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L'avion venait de sortir les trains d'atterrissage à la

lueur des premiers rayons de soleil. La ville de Sydney,


cernée par la masse sombre et brumeuse de la mer. était
encore partiellement baignée d'obscurité.
Connor O'Brien observa avec des sentiments mitigés
le mystérieux patchwork de toits d'immeubles qui
apparaissait juste au-dessous de son hublot.
Même si l'Australie ne lui avait jamais véritablement
manqué, il n'était pas mécontent de retrouver le monde
civilisé et ses promesses de confort, après les innombra-
bles déserts qu'il avait arpentés durant ces cinq
dernières années. Mais Sydney n'était plus pour lui
qu'une ville parmi d'autres. Ses hautes tours, ses gratte-
ciel ne lui étaient guère plus familiers que les mosquées
et les minarets qu'il avait laissés derrière lui.
Une fois l'appareil immobilisé au sol, il passa les
guichets de la douane sans encombre grâce à son
passeport diplomatique, et sa capacité à se fondre dans
la masse lui épargna de se faire remarquer inutilement :
les agents de contrôle voyaient sans doute en lui un
employé lambda du ministère des Affaires étrangères
australiennes.
Les formalités d'arrivée accomplies, il traversa d'un
pas
décontracté le terminal de l'aéroport international,
traînant sa valise trime main, son attaché-case dans
l'autre.
1 labitué à opérer toutes sortes de repérages, il ne put
s'empêcher par déformation professionnelle d'observer
les groupes de familles tirées du lit à cette heure
matinale pour venir chercher un parent.
Des épouses, des petites amies couraient vers leur
compagnon, les larmes aux yeux, des enfants se précipi-
taient dans les bras de leur père...
Lui, personne ne l'attendait. A présent que son père
était mort, il n'entretenait plus ici aucune relation avec
personne. Pas une âme pour s'inquiéter de Connor
O'Brien, ni même pour savoir s'il était encore en vie ou
non.
Au moins, personne ne risquait sa vie en le
fréquentant. Son anonymat si précieux était entier, et
c'était très bien comme ça. Ici, sa totale solitude lui
garantirait la plus grande des sécurités.
Les portes automatiques s'ouvrirent devant lui, et il
foula le sol australien à la lueur du soleil levant.
Le ciel s'éclairait peu à peu et, au plus fort de l'été,
l'air de ce début de matinée était déjà tiède. Tel un
parfum de liberté, une brise porta des effluves
d'eucalyptus jusqu'à lui.
Cherchant du regard la rampe d'accès aux taxis, il se
surprit à frémir d'impatience tout en frottant machinale-
ment sa barbe naissante.
La perspective de retrouver le calme d'une chambre
d'hôtel le réjouissait. Une douche, un solide petit
déjeuner, un brin de détente en lisant les journaux du
matin, le temps de s'accoutumer au décalage horaire...
— Monsieur O'Brien ?
Un chauffeur en uniforme s'avança vers lui après
avoir ouvert la porte arrière d'une limousine stationnée
non loin. D'un geste courtois, l'homme porta la main à
sa casquette et le salua.
Je vous en prie, monsieur, montez.
Connor se figea, tandis que ses vieux réflexes d'auto-
défense en cas d'urgence se mettaient en alerte.
Une petite voix grincheuse émana alors de l'intérieur
du véhicule.
Allons, Allons, O'Brien, donne donc tes bagages à
Parkins, et mettons-nous en route !
Cette voix... Il la connaissait.
Abasourdi, il se pencha pour jeter un œil à l'intérieur
de l'habitacle sombre et distingua un vieil homme de
petite taille, confortablement installé sur la luxueuse
banquette.
Sir Frank Fraser. Ce vieux renard, véritable légende
des services secrets, qui avait été des décennies durant
le partenaire de golf de son père.
Or, l'ex-chef de la cellule espionnage avait depuis
longtemps rendu son insigne pour couler une retraite
paisible, financée par les fonds de la richissime famille
Fraser. Sir Frank était sans doute devenu un membre
respectable de la bonne société australienne.
Eh bien, qu'attendons-nous'.' reprit la voix chevro-
tante mais souveraine, traduisant une certaine surprise à
ne pas être obéi instantanément.
Malgré l'agacement de Connor à voir son sentiment
de liberté si vite compromis, la curiosité fut plus forte.
Il tendit ses bagages à Parkins qui attendait toujours,
puis il se glissa à l'intérieur de l'ostentatoire limousine.
L'instant d'après, le vieil autocrate lui serrait
vigoureusement la main.
Ravi de te revoir, O'Brien ! s'exclama-t-il en l'obser-
vant d'un œil admiratif. Ma parole, comme tu
ressembles à feu ton père ! Le même teint, la même
carrure... Tu es tout le portrait de Mick.
Connor ne chercha pas à le nier. Il avait hérité de son
père les cheveux noirs de jais, les yeux sombres et la
peau mate des Espagnols échoués sur la côte irlandaise
après la déroute de l'Armada. Mais la ressemblance
entre père et fils s'arrêtait là, car Mick O'Brien avait été
un homme attaché à l'idée de famille, ce que Connor
n'était pas.
Et d'après ce que je sais, poursuivit sir Frank, tu as
plutôt bien réussi. Dans quel service l'ambassade t'a-t-
elle affecté? Les affaires humanitaires, il me semble?
C'est à peu près ça, répondit Connor en souriant,
alors que la limousine s'élançait en direction du centre
ville. Je suis conseiller humanitaire rattaché au premier
secrétaire chargé de l'Immigration.
Les rides de Sir Frank se creusèrent un peu plus.
Bien sûr. bien sûr... Il y a sans doute beaucoup de
travail pour les avocats dans ce domaine.
Les horreurs qu'il avait dû gérer à l'ambassade austra-
lienne de Bagdad revinrent à l'esprit de Connor.
Incapable de formuler avec des mots ce qu'il y avait
vécu, il se contenta de hausser les épaules en attendant
que le vieil ami de son père veuille bien lui révéler ce
qu'il avait en tête.
Sir Frank le dévisagea d'un regard pénétrant.
Ton père disait toujours que le droit était ton premier
et ton unique amour, déclara-t-il avec une déconcertante
perspicacité.
Sir Frank, quelle est la raison de cette petite conver-
sation ? Y a-t-il une chose que vous désirez me dire ?
Le vieil homme sortit un cigare de sa poche de
poitrine.
Disons que nous avons l'ami d'un ami en commun.
A ces mots, Connor se crispa.
Dans le jargon des hommes de terrain, cette
expression signifiait « contact ». Dans ce cas, pourquoi
son interlocuteur était-il ce vieux loup, et non un
opérateur de terrain?
J'ai appris la disparition de ton épouse et de ton fils.
Cela a dû être difficile pour toi. Les avions ne sont plus
si sûrs, de nos jours. A quand cela remonte-t-il
exactement ?
Assailli par les visions d'horreur de l'accident,
Connor serra le poing au-dessus de son attaché-case. Il
s'efforça de maîtriser les muscles de son visage pour
garder une expression neutre. La violence de ses
émotions le surprenait encore, même après tout ce
temps.
Presque six ans. Mais...
La voix chevrotante s'adoucit.
Il serait temps de refaire ta vie, jeune homme. Un
homme a besoin d'une femme, d'enfants qui l'attendent
à la maison. Tu devrais mettre un terme à ces missions
de terrain et t'installer durablement. Le genre de travail
que tu faisais à Bagdad... Un homme atteint vite ses
limites après deux ou trois années de service,
poursuivit-il en secouant la tête. Toi, tu es allé bien au-
delà. J'ai d'ailleurs entendu le plus grand bien de toi, on
disait même que tu étais irremplaçable. Mais un homme
ne peut occuper de telles responsabilités pendant si
longtemps sans finir par commettre une erreur. Tu sais
que ton prédécesseur a fini avec un couteau planté dans
la gorge...
Connor le fixa avec un mélange d'incrédulité et
d'ironie.
Je vous remercie.
Mais le vieil homme semblait sincère.
Je manquerais à ma promesse envers Mick si je ne te
disais pas ce que je pense, jeune homme, poursuivit-il
sur un ton un peu emporté. Tu es en train de jouer avec
la mort.
Vous en savez quelque chose. Vous avez vous-même
joué avec pendant longtemps.
C'est vrai, et j'ai fini par en tirer les leçons : personne
ne sort jamais vainqueur de ce petit jeu, affirma- t-il.
Ecoute, ajouta-t-il en lui saisissant le bras, je peux faire
jouer mes relations pour t'aider. Ton père t'a légué un
confortable hér itage, tu pourrais ouvrir ton propre
cabinet. Ce pays a toujours besoin de bons avocats. Il y
a beaucoup d'injustices ici aussi. Et puis, un bel homme
comme toi ne devrait pas mettre trop longtemps à
refaire sa vie avec une jolie femme.
Le cœur de Connor, définitivement verrouillé depuis
qu'il avait perdu ses deux raisons de vivre au-dessus
d'une montagne syrienne, ne s'accéléra même pas. Il
savait au plus profond de lui-même qu'il ne connaîtrait
plus jamais un bonheur comparable à celui que le destin
lui avait retiré. Depuis l'accident, il se contentait de
survivre en évitant de s'investir dans la moindre relation
humaine. Les occasionnelles passades avec de jolies
femmes suffisaient à maintenir les ombres du passé à
distance supportable.
La vie civile possède aussi ses défis, insista sir Frank
en agitant son cigare. De même que ses plaisirs. Quel
âge as-tu, à présent ? Trente-cinq ans ?
En dépit de son habituelle discipline, Connor sentit
son ventre se nouer.
Trente-quatre.
Il ne comprenait que trop les allusions du vieil
homme. Face à ses contacts, un bon officier de
renseignement se devai! d'adopter une attitude aussi
clinique et objective qu'une machine. Pour certains,
quelques brèches pouvaient s'entrouvrir avec le temps,
provoquant quelques faiblesses émotionnelles. Mais lui
ne risquait rien. Il effectuait son travail avec autant de
rigueur et de détachement qu'au premier jour. Il
n'hésiterait pas à démissionner le jour où il se sentirait
sur le point de flancher. A vrai dire, la menace
constante de la mort était pour lui la seule façon de se
sentir vivant.
Sir Frank, déclara-t-il d'une voix calme, j'apprécie
votre sollicitude, mais elle n'est pas nécessaire. Si vous
essayez de me dire quelque chose, n'y allez pas par
quatre chemins. Sinon, votre chauffeur peut me déposer
ici.
Sir Frank le détailla d'un air approbateur.
Tu es un franc-tireur, exactement comme Mick,
répondit-il en hochant la tête avant de soupirer. Si
seulement Elliott pouvait se ressaisir...
Enfin, une faille sembla se dessiner sur le visage
impassible du vieil homme.
Tout en regardant défiler par la fenêtre les rues fami-
lières de la ville, Connor s'efforça de se remémorer la
configuration familiale de sir Frank.
Elliott. Vous voulez parler de votre fils ?
En effet. C'est de lui que je souhaitais m'entretenir
avec toi. Nous sommes confrontés à un problème
épineux.
A sa connaissance, Elliott Fraser faisait partie de ces
/ r si •< /■(•/ île Soplue

P.-D.Cî. dune i iiii|ii.iiiiainc d'années à qui tout réussis-


sail.
Il est implique dans quelque chose de louche?
Le visage du vieil homme s'assombrit.
Pire encore. Il s'agit d'une femme.
Connor poussa un soupir.
Ecoutez, sir Frank. je crains que vous n'ayez été mal
informé : je suis ici en congé, déclara-t-il sur un ton
sans appel. On ne m'a pas lait revenir ici depuis le bout
du monde pour démêler la vie amoureuse de votre fils.
Vexé, sir Frank se redressa brusquement.
Justement, si ! rétorqua-t-il avec véhémence en lui
pointant son cigare sous le nez. Pourquoi crois-tu que
ce congé sabbatique t'a été accordé? Pas d'impudence
avec moi, jeune homme, car je te rappelle que tu
portais encore des couches-culottes quand je t'ai connu.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je t'ai choisi, toi.
Puis, sans lui laisser le temps de répondre, son hôte lui
adressa un regard de rapace.
Je ne te dérangerai pas beaucoup durant ce congé,
Connor. Cela te prendra une semaine, peut-être deux
tout au plus. Après cela, tu pourras profiter pleinement
de ces trois mois. Qui sait, tu pourrais peut-être même
décider de rester plus longtemps ? En tout cas, je ne
doute pas que tu feras de ton mieux pour m'aider, à la
mémoire de ce cher vieux Mick.
Voilà qu'il jouait la carte du chantage affectif, a présent
' Difficile de demeurer de marbre à une telle icqucte
Connor ferma brièvement les yeux, icsignc
D'accord, d'accord. Aile/ y, je \ DUS CI < mtc
Sir Frank hocha la leir cl l.i peau iirx.r.'.i r Jr '.un

II
Le secret de Sophie

visage se creusa un peu plus sous l'effet d'une


satisfaction évidente.
Voilà qui est mieux. Ce que je vais te révéler doit
rester strictement entre nous : Elliott est pressenti pour
occuper de hautes fonctions au sein du ministère. Un
poste très sensible, qui ne permettra aucun scandale,
précisa-t-il en levant en l'air un index autoritaire. Maria,
son épouse, est actuellement en voyage d'affaires aux
Etats-Unis. Si elle découvre à son retour qu'il s'est
dévoyé pendant son absence... Je préfère ne même pas
l'imaginer. Maria est une femme de caractère. Ecoute,
Connor, j'ai un très vif pressentiment, et mon instinct
m'a rarement trompé : il y a de forts risques que cette
petite minette avec laquelle il s'est lié soit une taupe.
Tout cela se produit à un moment crucial. Or, même si
elle se révèle ne pas être une taupe... Enfin, tu
comprends à présent pourquoi je t'ai choisi, toi ? Je
refuse de voir l'Agence se mêler de cette histoire. Il
s'agit là de ma famille, je ne peux pas risquer de confier
cette affaire à un étranger... Tu as carte blanche. Cela
restera strictement entre toi et moi. Rien ne devra filtrer.
Perplexe, Connor secoua lentement la tête.
Le plus simple ne serait-il pas d'en toucher quelques
mots à Elliott?
Tu le connais mal. Il est persuadé que le secret de sa
relation avec cette femme restera entier.
Connor réprima un sourire. Visiblement, le vieil
homme ne tenait pas à révéler à son fils qu'il le faisait
surveiller.
A cet instant, sir Frank le saisit par le poignet.
Connor, malgré tous ses défauts, Elliott reste
mon fils, lit puis, il y a aussi mon petit-fils, ajouta-t-il,
le K-j'.aul soudain humide. Ce petit bonhomme n'a que
quaiic ans
Connor sentit la main qui s'agrippait à lui trembloter, et
quelque chose au creux de sa poitrine se contracta.
Les personnes âgées et les enfants avaient toujours été
son talon d'Achille.
Je vois, dit-il en poussant un soupir.
Il ne lui restait plus qu'à serrer les dents, accepter cette
mission et s'en acquitter au plus vite.
Redressant ses épaules, il s'efforça d'utiliser une voix
très professionnelle pour contrecarrer le flot d'émotions
qui avait soudain envahi l'habitacle de la limousine.
Que savez-vous au sujet de cette femme ?
Sir Frank ravala ses larmes avec une maîtrise remar-
quable et reprit une expression affairée. Il se pencha
vers une petite niche à sa gauche et en retira un
dossier.
Son nom est Sophie Woodruff. Elle travaille à
l'Alexandra.
Où cela se situe-t-il ? demanda Connor en feuilletant
les quelques documents que contenait le dossier.
Les renseignements étaient concis.
La jeune femme était employée comme orthophoniste
dans une clinique pédiatrique. Le genre de couverture
idéale.
Suivaient quelques dates et heures de rendez-vous avec
Elliott dans des cafés, puis une capture d'écran de
sécurité montrant la silhouette floue d'une jeune femme
élancée aux cheveux bruns. On distinguait mal son
visage, mais la caméra était parvenue à capturer la
finesse de son ovale et la brillance de ses longs
cheveux ondulés.
Tu connais Macquarie Street ?
Qui ne la connaît pas ?
Desservant à la fois le jardin botanique et l'opéra de
Sydney, Macquarie Street était une des artères les plus
chic de la ville. On y trouvait les cliniques privées les
plus réputées.
Je t'y ai réservé un bureau. Un cabinet juridique
offrira une couverture parfaite pour toi. Ht puis, si tu
décides finalement de rester en Australie, tu pourras
reprendre tes activités d'avocat pour de vrai.
Connor hocha la tête.
Macquarie Street était aussi située non loin du
quartier des avocats et autres conseillers juridiques en
tout genre.
(1 dévisagea l'ancien ami de son père, se demandant
quel genre de danger pouvait comporter la mission que
celui-ci lui confiait. Car il n'avait pas usurpé sa
réputation de renard rusé.
Qu'attendez-vous de moi, exactement ?
Trouve-moi le maximum d'informations à son sujet.
Ses origines, son entourage, je veux tout savoir. Elle
travaille sans doute à la solde d'un Etat étranger. Fais-la
parler, quitte à ce que ce soit sur l'oreiller. J'aurais
vraiment cru qu'EIliott aurait un peu plus de jugeote
pour... Enfin, si tu finis par découvrir qu'elle n'est
qu'une de ces pimprenelles à la recherche d'un homme à
plumer, ajouta sir Frank d'un air dégoûté, nous la
paierons suffisamment pour qu'elle disparaisse.
Connor plissa le front.
A ce qu'il avait entendu dire d'Elliott Fraser, l'homme
n'était pourtant pas du genre naïf.
En tout cas. cette mission lui paraissait bien futile.
Rien à voir avec les missions auxquelles il était habitué,
au cours desquelles il pouvait se retrouver nez à nez
avec un contact bardé de ceintures explosives. Ou
partager un thé avec un homme prêt à lui trancher la
gorge.
Un bel homme comme toi n'aura aucun mal à se
rapprocher de ce genre de femme, insista son
interlocuteur.
A ces mots, Connor lui décocha un regard sarcas-
tique.
Il avait désormais pour habitude de ne pas se rappro-
cher des gens.
Alors qu'il s'apprêtait à préciser ce point, la limousine
s'engagea sur une avenue bordée d'arbres, et il reconnut
l'élégance coloniale de Macquarie Street.
La circulation était minime de si bonne heure, et il eut
tout le loisir d'apprécier le charme de la rue, entretenu
notamment par la végétation dense du jardin botanique
qui commençait à bourgeonner derrière les hautes grilles
en fer.
Une fois au beau milieu de l'artère, le chauffeur se
gara sur le trottoir.
Voici l'Alexandra, annonça sir Frank.
Connor se redressa pour observer le très haut édifice à
la façade couleur miel.
Une balconnière de fleurs rouge vif ornait une fenêtre
au troisième étage.
Tu trouveras ton bureau au dernier étage, suite 3 E,
déclara sir Frank en lui tendant un trousseau de clés
avant d'allumer enfin son cigare. Je te demande de me
tenir informé à chaque étape. Tu sais, Connor, j'ai un
bon pressentiment à présent que tu es avec moi. Je suis
certain que tu es l'homme qu'il nous faut pour empêcher
cette petite Sophie Woodruff de nous mettre des bâtons
dans les roues.
Un peu d'ombre à paupière, juste de quoi rehausser le
bleu de ses yeux.
Bleu, ou encore violet, comme aimait à le dire son
père biologique.
Violette avait beau être son véritable prénom, Sophie
ne l'utilisait jamais. Par chance, il apparaissait
uniquement sur les documents officiels et administratifs.
Quel genre de parents pouvaient être assez stupides pour
baptiser leur enfant d'un prénom aussi ringard ?
Certainement pas ceux qui l'avaient élevée, en tout
cas. Ils s'étaient sentis obligés de conserver son état civil
mais préféraient l'appeler par le prénom de Sophie,
qu'ils avaient eux-mêmes choisi.
Un sentiment diffus lui enserra l'estomac.
L'appellation « père biologique » lui paraissait bien
froide. L'homme lui-même était-il aussi froid qu'il
voulait le montrer? Après tout, un homme était-il censé
réagir avec chaleur et bienveillance lorsqu'il rencontrait
sa fille dont il ignorait l'existence?
Du moins, c'était ce qu'il prétendait. Voilà sans doute
pourquoi il avait demandé à pratiquer un test de pater-
nité.
En tout cas, cet homme lui mentait au sujet de
quelque chose, elle en avait l'intime conviction.
Elle donna un bref coup de crayon pour peaufiner la
ligne de ses sourcils bruns puis insista sur le blush
qu'elle appliqua sur ses joues pour masquer la pâleur
après cette nuit de sommeil interrompue. Mais un bref
regard du côté du réveil la persuada d'en rester là si elle
ne voulait pas rater le ferry de 6 h 3.
Quelque chose lui disait que la journée allait être
mouvementée. Les mardis ne lui portaient pas chance
depuis quelque temps, et aujourd'hui elle avait un sale
pressentiment. Heureusement, depuis trois jours que la
vague de chaleur assommait Sydney, des vêtements
légers suffiraient.
Elle chaussa à la hâte ses sandales à talons hauts,
saisit son sac à main et se tourna pour se regarder dans
le miroir.
Bien. Son bustier lilas sortait tout droit du pressing, et
sa jupe n'avait pas besoin d'être repassée.
Zoe et Leah, ses colocataires, commençaient à
s'étirer. Elle leur lança un rapide « Au revoir les filles »,
se faufila à travers le matériel de camping qu'elles
avaient entreposé dans le hall d'entrée et traversa le
jardin à la hâte.
Alors que le soleil émergeait peu à peu à l'horizon,
elle passa en revue pour la millième fois tous les gestes
qu'elle avait accomplis depuis qu'elle avait récupéré la
lettre recommandée à la poste, hier, à l'heure du
déjeuner.
Elle avait attendu d'être de retour à son bureau pour la
lire. La confirmation s'était alors matérialisée sous ses
yeux : le profil ADN d'Elliott Fraser était suffisamment
similaire au sien pour que le laboratoire le déclare offi-
ciellement comme son père biologique.
Elle avait rangé le courrier dans son sac, persuadée
qu'il s'y trouvait encore lorsqu'elle était allée aider
Millie, sa voisine de bureau, à déménager ses affaires.
Ce n'était qu'en arrivant chez elle le soir qu'elle s'était
aperçue, paniquée, que la lettre n'était plus dans le sac.
Elle s'était alors souvenue avoir fait une pause dans la
salle dédiée aux mamans en se rendant aux toilettes
pour femmes. Elle y avait surpris Sonia, de la clinique
ophtalmologique, en pleurs. Elle avait fouillé dans son
sac pour en sortir un paquet de mouchoirs qu'elle avait
offert à sa collègue.
La lettre avait dû glisser à terre à cet instant-là.
Si elle voulait la retrouver avant qui que ce soit, elle
allait devoir agir avant que l'Alexandra ne fourmille
d'activité. Bien sûr, elle pouvait facilement recontacter
le laboratoire pour demander une copie du document,
mais cela ne résoudrait pas le problème de la
confidentialité. Une promesse était une promesse. Si
elle ne retrouvait pas cette lettre au plus tôt. elle allait
devoir en informer Elliott Fraser. Et cette seule idée
suffisait à lui donner la nausée.
Après leur première rencontre dans ce café, et même
à vrai dire dès l'instant où elle avait posé les yeux sur
lui, elle avait trouvé cet homme intimidant. Même son
nom de famille, qu'elle avait pu voir pour la première
fois sur son certificat de naissance, lui avait donné la
chair de poule.
A dix-huit ans, dès que la loi l'y avait autorisée, elle
avait engagé une procédure pour retrouver ses parents
biologiques, par simple curiosité. Elle n'avait jamais eu
l'intention de s'en servir pour les contacter, jusqu'à ce
fameux mardi, six semaines plus tôt.
Elle se trouvait à la réception, en train de vérifier le
dossier d'un patient, quand quelqu'un s'était approché du
bureau et s'était adressé à Cindy.
— Je suis Elliott Fraser, je vous emmène Mathew
pour son examen de contrôle.
Elle avait senti son cœur s'arrêter de battre. Le souffle
coupé, elle avait lentement levé les yeux vers l'homme
en question et l'avait ainsi vu pour la première fois.
Son père.
Proche de la cinquantaine, les cheveux déjà tout
blancs, il était l'image parfaite de l'homme d'affaires à
qui tout réussit. Ses yeux gris ardoise ne ressemblaient
en rien aux siens, et alors qu'il parlait, son regard
n'exprimait pas la moindre expression. Elle avait eu
beau le regarder encore et encore, elle n'avait pu établir
une quelconque ressemblance entre eux.
Elle avait alors supposé qu'elle devait plutôt
ressembler à sa mère biologique qui, d'après le dossier,
était décédée peu après sa naissance d'une méningite.
Pourtant, elle devait forcément avoir hérité certains
traits de son père...
Son regard s'était alors posé sur l'enfant de quatre ans
qui se tenait à côté d'Elliott Fraser. Un petit visage
sérieux, des plus attachants. Soudain submergée d'un
flot d'émotions, elle avait pris conscience que ce petit
garçon n'était autre que son demi-frère.
Comme cela avait été étrange de découvrir des
personnes qui partageaient le même ADN qu'elle ! Avec
un peu de chance, ils avaient peut-être d'autres choses
en commun... Même si elle adorait ses parents adoptifs,
ils avaient une fille plus âgée en Angleterre, Lauren,
issue du premier mariage de Bea. Sophie avait souvent
eu le sentiment d'être en concurrence avec elle. Lauren
était bonne en math et en sciences, tandis que Sophie
avait plutôt l'esprit littéraire.
Lauren avait fait médecine, tandis que Sophie avait opté
pour l'étude des troubles du langage chez l'enfant.
Lauren allait faire de la randonnée en montagne, tandis
que Sophie préférait le jardinage et flâner dans les
librairies...
Et puis, lorsqu'elle avait eu dix-huit ans, Henry et
Bea avaient paru se désinvestir de leurs responsabilités
envers leur enfant adoptive. Malgré les adieux
larmoyants et la longue visite qui avait suivi l'année
suivante, ils avaient émigré en Angleterre pour
rejoindre Lauren, la fille naturelle de Bea, lorsqu'elle
était devenue mère à son tour.
Sophie se disait souvent que, si elle avait eu des
frères et des sœurs, ses parents ne lui auraient pas si
cruellement manqué. Or, voici qu'elle découvrait
aujourd'hui l'existence de ce petit frère...
Au souvenir de ses grands yeux bruns, son cœur se
mit à battre plus fort, avec une certaine inquiétude.
Cet enfant paraissait adorable, mais elle avait ressenti
chez lui une vive, une profonde solitude. Après avoir
maintes et maintes fois rejoué cette scène de rencontre
fortuite en esprit, ses réflexes de professionnelle de la
petite enfance s'étaient activés : durant tout le temps où
ils avaient attendu à l'accueil, Elliott Fraser n'avait pas
posé une seule fois le regard sur son fils. Nullement
intéressé par les jouets et les livres prévus pour faire
patienter les enfants, Mathew était resté prostré sur le
siège à côté de celui de son père, comme s'il était coincé
dans son propre petit monde. Et Elliott ne lui avait pas
adressé la parole une seule fois.
Instantanément elle avait éprouvé l'envie de venir en
aide à Mathew. Elle avait l'habitude de ce genre de
patient. De nombreux parents sous-estimaient le besoin
crucial de communication de leur enfant.
Plongée dans ses pensées, elle ne vit pas le temps
passer sur le ferry qui débarqua sur Circular Quay.
Malgré sa minijupe et ses talons hauts, elle rejoignit
aussitôt Macquarie Street au pas de course.
Par chance, les agents de sécurité avaient déjà déver-
rouillé les portes tournantes de l'immeuble.
Elle se dirigea droit sur l'ascenseur et appuya fébrile-
ment sur le bouton d'appel, avant de décider qu'elle
n'avait pas le temps d'attendre et de s'engager à toute
allure dans l'escalier de secours.
Sous le dôme central, la lumière matinale éclairait les
galeries desservant les cabinets des médecins. A cette
heure-ci, les couloirs étaient encore déserts, même si
l'odeur de café frais émanant de la cafétéria située au
sous-sol laissait penser que Millie, son amie et collègue,
était déjà en train de s'installer dans son nouveau
bureau.
L'ancien bureau de Millie jouxtait le sien et attendait
d'être réaménagé. Si la lettre n'était pas dans la salle des
mamans ou dans les toilettes, elle se trouvait
probablement en sécurité dans ce bureau.
Arrivée en haut de l'escalier, elle s'arrêta pour
reprendre son souffle et eut la désagréable surprise de
constater que la porte de Millie était fermée.
Sous le choc, elle s'approcha pour déchiffrer la
plaque qui y avait été apposée.
« Connor O'Brien ».
Qui donc pouvait être ce nouveau venu ?
Sans perdre une seconde, elle se précipita en
direction des toilettes pour femmes en priant pour que la
sécurité en ait déjà déverrouillé l'accès.
A son soulagement, la porte s'ouvrit instantanément.
Balayant rapidement la salle des lavabos du regard,
elle inspecta les corbeilles, avant de chercher dans
chacun des petits boxes.
En vain.
Elle était déçue mais guère surprise, puisqu'elle
pensait plutôt avoir égaré la lettre dans la salle des
mamans.
Traversant le petit hall d'accueil à la hâte, elle poussa
la porte de la salle des mamans et se figea aussitôt.
Confuse, elle cligna des yeux devant cette grande
masse sombre qui contrastait avec le blanc immaculé du
carrelage mural et ajusta sa vision pour mieux
distinguer ce qu'elle avait devant elle.
Il s'agissait d'un homme.
Torse nu. Grand, svelte et musculeux, il arborait une
chevelure épaisse et noir de jais. Il était debout devant
le lavabo, le visage à moitié couvert de mousse à raser.
Une chemise et une veste de costume étaient posées sur
la valise à ses pieds. Sa peau hâlée semblait indiquer
qu'il avait passé beaucoup de temps au soleil ; quelques
éclaboussures dévalaient lentement la ligne satinée de
son dos.
Cet homme n'avait-il pas une salle de bains chez lui ?
Que faisait-il en train de se raser dans une pièce exclusi-
vement réservée aux femmes ?
Puis elle aperçut la grosse cicatrice dentelée au
niveau de ses côtes.
Aussitôt, le souffle lui manqua et la porte lui échappa
des mains.
Alors qu'il se penchait au-dessus du lavabo pour
débarrasser sa joue bronzée d'une ligne de mousse à
raser blanche, l'inconnu interrompit son geste, et son
regard croisa le sien dans le miroir.
Ses pupilles étaient aussi noires qu'une nuit d'hiver,
ombragées par d'épais et longs cils bruns. Mais ce qui la
pétrifia, ce fut l'expression qui brillait au fond de ses
yeux : une lueur spéciale y avait scintillé dès l'instant où
leurs regards setaient croisés, comme si cet homme la
reconnaissait.
Sauf que. pour sa part, elle ne l'avait jamais vu.
Pourquoi diable avait-elle l'impression que cet
homme la reconnaissait ?
Il se redressa pour se tourner vers elle, et elle put
admirer son profil aux lignes parfaites, depuis son front
bombé et volontaire en passant par son ne/ fin et droit.
Elle demeura bouche bée devant ces traits finement
dessinés qui affichaient une force et une assurance
toutes viriles malgré la mousse de rasage masquant une
partie de son visage.
Seigneur, comme il était beau !
Bonjour, je suis Connor O'Brien. Enchanté.
Sa voix était profonde, son timbre à la fois robuste et
suave.
Hypnotisée par la toison brune qui recouvrait son
large torse, elle ne put empêcher son regard de
descendre le long de la ligne naturelle qui filait de son
nombril jusqu'à sa ceinture.
Oh, euh... Bonjour. Excusez-moi, balbutia-t-elle en
reculant précipitamment hors de la salle.
Intrigué, Connor regarda la porte se refermer derrière
la jeune femme.
Sans doute aurait-il mieux fait de passer à l'hôtel au
lieu de venir directement ici. La dernière chose dont il
avait besoin, c'était d'attirer l'attention de Sophie
Woodruff quant à la soudaineté de son installation à
l'Alexandre. Mais comment aurait-il pu se douter qu'elle
arrivait si tôt au travail ?
Il sentit une onde de curiosité irradier ses veines.
A présent qu'il l'avait enfin vue en face, cette femme
ne ressemblait nullement à ce à quoi il s'était attendu.
Ces grands yeux au regard doux, ces lèvres à la moue
innocente ne correspondaient en rien au profil d'une
intrigante.
A moins bien sûr que ce visage angélique ne
constitue sa plus redoutable couverture ? Le genre de
couverture idéale pour mettre le grappin sur un homme
riche et influent.

De retour dans le couloir, Sophie s'efforça de


retrouver ses esprits. Il lui fallut plusieurs secondes
pour parvenir à effacer l'image ô combien troublante de
ce torse dénudé.
Comment pouvait-elle espérer procéder à la
recherche de son document dans une pièce occupée par
un Apollon à moitié nu ? Cet homme représentait une
nuisance. Comment avait-il osé s'installer de la sorte
dans la salle dédiée aux mamans et s'y comporter
comme chez lui — même si, à sa décharge, il était à
peine 6 h 30 du matin ? Et surtout, pourquoi avait-elle si
facilement abandonné le terrain?
Après tout, cette pièce était réservée aux femmes, et
si la moindre de ses congénères avait découvert cet
homme à sa place, celle-ci se serait à coup sûr mise à
hurler au loup.
Inspirant une grande bouffée d'air, elle poussa de
nouveau la porte d'un geste décidé et retourna dans la
salle.
Connor O'Brien était en train de boutonner sa
chemise. Mais il était trop tard, l'image de son torse
robuste et dénudé était de toute façon imprimée à
jamais dans le cerveau de Sophie.
Au cas où vous ne seriez pas au courant, vous vous
trouvez dans la salle réservée aux mamans, déclara-t-
elle d'une voix un peu trop éraillée.
Il se tourna vers elle et lui adressa un regard appuyé
derrière ses longs cils bruns. Un regard de mâle appré-
ciant les courbes et la disponibilité d'une éventuelle
proie sexuelle.
Je suis au courant, rétorqua-t-il tranquillement tout en
rinçant son rasoir sous le robinet.
Mais, au lieu d'agir en conséquence et de libérer la
salle, il continua à se raser comme si de rien n'était.
Qui donc était cet homme pour que Millie le laisse
s'installer aussi vite'? Il ne ressemblait à aucun des
médecins travaillant à l'Alexandra.
Elle balaya rapidement la pièce du regard.
Lorsqu'elle était venue hier soir, le ménage avait déjà
été fait, mais quelqu'un avait tout à fait pu ramasser la
lettre et la mettre à la corbeille entre-temps. Une
corbeille située sous le lavabo, juste aux pieds de cet
homme très élégamment chaussé.
Elle se redressa, s'éclaircit la voix et s'efforça de se
composer une voix pleine d'autorité.
Je suis navrée, mais vous allez devoir finir de vous
raser ailleurs. Vous trouverez les toilettes pour hommes
au bout du couloir, dit-elle en lui ouvrant la porte, de
façon élégante mais avec une certaine insistance.
Plusieurs secondes s'écoulèrent.
Elle commençait à se demander s'il l'avait bien
entendue, lorsqu'il lui adressa de nouveau ce regard
appuyé, en dessous de ses longs cils.
Le .serre! de So/)/iie

Je ne crois pas.
Attisant son indignation, il continua, imperturbable, de
se raser.
Alors que, excédée, elle envisageait de recourir à la
police ou tout au moins aux agents de sécurité de
l'immeuble, l'homme eut l'impudence d'ajouter :
Rien ne presse, pas de panique.
Panique ? Qui parlait de panique ? Même si elle
croisait peu d'hommes aussi sexy et séduisants à
l'Alexandra, elle n'était pas du genre à paniquer. Ni
dans cette salle dédiée aux mères, ni ailleurs.
Refusant de passer pour une idiote, elle finit par lâcher
la porte qui se referma, alors que l'intrus s'attaquait à
présent à sa moustache. Elle se retrouva donc
spectatrice malgré elle de cette délicate opération.
L'homme s'interrompit de nouveau pour la regarder
dans le miroir.
J'aurai disparu dans quelques secondes. Mais je ne
voudrais pas que ma présence vous rende nerveuse.
Sa voix suave et caressante contenait néanmoins une
certaine touche de moquerie.
Nerveuse? répéta-t-elle avec un rire insouciant. Mon
seul souci est de faire en sorte que les mères qui ne
tarderont pas à arriver d'une minute à l'autre puissent
bénéficier de la salle qui les accueille habituellement
avec leurs bébés.
Il consulta sa montre.
A 6 h 36 ?
Absolument ! affirma-t-elle, même si la clinique
n'ouvrait d'habitude qu'à 7 h 30. Il peut y avoir des
consultations très matinales, ou bien des urgences.
Vous devez
comprendre que celte pièce est exclusivement réservée à
l'usage des mamans.
Je vois, dit-il avec une lueur étrange au fond des
yeux. Dans ce cas, nous allons devoir vous et moi la
quitter...
Et. sans attendre sa réponse, il se retourna pour faire
face au miroir.
La mousse blanche qui entourait ses lèvres mettait en
valeur la perfection de leur ligne, à la fois douce et
masculine.
Une belle bouche pouvait cependant ne pas tenir ses
promesses. Certains hommes, malgré des lèvres très
prometteuses, ne savaient même pas embrasser... Mais
au-delà des simples attributs physiques, un baiser réussi
supposait surtout une réelle alchimie entre les deux
protagonistes.
La main tenant le rasoir se figea soudain, et les yeux
de Connor O'Brien cherchèrent les siens dans le miroir.
J'ai raté quelque chose, n'est-ce pas?
La lueur entrevue au fond de son regard la figea sur
place.
Je vous demande pardon ? rétorqua-t-elle en
s'efforçant de soutenir ce regard moqueur sans rougir. Si
vous êtes en train de me demander mon avis, veuillez
m'excuser : mes connaissances en matière de barbe
masculine sont très limitées.
Puis elle entreprit de chercher sa lettre avec le plus de
dignité possible.
Connor sourit intérieurement, agréablement surpris de
constater la sensibilité exacerbée de Sophie Woodruff.
11 avait réussi à la faire rougir, et en éprouvait une
certaine fierté. Si elle se révélait être l'opportuniste que
lui avait décrite sir Frank, sa capacité à feindre
l'embarras était remarquable.
La jeune femme arpentait à présent la pièce de long
en large, comme si elle y avait perdu un objet. Ce qui lui
permit d'observer en douce l'ondulation de ses hanches,
ses longues jambes fuselées et sa nuque fine et allongée.
S'il s'était bien douté qu'Elliott Fraser n'aurait jamais
risqué de se compromettre pour une femme repoussante,
la photo pixellisée que sir Frank lui avait montrée ne
rendait pas justice à Sophie.
Que pouvait-elle bien chercher ?
— Je m'excuse très humblement d'avoir empiété de la
sorte sur cet espace sacré dédié aux femmes, mais je
vous assure que mes intentions sont pacifiques, déclara-
t-il, espérant l'inciter à se tourner une nouvelle fois vers
lui.
Il avait été intrigué dès le premier instant par l'éclat
singulier de ses yeux. Etait-ce son haut couleur lavande
qui leur donnait cette teinte presque violette tranchant
avec son teint de porcelaine?

Sophie adressa à Connor un regard sardónique.


