi.
Ne pourrait-elle donc pas parler un peu plus fort ? Ainsi, non seulement
toutes les clientes du spa mais aussi le monde entier l’entendrait. Je me penche
vers elle et réponds à voix basse :
– Non merci.
– Tu plaisantes ? Pas question de refuser !
Je me mets à rire.
– Tout va bien de ce côté-ci, je te rassure.
– Très bien, dit-elle en rongeant son frein.
Elle repose le magazine qu’elle était en train de lire et m’annonce d’un ton
supérieur :
– Les types comme Saint aiment les belles Brésiliennes.
Là-dessus, elle m’adresse un sourire entendu. Puis elle s’empare d’une
nouvelle revue, tout en continuant avec la voix d’une experte :
– Les séducteurs aiment toutes les femmes, c’est d’ailleurs ce qui fait leur
charme. Et comme ce sont des spécimens parfaits, on ne peut pas s’empêcher
d’être attirées par eux.
Elle sourit de nouveau.
– Tu sais, ton côté terre-à-terre, ta gentille férocité, j’ai bien vu que ça
l’attirait. Cette attirance te rend plus douce et gentille, et lui il en devient bien
plus enflammé, vigoureux et ambitieux. Saint s’amuse mais c’est un dur. Et tous
ceux qui font affaire avec lui le savent.
Mon téléphone sonne, cette fois, c’est un appel. MAL. La force et le feu,
donc. Je veux répondre, entendre sa voix. Et je déplore aussi de le vouloir ! Je le
jure, si le nœud qui me serre la gorge se rétrécit encore, je vais imploser. Je
regarde mon téléphone, sans prendre la communication, quand un message
s’affiche.
Qu’est-ce qu’un homme doit faire pour que tu dises oui ?
TUNNEL
– OK, on se mêle à la foule. N’oubliez pas qu’il faut aussi retrouver Emmett,
les filles.
Wynn, Gina et moi nous mettons à parcourir les salles labyrinthiques du
Tunnel, respirant à pleins poumons les effluves d’argile émanant des parois, de
sueur, de parfums et d’alcool. Des lumières éblouissantes et de la musique à
plein volume nous saisissent lorsque nous nous dirigeons vers le cœur du
Tunnel, le « cratère ». Wynn ouvre la marche tandis que je la referme, tournant
sans arrêt la tête, telle une girouette, en quête d’un homme bien précis.
– Je suis sûre qu’il est par là, dit Gina.
Et elle désigne une pièce sur la droite. Celle-ci est remplie au maximum de
sa capacité, si bien que je me retrouve bien vite arrêtée dans ma progression par
un mur de robes pailletées et d’épaules dorées.
– Pourquoi ici ?
– Tu atterris, oui ? Il n’y a pas de fumée sans feu. Et là où il y a Saint, il y a
des filles.
Fronçant les sourcils, je parviens à me faufiler… Mon cœur sursaute car il
est là, juste sous mes yeux, celui qui contrôle mes hormones ! Callan et Tahoe
semblent juste charmants à côté de Saint qui exsude d’érotisme. Une femme est
assise sur les genoux de chacun de ses amis tandis qu’une créature blonde
discute avec Malcolm, visiblement hypnotisée par lui.
Les battements de la musique ne faiblissent pas, les corps se heurtent et se
bousculent et je profite de ce moment pour observer Saint sans qu’il ne me voie.
Bronzé, les cheveux légèrement dressés sur le dessus du crâne, il a remonté les
manches de sa chemise jusqu’aux coudes, comme il est de coutume pour les
hommes dans les discothèques où règne une vraie fournaise. Les papillons
voltigent dans mon ventre.
Malcolm éclate soudain de rire et tourne la tête en même temps, inspectant la
salle, l’air de rien. Je vois alors ses épaules se contracter, et mon cœur manque
un battement : il vient de me repérer. Dès lors, mal à l’aise, je deviens l’objet de
son regard inquisiteur. Il hausse un sourcil et encore une fois, son fameux sourire
en coin éclaire son visage. Tu vas rester là toute la soirée ? semble-t-il me
demander.
Puis il pose son verre sur une petite table et s’avance vers moi. Mon cœur
cogne plus fort à chacun de ses pas… Il me jauge de pied en cap, aucun détail ne
paraissant échapper à son œil de lynx.
– Rachel, dit-il.
Et il m’attire dans ses bras vigoureux avant de me donner un petit baiser sur
la joue. C’est incroyable ! Comment ce simple effleurement peut-il déclencher
une telle excitation en moi ? J’essaie vaillamment de reprendre ma respiration
tandis qu’il m’entraîne déjà par la main vers sa table. Je sais que je suis une fille,
cela figure sur mon extrait de naissance, mais je n’ai jamais eu la sensation de
l’être à ce point jusqu’à cet instant où, de sa poigne énergique, il a saisi ma main
fragile et minuscule.
Callan et Tahoe me saluent à travers le rideau sonore de la musique.
– Salut, Rachel !
– Tiens, Rachel ! Bonsoir.
Je me glisse dans le box et Malcolm s’assied tout contre moi, sa chemise le
moulant tant que je me sens presque à l’étroit pour lui.
Il me commande une boisson, puis s’adosse à son siège, aussi décontracté
que je suis tendue. Quelque chose a changé depuis qu’il est venu chez moi : il
semble attentif à mon confort, désireux de ne pas me brusquer. Il paraît plus
ouvert en ma présence et je le suis également. Il existe désormais une réelle
intimité entre nous, elle est si palpable que chaque parcelle de mon corps
réclame une plus grande proximité avec le sien, au moins égale à celle que nous
avons connue chez moi.
Il étire le bras derrière moi, ses amis continuent à badiner entre eux, et à
peloter les nanas un peu louches juchées sur leurs genoux.
– Comment s’est passée ta semaine, Rachel ?
À la question de Saint, une onde d’excitation me traverse tout entière car je
distingue un réel intérêt dans ses yeux.
– Bien. J’ai bien travaillé, ma mère est en forme… Bref, je ne veux pas
t’ennuyer avec mes petites histoires.
Puis je lui souris. Il y a une éternité qu’une personne n’avait semblé aussi
intéressée par ma semaine. Je le questionne à mon tour sur son voyage à Londres
– j’ai lu dans les journaux qu’il y avait effectué un séjour de quarante-huit heures
– et il me répond que c’était « bien », puis revient à moi.
– Tu écris sur quoi, en ce moment ?
De nombreuses personnes lui tapent amicalement dans le dos ou l’appellent
par son prénom, mais il ne leur prête pas attention, uniquement concentré sur
moi. Troublée par sa présence et redoutant de me trahir, j’élude :
– J’ai fait des recherches pour mon article de la semaine prochaine.
Et, les yeux fixés sur son bras qui descend le long du siège, derrière moi, je
pense : « Et mon sujet, c’est toi. » Soudain, j’éprouve une vive contraction au
creux du ventre. Hé ! C’est quoi ça ? Est-ce parce que cet homme me déstabilise
que la langue fourchue de la culpabilité me pique à ce point ? Ou bien parce que
je ne supporte pas quand il devient sérieux et cesse de me taquiner ? À moins
qu’il ne veuille vraiment savoir, pour des raisons que je ne m’explique pas, ce
qui me motive ? C’est peut-être juste, au fond, à cause de la nervosité qu’il
déclenche chez moi ou des questions qu’il me pose.
Je prends une profonde inspiration, consciente qu’il me surveille de ses yeux
verts et profonds comme des forêts, recélant tous les secrets d’un joueur qui
n’abat ses cartes que lorsqu’il est certain d’avoir gagné la partie. Des yeux rusés,
intéressés, masculins. Il faut que je me contrôle, il ne doit pas lire en moi comme
dans un livre alors qu’il me donne si peu de lui en retour. Mais comment rester
muette quand il me questionne ? Je regarde tout à coup dans la direction de la
piste de danse, puis me lève lentement et lui tends la main.
– Viens danser avec moi, lui dis-je.
Je suis vraiment lasse : ça me rend malade de toujours m’interroger à son
sujet, de m’angoisser, de le désirer pour finalement lutter contre ce désir. C’est
pourquoi je n’ai soudain qu’une envie : danser. M’amuser tout simplement, être
pendant une heure une fille accompagnée d’un garçon. Il hausse un sourcil, sans
mot dire, puis m’imite. Il se redresse lentement, comme un serpent qui se
déploie. Je ris et le tire par la main pour l’entraîner dans la salle attenante, là où
on danse.
Je sens sa main bien ferme dans la mienne et il me suit tel un animal sauvage
qui fait le paresseux et cède aux caprices de sa proie avant de se jeter sur elle.
Une fois sur la piste, il plaque ses mains sur mes hanches… Mon corps
s’embrase quand, redressant la tête, je vois un sourire diabolique au coin de ses
lèvres.
Il m’observe tandis que j’ondule lascivement sous ses mains, me servant de
lui comme d’une barre de pole dance. Une barre… que j’ai envie d’embrasser,
car c’est un homme et que je suis une femme normale, humaine. Il se met à
caresser mes hanches, les yeux brillant d’un feu démoniaque. D’autorité, je lui
prends la main et la place sur ma nuque, pour qu’il s’approche de moi. Je suis
incapable de penser, j’ai la tête vide. Je veux le voir nu, en sueur, hors de son
élément, effacer de son visage ce petit sourire amusé, et assister à son abandon…
Je le provoque :
– C’est le mieux que tu puisses faire ?
Aussitôt, il m’attire tout contre lui, j’en pousse presque un cri de surprise ;
les mains de nouveau plaquées sur mes hanches, il se met à me faire bouger.
Tout autour de nous, les gens sautent au son de la musique, se bousculent, mais
Malcolm danse, imperturbable, comme si son corps était une extension du mien.
Il me presse soudain contre lui sans le moindre effort, et je sens le frottement de
sa barbe naissante sur ma nuque alors qu’il fait glisser la masse de mes cheveux
d’un seul côté, puis fait courir sa main aux doigts bagués d’argent dans mon cou.
Je suis époustouflée par la sensualité de ses gestes, par ses muscles souples et
vigoureux à la fois, simultanément en sécurité et excitée, et cette sensation me
grise. Il m’enivre, cette soirée m’enivre, j’approche des zones fort dangereuses,
trop sans doute, mais ne peux contrôler mes mains. Une partie de moi-même est
déchaînée. Ses lèvres sont faites pour embrasser, ses mains pour caresser, et sa
chevelure épaisse existe juste pour que les femmes y enfouissent leurs doigts
pendant qu’il pétrit leurs corps, sans retenue. Ses yeux semblent offrir des cimes
dans le ciel, tout en invitant à des fêtes en enfer, et le tout me rend folle.
Je promène mes doigts sur sa chemise, palpe ses épaules carrées, me
délectant du roulement de ses muscles en dessous. Je suis mue par une force qui
me dépasse, j’en ai bien conscience et le déplore !
La chanson se termine et il me prend la main pour me reconduire à la table.
Des gouttes de sueur perlent littéralement entre mes seins, des dizaines d’yeux
sont braqués sur nous. Toutes les femmes me surveillent, me toisent des pieds à
la tête, et à leur expression, il est clair qu’elles veulent m’écorcher vive. J’en
grimace presque. Dans le box, Callan raconte des anecdotes concernant Saint et
des filles de la haute société.
– Mais Saint a étouffé ces rumeurs dans l’œuf.
– Étouffé, répète fièrement Tahoe, en serrant le poing.
Sans leur prêter attention, Malcolm reprend la position qu’il occupait
initialement, son bras sur le dossier derrière moi, la tête penchée dans ma
direction si bien que je sens son souffle derrière mon oreille.
– Hé, regarde-moi ! murmure-t-il.
Et sans plus de préliminaires, il glisse la main sur ma cuisse, ce qui pulvérise
mes pensées… Sa caresse met en feu tout mon corps, allume mon désir. Je ne
sais pas s’il s’est formé en quelques minutes, heures, jours ou semaines, ou bien
s’il est là depuis toujours, mais il ne s’est jamais imposé à moi avec une telle
puissance avant Saint. Dominée par mes pulsions, je m’appuie contre lui. Il pose
alors son bras sur mes épaules, sous mes cheveux, et un long frisson me
parcourt… Ses amis continuent à parler et lui me chuchote à l’oreille :
– Tu es très jolie, ce soir.
Mes joues sont écarlates, et mon ventre semble abriter un serpent qui se tord
en tous sens. La musique techno s’arrête brusquement, et Kiss You Slow d’Andy
Grammer résonne soudain dans le Tunnel. Saint prend mon visage en coupe et,
paupières à demi closes, dépose un baiser au coin de mes lèvres. L’air passant
sur ma peau me fait subitement l’effet d’une flamme. Il m’étreint plus
étroitement contre lui, puis me caresse la joue de sa main qui porte quatre bagues
en argent, les yeux rivés sur elles.
– Tu es la fille la plus sexy du Tunnel ce soir, murmure-t-il.
De son pouce, il effleure ma bouche avec une sensualité achevée. Et là, dans
ses yeux magnifiques, je vois se refléter un désir sauvage, comme celui qui
m’habite et qui me noue la gorge en ce moment précis, au point que je me mets à
lui mordiller le pouce. Bien sûr, je ne devrais pas, mais c’est plus fort que moi.
Et puis cette chanson ne parle-t-elle pas d’un lent baiser… Kiss You Slow…
Pendant quelques instants, je scrute les environs et vois ses amis en train de
tripoter leurs petites dévergondées. Comme Saint, finalement. Je pense à Gina et
Wynn, quelque part dans le labyrinthe de cette boîte, aux gens qui dansent, à
ceux qui nous regardent. Et à ma vie qui est en train de changer, alors qu’il
scrute mon visage et que la mobilité de ses yeux verts m’évoque un
kaléidoscope : il semble lui aussi lutter contre des émotions confuses. Quand il
m’enlace par la taille et m’attire sur ses genoux, j’obtempère, docile, et
m’accroche à son cou comme à une bouée de sauvetage.
– Tu en as envie ? demanda-t-il en passant la main sous ma jupe.
Une main toute chaude qui se met à caresser l’intérieur de ma cuisse. Le
cœur cognant violemment dans ma poitrine, je m’agrippe un peu plus à lui. Sa
nuque est large, dure et je penche la tête pour me remplir les poumons de son
parfum. Puis je chuchote d’un ton effronté contre son oreille :
– Je suis avec le plus bel homme.
– Eh, petit cachotier ! le hèle alors Tahoe, de son siège. On sait où vous allez
finir, Rachel et toi !
Et il lève son verre dans notre direction tandis que sa nana essaie de rajuster
sa robe. Saint retire sa main de dessous ma jupe, mais me serre la cuisse. Puis il
plonge ses yeux dans les miens pour que j’y lise tous les regrets qu’il ressent.
– Je suis occupé, T, grommèle-t-il.
Et il lui décoche un regard plus que furieux. Je retiens mon souffle, me
souviens des photos et rumeurs qui circulent sur nous deux, et mettent
sérieusement mon job en péril. Retrouvant quelques neurones, je lui dis :
– Pas ici.
Franchement, Rachel, s’envoyer en l’air dans une boîte ? Avec Saint ?
Malcolm me saisit de nouveau par la taille, mais pour m’aider cette fois à
descendre de ses genoux.
– Hé, tu lui plais vraiment ! s’exclame Tahoe à mon adresse.
Et il agite ses sourcils au moment où Malcolm appelle le serveur. Il lui
murmure quelques mots, ce dernier s’éclipse, pour revenir bientôt en hochant la
tête.
– Suivez-moi, monsieur Saint, dit-il.
Celui-ci saisit sa veste, sur le banc, puis me prend par le bras.
– Viens avec moi, Rachel, me murmure-t-il à l’oreille.
On nous conduit dans un salon privé, meublé d’un canapé et d’une table
surmontée de bougies électriques. Un seau à vin, deux verres à pied, un vase où
s’épanouit une tulipe ainsi que quelques photophores y sont également disposés.
La musique résonne ici de façon assourdie, bien plus intime.
– Vous avez besoin de quelque chose, monsieur Saint ? s’enquit le serveur.
Malcolm lui glisse alors une poignée de billets dans les mains, et le jeune
homme en pâlit.
– Merci, ça ira, répond Saint.
Dans la foulée, il m’attire vers le canapé. Le serveur referme tout doucement
la porte, et j’ai l’impression que mon cœur fait le même petit clic que celui que
l’on entend alors. Je peux à peine tenir sur mes jambes, mais heureusement,
Saint m’invite à m’asseoir et se tourne vers moi. Quel regard ! J’ai du mal à le
soutenir, et mon cœur bat violemment, dans ma poitrine, dans mon cerveau,
entre mes cuisses douloureuses.
– Malcolm…
Il semble avoir une idée bien précise en tête quand nous nous installons sur
le canapé et qu’il enfouit la tête dans mon cou. Poussant un petit gémissement, je
glisse les mains dans ses cheveux épais et soyeux… Le désir coule dans mes
veines. Je frissonne lorsque ses lèvres se posent sur mon pouls.
De la pointe de la langue, il se met à lécher la peau tendre de mon cou et
mon corps tremble tout entier quand il prend un de mes seins en coupe et le serre
gentiment…
– Ça te plaît ?
Il s’écarte un peu de moi, me sourit, et quand je hoche la tête, incapable de
parler, il me donne un baiser sur la bouche. Il fait preuve d’une grande douceur,
d’une trop grande douceur… En une minute, je suis complètement enivrée…
Saturée de désir, ivre de Malcolm, je ne suis que sensations. Il m’embrasse les
lobes, me caresse, m’effleure les coins des lèvres.
Tout à coup, il glisse la main sous ma jupe.
– Qu’est-ce que tu portes dessous ? demanda-t-il d’une voix rauque.
– Quelque chose, dis-je d’une voix tremblante d’excitation.
– Quelque chose que tu veux me montrer ? s’enquit-il avec un petit sourire.
Impuissante sous son regard inquisiteur, je le laisse relever ma jupe… Je ne
peux plus respirer, ne veux d’ailleurs plus vivre après la façon dont il darde sur
moi ses yeux pénétrants.
– Malcolm…
Ma voix est à la fois suppliante, nerveuse et sexy.
– Chuuut ! dit-il doucement, absorbé par la contemplation de ma minuscule
culotte en dentelle transparente. Je ne vais pas te faire de mal. Je veux juste te
regarder.
– Juste me regarder ?
Je ne sais pas si j’ai envie qu’il réponde oui ou non…
– Et te caresser, ajoute-t-il.
Il m’attire sur une de ses cuisses, tout en laissant ses doigts courir derrière
mon genou… Et cette simple caresse éveille à cet endroit des milliers de petits
picotements. Je pousse un léger gémissement. Alors il relève mes cheveux et
enfouis son visage dans ma nuque, me donnant de frénétiques coups de langue.
Je gémis de plus belle…
J’aurais cru qu’il se serait rué sur l’endroit le plus brûlant, le plus humide de
mon corps, mais Saint n’est jamais là où on l’attend. La bouche pressée contre
ma tempe, il continue à pianoter sensuellement sur ma jambe, puis de ses pouces
il effleure l’intérieur de mes cuisses. Ma respiration devient hachée et mes seins,
gorgés de désir, se dressent sous mon haut en soie, contre lui.
J’incline la nuque en arrière et respire plusieurs fois : son after-shave pénètre
mes poumons, me donnant le vertige… Je crois même que je viens de murmurer
son nom. À cet instant, il glisse les doigts le long de ma culotte. Plus
précisément sous ma culotte.
– Dis-moi que tu as envie de sentir mes doigts ici, murmure-t-il.
Et je perçois son sourire contre ma tempe, un sourire exprimant une
satisfaction bien masculine car je suis déjà toute humide. Je ferme les yeux et
noue les bras autour de son cou, nous imaginant nus, bougeant en cadence.
D’une main, il continue de me caresser et glisse l’autre sous mon top. J’ai
conscience qu’il se retient et un orgasme puissant monte en moi. La situation est
sur le point de m’échapper…
– S… euh, Malcolm… ralentis un peu…
Il obtempère et nous nous écartons un instant l’un de l’autre, la respiration
saccadée. Mes yeux n’arrivent plus à s’adapter, je le vois flou. Et dire que je suis
censée expliquer dans mon article ce flou qui l’entoure, pas le vivre !
– Donne-moi ta main, murmure-t-il.
Il la retourne et commence à en caresser la paume. À ce moment, je me
rappelle que nous avons quarante mille terminaisons nerveuses à cet endroit. Et
quand il titille mes premières phalanges, une onde électrique me traverse.
Je regarde, littéralement hypnotisée, la façon dont il emmêle ses doigts aux
miens tout en continuant à en masser la base, par petits cercles. Tout mon corps
s’embrase quand il plaque sa bouche à l’intérieur de mon coude et se met à
lécher ma peau du bout de la langue… Son souffle chaud est comme un sirocco
et les sensations qu’il me procure semblables à celles d’une drogue, une drogue
que j’aimerais qu’il ne cesse jamais de m’injecter.
Doucement, il soulève mon top et le coince dans mon soutien-gorge. J’ai
déjà lu que le plexus solaire formait un groupe nerveux puissant, mais je ne l’ai
encore jamais expérimenté. Il commence à me caresser au-dessous des seins,
remonte, puis me fait basculer sur le canapé afin de pouvoir embrasser mon
nombril. Quand je pousse un petit gémissement, il ralentit… Alors mes abdos se
détendent et tout le sang afflue entre mes jambes. Je suis en feu, dans l’attente
insupportable qu’il me touche enfin ici… Il en est tout proche et, en même
temps, encore loin. À présent, il me caresse le buste, titille mon nombril avec sa
langue, puis l’enfonce à l’intérieur, elle est toute chaude et humide… Cet
homme fait naître comme par magie des dizaines de zones érogènes, qui n’ont
encore jamais été stimulées. Il rend vivant le moindre millimètre de mon corps !
M’excite mentalement, physiquement, émotionnellement… Sur une impulsion,
je le lui avoue :
– Tu ne peux pas savoir à quel point tu m’excites.
Puis j’empoigne ses cheveux. Relevant la tête, il baisse mon soutien-gorge,
se saisit d’un de mes seins et l’aspire goulûment.
– Je te veux dans mon lit, ce soir, Rachel.
Là-dessus, il lève les yeux vers moi, le cercle doré qui entoure ses pupilles
vertes brillant avec intensité. Tout en lui me pousse à accepter… Comme les
réactions qu’il m’inspire !
– Je veux que tu te tordes sous moi, haletante, toute mouillée…
Et il reprend dans sa bouche la pointe déjà toute dure de mon mamelon. Je
bascule sur le canapé, écarte les jambes, essayant de l’attirer sur moi. Mais c’est
sa main qu’il descend entre mes cuisses… Je m’agrippe si fort à ses épaules que
je sens ses muscles se contracter tandis qu’il déplace doucement ma culotte sur
le côté avant de glisser un doigt en moi…
Ce petit geste déclenche une cascade de plaisir qui ruisselle sur tout mon
corps. Je me cambre, poussant un cri extatique… Et, alors qu’il ne me quitte pas
des yeux, un petit sourire aux lèvres, je distingue nettement que le masque de
sang-froid qu’il arbore en permanence est en train de se fissurer.
– Pour moi, Rachel… Laisse-toi aller pour moi.
De son pouce, il effleure mon clitoris, son doigt habile toujours en moi.
Bientôt, sous son regard viril qui me transperce, sa voix qui m’enjôle, l’orgasme
me saisit, et je me tortille en gémissant, incapable de me contrôler, de lui dire
que j’ai aussi envie qu’il se laisse aller pour moi… Encore haletante, j’essaie de
reprendre mon souffle. Il redresse son corps imposant, me décoche un petit
sourire puis rabat ma jupe et rajuste mon haut avant de me murmurer à l’oreille :
– Je rêvais de te faire jouir depuis que tu t’es incrustée à la fête que je
donnais à l’Ice Box.
Il me provoque, je reconnais ce ton, maintenant. Je réponds du tac au tac :
– Mes amies m’avaient pourtant prévenue. Je vais pouvoir leur confirmer
que tu es bien le salaud qu’on prétend.
– Qui prétend ça ?
– Tes anciennes petites amies.
– Je n’en ai pas.
– Tes anciennes maîtresses alors, peu importe comment tu les appelles.
– J’ai aussi mon mot à dire, tu sais.
– Vraiment ? Et quoi donc ?
– Qu’il se peut que je sois innocent.
Et il me sourit. Je me mets à rire. J’ai envie de l’embrasser fiévreusement, de
lui rendre les caresses qu’il vient de me donner. Oui, mais après ? Je lance :
– Tu t’amuses bien avec moi ?
– En fait, c’est moi qui essaie de faire en sorte que tu t’amuses avec moi.
Je pose une main joueuse sur sa cuisse.
– Tu fais tourner mon monde plus vite.
– J’aimerais carrément le renverser, dit-il d’une voix de velours.
Encore une fois, je laisse fuser un rire. Tout en lui pétille de malice, ses
yeux, son sourire. Malice et péché, voilà ce qui le résume.
– Et comment comptes-tu t’y prendre ?
