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PRESTON
Une semaine
dans tes bras
Éditeur original
Lyrical Shine Books, published by Kensington Publishing Corp.
119 West 40th Street, New York, NY 10018
© Patricia Preston, 2016
Pour la traduction française
© Éditions J’ai lu, 2017
Dépôt légal : Octobre 2017
Biographie de l’auteur :
PATRICIA PRESTON. Elle a travaillé dans le milieu médical puis comme bibliothécaire avant de
devenir écrivain. Récompensée par la critique pour ses nouvelles historiques, elle se tourne désormais
vers la romance contemporaine.
Titre original
ONE WEEK IN YOUR ARMS
Éditeur original
Lyrical Shine Books, published by Kensington Publishing Corp.
119 West 40th Street, New York, NY 10018
Le message était clair et sans détour, digne du Carson implacable dont elle se
souvenait. Marla laissa échapper l’air qu’elle avait retenu tout au long de sa
lecture et s’écroula dans son fauteuil. Puis elle sourit au portrait de Sophie.
Nous ne risquons rien, mon ange, il n’est pas au courant et ne le sera
jamais.
Rassurée, elle glissa la lettre dans l’enveloppe. Elle s’était alarmée pour rien
et tous ses muscles se relâchèrent d’un coup.
Ce n’était qu’une question d’argent !
Le centre de soins de Lafayette Falls était ouvert à tous, notamment aux
malades défavorisés qui n’étaient pas couverts par une assurance maladie.
Depuis sa création, seuls les subventions gouvernementales et surtout les dons de
bienfaiteurs permettaient à cette organisation à but non lucratif de fonctionner au
quotidien et de poursuivre son action. Sans la générosité de la fondation Royal
Oaks, ils devraient trouver une autre solution, ce qui relevait de la compétence
de Nolana Sullivan, la directrice administrative.
Sur le seuil de son bureau, Marla glissa son stéthoscope autour de son cou et
interpella une infirmière :
— Christy, les radios de M. Taylor sont prêtes ?
Christy était une ancienne pom-pom girl. À trente ans aujourd’hui elle était
toujours capable de faire la roue et n’avait rien perdu de son énergie.
— Oui, tu peux y aller ! Il y a aussi un enfant de sept ans en salle une. Une
piqûre d’araignée. Et tu ne devineras jamais qui est en salle deux, ajouta-t-elle
avec un sourire espiègle.
— Ne me dis pas que c’est encore Mme Hauckdale qui est persuadée d’avoir
un extraterrestre dans le ventre !
— Non ! Elle l’a mis au monde, son bébé extraterrestre, et l’a prénommé
Scotty. Elle a posté sa photo sur Facebook.
— Je rêve ! fit Marla en riant.
— Tu devrais vraiment avoir un compte Facebook.
— Je n’ai pas le temps. Bon, je vais jeter un coup d’œil à ces radios. Tu veux
bien porter cette lettre à Nolana ?
Tandis qu’elle examinait les clichés, elle entendit retentir Material Girl, la
sonnerie de son portable, celle qui annonçait l’arrivée d’un message de Kayla
Vance, sa meilleure amie, gynécologue obstétricienne. Le cardiologue Brett
Harris, alias « le Beau Brett », les avait surnommées « les deux Lala ». Marla
s’empara de son smartphone et lut le texto de Kayla :
Je m’éclate !
Marla sourit.
Fonce !
— Salut.
De près, il put contempler à loisir son teint de pêche, ses grands yeux verts.
Il huma son parfum fleuri. Elle dégageait une sorte de candeur qu’il trouva
irrésistible.
Elle le dévisagea franchement. De toute évidence, elle n’allait pas se jeter à
son cou comme il l’avait escompté.
— On se connaît ? fit-elle.
— Non, mais on peut y remédier.
Il espérait même que, à la fin de cette soirée, ils se connaîtraient de façon
approfondie.
— Je suis Carson Blackwell, le petit-fils de Madame Eva.
Elle parut d’abord pensive. Les choses ne se passaient décidément pas
comme prévu. En général, quand il se présentait à une femme, lors d’une
réception, celle-ci trahissait aussitôt un vif intérêt. Elle lui touchait le bras, se
penchait vers lui, gloussait… Celle-ci était hésitante et ne gloussait pas le moins
du monde.
— Je ne vous ai jamais croisé à Lafayette Falls, il me semble, déclara-t-elle.
— Je ne suis pas d’ici. J’ai grandi à Dallas et je vis maintenant en Californie,
expliqua-t-il.
Visiblement, son nom et son statut n’impressionnaient guère la jeune femme,
ce qui n’était pas pour lui déplaire. Pour une fois, il serait un garçon ordinaire.
Ce garçon parviendrait-il à la séduire ? Carson brûlait de le découvrir.
— Je suis en visite chez ma grand-mère. Je sais que je devrais venir plus
souvent, mais mon travail m’accapare. J’essaie de la convaincre de vivre chez
moi, mais elle s’entête à rejeter cette idée.
— Ça ne m’étonne pas. La plupart des personnes âgées préfèrent rester chez
elles et garder leur indépendance le plus longtemps possible.
— Vous vous exprimez comme un médecin.
— Je le suis presque, répondit-elle en lui tendant la main. Marla Grant,
enchantée.
— Presque ?
— Je dois terminer mon internat avant d’exercer dans un cabinet.
Non seulement il ne relâcha pas sa main, mais il glissa ses doigts entre les
siens. Voyant qu’elle ne résistait pas, il sourit.
— Et si on allait faire un tour ? proposa-t-il.
— Je veux bien vous accompagner jusqu’au stand de hot-dogs. Je meurs de
faim.
Il éclata de rire. Cette fille lui plaisait de plus en plus.
— Marché conclu !
Ils s’installèrent à une table, à l’ombre, pour déguster leurs hot-dogs, qui
étaient délicieux. Un doux après-midi en charmante compagnie ! Carson se
sentait bien.
Plusieurs personnes s’arrêtèrent pour saluer Marla et la féliciter pour sa
réussite lors de ses examens. En apprenant qu’elle avait terminé ses études avec
les honneurs, il l’informa qu’elle était la fille la plus intelligente qu’il ait jamais
invitée à goûter ! Elle se contenta d’un sourire en étalant de la moutarde sur son
hot-dog.
Plus tard, alors qu’ils déambulaient dans le parc de Royal Oaks, il lui confia
qu’il était architecte et lui décrivit l’hôtel de luxe qu’il était en train de
concevoir.
— Cela te dirait de le voir ? J’ai les plans dans mon ordinateur portable.
Il l’entraîna dans le pavillon des invités où elle découvrit ses dessins de
colonnes, d’arches et de porches.
— Tu es très doué, commenta-t-elle.
Ce compliment lui alla droit au cœur.
— Pourquoi as-tu opté pour un style néoclassique ?
La question le surprit :
— Tu connais ce style architectural ?
— J’ai suivi des cours d’histoire de l’Art à l’université, pour changer un peu
de la physique et de la biologie, répondit-elle en examinant les planches avec
curiosité. Cet ouvrage ressemble plus à un palais qu’à un hôtel.
— Sans doute, concéda Carson, qui avait tout autre chose en tête.
Ils étaient seuls dans cette dépendance, un ancien hangar à voitures, loin des
regards indiscrets. Seul le bourdonnement de la climatisation et le tic-tac de la
vieille horloge rompaient le silence. La chambre à coucher se trouvait à quelques
mètres…
Carson prit la liberté d’écarter une mèche de cheveux de Marla de son épaule
nue, effleurant sa peau soyeuse au passage. Elle retint son souffle. C’était la
première fois qu’il désirait autant une femme. Enfin, elle leva la tête et lorsqu’il
croisa son regard, il distingua une lueur espiègle dans ses yeux verts. À cet
instant précis, il succomba à la fois au charme de Marla et à celui de ses
prunelles mutines.
— Chercherais-tu à me séduire ? s’enquit-elle.
— Bien sûr ! Tu crois que je vais y arriver ?
Elle pencha la tête de côté. Ses boucles cascadèrent sur son épaule.
— Tu m’as séduite dès que tu m’as dit « salut ».
Quelle délicieuse scène ! Carson avait passé les semaines suivantes au
paradis. Avant de se retrouver en enfer.
Il avait été incapable d’oublier Marla et la nouvelle de son mariage avec un
autre homme l’avait dévasté.
Pendant toute la durée de leur aventure, un autre amant attendait dans les
coulisses ! Le Dr Ben Archer, dont elle n’avait jamais parlé, mais qu’elle avait
épousé trois mois plus tard.
Carson vida son verre d’une traite. Il s’en voulait un peu de se réjouir d’un
divorce. Pourquoi accordait-il autant d’importance à cet événement qui n’en était
pas un ?
Il ne voyait qu’une seule solution : se libérer de cet amour sans retour qui le
hantait. Il en avait assez de traîner comme un boulet le souvenir d’une femme
qui ne lui avait sans doute pas accordé une pensée depuis leur séparation, trop
occupée à préparer son mariage avec ce crétin de Ben Archer.
Depuis des années, Carson se sentait trahi, frustré, désabusé, et il en
souffrait. Sa pire expérience avait-elle été la perfidie d’Angela ou sa propre
incapacité à oublier Marla ? Il était difficile de trancher. Quoi qu’il en soit, il
éprouvait un besoin irrépressible de se libérer pour de bon des démons de son
passé.
Il ne lui restait qu’à espérer qu’elle aurait changé, qu’elle ne serait plus cette
beauté aux grands yeux verts pour qui l’anatomie masculine n’avait aucun
secret. Enfin, elle ne risquait pas d’avoir perdu ses connaissances en la matière
mais au moins elle ne serait plus la jeune fille qu’il avait rencontrée à Royal
Oaks.
Dans quelques heures, il pourrait dire adieu à ce fantasme ridicule.
— Si tu nous obtiens cent mille dollars de plus, nous sommes tirés d’affaire !
s’exclama Nolana, folle de joie. Nous serons à l’abri pour un bon moment.
Marla s’efforça de faire preuve d’enthousiasme.
— M. Blackwell pense que certains de ses amis pourraient également faire
un don. On verra.
Elle observa son reflet dans la glace. Son nez était-il déjà en train de
pousser ? Elle avait menti sans ciller à tant de personnes qu’elle s’attendait
presque à subir le triste sort de Pinocchio. Hélas, elle n’avait pas le choix.
Comment expliquer ce voyage imprévu à Hawaï avec Carson autrement ? Elle
l’avait transformé en un déplacement susceptible de rapporter des fonds.
Pas question d’avouer qu’elle avait conclu un accord avec un ex-amant qui
avait besoin d’une fausse fiancée. D’ailleurs, qui la croirait ?
— Tu diras aux filles que le Dr Hughes me remplace uniquement pour le
suivi des patients. Pour les rendez-vous, il suffira de les repousser d’une
semaine.
— Je m’en charge, promit Nolana. Amuse-toi bien. Cela fait si longtemps
que tu n’as pas eu de vacances. Tu le mérites bien !
Marla soupira. Il ne s’agirait pas d’une partie de plaisir et elle n’avait aucune
intention de s’amuser ou de renouer avec son ancien amant.
Elle devrait se montrer claire sur ce point.
En virée shopping sur Rodeo Drive. Tu n’imagines pas la vie des riches !
Elle fit l’acquisition d’un jean, un petit haut marin rouge et blanc ainsi que
d’un coupe-vent à capuche, car les soirées étaient souvent plus fraîches dans
l’archipel. Carson fit également quelques emplettes pour lui.
Après leur petite excursion, il la conduisit dans l’hôtel où elle avait réservé
une chambre pour récupérer son sac de voyage. À regret, elle dut renoncer à y
passer la nuit car Carson préférait éviter ce détour sur le chemin de l’aéroport le
lendemain matin.
Lorsqu’ils s’attablèrent enfin dans un restaurant pour le dîner, Marla était
affamée. Lui aussi. Ils bavardèrent de choses et d’autres. Ce ne fut que sur le
chemin du retour, à l’arrière de la limousine, que leur conversation prit un tour
plus personnel.
— Quelle expédition ! soupira-t-elle. Je suis épuisée.
— Nous serons bientôt à la maison, répondit-il en rangeant son téléphone
dans sa poche.
Ce commentaire serra le cœur de Marla. Jamais ils ne rentreraient « à la
maison » ensemble.
— Je ne m’attendais pas à ce que ce déplacement en Californie se termine
ainsi, avoua-t-elle.
Il se tourna vers elle. Le mélange d’eaux de toilette dont elle l’avait aspergé
au cours de leur shopping se mêlait à l’odeur de cuir des sièges. Elle eut soudain
l’envie irrésistible de se rapprocher de lui. Juste quelques instants. Mais si elle
cédait à sa pulsion, il n’y aurait pas de retour en arrière possible. Elle connaissait
ses propres limites.
Et il fallait qu’elle rentre à Lafayette Falls saine et sauve.
— À quoi t’attendais-tu ? demanda-t-il.
— Je n’imaginais pas partir pour Hawaï demain matin.
Encore moins accepter une semaine en enfer en échange du financement de
son centre de soins.
— Le destin joue parfois des tours.
Elle pencha la tête en arrière et ferma un instant les yeux.
— Tu crois que les Crawford nous prendront pour un vrai couple ?
— Pourquoi pas ?
— Il va falloir jouer la comédie, reprit-elle. Ça tombe bien : j’ai fait du
théâtre, au lycée.
Carson marmonna quelques paroles qu’elle ne saisit pas.
— Pardon ?
— Nous pourrions être un vrai couple pendant quelques jours, suggéra-t-il
d’un ton détaché.
— Cela n’est pas prévu dans notre accord ! s’insurgea-t-elle en rouvrant les
yeux.
— En effet, admit-il.
Elle se tut pendant un moment, puis reprit :
— Je ne suis plus la fille stupide que tu as rencontrée à Royal Oaks.
— Tu n’as jamais été stupide.
— Tu comprends parfaitement ce que je veux dire. Jeune, irresponsable,
inconsciente…
— Pas du tout ! Nous n’étions pas des adolescents ! C’était il y a six ans, ce
n’est pas si loin.
— Si, Carson, murmura Marla. Les choses ont changé. Je ne suis plus la
même.
Il appuya sur un bouton et la lumière se fit. Puis il s’installa en face d’elle.
— Que t’est-il arrivé ? demanda-t-il.
— Rien d’extraordinaire, assura-t-elle en croisant les jambes. Le temps
passe, les gens évoluent. C’est la vie.
Il se pencha en avant pour prendre ses mains dans les siennes. D’abord, elle
apprécia ce contact, mais elle se dégagea très vite de son emprise.
— Il s’est passé quelque chose, persista-t-il.
— Mais non !
— Tu t’es mariée, tu as divorcé. C’est quelque chose.
— Comment es-tu au courant ? fit-elle en se crispant soudain.
Un silence pesant s’installa. Carson recula sur son siège.
— Trois mois après mon départ de Royal Oaks, ma grand-mère a eu une
attaque.
Marla acquiesça et s’efforça de demeurer impassible. En rentrant passer
Noël avec ses parents, elle avait appris que Madame Eva était morte en octobre.
— C’était la dernière semaine de septembre. Son médecin m’a appelé pour
m’annoncer qu’elle n’en avait plus pour très longtemps. Je suis retourné à Royal
Oaks pour être auprès d’elle. J’avais l’intention de faire un tour à Memphis
quelques jours plus tard pour te voir. Le lendemain matin, par hasard, j’ai vu une
photo de ton mariage dans le journal local. J’ai appris que tu venais d’épouser le
Dr Archer.
Marla demeura immobile.
Le destin jouait parfois des tours, en effet.
— Tu imagines mon étonnement, reprit-il en posant sur elle un regard teinté
d’amertume. Trois mois plus tôt, tu étais avec moi et voilà que tu en épousais un
autre !
— Ce n’est pas ainsi que ça s’est passé, affirma-t-elle, abasourdie.
— Si.
Elle comprit qu’elle avançait en terrain miné. La prudence était de mise.
— D’accord, si tu veux…
— Tu vois !
— Si tu crois que je sortais déjà avec Ben quand toi et moi étions ensemble,
tu te trompes. Je le connaissais, c’est vrai. Nous étions amis et nous le sommes
encore. Nous nous connaissons depuis toujours car nos familles étaient voisines.
Je suis brièvement sortie avec lui au lycée mais, quand je t’ai rencontré, je
n’étais pas en couple avec lui.
— Tu n’as pas mis longtemps à changer d’avis, rétorqua-t-il, furieux.
Dans un silence glacial, elle chercha une réponse adéquate.
— Certaines relations sont compliquées.
— La nôtre ne l’était pas, répliqua-t-il en se penchant vers elle.
— C’est vrai. Le sexe, ce n’est pas compliqué.
Elle se fit violence pour soutenir son regard bleu. S’il savait à quel point il
avait compliqué sa vie, au contraire !
La limousine s’engagea dans une allée bordée de lanternes. En arrivant
devant un haut mur et une imposante grille en fer forgé, le chauffeur entra un
code et le portail automatique s’ouvrit.
Marla songea au jour où elle s’était fait refouler à l’entrée de cette même
propriété, des années plus tôt. Carson ne lui avait pas tout dit, à Royal Oaks. Il
avait notamment omis de préciser qu’il vivait dans un palais sécurisé.
— Je regrette, mais je refuse de reprendre là où nous nous sommes arrêtés,
décréta-t-elle.
— Qu’y aurait-il à reprendre de toute façon ? rétorqua-t-il d’un ton qui se
voulait indifférent.
Il ouvrit la portière et l’informa qu’il avait plusieurs questions à régler avant
leur départ du lendemain. Dans l’entrée, chacun partit de son côté. La
gouvernante accompagna la jeune femme dans une vaste suite décorée dans les
tons verts et ivoire où flottait un apaisant parfum de lavande. Elle admira le tapis
oriental, la fausse cheminée flanquée de poteries de style grec. La chambre à elle
seule était plus spacieuse que son appartement tout entier.
Cependant, Marla eut envie de rentrer chez elle, de voir sa famille, sa fille.
Elle contempla fixement le fond d’écran de son téléphone, un portrait de Sophie
coiffée d’un chapeau rose. Il était tard, à Lafayette Falls, et elle était sûrement
déjà couchée.
Elle soupira, elle aurait aimé la border et la couvrir de baisers.
Heureusement, elle était entre de bonnes mains avec ses grands-parents. Comme
d’habitude, ils devaient la gâter comme une petite princesse. Le lendemain, ils
partaient dans le Mississippi, pour séjourner à la ferme de sa tante Lily. Sophie
serait ravie de voir les animaux.
Marla regarda d’autres photos de Sophie – elle en avait des dizaines –, avec
sa famille, avec Ben. Elle tomba sur un cliché de Ben et Sophie, pris à Noël.
Ben n’était pas richissime, ni brillant, ni vraiment beau. Mais il était fiable et
honnête. Ils avaient beaucoup de points communs. Une larme coula sur sa joue.
Son ex-mari avait été présent dans l’adversité. Il lui avait tenu la main sans la
juger quand elle lui avait avoué avoir commis une grosse erreur. Il ne lui avait
jamais demandé de comptes et n’avait pas souhaité connaître l’identité du père
biologique de l’enfant. Il s’était contenté de lui dire qu’il l’aimait et que son
bébé serait aussi le sien.
En prononçant ses vœux de mariage, Marla était persuadée d’avoir épousé
l’homme de sa vie. Elle s’imaginait vieillir avec lui dans la joie et la sérénité.
Hélas, elle s’était trompée.
Leur union avait pris fin par une belle journée d’été. Marla était assise à la
table de pique-nique et Sophie faisait de la balançoire, à l’ombre. Elle avait vu
Ben venir vers elles, un peu voûté, la mine grave et triste. Depuis un mois, elle
faisait de son mieux pour le réconforter.
Ben traversait alors une difficile épreuve.
Il avait partagé durant quelques mois un cabinet médical avec un autre
orthopédiste à Nashville. Jeune médecin, Ben était désireux de s’associer avec
un confrère bien établi. Malheureusement, il ignorait que ce dernier consommait
et fournissait de la drogue, sans parler de ses escroqueries à l’assurance. Leur
cabinet avait été fermé par les autorités à la suite d’une descente en règle et Ben
avait été interdit d’exercice de la médecine pour la durée de l’enquête. S’il avait
été innocenté, les langues allaient bon train, il n’en fallait pas plus pour ternir
une réputation. Sa carrière avait été sérieusement compromise.
— Je viens de parler au Dr Hughes, avait-elle déclaré à son mari, lors de ce
pique-nique. Il dit que nous pouvons travailler tous les deux au dispensaire le
temps que tu récupères ton droit d’exercer. Il propose aussi de t’aider à ouvrir un
nouveau cabinet. Ainsi, je pourrai prendre la relève au centre de soins. Rentrons
à Lafayette Falls et oublions cette affaire.
Ben n’avait pas répondu tout de suite, puis il avait pris la parole sur le ton
doux qu’il employait pour annoncer une mauvaise nouvelle à un patient :
— Marla…
— Je t’écoute, avait-elle murmuré, pleine d’angoisse.
— Je ne peux pas retourner à Lafayette Falls. Je ne peux pas rester plus
longtemps avec toi.