Elle regrettait à présent de ne pas avoir
immédiatement appelé la sécurité. Elle l'avait surpris en
flagrant délit, après tout !
— Vous choisissez souvent les toilettes des femmes
plutôt que celles des hommes ? demanda-t-elle d'une
voix neutre.
Elle vit les yeux de l'intrus se mettre à pétiller sous
ses longs cils noirs. L'air qu'elle inspira lui sembla
soudain chargé d'étincelles aussi dangereuses
qu'incontrôlables.
Presque toujours. Vous savez, je suis un homme de
réseaux. Et quel meilleur endroit pour faire des
rencontres ? répondit-il d'un air effronté tout en la
déshabillant du regard.
Elle sentit chaque pore de son corps s'embraser et lui
tourna précipitamment le dos pour vérifier sous les
coussins du canapé sur lequel elle s'était assise hier.
Rien.
Elle continua à chercher fébrilement du côté de la
table à langer et du plan de travail, sentant son regard
insistant posé sur elle. Il prétendait poursuivre son
rasage, mais elle savait qu'il ne la quittait pas une
seconde des yeux.
Elle fixa la valise en cuir posée à ses pieds.
Euh... Auriez-vous par hasard trouvé une enveloppe
qui traînait dans cette salle? demanda-t-elle d'une voix
moins belliqueuse.
Une enveloppe ? répéta-t-il en fronçant les sourcils.
C'est un endroit inhabituel pour recevoir du courrier,
vous ne trouvez pas ? Vous n'êtes pas un agent de la
CIA en attente d'instructions, tout de même ?
De nouveau, sa voix s'était faite suave et provocante,
mais elle avait comme l'impression qu'il mettait en
doute sa sincérité.
Choisissant d'ignorer son ton sarcastique. elle
s'efforça de s'expliquer :
Ce n'est effectivement pas un lieu de distribution du
courrier. Mais j'ai égaré une enveloppe ici, hier. Elle a
dû glisser de mon sac quelque part et...
Quel genre d'enveloppe ?
Très ordinaire, couleur kraft, avec une fenêtre pour
laisser paraître l'adresse... Ecoutez, dites-moi juste si
vous l'avez trouvée, oui ou non.
Sa voix avait dû trahir la frustration qu'elle éprouvait,
car il se retourna brusquement pour la dévisager.
Je ne sais pas si je peux vous répondre. Tout dépend de
la personne à qui s'adresse cette enveloppe...
Elle reçut cette réplique comme une gifle, mais
s'efforça de conserver son calme.
A moi, bien évidemment.
C'est vous qui le dites, murmura-t-il en rinçant le rasoir
après avoir enfin fini de se raser. D'ailleurs, qui êtes-
vous?
Visiblement, cet homme se jouait d'elle.
Piquée au vif, elle se redressa de tout son haut.
Vous savez, les règles de sécurité dans cet immeuble
sont très strictes. Votre intrusion ici ne saurait être
tolérée.
Ah, là, je me dois de vous arrêter : il se trouve que c'est
justement l'agent aux taches de rousseur qui m'a ouvert
cette salle, car les toilettes pour hommes sont hors
service en ce moment.
Surprise, elle ne se laissa pas pour autant impres-
sionner.
Eh bien, il est dommage qu'il ne vous ait pas expliqué
que le lavabo que vous utilisez est réservé aux femmes
allaitantes qui désirent se préparer des boissons
chaudes. Je compte sur vous pour bien le nettoyer
quand vous aurez fini.
Les yeux de l'homme se mirent à scintiller, mais il
poursuivit d'un air songeur :
Vous savez, cette ségrégation entre les sexes n'existe
pas dans certains pays. Bien sûr, je peux comprendre
qu'au- delà de la question de nationalité une femme
peu habituée à la proximité d'un homme, une femme
innocente, puisse se sentir menacée à l'idée de partager
son espace.
« Une femme innocente. » Etait-il en train de l'in-
sulter?
Ecoutez, articula-t-elle en desserrant à peine la
mâchoire, tout ce que je vous demande, c'est de me dire
si vous avez vu une enveloppe. Sinon...
Le visage de l'intrus demeura impénétrable.
Soyez donc plus précise... Par exemple, donnez-moi
une idée du genre de contenu de cette lettre.
Je vous demande pardon? s'exclama-t-elle en le
scrutant avec incrédulité. Vous plaisantez, j'espère !
Contentez-vous de me dire si oui ou non...
Elle s'interrompit, abasourdie, alors que Connor
O'Brien se rinçait le visage d'un air tout à fait
imperturbable. Son cœur se mit à battre plus fort.
Pour faire ainsi obstruction, cet homme avait
certainement trouvé sa lettre. Elle inspira une grande
bouffée d'air, réfléchissant à un moyen de lui soutirer la
vérité. Habituée à cerner la personnalité et les intentions
des gens sur la base de ses seules intuitions, cette fois-ci
elle ne percevait face à elle qu'une résistance
implacable. Comment arriver à le convaincre ? Faire
appel à sa conscience ?
Il était en train de s'éponger le visage avec une
serviette en papier.
Vous êtes absolument certain de ne pas l'avoir
trouvée ? insista-t-elle, s'efforçant de ne pas laisser
transparaître sa détresse dans sa voix.
Toujours aussi flegmatique, l'homme enroula une
cravate de soie violette autour de son col de chemise et
la noua de ses doigts fins et hâlés. En ajustant son
nœud, il
se retourna vers elle pour la scruter de son regard
sombre et pénétrant.
On dirait que cette lettre est très importante.
C'est le cas, en effet, dit-elle avant de se reprendre.
Enfin... Elle n'a d'importance que pour moi seule.
Il acquiesça d'un air compréhensif et afficha soudain
un visage grave.
L'avait-elle trop hâtivement jugé ? Cet homme était-il
capable de compassion en fin de compte ?
Quoi qu'il en soit, elle ne pouvait pas lui faire
confiance, il ne cessait de souffler le chaud et le froid
avec elle.
Elle le regarda enfiler sa veste puis ranger sa trousse
de toilette dans son attaché-case.
Cette lettre n'a qu'une importance personnelle, reprit-
elle d'une voix calme.
Je vois, dit-il en battant des cils. Une lettre d'amour.
Non, pas du tout ! s'écria-t-elle. paniquée. Vous ne
pouvez donc pas être sérieux un instant ? Vous ne
pouvez pas me donner une réponse claire ?
Il soupira.
Ecoutez-moi bien : je n'ai pas vu votre lettre. Vous
pouvez me fouiller si ça vous chante.
Comme si elle allait le prendre au mot !
Au lieu de cela, elle se retint de lui arracher son
attaché-case pour le gifler avec. En tout cas, elle savait
à présent qu'il ne contenait pas sa lettre. Cette homme
s'amusait seulement à la tourmenter.
Savez-vous, dit-elle d'une voix tremblotante, que vous
êtes quelqu'un d'extrêmement grossier et agaçant ?
Je sais, répondit Connor O'Brien d'un air faussement
piteux. D'ailleurs, j'en ai honte...
Elle sentit sa tension artérielle monter en flèche alors
qu'il se rapprochait jusqu'à lui effleurer presque la
poitrine de son torse. Son parfum viril conjugué à son
magnétisme très masculin affolèrent les battements de
son cœur. Ce corps athlétique qui s'approchait
dangereusement éveillait en elle un trouble grandissant.
Le regard ténébreux se lit plus arrogant encore.
Et vous, savez-vous que vous êtes une petite poupée
très coincée ? murmura Connor en baissant
ostensiblement les yeux vers son décolleté avant de la
défier de nouveau du regard. Vous devriez apprendre à
vous détendre.
Le souffle court, sur le point de défaillir, elle le
foudroya du regard.
Contre toute attente, il lui donna une petite
chiquenaude taquine sur la joue.
Je vous tiendrai au courant si je trouve votre lettre.
Vous savez, avec un regard pareil, vos parents auraient
dû vous appeler Violette.
Sur ces mots, il pivota sur ses talons et se dirigea vers
la porte.
Figée sur place, la peau encore embrasée par la trace
de ses doigts, elle le regarda fermer la porte derrière lui.
Puis les mots qu'il venait de prononcer lui revinrent à
l'esprit et la frappèrent de plein fouet.
Cet homme connaissait son nom ! Depuis le début.
Cette rencontre n'avait rien d'une coïncidence.
La question était de savoir comment il avait
découvert son identité.
La réponse paraissait évidente : parce qu'il avait lu sa
lettre.
Sophie faisait les cent pas dans la galerie de la
clinique pédiatrique.
La porte de Connor O'Brien était fermée, et elle
devait consentir un effort surhumain chaque fois pour
passer à côté et respirer l'air qu'il avait pollué avec son
petit jeu de séducteur.
A présent, il était probablement enfermé dans son
bureau, en train de pavoiser devant son profil ADN.
Pourtant, ce document n'avait pas le moindre intérêt
pour lui. Que voulait-il en faire ? Le publier sur
Internet ? L'envoyer à la presse ? Contacter Elliott?
Peut-être avait-il l'intention de la faire chanter?
Elle ferma les yeux et s'efforça de respirer calme-
ment.
Ce regard sombre et moqueur, cette bouche sardó-
nique. ..
Elle sentait son sang bouillir dans ses veines au
souvenir de la façon dont il avait refusé de la prendre au
sérieux.
Si seulement elle avait trouvé quelque chose
d'intelligent à dire, histoire de faire disparaître cette
lueur insolente de son regard !
Elle utilisa sa clé magnétique pour déverrouiller
l'accès à son cabinet, soulagée que ni Cindy, sa
réceptionniste, ni Bruce, le pédiatre, ne soient encore
arrivés. Elle pria un instant pour qu'une âme
bienveillante soit tombée sur sa lettre par hasard et l'ait
déposée dans la bannette du courrier.
En vain.
Une fois dans son bureau, elle se mit à fouiller partout
avec frénésie : le bureau, les tiroirs... Elle fit le tour des
tables et des chaises prévues pour les enfants mais ne
put que constater ce qu'elle pressentait depuis le début :
elle l'avait perdue après être partie hier.
Millie, avec qui elle avait passé une bonne heure hier
à faire des cartons, représentait à présent son dernier
recours.
Elle croisa les doigts et téléphona à son amie.
Mais une fois encore la chance lui fît défaut : perdue
au milieu de ses dossiers fraîchement déballés, Millie
n'avait pas remarqué la moindre enveloppe suspecte.
Sophie se laissa tomber dans son fauteuil.
Peut-être devait-elle prévenir Elliott Fraser?
Non, elle n'était pas prête à baisser les bras. Pas tout
de suite. Elliott semblait si paniqué à l'idée que la
nouvelle devienne publique. Et elle ne pouvait pas lui en
vouloir, la révélation de son existence avait été un choc
pour lui. Elle éprouvait d'ailleurs une sincère
compassion à son égard, n'importe qui aurait été
bouleversé en apprenant une telle nouvelle.
Elle s'efforça de ne pas paniquer à l'idée de la réaction
qu'il aurait en apprenant que la lettre s'était mystérieuse-
ment volatilisée. Puis elle se souvint qu'il lui avait dit
être en voyage d'affaires cette semaine.
Cela lui laissait un petit sursis.
D'ailleurs, il n'avait peut-être pas encore reçu sa
propre copie du test de paternité. Et puis, en toute
honnêteté, que risquait-il vraiment si la nouvelle venait
à être publique ? I )es milliers de gens faisaient adopter
leur enfant, pour toutes sortes de raisons. Cette pratique
était devenue bien moins scandaleuse qu'autrefois. Sa
femme serait probablement en mesure de comprendre
que cet événement s'était produit voici vingt-trois ans.
Et puis, elle-même était une adulte indépendante, à
présent. Elle espérait avoir été claire à ce sujet : si
Elliott la laissait entrer dans sa vie, elle ne lui coûterait
pas un centime. Elle ne lui demandait qu'un peu de
sollicitude. Pas même une vraie relation. Une simple
reconnaissance suffirait.
Pourtant, la consternation manifeste dont Elliott avait
fait preuve lors de leur premier contact l'avait
profondément déçue. Il avait tenté de la dissimuler
derrière ses bonnes manières, mais elle avait bien perçu
son malaise. Lors de leurs entrevues suivantes, au café
puis au bar, il avait paru plus pressé de savoir si elle
avait ébruité la nouvelle que d'apprendre quel genre de
vie elle menait et comment elle s'en sortait...
Tout cela alors qu'elle, le cœur plein d'espoir et de
joie, avait envie de tout connaître de lui et du petit
Mathew.
Elle gardait pourtant la conviction qu'au fond Elliott
Fraser était quelqu'un de bien. Une fois qu'il se serait
habitué à cette idée, il finirait par se réjouir d'avoir aussi
une fille.
Elle examina la liste des enfants qu'elle recevait en
consultation ce matin puis se leva et se mit à enlever
d'un geste nerveux les feuilles mortes des géraniums sur
le rebord de sa fenêtre.
Elle leva les yeux en direction du jardin botanique, de
l'autre côté de la rue.
La vue sur les allées odorantes et ombragées des
jardins avaient l'art de l'apaiser, d'habitude. Mais là. elle
était trop stressée. Voilà des années qu'elle n'avait pas
ressenti une telle confusion... Depuis que Bea et Henry
lui avaient annoncé qu'ils s'installaient en Angleterre.
Et la raison de ce trouble s'appelait Connor O'Brien.
Cet homme était un vrai trublion. Pourquoi s'était-il
montré aussi antipathique à son égard ? Arrogant,
insensible, il n'avait eu que faire de l'anxiété qu'elle
éprouvait à la perte de sa lettre. Sans parler de son
allusion désobligeante sur sa supposée innocence...
Elle avait eu de nombreux petits amis. Elle savait ce
qu'était un homme et était même plutôt experte en
matière de baisers langoureux !
Connor O'Brien avait cherché à ¡a déstabiliser.
Pourquoi l'avoir ainsi poussée dans ses retranchements?
Soudain, un frisson lui parcourut l'échiné.
Lui aurait-il suffi de la regarder pour comprendre
qu'elle n'avait jamais été jusqu'au bout avec un
homme ? Etait-ce sa façon de s'habiller? Sa façon de
parler, de marcher?
Mais non, le fait qu'elle soit vierge ne pouvait pas se
deviner au grand jour, n'est-ce pas ? Jusqu'à présent,
jamais elle ne s'en était inquiétée. Elle n'avait tout
simplement pas encore rencontré d'homme qui la fasse
suffisamment vibrer pour lui donner envie de passer à
l'étape suivante, voilà tout.
Pourtant, ce n'étaient pas les opportunités qui avaient
manqué, elle aurait pu franchir le pas à plusieurs
reprises. Elle avait failli une ou deux fois goûter
pleinement aux plaisirs de la chair, mais, au moment
crucial, elle avait ii>u|onrs hésité à faire entièrement
confiance à son partenaire. Même si elle était
convaincue qu'une femme avait <lioit à profiter
pleinement des plaisirs de la vie, Henry et Hea lui
avaient inculqué le respect qu'une femme se devait a
elle-même avant de s'offrir à un homme.
Leah et Zoe, ses colocataires, la surnommaient la
chrysalide ». Selon elles, elle attendait l'homme provi-
dentiel qui la ferait un jour ou l'autre sortir de son cocon
pour s'aventurer sur le terrain purement charnel. Mais
elle savait qu'elle devait justement se méfier sur ce
terrain-là : quelqu'un d'aussi rêveur et impulsif qu'elle
risquait de se retrouver très vite avec le cœur brisé.
D'après ses amies, elle devait établir un plan de
recherche pour rencontrer l'homme de sa vie : chercher
un bon parti, jouissant de solides perspectives
d'évolution professionnelle et pouvant lui offrir la
sécurité financière.
Mais si nous n'avons rien en commun? avait-elle
protesté.
La réponse de ses amies avait été sans appel.
Eh bien, dans ce cas, tu t'arrangeras pour créer des
points communs avec lui !
Ce que Leah et Zoe feignaient de ne pas comprendre,
c'était qu'elle avait de solides aspirations dans la vie. Et
ces aspirations ne rimaient pas forcément avec un plan
de bataille pour trouver le mari idéal. A vrai dire, elle
préférait se fier à son instinct pour cerner les gens,
même si elle devait bien admettre que son intuition lui
faisait parfois défaut : il lui était arrivé de se tromper, et
parfois même de façon assez spectaculaire.
En tout cas, parmi tous les hommes qu'elle avait
écon- duits, pas un n'avait fait naître en elle cette
alchimie toute particulière à laquelle elle aspirait. Quant
à l'idée selon laquelle elle devrait se mettre froidement
en chasse d'un mari, elle savait qu'elle ne pourrait
jamais se comporter de la sorte. Ce n'était pas son
genre. Pas du tout.
Pourtant, dans la situation où elle se trouvait en ce
moment, elle allait avoir besoin de faire preuve d'un
minimum de stratégie et de combativité.
Un frisson d'appréhension lui parcourut le dos.
Elle n'avait pas le choix : elle devait absolument
retrouver cette lettre. Coûte que coûte. Elle ne pouvait
laisser Connor O'Brien gâcher ses chances d'établir une
relation de confiance avec son père.
Lors de leur prochaine confrontation, elle ne se
laisserait plus impressionner par ce blanc-bec. 11 allait
devoir comprendre que. qu'elle soit innocente ou non, il
lui faudrait composer avec Sophie Woodruff. D'une
façon ou d'une autre, quitte à risquer sa vie, elle
trouverait un moyen d'entrer dans son bureau.
Soudain, elle éprouva un étrange sentiment.
En ce même instant il était juste derrière cette
cloison, peut-être en train de profiter de la même vue
qu'elle...

Connor suivit du regard un oiseau qui planait par-


dessus la cime des arbres du jardin botanique.
Au loin. Walsh Bay scintillait sous le ciel d'un bleu
radieux.
Il fronça les sourcils, se souvenant qu'il possédait une
maison non loin de là.
La plupart des biens de son père avaient été vendus
aux enchères pour des œuvres de charité, mais la
demeure qu'il avait reçue en héritage suffirait largement
à ses besoins.
»'autant qu'elle se situait non loin de chez Elliott Fraser.
était à peu près certain d'y avoir laissé ses ouvrages de
dioit. Certains devaient dater, mais il aurait tout le loisir
de se procurer des éditions récentes par la suite. Ainsi, il
se remettrait petit à petit dans le bain de son ancienne
profession.
11 s'écarta de la fenêtre et parcourut du regard son
grand bureau.
Plafonds hauts, moulures ornementales, vue
agréable... S'il avait véritablement voulu s'installer à
Sydney, il n'aurait pu rêver meilleur endroit pour
travailler.
Il consulta sa montre.
Il devait trouver une voiture, puis aller chercher ses
livres et quelques fournitures de bureau. Réfléchir aussi
à sa prochaine rencontre avec Sophie Woodruff...
A cette idée, son cœur se mit à battre plus fort.
C'était intriguant, cette lettre qu'elle recherchait avec
tant de frénésie. Sa détresse ne lui avait pas paru feinte.
Avec sa petite voix fluette et ses joues rouges
d'embarras, la jeune femme lui avait semblé trop douce,
trop fragile pour correspondre au portrait que sir Frank
avait dressé.
Mais il n'était pas du genre à se contenter de simples
apparences. Dans sa profession, il avait appris que les
femmes pouvaient se révéler de remarquables
comédiennes. Quelle que soit la raison qui la poussait à
chercher cette lettre, il se devait de la trouver avant elle.
Au souvenir de l'éclair qui avait traversé ses yeux
indigo lorsqu'il l'avait touchée, il sentit son sang
s'échauffer dans ses veines.
Quelque chose lui disait que, quelles que soient les
intentions de cette femme, elle représenterait pour lui un
sérieux défi à relever.
A l'heure du déjeuner, alors qu'elle allait descendre à la
cafétéria, Sophie aperçut Connor O'Brien en train
d'aider des livreurs à faire entrer une jolie bibliothèque
en bois dans son bureau.
Elle ne put s'empêcher de faire la moue.
Evidemment, il avait besoin d'un grand meuble pour
entreposer tous les documents qu'il subtilisait aux
autres !
Elle acheta une formule sandwich-salade à emporter
puis, au lieu de se rendre au jardin botanique pour y
pique- niquer comme à son habitude, remonta à son
bureau pour y terminer ses rapports de la matinée.
Arrivée à la dernière marche de l'escalier, son estomac
se noua.
La porte du bureau de Connor était entrouverte.
Aussitôt, son imagination évalua toutes les possibilités.
Les livreurs avaient dû redescendre chercher le reste de
ses meubles. Le beau parleur arrogant les avait-il
suivis?
Ce serait trop beau pour être vrai. Il n'avait tout de
même pas laissé son bureau ouvert sans surveillance ?
Le cœur tambourinant contre sa poitrine, elle ralentit le
pas et, s'approchant de la porte, fit semblant de fouiller
à l'intérieur de son sac à main.
Aucun bruit ne provenait de l'intérieur du bureau, mais
elle ne pouvait apercevoir qu'un angle du bureau de la
réception par la porte entrebâillée. Son encombrant
voisin pouvait se trouver dans le bureau adjacent.
S'il était là, elle sentirait probablement sa présence.
Elle s'approcha à pas de loup et tendit l'oreille, à l'affût
du moindre petit bruit.
Des éclats de voix provenant de l'étage inférieur atti-
rèrent son attention, elle revint à la hâte dans la galerie
et regarda par-dessus la balustrade.
Quelques personnes bavardaient dans l'escalier, mais
aucune trace de Connor O'Brien ni des livreurs. Pour le
moment, la voie était libre.
L'occasion était trop belle.
Elle frappa prudemment à la porte, et attendit une
réponse, le cœur battant la chamade.
Le silence à l'intérieur du bureau se prolongea.
Elle vérifia d'un coup d'œil que personne ne pouvait
la voir et se glissa à l'intérieur malgré son sentiment de
culpabilité.
Connaissant bien les lieux, elle comprit tout de suite
que les deux bureaux et le petit coin cuisine attenant
étaient inoccupés. Elle s'aventura alors dans la grande
salle, où les affaires de Millie avaient désormais
disparu.
A travers la baie vitrée s'offrait le même panorama
que depuis son propre bureau : une vue plongeante sur
le jardin botanique et le port qui s'étendait à l'arrière-
plan. Un ordinateur portable était posé sur un bureau en
bois massif, à côté d'un assortiment de fournitures de
bureau neuves. Les étagères étaient encore vides, mais,
par terre, un carton de livres attendait d'être déballé.
Elle se pencha pour déchiffrer quelques titres
d'ouvrages :
Pratique et Politique du droit humanitaire
international, Dictionnaire international des droits de
l'homme...
Déconcertée, elle se mordilla la lèvre.
Connor O'Brien était avocat ?
La situation était abracadabrante : pourquoi un juriste
préoccupé par les droits de l'homme ferait-il de la réten-
tion de courrier d'ordre privé ? Non, cela n'avait pas de
sens, elle avait dû se tromper et perdre sa lettre dans un
autre endroit.
A cette idée, elle ne put réprimer un frisson. Quelque
chose lui faisait pourtant pressentir que sa lettre était là,
toute proche. Oui, elle était persuadée que sa lettre ne
pouvait se trouver ailleurs que dans cette pièce. En
fermant les yeux et en se concentrant, elle pouvait
presque sentir la texture du papier kraft entre ses mains.
Toute la question était de deviner à quel endroit
précis...
Une nouvelle console de rangement avait été installée
à proximité immédiate du bureau. Elle vérifia par-
dessus son épaule que personne ne l'avait suivie et,
malgré le frisson qui lui parcourut la nuque, elle tenta
d'ouvrir le tiroir du haut.
Il était fermé à clé. Tout comme les autres, d'ailleurs.
Une poussée d'adrénaline s'empara d'elle.
Pourquoi aurait-il verrouillé ses tiroirs s'il n'avait rien
à cacher ?
Elle se mit en quête des clés et aperçut alors un
attaché-case posé dans le fauteuil du bureau.
Une nouvelle décharge d'adrénaline la submergea.
Allait-elle oser? Elle hésita un instant, mais le temps
lui était compté.
Les pulsations de son cœur lui bourdonnant au creux
des oreilles, elle s'empara de la sacoche et la posa
devant elle sur le bureau, avant d'ouvrir la fermeture
Eclair du compartiment de l'ordinateur portable.
Rien, hormis quelques barrettes de mémoire.
De plus en plus consciente du retour probablement
imminent des livreurs, elle poursuivit sa recherche à la
hâte dans les autres compartiments.
Ni lettre, ni quelque clé que ce soit. A vrai dire,
l'attaché- i ase ne contenait que des accessoires
informatiques. Ce lui alors que son regard tomba sur le
veston de Connor < )'Brien, posé sur le dossier de son
siège.
A présent qu elle avait enfreint la loi en commettant
une effraction, fouiller dans une veste l'émouvait à
peine.
Délicatement, elle glissa ses mains dans les poches
de côté, lesquelles se révélèrent désespérément vides.
Elle n'eut pas plus de chance avec la poche intérieure,
dans laquelle elle ne trouva qu'un passeport. Le cœur
battant :î cent à l'heure, elle le retira, avant de se raviser.
Cela constituerait une intrusion impardonnable dans
l'intimité île Connor O'Brien. mais après tout celui-ci se
moquait bien de respecter la sienne... Poussée par la
curiosité, elle retint son souffle et ouvrit le petit carnet
rouge à la page île la photo d'identité.
Malgré son expression neutre sur le cliché, le visage
de Connor O'Brien conservait un léger rictus. Selon sa
date de naissance, il avait trente-quatre ans.
En feuilletant le carnet, elle écarquilla les yeux de
surprise.
Connor était un grand voyageur. Et, à en croire son
dernier visa, il venait tout juste de rentrer au pays.
Elle avait souvent entendu parler de ces personnes
accros à leur travail, mais cet homme devait être un cas
extrême pour se rendre sur son nouveau lieu de travail
en descendant tout droit de l'avion, sans même prendre
le temps de passer chez lui pour se raser...
Incapable de résister à la tentation de contempler de
nouveau son visage, elle revint à la page de la photo.
Décidément, cet homme lui inspirait des sentiments
très mitigés.
Soudain, elle entendit des voix approcher dans le
couloir.
Redoutant de se laisser surprendre en flagrant délit,
elle tressauta, et le petit carnet lui glissa des mains. Prise
de panique, elle se pencha à la hâte pour le ramasser
tandis que les éclats de voix se précisaient et qu'un bruit
de meuble lourd que l'on tire sur le sol provenait du
bureau adjacent.
D'un geste précipité, elle voulut ranger le passeport
dans la poche intérieure du veston., mais elle lit tomber
une pile d'enveloppes qui s'étalèrent à terre au pied du
bureau.
Bile se précipitait à genoux pour les rassembler et les
remettre en place, quand le bruit des livreurs cessa. Au
bord de la crise cardiaque, elle aperçut alors l'attaché-
case, qu'elle posa à terre d'un geste nerveux. Au plus fort
de la panique, elle envisagea d'aller se cacher dans le
petit coin cuisine, mais se ravisa lâchement.
Le souffle coupe, elle se redressa et lit face à la porte,
prête il affronter la tempête, quand son regard horrifié se
posa sur le passeport qui se trouvait toujours sur un coin
du bureau.
En un éclair, elle parvint à s'en emparer et à le dissi-
muler dans son dos, juste à l'instant où Connor entrait
dans la pièce.
Lorsqu'il l'aperçut, ii s'arrêta net, l'air d'abord surpris,
puis affichant un certain cynisme. Un peu comme s'il
s'était attendu à la retrouver ici...
Sans un mot, ii avança jusqu'au bureau, y saisit un
stylo et retourna dans le bureau adjacent, sans doute
pour apposer sa signature sur le carnet de livraisons des
livreurs.
N'ayant ni le temps de replacer le passeport dans son
veston, ni d'autre endroit où le cacher, elle le glissa
précipitamment à l'intérieur de son chemisier.
Connor revint dans le bureau d'un pas nonchalant cl
peu pressé. Impossible de déterminer s'il l'avait vue
effectuer son geste de camouflage. Il ferma la porte
tranquillement derrière lui puis s'arrêta devant elle en
haussant un sourcil.
11 paraissait encore plus grand, plus ténébreux et
plus autoritaire lorsqu'il était perplexe. Autant dire qu'il
n'en était que plus attirant.
La bouche soudain asséchée, elle ajusta sa jupe avec
ses mains moites.
Il la dévisagea d'un air spéculateur qui laissait
entendre qu'il n'avait pas l'intention de la laisser s'en
tirer à si bon compte.
Vous vouliez quelque chose? demanda-t-il d'une voix
profonde et polie qui ne dissimulait pas son air
dubitatif.
Elle s'efforça de répondre sur le même ton.
Oh, euh, écoutez, je vous dois des excuses. Je
n'aurais probablement pas dû entrer, mais... J'étais
venue pour vous parler. La porte était ouverte, alors je
me suis permis..dit-elle d'une voix à peine chevrotante,
parvenant à soutenir son regard malgré son cœur qui
battait à un rythme fou.
Les yeux de Connor O'Brien se portèrent sur les
enveloppes sur le bureau qui, mal empilées, menaçaient
à présent de tomber à terre.
Sans doute inspirée par la nouvelle décharge
d'adrénaline qui s'était emparée d'elle, elle s'assit contre
le bureau et posa sa main sur la pile, la faisant
s'effondrer.
Oh, zut ! dit-elle d'une voix neutre, en se penchant.
C'est la deuxième fois que je les fais tomber.
Connor O'Brien ne semblait pas dupe. Son regard
noir et acéré continua de la scruter.
Soudain, elle prit conscience qu'il plongeait dans son
décolleté, et elle pria pour que la forme du passeport ne
se devine pas à travers le tissu.
Je peux vous aider, Sophie ?
Tous ses sens étaient en émoi, elle se sentait au bord
de la panique, mais la situation de danger lui donnait
une certaine témérité. Elle n'avait pas passé toutes ces
soirées à regarder de vieux films hollywoodiens en noir
et blanc pour rien. Elle allait jouer cette scène avec toute
la classe de ses actrices préférées.
Elle sourit.
Je vois que vous connaissez mon nom, susurra-t-elle
d'une voix suave, en croisant les jambes.
Je vous ai décrite à l'agent de sécurité, répondit-il en
lorgnant sur ses mollets. Il n'a eu aucune peine à vous
reconnaître.
Quelque chose dans le timbre de sa voix laissait
entendre que la conversation avec l'agent s'était révélée
très instructive pour lui.
Si ce passeport n'avait pas été coincé dans son
décolleté, elle s'en serait même sentie flattée. Mais son
plus gros souci, après celui de se tirer de cette situation
sans trop de dégâts, était de trouver un moyen de
replacer ce fichu document dans ce fichu veston. Etre
accusée de fureter était une chose, se faire surprendre la
main dans le sac en était une autre...
Et s'il l'accusait de vol '? Ï1 pourrait tout à fait la
traîner devant les tribunaux. Elle perdrait son travail.
Cela dit, si elle admettait tout de suite son erreur en
lui tendant directement le passeport...
,e visage de Connor se ferma encore plus : sourcils
lioncés, lèvres pincées, mâchoire crispée.
Ses actrices préférées auraient sans doute trouvé un
moyen de l'enjôler...
D'un geste discret, elle rabaissa sa jupe dont l'ourlet
avait légèrement remonté.
Connor O'Brien n'avait rien raté de son mouvement.
Il se rapprocha encore tout en continuant de la fixer
d'un regard dur.
Vous savez qu'entrer sur un lieu par effraction est
passible de jugement devant la criminelle, dit-il en
dirigeant ses yeux sur sa bouche. Qu'espériez-vous me
voler ?
A ces mots, elle abandonna instantanément toute
intention de faire amende honorable et de lui remettre
le passeport.
Effraction ? répéta-t-elle sur un ton haut perché, en
battant des cils. Vous plaisantez. Vous aviez laissé la
porte ouverte, et je suis entrée pour bavarder avec
vous ! C'est aussi simple que cela.
ne parut guère convaincu.
Bavarder avec moi ? s'exclama-t-il en plissant les
yeux. Et à quel propos ?
Vraiment, il avait beau jeu de jouer cette petite
comédie avec elle, alors qu'il avait lui-même lancé les
hostilités en lui subtilisant le résultat confidentiel de
son test ADN.
De la pluie et du beau temps bien sûr, dit-elle en
roulant les yeux au plafond.
Elle se leva du fauteuil de bureau, mais une fois
debout face à Connor, elle comprit à quel point une
femme coupable d'à peine un mètre soixante-dix
pouvait se sentir inconsistante face à un homme
cynique d'un mètre quatre vingt-dix. Quoi qu'il en soit,
sa propre moralité douteuse ne fit que l'ulcérer un peu
plus.
Je m'en voulais de ne pas m'être montrée plus
accueillante avec vous ce matin, déclara-t-elle en
s'étirani de façon languide, avant de se déhancher
subtilement vers la porte. Mais je constate à présent que
mon intuition à votre sujet était correcte.
A peine eut-elle posé sa main sur le loquet que
Connor se précipita vers elle et posa fermement sa
paume sur la sienne.
Ne partez pas si vite, ma jolie.
Elle sentit son souffle chaud contre sa nuque, et son
cœur se remit à battre dangereusement vite, alors qu'une
étrange excitation mêlée d'appréhension s'emparait
d'elle.
Elle avait beau jouer les actrices hollywoodiennes,
l'homme qui se tenait près d'elle n'avait rien d'un héros à
l'eau de rose : il s'agissait d'un homme en chair et en os,
dangereux, à la carrure massive, et qui ne se contenterait
pas d'un scénario aussi niais.
Maîtrisant difficilement sa respiration, elle se
retourna pour faire face à Connor.
Quelque chose au plus profond d'elle se mit à vibrer
lorsqu'elle sentit la chaleur de son corps tout proche.
Une sirène d'alarme se déclencha en elle : attention,
cet homme demeurait celui qui lui avait probablement
subtilisé sa lettre ! Il était impératif de ne pas se laisser
amadouer par son charisme.
Elle s'efforça donc d'ignorer l'étrange réaction
chimique qui suscitait une telle effervescence en elle et
se redressa fièrement.
Connor fit un pas de côté comme pour mieux la
détailler i l Imnça les sourcils. Ses yeux sombres
brillaient d'un •*< l.il intense et mystérieux.
Videz vos poches.
Malgré la témérité qui l'avait envahie, elle sentit ses
lunes s'embraser sous l'effet d'une telle insulte.
Je n'en ai pas.
Dans ce cas, vous ne me laissez pas le choix :
je \ .us devoir vous fouiller.
Son estomac se noua à ces mots. La douceur de la
voix de ( onnor n'altérait en rien la détermination
qu'affichait sa mâchoire obstinément crispée.
1 il le comprit que cet instant était décisif. Si elle le
laissait laire, elle était perdue.
Sous l'effet d'une nouvelle montée d'adrénaline, elle
s'appuya contre la porte, sentant sa poitrine se gonfler
et se dégonfler sous l'effet de sa respiration affolée.
Mais, murmura-t-elle d'une voix éraillée, le fait de
violer ainsi mon intimité ne vous gêne pas ? Moi qui
suis selon vous si « innocente » ?
La bouche si masculine à quelques centimètres de la
sienne sembla soudain se détendre, comme si Connor
se réjouissait d'avoir la maîtrise de la situation. Il
regarda fixement son visage, puis sa gorge. Sous ses
longs cils noirs, son regard était devenu celui d'un loup
devant sa proie.
Elle sentit qu'il hésitait à céder à la tentation et
comprit avec une étonnante certitude qu'il allait bel et
bien succomber. Le cœur battant à tout rompre, elle
éprouva une jubilation imprévue à mesurer le pouvoir
qu'elle exerçait sur lui.
D'un geste assuré, il lui releva doucement le menton
du bout des doigts.
Vérifions d'abord jusqu'à quel point vous l'êtes,
innocente, déclara-t-il avant de poser ses lèvres sur les
siennes avec une résolution follement sensuelle.
Au contact de sa bouche ferme et brûlante, une
décharge électrique secoua Sophie, et une exquise onde
de chaleur se répandit à travers son corps. Elle sentit la
silhouette massive de Connor frémir tout contre elle,
alors qu'il appuyait son baiser, attisant en elle un désir
incontrôlable.
Elle s'efforça de se rappeler qu'il était son adversaire,
essayant mollement de mettre un terme à leur étreinte.
Mais il l'enlaça plus fort encore. Puis, avec une habi-
leté démoniaque, il adoucit l'ardeur de son baiser, ce qui
eut pour effet de raviver le feu qui embrasait déjà
chaque cellule du corps de Sophie.
Bien que Connor soit grand et massif, il l'enlaçait
avec douceur, ses longues mains bronzées autour de sa
taille. Il émanait de lui un tel pouvoir de séduction que,
plutôt que résister à son assaut, elle glissa ses propres
mains le long de son torse musclé. A travers sa chemise,
la chaleur de son corps vibrant était si palpable qu'elle
ne put réprimer un petit soupir de satisfaction.
Connor en profita pour insinuer sa langue entre ses
lèvres.
Elle crut exploser de plaisir au goût si singulier, si
primitif, si animal de sa bouche.
La langue hardie continua à se frayer le plus érotique
des chemins au sein de sa bouche, éveillant des zones
érogènes dont elle avait toujours ignoré l'existence. En
quelques secondes, ce baiser avait pris une tournure des
plus sexuelles, embrasant chaque cellule de son corps
d'une fièvre exquise.
Les jambes chancelantes, elle dut s'agripper à Connor
pour ne pas perdre l'équilibre.
Jamais elle n'avait enlacé un corps aussi athlétique, à
la lois élancé, musclé et d'une élégance naturelle rare.
Ivre de désir, elle sentit ses seins se tendre contre
l'étoffe de son soutien-gorge. Folle de désir, elle se
laissa envahir par une irrépressible onde de volupté. Et,
vu la fougue avec laquelle il l'embrassait et la serrait
contre lui, elle ne doutait pas un instant que ce désir soit
réciproque.
Les mains expertes de Connor se promenaient à
présent sur sa poitrine, avant de descendre le long de
ses hanches.
Seigneur, la sensation de ce corps fort, sexy et viril
en diable lui faisait perdre la tête ! Elle voulait plus, à
présent. Toutes ses réserves, tous ses doutes s'étaient
volatilisés, elle s'abandonnait entièrement à ses
caresses.
L'instant d'après, Connor la repoussait violemment.
Les yeux encore embués de désir, haletante, elle
demeura immobile à le dévisager.
Il recula d'un pas, le regard noir. D'un geste lent et
calculé, il agita son passeport devant elle.
Vous pensiez vraiment pouvoir vous en tirer sans
dommage? s'écria-t-il d'une voix cinglante.
La fièvre de la honte succéda sur les joues de Sophie
à celle du désir.
Ecoutez, j'avais vraiment l'intention de le remettre à
sa place, mais... Mais vous êtes arrivé trop tôt, balbutia-
t-elle alors que le regard de Connor se faisait plus
menaçant encore. Je n'ai pas su comment m'y prendre
pour... Enfin, je suis désolée.
Le visage de séducteur passa par plusieurs
expressions contradictoires. Il sembla d'abord
abasourdi, puis effaré, puis, à en juger par le pincement
prolongé de ses lèvres ô combien sexy, parut n'éprouver
plus que mépris.
Eh bien, j'espère que vous êtes satisfaite de ce que
vous avez découvert !
Piquée au vif par le dédain qu'il affichait, elle se
souvint de la façon narquoise dont il s'était comporté
après lui avoir volé sa lettre.
Je ne serai satisfaite que lorsque j'aurai retrouvé ma
lettre, rétorqua-t-elle, sur la défensive.
Il la scruta un instant, les sourcils froncés et l'air
incrédule, puis ses yeux s'éclairèrent.
Quoi ? Vous me parlez encore de cette lettre ?
déclara-t-il avec un rire outrecuidant.
Son sourire s'effaça un peu alors qu'elle le fusillait du
regard, la poitrine bombée sous l'effet de la colère. Il se
rapprocha d'elle doucement et lui caressa les lèvres du
bout des doigts.
En tout cas, ça valait le coup de vous faire prendre,
hein ? ajouta-t-il en soupirant longuement. Délicieuse
Sophie... N'hésitez pas à revenir fouiller dans mon
bureau. Tout le plaisir fut pour moi.
Sa voix était redevenue suave, incroyablement
sensuelle.
Elle avait soudain envie d'assassiner Connor O'Brien.
Pivotant sur ses talons, elle rouvrit la porte et dut se
retenir pour ne pas sortir du bureau en courant, ce qui
lui aurait fait perdre le reste de sa dignité. De retour à
son cabinet, elle passa devant la réception sans voir âme
qui vive et se précipita dans son bureau, où elle
s'enferma.
Debout devant la fenêtre, elle s'efforça de retrouver
son souffle et de se calmer.
Elle resta plusieurs minutes dans un état de confusion
totale, avant de retrouver petit à petit ses esprits.
Nie haïssait cet homme. Au plus haut point. Elle
allait irirouver sa lettre. Et le faire souffrir.
Après avoir pris le temps d'analyser le flot de
sentiments t|iii l'assaillaient, elle s'aperçut que
l'humiliation qu'elle icssentait ne provenait pas du fait
d'avoir été surprise en llagrant délit. Elle n'éprouvait pas
la moindre culpabilité a être entrée par effraction dans
le bureau de Connor O'Brien. Les circonstances étaient
exceptionnelles, et l'opportunité trop belle pour ne pas
la saisir. Elle ne concevait pas non plus de remords au
sujet du passeport. Elle avait juste manqué de chance
dans l'enchaînement des événements.
Non, ce qui la perturbait le plus, c'était ce baiser.
Elle porta ses mains sur ses joues brûlantes.
Elle n'avait pas su résister à cette étreinte. Pire, elle y
avait même répondu avec ardeur. Rien qu'à y repenser,
elle en était toute émoustillée. Comment oublier la
passion de ce baiser, la ferveur et la fougue de Connor ?
En tout cas, elle n'était pas près d'oublier la vitesse
avec laquelle il s'était décomposé en découvrant son
passeport caché dans son décolleté.
Le plus humiliant, à vrai dire, c'était d'ignorer la
raison pour laquelle il l'avait embrassée au premier
chef.
Etait-ce parce qu'il l'avait suspectée d'avoir subtilisé
son passeport ? Ou bien tout simplement parce qu'il en
avait envie ?

Connor finit de ranger ses livres dans la bibliothèque.