– À toi de me le dire…
Il balaie mon corps du regard.
– Moi ? Vraiment ?
– C’est la première fois que j’ai envie de bouleverser aussi fort le monde
d’une femme.
Ces paroles me glacent… Tout cela devient trop dangereux !
Il se penche en avant et, au lieu de faire ce que j’attends de lui, c’est-à-dire
détendre l’atmosphère parce qu’il voit bien qu’il m’a choquée, il me lance un
regard dépourvu de tout amusement.
– Je préfère te prévenir, dit-il en prenant mon visage en coupe. Je m’accorde
tout ce dont j’ai envie. Me priver de ce que je désire, ce n’est pas ma tasse de
thé. Pas plus que de priver ceux qui m’entourent de ce dont ils ont envie. Je suis
à toi si tu veux de moi, Rachel.
Sur ces mots, il me considère tranquillement. J’objecte, comme par réflexe :
– Toi et moi n’allons pas ensemble ! Je rêve d’un havre calme et chaleureux,
avec une vue magnifique et tout ce dont j’ai envie. Alors, j’arrêterai de bouger et
resterai là, dans ce coin de paradis. Or toi, tu ne te tiendras jamais tranquille.
Ses yeux s’assombrissent et il ne répond pas. Du doigt, il me caresse la joue,
et me scrute intensément comme s’il attendait quelque chose de moi. Non, je
rectifie : comme s’il attendait tout de moi. Ou peut-être n’importe quoi, au
fond… Les impressions sont tellement fluctuantes.
– Et moi, je pense que nous allons très bien ensemble, finit-il par murmurer.
Soudain, la porte du salon privé s’ouvre et ma meilleure amie se matérialise
sur le palier.
– Voilà qui ne me surprend pas ! s’exclame-t-elle d’un ton irrité.
Je pousse un grognement et me lève sur-le-champ, tout en tentant d’effacer
les signes de mon abandon : mes cheveux décoiffés, mon rouge à lèvre à demi
mangé, mes vêtements froissés. Qui plus est, je rougis jusqu’aux racines des
cheveux, ce qui amuse clairement Malcolm. Putain, je dois vraiment avoir l’air
ridicule ! Bon, il est impératif que je donne le change devant Gina, aussi, je me
tourne vers lui et lance :
– Et ne crois pas que ce soit gratuit, je veux d’autres interviews !
– Hé ! s’écrie-t-il, confus. Mais tu m’as promis de passer la soirée avec moi !
Je ne bouge pas, les yeux braqués sur lui tandis que Gina me tire par la main.
– Désolée, dis-je enfin. Il faut que j’y aille.
Il bondit aussitôt sur ses pieds, prend sa veste et regarde Gina, sans oser
visiblement défier sa détermination de Gorgone. Préférant louvoyer, il propose :
– Et si je la ramenais à la maison ?
– Et si je disais « non » ? rétorque-t-elle en battant des cils.
– À propos, je m’appelle Malcolm.
– Je sais, je t’ai déjà vu chez moi, tu as oublié ? Je vois aussi régulièrement
ton visage dans les journaux et bien que tu sois la tentation incarnée, sache que
je suis totalement immunisée contre toi. Et maintenant, dis au revoir à Rachel.
Sur ces mots, elle me saisit énergiquement le bras. Il tente alors :
– Tu ne veux vraiment pas passer la soirée avec moi, Rachel ?
Son visage est de nouveau impénétrable, encore qu’on peut y détecter une
trace d’agacement.
– Non, désolée, je dois dormir à la belle étoile dans deux jours pour le
mouvement Halte à la violence, donc il faut que je me repose. Salut ! dis-je d’un
air gêné.
Puis j’emboîte le pas à Gina, parfaitement consciente qu’il me suit du regard.
Et merde, tout va de travers ! Je passe les mains sur mon visage brûlant alors que
mon amie m’entraîne vers la sortie, par un des longs tunnels qui servent de
corridors. En réponse à l’énorme point d’interrogation que je lis sur son front, je
marmonne :
– Il ne s’est rien passé.
– Bon, écoute bien ce que je vais te dire ! réplique-t-elle d’un ton sévère.
Saint est vraiment synonyme d’ennuis. Pour ton boulot, pour ton cœur. Tu ne
pouvais pas choisir un type pire que lui, sans compter ses deux acolytes. Et
inutile de me raconter qu’il ne s’est rien passé, Rachel, tu es rouge comme une
carotte.
– Une carotte ? Mais qu’est-ce que tu racontes ? Je suis orange ou quoi ?
Et j’ouvre de grands yeux, affolée.
– Rachel, tu ne l’as apparemment pas encore compris, aussi je vais te le dire
sans ambiguïté : tu n’as aucun avenir avec lui. Et ce fichu Tahoe qui n’a pas
arrêté de me suivre de son regard lubrique pendant que je te cherchais.
– Mais je ne suis pas orange quand je rougis !
– Je te jure que ses intentions étaient univoques et je ne m’en suis pas encore
remise.
– C’est à cause des lumières du Tunnel que tu me vois orange. Je t’en prie,
dis-moi juste que tu voulais dire rouge comme une cerise.
– Bon, tu es rouge, ça te va ? Et détends-toi parce que dans quelques jours,
Saint aura déjà oublié ton nom quand il se réveillera entouré de quatre gonzesses
à poils.
Gina ou comment vous faire redescendre de votre nuage… Je lui rétorque :
– Si Saint est synonyme d’ennuis, que dire de Tahoe ? Je ne veux pas qu’il
se joue de toi.
– En l’occurrence, c’est toi qui m’inquiètes. Je refuse que tu sois le jouet
d’un salaud, tu m’entends bien ? Franchement, cette idée d’écrire un article sur
lui me déplaît de plus en plus.
Elle me prend par les épaules et me fait pivoter vers elle.
– Dis-moi qu’il ne t’attire pas, s’il te plaît !
– Je…
Que dire ? Je ne veux pas la blesser, ni lui mentir, je suis moi-même
incapable de savoir ce que je vais faire. J’élude :
– Ce sont mes hormones qui l’aiment bien.
Devant sa grimace, je nuance encore :
– Enfin, un peu.
– Oh non ! dit-elle en secouant vigoureusement la tête. Non, Rachel !
Trop tard ! J’ai joui dans ses bras en boîte ! Ce soir, en me mettant au lit, je
sens encore son odeur sur ma peau. Je l’entends encore m’inviter à rester avec
lui et de fait, je meurs d’envie de savoir l’effet que ça fait de me retrouver
allongée près de lui, entièrement nue. Des centaines de questions flottent dans
ma tête, et une seule est douloureuse, celle qui se trouve entre mes cuisses. J’ai
envie de lui envoyer un texto, de lui écrire que j’ai passé une charmante soirée
en sa compagnie. Mais aurais-je vraiment le cran de m’ouvrir ainsi à lui ? S’il
menait une autre vie, je le ferais sans doute. S’il était un mec normal. Si mon job
comptait moins qu’un partenaire. Je soupire… En gros, dans une autre vie peut-
être aurais-je trouvé ce courage.
Le lundi matin commence au même rythme que celui d’une tortue. Lever.
Café. Boulot. Mails. Retravailler ce que j’ai déjà écrit. Répondre aux questions
d’Helen sur ce qui s’est passé. Puis Victoria débarque, yeux écarquillés.
– Ça a marché, non ? J’ai entendu dire qu’on avait vu une blonde platine sur
les genoux de Saint.
– Chuuut ! dis-je en riant.
Et je lui fais signe d’approcher.
Mais tout à coup, je n’ai plus aucune envie de lui parler de Saint. Parfois,
quand je travaille sur un article, je ne veux rien dire à personne : je le protège,
attendant qu’il mûrisse en moi. Ensuite, je me mets au clavier et tout sort d’un
coup. Avec cet homme, toutefois, c’est différent. Je ne peux supporter de le
partager. Pas même avec mes amies. Je ne comprends pas pourquoi je tiens à
mettre ce cordon de sécurité autour de nous, puisque personne ne peut
comprendre qui il est ni l’avoir. Ni ses nanas, et a fortiori pas mes amies.
– J’ai eu de la chance, mais il ne s’est rien passé, dis-je. Tu connais les mecs.
Ils aiment bien flirter.
– Dans ce cas, drague-le toi aussi. Et mets le paquet.
Elle me fait un clin d’œil et s’éclipse. Et merde ! Je pousse un soupir et
m’écroule dans mon fauteuil. C’est alors que Valentine débarque avec le même
petit refrain.
– Une blonde platine, donc ? Les gens se posent des questions sur les
réseaux sociaux. Pour ma part, je n’en connais qu’une. Comme tu as l’air douée,
tu ne veux pas me donner quelques tuyaux pour mon rendez-vous de ce soir ?
– Ah bon, tu as un rendez-vous ? Waouh ! Y a de l’amour dans l’air. Garçon
ou fille ?
– Fille. Je l’invite chez un Chinois qui cuisine bien gras pour voir si elle
aime s’empiffrer. Je déteste les partenaires qui se contentent de grignoter. Rien
ne m’excite plus qu’une bonne vivante.
Impassible, je continue mes recherches sur Internet.
– Tu savais que les manchots étaient monogames ?
– Oui, j’ai longtemps fait partie de cette tribu, mais je me suis révolté.
D’ailleurs, je n’ai plus l’intention d’être prisonnier des rendez-vous traditionnels
et tu devrais m’imiter. Oh, mais attends une seconde… Toi, tu as toujours
affirmé que tu n’as envie de sortir avec personne, non ?
Je lui adresse un petit sourire suffisant.
– Ce n’est pas parce que toi, tu n’as pas su me faire changer d’avis, que
personne n’en est capable.
– Tu vois. Tu SORS avec lui.
– Mais non ! NON ! S’il te plaît, tais-toi ! Bon, sors d’ici et… va méditer.
Allez, hop, à ton bureau !
Et toute la journée, je dois répondre gentiment aux questions qu’on me pose,
prétendant que lors de ma soirée au Tunnel mon petit monde n’a pas subi la
moindre secousse… Alors qu’il a été si fortement ébranlé qu’il s’est retourné.
CHAPITRE 17
NUIT
TOURBILLON
Tard ce soir-là, je fais encore des recherches jusqu’à minuit, tant je me sens
fébrile. J’éprouve le besoin de rédiger cet article le plus vite possible car, en
dépit de ce que j’ai affirmé à mes amies, je crains de tomber amoureuse de lui.
Et je me surprends à rêver devant ses photos sur Internet… Mais qu’est-ce qui
m’arrive ?
Sur YouTube, je tombe sur une vidéo où son père fulmine contre lui : « Saint
a eu beaucoup de chance, il est astucieux, il a reçu l’héritage de sa mère, mais il
n’a pas la moindre idée de la façon dont on gère une société qui vaut plus d’un
milliard. »
Je marmonne alors :
– Il me semble qu’il a prouvé que tu avais tort, non ?
C’est un bel homme, d’environ cinquante-cinq ans. Malcolm ne lui
ressemble pas, à l’exception de sa carrure virile. Sa beauté exceptionnelle et son
sourire à se damner lui viennent de sa mère.
Je me lance aussitôt dans des recherches sur elle et la cause de sa mort. Je
trouve plusieurs infos. Catherine H. Ulysses, l’une des assistantes de Malcolm,
celle qui est amoureuse de lui – j’en mettrais ma main au feu –, était donc à
l’enterrement, tout près du jeune Malcolm, ce qui me confirme qu’elle le connaît
depuis un certain temps. Puis je tombe sur un renseignement intéressant…
Juliette, la mère de Saint, adorait visiblement les animaux et chaque année
octroyait d’importantes donations aux sociétés qui les protègent. Et je découvre
que le jour où Saint a sauvé Rosie, c’était celui de l’anniversaire de sa mère.
Tiens, tiens… Je remonte le fil du temps. Chaque année depuis de sa mort, il
sauve ou adopte un animal, et se rend ensuite sur sa tombe (ainsi que le révèle la
présence de son véhicule près du cimetière).
Je sens mon cœur se serrer. Je l’ai vu ce jour-là, peut-être était-il aussi triste
que moi je le suis, pour l’anniversaire de la mort de mon père. Je me souviens
que nous l’avons déposé à M4 où sa voiture l’attendait. Je n’aurais jamais
imaginé qu’il allait se rendre au cimetière, et je le regrette. Ce qui renforce ma
motivation d’en découvrir davantage sur lui. J’aurais pu être à ses côtés, ce soir-
là, l’emmener quelque part où il se serait amusé et… Et quoi, Rachel ?
Commettre l’acte le plus insensé de ta vie en couchant avec lui, alors que tu as
un précieux article à rédiger ? Clairement déchirée, je clique encore sur quelques
liens, surtout ceux qui concernent ses parents.
J’entends soudain Gina s’étrangler avec les céréales qu’elle tenait à manger
pour éponger les cocktails qu’elle a bus tout à l’heure, lorsqu’on frappe à la
porte. Curieux… Je perçois quelques bribes de l’échange : « … appartement
3C… morte… » Mon sang se fige dans mes veines, je me rue hors de ma
chambre, au moment où Gina referme la porte de notre appartement : je la vois
enfouir son visage dans ses mains et éclater en larmes.
– Gina !
– C’est madame Sheppard, parvient-elle à articuler.
Je la revois alors tout sourire, il y a quelques jours, en train de promener ses
animaux et en une seconde, je me transforme moi aussi en fontaine. J’ai redouté
toute ma vie la scène que je suis en train de vivre ! Oui, la peur d’une perte
immense et inattendue m’habite depuis la mort de mon père, avant même que je
n’en sois consciente. C’est un sentiment de vulnérabilité totale. Subitement,
votre monde se met à tourner et il vous est impossible de reprendre pied.
Lindsey Sheppard était notre voisine de palier, elle a été tuée par balle par un
groupe de jeunes gens qui circulaient à bord d’une voiture, il y a une heure. À
son arrivée à l’hôpital, elle n’avait pas survécu. Gina et moi sommes si
choquées, qu’après avoir pleuré toutes les larmes de notre corps pendant dix
minutes, étroitement enlacées, nous allumons la télévision et regardons les
nouvelles. Je renifle, elle renifle, nous reniflons en chœur. J’appelle ma mère
pour lui demander comment elle accuse le choc, et elle me pose la même
question. Je lui mens et dis que ça va.
– Quand viendra donc le jour où l’on n’apprendra plus des nouvelles aussi
affreuses ? soupire Gina d’un ton las en éteignant la télévision.
Elle ouvre mon ordinateur et s’assied à côté de moi afin que nous puissions
suivre en ligne les informations sur ce terrible évènement. Mais nous
n’apprenons rien de plus, elle renonce, et va dans la cuisine.
Je découvre alors que j’ai une tonne d’alertes liées aux mots-clés que j’ai
entrés : Malcolm Saint. Sur une impulsion, je clique sur quelques-uns et tombe
sur des blogs qui colportent des ragots. J’ouvre une vidéo. Après une publicité
de quinze secondes, le visage de Saint s’affiche sur l’écran et je sens une douleur
lancinante m’étreindre… Il est en costume noir, cravate noire, cheveux plaqués
en arrière, fendant la foule. Il a l’air inaccessible, ailleurs.
Ces clips ont été pris la veille, pendant qu’il assistait à une soirée dans le
cadre de son travail. « Et le requin de la finance était parfaitement seul »,
commente une voix off. « Les spéculations vont pourtant bon train sur le Net :
aurait-il pour la première fois de sa vie une relation sérieuse avec une
journaliste ? »
– Il était peut-être seul à cette soirée d’affaires, mais je peux t’assurer qu’en
ce moment, il ne l’est pas, décrète Gina.
Et elle se sert de l’eau pour avaler un somnifère. Comme ma petite attirance
semble devenir plus sérieuse, ces paroles ne me font pas de bien du tout. En fait,
avec ce qui est arrivé à madame Sheppard ce soir, je suis vraiment malheureuse.
– Gina, ne me laisse pas, lui dis-je en la rattrapant par le bras. Reste, sinon,
je ne vais pas pouvoir dormir.
– Oh, ma pauvre chérie !
Elle me tapote gentiment la tête et ajoute :
– Allez, bonne nuit, maintenant.
Je renifle un peu et repense encore à la dernière fois où j’ai vu madame
Sheppard. C’était lorsque je me rendais aux locaux d’Interface, elle promenait
son chien et son chat… Elle avait été très gentille avec moi, comme toujours.
J’ai de la peine pour ces pauvres animaux, désormais seuls. Et je suis vraiment
triste que la ville de Chicago ait perdu madame Sheppard. Toujours perdue dans
mes pensées, je regarde les nouvelles télévisées, où il est alors question des
investissements de M4 dans le domaine pharmaceutique.
Je me rends compte que Saint est une séduisante tête-brûlée et que je suis
son trésor, un bourreau de travail effrayé qui porte son cœur en bandoulière,
toujours vulnérable. Quand tu sortiras de ta boîte, je t’attendrai… Oh, Rachel,
mais que t’arrive-t-il ?
Je fonce vers la salle de bains, plus précisément sous la douche, et m’attache
les cheveux pour ne pas les mouiller. La culpabilité est un sentiment si
insidieux ! Il m’accable toujours quand quelqu’un meurt de cette façon.
Coupable de ne pas avoir fait plus, d’être encore en vie. Nous recourons à tant de
mécanismes de défense pour nous en sortir. La colère, le déni, les larmes… Mon
mécanisme à moi, c’est l’action. J’y ai souvent recouru jusque-là dans ma vie
pour combattre les peurs et engourdir ma peine. Je n’avais jamais imaginé que ce
réflexe de survie me conduirait à un homme – et encore moins cet homme-là.
Je choisis mes sous-vêtements en pensant à lui. Du blanc, car je sais qu’il a
de l’expérience, et moi si peu : par conséquent, je veux qu’il soit prudent avec
moi. Ma robe ? Là encore, c’est lui qui guide ma main, et bien sûr des
chaussures noires. À chacune de mes respirations, il est dans mes pensées.
Maintenant, je me peigne, des coups de brosse vigoureux, jusqu’à ce que mes
cheveux soient bien brillants et retombent tout lisses dans mon dos. Puis, mes
clés à la main, je m’observe attentivement dans le miroir : qui est donc cette
personne avide de sexe et désespérément folle qui me fixe en retour ?
Je sais que Saint possède plusieurs biens à Chicago, mais ce dont je suis
certaine, c’est qu’il réside en ce moment dans un appartement de grand standing
au sommet d’un gratte-ciel en verre miroir, lequel surplombe le lac Michigan et
l’avenue du même nom. Je griffonne sur un Post-it à l’attention de Gina – « Je
suis sortie » – juste au cas où elle se réveillerait et s’inquièterait, puis je file dans
le hall de l’immeuble et, à l’extérieur, hèle un taxi.
Il est peut-être encore à la collecte de fonds, me dis-je soudain. Et s’il ne
rentrait pas directement chez lui ? Ou pire, s’il rentrait accompagné… Pourtant,
aucun de ces arguments ne semble vraiment pénétrer les brumes de mon cerveau
quand je saute dans le taxi. J’ai l’impression de me trouver au bout d’un
élastique tendu à l’extrême, prête à prendre mon envol sans savoir où je vais
atterrir.
Je veux le voir. J’essaie de me convaincre que c’est tout ce que je souhaite.
Je ne suis pas ivre.
Je suis en complète possession de toutes mes facultés mentales, et en même
temps, c’est comme si je les avais perdues… À l’arrière du taxi, je regarde
défiler les immeubles menaçants, les fenêtres brillantes, les rues encombrées, la
gorge nouée en pensant à Saint, à l’appartement luxueux où il vit actuellement,
pendant la rénovation d’un autre, encore plus impressionnant.
Mes talons claquent sur le marbre quand je traverse d’un pas d’automate le
hall de son immeuble et me dirige vers le gardien, me demandant ce que Mal va
penser de mon initiative.
– Bonsoir ! dis-je d’un ton assuré. Rachel Livingston pour monsieur Saint. Il
ne m’attend pas.
Le gardien m’assure de ne pas m’inquiéter et compose son numéro.
Visiblement, il le connaît par cœur. Il lui annonce ma visite, puis me dit :
– Montez ! C’est au dernier étage.
Un groom introduit une clé dans l’ascenseur, j’imagine que c’est pour
sécuriser l’accès au dernier étage ; il ressort pour me laisser entrer. Putain ! Mais
qu’est-ce que je suis en train de faire ? Pourvu qu’il ne me prenne pas pour une
traînée… En fait, il serait préférable qu’il se trouve en ce moment avec une fille,
ce qui me permettrait de rentrer directement chez moi et d’oublier que je suis
venue… Et si l’ascenseur se bloquait brusquement jusqu’à ce que je retrouve
mes esprits ? Et que je ne me remette jamais de cette frayeur, de ce sentiment de
claustrophobie afin de ne jamais revenir… ?
Mais l’univers n’entend aucune de mes supplications. L’ascenseur s’ouvre
directement dans l’appartement, j’entends de la musique… Et merde, ce n’était
pas ainsi que j’envisageais mon arrivée !
Consciente que je devrais prendre mes jambes à mon cou, je me force
cependant à mettre un pied devant l’autre. Le luxe minimaliste, et néanmoins
digne d’un palais, qui me happe dès mon arrivée me transporte immédiatement
dans un autre monde…
Sa veste est posée sur le dos d’un long canapé moderne en forme de L. En
arrière-fond, je reconnais un air de Chopin, du moins je crois. Un verre de vin
vide est posé sur la table basse. Aurait-il de la visite ? Finalement, tes vœux ont
peut-être été entendus, Rachel, il n’est pas seul chez lui. Qui sait s’il n’a pas
organisé une partie à quatre ? Le concierge aura vu en toi la quatrième
personne… Cette pensée m’est soudain insupportable et j’ai vraiment envie de
pleurer. Je porte une ravissante petite robe noire, mais mon visage reflète
assurément une grande tristesse. En tout cas, ce n’est pas un mélange détonnant
pour séduire un homme à femmes et j’envisage sérieusement de m’éclipser
quand il surgit du corridor, en reboutonnant sa chemise blanche. Qu’il est
beau… Il a l’air distrait, les cheveux en désordre. Il est pieds nus et tellement
sexy. Je remarque subitement son ordinateur ouvert sur la table, à côté de la
bouteille de vin. Était-il en train de travailler ?
– Quelque chose ne va pas, Rachel ? me demande-t-il en me jaugeant de la
tête aux pieds.
Et soudain, je me sens extrêmement vulnérable… Incapable de faire face à la
mort violente de madame Sheppard, qui ravive tant de traumatismes en moi, je
me suis habillée pour séduire un homme, cet homme-là, à cause de qui j’ai une
boule dans la gorge et le cœur douloureux…
– Tu es seul ? Je te dérange ?
Je fais appel à tout mon courage, consciente de mon désir éperdu de le
toucher, de l’embrasser. Il plisse les yeux.
– Qu’est-ce qui se passe ?
– Une de mes voisines d’immeuble est morte, touchée par balle ce soir, dis-
je en me frictionnant les bras, brusquement frigorifiée. Elle était divorcée et
vivait avec un chat et un chien. Elle était très belle. Solitaire et merveilleuse.
Il passe une main nerveuse dans ses cheveux, puis laisse son bras retomber.
– Je suis désolé, dit-il, viens là.
Oh oui, comme j’ai envie qu’il m’enlace ! Un pas, deux, trois, quatre, cinq et
je me glisse dans ses bras, l’enlaçant par la taille ; il me serre étroitement contre
lui et pose la main derrière ma tête.
Oh non ! Depuis quand suis-je devenue une fille comme ça ? Une fille qui a
besoin d’être cajolée par un homme qui hante en permanence ses pensées ?
Chaque fois que je voyais Wynn dans les bras de son père, ou dans ceux de ses
petits amis par la suite, je l’enviais réellement, mais j’ignorais à quel point
jusqu’à ce que Saint me berce doucement contre lui. Il me tient contre lui
comme l’autre jour, chez moi, mais j’étais alors bien trop pétrifiée pour
apprécier.
Je pose mon visage contre son torse… Ce qu’il sent bon !
– Je suis désolé, murmure-t-il d’une voix rauque.
Puis il prend mon visage entre ses mains et plonge son regard compatissant
dans le mien : j’y vois une fièvre mêlée de tendresse. Il me donne un petit baiser
presque fraternel au coin de la bouche. Un baiser pour me consoler, me
réconforter. Et tout à coup, je sens mon corps se réveiller au contact de ses
délicieuses caresses que lui seul sait me donner. Les battements de mon cœur
s’accélèrent, mon pouls se met à battre de façon assourdissante dans mes tempes.
C’est une sensation incroyable, formidable, que celle où l’on passe en une
seconde de l’humeur la plus sombre à l’excitation la plus vive, d’un sentiment de
peur à celui où l’on est capable de tout. En l’occurrence de hurler, de bondir, de
l’embrasser.
L’empoignant par la chemise, je lui demande :
– Tu veux toujours coucher avec moi ?
Il fronce les sourcils.
– Maintenant ? Tu plaisantes, j’espère ?
Je serre les dents puis, saisissant un coussin sur le canapé, lui jette au visage.