— Je sais, avait-elle répondu, les yeux embués de larmes.
Il l’avait épousée dans l’espoir qu’elle tomberait amoureuse de lui, et c’était
lui qui avait cessé de l’aimer. Elle le sentait depuis longtemps.
— Il faut que je parte, que je recommence de zéro, ailleurs. Je suis en train
de crever à petit feu…
— Je souhaite que tu sois heureux, quoi que tu fasses.
— Je ne vous chasse pas de ma vie, Sophie et toi. Je serai toujours ton ami et
son père.
Deux ans plus tard, Ben avait tenu parole. Installé à Seattle, il jouait son rôle
de papa à distance, voyait Sophie pendant les vacances et conversait
régulièrement avec elle par écran interposé.
— Allô, maman ?
La petite voix de Sophie fit naître un sourire sur les lèvres de Marla.
— Bonjour, mon trésor, souffla-t-elle dans le téléphone satellite, dans la
cabine du jet privé.
Elle était confortablement installée dans un canapé tandis que Carson
dormait dans son fauteuil dont il avait incliné le dossier. Lorsqu’il s’était
présenté à la table du petit-déjeuner, il avait mauvaise mine, comme s’il s’était
couché très tard. Ils avaient à peine échangé quelques mots. Juste après le
décollage, il s’était assoupi.
— Tu es où ? demanda l’enfant.
— Dans l’avion.
Avec ton père, songea-t-elle amèrement.
— Tu voles dans le ciel ?
— Oui, je vais à Hawaï. Mamie te fera voir sur une carte. Je t’ai déjà montré
où se trouve la Californie, tu te souviens ?
— Oui ! C’est drôlement loin !
Marla sentit son cœur se serrer.
— C’est vrai, chérie, mais je suis avec toi par la pensée. Je serai avec toi
toute la semaine.
— Moi aussi, maman.
— Si tu as envie de me téléphoner, demande à ta grand-mère, d’accord ?
— D’accord. On part à la ferme de tante Lily, demain. J’irai ramasser les
œufs dans le poulailler ! Des œufs comme ceux qu’on achète au magasin.
Marla se mit à rire. Carson remua dans son sommeil.
— Tu vas bien t’amuser, on dirait ! À mon retour, tu me raconteras ton
séjour et tu me parleras de tous les animaux que tu as vus !
— D’accord. Papy veut te parler.
— Alors, Marla, ça se passe bien ? s’enquit aussitôt son père.
Elle se réchauffa au son de la voix grave de son père. Colosse au grand cœur,
Jimmy Grant était menuisier avant de prendre sa retraite.
— À merveille, assura-t-elle.
— Tu as bien mérité quelques jours de repos.
— C’est vrai.
Elle posa les yeux sur Carson. Ce séjour ne s’annonçait pas de tout repos,
loin de là. Tous ses muscles étaient tendus et ça ne risquait pas de s’arranger. Et
puis, elle aurait besoin d’un sacré temps d’adaptation pour revenir à sa vie
normale après avoir vécu une semaine dans un tel luxe.
— Tu connais l’histoire du vieillard sur l’autoroute ? Sa femme l’appelle
alors qu’il est au volant pour lui dire de faire attention. Elle vient d’entendre à la
radio qu’un fou roule dans le mauvais sens. Il répond : « Parbleu, il n’y en a pas
qu’un seul, ils sont des centaines ! »
Elle éclata de rire. En plus d’être un menuisier au grand cœur, son père était
aussi un blagueur invétéré.
— Je suis en train de construire un nichoir à oiseaux pour la petite et, cet
après-midi, elle va m’aider à le peindre, reprit-il.
— Elle va adorer. Merci, papa.
— Ce n’est rien, ma belle.
Son père avait toujours été aimant et attentionné envers sa progéniture. Sa
famille était sa raison de vivre. Elle ne pouvait imaginer ce qu’elle serait
devenue sans son affection bienveillante et ses conseils avisés.
Pourtant Sophie grandissait sans la présence d’un père au quotidien.
Son regard glissa vers Carson. Quel genre de père serait-il ? Elle chassa vite
cette pensée. Si Carson avait voulu des enfants, il en aurait déjà, songea-t-elle.
Et puis la parentalité avait tendance à compliquer la vie sociale, c’était
indéniable. Elle imaginait mal l’homme qui dormait devant elle assumer une
telle responsabilité et sacrifier ses loisirs pour prendre soin d’une petite fille. Il
n’était pas homme à rechercher le bonheur simple d’une vie de famille.
Le pilote annonça qu’ils allaient bientôt atterrir et elle repoussa ces
considérations dans un coin de son esprit. Marla devait l’admettre : elle se
réjouissait de découvrir le paradis tropical qu’était Hawaï. Vue du ciel, l’île de
Kauai était à la hauteur de sa réputation.
Dans le 4×4 avec chauffeur qui les emmenait vers l’hôtel, Marla se dit
qu’elle venait d’atterrir dans un autre monde. Souvent surnommé le « jardin »,
Kauai était moins touristique que le reste de l’archipel. Il n’y avait ni gratte-ciel
ni grande ville et la nature était omniprésente. Les champs de maïs, de caféiers et
de cannes à sucre s’étendaient à perte de vue.
Kauai attirait les touristes fortunés et célébrités en quête de tranquillité dans
un cadre enchanteur. D’après Carson, plusieurs films avaient été tournés sur les
lieux, notamment Avatar, les Aventuriers de l’Arche perdue et Jurassic Park.
La voie rapide traversait des vallées vert émeraude recouvertes de grands
arbres et de fougères, en contrebas de hauts volcans. Elle aurait été à peine
surprise de croiser un dinosaure dans un tel décor. Son excitation atteignit son
comble quand elle aperçut une cascade d’eau limpide alors qu’ils traversaient un
pont. La végétation luxuriante de l’île la fascinait.
Carson lui avait expliqué que le complexe hôtelier Kingsford se composait
d’un hôtel de luxe offrant une vue panoramique sur l’océan et les montagnes, un
parcours de golf, des courts de tennis, des restaurants, un centre de
thalassothérapie, une galerie marchande, des salles de conférences, des espaces
de divertissements, sans oublier une plage de rêve. Un havre de quiétude entre
terre et mer.
En dépit de ces descriptions alléchantes, jamais Marla n’aurait imaginé une
telle splendeur. La façade somptueuse de la bâtisse blanche était ornée de
colonnes grecques et de baies vitrées en arcade, au milieu des palmiers et des
frangipaniers odorants. Elle sourit en se rappelant les esquisses qu’elle avait vues
à Royal Oaks.
— C’est bien l’hôtel que tu étais en train de dessiner lors de notre rencontre,
n’est-ce pas ?
— Tu t’en souviens ?
— Bien sûr ! J’avais trouvé tes dessins magnifiques.
Elle leva les yeux vers l’entrée monumentale de l’édifice.
— Quelle merveille ! Ce doit être exaltant de concevoir un tel projet, puis de
le voir prendre forme.
— Et comment, admit-il.
Elle le suivit dans le hall en s’efforçant de ne pas avoir l’air d’une
campagnarde fascinée par tant de luxe. Elle avait déjà séjourné dans des
établissements de standing, mais dans aucun de cette classe.
Le sol étincelant était une véritable mosaïque de verts. Un dôme vitré
projetait des couleurs chatoyantes sur les murs. Une fontaine ruisselait dans un
bassin contenant des poissons rouges.
— Monsieur Blackwell ! s’exclama l’homme en costume qui les accueillit.
— Marla, je te présente Jacob Damaire, le directeur de l’hôtel.
— Soyez la bienvenue à Kauai, docteur Grant. J’espère que vous apprécierez
votre séjour. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n’hésitez pas à me
solliciter.
— Merci, répondit-elle en effleurant une orchidée du bout des doigts.
Cette semaine ne sera peut-être pas si pénible, finalement…
Marla reprit espoir. Il fallait qu’elle profite au maximum de cette opportunité
de découvrir ce site. En voyant Carson se diriger vers les ascenseurs, elle lui
emboîta le pas. Un bagagiste poussait un chariot transportant leurs bagages.
— On ne s’inscrit pas à la réception ? demanda-t-elle.
— Non, on ne s’inscrit pas.
— Ah ? Et tu connais le numéro de la chambre ?
— On peut dire ça, oui !
Il l’entraîna au bout d’un couloir où les attendait un ascenseur privé menant
à l’étage supérieur du bâtiment. Les portes s’ouvrirent sur un vestibule orné de
plantes vertes. Devant une porte en merisier, Carson composa un code et
l’ouvrit.
— Nous logeons dans le penthouse.
Marla découvrit un appartement spacieux. Un penthouse. Elle aurait dû s’en
douter.
Dans son imagination, ce genre d’endroit qu’affectionnaient les milliardaires
était décoré de manière sobre, dépouillée, dans les tons gris. Elle ne s’attendait
pas à une telle profusion de ventilateurs au plafond, de poutres foncées, de fer
forgé et de couleurs chaudes.
L’espace de vie était spacieux, baigné de soleil, et une large baie vitrée
s’ouvrait sur l’océan. Un bar en teck séparait le salon de la salle à manger. La
cuisine était immaculée, comme si personne n’y avait jamais préparé un repas.
Une véritable photo de magazine.
Une illusion.
Elle se tourna vers Carson. Tous les aspects de sa vie étaient-ils à l’avenant ?
Pendant qu’il remettait un pourboire au bagagiste, elle observa la terrasse
carrelée.
— Tu as ta propre piscine ?
— Oui, répondit-il en désignant la galerie extérieure.
Une table de jardin offrait un panorama exceptionnel sur l’océan.
— Ici, on appelle cet espace un lanai. Il fait le tour de l’appartement et est
accessible depuis toutes les pièces.
Son téléphone se mit à vibrer.
— Allô, Truman ?
Pendant qu’il bavardait avec son ami, Marla visita les lieux. Elle
s’émerveilla devant les équipements de pointe de la cuisine, le plan de travail en
granite, le réfrigérateur en inox qui, contrairement au sien, n’était pas recouvert
de post-it et de photos.
Au bout du couloir, elle trouva une chambre spacieuse aux murs vert
menthe, meublée avec goût dans des tons blancs. Le grand lit était surmonté
d’une moustiquaire. Il y avait aussi un dressing et une salle de bains. Une vraie
suite de princesse !
Elle foula le tapis moelleux en se dirigeant vers la baie vitrée coulissante et
sortit sur le lanai pour admirer la vue, le vert de la végétation luxuriante, le bleu
turquoise de l’océan. Les mains sur la rambarde en fer forgé, elle savoura la
caresse de la brise dans ses cheveux.
Carson apparut sur le seuil.
— Je m’absente quelques instants, annonça-t-il. Ta valise est près de la
commode. Il y a une autre chambre en face. Tu n’auras qu’à choisir celle que tu
préfères.
— Merci. Celle-ci me convient. Et toi, où dors-tu ?
— Dans la suite parentale, répondit-il avec un regard cynique. Je te
proposerais bien de m’y rejoindre, mais puisque tu refuses de reprendre là où
nous nous sommes arrêtés…
— Carson…
— Laisse tomber, coupa-t-il. Tu as été très claire, hier soir.
— Je suis contente que nous soyons sur la même longueur d’onde.
— C’est ça. Contente-toi de ne jouer la comédie qu’en public.
Aïe ! Son ton était dur mais au moins il respectait son souhait et exprimait
clairement ce qu’il attendait d’elle.
— Quand dois-je donner ma première représentation ?
— Nous avons rendez-vous avec les Crawford à sept heures, pour dîner.
Mets l’une de tes robes de soirée.
— Tu ne seras pas déçu, promit-elle avec un sourire mutin.
— Je sais, tu as fait du théâtre au lycée.
— Tu seras même fier de moi.
Il la dévisagea longuement, puis se retira soudain sans un mot.
De retour au salon, elle prit des photos à l’aide de son portable, notamment
des paysages, et en envoya quelques-unes à Kayla, histoire de la rendre jalouse.
Kayla ne tarda pas à réagir.
Carson fit son entrée au Flamingo, le bar de l’hôtel. Comme dans tout bar
lounge, l’éclairage était tamisé. Sur les murs, des écrans présentaient des photos
digitales des superbes cascades, plages et grottes de Kauai.
Il s’approcha du comptoir en laque noire, fit signe au barman et commanda
une margarita en attendant Truman. Il était encore tôt et il n’y avait pas grand
monde, à part un groupe de golfeurs et trois hommes qui regardaient un match
de baseball sur un téléviseur géant.
Carson choisit une table isolée et réfléchit à ses objectifs tout en sirotant son
verre. Pour l’heure, il ne s’en sortait pas trop mal. Marla avait compris ce qu’il
attendait d’elle.
Il vérifia ses mails et décida de répondre aux plus urgents dès son retour
dans l’appartement. Le reste pouvait attendre. Pendant qu’il consultait les cours
de la Bourse, il reçut un message d’une certaine Kristen.
Carson se rappelait vaguement une fille avec qui il était sorti quelques mois
plus tôt et qui lui avait avoué à la fin du dîner qu’elle était en couple. Comment
avait-il pu oublier d’effacer ses coordonnées ?
Un arc-en-ciel dominait les falaises tandis qu’un gros nuage faisait place à
de la brume. Des gouttelettes de pluie scintillaient sur les pétales rouges d’un
hibiscus, les orchidées et les bambous. La brise sentait la terre humide et la
pluie.
Malgré son envie de regagner l’appartement, Marla jugea plus avisé de
s’attarder sur la plage jusqu’à l’heure de leur rendez-vous avec Truman et Julia.
Mieux encore, c’était le moment idéal pour faire un tour à l’infirmerie.
Après avoir perdu plusieurs fois son chemin, elle trouva le bâtiment annexe
niché en retrait entre l’édifice principal et le centre de conférences. Elle entra
dans une salle d’attente déserte, dont le sol en parquet de bambou était orné d’un
tapis persan. À droite, l’eau d’une petite fontaine ruisselait dans un bassin rempli
de nénuphars. La pièce était meublée de fauteuils en cuir moelleux et des
présentoirs proposaient diverses revues.
Joli, songea-t-elle.
— Bonjour, madame. Je peux vous aider ? s’enquit un jeune homme en
tenue bleue d’infirmier, posté derrière un comptoir.
Ses cheveux roux étaient coupés très court sur les côtés.
— Bonjour, je suis le Dr Marla Grant. Je me promenais et j’ai eu envie de
jeter un coup d’œil à l’infirmerie.
— Kevin Flanagan, répondit-il en souriant. Je suis étudiant en première
année de médecine et j’assiste le docteur.
— Très bien !
— Je vous fais visiter ? Nous n’avons aucun patient, en ce moment. Certains
jours, le temps semble long.
Il l’entraîna dans une salle d’examen. Aussitôt, Marla se sentit en terrain
familier. Kevin lui expliqua que l’infirmière généralement de service était en
vacances pour la semaine.
— Je la remplace. Voici l’espace de réception des patients.
— J’adore ces photos de l’océan, commenta-t-elle en suivant le jeune
homme dans un long couloir décoré dans des tons bleus et blancs.
Un léger parfum d’agrumes flottait dans l’air. Les salles d’examen
spacieuses et le poste de l’infirmière étaient dotés d’un équipement de pointe,
avec tous les appareils nécessaires aux urgences. Une vraie publicité telle qu’elle
en voyait dans les magazines professionnels.
— Vous disposez d’un moniteur de fréquence cardiaque à côté de chaque
table d’examen ?
— C’est exceptionnel, je sais, admit Kevin, mais quand le patient allongé sur
la table pèse cinq cents millions, il exige le meilleur.
— Vous plaisantez ?
— Attendez de voir la suite.
Derrière une porte sur laquelle était inscrit « réservé au personnel », Marla
découvrit une pharmacie bien garnie et un petit laboratoire d’analyses à gauche.
— Ça alors ! Combien de patients soignez-vous ?
— Cinq ou six par jour, en moyenne. Ce matériel nous sert rarement.
Cinq ou six ? songea Marla, abasourdie. Elle en auscultait cinq fois plus dans
son dispensaire ! Ils se rendirent ensuite dans une réserve à fournitures.
— Nous faisons principalement de la bobologie, comme on dit : maux de
tête, problèmes digestifs, chevilles foulées, réactions allergiques… néanmoins,
nous sommes parés à toute éventualité.
— Vous avez même un chariot d’urgence, souffla-t-elle en examinant le
défibrillateur, l’appareil d’intubation, les perfusions, les canules, l’atropine, la
lidocaïne…
— L’infirmerie est opérationnelle et aux normes en cas d’arrêt cardiaque.
C’est une bonne chose, car l’hôpital le plus proche se trouve à plus de trente
kilomètres.
— On se croirait vraiment à l’hôpital.
— Nous sommes en mesure d’intervenir sur le parcours de golf, en cas de
code bleu, grâce à ce défibrillateur portable. Par chance, l’occasion ne s’est
jamais présentée. Et nous pouvons porter secours à un patient allergique aux
fruits de mer, par exemple.
— Bien vu.
Ils regagnèrent le poste de l’infirmière où ils burent un café en discutant de
leur travail.
— Pour ma part, je passe plus de temps à remplir des papiers qu’à examiner
mes patients, se plaignit Marla.
Soudain, le carillon de la porte d’entrée retentit.
— Il y a quelqu’un ? lança une voix grave depuis la réception.
Elle sourit et posa sa tasse.
— C’est Carson Blackwell.
Elle fit signe à Kevin de ne pas bouger et alla ouvrir la porte de
communication.
— Entrez donc. Le docteur va vous recevoir !
Vêtu d’un polo noir et d’un bermuda en toile kaki, Carson semblait
contrarié. Elle le trouva plus sexy que jamais.
— Je te cherche partout, répliqua-t-il. J’aurais dû me douter que je te
trouverais ici.
— Tu as vu juste. Viens, je vais te faire visiter.
— Tu affiches cet air que je connais bien.
— Quel air ? s’enquit-elle en feignant l’innocence.
— Tu mijotes quelque chose.
— Moi ? fit-elle en lui tenant la porte, résistant à l’envie de le toucher. Je
vais te présenter Kevin.
— Kevin ?
— C’est un étudiant en médecine qui travaille ici. Il a encore du chemin à
parcourir avant d’ouvrir son propre cabinet.
Les deux hommes échangèrent une poignée de main.
— Je crois que je pourrais apprendre un tas de choses à Kevin, poursuivit-
elle en enfilant des gants en latex. Dans le respect des procédures. Tu sais, une
endoscopie ne fait pas forcément mal, ajouta-t-elle avec un sourire diabolique.
— Bas les pattes ! s’exclama Carson.
Kevin se mit à rire.
— À quand remonte ton dernier bilan de santé, trésor ?
Il la défia du regard.
— Tu sais quoi ? Si tu as envie de m’examiner, pas de problème. Retournons
au penthouse et tu pourras m’observer sous toutes les coutures.
Marla rougit. Kevin leva un pouce d’un air approbateur.
— À quoi bon remonter ? insista Marla en agitant les doigts. Les salles
d’examen sont vides. Kevin pourra regarder.
Carson écarquilla les yeux, comme Sophie, quand elle était choquée.
— Je plaisante ! Ne fais pas cette tête !
— Marla, enlève ces gants et partons. Truman et Julia nous attendent et je
meurs de faim.
— Vous êtes mariés, tous les deux ? s’enquit Kevin.
Si seulement, songea-t-elle malgré elle.
— Elle trouve que je ne suis pas un choix avisé, déclara Carson. Je me
demande pourquoi.
— Allons déjeuner, concéda Marla. Truman et Julia vont se demander où
nous sommes.
Soudain, le carillon retentit de nouveau.
— Docteur ? s’exclama une voix affolée, avec un accent hispanique. Il y a
quelqu’un ? J’ai besoin d’un docteur !
Marla se précipita à la réception, les deux hommes sur ses talons. Une
femme entre deux âges, en uniforme gris, tenait dans ses bras un bébé tandis
qu’une fillette s’accrochait à sa jambe en pleurant.
— Les enfants sont très malades, dit-elle à Marla. Ella est pleine de boutons
rouges, comme si elle avait la rougeole.
— Je n’ai jamais vu de rougeole, commenta Kevin, la mine pâle.
— Madame, suivez-moi avec les enfants dans une salle d’examen. C’est par
ici. Je suis le Dr Grant et voici Kevin, qui est assistant médical. Vous êtes la
mère de ces enfants ?
— J’aide M. Warren à s’occuper d’eux. Je suis leur nounou, Mme Ramos.
Nous venons de Phoenix, en Arizona. Nous séjournons à l’hôtel.
— Bien. Je vais examiner les petits. Indiquez-moi leurs noms et leurs âges.
— Voici Noah, qui a quatorze mois, et Ella, quatre ans. Ils ont de la fièvre.
Marla se pencha pour examiner la fillette, dont le visage et le cou étaient
parsemés de boutons.
— Bonjour, Ella. Je suis le docteur et je vais trouver une potion magique
pour te guérir, d’accord ?
Elle hocha la tête.
— Et bonjour, Noah, reprit Marla en le prenant dans ses bras. Où sont les
parents ?