Le droit international appliqué aux États en guerre avait
été sa pratique quotidienne durant des années.
Aujourd'hui,
à contempler les volumes fièrement alignés sous ses
yeux, il se demandait si la jurisprudence avait beaucoup
évolué depuis qu'il avait quitté l'Australie. Il allait
pouvoir profiter de son séjour à Sydney pour remettre à
jour ses connaissances.
Il regarda autour de lui avec satisfaction.
Les meubles qu'il avait loués faisaient bonne
impression. Il ne pouvait s'empêcher d'imaginer qu'il
pourrait peut- être s'installer ici pour de vrai. Avec
Sophie Woodruff comme voisine...
Cette femme était un mystère. Si les soupçons de sir
Frank étaient fondés, elle serait sans doute l'agent le
plus atypique qu'il ait jamais rencontré.
11 eut une moue affligée en repensant à l'incroyable
imprudence qu'il avait commise en laissant son
passeport sans surveillance.
Soudain, les paroles d'avertissement de sir Frank
quant au peu de longévité auquel on pouvait prétendre
dans son métier prenaient un tour prophétique. Sophie
avait probablement remarqué le caractère diplomatique
de son passeport, ce qui le contraindrait à ajouter toutes
sortes de justifications nouvelles à son histoire de
couverture.
Cependant, ce petit incident pouvait aussi jouer en sa
faveur. Seul un homme n'ayant rien à cacher pouvait
quitter son bureau en laissant la porte ouverte !
Il sourit intérieurement, se remémorant l'expression
pétrifiée de Sophie lorsqu'il l'avait surprise en train de
fouiller son bureau. Son regard indigo s'était teinté
d'une lueur horrifiée...
La question était à présent de déterminer si elle était
très maladroite ou bien très, très intelligente.
Que cherchait-elle exactement ?
l'our prendre le risque de se laisser surprendre en
iiain de fureter dans son bureau, elle ne pouvait qu'être
desespérée. Même s'il devait lui reconnaître un réel
talent en matière d'effronterie et de témérité. Des
qualités qui avaient tendance à étayer les soupçons de
sir Frank, qui voyait en elle une prédatrice en quête d'un
homme riche a épouser. Cependant, le baiser qu'ils
avaient échangé semblait plutôt infirmer cette
hypothèse. Sophie s'était entièrement abandonnée, et cet
abandon lui avait semblé authentique. Une telle
ingénuité, une telle douceur émanaient tle cette
femme...
Son sang s'échauffa au souvenir de ses lèvres gour-
mandes.
Il était d'ailleurs le premier surpris de sa propre
réaction. Voilà longtemps qu'il n'avait pas été si près de
perdre tout contrôle. Heureusement, son instinct de
survie avait pris le dessus.
Il n'aurait jamais dû franchir cette limite avec Sophie.
Embrasser une femme si douce et attirante constituait
un réel danger.
Redressant les épaules, il s'efforça de se remémorer
les règles qu'il s'était imposées depuis que le deuil et le
chagrin avaient fait basculer sa vie.
Il ne devait laisser aucune femme entrer dans sa vie.
Rien ne devait lui faire déroger à cette règle. Aucune
femme ne devait franchir le seuil de son jardin secret,
et, si attirante soit-elle, il ne devait pas s'inviter dans sa
vie. Quelques aventures furtives dans des chambres
d'hôtel anonymes, des partenaires qui donnaient peu et
n'attendaient rien en retour, il ne pouvait rien espérer, ni
risquer de plus. Pour la sécurité desdites partenaires
autant que pour la sienne. Il s'était résigné aux relations
sans émotion ni engagement. Des relations sécurisées,
sans le moindre danger.
Mais, finalement, cette femme n'était-elle pas tout
simplement ce qu'elle avait l'air d'être : une innocente?
Aussitôt il écarta cette idée. Les intuitions de sir
Frank étaient devenues légendaires chez les gens du
métier. Il n'aurait pas paniqué ainsi devant une femme
qui ne représentait aucun danger. Et puis, comment une
jeune orthophoniste aurait-elle quelque chose en
commun avec un bureaucrate au sang-froid comme
Elliott Fraser?
A moins qu'Elliott ne souffre de la fameuse crise de
la cinquantaine...
Blasé, Connor haussa les épaules.
En revanche, sa curiosité était piquée à vif par
l'attitude de Sophie : pourquoi s'intéressait-elle à un
homme de cet âge ? Avec un tel sex-appeal. elle ne
devait pas manquer de prétendants.
La surveillance n'était pas son activité favorite, mais
il avait reçu une solide formation en la matière. Ses
capacités à se fondre dans n'importe quel groupe ou à
disparaître en quelques secondes lui avaient sauvé la vie
plus d'une fois. S'il y avait quelque chose à découvrir au
sujet de cette femme, il était certain d'y parvenir. Et ce,
dans la plus grande discrétion.
Ses pulsations s'accélérèrent.
Garder un œil sur Sophie serait presque trop facile. Il
pourrait profiter du reste de son temps pour remettre à
jour ses connaissances en droit australien, tout en
gardant le contact avec ses employeurs du bout du
monde.
Et en s'activant pour faire en sorte de retrouver cette
mystérieuse lettre avant elle...
Sophie?
Au son de cette voix, la main de Sophie se crispa
malgré elle sur le combiné téléphonique.
Oh, euh, Elliott, bonjour... Je comptais justement vous
appeler. Il y a quelque chose dont j'aimerais vous...
Ecoutez, je n'ai pas le temps de bavarder, la coupa
sèchement son interlocuteur. A présent que les choses
deviennent concrètes entre nous, je pense qu'il est
temps pour nous de... discuter de notre situation. Etes-
vous libre à dîner demain ?
Il prononça ces paroles de façon brusque et
impersonnelle, mais elle éprouva un regain d'espoir.
Un dîner avec Elliott. Chez lui ? Déjà, elle s'imaginait
être présentée à Mathew, à l'épouse d'Elliott, assister
aux fêtes de famille...
Avec plaisir, Elliott, répondit-elle le cœur battant la
chamade. J'ai hâte d'être à demain.
Tant mieux. J'ai réservé une table au Sand. Vous
connaissez le quartier de Shellwater ?
A ces mots, ses espoirs s'évanouirent.
Un hôtel. Pas exactement le genre de lieu propice à des
effusions entre père et fille.
Cela dit, ce dîner offrait de meilleures perspectives de
conversation et de prise de contact qu'un vague café pris
à la hâte dans un obscur bar de quartier. Les choses
progrès saient malgré tout, elle ne devait pas perdre
espoir.
Rendez-vous à 19 heures, dit Elliott, avant de raccro-
cher sans lui laisser le temps de répondre.
Elle n'avait même pas pu lui faire part de la
disparition du courrier contenant le résultat du test de
paternité.
Au moins, personne ne semblait pour l'instant
chercher à le faire chanter. Enfin, sauf si Connor
O'Brien avait l'intention de s'en servir...
Elle sentit son estomac se nouer à cette idée.
Si elle ne retrouvait pas la lettre avant son dîner avec
Elliott, elle serait contrainte de lui avouer qu'elle l'avait
perdue. Et à présent, elle était consciente que ses
chances de remettre la main sur le précieux document
étaient proches de zéro. Impossible de pénétrer une
nouvelle fois en douce dans le bureau de Connor. Elle
n'avait pas manqué de remarquer en repassant devant sa
porte l'après-midi même qu'il y avait installé un verrou
supplémentaire.
Au cours de la semaine écoulée, elle l'avait croisé à
plusieurs reprises aux alentours de la galerie.
Le lendemain de leur baiser, alors qu'elle était en
train de raccompagner un jeune patient et ses parents,
elle avait croisé son regard tandis qu'il déverrouillait la
porte de son bureau. Attaché-case en main, vêtu d'un
costume foncé, il l'avait toisée d'un œil sombre et
impénétrable. Aussitôt, elle avait senti comme une
étincelle jaillir entre eux, et une onde brûlante,
suffocante, avait traversé chaque cellule de son corps.
Il était passé plusieurs fois près d'elle dans l'escalier
ou à la cafétéria, déclarant même un jour :
Le ciel est bleu comme vos yeux, aujourd'hui.
I I k- se crispait généralement à son approche, se
préparant iiMi|(>urs à recevoir quelque taquinerie de sa
part, mais il 'H' ci intentait désormais d'un simple «
Bonjour, Sophie »,
mu me si de rien n'était.
Sauf que rien n'était simple avec cet homme. Dès i|
uVlle l'apercevait, tous ses sens se mettaient en émoi, et
muí cœur s'accélérait dangereusement. Pire encore, elle t
« xnmençait à s'imaginer des choses. Elle s'était surprise
plusieurs reprises à chercher son visage et sa silhouette
élancée parmi la foule alors qu'elle marchait dans la rue
ou attendait son ferry sur Circular Quay.
Dans l'enceinte de la clinique, impossible de
l'ignorer. C'indy et l'autre réceptionniste avaient
remarqué ce bel homme sur lequel elles n'avaient de
cesse de s'exciter. Bien sûr, elles n'avaient pas fait
l'expérience d'un baiser avec lui, elles ignoraient leur
chance. Sophie avait beau se jurer de ne plus écouter les
nombreux fantasmes de ses collègues, elle ne pouvait
s'empêcher de tendre l'oreille dès que celles-ci
évoquaient à son sujet des informations susceptibles de
l'intéresser.
— Devine, devine ! s'était gargarisée Cindy un matin.
Je lui ai finalement demandé, et... il n'est pas marié !
Sophie n'avait pas eu besoin de lui demander de qui
elle parlait.
Elle-même avait été jusqu'à effectuer une recherche
sur Internet. Elle n'avait rien trouvé qui corresponde au
nom de son voisin, sinon la biographie d'un vieux
millionnaire australien du même nom, qui était décédé
l'année précédente et avait légué des sommes
considérables au Royal Children's Hospital.
Elle restait intriguée par le passeport de Connor.
Selon le site web du gouvernement, les passeports
rouges n'étaient attribués qu'aux membres de la
diplomatie ou aux employés du ministère des Affaires
étrangères. Et d'après ce qu'elle avait pu voir en le
feuilletant à la hâte, cet homme avait beaucoup voyagé.
Elle s'était toujours imaginé que les diplomates étaient
des gens raffinés, affichant un tact à toute épreuve et un
réel savoir-vivre. Difficile d'imaginer Connor O'Brien
en train de flatter des épouses d'ambassadeurs ou de
diplomates lors de réceptions mondaines. Il était plutôt
du genre à regarder les femmes de haut.
Mais que faisait-il donc à l'Alexandra?
Après l'appel d'Elliott, elle attendait sa pause déjeuner
avec impatience pour s'évader au jardin botanique.
Lorsqu'elle eut raccompagné ses derniers clients de la
matinée, elle s'empara de son sandwich et d'un livre
pour aller braver la chaleur de la mi-journée.
Souvent, ses collègues de l'Alexandra
l'accompagnaient pour déjeuner sous les arbres, mais
aujourd'hui, ils avaient eu le bon sens de rester au frais,
préférant la température des bureaux climatisés.
Le trottoir réverbérait impitoyablement les rayons
brûlants du soleil. Toutefois, lorsqu'elle franchit les
grilles en fer forgé et plongea dans le labyrinthe des
allées ombragées, elle apprécia la relative fraîcheur qui
régnait sous les feuillages.
Un sentiment de paix verdoyante émanait des
massifs. Les effluves de diverses essences se mêlaient,
accentués par la chaleur de cette superbe journée d'été.
Peu d'employés du quartier avaient osé braver la four-
naise sur les pelouses. Seules, quelques mères
surveillaient leurs bambins qui lançaient du pain aux
canards dans la mare.
I vile marcha jusqu'à la rotonde avant de s'enfoncer
dans imc allée écartée, à la végétation luxuriante.
Elle s'installa à l'ombre d'un saule pleureur, s'adossa
coi lire le tronc et posa son livre à plat sur son genou,
humant l'air odorant alors que les étroites feuilles de
l'arbre s'agitaient paresseusement autour d'elle.
Elle s'imagina la maison d'Elliott, le visualisa en train
de l'y accueillir, de lui présenter sa famille, ses amis...
Elle serait enfin traitée comme une fille, comme une
sœur...
Cependant, l'appréhension la gagna malgré elle.
Elle ferait peut-être mieux de cesser de rêver. De par
sa propre expérience, elle savait que, dans la vraie vie,
une famille, cela se construisait tous les jours. Les liens
du sang ne faisaient pas tout.
Mais malgré toute la gentillesse, toute la générosité
de ses parents adoptifs, malgré tout l'attachement qu'elle
leur témoignait, elle gardait l'impression que Bea et
Henry ne l'avaient jamais considérée comme leur
véritable fille. Sans vouloir être ingrate, elle s'était
souvent demandé s'ils auraient fait le choix de quitter
l'Australie pour l'Angleterre si elle avait été leur enfant
biologique.
Lorsqu'elle avait compris qu'ils comptaient demeurer
auprès de Lauren, elle avait envisagé de les rejoindre,
mais elle s'était laissé convaincre par les arguments de
sa mère adoptive, qui l'avait persuadée de rester en
Australie pour y terminer ses études. A l'époque, elle
était au beau milieu de sa deuxième année, son stage en
milieu hospitalier était déjà programmé, elle était donc
restée. Puis, à l'issue de ses quatre années d'étude, elle
avait reçu une excellente offre d'embauche à
l'Alexandra, et son désir pressant de rejoindre ses
parents adoptifs s'était tempéré. Ils lui avaient offert un
billet pour leur rendre visite. Son séjour — trop court —
auprès d'eux s'était déroule merveille. Ils écrivaient
souvent, lui téléphonaient à Noël et pour son
anniversaire, et elle économisait de l'argent pour
pouvoir retourner les voir lors de ses prochaine ,
vacances. Pourtant, elle peinait à combler le vide qu'il',
avaient laissé dans sa vie.
Un enfant, qu'existait-il de plus précieux au monde '.'
Elle ne pouvait imaginer abandonner un jour son
enfant si elle en avait un.
Peu à peu, elle laissa son esprit vagabonder et,
comme souvent, ses pensées finirent par se concentrer
autour d'une seule personne : Connor O'Brien.
Qu'espérait-il exactement d'elle ? Etait-ce à cause de
la façon dont elle l'avait tancé l'autre matin dans la salle
dédiée aux mamans qu'il s'amusait à la taquiner de la
sorte ?
A cet instant, elle leva les yeux pour le découvrir
comme par magie face à elle, debout devant le rideau de
feuillage du saule, son regard sombre posé sur elle avec
cette expression indéchiffrable qu'il avait toujours.
En état de choc, elle sentit son sang se figer, les batte-
ments de son cœur se suspendirent, et elle pria pour que
son trouble ne se lise pas trop sur son visage.
Connor portait un pantalon décontracté et une
chemise blanche à l'encolure ouverte et tenait à la main
un sac à l'effigie de la bibliothèque universitaire.
— C'est donc ici que vous vous cachez, murmura-t-il
avant de la rejoindre sous le feuillage ombragé. Je me
demandais où vous aviez bien pu passer.
11 s'assit sur le gazon à moins d'un mètre d'elle.
Comme chaque fois que cet homme se trouvait à
proximité, elle sentit son cœur battre à cent à l'heure.
M.iImc sa surprise et le trouble qu'il éveillait en elle,
• lit parvint à articuler sur un ton presque détaché :
( )n dirait que ça n'a pas été efficace, puisque
vous in'ave/. trouvée...
.es paroles de Connor résonnaient à son esprit.
l'avait cherchée ?
< Via signifiait-il qu'il pensait à elle autant qu'elle
pensait m lui ? lin homme aussi expérimenté que lui,
maître dans l'ail d'embrasser une femme et de la faire
chavirer? < 'uniment un tel homme pouvait-il
s'intéresser à une le m me comme elle?
('onnor retroussa ses manches.
File s'efforça de ne pas regarder, mais aperçut du coin
de l'œil la fine toison brune qui lui recouvrait les avant-
bras. La même que celle qui parsemait son torse
dénudé lors de leur première rencontre.
Il s'adossa contre le tronc, et le regard de Sophie fut
attiré par les fines perles de sueur à la base de sa gorge.
Le souffle court, elle ressentit le magnétisme de ce
corps élancé et élégant assis à côté d'elle. Oh ! Comme
elle avait envie de goûter à cette peau si finement
grainée...
Connor, de son côté, continuait de la regarder.
— Aujourd'hui, vos yeux sont plutôt de la couleur de
la mer. Profonds et mystérieux, précisa-t-il en donnant
une certaine pesanteur à ces derniers mots.
« Mystérieux. »
Franchement, elle ne se sentait en rien mystérieuse.
Au contraire, elle avait le sentiment d'être sous
l'emprise de cette voix au timbre sensuel. Connor se
comportait avec elle en véritable séducteur.
Rassemblant le peu de sang-froid qu'il lui restait, elle
haussa un sourcil faussement désinvolte.
Et si vous me disiez ce que fait un diplomate comme
vous à l'Alexandra ?
Vous savez, rétorqua-t-il d'une voix suave, nullement
décontenancé, je ne suis pas un diplomate au sens strict
du terme. En fait, je suis avocat. J'ai été engagé par le
gouvernement comme renfort pour l'ambassade en Irak.
Mon contrat vient de se terminer, et je suis en train de
mettre mes connaissances à jour au sujet des dernières
affaires de jurisprudence australienne, en vue d'ouvrir
mon nouveau cabinet. Portes qui n'ont d'ailleurs plus
aucun secret pour vous...
Elle choisit d'ignorer cette pique.
Pourquoi l'ambassade avait-elle besoin d'un avocat ?
Connor hésita.
Elle emploie un certain nombre de juristes dans
divers services. Pour ma part, je suis spécialisé en droit
humanitaire. Ce qui consiste en pratique à gérer les
litiges de guerre : la question du statut des prisonniers,
des réfugiés, etc. A cause de la guerre, l'ambassade de
Bagdad doit faire face à quantité de gens venant y
chercher assistance. Il y a une multitude de demandes
d'asile politique, mais aussi des ressortissants
australiens qui se retrouvent pris dans la guerre et
viennent chercher conseil, expliqua-t-il avant de lui
adresser un regard moqueur. J'aurais d'ailleurs pensé
que vous auriez deviné tout cela par vous-même, après
avoir fouillé dans mes affaires.
Vous avez bien l'air d'être un avocat.
Connor ne répondit pas aussitôt, il se contenta de la
jauger de son regard sombre et insondable.
J'en ai seulement l'air? dit-il en haussant un sourcil.
Elle baissa les yeux vers la pelouse.
Vous en avez l'air, mais pas le goût.
Il battit des cils sans la quitter du regard.
Vous voulez parler de notre baiser?
Les battements de son cœur s'affolèrent de nouveau, et
elle sentit ses joues s'enflammer.
Pas du tout, rétorqua-t-elle en s'efforçant de soutenir
son regard pour ne pas révéler son trouble.
Difficile de conserver un air détaché, alors que chaque
cellule de son corps frémissait au souvenir de cet
instant de grâce qu'ils avaient partagé. D'autant qu'un
silence pesant s'était à présent installé entre eux.
Que lisez-vous donc? demanda Connor, imper-
turbable.
Malgré sa réticence, elle releva en vitesse la
couverture de son livre, espérant qu'il n'aurait pas le
temps de distinguer le couple qui s'enlaçait sur
l'image.
Malheureusement, il se rapprocha pour lire le titre.
Un roman sentimental ?
En effet.
Connor eut un sourire amusé.
Ce n'est pas mon genre de lectures, commenta- t-il.
Vous devriez peut-être faire l'effort d'en parcourir
quelques-uns, rétorqua-t-elle, agacée. Vous pourriez y
apprendre comment traiter correctement une femme.
Il continua à la scruter d'un air amusé.
Sentant ses joues s'embraser de nouveau, elle détourna
les yeux pour échapper à ce regard aussi pénétrant
qu'ensorceleur.
Oh, Seigneur, pourquoi avait-elle dit cela ? Elle
comprenait à présent pourquoi il avait cette cicatrice
sur les côtes : elle ne devait pas être la seule à avoir
envie de le tuer.
Connor cueillit une feuille de saule et en coinça la tige
entre ses lèvres.
Au fait, avez-vous retrouvé votre lettre ?
Vous savez bien que non, déclara-t-elle sèchement.
Comment le saurais-je ?
Parce que c'est vous qui la détenez.
Elle n'avait pas eu l'intention de l'accuser de façon
aussi abrupte, mais les mots lui avaient glissé des
lèvres.
Connor prit son temps avant de répondre.
Pourquoi pensez-vous cela ? Pourquoi ferais-je une
telle chose ?
Pour le plaisir de me torturer, dit-elle, en regrettant
aussitôt le ton mélodramatique qu'elle avait employé.
Elle sentit le regard de son tourmenteur parcourir sa
gorge, puis le décolleté de son chemisier qui révélait la
naissance de ses seins. Elle leva les yeux vers lui et lut
dans son regard un désir qu'il peinait de plus en plus à
dissimuler.
La torture n'est pas toujours à sens unique, vous savez,
répliqua-t-il à voix basse.

Connor remarqua les rougeurs sur les joues de Sophie


et ne put réprimer un vif sentiment de triomphe.
Pourtant, il venait de lui révéler à demi-mot le trouble
qu'elle suscitait en lui, et il savait par expérience qu'il
était plus difficile de lutter contre la tentation, une fois
celle-ci avouée.
Je vous ai dit dès notre première rencontre que je
n'avais pas retrouvé votre lettre, aftîrma-t-il avec
conviction, pour reléguer au second plan son aveu de
faiblesse. Si cela avait été le cas, je vous l'aurais rendue.
Je n'ai aucun intérêt à faire de la rétention avec votre
correspondance.
Une certaine vulnérabilité se lisait sur les fossettes
autour des lèvres de la jeune femme, et il éprouva un
remords tout à fait inattendu à lui dissimuler une partie
de la vérité.
A vrai dire, il était infiniment curieux de savoir ce
que pouvait contenir cette fameuse lettre.
S'agissait-il d'une lettre d'amour? D'instructions de la
part de son chef d'opérations ?
Mais non, l'usage d'un document papier serait
étonnant en ces temps de communication électronique
généralisée.
A la voir rougir ainsi et à constater les pulsations
accélérées au creux de sa gorge, il ne pouvait s'empê-
cher de douter de la possibilité que cette femme soit la
maîtresse d'Elliott Fraser. Elle ne ressemblait en rien à
ces prédatrices d'hommes riches : tout en elle semblait
naturel, spontané.
Il posa les yeux sur les mains de Sophie qui
enserraient fébrilement son livre sur ses genoux et fut
soudain saisi d'une violente envie de s'emparer de ses
longs doigts fins, de les attirer à lui, de goûter de
nouveau à la saveur sucrée de ses lèvres charnues et de
sentir sa poitrine se presser contre la sienne... Comment
ne pas désirer revivre ce délicieux moment?
En dépit de son trouble, il opta pour une nouvelle
tentative d'apaisement.
Pourquoi pensez-vous que j'ai cette lettre en ma
possession ? Est-ce parce que je vous ai taquinée l'autre
matin ? Si c'est le cas, je m'en excuse, je n'aurais pas dû.
Leurs regards se croisèrent enfin, et la lueur
clairvoyante qui traversa le doux regard bleu océan le
bouleversa au plus profond de son être.
— Quoi que vous puissiez dire, je sais. J'ai l'intime
conviction que vous me mentez, déclara Sophie à voix
basse.
Abasourdi, il ne réagit pas tout de suite lorsqu'il la vit
se lever et s'emparer de son sac. Il voulut saisir sa main,
la forcer à se rasseoir près de lui. Pour la convaincre
qu'il ne lui voulait aucun mal — et l'embrasser.
Mais elle disparut derrière le feuillage tombant du
saule et s'éloigna au pas de course.
11 sentit les muscles de tout son corps se contracter
sous l'effet de son désir de la poursuivre, de la séduire et
de la forcer à reconnaître l'attirance qu'elle éprouvait
pour lui...
Une fois que le désir était avoué, il ne tardait
généralement pas à être consommé.
Bon sang, pourquoi avait-il succombé à la tentation
d'entendre sa voix aujourd'hui? Non seulement il avait
commis une entorse à ses règles élémentaires de
discipline, mais en plus il allait dorénavant être hanté
par la vision de Sophie en train de rêvasser au pied de ce
saule pleureur.
Il dut consentir un effort quasi surhumain pour se
concentrer sur la tâche qui l'attendait.
En dépit de la surveillance rapprochée qu'il opérait
sur elle, il était presque certain qu'elle n'avait pas revu
Elliott Fraser depuis le lundi précédent. Le quotidien de
Sophie Woodruff s'organisait invariablement entre
l'Alexandra et son logement, à Neutral Bay. Elle ne
sortait jamais le soir. Sauf le jeudi où elle retrouvait ses
amis pour jouer au netball dans un club de quartier. Le
reste de son temps, elle le passait dans la serre de son
jardin.
A présent, le moment était venu de focaliser son
attention sur Elliott : où celui-ci passait-il ses soirées ?
Comment une femme s'habillait-elle lorsqu'elle avait
rendez-vous pour dîner avec son père ?
Une fois la totalité de sa garde-robe étalée sur son lit,
Sophie finit par sélectionner la robe de soie mauve aux
fines bretelles qu'elle avait choisie dès les premiers
instants.
Une tenue simple mais élégante, afin de signifier à
Elliott combien l'occasion était importante pour elle.
Elle se devait d'être coquette pour qu'il puisse être
fier d'elle !
C'était une robe assez sage, même si elle lui arrivait
au-dessus du genou, légère et agréable à porter en ces
temps de canicule. Sa teinte mettait en valeur la couleur
de ses yeux, et elle se releva les cheveux en un chignon
peu serré, qu'elle accrocha avec une barrette en écaille
de tortue.
Elle avait l'estomac noué. Non seulement à cause de
son impatience, mais aussi parce qu'elle redoutait le
moment où elle devrait avouer à Elliott qu'elle avait
perdu la lettre.
Devait-elle lui faire son aveu d'emblée, se demanda-
t-elle en mettant ses boucles d'oreilles, ou valait-il
mieux attendre que le repas soit engagé et que chacun
se soit un peu détendu au contact de l'autre ?
Elle commanda un taxi pour se rendre au restaurant
et dut attendre de longues minutes avant d'en trouver
un. Elliott l'attendrait-il si elle arrivait en retard, lui qui
paraissait toujours pressé, sur le qui-vive?
Elle redoutait de voir ses chances de faire sa
connaissance s'envoler juste parce que ce maudit taxi
tardait à arriver.
— Waouh ! s'exclama Zoe en découvrant sa tenue
lorsqu'elle sortit de sa chambre. Tu sors avec Brad Pitt,
ce soir? Allons, dis-nous qui est l'heureux élu !
En temps normal, elle se serait confiée sans
problème, mais pour l'heure, elle se devait d'attendre le
feu vert d'Elliott. Dès qu'il serait d'accord, elle pourrait
enfin se permettre de crier son secret sur les toits !
Elle assura à sa colocataire qu'elle avait juste rendez-
vous avec un ami, mais celle-ci ne parut guère
convaincue.
Lorsque le taxi arriva enfin, il était déjà presque 19
heures. La ville commençait à plonger dans le
crépuscule d'été, et l'air se rafraîchissait
progressivement. Alors que le véhicule roulait le long
du front de mer, la lune s'élevait à l'horizon. Malgré la
proximité de la mer, l'air était toujours
exceptionnellement chaud, mais nettement moins
étouffant qu'il ne l'avait été au cours de la journée.
Le taxi s'engouffra enfin sous le porche du Sands.
Après avoir payé le chauffeur, Sophie descendit et
rajusta sa robe tout en scrutant l'entrée de l'hôtel, le
cœur battant la chamade.
L'endroit semblait très prisé. Elle n'aurait jamais
imaginé qu'Elliott fréquente ce genre de lieu.
A une extrémité du bâtiment aux nombreux étages,
des tables et des chaises étaient élégamment alignées
sur une vaste terrasse, et on entendait un
bourdonnement provenant d'un bar qui devait être
bondé. Un panneau en néon fléchait le parcours en
direction du casino de l'hôtel.
A l'intérieur, une foule de clients allaient et venaient
dans le grand hall fourmillant d'activité.
Elle balaya le vaste vestibule du regard, mais
n'aperçut pas Elliott parmi les gens installés dans la
partie salon.
Quelque part au fond d'un long couloir, elle entendait
un orchestre jouer, tandis que, derrière une arcade, le
bar plein à craquer bruissait de clients qui trinquaient
joyeusement avant d'aller dîner dans le restaurant
décoré de différentes variétés de palmiers.
Elle approcha d'un pas fébrile de l'entrée du
restaurant tout en continuant de chercher Elliott du
regard.
La grande salle était accueillante. Son parquet de bois
vernis offrait une atmosphère chaleureuse, et la lueur
des bougies allumées sur les tables se reflétait dans la
vaisselle en cristal. Une deuxième salle en contrebas
s'ouvrait sur une terrasse avec vue sur la mer, où une
petite piste de danse avait été installée...
Mais enfin, où son père se cachait-il ?
En choisissant un tel lieu, Elliott avait visiblement eu
l'intention de lui faire plaisir. Le moment de vérité était-
il enfin arrivé ?
Le cœur tambourinant dans sa poitrine, elle s'apprê-
tait à se renseigner à la réception, quant Elliott apparut
devant elle.
— Mademoiselle Woodruff est mon invitée, déclara-
t-il, avant qu'elle puisse dire quoi que ce soit.
Elle proposa une poignée de main, mais Elliott ne
sembla pas le remarquer. Elle crut un instant qu'il allait
l'embrasser sur la joue, et il y eut un bref moment
d'embarras.
Après tout, il devait être nerveux, lui aussi. Comment
attendre de lui qu'il sache instinctivement comment se
comporter envers la fille dont il ignorait l'existence il y
avait encore quelques semaines ? Ils finiraient par être à
l'aise l'un avec l'autre, cela prendrait juste un peu de
temps.
— Par ici, dit-il en lui effleurant à peine l'avant-bras
pour l'attirer vers une table situe'e près du bar.
Une fois assise, elle se contenta d'opiner du chef en
souriant tandis qu'Elliott menait une conversation
convenue au sujet de la canicule et des embouteillages
permanents à Sydney. Elle se sentait incapable de
prononcer le moindre mot sous peine de se laisser
submerger par une vague d'émotion incontrôlable. La
seule idée qu'elle était en train de dîner avec son père
suffisait à lui picoter les yeux.
Les mots du menu dansèrent devant ses yeux
embués. Elle passa commande dans un état second.
Heureusement, la discussion entre Elliott et le serveur
au sujet du vin lui permit de retrouver son sang-froid.
Elle n'était pas étonnée de découvrir qu'il était un
grand amateur et fin connaisseur de millésimes. Tout en
lui, sa façon assurée de parler, ses vêtements, laissait
entendre que c'était un homme de la haute société.
Ce n'était pas la première fois qu'ils se voyaient, mais
leurs précédentes rencontres avaient été furtives, dans
des cafés mal éclairés. Elliott lui était alors apparu
comme un homme stressé et brusque. Ce soir, il était
plus détendu, et tandis qu'ils devisaient, elle avait enfin
l'occasion de l'observer en détail et de le voir tel qu'il
était vraiment.
Ses cheveux étaient déjà presque entièrement blancs,
à part quelques mèches brunes au niveau des tempes.
Les traits de son visage étaient réguliers, son regard gris
semblait un peu éteint, mais il avait dû être bel homme
dans sa jeunesse. Pas étonnant que sa mère naturelle ait
été séduite, même s'ils n'avaient fait l'amour qu'une
seule fois. Bien qu'Elliott prétende avoir à peine connu
celle-ci, Sophie avait l'intuition qu'il avait été au courant
de son décès. En dépit de ce qu'il affirmait, il avait dû
continuer à entretenir des relations avec elle, même de
façon très lointaine. Et donc savoir qu'elle avait eu un
enfant. Elle n'avait été adoptée par les Woodruff qu'à
l'âge de deux ans.
En tout cas, elle pouvait comprendre qu'Elliott soit
quelque peu réticent à lui relater toute la vérité dès
maintenant, et elle décida d'attendre un peu avant de
l'interroger à ce sujet. Il était probablement aussi ému
qu'elle : il ne l'aurait jamais invitée dans un endroit
pareil s'il n'avait pas eu l'intention de développer une
relation avec elle. Et elle se refusait à mettre en péril de
si précieux instants.
On leur servit leur chardonnay. Ils passèrent leur
commande et rendirent les menus, et un silence
s'installa entre eux.
Les yeux baissés, Elliott Fraser semblait chercher ses
mots.
Je suis en train d'organiser un versement d'un
montant de cent mille dollars, qui vous sera versé en
une seule fois. C'est une belle somme pour une femme
aussi jeune que vous. En échange, je vous demanderai
de signer un accord de confidentialité dont mes avocats
terminent la rédaction.
Ces paroles semblaient tombées d'une autre planète.
Sophie le dévisagea, incrédule, avant de se pencher
vers lui, les lèvres soudain engourdies.
Vous croyez que... Que je veux de l'argent ?
Elliott soutint froidement son regard et fronça les
sourcils.
Si ce n'est pas le cas, que voulez-vous d'autre ? Pou i
quelle autre raison une jeune femme pourchasserait-
elle un homme avec lequel elle n'a aucun lien, sinon
celui d'une erreur de jeunesse ayant conduit à sa
naissance ?
Un coup de poignard en plein cœur n'aurait pas été
plus douloureux.
Sous le choc, elle hocha lentement la tête.
Oh, mon dieu, vous n'y êtes pas du tout ! Ecoutez,
bredouilla-t-elle en posant sa main sur la sienne, qu'il
retira aussitôt. Je... J'espérais seulement...
Quoi?
A cet instant, elle comprit à quel point ses espoirs
avaient été ridicules. Quelle idiote elle avait été ! Aux
yeux d'Elliott, elle n'était qu'une étrangère. Un
accident, une erreur.
Apprendre à vous connaître, parvint-elle tout de même
à articuler, la gorge nouée.
A aucun moment cet homme n'avait envisagé de
construire la moindre relation avec elle. Jamais elle ne
s'était sentie aussi embarrassée, stupide, rejetée.
A cet instant, le téléphone mobile d'Elliott sonna. Sans
la quitter des yeux, il décrocha, avant de se lever de
table.
Excusez-moi un instant, murmura-t-il. Je dois prendre
cet appel. Nous poursuivrons notre discussion tout à
l'heure.
Puis il s'éloigna, le combiné collé à l'oreille.
Elle resta assise sur sa chaise, crispée et en proie à une
terrible nausée.
Qui aurait pu croire que cette soirée se déroulerait de
façon aussi calamiteuse?
Soudain, elle était saisie d'une envie de fuir, de prendre
un taxi et de rentrer chez elle sur-le-champ.
Elle devait oublier Elliott Fraser et ses espoirs niais.
Elle ne voulait plus jamais le revoir ! Après tout, elle
avait déjà un père dans sa vie, un père qu'elle admirait
et adorait.
Mais, erreur de jeunesse ou non, elle possédait sa
dignité et se refusait à dévoiler à ses voisins de table les
sanglots qu'elle s'efforçait de ravaler. Pas question de se
laisser abattre. Elle avait tenu à rechercher son père
biologique, sans vraiment savoir pourquoi d'ailleurs, et
elle avait cru à un signe du destin lorsque celui-ci était
apparu sous ses yeux à la clinique. La vérité, c'était
qu'elle s'était trompée.
En quelques secondes, sa déception se mua en un
profond mépris à l'égard d'Elliott Fraser. Sa réaction de
ce soir était révélatrice de sa personnalité. Malgré un tel
cynisme, elle comptait lui faire comprendre que toutes
les femmes ne se servaient pas de leur père biologique à
des fins financières.
Au bout de quelques minutes, un serveur vint lui
proposer de reprendre les plats pour les mettre au chaud
en attendant le retour d'Elliott, dont l'appel semblait se
prolonger.

Cela ne le regardait pas, se persuada Connor depuis


son tabouret de comptoir. Sophie Woodruff ne relevait
pas de sa responsabilité.
Il lui suffisait de se pencher un peu en avant pour
l'apercevoir dans le reflet du miroir derrière le bar. Elle
était assise et se tenait très droite, raide. Un peu comme
si elle cherchait à compenser un affront.
Il consulta sa montre.
Il aurait dû être plus attentif au départ d'Elliott Fraser.
Celui-ci s'était absenté depuis près de dix minutes main-
tenant. Pourtant, il ne pouvait tout de même pas avoir
abandonné Sophie ainsi ! S'ils étaient amants...
Mais l'étaient-ils vraiment?
Il n'avait pas constaté entre eux le moindre geste
affectueux, le moindre regard langoureux.
Il y avait bien eu ce moment où Sophie s'était
penchée vers Elliott d'un air de supplique... Elliott s'était
montré très froid, insensible. Pourtant, quel homme sain
d'esprit aurait eu la force de résister à la jeune femme à
cet instant?
Ce qui semblait en jeu lors de cette confrontation ne
ressemblait en rien à une querelle d'amoureux. Où était
la fougue, la passion ? Que se passait-il exactement
entre eux ? Avaient-ils seulement été des amants d'un
soir?
Pourtant, le choix de cet hôtel plaidait en faveur de
l'hypothèse d'un rendez-vous clandestin.
Soudain, une idée lui traversa l'esprit : et si Sophie
Woodruff arrondissait ses fins de mois en louant ses
services comme escort-girll
Le barman l'interrogea du regard, mais il secoua la
tête. Il conserverait son verre toute la soirée si besoin.
Et continuerait à épier Sophie aussi longtemps que
nécessaire en jouant de ses talents de caméléon.
11 regarda l'horloge au-dessus du bar.
Treize minutes.
Où diable était passé Elliott? Etait-ce son imagina-
tion, ou Sophie avait-elle réellement l'air désespéré?
Commençait-elle à s'inquiéter de voir son riche Roméo
se volatiliser ?
Il n'avait pas à s'appesantir ainsi sur les éventuels
états d'âme de la jeune femme. Si Elliott l'avait blessée,
elle se liendrait peut-être à l'écart des hommes mariés à
l'avenir. D'ailleurs, pour quelle raison une femme
comme elle, croulant sans doute sous les avances de
jeunes et vibrants Apollons prêts à tout pour goûter à
ses lèvres pulpeuses, se compromettrait-elle avec un
homme d'âge mûr, sinon pour les millions de la famille
Fraser?
Soudain, une hypothèse susceptible d'expliquer la
disparition prolongée d'Elliott Fraser lui vint à l'esprit :
et si celui-ci avait un problème de santé ?
Discrètement, il quitta son tabouret et se dirigea vers
les toilettes pour hommes. Elliott ne s'y trouvait pas.
Il ressortit pour parcourir le grand hall du regard.
Toujours rien.
Il arpenta le couloir jusqu'aux baies vitrées donnant
sur le parking.
La voiture d'Elliott avait disparu. Le scélérat s'était
enfui !
Le cœur s'accélérant, Connor regagna le bar au pas de
course, s'efforçant de tempérer ses impressions par une
dose de réalisme professionnel.
Soit Sophie était une mercenaire, soit elle était
tombée amoureuse d'un homme plus âgé qu'elle.
Aucune de ces deux situations n'était enviable. Même
si, bien sûr, cela ne le regardait pas.
Révéler sa présence serait une erreur qui
compromettrait son investigation. Il n'en savait pas
encore suffisamment pour être certain que Sophie ne
nourrissait pas d'intentions hostiles à l'égard d'Elliott
Fraser. Cette femme était intelligente. Elle ne croirait
pas à une simple coïncidence si elle le croisait ici, le
soir même où elle avait rendez-vous avec Elliott.
A moins qu'il n'invente une explication logique.
Il risqua un nouveau regard dans le miroir et vit
Sophie balayer la salle de restaurant du regard, un petit
sourire aux lèvres, comme pour indiquer à ses voisins de
table que son partenaire ne tarderait pas à revenir.
Devant un tel spectacle, il serra son verre entre ses
mains.
Quel salaud, ce Fraser ! Oser l'abandonner ainsi, en
faisant une proie facile pour le premier opportuniste qui
chercherait à profiter de son désarroi et de son dépit.
Son conflit intérieur s'intensifia encore.
Bon sang, il jouait avec le feu et en avait pleinement
conscience. Cette femme était la tentation incarnée. Elle
représentait pour lui une menace pire encore qu'une
ruelle sombre de Bagdad. Il ne pouvait se permettre
aucun sentiment pour elle.
Cela dit, s'il se contentait d'aller lui poser les bonnes
questions, Sophie lui livrerait peut-être une explication
logique quant à sa relation avec Elliott. Une petite
discussion à cœur ouvert ne blesserait personne. Rien ne
les obligeait à terminer cette soirée en une nuit de
passion.
A moins peut-être qu'elle ne soit consentante...
Son esprit fut alors assailli d'images de corps
transpirants et dénudés, entremêlés dans des draps
soyeux.
Mais il se ressaisit aussitôt. Sophie n'était pas ce
genre de femme.
Il porta son verre à ses lèvres et le vida.
Soudain, son intuition première s'afficha à lui comme
une évidence : cette femme n'était pas un agent des
services secrets. Elle n'était qu'une sage orthophoniste
exerçant dans un cabinet pédiatrique. Rien de plus, rien
de moins.
Seulement, elle espérait peut-être augmenter ses
revenus auprès d'un homme plus âgé et marié ?
A n'en pas douter, elle nageait en pleine confusion.
Mais une chose était certaine : il n'y avait rien de plus
à découvrir à son sujet.

« Désolé, je suis obligé de régler une urgence. Je vous


en prie, poursuivez ce dîner à mes frais.
» A bientôt,
E. Fraser. »

Sophie froissa entre ses doigts le morceau de papier à


l'effigie de l'hôtel.
La déception était de plus en plus amère.
Certes, elle ne s'attendait pas à ce qu'il signe cette
missive d'un « papa », mais se contenter de « E. Fraser
»!
Sur la terrasse en contrebas, l'orchestre jouait une
vieille chanson des Rolling Stones, et elle s'aperçut
que plusieurs couples la dévisageaient en spéculant sur
les raisons du départ d'Elliott.
La gorge nouée, elle s'empara de son sac à main et
s'apprêta à se lever de table, avant de se figer.
Là, au niveau de l'entrée du restaurant, elle
reconnaissait la silhouette élancée et athlétique de
Connor O'Brien, qui avançait parmi les clients avec
autant d'aisance que s'il se promenait chez lui, dans
son salon.
Au bord de la crise de nerfs, elle ressentit alors une
certitude au plus profond d'elle-même : Connor était là
parce qu'elle était là...
Il l'avait suivie.
Elle le vit parler au maître d'hôtel, avant de tourner le
visage et de poser les yeux directement sur elle.
Paniquée, elle saisit la carte des vins et lit semblant
de paraître absorbée par sa lecture. Elle se refusait à
lever les yeux, sachant que Connor était en train de
s'avancer vers elle.
Bonsoir, Sophie.
La voix riche et profonde eut le même effet que
d'habitude sur ses nerfs. Il lui fallut quelques instants
avant de rassembler le courage nécessaire pour détacher
son regard de la carte et affronter le personnage qui se
dressait devant elle.
Connor O'Brien était intégralement vêtu de noir :
costume, chemise et même cravate de soie. Avec ses
cheveux couleur d'ébène et ses yeux sombres, il était
beau comme jamais et semblait prendre un malin plaisir
à constater à quel point sa présence la troublait.
Quelle agréable surprise ! déclara-t-il.
Pour vous, peut-être, articula-t-elle d'une voix
méconnaissable.
Une certaine compassion teinta alors le regard de
Connor, et elle eut l'horrible impression qu'elle venait
de reconnaître à demi-mot son humiliation à être assise
ainsi, seule au milieu d'un restaurant bondé.
Que faites-vous ici? demanda-t-elle, alors qu'elle
connaissait très bien la réponse.
Connor fît semblant de regarder autour d'eux, à la
recherche de son éventuel cavalier pour la soirée.
Vous croyez que je peux m'asseoir? fit-il, avant de
s'installer sur la chaise d'Elliott sans attendre sa réponse.
J'attendais quelqu'un, mais je me retrouve dans
l'embarras car elle m'a posé un lapin.
Une vive sensation étreignit Sophie à ces mots.
Connor O'Brien avait eu rendez-vous avec une
femme.
Je comprends votre embarras, rétorqua-t-elle à voix
basse. Mais je comprends aussi qu'elle vous ait
abandonné.
Je n'ai pourtant pas l'habitude d'être traité de la sorte,
poursuivit-il avec un léger rictus. Je dois avoir perdu
de mon savoir-faire.
J'ai pu constater que ce savoir-faire n'avait rien
d'extraordinaire, ajouta-t-elle.
Leurs yeux se croisèrent, et Connor sourit.
Elle sentit ses joues s'enflammer au souvenir du baiser
qu'ils avaient échangé et baissa les yeux, déterminée à
ne pas se laisser impressionner par ce regard sexy.
Son soupçon initial lui paraissait à présent évident :
aucune femme ne pouvait poser un lapin à un homme
pareil. A n'en pas douter, il l'avait bel et bien suivie
jusqu'ici.
Et vous ? reprit-il d'une voix exagérément suave. Vous
n'êtes pas accompagnée, ce soir ?
Bien sûr que si. Enfin, je l'étais. Mon... ami a été
rappelé pour une urgence.
Il haussa un sourcil intrigué.
Quel dommage. Et il ne vous a pas raccompagnée?
Non... A vrai dire, il n'a pas pu.
Cet homme doit être fou, dit Connor en soulevant la
bouteille de chardonnay du seau à glace.
Elle chercha dans son regard la lueur moqueuse qui la
décontenançait tant habituellement, mais ses yeux
brillaient d'un éclat inhabituellement chaleureux.
L'espace d'une seconde, elle fut presque prête à lui
accorder le bénéfice du doute... Avant de se raviser
promptement.
D'ailleurs, ne me dites pas que ce ringard aux
cheveux blancs qui vient de partir était votre cavalier.
Ne pensez-vous pas qu'il est un peu vieux pour vous ?
Je pense qu'il n'est plus à la hauteur pour satisfaire une
ravissante femme pleine de vie comme vous. En vous
voyant si vive, si flamboyante, il a dû se dégonfler et
prendre ses jambes à son cou.
Elle poussa un soupir désabusé.
J'en étais sûre. Vous étiez venu m'espionner, n'est-ce
pas ? Pourquoi me suivez-vous ainsi, Connor O'Brien ?
Elle vit la mâchoire large et carrée de Connor se
crisper légèrement.
Vous suivre ? Moi ? répondit-il avec une expression
outragée.
Zut. Elle n'aurait pas dû formuler la chose aussi
brutalement, maintenant il était sur la défensive, comme
si elle venait de toucher à son sens de l'honneur. S'était-
elle imaginé des choses ?
D'un geste lent et mesuré, Connor versa un peu de
chardonnay dans le verre d'Elliott, fit tournoyer le
liquide, puis le huma avant de le goûter.
Figurez-vous que j'étais ici avant votre arrivée, décla-
ra-t-il. J'étais en train d'attendre au bar, quand devinez
qui m'est passé à côté en se déhanchant? Sophie
Woodruff. Alors, je vous pose une question simple : qui
me dit que ce n'est pas vous qui me suivez ?
Allons, vous savez très bien que ce n'est pas le cas.
Ah oui ? Et pourtant, c'est vous qui êtes entrée par
effraction dans mon bureau et...
Vous savez pertinemment pourquoi j'ai fait cela !
Bien entendu, rétorqua-t-il d'une voix sardónique.
Vous étiez venue vous excuser. Vous vouliez juste un
baiser de réconciliation.
Elle manqua s'étrangler.
C'est faux ! s'exclama-t-elle avec véhémence. La
seule raison pour laquelle je vous ai laissé m'embrasser
ce jour-là, c'est parce que... Parce que j'étais
désespérée.
Connor se mit à rire, et elle se mordit la langue.
Seigneur, comment s'y prenait-il pour arriver à lui
faire dire chaque fois des choses aussi niaises ? A
présent, il devait la prendre pour la femme la plus
nigaude de la terre.
Il lui prit la carte des vins des mains.
Fascinant, murmura-t-il en la regardant droit dans les
yeux. Je comprends mieux pourquoi vous étiez si
intéressée.
Oh, je vous hais, Connor O'Brien ! s'insurgea- t-elle.
Il soutint son regard sans ciller, et elle perçut au fond
de ses yeux un intérêt sexuel mêlé à une certaine
défiance qui eut pour effet de réduire à néant tous ses
mécanismes de défense.
En êtes-vous bien sûre ? demanda-t-il à voix basse.
Il ne plaisantait plus, à présent.
Elle hocha la tête, cherchant frénétiquement des mots
assez forts pour contrer l'attaque, mais une fois encore,
Connor l'avait déstabilisée.
Chut... Ne dites rien que vous pourriez regretter
ensuite. Je vous présente mes excuses, d'accord ?
Sincèrement, murmura-t-il d'une voix ensorceleuse, en
posant une main sur son cœur. N'est-il pas temps pour
nous d'enterrer la hache de guerre ? Allons, je sais que
vous en avez autant envie que moi...
A ces mots, il se mit à sourire.
Il ne lui avait jamais souri aussi ouvertement, aupa
ravant.
Devant ce visage radieux, elle se sentit littéralement
fondre.
Submergées par un flot d'émotions continu, ses
hormones en émoi lui intimaient de répondre par un «
oui » sans équivoque. Sauf que la voix de sa raison, qui
avait bien du mal à se faire entendre avec ce vacarme
hormonal, continuait à pressentir quelque chose de
louche en cet homme, indépendamment du fait qu'il
était si grand, si beau, si séduisant...
C'était difficile de faire confiance à Connor. Il était
vraiment compliqué d'avoir une discussion simple et
dépassionnée avec lui, de désamorcer son ironie et ses
taquineries permanentes. Cet homme érigeait autour de
lui des barrières dont elle ignorait comment elle pouvait
les briser. Et surtout, il y avait entre eux cette fameuse
lettre.
Même si, depuis leur confrontation l'autre jour au
jardin botanique, elle commençait à envisager
l'éventualité de son innocence dans la disparition de
l'enveloppe : après tout, quel intérêt un avocat en droit
humanitaire aurait eu à subtiliser le résultat d'un test
ADN ?
Et puis, à cet instant précis, avec ce regard à la fois
intense et engageant, Connor semblait vraiment,
vraiment sincère.
Vous allez devoir changer d'attitude, dans ce cas,
répondit-elle avec détermination, même si elle se savait
sur le point de flancher.
De quelle attitude parlez-vous? demanda-t-il en
fronçant les sourcils.
Vous le savez bien : je veux parler de cette façon que
vous avez de toujours vous moquer des gens.
Je vois... Eh bien, si vous y tenez, je promets de ne
plus me moquer, dit-il en souriant, avant de lui tendre
la main. Dans ce cas, nous sommes amis ?
En dépit du fait que ce regard ténébreux et enjôleur lui
coupait le souffle, elle parvint tant bien que mal à
articuler :
Je suppose, oui...
Elle le laissa lui donner une chaleureuse poignée de
mai n.
Mais Connor garda sa main prisonnière au creux de la
sienne durant de longues secondes, et la lueur au fond
de ses yeux bruns s'intensifia.
J'aime quand vos cheveux sont attachés, déclara-t-il
d'une voix suave. Cela me donne envie de les détacher
moi-même.
Etait-ce ainsi que des amis se parlaient entre eux ?
Lorsqu'elle put enfin se dégager, elle s'aperçut qu'elle
tremblait. D'où provenait cette sensation de vertige
qu'elle éprouvait ?
Elle s'efforça de dissimuler son trouble par une
certaine désinvolture.
Bon, il est tard. Je vais devoir rentrer chez moi à
présent, et...
Connor piégea de nouveau sa main.
Non, ne partez pas ! s'exclama-t-il en faisant signe à un
serveur. Apportez-nous le menu, s'il vous plaît.
Mademoiselle Woodruff va dîner avec moi. N'est-ce
pas, Sophie ?
Peut-être aurait-elle dû refuser, mais après ce
calamiteux début de soirée au cours duquel Elliott
l'avait abandonnée
en plein restaurant, elle n'avait toujours pas dîné. Certes,
la proposition de Connor ne pouvait guère s'apparenter à
un rendez-vous galant, mais cela aurait été une pure
folie de ne pas éprouver un brin de flatterie à être
invitée à dîner par un homme aussi sexy.
— Nous aimerions nous installer sur la terrasse, pour-
suivit Connor. N'est-ce pas, Sophie ?
Cette fois, il la déshabilla du regard, et elle perdit tous
ses moyens.
A une extrémité de l'élégante terrasse, l'orchestre
entamait une reprise des Bee Gees, et plusieurs couples
commençaient à danser à la lueur des projecteurs qui
éclairaient la piste.
Connor lui tendit la main et l'entraîna vers la terrasse
à la suite du serveur.
Elle sentit une légère brise marine lui caresser le
visage, couvrant sa peau d'une délicate onde sensuelle.
La lune s'était levée à l'horizon, éclairant le ciel d'une
lueur mystérieuse. Par-delà le tumulte et l'animation du
restaurant, on entendait le bruissement sourd et continu
de la mer. A intervalles réguliers, le crépuscule était
fendu par l'écume blanche des vagues qui venaient
s'écraser sur la plage en contrebas. Une certaine magie
flottait dans l'air tiède de cette soirée d'été.
A moins que cette impression ne provienne du fait
que Connor avait glissé son bras autour de sa taille...