– Et toi, tu plaisantes ?
J’ai hurlé. Son visage devient aussi dur que du granit, puis il se dirige vers
un angle du salon, et tapote un code sur un clavier. S’emparant d’un combiné
sans fil, il dit :
– Pas de visiteurs.
Il le repose et revient d’un pas résolu vers moi.
– Je suis peut-être un salaud, Rachel, mais je ne vais pas profiter de toi dans
l’état où tu es.
– Mais puisque c’est moi qui te le demande !
– Regarde-toi, enfin ! Si tu voyais ta tête, tu comprendrais que la dernière
chose dont tu aies besoin, c’est de coucher avec un homme ce soir.
Il émet un rire dérisoire, jure dans sa barbe, puis me prend dans ses bras et
me soulève le menton.
– Saint, je t’en supplie…
– Pourquoi es-tu venue au juste, ce soir ?
– Je te l’ai dit.
– Donc, c’est pour le sexe ? demanda-t-il d’une voix rauque.
Et de son pouce, il me caresse la joue. Je déglutis avec difficulté, et presse de
nouveau le visage contre son torse avant de marmonner :
– Ne peux-tu donc rien faire contre la violence qui sévit à Chicago ?
Ce que je me sens bien dans ses bras ! J’ajoute promptement :
– Tu es si puissant… Tant de gens se réveillent un beau matin, avec un vide
immense, une perte irréparable. Toi, tu as la faculté de faire bouger les lignes !
On t’écoutera si tu parles de la violence qui sévit à Chicago, tu attireras
l’attention des gens.
Il me considère un instant et me saisit la main.
– Viens.
Il m’entraîne dans un corridor qui ouvre sur de nombreuses portes, et en
pousse une qui révèle une chambre immense et moderne, au mobilier foncé et au
tissu clair.
– Mets-toi à l’aise, me dit-il.
Et il me tend une chemise d’homme qu’il vient de sortir de son placard avant
de disparaître dans une salle de bains de la taille d’un spa, refermant une porte
coulissante derrière lui. Les battements de mon cœur s’accélèrent quand je saisis
la chemise et, sur une impulsion, je la porte à mon nez… J’entends la douche
couler : que j’aimerais avoir l’audace de me déshabiller et le rejoindre !
Mais à la place, je hume à pleins poumons sa chemise, enlève ma robe et,
après m’être demandé une seconde si je retirais aussi mes sous-vêtements, je
n’en fais finalement rien et m’en félicite quelques secondes après. Une fois que
j’ai enfilé sa chemise, l’intimité qu’elle me procure me trouble terriblement et
ravive en moi un désir violent.
Tout mon corps me picote à son contact. Je n’avais pas compris à quel point
sa fichue chemise me manquait ! Espérant encore au fond de moi le faire
changer d’avis, je lisse mes cheveux, essuie mes larmes et me glisse dans son
lit… Son matelas, aussi immense que confortable, me donne tout de suite la
sensation de flotter sur un champ de nuages.
Lorsque Malcolm sort de la salle de bains, une vague de chaleur se répand
en moi. Il porte seulement un bas de pyjama, et ses cheveux sont mouillés. Un
vrai miracle… Il s’allonge à côté de moi et je me blottis sans réfléchir contre lui.
L’odeur de son savon m’envahit quand il me serre étroitement. Subitement, je
voudrais qu’il grogne et halète, sentir tout le poids de son corps sur moi, un
corps fiévreux…
Je suis dans son lit ! C’est comme un rêve devenu réalité, après toutes ces
nuits passées à fantasmer sur lui. J’incline la tête en arrière pour avoir un peu de
recul. Il baisse les yeux vers moi, puis sourit.
– Rachel Livingston, si tu savais ce que j’ai en tête, je t’assure que tu ne te
sentirais pas tranquille en ma présence.
Non, il ne peut pas imaginer ce dont j’ai envie, la force désespérée de mon
désir. Deviner qu’il m’obsède en permanence… Mais l’intensité de son regard
me mystifie et l’air semble tout à coup électrique. Il m’est vraiment difficile
d’être étendue près de lui et de me contenter de le scruter alors qu’il éveille en
moi des envies insensées. Il ne bouge pas, me tient toujours sagement dans ses
bras, le visage tout près du mien, tandis qu’il me regarde avec un air déterminé.
– Parle-moi de tes projets, me dit-il.
Et, bien que je perçoive du désir dans sa voix, j’entends aussi de la sincérité
dans sa question. Je rétorque néanmoins :
– Pourquoi tiens-tu à discuter ? Nous pouvons tout à faire recourir à un autre
langage…
Mais quand il me décoche un coup d’œil contrit, je soupire, enfouis le visage
dans son torse et ajoute :
– Jamais, dans ma vie, je n’ai eu l’impression d’être en sécurité. Mais toi, le
mouvement ne te fait pas peur, tu es toujours dans l’action…
Un silence s’ensuit et, l’air pensif, je reprends :
– Pourquoi ? Pourquoi es-tu toujours en quête de quelque chose ?
Il émet un rire sec.
– Je ne sais pas. Sans doute parce que je veux toujours quelque chose.
– Même des femmes ?
Il ne réagit pas puis, pressant doucement ses lèvres contre ma tempe,
murmure :
– Oui, parfois.
Je me sens fondre, mais un élan de jalousie me traverse aussitôt. J’essaie de
le surmonter.
– Tant de monde gravite autour de toi, Malcolm, que je suis surprise de te
trouver seul chez toi, ce soir.
Il hésite, effleure de nouveau mes tempes, puis se repositionne dans le lit, si
bien que je me retrouve presque juchée sur lui… Il se met à me caresser le dos,
par-dessus sa chemise.
– Les gens avec qui je sortais jusque-là ne m’amusent plus vraiment,
chuchote-t-il contre mon oreille.
Et je me liquéfie littéralement. Que va-t-il rester de moi demain matin, au
réveil ? Effleurant son téton de mes lèvres, je murmure en retour :
– Pourquoi t’entoures-tu toujours de si nombreuses personnes ?
– À cause de la méningite que j’ai eue, enfant. Je t’ai dit que mon père ne
supportait pas que je sois malade. Or, à cinq ans, je me suis retrouvé à l’hôpital
avec une méningite. Ma mère venait me voir chaque jour une heure, avant son
cours de tennis, et en dehors de cette visite, le temps s’étirait très lentement. Si
lentement que je regardais les minutes s’égrener une à une. J’attendais que ma
perfusion se vide pour qu’enfin quelqu’un vienne et la remplace.
Il ressentait donc une immense solitude, dans une clinique privée. Comme à
l’isolement dans une cellule. Je l’observe : aujourd’hui, il est grand, puissant,
bien entouré. Et pourtant toujours étreint par un sentiment de solitude. Fermant
les paupières, je titille son téton du bout de la langue, l’aspire, l’embrasse. Je
sens qu’il se tend, et quand il empoigne mes cheveux, prêt à me repousser,
j’arrête et lève vers lui un regard fiévreux.
– Dans le cadre de Halte à la violence, je rends parfois visite aux familles
des victimes, et certaines sont vraiment solitaires. Les gens ne se rendent pas
compte qu’à défaut de faire des dons financiers, ils se rendraient utiles en offrant
un peu de leur temps.
Il me sourit de nouveau d’un air contrit, mais le désir que je vois naître dans
les profondeurs de ses prunelles est d’un tout autre ordre.
– Viens là, Rachel.
Il m’attire tout contre lui et plonge la main dans mes cheveux.
– Je suis vraiment désolé pour ta voisine.
Sa proximité m’embrouille les pensées, tout comme son odeur masculine
unique, son savon, son shampooing, son après-rasage. C’est un mélange puissant
qui agit comme un aphrodisiaque sur mes sens. Je ferme les paupières et laisse
glisser mes doigts sur son torse… Une caresse légère, je ne veux pas être
insistante, mais c’est plus fort que moi. Tout comme je ne peux empêcher mon
cœur de battre à toute vitesse, bouleversée par ses confidences. Mais également
éperdue de désir.
Je brûle d’envie de faire courir mes doigts sur sa mâchoire. De presser mes
lèvres sur les siennes, je ne suis que désir… Saint incarne le dynamisme, le
mouvement. C’est un homme qui va toujours de l’avant, qui en veut toujours
plus. Il a l’énergie de celui qui veut posséder le monde, et je veux trouver ma
place dans cet élan ! Grave erreur, j’en suis consciente…
Saint est un éternel séducteur, aucune femme ne saura apaiser l’appétence
qui le dévore, la soif du toujours plus. Assez, Rachel ! L’amour, c’est pour les
romantiques, toi, tu es journaliste, non ? Pourtant, pour la première fois de ma
vie, je me retrouve dans le lit d’un homme et ne peux m’empêcher de vouloir,
pour une nuit, être une autre…
CHAPITRE 19
MATIN
CE SOIR…
Je suis assise à mon bureau, en train d’écrire, quand mon regard se heurte
tout à coup à une composition florale qui dissimule le livreur qui la porte.
– C’est pour vous, me dit ce dernier, de derrière une forêt d’orchidées.
Je me fige, choquée puis, les yeux plissés, balaie l’espace autour de moi…
Quelqu’un, à Edge, a-t-il décidé de me jouer un tour ? Je n’en ai pas
l’impression, car tous tapent tranquillement sur leur clavier, quelques-uns se
tournant toutefois vers moi d’un air curieux.
Me rendant compte que le pauvre livreur va s’effondrer sous le poids de son
fardeau, je fais un peu de place sur ma table de travail, afin qu’il l’y dépose, puis
plonge dans la contemplation des plus belles orchidées qu’il m’ait été donné de
voir… Je repère alors une carte nichée entre ces magnifiques fleurs blanches et
bleues. Je m’en empare et me mets à trembler si fort que je m’écroule sur ma
chaise…
« Il ne me semblait pas juste que tu passes une autre journée sans savourer le
luxe d’un cadeau offert par un homme qui pense à toi. M.S. »
Je secoue la tête et repose la carte. Sandy, une de mes collègues, s’arrête à
ma hauteur en voyant le bouquet.
– Waouh ! s’écrie-t-elle. Un homme veut conquérir ton cœur, Rachel.
À cet instant, Valentine se penche dans mon box.
– Crois-moi, il vise plus bas, dit-il.
Victoria et Helen veulent immédiatement savoir ce qui se passe. J’élude :
– Désolée, j’ai beaucoup de travail.
Je veux que la soirée soit vraiment à nous, que personne n’en sache rien, que
ce soit juste lui et moi. Consciente qu’il s’agit d’un moment volé au temps, je me
sens tout à coup l’âme d’une pécheresse. Cela dit, j’ai vraiment hâte de revoir
Mal. Mon corps en est tout douloureux. Je lui envoie un texto :
Merci
Remercie-moi en personne ce soir.
Il sait, nous savons tous les deux très bien ce qui va se passer ce soir. Que je
suis impatiente de le retrouver, comme j’ai hâte que cette journée se termine ! Je
n’arrive pas à avaler la moindre bouchée au déjeuner et il ne quitte pas mes
pensées une seule seconde.
D’ailleurs, tout le monde semble parier qu’il est l’expéditeur de ces
merveilleuses orchidées. On s’extasie sur la fraîcheur de la composition florale,
sur son originalité, son harmonie, et certains spéculent même sur son coût.
Victoria vient elle aussi jeter un coup d’œil dans mon box et essaie de lire la
carte. Je la lui reprends vivement et la fourre dans mon sac à main.
– Eh bien ! Tu ne veux vraiment pas qu’on sache.
Elle fronce les sourcils puis émet un petit rire avant de caresser d’un air
songeur les pétales d’une petite orchidée fuchsia.
– C’est de la première qualité, m’assure-t-elle, un sourire entendu aux lèvres.
– Je travaille, Vicky.
– Ah bon ? Pourtant, tu n’as pas l’air si occupée que ça.
Elle croise les bras, et s’assied sur le rebord de mon bureau.
– Tu fixais un point devant toi, entre ces fleurs-ci, quand je suis entrée, dit-
elle en les désignant.
Je renchéris avec détachement :
– Je peux t’être utile en quoi que ce soit ?
– Oui. Dis-moi, Saint a-t-il pour habitude d’envoyer des fleurs à toutes les
femmes qu’il séduit ?
Elle pose son doigt sur le coin de sa bouche, fait mine de réfléchir, et
reprend :
– C’est une première, il me semble. C’est quoi ton secret ?
Elle m’adresse un petit sourire malicieux et ajoute :
– Tu sais bien t’y prendre avec lui, n’est-ce pas ?
Je pense à l’emprise qu’il a sur moi… À celle de ses baisers, de ses caresses.
Impossible de dormir, de respirer, bref, de continuer à vivre sans l’avoir senti au
moins une fois en moi. Et je ne peux m’empêcher de penser que c’est moi qui
vais être prise au piège, et non l’inverse. J’ai l’impression d’être tombée sur la
tête, de me noyer dans l’air que je respire. Mais je me lève et invite gentiment
Vicky à sortir de mon box en lui remettant, l’air de rien, quelques dossiers :
– Secret de fabrique, lui dis-je. Et maintenant, file, tu voles l’air frais et
fleuri qui m’entoure. Si tu as envie de fleurs, bouge-toi pour qu’on t’en livre.
Elle s’en va enfin, et je peux de nouveau admirer mes orchidées.
Majestueuses, elles me dérobent sans complexe mon oxygène et ça me plaît.
Alors je me fais une promesse : ce soir, je serai aussi belle et sentirai aussi bon
qu’elles, pour lui.
Je me bichonne avec soin. Je choisis une culotte en dentelle rose, ornée d’un
petit nœud papillon sur le devant, en accord avec celui de mon soutien-gorge.
J’enfile une jupe évasée qui tournoie un peu quand je marche, assortie à un haut
ivoire à bretelles d’où dépassent délicatement celles de mon soutien-gorge. J’ai
l’air de hurler « j’ai envie de toi ! » à pleins poumons.
Il m’envoie un texto pour m’annoncer qu’il vient d’arriver en bas de
l’immeuble.
Gina n’est pas encore rentrée du travail, donc je lui laisse un mot comme
lorsque je passe la nuit à la belle étoile avec ceux de Halte à la violence :
Je ne dors pas ici ce soir. Bisous. R.
Une éternité et un battement de cœur plus tard, je monte dans la Rolls noire,
où il est assis à l’arrière. S’est-il fait encore plus chic pour moi ? Il est si beau
dans son pantalon noir et sa chemise de même couleur, dont il a retroussé les
manches jusqu’aux coudes. Elle n’est pas boutonnée jusqu’au col de sorte qu’à
la vue de sa peau bronzée, mon pouls s’affole… Dans l’intimité de l’habitacle au
verre fumé, il me murmure :
– Le chauffeur ne peut ni nous entendre, ni nous voir.
Et quand il glisse la main sous mon top pour caresser mon dos, je me rends
compte à quel point j’attendais ce moment. Je me rapproche de lui. Il dépose un
baiser au coin de mes lèvres. Un frisson me parcourt. Il effleure l’autre coin. Sa
bouche est chaude et ferme, un délice.
Je pose alors la main sur sa cuisse musclée, sans savoir jusqu’où j’aurai le
courage de remonter. Sous l’étoffe, sa peau semble brûlante et ses yeux sont
aussi verts que sombres. Je chuchote :
– Où allons-nous ?
– Chez moi, répond-il de la même façon.
Puis il me donne un léger baiser sur la bouche avant de reculer pour me
regarder. J’essaie de mettre un peu de distance entre nous, afin de rester
maîtresse de moi-même.
– Viens plus près.
Il glisse la main autour de ma taille, et m’attire contre lui. Ma température
intérieure augmente dangereusement et j’enfouis la tête dans son cou. Il ne réagit
pas. Je remonte avec lenteur l’ourlet de sa chemise et il passe de nouveau la
main sous mon top.
Soudain, je me retrouve perchée sur l’une de ses cuisses. De la langue, je
titille alors ses lèvres. Il me presse contre lui, et je sens son érection entre mes
cuisses.
– Tu me fais tellement bander, dit-il d’une voix râpeuse.
De petits frissons de plaisir parcourent mon corps, c’est si bon de le sentir
palpiter pour moi, tout contre mon sexe. Je voulais savoir à quoi le sien
ressemblait ? Maintenant, je le sais ! Il est énorme, parfait, dur comme du
marbre, son désir semblable à une chose vivante qui veut me dévorer. Par
contraste, ses lèvres sont douces, pareilles aux ailes d’un papillon,
incroyablement légères.
– Je veux te savourer sans attendre, ici, murmure-t-il. Te transporter toute la
nuit. Tu es une vraie enchanteresse.
Son murmure m’enivre littéralement, tout comme son regard transperçant, et
ses mains pressées… Pour toute réponse, je me contente de me mordre la lèvre,
retenant un grand sourire de satisfaction. Je soutiens son regard quelques instants
avant de baisser les yeux vers sa bouche. Il incline la tête en arrière et tout à
coup, l’idée de ne pas pouvoir le goûter m’est intolérable. Sentiment visiblement
partagé… Mus par un même mouvement, nous nous embrassons. D’abord un
simple effleurement, mais notre respiration est déjà haletante. Il promène de
nouveau ses doigts dans mon dos.
– Tu me veux comment ? Doux ? Fougueux ?
Et il rive son regard au mien comme si j’étais une déesse.
– Fougueux. Non. Doux. Doux, puis fougueux.
Je suis si excitée et nerveuse ! Il nous sert du vin, et nous le buvons en nous
dévorant des yeux. Quand je repose mon verre, il m’attire contre lui afin de
savourer ma bouche parfumée à l’excellent vin que je viens de boire. Il me sourit
lorsque nous arrivons devant chez lui et, une fois dans le hall, je sens qu’on nous
observe de tous côtés d’un air entendu.
D’autorité, Saint me prend la main et m’entraîne vers les ascenseurs. Je lui
demande alors :
– Combien de femmes as-tu déjà amenées chez toi ?
Il attire systématiquement l’attention, je ne crois pas que je pourrai m’y
habituer un jour.
– Il y a longtemps que cela ne m’est pas arrivé, répond-il quand les portes se
referment. Pas depuis la première fois que je t’ai vue.
Je me mets à rire.
– Tu n’es pas obligé de me dire ça, tu sais.
– Pourquoi te mentirais-je ?
Il me plaque contre la paroi de l’ascenseur et me compresse les seins avec
son torse.
– C’est bien toi qui est ici, non ?
Il passe la main dans mes cheveux et j’ai la soudaine impression d’être très
précieuse, sous son regard pétillant et connaisseur.
– Et je sais que tu as l’intention de dire oui à tous mes désirs, ajoute-t-il
contre mon oreille.
– Tu n’as vraiment amené personne chez toi depuis notre première
rencontre ?
On dirait que je ne sais plus parler, juste chuchoter. Mon corps est si tendu
de désir que je dois fournir un effort pour rester droite, me retenir d’explorer son
corps de la main ou du bout de la langue. L’attirance qu’il exerce sur moi se
situe aux antipodes de la raison. Il secoue la tête, son regard vissé au mien alors
qu’il admet être célibataire depuis ce qui représente sans doute, à ses yeux, un
temps record. Cette pensée me trouble et je baisse les paupières, comme saisie
par un accès de timidité.
– Et lors de cet after où tu n’as pas voulu que j’aille, tu n’as pas eu droit à un
spectacle… particulier ?
Sur cette question, je passe le doigt sur les boutons de sa chemise. Pourquoi
me rend-il aussi timorée ? Je crains qu’il ne perçoive ma jalousie, pourtant, je me
devais de lui demander. J’ai l’impression que l’ascenseur est notre cocon, et que
rien ne peut se mettre entre nous maintenant, qu’il n’existe rien en dehors de cet
espace.
Son cou est si masculin, me dis-je, en le contemplant. J’en apprécie les
solides tendons et le mouvement de sa pomme d’Adam quand il répond de sa
voix chaude. Je sens aussi sa respiration sur ma tempe, qui fait légèrement
bouger mes cheveux.
– À l’Ice Box, ce soir-là, je voulais me distraire, vraiment m’éclater. Et tout
à coup tu as surgi, celle que je cherchais précisément à oublier, et je ne pouvais
plus imaginer m’amuser avec une autre, après t’avoir vue ce soir-là, aussi belle
et sensuelle.
L’ascenseur vient d’arriver. Je rougis quand il me prend par la main et
m’entraîne à l’extérieur, le corps vibrant de plaisir après ce qu’il vient de dire.
Il a appelé ses amis pour leur donner rendez-vous à l’Ice Box quand nous
étions dans la Rolls, lors de notre deuxième interview. Il était donc déjà attiré par
moi… De mon côté, j’étais fascinée par l’eau qu’il buvait, désirant presque finir
ce qu’il en restait une fois qu’il fut descendu de la voiture, ne comprenant pas ce
qui m’arrivait.
Je suis contente d’être renseignée, il n’était pas obligé de me le dire, mais il
l’a fait. Je demande alors dans un murmure :
– Et ça t’arrive souvent ? Je veux dire, de te rabattre sur une autre femme
pour remplacer celle que tu ne peux avoir ?
Il penche la tête en arrière et se met à rire, tout en serrant ma main.
– Rachel, sache que je ne me calme jamais… Ni en affaires, ni pour ce qui
est du plaisir. Tu vas être l’exception qui confirme la règle, car tu es journaliste.
Or, je ne mélange jamais affaires et plaisir.
– Moi non plus je ne mélangeais pas, avant…
Pensive, je m’écarte un peu de lui et regarde Chicago qui s’étend derrière
l’immense baie, les milliers de petites lumières scintillantes qui s’éveillent, une
fois le soleil couché.
– Tu jouis d’un panorama incroyable. Une vue du monde si différente…
D’ici et de ton bureau aussi.
– J’aime surtout la vue en ce moment, dit-il dans mon dos.
J’aspire profondément et savoure les nuées de papillons dans mon ventre, la
sensation de mes jambes en coton. Sa voix m’évoque l’écorce d’un arbre à
présent, rugueuse, ferme, solide en dessous et fermement enracinée. Quand, de
sa langue, il se met à titiller mon lobe, j’ai l’impression d’être toute légère, et
m’appuie contre lui.
Sentant soudain sa formidable érection contre mes reins, j’entrouvre la
bouche pour reprendre mon souffle. Oh, comme j’ai envie de lui ! Il tourne
gentiment mon visage vers lui, puis glisse une main sur mes seins.
– Je suis si excitée que l’on peut se passer des préliminaires, dis-je dans un
souffle.
À ces mots, il se fige… Euh, ce n’était pas la réaction que j’attendais. Ai-je
commis une erreur ? Je lui lance un coup d’œil. Il relève le coin de la bouche et
une curieuse lueur traverse ses yeux.
– Je prends mon temps, Rachel.
Pitié ! Je suis si humide, mon sexe est si gonflé que je me demande même si
je vais pouvoir faire l’amour.
– Saint ! Ne sois pas cruel ! J’ai envie de toi, je…
– Moi aussi, j’ai envie de toi.
Et il me donne un bref baiser sur la bouche avant de se diriger vers le bar et
de nous rapporter à chacun un verre de vin.
Puis il s’assoit sur le canapé et me regarde. Cet homme a vraiment le don de
me déstabiliser, de me transformer en une fontaine de désirs.
– Viens près de moi, dit-il en me tendant un verre. Je veux savoir si mon
cadeau t’a plu.
– J’ai suffisamment bu dans la voiture. Pas toi ?
Il avale calmement une gorgée. Je fronce les sourcils.
Brusquement, j’ai envie de renoncer au jeu du chat et de la souris, et de
rentrer chez moi, mais quelque chose dans son regard m’en dissuade. Il est si
viril, si concentré… que cela renforce encore mon désir ! Tout ce qui émane de
lui, son énergie, sa puissance masculine, son envie de me dominer, prend le pas
sur ma fierté. Je n’ai jamais été attirée par un mec aussi exaspérant et aussi sexy
que lui. D’ailleurs, j’ai pour principe d’éviter les hommes. Mais en l’occurrence,
je serais prête à me battre à mains nues avec une femme, là, sur-le-champ, si elle
venait revendiquer des droits sur lui.
Prenant une grande inspiration, je lève les bras, retire mon top, le laisse
tomber par terre… et me retiens alors de cacher ma poitrine ! Mais qu’est-ce qui
me prend ? Je fais un strip-tease comme une pute, maintenant ? Devant Saint ?
– Tu peux aussi exécuter une petite danse, pour compléter le numéro.
– Va te faire foutre, dis-je dans un murmure.
– Je préfèrerais que ce soit toi qui le fasse.
Et sur cette provocation, il avale un peu de vin, l’œil rivé à moi, un sourire
aux lèvres. Il est si viril que la testostérone vibre dans la pièce autour de nous.
J’ai envie de lui arracher sa chemise, je veux être imprudente, sauvage avec lui.
Et d’une façon paradoxale, au sein de cette témérité, il me procure aussi un
sentiment de sécurité.
– Au cas où tu l’aurais oublié, je suis prête à coucher avec toi, lui dis-je tout
à coup, surmontant ma timidité.