— M. Warren est parti de bonne heure en bateau. J’essaie de l’appeler, mais
il ne répond pas. Leur maman est morte l’an dernier.
Noah avait le souffle court.
— Madame Ramos, pouvez-vous emmener Ella en salle un et la
déshabiller ? Kevin va prendre sa température et noter les renseignements
nécessaires à la création d’un dossier.
Elle se tourna ensuite vers le jeune homme :
— Voyez s’ils ont des allergies à certains médicaments. Ella n’a pas la
rougeole. C’est la scarlatine. Faites-lui un test de dépistage du streptocoque. Je
suis sûre qu’il sera positif.
Elle caressa les boucles blondes de Noah.
— Tu es trop mignon, dit-elle en faisant signe à Carson. Tu vas jouer un peu
avec ce gentil monsieur, d’accord ?
— Quoi ? protesta Carson tandis qu’elle lui tendait le bébé. Je n’y connais
rien, aux gamins !
— Il est trop malade pour te poser le moindre problème. Il faudrait que tu
l’emmènes dans l’autre salle d’examen et que tu lui enlèves ses vêtements en ne
lui laissant que sa couche. Ne fais donc pas cette tête !
— Je n’ai jamais déshabillé un bébé.
Elle le dévisagea un instant, puis lui sourit malicieusement.
— C’est la même chose que de déshabiller une femme, plaisanta-t-elle.
Enfin, à peu de chose près.
— Dans ce cas, j’y arriverai sans problème.
— Je te fais confiance, répliqua-t-elle, provoquant l’hilarité de Kevin, qui les
avait entendus de loin. Je viendrai l’examiner dès que j’aurai vu sa sœur. D’ici
là, garde-le dans tes bras. Il semble très content avec toi.
Noah crispa ses petits doigts sur le polo de Carson et se blottit
confortablement contre lui.
— Ne t’en fais pas, fiston. Je vais m’occuper de toi, dit-il en le serrant contre
lui.
Marla les regarda s’éloigner vers la salle d’examen un peu trop longtemps.
Carson aimait-il les enfants ? Envisageait-il de fonder une famille ? Pas une fois,
il n’avait évoqué cette perspective.
Six ans plus tôt, ils avaient pris leurs précautions.
Mais un accident est vite arrivé.
Surtout lorsque l’on décide de prendre une douche ensemble.
11
— Tout va bien se passer, promit Carson à Noah. Bon, je vais te poser sur la
table et te déshabiller.
Hélas, le bambin ne l’entendait pas de cette oreille. Il se mit à pleurer à
chaudes larmes en agrippant désespérément le polo.
— Bon, d’accord… Et si on s’asseyait tous les deux sur la table ?
Il s’installa confortablement, sans lâcher Noah, et le retint de son bras
gauche pendant qu’il lui ôtait ses chaussures.
— Tu tousses, bébé, commenta-t-il. C’est un peu inquiétant…
— Tchou tchou ! s’exclama Noah en désignant le devant de son body, qui
représentait un petit train.
— Oui, c’est une locomotive, confirma Carson en souriant. Tu aimes les
trains ? Moi, j’adore ça.
Noah tapa dans ses mains et se mit à babiller. Carson en profita pour lui
enlever son body et ses chaussettes.
— Facile ! s’exclama-t-il. Tu es très gentil. J’espère que mon petit garçon
sera aussi sage que toi.
Noah lui prit la main. Attendri, Carson lui tapota la cuisse. Aurait-il un jour
un fils ?
— Si un jour tu viens chez moi, nous construirons un immense train
électrique.
Voilà à quoi il jouerait avec son fils. Au train électrique. Comme avec son
père.
— Il y aura des collines, des virages, un pont, un tunnel…
Il plaqua Noah contre son torse. Il avait la peau brûlante.
— Tu as de la fièvre, mon bonhomme.
Quel irresponsable pouvait partir en bateau en abandonnant des enfants
malades ? Dans la pièce voisine, Ella se mit à pleurer. Noah se crispa.
— Ce n’est rien, rassure-toi. On s’occupe de ta grande sœur.
Kevin se présenta, muni d’un thermomètre auriculaire.
— Vous vous en sortez ? s’enquit-il.
— Il est mignon, ce gosse. Comment va la petite ?
— Ça va. Le Dr Grant est en ligne avec un pédiatre de l’hôpital. Une
ambulance est en route, les deux enfants doivent être examinés par un
spécialiste.
Il posa une main sur la joue de Noah.
— J’en ai pour une seconde, bébé, dit-il.
Noah se mit à tousser de plus belle.
— Trente-huit neuf, déclara Kevin.
— C’est beaucoup, commenta Carson en caressant le dos de l’enfant.
— En effet.
Kevin s’assit devant l’ordinateur et se mit à taper sur le clavier.
— Il y a une infection, sans doute la même que celle de sa sœur.
— C’est cela qui provoque cette éruption de boutons ?
— Autrefois, la scarlatine était assez courante, avant l’utilisation des
antibiotiques.
Le jeune homme prit un abaisse-langue et fit un prélèvement dans la gorge
de l’enfant, qui se mit aussitôt à pleurer. Carson le berça pour le réconforter.
— Le Dr Grant arrive, annonça Kevin en s’en allant avec son prélèvement.
Deux minutes plus tard, Marla se présenta, vêtue d’une blouse blanche trop
large pour elle, un stéthoscope autour du cou. Elle semblait très professionnelle,
même si la blouse lui arrivait à mi-cuisses.
— Qu’est-ce que tu fais sur cette table ? demanda-t-elle.
— J’ai réfléchi à ta proposition de tout à l’heure.
— Peux-tu descendre à présent ?
Carson obéit, Noah dans les bras.
— Nous allons l’allonger et tu vas le tenir car il risque de ne pas apprécier
l’examen.
Elle avait raison. Noah s’agita et gémit tandis que Marla lui palpait le cou et
l’abdomen.
— Tu es très sage, murmura-t-elle en prenant un otoscope pour inspecter les
oreilles du bambin.
L’air soucieux, elle griffonna quelques notes dans le dossier.
— On va l’asseoir maintenant.
Elle écouta le cœur de son petit patient. Carson dut l’empêcher d’attraper le
stéthoscope qui semblait le fasciner. Marla affichait une mine préoccupée, ce qui
ne présageait rien de bon.
— C’est grave ?
— Il faudrait faire une radio pour éliminer l’hypothèse d’une pneumonie. Ils
sont tous les deux déshydratés. La nounou n’a pas réussi à leur faire avaler quoi
que ce soit, ce matin.
— Mais où est leur père ? Il devrait être là ! s’emporta Carson.
— Mme Ramos a signé une décharge en indiquant qu’il accepterait
l’hospitalisation. J’ai parlé à un pédiatre et je vais accompagner les petits à
l’hôpital. En attendant, il faut absolument localiser leur papa.
— J’en fais mon affaire, répondit Carson sans hésitation. Immédiatement.
Il lui confia le bébé et sortit son téléphone portable.
— Tu as des infos sur lui ? demanda-t-il.
Marla actionna la souris de l’ordinateur.
— Uniquement ce que la nounou nous a donné.
— Gary Warren, lut Carson sur l’écran. L’irresponsable de l’année…
— Carson…
— Il ne fera plus jamais ça à ses enfants, je te le garantis.
Il appela Jacob Damaire :
— Nous avons un problème, annonça-t-il d’une voix ferme, avant de lui
exposer la situation. Merci d’appeler immédiatement le lieutenant de police qui
est en charge de la sécurité. Demandez-lui de retrouver M. Warren le plus vite
possible pour le ramener à l’hôtel.
— Toute de suite, monsieur. Savez-vous où M. Warren pourrait se trouver ?
— Apparemment, sur un bateau, je ne sais rien de plus. Allez dans sa
chambre, au besoin, pour y chercher des indices. La nounou n’arrive pas à le
joindre. Appelez aussi l’avocat de l’hôtel. Qu’il nous rejoigne dans votre bureau
dans une demi-heure. Je veux m’assurer que nous avons rempli nos obligations
dans la prise en charge de ces enfants.
Carson contacta ensuite Jim Nolan, le directeur financier de son entreprise.
— Alors, vous êtes à Kauai ! Tout va pour le mieux, j’espère.
— Tout va bien, merci. Je suis désolé de vous déranger en plein week-end,
mais j’ai besoin d’un service.
— Pas de problème.
— Il me faudrait des renseignements sur une société d’investissement dont je
voudrais joindre les responsables.
Carson consulta l’écran et indiqua à Jim Nolan les coordonnées de
l’employeur de Gary Warren.
— Je vous envoie les infos par texto dès que je les ai.
— Merci.
Carson afficha le sourire d’un homme qui a remporté une victoire contre un
adversaire. Il n’était pas du genre à partir perdant. Marla était très pâle, comme
si ces conversations l’avaient effrayée.
— Parfois, les parents ne se rendent pas compte que leurs enfants sont
malades, ou de la gravité d’une situation, dit-elle à voix basse.
— Ce type ne commettra plus jamais cette erreur, crois-moi.
Il reprit Noah dans ses bras.
— Je n’ai aucun respect pour un père qui néglige ses enfants. Un enfant ne
demande pas à naître. Quand il est là, son père se doit de veiller sur lui.
Kevin réapparut, tenant Ella par la main.
— Regarde ! Ton petit frère est là.
— Noah ! s’exclama la fillette en se précipitant vers lui.
Carson se pencha pour qu’elle puisse embrasser le bébé.
— Il va avoir une piqûre ? demanda-t-elle, préoccupée.
— Je ne sais pas, lui répondit-il doucement.
— Carson, je n’ai pas encore fini avec Noah. Confie-le à Kevin et emmène
Ella au poste de l’infirmière. Donne-lui une sucette, suggéra Marla tandis que
Kevin lui tendait une seringue.
Il céda le bambin à contrecœur. Il était décidément trop sensible pour être
médecin.
Il quitta la pièce avec Ella dans les bras. Mme Ramos attendait dans le
couloir. Le téléphone à l’oreille, elle laissait un énième message à Warren. Dans
le bureau, Carson trouva la boîte de sucettes et proposa à Ella d’en choisir une.
— Moi aussi, ce sont les rouges mes préférées, déclara-t-il avec un sourire.
— Merci, dit-elle d’une petite voix.
Carson se sentit fondre d’attendrissement. Il en voulut d’autant plus au père
qu’il jugeait indigne.
En entendant les pleurs de Noah, Ella eut les larmes aux yeux. Carson la
serra dans ses bras.
— Noah va guérir, promit-il. Parfois, il faut une piqûre ou des médicaments.
— Où est papa ?
— Il avait du travail, mais il va bientôt arriver, répondit-il, le cœur serré.
La sirène d’une ambulance retentit au loin. Il confia Ella à sa nounou.
— Ne vous en faites pas. Je vais retrouver leur père et tout va s’arranger.
Deux ambulanciers poussèrent un brancard sur lequel était posé un grand
nounours blanc. En le voyant, Ella sourit.
Marla et Kevin s’approchèrent avec Noah. Marla exposa la situation aux
deux hommes qui installèrent les enfants l’un à côté de l’autre. L’un d’eux
actionna une marionnette tandis que l’autre installait un masque à oxygène sur le
visage de Noah.
— Voici mon numéro de téléphone, dit Marla en tendant un morceau de
papier à Carson. Appelle-moi dès que tu auras localisé M. Warren.
— C’est illisible, maugréa-t-il.
— Normal, je suis médecin, répliqua-t-elle avec un sourire, avant de lui
confirmer le numéro.
— Je te tiens au courant, dit-il en regardant les ambulanciers emmener les
enfants.
Mme Ramos les suivit.
Dans l’allée, Marla s’arrêta soudain.
— Oh, et Truman et Julia ! Présente-leur mes excuses. On pourra peut-être
dîner tous ensemble ce soir ?
— Bien sûr. Fais au mieux pour les enfants.
— Merci, répondit-elle avant de l’embrasser sur la joue.
Leurs regards se croisèrent furtivement.
— Docteur, fit un ambulancier, prêt à refermer les portières.
— Je t’appelle ! promit Carson. Dès que j’aurai trouvé le père.
— Ne l’estourbis pas, surtout !
12
Elle photographia ensuite les Crawford et Carson. Puis elle posa à son tour
devant la cascade, puis avec Julia, et enfin avec Carson, bras dessus, bras
dessous.
Le faux couple idéal.
Marla chassa vite cette pensée de son esprit en remontant à bord de
l’hélicoptère. Elle s’efforçait de profiter de ces vacances. Tout au long de la
journée, elle s’émerveilla devant les paysages exotiques, dont le canyon de
Waimea, diamant caché dans la jungle émeraude, et d’autres cascades, parfois
traversées par des arcs-en-ciel. Ils survolèrent la côte inhabitée de Na Pali et son
impressionnant volcan qui se jetait dans la mer.
Ils contemplèrent les vagues sur la plage en forme de croissant de Hanalei
Bay. Malheureusement, elle ne trouva aucun coquillage pour Sophie dans le
sable doré. Carson lui expliqua qu’ils étaient rares, à Hawaï. Elle devrait se
résigner à en acheter dans une boutique de souvenirs.
La journée se termina par un spectacle de danse et de lanceurs de couteaux
lors d’un dîner typiquement hawaïen.
Ensuite, épuisée, Marla n’eut aucun mal à s’endormir. Elle fut ravie de se
réveiller le lendemain sans projet spécial pour la journée. Ne rien faire serait le
paradis.
Après une bonne douche, elle enfila l’un de ses nouveaux chemisiers, d’un
tissu imprimé fleuri jaune et rouge, un short noir et ses baskets jaunes. Elle avait
envie de se rendre au centre de thalasso pour se faire masser. Puis elle irait
lézarder à la plage comme une parfaite touriste.
Dans la cuisine, elle trouva Carson en train de boire un café en lisant le
journal. Il portait une chemise blanche, une cravate rayée et un pantalon bleu
marine. Son eau de toilette musquée lui envahit les narines. L’espace d’un
instant, elle eut envie de se jeter sur lui et de lui arracher ses vêtements.
— Je vois que tu es prêt pour ton rendez-vous avec le promoteur, déclara-t-
elle. J’espère qu’il se passera bien.
Il posa son journal.
— J’y compte bien. Je viens de discuter avec Gary Warren. Noah et Ella se
portent bien. Ils prennent l’avion aujourd’hui pour rentrer chez eux. Tout va
s’arranger.
— Tant mieux, répondit Marla avec un sourire, ravie de l’intérêt qu’il portait
aux enfants.
— Tu es radieuse, aujourd’hui, dit-il en la toisant.
— J’ai bien cru que tu allais dire « sexy ».
— Tu es toujours sexy, Marla.
— Que répondre à ça ?
Elle alla se servir un café, puis détourna la conversation, pour ne pas tenter
le diable.
— J’ai l’intention de faire un tour au centre de thalasso, aujourd’hui.
— Tu n’as pas envie d’une randonnée dans la jungle ? plaisanta-t-il.
— Pas question de faire de la marche aujourd’hui. Je veux rêver, communier
avec la nature sur la plage.
— Si tu comptes nager, ne t’éloigne surtout pas du bord de la plage.
— Je resterai sur le sable.
Elle avait lu une brochure de l’hôtel concernant la sécurité et savait qu’il ne
fallait jamais sous-estimer la puissance des courants et des vagues. Et il n’était
pas non plus question qu’elle se fasse dévorer par un requin.
Un carillon retentit.
— Quelqu’un sonne à la porte ?
— Oui, dit Carson, aussi étonné qu’elle. Tu as appelé le service d’étage ?
— C’est sans doute une employée.
Elle alla ouvrir. Ce n’était pas une femme de chambre qui se tenait sur le
seuil, mais une ravissante brune aux yeux bleus. Elle portait un collier en
diamants autour du cou, un débardeur de soie rouge et une longue jupe
vaporeuse. Son beau visage avait quelque chose de familier.
— Je peux entrer ?
— Bien sûr, répondit Marla en se remettant du choc.
— Vous devez être cette femme médecin dont Truman et Julia ne cessent de
chanter les louanges.
— Olivia ? fit Carson en s’approchant.
Soudain, Marla la reconnut.
Olivia Blaise, la star de cinéma ! Elle avait vu plusieurs de ses films.
Quelques années plus tôt, elle avait foulé le tapis rouge au bras de Carson. Ils
formaient un couple très glamour. Devait-elle s’éclipser et les laisser en tête à
tête ou rester pour aider Carson à expliquer les raisons de sa présence ? Déjà,
l’angoisse l’étreignait.
— Cela me fait plaisir de te voir, Liv, déclara Carson.
— Je ne sais pas si je dois te frapper ou t’embrasser !
Il ouvrit les bras et elle s’y lova sans résister.
— Je suis désolé. J’avais l’intention d’être là.
— Tu imagines à quel point tout le monde était déçu ? soupira l’actrice.
Surtout tante Édith ! Elle a quatre-vingt-douze ans. Elle n’aura peut-être pas
d’autre anniversaire.
— Les vols au départ de Londres étaient annulés. Je n’y pouvais rien. Je l’ai
appelée.
— Cela ne suffit pas. Il fallait être là. Tu sais combien papa adore poster des
photos sur la page des Blackwell, sur ce site généalogique.
Elle s’avança dans le salon, Carson sur les talons.
Marla remarqua qu’Olivia avait dans la vraie vie l’accent du Texas, comme
Carson et les Crawford. Sans doute le gommait-elle devant la caméra.
— Papa voulait une photo de famille avec tante Édith et ses neveux et
nièces. Tout le monde était là sauf toi.
— Je sais. Je m’en suis voulu, admit-il.
— Vous êtes de la même famille, tous les deux ? intervint Marla, à la fois
curieuse et incrédule.
Carson était parent d’une star de cinéma !
— Je suis sa cousine, mais je l’ai toujours considéré comme un frère.
Jusqu’à récemment…
La mine déconfite, Carson fit les présentations, puis déclara :
— J’irai voir la famille le mois prochain.
— J’espère bien ! Tu as été élevé dans l’idée que la famille passe avant tout,
n’oublie pas.
— Je sais, répéta-t-il en la prenant par les épaules. Je suis vraiment content
de te voir. Tu es là pour un tournage ?
— Non. Je suis venue te voir, m’échapper un peu. Je compte prendre un peu
mon temps.
Marla ne voulait ni s’imposer ni s’esquiver en risquant de paraître impolie.
Elle endossa donc le rôle de l’hôtesse.
— Je peux vous servir une tasse de café ?
— Volontiers, répondit Olivia.
Dans la cuisine, Marla prit son téléphone et envoya un message à Brett
Harris, son ami cardiologue, fervent admirateur de l’actrice.
Elle décida de faire quelques recherches sur Internet à propos d’Enola Kalle,
persuadée qu’il s’agissait d’une star de porno.
— Oh non, souffla-t-elle en découvrant la photo d’une femme nue
chevauchant une moto, les cheveux roux, dans une pose suggestive. Sans parler
des implants mammaires… Le genre de femme qui faisait de l’effet à Dawson ?
Affligée, elle rangea vite son téléphone et se dirigea vers la plage, admirant
l’horizon. De gros nuages annonçaient un orage.
Lafayette Falls était souvent la cible de tornades, de sorte qu’elle se méfiait
des éléments. Elle consulta les prévisions météorologiques : une tempête
tropicale et de fortes précipitations étaient prévues en fin de soirée sur Kauai,
ainsi que des vents violents.
Une heure plus tard, après un massage au spa, où elle avait profité d’un soin
régénérant aux pierres chaudes et aux huiles essentielles, elle avait la peau douce
et parfumée de la tête aux orteils. Elle en avait profité pour se faire coiffer et
maquiller. Être l’invitée du grand patron avait ses petits avantages : on lui avait
remis un sac rempli d’échantillons de cosmétiques et de parfums.
Elle se rendit au restaurant où elle avait maintenant coutume de déjeuner
avec Carson et les Crawford, dans une vaste salle dont la baie vitrée donnait sur
l’océan. Le serveur la conduisit vers une table pour quatre. En attendant les
autres, elle vérifia ses messages. Sa mère lui annonçait qu’ils étaient en route
pour la côte et Nolana lui souhaitait une bonne journée et l’informait que tout
allait bien au dispensaire.
En regardant les photos qu’elle avait prises au cours des derniers jours,
Marla s’attarda sur un portrait de Carson, devant la cascade. Les mains dans les
poches de son pantalon, il lui tournait le dos. Son tee-shirt lui collait à la peau. Il
la regardait par-dessus son épaule, les yeux dissimulés par ses lunettes noires.
Elle sourit en contemplant ses larges épaules. Il était vraiment sexy, sur cette
photo. Soudain, elle sentit un trouble familier la picoter. En riant intérieurement,
elle se promit d’imprimer ce portrait dès son retour chez elle. Elle pourrait le
glisser dans une revue médicale et l’admirer à loisir, quand elle n’aurait pas le
moral. Carson serait son Enola.
Elle décida d’écrire à Kayla en attendant ses hôtes.
— Marla ! lança Julia en lui faisant signe depuis l’entrée, enjouée dans une
tenue de tennis très élégante.