En regardant le visage gracile et rayonnant de Sophie


qui observait les lieux, Connor sentit quelque chose
vaciller au fond de lui. Il dut faire un effort pour
focaliser son attention sur le serveur et commander un
plateau de fruits de mer.
Elliott semblait avoir d'excellents goûts en matière de
choix de restaurant. Il avait d'ailleurs sélectionné un
excellent chardonnay, et Connor se sentait tout à fait
disposé à prendre sa place pour le reste de la soirée,
boire son vin, cl même séduire sa cavalière.
Il avait un peu hésité au départ, mais à voir la façon
1res élégante et naturelle dont Sophie se délectait de ses
champignons à la japonaise, il se détendit.
Après tout, si elle était véritablement la maîtresse
d'El- liott, elle n'avait rien d'une ingénue, en dépit de ses
airs innocents. D'ailleurs, accepter un dîner de
remplacement avec lui ne semblait nullement la
déranger.
Et puis, elle était si attirante...
Le bleu lavande de sa robe soulignait
merveilleusement la couleur de ses yeux, la peau
laiteuse de ses épaules dénudées était sublimée par la
lueur tamisée des bougies. Son décolleté laissait
entrevoir la naissance de ses seins, et il se surprit à
frissonner à l'idée de promener ses lèvres le long de ces
courbes affolantes.
Fébrile, il s'empressa de chasser cette idée de son
esprit.
Il ne devait pas perdre de vue qu'il se trouvait en
mission. L'opportunité était trop belle pour ne pas
aborder le sujet de front et obtenir de Sophie les
informations que sir Frank l'avait chargé de dénicher à
son sujet.
Il s'appliqua donc à orienter la conversation sur elle,
ses colocataires, ses parents installés en Angleterre.
Mais Sophie ne lui apprit rien qu'il ne savait déjà.
Or, chaque fois qu'il croisait son regard clair et
profond, il était assailli de doutes. Elle paraissait si
sincère et ouverte !
Franchement, si elle jouait la comédie, elle possédait
de formidables dons d'actrice. Il devait absolument
savoir. Quitte à compromettre les efforts opérés jusqu'à
présent pour la mettre en confiance, il devait se faire
une idée claire quant à ses intentions.
Il choisit de se jeter à l'eau alors qu'ils terminaient le
plat principal.
Votre ami de tout à l'heure me rappelle quelqu'un,
déclara-t-il d'un air détaché. Il ne s'agirait pas d'Elliott
Fraser, par hasard ?
Sophie maintint sa fourchette en l'air avant de
répondre.
Vous le connaissez ?
Pas personnellement, non. Mais mon père était très
ami avec le sien. Ils ont même été associés, à une
époque.
Vraiment ? Ça, alors, quelle coïncidence !
Sophie dévisagea longuement Connor, ne sachant que
penser de cet étrange hasard.
C'est étonnant, balbutia-t-elle en hochant la tête.
Pas tant que cela, affirma celui-ci avec un haus-
sement d'épaule. La haute société de Sydney est un tout
petit milieu. Tous ces gens se connaissent, fréquentent
les même clubs, les mêmes salles de concert, envoient
leurs enfants dans les mêmes écoles... Pendant trente
ans, papa a joué au golf avec sir Frank tous les jeudis.
Vous avez sans doute entendu parler de sir Frank
Fraser?
Non, bredouilla-t-elle en portant son verre à ses
lèvres soudain asséchées. Elliott ne m'a pas parlé de
lui.
Oh... Donc, vous ne le connaissez que depuis peu ?
Elle baissa les yeux pour ne pas laisser transparaître sa
déception.
Il lui suffisait de repenser à El lion pour ressentir un
cruel pincement au cœur. Malgré cela, elle ne pouvait
s'empêcher d'avoir envie d'en savoir plus. Après tout,
Connor était en train de lui parler de son grand-père !
En effet, admit-elle en fuyant son regard.
Il garda un instant le silence, semblant hésiter. Puis il
plissa le front avant d'articuler lentement :
Ecoutez, je crois que... Enfin, il me semble que Fraser
ne vous a peut-être pas dit qu'il était marié.
A ces mots, elle le foudroya du regard.
Il ne pensait tout de même pas que...
Vous êtes sérieux? s'insurgea-t-elle à voix basse, en se
penchant vers lui au-dessus de la table. Vous n'ima-
ginez tout de même pas que j'aurais une aventure avec
Elliott Fraser?
Connor, qui lui remplissait son verre, s'interrompit.
A vous de me le dire.
Elle le dévisagea, stupéfaite.
Des couples se déhanchaient sur la piste de danse,
certains s'enlaçaient au clair de lune... Connor O'Brien,
lui, continuait de la scruter d'un œil suspicieux,
s'attendant sans doute à ce qu'elle trouve une excuse
plausible clarifiant ses relations supposées avec un
homme marié.
Eh bien, hormis le fait qu'il est...
Sur le point de lui avouer la vérité, elle s'arrêta tout
net.
Elle n'aimait pas mentir, mais ne pouvait se permettre
de compromettre sa fragile relation avec Elliott.
En quoi cela vous regarde-t-il exactement ? reprit- elle
d'une voix provocante.
Connor baissa brièvement les yeux.
J'ai besoin de savoir, déclara-t-i\ à voix basse.
Elle frémit au son de ces mots.
Si Connor envisageait l'éventualité qu'elle entretienne
une liaison avec Elliott, cela signifiait qu'il n'avait
jamais lu la lettre stipulant les résultats des tests ADN.
Il ne lui avait pas volée. Il disait la vérité depuis le
début !
Son cœur se fit plus léger. Enfin, elle pouvait
acquitter Connor des soupçons qu'elle avait nourris à
son égard. Un monde nouveau, regorgeant de
possibilités, s'offrait soudain à elle. Elle pouvait lui faire
confiance. Ils étaient amis... Et, visiblement, elle lui
plaisait, à en juger par la lueur fougueuse qui brillait au
fond de ses yeux alors qu'il lorgnait allègrement son
décolleté. D'ailleurs, ses regards appuyés la mettaient
dans un état d'excitation des plus vifs. Comparé à lui,
tous les hommes qu'elle avait côtoyés n'étaient que des
gamins sans intérêt.
Elle avala sa dernière bouchée, puis déclara prudem-
ment :
A vrai dire, Elliott m'a bien parlé de son épouse.
Et de son fils? ajouta Connor sur un ton étrangement
calme.
En effet, affirma-t-elle. J'ai déjà rencontré Mathew. A
la clinique.
Il posa ses couverts.
C'est là-bas que vous avez rencontré Fraser ? deman-
da-t-il avec une touche d'incrédulité dans la voix.
Elle hésita, consciente qu'en cultivant trop le mystère
elle ne ferait qu'aiguiser sa curiosité.
En effet. Mais nous nous sommes revus en dehors de
ce cadre. Car je devais discuter avec lui de... quelque
chose.
Je vois. Donc, son tils est un de vos patients ?
L'excuse aurait été parfaite, mais elle fut contrainte de
la balayer, à regret.
Euh... Non.
A ce stade, Connor semblait confus. Si seulement elle
pouvait lui raconter la vérité ! Mais, en dépit de la
façon dont Elliott l'avait traitée ce soir, elle ne pouvait
le trahir. Il avait beau ne pas vouloir d'elle comme fille,
comment pouvait-elle se permettre de le juger?
Vous êtes bien mystérieuse, se plaignit Connor en
secouant la tête.
Je sais. Ce n'est pas mon intention. C'est juste que...
J'ai fait une promesse, et je ne peux la briser.
Line « promesse » ? répéta-t-il tout en continuant à la
scruter avec insistance. Je vois...
Pourtant, il semblait plus dubitatif que jamais.
Vous n'avez pas de soucis, au moins, Sophie ? reprit-il
en fronçant les sourcils.
11 avait prononcé ces paroles d'une voix presque
taquine, mais son regard exprimait une certaine
compassion. Etait-ce un des effets de la lumière
vacillante des bougies, ou Connor était-il vraiment
préoccupé ?
Non, bien sûr que non. Qu'entendez-vous par « soucis
», d'ailleurs? Ce n'est pas parce qu'une femme a
rendez-vous avec un homme pour dîner qu'elle a forcé-
ment des soucis.
Connor se redressa sur son siège et la contempla tout
en promenant ses doigts sur le rebord de son verre.
Pas avec n'importe quel homme. Un homme bien plus
âgé qu'elle, et marié de surcroît, commenta-t-il avant
de boire une nouvelle gorgée de vin. J'espère au moins
qu'il aura la courtoisie de s'excuser. Et que vous
recevrez un bouquet de fleurs dès demain. Ou des
chocolats. Qui sait, il optera peut-être même pour des
diamants...
Des diamants? Allons, vous n'y êtes pas du tout.
Pourtant, il est très riche.
Ah bon? dit-elle, écarquillant les yeux maigre elle.
Certes, elle avait deviné que son père gagnait
aisément sa vie. à en juger par ses tenues et ses
manières policées d'homme d'affaires. A en croire
Connor, elle ne s'était pas trompée.
Puis son cœur se serra, et elle se mordit la lèvre.
Cela n'augurait rien de bon pour elle. Si Elliott était si
riche et puissant, il aurait probablement énormément à
perdre à reconnaître l'existence d'une enfant illégitime
âgée de vingt-trois ans. Peut être aurait-elle dû
peaufiner ses recherches avant de se lancer dans ses
démarches de découverte de ses origines. Elle avait bien
sûr recherché des informations à son sujet sur Internet
lorsqu'elle avait eu dix-huit ans, mais sans jamais
trouver mention de lui nulle part. Elle avait donc dû se
contenter de ce qu'il avait bien voulu lui dire lors de
leurs brèves rencontres.
Il travaillait dans l'impôtt-export. avait-il dit lors de
leur première rencontre.
Cela ne devait être qu'un écran de fumée pour
satisfaire sa curiosité tout en la maintenant à distance. Il
la prenait sans doute pour une opportuniste.
Des diamants... Vraiment, Connor avait tout faux.
Horrifiée, elle prit soudain conscience de ce que ce
dernier venait de sous-entendre : qu'elle pouvait être
une... prostituée ! Se sentant affreusement insultée,
humiliée, elle le lîxa froidement du regard.
Attendez un instant... Je vous vois venir, à présent.
Je vous remercie de vos insinuations, Connor, c'est
agréable de savoir que les gens ont la meilleure opinion
de vous.
Alors qu'elle prononçait cette amère réplique, un flot
irrépressible de larmes lui monta aux yeux bien malgré
elle. Elle dut détourner le visage, cherchant à ajouter
quelque chose pour sa défense, mais ses lèvres demeu-
rèrent closes.
Combien de fois avait-elle lu dans les magazines
qu'en aucun cas une femme ne devait se laisser aller à
pleurer devant un homme ? A fortiori lors d'un dîner
aux chandelles. Les hommes n'éprouvaient que du
mépris pour les femmes ayant recours aux larmes pour
se faire comprendre. Ses colocataires seraient affligées
de la voir perdre la face. Elle-même détestait les
effusions d'émotions. Vraiment, elle n'était pas à la
hauteur de ce dîner. Elle n'était pas à la hauteur de cet
homme.
Cet homme dont les doigts semblaient s'être figés sur
son verre, dont la posture affichait soudain une certaine
rigidité.
Alors qu'elle s'efforçait de retrouver un semblant de
maîtrise d'elle-même, la consternation de Connor devint
presque palpable. Visiblement conscient qu'il venait de
faire une gaffe, il semblait adopter un profil bas.
Malgré l'amertume qu'elle éprouvait, elle ne pouvait
se résoudre à lui en vouloir. Après tout, il ignorait tout
de la nature de sa relation avec Elliott.
Euh... Vous ignoriez que les Fraser étaient richis-
simes ? demanda Connor avec prudence.
Au bord de la crise de nerfs, elle se raidit.
Ecoutez, ce qu'Elliott Fraser peut posséder, je m'en
moque totalement, souffla-t-elle.
Les traits de Connor se détendirent. Il posa
doucement la main sur son avant-bras, et elle ressentit
aussitôt un leu d'artifice de sensations exaltées.
Sophie, je suis navré si vous avez cru que j'insi
nuais... Enfin, je vous ai vu en compagnie de cet homme
et j'ai été intrigué, naturellement.
Elle baissa les yeux vers la main qu'il avait posée sui
elle, jusqu'à ce qu'il la lâche et s'appuie de nouveau au
dossier de son fauteuil.
Consentant un effort surhumain, elle parvint à
articuler d'une voix à peu près calme :
Peut-être êtes-vous suspicieux de nature.
Connor haussa les épaules, et son visage d'Apollon
retrouva son impassibilité, malgré une certaine tension
perceptible au niveau des pommettes. Il continuait à la
dévisager dans un silence pesant, comme s'il tentait de
mesurer l'étendue de sa colère.
Elle ne pouvait s'en prendre qu'à elle-même, après
tout. Elle s'était emportée bêtement au sujet d'une
question que n'importe qui lui aurait posée au vu des
circonstances.
Leurs regards se croisèrent de nouveau, et le désir qui
se consumait au fond des yeux de Connor lui coupa le
souffle, alors qu'une onde de désir faisait frémir son
bas-ventre.
Détournant les yeux avec un trouble grandissant, elle
fit semblant de contempler les danseurs.
Chaque cellule de son corps bouillonnait à présent de
fébrilité, tandis que l'évidence s'imposait aussi
clairement que le reflet de la lune sur la mer : Connor
n'avait pas confiance en elle.
Mais il était attiré par elle. Et le seul fait de deviner
son désir accélérait follement les battements de son
cœur.
Pourquoi refusait-elle si obstinément de l'admettre?
Depuis leur baiser, elle rêvait de cet homme. A ses
lèvres sensuelles. A ce goût d'interdit qui la faisait
vibrer au plus profond d'elle. Elle avait terriblement,
effroyablement envie de lui. Avec ses longues mains et
ce corps d'athlète, tout en cet homme incitait au péché.
Le serveur vint débarrasser leurs assiettes et leur
tendit la carte des desserts. Connor ne consulta même
pas le sien cl commanda directement un café.
Elle, elle opta pour un gâteau fourré au chocolat.
Alors qu'elle passait commande, elle sentit le regard
brûlant de Connor la transpercer, tel celui d'un
prédateur se délectant à l'avance devant sa proie. Son
sourire se fit provocant.
Bon sang, cette façon qu'il avait de la déshabiller du
regard la mettait dans tous ses états. Cherchait-il à la
jauger, à anticiper quel genre de femme elle pouvait être
?
En tout cas, reprit-elle d'une voix faussement déta-
chée, je ne vois pas en quoi tout ceci peut vous
intéresser, Connor. A moins que vous n'enquêtiez sur
moi...
Quelque chose sembla vaciller sur son visage, mais il
répondit avec un certain flegme :
Certainement pas.
Pourtant, elle sentait à quel point il brûlait d'envie
d'en savoir plus sur elle, et combien il peinait de plus en
plus à dissimuler son désir.
Une vive montée d'adrénaline s'empara d'elle à cette
idée.
Rien de ce qu'elle ressentait auprès de cet homme ne
ressemblait à ce qu'elle avait connu jusqu'alors. Malgré
le malaise qu'elle éprouvait à évoquer Elliott, quelque
chose d'exquis frémissait en elle.
Le serveur lui apporta son dessert, dégoulinant de
chocolat et surmonté d'une fraise baignée de sauce aux
fruits rouges.
Eh bien, dit-elle en prenant sa fourchette, sache/ que
les apparences sont trompeuses. Mes... relations avec
Elliott Fraser ne sont pas du tout de la nature que vous
croyez.
Il semblait à peine l'écouter, continuant de lorgner ses
lèvres de façon impudique.
Dans ce cas. quelles sont-elles ? interrogea-t-il.
Elle se redressa et lui adressa un regard sévère.
Cela ne regarde que lui et moi, et personne d'autre.

Connor ne put qu'être touché par la sincérité qui


émanait du regard indigo qui le fixait. 11 contempla le
menton délicat de Sophie relevé d'un air de défi, le petit
sourire poignant affiché sur ses lèvres, et ses soupçons
s'évanouirent.
Après tous les mensonges et coups montés auxquels il
avait été confronté durant ces dernières années, il était
censé savoir discerner la vérité du mensonge. Quel idiot
il avait été de considérer cette femme comme suspecte,
alors qu'un aveugle aurait été capable de voir qu'elle
était innocente, en dépit de cette étrange histoire qui la
liait à Fraser ! Sir Frank s'était trompé. Cette femme
était innocente.
Une innocente, certes, mais incroyablement désirable
et troublante.
— Je comprends. C'est votre affaire, après tout,
admit-il.
Sophie lui sourit alors avec une telle spontanéité qu'il
se sentit tout chose. Elle agita sa fourchette en sa
direction avant de murmurer d'un air suave :
J'avais besoin de vous l'entendre dire, si nous envi-
sagions d'être amis.
Il s'appuya au dossier de sa chaise et la regarda
planter sa fourchette dans son gâteau avant de la porter à
sa bouche.
Chaque fois que ses lèvres se refermaient sur une
bouchée, il imaginait le chocolat exploser sur sa langue
rosée, avant de fondre et de s'écouler au creux de sa
gorge.
Une dangereuse tension se précisa dans son bas-
ventre.
A cet instant, Sophie saisit la fraise avec ses doigts et
croqua dedans.
Il ferma brièvement les yeux, en proie à une véritable
torture.
Pourquoi les femmes les plus désirables étaient-elles
toujours aussi les plus interdites ? Céder à l'appel du
désir irait à l'encontre de toutes les règles qu'il
s'imposait. Ce serait prendre un risque aussi énorme
qu'inutile.
Pourtant, il fit ce que n'importe quel homme de chair
et de sang aurait fait à sa place : d'un geste assuré, il
repoussa sa chaise, se leva et sourit à Sophie.
M'accorderiez-vous cette danse ?
How deep is your love ?
Les paroles de la chanson se distillaient fébrilement
au creux des veines de Sophie, qui se laissait emporter
par le pas rythmé et assuré de son partenaire.
Embrasser Connor O'Brien avait été une expérience
des plus palpitantes. Danser avec lui se révélait être
d'une lasciveté et d'un érotisme fous.
Le souffle court, elle aperçut les flots qui scintillaient
au clair de lune, à l'arrière-plan de ce visage incarnant la
tentation même. Leurs regards se croisèrent longuement
puis, glissant son bras sous sa taille, Connor la serra
contre lui.
Son odeur lui rappela leur première étreinte et affola
instantanément tous ses sens.
Au souvenir de son comportement ridicule à
l'occasion de ce baiser, elle s'efforça de garder la tête
froide, de ne pas succomber à cette fragrance si
piquante, si mâle, de ne pas se laisser impressionner par
ce corps athlétique et
ondoyant, par ces cuisses musculeuses qui frôlaient les
siennes avec ardeur...
Détendez-vous, lui murmura Connor à l'oreille tout
en posant une main ferme au creux de ses reins.
Contentez- vous de danser.
Ses lèvres lui effleurèrent la tempe, en embrasant
chaque millimètre, et elle finit par s'abandonner
totalement contre ce corps qui la portait puissamment
au rythme de la mélodie.
Connor poussa alors un profond soupir et l'enlaça
plus fort encore. Poitrine contre poitrine, il promena
délicatement les doigts le long de son dos, remontant
jusqu'à sa nuque, enfouissant ses lèvres dans sa
chevelure...
La danse n'offrait-elle pas une excuse idéale pour se
frôler, s'effleurer, se caresser ?
Ciel, comme tout cela était grisant ! Elle avait
entendu parler des femmes capables de danser une nuit
entière entre les bras d'un homme, suspendues à leur
rêve. Pour elle, cela relèverait de l'exploit. Tout cela
était trop difficile. Trop... érotique. Assurément, ces
femmes-là n'avaient jamais eu Connor O'Brien comme
cavalier.
Il baissa les yeux vers elle, le regard brûlant.
Comme elle avait envie de posséder de nouveau ces
lèvres charnues... Soudain, elle sentit poindre
l'excitation de Connor contre elle, et son désir
s'enflamma encore, à en perdre la raison.
Elle paniqua alors et le repoussa vivement.
Il fait trop chaud, bredouilla-t-elle en fuyant son
regard pénétrant. Beaucoup trop chaud.
Debout au milieu des couples qui dansaient, le cœur
battant la chamade, elle rajusta sa robe puis quitta la
piste. De retour à leur table, elle se servit un verre d'eau
d'une main tremblante. Malgré la distance qui les
séparait à présent, elle ressentait encore la brûlure de ce
corps musculeux se frottant au sien.
Connor lui avait emboîté le pas, il appela le serveur et
s'empressa de régler la note. Puis, à sa grande
déception, il se leva sans lui adresser un regard et sortit
ses clés de voiture.
Je vous raccompagne chez vous, déclara-1-il.
Regrettant sa fuite de la piste de danse, elle haussa les
épaules et s'empara de son sac à main.
Pourquoi s'était-elle comportée de façon aussi ridicule,
alors que tout était si fantastique dans les bras de
Connor ? Ce dernier devait avoir une bien piètre
opinion d'elle. Il était à peine minuit. S'il la ramenait
chez elle, la soirée serait terminée. Difficile de lui
suggérer une nouvelle danse, à présent...
Elle se leva de table et jeta un dernier regard en direc-
tion de la plage.
La lune avait poursuivi sa trajectoire dans le ciel et
continuait d'éclairer les flots sombres de son halo.
Obéissant à une pulsion quasi irrationnelle, elle s'en-
tendit déclarer :
Dommage de rentrer si tôt par une si belle soirée !
Connor s'arrêta net et se retourna lentement, ses clés
cliquetant entre ses doigts.
Dans ce cas. qu'aimeriez-vous faire ? demanda-t-il
d'une voix plus profonde que jamais tout en suivant
son regard en direction de la plage.
Elle sentit une nouvelle onde de chaleur irradier son
bas-ventre.
Une promenade, peut-être? proposa-t-elle timidement.
Connor parut hésiter, mais elle pressentait non sans
excitation qu'il allait accepter. Après quelques secondes,
il rangea ses clés dans sa poche.
Restant à distance l'un de l'autre, ils descendirent de
la terrasse pour gagner le front de mer. Une fois sur la
plage, elle quitta ses escarpins et se délecta d'enfoncer
les ortei ls dans la tiédeur soyeuse du sable.
Quelle merveilleuse sensation! ronronna-t-elle. Vous
n'ôtez pas vos chaussures ?
Le visage de Connor demeura fermé.
Pour quoi faire?
Eh bien, pour profiter pleinement de tout cela, dit-elle
en écartant les bras, avant de tournoyer sur elle-même
en inspirant une grande bouffée d'air iodé. Profiter du
sable, de l'air du large, du grondement des vagues, des
embruns... N'est-ce pas la plus sensuelle des
expériences?
Un bref éclair traversa le regard de Connor.
il s'agit là d'une expérience sensuelle parmi d'autres,
rétorqua-t-il d'une voix rauque et chargée de sous-
entendus.
Elle sentit son cœur se serrer. Elle avait l'impression
de ne pas être à la hauteur. De quoi pourrait-elle parler à
cet homme expérimenté qu'elle connaissait à peine et
qu'elle avait entraîné sur une plage ?
Elle se mit à marcher à son côté, et ils s'éloignèrent
peu à peu du grand complexe hôtelier et de ses lumières
tapageuses. La marée était basse, et ils s'approchèrent
du rivage, là où le sable était humide et tassé.
Quelques éclats de voix leur parvenaient de temps à
autre. Des gens arpentaient la promenade, mais hormis
eux la plage était déserte.
La mystérieuse alchimie qui opérait entre eux ne
cessait de s'accentuer au rythme des vagues, emplissant
Sophie d'une euphorie impatiente. Même à une certaine
distance de lui, elle ressentait la tension qui émanait de
son corps puissant et élancé. Un véritable arc électrique
semblait les relier, mais elle percevait aussi comme une
réticence chez Connor.
Us bavardèrent de choses et d'autres et partagèrent
même quelques éclats de rire, mais l'homme qui l'avait
tirée quelques heures plus tôt de la situation embarras-
sante où l'avait laissée Elliott semblait préoccupé. Les
rayons de la lune conteraient à son visage une beauté un
peu hautaine.
Ils avaient presque atteint les gros rochers quand une
vague d'écume fraîche lui lécha les mollets.
Regardez ! s'écria-t-elle. Nous sommes allés trop
loin.
La marée commence à monter. Venez.
11 l'entraîna avec lui pour remonter vers la plage.
Elle le suivit d'un pas mal assuré, s'enfonçant
subitement dans le sable jusqu'aux chevilles, et ricana
nerveusement lorsqu'elle trébucha sur lui.
Connor la rattrapa par le bras, et elle retrouva l'équi-
libre.
La proximité soudaine de son corps conjuguée à sa
poigne éveillèrent en elle un nouveau frisson de désir.
Elle distingua son regard noir et pénétrant dans la
pénombre et s'écarta de lui. ayant soudain du mal à
respirer.
Elle ressentait son désir de façon presque aussi
palpable que le sable sous ses pieds. De même que la
vigueur avec laquelle il s'efforçait d'y résister.
La nuit conférait à la plage une magie primitive qui
infusait en elle une véritable fièvre des sens. Quelque
chose de sauvage s'était emparé d'elle. Elle se sentait
habitée par une certaine témérité. Le va-et-vient
inlassable des vagues entre les rochers, le clair de lune,
la pénombre tiède et caressante, tout cela alimentait en
elle une intense excitation. A moins que cet état second
dans lequel elle était plongée ne soit imputable à
Connor...
Chaque cellule de son corps se languissant, elle leva
les yeux vers la lune avant d'étirer les bras en direction
de l'astre nocturne. Elle sentait le regard brûlant de
Connor posé sur elle, ce qui eut pour effet de
l'émoustiller plus encore.
Voulez-vous que je vous raccompagne, à présent?
suggéra-t-il d'une voix saturée de désir.
Non, dit-elle en riant, avant de rejeter la tête en
arrière pour s'offrir à la lueur dorée de la lune. Ne me
ramenez pas encore, Connor. Je veux m'imprégner des
vibrations astrales.
Ne seriez-vous pas un peu sorcière ? dcmanda-t-il sur
un timbre redevenu suave, avant de se rapprocher d'elle.
Le cœur battant à toute allure, elle rouvrit les yeux et
décrypta avec ravissement le désir vibrant au fond du
regard de Connor.
Il la dévisagea en silence, toujours aussi beau mais
visiblement tendu. Puis il lui saisit le bras et remonta la
main le long de ses épaules puis de son cou, traçant une
ligne de feu sur son passage.
Etes-vous de marbre ? murmura-t-il en un souffle
saccadé.
Non, répondit-elle d'une voix tremblante. Je suis faite
comme vous, de chair et de sang.
Les mains de Connor se refermèrent alors autour de
ses bras, et il l'attira à lui. D'un geste infiniment fluide,
il posa ses lèvres sur les siennes et lui donna un baiser
aussi fougueux que possessif.
Elle sentit aussitôt son sang bouillonner au creux de
ses veines, embrasant chaque particule de son corps. Un
feu sauvage se déclara au creux de sa bouche,
savamment attisé par les mouvements incroyablement
érotiques de la langue de Connor. Emportée par la
volupté de cette bouche virile et provocante, par l'odeur
de ce corps robuste qui se pressait contre elle, elle se
laissa aller dans ses bras et s'agrippa à ses épaules, avant
de plonger les doigts dans sa chevelure épaisse et
soyeuse.
Son heure était arrivée. Sous les mains ardentes de
Connor, elle n'était plus que brasier. Jamais elle n'avait
éprouvé une excitation aussi intense. Elle mourait
d'envie de poser les paumes sur sa peau à lui...
D'un geste timide, elle dégrafa deux boutons de sa
chemise et faufila sa main en dessous.
La chaleur de sa peau lui brûla la main. Ses doigts
retrouvèrent à tâtons la fameuse cicatrice au niveau des
côtes.
Connor frémit et l'attira fermement contre son bas-
ventre, comme pour s'assurer qu'elle percevait bien
l'intensité de son érection. Puis il engouffra une main
sous sa robe et caressa l'arrondi de ses fesses à travers sa
culotte.
Une irrépressible onde de désir explosa entre ses
cuisses. Hypnotisée par l'avidité de ses mains courant le
long de son corps, elle s'agrippa à lui, affamée de
nouvelles sensations.
Jamais elle n'était allée aussi loin avec un homme.
Or, elle le savait à présent, le feu qui se propageait
férocement eu clic ne se contenterait pas de ces
caresses. Connor allait devoir satisfaire à présent le
désir qu'il avait fait naître en elle.
Il l'embrassa de nouveau à pleine bouche puis, alors
qu'elle était au bord de la pâmoison, s'écarta légèrement
pour la scruter d'un œil sensuel, comme pour évaluer si
elle était prête à goûter à de plus audacieux plaisirs.
Tu es vraiment... superbe, susurra-t-il d'une voix
haletante. Qui pourrait te résister?
A ces mois, il l'attira dans l'ombre des rochers, et elle
le suivit de bonne grâce, impatiente de pousser les
choses encore plus loin.
Lentement, Connor la fit asseoir sur le sable à côté de
lui, puis il fit glisser les fines bretelles de sa robe, avant
de déposer une pluie de baisers sur ses épaules offertes.
Il décala alors ses lèvres en direction de son cou puis de
son décolleté, qu'il embrasa en une nouvelle salve de
petits baisers choisis.
Elle gémit. La sensation de sa bouche chaude et gour-
mande et de sa barbe naissante sur la peau délicate de
ses seins lui faisait perdre la tête.
Connor tira sur la fermeture Eclair dans son dos, et
elle sentit l'air frais parcourir la peau dénudée de son
buste. Il se redressa ensuite pour mieux la contempler.
Bon sang, s'exclama-t-il, tu es bien trop belle !
11 promena doucement les doigts sur ses seins, avant
de les pétrir et de refermer ses lèvres autour de ses
tétons durcis.
Ebahie, elle se délecta de ses petits mordillements qui
attisaient plus dangereusement encore son désir. Puis,
enhardie par la douce torture qu'il lui infligeait, elle
déposa une pluie de baisers passionnés au creux de son
cou robuste, avant de descendre le long de son torse
musculeux. prête à le dévorer tout entier.
Connor tressaillit et émit quelques sons étouffés.
Soudain, il l'allongea sur le sable et se pressa contre
elle, lui administrant un nouveau baiser dont l'ardeur la
plongea dans un état de ravissement.
Oh, Connor. murmura-t-elle en proie à un bouillon-
nant désir, fais de moi ce que tu veux !
Il se redressa pour mieux la contempler.
Commence par t allonger sur ceci, chuchota-t-il en
ôtant sa veste pour l'étaler sur le sable.
Puis il dégrafa sa ceinture et la rejoignit par terre.
Malgré la pénombre, elle distingua une lueur
fougueuse au fond de ses prunelles, mais, n'osant pas le
regarder alors qu'il ôtait son pantalon, elle détourna les
yeux.
D'une main experte, Connor remonta le long de ses
cuisses jusqu'à atteindre l'élastique de sa culotte et
faufila les doigts dessous.
Retenant son souffle, elle se figea de crainte qu'il ne
s'interrompe.
Mais il se mit à la caresser à travers le tissu, et le
plaisir que cela lui suscita fut si intense qu'elle peina à
respirer.
Tandis que l'excitation montait en elle jusqu'à un pic
quasi insupportable, Connor se pencha vers elle et
commença à l'embrasser, dessinant une ligne de feu
depuis son nombril jusqu'à l'ourlet de sa culotte. Il
marqua une pause, jouant avec ses nerfs et laissant le
suspense frôler l'intolérable, puis il la descendit d'un
geste assuré sur ses cuisses pour la lui enlever.
Le cœur tambourinant dans sa poitrine, elle se
retrouva entièrement nue, allongée sur le sable.
Cette fois, elle allait devenir une femme. Sans la
moindre
crainte, sans la moindre pudeur. Et entre les bras de
quel homme !
La lune qui éclairait le visage de Connor lui donnan
une intensité quasi animale. Les yeux rivés sur sa
toison, il se mit à la caresser.
Malgré l'étreinte fougueuse qu'ils venaient d'échanger
et le désir qui bouillonnait en elle, elle sentit ses
cuisses se crisper et se serrer.
Nullement perturbé, Connor lui adressa un regard
ensorceleur et se pencha pour embrasser ses boucles
sombres. Puis, d'un geste aussi provocant que délicat,
il glissa les mains entre ses cuisses, et elle le laissa les
écarter.
A cet instant, il s'interrompit pour fouiller dans les
poches de son pantalon et grommela un juron avant de
demander :
As-tu quelque chose avec toi ?
Que veux-tu dire? bredouilla-t-elle.
Des préservatifs, articula-l-il d'une voix urgente.
Elle écarquilla les yeux.
Moi ? Euh, non...
Un lourd silence tomba entre eux. alors que Connor
s'écartait d'elle tout en la fixant d'un œil langoureux.
Zut, zut et zut ! s'exclama-t-il alors.
Elle se redressa sur un coude.
Tu n'en as pas ?
Je croyais en avoir, mais non...
Sa déception semblait si vive qu'elle ajouta :
Je suis désolée. Je n'imaginais pas... Je ne m'attendais
pas à... Enfin, je n'avais aucune raison d'en avoir sur
moi.
Connor secoua la tête, avant de la dévisager d'un
regard coquin.
Dans ce cas. murmura-t-il, il existe de nombreuses
autres façons...
Lesquelles? demanda-t-elle de but en blanc, sans
chercher à dissimuler sa frustration.
Au moment où elle prononçait ces paroles, elle
comprit sa naïveté et sentit ses joues s'enflammer.
A quoi servaient les rubriques « sexe » dans les
revues féminines ? Et combien de fois avait-elle
entendu ses exubérantes colocataires parler de ces
choses-là au petit déjeuner?
Mais Connor la scrutait, l'air intrigué.
Qu'entendais-tu exactement par le fait que tu n'avais
aucune raison d'en avoir sur toi ? murmura-t-il.
Elle s'était bien doutée qu'elle serait obligée de
l'avouer à un moment ou à un autre. Elle se rassit
lentement et repassa sa robe. Ses joues la brûlaient plus
que jamais. Par chance, la pénombre dissimulait
l'essentiel de son embarras.
Je voulais dire que... Enfin, tu sais... Que je n'ai
encore jamais connu d'homme.
Connor faillit s'étrangler.
Pardon ? s ecria-t-il. Oh, mon Dieu ! Tu n'es tout de
même pas en train de me dire que tu es vierge !
Outre son embarras, elle éprouvait à présent un
sentiment de honte. Elle était probablement la vierge la
plus âgée de Sydney, voire de toute l'Australie.
Pourtant, elle avait secrètement espéré que lui entre tous
aurait su faire preuve de compréhension. Or, à voir
l'expression outrée de son visage, Connor paraissait tout
sauf compréhensif.
Cela ne fait aucune différence, n'est-ce pas ? se mit-
elle à balbutier, au bord de la panique. Comme tu disais,
nous pouvons toujours faire l'amour... Juste
différemment. Je ferai tout ce que tu...
Connor sentit la voix de Sophie chevroter avant de
s'éteindre.
Elle avait les lèvres enflées à cause de ses baisers.
e( ses yeux brillaient beaucoup, ils étaient peut-être
même un peu humides.
Il ne la désira que plus encore. Jamais il n'avait
éprouvé un désir si vif, si suffocant.
Pourtant, en dépit de tous les péchés qu'il avait pu
commettre, il avait encore une conscience. Il fit donc un
effort surhumain pour s'écarter d'elle et se relever
malgré le vif sentiment de frustration qui l'étreignait.
Connor..., murmura-t-elle.
Au son de cette voix un peu honteuse, sa gorge se
noua.
Ne me parle pas... Ne me regarde pas, grommela-t-il,
le souffle haché. Ne t'approche plus de moi, oublie-
moi... Va-t'en.
Dans le lourd silence qui suivit, il l'entendit se lever
derrière lui et rajuster sa robe.
Etouffant de frustration, il s'efforça de retrouver la
raison et de se libérer de ce violent désir qui avait failli
lui faire perdre la tête.
Comment avait-il pu se laisser entraîner si près du
point de non-retour? Si jamais il avait possédé cette
femme, elle ne se serait pas contentée d'une simple nuit
de folie. Lui non plus, d'ailleurs. 11 ne put réprimer les
images qui assaillirent son esprit : la croiser tous les
jours dans les couloirs de l'Alexandra, aller la chercher
chez elle, l'emmener chez lui...
Complicité. Intimité. Attachement.
Et puis, il y avait ce vocabulaire qu'elle avait
employé. « Faire l'amour. » Comme s'ils avaient été un
couple. Bon s;mg, celte femme s'était imaginé qu'il
allait devenir son petit ami !
11 s'efforça de bannir de son esprit l'image de son
corps dénudé et alangui allongé dans son grand lit.
Tandis qu'il reboutonnait sa chemise et faisait de son
mieux pour tempérer sa douloureuse érection, il
s'imposa de penser à des choses n'ayant rien à voir avec
le sexe. Comme les algues, par exemple, ou bien la
marée qui montait, ou encore les rochers... Sans parler
des règles qu'il s'était toujours imposées en matière de
relations humaines. Ni même des responsabilités qu'il
portait dans ce vide sidéral qu'était devenue sa vie.
Il ramassa sa veste et la secoua.
Depuis le début, l'innocence de Sophie aurait dû lui
sauter aux yeux. Comment diable avait-il pu se tromper
à ce point ? En tout cas, il ne pouvait s'en prendre qu'à
lui-même : il l'avait séduite, et à présent elle allait s'ima-
giner des choses.
« Nous pouvons toujours faire l'amour. »
Ces mots résonnaient cruellement à son esprit.
Jamais il n'aurait dû céder à la tentation. Il s'était
exposé inutilement.
Lorsqu'il n'entendit plus Sophie, il osa enfin se
retourner pour regarder dans quelle direction elle était
partie. Il l'aperçut au loin, ses chaussures à la main, en
train de remonter la plage vers l'hôtel.
Malgré sa tête haute et son port altier, elle paraissait
très vulnérable à la lueur de la lune, et il sentit son cœur
se serrer.
Il se mit alors à courir et la rattrapa alors qu'elle
atteignait presque les marches menant à la terrasse de
l'hôtel.
— Je te raccompagne, déclara-t-il, à bout de souffle.
Je prendrai un taxi.
Pas questionne te raccompagne ! insista-t-il d'une voix
plus brutale qu'il ne l'aurait souhaité. Tu ne trouveras
jamais un taxi à une heure pareille.
Ignorant son refus, il l'entraîna par le bras en direction
du parking.
Une fois dans sa voiture, il lui demanda de lui indiquer
où elle habitait, même s'il le savait très bien.
Le trajet jusqu'à Neutral Bay se déroula dans le
silence, et la tension envahit bientôt l'habitacle.
Il ne fit rien pour tenter de détendre l'atmosphère. Plus
Sophie souffrait, mieux elle retiendrait la leçon pour
l'avenir.
Il s'engagea dans la petite rue calme et arborée et
ralentit devant la vieille maison de style colonial,
comme s'il la découvrait pour la première fois.
La main de Sophie se posa sur la poignée de la
portière.
Merci, bredouilla-t-elle en s'apprêtant à sortir à la hâte.
Comment pouvait-elle encore rester polie, après ce
qu'il lui avait fait subir?
Ne me remercie pas, rétorqua-t-il brusquement.
Bondissant du véhicule, il en fit le tour pour lui ouvrir
la portière.
Elle passa devant lui sans un regard.
Je t'accompagne jusqu'à la porte, dit-il, piqué au vif.
Pas la peine, rétorqua-t-elle par-dessus son épaule.
Ignorant sa réponse, il lui emboîta le pas dans l'allée
aux senteurs de chèvrefeuille, vers le porche éclairé.
Sophie se pencha pour prendre la clé sous un pot de
fleurs.
Cette image de douceur et de délicatesse accentua la
tension qu'il éprouvait au creux de la poitrine. Alors
qu'elle déverrouillait la porte d'entrée, il remarqua que
sa main tremblait, et son trouble s'amplifia encore.
Je ne rentrerai pas, précisa-t-il alors qu'elle passait le
seuil, afin de dissiper tout malentendu éventuel.
Elle le foudroya du regard et repoussa la porte.
Sophie, attends ! s'écria-t-il en plaçant le pied dans
l'entrebâillement. Laisse-moi t'expliquer...
Il vit ses yeux scintiller dans la semi-obscurité.
Tu n'as pas à t'expliquer, munnura-t-elle d'une voix
suave. Je te remercie pour le dîner.
Oh, Sophie ! insista-t-il, pétri de culpabilité. Ecoute, tu
es une femme très... séduisante. Mais je n'aurais pas dû
me laisser envoûter par tes charmes. Je pense que nous
nous sommes laissé emporter par ce maudit clair de
lune.
Elle continua de fermer la porte, mais il la bloqua.
Ma jolie, chuchota-t-il en l'attirant à lui.
A cet instant, il eut la terrible et très culpabilisante
impression qu'elle allait se briser entre ses doigts. En
regardant le jeu d'ombres et de lumières sur son visage
délicat, il éprouvait l'irrésistible envie de capturer ses
lèvres et de tout recommencer depuis le début.
Oh, pourquoi diable cette femme était-elle aussi dési-
rable?
Je ne veux pas d'une quelconque relation. Je ne suis
pas fait pour m'engager sur le long terme. Je ne suis
pas un homme pour toi, Sophie. Crois-moi, cela n'a
rien de personnel.
Elle parvint à se dégager de son emprise.
Et moi qui pensais que tu étais l'homme de mes rêves !
Quelle déception ! répliqua-t-elle avec sarcasme.
Il sentit sa tension artérielle s'élever. Heureusement, il
faisait nuit, elle ne le verrait pas rougir.
Tu sais, personne ne rêve de vivre auprès d'un homme
comme moi.
Sophie garda le silence, mais elle conserva cette lueur
déconcertante au fond des yeux. Comme si elle
pouvait lire dans ses pensées.
Oublions ce qu'il s'est passé ce soir, reprit-il. Il ne s'est
rien passé. Ainsi, personne n'est blessé. D'accord?
Doucement mais fermement, elle lui ferma la porte au
nez.
Le lendemain matin, Sophie se trouvait en haut de
l'escalier, en train d'indiquer le chemin de la cafétéria au
père d'un de ses clients, lorsqu'elle aperçut Connor
O'Brien, très élégant dans un costume couleur charbon,
attaché-case à la main, qui remontait la galerie en
direction de son bureau.
Son estomac se noua. Il était bien trop tôt pour qu'elle
puisse faire face à son abyssale déception. Impossible de
gommer de sa mémoire les événements accablants de la
veille. Chacun de ses sens semblait affecté par Connor.
Tout ce qu'il lui avait dit ou fait, chaque baiser, chaque
caresse, semblaient gravés en elle à tout jamais.
Leurs regards se croisèrent brièvement. L'espace d'un
instant, elle eut l'impression qu'il ralentissait le pas, mais
il continua son chemin, plus impassible que jamais.
Alors qu'il déverrouillait sa porte, il la salua de façon
très neutre, et elle s'efforça de lui répondre avec la
même distance. Elle se retira dans son bureau pour
rédiger le rapport concernant l'enfant qu'elle venait de
recevoir en consultation, mais il lui fallut plusieurs
minutes avant de retrouver un rythme cardiaque apaisé,
et ses pensées la ramenèrent immanquablement à la
scène de la plage.
Comment avait-elle pu se montrer aussi gauche,
naïve, inexpérimentée ?
A n'en pas douter, elle devait être la seule femme en
Australie à s'être retrouvée nue sur une plage au clair de
lune aux côtés d'un homme aussi diablement sexy, et à
être rentrée chez elle plus vierge que jamais. Certes, il
leur avait manqué un préservatif, mais les choses
auraient pu ne pas en rester là. Car elle s'était réellement
sentie prête à faire tout ce qu'il lui aurait demandé, si
seulement il avait daigné... Oh ! seigneur, comment
avait-elle pu se ridiculiser à ce point ?
Une onde brûlante lui traversa le bas-ventre au
souvenir de la fougue qui l'avait animée lors de leur
étreinte sur le sable, et elle dut se lever et faire les cent
pas pour chasser la pesante agonie qui la rongeait de
l'intérieur.
Connor avait pourtant eu envie d'elle au début, elle en
était certaine. Elle se souvenait avec émotion du désir
brûlant qu'elle avait vu briller dans ses yeux. Et d'après
tous les magazines féminins qu'elle avait eus entre les
mains, les hommes appréciaient les femmes
entreprenantes. Même si elles étaient vierges.
Alors, pourquoi pas elle ?
Et pourquoi lui avait-il dit ces choses blessantes, à la
fin? Tout ce charabia au sujet d'une éventuelle relation
sérieuse ? Elle ne lui avait quand même pas demandé de
l'épouser...
Jusqu'à la veille, elle avait toujours cru qu'un homme
ne refusait jamais une femme qui s'offrait à lui. A quel
moment la situation s'était-elle renversée? Connor ne
l'avait-il plus trouvée suffisamment attirante au moment
crucial ?
Impossible de se défaire de son désarroi. Si
seulement elle pouvait en parler à quelqu'un...
Non. Même si Leah et Zoe n'étaient pas parties en
vacances, elle aurait été incapable de leur avouer
l'affront qu'elle avait subi.
Elliott Fraser lui téléphona dans la matinée et proféra
des excuses qui semblaient beaucoup lui coûter. Il lui
expliqua que sa gouvernante avait été rappelée
d'urgence dans sa famille et qu'il n'y avait plus personne
chez lui pour garder son fils.
Elle se sentit un peu apaisée par cette explication :
Elliott n'avait pas eu d'autre choix que de l'abandonner
au restaurant. Au moins, le bien-être du petit Mathew
semblait être une priorité pour lui.
Elliott ajouta qu'ils devaient terminer leur discussion
au sujet de leur situation à tous les deux, et il lui
demanda si elle accepterait de lui rendre visite. Il
précisa que la disponibilité de sa gouvernante étant
aléatoire et le « problème » qu'ils avaient à régler
urgent, il serait plus confortable d'en discuter dans un
lieu privé.
Le cœur serré, elle acquiesça.
Elliott ne la considérait que comme une nuisance
dont il devait se débarrasser au plus vite. Elle devait se
retenir pour ne pas lui opposer un simple « écoutez,
oubliez cette histoire, faites comme si je n'avais jamais
existé ».
Finalement, elle parvint à se contrôler et s'en félicita :
au moins, il lui restait encore une chance de faire plus
ample connaissance avec son petit frère.
Elle donna son accord pour un dîner, et Elliott promit
de la rappeler bientôt pour convenir d'une date.
En raccrochant, elle se demanda qui allait faire le
repas si la gouvernante était absente. A vrai dire, elle
avait du mal à s'imaginer Elliott en train de s'activer
dans mu- cuisine.
Après sa pause déjeuner, elle prit quelques minutes
poui arroser ses géraniums une fois que le soleil eut
quitté la façade accueillant sa jardinière.
A cet instant, elle fut frappée par un éclair de lucidité.
La lettre.
A cause de la tourmente dans laquelle l'avait plongée
Connor O'Brien, elle avait complètement oublié de
poursuivre ses recherches !
Après l'hostilité qu'Elliott avait manifestée hier soir,
elle abandonna l'idée de lui avouer la vérité. Le
document fatidique était probablement toujours caché
dans un recoin du bureau de Connor, là où elle l'avait
égaré le jour du déménagement de Millie. Combien de
temps s'écoulerait avant que Connor ne tombe dessus ?
Seigneur, et il connaissait le père d'Elliott !
Elle faillit s'évanouir lorsqu'elle comprit que Connor
ne manquerait pas de révéler le contenu de la lettre au
vieil homme : ce dernier saurait que son fils avait une
iille cachée, et Elliott ne le lui pardonnerait jamais.
Elle se mit à transpirer, ce qui n'avait rien à voir avec
la canicule. L'espace d'un bref moment, elle envisagea
même de demander à Connor de bien vouloir chercher
la lettre pour elle. Par chance, le peu d'amour-propre
qu'il lui restait se manifesta à cet instant, et elle délaissa
cette idée saugrenue. Le cœur serré, elle se rendit
compte qu'elle ne pourrait plus jamais lui parler.
En tout cas, quoi qu'il advienne, elle allait devoir
trouver un moyen de remettre la main sur cette
enveloppe.
Avec ses sentiers ombragés, !e zoo de Taronga
ressemblait à une oasis dans le désert caniculaire. Mais
l'air se chargeait d'humidité et les nuages qui
s'amoncelaient à l'horizon annonçaient un prochain
changement de temps.
Connor s'arrêta en même temps que sir Frank pour
regarder une girafe traverser son enclos d'un pas gracile.
Le magnifique panorama sur le port de Sydney à l'ar-
rière-plan compensait-il la captivité de l'animal ?
Sir Frank se déplaçait à l'aide d'une canne, d'un pas
fatigué.
Comme un jeune enfant surexcité qui s'était éloigné
de ses parents manqua de foncer sur eux. Connor saisit
le vieil homme par le bras et l'entraîna à l'écart.
Regarde comme les enfants adorent venir au zoo,
même malgré cette chaleur ! s'émerveilla sir Frank
tandis que le garnement était rattrapé par une jeune
femme poussant un autre enfant dans une poussette.
J'aurais pu emmener Mathew. mais c'était sa journée
d'adaptation en vue de sa rentrée à l'école. C'est une de
nos promenades favorites... A présent, parle-moi de
cette Sophie Woodruff. Qu'as-tu découvert à son sujet?
Il avait découvert qu'elle était vierge, pensa Connor.
Non pas qu'il accorde une quelconque importance à
ce détail en temps normal. D'ailleurs, il ne savait même
pas s'il avait déjà connu une vierge.
Il se tourna vers sir Frank et le regarda fixement.
Elle est plutôt fine. Un mètre soixante-dix. Brune.
Il ne put s'empêcher de repenser à sa peau translucide,
si douce, et à ses seins fermes et rebondis...
Elle est belle, au moins? interrogea sir Frank. J'espère
qu'elle est aussi jolie que Maria.
Connor s'efforça de ne pas réagir.
Assez séduisante, je suppose, rétorqua-t-il d'une voix
qui dissimulait mal le trouble qu'il éprouvait au souvenir
du sourire langoureux de Sophie, prêt à donner et à
recevoir tout l'amour du monde.
Visiblement impatient, sir Frank l'interrogea du
regard.
Eh bien, qu'as-tu découvert à son sujet ?
Elle est née à Brisbane, sa famille s'est installée à
Sydney quand elle avait neuf ans. Elle a grandi à
Neutral Bay et vit toujours dans la même maison. Elle a
été scolarisée dans les établissements locaux et a fait ses
études à l'université de Sydney. Ses parents, Bea et
Henry Woodruff, sont des gens modestes et vivent
actuellement à l'étranger. Elle partage sa maison avec
deux amies infirmières. J'ai opéré toutes les
vérifications, et aucune des trois n'apparaît dans les
fichiers suspects.
Vraiment? s'exclama le vieil homme en plissant le
front d'un air perplexe. Bon... Et quelle sorte de relation
entretient-elle avec mon fils?
Embarrassé, Connor glissa ses mains dans ses poches
et s'efforça de ne pas penser à ce qui s'était passé sur la
plage.
A moins que Sophie soit une actrice digne des oscars,
il lui semblait improbable qu'elle et Elliott soient
amants.
Je n'en sais rien, avoua-t-il un peu piteusement. Mais
ce qui est sûr, c'est qu'il ne s'agit pas d'une liaison.
Comment ? s'étonna le vieil homme. Tu en es sûr?
Connor le regarda dans le blanc des yeux.
Cela ne fait aucun doute.
Il avait parlé sur un ton quelque peu tendu, mais il
éprouvait le désir de mettre un terme à cette histoire et
de tourner la page une fois pour toutes. Son besoin de
solitude était en effet sérieusement menacé par ce qui
n'était après tout que les soupçons d'un vieil homme.
N'était-il pas censé utiliser ses compétences pour servir
son pays ? Après tout, tant pis pour Elliott Fraser s'il
faisait n'importe quoi avec sa vie. La raison d'État
australienne n'avait que faire de ses déboires
sentimentaux.
Mais sir Frank fronça les sourcils et secoua la tête.
Si tu es certain qu'il n'y a rien entre eux, quelle est la
nature de leur relation, dans ce cas ? Es-tu sûr qu'elle
n'est pas un agent du contre-espionnage? As-tu fouillé
sa maison ?
Connor serra les poings au fond de ses poches.
Evidemment, il s'était refusé à s'adonner à une tâche
aussi dégradante. Il lui restait encore un semblant
d'honneur.
Elle semble liée par une promesse envers Elliott de ne
rien divulguer au sujet de leur relation. Quelle que soit
la nature de cette relation, c'est lui qui tire les ficelles,
croyez-moi. Ce que je pense, c'est que tout cela a
quelque chose à voir avec le petit Mathew, ajouta-t-il en
s'arrêtant à l'ombre d'un mûrier pour sortir de sa poche
les clés de son bureau. Tenez, sir Frank, je vous les
rends. Tout ceci n'est pas de mon ressort. Je ne suis pas
un de ces détectives privés qui prennent les gens en
filature et font des photographies compromettantes.
Le vieil homme le dévisagea de ce regard perçant qui
l'avait rendu célèbre dans la profession, avant de
repousser les clés qu'il lui tendait.
Allons, jeune homme... Tu es capable de faire face à
des terroristes et des assassins, et tu n'as pas le cran
d'enquêter sur une jeune femme? Fais donc ce pour quoi
la nature t'a programmé en tant qu'homme, raconte-lui
de belles histoires. Mets son téléphone sur écoute. Place
des micros dans sa chambre. Tu es à cran, un peu de
compagnie féminine te fera le plus grand bien.
L'estomac de Connor se noua.
L'idée d'espionner Sophie comme si elle était une
criminelle le révulsait. De plus, après la façon dont il
l'avait traitée, elle ne le regarderait plus jamais qu'avec
mépris.
Pourtant, à présent qu'il avait goûté au fruit interdit,
même partiellement, il avait terriblement envie d'y
revenir... Pour savourer enfin tous les délices que cette
femme avait à lui offrir. Au souvenir des instants
magiques qu'ils avaient partagés sur la plage, il dut
fermer les yeux.
Etait-elle ressortie de cette expérience aussi frustrée
que lui, elle qui avait entrevu pour la première fois les
délices de la volupté?
Elle qui ne s'était jamais offerte à un homme avant
lui...
Pour une femme, la première expérience charnelle se
devait d'être aussi intense qu'inoubliable.
Il s'efforça de contenir la honte qu'il éprouvait de son
comportement brutal, ce soir-là.
Qu'avait retenu Sophie Woodruff de sa première esca-
pade avortée sur les rives du désir ?
Soudain, une évidence le frappa : un jour, elle allait
rencontrer un autre homme qui effacerait le piteux
souvenir de ce qu'elle avait partagé avec lui. Et ce jour
ne tarderait pas à arriver. Un homme disponible, disposé
à s'engager dans une relation sérieuse. Avec un peu de
chance, cet homme se révélerait aussi être un excellent
amant.
A cette idée, il sentit sa gorge se nouer.
Une femme vierge avait besoin de tendresse pour être
en confiance. Sophie avait besoin d'un homme qui la
prenne en main et l'initie à toutes les joies que son corps
pouvait lui procurer. A retirer le maximum de plaisir de
ses courbes féminines. Un homme qui saurait prendre le
temps de faire monter le désir en elle et la propulser aux
portes de l'extase...
Il serra de nouveau les poings.
En tout cas, la seule option qui s'offrait à lui
désormais, c'était de quitter la ville. De se retirer
définitivement de la scène pour permettre à Sophie de
tourner la page et pour s'autoriser lui-même à refaire sa
vie. Ailleurs.
Il entrouvrit les lèvres pour informer sir Frank qu'il
renonçait à sa mission, mais l'octogénaire avait dû lire
dans ses pensées.
Si tu décides de te retirer, murmura-t-il, l'air songeur,
je pourrai toujours payer un détective...
Non ! s'exclama Connor malgré lui.
Sa réaction avait été viscérale : l'idée qu'un autre
homme que lui suive Sophie, sympathise avec elle, en
fasse sa maîtresse pour mieux fouiller dans ses affaires
et dans sa vie — sa vie de jeune femme douce et
innocente —, cette idée-là lui était tout simplement
intolérable.
Pas question de laisser un sale type de ce genre
s'approcher d'elle.
Devant l'air étonné de sir Frank, il fit un effort pour
retrouver son sang-froid.
Vous n'envisagez tout de même pas de laisser un
étranger enquêter au sujet d'Elliott? reprit-il d'une voix
calme. Qui sait ce qu'il pourrait découvrir ?
C'est vrai, tu as raison, répondit le vieil homme en
opinant du chef. Il vaut mieux que ce soit toi. Ecoute,
fiston, je te donne carte blanche : emploie les méthodes
qui te sembleront les meilleures, je sais que tu
obtiendras des résultats. Malgré les apparences, j'ai la
conviction qu'il se passe quelque chose de louche entre
cette femme et mon fils.
A cet instant, le chauffeur apparut pour emmener sir
Frank à son déjeuner du club de bridge.
Connor regarda Parkins aider le vieil homme à
progresser le long de l'allée. Lorsqu'il fut certain qu'ils
n'avaient pas besoin de lui, il tourna les talons et
remonta la pente qui menait au quai d'embarquement
des ferries, perdu dans ses pensées.
Il devait trouver un moyen de se rapprocher de
Sophie pour mener à bien sa mission. Une chose était
sûre, il allait faire en sorte de ne plus jamais se retrouver
seul à seul avec elle. La tentation serait trop forte.
Car Sophie avait beau détourner la tête à présent
lorsqu'ils se croisaient à l'Alexandra, cela ne faisait que
lui rappeler le feu qui couvait entre eux sous la froideur
apparente.
Elle croyait peut-être qu'elle pouvait éteindre le désir
d'un homme en se montrant glaciale avec lui ? Cela ne
prouvait qu'une chose : elle avait encore beaucoup à
apprendre en matière de désir masculin.
Oh, Seigneur, comme il aimerait raviver cette ardeur
qu'ils avaient partagée !
Heureusement, il était armé d'une qualité qui lui
permettrait de ne pas commettre une seconde fois la
même erreur. Et cette qualité avait un nom :
l'autodiscipline.
Ce vendredi, l'atmosphère était lourde et humide. Un
épais brouillard était descendu sur la ville durant la nuit.
Le matin, sur le ferry qui la menait à Circulai- Quay,
Sophie eut l'impression que l'humidité ambiante
pénétrait jusqu'aux moindres recoins de son âme. La
chaleur qui accablait la ville n'en était que plus
écrasante. Môme entre les murs de l'Alexandra, l'air
était suffocant.
Lorsqu'elle mit son ordinateur en marche, celui-ci
était déjà aussi chaud qu'après une demi-journée de
travail. Au point qu'elle se demanda si Cindy ou l'un de
ses collègues médecins ne s'était pas introduit dans le
bureau pour fouiller dans ses dossiers. Mais, bien sûr,
ils ne feraient jamais une telle chose.
Au moment de sa pause thé du matin, elle n'avait pas
vraiment envie de descendre s'acheter une boisson, mais
cela représentait une trop belle occasion de passer
devant le bureau de Connor O'Brien et de voir s'il était
présent. Avec un peu de chance, elle tomberait peut-être
même sur lui.
Si seulement elle pouvait effacer cet homme de sa
mémoire et reprendre une vie normale et insouciante...
Malheureusement, elle était bien incapable de le chasser
de
ses pensées. Elle n'avait de cesse de chercher sa
silhouette élancée parmi la foule. Un soir, alors qu'elle
rentrait plus tôt que prévu du nethall, elle avait même
cru l'apercevoir dans sa rue, au volant d'une voiture
inconnue. Une autre fois, alors qu'elle cherchait le
sommeil au fond de son lit, elle avait cru sentir sa
présence auprès d'elle. Elle y avait cru si fort que,
lorsqu'elle avait enfin glissé entre les bras de Morphée,
elle avait rêvé qu'il l'avait rejointe dans les draps.
Cet homme était en train de la rendre folle.
Exactement comme les filles l'avaient prévu ! C'était
comme si elle était tombée par-dessus bord et ne savait
pas nager.
Chaque fois qu'elle croisait Connor dans les couloirs
de l'Alexandra, un seul coup d'œil à son visage
renfrogné suffisait à lui tordre l'estomac et lui faire
perdre tous ses moyens. Le temps qu'elle trouve quelque
chose de cohérent à bafouiller, il était déjà loin.
De toute façon, comment était-elle censée se
comporter, après ce qu'il s'était passé entre eux ? Elle
sentait clairement qu'il cherchait à la maintenir à
distance. Il l'avait rejetée sans équivoque, et à présent
elle se voyait mal prendre l'initiative.
Il fallait qu'elle élabore un plan. Une façon de
montrer à Connor que l'humiliation qu'il lui avait
infligée l'autre soir sur la plage ne l'avait pas tant
affectée que ça. Elle se devait d'affirmer sa confiance en
elle, en son sex-appeal.
D'abord, les tenues vestimentaires.
Elle avait lu des dizaines d'articles détaillant
comment une femme pouvait projeter sa sensualité sur
son lieu de travail sans entacher sa crédibilité
professionnelle : des vêtements a la coupe ajustée, aux
couleurs adaptées et aux étoffes sensuelles pouvaient
affirmer une certaine élégance tout en attisant les
regards masculins. Des talons plus hauts, un rouge à
lèvres et un parfum bien choisis, et une attitude sereine
pour parachever le tout.
Comme il faisait de toute façon trop chaud pour
s'adonner au jardinage, elle avait ainsi passé le week-
end précédent à faire du shopping.
Elle avait introduit très progressivement son nouveau
style, afin de n'éveiller aucun soupçon dans son
entourage.
Malheureusement, ses efforts étaient sans effet. Elle
avait beau se déhancher langoureusement dans les
couloirs, Connor n'était pas assez souvent à son bureau
pour remarquer quoi que ce soit. Il passait le plus clair
de ses journées à l'extérieur et rejoignait son bureau en
fin d'après-midi, aux heures où l'Alexandra se vidait de
ses occupants.
En fait, il l'évitait. Et cela la blessait au plus profond
d'elle-même.
Pas plus tard que la veille, elle déjeunait sous son
saule pleureur fétiche en compagnie de quelques
collègues, lorsqu'elle avait vu Connor passer devant
elles, la tête haute, sans daigner poser les yeux sur elle.
Elle l'avait regardé s'éloigner, le cœur brisé.
Pourtant, elle devait contrôler ses émotions, préserver
sa vie. Ses petits clients comptaient sur elle, de même
que ses amis. Et à présent qu'elle avait entamé un début
de relation avec Elliott Fraser, elle n'allait pas faire
marche arrière...
Ce matin-là, sa décision de descendre chercher un
café se révéla payante d'un côté et tout à fait désastreuse
de l'autre.
Lorsqu'elle sortit dans le couloir. Connor était devant
son bureau, en train de s'entretenir avec Cindy. En
costume gris clair, son attaché-case à la main, il lui
parut plus beau que jamais. Il était en train de sourire à
la réceptionniste et semblait l'écouter avec beaucoup
d'attention.
Elle ne pouvait pas lui en vouloir. Cindy était très
jolie et vive d'esprit. Et à présent, elle l'appelait «
O'Brien comme s'ils étaient de vieux amis.
Alors que Sophie approchait d'eux, Cindy cessa de
parler.
Comme s'ils étaient justement en train de parler
d'elle.
Connor leva les yeux, son sourire s'effaça, et son
regard sombre redevint insondable.
Pour une fois, Sophie parvint à ignorer les battements
affolés de son cœur pour leur offrir un sourire neutre et
relever fièrement le menton, telle une intouchable
Cléopâtre. Elle se félicita de porter sa robe de soie rouge
fendue jusqu'aux genoux, ainsi que ses talons hauts. Elle
n'avait pas besoin de se retourner pour savoir que
Connor la suivait du regard.