Il sourit doucement, et repose son verre de la même façon. Je commence à
hurler.
– Saint ! Je te déteste ! Je me jette à tes pieds ! Au moins, ne…
Il me tire par la main, et presse sa bouche contre la mienne.
– Chuuut ! J’adore te voir dans cet état.
Il mêle alors sa langue à la mienne, plaque les mains sur mes fesses, puis me
savoure avec avidité, bruyamment, ce qui me procure une sensation délicieuse,
excitante, inconnue jusqu’ici.
– Tu me désires, je le sais, dis-je dans un murmure.
Il me soulève, comme si je pesais le poids d’une plume, et j’enroule mes
jambes autour de sa taille tandis qu’il m’emporte dans sa chambre. Dans un
même mouvement, il me dépose sur son lit et j’ai l’impression de plonger dans
un monde de douceurs… Puis il se dresse au-dessus de moi, le souffle aussi
saccadé que le mien, le regard vert volcanique. Tout le désir enfoui depuis des
semaines au fond de moi menace d’exploser.
– Malcolm, dis-je d’un ton suppliant.
À genoux sur le rebord du lit, je déboutonne fébrilement sa chemise qui
glisse sur ses épaules, fais courir mes doigts sur ses abdos, son torse plat, y
presse mes lèvres tout en défaisant sa ceinture. Alors il m’empoigne les cheveux,
me forçant à reculer et c’est les mains nouées autour de son cou que je bascule
sur le lit, l’entraînant avec moi.
Il me donne un baiser avant de laisser sa bouche redescendre vers la partie
inférieure de mon corps pendant qu’il caresse le haut. Il se met à titiller ma
poitrine, dégrafant d’un geste habile mon soutien-gorge. Son souffle, pareil à une
douce brise, court sur ma peau, sa langue humide et chaude m’électrise…
– Quelle dextérité ! On voit que tu as de la pratique, lui dis-je.
Je sens son sourire contre moi quand, de son pouce, il caresse la pointe de
mes seins. Puis il redevient sérieux, moi aussi, et le rythme de notre respiration
s’accélère à mesure que l’air devient de plus en plus brûlant entre nous. Ma tête
bascule sur l’oreiller tandis qu’il mordille et aspire mes seins, l’un après l’autre
et que des vagues de plaisir m’inondent successivement.
– Chasse gardée, dit-il en promenant sa langue jusqu’à mon nombril.
Je me mets à rire et, sans transition, il fait rouler ma culotte sur mes
cuisses… Je vois ses yeux s’assombrir au moment où ils se posent sur les plis
froissés et frémissants de mon sexe. J’essaie de graver son désir à l’état brut dans
mon esprit.
– Détends-toi, me dit-il cependant que j’essaie de refermer les cuisses.
Et il y glisse la main.
– Détends-toi, répète-t-il.
C’est alors que je sens un de ses doigts me pénétrer… C’est si bon que je me
cambre et laisse échapper un petit grognement.
– Ne sois pas timide avec moi, je veux juste te contempler, t’entendre dans
l’abandon.
Et ses chuchotements, pendant qu’il explore mon corps, me font doublement
frissonner de plaisir. Il me sourit, et continue à me prodiguer de douces caresses
à l’endroit le plus brûlant de mon être.
– Tu es si belle. J’ai hâte d’être en toi, dit-il encore.
Et tandis qu’il s’applique plus particulièrement à exciter mon clitoris, je
commence à remuer les hanches. Puis, me mordant la lèvre, je laisse dériver mon
regard vers le renflement de son entrejambe. Le désir que j’éprouve pour lui en
est presque insupportable. J’ai envie de sortir son sexe de son caleçon, d’ouvrir
la bouche et de l’avaler tout entier. Je veux l’entendre grogner pour moi, et qu’il
ne m’oublie plus jamais.
Mais pour l’instant, c’est lui, le puissant Saint, qui a le contrôle de la
situation et moi qui suis saisie par toutes les sensations qu’il me procure. Ses
yeux sont d’un vert avec lequel aucune prairie ne peut rivaliser. Il embrasse
encore mes seins, les pince, les aspire. Mon clitoris a de nouveau droit à toute
son attention, et bourdonne de plaisir… Je jouis rapidement dans sa main.
– Que tu es belle quand tu te laisses aller pour moi, dit-il d’une voix râpeuse.
Si belle… Tu sais que tu l’es, n’est-ce pas ?
Je me contente d’un sourire mystérieux. Quand il commence à déboutonner
son pantalon, j’ai envie de l’encourager par des « Vite, s’il te plaît », mais ce
n’est pas très original. Aussi me tais-je, me contentant de supplications
silencieuses. Après toutes ces nuits de frustration, je sais que nous vivons enfin
un moment volé au temps, éphémère, d’où cette urgence qui m’étreint.
Son pantalon glisse à terre dans un silence religieux. Il est si musclé qu’il
doit s’entraîner tous les jours en salle, si bronzé aussi, en dépit du temps qu’il
passe devant ses écrans. Et soudain, son sexe jaillit devant moi et le souffle
dévastateur du désir balaie tout mon être… Il dépasse tout ce que j’ai pu
imaginer. Je me mords la lèvre tandis que je laisse mes yeux glisser sur toute sa
longueur, sur son gland brillant…
Je ne peux plus attendre ! Je veux sentir chaque centimètre de son membre
puissant en moi ! Tout à coup, je rougis, ce qui fait naître un sourire sur ses
lèvres. Il redouble d’exquises caresses, à l’intérieur, à l’extérieur de ma chair en
feu… Je suis à nouveau sur le point de jouir…
– Ce que tu es sensible, Rachel. Un regard, et tu es déjà toute mouillée.
Et ce disant, il se place gentiment entre mes jambes. J’agrippe ses bras,
ondoyant déjà sous lui pendant qu’il ouvre un étui de préservatif. Quelques
instants plus tard, il m’attrape par les hanches, et je goûte avec délice notre
premier contact intime, en douceur, par palier… Je pousse un petit cri, et il
plaque mes mains contre le matelas en s’enfouissant un peu plus en moi. Des
ondes de volupté courent en moi… Je me cambre, avide de le sentir tout entier.
Il cède à mon encouragement et je noue aussitôt mes chevilles dans le creux de
ses reins. Il est enfin complètement en moi, le sexe palpitant. J’empoigne ses
cheveux.
Soudain, il se retire un peu, et un grognement nous échappe à tous les deux.
Il replonge alors immédiatement en moi, ses yeux fiévreux rivés aux miens. Puis
il se met à aller et venir, et un immense bonheur me submerge, celui d’être unie
à lui. Nous ondulons en cadence, au doux bruissement des draps froissés sous
nos corps, souffles et bouches emmêlés…
– Saint, ralentis un peu…
Chaque nouveau coup de reins me comble un peu plus, j’enfonce mes ongles
dans ses épaules musclées. Je crie, je le supplie, je ris, je pleure… Je ne sais que
penser, que dire. C’est comme un rêve, à moins que ce ne soit un cauchemar, si
je pense aux conséquences. Mais il m’attire indéniablement, comme un
flamboyant péché… Je suis effrayée, et en même temps, incapable de lui
résister, affamée ; je lui mords le cou, m’agrippe à lui. Saint, Saint, Saint. J’ai
l’impression que je ne serai jamais rassasiée, je veux qu’il me livre tous ses
secrets, connaître aussi le nom de ses maîtresses, ses peurs, ses rêves, ce qu’il a
au fond du cœur… Et je veux surtout qu’il jouisse pour moi, en moi… Nos corps
bougent à toute vitesse à présent, mes seins en sont secoués, et son corps
puissant et précis joue tel un archet sur le mien.
– Encore ? me souffle-t-il.
Je hoche vivement la tête et il m’emporte plus loin, toujours plus loin… De
temps à autre, il penche la tête pour mordiller mes seins, les caresser de sa
langue… Et c’est ainsi que nous nous retrouvons au cœur d’une avalanche de
désirs ravageurs. Lui aussi semble insatiable, à chalouper au-dessus de moi avec
toujours plus de vigueur.
– Encore, Rachel ? parvient-il à articuler.
– Saint, s’il te plaît, dis-je à mon tour, haletante.
Et au moment où je sens son pouce caresser mon clitoris, je ferme les yeux,
happée par un orgasme aussi fulgurant que la foudre. Je m’envole, m’envole
toujours plus haut vers les cimes de l’indicible tout en m’accrochant à lui… Et je
l’entends grogner à son tour contre mes cheveux quand il me rejoint dans les
volutes du plaisir, et qu’il laisse retomber son corps sur le mien.
Quelques minutes plus tard, alors que nous sommes allongés l’un près de
l’autre, mes pensées tournent à toute vitesse dans mon cerveau. Je suis
complètement obsédée par cet homme, accro, abasourdie. Je veux savoir avec
combien de filles il est sorti, être celle qui le marquera à vie. Et naturellement
recommencer, palper son corps encore et encore, lui faire toutes sortes de choses
indécentes avec le mien. Et vice versa. Dans un murmure, je lui demande :
– Qu’est-ce que tu préfères ? Les fellations ? La levrette ? Dis-moi, Saint.
Il colle sa bouche contre mon oreille :
– Tu veux savoir ce que j’aime ? Eh bien je vais te le montrer tout de suite.
Je reviens…
Sa voix est rauque, pleine de promesses, et il me donne un dernier baiser
avant de disparaître dans la salle de bains. Quel corps ! Et quel beau cul musclé !
Je me redresse sur le lit, en l’attendant, et observe alors sa chambre à laquelle je
n’ai pas prêté grande attention jusque-là. Le mobilier est minimaliste… Est-ce le
reflet de sa personnalité ? De ses émotions ? Oui, le tout est un peu froid, comme
ces éclats dans ses yeux.
Aucune photo au mur, pas même une de sa mère ou bien de ses amis. En
revanche, il y a des posters de voitures de course, des Ferrari vintage. Sans doute
le résultat d’une enfance où il a été plus entouré de jouets que de personnes.
– Tu devrais t’acheter une couverture en fausse fourrure, dis-je en élevant un
peu la voix afin qu’il m’entende.
Quelque chose qui réchauffe cet univers légèrement aseptisé… Et sur cette
pensée, je remonte le drap sur mes seins, car j’ai soudain froid. Subitement, il se
matérialise sur le seuil et ressemble à un homme qui a besoin de faire l’amour
trop souvent. Non parce qu’il est sexy, mais parce qu’il possède une énergie
bouillonnante… Nos ébats l’ont calmé, mais il a encore faim de moi, je le vois
bien. J’aime son regard aux paupières alourdies quand il s’avance vers moi et me
sourit en le laissant courir sur mes épaules.
– C’était bon, Rachel, dit-il, la voix lourde de sous-entendus.
Je rougis.
– Je suis certain que ton goût l’est tout autant, ajoute-t-il.
Il ne veut quand même pas dire que… Mais à la façon dont il fixe mon
entrejambe, je me sens fondre sous les draps. Ses yeux liquides et sombres
reflètent un mélange de tendresse et de besoin, et son sexe est… Oh ! Comme
mue par un réflexe de survie, je me redresse pour remettre ma culotte, mais il
pose fermement la main sur mon bras.
– De quoi as-tu peur ? Ce ne sera pas différent de mes doigts. Sauf que ce
sera ma langue.
– Pourquoi en as-tu envie ? Pourquoi les hommes aiment-ils ça ?
Il se met à rire, et me fait basculer sur le lit.
– Tu n’auras plus besoin de te poser de telles questions quand j’aurai fini.
Je me sens si nerveuse à l’idée de ce qu’il va faire que j’ai du mal à respirer.
– Promets-moi d’arrêter si je te le demande.
– Ça ne te traversera même pas l’esprit, je te le garantis, dit-il en caressant
l’intérieur de mes cuisses.
– Promets !
– Ne me fais pas promettre.
– Pourquoi ?
– Parce que je ne tiens jamais mes promesses et que celle-ci me poussera
juste à vouloir la briser…
Il ajoute alors d’un ton plus bas et pressant :
– Ouvre les cuisses, Rachel.
Et, sans attendre que j’obtempère, il le fait à ma place. Il se penche sur moi,
plaque les mains sur mes cuisses et humecte ses lèvres avec sa langue tout en me
fixant. Je ne crois pas qu’il se rende compte de l’effet qu’il produit sur moi !
– Oh non ! dis-je avec un rire nerveux, quand il enfouit sa tête entre mes
jambes.
Et je l’empoigne par les cheveux.
– C’est trop intime. Je ne peux pas.
Il me caresse les hanches, lève vers moi un regard brillant mais sans sourire,
un regard qui me défie.
– Laisse-moi te goûter, redit-il d’une voix sensuelle.
Je parviens à me calmer quand il presse sa bouche sur mon ventre, mon
nombril. Puis il continue dans la même direction.
– Malcolm !
Je proteste, mais il me donne un premier coup de langue. Tendue, je suis
prête à lui tirer les cheveux pour l’arrêter.
– Et si mon goût te déplaît ?
Mais déjà, il fait courir le bout de sa langue sur ma chair brûlante, mon
clitoris… et je ne comprends plus ce qui m’arrive, c’est le chaos total des sens !
– J’adore, dit-il.
Et il se met à me savourer avec méthode, lentement, yeux fermés, ses cils
semblables à deux demi-lunes. Peu à peu, je me détends et caresse ses épaules,
poussant des petits gémissements quand sa langue se fait plus entreprenante…
Comme si c’était ma bouche qu’il embrassait.
– Tu es vraiment très doué ! parviens-je à dire.
Et tout à coup, je ne peux plus articuler un seul mot… Quand il joint le
pouce à ses caresses buccales, je me mords la lèvre et le plafond devient flou à
mesure que le plaisir monte… Je m’accroche à la tête du lit et jouis bruyamment,
en me tordant contre sa bouche.
Waouh ! J’en suis encore toute étourdie. Et haletante ! Mais lui il continue à
embrasser mon sexe, avant de remonter lentement sa bouche le long de mon
corps, jusqu’à mes seins… Puis il accélère le cours des événements, se redresse,
enfile un préservatif et me pénètre. Cet homme est décidément fait pour l’amour.
Je suis complètement à sa merci, nageant dans le plaisir le plus total tandis que,
m’agrippant par les hanches, il me susurre des choses aussi sexy que cochonnes
à l’oreille.
Il faut que je m’en aille !
Saint a l’air si délectable, étendu nonchalamment sur son lit pendant que je
rassemble mes vêtements, que le voir m’est à peine tolérable. Une fois rhabillée,
je regagne vivement la porte. Ni lui ni moi n’avons envie d’affronter ce qui vient
de se passer entre nous, c’est clair. Et surtout pas lui. Ne m’a-t-il pas confié, une
fois, qu’il ne supportait pas de dormir avec ses conquêtes ? Évidemment, j’ai
déjà dormi dans son lit, mais le contexte était tout autre. Je ne pourrais souffrir
de lire des regrets dans ses yeux parce que moi, je n’en ai aucun !
J’ai bien perçu l’immense mur qu’il a érigé entre nous juste après l’orgasme.
Il a hurlé mon nom comme un cri de guerre, puis le plus grand silence est
retombé dans sa chambre. Ensuite, quand il est revenu au lit sans préservatif, il
ne m’a ni touchée ni regardée, et a pris son téléphone.
J’ai hâte à présent de rentrer chez moi, et de repenser à ce qui vient de se
passer seule dans mon lit. Ou essayer d’oublier. Il croise alors les bras derrière la
tête et pose les yeux sur moi. C’était son chauffeur qu’il appelait pour lui
demander de venir me chercher.
– Au revoir, Mal.
– Envoie-moi un message quand tu es arrivée, Rachel, dit-il avant que les
portes de l’ascenseur ne se referment.
– Entendu.
Une fois dans ma chambre, je lui écris :
Je suis à la maison.
J’ai encore ton odeur sur moi.
Puis je souris et me glisse sous les draps, repensant à son magnifique corps.
Moi aussi j’ai envie de le goûter !
CHAPITRE 21
LA LIAISON
Mur de Facebook :
Saint, j’ai vu des photos de toi avec une nouvelle nana sur The Toy. Je suis
sûr que les paris sont ouverts pour savoir si elle va passer le week-end.
Twitter :
Salut @MacolmSaint, tu as perdu mon numéro ? C’est Deenah, de l’Ice Box.
Appelle-moi.
Suis-moi @MacolmSaint.
Instagram :
Qui c’est cette meuf sur The Toy, Saint ? La dernière gourmandise en date ?
Après ces recherches, je repose mon téléphone, tout agitée dans mon lit. J’ai
envie de lui. Le matin se glisse entre les persiennes, et zèbre faiblement mon
deuxième oreiller. Je l’imagine à côté de moi, le drap lui recouvrant à peine les
hanches, si près de moi que je pourrais blottir ma tête dans le creux de son
épaule, comme hier.
C’est ça ! Tu peux rêver…
Bah, peu importe si on ne recouche jamais ensemble ! D’ailleurs, il a
immédiatement retrouvé sa froideur légendaire, après nos ébats. Pourtant, hier
soir, c’était comme un rêve devenu réalité. Un rêve fantastique. Je devrais sans
doute éprouver des remords car jamais nous n’aurions dû franchir le pas, mais je
n’en ressens aucun. Au contraire, je me délecte de mes souvenirs… Si seulement
je pouvais emprisonner toutes ces sensations dans un petit flacon que je
rouvrirais chaque fois qu’il est loin de moi. Il a tant confiance en lui, en son
corps. Il m’a follement excitée, m’a fait hurler de plaisir. Quelle maîtrise ! Sa
langue a provoqué des miracles en série.
Je me sens vraiment bien. Je pourrais rester au lit toute la journée à revivre
ma soirée, mais je dois me battre contre les lois de l’attraction et me détacher de
mon matelas ! Je parviens enfin à me lever, me brosse les dents et me dirige vers
la cuisine. Gina m’y rejoint bientôt. Je sais parfaitement que mon audace d’hier
relève quasiment du tabou et surtout qu’elle était très risquée. La preuve : je ne
dis pas à ma meilleure amie que j’ai couché avec Saint.
Nous discutons de choses et d’autres, et quand Wynn vient nous rendre
visite, je ne m’ouvre pas davantage. Nous commentons la glace que nous
sommes en train de savourer, Nuits blanches à Seattle, que nous nous repassons
pour la énième fois, le jeu de Meg Ryan et de Tom Hanks, bref, rien de
transcendant.
Car le fait que j’ai couché avec un type après une traversée du désert de trois
ans – et que je n’ai fait l’amour qu’avec deux types auparavant, sans que cela ait
été une expérience inoubliable – ne mérite même pas qu’on en parle, n’est-ce
pas ? Bon sang ! S’envoyer en l’air avec Malcolm Saint, c’est un 10 sur l’échelle
de Richter ; pour annoncer l’événement, il est permis de réveiller ses meilleures
amies au milieu de la nuit ! On a le droit de crier, de hurler encore, de rêver toute
la journée : Et s’il m’aimait vraiment ? Et si on recommençait ? Que se passera-
t-il, alors ? Mais parce que c’est lui et que je suis moi, et que les choses sont
passablement compliquées, je ne peux pas. Impossible de partager mes
impressions avec mes amies, ni avec lui, ni demander l’avis ou les conseils de
quiconque sur cette situation des plus épineuses.
– Qu’est-ce que tu as ? me demande subitement Gina.
– Rien, il faut que j’écrive, dis-je sans conviction.
Et j’ouvre mon ordinateur, me contentant de faire sembler de taper, l’œil rivé
à mon portable… Et tout à coup, je me jette à l’eau ! Au diable la morale, la
déontologie ou que sais-je. Je prends une grande inspiration, expire
profondément puis saisis mon téléphone :
On se voit ce soir ?
On se voit ce soir, avait-il répondu. Et à présent, nous revenons d’une soirée
chez Tahoe.
Je n’arrive toujours pas à croire combien j’étais excitée en voyant la réaction
de Saint quand les White Sox ont gagné : c’était orgasmique. D’ailleurs, pour
Callan et Tahoe aussi. Ils se sont tous mis à hurler dans l’appartement, ce dernier
a couru dans tous les sens comme un fou, en se frappant le torse. Callan a ouvert
une bouteille de champagne et nous en a tous aspergés. Et Malcolm m’a fait
terriblement salivée quand il a enlevé sa chemise, avant de la rouler en boule et
de la jeter contre l’écran de la télévision en poussant un : « Putain, oui ! »
– Et si on allait chercher tes amies, Rachel ? a soudain proposé Tahoe.
– Non, merci. Pas touche à mes copines.
– En fait, on aimerait une liberté sous caution, a renchéri Malcolm en me
lançant un regard appuyé.
– OK… On peut faire un saut chez toi plus tard ? a demandé Tahoe.
– Plus tard, OK.
Je ne sais pas pourquoi, mais je tremble déjà comme une feuille à l’idée de
ce qui m’attend.
Quinze minutes plus tard, nous sommes dans sa chambre, nous roulons sur
le lit, en nous embrassant à pleine bouche. Nus tous les deux, et il joue avec mes
seins. Soudain, il s’assied et m’entraîne dans son geste ; j’enroule alors mes
jambes autour de sa taille. Quand je sens la puissance de son érection contre moi,
je chavire. Je lui donne des baisers sur les joues, les lèvres et l’entend pousser un
petit grognement. Il a vraiment envie de moi… Je suis si mouillée que j’en suis
presque gênée quand il commence à me caresser le sexe. Je me défends :
– Ça ne veut rien dire, tu sais.
– Non, rien du tout, m’assure-t-il d’un ton rieur en écartant mon sexe en feu.
Puis il devient sérieux quand je me frotte contre lui, titillant mon intimité
avec son membre dur, jusqu’à ce qu’il me murmure à l’oreille :
– Un homme serait capable de tuer pour vivre un moment pareil.
Et me saisissant par les hanches, il me pénètre jusqu’à la garde. Nos regards
se croisent, pour ne plus se quitter. Je me lèche les lèvres, et il laisse courir ses
yeux de mâle sur tout mon corps. Puis il me caresse les fesses, l’intérieur des
jambes, les chevilles. Ma poitrine se soulève et s’affaisse rapidement. Il
s’allonge sur le dos et, une main agrippant ma hanche, excite de l’autre mon
clitoris.
– Regarde-toi… murmure-t-il d’une voix lascive.
Puis il relève la tête pour lécher un de mes mamelons. C’est si délicieux que
je renverse ma tête en arrière. Je viens de perdre le contrôle…
– Malcolm, dis-je dans un gémissement.
Et je m’agrippe à ses épaules. C’est alors que nous entendons une porte qui
s’ouvre. Je m’immobilise une seconde, mais il est en moi et je ne veux plus
m’arrêter ! Il se redresse, me retenant prisonnière.
– Pas de souci, ce sont les garçons, dit-il au bout de quelques secondes. Ils
n’entreront pas dans ma chambre.
Puis il prend mon autre sein dans sa bouche. Je penche une nouvelle fois la
tête en arrière tandis qu’un plaisir indicible m’envahit…
On entend à nouveau du bruit.
– Mm…
Je le savoure, sentant chacune de ses palpitations en moi.
– Saint ! hurlent soudain ses amis.
Il lève la tête.
– Occupé.
Les goujats ! Je ne peux pas continuer dans de telles conditions !
Brusquement, je me détache de lui.
– Non, viens là, dit-il.
Et il m’enlace de nouveau.
– Mais ils vont entrer dans la chambre d’un moment à l’autre !
Je parviens à me libérer et commence à rassembler mes vêtements épars.
– Et alors ?
Quand je remets mon soutien-gorge et mon string, il semble presque
contrarié.
– Je ne veux pas être ta nouvelle pute pour tout le monde. Ça suffit déjà que
je le sois à tes yeux et aux miens.
Et j’enfile dans la foulée mon haut et ma jupe. Il saute dans son jean, encore
dur, son regard distant à présent. Puis il s’avance vers moi et m’enlace.
– Ne t’inquiète pas, je vais me débarrasser d’eux.
Je ferme les paupières. Il est si persuasif, si tentant…
– C’est bon, finis-je par murmurer, frissonnant sous ses caresses.
On sort en silence de sa chambre, il me prépare un café, puis va chercher une
bouteille de vin.
– Salut, les gars !
Ils se tapent dans la main, mais il leur adresse un regard lourd de sens, du
genre : « Qu’est-ce que vous foutez là ? »
– Tiens, salut Rachel ! s’écrie Tahoe en remuant les sourcils.
Sur ces mots, il se laisse tomber dans le grand canapé en cuir, imité par
Callan.
– Tu sais, Rachel, enchaîne-t-il, les gens me posent des questions sur toi.
Surtout les vieilles connaissances de Saint.
– J’imagine. J’ai vu qu’une de ses amies mène une véritable inquisition sur
Instagram, Facebook et Twitter, depuis l’inauguration d’Interface.
– Callan a carrément fait l’objet d’un interrogatoire, précise Tahoe.
– Comme tu es une bête de sexe, les nanas ont presque peur de toi, renchérit
Callan en lançant un coup d’œil à Malcolm. Il n’était pas encore pubère, qu’il
avait déjà tout compris.