Marla rangea vite son téléphone et la salua à son tour, puis Julia s’installa à
la table ronde dont le centre était orné d’un énorme bouquet de fleurs tropicales.
— Très joli, cette nouvelle coiffure, commenta Julia.
— Ce matin, je suis allée au spa et au salon d’esthétique. Elles m’ont
aspergée de parfum.
— Je vous trouve superbe et vous sentez très bon, assura Julia en riant.
Elles se penchèrent sur le menu. Marla opta pour une salade au thon et Julia
préféra le saumon lomi lomi.
— Les garçons ne vont pas tarder. Truman m’a envoyé un message il y a
quelques minutes.
Marla n’avait pas eu de nouvelles de Carson. Elle espérait que son entretien
avec le promoteur s’était bien déroulé. Elle songea aux propos d’Olivia sur
l’impression exprimée par Truman et Julia : Carson a enfin trouvé le grand
amour. Elle s’en voulait terriblement de les tromper de la sorte. Elle appréciait
ce couple adorable, aux valeurs traditionnelles ; elle s’en voulait terriblement de
les tromper.
— Julia, je voudrais vous remercier de votre gentillesse. Vous allez me
manquer quand je rentrerai à la maison.
— Nous nous reverrons, assura la vieille dame avec un sourire.
Sans doute considérait-elle que, puisque Carson faisait partie de sa famille, il
en serait de même pour son épouse.
— Non, répondit Marla. Carson et moi sommes amis, rien de plus. Nos vies
sont très différentes. Notre relation n’évoluera pas vers quelque chose de sérieux
ou de durable.
Julia posa une main sur la sienne.
— Ma chérie, c’est déjà du sérieux entre vous, assura-t-elle. Il est amoureux
de vous. Cela se voit. Vous êtes la femme de sa vie.
Marla soupira. De toute évidence, Carson et elle étaient d’excellents acteurs.
— Je peux me joindre à vous, belles dames ? intervint Truman en s’installant
à côté de son épouse.
— Où est Carson ? s’enquit-elle.
— Il boude, je suppose.
Il fit signe au serveur et commanda une bière et un plat.
— L’entretien avec le promoteur ne s’est pas très bien déroulé, expliqua-t-il.
— Que s’est-il passé ? demanda Marla, intriguée.
— Howard a des idées très arrêtées. En deux mots, il voulait transformer le
centre artistique en un véritable parc d’attractions. Carson, qui était déjà de
mauvaise humeur en arrivant, s’est emporté et est parti en claquant la porte.
Quand j’ai essayé de le raisonner, il a refusé de m’écouter.
— Accorde-lui le temps de se calmer, suggéra Julia.
— Il ressemble tellement à son père ! Au point d’être buté, parfois. Avec lui
c’est tout ou rien.
Truman but une longue gorgée de sa bière.
— Tu es mal placé pour lui faire ce reproche, objecta sa femme avec un
sourire taquin.
Le serveur leur apporta les plats. Marla ne put s’empêcher d’observer d’un
œil critique l’assiette de Truman : des travers de porc à l’ananas accompagnés
d’un gratin de macaronis. Son pauvre cœur était mis à rude épreuve… elle
s’efforça de se concentrer sur sa propre assiette. Elle n’avait pas à se mêler des
habitudes alimentaires des autres, il s’agissait là d’une vilaine déformation
professionnelle.
— Carson va vous donner du fil à retordre, Marla, reprit le vieil homme. Ses
parents l’ont trop gâté quand il était petit.
— Gerald et Kathleen étaient de bons parents, protesta Julia. Certes, ils l’ont
choyé, mais il faut les comprendre, Carson était leur fils unique.
Marla songea à Sophie. De quel droit jugerait-elle les parents de Carson ?
— Je vais voir ce qu’il fabrique, annonça-t-elle quand elle eut terminé sa
salade. J’en profiterai pour lui demander quels sont ses projets pour ce soir.
Dans le penthouse régnait le plus grand calme. Une légère odeur de produit
d’entretien citronné subsistait après le passage des femmes de chambre.
— Carson ?
Marla posa son sac sur la table basse et sortit sur la terrasse. Les frondes des
palmiers se balançaient sous la brise. Ne voyant aucun signe de son colocataire,
elle traversa le salon en direction de la suite parentale. Derrière la porte
entrebâillée, elle entendit le son de la télévision.
— Carson ? répéta-t-elle.
Elle frappa brièvement et regarda dans la pièce aux murs d’un ton doré mat.
Une opulente tapisserie était éclairée par deux appliques. Un canapé et deux
fauteuils en cuir faisaient face à un buffet en merisier. La télévision diffusait une
rencontre de baseball.
Affalé sur le canapé, vêtu d’un short et d’un tee-shirt lâche, pieds nus,
Carson tenait une canette de bière.
— Tu n’es pas venu déjeuner, déclara-t-elle.
— Je n’ai pas faim, maugréa-t-il, la mine sombre.
— Truman nous a raconté que ta réunion ne s’était pas très bien passée. Cela
ne signifie pas que ton projet tombe à l’eau. Je suis sûre que tu trouveras une
solution.
— Oui, d’ailleurs, je travaille dessus en ce moment même, fit-il en coupant
le son.
Il plongea ses yeux bleus dans ceux de la jeune femme.
— Puisque tu as déclaré à Olivia que l’on n’avait aucun avenir ensemble,
j’ai décidé d’avancer de mon côté, dans la vie.
— Avec Enola ? se moqua Marla.
Il la foudroya du regard.
— Je sais bien que si tu es ici, c’est parce que tu n’avais pas le choix.
Voyons les choses en face : tout ce qui compte, pour toi, c’est ton foutu
dispensaire. Eh bien, je vais exaucer tes vœux. Fais tes bagages. Tu t’en vas
demain matin et, ne t’inquiète pas, je le financerai, ton centre de soins. Et avec
plaisir ! Sois tranquille, tu n’auras plus de nouvelles de moi.
— Inutile d’adopter cette attitude, rétorqua-t-elle. Si tu veux que je parte, je
partirai.
— Je veux que tu partes, confirma-t-il, plein de ressentiment. En t’amenant
ici, j’ai commis une erreur. Le jet t’attendra demain matin.
L’espace d’un instant, Marla accusa le coup, comme s’il venait de la gifler.
En réalité, elle était partagée. Tu l’as, le financement que tu étais venue chercher,
songea-t-elle. Tu ne risques plus rien. Sophie non plus. Tu devrais filer sans
demander ton reste !
Pourtant, elle s’attarda sur le seuil, incapable d’ignorer sa souffrance.
— Je ne veux pas que tu me détestes.
— Nom de Dieu, maugréa-t-il en écrasant sa canette vide dans son poing
rageur. Je ne te déteste pas ! Tu avais raison, ce matin. Il n’y a rien de sérieux
entre nous. Il n’y a jamais rien eu de sérieux. À présent, je veux juste que tu t’en
ailles.
Que répondre à cela ?
— Très bien, soupira-t-elle face à sa mine renfrognée. Je ne veux pas de
rancœur entre nous. Il y a six ans, nous nous sommes séparés en bons termes.
Carson ne dit mot.
— Il y avait encore de la rosée sur les fleurs, se rappela-t-elle. Tu m’as fait
un dernier sourire, un signe de la main, et tu es parti au volant de ta voiture.
C’est le souvenir que j’ai gardé de toi, et j’aimerais qu’il en soit toujours ainsi.
Je veux me rappeler ce sourire, les bons moments que nous avons partagés,
même ici.
— Bon sang ! s’exclama-t-il en se levant d’un bond.
Il alla jeter sa canette à la poubelle, puis en sortit une autre du minibar.
— Dis-moi une chose : tu pensais à ça quand tu as épousé Ben ? demanda-t-
il d’un ton narquois.
— C’est quoi, ton problème, avec Ben ? Laisse-le en dehors de cette
histoire !
— J’avais oublié : Ben est un saint, se moqua-t-il en ouvrant la canette.
— Tu n’as aucun droit de le juger. C’est injuste. Tu ne m’as plus jamais
donné de nouvelles jusqu’à la semaine dernière.
— Dois-je te rappeler que tu t’es mariée ?
— En partant de Royal Oaks, je ne croyais pas que l’on se reverrait. J’étais
persuadée que c’était fini. Je me trompais ?
Il posa sa canette sur le côté. Après un long silence, il admit :
— Non. Tu avais raison. Ce n’est pas ce qui était prévu.
— De plus, si tu avais changé d’avis, tu m’aurais appelée, non ? Je ne me
suis mariée qu’à la fin du mois de septembre et tu avais mon numéro de
téléphone.
Son ton était lourd de reproches.
— Non, objecta-t-il. Je l’ai effacé le jour où j’ai quitté Royal Oaks.
Marla croisa les bras. Comment réagir à ce camouflet ? Il venait de détruire
son rêve le plus secret alors qu’elle avait toujours fantasmé sur lui.
Pendant des années, elle avait espéré que, quelque part dans un cadre
paradisiaque, sur une terrasse, face au soleil couchant, un verre de vin à la main,
Carson pensait à elle, se languissait d’elle…
Comme ses illusions étaient pitoyables ! Furieuse contre elle-même, elle
releva le menton fièrement.
— J’efface toujours le numéro de téléphone d’une ex, après une rupture,
poursuivit-il. Ne le prends pas personnellement.
— Effacer un numéro est symbolique. En réalité, ce sont les gens que tu
effaces. Ce jour-là, tu m’as effacée de ta vie, voilà tout. Goujat.
— Oui… si on veut.
— Salaud ! s’exclama-t-elle en s’approchant de lui, folle de rage. Tu te
permets des réflexions malveillantes sur Ben alors que rien ne t’y autorise ! Et tu
n’as pas le droit de me juger non plus ! Tu n’es qu’un gosse de riche à l’ego
surdimensionné. Tu n’es pas l’homme que je croyais. Heureusement que tu
n’étais pas chez toi le jour où je me suis présentée devant ta grille. C’est un sacré
coup de chance !
Se rendant compte de sa bévue, elle se mordit la langue et s’écarta du bar en
espérant qu’il n’ait pas bien entendu.
— Quel jour ? demanda-t-il, au grand dam de Marla.
Elle ignora sa question et dissimula son angoisse derrière de l’indignation.
— Je vais faire mes bagages et me rendre à l’aéroport dès maintenant. Je
pourrai sans doute prendre un vol pour Los Angeles ce soir.
Elle avait sifflé ces mots en un seul souffle. Il était vraiment temps d’en finir.
Au moment où elle voulut s’enfuir, il la retint par le poignet.
— Marla… quel jour ? insista-t-il d’un ton implacable. Tu es venue chez
moi ? Quand ?
Attention, songea-t-elle. Ils se tenaient si proches l’un de l’autre qu’elle
sentait les effluves de son eau de toilette et celles de la bière. Son tee-shirt noir
arborait le logo Ralph Lauren, le fameux joueur de polo, sport des élites. Elle
détourna le regard vers l’écran silencieux et tenta de puiser du calme dans
l’attitude des joueurs de baseball, concentrés et imperturbables. L’un d’eux lança
la balle et fit mouche.
— C’était à la fin de l’été, répondit-elle posément, déterminée à marquer le
point, elle aussi.
— Quel été ?
— Celui de notre rencontre.
Elle semblait parler de la pluie et du beau temps. Elle se tourna vers le bar et
saisit la canette de Carson. Elle n’aimait guère la bière, mais elle avait la gorge
sèche. Alors qu’elle buvait une gorgée, il plaqua son torse sur son épaule.
— Quand, exactement ? persista-t-il.
Acculée, elle avala une autre gorgée de bière.
— En août…
Le 20, précisément, mais il n’était pas nécessaire qu’il en sache plus.
— L’hôpital m’avait accordé un congé de quatre jours, du vendredi au
dimanche. Je me suis dit que ce serait sympa de te revoir.
Malgré son ton posé, elle sentit son cœur s’emballer.
— Je me suis décidée très vite. J’ai contacté Mme Deaton, la gouvernante,
qui m’a donné ton adresse personnelle. J’ai pris un vol pour Los Angeles et un
taxi m’a conduite chez toi. Tu n’étais pas là, conclut-elle d’un air faussement
détaché. Il n’y a rien à ajouter.
Elle brûlait d’envie d’un verre d’eau glacée tant elle avait la gorge sèche.
Elle s’humecta les lèvres.
— Marla, je ne comprends pas. Tu as parcouru tout ce chemin pour venir me
voir et j’étais absent. Mais ensuite ?
— Ensuite, je suis repartie, répondit-elle, impassible. Le taxi m’a ramenée à
l’aéroport. Hélas, il n’y avait plus de vol, ce jour-là. J’ai donc loué une voiture
pour rentrer chez moi. J’ai vu des paysages spectaculaires. Je ne connaissais pas
le Sud-Ouest et je n’ai pas regretté ce voyage. Le désert m’a fascinée.
Le silence s’installa entre eux. Elle garda la tête baissée.
— Comme je n’étais pas là, tu es partie. Tu es retournée dans le Tennessee.
Je cherche à comprendre.
Il semblait vraiment désorienté.
— C’était il y a longtemps. J’étais jeune et intrépide, reprit-elle, désireuse de
modifier le cours de la conversation. J’ai mes bagages à faire. Écoute, je regrette
de m’être emportée. Je ne pensais pas vraiment ce que je t’ai dit.
— Tu parles ! répliqua-t-il.
— Une partie, seulement.
— Je veux savoir pourquoi tu n’as pas attendu, ce jour-là.
— Où voulais-tu que j’attende ? Sur le trottoir ? Carson, on m’a interdit de
franchir la grille de ta maison.
— Qu’est-ce que tu racontes ?
— Je te parle d’un mur de trois mètres, d’une grille en fer infranchissable,
sans parler du gardien, qui m’a expliqué que seules les personnes figurant sur
une liste avaient le droit d’entrer. Et tu vois, je me suis doutée que je n’étais pas
sur ta liste.
— Je n’ai pas le choix. Je dois prendre des mesures de sécurité pour protéger
ma maison, mon entreprise, mon personnel et ma personne. Tu sais, un coup de
fil aurait suffi à régler le problème.
Elle évita son regard et se concentra de nouveau sur le baseball.
— Dès que j’ai vu le mur et la grille, les doutes m’ont assaillie.
— Tu as douté de quoi ? s’enquit Carson, de plus en plus déconcerté.
— De toi, de l’homme que tu étais vraiment. J’étais totalement désemparée.
J’avais l’impression d’avoir tout faux depuis le départ. Alors je suis rentrée chez
moi et, quelques semaines plus tard, j’ai décidé d’épouser Ben.
Carson sembla avoir reçu un coup de poignard en plein cœur. Face à sa mine
déconfite, elle s’attendait à une remarque cinglante sur elle et Ben.
Heureusement, il parvint à maîtriser sa rancœur.
Il s’approcha du bar, prit une autre bière dans le réfrigérateur et alla
s’écrouler sur le canapé.
— Tu devrais faire tes bagages, dit-il en évitant de croiser son regard.
Pour souligner ses propos, il augmenta le son de la télévision.
Elle partit sans se retourner et regagna vivement sa chambre, de l’autre côté
du penthouse. Le souffle court, elle sortit sur le lanai pour respirer à pleins
poumons.
L’air était humide, la pluie n’allait pas tarder à tomber, ce qui n’empêchait
pas un groupe de jeunes de jouer au volley-ball en poussant des cris
d’enthousiasme.
Une larme coula sur sa joue. Ses mains tremblaient. Elle s’était efforcée de
retenir un flot de sentiments tout au long de leur conversation mais c’était plus
qu’elle ne pouvait supporter. Elle commençait à craquer. Comme pour refléter
son état intérieur, un éclair zébra le ciel parmi les gros nuages noirs, au-dessus de
l’océan.
Avide de réconfort, elle rentra et sortit son téléphone pour regarder une vidéo
de Sophie et sa meilleure amie, Anna Grace, en train de faire de la balançoire, au
parc. Elle effleura tendrement l’écran.
Je t’aime tellement, mon ange. Tu es la seule qui compte.
Déterminée, elle ouvrit l’armoire et prit sa valise.
14
Carson regardait fixement l’écran de télévision, mais son esprit était ailleurs.
À vingt ans à peine, il avait été follement amoureux d’une femme qui lui avait
brisé le cœur.
En se réveillant, Carson plissa les yeux, ébloui par le soleil qui dardait ses
rayons sur son visage. Quelle heure était-il ? Il saisit le réveil posé sur la table de
nuit. Dix heures passées. Il s’était accordé une sacrée grasse matinée.
Étouffant un bâillement, il se retourna paresseusement. Il était seul dans son
lit. Il fronça les sourcils.
Madame lève-tôt n’était plus là. Elle avait même lissé son oreiller et les
draps de son côté. Impeccable comme toujours. Il sourit au souvenir de la nuit
torride qu’ils avaient partagée. Une nuit magique ! Comme à Royal Oaks,
six ans plus tôt et dans ses fantasmes les plus fous. Enfin, il avait confiance en
l’existence. Il était apaisé.
Marla était la femme de sa vie, elle possédait les qualités que son cœur
recherchait. Outre son corps de rêve et son sens de la repartie, elle était
généreuse et altruiste, sérieuse dans son travail et d’une intelligence vive qu’il
appréciait plus que tout.
Dans la nuit, après l’amour, elle avait contemplé la pleine lune, blottie contre
lui.
— Regarde… avait-elle murmuré.
— Oui, c’est beau.
— D’après Shakespeare, la pleine lune rend fou.
— Shakespeare ?
— En fait, c’est une théorie vieille comme le monde. La lune agirait sur le
comportement des gens. Les scientifiques étudient les cycles lunaires depuis des
siècles. Savais-tu que, à une époque, les chirurgiens refusaient d’opérer à la
pleine lune car ils croyaient que le sang de leur patient ne coagulerait pas ?
— Cela semble insensé, non ?
— Pas tant que ça. D’où vient le mot lunatique, d’après toi ? J’ai
l’impression que nous sommes sous l’emprise de la lune.
— Oh non, répliqua Carson en glissant l’index entre ses seins. Ce n’est pas
elle qui me rend dingue, ce soir…
La lune n’avait rien à voir avec ce qu’il ressentait pour elle depuis le départ,
une obsession qui ne l’avait jamais quitté. Il s’imaginait la tenir par la main dans
les jardins de Royal Oaks et lui dire des mots doux, des mots qu’il n’avait jamais
dits à personne.
Parfois, il se sentait dépassé par ses déplacements incessants, ses réunions de
travail, les sollicitations perpétuelles. Il lui arrivait d’être perdu, seul au monde.
Dans ses rêves, Marla le rassurait, lui rappelait qu’il était aimé sincèrement et
qu’elle serait toujours présente pour lui tenir la main.
Oh, Carson… je suis tout à toi, maintenant et pour toujours.
Ces paroles le comblaient de bonheur, faisaient de lui un homme riche dans
tous les sens du terme. L’amour était le plus beau des trésors. Et peu lui importait
s’il avait des pensées de midinette. Il attendait cette plénitude depuis toujours.
Il supposa que Marla était en train de faire du sport et quitta le lit. Plus tard,
elle irait sans doute faire des courses avec Julia, comme elles l’avaient évoqué la
veille.
Dans la salle de bains, il fut assailli par des parfums enivrants. Elle avait
sorti ses affaires de sa trousse de toilette. Carson examina avec fascination les
flacons et les cosmétiques posés sur une tablette. Du sel de bain à la lavande, de
la crème hydratante et un savon. Il y avait aussi un gel douche à la bergamote et
une trousse de maquillage à motif fleuri. Il remarqua certains échantillons qui
provenaient du salon de beauté de l’hôtel. Il déboucha une mignonnette en forme
de coquillage et huma un parfum aux notes d’agrumes, à la fois frais et sensuel.
Le parfum idéal pour Marla ! Contrairement à la lavande, il s’agissait d’une
fragrance gourmande et sensuelle. Il l’imaginait déjà s’avancer vers lui, ne
portant que ce parfum…
Un sourire aux lèvres, il prit son téléphone pour l’appeler.
— Hello ! fit-elle avec entrain.
— Hello… Ce soir, je voudrais que tu viennes te coucher en portant
uniquement quelques gouttes de… de ce parfum sexy que tu portais cette nuit.
— Tu parles de cet échantillon que l’on m’a offert au spa ? Il est trop
capiteux, je trouve.
— Trop capiteux ? Qu’est-ce que tu veux dire par là ?
— Je le trouve entêtant.
— Moi, je l’adore, insista Carson.
Elle ne lui répondit pas tout de suite, puis déclara :
— Bon d’accord… mais je ne le porterai pas en public.
— Marché conclu !
Il se promit d’en commander plusieurs flacons au salon de beauté.
— Ta virée dans les magasins est bientôt finie ?
— Je ne suis pas dans les magasins.
— Ah non ? Qu’est-ce que tu fais ?
— Je donne un coup de main à l’infirmerie, expliqua-t-elle. C’est de la folie,
ici.
— Comment ça ?
— Kevin m’a appelée tout à l’heure pour un patient qui s’est démis l’épaule.
Il n’avait jamais fait ce genre de manipulation auparavant. Je suis allée lui
montrer la procédure.