Pressé de bannir de son esprit l'image de Sophie


Woodruff dans sa robe rouge, Connor retourna au pas
de course dans son bureau et retrouva ses notes au sujet
de l'affaire intitulée « Peuple de Djara Djara contre la
Nouvelle-Galles du Sud », un litige qui perdurait depuis
de nombreuses années et avait presque épuisé tous les
recours légaux.
Il était évident que le peuple de Djara Djara aurait
besoin de toute une batterie d'avocats s'il désirait obtenir
gain de cause devant la Cour suprême. Comme ces gens
n'auraient aucunement les moyens de les rémunérer,
leurs défenseurs n'auraient d'autre choix que de
travailler de façon bénévole. Mais aider un peuple à
récupérer un territoire historique dont il avait été floué,
quel noble combat !
A une certaine époque, avant qu'il ne soit recruté par
le ministère des Affaires étrangères, il aurait volontiers
embrassé ce genre de cause.
Et puis, un avion s'était écrasé en Syrie, et son monde
avait volé en éclats.
Soudain, il fut pris d'un besoin fébrile de sortir son
portefeuille et d'en retirer la photo prise à Paris, six ans
plus tôt.
Il fronça les sourcils en examinant les visages.
Curieux comme même les visages les plus aimés
avaient tendance à s'effacer de notre mémoire, avec le
temps. Sur la photo, la lumière du soleil sublimait le
blond de leur chevelure et les enveloppait d'un joyeux
halo...
Il poussa un long soupir. Pendant longtemps, il avait
été incapable ne serait-ce que de poser les yeux sur ce
cliché.
Il posa la photo sur le bureau et s'en retourna à son
dossier sur les Djara Djara.
Leur cas était passionnant. S'il n'avait pas choisi de
compliquer son travail pour l'ambassade avec les
challenges qu'impliquaient les opérations secrètes...
Pourtant, il avait franchi le pas. Il avait accepté la
proposition de recrutement de l'Agence et s'était engagé
dans les services de renseignement. Il ne s'était pas
vraiment éloigné de son plan de carrière initial,
simplement il avait emprunté des chemins sinueux le
menant à des situations parfois étranges. Après
l'accident d'avion, il avait accepté les missions les plus
dangereuses, dans les endroits les plus chauds de la
planète. Il n'avait pas voulu l'admettre devant sir Frank,
mais aujourd'hui, avec le recul, il se disait qu i I avait
frôlé la folie pure, à l'époque.
Cela dit, ce n'était pas plus fou que passer des nuits
entières garé dans une rue de Neutral Bay, tandis que
Sophie Woodruff dormait paisiblement. Des nuits
passées à imaginer ses courbes endormies et à brûler
d'envie de la rejoindre.
Si seulement il était libre de faire ce qu'il lui plaisait,
si seulement elle n'était pas vierge...
Il en revenait toujours à cette idée : si Sophie avait eu
plus d'expérience avec les hommes, elle aurait sans
doute été moins encline à s'imaginer qu'une nuit ou
deux avec un homme étaient nécessairement synonymes
d'engagement à vie et de conte de fées. Et il aurait été
plus disposé à rouvrir des négociations avec elle.
Mais il n'y avait rien à espérer. Avec ses pique-niques
sous les arbres et ses balades au clair de lune sur le
sable, cette femme n'aspirait qu'à une chose : le grand
amour. Alors que lui mettait un point d'honneur à
préserver son indépendance.
Heureusement, elle gardait ses distances. Pour
l'heure, il regrettait seulement de l'avoir vue dans cette
sublime robe rouge.

De son côté de la cloison, Sophie tentait de se


concentrer sur son travail. Elle avait décidé d'annuler
son habituel déjeuner au jardin botanique car il faisait
trop chaud pour manger.
Son principal souci provenait du fait qu'elle était
incapable d'oublier sa brève entrevue de ce matin avec
Connor.
I leureusement que les enfants quelle voyait en
consultation lui apportaient de bons moments, car sans
cela elle aurait craqué avant la fin de la journée.
Au cours de l'après-midi, des nuages s'amoncelèrent
à l'horizon et quelques coups de tonnerre éclatèrent au
loin. Pour la première fois depuis des semaines, le vent
se leva.
Tout au long de l'après-midi, l'image du sourire
déconcertant de Connor hanta son esprit. Distraite, elle
ne travaillait pas aussi vite que d'habitude, et tandis que
ses collègues commençaient à rassembler leurs affaires
pour partir en week-end, elle avait encore plusieurs
comptes rendus à terminer.
Combien de temps cette folie allait-elle l'affecter?
Voilà près d'une semaine qu'elle ne dormait plus. A
plusieurs reprises, au netball, elle avait laissé la balle lui
échapper sans même la voir passer.
Si seulement Connor lui adressait la parole ! Juste
quelques mots pour briser cet insupportable suspense.
Ils finiraient bien par se reparler un jour ou l'autre,
non ?
Et puis, il y avait toujours cette histoire de lettre. Si
Connor ne lui parlait plus, comment allait-elle pouvoir
la retrouver, alors qu'elle était à peu près certaine de
l'avoir égarée quelque part dans son bureau ? C'était une
véritable bombe à retardement. Elliott pouvait
téléphoner à tout moment. Que ferait-elle s'il choisissait
ce week-end pour l'inviter?
Même si cela lui avait d'abord paru inconcevable,
l'option de l'approche frontale s'imposait désormais.
Si elle frappait à la porte de Connor et lui demandait
tout simplement de chercher sa lettre, comment
pourrait-il refuser ? Ils étaient adultes, n'est-ce pas ? Il
n'était pas obligé d'imaginer qu'elle tentait de le leurrer
dès qu'elle l'aborda n Il suffisait qu'elle lui fasse
clairement comprendre qu'elle n'était plus attirée par lui.
Il suffirait de lui ôter l'impression qu'elle avait dû lui
laisser : celle d'une nymphomane prête à tout pour
obtenir ses faveurs.
Mais non, elle ne pouvait pas courir le risque d'être
de nouveau repoussée par Connor, elle ne s'en
remettrait pas.
Se ravisant, elle s'efforça de se concentrer sur son
rapport.
Oui, mais si elle ne faisait rien, un week-end
supplémentaire allait s'écouler sans que la situation se
débloque.
Soudain, telle une automate, elle se leva pour aller
chercher son sac à main et fourragea à l'intérieur jusqu'à
ce qu'elle trouve sa brosse à cheveux et son rouge à
lèvres. Elle étala une épaisse couche couleur rubis sur
ses lèvres et resserra le ruban qui lui tenait les cheveux.
Puis elle regarda son reflet dans le miroir destiné aux
enfants, poussa un long soupir et se dirigea d'un pas
mécanique vers la galerie désertée.
A l'approche du bureau de Connor, son pas se
ralentit. Mais, refusant de céder à la lâcheté, elle se
força à poursuivre son chemin.
Une fois arrivée devant sa porte, son cœur se mit à
battre la chamade, et les paroles blessantes qu'il avait
prononcées sur la plage lui revinrent à l'esprit.
« Ne t'approche plus de moi, oublie-moi. Va-t'en. »
L'espace d'une seconde, elle faillit renoncer. Mais
qu'était- elle au juste, aux yeux de cet homme? Une
jouvencelle eff arouchée ?
Rassemblant tout le courage qu'il lui restait, elle
frappa fermement à la porte et attendit, le souffle court.
Il était peut-être encore temps de se précipiter vers
son bureau et de faire comme si elle ne l'avait jamais i|
uitté ?
Mais une silhouette apparut derrière la porte de verre
fumé, se figea un instant, puis la porte s'ouvrit.
Leurs yeux se croisèrent, puis Connor la déshabilla
longuement, sensuellement du regard malgré son air
impénétrable.
Sophie... Bonsoir.
Désolée de te déranger, parvi nt-el le à articuler
malgré sa gorge asséchée, mais j'ai vraiment besoin de
retrouver cette lettre. J'espérais que tu me laisserais
entrer quelques instants pour me permettre de la
chercher.
Connor continua à lui bloquer le passage, d'un air
réticent qui la plongea dans le désarroi le plus total.
Puis son visage se détendit, et il lui fit signe d'entrer.
Bien sûr.
Il glissa les mains dans ses poches comme pour éviter
tout contact avec elle, et elle passa devant lui en prenant
soin de ne pas le frôler. Elle longea le bureau de la
réceptionniste avant de s'engouffrer dans celui de
Connor. Son cœur tambourinait si fort qu'elle entendait
ses pulsations bourdonner à ses oreilles.
Inspirant une grand bouffée d'oxygène, elle s'ex-
pliqua.
Je suis sûre de l'avoir perdu ici. Je pense qu'elle a
peut-être glissé derrière un meuble.
Elle sentit de l'électricité dans le regard de Connor,
mais se détourna afin de ne pas se laisser déstabiliser
par son air narquois.
J'ai aidé Millie à faire ses cartons la veille de ton
arrivée ici, précisa-t-elle nerveusement. J'ai le net
sentiment que la lettre a dû glisser de mon sac, et je
suppose qu'elle doit être coincée derrière un de tes
meubles.
Elle avait prononcé ces paroles à bout de souffle, ci
celles-ci furent suivies d'un silence gêné.
Parcourant la pièce du regard, elle constata qu'elle
semblait plus aménagée que lors de sa dernière visite.
Connor avait notamment affiché au mur tous ses
diplômes de droit.
Elle ne put s'empêcher de lorgner avec curiosité sur
ses affaires.
Visiblement, elle l'avait interrompu en plein travail,
car la brise qui passait par la fenêtre entrouverte fit se
soulever une liasse de papiers étalés sur le bureau. A
côté, elle remarqua une tasse de café vide et un carnet
noirci de notes à l'écriture fluide.
Alors, si tu as un net sentiment, déclara Connor en
s'adossant au mur, c'est qu'elle doit se trouver ici. Par où
veux-tu commencer?
Malgré ces mots doucereux, elle ne percevait que
trop sa réticence à son égard. Elle avait tout à fait
conscience d'envahir son territoire. Alors qu'il croisait
les bras, elle s'efforça de ne pas se souvenir de son torse
musclé éclairé par les rayons de lune et de sa toison
pectorale qui lui avait effleuré les seins.
Oh, euh... Par ta console de classement, peut- être.
Elle risqua un regard en direction de Connor.
Ses yeux sombres la scrutaient d'un air grave, pas du
tout moqueur. Il lui libéra le passage avec une extrême
politesse.
Elle approcha du meuble et s'agenouilla pour
chercher son enveloppe à l'arrière. Il faisait trop sombre
pour y voir
quoi que ce soit, elle allait devoir le déplacer pour
mieux regarder. Mais elle s'aperçut que ses mains
tremblaient.
Laisse-moi faire, dit Connor avec une certaine
douceur. Ce serait dommage que tu abîmes cette robe.
Seigneur, il s'était rendu compte de son tremblement !
Se faisait-elle des idées, ou avait-elle bien perçu une
note sensuelle dans sa voix ?
Elle s'écarta pour le laisser tirer le meuble avec facilité,
mais lorsqu'elle put regarder à l'arrière, elle ne vit
qu'une mince couche de poussière.
Connor haussa les épaules et remit le meuble en place.
Où veux-tu chercher, à présent ?
Apparemment, il ne croyait pas une seconde à ses
pressentiments au sujet de la lettre.
Du coup, son envie de remettre la main sur le précieux
document et lui prouver ainsi qu'elle avait raison
depuis le début s'en trouva décuplée. Elle n'allait pas
lui laisser croire que cette histoire de lettre égarée
n'était qu'une excuse pour venir le voir...
Plus déterminée que jamais, elle se mit à vérifier
derrière chaque meuble de la pièce, on ne peut plus
consciente du regard de Connor qui la suivait pas à
pas.
Alors, lui demanda-t-il sur un ton légèrement hésitant,
comment vas-tu ?
Très bien, merci.
Tu as l'air, en effet.
Elle ne répondit rien.
Cette robe... Elle te va bien.
Merci, dit-elle en baissant les yeux pour masquer son
trouble.
Je me demandais tout à l'heure... Enfin, tu as les yeux
cernés. Est-ce la chaleur qui t'affecte à ce point ?
A ces mots, elle le fixa avec ironie.
S'imaginait-il que c'était lui qui l'affectait ainsi ?
Certes, il n'aurait pas complètement tort. Mais pas
question de le lui avouer.
Je me couche tard en ce moment, déclara-t-elle avec-
un petit haussement d'épaules.
Connor haussa les sourcils d'un air intrigué.
Est-ce à cause du travail ? Ou parce que tu sors ?
Elle soutint son regard sans ciller.
Je suis beaucoup sortie, en effet.
Le regard de Connor s'embrasa et, l'espace de
quelques secondes, elle fut persuadée qu'il savait
qu'elle mentait.
Elle arriva au niveau de la grande bibliothèque. Il y
avait un espace de plusieurs centimètres entre le
meuble et le mur et, en collant sa joue contre celui-ci,
elle distingua une petite masse prometteuse coincée
dans la pénombre.
Je vois quelque chose, là! s'exclama-t-elle d'une voix
soudain très spontanée. Il s'agit peut-être de l'en-
veloppe !
Elle tenta d'extraire l'objet, mais en vain.
Connor s'approcha pour prendre sa place et déplacer le
meuble de quelques centimètres. La gorge nouée, elle
le regarda s'activer, hypnotisée par les tendons de son
cou devenus saillants sous l'effort.
Aussitôt, elle distingua une enveloppe écornée et se
précipita vers elle avec un cri triomphant :
Ça y est ! C'est bien elle !
Elle se redressa pour l'examiner de plus près, presque
sans y croire, et vérifia que son nom apparaissait bien
dans la fenêtre. D'un geste hâtif, elle retira la lettre qui
se trouvait à l'intérieur. Celle-ci était intacte.
Tu vois, je te l'avais bien dit, j étais certaine qu'elle se
trouvait ici ! Quel soulagement !
Connor remit la bibliothèque en place et se tourna
vers elle, l'air plus énigmatique et attirant que jamais.
Ecoute, reprit-elle en sentant ses joues s'empourprer,
je m'excuse sincèrement de t'avoir accusé de l'avoir
volée. Je sais bien au fond de moi que tu n'aurais jamais
fait une chose pareille.
Il battit des cils sans rien dire.
Un nouveau souffle de vent fit s'envoler les papiers
sur le bureau, et elle les rattrapa machinalement pour en
faire une pile. C'est alors que son regard tomba sur une
petite photo à demi dissimulée sous le carnet.
Connor dut l'apercevoir au même moment, car il se
précipita pour la ranger dans sa poche de chemise.
Leurs regards se croisèrent, et il sembla hésiter à dire
quelque chose au sujet du cliché, avant de s'éloigner
finalement vers l'autre pièce en marmonnant quelque
chose au sujet des femmes de ménage qui faisaient mal
leur travail.
Elle n'avait pas pu voir l'intégralité de la photo, mais
elle en avait aperçu suffisamment pour comprendre de
quoi il s'agissait : Connor était marié. Marié, avec un
enfant.
Comment ne s'en était-elle pas douté? Un homme
comme lui ne pouvait être resté célibataire.
Pourtant, il ne portait pas d'alliance. Et n'avait-il pas
dit à Cindy être célibataire ?
Après tout, il était peut-être divorcé. A moins qu'il ne
trompe sa femme. Etait-il ce genre de menteur qui
collectionnait les aventures extra-conjugales ?
Elle se remémora instantanément chacune de ses ren
contres avec lui depuis le premier jour, dans la salle des
mamans.
Cela expliquerait cette curieuse impression qu'elle
avait toujours eue : celle qu'il lui cachait quelque chose.
Toute à ces pensées, elle traversa le bureau pour
fermer la fenêtre et posa sa lettre sur le rebord pour
mieux saisir la poignée.
A cet instant, une nouvelle rafale souleva l'enveloppe
et la fit atterrir sur le rebord extérieur.
Soulagée qu'elle ne se soit pas totalement envolée,
elle enjamba la corniche, mais alors qu'elle s'apprêtait à
mettre la main sur l'enveloppe, un nouveau coup de vent
la repoussa quelques centimètres plus loin. Le cœur
battant à cent à l'heure, elle sortit entièrement et se
redressa sur la corniche.
L'ironie du sort voulait que cette maudite lettre repré-
sente une allégorie de sa propre vie : chaque fois qu'elle
croyait enfin atteindre son but. tout lui échappait d'entre
les mains...
Les pierres de la façade se révélèrent rugueuses, mais
elle s'agrippa du mieux qu'elle put pour ne pas perdre
l'équilibre, alors que sa robe de soie s'accrochait à la
surface rugueuse.
Enfin, la lettre cessa de voltiger, et elle put l'atteindre
en la coinçant du bout de son escarpin. Elle était sur le
point de la ramasser lorsqu'elle commit la grossière
erreur de regarder la rue en bas.
Mauvaise idée.
Elle fut prise d'un vertige, une violente nausée lui
enserra l'estomac, et le monde se mit à tourner autour
d'elle.
Paniquée à l'idée de faire une chute, le dos parcouru
de frissons de frayeur, elle se plaqua contre le mur pour
attendre que son vertige s'estompe. Finalement, elle
recouvra peu à peu l'équilibre et sa tête cessa de tourner.
Mais allait-elle devoir rester ainsi, immobile et
coincée ici jusqu'à la fin des temps?
A présent qu'elle ne pouvait plus s'agripper au ventail
de la fenêtre, la pierre lui semblait bien rugueuse, et la
fenêtre paraissait se trouver à des lieues. La corniche
avait beau mesurer un mètre de largeur et accueillir de
grandes balconnières de géraniums et des familles
entières de pigeons, à trois étages du trottoir de
Macquarie Street, elle lui paraissait à peine plus large
qu'une corde de funambule.
Le ciel était en train de s'obscurcir de nuages violacés
dont l'avancée se faisait de plus en plus rapide.
Elle sentit la température baisser sensiblement autour
d'elle. Le vent la déséquilibrait à intervalles réguliers,
ses doigts étaient écorchés, et elle se sentit soudain
épuisée.
Bientôt, des gouttelettes de pluie vinrent lui picoter
les joues tels de petits grains de sable. Elle s'aperçut
alors qu'elle claquait des dents, sans doute sous l'effet
de la terreur.
Combien de temps allait-elle tenir encore avant que
l'averse ne s'intensifie?
Des rafales de vents se mirent alors à lui fouetter
impitoyablement le visage, lui brûlant les yeux.
Dans peu de temps, elle tomberait d'épuisement. Elle
imaginait déjà les titres des journaux : « Une femme se
défe- nestre. Catwoman s'est laissé surprendre par
l'orage. »
Quelle ironie, mourir à cause d'un changement de
temps ! Elle se souvint avec remords qu'elle n'avait pas
téléphoné à Bea et Henry depuis près de deux mois.
Depuis qu'elle avait contacté Elliott Fraser, à vrai dire.
Comment réagi raient-ils en apprenant sa mort? Ils
seraient effondrés, a coup sûr. Elle les visualisait lors de
son enterrement, Bea en pleurs, Henry défiguré par le
chagrin.
Bon Dieu, ce n'est pas possible !
La voix lointaine mais choquée de Connor la tira brus
quement de ses sombres pensées.
Elle n'osa pas tourner le visage vers lui, de crainte de
se déséquilibrer et de tomber à la renverse.
Après quelques secondes, il s'adressa à elle d'une voix
redevenue étrangement calme.
Sophie, es-tu blessée ? Est-ce que tu m'entends ?
Elle comprit qu'il cherchait à ne pas l'effrayer.
Luttant contre le vent qui sifflait à ses oreilles pour
distinguer ses paroles, elle ne pouvait en aucun cas se
risquer à lui répondre.
Connor semblait l'avoir compris, car il ajouta :
Ne bouge pas, je vais faire le tour par l'autre fenêtre.
Il devait être furieux. Pourtant, son ton demeurait
fluide et énergique.
Reste calme, ne bouge pas et ne regarde pas en bas.
Malgré son angoisse, une lueur d'espoir se raviva en
elle. Il semblait vouloir la secourir. Peut-être avait-elle
encore une chance de s'en sortir ?...
Après ce qui lui parut un siècle mais dut plutôt se
compter en poignées de secondes, elle entendit la
fenêtre de son propre bureau s'ouvrir. Puis elle vit
Connor se pencher pour rentrer un pot de géraniums à
l'intérieur avant de poser un pied sur la corniche et
tester son équilibre à califourchon.
L'instant d'après, il lui tendait la main.
Elle n'avait qu'à avancer de quelques centimètres
pour la saisir, mais, tétanisés par sa peur de quitter son
refuge, ses muscles restèrent figés.
Le cœur battant plus fort que jamais, elle constata
que Connor ne semblait ni furieux ni même narquois.
Son expression était calme, concentrée, et la ligne de
ses lèvres sensuelles ne bougeait pas. A le voir ainsi, on
aurait pu croire qu'il sauvait des gens de chutes
mortelles tous les jours. De son corps puissant et musclé
émanaient une telle force, un tel sentiment de sécurité
qu'elle se dit qu'il serait idiot de sa part de ne pas se
jeter immédiatement dans ses bras.
Sauf qu'elle s'était déjà trop ridiculisée à ce petit jeu-
là.
Allons, Sophie, juste un petit pas. Tu peux le faire !
reprit Connor d'un timbre aussi rassurant que persuasif.
C'était comme s'il comprenait l'essence même de sa
peur et y compatissait.
Son regard était si chaleureux, si confiant, qu'elle
sentit les muscles de ses jambes se réveiller peu à peu.
Elle tentait de soulever un pied lorsqu'une nouvelle
rafale menaça de la faire chavirer du côté du vide.
A son extrême soulagement, Connor parvint à se
pencher un peu plus vers elle et à la saisir fermement
par le bras.
Je te tiens à présent, déclara-t-il avec un regard
assuré. Ne t'inquiète pas du vent et contente-toi
d'avancer vers moi. Je ne te laisserai pas basculer, fais-
moi confiance.
A cet instant, sa voix était si suave, si rassurante,
qu'elle était prête à tout pour y obéir.
Je ne te laisserai pas basculer, répéta-t-il. Allez, ma
jolie... Allez !
« Ma jolie »...
Face à la gravité de la situation, elle ravala son amour
propre et décida d'oublier l'épisode de l'affront sur la
plage. A cet instant, cela n'avait plus d'importance, seuls
comptaient ce regard sombre et cette voix profonde,
hypnotique.
Dans un état second, elle avança d'un petit
centimètre, d'un mouvement très mécanique.
Allez, encore un petit effort...
Elle continua de progresser centimètre par centimètre,
et lorsqu'elle fut assez proche de lui, Connor prit appui
sur le bureau qu'il avait calé contre la fenêtre et la saisit
fermement par la taille.
Cette fois je te tiens bien !
Alors qu'il l'aidait à escalader le rebord de la fenêtre,
une de ses chaussures lui glissa du pied et disparut dans
le vide.
Elle poussa un petit cri alors que Connor la soulevait
pour la poser à terre près de lui.
Il la dévisagea brièvement avec un mélange de colère
et de soulagement, puis il la serra si fort contre lui
qu'elle en perdit le souffle.
Ciel, comme il était bon de se retrouver contre ce
corps robuste, rassurant et si merveilleusement viril...
Une vibration des plus troublantes émanait de lui, et elle
reçut avec ravissement cette exquise décharge
électrique.
Désolée d'être une telle nuisance, murmura-t-elle
contre son cou. Et merci de m'avoir sauvé la vie.
Son excuse ridicule ne parut qu'agacer Connor. Il la
serra encore longuement contre son torse, avant de la
lâcher enfin avec virulence, comme si elle était une
bombe à retardement prête à lui exploser entre les
mains.
Les jambes en coton, elle dut s'appuyer contre le
bureau pour garder l'équilibre, au sortir de la douce
torpeur où l'avait plongée le contact rapproché avec le
corps vaillant et musculeux de Connor.
La mâchoire crispée, celui-ci semblait chercher ses
mots.
Regarde-toi donc! s'emporta-t-il. Qu'est-ce qu'il t'a
pris de te mettre dans une situation pareille?
Si seulement il cessait de crier ainsi, il comprendrait
sans doute qu'elle n'avait pas fait exprès de se retrouver
sur le point de glisser de la corniche.
Je ne pensais pas m'éloigner autant de la fenêtre,
bredouilla-t-elle.
Il la fusilla du regard.
J'ai du mal à croire qu'une personne aussi intelligente
ait pu commettre un acte aussi stupide ! Regarde un peu
tes mains ! poursuivit-il en s'emparant de ses paumes.
Ses doigts étaient égratignés et pâles contre la main
solide et hâlée de Connor.
Si seulement il pouvait continuer à la tenir ainsi, elle
se sentirait rassurée...
Mais il la lâcha brusquement d'un air dégoûté, avant
de faire les cent pas.
Bon sang, mais quelle mouche t'a piquée, Sophie ?
Cette corniche n'est pas faite pour recevoir le poids d'un
homme ! s'exclama-t-il d'une voix excédée en dépit de
son timbre toujours aussi sensuel. Je ne comprends pas.
Tu étais dans mon bureau, en sécurité, et l'instant
d'après, tu...
Incapable de continuer, il secoua la tête d'un air
incrédule.
C'est à cause du vent, expliqua-t-elle. Ma lettre s'est
envolée dehors, et j'ai essayé de la rattraper.
Cette fois, il la dévisagea avec stupéfaction.
Ma parole, Sophie, mais nous sommes au troisiènu
étage ! Ce morceau de papier est donc important au
poini que tu risques ta vie pour lui ?
Je ne me suis pas rendu compte du danger. Comme je
te le disais, la corniche semblait tout à fait...
Sa voix s'éteignit sous l'effet d'une violente nausée.
Tremblante, elle posa sa main sur le bras de Connor.
Connor, je crois que j'ai besoin de m'asseoir, bafouilla-
t-elle en reculant jusqu'à un fauteuil.
Même assise, la tête continua de lui tourner durant
quelques minutes.
Sophie, est-ce que ça va ?
Le visage de Connor apparut devant elle, et elle
s'aperçut qu'il était agenouillé devant son siège, le
visage inquiet. Son regard semblait teinté de remords,
et d'une certaine autre chose qui la força à refermer les
yeux.
Je voudrais boire, dit-elle d'une voix rauque.
Il se leva aussitôt et revint avec un verre d'eau. Il la
regarda le vider sans dire un mot.
Merci, murmura-t-elle en lui rendant le verre.
Elle allait se lever, mais il l'en empêcha en posant une
main vigoureuse sur son bras.
Doucement, la prévint-il, avant de soupirer lourde-
ment. Excuse-moi, j'ai été un peu dur. Tu es en état de
choc. Repose-toi donc un instant. Tu as besoin d'un
remontant, un verre d'alcool ferait sans doute l'affaire.
Sa voix était elle aussi éraillée, et elle comprit qu'il
était lui aussi sous le choc.
Doucement, il lui frotta le bras.
Ma parole, mais tu es gelée !
A ce contact, elle frissonna et s'écarta vivement,
assaillie par le souvenir de cette soirée ratée, sur la
plage.
Ça va mieux, maintenant, assura-t-elle en se levant
malgré un nouveau vertige. Je vais bien...
A te voir, j'ai du mal à te croire, murmura Connor en
la faisant se rasseoir, avant d'ôter sa veste pour lui en
couvrir les épaules. Y a-t-il un coin cuisine dans ton
cabinet ?
Elle lui indiqua la porte communicante, et quelques
minutes plus tard il revint avec un thé fumant.
Alors qu'elle prenait la tasse de ses doigts écorchés, il
secoua la tête.
Tu as besoin de voir un médecin.
J'ai surtout besoin de me reposer, affïrma-t-elle. En
plus, je n'ai pas eu le temps de déjeuner, aujourd'hui.
Tout ce dont j'ai besoin à présent, c'est d'un bain chaud
et de quelques toasts, voilà tout.
Etait-ce une illusion due à son état de faiblesse, ou le
regard velouteux de Connor n'affichait plus la moindre
colère à son égard ? En tout cas, en un instant, elle
décida de tout lui pardonner.
Enfin, presque tout. Car s'il s'avérait qu'il était marié,
elle ne pourrait en rien lui trouver des circonstances
atténuantes.
Elle sirota son thé sans un mot, bien qu'il soit trop
infusé et trop sucré à son goût.
En fait, elle trouvait merveilleux de se faire dorloter
ainsi. Pourquoi n'avait-elle pas pensé plus tôt à aller
danser sur la corniche ?
Mais le souvenir de la frayeur qu'elle avait éprouvée
au bord du vide suffit à raviver l'horrible sensation de
vertige.
Le secret de Sophie *
**

Surveillant Sophie du coin de l'œil, Connor remarqua


son teint devenu soudain livide.
Elle avait besoin de repos, sans aucun doute.
Pourtant, une chose continuait de le tracasser.
Tu sais, si je n'étais pas au courant de ton obsession
vis-à-vis de cette lettre, je pourrais me demander si tu
n'avais pas l'intention de sauter, déclara-t-il sur un ton
décontracté.
La jeune femme leva les yeux au plafond.
Si j'avais vraiment voulu sauter, ne crois-tu pas que
j'aurais pris la peine de monter au dernier étage ?
Ces paroles le rassurèrent un peu, même si les cernes
de Sophie viraient à présent au violacé. Elle n'avait
peut-être pas eu l'intention de se tuer, mais ce qui était
sûr, c'était qu'elle avait besoin que l'on s'occupe d'elle.
Alors qu'il retournait à son bureau pour fermer la
fenêtre, il se souvint que les deux colocataires de
Sophie étaient infirmières. Soulagé, il se dit qu'elle
pouvait rentrer chez elle en toute sécurité. Il la
raccompagnerait jusqu'à sa porte avant de la confier aux
soins de ses amies.
Oui mais celles-ci étaient-elles dignes de confiance ?
Certes, elles sauraient probablement s'occuper de ses
blessures, mais comment Sophie aborderait-elle la
nuit ?
Il se mordit la lèvre alors qu'une pensée terrifiante
surgissait à son esprit : lui-même était bien placé pour
savoir à quel point les premières heures suivant une
expérience où l'on avait frôlé la mort pouvaient être
difficiles.
Qui allait cajoler Sophie durant la nuit ?
Certainement pas lui, décréta-t-il en verrouillant la
fenêtre de son bureau.
Lorsqu'il revint dans le cabinet de Sophie, elle était
en train d'essayer de soulever la balconnière de
géraniums posée sur son bureau devant la fenêtre.
— Attends, laisse-moi faire ! s'écria-t-il, regrettant de
l'avoir laissée seule. Il est temps que je te ramène chez
toi.