J’éclate de rire. Puis ses deux amis me regardent comme s’ils attendaient des
explications. Que je ne donne pas. Et je crois qu’ils n’osent pas interroger Saint.
Et voilà qu’ils commencent à discuter entre eux du match des White Sox !
OK… Prenant mon mal en patience, je me recroqueville sur l’immense canapé,
et cale un petit coussin derrière mon dos. Mal est assis en face de moi, peut-être
parce que je lui ai dit que je ne voulais pas qu’ils me confondent avec une
traînée. Je lui souris, reconnaissante. Il me rend mon sourire et avale une gorgée
de vin. Je sais que je devrais rentrer – même si tout mon corps proteste à cette
pensée – mais j’entends soudain Tahoe dire tout naturellement à Malcolm :
– Ses deux copines vont venir.
Je repose ma tasse de café.
– Pardon ?
– Oui, c’est moi qui les ai invitées, précise Tahoe.
– Toi ? Mais tu ne les connais même pas !
– La délicieuse Gina ? questionne-t-il en souriant. Tu vois bien que si ! Tu es
la chasse gardée de Saint, il a donc ton numéro de fixe.
Je lance un regard furieux à ce dernier qui ne cille pas. Et de fait, un quart
d’heure plus tard, Gina et Wynn débarquent chez Malcolm, dans des tenues qui
en jettent. Devant le luxe de l’appartement de Mal, elles en restent bouche bée,
tellement que j’en suis embarrassée pour elles.
– Alors les filles, qu’avez-vous en tête ? demande soudain Tahoe. On vous
entendait discuter d’ici.
– Euh…
Wynn hésite et poursuit :
– On parlait de la vie amoureuse de Rachel. On se rappelait à quel point elle
était heureuse sans homme.
– Vraiment ? renchérit Tahoe. Elle est vierge, ou quoi ?
Un lourd silence se fait, puis Malcolm commence :
– Les gars, Rachel et moi, on…
Je l’arrête d’un regard noir.
Un ange passe.
– Rachel et toi, vous… ? l’encourage Tahoe.
Il hausse un sourcil interrogateur.
– Rachel et toi, vous… ? répète Gina en écho.
Malcolm me regarde toujours, comme s’il venait de comprendre que je n’ai
rien dit à mes amies. Et je me demande comment il va le prendre !
– Vous couchez ensemble, c’est ça ? J’en mettrai ma main au feu ! décrète
Wynn.
– On peut faire pareil, toi et moi, si tu veux, lui propose aussitôt Tahoe.
– Ce n’est rien, on s’est vus deux fois, c’est tout, dis-je rapidement pour
calmer mes amies.
Elles me fixent sans comprendre, puis tournent la tête vers Malcolm…
– Juste deux fois, vieux ? dit Tahoe en riant. On dirait bien qu’il n’y aura
même pas de troisième.
– La ferme ! Je contrôle la situation.
Malcolm vient alors s’asseoir à côté de moi et me donne un tendre baiser sur
la tempe. J’en rougis jusqu’à la racine des cheveux… et il m’adresse un sourire
amusé. Cette fois, je suis démasquée.
– Deux fois ? reprend Gina, le premier choc passé. Et tu n’as même pas jugé
bon d’en parler à tes meilleures amies ?
Saint se dirige vers la cave, un espace frais fait de parois de verre, au fond du
bar, et en sort une deuxième bouteille de vin. Il prend aussi des verres, sans
cesser de m’observer avec curiosité.
– Cela ne m’a pas paru important, dis-je enfin, gênée.
Gina fronce les sourcils.
– Alors que ça l’était, non ?
Elle considère Malcolm, puis moi. Je proteste :
– Je t’assure que non.
Callan donne un petit coup de coude à Saint, dans les côtes.
– Ça, c’est pas bon, mec.
– Espèce de chien ! commente Tahoe. (C’est son injure préférée, je ne
comprends pas ce que ces pauvres animaux lui ont fait.) En fait, tous les deux,
vous baisez depuis le début. Et d’ailleurs, c’est sans doute ce que vous faisiez
quand on est arrivés !
Malcolm évalue rapidement ma réaction et dit à voix basse :
– On se calme, Rachel est une… dame.
– Et alors ? Je suis certain que vous allez vous jeter l’un sur l’autre dès qu’on
sera repartis ! renchérit Tahoe.
– Laisse tomber, T, l’avertit Malcolm d’un ton traînant.
Il ne regarde que moi, comme s’il attendait que je lui donne une indication
sur ce qu’il doit faire, mais je suis incapable de penser.
– Eh bien moi, je parie mon dernier coupé sport : si tu séduis cette dame, il
est à toi ! insiste pourtant Tahoe. Sinon, tu me donnes une de tes Bugatti.
Saint repose son verre et je guette, choquée, sa réaction. Nos amis aussi sont
suspendus à sa réponse.
– OK, alors prépare-toi à me voir conduire ta chère voiture, finit-il par dire
en me lançant un regard défiant.
Les gars poussent un cri de victoire et mon sang s’affole dans mes veines, je
me sens à la fois excitée et humiliée. Malcolm semble d’un calme olympien, et
affiche même un air supérieur en se versant un verre de vin qu’il se met à siroter
tranquillement. On dirait que son monde est rentré dans l’ordre et qu’encore une
fois il le domine. Retrouvant un semblant de raison, j’explose :
– Tu n’as quand même pas parier ta voiture que…
Comme il hoche la tête, je laisse ma phrase en suspens et me saisis de mon
sac à main.
– Ça suffit, maintenant, nous partons ! reprends-je. Merci pour la soirée,
Mal.
Et je me dirige vers l’ascenseur.
– Reviens par là, Livingston ! Tout le monde peut s’en aller sauf toi…
Et il se plante devant moi pour m’empêcher d’avancer.
– Tu n’as pas entendu ce que je viens de dire à mes potes ? me demande-t-il
gentiment.
De toute évidence, il ne comprend pas pourquoi je ne suis pas subjuguée
qu’il m’ait proclamée sienne devant ses amis, sans même me demander mon
avis !
– Si, tout à fait, et c’est précisément pour cela que je m’en vais.
Et je reprends ma marche d’un pas décidé vers l’ascenseur où, une fois à
l’intérieur, je m’appuie contre la paroi du fond, lui lançant un dernier regard :
son expression est impénétrable, son visage fermé.
Les filles me suivent rapidement.
– Rachel, tu es dans le pétrin, tu as déjà promis ton article à Helen.
– Je sais, Wynn !
Je secoue la tête, car mes deux amies semblent inquiètes et je viens juste de
me rendre compte à quel point j’ai été imprudente. Je me mets à aller et venir,
contrariée par la façon dont je viens de le quitter.
Comment ces puissants hommes d’affaires peuvent-ils tomber si bas, se
comporter comme des salauds ? Et malgré tout, j’aime beaucoup l’un d’entre
eux. Impitoyable Saint, trop ambitieux pour son propre bien. Qui ne supporte pas
de perdre. Oui, ce garçon-là me plaît ! J’avais envie de passer la soirée avec lui
et je sais qu’il le voulait aussi, avant que ces deux idiots d’amis ne débarquent et
ne gâchent tout.
– Tu as vraiment couché avec lui ? insiste Gina.
Elle se tourne vers Wynn.
– Ce n’est pas vraiment le moment là, non ?
Je ne laisse pas cette dernière répondre.
– Depuis le temps que vous me mettez la pression pour que je couche avec
quelqu’un. Voilà, je l’ai fait avec Saint.
– Qui est aussi le sujet de ton prochain article, commente ma coloc.
– Merci de me le rappeler, Gina ! J’avoue, j’ai eu un moment de faiblesse,
enfin… disons plusieurs. Il est différent de ce que je pensais, il m’a
complètement séduite.
Je fronce les sourcils et ajoute :
– De toute façon, tout est réglo, il est célibataire, que je sache !
Elles restent d’abord silencieuses, puis Gina reprend à voix basse :
– Tu as couché avec lui et tu ne m’as rien dit ? Je suis vraiment blessée,
Rachel.
– Mais qu’est-ce que je pouvais te dire, hein ? Que moi aussi j’étais tombée
dans les bras du célèbre tombeur Malcolm Saint ?
– Non, mais est-ce que tu réalises, là ? Tu t’es envoyée en l’air avec lui et tu
ne nous as rien dit !
Gina n’en démord pas. Je pousse un grognement quand nous arrivons au rez-
de-chaussée, et je m’aperçois alors que je n’ai aucune envie de sortir de
l’ascenseur : tout ce que je veux, c’est revenir sur mes pas.
– Je remonte, dis-je.
Mes amies m’encerclent.
– Rachel, je suis ravie que tu aies enfin baisé, mais je te rappelle qu’il ne voit
jamais une fille plus de trois fois, commence Wynn.
Je rectifie aussitôt :
– Quatre. C’est son chiffre fétiche.
– Écoute, ce n’est pas pour t’embêter que je dis ça, intervient Gina, mais
parce que tu es ma meilleure amie et que je t’aime. Tu ne sors pas souvent avec
des hommes, ça ne t’intéresse jamais, mais je te préviens : je ne veux pas que tu
sois dans l’état où j’étais quand Paul m’a quittée, je ne le souhaiterais même pas
à mon pire ennemi ! Je me suis sentie si sale, si inutile, si petite, si moche et si
bête de l’avoir autant aimé.
On se regarde mutuellement quelques instants.
– Évidemment, si tu t’entêtes, je serai là pour te passer les Kleenex, comme
tu l’as fait pour moi. Mais j’espère que tu sais qu’en acceptant qu’il te brise le
cœur, c’est aussi le mien que tu blesses.
Je sens les yeux me piquer. Qui ne rêve pas d’avoir des amies aussi loyales
que les miennes ? On s’enlace, je leur assure que je contrôle la situation et
j’appuie sur le bouton qui mène au dernier étage.
Quelques instants après, je pénètre dans le salon. Tout mon corps se met à
vibrer quand Saint lève les yeux de ses cartes – il semblerait qu’ils aient
commencé une partie de poker – et les pose sur moi. D’un coup, il laisse tomber
ses cartes et se lève, un éclat purement primaire dans les yeux. Je le sens au plus
profond de mon être. Je murmure d’une voix rauque :
– Messieurs…
Et je tourne la tête vers Tahoe et Callan pour ajouter :
– Si vous voulez bien laisser vos clés de voiture au concierge…
Saint m’adresse alors un sourire diabolique que je n’oublierai jamais. Une
région bien particulière de mon corps demande grâce quand Malcolm renchérit :
– Tout de suite !
Je tremble d’excitation lorsqu’il me désigne du menton la direction de sa
chambre, tout en surveillant le départ de ses amis. Après quoi, il tape le code de
l’alarme afin que plus personne ne vienne nous déranger. Tous mes sens sont en
alerte quand il me rejoint dans la chambre et fonce droit sur moi.
Il ne dit rien, se contente de me regarder, puis m’enlace par la taille, et je me
retrouve tout contre lui. Il effleure doucement ma bouche avec la sienne, toute
chaude, et possessive quand il capture mes lèvres. Tout est si parfait que je
l’entends ravaler un petit grognement. Le baiser s’intensifie peu à peu,
s’accélère… Bientôt, je commence à haleter et fais courir mes doigts sur les
boutons de sa chemise.
Mais il continue à m’embrasser à pleine bouche, un baiser sincère qui se
fraie un chemin jusqu’à mon âme. Puis il prend mes seins en coupes, les caresse
en en pressant la pointe de son pouce, et je sais qu’après lui aucun autre ne
pourra rivaliser… Je murmure contre sa magnifique bouche :
– Combien de femmes as-tu embrassées ?
Je suis jalouse de toutes celles qui lui tournent autour, qui demandent sans
cesse de ses nouvelles. Mais il se contente de regarder avec insistance mes lèvres
gonflées et toutes rouges, alors je recule vers le lit… Combien de femmes
demandent de ses nouvelles ? Je me mords la lèvre, mon désir est presque
insoutenable. Certaines d’entre elles ont-elles éprouvé le même désir que moi
quand je l’ai rencontré, à savoir lui arracher sauvagement sa chemise ? Je brûle
de le sentir, le toucher, le goûter. Je suis certaine que ces femmes se sont bien
plus délectées de lui que je n’oserai jamais le faire. Je parie que…
– Viens là.
Il me prend la main et m’immobilise. Le souffle me manque quand, de son
regard vert flamboyant, il m’inspecte lascivement… D’abord mes cheveux,
ensuite mes yeux, ma bouche et enfin nos mains jointes.
– De quelles femmes parles-tu ?
Et toujours l’effleurement de ce pouce qui me rend folle ! M’attirant contre
lui, il pose un baiser sur mon front.
– Qui aurais-je embrassé ? Où ?
Il me taquine de sa voix rauque.
– Rien, dis-je.
Et j’éclate de rire avant d’enfouir mon visage contre son torse. Ce qu’il sent
bon ! Des fragrances de savon, de menthe, et d’autres notes viriles se mélangent
divinement. Nos doigts sont toujours entremêlés… De sa main libre, il prend ma
joue et embrasse le bout de mon nez.
– Et si on parlait de toi ? souffle-t-il.
Sur ces mots, il plonge le visage dans mon cou, y déversant une pluie de
doux baisers.
– Non, réponds-je de la même façon.
Ma poitrine monte et s’affaisse à toute vitesse, je tremble de partout, je veux
juste qu’il continue à m’étreindre, m’embrasser…
– Combien d’hommes ont embrassé ton beau visage ? me demande-t-il.
Et son sourire s’évanouit, ses yeux brûlant d’une intensité provocante quand
il fait glisser la bague en argent qu’il porte au pouce sur mes lèvres.
J’écarte légèrement la tête.
– Deux… Et toi ?
– Mais aucun n’a joui ici, n’est-ce pas ?
Et, d’un geste fluide, il introduit son pouce dans ma bouche.
– Non…
Je sors sa chemise de son pantalon et ajoute :
– Mais je le veux, avec toi.
En un rien de temps, il ôte sa chemise sans même la déboutonner si bien que
ses cheveux sont tout ébouriffés quand il la jette par terre, le rendant encore plus
sexy, comme s’il sortait du lit. Et cette expression le rend plus intéressant à mes
yeux, car plus accessible. Toujours puissant mais humain. Si humain que je sens
toute la chaleur qui émane de lui. Je palpe son torse, ses pectoraux si parfaits,
j’aspire un de ses tétons entre mes lèvres, puis caresse ses biceps.
Me soulevant le menton, il s’empare de ma bouche et je la lui abandonne
sans protester, pour qu’il en fasse ce qu’il veut. Son baiser enflamme alors tout
mon corps, ses lèvres sont semblables à un feu qui se propage sur moi… Il joue
avec nos langues, puis m’embrasse le cou, les seins. Je les sens lourds, et le désir
qui remonte de mon sexe me torture littéralement…
Il plaque un baiser entre mes seins, avant de jeter son dévolu sur l’un d’eux.
Sa langue qui glisse sur la pointe me fait frissonner, m’excite terriblement, mais
je ne bouge pas d’un pouce, car je ne veux pas qu’il arrête. De nouveau, il
capture ma bouche et je noue mes mains autour de son cou, m’offrant sans
retenue à lui tandis qu’il glisse les mains sous mon haut.
Nous sommes enlacés l’un contre l’autre, et il me pousse doucement vers le
lit, m’y fait basculer. Puis, allongé tout près de moi sur un coude, il laisse son
regard courir sur mon corps. Ce qu’il est beau… Je lève les yeux vers ses
paupières alanguies, sa bouche synonyme de plaisir. Alors je tends la mienne
vers lui, et commence à le savourer. Il se penche sur moi, en prenant garde de ne
pas m’écraser. Il a le goût du paradis…
Son sexe est fait pour l’amour, me dis-je, en le caressant sur toute sa
longueur. Si dur. Et soudain sa main est entre mes jambes…
– Tu en as envie ? demande-t-il.
– Oui, dis-je en remuant les hanches pour l’encourager.
– Tu sens bon, me murmure-t-il contre l’oreille.
La lancinante musique du désir bourdonne dans nos oreilles. J’ai l’odeur
d’une femme qui a envie qu’on la prenne, nos odeurs se mêlent pour former un
cocktail enivrant…
J’aspire une large bouffée d’air, et son parfum me remplit les poumons,
comme s’il était en moi. Sur une impulsion, j’enfouis la main dans ses cheveux
et ouvre les cuisses pour qu’il puisse accéder à la partie de mon corps où j’ai le
plus besoin de lui. Il plaque les mains sur mes fesses afin de me remonter un peu
sur le matelas puis capture ma bouche sans urgence… OK, il a décidé de prendre
son temps, toute la nuit s’il le faut, jusqu’à ce qu’il soit rassasié de moi. Et
encore une fois, ça sera un doux supplice ! Il incline la tête en arrière et
m’observe, tout en me caressant la nuque, son pouce s’attardant à l’endroit où
bat mon pouls.
– Dis-moi ce dont tu as envie, Rachel, dit-il à voix basse. Tu veux qu’on le
fasse maintenant ?
Sans me quitter des yeux, il glisse la main sur ma poitrine, puis dégrafe mon
soutien-gorge, me l’enlève.
– Tu es si sensible à mes caresses.
Sur ces mots, il ouvre le bouton de ma jupe, et la fait glisser sur mes jambes.
Sans hâte. Alors que c’est toute fébrile que je m’efforce de déboutonner son
pantalon.
– Je veux te voir nu, Saint, dis-je d’une voix suppliante et tremblante.
Et quelques secondes plus tard, quand sa peau chaude et si douce touche la
mienne, c’est un moment de pur délice… Mais j’en veux encore plus ! Je caresse
son dos musclé, ses fesses qui le sont tout autant, tente de le repositionner au-
dessus de moi. De sa langue ardente, il lèche mes seins… Je gémis, les poumons
saturés de son odeur, le goût de sa bouche encore sur la mienne. Je ne réponds
plus de rien.
Je frémis au contact de ses doigts dans les plis brûlants de ma chair.
– Oh oui…!
Mon murmure l’encourage, et je les sens bientôt en moi… Il les retire
presque aussitôt. Le désir renaît de plus belle entre mes cuisses, je me cambre
contre lui. Il me laisse là, pantelante, tremblante, noyée dans mon désir. Il se met
à mordiller ma bouche et je ronronne gentiment quand il se place au-dessus de
moi.
– Mal… Mal…
Mes pensées se dispersent lorsqu’il introduit sa langue dans mon oreille. Cet
homme transformerait une sainte en la pire des pécheresses ! Il contemple mes
seins, et je gémis quand, la seconde d’après, il les dévore passionnément tout en
caressant mon sexe de ses doigts experts. D’abord l’extérieur, puis sur toute la
longueur, son pouce sur mon clitoris et quand il introduit un de ses doigts, je suis
au bord de la jouissance…
Tremblante de désir, j’attire son visage à moi, et l’embrasse à en perdre
haleine, suce sa langue. Il gémit quand je le laisse glisser la longueur de son sexe
entre mes lèvres. Mais, malgré son désir grandissant, il me savoure, masse mon
clitoris avec le bout de sa queue. J’en veux plus, je veux qu’il jouisse en moi !
Non, ce serait bien trop imprudent de l’encourager à aller plus loin., Je le
regarde enfiler un préservatif, essoufflée. Il ne prête pas attention à ses
mouvements, ne cesse de me regarder, sa poitrine se soulevant au rythme de sa
respiration saccadée.
Impatiente, j’ouvre les cuisses et il se rallonge sur moi. D’un geste rapide, il
lève et place ma jambe au creux de ses reins… J’enfouis mes ongles dans ses
muscles quand, sans me lâcher des yeux, il me pénètre dans un long mouvement
fluide. Son corps tremble et mon cœur manque un battement quand il se retire,
pour me pénétrer à nouveau, sa queue recouverte de mon excitation. Je ne peux
ni penser, ni parler, juste savourer le moment, sa bouche et ses yeux sur moi,
toujours… J’ondule sous lui, je halète, je gémis dans un abandon total.
Il glisse la main entre nous, trouve mon clitoris… Sa respiration est hachée,
sa détermination d’acier, et son pouce caresse le point le plus sensible de mon
corps. Il s’enfouit en moi aussi profondément que possible, guettant la réaction
de mon sexe, prêt à savourer les secousses de mon plaisir.
Et je viens… Un orgasme puissant, violent me soulève comme une lame de
fond. Il se déchaîne alors au-dessus de moi, désireux de prolonger ma jouissance
aussi longtemps que possible. Je m’agite, me cambre, cherche sa bouche. Nous
échangeons un baiser torride et à chaque coup de reins, je le sens se rapprocher
un peu plus de son orgasme, ce moment où il lâchera prise, abandonnant
l’incroyable énergie qui l’habite…
Je profite encore des dernières vagues de mon orgasme lorsque son corps se
tend, et je sens les soubresauts de sa queue au moment où il explose en moi. Il
prend alors mon visage entre ses mains, ralentit le rythme… Nous nous
embrassons lentement, mais avec passion, tandis que nos corps se détendent.
– Waouh ! dis-je, cherchant à reprendre mon souffle.
– Comme tu dis…
Il émet un petit rire et un éclair de satisfaction purement masculine passe
dans son regard. Il semble content de ma sincérité. Ou peut-être simplement
d’avoir fait l’amour avec moi.
Il s’allonge sur le dos, fixe le plafond. D’instinct, je me presse contre lui et il
m’enlace d’un bras, l’autre replié derrière la tête. Il baisse le visage vers moi,
soufflant sur une mèche de cheveux qui me barre le front.
– Je peux recommencer dans quelques minutes… Tu en as envie ?
– Oui.
Je suis épuisée, mais qu’est-ce que ça peut faire ? Ou plutôt, qu’est-ce qui
m’arrive ? Qu’est-ce que je suis en train de faire ? QU’EST-CE QUE TU FOUS,
RACHEL ?
– Une dernière fois et je m’en vais, dis-je.
Et je roule pour me retrouver à califourchon sur lui. Cet homme est
merveilleux… Que j’aimerais le garder, si c’était possible !
De multiples orgasmes plus tard…
– Pourquoi n’as-tu pas parlé de moi à tes amies ? me demande Malcolm.
Je suis en train de me rhabiller. J’hésite. Il n’a pas l’air contrarié, mais je ne
peux pas dire non plus qu’il semble content. Il paraît un peu renfermé, les
paupières encore lourdes de notre marathon sexuel.
– Pour les mêmes raisons que je ne tenais pas à ce que tes amis soient au
courant.
– Quelles raisons ?
– Nous nous sommes juste bien amusés. Ça ne signifie rien.
Je remonte la fermeture éclair de ma jupe et demande :
– Tu es en colère ?
– Non, juste curieux.
Je lui lance un regard étonné.
– Tu as peut-être l’habitude de parader avec tes maîtresses et elles aiment
sans doute se vanter de leurs prouesses en ta compagnie. Mais ça n’est pas mon
cas.
– Tu ne penses pas qu’on a passé l’âge de jouer à cache-cache, Rachel ?
– Et toi, tu ne penses pas que tu as passé l’âge de parier sur les femmes que
tu peux avoir ?
Ses lèvres s’étirent, mais son sourire n’atteint pas ses yeux. Je renchéris :
– Tu ne peux pas supporter l’idée qu’ils sachent que tu me veux et que tu
pourrais ne pas m’avoir ?
– Exact.
– Pourquoi ?
– Parce que je ne veux pas qu’ils empiètent sur ma chasse gardée.
– Je ne te comprends pas, Malcolm. Tu vois, c’est pour cela que je ne veux
pas de relation. Cela me tuerait, vraiment, d’essayer de saisir mon partenaire.
– Et moi, tu ne crois pas que ça me tue, d’essayer de te comprendre ?
Je cligne des paupières. Et, alors qu’il vient de dire une chose énorme, que
mon cœur s’est tout à coup figé entre un espoir étrange et une peur tangible, il
poursuit, comme si de rien n’était :
– Tu vois, en général, les filles aiment que le reste du monde sache qu’elles
ont fini dans mon lit. Certaines, même, affirment que c’est le cas, alors que je ne
les connais même pas. Tu es la première à avoir été dans mon lit sans le vouloir.
Je redresse la tête, frappée par sa mauvaise foi.
– Si c’était le cas, je ne serais pas chez toi, dis-je dans un murmure. Or, j’y
suis en dépit du fait que… du fait que je ne devrais pas.
Sur ces mots, je lève les yeux vers lui, consciente que je suis pathétique. Je
ne devrais pas être ici, Saint ! Il me regarde d’un air perplexe, ce regard qui
essaie de me comprendre. J’enfile mon top, tout aussi confuse. Ce n’est pas le
genre de conversation qu’on devrait avoir après une nuit sans lendemain. Enfin,
ce n’est pas vraiment ce qu’il est. Qui est-il, au juste ?
– Je ne veux pas être une autre de plus sur ta liste. Rien que de penser à
toutes les filles avec qui tu as couché, ça me donne envie de… de m’inscrire à un
cours de pole-dance.
Il se met à rire.
– Pourquoi ?
– Sans doute parce que je suis rasoir, enfin normale, quoi ! Et toi… tu es
toi !