— Tu es censée être en vacances ! Kevin ne peut pas se débrouiller tout
seul ? Qu’est-ce qu’il fabrique ?
Marla est censée être avec moi, non ? songea-t-il, agacé.
— Il apprend…
— Tu penses en avoir pour longtemps ?
— J’ai plusieurs tâches en cours, répondit-elle.
— Tu veux que je t’apporte un petit-déjeuner sur place ?
— Non, non, ça ira.
— Bon, je vais aller voir si Truman a envie d’une partie de golf.
— Bonne idée. À plus tard !
Lui qui se croyait accro au travail ! En se préparant, Carson décida que
Marla allait prendre des vacances, que cela lui plaise ou non, et qu’elle se
consacrerait uniquement à lui.
— Monsieur Blackwell, que puis-je faire pour vous ? demanda le directeur
de l’hôtel en répondant à son appel.
— J’ai besoin d’un yacht.
Il s’agissait en fait d’un yacht, le Nénuphar, que Carson avait loué pour une
croisière autour de l’île. Pendant que le skipper leur faisait visiter l’élégant palais
flottant, Marla demeura en retrait, se contentant de hocher la tête et de sourire.
Pas une fois elle ne s’extasia face aux panneaux en noyer du salon, en tout
cas pas ouvertement. Mais dans sa tête, à mesure qu’ils traversaient le salon dont
les murs en boiseries sombres contrastaient avec les tapisseries de tons clairs,
c’était un autre son de cloche.
Oh, mon Dieu ! Magnifique ! Quel bel escalier ! Un piano à queue ! Et ce
chandelier !
Dans la chambre elle découvrit un immense lit en merisier, des hublots sur
les côtés qui offraient une vue sur l’océan et un plafond parsemé de spots
lumineux rappelant des étoiles. Les murs étaient ornés de photographies de
plantes tropicales. Elle se voyait bien vivre à bord toute sa vie. Et cette salle de
bains ! Sans oublier la salle à manger, la salle de sport… Et son pauvre frère qui
croyait que son hors-bord était un bateau de luxe !
Elle suivit les deux hommes sur le pont où étaient installés un bar, des
tabourets et un jacuzzi, ainsi qu’un solarium meublé de chaises longues.
Le skipper décrivit leur itinéraire. Ils partiraient vers le sud de l’île dans la
soirée avant de mettre le cap vers la côte de Na Pali pour revenir vers Hanalei
Bay.
— Il est temps de lever l’ancre, annonça-t-il avant de s’éclipser.
Carson prit Marla par la taille.
— Alors, que penses-tu du bateau de l’amour ?
— Je crois que je pourrais m’y faire.
— Parfait, souffla-t-il à son oreille. Je vais demander au capitaine de nous
emmener vers le coucher de soleil.
Il serait tellement bon de partir vers l’horizon, de tout oublier. Qui ne rêvait
pas de fuir son quotidien ?
Carson l’embrassa et huma son parfum.
— Tu sens tellement bon, répondit-il en enfouissant le visage dans son cou.
— Dois-je t’appeler Médor ?
Il éclata d’un rire sincère, comme six ans plus tôt, à Royal Oaks, quand ils
n’étaient que deux amants insouciants. Ce rire qui avait tant manqué à Marla, et
qui lui manquerait à nouveau dans quelque temps.
Pour l’heure, il fallait profiter de l’instant.
Ils passèrent la soirée sur le pont, fascinés par la splendeur du coucher de
soleil, le plus beau que Marla ait jamais vu. Le ciel et la mer se fondaient en une
palette de tons éblouissants. Elle tenta de capturer cette lumière merveilleuse
avec son smartphone, mais aucune photo ne parvint à restituer la beauté du ciel.
La magie se dissipa brutalement lorsqu’elle aperçut un aileron à la surface de
l’eau. Affolée, elle eut un mouvement de recul.
— Un requin !
— Oui, fit Carson, très décontracté. Il y en a pas mal, notamment le soir.
Elle enjamba les chaises longues et courut se réfugier derrière le bar,
provoquant l’hilarité de Carson.
— Il ne va pas sauter sur le pont pour te dévorer toute crue !
— C’est quand même un requin ! Je préfère me tenir à distance.
— Rapporte-moi donc une bière !
— Viens la chercher !
Il grommela et se leva.
— As-tu peur aussi des dauphins ? demanda-t-il après sa première gorgée de
bière.
— Bien sûr que non. Les dauphins sont gentils. Je les adore.
— Tant mieux, dit-il en s’asseyant à côté d’elle. Nous en verrons sans doute
demain sur le côté ouest de l’île. Tu seras impressionnée. Ils bondissent et
tournoient autour du bateau. On dirait qu’ils se donnent en spectacle. J’aime
beaucoup les observer.
— Je suis impatiente de voir ça. C’est une très bonne idée, cette croisière.
— Je voulais partager des moments privilégiés avec toi.
— Ah bon ?
— Ce matin, tu m’as manqué, expliqua-t-il en la prenant par les épaules. Je
pensais que tu serais là, à mon réveil. Je veux être avec toi tous les jours, mon
amour.
Ces paroles murmurées furent pour elle plus sensuelles qu’une caresse. Une
onde de chaleur la submergea soudain et elle ne put réprimer un gémissement.
Ses lèvres cherchèrent celles de Carson. Elle avait envie de lui, de se réveiller
dans ses bras le lendemain matin. Elle prit son visage entre ses mains et
l’embrassa avec ardeur.
— Je sais qu’il est encore tôt, souffla-t-elle, mais ne pourrait-on pas vérifier
si le lit est confortable, histoire de partager un de ces moments privilégiés qui te
tiennent à cœur ?
— Tu vas vraiment finir par me tuer, répondit-il en la soulevant dans ses
bras.
— C’est comme faire un tour sur la grande roue sans savoir quand elle va
s’arrêter, confia Marla à Kayla, depuis le lanai de l’appartement.
Le soleil du matin transperçait les nuages chargés de pluie, dessinant un arc-
en-ciel irisé.
La veille, en entendant Carson lui annoncer sa décision de construire son
centre artistique à Royal Oaks, elle avait compris qu’il n’y avait plus moyen de
revenir en arrière. L’issue était inévitable et elle devait s’y préparer.
— Tout va bien se passer, assura son amie fidèle. Mon père m’a confirmé
que tu n’avais rien à craindre. Aucun juge ne te privera de tes droits de mère. Il
t’expliquera tout lors de votre rendez-vous de lundi.
— D’accord, bredouilla Marla, peu convaincue. Je suis tellement angoissée
par cette histoire. La révélation promet d’être difficile.
— Il n’est pas seulement question de Sophie, si je comprends bien ?
— Le problème, c’est que si Carson entre dans la vie de Sophie, il entrera
aussi dans la mienne, et à jamais, avoua Marla avec un soupir.
— Tu es amoureuse de lui ?
— En vérité, je crois que je suis tombée amoureuse de lui dès notre première
rencontre, mais je n’avais jamais envisagé un quelconque futur avec lui.
Avant que Kayla ne puisse réagir, Brett Harris, alias le Beau Brett, entra dans
la salle de repos du centre de soins.
— Tu bavardes avec notre Lala au paradis ? s’enquit-il, moqueur.
— Dis au Beau Brett que j’ai appris à danser la hula comme une vraie
Hawaïenne, rétorqua Marla à l’autre bout du fil.
— Moi aussi, je sais le faire, lança-t-il. Aaron, viens voir par ici !
Marla imagina Aaron Kendall, le pédiatre, un grand brun athlétique, en tenue
bleue sous sa blouse blanche, des bonbons et une girafe en plastique dans sa
poche. Fidèle à ses habitudes, Brett devait être vêtu d’un jean et d’un tee-shirt,
son inséparable stéthoscope autour du cou.
— Viens danser la hula avec moi, proposa Brett à Aaron. Comme ça…
— Ce n’est pas une hula, ça ! protesta Kayla.
Marla sourit en écoutant ses amis chahuter. Lafayette Falls ne possédait pas
de plages de sable blanc, de falaises et de palmiers, mais c’était son paradis. Elle
s’y était toujours sentie chez elle, en sécurité.
— À bientôt ! conclut-elle.
— Tiens bon, il ne te reste plus qu’une journée, lui répondit Kayla.
C’est ça, songea-t-elle amèrement. Une ultime journée au soleil. La pluie
avait cessé et les nuages étaient partis vers le nord, dégageant un ciel bleu cobalt.
Une renaissance, songea-t-elle. La pluie, le vent, le soleil et la terre. Le cycle de
la vie.
Elle tiendrait le coup !
Une journée…
Marla regagna l’intérieur de l’appartement. Appuyé au bar, Carson était au
téléphone, en pleine conversation professionnelle. Ces appels jalonnaient ses
journées. Avec son costume sur mesure et sa cravate grise, il était l’incarnation
de la réussite.
— Tu pars toujours pour Honolulu ? demanda-t-elle quand il eut raccroché.
— Oui, dit-il en buvant une gorgée de son café.
Lorsqu’ils avaient débarqué du yacht à six heures du matin, Carson lui avait
annoncé qu’il avait un rendez-vous d’affaires avec un investisseur potentiel dans
la matinée. Il prendrait un hélicoptère et serait de retour après le déjeuner.
— Olivia doit m’avertir quand elle sera prête. Je lui ai demandé de
m’accompagner. Il faut que je lui parle en privé, en l’absence de Simon.
— Tu ne l’apprécies pas ? s’étonna Marla.
— Ce n’est pas cela. Disons que c’est à elle seule que je veux parler. Je la
considère comme une sœur.
Marla sourit et se rendit dans l’espace salle à manger et attrapa une fraise sur
le plateau du petit-déjeuner.
— Tu as l’intention de la conseiller sur son mariage ?
— En quelque sorte. C’est le premier mariage d’Olivia et elle est enceinte. Il
faut qu’elle se protège, ainsi que son enfant.
Ce commentaire étonna la jeune femme.
— Tu crains que Simon ne la maltraite ?
Il secoua la tête.
— Non, ce n’est pas à cela que je pensais. Je voudrais lui conseiller un
contrat prénuptial.
— Ah…
Marla prit une autre fraise. Elle n’avait jamais rencontré quelqu’un qui ait
signé un tel contrat, mais les célébrités étaient connues pour cela. Or Olivia était
une actrice de renommée mondiale.
— C’est sans doute une bonne idée, admit-elle.
— Personne ne devrait prendre le risque de se marier sans contrat.
— Tu crois ? demanda Marla, en prenant une grappe de raisin.
— Naturellement ! Olivia a un patrimoine conséquent, Simon aussi. Et en
cas de divorce, il faut qu’elle puisse conserver ses biens, ainsi que la garde de
l’enfant.
En l’entendant évoquer la garde d’un enfant, Marla se crispa.
— Je croyais que ces contrats ne traitaient que d’argent.
— C’est parfois le cas, admit Carson en consultant l’écran de son téléphone.
En réalité, ils contiennent ce que le couple tient à mettre au clair. C’est
fondamental en cas de divorce. J’ai demandé à mon avocat de me rédiger une
proposition, il y a quelques années. Je vais inviter Olivia à le contacter.
Le cœur de Marla se serra davantage.
— Le contrat prévoirait donc le montant de la pension alimentaire que tu
serais disposé à verser, ce genre de choses ?
— En ce qui me concerne, la pension alimentaire n’est pas un problème,
répondit-il en levant les yeux vers elle. J’ai largement les moyens. En revanche,
mon contrat me garantit la garde exclusive sur tout enfant né après mon mariage.
Marla fut parcourue d’un frisson d’effroi.
— Un tribunal ne le verrait peut-être pas de cet œil, prévint-elle.
— J’ai les meilleurs avocats du pays. Je suis certain de l’emporter.
Elle s’éloigna, désireuse de mettre une certaine distance entre eux. Il était si
facile pour deux amants de devenir des ennemis.
— Tu sembles considérer un enfant comme un objet.
— Pas du tout, mais je dois me protéger, ainsi que ma progéniture, prendre
des précautions. C’est le rôle d’un contrat prénuptial et j’espère qu’il restera une
précaution inutile qui ne servira jamais.
— Tu parles d’enfants qui ne sont pas encore nés.
Elle s’aventurait en terrain miné.
— C’est vrai. Mais cette clause me permet de m’assurer que leur mère ne les
utilisera pas pour obtenir de l’argent ou pour me nuire. D’une part, il n’est pas
question qu’ils soient traités de la sorte et d’autre part, je ne veux pas non plus
être un père à temps partiel.
— C’est très honorable, fit-elle d’une petite voix brisée.
L’angoisse enserrait sa gorge comme une pieuvre. Elle pouvait renoncer à
ses films sur leur avenir sans nuage.
— Mon père a été présent dans ma vie jusqu’à la fin. Quand ma mère est
morte, il m’a aidé à surmonter mon chagrin, alors que c’était un homme brisé. Il
m’a accordé la priorité. Pour lui, c’était le rôle d’un père : faire passer ses
enfants en premier et les protéger. Il aurait donné sa vie pour moi. Et c’est un
père comme cela que je veux être.
— J’imagine que tu accorderas un droit de visite à la mère ? répliqua Marla,
incapable de masquer son ressentiment.
— Elle aura tous les droits de visite qu’elle voudra, du moment que l’enfant
sera en sécurité avec elle.
— Comment ça « en sécurité » ?
— Marla, tu es médecin. Pense à certains de tes patients, des gens bien partis
dans la vie et qui ont connu des revers. J’avais deux camarades de fac, deux
types formidables. L’un a sombré dans la drogue et vit dans la rue. L’autre a
craqué et a mis le feu à sa maison. Les gens changent. Je refuse de faire courir ce
risque à mes enfants. Ah, Olivia est prête ! conclut-il en consultant un texto.
Il traversa la pièce pour rejoindre Marla qui était visiblement contrariée.
— Hé ! Ne me regarde pas comme si j’étais un monstre ! Je sais qu’on ne
connaît pas les contrats prénuptiaux, à Lafayette Falls, et que tu es choquée par
mes propos. Mais ce n’est pas une question de pouvoir ou d’autorité, il ne s’agit
que d’une mesure de précaution. Tout comme la grille devant ma maison.
Elle le laissa glisser une mèche de cheveux derrière son oreille et s’abstint de
tout commentaire.
— Chérie, je ne suis pas un type ordinaire qui n’a rien à perdre.
Elle avait la nausée à présent.
— Tu me comprends, n’est-ce pas ?
— Oui, murmura-t-elle. Bien sûr que je comprends.
Ce qu’elle comprenait surtout, c’était que sa première intuition avait été la
bonne. Elle avait commis une erreur en venant à Hawaï, et avait aggravé son cas
en cédant de nouveau à ses charmes. Elle devait réagir au plus vite, car elle était
en danger.
Il se pencha pour l’embrasser et elle lui caressa la joue.
— Au revoir, souffla-t-elle, le cœur serré.
Dès qu’il eut disparu, elle appela Kayla.
— Je rentre sur-le-champ. Pas question de rester une minute de plus ici.
— Que se passe-t-il ?
Elle relata à son amie la scène qui venait de se dérouler :
— Il exige la garde d’enfants qui ne sont pas encore nés ! s’exclama-t-elle.
Je vais récupérer Sophie et m’enfuir au plus vite !
— Calme-toi. Il ne peut rien faire à ta fille, à moins qu’il ne veuille se
retrouver en prison pour enlèvement. Il n’a aucune autorité parentale sur elle. Tu
connais la lenteur des tribunaux. Elle sera au lycée le temps que ses avocats
obtiennent quoi que ce soit.
— Je descends à la réception pour voir s’il y a un vol bientôt, reprit Marla,
folle d’angoisse. J’ai besoin de voir mon bébé, d’être avec elle.
— Dis-leur que tu as une urgence familiale et que tu dois rentrer chez toi
dans la journée.
— Si je ne trouve qu’un vol pour Los Angeles, je peux rentrer à la maison en
voiture.
— Es-tu en état de conduire ? s’enquit Kayla.
— Oui. Voler, conduire, je veux rentrer.
— Si tu as besoin de quoi que ce soit, appelle-moi. Tiens-moi au courant de
ton heure d’arrivée à Nashville. Je viendrai te chercher, promit Kayla.
Le réceptionniste se fit un plaisir de répondre à sa requête. Elle s’assit
derrière le comptoir à son côté et scruta avec espoir l’écran de l’ordinateur.
Aucune place disponible. Les larmes lui montèrent aux yeux mais il la
rassura et, après quelques appels téléphoniques, parvint à lui réserver un billet
sur le vol de douze heures quarante-cinq. Dieu soit loué, ses prières avaient été
exaucées !
À Los Angeles, elle aurait une demi-heure pour prendre une correspondance
à destination de Nashville. Elle arriverait à Lafayette Falls avant l’aube.
En regagnant le penthouse, elle se retrouva dans le silence d’une demeure
inhabitée. Une maison vide était toujours triste. Dans la suite parentale, elle
s’efforça de ne pas penser aux moments partagés avec Carson. Elle posa ses
billets sur la table de chevet et sortit son téléphone. Voyant qu’il ne lui restait
guère de batterie, elle décida de le recharger et le posa sur les billets après l’avoir
branché.
Les vêtements de Carson étaient suspendus dans le dressing face aux siens.
Elle ne put s’empêcher de humer la manche d’une chemise en lin. Puis elle
effleura ses costumes coûteux. Elle comprenait qu’un homme aussi fortuné
veuille prendre des précautions. Elle-même ne possédait guère de biens
matériels. Son seul trésor était sa fille et c’était peu dire qu’elle veillait sur elle.
Elle posa sa valise sur le lit et l’ouvrit pour y placer ses affaires, avec les
cadeaux destinés à ses proches. Foulards, paréos, colliers de coquillages, et bien
sûr la poupée hawaïenne pour Sophie.
Elle ajouta ses vêtements et les entassa tant bien que mal dans la valise.
Il ne restait que les jolies robes qu’il lui avait offertes. Elle les garderait en
guise de souvenir. Jamais elle n’oublierait Carson. Elle s’imagina alors des
années plus tard.
Elle serait une petite vieille dame comme Rose à la fin de Titanic. Dans un
coin poussiéreux de son grenier, elle aurait conservé la précieuse valise. De
temps en temps, en proie à la nostalgie de sa jeunesse, elle viendrait admirer les
belles robes en chérissant le souvenir de leur amour.
Soudain, son téléphone tinta. Carson lui envoyait un message.
J’ai terminé. Je serai là dans une heure vingt. On déjeune avec Truman et
Julia ?
Dans la salle de bains, elle rassembla ses affaires de toilette, mais laissa ses
échantillons et le parfum que Carson aimait tant.
Un autre message apparut sur l’écran :
Elle ne répondit pas. Que dire ? Qu’elle regrettait que les choses se terminent
moins bien que la dernière fois. Il lui laissa un message vocal qu’elle refusa
d’écouter. Elle ne voulait plus qu’une chose : rentrer chez elle et serrer sa fille
dans ses bras.
Le téléphone tinta de nouveau.
Elle avait conscience des conséquences de son départ. Et d’ailleurs elle avait
toujours été consciente de ses actes. Déterminée à en finir pour de bon, elle prit
son téléphone et tapa une réponse sans équivoque :
Marla remit l’appareil en charge sur la table de chevet. Tandis qu’elle prenait
une paire de chaussures dans le dressing, quelqu’un sonna à la porte. Son sang
ne fit qu’un tour. Ce ne pouvait être Carson, qui était encore à Honolulu.
Elle eut la surprise de découvrir Julia et Truman sur le seuil.
— Marla… fit Julia, visiblement nerveuse. Pourriez-vous examiner
Truman ?
— C’est ridicule, grommela le vieil homme. Je vais très bien.
En voyant son teint livide, Marla comprit que les inquiétudes de Julia étaient
justifiées. De plus, il avait le souffle court. Le Dr Hughes lui avait toujours
affirmé qu’elle avait l’œil.
L’œil, un subtil dosage entre l’instinct et l’esprit d’analyse. Tout le monde
n’avait pas ce don pour établir des diagnostics. C’était même loin d’être le cas
pour nombre de ses confrères. Fais toujours confiance en ton instinct.
— On fonce à l’infirmerie, s’exclama-t-elle en se précipitant vers
l’ascenseur. Vite !
— Je vais bien, persista Truman. Une petite bronchite, rien de plus.
— Vous avez mal quelque part ?
— Non, assura-t-il en tapotant son torse. Ce n’est pas la première fois que
j’ai une bronchite.
— C’est peut-être plus grave. Ne prenons aucun risque. Je préfère appeler
une ambulance.
— Tenez, prenez mon téléphone, dit Julia en le lui tendant.
Le couple partit en direction de l’infirmerie pendant que Marla prévenait les
secours.
— Ici le Dr Grant. Je me trouve au Kingsford Resort et j’ai besoin de faire
évacuer un patient par hélicoptère. Une suspicion d’infarctus. Nous serons à
l’infirmerie.
Ensuite, elle demanda à un employé de leur apporter un fauteuil roulant.
— Marla, je suis en état de marcher !
— Il faut faire vite, répliqua-t-elle. Asseyez-vous.
Truman s’installa dans le fauteuil et ils foncèrent vers l’infirmerie, Julia sur
les talons.