Alors que Connor se précipitait pour remettre la


balconnière en place, Sophie croisa son regard et
comprit qu'elle devait avoir l'air d'un zombie.
Ses cheveux étaient décoiffés, elle tremblait comme
une feuille, ses doigts étaient douloureux. Elle avait
hâte de se retrouver seule pour pouvoir se refaire une
santé.
Elle lui rendit son veston et mit son sac en bandou-
lière.
Encore merci de m'avoir aidée, dit-elle entre deux
claquements de dents. Je vais devoir me dépêcher si je
veux attraper le ferry avant que l'orage n'éclate.
Le ferry ? répéta-t-il en plissant le front. Ça m'éton-
nerait !
Même si elle se sentait à bout de forces, elle
conservait un semblant d'amour-propre. Connor l'avait
vraiment aidée. Trop, même, si l'on considérait à quel
point il tenait à son indépendance. Et elle savait bien
qu'à ses côtés elle était à la merci d'une nouvelle
débauche de désir, comme cela avait été le cas sur la
plage.
Oui, le ferry, affirma-t-elle avec le plus de dignité
possible. Après quoi, je m'offrirai un long bain chaud
aux huiles essentielles.
Connor parut hésiter brièvement, et même être sur le
point de protester, mais elle décela chez lui un certain
soulagement.
Il était soulagé à l'idée de se débarrasser d'elle.
Elle s'efforça de le contourner dignement pour gagner
la porte, mais elle trébucha et se cogna piteusement à
lui.
Je te conduis jusqu'au ferry, dit-il en lui prenant le
bras.
Pas question. Tu as ta propre vie, tes propres soucis.
Tu n'es absolument pas obligé de t'impliquer dans...
Ce n'est pas le moment de faire la fière, Sophie.
Elle se figea à ces mots, avant de se détendre un peu.
Bon, puisque tu insistes... Merci, c'est très généreux de
ta part.
Connor l'attendit alors qu'elle verrouillait la porte de
son cabinet. Une fois dans la galerie, il dut ralentir la
cadence pour marcher à son rythme boiteux.
Au final, elle quitta l'escarpin qu'il lui restait et
continua pieds nus.
Ils attendirent l'ascenseur en silence. Puis, alors que
l'appareil les descendait au rez-de-chaussée, Connor
déclara :
Je te raccompagne jusque chez toi.
Vraiment, ce ne sera pas nécessaire, assura-t-elle d'une
voix épuisée. Je peux survivre à une petite averse.
Les lèvres de Connor se crispèrent.
Lorsqu'ils arrivèrent au parking du sous-sol, elle enfila
sa chaussure pour protéger au moins un pied de la
surface goudronnée.
Connor se tourna vers elle en poussant un soupir
exaspéré.
Tiens-moi ça ! dit-il.
Avant qu'elle n'ait le temps de réagir, il lui plaça son
attaché-case dans les mains, posa de nouveau sa veste
autour de ses épaules et la souleva pour la porter dans
ses bras.
Prise de court, elle se raidit tout en s'efforçant de
maîtriser l'émoi que suscitait en elle ce nouveau contact
rapproché entre eux. A travers la chemise de Connor,
elle sentait son torse chaud, et sa bouche masculine
pulpeuse n'était qu'à quelques centimètres de son front.
Mais que fais-tu ? s ecria-t-elle d'une voix étranglée.
Je peux encore marcher. Ce que tu fais là est
parfaitement inutile !
Je suis pressé, rétorqua-t-il sèchement.
Elle savait qu'elle aurait dû protester plus
vigoureusement, insister pour se remettre debout et se
comporter comme une femme moderne digne de ce
nom.
Mais, pour être tout à fait honnête, se retrouver dans
les bras de cet homme, même de façon accidentelle,
c'était si merveilleux... Même si Connor évitait
soigneusement son regard, sa force vibrante et
rassurante agissait sur elle de façon plus efficace que
n'importe quel remontant alcoolisé. En dépit de son mal
de tête lancinant, elle savourait chaque seconde passée
entre ses bras.
Elle le laissa la déposer délicatement sur le siège de
sa luxueuse voiture et l'emmener par Harbour Bridge.
Même sans regarder Connor, elle était pleinement
consciente de son corps athlétique assis à quelques cen-
timètres seulement du sien.
La nuit était tombée, des éclairs zébraient l'horizon
par intermittences, l'atmosphère était plus lourde que
jamais. L'imminence de l'orage était quasi palpable.
Tes amies seront-elles à la maison, ce soir'.' s'enquit
Connor alors qu'ils étaient presque arrivés chez elle.
Non, soupira-t-elle. Je suis seule en ce moment : elle
sont parties camper en vacances à Kakadu.
Il demeura silencieux, plongé dans ses pensées. Puis
soudain, il ralentit, dirigea la voiture dans une petite
ruelle et se gara.
Ecoute, dit-il en posant son regard noir sur elle. Je
crois vraiment que tu ne dois pas rester seule ce soir. Tu
es en état de choc. Y a-t-il quelqu'un chez qui tu
pourrais t'installer pour la nuit ?
Elle haussa les épaules.
Millie, peut-être. Sauf qu'elle habite à Penrith,
murmura-t-elle en fronçant les sourcils. Et puis, je ne
suis pas sûre qu'elle soit chez elle : elle sort souvent le
vendredi.
Et Fraser ?
Abasourdie, elle se tourna vers lui et le dévisagea.
Elliott? Tu n'es pas sérieux ! Je le connais à peine,
c'est un étranger pour moi. En plus, il ne m'apprécie
guère, ajouta-t-elle d'une voix saccadée. Bon sang,
Connor, tu n'as qu'à me déposer chez moi, c'est quand
même simple, non? Je t'assure que je vais bien !
Connor referma ses mains sur le volant, fixant droit
devant lui la nuit comme s'il était en train de lutter avec
un démon intérieur. Finalement, alors qu'elle envisageait
de finir le trajet à pied, il poussa un long soupir fataliste.
Personne ne pourra m'accuser de ne pas avoir essayé,
grommela-t-il.
Puis il redémarra, exécuta un demi-tour et reprit le
chemin du centre ville,
Prise de panique, elle se demanda s'il n'allait pas la
déposer aux urgences du premier hôpital venu.
Connor, que fais-tu ? Où allons-nous ?
Chez moi, grogna-t-il.
Son profil était grave, sa bouche sensuelle figée dans
un rictus déterminé.
En temps normal, elle aurait été ravie, surexcitée,
fascinée à l'idée de se rendre chez lui. Au moins, elle
allait découvrir si, oui ou non, il y avait une épouse qui
l'y attendait.
Or, son aventure sur la corniche de l'Alexandra avait
vraiment dû la perturber plus qu'elle ne pensait, car elle
s'endormit en chemin. Elle ne sortit de sa torpeur qu'au
moment où elle sentit le véhicule ralentir pour s'engager
dans une petite rue bordée d'arbres.
Le quartier ressemblait à une banlieue chic. De
chaque côté de la rue, on voyait briller les lumières de
villas hautes de plusieurs étages derrière des murs
élevés et d'élégantes haies. Çà et là se dressaient de
cossus immeubles d'habitation devant lesquels étaient
garées de luxueuses voitures. Au-dessus des toits, on
apercevait le halo des lumières du centre ville.
Waouh ! s'exclama-t-elle en clignant des yeux.
Serions-nous à Double Bay ?
Connor conduisit jusqu'au bout de la rue.
Point Piper, corrigea-t-il en engageant la voiture dans
une allée de graviers.
Point Piper ! C'était encore plus huppé que Double
Bay. Ici, impossible de croiser autre chose que des
banquiers, des millionnaires et des magnats de
l'immobilier.
Au bout de l'allée se dressait une villa de style années
trente arborant tourelles et balcons à chacun de ses trois
étages. Aucune lumière ne filtrait à travers les fenêtres
arrondies. Dans le noir, la bâtisse avait des airs de vais-
seau fantôme.
Une porte de garage s'ouvrit automatiquement, en
même temps qu'une lanterne s'éclairait.
Connor vint lui tenir la portière et lui prit le bras pour
l'aider à descendre. Il l'entraîna alors vers un ascenseur
— oui, les habitants de Point Piper avaient les moyens
de se payer un ascenseur entre leur garage et leur
maison !
Elle en fut d'ailleurs heureuse. Vu son état
d'épuisement, elle se sentait bien incapable de monter
un escalier.
Une fois à l'intérieur de l'ascenseur, elle réalisa qu'il
était très étroit. Connor s'appuya contre le mur opposé
et la déshabilla du regard du coin de l'œil.
Elle perçut une certaine tension chez lui, tension qu'il
ne tarda pas à lui communiquer. Une tension vibrante,
positive, excitante. Le souffle court, elle le regarda
desserrer sa cravate et ouvrir son col de chemise.
Malgré son état affaibli, impossible de rester
insensible à la sensualité de son cou ferme sous la barbe
naissante.
J'aurais sans doute mieux fait de rentrer chez moi,
déclara-t-elle. fébrile.
Quelque chose s'enflamma dans le regard de Connor.
Y a-t-il des alcools forts, chez toi ?
Elle haussa les épaules en guise de réponse négative.
Il faut voir le bon côté des choses, murmura-t-il dans
un petit rire sexy. Au moins, ce soir, la lune n'est pas
visible.
Elle baissa les yeux, comprenant enfin ce qui
inquiétait Connor : il craignait qu'elle ne profite de la
situation pour se jeter sur lui, telle une prédatrice
sexuelle affamée.
Comme si elle était en état de projeter de tels
desseins ! Mais s'il avait vraiment l'intention de lui faire
boire de l'alcool, elle ne répondrait plus de rien.
L'ascenseur s'ouvrit sur un vestibule au parquet
brillant, et Connor s'écarta pour lui permettre d'entrer.
Le cœur battant la chamade, elle posa un pied devant
elle et pénétra dans son domaine secret.
Connor appuya sur l'interrupteur, et une douce
lumière baigna le hall. Alors qu'il entraînait Sophie vers
une pièce sombre, elle sentit sa peau s'embraser à son
contact.
Ils se trouvaient dans une vaste pièce entièrement
vide. L'effet de volume était accentué par de hauts
plafonds et de larges fenêtres. A travers les vitres, on
voyait les lumières du port clignoter dans le ciel agité.
La maison semblait désertée.
Une chose était certaine : aucune femme ne vivait ici.
Où sont tes meubles ? demanda-t-elle d'une voix qui
résonna dans la pénombre. As-tu été cambriolé ?
Non. Assieds-toi, je vais te chercher à boire.
Où ? Où puis-je m'asseoir? fit-elle, cherchant dans les
ombres autour d'elle.
Connor sembla hésiter, comme s'il s'apercevait
seulement du manque de confort de son domicile.
Viens par ici, murmura-t-il en lui indiquant une autre
pièce plongée dans l'obscurité.
Lorsqu'il alluma la lumière, une cuisine spacieuse se
révéla aux yeux de Sophie. Une antique cuisinière à gaz
cohabitait avec des équipements plus modernes. Une
imposante table de cuisine trônait au centre de la pièce
et semblait avoir
de nombreuses années de service derrière elle, de
même que les deux bancs anciens qui l'entouraient.
Sophie alla s'asseoir sur le tabouret haut qui jouxtait le
bar tandis que Connor ouvrait le réfrigérateur.
Depuis son siège, elle constata que la plupart des
étagères de l'appareil étaient vides.
Connor haussa les épaules puis sortit un kit de
première urgence d'un placard, ainsi qu'une bouteille
de brandy.
Tu n'es donc pas marié, Connor ? dit-elle alors qu'il
revenait vers elle.
Il s'interrompit brièvement de verser l'alcool dans un
verre, et la dévisagea intensément. Il savait qu'elle
avait eu le temps de voir sa photo.
Je ne le suis plus.
Tu l'as donc été.
En effet, répondit-il calmement. Ils... Cette photo que
tu as vue représentait ma femme et mon fils. Ils ont
péri dans un accident d'avion en Syrie, il y a plusieurs
années.
A ces mots, elle crut que son cœur s'arrêtait de battre.
Que dire, face à une telle tragédie ?
Je suis sincèrement désolée... C'est vraiment affreux...
Tu as dû traverser des moments très durs, bredouilla-t-
elle en rougissant devant l'inutilité de ses mots. Je ne
sais... Je ne sais quoi te dire.
Connor baissa les yeux.
Ne t'en fais pas, il n'y a rien à dire. Tiens, prends donc
ce verre, murmura-t-il. Et détends-toi, à présent.
Elle but une plus longue gorgée qu'elle n'en avait eu
l'intention au départ et toussota sous la brûlure que le
breuvage infligea à sa gorge.
Connor se servit un verre à son tour et s'appuya au
comptoir tout en la scrutant d'un air narquois.
T'arrive-t-il de faire attention à toi, Sophie ?
Bien sûr ! s'exclama-t-elle malgré les larmes qui lui
montaient aux yeux. Je suis quelqu'un de très
précautionneux, habituellement.
Ce n'est pas ce que j'ai pu constater.
La chaleur qu'elle décela au fond de ses yeux bruns
constituait une dangereuse tentation, elle ravivait des
désirs enfouis, l'incitait à baisser sa garde... Cela dit, il
existait bien des moments entre un homme et une
femme au cours desquels chacun pouvait jouer franc-
jeu, n'est-ce pas ?
Mais comment être sûre que le moment était bien
choisi?
Eh bien, commença-t-elle en faisant glisser ses doigts
sur la surface du bar, il se trouve que depuis que je te
connais... j'ai dû faire face à des événements excep-
tionnels.
Quel genre ?
Euh... Le déménagement de Millie, par exemple. Et
puis, il y a eu toi. Et toutes ces choses que tu as faites.
Elle vit Connor froncer les sourcils, et son cœur se
mit à battre plus fort.
Pourquoi avait-elle le désagréable pressentiment de
courir au désastre ? A quelques secondes près, elle avait
bien failli tout lui avouer et s'exposer ainsi à un
véritable massacre émotionnel. Leah et Zoe auraient été
horrifiées d'apprendre à quel point elle s'y prenait mal.
Des « choses » ? reprit Connor en retroussant ses
manches et en se penchant nonchalamment au-dessus
du bar, son verre à la main.
Il la dévisageait avec insistance, d'un œil enjôleur,
ténébreux, dévastateur.
Quel genre de « choses » ? insista-t-il d'un air
intrigué. Te faire l'amour?
Le cœur de Sophie s'affola, et elle détourna le regard.
Non, bredouilla-t-elle d'une voix à peine audible. Je
ne pensais pas à ça.
Sophie, dit-il en approchant sa main pour lui caresser
le cou, cette petite pulsation ici est en train de me dire
que tu mens.
Elle sentit sa peau se hérisser à chaque point de
contact avec ses doigts.
Un tel geste de douceur provenant d'un homme si dur,
c'était très déstabilisant. Elle mourait d'envie de lui
répondre franchement, mais le souvenir de leur soirée à
la plage était trop douloureux. Pensait-il vraiment
qu'elle pouvait prétendre que rien ne s'était jamais passé
entre eux ?
Elle glissa du tabouret et se dirigea vers l'ombre
salvatrice du salon vide. Après quelques instants,
Connor la suivit et tendit la main vers l'interrupteur,
mais elle l'en empêcha.
Non, s'il te plaît, dit-elle d'une voix tendue. Les
éclairs sont de plus en plus nombreux, admirons le
spectacle.
L'orage grondait au-dehors, mais ce n'était bien
évidemment pas la seule raison pour laquelle elle
voulait éviter la lumière. Le contact bref de la peau de
Connor avait éveillé en elle le feu de la passion qu'elle
s'était efforcée de contenir durant ces derniers jours.
Tout en elle n'était plus que conflit. Les paroles qu'il lui
avait dites lors de cette maudite soirée lui revenaient
sans cesse, mais les vibrations de ce soir lui racontaient
une histoire très différente. Cet homme avait-il envie
d'elle, oui ou non ?
Soudain, elle éprouva la même sensation que sur la
corniche, tout à l'heure : au moindre faux pas, elle
pouvait basculer dans le néant. Et malgré la chaleur
revigorante du brandy, elle ne se sentait pas d'humeur à
braver une nouvelle fois les éléments.
Une pluie battante fouettait les vitres, à travers
lesquelles on distinguait le halo de la marina et une forêt
de mâts oscillant frénétiquement dans l'obscurité.
Connor se rapprocha doucement de Sophie, observant
le profil tendu de la jeune femme.
Comment avait-il pu croire un instant qu'il serait aisé
de rattraper les choses avec elle ? Comment avait-il pu
oublier à ce point les rouages mystérieux de la psyché
féminine ? A présent il se rappelait les nombreuses fois
où cette complexité l'avait déconcerté. Auprès de sa
femme, notamment. Comment en venait-il à bout, à
l'époque?
Evidemment, il y avait le sexe. Le grand conciliateur.
Oui, mais comment faire avec une vierge ? A fortiori,
une vierge qui s'était retrouvée méprisée, rejetée par un
idiot?
Bon sang, chaque cellule de son corps lui hurlait
d'embrasser cette femme, de lui arracher cette robe
rouge et de la porter directement jusqu'à son lit. Que
pouvait faire d'autre un homme, dans une maison vide,
avec une femme ?
Pourtant, il s'était imposé des limites claires...
Leurs regards se croisèrent.
Dans la pénombre, les traits creusés et fatigués de
Sophie ne firent que lui révéler un peu plus sa fragilité,
même si une lueur de désir brillait au fond de ses yeux.
Seigneur, mais quel genre de bête sauvage était-il
devenu ? Cette femme venait de subir une épreuve
épuisante, il ne pouvait décemment pas se jeter sur elle
et la mettre dans son lit.
As-tu déjà vu le Dernier Tango à Paris ? demanda-t-il,
regrettant aussitôt ces paroles qui lui avaient échappé.
J'en ai entendu parler. Marlon Brando y joue le rôle
principal, je crois ? De quoi parle l'histoire ?
Un homme. Une femme. Un appartement vide.
Comme il tardait à lui répondre, Sophie perçut son
hésitation, et son malaise s'accentua.
Ecoute, Sophie, je...
Quelle maison somptueuse ! On dirait un palais,
l'interrompit-elle d'une voix haut perchée qui semblait
ne plus lui appartenir. Sans vouloir être indiscrète,
comment se fait-il que tu ne l'aies pas encore
meublée ? Si c'est pour des raisons financières, je
connais d'excellents dépôts- ventes de meubles que je
pourrais te montrer.
Cela n'a rien à voir. Cette maison appartenait à mon
père durant les dix dernières années de sa vie. La
plupart de ses effets personnels ont été vendus aux
enchères à sa mort.
Tu es donc propriétaire de cette maison, à présent ?
Il haussa les épaules.

Sophie en resta bouche bée.


Eh bien ! Les O'Brien devaient être sacrément riches.
— Ton père n'était quand même pas ce même O'Brien
qui a consenti une donation conséquente à l'hôpital des
enfants ?
Si, en effet. 11 a toujours été très impliqué dans les
œuvres de charité.
Elle hocha la tête, s'efforçant de paraître nonchalante.
En ce cas, qu'attends-tu pour meubler cette maison et
la rendre confortable, accueillante ?
Tu la trouves inconfortable ?
C'est juste que... Je me disais que tes amis doivent
trouver cela un peu...
Tu es la première à me rendre visite, coupa Connor.
Son cœur bondit, et elle réfléchit un instant.
Mais... Et ta famille ?
Je n'ai plus à Sydney que des cousins éloignés que je
connais à peine. Ils ne savent même pas que je suis ici,
expliqua-t-il avec un étrange sourire. Nous avons cette
maison rien que pour nous deux...
Je vois, dit-elle, le cœur tambourinant contre sa
poitrine. Tu m'autorises à faire le tour du propriétaire?
Avec plaisir!
Ils allèrent d'une pièce à l'autre, allumant chaque fois
les lumières. Chacune d'elle était quasiment vide, des
vastes chambres aux baies vitrées donnant sur le port
jusqu'aux salles de bains à l'ancienne. Un escalier
menait aux étages, mais Connor reconnut qu'il n'y
mettait jamais les pieds.
Une pièce était aménagée en bureau, et elle remarqua
une petite pile de CD dans un coin.
Quand ils arrivèrent à la chambre de Connor, elle s'im-
mobilisa dans l'embrasure de la porte.
Le lit était large, encadré de deux tables de chevet et
d'une commode assortie.
Dans son état d'épuisement, l'ensemble lui parut très
douillet, avec ses couvertures rouge et or et ses grands
oreillers. Elle avait soudain une terrible envie de s'y
affaler et d'abandonner ses membres engourdis à leur
douceur. Mais elle remarqua aussi une valise posée à
terre.
Tu as envie de t'allonger? murmura Connor.
Oh, non, non merci, bredouilla-t-elle en sortant de la
pièce à reculons.
Tu as besoin de repos, pourtant. Tes cernes se sont
encore creusés, dit-il à voix basse, en parcourant du
bout des doigts les lignes sous ses yeux. Tu as subi une
sacrée frayeur.
Ça va mieux à présent, assura-t-elle. Je vais appeler
un taxi et rentrer chez moi.
Connor plongea ses mains dans ses poches et garda le
silence quelques secondes, les sourcils froncés.
Pas besoin d'un taxi, Sophie, bougonna-t-il. Si tu tiens
vraiment à rentrer chez toi, je peux te ramener...
Dommage, car je peux t'assurer que tu aurais pu être
tout à fait à ton aise dans ce lit.
L'intonation était grave, mais la voix inhabituellement
chaleureuse.
Déroutée, elle l'interrogea brièvement du regard.
Si seulement elle avait eu plus l'habitude des
hommes, peut-être aurait-elle pu déchiffrer ses
intentions... En tout cas, cette maison semblait ne
compter qu'un seul lit.
Sa lucidité lui jouait-elle des tours, ou bien existait-il
une infime lueur de possibilité dans les yeux de
Connor? Après la débâcle sur laquelle avait débouché
leur étreinte sur la plage, était-il raisonnable de prendre
le risque?
Cet homme ne pouvait tout de même pas s'amuser à
attiser en elle les plus vifs désirs avant de les éteindre
brutalement, juste parce qu'il avait changé d'avis. Elle
avait encore un brin d'amour-propre.
Le ciel de tempête au-dessus de Sydney semblait
refléter ses propres turbulences intérieures.
De plus, elle avait toujours été très sensible aux
orages. Et ce soir, les perturbations atmosphériques
semblaient exacerber tous ses sens. De toute façon,
Connor lui avait déjà expliqué sans équivoque ne pas
vouloir d'une relation sérieuse. Et, pour couronner le
tout, elle comprenait à présent une chose essentielle :
cette maison était temporaire pour lui. Il ne comptait pas
s'y installer.
Il allait quitter la ville.
Le cœur serré, elle retourna dans la pénombre de la
grande pièce.
Le simple bon sens lui dictait de ne nourrir aucune
illusion. Tout le monde savait que les hommes vous
faisaient l'amour puis s'en allaient et vous oubliaient. Or,
pour les femmes, hormis quelques exceptions — comme
Zoe par exemple, qui collectionnait les amants comme
d'autres collectionnent les timbres —, les chosent étaient
différentes.
Quant à elle, tirer un trait sur les gens qu'elle aimait
n'avait jamais été son fort.
A l'extérieur, l'orage battait son plein. La tension était
à son comble.
Soudain, un éclair zébra le ciel et illumina la pièce
d'une lueur brève, soulignant la silhouette longiligne de
Connor. L'instant d'après, un craquement assourdissant
résonna dans l'air, faisant vibrer les fenêtres.
Connor passa à côté d'elle pour baisser les stores.
Au contact de son avant-bras, elle se sentit défaillir.
Le silence s'abattit de nouveau sur la pièce, lourd et
contraint. Elle n'entendait plus à présent que les
battement affolés de son cœur, son sang palpitant au
creux de ses veines... A moins qu'il ne s'agisse de celui
de Connor ?
Il se tourna vers elle, ses yeux brillant d'une lueur
sombre.
Le souffle coupé, elle attendit, consciente de ce corps
vibrant à proximité du sien. S'il la prenait enfin dans
ses bras, alors, elle n'aurait pas besoin d'appeler un
taxi...
Connor s'approcha et posa un doigt sur sa joue gauche.
Il y dessina une petite diagonale en souriant.
Cette robe te va à ravir, murmura-t-il.
Sa voix était si rauque qu'elle retint encore son souffle,
s'attendant à ce qu'il l'empoigne et presse ses lèvres sur
les siennes.
Mais il laissa tomber sa main, et ses pupilles se rétré-
cirent.
Es-tu sûre d'aller bien ? Tu as l'air un peu fragile. Je
pense vraiment que tu devrais te reposer. El tu as
besoin de manger. Accorde-toi donc une sieste, tandis
que je nous trouve quelque chose à manger.
Une sieste ? Il plaisantait, sans doute. Et puis quoi
encore ? Dans cinq minutes, il lui apporterait une
bouillotte et des œufs brouillés ?
Si elle avait eu un brin d'élégance, elle l'aurait éconduit
d'un geste et se serait déhanchée jusqu'à la porte.
Au lieu de quoi, harassée de fatigue, elle s'adossa au
mur et se laissa lentement glisser à terre.
Je me repose quelques instants avant d'appeler un taxi.
Connor ne parut guère convaincu.
Pas question que je te laisse t'allonger par terre ! Viens
donc t'allonger sur mon lit.
Secouant la tête, elle s'installa en chien de fusil.
Je n'en ai que pour quelques minutes.
Sophie, je t'en prie, utilise donc mon lit...
Je ferme juste les yeux quelques secondes, et puis je
passe ce coup de fil...
La bouche sensuelle de Connor se pinça.
Ce n'est pas une bonne idée de prendre la route sous
l'orage. Nous devrions plutôt nous occuper de ces
plaies sur tes mains. Tu as besoin de te reposer
correctement. Malheureusement, je n'ai pas d'huiles
essentielles ici, mais j'ai tout de même l'eau chaude, du
savon, des serviettes...
L'idée de prendre un bon bain chaud était tentante.
Mais elle était trop épuisée pour quoi que ce soit. Elle
s'étira mollement contre le plancher.
Peut-être, murmura-t-elle en enfouissant le visage au
creux de son coude.
Connor la regardait d'un air fasciné.
Je vais commander le repas chez un traiteur, déclara- t-
il. De quoi as-tu envie, thaï, turc, indien, chinois ?
Bah, je n'en sais rien, dit-elle en un soupir las. Est-ce
ainsi que tu te nourris tous les soirs ? Tu commandes
tes repas chez le traiteur ?
Qu'y a-t-il de mal à manger chinois ? demanda-t-il en
s'agenouillant à son côté.
Il semblait hésiter à la prendre dans ses bras. A
présent, seuls quelques centimètres les séparaient, et
elle sentait chacune des cellules de son corps attirées
vers lui comme un aimant. Mais Connor se contenta de
secouer la tête.
Sophie... Vas-tu enfin me dire pourquoi tu étais prête à
risquer ta vie pour cette maudite lettre ? Il ne s'agit
quand même pas d'une lettre de chantage, hein ?
Seigneur, comme elle en avait assez de penser à cette
lettre ! Finalement, elle était presque soulagée de la
savoir perdue, à présent. Elle ne voulait plus jamais la
revoir.
Capitulant sous l'effet de la fatigue et du brandy, elle
cala sa joue entre ses mains et ferma les yeux.
— Il s'agit de mon profil ADN, grommela-t-elle.
En prononçant ces dernières paroles, elle se laissa
glisser sur une pente duveteuse qui effaça le contact dur
et froid du parquet et se sentit bientôt flotter le long
d'une rivière sans fin.
Elle eut vaguement conscience d'un bras robuste et
assuré qui passait sous ses épaules, tandis qu'un autre se
faufilait sous ses genoux, et elle sut que Connor était en
train de la soulever du sol.
Sophie rouvrit les yeux au son des couverts qui s'en-
trechoquaient.
Elle se trouvait dans une pièce qu'elle ne
reconnaissait pas et entendait le chant incessant de la
pluie battante à l'extérieur. Une délicieuse odeur de
cuisine lui titillait les narines, et son estomac se mit
instantanément à crier famine.
Elle émergea doucement de son sommeil tout en
étirant paresseusement ses muscles endoloris.
Le lit de Connor était incroyablement plus
confortable que le parquet sur lequel elle s'était
endormie. Inspirant une grande bouffée d'air, elle
s'efforça de faire pénétrer en elle le plus de molécules
possible de ce parfum subtil et familier : celui de la peau
de Connor.
— Ah, te voilà réveillée ! Tant mieux.
Elle tressauta et cligna des paupières alors qu'une
lumière douce baignait à présent la pièce. En se redres-
sant, elle s'aperçut que Connor avait passé un simple
jean et un T-shirt noir qui moulaient à merveille sa
silhouette athlétique. Ses cheveux étaient humides, il
avait dû se doucher et se raser.
Son estomac se noua.
Il était beau. Tellement beau.
Elle remarqua par ailleurs qu'il gardait les yeux rivés
sur elle, et elle s'aperçut que sa robe était relevée à mi-
cuisses.
Elle s'empressa de relever les draps jusqu'à sa taille et
s'assit sur le lit.
Combien de temps ai-je dormi ? demanda-t-elle en
tentant de recoiffer ses cheveux ébouriffés.
Environ deux heures, répondit Connor d'une voix
profonde, en lorgnant sans pudeur sur son décolleté.
As-tu faim ?
Je suis affamée, concéda-t-elle d'une voix suave.
Elle vit les recoins de ses lèvres sensuelles se relever.
Tant mieux ! Je suis allé chez l'épicier de nuit et j'ai
ramené deux ou trois choses pour dîner, expliqua-t-il
en se balançant sur ses pieds. Je te fais couler un bain
en attendant.
Seigneur, elle avait dû mourir et monter directement
au paradis !
Dès qu'il eut le dos tourné, elle s'extirpa du lit et remit
soigneusement les draps en place.
La salle de bains offrait des miroirs anciens et des
surfaces en marbre, et la baignoire était de style
Années folles. Alors qu'elle était en train de l'admirer,
Connor arriva avec un kit de première urgence.
A quoi cela sert-il ? demanda-t-elle en désignant un
instrument ressemblant à une pince chirurgicale.
Oh, tu sais, cela peut aider à retirer les petites parti-
cules qui peuvent se glisser sous la peau...
Comme des balles de revolver, déclara-t-elle aussitôt,
sans bien savoir d'où lui venait l'idée de cet exemple.
Connor croisa son regard.
Décidément, murmura-t-il sur un ton faussement
détaché, tu as beaucoup d'imagination.
Alors qu'il débouchait la lotion antiseptique, elle ne
put s'empêcher de penser qu'il avait beau se montrer
très hospitalier, rien n'avait changé, au fond : cet
homme lui dissimulait toujours un certain nombre de
choses quant à sa vie. Et elle ne devait pas oublier avec
quelle virulence il l'avait rejetée, l'autre soir, sur la
plage.
Lorsqu'il eut fini de désinfecter ses plaies, elle soupira.
Je n'ai aucun vêtement de rechange...
Connor parut hésiter avant de répondre.
Je peux peut-être te prêter une de mes chemises ?
A ces mots, elle eut l'impression que l'atmosphère de
la salle de bains était devenue suffocante.
Accepter une telle proposition équivaudrait à pénétrer
dans son intimité. Et puis, cela ne réglait pas la
question des sous-vêtements.
Je ne sais pas, bredouilla-t-elle. Je vais réfléchir.
Connor s'éloigna un instant puis revint avec une
chemise
bleue enveloppée dans sa housse de teinturier.
Il s'agit de ma dernière offre, déclara-t-il en l'ac-
crochant sur une patère. C'est à prendre ou à laisser.
Ah, j'allais oublier, ajouta-t-il d'un air bourru. C'est
tout ce qu'ils avaient, à l'épicerie.
A ces mots, il lui lança un petit sachet qu'elle rattrapa
au vol.
Incrédule, elle écarquilla les yeux en découvrant son
contenu.
Connor avait acheté un assortiment d'huiles essen-
tielles !
Alors que la voluptueuse baignoire s'emplissait d'eau
et qu'un nuage de vapeur s'en élevait, elle comprit que
cei homme n'était pas totalement insensible. Tous les
espoirs étaient encore permis.
Emue, elle cligna plusieurs fois des yeux et hocha la
tête.
Oh, Connor, c'est... C'est vraiment très délicat,
merci !
Je te laisse te détendre, à présent, rétorqua-t-il brus-
quement en quittant la pièce. Ne traîne pas trop.
Si sa petite sieste l'avait remise d'aplomb, le bain lui
apporta en plus une grande satisfaction. Allongée dans
l'eau parfumée au romarin et à la sauge, elle laissa les
essences précieuses envahir son corps et son esprit de
leur propriétés curatives.
Etait-elle en train de rêver, ou les choses entre
Connor O'Brien et elle étaient-elle bien en train de
changer depuis qu'il l'avait secourue sur la corniche?
Téléguidée par une faim grandissante, elle ne tarda
pas à quitter l'eau chaude pour sécher sa peau rendue
merveilleusement soyeuse par les huiles précieuses.
Elle essaya la chemise de Connor.
Celle-ci lui arrivait presque aux genoux, mais laissait
les cuisses largement découvertes sur le côté. Malgré le
côté hautement suggestif du vêtement, elle décida d'as-
sumer après s'être maintes et maintes fois observée dans
la glace.
Lorsqu'elle rejoignit Connor dans la cuisine, il était
occupé à remuer le contenu d'une casserole sur le feu. Il
leva les yeux pour la déshabiller du regard et parut
approuver son choix.
Aussitôt, elle sentit ses seins se tendre contre le tissu
de la chemise.
— Ah ! murmura-t-il gaiement, tu as l'air en
meilleure forme, à présent.
A la vue de sa chemise qui drapait non sans élégance
les épaules fines de Sophie, Connor sentit les
battements de son cœur s'accélérer.
Comment ne pas remarquer ses tétons qui pointaient
contre le tissu ? Comment ne pas lorgner du côté de son
décolleté? Comment oublier ce qu'il en avait vu, aupa-
ravant ?
Malgré le trouble que lui procurait la vision des
cuisses de Sophie à peine dissimulées par l'ourlet
arrondi de la chemise, il lui servit un verre de vin rouge
sans trembler. Puis il trinqua avec elle, s'efforçant de ne
pas laisser descendre son regard en dessous de son
menton.
Si elle n'avait pas été vierge, il aurait probablement
succombé à l'envie de glisser la main entre cet ourlet et
cette peau couleur de porcelaine...
Serrant les dents, il se retourna brusquement vers la
cuisinière pour masquer la bosse de son pantalon.