Et je suis accro.
Il est 3 h passées. On est tous les deux débraillés et censés être détendus
après toutes ces heures à s’envoyer en l’air comme des fous. Et pourtant, je vois
clairement la tension qui crispe son visage. J’ai soudain envie de sauter de
nouveau dans le lit et de l’en délivrer, mais je commence à avoir peur de devenir
dépendante. À avoir peur de lui. Je me tiens près de la porte et m’apprête à lui
dire au revoir quand je constate qu’il a enfilé un caleçon noir et passe son
pantalon.
– À cette heure-ci, il n’est pas prudent de circuler la nuit par ici, marmonne-
t-il.
– Ce n’est pas prudent ici tout court, dis-je sur le même ton.
Torse nu, sans chaussures, il me donne encore des frissons alors que ses
mains ont exploré les moindres recoins de mon corps pendant une bonne partie
de la nuit. Il m’accompagne jusqu’à l’ascenseur et attend que l’appareil arrive.
Au tintement, il tourne mon visage vers lui… Je le laisse m’embrasser et noue
mes bras pendant quelques instants autour de son cou pour lui rendre son baiser.
Mais comme il ne semble pas avoir l’intention d’arrêter, je me détache de lui et
monte dans l’ascenseur.
– Salut.
Le regard intime qu’il pose à ce moment-là sur moi me trouble, et il ne me
quitte pas des yeux jusqu’à ce que les portes se ferment. Jamais je n’aurais cru
qu’un homme pourrait me regarder de cette façon ! Dès que je sors de son
immeuble, son chauffeur sort de la Rolls.
– Mademoiselle Rachel, dit-il en ouvrant la portière.
Mal ! Encore une fois, il a tout prévu. Je lève les yeux vers le haut de la
tour : pas l’ombre de sa silhouette derrière ses fenêtres. Une brusque envie de
hurler me saisit, mais je me rappelle à temps qu’il est 3 h du matin ! Dépitée, je
me glisse à l’arrière de la voiture… C’est alors que j’entends le chauffeur
derrière moi :
– Bonsoir, monsieur Saint, ou plutôt bonjour.
En l’espace d’un instant, ce dernier se matérialise devant la portière. Mon
cœur fait un bond immense.
– Viens, Rachel, dit-il.
Et il me prend par le bras pour m’entraîner hors de la Rolls.
– Mais… qu’est-ce que tu fais, au juste ?
– Ce que j’aurais dû faire plus tôt.
Une fois dehors, je refuse de bouger, mais il me saisit la main et m’attire
contre lui. Je murmure :
– Tu as perdu la tête.
– Exact, approuve-t-il.
Puis il hausse un sourcil.
– Tu viens, ou je dois te porter ?
– C’est bon, dis-je, consciente du regard sidéré d’Otis.
– Dans ce cas, suis-moi.
Et il enlace ses doigts aux miens, avant de se diriger d’un pas déterminé vers
l’immeuble. Nous voici de nouveau dans l’ascenseur ! Quand les portes
s’ouvrent, en haut, et que plus personne ne peut nous voir, il me soulève de
terre… et me jette sur son épaule !
– Saint ! Malcolm Saint ! Repose-moi tout de suite !
– Hé, patience ! Je vais te reposer, dit-il alors.
Je m’immobilise, ne sachant plus trop sur quelle planète je suis.
– Tu ne peux pas faire ça ! dis-je quand il me fait tomber sur son lit.
Serais-je entrée dans la quatrième dimension ?
– Tu vois bien que si ! Tu dors ici, tu passes la nuit avec moi, point final.
Et sans transition, il me retire mon haut, l’air très sérieux.
J’ai bien conscience que je devrais me révolter, que je ne devrais pas passer
autant de temps avec lui – et aimer ça –, la preuve, je n’arrive plus à penser
correctement, à penser tout court d’ailleurs… Ce qui ne m’empêche pas de
déboutonner sa chemise à la vitesse de l’éclair et de l’attirer contre moi,
soupirant d’aise quand il déploie son corps sur le mien.
Twitter :
@MalcolmSaint as-tu vraiment une petite amie ? #suistriste #disnonstp
EXCITATION, EXTASE
ET MISE À NU
LE STATUT
Et merde !!!
Une douzaine de tweets arrivent dans les secondes qui suivent :
Je leur donne une semaine.
Même s’il le voulait, Saint ne pourrait pas être monogame, il a besoin de
plus.
Elle n’est pas assez belle.
C’est donc vrai ? Et moi qui pensais que c’était un coup de pub.
Saint a réellement une petite amie ?
Des heures plus tard, je constate que Tahoe a supprimé son tweet : je
mettrais ma main au feu que c’est Malcolm qui l’y a obligé. Plus tard dans la
semaine, Saint me propose de sortir avec lui en ville.
– Non, tes réseaux sociaux explosent déjà à cause de nous.
Nous finissons au Toy, et décidons de faire un tour de bateau sur le lac, dans
l’après-midi. Il consacre la première heure à travailler, c’est-à-dire à passer des
coups de fil. De mon transat, je demande :
– Combien de temps passes-tu au téléphone, au juste ? Avec qui parles-tu ?
J’essaie de lui arracher son portable, mais il lève le bras pour le mettre hors
de ma portée.
– Tu vois la blonde, sur le yacht, là-bas ?
Ma question est destinée à le distraire afin de m’emparer de son téléphone,
mais ça ne marche pas. Comme il porte des lunettes miroir, je ne peux pas voir
où se pose son regard, mais il se penche en arrière, un bras sur le bastingage. Cet
homme attire même le soleil ! Il est tout doré, ses cheveux chatoient et mon
propre reflet dans ses lunettes, en bikini bleu, semble me regarder. D’une voix
rauque, il me répond :
– Je la vois, oui, elle est en face de moi.
– Les blondes, c’est bien ton style, non ?
Et je désigne de nouveau la femme dont je parle, sur le pont d’un autre
yacht. Vêtue d’un maillot de bain à rayures bleues et blanches, elle a le visage
tourné dans notre direction.
J’insiste :
– Je t’assure qu’elle est très belle, et c’est vraiment ton style de femme.
– Je n’ai pas de « style de femme », tu sais.
– Ah bon ? Je ne suis pas ton style ?
– Tu es la première de ce type-là, alors.
Je me mets à rire.
– Et toi, tu es le seul dans ton genre ! Malheureusement, il n’y en a aucun
autre comme toi. Tiens, voilà sa copine. Pas mal non plus ! Malcolm, regarde-
les !
Il s’assied et m’attire sur ses genoux.
– Ce que j’aimais chez les femmes a un peu perdu de son attrait.
– C’est-à-dire ?
Et je lui retire ses lunettes. Ses yeux brillent sous le soleil, et tout au fond j’y
vois des secrets enfouis ; mon estomac se contracte, tandis que ma respiration
s’accélère, surtout quand son souffle se mêle au mien…
– Je leur vois désormais à toutes des défauts.
Il secoue la tête, sa peau qu’on dirait saupoudrée d’or scintillant sous le
soleil.
– Un vrai gâchis ! ajoute-il.
– Quoi ?
– Elles ne ressemblent pas à la blonde que je désire.
Un nœud me serre la gorge…
– Car elles ne sont pas toi, Rachel, précise-t-il.
Il me saisit le menton, m’obligeant à lever les yeux vers lui.
– Pourquoi insistes-tu pour que je les mate ? Tu aimes l’amour à trois ?
J’éclate de rire, et repousse sa main.
– Malcolm !
– Réponds ! insiste-t-il en riant, sans me lâcher pour autant.
– Non ! Je ne partagerais jamais mon homme !
Il émet un rire rauque, puis il reprend ses lunettes pour les mettre sur mon
nez. Je ris et prends la pose. Il rit lui aussi et je frissonne quand il les enlève et
les replie dans sa main.
– Je dois te paraître bien rasoir, à vouloir garder mon homme pour moi.
– Je ne conteste pas.
– Que je suis rasoir ?
– Non, la deuxième partie.
– Tu es déjà devenu monogame à cause d’une fille ?
– Je le deviendrai pour celle qui sera mienne.
Il s’allonge sur le transat.
– Je n’ai jamais estimé avoir des droits sur une fille, en tant que petite amie.
Elles appartiennent au domaine public, en quelque sorte.
Et sur ses mots, un sourire aux lèvres, il pose ses lunettes près de son
portable, puis me décoche un regard brûlant, profond, comme celui que je vois
constamment dans mes rêves.
– Mais il y a cette fille… Ma chasse gardée.
– Je ne vois pas de qui tu parles, mais si elle avait un peu de jugeote, elle
prendrait ses jambes à son cou. Ce n’est pas très excitant, Malcolm, d’être la
propriété d’un homme.
– Viens là. Tu sais bien que je parle de toi.
D’un geste habile, il m’enlace.
– Justement ! Je ne t’appartiens pas, nous avions dit que nous couchions
juste ensemble et…
Il m’attire si fermement contre lui que je pousse un petit cri.
– Pourquoi me contredis-tu tout le temps sur ça ?
Il sourit et fronce les sourcils simultanément, puis me force à m’asseoir sur
ses genoux. Alors il plonge son regard dans le mien, soudain très sérieux.
– Je suis très doué pour les nuits sans lendemain, commence-t-il. Baiser sans
attaches, c’est mon passe-temps préféré. Donc, si quelqu’un peut faire la
différence entre une aventure et une vraie relation, c’est bien moi.
Mon Dieu… Je me sens fondre… Je pose les mains sur ses joues.
– Ta destinée est d’accomplir de grandes choses. Tout le monde le sait.
– Je sais que tu as envie d’être avec moi, murmure-t-il. Je le vois à la façon
dont tu rougis, dont tu arrêtes de respirer quand j’arrive, et cela me plaît.
Il me considère avec une telle sincérité que j’en suis effrayée. J’ai si peur
que je me mets à trembler dans ses bras, sur ses genoux.
– Je ne suis pas ta petite amie, Saint, et je suis sans doute la seule fille autour
de toi qui ne veuille pas l’être. Je crois que tu souffres du syndrome qui pousse
les gens à désirer ce qu’ils ne peuvent avoir.
Ses yeux sont remplis de tendresse, comme s’il comprenait la bataille qui se
joue en moi. Comme s’il savait d’instinct que j’allais la perdre. Mais il se montre
impitoyable.
– Je ne crois pas, Rachel. Car tu es là où j’ai envie que tu sois.
– Sur ton yacht ? dis-je en roulant des yeux.
– Non, près de moi.
À ces mots, je sens mon estomac se contracter et je deviens toute rouge.
– Tu te moques de moi.
– Tu rougis.
– C’est un coup de soleil. Je bronze là. Tu sais, sur ton gros yacht. Tu ne
peux plus me faire rougir, Mal.
Il tire alors sur le haut de mon maillot de bain qui s’ouvre.
– Malcolm !
– Non, ce n’est pas un coup de soleil, dit-il en regardant fixement ma
poitrine, car tu es rouge sur tout le corps.
Et avant que j’aie le temps de répondre, on s’embrasse à pleine bouche,
lentement, pendant une minute ou une heure, je ne sais plus… Mais il est invité à
dîner et il nous faut regagner la terre ferme.
– Tu es certaine que tu ne veux pas venir ? demande-t-il en ébouriffant mes
cheveux.
– Et être le festin des paparazzi ? Non merci.
Je ne le quitte pas des yeux quand il renfile ses vêtements, déplorant qu’il
m’empêche de mater son corps d’Apollon. Mais il est magnifique aussi en
costume. En boutonnant sa chemise, il me demande :
– Cela t’ennuie qu’ils soient après toi ?
Je hausse les épaules alors que je me faufile dans mon jean serré.
– Comment fais-tu pour vivre avec leur présence continuelle ?
– Je n’ai pas le choix. Et tu les intéresses parce qu’ils ne te connaissent pas.
Est-ce inconfortable, Rachel ?
J’ai fini de me battre avec mon jean et réponds :
– Un peu… Pas mon jean, bien sûr, mais ces crétins qui te suivent partout, et
me traquent aussi maintenant.
Il se met à rire, puis secoue la tête et passe la main dans ses cheveux.
– Dans ce cas, je vais m’en occuper.
– Non, tu agirais contre tes intérêts !
– Ça, ce n’est pas près d’arriver, m’assure-t-il vivement.
Et il met un pied à terre.
Ce soir-là, je reçois plusieurs textos d’Helen.
Rachel, j’ai besoin d’un article, cette semaine.
Rappelle-moi quand tu peux.
J’espère que tout va comme tu veux.
C’est affreux, j’ai un blocage, je n’arrive plus à taper une ligne. J’ai une
brique dans le crâne à la place du cerveau. C’est le silence absolu. Rien. J’ouvre
ma boîte pleine de fiches, de notes, puis reviens à ma liste de liens Internet.
Toujours rien.
Je suis si agitée que je ne peux rien écrire, voilà mon problème ! Et ma
deadline qui se rapproche à toute vitesse… Je pensais que les choses se seraient
calmées du côté de Saint, mais c’est tout le contraire ! Où cela va-t-il nous
mener, à part droit dans le mur ?
Histoire de me changer les idées, je clique sur de nouveaux liens. Un article
en ligne s’affiche.
Chasser le naturel, il revient au galop – Saint retrouve ses anciennes
habitudes après une présumée séparation avec sa petite amie.
Je vois alors une photo de lui, tout fier dans son costume avec, à l’arrière-
plan, la bannière de l’événement auquel il assiste… Et à ses côtés, une blonde
qui me ressemble et le regarde d’un air énamouré ! Je me sens blêmir et pose
mon doigt sur son visage. Il semble si détaché et distant. Je ne peux pas croire
que c’est le même homme qui me taquinait il y a quelques heures encore.
De ma chambre, impuissante, je fixe la créature accrochée à son bras,
autrement dit à l’endroit le plus convoité de Chicago ! Quelle femme ne
s’enorgueillirait-elle pas de parader aux côtés de Saint ? Toi, Rachel, car là n’est
pas ta place ! La tienne est à Edge, pour ton propre salut, et non dans le monde
tumultueux de Malcolm Saint. Refermant brusquement mon ordi, je vais au salon
où il n’y a pas de place pour la jalousie ni tout autre sentiment d’ailleurs. Ce qui
est d’actualité, c’est que je surmonte mon blocage. Me montrer possessive
envers un homme qui, depuis des années, a clairement prouvé qu’il était
inaccessible, ce n’est absolument pas ce dont j’ai besoin en ce moment !
Il est en revanche impératif que mon cerveau se repose un peu afin que mon
inspiration revienne. Et que je me concentre sur mon projet, en laissant de côté le
sexe et Mal. Je m’assieds près de Gina et lui demande :
– Que regardes-tu ?
– Moulin Rouge, dit-elle en reniflant.
– Oh non, je ne peux pas voir ce film dans mon état !
Et je tape du point sur l’accoudoir du canapé, avant de retourner dans ma
chambre, hantée par les paroles de la chanson Come What May. Advienne que
pourra, effectivement…
Je me recroqueville sur mon lit, téléphone en main, hésitante. Non, ne lui
envoie pas de texto, Rachel ! Il est avec une autre fille, ce qui te donne
l’opportunité rêvée pour cesser de le voir et te remettre directement au travail.
À minuit, je ne dors toujours pas, et un texto de Mal s’affiche soudain sur mon
écran.
Je peux passer ?
Je fronce les sourcils, mais ne réponds pas. Je garde toutefois mon portable à
la main. Il vibre.
Mal s’affiche en gros sur l’écran. Le cœur battant, je m’assieds, puis réponds
de façon aussi détachée que possible.
– Salut, je pensais que tu étais occupé ce soir.
– Pour toi, je me suis libéré, dit-il d’une voix chargée de désir. Je peux
passer ?
J’ai envie de lui, une envie qui me dévore. Rien qu’à l’entendre au
téléphone, mon sang accélère sa course dans mes veines, tant je suis excitée.
– Je suis au lit.
– Tu as de la chance.
– Tu as passé une bonne soirée ?
Et elle va devenir ta nouvelle favorite ?
– C’était bien.
– Ah…
– J’ai mis un terme aux rumeurs nous concernant, donc tes confrères
devraient te laisser tranquille pendant quelque temps.
– Oh…
Je suis à la fois surprise et ravie : ce serait donc l’explication de la créature
blonde à côté de lui ? J’ajoute alors :
– Je dois donc te remercier…
– Peut-être que désormais tu viendras avec moi à l’une de ces réceptions.
– Je ne peux pas, tu le sais bien, dis-je, m’enfonçant confortablement dans
mon lit. Mais raconte-moi plutôt comment s’est passée la soirée. Et dis-moi ce
que j’ai manqué.
Pelotonnée sous la couverture, j’attends que sa voix opère des merveilles sur
moi.
– La routine. Sauf que j’ai rendu visite à un de mes employés qui était dans
le coma et qui, au réveil, s’est mis à parler plusieurs langues.
J’éclate de rire et lui assure :
– C’est incroyable ! J’adore entendre des choses aussi inexplicables que
fascinantes.
– Je savais que ça t’intéresserait, dit-il, manifestement content de lui.
J’entends alors une portière claquer. Vient-il juste d’arriver chez lui ?
– Et desquelles s’agit-il ? Des langues, je veux dire.
– Allemand, français, russe.
Il se tait, puis j’entends le tintement de l’ascenseur.
– Tu sais, Rachel, reprend-il d’une voix enjôleuse, tu te serais bien amusée,
ce soir. J’aurais pris soin de toi.
– Oh, je n’en doute pas ! En plus, j’adore les langues étrangères. Un homme
qui parle allemand… Sexy.
– Je pourrais te susurrer des mots en allemand, cette nuit.
Je me mets à rire, puis redeviens sérieuse… J’entend des bruits de pas, une
porte s’ouvrir et je l’imagine dans sa chambre. Soudain, je regrette amèrement
de ne pas être près de lui.
– Ce n’est pas possible, dis-je dans un souffle.
Nouveau craquement. Vient-il de s’allonger sur son lit ?
– Si ça l’est, seulement, tu as peur, murmure-t-il.
– Pas toi ? Tout cela ne t’inquiète donc pas ?
– Pas du tout, je dirais plutôt que je suis fasciné par notre relation.
Je suis de nouveau toute timide. Saint est tellement perspicace. Ressent-il la
même chose que moi ? Quand il reprend la parole, sa voix à la fois rassurante et
mielleuse me surprend presque :
– Étant donné que je ne m’attendais pas à m’attacher à toi, et encore moins à
ce que ça dure plus d’une semaine, je ne vais pas renoncer, Rachel.
Mon corps est en feu. Je me mets à fixer le plafond, ne sachant où tout cela
nous mènera si je lui avoue à quel point il est devenu une drogue pour moi…
Tout mon corps est dépendant de lui. Je le sens en moi, à des endroits que je ne
peux pas tatouer. Là où personne ne s’est jamais aventuré.
– Donc, si je comprends bien, je suis un défi.
– Peut-être, dit-il la voix râpeuse. Le défi de ma vie.
J’éclate de rire.
– Arrête de te moquer de moi.
Mais lui ne rit pas, et nous restons silencieux au téléphone, si bien que j’ai
l’impression d’entendre son cœur battre… Sa respiration ralentit.
– Bonne nuit, Saint.
– Malcolm, corrige-t-il.
– Malcolm.
Il émet un bref rire.
– Bonne nuit, Rachel. Pense à moi.
Et merde ! Que veut-il de moi ? Et moi, qu’est-ce que j’attends de lui ? Il
faut que je parle à quelqu’un qui ne me rappellera pas dans quelle galère je me
suis mise.
CHAPITRE 24
LES MÈRES
ONT TOUJOURS RAISON
Il faut que je voie ma mère. Déjà, pour vérifier qu’elle va bien, qu’elle n’a
pas perdu ni pris du poids à cause de son diabète. Ensuite, parce que je sais
qu’elle saura me conseiller et m’aider à trouver une issue positive à cette fichue
pagaille. Je demande à Gina et Wynn de m’accompagner, j’ai besoin de passer
du temps entre filles, en général après, je me sens merveilleusement bien.
Une fois chez ma mère, on se met dans l’ambiance : thé, petits gâteaux,
potins. Nous parlons de la boutique d’aromathérapie de Wynn, de son fiancé
Emmett, nous écoutons les anecdotes de Gina liées au magasin, et je suis ravie
d’entendre que ma mère a trouvé du temps pour se remettre à la peinture ; je leur
confie moi-même quelques-uns des sujets que j’aborde dans mes articles.
Ma mère a l’air en pleine forme. Elle jure que son insuline est stable, qu’elle
n’a pas eu de pic de glycémie récemment, ni de chute. Elle se réjouit de pouvoir
passer du temps avec les filles et de leurs histoires. Elle n’arrête pas de sourire et
ses yeux brillent, pleins de bienveillance.
– Donc maintenant, elle va le descendre ! conclut Wynn au sujet de mon
article sur Saint.
Ma mère m’adresse un regard surpris, puis se met à rire :
– Allons, ces jeunes gens ne sont certainement pas aussi diaboliques que
vous me les décrivez. Ce sont juste des garçons. Malcolm Saint est une sorte de
héros depuis sa naissance car il est bien, lui, le fils d’un homme maléfique.
– Je n’ai pas dit que Saint était diabolique, dis-je rapidement. Cet article…
Bref, c’est mon job, c’est comme l’ouverture du rideau au théâtre, révéler des
informations nouvelles sur le sujet préféré des gens. Je ne vais pas écrire que
Saint est diabolique !
Sur la défensive je poursuis :
– Je ne suis pas mauvaise, Maman, je fais juste mon job !
– Et que vas-tu écrire ? Que c’est un séducteur ? Peut-être que ces filles ont
envie qu’il profite d’elles. Et je les comprends. Tu sais, ton père…
– Stop !
Elle ouvre alors de grands yeux.
– Mon article doit faire des révélations, et tu sais pourquoi ? Car si je ne me
conforme pas aux exigences de ma cheffe, je serai virée et je ne sais pas
comment je m’en remettrai. Et même si je ne suis pas renvoyée, Edge est sur le
point de déposer le bilan, et des dizaines de personnes vont se retrouver sur la
touche. Or, avec cet article, je renfloue les caisses du magazine, et en plus, je
serai en mesure de t’acheter une maison où tu pourras peindre pour le restant de
tes jours. Donc, je rédigerai mon article car je suis professionnelle, Edge prendra
un nouveau départ, j’aurai sauvé mon job, je serai même montée en grade, et
l’argent coulera à flots. Saint donnera encore des fêtes sur son yacht avec ses
traînées et il n’en aura rien à foutre.
À ces mots, ma voix se brise et je sens les larmes monter. Gina et Wynn, qui
feuilletaient des magazines, lèvent la tête vers moi et reposent leurs revues.
– Rachel, je ne veux pas que tu m’offres une maison, me dit ma mère avec
tendresse en posant la boîte à thé sur la table.
J’essuie furtivement une larme.
– Mais tu en auras une, tu le mérites, Maman !
– Rachel, ton père t’a-t-il manqué ? As-tu terriblement souffert de son
absence ?
Et sur ces mots, elle vient s’asseoir tout près de moi et me prend la main.
– Mais non, Maman, pas du tout, je t’avais toi !
Et je cligne des yeux car c’est la première fois qu’elle me pose de telles
questions.
– Dans ce cas, pourquoi es-tu si déterminée à faire quelque chose qui ne te
ressemble pas ? demande-t-elle de ce ton si compatissant qui la caractérise.
Une autre larme m’échappe. Je retire vivement ma main de celles de ma
mère et l’essuie, consciente que Wynn et Gina sont subitement devenues
silencieuses et que je respire plus vite, car je m’efforce de retenir mes sanglots
en reniflant.
– N’est-ce pas le propre de la vie, Maman ? Faire des choix difficiles ? Toi-
même, tu as dû renoncer à ta passion pour trouver un emploi. Cette décision t’a
brisé le cœur, mais tu n’avais pas le choix. Je me trompe ?
– Bon, ce jeune homme, qu’éprouve-t-il pour toi ?
– Il n’est pas amoureux, Maman. Ce n’est pas Papa, tu sais. Ce ne fut pas le
coup de foudre entre nous, ni la rencontre de deux âmes faites l’une pour l’autre.
Il ne veut pas vivre avec moi comme Papa le souhaitait pour vous deux. La
première fois qu’il m’a vue, il ne s’est pas dit : « C’est mon âme sœur, la femme
avec qui je veux passer le reste de ma vie, même si je la connais à peine. »
Je m’interromps brusquement, car ma gorge est toute nouée, et ma poitrine
me brûle. Je parviens néanmoins à poursuivre d’une petite voix :
– Je suis un défi pour lui. Ce n’est pas le genre d’homme qui ressent de
l’amour pour une femme, il n’est pas comme ça… Lui et moi…
J’ai l’impression qu’on m’a passé un nœud coulant autour de la gorge, mes
yeux me brûlent affreusement.