— Ouvrez la porte, s’il vous plaît, Julia, lui demanda Marla. Truman,
prenez-vous des médicaments ?
— Un cachet pour la tension.
— Il a toujours été en bonne santé, intervint Julia, visiblement inquiète. Il est
robuste. J’ai toutes les peines du monde à le traîner chez le médecin une fois par
an.
— Êtes-vous allergique à certains produits ?
— Non.
Deux hommes qui attendaient à la réception, en tenue de golf, saluèrent le
vieil homme. Kevin était en train de remettre une boîte de médicaments à l’un
d’eux.
— Kevin ! Code bleu ! lança Marla.
— Je suis anesthésiste, déclara l’un des golfeurs. Dr Harry Flynn.
— Je vais avoir besoin de votre aide.
— Pourquoi ? s’insurgea Truman. Je vais très bien. Juste une petite
bronchite. C’est quoi le code bleu ?
— Simple précaution, assura Marla en le poussant vers une salle d’examen.
On va vous mettre sous surveillance. Vous aurez de l’oxygène et une perfusion.
Elle enfila une paire de gants et se tourna vers Kevin.
— Il faut lui enlever sa chemise.
— On dirait que je vais mourir, grogna Truman.
— Truman, Marla ne cherche qu’à t’aider. Ne sois pas impoli, déclara Julia.
Le Dr Flynn les rejoignit, revêtu d’une blouse blanche. Rassurée par la
présence d’un confrère, elle le remercia d’un signe de tête. Kevin posa des
électrodes sur le torse du patient pour le mettre sous monitoring. Des nombres se
mirent à clignoter sur l’écran. Le Dr Flynn prit le masque à oxygène.
— Je suis en train d’avoir une crise cardiaque ? s’enquit Truman en voyant
des courbes sur l’écran.
— Tout va bien se passer, assura Marla en trouvant une veine sur sa main
gauche.
En quelques secondes, elle installa une perfusion et prépara des doses de
lidocaïne et d’adrénaline, puis elle alluma le défibrillateur.
— Je vous injecte un produit. Restez avec moi.
Elle observa l’effet de la lidocaïne sur l’écran. Hélas, le rythme était toujours
très irrégulier.
— On se prépare. Il va faire un arrêt.
Le cœur battant, elle vit la tête de Truman se tourner de côté. L’alarme de
l’appareil retentit. Des lignes se mirent à danser sur l’écran.
— Il fibrille ? s’enquit Kevin.
Les deux médecins opinèrent.
— Commencez le massage cardiaque, Kevin. Docteur Flynn, ventilez-le.
Marla était totalement concentrée sur son patient.
— On s’écarte, ordonna-t-elle en enclenchant un choc électrique sur le torse
de Truman, les yeux rivés sur l’écran.
Aucun changement. Kevin et le Dr Flynn poursuivirent la réanimation.
Dehors, le moteur de l’hélicoptère se fit entendre. Les renforts arrivaient. Elle lui
injecta une dose d’adrénaline et tendit la main vers les électrodes.
— Docteur ! s’exclama soudain Kevin. Regardez !
Sur l’écran, la courbe de la fréquence traça un sommet, puis un autre. Le
cœur de Truman était reparti et battait de nouveau régulièrement. Marla poussa
un long soupir. C’était un miracle.
Que s’était-il passé ? Tout allait pour le mieux quand ils avaient débarqué du
yacht. Serait-ce leur désaccord sur les contrats prénuptiaux ? Il avait pourtant fait
de son mieux pour lui expliquer qu’il s’agissait là d’une mesure de sécurité qui
visait à le rassurer. Et elle avait affirmé qu’elle comprenait.
Justement cela aurait dû l’alarmer. Les femmes n’avaient-elles pas coutume
de dire le contraire de ce qu’elles pensaient ?
En entendant une petite musique provenant de la suite parentale, il referma
l’écrin. Intrigué, il se rendit dans sa chambre. Sur la table de chevet, le téléphone
de Marla sonnait. En voyant le sac à main et la valise ouverte sur le lit, son cœur
bondit.
Posant l’écrin sur la commode, il s’approcha de la valise et effleura la robe
noire du bout des doigts.
Marla n’était pas partie ! Il n’en revenait pas. Elle aurait pu l’informer
qu’elle avait changé d’avis ! Sur la table de chevet, le téléphone se tut. Carson
parcourut les billets d’avion. Elle avait raté son avion. Il poussa un soupir de
soulagement.
Le téléphone se ralluma. Sur l’écran figurait un nom étrange : Beau Brett.
Beau Brett ?
Puis l’appareil se tut de nouveau. C’était vraiment une bonne chose qu’elle
ait reconsidéré son départ précipité. Peut-être allait-elle enfin se montrer
raisonnable et lui expliquer une bonne fois pour toutes quel était le problème.
Après tout, il ne lisait pas dans ses pensées.
La sonnerie retentit pour la troisième fois.
— Laisse un message, nom de Dieu, maugréa-t-il.
Fin de la sonnerie. Après trois appels, Beau Brett allait peut-être finir par se
décourager.
— Oh non ! s’exclama-t-il en s’emparant du téléphone quand la musique
retentit de plus belle. Alors, Beau Brett, on ne connaît pas les messageries
vocales ? lança-t-il à son correspondant.
Il y eut un court silence puis :
— Où elle est, ma maman ?
20
Marla était au chevet de Truman, en soins intensifs. Julia avait insisté pour
qu’elle reste au côté de son mari et le directeur de l’hôpital avait accepté. Après
tout, Truman Crawford n’était pas n’importe qui.
— Vous l’avez sauvé, lui avait-elle dit. Je sais que vous veillerez sur lui.
En réalité, Marla ne pouvait rien faire de plus, mais elle avait voulu rassurer
Julia, qui accusait le coup et qui avait pris vingt ans en quelques heures. Elle
avait observé ce syndrome maintes fois au cours de sa carrière. Dans un couple
soudé depuis des années, la mort de l’un enclenchait presque automatiquement la
dégénérescence physique de l’autre, comme si la flamme de vie s’éteignait avec
l’être aimé.
— Il va s’en sortir. En revanche, il devra renoncer aux repas trop riches, ce
qui ne sera pas chose facile, avait-elle précisé pour détendre l’atmosphère.
Julia avait aussitôt repris des couleurs et avait esquissé un sourire.
Marla frissonna. Il faisait un peu frais dans le service et elle se félicitait
d’avoir enfilé la tenue verte qu’un médecin lui avait prêtée au-dessus de son top
léger.
Le bruit familier des appareils de monitoring la berçait. Elle était épuisée,
affamée et pour couronner le tout, elle avait raté son avion.
Dans une salle d’attente de l’hôpital, Carson réconfortait Julia. Il avait
envoyé un message sur le téléphone de Truman. Rassurée de savoir que Julia
n’était pas seule en attendant la venue de ses fils, Marla s’accorda quelques
minutes de pause et ferma les yeux.
Dans sa rêverie, elle vit Carson, près d’une colonne blanche de Royal Oaks,
grand, musclé, large d’épaules, les manches de sa chemise blanches roulées sur
ses avant-bras puissants. Il la dévorait des yeux et, dès le premier baiser,
il l’avait ensorcelée.
L’ancienne remise à voitures transformée en studio était un sanctuaire à
l’ombre des vieux chênes. Le parfum des gardénias se mêlait au chant des
oiseaux pour en faire un lieu enchanté, surtout le soir, quand la brume
enveloppait le parc. Une nuit, ils avaient bu du champagne dans la roseraie,
avant de faire l’amour au clair de lune. Rien ne venait entraver leur passion,
aucune réserve, aucune inhibition.
Dès qu’elle rouvrit les yeux, le souvenir s’évanouit. La réalité était moins
reluisante.
Je ne suis pas un pauvre type ordinaire qui n’a rien à perdre.
Voilà qui résumait Carson à merveille.
En entendant Truman émettre une plainte, elle se leva. Il n’était plus intubé
et l’effet du sédatif commençait à se dissiper. Il posa sur elle un regard vitreux.
— Vous êtes de retour, dit-elle en lui tapotant la main. Comment vous
sentez-vous ?
— Ça va, murmura-t-il. Je suis à l’hôpital ?
— Oui.
Elle lui expliqua ce qu’il lui était arrivé.
— Vos fils ne vont pas tarder. Demain matin, le cardiologue s’entretiendra
avec vous et votre famille au sujet de votre traitement et de votre suivi.
— Julia…
— Elle est là, dans la salle d’attente, avec Carson. Je vais leur dire de passer
vous voir quelques minutes.
Truman hocha la tête et serra la main de sa sauveuse dans la sienne.
Marla prévint l’infirmière qu’elle allait chercher les proches du patient, puis
elle se dirigea vers la zone d’attente. Assise dans un fauteuil, Julia feuilletait une
revue. Sur un canapé, vêtu du même costume que dans la matinée, sans veste ni
cravate, Carson tenait un gobelet de café fumant.
Dès qu’ils l’aperçurent, ils se levèrent.
— Truman est réveillé.
Julia en eut les larmes aux yeux. Carson la prit par les épaules et lui sourit.
— Tu vois ? Il nous enterrera tous !
— Je vous conduis à son chevet, reprit Marla. Ne vous attardez pas plus de
quelques minutes, car il n’est pas tout à fait conscient. Même s’il ne dit pas
grand-chose, il vous reconnaîtra.
Carson offrit son bras à Julia. Marla resta dans le couloir pour les laisser
entrer dans la chambre. À travers la vitre, elle vit Julia embrasser son mari et lui
lisser les cheveux tandis que Carson se penchait vers son parrain.
Elle l’examina plus attentivement. Avec sa chemise froissée, ses cheveux en
bataille, ses joues mal rasées et ses yeux cernés, il avait vraiment l’air mal en
point. La journée avait été longue et elle était loin d’être terminée.
L’infirmière interrompit ces considérations.
— Désolée, mais il est temps de le laisser, annonça-t-elle en passant la tête
dans la chambre. Vous pourrez le revoir dans quelques heures.
— J’aimerais te parler, répondit Carson d’un air impassible. Seul à seul.
— D’accord.
Autant en finir, songea-t-elle. Elle les suivit donc vers la zone d’attente et
Julia reprit place dans son fauteuil. Marla entraîna Carson vers une porte portant
l’inscription « privé ». Ils pénétrèrent dans une petite pièce aux tons pastel,
meublée de fauteuils moelleux. Sur une table basse étaient posés un bouquet de
muguet artificiel et deux boîtes de mouchoirs en papier. Au mur quelques versets
réconfortants de la Bible étaient encadrés.
Visiblement, c’était le petit salon dans lequel les médecins annonçaient de
mauvaises nouvelles aux familles. Chaque hôpital en était doté.
— Tu as raté ton avion, commença Carson d’une voix neutre.
— Oui… fit-elle en glissant les mains dans ses poches.
— Un jet privé t’attendra à neuf heures, demain matin. Une voiture de
l’hôtel passera te chercher pour te conduire à l’aéroport. Tes bagages seront dans
le coffre. Il n’est pas utile que tu repasses à l’hôtel.
— Très bien.
Elle n’avait pas le choix. Autant se montrer conciliante. Après tout, c’est ce
qu’elle avait voulu. Leur histoire se terminait mal, c’était sûrement mieux ainsi.
Mais cela ne l’empêchait pas d’avoir le cœur gros.
— Merci, dit-elle, en s’efforçant de rester digne.
— J’ai effacé ton numéro, reprit-il, incapable de masquer son ressentiment.
— Je sais.
Elle ne ressentait aucune colère, seulement du chagrin.
— Cette pièce a sûrement vu beaucoup d’adieux, ajouta-t-elle.
— Arrête, prévint-il.
La tension qui émanait de lui la submergea comme l’océan qui s’écrase au
pied d’une falaise.
Pour chasser la colère, il valait mieux se taire, rester calme et rationnelle,
une technique qui lui servait souvent dans son travail, face à un patient agité.
Carson fit un pas vers elle et sortit un téléphone de sa poche.
— Tiens.
— Merci, fit-elle, étonnée.
Il la regarda droit dans les yeux avant de déclarer :
— J’ai parlé avec Sophie.
21
Marla perdit toute contenance. Les doigts crispés sur son téléphone, elle eut
un mouvement de recul. Quand il s’agissait de sa fille, il n’était plus question de
demeurer rationnelle.
— Que veux-tu dire par là ?
— Ton ami « Beau Brett » lui a prêté son téléphone. En entendant le tien
sonner sans arrêt, à bout de patience, j’ai fini par décrocher pour lui demander de
te laisser un message. Imagine mon étonnement en entendant une petite fille
m’informer que tu étais sa mère.
Marla s’efforça de masquer son angoisse.
— Elle voulait s’assurer que tu n’oublies pas sa poupée qui dit « aloha ». Je
lui ai répondu que tu l’avais déjà mise dans ta valise et que tu serais à la maison
dès demain.
Marla était incapable de prononcer un mot. Heureusement, Carson se
chargea d’entretenir la conversation.
— En fait, je ne te connais pas. J’ignore quelle femme tu es vraiment.
Marla se contenta de regarder fixement les fleurs artificielles. Ce n’était ni le
moment ni le lieu pour lui avouer la vérité.
— Ne pourrait-on pas en reparler plus tard ? souffla-t-elle d’une voix mal
assurée.
— Non. Nous ne nous parlerons plus jamais.
— Sophie est la raison pour laquelle je t’ai proposé de venir à Royal Oaks,
dans quinze jours. J’avais l’intention de te la présenter.
— Je vais mettre Royal Oaks en vente.
— En vente ? répéta-t-elle, éberluée. Mais le domaine appartient à ta famille
depuis des générations ! Tu ne t’en débarrasses pas à cause de moi, j’espère ?
— Ce n’est qu’une vieille demeure entourée de terres, répliqua Carson. Il est
temps de tourner la page.
— Et ton centre artistique ? Tu étais tellement enthousiaste à l’idée de le
construire sur le domaine familial !
— Il verra le jour, mais pas à Royal Oaks.
— Carson…
— On en a terminé, coupa-t-il. Je retourne auprès de Truman, déclara-t-il en
ouvrant la porte. Dès l’arrivée de Rick, je regagnerai l’hôtel. Bon voyage, Marla.
Elle le regarda s’éloigner et s’asseoir à côté de Julia. Il tendit les jambes
devant lui et sortit son téléphone. Abattue, elle rejoignit Truman et resta près de
lui toute la nuit.
À l’aube, elle retourna dans le petit salon réservé aux familles, seule, pour
méditer. En fait, elle avait de quoi se réjouir de l’issue de cette histoire. Elle avait
accompli la mission qu’elle s’était fixée.
Grâce à Julia Crawford, le centre de soins de Lafayette Falls n’aurait plus de
difficultés financières.
— Je tiens à vous rémunérer pour ce que vous avez accompli aujourd’hui,
même si la vie de mon mari n’a pas de prix, lui avait déclaré Julia, la veille, à la
cafétéria.
Truman se reposait, ses deux fils étaient arrivés et Carson était reparti à
l’hôtel.
— Non, avait répondu Marla en mordant dans son sandwich. Vous ne me
devez absolument rien.
— Au contraire ! avait insisté Julia. Si vous ne voulez pas d’argent, laissez-
moi faire un don en votre nom à une association.
Aussitôt, elle avait pensé au dispensaire.
— Eh bien, si vous y tenez, le centre de soins de Lafayette Falls a grand
besoin de dons.
Elle lui avait expliqué l’action du dispensaire et son histoire, sans oublier les
difficultés qu’il rencontrait.
— Vous ne voulez rien pour vous ?
— Ce que je veux, c’est que le centre de soins reste opérationnel.
— Qui dois-je contacter ? avait conclu la vieille dame en prenant un calepin
et un stylo dans son sac.
Marla lui avait volontiers indiqué les coordonnées de Nolana.
— C’est notre directrice.
— Parfait. Dès demain matin, je ferai établir un chèque d’un million de
dollars à l’ordre du centre de soins.
— Un million de dollars ! ? s’était exclamée Marla, interloquée. Mais…
— La vie d’un vieux mari bougon vaut bien ça.
— Julia, je ne sais pas quoi dire… Ce geste comptera énormément pour de
nombreuses personnes.
— Vous comptez beaucoup pour moi, Marla.
— Julia, écoutez…
Elle avait pris la main de la vieille dame. Parfois, les mensonges devenaient
un véritable labyrinthe dont il était difficile de sortir.
— En arrivant ici, Carson et moi n’étions pas en couple.
Puis elle lui avait confié les véritables raisons de sa venue.
— Nous sommes vraiment des monstres, tous les deux, avait-elle conclu.
Étonnamment, Julia avait éclaté de rire.
— Je dois avouer que j’ai déployé de gros efforts pour le caser, lui trouver la
femme idéale, ce qui l’agace beaucoup. Il a besoin de fonder une famille. Je me
demandais pourquoi il était si indifférent à l’amour. Je comprends, à présent. Il
était déjà amoureux.
— Plus maintenant, avait confié Marla. Je ne sais pas s’il m’a aimée, par le
passé, mais à présent, c’est fini entre nous.
— Je sentais bien qu’il y avait de l’orage dans l’air. Vous savez, avec un peu
de concessions de part et d’autre, tout peut s’arranger.
Marla avait repoussé leur plateau. Hélas, les concessions ne suffiraient pas
dans ce cas précis.
— Je n’ai aucun espoir avec Carson.
— Ne vous méprenez pas. Il ressemble beaucoup à Truman. C’est un homme
implacable qui veut avoir une emprise sur tout. Vivre avec un tel personnage
n’est pas une sinécure. Cependant, je vais vous confier mon secret : apprenez à
négocier, à lui faire croire que c’est lui qui décide, alors que c’est vous qui
menez la danse.
— La manipulation, en quelque sorte.
— Je préfère penser que je le guide dans la bonne direction.
— C’est une excellente vision des choses, avait concédé Marla en riant.
Les deux femmes avaient regagné les soins intensifs bras dessus bras
dessous.
— Une dernière chose, Marla. Sachez qu’un homme de sa trempe aimera
toujours passionnément sa compagne. Dans l’adversité, il sera toujours là pour la
soutenir et régler les problèmes.
Malheureusement, il était trop tard.
— Tu as préparé du café ?
En la voyant sur le lanai, en jean, avec sa queue-de-cheval d’adolescente, il
sentit son cœur se serrer. Il avait mal au dos, mal à l’épaule, il était fourbu.
— Je t’ai dit qu’une voiture passerait te prendre à l’hôpital pour te conduire
à l’aéroport.
— C’est vrai, mais une infirmière qui vit à Hanalei m’a ramenée.
Il la foudroya du regard.
— Je ne veux pas de toi ici. Tu n’as donc pas compris ?
— Je vais partir très vite. Si tu t’asseyais sur le canapé pendant que je te sers
un café ?
— Je veux que tu t’en ailles tout de suite.
Furibond, il gagna la cuisine. Effectivement il avait plus que jamais besoin
de café, mais il était capable de se servir seul, non ? Il devait reconnaître que
celui qu’elle avait préparé était délicieux. Bien fort. Quoi de plus réconfortant
quand on se sentait au fond du gouffre ?
Il trouva Marla assise comme une petite fille sage dans un fauteuil du salon,
face au canapé.
— Je ne plaisante pas, insista-t-il. Je veux que tu partes.
— Dès que je t’aurai parlé. J’ai le temps d’arriver à l’aéroport pour neuf
heures.
Carson s’assit à son tour et avala une autre gorgée de café. Vivement que la
caféine fasse son effet. Elle voulait lui parler maintenant ? C’était presque
comique.
— Tu es vraiment impossible.
Dieu qu’elle était belle avec sa queue-de-cheval et ses lèvres rouges. Il
l’aimait et la détestait à la fois.
— Carson, fit-elle d’une voix hésitante.
Il la fit taire d’un signe de tête. Il n’avait aucune envie de l’entendre affirmer
qu’ils resteraient amis et tout le baratin habituel. Il n’était pas d’humeur à ces
banalités. Il finit son café d’une traite et posa sa tasse sur la table basse.
— Nous n’avons rien à nous dire.
Elle hésita encore. Son regard anxieux passa de ses bagages au visage de
Carson.
— Je voulais te parler de Sophie, insista-t-elle en se mordillant la lèvre.
— Parles-en plutôt à Ben. Il devrait faire un effort pour la voir plus de deux
fois par an, non ?
— Ben est un bon père. Il l’aime et il la verrait plus souvent s’il le pouvait.
Évidemment, Marla prenait la défense de son ex…
— Nous avons connu des moments difficiles. Ben a dû quitter Nashville car
son associé a eu des problèmes de stupéfiants. Son cabinet a fermé. Bref, il a été
blanchi et a reçu une offre intéressante d’un centre médical de Seattle. Il voulait
repartir de zéro et il a bien fait.
— Pourquoi ne l’as-tu pas suivi ?
— Nous nous étions déjà séparés d’un commun accord. Nous éprouvions de
l’affection l’un pour l’autre, pas de l’amour. Je suis donc retournée à Lafayette
Falls. C’est vrai, il ne voit pas souvent Sophie, à cause de la distance, mais ils se
parlent au téléphone et par écrans interposés. Il s’est remarié et ils attendent leur
premier enfant. Sophie est ravie. Après la naissance du bébé, elle ira passer
quinze jours chez eux.