Sophie s'installa sur le tabouret et sirota distraitement


son vin.
Il y avait quelque chose de furieusement sexy dans la
manière qu'avait Connor de cuisiner. Il goûtait sa
mixture, ajoutait un peu de sel, reposait le couvercle sur
la casserole, se penchait pour surveiller la cuisson d'un
plat odorant qui mijotait dans le four... Ses gestes
étaient à la fois délicats, assurés et très masculins.
Les sens en état d'alerte maximum, elle écoutait la
pluie s'écraser contre les vitres tandis qu'une sorte de
conversation silencieuse s'instaurait entre eux.
Lorsqu'il posa son assiette de soupe fumante devant
elle, la faim lui donna l'impression d'être sur le point de
défaillir. A moins qu'il ne s'agisse d'un des effets du vin,
ou tout simplement du charme ensorcelant de Connor.
Bon appétit, susurra-t-il.
En plus du potage épicé, il lui avait concocté un menu
oriental, composé d'un taboulé, de petites boulettes de
viande fourrées aux pignons de pin et de galettes garnies
de houmous.
C'était copieux pour un dîner tardif lors d'une soirée
d'orage dans une maison vide, en compagnie d'un
homme aussi sexy que ténébreux.
C'était exquis ! s'exclama-t-elle après avoir avalé sa
dernière bouchée, une délicieuse saveur de cumin
s'attardant sur son palais.
Reprends-en, la pressa-t-il. Tu dois retrouver tes
forces.
C'est très gentil à toi, Connor, mais je ne peux
sincèrement plus rien avaler. Je suis vraiment épatée de
voir que tu t'es donné la peine de cuisiner ! Ta soupe
était un régal.
11 sourit.
C'est un des rares plats que je ne rate jamais. Il s'agit
d'un mets très banal au Moyen-Orient.
C'est vrai, tu as voyagé en Irak...
Après ta petite incursion pour fouiller dans mon
bureau, je me suis demandé si tu n'étais pas détective
privé, avoua-t-il avec une moue.
Tu exagères, dit-elle en répondant à son sourire.
Il se peut effectivement que je sois tombée par accident
sur ton passeport alors que je m'occupais de mes
propres affaires...
Ah oui, « tes affaires », répéta Connor en lui adressant
un regard pénétrant. Je crois justement que le moment
est venu d'en parler, de « tes affaires ».
Je ne crois pas. Parle-moi plutôt de l'Irak. Tu vivais à
l'ambassade ?
Par intermittence, oui. Parfois, j'étais dépêché sur
d'autres sites,
Tout cela devait être terriblement dangereux.
Les longues mains hâlées de Connor demeurèrent
immobiles sur la table.
Le monde est un endroit dangereux, déclara-t-il sans
ciller. Regarde, même l'Alexandra à Sydney peut se
révéler pleine de dangers et de pièges. On peut y
rencontrer des tentations aussi belles que fatales,
expliqua-t-il, un sourire taquin aux lèvres.
Une dose d'adrénaline se déversa dans les veines de
Sophie. S'accoudant à la table, elle cala son menton
dans ses paumes.
Quand retournes-tu en Irak? demanda-t-elle de but en
blanc.
Connor laissa transparaître un brin de surprise, mais il
se ressaisit aussitôt.
Qui te dit que je dois... Enfin, là n'est pas la question. Il
y a une chose que nous devrions tirer au clair, toi et
moi.
Elle recula contre le dossier du tabouret et soupira.
Je suppose que tu veux parler de cette lettre...
Non, je crois que je peux deviner de quoi il retourne
à présent, dit-il en plissant le front, avant de prendre ses
mains dans les siennes.
Connor la dévisageait à présent avec une telle
intensité qu'elle en eut le souffle coupé.
Je... Il y a quelque chose que je voulais te dire, reprit-
il d'une voix chevrotante. Je ne suis pas très doué pour
ces choses-là, mais... Tu sais, cette nuit-là, à la plage. Je
n'aurais pas dû... Je suis conscient de t'avoir blessée,
Sophie. Et cela me hante, depuis. Je suis navré, tu ne
méritais pas cela. Je te demande de m'excuser.
Son regard était si franc, si honnête.
Malgré son soulagement, elle sentit ses joues s'en-
flammer. Il lui était difficile d'écouter Connor reparler
de ce moment-là, même avec le plus grand tact. Mais il
était temps pour elle de se comporter comme une
véritable adulte. Le souffle court, elle entrelaça ses
doigts aux siens.
Je suis une grande fille, tu sais. N'est-il pas temps
d'oublier tout cela et de passer à autre chose ? Tiens, par
exemple, qu'as-tu prévu comme dessert?
Connor serra un peu plus fort sa main dans la sienne.
La lueur sensuelle qui brillait au fond de ses yeux s'am-
plifia.
Tu ne t'en doutes pas? chuchota-t-il.
Ses mains glissèrent alors le long de ses bras, il se
pencha vers elle et captura doucement ses lèvres. Puis il
la prit dans ses bras et l'entraîna tout contre lui.
Alors qu'il appuyait son baiser pour en faire un véri-
table acte érotique, elle y répondit avec une ferveur non
dissimulée.
Une saveur citronnée mêlée à celle du vin et à ce goût
si particulier qu'avaient les lèvres de Connor lui envahit
les sens, elle sentit ses jambes se liquéfier et s'agrippa à
son T-shirt pour garder l'équilibre.
Alors que ses mains expertes remontaient sous la
chemise à la rencontre de ses seins pour redescendre le
long de ses hanches, elle sentit chaque cellule de son
corps s'embraser et se laissa envahir par une fièvre
exquise : elle voulait déguster cet homme, goûter à tous
les délices qu'il avait à lui offrir.
L'érection de Connor se pressa contre son ventre.
Immédiatement ruisselante de désir, elle l'embrassa à
pleine bouche, jusqu'à en perdre haleine.
Est-ce bien ce que tu veux ? demanda-t-il entre deux
souffles saccadés.
Elle acquiesça d'un signe de tête. Faisant un pas de
côté en direction de la chambre, elle l'interrogea du
regard pour s'assurer que les signaux qu'elle lui avait
envoyés avaient été suffisamment clairs.
Mais Connor n'avait pas besoin d'encouragements.
D'un geste confiant, sûr de lui, incroyablement
romantique, il la souleva dans ses bras.
Alors qu'il avançait d'un pas décidé, elle tendit le
visage pour goûter une nouvelle fois à ses lèvres
brûlantes.
Arrivé à son lit, il l'allongea sur les draps et la
contempla d'un regard de braise tandis qu'elle attendait,
le souffle court, en proie à une excitation plus violente
encore que l'orage qui venait de s'abattre sur le port.
Enfin, il s'assit sur le rebord du lit.
Priant pour que cette fois il ne change pas d'avis, elle
chuchota d'un air détaché :
J'ai des préservatifs dans mon sac, si tu veux.
Vraiment? dit Connor avec un sourire amusé et
tendre. Eh bien, il se trouve que moi aussi j'en ai à
portée de main. Mais si nous n'en avons pas assez, nous
utiliserons les tiens !
A ces mots, il ouvrit le tiroir de la table de chevet et en
sortit une poignée qu'il déposa sur l'oreiller.
Bien, dit-elle en retenant son souffle. Et maintenant,
que se passe-t-il ?
Connor s'étendit à côté d'elle sur le lit, s'appuyant sur
un coude pour mieux la contempler d'un œil coquin et
provoquant.
Eh bien, pour commencer, nous allons nous embrasser,
murmura-t-il en posant ses lèvres sur les siennes, avant
de les promener allègrement sur ses joues, ses sourcils,
ses tempes.
Lorsqu'il atteignit sa gorge, la fougue de ses petits
baisers s'intensifia, et elle sentit ses seins se gonfler
d'impatience.
Tu ne veux pas enlever ma chemise ? demanda-t-elle
d'une voix suave et haletante.
Les yeux de Connor s'embrasèrent.
Qu'y a-t-il en dessous ?
Elle n'avait pas lu des centaines d'articles de
Cosmopolitan pour rien.
A toi de le découvrir, susurra-t-elle, le cœur tambou-
rinant contre sa poitrine.
Visiblement prêt à relever le défi, il changea de
position pour s'intéresser d'abord à son pied gauche.
Sans un mot, il se mit à lui masser doucement la voûte
plantaire, avant de se pencher pour embrasser
délicatement le creux de sa cheville.
Ciel, comme c'était excitant ! Qui aurait pu croire que
les pieds et les chevilles étaient à ce point érogènes ?
Des rivières de volupté coulaient à présent depuis son
pied le long de sa jambe, remontant lentement jusqu'au
centre de son désir, entre ses cuisses.
L'autre pied, Connor, gémit-elle en s'enfonçant un
peu plus dans le lit. Je t'en prie !
Il obtempéra, et reproduisit le même assaut sur sa
cheville droite tout en la déshabillant du regard.
Elle frémit alors que les mains aventureuses de
Connor remontaient maintenant le long de ses jambes,
les caressant avec vénération. Lorsqu'il arriva au niveau
de ses genoux, il fit une petite pause, semblant retirer
une grande satisfaction sensuelle du contact de sa peau
brûlante. Plus il la caressait, plus elle se sentait irradiée
par cette onde voluptueuse.
Et ce regard... Ce regard chargé de désir et de provo-
cation transformait son corps en un véritable brasier.
Connor était si habile. Ses doigts incandescents
remontaient à présent le long de ses cuisses,
s'immisçaient sous l'ourlet de la chemise, effleuraient
les chairs sensibles du haut de ses cuisses, jouaient avec
l'élastique de sa culotte.
Alors qu'elle s'attendait à ce qu'il la lui enlève, il se
pencha au-dessus d'elle et traça avec sa langue un
chemin de feu le long de son ventre, se rapprochant
immanquablement du centre vibrionnant de son désir.
Sa bouche s'assécha alors que Connor était sur le
point d'effleurer son point le plus sensible, mais il
choisit ce moment pour relever le visage et la scruter
d'un air coquin.
Débarrassons-nous de cette chemise, maintenant !
Maintenant ? Certes, elle en mourait d'envie, mais...
Il se rassit et ôta son T-shirt.
Dans la lumière tamisée, son torse large était couleur
de bronze, et la toison qui le recouvrait constituait une
irrésistible tentation.
Elle tendit les doigts pour toucher sa mystérieuse
cicatrice au niveau des côtes, mais Connor saisit sa
main au vol.
— Non!
Il se rallongea près d'elle en s'appuyant sur un coude,
la couvrant d'un regard si bouillonnant qu'elle crut
défaillir. Lentement, il dégrafa le premier bouton de la
chemise tout en lorgnant sur ses seins enflés de désir.
Un par un, il défit chaque bouton. Enfin, avec un petit
gémissement, il referma sur ses seins ses mains puis ses
lèvres brûlantes, lui arrachant de voluptueux soupirs.
C'était si merveilleux, si excitant!
Connor déposait à présent une pluie de baisers
enflammés en direction de son nombril, jusqu'à
atteindre l'élastique de sa culotte. A cet instant, il fit une
nouvelle pause. Leurs regards se croisèrent, et il l'aida à
se débarrasser définitivement de la chemise.
Après avoir longuement contemplé ses seins, il la prit
dans ses bras et l'embrassa, tendrement pour
commencer puis avec une fougue allant crescendo.
Alors que sa langue ensorcelait la sienne, elle sentait le
cœur de Connor palpiter contre le sien en une sorte
d'osmose magnétique.
Ivre de désir et d'émotions, chaque pore de son corps
semblant vouloir se fondre en lui, elle s'agrippa à lui
avec ferveur. La toison virile de son torse se frottait à
présent à ses seins. Elle se plaqua contre lui, avide du
contact de sa peau brûlante.
Il déposa une nouvelle salve de baisers le long de sa
gorge, excitant encore en elle cet incroyable, cet
irrépressible désir d'aller toujours plus loin.
Ses tétons étaient durs, presque douloureux, et
lorsqu'il referma ses lèvres autour de l'un d'eux, elle crut
s'évanouir de plaisir, tout en mourant d'envie qu'il
n'oublie pas le second.
Par bonheur, il exauça son vœu et vint bientôt suçoter
le pourtour de son autre sein.
Oh, Connor ! murmura-t-elle en un soupir langou-
reux, en se tortillant sous ses caresses.
Entre ses cuisses, elle sentait son désir monter et
monter encore, mais les mains expertes et irradiantes de
Connor semblaient prendre un malin plaisir à éviter
cette zone cruciale.
Soudain, il releva le visage, et elle sentit l'atmosphère
dans la chambre s'alourdir.
Qu'attendons-nous ? fit-elle d'une voix rauque.
Il sourit puis, d'un seul geste, fit rouler sa culotte sur
ses chevilles.
Tu es si belle, murmura-t-il d'une voix chargée de
désir, contemplant son corps offert avec une ferveur non
dissimulée.
Le seul fait de voir l'effet qu'elle lui faisait l'emplissait
d'un merveilleux sentiment de pouvoir, mais elle ne put
s'empêcher de repenser à la dernière fois où ils s'étaient
trouvés dans une telle position.
Déglutissant péniblement, elle parvint à articuler :
Connor. Tu n'es pas... Tu n'es pas réticent à l'idée que
je sois encore vierge, n'est-ce pas ?
Connor ferma brièvement les yeux. Puis il poussa un
petit gémissement et se pencha pour embrasser sa toison
de la façon la plus tendre et excitante qu'elle aurait pu
imaginer.
Laissant échapper un voluptueux soupir, elle
frissonna et desserra les cuisses afin de mieux accueillir
les lèvres brûlantes qui goûtaient à présent sa chair la
plus intime. La sensation était si délicieuse, si excitante
qu'elle frôla l'extase. Pourtant, cette douce et érotique
frénésie s'interrompit tandis que Connor roulait
brusquement sur le côté.
Sans la quitter des yeux, il défit sa ceinture et se débar-
rassa de son pantalon à la hâte.
Le souffle coupé, elle admira sa beauté puissante et
virile. Si grand, les lignes de son corps élancé et
musculeux si bien dessinées, il ressemblait à ces
sculptures d'Apollon de l'Antiquité grecque.
Impressionnée par son sexe enflé dressé vers elle, elle
sentit soudain son courage lui faire défaut.
Connor remarqua aussitôt son hésitation. S'asseyant sur
le lit, il lui déposa un doux baiser sur les lèvres.
Sophie, murmura-t-il en lui prenant la main pour la
refermer autour de son membre. Sens comme ma peau
est douce ici : elle ne te fera aucun mal.
Fascinée, elle referma les doigts autour de son sexe dur
comme le roc.
Connor demeura immobile. Seule une lueur vacillante
au fond de ses yeux laissait deviner l'effort qu'il
consentait pour ne pas réagir.
Tu es si..., bredouilla-t-elle. Qui aurait pu croire ?
Un certain amusement traversa le visage de Connor,
puis il lui écarta doucement la main avant de l'allonger
sur les draps avec un air possessif qui l'émut au plus
haut point.
Alors, il retira un préservatif de son sachet et l'enroula
prestement autour de son érection.
Elle le regarda faire, figée, sentant chaque cellule de
son corps vibrer d'anticipation.
Et maintenant ? chuchota-t-elle.
Et maintenant, ça, murmura-t-il en dessinant une
nouvelle ligne de feu de sa poitrine jusqu'à l'intérieur de
ses cuisses.
Puis il insinua une main entre les replis de son sexe
brûlant de désir, lui arrachant un petit cri de volupté
alors qu'il caressait son point le plus sensible.
Un plaisir immense monta en elle au gré de ses
caresses, l'irradiant tout entière.
Connor s'arrêta enfin pour allonger son corps massif
et tendu contre le sien et se positionner entre ses cuisses.
Elle sentait de nouveau les pulsations accélérées de
son cœur et entendait sa respiration haletante.
Accroche tes pieds autour de ma taille, ordonna- t-il.
Retenant son souffle, elle obtempéra sous son regard
ténébreux.
Bientôt, elle sentit son sexe dur et palpitant contre son
entrée humide, et Connor donna un coup de reins ferme
et pressant.
Ressentant une étrange tension au plus profond d'elle,
elle se cambra et lui planta les ongles dans les épaules.
Détends-toi, lui susurra-t-il d'une voix douce et
rassurante au creux de l'oreille, avant de donner un
nouveau coup de reins, plus appuyé.
Cette fois, Connor était en elle. Elle sentit comme une
déchirure dans ses chairs les plus intimes, se contracta et
poussa un petit gémissement étranglé.
Une expression aussi victorieuse que radieuse
illuminait le visage de Connor. Mais il s'immobilisa et
l'interrogea du regard, visiblement alarmé. Il se retira en
fermant furtivement les yeux.
Je t'ai fait mal? demanda-t-il d'une voix éraille'e, tout
en fronçant les sourcils.
A cet instant, elle s'aperçut que le bref inconfort qu'elle
avait éprouvé s'était mué en une exquise sensation.
Non, tout va bien, assura-t-elle d'une voix suave, en se
détendant.
Connor lui caressa les cheveux d'une main apaisante
mais légèrement tremblante.
On peut arrêter, si tu veux, susurra-t-il en embrassant
doucement ses pommettes.
Ses yeux étaient à la fois si tendres et si fougueux
qu'une nouvelle onde de désir embrasa Sophie.
Non, murmura-t-elle. Continue, je t'en prie...
Connor prit une profonde inspiration et l'embrassa avec
une ardeur infinie.
Une nouvelle déferlante de plaisir s'abattit alors sur
elle, et elle noua ses jambes autour de lui.
Il la pénétra de nouveau, la comblant sans la quitter des
yeux alors qu'elle s'accoutumait peu à peu à cette
nouvelle sensation. Lentement, contrôlant ses
mouvements, il se mit à aller et venir en elle,
accélérant petit à petit la cadence.
Jamais elle n'avait éprouvé un plaisir aussi intense,
complet, parfait ! Elle s'agrippa à son corps athlétique,
s'abandonnant entièrement à lui, se cambrant pour
mieux le recevoir. Les gémissements qui s'échappaient
de sa gorge semblaient à peine lui appartenir...
Répondant à l'escalade de ses sens, le va-et-vient de
Connor se fit plus pressant, initiant en elle un
tourbillon de passion frénétique qui ne tarda pas à
atteindre son paroxysme.
Agitée par un spasme des plus exquis, elle se laissa
envahir par l'ultime volupté, tandis que Connor
poussait à son tour un long râle de plaisir.
Son corps massif se tendit une dernière fois comme
un arc. avant de s'écrouler sur elle, pantelant, joue
contre joue. Leurs corps entremêlés et essoufflés étaient
couverts de sueur. Après quelques instants, il roula sur
le côté et rejoignit la salle de bains.
Elle resta allongée dans la pénombre, à écouter l'eau
couler de l'autre côté de la cloison, tout en se
remémorant avec délectation les sensations nouvelles
que Connor lui avait procurées.
Celui-ci la rejoignit bientôt. Ils restèrent longuement
allongés l'un contre l'autre, en silence, puis il se tourna
vers elle et la dévisagea d'un regard brûlant.
Alors, mademoiselle Woodruff ?
Alors, monsieur O'Brien ? répondit-elle en souriant.
Doucement, Connor promena sa paume le long de
son corps apaisé, tandis que le cœur de Sophie
fourmillait d'un million de choses qu'elle avait envie de
lui dire.
Comme s'il lisait dans ses pensées, il murmura :
Chut, ma jolie... Dors, à présent.
Il l'embrassa tendrement sur les lèvres puis l'enlaça
contre son corps chaud et massif.
Au réveil, Sophie s'écarta doucement des bras de
Connor pour rejoindre la salle de bains à pas de loup.
Elle lui emprunta son savon pour une toilette rapide, se
brossa les dents en mettant du dentifrice sur ses doigts
et, incapable de retrouver ses habits, s'enroula dans une
serviette de toilette.
Quand elle retourna dans la chambre, Connor était
réveillé et contemplait par-delà la fenêtre le port balayé
par une petite pluie fine.
Elle hésita à se montrer.
N'était-il pas temps de s'éclipser de façon élégante en
se glissant vers la sortie ? D'autant qu'elle avait du
ménage à faire avant le retour de vacances de Leah et
Zoe, des livres à rapporter à la bibliothèque...
Oh ! dit-elle d'une voix hachée, lu es réveillé. Aurais-
tu vu mes habits ? J'ai plein de choses à régler à la
maison.
Connor se tourna lentement et l'examina d'un œil
languide. Son regard noir et sa barbe naissante lui
donnaient une allure presque patibulaire.
Tu comprends, poursuivit-elle, un peu
décontenancée, je dois aller à la bibliothèque, et aussi...
Il haussa un sourcil enjôleur et souleva les draps en
lui faisant signe de le rejoindre.
Elle crut se liquéfier. Son torse bombé couleur de
bronze était si attirant...
Elle fit d'abord un pas en arrière, puis laissa
finalement tomber sa serviette à terre et se précipita en
riant dans ses bras.
Bien plus tard, il quitta le lit pour aller se doucher, la
laissant les membres fourbus, le corps vibrant encore de
plaisir, le cœur en apesanteur. Après avoir retrouvé leurs
vêtements éparpillés çà et là, il lui envoya un baiser du
bout des doigts et sortit prendre sa voiture.
Elle était sa prisonnière, à présent. Elle n'avait pas de
vêtements de rechange, donc elle était forcée de rester
au lit. En tout cas, tel était apparemment le raisonnement
de Connor.
Elle profita de son absence pour prendre une longue
douche relaxante.
11 revint peu après avec des croissants chauds, de la
confiture de fraises, de la crème fraîche, des cafés au lait
encore fumants et des pêches aux rondeurs rosées.
Je n'ai pas pu leur résister, dit-il en l'embrassant sur
l'épaule, découverte par le T-shirt trop grand qu'il lui
avait prêté. Elles me faisaient trop penser à toi.
D'une certaine façon, le manque de meubles était une
aubaine : quel meilleur endroit pour un petit déjeuner de
week-end qu'un grand lit confortable ?
Assez rapidement, la conversation tourna autour de la
fameuse lettre. Grâce à sa vivacité d'esprit, Connor avait
rapidement établi la relation entre sa mystérieuse
relation avec Elliott et ce profil ADN auquel elle tenait
tant.
J'aurais dû m'en douter dès le début, dit-il.
Elle n'avait plus aucune raison de lui dissimuler la
vérité à présent, et il lui raconta toute l'histoire, depuis
leurs rendez-vous dans des cafés jusqu'à ce désastreux
dîner au Sands. Elle ne put s'empêcher de trembler
lorsqu'elle lui expliqua qu'Elliott lui avait offert de
l'argent pour acheter son silence.
Ce n'est pas une façon très élégante de gérer ce genre
de situation, remarqua Connor d'une voix grave. Il doit
vraiment avoir beaucoup à perdre.
Je le crois aussi. S'il ignorait vraiment mon existence
auparavant, cela a dû être un choc pour lui. N'importe
qui aurait peur de tout perdre, dans un cas pareil.
Pourtant, j'ai l'intime conviction qu'il me cache quelque
chose. Peut-être était-il au courant à mon sujet ? En tout
cas, il savait que Sylvie, ma mère biologique, était
décédée.
Il savait peut-être qu'elle avait eu un bébé, sans se
douter qu'il en était le père, nota Connor en léchant une
miette de croissant tombée sur sa cuisse. C'est tragique
de savoir que ta mère est morte quand tu étais si jeune.
En effet, dit-elle en soupirant. Mais j'ai eu la chance
d'être adoptée par les Woodruff. Ils ont été des parents
merveilleux et très généreux. Tu sais, ils n'ont jamais
vendu leur maison ici. Peut-être reviendront-ils un
jour...
Connor la dévisagea, le front plissé.
Cela a dû être difficile pour toi de les voir partir. Quel
âge avais-tu ?
Dix-huit ans. Oui, c'était dur au début. Mais je me
suis fait une raison. Il faut apprendre à tourner la page.
Et puis, cela m'a obligée à être plus indépendante. La
plupart des jeunes quittent de toute façon le nid familial
à cet âge-là.
Le regard de Connor demeura songeur.
Que pensent-ils de tes démarches auprès d'Elliott?
Eh bien, je ne leur en ai pas parlé, admit-elle en
baissant les yeux. Mais je pense que cela leur est égal.
Peu convaincu. Connor leva les sourcils.
A ce qu'il savait, les parents adoptifs se sentaient
souvent menacés lorsque leur enfant partait à la
recherche de leurs origines. De plus, il était peu courant
de voir des parents adoptifs choisir de quitter le pays à
la majorité de leur enfant, a fortiori en les y
abandonnant.
Pour quelle raison ont-ils émigré en Angleterre?
Bea a une fille issue d'un premier mariage et qui vit
en Angleterre. Lors de sa première grossesse, Lauren a
eu des problèmes de santé, et Bea a naturellement voulu
être présente à ses côtés. Mais le bébé est né avec un
léger handicap, et Bea et Henry ont décidé de rester
auprès d'elle pour lui offrir leur soutien. A présent, elle
a eu d'autres enfants, et j'imagine que ce sont des
grands-parents géniaux. En tout cas, je pense que les
liens du sang sont toujours les plus forts... C'est sans
doute ce qui m'a poussée à m'interroger au sujet de mes
parents biologiques.
Il sentit sa gorge se nouer.
Sophie pouvait-elle vraiment ressentir aussi peu
d'amertume après avoir été abandonnée par deux
couples de parents ?
Cela ne devrait pas être bien difficile de découvrir
toute la vérité au sujet d'Elliott et Sylvie, déclara-t-il en
se frottant le menton. Es-tu sûre de vouloir aller
jusqu'au bout ? Tu pourrais découvrir des choses que tu
préférerais ignorer...
J'y ai songé. Mais même si je n'éprouve pas grand-
chose pour Elliott, il y a le petit Mathew. J'adorerais
avoir un petit frère. Et puis, tu sais, je soupçonne Elliott
de ne pas être très affectueux avec lui. Un enfant a
besoin d'être entouré de gens qui lui parlent, qui
s'intéressent à lui.
Ce rôle est peut-être tenu par d'autres membres de sa
famille ?
Je l'espère, dit Sophie en épongeant le jus de pêche
qui lui coulait du menton. Tu sais, je me dis parfois que,
vu la façon dont Elliott a réagi, je devrais peut-être
renoncer.
Une telle décision soulagerait sans doute sir Frank.
Quoique... Ce n'était même pas sûr.
Il croisa le regard bleu de Sophie et éprouva un
remords.
Elliott Fraser méritait-il d'être protégé ? Chaque
enfant avait le droit de connaître ses origines. Après
tout, sir Frank serait peut-être ravi d'apprendre qu'il
avait une petite-fille...
Ecoute, reprit Sophie comme si elle avait lu dans ses
pensées, tout ce que je viens de te raconter doit rester
entre nous. J'ai promis à Elliott de garder le secret.
Oui, mais lui n'avait rien promis de tel.
Elle le dévisagea d'un air affolé.
Tu n'as quand même pas l'intention d'en parler à son
père? Ce serait un choc pour ce pauvre Elliott de savoir
que son père aurait appris la nouvelle par quelqu'un
d'autre. Je t'en prie, Connor, ne fais pas ça ! implora-t-
elle en lui prenant la main. Elliott peut encore changer
d'avis et considérer que c'est une chance d'avoir une
enfant dont il ignorait l'existence... Laissons-lui le
temps d'annoncer lui-même la nouvelle à son père. Si tu
révèles l'histoire à sir Frank, Elliott m'en voudra
terriblement. Et puis, je te rappelle que tu ne serais
même pas au courant si je n'avais pas égaré cette lettre !
Elle se pencha vers lui, et le T-shirt trop grand qu'il
lui avait prêté dévoila un sein rond et blanc.
Une nouvelle bouffée de désir s'empara de lui, si bien
qu'il n'était plus sûr d'être assez lucide pour prendre la
bonne décision.
Il avait fini par arriver au bout de ses investigations et
avait déjà utilisé une bonne partie de son congé. Il devait
la vérité à sir Frank.
Combien de temps Elliott allait-il encore tergiverser?
La plupart des hommes auraient déjà ouvert leur porte à
cette enfant inconnue. Discrètement peut-être, mais
avec- enthousiasme, sans aucun doute.
Il s'obligea à ne pas transmettre sa mauvaise opinion
d'Elliott à Sophie. Celle-ci semblait déterminée à
accorder une seconde chance à tous ceux qui
l'abandonnaient...
Sir Frank est très âgé, remarqua-t-il. Si Elliott ne lui
dit pas rapidement la vérité, il risque de ne pas avoir le
temps de faire ta connaissance. Ce serait terriblement
dommage.
Mais, je... Oh, Connor, je t'en prie, promets-moi...
Avec ces lèvres enflées et ce buste délicat exposé à
travers le T-shirt beaucoup trop grand, Sophie était plus
désirable que jamais, et il ne savait plus que penser.
Peut-être avait-elle raison au final : Elliott méritait une
seconde chance.
En tout cas, Sophie avait beaucoup à perdre s'il
révélait la vérité à sir Frank. Il n'imaginait que trop à
quel point elle serait effondrée si Elliott Fraser la
rejetait.
Et pourtant, il s'était engagé envers le vieil ami de
son père, qui lui avait accordé tout sa confiance...
Quelle que soit sa décision, quelqu'un allait en souf-
frir.
Finalement, il opta pour un compromis.
— Ecoute, Sophie, je ne suis pas sûr de pouvoir tenir
une telle promesse. Si je croise sir Frank dans les jours
qui viennent, je serais extrêmement embarrassé d'avoir
à lui cacher quelque chose d'aussi important. Attendons
de voir comment réagit Elliott. S'il ne fait preuve
d'aucun intérêt à ton égard d'ici à cet automne, alors
nous verrons bien.
« Cet automne. »
Sophie se mordit la lèvre. L'échéance lui paraissait
bien lointaine.
Pour l'heure, elle se trouvait dans un lit, à moitié
dévêtue, en compagnie de l'homme le plus sexy de la
planète. Dehors, il pleuvait à verse, et le week-end
s'annonçait... coquin.
Elle passa la majeure partie du samedi au lit avec
Connor, qui l'initia généreusement aux joies de
l'érotisme, et elle se comporta en élève consentante et
exemplaire.
Le teinturier livra ses vêtements dans l'après-midi,
mais elle n'eut pas besoin de les enfiler avant le
lendemain matin, alors que le ciel était redevenu d'un
bleu radieux.
A la lumière du jour, la maison de Connor était très
lumineuse. Le panorama était splendide, offrant une vue
de carte postale sur le Grand Opéra de Sydney et
Harbour Bridge, jusqu'à Manly Heads. Mais l'extérieur
semblait plutôt négligé. Le jardin en terrasses était
envahi de ronces et de lianes, et bien que la propriété
dispose d'un ponton d'accès à l'eau, il n'y avait aucun
bateau amarré au pied du jardin.
Elle examina les rosiers exubérants et regretta de ne
pas avoir une paire de sécateurs à sa disposition. Mais,
de plus en plus consciente de l'approche de la fin du
week-end, elle s'efforça de ne pas penser à l'avenir.
Dans l'après-midi, Connor l'emmena se promener au
marché dominical du quartier, où ils chinèrent quelques
antiquités.
Au cours de la promenade, Connor s'arrêta devant un
étalage de tapis orientaux, et elle tenta de déchiffrer son
regard.
A la façon dont il parlait du Moyen-Orient, elle devi-
nait qu'il gardait une certaine affection pour cette
région. Avait-il envie de retourner dans ces contrées
lointaines ?
A sa grande surprise, Connor s'approcha du vendeur
et entama d'âpres négociations autour d'un tapis du
Cachemire. L'homme le déroula devant eux sur le sol.
L'étoffe était en pure soie, se déclinant en des tons
délicats et changeants de rose, lavande et bleu.
Connor la fixa avec une étrange lueur dans les yeux.
— Comme ce doit être agréable de faire la sieste sur
une telle étoffe. Rapportons ce tapis à la maison et
essayons-le !
Ces paroles la comblèrent. Même si la fin du week-
end se profilait, Connor ne semblait pas encore décidé à
lui faire ses adieux.
Lorsqu'il la raccompagna chez elle à l'aube, le lundi
matin, les gestes encore alanguis d'avoir fait l'amour
toute la nuit, il ne rentra pas à l'intérieur de la maison. Il
l'embrassa langoureusement devant la porte puis pivota
sur ses talons pour regagner sa voiture.
Le cœur battant la chamade, elle le regarda s'éloigner
en se demandant comment elle, Sophie Woodruff,
pouvait être désirée par un homme comme lui...
Le hall d'entrée était encombré de matériel de
camping, ce qui signifiait que Leah et Zoe étaient de
retour. Allaient- elles la croire lorsqu'elle leur
raconterait le week-end féerique qu'elle venait de
passer?
Elle s'avança sur la pointe des pieds afin de ne pas les
réveiller puis se glissa en silence dans son lit, encore
ébahie du bonheur qui s'était abattu sur elle ces derniers
jours.
Les semaines suivantes furent une succession de
journées plus joyeuses les unes que les autres. L'été
battait son plein. Elle retrouvait Connor avant d'aller au
travail, et les matins où ils avaient passé la nuit
ensemble, il la conduisait directement à l'Alexandra. A
l'heure du déjeuner, ils se donnaient rendez-vous pour
pique-niquer au jardin botanique. Les passants se
tenaient en général à l'écart d'eux, ce qui leur permettait
de s'ébattre à leur guise sur les pelouses.
Profitant de ces instants d'intimité, Connor s'amusait
à la taquiner, flirtait allègrement, se disputait avec elle
au sujet des films qu'ils avaient vus ou lui subtilisait le
roman qu'elle était en train de lire afin de déclamer à
voix haute des extraits des scènes sensuelles. Ce qui la
faisait immanquablement éclater de rire.
Mais, parfois aussi, le fait d'entendre ces mots très
évocateurs prononcés par sa voix chaude et sensuelle
l'émoustillait, et elle savait que lui non plus ne restait
pas indifférent à ce qu'il lisait. Alors, Connor jetait le
livre à terre et la plaquait sur le gazon.
Or, elle ne pouvait plus désormais se contenter de ses
seuls baisers. Plus d'une fois, la passion qui les
consumait les contraignit à regagner l'Alexandra à la
hâte. Retenant leur souffle dans l'ascenseur, évitant de
s'effleurer en traversant les galeries, ils s'enfermaient
enfin dans le bureau de Connor pour y faire l'amour de
façon aussi urgente qu'exaltée. Ils ne prenaient même
pas le temps de se déshabiller. Connor l'asseyait en toute
hâte sur son bureau et s'enfouissait aussitôt en elle,
allant et venant à un rythme aussi exquis que frénétique,
la portant immanquablement vers les rives de la
jouissance, jusqu'à ce qu'elle n'en puisse plus et qu'il soit
obligé de la bâillonner de sa bouche pour étouffer ses
petits gémissements de plaisir.
Au début, il l'invitait au restaurant le soir, mais, leur
relation prenant un tour de plus en plus passionné, il
devint plus confortable pour eux de dîner chez lui dans
l'intimité. Les ustensiles de cuisine de Connor étant très
limités, ils se rendirent ensemble dans un magasin
d'équipement culinaire pour choisir une batterie de
cuisine. Au cours de la même semaine, soucieux de son
confort lorsqu'elle lui rendait visite, Connor acheta deux
très beaux canapés assortis au tapis du Cachemire, de
même qu'un fauteuil et une table basse.
La vie n'avait jamais semblé aussi douce à Sophie.
D'une certaine façon, le bonheur qu'elle éprouvait auprès
de Connor contaminait tous les autres compartiments de
sa vie. Les moments qu'elle passait auprès de Leah et
Zoe, bien que réduits, étaient plus drôles et agréables
qu'auparavant, et son travail au contact des enfants plus
satisfaisant que jamais. Happée par un joyeux tourbillon,
elle avait oublié tous ses soucis.
Jusqu'au matin où elle décrocha son téléphone et
reconnut la voix d'Elliott Fraser.
Celui-ci s'excusa d'une voix aussi sèche et distante
qu'à l'accoutumée d'avoir tant tardé à la rappeler. Il
invoqua des soucis au travail, puis lui renouvela son
invitation à dîner afin de pouvoir mener à bien avec elle
une discussion digne de ce nom.
Elle accepta sans hésiter, même si la date qu'il
proposait correspondait à sa soirée netball, et elle nota
l'adresse qu'il lui dicta.
D'instinct, elle décida de garder ce rendez-vous pour
elle : mieux valait attendre de voir comment les choses
allaient évoluer.
Il s'agissait d'une entrevue privée entre elle et son
père. Selon la façon dont cela se passerait entre eux, elle
en parlerait ou non à Connor. Elle avait compris que ce
dernier n'avait pas une haute estime pour Elliott, et si
les choses ne tournaient pas à l'avantage de Sophie, elle
n'avait pas envie d'apparaître aux yeux de son amant
comme une petite fille délaissée.
Elle se rendit chez Elliott en voiture, emportant par
courtoisie avec elle une bouteille de vin.
Elle fut assez surprise en découvrant que le 221
Enfield Place était une modeste maison en briquettes
avec un petit jardin entouré d'une haute haie.
Lorsqu'elle sonna à la porte, une femme en tablier blanc
vint lui ouvrir en se présentant comme Marie et lui
expliqua que M. Fraser avait été retardé. Elle lui fit
traverser le petit hall puis la guida jusqu'à un salon
jouxté par une salle à manger. Marie la remercia pour la
bouteille de vin et proposa de lui en servir un verre,
mais Sophie accepta plutôt un verre de limonade.
Une délicieuse odeur de cuisine suggérait que le
repas était en préparation. Marie lui apporta sa boisson
avant de retourner cuisiner.
Sophie s'assit sur un canapé aux lignes un peu
démodées et parcourut la pièce du regard.
La décoration était inspirée par des couleurs
automnales, voire un peu fanées, tant dans
l'ameublement que dans les scènes de chasse accrochées
au mur, visiblement de banales reproductions. Sur une
console était posée une petite lampe entourée de deux
photos encadrées. L'une représentait Elliott Fraser alors
qu'il était beaucoup plus jeune, l'autre son mariage. Le
faste quasi royal de la seconde contrastait étrangement
avec la banalité de ce salon pavillonnaire.
Elle se pencha pour observer les clichés de plus près.
Oui, le mariage avait été célébré en grande pompe, la
mariée et les demoiselles d'honneur arboraient des
tenues de haute couture.
Aucune trace d'enfant dans ce salon. Où était Mathew
?
Elle passa dans la salle à manger, où la table avait été
dressée pour deux personnes. Mathew devait être gardé
par quelqu'un, à moins que...
Une étrange intuition la fit frissonner alors qu'elle
observait attentivement cette pièce. Tout comme dans le
salon, les meubles dégageaient une impression de
stérilité. Quelque chose ne collait pas avec la
description que Connor lui avait faite de la richissime
famille Fraser.
Horrifiée, elle comprit alors sans le moindre doute
qu'Elliott ne vivait pas ici.
Suivant les effluves de cuisine, elle rejoignit Marie
qui s'activait aux fourneaux.
La gouvernante tressauta de surprise en la voyant.
Désolée de vous déranger, Marie, dit Sophie avec un
sourire. J'aimerais vous poser une question. Cela fait
longtemps que vous cuisinez pour M. Fraser?
L'employée de maison cessa de faire tourner sa
spatule dans la casserole.
Euh, non, pas vraiment. C'est juste que... je ne suis
qu'une intérimaire. C'est mon premier travail pour M.
Fraser. Juste pour ce soir. Mais il m'a expliqué que cela
pourrait se reproduire occasionnellement.
Vraiment? murmura Sophie en s'efforçant de sourire,
malgré le poids qui venait de s'abattre sur son cœur.
« Occasionnellement. » Au cas où il ne réussirait pas
à la convaincre du premier coup.
Un vertige s'empara d'elle alors qu'elle s'efforçait,
incrédule, d'assembler les pièces du puzzle.
Pourquoi Elliott s'était-il employé à mettre en œuvre
un tel coup monté ? Craignait-il à ce point qu'elle
contamine les Fraser et son foyer ? Pire, était-ce une
façon de lui dissimuler sa richesse au cas où elle lui
réclamerait une part de son héritage ? Ecœurée, elle se
demanda comment son propre père pouvait faire preuve
d'aussi peu d'intégrité et de sollicitude. Comment
pouvait-elle avoir un lien de parenté avec cet homme
sans cœur et sans scrupule?
Ecoutez, Marie, votre dîner sent merveilleusement
bon, mais je ne vais pas pouvoir rester, dit-elle d'une
voix étranglée. Dites à M. Fraser que je n'avais plus
faim.
Alors qu'elle quittait le porche de la maison, son
regard fut attiré par un homme qui sortait d'une voiture
sombre et élégante. Elle reconnut Elliott qui. l'air agité
et maugréant, se penchait vers sa banquette arrière pour
y attraper quelque chose.
Alors qu'il se redressait, il l'aperçut et tressaillit, avant
de traverser la pelouse à grandes enjambées pour la
rejoindre.
Mademoiselle Woo... Euh, Sophie, bredouilla-t-il en
lui tendant la main avant de croiser son regard. Mais...
Que faites-vous ? Vous ne partez pas, tout de même ?
Bien sûr que si, et ne vous inquiétez surtout pas,
monsieur Fraser. Je ne vous causerai plus aucun souci.
Vous n'avez rien à craindre de moi, assura-t-elle en
ravalant ses sanglots. Je ne vous importunerai plus.
Elliott parut frappé par la foudre et demeura figé alors
qu'elle tournait les talons. Puis il la rattrapa au niveau de
la grille.
Mademoiselle Woodruff... Euh, je veux dire, Sophie...
Que se passe-t-il? Ma gouvernante ne vous a-t-elle pas
bien...
Elle agita une main en l'air en passant le portail.
Je vous en prie, n'aggravez pas les choses. Je préfé-
rerais garder de vous l'image d'un homme digne.
Le visage d'Elliott se crispa, et ses yeux gris s'enflam-
mèrent de colère.
Ecoutez, que recherchez-vous exactement ? D'après
ce que je sais, vous avez eu d'excellents parents
adoptifs. Une enfance heureuse. Comment aurais-je pu
vous élever, seul et si jeune ? Après la mort de votre
mère, l'adoption est apparue comme la meilleure
solution pour vous. Vous venez me voir, vous me
pressez de questions, me harcelez... Mais pour qui
diable vous prenez-vous ?
Pour qui est-ce que je me prends ? articula-t-elle
froidement en se redressant pour le regarder droit dans
les yeux. Pour Sophie Woodruff, tout simplement. Et ce
qui est sûr, c'est que, qui que vous soyez, vous n'êtes et
ne serez jamais rien pour moi.
A cet instant, elle éprouvait même une certaine pitié
pour cet homme.
Sans un regard, elle regagna sa voiture, démarra en
trombe et accéléra pour s'éloigner au plus vite de ce
pathétique simulacre, de cette maison de pacotille et de
cette barrière infranchissable qu'EUiott avait érigée pour
se protéger de la menace qu'elle représentait pour lui.
Après avoir roulé plusieurs kilomètres, elle s'aperçut
qu'elle s'était trompée de direction. Elle fit demi-tour et
se perdit dans un dédale de rues qui ne lui étaient guère
familières, avant de se retrouver finalement sur la route
menant à Bondi Beach.
Toujours tremblante, elle poursuivit sur la corniche,
traversa Woollahra et rejoignit la rocade qui menait à
Point Piper.
A n'en pas douter, Connor ne s'attendait nullement à sa
visite. Lorsqu'il ouvrit la porte, son visage se ferma.
Sophie sentit son cœur se figer.
Elle ne s'était jamais jusque-là invitée chez lui à l'im-
proviste. Avait-elle franchi une limite?
Heureusement, après quelques secondes de flottement,
le visage de Connor se détendit.
Sophie, quelle surprise, murmura-t-il. Entre donc.
Mais c'était trop tard. Sa première réaction avait laissé
une très mauvaise impression à Sophie. Une
impression indélébile.
Je te dérange, Connor ? dit-elle d'une voix faussement
détachée. Tu ne me caches pas une blonde, j'espère ?
La blonde vient juste de partir. A présentée suis prêt
pour la brune ! plaisanta-t-il en lui faisant signe
d'entrer.
Elle passa devant lui et avança jusqu'au salon.
Après un bref silence, Connor glissa ses mains dans
ses poches.
Quelque chose ne va pas ?
Il la dévisagea attentivement et approcha une main
pour lui caresser la joue, mais elle s'écarta, mesurant à
quel point elle aurait l'air d'une cruche si elle craquait à
présent et se mettait à pleurnicher dans ses bras.
Fuyant son regard, elle haussa les épaules.
Je passais dans le coin, et je me demandais si tu étais
libre... Au cas où tu aurais envie de compagnie
féminine, susurra-t-elle en posant son sac à main.
Son regard tomba alors sur l'ordinateur portable
ouvert posé sur la table basse.
Connor suivit son regard et se précipita pour refermer
l'appareil.
Evidemment, Connor avait aussi son jardin secret. Ce
n'était pas parce qu'elle était devenue sa maîtresse
qu'elle avait des droits sur lui. Elle n'aurait pas dû
s'inviter ainsi chez lui en s'imaginant... Quoi exactement
? Qu'il interromprait ses activités rien que pour elle?
Qu'il allait la réconforter de son chagrin puéril ? Plus
que jamais, elle avait la sensation d'avoir franchi une
limite avec cette visite impromptue.
Après tous les bons moments insouciants qu'ils
avaient partagés, elle ne put s'empêcher d'éprouver une
sorte de panique. D'abord Elliott, à présent Connor...
Allait-elle finir un jour ou l'autre par faire confiance aux
bonnes personnes ?
Connor la dévisageait d'un air intrigué, ses yeux
sombres et intelligents brillant d'une lueur ténébreuse.
Elle s'efforça de ne pas laisser transparaître la
déception qui pesait à présent sur son cœur.
Ecoute, Connor, je vois bien que je te dérange en
plein travail. Je m'en excuse. J'aurais dû prévenir avant
de passer, c'était vrai ment indélicat de ma part,
bredouilla-t-elle avec un sourire vague, tout en remettant
son sac à main en bandoulière. Je te laisse continuer
tranquillement.
Comprenant tardivement qu'il n'avait pas réagi de
façon adéquate, Connor leva une main en l'air pour
arrêter Sophie.
Attends ! murmura-t-il, s'apercevant qu'elle était