– Nous ne tiendrions pas trois mois. Et alors, comme Papa, pouf, il
disparaîtrait, et il n’y aurait plus que toi et moi, Maman, comme toujours.?Je ne
crois pas être en mesure d’entendre une réponse, quelle qu’elle soit, qu’elle ait
pour but de me consoler, me rassurer, ou pire me blesser. Les trois femmes qui
m’entourent et me sont si chères, me regardent avec des yeux épouvantés
comme si des vers me sortaient de la tête – parce que je suis le Diable. D’un
bond, je me lève et je vais m’enfermer dans mon ancienne chambre. Je
m’assieds sur une chaise en face du tableau que ma mère est en train de peindre,
et je tente de reprendre ma respiration, tandis que les larmes roulent sur mes
joues. Je ne sais même pas pourquoi je pleure. Ce ne devrait pas être aussi
douloureux, je n’aurais jamais cru que cela le serait. Mais ma mère et mes amies
semblent penser que j’ai commis une grave erreur.
Poussant un gémissement, je m’allonge sur le sol, là où se trouvait mon lit
d’enfant et scrute le plafond… C’est ce que je faisais quand j’étais une petite
fille qui voulait un papa, avait des rêves, désirait se démarquer, écrire parce que
l’écriture change tout… Elle crée quelque chose à partir de rien.
Oui, je restais étendue ici, enfant, avant de faire la connaissance de Gina,
avant qu’elle ne rencontre Paul, et je me demandais si je tomberai un jour aussi
amoureuse d’un homme que ma mère de mon père. Elle l’a aimé avant qu’il
n’ait l’occasion de la décevoir ou de lui briser le cœur. Pour ma mère, les
hommes sont fondamentalement bons, le yang de ce monde, le complément
parfait de votre yin. Et j’étais moi-même une fille qui se demandait qui serait son
yang. Ce qu’il ferait. À quoi il ressemblerait. À quel point il m’aimerait.
Jamais je n’aurais imaginé qu’il aurait des yeux d’un vert chatoyant, des
dizaines de sourires ; un homme qui me lance des défis, me provoque, aussi
parfait qu’imparfait, et me donne envie de connaître jusqu’à la moindre de ses
pensées.
Ma petite amie… J’ai vraiment eu tout faux avec lui ! En le repoussant, je
n’ai fait que l’attirer davantage. Et en lui cédant, je me suis condamnée aux
chagrins. Mon erreur n’a pas été d’accepter d’écrire un article sur lui, mais de
me mettre à nu afin de l’approcher de plus près… Si près que désormais, j’ai
l’impression qu’il s’est immiscé dans mon âme. Oui, j’ai eu tort d’accepter sa
chemise, d’aller dans son club, sur son yacht, d’avoir répondu à ses baisers, de
m’être rendue chez lui et de l’avoir supplié de me faire l’amour alors que je
m’étais promis que ça n’arriverait jamais !
Il faut que je mette un terme à tout cela, mais la raison m’a abandonnée. Et
la perspective de la rupture – que je dois provoquer – renforce mon désir d’être
avec lui. C’est insensé !
Sur une impulsion, je sors mon portable et l’appelle. Évidemment, je tombe
sur son répondeur… Il est sans doute en train de baiser une autre nana, me dis-je,
amère. Je laisse un message :
– Salut, c’est moi. Je voulais… Bref, rien. Rappelle-moi. Ou pas. Bye.
Je raccroche, puis essuie mes larmes et tente de me ressaisir. Je dois
m’accrocher à mon objectif, à cet article, ce dossier qui me permettrait de me
faire un nom, d’avancer dans ma carrière, prouver que Saint est bien réel et non
une légende. D’ailleurs, je peux peut-être ouvrir les yeux de quelques filles et
leur éviter des peines de cœur. Elles se rendront ainsi compte que Saint ne les
aime pas, et que personne ne les aimera à part elles-mêmes, ce qui est déjà assez
compliqué. Et leurs amies, si elles les choisissent avec discernement, ainsi que
leur famille, si elles ont de la chance. C’est ainsi que je compte rédiger mon
article, du point de vue d’une petite fille qui a grandi en rêvant de vivre auprès
d’un homme aimant, avant de tomber dans la position inverse, c’est-à-dire
vouloir se prouver qu’elle n’avait besoin d’aucun homme. Oh ! Je sais qu’il y a
de nombreuses autres filles comme moi, celles qui ne rencontrent pas l’élu de
leur cœur à sept, treize ou quinze ans, ou celles dont l’âme sœur n’est même pas
née. Donc, comment le croiser une fois adulte ? Et puis, on s’en fout, on n’a pas
besoin de lui !
Il me rappelle.
– Salut, tu vas bien ? demande-t-il.
– Je…
Sa voix m’apaise instantanément, jamais je ne me suis sentie aussi
étroitement liée à un homme. D’ailleurs, si j’entends de l’inquiétude dans sa
voix, nul doute qu’il entend ma tristesse et ma frustration, non ? J’essuie le coin
de mes yeux. Je déteste mais déteste vraiment pleurer.
– Oui, ça va. Je voulais juste te parler.
Je m’éclaircis la voix, agacée qu’elle tremblote un peu. Un silence s’ensuit.
Allez, Rachel, raccroche ! Dis-lui au revoir. Tu crois qu’il a envie de s’occuper
d’un bébé qui pleure au téléphone ?
– Où es-tu ? demande-t-il.
– Pour l’instant, chez ma mère. Mais je vais rentrer chez moi.
– Otis viendra te chercher, j’ai envie qu’on passe l’après-midi ensemble.
D’une voix soudain timide, je réponds :
– J’adorerais, Malcolm…
Je laisse ma phrase en suspens. Il ne répond d’abord pas, comme s’il était
surpris par ma vulnérabilité. Et puis il me prend par surprise, et me dit d’une
voix basse et tendre :
– Moi aussi. À tout à l’heure.
Je coupe la communication et regarde mon téléphone, mon cœur cognant
douloureusement dans ma poitrine. Suis-je amoureuse de lui ? Pourquoi suis-je
brûlante de désir et si confuse ? On dirait que mon cerveau me montre la voie de
la raison, mais que le reste de moi-même refuse d’y aller si cela signifie le
perdre.
Je jette un coup d’œil au tableau de ma mère et suis frappée par sa beauté.
Ça ne ressemble à rien de ce qu’elle a peint jusqu’ici, comme si toutes ces
années où elle ne pouvait pas peindre ont mûri en elle, créant une force qui, une
fois libérée, a jailli pour prendre possession de la toile.
Tout comme cette relation avec Saint est en train de prendre possession de
moi.
CHAPITRE 25
Deux heures plus tard, j’atteins les quais et quand je le vois sur le pont du
Toy, en train de m’attendre, j’aspire une grande bouffée d’air… Je porte une
robe jaune toute simple – je n’avais pas prévu de le voir aujourd’hui – et ne
cesse de la lisser car, d’une étoffe légère, elle remonte à cause du vent. Mes
cheveux volètent eux aussi, quand je monte à bord, et le polo blanc de Saint se
retrouve plaqué contre son torse, à chaque bourrasque.
Il me tend les bras, m’aide à monter sur le pont, puis me guide vers la partie
supérieure. On ne se dit même pas bonjour, c’est inutile. Je ne m’étais pas
encore rendu compte qu’on est à ce point sur la même longueur d’ondes que,
comme avec ma mère et mes meilleures amies, on connaît intuitivement les
besoins de l’autre : il suffit d’un coup d’œil pour se comprendre. Ainsi, gardant
mes doigts fermement mêlés aux siens, il m’entraîne vers le canapé du deuxième
pont. Je me sens soudain bien fragile, j’ai l’impression que je vais me briser s’il
renforce son étreinte. Je m’assieds donc bien vite sur la chaise longue en face de
la banquette, tandis que le yacht se dirige vers le large.
– Tu veux en parler ? me demande Malcolm.
Il a pris place en face de moi, et me touche gentiment les cheveux. Son
regard semble voir à travers mes défenses.
C’est un vrai dieu du sexe. Un play-boy et un joueur. Mais personne ne voit,
au-delà des apparences, son humour, sa réserve, sa gentillesse. Au fond, c’est un
tendre. Avec moi, il est adorable, tout comme il l’est avec ses amis ; il ne refuse
jamais les demandes d’associations caritatives. S’il ne veut plus coucher avec
moi, il restera tout de même un homme que je serai fière de compter parmi mes
amis. Oui, j’ai beaucoup de respect pour lui. Et j’éprouve aussi une immense
jalousie à l’idée de devoir céder ma place à d’autres et cela me tue !
Je murmure :
– En fait, je vis une de ces journées où ma famille, c’est-à-dire ma mère et
mes amies, et moi, ça n’est pas une réussite !
Son air compatissant est presque insupportable alors que je me déteste pour
ce que je suis en train de faire, pour le choix que j’ai fait.
– Malcolm…
Je ne peux m’empêcher de gémir son prénom sous l’émotion. Il m’attire à
lui.
– Si ça peut te rassurer, ma famille et moi, ça n’a jamais été une réussite !
dit-il en me plaçant sur une de ses cuisses.
Tiens, je suis surprise qu’il revienne de lui-même sur le sujet. Il te tend une
perche pour que tu t’ouvres à lui, me souffle une petite voix.
– J’avais l’impression que quelque chose clochait chez moi, j’y pensais tout
le temps, poursuit-il. Mais ce que pense ta famille n’a pas d’importance. Qu’est-
ce que tu penses, toi ?
Que je crains, voilà ce que je pense ! Et j’ai envie de pleurer. Je regarde sa
main posée sur ma hanche, et pose la mienne dessus pour l’y maintenir,
affreusement consciente que, lorsque l’article sortira, il ne mettra plus jamais
cette main si imposante et rassurante sur mon corps…
Est-ce que je peux vraiment lui faire ça ? Nous faire ça ?
– Nous n’étions jamais d’accord sur rien, reprend-il.
Il glisse une mèche derrière les oreilles. Puis il empoigne mes cheveux au
niveau de mon cou, nous forçant à nous regarder.
– Rien de ce que je faisais n’était suffisant. Je n’étais pas digne du nom que
je portais.
– Alors tu as décidé de lui donner une tout autre réputation ?
Ses yeux brillent d’un vert plus vif.
– Pas vraiment, j’ai juste suivi ma propre voie, en essayant d’être heureux
sans me soucier des conséquences.
Puis il m’étudie quelques instants, comme s’il se demandait pourquoi je ne
suis pas heureuse. Non, je rectifie : il me dévore des yeux comme s’il
s’interrogeait sur la meilleure façon de me rendre heureuse.
– La plupart du temps, je suis heureuse, tu sais, lui dis-je. Seulement, j’ai
aussi l’impression d’attendre quelque chose et je vis avec ce petit manque depuis
toujours.
– Je connais bien cette sensation, commente-t-il en hochant la tête.
J’essaie de le taquiner :
– Et moi qui pensais que tous les jouets que tu possédais te comblaient
entièrement. Comme tes blondes.
– Non, pas les jouets.
Sur ces mots, il se met à rire, et me saisit le bras au moment où je me lève. Il
me retient sur ses genoux où je n’atterris pas vraiment en douceur…
– Juste une blonde, précise-t-il.
Il me veut.
Sa queue est si dure que je la sens palpiter contre mes fesses, et une onde de
chaleur me gagne lorsqu’il enfouit ses doigts dans ma chevelure. Il murmure
contre mon oreille :
– Tu es tendue, tu as besoin d’être aimée.
– Et toi, tu ne rates jamais une occasion !
Il éclate de rire, mais nos sourires s’effacent quand nos regards se croisent.
– J’ai vu, tu sais, de quelle façon tu as mis fin à la rumeur qui nous entoure,
finis-je par dire.
Il ne répond pas, comme s’il attendait que je lui pose une question. Oh, elle
me brûle la langue, cette question, mais je n’arrive pas à la prononcer. Ce serait
si hypocrite de ma part de lui demander s’il a couché avec elle alors que, dans le
même temps, je ne veux pas que notre relation devienne sérieuse.
– Il ne s’est rien passé, tranche-t-il.
OK, je n’ai même pas eu besoin de lui tirer les vers du nez, il voit dans mes
yeux les sentiments que j’éprouve pour lui. J’ai conscience que je suis en train
de tomber, une chute vertigineuse. Je joue avec le feu, mon cœur est en jeu et
j’attends qu’il soit brisé. Mais même la peur ne peut m’arrêter.
– Tu aurais pu, tu sais, dis-je d’un ton aussi désinvolte que possible.
– Oui, je sais.
Je vois une lueur briller dans ses yeux, comme si je l’amusais. Le cœur
battant, je noue les mains autour de son cou, et chuchote :
– Je suis contente qu’il ne se soit rien passé.
Et je déverse une pluie de baisers lents et passionnés dans son cou, tout en
tirant sa chemise hors de son pantalon.
– Et il ne se passera rien, affirme-t-il d’une voix râpeuse.
Pour un homme qui ne fait jamais de promesse, cela y ressemble fortement
et je ne peux m’empêcher de le croire alors que je palpe ses abdos. Caresser tous
ses muscles m’excite tellement, me détend… Un frisson me parcourt. Il le
remarque et me sourit.
– Malcolm…
Et un désir puissant prend possession de mon corps. Cet homme est à moi, à
moi… Il me laisse l’embrasser, puis enfouit son visage dans mes cheveux, dans
lesquels il emmêle ensuite ses mains sur toute la longueur. Je glisse les miennes
sous sa chemise, et la remonte pour embrasser son ventre, jusqu’à ses délicieux
tétons… Je me mets à lécher son torse tandis qu’il relève ma robe jusqu’à ma
taille. D’une main, il s’empare alors de ma culotte et je me lève pour lui faciliter
la tâche. Il en profite pour baisser son short et sortir son sexe.
Je tremble de désir quand il enfile un préservatif… Puis je le chevauche, et
ma robe retombe sur nous si bien que, des autres yachts ou bateaux qui nous
croisent, personne ne peut deviner ce que nous faisons.
Il est tellement gros, je gémis à chaque fois qu’il s’enfonce en moi… Mais il
aime ça, il aime me faire gémir. Tout comme il aime me faire l’amour.
Doucement, nos corps s’unissent, nos bouches se cherchent, le plaisir monte.
Nos vêtements nous séparent, mais nos chairs sont unies, et je m’agrippe
fiévreusement à lui, remuant mes hanches pour le sentir encore plus
profondément en moi. Il me murmure des mots torrides à l’oreille et je hoche la
tête sans trop savoir à quoi j’acquiesce.
Nous nous dirigeons vers la cabine après un repas délicieux. Il s’étend nu, et
je crois que dormir à ses côtés est devenu mon addiction numéro un. Une fois
sous les draps, je pose ma tête sur son torse et écoute son cœur battre tout en
enroulant ma jambe autour de sa cuisse. J’éprouve tout à coup un sentiment
absolu de sécurité…
– Ça va mieux ? demande-t-il contre mon oreille.
– Bien mieux.
Je commence enfin à me détendre et repense à la question de Gina : avons-
nous un avenir ensemble ? Une histoire ressemblant vaguement à une relation
amoureuse est-elle envisageable ? Non, je refuse d’y croire, même en faisant
abstraction de l’article… Mais c’est dur de m’en convaincre alors qu’il me
caresse le dos et que nous nageons dans le calme et le confort, comme si nous
avions fait ça des milliers de fois et que des milliers d’autres nous attendaient.
Je suis épuisée, et en même temps, je n’arrive pas à dormir. Je n’arrête pas
de me tourner et de me retourner, d’instaurer toutes les limites possibles, mais
ma lutte contre moi-même est vaine. J’ai beau penser à toutes les aventures de
Malcolm pour m’immuniser contre lui, rien n’y fait. Je suis trop faible face à lui.
Ces défauts ne m’empêchent pas de m’attacher, on dirait même qu’ils m’attirent
encore plus. Je suis liée à lui, irrémédiablement.
Et mon article… Que vais-je révéler, maintenant ? J’avais la ferme intention
de démasquer une légende et voilà qu’elle repose sur moi, magnifique et en
sueur, insatiable et irrésistible. Et c’est la première fois de ma vie que j’ai envie
de rester quelque part, en l’occurrence dans ses bras.
Après le marathon de sexe qui a duré une bonne partie de la nuit, nous
somnolons tandis que The Toy glisse doucement sur les eaux. Ma peau picote
sous la chaleur du soleil, le vent joue dans mes cheveux, et les douces
oscillations du yacht me bercent, tout comme le doux ronronnement du moteur,
me replongeant presque dans le sommeil.
Saint vient de raccrocher, après une conversation professionnelle, et se
rallonge à côté de moi.
Le soleil est à son zénith et l’ombre du yacht frémit sur les eaux. Je m’étire
et m’allonge sur le ventre, puis détache le haut de mon bikini pour ne pas avoir
de trace de bronzage. Malcolm pose immédiatement la main dans mon dos.
– Je vais bronzer avec la marque de ta main, dis-je en riant.
Son téléphone sonne de nouveau ; il se lève et se met à arpenter le pont tout
en parlant. Je vois un sourire éclairer son visage, il passe la main dans sa
chevelure sensuellement décoiffée…
– C’est vrai ? Génial !
Je suis complètement sous son charme, accro à lui, j’adore le regarder
travailler, tout en me demandant de quoi il parle. Quand je suis avec cet homme,
je ne pense à rien d’autre que lui. Le portable toujours collé à l’oreille, il me jette
un coup d’œil puis, du doigt, me fait signe de m’approcher. Ce qu’il peut être
autoritaire ! Je fronce les sourcils, mais obtempère, rattachant d’abord mon haut.
Il raccroche et me dit :
– Je veux te montrer quelque chose.
Puis il passe son doigt sous l’élastique de mon maillot de bain pour être
certain que je le suis. Nous nous rendons sur le pont supérieur où nous attendent
une corbeille de fruits et de la lotion solaire, ainsi que son ordinateur et d’autres
gadgets high tech.
Il allume le premier, tape quelques mots de passe. Je m’assieds sur une de
ses jambes. Il clique sur un lien et une rue vide s’affiche à l’écran.
– Qu’est-ce que c’est ?
– Quelque chose qui va te plaire, je crois. Tu vas voir…
Plusieurs vues s’affichent, l’entrée d’une épicerie, un coin de rue…
– Halte à la violence incite à la surveillance citoyenne, dit-il.
Je ressens un grand coup au cœur.
– Je sais.
– Ce sont des images de surveillance prises par satellite. C’est moi qui ai
financé l’entreprise. D’autres satellites suivront.
Je suis abasourdie et plaque ma main sur ma bouche… Malcolm paraît
amusé par ma réaction.
– Tu n’as rien à dire ?
Je le fixe, médusée : cet homme est un vrai mystère, toujours en train de me
surprendre, me taquiner, m’agacer, me séduire. Bref, il m’enchante.
– Cela me rapproche de cette lune que selon toi je convoiterais, non ?
Je suis toujours aussi surprise, incapable de répondre. Un sourire aux lèvres,
il me caresse la joue.
– Tu fais ressortir en moi des qualités que je ne pensais pas posséder,
Rachel, ajoute-t-il.
Sa voix est grave, pleine de respect, tout comme son regard, reconnaissant.
– On dit que je suis téméraire, qu’on ne peut pas se fier à moi, que je ne sers
que mes propres intérêts. Mon père m’estimait toujours capable du pire et ma
mère redoutait constamment qu’il m’arrive le pire. Les gens me regardent
comme si je pouvais décrocher la lune, mais dans tes yeux, j’ai l’impression que
c’est déjà le cas. Comme si tout ce que j’ai besoin de faire, c’est d’exister pour te
rendre heureuse.
Il retrace alors la forme de mon lobe avec son pouce, puis me sourit d’un air
comblé.
– Et ça me plaît, Rachel.
– Je me sens si vivante avec toi, dis-je sans réfléchir. Avec toi, tout est
meilleur, plus grand.
– Ah, Rachel !
Il incline la tête en arrière et se met à rire en se frottant le menton, à la fois
sexy et plein d’humour.
– Tes paroles me font le plus grand bien mais pas au sens où tu les entendais,
sans doute.
– Parce que tu es arrogant, et que rien ne te suffit jamais, tu veux toujours
qu’on t’admire plus, qu’on te respecte plus, et… j’adore. Oh oui, Malcom,
j’adore ça !
Et je me sens rougir car j’ai failli dire « Je t’adore » ! Alors pour éviter tout
malentendu, je répète :
– Vraiment, j’adore ça.
Il me prend par le menton et tourne mon visage vers lui, ses yeux braqués
sur ma bouche.
– Parfait. Ma petite amie veut changer le monde et moi le posséder.
– Pourquoi insistes-tu pour m’appeler ta petite amie ?
Nos regards se croisent et cette timidité qu’il a le don de faire naître en moi
resurgit d’un coup. Il hausse un sourcil.
– Pourquoi désirons-nous certaines choses ?
– Parce qu’elles nous donnent du plaisir, de la satisfaction, nous rendent
heureux.
– Donc quand est-ce que je pourrai t’appeler ma petite amie ?
Quel entêté ! Son « quand » me fait rire.
Dans le monde de Saint, rien n’est impossible. Il sait que ça va arriver, il s’y
applique consciencieusement, juste curieux de savoir combien de temps il devra
attendre. Et j’ai soudain envie de hurler « Maintenant ». Mais je ne peux pas.
– Nous en reparlerons plus tard.
Il prend mon visage dans une de ses mains.
– La semaine prochaine.
Je suis toute nouée, au niveau de la gorge, du ventre…
– Il me faut plus d’une semaine, Malcolm, pour baisser ma garde.
Et ce disant, la contraction de sa mâchoire et la tempête que je vois dans ses
yeux me font vibrer de l’intérieur. Lui résister est une vraie torture ! J’ajoute
dans un souffle :
– Sauras-tu m’attendre ?
– Mais je t’attends Rachel, m’assure-t-il d’un ton calme.
Comme s’il n’avait aucun doute sur le fait qu’il patientera le temps qu’il
faudra. Puis se penchant vers moi, il me donne le plus tendre des baisers au coin
de la bouche. Je soupire intérieurement, mais il ne m’entend pas, ne le remarque
même pas. Il se concentre de nouveau sur son ordinateur, vérifiant le programme
et tapant des mots de passe de ses beaux doigts de pianiste. Je me rends alors
compte qu’il pianote aussi vite que moi sur les touches, ses doigts y courent
comme le vent. Son odeur emplit mes poumons, je la hume pleinement et le
désir monte en moi, cependant que mon cœur chante joyeusement.
Je chuchote :
– Mal, j’ai encore envie de toi.
Il pose aussitôt la main sur mon sexe, et commence à me caresser.
– C’était bien le but, chuchote-t-il en me mordillant l’oreille.
Je proteste :
– Je suis toute mouillée, Saint ! Laisse-moi me préparer, me faire jolie pour
toi, tellement jolie que je vais donner un tout nouveau sens à ton « type de
fille ».
Mais quand je me lève, il me tire sur le bras pour que je me rassoie comme si
c’était idiot et il se met à rire.
– Arrête…
– Non, je suis sérieuse, dis-je en riant moi aussi. Je reviens tout de suite.
Et je me dirige vers la salle de bains pour me rafraîchir. J’en profite aussi
pour regarder mes messages.
Wynn : Nous sommes inquiètes, Rachel ! Rappelle-nous !
Gina : Rachel, où es-tu ? Tout va bien ? On s’inquiète.
Quand je reviens, Saint s’est remis au lit, bras croisés derrière la tête, le drap
remonté jusqu’à la taille. Je vois ses vêtements à côté du lit, il est donc déjà nu…
Un impérieux désir me saisit, tout mon corps le réclame.
La chaleur qui coule dans mes veines me rend fébrile, mais je commence
malgré tout un petit strip-tease en tirant lentement sur les lacets de mon maillot
de bain… Je fais durer le moment, malgré la torture que je m’inflige, et chaque
parcelle de ma peau tremble sous son regard tumultueux : je me sens désirée,
sexy, possédée.
CHAPITRE 26
AMIES ET FANTASMES
Gina et Wynn sont inquiètes parce que j’ai pété les plombs hier, chez ma
mère.
Après que Malcolm m’a reconduite à la maison, je demande à Gina de
m’accorder une demi-heure, le temps de prendre une douche et de me changer.
Une fois sous le jet, je rêve les yeux ouverts à ce que je viens de vivre avec Mal
en me frottant le corps, m’attardant sur mon sexe, encore sensible.
Quand j’en sors, je retrouve Gina visiblement soucieuse.
– Qu’est-ce qui se passe, au juste ? me demande- t-elle alors que nous allons
rejoindre Wynn pour passer le reste de l’après-midi ensemble. Tu es restée tout
ce temps-là avec Saint ?
J’admets que oui. Elle reprend aussitôt :
– Et donc ? Tu as rompu ? Tu as appelé Helen ? Qu’est-ce qui se passe ? Tu
sais, j’ai bien réfléchi, et je ne crois pas qu’il soit judicieux de sacrifier ta
carrière pour un homme. Surtout un homme comme Saint. S’il te brise le cœur,
tu ne pourras pas dire que tu ne l’avais pas vu venir, Rachel !
Je fais un peu la sourde oreille tandis qu’elle continue à me faire la morale,
et d’ailleurs je rumine intérieurement, étudiant la situation sous tous les angles
pour trouver une solution.