— Génial, maugréa Carson, que ces histoires ennuyaient.
Il prit sa tasse pour se servir un autre café.
— Ben n’est pas le père biologique de Sophie.
Étonné, Carson leva les yeux. Elle se mit debout, pensive, et se dirigea vers
la baie vitrée. Il soupira. Pourquoi les femmes tenaient-elles tant à se confier ?
— Marla, je n’ai pas envie de t’écouter. Ton ex-mari, tes ex-amants, ta vie, je
m’en fous, d’accord ?
— Sophie est ta fille, déclara-t-elle, les yeux rivés sur l’horizon.
Un silence de mort s’installa dans la pièce, puis Carson laissa échapper un
rire jaune.
— J’en ai assez entendu !
Il se dirigea vers la cuisine. Pourquoi tenait-elle ces propos ? Il savait que
c’était faux. Jamais il n’aurait pris un tel risque, jamais il n’aurait fait quelque
chose d’aussi stupide.
Et pourtant, il était tombé amoureux de quelqu’un qu’il ne connaissait même
pas.
— Tu ne me crois pas, constata-t-elle en se retournant, les traits tirés.
— Non.
Soudain épuisé, il eut envie de s’allonger, de s’endormir et, à son réveil, de
se rendre compte que tout cela n’était qu’un cauchemar.
— Je suis désolée, dit-elle avec sincérité.
— Moi aussi.
Il était désolé de lui avoir écrit cette lettre, de l’avoir contrainte à
l’accompagner, désolé que leur histoire se termine ainsi.
— J’appelle la réception pour qu’on te conduise à l’aéroport.
Marla soupira.
— Je t’aime, Carson.
— C’est ça, railla-t-il en cherchant son téléphone des yeux.
— Attends, fit-elle en allant chercher son sac à main. Je veux te montrer une
photo de Sophie.
— Non ! Je refuse de regarder une photo de cette enfant. Qu’est-ce que tu
cherches à obtenir ? De l’argent ?
— De l’argent ? Non, l’argent n’a rien à voir là-dedans.
— Si. C’est toujours une question d’argent avec les femmes ! Je l’ai appris à
mes dépens à l’âge de vingt ans.
— Pas cette fois. Julia va faire un don d’un million de dollars au dispensaire,
donc je n’ai pas besoin de toi, ni pour le centre de soins, ni pour moi, ni pour
Sophie. Ben et moi nous occupons d’elle. Elle ne manque de rien et elle est
heureuse.
— Tant mieux s’il y en a au moins une qui est heureuse !
Marla sortit un petit album de son sac.
— C’est de Sophie et toi qu’il est question. Vous méritez de vous connaître.
Je m’en rends compte, à présent.
— Je n’en crois pas un mot !
— Si j’avais voulu te soutirer de l’argent, j’y serais parvenue depuis
longtemps. Le jour où j’ai été éconduite, devant ta grille, j’étais enceinte de huit
semaines. J’aurais pu m’adresser à un avocat. Or je suis partie sans me retourner.
Je ne voulais pas que mon bébé soit enfermé derrière la grille de cette forteresse
que tu appelles ta maison.
Soudain, le cynisme de Carson fit place à de l’inquiétude :
— Marla, tu tiens des propos insensés…
— Peut-être, mais je ne suis pas folle. Et je ne mens pas.
— Je suis prudent. Tu me connais suffisamment pour le savoir. Cet été-là, tu
prenais la pilule. Je t’ai vue l’avaler. La boîte se trouvait dans la salle de bains.
— Tu te souviens de notre week-end à Nashville ? s’enquit-elle en lui
tendant l’album.
— Il y avait un festival de musique, admit-il. Et un gigantesque barbecue…
— C’est vrai ! J’avais oublié le festival. Bref, je n’ai pas emporté mes
pilules. Je n’en avais raté que deux et le risque d’une grossesse était infime, alors
je ne me suis pas inquiétée. Je n’aurais jamais dû prendre cette douche avec
toi…
— Quoi ? s’exclama Carson, pris de panique. Dis-moi que tu ne parles pas
sérieusement ?
— C’est pourtant le cas. Nous avons fait l’amour sous la douche, puis dans
la voiture.
— C’est impossible ! persista Carson. Je ne suis pas homme à me mettre
dans une telle situation.
— Je sais.
— Bon sang…
Je ne peux pas être le père de cette petite. Marla a perdu la tête.
— D’accord, concéda-t-il. Faisons un test de paternité. Le problème sera vite
réglé.
Il n’avait aucun doute sur les résultats de ce test.
— Un test sera inutile.
— C’est pourtant la procédure.
Elle lui tendit son petit album de photos.
— Je les garde toujours sur moi pour les montrer à mes patients. Cela
m’évite de sortir mon téléphone. Le voici, ton test de paternité.
Il vit d’abord une fillette avec un nœud rouge dans ses cheveux bruns et
bouclés. Ses yeux bleus pétillaient de malice.
Sophie avait ses cheveux, ses yeux et son sourire. Carson se mit à trembler
de tout son corps. Jamais il n’avait connu de tels sentiments, qui allaient au-delà
de la terreur. Dans un premier temps, il s’enfonça dans le déni, c’était un
cauchemar. Puis il comprit que sa vie venait de prendre un tournant crucial. Plus
moyen de revenir en arrière. La vérité le frappa de plein fouet.
Il tourna la page et découvrit Sophie entourée de cadeaux.
— C’était sa fête d’anniversaire. Elle a eu cinq ans le 4 mars.
Carson se contenta d’observer les clichés sans prononcer une parole.
— C’est Sophie et sa copine Anna Grace. Elles sont inséparables.
Il s’arrêta devant la fillette vêtue d’un tablier de peintre, face à un chevalet.
— Elle adore la peinture, expliqua Marla. C’est une artiste-née.
Incapable de regarder sa fille plus longtemps, Carson referma l’album. La
veille, il avait parlé à son enfant sans le savoir. Il n’avait assisté à aucune fête
d’anniversaire, à aucun matin de Noël. Un autre homme avait pris sa place.
— Tu ne lui as jamais parlé de moi ? s’insurgea-t-il, ulcéré.
— Non. Elle est trop petite pour comprendre.
Le cœur brisé, il la regarda dans les yeux.
— Je ne comprends pas non plus…
Un silence pesant s’installa entre eux. Carson avait les doigts crispés sur
l’album et une boule dans la gorge. Il n’avait pas souffert à ce point depuis la
mort de son père.
— Je suis désolée. Je ne sais pas quoi te dire…
L’amertume et la colère le rongeaient.
— Tu avais l’intention de garder le secret, n’est-ce pas ? Elle aurait grandi
dans la certitude que Ben était son père et moi, je n’aurais jamais été informé de
son existence.
— Tu es au courant, maintenant.
— Oui, je suis au courant ! Avec cinq ans de retard ! Si je ne t’avais pas
envoyé cette lettre, si nous n’étions pas venus ici, je ne saurais rien.
— En effet, admit-elle. J’ai fait ce que je pensais être juste.
— Comment as-tu pu croire une chose pareille ?
— Ta grille en fer forgé m’a… intimidée. Elle symbolisait à mes yeux le mur
qui se dressait entre nos deux mondes. J’ai soudain eu peur de toi, peur pour
mon enfant.
— Peur pour ton enfant ? Tu me prends pour un monstre ?
— J’étais juste une fille avec qui tu avais couché un été et j’étais responsable
de cette grossesse.
— C’était aussi mon enfant ! s’insurgea-t-il. J’aurais dû être informé de son
existence !
— Je pensais que tu refuserais cette responsabilité.
Carson s’approcha de la baie vitrée. Face à cette vue dont bénéficiaient
uniquement les nantis, il eut l’impression d’avoir été totalement dépouillé.
— Tu as avoué à Ben qu’elle n’était pas de lui ?
— Il le savait quand nous nous sommes mariés, mais cela n’a rien changé. Il
l’a toujours aimée comme sa fille.
Saint-Ben, priez pour nous.
— Quand je t’ai proposé de venir à Royal Oaks dans quinze jours, j’avais
l’intention de te présenter Sophie et je le veux toujours, si tu acceptes de nous
rejoindre là-bas.
— Non ! répliqua-t-il en faisant volte-face. Cinq ans, c’était déjà assez long !
Tu crois que je vais attendre encore deux semaines ? Pas question ! Je vais faire
mes bagages et aller voir ma fille de ce pas !
— Carson…
— Je ne veux rien entendre ! cria-t-il en s’éloignant vers sa chambre.
Lorsqu’il se retourna, elle perçut une lueur de dégoût dans ses yeux.
— Marla, rien de ce que tu pourras dire ne réparera le mal que tu m’as
infligé.
23
À bord du jet privé, Marla était installée dans une cabine-salon sophistiquée
dotée d’un divan moelleux, d’un espace repas et d’un bar. C’était ainsi que
voyageaient les stars. Sur un grand écran était diffusé un film qu’elle ne
regardait pas.
Vers l’arrière de la cabine, une table de conférence était entourée de quatre
fauteuils en cuir. Carson prenait des notes sur sa tablette, une tasse de café posée
devant lui.
Depuis qu’ils avaient quitté Kauai, il était distant et ne lui parlait que si cela
était nécessaire.
Marla n’était guère étonnée par la violence de sa réaction. N’aurait-elle pas
agi de la même manière, à sa place ? Et pourtant, elle était contrariée. Il lui
faisait endosser le rôle de la méchante sans chercher à comprendre son point de
vue. Si au moins elle avait l’impression qu’il avait ne serait-ce qu’un zeste de
sentiments pour elle…
De toute façon, le mal était fait. Il ne servait plus à rien de regarder en
arrière.
Après une conversation avec Kayla, elle avait décidé qu’il valait mieux que
Carson et Sophie fassent connaissance à Royal Oaks, là où tout avait commencé.
Kayla avait prévu d’emmener Sophie prendre un petit-déjeuner, puis elles
passeraient au théâtre afin que l’enfant essaie son costume et feraient des
emplettes à la nouvelle boutique de vêtements. Enfin, elles se rendraient à Royal
Oaks où elles attendraient Marla et Carson.
— Ne te fais pas de soucis, avait assuré Kayla. Je gère la situation.
Marla se leva et s’étira. Le vol était interminable. Lors d’une escale à Los
Angeles, Carson s’était rendu à son bureau avant qu’ils ne repartent pour
Nashville. Elle avait préféré patienter à l’aéroport, où elle avait déambulé dans
les boutiques, en quête de tee-shirts et autres souvenirs pour le personnel
hospitalier.
Elle en avait profité pour appeler le centre de soins.
— Mme Crawford nous a versé un million de dollars ! s’était exclamée
Nolana. J’ai vérifié. Le virement est passé sur notre compte. Je n’en croyais pas
mes yeux.
— Eh bien, on peut dire que la semaine a été fructueuse, avait répondu
Marla d’un ton qui se voulait enjoué.
Elle était d’autant plus soulagée qu’elle redoutait que Carson ne change
d’avis sur le financement du centre.
— Nous sommes aux anges ! Christy a fait la roue et le Dr Hughes a failli
s’évanouir. Il a décidé d’organiser une grande fête pour ton retour et tout le
monde s’est accordé sur le fait que tu es fantastique !
— Tu pourras dire au Dr Hughes que c’est lui qui m’a tout appris.
— Je suis tellement contente ! Non seulement le dispensaire a de quoi
fonctionner au quotidien, mais nous allons pouvoir investir dans du matériel et
être encore plus efficaces ! J’ai hâte de t’embrasser.
— On se voit mercredi.
Elle espérait être de retour au dispensaire, mercredi, et non dans un cabinet
d’avocat. Hélas, elle aurait certainement l’occasion d’observer le fonctionnement
d’une cour de justice dans les mois à venir.
Ils étaient encore à des milliers de kilomètres de leur destination. Au vu de
l’heure tardive et de la fatigue accumulée ces derniers jours, elle avait suggéré
qu’ils passent la nuit à Nashville car elle ne voulait pas rouler de nuit.
Étonnamment, Carson avait accepté.
Il était toujours concentré sur sa tablette. Marla quant à elle ne se servait de
son ordinateur que pour son travail, même si ses amis l’incitaient à s’inscrire sur
les réseaux sociaux.
— Je voudrais te parler de Sophie.
Il leva les yeux de son écran.
— Garde ça pour les juges, répliqua-t-il.
Soudain très lasse, elle poussa un soupir.
— Je suis trop fatiguée pour supporter ton attitude.
— Dans ce cas, retourne à ta place et laisse-moi tranquille.
Au contraire, elle s’assit sur le siège confortable face à lui. Il la foudroya du
regard.
— Il y a des choses que tu devrais savoir.
Elle s’exprimait d’un ton neutre, presque professionnel, en dépit des
émotions contradictoires qui l’étreignaient quand elle le regardait : amour,
colère, désir, tristesse, désespoir.
Il l’ignora sans vergogne et demeura scotché à son écran.
— Sophie est allergique à la pénicilline et ses dérivés. Avec une simple dose,
elle risque le choc anaphylactique.
Cette information parvint à capter l’attention de Carson. Il posa sa tablette
comme si elle n’avait plus d’importance.
— Je connais ce problème car je suis allergique à la pénicilline, moi aussi,
déclara-t-il.
— Ah, tout s’explique. Il est essentiel que les médecins le sachent, si elle
tombe malade. Elle porte un bracelet spécifique quand elle se déplace, en cas
d’accident.
— Il me faudra une copie de son dossier médical.
— Très bien, répondit-elle, désireuse de connaître les antécédents de Carson.
Tu as un souffle au cœur ?
— Non.
— Sophie a un souffle de Still.
— Tu veux dire qu’elle a un problème cardiaque ? fit-il en se redressant,
soudain alarmé.
Elle reconnaissait cette pointe d’angoisse dans sa voix pour l’avoir entendue
chez nombre de parents lorsqu’elle leur annonçait que leur enfant souffrait d’un
souffle au cœur.
— C’est une affection assez commune qui touche les jeunes enfants,
expliqua-t-elle. Il ne provient pas d’un dysfonctionnement. Je l’ai diagnostiqué
quand elle avait deux ans. J’ai consulté un service de cardiologie pédiatrique
pour m’assurer qu’il n’y avait rien de grave. Tous les résultats d’examens étaient
normaux.
Carson poussa un soupir de soulagement.
— Je préfère te prévenir parce que, si tu dois l’emmener chez le médecin, il
t’en parlera dès qu’il aura écouté son cœur. Parfois, les parents paniquent.
— Je comprends. Et sinon, elle va bien ?
— Oui. Elle est petite et plutôt menue, pour son âge. Elle voudrait être aussi
grande que son amie Anna Grace.
Marla afficha les photos de Sophie sur son téléphone et lui montra un cliché
des deux copines, la petite brune toute fine avait bien une tête de moins que la
robuste blondinette.
— Nous vivons dans une impasse et, quand les enfants du quartier
s’amusent, c’est la pagaille.
Elle sélectionna une photo de Sophie vêtue d’un costume de marin rouge et
blanc.
— Elle fait partie d’une troupe de théâtre pour enfants et se produit sur
scène. Elle est tellement adorable ! Et très sociable.
Elle fit défiler les photos récentes de leur fille. Sophie sur un toboggan,
faisant du vélo, préparant un gâteau avec sa grand-mère et déguisée en ange…
Marla fut attendrie par le sourire de Carson. Elle ne pouvait s’empêcher
d’espérer qu’un jour il lui pardonnerait et qu’elle ne lirait plus l’amertume dans
son regard.
— Tiens, regarde celle-ci, dit-elle avec fierté. Sophie a participé au concours
du comité artistique de Lafayette Falls et a obtenu le premier prix de son groupe
d’âge !
Lors de la cérémonie de remise des prix, la fillette avait revêtu une belle robe
plissée ornée d’un large col en dentelle. Elle brandissait un diplôme à son nom.
— Elle a insisté pour que j’accroche son certificat dans le salon, à la vue de
tous. Je dois admettre qu’elle ne brille pas par sa modestie.
Elle s’attendait à ce que Carson réagisse à ce commentaire. Il se contenta de
fixer longuement le cliché, puis il lui rendit son appareil.
— Je vais faire changer son nom de famille, annonça-t-il.
— Pardon ? s’exclama Marla en retrouvant son sérieux.
— C’est ma fille. C’est une Blackwell et je veux qu’elle porte son véritable
nom.
— Tu ne peux pas surgir dans sa vie sans prévenir et lui changer son nom.
Quand elle sera plus grande, elle prendra cette décision elle-même. Elle n’a que
cinq ans, ne l’oublie pas.
— Et toi, n’oublie pas qui est fautif, dans cette histoire. Ce n’est pas elle, ni
moi.
Son ton était vindicatif et Marla était sur le point d’exploser.
— Parce que tu te crois parfait ? Tu as vu les photos, non ? Elle est heureuse
et c’est ce qui devrait compter pour toi, en tant que parent. Son bonheur devrait
être ta priorité et surtout passer avant ton ego.
Affichant une expression indéchiffrable, il s’adossa plus confortablement
dans son fauteuil.
— Tu n’as pas de leçons à me donner sur mon rôle de père.
— Tu te trompes, je ne te fais pas la leçon. Je sais très bien que tu veux être
un bon père et que tu le seras. Sinon, je ne t’aurais jamais parlé d’elle. En
revanche, je refuse de m’effacer et de te laisser décider du destin de Sophie.
C’est ma fille. Ben et Kelly aussi la considèrent comme leur fille. Elle a une
famille et des amis qui l’aiment. Tu dois la prendre avec son entourage, que cela
te plaise ou non.
Carson demeura silencieux et boudeur. Il avait les traits tirés et les yeux
cernés.
Marla poussa un soupir résigné :
— Carson, je t’en prie, ne me fais pas regretter de te faire entrer dans la vie
de Sophie.
En dépit de ses inquiétudes quant à l’avenir, Marla était de retour chez elle,
dans son environnement familier, entourée de ceux qu’elle aimait, notamment sa
fille. Elle se sentait de taille à tout affronter, même Carson.
Elle n’en revenait pas : il aimait la country. Les interrogations ne cesseraient-
elles donc jamais ?
La propriété acquise par l’arrière-grand-père de Carson avait conservé les
éléments néo-gothiques d’origine, mais il avait restauré la maison, fait planter
arbres et fleurs et fait construire des dépendances. À l’époque, il donnait de
somptueuses réceptions fréquentées par la haute société de l’époque, dont les
Roosevelt.
Royal Oaks n’avait rien perdu de son prestige. En longeant l’allée, Marla
admira les pelouses impeccables. Elle se rappela la foule riante le jour de la fête
caritative. Elle était simplement venue pour y passer un bon moment et faire un
don. Comment aurait-elle pu se douter que sa vie en serait bouleversée à
jamais ?
Elle s’arrêta devant un garage, un peu à l’écart de la grande bâtisse.
— Docteur Grant ! lança Estelle Deaton dès qu’ils descendirent de voiture.
Face au garage se dressait le pavillon du gardien qu’occupaient Henry et
Estelle Deaton. Depuis plus de quarante ans, Estelle faisait pousser ses légumes
dans le potager et sécher ses draps au soleil. Elle était l’une des patientes de
Marla.
— Cela faisait longtemps, dit-elle en embrassant Carson.
— Je sais, répondit-il en saluant Henry, le mari de la gouvernante. Quel
plaisir de vous revoir !
— J’ai un gâteau à l’ananas au four, annonça Estelle.
— C’est vrai ? Magnifique ! Estelle est la reine du gâteau à l’ananas,
expliqua-t-il à Marla.
Face au sourire des gardiens, Marla comprit ce qu’ils avaient en tête. Ils
vivaient à Royal Oaks lorsqu’elle y avait passé plusieurs semaines avec Carson
et avaient deviné que son enfant était de lui. Elle se promit d’appeler Ben dès le
lendemain, puis elle parlerait à ses parents, qui seraient abasourdis, surtout sa
mère, qui avait des principes plutôt stricts.
— Où sont Sophie et Kayla ? demanda-t-elle à la gouvernante.
— Dans la grande maison. Elles visitent le premier étage.
— Estelle a préparé de quoi déjeuner, intervint Henry. Chacun se sert.
Marla observa Carson, qui semblait moins tendu qu’un peu plus tôt.
— Va manger un morceau, lui dit-elle. Je monte voir Sophie et Kayla.
Il regarda en direction de la vaste bâtisse et hocha la tête.
Elle espérait que Sophie n’avait pas fait de bêtises. Il lui arrivait parfois
d’être turbulente. Une véritable boule d’énergie.
Marla gravit les marches de la véranda, à l’arrière du bâtiment, où il faisait
bon s’installer les soirées d’été. Elle entra dans le vestibule par la porte du fond.
Le parquet ancien craqua sous ses pas. Un escalier monumental montait en
spirale vers l’étage. Soudain, elle vit sa fille glisser sur la rampe en poussant des
cris de joie.
— Maman ! s’exclama-t-elle.
Marla la souleva dans ses bras.