étrangement pâle. N'étais-tu pas censée aller au netball,
ce soir?
Euh, oui. Enfin, d'habitude... Mais je n'ai pas pu y aller
aujourd'hui.
Il fronça les sourcils.
Je croyais pourtant que tu ne raterais une séance pour
rien au monde.
C'est vrai, concéda Sophie, le visage crispé, avant de
retourner d'un pas fuyant vers le hall. En tout cas, je
dois rentrer à présent. A bientôt.
Une succession rapide d'idées et d'émotions contradic-
toires assaillirent Connor.
Quelque chose n'allait pas. Sophie était probablement
venue se confier à lui, mais, préoccupé par le renouvel-
lement de son contrat avec l'ambassade, il avait
compris trop tard l'objet de sa visite.
Il se précipita vers la porte pour la rattraper.
Sophie, dis-moi ce qui ne va pas !
Elle s'immobilisa devant lui, la main sur la poignée de
la porte, et il remarqua à quel point ses épaules étaient
contractées.
Ma belle, que se passe-t-il? insista-t-il, saisi d'un
mauvais pressentiment. Oh, non, ne me dis pas qu'il
s'agit de Fraser... Vous vous êtes vus ?
Comme il la voyait tressaillir, il lui saisit le bras et la
fit pivoter sur ses talons pour qu'elle lui fasse face.
Elle esquissa un sourire forcé qui lui fendit le cœur.
Connor..articula-t-elle avec difficulté. Voudrais-tu
mettre tes bras autour de moi, juste une seconde ?
Sophie ! Oh, ma Sophie...
Il l'étreignit comme si le sort du monde en dépendait
et ne put s'empêcher d'avoir envie d'infliger une raclée à
cette ordure d'Elliott Fraser.
Petit à petit, entre les hoquets, Sophie lui raconta tout
: la fausse maison, leur confrontation devant la grille...
11 essaya bien de se contenter de lui murmurer des
paroles de réconfort à l'oreille, mais la fragrance de sa
chevelure et son corps chaud et vibrant ne tardèrent pas
à produire leur effet : avant même qu'il ne s'en rende
compte, il était en train d'embrasser ses larmes, puis de
l'embrasser tout court.
Les pulsations de son cœur bourdonnaient à ses
oreilles lorsqu'il l'allongea sur son lit et qu'un torrent de
passion les emporta tous les deux.
Comme toujours, Sophie s'offrit à lui avec une ardeur
et un abandon merveilleux. Elle lui retourna ses
caresses avec autant de ferveur qu'à l'accoutumée. Alors
qu'il se délectait des trésors de son corps, elle réagit
avec autant de passion et de fougue à ses assauts.
Mais cette fois, en plus de leur complicité érotique,
ils étaient liés par un contexte émotionnel qui ajoutait
une intensité singulière à leurs ébats. Une intensité si
singulière qu'il s'en trouva ému aux larmes. Comme si
leurs deux âmes étaient entrées en harmonie et se
nourrissaient à présent l'une de l'autre, telle la terre
aride d'un désert accueillant une pluie salvatrice.
La voix de la raison lui soufflait que ce qui était en
train d'arriver entre eux les mettait en danger. Mais la
raison n'avait plus sa place dans les événements.
Juste avant de pénétrer Sophie, il admira son visage
fin et délicat rougi d'excitation et ne put s'empêcher
d'éprouver pour elle une tendresse infinie. Des concepts
aussi absurdes que « règles de conduite » ou «
responsabilité » ne faisaient pas le poids face à ce
besoin qu'il avait d'effacer les ombres qui
obscurcissaient le regard de Sophie.
Il ne put contenir un petit râle de plaisir en
s'enfouissant dans sa chaleur humide.
Il lui fit l'amour langoureusement, sans jamais la
quitter des yeux, et elle soutint son regard avec ferveur.
Incapable de refréner l'ardeur qui montait en lui, il
accéléra bientôt le tempo tandis qu'elle plantait ses
ongles dans son dos, se cambrant à chacun de ses coups
de reins.
Plus il appuyait la cadence, plus il avait envie de la
posséder, plus son cœur vibrait d'une émotion dont il
avait oublié jusqu'à l'existence : l'envie brûlante
d'appartenir à une femme, de la protéger de toutes les
tragédies de l'existence. De ne faire plus qu'un avec elle.
Il consentit un effort surhumain pour maîtriser son
plaisir et parvenir à s'adapter au rythme de son plaisir à
elle... Jusqu'à arriver au bord de la suffocation.
Enfin, il la vit tressaillir et fermer les yeux, alors
qu'une onde d'extase parcourait son beau visage.
Il s'autorisa alors à laisser son plaisir exploser.
Quelques instants plus tard, alors que Sophie s'était
assoupie tout contre lui, il rouvrit les yeux dans la
pénombre.
Son corps était rassasié, revigoré, mais une détresse
grandissante envahissait son esprit.
Bon sang, qu'avait-il fait ?
La chose, la seule chose qu'il s'était toujours interdite.
Il avait laissé ses émotions prendre le dessus.
Quelle faiblesse ! Petit à petit, il avait succombé aux
charmes de Sophie. Il s'était joué d'elle, l'avait séduite,
et voilà qu'à présent...
A présent, il était pétri de culpabilité.
A présent, cette femme était liée à lui.
Certes, elle n'était plus une enfant, elle était
responsable de ses actes. Mais il commençait tout juste
à mesurer l'étendue des dégâts qu'il avait commis.
Il avait renié son code d'honneur. Il avait oublié à quel
point il était facile de se laisser abuser par la tentation.
Il s'était attaché à Sophie et l'avait encouragée à lui
faire confiance.
Or, vers qui se tournerait-elle, lorsqu'il serait parti ?
">p
Oh, quel dommage de garder un tel animal en
captivité ! Regarde-le dans les yeux, Connor. Cela ne te
donne pas envie de lui rendre sa liberté?
Sophie se tourna vers Connor, mais celui-ci ne
l'écoutait pas. Les yeux dans le vague, il semblait perdu
dans ses pensées et nullement impressionné par le
léopard.
Assaillie par une sourde angoisse, elle se demanda
pour la énième fois ce qui pouvait le tracasser à ce
point.
Que se passe-t-il, Connor? Ça ne va pas ?
Mais elle ne s'attendait pas à une véritable réponse.
Depuis le soir où elle était passée à l'improviste chez
lui. Connor avait changé. Et elle s'en voulait, bien sûr.
Car elle avait commis l'irréparable, ce contre quoi Leah
et Zoe l'avaient toujours mise en garde : elle avait
exposé ses sentiments au grand jour. Certes, elle n'avait
rien dit de compromettant. Mais ses actes parlaient
d'eux-mêmes. A présent, Connor avait instaure une
sorte de distance latente entre eux, et elle se sentait bien
incapable de faire marche arrière. Bien sûr, elle pouvait
toujours prétendre ne pas éprouver de réels sentiments
pour lui, mais il serait difficile de le duper. Chaque fois
qu'il posait les yeux sur elle, elle lisait dans son regard à
quel point il était conscient de son point faible.
Chaque fois qu'elle ouvrait la bouche, elle le sentait
se contracter, comme s'il s'attendait à ce qu'elle avoue
un secret compromettant. Du coup, elle était devenue
incapable de la moindre spontanéité devant lui.
D'ailleurs, elle-même ne se faisait pas confiance à ce
sujet. De plus en plus souvent, notamment quand ils
faisaient l'amour, elle brûlait de prononcer ces mots
fatidiques, de se soulager du lourd fardeau qu'elle
portait désormais.
Or, elle ne se doutait que trop des conséquences
qu'un tel aveu aurait sur leur relation.
— Tu disais ? bredouilla Connor en sortant
brusquement de sa torpeur. Tiens, allons plutôt voir de
ce côté-là.
Ils s'éloignèrent des félins pour se diriger vers une
large allée très fréquentée.
Elle enfonça son chapeau sur sa tête, se félicitant que
l'ombre de ses rebords soit assez large pour dissimuler
son trouble.
Son amant était si beau, si bronzé et si svelte dans
son jean et son polo blanc ! S'il n'avait pas été aussi
crispé, elle aurait éprouvé une réelle fierté à se
promener à son bras. De temps en temps, quand il lui
prenait la main, elle voyait les femmes qu'ils croisaient
la regarder avec envie.
Si seulement elles savaient à quel point leur bonheur
apparent était fragile...
Elle éprouva de la compassion pour le malheureux
éléphant qui traînait une lourde chaîne à ses pieds et
piétinait sur place tel un enfant mal aimé.
Connor, lui, semblait plus intéressé par le groupe de
visiteurs qui arrivaient face à eux. Son regard demeurait
fixé sur le vieil homme qui marchait avec une canne et
faisait de son mieux pour suivre les pas sautillants du
petit garçon déguisé en Spiderman. Un homme en
costume de chauffeur les suivait à une distance
raisonnable.
Alors qu'ils approchaient, le vieil homme aperçut
Connor, et son visage s'éclaira.
Tiens donc, Connor O'Brien ! s'exclama-t-il en faisant
une halte et en s'appuyant sur sa canne. Quelle drôle de
coïncidence ! C'est un plaisir de te voir, mon grand.
Puis, aussitôt, il se tourna vers elle.
Connor s'avança pour serrer la main au vieillard et
s'enquérir chaleureusement de sa santé. Le petit garçon
sembla d'abord fasciné par l'éléphant, puis il se
retourna.
C'est alors que, à sa plus grande émotion, Sophie
reconnut le visage poupin du petit Mathew Fraser.
Viens donc dire bonjour à M. O'Brien, Mathew,
ordonna le vieil homme.
Prise d'un vertige, elle entendit à peine les salutations
entre Connor et l'enfant. Puis Connor la prit par la
main et la fit s'avancer vers le vieil homme.
Sir Frank, je vous présente Sophie Woodruff. Sophie,
voici sir Frank Fraser.
Ces paroles résonnèrent à son esprit, irréelles.
Cet homme face à elle n'était autre que son grand-
père.
Il hocha la tête dans sa direction et lui tendit sa main
ridée.
Vous êtes donc Sophie Woodruff, dit-il sur un ton
énigmatique, tout en la détaillant avec curiosité. Est-ce
que vous aimez venir au zoo, Sophie ?
Je... J'aime beaucoup les animaux, bredouilla-t-elle
pour ne pas le décevoir.
Elle se tourna vers Connor, mais celui-ci avait mis
ses lunettes de soleil et son regard était inaccessible.
Sir Frank se tourna également vers Connor, et tous
deux entamèrent leur conversation en aparté. Connor
s'adressait au vieil homme avec un respect évident, et
elle sentit qu'en dépit du caractère un peu convenu de
leur discussion les deux hommes se connaissaient très
bien.
Alors, une certitude s'imposa à elle : il s'agissait d'une
rencontre arrangée.
Elle avait trouvé un peu étrange que Connor lui
propose cette balade au zoo...
Qu'avait-il révélé exactement à sir Frank ? Savait-il
qu'elle était sa petite-fille biologique?
Mathew ne tarda pas à s'ennuyer et se mit à escalader
un banc à proximité, défiant toutes les lois de la
pesanteur, jusqu'à ce que son grand-père le rappelle à
l'ordre.
— Mathew, vas donc te promener avec Connor et
explique-lui tout ce que tu sais au sujet des éléphants.
Et vous, jeune demoiselle, déclara-t-il à Sophie en lui
tapotant la main, venez donc vous asseoir un peu avec
moi.
L'estomac noué, elle laissa sir Frank l'entraîner vers
un banc et commencer à lui poser toutes sortes de
questions au sujet de son travail, de ses hobbies et de
ses amis.
Cet homme était un véritable charmeur. En temps
normal, elle aurait été séduite. Mais il y avait tant de
sous-entendus dans l'air qu'elle se contenta de répondre
poliment, sans quitter des yeux Connor et le petit
Mathew.
Obéissant à son grand-père, le jeune garçon
s'approcha de Connor et leva les yeux vers cet homme
imposant, attendant qu'un signe vienne de derrière ses
lunettes noires. Celui-ci, les mains dans les poches,
n'eut pas le moindre geste d'encouragement à son égard.
Les pieds du petit garçon se balancèrent d'un côté et
de l'autre. Il lança un regard anxieux à son grand-père
par-dessus son épaule.
Très tendue, Sophie retint son souffle alors que
Connor demeurait inexorablement impassible.
Enfin, il parut se détendre et tendit une main au petit.
Enchanté, Spiderman, dit-il de sa voix la plus
profonde. Alors, si on allait voir cet éléphant de plus
près ?
Elle poussa un soupir de soulagement, avant de
s'apercevoir que sir Frank l'observait d'un regard
pénétrant.
Connor est un chic type. Il a eu un enfant, autrefois,
vous savez. Certaines familles volent en éclats, comme
vous le constatez sans doute chaque jour dans votre
profession.
Le vieil homme se lança alors dans une diatribe au
sujet des relations entre pères et fils, puis entre mères et
filles, mais elle ne put s'empêcher de garder les yeux
rivés sur Connor et l'enfant.
A voir Connor se pencher vers Mathew, l'écouter
attentivement et lui tenir la main alors qu'ils flânaient
devant les pachydermes, ou encore le prendre sur ses
épaules afin qu'il puisse mieux y voir parmi la foule,
elle fut bouleversée par un sentiment de regret étouffant
et comprit à cet instant que son cœur était sur le point
de se briser à tout jamais.
Connor O'Brien était l'homme qui lui fallait. Il était
parfait, elle en était certaine à présent. Elle comprenait
aussi pourquoi il ne pouvait plus la regarder dans les
yeux. Et pourquoi il lui présentait ces inconnus.
Il la quittait.
Le trajet jusqu'à Point Piper parut interminable à
Sophie.
Ils longeaient à présent une rue bordée d'arbres, et elle
remarqua que leur feuillage jauni annonçait déjà
l'automne.
Sir Frank est-il au courant de tout? demanda-t-elle
d'une voix faussement désinvolte.
Connor ne soutint pas longtemps son regard.
Ecoute... Je me suis senti obligé de lui dire. Cela me
paraissait essentiel. J'espère que tu ne m'en veux pas
trop ? Tu sais, il est très différent d'Elliott. C'est un
homme âgé et plein de sagesse. Mon père pensait le
plus grand bien de lui. Et d'ailleurs... Tu lui ressembles
beaucoup, par certains côtés.
Vraiment?
Connor dut percevoir le manque d'enthousiasme dans
sa voix, car il fronça les sourcils.
Je ne comprends pas, Sophie. Je croyais qu'il était
important pour toi de connaître ta famille biologique ?
Peut-être, mais ce n'est pas aussi simple que je le
croyais. La vie n'est jamais simple, n'est-ce pas?
Elle sentit son regard la transpercer.
Je t'ai blessée en lui avouant tout ?
Je sais pourquoi tu as fait cela, répondit-elle avec un
sourire forcé.
La mâchoire de Connor se crispa, et il garda un instant
le silence.
Ecoute, ma jolie, cela peut ne rien changer à ta vie, si
tu ne le désires pas.
Connor, regardons les choses en face, dit-elle après un
soupir. Je n'entendrai plus jamais parler de cet homme.
A présent qu'il m'a rencontrée, sa curiosité est satisfaite.
Je n'ai rien de plus à attendre de cette rencontre.
Et pour être tout à fait honnête, elle n'avait plus du
tout envie de parler des Fraser à cet instant précis. Elle
n'était plus cette petite fille naïve qui rêvait à la famille
idéale. A présent, elle avait grandi. Elle savait ce à quoi
elle aspirait vraiment, au plus profond d'elle.
Un silence pesant s'installa entre eux.
Lorsqu'ils arrivèrent chez lui, Connor disparut dans la
cuisine pour préparer du café puis vint apporter deux
tasses fumantes sur la table du salon et l'invita à
s'asseoir.
Depuis quand étaient-ils devenus si formels entre
eux ?
Le mauvais pressentiment que Sophie sentait monter
en elle ne fit que s'amplifier.
Elle savait depuis le début que cet instant finirait par
arriver. Que cette histoire devait avoir une fin. Mais elle
avait beau l'avoir senti venir, elle n'était pas encore prête
à faire face.
Connor s'installa sur le canapé à côté d'elle et joignit
les mains.
Sophie, il y a quelque chose dont je dois te parler,
murmura-t-il en fermant brièvement les yeux. Une
chose que je dois te dire.
Elle se figea. Le temps sembla s'arrêter. A moins qu'il
ne s'agisse de son cœur... Par chance, une bouffée
d'adrénaline la secoua de part en part et lui permit de se
ressaisir.
Je sais ce que tu vas dire, déclara-t-elle d'une voix
éraillée, en levant les yeux vers lui.
Ah oui ? s'étonna Connor en la fixant de son regard
ténébreux.
Tu vas partir.
Comment sais-tu que...
Il ferma les yeux un instant, comme pour fuir son
regard.
En effet, je vais partir, reprit-il à voix basse. On me
propose une mission à l'autre bout du monde, et je ne
peux pas refuser. Je n'ai pas le choix... Tel est mon
métier.
Une fois encore, elle se retrouvait confrontée au même
dilemme : se battre, implorer, ou bien avoir recours à
la manipulation pour retenir ceux qu'elle aimait... Ou
encore accepter le verdict dignement et les laisser lui
échapper.
Quoi qu'elle décide, elle se retrouvait toujours seule à
la fin.
Elle s'efforça de conserver une voix fluide.
Je croyais que ton contrat était arrivé à son terme ?
C'est vrai. Mais on m'a offert l'opportunité de... De le
renouveler.
Je vois...
La douleur était encore supportable.
Soudain, Connor serra les poings si fort qu'elle vit les
artères autour de ses poignets se gonfler.
Non, je ne crois pas que tu puisses comprendre. Je...
Ce n'est pas facile pour moi de partir ainsi. De te
laisser.
Elle parvint à sourire malgré son désarroi.
Rien ne t'empêche de rester. Cela t'éviterait un chagrin
d'amour.
La mâchoire de Connor se crispa à ces mots. Il prit ses
mains tremblantes entre les siennes et la scruta d'un air
grave.
Mon poste d'avocat ne représente qu'une partie de mes
attributions auprès de l'ambassade. C'est à cause de
cette autre partie que Ion me rappelle. Et que je dois
partir.
Comment? Que veux-tu dire?
Il s'agit de missions de renseignement. Je suis charge'
de collecter des informations.
Elle se redressa et écarquilla les yeux.
Tu veux dire... Comme un espion ?
Pas exactement, dit-il en rougissant. Ce n'est pas
comme dans les films. Mais je dois entretenir des
contacts avec un réseau d'informateurs. Parfois, je dois
rencontrer mes contacts dans des zones extrêmement
dangereuses.
Aussitôt, des images de James Bond, de malfrats
démoniaques, de ruelles sombres et de courses
poursuites vinrent à l'esprit de Sophie.
Prends-tu des gens en filature ? Installes-tu des micros
dans leur téléphone ?
Connor resta silencieux quelques instants avant de
répondre.
Je ne peux pas vraiment parler de tout cela. Cela relève
de la sécurité nationale. Des vies sont en jeu.
Sa vie à elle était aussi enjeu, mais elle préféra ne pas
le mentionner. Même si un violent bourdonnement
résonnait à présent à ses oreilles.
Si je comprends bien, reprit-elle, le souffle court, en
venant ici, tu n'as jamais eu l'intention de t'installer
vraiment ?
Pas vraiment, en effet, dit-il en détournant les yeux. Je
suis venu ici en congé sabbatique. Ecoute... Je sais très
bien que je n'avais pas le droit de laisser arriver ce qui
s'est passé entre nous.
Tu veux dire que pendant tout ce temps... tu étais en
vacances'?
Il opina du chef après une brève hésitation.
Mais pourtant, tu as pris ce bureau à l'Alexandra... Est-
ce que tu as aussi fait du renseignement à Sydney ?
Connor baissa les yeux et inspira une grande bouffée
d'air.
Ecoute, Sophie...
Elle secoua lentement la tête. Une éventualité affreuse
commençait à poindre aux fins fonds de son esprit.
Tu sais, dit-elle, c'est étrange, mais... Depuis que je te
connais, j'ai toujours eu cette étrange impression que
tu étais là, à proximité, partout où j'allais. Comme si tu
me suivais. Je me suis toujours dit que je me faisais
des idées... Connor, murmura-t-elle avant de le scruter
avec insistance. Est-ce que tu m'as surveillée ?
Les yeux de Connor semblèrent vaciller un instant,
puis il soutint son regard avec franchise.
Au début, oui.
Oh...
Cette fois la douleur devenait intolérable. Son sang se
figea au creux de ses veines, et le monde tel qu'elle
l'avait connu ces derniers mois bascula d'un coup.
Toute cette romance, ces rires, cette passion, cela ne
signifiait donc rien, au final ?
La réponse était cruelle : tout cela n'avait été que
mensonges.
Pourquoi ? parvint-elle à articuler d'une voix brisée.
Connor soutint son regard d'un air aussi grave que
sinistre.
Pour rendre service à un ami. Un ami qui a cru à tort
que l'équilibre de sa famille était menacé.
Estomaquée, elle le dévisagea alors que l'indigeste
vérité commençait enfin à faire sens.
Le bureau de Connor à l'Alexandra. Leur rencontre.
Leur liaison. La façon dont il était devenu son amant,
dont il avait gagné sa confiance...
Et elle, elle était tombée follement, irréversiblement
amoureuse !
Je vois, bafouilla-t-elle, les yeux emplis de larmes.
Elle s'aperçut que Connor plissait le front d'un air
contrit, mais elle était trop choquée pour se laisser
attendrir par le moindre sentiment de compassion.
Quelle idiote j'ai été ! reprit-elle en portant ses poings
sur sa poitrine. Je suppose qu'il s'agissait d'Elliott ?
Pendant que tu m'occupais, tu lui rendais service en me
tenant éloignée de lui... Ma parole, cet homme doit
vraiment être très, très influent pour recourir à de telles
méthodes.
Non, pas du tout, la corrigea-t-il comme si elle venait
de proférer une insulte, il ne s'agissait pas d'Elliott !
Ecoute, je ne devrais pas te dire cela, mais j'essaie d'être
honnête avec toi. Je te le dois bien, après tout... En fait,
il s'agissait de sir Frank. 11 était inquiet. Il m'a chargé
de découvrir pour quel motif tu voyais son fils. Et, dans
mon esprit, il n'a jamais été question de te tenir «
occupée ». Sache que je n'ai jamais envisagé les choses
ainsi. Je t'ai voulue et désirée, Sophie...
Le visage de Connor était si raide et contrôlé qu'elle
se demanda quelles émotions il dissimulait vraiment
derrière ce masque. Car, quitte à passer une fois encore
pour la pauvre fille crédule, elle était prête à croire ce
qu'il lui disait.
Mais, ajouta-t-il en agitant les mains en l'air, je ne
peux vraiment pas rester. J'ai déjà essayé de te le faire
comprendre une fois : je ne suis pas un homme pour toi.
Elle tripota nerveusement ses mains sur ses genoux.
Je m'en souviens, murmura-t-elle. Mais c'était avant
que nous...
« Que nous ne tombions amoureux. »
Mais peut-être s'était-elle trompée? Peut-être Connor
n'avait-il jamais éprouvé de réels sentiments vis-à-vis
d'elle ? Elle l'aimait tant qu'elle s'était imaginé que ses
sentiments étaient réciproques, mais tout le monde
savait que les agents secrets étaient particulièrement
doués pour dissocier toute émotion de leur travail.
James Bond, par exemple : une femme dans chaque
ville...
Ravalant son amour-propre, elle tenta le tout pour le
tout.
Peut-être y a-t-il des enfants qui ont besoin d'une
orthophoniste, là où tu vas...
Connor resta figé alors qu'il semblait analyser
l'impudente proposition de vie commune qu'elle venait
de lui faire.
Car il s'agissait bien de cela.
Or, qui avait déjà entendu parler d'un diplomate
partageant la vie d'une orthophoniste ?
Le sort en était jeté. Tous ses espoirs les plus fous,
ses rêves les plus secrets étaient à présent suspendus
aux lèvres de Connor O'Brien.
Sophie, déclara-t-il d'une voix si neutre qu'elle
comprit aussitôt qu'il allait gérer la chose à la façon des
agents secrets dans son genre. Il s'agit du pays le plus
dangereux au monde. Le travail que j'y effectue...
Essaie de comprendre. Ma femme, mon fils ont péri en
venant m'y rejoindre. Je... Je ne peux en aucun cas
porter la responsabilité d'une autre vie humaine.
Elle rougit en entendant ces mots.
— Je suis responsable pour moi-même, Connor.
A partir de ce moment, la discussion se tarit d'elle-
même.
Elle n'était pas du genre à utiliser ses charmes pour
retenir un homme. Elle savait par expérience que l'on ne
pouvait pas forcer quelqu'un à vous aimer.
Connor refusa qu'elle l'accompagne à l'aéroport.
Elle aurait dû s'en sentir soulagée, mais elle vécut
cela de façon aussi cruelle que le reste. Même si cela lui
arrachait le cœur de le voir partir, elle profitait
pleinement de chaque seconde qu'il lui restait à passer
en sa compagnie. Elle voulait garder le maximum de
souvenirs, le maximum d'images à chérir lorsqu'elle se
retrouverait seule.
Malheureusement, Connor ne semblait pas ressentir
la même chose qu'elle.
Quelques jours après leurs adieux, elle arriva à
l'Alexandra et découvrit que le nom de Connor avait
disparu de la porte de son bureau, de même que ses
livres et ses diplômes. Toutes les traces de sa présence,
de la façon dont il l'avait taquinée, séduite, fait rire sous
le saule pleureur... Toutes ces traces étaient effacées à
jamais.
Certes, elle s'y était préparée dès le début, mais sans
vraiment y croire.
L'Alexandra était devenue un lieu de désolation, et il
y avait certaines choses quelle rechignait à confier,
même à ses meilleures amies. Mais vu la façon dont
Leah et Zoe prenaient des pincettes avec elle à la
maison, en ce moment, elles devaient avoir deviné.
Oui, elle savait quelle devait tourner la page, même si
au fond d'elle tout n'était que naufrage. De nombreux
enfants et familles comptaient encore sur elle. Et ses
expériences précédentes lui avaient appris combien il
était important d'afficher un tempérament de battante
pour se reconstruire après une grosse déception.
Voilà pourquoi, lorsqu'elle reçut un élégant carton
d'invitation la conviant au quatre-vingt-dixième
anniversaire de sir Frank, elle hésita à peine quelques
instants avant de s'asseoir pour répondre par une carte
d'acceptation.
Qu'était-on censé offrir comme cadeau d'anniversaire
à un nonagénaire à l'esprit vif et aiguisé ?
Sophie se laissa inspirer par un petit volume de
poésie humoristique signé de la main d'un poète
australien de la même génération que sir Frank. Elle
l'emballa délicatement dans un papier argenté.
Pour l'occasion, elle avait acheté une robe en jersey
bleue qui soulignait subtilement ses courbes et illumi-
nait son teint laiteux. Elle avait brossé ses cheveux avec
application et avait choisi de les laisser lâchés,
retombant soyeusement sur ses épaules.
Au moment de partir, elle se demanda si elle n'en
avait pas un peu trop fait.
Tout au long de la journée, avant de se préparer, elle
avait ressenti de nombreux frissons d'anticipation et
d'anxiété. En fin d'après-midi, alors qu'elle s'apprêtait à
commander un taxi, elle reçut un appel l'informant
qu'une limousine était en route pour venir la chercher.
Une telle prévenance la bouleversa littéralement... Et
eut pour effet d'accentuer son appréhension.
Sir Frank semblait avoir décidé de lui dérouler le
tapis rouge !
La limousine arriva quelques minutes plus tard.
Elle reconnut Parkins, le chauffeur de sir Frank, qui
lui fit traverser la ville sur laquelle la nuit venait de
tomber.
Plus ils approchaient, plus sa nervosité se
transformait en impatience.
L'imposante villa en pierre de sir Frank se dressait
derrière de hautes grilles en fer forgé. A l'arrivée de
Sophie, la fête semblait déjà avoir commencé, car de
nombreuses personnes se pressaient devant l'entrée
principale.
Alors qu'elle descendait de la limousine, elle fut
accueillie par une femme d'âge mûr. Celle-ci l'entraîna à
travers le vaste et élégant vestibule puis la conduisit
jusqu'à une sorte de boudoir.
Elle se fraya un chemin parmi la foule et trouva son
hôte entouré de convives lui témoignant leur sympathie,
ainsi que d'une masse de paquets et de papier cadeau.
Dès qu'il l'aperçut, sir Franck lui fit un signe enthou-
siaste de la main.
Ah, Sophie ! Vous voilà ! s'exclama-t-il.
Elle lui présenta son cadeau, et ils s'effleurèrent les
joues. Puis le vieil homme se tourna avec exaltation
vers les invités qui se trouvaient à côté de lui.
Messieurs, mesdames, permettez-moi de vous
présenter Sophie Woodruf. Venez donc vous asseoir
près de moi, ma chère petite. Garçon, s'il vous plaît !
Cette jeune femme voudrait une boisson.
Un serveur en redingote blanche apporta aussitôt un
plateau pour lui offrir une coupe de Champagne, et elle
fut accueillie de façon très conviviale par les amis et les
relations de sir Frank, même si ceux-ci ignoraient bien
sûr quelle place précise elle occupait au sein de la
famille.
Sir Frank lui expliqua à voix basse qu'Elliott n'était
pas encore arrivé, car son épouse venait tout juste de
rentrer d'un long séjour à l'étranger.
Elle en fut soulagée. L'occasion était déjà
suffisamment déstabilisante comme ça. Malgré
l'opulence ostentatoire de cette maison et la nuée de
serveurs qui s'affairaient en tous sens, elle éprouvait une
vive émotion face à l'accueil chaleureux et bienveillant
que lui avait réservé le vieil homme. Elle en avait la
gorge nouée.
Après une demi-heure de conversation cordiale, elle
dut même s'excuser quelques instants, de crainte de se
laisser déborder par les larmes qu'elle sentait monter à
ses yeux.
De toute façon, depuis quelques jours, un rien lui
donnait envie de pleurer.
Recherchant un peu d'air frais, elle rejoignit la
terrasse qui longeait une vaste piscine.
Les lumières du port de Sydney formaient un halo
dans la nuit profonde. En deçà de la balustrade de la
terrasse s'étendait un jardin luxuriant à l'éclairage tamisé
et savamment orchestré, qui descendait en pente douce
jusqu'à l'eau. Certains invités étaient venus en bateau et
avaient amarré leur embarcation au vieux ponton qui
menait à la propriété.
Ce jardin lui rappela celui de Connor, qui aurait pu
être aussi bucolique si seulement il avait été entretenu.
Un ronflement de moteur résonna dans la nuit, et des
phares aveuglants s'approchèrent du ponton.
Encore de richissimes invités venus présenter leurs
hommage à leur richissime hôte, pensa-t-elle.
C'était un immense honneur pour elle d'être accueillie
aussi simplement et sincèrement dans la résidence de
son grand-père. Quelques mois plus tôt, cela l'aurait
comblée de bonheur.
Certes, cela lui faisait très plaisir. D'ailleurs, n'avait-
elle pas tout pour être heureuse ? Un travail qu'elle
adorait, des amis, et maintenant un grand-père...
Ses yeux se mirent à la picoter alors que les lumières
du croiseur lui arrivaient en pleine face.
Le problème, c'était qu'en dépit de la façade joyeuse
et optimiste qu'elle offrait au monde elle était incapable
de chasser le vide sidéral qui l'habitait depuis quelque
temps. En fait, les gens qui faisaient la fête avaient pour
seul effet de la rendre plus triste encore.
Les gens la rendaient triste. Le soleil et le chant des
oiseaux la rendaient triste...
Alors qu'elle s'épongeait discrètement les yeux, elle
distingua la silhouette élancée de l'homme qui
descendait du bateau. A cette distance, cette ombre
indistincte dans l'obscurité lui fit penser à Connor, et
elle éprouva aussitôt un cruel pincement au cœur.
Quand allait-elle donc cesser de l'imaginer partout, de
rêver à lui, de se languir de lui ? Quand allait-elle enfin
se libérer de ce sentiment de vide qui la rongeait à petit
feu ?
Elle plissa les yeux pour mieux distinguer le nouvel
arrivant et nota ses longues enjambées détendues alors
qu'il grimpait les marches du perron et disparaissait de
son champ de vision.
Le pire, c'était de ne pas pouvoir se consoler avec les
choses qui l'apaisaient par le passé. Elle ne pouvait plus
aller au jardin botanique. Elle évitait désormais tous les
espaces verts de crainte d'y croiser un saule pleureur.
Même un simple clair de lune pouvait lui donner envie
de
pleurer. Ce soir encore, sa lueur pâle au-dessus de
l'horizon semblait se moquer d'elle.
La chevelure sombre du nouvel arrivant réapparut
alors qu'il arrivait au sommet des marches.
Elle se raidit, et son cœur se mit à battre plus fort. Il
ressemblait tellement à Connor...
L'homme redressa la tête, et elle eut l'étrange certitude
qu'il regardait droit vers elle.
Connor... Etait-ce encore une de ses hallucinations ?
Partout où elle allait, elle avait l'impression de sentir sa
présence, de le voir même, parfois.
Alors que l'homme approchait, il accéléra le pas.
Bientôt, il courut presque. Puis le visage qui hantait
ses jours et ses nuits se matérialisa devant elle.
Connor O'Brien. En chair et en os.
Sophie?
Connor dut lire sur son visage à quel point elle était
choquée et n'en revenait pas, car il se précipita sur elle
et la serra très fort contre son corps robuste.
Oh, Sophie, ma chérie... Mon amour.
C'était bien ses mains, ses lèvres, et ce cœur qui battait
la chamade tout contre le sien...
Cette fois, elle ne put retenir ses larmes.
11 couvrit son visage mouillé de baisers, caressa ses
cheveux puis promena ses mains le long de son corps,
comme pour s'assurer lui aussi que c'était bien elle.
Secouée de sanglots incontrôlables, elle laissa son
corps affamé se plaquer contre celui de Connor,
s'enivrant à l'infini de son parfum familier.
Après quelques instants, il s'écarta légèrement d'elle, et
elle put enfin formuler la foule de questions qui se
pressaient à son esprit.
Mais d'où viens-tu ?... Enfin, depuis quand es-tu... ?
Où as-tu trouvé ce bateau ?... Pourquoi... Pourquoi es-tu
?... Oh, Connor, je croyais que tu devais...
Pardonne-moi, Sophie, murmura-t-il en baissant les
yeux. Je n'aurais pas pensé que tu... J'aurais dû te
prévenir, te laisser le temps de... Enfin... Pour le bateau,
je l'ai emprunté à un voisin. Oh, Sophie, tu sembles tout
de même heureuse de me voir ?
Il regarda autour d'eux comme s'il découvrait les
lieux pour la première fois.
Les invités affluaient sur la terrasse dans des éclats
de voix et de verres s'entrechoquant. L'endroit n'était
pas idéal pour des retrouvailles intimes.
Ma chérie, chuchota Connor en glissant un bras
autour de sa taille, y a-t-il un lieu où nous pourrions
discuter tranquillement?
« Ma chérie », « Mon amour »... Ces mots avaient
une résonance inespérée. Pour elle, la terre s'était
arrêtée de tourner.
Dans son état de joyeuse confusion elle ne put que
bredouiller :
Je ne sais pas. Il y a tellement de monde... Peut-être
dans le jardin, ou à l'intérieur de la maison.
A cet instant, sir Frank sortit de la villa, épaulé par
Parkins, et balaya la terrasse du regard jusqu'à ce qu'il
aperçoive Sophie.
Ah, la voilà ! s'exciama-t-il avant de reconnaître
Connor à côté d'elle. Connor. quelle surprise, tu es venu
!
Le vieil homme s'éloigna de son valet, et s'appuya sur
sa canne pour se diriger vers eux. Il étreignit Connor
avec affection.
Je croyais que tu étais à l'autre bout du monde !
Connor sourit et couva Sophie du regard.
J'avais besoin de revenir...
En entendant ces mots, elle crut que son cœur s'arrê-
tait.
J'en étais sûr ! s'exclama sir Frank. Je m'en doutais
depuis le début. N'est-ce pas. Parkins ? Rappelez-vous,
je vous l'avais bien dit, hein ?
Sans même attendre l'approbation de son valet, il les
scruta tour à tour avec une évidente satisfaction.
Sophie sentit ses joues s'empourprer. Le vieil homme
semblait ravi d'avoir, même involontairement, joué le
rôle d'entremetteur.
Ecoutez, sir Frank, reprit Connor d'une voix contrite.
Je suis navré de m'éclipser si vite de votre petite fête,
mais nous ne pouvons pas rester. Je descends à peine de
l'avion, je suis complètement « jet-laggé », et j'ai besoin
de régler une certaine affaire avec Sophie. Enfin, si elle
veut bien rentrer à la maison avec moi, bien sûr !
A ces mots, il se tourna vers elle et l'interrogea du
regard.
Le cœur de Sophie bondit de nouveau, et elle
acquiesça d'un signe de tête, se laissant envahir par un
fol espoir.
Elle salua chaleureusement leur hôte avant de
repartir, promettant de revenir le voir très bientôt, puis
Connor l'entraîna sur les marches menant au ponton.
Elle n'était pas vraiment en tenue pour faire du bateau
avec sa robe à volants et ses talons hauts, mais elle était
bien trop ébahie et excitée de se retrouver aux côtés de
Connor pour s'en formaliser.
Une fois à bord, dans la luxueuse cabine garnie de
banquettes et de coussins, Connor l'installa sur le siège
à côté de celui de l'homme de barre et lui posa une
couverture sur les genoux. Lorsqu'il fut certain qu'elle
était confortablement installée, il démarra le moteur, et
le bateau s'élança à travers la baie.
Elle éprouva la plus exquise des sensations en posant
les yeux sur les mains fines de Connor qui tenaient
fermement la barre. Une fois encore, les larmes lui
vinrent aux yeux.
Oh, comme elle aimait ses mains !
Les lumières de Sydney semblaient n'avoir jamais
brillé aussi fort qu'en cette nuit magique.
Lorsqu'ils eurent traversé Rose Bay et contourné The
Point, Connor coupa le moteur et jeta l'ancre.
Le silence reprit ses droits, entrecoupé seulement par
le clapotis de l'eau et la sirène lointaine d'un ferry qui
regagnait le port. La cabine lui parut soudain très étroite
et aussi intimiste que le devant d'un feu de cheminée.
Un étrange pressentiment lui fit naître un frisson au
creux de la nuque : quelque chose de merveilleux était
sur le point d'arriver.
Sophie, susurra Connor en se tournant vers elle d'une
voix étranglée. Mon amour...
En tant que spécialiste du langage, elle était bien
placée pour comprendre à quel point il peinait à
exprimer ses émotions.
Tu comptes me faire passer par-dessus bord ?
demanda-t-elle afin de détendre l'atmosphère. Je sais
nager, tu sais...
Je n'en doute pas, sourit-il, avant de redevenir
sérieux. Ma chérie, quel idiot j'ai été... J'en suis navré, tu
sais. Je comprends maintenant à quel point je t'ai fait
souffrir...
Elle baissa les yeux. Impossible de le nier. Après tout.
elle avait remis sa vie entre ses mains, et il avait tout
refusé en bloc.
J'ai quelque chose à te dire. J'ai beaucoup réfléchi. Je
ne veux plus travailler pour les Affaires étrangères.
Elle se figea, puis reprit prudemment :
Je croyais que ton travail te plaisait beaucoup?
C'est vrai, mais cela fait trop longtemps que je suis
dans le métier. Les missions secrètes de renseignement,
ce n'est plus pour moi. Cela m'oblige à trop de
sacrifices. Alors, j'ai fait mes valises et j'ai annulé mes
deux contrats. Celui pour l'ambassade, et celui pour le
ministère. J'ai tout quitté... Qu'en penses-tu ? demanda-
t-il d'un ton solennel en la dévisageant.
Ce que moi, j'en pense ? répéta-t-elle, le cœur battant
la chamade. Eh bien, je crois qu'il faut suivre son cœur.
Connor sourit et pressa ses mains sur les siennes.
Tu sais, jusqu'à ce que je te rencontre, je me suis
menti à moi-même pendant des années. Je me suis
persuadé que je pouvais vivre sans personne autour de
moi, déclara- t-il d'une voix éraillée d'émotion qui la
bouleversa au plus haut point. C'est après l'accident que
j'ai commencé à accepter des missions de
renseignement. Finalement, je suis resté engagé bien
plus longtemps que je ne l'avais prévu. Je ne voyais pas
de raison de rentrer à la maison. Je vivais comme un
automate, j'étais sans attaches, je naviguais au bord de
la folie... Heureusement, j'ai tout de même réussi à
revoir mon père avant sa mort. C'est pourquoi, lorsqu'on
m'a accordé ce congé sabbatique et que sir Frank m'a
demandé de te surveiller, il m'a rendu sans le savoir le
plus beau service de toute ma vie... Je sais que cela t'a
profondément blessée, mais je lui suis si reconnaissant
de m'avoir fait croiser ta route ! Sophie, dès le premier
instant où je t'ai vue, je...
Oh. Connor ! l'interrompit-elle dans un soupir. Moi
aussi, dès le premier regard...
Il serra un peu plus ses mains contre les siennes, et
l'embrassa.
L'homme que tu as rencontré au début était froid et
cynique. Une cause perdue. Tandis que moi, j'ai vu une
jeune femme si belle, si innocente...
« Innocente » ? répéta-t-elle en s'appuyant au dossier
de son siège. Essaies-tu encore de m'insulter? Je ne
sortais tout de même pas du couvent ! Ce n'est pas parce
que je n'avais jamais eu d'amant avant toi que j'étais une
sainte nitouche ! J'attendais juste de rencontrer l'homme
à qui j'aurais envie de m'offrir. Il n'y a rien de magique
ni de mythique à être vierge, nous ne sommes plus au
Moyen Age !
Connor éclata de rire et l'embrassa sur la bouche.
Aussitôt, le feu qui couvait en elle se raviva, et une
onde d'excitation lui parcourut les veines.
Non, évidemment que non, admit-il sereinement.
C'est juste que... Enfin, après que je t'ai séduite, je...
Sophie le scruta en écarquillant les yeux et éclata de
rire pour la première fois depuis plusieurs semaines.
Qu'est-ce qui te faire croire que tu m'as bel et bien «
séduite » ? demanda-t-elle sur un ton taquin.
Connor cligna des yeux, puis il sourit et baissa le
regard.
Bon, si tu insistes, peut-être que la séduction était
mutuelle. Ce que j'essayais de te dire... Enfin si tu es
prête à l'entendre, bien sûr...
Cette fois, je suis vraiment intriguée. Continue donc !
Il poussa une longue inspiration, et son visage
redevint grave.
Sentant le moment de vérité arrivé, elle se contracta.
Quand nous... Enfin, j'ai compris dans l'avion... Non,
avant même de monter dans l'avion. J'ai compris que
j'étais en train de renoncer au bonheur, murmura-t-il en
fermant les yeux. Mon amour, j'ai compris à ce
moment-là à quel point je te faisais souffrir.
Connor serra encore ses mains sur les siennes. Son
regard sombre brillait d'une lueur si vacillante qu'elle
sentit son cœur chavirer.
J'étais noyé dans mon désespoir, reprit-il. J'estimais
que tu méritais mieux que moi. Et j'en suis toujours
convaincu... Mais la vérité, c'est que je ne supporte plus
d'être loin de toi. Plus je m'éloignais, plus je comprenais
à quel point j'avais besoin de toi. Ces dernières
semaines ont été un enfer. J'espère que tu trouveras la
force de me pardonner de m'être comporté en salaud
avec toi. Quel idiot j'ai été...
La lueur ardente au fond de ses yeux s'intensifia.
... Je t'aime, Sophie.
Oh, bredouilla-t-elle, les yeux emplis de larmes. Oh,
mon amour, je t'aime aussi ! Sois assuré de tout mon
amour.
Dieu merci ! s'écria Connor avant de l'embrasser et
de la serrer si fort contre lui qu'elle sentit son cœur
tambouriner. Tu sais, dans l'avion du retour, je me suis
torturé en me demandant si j'avais encore une chance
avec toi.
Elle poussa un long soupir contre son cou.
Effectivement, tu es un idiot ! Mais au moins, tu sais
comment voler au secours des demoiselles en
détresse !
Seulement celles qui sont sexy, rétorqua-t-il en la
dévisageant d'un air ému. Tu sais, Sophie, j'ai fait des
choses dans ma vie dont je ne suis pas fier.
Peut-être sommes-nous deux dans ce cas...
Connor parut surpris, mais elle ne lui laissa pas l'op-
portunité de lui demander ce qu'elle entendait par là.
Glissant ses bras autour de lui, elle l'embrassa
tendrement, langoureusement, jusqu'à ce que, bientôt,
un feu d'artifice de sensations ne s'empare d'eux et
rende toute suite de conversation impossible.
Heureusement, Connor s'écarta au moment où l'at-
mosphère de la cabine devenait suffocante de désir.
Une épaisse buée avait même recouvert les hublots.
Soudain, il la repoussa d'un geste vigoureux.
Avant que nous n'allions plus loin, il y a une chose que
j'aimerais savoir. Ma maison à Piper Point ne te déplaît
pas trop ?
Elle se mit à rire.
Non, elle ne me déplaît pas.
Si nous achetions quelques meubles et un peu de
décoration pour lui donner des allures de véritable
foyer, qu'en penserais-tu? Supporterais-tu l'idée de
venir t'y installer et d'être mon amour?
Le cœur explosant de joie, elle hocha la tête.
Je crois que c'est faisable.
Dans ce cas...
Les yeux de Connor s'illuminèrent, et elle comprit
alors ce qu'il allait lui demander à présent. Elle le
sentait au plus profond de son être.
Dans ce cas, Sophie Woodruff, acceptes-tu de
m'épouser ?
Bouleversée par un torrent sans fin de bonheur et
d'amour, elle répondit instinctivement à son sourire.
Oh, Connor, oui! s'exclama-t-elle en le couvrant de
baisers enflammés. Mille fois oui !
Après quelques secondes d'enthousiasme, elle repensa
à la maison de Piper Point et à tout le travail que le
jardin allait nécessiter. Interrompant la main de Connor
qui se faufilait dans sa culotte, elle murmura :
Connor, j'ai un pressentiment...
Tant mieux, la coupa-t-il d'une voix rauque en la
dévorant d'un regard fiévreux. Parce que j'ai moi aussi
un pressentiment.
Toute la nuit, le bateau tangua voluptueusement sur la
crête des vagues de la baie.
**
*

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