Devant mon absence de réaction, Gina change de stratégie et commence
soudain à me faire une liste de tous les avantages du célibat. Cherche-t-elle à me
réconforter parce que, de toute évidence, Saint et moi n’allons nulle part ? Ou
redoute-t-elle que je subisse les mêmes pressions que Saint de la part de
l’opinion publique et que je m’expose à une inquisition semblable à celle qu’il
subit au quotidien ? Non. En fait, elle est en mode protecteur et veut que je mette
un terme à cette relation. Le plus vite possible.
Lorsque nous retrouvons Wynn dans notre café habituel, dans notre box
préféré, Gina déclare :
– Moi, j’ai l’intention de passer ma vie à manger des gâteaux sans être jugée,
à me peindre les ongles avec des couleurs bizarres et à dépenser mon argent
comme je l’entends, et tant pis si j’ai des dettes ! C’est la seule façon de vivre
qui m’intéresse et elle n’est pas sans risque.
– Effectivement, cela comporte de gros risques, rétorque Wynn d’un ton
sarcastique. Se faire les ongles, manger des gâteaux et dépenser son argent… Le
vrai risque, c’est de sortir enfin de cette apathie dans laquelle t’a plongée ta
rupture avec ce salaud de Paul. Le seul qui vous touche, Rachel et toi, c’est votre
coiffeur.
– Pour info, notre cerveau, lui, travaille à plein régime. D’ailleurs, il vient de
jouer un sale tour à Rachel puisqu’elle est amoureuse d’un mec qui se tape tout
ce qui bouge, et qui sait ? Peut-être sommes-nous aussi dans son viseur !
– Gina ! dis-je d’un ton indigné.
– Tu peux me dire qui tu te tapes, Gina ? insiste alors Wynn d’un ton
provocateur.
– Mon gode !
– Génial ! renchérit Wynn sur le même ton.
Gina plisse les yeux.
– Il m’a brisé le cœur, tu comprends ça ? Évidemment, toi, tu es celle qui
laisse tomber ses petits amis. Tu te défoules un peu, tu décompresses et après
bye bye. Moi quand j’aime, c’est de tout mon cœur. Et lui justement, il me l’a
volé. Il m’a tout pris, ses chemises dans lesquelles je dormais, ma confiance. Il a
même emporté la machine à café !
J’essaie d’intervenir :
– Calmez-vous les filles.
Mais Gina se lève et déclare :
– Je pensais qu’on ne se jugeait pas les unes les autres. Donc je vais aller me
faire masser et continuer à mener ma vie parfaite, que ça vous plaise ou non !
Et sur ces mots, elle s’en va.
– Wynn, tu y as été fort !
– Je ne juge pas, Rachel ! Mais moi au moins, j’assume, contrairement à
vous.
– Nous aussi. Seulement, où est le problème si on préfère y aller en
douceur ?
– En douceur… ? C’est ça ! À d’autres ! Vous vous cachez derrière vos
principes et restez bien au chaud dans votre zone de confort.
– Je suis amoureuse, Wynn.
Ça y est, je l’ai dit. J’ai enfin verbalisé ce que je ressens, et subitement, ça
rend tout plus réel. Et ça fait mal. Toutes ces histoires de chemises et de machine
à café m’ont fait réaliser que je dors dans la chemise de Saint et que je ferais tout
pour m’endormir plus souvent dans ses bras, pour porter toutes ses chemises. Je
ne partage pas sa machine à café, mais je suis prête à tenter l’impossible pour me
réveiller à ses côtés et prendre tranquillement mon petit déjeuner avec lui, tout
en admirant ses cheveux décoiffés.
Je répète doucement :
– Je suis amoureuse de Saint.
Wynn me fixe d’un air à la fois inquiet et confus, en écarquillant ses grands
yeux bleus. Une mèche rousse lui est tombée sur le front depuis quelques
minutes, et tout à coup, elle la rejette en arrière pour pouvoir me regarder.
J’insiste :
– Je suis tombée complètement amoureuse de lui. Irrémédiablement. Et je te
conseille de réserver ta place au premier rang, car il va y avoir du sang.
Wynn pousse un soupir, puis me saisit la main.
– Écoute, ce n’est jamais le bon moment pour tomber amoureuse, d’où le
mot « tomber ». C’est un accident. Ça arrive sans prévenir. Ensuite, il faut prier
pour ne pas être seule, quand on atterrit.
– Wynn, je ne savais même pas que j’avais envie qu’on m’adule comme ça !
Même sans maquillage, quand je suis complètement nue. Je n’ai jamais souhaité
qu’un homme me touche de cette façon, jamais fantasmé sur la chaleur d’un
corps, ni sur sa vigueur. Je menais une vie de recluse et tout à coup, il débarque,
fort et puissant, et me fait goûter à quelque chose qui ressemble à l’éternité… Je
pensais savoir ce que je voulais. Puis je l’ai rencontré et je ne sais plus rien.
– Tu veux autre chose, et c’est très bien, me dit Wynn, comme si c’était
aussi simple que de changer de couleur de vernis !
– Non, ce n’est pas très bien. Tu te rends comptes de qui je te parle ? Je me
lance un défi impossible à relever. Les hommes comme lui ne changent pas,
voilà !
– Désolée, mais je ne suis pas d’accord. Au contraire, les gens ne cessent de
se transformer, c’est la loi de l’évolution, nous devons nous adapter pour
survivre. Pour le meilleur.
– Qui pense que c’est pour le meilleur ?
– Lui. Parce que s’il veut être avec toi, c’est qu’il veut aussi devenir un mec
bien. Tu peux lui donner un objectif, et lui la sécurité. Tu seras la fille qui le met
au défi de devenir meilleur, et je t’assure qu’un homme intelligent sait apprécier
ce genre de challenge, même s’il ne le sait pas avant de la rencontrer. Et Saint est
un homme intelligent, Rachel. Tu crois qu’il ne sait pas que 99 % de son
entourage attend quelque chose de lui ? Mais toi, non. Tu es différente. OK, tu
ne sais pas cuisiner, mais tout homme aurait de la chance de t’avoir à ses côtés.
Elle marque une pause et ajoute :
– Il sait que tu l’aimes ?
Je secoue la tête et réponds à voix basse :
– Non, pas encore.
Et j’ai l’impression que mon estomac va exploser tant il se tord rien qu’à la
pensée de lui avouer mon amour, mais c’est surtout la peur qui l’emporte.
– Comme tu l’as dit, je crains de me retrouver toute seule face à mes
sentiments.
– Est-ce qu’il voit d’autres femmes ?
J’attends que la serveuse pose la corbeille de focaccia sur la table, ainsi
qu’un flacon d’huile d’olive, et réponds :
– Je n’ai jamais demandé l’exclusivité, mais… Non, je ne pense pas qu’il
couche avec d’autres femmes… Lui et moi on s’envoie beaucoup en l’air, Wynn.
Vraiment beaucoup.
Je vois une lueur s’allumer dans ses yeux.
– Pour un animal volage comme lui, c’est énorme ! Il ne couche qu’avec
toi ?
Je me sens rougir car toute cette conversation sur le sexe me renvoie à
l’ivresse totale que j’éprouve quand il est en moi.
– Laisse tes principes de côté et fie-toi à tes émotions, poursuit-elle. Les
grandes histoires d’amour ne se planifient pas, elles arrivent, c’est tout.
– Oui, c’est ça, même si c’est complètement fou, j’ai envie d’être avec lui. Je
veux vraiment me lancer.
– Il me semble que tu en prends la direction ! Continue, au lieu de mener une
guerre que tu pourrais perdre.
– Ce n’est pas aussi simple, Wynn.
Je m’adosse à ma chaise en soupirant.
– Je ne sais pas comment Helen réagira quand je lui annoncerai que je ne
fais pas l’article. Edge est sur le point de déposer le bilan. Supposons que Saint
veuille vraiment changer et avoir une vraie relation avec moi, cela voudra dire
que j’aurai fait passer mon propre bonheur avant celui des autres ? Cela me tue.
– Edge va de toute façon mourir…
– Non !
Je nie de façon instinctive, en secouant vigoureusement la tête.
– Cet article aurait redonné vie au magazine…
– Et toi, Rachel ?
Elle me regarde comme si, à ses yeux, mon bien-être passait avant celui des
dizaines d’employés de Edge.
– Qu’en est-il de mon amie Rachel dans tout ça ? insiste-t-elle.
CHAPITRE 27
SUR LE FIL
CONFIANCE ET LOYAUTÉ
– Debout, Livingston !
Gina ? Oh non ! J’enfouis la tête dans mon oreiller tandis qu’elle se met à
toquer à la porte. Je réponds d’une voix plaintive :
– Je vais te botter les fesses si tu continues !
– Tu n’auras pas le temps, je te le garantis. Tu seras bien trop occupée.
– Occupée à quoi ?
– Rachel, cette putain de porte est verrouillée !
– Et alors ?
– Alors ouvre-la !
Non, il ne vaut mieux pas. Ma vie est un véritable gâchis, un vrai de vrai, il
faut que je me ressaisisse et pour cela, je dois réfléchir. Oui, méditer est ma seule
échappatoire. Tout comme me souvenir plus précisément d’une certaine
conversation au téléphone qui remonte à deux ou trois jours… L’ai-je imaginée ?
Non, j’en suis certaine maintenant, c’est bien réel : je lui ai dit que je l’aimais.
– Raaaa-chel ! hurle Gina en tapant furieusement contre ma porte. Ouvre !
Viens voir ce qui t’attend !
– Non, je ne veux rien voir aujourd’hui, juste Saint à son retour de New
York. Donc il faut que je dorme pour me refaire une beauté. De toute façon, on
est samedi, donc on ne travaille pas.
Mais elle cogne toujours comme une furie ! Je me lève d’un bond, lui ouvre,
puis retourne sous ma couette toute chaude.
– Qu’est-ce qui se passe ?
Gina… et Wynn – tiens, elle aussi est là ? – s’affalent sur mon lit. Je suis
consciente du lourd silence qui règne soudain dans ma chambre lorsque Wynn
ouvre les rideaux et revient s’asseoir. Toutes deux me regardent fixement… d’un
air funeste. L’ombre de la peur se profile devant moi.
– Quoi ?
Leur expression déclenche une sirène d’alarme dans ma tête ! Me levant
d’un bond, je me jette sur mon portable, tape des mots-clés dans Google… Oh
non, non, non, non !
En l’espace de quelques secondes, des dizaines de résultats avec les mots
mise à nu, sous couverture, mensonges et trahison apparaissent, liant mon cher
Mal, mon sublime Mal à mon nom.
– Rachel, tu es sur tous les sites people ! se lamente Wynn.
Et ceux-ci déferlent…
– Va sur celui-là, me dit Gina en en désignant un.
Je tremble tellement que je peine à déplacer ma souris… Quand je vois la
signature de Victoria, je comprends qu’ils nous ont devancés : elle a sorti son
article sous forme numérique avant la publication papier ! Les larmes me
brouillent les yeux.
– La salope ! hurle Gina.
C’est alors que je déclare comme un automate, comme si une autre personne
s’exprimait à ma place :
– Elle fait ce qu’elle a à faire. Elle veut réussir, comme moi.
– C’est une belle garce, oui ! insiste Gina.
Je me concentre sur l’écran.
RECHERCHE
Twitter :
Tu as lu l’article de ta petite amie ? @malcolmsaint
Un peu plus tard dans la semaine, je trouve assez d’énergie pour sortir du lit
et me rendre au travail. Helen me convoque immédiatement dans son bureau.
Rendez-vous que je redoute : il faut dire qu’elle n’a pas vraiment apprécié mon
article. D’emblée, elle m’a dit :
– Ce n’est pas ce que je t’avais demandé.
– Exact.
Néanmoins, elle l’a accepté et publié. Mais aujourd’hui, elle paraît
sincèrement heureuse de me voir et déclare :
– Ton article fait le buzz !
– Je ne suis pas allée sur Internet, j’imagine que tu comprends.
– Oui. Mais je vais te faire un résumé.
Elle me fait signe de m’asseoir, mais je reste debout.
– Ton petit ami, poursuit-elle alors d’un ton presque joyeux, a effacé l’article
en ligne de Victoria et il ne peut être reposté sans répercussions légales.
À cet instant, elle m’adresse un regard où brillent le respect et l’admiration,
et ajoute en riant :
– Au cas où tu m’en voudrais pour l’expression « petit ami », sache que
Malcolm Saint a fait aussi détruire toutes les éditions imprimées de l’article en
question.
Sur ces mots, elle hoche la tête et me considère d’un air songeur. J’ouvre de
grands yeux.
– Quoi ?
– Ton petit ami a acquis les droits sur l’article de Victoria. Il ne peut donc
plus être publié sans son autorisation.
– Mais… comment est-ce possible ?
Elle hausse les épaules et s’adosse à son siège qui grince un peu.
– Visiblement, cet article ne lui a pas plu.
Et donc il l’a tout simplement annulé ? C’est incroyable… Mais dans ce cas,
pourquoi n’a-t-il pas agi de la même façon avec le mien ? Ne l’a-t-il pas lu ?
Mon cœur cogne comme un fou dans ma poitrine.
– On dirait qu’il ne te déteste pas tant que ça, commente-t-elle avec une
petite moue amusée.
Et soudain, elle semble enfin se rendre compte que je suis complètement
effondrée.
– Il se peut même qu’il t’aime bien, ajoute-t-elle gentiment. Je dois dire que
tu m’impressionnes, Rachel. Et je ne suis pas la seule. Tout le monde l’est.
D’ailleurs, Saint n’a pas été revu en compagnie… de ses blondes.
Elle tapote son bureau d’un air absent, les yeux plissés.
– Mais il fait du saut en parachute tous les jours, depuis… On pourrait croire
qu’il a envie de mettre sa vie en danger ou qu’il a besoin de faire le vide.
Je l’entends à peine, il faut que je sorte de son bureau, de Edge.
– Je peux encore travailler de chez moi aujourd’hui, Helen ?
Bien que je la sente réticente, elle me donne son accord. Je passe chercher
des dossiers dans mon box, je souffre jusqu’à la moelle des os. Saint fait du saut
en parachute. Saint a racheté l’article de Victoria. Saint pense que je l’ai trahi.
Cet après-midi-là, je m’arrête devant le seul exemplaire de Edge qui reste
chez mon kiosquier.
– Vous l’avez lu ? me dit ce dernier en riant. Cette journaliste est folle de ce
type.
Je relève la tête, prête à hurler, mais à la place, je regarde fixement la photo
de Saint qu’Helen a choisie pour la première de couverture. Ses yeux verts
semblent me fixer. Et oui, cet homme a raison. Je suis folle de lui, de son corps,
de tout. Il me manque affreusement. J’ai tant envie de l’embrasser. De le serrer
dans mes bras, entre mes cuisses. De le sentir en moi jusqu’à ce qu’un feu
d’artifice orgasmique nous soulève…
– C’est une femme intelligente, dis-je finalement, la voix lourde d’émotion.
Je vais vous acheter cet exemplaire.
Et je le prends juste pour la photo de Malcolm. Il a une cravate de couleur
vive, un col parfait, et ce regard lourd derrière ses cils épais, qui meurt d’envie
qu’on le réchauffe et me touche tellement. Et je pense à la façon merveilleuse
dont ses yeux savent me faire fondre.
Je m’assieds sur un banc, la revue à la main, et du bout des doigts, je caresse
ses yeux, me demandant pour la millième fois de la journée s’il a lu ce que j’ai
écrit sur lui.
CHAPITRE 30
APRÈS L’ORAGE
C’est fini.
Il n’y a eu ni averse ni tonnerre quand nous avons rompu. La rupture s’est
passée comme le début. Aucun éclair dans le ciel tranquille de ma vie pour
m’avertir que j’allais tomber amoureuse, que cet homme me mettrait au défi, me
rendrait folle de lui. Maintenant c’est terminé, mon article est écrit. Mission
accomplie.
Mes matins sont redevenus normaux. Je brunche de nouveau avec mes amies
le week-end et je rends visite à ma mère le dimanche. Mon monde est redevenu
ordinaire, presque le même, mais en un peu plus morne. Je redoute désormais de
lire les articles concernant Saint et de le voir en compagnie d’une autre. Ou de
trois autres.
De temps en temps, j’ai des crises de larmes. Quand je goûte du bon vin, par
exemple. Et qu’on ne vienne pas me parler d’éléphants… Mais la peur du pire
s’est dissipée. On craint de disparaître dans un gouffre, et soudain, on se met à
supplier l’univers de vous donner une raison pour la tristesse que vous ressentez.
Certains de mes collègues m’envient, incroyable !
– J’aurais bien aimé qu’Helen me demande d’écrire cet article, m’assure
Sandy.
Sans doute pour la promotion que cela m’a valu mais surtout…
– Parce que parader dans un yacht et être poursuivie des assiduités d’un
milliardaire, ça fait rêver, poursuit-elle.
– Avoue ! Le sexe avec lui, c’était phénoménal, non ? renchérit Valentine.
Je crois qu’ils essaient de me réconforter, mais c’est peine perdue. Je
continue toujours à surveiller son compte Twitter, c’est plus fort que moi, j’ai
besoin de savoir comment il va. Bien que les réseaux sociaux ne cessent de
parler de lui, Saint est resté pour sa part bien calme.
On l’a interrogé à mon sujet – des journalistes de la télévision ou du Net –
mais à chaque fois, il s’est abstenu du moindre commentaire. Il n’a pas
davantage répondu aux piques qui circulaient sur les réseaux sociaux. Tout
comme il m’ignore.
– Ça n’aurait pas duré de toute façon, me dit Gina quand elle se rend compte
de mon état. C’était juste une aventure. C’est un séducteur invétéré.
Peut-être, mais ça me tue de ne pas en être certaine. Je ne saurai jamais si
quand il disait que j’étais sa petite amie, il le pensait vraiment.
J’ai une tonne de mails dans ma boîte que je lui ai écrits mais pas envoyés, et
je n’ai guère le courage d’en faire quoi que ce soit puisque, de son point de vue,
je ne mérite pas qu’il m’accorde la moindre minute.
Gina me dit que si elle a pu survivre, je le pourrai aussi, même avec un cœur
brisé.
– Ma chérie, je sais que ça fait mal. Quand j’ai découvert la trahison de Paul,
je voulais qu’une météorite me tombe dessus pour en finir.
– Moi, j’aimerais juste qu’il me donne une seconde chance.
Je regarde fixement la rue par la fenêtre, mais il n’y a plus de Rolls noir
métallisé qui m’attend le samedi matin pour m’emmener « n’importe où »…
C’est curieux, non, que je continue à attendre, que je me réveille chaque matin
dans l’attente et l’espoir ? Celui de recevoir un texto, un mail, un message,
d’apercevoir une voiture. Arrête de nourrir de faux espoirs, Rachel… Il aurait
déjà réagi s’il avait lu ton article. Au fond, il l’a peut-être lu et se fiche pas mal
de me dire ce qu’il en pense.
J’ai découvert énormément de choses sur lui pendant le temps où nous nous
sommes côtoyés, mais ce que je ne saurai jamais, c’est s’il aurait pu m’aimer.
Ou s’il est trop fier pour me pardonner. S’il cherche à apaiser la douleur de la
trahison avec d’autres femmes ou s’il s’est renfermé sur lui-même, comme moi.
Oui, j’ai compris des dizaines de choses sur lui, mais pas celles qui pourraient
m’apporter du réconfort aujourd’hui.
Nous avons sauvé une éléphante ensemble, il a soutenu mon projet sur la
sécurité à Chicago, mais le seul souvenir matériel que j’aie de ce temps passé
avec lui, c’est sa chemise.
Sa chemise, trophée sans prix rangé dans un plastique, dans une boîte, tout
au fond de mon placard, car je ne supporte plus sa vue. Et encore moins de la
porter. Mais parfois, mue par la nostalgie, je la sors de sa cachette, cet objet si
masculin, et je la serre contre moi, contre mes dessous en dentelle, et je hume
son odeur. Quelquefois, je cède, je m’apitoie sur mon sort en pensant à lui
pendant des heures. Alors je compte jusqu’à quatre, et au bout de quatre
secondes je me mets à respirer de nouveau.
QUATRE
Ce livre n’aurait pas pu voir le jour sans le soutien de mes fans, dont
l’amour, les encouragements et l’enthousiasme sans faille pour mon travail et
mes personnages alimentent quotidiennement mon envie d’écrire. Recevez tout
mon amour et ma gratitude !
Je voudrais aussi remercier les lectrices de mes brouillons. Amy, tu es la
lumière qui guide mon chemin. Dana, c’est toi qui m’as donné l’idée de
Chicago. CeCe, tu es là à tout instant. Ma chère sœur, tu m’inspires, mon amour.
Kati D., toujours si intelligente et brillante, rien n’est jamais « fini » avant que tu
ne l’aies relu. Monica Murphy, non seulement tu relis mes brouillons mais tu
connais le meilleur et le pire de moi-même. Jen Frederick, nous nous sommes
rencontrées lors de la parution en ligne de REAL et Undeclared, et sommes
devenues amies, merci pour cette amitié. Merci aussi à Lisa Desrochers et Angie
McKeon, des femmes vraiment talentueuses qui comptent parmi mes plus
proches amies auteures. À Paula, mon amie depuis l’adolescence, qui déjeune
avec moi pour discuter de livres chaque fois que je viens en ville. À Sylvia Day :
je t’admire depuis longtemps, merci pour ta lecture et ton incroyable critique.
À la géniale Kelli qui me prête son œil de lynx et à Anita S. qui m’aide à
relire et polir mes bébés, tout en veillant à respecter mon style. :)
Je voudrais aussi remercier les blogueuses qui m’ont soutenue dès mes
débuts, à la parution de REAL. Votre enthousiasme pour tous les romans qui ont
suivi, vos critiques et vos efforts pour me mettre en relation avec les lectrices,
ont donné à mes romans une résonance qu’ils n’auraient jamais eue sans vous.
Merci de tout cœur !
À mes assistantes, Lori et Gel, qui me permettent de garder la tête froide
quand je suis plongée dans les abîmes de l’écriture.
Merci à Amy Tannenbaum, je ne pouvais rêver d’un meilleur agent que toi :
tu me séduis, tu m’inspires et tu me surprends chaque jour avec tes talents de
super héroïne. Et merci à tout le monde chez Jane Rotrose : vous êtes parmi les
personnes les plus enthousiastes et douées que je connaisse.
Et à propos d’équipe fantastique, merci à mon éditeur dévoué, aussi spirituel
que perfectionniste, Adam Wilson, à sa merveilleuse assistante Trey, ainsi qu’à
l’inoubliable Lauren McKenna. À Jen Bergstrom, pour avoir cru en moi ; à
Kristin, qui est un génie de la publicité et au département artistique de la Gallery
Books, aux relecteurs, et à toutes les précieuses personnes qui ont œuvré pour
vous livrer au plus vite la meilleure version de ce roman. Merci aussi à Gregg
Sullivan, de Sullivan et Partners, d’avoir fait partie de l’aventure.
À mon groupe Facebook Real Series, constitué de lectrices profondément
dévouées et encourageantes, dont les commentaires me touchent sincèrement
chaque jour. À mes lectrices pour leurs e-mails, leurs tweets et le temps qu’elles
consacrent à la lecture de mes histoires. Comme vous, j’ai la gorge qui se noue
et des papillons dans le ventre quand je vois deux personnes tomber amoureuses.
Comme vous, je pleure, je souris, j’ai terriblement envie que ça aille plus loin et
aussi de hurler. C’est une très grande joie de savoir que mes romans vous
plaisent, comme moi quand je les découvre…
À ma merveilleuse famille, qui est patiente et aimante, même quand elle se
moque de moi lorsque je fredonne au rythme de mes doigts qui tapent sur le
clavier. Je vous aime de tout mon cœur.
À ma muse, aussi délicate qu’un papillon. J’ai cru, une fois, que je t’avais
perdue, que je ne pourrais plus jamais écrire. Mais tu es revenue, roman après
roman, encore et encore. Même si tu m’as démontré que j’avais eu tort sur ton
absence, je me réveille chaque jour en espérant que tu viendras bien à notre
rendez-vous car nos personnages nous attendent. Je ne te remercierai jamais
assez pour ce que tu me donnes. Tu m’apportes une joie que seules procurent les
plus belles choses de la vie.
Et enfin, gardons le meilleur pour la fin : merci à vous qui prenez en ce
moment même le temps de lire mon histoire.
Katy Evans
SUR L’AUTEURE
Katy Evans vit avec son mari, leurs deux enfants et leurs trois chiens
paresseux dans le sud du Texas. Elle adore faire des randonnées, lire, cuisiner
des gâteaux, et passer du temps en compagnie de ses amis et de sa famille. Pour
plus d’informations sur Katy Evans et ses prochaines parutions, rendez-vous sur
les sites ci-dessous. Elle aime tout particulièrement échanger avec ses lectrices.
www.katyevans.net
https://www.facebook.com/AuthorKatyEvans
https://twitter.com/authorkatyevans
katyevansauthor@gmail.com