— Ma chérie ! Tu m’as tellement manqué. J’ai l’impression que tu as grandi.
— Papy pense la même chose. Je me suis bien amusée, aujourd’hui. Tu m’as
rapporté les surprises et la poupée qui dit « aloha » ?
— Nous ouvrirons les cadeaux plus tard, à la maison.
— Je suis une petite diva, maintenant.
— Ah bon ?
— Bienvenue ! lança Kayla.
Elle n’avait rien perdu de la beauté de ses vingt ans, quand elle était
mannequin pour financer ses études. Marla lui enviait sa chevelure cuivrée
qu’elle avait ce jour-là relevée en un superbe chignon sur lequel étaient piquées
deux plumes de paon.
— Tante Kayla m’a acheté une nouvelle tenue !
— C’est ma petite diva, commenta la belle jeune femme en riant. Il n’est
jamais trop tôt pour être coquette.
— Regarde, maman !
Elle portait un tee-shirt à manches courtes portant l’inscription « Diva » et
un short assorti.
— J’adore.
— Montre à ta maman ton numéro de diva.
— D’accord.
L’enfant recula, mit les mains sur les hanches, et se mit à défiler en chantant
une chanson de comédie musicale. Quand elle eut terminé son numéro, elle tapa
dans la main de Kayla.
— Maman, on t’a fabriqué un chapeau, Estelle et moi. Il est dans la grande
pièce pleine de belles choses. Je vais le chercher.
Sophie se précipita vers le salon.
— Je suis un peu dépassée, avoua Marla.
Alors, elle remarqua une peinture représentant une jeune fille en robe
blanche et s’en approcha. Elle avait de longs cheveux bruns et bouclés, les yeux
bleus et une fossette sur la joue.
— Je me demandais si ce ne serait pas la grand-mère de Sophie, déclara
Kayla. La ressemblance est frappante.
— Je crois bien que c’est la mère de Carson, en effet.
— Il lui ressemble ?
— Oh oui ! La filiation est évidente.
— Tiens, maman ! dit Sophie en lui tendant un vieux chapeau de paille orné
de plumes de paon et d’une marguerite. Un chapeau de mousquetaire !
— Il est superbe ! s’extasia Marla en l’essayant. J’ai l’air d’un
mousquetaire ?
— Il ne te manque plus que l’épée, répondit Kayla.
— Il y en a une au-dessus de la cheminée, dans cette pièce, intervint Sophie.
On peut la prendre ?
— Non ! répliqua Marla. Tu ne touches à rien. Ce sont des objets anciens et
fragiles. Nous aurions des ennuis.
— Je vais dehors, fit l’enfant en sortant par la porte du fond.
— Ne cours pas dans la maison ! lança Marla en longeant le vestibule avec
Kayla.
— D’accord !
Elle sortit et se trouvait déjà dans la cour quand les deux femmes atteignirent
la véranda. La fillette courut vers la table de pique-nique où se trouvaient
Carson, Henry et Estelle. Soudain, son attention fut attirée par un nichoir entouré
de colibris.
Marla vit Carson observer l’enfant. Puis il s’avança vers la véranda. Marla
respira profondément.
— Il est pas mal, commenta Kayla. Je comprends pourquoi tu t’es fourrée
dans ce pétrin.
— Je n’aurais jamais cru que ce jour viendrait, avoua Marla.
— Regarde, Sophie l’a remarqué.
La fillette se détourna du nichoir pour toiser Carson, qui s’arrêta et lui sourit.
Sophie regarda en direction de la véranda et chercha le regard de sa mère. Marla
voulut les rejoindre pour faire les présentations, mais Kayla l’en empêcha.
— Attends.
Kayla sourit en voyant Sophie marcher vers Carson.
— Elle se débrouille bien, reprit-elle.
Marla porta la main à sa bouche en voyant Sophie s’arrêter devant Carson.
— Regarde, souffla Kayla. Elle lui chante sa chanson de diva. La petite
futée : elle est en train de se mettre son nouveau papa dans la poche.
— Je suis incapable de réfléchir, avoua Marla, qui s’assit dans un fauteuil à
bascule.
Carson s’accroupit devant l’enfant, qui lui parlait avec animation. Dieu seul
savait ce qu’elle lui racontait.
— Tu te sens bien ? s’enquit Kayla en ôtant les plumes de paon de ses
cheveux.
— Ça ira. Je dois simplement assimiler ce qui est en train de se passer. Ce
n’est pas un rêve. C’est la réalité. Et je vais devoir vivre avec.
Kayla vint s’asseoir à côté d’elle.
— C’était la meilleure chose à faire, commenta-t-elle en posant une main sur
son bras. Tu as suivi ton cœur et tu ne le regretteras pas. Regarde-les, tous les
deux.
Carson s’était assis dans l’herbe et Sophie était debout face à lui, en train de
lui réciter quelque chose, sans doute son dernier rôle au théâtre pour enfants.
— Il est impressionné, dit Kayla. Elle est sûre d’elle et charmeuse. Grâce à
toi.
— Elle est née comme ça.
— Accorde-toi du mérite. Et souris ! Allez, remets ton chapeau de
mousquetaire, le devoir nous appelle ! Nous avons des malades à soigner.
Estelle émergea de la maison avec un pichet de citronnade et des gobelets.
Sophie se précipita vers elle, laissant Carson assis dans l’herbe.
— Tu vas réussir à te relever ? demanda malicieusement Marla en
descendant les marches, Kayla sur les talons.
— Bien sûr ! répondit-il en époussetant son pantalon, tandis que Marla le
présentait à son amie.
— Maman, tu veux de la citronnade ? s’écria Sophie depuis la table.
Henry était en train de lui préparer un sandwich.
— Non merci. Fais attention de ne pas en renverser partout !
— Moi je prendrais bien un peu de citronnade avant de partir, dit Kayla,
laissant Marla et Carson en tête à tête.
Celui-ci semblait se retenir de rire.
— Quoi ? demanda-t-elle. Le chapeau ?
Il sourit de plus belle.
— C’est ta fille qui l’a décoré.
— Il est époustouflant.
Elle regarda au loin. Le pavillon d’invités était dissimulé par un immense
magnolia. Elle sourit en songeant aux nuits qu’ils y avaient partagées, dans un lit
étroit. Ces pensées la menèrent vers une autre demeure somptueuse, protégée par
une grille, à Los Angeles.
— Je ne m’absente que pour quatre heures, environ. Nous pourrons discuter
à mon retour ?
— D’accord, répondit-il en regardant vers la table de pique-nique où Sophie
dévorait d’immenses tranches de pastèque. Il y a des questions à régler.
Ces mots ne lui disaient rien qui vaille, mais le moment était mal choisi pour
le provoquer.
— Je peux confier Sophie à ma mère pendant que je travaille, cet après-midi.
— Pourquoi ? demanda-t-il, vexé.
— Carson, elle est parfois difficile à gérer.
Comme toi.
— Henry et Estelle ont élevé quatre enfants et ils ont une ribambelle de
petits-enfants. À nous trois, nous devrions être capables de nous occuper d’une
petite fille, si elle veut bien rester.
Sur ces mots, il se dirigea vers la table sans attendre Marla, qui lui emboîta
le pas. Elle croisa le regard de Kayla.
— Sophie, dit Carson d’un ton enjoué. Ta maman doit aller travailler à
l’hôpital. Tu veux aller chez ta grand-mère pour…
— Non, je préfère rester ici, coupa l’enfant. Mamie n’a pas de paons, ni de
chevaux.
Elle prit un air malheureux. C’était décidément une bonne actrice.
Comme sa cousine Olivia Blaise.
— Ce serait plus rigolo que je reste ici, maman. Estelle a fait du gâteau à
l’ananas et c’est mon préféré, tu le sais bien.
— Moi aussi, j’aimerais bien rester, déclara Kayla en se levant.
Elle remercia Estelle et attendit Marla. Celle-ci se pencha vers sa fille :
— Promets-moi d’être sage et d’obéir. Ne fais rien sans demander la
permission et sois polie.
— Promis. Je serai très sage.
Marla leva les yeux vers Carson.
— Appelle-moi si ce n’est pas le cas. Sophie, si Carson m’appelle, tu auras
des ennuis.
— Je serai très sage, répéta-t-elle avant d’embrasser sa mère avec effusion.
— À plus tard, petite chérie, dit Marla en l’étreignant.
— À plus tard, ma petite diva, lança Kayla en l’embrassant à son tour.
N’oublie pas que l’on va nager ensemble, le week-end prochain.
Marla demanda à Carson s’il voulait qu’elle lui laisse le 4×4, afin qu’il ait un
véhicule.
— Nous avons plusieurs voitures, ici, et deux pick-up, avec des rehausseurs
pour nos petits-enfants, rétorqua Henri.
— Je prends juste mes bagages, dit Carson.
— En cas de besoin, n’hésitez pas à m’appeler, ajouta-t-elle à l’intention
d’Estelle, qui la rassura.
— Vous êtes en froid on dirait, non ? souffla Kayla à son amie tandis qu’il
sortait ses valises de la voiture de Marla.
— C’est le moins qu’on puisse dire.
— Préviens-moi si tu as besoin des conseils de mon père. Nous irons le voir
à son bureau.
Marla opina. Carson posa ses valises près de la table et s’assit à côté de
Sophie, qui babillait gaiement. Lorsque Estelle apparut avec son gâteau à
l’ananas, père et fille affichèrent le même sourire gourmand.
— On y va, annonça-t-elle à Kayla. Tu sais, quand j’aurai quatre-vingts ans,
je veux être comme le Dr Hughes : il est toujours en grande forme.
— Moi aussi, je m’imagine très bien en pleine séance d’accouchement :
« Allez, poussez mon petit », dit-elle en prenant la voix chevrotante d’une vieille
dame.
En s’installant au volant, Marla jeta un dernier regard vers Carson et Sophie,
qui se régalaient de gâteau. Elle eut soudain l’impression que sa relation avec
Carson était un souvenir de famille brisé et elle se rendit compte qu’elle mourait
d’envie de recoller les morceaux.
Hélas, cela risquait d’être compliqué.
25
Marla posa un gobelet de café sur le comptoir des urgences de l’hôpital pour
le Dr Hughes dont le visage marqué exprimait une grande sagesse.
— Merci. Je suis fier de toi, tu sais.
Le compliment de son mentor lui alla droit au cœur.
— Tu as fait du dispensaire une réussite. Sans parler du financement.
Obtenir un tel don est exceptionnel.
— C’est comme si elle avait remporté une médaille d’or aux Jeux
Olympiques, intervint Kayla.
— Si seulement… souffla l’intéressée.
Son téléphone se mit à vibrer dans la poche de sa blouse. C’était un message
de Carson.
Compris.
Je lui achète des vêtements. Estelle m’a aidée à trouver la bonne taille.
Il avait joint une photo de l’enfant en train d’essayer des ballerines rouges à
paillettes.
Ensuite, il lui adressa un selfie de Sophie et lui devant la fontaine.
La photo était prise dans un magasin de jouets. La fillette était au volant d’un
véhicule à moteur, serrant contre son cœur une poupée de la Reine des Neiges.
Il fit la moue. Quand une femme déclarait : « il faut qu’on parle », c’était
généralement mauvais signe. Il trouva Marla appuyée à une colonne de la
véranda. Elle tenait une rose qui provenait de la roseraie de sa grand-mère.
Une douce lumière baignait les lieux. Sa robe jaune était presque argentée,
comme ses cheveux blonds. Le parfum qu’il aimait tant lui parvint aux narines,
réveillant de merveilleux souvenirs.
— La rose est la plus parfaite création de la nature.
— Pour moi, c’est Sophie, répondit-il.
— Ce n’est pas la nature qui a créé Sophie, objecta-t-elle en caressant un
pétale. C’est nous.
— Je me réjouis que tu dises « nous ».
— Alors, vous vous êtes bien entendus, tous les deux ? demanda-t-elle avec
l’esquisse d’un sourire. Elle t’a adopté, on dirait.
— Il existe un lien entre nous et elle l’a senti. Moi aussi d’ailleurs.
— Tu es heureux ?
— C’est ma fille. Bien sûr que je suis heureux. Elle correspond en tous
points à l’enfant que j’ai toujours rêvé d’avoir, ajouta-t-il fièrement. Outre ses
dons artistiques, elle aime les chevaux et a de la personnalité à revendre. De
plus, elle a toujours quelque chose à raconter.
— Absolument.
Un silence s’installa. Un petit carillon éolien accroché à une branche de
cornouiller tinta.
— Quand retournes-tu en Californie ?
Il se tenait là où il se trouvait quand il avait vu Marla pour la première fois,
six ans plus tôt. Que serait-il devenu s’il était resté sous la véranda ?
— C’est de cela que tu voulais me parler ? De mon départ ?
Elle ne dit rien. Si seulement il n’était pas obnubilé par ce parfum, qui
évoquait ses baisers, ses caresses, leurs étreintes…
— Sophie et moi venons avec toi.
— Comment ? fit-il, abasourdi.
— Sophie et moi venons avec toi. Si tu veux bien de nous, ajouta-t-elle
vivement.
Il admira sa force de caractère.
— Non, répondit-il en secouant la tête.
— Carson, si je pouvais revenir en arrière et changer les choses, je le ferais
crois-moi. Hélas, c’est impossible.
Un jour, le père de Carson lui avait affirmé que les pires erreurs étaient celles
dont on se rendait compte trop tard. Était-il trop tard, pour eux ?
— Il n’y a rien que je puisse faire à part te dire que je t’aime, énonça-t-elle
en lâchant sa rose. Si tu m’accordes une seconde chance, j’essaierai de me
racheter.
Il baissa la tête, puis se redressa.
— Tu n’as pas à craindre que j’emmène Sophie de force en Californie pour
l’enfermer et te priver d’elle. Je n’en ferai rien. Je sais ce que c’est que de perdre
sa mère très jeune. Je serais incapable d’infliger cette souffrance à Sophie.
— Il n’est pas question de Sophie, mais de nous deux.
Il observa les lucioles qui voletaient telles des étincelles dans la nuit.
— Ce matin, à notre arrivée, j’ai vu ton visage s’illuminer de bonheur parce
que tu étais de retour chez toi. C’est ici que tu es heureuse.
— Seule une partie de moi est ici. Mon cœur est ailleurs depuis longtemps.
— Tu en es sûre ?
— Certaine. Que te dire, à part que je veux que l’on soit ensemble parce que
nous sommes faits l’un pour l’autre ? Je l’ai toujours su, même le jour où je t’ai
vu partir. Hélas, je refusais d’y croire ou de me faire confiance.
— Je sais, murmura-t-il, car il ressentait exactement la même chose.
— Si tu refuses, je le comprendrai, reprit-elle en s’efforçant d’être
rationnelle. Je l’accepterai et cela ne changera rien pour Sophie. Je veux que tu
fasses partie de sa vie et je ferai le maximum pour que tu deviennes le père que
tu veux être.
— Ne crois pas que tu sois la seule fautive. J’ai profité de toi, en réalité,
avoua-t-il.
Il était fermement décidé à affronter les démons de son passé.
— À vingt ans, j’ai rencontré une femme du nom d’Angela, reprit-il.
Et il lui raconta ses déboires sans omettre le moindre détail, lui expliqua sa
méfiance pathologique des femmes, son besoin de se protéger. Comme un
animal en milieux hostile, il était alors toujours sur le qui-vive et incapable
d’accorder sa confiance à qui que ce soit.
— J’ai eu une réaction excessive, admit-il, mais je vivais dans une sorte de
paranoïa depuis dix ans quand je t’ai rencontrée. Je me souviens que j’observais
les gens, les invités, ma grand-mère. Ils s’amusaient et semblaient si ouverts…
Soudain, je t’ai vue. Je me suis demandé comment ce serait de ne pas avoir à me
soucier de tes motivations réelles, c’est pourquoi j’ai délibérément choisi de ne
pas te parler de ma fortune ou de ma façon de me protéger. J’avais envie de me
détendre, de passer du temps en toute insouciance. Tu m’as donné les meilleurs
moments de ma vie et je regrette d’avoir menti par omission.
Au bout d’un long silence, Marla fit quelques pas vers lui et lui prit la main.
— Tu es en sécurité, désormais, dit-elle.
Il l’attira vers lui et prononça une phrase qu’il n’avait pas dite à une femme
depuis longtemps.
— Je t’aime.
Elle enroula les bras autour de son cou et l’embrassa avec passion.
— Attends une minute, fit-il avant de s’éclipser.
Marla demeura sous la véranda. Elle se sentait nue, comme libérée d’une
carapace, et elle avait un peu peur. Certes, elle aimait vivre à Lafayette Falls,
mais elle aimait Carson encore davantage, au point d’aller habiter derrière une
grille. Rien n’avait d’importance tant qu’il était là pour lui tenir la main.
Lorsqu’il réapparut, elle lui demanda des nouvelles de Sophie.
— Elle dort toujours, répondit-il, les mains dans les poches. Tu sais quelle
est la pire chose que tu m’aies infligée ?
— Tu dois avoir une longue liste.
— Tu as gâché ma demande en mariage. Tu n’imagines pas les efforts que
j’ai déployés pour l’organiser.
— Oh. Une demande en mariage ?
— Je voulais cacher la bague dans un coquillage. J’avais remarqué que tu
étais déçue de ne pas en trouver sur la plage, alors j’en ai acheté un à Honolulu.
Ainsi qu’une bague.
— Oh, Carson ! s’exclama Marla, touchée par cette attention.
— J’avais prévu de t’emmener faire une promenade sur le rivage, dans la
soirée, et de faire semblant d’y trouver un coquillage, puis de te demander de
regarder s’il y avait quelque chose à l’intérieur.
— C’est à la fois romantique et original.
— Oui, j’étais plutôt fier de moi. Et puis, tout a dégénéré.
— Je t’aime, répéta-t-elle en le dévorant d’un baiser langoureux.
Avec un sourire, il sortit de sa poche la bague en diamants.
— Dommage que l’on ne soit pas sur la plage, soupira-t-il.
— C’est bien mieux ainsi. Royal Oaks est l’endroit idéal, au contraire. C’est
ici que nous nous sommes rencontrés. Et c’est l’été, comme il y a six ans.
En fait, elle vivait le plus beau moment de sa vie.
— Tu veux que je me mette à genoux ? s’enquit-il.
— Naturellement !
— Je le fais uniquement par amour, dit-il en pliant la jambe. Oh non !
— Quoi ? Tu t’es coincé le dos ?
— Non, j’ai fait tomber la bague.
À quatre pattes, ils cherchèrent le bijou, en vain.
— On ne voit rien, dit Marla. Il nous faut une torche.
— Je renonce. Elle a dû tomber du porche. Nous la trouverons demain
matin.
Ils restèrent assis côte à côte. Carson lui prit la main.
— Acceptes-tu de m’épouser et de vivre avec moi à Royal Oaks jusqu’à ce
que la mort nous sépare ?
— Je croyais que tu vendais Royal Oaks !
— C’était quand j’étais fâché contre toi. Je ne veux pas te déraciner, et
Sophie non plus. Vous êtes membres de cette communauté et c’est essentiel à
votre équilibre, surtout pour la petite. Je n’ai pas de famille en Californie, rien
qu’une entreprise que je vendrai sans regret. Je veux me concentrer sur
l’architecture, ma véritable passion. Je monterai un cabinet ici et je transférerai
le siège de la société à Nashville. Je pourrai ainsi effectuer l’aller-retour dans la
journée.
— Tu es sûr ? Je sais que j’ai critiqué ta maison de Los Angeles, mais elle
n’est pas si mal, en réalité. Elle est même superbe.
— Ma décision est prise.
— Je ne sais pas quoi dire…
— Je crois que j’ai craqué quand tu m’as avoué que tu jouais du banjo,
plaisanta-t-il. Plus sérieusement, je vais réfléchir au site de mon centre artistique.
Puisque nous allons vivre ici, je vais conserver la propriété telle qu’elle est. Ma
mère et ma grand-mère seraient ravies que mes enfants soient élevés à Royal
Oaks. Je perpétuerai la tradition familiale.
Elle prit son visage entre ses mains et l’embrassa encore.
— Si tu savais comme je t’aime ! dit-elle.
— Et si tu me le démontrais ? répondit-il en se levant, avant de tendre la
main pour l’aider.
Elle se leva avec grâce et souplesse.
— J’aurais dû me douter que tu n’avais pas besoin d’une main secourable.
Ils pénétrèrent dans le vaste hall de la maison, avec ses boiseries anciennes
et son lustre en cristal au-dessus de l’escalier monumental.
— Nous pourrions nous marier ici. Qu’en penses-tu ?
— Excellente idée, répondit-il en refermant la porte moustiquaire.
Elle le prit par la main.
— Tu sais, j’aimerais bien que l’on retourne à Kauai, un jour, lui confia-t-
elle. Nous emmènerions Sophie.
— Excellente idée, répéta-t-il.
— Viens, fit-elle en l’entraînant vers l’escalier. Tu sais, Rhett portait Scarlett
dans ses bras, dans Autant en emporte le vent, ajouta-t-elle en admirant la rampe
en acajou sculpté.
— Dans mes bras, ma belle.